PAR SAINT AUGUSTIN
Docteur de l'Eglise d'Occident
Traduits par M. l’abbé
MORISOT., 1875
Édition numérique, https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique,
Les œuvres complètes de
saint Thomas d'Aquin
PSAUME 2: L’ÉGLISE ET SES PERSÉCUTEURS
PSAUME 3: DAVID EN FACE D’ABSALON OU JÉSUS EN FACE DE
JUDAS
PSAUME 5: L’ÉGLISE DANS SON EXIL OU L’ÂME FIDÈLE
PSAUME 7: LE SILENCE DE JÉSUS-CHRIST
PSAUME 8: LE PRESSOIR DE L’ÉGLISE
PSAUME 9: LES ACTES MYSTÉRIEUX DE JÉSUS-CHRIST
INSCRITE DANS L’HÉBREU SOUS LE NUMÉRO 10
PSAUME 10: L’HÉRÉSIE EN FACE DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE
PSAUME 11: LES ÉLUS SUR LA TERRE
PSAUME 15: LE CHANT DE LA RÉSURRECTION
PSAUME 16: L’ÉGLISE DE LA TERRE
PSAUME 17: CHANT DE DÉLIVRANCE
PSAUME 18 (1): LE VERBE DE DIEU
PSAUME 18 (2): LE VERBE DE DIEU
PSAUME 19: LE CHRIST DANS SA PASSION
PSAUME 20: LES REPRÉSAILLES DE LA PASSION
PSAUME 21: LES DÉTAILS DE LA PASSION
PSAUME 22 (2): LES PÂTURAGES DU SEIGNEUR
PSAUME 23: L’ASCENSION DU CHRIST
PSAUME 25 (1): LA PURETÉ DE L’ÉGLISE
PSAUME 27: LE CHRIST A SA RÉSURRECTION
PSAUME 28: L’ÉGLISE DE DIEU ET LA PRÉDICATION DE
L’ÉVANGILE
PSAUME 29 (1): L’ÉGLISE, OU LE TEMPLE CONSACRÉ A DIEU
PSAUME 29 (2): LA GLOIRE DU CHRÉTIEN APRÈS CETTE VIE
PSAUME 30 (1): LE JUSTE PERSÉCUTÉ
PSAUME 30 (2): ÉPREUVES ET ESPOIR DU CHRIST
PSAUME 30 (3): CONTRE LES DONATISTES
PSAUME 30 (4): ESPOIR DU JUSTE
PSAUME 31 (1): LE VÉRITABLE JUSTE
PSAUME 31 (2): LA FOI ET LES OEUVRES
PSAUME 32 (1): LA CONFIANCE DU JUSTE
PSAUME 32 (2): CONFIANCE EN DIEU
PSAUME 32 (3): CRAINTE ET AMOUR DE DIEU
PSAUME 33 (2): DISPOSITIONS A L’EUCHARISTIE
PSAUME 36 (1): LA FORCE DU JUSTE
PSAUME 36 (2): ENCORE LA FORCE DU JUSTE
PSAUME 37: L’AVEU DU PÉCHÉ OU LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST
PSAUME 45: LA PRÉDICATION DES APÔTRES
PSAUME 46: L’ASCENSION DU CHRIST
PSAUME 47: ÉTABLISSEMENT DE L’ÉGLISE
PSAUME 48: L’EMPLOI DES RICHESSES
PSAUME 49: LE JUGEMENT DE DIEU
PSAUME 51: TRIOMPHE DE JÉSUS-CHRIST
PSAUME 54: AMOUR DE DIEU ET DU PROCHAIN
PSAUME 55: CONFIANCE DURANT L’ÉPREUVE
PSAUME 57: RESPECT DE LA JUSTICE ET DE LA VÉRITÉ
PSAUME 58 (2): DEUXIÈME PARTIE DU PSAUME
PSAUME 59: TRIOMPHE DE JÉSUS-CHRIST
PSAUME 60: ESPÉRANCE DE L’ÉGLISE
PSAUME 63: VANITÉ DE LA CRAINTE DES MÉCHANTS
PSAUME 65: LA FOI EN LA RÉSURRECTION
PSAUME 66: LA BÉNÉDICTION DE DIEU
PSAUME 67: LA PRÉDICATION ÉVANGÉLIQUE
PSAUME 68 (1): LA RÉDEMPTION PAR LE CHRIST
PSAUME 68 (2): LA RÉDEMPTION PAR LE CHRIST
PSAUME 69: LE CHANT DES MARTYRS
PSAUME 70 (1): LA GRÂCE PAR LE CHRIST
PSAUME 70 (2): LA GRÂCE PAR LE CHRIST (SUITE)
PSAUME 71: LE VRAI SALOMON OU LE CHRIST
PSAUME 72: VANITÉ DES BIENS TERRESTRES
PSAUME 73: LA FOI PASSE DES JUIFS AUX GENTILS
PSAUME 74: L’HUMILITÉ DE LA CONFESSION
PSAUME 75: LA JUDÉE OU L’ÉGLISE DE DIEU
PSAUME 76: L’INTÉRIEUR DU CHRÉTIEN
PSAUME 77: LES FIGURES DE L’ANCIENNE LOI
PSAUME 78: LES PERSÉCUTIONS DE JÉRUSALEM
PSAUME 79: LA VIGNE DU SEIGNEUR
PSAUME 80: LES PRESSOIRS DANS L’ÉGLISE
PSAUME 81: JUGEMENT DE DIEU CONTRE LA SYNAGOGUE
PSAUME 82: CHANT DE L’ ÉGLISE POUR LE JUGEMENT
PSAUME 83: ENCORE LES PRESSOIRS DE L’ÉGLISE
PSAUME 84 (2): LES ESPÉRANCES DE L’ÉGLISE
PSAUME 85: LES ESPÉRANCES DE L’ÉGLISE
PSAUME 86: LA JÉRUSALEM CÉLESTE
PSAUME 87: LA PASSION DU CHRIST DANS L’ÉGLISE
PSAUME 88 (1): LES PROMESSES DE DIEU
PSAUME 89: LES FIGURES DE L’ANCIEN TESTAMENT
PSAUME 90 (2): LES TENTATIONS (SUITE).
PSAUME 92: LE SIXIÈME AGE DU MONDE
PSAUME 93 (1): LE MÉLANGE DES BONS ET DES MÉCHANTS.
PSAUME 94 (1): LES JOIES CHRÉTIENNES.
PSAUME 95 (1): LA MAISON DE DIEU OU L’ÉGLISE.
PSAUME 96: LES SAINTES JOIES DE L’ÉGLISE.
PSAUME 97: LA CONVERSION DES GENTILS.
PSAUME 98: LE RÈGNE DE JÉSUS-CHRIST
PSAUME 99: LA JUBILATION DANS L’ÉGLISE.
PSAUME 100: LA MISÉRICORDE ET LE JUGEMENT.
PSAUME 101 (1): LES GÉMISSEMENTS DE L’ÉGLISE.
PSAUME 101 (2): LES CONSOLATIONS DE L’ÉGLISE.
PSAUME 102: LES BIENFAITS DU SEIGNEUR.
PSAUME 103 (1): LE MONDE INVISIBLE DANS LE MONDE VISIBLE.
PSAUME 103 (2): LE MONDE INVISIBLE DANS LE MONDE VISIBLE.
PSAUME 103 (3): LE MONDE INVISIBLE DANS LE MONDE VISIBLE.
PSAUME 103 (4): LE MONDE INVISIBLE DANS LE MONDE VISIBLE.
PSAUME 104: LOUANGE A DIEU DANS SA BONTÉ.
PSAUME 105: LOUANGE A DIEU DANS SON PARDON.
PSAUME 106: LES ÉTAPES DE L’ÂME CHRÉTIENNE.
PSAUME 107: POURQUOI CE PSAUME N’EST POINT EXPLIQUÉ ICI.
PSAUME 108: LE CHRIST ET JUDAS.
PSAUME 109: LES PROMESSES DU SEIGNEUR.
PSAUME 110 (1): LES PROMESSES DU SEIGNEUR.
PSAUME 110 (2): LES MERVEILLES DU SEIGNEUR.
PSAUME 101: LE TEMPLE SPIRITUEL.
PSAUME 113 (1): LE BAPTÊME DANS LA MER ROUGE.
PSAUME 115: CHANT DES MARTYRS.
PSAUME 116: SUITE DU SERMON PRÉCÉDENT.
PSAUME 117: CONSTANCE DE L’ÉGLISE.
PSAUME 118 (1): LE VRAI BONHEUR.
PSAUME 118 (2): LA VOIE DU SEIGNEUR.
PSAUME 118 (3): LE PÉCHÉ DANS L’HOMME JUSTE.
PSAUME 118 (4): L’OBÉISSANCE AUX PRÉCEPTES.
PSAUME 118 (5): LE REDRESSEMENT DE NOS VOIES.
PSAUME 118 (6): LE CHRIST EST LA VÉRITABLE VOIE.
PSAUME 118 (7): LA FOI ET LA GRÂCE.
PSAUME 118 (8): LES DÉLICES DE LA LOI DE DIEU.
PSAUME 118 (9): LA VIE EN ÉCHANGE DE LA MORT.
PSAUME 118 (10): LE GOUT DES BONNES OEUVRES.
PSAUME 118 (11): LE PROGRÈS DANS LA PIÉTÉ.
PSAUME 118 (12): LA VANITÉ ET L’ENVIE.
PSAUME 118 (13): LA VIE DANS LE CHRIST.
PSAUME 118 (14): LES EFFETS DE LA GRÂCE.
PSAUME 118 (15): LES EFFETS DE LA GRÂCE.
PSAUME 118 (16): L’UNION A DIEU.
PSAUME 118 (17): LES BIENS DE LA GRÂCE.
PSAUME 118 (18): LES BIENFAITS DE LA GRACE.
PSAUME 118 (19): LA JOIE DANS LE SERVICE DE DIEU.
PSAUME 118 (20): LES SOUPIRS DE L’ÉGLISE PERSÉCUTÉE.
PSAUME 118 (21): SOUPIRS DE L’ÉGLISE VERS LE CIEL.
PSAUME 118 (22): L’INTELLIGENCE DE LA LOI.
PSAUME 118 (23): LA VÉRITABLE LUMIÈRE
PSAUME 118 (24): IMPORTUNITÉ DES MÉCHANTS
PSAUME 118 (25): LA PRÉVARICATION.
PSAUME 118 (26): LA VRAIE CHARITÉ.
PSAUME 118 (27): LE SECOURS DE LA GRÂCE.
PSAUME 118 (28): LE PLUS JEUNE PEUPLE.
PSAUME 118 (30): LA VÉRITABLE PRIÈRE.
PSAUME 118 (29): LA GRÂCE DE DIEU.
PSAUME 118 (31): INJUSTES PERSÉCUTIONS CONTRE L’ÉGLISE.
PSAUME 118 (32): LA FORCE DANS L’ÉGLISE.
PSAUME 119: LES ASCENSIONS DU CHRÉTIEN.
PSAUME 120: NOTRE CONFIANCE DANS LE SEIGNEUR.
PSAUME 121: L’EXTASE DE L’AMOUR.
PSAUME 122: LE CIEL PAR L’AMOUR.
PSAUME 124: VAINE PROSPÉRITE DES MÉCHANTS, ET CONFIANCE
DES JUSTES.
PSAUME 125: DÉLIVRANCE DE LA CAPTIVITÉ.
PSAUME 127: LES BIENS SPIRITUELS.
PSAUME 128: LES TOLÉRANCES DE L’ÉGLISE.
PSAUME 129: L’ESPÉRANCE DU PÉCHEUR
PSAUME 130: L’HUMILITÉ CHRÉTIENNE
PSAUME 131: L’ESPÉRANCE EN DIEU
PSAUME 132: LE MOINE, OU L’UNITÉ DE COEUR
PSAUME 133: CONTINUATION DU SERMON PRÉCÉDENT
PSAUME 134: LES OEUVRES DU SEIGNEUR
PSAUME 135: LES DIVINES MISÉRICORDES
PSAUME 136: BABYLONE, OU LA CAPTIVITÉ DE CETTE VIE
PSAUME 138 (2): LES BONS ET LES MÉCHANTS DANS L’ÉGLISE
PSAUME 139: L’ÉGLISE AU MILIEU DES MÉCHANTS
PSAUME 141: CHANT DES MARTYRS.
PSAUME 142: LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST DANS L’ÉGLISE.
PSAUME 143: VICTOIRE DE DAVID SUR GOLIATH.
PSAUME 144: L’ŒUVRE DE LA RÉGÉNÉRATION.
PSAUME 145: CHANT DE L’ÂME EXILÉE.
PSAUME 147: LA VOCATION A LA JÉRUSALEM DU CIEL
PSAUME 148: L’ESPÉRANCE DANS L’EXIL
PSAUME 149: LE NOUVEAU CANTIQUE OU L’ÉVANGILE.
PSAUME 150: LA LOUANGE DE DIEU DANS SES SAINTS.
L’homme céleste et l’homme terrestre. — Le premier est Jésus Christ, le second est Adam pécheur. — Jésus-Christ ayant évité les piéges dans lesquels Adam trouva la mort, aura dans l’Eglise une postérité que formeront les saints. — Adam pécheur sera le père des impies.
1. « Bienheureux l’homme qui ne s’est point
laissé aller au conseil des impies (Ps.
I, 1) » Cette bénédiction doit s’appliquer à Jésus-Christ Notre Seigneur,
qui est l’homme divin (Rétract. XIX).
« Bienheureux l’homme qui ne s’est point laissé aller au conseil des impies »,
comme l’Adam terrestre, qui écouta sa femme séduite par le serpent, et méprisa
le précepte du Seigneur (Gen. III, 6).
« Et qui ne s’est pas arrêté dans la voie des pécheurs ». A la vérité,
Jésus-Christ est venu dans la voie du péché, puisqu’il est né comme les
pécheurs, mais il ne s’y est pas arrêté, car il ne s’est pas épris des attraits
du monde. « Et ne s’est point assis dans la chaire de pestilence ». Car il ne
voulut point avoir sur la terre un trône fastueux, et voilà ce qui est justement
appelé trône pestilentiel; de même en effet que l’amour de la domination, que
l’appétit de la vaine gloire se glisse dans presque toute âme humaine; de même
la peste est cette maladie qui se répand au loin, attaquant tous les hommes ou
à peu près. Une chaire de pestilence se dirait mieux néanmoins d’une doctrine
perverse, dont l’enseignement est envahissant comme la gangrène (II Tim. II, 17). Voyons ensuite la
gradation de ces termes: « S’en aller, s’arrêter, s’asseoir ». L’homme s’en est
allé, quand il s’est retiré de Dieu; il s’est arrêté, quand il a pris plaisir
au péché; il s’est assis, quand affermi dans son orgueil, il n’a pu retourner
sans avoir pour libérateur celui qui ne s’est point laissé aller au conseil de
l’impie, ne s’est point arrêté dans la voie des pécheurs, ni assis dans la
chaire de pestilence.
2. « Mais qui s’est complu dans la loi du
Seigneur, et qui méditera cette loi jour et nuit (Ps I, 2)». La loi n’est pas établie pour le juste (I Tim. I, 9), a dit l’Apôtre. Mais être
dans la loi n’est pas être sous la loi. Etre dans la loi, c’est l’accomplir;
être sous la loi, c’est en recevoir l’impulsion. Dans le premier cas, c’est la
liberté, dans le second, c’est l’esclavage. Autre encore est la loi écrite qui
s’impose à l’esclave, et autre la loi que lit, dans son coeur, celui qui n’a
pas besoin de loi écrite. «Méditer la loi jour et nuit», signifie la méditer
continuellement, ou bien « le jour » s’entendra de la joie, et « la nuit», de
la tribulation; car il est dit: « Abraham vit mon jour et il en tressaillit de
joie (Jean, VIII, 56) »; et à propos
de la tribulation, le Psalmiste a dit: « Bien avant dans la nuit, mon coeur a
été dans l’angoisse (Ps. XV, 7).
3. « Il sera comme l’arbre planté près du
courant des eaux », c’est-à-dire près de la Sagesse elle-même, qui a daigné
s’unir à l’homme pour notre salut, afin que l’homme fût un arbre planté près du
courant des eaux; car c’est ainsi qu’on peut entendre cette autre parole du
Psalmiste: « Le fleuve de Dieu (122) est rempli d’eau (Ps. LXIV, 10) ». On peut encore entendre par les eaux,
l’Esprit-Saint, dont il est dit: « C’est lui qui vous baptisera dans
l’Esprit-Saint (Matt. III, 11) »; et
cette autre: « Qu’il vienne, celui qui a soif, et qu’il boive (Jean, VII, 37) »; et encore « Si tu connaissais
le don de Dieu, et qui est celui qui te demande à boire, tu lui en aurais u
demandé toi-même, et il t’aurait donné cette eau vive qui étanche pour jamais
la soif de celui qui en a bu; et qui devient en lui une source d’eau
jaillissante jusqu’à la vie éternelle(Id.
IV, 10-14) ». Ou bien, « près du courant des eaux »signifiera près des
péchés des peuples; dans l’Apocalypse, en effet, les eaux désignent les peuples
(Apoc. XVII, 15), et le courant se
dirait de la chute qui est le propre du péché. Cet arbre donc, c’est Notre
Seigneur, qui prend les eaux courantes, ou les peuples pécheurs, et se les
assimile par les racines de son enseignement; » il « donnera du fruit »,
c’est-à-dire établira des églises, « en son temps », quand il aura été glorifié
en ressuscitant et en montant au ciel. Ayant alors envoyé l’Esprit-Saint aux
Apôtres, qu’il confirma dans la confiance en lui-même, et dispersa parmi les
peuples, il recueillit pour fruits les églises. « Et son feuillage ne tombera
point », car sa parole ne sera point inutile: « Toute chair, en effet; n’est
qu’une herbe, toute beauté de l’homme est comme la fleur des champs; l’herbe
s’est fanée, la fleur est tombée, mais la parole de Dieu demeure éternellement(Isa. XI, 6-8) ». « Et tout ce qu’il
établira, sera dans la prospérité », c’est-à-dire tout ce que portera cet
arbre; car cette généralité embrasse les fruits et les feuilles, ou les actes
et les paroles.
4. « Il n’en est pas ainsi de l’impie, vaine
poussière que le vent soulève de la surface de la terre (Ps. I, 4) ». Terre se dit ici de la permanence qui est le propre de
Dieu, et dont il est écrit: « Le Seigneur est la part de mon héritage, et cet
héritage m’est glorieux (Id. XV, 7) ».
Et ailleurs: « Attends le Seigneur, garde ses voies, et il t’élèvera jusqu’à te
mettre en possession de la terre (Id.
XXXVI, 34)»; et encore: « Bienheureux ceux qui sont doux, parce qu’ils
posséderont la terre (Matt. V, 4) ».
Voici, en effet, le point de comparaison: c’est que la terre invisible sera
pour l’homme intérieur ce qu’est pour l’homme extérieur cette terre visible qui
lui donne l’aliment et l’espace. C’est de la surface de cette terre invisible
que le vent ou l’orgueil qui enfle (I
Cor. VIII, 1), chassera l’impie. Mais celui qui s’enivre de l’abondance qui
règne en la maison de Dieu, qui s’abreuve au torrent de ses voluptés, se
prémunit contre l’orgueil et dit: « Loin de moi le pied de l’orgueilleux (Ps. XXXV, 9, 12». De cette terre encore
l’orgueil a banni celui qui disait: « Je placerai mon trône vers l’Aquilon, je
serai semblable au Très-Haut (Isa. XIV,
13, 14) ». Enfin, de cette terre l’orgueil a expulsé celui qui osa goûter
du fruit défendu, afin de devenir semblable à Dieu, et voulut se dérober à la
présence du Seigneur (Gen. III, 6-8).
Voici des paroles de l’Ecriture qui nous font bien comprendre que cette terre
est l’apanage de l’homme intérieur, et que l’orgueil en a expulsé l’homme du
péché: « De quoi t’enorgueillir, cendre et poussière? pendant ta vie, tu as
rejeté loin de toi ton intérieur (Eccli.
X, 9, 10)»; d’où l’on peut dire avec raison que s’il est rejeté, c’est par
lui-même.
5. «Aussi, l’impie ne doit-il point
ressusciter pour le jugement (Ps. I, 5)»,
puisqu’il est balayé de la terre comme une vaine poussière. C’est avec justice
que le Psalmiste dit ici que l’orgueilleux sera frustré de ce qu’il ambitionne,
ou du pouvoir de juger: aussi nous fait-il mieux comprendre cette parole dans
la phrase suivante: « Ni le pécheur dans l’assemblée des justes ». Il est
d’ordinaire, dans l’Ecriture, que la seconde partie du verset explique la
première, en sorte que « par l’impie » on doit entendre le pécheur, et par « le
jugement », l’assemblée des justes. Ou du moins, s’il y a entre l’impie et le
pécheur cette différence que tout impie soit pécheur, quoique tout pécheur ne
soit pas toujours impie, « l’impie ne ressuscitera point pour le jugement »,
c’est-à-dire qu’il ressuscitera, sans aucun doute, mais non pour être jugé, car
il est déjà condamné à des peines indubitables. « Mais le pécheur ne se
relèvera point dans l’assemblée des justes », ou pour juger, mais bien pour
être jugé, comme il est dit de lui: « Le feu doit éprouver l’oeuvre de chacun:
celui dont l’ouvrage pourra résister, en recevra la récompense; celui dont
l’ouvrage sera consumé en subira la peine; lui cependant sera « sauvé, mais
comme par le feu (I Cor. III, 13-15)
». (123)
6. « Le Seigneur, en effet, connaît la voie
des justes (Ps. I, 6) ». Comme on
dit: « La médecine connaît la guérison, mais non la maladie », et toutefois la
maladie elle-même est connue par l’art médical; on peut dire dans le même sens
que Dieu connaît la race des justes, et non la race des impies; non pas que
Dieu ignore quelque chose, bien qu’il dise aux pécheurs: «Je ne vous
connais-point (Matt. VII, 23) ». «
Mais la voie de l’impie doit périr», se dit dans le même sens que si on lisait:
Le Seigneur ne connaît point la voie de l’impie. Mais nous voyons clairement
par là que celui qui est ignoré de Dieu doit mourir, comme celui qui en est
connu doit subsister. En Dieu, être connu, c’est être; être ignoré, c’est
n’être pas. Il a dit en effet: «Je suis celui qui suis», et « Celui qui est,
m’a envoyé (Exod. III, 14) ».
Les méchants veulent secouer
le joug de Dieu et de son Christ; mais il a établi, ce Christ chef de sou
royaume ou de l’Eglise qui s’étendra partout. Comprenez cette puissance, et
faites-vous de la foi un abri contre ses vengeances.
1. « A quoi bon ce frémissement des nations,
et ces vaines machinations des peuples? Les rois de la terre se sont levés, les
princes ont formé des ligues contre le Seigneur et contre son Christ (Ps. II, 1-2) ». Le psalmiste dit: « A
quoi bon», comme il dirait: C’est en vain; car ces ligueurs n’ont pas atteint
le but qu’ils se proposaient, l’extinction du Christ: c’est la prédiction des
persécuteurs de Jésus dont il est fait mention dans les Actes des Apôtres (Act. IV, 26).
2. « Brisons leurs liens, et rejetons leur
joug loin de nous (Ps. II, 3) ». Bien
que ces paroles soient susceptibles d’un autre sens, il est mieux de les
appliquer à ceux dont le Prophète a dit qu’ils machinaient en vain; en sorte
que « brisons leurs chaînes, et rejetons leur joug loin de nous », signifie:
appliquons-nous à éluder les devoirs et à rejeter le fardeau de la religion
chrétienne.
3. « Celui qui habite dans les cieux se rira
d’eux, le Seigneur les persiflera (Ib.
4.) ». La même pensée est deux fois exprimée: car au lieu de: « Celui qui
habite dans les cieux », le Psalmiste a dit: « Le Seigneur »; et « se rira »,
est remplacé par « persiflera ». Gardons-nous toutefois d’entendre ces
expressions d’une manière humaine, comme si Dieu plissait des lèvres pour rire,
et des narines pour se moquer. Il faut entendre par là, le pouvoir qu’il donne
à ses élus de lire dans l’avenir, d’y voir le nom du Christ se transmettant
jusqu’aux derniers humains, s’emparant de tous les peuples, et de comprendre
ainsi combien sont vaines les trames des méchants. Ce pouvoir qui leur découvre
cet avenir, c’est la moquerie et le persiflage de Dieu. « Celui qui habite les
cieux se rira d’eux ». Si, par les cieux, nous comprenons les âmes saintes,
c’est en elles que le Seigneur connaissant ce qui doit arriver, se rit des
vains complots et tourne en dérision.
4. « Alors il leur parlera dans sa colère, et
les confondra dans sa fureur (Ps. II, 5)
». Pour nous mieux préciser l’effet de cette parole, David a dit: « Il les confondra
»; en sorte que « la colère » de Dieu est identique « à sa fureur ». Mais cette
colère et cette fureur du
Seigneur Dieu, ne doit pas s’entendre d’une
perturbation de l’âme; c’est le cri puissant de la justice dans toute créature,
soumise à Dieu pour le servir. Car il faut bien nous rappeler
et croire ce qu’a écrit Salomon: « Pour toi,
ô Dieu de force, tu es calme dans tes jugements, et tu nous gouvernes avec une
sorte (124) de respect (Sag. XII, 18)
». En Dieu donc, la colère est ce mouvement qui se produit dans une âme
connaissant la loi de Dieu, quand elle voit cette même loi violée par le
pécheur; elle est cette indignation des âmes justes qui flétrit par avance bien
des crimes. Cette colère de Dieu pourrait fort bien se dire encore des ténèbres
de l’esprit qui envahissent tout infracteur de la loi de Dieu.
5. « Moi, je suis établi par lui, pour régner
en Sion, sur la montagne sainte, pour prêcher sa loi (Ps. II, 6) ». Ces paroles s’appliquent évidemment à Notre Seigneur
Jésus-Christ. Si, pour nous, comme pour beaucoup d’autres, Sion veut dire
contemplation, nous ne pouvons mieux l’entendre que de l’Eglise, dont l’âme
s’élève chaque jour pour contempler en Dieu ses splendeurs, selon ce mot de
l’Apôtre: « Nous verrons à découvert la gloire du Seigneur (II Cor. III, 18) »; voici donc le sens:
« Moi, je suis établi par lui pour régner sur la sainte Eglise », appelée ici
montagne à cause de sa hauteur et de sa solidité. « C’est moi qu’il a établi
roi »: moi, dont les impies cherchaient à briser les chaînes et à secouer le
joug. « Pour prêcher sa loi»: qui ne comprendrait cette expression, en voyant
la pratique de chaque jour?
6. « Le Seigneur m’a dit: Tu es-mon Fils; je
t’ai engendré aujourd’hui (Ps. II, 7)
». Dans ce jour, on pourrait voir la prophétie du jour où Jésus-Christ naquit
en sa chair. Néanmoins comme « aujourd’hui » indique l’instant actuel, et que
dans l’éternité, il n’y a ni un passé qui ait cessé d’être, ni un futur qui ne
soit pas encore, mais seulement un présent; car tout ce qui est éternel est
toujours cette expression: « Aujourd’hui, je t’ai engendré », s’entendra dans
le sens divin, selon lequel la foi éclairée et catholique professe la
génération ininterrompue de la puissance et de la sagesse de Dieu, qui est son
Fils unique.
7. « Demande-moi, et je te donnerai les
nations pour héritage (Ib. 8)». Ceci
n’est plus éternel, et s’adresse au Verbe fait homme, qui s’est offert en
sacrifice, à la place de tous les sacrifices, « qui intercède encore pour nous
(Rom. VIII, 34)»; en sorte que c’est
à Jésus-Christ, dans l’économie temporelle de l’Incarnation opérée pour le
genre humain, qu’est- adressée cette parole: « Demande-moi »: oui, demande que
tous les peuples soient unis sous le nom chrétien, afin qu’ils soient rachetés
de la mort, et deviennent la possession de Dieu. « Je te donnerai les nations
en héritage », afin que tu les possèdes pour leur salut, et qu’elles te
produisent des fruits spirituels. « Et ta possession s’étendra jusqu’aux
confins de la terre ». C’est la même pensée répétée. «Les confins de la terre »
sont mis ici pour les nations, mais dans un sens plus clair, afin que nous
comprenions toutes les nations: le Psalmiste a dit « possession » au lieu de «
héritage ».
8. « Tu les gouverneras avec un sceptre de
fer », dans l’inflexible justice. « Tu les briseras comme un vase d’argile (Ps. II, 9) », c’est-à-dire tu briseras
en eux les passions terrestres, les immondes soucis du vieil homme, et tout ce
qu’il a puisé, pour se l’inculquer, dans la fange du péché. « Et maintenant, ô
rois, comprenez » (Ib. 10) ». «
Maintenant », c’est-à-dire, quand vous aurez une vie nouvelle, ayant brisé
cette enveloppe de boue, ces vases charnels de l’erreur, qui sont l’apanage de
la vie passée, oui, « alors comprenez, vous qui êtes rois », puisque vous
pouvez d’une part diriger tout ce qu’il y a chez vous de servil et d’animal, et
d’autre part combattre, non comme frappant l’air, mais châtiant vos corps et
les réduisant en servitude (I Cor., IX,
26, 27). « Instruisez-vous, vous tous qui jugez la terre ». C’est une
répétition. « Instruisez-vous » est mis pour « comprenez »; et, «vous qui jugez
la terre», pour « vous qui êtes rois ». Le Prophète veut dire que l’homme
spirituel doit juger la terre; car ce que nous jugerons nous est inférieur; et
tout ce qui est inférieur à l’homme spirituel, peut bien s’appeler terre,
puisqu’il est meurtri par la chute terrestre.
9. « Servez le Seigneur avec crainte (Ps., II, 11) »; parole qui prévient
l’orgueil que nous donnerait cette autre: « O rois qui jugez la terre». « Et
tressaillez en lui avec tremblement ». « Tressaillez », est fort bien ici pour
corriger ce qu’aurait de pénible: « Servez. le Seigneur avec crainte ». Mais
afin que celte jubilation n’aille point jusqu’à la témérité, le Prophète
ajoute: « avec tremblement»: ce qui nous invite à garder avec soin et vigilance
le principe de la sanctification. «Et maintenant comprenez, ô rois », peut
encore. s’entendre (125) ainsi: Et maintenant que je suis constitué roi, ne
vous en affligez point, ô rois de la terre, comme d’un empiétement sur vos
privilèges; mais plutôt instruisez-vous et comprenez qu’il vous est avantageux
de vivre sous la tutelle de celui qui vous donne l’intelligence et
l’instruction. L’avantage qui vous en reviendra, sera de ne point régner à
l’aventure, mais de servir avec tremblement le Seigneur de tous, de vous
réjouir dans l’attente d’une félicité sans mélange, vous tenant en garde et
dans la circonspection contre l’orgueil qui vous en ferait déchoir.
10. « Emparez-vous de la doctrine, de peur
qu’un jour le Seigneur n’entre en colère, et que vous ne perdiez la voie de la
justice (Ps. II, 2)». C’est ce qu’a
déjà dit le Prophète: « Instruisez- vous et comprenez »; car s’instruire et
comprendre, c’est s’emparer d’une doctrine. Cependant l’expression: « apprehendite, emparez-vous», désigne
assez clairement un certain abri, un rempart contre tout ce qui pourrait
arriver, si l’on apportait moins de soin
à s’emparer. « De peur qu’un jour le Seigneur
ne s’irrite », renferme un certain doute, non point dans la vision du prophète,
qui en a la certitude, mais dans l’esprit de ceux qu’il avertit; car ceux qui
n’ont point une révélation claire de la colère n’y pensent d’ordinaire qu’avec
doute. Ceux-là donc doivent se dire: « Emparons-nous de la doctrine, de peur
que le Seigneur ne s’irrite, et que nous ne perdions la voie de la justice».
Déjà nous avons exposé plus haut comment « s’irrite le Seigneur (Sup. n. 4)». « Et que vous perdiez la
voie de la justice ». C’est là un grand châtiment, que redoutent ceux qui ont
déjà goûté les douceurs de la justice. Celui qui perd la voie de la justice,
doit errer misérablement dans les voies de l’iniquité.
11. « Quand bientôt s’enflammera sa colère,
bienheureux ceux qui auront mis en lui leur confiance (Ps. II, 13) ». C’est-à-dire, quand éclatera cette vengeance qui est
préparée aux pécheurs et aux impies, non seulement elle épargnera ceux qui
auront mis leur confiance dans le Seigneur, mais elle servira à leur établir, à
leur élever un trône bien haut. Le Prophète ne dit pas: « Quand bientôt
s’enflammera sa colère, ceux qui se confient en lui seront en sûreté »; comme
s’ils devaient seulement échapper à la vengeance: mais il les appelle «
bienheureux », ce qui exprime la somme, le comble de tous les biens. Quant à
l’expression: « In brevi, bientôt »,
elle signifie, je crois, quelque chose de soudain, pour les pécheurs, qui ne
l’attendront que dans un lointain avenir.
L’Eg1ise
triomphe de ses persécuteurs, et l’âme chrétienne de ses passions.
PSAUME DE DAVID QUAND IL FUYAIT DEVANT LA FACE DE SON FILS ABSALON.
1. Ces paroles du psaume: « Je me suis
endormi, j’ai pris mon sommeil; puis je me suis éveillé, parce que le Seigneur
est mon protecteur (Ps. III, 6) »,
nous font croire qu’il faut l’appliquer à la personne du Christ; car elles
conviennent beaucoup mieux à la passion et à la résurrection du Seigneur, qu’à
ce fait que nous raconte l’histoire, que David s’enfuit devant la face de son
fils révolté contre lui (II Rois, XV, 17).
Et comme il est écrit des disciples du Christ: « Tant que l’époux est avec eux,
les fils de (126) l’époux ne jeûnent point (Matt.
IX, 15)»; il n’est pas étonnant qu’un fils impie soit la figure de ce
disciple impie qui trahit son maître. Au point de vue historique, on pourrait
dire, il est vrai, que le Christ a fui devant lui, alors qu’il se retira sur la
montagne avec les autres, quand le disciple se séparait de lui; mais au sens
spirituel, quand le Fils de Dieu, la force et la sagesse de Dieu, se retira de
l’âme de Judas, le démon l’envahit aussitôt, ainsi qu’il est écrit: « Le diable
entra dans son cœur (Jean, XIII, 2)
»; on peut dire alors que le Christ s’enfuit de Judas; non pas que le Christ
ait cédé devant le diable, mais bien qu’après la sortie du Christ, le diable
prit possession. Cet abandon de la part de Jésus, est appelé une fuite par le
Prophète, selon moi, parce qu’il se fit promptement. C’est encore ce que nous
indique cette parole du Seigneur: « Fais promptement ce que tu fais (Ibid. 27) ». Il nous arrive aussi de
dire en langage ordinaire: Cela me fuit ou m’échappe, quand quelque chose ne
revient point à notre pensée, et l’on dit d’un homme très-savant que rien ne
lui échappe. Ainsi la vérité échappait à l’âme de Judas quand elle cessa de
l’éclairer. Absalon, d’après plusieurs interprètes, signifie, en langue latine,
Paix de son père. Il paraît sans doute étonnant que, soit Absalon qui, selon
l’histoire des rois, fit la guerre à son père, soit Judas, que l’histoire du
Nouveau Testament nous désigne comme le traître qui livra le Seigneur, puisse
être appelé Paix de son père. Mais un lecteur attentif voit que dans cette
guerre, il y avait paix dans le coeur de David, pour ce fils dont il pleura si
amèrement le trépas, en s’écriant: « Absalon, mon fils, qui me donnera de
mourir pour toi (II Rois, XVIII, 33)?
» Et quand le récit du Nouveau Testament nous montre cette grande, cette
admirable patience du Seigneur, qui tolère Judas comme s’il était bon; qui
n’ignore point ses pensées, et néanmoins l’admet à ce festin où il recommande
et donne à ses disciples son corps et son sang sous des figures; qui, dans
l’acte même de la trahison, l’accueille par un baiser, on voit aisément que le
Christ ne montrait que la paix au traître, alors que le coeur de celui-ci était
en proie à de si criminelles pensées. Absalon est donc appelé Paix de son père,
parce que son père avait pour lui des sentiments de paix, dont ce criminel
était loin.
2. « Seigneur, combien sont nombreux ceux qui
me persécutent (Ps. III, 2)! » Si
nombreux, que même parmi mes disciples, il s’en trouve pour grossir la foule de
mes ennemis: « Combien se soulèvent contre moi; combien de voix crient à mon
âme: Point de salut pour toi en ton Dieu ! (Ibid.
3) » Il est évident que s’ils croyaient à sa résurrection ils ne le
mettraient point à mort. De là viennent ces provocations: « S’il est Fils de
Dieu, qu’il descende de la croix »; et: « Il a sauvé les autres, et ne peut se
sauver (Matt. XXVII, 42) ». Judas lui-même
ne l’aurait donc point livré s’il n’eût été du nombre de ceux qui disaient au
Christ avec mépris: « Point de salut pour lui, en son Dieu ».
3. « Mais toi, ô Dieu, tu es mon protecteur (Ps., III, 4). » C’est dans son humanité
que Jésus parle ainsi à son Père; car pour protéger l’homme, le Verbe s’est
fait chair. « Vous êtes ma gloire». Il appelle Dieu sa gloire, cet homme auquel
s’est uni le Verbe de Dieu, de manière à le faire Dieu avec lui. Belle leçon
aux superbes, qui ferment, l’oreille quand on leur dit: « Qu’avez-vous que vous
n’ayez reçu? et si vous avez reçu, pourquoi vous glorifier, comme si vous
n’aviez point reçu (I Cor., IV, 7)?»
«C’est vous, Seigneur, qui relevez ma tête ». La tête, selon moi, se dit ici de
l’esprit humain, qui est bien la tête de notre âme; et cette âme s’est
tellement unie, et en quelque sorte mélangée par l’Incarnation, à la sublime
grandeur du Verbe, que les opprobres de la passion ne l’ont point fait déchoir.
4. « De ma voix j’ai crié vers le Seigneur (Ps. III, 5)»: non pas de cette voix
corporelle, qui devient sonore par la répercussion de l’air; mais de cette voix
du coeur, que l’homme n’entend point, mais qui s’élève à Dieu comme un cri; de
cette voix de Susanne (Dan. XIII, 44)
qui fut exaucée, et avec laquelle Dieu nous a recommandé de prier, dans nos
chambres closes, ou plutôt sans bruit, et dans le secret des coeurs (Matt. VI, 6). Et que l’on ne dise point
qu’il y a moins de supplication dans cette voix, quand notre bouche ne laisse
entendre aucune parole sensible: puisque dans la prière silencieuse de notre
coeur, une pensée étrangère au sentiment de nos supplications nous empêche de
dire: « Ma voix s’est élevée jusqu’au Seigneur». Cette parole n’est vraie en
nous que quand l’âme, s’éloignant, dans l’oraison, et de la chair, et de (127)
toute vue terrestre, parle seule à seul au Seigneur qui l’entend. Elle prend le
nom de cri, à cause de la rapidité de son élan. « Et il m’a exaucé du haut de
sa montagne sainte ». Un autre prophète appelle montagne le Seigneur lui-même,
quand il écrit qu’une pierre détachée sans la main d’un homme, s’éleva comme
une grande montagne (Dan., II, 35).
Mais cela ne peut s’entendre de sa personne même, à moins de faire dire au
Christ: Le Seigneur m’a exaucé, « de moi-même » comme de sa montagne sainte,
car il habite en moi comme en sa hauteur. Mais il est mieux et plus court
d’entendre que le Seigneur l’a exaucé du haut de sa justice. Car il devait à sa
justice de ressusciter l’innocent mis à mort, à qui l’on a rendu le mal pour le
bien, et de châtier ses persécuteurs. Nous lisons en effet que « la justice de
Dieu est élevée comme les montagnes (Ps.
XXXV, 7)».
5. « Pour moi, je me suis endormi, j’ai pris
mon sommeil (Ps. III, 6) » Il n’est
pas inutile de remarquer cette expression, « pour moi », qui montre que c’est
par sa volonté qu’il a subi la mort, selon cette parole: « C’est pour cela que
mon Père m’aime, parce que je donne ma vie, afin que je la reprenne de nouveau.
Nul ne me l’ôte: j’ai le pouvoir de la donner, comme j’ai le pouvoir de la
reprendre (Jean, X, 17, 18) ». Ce
n’est donc pas vous, dit-il, qui m’avez saisi malgré moi, et qui m’avez tué:
mais « moi, j’ai dormi, j’ai pris mon sommeil, et je me suis éveillé, parce que
le Seigneur me protège ». Mille fois dans l’Ecriture le sommeil se dit pour la
mort; ainsi l’Apôtre a dit: « Je ne veux rien vous laisser ignorer, mes frères,
au sujet de ceux qui dorment)I Thess. IV,
12) ». Ne demandons point pourquoi le Prophète ajoute: « J’ai pris mon
sommeil », après avoir dit: « J’ai dormi». Ces répétitions sont d’usage dans
les Ecritures, comme nous en avons montré beaucoup dans le psaume second. Dans
d’autres exemplaires, on lit: « J’ai dormi, j’ai goûté un profond sommeil », et
autrement encore en d’autres comme ils ont pu comprendre ces mots du grec, ego de ekoimeten kai uposa. Peut-être
l’assoupissement désignerait-il le mourant, et le sommeil celui qui est mort,
puisque l’on passe de l’assoupissement au sommeil, comme de la somnolence à la
veille complète. Gardons-nous de ne voir dans ces répétitions des livres saints
que de futiles ornements du discours. « Je me suis assoupi, j’ai dormi
profondément», se dit très-bien pour: Je me suis abandonné aux douleurs que la
mort a couronnées. « Je me suis éveillé, parce que le Seigneur me soutiendra (Ps. III, 6) ». Remarquons ici que dans
le même verset, le verbe est au passé, puis au futur. Car « j’ai dormi » est du
passé; et « soutiendra » est au futur; comme si le Christ ne pouvait en effet
ressusciter que par le secours du Seigneur. Mais dans les prophéties, le futur
se met pour le passé, avec la même signification. Ce qui est annoncé pour
l’avenir est au futur selon le temps, mais dans la science du Prophète, c’est
un fait accompli. On trouve aussi des expressions au présent, et qui seront
expliquées à mesure qu’elles se présenteront.
6. « Je ne craindrai pas cette innombrable «
populace qui m’environne (Ps. III, 7)
». L’Evangile a parlé de cette foule qui environnait Jésus souffrant sur la
croix (Matt. XXVII, 39). « Lève-toi,
Seigneur, sauve-moi, ô mon Dieu (Ps. III,
7) ». Cette expression, « lève-toi », ne s’adresse pas à un Dieu qui
sommeille, ou qui se repose; mais il est d’ordinaire, dans les saintes
Ecritures, d’attribuer à la personne de Dieu ce qu’il fait en nous: non point
toujours, sans doute, mais quand cela se peut dire convenablement, comme on dit
que c’est Dieu qui parle, quand un prophète ou un apôtre, ou quelque messager
de la vérité, a reçu de lui le don de parler. Delà ce mot de saint Paul: «
Voulez-vous éprouver la puissance du Christ qui parle par ma bouche? » Il ne
dit pas: De celui qui m’éclaire, ou qui m’ordonne de parler; mais il attribue
sa parole même à celui qui l’a chargé de l’annoncer.
7. « Parce que c’est toi qui as frappé tous
ceux qui s’élevaient contre moi sans motif (II
Cor. XIII, 3) ». N’arrangeons point les paroles, de manière à ne former
qu’un même verset: « Lève-toi, Seigneur, sauve-moi, ô mon Dieu, voilà que tu as
frappé tous ceux qui s’élevaient contre moi sans motif ». Si le Seigneur l’a
sauvé, ce n’est point parce qu’il a frappé ses ennemis, il ne les a frappés au
contraire qu’après l’avoir sauvé. Ces paroles appartiennent donc à ce qui suit,
de manière à former ce sens: « Voilà que tu as frappé ceux qui s’élevaient
contre moi sans motif, tu as brisé les dents des (128) pécheurs (Ps. III, 9) »: c’est-à-dire, c’est en
brisant les dents des pécheurs, que tu as frappé mes adversaires. C’est en
effet le châtiment des adversaires qui a brisé leurs dents, ou plutôt anéanti
et comme réduit en poussière les paroles des pécheurs qui déchiraient le Fils
de Dieu par leurs malédictions: ces dents seraient alors des malédictions, dans
le même sens que l’Apôtre a dit: « Si vous vous mordez les uns les autres,
prenez garde que vous ne vous détruisiez les uns les autres (Gal. V, 15) ». Ces dents des pécheurs
peuvent se dire encore des princes des pécheurs, qui usent de leur autorité
pour retrancher quelque membre de la société des bons et l’incorporer avec les
méchants. A ces dents sont opposées les dents de 1’Eglise, qui s’efforce
d’arracher à l’erreur des païens et des dogmes hérétiques, les vrais croyants,
et de se les unir, à elle qui est le corps du Christ. C’est encore avec ces
dents qu’il fut recommandé à Pierre de manger des animaux mis à mort (Act. X, 13), c’est- à-dire de faire
mourir chez les Gentils ce qu’ils étaient, pour les transformer en ce qu’il
était lui-même. Enfin, ces mêmes dents ont fait dire à l’Eglise: « Tes dents
sont comme un troupeau de brebis qui montent du lavoir; nulle qui ne porte un
double fruit, ou qui demeure stérile (Cant.
IV, 2; VI, 5) ». Belle image de ceux qui instruisent, et qui vivent selon
les préceptes qu’ils donnent; qui accomplissent cette recommandation: « Que vos
oeuvres brillent aux yeux des hommes, afin qu’ils bénissent votre Père qui est
dans les cieux (Matt. V, 16) ».
Cédant à l’autorité de ces prédicateurs, les hommes croient au Dieu qui parle
et qui agit en eux, se séparent du siècle selon lequel ils vivaient, pour
devenir membres de l’Eglise. Des prédicateurs qui obtiennent de semblables
résultats, se nomment avec raison des dents semblables aux brebis que l’on
vient de tondre, parce qu’ils ont déposé le fardeau des terrestres soucis,
qu’ils montent du lavoir, ou du bain du sacrement de baptême, qui les a
purifiés de toute souillure, et qu’ils engendrent un double fruit. Ils
accomplissent en effet les deux préceptes dont il est dit: « Ces deux préceptes
renferment la loi et les Prophètes (Ibid.
XII, 40) »; car ils aiment Dieu de tout leur coeur, de toute leur âme, de
tout leur esprit, et le prochain comme eux-mêmes. Nul chez eux n’est stérile
puisqu’ils fructifient ainsi pour Dieu. En ce sens donc nous devons entendre: «
Tu as brisé les dents des pécheurs », puisque tu as anéanti les princes des
pécheurs en frappant ceux qui gratuitement s’élevaient contre moi. Le récit de
l’Evangile nous montre en effet que les princes persécutaient Jésus, et que la
multitude le traitait avec honneur.
8. « Le salut vient du Seigneur; et que tes
bénédictions, ô Dieu, se répandent sur ton peuple (Ps. III, 9) ». Dans le même verset, le Prophète enseigne aux hommes
ce qu’ils doivent croire, et il prie pour ceux qui croient. Car cette partie: «
Le salut vient du Seigneur », s’adresse aux hommes; mais l’autre partie n’est
pas: « Et que sa bénédiction se repose sur son peuple », ce qui serait
entièrement pour les hommes. Le Prophète s’adresse à Dieu en faveur du peuple à
qui il a dit: « Le salut vient du Seigneur ». Qu’est-ce à dire? sinon: Que nul
ne se confie en soi-même, parce que c’est à Dieu seul de nous délivrer de la
mort du péché. « Malheureux homme que je suis», dit en effet l’Apôtre, « qui me
délivrera de ce corps de mort? la grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre
Seigneur (Rom. VII, 24, 25) ». Mais
toi, Seigneur, bénis ton peuple qui attend de toi son salut.
9. On pourrait, dans un autre sens, appliquer
ce psaume à la personne du Christ, qui parlerait dans sa totalité. Je dis
totalité, à cause du, corps dont il est le chef, selon cette parole de
l’Apôtre: « Vous êtes le corps et les membres du Christ (I Cor. XII, 27) ». Il est donc le chef de cette corporation. Aussi
est-il dit ailleurs: « Faisant la vérité dans ta charité, croissons de toute
manière en Jésus notre chef, par qui tout le corps est joint et uni (Ephés. IV, 15, 16) ». C’est donc
l’Eglise avec son chef, qui, jetée dans les tourmentes des persécutions, sur
toute la terre, comme nous l’avons déjà vu, s’écrie par la bouche du Prophète;
« Combien sont nombreux, Seigneur, ceux qui me persécutent, combien s’élèvent
contre moi (Ps. III, 2) », pour exterminer
le nom chrétien! « Beaucoup disent à mon âme: Point de salut pour toi dans ton
Dieu (Ibid. 3)». Car ils ne
concevraient point l’espoir de perdre l’Eglise qui s’accroît partout, s’ils ne
croyaient que Dieu n’en prend aucun souci. « Mais toi, Seigneur, tu me
soutiendras (Ibid. 4) » par
Jésus-Christ. C’est en son humanité que l’Eglise a trouvé l’appui du Verbe, «
qui s’est fait chair pour habiter parmi nous (Jean, I, 14) », et qui nous a fait asseoir dans les cieux avec lui
(Ephés. II, 6). Car où va le chef,
les membres doivent aller aussi. « Qui nous séparera de l’amour du Christ (Rom. VIII, 35)? » L’Eglise a donc raison
de dire à Dieu: « Tu es mon appui, ma gloire ». Loin de s’attribuer son
excellence, elle comprend qu’elle la doit à la grâce et à la miséricorde de
Dieu. « Toi qui élèves ma tête », ou celui qui s’est levé le premier d’entre
les morts pour monter aux cieux. « Ma voix s’est élevée jusqu’au Seigneur, et
il m’a exaucé du haut de sa montagne sainte (Ps. III, 5) ». Telle est la prière des saints, parfum suave qui
s’élève en présence du Seigneur. L’Eglise est exaucée du haut de cette montagne
sainte qui est son chef, ou des hauteurs de cette justice qui délivre les élus
et châtie les persécuteurs. Le peuple de Dieu peut dire aussi: « Moi, j’ai
sommeillé, je me suis endormi, et je me suis levé, parce que le Seigneur me
protégera (Ibid. 6) », afin de l’unir
intimement à son chef. C’est à ce peuple qu’il est dit encore: « Lève-toi de
ton sommeil: sors d’entre les morts, et tu seras éclairé par le Christ (Ephés. V, 14) ». Ce peuple est tiré du
milieu des pécheurs enveloppés dans cette sentence: « Ceux qui dorment, dorment
dans les ténèbres (I Thess. V, 7) ».
Qu’il dise encore: « Je ne redoute point cette populace innombrable qui
m’environne (Ps. III, 7) », ces
nations infidèles qui me serrent de près, pour étouffer, si elles pouvaient, le
nom chrétien. Pourquoi les craindre, quand le sang des martyrs est comme une
huile qui attise le feu de l’amour du Christ? « Lève-toi, Seigneur, sauve-moi,
ô mon Dieu (Ibid.)». Telle est la
prière du corps à son chef. Le corps fut sauvé, quand ce chef se leva pour
monter aux cieux, emmenant captive la captivité, et distribuant ses dons aux
hommes (Ps. LXVIII, 19). Le Prophète
voyait par avance toutes les terres, où la moisson mûre, dont il est question,
dans l’Evangile (Matt. IX, 37), a
fait descendre le Seigneur; et cette moisson trouve son salut dans la
résurrection de Celui qui a daigné mourir pour nous. « Tu as frappé ceux qui se
déclaraient mes ennemis sans sujet, tu as brisé les dents des pécheurs (Ps. III, 8) ». Le triomphe de l’Eglise a
couvert de confusion les ennemis du nom chrétien, et anéanti leurs malédictions
comme leur puissance. Croyez donc bien, enfants des hommes, que « le salut
vient du Seigneur », et « toi, ô mon Dieu, que ta bénédiction se répande sur
ton peuple (Ps. III, 9) ».
10. Quand les vices et les passions sans
nombre nous assujettissent au péché malgré nos efforts, chacun de nous peut
dire: « Seigneur, combien sont nombreux ceux qui me persécutent, combien
s’élèvent contre moi (Ps. III, 2)!
»Et comme bien souvent l’accumulation des maladies fait désespérer de la
guérison, notre âme se trouvant en butte à l’arrogance du vice, aux suggestions
du diable et de ses anges, et arrivant au désespoir, peut dire en toute vérité:
« Combien me disent: Point de salut pour toi en ton Dieu. Mais toi, Seigneur,
tu es mon soutien (Ibid. 3, 4) ». Car
notre espérance est dans le Christ qui a daigné prendre la nature humaine. « Tu
es ma gloire », d’après cette règle qui nous défend de nous rien attribuer. «
C’est toi qui élèves ma tête », ou celui qui est notre chef à tous, ou même
notre esprit, qui est la tête pour l’âme et pour le corps. Car « l’homme est le
chef de la femme, comme le Christ est le chef de l’homme (I Cor. XI, 3) ». Mais l’esprit s’élève, quand nous pouvons dire: «
Je suis soumis par l’esprit à la loi de Dieu (Rom. VII, 5)», en sorte que tout dans l’homme soit soumis et
apaisé, quand la résurrection de la chair absorbera la mort dans son triomphe (I Cor. XV, 54). « Ma voix s’est élevée
jusqu’au Seigneur »: cette voix intime et puissante. « Et il m’a exaucé du haut
de la montagne sainte », ou par celui qu’il envoie à notre aide, et dont la
médiation lui fait exaucer nos prières. « Moi, j’ai sommeillé, je me suis
endormi; et je me suis levé, parce que le Seigneur sera mon appui (I Cor. XV, 54) ». Quelle âme fidèle ne
peut tenir ce langage, en voyant que ses péchés ont disparu, par sa
régénération gratuite? « Je ne craindrai point ce peuple nombreux qui
m’environne (Ps. III, 5) ». En
dehors, des épreuves que l’Eglise a dû subir et subit encore, chacun a ses
tentations; et quand il se sent entravé, qu’il s’écrie: « Lève-toi, Seigneur,
sauve-moi, ô mon Dieu »; c’est-à-dire, fais-moi triompher. « Tu as frappé tous
ceux qui s’élevaient contre moi sans sujet (Ibid.
7) ».Cette prophétie s’applique à Satan et à ses anges, qui luttent, non
seulement contre tout le corps mystique de Jésus-Christ, mais contre chacun des
membres. « Tu as brisé les dents des pécheurs ». Chacun de nous a ses ennemis
qui le maudissent; il a en outre les fauteurs du mal qui cherchent à nous
retrancher du corps de Jésus-Christ. Mais le salut appartient au Seigneur ».
Evitons l’orgueil et disons: « Mon âme s’est attachée à ta suite (Ps. LXII, 3)», et « que ta bénédiction
soit sur ton peuple (Ps. III, 9) »,
ou sur chacun de nous.
Le Prophète nous montre dans ce cantique l’âme
qui s’élève au-dessus des biens terrestres et périssables pour trouver en Dieu
le repos et le bonheur.
POUR LA FIN, PSAUME CANTIQUE DE DAVID (Ps. IV, 1).
1. « Le Christ est la fin de la loi pour
justifier tous ceux qui croiront en lui (Rom.
X, 4) »; mais cette fin a le sens de perfectionnement et non de
destruction. On peut se demander si tout cantique est un psaume, ou plutôt si
tout psaume ne serait pas un cantique; s’il y a des cantiques auxquels ne
conviendrait pas le nom de psaume, et des psaumes que l’on ne pourrait appeler
cantiques. Mais il est bon de voir dans les Ecritures, si le titre de cantique
n’indiquerait pas la joie; et le nom de psaumes indiquerait des chants exécutés
sur le psaltérion, dont se servit David, au rapport de l’histoire (I Par. XIII, 8), pour figurer un grand
mystère, que nous n’approfondirons pas ici; cela exige de longues recherches,
et une longue discussion. Ecoutons aujourd’hui la parole de l’Homme-Dieu, après
sa résurrection, ou du disciple de l’Eglise qui croit et qui espère en lui.
2. « Quand je priais, le Dieu de ma justice
m’a exaucé (Ps. IV, 2) ». Ma prière,
dit-il, a été exaucée par Dieu, auteur de ma justice. « Dans les tribulations,
vous avez dilaté mon cœur (Ibid.),
vous m’avez fait passer des étreintes de la douleur aux dilatations de la joie;
car la tribulation et l’étreinte sont le partage de l’âme, chez tout homme qui
fait le mal (Rom. II, 9) ». Mais
celui qui dit: « Nous nous réjouissons dans les afflictions, sachant que
l’affliction produit la patience »; jusqu’à ces paroles: « Parce que l’amour de
Dieu est répandu dans nos coeurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné (Rom. V, 3-5) »: celui-là n’endure point
les étreintes du coeur, quoi que fassent pour les lui causer ses persécuteurs
du dehors. Le verbe est à la troisième personne, quand le Prophète s’écrie: «
Dieu m’a exaucé », et à la seconde, quand il dit: « Vous avez dilaté mon coeur
»; si ce changement n’a point pour but la variété ou l’agrément du discours, on
peut s’étonner qu’il ait voulu d’abord proclamer devant les hommes qu’il a été
exaucé, puis interpeller son bienfaiteur. Sans doute qu’après avoir dit qu’il a
été exaucé dans la dilatation de son coeur, il a préféré s’entretenir avec
Dieu, afin de nous montrer par là que dans cette dilatation du coeur, Dieu
lui-même se répand dans notre âme qui s’entretient avec lui intérieurement.
Ceci s’applique très-bien au fidèle qui croit en Jésus-Christ, et en reçoit la
lumière; mais je ne vois point comment nous pourrions l’entendre de Notre
Seigneur, puisque la divine sagesse unie à son humanité, ne l’a point abandonné
un instant. Toutefois, de même que dans la prière il faisait ressortir notre
faiblesse plutôt que la sienne; de même aussi, dans cette dilatation du coeur,
Notre Seigneur peut parler au nom des fidèles, dont il s’attribue le rôle quand
il dit: « J’ai eu faim, et vous ne m’avez pas nourri; j’ai eu soif, et vous ne
m’avez point donné à boire (Matt. XXV,
35), et le reste.
De même encore Notre Seigneur peut dire: «
Vous avez dilaté mon coeur», en parlant au
nom de quelque humble fidèle, qui
s’entretient avec Dieu dont il ressent en son âme l’amour répandu par
l’Esprit-Saint qui a été donné. « Ayez pitié de moi, écoutez mes supplications
(Ps. IV, 2) ». Pourquoi cette
nouvelle prière, lorsque déjà il s’est dit exaucé et dilaté? Serait-ce à cause
de nous dont il est dit: « Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore,
nous l’attendons par la patience (Rom.
VIII, 25)? » ou bien demanderait-il à Dieu de perfectionner ce qui est
commencé chez celui qui a cru?
3. « Enfants des hommes, jusques à quand vos
coeurs seront-ils appesantis (Ps. IV, 3)?»
Du moins, si vos égarements ont duré jusqu’à l’avènement du Fils de Dieu,
pourquoi prolonger au delà cette torpeur de vos âmes? Quand cesserez-vous de
vous tromper, sinon en présence de la vérité? « A quoi bon vous éprendre des
vanités, et rechercher le mensonge (Ibid.)?
» Pourquoi demander à des choses sans prix, un bonheur que peut seule vous
donner la vérité, qui donne à tout le reste la consistance? « Car vanité des
vanités, tout est vanité. Qu’a de plus l’homme de tout le labeur dans lequel il
se consume sous le soleil (Eccl. I, 2,4)?»
Pourquoi vous laisser absorber par l’amour des biens périssables? Pourquoi
rechercher comme excellents des biens sans valeur? C’est là une vanité, un
mensonge; car vous prétendez donner la durée auprès de vous à ce qui doit
passer comme une ombre.
4. « Et sachez que le Seigneur a glorifié son
saint (Ps. IV, 4) ». Quel saint,
sinon celui qu’il a ressuscité d’entre les morts, et qu’il a fait asseoir à sa
droite dans les cieux? Le Prophète excite ici les hommes à se détacher du monde
pour s’attacher à Dieu. Si cette liaison « et sachez »paraît étrange, il est
facile de remarquer dans les Ecritures, que cette manière de parler est
familière à la langue des Prophètes. Vous les voyez souvent commencer ainsi: «
Et le Seigneur lui dit, et la parole du Seigneur se fit entendre à lui (Ezéch., I, 3) ». Cette liaison que ne
précède aucune pensée, et qui ne peut y rattacher la pensée suivante, nous
montrerait la transition merveilleuse entre l’émission de la vérité par la
bouche du Prophète, et la vision qui a lieu dans son âme. Ici néanmoins, on
pourrait dire que la première pensée: « Pourquoi aimer la vanité et rechercher
le mensonge? » signifie: gardez-vous d’aimer la vanité, et de courir après le
mensonge; après viendrait fort bien cette parole: « Et sachez que le Seigneur a
glorifié son Saint ». Mais un Diapsalma, qui sépare ces deux versets, nous
empêche de les rattacher l’un à l’autre. On peut, avec les uns, prendre ce
Diapsalma, pour un mot hébreu qui signifie: Ainsi soit-il! ou avec d’autres,
pour un mot grec désignant un intervalle dans la psalmodie; en sorte qu’on
appellerait Psalma le chant qui
s’exécute, Diapsalma un silence dans le chant, et que Sympsalma, indiquant
l’union des voix, pour exécuter une symphonie, Diapsalma en marquerait la
désunion, un repos, une discontinuation. Quel que soit le sens que l’on adopte,
il en résulte du moins cette probabilité, qu’après un Diapsalma le sens est
interrompu et ne se rattache point à ce qui précède.
5. « Le Seigneur m’exaucera quand je crierai
vers lui (Ps. IV, 4) ». Cette parole
me paraît une exhortation à demander le secours de Dieu, dans toute la force de
notre coeur, ou plutôt avec un gémissement intérieur et sans bruit. Comme c’est
un devoir de remercier Dieu du don de la lumière en cette vie, c’en est un
aussi, de lui demander le repos après la mort. Que nous mettions ces paroles
dans la bouche du prédicateur fidèle, ou de notre Seigneur, elles signifient: «
Le Seigneur vous exaucera quand vous l’invoquerez ».
6. « Mettez-vous en colère, mais ne péchez
point (Ps. IV, 5) ». On pouvait se
demander: Qui est digne d’être exaucé, ou comment ne serait-il pas inutile pour
le pécheur de s’adresser à Dieu? Le Prophète répond donc: « Entrez en colère,
mais ne péchez point ». Réponse qui peut s’entendre en deux manières; ou bien:
« Même dans votre colère, ne péchez point », c’est-à-dire, quand s’élèverait en
vous ce mouvement de l’âme que, par un châtiment du péché, nous ne pouvons
dominer, que du moins il soit désavoué par cette raison, par cette âme que Dieu
a régénérée intérieurement, afin que du moins nous fussions soumis à la loi de
Dieu par l’esprit, si par la chair nous obéissons encore à la loi du péché (Rom. VII, 25). Ou bien: Faites
pénitence, entrez en colère contre vous-mêmes, à cause de vos désordres passés,
et ne péchez plus à l’avenir. « Ce que vous dites, dans vos cœurs », suppléez:
« dites-le », de manière que la pensée complète soit celle-ci: Dites bien de
coeur ce que vous dites, et ne soyez pas un peuple dont il est écrit: « Ce
peuple m’honore des lèvres, et les coeurs sont loin de moi (Isa. XXIX, 13). Soyez contrits dans le
secret de vos demeures (Ps. IV, 5)».
Le Prophète avait dit dans le même sens: « Dans vos cœurs », c’est-à-dire dans
ces endroits secrets où le Seigneur nous avertit de prier après en avoir fermé
les portes (Matt. VI, 6). Ce conseil:
« Soyez contrits », ou bien recommande cette douleur de la pénitence qui porte
l’âme à s’affliger, à se châtier elle-même, pour échapper à cette sentence de
Dieu qui la condamnerait aux tourments, ou bien c’est un stimulant qui nous
tient dans l’éveil, afin que nous jouissions de la lumière du Christ. Au lieu
de: « Repentez-vous », d’autres préfèrent: « Ouvrez-vous », à cause de cette
expression du psautier grec: katanugete,
qui a rapport à cette dilatation du coeur nécessaire à la diffusion de la
charité par l’Esprit-Saint.
7. « Offrez un sacrifice de justice, et
espérez au Seigneur (Ps. IV, 6) ». Le
Psalmiste a dit ailleurs: « Le sacrifice agréable à Dieu est un cœur contrit (Id. L, 19) ». Alors un sacrifice de
justice peut bien s’entendre de celui qu’offre une âme pénitente. Quoi de plus
juste que de s’irriter plutôt contre ses propres fautes que contre celles des
autres, et de s’immoler à Dieu en se châtiant? Ou bien, par sacrifice de
justice faudrait-il entendre les bonnes oeuvres faites après la pénitence? Car
le « Diapsalma» placé ici pourrait fort bien nous indiquer la transition de la
vie passée à une vie nouvelle; en sorte que le vieil homme étant détruit ou du
moins affaibli par la pénitence, l’homme devenu nouveau par la régénération,
offre à Dieu un sacrifice de justice, quand l’âme purifiée s’offre et s’immole
sur l’autel de la foi, pour être consumée par le feu divin ou par le
Saint-Esprit. En sorte que: « Offrez un sacrifice de justice et espérez dans le
Seigneur », reviendrait à dire: Vivez saintement, attendez le don de
l’Esprit-Saint, afin que vous soyez éclairés par cette vérité à laquelle vous
avez cru.
8. Néanmoins « espérez dans le Seigneur » est
encore obscur. Qu’espérons-nous, sinon des biens? Mais chacun veut obtenir de
Dieu le bien qu’il préfère, et l’on trouve rarement un homme pour aimer les
biens invisibles, ces biens de l’homme intérieur, seuls dignes de notre
attachement, puisqu’on ne doit user des autres que par nécessité, et non pour y
mettre sa joie. Aussi le Prophète, après avoir dit: « Espérez dans le Seigneur
», ajoute avec beaucoup de raison: « Beaucoup disent: Qui nous montre des biens
(Ps. IV, 6)?» discours et question
que nous trouvons journellement dans la bouche des insensés et des méchants qui
veulent jouir ici-bas d’une paix, d’une tranquillité que la malignité des
hommes les empêche d’y trouver. Dans leur aveuglement, ils osent accuser
l’ordre providentiel, et se roulant dans leurs propres forfaits, ils pensent
que les temps actuels sont pires que ceux d’autrefois. Ou bien aux promesses
que Dieu nous fait de la vie future, ils opposent le doute et le désespoir, et
nous répètent sans cesse Qui sait si tout cela est vrai, ou qui est revenu
d’entre les morts pour nous en parler? Le Prophète expose donc admirablement et
en peu de mots, mais seulement aux yeux de la foi, les biens que nous devons chercher.
Quant à ceux qui demandent: « Qui nous montrera la félicité? » il répond: « La
lumière de votre face est empreinte sur nous, ô Dieu (Ibid. 7) ». Cette lumière qui brille à l’esprit et non aux yeux,
est tout le bien réel de l’homme. Selon le Prophète, « nous en portons
l’empreinte », comme le denier porte l’image du prince. Car l’homme à sa
création reflétait l’image et la ressemblance de Dieu (Gen. I, 26), image que défigura le péché: le bien véritable et
solide pour lui est donc d’être marqué de nouveau par la régénération. Tel est,
je crois, le sens que de sages interprètes ont donné à ce que dit le Sauveur,
en voyant la monnaie de César: « Rendez à César ce qui est de César, et à Dieu
ce qui est de Dieu (Matt. XXII, 21)
», comme s’il eût dit: Il en est de Dieu comme de César, qui exige que son
image soit empreinte sur la monnaie; si vous rendez cette monnaie au prince,
rendez à Dieu votre âme marquée à la lumière de sa face. « Vous avez mis la
joie dans mon coeur ». Ce n’est donc point à l’extérieur que doivent chercher
la joie, ces hommes lents de coeur, aimant la joie et recherchant le mensonge,
mais à l’intérieur, où Dieu a gravé le signe de sa lumière. Car l’Apôtre l’a
dit: « Le Christ habite chez l’homme (133) intérieur (Ephés. III, 17)», auquel il appartient de voir cette vérité dont le
Sauveur a dit: « La vérité, c’est moi (Jean,
XIV, 6) ». Il parlait par la bouche de saint Paul, qui disait: «
Voulez-vous éprouver le pouvoir de Jésus-Christ qui parle en moi (II Cor. XIII, 3)?» et son langage n’était
point extérieur, mais dans l’intimité du coeur, dans ce lieu secret où nous
devons prier (Matt. VI, 6).
9. Mais les hommes, en grand nombre, épris
des biens temporels, incapables de voir dans leurs coeurs les biens réels et
solides, n’ont su que demander: « Qui nous montrera les biens? » C’est donc
avec justesse qu’on peut leur appliquer le verset suivant « Ils se sont
multipliés à la récolte de leur froment, de leur vin et de leur huile (Ps. IV, 8) ». Et s’il est dit « leur
froment », ce n’est pas sans raison; car il y a aussi un froment de Dieu, « qui
est le pain vivant descendu du ciel (Jean,
VI, 51) ». Il y a un vin de Dieu, puisqu’ils « seront enivrés dans
l’abondance de sa maison (Ps. XXXV, 9)
». Il y a aussi une huile de Dieu, dont il est dit « Votre huile a parfumé ma
tête (Ibid. XXII, 5) ». Ces hommes
nombreux, qui disent: « Qui nous montrera les biens? » et ne voient pas le
royaume de Dieu qui est en eux-mêmes (Luc,
XVII, 22), « se sont donc multipliés par la récolte de leur froment, de
leur vin et de leur huile». Se multiplier, en effet, ne se dit pas toujours de
l’abondance, mais quelquefois de la pénurie, alors qu’une âme enflammée pour
les voluptés temporelles d’un désir insatiable, devient la proie de pensées
inquiètes qui la partagent, et l’empêchent de comprendre le vrai bien qui est
simple. C’est d’une âme en cet état qu’il est dit: « Le corps qui se corrompt
appesantit l’âme, et cette habitation terrestre accable l’esprit d’une foule de
pensées (Sag. IX, 15) ». Partagée par
cette foule innombrable de fantômes que lui causent les biens terrestres,
s’approchant d’elle sans relâche pour s’en éloigner, ou la récolte de son
froment, de son vin et de son huile, elle est loin d’accomplir ce précepte: «
Aimez Dieu dans sa bonté, et recherchez-le dans la simplicité de l’âme (Id. I, 1)». Cette simplicité est
incompatible avec ses occupations multiples. Mais, à l’encontre de ces hommes
nombreux qui se jettent sur l’appât des biens temporels, et qui disent: « Qui
nous montrera les biens » que l’on ne voit point des yeux, mais qu’il faut
chercher dans la simplicité du coeur? l’homme fidèle dit avec transport: «
C’est en paix que je m’endormirai dans le Seigneur et que je prendrai mon repos
(Ps. IV, 9)». Il a droit d’espérer en
effet que son coeur deviendra étranger aux choses périssables, qu’il oubliera
les misères de ce monde, ce que le Prophète appelle justement un sommeil et un
repos, et ce qui est la figure de cette paix que nul trouble n’interrompt. Mais
un tel bien n’est point de cette vie, nous devons l’attendre seulement après la
mort, comme nous l’enseignent encore les paroles du Prophète qui sont au futur,
car il n’est pas dit: J’ai pris mon sommeil, mon repos; non plus que: Je
m’endors, je me repose; mais bien: « Je dormirai, je prendrai mon repos. Alors
ce corps corruptible sera revêtu d’incorruptibilité, ce corps mortel sera
revêtu d’immortalité, et la mort elle-même sera absorbée dans la victoire (I Cor. XV, 54) ». De là ce mot de
l’Apôtre: « Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons
par la patience (Rom. VIII, 25).
10. Aussi le Prophète a-t-il eu raison
d’ajouter: « Parce que c’est vous, Seigneur, qui m’avez singulièrement affermi,
d’une manière unique, dans l’espérance (Ps.
IX, 10) ». Il ne dit point ici: qui m’affermirez, mais bien: « Qui m’avez
affermi ». Celui-là donc qui a conçu une telle espérance jouira certainement de
ce qu’il espère. L’adverbe « singulièrement», est plein de sens, car on peut
l’opposer à cette foule qui se multiplie, par la récolte de son froment, de son
vin et de son huile, e-t qui s’écrie: « Qui nous montrera les biens? »Cette
multitude périra, mais l’unité subsistera dans les saints, dont il est dit dans
les Actes des Apôtres: « La multitude de ceux qui « croyaient n’avait qu’un
coeur et qu’une âme (Act. IX, 32) ».
Il nous faut donc embrasser la singularité, la simplicité, c’est-à-dire nous
soustraire à cette foule sans nombre de choses terrestres qui naissent pour
mourir bientôt, et nous attacher à ce qui est un et éternel, si nous voulons
adhérer au seul Dieu, notre Seigneur.
L’âme fidèle demande à Dieu
d’être exaucée et de le voir. Elle comprend que les frivolités du monde la
jettent dans la nuit. Mais après cette vie viendra la lueur du matin, qui sera
le partage du juste, quand l’impie se plongera dans les ténèbres.
1. Ce psaume est intitulé: « Pour celle qui a
reçu l’héritage (Ps. V, 1) ». Ainsi
est désignée l’Eglise à qui Notre Seigneur Jésus-Christ a donné en héritage la
vie éternelle, afin qu’elle possédât Dieu et le bonheur en s’attachant à lui,
selon cette parole: « Bienheureux les doux, parce qu’ils auront la terre en
héritage (Matt. V, 4) ». Quelle autre
terre que celle dont il est dit: « Vous êtes mon espérance, et mon partage sur
la terre des vivants (Ps. CXLI, 6)? »
et plus clairement « Le Seigneur est la part de mon héritage et de mon calice (Id. XV, 5)? » A son tour l’Eglise est
appelée l’héritage du Seigneur, d’après cette parole: « Demande-moi, et je te
donnerai les nations en héritage (Id. II,
8) ». Ainsi, Dieu est appelé notre héritage, parce qu’il nous donne la
nourriture et l’espace; et nous sommes l’héritage de Dieu qui nous cultive et
nous gouverne. Ce psaume est donc le chant de l’Eglise appelée à l’héritage,
afin de devenir die-même l’héritage de Dieu.
2. « Seigneur, écoutez mes paroles (Id. V, 2) ». Appelée par Dieu, l’Eglise
invoque son secours afin de traverser l’iniquité du siècle, et d’arriver à lui:
« Comprenez mes cris (Ibid.) ». Cette
expression nous montre quel est ce cri, qui de l’intérieur le plus secret de
notre coeur, s’élève jusqu’à Dieu; puisque l’on entend une voix corporelle,
tandis que l’on comprend celle du coeur. Il est vrai que Dieu ne nous entend
point d’une oreille charnel1e, mais parla présence de sa majesté.
3. « Soyez attentif à la voix de mes
supplications (Id 3.) »; cette voix
qu’il demandait au Seigneur de comprendre et dont il nous exposait la nature,
en disant: « Comprenez mes cris. Ecoutez donc la voix de mes supplications, ô
mon roi, et mon Dieu (Ibid.) ». A la
vérité le Fils est Dieu, le Père est Dieu, et le Père et le Fils sont un seul
Dieu; et si l’on nous demande ce qu’est le Saint-Esprit, nous n’avons d’autre
réponse, sinon qu’il est Dieu, et quand on dit le Père, le Fils, et le
Saint-Esprit, nous ne devons comprendre qu’un seul Dieu; néanmoins dans les
saintes Ecritures, le titre de roi désigne ordinairement le Fils. Aussi d’après
cette parole: « C’est par moi que l’on va au Père (Jean, XIV, 6) », le Prophète a-t-il raison de dire « mon Roi »
d’abord, et ensuite « mon Dieu ». Toutefois il ne dit pas « soyez attentifs »
au pluriel, mais « soyez attentif », intende.
Car la foi catholique ne prêche ni deux ni trois dieux, mais un seul Dieu en
trois personnes. Non point que cette Trinité se puisse dire tantôt du Père,
tantôt du Fils, tantôt du Saint-Esprit, comme l’a cru Sabellius; mais le Père
n’est que le Père, le Fils n’est que le Fils, le Saint-Esprit n’est que le
Saint-Esprit; et cette Trinité de personnes n’est qu’un seul Dieu. Et dans ces
paroles de l’Apôtre: « Tout est de lui, tout est par lui, tout est en lui Rom. XI, 36) », on voit une allusion à
la Trinité: or, il n’a point ajouté: Gloire à eux, mais bien: « Gloire à lui ».
4. « Je vous invoquerai, Seigneur, et le
matin vous entendrez mes cris (Ps. V, 4)
». Pourquoi le Prophète a-t-il dit tout à l’heure « Ecoutez »; comme s’il
désirait être exaucé sur-le-champ, et dit-il maintenant: « Au matin vous
entendrez mes cris », puis: « Je vous invoquerai »; non plus: « Je vous invoque
»; et enfin: « Au matin je me tiendrai debout et je vous verrai»; non plus: «
Je me tiens debout et je vois? » Ne serait-ce point l’objet de ses
supplications qui serait indiqué dans la première invocation? Mais dans la nuit
ténébreuse et tempétueuse du monde, (135) le Prophète comprend qu’il ne voit
point ce qu’il désire, bien qu’il ne cesse pas d’espérer: car « l’espérance qui
verrait ne serait pas une espérance (Rom.
VIII, 24) ». Il sait bien que s’il ne voit pas, c’est parce que cette nuit
ténébreuse qui est le châtiment du péché, n’est point encore achevée. Il dit
donc: « Parce que c’est vous que j’invoquerai, Seigneur ». C’est-à-dire, telle
est votre grandeur, ô vous que j’invoquerai, « qu’au matin seulement, vous
exaucerez ma prière ». Vous n’êtes point un Dieu que puissent voir les hommes
dont les yeux sont obscurcis par la nuit du péché; mais lorsque cette nuit de
mes erreurs s’achèvera, et que les ténèbres dont m’enveloppaient mes fautes
seront dissipées, vous écouterez ma voix. Pourquoi donc n’a-t-il pas dit plus
haut: Vous écouterez; mais: « Ecoutez? » Serait-ce que n’ayant pas été exaucé
après avoir dit: « Exaucez-moi », il a compris ce qui devait s’écouler afin
qu’il pût être exaucé? ou bien aurait-il été d’abord exaucé, mais sans
comprendre qu’il l’était, parce qu’il ne voit point celui qui l’exauce; et
alors cette expression: « Au matin vous m’exaucerez », signifierait: Au matin,
je comprendrai que vous m’exaucez? comme il est dit ailleurs: « Levez-vous,
Seigneur (Ps. III, 7) », pour:
Accordez-moi de me relever. Il est vrai que cette parole s’applique à la
résurrection de Jésus-Christ; mais voici un autre passage qui ne peut
s’entendre que dans notre sens: « Le Seigneur votre Dieu vous tente, afin que
vous sachiez si vous l’aimez (Deut. XIII,
3) », c’est-à-dire, afin que, par lui, vous compreniez et qu’il vous soit
bien démontré quel progrès vous avez fait dans son amour.
5. « Au matin, je serai debout, et je verrai
(Ps. V, 5) ». Qu’est-ce à dire: « Je
serai debout», sinon, je ne serai point étendu sur la terre? Mais être couché
sur la terre c’est y reposer, c’est chercher sort bonheur dans les terrestres
voluptés. « Je serai debout, et je verrai », dit le Prophète. Abjurons donc les
choses d’ici-bas, si nous voulons voir Dieu qui se montre aux coeurs purs. «
Vous n’êtes pas un Dieu qui aimez l’iniquité; aussi le méchant n’habitera point
près de vous, et les impies ne soutiendront pas l’éclat de vos regards. Vous
haïssez ceux qui commettent l’iniquité, vous perdrez ceux qui profèrent le
mensonge. Vous avez en horreur l’homme fourbe et l’homme de sang (Ps. V, 6, 7) ». L’iniquité, la malice,
le mensonge, l’homicide, la fraude, et autres crimes semblables, telle est la
nuit qui doit passer, et alors viendra ce matin qui nous découvrira le
Seigneur. Le Prophète nous dit pourquoi il sera debout au matin, et verra le
Seigneur. « C’est que vous, ô Dieu, vous n’aimez pas l’iniquité ». Si Dieu, en
effet, aimait l’iniquité, il pourrait être vu par l’impie, et il ne faudrait
pas attendre le matin, quand sera écoulée la nuit des iniquités.
6. « Près de vous n’habitera point le méchant
», il ne vous verra point de manière à s’attacher à vous; de là le verset
suivant « Et l’injuste ne soutiendra point vos regards », car son oeil, ou plutôt
son esprit, accoutumé aux ténèbres du péché, sera frappé soudainement de la
lumière de la vérité, et ne soutiendra point l’éclat d’une intelligence droite.
Si donc il voit par intervalle, et tout en demeurant dans l’injustice, s’il
comprend la vérité, il ne s’affermit point en elle, puisqu’il aime ce qui l’en
éloigne. Il porte en lui-même sa nuit, qui est l’habitude et même l’amour du
péché. Que cette nuit vienne à s’écouler, qu’il brise avec le péché, qu’il en
perde l’amour et l’habitude, alors viendra le matin, et il comprendra la vérité
jusqu’à s’y attacher avec amour.
7. « Vous haïssez les artisans d’iniquité ».
Cette haine de Dieu a le même sens que l’aversion de tout pécheur pour la
vérité; et l’on dirait que celle-ci à son tour déteste ceux qu’elle ne laisse
point demeurer en elle; tandis que s’ils n’y demeurent point, c’est qu’ils ne
la peuvent supporter. « Vous perdrez ceux qui profèrent le mensonge », car il
est contraire à la vérité. Mais qu’on ne s’imagine point qu’il y ait quelque
substance ou quelque nature contraire à la vérité; comprenons plutôt que le
mensonge tient à ce qui n’est pas, et non à ce qui est. Dire ce qui est, c’est
dire la vérité, et dire ce qui n’est pas, c’est le mensonge. Aussi est-il dit:
« Vous perdrez tous ceux qui profèrent le mensonge », puisqu’en se détournant
de ce qui subsiste, ils s’en vont à ce qui n’est pas. Souvent le mensonge
paraît avoir pour but le salut ou l’avantage d’un autre, et provenir non de la
malice, mais de la bienveillance; tel fut, dans l’Exode (Exod. I, 19), celui de ces sages-femmes, qui mentirent à Pharaon
pour sauver la vie aux enfants des Hébreux. (136) Mais ce qui est louable ici,
c’est moins l’acte que l’intention; et ceux qui ne mentent plus que de la
sorte, mériteront un jour d’être délivrés de tout mensonge. C’est à eux qu’il
est dit: « Que votre discours soit: Oui, oui non, non; car ce qui est de plus,
vient du mal (Matt. V, 37) ». Ce
n’est pas sans raison qu’il est écrit ailleurs: « La bouche qui ment, tue l’âme
(Sag. I, 11) », afin que nul homme
vraiment spirituel ne se croie autorisé à mentir, pour conserver soit à
lui-même, soit à d’autres cette vie temporelle, dont la perte ne tue pas notre
âme. Toutefois, il y a une différence entre mentir, et cacher la vérité,
puisque l’un consiste à dire le faux, l’autre à taire le vrai; si nous ne
voulons pas découvrir un homme à qui l’on veut donner cette mort visible du
corps, nous devons avoir l’intention de taire le vrai, mais non de dire le
faux, afin de ne rien découvrir, et ne point tuer notre âme par le mensonge, en
voulant conserver à un autre la vie du corps. Si nous ne sommes point encore
dans ces dispositions, efforçons-nous au moins de ne pas mentir au-delà de ces
occasions pressantes, afin que Dieu nous délivre même de ces mensonges légers,
et nous donne la force du Saint-Esprit qui nous fera mépriser tout ce que nous
aurions à souffrir pour la vérité. Il n’y a que deux sortes de mensonges qui ne
soient point de fautes graves, mais qui ne sont point exemptes de tout péché,
c’est le mensonge par plaisanterie, et le mensonge pour rendre service. Le
mensonge joyeux, n’étant point de nature à tromper, n’est point dangereux.
Celui à qui nous parlons comprend bien que c’est un badinage. Le second est
encore plus léger, puisqu’il renferme une certaine bonté. Mais ce qui se dit
sans duplicité de coeur, ne mérite pas le nom de mensonge. Qu’un homme, par
exemple, ait reçu en gage une épée de son ami, avec promesse de la lui rendre
quand il la redemandera; il est évident qu’il ne doit point la rendre à cet ami
qui la redemande avec démence, et qui peut s’en servir contre lui-même ou
contre les autres; il faut attendre le calme de la raison. Il n’y a point ici
duplicité de coeur, puisqu’en recevant cette épée en gage et en promettant de
la rendre, cet ami était loin de croire qu’on la réclamerait dans la démence.
Le Seigneur lui-même a jugé bon de taire la vérité, quand il disait aux
disciples peu aptes à la recevoir: « J’ai encore beaucoup de choses à vous
dire; mais vous ne pouvez les porter encore (Jean, XVI, 12) »; saint Paul a dit aussi: « Je n’ai pu vous parler
comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels (I Cor. III, 1) ». D’où il suit qu’il ne
faut pas accuser celui qui se tait sur la vérité. Mais on ne voit point qu’il
soit permis aux parfaits de dire ce qui est faux.
8. « Le Seigneur a en horreur l’homme
sanguinaire et l’homme fourbe (Ps. V, 7)
». On peut très-bien voir une répétition de ce qui est dit plus haut: « Vous
haïssez ceux qui font le mal, et vous perdrez ceux qui profèrent le mensonge ».
Car « l’homme sanguinaire » peut très-bien être l’homme de l’iniquité, et « le
fourbe » désigner le menteur. Il y a fourberie quand on agit dans un sens, et
que l’on affecte un autre sens. Le Prophète dit que le Seigneur « les aura en
abomination »; expression qui s’applique à ceux que l’on déshérite; tandis que
ce psaume est le chant « de celle qui a reçu l’héritage », et qui témoigne des
tressaillements de son espérance en s’écriant: « Quant à moi, avec vos infinies
miséricordes, j’entrerai dans votre maison (Id.
8) ». Ces miséricordes sans nombre peuvent désigner cette foule d’hommes
parfaits et heureux, dont se formera cette cité que l’Eglise porte dans ses
entrailles et qu’elle enfante peu à peu. Comment nier que cette multitude d’hommes
régénérés se puisse appeler le nombre infini des miséricordes du Seigneur,
puisqu’il est dit avec beaucoup de vérité: «Qu’est-ce que l’homme pour que vous
vous souveniez de lui, ou le fils de l’homme pour que vous le visitiez (Id. VIII, 5)? » Pour moi, « j’entrerai
dans votre maison », comme une pierre entre dans un édifice. Qu’est-ce en effet
que la maison de Dieu, sinon son temple, dont il est dit: « Le temple de Dieu
est saint, et vous êtes ce temple (I Cor.
III, 17)? » Et la pierre angulaire de cet édifice (Ephés. II, 10). est cet homme dont s’est revêtue la force et la
sagesse de Dieu, coéternelle au Père.
9. « Je me prosternerai avec crainte auprès
de votre saint temple Ps. V, 8 ». Le
Prophète a dit: « Auprès de votre temple », et non pas: c’est dans votre saint
temple que je veux vous adorer, mais bien: « C’est auprès de votre saint temple
que je me prosternerai ». Cet état (137) n’est point celui des parfaits, mais
de ceux qui tendent vers la perfection. Les parfaits diraient alors: « J’entrerai
dans votre maison ». Avant d’y arriver il faut dire tout
d’abord: « Je vous adorerai auprès de votre
saint temple». C’est pour cela peut-être qu’il
ajoute, comme une sauvegarde à ceux qui
désirent le salut: « Avec une sainte frayeur ».
Quand chacun y sera parvenu, s’accomplira ce
mot de l’Evangéliste: « La charité parfaite bannit toute crainte (I Jean, IV, 18)». Il n’y a plus de
crainte pour nous en face de l’ami qui nous a dit: « Je ne vous appellerai plus
désormais des serviteurs, mais des amis (Jean,
XV, 15) », et qui nous met en possession des promesses.
10. « Seigneur, conduisez-moi dans votre
justice, à cause de mes ennemis (Ps. V,
9) ». Il dit assez qu’il se met en route, qu’il se dirige vers la
perfection, mais qu’il n’y est point encore arrivé, puisqu’il demande à Dieu de
l’y conduire. « Dirigez-moi dans votre justice », non dans ce qui paraît l’être
aux yeux des hommes; car ils s’imaginent qu’il y a justice à rendre le mal pour
le mal; mais telle n’est point la justice de celui dont il est dit: « Qu’il
fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants (Matt. V, 45) », puisque Dieu, en punissant les méchants, loin de
leur infliger ses châtiments, les abandonne seulement à leur malice. « Voilà »,
dit-il, « qu’il a fait éclore l’injustice, il a été en travail de l’affliction
pour enfanter l’iniquité; il a ouvert un précipice, il l’a creusé, et il est
tombé dans le gouffre qu’il avait préparé: son injustice descendra sur lui, et
son iniquité retombera sur sa tête (Ps.
VII, 15-17)». Dieu donc punit les hommes, comme le juge punit les
violateurs de la loi, non en leur infligeant lui-même le châtiment, mais en les
poussant dans celui qu’ils ont eux-mêmes choisi, et qui sera pour eux le comble
du malheur. Mais l’homme qui rend le mal pour le mal, le fait avec un mauvais
dessein, et devient méchant lui-même, en voulant châtier les méchants.
11. « Tracez-moi une voie droite en votre
présence (Id. V, 9) ». Il est clair
qu’il recommande à Dieu le temps que dure son voyage, et que ce voyage s’accomplit
non par un chemin terrestre, mais par les sentiments du coeur. « Tracez-moi une
voie droite en votre présence », c’est-à-dire dans ce secret où ne pénètre
point le regard des hommes, dont il faut mépriser la louange ou le blâme. Ils
ne peuvent juger de la conscience des autres, qui est le chemin droit sous
l’oeil de Dieu. Aussi le Prophète ajoute: « Parce que la vérité n’est pas dans
leur bouche (Ps. VII, 10) », et qu’on
ne peut croire à leurs jugements, il faut nous réfugier dans l’intérieur de
notre conscience et en la présence de Dieu. « Leur coeur est plein de vanité ».
Comment la vérité serait-elle dans leur bouche, quand le coeur est trompé par
le péché et par la peine du péché? De là ce cri du Prophète pour les en
détourner: « Pourquoi aimez-vous la vanité et recherchez-vous le mensonge (Id. IV, 3)?»
12. « Leur bouche est un sépulcre ouvert (Id. V, 11)». On peut appliquer cette
parole à l’intempérance, qui est pour beaucoup le motif de flatteries
mensongères. Le Prophète a dit justement qu’il sont un « sépulcre ouvert»,
parce que leur avidité est insatiable, et ne se ferme point comme le sépulcre
qui a reçu un cadavre. On peut dire aussi qu’au moyen de paroles mensongères et
d’artificieuses caresses, ils attirent à eux ceux qu’ils font tomber dans le
péché; et c’est comme les dévorer que les faire entrer dans cette voie. Mais
l’homme qui en arrive là, meurt par le péché; et celui qui l’a séduit,
s’appelle justement un sépulcre ouvert; il est mort en quelque sorte, puisqu’il
n’a plus la vie de la vérité, et il reçoit en lui-même ces morts qu’il a tués
en les amenant à lui par le mensonge et la frivolité du coeur. « Leurs langues
sont pleines d’artifices »; les langues des méchants, car c’est là ce que
paraît dire le Prophète, en précisant « leurs langues ». Elle est mauvaise en
effet cette langue du méchant qui dit le mal, qui dit la fraude. C’est à eux
que le Seigneur a dit: « Comment diriez-vous le bien puisque vous êtes mauvais
(Ps. V, 11)? »
13. « Jugez-les, Seigneur, que leurs desseins
s’évanouissent (Ps. V, 11) ». C’est
là une prophétie plutôt qu’une malédiction; et le Prophète ne désire point que
cette vengeance arrive, mais il sait ce qui arrivera: et ils tomberont sous
cette vengeance, non parce que le Prophète semble la désirer, mais bien parce
qu’ils auront mérité d’y tomber. De même quand il dit: « Que ceux qui espèrent
en vous soient dans la joie (Id. 12)
», il fait, une (138) prophétie et voit cette joie dans l’avenir. Il dit
encore: « Excitez votre puissance et venez (Ps.
LXXIX, 3) », parce qu’il prévoit que le Seigneur viendra. Dans ces paroles
néanmoins: « Que leurs desseins soient renversés », on pourrait voir une prière
du Prophète; et il demanderait que les desseins des méchants s’évanouissent, ou
qu’ils fassent trêve à leurs desseins mauvais. Mais l’expression suivante: «
Rejetez-les », nous empêche de l’entendre ainsi; puisque cette expulsion de la
part du Seigneur ne peut nullement se prendre en bonne part. Ce n’est donc
point une malédiction, mais une prophétie qui annonce dans quelle catastrophe
tomberont infailliblement ceux qui voudront persévérer dans les péchés dont il
est question. « Qu’ils soient donc déçus dans leurs pensées », qu’ils tombent à
cause de leurs desseins qui s’accusent mutuellement, et devant le témoignage de
leur conscience, comme l’a dit l’Apôtre: « Leurs pensées les accuseront ou les
défendront, quand se lèvera le jour du juste jugement de Dieu (Rom. II, 15, 16)».
14. « Chassez-les selon le nombre infini de
leurs iniquités (Ps. V, 11) »,
c’est-à-dire, chassez-les au loin, «le nombre infini de leurs iniquités
»demande un long éloignement. C’est ainsi que l’impie est banni de cet
héritage, dont la vue et la connaissance de Dieu nous met en possession; comme
l’oeil malade est repoussé par l’éclat de la lumière, et trouve une peine dans
ce qui fait la joie de l’oeil sain. Ceux-là donc au matin ne se tiendront pas
debout et ne verront pas. Et cette répulsion est une peine dont la grandeur se
mesure à la grandeur de cette joie, dont il est dit: « Pour moi, mon bonheur
est de m’attacher à Dieu (Ps. LXXI, 28)
». A ce châtiment est opposé ce mot de l’Evangile: « Entrez dans la joie de
votre Dieu »et ce châtiment équivaut à cet autre: « Jetez-le dans les ténèbres
extérieures Matt. XXV, 21,30) ».
15. « Mais vous, Seigneur, ils vous trouvent
amer (Ps. V, 11) ». «Je suis le pain
de vie descendu du ciel (Jean, VI, 51)
», a dit le Seigneur; puis: « Travaillez pour une nourriture qui ne se corrompt
point (Id. 27) »; puis encore: «
Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux (Ps. XXIII, 9) ». Les pécheurs trouvent amer le pain de la vérité,
de là leur haine pour la bouche d’où elle émane. Ils ont donc trouvé le
Seigneur amer, parce que le péché les a rendus malades au point que le pain de
la vérité, délicieux pour les âmes saines, a pour eux une amertume
insupportable.
16. « Qu’ils soient dans la joie, ceux qui
espèrent en vous », qui savent goûter, et qui trouvent que le Seigneur est
doux. «Leur allégresse sera éternelle et vous habiterez en eux (Ps V, 12) ». Cette allégresse éternelle
commencera donc quand les justes deviendront le temple de Dieu: il sera leur
joie, il habitera en eux. « Et tous ceux qui aiment votre nom se glorifieront
en vous (Id. 9) », parce qu’ils
pourront jouir de l’objet de leur amour. Et c’est bien en vous qu’ils
posséderont cet héritage qui fait le titre du Psaume, et à leur tour ils seront
votre héritage, puisque « vous habiterez en eux». De ce bonheur seront exclus
ceux que Dieu doit rejeter à cause de leurs iniquités.
17. « C’est-vous qui bénirez le juste (Id. 13) ». Cette bénédiction sera de se
glorifier dans le Seigneur qui habitera en nous. Telle est la gloire que Dieu
décerne aux justes; et pour devenir justes, ils ont dû être appelés, non point
à cause de leurs mérites, mais par la grâce de Dieu. « Tous en effet sont
pécheurs et ont besoin de la grâce de Dieu (Rom.
VIII, 31-33). Ceux qu’il a appelés, il les a justifiés, et ceux qu’il a
justifiés, il les a glorifiés (Id. VIII,
30) ».Comme cette vocation ne vient point de nos mérites, mais de la miséricordieuse
bonté de Dieu, le Prophète a dit: «Seigneur, votre volonté bienveillante nous
couvre comme d’un bouclier (Ps. V, 13)
». Car la bienveillance du Seigneur précède notre volonté. Telles sont les
armes pour vaincre notre ennemi. C’est contre lui que l’Apôtre a dit: « Qui
accusera les élus de Dieu? » et encore: « Si Dieu est pour nous, qui sera
contre nous? Il n’a point épargné son Fils unique, mais il l’a livré à la mort
pour nous tous (Rom. VIII, 31-33) ».
Si le Christ a voulu mourir pour nous quand nous étions ses ennemis maintenant
que nous sommes réconciliés, nous serons à plus forte raison délivrés par lui
de la colère de Dieu (d. V, 9, 10)».
Tel est l’inexpugnable bouclier qui repousse l’ennemi quand, par l’affliction
et la tentation, il nous pousse à désespérer du salut.
18. Le texte du Psaume est donc tout d’abord
une prière, depuis ces paroles: (139) « Seigneur, entendez ma voix», jusqu’à
ces autres: « Mon roi et mon Dieu ». Mais l’Eglise comprend ce qui l’empêche
de, voir Dieu, ou de connaître qu’elle est exaucée, depuis: « Je vous
invoquerai, Seigneur, et au matin vous entendrez ma voix », jusqu’à: « Vous
avez en horreur l’homme de sang et l’homme fourbe ». En troisième lieu, depuis
ce verset: « Pour moi, avec la multitude de vos miséricordes », jusqu’à: « Je
me prosternerai avec crainte auprès de votre saint temple », l’Eglise espère
devenir un jour la maison de Dieu, et en cette vie s’approcher de lui dans la
crainte, jusqu’à ce que la charité consommée ait banni toute crainte. Quatrièmement,
elle sent qu’elle s’avance et qu’elle marche entre des obstacles; elle demande
ce secours de l’intérieur, imperceptible à l’oeil humain, de peur que la langue
des méchants ne la détourne du bon chemin, depuis:e Seigneur, « conduisez-moi,
dans votre justice», jusqu’à: « Leurs langues sont pleines d’artifices». Elle
prédit, en cinquième lieu, le châtiment des impies, quand le juste à peine sera
sauvé; et la récompense de ce juste qui aura répondu à l’appel de Dieu, et qui
aura courageusement tout supporté, jusqu’à ce qu’il arrive au Seigneur. Cette
partie commence à: « Jugez-les, Seigneur », pour finir avec le psaume.
L’âme fidèle supplie le Seigneur de lui
accorder le salut, de la maintenir dans la justice, comme s’il devait être plus
glorieux pour Dieu de faire éclater sa bonté que sa justice. Elle veut
s’éloigner des pécheurs impénitents, s’ils ne se convertissent au Seigneur.
POUR LA FIN, PSAUME DE DAVID, POUR LES CHANTS DU HUITIÈME JOUR (Ps VI, 1)
1. Cette expression, « huitième jour », est
obscure; mais le reste du titre est clair. Quelques-uns ont cru qu’elle
signifiait le jour du jugement, ou ce temps de l’avènement de Jésus-Christ qui
descendra pour juger les vivants et les morts. Cet avènement, selon cette croyance,
aura lieu après sept milliers d’années, à compter depuis Adam; ces sept
milliers d’années s’écouleraient comme sept jours, et le huitième serait celui
de l’avènement. Mais le Seigneur a dit: « Ce n’est point à vous de connaître
les temps que mon Père a disposés dans sa puissance (Act. I, 7) »; et encore: « Quant à ce jour et à cette heure, nul ne
les sait, ni les Anges, ni les Vertus, ni le Fils lui-même; le Père seul les
connaît (Matt. XXIV, 36) »: et enfin
saint Paul a écrit, que ce jour du Seigneur nous surprendra comme le voleur (I Thess. V, 2) tout cela nous montre
clairement qu’on ne doit point chercher à connaître ce jour par la supputation
des années. Or, s’il devait arriver après sept milliers d’années, tout homme
pourrait le connaître au moyen d’un calcul. Comment donc se fait-il que le Fils
ne le connaît point? Parole qui signifie qu’il ne l’apprendra point aux hommes,
et non qu’il ne le sait point en lui-même. C’est ainsi qu’il est dit: «Le
Seigneur vous tente afin de savoir (Deut.
III, 3) », c’est-à-dire, « afin de vous faire connaître », comme: «
Levez-vous, Seigneur (Ps. III, 7) »,
signifie, aidez-nous à nous relever. Si donc le Fils ne connaît point le jour,
non qu’il l’ignore, mais parce qu’il ne l’enseigne point à ceux qui n’ont aucun
avantage à le connaître; n’y a-t-il pas une certaine présomption à compter les
dates pour affirmer que le jour du Seigneur doit arriver après sept milliers
d’années?
2. Pour nous, ignorons de bon coeur ce (140)
qu’il n’a pas plu à Dieu de nous révéler, et
cherchons ce que veut dire cette expression du titre: « Pour le huitième jour
». Sans recourir à des calculs téméraires on peut entendre par huitième jour
celui du jugement, car la tin de ce monde nous ouvrira la vie éternelle; et
alors les âmes des justes ne seront plus assujetties aux temporelles
vicissitudes; et comme tous les temps roulent périodiquement de sept jours en
sept jours, on appellerait huitième jour celui qui serait en dehors de cette
révolution. Dans un autre sens qui n’est pas sans justesse, on appellerait
huitième jour, celui du jugement, parce qu’il doit arriver après deux genres de
vie, dont l’un tient à la chair, et l’autre à l’esprit. Depuis Mam jusqu’à
Moïse, la vie humaine est une vie corporelle, une vie selon la chair, ce que
saint Paul appelle vie de l’homme extérieur, du vieil homme (Ephés. IV, 22). A cette génération fut
donné l’Ancien Testament, dont le culte était grossier, quoique religieux, et
figurait le culte spirituel de l’avenir. Pendant cette période où l’on vivait
selon la chair, « la mort a régné», dit l’Apôtre, « même sur ceux qui n’avaient
point péché ». Et comme il l’a dit encore, «elle a régné parce qu’on imitait la
prévarication d’Adam (Rom. V, 14) ».
Mais « jusqu’à Moïse », signifie tant qu’ont duré les oeuvres de la loi, ces
rites sacrés, observés d’une manière charnelle, et qui néanmoins tinrent
enchaînés ceux-là mêmes qui croyaient à un seul Dieu, pour leur donner la foi
au mystère de l’avenir.
Mais depuis l’avènement de Jésus-Christ, qui
nous a fait passer de la circoncision de la chair, à la circoncision du coeur,
nous sommes appelés à vivre selon l’esprit, c’est-à-dire selon l’homme
intérieur, appelé homme nouveau (Coloss.
III, 10) à cause de sa régénération baptismale, et de ses moeurs devenues
plus spirituelles. Car il est évident que le nombre quatre appartient au corps
à cause des éléments dont il est formé, et de ces quatre qualités, du chaud, du
froid, du sec, de l’humide. Delà vient que Dieu le fait passer par les quatre
saisons du printemps, de l’été, de l’automne, de l’hiver. Tout cela est connu;
et il est démontré ailleurs, par des raisons plus subtiles, que le nombre
quatre appartient au corps; mais évitons ces raisons assez obscures, dans un
discours que nous voulons mettre à la portée des moins instruits. Le nombre
trois appartient à l’âme, comme nous l’apprend le précepte d’aimer Dieu de tout
notre coeur, de toute notre âme, et de tout notre esprit (Deut. VI, 5; Matt. XXII, 37). De plus longs détails viendraient
dans l’explication de l’Evangile et non d’un psaume; mais cela suffit, je
crois, pour montrer que le nombre ternaire appartient à l’âme. Donc, lorsque
les nombres du corps, qui tiennent au vieil homme et à l’Ancien Testament, et
les nombres de l’esprit ou de l’homme régénéré et de la loi nouvelle, seront
écoulés comme un nombre de sept jours; puisque toute action en cette vie se
rapporte au corps ou au nombre quatre, ou à l’âme dont le nombre est ternaire;
après cela viendra le huitième jour qui, rendant à chacun ce qu’il a mérité,
appellera les justes, non plus à des œuvres passagères, mais à la vie sans fin,
et condamnera les impies aux supplices éternels.
3. Telle est la damnation que redoute
l’Eglise, qui s’écrie dans ce psaume: « Seigneur, ne m’accusez pas dans votre
colère (Ps. VI, 2)». Saint Paul parle
aussi de colère à propos du jugement: « Tu amasses pour toi, dit-il, un trésor
de colère, pour le jour de la colère et du juste jugement de Dieu (Rom. II, 5)». C’est dans ce jour que ne
veut pas être accusé celui qui cherche à se guérir en cette vie. « Et ne me «
reprenez point dans votre fureur ». Reprendre est plus doux, car il tend à
l’amendement; au lieu que, quand on est accusé, ou mis en jugement, on doit
craindre pour issue une condamnation. Mais la fureur paraît être plus grande
que la colère, et l’on peut s’étonner que reprendre, qui est plus doux, soit
placé avec fureur, qui est l’expression la plus sévère. Pour moi, je crois que
ces deux expressions n’ont qu’un même sens; car le mot grec tumos du premier verset a la même
signification que orphe, qui est dans
le second. Mais comme la version latine a voulu employer aussi deux
expressions, elle en a cherché une qui se rapprochât le plus de colère, et a
mis fureur. De là des variantes dans les versions; car, dans l’une, c’est la
colère qui est avant la fureur, dans l’autre, c’est la fureur avant la colère;
d’autres, au lieu de fureur ont indignation, et même bile. Quoi qu’il en soit,
ces deux termes expriment un mouvement de l’âme qui veut punir, mouvement que
nous ne pourrons attribuer à Dieu dans le même sens qu’à notre (141) âme,
puisqu’il est dit «Pour vous, Dieu des vertus, vous nous jugez dans le calme (Sag. XII, 18) ». Mais ce qui est dans le
calme, est opposé au trouble. Dieu donc dans ses jugements est inaccessible au
trouble; mais on a appelé sa colère, cette émotion occasionnée par ses lois
chez ses ministres. Or, l’âme qui supplie dans ce psaume, redoute d’être
accusée dans cette colère, elle ne veut pas même cette réprimande qui la
corrigerait ou l’instruirait. Car il y a dans le grec paideustes, c’est-à-dire enseignez. Au jour du jugement seront
convaincus tous ceux qui ne sont pas fondés sur Jésus-Christ; mais ceux qui sur
cette base auront bâti avec le bois, le foin et la paille, ils seront amendés
ou purifiés, ils souffriront un dommage et néanmoins seront sauvés, mais comme
par le feu (I Cor. III, 11). Que
peut-on demander à Dieu, quand on ne veut être ni accusé ni repris dans sa
colère? Que demander, sinon d’être guéri, puisque la guérison ne nous laisse à
craindre ni la mort, ni la main du médecin qui emploie le feu ou le fer?
4. Le Psalmiste poursuit donc: « Ayez pitié
de moi, Seigneur, parce que je suis infirme, guérissez-moi, parce que mes os
sont ébranlés (Ps. VI, 3) », et par
ces os il entend la force de l’âme ou le courage. L’âme donc, en parlant de ses
os, se plaint de son courage qui est ébranlé; mais gardons-nous de croire
qu’elle ait des os comme ceux du corps. Expliquant donc ce qui précède, le
Prophète ajoute « Et mon âme est dans un trouble « profond », afin que l’on
n’applique point au corps, ce qu’il appelait des os. « Et vous, Seigneur,
jusques à quand (Id. 4)? » Qui ne
verrait ici une âme qui lutte avec ses infirmités, et que le médecin ne se
presse pas de guérir, afin de lui faire sentir dans quel abîme de maux le péché
l’a précipitée? On ne cherche guère à éviter ce qui se guérit facilement; mais
une guérison difficile nous rend plus attentifs à conserver la santé quand nous
l’avons recouvrée. Loin de nous cette pensée qu’il y ait de la cruauté dans ce
Dieu à qui l’on dit: « Jusques à quand tarderez-vous à me guérir? » mais il
veut dans sa bonté montrer à l’âme quelle blessure elle s’est faite. Car cette
âme ne prie pas encore avec une telle ferveur que Dieu puisse lui dire: « Ta
prière ne sera pas achevée que je répondrai: Me voici (Isa. LXV, 21) ». Dieu veut encore nous montrer quel sera le
châtiment des impies qui refusent de retourner à lui, si la conversion nous est
si difficile; dans ce sens il est dit ailleurs: « Si le juste à peine est
sauvé, que deviendront le pécheur et l’impie (I Piere, IV, 18)? »
5. « Revenez à moi, Seigneur, et délivrez «
mon âme (Ps. VI, 5) ». En revenant à
Dieu, le pécheur le supplie de se tourner vers lui, comme il est écrit: «
Revenez à moi, dit le Seigneur, et je reviendrai à vous (Zach. I, 3) » Mais cette expression: « Revenez, Seigneur »,
voudrait-elle dire: Aidez-moi dans mon retour, à cause des difficultés et du
labeur que rencontre un retour à Dieu? Car notre conversion parfaite au
Seigneur, le trouvera toujours prêt, ainsi que l’a dit le Prophète: « Nous le
trouvons prêt comme la lumière du matin (Osée,
VI, 3, suiv. les LXX)». Nous l’avons perdu, en effet, non qu’il se soit
retiré de nous, puisqu’il est présent partout, mais bien parce que nous lui
avons tourné le dos. « Il était en ce monde», est-il dit, « et le monde a été
fait par lui, et le monde ne l’a pas connu (Jean,
I, 10) ». Si donc il était en ce monde sans que le monde le connût, c’est
que nos souillures ne supportent point sa présence. Mais pour nous convertir,
ou pour effacer notre vie passée en taillant de nouveau notre âme à l’image de
Dieu, nous ressentons le douloureux labeur d’échanger les terrestres voluptés
contre le calme serein de la divine lumière. Et dans cette pénible tâche nous
disons
« Revenez à moi, Seigneur », c’est-à-dire,
aidez-moi, afin que se perfectionne en moi ce retour qui vous trouvera toujours
prêt, et vous donnera en jouissance à ceux qui vous aiment. Aussi, après avoir
dit: « Revenez à moi, Seigneur », le Prophète a-t-il ajouté: « Et délivrez mon
âme », que retiennent encore les soucis du monde, et qui, dans son retour à
vous, se sent déchirer par l’aiguillon des désirs. « Sauvez-moi», dit-il, « à
cause de votre miséricorde (Ps. VI, 3)
». Il sent qu’il n’est point guéri par ses propres mérites, puisqu’un pécheur,
un violateur de la loi ne devait s’attendre en justice qu’à la damnation.
Sauvez-moi donc, dit-il, non point que je l’aie mérité, mais à cause de votre
miséricorde.
6. « Car nul après la mort ne se souvient de
vous (Id. 6) ». Il comprend que c’est
en cette vie qu’il faut nous convertir, car après la mort il ne reste plus à
chacun qu’à recevoir (142) selon ses oeuvres. « Qui vous confessera dans les
enfers (Ps. VI, 6)? » Le riche dont
parle Jésus-Christ, confessa Dieu dans les enfers, quand il se plaignit de ses
tortures, en voyant Lazare au sein du repos; il confessa Dieu au point de
vouloir avertir les siens de s’abstenir du péché, en vue de ces tourments de
l’enfer, auxquels on ne croit point (Luc,
XVI, 23-31). Ce fut en vain, il est vrai, mais enfin il confessa qu’il
souffrait justement, puisqu’il désirait avertir ses frères de ne point encourir
ces châtiments. Qu’est-ce à dire alors: « Qui confessera votre nom dans les
enfers? » Entendrait-il par là ce profond abîme, où sera précipité l’impie
après le jugement, et dont les épaisses ténèbres ne laisseront échapper aucune
lueur de Dieu pour le confesser? Toutefois ce riche, eu élevant les yeux, put
apercevoir Lazare au sein du repos, nonobstant les ténébreuses profondeurs qui
l’environnaient lui-même; et la comparaison qu’il dut faire lui arracha l’aveu
de ses fautes. Le Prophète pourrait donner aussi le nom de mort au péché que
l’on commet au mépris de la loi divine; et nous faire appeler mort ce qui n’en
est que l’aiguillon, parce qu’il aboutit à la mort; car l’aiguillon de la mort
c’est le péché (I Cor. XV, 56). Dans
cette mort l’oubli de Dieu serait le mépris de ses lois et de ses préceptes;
ainsi le Prophète appellerait enfer cet aveuglement de l’esprit, qui saisit et
enveloppe le pécheur, ou l’âme qui meurt par le péché. «Comme ils n’ont pas
fait usage », dit saint Paul, « de la connaissance de Dieu, Dieu les a livrés
au sens réprouvé (Rom. I, 28) ».
C’est de cette mort et de cet enfer que l’âme demande à Dieu de la préserver,
quand elle cherche à revenir à lui, et sent les difficultés du retour.
7. Aussi le Prophète continue en disant « Je
me suis fatigué dans mon gémissement», et comme si c’était peu, il ajoute: «
Chaque nuit je laverai ma couche de mes larmes (Ps. VI, 7) ». Il appelle ici couche tout ce qu’une âme faible et
malade cherche pour son repos, comme la volupté charnelle et les plaisirs du
monde. C’est laver de ses larmes ces mêmes plaisirs, que chercher à s’en
arracher. On voit que ses appétits charnels sont condamnables, et toutefois on
est assez faible pour s’y attacher par goût, pour s’y reposer à l’aise; et
notre âme ne peut s’en relever qu’après sa guérison. Mais en disant: « Chaque
nuit », le Prophète a voulu peindre sans doute l’homme dont l’esprit est prompt
et reçoit quelque lueur de vérité, mais dont la chair est assez faible pour
mettre parfois son bonheur dans les plaisirs du siècle, en sorte qu’il subit
dans ses affections une alternative de lumière et de ténèbres: c’est le jour
pour lui quand il dit: « Par l’esprit, j’obéis à la loi de Dieu », mais il
décline vers la nuit à ces mots: « Et par la chair à la loi du péché (Rom. VII, 25) », jusqu’à ce qu’enfin
toute nuit se dissipe, et que vienne ce jour unique dont il est dit: «Au matin
je serai debout, et je verrai (Ps. VI, 7)
». C’est alors qu’il se tiendra debout; mais aujourd’hui, il est étendu sur
cette couche que chaque nuit il doit mouiller de ses larmes, et de larmes si
abondantes, qu’il obtienne de la bonté de Dieu le remède infaillible. «
J’arroserai mon lit de mes pleurs », est une répétition; car « mes pleurs »
montrent comment il a dit plus haut: « Je laverai ». « Son lit » a le même sens
que « sa couche », et toutefois, « j’arroserai » dit plus que « je laverai »:
laver peut se borner à mouiller à la surface, tandis que l’arrosage pénètre
dans l’intérieur, ce qui marquerait des larmes jusqu’aux profondeurs de l’âme.
Le Prophète change les temps du verbe; il a dit au passé: « Je me suis fatigué
dans mes gémissements »; puis au futur: « Chaque nuit je laverai ma couche »,
puis encore: « J’arroserai mon lit de mes larmes », afin de nous montrer ce qui
nous reste à faire quand nous nous sommes fatigués en vain à gémir; comme s’il
disait: Ce que j’ai fait ne m’a servi de rien, voici désormais ce que je vais
faire.
8. « Mon oeil s’est troublé dans la colère (Id. 8) »: est-ce dans sa propre colère,
ou cette colère de Dieu par laquelle il a demandé de n’être ni accusé ni
repris? Mais si la colère de Dieu signifie le jugement, comment l’entendre dès
cette vie? Ou cette colère commencerait dès cette vie, dans les douleurs et les
maux des hommes, et surtout dans leur impuissance à comprendre la vérité, selon
le mot de saint Paul cité plus haut: « Dieu les a livrés au sens réprouvé (Rom. I, 28) ». Tel est en effet
l’aveuglement de l’esprit, que tout homme dans cet état se trouve privé de
toute lumière intérieure de Dieu, mais pas absolument, tant que dure cette vie.
Car il y a des ténèbres extérieures « qui sont réservées plus (143) spécialement
au jour du jugement, et qui éloigneront complètement de Dieu quiconque aura
négligé de se corriger ici-bas. Mais être complètement en dehors de Dieu,
qu’est-ce autre chose que l’aveuglement complet? Car Dieu habite une lumière
inaccessible (I Tim. VI, 16), et dans
laquelle entreront ceux qu’il invitera, en disant: « Entrez dans la joie de
votre Seigneur (Matt. XXV, 21, 22) ».
Cette colère commence donc dès cette vie à peser sur tout pécheur. La crainte
du dernier jugement arrache au Prophète des gémissements et des larmes; il
craint d’arriver à cette colère dont le commencement lui est déjà si
douloureux; aussi ne dit-il pas que « son oeil s’est éteint », mais « qu’il a
été troublé par cette colère ». Rien ne nous étonnerait encore s’il disait que
son oeil a été troublé par sa propre colère; c’est peut-être en ce sens qu’il
est dit: « Que le soleil ne se couche point sur votre colère (Ephés. IV, 26) » parce que l’âme, dans
ce trouble, ne pouvant voir Dieu, s’imagine que cette sagesse divine, ce soleil
intérieur est en quelque sorte couché pour elle.
9. « J’ai vieilli au milieu de tous mes
ennemis (Ps. VI, 8) ». Il avait parlé
de colère, si c’est toutefois de sa propre colère; mais en considérant tous les
autres vices, il trouve qu’il en est environné. Comme ces vices nous viennent
de notre première vie et du vieil homme dont il faut nous dépouiller pour
revêtir l’homme nouveau, le psalmiste dit fort bien: « J’ai vieilli ». « Au
milieu de tous mes ennemis » peut s’entendre ou des vices, ou des hommes qui ne
veu1ent point retourner à Dieu; car ces hommes, quoiqu’à leur insu, malgré
leurs ménagements, bien qu’ils vivent en paix avec nous, dans les mêmes villes,
sous le même toit, à la même table, qu’ils s’entretiennent souvent et
paisiblement avec nous; ces hommes, par leurs intentions contraires aux nôtres,
sont ennemis de quiconque veut retourner à Dieu. Car si les uns aiment le monde
et s’y attachent, et que les autres désirent en être délivrés, qui ne voit que
les premiers sont ennemis des seconds, qu’ils entraînent, quand ils peuvent,
dans les mêmes châtiments? Et c’est une grande faveur de Dieu d’entendre
journellement leur conversation, et de ne point s’écarter de la voie des
commandements de Dieu. Souvent une âme qui s’efforce d’aller à Dieu, se laisse
ébranler et s’effraie dans sa route, et la plupart du temps elle abandonne ses
résolutions, parce qu’elle craint d’offenser ceux qui vivent avec elle, et qui
recherchent avidement les biens passagers et périssables. Tout coeur
parfaitement sain s’en sépare non de lieu, mais d’affection; car l’amour est à
l’âme ce qu’est pour les corps le lieu qui les contient.
10. Donc, après le labeur, le gémissement, et
ces fréquentes effusions de larmes, comme on ne peut adresser en vain de si
ferventes supplications à celui qui est la source de toutes les miséricordes,
et dont il est dit, avec tant de vérité: « Le Seigneur est tout près des coeurs
contrits (Ps. XXXIII, 19) »; après
ces difficultés donc, toute âme pieuse, ou même l’Eglise, si vous le voulez,
témoigne qu’elle a été exaucée. Voyez donc ce qu’elle ajoute: « Retirez-vous de
moi, vous tous, artisans d’iniquité, parce que le Seigneur a entendu la voix de
mes larmes (Id. VI, 9) ». Ou le
prophète annonce qu’au jour du jugement, les impies devront s’éloigner des bons
et en seront séparés: ou il leur dit de se séparer à l’instant; car s’ils font
partie avec nous des mêmes grappes, néanmoins, jusque dans l’aire, les grains
sont déjà dépouillés et séparés de cette paille qui les recouvre encore. Ils
peuvent bien être entassés ensemble, mais le vent ne peut les enlever ensemble.
11. « Parce que le Seigneur a écouté la voix
de mes larmes, le Seigneur a entendu mes supplications, le Seigneur a reçu ma
prière (Id. 10) ». Cette répétition
fréquente de la même pensée indique moins chez le psalmiste la nécessité de ce
langage que le transport de sa joie. Quiconque est dans l’allégresse ne se
contente point de nous en dire une fois le motif. Tel est le fruit de ce
gémissement douloureux qui lui fait mouiller sa couche de ses larmes, et
arroser son lit: « Car on ne sème dans les larmes que pour moissonner dans la
joie (Id. CXXV, 5) »; et: «
Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés (Matt. V, 5) ! »
12. « Confusion et trouble pour tous mes
ennemis (Ps. VI, 11) ». Naguère le
Prophète disait: « Eloignez-vous tous de moi », ce qui peut avoir lieu en cette
vie, comme nous l’avons vu; mais quand il parle de « confusion et d’effroi »,
je ne vois pas que cela se puisse entendre autrement que du jour qui mettra
(144) en évidence la récompense des justes et le châtiment des pécheurs.
Jusqu’à ce jour, en effet, l’impie est loin de rougir et de cesser de nous
insulter. Souvent même ses moqueries en viennent jusqu’à faire rougir de
Jésus-Christ les hommes faibles dans la foi. De là cette menace: « Quiconque
aura rougi de moi devant les hommes, je rougirai de lui devant mon Père (Luc, IX, 26) ». Quiconque dès lors veut
suivre les sublimes conseils de l’Evangile, de partager son bien, de le donner
aux pauvres, afin de demeurer juste pour l’éternité (Ps. CXI, 9), de vendre ses possessions terrestres pour assister les
indigents et suivre le Christ en disant: « Nous n’avons rien apporté en ce
monde, nous n’en pouvons rien emporter: contentons-nous d’avoir de quoi vivre
et nous vêtir (I Tim. VI, 7) »;
celui-là tombe sous les railleries sacrilèges des impies; ceux qui repoussent
le sens droit le traitent d’insensé. Souvent, pour éviter ce surnom de la part
des incurables, il craint de faire, il remet au lendemain ce que prescrit le médecin
le plus fidèle comme le plus puissant. Ceux-là donc ne peuvent rougir en cette
vie; souhaitons au contraire qu’ils s’aient pas la puissance de nous faire
rougir, de nous détourner du chemin que nous avons pris, de ne point nous y
causer d’embarras ou de retard. Mais un temps viendra qu’ils rougiront et
répéteront ces paroles de 1’Ecriture «Les voilà, ceux qui étaient l’objet de
nos mépris et même de nos outrages. Insensés que nous étions, nous estimions
leur vie une folie, et leur fin un opprobre: et les voilà comptés parmi les
fils de Dieu, et leur partage est avec les saints! Nous avons donc erré hors de
la vérité, et la lumière de la justice n’a pas lui à nos yeux, et le soleil ne
s’est pas levé pour nous. Nous nous sommes lassés dans la voie de l’iniquité et
de la perdition; nous avons marché par des chemins «difficiles, et nous avons
ignoré la voie du Seigneur. A quoi bon noire orgueil, à quoi bon l’ostentation
de nos richesses? Toutes ces choses ont passé comme l’ombre (Sag. V, 3-9) ».
13. Dans ces paroles: « Qu’ils se
convertissent pour leur confusion (Ps.
VI, 11) », qui ne voit un juste châtiment qui tourne à leur confusion dans
cette conversion qu’ils ont refusé de faire pour leur salut? « Et cela bien
vite», ajoute le Prophète:car ils ne compteront plus sur le jour du jugement,
et comme ils diront: « La paix est à nous; une ruine soudaine les surprendra (I Thess. V, 3) ». Quel que soit le
moment, ce que l’on n’attendait pas arrive toujours bien vite, et il n’y a que
l’espérance de vivre encore qui nous fasse croire que cette vie est longue.
Rien ne nous paraît plus rapide que ce qui en est déjà passé. Quand donc
viendra le jour du jugement, alors les pécheurs sentiront combien est courte
une vie qui passe; et ils ne pourront croire qu’il ait été long à venir, ce
jour qu’ils ne désiraient point, ou plutôt à l’arrivée duquel ils n’avaient
point cru. On pourrait dire encore que l’âme dont Dieu a exaucé les
gémissements et les pleurs si fréquents et si durables, sentant qu’elle est
délivrée du péché, et qu’elle a dompté tous les mouvements pervers des
sensuelles affections, en leur disant: « Retirez-vous de moi, artisans
d’iniquité, parce que le Seigneur a exaucé la voix de mes larmes (Ps. VI, 9) », se trouve arrivée à cet
état de perfection, où elle peut prier pour ses ennemis. C’est dans ce sens
peut-être qu’il est dit: « Que tous mes ennemis soient dans la confusion et
dans le trouble », afin qu’ils fassent pénitence de leurs fautes, ce qui est
impossible sans trouble ni confusion. Rien n’empêche d’entendre les paroles
suivantes: « Qu’ils se convertissent pour leur confusion », dans le sens d’un
retour à Dieu et d’une confusion de s’être jadis glorifiés dans les ténèbres du
péché, comme l’a dit l’Apôtre: « Quelle gloire avez-vous tirée de ce qui est maintenant
pour vous un sujet de honte (Rom. VI, 21)?»
Cette autre expression, « et cela au plus vite », peut désigner la ferveur du
désir ou se rapporter à la puissance du Christ qui, dans un temps si court, a
converti à la foi de 1’Evangile, ces nations qui défendaient leurs idoles en
persécutant l’Eglise.
Ce psaume est le chant de
l’âme arrivée à la perfection, et à qui la foi découvre les mystères de la
passion inconnus aux Juifs et aux pécheurs actuels. Elle comprend la patience
silencieuse de Jésus à l’égard de Judas; et pourquoi, lui qui était juste, a
voulu souffrir.
PSAUME DE DAVID QU’IL CHANTA AU SEIGNEUR, POUR LES PAROLES DE CHUSI, FILS DE GÉMINI.
1. Il est facile de connaître par l’histoire
du second livre des Rois, ce qui donna occasion à cette prophétie. Elle nous
apprend que Chusi ami du roi David, passa dans les rangs d’Absalon révolté
contre son père, afin de reconnaître ses desseins, et de rapporter à David
toutes les trames que ce fils ourdissait contre lui avec Achitopel, qui avait
trahi l’amitié du père, pour soutenir de tous les conseils qu’il pourrait
donner, la révolte du fils. Mais dans ce psaume, il faut envisager l’histoire,
moins en elle-même, que comme un voile jeté par le Prophète sur un grand
mystère; levons donc ce voile (II Cor.
III, 16) si nous avons passé au Christ. Cherchons d’abord quel sens peuvent
avoir les noms; car on n’a pas manqué d’interprètes pour les étudier, non plus
à la lettre et d’une manière charnelle, mais dans un sens figuré, et pour nous
dire que Chusi signifie Silence, Gémini, la Droite, et Achitopel, la Ruine du
frère; dénominations qui ramènent une seconde fois sous nos yeux ce traître
Judas, figuré ainsi par Absalon dont le nom signifie Paix de son père. David,
en effet, eut toujours des sentiments de paix pour ce fils au coeur plein
d’artifices et de rébellion, ainsi qu’il a été dit au psaume troisième (Enarrat. in Ps. III, n.1). De même que
dans 1’Evangile nous voyons Jésus-Christ donner le nom de fils à ses disciples
(Matt. IX, 15), nous le voyons aussi
les appeler ses frères. Après sa résurrection, le Seigneur dit en effet: «
Allez, et annoncez à mes frères (Jean,
XX, 17)». Saint Paul appelle Jésus-Christ le premier-né de tant de frères (Rom. VIII, 29). On peut donc désigner la
ruine du disciple qui le trahit, sous le nom de ruine du frère, selon le sens
que nous avons donné au nom d’Achitopel. Chusi, qui signifie Silence, désigne
très-bien ce silence que Notre Seigneur opposait aux perfidies de ses ennemis,
ce profond mystère qui a frappé de cécité une partie d’Israël, alors qu’ils
persécutaient le Seigneur, jusqu’à ce que la multitude des nations entrât dans
l’Eglise, et qu’ensuite tout Israël fût sauvé. Aussi l’Apôtre, abordant ces
secrètes profondeurs, ce redoutable silence, s’écrie, comme frappé d’horreur à
la vue de ces mystères: « O profondeur des trésors de la sagesse et de la
science de Dieu ! combien sont impénétrables ses jugements; et ses voies
incompréhensibles! qui connaît les desseins de Dieu, et qui est entré dans ses
conseils (Rom. XI, 33, 34)? »
L’Apôtre nous fait donc moins connaître ce profond silence, qu’il ne le
recommande à notre admiration. C’est à la faveur de ce silence, que le
Seigneur, dérobant le mystère sacré de sa passion, a fait entrer dans les vues
de sa providence miséricordieuse, la ruine volontaire du frère, le crime
détestable du traître, afin que la mort d’un seul homme, que se proposait le
perfide Judas, devînt, par la sagesse ineffable du Sauveur, le salut de tous
les hommes.
Ce psaume est donc le chant d’une âme
parfaite et déjà digne de connaître le secret de Dieu. Elle chante: « Pour les
paroles de Chusi », paroles de ce silence qu’elle a mérité de connaître. C’est
en effet un silence et un secret pour les infidèles et les persécuteurs du
Christ; pour ceux au contraire à qui Jésus-Christ a. dit: « Je ne vous
appellerai plus mes serviteurs, parce que le serviteur ne sait ce que fait son
maître; mais je vous appellerai mes amis, parce que je vous ai fait connaître
tout ce que j’ai appris de mon Père (Jean,
XV, 15) », pour (147) ces amis du Christ il n’y a plus de silence, mais les
paroles du silence, ou la raison de ce mystère du Christ que Dieu leur a donné
de pénétrer et de connaître. Ce silence, ou Chusi, est appelé fils de Gémini ou
de la droite. Car il ne fallait pas dérober aux saints ce qu’il a fait pour
eux, et pourtant « notre gauche», est-il dit, «ne doit point savoir ce que fait
notre droite (Matt. VI, 3) ». L’âme
parfaite, qui a compris ce secret, chante alors cette prophétie: « Pour les
paroles de Chusi », ou pour la découverte de ce mystère, que Dieu, qui est la
droite, lui a fait connaître par une faveur spéciale: de là vient que ce
silence est appelé fils de la droite, ou Chusi, fils de Gémini.
2. « Seigneur, mon Dieu, mon espoir est en
vous, sauvez-moi de tous ceux qui me persécutent, et délivrez-moi (Ps. VII, 2) ». Toute guerre, toute
hostilité contre les vices est surmontée, et l’âme parfaite n’ayant plus à
combattre que la jalousie du démon, s’écrie: «Sauvez-moi de tous ceux qui me
persécutent, et délivrez-moi, de peur que comme un lion, il ne ravisse mon âme
(Ibid. 3) ». Car saint Pierre nous
dit que « le démon notre ennemi, rôde autour de nous, comme un lion rugissant,
cherchant quelqu’un à dévorer (I Pierre,
V, 8) ». Aussi le Prophète, après avoir dit au pluriel ! «Sauvez-moi de
tous ceux qui me persécutent », reprend ensuite le singulier, en disant: « De
peur qu’il ne ravisse mon âme, comme un lion », non pas: « Qu’ils ne
ravissent», car il n’ignore pas l’ennemi qui reste à vaincre, le redoutable
adversaire de toute âme parfaite. Et que je ne trouve ni rédempteur, ni sauveur
»; c’est-à-dire, de peur qu’il ne ravisse mon âme, tandis que vous ne la
rachetez et ne la sauvez point; puisqu’il nous ravit, si Dieu ne nous rachète
et nous sauve.
3. Ce qui nous montre que ce langage est
celui de l’âme parfaite, qui n’a plus à redouter que les piéges si artificieux
du démon, c’est le verset suivant: « Seigneur mon Dieu, si j’ai fait cela (Ps VII, 4)». Qu’est-ce à dire: e Cela? s
S’il ne nomme aucun péché, les voudrait-il désigner tous? Si nous rejetons une
telle interprétation, rattachons alors cette expression à ce qui suit; et comme
si nous demandions au Prophète ce qu’il entend par « cela, istud », il nous répondra: « Si l’iniquité est dans mes mains ».
Mais il nous montre qu’il entend parler de tout péché, puisqu’il dit: « Si j’ai
rendu le mal pour le mal (Ps. VII, 5)
», parole qui n’est vraie que dans la bouche des parfaits. Le Seigneur nous dit
en effet: « Soyez parfaits, comme votre Père du ciel, qui fait luire son soleil
sur les bons et sur les méchants, qui donne la pluie aux justes et aux
criminels (Matt. V, 45, 48) ».
Celui-là donc est parfait qui
ne rend pas le mal pour le mal. L’âme
parfaite prie donc « pour les paroles de Chusi, fils de Gérnini », ou pour la
connaissance de ce profond secret, de ce silence que garda Jésus-Christ pour
nous sauver, dans sa bonté miséricordieuse, en souffrant avec tant de patience
les perfidies de celui qui le trahissait. Comme si le Sauveur lui découvrait
les raisons de ce silence et lui disait: « Pour toi, qui étais impie et
pécheur, et pour laver dans mon sang tes iniquités, j’ai mis le plus grand
silence, et une longanimité invincible à souffrir près de moi un traître;
n’apprendras-tu pas, à mon exemple, à ne point rendre le mal pour le mal? »
Cette âme, considérant et comprenant ce que le Sauveur a fait pour elle, et
s’animant par son exemple à marcher vers la perfection, dit à Dieu: « Si j’ai
rendu le mal pour le mal», si je n’ai point suivi dans mes actes vos saintes
leçons, « que je tombe sans gloire sous les efforts de mes ennemis ». Il a
raison de ne pas dire: « Si j’ai tiré vengeance du mal qu’ils me faisaient »,
mais bien, «qu’ils me rendaient», puisqu’on ne peut rendre que quand on a reçu
quelque chose. Or, il y a plus de patience à épargner celui qui nous rend le
mal pour les bienfaits qu’il a reçus de nous, que s’il voulait nous nuire, sans
nous être aucunement redevable. « Si donc j’ai tiré vengeance du mal qu’ils me
rendaient»; c’est-à-dire, si je ne vous ai point imité dans ce silence, ou
plutôt dans cette patience dont vous avez usé à mon égard, que je tombe sans
gloire sous les efforts de mes ennemi ». Il y a une vaine jactance chez l’homme
qui, tout homme qu’il est, veut se venger d’un autre. Il cherche à vaincre un
adversaire, et lui-même est à l’intérieur vaincu par le démon; la joie qu’il
ressent d’avoir été comme invincible, lui enlève tout mérite. Le Prophète sait
donc bien ce qui rend la victoire plus glorieuse, et ce que nous rendra notre
Père qui voit dans le secret (Id. VI, 6).
Pour ne pas tirer vengeance de ceux (147) qui lui rendent le mal, il cherche à
vaincre sa colère, et non son ennemi: instruit qu’il est de ces paroles de
l’Ecriture: « il y a plus de gloire à vaincre sa colère, qu’à prendre une ville
(Prov. XVI, 32, suiv. les LXX.) ». Si
donc «j’ai tiré vengeance de ceux qui me rendaient le mal, que je tombe sans
gloire sous la main de mes ennemis (Ps.
VII, 5)». Il paraît en venir à l’imprécation, qui est le plus grave des
serments pour tout homme qui s’écrie: « Mort à moi si je suis coupable ». Mais
autre est l’imprécation dans la bouche d’un homme qui fait serment, et autre,
dans le sens d’un prophète, qui annonce les malheurs dont sera infailliblement
frappé l’homme qui tire vengeance du mai qu’on lui rend, mais ne les appelle ni
sur lui, ni sur d’autres par ses imprécations.
4. « Que mon ennemi poursuive mon âme, et
qu’il l’atteigne Id. 6) ». Il parle
une seconde fois de son ennemi au singulier, et nous montre de plus en plus
celui qu’il représentait but à l’heure sous l’aspect d’un lion; cet ennemi qui
poursuit l’âme et s’en rend maître, s’il parvient à la séduire. Les hommes
peuvent sévir jusqu’à tuer le corps, mais cette mort extérieure ne leur
assujettit point notre âme, au lieu que le diable possède les âmes qu’il
atteint dans ses poursuites. « Qu’il foule ma vie sur la terre », c’est-à-dire
qu’il fasse de ma vie une boue qui lui serve de pâture. Car cet ennemi n’est
pas seulement appelé lion, mais encore serpent; et Dieu lui a dit: «Tu mangeras
la terre», quand il disait à l’homme pécheur: « Tu es terre et tu re« tourneras
dans la terre (Gen. III, 14, 19) ». «
Qu’il traîne ma gloire dans la poussière »; dans cette poussière que le vent
soulève de la surface de la terre (Ps. I,
4): car la vaine et puérile jactance de l’orgueilleux, n’est qu’une enflure
et n’a rien de solide; c’est un nuage de poussière chassé par le vent. Le
Prophète veut avec raison une gloire plus solide qui ne se réduise pas en
poussière, nous qui subsiste dans la conscience et devant Dieu, qui ne souffre
point la jactance. « Que celui qui se glorifie», est-il dit, « ne le fasse que
dans le Seigneur (I Cor. I, 31) ».
Cette stabilité se réduit en poussière quand l’homme, dédaignant le secret de
la conscience, où Dieu seul nous approuve, cherche les applaudissements des
hommes. De là cette autre parole de l’Ecriture: « Dieu brisera les os de ceux
qui veulent plaire aux hommes (Ps. LII,
6) ». Mais celui qui connaît pour l’avoir appris ou éprouvé, dans quel
ordre il fait surmonter nos vices, sait bien que celui de la vaine gloire est
le seul, ou du moins le plus à craindre pour les parfaits. C’est le premier ou
l’âme soit tombée, c’est le dernier qu’elle peut vaincre. « Car le commencement
de tout péché, c’est l’orgueil », et « le commencement de l’orgueil chez
l’homme, c’est de se séparer de Dieu (Eccli.
X, 14, 15)
5. « Levez-vous, Seigneur, dans votre colère
(Ps. VII, 7)». Comment cet homme que
nous disions parfait, vient-il exciter Dieu à la colère? et la perfection ne
serait-elle pas plutôt en celui qui dit: « Seigneur, ne leur imputez point ce
crime (Act. VII, 59)?» Mais est-ce
bien sur les hommes que tombe cette imprécation du Prophète, et ne serait-ce
point contre le diable et contre ses anges qui ont en leur possession le
pécheur et l’impie? C’est donc par un sentiment de pitié et non de colère, que
l’on demande au Dieu qui justifie l’impie (Rom.
IV, 5) d’arracher cette proie au démon. Car justifier l’impie c’est le
taire passer de l’impiété à la justice, et changer cet héritage du démon en
temple de Dieu. Et comme c’est châtier quelqu’un, que lui arracher une proie
qu’il veut garder en son pouvoir, le Prophète appelle colère de Dieu, ce châtiment
qu’il exerce contre le démon, eu lui arrachant ceux qu’il possède. « Levez-vous
donc, Seigneur, dans votre colère ». « Levez-vous», montrez-vous, dit-il,
expression figurée, mais ordinaire dans le langage humain, comme si Dieu
dormait quand il nous dérobe ses desseins. « Signalez votre puissance dans les
régions de mes ennemis».Le Prophète appelle région, ce qui est sous la
puissance du démon, et il veut que Dieu y règne, c’est-à-dire qu’il y soit
honoré et glorifié plutôt que noire ennemi, par la justification de l’impie, et
ses chants de triomphe. « Levez-vous, Seigneur, mon Dieu, selon la « loi que
vous avez portée (Ps. VII, 7) »,
c’est-à-dire, montrez-vous humble, puisque vous recommandez l’humilité;
accomplissez vous-même avant nous votre précepte, afin que votre exemple
détruise l’orgueil, et que nous ne soyons pas au pouvoir du démon qui souffla
l’orgueil contre vos préceptes, en disant: « Mangez, et vos yeux s’ouvriront,
et vous serez comme des dieux (Gen. III,
5)». (148)
6. « Et l’assemblée des peuples vous
environnera (Ps. VII, 8) ». Cette
assemblée des peuples peut s’entendre des peuples qui ont cru, ou des peuples
persécuteurs, car l’humilité de notre Sauveur a obtenu ce double effet: les
persécuteurs l’ont environné parce qu’ils méprisaient cette humilité, et c’est
d’eux qu’il est dit: « A quoi bon ces frémissements des nations, et ces vains
complots chez les peuples (Id. II, 1)?
» Ceux qui ont cru en vertu de cette humilité, l’ont environné, et ont fait
dire avec, beaucoup de vérité, « qu’une partie des Juifs sont tombés dans
l’aveuglement, afin que la multitude des nations entrât dans l’Eglise (Rom. XI, 25)». Et ailleurs: «
Demande-moi, et je te «donnerai les nations en héritage, et jusqu’aux confins
de la terre pour ta possession (Ps. II,
8)». « Et en sa faveur, remontez en haut», c’est-à-dire, en faveur de cette
multitude; et nous savons que le Seigneur l’a fait par sa résurrection et son
ascension. Ayant obtenu cette gloire, il a donné le Saint-Esprit qui ne pouvait
descendre avant que Jésus fût glorifié, selon cette parole de l’Evangile: « Le
Saint-Esprit n’était point encore descendu, parce que Jésus n’était pas encore
entré dans sa gloire (Rom. XI, 25) ».
Donc après s’être élevé au ciel en faveur de la multitude des peuples, il
envoya l’Esprit-Saint, dont les prédicateurs de l’Evangile étaient remplis,
quand, à leur tour, ils remplissaient d’églises l’univers entier.
7. Ces paroles: « Levez-vous, Seigneur, dans
votre colère, planez au-dessus des régions de mes ennemis (Ps. VII, 7) », peuvent encore s’entendre ainsi: Levez-vous dans
votre colère, et que mes ennemis ne vous comprennent point, alors « exaltare, soyez au-dessus»,
signifierait: Elevez-vous à une telle hauteur que vous soyez incompréhensible;
ce qui a rapport au silence de tout à l’heure. Un autre psaume a dit à propos
de cette élévation: « Il est monté au-dessus des Chérubins, et il a « pris son
vol et s’est dérobé dans les ténèbres (Id.
XVII, 11, 12) ». Cette élévation vous cachait à ceux que leurs crimes
empêchaient de vous connaître, et qui vous ont crucifié; et voilà que
l’assemblée des fidèles vous environnera. C’est à son humilité que le Seigneur
doit d’être élevé; c’est-à-dire incompris. Tel serait le sens de: « Elevez-vous
selon la loi que vous avez portée (Ps.
VII, 7) », c’est-à-dire, dans votre humiliation apparente soyez tellement
élevé que mes ennemis ne vous comprennent point. Car les pécheurs sont les
ennemis du juste, et les impies de l’homme pieux. « Et les peuples vous
environneront en foule (Id. 8)»; car
ce qui porte à vous crucifier ceux qui ne vous connaissent pas, fera que les
nations croiront en vous, et ainsi les peuples vous adoreront en foule. Mais si
tel est vraiment le sens du verset suivant, il faut plutôt nous attrister à
cause de l’effet que nous en ressentons dès ici-bas, que nous réjouir de
l’avoir compris. Il porte, eu effet: « Et à cause d’elle remontez en haut (Ibid.)»; c’est-à-dire, à cause de ces
hommes dont la foule encombre vos églises, remontez bien haut, ou cessez d’être
connu. Qu’est-ce à dire: « A cause de cette foule? » sinon, parce qu’elle doit,
vous offenser, et ainsi justifier cette, parole: « Pensez-vous que le Fils de
l’homme, revenant sur la terre, y trouvera de la foi (Luc, XVIII, 8)? » Il est dit encore, à propos des faux prophètes ou
des hérétiques: « A cause de leur iniquité, la charité se refroidira chez un
grand nombre (Matt. XXIV, 12) ». Or,
quand au sein de l’Eglise, ou dans la société des peuples et des nations que le
nom du Christ a si complètement envahis, le crime débordera avec cette fureur
que nous lui voyons en grande partie déjà, n’est-ce point alors que se fera
sentir la disette de la parole, annoncée par un autre prophète (Amos, VIII, 11)? N’est-ce point à cause
de cette congrégation qui, à force de crimes, éloigné de ses yeux la lumière de
la vérité, que Dieu remonte en haut, de manière que la vraie foi, pure de tout
alliage d’opinions perverses, ne se trouve plus nulle part, sinon dans le petit
nombre dont il est dit: « bienheureux celui qui aura persévéré jusqu’à la fin,
celui-là sera sauvé (Matt. X, 22)? ».
C’est donc à bon droit qu’il est dit: « Et à cause de cette assemblée, remontez
en haut ». Retirez-vous dans vos secrètes profondeurs, justement à cause de
cette assemblée des peuples qui portent votre nom, sans accomplir vos oeuvres.
8. Que l’on adopte la première explication,
ou cette dernière, ou toute autre de valeur égale, et mémé supérieure, le
Prophète n’a pas moins raison de dire que «le Seigneur juge les peuplés (Ps. VII, 9) ». Si non entend par s’élever
en haut, qu’il est ressuscité pour monter (149) au ciel, on peut dire fort bien
que « le Seigneur juge les peuples », puisqu’il en descendra pour juger les
vivants et les morts. S’il remonte dans les hauteurs, parce que le péché fait
perdre aux fidèles l’intelligence de la vérité, comme il est dit à propos de
son avènement: « Pensez-vous que le Fils de l’homme venant en ce monde y
trouvera de la foi (Luc, XVIII, 8)? »
« Le Seigneur juge encore les peuples ». Mais quel Seigneur, sinon
Jésus-Christ? « Car le Père ne juge personne; il a donné au Fils le pouvoir de
juger (Jean, V, 22) ». Voyez alors
comme cette âme si parfaite en sa prière, s’émeut peu du jour du jugement, et
avec quelle sécurité de désir elle dit à Dieu dans sa ferveur: «Que votre règne
arrive (Matt. VI, 10 », puis: «
Jugez-moi, Seigneur, selon votre justice (Ps.
VII, 9) ». Dans le psaume précédent, c’était un infirme qui priait,
sollicitant le secours de Dieu bien plus qu’il ne faisait valoir ses propres
mérites, car le Fils de Dieu est venu pour appeler à la pénitence tous les
pécheurs (Luc, V; 32). Aussi
disait-il: « Sauvez-moi, Seigneur, à cause de votre miséricorde (Ps. VII, 5) », et non à cause de mes
mérites. Maintenant que docile à l’appel de Dieu, il a gardé les préceptes
qu’il a reçus, il ose bien dire: « Jugez-moi, Seigneur, selon ma justice, et
selon mon innocence d’en haut (Id. VII, 9).
» La véritable innocence est de ne pas nuire, même à ses ennemis. Il peut donc
demander à être jugé selon son innocence, celui qui a pu dire en toute vérité «
Si j’ai tiré vengeance de celui qui me rendait le mal (Id. 5) ». Cette expression « d’en haut, super me », doit s’appliquer à sa justice aussi bien qu’à son
innocence, et alors il dirait: « Jugez-moi, Seigneur, selon ma justice et selon
mon innocence, justice et innocence d’en haut »; expression qui nous montre que
l’âme n’a point en elle-même la justice et l’innocence, et qu’elle les reçoit
de la lumière dont il plaît à Dieu de nous éclairer. Aussi dit-elle dans un
autre psaume: « C’est vous, Seigneur, qui faites briller mon flambeau (Ps. XVII, 29) ». Et il est dit de Jean:
« Qu’il n’était point la lumière, mais qu’il rendait témoignage à la lumière (II Jean, I, 8), qu’il était une torche
enflammée et brillante (Id. V, 35)
».Cette lumière donc, à laquelle nos âmes s’illuminent comme des flambeaux, ne
brille point d’un éclat d’emprunt, mais d’un éclat qui lui est propre et qui
est la vérité. « Jugez-moi donc », est-il dit, « selon ma justice et selon mon
innocence d’en haut », comme si la torche allumée et brillante disait:
Jugez-moi selon cette splendeur d’en haut, c’est-à-dire qui n’est point
moi-même, et dont je brille néanmoins, quand vous m’avez allumée.
9. « Que la malice des pécheurs se consomme (Ps. VII, 10) ». Cette consommation est
ici le comble, d’après cette parole de l’Apocalypse: « Que celui qui est juste
le devienne plus encore, et que l’homme souillé se souille davantage (Apoc. XXII, 11) ». L’iniquité paraît
consommée dans ceux qui crucifièrent le Fils de Dieu, mais elle est plus grande
chez ceux qui refusent de vivre saintement, qui haïssent les lois de la vérité,
pour lesquelles a été crucifié ce même Fils de Dieu. Que la malice donc des
pécheurs se consomme, dit le Prophète, qu’elle s’élève jusqu’à son comble et
qu’elle appelle ainsi votre juste jugement. Toutefois, non seulement il est dit
Que l’homme souillé se souille encore; mais il est dit aussi: Que le juste
devienne plus juste; c’est pourquoi le Prophète poursuit en disant: « Et vous
dirigerez le juste, ô Dieu qui sondez les cœurs et les reins (Ps. VII, 10) ». Mais comment le juste
peut. il être dirigé, sinon d’une manière occulte? puisque les mêmes actions
que les hommes admiraient dans les premiers temps du christianisme, quand les
puissances du siècle mettaient les saints sous le pressoir de la persécution,
ces actions, aujourd’hui que le nom chrétien est arrivé à l’apogée de sa
gloire, servent à développer l’hypocrisie ou la dissimulation chez des hommes
qui sont chrétiens de nom, pour plaire aux hommes plutôt qu’à Dieu? Dans cette
confusion de pratiques hypocrites, comment le juste peut-il être dirigé, sinon
par le Dieu qui sonde les reins et les coeurs, qui voit nos pensées, désignées
ici sous l’expression de coeur, et nos plaisirs, que désignent les reins? Le
Prophète a raison d’attribuer à nos reins le plaisir que nous font éprouver les
biens temporels; c’est en effet la partie inférieure de l’homme, et comme le
siège de cette voluptueuse et charnelle génération, qui perpétue la race
humaine, et nous donne cette vie calamiteuse dont les joies sont mensongères.
Donc, ce Dieu qui sonde les coeurs et voit qu’ils sont (150) où est notre
trésor (Matt. VI, 21), qui sonde les
reins, et voit que loin de nous arrêter au sang et à la chair (Gal. I, 16), nous mettons nos délices
dans le Seigneur, ce même Dieu dirige le juste dans cette conscience même, où
il est présent, où l’oeil de l’homme ne pénètre point, mais seulement l’oeil de
celui qui connaît l’objet de nos pensées et de nos plaisirs. Car le but de nos
soucis est le plaisir, et nul dans ses soins et dans ses pensées ne se propose
que d’y parvenir. Dieu qui sonde les coeurs voit nos soucis, et il en voit le
but ou le plaisir, lui qui sonde aussi nos reins; et quand il verra que nos
soucis, loin de s’arrêter à la convoitise de la chair, à la convoitise des
yeux, ou à l’ambition mondaine, choses qui passent comme l’ombre (I Jean, II, 16, 17), s’élèvent jusqu’aux
joies éternelles que ne trouble aucune vicissitude, ce Dieu qui sonde les reins
et les coeurs conduit le juste par la voie droite, Telle oeuvre que nous
faisons, peut être connue des hommes, si elle consiste en paroles ou en actes
extérieurs; mais notre intention en la faisant, et le but qui nous pousse à la
faire, ne sont connus que de Dieu qui sonde les reins et les coeurs.
10. « J’attends un juste secours du Seigneur,
qui sauve les hommes au cœur droit (Ps.
VII, 11) ». La médecine a une double tâche, d’abord de guérir la maladie,
ensuite de conserver la santé. C’est dans le premier but qu’un malade disait
dans le psaume précédent: « Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis
faible (Id. VI, 3) ». En vue du
second but, nous trouvons dans le psaume qui nous occupe: « Si l’iniquité
souille mes mains, que je tombe justement sous les efforts de mes ennemis (Id. VII, 4, 5) ». Dans le premier cas,
le malade implore sa guérison, et dans le second, l’homme en santé demande à
n’être point malade. L’un s’écrie donc: « Sauvez-moi dans votre miséricorde (Id. VII, 5) »; et l’autre: « Jugez-moi, Seigneur,
selon ma justice ». Le premier demande le remède qui le guérira, le second le
préservatif contre la maladie. Aussi le premier dit-il: Sauvez-moi, Seigneur,
dans votre miséricorde, et le second: J’attends un secours juste du Seigneur,
qui sauve l’homme au cœur droit. Dans l’un comme dans l’autre cas, c’est la
miséricorde qui nous sauve: dans le premier, en nous faisant passer de la
maladie à la santé; dans le second, en nous maintenant en santé. Il y a dans le
premier un secours de miséricorde, puisqu’il n’y a nul mérite chez le pécheur
qui désire seulement être justifié par la foi en celui qui justifie l’impie (Rom. IV, 5): dans le second, un secours
de justice, car il est accordé à celui qui est déjà justifié. Que ce pécheur
alors qui disait: Je suis infirme, dise maintenant: Sauvez-moi, Seigneur, dans
votre miséricorde; et que le juste qui pouvait dire: Si j’ai tiré vengeance de
ceux qui me rendaient le mal, dise maintenant: J’attends un juste jugement du
Seigneur qui sauve l’homme au coeur droit. Car si Dieu nous donne le remède qui
guérit notre maladie, combien plus nous donnera-t-il le moyen de conserver la
santé? Car si Jésus-Christ est mort pour nous quand nous étions pécheurs,
maintenant que nous sommes justifiés, nous serons, à plus forte raison,
délivrés par lui de la colère du Seigneur (Id.
V, 8, 9).
11. « J’attends un juste secours du Seigneur,
« qui sauve l’homme au coeur droits. Le Dieu qui sonde les reins et les coeurs,
donne aussi la droiture au juste; et par un juste secours il sauve ceux qui ont
le coeur droit. Toutefois, il ne donne pas le salut à ceux qui ont la droiture
dans le coeur et dans les reins, de la même manière qu’il sonde les reins et
les coeurs. Dans le coeur, en effet, siègent les pensées: mauvaises, quand il
est dépravé; bonnes, quand il est droit; mais aux reins appartiennent les
plaisirs condamnables qui ont quelque chose de bas et de terrestre, tandis
qu’un plaisir pur n’est plus dans les reins, mais dans le coeur. Aussi ne
peut-on pas dire: La droiture des reins, comme on dit: La droiture du coeur;
car où est la pensée, là aussi est la jouissance: cette droiture ne peut avoir
lieu que si nous pensons aux choses divines et éternelles. Aussi le Prophète
s’écriait-il: «Vous avez mis la joie dans mon coeurs, après avoir dit: « La
lumière de votre face est empreinte sur nous (Ps. IV, 7) ». Ce n’est point le coeur, en effet, mais bien les
reins qui trouvent une certaine jouissance dans cette joie folle et délirante
que nous causent de vaines imaginations, quand les fantômes des choses
temporelles, que se forme notre esprit, le bercent d’un espoir vain et
passager; tous ces fantômes nous viennent d’en bas, ou des choses terrestres et
charnelles. De là vient que Dieu, (151) sondant les coeurs et les reins, et
voyant le coeur occupé de pensées droites, les reins sevrés de toute volupté,
donne un juste secours à ce coeur droit qui sait allier à des pensées pures
d’irréprochables délices. Aussi, après avoir dit dans un autre psaume: « Jusque
dans la nuit mes reins m’ont tourment », le Prophète parlait du secours divin,
et s’écriait: « J’avais toujours le Seigneur présent devant moi, parce qu’il
est à ma droite, et je ne serai point ébranlé (Ps. XV, 7, 8) », marquant ainsi que ses reins lui ont seulement
suggéré, mais non causé la volupté, qui l’eût ébranlé, s’il l’avait ressentie.
Il dit donc: « Le Seigneur est à ma droite, et je ne serai point ébranlé »;
puis il ajoute: « Aussi mon coeur a-t-il tressailli de joie (Id. 9) ». Les reins ont bien pu le
tourmenter, mais non lui donner la joie. Ce n’est donc point dans les reins
qu’il a senti la joie, mais dans ce coeur qui lui a montré que Dieu le
soutiendrait contre les suggestions de ses reins.
12. « Dieu est un juge équitable, il est fort
et patient (Id. VII, 12) ». Quel est
ce Dieu juge, sinon le Seigneur qui juge les peuples? Il est juste, car il
rendra à chacun selon ses œuvres (Matt.
XVI, 27); il est fort, puisque nonobstant sa toute-puissance, il a enduré
pour notre salut les persécutions des méchants; il est patient, puisqu’il n’a
point livré ses bourreaux au supplice, aussitôt après sa résurrection, mais il
a différé afin qu’ils pussent détester cette impiété, et se sauver; il diffère
encore aujourd’hui, réservant le supplice éternel pour le dernier jugement, et
chaque jour appelant les pécheurs au repentir. « Il n’appelle point chaque jour
sa colère ». Cette expression: « Appeler sa colère », est plus significative
que se mettre en colère, et nous la trouvons dans la version grecque (Me orge epogon); elle nous montre que
cette colère, qui le porte au châtiment, n’est point en lui-même, mais dans les
sentiments de ses ministres qui obéissent aux lois de la vérité: ce sont eux
qui ordonnent aux ministres inférieurs, appelés anges de colère, de châtier le
péché. Ceux-ci, à leur tour, éprouvent, en châtiant les hommes, la
satisfaction, non de la justice, mais de la méchanceté. « Dieu donc n’appelle
point chaque jour sa colère »; c’est-à-dire, ne convoque point chaque jour les
ministres de ses vengeances. Maintenant, sa patience nous invite au repentir;
mais au dernier jour, quand les hommes, par leur dureté et l’impénitence de
leur coeur, se seront amassé un « trésor de colère pour le jour où se révélera
la colère et le juste jugement de Dieu (Rom.
II, 5) », alors il brandira son glaive.
13. « Si vous ne retournez à lui »,dit le
Prophète, « il brandira son glaive (Ps.
VII, 13) ». On peut dire de Jésus-Christ, qu’il est le glaive de Dieu,
glaive à deux tranchants, framée qu’il n’a point brandie à son premier
avènement, mais qu’il a tenue cachée dans le fourreau de son humilité; mais au
second avènement, quand il viendra juger les vivants et les morts, les éclairs
de cette framée brilleront de tout l’éclat de sa splendeur, pour illuminer les
justes, et jeter les impies dans l’effroi. D’autres versions, au lieu de: «
Brandira son glaive », portent: « Fera briller sa framée »: expression qui
s’applique fort bien, selon moi, à cette splendeur de Jésus-Christ, au dernier
avènement; car en parlant au nom de Jésus-Christ même, le psalmiste a dit ailleurs:
« Seigneur, délivrez mon âme des mains de l’impie, et votre glaive des ennemis
de votre puissance (Id. XVI, 13, 14)
». « Il a tendu son arc et l’a préparé ». Il ne faut point négliger ce
changement de temps dans les verbes: il est dit au futur que Dieu brandira son
épée»; et au passé, qu’il a tendu son arc », et le discours continue au passé.
14. « Il a mis en lui l’instrument de la
mort: il a fabriqué ses flèches avec des charbons ardents (Id. VII, 14) ». Dans cet arc, je verrais volontiers les saintes
Ecritures, où la force du Nouveau Testament, pareille à un nerf, a fait fléchir
et a dompté la raideur de l’Ancien. Cet arc a lancé comme des flèches; les
Apôtres ou les saints prédicateurs. Ces flèches que Dieu a fabriquées avec le
charbon ardent, embrasent de l’amour divin ceux, qu’elles ont frappés. De
quelle autre flèche serait blessée l’âme qui chante ainsi: « Conduisez-moi dans
les lieux où se garde le vin, établissez-moi dans les parfums, environnez-moi
de miel, parce que l’amour m’a blessée (Cant.
II, 4, suiv. les LXX.)?» De quelle autre flèche peut être embrasé celui qui
veut revenir à Dieu, qui quitte le chemin de l’exil, qui implore du secours,
contre les langues menteuses, et s’entend dire: « Que vous donner? comment vous
secourir (152) contre les langues menteuses? les flèches du vainqueur sont
aiguës; ce sont des charbons ardents (Ps.
CXIX, 3,4)? » c’est-à-dire, si vous en étiez atteint, vous brûleriez d’un
tel amour du royaume de Dieu, que vous dédaigneriez tous ceux. qui vous
résisteraient, et qui tâcheraient de vous détourner de votre dessein: vous vous
ririez de leurs persécutions et vous diriez: « Qui me séparera de l’amour de
Jésus-Christ? L’affliction, les angoisses, la faim, la nudité, les périls, la
persécution ou le glaive? J’ai la certitude », poursuit l’Apôtre, « que ni la
mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les choses présentes, ni
les choses futures, ni les vertus, ni ce qu’il y a de plus haut, ni ce qu’il y
a de plus profond, ni aucune autre créature, ne pourra nous séparer de l’amour
de Dieu en Jésus-Christ Notre Seigneur (Rom.
VIII, 35-39). » C’est ainsi qu’il a fabriqué ses flèches avec des charbons
ardents. Car la version grecque porte: « Ses flèches sont fabriquées au moyen
de charbons ardents », quand, presque toujours, nous lisons dans la version
latine. « Ses flèches sont ardentes »; mais que les flèches brûlent, ou
qu’elles allument le feu, ce qui leur serait impossible si elles n’étaient
brûlantes, le sens est le même.
15. Le Prophète ne parle pas seulement de
flèches que le Seigneur a préparées pour son arc, mais encore d’instruments de
mort et l’on peut se demander, si des instruments de mort ne désigneraient
point les hérétiques, car, eux aussi, s’élancent du même arc du Seigneur, ou
des saintes Ecritures, non pour enflammer les âmes, de la charité, mais pour
les tuer de leurs poisons ce qui n’arrive qu’à celles qui l’ont mérité par
leurs crimes: et cette décision est encore l’oeuvre de la divine Providence,
non qu’elle porte les hommes au péché, mais parce qu’elle dispose des pécheurs
dans l’ordre de sa sagesse. Le péché leur fait lire les Ecritures avec mauvaise
intention, et le sens dépravé qu’ils sont forcés d’y donner, devient le
châtiment du péché, et leur mort funeste devient comme un aiguillon, qui
stimule les enfants de l’Eglise catholique, les tire de l’assoupissement et
leur fait comprendre les saintes Ecritures. « Il faut, en effet, qu’il y ait
des hérésies », dit l’Apôtre, « afin qu’on reconnaisse ceux d’entre vous, dont
la vertu est éprouvée (I Cor. XI, 19)
»; c’est-à-dire, afin qu’on les reconnaisse parmi les hommes, car ils sont
connus de Dieu. Ces flèches, ces instruments-de mort, ne seraient-ils point
préparés pour l’extermination des infidèles, et Dieu ne les aurait-il pas
faites brûlantes, ou avec des charbons ardents, afin d’embraser les fidèles?
Car elle n’est point mensongère, cette parole de l’Apôtre.: « Aux uns nous
sommes une odeur de vie pour la vie, et aux autres une s odeur de mort pour la
mort; et qui est propre à ce ministère (II
Cor. II, 16)? » Il n’est donc pas étonnant que les mêmes Apôtres soient des
instruments de mort pour ceux qui les ont persécutés, et des flèches de feu
pour embraser les coeurs de ceux qui ont cru.
16. Après en avoir agi de la sorte, Dieu fera
voir l’équité de ce jugement, dont le Prophète nous parle de manière à nous
faire comprendre que le supplice de chacun sera dans son péché, et le châtiment
dans son injustice même; et à nous prémunir contre cette pensée qu’il y aurait
dans ce calme profond de Dieu, dans sa lumière ineffable, un désir de punir les
crimes: toutefois il les dispose avec tant de sagesse, que cette joie même que
goûtait l’homme dans son péché, devient un instrument de vengeance pour le
Seigneur qui châtie. Voilà, dit le Prophète, « qu’il a enfanté l’injustice (Ps. VII, 15)». Mais qu’avait-il conçu
pour enfanter ainsi l’injustice? « Il avait conçu le travail (Gen. III, 17) », ce travail dont il est
écrit: « Tu mangeras ton pain dans le labeur »; et ailleurs: « Venez à moi,
vous tous qui travaillez, et qui êtes chargés; mon joug est doux, et mon
fardeau léger (Matt. XI, 28, 30)».
Car le labeur pénible ne finira point pour l’homme, tant qu’il n’aimera point
ce qu’on ne pourra lui enlever malgré lui. En effet, tant que nous aimons ce
qui peut nous échapper malgré notre volonté, nous subirons le travail et la
peine: étroitement resserrés dans les difficultés de cette vie où chacun, pour
posséder ces biens, s’efforce tantôt d’en prévenir un autre, tantôt de les
extorquer au possesseur, nous ne pouvons les acquérir que par d’injustes
combinaisons. Il est donc bien, il est parfaitement dans l’ordre que l’homme
enfante l’injustice après avoir conçu le travail. Que peut-il enfanter, sinon
ce qu’il a porté dans son sein, bien qu’il n’enfante (153) pas ce qu’il a
conçu? Car le sujet à la naissance n’est plus celui de la conception: concevoir
se dit d’un germe, mais c’est l’être que ce germe a formé, qui arrive à la
naissance. Le travail est donc le germe de l’iniquité; et concevoir le travail,
c’est concevoir le péché, ce premier péché qui nous sépare de Dieu (Eccli. X, 14). Il a donc porté
l’injustice, celui qui avait conçu le travail, et « il a mis au monde
l’iniquité ». Et comme l’iniquité c’est l’injustice, il a fait éclore ce qu’il
avait porté. Que dit-il ensuite?
17. « Il a ouvert une fosse, il l’a creusée (Ps. VII, 16)». Ouvrir une fosse dans les
affaires terrestres, aussi bien que dans la terre, c’est préparer un piége où
puisse tomber celui que veut tromper l’homme injuste. Le pécheur ouvre cette
fosse, quand il ouvre son âme aux suggestions des terrestres convoitises; il la
creuse, quand il y donne son adhésion et s’occupe d’ourdir la fraude. Mais
comment serait-il possible que l’iniquité blessât l’homme juste qu’elle
attaque, avant d’avoir blessé le coeur injuste qui la commet? Un voleur, par
exemple, reçoit de l’avarice une blessure, quand il cherche à endommager le
bien d’autrui. Qui serait assez aveugle pour ne pas voir la distance qui sépare
ces deux hommes, dont l’un subit la perte de son argent, l’autre de son
innocence? « Ce dernier donc tombera dans la fosse qu’il aura creusée »; comme
le psalmiste l’a dit encore ailleurs: « Le Seigneur se fait connaître dans ses
jugements, et le pécheur s’est pris lui-même dans les oeuvres de ses mains (Id. IX, 17) ».
18. « Son travail pèsera sur lui, et son
iniquité retombera sur sa tête (Jean,
XVIII, 34) ». C’est lui qui n’a pas voulu fuir le péché; mais il s’en est
rendu volontairement l’esclave, selon cette parole du Seigneur: « Tout pécheur
devient l’esclave du péché ». Son péché donc sera sur lui, puisque lui-même
s’est soumis au péché; dès lors qu’il n’a pu dire à Dieu, comme toute âme
droite et innocente: « C’est vous qui êtes ma gloire et qui élevez ma tête (Ps. III, 4) », c’est donc lui qui sera
abaissé, de manière que l’iniquité le dominera et descendra sur lui: elle sera
pour lui un poids très-lourd, et l’empêchera de prendre son essor vers le repos
des saints. Voilà ce qui arrive chez le pécheur, quand l’âme est esclave, et
que les passions dominent.
19. « Je confesserai le Seigneur selon sa
justice (Ps. III, 18) ». Cette
confession n’est point l’aveu des pécheurs; car celui qui parle ainsi disait
plus haut avec beaucoup de vérité: « Si vous trouvez l’iniquité dans mes mains
(Id. VII, 18) ». C’est donc un
témoignage rendu à la justice de Dieu; comme s’il disait: Vraiment, Seigneur,
vous êtes juste, et quand vous protégez les bons de manière à les éclairer par
vous-même, et quand, par votre sagesse, le pécheur trouve son châtiment dans sa
propre malice, et non dans votre volonté. Cette confession élève la gloire du
Seigneur bien au-dessus des blasphèmes des impies, qui veulent des excuses pour
leurs crimes, et refusent de les attribuer à leur faute, c’est-à-dire qu’ils ne
veulent point que la culpabilité soit coupable. Ils accusent de leurs péchés,
ou la fortune ou le destin, ou le démon auquel notre Créateur a voulu que nous
pussions résister, ou même une nature qui ne viendrait point de Dieu; ils
s’égarent en de misérables fluctuations, plutôt que de mériter de Dieu leur
pardon par un aveu sincère. Car il n’y a de pardon possible que pour celui qui
dit: J’ai péché. Or, celui qui comprend que Dieu, dans sa sagesse, rend à
chacune des âmes ce qu’elle a mérité, sans déroger aucunement à la beauté de
l’univers, loue Dieu dans toutes ses oeuvres; et ce témoignage ne vient pas des
pécheurs, mais des justes. Ce n’est point avouer des fautes que de dire au
Seigneur: « Je vous confesse, Seigneur du ciel et de la terre, parce que vous
avez dérobé ces mystères aux savants, pour les révéler aux petits (Matt. XI, 25)». De même, nous lisons
dans l’Ecclésiastique: « Confessez le Seigneur dans toutes sas oeuvres. Et
voici ce que vous direz dans vos confessions: Tous les ouvrages du Seigneur
proclament sa sagesse (Eccli. XXIX, 19,
20)». Donc, cette confession dont parle ici David, consiste à comprendre,
avec le secours de Dieu et une piété sincère, comment le Seigneur, qui
récompense les justes, et qui châtie les méchants, par ce double effet de sa
justice, maintient toute créature qu’il a faite et qu’il gouverne, dans une
admirable beauté, que peu d’hommes comprennent. Il s’écrie donc: « Je
confesserai le Seigneur selon sa justice », comme le ferait celui qui a compris
que le Seigneur n’a point fait les ténèbres, quoiqu’il en dispose avec sagesse.
Dieu dit en effet: « Que la (154) lumière soit faite, et la lumière fut (Gen. I, 3) »; mais il ne dit pas: Que
les ténèbres soient, et les ténèbres furent faites; et toutefois il les a
réglées, puisqu’il est dit « qu’il sépara la lumière des ténèbres, qu’il donna
le nom de jour à la lumière, et celui de nuit aux ténèbres (Id. 4, 5) ». Il y a donc cette
différence qu’il fit l’un et le régla; et qu’il ne fit pas l’autre, bien qu’il
la réglât néanmoins. Que les ténèbres figurent le péché, c’est ce que nous
apprend ce mot d’un Prophète: « Et vos ténèbres seront pour vous le soleil (Isa. LVIII, 10) »; et cette parole de
saint Jean: « Celui-là est dans les ténèbres qui a de la haine contre son frère
(I Jean, II, 11). »; et surtout
celle-ci de saint Paul: « Dépouillons-nous des oeuvres ténébreuses, pour
revêtir les armes de la lumière (Rom.
XIII, 12) ». Ce n’est pas qu’il y ait une nature ténébreuse; car toute
nature existe nécessairement comme nature. Mais exister, c’est le propre de la
lumière, tandis que ne pas exister, est le propre des ténèbres. Donc,
abandonner celui qui nous a créés pour nous incliner vers ce néant d’où nous
avons été tirés, c’est nous couvrir des ténèbres du péché; ce n’est point périr
tout à fait, mais descendre au dernier rang. Aussi, quand le Prophète a dit: «
Je confesserai devant le Seigneur » a-t-il soin d’ajouter, pour ne point nous
laisser croire à un aveu de ses fautes: « Et je chanterai le nom du Seigneur
Très-Haut (Ps. VII, 18) ». Or,
chanter est le propre de la joie, tandis que le repentir de nos fautes accuse
la douleur.
20. On pourrait appliquer ce psaume à la
personne de l’Homme-Dieu, en rapportant à notre nature infirme, qu’il avait
daigné revêtir, tout ce qui est dit à notre confusion.
La grappe de raisin contient
le vin et le marc: le marc formé des enveloppes a été nécessaire pour amener le
vin à maturité; le pressoir le sépare de cette enveloppe protectrice. Telle est
l’oeuvre de l’Eglise qui nourrit les petits du lait de la doctrine jusqu’à ce
qu’ils deviennent adultes et prennent la solide nourriture des parfaits.
POUR LA FIN, PSAUME DE DAVID, SUR LES PRESSOIRS.
1. La teneur du psaume ne nous laisse rien
voir à propos de ces pressoirs qui lui servent de titre, ce qui nous montrerait
que souvent l’Ecriture nous désigne le même objet sous des figures multiples et
variées. Nous pouvons donc, sous la dénomination de pressoirs, entendre
l’Eglise, par la même raison qui nous l’a fait voir sous la figure d’une aire;
car l’aire ou le pressoir, n’ont d’autre objet que d’ôter au blé ou au raisin
ces enveloppes dont ils avaient besoin pour naître, pour croître et pour
arriver à la maturité de la moisson ou de la vendange. Ces enveloppes ou ces
soutiens sont, pour le blé, la paille dont il est dépouillé dans l’aire, et
pour le vin, les grappes dont on l’extrait au pressoir. Il en est de même dans
l’Eglise. Les bons y sont mêlés à la foule des hommes terrestres, mélange qui
leur est nécessaire, et sans lequel ils ne pourraient naître, ni devenir aptes
à la parole de Dieu; et les ministres de l’Eglise travaillent à les séparer de
cette foule au moyen d’un amour spirituel. Ainsi en agissent aujourd’hui les
bons qui mettent l’intervalle, non des lieux, mais de l’amour, entre eux et les
méchants, bien que, selon le corps, ils soient présents avec eux dans les mêmes
églises. Un autre temps viendra où le froment sera séparé pour les greniers et
le vin pour les celliers du Père céleste, selon le mot de l’Evangile: « Il amassera
le froment pour ses greniers, et jettera (155) la paille au feu inextinguible (Luc III, 17) ». La même pensée peut s’exprimer par cette autre
comparaison: Il mettra son vin en réserve dans ses celliers et jettera le marc
aux animaux; et le ventre des animaux pourrait être comparé aux gouffres de
l’enfer.
2. On peut encore entendre les pressoirs
d’une autre manière, mais en les regardant toujours comme figure de l’Eglise.
Le Verbe divin aurait pour emblème Je raisin; car on voit dans cette grappe
suspendue au bois, que les émissaires d’Israël rapportaient de la terre promise
(Nomb. XIII, 24), une figure de Jésus
crucifié. Alors, quand le Verbe divin a besoin d’emprunter le son de la voix
pour arriver à l’oreille des auditeurs, l’intelligence de ce Verbe est au son
de la voix, comme le vin doux est au marc qui le contient; et cette grappe
sacrée arrive à nos oreilles comme sous la violence des pressoirs. C’est là
qu’elle se déchire; et le son de la voix est pour les oreilles, tandis que le
sens arrive dans la mémoire des auditeurs comme dans un réservoir, pour se
déverser ensuite dans la règle des moeurs et dans les mouvements de notre âme,
comme le vin coule de la cuve dans les celliers, où il prendra sa force en
vieillissant, si la négligence ne le laisse pas aigrir. Car il s’est aigri chez
les Juifs, qui ont abreuvé le Seigneur de ce vinaigre(Jean, XIX, 29). Au contraire, il aura de la douceur et de la force,
le produit de cette vigne mystérieuse du Nouveau Testament que le Seigneur doit
boire avec ses élus dans le royaume de son Père (Luc, XXII, 18).
3. Souvent encore, le nom de pressoir désigne
le martyre; car après avoir passé sous le pressoir de la persécution, les
restes mortels de ceux qui ont donné leur vie pour Jésus-Christ sont jetés sur
la terre comme le marc, tandis que les âmes ont pris leur essor pour le repos
de l’éternel séjour. Mais ce sens figuratif ne s’éloigne point des fruits que
produit l’Eglise. Le nom de pressoir donné à ce psaume nous reporte donc à
l’établissement de l’Eglise, alors que le Seigneur ressuscitait pour monter au
ciel. Ce fut alors qu’il envoya l’Esprit-Saint; et les disciples qui en étaient
remplis, prêchèrent avec confiance la parole de Dieu, et formèrent des Eglises.
4. C’est pourquoi il est dit avec raison:
«Seigneur, notre Dieu, que votre nom est grand par toute la terre (Ps. VIII, 2) ! » Mais comment ce nom
est-il grand dans l’univers entier? et le Prophète répond: « C’est que votre
magnificence est élevée au-dessus des cieux (Ibid.)». Le sens serait alors: Seigneur, qui êtes notre Dieu, dans
quelle admiration vous jetez les habitants de la terre! puisque, de votre
abaissement en ce monde, vous avez fait éclater votre gloire par-dessus les
cieux: pour ceux en effet qui vous voyaient monter au ciel, et pour ceux qui y
croyaient, cette ascension montrait avec quelle puissance vous en étiez
descendu.
5. C’est de la bouche des enfants nouveau-nés
et à la mamelle, que vous avez tiré une louange parfaite, à l’encontre de vos
ennemis (Id. 3)». Par ces enfants nouveau-nés
et à la mamelle, nous ne pouvons entendre que ceux dont l’Apôtre a dit: « Comme
à des enfants en Jésus-Christ, je vous ai donné du lait et non des viandes
solides (I Cor. III, 2) ». Ils
étaient figurés par ces autres enfants qui précédaient Jésus-Christ en chantant
ses louanges, et en faveur desquels Jésus cita ce passage dans sa réponse aux
Juifs qui le pressaient de leur imposer silence: « N’avez-vous donc point lu
cette parole, dit le Sauveur: C’est de la bouche des enfants nouveau nés et à la
mamelle, que vous avez tiré une louange parfaite (Matt. XXI, 16)? » Il a raison de ne point dire seulement: « Vous
avez tiré votre louange »; mais, « une louange parfaite ». Car il y a des
fidèles dans l’Eglise, qui ont quitté le lait pour une nourriture plus solide,
et c’est d’eux que parle saint Paul quand il dit: « Nous prêchons aux parfaits
la sagesse divine (Cor. II, 6) » mais
ils ne sont pas seuls pour former l’Eglise, car s’ils étaient seuls, Dieu
abandonnerait la faiblesse humaine. Or, c’est par égard pour cette faiblesse,
qu’il veut donner pour nourriture, à ceux qui sont incapables de comprendre les
choses spirituelles et éternelles, la foi historique de tout ce qui s’est
accompli dans le temps, depuis les Patriarches et les Prophètes, par celui qui
est l’incomparable puissance et la sagesse de Dieu, et particulièrement dans le
mystère de l’Incarnation. Quiconque y adhère par la foi y trouve le salut,
lorsque, entraîné par cette autorité, il se soumet aux préceptes qui le
purifient, s’enracine solidement la charité, devient capable de (156) courir
avec les saints, non plus comme l’enfant qui a besoin de lait, mais comme le
jeune homme qui prend une nourriture solide, et peut comprendre la largeur, la
longueur, la hauteur et la profondeur, connaître même l’amour de Jésus-Christ
pour nous, qui surpasse toute connaissance (Eph.
III, 18, 19).
6. « C’est de la bouche des enfants
nouveau-nés et à la mamelle, que vous avez tiré une louange parfaite, à cause
de vos ennemis ». Par ennemis de ce qu’a fait Jésus, et Jésus crucifié, nous
devons entendre en général, tous ceux qui défendent de croire à l’inconnu, et
qui nous promettent une connaissance claire. Telle est la conduite des
hérétiques et de ceux que leurs superstitions idolâtres ont fait appeler philosophes:
non qu’il soit mauvais de promettre la science, mais ils veulent écarter la foi
qui est l’échelle salutaire et indispensable pour nous élever à une certitude
dont l’objet ne peut être que les choses éternelles. Cette négligence d’un
moyen si utile et si nécessaire nous prouve à elle seule, qu’ils n’ont point
cette science promise au mépris de la foi. « C’est donc de la bouche des
enfants nouveau-nés et à la mamelle, Seigneur, que vous avez tiré une louange
parfaite », en nous disant par votre Prophète: « Si vous ne croyez, vous ne
comprendrez point (Isa. VII, 9, suiv. les
LXX.) », et en nous disant vous-même: « Bienheureux ceux qui n’ont point vu
et qui l’ont cru (Jean, XX, 29). A
cause de vos ennemis », de ces mêmes hommes à l’occasion desquels vous avez
dit: « Je vous rends grâces, Dieu du ciel et de la terre, qui avez dérobé ces
mystères aux sages, pour les révéler aux petits (Matt. XI, 25) ». Le Seigneur les appelle sages, non qu’ils le
soient en effet, niais parce qu’ils croient l’être. « Afin de détruire l’ennemi
et le défenseur (Ps. VIII, 3) ». Quel
ennemi, sinon l’hérétique, à la fois ennemi et défenseur de la foi chrétienne,
qu’il attaque, et que néanmoins il paraît défendre? On pourrait encore appeler
ennemis et défenseurs, les philosophes du siècle: carie Fils de Dieu est la
force et la sagesse de Dieu, qui éclaire tous ceux que la vérité a rendus
sages. Or, ces philosophes, ainsi nommés parce qu’ils font profession d’aimer
la sagesse, paraissent la défendre, bien qu’ils en soient les ennemis,
puisqu’ils ne cessent de prêcher des superstitions dangereuses, et de porter
les hommes au culte des éléments de ce monde.
7. « Pour moi, je considère vos cieux,
l’ouvrage de vos doigts (Ps. VIII, 4)
». Nous lisons que Dieu écrivit la loi de son doigt, pour la donner à Moïse,
son saint et fidèle serviteur (Exod.
XXXI, 18), et dans ce doigt de Dieu. beaucoup d’interprètes voient
l’Esprit-Saint. Si donc par les doigts de Dieu, nous pouvons entendre aussi les
ministres remplis de 1’Euprit-Saint, parce que c’est lui qui agit en eux: comme
ce sont eux qui nous ont préparé toutes les divines Ecritures, il nous est
permis aussi d’entendre par les cieux les livres de l’un et de l’autre
Testament. Il est dit aussi de Moïse, que les mages de Pharaon, voyant qu’il les
surpassait, s’écrièrent: « Celui-ci est le doigt de Dieu (Id. VIII, 19)». Quoique cette expression d’Isaïe: « Le ciel sera
replié comme un livre (Isa. XXXIV, 4)
», s’applique au ciel éthéré, on peut très-bien l’entendre encore dans le sens
allégorique des livres de l’Ecriture. « Pour moi donc, je considère les cieux
qui sont l’ouvrage de vos mains », c’est-à-dire, je lirai, je comprendrai ces
Ecritures, que vous avez écrites par vos ministres, que dirigeaient
l’Esprit-Saint.
8. On peut donc aussi voir les livres saints,
dans ces cieux dont il disait auparavant: « Votre magnificence est élevée
au-dessus des cieux », ce qui signifiait: Parce que votre magnificence est plus
élevée que les cieux, et qu’elle surpasse toutes les paroles des Ecritures;
voilà que vous avez tiré de la bouche des enfants nouveau-nés et à la mamelle,
la louange la plus parfaite, en contraignant à commencer par croire aux saintes
Ecritures, ceux qui désirent arriver à la connaissance de votre grandeur; et
cette grandeur est bien au-dessus des Ecritures, puisqu’elle surpasse tous les
efforts et toutes les expressions du langage. Dieu donc a voulu abaisser les
Ecritures jusqu’au niveau des enfants nouveau-nés et à la mamelle, comme l’a
dit un autre psaume: «Il a abaissé les cieux et il est descendu (Ps. XVII, 19) »: et il l’a fait à cause
de ses ennemis, qui détestent la croix de Jésus-Christ, et dont les discours
orgueilleux ne peuvent même, en disant la vérité, devenir utiles aux enfants
nouveau-nés et à la mamelle. C’est ainsi qu’est détruit l’ennemi et le
défenseur, qui veut défendre tantôt la sagesse, tantôt le nom du Christ, et qui
(157) attaque néanmoins la vérité dont il garantit la prompte intelligence,
puisqu’il ruine la foi qui en est la base. On peut le convaincre encore de ne posséder
point la vérité, puisqu’en ruinant la foi qui est l’échelle pour y arriver, il
prouve qu’il en ignore le chemin. Si donc on veut détruire ce téméraire, cet
aveugle prometteur de la vérité, qui en est à la fois l’ennemi et le défenseur,
il faut regarder les cieux, l’ouvrage des doigts de Dieu, c’est-à-dire
comprendre les saintes Ecritures qui s’abaissent jusqu’à cette lenteur des
enfants qu’elles nourrissent d’abord par l’humble croyance des faits
historiques accomplis pour notre salut, qu’elles fortifient ensuite jusqu’à les
élever à la sublime intelligence des vérités éternelles. Ces cieux donc, ou les
livres saints, sont l’ouvrage des doigts de Dieu, puisqu’ils sont écrits par le
Saint-Esprit qui animait les saints et agissait en eux. Pour ceux qui ont
cherché leur gloire plutôt que le salut des hommes, ils ont parlé sans
l’Esprit-Saint, en qui sont les entrailles de la divine miséricorde.
9. « Je verrai donc les cieux, l’ouvrage de
vos doigts, la lune et les étoiles que vous avez établies (Ps. VIII, 4). C’est dans le ciel que sont établies la lune et les
étoiles; parce que l’Eglise universelle, souvent désignée par la lune, et les
églises particulières, que désignerait, selon moi, la dénomination d’étoiles,
sont basées sur les saintes Ecritures, que nous avons reconnues dans la
dénomination des cieux. Dans un autre psaume, nous verrons plus à propos
comment le nom de lune convient à l’Eglise, en expliquant cette parole: « Les
pécheurs ont bandé leur arc pour percer, dans l’obscurité de la lune, les hommes
au coeur droit (Id. X, 3) ».
10. « Qu’est-ce que l’homme pour que vous
vous souveniez de lui, ou le fils de l’homme pour que vous le visitiez (Id. VIII, 5)? » On peut se demander
quelle est la différence entre l’homme et le fils de l’homme; car s’il n’y en
avait aucune, le Prophète n’aurait pas dit avec la disjonctive: « L’homme ou le
fils de l’homme ». Si le Prophète avait dit: « Qu’est-ce que l’homme pour que
vous vous souveniez de lui, et le fils de l’homme pour que vous le visitiez? il
semblerait faire une répétition du mot homme ». Mais en disant: «L’homme, ou le
fils de l’homme », il montre qu’il met entre ces deux expressions une
différence. Retenons bien d’abord que tout fils de l’homme est un homme, bien
que tout homme ne soit point fils de l’homme; car Adam est un homme sans être
fils de l’homme, Il est donc bien de remarquer ici quelle est la différence
entre l’homme et le fils de l’homme: et alors ceux qui portent l’image de
l’homme terrestre qui n’est point fils de l’homme, sont désignés par le nom
d’hommes, tandis que l’on appellerait fils de l’homme, ceux qui portent l’image
de l’homme céleste (I Cor. XV, 49).
L’homme terrestre, c’est le vieil homme, tandis qu’on appelle homme nouveau (Eph. IV, 22) l’homme céleste. Mais
l’homme nouveau provient du vieil homme, puisque la régénération spirituelle ne
s’opère que par le changement de notre vie terrestre et mondaine; et c’est ce
qui le fait appeler fils de l’homme. Ici donc l’homme est terrestre, le fils de
l’homme est céleste; le premier est loin de Dieu, tandis que l’autre est devant
lui; alors il se souvient de l’un qui est à une longue distance, et il visite
l’autre en l’éclairant à la lumière de sa face. Car « le salut est loin des
pécheurs (Ps. 118, 155), et sur nous,
ô Dieu, est empreinte la lumière de votre face (Id. IV, 7) ». Ainsi encore, dans un autre psaume, le Prophète
associe les hommes aux animaux, dit que Dieu les sauve avec les bêtes de somme,
non sans doute en leur communiquant sa lumière intérieure, mais par une
extension de sa miséricorde qui descend avec bonté jusqu’aux dernières
créatures: car Dieu sauve les hommes charnels comme il sauve les animaux; mais
il sépare les fils des hommes, de ces hommes qu’il associait aux animaux; il
les proclame, bienheureux d’une manière plus relevée, et par l’effet de la
vérité qui les éclaire, et de la source de vie qui se répand en eux. «
Seigneur», dit-il, «vous sauverez les hommes et les animaux, selon que vous
multipliez votre bienveillance, ô Dieu. Mais les enfants des hommes espéreront à
l’ombre de vos ailes, ils seront enivrés de l’abondance des biens de votre
maison, vous les abreuverez au torrent de vos délices. Car c’est en vous qu’est
la source de la vie, et dans votre lumière nous verrons la lumière. Etendez
votre miséricorde à ceux qui vous connaissent (Id. XXXV, 7-11). Ainsi, le Seigneur dans sa bonté se souvient (158)
de l’homme, comme il se souvient des animaux, car cette bonté s’étend jusqu’à
ceux qui sont éloignés de lui; mais il visite le fils de l’homme quand il étend
sur lui sa miséricorde pour le couvrir comme de ses ailes, quand il l’éclaire à
la splendeur de sa propre lumière, l’abreuve de ses délices, l’enivre de
l’abondance de sa maison, et lui fait oublier les misères et les égarements de
sa vie passée. C’est ce fils de l’homme, ou cet homme nouveau, qu’enfante avec
douleur et gémissement la pénitence du vieil homme. Cet homme, quoique nouveau,
s’appelle néanmoins charnel, tant qu’il est nourri de lait: « Je n’ai pu», dit
l’Apôtre, « vous parler comme à des hommes spirituels, mais seulement comme à
des hommes charnels ». Et pour leur montrer qu’ils sont régénérés en
Jésus-Christ, il ajoute: « Je vous ai traités comme de petits enfants en
Jésus-Christ, vous donnant du lait, non une nourriture solide (I Cor. III, 1-3) ». Pour cet homme
nouveau, retombé dans sa première vie, ce qui arrive souvent, c’est qu’il
encourt le reproche d’être homme: « N’êtes-vous pas des hommes», dit saint
Paul, « et ne marchez-vous pas tout à fait comme des hommes (Id. 3)?»
11.Le fils de l’homme a donc été visité tout
d’abord dans la personne de cet Homme-Dieu, né de la vierge Marie. L’infirmité
de cette chair, que daigna porter la Sagesse divine, et les ignominies de la
passion, ont fait dire au Prophète: « Vous l’avez rendu quelque peu inférieur aux
anges (Ps. VIII, 6)». Puis il se hâte
de marquer la gloire de sa résurrection et de son ascension: « Vous l’avez
couronné de gloire et d’honneur, en l’établissant sur toutes les oeuvres de vos
mains (Id. 7) ». Comme les anges sont
aussi l’oeuvre des mains de Dieu, nous croyons que le Fils unique de Dieu est
au-dessus des anges, comme nous croyons qu’il n été quelque peu inférieur aux
anges, dans les ignominies de sa naissance temporelle et de sa passion.
l2. « Vous avez mis tout à ses pieds (Id. 8) ». Tout, dit le Prophète, sans
exception; et afin qu’on ne pût entendre ces paroles dans un autre sens,
l’Apôtre veut que la foi les accepte ainsi, quand il dit: « Excepté celui-là
seul qui lui a tout assujetti (I Cor. XV,
27). Il s’appuie, dans l’Epître aux Hébreux, sur le témoignage de ce
Psaume, quand il nous ordonne de croire que tout est soumis à Jésus-Christ (Héb. II, 8), sans aucune exception.
Toutefois le Prophète ne paraît pas beaucoup ajouter, quand il énumère « toutes
les brebis, les boeufs, et même les bêtes sauvages; les oiseaux du ciel, les
poissons de la mer qui se promènent dans ses sentiers (Ps. VIII, 9) ». Il paraît négliger les Vertus, les Puissances, et
toutes les armées angéliques, négliger même les hommes, pour soumettre à
Jésus-Christ les animaux: à moins que par les boeufs et les brebis, nous
n’entendions les âmes saintes, qui produisent les fruits de l’innocence, ou qui
travaillent à rendre la terre fertile, c’est-à-dire à obtenir des hommes
terrestres une régénération dans les biens spirituels. Par ces âmes saintes,
nous devons donc entendre non seulement les hommes, mais aussi les anges, si
nous vouIons conclure de ce verset que tout est soumis à Jésus-Christ Notre
Seigneur. Car il n’y aura plus rien qui ne lui soit soumis, si les princes
d’entre les esprits, pour ainsi parler, lui sont assujettis. Mais comment
prouver que par brebis, on peut entendre les plus élevés en sainteté, non
seulement des hommes, mais encore des créatures angéliques? Est-ce par ce que
le Sauveur nous dit qu’il a laissé quatre-vingt-dix-neuf brebis sur les
montagnes, ou dans les hauteurs des cieux, afin de descendre pour une seule (Matt. XVIII, 12; Luc, XV, 4)?Par cette
brebis tombée, si nous entendons la nature humaine déchue en Adam, parce que
Eve avait été tirée de son côté (Gen. II,
22), ce qu’il n’est pas temps d’examiner ici pour le traiter d’une manière
spirituelle, il ne reste plus pour les quatre-vingt-dix-neuf brebis, que des
natures angéliques et non des âmes humaines. Quant aux boeufs, il est facile de
les entendre des anges car si l’Ecriture désigne les hommes quand elle dit: «
Vous ne lierez point la bouche au boeuf qui foule le grain (Deut. XXV, 4) », c’est que les hommes,
en portant la parole de Dieu, sont des messagers comme les anges (Saint Augustin joue sur le mot Angelus,
messager; d’où evangelizare, porter la parle.): combien nous sera-t-il plus
facile de désigner sous la figure des boeufs, les anges eux-mêmes, ces
messagers de la vérité, puisque les évangélistes qui partagent leur nom, sont
désignés par les boeufs (I Cor. IX, 9;
I Tim. V, 8)? Donc, « vous lui avez
assujetti toutes les brebis et tous les boeufs », c’est-à-dire toutes les
créatures spirituelles; et par là, (159) nous comprenons aussi tous les hommes
qui vivent saintement dans l’Eglise ou sous les pressoirs, et qui sont désignés
maintenant sous la figure de la lune et des étoiles.
13. « Et même les animaux des champs ». Et
même, n’est point inutile ici. D’abord, parce que ces troupeaux des champs
peuvent s’entendre des brebis et des boeufs; car si les chèvres sont les
animaux des rochers et des lieux escarpés, les brebis et les boeufs seront
les animaux des campagnes. Donc, après avoir
énuméré « les brebis, les boeufs, et les animaux des champs », on peut fort
bien se demander quels sont ces animaux des champs, -puisque l’on peut désigner
ainsi les brebis et les boeufs. Mais l’expression, « et même, insuper », nous force à y trouver je ne
sais quelle différence; et cette expression, « et même », embrasse non
seulement les animaux des champs, mais les oiseaux du ciel, les poissons de la
mer, qui parcourent les sentiers de l’abîme. Quelle est donc cette différence?
Rappelons-nous les pressoirs, où le vin est mêlé au marc, et l’aire qui
contient la paille et le froment (Marc,
III, 12), et les filets qui renferment de bons et de mauvais poissons (Matt. XIII, 47), et l’arche de Noé, qui
abrite des animaux purs et des animaux impurs (Gen. VII, 8); et vous verrez que l’Eglise ici-bas, jusqu’au jour du
jugement, renferme non seulement des brebis et des boeufs, c’est-à-dire de
saints laïques et de saints ministres, mais « encore des animaux des champs,
des oiseaux du ciel, des poissons de la mer, qui parcourent les sentiers de
l’abîme ». Ces animaux des champs figurent très-bien les hommes qui mettent
leur joie dans les voluptés charnelles, où ils n’ont rien d’escarpé, rien de
fatigant à gravir. On peut appeler campagne, cette voie large qui conduit à la
mort (Gen. IV, 8); Abel fut tué dans
la campagne (Ps. XXXV, 7). Aussi
devons-nous craindre qu’en descendant ces montagnes de la justice divine, dont
le Prophète a dit: « Votre justice, ô Dieu, est comme les plus hautes montagnes
», pour nous mettre à l’aise dans les facules voluptés de la chair, nous ne
soyons égorgés par le démon. Maintenant, dans ces oiseaux du ciel voyons les
orgueilleux, dont il est dit «Ils opposent leur bouche au ciel (Id. LXXII, 9).Voyons-les s’élever à des
hauteurs comme sur l’aile des vents, ceux qui disent: « Nous glorifierons notre
parole, nos lèvres sont indépendantes, qui dominera sur nous (Ps. XI, 5)? » Voyez encore dans les
poissons de la mer, ces curieux qui parcourent sans cesse les sentiers de
l’abîme, ou qui cherchent dans le gouffre du siècle les biens temporels: biens
futiles, qui doivent périr aussi promptement que les sentiers tracés sur la mer
disparaissent, quand l’eau se rejoint après avoir livré passage au vaisseau qui
fuyait, ou à tout autre nageur. Le Prophète ne dit pas seulement qu’ils
parcourent ces sentiers de l’abîme, mais qu’ils les parcourent sans cesse, perambulans, pour montrer leur
infatigable obstination à rechercher des choses futiles et peu durables. Ces
trois vices capitaux, la volupté charnelle, l’orgueil, la curiosité, renferment
tous les péchés. Saint Jean me paraît les énumérer en disant: « Gardez-vous
d’aimer le monde, car tout ce qui est dans le monde, est convoitise de la
chair, convoitise des yeux, ambition du siècle (Jean, II 15, 16) ». C’est dans les yeux que règne la curiosité. Il
est facile de voir à quoi se rapportent les autres convoitises. Telle fut aussi
la triple tentation de l’Homme-Dieu, par la nourriture, ou l’appétit de la
chair, quand le démon lui dit: « Faites que ces pierres se changent en pain (Matt. IV, 3) »; par la vaine gloire,
alors qu’il le porta sur une haute montagne pour lui montrer et lui promettre
tous les royaumes de la terre, s’il veut l’adorer; par la curiosité, quand il
lui suggéra de se précipiter du haut du temple, afin de voir si les anges le
soutiendraient. Et comme cet ennemi ne put faire prévaloir aucune de ces
suggestions, il est dit dans l’Evangile, « que Satan épuisa toute tentation (Luc, IV, 13) ». Dans le sens des
pressoirs, tout est mis sous les pieds de Jésus-Christ, non seulement le vin,
mais le marc; non seulement les brebis et les boeufs, c’est-à-dire les âmes
saintes des fidèles, soit dans le peuple chrétien, soit chez les ministres,
mais encore les animaux de la volupté, les oiseaux de l’orgueil, les poissons
de la curiosité. Or, ces sortes de pécheurs, nous en sommes témoins, sont dans
l’Eglise confondus avec les bons et les saints. Que Dieu donc agisse dans son
Eglise, qu’il sépare du marc le vin pur. Quant à nous, travaillons à devenir un
vin excellent, à compter parmi les brebis et les boeufs; mais ne figurons
jamais, ni dans le marc de raisin, ni parmi les animaux des (160) campagnes, ni
parmi les oiseaux du ciel, ni parmi ces poissons de la mer toujours parcourant
les sentiers de l’abîme. Toutefois ces animaux n’ont pas qu’une seule
signification, et pourraient s’expliquer autrement; cela dépend du lieu où ils
se trouvent, et ailleurs ils ont une autre signification. Il est de règle que,
dans les symboles, il faut examiner, d’après la pensée du texte, la
signification d’une figure. Tel est l’enseignement du Christ et des Apôtres.
Répétons donc le dernier verset, par lequel déjà le Prophète avait commencé, et
disons: « Seigneur, notre Dieu, que votre nom est admirable sur toute la terre!
» Car, après avoir exposé le texte du psaume, il est bon d’en redire le premier
verset qui en contient toute la pensée.
Ces actes secrets consistent
dans son avènement, tellement humble que les Juifs ne l’ont point connu, et
dans cette sagesse mystérieuse qui lui fait abandonner aux impies les prospérités
temporelles; piège funeste auquel ils seront, pris! tandis qu’il attire à lui
les justes en les châtiant dès ici-bas.
1. Ce psaume a pour titre: « Pour la fin,
psaume de David, pour les secrets du Fils (Ps.
IX, 1)». On peut se demander quels sont ces mystères du Fils: mais comme ce
Fils n’est point précisé, nous devons comprendre que c’est le Fils unique de
Dieu. En effet, le psaume qui porte en inscription: Pour le fils de David,
ajoute: « Quand il fuyait devant son fils Absalon (Id. III, 1) ». Nominer celui-ci, c’était ne laisser aucun doute sur
le fils dont il était question; et toutefois il n’est pas dit seulement: «
Devant la face du fils Absalon », mais bien: « De son fils ». Or, ici comme il
n’est pas dit: «Son fils », et comme d’ailleurs beaucoup de passages regardent
les Gentils, le psaume ne peut s’entendre d’Absalon; et d’ailleurs la guerre
que ce fils de perdition fit à son père, n’a aucun rapport avec les Gentils,
puisque le peuple seul d’Israël se divisa contre lui-même (II Rois, XV.). Ce psaume est donc le chant des mystères du Fils
unique de Dieu. Car le Sauveur se veut désigner lui-même, quand il dit
simplement: Le Fils, sans rien ajouter; ainsi dans ce passage: « Si le Fils
vous délivre, vous aurez la vraie liberté (Jean,
VIII, 36) », il ne dit pas: «Le Fils de Dieu », mais simplement: Le Fils,
laissant à juger de qui il est fils. Cette expression ne convient qu’à ce Fils
par excellence, que l’on peut reconnaître dans notre langage, quand même il ne
serait pas désigné plus spécialement. C’est ainsi que nous disons: Il pleut, il
lait beau, il tonne, -et autres manières de parler, sans préciser qui fait ces
choses, parce que l’auteur par excellence s’offre de lui-même à notre esprit,
sans être plus désigné. Quels sont donc les mystères du Fils? D’abord cette
expression nous fait comprendre que le Fils a des actes connus, dont on
distingue ceux que l’on appelle secrets ou mystérieux. Or, comme nous croyons à
deux avènements du Sauveur, l’un accompli et que les Juifs n’ont pas compris; l’autre
à venir, que nous attendons tous; comme le premier, ignoré des Juifs, a été
avantageux aux Gentils, on peut fort bien entendre par les mystères ou les
secrets du Fils, ce premier avènement, où l’aveuglement a frappé une pat-tic
d’Israël, jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât dans l’Eglise (Rom. XI, 25). Pour l’homme attentif,
l’Ecriture insinue aussi deux jugements, l’un occulte, et l’autre évident. Le
jugement occulte se fait actuellement, selon cette parole de saint Pierre: «
Voici le temps où Dieu va commencer le jugement par la maison du (161) Seigneur
(I Pierre, IV, 17) ». Ce jugement
occulte est don la peine qui stimule chaque homme à se purifier, ou l’avertit
de retourner à Dieu, ou le frappe d’un aveuglement qui le perdra. s’il méprise
la voix et les corrections du Seigneur. On appelle manifeste, ce jugement dans
lequel Jésus-Christ viendra juger les vivants et les morts, où tous
confesseront que c’est de lui que viendront et aux bons la récompense, et aux
méchants le supplice. Mais cette confession faite alors, loin de remédier au
malheur, portera la damnation à son comble. Il est probable que le Seigneur
parlait de ce double jugement, dont l’un est occulte et l’autre manifeste,
quand il disait: « Celui qui croit en moi, a passé de la mort à la vie, et ne
tombera point au jugement (Jean, V, 24)
»; c’est-à-dire au jugement visible. Car, passer de la mort à la vie, par une
de ces afflictions, dont le Seigneur châtie ceux qu’il reçoit parmi ses
enfants, c’est là le jugement occulte. « Celui qui ne croit point », disait-il
encore, « est déjà jugé (Id. III, 18)
», c’est-à-dire, que le jugement occulte de Dieu le prépare au jugement
manifeste. Le Sage nous parle aussi de ces deux sortes de jugements, quand il
dit: « Votre jugement les a livrés à la dérision comme de jeunes insensés; et
ceux que ce jugement n’a pas corrigés ont éprouvé le sévère jugement de Dieu (Sag. XII, 25, 26) ». Ils sont donc
réservés aux châtiments justes et sévères du jugement manifeste, ceux que ne
redresse point le jugement secret du Seigneur. Ce psaume alors nous entretient
des mystères du Fils, c’est-à-dire et de cet avènement dans son humilité, si
utile aux nations, quand il tenait les Juifs dans l’aveuglement, et de cette
peine dont Dieu se sert dans le secret, non pour damner les pécheurs, mais soit
pour exercer la foi de ceux qui se convertissent, soit pour déterminer les
autres à se convertir, soit afin de préparer à la damnation par l’aveuglement
ceux qui demeurent dans l’impénitence.
2. « Je vous confesserai, Seigneur, dans
toute l’étendue de mon cœur (Ps. IX, 2)
» Douter quelque peu de sa providence, ce n’est point confesser Dieu de tout
son coeur; mais comprendre, dans les mystérieux desseins de la sagesse divine,
combien se dérobe à nos regards la récompense de celui qui dit: « Nous goûtons
la joie dans les afflictions (Rom. V, 3)
»; comment toutes les peines corporelles qui nous affligent doivent aboutir à
exercer ceux qui se convertissent à Dieu, ou à porter les pécheurs à se
convertir, ou à préparer à la dernière et juste vengeance les pécheurs
endurcis; et de la sorte, rapporter au gouvernement de la divine Providence,
tous ces événements que les insensés attribuent témérairement au hasard, et
nullement à l’action divine; c’est là confesser Dieu. « Je publierai toutes vos
merveilles ». C’est publier toutes les merveilles de Dieu, que découvrir la
main de Dieu, non seulement dans ce qu’elle opère de visible sur le corps, mais
dans son action invisible et bien supérieure sur les âmes. Car les hommes
terrestres et qui jugent par les yeux, verront une plus grande merveille dans
la résurrection corporelle de Lazare, que dans la résurrection spirituelle de
Paul le persécuteur (Jean, XI, 44; Act.
IX.). Mais comme un miracle visible est pour l’âme un appel à la lumière,
et qu’un miracle invisible éclaire celle qui obéit à cet appel; c’est raconter
toutes les merveilles de Dieu, que croire aux miracles visibles, et de là
s’élever à l’intelligence des miracles invisibles.
3. « Je me réjouirai en vous, et en vous je
tressaillerai d’allégresse (Ps. IX, 3)
». Ni ce monde, ni les voluptés de la chair, ni les saveurs qui flattent le
palais et la langue, ni les odeurs suaves, ni l’harmonie des sons passagers, ni
les couleurs si variées des corps, ni les vaines louanges des hommes, ni les
épousailles et une postérité périssable, ni la surabondance des biens
temporels, ni l’étude profane de ce que renferment les espaces, ou de tout ce
qu’amène la succession des temps, rien de tout cela, Seigneur, « n’est le sujet
de ma joie; mais en vous, je tressaille d’allégresse », ou plutôt dans ces
mystères du Fils, qui a « marqué sur notre front l’empreinte de votre lumière,
ô mon Dieu (Id. IV, 7) ». Car « vous
les cacherez, dit le Prophète, dans le secret de votre face (Id. XXX, 21)». C’est donc vous qui
faites la joie et l’allégresse de ceux qui racontent vos merveilles; et il
racontera vos merveilles, celui que nous annonce le Prophète, et qui viendra
faire, non sa propre volonté, niais la volonté de son Père qui l’a envoyé (Jean, VI, 38).
4. Nous commençons donc à voir que c’est
Jésus-Christ qui parie dans ce psaume. Car le (162) verset suivant porte: « Je
chanterai votre nom, ô Très-Haut, car vous avez fait rebrousser mon ennemi en
arrière (Ps. IX, 4) ». Or, quand
l’ennemi de Jésus-Christ rebroussa-t-il en arrière, sinon quand il lui fut dit:
« Retire-toi en arrière, Satan (Matt. IV,
10)?» Car alors celui qui voulait par la tentation se mettre en avant, dut
reculer en arrière, puisqu’il échoua dans ses tentatives de séduction, et
n’obtint aucun avantage. L’homme terrestre est en arrière, mais l’homme
céleste, quoique venu le dernier, est néanmoins en avant. « Le premier homme
est terrestre, et vient de la terre, le second est céleste, et vient du ciel (I Cor. XV, 47) ». C’est de la race du premier
que venait celui qui a dit: « Celui qui vient après moi a été fait avant moi (Jean, I, 15) », et l’apôtre saint Paul,
oubliant ce qui est derrière lui, se porte à ce qui est en avant (Philip. III, 13). L’ennemi donc
rebroussa en arrière quand il échoua auprès de l’homme céleste qu’il tentait,
et il se retourna vers les hommes terrestres qu’il pouvait dominer. Nul homme,
dès lors, ne peut prendre le devant sur cet ennemi, et le fa-ire rebrousser en
arrière, si ce n’est celui qui a échangé l’image de l’homme terrestre contre
l’image de l’homme céleste (I Cor. XV,
49). Nous pouvons encore, sans absurdité, par « mon ennemi » entendre, si
nous l’aimons mieux, ou le pécheur en générai, ou l’homme idolâtre. Alors ces
paroles: « Vous avez fait rebrousser mon ennemi en arrière», n’exprimeront
point un châtiment, nais un bienfait, et un bienfait tel qu’on ne peut rien lui
comparer. Quoi de plus heureux que d’abjurer son orgueil, et de renoncer à
précéder le Christ, comme si nous étions en santé mais sans avoir besoin du
médecin; mais de préférer suivre le Christ qui, appelant son disciple à la
perfection, lui dit: « Suivez-moi (Matt.
XIX, 21)? » Il vaut mieux néanmoins appliquer au démon cette parole: « Vous
avez fait rebrousser mon ennemi en arrière ». Car le démon a été forcé de
reculer, même dans la persécution des justes, et il est plus avantageux pour
nous de subir ses poursuites, que de le suivre, comme s’il était pour nous un
guide et un chef, Chantons donc le nom du Très-Haut qui a fait rebrousser
l’ennemi en arrière, puisqu’il est bien mieux pour nous de fuir ses poursuites,
que de le suivre quand il veut nous conduire. Car nous avons une retraite et un
asile caché dans les mystères du Fils: « Et le Seigneur deviendra notre refuge
(Ps. LXXXIX, 1). »
5. « Ils seront abattus et anéantis en votre
présence (Ps. IX, 5) ». Qui donc
tombera pour être anéanti, sinon le pécheur et l’impie? « Il tombera », parce
qu’il n’aura plus de force; « il sera anéanti », parce qu’il cessera d’être
impie; « en votre présence », c’est-à-dire, quand il vous connaîtra, comme fut
anéanti celui qui a dit: « Je vis, non pas moi, mais le Christ vit en moi (Gal. II, 20)». Mais pourquoi « l’impie
sera-t-il abattu et anéanti en votre présence? » C’est, répond le Prophète: «
Parce que vous m’avez rendu justice, et que vous vous êtes déclaré pour ma
cause (Ps. IX, 5) »; c’est-à-dire,
vous avez tourné à mon avantage et ce jugement dans lequel je parus être jugé,
et cette condamnation que les hommes prononcèrent contre moi, en dépit de ma
justice et de mon innocence. Car tout cela servit au Fils de Dieu pour notre
délivrance: ainsi le pilote appelle sien, le vent qui lui sert pour une
heureuse navigation.
6. « Vous êtes monté sur votre siége, vous
qui jugez avec équité (Id. 5) ». Tel peut
être le langage du Fils à son Père, dans le même sens qu’il disait: « Vous
n’auriez aucun pouvoir sur moi s’il ne vous était donné d’en-haut (Jean, XIX, 11) », regardant comme un
effet de l’équité de son Père et de ses propres secrets, que le juge des hommes
ait été jugé pour le salut des hommes. Peut-être est-ce l’homme qui dit à Dieu:
« Vous êtes monté sur votre trône, vous qui jugez dans l’équité »; désignant
son âme sous le nom d’un trône, et alors son corps serait la terre, appelée
escabeau des pieds du Seigneur (Isa.
LXVI.): car Dieu était en Jésus-Christ, se réconciliant le monde (II Cor. V, 19). Peut-être est-ce l’âme
de l’Eglise, déjà parfaite, sans tache et sans ride (Eph. V, 27), digne des secrets du Fils, parce que le roi l’a
introduite dans sa demeure secrète (Cant.
I, 3), l’âme de l’Eglise qui dit à son Epoux: « Vous êtes monté sur « votre
trône, vous qui jugez avec justice », parce que vous êtes ressuscité d’entre
les morts, pour vous élever au ciel et vous asseoir à la droite du Père. On peut,
sans blesser les règles de la foi, donner à ces paroles, l’une ou l’autre de
ces trois interprétations.
7. « Vous avez châtié les nations, et le
(163) méchant a péri (Ps. IX, 6) ».
Il est mieux d’appliquer ces paroles à Jésus-Christ que d’en faire son langage.
Quel autre a châtié les nations pour en faire disparaître l’impie, comme il le
fit, après son-ascension? Car alors il envoya l’Esprit-Saint, dont furent
remplis les Apôtres qui prêchèrent avec confiance la parole de Dieu et
accusèrent avec liberté les péchés des hommes. Leurs réprimandes firent
disparaître l’impie, qui fut justifié et devint pieux. « Vous avez effacé son
nom pour le siècle, et « dans les siècles des siècles(Ibid.) », Le nom de l’impie a disparu, car on ne peut appeler impie
celui qui croit au vrai Dieu; son nom est donc effacé pour le siècle,
c’est-à-dire, pendant que s’écouleront les jours du siècle. « Et dans les
siècles des siècles ». Qu’est-ce que le siècle du siècle, sinon la durée dont
le siècle n’est que l’image et comme l’ombre? Car cette révolution des temps
qui se succèdent, alors que la lune croît et décroît, que le soleil revient
chaque année dans sa gloire, que le printemps, que l’été, que l’automne et que
l’hiver ne s’en vont que pour revenir encore, tout cela nous donne une certaine
image de l’éternité. Mais la durée qui subsiste dans une immuable continuité,
s’appelle siècle de ces siècles qui s’écoulent; elle est pour eux, comme le
vers que vous avez dans l’esprit à l’égard de celui que vous prononcez de la
voix. Le premier se comprend, le second s’entend, a sa mesure dans le premier,
qui est l’oeuvre de l’art et qui demeure, tandis que le second passe dans l’air
avec le son de la voix. C’est ainsi que le siècle qui passe trouve son modèle
dans le siècle immuable, que l’on appelle siècle des siècles. Celui-ci demeure
chez le divin ouvrier, il est en permanence dans la sagesse et dans la
puissance de Dieu: tandis que celui-là en mesure l’action dans chaque créature.
Peut-être encore n’est-ce qu’une répétition, et qu’après avoir dit: « Dans le
siècle», pour qu’on ne l’entendît point du siècle qui s’écoule, le Prophète
aura ajouté: « Et dans le siècle du siècle ». Car il y a dans la version
grecque: eis ton aiona, kai eis ton aiona
tou aionos. Ce que plusieurs versions latines ont exprimé, non point en
disant: « Dans le siècle, et dans le siècle du siècle»; mais bien: « Dans
l’éternité et dans le siècle des siècles». Le nom de l’impie est donc détruit
pour l’éternité, c’est-à-dire, que jamais à l’avenir il n’y aura plus d’impies;
et si leur nom ne peut subsister dans ce siècle, il ne tiendra point dans le
siècle des siècles.
8. « Les framées de l’ennemi ont fait défaut
jusqu’à la fin (Ps. IX, 7). ». Ici,
l’ennemi est au singulier, et non au pluriel. Or, cet ennemi, dont les armes
ont fait défaut, quel est-il, sinon le démon, dont les armes sont les mille
formes de l’erreur, qu’il emploie comme des glaives pour tuer les âmes? Mais à
l’encontre de ces glaives, et pour les anéantir, il y a le glaive du Seigneur,
dont il est dit au psaume septième: « il brandira son glaive, si vous ne
retournez à lui ». C’est lui peut-être qui est le terme où doit échouer la
force des glaives ennemis, qui doivent prévaloir jusqu’à lui. Aujourd’hui, il
travaille en secret, mais au dernier jugement, il resplendira de tout son
éclat. C’est lui encore qui détruit les cités; car, après avoir dit que la
puissance doit être en défaut, le Prophète ajoute: « Et vous avez détruit leurs
cités». Une âme devient la ville de Satan, quand les conseils artificieux et
mensongers lui établissent en quelque sorte une cour, qui se fait obéir par ses
membres chacun dans son usage, comme par autant de satellites et de ministres;
les yeux servent la curiosité, les oreilles ses instincts licencieux, et elles
recueillent tout propos qui porte à la débauche, les mains exercent la rapine
et toute violence criminelle, et les autres membres soumis à une semblable
tyrannie, travaillent dans ces desseins pervers. La populace de cette ville
consisterait dans ces appétits sensuels et ces mouvements tumultueux de l’âme,
qui soulèvent journellement dans l’homme des conflits séditieux. Il y a donc
une cité partout où vous trouverez un roi, une cour, des ministres et un
peuple. Et dans les villes déréglées nous ne verrions point tant de maux,-
s’ils n’existaient d’abord dans chacun des citoyens, qui sont pour les cités
des germes et des éléments. Ces cités donc, Jésus-Christ les détruit quand il
en chasse le prince, ainsi qu’il est dit: « Le prince de ce siècle a été chassé
dehors (Jean, XII, 31) »: la parole
de la vérité porte le ravage dans ces royaumes, y étouffe les pernicieux
desseins, y réprime les affections honteuses, y réduit en servitude l’action
des membres et des sens, qui doivent servir à l’oeuvre de la justice et du
bien; et ainsi s’accomplit cette parole de l’Apôtre: (164) « Que le péché ne
règne plus dans notre corps mortel (Rom.
VI, 12) », et le reste du passage. Alors l’âme apaisée se trouve en état
d’acquérir le repos et le bonheur éternel. « Leur mémoire a péri avec fracas (Ps. IX, 7)»,c’est-à-dire, la mémoire des
impies. « Avec fracas », l’impiété ne se détruit pas sans bruit. Car nul homme
n’arrive au calme du silence, à la paix profonde, s’il n’a d’abord fait à ses
vices une guerre bruyante. Ou bien, « avec fracas», signifierait que la mémoire
de l’impie périt avec ce fracas que fait ordinairement l’impiété.
9. « Tandis que le Seigneur demeure
éternellement (Id. IX, 8). A quoi bon
dès lors ces frémissements des nations et ces vaines machinations des peuples
contre le Seigneur et contre son Christ (Id.
II, 1, 2) », puisque le Seigneur demeure éternellement? « Il a préparé son
«trône pour le jugement, et il jugera l’univers dans l’équité Id. IX, 9) ». C’est quand il a été jugé
qu’il a préparé son trône. La patience qu’il a montrée nous méritait le ciel,
et ce Dieu caché dans l’homme, stimulait notre foi. C’est là le jugement
occulte du Fils. Mais parce qu’il doit venir d’une manière visible et dans sa
gloire pour juger les vivants et les morts, il s’est préparé un trône par un
jugement caché. « Et il jugera ouvertement le monde « selon la justice »,
c’est-à-dire qu’il rendra à chacun selon son mérite, en plaçant les agneaux à
sa droite et les boucs à sa gauche (Matt.
XXV, 33). « Il jugera les peuples dans la justice », c’est la répétition de
ce qui vient d’être dit, « qu’il jugera l’univers dans l’équité ». Dieu donc ne
jugera point à la manière des hommes qui ne voient point le coeur, et qui en
viennent plus souvent à renvoyer les coupables qu’à les condamner; mais il jugera
dans l’équité, selon la justice, selon le témoignage de la conscience, et selon
que leurs pensées les accuseront ou les défendront (Rom. II, 15).
10. « Et le Seigneur est devenu le refuge du
pauvre (Ps. IX, 10) ». Quelles que soient
les poursuites de cet ennemi qui a dû rebrousser eu arrière, comment nuirait-il
à ceux qui trouvent un asile dans le Seigneur? Il sera leur refuge, si dans ce
monde, dont Satan est le prince, ils choisissent la pauvreté, ne s’attachant à
rien de ce qui échappe à notre avidité pendant cette vie, ou que nous
abandonnons à la mort. C’est à ces pauvres que le Seigneur sert de refuge. « Il
est leur appui dans les jours de bonheur, dans la tribulation (Ps. IX, 10) ». C’est lui qui fait le
pauvre, puisqu’il chante celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants (Héb. XII, 6). Car le Prophète nous
explique « l’appui dans les jours de bonheur », quand il ajoute:
« Dans la tribulation ». L’âme, en effet, ne
se tourne vers Dieu, qu’en répudiant le monde, alors que la fatigue et la
douleur viennent se mêler à ses plaisirs si frivoles, si dangereux et si
funestes.
11. « Qu’ils espèrent en vous ceux qui
connaissent votre nom (Ps. IX, 11) »,
en cessant de mettre leur espoir dans les richesses, et dans les autres charmes
de ce monde. L’âme qui se détache du monde, et qui cherche en qui mettre son
espérance, se réfugie avec bonheur dans la connaissance du nom même de Dieu. A
la vérité, ce nom se trouve aujourd’hui dans toutes les bouches; mais le
connaître, c’est connaître aussi Celui dont il est le nom. Car un nom n’est pas
tel par lui-même, il n’a de valeur que dans sa signification. Or, il est dit: «
Le Seigneur est son nom (Jér. XXXIII, 2)
». Connaître son nom, c’est donc se mettre avec plaisir à son service. « Et
qu’ils espèrent en vous, ceux qui connaissent votre nom ». Le Seigneur dit
encore à Moïse « Je suis celui qui suis (Exod.
III, 14), et tu diras aux enfants d’Israël: Celui qui est, m’a envoyé. Que
ceux-là donc, Seigneur, espèrent en vous qui connaissent votre nom », de peur
qu’ils ne mettent leur espoir dans les biens qui passent avec la rapidité du
temps, qui n’ont rien que le futur et le passé. A peine ce qu’ils ont de futur
est-il arrivé, qu’il est déjà passé. On l’atteint avec empressement, on le perd
avec douleur. Mais dans la nature divine, il n’y a rien de futur qui ne soit
point encore, rien de passé qui ne soit plus; être, c’est là tout ce qu’elle
est, c’est l’éternité. Qu’ils cessent donc de mettre leur espoir et leur amour
dans les biens du temps, qu’ils élèvent leur espérance jusqu’à l’éternité, ceux
qui connaissent le nom de celui qui a dit: « Je suis celui qui suis », et dont
il est écrit: « Celui qui est, m’a envoyé. Parce que vous n’abandonnerez pas,
Seigneur, ceux qui vous cherchent ». Le chercher, c’est ne plus chercher des
biens passagers et périssables, puisque « nul ne peut servir deux maîtres (Matt. VI, 21) ». (165)
12. « Chantez au Seigneur qui habite en Sion
(Ps. IX, 12) », est-il dit à ceux qui
cherchent le Seigneur, et qu’il n’abandonne pas. Il habite Sion, qui signifie
contemplation, et nous offre l’image de l’Eglise actuelle, comme Jérusalem
figure l’Eglise à venir ou la cité des saints qui jouissent déjà de la vie des
anges, puisque Jérusalem signifie vision de la paix. Or, la contemplation
précède la vision, comme l’Eglise d’ici-bas précède la cité immortelle et
éternelle qui nous est promise; mais elle ne la précède que dans l’ordre du
temps sans la surpasser en dignité, car la fin où nous tendons est plus
honorable que l’effort que nous faisons pour y arriver; or, notre effort
actuel, c’est la contemplation, par laquelle nous arriverons à la vision. Mais
si dès aujourd’hui le Seigneur n’habitait dans l’Eglise. de la terre, la plus
attentive contemplation pourrait aboutir à l’erreur. Aussi est-il dit: « Le
temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple (I Cor. III, 17) »; et: « Le Christ habite dans l’homme intérieur et
dans vos coeurs par la foi (Eph. III, 16,
17)». Il nous est donc ordonné de chanter au Seigneur qui habite en Sion,
afin que nous chantions de concert les louanges du Dieu qui habite en son
Eglise. « Annoncez parmi les peuples ses merveilles (Ps. IX, 12) ». C’est ce qui a été fait, et se fera toujours.
13. « Le Seigneur s’est souvenu d’eux, en
recherchant leur sang répandu (Id. 13)».
Comme si les Apôtres, envoyés porter l’Evangile aux peuples, répondaient à
cette injonction: « Publiez ses merveilles parmi les peuples », et disaient: «
Seigneur, qui pourra croire à notre parole (Isa.
LIII, 1)? » et: « Chaque jour, votre amour nous fait égorger? ». Le
Prophète a raison d’ajouter que pour les chrétiens persécutés, le fruit de la
mort sera la grande acquisition de l’éternité: « Parce que le Seigneur se
souvient d’eux et venge leur sang ». Mais pourquoi le Prophète a-t-il choisi de
préférence cette expression: « Leur sang? » Répondrait-il à cette question que
pourrait lui faire un homme ignorant et faible dans la foi: « Comment
prêcheront-ils chez ces infidèles qui doivent les égorger (Ps. XLIII, 22)? » et dirait-il: « Le Seigneur se souviendra d’eux,
et vengera leur sang », c’est-à-dire, viendra le dernier jugement pour mettre à
découvert la gloire des victimes et le châtiment des bourreaux? Car nul
n’entendra cette expression: « Dieu s’est souvenu d’eux », comme s’il avait pu
les oublier; mais parce que le dernier jugement ne doit arriver qu’après un
long espace de temps, le Prophète s’accommode au langage des hommes faibles,
qui s’imaginent que Dieu oublie, parce qu’il agit avec plus de lenteur
qu’eux-mêmes ne voudraient. C’est pour eux encore qu’il est dit plus bas: « Il
n’a point oublié le cri des pauvres (Ps.
IX, 13) » c’est-à-dire, il n’a point oublié, comme vous le pensez; et comme
si, après avoir entendu ce mot: « Il s’est souvenu », ils disaient: « Il avait
donc oublié»: «Non», dit le Prophète, «il n’oublie point le cri du pauvre».
14. Mais quel est, dirai-je, ce cri du pauvre
que le Seigneur n’oublie point? Est-ce le cri exprimé dans les paroles
suivantes: « Prenez-moi, Seigneur, en pitié, voyez à quelle humiliation me réduisent
mes ennemis (Id. 14)?» Pourquoi donc
ne disait-il pas au pluriel: « Prenez-nous en pitié, Seigneur, et voyez à
quelle humiliation nous réduisent nos ennemis? » comme si tant de pauvres
criaient ensemble; et dit-il: « Prenez-moi en pitié, Seigneur », comme s’il n’y
avait qu’un seul pauvre? Est-ce que celui-là seul parle au nom des saints qui,
étant riche, s’est fait pauvre pour nous (II
Cor. VIII, 9)? Lui aussi dirait alors: « C’est vous qui me relevez des
portes de la mort, afin que je publie vos louanges aux portes de la ville de
Sion (Ps. IX, 15) ». Car c’est
Jésus-Christ qui relève l’homme, non seulement cet homme dont il s’est revêtu,
et qui est le chef de l’Eglise; mais chacun de nous, qui sommes les membres de
son corps, et il nous élève au-dessus des convoitises dépravées qui sont les
portes du trépas, puisque c’est par là que nous allons à la mort. Et la mort
est déjà dans ces joies que procurent les jouissances, quand nous acquérons ce
qu’il était criminel de désirer: « Car la convoitise est la racine de tous les
maux (Tim. VI, 10) ». Aussi peut-on
l’appeler porte de la mort, car une veuve qui vit dans les délices est déjà
morte (Id. V, 6). Or, c’est par la
convoitise que nous entrons dans les délices, comme par les portes de la mort.
Mais les portes de Sion sont les saints désirs qui aboutissent à la vision de
la paix dans la sainte Eglise. C’est donc dans ces portes qu’il nous faut
publier toutes les louanges du Seigneur, afin (166) que l’on ne donne pas aux
chiens ce qui est saint, ni les perles aux pourceaux (Matt. VII, 6), Les premiers préfèrent aboyer toujours, plutôt que
de rechercher avec soin; les autres ne veulent ni aboyer ni chercher, mais se
vautrer dans la fange de leurs voluptés. Mais quand on loue le Seigneur avec de
saintes affections, alors il accorde à ceux qui demandent, il se manifeste à
ceux qui le cherchent, il ouvre à ceux qui frappent. Ces portes de la mort
s’entendraient-elles des sens du corps, des yeux qui s’ouvrirent en Adam, quand
il eut goûté du fruit défendu (Gen. III,
7), et au-dessus desquels s’élèvent ceux qui ne recherchent point les biens
visibles, mais les invisibles? « Ce qui est visible, en effet, n’est que
temporel, tandis que les biens invisibles sont éternels (II Cor. IV, 18) »; et alors les portes de Sion ne seraient-elles
pas les sacrements et les principes de la foi que Dieu veut bien ouvrir à ceux
qui frappent, afin qu’ils parviennent à connaître les secrets du Fils? « Car ni
l’oeil n’a vu, ni l’oreille n’a entendu, ni le coeur de l’homme n’a compris, ce
que Dieu a préparé à ceux qui l’aiment (Id.
II, 9) » ici finirait alors ce cri des pauvres, qui n’est point en oubli
pour le Seigneur.
15. Voyons la suite. « Je serai dans la joie,
à la vue du Sauveur qui vient de vous (Ps.
IX, 16) »; c’est-à-dire, je trouverai mon bonheur dans le Sauveur que vous
m’avez donné, qui est Notre Seigneur Jésus-Christ, la force et la sagesse de
Dieu (I Cor. I, 24). Tel est donc le
langage de l’Eglise, affligée ici-bas et sauvée par l’espérance: tant que le
jugement du Fils est caché, elle s’écrie avec espoir: « Je tressaillerai dans s
le Sauveur que vous m’avez donné »; parce que sur la terre, elle est sous le
poids des violences ou des erreurs de l’idolâtrie. « Les nations sont tombées
dans la fosse qu’elles avaient creusée (Ps.
IX, 16) ». Voyons ici comment le pécheur a toujours trouvé son châtiment
dans ses propres oeuvres, et comment ceux qui ont voulu faire violence à
l’Eglise sont demeurés dans la dégradation qu’ils voulaient lui faire subir.
Ils voulaient tuer des corps, et eux-mêmes tuaient leurs âmes. « Leur pied
s’est engagé dans le piège qu’eux-mêmes avaient «caché (Ibid.) ». Ce piége caché, c’est la pensée fourbe, et par le pied de
l’âme, on peut comprendre l’amour, qui s’appelle convoitise et débauche quand
il est dépravé, affection et charité quand il est droit. C’est l’amour qui
pousse l’âme vers le lieu où elle veut arriver; et ce lieu n’est point un
espace occupé par une forme corporelle, mais le plaisir où elle se réjouit que
l’amour l’ait fait aboutir. Or, la convoitise aboutit au plaisir dangereux, la
charité aux chastes délices. De là vient que la convoitise est appelée une
racine (Tim. VI, 10). La charité
aussi est appelée racine, quand il s’agit de ces divines semences qui tombent
dans les lieux pierreux, où elles doivent se dessécher sous les feux du soleil,
parce qu’elles n’ont pas une racine profonde (Matt. XIII, 5); ainsi sont stigmatisés ceux qui reçoivent avec joie
la parole de la vérité, mais qui cèdent facilement aux persécutions, parce que
la charité seule peut résister. L’Apôtre dit encore: « Afin que nous ayons la
charité pour base et pour racine, et que par là nous puissions résister (Eph. III, 17) ». Donc le pied des
pécheurs, ou l’amour, s’engage dans le piége qu’ils avaient caché, parce qu’en
goûtant le plaisir d’un acte trompeur, livrés qu’ils sont par le Seigneur aux
désirs d’un coeur déréglé (Rom. I, 24),
ils se laissent enlacer par ce plaisir, de manière à n’oser plus en dégager
leur affection pour la porter à des objets sérieux. Au premier effort qu’ils
tenteront, ils gémiront dans leur âme, comme le forçat qui veut dégager des
fers son pied captif; et, succombant à la douleur, ils ne voudront plus se
sevrer de ces plaisirs homicides. Ainsi donc, « dans ce piège qu’ils avaient
caché », ou dans leurs desseins artificieux, «leur pied demeure « engagé »,
c’est-à-dire, leur amour est arrivé par la fraude à cette joie futile qui
enfante la douleur.
16. « On reconnaît le Seigneur à l’équité de
ses jugements (Ps. IX, 17) ». Tels
sont en effet les jugements de Dieu, qu’il ne sort point du calme de sa
félicité, ni des secrets de sa sagesse qui servent d’asile aux âmes
bienheureuses, pour lancer contre les pécheurs le fer, la flamme, ou les bêtes
féroces, et les livrer aux tourments. Comment donc sont-ils tourmentés, et
comment le Seigneur exerce-t-il ses jugements? « C’est dans l’oeuvre de ses
mains », dit le Prophète, « que le pécheur s’est enlacé».
17. Il y a ici: « Cantique de Diapsalma (Graec. LXX, ode diapsalmatos) ». Autant
que je puis en juger, c’est l’indice d’une joie secrète, causée par la
séparation (167) actuelle, non de lieu, mais d’affection, entre les pécheurs et
les justes, commise dans l’aire on sépare déjà le bon grain de la paille. Le
Prophète continue: « Que les pécheurs soient précipités dans l’enfer (Ps. IX, 18)». Qu’ils soient livrés en
leurs propres mains alors que Dieu les épargne, et enlacés dans leurs joies
mortelles. « Ainsi que toutes les nations qui oublient le Seigneur (Ps. IX, 18)», car elles ont refusé de
connaître le Seigneur, et il les a livrées au sens réprouvé (Rom. I, 28).
18. « Car le pauvre ne sera pas éternellement
en oubli (Ps. IX, 19) »: lui qui
paraît oublié maintenant, quand le bonheur de cette vie semble s’épanouir pour
les pécheurs, et que la tristesse est pour le juste; mais, dit le Prophète, «
la patience des affligés ne périra pas éternellement ». Cette patience leur est
nécessaire maintenant pour supporter les impies, dont ils sont séparés déjà par
l’affection, jusqu’à ce qu’ils le soient tout à fait au dernier jugement.
19. « Levez-vous, Seigneur, et que l’homme ne
s’affermisse point (Ps. IX, 20)». Le
Prophète appelle de ses soupirs le jugement dernier; mais avant qu’il arrive: «
Que les nations, dit-il, soient jugées en votre présence », c’est-à-dire dans
le secret et sous l’oeil de Dieu, puisqu’il n’y a pour le comprendre que le
petit nombre des saints et des justes. « Seigneur, faites peser sur eux le joug
d’un législateur (Id. 21) »; qui
serait, si je ne me trompe, l’Antéchrist, dont l’Apôtre a dit « que l’homme de
péché se révélera (I Thess. II, 3).
Que les peuples sachent bien qu’ils ne sont que des hommes» », et puisqu’ils
refusent d’être délivrés par le Fils de Dieu, d’appartenir au Fils de l’homme,
d’être enfants des hommes, ou des hommes nouveaux, qu’ils soient assujettis à
l’homme, c’est-à-dire au vieil homme du péché, puisqu’ils sont eux-mêmes des
hommes.
Comme l’Antéchrist ou l’homme de péché s’élèvera, croit-on, jusqu’à un
tel degré de vaine gloire, déploiera un tel pouvoir sua tous les hommes et sur
les élus de Dieu, que plusieurs auront la faiblesse de croire que Dieu ne
s’intéresse plus aux hommes; le Prophète, après un Diapsalma, exprime en
quelque sorte les gémissements et les plaintes que soulève le retard du
jugement. « Pourquoi dit-il, pourquoi, Seigneur, tant vous éloigner (Ps. IX, 1)? » Et aussitôt
l’interrogateur, comme s’il avait une illumination soudaine, ou comme s’il n’eût
demandé ce qu’il savait bien que pour nous l’apprendre, ajoute: « Vous vous
dérobez dans le temps propice, dans la tribulation »; c’est-à-dire, vous vous
dérobes à propos, et vous suscitez la tribulation pour attiser dans les coeurs
le désir de votre avènement; plus est longue la soif qui les dévore, et plus
agréable sera la source de vie. Aussi le Prophète a-t-il pénétré la cause de
ces retardements, quand il dit: « L’orgueil du méchant est un stimulant pour le
pauvre ». C’est chose incroyable et vraie néanmoins, que la vue des pécheurs
embrase les petits d’une vive ardeur, de sainte espérance qui les porte à une
vie meilleure. La même raison mystérieuse a fait permettre à Dieu qu’il y eût
des hérésies. Tel n’est pas sans doute le dessein des hérétiques, mais la
sagesse de Dieu sait tirer avantage de leur perversité, elle qui crée et qui
règle la lumière, qui règle seulement les ténèbres (Gen. I, 3, 4), afin qu’en les comparant à la lumière, on trouve
celle-ci plus gracieuse, (168) comme en face de l’hérésie on se trouve plus
heureux de rencontrer la vérité. Cette comparaison fait découvrir dans le monde
les hommes d’une vertu éprouvée, que Dieu seul connaissait.
21. «Ils se prennent dans les pensées qu’ils
enfantent»; c’est-à-dire que leurs pensées perverses deviennent des liens qui
les enchaînent. Mais pourquoi des liens? « Parce que le pécheur est loué dans
les desseins de son âme (Ps. IX, 3)».
Les paroles de la flatterie garrottent l’âme dans ses péchés; car on se plaît à
faire ce qui, non seulement ne laisse à craindre aucun blâme, mais attire les
applaudissements. « Et parce que l’on applaudit à celui qui fait le mal; les
coupables sont enlacés dans les pensées qu’ils enfantent ».
22. «L’impie a irrité le Seigneur ». Ne
félicitons point l’homme qui prospère en cette vie, dont les fautes demeurent
sans vengeance, et rencontrent l’applaudissement. C’est là le plus grand effet
de la colère divine. Il faut qu’un pécheur ait bien irrité Dieu, pour être
ainsi traité, pour ne point ressentir le châtiment qui corrige. « Il a donc
irrité le Seigneur, qui, dans sa grande colère, ne le recherchera point (Id. 4)». La colère de Dieu est à son
comble quand il ne recherche plus nos péchés, qu’il paraît les oublier, n’y
faire aucune attention, et qu’il permet que l’impie arrive à la richesse et aux
honneurs, par la fraude et les forfaits c’est ce que nous verrons surtout dans
l’antéchrist, que les hommes croiront heureux jusqu’à le prendre pour un Dieu.
Mais la suite du psaume va nous montrer combien cette colère de Dieu est
redoutable.
23. « Dieu n’est point en sa présence ses
voies sont toujours souillées (Id. 5)».
Celui qui a goûté les vrais plaisirs et les joies de l’âme, comprend combien il
est malheureux d’être privé de la lumière de la vérité. Si la privation des
yeux du corps, qui nous dérobe cette lumière du jour, est regardée comme une
grande calamité parmi les hommes, quel ne sera point le malheur d’un homme qui
prospère dans ses péchés, jusqu’à n’avoir plus Dieu en sa présence, et ne
marche que dans des voies souillées, c’est-à-dire que ses pensées et ses
desseins sont criminels? « Vos jugements ne sont plus rien à ses yeux ». L’âme
qui a conscience de sa culpabilité, et qui ne se voit point châtiée, s’imagine
que Dieu ne la juge point; et ainsi les jugements du Seigneur ne sont plus
devant ses yeux, ce qui est pour elle une terrible damnation. « Il se rendra
maître de ses ennemis (Ps. IX, 5) ».
Car on croit qu’il vaincra tous les rois, et régnera seul sur la terre; et même
saint Paul qui nous l’annonce, va jusqu’à dire: « Il s’assoira dans le temple
de Dieu, et s’élèvera au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu, et adoré (II Thess. II, 4) ».
24. Et comme il est livré aux convoitises de
son coeur, et destiné aux dernières vengeances, voilà que par de criminels
artifices il va s’élever au comble de cette gloire vaine et futile, et à la
domination. De là vient que le Prophète ajoute: « Il a dit dans son coeur: A
moins de faire le mal, je ne passerai point de race en race (Ps. IX, 6) », c’est-à-dire, mon nom et
ma gloire ne s’en iront pas d’âge en âge à la postérité, si la ruse du mal ne
me fait acquérir une telle domination que les siècles futurs ne puissent en
garder le silence. Car l’esprit pervers qui ne connaît pas le bien, qui est
étranger aux lumières de la justice, cherche par des actions criminelles à se
frayer le chemin d’une renommée si éclatante, qu’elle retentisse dans les
siècles. Et ceux qui ne peuvent se signaler par le bien, veulent au moins se
rendre fameux par le crime, et répandre au loin leur renommée. Tel est, je
crois, le sens de ces paroles: « Ce n’est que par le mal que je passerai de
génération en génération ». On peut encore appliquer ces paroles à l’homme dont
l’esprit vain et plein d’erreur ne croit pouvoir passer de cette vie mortelle à
la vie éternelle que par la voie du crime C’est ce qui est rapporté de Simon (Act. VIII, 9, 23), qui croyait pouvoir
s’élever au ciel par les coupables artifices de la magie, et passer de la
nature humaine à la nature divine. Faut-il s’étonner maintenant que cet homme
de péché, qui doit personnifier en lui-même toute la malice et toute l’impiété,
dont tous les faux prophètes n’ont donné que l’ébauche, qui aura le don des
miracles au point de séduire les justes, s’il était possible, aille jusqu’à
dire en son cœur: « Je ne puis que par le mal être fameux d’âge en âge? »
25. « Sa bouche est pleine de blasphèmes,
d’amertume et de fourberie (Ps. IX, 7)
» C’est en effet (169) un horrible blasphème, que d’aspirer au ciel par d’aussi
coupables artifices, et de prétendre à la vie éternelle, avec de semblables
mérites. Aussi n’est-ce que sa bouche qui est pleine de ce blasphème; car sa
prétention ne peut aboutir, et ne demeurera dans sa bouche que pour sa
perdition, de lui qui osait bien se promettre le ciel au moyen de cette
amertume et de cette fourberie, c’est-à-dire au moyen de cette exaltation, et
de ces embûches qui lui gagnaient la foule. « Sous sa langue est le travail et
la douleur ». Nul travail n’est plus pénible que l’injustice et l’impiété; et
ce travail engendre la douleur, parce qu’il est non seulement sans profit, mais
encore nuisible. Travail et douleur qui caractérisent ce langage: « Ce n’est
que par le mal que je puis passer d’âge en âge ». Aussi est-il dit que cela est
« sous sa langue», et non dans sa langue, parce qu’il renfermera ces pensées
dans l’intérieur de son âme, et tiendra aux hommes un tout autre langage, afin
qu’on le regarde comme le champion du bien et de la justice, et même comme le
Fils de Dieu.
26. « Il se met en embuscade avec les riches
(Ps. IX, 8) ». Quels riches, sinon
ceux qu’il comblera des biens de ce monde? Il se mettra donc, est-il dit, en
embuscade avec eux, parce qu’il fera ostentation de leur faux bonheur pour
tromper les hommes; et ceux-ci, pris du désir, fatal d’acquérir de semblables
richesses, négligent les biens éternels et tombent ainsi dans ses piéges. « Il
veut tuer l’innocent dans l’obscurité (Id.
9) ». Par « obscurité » il entend, je crois, l’état de l’âme qui discerne à
peine ce qu’il faut désirer, de ce qu’il faut fuir; et tuer l’innocent, c’est
amener au péché celui qui était sans tache.
27. « Ses yeux sont en arrêt sur le pauvre ».
Car il s’attache principalement à poursuivre les justes, dont il est dit: «
Bienheureux ceux qui sont pauvres de gré, car le royaume des cieux leur
appartient (Matt. V, 3). Il les «
épie en secret, comme le lion en sa bauge ». Il appelle lion dans sa bauge,
celui qui emploie la violence et l’artifice. La première persécution de
l’Eglise fut violente, car alors on contraignait les chrétiens à sacrifier, par
la proscription, les tourments et la mort l’autre persécution soulevée par les
hérétiques et les faux frères, et qui dure encore, est caractérisée par
l’artifice; la troisième et la plus dangereuse sera celle de l’antéchrist, qui
sera caractérisée par l’artifice et par la violence. Il aura la force par
l’empire, et l’artifice de la séduction par les prodiges. La violence est
précisée par cette expression, « dans sa bauge ». Les paroles suivantes nous
expriment le même sens, mais dans l’ordre inverse: « Il tend des embûches pour
enlever le pauvre ». Voilà bien la ruse; et « pour le ravir après l’avoir
attiré », marque la violence; car « l’attirer » nous montre qu’à force de le
tourmenter, il parvient à s’assujettir l’homme pauvre.
28. La suite répète encore ce qui vient
d’être dit: « Il l’humiliera dans un piég », c’est la ruse. « Il s’inclinera et
tombera, quand il aura les pauvres sous sa domination (Ps. IX, 10) », c’est la violence. Le piège désigne bien les
fourberies, et la domination indique évidemment la terreur. « Il humiliera donc
le pauvre dans son piége », dit avec raison le Prophète; car plus paraîtront
merveilleux les signes qu’il entreprendra d’opérer, et plus les saints d’alors
seront méprisés, et tomberont dans l’opprobre; et comme ils doivent lui
résister dans leur innocence et leur justice, il passera pour les avoir vaincus
par l’éclat de ses prodiges. Mais à son tour « il s’inclinera et tombera, après
les avoir dominés», c’est-à-dire, quand il aura tourmenté par toutes sortes de
supplices les serviteurs de Dieu qui lui résisteront.
29. Mais pourquoi sera-t-il abaissé jusqu’à
tomber? C’est qu’ « il a dit dans son cœur: Dieu a tout oublié, il a détourné
sa face pour ne rien voir à jamais (Id.
11)». C’est pour l’esprit humain un abaissement et une chute effroyable, de
trouver sa félicité dans le crime, et de croire à son pardon, quand il est
frappé d’aveuglement, et réservé pour cette dernière et exemplaire vengeance
marquée par le Prophète qui s’écrie: « Levez-vous, Seigneur, mon Dieu, étendez
votre main (Id. 12) »: c’est-à-dire,
manifestez votre puissance. Il avait dit plus haut: « Levez-vous, Seigneur, et
que l’homme ne s’affermisse point, que les peuples soient jugés en votre
présence (Psal. Prim. IX, 20) »,
c’est-à-dire, dans ce secret que Dieu seul peut pénétrer. C’est ce qui est
arrivé quand l’impie est parvenu à ce que les hommes regardent comme un grand
bonheur, et que Dieu les a soumis à un législateur, tel qu’ils le (170)
méritaient, et dont il est dit: « Etablissez sur eux un législateur, et que ces
peuples sachent bien qu’ils sont des hommes (Psal. Secun. IX, 14) ». Et après ce châtiment juste et secret, il
est dit: « Levez-vous, Seigneur, ô mon Dieu, étendez votre main », non plus
dans le secret, mais dans la splendeur de votre gloire. «N’oubliez point à
jamais les opprimés», comme l’imagine l’impie qui dit: « Le Seigneur a tout
oublié; il a détourné sa tête pour ne rien voir à jamais (Psal. Secun. IX, 11). » Car c’est bien nier que Dieu voie à jamais,
ou jusqu’à la fin, que dire qu’il ne prend aucun soin des actions des hommes
sur la terre. La terre est, en effet, la fin des choses, comme le dernier des
éléments, où les hommes travaillent dans un ordre admirable, mais ordre qui
leur échappe dans leurs travaux, car il appartient aux secrets du Fils. Donc,
au milieu du labeur pénible d’ici-bas, l’Eglise, comme un navire au milieu des
flots et des tempêtes, semble éveiller le Seigneur qui dort, afin qu’il
commande aux vents déchaînés et ramène le calme. « Levez-vous, Seigneur, mon
Dieu, lui dit-elle, étendez votre main, et n’oubliez point les pauvres sur la
terre».
30. La connaissance du dernier jugement nous
a fait dire avec joie: «Pourquoi l’impie a-t-il irrité le Seigneur (Id. 13)? » De quoi lui a servi de
commettre ces forfaits? « Il disait dans son coeur: Dieu ne les recherchera
point. Vous le voyez, Seigneur», poursuit le Prophète, « mais vous considérez
le travail et la colère, pour les livrer entre vos mains (Id. 14)». Prononçons bien ces paroles pour en voir le sens; une
fausse prononciation nous amène l’obscurité. L’impie a dit dans son coeur:
«Dieu ne recherchera point les crimes », comme si le Seigneur voyant ce qu’il
lui en coûtera de labeur et de peine pour les faire tomber entre ses mains, et
dédaignant le labeur comme la colère, pardonne à ces impies, pour ne point
prendre la peine de les châtier, ni se troubler par la colère. C’est ce qui
arrive souvent aux hommes, qui dissimulent plutôt que de châtier, afin de
s’épargner la peine de la colère.
31. « C’est à vous que le pauvre abandonne sa
défense (Ibid.) ». Car il n’est
pauvre, ou plutôt il n’a méprisé tous les biens passagers de cette vie que pour
mettre en vous seul son espoir. « Vous serez le protecteur de l’orphelin (Psal. secun. IX, 14) c’est-à-dire de
celui pour qui le monde est mort, ce monde qui était son père, qui l’avait
engendré selon la chair, de celui qui peut dire: « Le monde est crucifié pour
moi, et moi pour le monde (Gal. IX, 14)
». Dieu devient un père à de tels orphelins; et le Sauveur enseigne à ses
disciples à le devenir, quand il dit: « N’appelez ici-bas personne votre père (Matt. XXIII, 9)». Lui-même en donne
l’exemple tout le premier, en disant: « Quelle est ma mère, ou quels sont mes
frères (Id. XII, 48)? » C’est de là
que certains hérétiques très-dangereux ont avoué qu’ils n’avaient pas de mère;
ils n’ont point vu qu’en prenant ces paroles à la lettre, les disciples
n’auraient point eu de pères. Car s’il dit lui-même: « Quelle est ma mère? » il
leur donnait cet enseignement: « N’appelez ici-bas personne votre père ».
32. « Brisez le bras de l’impie et du méchant
(Ps. IX, 15), de cet homme dont il
est dit plus haut, qu’il se rendra maître de tous ses ennemis. Son bras, c’est
sa puissance, à laquelle est opposée cette puissance du Christ, dont le
Prophète a dit: « Levez-vous, Seigneur, mon Dieu, étendez votre main (Id. 5). On recherchera son péché; mais
lui, ne reparaîtra plus » à cause de ce péché; c’est-à-dire, on le jugera sur
ses crimes, et ces crimes l’auront fait disparaître. Alors qu’y a-t-il
d’étonnant dans les paroles suivantes: « Le Seigneur sera roi des siècles et de
l’éternité; nations, vous serez retranchées de la terre qui lui appartient (Id. 16)?» Il désigne.par nations, les
pécheurs et les impies.
33. « Le Seigneur a exaucé le désir des
pauvres (Id. 17) ». Ce désir dont ils
étaient embrasés, quand au milieu des angoisses et des tribulations, ils
soupiraient après le jour du Seigneur: « Votre oreille, ô Dieu, a entendu que
leur coeur était prêt ». Cette préparation du coeur est celle que le Prophète a
chantée dans un autre Psaume: « Mon cœur est préparé, ô Dieu, mon coeur est
préparé (Id. LVI, 8) »; et dont saint
Paul dit: « Si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons par la
patience (Rom. VI, 25) ». Par
l’oreille de Dieu, nous ne devons rien entendre de corporel, mais cette
puissance qui le porte à nous exaucer: et pour ne plus revenir à ce sujet,
(171) quand l’Ecriture attribue à Dieu ces membres qui sont en nous visibles et
corporels, nous devons entendre sa puissance d’action. Car il ne faut rien voir
ici de corporel, quand Dieu écoute, non plus le son de la voix, mais la
préparation du coeur.
34. « Vous rendrez justice à l’orphelin et au
pauvre (Ps. IX, 18)»; c’est-à-dire à
celui qui ne se conforme pas au monde, et qui n’est point superbe. Juger
l’orphelin, n’est pas rendre justice à l’orphelin. On juge l’orphelin même en
le condamnant, maison lui rend justice quand on prononce en sa faveur. «Afin
que l’homme ne cherche plus à s’agrandir sur la terre (Ibid.) ». Car ce sont des hommes ceux dont il est dit: « Seigneur,
élevez au-dessus d’eux un législateur, afin que les peuples sachent bien qu’ils
sont des hommes (Ps. Prim. IX, 21) ».
Mais celui qu’il est question d’élever en cet endroit sera un homme aussi, et
c’est de lui qu’il est dit «Afin que l’homme renonce à s’agrandir sur la terre
». Ce qui arrivera quand le Fils de l’homme viendra juger cet orphelin qui
s’est dépouillé du vieil homme et qui a ainsi comme exalté son Père.
35. Les secrets du Fils dont il est beaucoup
parlé dans ce Psaume, seront suivis des manifestations de ce même Fils, dont il
est quelque peu fait mention à la fin. Mais le sujet indiqué par le titre, en
occupe la principale partie. On peut même ranger parmi les secrets du Fils le
jour de son avènement, quoique sa présence doive être manifestée pour tous. Car
il est dit de ce jour qu’il n’est connu de personne, ni des Anges, ni des
Vertus, ni même du Fils de l’homme (Matt.
XXIV, 36). Or, quel secret est plus impénétrable que celui que l’on dit
être dérobé au juge même, non qu’il l’ignore, mais parce qu’il ne doit point le
révéler? Si toutefois quelqu’un veut attribuer ces secrets du Fils, non plus au
Fils de Dieu, mais au Fils de David même, dont tout le psautier porte le nom,
car tous les Psaumes sont appelés Psaumes de David, qu’il écoute ces paroles
adressées à Notre Seigneur: « Fils de David, ayez pitié de nous (Matt. XX, 30) », et qu’il reconnaisse ce
même Seigneur Jésus-Christ dont les secrets ont inspiré le titre du Psaume. Il
en est de même de ces paroles de l’Ange: « Dieu lui donnera le trône de David
son père (Luc, I, 32) ». Cette
interprétation n’est point démentie par cette question du Christ aux Juifs: «
Si le Christ est Fils de David, comment David inspiré de l’Esprit-Saint,
l’appelle-t-il son Seigneur, en disant: Le Seigneur a dit à mon Seigneur:
Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que j’abatte vos ennemis à vos pieds (Matt. XXII, 11; Ps. CIX, 1)?» Cette
parole s’adressait à des hommes ineptes qui, dans le Christ dont ils
attendaient l’arrivée, ne voyaient qu’un homme, et non point la puissance et la
sagesse de Dieu. Dieu donc les formait à croire selon la vérité la plus pure,
que le Christ est le Seigneur de David, puisqu’il était au commencement le Verbe,
Dieu en Dieu, par qui tout a été fait; qu’il est aussi le fils de David,
puisque selon la chair il est né de la race de David, Le Seigneur ne dit pas
que le Christ n’est point fils de David; mais bien: Si vous êtes certain qu’il
est son fils, apprenez encore qu’il est son Seigneur; ne vous arrêtez pas à
voir dans le Christ sa qualité de fils de l’homme, ce qui fait qu’il est fils
de David, pour abandonner sa qualité de Fils de Dieu qui le rend Seigneur de
David. (172)
L’âme catholique et fidèle répond aux invitations de l’hérésie, que sa
confiance est dans le Seigneur et non dans les hommes, tandis que l’hérésie se
confie dans les mérites du ministre des sacrements. Le Seigneur, par une même
parole, aveugle les méchants et sauve les justes.
POUR LA FIN, PSAUME POUR DAVID (Ps. X, 1).
1. Ce titre n’a pas besoin d’être expliqué de
nouveau, nous avons exposé suffisamment le sens de cette expression: « In finem, pour la fin ». Voyons donc le
texte du psaume, qui me parait un chant contre les hérétiques. Ceux-ci, en
effet, rappelant sans cesse avec exagération les fautes de plusieurs membres de
l’Eglise, comme si, dans leurs sectes, tous les membres, ou du moins le plus
grand nombre, étaient des justes, s’efforcent de nous détourner et de nous
arracher des mamelles de l’Eglise, unique et véritable mère. Ils affirment que
le Christ est parmi eux; ils affectent de nous avertir, par intérêt pour nous
et par charité, de passer dans leur parti pour y trouver Jésus-Christ, qu’ils
se vantent faussement de posséder. On sait que dans ces dénominations
allégoriques données par les Prophètes à Jésus-Christ, se trouve aussi celle de
Montagne. Il faut donc répondre à l’hérésie en loi disant: « Ma confiance est
dans le Seigneur; comment dites-vous à mon âme: Va sur la montagne, comme un
passereau (Id. 2)?» Il n’est qu’une
seule montagne en qui j’aie mis mon espoir; pourquoi me dire d’aller à vous,
comme s’il y avait plusieurs Christs? Et si, dans votre orgueil, vous prétendez
être cette montagne, j’avoue que je dois être ce passereau, et que mes ailes
sont les forces et les préceptes de Dieu; mais ces ailes m’empêchent de voler
vers de semblables montagnes, et de reposer mon espoir en des hommes
orgueilleux. J’ai un nid où je puis reposer, puisque ma confiance est dans le
Seigneur. Car le passereau trouve une demeure (Ps. LXXXIII, 4), et le Seigneur est un refuge pour le pauvre (Ps. IX, 10). Ainsi, de peur qu’en cherchant
le Christ chez les hérétiques, nous ne le perdions réellement, chantons avec la
plus entière confiance: « Ma confiance est dans le Seigneur; comment dites-vous
à mon âme: Va sur la montagne comme le passereau? »
2. « Voilà que les pécheurs ont bandé l’arc,
ils ont rempli de flèches leur carquois, afin de tirer, dans l’obscurité de la
lune, sur ceux qui ont le coeur droit (Ps.
X, 3) ». Vaines terreurs de ceux qui nous menacent de la colère des
pécheurs, pour nous pousser dans leur parti, comme dans celui des justes. «
Voilà », disent-ils, « que les pécheurs ont bandé l’arc». Cet arc me paraît
être l’Ecriture, qu’ils interprètent dans un sens charnel, et qui ne leur
fournit alors que des maximes empoisonnées. « Ils ont préparé leurs flèches
dans leur carquois »; c’est-à-dire, qu’ils ont préparé dans leurs coeurs, ces
paroles qu’ils doivent nous lancer avec l’autorité des saintes Ecritures. «
Afin de tirer sur l’innocent dans l’obscurité de la lune »; c’est-à-dire,
qu’ils ont cru que la foule des hommes ignorants et charnels avait obscurci la
lumière de l’Eglise, et qu’eux-mêmes ne pourraient être convaincus; ainsi ils
corrompent les bonnes moeurs par des discours pervers (Ps. X, 3). Mais à toutes ces terreurs nous répondrons: « Ma
confiance est dans le Seigneur (I Cor.
XV, 33) ».
3. J’ai promis (Ci-dessus, Ps. VIII, n. 9), il m’en souvient, de considérer dans ce
psaume comment la lune est une figure convenable de l’Eglise. Il y a deux
opinions probables au sujet de la lune: savoir quelle est la véritable, c’est
là ce qui est, selon moi, sinon impossible, du moins très difficile aux hommes.
Si vous demandez d’où vient à la lune sa lumière, les uns répondent qu’elle a
une lumière qui lui est propre, mais que son globe est moitié lumineux et
moitié (173) obscur, et qu’ainsi,
dans sa révolution, la partie lumineuse se tourne peu à peu vers la terre, et
devient visible; c’est pourquoi elle nous apparaît d’abord comme un croissant.
Car si vous prenez une sphère à moitié blanche, et à moitié noire, et que vous
mettiez sous les yeux la partie noire, vous ne verrez rien de blanc, mais
ensuite, commencez à tourner vers vous le côté blanc, et faites-le peu à peu,
vous verrez cette face blanche apparaître d’abord comme un croissant, puis se
développer peu à peu, jusqu’à ce que la face blanche vous apparaisse
complètement, et ne laisse rien voir d’obscur. Continuez encore la révolution
de votre sphère, et peu à peu la partie obscure se montrera, tandis que la
partie blanche ira en diminuant, jusqu’à ce qu’elle redevienne un croissant,
pour échapper bientôt à la vue, et ne laisser sous vos yeux que la partie
obscure; c’est ce qui a lieu, nous dit-on, quand la lumière de la lune va
toujours en augmentant jusqu’au quinzième jour, puis diminue jusqu’au
trentième, redevient un croissant, puis bientôt nous dérobe complètement sa
lumière. Dans cette opinion, la lune pourrait être la figure allégorique de
l’Eglise, qui brille dans sa partie spirituelle, tandis qu’elle est obscure
dans ses membres charnels; et souvent ses oeuvres spirituelles la signalent aux
hommes; souvent aussi ce côté spirituel se réfugie dans la conscience, où Dieu
seul peut le voir, et ne laisse voir aux hommes que la face corporelle, comme
il arrive quand nous prions intérieurement, sans aucune apparence extérieure,
alors que nos coeurs ne sont plus à la terre, mais élevés à Dieu, selon qu’il
nous est recommandé.
D’autres disent que la lune n’a point une
lumière qui lui soit propre, et qu’elle la reçoit du soleil; que quand elle est
en face du soleil, elle nous présente le côté qui n’est point éclairé, et
paraît ainsi sans lumière; mais qu’à mesure qu’elle s’éloigne du soleil, cette
partie même qu’elle présentait à la terre est illuminée; elle commence
nécessairement comme un croissant, jusqu’au quinzième jour, qu’elle est
complètement opposée au soleil: c’est alors qu’elle se lève quand le soleil se
couche; de sorte qu’un homme qui observerait le coucher du soleil, pourrait
aussitôt qu’il le perd de vue, se tourner vers l’orient, et verrait la lune à
son lever. Mais à mesure que la lune tend à se rapprocher du soleil, elle nous
montre peu à peu sa face obscure, puis redevient un croissant, pour disparaître
totalement; car alors sa partie lumineuse est toute vers le ciel, tandis
qu’elle ne montre à la terre que la face que le soleil ne saurait éclairer.
Dans cette seconde opinion, la lune serait la figure de l’Eglise qui n’a point
une lumière propre, car sa lumière lui vient de ce Fils unique de Dieu, appelé
souvent dans les saintes Ecritures, Soleil de justice. Incapable de connaître
et de voir ce Soleil invisible, certains hérétiques s’efforcent d’attirer les
esprits simples et sensuels, au culte de ce soleil visible et corporel, qui
éclaire les yeux des mouches aussi bien que les yeux corporels des hommes. Ils parviennent
même à entraîner ceux qui, dans leur impuissance de découvrir des yeux de l’âme
la lumière intérieure de la vérité, ne peuvent se con-tenter de la simplicité
de la foi catholique; et pourtant il n’y a pour les faibles que ce moyen de
salut, que ce lait qui puisse les fortifier et les rendre capables d’une plus
solide nourriture. De ces deux opinions, quelle que soit la vraie, le nom
allégorique de la lune convient parfaitement à l’Eglise. Toutefois, s’il nous
répugne de nous engager dans ces obscurités plus pénibles qu’elles ne sont
utiles, ou si le temps nous manque, ou même si notre esprit s’y refuse, il peut
nous suffire de regarder la lune avec le peuple, et sans en rechercher
péniblement les raisons, de voir avec tout le monde qu’elle croît, qu’elle
arrive à son plein, pour décroître ensuite. Et si elle ne disparaît que pour
revenir encore, elle devient pour la multitude la moins exercée la figure de
l’Eglise, dans laquelle on croit à la résurrection des morts.
4. Examinons ensuite pourquoi, dans ce
psaume, il est parlé de « lune obscure » qui sert aux pécheurs pour décocher
leurs flèches sur les coeurs droits. Car on peut dire de plusieurs manières que
la lune est obscurcie; elle l’est à la fin de sa révolution mensuelle, puis
quand un nuage nous dérobe sa lumière, puis quand elle s’éclipse totalement.
Nous pouvons dire alors que les persécuteurs des martyrs ont voulu décocher
leurs flèches sur les coeurs droits, pendant l’obscurité de la lune; soit que
l’Eglise naissante n’ait pas encore jeté sur la terre tout son éclat, ni
dissipé les ténébreuses superstitions du paganisme; soit que les blasphèmes et
les (174) calomnies contre le nom chrétien aient enveloppé la terre comme d’un
nuage et rendu invisible la lune ou l’Eglise; soit que tant de martyrs égorgés
et tant de sang répandu, aient détourné du nom chrétien les âmes faibles, en
couvrant l’Eglise d’un voile sanglant, comme celui qui paraît quelquefois sur
la lune et qui l’obscurcit; dans ces jours de terreur, les impies décochaient
comme autant de flèches, ces paroles artificieuses et sacrilèges, qui
pervertissaient même les coeurs purs. On peut encore entendre ce passage, des
pécheurs qui sont dans l’Eglise, qui ont saisi l’occasion d’un obscurcissement
de la lune, pour commettre les forfaits que nous reprochent maintenant les
hérétiques, accusés d’en être les auteurs. Mais quelle que soit la. source des
crimes commis pendant l’obscurité de la lune, maintenant que la religion
catholique est répandue et respectée dans tout l’univers catholique, pourquoi
m’inquiéter de faits que j’ignore? Ma confiance est au Seigneur, et loin de
moi, « ceux qui disent à mon âme: Va, chétif passereau, vers les montagnes. Car
voilà que les pécheurs ont préparé leur arc pour décocher leurs flèches sur les
coeurs droits, dans l’obscurité de la lune ». Et cette lune leur paraît encore
obscure, parce qu’ils s’efforcent de jeter l’incertitude sur la véritable
Eglise catholique, et qu’ils arguent contre elle des fautes de ces hommes
charnels qu’elle contient en grand nombre. Qu’est-ce que ces tentatives, pour
celui qui dit véritablement: Ma confiance est dans le Seigneur, qui montre par
ce langage qu’il est le froment de Dieu, et qu’il supporte la paille avec
patience, jusqu’à ce que viendra le temps de la vanner?
5. « Ma confiance est donc au Seigneur ». Que
ceux-là tremblent qui mettent leur confiance dans un homme, et qui ne peuvent
nier qu’ils lui appartiennent, puisqu’ils jurent sur ses cheveux blancs.; et si
vous leur demandez en conversation à quelle communion ils appartiennent, ils ne
peuvent se faire connaître qu’en se proclamant de son parti. Mais dites-moi ce
qu’ils peuvent répondre, quand on leur représente ces crimes, ces forfaits
innombrables qui remplissent chaque jour leur parti? Peuvent-ils dire: « Ma confiance
est au Seigneur; et comment dites-vous à mon âme de se réfugier dans les
montagnes comme le passereau? » Car ils n’ont plus confiance dans le Seigneur,
en soutenant que les sacrements ne sanctifient que quand ils sont administrés
par des hommes saints? Aussi, demandez-leur quels sont les saints, ils
rougiront de dire: C’est nous; et s’ils ne rougissent de le dire, ceux qui les
entendront, rougiront pour eux. Ils forcent donc ceux qui reçoivent les
sacrements, à mettre leur confiance dans un homme, dont le coeur échappe à nos
yeux. Or, « maudit soit celui qui met son espoir dans un homme (Jér. XVII, 5)». Dire en effet: C’est ce
qui est administré par moi, qui est saint, n’est-ce pas dire: Mettez votre
espérance en moi? Mais que sera ce sacrement si vous n’êtes pas saint? Alors
montrez-moi votre coeur. Et si vous ne le pouvez, comment saurai-je que vous
êtes saint? Alléguerez-vous ce passage de l’Ecriture: « Vous les connaîtrez à
leurs œuvres (Matt. VII, 16)?»
Assurément, je vois chez vous des oeuvres merveilleuses; je vois chaque jour
les Circoncellions courir ça et là sous la conduite de leurs évêques et de
leurs prêtres, et donner le nom d’Israël à de terribles bâtons; c’est là ce que
les hommes de nos jours ne voient et n’éprouvent que trop. Quant aux actes du
temps de Macaire, qu’ils nous reprochent amèrement, peu les ont vus, nul ne les
voit maintenant; et quand on les voyait, tout catholique n’en pouvait pas moins
dire, s’il voulait être serviteur de Dieu: « Ma confiance est dans le Seigneur
». C’est le langage que tient encore celui qui voit dans l’Eglise ce qu’il
voudrait n’y point voir, qui se sent nager dans ces filets pleins de poissons,
bons et mauvais, jusqu’à ce que l’on arrive sur les sables de la mer, pour
séparer les bons des mauvais (Id. XIII,
47). Que peuvent répondre ces hérétiques, si l’homme qu’ils veulent
baptiser leur fait cette question: Comment m’ordonnez-vous d’avoir confiance?
Car si le mérite d’un sacrement est basé sur celui qui le donne et sur celui
qui le reçoit, si c’est Dieu qui le donne et ma conscience qui le reçoit, voilà
deux termes dont j’ai la certitude, sa bonté, et ma foi. Pourquoi venir vous
interposer, vous dont je ne puis tirer, aucune certitude? Laissez-moi chanter:
« Ma confiance est dans le Seigneur ». Car si je mettais ma confiance en vous,
qui peut me garantir que vous n’avez commis aucune faute cette nuit? Enfin, si
vous voulez que j’aie confiance en vous, puis-je avoir d’autre motif que votre
parole? (175)
Mais alors quelle confiance puis-je avoir,
que ceux qui étaient hier en communion avec vous, qui communiquent aujourd’hui,
qui communiqueront demain, n’auront commis aucune faute, après ces trois jours?
Et si ni vous ni moi ne sommes souillés par ce que nous ignorons, pourquoi
rebaptisez-vous ceux qui n’ont rien connu de la trahison de Macaire ni de ses
persécutions? Et ces chrétiens qui viennent de la Mésopotamie, qui ne savent le
nom ni de Cécilien ni de Donat, comment osez-vous les rebaptiser, et nier
qu’ils soient chrétiens? S’ils sont souillés par les péchés des autres, vous
aussi, vous êtes sous le poids des crimes qui se commettent chaque jour, à
votre insu, dans votre parti; et c’est en vain que vous objectez aux
catholiques les décrets impériaux, vous qui sévissez dans votre camp avec les
bâtons et les flammes. Tel est donc l’abîme où sont tombés ceux qui, voyant les
désordres dans l’Eglise catholique, n’ont pu dire: « Ma confiance est au
Seigneur n, et qui ont mis leur espoir dans les hommes. Ils l’auraient dit sans
doute, s’ils n’eussent été les uns ou les autres tels qu’ils croyaient ceux
dont ils ont feint de se séparer par un sacrilège orgueil.
6. Que l’âme catholique s’écrie donc: « Ma
confiance est au Seigneur; comment osez-vous me dire: Passereau, va dans les
montagnes? car voilà que les pécheurs ont bandé leur arc, ils ont rempli de
flèches leur carquois, pour les décocher sur les justes durant une lune
obscure». Puis, de ces pécheurs, s’élevant à Dieu, qu’elle dise: « Voilà qu’ils
ont détruit ce que vous aviez rendu parfait (Ps. X, 4)». Et qu’elle tienne ce langage, non seulement contre ceux
dont nous parlons, mais contre tous les hérétiques. Car tous, autant qu’il est
en eux, ont détruit cette louange parfaite que Dieu a tirée de la bouche des
enfants nouveau-nés et à la mamelle (Id.
VIII, 3), quand, par de vaines et pointilleuses questions, ils tourmentent
les faibles et ne les laissent point s’alimenter du lait de la foi. Et comme si
l’on disait à cette âme: Pourquoi vous outils engagée à passer dans les
montagnes comme le passereau; pourquoi vous effrayer au sujet des pécheurs qui
ont bandé leur arc, pour percer les coeurs droits dans l’obscurité de la lune?
la voilà qui répond: Ce qui m’effraie, c’est « qu’ils ont détruit ce que vous
aviez rendu parfait ». Où l’ont-ils détruit, sinon dans leurs conciliabules, où
loin de donner du lait aux faibles et à ceux qui ne con naissent point la
lumière intérieure, ils les tuent de leurs poisons? « Mais le juste, qu’a-t-il
fait? » Si Macaire et Cécilien sont coupables envers vous, que vous a fait le
Christ qui a dit: « Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix (Jean, XIX, 27) »; cette paix que vous
violez par le schisme le plus criminel? Que vous a fait le Christ, qui déploya
tant de patience envers le disciple qui le trahissait, jusqu’à l’admettre à cette
première Eucharistie qu’il consacrait de ses mains, qu’il instituait de sa
parole, et qu’il lui présenta comme aux autres Apôtres (Luc, XXII, 19, 21)? Que vous a fait le Christ, qui donna mission de
prêcher le royaume de Dieu à ce même traître qu’il avait appelé un démon (Jean, VI, 71), qui même avant de trahir
le Seigneur, ne put en garder fidèlement les deniers (Id. XII, 6), et qu’il envoya néanmoins avec les autres disciples (Matt. X, 5) », pour nous apprendre que
les dons de Dieu arrivent en ceux qui les reçoivent avec foi, quand même le
ministre qui les distribue serait semblable à Judas?
7. « Le Seigneur habite son saint temple (Ps. X, 5). C’est dans ce sens que
l’Apôtre a dit: « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple.
Quiconque ose violer le temple de Dieu, Dieu le perdra (I Cor. III, 17) ». Or, c’est violer le temple de Dieu que d’en
rompre l’unité, c’est ne plus être dans l’union avec cette tête (Coloss. II, 19) dont tout le corps
soutenu par ses liens et ses jointures avec une si juste proportion, reçoit
l’accroissement dans la mesure qui est propre à chacun de ses membres, et se
forme par la charité (Eph. IV, 16).
Le Seigneur est donc dans ce temple formé de plusieurs membres, qui ont chacun
leurs fonctions, et qui sont reliés par la charité, en un seul édifice. C’est
violer ce temple, que se séparer de l’unité catholique, pour chercher ailleurs
la dignité d’un chef. « Le Seigneur habite son temple saint, le Seigneur a son
trône dans le ciel (Ps. X, 5) » Si
parte ciel vous entendez le juste, comme la terre nous désigne le pécheur,
ainsi qu’il est dit: « Tu es terre, et tu retourneras en terre (Gen. III, 19), ces expressions: « Le
Seigneur a son trône dans le ciel », sont une répétition de ce qui a été dit: «
Le Seigneur habite son saint temple».
8. « Ses yeux regardent le ciel ». C’est à
lui que le pauvre s’abandonne, et il lui sert de refuge (Ps. X, 10). C’est pourquoi toutes ces séditions, tous ces troubles
que l’on soulève dans les filets jusqu’à ce qu’ils arrivent sur le rivage, ont
pour auteurs des hommes qui refusent d’être les pauvres de Jésus-Christ; et
c’est à leur perte, mais pour notre amendement, que les hérétiques prennent de
ces troubles occasion de nous insulter. Mais pourront-ils détourner les regards
de Dieu de ceux qui veulent bien être pauvres pour lui? « Car ses yeux
regardent le pauvre ». Avons-nous à craindre que dans la foule nombreuse des
riches, il ne puisse discerner ces quelques pauvres, pour les conserver et les
nourrir dans le giron de l’Eglise catholique? « Ses paupières interrogent les
«enfants des hommes (Id. 5) ». Selon
la règle que nous avons posée, j’entendrais volontiers par ces « enfants des
hommes » ceux que la foi a fait passer du vieil homme à l’homme nouveau. Car
l’oeil de Dieu paraît se fermer pour eux, quand certains passages des Ecritures
les stimulent par leur obscurité à en rechercher le sens; comme il semble
s’ouvrir quand ils reçoivent avec joie la lumière de passages plus clairs. Or,
ces vérités des livres saints, tantôt claires et tantôt voilées, sont comme les
paupières de Dieu qui interrogent, ou plutôt qui approuvent ces enfants des
hommes stimulés plutôt que lassés par les obscurités, affermis plutôt
qu’enorgueillis par la découverte.
9. « Le Seigneur interroge le juste et
l’impie (Id. 6)». Et quand il
interroge ainsi le juste et l’impie, quel mal pouvons-nous craindre de la part
des impies qui pourraient être, avec des coeurs peu sincères, en communion de
sacrements avec nous? « Mais celui qui aime l’iniquité nuit à son âme(Ibid.). Ce n’est donc point à celui qui
a mis sa confiance en Dieu, et qui n’espère point dans les hommes, c’est à son
âme seulement que nuit celui qui aime le péché.
10. « Il fera tomber des piéges sur les
pécheurs (Id. 7) ». Si l’on désigne
sous le nom de nuages les Prophètes en général, soit les bons soit les mauvais
appelés aussi faux prophètes (Matt. XXIV,
24), les faux prophètes sont destinés parle Seigneur à devenir des piéges
qu’il fait tomber sur les pécheurs. Car il n’y a pour les suivre, que le
pécheur, qui se prépare ainsi le dernier supplice, s’il persévère dans le
crime, ou qui abjure son orgueil, s’il cherche un jour le Seigneur avec plus de
sincérité. Mais si les nuées ne doivent désigner que les bons, les vrais
prophètes, il est encore évident que leurs paroles, entre les mains de Dieu,
sont des piéges pour les pécheurs, en même temps qu’une rosée qu’il répand sur
les justes pour leur faire porter de bons fruits. « Aux uns», dit l’Apôtre, «
nous sommes une odeur de vie pour la vie, aux autres, une odeur de mort pour la
mort (II Cor. II, 16) ». Car on peut,
sous le nom de nuages, désigner non seulement l’Apôtre, mais quiconque donne
aux âmes la rosée de la parole de Dieu. Pour celui qui comprend mal ces
paroles, c’est le piége que Dieu fait tomber sur les méchants; et pour celui
qui les entend dans le vrai sens, c’est la rosée qui féconde les coeurs pieux
et fidèles. Cette parole de l’Ecriture, par exemple: « Ils seront deux dans une
même chair (Gen. II, 24) », peut
devenir un piége pour celui qui l’interprète dans le sens de l’incontinence.
Mais si vous l’entendez avec saint Paul qui s’écrie: « Moi, je le dis dans le
Christ et dans I’Eglise (Eph. V, 23)»,
c’est une rosée sur un champ fertile. C’est le même nuage, ou l’Ecriture sainte
qui produit ces deux effets. De même encore le Seigneur nous dit: « Ce n’est
point ce qui entre dans votre bouche, mais bien ce qui en sort, qui souille
votre âme (Matt. XV, 11) ». A cette
parole, un pécheur se dispose à la bonne chère; tandis qu’elle prévient le
juste contre le discernement des viandes, Cette même nuée de l’Ecriture laisse
donc tomber, selon le mérite de chacun, et des piéges pour le pécheur, et pour
le juste une pluie fécondante.
11. « Des torrents de feu et de souffre, la
fureur des tempêtes, c’est là le calice qu’il leur prépare (Ps. X, 7) ». Tel est le châtiment et la
fin de ceux qui blasphèment le nom du Seigneur; d’abord ils sont dévorés par
l’incendie de leurs passions, ensuite l’odeur fétide de leurs oeuvres
corrompues les éloigne de l’assemblée des saints; enfin, entraînés et submergés
dans l’abîme, ils subissent d’indicibles tourments. Telle est, Seigneur, la
part de leur calice, tandis que vous avez pour le juste un calice enivrant et
glorieux (Id. XXII, 5). « Car ils
seront enivrés par la sainte abondance de votre maison (Id. XXXV, 9) ». Si le Prophète emploie cette (177) expression, « la
part de leur calice », c’est, je crois, pour nous détourner de croire que, même
dans le supplice des méchants, la Providence outrepasse les bornes de l’équité.
Aussi a-t-il ajouté, comme pour nous rendre raison de ces châtiments: « C’est
que le Seigneur est juste, et qu’il aime les justices (Ps. X, 8)». Et ce n’est pas sans raison qu’il dit les justices, au
pluriel, afin de nous montrer dans ces justices les justes eux-mêmes. Car il
semble que dans plusieurs justes, il y ait plusieurs justices, bien qu’il n’y
en ait qu’une seule en Dieu, qui est la source des autres; comme si un seul
visage se trouvait en face de plusieurs miroirs, ceux-ci le refléteraient et
feraient apparaître plusieurs fois ce visage, néanmoins unique. Aussi le
Prophète revient-il au singulier, en s’écriant: « Sa face a vu l’équité ». Et
peut-être a-t-il dit: « Sa face a vu l’équité », dans le même sens qu’il
dirait: C’est dans sa face que l’on voit l’équité, c’est-à-dire quand on
connaît sa face. Car la face de Dieu, c’est la puissance qu’il a de se faire
connaître à ceux qui en sont dignes. Ou bien: « Sa face a vu l’équité», parce
qu’il ne se fait pas connaître aux méchants, mais aux bons; et c’est là
l’équité.
12. Si l’on veut que la lune soit la
synagogue, il faut alors entendre le psaume de la passion du Sauveur, et dire
des Juifs, « qu’ils ont détruit ce que Dieu avait rendu parfait»; et du
Seigneur: « Pour le juste, qu’a-t-il fait? » lui qu’ils accusaient de détruire
la loi, tandis qu’eux-mêmes en détruisaient les préceptes par une vie coupable,
et les méprisaient jusqu’à les remplacer par leurs traditions. Alors
Jésus-Christ, selon sa coutume, parlerait dans son humanité, et dirait: « Ma
confiance est dans le Seigneur; comment dites-vous à mon âme: Va, passereau,
vers les montagnes? » répondant ainsi aux menaces de ceux qui le cherchaient
pour le prendre et le crucifier. Alors les pécheurs voulaient décocher leurs
flèches sur les justes ou sur ceux qui croyaient en Jésus-Christ, et
l’obscurité de la lune peut fort bien désigner la synagogue remplie d’hommes
pervers. C’est à cela que se rapporterait ce passage: « Le Seigneur habite son
saint temple; le Seigneur a son trône dans le ciel », c’est-à-dire le Verbe, ou
le Fils de Dieu qui est dans le ciel, habite aussi dans l’homme. « Ses yeux
regardent le pauvre », c’est-à-dire cet homme dont il s’est revêtu, tout Dieu
qu’il était, ou celui pour lequel il a souffert dans son humanité. « Ses
paupières interrogent les enfants des hommes ». Fermer les yeux, puis les
ouvrir, voilà probablement ce qu’il désigne sous le nom de paupières, et que
nous pouvons entendre de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ; car
alors il éprouva les fils des hommes ou ses disciples, que sa mort avait
effrayés, et que réjouit sa résurrection. « Le Seigneur interroge le juste et
l’impie », en gouvernant l’Eglise du haut du ciel. « Mais celui-là hait son âme
qui aime l’iniquité », et la suite nous en montre la raison. Ce passage: « Il
fera pleuvoir des piéges sur l’impie », ainsi que le reste du psaume jusqu’à la
fin, doit s’entendre dans le sens indiqué plus haut. (178)
Ici-bas les justes sont en butte
aux manœuvres scandaleuses des impies. Le Seigneur les console par la promesse
du Sauveur, qui mettra fin aux gémissements des opprimés.
POUR LA FIN, PSAUME DE DAVID POUR L’OCTAVE (Ps. XI, 1).
1. Nous avons dit, au psaume sixième, que
cette octave peut s’entendre du jour du jugement. L’octave peut se dire encore
de ce siècle éternel que Dieu doit donner aux saints, quand sera écoulé ce
temps qui marche de sept jours en sept jours.
2. « Sauvez-moi, Seigneur, car l’homme saint
a fait défaut (Id. II, 2) »,
c’est-à-dire qu’on ne le trouve plus; c’est ainsi que nous disons que le blé
manque, et que l’argent manque. « Car les vérités se sont affaiblies parmi les
enfants des hommes (Ibid.) ». Il n’y
a sans doute qu’une vérité qui éclaire les âmes saintes, mais comme il y a
plusieurs âmes, on peut dire qu’il y a en elles plusieurs vérités comme une
seule figure se réfléchit dans chaque miroir.
3. « Chacun tient à son prochain le langage
du mensonge (Id.3) ». Par prochain,
il faut comprendre tout homme, puisqu’il n’est permis de nuire à personne, et
que « l’amour du prochain ne fait point ce qui est mal (Rom. XIII, 10). Leurs lèvres sont trompeuses, ils parlent en un
coeur et en un coeur (Ps XI, 3),
d’une manière perverse. Cette répétition « en un coeur et en un cœur », montre
la duplicité.
4. « Que le Seigneur perde toutes les lèvres
trompeuses ». « Toutes les lèvres », dit le Prophète, afin que nul ne se croie
exempt: comme l’Apôtre a menacé de l’affliction l’âme de tout homme qui fait le
mal, du juif d’abord, puis du gentil (Rom.
II, 9), « La langue qui se glorifie» est la langue de l’orgueilleux.
5. « Ils ont dit: Nous glorifierons nos
paroles, nos lèvres sont indépendantes, qui nous dominera (Ps. XI, 5)? » Ce langage est celui des superbes et des hypocrites, qui
espèrent de leur langage la séduction des hommes, et qui sont indociles à Dieu.
6. « A cause de la désolation des opprimés,
et des gémissements des pauvres, je me lèverai, dit le Seigneur (Ps. XI, 6)». C’est ainsi que, dans l’Evangile,
le Seigneur prend en pitié ce peuple disposé à l’obéissance, mais qui n’avait
point de pasteur. Aussi disait-il: « La moisson est abondante, mais il y a peu
d’ouvriers (Matt. IX, 37) ». Nous
pouvons attribuer ces paroles à Dieu le Père, qui a daigné envoyer son Fils à
cause des pauvres et des misérables, c’est-à-dire de ceux qui étaient dans la
pauvreté, dans l’indigence des biens spirituels. De là vient qu’il commença son
discours sur la montagne en s’écriant: « Bienheureux les pauvres en esprit,
parce que le royaume des cieux leur appartient (Id. V, 3). « Je mettrai dans le Sauveur », il ne dit point ce qu’il
mettra, mais « dans le Sauveur » se doit entendre de Jésus-Christ, d’après
cette parole: « Mes yeux ont vu votre Sauveur (Luc, II, 30) ». Dès lors nous devons comprendre qu’il a mis dans le
Sauveur ce qui est nécessaire pour mettre fin à la misère des pauvres, et
consoler le gémissement des opprimés. « J’agirai en lui avec confiance »; ainsi
qu’il est dit dans l’Evangile, « que Jésus les enseignait comme ayant autorité,
et non comme leurs scribes (Matt. VII,
29) ».
7. « Les paroles du Seigneur sont des paroles
pures (Ps. XI, 7) ». C’est le
Prophète qui, en son propre nom, apprécie « les paroles du Seigneur comme des
paroles pures ». Ces paroles sont pures, parce que le déguisement ne les a
point altérées. Beaucoup prêchent la vérité, mais non d’une manière pure, car
ils l’échangent contre les avantages de ce monde. C’est de ceux-là que l’Apôtre
a dit qu’ils (179) n’annoncent pas Jésus-Christ avec des vues pures (Philipp. I, 17). « C’est un argent que
le feu a purifié de toute terre ». Car la persécution excitée par les impies a
éprouvé la parole du Seigneur. « Purifié sept fois », par la crainte de (Isa. XI, 2) Dieu, par la piété, par la
science, par la force, par le conseil, par l’intelligence et par la sagesse (Matt. V, 3-9). Les degrés de béatitude
sont aussi au nombre de sept, et le Seigneur les énumère dans un même discours
sur la montagne, rapporté par saint Matthieu: « Bienheureux les pauvres en
esprit, bienheureux ceux qui sont doux, bienheureux ceux qui pleurent,
bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, bienheureux les
miséricordieux, bienheureux ceux qui ont le coeur pur, bienheureux les
pacifiques (Id. VII, 29). Ce sont là
sept chefs principaux, dont tout le discours peut être regardé comme le
développement. Car le huitième: « Bienheureux ceux qui souffrent persécution
pour la justice», désigne ce feu qui a sept fois épuré l’argent. C’est à la fin
de ce sermon qu’il est dit de Jésus-Christ qu’ « il enseignait comme ayant
l’autorité, et non comme leurs scribes (Id.
VII, 29) », ce qui a rapport à ces paroles: « J’agirai en lui avec
confiance (Ps. XI, 6)».
8. « Pour vous, Seigneur, vous nous garderez,
et nous préserverez éternellement de cette génération (Id. 8) », ici-bas comme des pauvres et des opprimés, là-haut comme
des riches et des opulents.
9. « Les impies tournent dans leur cercle (Id. 9)»; c’est-à-dire qu’ils sont
insatiables de ces biens temporels, et cette soif est comme une roue qui
accomplit sa révolution en sept jours, et qui n’arrive jamais à l’octave ou à
l’éternité, qui fait le titre du psaume. Salomon a dit aussi: « Un roi sage
dissipe les impies, et leur envoie un cercle de maux (Prov. XX, 26)».« Dans la profondeur de vos jugements, vous
multipliez les enfants des hommes (Ps.
XI, 9) ». Parce qu’il y a dans les choses du temps, cette multiplicité qui
nous éloigne de l’unité de Dieu. « De là vient que le corps corruptible
appesantit l’âme, et cette habitation terrestre abat l’esprit, capable des plus
hautes pensées (Sag. IX, 15) ».Or,
les justes se multiplieront selon la profondeur de Dieu, quand ils s’élèveront
de vertu en vertu (Ps. LXXXIII, 8).
Ceux qui gémissent à la vue
de l’iniquité appellent de leurs voeux le Sauveur, qui doit nous aider à
combattre victorieusement l’ennemi du salut.
POUR LA FIN, PSAUME DE DAVID (Ps. XII, 1).
1. « Le Christ est la fin de la loi pour
justifier ceux qui croiront (Rom. X, 4)».
« Jusques à quand, « Seigneur, m’oublierez-vous dans la fin (Ps. XII, 2)? » ou tarderez-vous à me
faire connaître, d’une manière spirituelle, ce Christ qui est la sagesse de
Dieu, et la fin que doit se proposer toute âme chrétienne. « Jusques à quand
détournerez-vous de moi vos regards? » En réalité, Dieu ne nous oublie point et
ne nous perd point de vue, mais l’Ecriture s’accommode à notre manière de
parler. Dire que Dieu détourne de nous ses regards, c’est dire qu’il ne se fait
point connaître à l’âme dont l’oeil n’est pas assez pur.
2. « Jusques à quand prendrai-je mes conseils
dans mon âme (Ps. XII, 2)? ». Ce
n’est que dans l’adversité que nous avons besoin de conseil. Ainsi, jusques à
quand puiserai-je mes conseils dans mon âme? signifie: Jusques à quand serai-je
dans l’adversité? ou bien cette (180) parole serait une réponse qui
signifierait Jusqu’à ce que j’arrête une résolution dans mon âme, Seigneur,
vous m’oublierez par rapport à ma fin, et vous détournerez de moi vos regards:
si un homme en effet n’a formé t dans son âme le dessein de pratiquer
parfaitement la miséricorde, le Seigneur ne le dirige point vers sa fin, et ne
se fait pas connaître à lui pleinement, ou face à face. «La douleur dans mon
coeur pendant tout le jour», sous-entendez: Je mettrai cette douleur. « Pendant
tout le jour » signifie une douleur sans fin, et le jour se prend ici pour le
temps, et quiconque veut être délivré du temps, ressent la douleur en son
coeur, et demande à passer dans l’éternité pour être délivré du jour terrestre.
3. « Jusques à quand mon ennemi
s’élèvera-t-il contre moi (Ps. XII, 3)?
» L’ennemi, c’est le démon ou l’habitude charnelle.
4. « Regardez-moi, Seigneur, exaucez-moi, ô
mon Dieu (Id. 4) ». Regardez-moi, est
la conséquence de celte plainte: « Jusques à quand vos regards se détourneront-ils
de moi n; et « Exaucez-moi», de cette autre plainte: « Jusques à quand
m’oublierez-vous par rapport « à ma fin? » Illuminez mes yeux, pour que u je ne
m’endorme jamais dans la mort (Ibid.)».
Ces yeux sont ceux du coeur, que pourrait fermer le plaisir mortel du péché.
5. « Que jamais l’ennemi ne puisse dire: « Je
l’ai vaincu (Ps. XII, 5) ». Craignons
le persiflage du démon. « Ceux qui me persécutent seront dans la joie, si je
suis ébranlé (Ibid.)» Cet ennemi,
c’est le diable avec ses anges, qui ne dut point se réjouir d’avoir mis à
l’épreuve le saint homme Job, cet homme juste qui ne fut point ébranlé (Job, I, 22), c’est-à-dire qui demeura
ferme dans la foi.
6. «Pour moi, j’ai mis mon espoir en votre
miséricorde (Ps. XII, 6) ». Si
l’homme, en effet, demeure ferme dans le Seigneur et ne se laisse point
ébranler, il ne doit point se l’attribuer, de peur qu’en se félicitant de sa
fermeté, il ne soit ébranlé par l’orgueil. « Mon coeur a tressailli dans celui
qui est votre salut », c’est-à-dire en Jésus-Christ qui est la sagesse de Dieu.
« Je chanterai le Seigneur qui m’a comblé de biens»; de biens spirituels et qui
ne touchent point à cette vie. « Je dirai sur la harpe le nom du Très-Haut (Ibid.) », c’est-à-dire, dans ma joie je
lui rendrai grâces, et je n’userai de mon corps que selon ses préceptes; tel
est l’harmonie spirituelle de l’âme. Si l’on veut établir ici une différence, «
je chanterai le Seigneur », exprimera le concert du coeur, et « je dirai sur la
harpe », du concert des bonnes oeuvres, que Dieu seul peut connaître. « Le nom
du Seigneur », c’est la connaissance qu’il nous donne de lui-même, connaissance
qui est avantageuse pour nous et non pour lui.
Ici toute âme gémit quand
retentissent à ses oreilles ces blasphèmes que l’impie vomit contre Dieu. Elle
voit avec horreur l’impiété qui prévaut; elle en appelle à Dieu qui doit faire
sortir de Sion le salut d’Israël ou des saints.
POUR LA FIN, PSAUME POUR DAVID (Ps. XIII, 1)
1. Il est inutile de redire si souvent le
sens de cette expression « pour la fin », puisque l’Apôtre nous dit que « le
Christ est la fin de la loi, pour justifier ceux qui croiront(Rom. X, 4). Nous croyons en lui quand
nous commençons à prendre la bonne voie; et nous le verrons au terme de cette
voie, dont il est ainsi la fin.
2. « L’insensé a dit dans son coeur: Dieu
(181) n’est pas n. Certains philosophes, que leur impiété et leurs sentiments
faux et pervers sur la divinité signalent à l’exécration, n’ont pas même osé
dire: Dieu n’est pas. Cette parole se « dit donc dans le cœur », car celui-là
même qui en a la pensée, n’oserait la prononcer. « Ils sont devenus pervers et
abominables, par leurs affections », c’est-à-dire, parce qu’ils ont donné au
monde leur amour, et non à Dieu; ce sont les affections qui causent dans l’âme
une corruption et un aveuglement tels que l’insensé puisse dire en son coeur: «
Dieu n’est pas ». Comme ils n’ont pas fait usage de la connaissance de Dieu,
voilà que le Seigneur les a livrés au sens réprouvé (Rom. I, 28)». « Il n’y en a pas un qui fasse le bien, non, pas
jusqu’à un (Ps. XIII, 1) ». Cette
expression, « jusqu’à un », peut signifier ou avec celui-là seul, de manière à
exclure tout homme, ou à l’exception de celui-là seul, pour désigner Notre
Seigneur Jésus-Christ. C’est ainsi que nous disons d’un champ qu’il va jusqu’à
la mer, sans y comprendre la mer elle-même. Il est mieux d’entendre que nul n’a
fait le bien jusqu’à Jésus-Christ, car nul homme, s’il n’est instruit par
Jésus-Christ même, ne peut faire le bien, puisque ce bien lui est impossible
sans la connaissance de Dieu.
3. «Le Seigneur, du haut du ciel, a jeté les
yeux sur les enfants des hommes, afin de voir s’il en est pour comprendre et
rechercher Dieu (Id. 2) ». Ceci peut
s’entendre des Juifs, que le Prophète appelle enfants des hommes, parce qu’ils
n’adoraient qu’un seul Dieu, ce qui les rendait supérieurs aux Gentils, dont le
Prophète me paraît avoir dit: « L’insensé a dit dans son coeur: Dieu n’est pas
», et le reste. Le regard du Seigneur s’effectue par le moyen de ces âmes
saintes, et qui sont marquées par cette expression de « ciel »; puisque pour
lui, rien ne lui échappe.
4. « Tous se sont égarés, et sont devenus
inutiles (Id. 3) », c’est-à-dire que les
Juifs sont devenus comme les Gentils dont il est parlé plus haut. « Il n’en est
aucun pour faire le bien, il n’y en a pas jusqu’à un ». Il faut donner à ces
expressions le sens exposé plus haut. « Leur gosier est un sépulcre ouvert (Ibid.)». On peut voir ici les excès de
l’intempérance, ou, dans un sens allégorique, les pécheurs scandaleux qui tuent
et qui dévorent en quelque sorte ce qu’ils entraînent dans leurs dérèglements.
C’est ainsi, mais dans un sens opposé, qu’il fut dit à Pierre; « Tue et mange»,
afin qu’il amenât les Gentils à sa croyance et aux saintes moeurs. « Leurs
langues distillent le mensonge ». La flatterie accompagne toujours
l’intempérance et les autres vices. « Leurs lèvres recèlent un poison d’aspic (Ps. XIII, 3) ». Le venin désigne la
fraude, et l’aspic tous ceux qui demeurent sourds aux préceptes de la loi,
comme l’aspic à la voix de l’enchanteur (Id.
LVII, 5), ainsi qu’il est dit dans un autre psaume; « Leur bouche est
pleine de malédiction et d’amertume ». C’est le venin de l’aspic. « Leurs pieds
se hâtent pour répandre le sang (Id.
XIII, 3)»; ce qui désigne l’habitude invétérée du mal. « La meurtrissure et
l’infortune sont dans leurs voies ». Car toute voie du méchant est laborieuse
et misérable. Aussi le Seigneur a-t-il dit: « Venez à moi, vous tous qui
gémissez sous le poids du travail et de la douleur, et je vous soulagerai.
Prenez mon joug sur vous, et apprenez de moi que je suis doux et humble de
coeur; car mon joug est doux, et mon fardeau léger (Matt. XI, 28) ». « Ils n’ont point connu la voie de la paix », de
cette paix que désigne le Seigneur, par la douceur de son joug et la légèreté
de son fardeau. « La crainte du Seigneur n’est pas devant leurs yeux »; sans
dire que Dieu n’est pas, ils n’en craignent pas davantage le Seigneur.
5. « Ne comprendront-ils pas enfin, tous ces
ouvriers d’iniquité?»Dieu les menace du jugement, « Ils dévorent mon peuple,
comme on dévore un morceau de pain (Ps.
XIII, 4) », c’est-à-dire chaque jour; car le pain est la nourriture
quotidienne. Ces dignitaires dévorent le peuple, qui en tirent leurs avantages,
sans faire tourner leur ministère.à la gloire de Dieu, et au salut de leurs
subordonnés.
6. « Ils n’ont point invoqué le Seigneur ».
Car c’est ne point l’invoquer, que désirer te qui lui déplaît. « ils ont
tremblé, où n’était pas la crainte (Id.
5) »,c’est-à-dire devant un dommage temporel. Car ils ont dit: « Si nous le
laissons ainsi, chacun croira en lui, et les Romains viendront, et nous
extermineront, nous et notre ville (Jean,
XI, 48)». Ils ont craint ce qui n’était point à craindre, la perte d’un
royaume terrestre, et voilà qu’ils ont perdu le royaume des cieux, ce qu’ils
auraient dû redouter Ainsi en est-il de tous les avantages temporels; plus les
hommes en redoutent la perte, et moins ils arrivent aux biens éternels.
7. « Le Seigneur habite avec la génération
des justes (Ps. XIII, 6) »,
c’est-à-dire qu’il n’est point avec ceux qui aiment le monde. Car il y a
injustice à négliger le Créateur du monde pour s’attacher au monde, à servir la
créature plutôt que le Créateur (Rom. I,
25). « Vous avez méprisé le dessein du pauvre, qui met son espoir dans le
Seigneur (Ps. XIII, 6) »,
c’est-à-dire, vous avez méprisé l’humble avènement du Christ, parce qu’il
n’étalait pas à vos yeux le faste du siècle; forçant ainsi ceux qu’il appelait
à mettre leur espoir en Dieu, et non pas en des biens passagers.
8. « Qui fera sortir de Sion le salut
d’Israël (Id. 7)? » Sous-entendez,
sinon celui-là même dont vous avez méprisé l’humilité! Car il viendra dans
l’éclat de sa gloire pour juger les vivants et les morts, et mettre les justes
en possession de son royaume; en sorte que si l’humilité de ce premier
avènement a frappé d’aveuglement une partie d’Israël, pour donner lieu aux
Gentils d’entrer complètement dans l’Eglise; dans le second, tout Israël sera
sauvé, selon la prédiction de saint Paul. Car c’est encore en faveur des Juifs
que l’Apôtre invoque ce témoignage d’Isaïe: « De Sion viendra celui qui
détournera de l’impiété les enfants de Jacob (Isa. LIX, 20)». C’est dans le même sens qu’il est dit ici: « Qui
fera sortir d’Israël l’auteur du salut? — Quand le Seigneur aura brisé les
chaînes de la captivité de son peuple, Jacob sera dans la joie et Israël dans
l’allégresse (Ps. XIII, 7)». C’est
une répétition, comme beaucoup d’autres; car je pense que la joie de Jacob est
identique à l’allégresse d’Israël.
Après avoir gémi sur les
blasphèmes, le Prophète nous expose les vertus dont l’âme doit être ornée pour
jouir du Seigneur et entrer dans ses tabernacles.
PSAUME POUR DAVID (Ps XIV, 1).
1. Le titre ne soulève aucune difficulté. «
Seigneur, quel voyageur trouvera un abri sous votre tente (Ibid.)?» Quelquefois la tente ou tabernacle, se dit de la demeure
éternelle; mais dans son acception propre, c’est un logement de guerre; de là
vient que les soldats se nomment contubernales, compagnons de la tente, comme
si leurs tentes étaient contiguës. Une raison de plus de l’entendre ainsi,
c’est qu’il est dit: « Quel voyageur trouvera un abri?» Sur la terre en effet
nous sommes en guerre avec le démon, et nous avons besoin d’une tente pour nous
reposer. Cette tente désigne surtout notre foi à l’économie temporelle de
l’Incarnation qui s’est accomplie en cette vie par notre Seigneur et pour notre
salut. « Qui se reposera sur votre montagne sainte (Ps. XIV, 1)?» Peut-être nous marque-t-il ici déjà la demeure
éternelle, et par cette montagne faut-il entendre la charité suréminente du
Christ dans la vie éternelle.
2. « Celui qui marche dans l’innocence, et
dont la vie est pure (Id. 2) ». C’est
là une proposition qu’il va détailler.
3. « Qui dit la vérité qu’il a dans son coeur
(Id. 3) ». Quelques-uns, en effet,
ont sur les lèvres une vérité qui n’est pas dans leur coeur. Ainsi, qu’un homme
nous montre un chemin, qu’il sait être infesté par les voleurs, et nous dise:
Dans cette voie, vous n’avez aucun voleur à craindre. Si en réalité nous ne
rencontrons aucun voleur, il a dit une vérité qui (183) n’était pas en son
coeur. Il pensait le contraire et a dit la vérité à son insu. C’est donc peu
que la vérité soit dans notre bouche, si elle n’est aussi dans notre coeur. «
Dont la langue n’a point menti ». La langue est menteuse, quand il y a
désaccord entre la parole extérieure et la pensée qui se cache dans notre
coeur. « Qui n’a fait aucun mal à son prochain ». Ce mot de prochain, on le
sait, doit s’étendre à tous les hommes. « Qui n’adopte point l’injure que l’on
fait à ses frères (Ps. XIV, 3) »,
c’est-à-dire, qui ne croit ni volontiers, ni témérairement aux paroles
accusatrices.
4. « Celui dont la présence anéantit le
méchant (Id. 4) ». La perfection pour
l’homme c’est que le méchant n’ait aucune prise sur lui, et qu’il ne soit rien
à ses yeux, c’est-à-dire que cet homme sache bien qu’il n’y a point de méchant,
à moins que l’âme ne se détourne de l’éternelle et immuable beauté du Créateur,
pour s’attacher à cette beauté d’une créature tirée du néant. « Mais il honore
ceux qui craignent le Seigneur», comme le Seigneur le fait lui-même; car la
sagesse commence par la crainte du Seigneur (Eccli. I, 16) ». Ce qui précède regarde les parfaits, et maintenant
ce qui va suivre est pour ceux qui commencent.
5. « Celui qui s’engage par serment envers le
prochain, mais sans le tromper; qui ne donne point son argent à usure, et ne
reçoit e point de présents contre l’innocent (Ps. XIV, 4, 5) ». Ce ne sont point là de grandes vertus; mais celui
qui ne peut les pratiquer pourra bien moins encore parler selon la vérité qu’il
connaît en son coeur, sans employer sa langue à la fourberie, disant toujours
au dehors ce qu’il croit être vrai, ayant dans la bouche: Oui, oui; non, non (Matt. V, 37). Il pourra moins encore ne
pas nuire à son prochain, c’est-à-dire à qui que ce soit, ne point écouter
l’injure contre ses frères: ces oeuvres sont de l’homme parfait, dont la
présence anéantit les pervers. Bien que ces vertus soient moins élevées, le
Prophète ne laisse pas de conclure ainsi: « Quiconque fait ces oeuvres, ne doit
point déchoir dans l’éternité »; c’est-à-dire qu’il arrivera aux oeuvres plus
parfaites, qui nous valent cette grande et inébranlable stabilité. Car ce n’est
probablement pas sans raison que le Prophète a passé d’un temps à un autre, que
la première conclusion est au passé, tandis que celle-ci est au futur. Dans la
première, il disait: « Le méchant s’est anéanti en sa présence »; et ici: « il
demeurera ferme éternellement ».
DISCOURS
SUR LE PSAUME XIV 1
L’HOMME DU CIEL.
Le chiffre du psaume est quatorze et nous
rappelle que l‘Agneau fut immolé au quatorzième
jour, quand la lune est dans son plein. Or,
habiter les tabernacles du Seigneur, c’est
demeurer dans l’Eglise, qui n’est point une
demeure permanente, et cette montagne où l’on
doit se reposer c’est le ciel. Or, celui-là
s’y reposera « qui marche dans l’innocence »,
c’est-à-dire qui est encore en chemin, et qui
est déjà innocent, « qui pratique la justice» en
faisant du bien aux autres, « qui parle selon
la vérité, qui ne fait aucun mal au prochain »,
c’est-à-dire aux autres hommes. Un tel saint méprise
le méchant fût-il haut placé dans le
monde.
1. On vient de lire fort à propos le psaume
quatorzième; bien qu’il vienne à son tour, on le
dirait choisi tout exprès. Le lecteur l’a
pris dans l’ordre des psaumes, et néanmoins j’y vois
la sagesse de Dieu, qui a mis dans l’ordre de
nos explications ce qui devait vous être utile.
Ce psaume est le quatorzième, qui a pour
titre: « Psaume de David 2 ». Or, David c’est
pour nous le Christ, nous t’avons dit
souvent. Et puis, nous avons lu dans l’Exode que
l’Agneau doit être immolé le quatorzième jour
3; oui, ce quatorzième jour, quand la lune
est dans son plein, quand il ne lui manque
rien de sa splendeur; d’où
1. Dans plusieurs manuscrits, ce discours
précède le discours reproduit dans le tome VIII
sur le psaume XIV. D’autres manuscrits
attribuent ce fragment à saint Jérôme. 2. Ps. XIV, 1.
— Exod. XII, 5, 6.
vous pouvez voir que le Christ ne saurait
être immolé qu’en pleine et parfaite lumière.
Comme donc l’Agneau doit être immolé au quatorzième
jour, voilà que le Prophète saisi
d’admiration s’écrie:
2. « Seigneur, qui habitera dans votre
tabernacle? » O vous qui voulez habiter dans le
tabernacle, du Seigneur, écoutez cette
apostrophe du Prophète: « Qui habitera dans vos
tabernacles, ô mon Dieu, ou qui se reposera
sur votre montagne sainte? » Non point d’abord
sur la montagne et dans le tabernacle
ensuite, mais d’abord dans le tabernacle et ainsi sur la
montagne. Le tabernacle n’est point une demeure
permanente, te tabernacle n’a point de
fondement, mais on le plante; çà et là, il
suit les migrations de (313) l’homme. Aussi est-il
appelé paroikia, et non point habitation. «
Seigneur,qui habitera dans vos tabernacles? »
Comme ce n’est qu’une tente, ou l’appelle en
grec paroikia. Voyons donc ce qu’est un
tabernacle, ce qu’est une montagne. Un
tabernacle n’a aucun fondement, c’est une demeure
passagère; les montagnes, au contraire, ont
des fondements solides; c’est pourquoi ce
tabernacle nie parait être l’Eglise de ce
monde. Or, les églises que vous voyez aujourd’hui
sont des tabernacles, puisque nous ne devons
point y demeurer, nous devons passer ailleurs.
Car, si la figure de ce monde passe 1, et si le ciel et la terre passeront 2,
comme il est dit
ailleurs, à combien plus forte raison les
pierres de ces églises que nous avons sous les yeux?
On appelle donc maintenant les églises des
tabernacles, parce que nous devons en sortir pour
aller à la montagne sainte du Seigneur.
Quelle est cette montagne sainte du Seigneur?
Ezéchiel nous le dit en parlant contre le
prince de Tyr: « Tu as été blessé sur la montagne du
Seigneur
3. Et qui reposera sur votre montague sainte?» Puisque nous devons
quitter les
tabernacles pour aller sur les saintes
montagnes, il nous faut apprendre à quels hommes il
appartient d’aller sur la sainte montagne de
Dieu.
3. Il y a une interrogation dans cette
parole: « Qui habitera dans vos tabernacles, ou qui se
reposera sur votre montagne sainte? » C’est
maintenant l’Esprit-Saint qui répond à la
question du Prophète; et que lui dit-il?
Veux-tu savoir, ô Prophète, veux-tu savoir qui doit
habiter dans mes tabernacles, et reposer sur
ma montagne sainte? Ecoute ce qui suit: Si tu
observes ce que je vais dire, tu habiteras
sur ma montagne sainte. Vous donc qui voulez
habiter les saints tabernacles, et vous
élever sur la sainte montagne du Seigneur, vous n’avez
pas besoin d’écouter mes paroles, écoutez ce
que le Seigneur répondit au Prophète;
pratiquez ce que te Seigneur vous ordonne, et
vous arriverez à la sainte montagne du
Seigneur. u C’est celui u qui marche dans
l’innocence, et qui pratique la justice 4 ». Aussi le
psaume cent dix-huitième nous dit-il: «
Heureux les hommes innocents dans leurs voies ! »
Oui, c’est ainsi qu’il commence: «
Bienheureux les hommes
1. I
Cor. VII, 31. — 2. Matth. XXIV, 35. — 3. Ezéch. XXVIII, 16, suiv. les Septante. — 4.
Ps. XIV, 2.
innocents dans leurs voies 2 ! » De même
qu’il est dit là: « Innocents dans leurs voies», il
est dit ici: « Qui marche dans l’innocence ».
Or, marcher c’est être dans la voie, « Qui
marche dans l’innocence ». Voyez ce qui est
prescrit. Il n’est pas dit qui est pur en atteignant
la fin; mais qui est encore en chemin, et qui
est sans tache. Quelqu’un pouvait dire: Je n’ai
aucune tache, n’ayant commis aucun mal. Il ne
suffit pas d’éviter le mal, si nous ne faisons
aussi le bien. Car le Prophète continue: « Et
qui pratique la justice ». Non point qui garde
la chasteté, non point, qui fait des actes de
sagesse ou de courage. Voilà sans doute les
principales vertus. Ainsi la sagesse nous
vient en aide pour résister aux persécutions: la
tempérance et la chasteté nous sont utiles,
pour ne point perdre nos âmes. Mais il n’y a que
la justice pour dominer toutes les vertus
dont elle est la mère. Comment, dira-t-on, la justice
peut-elle dominer toutes les autres? Les
autres vertus font la joie de ceux qui les pratiquent,
tandis que la justice fait la joie, non de
celui qui la pratique, mais des autres. Que je sois
sage, la sagesse fait nies délices; que je
sois courageux, le courage me plaît; que je sois
chaste, la chasteté a des charmes pour moi
mais la justice fait moins le bonheur de ceux qui
la possèdent, que des malheureux qui ne l’ont
point. Donne-moi un pauvre qui a un
différend avec mon frère, donne à ce frère
une puissance telle qu’il opprime de son crédit
tout ce qui n’est pas moi, ou qui m’est
étranger; de quoi ma sagesse va-t-elle servir à ce
Pauvre? Que fait à ce pauvre ma chasteté? Que
lui fait mon courage? Mais ma justice lui
vient en aide, parce que, sans acception pour
mon frère, je prononce selon la justice. La
justice, en effet, ne connaît ni frère, ni
mère, ni père; elle connaît la vérité. Non plus que
Dieu, elle ne fait acception de personne,
Aussi le Prophète nous dit-il: « Et qui pratique la
justice », de peur qu’il ne paraisse exclure
les autres vertus. Quiconque se met dans une
sainte colère pour en soulager un autre,
quiconque ne fait point sa joie du malheur d’autrui,
celui-là est juste.
4. Disons encore ce qui suit: « Celui qui dit
la vérité dans son coeur 2 ». Beaucoup ont la
vérité sur les lèvres, et non dans le coeur;
ils paraissent dire la vérité, et le coeur n’est
1. Ps. 118, 1. — 2. Id. XIV, 3.
point d’accord avec la bouche. « Celui qui ne
cache point l’artifice dans ses paroles ». Qui
dit au dehors ce qu’il a dans la pensée. «
Qui n’a fait aucun mal à son prochain ». Au nom
de prochain beaucoup s’imaginent un frère, un
voisin, un allié, un parent. Mais le Seigneur
nous fait connaître le prochain dans cette
parabole de l’Evangile, à propos de celui qui
descendait de Jérusalem à Jéricho. Le prêtre
passa outre, le lévite passa outre, sans en
prendre pitié; mais un samaritain qui vint à
passer, fut ému de compassion. Le Seigneur fait
ensuite cette question: « Lequel de ces
hommes fut son prochain?» On lui répond « Celui
qui lui fit du bien ». Et le Seigneur ajoute:
« Allez, vous aussi, et faites de même 1». Nous
sommes donc tous notre prochain réciproquement,
et nous ne devons faire aucun mal à
personne. Mais si nous ne voyons le prochain
que dans nos frères et dans nos proches, il
nous sera donc permis de faire du mal aux
autres? Loin de nous de le croire. Nous sommes
tous notre prochain, et nous n’avons qu’un
même père. « Et que son prochain n’a point
couvert d’opprobre ». C’est le comble de la
louange. Jamais voisin n’a murmuré contre lui;
jamais il n’a trouvé occasion d’en dire du
mal. C’est là une vertu bien supérieure à
l’humanité, c’est un don de Dieu.
5. « Le méchant, sous ses yeux est réduit
1. Luc, X, 30 37.
à néant 1 ». Qu’un homme soit empereur, qu’il
soit préfet, qu’il soit évêque ou qu’il soit
prêtre (car l’Eglise a aussi ses dignités), quiconque
est méchant sous les yeux du saint par
excellence, est compté pour rien. Puis
aussitôt le Prophète ajoute: « Il glorifie ceux qui
craignent le Seigneur ». Ce saint qui marche
dans l’innocence, qui méprise les puissants dès
qu’ils sont méchants, décerne l’honneur à
tout homme qui craint Dieu, quelle que soit sa
pauvreté. « Qui s’engage par serment à son
prochain, sans le tromper ». Et ici nous devons
entendre comme plus haut ce mot de prochain.
6. « Celui qui n’a point donné d’argent à
usure 2».On pourrait dire ici bien des choses, mais
le temps nous presse. Mais, avant-hier, nous
en avons parlé au commencement de
l’instruction, et puisque vous êtes par la
grâce de Dieu sortis de la Chaldée avec Abraham 3,
et que vous vous souvenez de ce que nous
avons dit au sujet de cette sortie, venez dans la
terre des promesses. Quant à Abraham, dès
qu’il fut entré dans la terre promise, il trouva des
adversaires à droite et à gauche, des ennemis
qui tenaient le pays: le Seigneur vint pour l’en
tirer, et lui fit gravir une montagne d’où il
lui montra la terre entière, en disant: « Je te
donnerai toute cette terre et à ta postérité
4 ». A lui la promesse, à nous l’accomplissement.
1.
Ps. XIV, 4. — 2. Id. 5. — 3. Gen. XI, 31. — 4. Id. XIII,15.
Parce que le Christ a mis sa
confiance dans le Seigneur, qu‘il n’a voulu d’autre héritage que lui seul, le
Seigneur l’a fait triompher de ses ennemis par la résurrection. Ces sentiments peuvent
être aussi ceux de l’âme juste qui se confie en Dieu et qui triomphe aussi de
la mort éternelle.
INSCRIPTION DU TITRE, POUR DAVID (Ps. XV, 1).
1. Ce Psaume est le chant de notre roi, dans
son humanité, lui qui dans sa passion obtint sur l’inscription le titre de roi.
2. Voici ses paroles: « Conservez-moi,
Seigneur, parce que j’ai mis en vous mon espoir; j’ai dit au Seigneur: Vous
êtes mon Dieu; vous n’avez nul besoin de mes biens (Ps. XV, 2) ».Vous n’avez que faire de mes biens pour votre
félicité.
3. « Aux âmes saintes qui habitent ses
domaines (Id. 3) », c’est-à-dire à
ces saints qui ont mis leur espoir dans la terre des vivants, aux (184)
citoyens de la Jérusalem céleste, dont la conversation spirituelle est fixée
par l’ancre de l’espérance, dans cette terre qui est fort bien nommée la terre
de Dieu, quoique selon le corps ils vivent en ce bas monde,-e il a fait «
admirer tout l’amour que j’ai pour eux (Ps.
XV, 3) ». Le Seigneur donc a fait connaître à ces âmes saintes, mes
desseins merveilleux pour leurs progrès, et ils ont alors compris l’avantage
que leur procure ce mystère d’un Dieu qui est homme pour mourir, et de cet
homme qui est Dieu pour ressusciter.
4. « Leurs infirmités se sont multipliées »;
non pour leur perte, mais pour leur faire désirer le médecin. « C’est pourquoi
ils ont hâté leur course ». Donc, à la vue de leurs nombreuses maladies, ils se
sont hâtés d’en chercher la guérison. « Je ne les assemblerai pas pour des
sacrifices sanglants (Id. 4) ». Leurs
assemblées ne seront plus charnelles, et ce n’est point en faveur du sang des
animaux que je les rassemblerai pour les exaucer. « J’oublierai leur nom qui ne
sera plus sur mes lèvres ». Par un changement tout spi-r rituel, ils oublieront
ce qu’ils étaient autrefois; et moi, dans la paix que je leur donnerai, je ne
verrai plus en eux des pécheurs ou des ennemis, ou même des hommes, mais je les
appellerai des justes, des frères, et des enfants de Dieu.
5. « Le Seigneur est la part de mon héritage
et de mon calice (Id. 5) ». Car ils
posséderont aussi avec moi cet héritage qui est Dieu même. Que d’autres se
choisissent, pour en jouir, l’héritage des biens temporels et passagers; le
partage des saints, c’est Dieu qui est éternel. Que d’autres s’enivrent de
mortelles voluptés, le Seigneur est la part de mon calice. En disant « de mon
calice », je comprends aussi l’Eglise avec moi, car où est la tête, là est
aussi le corps. Je ferai en effet mon héritage de leurs assemblées, et dans
l’ivresse de mon calice j’oublierai leurs noms anciens. « C’est vous, ô Dieu,
qui me rétablirez dans mon héritage (Ibid.)
», afin que ceux que je délivre, connaissent l’éclat que j’avais en vous avant
la création du monde (Jean, XVII, 5)
». Ce n’est point pour moi que vous me rendrez ce que je n’ai point perdu, mais
pour ceux qui ont perdu la connaissance de cette gloire; et comme je suis en
eux, « c’est à moi que vous la rendrez ».
6. « Le cordeau a mesuré ma part dans des
lieux ravissants (Ps. XV, 6) ». Comme
le Seigneur devint autrefois la possession des prêtres et des lévites, mon
héritage m’est échu comme par le sort, dans la splendeur de votre gloire, ô mon
Dieu. « Et cet héritage est glorieux pour moi », car il n’est pas glorieux pour
tous, mais pour ceux qui le comprennent; et comme je suis en eux, c’est pour moi
qu’il est glorieux.
7. « Je bénirai le Seigneur qui m’a donné
l’intelligence », nécessaire pour voir et posséder cette part glorieuse. « De
plus, jusqu’à la nuit, mes reins m’ont donné une sévère leçon ». En outre de
l’intelligence, cette partie inférieure de moi-même, ou la chair, dont je me
suis revêtu, m’a donné une leçon, en me faisant éprouver les ténèbres de la
mort, qu’ignore cette intelligence.
8. « Je plaçais toujours le Seigneur en ma
présence (Id. 8) ». En venant dans ce
monde qui passe, je n’ai point perdu de vue celui qui demeure éternellement,
avec le dessein de
rentrer en lui, après cette vie des temps. «
Car il est à ma droite, afin que je ne sois point ébranlé ». Il m’assiste, afin
que je demeure ferme en lui-même.
9. « C’est pour cela que mon coeur a
tressailli, que ma langue a chanté sa joie ». La joie donc a rempli mes
pensées, et l’allégresse a éclaté dans mes paroles. « En outre, ma chair
reposera dans l’espérance ». Ma chair ne sera point absorbée par la mort, mais
elle s’endormira dans l’espérance de la résurrection.
10. « Parce que vous ne laisserez point mon
âme dans les enfers (Id. 10) ». Vous
ne donnerez pas mon âme comme une proie aux enfers, « et vous ne permettrez pas
que votre saint « éprouve la corruption ». Vous n’abandonnerez pas à la
pourriture un corps sanctifié, qui doit sanctifier les autres. « Vous m’avez
fait connaître les voies de la vie ». C’est par moi que vous avez enseigné la
voie de l’humilité, afin que les hommes revinssent à la vie, qu’ils avaient
perdue par l’orgueil: et comme je suis en eux, c’est à moi que vous l’avez fait
connaître. « Vous me remplirez de joie en me faisant voir votre face ». Quand
ils vous verront face à face, leur joie sera telle qu’ils n’auront plus aucun
désir; et comme je suis en eux, c’est moi que vous (185) remplirez de joie. « A
votre droite sont d’éternelles délices (Ps.
XV, 11)». Vos faveurs et vos bontés nous sont délicieuses dans le chemin de
cette vie, et nous font arriver au comble de la gloire en votre présence.
Environnée d’ennemis
pervers, l’Eglise fait appel à Dieu. Elle le remercie de la protection qu’il
lui accorde chaque jour, et a la ferme espérance de triompher par cette
protection.
1. Il faut attribuer cette prière à
Jésus-Christ uni à l’Eglise, qui est son corps.
2. « Seigneur, écoutez ma justice, entendez
ma prière. Prêtez l’oreille à mes supplications, mes lèvres ne sont point
trompeuses (Id. 2)». Cette prière ne
vous arrive pas de lèvres qui déguisent. « Que mon jugement émane de votre
visage ». Que votre connaissance m’éclaire et me fasse juger selon la vérité.
Ou bien, que mon jugement n’émane point de lèvres menteuses, mais de votre
clarté, afin que je ne prononce rien de contraire à ce que je découvre en vous.
« Que mes yeux voient l’équité», c’est-à-dire les yeux de mon coeur.
3. « Vous avez sondé mon coeur en le visitant
la nuit ». Car ce coeur a été mis à l’épreuve quand la tribulation l’a visité.
« Vous m’avez éprouvé par le feu, et vous n’avez point trouvé l’iniquité en moi
(Id. 3) ». Cette épreuve de
l’affliction qui a fait ressortir ma justice, peut être appelée, non seulement
une nuit qui nous trouble, mais un feu qui brûle.
4. « En sorte que ma bouche ne parle point
selon les oeuvres des hommes (Id. 4)».
Afin que rien ne sorte de ma bouche qui ne soit pour votre gloire et votre
louange; et non pour les oeuvres des hommes qui agissent contre votre volonté.
« A cause des paroles de votre bouche », paroles de votre paix, ou de vos
prophètes; « j’ai traversé des voies difficiles »; ces voies pénibles de la
mortalité humaine et des douleurs.
5. « Pour affermir mes pieds dans vos
sentiers (Ps. XVI, 5) ». Afin que la
charité de l’Eglise devînt parfaite dans ces étroits sentiers qui conduisent à
votre repos. « Afin que mes pas ne chancellent point », afin que ne s’effacent
jamais les marques de mon passage, empreintes comme des pas, dans les
sacrements et dans les écrits de mes Apôtres, et que ceux qui ont la volonté de
me suivre puissent les regarder et les connaître. Ou bien, afin que je demeure
inébranlable dans l’éternité, après avoir parcouru des chemins difficiles, et
marqué mes pas dans vos étroits sentiers.
6. « J’ai crié, ô mon Dieu, parce que vous
m’avez exaucé (Id. 6) ». Je vous ai
adressé ma prière avec force et avec ferveur, parce que vous m’avez exaucé
quand ma prière plus faible vous demandait cette ferveur. « Prêtez-moi
l’oreille, écoutez mes paroles (Ibid.)
». Que votre bonté n’abandonne point ma bassesse.
7. « Faites éclater vos miséricordes (Id. 7)», de peur que ces bontés ne
retombent dans le mépris, et n’obtiennent un amour trop imparfait.
8. « Vous qui protégez ceux qui espèrent en
vous, contre ceux qui refusent votre droite », ou ces faveurs que vous m’accordez.
« Conservez-moi, Seigneur, comme la prunelle de l’œil (Id. 8)», qui paraît petite et rétrécie; c’est elle néanmoins qui
donne à la (186) vue sa puissance, et nous fait discerner la lumière des
ténèbres, comme c’est par l’humanité de Jésus-Christ que doit s’exercer, au
jugement, le pouvoir divin de discerner les justes des pécheurs. «
Protégez-moi, sous l’ombre de vos ailes», c’est-à-dire, que votre amour
miséricordieux me serve de bouclier « contre les impies qui me persécutent (Ps. XVI, 9) ».
9. « Mes ennemis ont environné mon âme, ils
ont fermé leurs entrailles (Id. 10)
». Ils se sont enveloppés d’une joie charnelle, après avoir saturé de crimes
leur avidité. « Leur bouche a exhalé des paroles d’orgueil ». Leur bouche a
décoché des paroles insolentes, quand ils ont dit: « Salut au roi des Juifs (Matt. XXVII, 29) », et autres blasphèmes
semblables.
10. « Après m’avoir chassé, voilà que
maintenant ils m’environnent ». Ils m’ont fait sortir de leur ville, et
maintenant ils m’environnent à la croix. «Ils se sont résolus à fixer les yeux
vers la terre (Ps. XVI, 11) ». C’est
leurs coeurs qu’ils ont résolu de fixer aux choses terrestres, quand ils ont
infligé à celui qu’ils mettaient à mort un mal qu’ils voulaient s’épargner à
eux, qui étaient ses bourreaux.
11. « Ils m’ont reçu, comme le lion prêt à
dévorer sa proie (Id. 12.) ». Ils ont
épié mes démarches, comme cet ennemi qui rôde autour de nous, cherchant à nous
dévorer (I Pierre, V, 8). « Et comme le
lionceau embusqué dans un fourré ». Ce peuple à qui vous avez dit: « Vous avez
le diable pour père (Jean, VIII, 44)
», c’est comme le lionceau méditant des embûches pour circonvenir et perdre le
juste.
12. « Levez-vous, Seigneur, prévenez-les, et
renversez-les (Ps. XVI, 13)».
Levez-vous, Seigneur, vous qu’ils croient endormi et peu soucieux des péchés
des hommes. Châtiez d’avance leur malice par l’aveuglement, afin que la
vengeance prévienne leur crime, et renversez-les de la sorte.
13. « Délivrez mon âme des impies ». Délivrez
mon âme en me faisant triompher par la résurrection de cette mort que m’ont
infligée les impies. « Délivrez votre glaive des ennemis de votre main (Ps. XVI, 14) ». Mon âme est votre
glaive, ce glaive qu’a saisi votre main, ou votre force éternelle, afin de
détruire les royaumes de l’iniquité, et de séparer les justes des impies. C’est
ce glaive qu’il faut arracher aux ennemis de votre main, c’est-à-dire de votre
puissance, ou de mes ennemis. « Seigneur, en les faisant disparaître de la
terre, dispersez-les, pendant toute leur vie (Ibid.) ». Faites-les disparaître de cette terre qu’ils habitent, et
dispersez-les dans l’univers, pendant toute cette vie qu’ils croient la vie
unique, puisqu’ils ne croient point à la vie éternelle. « Leur ventre est
saturé de vos mystères (Ibid.) ».
Leur châtiment ne se bornera point à cette peine sensible, mais ces péchés qui
leur cachent la lumière de votre vérité, occupent leur mémoire, et leur font
oublier Dieu. « Ils se sont rassasiés de la chair des pourceaux ». Ils ont pris
goût à l’immondice, eux qui foulent aux pieds les perles de la parole de Dieu.
« Ils ont laissé leurs restes pour leurs jeunes enfants (Ibid.) », en criant: « Que son sang retombe sur nous et sur nos
fils (Matt. XXVII, 25) »
14. « Pour moi, j’apparaîtrai devant vous,
lors de votre justice (Ps. XVI, 15)»:
moi que n’ont point reconnu ceux dont le coeur impur et ténébreux est
impuissant à voir la lumière de la sagesse, voilà que j’apparaîtrai devant
vous, au jour de votre justice. « Je serai rassasié, quand vous manifesterez
votre gloire ». Quand, saturés d’impureté, mes ennemis ne pourront me
connaître, je serai rassasié de cette gloire que vous ferez éclater dans ceux
qui me comprennent. Au lieu de cette expression: « Ils se sont rassasiés de la
chair des pourceaux», on trouve dans quelques exemplaires: « Ils se sont
rassasiés d’enfants ». Cette double traduction vient du mot grec, qui est
ambigu. Par ces enfants nous entendons les oeuvres. Les bons seront les bonnes
oeuvres, et les méchants seront les oeuvres mauvaises. (187)
L’Eglise unie à Jésus-Christ et triomphant
des embûches des méchants, s’empare des paroles de David après que Dieu l’eût
délivré de Saül et de ses ennemis; elle bénit le même Dieu qui l’a délivrée du
démon et des convoitises charnelles.
1. « Pour la fin, à David, serviteur de Dieu
(Ps. XVII, 1) », c’est-à-dire au
Christ, qui en son humanité, est la main forte. « Il chanta au Seigneur les
paroles de ce cantique, au jour où le Seigneur l’arracha à la puissance de ses
ennemis, à la puissance de Saül (II Rois,
XXII, 11; Ps. XVII, 2) »; ce Saül était le roi des Juifs, qu’eux-mêmes
avaient demandé pour roi. De même que David signifie la main forte, Saül
signifie demande. Or, on sait comment ce peuple demanda au Seigneur un roi (I Rois, VIII, 5), qui lui fut donné, non
d’après les volontés de Dieu, mais selon sa propre volonté.
2. C’est donc le Christ uni à l’Eglise, ou le
Christ tout entier, la tête et le corps, qui s’écrie: « Je vous aimerai,
Seigneur, qui êtes ma force (Ps. XVII, 2)
»», ou, je vous aimerai parce que vous me rendez fort.
3. « Vous êtes, ô Dieu, mon protecteur, mon
refuge et mon libérateur (Id. 3) ».
C’est vous qui m’avez protégé parce que je me suis réfugié en vous, et je me
suis réfugié en vous, parce que vous m’avez délivré. « Le Seigneur est mon
aide, en lui sera mon espoir ». C’est vous, ô Dieu, qui m’avez accordé la
faveur de m’appeler, afin que je pusse espérer en vous. « Vous êtes mon
protecteur, le boulevard de « mon salut, et mon rédempteur (Ibid.) ». Vous êtes mon protecteur,
parce que je n’ai point trop présumé de moi en élevant contre vous le boulevard
de mon orgueil; mais c’est en vous que j’ai trouvé la puissance ou la haute et
solide forteresse de mon salut; et pour me la faire trouver, vous m’avez
racheté.
4. « Je louerai le Seigneur, et je
l’invoquerai, et il me délivrera de mes ennemis (Id. 4) ». Ce n’est point en cherchant ma gloire, mais bien celle du
Seigneur, que je l’invoquerai, et je n’aurai plus à craindre que les erreurs de
l’impiété me soient nuisibles.
5. « Les douleurs de la mort », ou douleurs
corporelles, « m’ont environné, et les torrents de l’iniquité m’ont troublé (Ps. XVII, 5) ». Ces multitudes impies un
moment soulevées, comme les eaux de l’hiver qui se gonflent pour cesser
bientôt, se sont efforcées de me troubler.
6. « Les douleurs de l’enfer m’ont assiégé (Id. 6)». Chez ceux qui m’environnaient
pour me perdre, il y avait ces tortures de la jalousie qui causent la mort, et
aboutissent à l’enfer du péché. « Les filets de la mort m’ont prévenu », et ils
me prévenaient, en cherchant les premiers à me faire un mal qui est retombé sur
eux. Ces filets enveloppent pour la mort les hommes qu’ils ont surpris en leur
vantant cette fausse justice, ce vain nom sans réalité, dont ils se glorifient
contre les Gentils.
7. « Au milieu de l’angoisse, j’ai invoqué le
Seigneur; j’ai crié vers mon Dieu, et de son saint temple il a entendu ma voix
(Id. 7) ». Il a entendu ma voix dans
mon coeur où il habite, « et le cri que j’ai poussé en sa présence ». Ce cri
que n’entendent point les oreilles des
hommes, et que j’exhale intérieurement en sa
présence, « est parvenu à son oreille ».
8. « La terre s’en est émue et a tremblé (Id. 8) ». Ainsi, quand le Fils de
l’homme fut glorifié, les pécheurs furent émus et tremblèrent. «Et les
fondements des montagnes ont été ébranlés » Les espérances que les superbes
avaient fondées sur les biens de cette vie ont été renversées. « Ils ont été
ébranlés, parce que le Seigneur s’est irrité contre eux », afin que l’espérance
dans les biens terrestres ne s’affermît pas désormais dans les coeurs des
hommes.
9. « Un tourbillon de fumée s’est élevé (188)
devant sa colère ». Les hommes, touchés de repentir à la vue des menaces du
Seigneur contre les impies, ont fait monter vers le ciel
des prières et des larmes. « Un feu s’est
allumé en sa présence (Ps. XVII, 9)
». Au repentir a succédé le feu de la charité, qu’allumait la connaissance du
Seigneur. « Des charbons ont été embrasés ». Ceux qui étaient déjà morts,
n’ayant plus ni le feu des saints désirs, ni la lumière de la justice, qui
étaient plongés dans de froides ténèbres, ont reçu de nouveau le feu et la
lumière de la vie.
10. « Il a abaissé les cieux, et il est
descendu ». Il a humilié le juste qui s’est abaissé jusqu’à la faiblesse des
hommes. « Les ténèbres étaient sous ses pieds (Id. 10) », Aveuglés par leur malice, les méchants ne l’ont pas
connu, eux qui goûtent les choses de la terre, et la terre est sous les pieds
du Seigneur, elle est comme son marchepied.
11. « Il est monté sur les chérubins et a
pris son vol (Id. 11) ». Il s’est
élevé au-dessus de la plénitude de la science, afin que nul ne pût venir à lui
que par la charité. Car la charité est la plénitude de la loi (Rom. XIII, 10). Et bientôt il s’est
montré incompréhensible à ceux qui l’aimaient, de peur qu’ils ne crussent que
l’on pouvait le comprendre au moyen des images temporelles. « Son vol était
plus rapide que celui des vents »; c’est-à-dire que la promptitude avec laquelle
il s’est montré incompréhensible dépasse ces vertus qui sont pour l’âme comme
des ailes, dont elle se sert pour s’élever des frayeurs de la terre dans les
régions de la liberté.
12. « Il a choisi les ténèbres pour sa
retraite (Ps. XVII, 12)». Il a choisi
l’obscurité des sacrements, l’espérance qui est invisible dans le coeur des
fidèles, pour s’y cacher, sans néanmoins les abandonner. Il se cache aussi dans
ces ténèbres où nous marchons encore par la foi, et non par la claire vue (II Cor. V, 7), tant que nous espérons ce
que nous ne voyons pas encore, et que nous l’attendons par la patience (Rom. VIII, 25). « Son tabernacle est
autour de lui ». Ceux qui se convertissent et croient en lui l’environnent de
toutes parts; il est au milieu d’eux, parce qu’il répand sur eux d’égales
faveurs, et qu’en cette vie il habite en eux comme dans une tente. « Il y a
dans les nuages de l’air une eau ténébreuse ». Que nul ne s’imagine que
l’intelligence des Ecritures lui donnera cette lumière dont nous jouirons quand
nous aurons passé de la foi à la vision. Il y a quelque chose d’obscur dans la
doctrine des Prophètes, et de tout prédicateur de la parole de Dieu.
13. « En comparaison de la lumière de sa
présence (Ps. XVII, 13) »; en
comparaison de cette splendeur qu’il fera éclater en se manifestant à nous. «
Ses nuées ont passé »; voilà que les hérauts de sa parole ne se restreignent
plus dans les confins de la Judée, mais passent chez les nations. « Voilà que
tombent la grêle et les charbons ardents ». C’est la figure de ces reproches
qui doivent tomber comme une grêle sur les coeurs endurcis; mais s’agit-il
d’une terre cultivée et douce, ou mieux d’une âme pieuse, cette grêle se change
en eau; c’est-à-dire que ces menaces dures comme les glaçons, redoutables et
impétueuses comme la foudre, se changent en une doctrine désaltérante, au feu
de la charité les coeurs prennent une vie nouvelle. Voilà ce qu’ont produit
parmi les Gentils, les nuées du Seigneur.
14. « Du haut des cieux le Seigneur a tonné (Id. 14) ». Le Seigneur s’est fait
entendre de ce coeur juste qu’animait la confiance pour prêcher l’Evangile. «
Et le Très-Haut a fait retentir sa voix n, afin qu’elle arrivât jusqu’à nous,
et que du profond abîme des choses humaines, nous pussions entendre les choses
célestes.
15. « Il a décoché ses flèches, et les a
dispersés (Id. 15) ». Il a envoyé les
Evangélistes sur les ailes des vertus, et ils ont tracé dans leur vol des
chemins droits, non par leurs propres forces, mais par la force de Celui qui
les envoyait. Il a dispersé ceux à qui il les envoyait, de sorte qu’ils ont été
aux uns une odeur de vie pour la vie, aux autres une odeur de mort pour la mort
(II Cor. II, 16). « Il a multiplié
ses foudres et les a jetés dans la stupeur ». Ses miracles nombreux les
consternaient.
16. « Alors ont apparu les sources d’eau vive
(Ps. XVII, 6) ». Alors apparurent
ceux que leurs prédications changeaient en sources d’eau vive, rejaillissant
jusqu’à la vie éternelle (Jean, IV, 14).
« Et les fondements du monde ont été mis à découvert ». Alors a été connu ce
qui demeurait caché dans les Prophètes, qui sont la base de ce monde rattaché à
Dieu par la foi. « Au bruit de vos menaces, ô Dieu », quand (189) vous avez
crié: « Le royaume de Dieu est proche de vous (Luc, X, 9)». «Au souffle bruyant de votre colère », ou quand vous
avez dit: « Si vous ne faites pénitence, vous mourrez tous de la même manière (Id. XIII, 5)».
17. « Il a envoyé d’en haut, et il m’a reçu»,
en appelant du milieu des Gentils cette Eglise qui est son héritage ou qui est
sans tache et sans ride (Eph. V, 27);
« Il m’a retiré du milieu des eaux », c’est-à-dire du milieu des peuples.
18. « Il m’a délivré de mes puissants ennemis
(Ps. XVII, 18) ». Il m’a délivré de
ces ennemis qui ont eu le pouvoir de m’affliger, et de troubler ma vie en ce
bas monde. « Et de ceux qui me haïssaient, parce qu’ils l’emportaient sur moi (Ibid.), pendant que, soumis à leur
domination, j’ignorais le Seigneur.
19. « Ils m’ont prévenu au jour de mon
affliction (Id. 19)». Ils furent les premiers
à me nuire pendant que je me fatiguais à porter un corps mortel. «Et le
Seigneur fut mon appui», et comme l’amertume des misères avait ébranlé et même
renversé la hase des terrestres plaisirs, le Seigneur m’a servi d’appui.
20. « Le Seigneur m’a conduit dans un lieu
spacieux». Comme j’étais à l’étroit, il m’a
conduit dans les spirituelles ailleurs de la
foi. « il ma sauvé à cause de sa bienveillance pour moi ». Avant même que je
l’eusse choisi, il m’a délivré d’ennemis puissants, jaloux de mon amour pour
lui, et de ceux qui me haïssent maintenant, parce que c’est lui que je veux
posséder.
21. « Le Seigneur me rendra selon ma justice
(Id. 21) ». li me rendra selon le
mérite de ma bonne volonté, lui qui, le premier, a été miséricordieux pour moi,
avant que j’eusse cette volonté. « Et il me traitera selon la pureté de mes
mains »; c’est-à-dire, selon la pureté de mes actions, lui qui m’a donné le
pouvoir de faire le bien, en m’introduisant dans les lieux spacieux de la foi.
22. « Parce que j’ai gardé les voies du
Seigneur (Id. 22) », afin d’y trouver
amplement ces bonnes oeuvres qu’opère la foi, et le courage de persévérer.
23. « Je n’ai point commis l’iniquité contre
mon Dieu, car j’ai devant les yeux tous ses jugements (Id. 23). Ces jugements, ou les récompenses des justes, les
châtiments des pécheurs, les afflictions qui corrigent, les tentations qui
éprouvent, voilà ce que j’ai continuellement sous les yeux. « Et je n’ai point
repoussé de moi sa justice »; comme le font ceux qui succombent sous le
fardeau, et retournent à leur vomissement.
24. « Je serai sans tache devant lui, et me
garderai de toute iniquité (Ps. XVII, 24)
».
25. « Et le Seigneur me rendra selon ma
justice (Id. 25)». Non seulement à
cause de l’ampleur de cette foi qui agit par l’amour (Galat. V, 6), mais à cause de ma longue persévérance; voilà
pourquoi le Seigneur me rendra selon ma justice. « Et selon la pureté de mes
mains qui est visible à ses yeux (Ps.
XVII, 25)», car ses yeux ne voient point comme voient les hommes. « Ce
qu’ils voient en effet, n’est que temporel, et ce qu’ils ne voient point est
éternel ». C’est à ces hauteurs que s’élève l’espérance.
26. « Vous serez saint avec celui qui est
saint ». Il y a une profondeur cachée qui
fait comprendre que vous êtes saint avec
celui qui est saint, parce que c’est vous qui le sanctifiez. « Que vous êtes
innocent avec l’innocent (II Cor, IV, 18)
». Pour vous, en effet, vous ne nuisez à personne, mais chacun est garrotté par
les chaînes de ses propres fautes (Ps. XVII,
26).
27. « Avec l’homme choisi vous serez choisi
»; car l’homme de votre choix vous choisit à son tour. « Et pervers avec le
pervers (Prov. V, 22) ». Aux yeux de
l’homme injuste vous paraissez injuste; car il dit que la voie du Seigneur
n’est pas droite (Ezéch. XVIII, 25),
tandis que c’est la sienne qui est tortueuse.
28. « Vous sauverez la race des humbles (Ps. XVII, 28)». L’homme pervers regarde
comme une injustice que vous accordiez le salut à ceux qui confessent leurs
péchés. « Et vous humilierez l’oeil des superbes »; vous abaisserez ceux qui
méconnaissent la justice de Dieu et veulent établir leur propre justice (Ps. Rom. X, 3).
29. « C’est vous, Seigneur, qui faites luire
mon flambeau (Ps. XVII, 29)». Car
notre lumière ne vient pas de nous-mêmes: c’est vous, Seigneur, qui en allumez
le flambeau. « C’est vous encore qui dissipez mes ténèbres ». Car nous sommes
dans la nuit à cause de nos péchés, mais le Seigneur dissipera ces obscurités.
30. « C’est encore vous qui me délivrerez de
la tentation (Id. 30) ». Je ne
pourrais, sans vous, triompher de l’épreuve. « C’est en mon Dieu (190) que je
franchirai la muraille ». Ce n’est point par ma puissance, mais par le secours
de Dieu que je franchirai cette muraille que les péchés ont élevée entre les
hommes et la Jérusalem céleste.
31. « Les voies de mon Dieu sont
irréprochables (Ps. XVII, 31) ». Il
ne vient point chez les hommes qu’ils n’aient d’abord purifié la voie de la
foi, afin qu’il puisse venir en eux, lui dont les voies sont pures. « Ses
paroles sont éprouvées par le feu », c’est-à-dire par le feu des afflictions. «
Il est le protecteur de ceux qui espèrent en lui (Ibid.) ». Et ceux qui, loin d’espérer en eux-mêmes, espèrent en
lui, ne seront point consumés par la tribulation, car l’espérance vient après
la foi.
32. « Qui donc serait Dieu, sinon le
Seigneur» que nous servons? «Qui est Dieu si ce n’est notre Dieu (Id. 32)? » Qui est le vrai Dieu, sinon
le Seigneur, que nous, ses enfants, devons posséder comme notre héritage, après
l’avoir bien servi?
33. « C’est le Dieu qui m’a revêtu de force (Id. 33)». Le Dieu qui m’a donné une
ceinture afin que je devinsse fort, et que la robe flottante des convoitises ne
retardât point mes oeuvres et mes démarches. « Et qui m’a aplani la voie de
l’innocence ». Il a voulu m’aplanir la voie de la charité, afin que j’allasse à
lui, comme j’ai dû aplanir la voie de la foi, par laquelle il vient à moi.
34. «Il a rendu mes pieds légers comme ceux
du cerf (Id. 34) ».Il a rendu parfait
cet amour qui me fera franchir les obstacles épineux et ténébreux de ce monde.
« Il m’établira sur des lieux élevés ». Il fixera mes désirs dans le céleste
séjour, afin que je sois rassasié de la plénitude de Dieu (Eph. III, 19).
35. « C’est lui qui dresse mes mains au
combat (Ps. XVII, 35) ». Il me dresse
à ces oeuvres capables de vaincre ces ennemis qui s’efforcent de nous fermer le
passage vers le royaume dès cieux. «Vous avez tendu mes bras comme un arc
d’airain », puisque vous me rendez infatigable dans la volonté des bonnes
oeuvres.
36. « Vous m’avez protégé pour me sauver,
votre main m’a soutenu (Id. 36) ».
Votre main, c’est-à-dire votre grâce. « Vos leçons m’ont dirigé vers ma fin ».
Vos châtiments ne me permettent point de m’égarer, et me redressent afin que je
rapporte mes actions à cette fin qui doit m’unir à vous. « Cette leçon doit
m’instruire encore », car vos sévérités me feront atteindre le but où elles me
dirigent.
37. « Vous avez élargi la voie sous mes pas (Ps. XVII, 37) », et les voies étroites
de la chair ne retarderont point ma course; car vous m’avez dilaté dans cette
charité qui opère le bien avec joie, et à qui les membres et tout ce qu’il y a
de mortel en moi servent d’instruments. « Mes pieds n’ont pas été vacillants »,
c’est-à-dire qu’il n’y a incertitude ni dans la voie que j’ai suivie, ni dans
les traces que j’ai laissées à ceux qui veulent me suivre.
38. « Je poursuivrai mes ennemis, et les
atteindrai (Id. 38) ». Je poursuivrai
en moi les convoitises charnelles qui ne me captiveront plus, mais je les
atteindrai pour les détruire. Et je ne retournerai point qu’elles ne soient
détruites. Je ne cesserai cette poursuite et ne me donnerai de repos, qu’après
avoir anéanti tout ce qui me nuit.
39. « Je les briserai, et ils ne pourront se
soutenir ». Ils ne soutiendront pas mes attaques. « Ils tomberont sous mes
pieds (Id. 39) ». Après les avoir
abattus, je leur préférerai cet amour qui me fait marcher vers l’éternité.
40. « Vous m’avez revêtu de force pour le
combat». Vous avez relevé par la force la robe flottante de mes désirs
charnels, afin que rien ne m’embarrasse dans ce combat. « Vous avez renversé à
mes pieds ceux qui s’élevaient contre moi (Id.
39)». Vous avez jeté dans l’erreur ceux qui me trompaient, et ils se sont
trouvés sous mes pieds, ceux qui voulaient s’élever au-dessus de moi.
41. « Vous avez jeté derrière moi mes ennemis
(Id. 41) ». C’est-à-dire, vous les
avez convertis, et vous les avez placés derrière moi, en les portant à me
suivre. « Vous avez dissipé ceux qui me haïssent ». Vous avez conduit à leur
perte ceux qui ont persévéré dans leur haine.
42. « Ils ont crié, et nul ne pouvait les
sauver (Id. 42)». Qui pourrait sauver
ceux que vous ne sauvez pas? « Ils ont crié vers le Seigneur, qui ne les a
point exaucés ». C’est bien au Seigneur et non à tout autre qu’ils ont adressé
leurs prières, et il n’a point jugé dignes de ses faveurs ceux qui
n’abandonnaient point leurs désordres. (191)
43. « Je les disperserai comme la poussière
qu’emporte le vent (Ps. XVII, 43) ».
Je les réduirai en poussière, car ils sont desséchés, n’ayant point reçu la
rosée des divines miséricordes; et alors soulevés et enflés par l’orgueil, ils
perdent l’inébranlable solidité de l’espérance, comme on est parfois secoué de
dessus la terre qui est stable et ferme. « Je les détruirai comme la boue des
rues ». Dans ces voies larges que suit le grand nombre, je ferai glisser, pour
les perdre, les hommes de la luxure.
44. « Vous me délivrerez des contradictions
du peuple (Id. 44) », c’est-à-dire
des contradictions de ceux qui disent: « Si vous le renvoyez, chacun va le
suivre (Jean, XI, 48) ».
45. « Vous m’établirez chef des nations, et
voilà qu’un peuple que je n’avais pas connu, se range sous mes lois (Ps. XVII, 45) ». Ce peuple des Gentils
que je n’ai point visité d’une manière corporelle, s’est rangé à mon culte. «
Il m’a obéi quand il a entendu ma voix ». Il ne m’a point vu des yeux; mais en
accueillant mes prédicateurs, il a obéi à l’appel de ma voix.
46. « Les fils de l’étranger ont menti contre
moi (Id. 46)». Des enfants, indignes
de ce nom, ou plutôt des étrangers, à qui il est dit à juste titre: « Vous avez
le diable pour père (Jean, VIII, 44)»,
ont menti contre moi. « Ces enfants étrangers ont vieilli ». Ces fils, devenus
étrangers, que je voulais rajeunir en leur apportant le Nouveau Testament, sont
demeurés dans le vieil homme. « Ils ont chancelé dans leurs voies ». Faibles
sur un seul pied, parce qu’ils tenaient l’Ancien Testament, ils ont méprisé le
Nouveau, et sont devenus boiteux; et même dans l’ancienne loi, ils suivaient
plutôt leurs traditions que celles de Dieu. Ils faisaient un crime de ne point
se laver les mains (Matt. XV, 2);
telle était, en effet, la voie qu’ils s’étaient eux-mêmes tracée, qu’une longue
habitude avait battue, loin du sentier des préceptes du Seigneur.
47. « Vive le Seigneur, et béni soit mon Dieu
(Ps. XVII, 47) ». C’est mourir que
vivre selon la chair (Rom. VIII, 6);
car le Seigneur est vivant, et mon Dieu est béni. « Qu’il soit exalté, le Dieu
de mon salut ». Que je n’aie pas sur le Dieu de mon salut des pensées trop
terrestres; que je n’attende point de lui un salut temporel, mais bien des
choses célestes.
48. « C’est vous, ô Dieu, qui savez me
venger, et qui m’assujettissez les peuples (Ps.
XVII, 48)». C’est me venger, ô Dieu, que de les assujettir à mon joug. «
Vous me délivrerez de ces ennemis furieux »; de ces Juifs qui crient: «
Crucifiez-le, crucifiez-le (Jean, XIX, 6)
»,
49. « Vous m’élèverez au-dessus de ceux qui
se révoltent contre moi (Ps. XVII, 49)».
Vous m’élèverez par la résurrection au-dessus de ces Juifs qui persiflent mes
douleurs. « Vous me sauverez de l’homme injuste », de leur inique domination.
50. « C’est pour cela, Seigneur, que je vous
bénirai parmi les nations (Id. 50) ».
C’est par moi, Seigneur, que les nations vous béniront comme leur Dieu. « Je
chanterai votre nom ». Mes bonnes oeuvres vous feront connaître au loin.
51. « Il célèbre le salut du roi qu’il a
choisi (Id. 51) ». C’est Dieu qui
nous fait admirer ces moyens de salut, que donne son Fils à ceux qui croient en
lui. «Il fait miséricorde à son Christ ». C’est Dieu qui fait miséricorde à
celui qui a reçu l’onction, « à David et à sa race dans l’éternité (Id. 52) », à ce libérateur dont la main
puissante a vaincu le monde, et à ceux qu’il a engendrés à l’éternité par leur
foi à l’Evangile. Toutes les paroles de ce psaume, qui ne pourraient
s’approprier à Jésus-Christ ou au Chef de l’Eglise, doivent se rapporter à
l’Eglise elle-même. Ces paroles sont de Jésus-Christ tout entier, de
Jésus-Christ uni à ses membres. (192)
Sous le voile de
l’allégorie, le Prophète célèbre la prédication de l’Evangile, qui est la
parole du Verbe confiée aux Apôtres, et par les Apôtres répandue par toute la
terre, où elle opère des oeuvres de conversion. Condition de cette conversion
ou renoncement au péché.
POUR LA FIN, PSAUME POUR DAVID (Ps. XVIII).
1. Ce titre nous est connu: et ce n’est point
Jésus-Christ Notre Seigneur qui parle dans ce psaume, mais c’est de lui qu’il
est question.
2. « Les cieux annoncent la gloire de Dieu (Id. 2)». Les saints évangélistes, en qui
Dieu habite comme dans les cieux, nous prêchent la gloire de Jésus-Christ, ou
cette gloire que le Fils vivant ici-bas a rendue à son Père. « Et le firmament
publie les oeuvres de ses mains (Ibid.)».
Elle publie les oeuvres merveilleuses du Seigneur, cette force de
l’Esprit-Saint qui est devenue un firmament et un ciel, après avoir été une
terre faible, sous l’influence de la crainte.
3. «Le jour parle au jour (Id.3) ». L’esprit découvre à l’homme
spirituel, et dans sa plénitude, cette immuable sagesse de Dieu, ce Verbe qui
est Dieu, et qui est en Dieu dès le commencement (Jean, I, 1). « Et la nuit enseigne la nuit ». Et cette chair
mortelle qui insinue la foi aux hommes charnels, comme s’ils étaient fort
éloignés, leur annonce la science qui vient après la foi.
4. «Il n’est point d’idiome, point de
langage, dans lequel on n’entende ces voix (Ps.
VIII, 4). Qui n’a pas entendu ces voix des évangélistes, prêchant
1’Evangile en toute langue?
5. «Ce bruit s’est répandu par toute la
terre, et leurs paroles ont retenti jusqu’aux extrémités du monde (Id. 5).
6. « C’est dans le soleil qu’il a établi son
pavillon (Id. 6)». Le Seigneur,
venant livrer bataille aux puissances temporelles de l’erreur, et apporter
ici-bas le glaive et non la paix (Matt.
X, 34), s’est fait connaître dans le temps, ou a manifesté le mystère de
son incarnation, qui était pour lui comme une tente militaire. « Il a été comme
un époux qui sort du lit nuptial». Il est sorti du sein de la vierge, où il a
contracté avec la nature humaine de saintes épousailles. « Comme le géant, il
s’est élancé dans sa carrière ». Il s’est élancé dans sa force, précédant les
autres hommes dans son incomparable puissance, non pour demeurer dans sa voie,
mais pour la parcourir. « Car il ne s’est point arrêté dans la voie des
pécheurs (Ps. I, 1). »
7. « Il part du haut des cieux », ou plutôt
il nous vient du Père, non point d’une manière temporelle, mais par une
génération éternelle. « Et sa course aboutit au sommet des cieux (Ps. XVIII, 7)». Et parce qu’il est
pleinement Dieu, il arrive à l’égalité de son Père. « Et nul ne se dérobe à ses
feux », car le Verbe divin s’étant fait chair, et s’étant revêtu de notre
mortalité pour habiter parmi nous (Jean,
I, 14), n’a permis à aucun homme de prendre pour excuses les ombres de la
mort, puisque la mort elle-même a ressenti la chaleur du Verbe.
8. « La loi du Seigneur est sans tache, elle
convertit les âmes (Ps. XVIII, 8)».
La loi du Seigneur est donc celui-là même qui est venu perfectionner la loi et
non la détruire(Matt. V, 7). Il est
une loi pure, lui qui n’a point commis le péché, dont la bouche n’a point
proféré le mensonge (I Pierre, II, 22);
qui n’accable point les âmes sous le joug de la servitude, mais qui les amène
librement à l’imiter. « Le témoignage du Seigneur est fidèle, il donne la
sagesse aux petits (Ps. XVIII, 8) ».
Ce témoignage est fidèle, parce que nul ne connaît le Père, si ce n’est le
Fils, et ceux à qui le Fils a voulu le révéler (Matt. XI, 27). Ce qui est caché pour les sages, et révélé aux
petits; (193) parce que Dieu résiste aux superbes et donne la grâce aux humbles
(Jacob IV, 6).
9. « Les jugements du Seigneur sont droits,
ils réjouissent les coeurs (Ps. XVIII, 9)».
Tous les jugements du Seigneur sont droits en celui qui n’a rien enseigné,
qu’il ne l’ait fait lui-même afin que ceux qui devaient l’imiter, fussent dans
la joie du coeur, et pussent agir, non plus avec une crainte servile, mais avec
la liberté de l’amour. « Le précepte du Seigneur est lumineux, il éclaire les
yeux ». Ce précepte lucide, que ne cache point le voile des cérémonies
charnelles, éclaire les yeux de l’homme intérieur.
10. « La crainte du Seigneur est chaste, elle
demeure dans le siècle des siècles (Id.
10) ». Cette crainte du Seigneur n’est plus celle qui était un châtiment
sous la loi, et qui appréhende la perte de ces biens temporels dont l’amour est
pour notre âme une fornication; mais c’est une crainte chaste, qui porte
l’Eglise à éviter ce qui peut offenser son époux avec un soin qui égale son
amour pour lui: or, l’amour parfait ne bannit point cette crainte (I Jean, IV, 18), qui demeure
éternellement.
11. « Les jugements du Seigneur sont
véritables; ils se justifient par eux-mêmes (I Ps. XVIII, 10) ». Les jugements de celui qui ne juge personne par
lui-même, et qui a donné tout jugement au Fils (Jean, V, 22), sont véritablement d’une justice immuable. Car Dieu
ne trompe ni dans ses menaces ni dans ses promesses; et nul ne peut soustraire
l’impie aux supplices, ni le juste aux récompenses. « Ils sont plus désirables
que l’or et que les pierres précieuses. — Beaucoup (Ps. XVIII, 1) », soit que « beaucoup » désigne de l’or et des
pierres précieuses en grande quantité, ou l’or qui est beaucoup précieux, ou
beaucoup désirable; néanmoins les jugements de Dieu sont préférables aux pompes
de ce monde, dont le désir fait qu’on ne désire plus, mais qu’on redoute, ou
qu’on méprise, ou que l’on ne croit plus les jugements de Dieu. Si chaque
fidèle, à son tour, est un or pur ou une pierre précieuse, inaltérable au feu
et réservé pour les trésors du Seigneur, alors il aime les jugements de Dieu
plus que lui-même, et préfère à sa propre volonté, celle de Dieu. « Ils sont
plus doux que le miel dans son rayon ». Que l’âme fidèle soit ce miel exquis,
et que déjà dégagée des biens de la vie, elle attende le jour du festin du
Seigneur; ou qu’elle ne soit encore qu’un rayon de miel, enveloppée encore dans
cette vie, comme dans les alvéoles qu’elle remplit sans s’y attacher, ayant
besoin que la main de Dieu la presse, non pour l’accabler, mais pour l’exprimer
comme un miel, et la faire passer du temps à l’éternité, alors les jugements de
Dieu seront pour elle plus doux qu’elle ne l’est elle-même; car ils sont plus
délicieux que le miel et que le rayon.
12. « Pour votre serviteur, il observe ces
lois (Ps. XVIII, 12) », et 1e jour du
Seigneur sera bien amer pour quiconque les méprise. « On trouve, à les
pratiquer, une ample récompense (Ibid.)
»; et cette ample récompense n’est dans aucun autre avantage extérieur que dans
la pratique même des préceptes du Seigneur; elle est grande, parce que cette
pratique porte en elle-même sa joie.
13. « Qui peut connaître ses égarements (Id. 13)?» Et dans ces égarements, quelle
douceur peut. on trouver, puisqu’il n’y a point d’intelligence? Comment, en
effet, comprendre ces égarements, quand ils obscurcissent l’oeil de cette âme
qui fait ses délices de la vérité, qui trouve doux et dignes d’envie, les
jugements de Dieu? Comme les ténèbres nous ferment les yeux, les péchés sont
pour l’esprit un bandeau qui lui dérobe et la lumière et eux-mêmes.
14. « Purifiez-moi, Seigneur, de ce qui est
caché en moi (Ibid.) ». Seigneur,
délivrez-moi de ces convoitises qui se cachent en mon coeur. « Préservez votre
serviteur des péchés des autres », afin que les autres ne me séduisent point.
Car l’homme purifié de ses fautes ne se laisse point prendre aux péchés des
autres, Préservez donc des étrangères convoitises, non l’homme superbe qui
cherche l’indépendance, mais moi, votre serviteur. « Si elles ne me tyrannisent
plus, alors je serai sans tache (Id. 14)
». Assurément, je serai sans tache, si mes passions, ni celles des autres ne me
tyrannisent. Car il n’y a pas une troisième source de péché, après cette suggestion
intérieure qui fit tomber le diable, et cette suggestion extérieure qui
séduisit l’homme et devint son péché par le consentement qu’il y donna. « Et je
serai pur d’un grand péchés. De quel autre péché, sinon de l’orgueil? Il n’y a
pas de plus grand crime que de se séparer (194) de Dieu, et tel est le
commencement de l’orgueil chez l’homme (Eccli.
X, 14). Il est vraiment sans tache celui qui n’a pas même ce péché, qui est
pour nous le dernier quand nous revenons à Dieu, comme il a été le premier
quand nous l’avons abandonné.
15. « Et alors les paroles de ma bouche vous
seront agréables, et les pensées de mon coeur seront toujours en votre présence
(Ps. XVIII, 15) ». Mon coeur ne
recherchera plus cette vaine gloire de plaire aux hommes, puisqu’il n’y a plus
en moi nul orgueil; mais je le tiendrai toujours en votre présence, car vous
voyez les coeurs purs. « Seigneur, vous êtes mon soutien et mon rédempteur ».
Vous êtes mon soutien quand je me dirige vers vous, et c’est pour que j’aille à
vous que vous m’avez racheté. Quiconque ose attribuer à sa propre sagesse de
s’être tourné vers vous, ou à ses forces d’arriver à vous, n’en sera que rejeté
plus loin, puisque vous résistez aux superbes (Jacob, IV, 6) et il n’est point exempt de cette faute principale,
ni agréable à vos yeux, Seigneur, qui nous rachetez afin que nous nous
convertissions à vous, et qui nous aidez afin que nous parvenions auprès de
vous.
Dans ce second discours
saint Augustin tire les conséquences morales et pratiques de l’exposé
précédent: 1° quant à la grâce de Dieu qui nous est acquise par les mérites de
Jésus Christ; 2° quant à l’unité et à la visibilité de l’Eglise, contre les
hérétiques; 3° quant aux dispositions qu’exige de nous la vraie conversion.
1. Après avoir supplié le Seigneur de nous
purifier de nos fautes ignorées, de préserver
ses serviteurs des péchés des autres, il nous
faut comprendre le sens de cette prière, afin de chanter en esprit les louanges
du Seigneur, en hommes raisonnables, et non comme les oiseaux; car on voit
chaque jour le merle et le perroquet, le corbeau et la pie, apprendre des
hommes à former des sons qu’ils ne comprennent point. Mais Dieu a bien voulu
faire à l’homme le don de comprendre ce qu’il chante; et c’est avec douleur que
nous voyons tant d’impies et de libertins exhaler des chants dignes de leurs
oreilles et de leurs coeurs d’autant plus coupables en cela qu’ils ne peuvent
ignorer ce qu’ils chantent. Car ils savent que leurs chants sont criminels, et
néanmoins ils les redisent avec une allégresse d’autant plus vive qu’elle est
plus immonde, et ils se croient d’autant plus joyeux qu’ils sont plus
lubriques. Pour nous, qui avons appris à chanter dans l’Eglise les cantiques
divins, nous devons nous efforcer d’atteindre cette perfection ainsi formulée:
« Bienheureux le peuple qui entend la louange (Ps. LXXXVIII, 16) ». Il faut donc, mes bien-aimés, étudier et
comprendre avec le calme du coeur, ce que nous avons chanté à l’unisson des
voix. Chacun de nous, dans ce cantique, a supplié le Seigneur, et a dit à Dieu:
« Purifiez-moi, Seigneur, de mes fautes cachées, préservez votre serviteur des
péchés des autres. Si je n’en ressens point la tyrannie, je serai sans tache,
et pur d’un grand péché (Ps. XVIII, 13,
14) ». Pour bien comprendre le sens et la portée de ces paroles, voyons
rapidement, et avec le secours de Dieu, le texte du psaume.
2. C’est une allégorie du Christ, et nous le
voyons clairement dans ces paroles: « Il est sorti comme l’époux de son lit
nuptial (Id. 16) ». Quel est cet
époux, sinon celui à qui l’Apôtre a fiancé une vierge? et dans ses chastes
sollicitudes, ce fidèle ami de l’époux craint que, comme Bye fut séduite par
les artifices du serpent, les sens de cette virginale épouse du Christ ne se
corrompent et ne dégénèrent de la chasteté qui est dans le Christ (II Cor. XI, 3). C’est donc (195) en ce
même Jésus-Christ notre Seigneur et Sauveur que Dieu a mis ces trésors, cette
plénitude de la grâce dont l’Apôtre saint Jean nous a dit: « Nous avons vu sa
gloire, comme la gloire que reçoit de son Père le Fils unique, plein de grâce
et de vérité (Jean, I, 14). C’est
cette gloire que racontent les cieux ». Car les cieux, ce sont les saints,
élevés au-dessus de la terre, et qui portent le Seigneur; et toutefois le ciel
a raconté la gloire du Christ, à sa manière. Quand l’a-t-il racontée? Quand, à
la naissance de ce même Sauveur, il fit paraître une étoile nouvelle, et
jusqu’alors inconnue. Il est néanmoins d’autres cieux plus véritables et plus
sublimes, dont il est dit dans un verset suivant: « Il n’est point d’idiome,
point de langage, dans lequel on n’entende leurs voix. Ce bruit s’est fait
entendre par toute la terre, et leurs paroles ont retenti jusqu’aux extrémités
du monde (Ps. XVIII, 4)». De qui ces
paroles, sinon des cieux? et de quels cieux, sinon des Apôtres? Ce sont eux qui
redisent à la louange de Dieu, cette grâce que Dieu a mise en Jésus-Christ pour
la rémission des péchés. « Car tous ont péché et ont besoin de la gloire de
Dieu; ils sont justifiés gratuitement par le sang de Jésus-Christ (Rom. III, 23) ». Comme c’est
gratuitement, c’est donc une grâce, car il n’y a point de grâce qui ne soit
gratuite. Nous n’avions fait aucune bonne oeuvre qui nous méritât ces dons de
Dieu, et même ce n’eût pas été gratuitement qu’il nous eût infligé un supplice;
de là vient que ses bienfaits pour nous sont gratuits. Dans notre vie passée,
nous n’avions mérité rien autre chose qu’un juste châtiment. Dieu donc, non
plus à cause de notre justice, mais par un effet de sa miséricorde, nous a
sauvés par le bain de la régénération (Tit.
III, 5). C’est là, dis-je, la gloire de Dieu que racontent les cieux; car
tu n’as rien fait de bon, et néanmoins tu as reçu ces biens immenses. Si donc
tu as une part à cette grâce que les cieux ont chantée, tu dois dire au
Seigneur ton Dieu: « Il est mon Dieu, puisqu’il me prévient par sa miséricorde
(Tit. III, 5) ». C’est lui en effet
qui t’a prévenu, et tellement prévenu, qu’il n’a rien trouvé de bon en toi. Tu
avais prévenu ses châtiments par ton orgueil, et il a prévenu ton supplice en
effaçant tes péchés. En toi donc, le pécheur est devenu juste, l’impie est
sanctifié, le damné recouvre ses droits au ciel; aussi dois-tu dire à Dieu: «
Ce n’est point à nous, Seigneur, non ce n’est point à nous, mais à votre nom,
qu’il faut en attribuer la gloire (Ps.
CXIII, 9) ». Disons bien
« Non pas à nous », à qui la donnerait-il,
s’il nous considérait? Encore une fois, disons: « Non pas à nous, Seigneur».
S’il nous traitait selon nos mérites, il ne trouverait pour nous que des
peines. « Que son nom donc soit glorifié, et non point nous, parce qu’il ne
nous a point traités selon nos fautes (Id.
CII, 10).» Ne nous la donnez donc point, Seigneur, ne nous la donnez point.
Cette répétition fortifie la pensée. « Ce n’est point à nous, Seigneur, mais à
votre nom, qu’il faut donner la gloire ». C’est ce que comprenaient ces cieux
qui ont chanté la gloire de Dieu.
3. « Et le firmament publie l’ouvrage de ses
mains (Ps. XVIII, 2) ». Cette expression:
« La gloire de Dieu », est répétée dans cette autre: « L’ouvrage de ses mains
». Quels sont les ouvrages de ses mains? N’allons pas croire avec plusieurs,
que Dieu a tout fait de sa parole, mais que l’homme, créature supérieure aux
autres, est l’ouvrage de ses mains. Loin de nous cette pensée qui est basse et
peu exacte, car Dieu a tout fait par son Verbe. Bien que l’Ecriture nous expose
les oeuvres si diverses du Créateur, et nous dise qu’il fit l’homme à son
image; tout néanmoins a été fait par son Verbe, et sans lui rien n’a été fait (Jean, I, 3). Quant aux mains de Dieu, il
est dit encore: « Les cieux sont l’oeuvre de ses mains (Ps. CI, 16) », et pour que vous ne confondiez pas ces cieux avec
les saints, le Prophète ajoute: « Pour eux, ils périront, mais vous, Seigneur,
vous demeurez (Id. 27) ». Donc, non
seulement les hommes, niais aussi les cieux qui doivent périr, sont l’ouvrage
des mains de Dieu, à qui il est dit: « Les cieux sont l’oeuvre de vos mains ».
C’est encore ce qui est dit de la terre: « La mer est à lui puisqu’elle est son
ouvrage, et ses mains ont fait une base à la terre (Id. XCIV, 5) ». Donc s’il a fait le ciel de ses mains, la terre de
ses mains, l’homme n’est pas seul l’oeuvre de ses mains; mais s’il a fait le
ciel par son Verbe, la terre par son Verbe, il a fait aussi l’homme par son
Verbe. L’oeuvre du Verbe est l’oeuvre de sa main, comme l’oeuvre de sa main est
celle de son Verbe. Dieu n’a point comme nous des membres qui (196) dessinent
sa force, puisqu’il est tout entier en tout lieu, et n’a point de limite.
L’oeuvre de son Verbe est l’oeuvre de sa sagesse, et l’oeuvre de sa main celle
de sa puissance. « Or, le Christ est la puissance de Dieu, comme la sagesse de
Dieu (I Cor. I, 24); et c’est par lui
que tout a été fait, et rien n’a été fait sans lui (Jean, I, 3) ». Les cieux donc ont raconté la gloire de Dieu, la
redisent encore et la rediront toujours. Oui, ils chanteront la gloire de Dieu,
ces cieux, ou plutôt ces saints qui sont élevés au-dessus de la terre, qui
portent le Seigneur, qui font retentir ses préceptes et briller sa sagesse; ils
raconteront cette gloire du Seigneur qui nous a sauvés malgré notre indignité.
Il reconnaît cette indignité, ou la gloire dont nous ne sommes pas dignes, ce
fils le plus jeune, que presse l’indigence; il reconnaît cette indignité, ce
jeune homme qui s’éloigne de son père, pour adorer les démons et faire paître
les pourceaux; il reconnaît la gloire de Dieu, mais quand l’indigence le
presse. Et comme cette gloire nous a faits ce que nous n’étions pas dignes
d’être, il dit à son père: «Je ne suis pas digne d’être appelé votre fils (Luc, XV, 21) ». Il est dans le malheur,
et l’humilité lui obtient le bonheur; et il s’en montre digne parce qu’il s’en
confesse indigne. Telle est «la gloire de Dieu, qu’annoncent les cieux, cet
l’oeuvre de ses mains, que prêche le firmament ». Ce ciel firmament, c’est le
cœur du juste dans sa force, étranger à la crainte. Ces oeuvres donc ont été
prêchées parmi les impies, parmi les antagonistes de Dieu, parmi ces hommes
épris du monde et persécuteurs des justes; oui, dans ce monde frémissant de
rage, Mais que pouvait le monde avec sa rage, quand c’était le firmament qui
les prêchait? « Le firmament prêche », et que prêche-t-il? « Les oeuvres de ses
mains ». Quelles sont, les oeuvres de ses mains? Cette gloire de Dieu qui nous
a sauvés, et qui nous a créés dans les bonnes couvres. « Car c’est par lui, et
non par nous-mêmes (Ps. XCIX, 3), que
nous sommes non seulement hommes, mais justes », si tant est que nous soyons
justes.
4. « Le jour parle au jour, et la nuit
instruit la nuit (Ps. XVIII, 3) ».
Qu’est-ce à dire? On comprend facilement peut-être: « Le jour parle au jour»,
aussi facilement et aussi clairement que le jour. Mais « que la nuit instruise
la nuit », voilà qui est ténébreux comme la nuit. Ce jour qui parle au jour,
c’est le saint qui parle aux saints, l’Apôtre aux fidèles, le Christ aux
Apôtres, et qui leur dit: « Vous êtes la lumière du monde (Matt. V, 14) ». Voilà qui paraît clair et facile à comprendre. Mais
comment « la nuit peut-elle instruire la nuit? ». Quelques-uns l’ont pris à la
lettre, et c’est peut-être le vrai sens; selon eux, la science que les Apôtres
ont recueillie de Jésus-Christ pendant son séjour sur la terre, ils l’ont
transmise à leurs successeurs de siècle en siècle. Le jour parle donc au jour,
et la nuit à la nuit; le premier jour au jour suivant, la première nuit à la
nuit qui succède; parce que cette doctrine est annoncée jour et nuit. Celui-là
peut se contenter de cette explication si simple qui la trouve suffisante. Mais
l’obscurité de certains passages des saintes Ecritures a eu cet avantage de
produire plusieurs interprétations. Si donc ces paroles étaient claires, vous
n’y trouveriez qu’un sens unique; et parce qu’il est obscur, vous en entendrez
plusieurs. On explique autrement: « Le jour parle au jour et la nuit à la nuit
», c’est-à-dire l’esprit à l’esprit, et la chair à la chair. Puis encore: « Le
jour qui parle au jour », figurerait l’homme spirituel parlant à ceux qui vivent
selon l’esprit; et « la nuit à la nuit », l’homme charnel aux hommes charnels.
Les uns et les autres entendent cette parole, mais ne la goûtent pas également,
Pour les uns, c’est une parole prêchée; pour les autres, une science que l’on
annonce. Car prêcher n’a lieu que pour ceux qui sont présents, annoncer pour
ceux qui sont éloignés. On pourrait trouver aux cieux d’autres significations,
mais le peu de temps qui nous reste, nous force d’en rester là; donnons
toutefois une explication, que plusieurs ont donnée comme une conjecture. Selon
eux, quand Notre Seigneur Jésus-Christ parlait aux Apôtres, le jour parlait au
jour; et quand Judas trahissait le Christ, la nuit donnait la science à la
nuit.
5. « Il n’est point d’idiome, point de
langage, dans lequel cette voix ne se fasse entendre (Ps. XVIII, 4)». De qui cette voix, sinon des cieux qui racontent la
gloire de Dieu? « li n’est « point d’idiome, point de langage, dans lequel
cette voix ne se fasse entendre». Lisez, dans les actes des Apôtres, comment
ils furent (197) tous remplis de l’Esprit-Saint qui descendait sur eux: et
comme ils parlaient en toutes les langues, selon que l’Esprit-Saint les faisait
parler (Act. II, 4). Voilà comment. «
il n’est point d’idiome, point de langage, dans lequel leur voix ne se fasse
entendre ». Et non seulement leur voix a retenti dans l’endroit où ils avaient
reçu l’Esprit-Saint, mais « elle a parcouru toute la terre, et leurs
prédications ne s’arrêtent qu’aux extrémités du monde ». De là vient que nous
prêchons ici. Car cette voix qui a parcouru toute la terre est venue jusqu’à
nous, et la parole de l’hérésie n’entre point dans l’Eglise. Cette voix donc a
parcouru toute la terre, afin de vous faire entrer dans le ciel. O esprit de
pestilence, de contention, de méchanceté, et qui te plais dans l’erreur!
écoute, ô fils orgueilleux, le testament de ton père. Le voici, quoi de plus
clair et de plus net? «Le bruit de leur voix a parcouru toute la terre, et
leurs paroles ont retenti jusqu’aux confins du monde ». Est-il besoin d’aucun
éclaircissement? Pourquoi tourner tes efforts contre toi-même? Tu veux
contester pour retenir une partie, quand la paix te mettrait en possession du
tout.
6. « Il a établi son tabernacle dans le
soleil (Ps. XVIII, 5) »; en mettant
son Eglise en évidence et en grand jour, non dans l’obscurité, non dans le
mystère et sous un voile, de peur qu’elle ne se dérobât comme les assemblées
des hérétiques (Cant. I, 6, selon les
LXX.)». Il est dit à un coupable dans 1’Ecriture sainte: « Parce que tu as
péché dans le secret, tu seras châtié au grand jour (II Rois, XII, 12) »: c’est-à-dire que sous les yeux de tous tu
subiras le châtiment de ta faute commise dans le secret. « Il a donc établi son
tabernacle dans le soleil ». Pourquoi dès lors, enfant de l’hérésie, t’enfuir
dans les ténèbres? Es-tu chrétien? écoute Jésus-Christ. Es-tu serviteur? écoute
le maître. Es-tu fils? écoute un père: corrige-toi, reviens à la vie. Que nous
puissions dire de toi: Il était mort et il est ressuscité, il était perdu et il
est retrouvé. Garde-toi de me dire: Pourquoi me chercher, si je suis perdu? car
c’est précisément parce que tu es perdu que je te cherche. Ne me cherchez
point, dira-t-il. Tel est le voeu de l’iniquité qui nous divise, mais non de la
charité qui nous fait frères. Je ne serais point criminel si je cherchais un
serviteur, et l’on me fait un crime de chercher mon frère ! Que telle soit la
sagesse de celui qui n’a point la charité fraternelle, pour moi, je recherche
mon frère. Qu’il s’irrite, il n’en faut pas moins le chercher, il s’apaisera si
nous le retrouvons. Je cherche donc mon frère, et j’en appelle au Seigneur mon
Dieu, non contre lui, mais en sa faveur. Et nia prière ne sera point: Dites,
Seigneur, à mon frère qu’il divise l’héritage avec moi, mais bien: Dites à mon
frère qu’il jouisse avec moi de tout l’héritage (Luc, XII, 13). Pourquoi donc errer de la sorte, ô mon frère?
Pourquoi fuir dans les lieux écartés? Pourquoi ces efforts pour vous cacher? «
Dieu a placé son tabernacle dans le soleil. Il est comme le jeune époux qui
sort du lit nuptial (Ps. XVIII, 6) ».
Sans doute qu’il ne vous est pas inconnu « cet époux qui sort du lit nuptial,
qui s’élance comme un géant pour parcourir sa carrière », c’est lui « qui a
placé dans le soleil son tabernacle »; c’est-à-dire que le Verbe s’étant fait
chair (Jean, I, 15) a trouvé, comme
le jeune époux, un lit nuptial dans le sein d’une vierge; et alors uni à la
nature humaine, il est sorti comme d’un lit très-chaste, plus humble que tous
dans sa miséricorde, plus fort que tous dans sa majesté: de là vient « qu’il a
bondi comme un géant dans sa carrière »; naître, grandir, enseigner, souffrir,
ressusciter, monter aux cieux, c’est là courir et non s’arrêter dans la voie.
Le même époux qui a fait tout cela, a donc placé dans le soleil, ou dans
l’évidence, son tabernacle, qui est son Eglise.
7. Voulez-vous connaître cette voie qu’il a
parcourue avec tant de vitesse? « Il part du haut des cieux, pour retourner
jusqu’à leur sommet (Ps. XVIII, 7) ».
Mais après qu’il en est descendu, et qu’il y est retourné dans sa course
rapide, il a envoyé son Esprit. On vit, sur chacun de ceux qui le reçurent,
comme des langues de feu qui se divisaient (Act.
II, 3) ». L’Esprit-Saint est donc venu comme un feu, qui doit consumer la
chair comme une paille desséchée, et purifier l’or dans le creuset. Il est donc
venu comme un feu; aussi est-il dit que « nul ne se dérobe à son embrasement ».
8. « La loi du Seigneur est pure, elle
convertit les âmes ». C’est là l’Esprit-Saint. « Le témoignage du Seigneur est
fidèle, il donne la sagesse aux petits (Ps.
XVIII, 8) »; non pas aux superbes. Tel est encore l’Esprit-Saint.
9. « Les jugements du Seigneur sont droits»;
ils portent « dans les coeurs la joie n et non la crainte. C’est l’oeuvre de
l’Esprit-Saint. « Le précepte du Seigneur est lumineux, il éclaire les yeux (Id. 7) » sans les éblouir; non les yeux
de la chair, mais les yeux du cœur; non ceux de l’homme extérieur, mais de
l’homme spirituel. Tel est encore l’effet de l’Esprit-Saint.
10. « La crainte du Seigneur n n’est pas
servile, mais chaste »; elle aime gratuitement ce qu’elle appréhende; ce n’est
point le châtiment de celui qu’elle redoute, mais la séparation de celui
qu’elle aime. Telle est la crainte chaste qui ne disparaît pas devant la
charité parfaite (Jean, IV, 18), mais
« qui demeure dans le siècle des siècles ». C’est là l’Esprit-Saint, ou plutôt,
c’est lui qui la donne, qui la répand dans nos âmes, qui la greffe en nous. «
Les jugements du Seigneur sont vrais, et se justifient par eux-mêmes (Ps. XVIII, 10) », sans porter aux
querelles, mais à nous unir dans la paix; c’est ce que signifie « en eux-mêmes
». Tel est encore l’effet du Saint-Esprit. Aussi, ceux qui le reçurent à sa
première descente, reçurent-ils aussi le don des langues, pour nous montrer par
là qu’il ramènerait à l’unité toutes les langues de la terre. L’unité de
l’Eglise parle en toutes les langues, et continue aujourd’hui cette merveille
d’un seul homme qui s’exprimait alors dans la langue de tous (Act. II, 4), après avoir reçu l’Esprit-Saint.
Aujourd’hui c’est encore un seul homme qui parle à toutes les nations et dans
toutes les langues, un seul homme, c’est-à-dire la tête et le corps, un seul
homme, qui est le Christ et l’Eglise, l’homme parfait, l’époux et l’épouse. «
Ils seront deux dans une même chair (Gen.
II, 24) », a dit l’Ecriture. «Les jugements de Dieu sont véritables, ils se
justifient par eux-mêmes », à cause de l’unité.
11. « Ils sont plus désirables que l’or et
que les pierres précieuses. Beaucoup (Ps.
XVIII, 11) ». Ce «beaucoup » signifie beaucoup d’or, ou beaucoup
précieuses, ou beaucoup désirables; mais beaucoup, c’est peu pour l’hérétique.
Ils n’aiment pas avec nous id ipsum
ou l’unité, et avec nous ils confessent le Christ. Mais ce Christ que tu
confesses avec moi, aime-le donc avec moi. Et celui qui ne veut point l’unité,
qui refuse, qui regimbe, qui méprise, celui-là ne la croit point préférable à
l’or et aux pierres précieuses. Ecoutez encore: « Ils sont »; dit le Prophète,
« plus doux que le miel et que le rayon ». Mais ceci condamne celui qui
s’égare. Le miel est amer pour une bouche fiévreuse, quelque douceur qu’il ait
pour une bouche en santé, parce qu’il est précieux pour l’homme qui se porte
bien. « Ils sont donc plus désirables que l’or et que les pierres les plus
précieuses, plus doux que le miel et que le rayon de miel ».
12. « Aussi votre serviteur les
observe-t-il», et en éprouve-t-il ainsi la douceur, non plus en paroles, mais
en pratique. Votre serviteur les garde parce qu’ils sont doux en cette vie et utiles
pour l’autre vie. « Il trouve à les garder une ample récompensez». Mais dominé
par son obstination, l’hérétique ne peut voir cette lumière, ni goûter cette
douceur.
13. « Qui peut connaître ses péchés? — Mon
Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font (Luc, XVIII, 34) ». Celui-là donc, dit le Prophète, est votre
serviteur, qui peut goûter une semblable douceur, qui a cette tendresse de
charité, cet amour de l’unité. Et moi qui la goûte, poursuit le Prophète, je
vous en supplie, qui peut en effet connaître ses fautes? Que jamais en moi,
nulle faiblesse ne se glisse chez l’homme, et que cet homme ne se laisse point
séduire. « Purifiez-moi, Seigneur, des fautes qui m’échappent ». Nous l’avons
chanté, nous y arrivons dans nos explications. Disons donc avec intelligence:
Chantons et comprenons, prions en chantant, afin que notre prière soit exaucée;
disons: « Purifiez-nous, Seigneur, des fautes qui nous échappent ». Qui peut
connaître ses péchés? On ne peut les comprendre qu’en voyant ses ténèbres, et
nous ne sommes enfin dans la lumière que quand nous nous repentons de nos
fautes. Un homme qui se roule encore dans le péché, ne peut voir ce péché, tant
ses yeux sont obscurcis et fermés; que l’on vous mette, en effet, un bandeau
sur les yeux du corps, vous ne voyez plus rien, pas même le bandeau.
Adressons-nous donc à Dieu, qui sait voir en nous ce qu’il doit purifier, et
pénétrer ce qu’il doit guérir, et disons-lui
« Purifiez-moi, Seigneur, de mes fautes
cachées, épargnez à votre serviteur les péchés des autres n. Mes péchés,
dit-il, me souillent, et ceux des autres me contristent; épargnez-moi les uns
et purifiez-moi des autres. Enlevez de mon coeur toute pensée mauvaise,
éloignez de moi ce qui inspire le mal. Voilà ce que signifie: « Purifiez-moi de
mes fautes cachées, épargnez à votre serviteur les péchés des autres (Ps. XVIII, 14) ». Telles sont en effet
les deux sortes de péchés qui ont paru d’abord, au commencement du monde, les
nôtres et ceux des autres. Le diable est tombé par son propre péché (Isa. XIV, 12), Adam par celui d’un autre
(Gen. III). De là vient que le
serviteur de Dieu, qui observe les jugements de Dieu et y trouve une ample
récompense, prie ainsi dans un autre psaume: « Que l’orgueil n’entre point en
moi; que la main du pécheur ne m’ébranle point (Ps. XXXV, 12) ». « Que l’orgueil donc n’entre point en moi »,
c’est-à-dire, purifiez-moi de mes fautes cachées; et que la main du pécheur ne
m’ébranle point », c’est-à-dire, épargnez à votre serviteur les péchés des
autres.
14. « Si» mes fautes cachées et les péchés
des autres « ne me dominent plus(Ps.
XVIII, 14), alors je serai sans tache ». Il n’ose point l’espérer de ses
propres forces, mais il supplie le Seigneur de l’accomplir, et lui dit dans un
autre psaume: « Dirigez mes pas selon votre parole, et ne permettez pas que
l’iniquité domine jamais en moi (Id. 118,
133) ». Tu es chrétien, et dès lors garde-toi de craindre la domination
extérieure d’un homme; crains toujours le Seigneur ton Dieu. Crains le mal qui
est en toi, ou les passions; non point ce que le Seigneur a tait en toi, mais
ce que toi-même y as fait. Le Seigneur t’avait créé bon serviteur, et toi, tu
t’es créé dans ton coeur un maître méchant. C’est justement que tu es soumis à
l’iniquité, soumis au maître que tu t’es imposé toi-même, puisque tu n’as pas
voulu servir celui qui t’a créé.
15. « Si donc je ne suis plus esclave de leur
tyrannie, alors je serai sans tache et pur d’un grand crime (Ps. XVIII, 14) ». De quel crime,
pensez-vous? Quel est ce grand péché? Il peut n’être pas ce que je vais dire,
et toutefois je ne déguiserai point mon opinion; ce grand crime, à mon avis,
c’est l’orgueil. C’est là peut-être ce qu’il exprime en d’autres termes, en
disant: « Et je serai pur d’un grand crime ». Me demanderez-vous combien est
grand le crime qui a fait tomber l’ange, qui a changé cet ange en démon, et lui
a fermé pour toujours le royaume des cieux? C’est là le grand crime, la source,
l’origine de tous les crimes. Car il est écrit: « Le commencement de tout
péché, c’est l’orgueil (Eccli. X, 15)
». Et de peur qu’on ne le regarde comme une faute légère, l’Ecriture ajoute: «
Le commencement de l’orgueil chez l’homme est de lui faire apostasier Dieu (Id. 14) ». Non, mes frères, ce vice
n’est point une faute légère; c’est à ce vice que répugne l’humilité
chrétienne, chez les grands personnages que vous voyez. C’est ce vice qui leur
fait dédaigner de courber la tête sous le joug du Christ, eux qui sont asservis
au joug du péché. Car ils ne peuvent échapper à la servitude; ils se veulent
affranchir de la servitude, quand il leur est avantageux de servir. Ce qu’ils
gagnent en cherchant l’indépendance, c’est de refuser de servir un bon maître,
mais non de s’affranchir complètement; car on devient nécessairement esclave du
péché, quand on ne veut point l’être de la charité. Ce vice, que l’on peut
appeler la source de tous les autres, puisque les autres lui doivent leur
origine, nous a fait apostasier Dieu; et l’âme, par un déplorable usage de sa
liberté, se plonge dans les ténèbres, chargée qu’elle es-t de toute sorte de
péchés. Voilà qu’il vit dans la prodigalité, il dissipe ses richesses avec les
femmes sans pudeur, il devient le pâtre des pourceaux (Luc, XV, 13), celui qui était le compagnon des anges. C’est à cause
de ce vice, de cette grande iniquité de l’orgueil que Dieu s’est humilié parmi
les hommes. Tel est le motif, telle est la plaie profonde, la grande maladie
des âmes, qui a fait descendre du ciel le Médecin tout-puissant, qui l’a
humilié sous la forme de l’esclave, qui l’a outragé, suspendu au gibet, afin
qu’une semblable tumeur trouvât sa guérison dans un si grand remède. Que
l’homme donc rougisse de son orgueil, quand un Dieu s’est fait humble pour lui.
Alors, dit le Prophète, « je serai pur d’un grand péché », devant le « Dieu qui
résiste aux orgueilleux et qui donne la grâce aux humbles (Ps. XVIII, 15) ».
16. « Ainsi vous deviendront agréables les
paroles de ma bouche, et les pensées de mon coeur seront toujours en votre
présence (Ps. XVIII, 15) ». Car si je
ne suis point purifié de (200) ce grand vice, mes paroles pourront être
agréables devant les hommes, et non devant vous; puisque l’âme superbe demande
aux hommes ses applaudissements, mais l’âme vraiment humble veut plaire dans ce
secret que pénètre-Dieu seul; et si elle vient à plaire aux hommes par quelques
bonnes oeuvres, elle s’en réjouit pour-ceux qui se complaisent dans ses
oeuvres, et non pour elle-même; il doit lui suffire d’avoir fait le bien. «
Notre gloire », dit l’Apôtre, « c’est le témoignage de notre conscience (II Cor. I, 12) ». Chantons donc aussi à
Dieu le verset suivant: « Seigneur, vous êtes mon aide, mon rédempteur ». Vous
m’aidez dans le bien et me délivrez du mal. Vous êtes mon aide, afin que je
demeure dans la charité; mon rédempteur, en me rachetant de mon iniquité.
Ce psaume est le chaut de la
résurrection, qui est la Gloire de Jésus-Christ triomphant des Juifs ses
ennemis, et devenant notre médiateur dans le ciel.
POUR LA FIN, PSAUME A DAVID (Ps. XIX, 1)
1. Le titre nous est connu, ce n’est point le
Christ qui parle, mais le Prophète qui parle au Christ, et qui chante l’avenir
sous la forme d’un souhait.
2. « Que le Seigneur vous exauce au jour de
la tribulation (Id. 2) ». Qu’il vous exauce
au jour que vous lui avez dit: « Mon Père, glorifiez votre Fils (Jean, XVII, 1) ». « Que le nom du Dieu
de Jacob vous protège ». Car c’est à vous qu’appartient le plus jeune des deux
peuples, puisque l’aîné doit servir le puîné (Gen. XXV, 23) ».
3. « Qu’il vous protége du haut de son
sanctuaire, et vous protége de Sion (Ps.
XIX, 3); en sanctifiant votre corps mystique, ou 1’Eglise, qui trouve sa
sûreté dans la contemplation, et qui attend que vous reveniez des noces.
4. « Qu’il se souvienne de tout votre
sacrifice (Id. 4) ». Qu’il ne nous
laisse pas oublier les outrages et les affronts que vous avez endurés pour
nous. « Et qu’il rende suave le parfum de vos holocaustes ». Et que la douleur
de cette croix, sur laquelle vous vous êtes offert tout entier à Dieu, se
change en la joie de la résurrection.
5. « Diapsalma. Que le Seigneur vous donne
selon votre cœur (Ps. XIX, 5) ». Que
le Seigneur vous exauce, non point selon les désirs de ceux qui vous ont
persécuté dans l’espoir de vous anéantir, mais selon votre coeur qui connaît
les fruits de votre passion. « Et qu’il accomplisse tous vos desseins »; qu’il
accomplisse, non seulement ce dessein qui vous a porté à donner votre vie pour
vos amis (Jean, XV, 13), afin que le
grain mourût pour ressusciter en épis luxuriants (Id. XII, 14), mais encore celui par lequel l’aveuglement est tombé
sur une partie d’Israël, afin que la plénitude des nations entrât, et qu’ainsi
tout Israël fût sauvé (Rom. XI, 25)
».
6. « Nous tressaillerons dans votre salut ». Nous
tressaillerons de l’impuissance de la mort sur vous; car vous nous montrerez
ainsi qu’elle sera impuissante à nous nuire. « Et nous trouverons notre gloire
dans votre nom (Ps. XIX, 6) ». Pour
nous, confesser votre nom, nous conduira, non à notre perte, mais à la gloire.
7. « Que le Seigneur vous accorde toutes vos
demandes (Ibid.) ». Qu’il exauce non
seulement les prières que vous lui avez faites sur la terre, mais celles que
vous lui faites en (201) notre faveur dans le ciel. «Je reconnais maintenant que
le Seigneur a sauvé son Christ». L’esprit de prophétie m’a fait connaître que
le Seigneur doit ressusciter son Christ. « Il l’exaucera de son sanctuaire
céleste ». Il l’exaucera, non seulement quand sur cette terre il demandera
d’être glorifié (Jean, XVII, 1), mais
lorsque dans le ciel il intercédera pour nous, à la droite de son Père, et
répandra l’Esprit-Saint sur tous ceux qui croiront en lui (Act. II). « Il y a dans sa droite une puissance de salut ». Notre
puissance est dans ses faveurs salutaires, alors qu’il nous soutient dans les
afflictions, en sorte que c’est quand nous sommes faibles que nous devenons
forts (II Cor. XII, 10). Car le salut
des hommes est vain (Ps. LIX, 13),
quand il est de la gauche et non de la droite de Dieu, puisqu’ils s’enflent
d’un excessif orgueil, tous ces pécheurs qui trouvent leur salut dans les biens
du temps.
8. « Ceux-ci mettent leur confiance dans
leurs chariots, et dans leurs chevaux ». Les uns se laissent entraîner dans les
évolutions successives de la fortune, et les autres se prévalent avec orgueil
de leurs honneurs, et y placent leur félicité, « Pour nous, notre joie est dans
le nom du Seigneur, notre Dieu (Id. XIX,
8)». Pour nous, notre espérance est dans les biens éternels, et sans
chercher notre propre gloire, nous tressaillerons au nom du Seigneur, notre
Dieu.
9. Ils se sont embarrassés, et sont tombés (Ps. XIX, 9). L’amour des biens temporels
les a garrottés, ils ont craint que, s’ils laissaient vivre le Fils de Dieu,
les Romains ne prissent leur pays (Jean,
XI, 48) et en se heurtant contre cette pierre de scandale et d’achoppement
(Rom. IX, 32), ils ont perdu
l’espérance du ciel. Ils sont tombés dans l’aveuglement qui a frappé une partie
d’Israël (Id. XI, 25); et, en voulant
faire prévaloir leur propre justice, ils ont oublié celle de Dieu (Id. X, 3). « Pour nous, au contraire,
nous nous sommes relevés pour nous redresser ». Pour nous, peuples de la
Gentilité, nous étions des lierres, et Dieu a fait de nous des enfants
d’Abraham (Matt. III, 9); nous ne
cherchions point la justice, et nous l’avons embrassée (Rom. IX, 30), et nous voilà relevés; ce redressement n’est point dû
à nos forces, mais à la foi qui nous a justifiés.
10. « Seigneur, sauvez le roi », afin qu’a.
près nous avoir appris à combattre par sa passion, il offre aussi nos
sacrifices, après s’être ressuscité d’entre les morts, et installé dans les
cieux. « Exaucez-nous, au jour où nous vous invoquerons». Et comme il sera
notre intercesseur, vous nous exaucerez quand nous vous offrirons nos voeux.
Ce psaume parait avoir le même sujet que le
précédent; et, en l’appliquant à Jésus-Christ, nous retrouvons facilement cette
gloire de la résurrection et de l’ascension qui a su compenser les ignominies
du Calvaire.
POUR LA FIN, PSAUME POUR DAVID (Ps. XX, 1).
1. Le titre nous est connu, c’est
Jésus-Christ que chante le Prophète.
2. « Seigneur, le roi s’applaudira de votre
puissance ». Seigneur, le Christ, dans son humanité, s’applaudira de cette
puissance qui a revêtu de chair le Verbe éternel. « Et votre salut le fera
tressaillir d’allégresse (Ps. XX, 2)
». Il trouvera sa joie dans cette force qui donne la vie à toute créature.
3. « Vous avez accompli les désirs de son
Cœur (Ps. XX, 3) ». Il avait désiré
manger la Pâque (Luc, XXII, 15), puis
donner sa vie quand il voudrait, et la reprendre encore à son gré (Jean, X, 18), et vous le lui avez
accordé. « Et vous n’avez point rendu vaine la prière de ses lèvres (Ps. XX, 3)». Il dit: « Je vous laisse ma
paix (Jean, XIV, 17) ». Et il en fut
ainsi.
4. « Vous l’avez prévenu par vos suaves
bénédictions (Ps. XX, 4) ». Et comme
il en avait savouré les douceurs, le fiel de nos péchés ne l’a point suffoqué.
— « Diapsalma. — Vous « avez placé sur sa tête une couronne de pierres précieuses».
Au début de sa prédication, vous l’avez environné de ces pierres précieuses,
qui furent ses disciples, et qui commencèrent à l’annoncer au monde.
5. « Il vous a demandé la vie, et vous la lui
avez donnée (Id. 5) ». Vous lui avez
accordé la résurrection que demandait cette prière: «Mon Père, glorifiez votre
Fils (Jean, XVII, 1). Vous lui avez
donné de longs jours pour l’éternité (Ps.
XX, 5) » les siècles de cette vie, qui mesurent la durée de son Eglise, et
ensuite la durée des siècles éternels.
6. « Sa gloire est grande à cause de votre
salut (Id. 6) ». En le ressuscitant
d’entre les morts, vous avez mis le comble à sa gloire. « Vous le chargerez de
gloire et d’honneur ». Vous ajouterez encore à sa gloire et à sa splendeur, en
le plaçant, au ciel, à votre droite.
7. « Sur lui retomberont vos bénédictions
éternelles (Id. 7) ». Et voici les
bénédictions que vous lui donnerez dans les siècles « Vous le remplirez de joie
devant votre face». La vue de votre face jettera dans une joie ineffable cette
humanité sainte qu’il a reportée près de vous.
8. « C’est dans le Seigneur que le roi a mis
son espoir ». Ce roi sans orgueil, mais humble de coeur, espère dans le
Seigneur. « Et il sera inébranlable dans la miséricorde du «Très-Haut (Id. 8) ». Et cette infinie miséricorde
ne troublera point l’humilité qui l’a rendu obéissant jusqu’à la mort de la
croix.
9. «Que votre main se fasse sentir à tous vos
ennemis (Id. 9) ».Quand vous
viendrez, pour nous juger, que votre pouvoir, ô roi, se fasse sentir à tous vos
ennemis qui ne l’ont point compris dans votre humilité. « Que ceux qui vous
haïssent ne puissent échapper à votre droite». Que cette gloire, qui vous fait
régner à la droite de votre Père, rencontre au jour du jugement et châtie ceux
qui vous haïssent, puisque sur la terre ils ne l’ont point connue.
10. « Vous les embraserez comme une fournaise
». La conscience de leur impiété
sera pour eux comme un brasier intérieur. «
Au jour de votre visage », ou quand vous
manifesterez votre gloire. « Le Seigneur,
dans sa colère, les frappera de terreur, et ils seront la proie des flammes (Ps. XX, 10) ». Troublés par les célestes
vengeances, et en proie au remords, ils seront dévorés par les flammes
éternelles.
11. « Vous effacerez leurs fruits de la
terre». Ces fruits sont terrestres, et doivent disparaître de la terre. « Et
leur génération d’entre les fils des hommes (Id. 11) ». Vous anéantirez leurs oeuvres, ou vous ne compterez pas
les hommes qu’ils ont pu séduire, parmi ceux que vous avez appelés à l’héritage
éternel.
12. « Parce qu’ils ont fait retomber leurs
malheurs sur vous ». Tel est le châtiment
qu’ils ont provoqué, en cherchant à
détourner, par votre mort, les maux qu’ils redoutaient, si
vous eussiez été leur roi. « Ils ont formé
des desseins qu’ils n’ont pu accomplir (Id.
12)». Ils
formaient ces desseins, quand ils disaient. «
Il est avantageux qu’un seul homme meure pour tous (Jean, XI, 50) »; dessein qu’ils n’ont pu accomplir, car ils ne
savaient ce qu’ils disaient.
13. « Vous leur tournerez le dos», car vous
les placerez parmi ceux dont vous vous détournerez avec mépris. « Et dans ce
que vous leur laissez, vous vous préparez leur visage (Ps. XX, 13)». Ce que vous leur laissez, ce sont les désirs d’un
royaume terrestre, et ces désirs stimuleront leur impudence ou leur visage,
dans la passion que vous vous préparez.
14. « Elevez-vous, Seigneur, dans votre
puissance ». O vous, Seigneur, qu’ils n’ont point reconnu dans votre humilité,
élevez-vous dans cette puissance qu’ils ont regardée comme une faiblesse. «
Nous bénirons vos grandeurs, nous les célébrerons sur la harpe (Id. 14) » Notre amour et nos oeuvres
chanteront vos merveilles, nous les ferons connaître par toute la terre. (203)
Dans le premier discours saint
Augustin expose le sens des paroles de David relatives à la passion, les
insultes des Juifs, le crucifiement, le partage des vêtements de Jésus-Christ;
puis les effets de l’Eucharistie. Dans le second discours, il s’applique à
démontrer contre les Donatistes le règne universel de Jésus-Christ, qu’ils
veulent scinder et restreindre à leur parti.
POUR LA FIN, SUR LE SECOURS DU MATIN, PSAUME DE DAVID (Ps. XXI, 1).
1. Pour la fin, ou pour Jésus-Christ qui chante
lui-même sa résurrection. Ce fut le matin du premier jour, après le sabbat, qu
s’opéra cette résurrection (Matt. XXVIII,
1), par laquelle il fut reçu dans la vie éternelle, « et soustrait ainsi à
l’empire de la mort (Rom. VI, 9) ».
Tout le psaume s’applique à la personne du Crucifié car il commence par ces
paroles que prononce le Sauveur, lorsque, du haut de la croix, il poussa un
grand cri, représentant alors h vieil homme dont il avait revêtu la mortalité;
car notre vieil homme a été cloué à la croix avec lui (Id.6):
2. « O Dieu, mon Dieu, jetez les yeux sur
moi; pourquoi m’avez-vous abandonné, bien loin de me secourir (Ps. XXI, 2)? » Vous n’avez garde de me
secourir, puisque votre salut est loin des pécheurs (Id. 118, 155). « Les cris de mes péchés vous implorent », car cette
prière n’est point celle d’un juste, mais d’un homme chargé de fautes. Celui
qui prie à la croix, est en effet le vieil homme, qui ne sait pourquoi le
Seigneur l’a délaissé. Ou bien encore: « Les rugissements de mes péchés vous
empêchent de me secourir ».
3. « Seigneur, je vous invoquerai pendant le
jour, et vous ne m’exaucerez point (Id.
XXI, 3). » O Dieu, dans les prospérités de cette vie, je vous demanderai
qu’elles ne changent point, et vous ne m’écouterez point, parce que cette
prière sera celle de mes péchés. « Je vous invoquerai la nuit, et ce ne sera
point une folie pour moi ». Si, dans les malheurs de cette vie, je vous demande
le bonheur, vous ne m’exaucerez pas non plus. Et vous en agirez ainsi, non pour
me jeter dans la folie, mais pour m’apprendre ce qu’il vous est agréable que je
vous demande, non plus dans ces prières du péché qui désire la vie du temps,
mais dans les supplications d’une âme qui se tourne vers vous, pour avoir la
vie éternelle.
4. « Mais vous habitez dans la sainteté,
vous, la gloire d’Israël ». Vous habitez le Saint des saints, et de là vient
que vous n’écoutez point les prières défectueuses du péché. Vous êtes la gloire
de celui qui vous contemple, et non de celui qui chercha sa propre gloire en goûtant
le fruit défendu, en sorte que lei yeux de son corps furent ouverts, et qu’il
voulut se dérober à votre présence et se cacher (Gen. III).
5. « En vous ont espéré nos pères (Ps. XXI, 5)». Tous ces justes, qui n’ont
point cherché leur gloire, mais la vôtre. « Ils ont espéré, et vous les avez
sauvés».
6. « Ils ont crié vers vous, et vous les avez
délivrés (Id.6) ». Ils vous ont fait
entendre, non la voix des péchés qui éloigne le salut, et c’est pourquoi vous
les avez délivrés. « Ils ont espéré en vous, et ils n’ont pas été confondus ».
Vous n’avez pas trompé l’espérance
qu’ils avaient mise en vous, parce qu’ils ne
comptaient point sur eux-mêmes.
7. « Pour moi, je suis un ver de terre et non
plus un homme (Id. 5)». Pour moi, qui
ne parle plus en Adam, mais qui suis Jésus-Christ, sans aucun germe je suis né
dans la chair, afin d’être, eu l’homme, au-dessus des hommes; et de la sorte,
l’orgueil humain ne dédaignera plus mon abaissement. « Je suis l’opprobre des
hommes, le rebut de la populace ». Cet abaissement a fait de moi le rebut des
hommes, au point que l’on disait, (204) comme un outrage et une malédiction: «
Pour toi, sois son disciple (Jean, IX,
28)»; tant le peuple avait de mépris pour moi.
8. « Tous ceux qui me voyaient, m’insultaient
(Ps. XXI, 8)». j’étais la dérision de
tous ceux qui me voyaient. « Ils parlaient des lèvres, et branlaient la tête ».
Ils parlaient des lèvres, et non du coeur.
9. Car c’est par dérision qu’ils disaient, en
branlant la tête: « Il a mis son espoir dans le Seigneur, que le Seigneur le
délivre; qu’il le sauve, s’il lui est cher (Id.
9) ». Tels étaient les paroles qui couraient sur leurs lèvres.
10. «C’est vous, Seigneur, qui m’avez tiré
des entrailles maternelles (Id. 10)
». C’est vous qui n’avez tiré, non seulement du sein d’une vierge, car telle
est la condition de tout homme, de naître en sortant du sein de sa mère; mais
vous m’avez tiré du sein de cette nation juive où est encore enveloppé dans les
ténèbres, sans arriver à la lumière du Christ, celui qui met son salut dans
l’observation extérieure du sabbat, dans la circoncision, et autres cérémonies.
«Vous êtes mon espérance dès la mamelle de ma mère ». Seigneur, vous êtes mon
espoir, non seulement depuis que j’ai sucé les mamelles de la Vierge, car vous
l’étiez bien auparavant; mais depuis que vous m’avez arraché aux mamelles,
comme aux entrailles de la synagogue, afin de me soustraire au lait d’une
coutume charnelle.
11. « Vous êtes mon ferme appui dès le sein
de ma mère (Id. 11)». Dès le sein de
cette synagogue qui m’a rejeté au lieu de me porter, et si je ne suis point
tombé, c’est que vous m’avez soutenu. « Dès le ventre de ma mère, vous êtes mon
Dieu ». Oui, « dès le ventre de ma mère », car nonobstant cette enveloppe
charnelle, je ne vous ai point oublié comme le petit enfant.
12. « Vous êtes mon Dieu; ne vous éloignez
pas de moi, parce que l’affliction est proche (Id. 12) ». Puisque vous êtes mon Dieu, ne vous éloignez pas de moi,
aux approches de la tribulation, qui est déjà dans ma chair. «Car il n’y a
personne qui me vienne en aide». Qui me soutiendra, si ce n’est vous?
13. « Voilà qu’une foule de jeunes taureaux
m’ont environné (Id. 13) ». Les
attroupements d’un peuple dissolu font cercle autour de moi. « Des taureaux
puissants m’ont investi». Et les chefs de ce peuple, joyeux de mon oppression,
m’ont assiégé à leur tour.
14. « Ils ont ouvert leur bouche contre moi (Ps. XXI, 14) ». Leur bouche a livré
passage, non point aux paroles de vos saintes Ecritures, mais aux cris de leurs
passions. « Tel un lion saisit sa proie et rugit ». La proie de ce lion, ce
serait moi que l’on saisit et que l’on amène, et son rugissement: «
Crucifiez-le, crucifiez-le (Jean, XIX,
26)
15. « Je me suis écoulé comme l’eau, tous e
mes os se sont dispersés (Ps. XXI, 15)
». Je me suis écoulé comme l’eau, quand mes persécuteurs sont tombés; et mes
disciples qui faisaient la solidité de l’Eglise ou de mon corps, se sont
dispersés par la crainte. « Mon coeur s’est fondu comme la cire, au milieu de
mes entrailles (Ibid.) ». Ces paroles
que la Sagesse a consignées à mon sujet dans les livres saints, demeuraient
incomprises, comme des paroles dures et cachées; mais depuis qu’à la flamme de
mes douleurs elles se sont comme liquéfiées, elles sont devenues évidentes, et
se sont gravées dans la mémoire de mon Eglise.
16. « Ma vigueur s’est desséchée comme
l’argile(Id. 16) ». Mes douleurs ont
desséché mes forces, non comme l’herbe, mais comme l’argile que le feu rend
plus dure. « Ma langue s’est attachée à mon palais ». Ceux par qui je devais
parler ont gardé mes préceptes en eux-mêmes. « Vous m’avez réduit à la
poussière de la mort ». Vous m’avez jeté entre les mains de ces impies destinés
à la mort, et que le vent balayera de la surface de la terre.
17. « Des chiens sans nombre m’environnent (Id. 17) ». Voilà que j’étais environné
de gens qui aboyaient, non plus au nom de la vérité, mais au nom de la coutume.
« Le conseil des méchants m’a assiégé; ils ont percé mes mains et mes pieds
».Ils ont percé de clous
mes mains et mes pieds.
18. « Ils ont compté tous mes os (Id. 18) »compter tous mes os étendus sur
la croix. « Pour eux, ils m’ont regardé, ils m’ont considéré attentivement».
Pour eux, c’est-à-dire dans la même aversion, ils m’ont regardé et considéré.
19. « Ils se sont partagé mes vêtements, et
ont tiré ma robe au sort (Id. 19) ».
(205)
20. « Pour vous, Seigneur, n’éloignez pas de
moi votre secours (Ps. XXI, 20) ».
Mais vous, ô Dieu, ressuscitez-moi sans retard, et non point à la fin du monde,
comme les autres hommes. « Pourvoyez à ma défense ». Veillez sur moi, afin que
nul ne me nuise.
21. « Arrachez mon âme au glaive (Id. 21) »: préservez mon âme des langues
schismatiques; « et mon unique à la puissance des chiens »: Délivrez mon Eglise
de ce peuple qui aboie, au nom de ses coutumes.
22. « Sauvez-moi de la gueule du lion. »
Sauvez-moi de cette bouche qui m’offre un royaume temporel. « Epargnez à ma
faiblesse la corne des rhinocéros (Id.
22) »: préservez mon humilité des hauteurs de ces orgueilleux qui s’élèvent
d’une manière exclusive et ne souffrent aucun rival.
23. « Je redirai votre nom à mes frères (Id. 23)». J’annoncerai votre nom aux
humbles, qui sont mes frères, et qui s’aiment réciproquement, comme je les ai
aimés. « Je chanterai vos louanges au milieu de mon Eglise ». C’est avec joie que
je publierai votre gloire dans mon Eglise.
24. « Bénissez le Seigneur, vous qui le
craignez (Id. 24)». Vous qui craignez
le Seigneur, ne cherchez point votre gloire, mais louez le Seigneur. « Chantez
sa gloire, vous tous, enfants de Jacob ». Glorifiez Dieu, vous tous enfants de
celui que servit son aîné.
25. « Craignez-le tous, vous qui êtes enfants
d’Israël ». Qu’ils craignent le Seigneur, tous ceux qui sont régénérés dans une
vie nouvelle, et préparés à la vision de Dieu. « Car il n’a point dédaigné, ni
rejeté la prière du pauvre (Id. 25)
». Il n’a témoigné aucun mépris pour la prière, cette prière qui était celle du
pauvre sans enflure, étranger aux pompes frivoles, et non celle du pécheur dont
les vices crient vers Dieu, et qui ne voulait point quitter cette vie
misérable. « Il n’a point détourné de moi son visage », comme il l’a fait pour
celui qui disait: « Je crierai vers vous, et vous ne m’écouterez point. Il m’a
exaucé, quand j’ai crié vers lui ».
26. « C’est vous que je veux louer (Id. 26) ». Car je ne recherche point la
gloire pour moi, puisque je me glorifie en vous qui habitez le sanctuaire, et
que vous, gloire d’Israël, vous écoutez le saint qui:vous invoque. « C’est dans
votre Eglise si étendue que je publierai votre gloire ». Je vous bénirai dans
cette Eglise répandue par toute la terre. J’offrirai mes voeux, en présence de
ceux qui craignent mon Dieu. J’offrirai le sacrement de mon corps et de mon
sang, devant ceux qui craignent le Seigneur.
27. « Les pauvres mangeront et seront
rassasiés (Ps. XXI, 27)». Ils
mangeront, ceux qui sont humbles, qui méprisent le monde, et ils m’imiteront,
et de la sorte, ils ne désireront point les biens de ce monde, et ne craindront
point la pauvreté. « Ceux qui cherchent le Seigneur, le béniront». Car c’est de
l’âme qu’il rassasie, que déborde sa louange. « Leurs coeurs vivront dans
l’éternité ». Car il est lui-même l’aliment de notre coeur.
28. « Les nations les plus reculées se
souviendront du Seigneur et se tourneront vers lui (Id. 28) ». Elles s’en souviendront; car Dieu était en oubli pour
ces peuples nés dans la mort, et n’ayant de tendance que pour les biens
extérieurs; et alors tous les confins de la terre se tourneront vers le
Seigneur. «Tous les peuples de la terre se prosterneront en sa présence ». Tous
les peuples de l’univers l’adoreront damas leurs coeurs.
29. « C’est au Seigneur de régner, et il
dominera les nations (Id. 29) ».
C’est au Seigneur, et non aux hommes superbes qu’appartient l’empire, et il
dominera les nations.
30. « Tous les riches de la terre ont mangé,
puis adoré ». Les riches de la terre ont mangé l’humble chair de leur maître,
et, bien qu’ils n’en aient pas été rassasiés comme les pauvres, jusqu’à imiter
Jésus-Christ, ils l’ont néanmoins adoré. « Ils tomberont en sa présence, tous ceux
qui s’abaissent sur la terre». Dieu seul voit la chute de tous ceux qui se las.
sent de converser dans le ciel, et qui préfèrent étaler, ici-bas, l’apparence
du bonheur aux yeux des hommes qui ne voient pas leur ruine.
31. «Mon âme, à son tour, vivra pour lui (Id. 31)». Et mon âme qui paraît morte
aux yeux des hommes, parce qu’elle méprise le monde, s’oubliera, pour vivre en
Dieu. « Et ma postérité le servira ». Mes oeuvres, ou ceux que je porterai à
croire en lui, le serviront.
32. « Elle sera prédite pour le Seigneur, la
génération à venir (Id. 32) ». Les
fidèles du Nouveau Testament seront célébrés à la louange (206) du Seigneur. «
Et les cieux publieront sa justice ». Les évangélistes annonceront sa justice.
« Au peuple qui doit naître, et que le Seigneur a fait (Ps. XXI, 32) »; au peuple que la foi doit engendrer au Seigneur.
Discours
prêché à la solennité de la Passion.
1. Je ne dois point garder sous silence, et
vous devez écouter ce que le Seigneur n’a pas voulu taire dans ses saintes
Ecritures. La passion de Notre Seigneur est arrivée une fois, nous le savons;
une seule fois le Christ est mort, l’innocent pour les coupables (I Pier. III, 18). Nous le savons, nous
en avons la certitude, nous croyons d’une foi inébranlable, « que Jésus-Christ
une fois ressuscité d’entre les u morts ne meurt plus, et que la mort n’aura
plus d’empire sur lui (Rom. VI, 9) ».
Ainsi l’a dit saint Paul: et de peur que nous ne venions à oublier ce-qui s’est
fait une fois, nous en célébrons chaque année la mémoire. Est-ce à dire que
Jésus-Christ meurt chaque fois que nous célébrons la Pâque? Néanmoins ce
souvenir annuel nous remet en quelque sorte sous les yeux ce qui s’est fait une
fois, et nous émeut aussi vivement que si nous voyions le Christ appendu à la
croix, non pour lui insulter, mais pour croire en lui. Car à la croix il fut
persillé, et on l’adore aujourd’hui qu’il est dans le ciel. N’est-il plus
insulté aujourd’hui, et avons-nous encore à nous indigner contre les Juifs qui
l’ont tourné en dérision à la croix, et non dans son règne céleste? Et qui donc
se moque aujourd’hui du Christ? Plût à Dieu qu’il n’y en eût qu’un seul, que
deux, qu’on pût même les compter ! Toute la paille qui est dans son aire, se
rit de lui, et le bon grain gémit de voir le Seigneur insulté. Je veux en gémir
avec vous; car voici le temps des pleurs. Nous célébrons la Passion du Sauveur;
c’est le temps de gémir, le temps de pleurer, le temps de confesser nos fautes
et d’en implorer le pardon. Et qui de nous pourrait verser autant de larmes
qu’en méritent ses incomparables douleurs? Ecoutons le Prophète: « Qui donnera,
dit-il, de l’eau à ma tête, et à mes yeux une source de larmes (Jérém. IX, 1)?» Non, une source de
larmes, fût-elle réellement dans mes yeux, ne suffirait point, quand nous
voyons le Christ persiflé lorsque la vérité est si claire, et quand nul ne peut
dire: Je ne savais pas. Car c’est à celui qui possède l’univers entier, que
l’on ose bien en offrir une partie; c’est à celui qui est assis à la droite de
son Père, que l’on dit: Qu’y a-t-il ici qui vous appartienne? et au lieu de
toute la terre, on ne lui montre que l’Afrique.
2. Que deviennent, mes frères, les paroles
que vous venez d’entendre? Que ne pouvons-nous les écrire avec des larmes?
Quelle est cette femme qui vint avec des parfums (Matt. XXVI, 7)? De qui était-elle un symbole? N’est-ce point de
l’Eglise? Que figurait le parfum qu’elle portait? N’est-ce point cette bonne
odeur dont l’Apôtre a dit: Nous sommes en tous lieux la bonne odeur de
Jésus-Christ (II Cor. II, 14)? Et
saint Paul nous désigne aussi l’Eglise; car en disant: « nous sommes», il
s’adresse aux fidèles. Et que leur dit-il? Nous sommes en tous lieux la bonne
odeur de Jésus-Christ. Voilà donc saint Paul qui nous dit que les fidèles sont
partout la bonne odeur de Jésus-Christ, et l’on ose le contredire? on soutient
que l’Afrique seule est une bonne odeur, que le reste du monde n’a qu’une odeur
fétide? Qui donc affirme que nous sommes en tous lieux la bonne odeur du
Christ? L’Eglise. C’est cette bonne odeur que figurait ce vase de parfums
répandu sur le Sauveur. Voyons si le Christ ne l’atteste pas lui-même. Quand
des hommes zélés pour leurs intérêts, avares et voleurs, c’est-à-dire quand
Judas disait de ce parfum: « Pourquoi le perdre ainsi? on aurait pu (207)
vendre ce parfum précieux et en faire le bien des pauvres (Matt. XXVI, 8) ». Quand il voulait vendre ainsi la bonne odeur de
Jésus-Christ, que lui répond le Sauveur? « Pourquoi, dit-il, contristez-vous
cette femme? Ce qu’elle a fait pour moi, est une bonne oeuvre (Id. 10)».Qu’ai-je à dire encore, quand
le Sauveur ajoute: « Partout où sera prêché 1’Evangile dans tout l’univers, on
dira à la louange de cette femme ce qu’elle vient de faire (Id. 13) ». Que peut-on ajouter à ces
paroles ou en retrancher? Comment prêter l’oreille à ces calomniateurs? Le
Seigneur a-t-il menti ou s’est-il trompé? Qu’ils choisissent, et qu’ils nous
disent ou que la vérité a pu mentir, ou que la vérité a pu se tromper. «
Partout où l’Evangile sera prêché », dit Jésus-Christ. Et comme si on lui
demandait: Où donc sera-t-il prêché? « Dans tout l’univers », répond-il.
Ecoutons notre psaume, voyons s’il parle dans le même sens. Ecoutons ce chant
lugubre, et d’autant plus digne de nos larmes que l’on chante pour des sourds.
Je serais étonné, -mes frères, que l’on chantât ce psaume aujourd’hui chez les
Donatistes. Pardonnez-moi, mes frères, si je vous confesse mon étonnement,
muais j’atteste le Christ miséricordieux, que je regarde ces hommes comme des
pierres, s’ils n’entendent pas ces choses. Comment parler plus clairement, même
à des sourds? On peut lire dans ce psaume la passion du j Christ aussi
clairement que dans l’Evangile, et toutefois, il a été composé je ne sais
combien d’années avant que le Sauveur fût né de la vierge Marie: c’était le
héraut qui annonçait le juge à venir. Lisons-le donc, autant que nous le
permettra le peu de temps qui nous reste, non pas autant que le voudrait notre
douleur, mais, ainsi que je l’ai dit, autant que nous le permettra l’heure
avancée.
3. « O Dieu, mon Dieu, regardez-moi: Pourquoi
m’abandonner ainsi? » Ce sont les mêmes paroles que nous avons entendues à la
croix, quand le Seigneur s’est écrié: « Eli, Eli », c’est-à-dire, mon Dieu, mon
Dieu « Lama sabachtani? » Pourquoi m’avez-vous abandonné? L’Evangéliste a
traduit ces paroles, et dit que le Seigneur s’écria en hébreu: « Mon Dieu, mon
Dieu, pourquoi m’abandonnez-vous? » Que voulait dire le Seigneur? Car Dieu ne
l’avait pas abandonné, puisque lui-même est Dieu, que le Fils de Dieu est Dieu,
que le Verbe de Dieu est Dieu. Ecoutons dans son premier chapitre, cet
Evangéliste qui répandait au dehors la surabondance qu’il avait puisée dans le
coeur de Jésus(Jean, XXIII, 23);
voyons si le Christ est Dieu. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe
était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Ce Verbe donc, qui était Dieu, « s’est
fait chair pour habiter parmi nous n. C’est ce Verbe qui était Dieu, et qui,
s’étant fait chair, disait pendant qu’il était cloué à la croix: « Mon Dieu,
mon Dieu, jetez les yeux sur moi, pourquoi m’avez-vous abandonné? » A quoi bon
parler de la sorte, sinon parce que nous étions là nous-mêmes, et que l’Eglise
est le corps de Jésus-Christ (Eph. I, 23)?
Pourquoi dire: « Mon Dieu, mon Dieu, jetez les yeux sur moi, m’auriez-vous donc
abandonné? » sinon pour stimuler notre attention, et nous dire en quelque
manière: « C’est de moi qu’il est parlé dans ce psaume? Les cris de mes péchés
éloignent de moi le salut ». Quels péchés avait celui dont il est dit: « Qu’il
n’a commis aucune faute, et que le mensonge ne s’est point trouvé dans sa
bouche (I Pier. II, 23)? » Comment
peut-il dire: «mes péchés n, sinon parce qu’il implore le pardon de nos fautes,
et qu’il a voulu qu’elles devinssent ses fautes, afin que sa justice devînt
notre justice?
4. « Mon Dieu, je crierai vers vous pendant
le jour, et vous ne m’exaucerez point; « pendant la nuit, et ce ne sera point
une folie pour moi (Ps. XXI, 4) ».
Ainsi parle-t-il de lui-même, de vous, de moi; car il parlait au nom de son
corps mystique qui est l’Eglise. A moins
peut-être, mes frères, que vous ne croyiez
que le Seigneur craignait de mourir quand il disait: « Mon Père, s’il est
possible, que ce calice s’éloigne de moi (Matt.
XXVI, 39)». Le soldat n’est jas plus valeureux que le général. « Il suffit
au serviteur de ressembler au maître (Id.
X, 25) ». Toutefois saint Paul, ce champion du roi Jésus, s’écriait: « Je
me sens pressé des deux côtés, j’ai le vif désir d’être dégagé des liens du
corps pour être avec Jésus-Christ (Phil.
I, 23) ». Va-t-il désirer la mort pour être avec le Christ, quand ce même
Christ craignait de mourir? Qu’est-ce donc, sinon qu’il portait en lui notre
infirmité, et qu’il parlait de la sorte au nom des fidèles déjà établis en son
corps mystique, (208) et qui pourraient encore craindre la mort? De là vient
que cette prière était la prière des membres, et non du chef. Il en est de même
de ces paroles: « J’ai crié vers vous le jour et la nuit, et vous ne
m’exaucerez point ». Beaucoup en appellent à Dieu dans l’affliction et ne sont
point exaucés; mais c’est pour leur salut, et non parce qu’ils sont insensés.
Paul demanda d’être délivré de l’aiguillon de la chair et ne l’obtint point; il
entendit cette réponse: « Ma grâce te suffit, car la vertu use perfectionne
dans la faiblesse (II Cor. XII, 9) ».
Dieu donc ne l’exauça point; et ce refus, loin de l’accuser de folie, devait le
former à la sagesse; car l’homme doit comprendre que Dieu est médecin, et que
l’affliction est un remède pour nous guérir et non un châtiment qui aboutisse à
la damnation. Pour vous guérir, on brûle, on tranche, et vous criez; le médecin
est sourd à vos désirs, il cherche uniquement à vous guérir.
5. « Pour vous, ô gloire d’Israël, vous
habitez dans le sanctuaire (Ps. XXI, 4)
». Vous habitez en ceux que vous sanctifiez, et à qui vous faites comprendre
que si vous repoussez des demandes, c’est pour le bien de ceux qui supplient,
et que vous en exaucez d’autres pour leur propre perte. Ce fut pour l’avantage
de saint Paul que Dieu rejeta sa prière, et pour la confusion de Satan qu’il
accueillit la sienne. Il avait demandé de tenter Job, ce qui lui fut accordé (Job. I, 11). Les démons demandèrent
d’entrer dans les pourceaux, et Jésus le leur permit (Matt. VIII, 31). Ainsi les démons sont exaucés, l’Apôtre ne l’est
pas: mais ils sont exaucés pour leur confusion; et dans l’intérêt de son salut,
l’Apôtre ne le fut point. « Ce n’est point pour me convaincre de folie. Vous
êtes la gloire d’Israël et vous habitez dans vos saints». Pourquoi
n’exaucez-vous pas même ceux qui sont à vous? Mais pourquoi parler ainsi?
Souvenez-vous de dire toujours: Grâces à Dieu, devant cette foule d’assistants,
et plusieurs sont venus qui ne viennent point d’ordinaire. Je dis donc pour
tous que l’affliction n’est pour le chrétien qu’une épreuve, s’il n’abandonne
pas le Seigneur. Quand l’homme est heureux au dehors, le chrétien est dans un
délaissement intérieur. Le feu est mis à la fournaise, et cette fournaise de
l’orfèvre est le symbole d’un grand mystère. Il y a là de l’or, il y a de la
paille, il y a du feu qui agit dans un lieu resserré. Le feu est le même,
l’effet en est bien différent; il réduit la paille en cendre et ôte à l’or ses
scories. Ceux en qui habite le Seigneur deviennent ainsi meilleurs par
l’affliction, ils sont éprouvés comme l’or. Si donc le démon notre ennemi
demande quelqu’un et qu’il l’obtienne de Dieu, alors, soit dans les maladies
corporelles, soit dans la perte des biens, soit dans la mort de ses proches,
que le chrétien maintienne son coeur entre les mains de celui qui ne
l’abandonne et qui ne paraît fermer l’oreille à sa douleur que pour écouter
ensuite sa prière avec miséricorde. L’artisan qui nous a faits sait ce qu’il
doit faire, il sait aussi comment nous réconforter. C’est un habile architecte
qui a construit l’édifice, il sait réparer ce qui a pu s’en écrouler.
6. Ecoutez encore ce que dit le Prophète: «
En vous ont espéré nos pères; ils ont espéré, et vous les avez délivrés (Ps. XXI, 5) ». Nous savons, pour l’avoir
lu dans les Ecritures, combien de nos pères Dieu a délivrés, parce qu’ils
espéraient en lui, Il a délivré de l’Egypte tout le peuple d’Israël (Exod. XII, 51). Il a délivré les trois
jeunes hommes des flammes de la fournaise; il a délivré Daniel de la fosse aux
lions (Dan. III.), et Susanne d’une
accusation mensongère (Id. XIV): tous
l’invoquèrent, tous furent délivrés (Id.
XIII). A-t-il fait défaut à son Fils, au point de ne point l’exaucer sur la
croix? Pourquoi donc n’est-il pas délivré à l’instant, celui qui a dit: « Nos
pères ont espéré en vous, et vous les avez délivrés? »
7. « Pour moi, je suis un ver et non pas un
homme (Ps. XXI, 7) ». Un ver et non
pas un homme. L’homme aussi est un ver, mais celui-ci est un ver et non pas un
homme. Pourquoi pas un homme? Parce qu’il est Dieu. Pourquoi s’est-il abaissé
au point de se dire « un « ver? n Est-ce parce qu’un ver naît de la chair
spontanément comme le Christ est né de la vierge Marie? Il est donc un ver? Et
toutefois il n’est pas un homme. Pourquoi un ver? Parce qu’il est mortel, parce
qu’il est né de la chair, parce qu’il est né d’une vierge et sans le concours
d’aucun homme. Pourquoi n’est-il pas un homme? Parce que le Verbe était au
commencement, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu (Jean, I, 1).
8. « Je suis l’opprobre des hommes, le (209)
rebut de la populace (Ps. XXI, 7) ».
Voyez combien il a souffert; et avant le récit de sa passion, afin de l’écouter
avec des gémissements plus sincères, voyez d’abord les douleurs qu’il endure et
ensuite voyez pourquoi. Quel est le fruit de sa passion? Voilà que nos pères
ont espéré et ont été délivrés de l’Egypte. Et, comme je l’ai dit, tant
d’autres l’ont invoqué, et sans aucun retard ont été délivrés dès cette vie,
sans attendre la vie éternelle. Job lui-même, livré à Satan qui l’avait demandé,
en proie aux ulcères et aux vers (Job, I,
11), recouvra néanmoins la santé dès cette vie, et des richesses doubles de
celles qu’il avait perdues (Id. XLII, 11).
Pour le Sauveur, il est flagellé, et nul secours; il est couvert de crachats,
et nul secours; il est souffleté, et nul, secours; il est élevé en croix, et
nulle délivrance; il s’écrie: « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous
abandonné (Matt. XXVIII)? » et nul
secours. Pourquoi donc, mes frères? Pourquoi tout cela? Quelle est la
récompense de tant de. douleurs? Tout ce qu’il endure est une rançon. Que
peut-il acheter au prix de tant de douleurs? Récitons le psaume et voyons ce
qu’il contient. Cherchons d’abord ce qu’il a souffert, et ensuite pourquoi: et
comprenons combien sont ennemis du Christ ceux qui confessent les douleurs
qu’il a endurées et qui lui en dérobent le prix. Ecoutons donc tout cela dans
le psaume, et voyons ce qu’il a souffert et pour quel motif. Retenez ces deux
points: qu’a-t-il souffert et pourquoi? J’explique maintenant ce qu’il a
souffert, sans trop m’y arrêter: les paroles du psaume vous l’expliqueront
mieux que moi. Voyez, chrétiens, ce qu’endure le Seigneur; il est « l’opprobre
des hommes et le rebut de la populace ».
9. « Tous ceux qui me voyaient me
persiflaient, ils parlaient des lèvres et branlaient la tête. Il a espéré en
Dieu, que Dieu le délivre, que Dieu le sauve puisqu’il se plaît en lui n. Mais
pourquoi les Juifs parlaient-ils ainsi? C’est parce que le Christ s’était fait
homme, et qu’ils le traitaient en homme.
10. « Parce que c’est vous qui m’avez tiré du
sein maternel (Ps. XXI, 8, 9) ».
Parleraient-ils ainsi contre ce Verbe qui était au commencement, ce Verbe qui
était en Dieu? Mais ce Verbe, par qui tout a été fait, n’a été tiré des
entrailles maternelles que parce que le Verbe a été fait chair et a habité
parmi nous. « Parce que vous m’avez tiré du sein de ma mère, vous êtes mon Dieu
dès que j’ai sucé la mamelle (Ps. XXI,
10) ». Avant tous les siècles vous êtes mon Père, mais vous êtes mon Dieu
depuis que j’ai sucé la mamelle.
11. « Du sein de ma mère, j’ai été reçu dans
vos bras », afin que vous fussiez mon unique espérance; c’est l’homme, et
l’homme dans sa faiblesse, le Verbe fait chair, qui parle ainsi. « Dès le sein
de ma mère, vous êtes mon Dieu (Id. 11)
». Non point mon Dieu par vous-même; par vous-même vous êtes mon Père; et mon
Dieu seulement depuis que j’ai passé par le sein de ma mère.
12. « Ne vous éloignez pas de moi; car la
tribulation est proche, et il n’y a personne pour me secourir (Id. 12) ». Voyez comme il est abandonné,
et malheur à nous, s’il nous abandonnait. « Il n’y a personne pour nous
secourir».
13. « De jeunes taureaux sans nombre, des
taureaux puissants m’ont environné (Id.
13) ».Voilà le peuple et le prince, le peuple ou les jeunes taureaux sans
nombre, les princes ou les taureaux puissants.
14. « Ils fondent surmoi, la gueule
entr’ouverte, comme le lion qui déchire et qui rugit (Id. 14) ». Ecoutez ces rugissements dans l’ Evangile: «
Crucifiez-le, crucifiez-le (Jean, XIX, 6)
».
15. « Je me suis répandu comme l’eau, et mes
ossements ont été dispersés (Ps. XXI, 15)
». Il appelle ossements, les disciples les plus fermes, car les os sont la
solidité des corps. Quand ces ossements furent-ils dispersés? Quand il leur
dit: « Voilà que je vous envoie, comme des brebis au milieu des loups (Matt. XI, 6)». Il dispersa donc ses
disciples les plus solides, et il se répandit comme l’eau. L’eau répandue lave
ou arrose; le Christ s’est répandu comme l’eau, pour laver nos souillures et
arroser nos âmes. « Mon coeur s’est fondu comme une cire au milieu de mes
entrailles ». C’est son Eglise qu’il appelle ses entrailles. Comment son coeur
est-il devenu comme une cire? Son coeur, c’est l’Ecriture, ou plutôt la Sagesse
renfermée dans-les saintes Ecritures. L’Ecriture était un livre fermé, que nul
ne comprenait; le Seigneur a été cloué à la croix, et alors elle est devenue
claire comme la cire liquéfiée, et les plus faibles (210) esprits ont pu la
comprendre. C’est de là que le voile du temple a été déchiré (Matt. XXVII, 51) et, ce qui était voilé,
mis à découvert.
16. « Ma force a été durcie comme l’argile (Ps. XXI, 16)». Admirable expression pour
dire mon nom s’est affermi par mes douleurs. De même que l’argile est molle
avant de passer par le feu, et solide quand elle en sort; de même le nom du
Seigneur, méprisé avant la passion, en est sorti glorieux. « Ma langue s’est
attachée à mon palais ». Comme ce membre n’est utile que pour-parler, le
Sauveur appelle sa langue, les prédicateurs, et ils se sont attachés à son
palais pour puiser la sagesse dans ses secrètes profondeurs. « Et vous m’avez
réduit à la poussière de la mort».
17. « Voilà qu’une meute de chiens
m’environne, que le conseil des méchants m’assiége (Id. 17) ». Voyez encore l’Evangile. « Ils ont percé mes mains et
mes pieds ».Alors s’ouvrirent ces plaies, dont un disciple incrédule toucha les
cicatrices. Il avait dit: « Si je ne mets mon doigt dans la blessure des clous,
je ne croirai point». Jésus lui dit alors: « Venez, mettez votre doigt, ô incrédule
». Et il y mit sa main, et il s’écria « Mon Seigneur, et mon Dieu ». Et Jésus:
Parce que tu m’as vu, tu as cru; bienheureux ceux qui croient sans voir (XX, 25, 28). « Ils ont percé mes mains
et mes pieds ».
18. « Ils ont compté tous mes os (Ps. XXI, 18) », quand il était étendu
sur la croix. On ne peut mieux exprimer l’extension du corps sur la croix,
qu’en disant: « ils ont compté tous mes os».
19. « Ils m’ont regardé, ils m’ont considéré
attentivement (Id. 19) ». Ils ont
considéré, mais sans comprendre; ils ont regardé, mais sans voir. Leurs yeux
voyaient la chair, mais leur coeur ne s’élevait pas jusqu’au Verbe. « Ils se
sont partagé mes vêtements ». Ses vêtements sont les sacrements. Remarquez, mes
frères, que ses vêtements ou ses sacrements ont bien pu être divisés par
l’hérésie; mais il y avait là une robe, que nul ne peut diviser. « ils ont tiré
ma robe au sort ». « Il y avait là »,dit l’Evangéliste, «sa tunique tissue d’en
haut (Jean, XIX, 27) ». Donc, tissue
dans le ciel, tissue par le Père, tissue par l’Esprit-Saint. Quelle est cette
robe, sinon la charité que l’on ne peut partager? Quelle est cette robe, sinon
l’unité? On la tire au sort, parce que l’on ne peut la diviser. Les hérétiques
ont bien pu diviser les sacrements, mais non diviser la charité. Impuissants à
la partager, ils se sont retirés, mais elle demeure dans son intégrité. Le sort
l’a donnée à quelques-uns; celui qui la possède, est en sûreté; car nul ne peut
le jeter hors de l’Eglise catholique; et si l’homme du dehors commence à
l’avoir, on l’y introduit, comme le rameau d’olivier porté par la colombe (Gen. VIII, 11).
20. « Pour tous, ô mon Dieu, n’éloignez pas
de moi votre secours (Ps. XXI, 20)».
Ainsi en fut-il, et Dieu le ressuscita le troisième jour. « Pourvoyez à ma
défense ».
21. « Arrachez mon âme à la framée (Id. 21) »; c’est-à-dire à la mort. Une
framée est un glaive, et par le glaive il a voulu entendre la mort. « Et mon
unique à la main des chiens ». Cette âme, et cette unique, c’est son âme et son
corps; c’est son Eglise qu’il appelle unique.
« A la main », c’est-à-dire au pouvoir des chiens. Qui sont les chiens? Ceux
qui aboient commue des chiens, sans savoir à qui ils s’en prennent. On ne leur
fait rien, et néanmoins ils aboient. Que fait au chien un passant? le chien
l’aboie pourtant. Aboyer aveuglément, sans savoir ni contre qui, ni pour qui,
c’est là être chien.
22. « Sauvez-moi de la gueule du lion (Id. 22) ». Vous connaissez ce lion
rugissant qui rôde autour de nous, cherchant quelqu’un à dévorer (I Pierre, V, 8). « Epargnez à mon
humilité la corne du rhinocéros ». Il n’appelle rhinocéros que les orgueilleux;
aussi a-t-il ajouté: « Mon humilité ».
23. Vous avez entendu les douleurs que le
Christ a endurées, et les prières qu’il a faites pour en être délivré: considérons,
maintenant, pourquoi il a souffert. Mais voyez d’abord, mes frères, à quoi bon
porter le nom de chrétien, quand on n’est point dans cet héritage pour lequel
le Christ a souffert? Nous avons entendu ce qu’il a enduré; qu’on comptât ses
os, qu’on le tournât en dérision, qu’on partageât ses vêtements, qu’on tirât sa
robe au sort, qu’on dispersât ses ossements; c’est ce que nous apprend le
psaume, et ce que nous lisons dans 1’Evangile. Voyons pourquoi. O Christ, Fils
de Dieu, vous ne souffririez point, si vous ne le vouliez pas, montrez-nous
doue le fruit de (211) votre passion. Ecoutez, nous dit-il, quel est ce fruit:
je ne le cache point; mais l’homme est sourd à mes paroles. Ecoutez donc bien
quel est ce fruit acheté par mes douleurs. « J’annoncerai votre nom à mes
frères ». Voyons s’il ne prêche le nom du Seigneur à ses frères, que dans une
partie du monde. « J’annoncerai votre nom à mes frères, je vous chanterai au
milieu de l’Eglise (Ps. XXI, 23)».
C’est ce qui s’accomplit maintenant. Mais voyons quelle est cette Eglise: « Je
vous chanterai au milieu de l’Eglise ». Voyons donc l’Eglise pour laquelle il a
souffert.
24. « Louez le Seigneur, vous qui le craignez
(Id. 24)». L’Eglise du Christ est donc
partout où l’on craint et où l’on bénit Dieu. Or, voyez, mes frères, si dans
ces jours il n’y a point de sens dans le chant de l’Amen, et de l’Alléluia qui
retentit par toute la terre. Est-ce que Dieu n’y est pas craint? Est-ce que le
Seigneur n’y est pas béni? Voilà que Donat s’en vient nous dire: Il n’y a plus
de crainte, et le monde entier a péri, il a tort de dire le monde entier; n’en
restera-t-il donc qu’une faible part en Afrique? Mais le Christ n’a-t-il donc
pas une parole pour fermer la bouche à ces prédicateurs? N’a-t-il pas une
parole pour leur arracher la langue? Cherchions, nous la trouverons peut-être.
Quand le Christ doit u bénir Dieu au milieu de l’Eglise », c’est de notre
Eglise qu’il parle. « Bénissez le Seigneur, « vous qui craignez Dieu n. Voyons
si nos adversaires louent le Seigneur, afin de coin-prendre si c’est bien d’eux
qu’il parle, s’il est béni dans leur Eglise. Comment bénissent-ils le Christ,
ceux qui prêchent qu’il a perdu toute la terre, que le diable l’a conquise sur
lui, qu’il ne lui en reste qu’une partie? Mais voyons encore, et que le psaume
parle avec plus de clarté, qu’il s’explique avec plus d’évidence; qu’il n’y ait
plus besoin d’interprétation, qu’il mie reste aucun doute. « Glorifiez-le, race
entière de Jacob ». Peut-être diront-ils encore: C’est nous qui sommes la race
de Jacob. Voyons s’ils sont en effet cette race,
25. « Qu’il soit craint de toute la postérité
d’Israël (Id. 25)». Qu’ils disent
encore qu’ils sont la race d’Israël, nous leur permettons de le dire. « Car il
n’a point méprisé ni rejeté la prière des pauvres ». De quels pauvres? de ceux
qui ne présumaient point d’eux-mêmes. Jugeons par là s’ils sont pauvres, ceux
qui disent: « Nous sommes justes », quand Jésus-Christ dit lui-même: « Les cris
de mes péchés éloignent de moi le salut (Ps.
XXI, 2) ». Mais qu’ils disent encore ce qu’il leur plaira. «Il n’a point
détourné de moi son visage, et quand je criais vers lui il m’a exaucé (Id. 25) ». En quoi l’a-t-il exaucé, pour
quel motif?
26. « Vous êtes l’objet de ma louange (Id. 26)». Il met sa gloire en Dieu pour
nous apprendre à ne point présumer de l’homme. Qu’ils disent encore ce qu’ils
voudront. Déjà ils commencent à sentir l’effet du feu qui s’approche: « Car nul
ne peut se dérober à sa chaleur (Ps.
XVIII, 7) ». Qu’ils disent encore: Nous ne présumons pas non plus en
nous-mêmes, et c’est en Dieu que nous mettons notre gloire; qu’ils disent même:
« Je chanterai vos louanges dans une grande assemblée ». Il me semble qu’ici le
Christ les touche au coeur. Qu’est-ce, mes frères, qu’une grande Eglise?
Appellerait-on grande Eglise un coin de la terre? Une grande Eglise, c’est
l’univers entier. Quelqu’un voudrait-il contredire le Christ? Voici vos
paroles, ô Christ: « Je chanterai vos louanges dans une grande Eglise »;
dites-nous donc quelle est cette Eglise ! Vous êtes resserré dans un coin de
l’Afrique; vous avez perdu le monde entier, vous avez versé votre sang pour
tous; mais l’ennemi a envahi vos domaines. Si nous parlons ainsi, mes frères,
c’est comme pour l’interroger, car nous savons ce qu’il y aurait à répondre.
Supposons néanmoins que nous ignorons ce qu’il dit: sa réponse n’est-elle
point: Attendez, je vais parler de manière à lever tous les doutes? Ecoutons
donc ce qu’il va dire. Pour moi, je voulais prononcer, et ne point laisser aux
hommes la liberté d’interpréter cette parole du Christ: « Dans une grande
Eglise ». Et tu viens me dire qu’il est resserré à l’une des extrémités? Ils
oseront encore nous dire: Notre assemblée est grande, que dites-vous de Bagaï
et de Tamugade? Si le Christ n’a plus un mot pour les confondre, ils diront que
la Numidie seule est cette grande Eglise.
27. Voyons encore, écoutons Jésus-Christ. «
J’accomplirai mes voeux en présence de ceux qui le craignent (Ps. XXI, 26) ». Quels sont les voeux du
Christ? le sacrifice qu’il offrit à Dieu. Savez-vous quel sacrifice? Les
fidèles savent les (212) voeux accomplis par le Christ en présence de ceux qui
le craignaient. Car voici ce qui suit: « Les pauvres mangeront et seront
rassasiés (Ps. XXI, 27)». Bienheureux
donc ces pauvres qui mangent ainsi pour être rassasiés ! Donc, les pauvres
mangent. Quant aux riches, ils ne sont pas rassasiés, parce qu’ils n’ont pas
faim. Les pauvres mangeront. Il était un pauvre, ce Pierre le pêcheur, et Jean
cet autre pêcheur, et Jacques son frère (Matt.
IV, 18), et même le publicain Matthieu (Id.
IX, 9). Ils étaient des pauvres, tous ces autres qui mangèrent et qui
furent rassasiés, parce qu’ils souffrirent comme la victime qu’ils mangeaient.
Car le Christ a donné ses douleurs comme il a donné ses festins; c’est celui
qui souffre comme lui, qui est rassasié. Les pauvres l’imitent, car ils
souffrent pour suivre les traces de Jésus-Christ. « Ces pauvres mangeront ».
Comment sont-ils pauvres? « C’est qu’ils louent le Seigneur, ceux qui le
recherchent (Id. IX, 9) ». Les riches
se louent eux-mêmes, les pauvres louent le Seigneur. Comment donc sont-ils
pauvres? C’est qu’ils bénissent le Seigneur, qu’ils recherchent le Seigneur, et
que le Seigneur est le trésor des pauvres; d’où vient que leur maison est
dénuée, tandis que leur coeur est plein de richesses, Que le riche travaille à
remplir ses coffres, le pauvre cherche à remplir son coeur: et quand leur coeur
est enrichi, ils bénissent le Seigneur, ceux qui le recherchent. Voyez, mes
frères, en quoi consiste la richesse de ces vrais pauvres; elle ne loge, ni
dans les coffres, ni dans les greniers, ni dans tes celliers. « Leurs coeurs
vivront dans l’éternité ».
28. Ecoutez-moi donc, mes frères. Le Christ a
souffert, il a enduré tout ce que vous avez entendu; nous avons cherché le but
de ses douleurs, et il s’est mis à nous dire: « J’annoncerai votre nom à mes
frères, je vous chanterai au milieu de l’Eglise ». Mais ils répliquent: Nous
sommes cette Eglise. « Qu’il soit redouté dans la postérité d’Israël ». Et eux
de dire: Nous sommes la postérité d’Israël. « Il n’a point rejeté ni dédaigné
la «prière des pauvres ». Ils disent encore Nous sommes ces pauvres. « Il n’a
pas détourné de moi son visage ». Jésus-Christ, notre Seigneur, n’a pas
détourné sa face de lui-même, ou de son corps, qui est l’Eglise. «En vous est
ma louange ». Et vous voulez vous louer vous-mêmes. Mais, nous répondront-ils,
c’est bien lui que nous chantons aussi. « Je remplirai mes voeux en présence de
ceux qui le craignent». Les fidèles savent que c’est un sacrifice de paix, un
sacrifice de charité, le sacrifice de son corps: nous ne pouvons aujourd’hui
nous étendre à ce sujet. « Je remplirai mes voeux devant ceux qui me craignent
». Mangez, publicains, mangez pêcheurs, mangez, imitez le Seigneur, souffrez,
et vous serez rassasiés. Le Seigneur lui-même est mort; les pauvres meurent à
leur tour, et la mort des disciples vient s’ajouter à la mort du maître.
Pourquoi? montrez-m’en l’utilité. « Les extrémités de la terre se
ressouviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui(Ps. XXI, 30) ». Hélas! mes frères, pourquoi nous demander ce que
nous répondrons aux partisans de Donat? Ce psaume que nous lisons ici
aujourd’hui se ht encore aujourd’hui chez eux. Gravons-le sur nos fronts,
marchons avec lui, ne donnons aucun repos à notre langue, et répétons sans
cesse: Le Christ a souffert, voilà que ce négociant divin nous montre ce qu’il
vient d’acheter, son sang qu’il a répandu en est le prix. Il portait ce prix
dans une bourse divine; et cette bourse s’est répandue sous le coup d’une lance
impie, et il en est sorti la rançon du monde entier. Que viens-tu me dire, ô
hérétique? N’est-ce point le prix de l’univers entier? l’Afrique seule
serait-elle rachetée? tu n’oserais le dire. Tout l’univers a été racheté,
diras-tu, mais il a échappé au Christ. Quel ravisseur a donc. fait perdre au
Christ ce qui lui appartenait? « Voilà que tous les confins de la terre se
souviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui ». Que ces paroles vous
suffisent donc. S’il était dit: Les confins de la terre, et non, « tous les
confins de la terre», ils pourraient nous répliquer: Nous avons en Mauritanie
ces confins de la terre. Mais, ô hérétique, il a dit: « Tous les confins de la
terre », oui, « tous »; où donc pourras-tu fuir, pour éviter cette réponse? Nul
moyen d’échapper; il ne te reste que la porte pour entrer.
29. Toutefois, mes frères, je ne veux pas
établir une dispute, de peur que l’on attribue quelque valeur à mon discours.
Ecoutez donc le psaume, et lisez-le. Voilà que le Christ a souffert, son sang
est répandu; voilà d’une part le Rédempteur, et d’autre part la rançon. Qu’on
me dise l’objet racheté. Mais pourquoi (213) le demander? puisqu’on pourrait me
répondre O insensé, à quoi bon les questions? Tu as un livre, et dans ce livre
le prix de la rançon, et l’objet racheté. Vous pouvez y lire: « Tous les
confins de la terre se souviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui ».
Oui, les confins de la terre s’en souviendront. Mais les hérétiques l’ont
oublié, aussi le leur lit-on chaque année. Croyez-vous qu’ils prêtent
l’oreille, quand le lecteur répète: « Tous les confins de la terre se
souviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui? » Mais ce n’est peut-être
qu’un verset, et vous aviez l’esprit distrait, ou vous parliez au voisin, quand
on a lu ce passage; voyez pourtant comme il le répète, et force les sourds
d’entendre: « Toutes les nations de la terre se prosterneront pour l’adorer ».
Il est encore sourd, et n’entend pas plus, frappons de nouveau. « Au Seigneur
appartient l’empire, et il dominera les nations ». Retenez bien, mes frères,
ces trois versets. Aujourd’hui on les chante aussi chez eux, à moins qu’ils ne
les aient effacés. Pour moi, mes frères, je suis tellement frappé, tellement
hors de moi-même, qu’une telle surdité, une telle dureté de coeur me jette dans
la stupeur, et je me prends à douter quelquefois s’ils ont ces passages dans
leurs livres. Aujourd’hui tous les fidèles accourent à l’Eglise, aujourd’hui
tous prêtent l’oreille attentivement à la lecture de ce psaume, tous demeurent
en suspens à cette lecture. Mais fussent-ils inattentifs, n’y a-t-il que ce
seul verset: « Tous les confins de la terre se souviendront du Seigneur, et se
tourneront vers lui? » Vous vous éveillez, vous frottez encore vos yeux: « Et
les peuples de la terre se prosterneront en sa présence ». Vous vous réveillez,
vous êtes encore assoupis, écoutez: « Au Seigneur appartient l’empire, et il
dominera toutes les nations ».
30. Que pourraient-ils répliquer? je ne sais;
qu’ils s’en prennent aux saintes Ecritures, et non plus à nous. Voilà le livre,
qu’ils le combattent. A quoi sert de dire: C’est nous qui -avons sauvé les
Ecritures, qu’on aurait brûlées? Elles sont sauvées pour te brûler, ô hérétique.
A quoi bon les sauver? Ouvre-les donc pour les lire. Tu les a sauvées, et tu
les combats. Pourquoi sauver de la flamme ce que tu effaces de la langue?Je
n’en crois rien, je ne puis croire que tu les aies sauvées; non, tu ne les as
pas sauvées, je n’en crois rien. Les nôtres, au contraire, ont raison de dire
que tu les as livrées. il prouve sa trahison, celui qui refuse d’exécuter un
testament qu’on lui alu. On le lit devant moi, et je m’y rends; devant toi, et
tu contestes. Quelle main l’a jeté au feu? Est-ce la main de celui qui
l’accepte et le suit, ou la main de celui qui est chagrin qu’il existe encore,
et qu’on le puisse lire? Mais je ne veux plus connaître le sauveur de ce livre;
peu importe de quelle manière et dans quelle caverne on l’ait trouvé, c’est le
testament de notre père; je ne connais ni les voleurs qui voulaient le
soustraire, ni les persécuteurs qui le voulaient brûler: de quelque part qu’il
nous vienne, il doit être lu. Pourquoi disputer? Nous sommes frères, à quoi bon
plaider? Notre père n’est point mont sans testament. Il en a fait un, et il est
mort; après sa mort, il est ressuscité. On dispute sur l’héritage d’un défunt,
tant que le testament n’est pas devenu public: dès que le testament se produit
en public, tous gardent le silence, afin qu’on l’ouvre et qu’on le lise. Le
juge l’écoute avec attention, les avocats se taisent, les huissiers font faire
silence, tout le peuple demeure en Suspens, pour laisser lire les paroles d’un
défunt, qui est sans mouvement dans le sépulcre. Cet homme est donc sans vie
sous la pierre, mais ses paroles ont une valeur: et c’est quand Jésus-Christ
est assis dans le ciel, que l’on conteste son testament? Ouvrez donc, et
lisons. Nous sommes frères, pourquoi ces disputes? Soyons plus paisibles, notre
père ne nous a pas laissés sans testament. Et celui qui a fait ce testament,
vit dans l’éternité, il entend nos voix, il connaît celle qui est à lui. Lisons
donc, à quoi bon disputer? Prenons possession de l’héritage, quand nous
l’aurons trouvé. Ouvrez le testament, et lisez donc un des premiers psaumes: «
Demande-moi e. Mais qui parle ainsi? Peut-être n’est-ce pas Jésus-Christ. Vous
avez encore au même endroit: « Le Seigneur m’a dit: Vous êtes mon Fils, c’est
aujourd’hui que je vous ai engendré (Ps.
II, 7)». Donc est-ce le Fils de Dieu qui parle, ou le Père qui parle à son
Fils? Et que dit-il à ce Fils? « Demande-moi, et je te donnerai les nations en
héritage, et ton empire embrassera tous les confins de la terre (Id. 8.) ». Souvent, mes frères, quand on
conteste au sujet d’un champ, on s’enquiert des possesseurs qui (214)
avoisinent, et entre tel ou tel voisin, on cherche l’héritier à qui il est échu
ou qui en est l’acheteur. Auprès de quels voisins s’informer? Auprès de ceux
qui possèdent les propriétés environnantes. Mais celui qui n’a aucune borne à
son héritage n’a aucun voisin, Or, de quelque part que vous vous tourniez,
c’est le Christ qui est possesseur. Tu as en héritage les confins de la terre,
viens, possède avec moi la terre entière. Pourquoi m’intenter un procès pour
m’appeler en partage? Viens ici, c’est un avantage de perdre ton procès puisque
tu auras le tout. Quel sujet pour toi de disputer? J’ai lu le testament, et tu
disputes encore? Viendras-tu nous objecter qu’il a dit: « Les confins de la terre,
et non, tous les confins? Lisons donc alors. Qu’avons-nous lu? « Tous les
confins de la terre se souviendront du Seigneur et se tourneront vers lui.
Toutes les nations de la terre se prosterneront en sa présence. L’empire est au
Seigneur, et il dominera les nations ». C’est donc à lui et non à vous
qu’appartient la domination. Reconnaissez donc et le Seigneur votre maître,
l’héritage du Seigneur.
31. Mais vous aussi, qui voulez avoir une
possession à part, et non plus avec nous dans l’unité du Christ, car vous
voulez dominer sur la terre et non régner avec lui dans le ciel, vous possédez
vos demeures. Nous sommes allés quelquefois les trouver, mes frères, et pour
leur dire: Cherchons la vérité, trouvons la vérité. Et eux de nous répondre:
Gardez ce que vous avez; tu as tes brebis, j’ai les miennes; laissez mes brebis
en paix comme j’y laisse les vôtres. Grâces à Dieu, j’ai mes brebis, et il a
ses brebis, qu’a donc racheté le Christ? Ah! qu’elles ne soient ni à toi ni à
moi, ces brebis, mais bien à celui qui les a rachetées, à celui qui les a
marquées de son caractère ! « Ni celui qui plante n’est rien, ni celui qui
arrose, mais c’est Dieu qui donne l’accroissement (I Cor. III, 7) ». Pourquoi donc avoir tes brebis et moi mes brebis?
Si le Christ est avec toi, que mes brebis y aillent aussi, car elles ne sont
pas à moi; et si le Christ est avec nous, que tes brebis y viennent aussi,
puisqu’elles ne sont pas à toi. Qu’elles entrent dans leur héritage en nous
baisant le front et les mains, et que les enfants étrangers disparaissent.
Elles ne m’appartiennent pas, dit-il. Qu’est-ce à dire? Voyons si elles ne vous
appartiennent pas, voyons si vous n’en avez pas revendiqué la possession. Je
travaille au nom du Christ, toi au nom de Donat; car si c’est pour le Christ,
le Christ est partout. Tu dis « Le Christ est ici (Matt. XXIV, 23) », et moi je dis qu’il est partout. « Enfants,
louez le Seigneur, bénissez le nom du Seigneur ».D’où viendra cette louange? Et
jusqu’où ira-t-elle? « De l’Orient jusqu’au couchant, bénissez le nom du
Seigneur (Ps. CXII, 1) ». C’est là
l’Eglise que je vous montre, c’est là ce qu’a acheté le Christ et ce qu’il a
racheté, c’est pour cela qu’il a donné son sang. Mais toi, que dis-tu? C’est
aussi pour lui que je recueille. « Celui qui ne ramasse « point avec moi, te
répond-il, celui-là disperse (Matt. XII,
30) ». Or, tu divises l’unité, tu veux un domaine à part. Pourquoi donc
avoir le nom du Christ? C’est parce que tu as prétendu que le nom fût comme un
titre qui garantît ta possession. N’est-ce point là ce que font plusieurs à
l’égard de leur maison? Pour la garantir contre l’avidité d’un larron puissant,
le maître y place le titre d’un autre homme puissant, titre mensonger. Il veut
être possesseur de sa maison, et pour se l’assurer, il met au frontispice un
titre d’emprunt, afin qu’en lisant ce nom d’un homme puissant dans le monde, un
ravisseur soit saisi de frayeur et s’abstienne de toute violence. C’est ce que
firent nos hérétiques lorsqu’ils condamnèrent les Maximianistes. Ils allèrent trouver
les juges, et pour montrer des titres qui les fissent regarder comme évêques,
ils récitèrent les canons de leur concile. Alors le juge demanda: Est-il ici
quelque autre évêque du parti de Donat? L’assemblée répondit: Nous ne
reconnaissons qu’Aurèle qui est catholique. Dans la crainte des lois, ils n’ont
parlé que d’un seul évêque. Mais pour se faire écouter du juge, ils
empruntaient le nom du Christ et couvraient de ses titres leur possession. Que
le Seigneur le leur pardonne dans sa bonté, et qu’il revendique son héritage
partout où il retrouve ses titres; sa miséricorde est assez grande pour leur
faire cette grâce, et pour ramener dans son Eglise tous ceux qu’il rencontrera
sous le nom du Christ. Voyez, mes frères, quand un prince trouve ses titres sur
quelque domaine, n’a-t-il pas le soin de le revendiquer en disant: S’il n’était
mon domaine, il ne porterait pas mes (215) titres? J’y trouve mon nom, le
domaine est à moi; tout domaine m’appartient quand il porte mon nom.
Change-t-il jamais ses titres? Le titre d’autrefois est le titre d’aujourd’hui;
l’héritage peut changer de maître et non de titre. De même, quand ceux qui ont
reçu le baptême du Christ reviennent à l’unité, nous ne changeons pas les
titres, nous ne les effaçons point; mais nous reconnaissons les titres de notre
roi, le nom de notre prince. Que disons-nous? Héritage infortuné, sois le
domaine de celui dont tu portes les titres; tu portes le nom du Christ, ne sois
donc pas l’héritage de Donat.
32. C’est beaucoup nous étendre, mes frères; mais
gardez-vous d’oublier ce que nous avons lu. Je vous le répète, et il faut
souvent le redire; au nom de ce jour sacré, ou plutôt, des mystères que l’on y
célèbre, je vous en supplie, n’oubliez pas ces paroles: « Toutes les nations de
la terre se souviendront du Seigneur et se tourneront vers lui.Tous les peuples
de la terre se prosterneront en sa présence. L’empire est au Seigneur, et il
dominera les peuples ». En face d’un titre si clair, si authentique de la
possession du Christ, fermez l’oreille aux paroles d’un imposteur. Toute
contradiction est la parole d’un homme, ceci est la parole de Dieu.
L’Eglise par la bouche du
Prophète s’applaudit d’être le troupeau que dirige la houlette du bon pasteur,
qui la conduit dans les pâturages sacrés de l’Eucharistie.
1. C’est l’Eglise qui s’adresse au Christ «
Le Seigneur me dirige et rien ne me manquera (Ps. XXII, 1) ». Le Seigneur Jésus est mon pasteur, et je ne
manquerai de rien.
2. «Il m’a placé dans un lieu de pâturage (Id. 2)». Il m’a placé, pour me nourrir,
dans ce lieu de pâturage qui commence par me conduire à la foi. « Il m’a
entretenu le long des eaux salutaires ». Il m’a fait grandir par les eaux du
baptême, qui rendent la force et la santé à ceux qui ont langui.
3. « Il rend la force à mon âme, et me fait
marcher dans les sentiers de la justice, pour la gloire de son nom (Id. 3) » Il m’a conduit dans les
sentiers étroits de sa justice, où peu savent marcher; non point à cause de mes
mérites, mais pour la gloire de son nom.
4. « Quand même je marcherais au milieu des
ombres de la mort ». Dussé-je marcher au milieu de cette vie, qui est l’ombre
de la mort. « Je ne craindrai aucun mal, parce que vous êtes avec moi (Ps. XXII, 4) ». Je ne craindrai aucun
mal, parce que vous habitez dans mon coeur par la foi, et maintenant vous êtes
avec moi, afin qu’après les ombres de la mort, je sois avec vous.
« Votre verge et votre houlette, voilà ce qui
m’a consolé ». Votre discipline est pour moi comme la verge qui ramène les
brebis au bercail, comme la houlette qui se fait sentir aux enfants plus
avancés, qui passent de la vie animale à la vie spirituelle; loin de
m’affliger, elles m’ont consolé, puisque vous prenez soin de moi.
5. « Vous avez préparé, sous mes yeux, un
banquet, à l’encontre de ceux qui me persécutent (Id. 5) ». Après la verge qui maintenait, dans le bercail et dans
les pâturages, mon enfance et ma vie animale, après cette verge est venue pour
moi la houlette, et alors vous avez préparé un festin sous mes yeux, afin que
le lait de l’enfance (I Cor. III, 2)
ne fût plus mon aliment, (216) mais que, devenu plus grand, je prisse une
nourriture qui me fortifiât contre ceux qui me persécutent. « Vous avez répandu
sur ma tête une huile parfumée». Vous avez donné à mon coeur une joie
spirituelle. «Quelle délicieuse ivresse dans la coupe que vous m’avez donnée (Ps. XXII, 5.) ! » Combien est doux votre
breuvage qui, nous fait oublier les vains plaisirs !
6. « Et votre miséricorde me suivra tous les
jours de ma vie (Ps. XXII, 6)»; c’est-à-dire tant que je suis en cette vie
mortelle, qui n’est pas la vôtre, mais la mienne. « Afin que j’habite la maison
du Seigneur, dans les jours éternels ». Elle me suivra, non seulement ici-bas,
mais elle me donnera la maison du Seigneur, pour la vie éternelle.
Le Prophète chante ici le
triomphe de Jésus-Christ, il le voit s’élever au ciel et dominer ces puissances
diaboliques qui s’étaient fait rendre les honneurs divins.
PSAUME DE DAVID LE LENDEMAIN DU SABBAT (Ps. XXIII, 1.)
1. Psaume de David sur la glorieuse
résurrection, qui eut lieu le matin du premier jour après le sabbat, jour que
depuis nous appelons dimanche ou jour du Seigneur.
2. « La terre et tout ce qu’elle contient est
au Seigneur, l’univers et tous les peuples qui l’habitent (Id. 2.) »; puisque sa gloire est proposée partout à la foi des
nations, et que son Eglise embrasse l’univers entier. « C’est lui qui l’a
fondée sur les mers (Id. 3.) ». Il a
solidement assis cette même Eglise sur les flots du siècle, qui doivent lui
être soumis, et ne jamais lui nuire. « Et il l’a élevée au-dessus des fleuves
». Comme les fleuves s’en vont à la mer, ainsi l’homme insatiable se répand
dans le monde: mais l’Eglise les domine, et refoulant, par la grâce, les
mondaines convoitises, elle se prépare au moyen de la charité à la gloire
immortelle.
3. « Qui s’élèvera jusqu’à la montagne du
Seigneur (Id. 4)? » Qui pourrait
atteindre les sommets de la justice divine? « Ou qui habitera son sanctuaire? »
Et après s’être élevé dans ce sanctuaire affermi sur les mers, élevé au-dessus
des fleuves, qui pourra s’y maintenir?
4. « Celui qui a les mains innocentes et le
coeur pur ». Qui donc pourra s’élever à ces hauteurs et s’y maintenir, sinon
l’homme aux oeuvres innocentes, et au coeur pur? « Qui n’a point reçu son âme
en vain 1 ». Qui n’a point laissé son âme s’attacher à tout ce qui est
périssable, mais qui, fier de son immortalité, lui a fait désirer l’éternité
qui est constante et immuable. « Et qui n’a jamais été parjure ». Et qui agit
envers ses frères, sans artifice, mais avec la simplicité et la vérité de tout
ce qui est éternel.
5. « Celui-à recevra la bénédiction du
Seigneur, et la miséricorde du Dieu son sauveur 2 ».
6. « Telle est la génération de ceux qui
cherchent le Seigneur ». Ainsi naissent tous ceux qui le cherchent, qui
cherchent la face du Dieu de Jacob 3. Diapsalina ». ils cherchent la face de ce
même Dieu qui a donné la primauté au plus jeune frère.
7. « Ouvrez les portes, ô vous qui êtes
princes ». Vous qui cherchez la domination sur les hommes, enlevez ces portes
de la cupidité et de la crainte, que vous avez établies, de peur qu’elles ne
vous nuisent. « Elevez-vous, portes éternelles 4 ». Portes de la vie
1. Ps. XXIII, 6. — 2. Id. 7. — 3. Id. 8. —
4.Jean, XVI, 33.
(217)
éternelle, portes de la renonciation au monde
et du retour à Dieu. « Et le roi de gloire entrera ». Alors entrera ce roi en
qui nous pouvons nous glorifier sans orgueil; qui brisa les portes de la mort,
s’ouvrit les portes du ciel, accomplissant ainsi ce qu’il a dit: «
Réjouissez-vous, car j’ai vaincu le monde».
8. « Quel est ce roi de gloire? » La nature
humaine demande avec stupeur: « Quel est ce roi de gloire? C’est le Seigneur
fort et puissant 1 », que vous avez cru faible et vaincu. « Le Seigneur
puissant dans la guerre ». Touchez ses plaies, vous les trouverez fermées, et
l’infirmité humaine rendue à l’immortalité. Elle est achevée cette
glorification du Seigneur qui devait éclater sur la terre, où elle a combattu
contre la mort.
9. « Ouvrez donc vos portes, ô princes 2 ».
Que d’ici nous puissions aller au ciel. Qu’elle retentisse de nouveau, la
trompette prophétique. « Enlevez, princes des cieux, ces portes par lesquelles
vous entrez dans l’âme de ceux qui adorent la milice du ciel 3; élevez-vous,
portes éternelles ». Portes de l’éternelle justice, de la charité, de la
chasteté, par lesquelles notre âme s’unit au seul vrai Dieu,
1. Ps. XXIII, 8. — 2. Id. 9. — 3. IV Rois,
XVIII, 10.
sans offrir à tant d’autres qu’on appelle des
dieux, un culte adultère. « Et le roi de gloire entrera ». Il entrera, ce roi
de gloire, qui doit s’asseoir à la droite de son Père afin d’intercéder pour
nous 1.
10. « Quel est ce roi de gloire? » D’où le
vient cette stupeur 2, ô prince des puissances de l’air, et pourquoi cette
question: « Quel est ce roi de gloire? C’est le Seigneur des Vertus qui est ce
roi de gloire 3 ». Il est ressuscité, celui que tu as tenté naguère, et il te
marche sur la tête, il s’élève au-dessus des anges, celui que tentait l’ange
prévaricateur. Que nul d’entre vous, désormais, ne se rue à l’encontre et nous
barre le passage, afin de se faire adorer par nous, comme un Dieu: ni
principauté, ni ange, ni vertu ne nous sépare désormais de la charité de
Jésus-Christ 4. Il est mieux pour nous d’espérer dans le Seigneur que dans les
princes 5; afin que celui qui se glorifie ne se glorifie que dans le Seigneur
6. Il est vrai que dans les dispositions de ce monde ces esprits de l’air sont
des vertus, mais « c’est le Seigneur des vertus qui est le roi de gloire».
1.
Rom. VIII, 34. — 2. Eph. Ii, 2. — 3. Ps. XXIII, 10. — 4. Rom. VII, 39. — 5. Ps.
118, 9. — 6. I Cor. I, 31.
Sentiments de confiance,
d’humilité et de confiance avec lesquels on doit recourir à Dieu dans les
adversités de la vie présente.
POUR LA FIN, PSAUME POUR DAVID (1)
1. C’est Jésus-Christ qui parle ici, mais au
nom de son Eglise. Car tout ce que renferme le psaume s’applique mieux au
peuple chrétien converti à Dieu.
2. « C’est vers vous, Seigneur, que j’élève
mon âme 2 », par de spirituels désirs, elle qui rampait sur la terre par ses
charnelles
1. Ps. XXIV, 1. — 2. Id, 2.
convoitises. « Mon Dieu, j’ai mis en vous mon
espoir, et je n’en rougirai point 1». Seigneur, ma confiance en moi m’a réduit
à ces infirmités de la chair; j’abandonnais Dieu pour être moi-même comme un
Dieu, et voilà que le moindre animal me fait craindre la mort, et que j’ai dû
rougir de mon orgueil dérisoire; maintenant que j’espère en vous seul, plus de
confusion pour moi.
1. Ps. XXIV, 2.
(218)
3. « Que mes ennemis ne me tournent plus en
dérision 1». Qu’ils ne me persiflent point, ceux dont les suggestions occultes
et empoisonnées sont autant de piéges; et qui en me criant: Courage, courage,
m’ont avili de la sorte. « Car la déception n’est plus pour ceux qui espèrent
en vous ».
4. « Que ceux-là soient couverts d’opprobre,
ceux qui font avec moi des actes futiles ». Honte à ceux qui font le mal pour
acquérir les biens qui passent. « Mais vous, Seigneur, montrez-moi vos voies,
ouvrez-moi vous-même vos sentiers 2 »; qui ne sont point spacieux, et qui ne
conduisent pas la foule à sa perte; enseignez-moi ces sentiers étroits qui sont
les vôtres et que peu connaissent 3.
5. « Faites-moi marcher dans votre vérité»,
et fuir l’erreur. « Enseignez-moi », puisque de moi-même je ne connais que le
mensonge. « C’est vous, ô Dieu, qui êtes mon Sauveur, vous que j’ai attendu
tout le jour 4». Banni par vous du paradis 5, errant dans les régions
lointaines 6, je ne puis retourner à vous si vous ne venez au-devant de moi; et
pendant le cours de cette vie terrestre, votre miséricorde attendait mon
retour.
6. « Souvenez-vous, Seigneur, de vos
miséricordes 7 ». Souvenez-vous, Seigneur, de vos oeuvres miséricordieuses, car
les hommes vous accusent d’oubli. « Souvenez-vous de ces bontés qui sont
éternelles ». N’oubliez point surtout que vos miséricordes ont commencé avec le
monde. Car elles sont inséparables de vous, puisque vous avez assujéti l’homme
pécheur à la vanité, mais dans l’espérance, et que vous avez donné à votre
créature de si nombreux et si grands sujets d’espérance.
7. «Ne gardez aucun souvenir des fautes de ma
jeunesse, et de mon ignorance 8 ». Ne réservez point de châtiment aux fautes
que j’ai commises par une témérité audacieuse, et par ignorance, qu’elles
soient effacées à vos yeux. « O Dieu, souvenez-vous de moi selon votre
miséricorde ». Souvenez-vous de moi, non point selon cette colère dont je suis
digne, nais selon cette miséricorde qui est digne de vous. « A cause de votre
bonté », et non point à cause de mes mérites.
8. «Le Seigneur est plein de douceur et
d’équité 9 ». De douceur, puisqu’il prend en
1. Ps. XXIV,
3.— 2. Id. 4.— 3. Matt. VII, 13, 14.— 4. Ps. XXIV,
5. — 5. Gen. III,13.— 6. Luc, XV, 17.— 7. Ps. XXIV, 6.— 8. Id. 7.— 9. Id. 8.
pitié les pécheurs et les impies, jusqu’à
leur pardonner leurs fautes passées, mais aussi de justice, car après la grâce
de la vocation et du pardon, grâce que nous n’avons point méritée, il exigera
au jour du dernier jugement des mérites proportionnés à ces grâces. « Aussi
fera-t-il connaître sa loi à ceux qui s’égarent en chemin », car c’est pour les
conduire dans la voie, qu’il leur a fait miséricorde.
9. « Il dirige les humbles dans la justice
1». C’est lui qui conduira les hommes doux, et qui, au jour du jugement, ne
jettera point dans l’effroi ceux qui suivent sa volonté, qui ne résistent pas à
la sienne pour lui préférer la leur. « Il enseignera ses voies à ceux qui sont
doux ». Il enseignera ses voies, non point à ceux qui les veulent dépasser,
comme s’ils étaient eux-mêmes plus capables de se diriger, mais à ceux qui ne
savent ni lever la tête, ni regimber quand on leur impose un joug doux et un
fardeau léger 2.
10. « Toutes les voies du Seigneur ne sont
que miséricorde et vérité 3 ». Quelles voies peut enseigner le Seigneur, sinon
cette miséricorde qui se laisse fléchir, et cette vérité qui le rend
incorruptible? Il exerce la première en nous pardonnant nos fautes, et la
seconde en jugeant nos mérites. De là vient que toutes les voies du Seigneur se
réduisent aux deux avènements du Fils de Dieu, l’un pour exercer la miséricorde
et l’autre le jugement. Celui-là donc arrive à Dieu par le chemin tracé, qui
reconnaît que sans aucun mérite il est délivré de ses fautes, qui renonce à
l’orgueil, et redoute le sévère examen d’un juge dont il a éprouvé la
secourable clémence. « Pour ceux qui recherchent son alliance et sa loi ». Car
ils reconnaissent la miséricorde du Seigneur dans son premier avènement, sa
justice dans le second, ceux qui recherchent avec douceur et mansuétude le
testament par lequel il nous a rachetés pour la vie éternelle, au prix de son
sang, qui étudient ses témoignages dans les prophètes et dans les évangélistes.
11. «A cause de votre nom, vous serez
miséricordieux pour mes fautes qui sont en si grand nombre 4». Non seulement
vous avez couvert du pardon les fautes que j’ai commises avant d’arriver à la
foi; mais le sacrifice d’un coeur contrit vous adoucira en faveur de mes péchés
qui sont nombreux, car la véritable.
1.
Ps. XXIV, 9. — 2. Matt. XI, 30. — 3. Ps. XXIV, 10. — 4. Id. 11.
(219)
voie elle-même n’est pas sans achoppement.
12. « Quel est l’homme qui craint le Seigneur
» et qui s’achemine ainsi vers la sagesse? « Le Seigneur lui dictera ses lois
dans la voie qu’il a choisie 1 ». Le Seigneur lui prescrira ses ordres dans la
voie qu’il a choisie, volontairement choisie, et il ne péchera plus impunément.
13. « Son âme se reposera dans l’abondance des
biens, et sa postérité aura la terre en héritage 2». Ses oeuvres lui vaudront
la possession solide d’un corps renouvelé par la résurrection.
14. « Le Seigneur est la force de ceux qui le
craignent 3 ». La crainte ne paraît convenir qu’aux faibles, mais le Seigneur
est la force de ceux qui le craignent. Et le nom du Seigneur, glorifié dans
l’univers entier, fortifie ceux qui ont de la crainte pour lui. « Et il leur
découvre son alliance ». Il leur fait connaître son alliance, car les nations
et les confins de la terre sont l’héritage du Christ.
15. « Mes yeux sont constamment tournés vers
le Seigneur; parce que c’est lui qui retirera mes pieds du piége 4 ». Je n’ai
point à craindre les périls de la terre quand je ne la regarde point, et celui
que je contemple dégagera mes pieds du piège.
16. « Jetez les yeux sur moi, et prenez-moi
en pitié, parce que je suis pauvre et unique 5 ». Je suis ce peuple unique,
conservant l’esprit d’humilité dans votre Eglise, qui est unique et ne souffre
ni schisme ni hérésie.
17. « Les tribulations de mon coeur se sont
multipliées 6». Mon coeur s’est fort affligé quand j’ai vu l’iniquité
s’accroître et la charité se refroidir. « Délivrez-moi de ces tristes
nécessités». Comme il m’est nécessaire de souffrir ainsi pour conquérir le
salut par la persévérance finale7, épargnez-moi ces nécessités.
1.
Ps. XXIV, 12. — 2. Id. 13. — 3. Id. 14. — 4. Id. 15. — 5. Id. 16. — 6. Id. 17. — 7.
Matt. X, 22.
18. « Voyez mon abaissement et mon labeur 1».
Voyez que je m’abaisse, et que l’orgueil de ma justice ne me jette point en
dehors de l’unité; voyez mon labeur à supporter les hommes déréglés qui
m’environnent. « Et pardonnez-moi mes péchés». En considération de douloureux
sacrifices, pardonnez-moi mes fautes, non seulement celles de ma jeunesse et de
l’ignorance avant que je crusse en vous, mais celles que m’ont fait commettre
la faiblesse et les ténèbres de cette vie depuis que je marche dans la foi.
19. « Considérez combien s’est accru le
nombre de mes ennemis 2 ». Non seulement j’en rencontre au-dehors, mais encore
dans la communion de l’Eglise. « Ils m’ont poursuivi d’une haine injuste». Ils
m’ont haï quand je les aimais.
20. « Soyez le gardien de mon âme et
délivrez-moi 3». Gardez mon âme, de peur que je n’en vienne à imiter les
méchants, et délivrez-moi de la peine que j’endure d’être mêlé avec eux. « Je
ne serai point confondu, parce que j’ai espéré en vous ». Qu’ils ne s’élèvent
point contre moi à ma confusion, car c’est cri vous et non en moi que j’ai mis
mon espoir.
21. « Les hommes innocents et droits se sont
attachés à moi, parce que je vous ai attendu, ô mon Dieu 4» Les coeurs purs et
droits ne me sont pas unis comme les méchants par la seule présence corporelle,
mais par leur inclination pour l’innocence et la justice, parce que je ne vous
ai point abandonné pour imiter les méchants; mais je vous ai attendu et vous
attends encore, jusqu’à ce que vous passiez au van la dernière de vos moissons.
22. « Délivrez Israël, ô mon Dieu, de toutes ses
afflictions 5 ». Seigneur, rachetez votre peuple que vous avez préparé à voir
votre lumière, délivrez-le, non seulement de toutes les tribulations du dehors,
mais de celles qu’il endure à l’intérieur.
1.
Ps. XXIV, 18. — 2. Id. 19. — 3. Id. 20. — 4. Id. 21. — 5. Id. 22.
(220)
Ce psaume est le chant de la
véritable innocence: il peut s‘appliquer à l’Eglise purifiée en Jésus-Christ,
ou à l’âme fidèle, qui chante son bonheur et qui ne goûte ce bonheur que dans l’innocence.
1. David ici pourrait s’entendre, non plus de
Jésus-Christ médiateur dans son humanité mais de l’Eglise parfaitement établie
dans le Christ.
2. «Jugez-moi, Seigneur, parce que j’ai
marché dans l’innocence 2». Jugez-moi, Seigneur, car après avoir été prévenu
par votre bonté, j’ai quelque mérite dans mon innocence, dont j’ai gardé les
sentiers. « Et mon espoir dans le Seigneur ne sera point ébranlé». Et
néanmoins, je mets ma con-tance non en moi, mais dans le Seigneur, et je ne serai
point ébranlé.
3. « Eprouvez-moi, Seigneur, et sondez mon
âme 3», Toutefois, de peur qu’une infirmité secrète n’échappe à mes regards
éprouvez-moi, Seigneur, et tentez-moi; faites-moi connaître, non plus à vous
qui voyez tout, mais à moi-même et aux hommes. « Faites passer au feu mes reins
et mon coeur». Appliquez à mes pensées et à mes convoitises un remède qui les
purifie comme le feu. « Car votre miséricorde est toujours devant mes yeux 4
».De peur que ce feu ne me consume entièrement, j’ai toujours devant les yeux,
non plus mes mérites, mais bien cette miséricorde, par laquelle vous m’avez
fait embrasser une semblable vie. « Et votre vérité m’a plu». J’ai pris à
dégoût tout ce qui n’est en moi que mensonge, votre vérité m’a plu, et c’est en
elle et avec elle que j’ai pu vous plaire.
4. « Je ne me suis pas assis dans les
assemblées de vanité ». Je n’ai point cherché pour mon coeur la société de ceux
qui s’efforcent de trouver dans la jouissance des biens passagers un bonheur
impossible. « Et je ne m’unirai point aux artisans de l’iniquité5».Et comme
1.
Ps. XXV, 1. — 2. Ibid. — 3. Id. 2. —4. Id. 3. — 5. Id. 4.
telle est la source de toutes les iniquités,
je n’aurai point de secrètes intelligences avec les hommes du crime.
5. « J’ai en horreur l’assemblée des méchants
1». Pour qu’il en résulte une assemblée de vanité, il faut que les méchants se
réunissent, et je hais ces réunions. « Je ne veux point m’asseoir avec les
impies ». Je ne veux donc point m’asseoir dans une semblable réunion, avec les
impies, je n’y mettrai point mon bonheur. « Je ne m’assiérai point avec les
impies ».
6. « Je laverai mes mains parmi les justes
2». Je ferai des oeuvres saintes parmi les saints, avec les âmes saintes, je
laverai ces mains qui saisiront vos sublimes hauteurs. « Et j’étreindrai vos
autels, ô mon Dieu ».
7. « Afin d’entendre la voix de vos louanges
3». Afin d’apprendre à vous bénir. « Et de raconter toutes vos merveilles».
Quand je saurai vous louer, j’annoncerai toutes vos merveilles.
8. « Seigneur, j’ai aimé la beauté de votre
ce maison », ou de votre Eglise, « et le lieu où habite votre gloire 4 »; le
lieu où c’est pour vous une gloire d’habiter.
9. « Ne perdez point mon âme avec les impies
5 ». Ne perdez donc pas avec ceux qui vous haïssent, mon âme, qui se plaît dans
la beauté de votre demeure. « Et ma vie avec celle des hommes sanguinaires». De
ces hommes qui haïssent le prochain. Car deux préceptes font l’ornement de
votre demeure.
10. « Leurs mains sont souillées d’iniquités
6». Ne me perdez point avec ces hommes impies et sanguinaires dont les oeuvres
sont mauvaises. « Leur droite est remplie de présents». Et ce qui leur était
donné pour acquérir le salut éternel, ils l’ont fait servir à
1.
Ps. XXV, 5. — 2. Id. 6. — 3. Id. 7. — 4. Id. 8. — 5. Id. 9 — 6. Id. 10.
(221)
se procurer les biens de ce monde et ont
regardé la pitié comme un trafic (Tim.
VI, 5),
11. « Pour moi, qui ai marché dans
l’innocence, rachetez-moi dans votre piété (Ps.
XXV, 11) ». Que le prix inestimable du sang de mon Dieu me délivre
complètement et que votre miséricorde ne m’abandonne jamais.
12. « Mon pied s’est maintenu dans la voie
droite (Ps. XXV, 12)». Mon amour ne
s’est point écarté de la justice. « Je vous bénirai, Seigneur, dans vos
assemblées». Seigneur, je ne laisserai point ignorer vos bontés à ceux que vous
appelez; car à l’amour pour vous, je joins l’amour du prochain.
Saint Augustin accommode le
psaume à celte pensée que nous devons tolérer les méchants dans l’Eglise, ce qui
parait être contre les Donatistes qui donnaient pour prétexte de leur
séparation, les désordres des chrétiens, et contre les chrétien faibles, que
scandalise le mélange des bons et des méchants. Il engage les bons à faire
fructifier eu eux les dons de Dieu.
1. Votre sainteté a comme nous entendu lire
ce passage de saint Paul: « Il faut », dit-il, « selon la vérité que nous
enseigne Jésus-Christ, vous dépouiller du vieil homme selon lequel vous avez
vécu autrefois, et qui se corrompt en suivant l’illusion de ses convoitises.
Renouvelez-vous dans l’intérieur de votre âme, et revêtez-vous de l’homme
nouveau qui est créé à la ressemblance de Dieu, dans la justice et dans une
sainteté véritable (Eph. IV, 21-21)
». Et de peur que l’on ne s’imagine qu’il faut nous dépouiller d’un objet
sensible comme d’un vêtement, et nous revêtir à. l’extérieur comme on prend un
vêtement, comme s’il fallait quitter une robe pour en prendre une autre, et
qu’une pensée si terrestre n’empêchât les hommes d’accomplir à l’intérieur et
d’une manière spirituelle, ce que l’Apôtre nous recommande, il nous explique
aussitôt ce que signifie se dépouiller du vieil homme et revêtir le nouveau.
Car, le reste de ce qu’on a lu ne tend qu’à nous le faire comprendre. Il semble
répondre à cette question: Comment me dépouiller du vieil homme et revêtir le
nouveau? Serai-je comme un troisième homme qui en quitte un vieux que j’avais,
pour en prendre un nouveau que je n’avais pas? En sorte qu’il y aurait trois
hommes, et que celui du milieu quitterait l’ancien pour s’attacher au nouveau?
De peur donc qu’une telle pensée ne nous embarrasse, et que n’ayant point
accompli le précepte, nous ne trouvions une excuse dans l’obscurité du passage,
saint Paul ajoute: « C’est pourquoi renoncez au mensonge et dites la vérité».
C’est là se dépouiller du vieil homme et revêtir le nouveau. « C’est pourquoi
donc, renoncez au mensonge, et que chacun dise la vérité à son prochain, parce
que nous sommes membres les uns des autres (Eph.
IV, 5) ».
2. N’allez point vous imaginer, mes frères,
qu’on ne doive dire la vérité qu’aux chrétiens, et que le mensonge se puisse
dire aux païens. Parlez selon la vérité à votre pro. chain; et votre prochain
est celui qui est comme vous né d’Adam et d’Eve. Nous sommes tous parents au
point de vue de la naissance humaine; mais nous sommes frères d’une autre
manière, et par l’espérance de l’héritage céleste. Vous devez donc, traiter
comme votre prochain, tout homme, avant même qu’il soit au Christ. Car vous ne
savez ce qu’il est devant Dieu, vous ignorez les desseins de Dieu sur lui. Tel
adore des pierres et vous en riez; un jour il se convertit, il adore le
Seigneur, et devient plus pieux que vous, qui naguère le trouviez ridicule.
Nous avons donc des frères cachés dans ces hommes qui ne sont point encore
(222)
enfants de l’Eglise, comme il y a des enfants
de l’Eglise, qui se cachent bien loin de nous. C’est Pourquoi, dans notre
ignorance de l’avenir, voyons dans tout homme notre prochain, non seulement en
vertu de cette nature humaine, qui nous fait partager avec lui le même sort
ici-bas; mais encore en vertu de l’héritage céleste, car nous ignorons ce que
deviendra celui qui n’est rien maintenant.
3. Ecoutez donc ce que saint Paul appelle
encore se dépouiller du vieil homme, et revêtir le nouveau. « Bannissons tout
mensonge, et que chacun dise la vérité à son prochain: parce que nous sommes
membres les uns des autres. Mettez-vous en colère, mais ne péchez point». Si
vous vous mettez en colère contre votre serviteur qui a fait une faute, fâchez-vous
contre vous-même, afin de ne point pécher. « Que le soleil ne se couche pas sur
votre colère 1». Cela se comprend, mes frères, du temps qu’elle doit durer.
Car, si dans la faiblesse humaine, si dans l’infirmité de cette chair mortelle
que nous portons, la colère se glisse chez un chrétien, elle ne doit point être
durable, ni aller jusqu’au lendemain. Bannis-la de ton coeur, avant que se lève
cette lumière visible, de peur que la lumière invisible ne t’abandonne.
Toutefois, on peut bien donner à ce passage un autre sens, et l’entendre du
Christ qui est pour nous la vérité, le soleil de justice non plus ce soleil
qu’adorent les païens et les Manichéens, et qui luit aux yeux des pécheurs;
mais cet autre soleil qui est la lumière pour la nature humaine, et la joie des
anges. Quant aux hommes, si les yeux de leurs coeurs sont trop faibles pour en
supporter l’éclat, ils se purifient par la pratique des commandements, de
manière à pouvoir le contempler. Quand ce soleil habitera dans l’homme par la
foi, gardez-vous alors de laisser prévaloir la colère qui s’élève en vous, au
point que le Christ se couche sur votre colère, ou plutôt qu’il abandonne votre
âme, car il lui répugne d’habiter avec la colère. On dirait en effet qu’il
s’éteint pour vous, quand c’est vous qui vous éteignez pour lui: car la colère
invétérée devient une haine; et quand il y a haine, il y a homicide. Car saint
Jean l’a dit: « Quiconque hait son frère est homicide 2». Il a dit encore
Quiconque haIt son frère demeure dans les ténèbres 3». Il n’est pas étonnant
qu’un
1. Eph. IV, 26. — 2. I Jean, III, 15. — 3.
Id. II, 9.
homme soit dans les ténèbres quand le soleil
est couché pour lui.
4. Tel est peut-être encore le sens de ce que
vous avez entendu dans l’Evangile: « La barque était en danger sur le lac, et
Jésus dormait 1». Car nous voguons sur un certain lac où ne manquent ni les
vents ni les tempêtes; chaque jour les tentations du siècle sont sur le point
de submerger notre navire. D’où cela vient-il, sinon de ce que Jésus est
endormi? Si Jésus ne dormait pas en toi, tu n’essuierais point ces bourrasques,
mais tu jouirais du calme intérieur parce que Jésus veillerait avec toi.
Qu’est-ce à dire que Jésus dort? C’est que votre foi en Jésus-Christ est
assoupie. Alors s’élèvent les tempêtes sur le lac de cette vie, tu vois l’impie
fleurir, le juste dans l’affliction, c’est là l’épreuve, c’est le flot qui
s’élève. Et ton âme s’écrie: Est-ce donc là, Seigneur, votre justice, que le
méchant soit dans la joie, le juste dans la peine?Tu t’en prends à Dieu. Est-ce
donc là votre justice? Et le Seigneur te répond: Est-ce donc là ta foi? Est-ce
là ce que je t’ai promis? Est-ce pour t’épanouir en cette vie que tu es
chrétien? Tu t’affliges de voir dans la joie ces méchants, qui doivent être
tourmentés avec le diable. Pourquoi ces murmures? Pourquoi te troubler au bruit
des flots et des tempêtes de cette vie? C’est que Jésus dort, ou plutôt que ta
foi en Jésus-Christ est assoupie dans ton coeur. Que fais-tu pour sortir du
danger? Eveille donc Jésus, et dis-lui: Maître, nous périssons 2». — Ce lac peu
sûr nous effraie, nous périssons. Jésus s’éveillera, ou plutôt la foi en
Jésus-Christ reviendra dans ton coeur; et à la lumière de la foi, tu verras en
ton âme que les biens donnés aujourd’hui aux méchants, ne doivent point leur
demeurer toujours. Car ils doivent, ou leur échapper dès cette vie, ou du moins
leur échapper à la mort. Pour toi, ce qui t’est promis, doit demeurer
éternellement. Pour eux le bonheur n’a qu’un temps, il s’évanouit bien. tôt. «
Il s’épanouit comme la fleur d’une herbe; or, toute chair est une herbe, et
l’herbe s’est desséchée, et la fleur est tombée, tandis que la parole du
Seigneur demeure éternellement 3». Tourne donc le dos à tout ce qui tombe, et
la face à tout ce qui demeure. Quand le Christ s’éveillera, ton coeur ne sera
plus battu par la tempête, ni ta barque submergée par les flots: parce que ta
1.
Luc, VIII, 23. — 2. Id. 24. — 3. Isa. XL, 8.
(223)
foi commandera aux vents et aux tempêtes, et
le danger disparaîtra. C’est à cela, nies frères, que reviennent ces conseils
que nous donne l’Apôtre de nous dépouiller du vieil homme
«Mettez-vous en colère, mais ne péchez point;
que le soleil ne se couche point sur votre colère, et ne donnez aucune prise au
démon 1». Le vieil homme lui donnait donc prise; qu’il n’en soit point ainsi du
nouveau. « Que celui qui dérobait, ne dérobe plus2». Donc, le vieil homme
dérobe, que le nouvel homme ne dérobe plus. Celui-là est homme aussi, c’est le
même homme, il était Adam, qu’il devienne Jésus-Christ; il était le vieil
homme, qu’il soit le nouveau; et le reste qui vient ensuite.
5. Mais voyons plus attentivement dans le
psaume, que tout chrétien qui avance en perfection dans l’Eglise, doit souffrir
les méchants dans l’Eglise. Toutefois, celui qui leur ressemble ne les connaît
point, car le plus souvent ceux qui se plaignent des méchants sont méchants à
leur tour; et un homme en santé supportera plus facilement deux malades, que
deux malades ne se supporteront mutuellement. Voici donc, mes frères, ce que nous
disons: L’Eglise ici-bas est une aire à battre le grain. Nous l’avons souvent
répété, nous le disons encore. Il y a dans cette aire de la paille et du bon
grain. Gardons-nous de chercher à séparer la paille, avant que Dieu ne vienne,
le van à la main. Que nul, avant ce temps, ne sorte de l’aire, comme s’il ne
pouvait supporter les pécheurs: de peur que l’oiseau ne le trouve hors de
l’aire et ne l’amasse avant qu’il soit entré dans les greniers célestes.
Ecoutez, mes frères, ce que cela signifie. Quand on commence à battre, les
grains ne se touchent pas à travers les pailles, ils sont pour ainsi dire
étrangers, à cause des pailles qui les séparent. Quiconque ne regarde la grange
que de loin, n’aperçoit que des pailles; il a peine à discerner le bon grain, s’il
n’approche plus près, s’il n’avance la main, s’il ne souffle avec sa bouche,
afin que ce souffle fasse une séparation. Il arrive donc, parfois, que les bons
grains sont tellement séparés l’un de l’autre, tellement étrangers, que le
chrétien qui avance en piété se croit seul. Cette pensée, mes frères, fut une
tentation pour Elie, et ce grand prophète, comme l’Apôtre nous l’a rappelé,
s’écriait: « Seigneur, ils ont tué vos
1. Eph. IV, 26, 27. — 2. Id. 28.
Prophètes, renversé vos autels, et je suis
demeuré seul, encore veulent-ils me faire mourir». Mais qu’est-ce que Dieu lui
répond? « Je me suis réservé sept mille hommes qui n’ont point fléchi le genou
devant Baal 1». Dieu ne dit point: il y en a deux ou trois qui vous
ressemblent, mais bien: Ne vous croyez pas seul, il y en a sept mille avec
vous, et vous vous croyez seul? Voici donc brièvement la recommandation que
j’avais commencé à vous faire. Que votre sainteté m’écoute avec attention, et
je prie Dieu qu’il touche vos coeurs dans sa miséricorde, afin que vous la
compreniez, de manière qu’elle agisse et fructifie en vous. Ecoutez donc en un
mot: Que celui qui est encore méchant, ne croie point que nul autre n’est bon,
et que, celui qui est bon, ne s’imagine pas être le seul. Comprenez-vous bien?
Je vous le répète, soyez attentifs: Que celui qui est méchant, qui interroge sa
conscience, et n’en reçoit qu’un mauvais témoignage, ne s’imagine point que nul
autre n’est bon; que celui qui est bon, ne se croie pas le seul, et qu’il ne
craigne pas, malgré sa justice, d’être mêlé aux méchants; viendra le temps où
il sera séparé. Aussi, aujourd’hui avons-nous chanté «Ne perdez pas mon âme
avec les impies, et ma vie avec celle des hommes sanguinaires 2». Qu’est-ce à
dire: «Ne perdez pas « avec les impies? » ne me perdez pas, confondu avec eux.
Pourquoi craint-il une même ruine? Je crois qu’il dit à Dieu: Vous nous
souffrez maintenant que nous sommes confondus, mais n’enveloppez pas dans une
même ruine ceux que vous laissez confondus. Tel est le sens du psaume, que je
veux examiner à ta hâte avec vous, parce qu’il est court.
6. « Jugez-moi, Seigneur 3 ». Ce voeu d’être
jugé, est un voeu désagréable, et peut être dangereux pour lui. Quel est ce
jugement qu’il invoque? sa séparation d’avec les méchants. C’est ce jugement de
séparation qu’il désigne clairement dans un autre psaume: « Jugez-moi,
Seigneur, et séparez ma cause de celle d’un peuple qui n’est pas saint 4». Nous
voyons là le sens de cette parole: « Jugez-moi». Que les bons et les méchants
n’aillent point au feu éternel, comme aujourd’hui on voit ces bons et ces
méchants entrer dans l’Eglise, pour ainsi dire sans aucun discernement. «
Jugez-moi,
1. III Rois, XIX, 10. — 2. Ps. XXV, 9. — 3.
Id. 1. — 4. Ps. XLII, 1.
Seigneur». Et pourquoi? « C’est que, pour
moi, j’ai marché dans mon innocence, et que mon espoir dans le Seigneur ne sera
point ébranlé 1 ». Quel est cet « espoir dans le Seigneur? » Celui-là chancelle
parmi les méchants, qui n’a point mis son espoir en Dieu. De là sont venus les
fauteurs des schismes. Ils ont tremblé en se voyant parmi les méchants, eux qui
étaient pires, ils ont rougi d’être bons au milieu des impies. Ah ! s’ils
eussent été le bon grain, ils eussent toléré la paille dans la grange, jusqu’au
jour du vanneur. Mais comme ils n’étaient que la paille, voilà qu’un souffle
s’est élevé, a prévenu le van du Seigneur, et enlevé de la grange cette paille
qu’il a jetée parmi les épines. Une paille a été enlevée, mais ce qui est
resté, n’est-il que froment? Il n’y a que la paille qui s’envole avant la
séparation, et néanmoins il reste de la paille et du froment; et au temps de la
séparation cette paille sera vannée. Voilà ce que dit le Prophète: « J’ai
marché dans mon innocence, et mon espoir dans le Seigneur ne sera point
ébranlé». Si je n’avais espéré que dans un homme, je verrais peut-être cet
homme tomber dans le désordre et ne point suivre ces voies de la justice qu’il
apprendra à connaître ou même qu’il enseigne dans 1’Eglise, mais s’égarer dans
celles que Satan lui a montrées. Si donc mon espérance était dans un homme,
elle chancellerait et tomberait avec cet homme chancelant et tombant; mais
comme elle est dans le Seigneur, elle est inébranlable.
7. « Eprouvez-moi, Seigneur, et sondez mon
âme, dit ensuite, le Prophète, faites passer au feu mes reins et mon coeur 2 ».
Qu’est-ce à dire: « Passez au feu mes reins et mon coeur? » — Passez au feu mes
convoitises et mes pensées. Les reins se disent ici des convoitises, et le
coeur des pensées, afin que nies pensées ne s’arrêtent pas au mal, et que le mal
m’excite pas mes désirs. A quel feu passer mes reins? au feu de votre parole. A
quel feu passer mon coeur? au feu de votre esprit. C’est de ce feu qu’il est
dit ailleurs: « Que nul ne peut se dérober à son action 3 », et dont le
Seigneur a dit à son tour: « Je suis venu apporter le feu sur la terre 4 ».
8. Le Prophète continue: « C’est que votre
miséricorde est devant mes yeux, et que votre vérité m’a plu ». C’est-à-dire,
je n’ai
1. Ps, XXV,1.— 2. Id. 2.— 3. Id. XVIII, 7.—
4. Luc, XII, 49.— 5. Ps. XXV,3.
point cherché à plaire aux hommes, mais j’ai
voulu vous plaire dans cet intérieur où pénètrent vos yeux, peu soucieux de
déplaire aux hommes qui voient le dehors, comme l’a dit l’Apôtre: « Que chacun
éprouve ses actions, et alors il pourra se glorifier dans lui-même, et non dans
un autre 1 ».
9. « Je ne me suis point assis dans les
assemblées de vanité 2 ». Quel est le sens de cette expression: « Je ne me suis
point assis? » Ecoutez, mes frères. En disant: « Je ne me suis point assis »,
il en appelle à Dieu qui voit tout. Vous pouvez être absent d’une réunion, et
pourtant y siéger. Par exemple, vous n’êtes pas au théâtre, mais des pensées
théâtrales absorbent votre esprit, contrairement à cette parole: « Passez au
feu mes reins », alors vous êtes assis au théâtre, nonobstant votre absence
corporelle. Mais il peut arriver qu’un ami vous y fasse entrer et vous y
retienne, ou qu’un office de charité vous force à vous y asseoir. Comment cela
est-il possible? Il peut arriver qu’un chrétien ait une bonne oeuvre à faire
qui le force de s’asseoir dans l’amphithéâtre: il voulait délivrer je ne sais
quel gladiateur; alors il a bien pu s’asseoir, et attendre que parût celui
qu’il voulait délivrer. Cet homme, nonobstant sa présence corporelle, ne s’est
pas assis dans les assemblées de la vanité. Qu’est-ce que s’y asseoir? C’est
être de coeur avec les assistants. Si votre coeur n’y est pas, nonobstant votre
présence vous n’y êtes point assis; si votre coeur y est, vous êtes assis
malgré votre absence. « Je ne m’unirai point aux artisans de l’iniquité; car
j’ai en horreur l’assemblée des méchants 3 ». Vous voyez donc que « s’asseoir
avec les impies », se dit de l’intérieur.
10. « Je laverai mes mains parmi les justes
4». Non point avec une eau visible. C’est laver tes mains, que d’avoir pour tes
oeuvres des pensées pures et innocentes aux yeux de Dieu. Il est aussi sous
l’oeil de Dieu, cet autel dont s’est approché le prêtre qui s’est offert le
premier pour nous. L’autel est donc sacré, et nul ne peut l’embrasser, s’il n’a
lavé ses mains avec les âmes justes. Beaucoup, il est vrai, s’en approchent
indignement, et Dieu souffre pour un temps que ses sacrements soient profanés.
Toutefois, mes frères, en serait-il de la Jérusalem céleste, comme des
murailles qui nous environnent? Point du tout, et si vous
1. Gal. VI,4.— 2. Ps.XXV,4.— 3. Id.5.— 4.
Id.6
(225)
entrez avec les méchants dons les murailles
de cette Eglise, vous n’entrerez pas avec les méchants dans le sein d’Abraham.
Ne craignez donc point de purifier vos mains. « J’embrasserai l’autel du
Seigneur »: cet autel où tu offres tes voeux à Dieu, où tu répands tes prières,
où ta confiance est pure, où tu dis à Dieu ce que tu es; et si quelque chose eu
toi pouvait déplaire à Dieu, celui qui reçoit tes aveux te guérirait. Lave donc
tes mains parmi les justes, embrasse l’autel du Seigneur afin d’entendre la
voix de ses louanges.
11. C’est en effet ce qui suit: « Afin
d’entendre la voix de vos louanges et de publier vos merveilles 1». Qu’est-ce à
dire: «Entendre la voix de vos louanges? » C’est-à-dire, afin que je comprenne.
Entendre, en effet, devant Dieu, ce n’est point percevoir des sons que beaucoup
entendent, et que beaucoup d’autres n’entendent pas. Combien entendent pour
nous, qui sont sourds à l’égard de Dieu! Combien ont des oreilles, mais non ces
oreilles dont Jésus parlait, quand il s’écriait: «Que celui-là entende qui a
des oreilles pour entendre 2 » Que signifie donc entendre la voix de la
louange? Je le dirai, s’il m’est possible, avec le secours de Dieu et de vos
prières. Entendre la voix de la louange, c’est comprendre intérieurement, que
tout ce qui est en toi corrompu par le péché, vient de loi; que tout ce qu’il y
a de bon et de juste, vient de Dieu. Entends donc la voix de la louange, de
manière à ne point te louer toi-même, quelle que soit ta justice. Louer ta
bonté, c’est devenir mauvais. L’humilité t’avait fait bon, l’orgueil te rend
méchant. Tu avais cherché la lumière dans ta conversion, et voilà que cette
conversion t’a rendu lumineux, tu es devenu éclatant. Mais à qui t’es-tu
converti? à toi-même? Situ pouvais être illuminé en retournant à toi-même, tu
ne serais jamais dans les ténèbres, parce que tu serais toujours avec loi. D’où
te vient donc la lumière? de ta conversion vers ce qui n’était pas toi. Et qu’est-ce
qui n’était pas toi? Dieu qui est la lumière. Tu n’étais pas lumière, à cause
de tes péchés. Voulant faire entendre aux fidèles cette voix de la louange,
l’Apôtre leur dit: « Autrefois vous étiez ténèbres, et maintenant vous êtes
lumière 3». Que signifie: «Vous u étiez autrefois ténèbres », sinon que le
vieil homme était eu vous? Maintenant vous êtes
1. Ps. XXV, 7. — 2. Matt. XIII, 9. — 3. Eph.
V, 8.
lumière, et ce n’est pas sans raison, qu’a. près
avoir été ténèbres, vous êtes lumière, puisque vous avez été éclairés.
Garde-toi de te croire lumière par toi-même: la lumière est « celle qui éclaire
tout homme venant en ce monde1». Quant à toi, ta nature, la volonté perverse,
ton éloignement de Dieu t’avaient rendu ténébreux, et maintenant tu es lumière.
Mais, de peur d’enorgueillir ceux qu’il félicite en disant: « Vous êtes
lumière», l’Apôtre ajoute: « Dans le Seigneur». Car il dit: « Vous fûtes
autrefois ténèbres, et maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur ». Si donc
il n’y a pas de lumière en dehors du Seigneur, et si vous êtes lumière,
précisément parce que vous êtes en lui, « qu’avez-vous, que vous n’ayez reçu?
Et si vous l’avez reçu, pour. « quoi vous glorifier comme si vous ne l’aviez pas
reçu 2?»Tel est, dans un autre endroit, le langage de l’Apôtre aux hommes
orgueilleux, et qui veulent s’attribuer les dons de Dieu, se glorifier du bien
qu’ils ont, comme s’il venait d’eux-mêmes. Qu’avez-vous, leur dit-il, que vous
n’ayez reçu? Si vous l’avez, pourquoi vous en glorifier, comme si vous ne
l’aviez pas reçu? Celui qui donne à l’humble, enlève aux superbes; car celui
qui peut donner, peut reprendre. C’est là le sens, mes frères, si toutefois je
vous l’ai fait comprendre, autant que je le voulais; mais si ce n’est autant
que je l’aurais voulu, c’est du moins comme je l’ai pu; tel est le sens de ces
paroles: «Je laverai mes mains avec les justes, et j’embrasserai votre autel, ô
mon Dieu, afin d’entendre la voix de votre louange »; c’est~à. dire, afin que
le bien qui est en moi, ne nie donne point une confiance présomptueuse en moi,
mais une confiance en vous qui nie l’avez donné, et que je ne cherche point ma
gloire en moi-même, mais la vôtre et en vous. Aussi le Prophète a-t-il ajouté:
« Afin que j’écoute la voix de votre louange, et que je raconte vos merveilles
». Oui, vos merveilles, et non les miennes.
12. Et maintenant, mes frères, voyez l’homme
qui aime Dieu, qui a mis sa conS fiance en Dieu, le voilà au milieu des
méchants, et il demande à Dieu de n’être point perdu avec ces méchants, parce
que Dieu est infaillible dans ses jugements. Pour toi, situ vois des hommes
réunis dans un même lieu, lu les crois égaux en mérite; mais sois sans
1.
Jean, I, 9 — 2. I Cor. IV, 7.
(226)
crainte, le Seigneur ne peut se tromper. Tu
as besoin d’un souffle pour séparer la paille du bon grain; tu veux un vent qui
souffle, et comme tu n’es pas toi-même ce souffle puissant, tu souhaites que le
vent vienne à ton aide; et quand en vannant tu secoues la paille et le froment,
le vent chasse tout ce qui est léger, et respecte ce qui a du poids. Tu as donc
recours au vent pour démêler ce qui est dans ta grange. Mais Dieu a-t-il besoin
qu’on l’aide à juger, pour ne point perdre les bons avec les méchants? Sois
donc sans crainte, et demeure en toute sécurité, même avec les méchants; et dis
avec le Prophète: « Seigneur, j’ai aimé la splendeur de votre maison 1 » Cette
maison de Dieu, c’est l’Eglise, qui renferme sans doute beaucoup d’impies; mais
la splendeur de cette maison de Dieu est dans les justes et dans les saints: et
telle est la splendeur que j’aime en elle. « J’ai aimé ce lieu où habite votre
gloire ». Quel est le sens de ces paroles? Ces paroles, je l’avoue, ont encore
le sens, quelque peu obscur, exposé plus haut Que le Seigneur me vienne en
aide, et dispose vos coeurs à l’attention. Qu’est-ce que Je Prophète appelle: «
Ce lieu où réside voire gloire?» Il vient de dire: « La splendeur de votre
maison »; et, pour expliquer cette splendeur, il ajouté: « Le lieu où réside
votre gloire ». Il ne lui suffit pas de dire: « Le lieu qu’habite le Seigneur
»; mais: « Le lieu où réside la gloire de Dieu». Quelle est cette gloire de
Dieu? C’est d’elle que je disais tout à l’heure, que celui qui devient bon, ne
se glorifie pas en lui-même, mais bien en Dieu 2. «Car tous ont péché, et tous
ont besoin de la gloire de Dieu 3». Ceux-là, dès lors, en qui le Seigneur
habite, de manière à se glorifier lui-nième de ses dons, qui ne veulent point
s’attribuer et revendiquer comme leur bien ce qu’ils ont reçu de Dieu, ceux-là
forment la splendeur de la maison de Dieu. L’Ecriture ne les distinguerait
point si spécialement, s’il n’y en avait d’autres qui possèdent les dons de
Dieu, à la vérité, mais qui, loin de se glorifier en Dieu, se glorifient en
eux-mêmes: ils ont en effet les dons de Dieu, mais ne contribuent point à la
splendeur de son palais. Car ceux qui contribuent à la splendeur de cette
habitation, et en qui réside sa gloire, sont le lieu qu’habite sa gloire. Mais
en qui réside la gloire de Dieu, sinon en ceux uni se
1.
Ps. XXV, - 2. I Cor. I,31.- 3. Rom 1,23.
glorifient de telle sorte qu’il en résulte,
non leur propre gloire, mais celle du Seigneur? Donc, parce que j’ai aimé la
gloire de votre maison, c’est-à-dire tous ceux qui sont à vous et qui
recherchent votre gloire, parce que je n’ai point mis ma confiance dans un
homme, que je n’ai point donné mon assentiment aux impies, que je ne veux ni
entrer ni m’asseoir dans leurs assemblées; parce que telle a été ma conduite
dans l’Eglise de Dieu, quelle sera ma récompense? Le verset suivant nous donne
la réponse: « Ne perdez pas mon âme avec les impies, et ma vie avec les hommes
sanguinaires 1».
13. « Leurs mains sont pleines d’iniquités,
leurs droites souillées de présents 2 ». Les présents ne sont pas seulement la
richesse, l’or, l’argent, les objets précieux; et tous ceux qui les reçoivent,
ne les reçoivent pas en présents pour cela. L’Eglise en reçoit quelquefois, et
même Pierre en reçut, le Seigneur en reçut, il eut une bourse, et l’argent
qu’on y jetait, Judas le dérobait 3. Qu’est-ce que recevoir des présents? Celui
qui juge d’une manière inique, non seulement par amour de l’or ou de l’argent,
ou d’autres richesses, mais par vaine gloire, reçoit un présent, et un présent
des plus vains. Il a ouvert la main pour recevoir le témoignage d’une langue
étrangère, et il a perdu le témoignage de sa conscience, Donc « leurs mains
sont pleines d’iniquités, et leurs droites souillées de présents». Vous voyez,
mes frères, qu’ils sont sous l’oeil de Dieu, ceux dont les mains ne sont point
entachées d’iniquités, dont la droite n’est pas souillée de présents; ils sont
sous l’oeil de Dieu, et ne peuvent dire qu’à lui seul: Vous le savez, Seigneur;
à lui seul ils peuvent dire: « Ne perdez pas mon âme avec les impies, et ma vie
avec les hommes sanguinaires »; lui seul peut voir qu’ils ne reçoivent aucun
présent. Ainsi, mes frères, deux hommes ont à vider un différend devant un
serviteur de Dieu; chacun ne voit de justice que dans sa cause. S’il croyait sa
cause injuste, il n’aurait point recours au juge. L’un se croit dans la
justice, l’autre aussi. On se présente au juge. Avant la sentence, chacun dit:
Nous acceptons votre arbitrage, à Dieu ne plaise que nous rejetions votre
sentence! Pour vous, que dites-vous? prononcez selon vos vues, seulement,
prononcez: Anathème à moi si je
1. Is. XXV, 9 — 2. Id. 10. — 3. Jean, XII, 6.
(227)
cherche à contredire. Tous deux aiment le
juge avant la sentence. Toutefois, cette sentence à prononcer condamnera l’un des
deux, et nul ne sait qui sera condamné. Si le juge veut plaire à tous deux, il
reçoit en présent la louange des hommes. Et ce présent qu’il accepte, voyez
quel présent il lui fait perdre. Il reçoit une parole qui fait du bruit et qui
passe, il perd la parole que l’on répète, qui ne passe point; car la parole de
Dieu se dit toujours, sans passer jamais; et la parole de l’homme s’évanouit, à
mesure qu’on la profère. Il perd ce qui est immuable, pour avoir ce qui est
futile. Mais s’il n’a que Dieu en vue, il prononcera une sentence contre l’un
d’eux, tenant ses regards sur Dieu, qu’il écoute en jugeant ainsi. Quant à
celui que condamne cette sentence, peut-être ne pourrait-il la faire cesser,
surtout s’il n’est point du ressort du droit ecclésiastique, mais des lois des
princes, il ont la déférence envers l’Eglise a rendu lotis ses jugements
irrévocables; mais s’il ne peut faire cesser la sentence, loin de jeter les
veux sur lui-même, il les tourne aveuglément vers le juge, qu’il déchire de
tout son pouvoir. lia voulu, dit~il, plaire à mon adversaire, il a favorisé le
riche, il en a reçu des présents, il a craint de le blesser. Il accuse donc son
juge d’avoir reçu des présents. Qu’un pauvre ait une affaire contre un riche,
et que l’on prononce en faveur du pauvre; le riche tient le même langage. Il a
reçu des présents. Quels présents peut faire un pauvre? Il a vu, dit-il, sa
pauvreté, il a craint le blâme s’il jugeait au désavantage du pauvre, et voilà
qu’il u étouffé la justice et porté une sentence contre la vérité. Si donc ces
récriminations sont inévitables, comprenez que Dieu seul voit ceux qui
reçoivent les présents et ceux qui les rejettent, et que devant lui seulement,
ceux qui les refusent, peuvent dire: « Pour moi, j’ai marché dans l’innocence,
délivrez-moi, prenez moi en pitié, mon pied est demeure dans la voie droite (Ps. XXV, 11, 12) ». Sans doute, j’ai pu
être ébranlé par les scandales et les efforts de ceux qui se récriaient avec
une téméraire audace contre mon jugement, mais « mon pied est demeuré dans le
sentier droit ». Pourquoi, dans le chemin droit? parce qu’il avait dit plus
haut: « J’espère dans le Seigneur, et je ne serai point ébranlé 1 ».
14. Quelle est sa conclusion? « Je vous
bénirai, Seigneur, dans les grandes assemblées 2 ». C’est-à-dire, ce n’est
point moi que je bénirai dans les églises, comme si j’étais assuré des hommes,
mais c’est vous que je bénirai par mes oeuvres: et bénir Dieu dans les
assemblées, mes frères, c’est vivre de manière que les oeuvres de chacun soient
une gloire pour le Seigneur. Bénir le Seigneur par la langue, et le maudire par
des actes, ce n’est point le bénir dans les assemblées; presque tous le
bénissent de la langue; mais pas tous par les oeuvres. Quelques-uns le
bénissent en paroles, et d’autres par les actions. Mais ceux dont les actes
sont en désaccord avec les paroles, font blasphémer le Seigneur. Et ceux qui
n’entrent point dans l’Eglise, bien que le vrai motif qui les empêche d’être
chrétiens, soit l’attachement pour leurs désordres, prennent pour excuse les
mauvais chrétiens, et ils s’applaudissent, ils se trompent eux-mêmes en disant:
Pourquoi m’exciter à devenir chrétien? Un chrétien m’a trompé, et moi, jamais;
un chrétien s’est parjuré envers moi, et moi, jamais. Ce langage les détourne
du salut, et c’est en vain, non seulement qu’ils ont quelques qualités, mais
qu’ils ne sont qu’à demi mauvais; de même qu’un homme qui est dans les ténèbres
ouvrira vainement les yeux, de même c’est en vain qu’il est en face de la
lumière, s’il veut les fermer. C’est là l’image d’un païen, et j’en parle
volontiers à cause de leur vie honnête en apparence; il ouvre les yeux, mais il
est dans les ténèbres, parce qu’il ne connaît point le Seigneur qui est sa
lumière; quant au chrétien qui vit dans le désordre, il est, je l’avoue, dans
la lumière de Dieu, mais ses yeux sont fermés. Dans sa dépravation, il refuse
de voir celui ami nom duquel il est, en plein jour, un aveugle, que ne vivifie
aucun rayon de la véritable lumière.
1. Ps. XXV, 1. — 2. Id. 22.
(228)
David a pu, dans ce psaume,
exprimer les douleurs de son exil, mais son langage convient parfaitement aux
membres de l’Eglise militante, qui se consolent au milieu des fatigues de cette
vie par l’espérance du repos et de la félicité dont ils jouiront dans la maison
de Dieu.
POUR DAVID, AVANT QU’IL AIT REÇU L’ONCTION 1.
1. Ce langage est celui du soldat du Christ
qui arrive à la foi. « Le Seigneur est ma lumière et mon salut, qu’aurai-je à
craindre2? » C’est le Seigneur qui me fait la grâce de le connaître et de me
sauver, qui pourra m’arracher à lui? « Il est le protecteur de ma vie, qui une
fera trembler 3? » C’est le Seigneur qui doit repousser l’assaut et les
embûches de mes ennemis, nul ne me fera peur.
2. « Des pervers s’approchent de moi pour
dévorer ma chair 4 ». Des méchants s’approchent de moi pour me connaître,
m’insulter, et se préférer à moi, quand je veux m’améliorer; leur dent maligne
va dévorer, Lion pas moi, mais bien maies désirs charnels. «Ces ennemis qui me
persécutent». Non seulement ceux qui viennent au nom de l’amitié me blâmer et
me détourner de mon dessein, mais encore mes ennemis « Ont chancelé à leur tour
et sont tombés». En agissant ainsi, pour défendre leur propre sera-liment, ils
sont devenus faibles pour embrasser une croyance meilleure, et se sont pris à
haïr cette parole qui me lait agir contre leur volonté.
3. « Que des armées campent autour de moi,
mon coeur m’en sera point ému 5 ». Que la foule de mes contradicteurs conspire
et se soulève contre moi, mon coeur ne les craindra pas au point de se ranger
avec eux. «Qu’on me livre un assaut, j’en redoublerai d’espérance». Que les
persécutions du monde viennent fondre sur moi, j’affermirai mon espoir dans
cette prière que médite mon coeur.
4. « J’ai fait une demande au Seigneur. Et
1. Ps. XXVI, 1. - 2. Id.2. - 3. Ibid. - 4.
Ibid. - 5. Id.4.
je la lui ferai encore». Ce que j’ai demandé
au Seigneur, je le demanderai encore. « C’est d’habiter dans la maison de Dieu,
tous les jours de ma vie 1 ». C’est que, durant mon séjour ici-bas, nulle
affliction ne me sépare du nombre de ceux qui gardent l’unité de la foi dans
l’univers entier. « C’est que je contemple un jour la beauté du Seigneur».
C’est que la persévérance dans la foi me découvre l’ineffable beauté du
Seigneur, et que je la puisse contempler face à face. « Et que je sois protégé
comme son temple », et que la mort, absorbée enfin par la victoire, me revête
d’immortalité, et fasse de moi le temple du Seigneur.
5. « Parce qu’il m’a caché dans son pavillon,
au jour de mes malheurs 2». Parce que datas cette chair mortelle, dont le Verbe
s’est revêtu, il m’a ménagé un abri contre ces tentations auxquelles est
assujettie ma vie mortelle. « Il m’a reçu dans le secret de son tabernacle». Il
m’a protégé, quand la foi qui justifie était dans mon coeur3.
6. « Il m’a établi sur le roc». Et afin de
m’amener au salut, par la manifestation de ma foi 4, il m’a donné la force de
la confesser au grand jour. « Et voilà qu’il m’a fait grandir au-dessus de mes
ennemis 5 ». Que me réserve-t-il pour l’avenir, puisque, dès aujourd’hui, mon
corps est mort au péché, et que mon esprit, je le sens, est soumis à la loi de
Dieu, sans se laisser assujettir aux rébellions de la loi du péché 6? « J’ai
jeté les yeux de toutes parts, et j’ai offert à Dieu, dans son tabernacle, une
hostie de louanges 7». J’ai vu que l’univers croit maintenant au Christ, et
parce qu’il s’est un moment humilié pour nous, je l’aï béni dans mon
allégresse: c’est
1.
Ps. XXVI, 1 - 2. Id. 5.— 3. Rom. X, 10.- 4. Ibid. - 5. Ps. XXVI, 6 - 6. Rom.
VIII, 10. - 7. Ps. XXV, 6.
(229)
là l’hostie que je lui ai offerte. « Je
chanterai, je bénirai le Seigneur». Mon coeur et mes oeuvres lui témoigneront
ma joie.
7. « Seigneur, exaucez la voix que j’élève jusqu’à
vous1». Exaucez, ô Dieu, cette voix
du coeur, que mes vifs désirs élèvent jusqu’à
vos oreilles. « Prenez-moi en pitié, exaucez-moi ». Ayez pitié de moi, exaucez
ma prière.
8. « Mon coeur vous a dit: J’ai cherché votre
face 2 ».Ce n’est point devant les hommes que j’ai prié; mais dans le secret où
vous entendez seul, mon coeur vous a dit: Je
cherche une récompense, non point hors de
vous, mais dans vos regards bienveillants, « C’est ce regard, ô mon Dieu, que
je veux chercher». Ce regard, je le chercherai sans cesse; rien de vil ne
saurait me plaire; mon amour pour vous sera sans bornes, parce que rien ne
m’est plus précieux.
9. « Ne détournez point de moi votre face 3
», afin que je trouve ce que je cherche. « Ne vous éloignez point de votre
serviteur dans votre colère»; de peur qu’en vous cherchant, je ne m’attache à
d’autres objets. Quel châtiment plus douloureux pour celui qui vous aime, et
qui cherche dans votre face l’éclat de la vérité? « Venez à mon aide ! »Quand
pourrais-je vous trouver, sans votre secours? « Ne m’abandonnez point, ne me
méprisez point, ô Dieu, mon Sauveur 4 ». Ne méprisez point un mortel qui ose
rechercher un Dieu éternel: c’est vous, ô mon Dieu, qui guérissez la plaie de
mon péché.
10. « Voilà que mon père et ma mère m’ont abandonné
5». Voilà que le royaume de ce monde, que la cité d’ici-bas, qui m’ont donné
pour un temps cette vie mortelle, m’ont délaissé parce que j’aspirais à vous
posséder, et que je méprisais ce qu’ils pouvaient m’offrir; car ils ne peuvent
me donner ce que je ne cherche avidement. « Mais le Seigneur m’a recueilli». Il
m’a recueilli, ce Dieu qui peut se donner à moi.
11. « Seigneur, montrez-moi les sentiers que
je dois suivre 6 » Je m’efforce d’aller à
1.
Ps. XXVI, 7.— 2. Id. 8. — 3. Id. 9. — 4. Ibid. — 5. Id. 10. — 6. Id. 11.
vous, je commence par la crainte la haute
entreprise d’arriver à la sagesse; enseignez. moi, Seigneur, la voie que je
dois suivre, de peur que je ne m’égare, et que votre croyance ne m’abandonne.
«Daignez me conduire dans la voie droite, pour confondre mes ennemis ». Dans
vos étroits sentiers, faites-moi prendre le chemin droit. Car il ne suffit
point d’entreprendre, puisque l’ennemi ne cessera de me harceler, jusqu’à mon
arrivée.
l2. « Ne me livrez pas à la rage de mes
persécuteurs ». Ne souffrez pas que ceux qui m’affligent se rassasient de mes
peines. « Voilà que de faux témoins s’élèvent contre moi 1 ». Des hommes se
sont levés pour m’accuser faussement, afin de me détacher et de m’éloigner de
vous, comme si je cherchais ma gloire parmi les hommes. « Et l’iniquité a menti
contre elle-même ». Mais l’iniquité n’a pu s’applaudir que de sa fausseté; car
elle ne m’a point ébranlé, et c’est de là qu’une plus belle récompense m’a été
promise dans le ciel.
13. « Je suis certain de voir les biens du
Seigneur dans la terre des vivants 2 ». Et parce que le Seigneur a souffert ces
persécutions avant moi, si, à mon tour, je méprise les langues de ces hommes
dévoués à la mort, « car la bouche qui ment, tue l’âme 3 », je suis certain de
voir les biens du Seigneur, dans la terre des vivants, où il n’y a plus de
fausseté.
14. « Attends le Seigneur, agis avec force;
affermis ton âme, et attends le Seigneur 4». Quand donc s’accomplira cette
promesse? Au mortel d’accuser la difficulté, à l’amour d’accuser la lenteur;
écoute néanmoins la voix infaillible qui dit: « Attends le «Seigneur». Souffre
courageusement le feu qui brûle tes reins, et vaillamment celui qui brûle ton
coeur, ne regarde pas comme refusé ce que tu n’as pas reçu. Contre le désespoir
et la défaillance, écoute cette parole: « Attends le Seigneur ».
1.
Ps. XXVI, 12.— 2. Id. 13. — 3. Sag. I, 11.— 4. Ps. XXVI, 14.
(230)
Saint Augustin paraphrase le
psaume en forme d’homélie, il s’empare des expressions et des sentiments du
Prophète pour encourager les chrétiens en butte ici-bas à la persécution et
attirer en eux le désir du vrai bonheur.
1. Le Seigneur notre Dieu, voulant nous
adresser des paroles consolantes, en nous voyant réduits par sors juste arrêt à
manger notre pain à la sueur de notre front 1, daigne emprunter notre langage
pour nous parler, afin de nous montrer, non seulement qu’il nous a créés, mais
encore qu’il habite avec nous. Nous avons entendu et en partie chanté les
paroles du psaume. Si nous disons que ces paroles sont les nôtres, craignons de
n’être pas dans le vrai, puisqu’elles appartiennent plus à l’Esprit-Saint qu’à
nous. Pourtant il y aurait une évidente fausseté à dire que ce sont là nos
paroles, puisqu’elles ne sont que les gémissements d’âmes dans la peine ou bien
ces cris pleins de douleur et de larmes, qui retentissent d’un bout à l’autre
du psaume, seraient-ils de Celui qui ne peut être dans la détresse? Dieu est
miséricordieux, mes frères, et nous misérables. Celui qui est assez compatissant
pour daigner adresser la parole à des malheureux, a daigné prendre aussi le
langage du malheur, Il est donc vrai de dire, que ces paroles sont les nôtres
et qu’elles ne nous appartiennent point; que c’est la voix de l’Esprit-Saint,
et que néanmoins elle n’est pas la sienne. C’est la parole de l’Esprit-Saint,
puisqu’elle n’est dans notre bouche que par son inspiration; mais elle n’est
point sa parole, en ce sens qu’il ne ressent ni la misère ni la fatigue, et ces
paroles sont les cris de la douleur et du travail. Elles sont nos paroles,
puisqu’elles témoignent de notre misère; mais elles ne viennent point de nous,
puisque c’est à sa grâce que nous devons de pouvoir gémir.
2. « Psaume de David, avant qu’il ait reçu
l’onction 2 ».Tel est le titre du psaume: « Psaume de David, avant qu’il ait
reçu l’onction ». C’est-à-dire, avant qu’il fût oint, car
il reçut l’onction royale3. Il n’y avait
alors
1. Gen. III, 9. — 2. Ps.
XXVI, I. — 3. I Rois, XVI, 13.
d’onction que pour le roi et pour le prêtre
et ces deux hommes qui recevaient l’huile sainte, étaient la figure du Christ
seul roi et seul prêtre, et appelé Christ, de l’onction qu’il a reçue. Et non
seulement notre chef a reçu l’onction, mais nous aussi qui sommes sont corps.
Il est donc notre roi, parce qu’il nous dirige et nous gouverne; il est prêtre,
parce qu’il intercède pour nous (Rom.
VIII, 31.). Il est encore le seul prêtre qui soit en même temps victime.
Car la victime du sacrifice, qu’il offrit à Dieu, n’est autre que lui-même: et
il n’eût pu trouver en dehors de lui une victime raisonnable, très-pure,
capable de nous racheter par l’effusion de son sang, comme l’agneau sans tache,
et de nous incorporer à lui comme ses membres, et de nous faire avec lui un
seul et même Christ. C’est pourquoi tous les chrétiens participent à l’onction,
qui, dans l’Ancien Testament, était l’apanage exclusif de deux personnes. D’où
il suit que nous sommes le corps du Christ, puisque nous avons tous reçu
l’onction; et que nous sommes tous en lui des christs et un seul Christ, car la
tète et les membres composent le Christ dans son intégrité. Cette onction doit
perfectionner en nous la vie spirituelle qui notas est promise. Ce psaume est
donc la prière d’une âme soupirant après cette vie spirituelle, et demandant
avec instance la grâce qui sera parfaite en nous, à notre dernier jour. Aussi
a-t-il pour titre: Avant l’onction. Car nous recevons, ici-bas, l’onction dans
le sacrement, et le sacrement est la figure de ce que nous devons être un jour.
Et cet avenir inconnu et ineffable, voilà ce que nous devons désirer, ce qui
doit nous faire gémir quand nous recevons le sacrement, afin qu’un jour nous
jouissions de cette réalité dont le sacrement est un symbole.
3. Voici donc le psaume: « Le Seigneur
(231)
est ma lumière et mon salut, que pourrai-je
craindre 1? » C’est lui qui m’éclaire; arrière les ténèbres! c’est lui qui est
mon salut, arrière l’infirmité ! En marchant dans la force et dans la lumière,
qu’ai-je à craindre? Ce salut qui vient de Dieu n’est point un salut qu’on puisse
m’arracher; ni sa lumière un flambeau que l’on puisse éteindre. C’est donc Dieu
qui nous éclaire, et nous qui sommes éclairés, c’est Dieu qui nous sauve, et
nous qui sommes sauvés. Si donc c’est Dieu qui est lumière, nous qui sommes
éclairés, lui qui est sauveur, nous qui sommes sauvés, sans lui nous ne serions
que ténèbres et que faiblesse. Ayant donc en lui une espérance ferme, fondée,
inébranlable, qui pouvons-nous craindre? Le Seigneur est donc ta lumière, le
Seigneur est ton sauveur. Crains encore, si tu trouves une puissance plus
grande. J’appartiens donc au Dieu plus puissant que tous, car il est le
Tout-Puissant; c’est lui qui m’éclaire, lui qui me sauve; je le crains, et n’ai
pas d’autre crainte. « C’est le Seigneur qui protège ma vie, qui pourrait me
faire peur? »
4. « Des pervers s’approchaient pour dévorer
ma chair, mes ennemis, mes persécuteurs ont chancelé, et sont tombés 2».
Qu’ai-je donc à redouter? Qui serait à craindre pour moi? Qui me ferait peur,
et pourquoi trembler? Voilà que mon persécuteur chancelle et tombe. Et pourquoi
me persécuter? « Pour dévorer ma chair ». Qu’est-ce que ma chair? Mes
affections charnelles. Qu’ils sévissent donc avec fureur en me persécutant,
rien de moi ne peut mourir, que ce qui est mortel. Il y a chez moi quelque
chose que la persécution ne saurait atteindre, c’est le sanctuaire qu’habite
mon Dieu. Que mes ennemis mangent ma chair; une fois ma chair consumée, je
serai tout esprit, l’homme spirituel. Et même le Seigneur m’a promis un salut
si complet, que cette chair mortelle, qui semble être pour un temps la proie de
mes persécuteurs, ne périra pas éternellement, et que les membres doivent
espérer pour eux-mêmes cette résurrection qu’ils ont admirée dans leur chef.
Que peut craindre mon âme, quand le Seigneur y habite? Que pourra craindre ma
chair, quand ce corps corruptible sera revêtu d’incorruptibilité? Voulez-vous
voir comment ces persécuteurs, qui dévorent
1. Ps. XXVI, 2. — 2. Ps. XXVI, 4.
notre chair, ne sont cependant point à craindre
pour elle? « Il est semé un corps animal, il ressuscitera un corps spirituel
».Quelle ne doit donc pas être la confiance de celui qui comprend: « Le
Seigneur est ma lumière et mon salut, que puis-je craindre? Il protège ma vie,
qui me ferait peur? » Un prince est environné de ses gardes et ne craint rien;
un mortel gardé par d’autres mortels est plein d’assurance, et quand ce mortel
sera gardé par le Dieu immortel, il craindra et tremblera?
5. Ecoutez maintenant quelle doit être la
confiance de celui qui par-le ainsi: « Que des armées campent autour de moi,
mon coeur n’en sera point ému 1». Un camp est fortifié, mais qu’y a-t-il de
plus fort que Dieu? « Qu’on me livre un assaut». Que me ferait un
assaut?Peut-il m’enlever mon espérance? Peut-il m’arracher le don du
Tout-Puissant? Celui qui donne est invincible, et le don qu’il fait ne peut
être ravi. Ravir le don, ce serait vaincre le donateur. Donc, mes frères, ces
biens temporels eux-mêmes, nul ne peut nous les-ravir que celui qui nous les a
don. nés. Pour les biens spirituels qu’il nous accorde, il ne les reprend que
si tu les perds; mais les biens temporels, les biens de la santé, c’est Dieu
qui nous les enlève, puisque nul autre ne le peut s’il n’en a reçu de lui le
pou. voir. Nous savons, pour l’avoir lu dans Job, que le diable même 2, qui
paraît avoir reçu pour cette vie le plus grand pouvoir, ne peut rien sans la
permission de Dieu. Il a reçu quelque puissance sur les biens abjects, lui qui
a perdu les plus grands et les plus relevés. Son pouvoir n’est pas même l’effet
de sa colère, mais la peine de sa condamnation. Lui non plus n’a donc de
pouvoir star nous que par la permission de Dieu. C’est ce que nous voyons dans
le livre cité, et le Seigneur, dit dans l’Evangile: « Cette nuit, le démon a demandé
de vous passer au crible comme le froment, mais j’ai prié pour toi, Pierre,
afin que ta foi ne défaille point 3 ». Dieu lui accorde ce pouvoir, afin de
nous punir ou de nous éprouver. Donc, si nul ne peut nous ravir le don de Dieu,
ne craignons que Dieu seul. Quels que soient les frémissements contre nous,
quelle que soit l’insolence de tout autre ennemi, rassurons notre coeur.
6. « Qu’on me livre un assaut, c’est en elle
que je veux espérer». Qui, elle? « J’en ai
1. Ps. XXV, 3. — 2. Job, I. — 3. Luc, XXII,
31.
(232)
demandé une au Seigneur 1 ». Il met au
féminin le bienfait qu’il a sollicité, comme s’il disait: J’ai fait une seule
demande. Dans la conversation, par exemple, nous autres latins mettons souvent
deux au- féminin et non au masculin; l’Ecriture a dit de la même manière: «
J’en ai demandé une au Seigneur, je la réclamerai». Voyons ce qu’a demandé
celui qui n’a plus aucune crainte. Quelle sécurité d’âme! Voulez-vous ne rien
craindre aussi? Demandez cette seule grâce que demande uniquement celui qui ne
craint rien mais qu’a-t-il demandé, afin de ne rien craindre? « J’ai fait une
demande au Seigneur, et j’y reviendrai». Telle est l’occupation de ceux qui
marchent dans la voie droite. Quelle est donc cette demande, cette grâce
unique? « C’est d’habiter dans le palais du Seigneur tous les jours de ma vie».
Elle est unique, parce qu’on appelle palais la demeure où nous devons être
éternellement. On appelle maisons les demeures d’ici-bas, que l’on appellerait
mieux des tentes, puisque les tentes sont pour les voyageurs, qui sont une
certaine milice et qui livrent des assauts à l’ennemi. Donc, s’il y a des
tentes, il est visible qu’il y a des ennemis. Car habiter les mêmes tentes,
c’est être compagnon sous la tente, ce qui se dit des soldats, vous le savez.
Donc ici-bas est la tente, là-haut est le palais. liais on abuse de la
ressemblance pour appeler tente ce qui est maison, et souvent encore, le même
abus fait appeler maison ce qui est une tente. Toutefois, le ciel est à
proprement parler le palais, ici-bas nous sommes sous des tentes.
7. Dans un autre psaume, le Prophète nous
marque avec précision ce qui nous occupera dans cette demeure: « Bienheureux, ô
mon Dieu, ceux qui habitent votre demeure, ils vous béniront dans les siècles
éternels 2 ». Telle est la passion violente, pour parler ainsi, tel est l’amour
qui dévore comme une flamme celui qui désire passer tous les jours de sa vie
dans la maison du Seigneur, et par ces jours à passer dans la maison de Dieu,
il entend non pins des jours qui finiront, mais des jours éternels. Il en est
de ces jours comme des années dont il est dit: « Et vos années, Seigneur, ne
finiront point 3». Car les jours de la vie éternelle ne sont qu’un seul jour
sans fin. Il dit donc au Seigneur: « C’est là
1. Ps. XXVI,4. — 2. Ps. LXXXIII, 5. — 3. Id.
CI, 28.
mon désir, c’est là ma prière unique; celle
que je répéterai». Et comme si nous lui disions: Que ferez-vous dans la maison
de Dieu? Quel plaisir y goûterez-vous? Quelle joie y sollicitera votre coeur?
Quelles délices alimenteront votre joie? Car vous n’y demeurerez point si vous
n’y êtes heureux. D’où vous viendra cette félicité durable? Ici-bas les
plaisirs de l’homme sont variés, et l’on appelle malheureux celui qui est privé
de ce qu’il aime. Les hommes ont des goûts différents, et l’on appelle heureux
celui qui paraît avoir ce qu’il aime. Toutefois, celui-là est vraiment heureux,
non qui possède ce qu’il aime, mais bien qui aime ce qui est aimable. Il est
quelquefois plus malheureux de posséder ce que l’on aime que d’en être privé.
Il est malheureux d’aimer ce qui peut nuire, plus malheureux encore de le
posséder. Quand notre amour est dépravé, Dieu met sa bonté à nous refuser ce
que nous aimons; et c’est dans sa colère qu’il nous accorde ce que nous avons
tort d’aimer. Saint Paul nous l’enseigne clairement, quand il dit des anciens
que « Dieu les a livrés aux désirs de leurs cœurs 1 ». Il leur a donc livré ce
qu’ils désiraient, mais pour leur damnation. Il nous dit encore que Dieu
rejette nos demandes: « Trois fois », dit-il, « j’ai prié le Seigneur de me
délivrer (de l’aiguillon de la chair), et il m’a répondu: Ma grâce te suffit,
car la vertu se fortifie dans la faiblesse 2». Dieu donc livra les philosophes
aux désirs de leurs coeurs, et rejeta la prière de saint Paul. Il exauce les
uns pour leur damnation, il refuse à l’autre pour son bien spirituel. Mais
quand l’objet de nos désirs est d’accord avec la volonté de Dieu, sans aucun
doute, il nous l’octroiera. Et ce que nous devons désirer uniquement, c’est
d’habiter dans la maison du Seigneur tous les jours de notre vie.
8. Il y a toutefois, pour les hommes, dans
nos demeures terrestres, des délices et des joies bien diverses; et chacun veut
choisir pour l’habiter le lieu où rien ne blessera son âme, et où elle trouvera
de nombreux agréments; que ces agréments disparaissent et l’homme cherche
ailleurs. Ayons la curiosité de demander au psalmiste, et qu’il veuille bien
nous dire ce qu’il doit faire, ce que nous ferons avec lui, dans cette agréable
demeure où il désire, où il souhaite si vivement, où il demande comme grâce
unique au Seigneur
1.
Rom. I, 24. — 2. II Cor. XII, 8, 9
(233)
d’habiter tous les jours de sa vie. Que
faites-vous là, dites-moi? quel est l’objet de vos désirs? Ecoutez sa réponse:
« C’est de contempler la beauté du Seigneur 1 ». C’est là ce que je désire, et
voilà pourquoi je veux habiter dans la maison du Seigneur, tous les jours de ma
vie. Spectacle immense, contempler la beauté du Seigneur même! Quand la nuit
d’ici-bas sera écoulée, il veut se reposer à la lumière de Dieu. Notre nuit
sera passée alors, et le matin se lèvera pour nous. Aussi est-il dit dans un
autre psaume: « Au matin je serai debout, et je vous contemplerai 2
».Maintenant que je suis tombé, je ne puis vous contempler; mais alors je me
tiendrai debout et je vous contemplerai. C’est l’homme qui parle ainsi, car
c’est l’homme qui est tombé, et si nous ne fussions tombés, le Messie ne serait
point venu pour nous relever. Nous sommes donc tombés, et il est descendu. Il
est remonté, et nous sommes relevés: « Car nul ne peut remonter, si d’abord il
n’est descendu 3». Celui qui était tombé est relevé, celui qui était descendu
est remonté. S’il est remonté seul, n’allons point nous décourager. Car il
n’est descendu que pou-r nous relever; et alors nous nous tiendrons debout, et
nous contemplerons, et nous serons comblés de joie. Voilà tout ce que j’ai dit,
et vous vous récriez sous le poids du désir de cette beauté que vous ne voyez
pas encore. Elevez votre coeur au-dessus de tout ce qui vous est ordinaire,
élevez votre intelligence au-dessus de toutes ces pensées Charnelles, qui vous
viennent des convoitises du corps, et qui vous représentent je ne sais quels
fantômes. Bannissez tout de votre esprit, renoncez à tout ce qui se présentera,
et confessant la faiblesse de votre coeur, dites à propos de toute pensée qui
vous viendra dans l’esprit: Ce n’est point cela; si c’était là ce que l’on me
promet, il ne me viendrait point à la pensée. De cette manière, vous aspirez à
quelque bien. Quel bien? Le bien de tout bien, d’où découlent tous les biens,
et auquel on ne peut rien ajouter de bien. Partout ailleurs, tu diras un homme
de bien, une bonne terre, un bon édifice, un bon animal, un bon arbre, une
bonne santé, un bon naturel, tu ajoutes à la qualité de bien; mais ici, c’est
le bien simplement, le bien d’où vient à tout le reste la bonté, le bien d’où
découlent tous les autres biens: telle est la
1. Ps. XXVI, 4. — 2. Id. V, 5. — 3. Jean,
III, 13.
beauté du Seigneur que nous contemplerons.
Voyez, mes frères: si tout ce que l’on appelle ici-bas des biens, a pour nous
des charmes; si nous sommes épris d’un bien qui n’est pas le bien par lui-même;
car tout ce qui est mobile n’est pas par lui-même un bien; jugez quel sera le
charme du beau immuable, éternel, et demeurant toujours le même. Car ce que
l’on appelle ici-bas des biens, n’aurait pour nous aucun attrait, s’il n’avait
réellement quelque chose de bien; et il n’y aurait là rien de bien, s’il ne
découlait de celui qui est simplement le bien.
9. Voilà pourquoi, dit le Prophète, je veau
habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie. Je vous ai exposé ce
motif: « C’est pour contempler la beauté du Seigneur ». Mais pour que je
contemple sans relâche, pour que rien ne me trouble dans cette contemplation,
que nulle suggestion ne m’en détourne, que nulle puissance ne m’en arrache, que
je ne sois en butte à nulle jalousie et que je goûte en paix les délices du
Seigneur, mou Dieu, que doit-il m’arriver? La protection du Seigneur. Non
seulement donc je veux contempler la beauté du Seigneur, dit le Prophète, mais
je veux être « protégé comme son temple ». Pour qu’il me protége comme son
temple, je deviendrai son temple en effet, et je serai sous sa garde. En est-il
d’un temple du vrai Dieu comme des temples des idoles? Les idoles sont à
couvert dans leurs temples, mais le Seigneur notre Dieu protége lui-même son
temple, et je serai en sûreté. Le contempler sera mon bonheur, sa protection
sera ma sûreté. Autant ma contemplation sera parfaite, autant le sera sa
protection; et plus sera parfait le bonheur de la contemplation, plus nia
sainteté sera inaccessible à la corruption. A ces deux paroles: « Je
contemplerai et je serai protégé », nous pouvons ramener celles qui commencent
le psaume: «Le Seigneur est ma lumière et mon salut, qu’aurai-je à craindre? »
Le Seigneur est ma lumière, puisque je contemplerai sa beauté. Il est mon
salut, puisqu’il me protégera comme son temple.
10. Mais pourquoi Dieu nous accordera-t-il
cette grâce pendant l’éternité? « Parce qu’il m’a caché dans son pavillon au
jour de mes malheurs (Ps. XXVI, 5) ».
J’habiterai donc dans son palais tous les jours de ma vie, afin de contempler
(234) la beauté du Seigneur et d’être protégé comme son temple. D’où me vient
cependant la confiance d’y arriver un jour? « C’est qu’il m’a recueilli dans
son pavillon au jour de mes malheurs ». Il n’y aura plus alors de jours mauvais
pour moi, mais c’est dans les jours difficiles de cette vie que le Seigneur a
jeté sur moi les yeux. Si donc il me regarde avec une telle bonté quand je suis
si éloigné de lui, que sera-ce quand je jouirai de lui? Je n’agissais donc
point avec témérité, quand je lui faisais cette prière unique, et mon coeur ne
me disait point: quelle demande, et à qui la fais-tu? Oses-tu bien t’adresser à
Dieu, misérable pécheur? Oses-tu bien espérer de contempler le Seigneur, faible
créature au coeur souillé? Oui, j’ose bien l’espérer, non pas de moi, mais de
son ineffable bonté; cet espoir n’est point une présomption chez moi, mais un
gage de sa tendresse. Celui qui me témoigne tant de bonté dans le cours de mon
pèlerinage, m’abandonnera-t-il au terme, « lui qui m’a recueilli dans son
pavillon, en des jours mauvais?» Nos jours mauvais sont les jours de cette vie.
Autres sont les jours mauvais pour les impies, et autres pour les fidèles. S’il
n’y avait pas de jours mauvais pour ceux qui ont la foi, mais qui sont encore
éloignés du Seigneur, car, selon l’Apôtre, « nous sommes loin du Seigneur, tant
que nous habitons un corps 1 »; que signifierait cette parole de l’Oraison
dominicale: « Délivrez-nous du mal 2? » si nous ne sommes pas au jour des
malheurs. Mais les jours mauvais sont bien différents pour ceux qui n’ont pas
la foi: Dieu néanmoins ne les méprise pas, puisque Jésus-Christ est mort pour eux
3. Que notre âme donc s’enhardisse, et demande au Seigneur ce bien qui est
unique; elle l’obtiendra et le possédera en toute sûreté. Si elle est tant
aimée dans sa laideur, que sera-ce quand elle sera purifiée! « Il m’a recueilli
dans son pavillon, au jour de mes malheurs, il m’a protégé dans le secret de
son sanctuaire 4 ».Quel est le secret de son sanctuaire? Qu’entendre par là? Le
tabernacle avait, ce semble, plusieurs parties à l’extérieur; mais il y avait,
à l’intérieur du temple, un lieu mystérieux appelé sanctuaire secret. Qu’était
ce sanctuaire? Le grand prêtre seul y pénétrait 5. Et peut-être est-ce le
Pontife qui
1.
II Cor. V, 6.— 2. Matt. VI, 13. — 3. Rom. V, 6. — 4. Ps. XXVI, 5. — 5. Héb. XI, 3.
est lui-même ce tabernacle secret du
Seigneur. Car il s’est formé un corps du tabernacle de notre chair, et il est
devenu pour nous un asile mystérieux; et de la sorte, les membres qui croient
en lui, fouineraient le tabernacle, et lui-même en serait le lieu secret. «
Vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ 1 », a dit
l’Apôtre.
11. Veux-tu comprendre que tel est le sens de
l’Apôtre? La pierre, c’est le Christ 2. Ecoute ce qui suit: « Il m’a recueilli
dans son tabernacle au jour de mes malheurs, il m’a caché à l’ombre de son
sanctuaire». Tu voulais connaître le secret de ce sanctuaire; écoute la suite:
« Il m’a élevé sur la pierre mu. Donc il m’a élevé sur le Christ. Tu t’es
humilié dans la cendre, et Dieu t’a élevé sur la pierre. Mais le Christ est au
ciel, et toi sur la terre. Ecoute la suite: « Dès maintenant, il a élevé ma
tête au-dessus de la tête de mes ennemis ». Dès maintenant, avant que je fusse
arrivé à ce palais que je veux habiter tous les jours de ma vie, avant que je
fusse arrivé à contempler le Seigneur, « dès aujourd’hui, il a élevé ma tête
au-dessus de mes ennemis». Je suis persécuté, il est vrai, par les ennemis du
corps de Jésus-Christ; il est vrai que je ne suis point complètement au-dessus
de mes ennemis: toutefois « le Seigneur a élevé ana tête au-dessus de tous mes
adversaires ». Déjà notre chef, qui est le Christ, est au ciel; et pourtant nos
ennemis peuvent encore sévir contre nous, puisque nous ne sommes pas élevés
au-dessus d’eux; mais notre chef est dans le ciel d’où il a dit: « Saul, Saul,
pourquoi me persécuter 3?» Il montrait ainsi qu’il est en nous ici-bas; donc,
nous sommes en lui au ciel, puisque, « dès aujourd’hui, il a élevé ma tête
au-dessus de mes ennemis». Tel est le gage que nous avons de notre union
éternelle par la foi, l’espérance et la charité, avec notre chef qui est dans
le ciel; c’est que lui-même demeure avec nous sur la terre, jusqu’à la
consommation des siècles 4, par sa divinité, sa bonté, son unité.
12. « J’ai jeté les yeux de toutes parts, et
j’ai offert dans son tabernacle un sacrifice de louanges 5». Nous offrons une
hostie de jubilation, une hostie de joie, une hostie de félicitation, une
hostie d’actions de grâces,
1.
Coloss. III,3. — 2. I Cor. X, 4. — 3. Act. IX, 4. — 4. Matt. XXVIII, 20 — 5.
Ps. XXVI, 6.
(235)
qui demeure au-dessus de toute expression. Où
l’offrons-nous? Dans son tabernacle, dans la sainte Eglise. Quelle est cette
hostie? Une joie infinie, inénarrable, que nulle parole ne peut exprimer. Telle
est cette hostie d’allégresse. Où la chercher et où la trouver? En cherchant de
toutes parts. « J’ai jeté les yeux partout », dit le Prophète, et « j’ai offert
dans son tabernacle une hostie d’acclamation». Que ton âme s’adresse à toute
créature, et toute créature te répondra: C’est Dieu qui m’a faite. Tout le beau
d’une oeuvre d’art fait l’éloge de l’ouvrier, et ton admiration pour l’Ouvrier
suprême grandira, à mesure que tu considéreras ses oeuvres. Tu vois le ciel,
c’est le chef-d’oeuvre de Dieu. Tu vois la terre, c’est Dieu qui l’a couverte
de ces plantes sans nombre, de ces germes variés à l’infini, qui l’a peuplée
d’animaux. Parcours une seconde fois les cieux et la terre, que rien ne
t’échappe; de toutes parts tu entendras publier la gloire du Créateur; et ces
beautés si diverses des créatures forment un concert harmonieux en l’honneur de
celui qui les a faites. Qui pourra nous expliquer toute la création? Qui en
dira- les merveilles? Qui pourrait chanter dignement les cieux, la terre, les
mers, et tout ce qu’ils renferment? Ce ne sont là toutefois que des créatures visibles.
Qui chantera dignement les anges, les trônes, les dominations, les
principautés, les puissances? Qui pourra louer dignement ce qu’il y a de vital
en nous, qui anime notre corps, qui fait mouvoir nos membres, qui agit sur nos
sens, qui embrasse tant de choses par la mémoire, qui nous fait discerner par
l’intelligence? Si le langage humain devient si pauvre quand il s’agit des
créatures de Dieu, comment louer le Créateur, à moins qu’à défaut de paroles,
nous n’ayons recours à des acclamations? « J’ai cherché partout et j’ai offert
au Seigneur, dans son tabernacle, une hostie d’acclamation ».
13. On peut donner à ces paroles un autre
sens qui me paraît plus en harmonie avec la suite du Psaume. L’interlocuteur
dit qu’il a été élevé sur le rocher, qui est le Christ; que sa tête, qui est
aussi le Christ, a été élevée au-dessus de ses ennemis: il veut donc nous faire
comprendre que lui-même, élevé sur le rocher, a été encore, dans son chef
adorable, élevé au-dessus de ses ennemis; faisant allusion à la gloire de
l’Eglise à qui ses persécuteurs ont dû céder la victoire; et comme cette
victoire est la conversion de l’univers entier à la foi de Jésus-Christ: « J’ai
jeté les yeux partout », dit le Prophète, « et j’ai offert à Dieu, dans son
tabernacle, une hostie de bénédiction »; c’est-à-dire, j’ai considéré la foi de
tout l’univers, cette foi qui élève nia tête bien au-dessus de mes
persécuteurs, et dans le temple du Seigneur, ou plutôt dans cette Eglise qui
embrasse le monde, je l’ai béni, avec une joie ineffable.
14. « Je bénirai le Seigneur, je chanterai
des hymnes en son honneur » Tranquilles alors, nous chanterons le Seigneur sans
crainte, et sans crainte nous le bénirons, quand nous contemplerons sa beauté,
quand il nous protégera comme son temple, et quand la mort, absorbée dans sa
victoire, nous aura délivrés de la corruption «. Que dire à présent que nous
avons exposé les joies que nous devons goûter, quand notre prière unique sera
exaucée? Que dire maintenant? Seigneur, exaucez ma voix 2». Gémissons donc maintenant,
prions maintenant: pour le malheureux, il n’y a qu’à gémir, pour l’indigent,
qu’à prier. La prière passera, et fera place aux jubilations; les pleurs
passeront et feront place à la joie. Maintenant donc, pendant que nous sommes
dans les jours mauvais, ne cessons d’invoquer le Seigneur, de lui adresser
l’unique prière; que cette prière ne soit jamais interrompue, jusqu’à ce qu’en.
fin, par sa grâce et sous sa direction, nous arrivions à le contempler. «
Ecoutez, Seigneur, ma voix qui crie vers vous; ayez pitié de moi, exaucez-moi 3
». Telle est sa demande unique, tant que puissent durer son invocation, ses
gémissements et ses larmes, il ne fait qu’une seule demande. Il a mis fin tous
ses désirs, il ne lui reste que celui d’être exaucé.
15. Voyez la prière qu’il a réellement faite:
« Mon coeur vous a dit: J’ai cherché votre face 4 ». C’est le même sens qu’il
exprimait tout à l’heure: « Je veux contempler la beauté du Seigneur, mon coeur
vous a dit: J’ai cherché votre face ». Si nous mettions notre joie à contempler
le soleil d’ici-bas, ce n’est pas notre coeur qui dirait: « J’ai recherché
votre face ». Mais plutôt les yeux de notre corps. Mais à quel autre notre cœur
peut-il dire: « J’ai recherché votre face »,
1. I
Cor. XV, 54. — 2. Ps. XXVI, 7. — 3. Id. 7. — 4. Id. 8.
(236)
sinon à celui qui n’est visible qu’aux yeux
du coeur? La lumière sensible est pour les yeux du corps, mais la lumière
divine pour ceux du coeur. Or, voulez-vous voir cette lumière qui est faite pour
les yeux du coeur? car c’est Dieu lui-même, comme l’a dit saint Jean. «Dieu est
lumière, et il n’y a point de ténèbres en lui 1 »; voulez-vous donc voir cette
lumière? Purifiez l’oeil qui la voit: « Bienheureux ceux qui ont le coeur pur,
car ils verront Dieu 2. »
16. « Mon coeur vous a dit: J’ai cherché
votre face; c’est votre face, ô mon Dieu, que je rechercherai ». Je n’ai fait
au Seigneur qu’une seule demande, et je la ferai toujours, c’est de voir votre
face: « Ne détournez donc point de moi votre visage » Voyez comme il s’arrête à
cette unique demande: Voulez-vous aussi l’obtenir? N’en faites aucune autre.
Fixez-vous uniquement à celle-là, puisque seule elle vous suffira. « Mon cœur
vous a dit: J’ai cherché votre face; et cette face, ô mon Dieu, je la
rechercherai. Ne détournez point de moi votre visage: dans votre colère, ne
vous détournez point de votre serviteur 3». On ne pouvait rien dire de plus
magnifique et de plus divin. Ils comprennent, ceux qui 1aiment véritablement.
Tout autre mettrait son bonheur à jouir sans fin de ces biens terrestres qu’il
aime par-dessus tout: il n’offrirait à Dieu ses adorations et ses prières
qu’afin d’en obtenir de vivre longtemps dans ces délices, de ne perdre aucun
objet de ses affections terrestres, ni son or, ni son argent, aises domaines
dont la vue peut lui procurer une jouissance, de ne voir mourir ni ses amis, ni
ses enfants, ni son épouse, ni ses clients; il voudrait toujours vivre dans la
possession de ses biens. Mais parce qu’il ne le peut toujours, et qu’il sait
qu’il mourra, dans le culte qu’il rend à Dieu, dans ses prières, liasses
gémissements, il se contentera peut-être de lui demander ces biens pendant
toute sa vieillesse. Que Dieu lui dise: Je te fais immortel avec ces biens; il
acceptera l’immortalité comme un grand bienfait, et il ne pourrait contenir les
transports de sa joie. Tel n’est point le désir de celui qui n’a fait au
Seigneur qu’une seule demande. Que peut-il donc souhaiter? de contempler la
beauté du Seigneur, tous les jours de sa vie. De même encore celui qui, dans le
service de Dieu, ne se
1. Jean, I, 5.— 2. Matt. V, 8.— 3. Ps. XXVI,
9.
proposerait aucun autre but et ne craindrait,
dans la colère de Dieu, que de perdre quelqu’un des biens temporels qu’il
pourrait posséder. Ce n’est point là ce que craint celui qui parle ici,
puisqu’il permet à ses ennemis « de manger sa chair 1». Que craint-il donc de
la colère de Dieu? Qu’elle ne le prive de l’objet de son amour. Qu’a-t-il aimé?
Votre face, ô mon Dieu. Il regarderait comme un effet de la colère divine que
le Seigneur détournât de lui son visage: « Ne vous détournez point de votre
serviteur dans votre colère 2 ». On pourrait peut-être lui répondre: Pourquoi
redouter qu’il se détourne de toi dans sa colère? S’il se détournait de toi dans
sa colère, tu aurais moins à craindre ses vengeances; et si tu tombes entre ses
mains dans sa colère, il la déchargera sur toi. Tu dois donc souhaiter qu’il se
détourne de toi dans sa colère. Non, répond-il, car il sait ce qu’il souhaite.
La colère de Dieu, pour lui, c’est de lui dérober sa face. Mais si Dieu te
rendait immortel au milieu de ces délices et de ces joies voluptueuses? Ce
n’est point là ce que je désire, nous répond le chaste ami de Dieu; tout ce qui
n’est point lui-même n’a aucune douceur pour moi. Loin de moi tout autre don
que le Seigneur voudrait me faire qu’il se donne à moi lui-même. « Ne vous
détournez point de votre serviteur, dans votre colère ». Quelquefois le
Seigneur se détourne de nous, mais sans colère aussi, plusieurs lui disent-ils:
« Détournez votre visage de mes péchés 3». Détourner sa face de tes péchés, ce
n’est donc point se détourner de toi dans sa colère. Qu’il détourne donc sa
face de vos péchés, mais non de vous.
17. « Soyez mon aide, ne m’abandonnez pas 4
», car je suis dans la voie; je vous ai demandé uniquement d’habiter dans votre
maison, tous les jours de ma vie, de contempler vos beautés, et d’être protégé
comme votre temple. C’est là l’unique bien que je demande, et je suis dans la
voie qui y conduit. Peut-être me direz-vous: Efforce-toi, marche, je t’ai donné
le libre arbitre, tu as ta volonté; marche dans la voie, aime la paix,
recherche-la; garde-toi de t’écarter du chemin 5, de t’arrêter en chemin, de
regarder en arrière: marche avec persévérance, parce que « celui- là
1.
Ps. XXVI, 2.—2. Id. 9.— 3. Ps. LXX, 11. — 4. Id. XXVI,9. — 5. Id. XXXII,
15.
(237)
sera sauvé, qui aura persévéré jusqu’à la fin
1». Avec le libre arbitre, tu crois pouvoir marcher; ne présume rien de
toi-même; que le secours t’abandonne, et il n’y aura pour loi que défaillance
en chemin, que chute, égarement, immobilité. Dites-lui donc: Il est vrai,
Seigneur, que vous m’avez donné une volonté libre, et que sans vous mes efforts
ne sont rien. « Soyez mon aide, ne m’abandonnez pas; ne me rejetez pas, ô Dieu,
qui êtes mon salut 2 » Vous m’aiderez, car je suis l’ouvrage de vos mains; vous
n’abandonnez pas vos créatures.
18. « Voilà donc que mon père et ma mère
m’ont abandonné 3 ». Il se fait petit enfant devant Dieu et le choisit pour son
père, le considère comme sa mère. Dieu est un père, parce qu’il crée, parce
qu’il appelle à son service, parce qu’il ordonne, parce qu’il gouverne; il est
une mère, parce qu’il réchauffe, qu’il nourrit, qu’il allaite, qu’il porte dans
son sein, « Mon père donc et ma mère m’ont «abandonné; mais le Seigneur m’a
pris» pour me diriger et me nourrir. Des parents qui doivent mourir ont
engendré; des fils mortels ont succédé à des parents mortels; ils sont nés pour
succéder, après le décès des parents: mais celui qui m’a créé, ne mourra point;
et moi, je ne me séparerai jamais de lui. « Mon père et ma mère m’ont
abandonné, mais le Seigneur m’a recueilli». En dehors de ces deux parents, de
cet homme et de cette femme qui ont été pour nous Adam et Eve, et nous ont
donné une vie corporelle, nous avons, ou plutôt nous avons eu un autre père, et
une autre mère. Le démon qui est le père de ce siècle, était notre père quand
nous étions dans l’infidélité; car le Seigneur dit aux infidèles: « Vous avez
le diable pour père 4 ». Si donc c’est là le père de tous les impies qui agit
sur les enfants rebelles 5, qu’elle sera leur mère? Il est une certaine cité
que l’on nomme Babylone; c’est la cité des enfants de perdition, depuis
l’Orient jusqu’à l’Occident: à elle appartient l’empire de la terre. Elle est
la capitale de ce que vous appelez la République, que vous voyez vieillir de
jour en jour, et décroître. C’est elle qui fut d’abord notre mère, c’est en
elle que nous avons pris naissance. Nous avons depuis connu un autre père, et
nous avons quitté le
1.
Matt. XIX, 22. — 2. Ps. XXI, 5. — 3. Id. 10. — 4. Jean, VIII, 44. — 5. Eph.
II, 2.
diable. Comment oserait-il approcher de ceux
qu’a recueillis un Dieu tout-puissant? Nous connaissons une autre mère, la
Jérusalemcé~ leste ou la sainte Eg’lise dont une portion encore est en exil sur
la terre; et nous avons quitté Babylone. « Mon père et ma mère m’ont abandonné
»: ils n’ont plus aucun bien à me faire; et quand ils paraissaient m’en faire
quelqu’un, c’était vous qui me le faisiez, ô mon Dieu, et je le leur
attribuais.
19. Qui peut, si ce n’est Dieu seul, faire en
ce bas monde quelque bien à l’homme?Qui peut lui rien enlever, sans l’ordre ou
la permission de Dieu qui nous a tout donné? Mais les hommes, dans leur folie,
croient tenir ces richesses des démons qu’ils adorent, et souvent ils se disent
en eux-mêmes que Dieu leur est nécessaire pour la vie éternelle, pour la vie
éternelle, vie toute spirituelle, mais que pour les biens de cette vie, il faut
rendre un ermite à ces puissances diaboliques. O hommes insensés t vous donnez
donc la préférence à ces biens qui vous font adorer les démons; car ou vous
préférez le culte des démons, ou si vous ne l’aimez mieux, c’est du moins
autant. Dieu, cependant, ne peut souffrir que l’on partage l’encens entre ses
autels et ceux du démon, dût-on lui rendre les plus grands honneurs, et pour
eux, les restreindre de beaucoup. Comment? me diras-tu, ne sont-ils donc point
nécessaires pour les biens d’ici-bas? Nullement. Ne devons-nous pas craindre au
moins qu’ils ne nous soient nuisibles? Ils ne peuvent nous nuire que si Dieu le
permet. Toujours ils sont prêts à nous nuire, et vos supplications ne
fléchiront point leur désir implacable de faire le mal. Tel est le caractère
distinctif de leur malice. Donc, le culte que vous leur rendrez ne peut aboutir
qu’à offenser Dieu, qui dans sa juste vengeance vous livrera en leur pouvoir:
impuissants à vous nuire, si Dieu vous eût été favorable, ils feront de vous
vira jouet de leur malice, parce que vous l’aurez offensé. Pour vous montrer, ô
vous qui avez ces pensées, que votre culte aux démons est inutile, même pour
les biens temporels, n’y a-t-il donc jamais eu de naufrage pour aucun adorateur
de Neptune? et nul de ceux qui l’ont en horreur n’est-il arrivé au port? Toutes
les mères qui invoquent Junon obtiennent-elles un enfantement heureux, et
toutes celles qui l’ont en horreur n’ont-elles qu’un enfantement malheureux?
(238) Comprenez donc par là, mes frères bien-aimés, combien est grande la folie
des hommes qui veulent adorer les démons pour en obtenir les biens temporels.
S’il faut les adorer pour en obtenir ces biens, leurs adorateurs seuls
devraient posséder les grandes fortunes. Et quand même il en serait ainsi, il
nous faudrait encore renoncer à de pareils dons, pour faire à Dieu l’unique
prière. Mais il y a de plus que Dieu seul peut donner ces biens, et qu’adorer
les démons, c’est l’offenser. Arrière donc notre père et notre mère; arrière
Salan, arrière la cité de Babylone! Vive le Seigneur qui nous recueille pour
nous consoler par les biens du temps, et nous rendre heureux par ceux de
l’éternité ! « Mon père et ma mère m’ont abandonné, mais le Seigneur m’a
recueilli ».
20. Nous voilà donc recueillis par le
Seigneur, après avoir fui Babylone et le démon qui la gouverne; car c’est le
diable qui dirige les impies, qui est le prince du monde, le prince des
ténèbres. De quelles ténèbres, direz-vous? Des pécheurs, des impies. Aussi
l’Apôtre dit-il à ceux qui ont embrassé la foi: « Vous étiez autrefois
ténèbres, maintenant vous êtes lumière en Jésus-Christ 1». Maintenant que Dieu
nous a recueillis, que devons-nous dire? « Seigneur, établissez-moi la loi que
je dois accomplir dans votre voie». Tu oses bien demander une loi? Et si le
Seigneur te répondait: Cette loi, l’accompliras-tu? l’observeras-tu si je te la
donne? Il n’oserait la demander, si d’abord il n’avait dit: Le Seigneur m’a
recueilli. Il ne la demanderait point, s’il n’avait dit d’abord: Venez à mon
aide. Si donc vous êtes mon soutien, si vous me recueillez, « donnez-moi,
Seigneur, une loi que j’accomplisse dans votre voie». Etablissez-moi une loi
dans votre Christ. Car c’est la voie elle-même qui nous a parlé, et nous a dit:
«lestais la voie, la vérité et la vie 2». La
loi dans le Christ est une loi de miséricorde. Il est la sagesse dont il est
écrit: « Elle a sur la langue «une loi de clémence 3». Si vous êtes coupable
d’infraction à cette loi, faites-en l’aveu, et vous en obtiendrez le pardon de
Celui qui répandu son sang pour vous. Seulement, ayez soin de ne point abandonner
la voie, et dites-lui: « Soyez-mon protecteur, et dirigez moi dans le sentier
de la justice, à cause de mes ennemis 4». Donnez-moi une loi, mais
1. Eph. V, 8.— 2. Jean. XIV, 6.— 3. Prov.
XXXI, 26.— 4. Ps. XXVI, 11.
ne me privez pas de votre miséricorde. Dans
un autre psaume, le Prophète a dit: « Celui qui vous a dicté la loi, vous
donnera aussi la miséricorde 1». Ces paroles donc: « Fixez-moi, Seigneur, une
loi que j’accomplisse dans votre voie », regardent le précepte. Qu’est-ce qui
nous désigne sa miséricorde? « Dirigez-moi », dit le Prophète, « dans la voie
du bien, à cause de mes ennemis ».
21. « Ne me livrez pas aux volontés de mes
persécuteurs 2 »; c’est-à-dire, ne permettez pas que j’acquiesce à leurs
désirs. Car si tu es uni d’âme et de volonté à celui qui te persécute, ce n’est
pas ta chair qu’il dévore en quelque sorte, mais bien mon âme par la perversité
qu’il t’inspire. « Ne m’abandonnez pas aux volontés de mes persécuteurs ».
Abandonnez-moi entre leurs mains, si vous le voulez. Telle était la prière que
faisaient les martyrs, et il les a livrés aux mains des persécuteurs. Mais que
leur en livrait-il? La chair seulement. C’est encore ce qui est écrit dans le
livre de Job: « La terre a été livrée aux mains de l’impie 3; c’est-à-dire, la chair
est entre les mains des persécuteurs. « Gardez-vous de me livrer », non pas ma
chair, mais moi. C’est moi l’âme qui vous parle, moi l’esprit qui vous parle.
Je ne vous dis point: Gardez-vous de livrer ma chair aux mains de mes
persécuteurs; mais. «Gardez-vous de me livrer aux volontés de o mes
persécuteurs». Comment les hommes sont-ils abandonnés aux volontés de ceux qui
les persécutent? «Voilà que des témoins menteurs se sont levés contre moi».
D’abord, par cela même qu’ils sont des témoins menteurs, qu’ils entassent les
accusations contre moi, et me déchirent par une foule de calomnies, si- vous
m’abandonnez à leurs volontés, je mentirai à mon tour, je deviendrai leur
complice, et sans avoir aucune part à votre vérité, je m’associerai à leurs
mensonges contre vous. « Des témoins menteurs se sont élevés contre moi, et
l’iniquité a menti contre elle-même 4 ». A elle-même, non pas à moi. Qu’elle
soit victime de ses faussetés, et non pas moi. Si vous me livrez aux volontés
de mes persécuteurs, c’est-à-dire, si je m’associe à leur dessein, l’iniquité
n’aura point menti pour elle seule, mais encore pour moi; qu’ils déchaînent au
contraire toute leur
1.
Ps. LXXXIII, 8. — 2. Id. XXVI, 12. — 3. Job, IX, 24. — 4. Ps. XXVI, 12.
(239)
fureur, et s’efforcent d’entraver ma course,
pourvu que vous ne m’abandonniez pas à leurs volontés, et que je n’embrasse pas
leurs desseins pervers, alors je demeurerai ferme, je subsisterai dans la
vérité, et les mensonges de l’iniquité tourneront contre elle et non contre
moi.
22. Après tant de dangers, tant de fatigues,
tant d’obstacles, accablé par les vexations de ses persécuteurs, haletant,
harassé, niais toujours ferme et plein de confiance dans celui qui l’a
recueilli, qui le soutient, qui le conduit, qui le gouverne, le Prophète en
revient à sa demande-unique; il a parcouru des yeux toutes les créatures en
tressaillant de joie, il a gémi sous le poids du labeur, il soupire enfin et
s’écrie: « Je crois que je verrai les biens du Seigneur, dans la terre des
vivants (Ps. XXVI, 13) ». O biens de
mon Dieu, qui êtes si doux ! biens impérissables, biens incomparables, biens
éternels, biens immuables! Quand vous verrai-je, ô biens de mon Dieu? Je crois
que je vous verrai, mais non sur la terre où l’on meurt. « Je crois que je
verrai les biens du Seigneur sur la terre des vivants». Il me délivrera de
cette terre où l’on meurt, ce Dieu qui a daigné, par amour pour moi, venir sur
la terre des mortels, et mourir entre les mains des mortels. « Je crois que je
verrai le Seigneur dans la terre des vivants ». Telle est sa parole quand il
sou pire, sa parole quand il est accablé, sa parole au milieu de dangers sans
nombre; et cependant il espère tout de la bonté de ce même Dieu, à qui il a
dit: « Seigneur, établissez-moi une loi ».
23. Et que lui dit celui-là même qui adonné
la loi? Ecoutons cette voix du Seigneur, voix d’encouragement et de consolation
qui nous vient d’en haut. Ecoutons la voix de celui qui nous tient lieu de ce
père et de cette mère qui nous ont quittés. Ecoutons-la, car lui-même a entendu
nos gémissements, il a compris nos sanglots, il a considéré nos désirs et la
seule prière que nous lui faisons cette unique demande, il l’a favorable I ment
accueillie par la médiation de Jésus. Christ, notre avocat; et tant que durera
notre pèlerinage en cette vie, qui éloigne de nous ses promesses, sans
toutefois nous en priver, il nous répète: «Attends le Seigneur». En lui tu
n’attendras pas un Dieu menteur, un Dieu qui se trompe, un Dieu qui ne puisse
trouver de quoi vous donner. C’est le Tout-Puissant qui vous a promis, celui
qui est fidèle par excellence, celui qui est la vérité même. « Attends donc le
Seigneur, et travaille en homme de cœur ». Ne te laisse pas abattre, afin de
n’être point avec ceux dont il est dit: « Malheur à ceux qui ont perdu la
constance 1». Attends le Seigneur, c’est là ce qu’il dit à tous les hommes,
bien qu’il ne parle qu’à un seul. Nous ne sommes qu’un en effet, en
Jésus-Christ, nous sommes le corps du Christ, nous qui n’avons qu’un seul
désir, ne formons qu’un seul voeu, qui gémissons en ces jours de tristesse, qui
croyons voir les biens du Seigneur dans la terre de la vie. C’est à nous tous
qui sommes un, en un seul Jésus-Christ, qu’il est dit: «Attends le Seigneur,
agis avec courage, affermis ton âme et attends le Seigneur ». Que peut-il dire
encore, sinon répéter ce que vous avez entendu? « Attends le Seigneur, agis en
homme de cœur ». Celui donc qui a manqué de confiance, est un efféminé, un
homme sans vigueur. Que les hommes écoutent cette parole, que-les femmes la
comprennent aussi, car l’homme et la femme ne sont qu’un en Jésus-Christ, qui
est un seul homme. Mais il n’est plus ni homme ni femme, celui qui vit en
Jésus-Christ 2. « Attends le Seigneur, agis en homme de coeur; affermis ton âme
et attends le Seigneur». C’est par la confiance que tu posséderas le Seigneur,
tu posséderas celui que tu auras attendu. Libre à toi de former d’autres
désirs, si tu trouves un objet plus grand, plus digne, plus suave.
1. Eccli. II, 16. — 2. Galat. III, 28.
(240)
Tout le psaume est consacré à célébrer la
gloire de la résurrection et l’aveuglement des Juifs. Ils ont voulu donner la
mort du Christ, et il est ressuscité pour soutenir ses élus. Quant aux Juifs
incrédules, ils ont perdu la vie éternelle. De là un double démenti donné à
leur perversité.
1. L’interlocuteur du psaume, c’est le
médiateur dont le bras a été fort dans le combat de sa passion. Les malheurs qu’il
paraît appeler sur ses ennemis, ne sont pas tant des imprécations que la
prophétie de leur châtiment: de même que dans l’Evangile, s’il parle des villes
qui ont vu ses miracles sans croire en lui 1, il prédit les malheurs qui les
menacent, beaucoup plus qu’il ne les frappe d’anathème.
2. Seigneur, mes cris s’élèvent jusqu’à nous,
ne retirez pas de moi votre parole, ô « mon Dieu ». Je crie vers vous, Seigneur
mon Dieu, ne séparez point en moi votre Verbe de l’humanité dont je suis
revêtu. « Si jamais vous retirez de moi votre parole, je userai semblable à
ceux qui s’en vont au sépulcre 2». L’union de votre Verbe éternel avec moi fait
que je ne ressemble point aux autres hommes, qui naissent dans les profondes
misères du siècle, où l’on ne connaît pas plus votre Verbe que si vous gardiez
le silence. « Exaucez, ô mon Dieu, la voix de mes supplications, lorsque je
crie vers vous.et que j’élève mes mains vers votre saint temple 3 »: quand je
suis cloué à la croix, pour le salut de ceux qui deviendront votre saint temple
en croyant en vous.
3. « Ne confondez pas mon âme avec les
pécheurs, ne me perdez pas avec ceux qui commettent l’iniquité, avec ceux qui
ont pour le prochain des paroles de paix 4»: avec ceux qui me disent « Maître,
nous savons que vous venez de Dieu 5 mais le mal est dans leur coeur »: mais
leur coeur n’est ouvert qu’aux pensées perverses.
1.
Matt. XI, 20. — 2. Ps. XXVIII, 1 — 2. Ibid. 2. — 3. Ibid. 3. — 4. Jean, III, 2.
4. « Traitez-les selon leurs œuvres ». Il est
juste que vous leur rendiez selon leurs actions: « Châtiez-les selon la
perversité de leurs desseins ». Car en s’étudiant au mal, ils ne peuvent
trouver le bien. « Traitez-les selon les oeuvres de leurs mains 1 ». Bien que
leurs oeuvres servent au salut des autres, rendez-leur néanmoins ce que mérite
l’oeuvre qu’ils méditaient. « Rendez-leur ce qu’ils méritent ». Puisque, au
lieu de la vérité qu’ils entendaient, ils n’ont voulu redire que la fausseté,
qu’ils soient dupes de leurs propres mensonges.
5. « Aussi n’ont-ils rien compris dans les
oeuvres du Seigneur 2 » Comment savons-nous qu’ils se sont trompés eux mêmes?
C’est qu’ « ils n’ont rien compris aux oeuvres du « Seigneur». Tel est leur
premier châtiment. Leur esprit pervers s’est attaqué à l’homme en Jésus-Christ,
et ils n’ont point connu qu’il était Dieu, ni dans quel dessein du Père il
s’était revêtu de notre chair. « Ni dans les oeuvres « de ses mains ». Les
oeuvres si visibles, qui s’opéraient sous leurs yeux, ne les ont point
ébranlés. « Vous les détruirez, Seigneur, et ne les rétablirez jamais ». Qu’ils
ne puissent me nuire, et qu’ils échouent dans leurs machinations artificieuses
contre mon Eglise.
6. « Béni soit le Seigneur, qui a écouté la
voix de ma prière 3 ».
7. « Le Seigneur est ma force et mon soutien
4». C’est le Seigneur qui me fortifie en rie telles souffrances, et qui me
soutient en m’accordant la résurrection et l’immortalité. « En lui mon coeur a
espéré, et il a obtenu le secours; et ma chair a refleuri ». Elle a ressuscité.
« Je le bénirai de toute mon âme ». Et ceux qui croiront en moi béniront le
Seigneur, non plus par la crainte comme sous
1.
Ps. XXVII, 4. — 2. Ibid. 5. — 3. Ibid. 6. — 4. Ibid. 7.
(241)
la loi, mais avec une volonté libre en se
conformant à la loi et comme je suis en eux, c’est moi qui bénirai le Seigneur.
8. « Le Seigneur est la force de son peuple 1
». Non point de ce peuple qui ignore la justice de Dieu et qui s’efforce
d’établir la sienne 2 mais de ce peuple qui ne croit point â sa propre force:
car c’est le Seigneur qui soutient son peuple dans sa résistance au démon parmi
les difficultés de cette vie. « Il est le protecteur de ceux que son Christ a
sauvés ». En sorte qu’après avoir sauvé son peuple par son Christ et soutenu
son
1. Ps. XXVII, 8. — 2. Rom. X, 3.
courage dans les combats, il l’établira dans
une paix sans fin.
9. « Seigneur, sauvez votre peuple et
bénissez votre héritage 1 ». Ma chair a refleuri, et je vous adresse ma prière;
car vous m’avez dit: « Demande-moi, et je te donnerai les nations en héritage 2
». Sauvez votre peuple, bénissez votre héritage, puisque tout ce qui est à moi
vous appartient 3 ». Dirigez-les, élevez-les en gloire pour l’éternité ».
Dirigez-les en cette vie, et d’ici-bas, élevez-les à la vie éternelle.
1.
Ps. XXVII, 9. — 2. Id. II, 8. — 3. Dan, XVII, 10.
Ce Psaume nous expose les
merveilles que doit opérer, dans les peuples de la gentilité, cette voix de
Dieu qui se fait entendre et qui arrive à tous les coeurs par l’Evangile. C’est
le Christ qui prend aussi possession de tous les hommes.
PSAUME POUR DAVID, A L’ACHÈVEMENT DU TABERNACLE (1).
1. Psaume en l’honneur du Médiateur, à la
main forte, pour l’achèvement de son Eglise en ce monde terrestre, où elle doit
chaque jour livrer bataille au démon.
2. C’est le Prophète qui parle: « Présentez,
ô Fils de Dieu, présentez au Seigneur les fils des béliers ». Présentez-vous au
Seigneur, vous que les Apôtres, ces chefs du bercail, ont enfantés par
l’Evangile. « Offrez au Seigneur l’honneur et la gloire 3 ». Que vos oeuvres
soient pour Dieu une gloire et une louange. « Rendez gloire au nom du Seigneur
». Chantez sa gloire dans le monde entier. « Adorez le Seigneur devant la
gloire de son sanctuaire 3 ». Adorez le Seigneur dans vos coeurs dilatés et
sanctifiés. Car vous êtes vous-mêmes sa royale et sainte habitation.
3. « Voix du Seigneur sur les eaux ». Voix du
Christ sur les peuples. « Le Seigneur a tonné dans sa majesté ». Du milieu de
la
1. Ps. XXVIII, 1. — 2. Ibid. — 3. Id. 2.
nuée de sa chair, le Seigneur nous a prêché
la pénitence d’une voix effrayante et majestueuse. « L’Eternel est sur les
grandes eaux 1 », Le Seigneur Jésus a fait entendre sa voix sur les peuples,
qu’il a glacés d’effroi; il les a convertis à sa loi et a voulu habiter en eux.
4. « Voix du Seigneur, pleine de force Déjà
la voix du Seigneur est en eux et leur donne la puissance. «Voix du Seigneur
pleine de gloire 2 ». La voix de Dieu opère en eux de grandes choses.
5. «Voix du Seigneur qui brise les cèdres».
La voix du Seigneur brise le coeur des superbes et les humilie. « Le Seigneur
brise les cèdres du Liban 4 ». Le Seigneur va briser par la pénitence ceux qui
se prévalent d’uni noblesse tout à fait terrestre, il va les confondre en
choisissant des hommes que le monde méprise 4, pour faire éclater en eux la
puissance divine.
6. « Il les brisera, comme le jeune taureau
du Liban 5 ». Il abaissera leur orgueilleuse
1. Ps. XXVIII,
3 — 2. Id. 4. — 3. Id. 5. — 4. I Cor, I, 28. — 5. Ps. XXVIII, 6.
(242)
hauteur, les réduira à s’humilier comme celui
qui, semblable au jeune taureau, a été conduit à la boucherie par les grands de
ce monde. Car « les rois et les grands de la terre se sont levés, et ont
conspiré contre le Seigneur et contre son Christ. Et le bien-aimé a été comme
le fils des licornes». Car lui, le bien-aimé, le Fils unique du Père, s’est
dépouillé de sa noblesse; il s’est fait homme semblable au fils des Juifs qui
n’ont point connu la justice de Dieu 1 et qui s’applaudissaient avec orgueil de
leur propre justice, comme de l’unique justice.
7. « Voix du Seigneur, qui divise les traits
de flammes 2 ». Voix du Seigneur qui s’ouvre un passage au travers de ceux qui
le persécutent avec la haine la plus implacable, et n’en reçoit aucune
blessure, ou qui jette la division parmi ses persécuteurs les plus acharnés; il
fait dire aux uns: « Ne serait-il pas le Christ»; et aux autres: « Non, mais il
séduit le peuple 3 ». Il jette ainsi la division dans leur foule insensée,
amène les uns à l’aimer, et abandonne les autres à leur propre malice.
8. « Voix du Seigneur, qui ébranle les
déserts4 ».Voix du Seigneur qui ébranle, pour les amener à la foi, ces nations
qui n’avaient jadis ni espoir, ni Dieu en cette vie 5, et où n’habitait aucun
homme, c’est-à-dire aucun prophète, aucun prédicateur de la parole de Dieu. Et
il ébranlera le désert de Cadès ».
1. Rom. X, 3.— 2. Ps. XXVIII, 7.— 3. Jean,
VII, 12.— 4. Ps. XXVIII, 8. — 5. Eph. II, 12.
Alors il mettra en évidence la sainte parole
de ses Ecritures, abandonnée aux Juifs qui ne la comprenaient point.
9. « Voix du Seigneur qui perfectionne les
cerfs 1». La voix du Seigneur amène tout d’abord à la perfection ceux qui
savent surmonter et repousser les langues envenimées. « Il mettra au jour les
forêts». Il leur découvrira les obscurités des livres saints, les ombres de ses
mystères, afin qu’ils y paissent en liberté. « Et chacun le glorifiera dans son
temple ». Et dans son Eglise, quiconque est régénéré dans l’éternelle
espérance, bénit le Seigneur selon le don qu’il a reçu de l’Esprit-Saint.
10. « Le Seigneur habite le déluge 2». Tout
d’abord le Seigneur habite les grandes eaux de ce monde, en la personne des
saints, qu’il conserve dans son Eglise comme dans une arche 3. « Le Seigneur
s’assiéra pour régner éternellement ». Ensuite, il s’assiéra pour régner
éternellement dans ses élus.
11. « Le Seigneur donne la force à son peuple
4 ». Parce que le Seigneur doit fortifier son peuple dans sa lutte contre les
tempêtes et les ouragans du monde car il ne lui a point promis la paix ici-bas.
« Le Seigneur bénira son peuple dans la paix ». Le même Dieu qui bénira son
peuple lui donnera la paix en lui-même; car il a dit: « Je vous donne ma paix,
je vous laisse ma paix 5 ».
1.
Ps. XXVIII, 9.— 2. Id. 10.— 3. Gen.VII. — 4. Ps. XXVIII, 11.— 5. Jean,
XIV, 27.
Chaque membre de I’Eglise ou
de Jésus-Christ peut tenir le langage de ce psaume. Et-ce que peut dire
Jésus-Christ à propos de sa résurrection, et quand il se prépare à se consacrer
un temple dans les fidèles, tout fidèle sorti du péché peut se l‘appliquer, et
se considérer comme un temple consacré à Dieu.
POUR LA FIN, PSAUME CHANTÉ A LA DÉDICACE D’UN LIEU SACRÉ, POUR DAVID (1).
1. Pour la fin. Chant joyeux de la résurrection,
qui a renouvelé non seulement le corps de Jésus-Christ, mais de toute 1’Eglise,
et l’a changé en un corps immortel. Dans le psaume précédent, la tente que nous
devons habiter pendant la durée de la guerre s’achevait;
1. Ps. XXIX, 1.
maintenant il s’agit de faire la dédicace de
ce palais, que nous devons habiter dans une paix éternelle.
2. C’est le Christ qui parle ici dans son
intégrité: « Je vous exalterai, Seigneur, parce que vous m’avez relevé 1 ». Je
chanterai votre grandeur, parce que vous m’avez protégé. « Et que vous n’avez
point réjoui mes ennemis de ma ruine ». Vous n’avez point permis que ceux qui,
tant de fois dans l’univers entier, ont cherché à m’écraser sous le poids des
persécutions, se réjouissent à mon sujet.
3. « Seigneur, mon Dieu, j’ai crié vers vous
et vous m’avez guéri 2 ». Je vous ai invoqué, Seigneur mon Dieu, et je ne suis
plus chargé d’un corps sujet à la mort ou à la maladie.
4. « Seigneur, vous avez retiré mon âme du
tombeau, vous m’avez séparé de ceux qui descendent dans l’abîme 3». Vous m’avez
sauvé d’un profond aveuglement et des bas-fonds d’une chair corruptible.
5. « Saints du Seigneur, célébrez ses
louanges ». Le Prophète voit dans l’avenir ce qu’il annonce, et il s’écrie dans
ses transports: « Saints du Seigneur, célébrez ses louanges, et rendez
témoignage à la mémoire le sa sainteté 4». Et confessez qu’il n’a point oublié
cette sainteté dont il vous a gratifiés: quoique le temps qui sépare la
sanctification de la récompense paraisse long à vos désirs.
6. « Son indignation amène la vengeance». Il
a vengé sur vous le premier péché que vous expiez par la mort. « Mais sa
volonté donne la vie 5 ». Cette vie éternelle, à laquelle vous ne pouviez
revenir de vos propres forces, il vous la donne, par un acte de sa bonne volonté.
« Le soir s’écoulera dans les pleurs ». Ce soir a commencé quand la lumière de
la sagesse s’est éteinte en l’homme pécheur, et qu’il a été condamné à la mort:
à dater de ce soir fatal, des pleurs doivent couler, tant que le peuple de Dieu
attendra, dans les travaux et les épreuves, le jour du Seigneur. « Au matin,
nous serons dans la joie». Il attendra jusqu’au matin, où il tressaillera dans
la joie de la résurrection future, que nous annonce comme une fleur matinale la
résurrection du Christ.
7. « En mes jours d’abondance, j’ai dit: Je
1.
Ps. XXIX, 2.— 2. Id. 3.— 3. Id. 4.— 4. Id. 5.— 5. Id. 6.
ne serai jamais ébranlé 1». Pour moi, peuple,
moi qui parlais dès l’abord, dans mes jours d’abondance, et quand je ne
ressentais pas la disette, j’ai dit: « Je ne serai point ébranlé ».
8. « Seigneur, dans votre bonté, vous m’avez
affermi dans ma félicité 2 ». Mais, Seigneur, j’ai compris que cette richesse
me venait de votre bonté et non de moi, quand « vous avez détourné de moi votre
face, et que je suis tombé dans le trouble », car mes fautes vous ont fait
détourner votre visage, et je suis tombé dans le trouble, quand votre lumière
s’est éteinte pour mes yeux.
9. « Je crierai vers vous, Seigneur, je vous
supplierai, ô mon Dieu 3». Quand je me souviens de mes jours de trouble et de
misère et que je m’y crois encore engagé, j’entends alors la voix de votre
premier-né, de celui qui est mon chef et qui doit mourir pour moi, et qui
s’écrie: «J’en appelle à vous, Seigneur; c’est vous que je supplierai, ô mon
Dieu! »
10. « Qu’est-il besoin de verser mon sang, si
je dois m’en aller en pourriture 4? Est-ce que cette poussière pourra vous
glorifier? » Si je ne ressuscite pas aussitôt, si mon corps est en proie à la pourriture,
« est-ce que vous tirerez votre gloire de cette poussière », ou de cette troupe
d’impies que ma résurrection doit justifier? « Ou bien, pourra-t-elle annoncer
votre vérité 5 » C’est-à-dire, pourront-ils annoncer aux autres la vérité du
salut?
11. « Le Seigneur m’a écouté et m’a pris en
pitié, il a été mon protecteur 6 ». Il n’a point permis que son saint devînt la
proie de la corruption7 ».
12. «Vous avez changé mon deuil en joie 8 ».
Moi, votre église, qui ai reçu ce premier-né d’entre les morts, je chante à la
dédicace de votre palais: «Vous avez changé mon deuil en joie; vous avez
déchiré mon cilice pour me revêtir de joie 9 ». Vous avez écarté le voile de
mes péchés et la tristesse de ma mortalité, pour me revêtir de ma robe première
et d’une joie impérissable.
13. «Afin que ma gloire vous chante, et que
nul aiguillon ne me meurtrisse 10». Afin qu’il n’y ait plus aucun deuil pour
moi; mais que ma gloire chante vos louanges, et non plus mon humilité, puisque
vous m’avez
1.
Ps. XXIX, 7 — 2. Id. 8.— 3. Id. 9.— 4. Id. 10.— 5. Ibid. — 6. Id. 11. — 7. Id.
XV, 10. — 8. Id. XXIX, 12.— 9. Ibid. — 10. Id. 13.
(244)
tiré de l’abaissement, et que la conscience
de mon péché, la crainte de la mort et du jugement ne perce plus mon coeur. «
Seigneur, mon Dieu, je vous bénirai éternellement ». C’est là ma gloire, ô mon
Dieu, de proclamer hautement à votre louange qu’il n’y a rien en moi de
moi-même, et que tout bien vient de vous, ô Dieu, qui êtes tout en tous (I Cor. XV, 28).
Dans ce discours, saint
Augustin nous montre que Jésus-Christ, notre chef, ayant reçu sa consécration
dans le ciel, nous devons l’y recevoir aussi et l’y suivre. Et nous y
arriverons, en bénissant Dieu, ou en le glorifiant dans nos douleurs, pour le
bénir ensuite dans sa gloire.
1.Assurément nous avons chanté: «Je vous
exalterai, Seigneur, parce que vous m’avez relevé, et que vous n’avez point
donné à mes «ennemis la joie de ma ruine 1». Si les saintes Ecritures nous ont
fait connaître nos ennemis, nous comprenons la vérité de ce cantique nais si la
prudence de la chair nous a jetés dans l’illusion au point que nous ne
connaissions plus ce qu’il nous faut combattre 2, nous trouvons, dès l’abord du
psaume, une difficulté insoluble pour nous. De qui pensons-nous sont ce chant
d’actions de grâces, cette voix qui bénit Dieu dans son allégresse et qui
s’écrie: «Je vous exalterai, Seigneur, parce que nous m’avez relevé, et que
vous n’avez point donné à mes ennemis la joie de ma ruine?» Considérons d’abord
que c’est Notre Seigneur qui, dans cette humanité dont il a daigné se revêtir,
a pu fort bien s’approprier ces paroles du Prophète. Devenir homme, c’est
contracter nos infirmités, et, devenu infirme, il devait prier. Nous venons de
voir, en lisant cet Evangile, qu’il se sépara de ses disciples pour entrer au
désert, où ils allèrent le chercher et le trouvèrent. Etant à l’écart, il
priait, et ses disciples lui dirent en le retrouvant: « Les hommes vous
cherchent. Allons prêcher, répondit-il, en d’autres lieux, en d’autres
bourgades; car c’est pour cela que je suis venu 3 ». A n’envisager Notre
Seigneur Jésus-Christ que dans sa divinité, qui est celui
1.Ps,
XXIX, 1.— 2. Eph. VI, 12. — 3. Marc, I, 35, 38.
qui prie? à qui adresse-t-il sa prière? quel
en est le sujet? Un Dieu peut-il prier? s’adresser à son égal? Quel motif de
prier peut avoir celui qui est toujours heureux, toujours tout-puissant,
toujours immuable et éternel, coéternel au Père? Si nous écoutons cette voix de
tonnerre, qu’il a fait retentir, comme à travers la nuée, par saint Jean: « Au
commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu.
Il était au commencement avec Dieu, toutes choses ont été faites par lui, et
rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui, en lui était la vie, et la vie
était la lumière des hommes, et la lumière a lui dans les ténèbres, et les
ténèbres ne l’ont point comprise 1 »; nous ne trouvons jusque-là ni prière, ni
sujet de prière, ni occasion de prière, ni désir de prier; mais quand il est
dit plus bas: « Et le Verbe s’est fait « chair, et il a demeuré parmi nous 2 »:
vous avez un Dieu que vous devez prier, et un homme qui priera pour vous. Car
l’Apôtre tenait ce langage après la résurrection de Jésus-Christ Notre
Seigneur, qui est assis à la droite de Dieu, dit-il, et qui intercède pour
nous’. Pourquoi intercéder pour nous? Parce qu’il a daigné se rendre notre
médiateur. Qu’est-ce qu’être médiateur entre Dieu et les hommes? Je ne dis
point entre son Père et les hommes, mais bien entre Dieu et les hommes.
Qu’est-ce que Dieu? C’est le
1. Jean, I, l-5 — 2. Id. 14. — 3. Rom. VIII, 34. — 4. I Tim. II, 5.
(245)
Père, le Fils et l’Esprit-Saint. Que sont les
hommes? Dès pécheurs, des impies, de chétifs mortels. Donc, entre la Trinité et
les hommes infirmes et coupables, un homme s’est fait médiateur, homme
innocent, il est vrai, et néanmoins infirme: afin que dans son innocence il pût
vous approcher de Dieu, et dans son infirmité s’approcher de vous. C’est ainsi
que le Verbe fait chair, ou le Verbe fait homme est devenu médiateur entre Dieu
et les hommes. Sous le nom de chair on entend les hommes. De là cette parole: «
Toute chair verra le salut de Dieu 1 ». Toute chair, c’est-à-dire tous les
hommes. L’Apôtre dit aussi « Nous n’avons pas à combattre contre la chair « et
le sang», c’est-à-dire contre les hommes, « mais contre les principautés, les
puissances, « les princes de ce monde et de ces ténèbres 2», dont nous
parlerons plus tard, avec le secours de Dieu. Car cette distinction nous est
nécessaire pour l’intelligence de ce psaume, que nous avons entrepris de vous
expliquer au nom du Seigneur. Toutefois j’ai cité aujourd’hui ces quelques
exemples, afin que vous sachiez que la chair désigne tous les hommes, et que
dire: « Le Verbe s’est fait chair », ce soit pour vous: Le Verbe s’est fait
homme.
2. Ce n’est pas sans raison que j’ai fait ces
remarques. Vous devez savoir, mes frères, qu’il y eut autrefois certains
hérétiques nommés Apollinaristes, et peut-être y en a-t-il encore aujourd’hui
quelques-uns. Plusieurs d’entre eux ont erré en parlant de cette humanité dont
s’est revêtue la sagesse de Dieu, pour habiter en elle personnellement, non
plus comme dans les autres hommes, mais selon cette parole du Prophète: « Votre
Dieu, ô Dieu, vous a marqué d’une huile de joie, qui vous élève au-dessus de
tous ceux qui doivent la partager avec vous 3 », c’est-à-dire d’une onction
plus grande que celle des autres hommes: de peur que l’on ne vînt à -croire que
l’onction du Christ ressemble à celle des hommes, des autres justes, des
patriarches, des Prophètes, des Apôtres, des martyrs, et de tout ce qu’a
produit de grand la race humaine. Nul autre homme ne fut plus grand que
Jean-Baptiste, et des fils de la femme aucun ne l’a surpassé 4. Si vous cherchez
quelle fut sa grandeur, il suffit de dire que c’est Jean-Baptiste. Mais celui à
qui Jean ne se trouvait pas digne de dénouer les
1.
Luc, III, 6.— 2. Eph. VI, 12.— 3. Ps. XLIV, 8.— 4. Matt. XI, 11.
souliers1, qu’était-il donc, sinon plus que
tous les autres hommes. Même en son humanité, il avait plus de grandeur que
tout autre homme. Comme Dieu, dans sa divinité, comme Verbe qui était au
commencement, Verbe qui était en Dieu, Verbe qui était Dieu, il est égal au
Père, et bien au-dessus de toute créature. Mais nous parlons ici de l’humanité.
Quelqu’un de vous, mes frères, croira peut-être que cet homme dont la sagesse
divine a daigné se revêtir, était égal au reste des hommes. Dans le corps
humain, il y a une grande différence entre la tête et les autres membres, bien
que les membres ne forment à la vérité qu’un seul et même corps, néanmoins la
tête est bien supérieure au reste des membres. Dans tous les autres, vous
n’avez de sentiment que par le tact; c’est en touchant qu’ils sentent, niais
c’est par la tête que vous entendez, que vous voyez, que vous flairez, que vous
goûtez, que vous touchez. Si telle est la supériorité de la tête sur les autres
membres, quelle ne sera pas l’excellence de celui qui est le chef de l’Eglise,
ou de cet Homme que Dieu a voulu établir médiateur entre Dieu et les hommes?
Donc, ces hérétiques ont dit que l’homme,
dont le Verbe s’est revêtu, quand le Verbe s’est fait chair, n’avait point
l’esprit humain, et seulement une âme privée de l’intelligence humaine. Vous
voyez de quoi l’homme est composé; de l’âme et du corps. Mais il y a dans l’âme
de l’homme quelque chose de plus que dans l’âme des bêtes. Car les bêtes aussi
ont une âme, de là leur nom d’animaux; et on ne les appellerait point animaux,
si elles n’avaient une âme; nous voyons aussi qu’elles ont la vie. Qu’a donc de
plus l’homme qui le marque à l’image de Dieu? C’est qu’il comprend, c’est qu’il
raisonne, c’est qu’il discerne le -bien du mal; c’est en cela qu’il est fait à
l’image et à la ressemblance de Dieu. Il y a donc en lui quelque chose, que
n’ont pas les animaux. Et quand il méprise sa supériorité sur les bêtes, il
détruit en lui, il efface, et en quelque sorte il dégrade l’image de Dieu; en
sorte que c’est à ces hommes qu’il est dit: « Gardez-vous de ressembler au cheval
et au mulet qui sont sans intelligence 2». Ces hérétiques ont donc soutenu que
Notre Seigneur Jésus-Christ n’avait point l’esprit humain, ni ce que les Grecs
appellent logikon, ce que nous
appelons la raison, cette partie de l’âme qui
1. Marc, I, 7. — 2. Ps. XXXI, 9.
(246)
raisonne et que n’ont point les animaux.
Quelle est donc leur doctrine? Ils enseignent que le Verbe de Dieu était, dans
son humanité, ce que l’esprit est en nous. L’Eglise les a rejetés, la foi
catholique les a eus en horreur, et ils ont formé une secte hérétique. La foi
catholique a déclaré que cet homme, dont la sagesse divine a daigné se revêtir,
n’avait rien de moins que les autres hommes, pour ce qui est de l’intégrité de
nature; mais que l’excellence de la personne le rendait supérieur aux autres
hommes. Car on peut dire des autres qu’ils participent au Verbe de Dieu,
puisque le Verbe de Dieu est en eux; mais aucun d’eux ne peut être appelé Verbe
de Dieu, comme l’a été celui-ci dans 1’Evangile: « Le Verbe s’est fait chair 1».
3. D’autres hérétiques, issus de ces
derniers, ont refusé à cet Homme-Dieu, à ce Jésus-Christ, médiateur entre Dieu
et les hommes, non seulement la raison, mais l’âme humaine. Ils ont soutenu
qu’il était Verbe et chair, mais qu’il n’y avait en lui ni raison humaine, ni
hie humaine. Voilà ce qu’il,s enseignaient. Qu’était donc Jésus-Christ, selon
eux? Le Verbe et la chair. L’Eglise les a rejetés aussi et séparés de ses
brebis, de la vraie et simple croyance, et a déclaré, comme je viens de le
dire, que l’homme médiateur eut tout ce qui est de l’homme, à l’exception du
péché. Si en effet, nous voyons en lui beaucoup d’actions corporelles, qui nous
démontrent qu’il avait un corps véritable, et non un corps fictif; comment
voulons-nous entendre qu’il avait un corps? Ainsi, il marche, il s’assied, il
dort, il est saisi, flagellé, souffleté, cloué à la croix, il meurt. Otez le
corps, et rien de tout cela n’aura lieu. Comme donc à toutes ces marques de
l’Evangile nous reconnaissons que le Christ avait un corps véritable, ainsi que
lui-même l’atteste après sa résurrection, quand il dit: « Touchez et voyez, un
esprit n’a point une chair et des os, comme vous m’en voyez 2 »; comme à ces
indices et à ces actes, nous croyons, nous comprenons, nous reconnaissons que
Notre Seigneur Jésus-Christ avait un corps, ainsi d’autres particularités de la
nature nous font croire qu’il avait une âme. Avoir faim et soif, sont des
oeuvres de l’âme ôtez l’âme, et le corps inanimé ne sentira plus ces besoins.
S’ils soutiennent que ces besoins étaient fictifs, nous ne verrons non plus que
1. Jean, I, 14. — 2. Luc, XXIV, 39.
de la fiction dans ce qui est dit du corps;
mais si la vérité des actions corporelles nous fait conclure à la vérité du
corps, la vérité des actions de l’âme nous fera conclure que l’âme aussi était
véritable.
4. Quoi donc? ô homme qui m’écoutes, le
Seigneur s’est fait infirme comme toi, sans doute, mais ne va point te comparer
à lui. Tu n’es qu’une créature, et lui est créateur. Que le Verbe Fils de Dieu,
que ton Dieu se soit fait homme, ce n’est point une raison de comparer cet
homme avec toi-même, mais bien de l’élever au-dessus de toi, puisqu’il est ton
médiateur, et au-dessus de toute créature, puisqu’il est Dieu: et de comprendre
enfin que celui qui se fait homme pour toi, peut bien s’abaisser à prier pour
toi; et si la prière n’est point une dérogation à sa dignité, il peut aussi,
sans dérogation, dire pour toi ces paroles: « Je vous exalterai, Seigneur,
parce que vous m’avez élevé, et que vous n’avez point donné à mes ennemis la
joie de ma ruine ». Mais si nous n’entendons bien de quels ennemis il s’agit,
nous fausserons ces paroles, en les mettant dans la bouche de Jésus-Christ.
Comment le Christ dira-t-il avec vérité: « Je vous exalterai, Seigneur, parce
que vous m’avez élevé, et que vous n’avez pas donné à mes ennemis la joie de ma
ruine? » Comment cela serait-il vrai, de son humanité, de sa faiblesse, de sa
chair? car il fut un sujet de triomphe pour ses ennemis, lorsqu’ils le
crucifièrent, qu’ils le saisirent, qu’ils le flagellèrent, qu’ils le
souffletèrent, en lui disant: « Prophétise-nous, ô Christ 1 ». Cette joie
qu’ils eurent nous force en quelque sorte de croire à la fausseté de ces
paroles: « Et vous n’avez pas donné à mes ennemis la joie de ma ruine ». Ensuite,
quand il était à la croix, ils passaient ou s’arrêtaient, ils le fixaient en
branlant la tête et en disant: « Voyez ce Fils de Dieu, il a sauvé les autres
et ne peut se sauver lui-même; qu’il descende de la croix et nous croirons en
lui 2 » Ne tressaillent-ils pas en lui jetant ces injures? Que devient donc
cette parole: « Je vous exalterai, Seigneur, parce que vous m’avez élevé, et
que vous n’avez pas donné à mes ennemis la joie de ma ruine? »
5. Peut-être cette parole n’est-elle point de
Notre Seigneur Jésus-Christ, mais de l’homme, mais de l’Eglise entière, du
peuple chrétien
1. Matt. XXVI, 68. — 2. Ibid. XXVII, 42.
(247)
parce qu’en Jésus-Christ tous les hommes ne
font qu’un seul homme, et que tous les chrétiens unis ne forment qu’un seul
homme. Peut-être est-ce l’homme lui-même, l’unité chrétienne qui dit: « Je vous
exalterai, Seigneur, parce que vous m’avez relevé, et que vous n’avez pas
permis que mes ennemis aient la joie de ma ruine ». Mais comment cela peut-il
être vrai à leur sujet? Les Apôtres n’ont-ils pas été saisis, frappés, battus
de verges, mis à mort, cloués à la croix, brûlés vifs, condamnés aux bêtes, ces
hommes dont nous célébrons aujourd’hui la mémoire? Quand les hommes les
traitaient de la sorte, ne tressaillaient-ils pas de leur ruine? Comment donc
le peuple chrétien même peut-il dire: « Je vous exalterai, ô Dieu, parce que
vous n’avez pas donné à mes ennemis la joie de ma ruine? »
6. Nous le comprendrons si nous nous arrêtons
au titre du psaume. Ce titre est en effet:
« Pour la fin, psaume pour David, chanté « à
la dédicace de son palais 1 ». C’est dans ce titre que nous espérons trouver le
secret d’élucider cette question. Un jour sera dédié cet édifice que l’on
construit aujourd’hui. Cet édifice qui est l’Eglise se construit maintenant,
plus tard on en fera la dédicace; or, à cette dédicace éclatera la splendeur du
peuple chrétien, splendeur cachée aujourd’hui. Laissons donc nos ennemis sévir
contre nous, et nous humilier, faire non plus ce qu’ils veulent, mais ce que
Dieu leur permet. Il ne faut pas attribuer à nos ennemis tout le mal qu’ils
nous font endurer; il nous vient quelquefois du Seigneur notre Dieu. Car le
Médiateur nous a montré par son exemple que quand il permet que les hommes nous
nuisent, il ne leur en donne point la volonté, mais seulement le pouvoir. Tout
méchant trouve eu lui-même la volonté de nuire; mais la puissance de nuire
n’est point abandonnée à sa discrétion. Cette volonté le rend coupable; mais la
puissance du mal lui vient des dispositions mystérieuses de la Providence
divine, qui lui permet d’agir, afin de châtier l’un, de mettre l’autre à
l’épreuve, de couronner un troisième. De châtier les uns, comme il permit
autrefois aux étrangers, en grec allophuloi,
d’asservir le peuple d’Israël, qui avait péché contre son Dieu 2. De mettre
les autres à l’épreuve, comme il permit au diable de tenter Job 3. A Job le
1.
Ps. XXIX, 1. — 2. Juges, X, 7; XIII, 1. — 3. Job, I, 12
triomphe, au démon la honte. De couronner les
autres, comme il livra les martyrs aux persécuteurs. Les martyrs furent
égorgés, et leurs bourreaux se crurent vainqueurs:
ceux-ci obtinrent aux yeux du monde un faux
triomphe, ceux-là une couronne invisible, mais réelle. houe le pouvoir des
méchants entre dans les vues de la Providence divine; mais la volonté de nuire
appartient à l’homme, qui ne donne pas toujours la mort comme il le voudrait.
7. Voilà donc le Seigneur lui-même, juge des
vivants et des morts, qui se présente à la barre d’un tribunal, devant un
homme; ce n’est pas un vaincu, mais il veut apprendre à tout soldat la manière
de combattre; et quand le juge lui dit, avec une menace pleine d’orgueil:
« Ne sais-tu pas que j’ai le pouvoir de
t’absoudre ou de t’envoyer à la mort? » il réprime cette insolence, par une
réponse qui doit lui ôter toute enflure: « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi»,
lui dit-il, «s’il ne t’était donné d’en haut 1 ». Et Job, dont le diable venait
de tuer les enfants et de dissiper tous les biens, que répond-il? « Dieu a
donné, Dieu a ôté; ainsi qu’il a plu au Seigneur, il a été fait, que le nom du
Seigneur soit béni 2 ». Que l’ennemi ne s’applaudisse point de son oeuvre: pour
moi, dit-il, je sais qui lui en adonné le pouvoir; au démon la volonté de
nuire, mais à Dieu le pouvoir d’éprouver les hommes. Quand son corps est
couvert de plaies, voici venir sa femme, qui lui est laissée, comme une autre
Eve, pour venir en aide au démon, non pour consoler son époux; elle essaie de
l’ébranler, et lui dit, parmi ses outrages: « Parlez contre Dieu et mourez 3 ».
Et ce nouvel Adam fut plus ferme sur son fumier, que le premier dans le
paradis. Le premier Adam prêta l’oreille à sa femme 4, dans ce paradis, dont il
se fit chasser. Le second Adam, sur son fumier, repoussa la femme, et mérita
d’entrer dans le paradis. Et ce nouvel Adam, assis sur son fumier, qui
enfantait l’immortalité au dedans, quand au dehors il était la pâture des vers,
que dit-il à sa femme? «Tu as parlé comme une femme insensée: « si nous avons
reçu les biens de la main de Dieu, pourquoi n’en pas accepter les maux 5? » Il
dit encore que c’est la main de Dieu qui est sur lui, quand c’est le diable qui
1.
Jean, XIX, 10, 11.— 2. Job, I, 21.— 3. Id. II, 9. — 4. Gen, III, 4. — 5. Job,
II, 10.
(248)
l’a frappé; parce que son attention ne
s’arrêtait pas à celui qui frappait, mais à celui qui permettait. Le diable, à
son tour, appelle main de Dieu ce pouvoir qu’il sollicitait. Car voulant
trouver des crimes dans cet homme juste à qui Dieu rendait témoignage, Satan
dit à Dieu: «Est-ce en vain que Job rend un culte au Seigneur? Ne l’avez vous
pas entouré comme d’un rempart, lui, sa maison, et tous ses biens? Vous avez
béni le travail de ses mains, et ses possessions se sont accrues sur la terre;
vous l’avez comblé de si grands biens, que c’est pour cela qu’il vous sert.
Mais étendez votre main sur lui, frappez tout ce qui lui appartient, et vous
verrez s’il vous bénira 1 ». Que signifie: « Etendez votre main », quand
lui-même voulait frapper? Comme il ne pouvait lui-même frapper, il appelle main
de Dieu, ce pouvoir de frapper qu’il reçoit du Seigneur.
8. Que dirons-nous donc, mes frères, à la vue
de ces grands maux, que nos ennemis ont fait endurer aux chrétien-s, de leur
délire, de leur joie féroce? Quand sera-t-il donc visible, que leur joie était
fausse? Quand les uns seront couverts de honte, et les autres dans
l’allégresse, à l’avènement du Seigneur notre Dieu, qui viendra, portant dans
ses mains les récompenses de chacun; aux impies, la damnation; aux justes, le
royaume; aux pécheurs, la société avec le diable; aux bons, la société avec
Jésus-Christ. Quand le Seigneur se montrera de la sorte, et que les justes se
lèveront avec une grande force; je vous cite les saintes Ecritures,
souvenez-vous de ces paroles du livre de la Sagesse: « Les justes donc se lèveront
avec une grande force coutre ceux qui les auront tourmentés; et ceux-ci diront
en eux-mêmes, se repentant et gémissant dans l’angoisse de leur esprit: «Que
nous a servi l’orgueil, que nous a rapporté le vain étalage de nos richesses?
Toutes ces choses ont passé comme l’ombre 2 ». Et que diront-ils, à propos des
justes? « Comment leur place est-elle parmi les enfants de Dieu, et leur
partage avec les saints? » Alors se fera la dédicace de cet édifice que l’on
construit aujourd’hui dans la tribulation; et c’est alors que ce peuple de Dieu
chantera dans sa joie: « Je vous exalterai, Seigneur, «parce que vous m’avez
soutenu, et que vous n’avez pas donné à mes ennemis la joie de
1.
Job, I, 9-11. — 2. Sag. V, 1, 8, 9.
ma
ruine ». Cette
parole sera donc vraie dans le peuple de Dieu, qui est aujourd’hui dans
l’oppression, qui gémit aujourd’hui sous le poids de tant d’épreuves, de tant
de scandales, de tant de persécutions, de tant d’angoisses. Quiconque n’avance
point dans la vertu, ne connaît point dans l’Eglise ces douleurs de l’âme, et
s’imagine que tout est en paix: mais qu’il avance, et il se trouvera dans
l’oppression. Ce ne fut que quand l’herbe eut poussé et produit son fruit, que
l’ivraie parut aussi 1. « Et quiconque multiplie la science multiplie aussi la
douleur 2 ». Qu’il avance, et il verra o~i il en est: qu’il y ait du fruit, et
l’ivraie se montrera. Le mot de saint Paul est bien vrai, et depuis le
commencement jusqu’à la fin du monde, on ne l’effacera point: « Tous ceux »
dit-il, « qui veulent vivre avec piété en Jésus-Christ, souffriront
persécution; quant aux méchants et aux imposteurs, ils se fortifieront de plus
en plus dans le mal, marchant dans l’erreur et y jetant les autres 3 ».
N’est-ce point là, le sens de ces paroles du psaume: « Attends le Seigneur,
agis avec « force, affermis ton âme, et attends le Seigneur 4? » C’était peu
d’avoir dit une fois: « Attends le Seigneur », il le répète, de peur qu’on ne
vînt à se lasser après avoir attendu deux, trois, ou quatre jours sans que la
persécution prît fin. Il ajoute alors: « Agis avec force»; puis: «Affermis ton
coeur ».Et comme il doit en être ainsi depuis le commencement jusqu’à la fin du
monde, il répète à la fin le mot du commencement: « Attends le Seigneur ». Les
maux qui t’affligent passeront, celui que tu attends viendra; il essuiera tes
sueurs, il séchera tes larmes, et tu n’auras plus à pleurer. Ici-bas, gémissons
dans la tribulation, selon cette parole de Job: « La vie de l’homme, sur la
terre, n’est-elle pas une épreuve 5»
9. Toutefois, mes frères, en attendant ce
jour où se fera la dédicace de l’édifice, considérons que déjà la dédicace en
est faite dans celui qui est notre chef; la dédicace de l’édifice est donc
effectuée, déjà, et dans le faîte, et dans la pierre fondamentale. Mais le faîte,
me direz-vous, est en haut; la pierre fondamentale, est en bas; et peut-être y
a-t-il erreur à moi, de dire que le Christ est cette base; il en est plutôt le
faîte, puisqu’il est
1.
Matt. XIII, 26. — 2. Eccl. I, 18. — 3.II Tim. III, 12, 13. — 4. Ps. XXVI, 14. —
5. Job, VII, 1
(249)
monté aux cieux, pour s’asseoir à la droite
de son Père. Néanmoins, je ne crois pas m’être trompé; car l’Apôtre a dit: «
Nul ne peut poser une base autre que celle qui a été posée, et cette base est
Jésus-Christ: si l’on élève sur cette base un édifice en or, en argent ou en
pierres précieuses 1». Ceux qui mènent une vie sainte, qui honorent et qui
bénissent Dieu, qui sont patients dans les tribulations, qui soupirent après la
patrie, ceux-là bâtissent en or, en argent, en pierres précieuses; ceux qui
aiment encore le monde, qui sont encore impliqués dans les affaires d’ici-bas,
enchaînés par des affections charnelles à leurs domaines, à leurs épouses, à
leurs enfants, et qui néanmoins demeurent chrétiens, de sorte que leur coeur ne
se sépare point du Christ, et ne, met rien avant le Christ, de même qu’en
construisant on ne met rien avant la base; ceux-là bâtissent, à la vérité, mais
en bois, en foin, en paille. Or, que dit saint Paul après cela? « Le feu
éprouvera l’ouvrage de chacun ». Le feu de l’épreuve et de la tribulation;
cette flamme qui a éprouvé ici-bas plusieurs martyrs, et qui éprouvera la race
humaine au dernier jour. Il s’est trouvé des martyrs qui avaient de ces liens
du monde. Combien de riches et de sénateurs ont enduré la mort ! Cependant
quelques-uns d’entre eux bâtissaient en bois, en foin, en paille, à cause des
soins et des affections de la chair et du monde; mais comme ils avaient le
Christ pour base, et qu’ils construisaient sur cette pierre fondamentale, le
foin a brûlé, et eux ont subsisté sur le fondement. C’est ce que nous dit
l’Apôtre: « Si l’ouvrage de quelqu’un subsiste, il en recevra la récompense 2
», et sans aucune perte; car il trouvera ce qu’il a aimé. Qu’a donc fait à ces
hommes le feu de la tribulation? Il les a éprouvés: « Si l’ouvrage de quelqu’un
subsiste, il en recevra la récompense; mais celui dont l’oeuvre sera consumée
par le feu, en subira un dommage; il sera néanmoins sauvé, mais comme par le
feu 3 ». Or, n’être pas atteint du feu, est bien différent d’être sauvé en
passant par le feu. D’où vient ce salut? De la base de l’édifice. Que cette
base ne s’éloigne donc jamais de notre coeur. Ne pose jamais cette base sur le
foin, c’est-à-dire ne préfère point le foin ou la paille à cette pierre
fondamentale, en sorte que la première place dans ton
1. I
Cor. III, 11. — 2. Id. 13. — 3. Id. 14, 15.
coeur soit donnée à la paille, la seconde au
Christ; et s’il vous est encore impossible d’en bannir cette paille totalement,
que la première place soit pour le Christ, et la seconde seulement pour la
paille.
10. Le Christ est donc pour nous la pierre
fondamentale. Et comme je le disais, la dédicace de notre faîte a eu lieu, et
ce faîte est aussi notre pierre fondamentale; mais ordinairement cette pierre
est en bas, dans un édifice, tandis que le faîte est en haut. Comprenez bien
mon langage, mes frères, peut-être Dieu m’aidera-t-il à parler clairement. Il y
a deux sortes de poids, on appelle poids cette rapidité avec laquelle tout
objet tend à regagner sa place: tel est le poids. Vous prenez à la main une
pierre, aussitôt vous en sentez le poids qui pèse sur cette main, parce qu’elle
cherche son centre. Voulez-vous voir ce qu’elle cherche? Retirez votre main,
elle tombe à terre et y repose: elle est parvenue à la place qu’elle cherchait,
elle a trouvé son centre. Ce poids est comme un mouvement spontané, sans âme ni
sentiment. li y a d’autres objets qui ont une tendance à s’élever. Jetez de
l’eau sur de l’huile, son poids l’entraîne aussitôt en bas. Elle cherche sa
place, elle veut être à son rang, et il est contraire à la nature de l’eau
d’être sur l’huile. Donc jusqu’à ce qu’elle soit à sa place naturelle, et
qu’elle trouve son centre, elle éprouve un mouvement continuel. Mais au
contraire, jetez de l’huile sur de l’eau: qu’un vase d’huile, par exemple,
tombe dans l’eau, dans la mer, ou dans un lac, et s’y brise, l’huile ne peut se
tenir en dessous: et de même que l’eau jetée sur l’huile tend à descendre au
fond du vase, l’huile, au contraire, jetée sur l’eau, tend par son poids à
s’élever à la surface. Si donc, mes frères, il en est ainsi, quelle est la
tendance réciproque du feu et de l’eau? Le feu s’élève et cherche sa place en
haut l’eau cherche aussi sa place que lui assignera son poids. Une pierre
descend en bas, il en est de même des bois, des colonnes, de la terre, qui
servent à construire des habitations. Tout cela est du nombre des objets que
leur poids fait descendre. Il est donc visible par là qu’ils ont en bas le
fondement qui les soutient, puis. qu’ils y sont entraînés par leur poids
naturel; et que sans cette base de sustentation, tout croulerait, puisque tout
a sa tendance vers la terre. C’est donc en bas qu’il faut poser un (250)
fondement aux corps qui ont une tendance à descendre. Mais l’Eglise de Dieu,
construite sur la terre, fend à s’élever au ciel. C’est donc là qu’est sa
pierre fondamentale, qui est Jésus-Christ Notre Seigneur, assis à la droite de
son Père. Si donc, mes frères, vous avez compris que la dédicace de notre
pierre fondamentale est déjà faite, écoutons et parcourons brièvement tout le
psaume.
11. « Je vous exalterai, Seigneur, parce que
vous m’avez élevé, et que vous n’avez pas donné à mes ennemis la joie de ma
ruine1 ». A quels ennemis? Aux Juifs. Par la dédicace de la pierre
fondamentale, nous devons entendre la dédicace de notre palais à venir. Ce qui
se dit aujourd’hui de la pierre fondamentale, se doit dire alors du palais tout
entier. Quels sont donc ces ennemis dont il est question? Sont-ce les Juifs ou
bien le diable et ses anges, qui ont dû s’enfuir couverts de honte, à la
résurrection du Christ? Le prince de la mort eut la douleur de voir la mort
vaincue. « Et vous n’avez pas souffert que mes ennemis se réjouissent à mon
sujet »; car les enfers n’ont pu me retenir.
12. « Seigneur, mon, Dieu, j’ai crié vers
«vous et vous m’avez guéri 2 ». Le Seigneur avant sa passion pria son Père 3
sur la montagne, et son Père le guérit. Comment guérir celui qui n’a point
langui? Est-ce le Verbe Dieu, ce Verbe qui est la divinité, qui a été guéri?
Non, mais il portait une chair mortelle, il portait ta blessure, celui qui
devait t’en guérir. Cette chair a donc été guérie. Quand? A la résurrection du
Christ. Ecoute l’Apôtre, et constate une véritable guérison «La mort», dit-il,
« a été ensevelie dans son triomphe. O mort! où est donc ton aiguillon? O mort!
où est ta prétention 4? » Ce sera donc à nous de chanter un jour ce triomphe
que Jésus-Christ chante aujourd’hui.
13. « Seigneur, vous avez retiré mon âme du
tombeau ». Il n’est pas besoin d’expliquer ce passage. « Vous m’avez séparé de
ceux «qui descendent dans l’abîme5 ». Qui donc descend dans l’abîme? Tous les
pécheurs qui se plongent dans le gouffre. Car cet abîme, c’est la profondeur du
siècle; et qu’est-ce que la profondeur du siècle? C’est l’océan de la luxure et
de l’iniquité. Celui-là dès lors descend dans l’abîme, qui se plonge dans la
1.
Ps. XXIX, 2. — 2. Id. 3. — 3. Matt. XXVI, 39. — 4. I Cor. XV, 54 — 5. Ps, XXIX,
4.
luxure et dans les terrestres convoitises.
Tels furent les persécuteurs du Christ. Mais que dit-il ici? « Vous m’avez
sauvé de ceux qui « descendent dans l’abîme ».
14. « Saints du Seigneur, célébrez ses
louanges 1 ». Puisque votre chef est ressuscité, vous qui êtes ses membres,
espérez pour vous ce que vous voyez en lui: espérez pour les membres ce que
vous croyez pour la tête. C’est un proverbe ancien et réel, que là où est la
tête, là sont aussi les membres. Jésus-Christ, notre chef, est au ciel; c’est
là que nous le suivrons. Il n’est point demeuré dans l’abîme, il est ressuscité
pour ne plus mourir; pour nous, non plus, il n’y aura plus de mort quand nous
aurons passé par la résurrection. Dans la joie de ces promesses, « chantez donc
au Seigneur, vous qui êtes ses saints, et rendez témoignage au souvenir de sa
sainteté 2 ». Qu’est-ce: « Rendez témoignage au souvenir? » Vous l’avez oublié,
mais lui s’est souvenu de vous.
15. « Sa colère amène le châtiment, et la vie
est dans sa volonté ». Le châtiment est dans son indignation contre le pécheur:
« Au jour où vous en mangerez, vous mourrez 3 ». Nos parents y portèrent une
main rebelle, et furent chassés du paradis, parce que sa colère amène le
châtiment; mais ce châtiment n’est point sans espérance, car « la vie est dans
sa volonté ». Qu’est-ce à dire « dans sa volonté? » Non pas dans nos propres
forces, non plus que dans nos propres mérites; mais il nous a sauvés, parce
qu’il l’a voulu; et non parce que nous en étions dignes. De quoi le pécheur
peut-il être digne, sinon du châtiment? Il nous a donné la vie, et s’il la
conserve au pécheur, que ne réserve-t-il pas au juste?
16. « Le soir s’écoulera dans les pleurs 4 ».
Ne vous effrayez point si le Prophète nous parle de gémir après nous avoir dit:
« Chantez dans la joie »; le chant est l’expression de la joie, la prière celle
du gémissement. Gémissez donc sur votre état présent, chantez votre avenir;
gémissez de la réalité actuelle, chantez votre espérance. « Le soir s’écoulera
dans les pleurs ». Quel est « ce soir qui voit les pleurs? » Le soir, c’est le
moment où le soleil se couche. Or, le soir s’est couché pour l’homme,
c’est-à-dire cette lumière de la justice qui est la présence de Dieu en nous.
Que
1. Ps. XXIX, 5. — 2.Id. 6.— 3. Gen. II, 17.—
4. Ps.XXIX, 5.
(251)
nous dit donc la Genèse de l’expulsion
d’Adam? Dieu se promenait dans le paradis; et il s’y promenait vers le soir.
Déjà le pécheur s’était caché dans l’ombre des arbres, il voulait éviter la
face de Dieu 1,qui faisait auparavant ses délices. Déjà s’était couché pour lui
le soleil de la justice, et la présence de Dieu lui était à charge. Alors
commença pour lui cette vie mortelle. « Le soir s’écoulera dans les pleurs ».
Tu seras longtemps dans les pleurs, ô pauvre humanité; tu as Adam pour père, et
tu lui es devenue semblable: et nous aussi nous venons d’Adam; et tous les fils
qui sont nés jusqu’alors, et qui doivent naître à l’avenir, sont fils d’Adam
comme leurs pères. « Le soir s’écoulera dans les larmes, et au matin éclatera
la joie ». Quand se lèvera pour les fidèles cette lumière qui a délaissé les
pécheurs. Car le Seigneur Jésus est sorti du tombeau le matin2, afin de fait-e
espérer, à tout l’édifice, cette dédicace déjà faite dans la pierre
fondamentale. Pour Notre Seigneur, le soir fut le moment de sa-sépulture; et le
matin eut lieu sa résurrection, au troisième jour. Toi aussi tu as été enseveli
au soir dans le para-
dis, et tu es ressuscité le troisième jour.
Comment le troisième jour? A suivre le cours des temps, il y a un jour avant la
loi, un second jour sera le temps de la loi, le troisième, le temps de la
grâce. Ce que votre chef a montré en lui-même pendant ces trois jours, se
manifestera aussi en vous dans les trois jours de cette vie. En quel temps?
C’est au matin qu’il faut être dans l’espérance et dans l’allégresse; maintenant,
c’est le temps de la douleur et des gémissements.
17. « En mes jours d’abondance, j’ai dit: Je
ne serai jamais ébranlé3 ». Dans quelle abondance l’homme a-t-il pu dire: «Je
ne serai jamais ébranlé? » Nous entendons ici, mes frères, l’homme vraiment
humble. Qui donc est ici-bas dans l’abondance? Personne. Quelle serait
l’abondance de l’homme? Les misères et la douleur. Pour les riches, direz-vous,
il est une abondance. Plus ils possèdent, plus ils sont pauvres. Les
convoitises les dévorent, les passions les agitent, les craintes les déchirent,
les chagrins les dessèchent: où est donc leur abondance? L’homme avait
l’abondance dans le paradis terrestre, quand rien ne lui manquait, et qu’il
jouissait de Dieu; mais il a dit: « Je ne
1. Gen. III, 8 — 2.
Matt. XXVIII, 1. — 3. Ps. XXIX, 7.
serai point ébranlé éternellement ». Comment
a-t-il pu dire: « Je ne serai jamais ébranlé? » Quand il écouta cette parole: «
Goûtez et vous serez comme des dieux »; lorsqu’à cette parole du Seigneur: « Au
jour où vous en mangerez, vous mourrez », le diable opposait celle-ci: « Vous
ne mourrez point 1 ». L’homme alors trop crédule écoutait les suggestions du
diable et disait: «Je ne serai point ébranlé à jamais ».
18. Mais le Seigneur avait dit vrai en
menaçant d’enlever au superbe ce qu’il avait donné à l’homme humble, en le
créant; et le Prophète ajoute: « Seigneur, dans votre bonté, vous aviez réuni
en moi la beauté et la force 2 »: c’est-à-dire, je n’avais de moi-même ni force
ni beauté; toute ma beauté, toute ma force me viennent de vous: cette bonté qui
vous déterminait à me créer, vous avait fait unir en moi la beauté à la force,
Et pour me montrer que je devais à votre volonté d’être ainsi, « vous avez
détourné de moi votre face, et je suis tombé dans le trouble 3 » Dieu détourna
sa face de ce pécheur qu’il expulsait du paradis. Alors, dans son exil, qu’il
s’écrie et qu’il dise: «Je crierai vers vous, Seigneur, je vous supplierai, ô
mon Dieu 4 ». Dans le paradis, tu n’auras pas à crier, mais à chanter le
Seigneur; point a gémir, mais à jouer: tu en es chassé, il faut gémir, il faut
crier. Celui qui abandonne l’orgueilleux, revient à l’homme qui, sent sa
misère. « Car Dieu résiste aux superbes et donne la grâce aux humbles 5 ». Je
crierai donc vers vous, ô mon Dieu; Seigneur, «je vous supplierai».
19. Ce qui suit maintenant est propre à Notre
Seigneur, qui est notre pierre fondamentale: « Qu’est-il besoin de verser mon
sang, si je dois m’en aller en pourriture 6? » Quel est l’objet de sa prière?
La résurrection, Si je descends dans la corruption, dit-il, et que ma chair
s’en aille en pourriture comme celle des autres hommes, pour ressusciter au
dernier jour, à quoi bon répandre mon sang? Si ma résurrection ne s’effectue
maintenant, je ne la prêcherai à personne, je ne gagnerai aucun disciple; mais
pour que j’annonce à quelqu’un vos merveilles, vos louanges, la vie éternelle,
il faut que je ressuscite en ma chair et qu’elle ne s’en aille pas en
corruption. Si
1. Gen. III,4, 5.— 2. Ps. XXIX, 8. — 3. Gen.
III, 23.— 4. Id, 9.— 5. Jacques, IV, 6. — 6. Ps. XXIX, 10.
(252)
elle doit s’en aller comme celle des autres
hommes, qu’est-il besoin de verser mon sang? « La poussière vous
confessera-t-elle, ou prêchera-t-elle votre vérité? » Il y a deux confessions,
l’une des péchés, l’autre des louanges. Dans le malheur, nous confessons à Dieu
nos péchés, avec componction; dans la joie, nous chantons avec allégresse la
justice de Dieu: gardons-nous toutefois d’être jamais sans aucune confession.
20. « Le Seigneur m’a écouté et m’a pris en
pitié». De quelle manière? Souvenez-vous de la dédicace du palais. Le Seigneur
a écouté, il a pris en pitié. « Il s’est fait mon protecteur 1 ».
21. Ecoutez maintenant sa résurrection. «Vous
avez changé mon deuil en joie: vous avez déchiré mon sac, pour me faire une
ceinture d’allégresse 2 ». Quel sac? Ma mortalité. Un sac est tissu de poils de
chèvres et de boucs: et chèvres et boucs ont leur place parmi les pécheurs3. Le
Seigneur n’a donc pris parmi nous que le sac, et non le mérite du sac; ce mérite
du sac est le péché, tandis que le sac est la mortalité. Lui donc qui ne
méritait pas la mort, s’est revêtu d’un corps mortel à cause de toi. Celui qui
est pécheur mérite la mort; mais celui qui n’a cornais aucune faute, ne mérite
point le sac. C’est lui qui s’écrie en un autre endroit: « Pour moi, quand ils
me tourmentaient, je me couvrais d’un cilice 3 ». Qu’est-ce à dire: «Je me
revêtais d’un cilice? » J’opposais à mes persécuteurs ce que je tiens du
cilice. Afin que ses persécuteurs le prissent pour un homme, il se dérobait à
leurs yeux; parce qu’ils étaient indignes de voir celui qui s’était revêtu d’un
cilice. Vous avez donc rompu le sac «que je portais pour me faire une ceinture
d’allégresse ».
1.
Ps. XXIX, 11.— 2. Id. 12.— 3. Matt. XXV, 32.— 4. Ps. XXXIV, 3.
22. « Afin que ma gloire vous chante, et que nul aiguillon ne me
meurtrisse ». Ce qui s’est accompli dans le chef s’accomplira aussi dans les
membres. Qu’est-ce à dire: « Que je ne sois point-aiguillonné? » Que je ne
passe plus par la mort. Car Jésus-Christ fut meurtri à la croix, quand il reçut
un coup de lance. Notre chef s’écrie donc: « Que je ne sois plus aiguillonné »,
ou que je ne meure plus. Mais nous, quel est notre langage à l’égard de cette
dédicace du palais? Que la conscience ne nous stimule plus par l’aiguillon du
péché; que tout nous soit pardonné, et alors nous serons libres. « Afin que je
vous chante dans ma gloire », dit le Prophète, et non dans mon humiliation. Si
cette gloire est la nôtre, elle est aussi du Christ, parce que nous sommes le
corps du Christ. Pourquoi? Parce que le Christ même, assis à la droite de Dieu,
doit dire à quelques-uns: « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ». Il
est dans le ciel et il est sur la terre; dans le ciel en lui-même, sur la terre
en nous. Que dit-il donc? « Afin que je vous chante dans ma gloire, et que je
ne redoute plus aucun aiguillon». Ici c’est moi qui gémis dans mon humilité; là
haut, je vous chanterai dans ma gloire. Et enfin: «Seigneur, mon Dieu, je vous
confesserai éternellement ». Qu’est-ce à dire. « Je vous confesserai
éternellement? » Je vous louerai dans l’éternité, car notas avons dit qu’il y a
une confession de louanges et que la confession ne se dit pas seulement des
péchés. Confesse donc aujourd’hui ce que tu as fait contre Dieu, et tu
chanteras ensuite la bonté du Seigneur à ton égard. Qu’as-tu fait? des péchés.
Qu’a fait le Seigneur? Il te pardonne ton iniquité, à condition que tu
confesseras tes fautes, afin que tu chantes ses louanges dans l’éternité, et
que tu ne sois plus aiguillonné par le péché. (253)
Le peuple de Dieu environné des scandales de
l’idolâtrie mettait sa confiance dans le Seigneur. Il en est de même du Christ
dont le psaume est une prophétie, et qui remet son âme entre les mains de son
Père avec l’espoir de la recouvrer bientôt par la résurrection. Le fidèle
aussi, eu butte aux persécutions, doit se confier au Seigneur qui ne
t’abandonnera point.
POUR LA FIN, PSAUME POUR DAVID EN EXTASE (1).
1. Pour la fin, psaume pour David ou pour
notre médiateur, qui a montré dans les persécutions une main puissante. Le mot
d’extase ajouté au titre, marque cette exaltation de l’esprit qui est l’effet
de la frayeur ou d’une révélation. Mais le psaume qui nous occupe, nous montre
principalement cette crainte qu’éprouve le peuple de Dieu en face de la
persécution de tous les païens, et de la foi qui s’affaiblissait sur la terre.
C’est le médiateur qui parle tout d’abord, et ensuite le peuple qu’il a racheté
par l’effusion de son sang lui rend ses actions de grâces, puis à la fin il
parle longuement dans son trouble, ce qui est l’effet de l’extase. Deux fois le
Prophète parle en son propre nom; peu avant la fin, puis à la fin.
2. « J’ai mis en vous mon espoir, Seigneur,
et je ne serai jamais confondu 2 ». Seigneur, mon espérance en vous ne sera
point confondue, tant qu’on n’insultera en moi qu’un homme semblable aux autres
hommes. « Dans votre justice, délivrez-moi et sauvez-moi ». Dans votre justice,
délivrez-moi de l’abîme de la mort, séparez-moi de ceux qu’il engloutit.
3. « Prêtez l’oreille à mes cris 3 ».
Exaucez-moi dans mon humilité, approchez-vous de moi. « Hâtez-vous de me
délivrer ». N’attendez point pour moi comme pour ceux qui croient en moi, la
fin des temps pour me délivrer des pécheurs. « Soyez pour moi un Dieu propice
». Protégez-moi en Dieu. « Soyez pour moi une forteresse et sauvez-moi », comme
un asile sûr où je trouve le salut par la fuite.
4. « C’est vous qui êtes ma force et mon
refuge4 ». Car vous me donnez le courage
1.
Ps. XXX, 1.— 2. Id.2.— 3. Id.3.— 4. Id.4.
pour endurer les persécutions de mes ennemis,
vous êtes l’asile où je puis leur échapper, « Pour la gloire de votre nom, vous
serez mon guide et mon aliment 1 ». Afin de faire connaître votre nom à tous les
peuples, j’accomplirai en tout votre volonté, et en amenant les Saints, vous
compléterez mon corps mystique et lui donnerez sa stature parfaite?
5. « Vous me tirerez du piége qu’ils ont
caché pour moi 2 ». Vous m’arracherez
aux embûches secrètes qu’ils me tendent. «
Parce que c’est vous qui êtes mon protecteur ».
6. « Je remets mon âme entre vos mains3 », Je
confie à votre puissance, cette âme que je recevrai bientôt. « Vous m’avez
racheté, Seigneur, Dieu de vérité ». Que le peuple racheté par les souffrances
de son Dieu, et qui chante la gloire de son chef, s’écrie avec transport: «
Vous m’avez racheté, Seigneur, vous qui êtes le Dieu de vérité ».
7. « Vous haïssez les adorateurs de la vanité
et du néant 4 ». Vous haïssez ceux qui
s’attachent à la fausse félicité de ce monde.
« Mais moi, Seigneur, j’ai mis mon espoir en vous ».
8. « Je me réjouirai, je triompherai dans
votre miséricorde », qui ne me trompe jamais. « Parce que vous rivez regardé
mon humiliation 5 », par laquelle vous m’avez assujetti à la vanité, mais avec
l’espérance. « Vous avez arraché mon âme à l’angoisse s Vous avez délivré mon
âme des tourments de la crainte, afin qu’elle pût vous servir librement dans la
charité. -
9. « Vous ne m’avez point resserré dans les
mains de mes ennemis 6 ». Vous ne m’avez point resserré, de manière à m’ôter
tout moyen d’aspirer après ma délivrance, à m’abandonner
1.
Ps. XXX, 4— 2. Id. 5.— 3. Id, 6.— 4. Id. 7.— 5. Id. 5,— 6. Id. 9.
(254)
pour jamais sous la puissance du démon qui
nous embarrasse dans les convoitises de cette vie, et nous effraie par la mort.
« Vous avez affermi mes pas dans la voie spacieuse ». La résurrection du
Sauveur, que je connais, la mienne qui m’est promise, dégagent mon amour des
étreintes de l’effroi et lui ouvrent la voie spacieuse de la liberté.
10. « Ayez pitié de moi, ô Dieu, parce que je
suis dans l’affliction ». D’où vient chez mes persécuteurs cette cruauté
soudaine qui m’inspire de l’effroi? « Ayez pitié de moi, ô Dieu ». Ce n’est
point la mort qui m’effraie, mais bien les tortures et les douleurs. « La
colère a jeté le trouble dans mes yeux ». Craignant d’être abandonné, je vous
suppliais du regard, et la colère y a jeté le trouble. « Il s’en est de même de
mon âme et de mes entrailles». Cette même colère a aussi troublé non âme et ma
mémoire, qui me rappelait et les douleurs de mon Dieu pour moi, et ses
promesses.
11. « Ma vie a défailli dans la souffrance2
». Ma vie est de confesser votre nom, mais elle a défailli dans la douleur,
quand l’ennemi a dit: Les chrétiens à la torture jusqu’à l’abjuration. « Mes
années s’écoutent dans les gémissements ». On n’abrège point par la mort ces
jours que je dois passer ici-bas, mais on me laisse vivre, et vivre dans les
gémissements. « La disette affaiblit ma vigueur ». Mon corps a besoin de santé,
et on ne lui épargne pas les tourments; j’ai besoin de mourir et on me le
refuse; dans ce double besoin, mon espoir s’affaiblit. « Et mes ossements sont
dans le trouble ». Et le trouble vient ébranler ma constance.
12. « Plus que tous mes ennemis, je suis
devenu un objet d’opprobre 3 ». Tous mes ennemis sont des impies, et néanmoins
ils ne subissent le châtiment de leurs crimes que jusqu’à l’aveu: pour moi, ma
confusion est plus grande, j’avoue ma faute, et au lieu de la mort, je
rencontre la douleur. « Mes voisins y trouvent de l’excès ». C’est là ce qui
paraît excessif à ceux qui s’approchaient de moi pour vous connaître, et pour
embrasser ma foi. « Ceux qui me connaissent en sont dans la stupeur ». La vue
de mes souffrances a frappé d’horreur et de crainte ceux qui me connaissent. o
Ceux qui me voyaient au s dehors s’enfuyaient loin de moi ». Ceux qui
1. Ps. XXX, 10.— 2. Id. II.— 3. Id. 12.
ne comprenaient pas mon espoir intérieur et
invisible, se jetaient dans les joies visibles et superficielles.
13. « Je suis dans l’oubli comme un mort
effacé du coeur 1 ». Ils m’ont oublié comme si j’étais mort dans leur coeur.
«Je suis pour eux comme un vase brisé ». Je me suis cru inutile au service de
Dieu, en vivant ici-bas, sans lui gagner personne, car chacun craignait de
s’attacher à moi.
14. « J’ai entendu le blâme de la multitude
qui m’environnait 2 ». Dans mon pèlerinage ici-bas, j’ai reçu les outrages de
la foule qui m’environnait, qui suivait le cours du siècle, et qui refusait de
retourner avec moi dans la patrie éternelle. « Et comme ils s’assemblaient
contre moi, ils cherchaient les moyens de surprendre mon âme ». Pour amener à
leurs complots mon âme qui pouvait leur échapper par la mort, ils ont formé le
dessein de m’éloigner de la mort.
15. « Mais moi, Seigneur, j’ai mis en vous
mon espoir; j’ai dit: Vous êtes mon Dieu 3 ». Car vous n’êtes point changé et
vous ne châtiez que pour sauver.
16. « Mon sort est entre vos mains 4 ». Mon
sort est en votre puissance. Car je ne vois en moi aucun mérite qui ait fixé
votre choix, pour me séparer de tous les hommes pécheurs. S’il est en vous
quelque dessein juste et caché qui vous ait porté à me choisir, pour moi, je
l’ignore, et c’est le sort qui m’a donné une part dans la robe du Seigneur 5. «
Délivrez-moi des mains de mes ennemis et de mes persécuteurs 6 ».
17. « Projetez sur votre serviteur le reflet
de votre face7 ». Faites connaître à tous les hommes qui ne pensent pas que je
vous appartienne, que votre face est toujours attentive à mon sujet, et que je suis
votre serviteur. « Sauvez-moi dans votre miséricorde ».
18. « Seigneur, que je ne sois point
confondu, parce que c’est vous que j’invoque 8 ».
O Dieu, que je n’aie pas à rougir, devant
ceux qui m’insultent, d’avoir eu recours à vous.
« Quant aux impies, qu’ils rougissent, et
soient conduits aux enfers ». Qu’ils soient
dans la confusion et dans les ténèbres, ceux
qui adorent la pierre.
19. « Silence aux lèvres trompeuses 9 ». En
faisant connaître aux peuples vos sacrements
1.
Ps. XXX, 13. — 2. Id. 14. — 3. Id. 15 — 4. Id. 16. — 5. Jean, XIX, 24. — 6. Ps, XXX,
16. — 7. Id. 17. — 8. Id. 18. — 9. Id 19.
(255)
établis pour moi, imposez silence aux lèvres
qui me calomnient, « qui profèrent l’outrage contre le juste, avec mépris et
dédain ». Qui aboient l’outrage contre le Christ, et qui, dans leur orgueil, ne
voient en lui qu’un méprisable crucifié.
20. « Combien est grande, ô Dieu, votre
douceur ! 1 ». C’est le Prophète qui s’écrie, dans son admiration et à la vue de
si grandes merveilles: « Seigneur, combien est grande cette douceur, que vous
réservez à ceux qui vous craignent ». Vous aimez ceux-là mêmes que vous
châtiez; mais de peur qu’une trop grande sécurité ne les porte au relâchement,
vous leur dérobez la douceur de votre amour, quand il leur est avantageux te
vous craindre. « Mais vous la laissez sentir à ceux qui espèrent en vous ».
Vous en laissez goûter la suavité à ceux qui ont mis en vous leur espoir. Car
vous ne les privez point de ce qu’ils ont espéré jusqu’à la fin avec tant de
persévérance. « En présence des enfants des hommes ». Car les enfants des
hommes, qui ne vivent plus selon le vieil Adam, mais selon le Fils de l’homme,
« que vous cacherez dans le secret de votre face », n’ignorent plus quelle demeure
éternelle vous réservez, dans le secret de votre science, à ceux qui espèrent
en vous. « Loin des hommes perturbateurs ». En sorte que nul homme ne les
vienne troubler.
25. « Vous les mettrez dans votre demeure à
l’abri des contradictions des langues2 ». Mais tant qu’ils seront ici-bas
exposés aux langues fourbes qui leur disent: Qui connaît votre langage, qui est
revenu d’outre-tombe? vous les mettrez à l’abri de cette croyance aux actions
humaines et aux douleurs temporelles du Christ en cette vie.
1. Ps. XXX, 20.— 2. Id. 21.
22. « Béni soit le Seigneur qui a fait
éclater « sa miséricorde dans la ville qui m’environne 1 ». Béni soit le
Seigneur, car après le rude châtiment des persécutions, il a fait éclater sa
miséricorde dans l’univers entier, et à tous les peuples de la terre.
23. « Pour moi, j’ai dit dans mon extases. Ce
peuple reprend la parole et s’écrie: Pour moi, dans ma stupeur, et sous-le
glaive implacable des païens; voilà que je suis repoussé loin de vos regards ».
Car si vous aviez l’oeil sur moi, vous ne me laisseriez pas dans ces douleurs.
« Aussi, avez-vous entendu la voix de ma prière, quand je criais vers vous 2 ».
Alors, Seigneur, vous avez fait trêve au châtiment, et pour montrer que vous
prenez soin de moi, vous avez exaucé la voix de ma prière, qui s’exhalait à
grands cris sous le poids de ma douleur.
24. « Aimez le Seigneur, vous qui êtes ses
saints». Dans l’admiration de ce qu’il voit,
le Prophète invite encore les hommes à louer
Dieu. « Aimez le Seigneur », dit-il, « ô vous qui êtes ses saints, parce que le
Seigneur cherche la vérité 3. Et si le juste à peine est sauvé, où se cacheront
le pécheur et l’impie 4? Aux superbes il rendra largement leurs dédains». Il
aura des châtiments sévères pour ceux qui ne cèdent point aux convictions de la
vérité, retenus qu’ils sont par un orgueil excessif.
25. « Fortifiez-vous, affermissez vos cœurs 5
». Ne cessez de faire le bien, afin de récolter au temps de la moisson. « O
vous, qui espérez dans le Seigneur ». C’est-à-dire, espérez dans le Seigneur,
vous qui le craignez et le servez dignement.
1.
Ps. XXX,22. — 2. Id.23. —3. Id.24. — 4. I Pierre, IV,18. — 5. Ps. XXX, 25.
(256)
Dans ce premier sermon, qui embrasse environ
le tiers du psaume, et qui dut être prêché quelques jours après la fête des
saints Apôtres, saint Augustin nous montre quelle est l’unité du Christ et de
l’Eglise, la même qu’entre ta tête et les membres du corps humain, il bénit
Dieu et s’étend quelque peu sur les tentations et les nécessités de cette vie.
1. Pénétrons, autant qu’il nous sera
possible, dans les mystères du psaume que nous venons de chanter, afin d’en
tirer un discours qui tombe dans vos oreilles pour se graver dans vos coeurs.
En voici le titre: « Pour la fin, psaume pour David, dans son extase 1». Nous
savons ce que signifie « pour la fin u, si nous connaissons le Christ. Puisque
l’Apôtre a dit: «Le Christ est la fin de la loi pour justifier ceux qui
croiront 2 », ce n’est point une fin qui anéantit, mais une fin qui
perfectionne; car on emploie le mot fin en deux sens: ou quand il s’agit
d’exprimer l’anéantissement de ce qui était, ou quand il faut préciser
l’achèvement de ce qui était commencé. Donc, « pour la fin », signifie pour le
Christ.
2. « Psaume pour David: extase ». Le mot grec
extase, autant qu’on peut le traduire en latin, se dit en un seul mot,
transport; et le transport de l’esprit s’appelle ordinairement extase. Mais par
transport de l’esprit on peut entendre deux choses, ou la crainte excessive, ou
cette application aux choses du ciel qui nous lait oublier toutes les choses
terrestres. Telle fut l’extase des saints à qui Dieu révéla des secrets bien
supérieurs au monde terrestre. Tel fut le ravissement d’esprit, c’est-à-dire
l’extase, dont saint Paul nous dit en parlant de lui: « Si nous sommes hors de
nous-mêmes, c’est pour Dieu. Si nous devenons s plus calmes, c’est pour nous;
parce que d’amour de Jésus-Christ nous presse 3 ». C’est dire: Si nous voulions
conformer nos actes et arrêter notre contemplation exclusivement aux choses qui
nous sont révélées dans nos ravissements, nous ne serions plus avec vous, mais
nous serions dans les choses du ciel, ayant pour vous une sorte de mépris.
Comment pourriez-vous, d’un pas faible, nous
1.Ps. XXX, 1. — 2. Rom. X, 4. — 3. II Cor. V,
13.
suivre dans ces régions célestes et
intérieures, si d’une part la charité de Jésus-Christ ne vous pressait, « lui
qui ayant la nature de Dieu, n’a pas cru que ce fût pour lui une usurpation de
s’égaler à Dieu, mais qui s’est anéanti, prenant la forme d’un esclave 1»; si
d’autre part nous ne considérions que nous sommes vos serviteurs, et que, pour
n’être point ingrats envers celui qui nous a élevés à de plus hautes faveurs,
loin de dédaigner ceux qu’il a moins favorisés, nous devons, pour le salut des
faibles, nous abaisser au niveau de ceux qui ne peuvent avec nous contempler ce
qu’il y a de sublime? « Si donc nous sommes ravis en esprit», dit l’Apôtre, «
c’est vers Dieu ». Car il voit ce que nous voyons dans l’extase, lui seul nous
révèle ses secrets. Celui qui nous parle ainsi, dit encore qu’il fut ravi et
élevé jusqu’au troisième ciel, et qu’il entendit des paroles mystérieuses qu’il
n’est pas donné à l’homme de redire. Tel fut ce ravissement d’esprit, qu’il
ajoute: « Si ce fut avec son corps ou sans son corps, je ne le sais point; Dieu
le sait 2 ». Si donc tel est le ravissement, si telle est l’extase que nous
marque le titre du psaume, nous devons attendre de grandes révélations de la
part de celui qui l’a chanté, c’est-à-dire du Prophète, et de l’Esprit-Saint
par l’organe du Prophète.
3. Si l’extase ici doit se prendre pour
l’effroi, le texte du psaume ne contredira point cette autre signification. Car
il semble que le Prophète va parler de la souffrance qui s’allie avec la
crainte. Mais de qui cette frayeur? Est-ce de Jésus-Christ? car le psaume porte
« pour la fin o, et par cette fin nous entendons le Christ. Cette frayeur
serait-elle notre frayeur? Car nous est-il possible de l’attribuer au Christ
aux approches de la passion,
1. Philipp. II, 6. — 2.II Cor. XII, 2.
(257)
puisqu’il était venu pour souffrir; et
pouvait-il craindre en voyant arriver cette mort qu’il était venu chercher?
S’il n’y avait en lui qu’un homme, et nullement un Dieu, sa résurrection ne lui
causerait-elle pas plus de joie que sa mort ne lui cause de crainte? Toutefois,
comme il a daigné prendre la forme de l’esclave, et par ce moyen nous revêtir
de lui, voilà que celui qui n’a pas dédaigné de se revêtir de nous pour nous
transfigurer en lui, voudra bien aussi prendre notre langage, afin que nous
puissions nous approprier ses paroles. Tel est l’ineffable commerce, l’échange
merveilleux, la révolution divine opérée dans ce monde par le céleste
négociateur. Il vient recueillir les outrages et nous combler d’honneurs; il
vient se rassasier de douleurs, et nous donner le salut; il vient passer par la
mort, et nous donner la vie. Sur le point de mourir dans ce qu’il tient de
notre nature, il fut saisi de frayeur, non pas en lui, mais dans ce qui est de
nous; car il dit alors que son âme était triste jusqu’à la mort 1, et nous tous
alors nous étions en lui. Sans lui, en effet, nous ne sommes rien; en lui il y
a le Christ et nous avec lui. Pourquoi? Parce que dans son intégrité, le Christ
comprend sa tête et son corps. C’est la tête qui est le Sauveur, qui a racheté
le corps, et qui est déjà remonté au ciel: le corps est cette Eglise qui
souffre sur la terre2. Mais si le corps ne tenait à la tête par les liens de la
charité, de manière que tête et corps ne formassent qu’un seul homme, il
n’aurait pu faire ce reproche à un fameux persécuteur: « Saul, Saul, pourquoi
me persécuter 3 » Car alors il était assis dans le ciel, où nul homme ne peut
l’atteindre; et comment les persécutions de Saul contre les chrétiens pouvaient-elles
l’offenser? Il ne dit point: Pourquoi persécuter mes saints, mes serviteurs;
mais bien: « Pourquoi me persécuter? » c’est-à-dire moi, dans mes membres. La
tête criait pour les membres, le chef transfigurait ces membres en lui-même. La
langue en effet parle au nom du pied. Que notre pied soit meurtri dans une
foule, la langue s’écrie aussitôt: Vous marchez sur moi. Elle ne dit point:
Vous écrasez mon pied, mais elle se plaint qu’on l’écrase quand nul ne la
touche, parce qu’elle n’est point séparée du pied qui souffre. On peut donc,
dans un sens analogue, appeler cette extase une frayeur.
1.
Matt. XXVI, 38. — 2. Eph. V, 23.— 3. Act. IX, 4.
Qu’ajouterai-je, mes frères? Si nulle crainte
ne devait agiter ceux qui vont souffrir, le Seigneur dirait-il à Pierre, en lui
annonçant les souffrances qui l’attendent, ces paroles que nous venons
d’entendre à la fête des Apôtres: « Lorsque vous étiez plus jeune, vous mettiez
vous-même votre ceinture, et vous alliez où vous vouliez, mais quand vous aurez
vieilli, un autre vous ceindra et vous mènera où vous ne voudrez pas ». Or, il
parlait ainsi, dit l’Evangéliste, marquant de quelle manière il devait mourir
1. Si donc l’apôtre saint Pierre, cet homme si parfait, alla contre son gré où
il ne voulait point aller, il mourut contre son gré, mais reçut de sou plein
gré la couronne du martyre, qu’y a-t~il d’étonnant, si le trépas des justes et
même des saints n’est pas exempt de toute crainte? La crainte nous vient de
l’infirmité humaine, mais l’espérance vient de la promesse divine, Ta frayeur,
ô homme, vient de toi, mais l’espérance est un don qui te vient de Dieu. Il est
bon que ta frayeur te fasse connaître à toi-même, afin qu’à ta délivrance tu
rendes gloire à ton Créateur. Que l’homme tremble, puisqu’il est faible, mais
cette crainte n’est pas un abandon de la divine miséricorde. C’est à cause de
la crainte que le Prophète commence notre psaume, en s’écriant: « Seigneur,
j’ai mis en vous mon espoir, et je ne serai point confondu 2». Voyez, il craint
et il espère; sa crainte, vous le voyez, n’est point sans espérance. Le trouble
que ressent parfois notre coeur, n’en éloigne pas toute consolation divine.
4. C’est donc le Christ qui parle ici par son
Prophète; oui, j’ose le dire, c’est le Christ. Il dira dans le cours du psaume
de ces chose qui paraissent peu convenir au Christ, à notre chef par
excellence, et surtout à ce Verbe qui était Dieu au commencement, et en Dieu;
souvent encore il y aura des paroles qui paraîtront peu d’accord avec Celui qui
a pris la forme de l’esclave, et qui l’a prise au sein d’une vierge: et
néanmoins c’est le Christ qui va parler, parce que le Christ est dans les
membres du Christ. Et afin que vous compreniez que la tête et le corps ne
forment qu’un seul Christ, lui-même nous dit en parlant du mariage: « Ils
seront deux dans une seule chair; donc ils ne seront plus deux, mais une seule
chair. » Mais parle-t-il de
1. Jean, XXI, 18. — 2. Ps. XXX, 2.
(258)
tout mariage? Ecoutez l’apôtre saint Paul: «
Ils seront deux dans une même chair », est-il dit. « Ce sacrement est grand; je
dis dans le Christ et dans l’Eglise 1 ». Ainsi la tête et le corps, de même que
l’époux et l’épouse, seront deux et ne formeront en quelque sorte qu’une même
personne. C’est encore cette unité de personnes, unité par excellence, que nous
marque le prophète Isaïe, car le Christ prophétisant par sa bouche, disait: «
Il m’a séparé d’une couronne comme un jeune époux, il m’a donné la robe de
l’épouse 2 ». C’est lui qui se donne en même temps pour l’époux et pour
l’épouse; or, pourquoi s’appeler l’époux et l’épouse, sinon parce qu’ils seront
deux dans une même chair? Et si deux n’ont qu’une même chair, pourquoi deux
n’auraient-ils pas une seule et même voix? Que Jésus-Christ parle donc, puisque
l’Eglise parle en Jésus-Christ, et Jésus-Christ en l’Eglise; puisque le corps
tient à la tête, et la tête au corps. Ecoutez l’Apôtre, qui nous explique ce
mystère plus clairement: « De même que notre corps, qui est un, a néanmoins
plusieurs membres, et que tous ces s membres du corps, bien que nombreux, ne e
sont néanmoins qu’un seul corps, ainsi en est-il du Christ 3 ». En parlant des
membres du Christ, ou des fidèles, il ne dit pas: Ainsi en est-il des membres
du Christ; mais il donne le nom de Christ à tout ce qu’il vient d’énumérer. Comme
le corps est unique, et a néanmoins plusieurs membres; mais tous les membres du
corps, quoique nombreux, ne forment qu’un même corps: ainsi le Christ est
multiple dans ses membres, unique dans son corps. Nous sommes donc tous
ensemble en Jésus-Christ notre chef, et sans ce chef nous n’avons aucune
valeur. Pourquoi? Unis à notre chef, nous sommes la vigne; mais séparés du
chef, ce qu’à Dieu ne plaise, nous ne sommes plus que des sarments retranchés,
inutiles à tout usage pour les vignerons, et seulement destinés au feu. Aussi
lui-même dit-il dans l’Evangile: « Je suis la vigne, et vous sen êtes les
branches, mon Père est le vigneron »; et encore: « Sans moi, vous ne pouvez
rien faire 4 ». Seigneur, si nous ne pouvons rien faire sans vous, nous pouvons
tout avec vous. Car tout ce qu’il fait par nous, c’est nous qui paraissons le
faire. Il peut
1. Matt. XIX, 5,6; Eph. V, 31,32.— 2. Isa.
LXI, 10.— 3. I Cor. XII, 12. — 4. Jean, XV, 5.
beaucoup, il peut tout sans nous, et nous,
rien sans lui.
5. Donc, mes frères, que l’on prenne l’extase
pour une frayeur ou pour un ravissement d’esprit, toutes les paroles du psaume
conviennent au Christ. Chantons-le donc, dans le corps du Christ, chantons-le
tous comme n’étant qu’un seul homme, parce que tous nous formons en lui
l’unité, et disons: « C’est en vous, Seigneur, que j’ai mis mon espoir, et je
ne serai point couvert d’une éternelle confusion ». Je crains par-dessus tout
cette confusion qui dure pendant l’éternité; il y a en effet une confusion passagère
qui est utile, alors que l’âme se trouble à la vue de ses péchés, que cette vue
lui fait horreur, que cette horreur la fait rougir de honte, et que cette honte
la porte à se corriger. C’est pourquoi saint Paul a dit: « Quelle gloire
tirez-vous alors de ces désordres qui vous font rougir aujourd’hui 1? » C’est
dire que ces fidèles rougissent, non pas des faveurs actuelles, mais des fautes
passées. Loin de nous, chrétiens, de craindre cette confusion; et même si on ne
l’a point ici-bas, on l’aura dans l’éternité. Et cette confusion éternelle
arrivera quand s’accomplira cet oracle: « Leurs iniquités s’élèveront contre
eux pour les accusent 2 ». Et quand leurs iniquités les accuseront, le troupeau
des réprouvés sera jeté à la gauche, comme des boucs séparés des brebis, et ils
entendront: « Allez au feu éternel préparé à Satan et à ses anges ». Pourquoi?
demanderont-ils. « C’est que j’ai eu faim, et vous ne m’avez point donné à
manger 3 ». Ils dédaignaient, ici-bas, de donner un morceau de pain au Christ
qui avait faim, de lui donner à boire quand il avait soif, de le couvrir quand
il était nu ils dédaignaient de recevoir l’étranger, de visiter le malade; ils
dédaignaient, et quand ils entendront ces reproches, ils seront couverts de
confusion, et cette confusion sera éternelle. C’est là ce que redoute celui qui
parle ici dans la frayeur ou dans le ravissement de son esprit, et qui s’écrie:
« Seigneur, j’ai mis en vous mon espoir, et ma confusion ne sera point
éternelle ».
6. « Délivrez-moi, sauvez-moi dans votre
justice 4 ». Si vous n’avez égard qu’à ma
justice, vous me condamnerez. « Mais
délivrez-moi dans votre justice ». Il y a, en effet,
1. Rom. VI, 21.— 2. Sag. IV, 20.— 3. Matt.
XXV, 41.— 4. Ps. XXX, 2.
(259)
une justice de Dieu, qui devient aussi la
nôtre, par le don que Dieu nous en fait. Mais elle est appelée justice de Dieu,
de peur que l’homme ne vienne à croire qu’il a cette justice par lui-même. Car
voici les paroles de saint Paul: « La foi est imputée à justice, à l’homme qui
croit en celui qui justifie l’impie 1 ». Qu’est-ce que justifier l’impie? C’est
le rendre juste d’impie qu’il était. Or, les Juifs ont cru pouvoir accomplir la
justice par leurs propres forces, et ils ont heurté contre la pierre
d’achoppement et la pierre de scandale 2, et n’ont point connu la grâce du
Christ. ils ont reçu la loi qui les a rendus coupables, mais non délivrés de
leurs fautes. Que dit encore le même Apôtre à ce sujet? « Je leur rends ce
témoignage qu’ils ont du zèle pour Dieu, mais non point selon la science 3 ». Qu’est-ce
à dire que le zèle des Juifs n’est point selon la science? Ecoute, pourquoi
n’est-il point selon la science? « Car ne connaissant point la justice de Dieu,
mais s’efforçant d’établir leur propre justice, ils ne se sont point soumis à
la justice de Dieu 4». Si donc leur zèle n’est point selon la science, parce
qu’ils ignorent la justice qui vient de Dieu, et qu’ils s’efforcent d’établir
leur propre justice, comme s’ils pouvaient devenir justes par eux-mêmes, dès
lors ils n’ont point connu la grâce de Dieu, et n’ont pas voulu du salut
gratuit. Qui donc est sauvé gratuitement? C’est celui en qui le Sauveur ne
trouve rien à couronner, mais seulement à damner, rien qui mérite la faveur,
tout ce qui mérite le supplice. S’il agit dans la rigueur de la loi qu’il a
posée, il doit damner le pécheur. Mais, d’après cette loi, qui délivrerait-il?
Car il trouve des péchés dans tous les hommes. Lui seul est sans péché, qui
nous trouve tous pécheurs. Voilà ce que dit l’Apôtre: « Tous ont péché, tous
ont besoin de la gloire de Dieu 5 ». Qu’est-ce à dire, qu’ils ont besoin de la
gloire de Dieu? Besoin d’être délivrés par Dieu et non par toi. Impuissant à te
délivrer toi-même, tu as besoin d’un libérateur. De quoi te glorifier encore?
Pourquoi tirer vanité de la loi et de la justice? Ne vois-tu pas, en toi-même,
ce qui se sert de toi pour te combattre? N’entendras-tu point ce noble athlète
avouant sa faiblesse et demandant du secours dans la lutte? N’entendras-tu
point l’athlète du Seigneur
1. Rom. IV, 5. — 2. Id. XI, 32. — 3. Id. X,
2. — 4. Id. 3. — 5. Id. 23.
qui, dans sa lutte, implore l’assistance de
celui qui préside aux combats? Car il n’en est pas du Seigneur qui te voit
combattre, comme de celui qui donne des spectacles, si tu combats dans
l’amphithéâtre. Celui~ci pourra bien te décerner des prix, situ es vainqueur,
mais il ne peut te secourir dans le danger. Ce n’est point ainsi que Dieu te
regarde. Vois donc avec attention celui qui dit: « Selon l’homme intérieur, je
fais mes délices de la loi de Dieu, mais je sens dans mes membres une autre loi
qui combat contre la loi de l’esprit, et me tient captif sous la loi du péché
qui est dans mes membres. Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce
corps de mort? La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre Seigneur 1 ». Pourquoi
est-ce une grâce? Parce qu’elle est donnée gratuite. ment. Comment est-elle
donnée gratuite. ment? Parce que les mérites ne l’ont point précédée, et que la
bonté de Dieu t’a prévenu. A lui donc la gloire de notre délivrance? « Tous ont
péché, et ont besoin de la gloire de Dieu. C’est en vous, Seigneur, que j’ai
placé mon espérance», et non point en moi: « ma confusion ne sera pas éternelle
»; parce que j’espère en celui qui ne confond point notre attente. «
Délivrez-moi dans votre justice, et sauvez-moi ». Puisque vous ne trouvez en
moi aucune justice, délivrez-moi par la vôtre; c’est-à-dire, que je sois
délivré par cette même cause qui me justifie, qui d’impie me rend à la piété,
de méchant me fait juste, d’aveugle me rend à la lumière, qui me relève de mes
chutes, et change mes larmes eu joie. Voilà ce qui me délivre, et non point
moi-même. « Sauvez-moi dans votre justice, et délivrez-moi ».
7. « Inclinez vers moi votre oreille 2
».C’est là ce qu’a fait le Seigneur quand il nous envoyé son Christ. Il nous a
envoyé celui qui baissait la tête pour écrire du doigt sur lu terre, quand on
lui présenta une femme adultère à condamner 3. Mais lui s’était baissé vomi la
terre, ou plutôt Dieu s’était abaissé jusqu’à l’homme, à qui il a été dit: « Tu
es terre, et tu retourneras en terre 4 », Car ce n’est point d’une manière
corporelle que Dieu incline vers nous son oreille, et il n’est point
circonscrit dans les membres d’un corps. Loin de nos pensées tout fantôme
humain, Dieu est
1. Rom. VII, 22-25. — 2.Ps. XXX, 3. — 3.
Jean, VIII, 6. — 4. Gen. III, 19.
(260)
vérité. La vérité n’a point une forme
anguleuse, ou sphérique, ou oblongue. Elle est présente partout où les yeux du
coeur s’ouvrent pour la regarder. Or, Dieu incline son oreille vers nous, quand
il fait descendre sur nous sa miséricorde. Mais est-il un plus grand acte de
miséricorde que de nous donner son Fils unique, non pas afin qu’il vive avec
nous, mais afin qu’il meure pour nous? « Inclinez vers moi votre oreille ».
8. « Hâtez-vous de me délivrer (Ps, XXX, 3) ». Dieu l’a déjà exaucé
quand il dit: « Hâtez-vous ». Ce mot doit nous faire comprendre que cette durée
accordée à l’écoulement successif des siècles et qui nous paraît longue, n’est
qu’un instant. Une durée n’est point longue, si elle doit finir. Depuis Adam
jusqu’à nos jours, bien du temps s’est écoulé; beaucoup plus assurément qu’il
n’en reste à écouler. Si Adam vivait encore, pour mourir actuellement, de quoi
lui servirait d’exister encore, et d’avoir tant vécu? Pourquoi donc cette promptitude:
« Hâtez-vous?» C’est que le temps s’envole, et ce qui vous paraît long, est
court aux yeux de Dieu. Cette rapidité, le Prophète l’avait comprise dans son
extase, et il s’écriait: « Hâtez-vous de me secourir. Soyez pour moi un Dieu
protecteur, soyez mon asile et sauvez-moi. » Soyez pour moi une retraite
assurée,soyez mon Dieu protecteur, soyez- mon lieu de refuge. Souvent je me
trouve dans le péril, je cherche à fuir; mais où fuir? Dans quel asile serai-je
en sûreté? Dans quelle montagne? Dans quelle caverne? Dans quelle enceinte
fortifiée? Dans quels remparts? Quelle citadelle m’abritera? Osais boulevards
pourront m’environner? Partout où je vais, je me retrouve. O homme ! la fuite
peut te dérober à tout ce que tu voudras, excepté à ta conscience. Entre dans
ta maison pour reposer sur ta couche, rentre dans ton coeur, tu n’y trouveras
aucun abri entre les poursuites de ta conscience, contre les remords de ton
péché. Mais le Prophète s‘écrie: Hâtez-vous de me secourir, délivre-moi dans
votre justice, afin de me pardonner mes fautes, et d’établir en moi votre
justice. Vous serez pour moi un asile, c’est en vous que je veux me réfugier.
Car où puis-je aller pour vous fuir? Dieu te poursuit dans sa colère, où
trouver un asile? Ecoute ce que dit ailleurs le Prophète qui craint sa colère
«Où irai-je devant votre esprit? où fuir devant votre face? Si je monte au
ciel, vous y êtes; si je descends dans les enfers, vous voilà 1». En quelque
lieu que je puisse aller, je vous rencontre. Si vous êtes irrité contre moi, je
vous y trouve pour me châtier, et pour m’assister, si vous m’êtes favorable.
Toute ma ressource est donc de m’enfuir vers vous, et non loin de vous. Pour
échapper à un maître dont tu es l’esclave, tu cherches un asile dans ces lieux
où il n’est plus maître. Pour échapper au Seigneur, cherche un asile en Dieu,
car tu ne peux te dérober à Dieu. Tout est présent, tout est à découvert aux
yeux du Tout-Puissant. C’est donc vous, ô Dieu, qui serez mois refuge, dit le
Prophète. Mais si je ne suis guéri, comment fuir? Guérissez-moi donc, et je
courrai vers vous. Car si vous ne me guérissez, je ne puis marcher, et comment
fuir? Où peut aller, où pourrait fuir cet homme, laissé à demi mort sur le
grand chemin, couvert de blessures par les voleurs, et qui ne peut marcher? Cet
homme négligé par le prêtre qui passe outre, négligé par le lévite qui passe
outre, et que prend en pitié le Samaritain qui vient à passer 2, ou plutôt le
Seigneur qui a pitié du genre humain. Samaritain signifie gardien. Mais qui
nous gardera, si le Seigneur nous abandonne? C’est donc avec raison que dans
ces paroles outrageantes des Juifs à Jésus-Christ: « N’avons-nous pas raison de
dire que vous êtes « un Samaritain et un possédé du démon 3?» le Sauveur
repousse un outrage et accepte l’autre: « Pour moi », dit-il, « je ne suis
point possédé du démon ». Il ne dit point: Je ne suis pas un Samaritain,
voulant nous faire entendre qu’il est notre gardien. Il a donc pris en pitié ce
malheureux, s’en est approché, a bandé ses plaies, l’a conduit à l’hôtellerie,
accomplissant envers lui les devoirs de la miséricorde; déjà cet homme peut
marcher et même fuir. Mais où fuir, sinon vers le Seigneur qu’il a choisi pour
son asile?
9. « C’est vous qui êtes ma force et mon
refuge, et à cause de votre nom, vous serez mon guide et mon aliment 4 ». Ce
n’est point à cause de mes mérites, « mais à cause de votre nom »; pour faire
éclater votre gloire, et non parce que j’en suis digne. « Vous serez mon guide
», afin que je ne m’égare pas loin de vous. « Vous serez mon aliment »,
1. Ps. XXXVIII, 7,8.— 2. Luc. X, 30.— 3.
Jean, VIII, 48.— 4. Ps. XXX, 4.
(261)
afin que je devienne assez fort pour prendre
la nourriture des anges. Car celui qui nous a promis la céleste nourriture,
nous donne ici- bas du lait, dans sa tendresse maternelle. Comme la nourrice
fait passer par sa chair cette nourriture que son enfant trop jeune est
incapable de prendre encore, et la lui donné avec son lait (car l’enfant ne
reçoit de sa mère, et par le canal de la chair, que la nourriture qu’il aurait
prise à table), ainsi le Seigneur, pour faire passer en nous sa sagesse comme
un lait divin, se présente à nous, revêtu de chair humaine. C’est donc le corps
de Jésus-Christ, qui dit ici: « Vous serez mon aliment».
10. «Vous me délivrerez du piége qu’ils m’ont
tendu en secret 1 ». Voici la passion qui commence à paraître. « Vous me
délivrerez du piége qu’ils m’ont tendu en secret ». Non seulement cette passion
qu’a dû endurer le Seigneur Jésus; mais les piéges du démon sont tendus jusqu’à
la fin du monde; et malheur à qui se laisse prendre à ces piéges, et tout homme
y tombe, s’il ne met son espoir en Dieu, s’il ne dit: « C’est en vous que
j’espère, ô mon Dieu, et je ne tomberai point dans la confusion éternelle:
sauvez-moi dans votre justice et délivrez-moi 2 ». L’embûche de l’ennemi est
tendue, elle est prête. Il a mis dans cette embûche l’erreur et la crainte
l’erreur pour nous enlacer, la crainte pour nous briser, et nous enlever. Pour
toi, ferme à l’erreur la porte des convoitises, ferme à la terreur la porte de
la timidité, et tu échapperas aux piéges. Celui qui est ton chef, t’a enseigné
par lui-même cette manière de combattre, lui qui a voulu, pour t’instruire,
être en butte à la tentation. Il fut tenté d’abord par la convoitise, car le
diable essaya d’ouvrir chez lui la porte des désirs, quand il lui dit: «
Commandez que ces pierres deviennent des pains. Adorez-moi, et je vous donnerai
tous ces royaumes. Jetez-vous en bas, car il est écrit: Il a ordonné à ses
anges de vous prendre dans leurs mains, de peur que vous ne heurtiez votre pied
contre la pierre 3 ». Tous ces attraits sont les amorces de la convoitise. Mais
quand il vit se fermer les portes de la convoitise en celui qui souffrait
d’être tenté pour nous, il fit des essais contre la porte de la crainte, et lui
prépara la passion. C’est ce que nous dit l’Evangéliste: « Après avoir
1. Ps. XXX, 5.— 2. Id. 2. — 3. Matt. IV, 4,
9, 6.
épuisé toutes les tentations, Satan s’éloigna
de lui pour un temps 1 ». Qu’est-ce à dire:
Pour un temps? Qu’il devait revenir ensuite
et diriger ses efforts du côté de la crainte, puisqu’il avait échoué sur le
terrain des convoitises. Tout ce corps du Christ sera dont tenté jusqu’à la
fin. Aussi, mes frères, quand on lançait contre les chrétiens je ne sais quels édits
de persécution, c’est ce corps du Christ, et ce corps tout entier qui était
heurté; delà ce mot du Psalmiste: «On m’a poussé comme un monceau de sable,
pour me faire tomber, et le Seigneur m’a soutenu 2 ». Mais quand finirent les
maux qui heurtaient le corps entier de l’Eglise, pour le pousser à sa chute, la
tentation devint partielle. Le corps du Christ est mis à l’épreuve; s’il ne
souffre pas dans une Eglise, il souffre dans une autre. Elle n’a plus à
craindre la fureur d’un empereur, mais elle-endure les vexations d’un peuple
méchant, Quels ravages lui fait subir la populace! Quels maux n’endure-t-elle
point de la part de ces chrétiens, de ceux qui sont embarrassés dans les filets
de Satan, et qui se multiplient tellement, qu’ils submergent les barques dans
cette pêche du Sauveur qui précéda la passion 3! Les épreuves nie lui manquent
point dès lors. Que nul ne se dise: Ce n’est plus le temps des persécutions.
Celui qui tient cm langage se promet la paix; et quiconque se promet la paix,
est surpris dans sa sécurité. Que le corps entier de Jésus-Christ s’écrie donc:
« Vous me délivrerez de ces embûches qu’ils m’ont tendues en secret »; car
notre chef-a été délivré du piége que lui tendaient en secret ceux dont
l’Evangile nous annonçait naguère qu’ils diraient un jour: «Voici l’héritier,
venez, tuons-le, et nous posséderons l’héritage », et qui prononcèrent leur
condamnation, quand il leur fut demandé: « Quel châtiment doit infliger le
maître à ces colons pervers? Il fera périr ces méchants d’une manière misérable
», répondirent-ils, « et louera sa vigne à d’autres vignerons. Quoi ! » reprit
le Sauveur, « n’avez-vous pas lu aussi: La pierre qu’ont rejetée ceux qui
bâtissaient est devenue la pierre de l’angle 4 »? » Il nous explique ainsi que
« rejeter la pierre, pour ceux qui bâtissaient », c’était « chasser l’héritier
hors de la vigne, et le tuer ». Lui donc a été
1. Luc, IV, 13.— 2. Ps. CXVII, 13.— 3. Luc,
V, 7.— 4. Matt. XXI, 38-42.
(262)
sauvé. Notre chef est en haut; il est libre,
Attachons-nous à lui par l’amour, afin d’y être plus inséparablement unis par
l’immortalité, et disons tous: « Vous me délivrerez de ces piéges qu’ils m’ont
tendus en secret, parce que vous êtes mon protecteur 1 ».
11. Mais écoutons la parole que le Seigneur
prononça sur la croix: « Je remets mon âme entre vos mains 2 ». Quand nus
voyons dans I’Evangile que Jésus-Christ répète ces paroles du psaume, ne
doutons plus que ce soit lui qui parle ici. Tu lis dans l’Evangile que le
Christ a dit: « Je remets mon âme entre vos mains; et baissant la tête, il
rendit l’esprit 3». Son dessein, en répétant ces paroles, a été de t’apprendre
que c’est lui qui parle dans ce psaume. C’est donc lui qu’il faut y chercher:
souviens-toi qu’il a voulu qu’on le cherchât aussi dans cet autre psaume, pour
le secours du matin: « Ils ont percé mes mains et mes pieds: ils ont compté mes
os, ils m’ont regardé, ils m’ont considéré attentivement, ils se sont partagé
mes vêtements, et ont tiré ma robe au sort 4 ». Et pour t’apprendre que c’est
en lui que tout cela s’est accompli, il récita le commencement du psaume: «O
Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous délaissé 5? » Et toutefois c’était au nom
de ses membres qu’il parlait ainsi, car jamais le Père n’abandonna son fils
unique. « Vous m’avez racheté, Seigneur, Dieu de vérité ». Vous êtes le Dieu de
vérité, car vous faites ce que vous avez promis, et nulle de vos promesses
n’est sans effet.
12. « Vous haïssez ceux qui s’attachent
inutilement à la vanité ». Qui s’attache à la vanité? Celui qui meurt par la
crainte de la mort. La crainte de la mort le fait mentir, et il meurt avant
même de mourir, lui qui ne mentait qu’afin de vivre. Tu mens, pour ne pas
mourir, et alors tu as le mensonge et la mort: en voulant te dérober à une mort
que tu peux différer un peu, mais non éviter, tu encours une double mort, celle
de l’âme, et ensuite celle du corps. D’où vient ce malheur, sinon de ton
attachement aux vanités? C’est que ce jour qui fuit a de l’attrait pour toi, tu
fais tes délices du temps qui s’envole, dont tu ne peux rien retenir, qui au
contraire t’emporte avec lui. « Vous haïssez ceux qui s’attachent sans profit à
la vanité. » Pour moi, qui n’aime
1. Ps. XXX, 5.— 2. Id. 6.— 3. Luc, XXIII, 46;
Jean, XIX, 30.— 4. Ps. XI, 17-19. — 5. Id. 2.
point la vanité, je mets en Dieu mon espoir.
Tu espères dans ton argent, c’est t’éprendre de la vanité; tu espères dans les
honneurs, dans le faste de la grandeur humaine, c’est t’éprendre de la vanité;
tu espères dans quelque ami puissant, c’est t’éprendre de la vanité. Quand tu
as unis ton espoir en tout cela, ou bien tu l’abandonnes par la mort; ou, si tu
vis, tout vient à périr, et ton espoir est trompé. C’est de cette vanité, que
le Prophète lsaïe disait: « Toute chair n’est que de l’herbe, et toute sa
gloire n’est que la fleur d’une herbe: l’herbe se dessèche et la fleur tombe,
mais la parole du Seigneur demeure éternellement 1 ». Pour moi, loin d’imiter
ceux qui espèrent dans la vanité, s’attachent à la vanité, j’ai mis mon espoir
en Dieu qui n’est point la vanité.
13. « Je me réjouirai, je triompherai dans
votre miséricorde », et non dans ma propre justice. « Car vous avez regardé ma
bassesse, vous avez arraché mon âme aux vicissitudes, et vous ne m’avez point
resserré entre les mains de mes ennemis 2 ». Quelles sont ces vicissitudes dont
nous voulons que notre âme soit délivrée? qui pourra les énumérer? qui en dira
l’étendue? qui surtout nous dira combien elles sont à fuir, à éviter? Une
première peine, et peine cruelle parmi les hommes, c’est de ne point connaître
le coeur du prochain, de soupçonner presque toujours les sentiments d’un ami
fidèle, et d’avoir presque toujours bonne opinion d’un ami infidèle. Déplorable
nécessité ! Que fais-tu pour voir dans les coeurs? de quel regard les
verras-tu, homme faible et misérable? Que fais-tu pour voir aujourd’hui le
coeur de ton frère? Tu n’as rien à faire. Mais une misère plus déplorable
encore, c’est que tu ne sois pas ce que ton coeur sera demain. Que dirai-je des
autres misères de notre nature? Il nous faut mourir, et nul ne veut mourir. Nul
ne veut ce qui doit lui arriver de gré ou de force. Déplorable condition, de
rejeter ce que l’on ne saurait éviter. Car si nous le pouvions, nous ne
consentirions jamais à mourir: nous souhaiterions de devenir comme les anges,
mais par un certain changement, et non en passant par la mort, comme l’a dit
l’Apôtre: « Dieu nous donnera une autre maison, Une maison qui ne sera point
faite par la main des hommes, une maison éternelle dans le ciel. C’est pourquoi
1. Isa. XI, 6. — 2. Ps. XXX, 8.
(263)
nous gémissons, désirant être revêtus de la
gloire de cette maison céleste comme d’un second vêtement. Si toutefois nous
sommes trouvés vêtus, et non pas nus. Pendant que nous sommes dans ce corps
comme dans une tente, nous gémissons sous sa pesanteur, parce que nous
désirons, non pas d’être dépouillés, mais d’être comme revêtus par dessus; en
sorte que ce qu’il y a de mortel, soit absorbé par la vie 1». Nous voulons
arriver au royaume de Dieu, mais non par le chemin de la mort; et toutefois la
nécessité vient nous dire: Tu en viendras là. Tu ne veux point en venir là, ô
homme fragile, et c’est par là que Dieu est venu jusqu’à toi. Quelle dure
nécessité aussi, de vaincre nos désirs vieillis, nos habitudes invétérées !
Vaincre une habitude, c’est un douloureux combat, tu le sais. Tu vois bien que
tes actes sont mauvais, sont détestables, malheureux, et néanmoins tu
t’obstines: ce que tu as fait hier, tu le feras demain. Si mon langage te
déplaît à ce point, combien ta propre pensée doit te peser ! Et néanmoins tu
retomberas encore. D’où vient cet entraînement? Qui peut l’assujettir
jusque-là? Y a-t-il dans tes membres une loi contraire à la loi de ton esprit?
crie alors: « Malheureux homme que je suis! qui me délivrera de ce corps de mort?
La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre Seigneur 2 ». Et alors s’accomplira en
toi ce que je disais tout à l’heure: « Pour moi j’ai mis mon espoir dans le
Seigneur: je tressaillirai et je triompherai dans votre miséricorde, parce que
vous avez jeté les yeux sur mon humiliation, et arraché mon âme aux
assujettissements de cette vie ». D’où vient que ton âme a été dégagée de ces
assujettissements, sinon parce que Dieu a jeté un regard sur ton humilité? Si
tu ne te fusses humilié, il ne t’aurait point exaucé en dégageant ton âme des
sujétions de la vie. Il s’humiliait, celui qui disait: « Malheureux homme que
je suis! qui me délivrera de ce corps de mort? » Mais ils ne s’humiliaient
point, ceux qui, « méconnaissant la justice de Dieu, et voulant établir leur
propre justice, ne se sont point soumis à celle de Dieu 3 ».
1.
II Cor. V, l-4. — 2. Rom. VII, 23.— 3. Id. X, 3.
14. « Vous ne m’avez point resserré entre les
mains de mon ennemi »: non point de ton voisin ni de ton copartageant, ni de ce
compagnon d’armes que tu as blessé, ni de quelqu’un de ta propre ville que tu
as peut-être offensé par tes injures. Nous nous sommes mis dans l’obligation de
prier pour tous ceux-là. Mais nous avons un autre ennemi qui est le diable,
l’antique serpent. Tous, nous échapperons à sa puissance par la mort, si notre
mort est sainte. Quiconque meurt dans le péché, est jeté par cette mort funeste
entre les mains du diable, pour être avec lui condamné à un supplice sans fin.
C’est donc le Seigneur notre Dieu qui nous arrache aux étreintes de l’ennemi;
et cet ennemi veut nous prendre par le moyen de nos convoitises. Or, nos
convoitises, quand elles grandissent au point de nous assujettir, elles
s’appellent des nécessités. Donc, une fois que le Seigneur aura délivré notre
âme de ces nécessités, quelle prise aura le démon sur nous, pour nous
assujettir à sa puissance?
15. «Vous avez affermi mes pas dans la voie
spacieuse 2 ». Assurément la voie est étroite 3; étroite pour l’âme servile,
mais large pour l’amour; l’amour élargit ce qui est trop resserré. « Vous avez
affermi mes pas», dit-il, «dans la voie spacieuse », de peur que mes pieds,
trop à l’étroit, ne vinssent à s’embarrasser, et par cet embarras causer ma
chute. Qu’est-ce à dire: « Vous avez mis mes pieds dans un lieu spacieux? »
Vous m’avez rendu faciles ces oeuvres de justice, autrefois si pénibles: tel
est le sens de cette parole: «Vous avez mis mes pieds dans un lieu spacieux ».
16. « Ayez pitié de moi, mon Dieu, parce que
je suis dans l’affliction; votre colère jeté le trouble dans mes yeux, dans mon
âme et dans mes entrailles; ma vie a défailli dans la souffrance, et mes années
dans les gémissement 4 ». Que cela suffise à votre charité, mes frères; une
autre fois, avec le secours de Dieu, nous achèverons le reste de notre dette,
afin de terminer le psaume avant notre départ.
1.
Ps. XXX, 9.— 2. Ibid.— 3. Matt. VII, 14.— 4. Ps. XXX, 10,11.
Ce sermon, qui embrasse le second tiers du
psaume, a pour objet les douleurs et les gémissements de l’Eglise à cause des
mauvais chrétiens et des Donatistes.
1. Reportons, mes frères, notre attention sur
la suite du psaume, et considérons-nous dans la personne du Prophète. Car si
nous comprenons que nous sommes dans un temps d’affliction, nous aurons de la
joie, au jour de la récompense. Je vous ai fait remarquer, mes frères, en
exposant les premiers versets de notre psaume, que c’est Jésus-Christ qui
parle; je ne vous ai point déguisé que le Christ ici se doit dire du chef et
des membres; et il me semble que les témoignages des Ecritures que j’ai cités,
établissaient, avec la dernière évidence et de manière à n’en pas laisser
douter, que le Christ s’entend de la tête et du corps, de l’Epoux et de
l’Epouse, du Fils de Dieu et de l’Eglise, du Fils de Dieu fait homme pour nous,
afin d’élever les fils des hommes à la qualité de fils de Dieu; afin que, par
un sacrement ineffable, ils fussent deux dans une même chair, comme ils sont
deux dans une même voix chez les Prophètes. Le psalmiste a donc remercié Dieu par
ces paroles: « Vous avez regardé favorablement ma bassesse; vous avez arraché
mon âme à ses sujétions, vous ne m’avez point resserré entre les mains de mon
ennemi, et vous avez mis mes pieds au large (Ps. XXX, 8, 9.) ». Telles sont les actions de grâces de l’homme
échappé à la tribulation, de tous les membres du Christ échappés à la douleur
et aux embûches. « Ayez pitié de moi, Seigneur », s’écrie-t-il de nouveau, «
parce que je suis opprimé ». S’il est opprimé, il est à l’étroit; comment
disait-il alors: « Vous avez mis mes pieds au large? » Comment ses pieds
sont-ils au large, s’il est encore dans l’oppression? A moins peut-être qu’il
n’y ait qu’une seule voix, comme il n’y a qu’un seul corps qui parle; mais que
plusieurs membres soient au large et d’autres à l’étroit, c’est-à-dire que
plusieurs trouveraient faciles les oeuvres de justice, tandis que d’autres
gémiraient dans l’angoisse? Car si les membres n’étaient point dans des
situations différentes, l’Apôtre ne dirait point: « Si un membre souffre, tous
les autres souffrent avec lui; et si un membre reçoit de l’honneur, tous les
autres s’en réjouissent avec lui 1 ». Quelques églises, par exemple, ont la
paix, d’autres sont dans la tribulation; chez celles qui sont en paix, les
pieds sont au large, tandis qu’ils sont à l’étroit chez celles qui sont dans
l’angoisse: mais la douleur des uns afflige ceux qui sont en paix, et la paix
des autres console ceux qui souffrent. Il y a donc dans lu corps une telle
unité, que tout schisme en est banni, et le schisme n’est que le fruit de la
dissension. La charité forme le lien, le lien resserre l’unité, l’unité
conserve la charité, la charité arrive aux splendeurs éternelles. Que le corps
donc s’écrie au nom de quelques membres: « Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que
je suis dans l’angoisse, votre colère a jeté le trouble dans mes yeux, dans mon
âme et dans mes entrailles 2 ».
2. Cherchons alors d’où vient cette
tribulation, puisque, tout à l’heure, l’interlocuteur paraissait s’applaudir de
sa délivrance, ainsi que de la justice dont Dieu avait généreusement enrichi
son âme, et du large espace que la charité avait tracé à ses pieds. D’où vient
donc cette affliction, sinon peut-être de cette parole qu’a dite le Seigneur: «
Et comme abondera l’iniquité, la charité de plusieurs se refroidira 3 ». Car,
après que le Seigneur eut recommandé le petit nombre des saints, il fit jeter
le filet à la mer, et l’Eglise prit de l’accroissement, d’innombrables poissons
furent saisis, selon cette prédiction: « J’ai publié ces merveilles, je les ai
prêchées, et les
1.
II Cor. XII, 26. — 2. Ps. XXX, 10. — 3. Matt. XXIV, 12.
(265)
auditeurs se sont multipliés à l’infini 1? »
Aussi les barques ont-elles failli être submergées, les filets rompus, comme il
est dit de la première pêche du Seigneur avant la passion 2. Telle est donc la
foule qui se presse dans nos églises, aux fêtes de Pâques, et que leurs
murailles trop étroites peuvent à peine contenir. Comment cette multitude
n’affligerait-elle point celui qui voit dans les spectacles, dans les
amphithéâtres, les mêmes hommes qui remplissaient naguère nos églises? Quand il
voit dans les infamies, ceux qui tout à l’heure chantaient les louanges de
Dieu? Quand il entend le blasphème dans ces bouches qui répondaient: Amen?
Toutefois qu’il persévère, qu’il s’obstine, qu’il ne s’affaiblisse pas au
milieu de cette foule innombrable des méchants, puisque le bon grain ne perd
rien au milieu des pailles, jusqu’à ce qu’il soit vanné et mis au grenier,
c’est là qu’il sera au milieu des saints, à l’abri de toute poussière qui
pourrait le troubler. Qu’il persévère, car le Seigneur lui-même, après avoir
dit que « le grand nombre d’iniquités fera refroidir la charité de beaucoup »,
veut empêcher que cette foule d’iniquités ne fasse chanceler nos pas et ne cause
notre chute, et pour maintenir les fidèles, pour les consoler, pour les
encourager, il ajoute ces paroles: «Celui-là sera sauvé qui aura persévéré
jusqu’à la fin 3 ».
3. Considérons que telle est l’affliction de
l’interlocuteur du psaume. Cette affliction devrait lui arracher des plaintes,
puisque toute affliction porte à la tristesse, et néanmoins dans sa douleur il
se dit en colère, et il s’écrie: « Ayez pitié de moi, car la colère a troublé
mes yeux ». Pourquoi cette colère, si vous êtes dans l’affliction? Il s’irrite
contre les péchés des autres. Qui ne serait transporté de colère en voyant des
hommes qui confessent de bouche le Seigneur, et qui le renient par leurs
moeurs? Qui ne s’irriterait, en voyant des hommes renoncer au monde en parole
et non en réalité? Qui verrait froidement les frères dresser des embûches à
leurs frères, et devenir parjures dans ce baiser qu’ils se donnent en recevant
les sacrements? Et qui dirait tous ces sujets de colère pour le corps du Christ
qui vit intérieurement de son esprit, et qui gémit comme le bon grain mêlé avec
la paille? A peine sont-ils visibles ceux
1. Ps. XXXIX, 6.— 2. Luc, V, 6 — 3. Matt.
XXIX, 13.
qui gémissent de la sorte, qui entrent dans
ces colères; comme on voit à peine le grain quand on le foule dans l’aire.
Quiconque ne saurait point le nombre d’épis jetés dans l’aire pourrait croire
qu’il n’y a que de la paille; mais sous ce monceau que l’on croirait être
entièrement de la paille, le vanneur découvrira beaucoup de bon grain. C’est
donc dans ces fidèles qui gémissent en secret, que s’irrite celui qui a dit
ailleurs: « Le zèle de votre maison me dévore 1». Et dans un autre endroit, à
la vue du grand nombre des méchants, il s’écrie: « La défaillance m’a saisi « à
la vue de tous ceux qui abandonnent votre loi 2 », et plus loin encore: « J’ai
vu les prévaricateurs et j’ai séché dans l’angoisse 3 ».
4. Toutefois il est à craindre que cette
colère n’arrive jusqu’à la haine; car une colère n’est point encore la haine.
On se fâche contre un fils, on ne le hait point pour cela: tu conserves
l’héritage à celui qui tremble de-vaut ton irritation; et ta colère même n’a
d’autre but que de prévenir sa ruine qu’amèneraient ses dérèglements. La colère
n’est donc pas encore la haine, et souvent nous sommes loin de haïr l’homme
contre lequel nous sommes en colère. Mais que cette colère dure quelque peu
dans notre âme, qu’elle n’en soit pas bannie promptement, elle grandit et se
tourne en haine. C’est pour nous engager à étouffer toute colère avant qu’elle
arrive à la haine, que l’Ecriture nous avertit « de ne point laisser coucher le
soleil sur, notre colère 4 ». On rencontre parfois un chrétien qui a de la
haine, et qui reprend chez un autre un acte de colère; il fait un crime à un
autre de sa colère, et lui-même nourrit de la haine; il a une poutre dans son
oeil, et il blâme son frère d’avoir une paille dans le sien 5. Cette paille
néanmoins, ce petit rejeton, deviendra une poutre, s’il n’est arraché
promptement. Le psalmiste ne dit donc point: Mon oeil s’est fermé de colère,
mais « s’est « troublé ». L’extinction serait l’effet de la haine et non de la
colère. Voyez que la haine éteindrait complètement son oeil « Celui-là », dit
saint Jean, « qui hait son frère est encore dans les ténèbres 6 ». Donc l’oeil
est d’abord troublé par la colère avant d’arriver aux ténèbres; mais veillons à
ce que la colère
1.
Ps. LXVIII, 10.— 2. Id. 118, 53.— 3. Id. 158.— 4. Eph. IV,
28. — 5. Matt. VII, 3. — 6. I Jean, II, 11.
(266)
ne dégénère point en haine, et que notre oeil
ne s’éteigne point. « La colère a jeté le trouble dans mes yeux », dit le
psalmiste, « et dans mon âme et dans mes entrailles », c’est-à-dire, a troublé
tout ce qui est au dedans de moi, car les entrailles désignent l’intérieur. Il
est quelquefois permis de s’irriter contre les méchants, les pervers, les
violateurs de la loi, les gens de mauvaise vie, mais il n’est point permis de
crier. Or, cette colère qui ne doit pas éclater en cris, est chez nous un
trouble intérieur. Le mal est parfois si grand, qu’on ne peut même le
reprendre.
5. «Ma vie a langui dans la douleur, et mes
années dans les gémissements 1 ». « Ma vie », dit le Prophète, « est une
douloureuse défaillance ». Saint Paul a dit aussi: « Nous vivons maintenant, si
vous demeurez fermes dans le Seigneur 2 ». Tous ceux qui ont trouvé la
perfection dans 1’Evangile et dans la grâce, ne vivent plus que pour les
autres. Car il n’y a plus pour eux-mêmes nécessité de vivre ici-bas. Mais comme
les autres ont besoin de leurs services, alors s’accomplit en eux ce mot de l’Apôtre:
« J’ai le vif désir d’être dégagé des liens du corps, et d’être avec
Jésus-Christ, ce qui est sans comparaison le meilleur; mais il est plus
avantageux pour vous que je demeure en cette vie 3». Donc, pour l’homme qui
voit que ses services, ses travaux, sa prédication demeurent sans fruit chez
les autres, sa vie languit dans l’indigence. Funeste indigence! faim
déplorable! Car ceux que notas f gagnons à Dieu, sont pour l’Eglise une
nourriture. Que dis-je, une nourriture? Oui, elle la fait passer par son corps,
de même que toute nourriture en nous passe par notre corps. Telle est l’oeuvre
de I’Eglise par les saints; elle a faim de ceux qu’elle veut gagner, et quand
elle a pu les gagner, elle s’en fait une sorte de nourriture. C’est l’Eglise
que figurait saint Pierre, quand il vit descendre du ciel un vaste linceul
contenant toutes sortes d’animaux, des quadrupèdes, des reptiles, des oiseaux,
lesquels, à leur tour, figuraient toutes les nations. Le Seigneur nous montrait
que l’Eglise devait absorber tous les peuples de la terre, et les changer en
son corps; aussi dit-il à Pierre: « Tue, et mange 4 ». Tue et mange, ô sainte
Eglise, ô Pierre, puisque sur cette pierre je bâtirai mon Eglise 5. Tue d’abord,
1.
Ps. XXX, 11.— 2. I Thes, III, 8.— 3. Philipp. I, 23, 24.— 4. Act. 2, 13. — 5. Matt. XVI, 18.
mange ensuite; tue ce qu’ils sont, et
fais-les ce que tu es. Quand on prêche l‘Evangile, et que le prédicateur voit
que les hommes n’en tirent aucun avantage, pourquoi ne s’écrie-t-il pas: « Ma vie
s’affaisse dans la douleur, et mes années dans les gémissements. Ma vigueur
s’affaiblit dans l’indigence, et le trouble est dans mes os 1? » Les années que
nous passons ici-bas s’écoulent dans les gémissements. Pourquoi? « Parce que
l’iniquité abonde, et que la charité de plusieurs se refroidit 2 ». Ce sont des
gémissements et non de hauts cris. Quand 1’Eglise voit la foule courir à sa
perte, elle dévore ses propres plaintes, et dit à Dieu: « Du moins mes
gémissements ne sont point secrets pour vous 3 ». Cette parole d’un autre
psaume, et qui s’accorde bien avec celui-ci, veut dire: mes gémissements
peuvent être cachés pour les hommes, et jamais pour vous ils ne sont en oubli.
« Ma force languit dans l’indigence, et le trouble est dans mes os ». Nous avons
déjà fait connaître cette indigence. Par ossements, on entend les hommes forts
de l’Eglise; ceux qui ne craignent point les persécutions, s’émeuvent
quelquefois des iniquités de leurs frères.
6. « Je suis plus en opprobre que tous mes
ennemis, c’est un excès pour mes voisins, un effroi pour ceux qui me
connaissent ». Quels sont les ennemis de 1’Eglise? Les païens et les Juifs? La
vie d’un mauvais chrétien est pire que leur vie. Voulez-vous comprendre comment
elle est plus dépravée? Le prophète Ezéchiel compare ces ennemis à des sarments
inutiles 4. Supposez que les païens sont les arbres d’une forêt qui est en
dehors de l’Eglise, on peut encore en tirer quelque partie, comme un ouvrier
trouve un morceau qui lui convient dans des bois ouvrables; s’il y trouve des
noeuds, des courbures, de l’écorce, il tranche, il scie, il aplanit, afin de
l’approprier à l’usage des hommes. Mais le bois de sarment ne donne aucun
fruit, et s’il est retranché de la vigne, l’ouvrier n’en peut rien faire, il
n’est bon qu’à être jeté au feu. Ecoutez bien, mes frères; partout on préfère
au bois des forêts le sarment qui tient à la vigne, car alors il donne du
fruit; mais quand la serpe du vigneron l’a séparé de la vigne, on lui préfère
le bois des forêts, dont l’ouvrier
1. Ps. XXX, 11. — 2. Matt. XXIV, 12. — 3. Ps.
XXXVII, 10. — 4. Ezéch. XV, 2.
(267)
peut tirer parti, tandis que le bois de
sarment n’est recherché que par celui qui fait du feu. A la vue donc de cette
grande foule qui mène dans l’Eglise une vie désordonnée le Prophète s’écrie: «
Mon opprobre est bien supérieur à celui de mes ennemis ». Ils vivent plus mal
en participant à mes sacrements, que ceux qui n’y ont pris aucune part.
Pourquoi ne pas le dire franchement en latin, quand nous expliquons un psaume?
Et si nous sommes plus réservés en
d’autres temps, du moins que la nécessité
d’exposer ce que nous traitons, nous donne la liberté de réprimer les
désordres. « Plus que tous mes ennemis, je suis dans l’opprobre ». C’est de
ceux-là que saint Pierre a dit: « Leur dernier état devient pire que le
premier; il eût mieux valu pour eux qu’ils ne connussent point la voie de la
justice, que de retourner en arrière, après l’avoir connue, et d’abandonner la
loi sainte qui leur avait été donnée ». Mais dire « qu’il eût été meilleur pour
eux de ne point connaître la voie de la justice », n’est-ce point juger que nos
ennemis, placés hors de I’Eglise, sont dans une position meilleure que les
chrétiens qui vivent dans le désordre, surchargeant ainsi et suffoquant
l’Eglise? « Il eût mieux valu », dit cet apôtre, « ne pas connaître la voie de
la justice, que de retourner en arrière après l’avoir connue, et d’abandonner
la loi sainte qui leur a été donnée 1 ». Voyez ensuite quelle horrible
comparaison il fait à leur sujet: « Il leur est arrivé ce que dit un proverbe
bien vrai: Le chien est retourné à son vomissement 2 ». Et puisque tant de
chrétiens semblables encombrent nos églises, le petit nombre des bons qui s’y
trouvent, ou plutôt l’Eglise par la voix de ce petit nombre, n’a-t-elle pas raison
de s’écrier: « Plus que tous mes ennemis je suis un objet d’opprobre; c’est le
comble pour mes voisins; c’est un effroi pour ceux qui me connaissent? » Je
suis au comble de l’opprobre aux yeux de tues voisins, c’est-à-dire, ceux qui
s’approchaient de moi pour embrasser la foi, ou ceux qui étaient le plus près
de moi, ont cédé à la répulsion en voyant la vie désordonnée des mauvais et des
faux chrétiens. Combien d’hommes, voyez-vous, mes frères, qui voudraient être
chrétiens, et qui reculent devant les moeurs dépravées des mauvais chrétiens!
1. II Pierre, II, 20, 21. — 2. Id. 22.
Ce sont là nos voisins qui s’approchaient de
nous, et qui ont reculé devant l’excès de nos opprobres.
7. « Ceux qui me connaissent en sont dans
l’effroi ». Pourquoi tant craindre? « Ceux qui me connaissent», dit le
psalmiste, « sont dans l’effroi ». Qu’y a-t-il de si effrayant pour un homme,
de voir dans le désordre une si grande foule, de trouver dans la dépravation
ceux dont il avait les meilleures espérances? Il craint alors que tous ceux
qu’il a crus bons ne leur soient semblables, et presque toute âme honnête alors
devient suspecte. Quel homme! dit-on. Comment descend-il si bas? Comment le
surprend-on dans ces infamies, dans ces actes hideux, dans ces actions
détestables? Tous les chrétiens, pensez-vous, ne lui ressemblent-ils point? Tel
est le sens de cette parole: « Ceux qui me connaissent sont dans l’effroi»,
ceux mêmes qui nous connaissent le plus, sont dans la défiance envers nous. Et
si tu n’es soutenu par ta propre conscience, supposé que tu en aies une, tu
croiras que nul autre ne te ressemble. Toutefois un homme se soutient par la
conscience qu’il a de lui-même, et dans sa vie régulière, il se dit: O toi, qui
trembles que tous les autres ne soient mauvais, l’es-tu donc toi-même? Non,
répond la conscience. Mais, si tu ne l’es pas, es-tu le seul pour en être à ce
point? Prends garde que l’orgueil chez toi ne dépasse leur dépravation. Loin de
toi de te croire seul. Eue aussi, accablé d’ennui en voyant la foule innombrable
des impies, s’écriait: « Ils ont égorgé vos prophètes, et détruit vos autels;
voilà que je suis seul, et ils me cherchent pour me faire mourir ». Mais que
lui répondit le Seigneur? « Je me suis réservé sept mille hommes, qui n’ont pas
fléchi les genoux devant Baal 1 ». Donc, mes frères, le remède à tous ces
scandales, est que vous ne pensiez jamais mal de vos frères. Soyez humblement
ce que vous voulez qu’ils soient, et- vous ne penserez point qu’ils puissent
être ce que vous-mêmes n’êtes point. Et néanmoins ceux qui nous connaissent,
ceux mêmes qui nous ont mis à l’épreuve, doivent rester dans la crainte.
8. « Ceux qui me voyaient fuyaient loin de
moi 2 ». Ceux qui ne m’ont point connu, sont dignes de pardon, même en
s’éloignant de moi; mais ceux-là mêmes qui m’ont vu
1. III Rois, XIX, 10; Rom. XI, 3. — 2. Ps.
XXX, 12.
(268)
s’éloignent de moi. Si donc ceux qui
m’avaient vu, prenaient la fuite au dehors, et loin de moi (quoique, à
proprement parler, ils ne fuyaient pas au dehors, puisque jamais ils n’étaient
entrés à l’intérieur, car s ils fussent entres a l’intérieur, ils m’eussent
connu; c’est-à-dire ils eussent connu le corps du Christ, les membres du
Christ, l’unité du Christ); si, dis-je, ils s’enfuient au dehors, voilà ce
qu’il ya de plus déplorable, d’insupportable même, que cette foule qui m’a vu
s’enfuie loin de moi; c’est-à-dire qu’après avoir connu ce qu’est l’Eglise, ils
s’en aillent dehors former contre cette Eglise des schismes et des hérésies.
Aujourd’hui, par exemple, tu vois un homme, qui est né chez les Donatistes, il
ne sait où est l’Eglise; il demeure dans la religion où il est né, tu ne
pourras lui arracher cette foi qu’il a sucée avec le lait de sa nourrice. Mais
donnez-moi un homme, oui un homme qui feuillette l’Ecriture, qui la lit, qui la
prêche. Est-il possible qu’il n’y trouve point ces paroles «Demande-moi, et je
te donnerai les nations en héritage, et ton domaine s’étendra jusqu’aux confins
de la terre «? » N’y verra-t-il point: « Tous les confins de la terre seront
ébranlés et se tourneront vers le Seigneur, et tous les peuples de l’univers se
prosterneront devant lui 2? ». Si donc tu trouves ici l’unité de l’univers
entier, pourquoi chercher au dehors, afin de t’aveugler toi-même, et de jeter
les autres dans ton aveuglement? «Ceux qui me voyaient », c’est-à-dire ceux qui
connaissaient ce qu’est l’Eglise, qui l’envisageaient dans les Ecritures, « ont
pris la fuite au dehors et loin de moi ». Pensez-vous, mes frères, que tous les
hérésiarques, dans les différentes parties du monde, n’aient point vu dans les
divines Ecritures, que l’Eglise n’est annoncée que comme la société qui doit
embrasser l’univers entier? Je vous le dis en vérité, mes frères: assurément
nous sommes tous chrétiens, ou du moins tous nous portons le nom de chrétiens,
tous nous sommes marqués au sceau du Christ; les Prophètes ont parlé du Christ
plus obscurément que de l’Eglise; et si je ne me trompe, c’est que l’Esprit de
Dieu leur montrait dans l’avenir, que les hommes formeraient des sectes à
l’encontre de l’Eglise, soulèveraient contre elle de fortes discussions, et
accepteraient plus facilement le Christ. C’est pour
1. Ps. II, 8. — 2. Id. XXI, 28.
quoi le point qui devait être le plus
contesté, a été annoncé, précisé avec plus de clarté, plus d’évidence, afin que
cette évidence devînt un témoignage contre ceux qui ont lu ces prophéties, et
néanmoins sont sortis de l’Eglise.
9. Je n’en veux citer qu’un seul exemple.
Abraham, qui est notre père, non parce que nous sommes sortis de lui, mais
parce que nous imitons sa foi, était juste et agréable à Dieu; sa foi lui
obtint dans sa vieillesse un fils nommé Isaac, et que Dieu lui avait promis de
Sara son épouse 1. Dieu lui commanda de lui immoler ce même fils; et alors sans
hésiter, sans délibérer, sans mettre en question l’ordre du Seigneur, sans
regarder comme mauvais l’ordre qu’a pu intimer Celui qui est la bonté même,
Abraham conduisit son fils pour le sacrifier, lui mit le bois sur les épaules,
et étant arrivé à l’endroit marqué, il leva la main pour le frapper: à la voix
du Seigneur, il abaissa cette main levée par son ordre 2. Pour obéir, il allait
frapper, et pour obéir il s’abstint; toujours il obéit, jamais il n’est timide.
Toutefois, afin que le sacrifice fût achevé, et qu’on ne s’éloignât point sans
effusion de sang, il se trouva là un bélier dont les cornes étaient
embarrassées dans un buisson; Abraham l’immola et le sacrifice fut achevé.
Examinez cette histoire: c’est une figure symbolique de Jésus-Christ. Mais
enfin, faisons jaillir la lumière par la discussion, soulevons les voiles afin
de voir ce qu’ils cachent. Isaac, ce fils unique et bien-aimé, figurait le Fils
de Dieu; il porte le bois comme le Christ porta sa croix 3; enfin ce bélier
désignait encore Jésus-Christ. Qu’est-ce en effet qu’être attaché par les
cornes, sinon être attaché au bois de la croix? C’était là une figuré de
Jésus-Christ. Mais il fallait aussitôt prédire l’Eglise, et après avoir annoncé
la tête, annoncer le corps; l’Esprit-Saint, l’Esprit de Dieu veut à l’instant
prédire l’Eglise à Abraham, et rejette les figures. C’était en figure qu’il
annonçait le Christ et c’est ouvertement qu’il prédit l’Eglise; voici ce qu’il
dit à Abraham: « Parce que tu as obéi à ma voix, et que tu n’as pas épargné ton
fils unique à cause de moi, je te bénirai, je multiplierai ta descendance comme
les étoiles du ciel, et comme le sable des mers, et toutes les nations de la
1. Gen. XXI, 2. — 2. Id. XX, 3. — 3. Jean,
XIX, 17.
terre seront bénies en celui qui sortira de
toi 1». Presque partout le Christ est prédit par les prophètes, sous les voiles
du symbole, tandis que l’Eglise l’est directement: afin que ceux-là puissent la
voir qui doivent se déclarer contre elle, et que s’accomplisse cri eux cette
iniquité prédite par le psalmiste « Ceux qui me voyaient s’enfuyaient au dehors
et loin de moi ». Ils sont sortis du milieu de nous, dit saint Jean, à propos
de ces apostats, mais ils n’étaient pas de nous 2.
10. « J’ai été mis en oubli, comme un mort
effacé du cœur 3 ». On m’oublie, je suis tombé dans l’oubli, ceux qui m’ont vu
m’ont oublié, comme si j’étais mort dans leur coeur. Je suis oublié comme le
mort effacé du coeur; je suis tomme un vase inutile4 ». Pourquoi est-il comme
le vase inutile? Il se fatiguait, et ne servait à personne: il s’est alors
considéré comme un vase, et comme il ne servait à personne, il s’appelle un
vase inutile.
11. « J’ai entendu le blâme de ceux qui
m’environnaient 5 ». Ils sont nombreux ceux qui demeurent autour de moi pour
m’assaillir de leurs blâmes. Quelles imprécations ne font-ils point contre les
mauvais chrétiens, imprécations qui retombent sur les chrétiens en général: «
Celui qui jette sur nous le reproche ou le blâme, s’en vient-il dire: Voyez ce
que font ceux des chrétiens qui sont mauvais? Non, mais bien sans aucune
distinction: Voilà ce que font les chrétiens. Tel est cependant le langage de
ceux qui m’environnent, c’est-à-dire qui tournent autour de moi sans entrer.
Pourquoi tourner ainsi et n’entrer point? C’est qu’ils aiment le cercle du
temps. Ils n’entrent pas dans la vérité parce qu’ils n’aiment pas l’éternité;
attachés qu’ils sont aux choses temporelles, et comme liés à la roue; c’est
d’eux que le Prophète a dit ailleurs: «Faites-leur des princes mobiles comme la
roue 6 »; et encore: « Les impies tournent comme dans un cercle7 ». Dans leurs
complots contre moi, « ils délibéraient des moyens de me ravir mon âme ». Que
signifie: « Ils délibéraient sur les moyens de me ravir mon âme? » C’est-à-dire
sur les moyens de m’amener à leur dépravation. Pour ceux qui maudissent l’Eglise,
sans entrer dans son giron, c’est peu de n’y entrer
1. Gen. XXI, 16 -18. — 2. I Jean, II, 19. —
3. Ps. XXX, 13. — 4. Ibid.— 5. Id. 14 — 6. Id. LXXXII,
14. — 7. Id.
XI, 9.
point, ils veulent encore nous en faire
sortir au moyen de leurs calomnies. Mais s’ils te font sortir de l’Eglise, ils
se sont emparés de ton âme, ils ont surpris ton assentiment; alors tu es autour
de l’Eglise, et non plus en elle.
12. Pour moi, au milieu de tant d’opprobres,
de tant de scandales, de tant de maux et de tant de piéges, ne trouvant au
dehors que l’injustice, au dedans que désordres, cherchant de toutes parts des.
hommes que je pusse imiter, sans néanmoins en trouver, qu’ai-je fait? à quel
parti me suis-je arrêté? « J’ai mis en vous mon espoir, ô mon Dieu 1 ». Rien de
plus avantageux, ni de plus sûr. Tu voulais prendre je ne sais qui pour modèle,
et tu ne l’as point trouvé bon; ne pense plus à l’imiter. Tu en as cherché un
second, et je ne sais quoi te déplaît en lui; tu en cherches lin troisième qui
ne te plaît pas davantage; faut-il que tu périsses, parce que ni l’un ni
l’autre ne te plaisent? Cesse d’espérer dans un homme, car « maudit celui qui a
mis dans un homme son espoir 2 ». Vouloir t’appuyer sur un homme, l’imiter, en
dépendre, c’est ne vouloir que du lait pour nourriture; c’est ressembler à des
enfants qui veulent toujours la mamelle, alors même qu’il n’est plus
convenable. Prendre du lait, vouloir que la nourriture ne nous arrive que par
le canal de la chair, c’est là vouloir vivre par un homme. Sois donc en état de
manger à table, de prendre cette nourriture qu’il prend, ou que peut-être il
n’a jamais prise. Il est peut-être utile pour
toi de n’avoir trouvé qu’un mauvais homme dans celui que tu croyais homme de
bien, de n’avoir sucé dans cette mamelle que tu cherchais comme celle de ta
mère, qu’une amertume qui t’en a repoussé, afin que cette déception te fît
chercher une plus solide nourriture. C’est ce que font tous les jours les
nourrices pour les enfants difficiles à sevrer; elles mettent sur leurs
mamelles quelque chose d’amer, afin que ces enfants, repoussés par le dégoût,
quittent la mamelle et recherchent la table. Disons donc: « C’est « en vous,
Seigneur, que j’ai mis mon espoir; « j’ai dit: Vous êtes mon Dieu u. C’est
vous, qui êtes mon Dieu; arrière Donat! arrière Cécilien, ni l’un ni l’autre
n’est mon Dieu, Ce n’est pas au nom d’un homme que je vis,
1. Ps. XXX, 14. — 2. Jérém. XVII, 5.
c’est au nom de Jésus-Christ que je
m’attache. Ecoute ce que dit saint Paul: « Est-ce que c’est Paul qui a été
crucifié pour vous, ou bien est-ce au nom de Paul que vous êtes baptisés 1? »
Je périrais si j’étais du parti de Paul, comment ne pas périr si je suis du
parti de Donat ! Arrière donc les noms des hommes, les crimes des hommes, les
rêveries des hommes ! « C’est en vous, Seigneur, que j’ai mis mon espoir; j’ai
dit: C’est vous qui êtes mon Dieu. Ce n’est point un homme, quel qu’il soit;
c’est vous qui êtes mon Dieu. L’un avance, l’autre meurt; pour Dieu, il n’y a
ni mort ni progrès; il n’y a nul progrès puisqu’il est parfait, comme nulle
mort puisqu’il est éternel. « J’ai dit au Seigneur: C’est vous qui êtes mon
Dieu ».
13. « Mon sort est entre vos mains 2 ». Non
pas entre les mains des hommes, mais entre vos mains. Quel est mon sort?
Pourquoi l’appeler sort? Le nom de sort ne doit point vous faire croire à des
sortilèges. Le sort n’a rien de mauvais, mais dans le doute il indique aux
hommes la volonté de Dieu. Les Apôtres eux-mêmes jetèrent le sort pour choisir
un successeur à ce Judas qui périt après avoir trahi le Sauveur, ainsi qu’il
était écrit de lui: « Il s’en est allé à sa place »: le suffrage des hommes en
avait choisi deux, et l’un de ces deux fut choisi par le jugement de Dieu. Car
il fut consulté pour savoir lequel des deux il voulait pour apôtre, et le sort
tomba sur Matthias 3 ». Qu’est-ce donc: « Mon sort est entre vos mains? »
Autant que j’en puis juger, il appelle sort, la grâce par laquelle nous sommes
sauvés. Pourquoi donner le nom de sort à la grâce de Dieu? Parce que, dans le
sort, il n’y a point de choix, mais la volonté de Dieu. Dire en effet: Celui-ci
a fait le pacte, cet autre non, c’est considérer les mérites; et quand on pèse
lus mérites, il y a un choix, et non plus un sort: et lorsque Dieu ne trouve en
nous aucun mérite, il nous, sauve par le sort de sa volonté, c’est-à-dire parce
qu’il le veut, et son parce que nous en étions dignes, voilà le sort. C’est
avec raison que la tunique du Sauveur, tissue de haut en bas 4, symbole de la
charité éternelle, et que les bourreaux ne pouvaient partager, fut tirée au
sort; ceux qui l’eurent ainsi sont l’image de ceux qui partagent le sort des
saints. « C’est
1. Cor. I, 13.— 2. Ps. XXX, 16.— 3. Act. I,
26.— 4. Jean, XIX, 23.
la grâce qui nous sauve au moyen de la foi,
et cela ne vient point de vous (c’est bien là le sort), cela ne vient point de
vous, mais c’est un don de Dieu. Ce n’est point là le bénéfice de vos oeuvres »
(comme si vous aviez fait des oeuvres capables de vous en rendre dignes), « ce
n’est point le bénéfice de vos oeuvres, afin que nul ne s’en glorifie. Nous
sommes son ouvrage, créés en Jésus-Christ dans les bonnes œuvres 1 ». Le sort,
en ce sens, est comme une secrète volonté de Dieu. C’est donc un sort à l’égard
des hommes, un sort qui émane de la secrète volonté de Dieu, en qui n’habite
pas l’injustice 2. Car il ne fait point acception des personnes, mais sa
justice cachée est un sort pour vous.
14. Redoublez donc d’attention, mes frères,
et voyez comment. l’apôtre saint Pierre vient confirmer cette doctrine. Quand Simon
le Magicien, baptisé par Philippe, s’attachait àlui sur la foi des miracles
opérés en sa présence 3, les Apôtres vinrent à Samarie, où le magicien lui-même
avait embrassé la foi et reçu le baptême. Ils imposèrent les mains sur les
fidèles nouvellement baptisés, qui reçurent le Saint-Esprit et se mirent à
parler diverses langues. Simon fut saisi d’admiration et d’étonnement à la vue
de ce miracle qui faisait descendre le Saint-Esprit sur des hommes auxquels
d’autres hommes imposaient les mains: il désira, non point cette grâce, mais
cette puissance, non ce qui le saurait délivrer, muais ce qui devait satisfaire
sa vanité. Absorbé par ce désir, et le coeur plein d’orgueil, d’une impiété
diabolique, d’un amour de grandeur qui méritait d’être abattu, il dit aux
Apôtres: « Combien faut-il vous donner d’argent pour que le Saint-Esprit
descende sur les hommes à qui j’imposerai les mains? » Cet homme qui ne
cherchait que les choses temporelles, qui se tenait seulement autour de
l’Eglise, pensait pouvoir à prix d’argent acheter le don de Dieu. Il crut
qu’avec de l’argent il se rendrait maître de l’Esprit-Saint, et que les Apôtres
seraient cupides, comme il était lui-même orgueilleux et impie. Mais Pierre lui
dit: « Que ton argent périsse avec toi, qui as cru que le don de Dieu se peut
acquérir à prix d’argent. Tu n’as ni part ni sort dans cette foi »;
c’est-à-dire, tu n’appartiens pas à cette grâce que nous avons
1.
Eph. II, 8-10. — 2. Rom. IX, 14.— 3. Act. VIII, 13 et seqq. — 4. Ibid.
(271)
reçue gratuitement, puisque tu as pensé
pouvoir avec de l’argent acheter un don qui est gratuit. Et parce qu’il est
gratuit, il prend le nom de sort: « Tu n’as ni part ni sort dans cette croyance
». Je me suis étendu quelque peu, afin que cette expression: « Mon sort est entre
vos mains », ne vous inspirât aucune terreur. Quel est ce sort? L’héritage de
l’Eglise. Quelles en sont les bornes? Les bornes du monde. «Je te donnerai les
nations en héritage, et ta possession s’étendra jusqu’aux confins de la terre (Ps. II, 8) ». Que l’homme ne vienne donc
point m’en promettre je ne sais quelle partie. « Mon sort, ô mon Dieu, est
entre vos mains ». Que cela vous suffise aujourd’hui, mes frères; demain, au
nom et avec le secours de Dieu, nous vous expliquerons le reste du psaume.
Nos ennemis à combattre sont le démon et les
chrétiens indignes. Repoussons l’un, séparons-nous des autres. Comment sou
devons invoquer Dieu. Confusion des pécheurs. Nécessité de confesser hautement
Jésus-Christ. Bonheur que Dieu fait goûter à ceux qui espèrent en lui.
1. Il nous reste un peu plus du tiers de ce
psaume sur lequel nous avons déjà parlé deux fois, et je vois néanmoins qu’il
faut en finir aujourd’hui. C’est pourquoi je prie de me pardonner, si je ne
m’arrête point aux endroits qui sont clairs, afin de nous occuper de ceux qui
ont besoin d’explication. Dans beaucoup de passages, le sens se présente
naturellement à l’esprit, d’autres ont besoin d’être quelque peu éclaircis,
d’autres enfin, quoique peu nombreux, exigent beaucoup d’attention pour être
compris. Afin donc de mesurer le temps à vos forces et aux nôtres, voyez et
reconnaissez avec nous ces passages qui sont clairs, louez-y Dieu: priez si le
psaume est une prière, gémissez quand il gémit, tressaillez s’il est dans
l’allégresse, espérez s’il espère, et craignez s’il exprime la crainte. Tout ce
qui est écrit ici doit nous servir de miroir.
2. « Délivrez-moi des mains de mes ennemis,
et de ceux qui me persécutent (Ps. XXX,
16) ». Faisons nous-mêmes cette prière, et que chacun de nous la fasse à
propos de ses ennemis. Il est bon, et nous devons demander à Dieu qu’il nous
délivre des mains de ceux qui nous haïssent. Mais faisons bien la part des
ennemis. Il faut prier pour les uns, et prier contre les autres. Nous ne devons
avoir aucune haine contre ceux qui nous haïssent, quels qu’ils soient; si tu
hais celui qui te fait souffrir, au lieu d’un méchant, il y en a deux. Aimons
donc celui-là même qui nous persécute, afin qu’il demeure seul dans sa malice,
Les ennemis contre lesquels il nous faut prier, sont le diable et ses anges,
qui nous envient le royaume des cieux, qui ne peuvent souffrir que nous
occupions ces places d’où ils sont bannis; demandons que notre âme soit
délivrée de leurs mains. Car les hommes deviennent souvent leurs instruments
jusque dans la haine qu’ils ont pour eux. Aussi saint Paul, nous avertissant
des précautions que nous devons prendre contre ces ennemis, dit ami chrétiens
persécutés, et qui devaient endurer, tantôt les soulèvements, tantôt les
fourberies, tantôt la haine des hommes: « Vous n’avez pas à combattre contre la
chair et le sang, c’est-à-dire contre les hommes, mais contre les principautés,
contre les puissances, contre les princes de ce monde (Eph. VI, 12) ». De quel monde? Est-ce du ciel et de la terre? A
Dieu (272) ne plaise ! Il n’y a d’autre prince de ce monde que celui qui l’a
créé. De quel monde veut donc parler l’Apôtre? De ceux qui aiment inonde. Aussi
a-t-il ajouté comme explication: « Ce que j’appelle monde, ce sont ses ténèbres
». Quelles sont ces ténèbres, sinon les impies et les infidèles? Et en effet,
quand ils ont quitté leur état d’infidélité et d’impiété pour devenir pieux et
fidèles, l’Apôtre leur parle ainsi: « Vous n’étiez autrefois que ténèbres, vous
êtes maintenant lumière dans le Seigneur: et vous avez à combattre » leur
dit-il, «contre les esprits de malice répandus dans les airs, contre le diable
et ses anges ». Vous ne voyez pas vos ennemis et vous les surmontez, «
Arrachez-moi, Seigneur, aux mains de mes ennemis et de mes persécuteurs ».
3. « Projetez sur votre serviteur le reflet
de votre face, et sauvez-moi dans votre miséricorde 2 ». Nous avons dit hier 3,
si toutefois ceux qui ont entendu le discours d’hier s’en souviennent, que les
principaux persécuteurs de l’Eglise sont les chrétiens qui refusent de vivre
selon la foi. Ils sont l’opprobre de l’Eglise et lui font subir la violence de
leur haine: qu’on les reprenne, qu’on les empêche de vivre dans le désordre,
qu’on leur donne le moindre avertissement, aussitôt ils trament nue vengeance
dans leurs coeurs et cherchent l’occasion d’éclater. C’est au milieu de ces
chrétiens que gémit le Prophète, ou plutôt nous gémissons nous-mêmes: car ils
sont nombreux, et c’est à peine si, dans cette grande foule, on peut discerner
quelques fidèles, amine dans l’aire on voit peu de ce bon prain que le van doit
séparer de la paille, afin qu’il remplisse les greniers du Seigneur 4. C’est
donc au milieu d’eux qu’il dit en gémissant: « Projetez sur votre serviteur le
reflet de votre face ». On regarde volontiers somme un opprobre que tous les
chrétiens, et ceux qui vivent saintement, et ceux qui vivent dans le désordre,
portent le même nom, soient tous marqués d’un même sceau, s’approchent tous
d’un même autel, soient tous purifiés dans un même baptême, redisent tous la
même oraison dominicale et assistent tous à la célébration des mêmes mystères.
Quand pourra-t-on connaître ceux qui gémissent et ceux pour qui l’on gémit, si
Dieu ne projette
1.
Eph. V, 8, VI, 12. — 2. Ps. XXX, 17. — 3. Sermon précédent n. 2 et
suiv. — 4. Matt. III, 12
sur son vrai serviteur le reflet de sa face?
Mais que signifie: «Projetez sur votre serviteur le reflet de votre face? »
Faites voir que je vous appartiens; et que le chrétien impie ne puisse dire
qu’il vous appartient, car alors le psalmiste aurait dit en vain: « Jugez-moi,
Seigneur, et séparez ma cause de celle d’un peuple impie 1 ». Ces mots: «
Séparez ma cause », ont le même sens que: « Projetez sur votre serviteur la
lumière de votre face ». Et néanmoins, pour effacer tout orgueil, ou toute
volonté de faire valoir sa propre justice, il ajoute ces paroles: « Sauvez-moi
dans votre miséricorde »; c’est-à-dire, non point à cause de ma justice non
plus
que de mes mérites, mais « par votre
miséricorde»; non que j’en sois digne, mais parce que vous êtes miséricordieux.
Ne me traitez point avec la sévérité d’un juge, mais avec
votre bonté inépuisable pour le pardon. «
Sauvez-moi dans votre miséricorde ».
4. « Seigneur, je ne serai pas confondu,
parce que je vous ai invoqué 2 ». Le Prophète nous donne la grande raison pour
laquelle il ne sera point confondu, « c’est qu’il vous a invoqué, ô mon Dieu ».
Voulez-vous frustrer dans son espoir celui qui vous implore? Voulez-vous que
l’on dise: « Où est «donc ce Dieu, l’objet de son espoir?» Mais quel est
l’homme, fût-il impie, qui n’invoque pas le Seigneur? Si donc le Prophète ne
pouvait dire d’une manière plus spéciale, et qui n’a rien de commun avec les
autres: « Je vous ai invoqué », il n’oserait aucunement exiger de son
invocation une telle récompense. Car il entendrait dans sa pensée cette réponse
que lui ferait le Seigneur en quelque manière: Pourquoi me demander de n’être
point confondu? Pour quelle raison? Parce que tu m’as invoqué? Mais chaque jour
les hommes ne me prient-ils point, afin de venir à bout des adultères mêmes
qu’ils méditent? Dans leurs invocations, n’osent-ils pas appeler la mort sur
ceux dont ils convoitent l’héritage? Chaque jour encore, ne m’invoquent-ils pas
pour mener à bonne fin la fraude qu’ils méditent? Pourquoi donc baser la grande
récompense que tu exiges sur cette parole: « Que je ne sois pas confondu,
puisque je vous ai invoqué?» Ils invoquent à la vérité, répond le Prophète,
mais ce n’est pas nous qu’ils invoquent. Tu invoques le Seigneur
1. Ps. XLII, 1. — 2. Id. XXX, 18.
(273)
quand tu l’appelles en toi-même; car
l’invoquer, c’est le supplier de venir en toi, et en quelque sorte dans la
maison de ton coeur. Mais inviter un tel père de famille, tu n’oserais le
faire, situ ne savais lui préparer une habitation convenable. Que le Seigneur
en effet te réponde et te dise: Sur ton appel, me voici, où entrer? Puis-je
subir toutes les ordures de ta conscience? Si tu invitais le moindre de mes
serviteurs à entrer dans ta maison, n’aurais-tu pas soin d’y mettre d’abord la
propreté? Voilà que tu m’appelles dans ton coeur, et ce coeur est plein de
rapines. Ce lieu où tu appelles un Dieu est plein de blasphèmes, plein
d’adultères, plein de rapines, plein de fraudes, plein de convoitises honteuses,
et c’est là que tu me fais entrer! Comment le Prophète a-t-il parlé de ces
hommes dans un autre psaume? Ils n’ont point invoqué le Seigneur (Ps. XIII, 5; LII, 6), dit-il; sans aucun
doute, ils l’avaient invoqué, et néanmoins ils ne l’ont pas invoqué. Je réponds
en quelques mots à la question qui vient d’être soulevée:
pourquoi un homme exige-t-il une si grande
récompense, quand il ne peut alléguer uniquement que le mérite « d’avoir
invoqué Dieu », et quand nous voyons tant de méchants l’invoquer aussi, telle
est la question qu’il est bon de résoudre. Je dis donc un seul mot à l’avare:
Tu invoques le Seigneur? Pourquoi l’invoquer? Pour qu’il m’enrichisse,
répond-il. C’est donc le gain que tu invoques et non le Seigneur. Ces richesses
tant convoitées ne se peuvent acquérir ni par ton serviteur, ni par
l’intermédiaire de ton fermier, ni de ton client, ni de ton ami, ni de tes
domestiques, et alors tu as recours au Seigneur, tu fais du Seigneur
l’entremetteur de tes profits. C’est trop avilir Dieu. Veux-tu invoquer le
Seigneur? Invoque-le gratuitement. Est-ce donc peu pour ton avarice que le
Seigneur vienne en toi? Et s’il y vient sans or ni argent, tu ne voudras point
de lui? Dans toutes ces créatures de Dieu, qu’est-ce qui pourra te suffire, si
lui-même ne te suffit point? C’est donc avec raison que le Prophète a dit: «
Que je ne sois pas confondu, puisque je vous ai invoqué ». Invoquez le
Seigneur, ô mes frères, si vous ne voulez être confondus. Celui qui tient ce
langage redoute une certaine contusion, dont il a parlé au premier verset: «
J’ai mis en vous mon espoir, ô mon Dieu, je ne serai point confondu pour
l’éternité». Et pour nous bien préciser la confusion qu’il redoute, qu’a-t-il
ajouté, après avoir dit: « Que je ne sois point confondu, parce que je vous ai
invoqué? Honte aux impies », dit-il, « et qu’ils soient conduits dans les
enfers », qu’ils tombent dans cette confusion qui sera éternelle.
5. « Silence aux lèvres menteuses, qui
profèrent l’outrage contre le juste avec orgueil et dédain (Ps. XXX, 19) ». Ce juste, c’est le
Christ. De combien de lèvres débordent contre lui l’outrage avec le dédain de
l’orgueil? D’où viennent cet orgueil et ce dédain? C’est qu’en venant dans son
humilité, il a paru méprisable ana orgueilleux. Comment voulez-vous que des
hommes qui raffolent des honneurs ne méprisent point celui qui s’est soumis à
tant d’outrages? Comment ne serait-il pas méprisé par ceux qui font si grand
cas de la vie, celui qui a voulu mourir? Comment n’auraient-ils pas du mépris
pour un crucifié, ceux qui regardent comme un opprobre la mort de la croix?
Comment des riches n’auraient-ils pas du mépris pour ce créateur du monde, qui
mène ici-bas une vie pauvre? Tout ce quels hommes recherchent passionnément,
Jésus-Christ s’en est abstenu, non par impuissance de le posséder, mais afin
que son abstention nous en inspirât le mépris: et c’est pour cet qu’il encourt
le mépris de tous ceux qui en raffolent. Tout fidèle qui voudra marcher dans
les voies du Christ, et imiter ce qu’on lui enseigne de l’humilité de son divin
Maître, sert méprisé dans le Christ, parce qu’il est membre du Christ. Il y a
donc mépris pour la tête et pour les membres, et par conséquent pour
Jésus-Christ tout entier, parce qu’il y a justice et dans le chef et dans les
membres. H tant que Jésus-Christ tout entier soit méprisé par les impies et par
les superbes, afin que nus paroles soient accomplies à leur sujet: «Silence aux
lèvres menteuses, qui, avec le mépris et le dédain, versent l’iniquité sur le
juste ». Quand seront-elles réduites an silence? Ici-bas? Jamais. Chaque jour
elles profèrent des cris contre les chrétiens, principalement contre les
humbles; chaque jour elles aboient l’outrage et le blasphème: ces langues
impies attisent ainsi les douleurs de la soif qui doit les consumer dans
l’enfer, où elles désireront la moindre goutte d’eau (274) sans l’obtenir 1. Ce
n’est donc pas maintenant que doivent se taire les lèvres des impies. Mais
quand? Quand leurs iniquités s’élèveront contre eux pour les confondre, ainsi
qu’il est écrit dans la Sagesse: « Alors les justes se tiendront avec une
grande fermeté contre ceux qui les ont tourmentés. Ceux-ci diront n à leur
tour: Voilà donc ceux que nous avons couverts d’insultes et d’outrages. Les
voilà comptés parmi les enfants de Dieu, et leur partage est avec les saints !
Insensés que nous étions, nous regardions leur vie comme une folie 2». Alors
seront réduites au silence les lèvres de ceux qui, avec le mépris de l’orgueil,
profèrent l’outrage contre le juste. Aujourd’hui ils vous disent: Où est votre
Dieu? Qu’est-ce que vous adorez? Que voyez-vous? Vous croyez et votas souffrez;
votre peine, voilà ce qui est certain; mais votre espérance est incertaine.
Mais elles se tairont, ces lèvres menteuses, quand nous aurons recueilli ce
bien qui est certain, et que nous espérons.
6. Considère alors ce qu’ajoute le Prophète,
après avoir imposé silence aux lèvres menteuses qui profèrent avec mépris et
dédain l’outrage contre le juste. Celui qui gémit de la sorte a considéré
lui-même et ers esprit, de l’oeil intérieur il a vu les biens de Dieu, il a vu
ces biens qui ne se voient que dans le secret, et que l’impie ne saurait voir.
Il a vu dès lors ces impies distiller l’outrage contre le juste avec un
orgueilleux dédain, parce. qu’ils n’ont des yeux que pour les biens du monde,
et nullement pour les biens à venir qu’ils ne savent pas même se figurer en
pensée, Mais pour faire apprécier aux hommes les biens à venir, tandis qu’il
nous ordonne le tolérer seulement et non d’aimer ceux de cette vie, le voilà qui
s’écrie: « Combien est grande, ô mon Dieu, votre douceur 3! » Que l’impie me
demande ici: Où est donc ce trésor de douceur? Je lui répondrai: Comment
pourrais-je montrer ce trésor de douceur, quand la fièvre de l’iniquité t’a
fait perdre le goût? Si tu ne connaissais le miel, tu n’en vanterais pas la
douceur avant de l’avoir goûté. En, ton coeur n’a plus de palais pour goûter
ces sortes de biens; que faire alors? Comment te les montrer? Je ne vois
personne à qui je puisse dire: « Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux
4. Combien est grand, ô mon
1. Luc, XVI,24.— 2.Sag. V, 1—5.— 3. Ps. XXX,
20.— 4. Id. XXXIII, 9.
Dieu, le trésor de douceur que vous avez
«caché pour ceux qui vous craignent 1 ! » Qu’est-ce à dire « caché? » Que vous
leur réservez et non que vous refusez, de sorte qu’eux seuls peuvent y arriver;
car c’est un bien qui ne peut être commun aux bons et aux méchants; et ces
premiers y arrivent par la crainte. Tant qu’ils ont la crainte, ils n’y sont
point arrivés encore; mais ils espèrent y arriver, et ils commencent par la
crainte. Rien n’est plus doux qu’une sagesse impérissable; mais le commencement
de toute sagesse est la crainte du Seigneur 2. Et cette sagesse, « vous la
réservez à ceux qui vous craignent. »
7. « Vous l’avez fait sentir à ceux qui
espèrent en vous, en présence des fils des hommes 3 ». Non point: vous l’avez
fait sentir en présence des fils des hommes, mais bien « à ceux qui espèrent en
vous en présence des fils des hommes »; c’est-à-dire, vous avez fait goûter
votre douceur à ceux qui espèrent en vous devant les enfants des hommes. C’est
en ce sens que le Seigneur a dit: « Celui qui renonce à moi devant les hommes,
je le renierai aussi devant mon Père 4 ». Donc si tu espères dans le Seigneur,
espère devant les hommes; ne cache point ton espérance au fond de ton coeur, ne
crains pas de confesser que tu es chrétien, même devant ceux qui t’en font un
crime. Mais à qui fait-on un crime aujourd’hui d’être chrétien? Il y a si peu
d’hommes qui ne le soient point, qu’il nous sied mieux de leur reprocher de ne
l’être pas, qu’à eux de nous reprocher de l’être. J’ose néanmoins vous le dire,
mes frères: commence, ô toi qui m’écoutes, commence à vivre en chrétien, et
vois si tu n’en recevras pas des reproches, de ces chrétiens qui sont chrétiens
de nom seulement, et non par la vie et les moeurs. Personne ne comprend mes
paroles, s’il n’en a fait l’expérience. Ecoute donc bien mes paroles, et fais-y
réflexion. Veux-tu vivre en chrétien? veux-tu suivre les traces de ton Sauveur?
Que l’on t’en fasse un crime et tu en rougis, et cette fausse honte te fait
tout abandonner. Te voilà hors du bon chemin. Il te semble que tu crois de
coeur pour être justifié, mais tu as perdu ceci: « Il faut confesser de bouche
pour arriver au salut 5 ». Si donc
1. Ps. XXX, 20.— 2. Prov. 1,7; Ps. CX, 10.—
3. Ps. XXX, 20 — 4. Matt. X, 33. — 5. Rom. X, 10.
tu veux marcher dans la voie du Seigneur, il
faut manifester ton espérance même devant les hommes, c’est-à-dire ne rougir
jamais de cette espérance. De même que Dieu vit dans ton coeur, qu’il soit
aussi dans ta bouche: car ce n’est point en vain que le Christ a voulu que son
signe fût marqué sur notre front, qui est le siége de la pudeur; c’est afin que
le chrétien ne rougisse point des opprobres du Christ. Si donc tu en agis de la
sorte en présence des hommes, si devant eux tu ne rougis point du Christ, si
devant les fils des hommes tu ne renies le Christ uni par tes oeuvres ni par
tes paroles, espère que Dieu te fera sentir sa douceur.
8. Quel est le verset suivant? « Vous les
cacherez dans le secret de votre face 1 ». Quel est ce lieu? Le Prophète ne dit
point: Vous les cacherez dans votre ciel; ni: Vous les cacherez dans votre
paradis; ni: Vous les cacherez dans le sein d’Abraham. Car les saintes
Ecritures donnent beaucoup de noms à ces lieux que doivent habiter les saints
dans la vie future. N’attachons aucun prix à tout ce qui n’est pas Dieu. Qu’il
soit lui-même notre habitation, ce Dieu qui veille sur nous, pendant notre
habitation en cette vie: c’est en effet le langage que tenait plus haut le
psalmiste: « Soyez pour moi un Dieu protecteur et un lieu de refuge 2 ». Donc
nous serons cachés dans la face de Dieu. Mais attendriez-vous que je vous
expliquasse la retraite qui est dans la face de Dieu? Purifiez vos coeurs, afin
que celui que vous invoquez puisse y entrer et les éclairer. Sois pour lui une
demeure ici-bas, et il sera ta demeure éternelle; qu’il habite en toi, et tu
habiteras en lui. Si tu le caches en cette vie en ton coeur, il te cachera dans
sa face en l’autre vie. « Vous les cacherez », dit le Prophète, mais où? « dans
le secret de votre face contre le « trouble des hommes ». Il n’y a plus de
trouble pour ceux que dérobe cet asile mystérieux; plus de trouble dans le
secret de votre face. Mais dès ici-bas, l’homme qui se voit en butte aux
outrages des autres, parce qu’il sert Jésus-Christ, dont le coeur se réfugie en
Dieu, mettant ainsi son espoir dans sa douceur, est-il assez heureux, selon
vous, pour trouver dans la face du Seigneur un asile contre le trouble des
hommes qui l’outragent, et un asile dont il ressente le bonheur? Il
1. Ps. XXX, 21.— 2. Id. 3.
entre en effet dans la face de Dieu, s’il est
en état d’y entrer, c’est-à-dire si sa conscience n’est point chargée, si elle n’est
point pour lui un fardeau en disproportion avec la porte étroite. « Vous les
cacherez donc dans le secret de votre face, contre le trouble des hommes; vous
les protégerez dans votre demeure contre les langues discordantes1». Un jour
donc, vous les cacherez dans le secret de votre face contre le trouble des
hommes; afin que nul trouble humain ne puisse désormais les atteindre. Mais
jusque-là, pendant que leur pèlerinage en cette vie expose vos serviteurs à des
contradictions nombreuses, que ferez-vous pour eux? « Vous les protégerez dans
votre tente». Quelle est cette tente? C’est l’Eglise d’ici-bas, ainsi appelée
parce qu’elle est voyageuse sur cette terre. Caria tente est l’abri des soldats
en campagne. Telle est la tente à proprement parler, mais lamai. son n’est pas
une tente. C’est à toi de combattre alors que tu n’es qu’un voyageur en
campagne, afin qu’après avoir été sous l’abri de la tente, tu aies dans la
maison une réception glorieuse. Car le ciel sera éternellement ton palais, situ
vis saintement sous la tente, C’est donc sous votre tente, ô Dieu, que vous
leur offrez un abri contre les langues de contradiction. On ne voit que des
langues contradictoires, que des hérésies, que des schismes qui dogmatisent,
une foule de langues qui contredisent la vraie doctrine: pour toi, va chercher
un abri sous la tente du Seigneur, adhère à l’Eglise catholique sans t’écarter
des règles de la vérité, et tu trouveras dans ce tabernacle un abri contre les
contradictions des langues.
9. « Béni soit le Seigneur, parce qu’il a
signalé sa miséricorde dans la ville qui m’environne 2 ». Quelle est cette
ville qui m’environne? Le peuple de Dieu n’habitait que la Judée, qui paraît
être au milieu du monde; où l’on célébrait les louanges du Seigneur, où on lui
offrait des sacrifices: où la prophétie publiait incessamment pour l’avenir les
merveilles que nous voyons s’accomplir: ce peuple paraissait donc au milieu des
nations. C’est là ce qui fixe l’attention du Prophète, et il voit que l’Eglise
de Dieu sera au milieu des nations, que tous les peuples environnaient le
peuple juif assis au milieu d’eux; il appelle ces peuples divers la cité qui
l’environne. Il est vrai,
1. Ps. XXX, 21.— 2. Id. 22.
(276)
Seigneur, que vous avez fait éclater à
Jérusalem votre miséricorde; c’est là que le Christ a souffert, là qu’il est
ressuscité, de là qu’il est monté aux cieux, là qu’il a opéré tant de prodiges:
mais vous êtes plus admirable encore d’avoir fait éclater votre miséricorde
dans cette ville qui l’environne, c’est-à-dire d’avoir tait tomber votre
miséricorde comme une rosée sur toutes les nations, de n’avoir point enfermé
dans Jérusalem, comme dans un vase, vos parfums exquis, d’avoir en quelque
sorte brisé le vase, pour que le parfum se répandit dans le monde, et qu’ainsi
fût accomplie cette parole de l’Ecriture: « Votre nom est comme un parfum
répandu 1 ».C’est ainsi que vous avez fait éclater vos miséricordes dans la
cité qui m’environne. Le Christ en effet s’est élevé au ciel, il est assis à la
droite de son Père, dix jours après il a envoyé l’Esprit-Saint 2: et pleins du
Saint-Esprit, les disciples se sont mis à prêcher les merveilles du Christ,
puis ils ont été lapidés, meurtris, chassés3. Bannis en quelque sorte de cette
ville unique, ils sont devenus par le feu divin comme des torches ardentes qui
ont porté dans la forêt du monde la ferveur du Saint-Esprit, et la lumière de
la vérité; et le Seigneur a fait éclater sa miséricorde dans la cité
environnante.
10. « Pour moi, j’ai dit dans mon extase ».
Rappelez-vous le titre du psaume: voici l’extase dont il est parlé. Pesez bien
les paroles voici ce qu’il dit: « Pour moi, j’ai dit dans mon extase: Me voilà
rejeté loin de vos yeux ». J’ai dit dans ma frayeur, c’est là ce que signifie:
« J’ai dit dans mon extase ». Il a été dans la stupeur, en face de je ne sais
quelle tribulation, comme il y en a tant. Il s’est vu le coeur plein de frayeur
et de trouble, et il s’est écrié: « Me voilà rejeté loin de vos yeux ». Si
j’étais caché dans votre face, je ne craindrais pas de la sorte; si vous aviez
l’oeil sur moi, je ne serais point dans cette frayeur. Mais, comme il est écrit
dans un autre psaume: « Quand je disais: Mon pied est ébranlé, votre
miséricorde, ô mon Dieu, me soutenait aussitôt ». Et voilà que même ici le
Prophète ajoute: « Aussi avez-vous entendu la voix de ma prière ». Parce que
j’ai fait un humble aveu, et que j’ai dit: « Me voilà repoussé loin de vos yeux
»; parce que, sans orgueil, j’ai accusé mon propre coeur, et que me sentant
chanceler dans l’épreuve, j’ai crié vers vous:
1.
Cant. I, 2. — 2. Act. I, 9. — 3. Id. VIII, 1.
voilà que vous avez entendu ma prière; ainsi
s’accomplit ce que j’ai cité de l’autre psaume. Car ces paroles: «J’ai dit dans
mon extase: Me voilà rejeté loin de vos yeux », reviennent à celles-ci: « Quand
je disais: Mon pied chancelle ». Et celles-ci: « Votre miséricorde, ô mon Dieu,
me soutenait», ont le même sens que ces autres: « Vous avez entendu, Seigneur,
la voix de ma prière ». Voyez tout cela s’accomplir en saint Pierre; il voit le
Seigneur marchant sur les eaux, et le prend pour un fantôme. Le Seigneur
s’écrie: « C’est moi, ne crains rien ». Pierre s’enhardit et répond « Si c’est
vous, Seigneur, commandez-moi d’aller à vous sur les eaux 1 »; par là je verrai
si c’est bien vous, si je puis, sur votre parole, faire ce que vous faites. Et
le Seigneur: Venez; et la parole de celui qui ordonne devient la force de celui
qui obéit. Venez, dit Jésus, et Pierre descend de la barque; il commence à
marcher, il va sans crainte parce qu’il espère en Jésus: mais au souffle d’un
vent violent, la crainte le saisit. « J’ai dit dans mon extase: Me voilà rejeté
loin de vos yeux ». Et comme il commençait à enfoncer, il s’écria: Seigneur, je
péris. Et Jésus lui tendant la main le souleva en disant: Homme de peu de foi,
pourquoi douter? J’ai dit dans ma frayeur: « Me voilà rejeté loin de vos yeux»;
et quand il va périr dans la mer: «Vous avez, Seigneur, entendu ma voix quand
j’en appelais à vous ». Cet appel à Dieu n’est point de la voix, mais du coeur.
Beaucoup parlaient du coeur, et dont les lèvres se taisaient, et beaucoup aussi
parlaient des lèvres, sans rien obtenir, parce que leur coeur était fort
éloigné. Si donc tu veux crier vers Dieu, crie du fond du coeur, puisque c’est
là qu’il écoute. Lorsque je criais vers vous, dit le Prophète, vous avez
entendu la voix de ma prière.
11. Après en avoir fait une si douce
expérience, à quoi nous engage le Prophète? «Aimez le Seigneur, vous qui êtes
ses saints 2». Comme s’il nous disait: Croyez-en à mon expérience; dans
l’affliction j’ai invoqué le Seigneur, qui n’a -point frustré mon attente; j’ai
mis en Dieu mon espoir, qui n’a pas été confondu: il a mis la lumière dans mes
pensées, et m’a rassuré dans mon trouble. « Aimez le Seigneur, vous qui êtes
ses saints »: c’est-à-dire, aimez le Seigneur, vous qui n’aimez pas le monde,
ou vous qui êtes ses saints.
1. Matt. XIV, 26-32. — 2. Ps. XXX, 24.
(277)
Dirai-je, en effet, d’aimer le Seigneur à
celui qui aime l’amphithéâtre? Dirai-je d’aimer le Seigneur à celui qui aime et
les mimes et les pantomimes, qui est enclin à l’ivrognerie, qui est épris des
pompes du siècle, de toutes les vanités, de toutes les folies de l’erreur?
J’aime mieux leur dire: Apprenez à ne pas aimer, afin d’apprendre à aimer;
détournez-vous, afin de vous retourner; répandez, afin de vous remplir ensuite.
« Aimez. le Seigneur, ô vous qui êtes ses saints ».
12. « Car le Seigneur recherche la vérité 1».
Vous le savez, mes frères, on voit aujourd’hui beaucoup d’hommes s’adonner au
mal, beaucoup d’autres s’élever dans leur vanité, mais le Seigneur doit
rechercher la vérité. « Il rendra au centuple à ceux qui agissent
principalement par orgueil ». Supportez-les donc jusqu’à ce que vous les
portiez à la tombe, souffrez-les jusqu’à ce que vous en soyez délivrés: car il
faut que Dieu recherche la vérité et châtie ceux qui n’agissent que par
orgueil. Mais, diras-tu, quand le fera-t-il? A sa volonté. Sois assuré qu’il le
fera, ne doute nullement de sa justice, et quant au moment de l’exercer, ne va
pas témérairement donner des conseils à Dieu. il est certain qu’il recherchera
la vérité, qu’il punira ceux qui agissent par excès d’orgueil. Il le fait pour
quelques-uns dès cette vie; nous en avons été témoins, nous avons reconnu sa
justice. En effet, quand le Seigneur humilie ceux qui le craignent, et qui ont
pu jeter de l’éclat dans les dignités du monde, leur humiliation ne les a point
abattus, parce qu’ils n’avaient point banni Dieu de leur coeur; leur élévation
est alors Dieu lui-même. Job paraissait humilié, après avoir essuyé la perte de
ses biens, la perte de ses enfants, la perte et des biens qu’il réservait en
héritage2, et de ceux qui devaient en hériter; il demeure sans héritage, et ce
qui est plus triste, sans héritier; il demeura seul avec son épouse, qui était
pour lui non plus une consolatrice, mais plutôt un instrument du diable 3: il
paraissait humilié; voyez s’il était misérable, et s’il n’était point caché
dans la face de Dieu. « Je suis sorti nu du sein de ma mère», s’écria-t-il, «
et nu je retournerai dans «la terre: le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté;
comme il a plu au Seigneur, ainsi a-t-il été fait: que le nom du Seigneur soit
béni 4 ». C’est la perle de la louange offerte à
1. Ps.XXX, 24. — 2. Job,
I. — 3. Id. II. 3. — 4. Id. I, 21.
Dieu, et quelle en est la source? Voyez, l’extérieur est pauvre, et à
l’intérieur il y a des trésors. Cette perle des louanges de Dieu sortirait-elle
de sa bouche, s’il n’avait un trésor enfoui dans son coeur? Vous qui soupirez
après les richesses, ce sont là les trésors qu’il vous faut convoiter, et que
vous ne perdrez point dans un naufrage. Quand ces hommes sont humiliés,
gardez-vous de les croire malheureux. Ce serait une erreur, car vous ne
connaissez point leurs richesses intérieures. Frivoles amateurs du monde, vous
les jugez d’après volas-mêmes; en perdant ces biens, vous ne trouvez plus que
la misère, Gardez-vous de les juger ainsi, ils ont en eux. mêmes une source de
joie. Leur maître habite en eux, il est leur pasteur, il les console
intérieurement. Une chute n’est vraiment déplorable que pour ceux qui mettent
leur espérance dans cette vie. Otez-leur ce qui brille au dehors, il ne leur
reste que la fumée d’une mauvaise conscience. Ils n’ont plus rien qui les
puisse consoler, rien par où se répandre au dehors, rien par où ils puissent
rentrer en eux-mêmes, sans gloire mondaine, sans aucun don spirituel, ils sont
dans un déplorable dénuement. C’est ainsi que Dieu en traite beaucoup dès ce
monde, mais pas tous. S’il n’en traitait aucun, la divine Providence semblerait
s’endormir, et s’il les châtiait tous, la patience divine disparaîtrait. Mais
toi, ô chrétien, tu as appris à souffrir, et non à te venger. Voudrais-tu donc
te venger, ô chrétien, quand le Christ n’est point encore vengé? Quelle injure
as-tu endurée qu’il n’ait point dû essuyer? N’a-t-il pas le premier souffert
pour toi, lui qui ne méritait pas de souffrir? La tribulation est pour toi
comme le creuset pour l’or; si toutefois tu es de l’or et non point de la
paille, ce feu alors te fortifiera sans te réduire en cendres.
13. « Aimez le Seigneur, vous qui êtes ses
saints, parce que le Seigneur recherche la vérité et doit châtier ceux qui se
livrent à l’orgueil ». Mais quand les châtier? Si du moins il les châtiait de
nos jours! si je les voyais aujourd’hui humiliés, renversés dans la poussière!
Ecoutez ce qui suit: « Agissez en hommes », ne laissez pas vos mains s’abattre
dans la tribulation, ni vos genoux s’affaisser. « Agissez en hommes, et que
votre coeur soit inébranlable ». Ayez donc le coeur, la force d’endurer et de
souffrir tous
(278)
les maux de cette vie. Mais à qui le Prophète
adresse-t-il ces paroles: « Agissez en hommes et que votre coeur soit
inébranlable? » Est-ce aux hommes épris du monde? Pas du tout. Mais écoutez
quels sont ceux qu’il encourage: « Vous tous qui espérez dans le Seigneur».
Nous sommes tous conçus dans
l’iniquité, donc nous ne devons notre justice qu’à la grâce qui nous prévient
par cette clarté d’intelligence, par cette force de volonté, qui nous fait croire
à la parole de Dieu et proclame hautement notre foi. Or, notre foi consiste
principalement à croire et à confesser que nous sommes pécheurs et que c’est
Dieu qui nous sauve.
A DAVID POUR L’INTELLIGENCE (1).
1. A David, pour ce don de l’Esprit qui nous
fait comprendre que la confession de nos fautes nous mène au salut, non par les
mérites de nos oeuvres, mais par la grâce de Dieu.
2. « Bienheureux ceux dont les fautes sont s
remises, et dont les péchés ont été couverts 2»; dont les péchés sont mis en oubli.
« Bienheureux l’homme à qui le Seigneur n’a point imputé son crime, et dont la
bouche ne distille point la fraude»; dont les paroles ne font pas ostentation
de justice, quand sa conscience est pleine d’iniquités.
3. « Mes os ont vieilli parce que je gardais
le silence 3». Ma force est devenue une vieillesse infirme, parce que ma bouche
n’a point fait cette confession, qui obtient le salut 4. « Néanmoins je criais
tout le jour.» Dans mon impiété, je proférais contre Dieu des cris de
blasphème, comme pour défendre mes fautes et les excuser.
4. « Parce que votre main s’est appesantie
sur moi le jour et la nuit ». Parce que, sous la douleur incessante de vos
vengeances, « je me suis retourné dans ma souffrance, dont d’aiguillon me
déchirait 5 ». A la vue de ma misère, l’aiguillon de ma conscience m’a rendu
malheureux.
5. «Diapsalma. J’ai connu mon péché et t n’ai
point voilé mon injustice». C’est-à-dire,
1. Ps. XXXI, 1. — 2. Id. 1 — 3. Id. 3. — 4.
Rom. X, 10. — 5. Ps. XXXI, 4.
je n’ai point caché cette injustice. « J’ai
dit: J’attribuerai cette injustice, qui est bien la mienne, non point à Dieu,
comme je le faisais quand je me taisais dans mon impiété, mais bien à moi-même
». « Et vous m’avez pardonné l’impiété de mon cœur 1». Quand vous avez vu
l’aveu de mon coeur, avant l’aveu de mes lèvres.
6. « C’est pour cela que tout homme saint
vous invoquera en temps opportun 2». Cette impiété du coeur fera monter vers
vous la prière des saints. Car ils ne deviendront pas saints à cause de leurs
propres mérites, mais à cause du temps favorable, ou de l’avènement de celui
qui nous a rachetés de nos fautes. « Et toutefois au cataclysme des grandes
eaux, ils ne s’approcheront point de lui ». Que nul ne s’y trompe, et ne
s’imagine que quand le dernier jour nous surprendra, comme au temps de Noé, il
pourra faire cet aveu des fautes qui nous rapproche de Dieu.
7. « Vous êtes mon refuge contre l’affliction
qui m’environne 3». C’est en vous que je
trouve un asile contre la douleur de mes
fautes qui serre mon coeur. « Vous êtes ma joie, délivrez-moi de ceux qui
m’investissent ». C’est en vous qu’est toute ma joie, délivrez-moi de la
tristesse que me causent mes péchés.
8. « Diapsalma ». Réponse de Dieu. « Je te
donnerai l’intelligence, et t’affermirai dans la voie où tu auras marché 4 ».
En échange de ton aveu je te donnerai l’intelligence, afin
1. Ps. XXXI, 5. — 2. Id. 6. — 3. Id. 7. — 4.
Id. 8.
que tu n’abandonnes plus la voie que tu auras
choisie, et ne recherches plus l’indépendance. « Mes regards se fixeront sur
toi ». Je te confirmerai dans mon amour.
9. « Loin de vous de ressembler au cheval et
au mulet, qui n’ont point d’entendement ». De là vient qu’ils se veulent
conduire eux-mêmes. Et le Prophète répond: « Assujettissez leurs mâchoires au
mors et au frein 1». Faites pour eux, ô mon Dieu, comme l’on fait pour le
cheval et le mulet, contraignez-les par la douleur à subir votre direction. «
Eux qui refusent de s’approcher de vous ».
10. « ils sont nombreux, les châtiments des
pécheurs 2 ». Il a de rudes châtiments à
1. Ps. XXX, 9, — 2. Id. 10.
subir celui qui refuse d’avouer ses fautes à
Dieu, et qui prétend se conduire lui-même. « Pour celui qui espère en vous, il
sera investi de vos miséricordes ». Mais le Seigneur réserve ses faveurs à celui
qui l’a pris pour guide et a mis en lui son espoir.
11. « O vous qui êtes justes, réjouissez-vous
dans le Seigneur, livrez-vous à l’allégresse Réjouissez-vous, non plus en vous,
mais bien dans le Seigneur, ô vous qui êtes justes! «Et vous tous qui avez le
coeur droit, glorifiez. vous en lui 2 ». Glorifiez-vous tous en Dieu, vous qui
comprenez que nous devons lui être soumis, afin qu’un jour vous ayez ses
préférences.
1. Ps. XXXI, 10. — 2. Id. 11.
Le
salut nous vient de la foi et des bonnes oeuvres qui suivent la foi. — Doctrine
de saint Paul et de saint Jacques est en harmonie. — Foi d’Abraham. — Toute
oeuvre qui précède la foi est sans valeur. — Accord de saint Paul avec
lui-même. —L’homme heureux est celui dont les péchés sont remis. — Nathanaël
sous le figuier. — Confessons nos fautes comme le publicain. — Les eaux des
doctrines. — La droiture du cœur.
1. J’ai entrepris, nonobstant ma faiblesse,
d’exposer à votre charité, mes frères, le psaume que me signale principalement
saint Paul, ainsi qu’a pu vous en convaincre la lecture que l’on vient de vous
en faire, pour relever la grâce de Dieu et le mystère de notre justification
qui s’opère sans que nulle de nos oeuvres l’ait provoqué, mais par la bonté de
Dieu notre Seigneur qui nous prévient. Soutenez donc tout d’abord ma faiblesse
par vos prières, comme l’a dit l’Apôtre, « afin que Dieu m’ouvre la bouche et
me donne de vous parler (Eph. VI,19)
», d’une manière qui soit sans péril pour moi et salutaire pour vous. Car ici
l’esprit humain, naturellement inquiet et en suspens entre l’aveu de son
infirmité et la présomption de ses forces, est souvent poussé deçà et delà avec
un égal danger de tomber dans un précipice. En effet, s’il s’abandonne
entièrement à sa propre faiblesse, dominé par cette pensée, il se dit que telle
est la divine miséricorde pour tous les pécheurs, quels que soient leurs
désordres et leur obstination, qu’à la fin ils recevront leur pardon, pourvu
qu’ils croient que Dieu les délivrera, et leur pardonnera, en sorte que nul
chrétien pécheur ne périsse, c’est-à-dire que nul ne puisse périr de tous ceux
qui se disent en eux-mêmes: Quoi que je fasse, de quelque abomination., de
quelque infamie que je sois souillé, quelque, nombreux que soient mes péchés, le
Seigneur me délivrera dans sa miséricorde parce que j’ai cru en lui: si,
dis-je, il en vient à croire que nul de ces coupables ne périt, il tombe dans
une fausse croyance, sur l’impunité des crimes. Alors Dieu qui est juste, et
dont le psaume chante la miséricorde et le jugement, non seulement la
miséricorde mais aussi le jugement 1, trouve cet homme dans une fausse
présomption de la bonté divine, abusant de la divine miséricorde pour sa propre
perte, et ne peut que le damner. Une telle pensée est donc pour l’homme un
dangereux précipice. Mais s’il redoute ce danger, au point de se confier en
lui-même, et que par une téméraire présomption de sa justice et de ses forces,
il se propose d’accomplir toute justice et d’observer exactement ce qu’ordonne
la loi de Dieu, au point de ne pécher aucunement; s’il se regarde comme
tellement maître de sa vie qu’il puisse ne jamais tomber, ne jamais faiblir, ne
jamais chanceler, ne jamais s’aveugler, et qu’il attribue ce résultat à la
puissance de sa volonté; quand même il accomplirait tout ce qui paraît juste
aux yeux des hommes, sans qu’il parût rien de répréhensible dans sa vie, Dieu
devrait encore punir cette présomption, cette vaine ostentation d’orgueil.
Qu’est-ce donc? si l’homme prétend se justifier lui-même, s’il présume de sa
justice, il tombe: s’il considère attentivement sa faiblesse, et que se
confiant en la divine miséricorde, il néglige de se purifier de ses taules, il
se plonge dans l’abîme du vice, il tombe encore. Péril à droite en présumant de
sa justice, péril à gauche en espérant l’impunité. Ecoutons la voix de Dieu qui
nous crie: « Ne vous détournez ni à droite ni à gauche 2». vous appuyez point
sur votre justice pour
espérer le ciel, ni sur la divine miséricorde
pour pécher. Précepte divin qui vous détourne de ce double écueil, et de
l’exaltation de l’orgueil et de la profondeur du crime. Vous élever jusqu’à
l’une, c’est appeler votre chute; descendre jusqu’à l’autre, c’est vous
engloutir. N’allez donc, dit le Sage, ni à droite ni à gauche. Je vous le répète
en un mot, afin de le graver dans votre esprit: Ne vous appuyez point sur votre
justice pour espérer le ciel, ni sur la divine miséricorde pour pécher. Que
faire alors, me répondrez-vous? Notre psaume nous l’enseigne: et j’espère, Dieu
aidant, qu’après en avoir écouté la lecture et l’explication, nous connaîtrons
la voie que nous devons prendre, ou dans laquelle nous devons nous tenir avec
courage. Que chacun nous écoute selon ses facultés, et qu’il s’afflige ou se
réjouisse selon que sa conscience va lui suggérer un vice à corriger,
1. Ps. C, 1. — Prov. IV, 27.
une vertu à applaudir. S’il s’aperçoit qu’il
ait fait fausse route, qu’il revienne dans le bon chemin; s’il se trouve dans
la bonne voie, qu’il y marche afin d’arriver au but. Nul orgueil, hors du bon
chemin; nulle paresse en chemin.
2. Saint Paul nous affirme que ce psaume
traite de la grâce qui nous fait chrétiens: c’est pourquoi j’ai voulu qu’on
vous en fît la lecture. Afin d’établir la justice par la foi contre ceux qui
vantaient la justice par les oeuvres, l’Apôtre parle ainsi: « Quel avantage,
dirons-nous, revint à Abraham, notre père selon la chair? Car si Abraham a été
justifié par ses oeuvres, il a du mérite, mais non devant Dieu 1 ». Dieu nous
préserve d’un semblable mérite; écoutons plutôt cette parole: « Que celui qui
se glorifie ne se glorifie que dans le Seigneur 2 ». Beaucoup d’hommes peuvent
se glorifier de leurs oeuvres, et vous trouvez bon nombre de païens qui
refusent de se faire chrétiens, parce que leur vie leur paraît suffisante en
bonnes oeuvres. Bien vivre nous suffit, dit ce païen; que pourra m’enseigner le
Christ? A régler ma vie? Elle est réglée, qu’ai-je besoin du Christ?Je ne
commets ni homicide, ni vol, ni rapine, je ne désire point le bien d’autrui, je
ne me souille d’aucun adultère. Que l’on trouve à reprendre dans ma vie, et
quand on le fera, je me fais chrétien. Cet homme peut se glorifier, mais non
devant Dieu. Il n’en est pas ainsi d’Abraham notre père. Tel est le point que
l’Ecriture signale à notre attention. Car il faut l’avouer, nous croyons tous
que ce saint patriarche fut agréable à Dieu, nous reconnaissons et proclamons
qu’Abraham a de la gloire devant Dieu, dit l’Apôtre: certes, nous le savons, et
il est évident pour nous qu’Abraham est glorieux aux yeux de Dieu: mais s’il
fut justifié par ses oeuvres, il est glorieux devant les hommes et non devant
Dieu. Or, il est glorieux devant Dieu, donc sa justification ne vient point de
ses oeuvres. Mais si la justification ne lui vient point de ses oeuvres, d’où lui
vient-elle? L’Apôtre nous l’explique ensuite: « Que dit l’Ecriture 3? n
c’est-à-dire: A quoi l’Ecriture a-t-elle attribué la justification d’Abraham? «
Abraham crut à Dieu, et cela lui fut imputé à justice 4 ». Donc ce fut à la foi
qu’Abraham dut sa justification.
3. Mais lorsqu’on croit à la justification
par
1.
Rom. IV, 1, 2.— 2. I Cor. I, 31.— 3. Rom. IV, 3.—. 4. Gen. XV, 6.
la foi et non par les oeuvres, il faut éviter
un autre abîme que j’ai signalé. Voyez, me dira-t-on, que c’est par la foi, et
non par les oeuvres, qu’Abraham a été justifié, je puis donc vivre à mon gré,
n’eussé-je en effet aucune oeuvre sainte, pourvu que je croie en Dieu, cette
foi me sera imputée à justice. L’homme qui a tenu ce langage, et a pris cette
résolution, est tombé dans l’abîme; s’il n’en a que la pensée, et qu’il soit
dans l’incertitude, c’est déjà un danger. Mais la parole de Dieu, bien
comprise, peut non seulement retenir celui qui est près du gouffre, mais en
retirer celui qui y est plongé. Je réponds donc pour ainsi dire, à l’encontre
de l’Apôtre, et je rapporte d’Abraham, ce que nous lisons dans l’épître d’un
Apôtre aussi, qui voulait redresser le sens déplorable que l’on donnait aux
paroles de saint Paul. Dans cette lettre, en effet, saint Jacques, voulant
réfuter les adversaires des bonnes oeuvres, qui s’appuyaient uniquement sur la
foi (Jacques, II, 1), relève les
oeuvres d’Abraham, dont saint Paul avait relevé la foi; mais les deux Apôtres
ne sont point en contradiction. Saint Jacques rapporte d’Abraham ce que tout le
monde connaît, l’immolation d’Isaac; oeuvre sublime, il est vrai, mais oeuvre
de foi. J’admire la construction de l’édifice, mais je vois que la foi en est
la base. Je loue ce fruit parfait d’une bonne oeuvre, mais je le vois croître
sur l’arbre de la foi. Si Abraham faisait cette oeuvre en dehors de la foi,
quelle qu’en fût l’excellence, elle lui serait inutile. Si au contraire la foi
d’Abraham lui eût fait répondre en lui-même, quand le Seigneur lui commandait
le sacrifice de son fils: Je n’obéis point, et néanmoins je crois que Dieu me
délivrera en dépit de ses ordres méprisés; sa foi sans les oeuvres n’eût été
qu’une foi morte, qu’un arbre stérile et desséché.
4. Que faut-il donc? et aucune bonne oeuvre
ne peut-elle exister avant la foi, c’est-à-dire qu’on ne puisse dire qu’un
homme avant la foi ait fait aucun bien? Car tous ces actes de renom que l’on
fait avant la foi, quelque louables qu’ils paraissent aux hommes, sont des
actes sans valeur. Telles seraient, selon moi, de grandes forces déployées et
une course rapide en dehors du bon chemin. Ne comptons donc pour rien les
bonnes oeuvres faites avant la foi; car il n’y arien de vraiment bon, où la foi
n’existe pas. Ce qui fait le prix de l’oeuvre, c’est l’intention, et
l’intention doit être réglée par la foi. Ne vous arrêtez dont pas à l’acte que
fait un homme, mais au but qu’il se propose, et qu’il veut atteindre en
dirigeant son gouvernail avec force et adresse, Supposez qu’un pilote gouverne
habilement son navire, mais ne sache plus où il va, de quoi lui servira de bien
tenir le gouvernail, de le mouvoir avec adresse, de fendre les flots avec la
rame, d’épargner quelque choc à ses flancs? Supposons même qu’il soit d’une
habileté à tourner et à retourner son vaisseau à sa guise, et qu’on lui demande:
Où vas-tu? et qu’il réponde: Je n’en sais rien, ou même que sans dire: Je n’en
sais rien, il réponde: Je vais à tel port, et qu’il s’en aille sur les rochers;
n’est-il pas évident que plus cet homme se croit habile et capable de diriger
un vaisseau, plus ses manoeuvres sont dangereuses, et vont bâter le naufrage?
Tel est l’homme qui précipite sa course en dehors de la bonne voie. N’eût-il
pas été de beaucoup préférable, que ce pilote eût un peu moins de vigueur, un
peu moins d’habileté à manier le gouvernail, et qu’il suivit exactement le bon
chemin;que cet autre dirigeât son navire avec plus de lenteur et plus de peine,
mais dans la bonne voie, au lieu de courir avec tant de vitesse en dehors de la
route? Le plus heureux de tops est donc celui qui est dans le vrai chemin, et y
marche sagement; au second rang est l’espérance, qui chancelle tant soit peu,
sans néanmoins s’arrêter, qui s’attarde parfois, mais qui avance peu à peu. Car
on peut espérer que malgré ses lenteurs il touchera au but.
5. Donc, mes frères, Abraham fut justifié par
la foi; mais cette foi, si elle n’a été précédée, a été suivie de bonnes
oeuvres. Car ta foi doit-elle être stérile? Elle ne le sera point situ ne l’es
toi-même. Si tu mêles à ta foi quelque élément mauvais, c’est un feu qui
consume la racine de la foi. Tiens donc ferme dans ta foi, situ veux agir.
Mais, diras-tu, tel n’est point le langage de saint Paul. Au contraire, voici
ce que saint Paul enseigne: « C’est la foi », dit-il, « qui agit par la charité
1 ». Et ailleurs: « La plénitude de la loi, c’est la charité 2 ». Et ailleurs
encore: « Toute la loi est renfermée dans une seule parole, ainsi formulée: Tu
aimeras ton prochain comme toi-même 3 ». Vois s’il ne veut dota part aucune
oeuvre, celui qui a dit: « Tu ne
1.
Gal. V, 6.— 2. Rom. XIII, 10.— 3.Gal. V, 4
commettras point l’adultère; tu ne tueras
point, tu n’auras aucun mauvais désir, et tout autre précepte est résumé dans
cette parole: Tu aimeras le prochain comme toi-même. L’amour du prochain
n’opère pas le mal. L’amour est donc l’accomplissement de la loi 1 ». Est-ce
que la charité te permet de nuire d’aucune sorte à celui que tu aimes? Mais
peut-être, sans lui faire aucun mal, ne lui fais-tu aucun bien. La charité, je
te le demande, peut-elle te permettre de ne pas faire tout le bien possible à
celui que tu aimes? N’est-ce point cette charité qui prie même pour les
ennemis? Pourrait-on, en cherchent le bien d’un ennemi, abandonner un ami? La
foi donc sera sans oeuvres, si elle est sans charité. Mais afin de ne point
surcharger ton esprit de ces oeuvres de foi, joins à la foi l’espérance et la
charité, et mets-toi peu en peine des oeuvres. La charité ne saurait être
oisive. Qu’est-ce en effet qui nous stimule même à faire le mal, sinon l’amour?
Cherche-moi un amour stérile, un amour sans action. Les crimes, les adultères,
les forfaits, les homicides, les débauches, tout cela n’est-il pas l’oeuvre de
l’amour? Purifie donc ton amour; amène dans ton jardin ce ruisseau qui va se
perdre à l’égout; qu’il ait pour le Créateur du monde cette pente qu’il avait
pour le monde lui-même. Vous a-t-on dit: N’aimez rien? Jamais. Ne rien aimer,
c’est le propre des âmes lâches, sans vie, fades et misérables. Aimez donc,
mais voyez ce qu’il faut aimer. On appelle charité l’amour de Dieu, l’amour du
prochain. L’amour du monde, l’amour du siècle, se nomme passion. Réprimez la
passion, exercez la charité. Car la charité même de celui qui fait le bien, lui
donne l’espoir d’une conscience pure. La bonne conscience renferme en effet l’espérance;
et comme la mauvaise est tout à fait dans le désespoir, la bonne s’alimente
d’espérance. Vous posséderez ainsi les trois vertus dont parle saint Paul: La
foi, l’espérance et la charité 2. Ailleurs encore, il nomme ces trois vertus,
mais au lieu de l’espérance, il met la bonne conscience: « Telle est la fin des
commandements », dit-il. Mais qu’est-ce que la fin d’un précepte? Ce qui lui
donne sa perfection, et non ce qui l’abroge. Dire en effet: Je suis à la fin de
mon pain, c’est autre chose que
1.
Rom. XII, 9, 10. — I Cor. XII, 13.
dire: Je suis à la fin de la robe que je
tissais. La fin de mon pain, signifie qu’il n’en reste plus; la fin de ma robe,
signifie qu’elle est achevée. Et néanmoins ce mot de fin se dit dans l’un et
dans l’autre cas. L’Apôtre n’appelle donc pas fin de la loi, ce qui tendrait à
la détruire, mais plutôt ce qui la perfectionne, ce qui est pour elle non point
la consomption, mais la consommation. Donc la fin de la loi consiste en ces
trois vertus: « La fin de la loi», dit-il, « consiste dans la charité qui émane
d’un coeur pur, d’une bonne conscience, et d’une foi sans dissimulation». La
bonne conscience rem place ici l’espérance, car celui-là espère, qui a la
conscience pure. Mais l’homme rongé par une conscience coupable, répudie
l’espérance et n’en a plus que pour la damnation. Afin donc d’espérer le ciel,
qu’il ait une bonne conscience, et pour avoir une bonne conscience, qu’il croie
et qu’il agisse. Ce qui fait qu’il croit, c’est la foi, et qu’il agit, c’est la
charité. Saint Paul, dans un endroit, nomme donc en premier lieu la foi. « La
foi, l’espérance, et la charité 1 »; ailleurs il commence par la charité: « La
charité qui émane d’un coeur pur, de la bonne conscience, et de la foi sans
dissimulation 2 ». Nous autres, nous commençons quelquefois par le milieu, par
la conscience pure, ou l’espérance. Qu’il ait donc, je le répète, la conscience
pure, celui qui veut avoir une sainte espérance; et pour avoir une bonne
conscience, qu’il croie et qu’il agisse. Du milieu, nous allons au commencement
et à la fin: Qu’il croie et qu’il agisse. Ce qui fait qu’il croit, c’est la
foi; ce qui fait qu’il agit, c’est la charité.
6. Comment donc l’Apôtre a-t-il dit que
l’homme est justifié sans les oeuvres, et par la foi, tandis qu’ailleurs il
dit: « La foi qui agit par la charité 3? » N’opposons donc plus saint Jacques à
saint Paul, mais bien saint Paul à lui-même, et disons-lui: D’une part, vous
nous permettez de pécher impunément, par ces paroles: « Nous croyons que
l’homme est justifié par la foi sans les œuvres 4 ». Et d’autre part, vous nous
dites que « la foi agit par la charité ». Comment se fait-il que, selon vous,
je me crois en sûreté sans faire aucune bonne oeuvre, et selon vous encore, il
me semble que je ne puis avoir ni la foi, ni l’espérance, si je n’agis par la
charité? Car je
1.
II Cor. XIII, 13.— 2. I Tim. I, 5 — 3. Gal. V, 6.— 4. Rom. III, 28.
(283)
tiens vos paroles, ô grand Apôtre. Assurément
votre dessein est de prêcher ici la foi sans les oeuvres: mais l’oeuvre de la
foi est la charité: et la charité ne peut demeurer oisive: elle s’abstient du
mal, elle fait tout le bien possible. Quelle est en effet l’oeuvre de la
charité? « Fuis le mal, et opère le bien 1 ». Telle est donc la foi sans les
oeuvres, que vous prêchez, quand vous dites ailleurs: « En vain j’aurais la foi
jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai la charité, cela ne me sert de
rien 2». Donc la foi n’est rien sans la charité, et si la charité, partout où
elle existe, ne peut demeurer inactive, c’est la foi qui agit par la charité.
Comment donc l’homme sera-t-il justifié par la foi sans les oeuvres? L’Apôtre
nous répond: O homme, si je t’ai parlé de la sorte, c’est afin que tu ne
présumes pas témérairement de tes oeuvres, et que tu n’attribues pas à leur
mérite le don de la foi que tu as reçu. Loin de toi de compter sur tes oeuvres
qui ont précédé la foi; sache bien que la foi a trouvé en toi un pécheur; et si
le don de cette foi t’a justifié, c’est qu’elle a trouvé en toi un impie à
justifier. « A l’homme qui croit en celui qui justifie l’impie, la foi est
imputée à justice 3 ». Mais pour l’impie, être justifié, c’est d’impie devenir
juste; et s’il devient juste, d’impie qu’il était, quelles sont les oeuvres des
impies? Que l’impie nous vante ses oeuvres, et nous dise: Je donne aux pauvres,
je ne dérobe rien à personne, je ne désire point l’épouse d’autrui, je ne tue
personne, je ne fais tort à qui que ce soit, je rends les dépôts que l’on m’a
confiés même sans témoins: qu’il nous tienne ce langage, et je demande s’il est
juste ou impie. Comment puis-je être impie, me dira-t-il, avec de telles
oeuvres? Comme étaient ceux dont il est dit: « Ils ont servi la créature plutôt
que le Créateur, qui est béni dans tous les siècles4 ». Comment serais-tu
impie? Comment? si dans ces bonnes oeuvres, tu espères ce qu’il faut espérer en
effet, mais non de celui en qui doit être notre espérance; ou situ espères ce
que tu ne dois pas espérer, même de celui qui doit nous donner la vie
éternelle, n’est-ce pas. être impie? Tu es impie d’attendre la félicité
temporelle pour prix de tes bonnes oeuvres. Telle n’est point la récompense de
la foi. La foi est précieuse, tu l’estimes trop peu. Tu es donc impie, et
1. Ps. XXXVI, 37.— 2. I Cor. XII, 2.— 3. Rom.
IV, 5.— 4. Id. I, 25.
tes oeuvres ne sont rien. En vain dans tes
bonnes oeuvres, tu déploies de grandes forces, et tu parais gouverner
habilement ton vaisseau, tu vas heurter un écueil. Qu’est-ce encore? situ
espères ce qu’il faut espérer en effet, c’est-à-dire la vie éternelle, mais que
tu ne l’espères pas du Seigneur notre Dieu, par Jésus-Christ, de qui seul on
peut l’obtenir, si tu crois que cette vie éternelle te viendra par la milice du
ciel, par le soleil, par la lune, par les puissances de l’air, de la mer, des
terres, des astres, tu es impie. Crois en Celui qui donne la justice à l’impie,
afin que tes bonnes oeuvres aient la bonté réelle; puis. qu’on ne peut les
appeler bonnes, que quand elles sortent d’une bonne racine. Comment cela? Ou tu
attends, du Dieu éternel, la vie du temps, ou des démons la vie éternelle: dans
l’un et l’autre cas tu es un impie. Corrige ta foi, redresse ta foi, et surtout
redresse ta route:.et alors avec des pieds agiles, marche en toute sécurité,
cours, tu es dans le bon chemin: plus sera prompte ta course, et plus sera
heureuse ton arrivée. Mais peut-être chancelles-tu- quelque peu; du moins
n’abandonne pas la route: tu arriveras, quoique plus tard: loin de toi de
t’arrêter, de retourner en arrière, de t’égarer.
7. Qu’est-ce donc, mes frères? Quels sont les
hommes heureux? Ce ne sont point les hommes en qui Dieu ne trouve aucun péché;
car il en trouve chez tous les hommes:
« Puisque tous ni péché, tous ont besoin de
la « gloire de Dieu 2 ». Si donc on trouve des fautes chez tous les hommes, il
ne reste d’heureux, que ceux dont les péchés sont pardonnés. C’est ce que nous
insinue l’Apôtre en ces termes: « Abraham crut à Dieu, et sa foi lui fut
imputée à justice 2 ». Mais la récompense que l’on donne à celui qui travaille,
qui compte sur ses oeuvres, qui attribue à leur mérite la foi qui lui a été
donnée, cette récompense ne lui est pas imputée comme une grâce, mais comme une
dette. Qu’est-ce à dire, sinon que notre récompense prend le nom de grâce? Si
c’est une grâce, elle est donnée gratuitement. Qu’est-ce à dire qu’elle est
donnée gratuitement? Qu’elle ne coûte rien. Tu n’as fait aucun bien, et tes
péchés te sont remis. On cherche tes oeuvres, et l’on n’en trouve que de
mauvaises. Si Dieu rendait à ces oeuvres selon leur valeur, il te damnerait: «
Car la
1. Rom. III, 23. — 2. Id. IV, 3.
(284)
mort est la solde du péché 1 » Que doit-on
aux oeuvres mauvaises? la damnation; et aux bonnes oeuvres? le ciel. Mais toi
que l’on trouve dans les oeuvres mauvaises, pour te rendre ce qui t’est dû, il
faudrait te punir. Qu’arrive-t-il donc? Sans t’infliger la peine que ta
mérites, le Seigneur t’accorde la grâce que tu ne mérites point. Il te devait
le châtiment, il t’accorde le pardon. Ainsi c’est parle pardon que tu commences
à être dans la foi; et cette foi, s’unissant à l’espérance et à la charité,
commence à faire le bien: et néanmoins, garde-toi de te glorifier, de t’élever
en toi-même; souviens-toi de celui qui t’a mis dans le bon chemin; souviens-toi
qu’avec des pieds forts et agiles tu n’en étais pas moins égaré: n’oublie
jamais que, languissant, et laissé à demi mort sur la voie, tu as été mis sur
le cheval du samaritain, pour être conduit à l’hôtellerie 2. « La récompense
que l’on donne à celui qui travaille»,dit saint Paul, « ne lui est pas imputée
comme une grâce, mais comme une dette3 ». Si donc tu ne veux aucune part à la
grâce, fais valoir tes mérites. quant à Dieu, il voit ce qui est en toi, il
sait ce qui est dû à chacun. « Pour l’homme qui ne fait aucune oeuvre4»,
poursuit saint Paul, prends donc un impie, un pécheur; celui-là ne fait aucune
oeuvre. Que fait-il? « Mais qui croit en celui qui justifie l’impie». Dès lors
qu’il ne fait aucune bonne oeuvre, il est un impie; et quand même il paraîtrait
faire le bien, comme il est sans la foi, ses oeuvres ne peuvent s’appeler
bonnes. « Mais il croit en celui qui justifie l’impie, sa foi lui est imputée à
justice. C’est ainsi que David a chanté le bonheur de celui à qui le Seigneur
impute la justice sans les œuvres 5». Mais quelle est cette justice? Celle de
la foi que n’ont point précédée, mais que vont suivre les bonnes oeuvres.
8. Soyez donc attentifs, mes frères; car
t’entendre mal, c’est vous exposer à tomber dans ce gouffre de l’impunité qu’on
se promet en péchant: et moi, non plus que l’Apôtre, je ne suis point
responsable de tous ceux qui peuvent mal interpréter mes paroles. Ceux qui le
comprirent mal, agissaient à dessein; ils redoutaient les bonnes oeuvres qui
devaient suivre. Ne faites point cause commune avec eux, mes frères. Un autre
psaume a dit à propos d’un
1.
Rom. VI, 23.— 2. Luc, X, 30— 3. Rom. IV, 4.— 4. Ibid. 5.— 5. Ibid. 5,6.
tel homme, et ce seul homme renferme toute
une catégorie: « Il n’a pas voulu comprendre, de peur de faire le bien 1 ». Il
n’est pas dit: Il n’a pu comprendre. Pour vous, mes frères, ayez la volonté de
comprendre, afin que vous fassiez le bien. L’intelligence ne vous manquera
point, et même elle arrivera jusqu’à l’évidence. Qu’y a-t-il d’évident pour
celui qui a compris? Que nul ne doit vanter les bonnes oeuvres qui ont précédé
la foi, et après la foi n’en négliger aucune. Dieu fait donc miséricorde à tous
les impies, et les sauve par la foi.
9. « Bienheureux ceux dont les fautes sont
remises, et dont les péchés ont été couverts. Bienheureux l’homme à qui Dieu
n’a point imputé son crime, et dont la bouche ne distille point la fraude 2 ».
Dès le commence-ment du psaume, nous en avons l’intelligence, et cette
intelligence consiste à bien savoir que nous ne devons ni nous vanter de nos
mérites, ni espérer témérairement l’impunité de nos fautes. Car voici le titre
du psaume: « A David, intelligence ». C’est donc un psaume d’intelligence; et
le premier effet de cette intelligence, c’est de te reconnaître pécheur. Le
second effet, c’est de n’attribuer point à tes forces, mais à la grâce de Dieu,
les bonnes oeuvres qui seront les premiers fruits de ta foi dans la charité 3.
C’est ainsi qu’il n’y aura aucun déguisement dans ton coeur, c’est-à-dire dans
la bouche de l’homme intérieur, et tu n’auras point des paroles pour les lèvres,
et des paroles pour le coeur. Tu ne ressembleras point aux Pharisiens dont il
est dit « Vous êtes comme des sépulcres blanchis; au dehors, vous avez pour les
hommes des apparences de justice; au dedans, vous êtes pleins de déguisement et
de ruses 4 ». Et en effet, le pécheur qui veut qu’on le regarde comme un juste,
n’est-il pas un fourbe? Tel n’était pas Nathanaël dont le Sauveur a dit « Voilà
un véritable Israélite, qui est sans déguisement 5 ». Mais pourquoi n’y
avait-il aucun déguisement dans Nathanaël? « Quand tu étais sous le figuier je
te voyais 6 ». Il était sous le figuier, c’est-à-dire sous la condition de la
chair; et il était sous les conditions de la chair parce qu’il était dans
l’impiété native. Il était sous ce figuier qui arrache au psalmiste ce
gémissement: « Voilà que
1.
Ps. XXXV, 3. — 2. Id. XXXI, 1,2. — 3. Galat. V, 6. — 4. Matt. XXIII, 27. — 5.
Jean, I, 47. — 6. Ibid. 48.
(285)
j’ai été conçu dans l’iniquité 1 ». Mais il
le vit Celui qui vint avec la grâce. Que dis-je, il le vit? il en eut pitié. Le
Sauveur donc relève cet homme sans artifice, pour nous relever le prix de la
grâce qui est en lui. « Je te voyais, quand tu étais sous le figuier ». Je t’ai
vu, qu’y a-t-il là de si grand, si l’on n’y découvre quelque mystère? Qu’y
a-t-il de si grand en effet à voir un homme sous un arbre? Si le Christ n’avait
vu le genre humain sous ce figuier, ou bien nous serions entièrement desséchés,
ou bien, non plus que chez ces Pharisiens, qui étaient fourbes, c’est-à-dire
dont les paroles étaient justes et dont les actes étaient pervers, on ne
trouverait chez nous que des feuilles et non des fruits. Le Christ en effet
maudit et fit sécher le figuier qu’il trouva en cet état. Je ne vois, dit-il,
que des feuilles, ou plutôt des paroles et aucun fruit: « Qu’il se dessèche
donc entièrement et ne porte pas même de feuilles 2 ». Pourquoi des paroles
encore? Un arbre sec n’a même plus aucune feuille. Tels étaient les Juifs; cet
arbre était les Pharisiens, qui avaient des paroles et non point des actes;
l’arrêt du Seigneur les condamne à se dessécher. Que le Seigneur nous aperçoive
donc sous le figuier: tant que nous sommes en cette vie, qu’il voie en nous le
fruit des bonnes oeuvres, afin que sa malédiction ne nous fasse point
dessécher. Et comme tout nous vient de sa grâce et non point de nos mérites
« Bienheureux ceux dont les iniquités sont
remises, et dont les péchés sont couverts ». Non ceux chez qui l’on trouve des
péchés, mais ceux dont les péchés sont couverts, dont les fautes sont cachées,
effacées, anises en oubli. Si Dieu a effacé leurs péchés, il ne veut plus les
voir; s’il ne veut plus les voir, il ne veut point les punir; s’il ne veut
point les punir, il ne veut point les connaître, mais plutôt fermer les yeux
sur eux. « Bienheureux ceux dont les fautes sont remises, dont les péchés sont
couverts ». Si le Prophète a dit que ces péchés sont couverts, gardez-vous de
croire que ces péchés soient encore existants et vivants. Pourquoi dit-il
qu’ils sont couverts? parce qu’ils ne sont plus visibles. Car, en Dieu, voir le
péché, n’est-ce point le punir? Et afin de nous faire comprendre que, pour
Dieu, voie le péché c’est le punir que, lui dit le Prophète? «Détournez vos
yeux de mon péché 3 ». Qu’il
1. Ps. L, 7.— 2. Matt. XXI, 19.— 3. Ps. L,
II.
ne voie donc plus tes péchés, afin de te voir
toi-même. Comment te verra-t-il? Comme il vit Nathanaël: « Je t’ai vu, quand tu
étais sous le figuier 1 ». L’ombre du figuier n’est point impénétrable aux yeux
de la divine miséricorde.
10. « Et dont la bouche ne recèle aucun
déguisement 2 ». Mais ceux qui reculent devant l’aveu de leurs fautes, font
d’inutiles efforts pour les cacher. Plus ils s’efforcent de se défendre du
péché, en faisant valoir leurs mérites, et en s’aveuglant sur leurs iniquités,
plus s’énerve leur force et leur courage. Celui-là est véritablement fort qui a
mis sa force en Dieu et non point en lui-même. Aussi saint Paul disait-il: «
Trois fois j’ai prié le Seigneur d’éloigner de moi (cet ange de Satan); et il
m’a répondu: Ma grâce te suffit. Ma grâce», a-t-il dit, et non point ta force.
« Ma grâce te suffit », dit-il, « car c’est dans la faiblesse que se
perfectionne la force ». De là vient que l’Apôtre, à son tour, nous dit plus
loin:
« Quand je suis faible, c’est alors que je
deviens fort 3 ». Donc celui qui se prétend fort, qui se relève à ses yeux, qui
vante ses mérites, quelque grands qu’ils puissent être, est semblable au
pharisien, qui se vantait avec faste des dons qu’il reconnaissait avoir reçus
de Dieu: « Je vous rends grâces 4 », dit-il, Voyez, mes frères, quel orgueil
Dieu nous met sous les yeux: il est tel, qu’un homme juste pourrait y tomber,
tel, qu’il peut se glisser chez l’homme dont on a la meilleure espérance. « Je
vous rends grâces », disait-il. Donc en disant: « Je vous rends grâces n, il
avouait qu’il avait reçu de Dieu ce qui était en luit « Qu’avez-vous, que vous
n’ayez pas reçu 5?» Donc « je vous rends grâces», dit-il; « je vous rends
grâces, de ce que je ne suis point comme les autres hommes, qui sont voleurs,
injustes et adultères, ni même comme ce publicain 6 ». En quoi consiste donc
l’orgueil de cet homme? Non pas à rendre grâces à Dieu du bien qu’il trouve en
lui, mais à abuser de ces mêmes biens pour se préférer aux autres.
11. Prenons bien garde à ceci, mes frères;
car l’Evangéliste a soin de préciser à quel propos le Seigneur a fait cette
parabole. Le Christ avait dit: « Pensez-vous que le Fils de l’homme, venant sur
la terre, y trouvera de
1. Jean, I, 48. — 2. Ps. XXXI, 2.— 3. II Cor XII,
8-10, — 4. Luc, XVIII, LI.— 5. I Cor. IV, 7.— 6. Luc, XVIII, 11.
(286)
la foi 1?» Et de peur qu’il ne se trouvât
certains hérétiques, pour croire que l’univers dans sa totalité a perdu la foi
(car les hérétiques forment tous des sectes, et sont confinés dans certaines
localités), et pour se vanter d’avoir conservé ce qui a disparu du reste du
inonde, aussitôt que le Seigneur a dit: «Pensez-vous que le Fils de l’homme,
revenant au monde, y trouvera de la foi? » l’Evangéliste ajoute: « S’adressant
à quelques-uns qui se confiaient en eux-mêmes et en leur justice, et qui
méprisaient les autres, il proposa cette parabole: Un pharisien et un publicain
vinrent au temple pour y prier 2 »; et le reste que vous savez. Ce Pharisien
disait donc: « Je vous rends grâces ». Mais où est son orgueil? Dans son mépris
pour les autres. Quelle preuve en avez-vous? Dans ses paroles. Comment? Ce
pharisien, est-il dit, méprisait le publicain, qui se tenait éloigné, et que
son aveu rapprochait de Dieu. « Le publicain n, dit encore l’Evangile, se
tenait éloigné 3 ». Mais Dieu n’était pas éloigné de lui. Et pourquoi Dieu
n’était-il pas éloigné de lui? Parce qu’il est dit ailleurs: « Que le Seigneur
est tout près de ceux qui ont le coeur brisé 4 ». Voyez si ce publicain n’avait
pas le coeur brisé, et vous comprendrez que Dieu s’approche de ceux dont le
coeur est contrit. « Le publicain se tenait éloigné, et n’osait lever des yeux
vers le ciel, mais il frappait sa poitrine 5 ! » Frapper sa poitrine, n’est-ce
pas un signe que l’on a le coeur contrit? Que disait-il en frappant sa
poitrine? « Mon Dieu, ayez pitié de moi qui suis un pécheur». Et quel fut
l’arrêt du Sauveur? « En vérité, je vous le déclare, le publicain revint du
temple en sa maison, plus justifié que le pharisien ». Pourquoi? Telle est la
sentence du Seigneur. « Je ne suis point comme ce publicain, ni comme les
autres hommes, qui sont injustes, voleurs et adultères: je jeûne deux fois la
semaine, je donne la dîme de tout ce que je possède», dit le pharisien; tandis
que le publicain n’ose lever les yeux au ciel, qu’il n’a d’attention que pour
sa conscience, qu’il se tient debout, et qu’il est plus justifié que le
pharisien. Mais pourquoi? Expliquez-nous, Seigneur, je vous en supplie,
expliquez-nous les mystères de votre justice, l’équité de votre sentence. C’est
ce qu’il fait en nous
1. Luc, XVIII, 8. — 2. Ibid. 9 — 3. Ibid. 13.
— 4. Ps. XXXI, 19, — 5. Luc, XVIII, 13. — 6. Ibid. 14.
exposant les règles de sa loi. Voulez-vous
les entendre? « C’est que tout homme qui s’élève sera abaissé, et que tout
homme qui s’abaisse sera élevé (Luc,
XVIII, 14) ! »
12. Redoublez, mes frères, votre attention,
Nous avons dit que le publicain n’osait lever les yeux au ciel. Pourquoi ne pas
regarder le ciel? parce qu’il se considérait lui-même. Et il se considérait
afin de se prendre en horreur et par là de plaire à Dieu. Pour toi, tu as la
tête levée dans ton orgueil. Mais le Seigneur dit au superbe: Tu ne veux point
te considérer! Et moi-je te considère. Veux-tu que je te perde de vue? jette les
yeux sur toi-même, Le publicain donc n’osait lever les yeux au ciel, parce
qu’il considérait sa conscience et se châtiait lui-même, il devenait son propre
juge, afin que Dieu le prît en pitié; il se châtiait, afin que Dieu le
délivrât; il s’accusait, afin que Dieu fût son défenseur. Et il se défendit en
effet, puisqu’il prononça eu sa faveur: « Le publicain descendit chez lui, plus
juste que le pharisien, parce que tout homme qui s’élève sera abaissé, et tout
homme qui s’abaisse sera élevé ». Il s’est considéré lui-même, dit le Seigneur,
et je n’ai point voulu le considérer: j’ai entendu sa prière: « Détournez vos
yeux de mes iniquités ». Quel est celui qui a parlé de la sorte, sinon celui
qui a dit aussi: « Je connais l’étendue de mon iniquité ». Le pharisien donc,
mes frères, était aussi un pécheur. Bien qu’il ait dit: « Je ne suis point
comme les autres hommes qui sont injustes, voleurs « et adultères n; bien qu’il
ait jeûné deux fois la semaine, qu’il ait payé la dîme, il n’en était pas moins
un pécheur. A défaut de tout autre péché, son orgueil en était un très-grand;
et toutefois il tenait ce langage fastueux. Car enfin quel homme est sans
péché, et qui pourra se glorifier d’avoir un coeur pur, ou se vanter d’être
exempt de toute faute? Le pharisien avait donc des péchés; mais dans son
aveuglement, il oubliait qu’il était venu dans le temple; il était là comme ce
malade qui, dans le cabinet du médecin, cache ses blessures, et n’étale que des
membres en bon état. Que Dieu cache tes blessures; ne le fais point toi-même;
si la honte que tu as te les fait cacher, le médecin ne les guérira point. Que
le médecin les recouvre et les panse: car il les couvre d’un
(287)
appareil salutaire. L’appareil du médecin
guérit les blessures, l’appareil du blessé n’aboutit qu’à les dérober. Pourquoi
les cacher à Celui qui voit tout?
13. Reportons-nous donc, mes frères, à ce que
dit le Prophète: « Mes os ont vieilli, parce que je gardais le silence, et
néanmoins je criais tout le jour ». Quel sens donner à ces paroles qui paraissent
contradictoires « Parce que je me suis tu, mes os ont vieilli à cause de mes
cris? » Si c’est parce qu’il a crié, comment a-t-il gardé le silence? Il s’est
tu en certaines occasions, il ne s’est point tu en d’autres; il a tu ce qui
l’aurait fait avancer dans le bien, il n’a point tu ce qui l’a fait déchoir; il
a tu l’aveu de ses fautes, il a crié tout haut sa confiance en lui-même. « Je
me suis tu »,dit-il, « et dès lors je n’ai fait aucun aveu».C’était là pourtant
qu’il fallait parler, taire ses mérites, crier ses péchés: et dans sa démence
il a tu ses péchés, pour crier ses mérites. Alors qu’est-il arrivé? Ses os ont
vieilli. Remarquons-le bien: s’il avait crié ses péchés et tu ses mérites, ses
os se fussent renouvelés, ou plutôt ses vertus: il serait devenu fort devant le
Seigneur, parce qu’il aurait compris sa faiblesse. Maintenant qu’il a mis sa
force en lui-même, il est devenu faible et ses os ont vieilli. Il est demeuré
dans la faiblesse du vieillard, parce qu’il n’a point voulu rajeunir par l’aveu.
Vous savez en effet, mes frères, comment l’homme se renouvelle: car «
Bienheureux ceux dont les iniquités sont remises, et dont les péchés sont
couverts ». Celui-ci au contraire, loin d’accepter la rémission de ses fautes,
en a grossi le nombre, les a défendues, et a vanté ses mérites. Donc, parce
qu’il s’est tu, en ne confessant point ses péchés, ses os ont vieilli, u
Pendant que je criais durant « tout le jour n. Qu’est-ce à dire qu’il criait
tout le jour? Qu’il persistait à défendre ses péchés. Et voyez néanmoins quel
est cet homme, car il se connaît. Bientôt lui viendra l’intelligence; il
n’apercevra que lui-même, et se prendra en pitié, car il se connaît. Bientôt
vous l’entendrez, afin de vous guérir vous-mêmes.
14. « Bienheureux l’homme à qui le Seigneur
n’a point imputé son péché, et dont la bouche ne recèle point la fraude. Car
moi, je me suis tu et mes os ont vieilli, pendant que je criais tout le jour.
Le jour et la nuit, en effet, votre main s’est appesantie sur moi 1. »Que
signifie cette parole: « Votre main s’est appesantie sur moi? » Il y a là, mes
frères, un sens profond. Rappelez-vous le juste arrêt que Dieu a prononcé à
l’égard de ces deux hommes, du pharisien et du publicain. Qu’est-il dit du
pharisien? Qu’il est humilié; et du publicain? qu’il est élevé. Pourquoi l’un
est-il abaissé? parce qu’il s’est élevé; et l’autre élevé? parce qu’il s’est
abaissé. Mais Dieu, pour abaisser l’homme qui s’élève, appesantit sa main sur
lui. Il refuse de s’humilier par l’aveu, et il est humilié sous le poids de la
main de Dieu. Autant cette main est dure pour nous humilier, autant elle est
caressante pour nous relever. Elle a de la force pour l’un, et de la force
encore pour l’autre: elle se montre forte en nous humiliant, comme elle est
forte en nous relevant.
15. « Le jour et la nuit, votre main s’est
appesantie sur moi, je me suis retourné dans ma douleur dont l’aiguillon me
déchirait 2». Le poids de votre main, l’humiliation qui m’accable m’ont amené à
la conversion, dans mon chagrin: la misère me saisit, l’aiguillon me déchire,
et ma conscience en est meurtrie. Que lui est-il arrivé sous l’aiguillon de ces
épines? Il a ressenti sa douleur et reconnu sa faiblesse. Et lui qui n’avait
point fait l’aveu de ses fautes, mais qui avait crié pour la défendre, au point
d’émousser sa vertu, c’est-à-dire de hâter la vieillesse de ses os, qu’a-t-il
fait sous la douleur de l’aiguillon? « J’ai connu avion péché». Donc il
reconnaît ses fautes, et s’il les considère, Dieu en détourne les yeux. Ecoutez
la suite et voyez s’il ne dit point: «J’ai « reconnu mon péché, et je n’ai
point caché mon injustice 3 ». Je disais tout à l’heure: Ne couvre point tes
fautes, et Dieu les couvrira lui-même. «Bienheureux ceux dont les iniquités
sont remises, dont les péchés sont couverts ». Couvrir ses fautes, c’est se
découvrir soi-même. Le psalmiste les découvre, afin de n’être pas découvert
lui-même. « Je n’ai point couvert mon iniquité ». Qu’est-ce à dire: « Je n’ai
point couvert? » Jusque-là je me taisais: maintenant que fait-il? « J’ai dit»,
ce qui est contraire au silence. « J’ai dit», mais qu’as-tu dit? « Je
confesserai contre moi mes prévarications au Seigneur, et vous m’avez remis
l’impiété de mon âme 5 », « J’ai dit». Qu’as-tu dit? Il ne déclare pas encore,
mais
1. Ps. XXXI, 4.— 2. IbId. — 3. Id. 5.— 4.
Ibid.
(288)
il promet de déclarer ses fautes, et déjà
Dieu les lui pardonne. Considérez bien, mes frères, cette grande miséricorde:
le psalmiste dit seulement: «Je confesserai »; il ne dit point: J’ai déclaré
mon péché, et vous, Seigneur, vous l’avez remis, mais simplement: « Je le
déclarerai, et vous me l’avez pardonné». Dire en effet: « Je déclarerai »,
c’est dire par là même, que cette déclaration n’est pas encore sortie de sa
bouche, mais faite seulement dans son coeur. Dire: « Je déclarerai», c’est déjà
faire cette déclaration. Aussi « vous m’avez pardonné l’impiété de mon cœur ».
Ma confession n’était pas encore sur mes lèvres; j’avais dit seulement: « Je
confesserai contre moi-même »; et néanmoins le Seigneur a entendu ce cri de mon
âme. Ma parole n’était pas encore dans ma bouche; que déjà l’oreille de Dieu
était dans mon coeur. « Vous m’avez remis l’impiété de mon âme », parce que
j’ai dit: « Je confesserai».
16. Mais cela était insuffisant, Le Prophète
ne dit point Je confesserai mon injustice au Seigneur; ce n’est pas sans raison
qu’il ajoute: «Je confesserai contre moi »; ce qui est important. Beaucoup en
effet déclarent leurs injustices, mais les déclarent contre Dieu; et quand ils
sont surpris dans l’iniquité, ils répondent: C’est Dieu qui l’a voulu. Qu’un
homme en effet dise: Je n’ai point fait cela, ou, ce que vous me reprochez
n’est pas une faute; il n’accuse ni lui-même. ni Dieu. Qu’il dise au contraire:
J’ai fait cela, c’est une faute, mais Dieu l’a voulu ainsi, en quoi suis-je
coupable? alors c’est Dieu qu’il accuse. Mais, direz-vous, il n’est personne
qui parle ainsi; qui oserait dire: C’est Dieu qui l’a voulu? D’abord il y en a
beaucoup pour le dire; mais ceux qui ne le disent point formellement, que
font-ils autre chose, en s’excusant ainsi: C’est le destin qui l’a voulu, c’est
mon étoile qui en est cause? Ils prennent un détour, mais pour arriver à Dieu.
Par ces détours, ils veulent eu venir jusqu’à inculper Dieu, au lieu de prendre
le chemin plus court de l’apaiser. Le destin m’a poussé, disent-ils. Qu’est-ce
que le destin? Ma mauvaise étoile en est cause. Qu’est-ce que ces étoiles?
Assurément celles que nous voyons à la voûte des cieux. Qui les a créées? Dieu;
qui les a placées? Dieu encore. Ainsi, tu le vois, tu as voulu dire que c’est
Dieu qui t’a poussé au péché. L’injuste c’est lui, le juste c’est toi; s’il
n’avait ainsi disposé les choses, tu n’aurais point péché. Arrière toutes ces
excuses du péché; souviens-toi de ces paroles du psaume:
« Ne laissez point aller mon coeur à ces
paroles mensongères que l’on allègue pour excuser des péchés, parmi ces hommes
qui commettent l’iniquité ». Toutefois ce sont des hommes importants, ceux qui
atténuent ainsi leurs fautes; ils sont importants ceux qui peuvent compter les
étoiles, qui peuvent dire quand est-ce qu’un homme fera un acte coupable ou un
acte de vertu, quand Mars commettra un homicide et, Vénus un adultère; ce sont
des hommes importants, des hommes savants, des hommes distingués dans le monde.
Mais que nous dit le Psalmiste? « Ne laissez point aller mon coeur à ces
paroles mensongères, avec les hommes criminels; je n’aurai point de part avec
les plus habiles d’entre eux ». Que d’autres appellent savants et distingués
ceux qui peuvent compter les étoiles; que l’on accorde la sagesse à ceux qui
règlent comme sur les doigts les destinées des hommes qui lisent nos moeurs
dans les étoiles; pour moi, je sais que Dieu m’a doué du libre arbitre, que si
j’ai péché, c’est bien moi qui ai péché; non seulement je confesserai mon péché
au Seigneur, mais je le confesserai contre moi, et non contre lui. « Pour moi,
j’ai dit: Seigneur, ayez pitié de moi », c’est le malade qui appelle un
médecin. « Pour moi, j’ai dit ».A quoi bon mettre: « Moi j’ai dit », quand il
suffisait de dire simplement: J’ai dit? Le moi est ici emphatique; c’est bien
moi, ce n’est ni le destin, ni la fortune, ni le diable; ce dernier ne m’a
point forcé, mais moi j’ai consenti à ses instigations: « Pour moi, j’ai dit au
Seigneur: Ayez pitié de moi, guérissez mon âme, parce que j’ai péché contre
vous 1 ». C’est aussi la résolution qu’il arrête ici: « J’ai dit: Je
confesserai contre moi mon iniquité au Seigneur, et vous m’avez pardonné
l’impiété de mon cœur ».
17. « C’est pour cela que tout homme saint
vous invoquera au temps favorable2 ». Quel est ce temps opportun? Et qu’est-ce
à dire, pour cela? » A cause de leur impiété. Laquelle? Celle qu’a dû couvrir
le pardon de leur péché. «C’est pour cela que tout homme saint vous invoquera,
parce que vous lui avez remis ses fautes ». Sans ce pardon des fautes
1. Ps. XL, 5.— 2. Id. XXXI, 6.
(289)
il n’y aurait pas un saint pour vous
invoquer. « C’est pour cela que tout homme saint vous invoquera en temps
opportun: ou quand vous manifesterez votre alliance nouvelle; car la
manifestation de la grâce du Christ, c’est là le temps opportun. «Quand les
temps furent accomplis», dit saint Paul, « Dieu envoya son Fils, formé de la
femme», c’est-à-dire d’une vierge que les anciens désignaient aussi sous le nom
générique de femme, mulier, «
assujettie à la loi, afin de racheter ceux qui étaient sous la loi ». De
quelles mains les racheter? des mains du diable, de la perdition, du péché, des
mains de celui auquel ils s’étaient vendus. « Afin de racheter ceux qui étaient
sous la loi ». Ils étaient sous la loi, en ce sens que la loi les accablait. Et
les accabler, c’était les convaincre de péché sans les sauver. Sans doute, elle
défendait le mal; mais parce qu’ils n’avaient point la force de se justifier
par eux-mêmes, il fallait crier vers Dieu, comme celui qui se sentait captif
sous la loi du péché, et qui s’écriait: « Malheureux homme que je suis, qui me
délivrera de ce corps de mort 2?» Tous les hommes étaient donc sous la loi, et
non dans la loi qui pesait sur eux et les convainquait de péché. Car c’est la
loi qui a montré le péché, elle qui en a enfoncé l’aiguillon, elle qui a
meurtri notre coeur, elle qui a averti chacun de nous de se reconnaître
coupable et d’implorer du Seigneur notre pardon. « C’est pour cela que tout
homme saint doit crier vers vous, au temps favorable ». J’ai expliqué donc ce
temps favorable par ce mot de saint Paul: « Quand les temps furent accomplis,
Dieu nous envoya son Fils 3 ». L’Apôtre dit encore: «Je vous ai exaucé au temps
favorable, je vous ai secouru au jour du salut 4 ». Et comme le Prophète
parlait ainsi de tous les chrétiens, l’Apôtre ajoute: « Voici maintenant le
temps favorable, voici maintenant les jours du salut 5. C’est pour cela que
tout homme saint doit vous invoquer au temps favorable ».
18. « Et toutefois au cataclysme des grandes
eaux, ils ne s’approcheront point de lui 5 ». « De lui », de qui? de Dieu. Le
Prophète, parlant de Dieu, change souvent de personne; ainsi: « Le salut vient
du Seigneur, et votre bénédiction se répand
1.
Gal. IV, 4, 5.— 2. Rom. VII, 23, 24.— 3. Galat. IV, 4.— 4. II Cor. VI, 2.— 5.
Ibid — 6. Ps,
XXXI, 6.
sur votre peuple », c’est-à-dire, c’est de
vous, Seigneur, que vient le salut, et votre bénédiction se répand sur votre
peuple. Mais comme il avait dit d’abord: « Le salut vient du Seigneur », non
point en s’adressant au Seigneur, mais en parlant de lui; il se retourne du
côté de Dieu pour lui dire: «Et votre bénédiction se répand sur votre peuple ».
Il en est de même ici: nous entendons d’abord « vers vous, Seigneur », puis «
de lui », mais ne croyons pas qu’il parle d’un autre que de Dieu: «C’est pour
cela que tout homme saint vous invoquera au temps favorable: et toutefois au
cataclysme des grandes eaux, ils ne s’approcheront point de lui 2 ». Qu’est-ce
à dire, « dans le cataclysme des grandes eaux? » c’est-à-dire, ceux qui nagent
dans les flots sans digue des grandes eaux, n’approchent point du Seigneur.
Qu’est. ce que le Prophète entend par ces grandes eaux? c’est la nombreuse
variété des doctrines. La doctrine de Dieu est unique, les eaux n’en sont
point-nombreuses, il n’y en a qu’une, soit l’eau du sacrement de baptême, soit
l’eau de la doctrine du salut. C’est de la doctrine que le Saint-Esprit répand
sur- nous, qu’il est dit: «Bois l’eau de tes vases et des sources de tes puits
3 ». Or, ce ne sont point les impies qui approchent de ces sources; mais ceux
qui croient en celui qui justifie l’impie 4, et qui sont déjà justifiés,
ceux-là s’en approchent. Les autres eaux si nombreuses, les autres doctrines
multipliées n’aboutissent qu’à la corruption des âmes, ainsi que je le disais
tout à l’heure, Une doctrine vous fait dire: C’est le destin qui m’a poussé;
une autre: C’est le hasard, c’est la fortune qui m’a fait cela. Si le hasard
gouverne les hommes, il n’y a plus de Providence pour gouverner le monde; voilà
encore une de ces doctrines, une autre vient me dire: Il y a une race d’esprits
de ténèbres contraires à Dieu, qui s’est révoltée contre lui, et qui fait
pécher les hommes. Alors, dans ce débordement des grandes eaux, ils ne
s’approcheront point de Dieu. Quelle est donc cette eau, cette eau vraie qui
coule des plus profondes sources de la vérité la plus pure? Quelle est cette
eau, mes frères, sinon l’eau qui nous apprend à bénir le Seigneur? Quelle est
cette eau, sinon l’eau qui nous apprend à dire: « Il est bon de bénir Dieu 5?»
Quelle est cette eau enfin,
1. Ps. III, 9. — 2. Ps. XXXI, 7. — 3. Prov.
V, 15.— 4. Rom. IV,5.— 5. Ps. XCI, 2.
(290)
sinon l’eau qui nous fait dire avec le
Psalmiste: « Je l’ai dit: Je confesserai contre moi mon injustice au Seigneur
»; et encore: «Pour moi, j’ai dit: Seigneur, ayez pitié de moi, guérissez mon
âme, parce que j’ai péché contre vous 1 ». Or, cette eau de la confession des
péchés, cette eau qui apprend au coeur à s’humilier, cette eau de la vie et du
salut, cette eau qui porte l’homme à se mépriser, à ne point trop présumer de
lui-même, à ne rien s’attribuer dans son orgueil; cette eau donc de la pure
doctrine, on ne la trouve dans aucun livre des païens, ni chez les Epicuriens,
ni chez les Stoïciens, ni chez les Manichéens, ni chez les Platoniciens; et
même partout où l’on rencontre d’excellents préceptes de morale et de conduite,
on ne trouve pas pour cela cette humilité divine. L’humilité pour nous émane
d’une autre source elle nous vient du Christ. Quelle autre leçon pouvait-il
nous donner en s’humiliant lui-même, en devenant obéissant jusqu’à la mort, et
même jusqu’à la mort de la croix 2? Quel autre enseignement nous donnait-il en
payant la dette qu’il n’avait pas contractée, afin de nous libérer de notre
dette? Quel autre enseignement nous donnait-il en recevant le baptême, lui qui
n’a commis aucun péché 3, en se faisant clouer à la croix, lui qui n’était
point coupable? Que nous enseignait-il, sinon cette humilité? Ce n’est pas sans
raison qu’il adit: «Je suis la voie, la vérité et la vie 4 ». Telle est donc
l’humilité, qu’elle nous rapproche de Dieu, parce que le Seigneur se tient près
de ceux qui ont le coeur contrit 5 » Or, dans le débordement de ces grandes
eaux qui s’élèvent contre Dieu, qui enseignent l’orgueil et l’impiété, nul ne
saurait approcher de Dieu.
19. Mais toi qui es déjà justifié, es-tu
encore au milieu de ces grandes eaux? Oui, mes frères, même quand nous
confessons nos fautes, nous entendons le bruit des grandes eaux qui nous
environnent de toutes parts. Nous ne sommes point dans le déluge même, et ce
déluge néanmoins nous environne. Les eaux nous serrent de près, mais sans nous
accabler; elles nous agitent, mais sans nous submerger. Que feras-tu donc, ô
mon frère, toi qui es au milieu du déluge, et qui vis dans ce monde pervers? Se
peut-il que tu n’y
1. Ps. XI., 5. — 2. Phil. II, 8 — 3. Matt.
III, 13. — 4. Jean, XIV, 6. — 5. Ps. XXIII, 19.
entendes point ces docteurs, que leurs
doctrines d’orgueil n’arrive pas à tes oreilles, et que chaque jour leurs
maximes ne mettent point ton coeur à la torture? Que dira donc au milieu de ce
déluge le chrétien déjà justifié et qui se confie en Dieu? « Seigneur, vous
êtes mon refuge, dans la persécution qui m’environne 1 ». Que les autres
cherchent un abri chez leurs idoles, ou chez heurs démons, ou dans leurs
forces, ou dans la défense de leurs péchés: pour moi, dans ce déluge, il n’y a
que vous, Seigneur, qui puissiez me mettre à l’abri de la persécution qui
m’environne.
20. «Délivrez-moi, ô vous qui êtes ma joie 2
». Pourquoi vouloir qu’on te rachète, si tu es dans la joie? « Rachetez-moi, ô
vous qui êtes ma joie ». J’entends à la fois, et le cri de l’allégresse: « Vous
êtes ma joie», et la voix du gémissement: « Rachetez-moi ». Tu tressailles et
tu gémis. C’est vrai, me répond le Prophète, je tressaille et je gémis: je
tressaille dans l’espérance, je gémis encore dans la réalité. « Rachetez-moi, ô
vous qui êtes ma joie ». Réjouissez-vous dans l’espérance, nous dit l’Apôtre;
ce qui rend bien cette parole: « O vous qui êtes ma joie ». Mais pourquoi: «
Délivrez-moi? » Saint Paul nous le dit ensuite: « Soyez patients dans la
tribulation 3 ». L’Apôtre lui-même était déjà justifié, et que dit-il
néanmoins? « Nous-mêmes aussi, qui possédons les prémices de l’Esprit, nous
gémissons intérieurement». Pourquoi donc, « rachetez-moi? C’est que nous-mêmes
nous gémissons dans l’attente de l’adoption, qui sera la délivrance de nos
corps4 ». Ainsi « rachetez-moi » signifie que nous gémissons en nous-mêmes,
attendant que nos corps soient rachetés. Pourquoi cette expression: « Vous êtes
ma joie? » L’Apôtre l’explique peu après en disant: « C’est par l’espérance que
nous sommes sauvés; mais l’espérance qui verrait ne serait plus une espérance.
Comment espérer ce que l’on voit déjà? Si nous espérons ce que nous ne voyons
pas encore, nous l’attendons par la patience ». Espérer, c’est jouir; attendre
avec patience, c’est gémir encore: car on n’a que faire de patience, quand on
ne souffre point. Ce que l’on appelle tolérance, patience, souffrance,
longanimité, tout cela ne se dit que des peines que l’on endure. Si vous êtes
1. Ps. XXXI, 7. — 2. Ibid. — 3. Rom. XII, 12.
— 4. Id. VIII, 23—25.
(291)
accablé, vous êtes dans l’angoisse. Donc si
nous attendons par la patience, nous disons encore: Rachetez-moi de
l’affliction qui m’environne; mais comme l’espérance nous sauvera, nous disons
l’un et l’autre « Délivrez-moi, ô vous qui êtes ma joie».
21. Voici la réponse: « Je te donnerai
l’intelligence ». Le psaume lui-même est un psaume d’intelligence. « Je te
donnerai l’intelligence et t’affermirai dans la voie où tu auras marché 1 ».
Qu’est-ce à dire: « Je t’affermirai dans la voie où tu auras marché 2? » Non
plus afin que tu y demeures, mais afin que tu ne t’en écartes pas. Je te
donnerai l’intelligence, afin que tu te comprennes toujours, que tu tressailles
toujours dans l’espérance en Dieu: jusqu’à ce qu’enfin tu arrives dans la
patrie, où il n’y a plus d’espérance, mais où tout sera réalité.« J’affermirai
mon regard sur vous ». Je ne détournerai point de vous les yeux, parce que
jamais vous ne les détournerez de moi.
Bien que tu sois justifié et après la
rémission de tes fautes, lève les yeux vers ton Dieu. Sur la terre, ton coeur
s’en allait en pourriture. Ce n’est pas sans raison que l’on te crie: Elève ton
coeur en haut, de peur qu’il ne se corrompe. Toi donc aussi lève les yeux en
haut; tiens-les fixés sur le Seigneur, afin qu’il arrête ses regards sur toi.
Mais pourquoi redouter qu’en élevant tes yeux en haut, tu ne voies pas devant
toi, et que ton pied ne tombe dans quelque piége? Sois sans crainte, là aussi
sont arrêtés ces regards de Dieu qu’il tenait fixés sur toi. « Soyez », nous
dit le Seigneur, « soyez sans sollicitudes ». L’apôtre saint Pierre a dit: «
Rejetez dans le sein de Dieu toute votre sollicitude, parce que lui-même prend
soin de vous 3 ». Donc « mes yeux seront fixés sur toi ». Quant à toi, fixe à
ton tour tes regards sur le Seigneur, et tu ne craindras pas, ai-je dit, de
tomber dans le piége. Ecoute ce mot du psalmiste: « Mes yeux seront toujours
fixés en Dieu ». Et comme si on lui disait: Que deviendront tes pieds, si tu ne
regardes point à ta marche? il répond: « Ce sera lui qui dégagera mes pieds des
embûches 4. » J’affermirai donc sur toi « mes regards 5 ».
22. Ainsi Dieu a promis le secours et
l’intelligence au prophète qui se tourne alors vers
1. Ps. XXXI, 8. — 2. Mat. VI, 31. — 3. I
Pierre, V, 7. — 4. Ps. XXIV, 15.
les orgueilleux qui défendent leurs péchés: «
Gardez-vous », leur dit-il, « de ressembler au cheval et au mulet, qui n’ont
point d’intelligence 1 ». Le cheval et le mulet marchent la tête levée; ils ne
ressemblent point à ce boeuf qui connaît son maître, et à l’âne qui connaît
l’étable de celui qu’il sert 2. « Gardez-vous de ressembler au cheval et au
mulet, qui n’ont point d’intelligence ». Qu’arrive-t-il pour eux? « C’est par
la bride et par le mors que vous assujettirez les mâchoires de ceux qui ne
s’approchent point de vous 3 ». Veux-tu être cheval ou mulet? Veux-tu ne
souffrir aucun cavalier? Ta bouche et tes mâchoires seront assujetties par la
bride et le mors: on assujettira cette bouche qui relève tes mérites et garde
le secret de tes fautes. « Maîtrisez donc les mâchoires de ceux qui ne
s’approchent point de vous » par humilité.
23. « Ils sont nombreux, les châtiments des
pécheurs 4 ». Il n’est pas étonnant que le fouet vienne après le mors. li
voulait être un animal indomptable, et on l’assouplit avec le mors et le fouet:
et plaise à Dieu qu’on l’assouplisse! Car il est à craindre que par son
opiniâtreté; il ne mérite de rester indompté, et de s’en aller sauvage et
vagabond, où le portera sa fougue, en sorte que l’on dise de lui comme de ceux
dont les péchés demeurent impunis ici-bas, que «leur iniquité vient de leur
abondance 5 ». Que le fouet donc serve à le corriger et à le dompter, comme
l’interlocuteur avoue qu’il a été lui-même dompté. Il se comparaît au cheval et
au mulet à cause de son silence: mais qu’est-ce qui l’a dompté? le fouet du
châtiment. «Je me suis converti », dit-il, « dans ma douleur et déchiré par
l’aiguillon ». Soit donc parle fouet, soit par l’aiguillon, Dieu assouplit le
cheval qu’il monte, et c’est l’avantage du cheval d’avoir un tel cavalier. Et
si le Seigneur monte à cheval, ce n’est point qu’il soit fatigué de marcher à
pied. Car ce n’est pas sans quelque mystère que l’on amena autrefois linon au
Sauveur 6. Le peuple qui porte Jésus-Christ avec la bonne volonté de la douceur
et de la paix, est figuré par cet ânon, et il se dirige vers Jérusalem. « Car
Dieu dirige les hommes doux dans l’équité », comme le dit un-autre psaume, « il
enseignera ses voies aux hommes pacifiques 7 ». Quels sont ces
1. Ps. XXXI, 9.— 2. Isa. I, 3.— 3. Ps. XXXI,
9.— 4. Id. 10. — 5. Id. LXXI, 7.— 6. Matt. XXI, 7.— 7. Ps. XXIV, 9.
(292)
hommes doux? ceux qui ne relèvent point
arrogamment la tête contre leur maître, qui endurent le fouet et le frein; qui
deviennent si souples qu’ils marchent sans le fouet, et que sans frein et sans
bride ils suivent le bon chemin. Si tu n’as le Seigneur pour cavalier, c’est
toi qui tomberas et non lui. « Ils sont nombreux les châtiments du pécheur;
mais celui qui espère dans le Seigneur, sera environné par sa miséricorde ».
Quel refuge pourrons-nous trouver dans le malheur? Celui qui est d’abord dans
l’affliction trouvera ensuite la miséricorde; car cette miséricorde nous
viendra de celui qui nous a donné la loi 1; la loi comme un châtiment, là
miséricorde comme une consolation. « Celui qui espère dans le Seigneur trouvera
ensuite la miséricorde ».
24. Quelle est donc la conclusion du psaume?
« Réjouissez-vous dans le Seigneur, ô vous qui êtes justes, et tressaillez de
joie 2 ». Et vous, impies, qui vous réjouissez en vous-mêmes, vous, orgueilleux,
qui n’avez de joie qu’en vous: maintenant que vous croyez en celui qui justifie
l’impie, que votre foi vous sait imputée à justice 3. « Réjouissez-vous dans le
Seigneur, ô vous qui êtes justes, et tressaillez de joie » dans le Seigneur
encore. Pourquoi cette joie? parce que déjà vous êtes justes; et d’où vous
vient la justice? non pas de vos mérites, mais de la grâce de Dieu. Pourquoi
êtes-vous justes? parce que vous avez été justifiés.
25. « Glorifiez-vous, ô vous qui avez le
coeur droit 4 ». Comment votre coeur est-il droit? C’est que vous ne résistez
point à Dieu. Que votre charité redouble d’attention, et cous-prenez ce qu’est
un coeur droit. Je le dis en peu de mots, mais qu’il faut bien retenir. Je
bénis Dieu que ce soit en finissant, afin que cela demeure mieux gravé dans
votre mémoire. Voici donc la différence qui existe entre le coeur droit et le
coeur pervers. Qu’un homme qui se trouve; sans le vouloir, dans les
afflictions, dans les chagrins, dans les fatigues, dans les humiliations, ne
voie eu tout cela que la juste volonté de Dieu, sans l’accuser de folie, comme
s’il agissait en aveugle, en frappant celui-ci pour épargner celui-là, cet
homme a le coeur droit: ceux-là au contraire ont le coeur mauvais,
1.
Ps. LIXXIIl, 8.— 2. Id. XXXI, 11. — 3. Rom. IV, 5.— 4. Ps. XXXI, 11.
le coeur dépravé, le coeur perverti, qui
taxent toujours d’injustice les tourments qu’ils endurent, et qui attribuent
cette injustice à celui qui les permet; ou bien qui lui enlèvent le
gouvernement du monde, parce qu’ils l’incriminent. Dieu ne peut rien faire
d’injuste, nous disent-ils; or, il est injuste que la douleur soit pour moi et
non pour cet autre: que je sois pécheur, je l’accorde; mais il en est de plus
coupables que moi, qui sont dans l’allégresse, et moi dans la douleur: comme
donc il est injuste que de plus méchants que moi soient dans la joie quand je
gémis dans la peine, moi qui suis juste, ou moins pécheur que ceux-là; comme il
y a là une injustice, j’en ai la conviction, et que j’ai aussi cette conviction
que Dieu ne saurait faire le mal, j’en conclus que Dieu ne dirige point les
choses du monde, et ne prend de nous aucun souci. Donc, l’égarement de ces
hommes au coeur méchant et perverti, peut se réduire à trois points: ou qu’il
n’y a pas de Dieu: « L’insensé dit dans son cœur: Dieu n’est pas 1». C’est là
une des eaux de ce déluge dont nous avons parlé. Il s’est trouvé des
philosophes pour soutenir cette doctrine, et pour dire que ce n’est point un
Dieu qui gouverne et qui a créé toutes choses, mais qu’il y a plusieurs dieux
s’occupant d’eux-mêmes en dehors du monde, et n’ayant aucun soin de cet
univers. Donc, ou bien il n’y « a pas de Dieu », et c’est le langage de
l’impie, qui désapprouve tout ce qui lui arrive en dehors de sa volonté, sans
arriver à tel autre auquel il se préfère; ou bien: Dieu est injuste, puisqu’il
commet et approuve tout cela
ou bien: Dieu ne gouverne point les choses
d’ici-bas, et n’a pas soin de nous tous. Il y a dans chacun de ces trois points
une grande impiété, puisque c’est nier Dieu, ou l’accuser d’injustice, ou lui
enlever la direction des événements. D’où vient cette impiété? de la
dépravation du coeur. Dieu est la rectitude même, et un coeur qui n’est point
droit ne s’accorde point avec lui. C’est ce que le psalmiste a dit ailleurs: «
Combien est bon le Dieu d’Israël, pour ceux qui ont le coeur droit 2 ». Et
parce qu’il touchait lui-même à l’un de ces points, et se demandait: « Comment
Dieu sait-il ces choses, et comment le Très-Haut en a-t-il connaissance 3 »;
aussi a-t-il dit au même endroit: « Peu s’en est fallu
1.
Ps. XIII, 1.— 2. Id. LXXII, 1.— 3. Id. 11.
(293)
que mes pieds ne fussent ébranlés 1 ». De
même qu’en posant un bois tortueux sur une surface plane, vous ne pouvez le
ranger, ni le consolider, ni le faire joindre: mais il est toujours branlant et
sans solidité; non point que la surface soit inégale, mais parce que le bois
que vous y voulez appliquer est tortueux; de même votre coeur, s’il est
dépravé, s’il est tortueux, ne peut s’unir à Dieu qui est la rectitude même; il
ne peut s’unir à Dieu par une véritable adhésion, ainsi qu’il est dit: « Celui
qui adhère au Seigneur, devient un même esprit avec lui 2 ». Donc, «
glorifiez-vous, ô vous qui avez le coeur droit », dit le Prophète. Comment
peuvent se glorifier ceux qui ont le coeur droit? Ecoutez de quelle manière ils
se glorifieront: « Non seulement, dit l’Apôtre, nous nous glorifions dans
l’espérance, mais nous nous glorifions dans nos afflictions 3 ». Tressaillir
dans les biens et dans les délices, c’est chose facile; mais l’homme au coeur
droit tressaille même dans la tribulation. Or, vois ce qu’est sa joie, quand on
l’afflige, car ce n’est pas en vain, ce n’est pas sans raisons qu’il
tressaille, Vois l’homme au coeur droit: « Nous savons n, dit saint Paul, que
la tribulation produit la patience, la patience la pureté, et la pureté
l’espérance; or, cette espérance n’est point vaine, car l’amour de Dieu a été
répandu dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné 4 ».
26. C’est là, mes frères, la droiture du
coeur. Quel que soit l’homme à qui il arrive quelque chose, qu’il s’écrie: « Le
Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté ».Telle est la droiture du coeur: «
Comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait: que le nom du Seigneur soit
béni 5 ». Quel est celui qui a ôté? Qu’a-t-il ôté? A qui a-t-il ôté? Quand
l’a-t-il ôté? Que le nom du Seigneur soit béni. Il ne dit point: Le Seigneur
l’a donné, le diable l’a ôté. Que votre charité le remarque bien, afin de ne
dire jamais: C’est le diable qui m’a fait cela. C’est à Dieu qu’il faut
rapporter le châtiment que tu subis, car le diable n’a aucun pouvoir sur toi,
que par la permission de Celui qui use de son souverain pouvoir, ou pour
châtier ou pour corriger; pour châtier l’impie, pour corriger ses enfants. « Le
Seigneur happe celui qu’il reçoit au nombre de ses
1. Ps. LXXII,
2.— 2. I Cor. VI, 17. — 3. Rom. V, 3 — 4. Id. 3, 4, 5. — 5. Job, I,
21.
enfants 1 ». Ne prétends donc point échapper au fouet, à moins que tu
ne veuilles renoncer à l’héritage, Le Seigneur châtie tout enfant qu’il adopte.
Est-ce tous, sans exception? Où donc te cacher? C’est tout enfant; il n’a point
d’exception; nul n’est adopté sans passer par le fouet. Comment? pas un seul?
Veux-tu comprendre qu’il n’y en aura pas un seul? Son Fils unique était sans
péché, il n’a pas été admis sans châtiment. C’est pourquoi son Fils unique,
chargé de tes infirmités, se personnifiant avec toi, comme le chef, qui
représente le corps, aux approches de la passion, fut saisi de tristesse 2,
afin de te procurer la joie; il fut plongé dans l’affliction, pour te consoler,
et pouvoir, dans sa divinité, affronter les souffrances sans aucune tristesse.
Le général ne pouvait-il pas ce qu’a pu le soldat? Et comment le soldat
l’a-t-il pu? Ecoute Paul qui tressaille quand la passion approche. «Pour moi
»,dit-il, « je vais être immolé, et le temps de ma mort approche. J’ai bien
combattu; j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi: il ne me reste qu’à
attendre la couronne de justice qui m’est réservée, et que le Seigneur, comme
un juste juge, m’accordera dans ce grand jour, non seulement à moi, mais encore
à tous ceux qui désirent son avènement 3». Voyez comme il tressaille quand il
va souffrir. Il tressaille donc celui qui va recevoir la couronne, et celui qui
va la donner est dans la tristesse. Que figurait donc le Fils de Dieu, sinon
l’infirmité de quelques-uns qui s’attristent en face de la douleur ou de la
mort? Mais voyez encore, comme il les amène à la droiture du coeur. Tu voulais
vivre, et te mettre à l’abri de tout accident; mais Dieu en a décidé autrement:
voilà deux volontés; que la tien ne se conforme donc à celle de Dieu, et non
pas que celle de Dieu s’assouplisse à ta tienne; car la tienne est dépravée,
celle de Dieu est la règle même: que la règle subsiste, afin qu’elle serve à
redresser tout ce qui est tortueux, Voyez comme cet enseignement est bien celui
de Jésus-Christ. « Mon âme»,dit-il, « est triste jusqu’à la mort »; puis: « Mon
Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi ». C’est là que perce
la volonté humaine. Mais écoutez le coeur droit: « Et pourtant, non comme je
veux, mais comme vous voulez, ô mon Père ». C’est là ton modèle,
1. Héb. XII, 6. — 2. Matt. XXVI, 38. — 3. II
Tim. IV, 6-8. — 4. Matt. XXVI. 38, 39.
(294)
dans la joie de tout ce qui peut t’arriver:
et même réjouis-toi, si ta dernière heure vient à sonner. Et si tu ressens
-quelque faiblesse qui appartienne à l’humaine volonté, dirige la du côté de
Dieu, afin que tu fasses nombre avec ceux à qui il est dit: « Glorifiez-vous, ô
vous dont le coeur est droit».
Le juste doit se réjouir et
mettre sa confiance dans le Seigneur, dans les promesses qu’il nous a faites,
dans sa miséricorde et sa justice, dans le soin qu’il prend de chacun de nous. Lui
seul pourra nous sauver, pourvu que notre âme l’attende avec patience et que
notre coeur ne mette qu’en nui seul sa félicité.
1. « Tressaillez dans le Seigneur, ô vous qui
êtes justes ». Tressaillez, ô justes, mais non point en vous-mêmes, cela ne serait
point sûr, mais tressaillez dans le Seigneur. « C’est aux coeurs droits que
sied bien la louange 1 ». Ce sont ceux qui louent le Seigneur, en se soumettant
à lui: il n’en est pas ainsi des coeurs tortueux et dépravés.
2. « Chantez le Seigneur sur vos harpes 2 ».
Chantez le Seigneur, en lui faisant de vos corps une hostie vivante 3. «
Bénissez-le sur de psaltérion à dix cordes ». Que tous vos membres servent à
l’amour de Dieu et du prochain, ou à l’accomplissement des trois préceptes de
la première table, et des sept préceptes de la seconde.
3. « Chantez au Seigneur un cantique nouveau
4 ». Chantez un cantique de grâces cl de loi. « Chantez sagement dans vos cris
d’allégresse ». Chantez- avec une joie que mesure la sagesse.
4. « Car la parole du Seigneur est pleine
d’équité 5». La parole du Seigneur est droite pour vous rendre ce que vous ne
pouvez devenir par vous-mêmes, « Et toutes ses œuvres sont dans la foi ». Nul
dès lors ne doit se croire parvenu à la foi par ses mérites, puisque c’est de
la foi même que viennent les oeuvres agréables à Dieu.
5. « Il aime la miséricorde et le jugement ».
Il aime la miséricorde qu’il répand
1.
Ps, XXXII, 1.— 2. Id. 2.— 3.Rom. XII, 1.— 4. Ps. XXXII, 3.— 5. ibid.
4.
maintenant et par avance sur les hommes; et
le jugement qui lui fait exiger le produit de ses dons. « La terre est remplie
de la miséricorde du Seigneur 1 ». Dans tout l’univers les hommes reçoivent le
pardon de leur péché, par la divine miséricorde.
6. « C’est la parole du Seigneur qui
consolide les cieux ». Car ce n’est point d’eux-mêmes que les justes se sont
affermis, mais par la parole du Seigneur. « Et c’est du souffle de sa bouche
que vient leur force 2 ». Et leur foi vient de l’Esprit-Saint.
7. « C’est lui qui rassemble comme dans une
outre les eaux de la mer3». Il rassemble tous les peuples d’ici-bas pour la
confession de leurs péchés qui sont condamnés, de peur que l’orgueil ne les
fasse déborder dans la licence. « Dans ses trésors il place des abîmes ». Il
garde pour eux des secrets cachés, afin de les enrichir.
8. « Que toute la terre craigne le Seigneur 4
». Que le pécheur craigne, afin de s’abstenir du péché. « Qu’ils tremblent
devant lui», non point parla peur des hommes, ou de toute autre créature, mais
que Dieu fasse s trembler « tous ceux qui habitent l’univers ».
9. « Car il a parlé et tout a été fait », nul
autre n’a fait ces créatures que peuvent redouter les hommes; mais c’est bien
lui qui a dit, et les voilà faites. « Il a commandé, et tout a été créé ». Il a
commandé par son Verbe, et la création s’est opérée.
1.
Ps. XXXII, 5. — 2. Id. 6. — 3. Id. 7. — 4. Id. 8. — 5. Id. 9.
(295)
10. « Le Seigneur a renversé les conseils des
nations 1 », qui recherchaient leur domination et non la sienne. « Il réprouve
la pensée des peuples », qui désirent le bonheur de ce monde. «Il réprouve
aussi les desseins des princes», qui cherchent à dominer sur ces peuples.
11. «Mais le dessein du Seigneur demeure
éternellement 2 ». Il est immuable pour l’éternité ce dessein du Seigneur, qui
n’accorde la félicité qu’à ceux qui lui sont soumis. « Les pensées de son coeur
subsistent dans les siècles des siècles ». Les desseins de sa sagesse ne sont
point assujettis au changement, mais ils demeurent dans le cours des siècles.
12. « Bienheureux le peuple qui a le Seigneur
pour son Dieu 3». Il n’y a qu’un seul peuple, celui de la cité céleste, qui ne
se choisit point d’autre Dieu que le Seigneur. «Heureux le peuple que le
Seigneur s’est choisi pour héritage ». Ce peuple ne s’est point élu, mais Dieu
l’a choisi dans sa miséricorde, afin de le posséder, et de n’y rien souffrir
d’inculte ou de misérable.
13. « Du haut des cieux le Seigneur a
regardé, et il a vu tous les enfants des hommes 4 ». A travers l’âme juste, Je
Seigneur a vu dans sa bonté, tous ceux qui veulent renaître à une vie nouvelle.
14. « Du haut de la tente qu’il s’est
préparée ». De ce tabernacle de chair qu’il s’est fait en s’incarnant. « Il a
regardé ceux qui habitent la terre 5 ». Il a vu dans sa bonté ceux qui habitent
la terre, afin de les gouverner en pasteur.
15. « C’est lui qui a formé le coeur de
chacun d’eux 6 ». Il a mis dans le coeur des dons qui leur sont propres, afin
que le corps ne soit point tout oeil, ni tout oreille 7; mais il est pour
celui-ci une manière de s’unir au corps de Jésus-Christ, polir celui-là une
autre manière. « C’est lui qui connaît toutes leurs actions ». Devant lui rien
n’est incompris des actions des hommes.
16. « Ce ne sont point ses forces nombreuses
qui sauveront le roi 8 ». « Celui qui est le roi de sa chair, ne sera point
sauvé, s’il met sa confiance dans sa propre vertu ». «Et le géant ne trouvera
point son salut dans ses grandes
1.
Ps. XXXII. 10.— 2. Id. 11.— 3. Id. 12.— 3. Id. 13.— 4. Id. 14 — 5. Id. 15. — 6.
I Cor. XII,
17. — 7. Ps. XXXII, 16.
forces ». Tous ceux qui combattent les
vieilles habitudes de la convoitise, ou le diable et ses anges, ne seront pas
néanmoins sauvés, s’ils présument trop de leur propre valeur.
17. « Un coursier ! vain espoir de salut 1 ».
On se trompe, si l’on croit pouvoir, avec le secours des hommes, acquérir le
salut que l’on a reçu parmi les hommes, ou échapper à la perdition par
l’obstination du caractère. « Il ne sera point sauvé par l’ardeur de son
courage ».
18. « Voilà que les yeux du Seigneur
s’arrêtent sur ceux qui le craignent 2 ». Si tu cherches le salut, Dieu incline
son amour sur ceux qui le craignent. « Et qui espèrent en sa miséricorde ». Qui
espèrent, non dans leur propre vertu, mais dans la divine miséricorde.
19. « Afin d’arracher leurs âmes à la mort,
et de les nourrir pendant la famine 3 ». Afin de les nourrir de son Verbe et de
l’éternelle vérité, qu’ils avaient perdue en présumant de leurs forces, et
voilà que la faim de la justice a épuisé ces mêmes forces.
20. « Notre âme attendra patiemment le
Seigneur 4 ». Afin de s’engraisser un jour de viandes incorruptibles, pendant
qu’elle est en cette vie, notre âme attendra patiemment le Seigneur. « Car il
est notre secours et notre protecteur ». Il nous aide quand nous nous dirigeons
vers lui; il nous protége quand nous résistons à l’ennemi.
21. « C’est en lui que s’épanouira notre cœur
5 ». Ce n’est pas en nous, puisque nous n’y trouvons que misère quand Dieu n’y
est point, mais en Dieu que notre coeur s’épanouira. «Nous avons mis notre espoir
dans « la sainteté de son nom ». Et si nous espérons arriver un jour à Dieu,
c’est qu’il nous a fait connaître son nom par la foi, quand nous étions
éloignés de lui.
22. « Que votre miséricorde, ô Dieu, descende
sur nous, selon que nous avons espéré en vous 6 ». Oui, Seigneur, que votre
miséricorde s’épanche sur nous, car nous avons mis notre espérance en vous, et
cette espérance est infaillible.
1.
Ps. XXXII, 17. — 2. Id. 18. — 3. Id. 19. — 4. Id. 20. — 5. Id. 21. — 6. Ibid.
22.
(296)
Ce sermon embrasse la
première partie du psaume XXXII. Il nous apprend que nous devons bénir Dieu
dans le malheur aussi bien que dans la prospérité; — que l’amour de la justice
est l’accomplissement de la loi; — et que la miséricorde ne vient bien qu’avec
la justice.
1. Ce psaume nous invite à nous épanouir dans
le Seigneur. Il a pour titre: A David. Ecoutez donc votre cantique, ô vous qui
appartenez à la sainte lignée de David; soyez les échos de votre cantique et
tressaillez dans le Seigneur. Voici comme il commence: « Réjouissez-vous dans
le Seigneur, ô vous qui êtes justes ». Que l’impie trouve sa joie dons le
siècle; le siècle finira, et avec lui la joie de l’impie. Mais que les justes
tressaillent dans le Seigneur, car le Seigneur est éternel, et leur joie le
sera aussi. Mais pour tressaillir en Dieu d’une manière convenable, il nous
faut le louer de ce qu’il est seul pour ne nous inspirer aucun dégoût, et pour
en inspirer autant à l’infidèle. Et l’on peut dire en un seul mot:
Celui-là plaît à Dieu, qui se plaît en Dieu.
Et gardez-vous de croire, mes frères, que ce soit chose facile. Voyez combien
sont nombreux, ceux qui murmurent contre Dieu, combien trouvent à redire dans
ses oeuvres. Quand il lui plaît d’agir contrairement à la volonté des hommes,
parce qu’il est le maître, qu’il connaît ce qu’il fait, et qu’il s’arrête moins
à considérer nos désirs que notre avantage, ces hommes alors, subornant à leur
volonté, la volonté de Dieu, loin de redresser leur volonté sur celle de Dieu,
prétendent que la volonté de Dieu voudra bien s’adapter à la leur. Ces hommes
infidèles, impies, pervers, trouvent plus à leur guise, je rougis de parler
ainsi, et je le dirai néanmoins, parce que vous savez que c’est la vérité,
trouvent plus à leur guise un comédien que Dieu lui-même.
2. Aussi après avoir dit: « Justes,
tressaillez de joie dans le Seigneur », comme nous ne pouvons tressaillir en
lui qu’en chantant ses louanges, et que ces louanges lui sont d’autant plus
agréables que nous mettons en lui notre bonheur, le prophète ajoute: « C’est
aux coeurs droits qu’il convient de louer Dieu ». Quels sont les hommes au
coeur droit? ceux qui l’assouplissent selon la volonté de Dieu; qui se
consolent dans la justice divine des troubles que leur cause l’humaine
fragilité, quoique la faiblesse humaine leur fasse désirer de temps à autre ce
qui pourrait leur convenir en particulier, ce qui serait en harmonie avec
l’état actuel de leurs affaires, ou avec une nécessité qui se déclare,
néanmoins lorsqu’ils reconnaissent et qu’ils savent que Dieu désire autre
chose, ils préfèrent à leur volonté, la volonté du plus sage, à la volonté de
l’infirme, la volonté du Tout-Puissant, à la volonté de l’homme, la volonté de
Dieu. Car autant Dieu est au-dessus de l’homme, autant la volonté divine est
au-dessus de la volonté humaine. C’est pourquoi le Christ s’étant fait homme,
nous donne sa vie comme un modèle, et voulant tout à la fois nous apprendre à
vivre et nous en mériter la grâce, nous fait voir en lui une certaine volonté
humaine et privée, qui figurait à la fois la sienne et la nôtre, car il est
notre chef, et vous le savez, nous lui appartenons comme ses membres: « Mon
Père »,dit-il, «s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi ». Voilà une
volonté humaine, qui s’arrêtait sur un objet propre et particulier. Mais comme
il voulait que l’homme eût le coeur droit, afin de le porter à redresser sur le
modèle qui est toujours droit, ce qu’il pouvait avoir de tortueux, quelque peu
que ce fût, il ajoute: «Et pourtant, non point ce que je veux, mais ce que vous
voulez, ô mon Père» Or, quelle volonté perverse pouvait avoir le Christ? Que
pouvait-il vouloir, que ne voudrait point son Père? Ils n’ont qu’une même
divinité, et ne peuvent avoir une volonté différente. Mais il
1. Matt. XXVI, 39. — 2. Ibid.
(297)
voulait personnifier dans cette humanité tous
les siens, comme il les personnifiait en lui-même, quand il dit: « J’ai eu faim
et vous m’avez donné à manger 1 »: comme il les personnifiait, quand lui, que
nul ne blessait, cria du haut du ciel à Saul qui frémissait de rage, et
persécutait les saints: « Saul, Saul, pourquoi me persécuter 2? » Il voulait
donc te montrer en lui une volonté qui est propre à l’homme. Il t’a mis sous
les yeux ta propre image afin de te corriger. Reconnais-toi en moi-même, te
dit-il; tu peux, il est vrai, avoir ta volonté propre, autre que la volonté de
Dieu, on le pardonne à ta fragilité, on le pardonne à l’infirmité humaine; il
est difficile pour toi de n’avoir aucune volonté propre: mais à l’instant
souviens-toi qu’il est quelqu’un au-dessus de toi; qu’il est supérieur, et toi
inférieur, qu’il est créateur et toi créature, qu’il est maître et toi
serviteur, qu’il est tout-puissant et toi bien faible; et afin de te corriger,
soumets ta volonté à sa volonté, en disant: « Toutefois, ô mon Père, non point
ce que je veux, mais ce que vous voulez ». Alors comment pourrais-tu être
séparé de Dieu; quand tu veux ce qu’il veut? C’est alors que tu seras droit, et
qu’il te siéra de bénir Dieu: « Car c’est aux coeurs droits de le loue ».
3. Mais si ton coeur est tortueux, tu béniras
Dieu dans la prospérité, pour le blasphémer dans le malheur; et toutefois le
mal n’est plus un mal quand il est juste; et il est juste quand il vient de la
part d’un Dieu qui ne peut rien faire d’injuste. Tu seras donc dans la maison
paternelle comme l’enfant ingrat, tu aimeras ton père quand tu en recevras des
caresses, et tu le haïras s’il vient à te châtier: comme si ses châtiments
aussi bien que ses caresses ne te préparaient pas à devenir son héritier. Vois
maintenant comme la louange sied bien aux coeurs droits, écoute ce que chante
un coeur droit dans un autre psaume: « Je bénirai en tout temps le Seigneur, sa
louange sera toujours dans ma bouche ». « En tout temps », a le même sens que
«toujours »; comme «je bénirai » et « sa louange sera dans ma bouche » sont
identiques. Le louer donc en tout temps et toujours, c’est le louer dans le
malheur, comme dans la prospérité. Car si tu ne bénis Dieu que dans la
prospérité et non dans le malheur, comment sera-
1.
Matt. XXV, 35. — 2. Act. IX, 4. — 3. Ps. XXXIII, 2.
ce en tout temps, comment toujours? Et
toutefois chaque jour n’entendons-nous pas le grand nombre qui eut agit ainsi?
Leur arrive-t-il quelque bonheur, ils s’épanouissent, ils tressaillent de joie,
ils bénissent Dieu, ils chantent ses louanges; loin de les désapprouver, je les
en félicite, car il y en a beaucoup qui ne le font pas même alors. Mais il faut
apprendre à ceux qui déjà bénissent Dieu dans la prospérité, à reconnaître
qu’il est père encore quand il châtie, à ne point murmurer contre sa main qui
les afflige, de peur qu’ils ne demeurent dans la dépravation, qu’ils ne
déméritent et ne soient justement privés de l’héritage éternel; il le faut,
afin qu’ils deviennent droits, et ils seront droits quand rien dans les actes
de Dieu ne leur déplaira; et qu’ils puissent bénir Dieu jusque dans le malheur,
et dire: « Le Seigneur l’a dominé, le Seigneur l’a ôté, comme il a plu au
Seigneur, ainsi il a été fait; que le nom du Seigneur soit béni 1 »: c’est à
ces coeurs droits qu’appartient la louange, eux qui ne béniront pas d’abord,
pour blâmer ensuite.
4. Donc, ô vous qui êtes justes, qui avez le
coeur droit, tressaillez dans le Seigneur, car c’est à vous qu’il appartient de
le bénir. Que nul ne dise: Qui suis-je pour être juste? Ou:
Quand pourrai-je être juste? Ne vous méprisez
point, ne désespérez point de vous-mêmes. Vous êtes hommes; vous êtes créés à
l’image de Dieu 2: celui qui a fait de vous des hommes, s’est lui-même fait
homme polar vous: et afin que vous fussiez adoptés en plus grand nombre pour
l’éternel héritage, pour vous le sang de son Fils unique a été répandu. Si la
faiblesse d’une chair terrestre vous rend méprisables à vos yeux, estimez-vous
dû moins au prix que vous avez coûté. Pensez mûrement à votre nourriture, à
votre breuvage, et à quoi vous souscrivez en disant: Amen. Toutefois est-ce
l’orgueil que nous vous prêchons ici, et vous engageons-nous à vous attribuer
quelque perfection? Encore une fois, n’allez pas vous croire étrangers à toute
justice. Je ne veux pas vous questionner au sujet de votre justice; car nul
d’entre vous sans doute n’oserait me répondre: Je suis juste: mais je vous
interroge au sujet de votre foi; et de même que nul n’oserait me répondre: Je suis
juste; nul aussi n’oserait me dire: Je n’ai pas la foi. Je ne cherche donc
point quelle est ta vie,
1. Job, I, 21.— 2. Gen. I, 27.
(298)
je demande ce que tu crois. Tu me répondras
que tu crois en Jésus-Christ. N’entends-tu point l’Apôtre qui te dit: « Le
juste vit de la foi 1? » Ta foi, c’est là ta justice: car, si tu crois, tu es
sur tes gardes; si tu es sur tes gardes, tu fais des efforts, et tes efforts
sont connus de Dieu, qui voit ta volonté, qui considère ta lutte contre la
chair, qui t’exhorte à combattre, qui t’aide à remporter la victoire, qui
t’observe pendant le combat, qui le soutient situ faiblis, qui te couronne si
tu triomphes. Donc, « justes, tressaillez dans le Seigneur », signifie,
tressaillez dans le Seigneur, ô vous qui avez la foi, car la foi est l’aliment
du juste. « C’est aux coeurs droits que sied bien la louange 2 ». Apprenez à
remercier Dieu dans les biens et dans les maux. Apprenez à mettre dans votre
coeur nique chacun a sur la langue: A la volonté de Dieu. Ce langage du peuple
a souvent de salutaires instructions. Qui ne dit point chaque jour: Que Dieu
agisse comme il lui plaît? Qu’il ait le coeur droit, et il aura sa place parmi
ceux qui tressaillent dans le Seigneur, et à qui sied la louange: c’est à eux
que le psaume s’adresse dans la suite, en disant: « Louez le Seigneur sur la
harpe, chantez-lui des hymnes sur le psaltérion à dix cordes 3 ». C’est ce que
nous chantions tout à l’heure, c’est la leçon que nous donnions à vos coeurs en
unissant nos voix.
5. Mais en établissant ces saintes veilles au
nom du Christ, n’a-t-on point banni les harpes de ce lieu? Et voici qu’on leur
enjoint de se faire entendre: « Chantez », nous dit-on, « chantez au Seigneur
sur la harpe, et sur le psaltérion à dix cordes». N’arrêtez point vos pensées
sur les musiques de théâtre. Vous avez en vous-mêmes cette harpe dont il est
question, comme il est dit ailleurs « J’ai dans mon coeur, ô mon Dieu, ces
voeux de louanges que je vous rendrai 4 ». Ceux qui étaient présents naguère
quand j’expliquai la différence qui sépare le psaltérion de la harpe, et que je
m’efforçai de la faire saisir à tous, peuvent s’en souvenir 5: c’est aux
auditeurs à juger si nous avons réussi. Il n’est pas inutile pourtant de le
répéter, afin de trouver dans la différence de ces deux instruments de musique,
la différence des actions humaines, différence dont ils sont la figure, et dont
notre vie deviendra
1.
Rom. I, 17.— 2. Ps. XXXII, 1.— 3. Id. 2 — 4. Id. LV, 12. — 5. Voir Disc.
sur le Ps. XLII; Ps. LXX, serm. 2, vers, 11.
la réalité. On appelle harpe ce bois concave
à la manière des tambours, dont le bas est arrondi comme une tortue, et auquel
on ajoute les cordes qui résonnent quand on les touche: je ne parle pas de
l’archet qui sert à les toucher, mais bien de ce bois concave, sur lequel on
étend des cordes, afin qu’il les répercute quand on les touchera, et que
frémissant sur cette concavité, elles en deviennent plus sonores. Ce bois
concave est donc en bas dans la harpe, et en haut dans le psaltérion. Telle est
la différence. Or, il nous est ordonné de louer Dieu sur la harpe, de chanter
sa louange sur le psaltérion à dix cordes. Il n’est point parlé de harpe à dix
cordes, ni dans ce psaume, ni je crois dans aucun autre. Nos chers fils les
lecteurs peuvent lire et chercher avec plus de loisir que nous toutefois,
autant que je puisse me souvenir, j’ai souvent rencontré le psaltérion à dix
cordes, et nulle part la harpe à dix cordes. Retenez donc bien que c’est par la
partie inférieure que la harpe rend des sons, et que pour le psaltérion c’est
dans la partie supérieure. Or, c’est dans notre vie inférieure ou terrestre que
nous rencontrons la prospérité ou le malheur, qui nous donnent lieu de bénir
Dieu dans l’une et dans l’autre, afin que sa louange soit toujours dans notre bouche
et que nous le bénissions en tout temps 1. Comme il y a une félicité terrestre,
il y a aussi une adversité qui est d’ici-bas; nous devons remercier Dieu de
l’une et de l’autre, afin que notre harpe résonne toujours. Qu’est-ce qu’une
prospérité terrestre? C’est la santé du corps, c’est l’abondance de tout ce qui
nous est nécessaire en cette vie, c’est la sécurité contre tout danger, ce sont
des récoltes abondantes, « c’est le soleil que Dieu fait luire sur les méchants
comme sur les bons, et la pluie qui descend sur les justes comme sur les impies
2 ». Voilà tout ce qui tient à la vie temporelle. Quiconque n’en bénit point
Dieu, se flétrit par l’ingratitude. Ces dons, pour être terrestres, en sont-ils
moins les dons de Dieu? Ou faut-il penser qu’ils nous viennent d’un autre,
parce qu’ils échoient aussi aux méchants? La divine miséricorde se diversifie à
l’infini: Dieu a de la patience, de la longanimité. Les biens dont il gratifie
les méchants ne nous montrent que mieux ceux qu’il réserve aux bons. L’adversité
nous vient au contraire de tout ce qui
1. Ps. XXXIII, 2. — 2. Matt. V, 45.
est inférieur, de la fragilité humaine, dans
la douleur, dans les langueurs, dans les afflictions, dans les souffrances,
dans les tentations. C’est alors, et toujours alors, que doit louer Dieu celui
qui tient la harpe. Que lui importe que tout cela tienne à la vie inférieure,
puisque tout cela n’est conduit et réglé que par cette sagesse, qui atteint
d’une extrémité à l’autre avec force et dispose toutes choses avec douceur 1?
Si Dieu gouverne les cieux, néanmoins il ne néglige point la terre: n’est-ce
pas à lui qu’il est dit: « Où irai-je devant votre esprit, où fuirai-je devant
votre face? Si je monte au ciel, vous y êtes; si je descends dans les enfers,
vous y êtes encore 2 ». D’où peut être absent celui qui n’est absent d’aucun
lieu? Donc, chantez le Seigneur sur la harpe. Dans l’abondance des biens
terrestres, remerciez celui qui vous en a fait don; dans la disette, ou dans
les pertes, chantez sans rien craindre. Car vous n’avez point perdu celui qui
vous adonné ces biens, quand même on vous enlèverait ses dons. Louez Dieu, vous
dis-je, même dans cette condition; ayez confiance dans votre Dieu, touchez les
cordes de votre coeur, et dites comme sur une harpe qui échappe dans sa partie
inférieure des sons harmonieux: « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté,
comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait; que le nom du Seigneur soit
béni 3 ».
6. Mais si tu arrêtes ton attention sur les
dons supérieurs que le Seigneur t’a faits, sur les préceptes qu’il t’a donnés,
sur la céleste doctrine dont il a éclairé ton âme, sur la vérité qui t’arrive
de la source la plus pure, prends alors ton psaltérion, bénis le Seigneur sur
le psaltérion à dix cordes. Les préceptes de la loi sont en effet au nombre de
dix, et ces dix préceptes vous forment une lyre à dix cordes. L’harmonie est
complète. Trois préceptes regardent l’amour de Dieu, et les sept autres,
l’amour du prochain. Or, toutefois, le Seigneur l’a déclaré: « Ces deux commandements
renferment toute ta loi et les prophètes 4 ». C’est d’en haut que le Seigneur
t’a dit: « Le Seigneur ton Dieu est le seul Dieu »: c’est pour ta lyre la
première corde. « Tu ne prendras point en vain le nom du Seigneur ton Dieu »:
c’en est la seconde. « Observe le jour du sabbat, non point d’une manière
1. Sag. VIII,
1.— 2. Ps. CXXXVIII, 7,8.— 3. Job, I, 21. — 4. Matt. XXII, 40
charnelle, non dans les plaisirs, comme les
Juifs qui abusent du repos pour commettre l’iniquité; le mal serait moins grand
de passer le jour entier à cultiver la terre qu’à danser; mais toi qui
ambitionnes le repos en Dieu, et qui ne fais rien qu’en vue de l’obtenir,
abstiens-toi de toute oeuvre servile: «Car tout homme qui fait le péché devient
est esclave du péché 1 ». Et plût à Dieu qu’il ne le fût que d’un homme et non
du péché. Ces trois préceptes embrassent l’amour de Dieu, dont tu dois méditer
la vérité, l’unité, les délices. Car il y a certaines délices en Dieu, où nous
trouverons le véritable sabbat, le vrai repos. Aussi est-il dit: « Mets en Dieu
tes délices, et il comblera les désirs de ton coeur 2».Quel autre en effet peut
nous procurer plus de chastes délices que le Créateur de tout ce qui nous
apporte les délices? Dans ces trois préceptes se résume l’amour de Dieu; dans
les sept autres l’amour du prochain: « Ne fais point à un autre ce que tu ne
veux pas qu’il te fasse. Honore ton père et ta mère », parce que tu veux être
honoré par tes enfants. « Ne commets pas l’adultère», parce que tu ne veux pas
que ta femme s’y livre en ton absence. « Tu ne tueras point », car tu ne veux
pas être tué. « Tu ne voleras point », parce que tu ne veux pas que l’on te
vole. « Tu ne feras point de faux témoignage », parce que tu hais celui qui
fait un faux témoignage contre toi. « Ne désire pas la femme de ton prochain »,
parce que tu ne veux pas qu’un autre pense à la tienne. « Ne désire pas ce qui
appartient à un autre 3», puisqu’on te déplaît quand on désire ce qui est à
toi. Interroge donc tes propres sentiments, puisqu’on ne peut te nuire sans te
déplaire. Tous ces préceptes nous viennent de Dieu: c’est un don de la suprême
Sagesse; c’est d’en haut qu’ils ont retenti. Touche donc le psaltérion,
accomplis la loi que le Seigneur ton Dieu est venu, non pas détruire, mais
accomplir lui-même 4. Car tu accompliras par amour ce que tu ne pouvais
accomplir par la crainte. Celui qui n’évite le mal que par la crainte, le
ferait volontiers, sans la défense. Je ne le commets point, dira-t-il.
Pourquoi? parce que je crains. Tu n’aimes pas encore la justice, tu es encore
dans l’esclavage: sois donc un fils, car un bon esclave
1. Jean, VIII, 34. — 2. Ps. XXXVI, 4. — 3.
Exod. XX, 1-17; Deut. V, 6-21. — Matt. V, 17.
peut devenir un bon fils. Jusque-là évite le mal
par crainte, et tu apprendras à l’éviter par amour. Car la justice a ses
charmes. Que le châtiment t’arrête. Là justice a sa beauté, elle cherche les
regards, elle attise l’amour en ceux qui l’aiment. C’est pour elle que les
martyrs ont foulé aux pieds le monde, et répandu leur sang. Qu’aimaient-ils en
renonçant à tous ces biens? Car n’aimaient-ils rien? et vous parlons-nous ainsi
pour éteindre l’amour en vos coeurs? Il est froid, il est glacé le coeur qui
n’aime point. Aimez donc; seulement aimez cette beauté qui charme les yeux du
coeur. Aimez, seulement aimez cette beauté qui enflamme les coeurs quand on
chante la justice. Voilà des hommes qui parlent, qui se récrient, qui disent
partout: C’est bien; c’est très bien. Qu’ont-ils vu? lis ont vu la justice qui
donne la beauté au vieillard, fût-il courbé. Qu’on voie marcher ce vieillard
doué de justice, il n’y a rien en lui de corporel que l’on puisse aimer, et
néanmoins il est aimé de tous. On aime en lui ce qui est invisible, ou plutôt
on aime en lui ce qu’il y a de visible pour le coeur. Que le vrai bien fasse
donc vos délices, demandez à Dieu qu’il ait pour tous des attraits. « Car le
Seigneur épanchera sur nous ses délices, et la terre produira son fruit (Ps. LXXXIV, 13) ». Afin que vous
accomplissiez par la charité ce qu’il est difficile d’accomplir par la crainte.
Que dis-je, difficile? L’esprit ne le peut encore: il aimerait mieux qu’il n’y
eût aucun précepte, quand c’est la sainte qui le fait obéir, et non l’amour qui
l’y détermine. Retiens-toi de tout larcin et redoute l’enfer, lai est-il dit:
il aimerait mieux qu’il n’y eût point d’enfer pour l’engloutir. Mais quand
est-ce qu’il commence à aimer la justice, sinon quand il s’abstient de tout
vol, dût-il n’y avoir point d’enfer pour engloutir les voleurs? C’est là aimer
la justice.
7. Mais cette justice, qu’est-elle donc? qui
pourra la peindre? Quelle beauté reluit dans la sagesse de Dieu? C’est elle qui
donne le charme à tout ce qui a de l’attrait pour nos yeux: pour la voir, pour
l’embrasser, il faut purifier nos coeurs. C’est elle que nous faisons
profession d’aimer; et c’est elle qui compose tout en nous, afin que rien ne
lui déplaise. Et quand les hommes blâment en nous ce que nous faisons pour
plaire à cette sagesse que nous aimons, combien peu nous estimons de tels
censeurs, quel peu de souci, et même quel mépris ils nous inspirent? Voilà des
hommes qui ont pour des femmes un amour condamnable; que ces amantes les
ajustent selon leur goût, et ils s’inquiètent peu de déplaire aux autres quand
ils plaisent à ces femmes, et il leur suffit d’être au goût de celles dont ils
recherchent les faveurs: et souvent, ou plutôt toujours, ils déplaisent aux
hommes plus mûrs, et trouvent leur condamnation chez les hommes judicieux.
Votre chevelure est mal arrangée, dit un homme austère à un jeune impudique,
ces frisures sont indécentes. Mais cet amant sait bien que ses cheveux ainsi
bouclés plaisent à je ne sais quelle créature, et alors il te hait pour ta
juste réprimande, et il conserve cet ajustement qui ne plaît qu’au goût
dépravé, lite prend pour un ennemi, parce que tu le rappelles à la décence. Il
se dérobe à tes regards, et s’inquiète peu si ta réprimande est juste. Si donc
ils méprisent les blâmes de la vérité, pour affecter une beauté fictive; pour
nous, dans ce que nous faisons pour plaire à la divine sagesse, quel cas nous
faudra-t-il faire de ces railleurs injustes, qui n’ont pas les yeux pour voir
ce que nous aimons? Pensez-y, ô vous qui avez le coeur droit, « et bénissez
Dieu sur la harpe, et chantez-le sur le psaltérion à dix cordes».
8. « Chantez-lui un cantique nouveau (Ps. XXXII, 3) ». Dépouillez-vous du
vieil homme: vous connaissez le cantique nouveau. Le nouvel homme, la nouvelle
alliance, voilà le cantique nouveau. Le cantique nouveau n’est point l’héritage
du vieil homme: il n’y a pour l’apprendre que les hommes nouveaux, qui ont
rajeuni le vieil homme dans la grâce, et qui appartiennent au Nouveau
Testament, c’est- à-dire au royaume des cieux. C’est vers lui que notre amour
exhale ses soupirs, à lui qu’il chante ses cantiques. Qu’il chante ce cantique,
non de la voix, mais par les actions de la vie. « Chantez-lui un cantique
nouveau, chantez-le sagement ». Chacun se demande: comment chanter à Dieu? Oui,
chantez, mais qu’il n’y ait aucun désaccord; Dieu ne peut souffrir que l’on
blesse ses oreilles. Chante sagement, ô mon frère. Devant un habile musicien
qui doit t’écouter; que l’on te dise Chante pour lui plaire, situ crains de
chanter parce que tut es dépourvu de science musicale, et qu’un (301) artiste
peut trouver en toi des défauts inaperçus pour un ignorant: qui se flattera de
chanter avec harmonie, pour Dieu, qui juge du chantre avec tant de sagacité,
qui pénètre dans tous les détails, qui écoute si attentivement? Quand votre
chant sera-t-il assez harmonieux, pour n’offenser en rien des oreilles si
délicates? Voici qu’il vous prescrit lui-même la manière de chanter; ne
cherchez point les paroles comme si vous pouviez en trouver pour expliquer ce
qui plaît à Dieu. Chantez « par vos transports ». Pour Dieu, bien chanter,
c’est chanter dans la joie. Mais qu’est-ce que chanter avec transport? C’est
comprendre que des paroles sont impuissantes à rendre le chant du coeur. Voyez
ces travailleurs qui chantent soit dans les moissons, soit dans les vendanges,
soit dans tout autre labeur pénible: ils témoignent d’abord leur joie par des
paroles qu’ils chantent; puis, comme sous le poids d’une grande joie que des
paroles ne sauraient exprimer, ils négligent toute parole articulée et prennent
la marche plus libre de sons confus. Cette jubilation est donc pour le coeur un
son qui signifie qu’il ne peut dire ce qu’il conçoit et enfante. Or, à qui
convient cette jubilation, sinon à Dieu qui est ineffable? Car on appelle
ineffable ce qui est au-dessus de toute expression. Mais si, ne pouvant
l’exprimer, vous- devez néanmoins parler de lui, quelle ressource avez-vous
autre que la jubilation, autre que cette joie inexprimable du coeur, cette joie
sans mesure, qui franchit les bornes de toutes les syllabes? « Chantez
harmonieusement, chantez dans votre jubilation ».
9. « Car la parole du Seigneur est droite, e
et toutes ses oeuvres sont dans la foi ». Et c’est même par sa droiture qu’il
déplaît à ceux dont le coeur n’est pas droit. « Toutes ses oeuvres sont dans la
foi »; que les tiennes aussi soient dans la foi, « car le juste vit de la foi
1», et c’est « la foi qui agit par la charité 2 ». Que tes oeuvres soient dans
la foi, parce que c’est en croyant en Dieu que tu deviens fidèle. Mais comment
les oeuvres de Dieu peuvent-elles être dans la foi, comme s’il vivait aussi de
la foi? Cependant nous trouvons que Dieu est fidèle, et ce n’est point moi qui
tiens ce langage, écoutez l’Apôtre: « Dieu est fidèle »,dit-il, « et ne
souffrira point que vous soyez tentés au-dessus de vos forces, mais il
1. Rom. I, 17. — 2. Gal. V, 6.
vous fera profiter de la tentation afin que
vous puissiez persévérer 1 ». Dieu est fidèle, vous l’entendez; écoutez ce
qu’il dit ailleurs: « Si nous souffrons avec lui, nous régnerons aussi avec lui;
si nous le renonçons, il nous renoncera aussi; si nous lui sommes fidèles, il
demeurera fidèle, car il ne peut être contraire à lui-même 2 ». Nous avons donc
aussi un Dieu qui est fidèle. Distinguons toutefois la fidélité de Dieu de la
fidélité de l’homme. L’homme est fidèle quand il croit aux promesses que Dieu
lui fait; Dieu est fidèle quand il donne à l’homme ce qu’il lui a promis. Sa
grande miséricorde à nous promettre, nous garantit sa fidélité à tenir sa
promesse. Nous ne lui avons rien prêté pour faire de lui notre débiteur; c’est
de lui que nous vient tout ce que nous pouvons lui offrir, et si nous avons
quelque valeur, nous la tenons de lui. Tous les biens qui font notre joie
viennent de lui. « Qui connaît en effet les desseins de Dieu? ou qui est entré
dans ses conseils? ou qui lui a donné le premier, pour en attendre une
récompense? Tout est de lui, tout est par lui, tout est en lui 2 ». Donc nous
ne bai avons rien donné, et néanmoins il est notre débiteur. Pourquoi débiteur?
parce qu’il a fait des promesses. Nous ne lui disons point: Seigneur, rendez ce
que vous avez reçu; mais bien: « Donnez ce que vous avez promis ». « Car la
parole du Seigneur est droite ». Qu’est-ce à dire, que « la parole du Seigneur
est droite? » Qu’elle ne vous trompe jamais, et que vous ne devez point la
tromper, ou mieux, vous tromper vous-mêmes. Comment tromper en effet celui qui
connaît tout? « Mais l’iniquité ment contre elle-même 4. Car le discours du
Seigneur est droit, et toutes ses oeuvres sont dans la foi ».
10. « Il aime la miséricorde et le jugement 5
». Aimez-les, puisque Dieu les aime. Appliquez-vous, mes frères. C’est
maintenant le temps de la miséricorde, ensuite viendra celui du jugement.
Pourquoi est-ce aujourd’hui celui de la miséricorde? C’est que maintenant il
appelle ceux qui se détournent de lui, et qu’il pardonne à ceux qui se tournent
vers lui; c’est qu’il attend avec patience que les pécheurs se convertissent;
c’est qu’après leur conversion il oublie le passé, il promet l’avenir, il
stimule la lenteur, il console dans
1. I
Cor. x, 13. — 2. II Tim. 11,12, 13. — 3. Rom. XI, 34-36. — 4. Ps. XXVI, 12. —
5. Id. XXII, 5.
(302)
l’affliction, il enseigne ceux qui sont
studieux, il vient en aide à ceux qui combattent: il n’abandonne aucun de ceux
qui sont dans la peine et qui crient vers lui; il nous donne ce que nous devons
lui offrir en sacrifice, et nous met en main de quoi l’apaiser. Qu’un temps si
précieux de miséricorde ne passe point pour nous, ô mes frères, qu’il ne
s’écoule point inutilement pour nous. Toutefois viendra le jugement avec son
repentir, et repentir sans fruit. « Ils diront en eux-mêmes dans le repentir,
et gémissant dans l’angoisse de leur esprit »; c’est là ce qui est écrit au
livre de la Sagesse: « De quoi nous a servi l’orgueil, et que nous a procuré
l’ostentation des richesses? Toutes ces choses ont passé comme l’ombre 1 ».
Disons maintenant: « Tout passe comme l’ombre ». Disons utilement: « Tout
passe», de peur qu’un jour nous ne disions sans profit: « Tout est passé ».
C’est donc maintenant le temps de la miséricorde que doit suivre le temps du
jugement.
11. Toutefois, mes frères, gardez-vous de
croire que ces deux attributs puissent être séparés en Dieu. Il semble, en
effet, qu’ils soient contradictoires, et que la miséricorde ne devrait point se
réserver le jugement, comme le jugement devrait se faire sans miséricorde. Lis
Dieu est tout-puissant, et dans sa miséricorde il exerce la justice, comme dans
ses jugements il n’oublie point la miséricorde. Car il nous prend en pitié, il
considère en nous son image, notre fragilité, nos erreurs, antre aveuglement,
et il nous appelle, et il pardonne les fautes à ceux qui se tournent vers lui,
mais il les retient à ceux qui ne se convertissent point. Est-il miséricordieux
pour ceux qui sont injustes? Abandonne-t-il pour cela sa justice, et doit-il
confondre le juste avec l’injuste? Vous paraîtrait-il juste de traiter de la
même manière le pécheur qui se convertit et celui qui ne se convertit point, de
faire le même accueil à celui qui avoue ses fautes et à celui qui les déguise,
à l’homme humble et à l’homme superbe? Dieu donc exerce la justice, tout en
faisant miséricorde, et dans cette justice, il exercera sa miséricorde à
l’égard de ceux à qui il dira: « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger 2
». Car il est dit quelque part dans une lettre apostolique: « Dieu exercera un
jugement sans miséricorde envers celui qui n’aura pas fait
1. Sag. V, 3, 8, 9. — 2. Matt. XXV, 25.
miséricorde 1». « Bienheureux les
miséricordieux », est-il dit encore, « parce qu’ils obtiendront miséricorde 2
». Donc en les jugeant, Dieu usera de miséricorde, mais non sans discernement.
Car s’il n’use pas de miséricorde envers tous, mais seulement envers celui qui
aura été miséricordieux, sa miséricorde sera juste, puisqu’il n’y aura point de
confusion. C’est évidemment par un effet de sa miséricorde qu’il nous remet nos
péchés; c’est par miséricorde qu’il nous accorde la vie éternelle; mais voyez
en même temps l’équité: « Pardonnez, et l’on vous pardonnera; donnez, et il
vous sera donné 3 ». Assurément, « vous donner, vous pardonner », telle est
bien la miséricorde. Mais si la miséricorde était séparée de la justice, le
Sauveur ne dirait point: « On se servira pour vous de la même mesure dont vous
vous serez servis 4 »
12. Tu as entendu, ô mon frère, comment Dieu
exerce la miséricorde et le jugement, et toi aussi, sois juste et
miséricordieux. Ces deux attributs sont-ils exclusivement ceux de Dieu et non
des hommes? S’ils ne regardaient point les hommes, Dieu ne dirait pas aux
Pharisiens: « Vous omettez ce qu’il y a de plus important dans la loi: la
justice et la miséricorde 5 ». Garde-toi de croire que tu ne doives exercer que
la miséricorde et non le jugement. Tu es quelquefois arbitre dans un différend
entre deux hommes, dont l’un est riche et l’autre pauvre; et il arrive que la
mauvaise cause est celle du pauvre, tandis que le riche soutient la vérité; si
tu es ignorant dans les choses de Dieu, tu croiras bien faire de prendre le
pauvre en pitié, d’atténuer, de cacher son tort, de vouloir le justifier, afin
qu’il paraisse avoir pour lui le bon droit: et si l’on te reproche l’injustice
de ta sentence, tu prends pour excuse une fausse miséricorde, en disant: Je
sais tout cela, j’ai compris l’affaire, mais c’était un pauvre, il fallait en
avoir pitié. N’est-ce point là faire miséricorde au détriment de la justice?
Mais comment, diras-tu, pouvoir être juste sans oublier la miséricorde?
J’aurais prononcé contre un pauvre qui n’avait pas de quoi payer, ou s’il avait
pu payer, il n’aurait plus rien eu pour vivre? Voici la réponse de Dieu: « Tu
ne feras pas acception du pauvre dans tes jugements 6».
1. Jacques, II 13.— 2. Matt. V, 7.— 3. Luc,
VI, 37, 38. — 4. Matt. VII, 2.— 5. Id. XXIII, 23. — 6. Exod. XXXIII, 3.
(303)
Quant au riche, il est aisé de comprendre
qu’on ne doit point faire acception en sa faveur. Tout homme le voit, et plaise
à Dieu que tout homme le pratique; l’erreur la plus facile consiste donc à
chercher à plaire à Dieu, en jugeant en faveur du pauvre, comme si l’on voulait
dire à Dieu: J’ai fait grâce au pauvre. Mais il fallait être à la fois juste et
miséricordieux. Quelle est d’abord cette miséricorde qui consiste à favoriser
l’injustice? Tu as ménagé sa bourse, mais percé son cœur: ce pauvre est demeuré
dans l’injustice, et dans une injustice d’autant plus funeste qu’il te voit
favoriser son injustice, toi qu’il croyait un homme juste. Il t’a quitté
couvert de ton injuste protection, pour tomber sous la juste condamnation du
Seigneur. Quelle miséricorde lui as-tu faite en le rendant injuste? Il y a plus
de cruauté que de miséricorde. Mais, diras-tu, que fallait-il faire? Il fallait
parler selon la justice, reprendre le pauvre, fléchir le riche. Il y a un temps
pour juger et un temps pour demander. Quand le riche t’aurait vu garder les
règles de l’équité, ne point favoriser dans le pauvre son arrogante injustice,
n’aurait-il pas été incliné à lui faire grâce sur ta demande, dans la joie que
lui aurait causé ta sentence?
Il nous reste, mes frères, une grande partie
du psaume, et il faut consulter les forces de l’âme et du corps chez mes
auditeurs si divers; car si le froment nous donne à tous une même nourriture,
il semble néanmoins s’accommoder aux goûts différents, et ainsi échapper au
dégoût. Que ce soit donc assez pour aujourd’hui.
Ce discours embrasse la
seconde partie du psaume. Le saint docteur, après avoir fait quelques allusions
aux Ariens et aux Donatistes, établit que nous ne devons craindre que le
Seigneur qui a envoyé des brebis au milieu des loups, et ces loups sont devenus
brebis, qui peut seul donner aux créatures la puissance de nous nuire; n’aimer
que le Seigneur afin de le posséder, parce qu’il est seul capable de nous
rendre meilleurs, et d’être son héritage, ce qui est le bonheur parfait. Prier
pour les hérétiques.
1. Prêcher la parole de vérité aussi bien que
l’écouter, c’est un labeur. Mais c’est un labeur que nous endurons volontiers
quand nous pensons à l’arrêt du Seigneur et à notre condition. Car, dès le
berceau du genre humain, l’homme a entendu cette parole, non point d’un homme
qui pût le tromper, ni du diable qui est séducteur, mais de la vérité même qui
émanait de la bouche de Dieu: « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front (Gen. III, 19)».Donc si notre pain est la
parole de Dieu, il nous faut suer pour l’entendre, plutôt que de mourir de
faim. Dans la solennité de nos dernières vigiles, nous avons expliqué les
premiers versets du psaume; expliquons le reste aujourd’hui.
2. Voici où commence la partie qui nous reste
et que nous venons de chanter: « La terre est pleine de la miséricorde du
Seigneur. C’est la parole de Dieu qui affermit les cieux 1 ». C’est-à-dire que
cette parole donne aux cieux leur solidité. Le Prophète avait dit plus haut: «
Chantez avec sagesse et dans vos transports », c’est-à-dire chantez d’une
manière ineffable: « Parce que la parole du Seigneur est droite et que ses
œuvres sont dans la fidélité 2 ». Il ne promet rien qu’il ne tienne: il est un
débiteur fidèle, et toi, sois exigeant comme l’avare. Après avoir dit: « Toutes
ses oeuvres sont dans la foi », le Prophète ajoute: « Il aime la miséricorde et
le jugement 3 ». Mais celui qui aime la miséricorde a de la compassion. Or,
celui qui a de la compassion peut-il promettre sans
1. Ps. XXXII, 5, 6. — 2. Id. 3, 4. — 3. Id.
5.
donner, lui qui pourrait donner sans avoir
promis? Donc celui qui aime la miséricorde doit donner ce qu’il a promis; mais comme
il aime aussi le jugement, il doit exiger le fruit de ses dons. Aussi le
Seigneur dit-il à un certain serviteur: « Que ne mettais-tu mon argent à la
banque, afin qu’à mon retour j’en retirasse le fruit 1? » Je vous rappelle tout
ceci, mes frères, afin que nous comprenions ce que nous venons d’entendre. Car
il dit dans un autre endroit de l’Evangile: « Pour moi, je ne juge personne,
mais la parole que je nous ai annoncée vous jugera au dernier jour 2 ». Et que
celui qui ne veut point entendre ne dise point pour excuse qu’il ne lui sera
rien demandé au dernier jour. Car c’est de son refus de recevoir ce qu’on lui
donnait qu’on lui demandera compte. N’avoir pu recevoir et n’avoir pas voulu
sont bien différents: on peut, dans un cas, faire valoir son impuissance; mais
dans l’autre, c’est la volonté qui est coupable. Donc « toutes les œuvres de
Dieu sont dans la foi; il aime la miséricorde et le jugement». Recevez la
miséricorde, mais craignez la justice. De peur que, quand il viendra nous
redemander ce qu’il nous aura donné, il ne le fasse de manière à nous renvoyer
les mains vides. Car il nous demande compte, et après le compte rendu, il nous
donne l’éternité. Recevez donc la miséricorde, ô mes frères, recevons-la tous.
Que nul d’entre vous ne s’endorme pour la recevoir, de peur qu’on ne le
réveille pour son malheur au moment d’en rendre compte. Recevez la miséricorde;
voilà ce que Dieu nous dit, comme si, en un temps de famine, on criait: Recevez
des vivres. Et si tu en trouvais en semblable occasion, quelle serait ta
conduite? Quel retard mettrais-tu à venir? Eh bien! aujourd’hui on te tient ce
langage Recevez la miséricorde, « car Dieu aime la miséricorde et le jugement».
Après l’avoir reçue, fais-en un saint usage, afin d’en rendre un compte facile,
quand viendra pour juger celui-là même qui te prête sa miséricorde en ces temps
de famine.
3. Garde-toi donc de me dire: D’où me viendra
cette miséricorde? et où me faut-il aller? Souviens-toi de ces paroles que tu
viens de chanter: « La terre est pleine des miséricordes du Seigneur 3 ». Où
donc l’Evangile n’est-il pas prêché? Où cette parole de Dieu
1. Luc, XIX, 23.— 2. Jean, VIII, 15, XII,
48.— 3. Ps. XXXII, 5.
ne se fait-elle pas entendre? Où n’offre-t-on
pas le salut? Il n’est besoin pour toi que de vouloir: les greniers sont
pleins. Cette plénitude, cette abondance n’a pas attendu que tu vinsses la
chercher, elle est allée te trouver dans ton sommeil. Il n’est pas dit: Que les
nations se lèvent, et qu’elles aillent à tel endroit; mais ces mystères ont été
annoncés à chaque peuple dans la contrée qu’il habitait, afin que cette
prophétie fût accomplie: « Les hommes l’adoreront chacun dans sa patrie 1 ».
4. « La terre est pleine des miséricordes du
Seigneur ». Que dire des cieux? Ecoute ce qu’il en est des cieux. La
miséricorde y est inutile, puisqu’il n’y a aucune misère. Sur la terre, la
misère abonde, mais il y a une surabondance de miséricordes. La terre est
pleine des misères de l’homme, « et la terre est pleine des miséricordes du
Seigneur ». Et toutefois, dans le ciel où il n’y a point de misère, et où l’on
n’a pas besoin de miséricorde, n’a-t-on pas besoin du Seigneur? Heureux ou
malheureux, tout a besoin de Dieu. Sans lui, le malheur n’a plus de
soulagement, comme sans lui, le bonheur n’a plus de règle. Si donc, après avoir
entendu: « La terre est pleine des miséricordes du Seigneur », tu t’informais
des cieux, écoute combien les cieux ont besoin de lui. « C’est la parole du
Seigneur qui affermit les cieux». Ils ne s’affermissent donc point d’eux-mêmes,
et leur solidité n’est point leur ouvrage. « C’est la parole du Seigneur qui
affermit les cieux, et toute leur force vient du souffle de sa bouche 2 ». Ils
n’avaient donc rien par eux-mêmes, et ce qui leur vient du Seigneur n’était pas
un supplément. « C’est du souffle du Seigneur que leur vient », non en partie,
mais totalement « leur solidité ».
5. Voyez, mes frères, que les oeuvres du Fils
et du Saint-Esprit sont les mêmes. Nous ne devons point négliger de le dire en
passant, à propos de certaines distinctions injustes, et de quelques confusions
trop profondes. Il y a fausseté dans l’un et dans l’autre système. Par défaut
de distinction, ceux-ci confondent la créature avec le Créateur, et comptent
parmi les créatures l’Esprit de Dieu, Esprit qui est créateur: ceux-ci
discernent pour confondre; et puissent-ils être confondus et se convertir,
comprendre ici que le
1. Soph. II, 11.— 2. Ps. XXII, 6.
(305)
Fils et l’Esprit-Saint n’ont qu’une même
oeuvre ! La parole de Dieu est assurément le Fils de Dieu, comme le souffle de
sa bouche est l’Esprit-Saint; or, « c’est la parole de Dieu qui affermit les
cieux ».Qu’est-ce, pour eux, qu’être affermis, sinon avoir la solidité, être
inébranlables? «C’est du souffle de sa bouche que leur vient la solidité ». On
pourrait aussi bien dire: C’est le souffle de sa bouche qui affermit les cieux,
et de son Verbe que leur vient la solidité. Car la solidité ale même sens que
l’affermissement. L’oeuvre du Fils est donc aussi l’oeuvre du Saint-Esprit.
Mais agissent-ils séparément du Père? Qui est-ce qui agit par son Verbe et par
l’Esprit-Saint, sinon celui à qui appartiennent le Verbe et le Saint-Esprit?
Donc la Trinité est un seul Dieu. C’est lui qu’adorent tous ceux qui savent ce
qu’ils doivent adorer; c’est lui que rencontre partout celui qui veut se
convertir. Ceux qui s’éloignent de lui ne le recherchent point; mais il les
rappelle de leur éloignement, afin de les remplir après leur conversion.
6. Je laisse de côté, mes frères, ces cieux
qui nous dominent, qui nous sont inconnus, pendant que nous sommes sur la
terre, et que nous ne pouvons connaître que par d’humaines conjectures; je ne
m’occuperai donc point des cieux, pour en expliquer la hiérarchie, le nombre,
la différence des uns aux autres, les bienheureux habitants, et cet hymne
harmonieux et sans fin qui s’élève de toutes parts à la gloire de Dieu; c’est
là une tâche difficile; toutefois efforçons-nous d’y arriver un jour. Car là
est notre patrie, qu’un long exil nous fait trop oublier. C’est nous en effet
qui disons clans un psaume: « Malheur à moi, dont l’exil se prolonge 1 ». Il
est donc difficile, sinon impossible, et pour moi de vous parler du ciel, et
pour vous de me comprendre. Si quelqu’un m’a devancé dans l’intelligence de ces
choses divines, qu’il jouisse de son avance, et qu’il prie pour moi afin que je
puisse le suivre. Sans parler donc des cieux, nous avons une ample matière de
discours, dans ces autres cieux plus rapprochés de nous, qui sont les saints
Apôtres de Dieu, les prédicateurs de la parole de vérité, qui ont fait pleuvoir
sur nous une douce rosée, afin que le champ de l’Eglise produisît cette fertile
moisson, qui boit, à la vérité, la même pluie que l’ivraie, mais qui n’est pas
destinée au même grenier.
1. Ps. CXIX, 5. — 2. Matt. XII, 30.
7. Donc après nous avoir dit que « la terre
est pleine de la miséricorde du Seigneur », le Prophète, comme si vous
demandiez: D’où vient sur la terre cette abondante miséricorde? met d’abord en
avant, les cieux qui ont fait pleuvoir la divine miséricorde sur la terre, et
sur toute la terre. Car voyez ce qui est dit ailleurs à propos des cieux: « Les
cieux racontent la gloire de Dieu, et le firmament publie l’oeuvre de ses mains
1 ». Les cieux et le firmament sont identiques. « Le jour parle au jour, et la
nuit donne la science à la nuit ». Jamais d’interruption, jamais de silence.
Mais où donc ont-ils prêché, et jusqu’où sont-ils parvenus? « Il n’est point de
discours, point de langage dans lequel on n’entende point cette voix 2 ». Mais,
diras-tu, cette prédiction regarde ce qui arriva quand les Apôtres, assemblés
en un même lieu, parlèrent la langue de fous. Or, « ayant parlé toutes les
langues 3 », ils accomplirent ce qui était prédit: « Il n’est point de
discours, point de langage, dans lequel on n’entende point cette voix ». Mais
je demande: Cette voix qui parlait toutes les langues, jusqu’où est-elle
arrivée, quelle contrée a-t-elle remplie? Ecoute ce qui suit: « Leur voix a
éclaté par toute la terre, et leurs paroles ont retenti jusqu’aux confins du
monde 4». De qui ces paroles, sinon des cieux qui racontent la gloire de Dieu?
Donc si leur voix a éclaté par toute la terre, si leurs paroles ont retenti
jusqu’aux confins du monde, que celui qui les a envoyés, nous dise ce qu’ils
nous ont annoncé. Il nous le dit nettement, il nous le dit avec fidélité; car
il nous a prédit tout cela, même avant l’accomplissement, celui dont toutes les
oeuvres sont dans la foi. Car il est ressuscité d’entre les morts, et comme ses
disciples le reconnaissaient en le touchant, il leur dit: « Il fallait que le
Christ souffrît, qu’il ressuscitât des morts, et que l’on prêchât en son nom la
pénitence et la rémission des péchés 5 ». Depuis où et jusqu’où? « Par toutes
les nations », leur dit-il, « en commençant par Jérusalem ». Or, quel plus grand
acte de miséricorde pouvons-nous espérer tous, nies frères, sinon que le
Seigneur nous remette nos péchés? Si donc la rémission des péchés est la plus
grande miséricorde pour nous, et
1.
Ps. XVIII, 2 — 2. Ibid 4. — 3. Act. II, 4. — 4. Ps. XVIII,5, — 5. Luc, XXIV,
46, 47.
(306)
s’il a prédit que ce pardon des péchés serait
annoncé chez toutes les nations, « la terre test pleine de la miséricorde du
Seigneur». De quoi la terre est-elle pleine? de la divine miséricorde.
Pourquoi? parce que le Seigneur remet partout les péchés, parce qu’il a envoyé
les cieux pour pleuvoir sur la terre.
8. Et comment ces cieux ont-ils osé s’en
aller avec tant d’assurance; et, d’hommes faibles qu’ils étaient, sont-ils
devenus des cieux, sinon parce que « le Verbe de Dieu leur a donné la foi?»
D’où serait venu à ces brebis tant de courage parmi les loups, si « l’Esprit de
sa bouche n’eût été leur force? Voilà », dit le Sauveur, « que je vous envoie
comme des brebis au milieu des loups 1 ». O Seigneur, Dieu de miséricorde ! vous
en agissez de la sorte, afin que vos miséricordes se répandent par toute la
terre. Si donc telle est votre miséricorde que la terre en soit comblée,
considérez ceux que vous envoyez, et où vous les envoyez. Où les envoyez-vous,
dis-je, et quels hommes envoyez-vous? Vous envoyez des brebis au milieu des
loups. Mais envoyez un loup, un seul, au milieu d’un troupeau innombrable de
brebis, qui lui résistera? Quel carnage n’en fera-t-il pas, s’il n’est bientôt
rassasié? Autrement il dévorera tout. Vous envoyez donc des hommes faibles
parmi des hommes sanguinaires? Je les envoie, dit-il, parce qu’ils deviendront
des cieux pour arroser la terre. Comment des hommes infirmes sont-ils des
cieux? c’est que « le souffle de sa bouche fait toute leur force ». Voilà que
bientôt les loups vous saisiront, vous traîneront en jugement, vous feront
paraître devant les puissances, à cause de mon nom. Quant à vous, revêtez-vous
de vos propres armes. Sera-ce de votre vertu? Non. « Ne pensez point à ce que
vous répondrez: car ce n’est point vous qui parlerez, mais l’esprit de votre
Père qui parlera en vous 2; car c’est dans le souffle de sa bouche qu’est toute
leur force ».
9. C’est là ce qui est arrivé; les Apôtres
sont allés dans le monde, ils ont souffert de grands maux. Car souffrons-nous
autant pour entendre ces vérités, qu’ils ont souffert pour les annoncer? Non
assurément. Notre labeur sera-t-il pour cela sans fruit? Non encore. Je vous
vois en foule compacte; mais vous, voyez la sueur de mon front. Si nous
souffrons
1. Matt, X, 16. — 2. Id. 19, 20.
avec le Christ, nous régnerons aussi avec lui
1. Cela s’est donc fait. Et aujourd’hui nous célébrons la mémoire des martyrs,
ou de ces brebis envoyées au milieu des loups 2. Ce lieu où nous parlons était
infesté de loups, quand fut égorgé le bienheureux martyr Cyprien: une seule
brebis que l’on saisit fut plus forte que tous les loups ensemble, une seule
brebis égorgée a peuplé de brebis cette contrée. Alors la mer en courroux
soulevait le flot des persécutions, et couvrait la terre sèche, qui avait soif
du ciel de Dieu. Aujourd’hui le nom de Jésus-Christ est glorifié par les
douleurs qu’ont endurées ceux qui ont brisé les persécuteurs dans leur choc: et
il s’est assujetti toutes ces puissances, en foulant aux pieds ce flot de l’abîme.
Or, quand tout cela s’est accompli, pensez-vous qu’ils voient d’un oeil calme
et sans frémir de colère, et nos assemblées, et nos fêtes, et nos solennités,
et ces manifestations publiques de notre culte, ceux qui en sont les témoins,
sans partager notre foi? C’est alors que s’accomplit sur eux cette prophétie: «
Le pécheur verra, et il frémira de colère ». Mais qu’arrivera-t-il de cette
colère? O brebis, ne craignez plus ce loup féroce. Ne redoutez maintenant, ni
sa rage, ni ses impuissantes menaces. Il s’irrite: mais après? « Il grincera
des dents, il séchera de dépit 3 ».
10. Mais comme cette eau salée de la mer, qui
demeure encore parmi nous, n’ose plus s’élever contre les chrétiens, et qu’elle
dévore en elle-même son propre courroux; parce que cette eau frémit de se
trouver renfermée dans un corps mortel, écoutez ce qui suit: « Il rassemble
comme dans une outre les eaux de la mer 4 ». Donc cette mer, qui soulevait
librement contre nous ses flots tumultueux, n’est plus qu’une amertume
renfermée dans quelques poitrines mortelles, et telle est l’oeuvre de celui qui
a vaincu dans les siens, qui a posé des digues à la mer a, afin que ses flots
refoulés en son sein, brisassent contre eux-mêmes leur propre fureur. C’est lui
qui a rassemblé comme dans une outre les eaux de la mer: et toute pensée
d’amertume dans un corps humain. Or, ces hommes hostiles, craignant pour leur
vie, retiennent à l’intérieur, ce qu’ils n’osent montrer au dehors. C’est
toujours pour nous la même amertume, la même haine, la même fureur; fureur
autrefois à ciel ouvert, et
1. II Tim. II,12 — 2. Matt. X, 15.— 3. Ps.
CXI, 10. — 4. Ps. XXXII, 7 — 5. Prov. VIII, 29.
(307)
maintenant occulte, que vous dirai-je, sinon
ces paroles du Prophète: « Il frémira, et il séchera de dépit? ». Allez donc à
l’église, et marchez: la voie est facile, elle est ouverte, battue par notre
chef illustre qui veille à sa sûreté. Courons dans le chemin des bonnes
oeuvres, car c’est là qu’il nous faut marcher. Et si parfois il nous arrive des
persécutions d’où nous étions loin de les attendre, dès lors que les eaux sont
renfermées comme dans une outre, comprenons que Dieu n’en agit ainsi que pour
notre bien spirituel, pour nous éloigner d’une confiance téméraire dans les
choses du temps, et pour régler nos désirs de manière à nous conduire dans son
royaume. Tel est le désir qui éclate çà et là quand nous sommes sous le coup de
la persécution, et alors nous rendons un son agréable à Dieu, comme ces
trompettes en fer qu’a battues le marteau. Car le psalmiste nous invite à louer
le Seigneur avec des trompettes martelées1. Ces trompettes s’étendent sous le
marteau, comme le coeur du chrétien s’étend vers Dieu sous les coups de la
persécution.
11. Et maintenant que l’eau de la mer est
rassemblée comme dans une outre, n’oublions pas, mes frères, que Dieu ne manque
pas de moyens de nous châtier quand il est nécessaire. Aussi le Prophète a-t-il
ajouté: « Il y a des abîmes dans ses trésors ». Il appelle trésors les secrets
de Dieu. Or, Dieu connaît les coeurs des hommes, ce qu’il doit faire en temps
opportun, les moyens qu’il doit employer, le pouvoir qu’il doit donner aux
méchants contre les bons, afin de condamner les méchants et de corriger les
justes. Voilà ce que connaît celui qui met des abîmes dans ses trésors. Suivons
donc le conseil suivant: « Que toute la terre craigne le Seigneur 2 ». Qu’elle
ne s’élève point d’une joie téméraire et orgueilleuse, en disant: Voilà que les
eaux de la mer sont rassemblées comme dans une outre; qui s’élèvera contre moi?
qui osera me nuire? Imprudent! ne sais-tu pas que ton père a mis des abîmes
dans ses trésors? Ignores-tu qu’il sait qu’il a de quoi te châtier quand il lui
plaît? Il a dans sa main les trésors de l’abîme, afin de t’instruire et de te
diriger vers les trésors du ciel. Retourne donc à la crainte, ô toi qui déjà te
croyais en sûreté! Que la terre tressaille donc, mais aussi qu’elle craigne.
Qu’elle tressaille, et pourquoi? Parce
1. Ps. XCVII, 6. — 2. Id. XXXII, 8
que la terre est pleine de la miséricorde du
Seigneur. Qu’elle craigne, et pourquoi? Parce qu’il a renfermé comme dans une
outre les eaux de la mer, de manière néanmoins à mettre des abîmes dans ses
trésors. Mais il lui arrive ce qui est dit en deux mots dans un autre psaume: «
Servez le Seigneur avec crainte, tressaillez en lui avec tremblement 1 ».
12. « Que la terre craigne le Seigneur;
qu’ils tremblent devant lui, tous ceux qui habitent l’univers ». Qu’ils n’en
craignent point un autre, au lieu de le craindre: «Que ce soit devant lui que
tremblent tous ceux qui habitent la terre ». Une bête féroce te menace? Crains
le Seigneur. Un serpent se glisse? Crains le Seigneur. Un homme te hait? Crains
le Seigneur. Le démon te livre un assaut? Crains encore le Seigneur. Car celui
que tu dois craindre est le maître de toute créature. «C’est lui qui a dit, et
tout a été fait; il a commandé, et tout a été créé 2 ».C’est là ce que nous dit
ensuite le psalmiste. Après avoir dit: « Qu’ils tremblent devant lui, tous ceux
qui habitent la terre », afin d’ôter à l’homme toute autre crainte que celle de
Dieu, de peur que l’homme, ne craignant plus Dieu, n’en vînt à craindre les
créatures, et ne nué-prisât l’ouvrier pour adorer l’oeuvre; le Prophète nous
affermit dans la crainte de Dieu seul, et s’adressant à nous: Que pouvez-vous
craindre, dit-il, dans le ciel, ou dans la terre, ou dans la mer? « Dieu a
parlé, et tout a été fait; il a ordonné, et tout a été créé ». Or, celui dont
la parole a tout fait, dont la volonté a tout créé, ordonne, et tout se met en
mouvement; il ordonne encore, et tout demeure en repos. Un homme, dans sa
malice, peut bien avoir un désir de nuire qui lui soit propre; mais il n’en a
le pouvoir que si Dieu le lui donne. « Car il n’y a point de puissance qui ne
soit de Dieu 3 ». C’est une maxime décisive de l’Apôtre. Il n’a point dit qu’il
n’y a point de désir qui ne soit de Dieu, car il y a certains désirs mauvais
qui ne viennent point de Dieu; mais cette volonté perverse ne peut nuire à
personne sans la permission du Seigneur, puisqu’il n’y a de puissance que celle
qui vient de Dieu. De là vient que l’Homme-Dieu, au tribunal d’un homme, lui
disait: « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi, s’il ne t’était donné d’en haut 4
». Cet homme
1. Ps. II, 11.— 2. Ps. XXXII, 9.— 3. Rom.
XIII, 1.— 4. Jean, XIX, 11.
(308)
jugeait, l’Homme-Dieu instruisait; il nous
instruisait quand on le jugeait, afin de juger ensuite ceux qu’il aurait
instruits. « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi, s’il ne t’était donné «d’en
haut ».Qu’est-ce à dire? Est-ce l’homme seulement qui n’a de pouvoir qu’autant
qu’il en reçoit d’en haut? Le diable lui-même a-t-il osé enlever au saint homme
Job la moindre brebis avant d’avoir dit à Dieu: «Etendez votre main»,
c’est-à-dire, donnez-moi le pouvoir? Le diable voulait, Dieu ne le permettait
point; quand Dieu le permit, le diable eut le pouvoir; le pouvoir n’est donc
pas en lui, mais en Dieu qui a permis. Aussi Job, qui était bien instruit, ne
dit pas, ainsi que je vous l’ai fait remarquer si souvent: Le Seigneur l’a
donné, le diable l’a ôté mais bien: « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a
ôté comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait 1 »; et non, comme il a plu
au diable. Vous donc, mes frères, qui ne pouvez qu’avec tant de peine goûter le
pain salutaire de la parole, gardez-vous bien d’avoir d’autre crainte que celle
de Dieu. L’Ecriture nous avertit de ne craindre que lui seul. Que la terre
entière craigne donc le Seigneur qui met des abîmes dans ses trésors. Qu’ils
tremblent devant lui, tous ceux qui habitent la surface de la terre: « Car
c’est lui qui a dit et tout a été fait; il a commandé et tout a été créé ».
13. Mais aujourd’hui les princes, de méchants
qu’ils étaient, sont devenus bons: ils ont eux-mêmes accepté la foi, et sur
leur front resplendit le signe du Christ, signe plus précieux que toute perle
de leur diadème les persécuteurs ont disparu. Qui a fait cela? Toi, peut-être,
afin de t’en glorifier? « Le Seigneur dissipe «les desseins des nations, il
réprouve les pensées des peuples, et renverse les conseils des princes 2 ».
Quand ils ont dit: Exterminons les sur la terre; si nous le faisons, je nom de
chrétien disparaîtra: qu’ils subissent telle mort, tel genre de torture, qu’on
leur inflige tel supplice. Ainsi disaient les princes, et l’Eglise grandissait
au milieu de ces complots. « Le Seigneur confond les pensées des peuples, il
renverse les conseils des princes ».
14. « Quant au dessein du Seigneur, il
demeure éternellement, et les pensées de son coeur subsistent dans les siècles
des siècles 3 ». Il y a ici répétition, car « le
1. Job, I, 11, 21. — 2. Ps. XXXII, 10. — 3.
Ibid. 11.
dessein » a la même signification que « les
pensées du cœur », et ce qui est dit plus haut: « Demeure éternellement », est
ici répété: « dans les siècles des siècles ». Ces répétitions sont une manière
d’affirmer. Toutefois, quand le Prophète parle « des pensées de son cœur »,
gardez-vous de croire que Dieu s’assied pour méditer ce qu’il veut faire, et
qu’il délibère en lui-même sur l’opportunité d’agir, ou de ne point agir. Ces
lenteurs sont bien dans ta nature, ô homme, mais son Verbe court avec une
extrême vitesse. Quelle lenteur de pensée peut-il y avoir chez ce Verbe qui est
unique, et qui renferme tout 1? On emploie donc ce mot de pensées de Dieu, afin de se mettre au niveau de ton intelligence,
afin encore que tu oses bien, autant qu’il est en toi, élever ton coeur, pour
comprendre des paroles proportionnées à ta faiblesse: ce qu’elles désignent, en
effet, est fort au-dessus de toi. « Les pensées de son coeur subsistent dans
les siècles des siècles ». Quelles sont les pensées de son coeur, et quel est
le dessein de Dieu qui demeure éternellement? Pourquoi les nations ont-elles
frémi contre ce dessein, et les peuples ont-ils tramé de vains complots 2?
puisque le Seigneur confond les pensées des peuples, et renverse les desseins
des princes. Où le dessein de Dieu peut-il subsister éternellement, si ce n’est
en nous qu’il a vus dès longtemps, et qu’il a prédestinés 3? Qui peut effacer
cette prédestination de Dieu? Il nous a vus avant la création du monde, il nous
a faits, il nous a envoyé son Fils, il nous a rachetés: voilà son dessein qui
demeure éternellement, sa pensée qui subsiste dans les siècles des siècles. Les
nations frémirent alors, leurs flots irrités se soulevèrent au grand jour;
qu’elles sèchent de dépit, maintenant qu’elles sont rassemblées e. enfermées
dans une outre. Elles ont fait librement éclater leur audace, qu’elles dévorent
leurs pensées amères et déchirantes. Comment pourraient-elles détruire le
dessein de Dieu qui demeure éternellement?
15. Quel est ce dessein? « Heureux le peuple
4 » Qui ne se réveille point à cette parole? Car chacun aime le bonheur: et tel
est la dépravation des hommes qu’ils veulent être méchants et non malheureux;
et quoique le malheur soit l’inséparable compagnon de la méchanceté, ces hommes
dépravés, non seulement veulent le mal sans le malheur,
1.
Ps. CXLVII, 15.— 2. Ps. II, 1.— 3. Eph. I, IV.— 4. Ps. XXXII, 12.
(309)
ce qui est impossible, mais ils ne
recherchent le mal, qu’afin d’éviter le malheur. Que dis-je? ils ne recherchent
le mal qu’afin d’éviter le malheur. Considérez en effet, mes frères, que tout
homme qui fait le mal, cherche toujours à être heureux. Il commet un larcin et
vous en demandez la cause? Mais c’est la faim, c’est la nécessité. Il est donc
méchant pour éviter le malheur; et il est d’autant plus malheureux, qu’il est
encore méchant C’est donc pour écarter la misère, et pour acquérir la félicité,
que les hommes agissent en bien ou en mal, ils recherchent incessamment le
bonheur. Que leur vie soit criminelle ou coupable, c’est le bonheur qu’ils
cherchent; mais tous n’atteignent pas le but de leurs recherches, et il n’y
aura d’heureux que ceux qui auront voulu être justes. Et pourtant voilà je ne
sais quel homme qui, pour faire le mal, voudrait être heureux. Par quels
moyens? Par ses richesses, son or et son argent, ses domaines, ses terres, ses
palais, ses esclaves, par une pompe toute mondaine, un honneur frivole et qui
s’évapore. ils veulent posséder pour être heureux; mais toi, cherche ce qui te donnera
le bonheur. Dans la félicité, tu seras sans doute meilleur que dans
l’adversité. Mais il est impossible que tu deviennes meilleur, en possédant ce
qui vaut bien moins que toi. Tu es homme, et tout ce que tu désires pour être
heureux, est bien au-dessous de toi. L’or, l’argent, tout ce qui est corporel,
dont tu convoites si avidement l’acquisition, la possession, la jouissance,
tout cela est bien inférieur à toi. Tu es plus que tout cela, tu as une valeur
bien supérieure; et pour toi qui es misérable, désirer le bonheur, c’est
désirer d’être meilleur que tu n’es. Il est mieux assurément d’être heureux que
d’être malheureux. Donc tu veux être supérieur à toi-même; et tu demandes cette
supériorité à des choses qui te sont bien inférieures; car tout ce que tu peux
rechercher sur la terre, est bien au-dessous de toi. C’est là ce que tout homme
souhaite à son ami, dans ses protestations d’attachement Puisses-tu aller
mieux; puissions-nous te voir en meilleur état; puissions-nous nous réjouir de
ton amélioration. Or, il veut pour lui-même, ce qu’il souhaite à son ami.
Reçois donc un avis infaillible; tu veux être mieux que tu n’es, je le sais,
nous le savons tous, et même nous le désirons tous; eh bien! cherche ce qui est
au-dessus de toi, afin d’être ainsi plus que tu n’es.
16. Regarde maintenant le ciel et la terre:
que ces créatures douées de beauté n’aient point pour toi des charmes tels que
tu cherches en elles son bonheur. Tu trouveras dans ton âme ce que tu désires.
Tu veux le bonheur, cherche dans ton esprit ce qui lui est supérieur. Nous
sommes formés d’une double substance, de l’âme et du corps, et comme de ces
deux, celle qui est supérieure, est celle qu’on appelle âme, ton corps peut
devenir meilleur par cette substance, qui a la supériorité, car le corps est
soumis à l’âme. Donc ton âme peut améliorer ton corps, eu sorte que ce corps
devienne immortel quand l’âne sera juste. Car c’est par l’illumination de l’âme
que le corps mérite d’être immortel, en sorte que c’est la substance
supérieure, qui répare la substance inférieure. Si donc ton âme est pour ton
corps le bien, à cause des a supériorité, quand tu cherches ton bien, il faut
le chercher dans ce qui est supérieur à ton âme. Or, qu’est-ce que ton âme?
Considère-le, de peur que, méprisant cette âme, et la prenant pour quelque
chose de vil et d’abject, tu n’ailles chercher pour cette âme un bonheur trop
bas. C’est dans ton âme qu’est l’image de Dieu 1, et l’esprit de l’homme est
capable de cette image; il l’a donc reçue mais il la défigure en s’inclinant
vers le péché. Voilà que vient, pour la réformer, celui qui l’avait d’abord
formée; car c’est par le Verbe que tout a été fait, et par le Verbe que cette
image avait été empreinte en nous. Le Verbe est donc venu, afin de nous dire
parla bouche de l’Apôtre: « Transformez-vous par le renouvellement de votre
esprit 2 ». Il nous reste donc à chercher ce qui est supérieur à ton âme. Qui
sera-ce, je te le demande, si ce n’est Dieu? Tu ne trouveras pas une autre
supériorité pour ton âme; car ta nature une fois perfectionnée sera égale ana
anges. Il n’y a donc au-dessus de nous que le Créateur. C’est vers lui qu’il
faut t’élever, sans découragement, sans dire: C’est bien difficile. Il est plus
difficile pour toi peut-être de posséder cet or que tu convoites. Malgré tes
désirs, il est bien possible que tu n’en puisses avoir; mais Dieu, tu l’auras
si tu le veux; car il a prévenu ta volonté en venant
1. Gen. I, 27. — 2. Rom. XI, 2.
à toi, et quand cette volonté s’éloignait, il
l’appelait; et quand tu revenais, il t’effrayait; et quand, sous le poids de la
crainte, tu confessais tes fautes, il te consolait. C’est de lui que tu tiens
tout; c’est lui qui t’a donné l’existence, qui te donne le soleil, ainsi qu’aux
méchants qui sont avec toi, qui donne la pluie 1, qui donne les fruits, qui
ouvre les sources, qui donne la vie et le salut, et tant de consolations, lui
qui te réserve ce qu’il ne donnera qu’à toi seul. Et qu’est-ce qu’il te
réserve, si ce n’est lui-même? Cherche dans tes désirs, situ peux trouver
mieux. C’est lui-même que Dieu te réserve. O avare ! à quoi bon aspirer au ciel
ou à la terre? Celui-là est bien supérieur, qui a fait le ciel et la terre:
c’est lui que tu verras, lui que tu posséderas. Pourquoi souhaiter que ce
domaine t’appartienne, et pourquoi dire en le traversant heureux le maître de
ces biens? C’est là ce que disent tous ceux qui le traversent. Mais le dire,
mais le traverser, mais secouer la tête et soupirer, est-ce là le posséder? La
voix de la cupidité, c’est la voix de l’iniquité; mais «Ne désirez point le
bien du prochain 2 ». Bienheureux le maître de ce domaine, le maître de ce
palais, le maître de cette campagne. Réprimez l’iniquité pour écouter la
vérité. « Bienheureux le peuple dont.... » Qu’est-ce? Vous savez comment je
dois achever. Désirez-le donc, afin de le posséder et d’être heureux enfin. Lui
seul fera votre bonheur; ce qui vous est supérieur, vous élèvera au-dessus de
vous. C’est Dieu, dis-je, qui vous est supérieur, et c’est lui qui vous a
faits. «Bienheureux le peuple dont Dieu est le Seigneur ». C’est ce qu’il faut
aimer, ce qu’il faut posséder, ce que tu auras à ta volonté, ce que tu auras
gratuitement.
17. « Bienheureux le peuple dont le Seigneur
est Dieu ». Est-ce notre Dieu? de quel peuple n’est-il pas Dieu? Ce n’est point
de la même manière qu’il est le Dieu de tous. Il est plus spécialement notre
Dieu, pour nous, qui vivons de lui comme du pain de chaque jour. Qu’il soit
aussi notre héritage, notre possession. N’étions-nous pas téméraires en faisant
de Dieu notre héritage, de lui qui est Dieu, de lui qui est Créateur? Ce n’est
point de la témérité, c’est un transport d’amour, c’est l’élan de notre
espérance. Que notre âme dise dans l’abandon de la sécurité: « C’est vous qui
êtes
1. Matt. V, 45. — Deut. V, 21.
mon Dieu », puisqu’il dit à notre âme: «
C’est moi qui suis ton salut 1 ». Qu’elle le dise, et avec sécurité; elle ne
fera point injure à Dieu par ce langage, elle en ferait en ne le tenant point,
lite fallait des arbres pour devenir heureux? Ecoute l’Ecriture, qui dit de la
Sagesse: « C’est l’arbre de vie pour ceux qui la possèdent 2 ». Vous le voyez,
elle nous donne la sagesse pour héritage: mais de peur que vous ne croyiez que
cette sagesse que l’Ecriture vous assigne pour héritage, est inférieure à vous,
elle ajoute: « Elle est stable pour ceux qui s’appuient sur elle comme sur le
Seigneur ». Voilà que le Seigneur devient un bâton pour nous appuyer: l’homme
peut s’y appuyer en toute sûreté, parce que cet appui ne manque jamais. Dites
donc avec sécurité qu’elle est notre héritage; c’est l’Ecriture qui le dit à
ceux qui la possèdent, et dans votre doute elle vous donne la confiance. Parlez
donc avec assurance, aimez avec assurance, espérez avec assurance. Que le
psalmiste vous suggère ces paroles: « Le Seigneur est la part de mon héritage 3
».
18. Donc, mes frères, nous serons heureux, si
nous possédons le Seigneur. Mais quoi? Le posséderons-nous sans qu’il nous
possède lui même? Pourquoi donc Isaïe a-t-il dit: « Seigneur, possédez-nous 4?
» Dieu donc nous possède en même temps que nous le possédons; et tout cela est
pour notre bien. Toutefois il n’en est pas de lui comme de nous. Si nous le
possédons, c’est pour notre bonheur, mais il ne trouve pas son bonheur à nous
posséder, Il ne nous possède et ne se fait notre possession qu’afin de nous
rendre heureux. Nous le possédons et il nous possède, parce que nous
l’honorons, et qu’il nous cultive. Nous l’honorons comme un Dieu, il nous
exploite comme sa terre. Que nous l’adorions, nul n’en doute; mais qui nous
assure qu’il nous cultive? Lui-même, quand il dit: « Je suis la vigne, vous «
en êtes le sarment, et mon Père est le vigneron 5 ». Nous trouvons l’un et
l’autre dans ce psaume, l’un et l’autre y est indiqué. Déjà il nous a dit que
nous possédons Dieu: «Bienheureux le peuple dont le Seigneur est Dieu ». De qui
est ce champ? disons-nous. D’un tel. Et celui-ci? de tel autre. Et celui-là?
Faisons à propos de Dieu la même question. De même qu’à propos de tel domaine,
1. Ps. XXXIV, 3.— 2. Prov. III, 13.— 3. Ps.
XV, 5.— 4. Isa. XXVI, 13. — 5. Jean, XV, 1, 5.
(311)
de telle propriété vaste et agréable, on nous
répond: C’est un certain sénateur, c’est un tel, qui a tel nom, qui possède ces
domaines; ce qui nions fait dire: Bienheureux cet homme-là! De même si mous
demandons: De qui le Seigneur est-il Dieu? li est un peuple assez heureux pour
l’avoir, nous dira-t-on, car le Seigneur est leur Dieu. Mais il n’en est pas du
Dieu de cette nation comme du sénateur qui possède ce domaine, et qui n’est pas
à son tour la possession du domaine. Il faut donc nous efforcer d’être son
domaine; car il y a une possession réciproque. Vous avez, entendu comment cette
nation possède son Dieu: « Bienheureux le peuple dont le Seigneur est Dieu ».
Ecoutez maintenant, comment il possède la nation: « Heureux le peuple que le
Seigneur a choisi pour son héritage ! »Heureuse la nation à cause de l’héritage
qu’elle possède ! Heureux l’héritage à cause du maître dont il est la
possession! « Heureux le peuple que le Seigneur s’est choisi pour héritage ! »
19. « Dieu a regardé du haut du ciel, il a vu
tous les enfants des hommes 1 ». Par cette expression tous, il faut entendre
tous ceux de cette nation qui appartiennent à l’héritage, ou même qui forment
cet héritage. Car ils sont tous l’héritage du Seigneur, et il les a tous
regardés du haut des cieux; il les a vus, celui qui adit: « Je t’ai vu quand tu
étais sous le figuier 2 ». Je t’ai vu et t’ai pris en pitié. C’est ainsi qu’en
implorant la pitié d’un homme, nous lui disons: Voyez-moi. Et que dites-vous de
l’homme qui vous méprise? Il ne me regarde pas. Il y a donc un regard de
compassion, et non un regard de punition. Ce dernier regard sur nos péchés
serait un châtiment: et il ne veut point que ses péchés soient vus, celui qui
s’écrie: « Détournez les yeux de mes péchés 3 ». Il veut qu’on les lui
pardonne, et non qu’on les connaisse. « Détournez », dit-il, u détournez vos
yeux de mes péchés ». Mais s’il détourne ses regards de vos péchés, il ne vous
verra plus? Pourquoi alors est-il dit ailleurs: « Ne détournez point de moi
votre face 4? » Que le Seigneur donc détourne les yeux de tes péchés, et nom de
toi-même; qu’il te voie, qu’il te prenne en pitié, qu’ il vienne à ton aide. «
Le Seigneur a regardé du haut des cieux, il a vu les enfants des hommes» qui
appartiennent au Fils de l’homme.
1. Ps XXXI, 13. — 2. Jean, I, 48. — 3. Ps. L,
11. — 4. Id. XXV, 9.
20. « Il les a regardés de sa tente 1 »,
qu’il s’était préparée. Il nous a vus par ses Apôtres, par ses prédicateurs de
la vérité, par les messagers qu’il nous a envoyés. Tout cela forme sa maison,
tout cela c’est sa tente, tout cela c’est le ciel qui raconte la gloire de Dieu
2. « Il a vu tous les enfants des hommes du haut de la tente qu’il s’est
préparée; il a regardé tous ceux qui habitent la terre 3 ». Ce sont ceux-là
qu’il,a regardés, ceux qui sont à lui, cette nation bienheureuse, celle dont le
Seigneur est Dieu; c’est ce peuple que le Seigneur s’est choisi pour son
héritage, parce qu’il est répandu par toute la terre, et non point sur une
partie. « Il a jeté les yeux sur tous ceux qui habitent la terre ».
21. « C’est lui qui a formé le coeur de
chacun d’eux ». Par la main de sa grâce, par la main de sa miséricorde, il a
formé nos coeurs, il les a formés séparément, nous donnant à chacun le coeur
qui nous est propre, sans déroger à l’unité. De même que nos membres sont
formés à part, qu’ils ont chacun leur fonction séparée, et qu’ils vivent
néanmoins en harmonie; que la main a d’autres fonctions que les yeux, que
l’oreille peut faire ce que ne tout ni les yeux ni la main, et que tous ces
membres néanmoins agissent dans l’unité, que la main, les yeux et l’oreille,
malgré la diversité de leurs fonctions, ne sont point en opposition; de même
dans le corps de Jésus-Christ, tous les hommes sont comme des membres qui
s’applaudissent de leur aptitude particulière, parce que celui qui s’est choisi
le peuple en héritage, a formé leurs coeurs en particulier. « Tous sont-ils
apôtres? tous sont-ils prophètes? tous sont-ils docteurs? tous ont-ils le don
de guérir les maladies? tous parlent-ils diverses langues? Tous ont-ils le don
d’interpréter? L’un reçoit du Saint. Esprit le don de parler avec sagesse;
l’autre reçoit du même Esprit le don de parler avec science, un autre reçoit le
don de la foi par le même Esprit; un autre reçoit du même Esprit, le don de
guérir les malades 4 ». Pourquoi? Parce qu’il a formé à part le coeur de
chacun. De même que, dans nos membres, il y a des fonctions diverses, et une
même santé, de même parmi les membres du Christ, les dons sont divers, mais
tout se résume en la charité qui est une. « Il a formé à part le coeur de
chacun ».
1. Ps. XXXII, 14.— 2. Id. XVIII, 2.— 3. Id.
XXXI, 15.— 4. ICor. XII, 8, 9, 29,30.
(312)
22. « C’est lui qui connaît toutes leurs
oeuvres 1 ». Qu’est-ce à dire, qu’il les connaît? qu’il pénètre les secrets de
notre intérieur. il est dit dans un autre psaume: « Comprenez le cri de ma
douleur 2 ». Car il n’est pas besoin de hauts cris pour que notre prière arrive
aux oreilles de Dieu. La vue secrète se nomme intelligence. Le Prophète a parlé
avec plus de précision que s’il eût dit: Il voit toutes leurs oeuvres; tu
aurais pu croire que l’on toit ces mêmes oeuvres, comme tu vois un tomme
travailler. L’homme voit l’oeuvre matérielle d’un autre homme; c’est Dieu qui
voit dans son coeur. C’est donc parce qu’il pénètre à l’intérieur qu’il est
dit: « Il comprend toutes leurs œuvres ». Deux hommes font l’aumône à un
pauvre, l’un se propose une récompense céleste, et l’autre la louangé humaine:
pour toi, tu ne vois qu’un seul acte, tandis que Dieu en voit deux; car il
comprend l’intérieur; il connaît leurs coeurs, il y voit le but qu’ils se
proposent, il y découvre leurs intentions, lui « qui comprend toutes leurs
oeuvres».
23. «Ce ne sont point les forces nombreuses
qui sauveront le roi 3 ». Elevons-nous tous vers Dieu, soyons tous en Dieu. Que
Dieu soit ton espoir, que Dieu soit ta force, ton soutien, qu’il soit ta prière
et ta louange; qu’il soit la fin où tu trouves ton repos, ton encouragement
dans le travail. Ecoute bien cette vérité: «Ce ne sont point les forces
nombreuses qui sauveront le roi, et le géant ne trouvera point son salut dans
sa grande puissance ». Ce géant, c’est l’orgueilleux qui s’élève contre Dieu,
comme si en lui-même et par lui-même litait quelque chose. Ce n’est point dans
sa grande puissance qu’il trouvera le salut.
24. Mais il a un cheval tout à la fois grand,
tact, vigoureux et léger, qui pourra au besoin le délivrer promptement du
péril? Illusion ! qu’il écoute ce qui suit « Un coursier! vain espoir de salut
4 ». Comprenez-vous bien cette parole, qu’un coursier vous trompe quand il
s’agit de salut? Que ce cheval ne vous promette point de vous sauver; et s’il
vous le promet, il trahira sa promesse. Vous serez délivré si Dieu veut bien
vous délivrer et si Dieu ne le veut point, votre cheval s’abattra, et vous n’en
tomberez que de plus haut. N’allez donc pas croire que cette expression « dans
l’affaire du salut, un cheval est
1.
Ps. XXXII, 15.— 2. Id. V, 2. — 3. Ps. XXXII, 16. — 4. Ibid. 17.
trompeur », mendax equus, signifie que le juste se trompe dans le salut, et que
les justes sont menteurs en se promettant le salut: on n’a point écrit aequus, qui dérive d’équité ou de
justice, mais bien equus, l’animal
quadrupède. C’est ce que nous voyons dans le grec, ipos: et dans ces animaux vicieux, le Prophète réprimande ces
hommes qui cherchent les occasions de mentir; bien que l’Ecriture dise: « La
bouche qui ment tue l’âme 1 »; et encore: « Vous perdrez ceux qui profèrent le
mensonge 2 ». Qu’est-ce donc que «ce cheval qui ment pour le salut?»
C’est-à-dire qu’il vous trompe quand il promet de vous sauver. Or, un cheval
peut-il parler et promettre le salut? Mais toi, quand tu vois un cheval bien
conformé, vigoureux, bon coursier, tout cela te promet en lui le salut au
besoin; c’est là une erreur, si Dieu lui-même ne te sauve, car « un cheval est
un vain espoir de salut ». Prends encore le cheval au figuré, pour toute
grandeur humaine, ou pour quelque degré d’honneur auquel tu montes avec faste:
plus ton élévation est grande, plus aussi tu te crois, non seulement honorable,
mais en sûreté. Mais illusion encore ! car tu ne sais de quelle manière ce
coursier te renversera, d’une manière d’autant plus désastreuse que tu étais
plus élevé. « Un cheval est trompeur, quant au salut, et on ne sera point sauvé
dans la surabondance de ses forces ». Par quel moyen sera-t-on sauvé? Ce ne
sera ni par sa vertu, ni par ses forces, ni par ses honneurs, ni par sa gloire,
ni par son cheval. Mais par quel moyen, et où irai-je pour trouver un moyen de
salut? Ne cherche ni longtemps, ni au loin. « Voilà que les yeux du Seigneur
s’arrêtent sur ceux qui le craignent u. Vous voyez que ce sont bien ceux qu’il
a regardés du haut de son tabernacle. « Voilà que les yeux du Seigneur
s’arrêtent sur ceux qui le craignent, et qui espèrent en sa miséricorde »: non
point dans leurs propres mérites, non point dans leur vertu, ni dans leur
force, ni dans un cheval, mais bien dans sa miséricorde.
25. « Afin de dérober leurs âmes à la mort
3». Voilà qu’il promet la vie éternelle. Mais pendant le pèlerinage de cette
vie, les va-t-il abandonner? «Afin de les nourrir pendant la famine ». Nous
sommes au temps de la famine, celui de l’abondance viendra plus tard.
1.
Sag. I, 11 — 2. Ps., V, 7. — 3. Id. XXXII, 19.
(313)
Si donc il ne nous abandonne pas dans la
disette de notre corruption, de quelles délices nous rassasiera-t-il quand nous
serons devenus immortels? Mais tant que doit durer la disette, il faut
souffrir, il faut endurer, il faut persévérer jusqu’à la fin. Parcourons
maintenant tout le psaume, car la voie est aplanie, et il faut avoir égard à ce
corps fragile que nous portons. Il y a peut-être encore dans l’amphithéâtre des
hommes fous d’enthousiasme et assis au soleil; nous du moins si nous sommes debout,
nous sommes à l’ombre, et ce que nous voyons ici est incomparablement plus beau
et plus utile. Voyons donc ce qui est beau, afin que la beauté par excellence
arrête les yeux sur nous. Voyons en esprit ce qui est renfermé dans le sens des
divines Ecritures, et jouissons d’un tel spectacle. Mais à notre tour, qui nous
verra? « Voilà que les yeux du Seigneur s’arrêtent sur ceux qui le craignent,
et qui espèrent en sa miséricorde: afin d’arracher leurs âmes à la mort et de
les nourrir dans la disette ».
26. Mais pour supporter cet exil, pendant
lequel nous souffrons la faim et nous attendons que Dieu nous rassasie, de peur
que nous ne tombions en défaillance, que nous est-il ordonné, et quelle
résolution faut-il prendre? « Notre âme attendra le Seigneur 1 ». Elle attendra
en toute sûreté celui qui a fait de si miséricordieuses promesses, et qui les
tiendra avec tant de miséricorde et de vérité. Mais que faire jusqu’à ce qu’il
les accomplisse? « Mon âme attendra le Seigneur avec patience ». Mais
qu’arrivera-t-il si la patience vient à lui manquer? Jamais cette patience ne
nous fera défaut: « Car Dieu vient à notre aide, il est notre protecteur ». Il
nous soutient dans le combat, il nous abrite contre la chaleur, il ne nous
abandonne point: souffrez donc, souffrez longtemps. « Celui-là sera sauvé qui
aura persévéré jusqu’à la fin 2 ».
27. Et lorsque tu auras attendu longtemps,
souffert avec patience, persévéré jusqu’à la fin, que t’arrivera-t-il? Quelle
sera ta récompense, qu’auras-tu gagné à tant souffrir? « Alors notre coeur
s’épanouira en lui, parce que nous avons espéré en son nom3 ». Espère donc en
cette vie afin de t’épanouir alors; endure ici-bas la faim et la soif, afin
d’être rassasié là-haut.
28. Le Prophète nous a exhortés à tout
1. Ps. XXXII, 20. — 2. Matt. XXIV, 18. — 3.
Ps. XXXII, 21.
endurer, il nous a comblés des joies de
l’espérance, il nous a proposé ce que nous devons aimer, ou celui en qui et de
qui nous devons tout attendre: il termine par une invocation courte et
salutaire: « Seigneur, que votre miséricorde descende sur nous ». Et par quel
mérite? « En proportion de notre espoir en vous 1». J’ai été bien long pour
quelques-uns, je le sens; mais je sens encore que pour d’autres mon homélie est
bien courte; que les faibles soient indulgents pour les forts, et que les forts
prient pour les faibles. Soyons tous les. membres d’un même corps, et que la
sève nous vienne de notre chef divin: c’est en lui qu’est notre espérance, en
lui encore qu’est notre force. Ne craignons point d’exiger de Dieu sa miséricorde;
il veut absolument qu’on la lui demande. Nos pressantes exigences ne le
jetteront ni dans le trouble ni dans l’angoisse, comme le malheureux qui n’a
pas ce qu’on lui demande, ou qui en a peu, ou qui craint d’en donner, de peur
d’en manquer ensuite. Veux-tu savoir comment Dieu répandra sur toi sa
miséricorde? Toi-même, répands la charité, et vois si tu peux t’épuiser en la
répandant. Quelle richesse alors dans la charité suprême, s’il en est tant dans
son image!
29. C’est donc à cette charité que nous vous
engageons principalement, mes frères, non seulement entre vous, mais à l’égard
de ceux qui sont dehors, soit des païens, qui ne croient pas encore au Christ,
soit de nos frères séparés, qui confessent avec nous le même chef, mais qui se
divisent de corps. Plaignons, mes bien-aimés, plaignons ces derniers comme des
frères; car ils sont vraiment nos frères, qu’ils le veulent ou non. Ils ne
cesseront d’être nos frères qu’en cessant de dire à Dieu: « Notre Père 2 ». Le
Prophète n dit de quelques-uns: « A ceux qui vous disent: Vous n’êtes point nos
frères, répondez: Et vous, vous êtes nos frères 3 ». Voyez de qui il pouvait
parler ainsi: était-ce des païens? non, car nous ne les appelons pas nos frères
selon les Ecritures et dans le langage de l’Eglise. Etait-ce des Juifs qui ne
croient pas en Jésus-Christ? Lisez saint Paul, et vous verrez que quand il
emploie le mot frères sans y rien ajouter, il veut désigner les chrétiens. « Un
frère ou une sœur », dit-il en parlant du mariage, « n’ont plus d’engagement
1. Ps. XXXII,, 22 — 2. Matt. VI, 9 — 3. Isa.
LXVI, 5, juxta LXX.
(314)
en pareil cas 1 ». Ceux qu’il appelle frère
et soeur, sont un chrétien et une chrétienne. Il dit encore: « Quant à toi,
pourquoi juger un frère, et toi, pourquoi condamner un frère 2?»Et ailleurs: «
C’est vous qui faites le tort, vous qui causez la perte, et cela à l’égard de
vos frères 3 ». Donc ceux qui nous disent: Vous n’êtes pas nos frères, nous
traitent comme des païens. C’est pour cela aussi qu’ils veulent nous baptiser,
en alléguant que nous n’avons pas ce qu’ils donnent. Ils sont donc conséquents
dans leur erreur en nous reniant pour leurs frères. Mais pourquoi le Prophète
nous dit-il: « Quant à vous, dites-leur: Vous êtes nos frères », sinon parce
que nous reconnaissons en eux ce que nous ne donnons pas de nouveau? Pour eux
donc, ne point reconnaître notre baptême, c’est nier que nous soyons leurs
frères; et nous, en ne réitérant point leur baptême et en y reconnaissant le
nôtre, nous leur disons: Vous êtes nos frères. Qu’ils nous disent: Pourquoi
nous cherchez-vous et que voulez-vous de nous?Répondons: Vous êtes nos frères.
Qu’ils nous disent: Retirez-vous de nous;nous n’avons rien de commun avec vous.
Mais nous, au contraire, nous avons avec vous ceci de commun: que nous
confessons un même Christ, et que sous un nième chef nous devons être un même
corps. Mais, dit cet infortuné, pourquoi me chercher si je suis perdu? Quelle
absurdité! quelle extravagance! pourquoi me chercher si je suis perdu! Mais, au
contraire, pourquoi te
1. I Cor. VII, 15.— 2. Rom. XIV, 10.— 3. I
Cor. VI, 8.
chercherais-je si tu n’étais perdu? Si je
suis perdu, me dit-il encore, de quelle sorte suis-je ton frère? De sorte que
l’on me dise de toi: « Ton frère était mort, il est ressuscité; il était perdu
et le voilà retrouvé (Luc, XV, 32) ».
Nous vous conjurons donc, ô mes frères, par les entrailles de la charité, dont
le lait nous alimente, dont le pain nous fortifie, je vous en conjure par
Jésus-Christ Notre Seigneur et par sa divine bonté! Il est temps d’avoir pour
ces infortunés une charité sans bornes, une miséricorde surabondante, et de
prier Dieu pour eux; afin qu’il mette la sagesse dans leur esprit, et le
repentir dans leur coeur, et que ces malheureux voient enfin qu’ils n’ont rien
à opposer à la vérité: il ne leur reste que la faiblesse de la rancune,
faiblesse d’autant plus grande qu’elle se croit de plus grandes forces. Je vous
conjure de répandre ce qu’il y a de plus exquis dans votre charité, sur ces
infirmes, sur ces hommes d’une sagesse charnelle, d’un sens brut et sans
culture, qui célèbrent les mêmes mystères, non point avec nous sans doute, mais
enfin les mêmes, qui répondent amen comme nous, non point avec nous, mais comme
nous. Dans votre charité priez Dieu pour eux. Dans notre concile, nous avons
fait pour eux ce que le temps ne me permet pas de vous exposer aujourd’hui.
Nous vous invitons à vous trouver, et plus fervents et en plus grand nombre,
demain dans l’église de Tricliarum; nos frères absents apprendront de vous
qu’ils doivent s’y trouver.
David, qui chez Achis
affecte la folie et contrefait son visage, est la figure de Jésus-Christ qui
change de sacrifice, en répudiant les offrandes figuratives selon l’ordre
d’Aaron, pour établir l’offrande de.son corps et de son sang selon l’ordre de
Melchisédech. Sa folie simulée est la figure de cette folie que les incrédules
doivent voir dans l’Eucharistie
1. Ce psaume ne paraît avoir dans le texte
aucune obscurité qui mérite une explication mais le titre excite notre
attention et demande que l’on frappe. De même qu’il est (315) dit que
bienheureux est l’homme qui a mis sa confiance en Dieu; espérons aussi que Dieu
nous ouvrira, si nous frappons à la porte. Il ne nous engagerait point à
frapper, s’il ne voulait point ouvrir à ceux qui frappent 1. S’il arrive
quelquefois que celui-là même qui était résolu de tenir sa porte
continuellement fermée, se lève néanmoins importuné, et ouvre malgré sa
résolution, afin de n’entendre plus frapper 2: comment ne pas espérer qu’il
mettra plus d’empressement encore à nous ouvrir, celui qui a dit: « Frappez et
l’on vous ouvrira? » Je frappe donc de toute l’intention de mon coeur à la
porte du Seigneur Dieu, afin qu’il daigne me découvrir ce mystère. Frappez,
vous aussi, mes frères, par la bonne volonté de m’écouter, et par l’humilité
avec laquelle vous prierez pour moi. Il y a là, il faut l’avouer, un grand
mystère, difficile à pénétrer.
2. Voici le titre du psaume: « Psaume de
David lorsqu’il changea son visage devant Abimélech qui le renvoya, et il s’en
alla 3 ». Cherchons l’époque de ce fait dans les saintes Ecritures où sont
consignées les actions de David. Quand nous avons trouvé ce titre: « Psaume de
David, quand il fuyait devant la face de son fils Absalon 4 »; nous avons lu et
nous avons rencontré dans les livres des Rois, à quelle époque David avait fui
devant son fils Absalon 5; c’est un fait qui a réellement eu lieu, et qui est
consigné parce qu’il est arrivé; et, quoique ce titre cache quelque mystère, il
est néanmoins tiré de l’événement qui est réel. Je crois aussi que ce titre: «
Lorsque David changea sa face devant Abimélech, qui le chassa, et il s’en alla
», doit être aussi consigné dans les livres des Rois, qui ont recueilli tout ce
qui tient aux actions de David 6. Nous ne l’y trouvons pas néanmoins, mais nous
y trouvons quelque histoire d’où il semble tiré 7. II est écrit, en effet, que
David, fuyant les persécutions de Saül, se retira chez Achis, roi de Geth,
c’est-à-dire chez le roi d’une nation limitrophe du royaume des Juifs. Il s’y
tenait caché pour échapper à Saül son persécuteur. La mort de Goliath 8, qui,
d’un seul coup, donna au roi et au peuple la gloire et la tranquillité dans le
royaume, était récente encore, et avait valu à
1. Matt. VII, 7. — 2.Luc, XI, 8. — 3. Ps.
XXXIII, 1. — 4. Id. III, 1. — 5. II Rois, XV, 14.— 6. I Rois, XXI, 13. — 7. Id.
10.— 8. Id. XVII, 50.
David la jalousie en échange d’un bienfait.
Les défis de Goliath avaient exaspéré Saut; la mort du géant le rendit ennemi
de celui qui l’avait tué; et il envia la gloire du jeune héros, surtout quand
le peuple, dans son allégresse, et quand les femmes chantèrent en choeur la
gloire de David, en disant: Saut en a tué mille et David dix mille 1. Saül fut
ému de voir qu’un seul combat acquérait à un enfant une gloire qui éclipsait la
sienne, d’en. tendre surtout que toutes les bouches mettaient David au-dessus
du roi, et, comme c’est l’ordinaire, le venin de l’envie, l’orgueil mondain le
rendit jaloux et persécuteur, Ce fut alors, comme je l’ai dit, que David
s’enfuit chez le roi de Geth nommé Achis 2. Mais on fit connaître à ce roi
qu’il tenait sous sa main ce même soldat qui s’était fait chez les Juifs un nom
si grand et si populaire: «N’est. « ce point là», lui dit-on, « ce David que
chutent les femmes d’Israël, en disant: Saül en a tué mille et David dix mille
3? » Mais si cette gloire naissante avait été pour Saül un sujet de jalousie,
il était à craindre aussi, pour David, que ce roi qui lui donnait asile, ne
conçût le projet de se défaire de lui, comme d’un voisin qui pouvait devenir un
ennemi, s’il le laissait échapper. David « craignit donc, au sujet d’Achis, et,
comme il est écrit, il changea son visage devant ses serviteurs, il simulait la
folie, il frappait sur un tambour à la porte de la ville, il se portait de ses
mains, il heurtait du front le seuil de la porte, et l’écume de sa bouche
coulait sur sa barbe 4 ». Le roi chez qui il se cachait, le vit en cet état, et
il dit à ses gens: « Pourquoi m’avoir amené ce furieux? entrera-t-il ainsi dans
ma maison 5? » Ainsi il le renvoya eu le chassant; et, sous le voile de cette
folie, David s’échappa sain et sauf. Tel est le point d’histoire que paraît
nous rappeler le titre du psaume: « Chant de David, quand il changea son visage
en présence d’Abimélech, qui le chassa, et il s’en alla ». Mais ce roi était
Achis et non Abimélech 6. Le nom seul parait peu d’accord, car l’action est
désignée en termes semblables dams les psaumes et dans le livre des Rois. Ce
changement de nom doit nous stimuler à chercher un mystère. Car c’est un fait,
à la vérité, mais qui n’est point arrivé sans cause: il y a donc là une figure,
1. I
Rois, XVIII,7. — 2. Id. XXI, 10. — 3. Id. 11. — 4. Id.13. — 5. Id. 14, 15. — 6. Id.
12.
(316)
et voilà pourquoi cette histoire est écrite
avec un changement de noms.
3. Vous comprenez, mes frères, la profondeur
des figures mystérieuses. S’il n’y a point de figure dans la mort de Goliath 1,
renversé par un enfant, il n’y en a point non plus pour David à changer son
visage, à contrefaire la folie, à frapper sur un tambour 2, à heurter la porte
de la ville et le seuil de la porte, à laisser couler sa salive sur sa barbe.
Comment serait-il possible qu’il n’y eût point là quelque figure, quand
l’Apôtre nous dit clairement: « Que toutes ces choses qui arrivaient (à nos
pères), étaient des figures, et qu’elles sont été écrites pour nous instruire,
nous qui nous trouvons à la fin des temps 3?» S’il n’y a point de figure dans
la manne, dont l’Apôtre a dit « qu’ils mangèrent un pain spirituel 4»; s’il n’y
a nulle figure dans la mer qui se divisa pour laisser passage aux enfants
d’Israël, et les délivrer des poursuites de Pharaon, quand l’Apôtre nous dit: «
Je ne s veux point, mes frères, vous laisser ignorer que nos pères ont tous été
sous la nuée, qu’ils ont tous été baptisés sous la conduite de Moïse, dans la
nuée et dans la mer »; si elle n’était point figurative, cette pierre que
frappa Moïse, et qui donna de l’eau; bien que « cette pierre soit le Christ 6»,
selon saint Paul; si donc ces faits, quoique réels, n’avaient aucune
signification, s’il n’y avait aucune figure dans les deux fils d’Abraham qui
lui sont nés selon l’ordre commun des hommes, bien que l’Apôtre appelle ces
deux enfants les deux Testaments, l’Ancien et le Nouveau, et qu’il dise: « Ce
sont là les deux testaments sous une allégorie 7 »; si donc il n’y a aucune
figure dans tous ces actes qui nous sont donnés ranime des symboles de
l’avenir, par une autorité apostolique, nous devons croire qu’il n’ya rien non
plus de significatif dans cette histoire du livre des Rois, que je viens de
vous raconter au sujet de David. Mais ce n’est pas sans mystère que le nom est
changé, et que l’on a écrit, « en présence d’Abimélech ».
4. Examinez donc avec moi. Tout ce que je
viens de vous dire, est pour vous engager à frapper à ta porte, qui n’est point
encore ouverte. Vous le dire, c’était frapper, et, pour nous encore, l’écouter,
c’était frapper. Frappons aussi par la prière, afin que le
1. I Rois, XVII, 50.— 2. Id. XVIII.— 3. I Cor. X, 11 — 4. Id. 3.— 5. Id. 1- 4.— 6. Id. 4.— 7.
GaI. IV, 24.
Seigneur nous ouvre enfin. Nous avons le sens
des noms hébreux; il n’a pas manqué d’hommes savants pour les traduire de
l’hébreu en grec, et du grec en latin. Si donc nous examinons de près ces noms,
nous trouvons que Abimélech signifie le royaume de mon Père; et Achis, comment
cela est-il? Expliquons ces noms, et la porte va s’ouvrir sous nos coups. Si tu
demandes: Que signifie Achis? on te répond qu’il signifie: Comment cela est-il?
Mais comment, c’est le mot d’un homme
qui admire sans comprendre encore. Abimélech, le royaume de mon Père: David, la
main puissante. Or, David était la figure du Christ, comme Goliath était la
figure du diable: et David qui renverse Goliath, est la figure du Christ qui
renverse le démon. Mais qu’est-ce que le Christ qui donne la mort au démon?
C’est l’humilité qui tue l’orgueil. Ainsi, mes frères, nommer le Christ, c’est
principalement nous prêcher l’humilité. C’est par l’humilité qu’il nous a
ouvert le chemin du ciel: l’orgueil nous avait séparés de Dieu, nous ne
pouvions retourner à lui que par l’humilité, et nous n’avions aucun modèle que
nous pussions suivre. Les hommes, ces chétifs mortels, étaient pleins
d’orgueil, et si quelques-uns avaient l’esprit d’humilité comme les Prophètes,
les patriarches, la race humaine dédaignait de les suivre dans leur humilité.
Mais afin que l’homme ne refusât plus d’imiter l’humilité d’un autre homme,
voilà que Dieu s’est fait humble, afin que l’homme dans son orgueil ne
dédaignât plus de suivre les pas d’un Dieu.
5. Vous le savez, il y avait jadis, chez les
Juifs, un sacrifice selon l’ordre d’Aaron, et dont les victimes étaient des
animaux: tout cela était figuratif: alors n’existait point ce sacrifice du corps
et du sang du Seigneur, que connaissent les fidèles et ceux qui ont lu
l’Evangile, et qui est aujourd’hui répandu sur toute la terre. Représentez-vous
donc deux sacrifices, l’un selon l’ordre d’Aaron, l’autre selon l’ordre de
Melchisédech, dont il est écrit:
« Le Seigneur l’a juré, et sa parole est sans
repentir: Vous êtes prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédech (Ps. CIX, 4) ». De qui le Psalmiste
dit-il: « Vous êtes prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédech? » De
Notre Seigneur Jésus-Christ. Qu’était Melchisédech? Roi de Salem. Or, Salem fut
autrefois (317) une ville que l’on appela dans la suite Jérusalem, au dire des
savants. Donc, avant que les Juifs en fussent maîtres, il y avait là le prêtre
Melchisédech, appelé, dans la Genèse, prêtre du Très-Haut 1, Ce fut lui qui
vint au-devant d’Abraham, quand ce patriarche délivra Loth des mains de ses
persécuteurs, et que pour délivrer ce frère, il tua ceux qui l’emmenaient en
captivité. Après cette délivrance, Melchisédech vint au-devant de- lui; et
telle était la grandeur de Melchisédech, que ce fut lui qui bénit Abraham. Il
prit du pain et du vin, puis-bénit Abraham, et Abraham lui donna la dîme. Voyez
donc ce qu’il offrit, et l’homme qu’il bénit. Longtemps après David s’écrie: « Vous
êtes prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédech ». C’était longtemps
après Abraham, que l’Esprit de Dieu faisait ainsi parler David; et c’était au
temps d’Abraham que vivait Melchisédech. De quel autre David a-t-il pu dire: «
Vous êtes prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédech », sinon de
celui dont vous connaissez le sacrifice?
6. Donc, le sacrifice d’Aaron- est aboli, et
alors a commencé le sacrifice selon l’ordre de Melchisédech. Un visage, et je
ne sais lequel, est donc changé. Quel est-il, celui-là que j’ignore? Qu’il ne
nous soit plus inconnu, car c’est Notre Seigneur Jésus-Christ, que nous
connaissons. Il a voulu établir notre salut dans l’institution de son corps et
de son sang. Par quel moyen ce corps et ce sang sont-ils venus en notre
puissance 2? Par son humilité. S’il ne se fût fait humble, il ne serait point
notre nourriture et notre breuvage. Voyez de quelle hauteur il est descendu: «
Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu et le Verbe était
Dieu 3 ». Voilà l’éternelle nourriture, la nourriture des Anges, la nourriture
des Vertus d’en haut, la nourriture des Esprits célestes; ils mangent et ils
sont rassasiés, et ce qui fait leur aliment et leur bonheur, n’en demeure pas
moins tout-entier. Mais quel homme pourrait toucher à cette nourriture? Quel
coeur d’homme serait assez préparé? Cette viande spirituelle devait donc être
changée en lait, afin d’arriver aux enfants. Mais, comment une viande
devient-elle du lait? Comment peut-elle subir ce changement, si ce n’est en
passant par la chair? C’est là ce que fait la mère. Ce qu’a
1. Gen XIV, 18.— 2. Matt. XXVI, 26. — 3.
Jean, I, 1.
mangé la mère, l’enfant le mange aussi; mais
comme l’enfant est incapable de manger du pain, la mère doit faire passer ce
pain par sa chair, et le rendre à son enfant dans le suc du lait, et par
l’humilité des mamelles. Comment donc la divine Sagesse nous a-t-elle nourris
du pain des Anges? C’est que « le Verbe s’est fait chair, et a demeuré parmi
nous 1». Voilà le fruit de l’humilité, qui donne à l’homme le pain des Anges,
ainsi qu’il est écrit: « Il leur a donné le pain du ciel, l’homme a mangé le
pain des Anges 2. » C’est-à-dire, l’homme a mangé le Verbe, cette nourriture
éternelle des Anges, et qui est égal à son Père; car, « ayant la nature de
Dieu, il n’a pas cru que ce fût pour lui une usurpation de s’égaler à Dieu ».
Telle est la nourriture des Anges: « Mais il s’est anéanti lui-même en prenant
la forme de l’esclave, et en se rendant semblable aux autres hommes, et reconnu
pour homme par tout ce qui a paru de lui; il s’est humilié, se rendant
obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix 3 », afin que par la croix il
rendît auguste pour nous le sacrifice du corps et du sang du Seigneur. Il a
donc changé son visage devant Abimélech, ou devant le royaume de son père. Car
le royaume de son père était le royaume des Juifs. Comment était-ce le royaume
de son père? Le royaume de David, le royaume d’Abraham. Car le royaume de Dieu
son Père est plutôt l’Eglise que le peuple juif: mais Israël est le royaume de
son père selon la chair. Il est dit en effet: « Dieu lui donnera le trône de
David son père 4». On le voit donc; David est selon la chair le père du
Seigneur; mais selon la divinité le Christ est Seigneur de David, et non son fils.
Quant aux Juifs, ils ont connu le Christ selon la chair, mais non selon la
divinité. C’est pourquoi il leur fit cette question: « De qui dites-vous que le
Christ soit fils? Fils de David », répondirent-ils. « Mais lui: Comment donc
David, inspiré, l’appelle-t-il le Seigneur, en disant: Le Seigneur a dit à mon
Seigneur: Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que j’aie fait de tes ennemis
l’escalier de tes pieds? Si donc David, au souffle de l’Esprit-Saint, l’appelle
son Seigneur, comment est-il son fils? Et ils ne pouvaient lui répondre 5 ».
parce qu’ils ne connaissaient le Christ que des
1. Jean, 1,14. — 2. Ps. LXXVII, 24,25.— 3.
Philipp. II, 6-8.— 4. Luc, I, 32. — 5. Matt. XXII, 42-46.
(318)
yeux, et que leur coeur ne le comprenait
point. liais s’ils eussent eu la lumière intérieure de l’âme, aussi bien que
celle du jour, les oeuvres extérieures leur eussent montré dans Jésus le fils
de David, et le mouvement de leur coeur leur eût fait connaître en lui le
Seigneur de David.
7. « Il changea donc son visage en présence
d’Abimélech 1». Qu’est-ce à dire devant Abimélech? Devant le royaume de son
père. Quel royaume de son père? Devant les Juifs. «Et il le laissa, et il s’en
alla». Qui laissa-t-il? Ce peuple Juif qui s’en est allé. Cherche maintenant le
Christ chez les Juifs, tu ne l’y trouveras point, Comment les a-t-il laissés,
et sont-ils partis? Parce qu’il a changé son visage. Ils se sont obstinés dans
le sacrifice selon l’ordre d’Aaron, et n’ont point accepté le sacrifice selon
l’ordre de Melchisédech 2, et ils ont perdu le Christ, qui est devenu
l’héritage des nations, auxquelles cependant il n’avait pas envoyé ses
Prophètes. Car il avait envoyé aux Juifs, et David et Isaac, et Jacob, et
Isaïe, et Jérémie, et les autres Prophètes; mais peu d’entre les toits les ont
compris: je dis peu, en comparaison de ceux qui ont voulu périr; car ils
étaient assez nombreux en eux-mêmes, et nous lisons qu’il y en avait des
milliers. Il est écrit en effet: « Les restes seront sauvés 3 ». Mais
aujourd’hui vous chercherez vainement des chrétiens circoncis, vous n’en
trouverez point. Néanmoins, dans les premiers temps de ta foi, la circoncision
fournit des milliers de chrétiens. Vous en chercherez maintenant, s’il n’y en a
plus, Mais c’est avec raison que vous n’en trouvez point. « Car il a changé son
visage devant Abimélech, et il l’a quitté et s’en est allé ». Il contrefit
encore son visage devant Achis et il le laissa, et s’en alla. Ici les noms sont
changés, afin que ce changement dans les noms, nous engageât à en chercher la
raison mystérieuse; de peur que nous n’en vinssions à croire qu’il n’y a de
raconté et de mentionné dans les psaumes, que les histoires contenues dans les
livres des Rois, sans nous mettre en peine d’en chercher les symboles, mais en
regardant ces faits comme de simples histoires. Quel est donc le dessein de
Dieu sur vous dans ces changements de noms? Il y a ici un mystère caché;
frappez sans vous en tenir à la lettre, car la
1. I Rois, XXI, 13.— 2. Hébr. VII, 11.— 3.
Rom. IX, 27.
lettre tue; cherchez l’Esprit, parce que
l’Esprit vivifie 1. La connaissance de l’Esprit sauve le vrai fidèle.
8. Voyons maintenant, mes frères, comment il
quitta le roi Achis. Achis, avons-nous dit, signifie: Comment cela est-il? Car,
souvenez-vous de ce que rapporte l’Evangile. Quand Notre Seigneur Jésus-Christ
parla de son corps, il dit aux Juifs: « Si quelqu’un ne mange ma chair et ne
boit mon sang, il n’aura pas la vie en lui-même; car ma chair est une véritable
nourriture, et mon sang un véritable breuvage 2». Les disciples qui le
suivaient furent saisis d’étonnement, ils eurent horreur de cette parole, et
sans la comprendre, ils s’imaginèrent qu’il leur tenait je ne sais quel langage
trop dur, comme s’ils devaient manger cette chair telle qu’ils la voyaient, et
boire son sang: ils ne purent supporter ce discours, disant en quelque sorte:
Comment cela est-il? Le roi Achis est ici la figure de l’erreur, de
l’ignorance, de la folie. Quiconque dit: Comment, ne comprend pas; et ne pas
comprendre est le propre des ténèbres de l’ignorance. Donc ils étaient -sous
l’empire de l’ignorance, ou du roi Achis; c’est-à-dire que la puissance de
l’erreur les dominait. Jésus disait: « Si quelqu’un ne mange ma chair, et ne
boit mon sang ». Mais il avait changé son visage, et l’on ne voyait qu’une
exaltation, une folie à donner à des hommes sa chair à manger, son sang à
boire. Ainsi David passa pour un fou devant Achis, qui s’écria: « Pourquoi
m’amener ce furieux 3? » Mais ne voit-on pas de la folie dans ces paroles: «
Mangez ma chair, et buvez mon sang?» Et en disant: « Si quelqu’un ne mange ma
chair et ne boit mon sang, il n’aura pas en lui-même la vie 4 ». Jésus est pris
pour un insensé. Mais c’est le roi Achis, qui le prend pour un insensé, ou
plutôt les vrais fous, les ignorants. Il les laisse donc et s’en va: leur coeur
demeure sans intelligence, afin qu’ils ne le comprennent point. Comment lui
ont-ils parlé? en disant en quelque sorte: Comment cela est-il? ce qui est la
signification d’Achis. Ils dirent en effet: « Comment celui-ci pourra-t-il nous
donner sa chair à manger 5? » Ils regardaient le Seigneur comme un insensé, un
homme en détire, ne sachant ce qu’il
1. II Cor. III, 6.— 2. Jean, VI, 54-56.— 3. I
Rois, XXI, 14.— 4. Jean, VI, 54. — 5. Id. 53 -
(319)
disait. Mais lui qui savait ce qu’il disait,
prêchait par avance ses mystères, en contrefaisant son visage, en affectant la
folie et le délire; et il était dans des transports, et il frappait du tambour
à la porte de la ville.
9. Mais voyons ce qu’il marquait en simulant
sa folie, en frappant du tambour à la porte de la cité. Ce n’est pas sans
raison qu’il est dit: « Il se heurtait contre le seuil de la porte »; ni sans
raison qu’il est écrit: « Sa salive découlait sur sa barbe 1 ». Rien de tout
cela n’est dit sans raison; et ce que l’on gagne à le comprendre doit nous
faire supporter un discours un peu long. Vous savez, mes frères, que les Juifs,
en présence de qui le Christ contrefit son visage, qu’il laissa aller, dont il
se sépara, gardent aujourd’hui le repos. Si donc ceux qui ont perdu le Christ,
qui les a quittés en se séparant d’eux, gardent sans profit ce repos du sabbat,
pour nous, ce repos aura l’avantage de nous faire comprendre le Christ qui les
a quittés pour venir à nous. Ce n’est donc point sans raison que tout cela est
arrivé dans le délire de David, ni que l’on nous raconte qu’il avait des
transports, qu’il frappait du tambour à la porte de la cité, qu’il se portait
sur ses mains, qu’il heurtait contre le seuil de la porte, et que la salive
coulait sur sa barbe. Affectabat, il
avait des transports. Qu’est-ce qu’avoir des transports? C’est être sous le
poids d’un vif amour. Et pourquoi ce vif amour? C’est pour compatir à nos
infirmités; aussi a-t-il voulu prendre notre chair, et en elle tuer la mort.
Donc, nous prendre en pitié, c’est là ce que l’on peut appeler un transport
d’amour. Aussi l’Apôtre a-t-il jeté le blâme sur ceux qui sont durs et sans
affection, Car il reproche à quelques-uns d’être sans affection, sans
miséricorde 2. Donc, où il y a de l’affection, il y a de la miséricorde. Où est
la miséricorde? C’est que le Fils de Dieu nous a pris en pitié du haut du ciel;
et s’il n’eût point voulu s’anéantir, s’il fût demeuré dans cette forme divine
qui le rend égal à son Père, nous serions demeurés éternellement sous l’empire
de la mort: mais afin de nous délivrer de cette mort éternelle où l’orgueil
nous avait conduits, il s’est humilié, il est devenu obéissant jusqu’à la mort,
et la mort de la croix. Il a donc eu des transports pour arriver jusqu’à la
mort de la croix. Mais
1. I Rois, XXI, 13.— 2.Rom. 31.
on étend sur le bois celui que l’on crucifie;
et pour avoir un tambour on fait subir sur le bois une tension violente à la
chair, c’est-à-dire à la peau; et il est dit qu’il frappait sur un tambour,
c’est-à-dire qu’il était cloué à la croix, horriblement étendu sur le bois. «
Il avait des transports », oui, des transports d’amour pour nous, il voulait
donner sa vie pour ses brebis 1. « Il frappait du tambour ». Comment? A la
porte de la ville. C’est la porte que l’on nous ouvre pour notas faire croire
en Dieu. Nous avions fermé ces portes au Christ, pour les ouvrir au diable,
notre coeur était fermé à la vie éternelle: et parce que nous autres hommes,
nous avions fermé notre coeur à la vie éternelle, et que nous ne pouvions voir
le Verbe que voient les anges, le Seigneur notre Dieu s’ouvrait, par la croix,
les coeurs des mortels, c’est ainsi qu’il frappait du tambour aux portes de la
ville.
10. « Il se portait dans ses mains 2». Qui
donc, mes frères, pourra comprendre que cela soit possible pour un homme? Qui
se porte dans ses mains? Un homme peut être porté dans les mains d’un autre,
jamais dans les siennes. Nous ne voyons donc pas que notas puissions l’entendre
de David, dans te sens littéral; mais nous le voyons pour le Christ. Car il se
portait dans ses propres mains quand il nous présentait son corps en disant: «
Ceci est mon corps 3 ». Il portait alors ne corps dans ses mains. C’est la
profonde humilité de Notre Seigneur qui est recommandée aux hommes. C’est elle
qu’il nous exhorte à imiter et à faire paraître en notre vie, afin que nous
renversions Goliath 4, et que, nous alla. chant à Jésus-Christ, nous puissions
vaincra l’orgueil. « Il tombait contre les poteaux de la porte 5». Que
signifie, il se laissait tomber? Il s’abaissait jusqu’à la plus profonde
humilité. Que sont « ces poteaux de la porte? » C’est le commencement de cette
foi qui doit nous sauver. Nul ne peut se sauver s’il ne commence par croire,
ainsi qu’il est dit dans le Cantique des cantiques: « Tu viendras, et tu en
passeras par le commencement de la foi 6 ». Nous devons aller-jusqu’à voir Dieu
face à face, ainsi qu’il est écrit: « Mes bien-aimés, nous sommes les enfants
de Dieu; mais ce, que nous devons être un jour ne
1. Jean, x, 15.— 2. I Rois, XXI, 13.— 3. Matt. XXVI, 26.— 4. I Rois XVII, 49. — 5. Id. XXI, 13. — 6. Cant. IV,
8, selon les LXX.
(320)
paraît pas encore. Nous savons que quand il
viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons
tel qu’il est 1 ». Nous le verrons donc, mais quand? Lorsque cette vie sera
passée. Ecoute l’apôtre saint Paul: « Nous ne voyons Dieu s maintenant que
comme dans un miroir et sous des images, mais alors nous le verrons face à face
2 ». Donc, avant de voir le Verbe face à face, comme le voient les anges, il
faut encore nous tenir à ces portes, auxquelles heurta le Seigneur, en
s’humiliant jusqu’à la mort 3.
11. Que signifie encore « sa salive qui
découlait sur sa barbe? » Ce fut principalement en ce point « qu’il changea son
visage devant Abimélech, ou Achis, qu’il quitta, et s’en alla 4 ». Car il
quitta ceux qui ne le comprenaient point. Chez qui s’en alla-t-il? Chez les
Gentils. Pour nous, comprenons donc ce qu’ils ne purent comprendre. La salive
1. I Jean, III,2. — 2. I Cor. XIII, 12. — 3.
Philipp. II,8. — 4. I Rois, XXI, 13
découlait sur la barbe de David. Que désigne
cette salive? Des discours puérils, car les enfants laissent ainsi couler leur
salive. Ces paroles: « Mangez ma chair, et buvez mon sang (Matt. XXVI, 26) », n’étaient-elles point des puérilités pour les
Juifs?Et néanmoins, ces puérilités cachaient sa force; car la barbe est le
symbole de la force; et cette salive qui découlait sur sa barbe, que
désignait-elle, sinon les paroles de faiblesse qui servent à voiler une grandeur
infinie? Votre sainteté, je le présume, a compris le titre du psaume; et si
nous entrons dans l’explication du texte, ii est à craindre que vos coeurs ne
laissent échapper ce que vous avez entendu. Qu’il nous suffise d’avoir exposé
ce titre au nom de Jésus-Christ Notre Seigneur; comme c’est demain jour de
dimanche, et que nous devons parler, réservons-nous pour demain, afin que vous
écoutiez plus volontiers le texte du psaume.
Bénir le Seigneur en tout temps,
c’est le porter par l’humilité, c’est s’approcher de la vraie sagesse sans
jalousie, parce qu’elle peut être aimée de tous; les schismatiques ne la
veulent que pour eux. Purifions notre intérieur, afin que Dieu nous éclaire et
nous comble de ses bénédictions intérieures.
1. Je ne doute nullement que ceux d’entre
vous qui nous ont écouté hier, ne se souviennent de notre promesse. Il est
temps d’acquitter notre dette avec le secours de Dieu. C’est lui qui nous a
inspiré la promesse, lui aussi qui nous donnera de l’accomplir, mais nous vous
serons toujours redevable de la charité. C’est la dette toujours acquittée et
qui demeure toujours, selon cette parole de l’Apôtre: «Ne demeurez redevables
de rien à personne, sinon de la charité mutuelle (Rom. XIII, 8)». Nous avons exposé hier le titre du psaume, et comme
l’explication du texte nous eût retenus trop longtemps, nous avons ajourné
cette explication. Ecoutons donc ce que le Saint-Esprit nous dit par la bouche
de son Prophète, et qui, dans le cours du psaume, a rapport au titre que nous
expliquions hier. Ceux qui n’y étaient pas, me le réclament comme une dette;
mais de peur que si je m’y étendais encore comme hier, je ne trompasse
l’attente de ceux envers qui je dois m’acquitter de ma promesse, que ceux qui
sont présents aujourd’hui, et qui étaient hier absents, comprennent mon résumé
autant qu’ils pourront. Ah! s’ils veulent me (321) questionner sur quelques
points, mes oreilles seront prêtes à les écouter au nom du Christ, mais en
d’autres moments, afin de ne pas employer à cela celui-ci.
2. Il est écrit au livre des Rois,
disions-nous hier, que David, fuyant Saül, voulut s’abriter chez un roi de
Geth, nommé Achis 1. Mais comme ses exploits y furent connus, craignant que la
jalousie ne portât ce roi, chez qui il s’était réfugié, à tramer contre lui
quelque mauvais dessein, il contrefit l’insensé, et comme saisi de fureur, « il
changea son visage »; et, comme il est écrit, « il était transporté, il battait
du tambour à la porte de la ville, il était porté sur ses mains, il heurtait
contre le seuil de la porte. Et le roi Achis dit: Pourquoi m’amener ce. fou?
ai-je besoin d’un furieux? » Et il le laissa aller, accomplissant ce qui est
écrit: « Il contrefit son visage, et il le laissa, et il s’en alla ». Mais ce
roi que David laissa, était Achis; tandis que le titre du psaume porte: « Il
contrefit son visage en présence d’Abimélech, et il le quitta et s’en alla ».
Nous avons dit que ces changements de noms étaient symboliques, et que si le
psaume répétait le même nom que l’histoire, nous aurions pu croire que le
prophète racontait un fait, sans nous donner aucune prophétie figurative. Il y
a donc une figure dans chacun des noms: car Achis veut dire: Comment est-ce? et
Abimélech: Le royaume de mon Père, il y a de l’ignorance à dire: Comment
est-ce? c’est le mot d’un homme qui admire et qui ne sait pas. Quant au nom
d’Abimélech, il désigne le royaume des Juifs, que le Christ peut appeler
royaume de mon père, parce que David est son père selon la chair, et que David
régnait sur le peuple Juif. C’est donc devant le royaume de son père, qu’il
«changea son visage, et il le quitta et s’en alla», parce que c’était là que
l’on sacrifiait selon l’ordre d’Aaron, et qu’il a établi depuis le sacrifice de
son corps et de son sang, qu’il a quitté la nation juive, et qu’il s’en est
allé chez les Gentils, Que signifie: « Il avait des transports 2?» Il était
transporté d’amour. Quel amour est comparable à la miséricorde de Notre
Seigneur Jésus-Christ qui, voyant notre infirmité, afin d. nous délivrer de la
mort éternelle, à subi lui-même la mort temporelle avec tant d’outrages et tant
d’injures? « Il frappait du tambour. »
1. I Rois, XXI, 10, etc. — 2. Id. 13.
On ne fait un tambour qu’en étendant une peau
sur du bois, et quand David frappait du tambour il figurait le Christ à la
croix. « Il frappait du tambour à la porte de la cité ». Que seraient ces
portes de la cité, sinon ces coeurs que nous avions fermés au Christ, et qu’il
s’est ouverts par les coups de la croix? « Il se portait sur ses mains».
Comment se portait-il sur ses mains? Quand il nous donnait son corps même et
son sang, il tenait en ses mains ce que savent les fidèles; il se portait
lui-même en quelque sorte, quand il disait: « Ceci est mon corps 1 ». « Il
heurtait contre le seuil de la porte 2 », c’est-à-dire, il s’humiliait. Car
c’est là s’abaisser jusqu’au seuil de notre foi. Le seuil de la porte est le
commencement de cette foi, qui a été le commencement de l’Eglise, pour arriver
à la claire vue de Dieu: croire ce que l’on ne voit pas, c’est mériter de jouir
de Dieu face à face. Tel est -en peu de mots le titre du psaume. Ecoutons
maintenant les paroles de cet insensé qui frappe du tambour aux portes de la
ville.
3. « Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa
louange sera toujours en ma bouche 3 ». Ainsi dit le Christ, ainsi doit dire le
chrétien; puisque le chrétien est incorporé au Christ, et que le Christ ne
s’est fait honnie qu’afin que l’homme pût devenir un ange. C’est lui, qui dit:
« Je bénirai le Seigneur ». Quand le bénirai-je? Quand il t’aura fait du bien.
Sera-ce dans l’abondance terrestre? Quand il y a profusion de froment, de vin,
d’huile, d’or, d’argent, d’esclaves, de troupeaux; lorsque cette santé mortelle
demeure inaltérable et incorruptible, que tout ce qui naît dans tes domaines
croît à souhait, qu’une mort prématurée n’enlève rien, que tout prospère dans
ta maison, que tout tient de toutes parts, est-ce alors que tu béniras le
Seigneur? Non: mais en tout temps; c’est-à-dire et dans ce moment, et lorsque
cette prospérité, soit pour un temps, soit par l’ordre du Seigneur, sera
troublée, que ces biens te seront enlevés qu’ils écloront plus rarement, qu’à
peine éclos ils disparaîtront. Car voilà ce qui arrive, et ce qui amène la
pauvreté, la disette, le labeur, la souffrance et la tentation. Mais toi, ô mon
frère, qui as chanté: « Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sera
toujours en ma bouche », bénis Dieu quand il te donne ces biens, bénis-le quand
il te les enlève
1.
Matt. XXVI, 26. — 2. I Rois, XXI, 13. — 3. Ps. XXXIII, 2.
(322)
C’est lui qui les donne, c’est lui qui les
retire; mais il ne se retire point de celui qui le bénit.
4. Quel est toutefois l’homme qui bénit le
Seigneur en tout temps, sinon l’homme qui est humble de coeur? Car c’est
l’humilité que le Seigneur nous a enseignée dans son corps et dans son sang:
s’il nous donne en effet son corps et son sang, il-nous prêche l’humilité,
ainsi qu’il est écrit dans cette histoire, et dans cette espèce de fureur de
David, dont nous avons parlé. « Et la salive coulait sur sa barbe 1 ». La
lecture de [‘Apôtre vous a expliqué la salive, mais elle coulait sur la barbe,
Quelqu’un me dira: De quelle salive avons-nous entendu parler? L’Apôtre qu’on
vient de lire ne disait-il pas: « Les Juifs réclament des miracles, et les
Grecs cherchent la sagesse? »Voilà ce qu’on a lu: « Pour nous, nous prêchons
Jésus-Christ crucifié, (le voilà qui frappe du tambour), scandale pour les
Juifs, folie pour les Gentils; mais pour ceux qui sont appelés, Juifs ou Gentils,
le Christ est la force ide Dieu, la sagesse de Dieu, car ce qui paraît folie en
Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui paraît faiblesse en Dieu, est plus
fort que les hommes 2 ». La salive était le symbole de la folie comme le
symbole de la faiblesse. Mais la folie en Dieu est plus sage que la sagesse des
hommes, et la faiblesse en Dieu plus forte que la force des hommes: que cette
salive ne vous offusque point, mais faites attention qu’elle coule sur la
barbe; et si la salive est une marque d’infirmité, la barbe est un symbole de
force. Le Christ a donc voilé sa force sous la faiblesse de la chair, et ce qui
paraissait faiblesse en lui, était comme une salive, mais sa force était cachée
à l’intérieur, comme sa barbe était souillée. Tout ceci nous prêche l’humilité.
Sois donc humble, ô mon frère, si tu veux bénir le Seigneur en tout temps; et
que sa louange soit toujours en ta bouche. Car Job n’a pas seulement béni le
Seigneur quand il regorgeait de ces biens, qui le rendaient, au dire de
l’histoire, si heureux et si riche; riche en troupeaux, en serviteurs, en
palais, riche en postérité et en fautes choses. En un clin d’oeil tout lui fut
enlevé, et il vit ce que dit notre psaume, en s’écriant: « Le Seigneur l’a
donné, le Seigneur l’a ôté, comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait;
que le nom du Seigneur
1. I
Rois, XXI, 13.— 2.I Cor. I, 22-26.
soit béni 1 ». Voilà un homme qui vous donne
l’exemple et qui bénit le Seigneur en tout temps.
5. Mais pourquoi l’homme bénit-il le Seigneur
en tout temps? Parce qu’il est humble. Mais être humble, qu’est-ce donc? C’est
ne point rechercher la louange pour soi-même. Quiconque veut être loué pour
lui-même, est orgueilleux. Mais où n’est point l’orgueil, là est l’humilité.
Veux-tu donc n’être pas orgueilleux? Afin de pouvoir être humble, dis ce qui
suit: « Mon âme sera louée dans le Seigneur; que ceux qui sont doux
l’entendent, qu’ils partagent ma joie 2 ». Celui-là donc n’est pas doux, qui ne
veut point être loué dans le Seigneur, mais il est opiniâtre, arrogant, enflé,
superbe. Il faut au Seigneur une monture paisible, sois la monture du Seigneur,
c’est-à-dire sois doux. Il s’assiéra sur toi, c’est lui qui veut te conduire;
ne crains pas de heurter ton pied ni de tomber dans l’abîme. Tu es infirme à la
vérité, mais considère celui qui te dirige. Tu peux être le fils de l’ânesse,
mais tu portes le Christ. Car ce fut sur le poulain de l’ânesse qu’il entra
dans Jérusalem, et cet animal était doux. Or, était-ce l’animal que l’on
chantait alors? Etait-ce à lui que l’on chantait: « Hosanna, fils de David,
béni soit celui qui vient au nom du Seigneur 3? » C’était l’ânon qui portait,
mais c’était au Christ, qu’il portait, que s’adressaient les acclamations de
ceux qui précédaient et de ceux qui suivaient. Cet animal disait peut-être: «
Mon âme sera louée dans le Seigneur; que les hommes doux l’entendent, et en
soient dans l’allégresse ». Non, mes frères, cet ânon n’a jamais parlé de la
sorte, mais que tel soit le langage du peuple dont il est la figure, si ce
peuple veut porter le Seigneur. Ce peuple s’irritera-t-il d’être comparé à
l’ânon qui est la monture du Seigneur Jésus? et quelques hommes pleins
d’enflure et d’orgueil, s’en viendront dire: Voilà qu’il fait de nous des ânes.
Eh bien qu’il devienne l’âne du Seigneur celui qui me parlera de la sorte, mais
qu’il ne soit ni le cheval ni le mulet qui n’ont point d’intelligence. Vous
connaissez le psaume qui dit: « Ne ressemblez ni au cheval ni au mulet, sans
entendement 4 ». Le cheval et le mulet lèvent parfois la tête, et dans leur
indocilité renversent leur cavalier. On les dompte avec le frein et
1. Job, I, 21.— 2. Ps. XXXIII, 3.— 3. Matt. XXI, 9.— 4. Ps. XXXI, 9.
(323)
le mors, avec le fouet, jusqu’à ce qu’ils
s’assouplissent, et portent leur maître; mais toi, avant même que ta bouche
soit meurtrie par le mors, sois doux et porte ton Dieu: ne recherche point la
louange pour toi-même, cherche-la pour celui que tu portes, et chante alors: «
Mon âme sera louée devant le Seigneur; que les hommes doux l’entendent, et qu’ils
s’en réjouissent »; car si ce n’est point un homme doux et humble qui l’entend,
loin de s’en réjouir, il s’en irrite: et tels sont ceux qui nous reprochent de
les comparer à des ânes. Quant aux coeurs doux, puissent-ils écouter, et
devenir ce qu’ils entendent!
6. Voyons la suite: « Louez le Seigneur avec
moi (Ps. XXXIII, 4) ». Quel est celui
qui nous engage à bénir le Seigneur avec lui? Quiconque, mes frères, appartient
au corps de Jésus-Christ ne doit pas avoir de plus grand soin que de faire
bénir le Seigneur avec lui. Quel que soit cet homme, il aime le Seigneur. Et
une manière de lui témoigner son amour, c’est de ne point porter envie à ceux
qui l’aiment aussi bien que lui. Celui qui est épris d’un amour charnel,
ressent nécessairement dans cet amour le poison amer de la jalousie; et s’il
tient à voir dans une hideuse nudité, la créature qu’il poursuit d’un amour
criminel, voudrait-il qu’un autre la vît aussi? Il serait nécessairement dévoré
de jalousie contre celui qui l’aurait vue également. Pour une femme, un
préservatif de la chasteté, c’est de n’être vue que par celui qui en a le
droit, mais par aucun autre, ou même par celui-là non plus. Mais II n’en est
pas ainsi de la sagesse divine: nous la verrons face à face, nous la verrons
tous, et sans jalousie. Elle se montre à tous, et pour tous elle demeure
toujours pure et toujours chaste. Ceux qui la voient se changent en elle, et
jamais elle ne se change en eux. C’est elle qui est la vérité, elle qui est
Dieu. Or, avez-vous jamais ouï dire, mes frères, que Dieu subisse des
changements? La vérité s’élève par-dessus tout, c’est le Verbe de Dieu, la
sagesse de Dieu par qui tout a été fait; elle a des coeurs qui sont épris
d’elle. Mais que dit celui qui l’aime avec transport? « Bénissez avec moi le
Seigneur ». Que je ne sois point le seul à bénir Dieu, le seul à l’aimer, le
seul à l’étreindre dans ma joie; et si je veux l’étreindre, je n’ai point à
redouter qu’un autre ne trouve plus où poser sa main. Telle est l’ampleur de
cette sagesse, que toutes les âmes peuvent s’y attacher et en jouir. Que
dirai-je encore, mes frères? Honte à ceux qui aimeraient Dieu de manière à
l’envier aux autres ! Des hommes sans moeurs se passionnent pour un cocher, et
quiconque aime un cocher ou un chasseur, voudrait que chacun l’aimât avec lui;
il presse, il engage: Aimez donc avec moi ce comédien, aimez avec moi telle ou
telle infamie. Il crie au milieu du peuple, il veut que l’on partage son amour
pour la honte; et un chrétien ne crierait point dans l’Eglise pour inviter à aimer
avec lui la divine vérité? Stimulez donc parmi vous l’amour, mes frères, et
criez à chacun des vôtres: « Bénissez avec moi le Seigneur ». Soyez tous dans
cette émulation, autrement à quoi bon chanter des psaumes, et vous les
expliquer? Si vous aimez Dieu, entraînez à l’amour de Dieu tous ceux qui vous
sont unis, tous ceux qui partagent votre demeure: si vous aimez le corps de
Jésus-Christ ou l’unité de l’Eglise, entraînez-les à jouir de Dieu, et dites
avec allégresse: « Bénissez avec moi le Seigneur ».
7. « Et louons ensemble la sainteté de son
nom (Ps. XXXIII, 4). Qu’est-ce à
dire: « Louons ensemble? » Louons d’un commun accord, ainsi qu’on lit dans
beaucoup d’exemplaires. « Bénissez avec moi le Seigneur, chantons la sainteté
de son nom à l’unanimité ». Mais dire « ensemble », ou dire « d’un commun
accord », c’est toujours le même sens. Entraînez donc dans cet amour tous ceux
que vous pourrez; exhortez, portez, suppliez, instruisez, rendez raison, avec
douceur et bonté, entraînez-les à l’amour, afin que s’ils bénissent le
Seigneur, ils le bénissent de concert. Les gens de Donat s’imaginent bénir le
Seigneur; mais que leur a fait le reste du monde? Disons-leur donc, mes frères:
« Bénissez le Seigneur avec nous, chantez ses louanges d’un commun accord ». Pourquoi
vous séparer pour bénir le Seigneur? Il est le seul Dieu, pourquoi voulez-vous
lui faire deux peuples? pourquoi séparer le corps du Christ? Nous savons tous
qu’il fut attaché à la croix alors qu’il frappait du tambour, et que sur la
croix il rendit l’esprit; et quand vinrent ceux qui l’y avaient suspendu, ils
trouvèrent qu’il était déjà mort, et ils ne lui brisèrent point les jambes;
mais ils les rompirent aux larrons (324) qui vivaient encore sur la croix 1,
afin de hâter leur mort par cette nouvelle douleur, et de les descendre de la
croix, comme c’était l’ordinaire pour les crucifiés. Le persécuteur vint donc
et trouva que le Seigneur avait paisiblement rendu l’esprit, selon sa propre
parole: « J’ai le pouvoir de livrer ma vie 2 ». Pour qui donc a-t-il donné sa
vie? Pour tout le peuple, pour son corps entier. Ainsi voici un bourreau, qui
ne brise point les jambes à Jésus: mais Donat vient et fait une rupture dans
l’Eglise du Christ. Sur la croix, entre les mains des bourreaux, le corps de
Jésus-Christ demeure dans son intégrité, et le corps de l’Eglise ne demeure pas
dans son intégrité entre les mains des chrétiens. Faisons donc entendre nos
cris, mes frères, et des gémissements aussi profonds qu’il nous sera possible,
et disons: « Bénissez avec moi le Seigneur, et chantons de concert son saint
nom ». C’est là ce que leur crie l’Eglise: c’est la voix de l’Eglise appelant
ainsi les dissidents. D’où vient leur séparation? de l’orgueil. Mais
Jésus-Christ nous enseigne l’humilité par l’institution de son corps et de son
sang: c’est là, comme nous l’avons dit à votre sainteté, le sujet que célèbre
ce psaume, où il s’agit du corps et du sang du Christ, et où l’on nous
représente cette humilité profonde à laquelle le Christ a bien voulu s’abaisser
pour nous.
8. « J’ai cherché le Seigneur, et il m’a
exaucé 3 ». Où a-t-il exaucé? à l’intérieur. Où donne-t-il sa grâce? à
l’intérieur, C’est là que tu pries, là que tu es exaucé, là que tu obtiens le
bonheur. Tu as prié, tu as été exaucé, tu es heureux; et celui qui est près de
toi ne le sait point. Tout s’est fait dans le secret, selon cette parole du
Seigneur dans l’Evangile: « Entrez dans votre chambre, fermez-en la porte,
priez en secret, et votre Père, qui voit dans le secret, vous le rendra 4 ».
Mais entrer dans votre chambre, c‘est entrer dans votre coeur. Bienheureux ceux
qui rentrent avec joie dans leur coeur, et qui n’y trouvent rien de mauvais.
Que sotte sainteté considère bien ceci: voyez qu’ils ne rentrent qu’à regret
dans leur maison, ceux qui ont une épouse méchante, mais qu’ils s’en vont sur
la place publique prendre leurs ébats, et qu’ils s’attristent quand l’heure
1. Jean, XIX, 32, 33. — 2. Jean, X, 18. — 3.
Ps. XXXIII, 5. — 4. Matt VI, 6.
est venue pour eux de rentrer au logis; car
ils n’y peuvent rentrer que pour y trouver l’ennui, les murmures, l’amertume et
le trouble; puisqu’une maison ne peut être bien réglée, quand il n’y a point de
paix entre le mari et ha femme, et que l’on est mieux à se promener au dehors.
Si donc il est triste en rentrant à son logis d’avoir toujours à redouter de la
part des siens le trouble et le bouleversement; combien plus encore sont
malheureux ceux qui n’osent rentrer dans leur conscience, de peur d’y
rencontrer le trouble et les remords du péché! Purifiez donc votre coeur, afin
de pouvoir y rentrer volontiers. « Bienheureux ceux dont le coeur est pur, car
ils verront Dieu 1 ». Otez-en les souillures des désirs mauvais, ôtez-en la
tache de l’avarice, l’infection des pratiques superstitieuses. ôtez- en les
sacrilèges et les pensées honteuses; ôtez-en la haine, je ne dis pas contre vos
amis, mais encore contre vos ennemis; ôtez-en tout cela, et alors vous pourrez
rentrer dans votre coeur et y trouver de la joie. Quand vous commencerez à
goûter cette joie, vous trouverez aussi dans la pureté du coeur un parfum
délicieux, et l’excitation à la prière; de même qu’en arrivant dans un lieu où
règne le silence, où tout est calme et respire la propreté, vous dites
aussitôt: Prions ici; la décence du lieu vous porte à croire que Dieu y
exaucera vos prières. Si donc la propreté d’un lieu visible a pour vous tant
d’attraits, comment n’êtes-vous point révolté des immondices de votre coeur?
Entrez-y donc, purifiez-le complètement, levez les yeux vers Dieu, et aussitôt
il vous exaucera. Crie donc, ô mon frère, et dis en ton coeur: « J’ai cherché
le Seigneur, et il m’a exaucé, et il m’a délivré de toutes mes tribulations ».
Pourquoi? Une fois que tu seras éclairé, et que ta conscience commencera par
s’améliorer ici-bas, des tribulations te sont réservées, parce qu’il restera
toujours en toi quelque faiblesse, jusqu’à ce que la mort soit absorbée par sa
victoire, et que ce corps mortel soit revêtu d’immortalité 2: il est donc
nécessaire que tu sois châtié en cette vie, il est nécessaire que tu aies
toujours quelques tentations à vaincre, Mais un jour Dieu purifiera tout, et te
délivrera de tes afflictions. Cherche-le seulement.
9. « J’ai cherché le Seigneur et il m’a
exaucé». Donc ceux qui ne sont point exaucés,
1.
Matt, V, 8. — 2. I Cor XV, 54.
(325)
n’ont point cherché le Seigneur. Que votre
sainteté veuille m’écouter, Le Prophète ne dit point: J’ai cherché de l’or chez
le Seigneur, et il m’a écouté; j’ai cherché une longue vieillesse dans le
Seigneur, et il m’a exaucé; j’ai cherché tel ou tel objet dans le Seigneur, et
il m’a exaucé. Autre chose est de chercher quelque chose dans le Seigneur, et
autre de chercher le Seigneur lui-même. « J’ai cherché le Seigneur », dit-il, «
et il m’a exaucé». Mais lorsque dans tes prières tu dis à Dieu: Envoyez la mort
à celui-là, qui est mon ennemi; ce n’est point là chercher le Seigneur, c’est
là t’établir en juge de ton ennemi, et faire de Dieu un bourreau à tes ordres.
Que sais-tu, si l’homme dont tu demandes la mort n’est pas meilleur que toi,
par cela même qu’il ne demande pas la tienne? Ne va donc demander à Dieu rien
qui ne soit Dieu, mais cherche Dieu lui-même, et il t’exaucera, et tu parleras
encore, qu’il te dira: « Me voici 1 » Qu’est-ce à dire: Me voici? Voici que je
suis présent, que veux-tu? quelle est ta demande? Toute autre chose que je
puisse te donner, est moins que moi; mais possède-moi, jouis de moi,
étreins-moi de ton amour, tu ne le peux encore dans tout ce que tu es;
touche-moi du moins par la foi, et tu t’attacheras à moi, dit le Seigneur, et
je te déchargerai de tes autres fardeaux; afin que tu sois entièrement uni à
moi, quand ce qu’il y a de mortel en toi sera devenu immortel 2; afin que tu
sois égal à mes anges 3, et que tu voies toujours ma face, et que tu sois dans
la joie, et que nul ne t’enlève ta joie 4; car tu as cherché le Seigneur, et il
t’a exaucé, et t’a délivré de toutes tes afflictions.
10. Nous avons déjà dit quel est celui qui
nous exhorte, cet amant qui ne veut pas seul étreindre l’objet de son amour, et
qui dit «Approchez de lui, et vous serez éclairés ». Il dit ce qu’il a éprouvé
lui-même. Que dit l’homme spirituel qui appartient au corps de Jésus-Christ, ou
bien Notre Seigneur Jésus-Christ lui-même dans son humanité, ce chef qui
exhorte les autres membres? « Approchez de lui et vous serez illuminés 5 ». Ou
plutôt, c’est un chrétien qui vit de l’esprit, qui nous invite à nous approcher
de Jésus-Christ Notre Seigneur. Du moins approchons de lui, afin d’être
éclairés, et non comme les Juifs,
1. Isa.
LXV, 24. — 2. I Cor. XV, 51. — 3. Matt. XXII, 30. — 4. Jean, XVI, 22. — 5. Ps. XXXIII,
6.
pour être plongés dans les ténèbres. Ils
l’ont donc approché pour le crucifier, mais nous, approchons-nous de lui, pour
recevoir son corps et son sang. Le crucifié les a couverts de ténèbres; et
nous, en mangeant la chair et en buvant le sang du crucifié, soyons dans la
lumière. « Approchez-vous de lui, et vous serez illuminés ». C’est aux Gentils
que s’adressent ces paroles. Le Christ à la croix était au milieu des Juifs,
qui le voyaient et le traitaient cruellement; les Gentils n’étaient point là,
et voilà que ceux qui étaient dans les ténèbres se sont approchés, et ceux qui
ne voyaient pas ont été remplis de lumière. Comment s’approchent les Gentils?
En le suivant parla foi, en exhalant les désirs de leurs coeurs, eu le
poursuivant par l’amour. Tes pieds sont ton amour. Marche sur deux pieds, ne
sois point boiteux. Quels sont ces deux pieds? les deux préceptes de l’amour de
Dieu et du prochain. Sur ces deux pieds, coure à Dieu, approche-toi de lui, car
lui-même t’engage à courir, et il ne t’a donné sa lumière, que pour te donner
le moyen de le suivre d’une manière admirable et divine! « Car vos visages ne
rougiront point. Approchez de lui », dit le Prophète, « et vous serez éclairés;
et vos sages n’auront point à rougir 1 ». Il n’aura pour rougir, que le visage
de l’orgueilleux. Pourquoi? parce qu’il veut être élevé, et qu’il rougit quand
il doit dévorer un affront, subir quelque humiliation, quelque disgrâce du monde,
ou quelque affliction. Mais ne craignez pas, approchez-vous de lui, et vous ne
rougirez point. Qu’un ennemi vous nuise, il paraît avoir la supériorité sur
vous, aux yeux des hommes; et néanmoins vous lui êtes supérieur devant Dieu. Je
l’ai fait prendre, je l’ai enchaîné, je l’ai fait mourir. Quelle supériorité ne
se donnent point ceux qui tiennent ce langage! Quelle supériorité ne se
croyaient point les Juifs, quand ils souffletaient le Seigneur, quand ils lui
crachaient au visage, quand ils frappaient sa tête d’un roseau, quand ils le
revêtaient d’une tunique dérisoire! Comme ils se croyaient forts! Il paraissait
faible au contraire; celui qui heurtait contre le seuil de la porte 2, mais il
ne rougissait point. Il était la lumière véritable, qui éclaire tout homme
venant en ce monde 3. Comme il n’y a point de confusion pour celle lumière, de
même ceux qu’elle éclaire ne
1.
Ps. XXXIII, 6. — 2. I Rois, XXI, 13.— 3. Jean, I, 9.
(326)
seront point confondus. « Approchiez donc de
s lui, et soyez éclairés, et vos visages n’auront point à rougir ».
11. Mais, dira quelqu’un, commuent
s’approcher de Dieu? Tant de maux, tant de fautes pèsent sur moi, tant de
crimes rugissent dans ma conscience, comment oserai-je approcher de Dieu?
Comment? En t’humiliant par la pénitence. Mais, dis-tu, je rougis de faire
pénitence. Approche donc du -Seigneur, et tu seras éclairé, et ton front ne
rougira point. Si la crainte de rougir te détourne de la pénitence, et que la
pénitence te rapproche de Dieu; ne vois-tu pas que tu portes sur ton visage la
peine de ton péché, puisque ton front a rougi, précisément parce qu’il
n’approche pas de Dieu: et qu’il n’en approche point, parce qu’il ne veut point
faire pénitence? C’est là ce qu’affirme le Prophète: « Le pauvre a crié, et le
Seigneur l’a exaucé 1 ». Il t’enseigne la manière d’être exaucé. C’est parce
que tu es riche que Dieu ne t’exauce pas. Peut-être as-tu crié sans être
exaucé, écoute pourquoi. « Ce pauvre a crié, et Dieu l’a exaucé ». Sois donc
pauvre, afin de crier, et le Seigneur t’exaucera. Comment crier dans ma
pauvreté? diras-tu. Ne présume point de tes propres forces, quelles que soient
tes richesses; comprends enfin que tu es dans l’indigence, et que cette
indigence doit durer tant que tu ne posséderas pas celui qui doit l’enrichir.
Comment le Seigneur l’a-t-il exaucé? « En le sauvant », dit le Prophète, « de
toutes les tribulations ». Comment l’a-t-il sauvé de toutes les tribulations? «
L’ange du Seigneur se placera autour de ceux qui le craignent, et il les
délivrera 2 ». Voilà ce qui est écrit, mes frères, et non point comme portent
certains exemplaires peu exacts: « Le Seigneur placera son ange autour de ceux
qui le craignent »; mais bien: « L’ange du Seigneur campera autour de ceux qui
le craignent, et les délivrera». Quel est celui qu’il appelle l’ange du
Seigneur, et qui doit camper autour de ceux qui le craignent pour les délivrer?
Jésus-Christ Notre Seigneur est appelé dans les prophéties, l’ange du grand
conseil, le messager du grand conseil, ainsi le désignent les Prophètes 3.
C’est donc l’ange du grand conseil, ou ce messager, qui campera autour de ceux
qui le craignent, afin de les délivrer. Ne craignez point d’échapper à
1. Ps, XXXIII, 7.— 2. Id. 8.— 3. Isa. IX, 6,
selon les LXX.
sa vigilance; partout où vous craindrez le
Seigneur, cet ange vous découvrira, et campera autour de vous afin de vous
délivrer.
12. Voilà que le Prophète parle maintenant
avec clarté de ce sacrement dans lequel il se portait dans ses mains. « Goûtez
et voyez combien le Seigneur est doux 1 ». Le psaume ne commence-t-il pas à
s’expliquer, et à te montrer cette espèce de folie et de fureur calme, cette
folie sage, cette sobre ivresse de ce David, qui désignait en figure je ne sais
quel mystère, lorsque dans la personne d’Achis, les Juifs lui dirent: « Comment
cela se peut-il 2? » Rappelle-toi que le Seigneur disait: « Celui qui ne mange
point ma chair et ne boit point mon sang, n’aura pas en soi la vie 3 ». Et ceux
qui appartenaient au royaume d’Achis, ou à l’erreur et à l’ignorance, que répondirent-ils?
« Comment celui-ci pourra-t-il nous donner sa chair à manger 4? » Si tu
l’ignores, goûte, et vois combien le Seigneur est doux: si tu ne le comprends
point, tu es le roi Achis. David changera sa face, et il te quittera, il se
retirera de toi pour s’en aller.
13. « Bienheureux l’homme qui espère en lui 5
! » Est-il besoin d’expliquer longuement cette phrase? Quiconque n’espère pas
dans le Seigneur, est misérable. Et qui n’espère point dans le Seigneur? Celui
qui espère en lui-même. Souvent même, ce qui est pire, mes frères, ne l’oubliez
point, c’est que les hommes ne veulent point espérer en eux-mêmes, mais dans
d’autres hommes. Tant que vivra Gaius Séius, disent-ils, on ne peut rien me
faire. Souvent on parle ainsi d’un homme déjà mort. On dit dans cette ville:
Tant que cet homme vivra, je n’ai rien à craindre, et souvent alors cet homme
est mort dans une autre ville. Cependant il n’y a rien de plus commun que ce
langage, et les hommes ne disent point:
Je crois en Dieu, qui ne te permettra point de
me nuire. Ils ne disent point: Je me confie en Dieu, parce que s’il te donne
quelque pouvoir sur moi, il ne t’en donnera point sur mon âme. Mais quand ils
disent: J’en jure par le salut de cet homme, d’abord ils ne veulent pas le
salut véritable, et de plus ils font tort à ceux dont ils espèrent le salut
pour eux-mêmes.
11. « Craignez le Seigneur, vous tous qui
êtes ses saints, parce que rien ne manque
1.
Ps. XXXIII, 9.— 2. I Rois, XXI, 11. — 3. Jean, VI, 54. — 4. Id. 53. — 5. Ps. XXXIII,
9.
(327)
à ceux qui le craignent 1 ». La crainte de
souffrir la disette, c’est là ce qui en détourne beaucoup de la crainte de
Dieu. On leur dit: Ne fraudez personne; et ils répondent: Comment vivrai-je? Ma
profession ne se peut exercer sans quelque fraude, il faut tromper quelque peu
dans le négoce. Mais Dieu punit la fraude: crains donc le Seigneur. Mais si je
crains le Seigneur, je ne pourrai vivre. «Craignez le Seigneur, ô vous qui êtes
ses saints, car rien ne manque à ceux qui le craignent ». Il promet l’abondance
à celui qui le craint, et qui hésite à le servir, dans l’appréhension d’être
privé du superflu. Eh quoi! le Seigneur qui t’alimente lorsque tu le négliges,
t’abandonnera quand tu le crains? Sois donc sage, et garde-toi de dire: Un tel
est riche et moi je suis pauvre; je crains le Seigneur, et celui-là qui ne le
craint pas, quels biens n’a-t-il pas amassés, tandis que ma crainte m’a laissé
dans l’indigence ! Ecoute bien ce qui suit: « Les riches ont éprouvé
l’indigence et la faim, mais ceux qui cherchent le Seigneur, auront tous les
biens en abondance 2 ». Ces paroles te paraissent trompeuses en les prenant à
la lettre; car tu vois beaucoup de riches impies mourir au milieu de leurs
richesses, et n’éprouver point la pauvreté pendant leur vie; tu les vois vieillir
et arriver à la fin de leur vie, parmi leurs grandes richesses; on leur fait
des pompes funèbres avec une grande magnificence; au milieu des pleurs de leur
famille on les conduit dans un riche tombeau, eux qui sont morts sur un lit
d’ivoire; et toi, qui connais peut-être les dérèglements et les crimes d’un tel
homme, tu dis en ton âme: Je sais ce qu’il a fait; et néanmoins il a vieilli,
il est mort dans son lit, les siens le conduisent à la tombe, et on lui fait de
si grandes funérailles: et moi, je connais ce qu’il a fait, et l’Ecriture m’en
impose, elle me trompe, quand j’entends et quand je chante: « Les riches ont
éprouvé l’indigence et la faim ». Quand cet homme a-t-il été pauvre, et quand
dans l’indigence? « Mais ceux qui cherchent le Seigneur, auront tous les biens
en abondance». Chaque matin je me rends à l’Eglise, chaque jour je fléchis le
genou, chaque jour je cherche le Seigneur, et pourtant je ne possède aucun
bien: tel autre s’est peu soucié du Seigneur, et il est mort dans de grandes
richesses. C’est là le
1. Ps. XXXIII, 10.— 2. Id. 11
noeud du scandale qui étouffe celui qui pense
de la sorte. Il cherche sur la terre un aliment périssable, et ne cherche point
dans le ciel une véritable récompense; il donne tête baissée dans le filet du
diable, qui lui presse la gorge, le pousse au mal, et lui fait imiter ce riche
qu’il voit mourir parmi tant de richesses.
15. Loin de toi donc d’entendre ainsi ces
paroles. Comment les entendrai-je? des biens spirituels. Où sont-ils? C’est le
coeur qui les voit et non les yeux. Mais je ne vois pas ces biens? Quiconque
les aime, les voit. Je ne vois point la justice? Elle n’est pas de l’or, elle
n’est pas de l’argent. Si elle était de l’or, tu la verrais; mais parce qu’elle
est la foi, tu ne la vois point. Et situ ne vois point la foi, pourquoi donc
aimes-tu un serviteur fidèle? Interroge tes sentiments, et vois quel est le
serviteur que tu aimes. Tu as peut-être un serviteur d’une belle figure, d’une
haute stature, d’un port élégant; mais il est fripon, méchant et fourbe:
tu en as un autre, qui est peut-être petit de
taille, désagréable de visage, et au teint basané, mais fidèle, économe et
sobre; examine bien, je t’en prie, celui que tu préfères. Les yeux du corps
donneront la préférence au serviteur fourbe, mais bien fait; mais les yeux du
coeur au serviteur fidèle, niais dis. gracié. Tu vois donc ce que tu désires
qu’un autre te rende, c’est-à-dire la bonne foi, c’est à toi à la lui rendre
aussi. Pourquoi ressens~tu de l’affection pour celui qui se montre fidèle, et
as-tu des éloges pour des qualités que voient seulement les yeux du coeur?
Seras-lu donc pauvre, quand tu seras comblé de ces richesses spirituelles?
Etait-ce donc pour tel autre une grande richesse, qu’un lit d’ivoire? et tu te
crois pauvre, quand le ht de ton coeur étale comme des perles ces vertus de
justice, de vérité, de charité, de foi, de patience, de mansuétude ! Examine
tes richesses, situ possèdes ces vertus, et compare-les aux grands biens des
riches. Mais celui-ci, dans son négoce, trouve des mules de grand prix elles
achète; si la foi pouvait se vendre, à quel prix n’en achèterais-tu pas? Et
cependant Dieu u voulu te la donner gratuitement, et tu ne l’en remercies pas.
Le s riches sont donc dans la disette, ils sont dans la pauvreté; et ce qui est
pire encore, ils n’ont pas un morceau de pain. Je ne veux pas dire qu’ils n’ont
ni or ni argent, quoique souvent même ils en (328) manquent. Combien cet autre
n’en avait-il pas? et en a-t-ii été rassasié?-Il est donc mort pauvre,
puisqu’il voulait encore acquérir plus qu’il n’avait. Mais ils n’ont pas un
morceau de pain. Comment n’ont-ils pas de pain? Si tu ne connais pas le vrai
pain, le pain te dit lui-même: « Je suis le pain vivant, descendu du ciel 1 »;
et encore: « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils
seront rassasiés 2 ». « Mais ceux qui cherchent le Seigneur auront les biens en
abondance ». Oui, les biens dont nous avons parlé.
16. « Venez, mes enfants, écoutez-moi, je
vous enseignerai la crainte de Dieu 3 ».Vous pensez, mes frères, que c’est moi
qui vous parle: croyez que c’est David qui vous parle de la sorte, croyez que
c’est l’Apôtre qui vous parle, ou plutôt croyez que c’est Jésus-Christ qui vous
dit: « Venez, mes enfants, écoutez-moi ». Ecoutons-le donc ensemble, écoutez-le
par ma bouche: il veut nous enseigner dans son humilité, ce fou divin, qui
frappait du tambour, il veut nous enseigner. Et que dit-il? « Venez, mes
enfants, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte de Dieu». qu’il nous
enseigne donc, prêtons-lui l’oreille, ouvrons surtout notre coeur. N’ouvrons
pas des oreilles de chair, pour lui fermer nos coeurs, mais, comme le dit
l’Evangile: « Que celui-là entende qui a des oreilles pour entendre 4» Qui
refuserait d’entendre le Christ qui nous instruit par son Prophète?
17. « Quel est l’homme qui souhaite la vie,
met qui soupire après des jours heureux 5? » Voilà ce qu’il demande. Chacun
d’entre vous ne répond-il pas: C’est moi? En est-il un seul d’entre vous pour
ne souhaiter pas la vie, c’est-à-dire, qui ne veuille vivre, et ne soupire
après des jours heureux? N’est-ce point là ce que vous dites chaque jour dans
vos murmures: Combien dureront ces misères? Chaque jour va de mal en pire. Nos
ancêtres avaient des jours plus beaux, des jours plus heureux. Si tu pouvais
interroger tes pères, tu les entendrais se plaindre aussi de leur temps; ils te
diraient dans leurs murmures: Nos pères étaient heureux, nous voilà misérables,
nous avons des jours mauvais: le règne d’un tel était déplorable, nous avions
cru qu’à sa mort nous aurions un peu de relâche, et
1. Jean, VI, 41. — 2. Matt. V, 6. — 3. Ps.
XXXIII, 12. — 4. Matt. XI, 15 — 5. Ps. XXXIII, 13.
nous sommes plus mal encore. O Dieu, faites
luire pour nous d’heureux jours! « Quel est l’homme qui souhaite la vie, et qui
soupire après des jours heureux? » Qu’il ne cherche point le bonheur ici-bas.
Ce qu’il cherche est bien, mais il ne le cherche pas où il réside. Si vous
cherchez un homme dans un pays qu’il n’habite pas, on vous dira: Vous cherchez
un homme de bien, vous cherchez un grand homme, cherchez-le, mais pas ici, vous
le chercherez vainement en ces contrées, vous ne l’y trouverez jamais. Vous
cherchez des jours heureux, cherchons-les ensemble, mais non pas ici-bas. Et
pourtant nos pères en avaient. Vous vous trompez, tous ont souffert en cette
vie. Lisez les Ecritures; Dieu les a fait écrire afin qu’elles fussent pour
nous une consultation. Au temps d’Elie, il y eut une grande famine, et nos
pères en souffrirent cruellement. Des têtes d’ânes morts se vendaient à prix
d’or, on tuait ses propres enfants pour les manger; deux femmes résolurent
ensemble de tuer leurs fils et de les manger: l’une tua son fils et toutes deux
le mangèrent; l’autre ensuite ne voulut plus tuer son enfant, et celle qui la
première avait-tué le sien, l’exigeait pourtant; ce procès fut porté devant le
roi, elles comparurent devant lui, plaidant le meurtre de leurs enfants 1. Que
Dieu éloigne de nous ce que nous lisons de ces mets horribles. Mais dans le
monde il y aura toujours des moments malheureux, et tous les jours seront
heureux en Dieu. Abraham eut des jours heureux, mais dans l’intérieur de son
coeur. Il eut des jours mauvais, quand la famine l’obligea de changer de pays
pour chercher des vivres 2. Tous ont cherché comme lui, Paul avait-il des jours
heureux, lui qui souffrait « la faim, la soif, le froid, la nudité 3?» Mais que
les serviteurs s’apaisent: le Seigneur lui-même n’eut point des jours heureux
en ce monde, lui qui dut passer par les affronts, par les injures, par la croix,
et par tant d’autres maux.
18. Que le chrétien ne murmure donc point,
qu’il considère celui dont il suit les traces. Mais s’il veut des jours
heureux, qu’il entende le divin docteur qui lui dit: « Venez, mes enfants,
écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte de Dieu ». Que veux-tu, ô chrétien?
La vie et des jours heureux. Ecoute
1. IV Rois, VI, 26-30. — 2. Gen. XII, 10,
XXVI, 1. — 3. II Cor. XI, 27.
(329)
et agis: «Préserve ta langue du mal 1». Oui,
fais cela. Je ne veux point, dit l’homme du fond de sa misère, je ne veux point
interdire le mal à ma langue, et pourtant je veux la vie et des jours heureux.
Si un homme de peine te disait:Je ravage ta vigne, et je veux encore un
salaire; tu m’as amené à ta vigne afin de la tailler, de l’ébourgeonner, j’en
coupe tous les bois fruitiers, j’énerve les branches vigoureuses, afin que tu
n’y puisses rien recueillir, et quand j’aurai fait cela, tu me paieras mon
travail. Ne dirais-tu point que cet homme est insensé? Ne le chasserais-tu pas
de chez toi, avant qu’il prenne la serpe en main? Tels sont les hommes qui
veulent faire le mal, commettre le parjure, blasphémer Dieu, murmurer,
s’adonner à la fraude, à l’intempérance, aux procès, à l’adultère, user
d’amulettes, consulter les devins, et avoir des jours heureux. On lui dit: Tu
ne peux, en commettant le mal, revendiquer la récompense du bien. Si tu es
injuste, le Seigneur le sera-t-il aussi? Que ferai-je donc? Et que veux-tu? Je
veux la vie, je veux des jours heureux, « Préserve donc ta langue du mal, et
que tes lèvres ne distillent point la fraude »; c’est-à-dire, que nul ne soit
victime de ta fraude, nul de tes mensonges.
19. Mais que signifie: « Détourne-toi du mal
2? » C’est peu de ne nuire à personne, de ne tuer personne, de ne commettre ni
vol, ni fraude, ni adultère, et de ne faire aucun faux témoignage. «
Détourne-toi du mal »; mais à peine en es-tu détourné que tu dis: Je suis en
sûreté, j’ai tout fait, j’aurai la vie, je verrai des jours heureux. Non
seulement « détourne-toi du mal»; mais, « fais le bien ». C’est peu de ne
dépouiller personne, il faut vêtir le pauvre. Ne pas dépouiller, c’est éviter
le mal; mais tu ne feras le bien qu’à la condition de recevoir l’étranger dans
ta demeure. Donc, évite le mal, afin de faire le bien. « Cherche la paix, et suis-la».
Il ne te dit point: Tu auras la paix ici-bas, mais: Cherche-la et poursuis-la.
Où la chercher? Où elle s’est retirée. Notre paix, c’est le Seigneur qui est
ressuscité, qui est monté aux cieux. « Cherche donc là paix et poursuis-la »:
car à la résurrection, ce qu’il y a de mortel en toi sera changé, et tu
embrasseras cette paix que nul ne pourra troubler. La Paix sera parfaite pour
toi,
1. Ps. XXXIII, 14. — 2. Id. 15.
puisque tu ne souffriras plus la faim. C’est le
pain qui fait la paix ici-bas; ôte le pain, et vois quelle guerre tu
ressentiras en tes entrailles. Pourquoi donc les justes ont-ils à gémir
ici-bas, mes frères? C’est afin de vous apprendre qu’en cette vie nous
cherchons la paix, et que nous l’obtiendrons à la fin seulement. Mais essayons
de l’avoir en partie en cette vie, afin de l’avoir entièrement dans l’autre.
Qu’est-ce à dire en partie? Soyons en bonne harmonie, aimons notre prochain
comme nous-mêmes. Aie donc pour ton frère le même amour que pour toi-même, sois
en paix avec lui. Mais il est impossible de bannir toute espèce de rixe, comme
on en voit s’élever entre des frères, et même entre des saints, comme il s’en
éleva entre Barnabas et Paul 1, mais qui n’allaient point jusqu’à éteindre la
charité, jusqu’à étouffer la concorde. Car tu es souvent en désaccord avec
toi-même, et néanmoins tu n’as pas de haine pour toi. Quiconque a du repentir
est en désaccord avec lui-même, Il a péché, il rentre en lui-même, il se fâche
d’avoir agi de la sorte, d’avoir fait cette faute. Il est donc en désaccord
avec lui-même, mais ce désaccord doit rétablir l’harmonie. Vois de quelle
manière un juste se querelle, et se dit: «Pourquoi cette tristesse, ô mon âme,
et pourquoi me troubler? Espère dans le Seigneur, parce que je le confesserai
encore 2 ». Si donc il dit à son âme: « Pourquoi me troubler? » c’est qu’elle
lui causait du trouble. Il voulait peut-être souffrir pour le Christ, et son
âme s’en affligeait. Et lui qui le savait, et qui disait: « Pourquoi donc, ô mon
âme, t’attrister et me troubler? » n’était pas en paix avec lui-même; mais il
était uni d’esprit au Christ, afin que son âme le suivît, et qu’elle ne le
troublât plus. Donc, mes frères, cherchez la paix. « Je vous parle de la
sorte», dit le Seigneur, «afin que vous ayez la paix en moi; je ne vous promets
point la paix sur la terre 3». Il n’y a en cette vie ni paix véritab1e, ni
tranquillité. On nous promet la joie de l’immortalité, et la société des anges.
Mais quiconque ne l’aura point cherchée pendant cette vie, ne la possédera
point, quand elle doit nous échoir.
20. « Les yeux du Seigneur sont sur les
justes 4 ». Bannis donc toute crainte, et travaille; les yeux du Seigneur sont
sur toi,
1. Act. XV, 39,— 2. Ps. LXII, 5.— 3. Jean,
XVI, 33.— 4. Ps. XXXIII, 16.
(330)
« Et ses oreilles attentives à. tes prières
». Que veux-tu de plus? Si le père de famille n’entendait point dans une maison
nombreuse les murmures d’un serviteur, celui-ci pourrait se plaindre et dire:
Quelles sont nos douleurs! et nul ne nous entend. Mais peux-tu dire en parlant
de Dieu: Quelles sont mes douleurs, et nul ne m’entend? Mais, diras-tu, s’il
m’entendait, il me délivrerait de cette affliction: je crie, et néanmoins je
suis dans la douleur. Tiens ferme seulement dans tes voies, et dans ta douleur
il t’écoutera. Mais il est médecin, et il reste en toi je ne sais quelle
gangrène; tu cries, mais il tranche encore; et sa main ne s’arrêtera point
qu’il n’ait fait les incisions qu’il sait nécessaires. C’est en effet une
cruauté pour un médecin, d’écouter les cris d’un malade, de ménager la blessure
la gangrène. Comment une mère frictionne-t-elle ses enfants dans les bains? Les
enfants ne poussent-ils point des cris entre ses mains? cependant elle est
assez cruelle, pour ne point cesser et n’écouter point leurs larmes. les
aime-t-elle point de toute sa tendresse? pourtant ces enfants poussent des
cris, et mères ne les épargnent point. Ainsi en est-il de Dieu qui est plein de
tendresse pour nous: et s’il paraît ne point nous écouter, c’est afin de nous
guérir, et de nous épargner dans l’éternité.
21. « Les yeux du Seigneur sont sur les
justes, et ses oreilles sont attentives à leurs prières », Mais, pourra dire le
méchant, je tais donc le mal en toute sécurité, puisque les yeux du Seigneur ne
sont pas sur moi: si une Dieu ne regarde que les justes, il ne me voit point;
et je suis en sûreté dans toutes mes actions. Or, l’Esprit-Saint, voyant ces
pensées hommes, ajoute aussitôt: « Les yeux du Seigneur sont sur les justes, et
ses oreilles attentives à leurs prières: mais le regard de sa colère est sur
ceux qui font le mal, afin d’effacer leur mémoire de la terre 1 ».
22. « Les justes ont crié, et le Seigneur les
a exaucés et les a délivrés de tous leurs maux 2». Les trois enfants de la
fournaise étaient justes: et ils crièrent vers le Seigneur, et à leurs chants
les flammes devinrent une douce rosée. Ces flammes ne purent approcher ni
meurtrir ces trois enfants, justes et innocents, et le Seigneur arracha aux
flammes 3. Mais, dira quelqu’un, à la vérité, voilà trois justes qui ont
1.
Ps. XXXIII, 16, 17. — 2. Id. 18. — 3. Dan. III, 49.
été exaucés, selon cette parole: « Les justes
ont crié, et le Seigneur les a exaucés et les a délivrés de leurs tribulations
»; mais moi j’ai crié, et il ne m’a point délivré: donc ou bien je ne suis pas
juste, ou je ne fais point ce que Dieu ordonne, ou peut-être que Dieu ne me
voit point. Sois sans crainte, et fais ce que Dieu ordonne; et s’il ne te
délivre point d’une manière corporelle, il délivrera ton âme. Lui qui délivra
les trois enfants des flammes, en délivra-t-il les Macchabées? Si les uns
chantaient au milieu des flammes, les autres n’y expiraient-ils pas 1? Le Dieu
des trois enfants n’était-il pas le Dieu des Macchabées? Il a délivré les uns
sans délivrer les autres; au contraire, il les a tous délivrés; il a délivré
les trois enfants, afin de confondre les hommes charnels; il n’a pas délivré
les Macchabées de la même manière, afin que leurs persécuteurs fussent plus
sévèrement condamnés, parce qu’ils avaient cru opprimer les martyrs de Dieu. Il
délivra Pierre quand l’Ange vint trouver cet Apôtre dans les chaînes et lui
dit: « Lève-toi, et va-t’en »: et alors ses chaînes furent déliées, et il
suivit l’ange qui le délivra 2. Pierre avait-il cessé d’être juste, quand le
Seigneur ne le délivra point de la croix? Mais ne le délivra-t-il pas alors? Il
le délivra certainement. N’a-t-il vécu plus longtemps que pour devenir injuste?
Dieu en ce moment le délivra, plus qu’auparavant, puisqu’il l’arracha
véritablement à toutes les misères. Après que Dieu l’eût délivré une première
fois, combien cet Apôtre n’eût-il pas à souffrir dans la suite? au lieu que
Dieu le fit passer de la croix à ce lieu où l’on ne doit plus souffrir.
23. « Le Seigneur est près de ceux qui ont le
coeur brisé, et il doit sauver les hommes humbles d’esprit 3 ». Dieu est élevé;
que le chrétien s’abaisse, qu’il pratique l’humilité s’il veut que Dieu
s’approche de lui. Ce sont là de grands mystères, mes frères. Dieu est
au-dessus de tous; élève-toi, tu ne l’atteindras point; humilie-toi, et il
descendra jusqu’à ton niveau. « De grandes tribulations sont réservées aux
justes ». Dieu nous dit-il: Que les chrétiens soient justes, qu’ils écoutent ma
parole, afin de n’avoir aucune affliction à souffrir? Telles ne sont point ses
promesses; mais il dit: « De grandes tribulations sont réservées aux justes ».
Donc, s’ils ne sont point justes, ils
1. II Macch. VI, 3.— 2. Act. XII, 7. — 3. Ps.
XXXIII, 19.
(331)
en auront moins à en endurer, et parce qu’ils
sont justes, ils en auront beaucoup. Mais après des souffrances ou légères ou
nulles, les injustes arriveront à la douleur éternelle, dont ils ne seront
point délivrés; tandis que les justes, après les grandes douleurs de cette vie,
arriveront à l’éternel repos, où ils n’auront aucun mal à souffrir. « De
grandes tribulations sont réservées aux justes; mais le Seigneur les délivrera
de tous les maux 1 ».
24. « Il garde tous leurs os, pas un ne sera
brisé 2 ». Ceci, mes frères, ne doit point s’entendre d’une manière charnelle.
Les ossements dont la force des fidèles. De même que, dans le corps humain, les
os donnent la solidité, de même, dans le coeur du chrétien, c’est la foi qui en
fait la force. La patience qui vient de la foi nous constitue une ossification
intérieure. C’est là ce qu’on ne peut briser. « Le Seigneur garde tous leurs
os, pas un ne sera brisé ». Si le Prophète, en partant de Notre Seigneur
Jésus-Christ, eût dit Le Seigneur garde tous les ossements de son Fils, nul ne
sera brisé: selon la figure qui nous en est donnée dans un autre endroit, quand
il fut prescrit d’immoler un agneau et que Moïse ajouta: « Garde-toi d’en
briser les « os 3 »; assurément cette prédiction s’est accomplie en
Jésus-Christ. Quand il pendait à la croix, il expira avant que les soldats
vinssent à lui, et comme ils trouvèrent son corps inanimé, ils ne voulurent
point lui briser les jambes, et ainsi s’accomplit la prédiction 4. Mais le
Seigneur fait encore cette promesse aux autres chrétiens: « Le Seigneur garde
leurs os, et pas un ne sera brisé ». Si donc, mes frères, nous voyons quelque
juste endurer quelque souffrance, telle amputation que lui fait un médecin,
telle meurtrissure que lui fait un ennemi, au point que ses os soient brisés,
ne disons pas: Cet homme n’était pas juste, puisque Dieu a fait à ses justes
cette promesse: « Le Seigneur garde leurs os, pas un ne sera brisé ».
Voulez-vous voir qu’il parle d’autres os, de ceux que nous appelons la force de
la foi, c’est-à-dire de la patience à endurer la douleur? Car tels sont les os
que l’on ne brise point. Ecoutez et voyez ce que je vais dire de la passion du
Sauveur. Le Seigneur était crucifié au milieu de deux voleurs: l’un d’eux lui
insulta, l’autre crut en lui; l’un fut damné, l’autre justifié; l’un
1.
Ps. XXXIII, 20.— 2. Id. 21.— 3. Exod. XII, 46.— 4. Jean, XIX, 33.
subit son châtiment ici-bas et dans
l’éternité, et le Seigneur dit à l’autre: « En vérité, je vous le dis, vous
serez aujourd’hui avec moi dans le paradis 1 »: et pourtant, ceux qui étaient
venus et qui ne brisèrent point les ossements du Seigneur, brisèrent ceux des
deux larrons 2; en sorte que ceux du larron blasphémateur furent brisés comme
les os de celui qui crut en Jésus-Christ. Où est donc la vérité de cette
parole: « Le Seigneur garde leurs os, et pas un ne sera rompu? » N’a-t-il donc
pu garder tous les os de ce voleur à qui il disait: « Aujourd’hui, tu seras
avec moi dans le paradis? » Le Seigneur te répond: Au contraire, je les ai
gardés, puisque les coups des bourreaux qui lui brisaient les jambes n’ont pu
ébranler la solidité de sa foi.
25. « La mort des pécheurs est très funeste 3
». Ecoutez ceci, mes frères, après ce que nous venons de dire. Assurément Dieu
est grand, sa miséricorde est grande; il est grand, celui qui nous a donné à
manger son corps tout meurtri, et son sang à boire. Comprenez comment il voit
les pensées corrompues des hommes qui disent: Cet homme est mort, les bêtes
l’ont dévoré; il n’était pas juste, puisqu’il a péri si misérablement;
autrement, eût-il péri de la sorte? Donc celui-li est juste qui meurt chez lui
et dans son lit? C’est encore là ce qui m’étonne, diras-tu, car je connais ses
péchés et ses crimes, et toute fois, il est mort paisiblement dans sa maison,
dans sa chambre, sans avoir souffert dans ses voyages nullement, pas même dans
un âge avancé. Ecoute bien, ô mon frère. « La mort des pécheurs est très
funeste ». Cette mort que tu crois heureuse est très mauvaise, au point de vue
intérieur. Tu vois extérieurement un homme étendu sur un lit funèbre; mais le
vois-tu, des yeux de la foi, entraîné dans l’enfer? Ecoutez, mes frères, et
voyez d’après l’Evangile ce qu’il y a de funeste dans la mort des pécheurs. N’y
voyez-vous pas deux hommes qui vivaient ici-bas, l’un riche, vêtu de pourpre et
de fin lin, et qui faisait chaque jour bonne chère 4; l’autre pauvre, étendu à
la porte du riche et couvert d’ulcères, et les chiens venaient et léchaient ses
ulcères, et il désirait se rassasier des miettes qui tombaient de la table du
riche? Il arriva que le pauvre mourut, et ce pauvre qui était juste fut porté
1. Luc, XXIII, 43. — 2. Jean, XIX, 32. — 3.
Ps. XXXIII, 22, — Luc XVI, 19-25.
(332)
par les anges dans le sein d’Abraham. Que ne
pouvait dire quiconque avait vu son corps étendu à la porte du riche, sans que
personne se mît en peine de l’ensevelir? Ainsi puisse mourir mon ennemi, celui
qui m’a persécuté, puisse-je le voir en cet état! On crache sur ce cadavre, la
puanteur s’exhale des plaies, mais l’âne repose au sein d’Abraham. Croyons
cela, si nous sommes chrétiens; mais si nous ne le croyons, mes frères, ne nous
imaginons pas que nous sommes chrétiens. C’est la foi qui nous conduit. Comme
le dit le Seigneur, ainsi en est-il. La vérité serait-elle dans les paroles
d’un astrologue, et la fausseté dans celles de Jésus-Christ? Mais quelle fut la
mort du riche? Comment put-il mourir dans la pourpre et dans le fin lin? Avec
quelle pompe et quelle magnificence? Quelles n’étaient pas ses funérailles?
Dans quels parfums n’ensevelit-on pas son cadavre? Et pourtant quand il était
dans les tourments de l’enter, il désirait ardemment qu’une goutte d’eau
tombât, du doigt de ce pauvre jadis méprisé, sur sa lingue desséchée, et il ne
l’obtint pas. Apprenez donc ce que signifie: « La mort des pécheurs est très
funeste », et ne jetez pas les yeux sur ses lits aux tentures somptueuses, sûr
ce cadavre environné de riches broderies, sur uns pompeuses lamentations, sur
cette famille en deuil, sur cette foule qui précède et qui suit le corps que
l’on porte en terre, sur des cénotaphes d’or et de marbre. Si vous interrogez
tout cela, vous n’aurez qu’une réponse mensongère, tout cela vous dira qu’il
est beau de mourir, non seulement pour des hommes légèrement pécheurs, mais
pour de grands criminels, quand on a mérité cette pompe des larmes, cette pompe
des parfums, cette pompe de parure, cette pompe de cortège, cette pompe de
sépulture. Mais interrogez l’Evangile, et aux yeux de votre foi, il découvrira
l’âme du riche qui brûle dans les flammes, et que ne peuvent nullement soulager
tous ces honneurs, tout ce cortège, dont la vanité des vivants environnait son
cadavre.
26. Mais parce qu’il y a différentes sortes de pécheurs, et qu’il est
difficile, peut-être même impossible en cette vie de n’être point pécheur, le
Prophète nous dit aussitôt de quels pécheurs la mort est si funeste: « Et ceux
qui haïssent le juste, périront 1 », nous dit-il. Quel est ce juste, sinon
celui qui juge l’impie 2? Quel est ce juste, sinon Notre Seigneur Jésus-Christ,
qui est aussi l’hostie de propitiation pour nos péchés 3? Ceux donc qui le
haïssent ont une mort très-funeste, puisqu’ils meurent dans leurs péchés et
qu’ils ne sont point par lui réconciliés à notre Dieu. « Le Seigneur, en effet,
rachètera les âmes de ses serviteurs 4». C’est au point de vue de l’âme que
l’on doit envisager la mort comme très- funeste, ou comme très-désirable; et
non au point de vue des affronts que l’on peut faire à nos corps, ou des
honneurs qu’on peut leur rendre aux yeux des hommes. « Et ceux qui « espèrent
en lui ne seront point délaissés 5 ». Telle est, en effet, la règle de la
justice humaine. Quels que soient nos efforts, il est impossible que la vie
humaine soit sans péché, du moins ne péchons point sous le rapport de
l’espérance en celui qui nous remet nos péchés. Ainsi soit-il.
1. Ps. XXXIII, 22. — 2. Rom. XV, 5. — 3. I
Jean, II, 2. — 4. Ps. XXXIII, 23. — 5. Ibid.
Ces trente-trois premiers
Psaumes ont été traduits par M. l’abbé MORISOT.
Le
titre de ce psaume est: A David. Le double sens, attaché au nom de David, désigne
deux qualités du Christ, et montre, comme le texte, que ce psaume s’applique au
Christ, considéré en lui-même et dans ses membres. Sous ce double rapport, il
souffre et cherche son secours en Dieu. Nous, qui souffrons, mettons aussi en
Dieu notre confiance: 1° parce qu’il est notre salut. Pour venir à notre aide,
il se sert de nous-mêmes, et des vertus qu’il nous inspire, comme d’une armure:
notre âme, voilà son épée, son casque, sa cuirasse; nos vices, nos semblables,
le démon, voilà nos ennemis; pour leur résister, il faut être juste, et c’est
Dieu qui donne la justice. Quoi qu’en disent nos ennemis, quel que soit notre
sort ici-bas, Dieu seul est notre salut et ce qu’il a fait dans tous les temps,
et surtout à l’égard de Job, en est la preuve. Il triomphe de nos ennemis en
les convertissant ou en les condamnant; il punit les méchants par leur propre
méchanceté Quant aux justes, il est leur unique souverain bien; ils doivent
donc chercher en lui le sujet de joies et de leurs espérances. 2° Parce que le
Christ est notre Chef, que nous sommes ses membres, et que comme il a été
glorifié après avoir souffert, nous le serons nous-mêmes, si nous l’imitons.
Environné d’ennemis acharnés à sa perte, il vécut dans l’innocence, la
mortification, le jeûne, la prière et l’union avec Dieu, et triompha ainsi de
leur malice. Imitons ce parfait modèle, et, puisque nous sommes condamnés à
souffrir, souffrons, comme lui, pour la justice, Dieu nous sauvera, et, alors,
la tranquillité et la joie seront notre partage.
1. Votre charité ne l’ignore pas: la volonté
de nos frères et coévêques nous a imposé l’obligation d’expliquer ce psaume de
manière à ce que nous en tirions tous une instruction, car nous sommes tous les
auditeurs de celui qui nous instruit les uns et les autres, et dont nous
recevons les enseignements en qualité de condisciples.
Le titre de ce psaume ne peut nous arrêter
longtemps, car il est court, et pour les enfants, de l’Eglise de Dieu surtout,
il n’est pas difficile à comprendre. Le voici: « A David ». Louange donc à
David. David signifie: Homme d’un bras vigoureux, homme désirable. Louange donc
à cet homme fort et désirable, qui a vaincu notre mort et nous a promis la vie.
Car, pour vaincre notre mort, il s’est montré vigoureux il est désirable,
puisqu’il nous a promis la vie éternelle. Et, de fait, qu’y a-t-il de plus fort
que cette main, dont le contact a ressuscité un mort et l’a fait sortir vivant
du cercueil? Qu’y a-t-il de plus fort que cette main, qui a vaincu le monde,
sans porter le glaive, après avoir été clouée à la croix? Qu’y a-t-il de plus
désirable que cet homme? Les martyrs ne l’avaient pas vu, et pourtant, ils ont
voulu mourir pour mérite d’arriver jusqu’à lui. Louange donc à lui; à lui notre
coeur; à lui notre langue: puise t-elle chanter des louanges dignes de lui!
Puisse-t-il inspirer lui-même nos chants! Nulle louange n’est digne de sa
majesté, s’il te daigne en accorder la grâce à celui qui entreprend de la lui
offrir. Enfin, ce que note chantons maintenant, son esprit nous l’a enseigné
par la bouche du Prophète, et de ces paroles où nous nous reconnaissons
nous-mêmes, et lui avec nous. En nous exprimai! ainsi, nous ne lui faisons
point injure, car du haut du ciel, quand personne ne le touchait et que nous
luttions sur la terre, il a dit « Pourquoi me persécutes-tu? » Il nous faut
donc. entendre sa parole, tantôt de no mêmes qui sommes son corps, tantôt de
lui-même qui en est le Chef. Car, dans ce psaume on invoque Dieu contre ses
ennemis, au milieu des tribulations de cette vie, et celui qui adresse cette
invocation au Seigneur, est indubitablement le Christ, qui a souffert autrefois
comme chef, et qui souffre aujourd’hui (334) dans son corps, se servant
néanmoins de ses tribulations pour communiquer à tous ses membres la vie
éternelle, et méritant, par ses immortelles promesses, le titre de désirable.
2. « Seigneur», dit-il, « jugez ceux qui me
dont du mal: domptez mes persécuteurs 1 ». Si Dieu est pour nous, qui est-ce qui
sera contre nous 2? Et comment Dieu nous procure-t-il son secours? Il ajoute: «
Prenez vos n armes et votre bouclier: levez-vous pour me secourir ». Admirable
spectacle! Un Dieu armé pour ta défense! Quel est son bouclier? quelles sont
ses armes? « Seigneur », dit encore ailleurs cet homme qui parle ici, « votre
bonne volonté m’a couvert comme un bouclier 3 ». Si nous profitons bien de son
aide, nous deviendrons nous-mêmes les armes avec lesquelles il nous protégera
et frappera nos ennemis: car, si nos armes viennent de lui, flous lui servons
nous-mêmes d’armure: tandis qu’il est armé de ceux qu’il a créés, ses créatures
puisent en lui leurs moyens de défense. L’Apôtre nomme, quelque part, ces armes
divines mises à notre portée: c’est le bouclier de la foi, le casque du salut,
le glaive spirituel de la parole de Dieu 4. Le Seigneur nous a munis, comme
vous l’avez entendu, d’armes admirables et indestructibles, invincibles et
brillantes, vraiment spirituelles et invisibles, parce que nous ne voyons pas les
ennemis que nous combattons. Si tu aperçois ton ennemi, il te faut des armes
qu’on puisse voir: la toi en des choses que mous ne voyous pas, voilà notre
force pour terrasser des adversaires invisibles.
Toutefois, mes très-chers, n’allez pas croire
que, parmi nos armes, celles qui nous tiennent lieu de bouclier doivent
toujours être considérées comme telles; que celles qui tiennent la place du
casque, soient toujours un casque, et que la cuirasse soit toujours une
cuirasse. Les armes matérielles restent les mêmes, quoiqu’on puisse donner une
autre destination, au fer qui a servi à les fabriquer, et changer ainsi une
épée en une hache; mais nous voyons l’Apôtre lui-même parler, tantôt de la
cuirasse de la foi, et, tantôt, du bouclier de la foi. La foi peut donc être,
eu même temps, et bouclier et cuirasse: bouclier, parce qu’elle reçoit et
repousse les traits de l’ennemi; cuirasse, parce qu’elle les
1.
Ps. XXXIV, 1, 2. — 2. Rom. VIII, 31.— 3. Ps. V, 13. — 4. Eph. VI, 16, 17.
empêche de transpercer ta poitrine. Voilà nos
armes; mais celles de Dieu?
Nous lisons en quelque endroit: « Arrachez
mon âme aux impies: retirez votre framée aux ennemis de votre bras 1 ». Ceux
qu’il désigne d’abord sous le nom « d’impies», il les appelle dans le verset
suivant: « Les ennemis de votre bras »; et ce qu’il entend en premier lieu, par
« mon âme», il en parle ensuite sous le nom de « votre framée », c’est-à-dire,
votre épée. Dans son langage, la framée de Dieu et son âme avaient donc le même
sens. « Arrachez », dit-il, « mon âme aux « impies », c’est-à-dire, « retirez
votre framée aux ennemis de votre bras ». Car vous prenez mon âme en vos mains,
et vous mettez -mes ennemis hors de combat. Mais qu’est-ce que notre âme, si
brillante, si grande, si pénétrante, si polie, si flamboyante, si étincelante
des feux de la sagesse, que vous la supposiez? Qu’est-ce que notre âme? De quoi
est-elle capable, si Dieu lui-même ne la tient et ne s’en sert pour combattre?
La meilleure framée, quand elle n’est pas aux mains d’un guerrier, gît inutile.
Nous avons dit qu’à nos armes on ne peut donner un nom unique et constamment le
même, parce que les unes et les autres sont susceptibles d’un autre emploi:
ainsi en est-il des armes de Dieu, puisque, à l’entendre, l’âme du juste est la
framée de Dieu, ou bien le trône de Dieu, ou bien encore le temple de la
sagesse. Il fait donc de notre âme tout ce qu’il veut; puisqu’elle est entre
ses mains, qu’il s’en serve selon son bon plaisir.
3. Qu’il se lève donc, selon l’expression de
celui qui l’invoque, qu’il prenne ses armes, qu’il se lève pour nous secourir !
D’où peut-il se lever? La même voix le lui dit ailleurs « Levez-vous: pourquoi
dormez-vous, Seigneur 2? » Quan,d on dit que Dieu dort, c’est que nous dormons:
si l’on dit qu’il se lève, c’est que nous sortons nous-mêmes des bras du
sommeil. Car le Seigneur dormait dans la barque, et parce que Jésus dormait, la
barque était battue par les flots: il n’en eût pas été de même, si Jésus avait,
veillé. Ta barque, c’est ton coeur: Jésus dans ta barque, c’est la foi dans ton
coeur. Si ta foi occupe tes pensées, ton coeur est tranquille à l’abri des
tempêtes; mais si tu as perdu le souvenir de ta foi, le Christ dort, prends
garde de faire naufrage, emploie ta dernière ressource, éveille
1. Ps. XXI, 21. — 2. Id. XLIII, 23. -
le, dis-lui: Seigneur, levez-vous, nous
périssons, afin qu’il commande à la tempête et que le calme se fasse dans ton
cœur 1. Toutes les tentations s’éloigneront, ou seront, du moins, impuissantes
contre toi, quand le Christ, comme la foi te l’enseigne, veillera dans ton
coeur: « Levez-vous»; qu’est-ce donc à dire? Manifestez-vous, apparaissez,
faites sentir votre présence. «Levez-vous » donc « pour me secourir».
4. « Tirez votre épée et fermez tout passage
à ceux qui nie persécutent 2». Quels sont tes persécuteurs? Peut-être ce voisin
que tu as offensé; celui dont tu as blessé les intérêts, ou celui qui veut
s’emparer de ton bien, ou celui à l’encontre duquel tu prêches la vérité, ou
encore, celui dont tu blâmes les vices, ou enfin, celui dont tu condamnes la
mauvaise vie par ta bonne conduite. Tels sont déjà nos ennemis et nos
persécuteurs: mais nous devons savoir qu’il nous faut combattre d’autres
adversaires, des ennemis invisibles: l’Apôtre nous en avertit par ces paroles:
« Ce n’est pas contre la chair et le sang», c’est-à-dire, contre des hommes, «
que nous avons à combattre »; ce n’est point contre des ennemis que nous
apercevons, mais contre des adversaires que nous ne voyons pas: « c’est contre
les princes, les puissances et les maîtres du monde de ces ténèbres 3». Par
maîtres du monde, il entendait le diable et ses anges; mais il était à craindre
que ses paroles fussent mal comprises, et que le monde parût être gouverné par
le diable et ses anges; et, comme on donne le nom de monde à l’ensemble des
choses créées dont le tableau se déroule sous nos yeux, et aussi, à la
multitude des pécheurs et de ceux qui aiment le monde, en un mot, à ceux dont
il a été dit: « Et le monde ne l’a point connu 4»; et encore: « Le monde tout
entier est sous « l’empire de l’esprit malin 5 », l’Apôtre a clairement fait
connaître de quel inonde il désignait les maîtres: «Du monde de ces ténèbres».
Maîtres du monde, dis-je, maîtres de ces ténèbres. L’expression « de ces
ténèbres » ne peut donc, non plus, nous laisser aucun doute sur le sens de ces
paroles. De quelles ténèbres le diable et ses anges sont-ils les maîtres? De
tous les infidèles, de tous les pécheurs, dont il a été dit: « La
1. Matt. VIII, 24. — 2. Ps. XXXIV, 3. — 3.
Ephés. VI, 12. — 4. Jean, I, 10. — 5. I Jean, V, 19.
lumière luit dans les ténèbres, et les
ténèbres «ne l’ont point comprise». Enfin, comme beaucoup d’entre eux ont reçu
le don de la foi, que leur dit le même apôtre? « Car, autrefois, vous étiez
ténèbres; mais, maintenant, vous êtes lumière dans le Seigneur 1». Tu ne veux
pas que le diable te gouverne? Passe à la lumière. Mais comment passeras-tu à
la lumière, si Dieu ne tire son épée, s’il ne t’arrache des mains de tes
ennemis et de tes persécuteurs? Et comment tire-t-il son épée? Nous avons déjà
vu quelle est cette épée de Dieu: c’est l’âme du juste. Que les justes
abondent, et le Seigneur tire son épée, et tout passage est fermé aux ennemis;
car, en nous parlant de cette épée et de sa sortie du fourreau, l’Apôtre nous
avertit de vivre avec justice, et il dit ensuite: « Afin que, n’ayant rien de
mauvais à dire contre nous, notre adversaire soit saisi d’une crainte
respectueuse 2». Tout passage lui est fermé parce qu’il ne peut rien trouver à
dire contre les saints.
5. Qui est-ce qui peut former les justes? Ou
plutôt, quel langage tiennent les adversaires qui nous persécutent? Que disent
les ennemis invisibles dont nous avons parlé? Les saint sont-ils condamnés au
silence? Les ennemis invisibles, qui s’acharnent à la perte de l’homme, suggèrent
à son coeur cette pensée surtout, que Dieu ne nous aide pas: par là, ils nous
portent à chercher du secours ailleurs, afin de nous trouver incapables de leur
résister et de s’emparer de nous. Voilà ce qu’ils nous suggèrent. Nous devons
nous mettre particulièrement en garde contre ces perfides conseils, dont il est
question dans un autre psaume: « Une multitude d’ennemis s’élèvent contre moi;
plusieurs disent à mon âme: Elle n’a point de salut à espérer de son Dieu 3». A
l’encontre d’un tel langage, que lisons-nous ici? « Dites à mon âme: C’est moi
qui suis ton salut». Lorsque vous aurez dit à mon âme: « Je suis ton salut»,
elle vivra dans la justice, et je n’appellerai à mon secours personne autre qui
vous.
6. Que lisons-nous ensuite? « Que ceux qui
cherchent mon âme soient couverts de confusion et de honte 4». Car ils ne la
cherchent que pour la perdre. Puissent-ils la bien chercher; car, dans un autre
psaume, il
1. Eph.V, 8.— 2. Tite, II, 8. — 3. Ps. III,
2, 3.— 4. Id. XXXIV,4.
(336)
adresse aux hommes ce reproche, qu’aucun
d’eux ne cherche son âme: « Il ne me reste«aucun moyen de fuir, et nul ne
cherche mon âme 1 ». Quel est celui qui dit: « Nul ne cherche mon âme? » Ne
serait-ce point peut-être celui de qui le Prophète a dit si longtemps d’avance:
« Ils ont percé de clous mes mains et mes pieds; ils ont compté tous mes os;
ils ont pris plaisir à me regarder et à me considérer; ils ont partagé mes
vêtements et jeté le sort sur ma robe 2? » Tout cela se passait sous leurs
yeux, et, parmi eux, personne qui cherchât son âme! Frères, invoquons-le donc,
et prions-le de dire à notre âme: « Je suis ton salut», et d’ouvrir ses
oreilles pour qu’elle l’entende dire: « Je suis ton salut».
Il le dit, en effet, mais il s’en trouve qui
restent sourds à sa voix; c’est pourquoi, lorsqu’ils sont plongés dans la
tribulation, ils entendent plutôt la voix des ennemis qui les poursuivent. S’il
leur manque quelque chose, si l’angoisse les oppresse, si les biens temporels
leur font défaut, ils ont, d’ordinaire, recours aux démons, ils veulent
consulter les suppôts des démons, et vont trouver les démons; et, ainsi, les
ennemis invisibles qui poursuivaient leur âme, s’en sont approchés, y sont
entrés, l’ont combattue, en sont devenus les maîtres, l’ont vaincue et ont dit:
«Elle n’a point de salut à espérer de son Dieu ». Elle est restée sourde à ces
paroles: « Je suis ton salut. — Dites à mon âme: Je suis ton salut, afin que
ceux qui la cherchent soient couverts de confusion et de honte ». Oui, vous lui
dites: « Je suis ton salut». J’écouterai le Seigneur qui me dit: « Je suis ton
salut»; je ne chercherai mon salut que dans le Seigneur, mon Dieu.
Le salut me vient du côté de la créature,
mais c’est lui qui en est la source; et quand je porte mes regards vers les
montagnes d’où j’attends mon secours, ce ne sont point les montagnes qui me
l’envoient, mais le Seigneur, Créateur du ciel et de la terre 3. Dans les
nécessités temporelles, Dieu se sert de l’homme pour venir à ton aide, mais
lui-même est ton Sauveur. L’ange est, entre ses mains, un instrument pour te
secourir, mais c’est toujours lui qui te sauve. Toutes choses dépendent de lui:
pour cette vie terrestre, il vient en aide, aux uns d’ici, aux autres de là:
1. Ps. CXLI, 5. — 2. Ps. XXI, 17-19. — 3. Ps.
CXX, 1, 2.
la vie éternelle est un don qui ne vient que
de lui. Lorsque tu éprouves les nécessités de I la vie, tu ne possèdes pas ce
que tu cherches, mais tu as près de toi celui que tu cherches cherche donc
celui qui ne peut jamais te manquer. Que ses dons te soient ravis: est-ce que
tu perds, en même temps, celui qui t’en a comblé? Qu’on te rende ces preuves de
sa munificence: o~i sera ta fortune? Sera-t-elle dans les biens que tu auras
récupérés? Ne sera-t-elle pas)Plutôt en celui qui te les avait ravis pour
t’éprouver, et qui te les a rendus pour te consoler? Car il nous console,
lorsqu’il nous accorde ces dons; mais il nous console, comme si nous étions des
voyageurs: -comprenons donc bien ce que c’est que voyager. Cette vie tout
entière, et tout ce qui sert à ton usage pendant sa durée, tu dois les
considérer comme le voyageur considère une hôtellerie, et non comme le
propriétaire considère sa maison; ne l’oublie pas: si tu as déjà fait du
chemin, il t’en reste encore à faire; si tu as suspendu ta marche, c’est pour
prendre de nouvelles forces, et non pour t’arrêter.
7. Il y en a qui disent: Dieu, qui est bon et
magnifique, qui règne au plus haut des cieux, qui est invisible, éternel et
incorruptible, nous donnera la vie éternelle; il nous communiquera cette
incorruptibilité qu’il nous a promise en nous promettant la résurrection; mais,
pour les choses du temps, pour les biens de cette vie terrestre, ils sont du
domaine des démons; ils appartiennent aux puissances de ces ténèbres. Par de
telles paroles, lorsqu’ils sont possédés de l’amour des choses du monde, ils en
écartent Dieu, comme si elles ne le concernaient en rien; et, par d’abominables
sacrifices, par je ne sais quels moyens ou quels perfides conseils venant des
hommes, ils cherchent à se procurer des avantages temporels, tels que de
l’argent, une lemme, des enfants et tout ce qui peut charmer le cours de la vie
humaine, ou en retarder la marche trop rapide.
La divine Providence a pris soin de démontrer
la fausseté de cette opinion: Dieu a voulu nous convaincre qu’il n’est pas
étranger aux affaires du temps, et qu’il tient toutes choses sous sa
dépendance; d’abord les biens éternels qu’il nous a promis pour l’avenir, et
aussi les biens temporels qu’il donne à qui bon lui semble et quand il le juge
opportun;
car il sait à qui il doit les accorder, à qui
il doit les refuser, de la même manière que le médecin sait distribuer ses
remèdes, parce qu’il connaît mieux les besoins d’un malade que le malade
lui-même. Pour nous donner cette conviction, le Seigneur a partagé les siècles entre
l’Ancien et le Nouveau Testament. Dans l’Ancien Testament, ses promesses ont
pour objet les biens de cette vie; dans le Nouveau, elles ont trait au royaume
des cieux. Dans l’un et dans l’autre, le culte de Dieu et les moeurs sont
réglés par des prescriptions presque semblables, mais les promesses y
paraissent différentes; la puissance prescriptive du supérieur, l’obligation
d’obéir chez l’inférieur y sont les mêmes, mais la récompense ne l’est pas. Il
a été dit, en effet, aux anciens: Vous entrerez en possession de la terre
promise; vous y régnerez; vous y triompherez de vos ennemis; vous ne leur serez
point soumis dans ce pays; vous y jouirez d’une complète abondance; vous y
engendrerez des enfants 1. Ces avantages temporels furent promis; mais ils l’étaient
en figure. Tu peux supposer que quelques-uns ont vu, pour eux,
l’accomplissement de telles promesses; et, de fait, il en a été ainsi pour
plusieurs. Une contrée a été donnée aux enfants d’Israël; ils reçurent des
richesses en partage; des femmes stériles et presque parvenues à la vieillesse
ont prié Dieu; elles ont mis en lui leur espérance; elles n’ont cherché d’autre
secours que le sien même pour devenir mères, et elles ont mis au monde des
enfants. Leur coeur n’est point resté sourd à cette parole du Seigneur: «Je
suis ton salut». Si cette parole est vraie pour les choses de l’éternité,
pourquoi ne le serait-elle pas dans les affaires du temps?
Dieu en a donné la preuve dans la cause du
saint homme Job. Le diable n’est à même de ravir les biens de ce monde
qu’autant qu’il en a reçu le pouvoir de la part du souverain Maître. Il a pu
porter envie au saint; a-t-il été capable de lui nuire? Il a pu l’accuser;
a-t-il été capable de le condamner? A-t-il pu lui ôter quoi que ce fût, même un
ongle, même un cheveu, avant d’avoir dit à Dieu « Laissez aller votre main 2?»
Qu’est-ce à dire:
«Laissez aller votre main? o Donnez-moi le
pouvoir. 111e reçut; il tenta Job; Job fut tenté; néanmoins, le tenté demeura
1. Exod. XXIII, 25-31. — 2. Job, I, 11.
victorieux, et le tentateur fut vaincu; car
Dieu, qui avait permis au diable de dépouiller de tout son serviteur, n’avait
point abandonné celui-ci intérieurement, et il s’était fait de l’âme de Job un
glaive pour vaincre l’esprit malin. Combien vaut cela? Je parle de l’homme.
Vaincu au paradis 1; victorieux sur un fumier; au paradis, le diable s’est
servi de la femme pour en triompher; sur le fumier, il a triomphé du diable et
de la femme. «Tu « as», dit-il, « parlé comme une d’entre les femmes insensées.
Si nous avons reçu des biens de la main de Dieu, pourquoi ne supporterions-nous
pas les maux qu’elle nous envoie 2? » Comme il avait bien entendu ces paroles:
« Je suis ton salut! »
8. « Que ceux qui cherchent mon âme soient
couverts de confusion et de honte ».Vois de quels hommes il s’agit: « Priez»,
dit-il, « pour vos ennemis 3». Mais il y a ici une prophétie ce qui se dit sous
forme de désir, s’explique dans le sens d’une prophétie. Que ceci et que cela
se fasse, ne veut rien dire autre chose que: ceci et cela se fera. Comprenez
donc ainsi la prophétie: «Que ceux qui recherchent mon âme soient couverts de
confusion et de honte». Quel sens donner à ces mots: « Qu’ils soient couverts
de confusion et de honte? » Ils seront couverts de confusion et de honte.
L’événement a justifié la prophétie. Plusieurs, en effet, ont été couverts
d’une salutaire confusion; plusieurs, devenus honteux et animés d’une piété
sincère, ont quitte les rangs des persécuteurs du Christ pour entrer en société
avec ses membres. N’en cherchez pas la cause ailleurs que dans leur confusion
et leur honte. Il a donc désiré leur bien.
Les vaincus sont de deux sortes; on est
vaincu en deux manières; car la défaite doit~ aboutir à un retour vers le
Christ, ou à une condamnation par le Christ. Il est fait ici une allusion à ces
deux sortes de vaincus; mais cette allusion est obscure, et elle a besoin
d’être expliquée. Il faut entendre, de ceux qui se convertissent, ces paroles:
« Que ceux qui cherchent mon âme, soient couverts de confusion et de honte;
qu’ils passent en arrière! » Qu’ils ne marchent pas les premiers, mais qu’ils
viennent à la suite; qu’ils ne donnent pas de conseils, mais qu’ils es
reçoivent. Car Pierre a voulu prendre le pas sur le Seigneur, quand le Seigneur
parlait
1. Gen.
III, 6. — 2. Job, II, 10. — 3. Matt., V, 44
par avance, de sa passion; il voulut, en
quelque sorte, lui donner un conseil salutaire, comme si un malade pouvait en
donner à son médecin. Et que dit-il au Seigneur, malgré les assurances que ce
Lui-ci lui donnait de ses souffrances à venir? « Seigneur, n’y pensez pas»;
prenez pitié de vous: « Il n’en sera pas ainsi». Il a voulu primer et laisser
le second rang au-Seigneur. Que lui dit celui-ci? «Satan, retourne en arrière
1». Tu es un démon en marchant devant moi; en me suivant, tu seras mon
disciple. A ceux dont nous parlons s’applique donc ceci: « Qu’ils passent en
arrière et qu’ils soient confondus, ceux qui ont de mauvais desseins «contre
moi». En effet, dès qu’ils auront commencé à ne plus occuper que le second
rang, ils ne penseront plus au mal et ils désireront le bien.
9. Et les autres? Car tous ne sont pas
vaincus pour convertir et pour croire. Plusieurs persistent dans leur
entêtement; beaucoup conservent, dans leur coeur, la volonté de marcher les
premiers; et, s’ils ne la manifestent pas au grand jour, ils la nourrissent
pourtant en eux-mêmes, et la mettent en oeuvre, lorsque l’occasion s’en
présente. Touchant de tels hommes, que lisons-nous ensuite? «Qu’ils deviennent
comme de la poussière en face du vent 2». Il n’en est pas ainsi des impies, il
n’en est pas ainsi: mais ils sont comme la poussière que le vent disperse de
dessus la face de la terre 3. Le vent, c’est la tentation, la poussière, c’est
le pécheur Quand vient la tentation, la poussière s’enlève; elle ne demeure
point en place, elle ne peut résister. «Qu’ils deviennent comme de la poussière
en face du vent, et que l’ange du Seigneur les tourmente, que leur chemin soit
obscur et glissant». Chemin bien capable d’épouvanter ! Où est celui que
n’effraie pas la seule vue des ténèbres? A quel homme n’inspire pas de crainte
la seule-perspective d’un chemin gus-mut? Au milieu de la nuit, dans un sentier
dangereux, comment diriger tes pas? Où placeras-tu sûrement ton pied? Ces deux
maux, telles sont les grandes punitions des hommes. Les ténèbres, c’est
l’ignorance; le chemin glissant, c’est la luxure. « Que leur chemin soit obscur
et glissant, et que l’ange du Seigneur les poursuive ». Lorsque, environné de
ténèbres et engagé dans un sentier dan-
1.
Matt. XVI, 22, 23. — 2. Ps. XXXIV, 5. — 3. Ps. I, 4.
gereux, un homme s’aperçoit qu’il va tomber
s’il remue seulement le pied, il se résigne peut-être à attendre la lumière du
jour; mais ici se trouve l’ange du Seigneur, qui les poursuit. Le prophète leur
a bien moins désiré qu’il ne leur a prédit un pareil avenir. Animé de l’Esprit
de Dieu, il décrit leur punition telle que Dieu la leur inflige par un
jugeaient infaillible, plein de bonté, juste, saint, tranquille, sans être
troublé par la co1ère ou par un zèle chagrin, ou par la volonté d’exercer une
vengeance, mais par sa justice, qui doit punir les vices; néanmoins, c’est une
prophétie.
10. D’où proviennent de si grands maux?
Quelle en est là cause? Ecoute, la voici
« Parce que sans aucun sujet ils ont voulu me
« faire périr dans le piége qu’ils m’ont tendu en secret ». Il est ici question
de notre Chef: les Juifs ont fait cela; ils ont caché leurs piéges scélérats. A
qui ont-ils caché leurs -piéges? A celui qui voyait le coeur de ces traîtres.
Il était au milieu d’eux comme un ignorant; on eût dit qu’il était leur dupe;
et, pendant qu’ils croyaient le tromper, ils étaient eux-mêmes pris dans leur
propre piège. Il vivait au milieu d’eux avec toutes les apparences d’un dupe,
parce que nous devions nous-mêmes vivre au milieu de pareils hommes, et devenir
infailliblement victimes de leur fourberie. Il connaissait, à n’en pas douter,
celui qui devait le trahir, et cet instrument, le plus nécessaire à
l’accomplissement de leur oeuvre, il le choisit entre ses douze apôtres, afin
que même un si petit nombre de personnes ne fût point sans renfermer un
méchant. Il voulait par là nous donner un exemple de patience, parce que nous
devions vivre nous-mêmes parmi les méchants, soit que nous les connussions,
soit que nous ne les connussions pas: il nous fallait les supporter: il est
donc devenu un modèle de patience pour te soutenir au moment où tu commenceras
à vivre au milieu des mécréants. L’école du Christ, composée de douze
disciples, n’a pas pris fin avec eux; c’est pourquoi nous devons être d’autant
plus fermes, lorsque nous voyons s’accomplir dans l’Eglise ce qui a été prédit
sur le mélange des hommes mauvais. Dans cette école, on ne voyait pas encore la
réalisation des promesses faites à la race d’Abraham: on n’y apercevait point
non plus l’aire du sein de laquelle (339) devait sortir la multitude des grains
destinés à remplir les celliers du père de famille. Pourquoi donc, lorsqu’on
bat le blé, n’y laisse-t-on pas la paille, comme en un lieu convenable, jusqu’à
ce qu’on vannera le grain pour la dernière fois, puisque ce que vous avez
entendu doit s’accomplir à l’égard des méchants?
11. Mais enfin, qu’arrivera-t-il? « Sans
sujet ils m’ont caché la scélératesse de leur piége ». Qu’est-ce à dire: « Sans
sujet? » Je ne leur ai fait aucun mal: je ne leur ai nui en rien: « Ils m’ont
injustement couvert d’outrages». Qu’est-ce à dire: « Injustement? » Ils ont dit
des faussetés; il n’ont apporté aucune preuve. « Qu’un piège dont ils ne se
doutent pas vienne les surprendre». Magnifique récompense ! Rien de plus juste.
Ils m’ont tendu un piége, et ils l’ont caché pour m’empêcher de l’apercevoir:
qu’un piége leur soit tendu, et qu’ils ne le voient pas. Je connais leur piége:
quel est celui qui leur sera tendu? Celui qu’ils ne voient pas. Voyons s’il ne
le nomme pas? « Qu’un piége dont ils ne se doutent pas vienne les surprendre».
Ils lui en ont tendu un; un autre leur est-il réservé? Non. Mais alors? Chacun
d’eux est enlacé dans ses propres péchés comme dans l’inextricable infinité des
petits cheveux: ils sont trompés par cela même dont ils se sont servis pour
tromper les autres: les moyens qu’ils ont employés pour nuire à autrui,
tourneront à leur propre détriment: car il est dit ensuite: « Qu’ils soient
eux-mêmes pris dans le piège qu’ils ont tendu en secret». Comme si quelqu’un
oubliait qu’il a préparé pour un autre un breuvage empoisonné, et qu’il le
boive lui-même; ou, comme si on creusait une fosse pour y faire tomber ses
ennemis pendant la nuit, et que, ne se souvenant plus de ce qu’on a fait, on y
tombe le premier en se promenant en ces parages. Il en est ainsi, mes frères;
croyez-moi donc sans hésiter, soyez-en sûrs; et, si une raison élevée et
éclairée par la prudence vous le permet, voyez, examinez la vérité de mes paroles.
Les méchants ne nuisent à personne avant de
se nuire à eux-mêmes; il en est de la méchanceté comme du feu. Tu veux mettre
le feu quelque part? Il faut que l’instrument dont tu te sers, brûle le
premier; s’il ne brûle pas, il est incapable de porter le feu ailleurs. C’est
une torche: tu l’approches de l’objet que tu prétends incendier: n’est-il pas
indispensable que cette torche, placée entre tes mains, soit enflammée la
première, pour qu’elle puisse communiquer la flamme à d’autres objets? La
méchanceté vient de toi; ne seras-tu pas le premier sur lequel elle exercera
ses ravages? Si l’on blesse un arbre là où il s’enfonce enterre, est-ce qu’on
n’endommage pas aussi ses racines? Je te le dis: il peut se faire que ta malice
ne nuise à personne autre, mais il est impossible qu’elle ne te nuise pas. Car,
en quoi le saint homme Job, dont nous avons parlé tout à l’heure, a-t-il
souffert du dommage? Il est dit dans un autre psaume: « Comme un rasoir affilé,
vous avez fait votre tromperie». Que fait-on avec un rasoir affilé? On fait
tomber des cheveux, chose inutile. A quoi donc réussis-tu vis-à-vis de celui à
qui tu prétends causer du dommage? Si le méchant, auquel tu veux nuire, se met
d’accord avec toi pour opérer le mai, c’est sa malice, et non la tienne, qui
lui devient nuisible. Si, au contraire, la malice est étrangère à son âme, et
que, dans la pureté de son cœur, il soit soumis à la voix qui lui dit: « Je
suis moi-même ton salut», l’homme intérieur reste, chez lui, à l’abri de tes
attaques extérieures; mais la malice, qui vient du fond de ton coeur, t’enlève
d’abord tes propres forces Tu as le coeur gâté; c’est de là que ce ver rongeur
est sorti, ne laissant dans ton âme rien de sain. « Qu’ils soient pris dans le
piège qu’ils ont caché, et qu’ils tombent eux-mêmes dans le filet qu’ils ont
tendu».
En entendant tout à l’heure ces paroles: «
Qu’un piége, dont ils ne se doutent pas, vienne les surprendre», tu croyais
peut-être autre chose. Dans ta pensée il s’agissait peut. être d’un malheur
inévitable, résultat d’une cause cachée. Dans quel piège sont-ils donc tombés?
dans celui de leur propre méchanceté, qu’ils ont dérobée à mes regards.
N’est-ce pas ce qui est advenu aux Juifs? Dieu triomphé de leur malice, et leur
malice les a vaincus. Il est ressuscité pour nous: ils ont trouvé la mort en
eux-mêmes.
12. Voilà le sort réservé aux méchants qui
veulent me nuire. Pour moi, que deviendrai-je? Quel sera mon partage? « Mon âme
se réjouira dans le Seigneur», comme dans celui qui lui aura dit: « Je suis
moi-même ton salut ». Ne recherchant, à vrai dire, aucune richesse eu dehors de
lui, ne désirant avoir en abondance
1. Ps. LI, 4.
ni les plaisirs ni les biens de la terre,
aimant Dieu comme son véritable Epoux, sans espoir de récompense, sans demander
à recevoir de lui ce qui pourrait la charmer, mais en se proposant comme
l’unique objet de son bonheur. Car, pourrai-je entrer en possession d’un objet
meilleur que Dieu? Je suis aimé de Dieu: il t’aime aussi; voici ses
propositions: demande ce que tu veux. Si l’empereur te disait: Demande ce que
tu veux comme tu te hâterais de demander la dignité de tribun ou de comte ! Que
de choses tu désirerais recevoir pour toi et pour les autres ! Dieu te dit:
Demande ce que tu veux; que lui demanderas-tu donc? Elargis le cercle de tes
pensées; donne toute leur ampleur à tes désirs de posséder; écarte autant que
possible les limites de ton ambition; dilate tes convoitises. Ce n’est pas le
premier venu qui te dit: Demande ce que tu veux; c’est le Dieu tout-puissant.
Si tu es amateur de domaines, tu voudras posséder toute la terre tu désireras
que tous ceux qui viennent au monde soient tes fermiers ou tes serviteurs et
quand tu aurais toute la terre, que posséderais-tu? Si tu demandes la mer, tu
ne pourras vivre dans son sein: les poissons qu’elle renferme seront au-dessus
des atteintes de ton avarice. Mais, peut-être, posséderas-tu les îles?
Elève-toi au-dessus de ce monde; et, quoique des ailes te manquent pour voler
dans les airs, demandes-en l’immensité; porte ton ambition jusque dans le ciel;
demande à devenir le maître du soleil, de la lune et des étoiles, car celui qui
les a créés, t’a dit: Demande ce que tu veux. Et, cependant, tu ne trouveras
rien de plus précieux ni de meilleur que celui qui -a fait toutes choses.
Demande à posséder le Créateur lui-même, et en lui, et par lui tu posséderas
tout ce qu’il a fait. Tout est digne d’être aimé, parce que tout est beau;
mais, qu’y a-t-il de-plus beau que lui? En tout, il y a de la puissance; mais
qu’y a-t-il de plus puissant que lui? Et il ne veut plus rien ardemment que se
donner lui-même à toi. Si tu trouves mieux, demande-le; nais si tu demandes
autre chose, tu lui fais injure, et tu te portes du dommage, parce que tu lui
préfères ses créatures, quand il veut se donner lui-même à toi, et te donner,
en sa personne, le Créateur de toutes choses.
Dans ces sentiments d’amour, une âme lui a
dit: «Seigneur, est-ce que vous êtes mon partage 1? » C’est-à-dire: Vous êtes
mon partage. Que ceux qui désirent des richesses choisissent ce qu’ils veulent;
qu’ils prennent leur part dans les biens de ce monde: pour moi, vous êtes mon
partage; je vous ai choisi. Et encore: « Vous êtes la part de mon héritage ».
Qu’il te possède, afin que tu le possèdes: tu seras son domaine; tu seras sa
maison. Il possède une âme pour lui faire du bien; en le possédant on en tire
avantage.
Est-ce que tu peux lui être de quelque
utilité? « J’ai dit au Seigneur: Vous n’avez pas besoin de mes biens 2. Mon âme
se réjouira dans le Seigneur; elle trouvera toute sa consolation dans son
Sauveur». Le salut qui vient de Dieu, c’est le Christ, « car mes yeux ont vu
votre salut 3 ».
13. « Tous mes os vous diront: Seigneur, qui
est semblable à vous? » Où est l’homme capable d’interpréter ces paroles d’une
manière digne d’elles? Selon moi, on doit se borner à les prononcer, et ne
point essayer de les expliquer. Pourquoi y chercher tel ou tel sens? Qu’y
a-t-il de pareil à ton Seigneur? Tu l’as devant toi. « Tous mes os vous diront:
Seigneur, qui est semblable à vous? Les méchants m’ont entretenu de choses
agréables; « mais, Seigneur, qu’elles sont différentes de votre loi 4! » Il
s’est trouvé des persécuteurs qui ont dit: Adore Saturne, adore Mercure. Et on
leur a répondu: Je n’adore pas les idoles: « Seigneur, qui est semblable à
vous? » Les idoles omit des oreilles et n’entendent pas, des yeux et ne voient
pas 5. « Seigneur, qui est semblable à vous? » Vous avez fait l’oeil pour voir
et l’oreille pour entendre. Mais, a-t-on ajouté, je n’adore pas les idoles,
parce qu’elles sont l’oeuvre d’un artisan. — Adore donc les arbres et les
montagnes; ils ne sont sortis des mains d’aucun ouvrier. — « Seigneur, qui est
semblable à vous? » On me montre des objets terrestres, et c’est vous qui avez
créé la terre ! — On tourne peut-être alors ses regards vers les créatures
placées au-dessus de nous, et l’on me dit: Adore la lune, adore ce soleil qui,
du haut des cieux, pareil à un immense flambeau, donne au jour son éclat. Et
moi, je réponds avec énergie: « Seigneur, qui est semblable à vous? » Vous avez
fait la lune et les étoiles, le soleil a reçu de vous les feux
1.
Ps. LXXII, 26,— 2. Ps.XV, 5,2. — 3. Luc, II, 30. — 4. Ps. 118, 85. — 5. Ps. CXIII,
5, 6.
ardents qui le font présider au jour: vous
êtes l’auteur des harmonies du ciel ! — Il y a d’autres créatures, elles sont
invisibles et meilleures; peut-être me dira-t-on aussi: Honore les anges,
adore-les: — et, ici encore, je m’écrierai: « Seigneur, qui est semblable à
vous?» Les anges eux-mêmes sont sortis de vos mains. Que seraient-ils, s’ils ne
vous voyaient pas? Rien. Il vaut bien mieux vous posséder avec eux, que tomber,
loin de vous, dans les abîmes, pour les avoir adorés.
14. « Tous mes os vous diront: Seigneur, qui
est semblable à vous? » O corps du
Christ, ô sainte Eglise, que tous tes os
disent: « Seigneur, qui est semblable à vous? » Et si
tes chairs ont disparu sous l’effort de la
persécution; que tes os, du moins, disent encore
« Seigneur, qui est semblable à vous? » Car
il a été dit des justes: « Le Seigneur aime tous leurs os; aucun d’eux ne sera
brisé 1 ».
Comment énumérer tous les justes dont les os
ont été brisés pendant la persécution?
Enfin, le juste vit de la foi 2, et l’impie
est justifié par le Christ 3; et quel est l’homme ainsi ramené à la
justification, sinon celui qui croit et qui confesse sa foi, puisque l’on croit
de coeur pour être justifié, et que l’on confesse de bouche pour être sauvé 4?
Parce qu’il a cru de coeur et confessé de bouche, le larron a été justifié sur
la croix, même après que ses crimes l’eurent conduit aux pieds du juge, et de
là au dernier supplice; car le Seigneur n’aurait pas dit à un scélérat non
encore justifié: «Tu seras aujourd’hui avec moi dans le paradis 5 » Et,
cependant, on a brisé ses os. En effet, lorsqu’on arriva pour enlever les corps
à cause de la proximité du sabbat, on s’aperçut que le Seigneur était déjà
mort, et on ne lui brisa pas les os 6.Pour les autres, comme ils vivaient
encore, on les leur brisa, afin de hâter leur mort par ce supplice, et ainsi de
pouvoir les détacher plus vite de la croix et les ensevelir. Le larron, qui
persévéra dans son impiété jusque sur la croix, fut-il le seul à qui on brisa
les os, et n’en fut-il pas de même de celui qui crut de coeur pour être
justifié et confessa de bouche pour être sauvé? Qu’est donc devenue cette
promesse: « Le Seigneur garde tous leurs os; aucun d’eux ne sera brisé? » Mais
n’est-ce pas que, dans le corps du Seigneur, les os sont tous
1.
Ps. XXXIII, 21. — 2. Rom. I, 17. — 3. Id. IV, 5. — 4. Id. X, 10. — 5. Luc. XXIII,
43. — Jean, XIX, 33.
les justes, chrétiens au coeur énergique,
pleins de courage, intrépides en face des persécutions et des tentations,
incapables de consentir au mal?
Et comment résister à toutes les tentations?
Comment demeurer ferme, quand les persécuteurs vous disent: Voilà le vrai Dieu;
voilà ce qu’il est; qu’il vienne et soit ton sauveur; il y a ici je ne sais
quel grand. prêtre, au sommet de la montagne; si tu es pauvre, c’est peut-être
parce que ce Dieu ne vient pas à ton secours; prie-le, il t’aidera; tu ne fais
point monter vers lui tes supplications: voilà, sans doute, pourquoi tu es
malade; prie-le, et la santé te sera rendue; peut-être encore est-ce pour ce
motif que tu n’as pas d’enfants:
adresse-toi donc à lui, et tu en auras? Celui
qui appartient au corps du Seigneur et ht partie de ses os, repousse tous ces
conseils et répond: « Seigneur, qui est semblable à vous? » Si vous daignez
m’accorder, mène dès cette vie, ce que je recherche, donnez-le. moi; mais si
vous ne voulez pas me l’accorder, soyez ma vie, car je ne cesse point de vous
chercher. En sortant de ce monde, oserai-je paraître devant vous, la tête
haute, si j’ai adoré un autre que vous, si je vous ai offensé?
Grande est sa miséricorde ! Il nous engage à
bien vivre et il nous cache le dernier de nos jours, celui de notre mort, pour
que nous ne puissions rien nous promettre de l’avenir.
Je fais mal aujourd’hui et je vis; demain je
cesse d’agir ainsi. Et si demain tu n’es plus?
Sois donc du nombre des os du Christ, et dis-lui:
« Seigneur, qui est semblable à vous?
Tous mes os diront: Seigneur, qui est
semblable à vous? C’est vous qui tirez le pauvre des mains de ceux qui sont
plus forts que lui, et celui qui est abandonné et dans l’indigence, de celles
de ses ennemis qui le dépouillent».
15. Ce psaume a été lu aujourd’hui jusqu’ici,
et nous l’avons expliqué de même: mais afin que ce que nous avons dit ne
devienne point pour vous un sujet d’ennui, nous n’y ajouterons rien.
Arrêtons-nous donc à ces paroles: « C’est vous qui tirez le pauvre des mains de
ceux qui sont plus forts que lui». Qui est -libérateur, si ce n’est celui dont
le bras est robuste? Cet autre David délivrera le pausa des mains de ceux qui
sont plus forts que lui. Le démon avait été le plus fort; il s’était rendu
maître de toi: il t’avait vaincu, parce
que tu avais consenti à ses suggestions; mais
qu’a fait celui dont le bras est puissant? « Personne n’entre dans la maison
d’un homme robuste pour en enlever les meubles, avant d’avoir réduit cet homme
à l’impuissance 1». Par sa puissance auguste et digne d’admiration, il à réduit
le diable à l’impuissance il a tiré son épée pour lui fermer tout passage,
poser délivrer le pauvre et l’indigent dénués de tout secours 2.Quel est, en
effet, ton protecteur, sinon le Seigneur, à qui tu dis:
1. Matt. XII, 29. — 2. Ps. LXX, 12.
« Seigneur, vous êtes mon aide et mon
Rédempteur? » Si tu veux présumer de tes forces, ta présomption sera pour toi
une cause de chute: si tu t’appuies sur les forces d’un autre, sache qu’il voudra,
non te venir en aide, mais devenir ton maître. Recherche donc, comme ton
soutien, celui-là seul qui a racheté les hommes, qui les a rendus libres, qui a
donné son sang pour en faire un peuple d’acquisition et conférer à ses
serviteurs le titre de frères.
1. Ps. XVIII, 15.
DEUXIÈME SERMON: DEUXIÈME PARTIE DU PSAUME.
1. Fixons notre attention sur le reste du
psaume, et prions le Seigneur, notre Dieu, de nous donner une intelligence
saine pour le bien comprendre, et la grâce d’en tirer profit par nos bonnes
oeuvres. Votre charité se rappelle, sans doute, où s’est arrêtée hier notre
explication: partons donc de là aujourd’hui. Nous attribuons ces paroles au
Christ, considéré comme Chef et comme corps de l’Eglise. Et, puisqu’il s’agit
du Christ, ne sépare point l’Epoux de l’épouse, et comprends ce grand mystère:
« Ils seront deux dans une même chair». Si, étant deux, ils n’ont qu’une même
chair, pourquoi ne se serviraient-ils pas des mêmes paroles? Car, si le chef a
supporté ici-bas de mauvais traitements, son corps les apporte aussi: le chef
n’a souffert que pour servir d’exemple au corps. En effet, le Seigneur a
volontairement souffert, tandis que nous souffrons nécessairement: lui a
souffert par bonté pour nous: notre nature nous y condamne. Dans cette indispensable
obligation, nous trouvons donc un sujet de consolation en ce qu’il a souffert
de sa propre volonté; aussi, quand, par hasard, nous subissons de pareilles
épreuves, portons nos regards sur notre chef, prenons exemple sur sa conduite
et disons-nous: S’il
1. Eph., V, 31.
a été ainsi traité, à quoi devons-nous nous
attendre? Conduisons-nous donc comme il l’a fait lui-même. Son ennemi a pu en
venir jusqu’à lui ôter la vie du corps; mais, si cruel qu’il se soit montré, il
n’a pu détruire entièrement ce corps, puisqu’il est ressuscité le troisième
jour. Ce qui est advenu de lui le troisième jour, se fera pour nous à la fin du
monde. Si la réalisation de nos espérances de résurrection est différée, ces
espérances nous sont-elles ravies? Reconnaissons donc ici la parole du Christ,
et ne la confondons pas avec celle des impies. Cette parole est celle du corps
du Christ, qui souffre persécutions, angoisses et tribulations, mais, parce que
ici-bas il y en a beaucoup pour souffrir à cause de leurs péchés et de leurs
crimes, nous devons apporter un soin tout particulier à distinguer de leurs
souffrances elles-mêmes la cause de leurs souffrances: car un scélérat peut
subir un supplice pareil à celui des martyrs, mais la raison de ses douleurs
est bien différente. Il y en avait trois de crucifiés: le Sauveur, celui qui
devait être sauvé, et celui qui devait être damné: pour tous, même supplice;
mais, pour chacun d’eux, cause de souffrances non pareille.
2. Que notre chef dise donc: « Des témoins
injustes s’étant élevés, m’ont interrogé sur
des choses que je ne connaissais pas 1 » Pour
nous, disons à notre chef: Seigneur, que ne saviez-vous pan? Etiez-vous à ce
point ignorant? Ne connaissiez-vous point le coeur de ceux qui vous
interrogeaient? Ne vous étiez-vous point aperçu d’avance de leurs fourberies?
N’était-ce pas en connaissance de cause que vous vous étiez livré entre leurs
mains? N’étiez-vous point venu en ce monde pour subir leurs mauvais
traitements? Qu’ignoriez-vous donc?
Il ignorait le péché; il ignorait ce péché,
non comme s’il ne le condamnait pas, mais parce qu’il ne le commettait point.
On emploie tous les jours de pareilles manières de parler; car tu dis de
quelqu’un: Il ne sait se tenir debout, pour dire: Il ne se tient pas debout; il
ne sait faire le bien, pour dire: Il ne fait pas de bien; il ne sait pas faire
le mal, pour dire: Il ne fait pas de mal. Ce qu’on ne fait pas n’intéresse
nullement la conscience, et ce dont la conscience ne s’occupe pas, on semble ne
pas le savoir. Ainsi, dans notre pensée, Dieu ignore comme l’art qui ne conduit
pas au mal, mais qui apprend à connaître le vice et à le discerner. Lors donc
que nous interrogeons notre chef, il nous répond dans toute la vérité de son
Evangile; quand nous lui disons: Seigneur, qu’ignoriez-vous? Comment a-t-on pu
vous interroger sur des choses que vous ne connaissiez pas? Il nous dit:
J’ignorais le péché, et ils m’interrogeaient sur le péché. Si tu ne crois pas
que j’ignore le péché, lis l’Evangile et tu y verras que je ne connais pas même
les pécheurs; car je leur dirai à la fin du monde: « Je ne vous connais pas;
vous, qui commettez l’iniquité, retirez-vous de moi 2». Est-ce qu’il ne
connaissait pas ceux qu’il condamnait? Peut-il prononcer un jugement conforme à
l’équité, s’il ne le porte pas en parfaite- connaissance de cause? Il agissait
en connaissance de cause, et pourtant il n’a pas menti quand il a dit: « Je ne
vous connais pas»; c’est-à-dire vous n’êtes pas unis à mon corps; vous ne vous
attachez pas à mes préceptes: vous êtes la personnification des vices; et moi,
je suis l’art, qui n’a rien de commun avec les défauts, et qui n’apprend rien
autre chose qu’à les éviter. « Des témoins injustes s’étant levés, m’ont
interrogé sur des choses que je ne connaissais pas». Qu’est-ce que le Christ pouvait
1. Ps. XXXIV, 11, 12. — 2. Matt. VII, 23.
ainsi ignorer, sinon le blasphème? Voilà
pourquoi il fut accusé d’avoir blasphémé, lorsque interrogé par ses
persécuteurs, il répondit selon la vérité. Mais quels furent ses accusateurs?
Ceux-là mêmes dont il est dit plus loin: « Ils me rendaient le mal pour le
bien; ils « rendaient à mon âme la stérilité ». Je leur apportai l’abondance,
et ils me rendaient la stérilité: je leur apportai la vie, et ils me rendaient
la mort: je leur apportai l’honneur, et ils me rendaient l’humiliation. Je leur
apportai le remède, et ils me rendaient des blessures; et, dans tout ce qu’ils
me rendaient, il n’y avait que de la stérilité.
Cette stérilité, il l’a maudite dans le
figuier, lorsque, y cherchant des fruits, il n’en trouva aucun 1. Il y avait
des feuilles, mais pas de fruits; des paroles, mais pas d’oeuvres: abondance de
paroles, stérilité en fait d’oeuvres. « Tu prêches qu’il rie faut rien dérober,
et tu dérobes; tu dis que l’adultère est un crime, et tu commets l’adultère ».
Tels étaient ceux qui interrogeaient le Christ sur des choses qu’il ne
connaissait pas.
3. « Pour moi, lorsqu’ils m’interrogeaient,
je me revêtais d’un cilice; j’humiliais mon âme par le jeûne, et je répandais
ma prière dans mon sein». Nous savons, mes frères, que nous appartenons au
corps de Jésus-Christ, puisque nous en sommes les membres: nous ne devons pas
non plus l’ignorer: dans nos tribulations, il ne nous faut point penser à la
manière dont nous répondrons à nos ennemis, mais chercher à leur être propices
auprès de Dieu par nos prières, surtout à ne pas nous laisser vaincre par la
tentation, et enfin, à obtenir du Tout-Puissant, pour nos persécuteurs, la
guérison de leur âme et leur retour à la justice. Rien, de plus grand, rien de
meilleur au sein des tribulations, que de s’éloigner du bruit extérieur, et
d’entrer dans le plus profond intérieur de son âme pour invoquer Dieu, en ce
sanctuaire où personne ne peut ni entendre nos gémissements, ni voir celui qui
vient à notre aide; mettons-nous-y à l’abri de toutes les ennuyeuses
contrariétés qui nous viennent du dehors: fermons les portes de ce lieu secret;
humilions. -nous en faisant l’aveu de nos fautes; louons et bénissons le Dieu
qui nous corrige et nous -console: voilà bien la conduite que nous devons
tenir.
1. Matt., XXI, 19.
Ce que nous disons s’applique au corps du
Christ, c’est-à-dire, à chacun de nous: mais soyons-nous en Notre Seigneur
Jésus-Christ lui-même quelque chose de pareil? Tant de soin que nous mettions à
examiner et à scruter l’Evangile, jamais nous n’y verrons que, dans ses peines
et ses ennuis, le Seigneur se soit revêtu d’un cilice. Nous y lisons, à la
vérité, qu’il a jeûné après son baptême; mais, pur un cilice, il n’en est nulle
part question nous ne le voyons en aucun endroit. Quand il a jeûné, le diable
le tentait, mais les Juifs se le persécutaient pas encore, et je ne puis lire
qu’il ait jeûné au moment où ils l’interrogeaient sur des choses qu’il ne
connaissait pas, ni au moment où, lui rendant le mal pour le bien, ils
examinaient malicieusement sa conduite, le poursuivaient, s’emparaient de sa
personne, le flagellaient, le couvraient de blessures et lui donnaient la mort.
Néanmoins, mes frères, cédons à une pieuse curiosité, levons un peu le voile,
ouvrons les yeux de notre coeur, pénétrons le sens caché le l’Ecriture, et nous
verrons qu’en réalité, pendant le cours de ses souffrances, le Seigneur a jeûné
et s’est couvert d’un cilice.
Qu’entend-il par un cilice, sinon peut-être
la condition mortelle de la chair? Pourquoi en cilice? A cause de la
ressemblance de sa et chair avec la chair du péché. « Car», dit l’Apôtre, «
Dieu a envoyé son propre Fils, revêtu d’une chair semblable à la chair du
péché; il a condamné le péché dans sa chair 1 »; c’est-à-dire, il a revêtu son Fils
d’un cilice pour condamner les boucs par ce cilice. Sans aucun doute, il n’y
avait pas de péché dans le Verbe de Dieu; il n’y en avait, non plus, dans l’âme
sainte, ni dans l’esprit de l’homme que le Verbe et la sagesse de Dieu
s’étaient attaché en unité de personne: il n’y en avait pas même dans son
corps; mais la ressemblance de la chair du péché se trouvait dans le Seigneur,
parce que la mort n’existe du péché, et son corps était certainement sujet à
mourir. Si, en effet, il n’avait pas été mortel, il ne serait pas mort; s’il
n’était pas mort, il n’aurait pas ressuscité; et
S’il n’était pas ressuscité, il ne nous
aurait point donné la preuve et l’exemple de notre immortalité. La mort, qui
nous est venue du à, porte le nom de péché, de la même manière qu’on désigne,
sous le nom de
1. Rom. VIII, 3
langue grecque ou de langue latine, non pas
notre langue corporelle, mais ce que nous disons au moyen de ce membre: notre
langue est un de nos membres, aussi bien que nos yeux, nos oreilles, notre nez,
etc.; mais, par langue grecque, on entend les paroles prononcées en grec, non
parce que les paroles seraient la même chose que la langue, mais parce qu’elles
sont prononcées par elle. Tu dis de quelqu’un, pour désigner une partie
quelconque de son corps-: J’ai reconnu sa figure. En parlant d’un absent, tu
dis encore J’ai reconnu sa main, quoique tu veuilles parler, non de sa main
corporelle, mais de l’écriture tracée par elle. Ainsi en est-il du péché du
Seigneur: il a eu pour cause le péché, puisqu’il a pris un corps fait de cette
substance, qui est devenue sujette à la mort, à cause du péché. Et pour
exprimer plus brièvement ma pensée, je dirai: Marie est morte à cause du péché
d’Adam, parce qu’elle en était la fille; Adam est mort à cause de sa propre
prévarication; et le corps du Seigneur, mis au monde par Marie, est mort pour
détruire le péché. Le Seigneur s’est revêtu de ce cilice, et ce cilice, sous
lequel il se cachait, l’a empêché d’être reconnu. « Lorsque», dit-il, « ils me
tourmentaient je me revêtais d’un cilice »; c’est-à-dire: ils sévissaient
contre moi, et je me cachais. S’il n’avait pas voulu se cacher, il n’aurait pu
mourir. Quand, en effet, ils s’approchèrent de lui pour le saisir, il lui
suffit d’un instant, il n’eut qu’à laisser jaillir un éclair de sa puissance,
si toutefois on peut dire que c’en était même un éclair; c’en fut assez de sa
part, de leur adresser cette seule question: « Qui cherchez-vous? » pour les
faire reculer et tomber en arrière. Une telle puissance n’aurait certes pas
subi les ignominies de la passion, si elle ne s’était cachée sous le cilice:
donc, « je me revêtais du cilice et j’humiliais mon âme par le jeûne ».
4. Si nous avons bien compris ce qu’il faut
entendre par le cilice, comment devons-nous maintenant comprendre ce qu’il faut
entendre par le jeûne? Le Christ voulait manger, quand il cherchait des fruits
sur le figuier stérile, et s’il en avait trouvé, il s’en serait nourri. Il
voulut boire, quand il dit à la femme de Samarie: « Donne-moi à boire 1» et sur
la croix: « J’ai soif 2». Quelle faim et quelle soif éprouva-t-il donc? Il eut
faim et soif de nos bonnes
1. Jean, IV, 7. — Id. XIX, 28.
oeuvres. Et, parce qu’il ne trouvait le
mérite d’aucune bonne oeuvre en ceux qui le persécutaient et le crucifiaient, il
jeûnait; ils jetaient dans son âme la disette. Quel jeûne, en effet, de trouver
à peine un larron dont il pût se nourrir, étant sur la croix ! Les apôtres
avaient pris la fuite et s’étaient cachés dans la foule; Pierre lui-même, ce
Pierre qui avait promis de persévérer jusqu’à la mort du Seigneur, l’avait déjà
renié trois fois; il pleurait déjà, mais il se cachait encore dans la multitude
et craignait d’être reconnu. Tous, enfin, le voyant mort, désespérèrent de
l’avenir aussi les trouva-t-il, après sa résurrection, plongés dans le
découragement; quand il leur parla, la tristesse, la désolation et le désespoir
étaient dans leurs coeurs et se reflétaient dans les paroles de ceux qui
s’entretenaient avec lui. Il leur dit: « De quoi vous entretenez-vous ensemble?
» Car ils parlaient de lui; et ils lui répondirent: « Etes-vous seul « si
étranger dans Jérusalem, que vous ne sachiez pas ce qui s’y est passé ces
jours-ci, touchant Jésus de Nazareth, qui a été un prophète puissant en oeuvres
et en paroles, devant Dieu, devant tout le peuple; et de quelle manière les
princes des prêtres et nos sénateurs l’ont livré pour être condamné à mort, et
l’ont crucifié? Or, nous espérions que ce serait lui qui rachèterait Israël 1
». Le Seigneur aurait persévéré datas ce grand jeûne, s’il n’avait pas ranimé
ceux qui devaient apaiser sa faim. Il leur rendit le courage, les consola, les
raffermit et en fit les membres de son corps. Tel fut donc le jeûne que
s’imposa le Seigneur.
5. « Et je répandais», dit-il, « ma prière
dans « mon sein ». Il y a certainement, dans ce verset, un sens profond; daigne
le Seigneur nous aider à le pénétrer! Par sein, nous devons entendre une chose
secrète. Mes frères, nous trouvons déjà, dans ces paroles, un avertissement
pour nous, le bon conseil de prier dans le secret de notre coeur. Dieu nous y
voit; il nous y entend; l’oeil de l’homme est incapable d’y pénétrer; celui-là,
qui vient à notre aide, peut seul y porter ses regards. Ce fut là que pria
Susanne et qu’elle fut entendue de Dieu, lorsque les hommes ne voulurent plus
écouter sa voix 2. En ce qui nous concerne, voilà le conseil que nous devons
tirer de ces paroles; mais nous devons les entendre plus
Luc, XXIV, 18-21. — Dan. XIII, 35, 44.
particulièrement de Notre Seigneur, parce
que, lui aussi, il a prié.
En examinant la lettre de l’Evangile, nous
n’avons vu, nulle part, qu’il y fût question de son cilice; il n’y est point
davantage parlé, dans le sens littéral, du jeûne qu’il a observé pendant sa-
passion; c’est pourquoi nous avons, selon la mesure de nos forces, expliqué ces
deux mots par similitude et dans le sens allégorique. Pour sa prière, nous
l’avons entendue tomber du haut de la croix: « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi
m’avez-vous abandonné 1? » Là aussi nous priions. En effet, quand son Père,
dont il ne s’est jamais séparé, l’a-t-il abandonné? Nous lisons encore qu’il a
prié seul sur la montagne, qu’il n passé les nuits en prières, qu’il a prié
dans le cours de sa passion. Je répandrai donc na prière dans mon sein. Je ne
sais ce qu’on pourrait imaginer de mieux à l’égard du Seigneur. Quoi qu’il en
soit, je vais dire ce qui me vient en ce moment à l’esprit; une idée meilleure
s’y présentera peut-être plus tard; ou bien elle se présentera à une personne
plus intelligente que moi. Je comprends donc ces paroles: « Je répandrai ma
prière dans mon sein», dans ce sens que son Père habite en lui, car Dieu s’est
réconcilié le monde dans le Christ 2. Il possédait en lui-même celui qu’il
voulait prier. Il n’en était pas éloigné, puisqu’il avait dit: « Je suis dans
mon Père, et mon Père est en moi 3. Mais, en lui, la prière est plus
particulièrement l’oeuvre de l’homme; car, en tant qu’il est le Verbe, le
Christ ne prie pas, il exauce; il ne demande pas qu’on lui vienne en aide;
mais, d’accord avec son Père, il secourt les autres. Quel est donc le sens de
ces paroles: Je répandais mea prière dans mon sein? Celui-ci, sans aucun doute:
Mon humanité invoque en moi-mère la divinité.
6. « J’avais de la complaisance comme pour «
un parent et un frère; j’étais abattu, comme touché d’une vraie douleur qui me
portait à gémir». Il fait allusion à son corps: c’est nous qu’il faut voir ici
désignés, quand nous trouvons notre bonheur dans la prière, et que notre âme se
rassérène, non par l’influence des prospérités de ce monde, mais sous
l’impression des rayons de la vérité. Il est facile de comprendre ce que je
dis, et celui qu’éclaire cette lumière voit et reconnaît par
1.
Ps. XXI, 2; Matt. XXVII, 46. — 2. II Cor. V, 19. — 3. Jean, XIV, 10
lui-même la vérité de ces paroles: « J’avais
de la complaisance comme pour un parent et un frère»; car alors l’âme se
rapproche de Dieu, et lui devient agréable comme à un frère, à un parent, ou à
un ami; « car», est-il dit, «nous avons en lui l’être et le mouvement 1». Si
notre âme n’en est point là, si elle ne peut se réjouir ni briller des feux de
la vérité, ni s’approcher de Dieu, ni s’attacher à lui: si elle s’en voit
éloignée, qu’elle fasse du moins ce qui suit: « J’étais abattu, comme touché
d’une vraie douleur qui me portait à gémir». En s’approchant de Dieu, il dit: «
J’avais de la complaisance comme pour un parent et un frère». Retiré et placé
loin de lui, il a dit: « J’étais abattu, comme touché d’une vraie douleur qui
me portait à gémir». Pourquoi gémit-il, sinon parce qu’il ne possède point ce
qu’il désire? Parfois il arrive au même homme, tantôt de s’approcher de Dieu et
tantôt de s’en éloigner, de s’en approcher sous l’influence lumineuse de la
vérité, de s’en éloigner parce que la chair enveloppe son esprit d’un voile épais.
Dieu, mes frères, est partout: son être infini ne peut être circonscrit en un
lieu quelconque nous ne nous éloignons donc ni ne nous rapprochons de lui d’une
manière physique. S’en approcher, c’est lui devenir semblable; en lui devenant
dissemblable, on s’en éloigne. Lorsque tu vois deux objets presque pareils, tu
dis qu’ils approchent l’un de l’autre: s’ils t’apparaissent différents, quoique
placés dans le même endroit et souvent dans la même nain, tu dis: Cet objet est
loin de l’autre. Tu les tiens tous les deux, tu les réunis ensemble, et tu dis
Ils sont loin l’un de l’autre, non pas physiquement, mais parce qu’ils ne se
ressemblent pas. Si tu lui es pareil, réjouis-toi; gémis si tu lui es
différent: que tes gémissements éveillent en toi les désirs: les désirs
contribueront eux-mêmes à exciter les gémissements de ton coeur par veux tu te
rapprocheras de celui dont tu avais commencé à t’éloigner. Pierre ne
s’approchait-il pas, quand il dit: « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant?
» Et le même Apôtre ne s’éloigna-t-il pas quand il dit: « Seigneur, m n’y
pensez pas, il n’en sera pas ainsi? » Enfin, au moment où il s’approchait et se
trouvait près de Dieu, que lui dit le Seigneur? « Tu es heureux, fils de
Barjona! » Comme
1. Act. XVII, 28
au moment où Pierre s’éloignait et n’avait
plus de traits de ressemblance avec son Maître, celui-ci lui dit encore: «
Retire-toi, Satan ». En s’approchant, il entendit ces paroles: « Ce n’est ni la
chair, ni le sang qui te l’ont révélé, mais mon Père qui est dans les cieux».
En s’éloignant et en contredisant le Sauveur au sujet des souffrances qu’il
devait endurer pour notre salut, il entendit ces autres paroles: « Tu n’as
point de goût pour les choses de Dieu, mais tu en as pour celles des hommes 1
». Parlant de ces deux états de l’âme, quelqu’un a dit avec raison dans un
psaume: « Pour moi, j’ai dit dans mon extase: J’ai été rejeté de devant vos
yeux 2». Il ne dirait point: « Dans mon extase», s’il ne s’approchait, car
l’extase est le transport de l’âme. Il a répandu son âme sur lui-même, et s’est
approché de Dieu; puis, ramené de nouveau sur la terre par le poids et les
ténébreuses illusions de la chair; se rappelant les transports de son âme et
voyant son abaissement présent, il a ajouté « J’ai été rejeté de devant vos
yeux». Que le Seigneur nous accorde de voir s’accomplir en nous ces paroles: «
J’avais de la complaisance comme pour un parent et un frère! » Et, s’il n’en
est pas ainsi, qu’au moins nous puissions dire: « J’étais abattu, comme touché
d’une vraie douleur qui me portait à gémir».
7. « Quant à eux, ils se sont réjouis sur mon
sujet; ils se sont réunis ensemble contre moi 3». Chez eux la joie; dans mon
âme, la tristesse. Et pourtant, nous avons entendu tout à l’heure dans
l’Evangile: « Bienheureux ceux qui pleurent 4 », malheur à ceux qui rient. «
Ils se sont réjouis sur mon sujet; ils se sont réunis ensemble contre moi; ils
m’ont accablé de maux sans savoir pourquoi ». Ils m’interrogeaient sur des
choses que j’ignorais, et eux-mêmes ne connaissaient pas celui qu’ils
interrogeaient.
8. « Ils m’ont tenté et insulté avec moquerie
5»,c’est-à-dire, ils m’ont tourné en dérision et accablé d’injures. Ceci
s’applique tout ensemble au chef et au corps. Remarquez, mes frères, la gloire
présente de l’Eglise; rappelez-vous ses humiliations passées: souvenez-vous
qu’autrefois les chrétiens furent partout mis en fuite, et que, partout où on
les trouvait, ils se voyaient tournés en dérision,
1.
Matt. XVI, 16, 17, 22, 23. — 2. Ps. XXX, 23. — 3. Ps. XXXIV, 15. — 4. Matt. V, 5. — 5. Ps.
XXXIV, 16.
maltraités, mis â mort, exposés aux bêtes,
brûlés vifs; tous, en ricanant, se déclaraient contre eux. Ce que le chef avait
souffert, le corps devait l’endurer; et dans toutes les persécutions qui ont eu
lieu jusqu’à ce jour, le corps a subi les mêmes traitements que le Seigneur en
croix. Partout où l’on rencontre un chrétien, on l’insulte, on le harcèle, on
s’en moque, on lui donne le nom d’homme stupide, insensé, dépourvu de coeur et
d’esprit. Qu’ils fassent ce qu’ils veulent, le Christ est dans le ciel ! Qu’ils
fassent ce qu’ils veulent, il a ennobli son supplice, il a imprimé sa croix sur
tous les fronts; il permet aux impies d’insulter, mais il leur interdit de
nuire; néanmoins, par les paroles qui tombent de leurs lèvres, on connaît les
secrètes pensées de leurs coeurs. « Ils ont grincé des dents contre moi».
9. « Seigneur, quand ouvrirez-vous les yeux?
Délivrez mon âme de leurs fourberies, et mon unique des lions 1 ». Notre
patience se lasse de souffrir, et ces paroles: « Quand ouvrirez-vous les yeux»,
ont été dites de chacun de nous. C’est-à-dire, quand vous verrons-nous tirer
vengeance de ceux qui nous insultent? Quand le juge, vaincu par les
importunités de cette veuve, lui fera-t-il justice? Si notre juge diffère de
nous délivrer, c’est, non par indifférence, mais par amour, non par
impuissance, mais par raison, non par incapacité de nous venir en aide, mais
parce qu’il veut attendre jusqu’à la fin pour nous sauver tous en même temps.
Et toutefois nos désirs nous portent à lui dire: « Quand ouvrirez-vous les
yeux, Seigneur? Délivrez mon âme de leurs fourberies, et mon unique des lions»;
c’est-à-dire, délivrez mon Eglise des puissances qui la persécutent.
10. En effet, veux-tu savoir quelle est cette
unique? Lis ce qui suit: « Je publierai vos louanges dans une grande assemblée:
je vous louerai au milieu d’un peuple chargé de mérites. Oui, dans une grande
assemblée je publierai vos louanges; oui, au milieu d’un peuple chargé de
mérites, je vous louerai ! » Les louanges du Seigneur se chantent devant toute
l’assemblée, mais tous ceux qui la composent ne louent pas Dieu. Toute
l’assemblée entend les louanges que nous lui adressons; mais Dieu ne trouve pas
sa louange en tous ceux qui en font partie
1. Ps. XXXIV, 17
car, dans toute assemblée, c’est-à-dire, dans
l’Eglise qui est répandue sur toute la terre, il y a de la paille et du grain;
la paille s’envole, le grain reste. « C’est pourquoi je vous louerai au milieu
d’un peuple de poids ». Dieu trouve sa louange dans ce peuple que n’enlève pas
le vent de la tentation. Pour la paille, elle est toujours un sujet de
blasphèmes. Quand on fait attention à notre paille, que dit-on? Voilà comment
vivent les chrétiens ! Voilà ce qu’ils font ! Et en eux s’accomplissent ces
paroles de l’Ecriture: « Parce que vous faites blasphémer mon nom parmi les
nations.» Homme pécheur et jaloux, qui n’est que paille, tu examines l’aire, et
tu y aperçois difficilement le grain; cherche et tu trouveras un peuple chargé
de mérites, dont la vue te portera à louer Dieu. Ressemble à ce peuple, si tu
ne lui es point pareil, tu y verras difficilement autre chose que ce que tu es
toi-même « Ils ne se comparent qu’avec eux-mêmes 1 », dit l’Apôtre, et ils ne
comprennent point ces paroles: « Je vous louerai au milieu d’un peuple de
poids».
11. « Que je ne sois pas un sujet d’insultes
pour ceux qui m’attaquent injustement 2 »,
car ils m’insultent à cause de ma paille,
«ceux qui me haïssent sans aucun motif», c’est-à-dire, ceux à qui je n’ai pas
fait de mal, «et qui m’approuvent du regard », c’est-à-dire, ceux dont le
visage affecte des sentiments étrangers à leur coeur. Et qui sont ces hommes à
l’oeil approbateur? » Car, « ils me parlaient avec amitié, et pour irriter
davantage mes ennemis, ils ne pensaient qu’à des tromperies. Ils ont ouvert
leur bouche contre moi».En apparence, ils approuvaient du regard, mais ils
n’étaient que des lions occupés à trouver une proie pour l’enlever et la
dévorer; au dehors, ils flattaient et parlaient dans un esprit de paix; mais
pour irriter davantage unes ennemis, ils ne pensaient qu’à des tromperies. Que
disaient-ils dans un
esprit de paix? « Maître, nous savons que
vous enseignez la voie de Dieu dans la vérité, sans avoir égard à qui que ce
soit. Est-on libre de payer le tribut à César ou de ne pas le lui payer? » Ils
me parlaient comme auraient fait des amis. Quoi donc! Ne les connaissiez-vous
pas, et, par leurs regards flatteurs, pouvaient-ils vous tromper? Il ne les
connaissait que trop; voilà
1. II Cor. X, 12. — 2. Ps. XXXIV, 19-21.
pourquoi il leur répondit: « Hypocrites,
pourquoi me tentez-vous 1? » Puis, ils ont ouvert leur bouche contre moi, et se
sont écriés: « Crucifiez-le! Crucifiez-le! Ils ont dit: Courage, courage ! nos
yeux ont vu ». Commencement de leurs insultes: « Courage, courage. — Christ,
prophétise-nous!» Lorsqu’ils consultent au sujet de la pièce de monnaie, leurs
paroles n’étaient que mensonges; ainsi, leurs louanges n’étaient qu’insultes. «
Ils ont dit: « Courage, courage, nos yeux ont vu » - Quoi? Des oeuvres, vos prodiges.
Il est le Christ. « S’il est le Christ, qu’il descende de la croix, et nous
croirons en lui. Il a sauvé les autres et il ne peut se sauver lui-même 2. Nos
yeux ont vu». Il se vantait, il disait qu’il était le Fils de Dieu. Voilà tout
ce qu’il en est! Pour le Seigneur, il demeurait patiemment attaché à la croix;
il n’avait rien perdu de sa puissance, mais il manifestait sa patience.
Descendre de la croix, était-ce chose bien difficile pour celui qui devait,
bientôt après, sortir vivant du tombeau? Non. Mais il aurait paru céder devant
ceux qui l’insultaient, tandis qu’il lui était nécessaire de se montrer après
sa résurrection à ses disciples, et non peint à ses ennemis, pour leur
enseigner ce grand mystère; car sa résurrection était le symbole d’une nouvelle
vie, et cette vie nouvelle, on la manifeste aux yeux de ses amis, et non aux
regards de ses ennemis.
12. « Vous avez vu, Seigneur, ne gardez pas
de silence 2». Ces paroles: « Ne gardez pas le silence», veulent dire: «
Jugez». Au sujet du jugement, il est dit quelque part: « Je me
suis tu: est-ce que je me tairai toujours 3?
»quant au délai du jugement, il est dit au pécheur: «Tu as fait ces choses, et
je me suis tu, tu as cru le mensonge: tu as cru que je serais semblable à toi
5». Est-ce qu’il garde le silence, celui qui parle par les prophètes, celui qui
parle lui-même dans l’Evangile, celui qui parle par les évangélistes, celui qui
parle par nous-mêmes, toutes les fois que nous disons la vérité? Qu’est-ce donc
à dire: Il se tait? Il ne prononce pas son jugement, mais il ne cesse pas pour
cela de nous imposer des préceptes et de nous instruire. Le prophète invoque en
quelque façon et annonce d’avance ce jugement de Dieu: « Seigneur, vous m’avez
vu, ne gardez pas le silence ». C’est-à-dire:
1. Matt. XXII, 16-18. — 2. Matt. XXVI, 68. —
3. Ps. XXXIV, 22. — 4. XLII, 14. — 5. Ps. XLIX, 21.
Vous ne garderez pas le silence, il faut que
vous rendiez votre jugement. En attendant l’heure de ce jugement, ne vous
éloignez pas de moi; vous m’en avez fait la promesse: « Voici que je suis avec
vous jusqu’à la consommation des siècles 1»
13. « Levez-vous, Seigneur, et appliquez-vous
à me juger 2». Pourquoi te juger? parce que tu es dans la tribulation? Parce
que les inquiétudes et les souffrances ne te laissent pas de repos? Est-ce
qu’une multitude de méchants n’éprouvent pas des tourments pareils? Pourquoi te
juger? Es-tu juste par cela même que tu souffres ainsi? Non. Mais, qu’est-ce à
dire: « A me juger? » Que lis-tu ensuite?: « Appliquez-vous à me juger,
Seigneur, mon Dieu; appliquez-vous à ma cause». Non pas à mes peines, mais à ma
cause; non parce que je souffre comme le larron, mais parce qu’en moi
s’accomplit cette parole: « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la
justice 3». Voilà cette cause parfaitement définie. Les bons et les méchants
ont à supporter des peines pareilles: ce qui constitue le martyre, ce n’est
donc pas la souffrance; c’en est le motif. Si les supplices faisaient les
martyrs, toutes les mines en regorgeraient, toutes les chaînes serviraient à en
conduire, la couronne serait accordée à tous ceux qui tombent sous le glaive.
Il faut donc connaître le motif des souffrances. Aussi, que personne ne dise:
Je souffre, donc je suis un juste. Celui qui a souffert le premier a souffert
pour la justice; c’est pourquoi il a ajouté cette condition essentielle: «
Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice».
Il en est plusieurs qui deviennent
persécuteurs pour la bonne cause, comme il en est qui souffrent persécution pour
en soutenir une mauvaise. Si l’on ne pouvait devenir persécuteur à bon droit,
le psalmiste n’aurait pas dit: « Je persécutais celui qui médisait secrètement
de son prochain 4». De plus, mes frères, un père juste et bon ne persécute-t-il
pas un fils libertin? Il persécute, non pas l’homme, mais ses vices; non pas
son enfant, mais ce qui est venu s’y adjoindre. Le médecin, appelé pour
soulager un malade, n’emploie-t-il pas souvent les instruments tranchants?
c’est contre la blessure et non point
1. Matt. XXVIII, 20. — 2. Ps. XXXIV, 23. — 3.
Matt. V, 10. — 4. Ps, C, 5.
contre l’homme; il coupe, mais pour guérir:
et, pourtant, quand il tranche dans le corps du patient, celui-ci souffre, il
crie, il résiste; et si, par hasard, la fièvre lui a fait perdre la raison, il
va jusqu’à frapper le médecin: mais celui-ci continue à le soigner, il fait ce
qu’il doit faire sans se tourmenter, en aucune façon, des malédictions et des
injures qu’il en reçoit. N’éveille-t-on pas tous ceux qui tombent en léthargie,
dans la crainte de voir leur profond sommeil aboutir à la mort? Et par qui
sont-ils éveillés, sinon par les enfants qu’ils ont été si heureux de mettre au
inonde? Nul ne mériterait le titre de fils dévoué, s’il ne faisait violence à
son père en circonstance pareille. On éveille les gens tombés en léthargie, on
garrotte les frénétiques, uniquement parce qu’on les aime. Que personne ne dise
donc: Je souffre persécution. Il ne suffit pas de faire parade de ses maux, il
faut en faire connaître le motif; et si l’on ne peut démontrer que la cause en
est juste, on doit être mis au nombre des méchants. Aussi, avec quel à-propos
et quelles paroles pleines de justesse il s’est recommandé à Dieu! « Seigneur,
appliquez-vous à mon jugement», non à mes peines: « Seigneur, mon Dieu,
appliquez-vous à ma cause».
14. « Jugez-moi, Seigneur, selon ma justice
1»; voilà bien ma cause: non selon ma peine, mais « selon ma justice, Seigneur
mon « Dieu ». Que ce soit le motif de votre jugement.
15. « Que mes ennemis ne se réjouissent pas
en triomphant de moi. Qu’ils ne disent point dans leurs coeurs: Courage,
courage, réjouissons-nous»; c’est-à-dire: nous avons
fait ce que nous avons pu: nous l’avons tué
nous nous sommes débarrassés de lui. « Qu’ils ne disent pas». Montrez-leur
qu’ils n’ont rien fait. « Qu’ils ne disent pas: Nous l’avons dévoré». De là ces
paroles des martyrs: « Si le Seigneur n’avait été avec nous, ils auraient pu
nous absorber tout vivants 2 ». Qu’est-ce: Ils nous auraient absorbés? ils nous
auraient fait entrer dans leur corps. Car ce que tu absorbes, tu le fais entrer
dans ton corps. Le monde veut t’absorber: absorbe-le loi-même: fais-le entrer
dans ton corps: tue-
1. Ps. XXXIV, 24-26. — 2. Id. CXXXIII, 1, 3.
le; mange-le, suivant ce qui a été dit à
Pierre: « Tue et mange». Tue en eux ce qu’ils sont, et fais-les ce que tu es:
mais s’ils parviennent à te rendre impie, ils absorberont: ce n’est pas en te
persécutant qu’ils t’absorberont; c’est en te rendant semblable à eux. « Qu’ils
ne disent pas: Nous l’avons dévoré ! » Dévore toi-même le corps des païens.
Pourquoi le corps des païens? Il veut te dévorer. Fais-lui ce qu’il veut te
faire. Pourquoi Moïse fit-il réduire en poussière le veau d’airain, en
jeta-t-il les cendres dans l’eau et donna-t-il cette eau en breuvage aux Israélites?
C’était peut-être pour leur faire absorber le corps des impies. « Que ceux qui
témoignent être contents de mes maux rougissent et soient confondus: qu’ils
soient couverts de confusion et de honte! » Puissions-nous les absorber pleins
de honte et de confusion ! Qu’ils soient confondus, qu’ils de viennent honteux,
« ceux qui parlent orgueilleusement contre moi ».
16. Et maintenant, que dites-vous des membres
dont vous êtes le chef? « Qu’ils se réjouissent et soient transportés de
bonheur, ceux qui veulent ma justice 2», ceux qui se sont
unis à mon corps, «et qu’ils disent sans cesse: « Que le Seigneur soit
glorifié, ceux qui désirent la paix de son serviteur; et ma langue publiera
votre justice et vos louanges tout le jour ». Quel est celui dont la langue est
capable de publier les louanges de Dieu pendant tout le jour?
Mon discours a été un peu trop long; vous
êtes fatigués. Quel est celui, qui peut louer Dieu tout le jour? Si tu y
consens, je vais t’indiquer un moyen de le faire. Fais bien tout ce que tu
fais, et tu loues Dieu. Quand tu chantes un hymne, tu chantes les louanges de
Dieu. Mais que peut faire ta langue, si ton coeur reste muet? Ton hymne fini,
tu t’arrêtes, puis tu te retires pour prendre ton repas. Ne t’enivre pas et tu
loues Dieu. Tu traites une affaire: ne te rends coupable d’aucune fraude, et tu
loues Dieu. Si tu cultive un champ, ne suscite de querelle à personne, et tu
loues Dieu. Prépare-toi, par l’innocence de tes actions, à louer Dieu tout le
jour.
1. Act. X, 13. — 2. Ps. XXXIV, 27, 28.
L’impie ne veut point connaître son iniquité
afin de ne point la haïr, il cherche à se dérober à Dieu, il ne prie point dans
les secret ou pour demander les biens du ciel. Il ne peut espérer qu’un
jugement sévère, parce qu’il se laisse entraîner dans l’abîme jusqu’à mépriser
Dieu. Nos ressources pour éviter ce malheur sont dans la miséricorde divine, à
laquelle nous devons demander non les biens terrestres, comme Israël, mais les
biens du ciel. Sainte ivresse du ciel. Eviter l’orgueil afin d’y arriver.
1. J’appelle toute l’attention de votre
charité sur les paroles et sur les mystères de ce psaume, afin que nous
puissions l’exposer rapidement, car il est clair en bien des endroits; et quand
l’obscurité nous obligera de sous étendre quelque peu, le plaisir d’apprendre
nous adoucira cette longueur. « L’impie s’est en lui-même déterminé au mal; la
crainte de Dieu n’est point devant ses yeux 1». Ce n’est point un seul homme
que désigne ici le Prophète, mais bien cette espèce d’hommes pervers, ennemis
d’eux-mêmes, parce qu’ils ne comprennent pas la sainteté de la vie, non qu’ils
ne le puissent, mais parce qu’ils ne le veulent pas. Il y a une différence
entre un homme qui s’efforce de comprendre et qui est empêché par l’infirmité
de sa chair, comme il est dit dans I’Ecriture: « Que ce corps corruptible
appesantit l’âme, et que cette habitation terrestre abat l’esprit capable des
plus hautes pensées 2. »; et un homme dont le coeur se livre une guerre
funeste, afin de ne point comprendre ce qu’il comprendrait avec quelque bonne
volonté, non que cela soit difficile, mais parce que sa volonté y répugne.
C’est ce qui arrive quand on aime ses péchés et que l’on hait la loi de Dieu.
Cette parole de Dieu est haïssable pour toi, situ as de l’attachement pour ton
iniquité. Si au contraire tu hais ton iniquité, la parole de Dieu devient
aimable pour toi et repousse ton iniquité. Haïr le mal, c’est donc travailler
de concert avec la parole de Dieu; et ainsi vous serez deux, cette parole et
toi, pour le détruire. Pour toi, tu ne peux rien par tes propres forces; mais
celui qui t’a envoyé cette parole te prête son secours, et te mal est surmonté.
Si tu la hais, Dieu te la pardonne et
1. Ps. XXXV, 12.— 2. Sag. IX, 15.
l’affranchit de la servitude; mais si tu
l’aimes, il te répugne de comprendre le blâme que l’on en fait. Montrez-moi un
homme qui cherche comment le Fils est égal au Père; il croit, mais il cherche à
comprendre et ne le peut encore. C’est en effet une doctrine bien relevée et
qu’on ne peut saisir qu’avec les plus grandes forces de l’esprit; et il est un
commencement de foi qui préserve l’âme jusqu’à ce qu’elle se fortifie. Elle se
nourrit d’abord de lait, jusqu’à ce qu’elle prenne de l’accroissement et
devienne plus capable d’un aliment plus solide, afin qu’elle puisse comprendre:
« Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était
Dieu 1 ». Avant d’en arriver là, elle s’alimente par la foi; elle s’efforce de
comprendre, afin de le faire enfin autant que Dieu lui en donne la grâce. Mais
faut-il un grand effort pour comprendre: « Ne fais pas à un autre ce que tu ne
veux pas que l’on te fasse 2 », en sorte que tu ne commettes point d’injustice,
puisque tu n’aimes pas qu’on soit injuste envers toi, et que tu ne tendes aucune
embûche, puisque tu ne veux pas être victime des embûches? Ne pas comprendre
cela, c’est le tort de ta volonté. Aussi « l’injuste a-t-il résolu en lui-même
de commettre le mal »; il a résolu de pécher.
2. Mais est-ce bien publiquement? n’est-ce
pas en soi-même que l’on prend la résolution de pécher? Pourquoi en soi-même?
Parce que l’homme ne la voit point. Quoi donc? parce que l’homme ne voit point
dans le coeur la résolution de pécher, Dieu ne la voit-il point? Dieu la voit,
assurément. Mais qu’est-il dit ensuite? « La crainte de Dieu n’est point devant
ses yeux ». Il n’a devant les yeux que
1. Jean, I, 1. — 2. Tob. IV, 16.
la crainte des hommes. Il n’oserait afficher
publiquement l’iniquité, de peur d’être blâmé ou condamné par les hommes. Il
fuit la présence des hommes; où est son refuge? En lui-même; il rentre dans son
intérieur où nul ne le voit; c’est là que, sans être aperçu, il s’étudie aux
piéges, aux embûches et aux crimes. Cependant il ne pourrait s’étudier au mal,
même dans son intérieur, s’il pensait que Dieu le voit; mais comme il n’a point
devant les yeux la crainte de Dieu et qu’il se dérobe au regard des hommes en
rentrant dans son coeur, qu’a-t-il à craindre? Dieu n’y est-il pas présent?
Oui, mais « la crainte de Dieu n’est pas devant ses yeux ».
3. Donc il inédite la fraude; et voici la
suite (car il ne sait peut-être pas que Dieu le voit, pourriez-vous me dire; et
le Prophète nous montre ce que j’avais commencé à vous exposer, qu’il veut bien
ne pas le savoir et que cette volonté d’ignorer tourne contre lui-même): « Il a
frauduleusement agi en sa présence 1 ». En présence de qui? de celui qu’il ne
craint point dans ses fourberies. « En cherchant son iniquité pour la haïr ».
Il a donc agi de manière à ne la point trouver. Il y a des hommes, en effet,
qui paraissent faire des efforts pour connaître leur iniquité, et qui craignent
de la trouver; car, s’ils la trouvaient, une voix leur dirait Rompez avec elle.
Vous avez fait cela avant de connaître le mal; cette faute est celle de votre
ignorance, Dieu vous la pardonne; et, maintenant que vous la connaissez, rompez
avec elle, afin que votre ignorance obtienne plus facilement son pardon, et que
sans rougir vous puissiez dire à Dieu: « Ne vous souvenez plus, Seigneur, des
péchés de ma jeunesse et de mon ignorance 2 ». D’une part donc il cherche son
injustice, et d’autre part il craint de la trouver; car il cherche avec feinte.
Je ne savais pas qu’il y eût péché; quand est-ce que l’homme parle ainsi? C’est
quand il reconnaît qu’il a péché et qu’il cesse de faire ce qu’il faisait
précisément parce qu’il ignorait que ce fût un mal; il voulait réellement
connaître sa faute, afin de la trouver et de la haïr. Mais aujourd’hui beaucoup
cherchent leur iniquité avec feinte, c’est-à-dire qu’ils ne la cherchent point
avec l’intention de la trouver et de la haïr. Mais comme la recherche qu’ils en
font est hypocrite, ils ne trouvent cette iniquité
1. Ps. XXXV, 3. — 2. Id. XXIV, 7.
que pour la défendre. Pour celui qui découvre
l’iniquité, il est évident que cette iniquité est un mal. Ne le faites plus,
lui direz-vous. Et lui, qui n’agissait que frauduleusement pour trouver son
iniquité, la trouve enfin, mais ne la hait pas. Que dit-il, en effet? Combien
d’autres en agissent ainsi, et qui n’en est pas là? Dieu voudrait-il nous
damner tous? Ou, du moins, voici son langage: Si Dieu ne voulait pas qu’on agît
de la sorte, les hommes qui en sont là vivraient-ils encore? Vois-tu bien que
tu ne cherches ton iniquité qu’avec hypocrisie? Si tu n’eusses point agi en
homme hypocrite, mais en homme sincère, tu l’aurai déjà trouvée et prise en
haine; maintenant que tu la trouves, tu la soutiens; tu la cher. chais donc en
hypocrite.
4. « L’injustice et la ruse, telles sont ta «
paroles de sa bouche; il n’a point voulu comprendre, afin de ne point faire le
bien 1. » Vous voyez que ces torts sont attribués à sa volonté; il est en effet
des hommes qui ne veulent pas comprendre et ne le peuvent; il est aussi des
hommes qui ne comprennent point parce qu’ils ne veulent point corsO prendre. «
Il n’a point voulu comprendre, de peur de faire le bien ».
5. « Il a médité l’iniquité sur sa couche 2
». Qu’est-ce à dire: « Sur sa couche? Le méchant a résolu en lui-même de faire
le mal ». L’expression « en lui-même » a le même sens que: « sur sa couche ».
Notre lit, en effet, c’ont notre coeur; c’est là que nous ressentons
l’aiguillon d’une conscience coupable, comme le calme d’une bonne conscience.
Quiconque aime de jouir dans son coeur, doit d’abord y faire le bien. C’est
dans ce lit que Notre Seigneur Jésus-Christ nous ordonne de prier. « Entrez »,
nous dit-il, « dans votre lit secret et fermez-en la porte ». Qu’est-ce à dire:
« Fermez-en la porte? » N’attendez point de Dieu les biens extérieurs, mais les
biens de l’âme. « Et votre Père qui voit dans le secret vous le rendra 3 ».
Quel est celui qui se ferme point sa porte? Celui qui croit beaucoup demander à
Dieu en lui demandant les biens de la terre, et qui borne là toutes mes
demandes. Alors, votre porte est béante, et chacun voit quand vous priez.
Qu’est-ce qui clore votre porte? C’est demander à Dieu ce que Dieu seul sait
vous donner. Et que demanderas-tu en fermant ta porte? « Ce que
1. Ps, XXXV, 4. — 2. Id. 5. — 3. Matt. VI, 6.
d’oeil n’a point vu, ce que l’oreille n’a pas
entendu, ce que le coeur de l’homme n’a jamais compris 1 ». Ce qui peut-être
n’est jamais entré dans ton lit, ou plutôt dans ton coeur. Mais Dieu sait ce
qu’il doit te donner. Quand sera-ce? Quand Dieu se révélera, quand il
apparaîtra comme Juge. Quoi de plus clair que ce langage qu’il doit tenir à
ceux qui seront à sa droite « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui
vous a été préparé dès l’origine du monde 2? »
Voici ce qu’entendront ceux qui seront à sa gauche,
et ils gémiront dans une pénitence inutile 3, parce qu’ils n’auront pas voulu
pendant leur vie la rendre fructueuse. Pourquoi gémir alors? Parce que ce ne
sera plus le lieu de se corriger. Donc ils entendront cet arrêt: « Allez un feu
éternel, qui a été préparé pour le diable et pour ses anges 4 ». Paroles de
consternation. Quant aux justes, ils se réjouiront de ce qu’ils entendront; et,
comme il est écrit: « La mémoire du juste sera éternelle; il n’entendra point
une parole sévère qui lui inspire de l’effroi 5 ». Quelle parole sévère? Cette
parole que ceux-ci doivent entendre: « Allez au feu éternel ». Dieu donc, qui
peut nous accorder au-delà de nos demandes et de notre intelligence 6, cherche
nos gémissements secrets, afin que nous mous coudions agréables à ses yeux et
que nous ne vantions point notre justice devant les hommes. Celui qui prétend
par sa justice plaire aux hommes, qui ne se propose point de faire bénir Dieu
par ceux qui le verront, mais de s’attirer à lui-même des louanges, celui-là ne
ferme point sa porte au bruit; et comme cette porte est ouverte au bruit du
monde, le Seigneur n’entend point comme il voudrait entendre. Travaillons donc
à rendre pur ce lit ou notre coeur, afin que nous puissions y être à l’aise.
Votre charité connaît tout coque l’on endure dans la vie publique, dans le
forum, dans les querelles, dans les procès, dans l’embarras des affaires, et
combien sont nombreux ceux qui en souffrent; elle sait comment, fatigué des
occupations du dehors, chacun retourne à la hâte en sa maison afin de s’y
reposer, chacun cherche à terminer promptement les affaires qui le retiennent
dehors, afin d’y goûter un peu de calme. C’est en effet pour cela que chacun a
son logis, afin d’y être
1. I
Cor. II, 9. — 2. Matt. XXV, 34. — 3. Sag, V, 3. — 4. Matt. XXV, 41,— 5. Ps. XI,
7. — 6. Eph. III, 20.
en paix. Mais s’il vient à souffrir des
troubles jusque-là, où donc se reposera-t-il? Quoi donc? Encore doit-il goûter
le calme chez lui! Mais s’il rencontre des ennemis au dehors et une épouse acariâtre
à la maison, il sort de nouveau. Quand il veut se reposer des fatigues du
dehors, il rentre dans son intérieur; et s’il n’y trouve pas plus de calme
qu’au dehors, où donc se reposera-t-il? Du moins dans le secret de son coeur,
c’est là que tu dois te retirer, dans l’intérieur de ta conscience. Si par
hasard tu y rencontres cette épouse qui n’a aucune parole amère, c’est-à-dire
la sagesse de Dieu, vis avec elle dans une sainte union, repose dans ton lit
secret, et que la fumée d’une conscience coupable ne t’en fasse point sortir.
Mais c’est là que se retirait, loin des regards des hommes et pour méditer le
crime, celui dont nous parle David; et telles étaient ses pensées, qu’il ne
pouvait même trouver la paix dans son coeur. « Sur sa couche il a médité les
embûches ».
6. « Il s’est tenu à l’entrée de toute voie
coupable 1 ». Qu’est-ce à dire: « Il s’est tenu? » Il a persévéré dans le mal.
C’est pourquoi il est dit de l’homme juste « qu’il ne s’est point arrêté dans
la voie des pécheurs 2 ». De même que l’un ne s’est point arrêté, l’autre s’est
tenu. « Il ne repousse aucun mal ». C’est là sa fin, le fruit qu’il vient
recueillir; s’il lui est impossible de s’exempter de tout mal, que du moins il
le prenne en haine. Car si tu en avais la haine, à peine te surprendrait-il
dans quelque acte mauvais. Il est vrai que le péché habite un
corps mortel; mais que nous dit l’Apôtre? «
Que le péché ne règne donc plus dans votre corps mortel pour vous assujettir à
ses convoitises 3 ». Quand commencera-t-il à n’y plus habiter? Lorsque
s’accomplira en nous ce qu’il nous dit ailleurs « Quand ce qui est corruptible
en nous aura revêtu l’incorruptibilité, et quand ce corps mortel sera revêtu
d’immortalité 4 ». Avant cela il y a dans notre corps un attrait pour le mal;
mais il y a un attrait supérieur dans les douceurs de la parole de sagesse et
des préceptes de Dieu. Surmonte donc le péché et la volonté de le commettre;
hais le péché et l’injustice, afin de t’unir à Dieu dans une commune
réprobation. Dans cette union d’esprit à la loi de Dieu, tu obéis à cette loi
selon l’esprit. Et si
1. Ps. XXXV, 5.— 2. Id. t, 1.— 3. Rom. vi,
12. — 4. I Cor. XV, 53.
ta chair t’assujettit encore à la loi du
péché 1, parce que tu ressens quelques délectations dans la chair, elles
deviendront nulles quand tu n’auras plus à combattre. Il y a une différence
entre n’avoir plus à combattre, parce que l’on jouit d’une paix vraie et
continuelle, et combattre encore, mais vaincre; entre combattre et être vaincu,
et ne plus combattre, mais se laisser entraîner. Il y a des hommes qui ne
combattent plus; tel est celui dont il est parlé ici. Il ne hait point le mal,
dit le Prophète; comment combattre ce qu’il ne hait point? Il est donc entraîné
par sa malice, sans résister nullement. D’autres commencent par combattre; mais
comme ils présument de leurs forces, Dieu veut leur montrer que c’est lui seul
qui peut vaincre dans l’homme qui se soumet à lui, et ils sont vaincus dans le
combat; et quand ils ont commencé à pratiquer une certaine justice, ils
deviennent orgueilleux et se brisent. Ceux-là combattent, mais ils succombent.
Quel est celui qui combat sans être vaincu? Celui qui dit: «Je vois dans mes
membres une autre loi contraire à la loi de l’esprit ». Voilà un athlète; mais
comme il ne présume point de ses forces, il sera victorieux. Que dit-il
ensuite? « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort?
La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre Seigneur 2 ». Il met son espoir dans
celui qui lui ordonne de combattre, et il surmonte son ennemi avec le secours
de celui qui commande la lutte. Quant à l’autre, « il n’a point de haine pour
le mal».
7. « Seigneur, votre miséricorde est dans le
« ciel et votre vérité jusqu’aux nues 3 ». Le Prophète parle de je ne sais
quelle miséricorde, qui est spécialement dans le ciel. Car il y a aussi une
miséricorde du Seigneur qui est sur la terre. Il est écrit: « La terre est
pleine des miséricordes du Seigneur 4 ». De quelle miséricorde veut-il parler,
quand il dit:
« Seigneur, votre miséricorde est dans les
cieux? » Entre les dons de Dieu, il en est qui sont temporels et terrestres, et
d’autres qui sont célestes et éternels; celui qui ne se propose, en servant
Dieu, que d’acquérir ces dons terrestres et temporels, qui sont l’apanage de
tous, n’est encore qu’au rang des bêtes; il a part à la divine miséricorde,
mais non à cette miséricorde, plus spéciale, qui u e sera donnée qu’aux seuls
justes, aux saints,
1.
Rom. VI, 25. — 2. Id. 23-25. — 3. Ps. XXXV, 6. — 4. Id. XXII, 5.
aux bons. Quels sont les dons communs à tous?
« Dieu fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur
les justes « et sur les injustes 1 ». Qui d’entre les hommes n’a part à cette
miséricorde, puisque d’abord il existe; ensuite il diffère des animaux brutes,
il est animal raisonnable, il peut comprendre Dieu, jouir de cette lumière, de
cet air, de ta pluie, des récoltes, de la diversité des saisons, de la santé du
corps, du commerce de ses amis, de la conservation de sa famille? Tout autant
de biens qui viennent de la munificence de Dieu. Ne croyez point, mes frères,
que tout autre que Dieu seul nous les puisse donner. Quiconque alors ne les
attend que de Dieu seul, met un vaste intervalle entre lui et ceux qui les
recherchent auprès des démons, des magiciens, des astrologues, Ces derniers, en
effet, sont doublement misérables, puis. qu’ils ne souhaitent que des biens
temporels et qu’ils ne les demandent pas à l’Auteur de tout bien. Mais ceux qui
désirent ces biens, qui veulent mettre en eux leur félicité, et qui ne les demandent
qu’à Dieu seul, sont préférables sans doute en ce qu’ils ne les demandent qu’à
Dieu, et toutefois ils sont encore en danger. Quel est ce danger? nous
dira-t-on. C’est qu’ils jettent parfois les yeux sur les choses du monde, et
ils voient que ces biens terrestres, objets de leurs désirs, sont aussi le
partage, l’ample partage des impies et des mi chants, et ils se croient privés
de récompense dans le culte de Dieu, puisque les méchante qui n’honorent pas
Dieu partagent ces biens avec ceux qui le servent fidèlement; quelquefois même
ceux qui servent Dieu n’ont rien de ce qui est en abondance chez ceux qui
blasphèment: c’est en cela qu’est pour eux le danger.
8. Mais le Prophète sait bien quelle
miséricorde il implore de Dieu. « Seigneur», dit-il, « votre miséricorde est
dans le ciel, et votre vérité s’élève jusqu’aux nues »; c’est-à-dire cette
miséricorde spéciale que vous accordez à vos saints est du ciel et non de la
terre; oit est éternelle et non passagère. Mais comment avez-vous pu l’annoncer
aux hommes? C’ont que votre vérité s’élève jusqu’aux nues pourrait en effet
connaître les dons célestes de Dieu, si Dieu ne les annonçait aux hommes?
Comment les a-t-il fait connaître? En faisant descendre la vérité jusqu’aux
nuées. Quelles
1. Matt. V, 45.
nuées?Les prédicateurs de la vérité. C’est en
ce sens qu’en un certain endroit de l’Ecriture le Seigneur s’irrite contre une
certaine vigne. Votre charité, je pense, me comprend, elle entend le prophète
Isaïe qui dit de cette vigne: « J’ai attendu qu’elle produisît du raisin, elle
n’a produit que des épines 1 ». Et pour nous ôter l’idée d’une vigne visible,
voici la conclusion du Prophète: « La vigne du Seigneur des armées, c’est ta
maison d’Israël; le plant que Dieu aime, c’est le peuple de Juda 2 ». Il reproche
donc à cette vigne de lui avoir produit des épines au lieu des raisins qu’il
espérait. Et que dit-il? « Je commanderai à mes nuées de ne plus répandre leur
rosée sur elle 3 ». C’est donc dans sa colère que le Seigneur commande aux
nuées de refuser la pluie. C’est ce qui est arrivé. Les Apôtres furent envoyés
prêcher l’Evangile; et nous voyons au livre des Actes que saint Paul voulait
d’abord prêcher aux Juifs, et qu’au lieu de raisins il ne trouva chez eux que
des épines. Ils commencèrent à lui rendre le mal pour le bien, et le
persécutèrent. Alors, comme pour exécuter cette sentence: « Je commanderai aux
nuées de ne point donner la pluie; nous étions envoyés vers vous », dit
l’Apôtre; « mais puisque vous méprisez la parole de Dieu, nous allons vers les Gentils».
Ainsi s’accomplit: « Je commanderai aux nuées de ne plus verser la pluie sur
elle ». La vérité descendit jusqu’aux nuées; et de là vient que l’on put nous
prêcher cette miséricorde de Dieu qui est dans le ciel et non sur la terre. Or,
les prédicateurs de la vérité sent bien des nuées. Quand le Seigneur nous
menace par ses prédicateurs, il tonne dans les nuées. S’il fait des miracles
par ses prédicateurs, c’est l’éclair qui sillonne les nues, test l’effroi qui
se répand par elles, c’est la pluie qu’elles versent. Donc, les prédicateurs
qui annoncent la parole de Dieu sont les nuées de Dieu. Ainsi espérons la
miséricorde, mais celle qui est du ciel.
9. « Votre justice est comme les montagnes
ide Dieu; vos jugements sont de profonds abîmes 4 ». Quelles sont les montagnes
de tien? Nous venons déjà d’appeler nuées ceux qui sont des montagnes, car ces
montagnes sont les grands prédicateurs. Et de même que le soleil à son lever
projette sur les sommets des montagnes ses rayons lumineux, qui descendent
1. Isa. V,4.— 2. Id. 6.— 3. Id. 7.— 4. Ps.
XXXV, 7.
ensuite dans les plus profondes vallées ainsi
Notre Seigneur Jésus-Christ, à son avènement, jeta sur les Apôtres, comme sur
des montagnes, les premiers rayons de sa lumière qui descendirent ensuite dans
les vallées de la terre. De là vient qu’il est dit dans un psaume: « J’ai levé
les yeux vers les montagnes, d’où me viendra le secours 1», Mais n’allons pas
croire que d’elles-mêmes des montagnes donneront du secours. Elles reçoivent ce
qu’elles donnent, sans donner d’elles-mêmes. Et si tu demeures attaché à ces
montagnes, ton espérance ne sera point ferme; mais ton appui, ta confiance,
doivent être en celui qui éclaire ces montagnes. C’est donc des montagnes que
te viendra le secours, parce que les saintes Ecritures te sont prêchées par ces
montagnes ou par ces grands prédicateurs de la vérité; mais ce n’est point en
eux qu’il faut mettre ton espoir. Ecoute alors ce que dit le Prophète: « J’ai
levé les yeux vers les montagnes, d’où me viendra le secours». Mais les
montagnes me donneront donc le secours? Point du tout; écoute la suite: « Tout
mon secours viendra du Seigneur qui a fait le ciel et la terre 2. » Il vient
ainsi par l’entremise des montagnes, et non des montagnes elles-mêmes. De qui
vient-il donc? « Du Seigneur qui a fait le ciel et la terre ». Il y avait aussi
d’autres montagnes; et quiconque s’en approchait avec sa barque faisait
naufrage. Les princes de l’hérésie se sont élevés, et ils étaient des
montagnes. Arius était une montagne, Donat était une montagne, Maximien depuis
peu est comme une montagne 3. Plusieurs, qui regardaient ces montagnes et
désiraient la terre afin d’échapper aux flots, ont heurté contre des rochers et
ont fait naufrage sur la terre. Ces montagnes étaient loin de séduire celui qui
disait: « J’ai mis ma confiance dans le Seigneur, et comment dites-vous à mon
âme: Passereau, va dans les montagnes 4?» Je ne veux mettre mon espoir ni en
Arius ni en Donat. « Tout mon secours vient du Seigneur qui a fait le ciel et
la terre ». Voyez ici combien vous mettez votre confiance en Dieu et combien
vous attribuez aux hommes: « Car, maudit est celui qui met son espérance dans
un
1. Ps. CXX, 1. — 2. Id. 2. — 3. Ce Maximien
était un diacre du schisme de Donat, qui devint évêque de Carthage contre
Primianus, et fut le chef des Maximianistes. Voy. le disc, sur le ps. XXXVI. —
4. Ps. X, 2.
homme 1». Saint Paul avec une rare modestie
et une grande humilité, jaloux d’élever une
Eglise au divin Epoux et non à lui-même,
s’indigne contre ceux qui disaient: « Pour moi, je suis à Paul, moi à Apollo 2
»; il se met en avant pour se fouler aux pieds, se mépriser
et glorifier Jésus-Christ: « Paul a-t-il donc
été crucifié pour vous, ou bien est-ce au nom de Paul que vous êtes baptisés 3?
» Il éloigne de lui-même pour envoyer au Christ. Il ne veut
pas même que l’ami de l’Epoux usurpe dans le
coeur de l’Epouse l’amour qui est dû à
1’Epoux. Car les amis de l’Epoux étaient les
Apôtres. Jean aussi, que l’on regardait comme
le Christ, dans son humilité, avait à cœur la
gloire de l’Epoux. Aussi répond-il: « Je ne suis point le Christ; mais celui
qui est venu après moi est plus grand que moi, et je ne suis pas digne de
délier le cordon de ses souliers 4 ». Il montrait donc en s’humiliant qu’il
n’était point l’Epoux, mais l’ami de l’Epoux, et il disait: « Celui qui a
l’Epouse est l’Epoux, mais l’ami de l’Epoux qui est debout et l’écoute, est
plein de joie à la voix de l’Epoux 5». Et cet ami de l’Epoux, fût-il une
montagne, n’a pourtant pas la lumière en lui-même; il écoute, il est au
comble de la joie à cause de la voix de
l’Epoux. « Pour nous », dit-il, « nous avons tout reçu de sa plénitude 6». De
la plénitude de qui? « De celui qui était la lumière véritable qui éclaire tout
homme venant en ce monde 7». C’est donc à lui que saint Paul voulait conserver
l’Eglise, quand il disait: « Que les hommes nous regardent comme les ministres
du Christ et les dispensateurs des mystères de Dieu ». Ainsi: « J’ai levé les
yeux vers les montagnes d’où viendra mon secours. Que l’homme nous regarde
comme les ministres du Christ et les dispensateurs des mystères de Dieu 8». Et
de peur que tu ne mettes encore quelque espérance en ces montagnes plutôt qu’en
Dieu, écoute: « J’ai planté, Apollo a arrosé, mais Dieu a donné l’accroissement
»; et encore: « Or, celui qui plante n’est rien, non plus que celui qui
arrose, mais c’est Dieu, qui donne
l’accroissement 9». Déjà donc tu as dit: « J’ai levé les yeux vers les
montagnes, d’où me viendra le secours»; mais, « parce que celui qui
1.
Jérém. XVII, 5.— 2. I Cor. III, 4.— 3. Ibid I, 3. — 4. Jean, I,20; Marc, I,7.— 5. Jean, III,29.— 6.
Id. I,16.— 7. Id.9,—— 8. I Cor. IV,1.— 9. Id. 6,7.
plante n’est rien non plus que celui qui
arrose »; dis alors: « Mon secours viendra du Seigneur qui a fait le ciel et la
terre »; et: « Votre justice est comme les montagnes de Dieu », c’est-à-dire
les montagnes sont rein-plies de votre justice.
10. « Vos jugements sont de profonds abîmes
». On appelle abîme cette profondeur du péché où l’homme arrive par le mépris
de Dieu, ainsi qu’il est dit quelque part: « Dieu les a livrés aux désirs de
leurs coeurs, et ils se sont couverts de honte ». Que votre charité redouble
d’attention, il s’agit d’une importante vérité; oui, très-importante. Qu’est-ce
à dire que « Dieu les a livrés aux désirs de leurs coeurs pour faire ce qui est
honteux? » C’est donc lorsque Dieu les s livrés aux convoitises de leurs coeurs
pour faire ce qui est honteux, qu’ils commettent de si grands crimes? Ce qui
revient à poser cette question Si c’est Dieu qui fait qu’il commettent ce qui
est honteux, que font ils d’eux-mêmes? Il y a de l’obscurité dans cette parole:
« Dieu les a livrés aux convoitises de leurs coeurs». Il y avait donc en eux
des convoitises qu’ils n’ont point voulu réprimer, et auxquelles ils sont
livrés par un châtiment de Dieu. Mais pour comprendre qu’ils méritaient d’y
être livrés, écoute ce qu’avait dit l’Apôtre à leur sujet: « Ayant connu Dieu,
il ne l’ont point glorifié comme Dieu et ne lui ont point rendu grâces; mais
ils se sont évanouis dans leurs pensées, et leur coeur insensé a été obscurci
». Comment? Par l’orgueil. « En se disant sages ils sont devenus fous ». De là
cette sentence: « Dieu les a livrés aux convoitises de leurs coeurs». Donc,
parce qu’ils furent ingrats et orgueilleux, ils méritèrent d’être livrés aux
convoitises de leurs coeurs et ils sont devenus un profond abîme, non seulement
en commettant le péché, mais en agissant avec hypocrisie, de peur de connaître
leur iniquité et de la haïr. C’est le comble de la malice de n’avoir pas voulu
trouver leurs péchés et les haïr. Mais voici comment on arrive à cette
profondeur: « Les jugements de Dieu sont un abîme profond ». De même que les
montagnes de Dieu se forment par sa justice et grandissent par sa grâce, ainsi
c’est par ses jugements que tombent dans l’abîme ceux qui se roulent dans les
bas-fonds du péché. Ainsi donc que par la grâce les montagnes aient donc pour
toi des attraits, mais par la grâce aussi fuis
l’abîme et tourne-toi vers « le secours du Seigneur» qui nous est promis.
Comment? En levant les yeux vers les montagnes. Qu’est-ce à dire? Je vais
m’expliquer: Dans l’Eglise de lieu tu trouveras des abîmes et des montagnes. Tu
y trouveras les bons en petit nombre, parce que les montagnes sont rares; mais
le gouffre est large, c’est-à-dire que beaucoup miment dans le désordre par la
juste colère de lieu, parce que leurs actes les ont fait livrer aux convoitises
de leurs coeurs, jusqu’à défendre leurs péchés au lieu d’en faire l’aveu, et
nue jusqu’à dire: Quoi donc? Qu’ai-je fait? Un tel a bien commis tel crime,
celui-là tel autre crime. Bientôt même ils veulent légitimer ce que la parole
de Dieu condamne: c’est l’abîme. Ecoute en effet ce que dit l’Ecriture en
certain endroit: « Quand le pécheur en arrive aux profondeurs du mal, il
méprise ». Voilà comme « vos jugements, ô Dieu, sont de profonds abîmes ». Pour
toi, tu n’es pas une montagne, tu n’es pas un abîme: fuis l’abîme, regarde les
montagnes, mais ne t’arrête point sur les montagnes. Ton secours est dans le
Seigneur qui a fait le ciel et la terre.
11. « Seigneur, vous sauverez les hommes met
les animaux, selon que s’est multipliée notre miséricorde, ô mon Dieu 1 ». Le
Prophète avait dit: « Votre miséricorde est dans le ciel»; et, afin que l’on
sache qu’elle est aussi sur la terre, il ajoute: « Seigneur, vous sauverez les
hommes et les animaux selon que s’est multipliée votre miséricorde ». Par cette
miséricorde est grande, ô mon Dieu, cette miséricorde se multiplie à l’infini;
vous l’étendez sur les hommes et sur les animaux. De qui vient le salut des
hommes? De Dieu. Et le salut des animaux ne vient-il pas aussi de Dieu? Car le
créateur de l’homme est aussi le créateur de l’animal; celui qui a fait l’un et
l’autre, sauve aussi l’un et l’autre mais le salut des animaux est temporel. Il
en cet qui demandent comme une grande grâce ce qu’il a donné aux animaux. «
Votre miséricorde, ô mon Dieu, se multiplie à l’infini »; non seulement elle
s’étend aux hommes, elle descend jusqu’aux animaux pour leur donner ce salut
terrestre et passager que vous donnez aux hommes.
12. Mais Dieu ne réserve-t-il donc aux hommes
rien de particulier, que l’animal ne
1. Ps. XXXV, 7, 8.
puisse obtenir, rien que l’animal ne puisse
atteindre? Assurément il est une faveur pour eux. Et où donc est cette réserve?
« Quant « aux fils des hommes, ils espéreront à l’ombre de vos ailes ». Que
votre charité pèse bien cette sentence consolante: « Seigneur, vous sauverez
les hommes et les animaux ». Le Prophète a donc parlé « de l’homme et de
l’animal », et le voilà qui s’occupe des « enfants des hommes »: comme s’il
mettait une différence entre l’homme et les fils de l’homme. Quelquefois dans
l’Ecriture on entend par enfants des hommes les hommes en général; et
quelquefois cette expression « des enfants des hommes », est prise dans une
acception spéciale, elle a un sens particulier qui empêche d’entendre par là
tous les hommes; surtout quand elle établit une distinction. Or, ce n’est point
sans raison que le Psalmiste, après avoir parlé « des hommes et des bêtes que
Dieu doit sauver », nous dit:
« Quant aux fils des hommes »; comme si Dieu
mettait à part les autres pour accorder une protection spéciale aux fils des
hommes qu’il aurait séparés. Séparés de qui? non seulement des animaux, mais
encore de ces hommes qui demandent comme un grand bien le salut qu’il donne aux
bêtes. Qui sont donc les enfants des hommes? Ceux qui espèrent à l’ombre de ses
ailes. Les hommes, en effet, partagent avec les animaux la joie des biens
présents, les fils des hommes goûtent les joies de l’espérance: les uns
recherchent avec les animaux les biens du temps, les autres espèrent les biens
éternels avec les anges. Pourquoi donc une distinction, et appeler hommes les uns,
fils des hommes les autres? car l’Ecriture dit quelque part: « Qu’est-ce que
l’homme, Seigneur, pour que vous vous souveniez de lui, ou le fils de l’homme,
pour que vous le visitiez 1? Qu’est-ce donc que l’homme pour que vous vous
souveniez de lui? » Vous vous souvenez de lui comme on se souvient d’un absent;
vous visitez le fils de l’homme comme on visite celui qui est présent.
Qu’est-ce à dire que vous vous souvenez de l’homme? « Seigneur, vous sauvez les
hommes et les animaux »; car vous donnez un certain salut même aux méchants,
même à ceux qui ne désirent point le royaume des cieux. Car Dieu les protége
comme son troupeau, il ne les abandonne
1. Ps. VIII, 5.
que d’une manière qui leur est propre, salis
les abandonner totalement; mais il a pour eux le souvenir qui est le soin des
absents. Au contraire, celui qu’il visite, c’est le fils de l’homme, dont il
est dit: « Quant aux fils des hommes, ils espéreront à l’ombre de vos ailes ».
Et si vous voulez discerner ces deux sortes d’hommes, considérez d’abord deux
hommes, Adam et Jésus-Christ. Ecoutez l’Apôtre: « De même que tous meurent en
Adam, de même tous vivront en Jésus-Christ 1 ». Nous naissons d’Adam pour
mourir: nous ressuscitons en Jésus-Christ pour vivre toujours. Porter l’image
de l’homme terrestre, c’est là être homme; et porter l’image de l’homme
céleste, c’est là être fils de l’homme; car le Christ est appelé Fils de
l’homme. Adam était homme, il est vrai; mais non fils de l’homme; et tous
ceux-là viennent d’Adam qui désirent les biens de la terre et le salut
temporel. Nous les exhortons à devenir fils des hommes, espérant sous la
protection des ailes de Dieu, désirant cette miséricorde qui est dans le ciel
et qui nous a été annoncée par les nuées. S’ils ne le peuvent encore, qu’au
moins ils n’attendent que de Dieu ces biens temporels: et qu’ils le servent
selon l’ancienne loi, afin d’arriver ainsi à la loi nouvelle.
13. Le peuple juif, en effet, désira les
biens terrestres et la domination pour Jérusalem, et l’asservissement de ses
ennemis, et l’abondance des récoltes, et son propre salut, et la conservation
de ses enfants. Tels étaient les biens qu’ils désiraient, les biens qu’ils
recevaient, la loi les protégeait. Ils demandaient à Dieu ces biens qu’il donne
aux animaux de la terre, parce que le Fils de l’homme n’était point venu en eux
pour les rendre enfants des hommes; mais ils avaient déjà des nuées qui
annonçaient ce Fils de l’homme. Les prophètes sont venus leur annoncer le
Christ; et il y en avait parmi eux plusieurs qui comprenaient, qui avaient
l’espérance de l’avenir et comptaient sur cette miséricorde qui est du ciel.
Mais il y en avait d’autres qui ne désiraient que les biens d’ici-bas, une
félicité temporelle et terrestre. Leurs pieds allaient d’eux-mêmes façonner ou
adorer des idoles. Et même quand le Seigneur les avertissait, les châtiait et
les dépouillait de tout ce qu’ils aimaient, quand ils étaient affligés par la
1. I Cor. XV, 22.
famine, la guerre, la peste, les maladies,
ils recouraient aux idoles. Les biens qu’ils devaient attendre de Dieu comme un
grand bienfait, ils les demandaient aux idoles et abandonnaient le vrai Dieu.
Ils voyaient en abondance, entre les mains des impies et des scélérats, ces
biens qu’ils convoitaient, et ils croyaient adorer sans profit un Dieu qui ne
leur accordait aucune récompense terrestre. O homme ! tu es l’ouvrier de Dieu,
plus tard viendra le temps de la rémunération; pourquoi demander un salaire
avant que le travail soit achevé? Qu’un ouvrier vienne chez toi, lui
donneras-tu son salaire avant l’achèvement de l’ouvrage? Tu le trouverais
déraisonnable de dire: Je veux d’abord mon salaire, et ensuite je travaillerai.
Tu t’en fâche. rais. Et pourquoi t’en fâcherais-tu? parce qu’il aurait manqué
de confiance envers un homme qui peut tromper. Et comment Dieu ne
s’irriterait-il point, quand tu n’as pas confiance en la vérité même? Ce qu’il
t’a promis, il te le donnera; il est infaillible, c’est la vérité même qui a
promis. Craindrais tu peut-être qu’il n’eût pas de quoi te donner? Il est
tout-puissant. Ne crains pas qu’il ne soit plus alors pour te donner. Il est
immortel. lie crains pas enfin qu’il ait des successeurs;il est éternel. Sois
en pleine sécurité. Si tu exiges que ton ouvrier se fie à toi pendant tout un
jour, mets ta confiance en Dieu pendant toute ta vie, car ta vie n’est qu’un
instant pour Dieu. Et alors, que seras-tu? Un de ces «enfants des hommes qui
espèrent à l’ombre de vos ailes, ô mon Dieu ».
14. « Ils seront enivrés de l’abondance de
votre maison 1 ». Je ne sais quoi de grand nous promet ici le Prophète. Il veut
le dire et ne le dit point; est-ce lui qui ne saurait le dire, ou nous qui ne
le comprenons point? Je le dis sans crainte, mes frères, et même des langues et
des coeurs des saints qui nous ont annoncé la vérité: l’objet de leur message
était supérieur à toute parole et à toute pensée. C’est en effet quelque chose
de grand et d’ineffable; eux-mêmes ne le voyaient qu’en partie, d’une manière
figurative, comme l’a dit l’Apôtre. « Nous ne voyons Dieu qu’imparfaitement et
comme en énigme; mais alors nous le verrons face à face 2 ». Ainsi jetaient
leur surabondance ceux qui ne voyaient qu’en énigme. Comment donc serons-nous,
quand nous
1. Ps. XXXV, 9.— 2. I Cor. XIII 12.
verrons face à face Celui qu’ils portaient
dans leurs coeurs, et que leurs langues ne pouvaient exprimer aux hommes d’une
manière compréhensible? Quelle nécessité y avait-il de dire: « Ils seront
enivrés de l’abondance de votre maison? » Il cherche dans la langue humaine une
expression à sa pensée; et comme ils voient que les hommes se gorgent de vin
jusqu’à l’ivresse, qu’ils en prennent sans mesure et jusqu’à perdre la raison,
trouve là une manière de s’exprimer; car, une fois cette joie céleste répandue
dans nos âmes, la raison humaine s’évanouit en quelque serte, elle devient
divine et s’enivre de l’abondance qui est dans la demeure de Dieu. Aussi est-il
dit dans un autre psaume: « Combien m’est délicieux le calice qui m’enivre 1 !»
C’est ce calice qui enivrait les martyrs quand ils allaient au supplice sans
connaître leurs proches. Quelle plus grande ivresse que de méconnaître une
épouse éplorée, des enfants, des proches? Et pourtant, ils ne les connaissaient
plus, ils ne croyaient point les avoir devant les yeux. Ne vous en étonnez pas,
ils étaient dans l’ivresse. Dans quelle ivresse? Voyez: ils avaient pris la
coupe qui avait dû les enivrer. C’est ce qui porte à remercier Dieu celui qui
s’écriait: « Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens dont il m’a comblé?
Je prendrai le calice du salut et j’invoquerai le nom du Seigneur 2 ». Donc,
mes frères, soyons les enfants des hommes; espérons à l’ombre des ailes du
Seigneur, et enivrons-nous de l’abondance de sa maison. Je dis ce que je puis à
ce sujet, je ne vois que comme je puis, et je ne puis dire encore ce que je
vois. « Ils seront enivrés de l’abondance de votre maison; et vous les
abreuverez au torrent de vos délices». On appelle torrent cette eau qui se
précipite avec impétuosité; la divine miséricorde se précipitera donc, pour
baigner, pour enivrer ceux qui, en cette vie, se reposent dans l’espérance à
l’ombre de vos ailes. Quelle est cette volupté? C’est un torrent qui enivre
ceux qui ont soif. lue celui-là donc qui a soif se prenne à espérer; qu’il
espère, celui qui a soif, et quand il sera dans l’ivresse, il possédera l‘objet
de son espérance; mais avant de le posséder, qu’il en ait la soif et
l’espérance. « Bienheureux iceux qui ont faim et soif de la justice, parce n
qu’ils seront rassasiés 3 ».
1.
Ps. XXII, 5.— 2. Id. CXV, 12, 13. — 3. Matt. V, 6.
15. A quelle source irez-vous donc boire, et
d’où coulera cet impétueux torrent des divines voluptés? « C’est en vous », dit
le Prophète, « qu’est la source de vie ». Quelle autre source de vie que le
Christ? Il est venu à vous dans sa chair, afin d’arroser votre gosier desséché
par la soif; et celui qui a pu vous soulager dans votre soif, comblera un jour
votre espérance. «C’est en vous, Seigneur, qu’est la source de la vie, et à
votre flambeau nous verrons la lumière1 ». Autre est la source d’eau, et autre
est la lumière; en Dieu il n’en est pas ainsi. La source d’eau est identique à
la lumière; tu peux lui donner le nom qu’il te plaira, parce que tu ne le
désigneras point par son nom; puisque tu ne peux trouver un nom qui lui soit
propre, et qu’un seul nom ne lui suffit point. Si tu dis qu’il est seulement
une lumière, on te répondra: C’est donc en vain que l’on me pousse à la faim et
à la soif; comment, en effet, manger une lumière? On m’a dit alors avec raison:
« Heureux les hommes dont le coeur est pur, parce qu’ils verront Dieu 2 »; si
Dieu est une lumière, je dois préparer mes yeux. Prépare encore ta bouche; car
celui qui est une lumière est encore une source; oui, une source qui abreuve
ceux qui ont soif, une lumière qui éclaire les aveugles, Ici-bas il est souvent
une distance entre la source et la lumière. Car les sources parfois coulent
dans les ténèbres, et souvent encore dans le désert tu souffriras du soleil
sans trouver une source:
ces deux choses peuvent donc être séparées
ici-bas; mais là haut, il n’y a point de lassitude, parce qu’il y aune source;
il n’y a point de ténèbres, parce que c’est le foyer de la lumière.
16. « Etendez votre miséricorde à ceux qui
vous connaissent, et votre justice à ceux qui ont le coeur droit 2 ». Nous
l’avons dit souvent: ceux qui ont le coeur droit sont ceux qui accomplissent
ici-bas la volonté de Dieu. Or, quelquefois c’est la volonté de Dieu que tu
sois en santé, quelquefois que tu sois malade; et si la volonté de Dieu te
plaît dans la
santé, pour te déplaire dans la maladie, tu
n’as pas le coeur pur. Pourquoi? Parce que tu ne veux point te soumettre à la
volonté de Dieu, mais la courber afin qu’elle subisse la tienne. Cette volonté
est droite, et toi tu es défectueux; c’est ta volonté qui doit se
1. Ps. XXXV, 10. — 2. Matt. V, 8.— 3. Ps.
XXXV, 11.
dresser selon la volonté de Dieu, et non
celle-ci se courber selon la tienne: alors seulement tu auras un coeur droit.
Es-tu heureux en ce monde? Bénis Dieu qui te console. Es-tu dans la peine?
Bénis Dieu qui te châtie et t’éprouve: et alors tu auras le coeur droit et tu
diras: « Je bénirai le Seigneur en tout temps; sa louange sera toujours dans ma
bouche 1»
17. « Que le pied de l’orgueil ne s’attache
point à moi 2 ». Déjà le Prophète a dit:
« Les enfants des hommes espéreront à l’ombre
de vos ailes, ils s’enivreront au torrent des voluptés de votre palais ». Qu’il
prenne garde à l’orgueil celui qui sentira couler sur lui l’eau sacrée. Elle ne
faisait point défaut au premier homme, Adam; mais il fut heurté par le pied de
l’orgueil, il fut ébranlé par la main du pécheur ou par la main orgueilleuse de
Satan. Ce séducteur, qui avait dit: « J’établirai mon trône vers l’Aquilon 3 »,
dit à Adam pour le persuader: « Goûtez du fruit, et vous serez comme des dieux
4 ». Donc c’est par l’orgueil que nous sommes tombés et réduits à passer par la
mort. Comme l’orgueil nous avait blessés, l’humilité nous guérira. Dieu est
venu dans son humilité pour guérir chez l’homme cette immense blessure de
l’orgueil. Il est venu, puisque « le Verbe s’est fait chair et a demeuré parmi
nous 5 ». Il a souffert que les Juifs le prissent pour l’insulter. L’Evangile
vient de vous dire quels hommes, et à qui ils dirent: « Vous êtes possédé du
démon 6 »; mais lui ne leur dit point: C’est vous qui êtes en la puissance du
démon, puisque vous demeurez dans votre péché et que le diable règne dans vos
coeurs. Tel ne fut point son langage, qui toutefois eût été vrai; mais ce
n’était pas le temps de parler ainsi, de peur qu’il parût moins prêcher la
vérité que repousser l’injure par l’injure. Il oublie ce qu’il a entendu, comme
s’il ne l’avait point entendu; car il était médecin et venait pour guérir un
frénétique. De même que les paroles d’un frénétique ne sont rien pour un
médecin, qui ne s’inquiète que de sa santé et de sa guérison, qui en reçoit un
coup de poing sans y faire attention et ne lui en fait pas moins de nouvelles
blessures, cherchant à guérir une fièvre invétérée; ainsi Notre Seigneur
1.
Ps. XXII, 2. — 2. Id. XXXV, 12. — 3. Isa. XIV, 13. — 4. Gen. III, 5. — 5. Jean, I,
14. — 6. Id. III, 48.
est venu guérir un malade, il est venu près
d’un frénétique, résolu à mépriser toutes ses récriminations, toutes ses
injures. Il voulait par là donner à tous des leçons d’humilité, et par
l’humilité les guérir de l’orgueil, de cet orgueil dont le Prophète supplie que
Dieu le délivre, en disant: « Que le pied de l’orgueil ne s’attache point à
moi; que la main du pécheur ne puisse m’ébranler 1 ». Car si le pied de
l’orgueil s’attache à nous, la main du pécheur nous ébranle. Quelle est cette
main du pécheur? L’oeuvre qui nous porte au mal. Es-tu orgueilleux? Celui qui
te porte au mal te corrompra bientôt. Affermis-toi en Dieu par l’humilité, et
mets-toi peu en peine de ce que l’on te dira. Aussi est-il dit ailleurs: «
Purifiez-moi de mes fautes cachées, épargnez à votre serviteur les fautes des
autres 2 ». Qu’est-ce à dire, « mes fautes « cachées? » c’est-à-dire: « Que le
pied de l’orgueil ne s’attache point à moi ». «Epargnez à votre serviteur les
péchés des autres », c’est-à-dire: « Que la main du pécheur ne m’ébranle point
». Défends bien l’intérieur, et tu n’auras rien à craindre du dehors.
18. Et comme si l’on demandait au prophète:
Pourquoi craindre ainsi l’orgueil? C’est
répond-il, que « là sont tombés tous ceux qui
commettent l’iniquité 1 »; pour en venir à cet abîme dont il est dit: « Vos
jugements sont de profonds abîmes, et se précipiter enfin dans ces profondeurs
où sont tombés les pécheurs qui méprisent Dieu 4. « Ils sont tombés ». Mais
comment sont-ils tombés? D’abord par le pied de l’orgueil. Or, écoutez ce
qu’est le pied de l’orgueil. « Ils ont connu Dieu et ne l’ont point glorifié
comme Dieu 5 ». Le pied de l’orgueil les a donc touchés, et de là ils sont
tombés dans l’abîme. « Dieu les a livrés aux convoitises de leurs coeurs, et
ils se sont couverts de honte 6 ». Le prophète craint donc et la racine du
péché, et la tête du péché, quand il dit: « Que le pied de l’orgueil ne me
heurte point». Pourquoi l’appeler un pied? c’est que l’orgueil a porté l’homme
à déserter le Seigneur et à s’en éloigner. C’est son affection qu’il appelle
son pied. « Que le pied de l’orgueil ne me heurte point, que la main du pécheur
ne m’ébranle point, c’est-à-dire, que les oeuvres du pécheur ne me séparent
point de vous, ne me portent pas à les
1.
Ps. XXXV, 12.— 2. Id. XVIII, 13, 14.— 3. Id. XXXV, 13.— 4. Prov. XVIII, 3.— 5.
Rom. 1, 21.— 6. Id. 24.
imiter. Pourquoi dire que c’est par l’orgueil
« que sont tombés ceux qui commettent l’iniquité? » C’est que tout pécheur
d’aujourd’hui est tombé par orgueil. C’est pourquoi Dieu, recommandant à
l’Eglise la vigilance, dit au serpent: « Elle observera ta tête, et tu
observeras son talon 1 ». Quand, heurté par le pied de l’orgueil, tu viens à
chanceler, le serpent est aux aguets pour te faire tomber; mais toi, observe
bien sa tête: « Car l’orgueil est le commencement de tout péché 2. — C’est
d’écueil de tous ceux qui commettent l’iniquité: ils ont été poussés et n’ont
pu se tenir debout ». Celui-là est le premier qui n’est point demeuré ferme
dans la vérité, et ensuite ceux dont il entraîna l’expulsion du paradis 3. Mais
celui qui pousse l’humilité jusqu’à dire qu’il n’est pas digne de dénouer las
cordons d’un soulier, celui-là n’a pas été ébranlé, au contraire il demeure
ferme pour
1. Gen.
III,15.— 2. Eccl. X, 15. — 3. Gen. III, 23.
écouter l’Epoux, pour s’épanouir à la voix de l’Epoux 1, non à sa
propre voix, de peur d’être
heurté par le pied de l’orgueil, d’être
ébranlé, de ne point tenir debout.
19. Nous voici au terme d’un psaume qui a pu
causer un peu de fatigue et d’ennui à quelques-uns d’entre vous; mais cet.
ennui est passé, et je me réjouis d’avoir exposé le psaume tout entier. Vers le
milieu, j’avais eu la pensée de quitter, afin de ne pas vous surcharger; mais
j’ai cru que l’attention serait partagée, et que l’on écouterait moins bien la
seconde partie, que si l’on parcourait le psaume tout entier. J’ai donc mieux
aimé vous être un peu à charge, que de réserver quelque partie d’un discours
imparfait. Demain encore il faut vous parler; priez pour nous, afin que nous
puissions le faire encore, et revenez-nous avec une soif ardente et des coeurs
fervents.
1. Jean, I, 27; III, 29.
PREMIER PSAUME 36: LE JUGEMENT
PREMIER SERMON 1, PRÊCHÉ A CARTHAGE, AINSI QUE LES DEUX SUIVANTS.
L’exposition du psaume commence après la
lecture de l’Evangile sur le jugement dernier. Le jour du jugement nous est
inconnu, parce que cette ignorance nous est utile pour nous utile pour nous
porter à être toujours prêts. Dans les diverses conditions de la vie, l’un sera
choisi pour ne ciel, l’autre laissé pour les flammes. Aujourd’hui les bons et
les méchants sont mêlés indistinctement. Les bous espèrent en Dieu, et leur
persévérance leur vaudra la gloire divine: soyons donc soumis à Dieu. Quant aux
méchants, ils prospèrent, mais dans leurs voies seulement, au lieu que le juste
souffre, mais dans les voies de Dieu, qui n’a promis en cette vie qu’un sort
semblable à celui de Jésus-Christ. Le bonheur du méchant ne durera que cette
vie d’ailleurs si courte, il n’y a pour lui d’autre place que celle de la
paille dans la fournaise. Mais ne juste possédera la terre des vivants.
1. Le dernier jour qui doit venir avec ses
terreurs, voilà ce que craignent d’entendre ceux qui ne cherchent point la
sécurité dans une sainte vie, et qui veulent prolonger longtemps leurs
désordres. C’est avec raison que Dieu nous a caché ce jour formidable, c’est
ainsi que notre coeur soit toujours prêt et attende ce qui arrivera; il est
certain que ce jour viendra, bien qu’il ignore le moment; car Notre Seigneur
Jésus-Christ, envoyé pour nous instruire, a dit que le Fils de l’homme lui-même
ne connaît point ce jour 2, parce qu’il n’était point dans ses attributions de
nous le faire connaître. Le Père, en effet, ne sait rien que le Fils ne sache
également, puisque la science du Père est identique à sa sagesse, et que sa
sagesse est son Fils, son Verbe. Mais
1. Il ne faut pas oublier ici ce qui est
raconté dans la vie de saint Fulgence, chap. III. Il avait résolu dans son âme
de renoncer au monde, touché de la grâce en entendant saint Augustin exposer le
psaume trente-sixième, il fit aussitôt connaître son vœu et prit l’habit
monastique.
2. Marc, XIII, 32.
comme il n’était pas utile pour nous de
connaître ce que connaissait fort bien celui qui était venu nous instruire,
sans nous apprendre ce qu’il ne nous était pas avantageux de savoir:
alors, non seulement c’est en qualité de
maître qu’il nous a donné certains enseignements, mais encore en qualité de
maître qu’il nous en a refusé d’autres. Ce Maître par excellence savait
parfaitement enseigner ce qu’il nous fallait savoir, et nous dérober ce qui
était nuisible. Dire alors que le Fils ignore ce qu’il n’enseigne pas, c’est là
une manière de parler, qui signifie qu’il nous le laisse ignorer; c’est un
langage qui nous est ordinaire. Ainsi, nous appelons joyeux le jour qui nous
donne de la joie; et jour triste, celui qui vient nous contrister; et froid
engourdi, le froid qui nous engourdit. Dans un sens contraire, le Seigneur a
dit: « C’est maintenant que je connais ». Il dit à Abraham: « Je connais
maintenant que tu crains le Seigneur 1 ». Dieu toutefois le savait avant cette
épreuve. Puisque cette épreuve eut lieu afin que nous puissions connaître ce
que Dieu connaissait, et qu’elle fut écrite pour nous apprendre ce que Dieu
savait bien, avant toute preuve visible. Abraham à son tour ne connaissait
peut-être point les forces de sa foi: (car l’épreuve est une leçon qui nous
révèle à nous-mêmes); ainsi Pierre ne connaissait point non plus ce que pourrait
sa foi, quand il dit au Seigneur: «.Je suis avec vous jusqu’à la mort 2 ». Mais
le Seigneur, qui le connaissait, lui prédit le moment de sa chute, lui révélant
ainsi sa faiblesse comme s’il eût touché la veine de son coeur. Aussi, Pierre
qui comptait sur lui-même avant la tentation, apprit par la tentation même à se
connaître. C’est en ce sens que nous avons raison de croire qu’Abraham connut
les forces de sa foi, quand, soumis à l’ordre du Seigneur qui lui commandait
d’immoler son fils, il l’offrit sans hésiter à celui qui le lui avait donné; de
même qu’il n’avait su avant sa naissance comment Dieu lui donnerait cet enfant,
de même il crut que Dieu pourrait le ressusciter après qu’il le lui aurait
immolé. Dieu dit donc: « Je connais maintenant »: c’est-à-dire, je t’ai fait
connaître. Comme dans ces locutions dont je viens de\parler: un froid engourdi,
parce qu’il engourdit; un jour joyeux, parce qu’il nous procure de la joie; de
même connaître signifiera: « Faire connaître ».
1. Gen. XXII, 12. — 2.Luc, XXII, 33.
De là encore cette parole: « Le Seigneur
votre Dieu vous éprouve, afin de « savoir si vous l’aimez 1 ». Or, est-ce au
Seigneur notre Dieu, au Dieu souverain, au Dieu véritable que tu peux attribuer
l’ignorance? Ce serait un sacrilège de l’entendre ainsi « Le Seigneur vous
éprouve afin de savoir », comme si la tentation lui apprenait ce qui pouvait
ignorer auparavant. Que signifie donc: « Il vous éprouve afin de savoir »,
sinon: Il vous éprouve afin que vous sachiez? C’est donc ce sens contraire qui
doit régler pour vous ces manières de parler; et de misse qu’en lisant de la
part de Dieu: « J’ai compris », vous entendez: je vous ai fait comprendre, de
même quand il est dit que le Fils de l’homme ou le Christ ignore ce jour-là,
entendez qu’il le laisse ignorer. Mais commet nous le laisse-t-il ignorer? Il
nous le cache, afin que nous ne sachions point ce qu’il ne nous est pas utile
de savoir. C’est ainsi, comme je le disais, qu’un maître habile sait ce qui
faut enseigner comme ce qu’il faut taire. Il même lisons-nous qu’il tint en
réserve certains enseignements. D’où nous devons comprendre qu’il n’est pas bon
de dire toutes les vérités, quand ceux qui nous entendent nom peuvent porter.
Jésus-Christ nous dit ailleurs: « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire,
mais vous ne pouvez les comprendre maintenant 2 », Et saint Paul: « Je n’ai pu
vous parler », dit-il, « comme à des hommes spirituels, mais comme à des
personnes charnelles, comme à des enfants en Jésus-Christ. Je ne vous ai
nourris que de lait et non de viandes solides, parce que vous ne le pouviez
pas, et que même à présent vous ne le pouvez encore 3». A quoi tend ce
discours, mes frères? Puisque nous savons qu’il nous est utile de savoir que le
jour du jugement viendra, et qu’il nous est utile encore d’en ignorer le
moment, qu’une vie pure tienne toujours notre coeur préparé; et non seulement
gardons-non d’en craindre l’arrivée, mais allons jusqu’à l’aimer. Car si ce
jour est pour les infidèles un surcroît de peines, il en est le terme pour les
vrais fidèles. Avant que ce jour n’arrive, il vous est possible de choisir le
parti qui nous plaît; lorsqu’il sera venu, il ne sera plus temps. Choisissez
donc, tandis que vous le pouvez: c’est par miséricorde que Dieu diffère ce
qu’il nous laisse ignorer dans sa miséricorde,
1. Deut, XIII, 3. — 2. Jean, XVI, 12. — 3. I
Cor. III, 1, 2.
.
2. Mais dans tout genre de vie que l’on
professe, tous ne sont pas élus ni tous réprouvés; c’est ce qui ressort de
toutes ces catégories que l’Evangile nous proposait tout à l’heure en exemples,
et d’où le Sauveur conclut: « L’un sera pris, l’autre sera laissé !
On prendra le bon pour laisser le mauvais.
Vous voyez deux hommes dans les champs, la profession est la même, le coeur est
différent. tes hommes voient le même état de vie, mais lieu voit le coeur. Quel
que soit le sens figuratif du champ: « L’un sera pris, l’autre sera laissé»;
non que Dieu doive prendre la moitié des hommes et laisser l’autre moitié mais
il assigne pour les hommes deux états différents. Qu’il y ait ou non peu
d’hommes dans l’un de ces états et beaucoup dans l’autre, « l’un sera choisi,
l’autre laissé»; c’est-à-dire, un de ces états sera pris, l’autre abandonné. Il
en est de même de ceux qui sont au lit, de ceux qui sont occupés à moudre. Vous
attendez peut-être une explication; vous voyez là des obscurités enveloppées
d’énigmes. Je puis y donner un sens, et tel autre un sens différent; mais je
n’interdis à personne de chercher un sens meilleur que celui que j’aurai
exposé, comme nul ne m’empêchera de prendre le sien, si l’un et l’autre sont
d’accord avec la foi. Ceux qui travaillent dans les champs me paraissent
désigner les chefs des églises; car l’Apôtre a dit: « Vous êtes le champ que
Dieu cultive, l’édifice que Dieu bâtit2 ». Lui-même s’appelle architecte, en
disant: « Comme un architecte sage, j’ai d’abord posé le fondement »; puis
comme laboureur, en disant: « J’ai planté, Apollo a arrosé, mais Dieu a donné
l’accroissement 3». En parlant du moulin, Jésus-Christ désigne deux femmes 4 et
non deux hommes. Je crois que cette figure rappelle les peuples, car ils sont
gouvernés, tandis que ce sont les préposés qui gouvernent. Ce moulin, selon
moi, désigne le monde, qui tourne pour ainsi dire sur la roue du temps, et qui
broie ceux qui s’éprennent de lui. Il est donc des hommes qui ne se retirent
point des affaires du monde; et toutefois, dans ces affaires, les uns mènent
une vie pure, les autres une vie désordonnée. Les uns se font, avec la monnaie
de l’iniquité 5, des amis qui les recevront dans les tabernacles éternels;
c’est à eux qu’il est
1.
Matt. XXXV, 40.— 2. I Cor. III, 9, 10.— 3. I Cor. III, 6. — 4. Matt. XXIV,41.— 5. lbid
dit: « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à
manger 1 »; d’autres négligent ces actions saintes et on leur dira: « J’ai eu
faim, et vous ne m’avez point donné à manger 2 ». Ainsi, parce que dans les
oeuvres et dans les affaires du monde, les uns aiment à faire du bien aux
pauvres, et que les autres en ont peu de souci: il en sera comme de deux femmes
qui tournent la meule, dont l’une sera choisie, l’autre abandonnée. Le lit me
paraît ici le symbole du repos: il y a des hommes, en effet, peu désireux de
s’engager dans le monde, comme le font ceux qui ont des épouses, des palais,
des domestiques, des enfants, et qui n’ont aucun emploi dans l’Eglise, comme
les ministres qui semblent cultiver le champ du Seigneur. Se croyant trop
faibles pour ces fardeaux, ils recherchent le repos et mènent une vie
tranquille; dans la conviction de leur faiblesse, ils ne se mesurent point avec
les actions difficiles, mais ils prient Dieu comme sur la couche de
l’impuissance. Dans cet état même, les uns sont bons, les autres hypocrites;
aussi est-il dit de ceux-ci encore: « L’un sera pris, l’autre négligé». Quel
que soit l’état que tu embrasses, prépare-toi à y trouver des hypocrites; car
si tu n’y es préparé, tu les rencontreras contre ton attente, ce qui te jettera
dans l’abattement ou dans le trouble. C’est donc pour te préparer que le
Seigneur te parle quand il est temps pour lui de parler et non de juger; pour
toi, d’entendre et non de te repentir vainement. Car aujourd’hui la pénitence
n’est point inutile; elle le sera dans ce moment. En effet, les hommes alors ne
seront point sans repentir, mais la justice de Dieu ne rappellera point pour
eux ce qu’ils auront perdu par leur injustice. Car il est juste que Dieu exerce
aujourd’hui sa miséricorde, et alors son jugement. Aussi, rien n’est muet
aujourd’hui. Est-ce que Dieu se tait? Que chacun se plaigne, qu’il murmure, si
aujourd’hui la parole sainte n’est récitée, chantée dans l’univers entier, si
ce livre n’est même vendu publiquement.
3. Mais ce qui te bouleverse, ô chrétien, ô
mon frère, c’est de voir dans la félicité ceux qui vivent dans le désordre,
c’est de les voir dans l’abondance des biens terrestres, jouir de la santé,
briller par l’éclat des charges, avoir des maisons dans la prospérité, des
1. Luc, XVI, 9.— 2. Matt. XXV, 35,42,
enfants dans la joie, des clients qui les
flattent, de les voir enfin au comble du pouvoir, sans que rien de fâcheux
vienne troubler leur vie. Tu vois donc d’une part une vie coupable, et d’autre
part les plus abondantes richesses; et ton coeur se dit alors que Dieu ne juge
point les hommes, et que tout flotte à l’aventure, au souffle de tous les
hasards. En effet, si le Seigneur, dis-tu, prenait garde aux choses du monde,
verrait-on cet impie fleurir, tandis que, moi innocent, je gémis dans la
misère? Toute maladie de l’âme trouve son remède dans les saintes Ecritures.
Qu’il s’abreuve donc de notre psaume comme d’une potion salutaire, celui qui
est assez malade pour tenir ce langage dans son coeur. Quel est ce psaume?
Examinons encore ton langage. Qu’ai-je dit, me répondras-tu, sinon ce que tu
vois toi-même? Les méchants dans la prospérité, les bons dans la misère:
comment Dieu peut-il supporter cette vue? Prends, mon frère, et bois: c’est
celui qui est l’objet de tes murmures qui t’a préparé ce breuvage; ne le refuse
point, il est salutaire; prépare par l’oreille la bouche de ton coeur, et bois
ce que tu entends: « Ne soyez point jaloux de la prospérité des méchants; ne
portez point envie à ceux qui commettent l’iniquité, car ils se dessécheront
bientôt comme le foin, ils se faneront comme l’herbe des prés 1 ». Ce qui est
long pour toi est court aux yeux de Dieu. Sois uni à Dieu, et ce temps sera
court pour toi. « Ce foin », du prophète, s’entend « de l’herbe des prés ». Ce
sont là des plantes méprisables qui recouvrent la surface de la terre et n’ont
point de fortes racines. Aussi ont-elles quelque verdure pendant l’hiver, mais elles
se dessèchent quand la chaleur du soleil se fait sentir. En ce temps donc nous
sommes en hiver, et notre gloire n’apparaît pas encore; mais si la charité a
dans ton coeur des racines profondes, comme il en est de beaucoup d’arbres
pendant l’hiver, alors les froids passeront, et viendra l’été ou le jour du
jugement: l’herbe cessera d’être verte, et les arbres se revêtiront de gloire.
« Vous êtes morts 2 »,dit l’Apôtre, comme ces arbres qui paraissent en hiver
desséchés et morts, Quelle espérance pouvons-nous avoir, si nous sommes morts?
Mais nous avons une racine à l’intérieur; où est notre racine, là est aussi
notre vie; car c’est là qu’est notre charité,
1. Ps. XXXVI, 1,2. – 2. Colos, III, 3.
« Et votre vie », est-il dit, « est cachée
avec Jésus-Christ en Dieu ». Mais alors, comment
se dessécherait celui qui a une telle racine?
Mais quand viendra notre printemps? Quand
1’été se fera-t-il pour nous? Quand
serons-nous revêtus de la beauté de nos feuilles, de
l’abondance de nos fruits? Quand viendra ce moment?
Ecoutez ce qui suit: « Quand apparaîtra le Christ qui est votre gloire, vous
apparaîtrez aussi dans la gloire avec lui 1 »
Que faire maintenant? « Ne soyez point émus
de la gloire des méchants; ne portez point envie à ceux qui font le mal, ils se
dessécheront bientôt comme le foin, ils se faneront comme l’herbe des prés ».
4. Mais toi? « Espère dans le Seigneur ».Car
ceux-là espèrent, mais non point en Dieu:
leur espérance n’est que d’un moment,
espérance périssable, fragile, qui s’évapore, qui passe et disparaît. «Espère
dans le Seigneur ». Voilà que j’espère, que faire? « Fais le bien », N’imite
point le mal que tu vois chez ces hommes d’une impiété florissante. « Fais le
bien et habite la terre 2 ». Ne fais pas le bien en dehors de la terre que tu
habites; car la terre du Seigneur, c’est son Eglise; c’est elle qu’arrose, elle
que cultive ce Père céleste qui en est le vigneron 3. Il en est beaucoup qui
paraissent faire de bonnes oeuvres; mais comme ils n’habitent point cette
terre, il n’appartiennent point à ce vigneron céleste, Fais donc le bien, non
en dehors de lu terre, mais habite la terre. Et que m’en reviendra-t-il? « Et
tu seras rassasié de ses richesses ». Quelles sont les richesses de cette
terre? C’est le Seigneur, qui est sa richesse; toute sa richesse est en son
Dieu; c’est lui à qui l’on dit: « Seigneur, vous êtes mon partage 4 »; c’est
lui à qui l’on dit encore: «Le Seigneur est la part de mon héritage et de mon
calice 5 ». Dans un dernier discours6, nous avons démontré à votre charité que
le Seigneur est notre possession, et que nous sommes la possession de Dieu.
Ecoutez encore qu’il est la richesse de cette terre, et voyez ce qu’ajoute le
Prophète: « Mettez vos délices dans le Seigneur ». Comme si vous faisiez cette
demande: Montrez-nous les richesses de cette terre où vous voulez me faire
habiter. « Mettez », répond le psalmiste,
1. Coloss. III, 4. —2. Ps. XXXVI, 3. — 3.
Jean, XV, 1. — 4. Ps. LXXII, 26. — 5. Id. XV, 5. — 6. Dans l’exposition du
psaume XXXII qui eut lieu à Carthage dans l’église de saint Cyprien.
mettez vos délices dans le Seigneur, et il
remplira les désirs de votre coeur 1 ».
5. Remarquez bien: « les désirs de votre cœur
». Et ces désirs de votre coeur, séparez-les des désirs de la chair;
séparez-les autant que possible. Ce n’est pas sans raison qu’il est dit dans un
psaume: « Vous êtes le Dieu de mon cœur », puisqu’on ajoute: « Vous êtes, ô
Dieu, mon partage pour l’éternité 2 ». Un aveugle, par exemple, a perdu la vue
du corps, et il prie Dieu de le rendre la lumière. Qu’il fasse à Dieu cette
prière, j’y consens, puisque Dieu fait aux hommes eus grâces et leur accorde
ces dons. Mais les méchants font aussi ces prières. Ce sont là des demandes
charnelles. Voilà un malade, il demande à Dieu la santé; il l’obtient, mais pour
mourir un jour. Voilà encore une demande charnelle et beaucoup d’autres
semblables. Quelle est la prière du coeur? De même qu’il y a prière charnelle à
demander la guérison des yeux pour voir cette lumière que peuvent contempler
ces yeux charnels; de même la prière du coeur aspire à une autre lumière: «
Bienheureux », en effet, « ceux qui ont le coeur pur, parce qu’ils verront Dieu
3. Mettez vos délices dans le Seigneur, et il remplira les désirs de votre cœur
».
6. Voilà que je le désire, que je le demande,
que je le veux: est-ce moi qui pourrai me satisfaire? Nullement. Qui donc? «
Révélez vos voies au Seigneur, espérez en lui, et il m agira lui-même »o.
Exposez-lui ce que vous souffrez, exposez ce que vous désirez. Ce que vous
souffrez: « La chair a des désirs contraires à ceux de l’esprit, et l’esprit en
a de contraires à ceux de la chair 4 ». Que veux-tu dès lors? « Malheureux
homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort? » Et comme c’est Dieu
qui doit agir quand tu lui auras révélé tes voies, écoute ce qui suit: « Ce
sera la grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre Seigneur 5 ». Mais que fera lieu
dont il est dit: « Révélez au Seigneur vos voies et il agira ». Quelle sera
cette action? « Il fera éclater votre justice comme la lumière 6 ». Aujourd’hui,
votre justice est eschée: tout se passe dans la foi et non dans la claire vue.
Tu crois, et c’est ce qui te fait agir, mais tu me vois point ce que tu crois.
Quand tu commenceras à voir l’objet de ta foi,
1. Ps. XXXVI,
4. — 2. Id. LXXII, 26. — 3. Matt. V, 8.— 4. Gal. V, 17. — 5. Rom, VII, 24. — 6.
Ps. XXXVI, 6.
ta justice paraîtra comme la lumière: parce
que ta justice était dans ta foi 1: puisque « c’est de la foi que vit le juste
2 ».
7. « Il fera éclater votre justice comme la
lumière, et votre jugement comme le plein midi 3 », c’est-à-dire comme la
pleine lumière; et cette expression: « Comme une lumière », lui paraissait trop
faible. Nous appelons lumière celle du point du jour, nous appelons encore
lumière celle du soleil qui s’élève; mais jamais la lumière n’est plus
brillante qu’en plein midi. Le Seigneur donc non seulement fera briller votre
justice comme une lumière, mais encore votre jugement comme le plein midi.
Ainsi tu as jugé bien de suivre le Christ; c’est là ton dessein, ton choix, ton
jugement. Nul ne t’a fait voir ce qu’il t’a promis; tu tiens les promesses, tu
en attends l’accomplissement; c’est donc par un jugement de ta foi que tu as
résolu de suivre ce que tu ne vois pas. Ce jugement est encore caché; il est
pour les infidèles un sujet de blâme et de railleries Quel est l’objet de ta
foi, disent-ils? Que t’a promis le Christ? de te donner l’immortalité, la vie
éternelle? Où est cette vie? Quand te la donnera-t-il? Quand sera-ce possible?
Et toutefois tu juges qu’il est mieux de suivre le Christ qui te promet ce que
tu ne vois pas, que de suivre cet impie qui te blâme de croire ce que tu ne
vois pas. C’est là ton jugement: et nul ne voit encore quel est ce jugement: ce
monde est comme une nuit. Quand sera-ce qu’il fera éclater ton jugement comme
un plein midi? « Quand apparaîtra le Christ qui est votre vie, alors vous
aussi, vous apparaîtrez avec lui dans la gloire 4». Qu’arrivera-t-il au jour du
jugement, quand le Christ rassemblera toutes les nations devant son tribunal?
Où l’impie cachera-t-il sa malice, quand je verrai l’objet de ma foi?
Qu’avons-nous donc maintenant? Des angoisses, des tribulations, des épreuves.
Heureux celui qui les endure: « Car celui-là sera sauvé, qui aura persévéré
jusqu’à la fin 5». Qu’il ne cède point aux insolences, qu’il ne cherche point à
y fleurir, et d’arbre qu’il est, à devenir une herbe qui se dessèche.
8. Quel est donc mon devoir? Ecoute ce
devoir: « Sois soumis au Seigneur et invoque sa bonté 6 ». Que ta vie ne soit
qu’un acte d’obéissance à ses volontés. C’est là lui être
1. Habac. II, 4. — 2. Rom. I,17. — 3. Ps.
XXXVl, 6.— 4. Coloss. III, 4.— 5. Matt. XXIV,13. — 6.
Ps.XXXVI, 7.
soumis et l’invoquer, jusqu’à ce qu’il
accorde ce qu’il a promis. Que tes bonnes oeuvres soient continuelles, ta
prière incessante, « Car il faut toujours prier, et ne pas cesser de prier 1 ».
En quoi paraîtra ta soumission? A faire ce qui t’est commandé. Mais tu n’en
reçois pas la récompense, parce que tu n’en es pas encore capable. Dieu
pourrait bien te la donner, mais toi, tu ne pourrais la recevoir. Exerce-toi
donc aux bonnes oeuvres, travaille dans la vigne du Seigneur; et ne demande
qu’à la fin du jour la récompense, car celui qui t’a envoyé à sa vigne est
fidèle 2. « Sois donc soumis à Dieu, et invoque sa puissance ».
9. Voilà que je le fais, je suis soumis au
Seigneur, et je l’invoque. Mais que vas-tu penser? J’ai un voisin fripon qui
vit dans le désordre, et néanmoins il est florissant; ses vols, ses adultères,
ses larcins, je les connais; partout il est hautain, orgueilleux; et, dans
l’enivrement de ses iniquités, il ne daigne même pas me regarder: comment
supporter tout cela? C’est là une maladie, mais prends cette potion: « Ne sois
point ému à la vue de l’homme qui prospère dans ses voies ». Il prospère en
effet, mais dans ses voies; et toi, tu souffres, mais dans la voie de Dieu: il
prospère en chemin pour arriver au malheur; et toi, tu souffres en chemin, mais
pour arriver au bonheur: car la voie des impies doit périr. « En effet, le
Seigneur connaît les voies du juste, mais la voie de l’impie périra 3». Tu es
donc sur les voies que connaît le Seigneur: et si elles te sont pénibles, elles
sont du moins sans erreur. La voie de l’impie est un bonheur passager. Le terme
de cette voie est aussi le terme du bonheur. Pourquoi? Parce que cette voie est
large, et qu’elle aboutit aux profondeurs de l’enfer. Mais ta voie est étroite,
et il en est peu pour y marcher 4; or, il te faut songer à quelle immensité
ceux-ci arrivent. « Ne sois donc point jaloux de celui qui prospère dans son
chemin. Contre l’homme d’iniquité, réprime ta colère et oublie ton indignation
5 ». Pourquoi t’irriter? Pourquoi cette colère, cette indignation va-t-elle
aboutir au blasphème, ou presque au blasphème? « Réprime ta colère contre cet
homme d’iniquité, et oublie ton indignation ». Car sais-tu où te conduirait
cette
1. Luc, XVIII, 1. — 2. Matt. XX, 8. — 3. Ps. I, 6. — 4. Matt. VII, 13, 14.— 5. Ps. XXXVI, 7,8.
1ère? Elle te ferait dire que Dieu est
injuste. Pourquoi cet homme est-il heureux, et celui. là malheureux? Vois
jusqu’où elle t’emporte, étouffe-la dès sa naissance. « Réprime ta eu. «co
colère, oublie ton indignation », afin que le repentir te fasse dire: « Mon
oeil s’est troublé de colère1 ». Quel oeil, sinon l’oeil de la foi? Or, à cet
oeil de la foi je demande: Crois-tu en Jésus-Christ, et quel est ton motif de
croire? Que t’a-t-il promis? Si Jésus-Christ t’a promis le bonheur de ce monde,
murmure contre le Christ; oui, murmure quand tu vois l’impie dans le bonheur.
Quel est donc le bonheur qu’il t’a promis, sinon à la résurrection des morts?
Mais en cette vie? Le même sort qu’à lui-même; oui, le même sort. Or, toi,
serviteur, toi, disciple, dédaigneras-tu le sort du maître, du Seigneur? Ne
l’entendras. tu point dire: « Le serviteur n’est pas plus grand que le maître,
ni le disciple plus grand que celui qui l’instruit 2? » Pour toi, il a passé
par les douleurs, par la flagellation, par les opprobres, par la croix, par la
mort Eh! qu’avait mérité de tout cela ce juste par excellence? Que méritait
celui qui était sans péché? Tiens donc ton oeil fixé sur lui, et ne te laisse
point troubler par la colère: « Réprime ta colère, oublie ton indignation,
bannis la jalousie qui te porte au mal », comme pour imiter celui que tu vois
heureux pour un temps au milieu de ses désordres. « Bannis la jalousie qui te
porte au mal, « car tous ceux qui font le mal seront exterminés ». Cependant je
les vois heureux. Crois-en néanmoins celui qui dit: « Ils seront exterminés »:
car il voit mieux que toi, et la colère ne trouble point son oeil. « Ceux-là
donc seront exterminés qui commettent la mal. Mais ceux qui attendent le
Seigneur », non point l’homme trompeur, mais la Vérité elle-même; non point
l’homme faible, mata Celui qui est tout-puissant, « ceux qui attendent le
Seigneur auront la terre en héritage 3 ». Et quelle terre, sinon cette
Jérusalem qui sera le lieu de la paix pour cens-dont elle enflamme les désirs?
10. Mais jusques à quand les pécheurs
seront-ils florissants? Jusques à quand me faudra-t-il attendre? Tu es
impatient, et bientôt se réalisera ce qui te paraît si long. C’est ta faiblesse
qui te fait paraître long ce qui est pourtant si court. Connais-tu les
1. Ps. VI, 8. — 2. Jean, XIII, 16.— 3. Ps.
XXXVI, 9.
empressements des malades? Rien n’est si long
que le temps de préparer leur breuvage. Chacun de ceux qui environnent ce
malade, s’empresse, pour ne pas le jeter dans l’impatience. Quand cela
sera-t-il fait? sera-t-il cuit? Quand me le donnera-t-on? Ceux qui te serment
se hâtent, c’est ton infirmité qui te fait trouver long ce qui est fait si
promptement. Voyez donc notre médecin; il console ce malade qui dit: Combien de
temps encore? Quand cela finira-t-il? « Encore un peu de temps », dit le
Seigneur, « et le méchant ne sera plus». Tu gémis d’être au milieu des
méchants, c’est le méchant qui te fait gémir; encore un moment et il ne sera
plus. Toutefois ces paroles: « Ceux qui attendent le Seigneur auront la terre
en héritage », te font croire que cette attente sera longue; attends encore un
peu, et tu posséderas éternellement ce que tu auras attendu. Encore un peu, un
moment. Compte les années depuis Adam jusqu’aujourd’hui, parcours les
Ecritures: c’est presque d’hier qu’il est banni du paradis 1. Et toutefois le
monde a parcouru bien des siècles qui sont écoulés. Où sont donc bannées du
passé? Ainsi s’écoulera le peu de temps qui nous reste. Quand même tu aurais
vécu depuis qu’Adam fut chassé du paradis jusqu’aujourd’hui, tu trouverais bien
peu longue une vie qui s’envole ainsi. Que doit être alors la vie de chaque
homme? Ajoute à cette vie autant d’années qu’il te plaira, prolonge le plus
possible sa vieillesse, qu’est-ce encore? N’est-ce point une aurore matinale?
Quel que soit donc l’intervalle qui nous sépare du jour du jugement, alors que
les justes et les méchants recevront selon leurs mérites; ensurément le dernier
jour ne saurait être éloigné pour toi. C’est à celui-là qu’il te faut préparer.
Car tel tu sortiras de cette vie, tel tu entreras dans l’autre vie. Après ces
jours si restreints, tu ne seras point encore dans le séjour des saints
auxquels il est dit: « Venez, dénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a
été préparé dès l’origine du monde 2 ». Tu n’y seras point encore, qui en
doute? Mais tu pourras être dans ce séjour oh reposait ce pauvre autrefois
couvert d’ulcères 3, et que du milieu de ses tourments voyait au loin le riche
orgueilleux et stérile en bonnes oeuvres. C’est dans ce lieu de repos que tu
attendras en toute sécurité le jour du
1. Gen. III, 6.— 2.
Matt. XXV, 34.— 3. Luc, XVI, 23.
jugement, où ton corps te sera rendu, et où
tu seras transformé pour devenir l’égal des anges. Quel est donc cet espace qui
nous paraît si long, et qui nous fait dire: Quand sera-ce? Tardera-t-il
beaucoup? C’est là ce que diront nos fils, ce que diront nos neveux: et quand
ils parleront ainsi en se succédant, le peu qui reste passera avec la même
rapidité qui entraînait les siècles écoulés. O malade! « Encore un peu de temps
et le pécheur ne sera plus 1 ».
11. « Tu chercheras sa place, et tu ne la trouveras
point ». Le Prophète explique ici ce qu’il vient de dire: « Il ne sera plus »;
non que le pécheur doive cesser d’exister, mais il n’aura plus aucun pouvoir.
S’il cessait complètement d’exister, il ne craindrait plus les tourments; et
alors il serait en sûreté et dirait: « Je puis faire selon mon bon plaisir tant
que je vivrai; après cela je ne serai plus rien. Nul alors ne souffrira plus,
nul ne sera tourmenté ». Et que deviendront ces paroles: « Allez au feu éternel
préparé à Satan et à ses anges 2?» Mais peut-être que ceux que l’on aura jetés
dans ce feu cesseront d’exister, et seront consumés? Mais alors il ne serait
pas dit: « Allez au feu éternel», car il n’y a pas d’éternité pour ceux qui ne
sont plus. Et toutefois le Seigneur ne nous a point caché ce que fera cette
flamme sur les damnés, si elle doit les consumer, ou seulement les tourmenter
de ses ardeurs. « C’est là », dit-il, « qu’il y aura pleur et grincement de
dents 3 ». Comment y aurait-il pleur et grincement de dents chez des gens qui ne
sont plus? Comment donc faut-il entendre cette parole: « Encore un instant et
il n’y aura plus de pécheur », sinon dans le sens que donne le verset suivant:
« Et tu chercheras sa place et tu ne la trouveras point? »Qu’est-ce que sa
place? Son usage. Le pécheur a-t-il donc son utilité ici-bas? Assurément.
Ici-bas il est utile à Dieu pour l’épreuve du juste, comme Dieu se servit du
diable pour éprouver Job 4, comme il se servit de Judas pour livrer
Jésus-Christ. Le méchant a donc en cette vie son usage. Il a donc ici-bas sa
place, comme la paille dans le fourneau de l’orfèvre. La paille se consume,
afin que l’or se purifie; ainsi l’impie a ses fureurs, qui servent à éprouver
le juste. Mais quand finira
1. Ps. XXXVI, 10.— 2. Matt. XXV, 41. — 3. Id.
VIII, 12. — 4. Job, 12.
pour nous le temps de l’épreuve, quand il n’y
aura plus personne à éprouver, il n’y aura plus de méchants pour servir à
l’épreuve. Or, dire qu’ils ne seront plus pour l’épreuve, est-ce dire qu’ils
n’existeront plus? Nullement; mais comme l’on n’aura plus besoin des pécheurs
pour éprouver les bons: « Tu chercheras la place de ces méchants et tu ne la
trouveras point ». Cherche maintenant la place du pécheur, elle est facile à
trouver. Dieu s’en est fait un fouet, il l’a mis en honneur et lui a donné une
puissance. Il en agit quelquefois ainsi; il donne au pécheur un pouvoir qui
châtie les puissances humaines, qui corrige les hommes pieux. Ce pécheur sera
traité selon son mérite; et néanmoins il a servi aux progrès du juste et à la
chute de l’impie. « Tu chercheras sa place et tu ne la trouveras point ».
12. « Quant aux hommes doux, ils posséderont
la terre en héritage 1 ». Cette terre dont nous avons souvent parlé, c’est la
Jérusalem sainte, qui sera délivrée de son exil et qui vivra éternellement de
Dieu et avec Dieu. Donc « ils posséderont la terre en héritage ». Et quelles
seront leurs délices? «Ils se réjouiront dans l’abondance de la paix ». Que cet
impie mette ici-bas sa joie dans l’abondance de son or, dans l’abondance de son
argent, dans ses nombreux esclaves, dans le nombre enfin de ses salles de
bains, de ses rosiers, dans son intempérance et dans ses riches et luxurieux
festins. Serais-tu donc jaloux de cette puissance, et cette fleur aurait-elle
de l’attrait pour toi? Que cet homme soit toujours en cet état, n’en sera-t-il
pas à plaindre? Mais toi, quelles seront tes délices? « Ils se réjouiront dans
l’abondance de la paix ». Ton or sera la paix, ton argent la paix, tes domaines
1. Ps. XXXV, 11.
la paix, ta vie la paix, ton Dieu la paix. La
paix sera tout ton désir. Ce qui est de l’or ici-bas ne peut être de l’argent
pour toi; ce qui est du vin ne peut être du pain; ce qui est pour toi la
lumière ne peut être un breuvage mais Dieu sera tout pour toi. Il sera ta
nourriture et tu n’auras plus faim; ton breuvage, et tu n’auras plus soif; ta
lumière, et tu ne seras plus aveugle; ton soutien, et tu n’éprouveras point la
fatigue; et Dieu tout entier te possédera entièrement. Là tu ne seras point mis
à l’étroit par celui avec qui tu posséderas tout: tu auras tout, comme lui-même
aura tout; parce que tu ne seras qu’un avec lui, et que Dieu possède à la fois
cette unité et cette universalité. « Voilà ce que Dieu réserve à l’homme de la
paix ». Nous l’avons chanté; ce verset dans notre psaume est bien loin sous
doute de ceux que nous avons expliqués; mais comme nous l’avons chanté,
prenons-le pour terminer. Pour toi, ô mon frère, cultive en « toute sécurité
l’innocence », qui est un trésor précieux. Tu as le désir du vol, c’est sans
doute afin de t’enrichir; mais vois où tu portes la main et où tu dérobes:
d’une part, tu acquiers, pour perdre d’autre part; tu acquiers de l’argent, tu
perds ton innocence Ah! plutôt que ton coeur s’éveille; toi qui acquiers de
l’argent au prix de l’innocence perds plutôt cet argent. « Garde ton innocence
et vois ce qui est droit »; car c’est Dieu lui-même qui te dirigera, et te fera
vois loir ce qu’il veut lui-même, et telle est la voie droite. Car si tu ne
veux point ce qu’il veut, tu seras tortueux, et ces difformités ne te
permettront point de t’ajuster à la règle qui est droite, « Cultive donc
l’innocence, et vois ce qui est droit »; loin de toi de croire que l’homme
finit avec cette vie; « car Dieu a des réserves pour l’homme de la paix ».
Le Méchant ne peut souffrir en personne, et
il se nuit en persécutant le juste. Dieu s’en sert pour nous mettre à
l’épreuve, puis il le brise s’il ne se convertit. Quand le juste souffre, il
puise sa force dans sa foi en Dieu, dans l’espérance de l’héritage Éternel. Le
méchant n’a que le désespoir dans le malheur, et son bonheur s’évapore en
fumée. Le Seigneur dirige les pas du juste qui se console dans sa ressemblance
avec Jésus-Christ. Les faux témoins contre Jésus-Christ sont les ancêtres des
Donatistes.
1. Il me faut obéir aux injonctions que l’on
m’a faites, et vous parler encore de ce psaume. Car le Seigneur a voulu par les
grandes pluies retarder notre départ, et l’on m’a recommandé de ne point
laisser reposer ma langue d’une manière inutile pour vous, qui êtes la
sollicitude de mon coeur, comme je suis la vôtre. Déjà je vous ai exposé le
dessein de Dieu dans ce psaume, ce qu’il veut nous enseigner, les conseils
qu’il nous donne, les écueils qu’il veut nous faire éviter, ce qu’il faut endurer,
ce qu’il faut espérer. Deux sortes d’hommes, en effet, les justes et les
pécheurs, vivent confondus sur la terre pendant cette vie. Chacune de ces
catégories a dans le cœur une tendance qui lui est propre. Les justes cherchent
à s’élever par l’humilité, les méchants descendent par l’orgueil. Les uns
s’abaissent pour se relever, les autres s’élèvent pour tomber. De là vient que
les uns souffrent et que les autres font souffrir: que le dessein des justes
est de gagner même les méchants pour l’éternelle vie, et le dessein des
pécheurs est de rendre le mal pour le bien, et d’ôter même, s’ils le pouvaient,
la vie du temps à ceux qui s’efforcent de leur procurer la vie éternelle. Car
le juste est à charge pour le pécheur, comme le pécheur pour le juste; ils sont
une charge l’un à l’autre. Nul ne doute que ces deux hommes ne soient à charge
mutuellement, mais dans un sens bien différent. Si le juste est à charge au
pécheur, c’est qu’il voudrait qu’il ne fût plus pécheur, et qu’il se propose de
le rendre juste, comme il y tend par ses efforts; mais le pécheur a pour le
juste une telle haine, qu’il voudrait qu’il n’existât aucunement, et non qu’il
devint bon. Plus il est juste, et plus il est à charge à l’iniquité du pécheur,
qui travaille même à le rendre injuste, et s’il ne peut y parvenir, à le faire
disparaître et à s’épargner la peine et l’ennui de le voir. Quand même il
parviendrait à le rendre injuste, celui-là ne lui en serait pas moins à charge.
Car ce n’est pas seulement l’homme juste qui est à charge à l’homme injuste,
mais deux hommes injustes ont peine à se souffrir: et s’ils paraissent
quelquefois s’aimer, c’est plutôt de la complicité que de l’amitié. Ils ne
s’accordent que pour tramer la perte du juste; et cet accord, loin d’être de
l’amitié, n’est que la haine de celui qu’ils devraient aimer. C’est à l’égard
de ces hommes que le Seigneur notre Dieu nous recommande la tolérance, et cette
affectueuse charité que l’Evangile nous fait connaître par ce précepte du
Seigneur, qui nous dit: « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous
haïssent 1 ». L’Apôtre dit aussi: « Ne vous laissez point vaincre par le mal,
mais triomphez du mal par le bien 2 ». Luttez avec le méchant, mais luttez en
bien; car le véritable combat, ou plutôt la lutte salutaire, consiste à mettre
un bon en face d’un méchant, et non deux méchants aux prises.
2. Mais reprenons le psaume. Nous en avons
exposé la première partie, voici la suite:
« L’impie observe le juste et grince des
dents « contre lui, mais le Seigneur se rit de lui ». De qui? Evidemment du
pécheur qui grince des dents contre le juste. Or, pourquoi « le Seigneur s’en
rira-t-il? parce qu’il voit que « son jour est proche». Il paraît plein de
fureur quand il menace le juste, et il ne sait pas que demain son heure viendra:
mais le Seigneur le voit, il sait que son jour arrive. Quel jour? Le jour où il
rendra à chacun
1. Matt, V, 44. — 2. Rom. XII, 21.
selon ses oeuvres. Car l’impie s’amasse un
trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement
de Dieu. Mais Dieu prévoit cela, et toi tu ne le prévois point; celui qui le
prévoit te l’a révélé. Tu ignores le jour où l’impie recevra son châtiment;
mais celui qui le sait ne te l’a point caché. Ce n’est pas la moindre partie de
la science, que de s’attacher à celui qui voit. Il a l’oeil de la science; à
toi l’oeil de la foi. Crois ce que Dieu voit; car viendra pour l’injuste ce
jour que Dieu prévoit. Quel jour? Le jour de toute vengeance; il faut que Dieu
tire vengeance de l’homme impie, de l’homme injuste, soit qu’il se convertisse,
soit qu’il ne se convertisse pas. S’il se convertit, la vengeance consiste dans
la mort de son iniquité. Le Seigneur ne s’est-il pas ri de Judas qui le
trahissait, de Saul qui le persécutait, en voyant le jour de ces deux hommes
d’iniquité? Il a vu pour l’un le jour du châtiment; pour l’autre, le jour de la
justification. Il s’est vengé de l’un et de l’autre, en jetant l’un aux flammes
de l’enfer, en renversant l’autre par une voix céleste. Toi donc, ô mon frère,
quand le méchant te fait souffrir, regarde avec Dieu, par les yeux de la foi,
son jour qui arrive, et à la vue de ses fureurs contre toi, dis en toi-même: Ou
bien il se corrigera pour venir avec moi, ou bien il ne sera point avec moi
s’il persévère.
3. Quoi donc I son injustice te nuirait-elle
sans lui nuire aucunement? Cette iniquité dont tu es victime, et qui est
l’effet de la haine et de la colère, ne l’a-t-elle pas ravagé intérieurement
avant de t’atteindre au dehors? Ton corps est en proie à la douleur, mais son
âme est dévorée par la gangrène du péché. Tout ce qu’il exhale contre toi
retombe sur lui. Ses persécutions te purifient et le rendent criminel. Auquel
des deux nuit-il davantage? Il t’a dépouillé dans ses emportements; quel est le
plus grand dommage, de perdre son argent ou de perdre sa foi? Ceux qui ont des
yeux intérieurs savent déplorer ces pertes. Il en est beaucoup pour voir
l’éclat de l’or et non l’éclat de la foi; pour l’or ils ont des yeux, pour la
foi ils n’en ont point. S’ils en avaient, s’ils la voyaient, ils y tiendraient
davantage; et pourtant, si l’on vient à leur manquer de foi, ils se récrient,
ils se plaignent: O bonne foi, disent-ils, où est la bonne foi? Tu l’aimes donc
au point de l’exiger, aime encore à la montrer. Donc ceux qui persécutent les
justes souffrent eux-mêmes un plus grand dommage, et subissent une plus grande
perte, par la ruine de leur âme: c’est là ce que nous montre le psaume qui
ajoute: « Les impies ont tiré leur glaive; ils ont tendu leur arc pour
renverser le pauvre et le faible, pour égorger ceux qui ont le coeur droit. Que
leur glaive entre dans leur coeur 1 ». Leur framée ou leur glaive peut bien
atteindre ton corps, comme le glaive des persécuteurs frappa les corps des
martyrs; mais les meurtrissures du corps laissaient le coeur intact; or, il est
loin d’être intact, le coeur de celui qui frappe de l’épée le corps d’un juste.
Voilà ce qu’affirme le psalmiste. Il ne dit point que leur glaive entre dans
leur corps; mais bien: « Que leur framée entre dans leur coeur».Ils ont voulu
tuer le corps et ils ont tué leur âme. Voilà que Jésus-Christ rassure ceux dont
ils vu laient tuer les corps, en leur disant: « Ne craignez point ceux qui
tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme 2 ». Mais alors, qu’est. ce que
frapper du glaive, et ne pouvoir tuer que le corps d’un ennemi, sans pouvoir
tuer l’âme? Ce sont des insensés qui se blessent eux-mêmes, et dans les accès
de leur folie, lit ne savent ce qu’ils font: ils agissent connu celui qui se
passe une épée à travers le corps pour aller percer la tunique d’un autre.
Insensé ! tu regardes ce que tu veux atteindre, et non ce que traverse ton
glaive; tu perces le vêtement d’un autre à travers ton propre corps. Il est
donc bien constant qu’ils se tout plus de mal, et se nuisent plus à eux-même
qu’ils ne croient nuire à leurs ennemis. «Que leur glaive donc entre dans leur
coeur »; telle est la sentence du Seigneur, qu’on ne saurait changer. « Et que
leur arc soit brisé? ». Qu’est. ce à dire « que leur arc soit brisé? » Que leurs
piéges soient inutiles. Il avait dit auparavant: « Les méchants ont tiré leur
glaive, ils ont bandé leur arc ». Il semble que par es glaive tiré il veuille
marquer une attaque visible; mais que l’arc bandé signifierait les embûches
secrètes. Or, voilà qu’il se blesse de son glaive, et que ses piéges occultes
sont trompés. Comment trompés? ils ne nuisent point au juste. Mais quoi !
dépouiller quelqu’un, le réduire à la misère en lui prenant son bien, n’est-ce
donc pas lui nuire? Il a
1. Ps. XXXV, 14, 15. — 2. Matt. X, 28.
donc sujet de chanter: « Le peu que possède
de juste est préférable aux grandes richesses des impies 1».
4. Mais les méchants ont de la puissance; ils
entreprennent beaucoup, ils ont de grands moyens de réussir. Leur commandement
est promptement obéi. En sera-t-il toujours ainsi? « Les bras des impies seront
brisés 2 ». Leurs bras désignent leur puissance. Que fera ce méchant dans
l’enfer? Fera-t-il comme ce riche qui faisait grande chère ici-bas, et qui ébat
tourmenté dans l’abîme 3? « Leurs bras seront donc brisés, mais le Seigneur
soutient les justes ». Comment les soutenir? Que leur dit-il? Ce qui est dit
dans un autre paume: « Attends le Seigneur, agis avec courage, que ton coeur se
fortifie, et attends de Seigneur 4 ». Que signifie: « Attends le Seigneur? » Tu
souffres pour un moment, tu ne souffriras pas toujours: ta douleur sera courte,
mais ta félicité sera éternelle; tu gémis pour un temps, tu te réjouiras sans
fin. Mais tu vas défaillir au milieu de tes douleurs? Voilà sous tes yeux
l’image des souffrances du Christ. Considère ce qu’a souffert pour toi celui
qui ne méritait nullement de souffrir. Quelles que soient tes souffrances,
elles n’iront pas jusqu’à ces opprobres, ces fouets, cette robe dérisoire,
cette couronne d’épines, et enfin cette croix qui, dans le genre humain, a
disparu du nombre des supplices. Autrefois on y attachait les grands scélérats,
nul n’y est cloué aujourd’hui. Elle est en honneur; elle cesse d’être en usage,
puisqu’elle n’est plus un supplice, mais sa gloire subsiste. Du lieu des
supplices elle a passé sur le front des empereurs. Que réserve à ces serviteurs
celui qui a élevé si haut les instruments de son supplice? C’est donc par de
tels actes, c’est par de telles paroles, c’est par ces exhortations, c’est enfin
par cet exemple, que « le Seigneur affermit les justes ». Que les méchants
sévissent à leur gré, et autant que Dieu le leur permettra: « Le Seigneur
affermit les justes ». Quoi qu’il arrive au juste, qu’il l’attribue à la
volonté de Dieu, et non au pouvoir de ses ennemis. Ton ennemi peut avoir de la
fureur, mais il ne peut frapper si Dieu ne le veut point. Et si Dieu veut que
son serviteur soit frappé, il sait comment il le consolera. « Car le Seigneur
corrige celui qu’il a
1. Ps. XXXVI, 16. — 2. Id. 17. — 3. Luc, XVI,
19, 24. — 4. Ps. XXVI, 14.
aime, il frappe de verges celui qu’il reçoit
au nombre de ses enfants 1 ». Pourquoi donc l’impie s’applaudirait-il de ce que
mon Père s’est servi de lui comme d’un fléau? Il se sert de lui comme d’un
instrument; il me corrige pour m’adopter. Ne considérons donc point ce qu’il
permet aux impies, mais le bien qu’il fait aux justes.
5. Mais pour ceux qui sont entre les mains de
Dieu le fouet dont il nous châtie, nous devons souhaiter qu’un châtiment les
convertisse. Telle est en effet la leçon qu’il donnait autrefois aux fidèles,
quand il se servait de Saul pour les châtier, et qu’ensuite il convertissait
Saut. Et quand le saint homme Ananie, qui baptisa Saul, reçut du Seigneur
l’ordre d’accueillir ce même Saul qui était un vase d’élection, il répondit
tout tremblant d’effroi au seul nom du persécuteur Saul; il répondit: «
Seigneur, j’ai ouï parler de cet homme, j’ai appris combien de persécutions il
a fait essuyer à vos saints qui sont à Jérusalem, et maintenant il a reçu des
lettres du grand-prêtre pour aller partout où il trouvera ceux qui invoquent
votre nom, et les amener à Jérusalem chargés de chaînes ». Mais le Seigneur lui
répondit: « Va, car je lui montrerai combien il doit souffrir pour mon nom 2 ».
Je veux, dit le Seigneur, le châtier, me venger de lui; il souffrira pour mon
nom, puisqu’il a persécuté mon nom. Je me sers et je me suis servi de lui pour
châtier les autres, je me servirai des autres pour le châtier. Voilà ce qui est
arrivé, et nous savons les maux qu’a endurés Saul, maux plus nombreux que ceux
qu’il avait faits; il fut un avare créancier, recevant avec usure ce qu’il
avait prêté.
6. Mais voyez encore si le Seigneur accomplit
en lui cette parole du psaume: « Le Seigneur affermit les justes ». Non
seulement, « (ainsi dit saint Paul au milieu de tourments sans nombre), mais
nous nous glorifions encore dans nos afflictions, sachant que l’affliction
produit la patience, la patience la pureté, la pureté l’espérance, et cette
espérance n’est point vaine, car l’amour de Dieu est répandu dans nos coeurs
par l’Esprit-Saint qui nous a été donné 3 ». Il s’agit bien évidemment ici d’un
homme juste et déjà affermi; et comme ses ennemis ne pouvaient lui nuire après
qu’il fut fortifié, de même il ne faisait
1. Hebr.
XII, 6. — 2. Act. IX, 13-16 — 3. Rom. V, 3-5.
aucun mal à ceux qu’il avait lui-même
persécutés. « Le Seigneur», est-il dit, « fortifie les justes » Ecoute encore
d’autres paroles de ce juste fortifié: « Qui nous séparera de la charité de
Jésus-Christ? l’affliction, les angoisses, la faim, la nudité, la persécution
1?» Combien était uni à Jésus-Christ celui que rien de tout cela n’en séparait
! « C’est le Seigneur qui fortifie les justes ». Quelques prophètes venus de
Jérusalem, et pleins du Saint-Esprit, annoncèrent à ce même saint Paul ce qu’il
devait souffrir à Jérusalem; et l’un d’eux, nommé Agabus, ayant délié la
ceinture de Paul pour s’en lier selon la coutume, afin de donner par là une
figure de l’avenir, s’écria: « Comme vous me voyez lié, il faut que cet homme
soit lié à Jérusalem ». A cet avis donné à Saul, devenu Paul, tous les frères
se mirent à le dissuader de s’exposer à de si grands périls; ils le conjurèrent
de renoncer à son voyage de Jérusalem. Mais il était déjà du nombre de ceux
dont il est dit: « Le Seigneur affermit les justes. Pourquoi, dit-il, briser
ainsi mon cœur 2? je n’estime pas ma vie plus que moi 3».Déjà il avait dit à
ceux qu’il enfantait à l’Evangile: « Je me donnerai moi-même pour le salut de
vos âmes ». « Pour moi u, dit-il encore, « je suis prêt, non seulement à être
lié, mais à mourir pour le nom du Seigneur Jésus-Christ 5 ».
7. «Le Seigneur affermit les justes». Comment
les affermit-il? « Le Seigneur connaît les voies des hommes purs 6 ».
Lorsqu’ils sont en butte à la douleur, la foule ignorante, la foule qui ne sait
point discerner les voies des hommes purs, s’imagine qu’ils suivent des voies
mauvaises. Mais celui qui les connaît sait par quel chemin droit il dirige ceux
qui le servent dans la docilité. Aussi dit-il dans un autre psaume: « Il
conduira dans l’équité ceux qui sont doux; il enseignera les voies aux humbles
de cœur 7 ». Combien d’hommes, pensez-vous, n’avaient pas horreur de ce pauvre
couvert d’ulcères, près duquel ils passaient devant la porte du riche 8? Combien
se bouchaient les narines et crachaient peut-être sur lui? Mais Dieu savait
qu’il lui réservait le paradis. Combien d’autres souhaitaient de vivre comme
celui qui était revêtu de pourpre et de lin, et qui
1.
Rom. VIII, 35 — 2. Act. XXI, 13.— 3. Id. XX, 24. — 4. II Cor. XII, 15. — 5.
Act. XXI, 13. — 6. Ps. XXXVI, 18. — 7. Id. XXIV, 9. — 8. Luc, XVI, 20.
faisait chaque jour grande chère! mais le
Seigneur, qui voyait ses jours, voyait aussi dans l’avenir ses tourments, et
ses tourments sans fin. Donc « le Seigneur connaît les voies des hommes purs ».
8. « Leur héritage sera éternel 1 ». Nous le
voyons par la foi. Mais, pour le Seigneur, est-ce par la foi? Il le voit d’une
manière si évidente que nous ne pouvons l’exprimer, fussions-nous à l’état des
anges. Alors même, ce qui nous sera manifesté n’aura point pour nous cette
évidence qui éclate aux yeux de celui qui est immuable. Et néanmoins, qu’est-il
dit de nous? « Mes bien-aimés, nous sommes maintenant les enfants de Dieu, mais
ce que nous serons un jour ne paraît point encore; nous savons que quand il
viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui, puisque nous le verrons
tel qu’il est 2 ». Il nous est donc réservé je ne sais quel spectacle bien
doux; et si la pensée peut s’en faire une ébauche comme en énigme et au moyen
d’un miroir, on ne peut toutefois exprimer aucunement la supériorité de cette
douceur que Dieu réserve à ceux qui le craignent, qu’il accorde à « ceux qui
espèrent en lui 3 ». C’est à cette joie ineffable que nos coeurs se préparent,
au milieu des tribulations et des épreuves de cette vie. Ne vous étonnez donc
pas de subir en cette vie une laborieuse préparation, puisque l’on vous réserve
à quelque chose de si grand. De là ce mot d’un juste fortifié: « Les
souffrances de cette vie n’ont aucune proportion avec cette gloire de l’avenir
qui doit éclater en nous 4 ». Quelle sera un jour notre gloire, sinon d’être
les égaux des anges et de voir Dieu? Quel avantage ne fait pas à un aveugle
celui qui lui guérit les yeux et le rend capable de voir la lumière? Après sa
guérison, il ne trouve rien d’assez digne pour remercier celui qui l’a guéri.
Quel que soit le don de la reconnaissance, comment égalerait-il le bienfait?
Qu’il donne ce qu’il voudra, de l’or, de l’or entassé; l’autre lui a donné la
lumière. Pour bien comprendre qu ses dons ne sont rien, qu’il essaie dans lu
ténèbres de voir ce qu’il donne. Et nous, que donner à ce médecin qui guérit
les yeux de notre âme et nous fait voir une lumière éternelle qui est lui-même?
Que lui donnerons-nous? Cherchons bien, afin de trouver, s’il est
1. Ps. XXXVI, 18.— 2. I Jean, III, 2.— 3. Ps.
XXX, 20.— 4. Rom. VIII, 18.
possible; et, dans l’impuissance de nos
recherches, crions avec le Prophète: « Que rendrai-je au Seigneur pour tous les
biens qu’il m’a faits? » Et qu’a-t-il trouvé à rendre? « Je prendrai le calice
du salut et j’invoquerai le nom du Seigneur 1 ». — « Pouvez-vous», dit le
Seigneur, « boire le calice que je boirai moi-même 2? » puis à saint Pierre: «
M’aimez-vous? Paissez mes brebis 3 »; pour lesquelles cet apôtre boira le
calice du Seigneur. « Le Seigneur fortifie les justes. Le Seigneur connaît les
voies des hommes purs, et leur héritage durera toute l’éternité ».
9. « Ils ne seront point confondus aux jours
mauvais 4 ». Qu’est-ce à dire « Ils ne seront point confondus aux jours
mauvais? » Au jour de l’angoisse, au jour de l’épreuve, ils n’éprouveront point
la confusion de l’homme déçu dans ses espérances. Quand un homme est-il déçu?
quand il dit: Je n’ai pas trouvé ce que j’espérais. Et cela est juste; puisque
c’était sur toi-même ou sur quelque ami que tu avais fondé ton espoir. Or, «
maudit celui qui met son espérance dans un homme 5 ». Tu seras confondu, ton
espérance a été déçue; elle t’a trompé, cette espérance fondée sur le mensonge;
puisque tout homme est menteur 6 ». Mais si tu reposes en Dieu tes espérances,
tu n’éprouveras point de confusion, car on ne peut tromper eu tel dépositaire.
De là vient que ce juste dont je viens de parler, et que Dieu avait fortifié,
n’était point confondu au temps du malheur et dans la tribulation, et
s’écriait: « Nous nous glorifions dans nos afflictions, sachant que
l’affliction produit la patience, la patience la pureté, et la pureté
l’espérance; or, cette espérance n’est point vaine ». Pourquoi n’est-elle point
vaine? Parce qu’elle repose en Dieu. Aussi dit-il ensuite: « Parce que l’amour
de Dieu est répandu dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné 7
». Déjà le Saint-Esprit nous a été donné, et comment pourrait nous tromper
celui qui nous a donné un tel gage? Ils n’éprouveront point de confusion au
jour du malheur; et au jour de la disette ils seront rassasiés. Dès ici-bas, en
effet, ils sont en quelque sorte rassasiés. Car les jours de la disette sont
les jours de cette vie où les justes sont rassasiés quand les autres sont en
proie à la
1. Ps. CXV, 12, 13. — 2. Matt. XX. 22. — 3.
Jean, XXI, 17. — 4. Ps. XXXVI, 19.— 5. Jér. XVII, 5. — 6.Ps. CXV, 11. — 7. Rom.
V, 3-5.
faim. De quoi saint Paul se glorifiait-il, en
disant: « Nous nous glorifions dans les épreuves », s’il eût intérieurement
souffert de la faim? On voyait au dehors les angoisses, mais le coeur était
dilaté par la joie.
10. Que fait au contraire le méchant quand
l’affliction vient le saisir? Il n’a plus rien au dehors, tout lui manque, et
sa conscience n’éprouve aucune consolation: qu’il sorte de lui-même, et tout
est misère; qu’il y rentre, et tout est pénible. Il tombe donc justement sous
le coup de cette sentence: « Car les méchants périront 1 ». Comment ne périrait
point celui qui n’a de place nulle part? Ni à l’intérieur ni à l’extérieur, il
n’est rien qui le console. Ce qui en effet ne peut nous consoler, nous est
étranger. Car tous ceux qui n’ont point Dieu en eux-mêmes, sont esclaves de
l’argent, de l’amitié, de la gloire, des biens de la terre; or, tous ces biens
corporels ne peuvent nous donner une consolation intérieure semblable à celle
qu’éprouvait cet homme dont l’âme était rassasiée, et à qui cette plénitude
faisait dire: « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté; comme il a plu au
Seigneur, ainsi il a été fait; que le nom du Seigneur soit béni 2 ». Il ne
reste donc pas aux méchants un lieu en dehors d’eux-mêmes, parce qu’ils y
rencontrent l’affliction: leur conscience ne peut les consoler; ils sont en
désaccord avec eux-mêmes, parce qu’on ne peut être bien avec le péché.
Quiconque devient mauvais est mal avec lui-même. Il faut qu’il ait ses
tortures, qu’il soit lui-même son propre fléau. Déchiré par sa propre
conscience, il devient à lui-même son supplice. Il peut fuir un ennemi, comment
se fuir lui-même?
11. C’est ainsi que venait à nous un homme du
parti de Donat, que les siens avaient accusé et excommunié; il cherchait près
de nous ce qu’il avait perdu chez eux. Mais nous ne pouvions le recevoir ici qu’à
son rang; car, s’il quittait ce parti, il n’était point irréprochable chez eux,
et l’on ne voyait point que sa démarche lui fût dictée par son choix plutôt que
par la nécessité. Il ne pouvait donc trouver chez eux ce qu’il cherchait,
c’est-à-dire la vaine gloire, le faux honneur, ni trouver chez nous ce qu’il
avait perdu chez eux: il en mourut. Son coeur blessé poussait des gémissements;
il était inconsolable; d’invisibles
1. Ps. XXXVI, 28.— 2. Job, I, 21.
aiguillons lui déchiraient la conscience.
Nous avions tenté de le consoler avec la parole de Dieu; mais il n’était pas de
ces sages fourmis qui amassent en été de quoi vivre en hiver. Quand un homme
est en paix, il doit s’appliquer à recueillir la parole de Dieu, à la cacher
dans le fond de son coeur, comme la fourmi abrite dans ses galeries
souterraines ses travaux de l’été 1. Voilà ce que l’on doit faire pendant
l’été; vient ensuite l’hiver ou le temps des afflictions; et si nous ne
trouvons en notre coeur de quoi vivre, il faut mourir de faim. Cet homme donc
n’avait point recueilli la parole de Dieu, et l’hiver est venu, il n’a point
trouvé ici ce qu’il cherchait: on ne pouvait le consoler que par là, et
nullement par la parole de Dieu. Il n’avait rien à l’intérieur, et il cherchait
à l’extérieur ce qu’il ne trouvait point: les sentiments de la douleur et de
l’indignation le dévoraient, son âme était en proie à la plus violente
agitation, qu’il cacha longtemps, jusqu’à ce qu’enfin ses gémissements
éclatèrent et retentirent même à son insu parmi nos frères. C’était avec la
plus vive douleur, Dieu le sait, que nous voyions cette âme si affligée, et
devenue la proie de ces tortures, de ces flammes intérieures, de ces
déchirements; que vous dirai-je? Ne pouvant se tenir dans un lieu si humble,
qui eût pu être pour lui un lieu si salutaire, il nous parut encore mériter
l’expulsion. Toutefois, mes frères, nous ne devons point pour cela désespérer
des autres, qui pouvaient revenir par amour de la vérité, et non sous l’empire
de la nécessité. Bien loin de désespérer des autres, je ne désespère pas même
de celui dont je vous parle tant qu’il est en vie: car nous ne devons
désespérer d’aucun homme qui est sur la terre. Il était bon de vous faire
connaître ces détails, de peur qu’on ne vous les racontât autrement; car un de
leurs sous-diacres qui, sans aucune contestation avec eux, a choisi la paix et
l’unité catholique et les a quittés pour venir à nous; qui est venu comme en
faisant choix de ce qui est bon, et non comme expulsé même par les méchants, a
été reçu chez nous et nous a réjouis d’une conversion que nous recommandons à
vos prières. Car Dieu est puissant et peut l’améliorer de plus en plus.
D’ailleurs, nous ne devons prononcer ni en bien ni en mal sur le sort de
personne. Pendant toute notre vie, en effet,
1. Prov. VI, 6; XXX, 25.
notre lendemain est toujours ignoré. « Ils ne
seront point confondus au temps mauvais; ils seront rassasiés au jour de la
famine, tandis que les pécheurs périront ».
12. « Quant aux ennemis de Dieu, aussitôt
qu’ils se glorifieront et s’élèveront avec orgueil, ils disparaîtront comme la
fumée qui s’évanouit 1 ». Voyez à cette comparaison ce qu’il a voulu nous
enseigner. La fumée s’échappe du lieu où est le feu, s’élève dans
les airs, et en s’élevant, grossit en
tourbillon; mais plus le tourbillon se dilate, plus il est
vide; or, cette immensité qui n’a ni appui ni
solidité, qui est suspendue dans les airs, se
dissipe à mesure qu’elle gagne les hautes
régions et s’évanouit; ses proportions démesurées ont fait sa perte. En effet,
plus elle s’élève, plus elle se dilate, plus ses proportions grandissent, et
plus elle diminue d’intensité, se dissipe et disparaît. « Or, les ennemis de
Dieu, en se glorifiant et en s’exaltant, s’évanouiront bientôt comme la fumée»;
c’est d’eux qu’il est dit: « Comme Jannès et Mambrès résistèrent à Moïse,
ceux-ci de même résistent à la vérité: ce sont des hommes corrompus dans
l’esprit et pervertis dans la foi 2 ». D’où vient leur résistance à la vérité,
sinon de cette enflure de coeur qui en fait le jouet des vents, qui les porte à
s’élever comme s’ils avaient de la justice et de la grandeur? Qu’eu dit
l’Apôtre? ce qui est dit de la fumée: « Mais ils n’iront pas au delà, car leur
folie sera connue de tout le monde, comme le fut alors celle de ces hommes
3.Quant aux ennemis de Dieu, dès qu’ils se glorifieront et s’élèveront, ils
s’évanouiront bientôt comme la fumée ».
13. «L’impie emprunte et ne paiera point 4 ».
Il recevra et ne rendra pas. Qu’est-ce qu’il ne rendra pas? l’action de grâces.
Qu’est-ce, eu effet, que Dieu veut de vous, ou qu’en exige-t-il, sinon ce qui
vous est utile? Que de bienfaits n’a pas reçus le méchant, dont il ne rendra
rien? S’il existe, c’est un don; s’il est homme et bien supérieur aux animaux,
c’est un don; c’est un don encore que la forme de son corps; et dans ce corps
même, c’est un don que le discernement des sens, que des yeux pour voir, des
oreilles pour entendre, des narines pour sentir, un palais pour goûter, des
mains pour toucher, des pieds pour marcher, un don que la santé du corps. Mais
1.Ps. XXXVI, 20.— 2. II Tim. III,8. — 3.
Id.9,— 4. Ps. XXV, 21
tous ces biens nous sont communs avec les
bêtes; l’homme a reçu de plus, dans l’esprit, le don de comprendre, de saisir
la vérité, de discerner le juste de l’injuste, de rechercher, d’aimer son
Créateur, de le louer et de s’attacher à lui. Le méchant aussi a reçu de Dieu
ces mêmes dons; mais comme sa vie n’est pas bonne, il ne rend pas ce qu’il
doit. Donc, « le pécheur emprunte et ne paiera point »; il ne rend rien à celui
dont il a reçu, pas même l’action de grâces; il lui rendra même le mal pour le
bien, le blasphème, le murmure contre sa Providence, l’emportement. mil
emprunte alors, et ne paiera point; quant tau juste, il a de la pitié et il
prête». L’un n’a donc rien et l’autre possède. Voyez la richesse de l’un et la
pauvreté de l’autre. L’un a reçu et ne rendra point; l’autre a de la
miséricorde et prête; il a du bien en abondance. Et pourtant, s’il est pauvre?
même en ce cas il est riche. Ouvrez seulement les yeux de la foi sur les
richesses. Tu peux bien voir un coffre vide, mais tu ne vois pas une conscience
que Dieu même remplit. Il n’a point les richesses du dehors, mais il a au
dedans la charité Que ne peut lui faire donner cette charité sans qu’elle
s’épuise? S’il a des biens extérieurs, la charité en donne, et elle donne de ce
qu’elle a; si elle ne trouve point eu dehors de quoi donner, elle donne sa
bienveillance, elle donne un bon conseil, si elle le peut; elle donne du
secours, si elle en est capable; enfin, si elle ne peut donner ni conseil ni
secours, elle assiste de ses voeux, elle prie pour celui qui est dans
l’affliction, et peut-être sa prière est-elle plus agréable à Dieu que le pain
que donne un autre. Il a donc toujours de quoi donner, celui dont le coeur est plein
de charité. Car c’est la charité que l’on appelle bonne volonté. Et Dieu
n’exige pas de toi plus qu’il n’a mis dans ton coeur. La bonne volonté, en
effet, ne peut demeurer oisive; avec la bonne volonté tu ne refuseras point au
pauvre le dernier sou qui te reste. Les pauvres eux-mêmes trouvent dans la
bonne volonté de quoi s’assister mutuellement, et ils ne sont pas inutiles l’un
pour l’autre. Tu vois un homme qui a de bons yeux conduire un aveugle; n’ayant
point d’argent à lui donner, il prête ses yeux à celui qui n’en a point. Mais
pourquoi ses membres sont-ils au service de celui qui n’en a pas, sinon parce
qu’il a dans l’âme une bonne volonté, qui est le trésor des pauvres? trésor qui
est un doux repos, une véritable sécurité; trésor que le voleur ne nous enlève
pas, et pour lequel on ne craint pas de naufrage; on le garde avec foi quand on
le possède; on peut s’échapper tout nu, et néanmoins comblé de richesses. « Le
juste a de la pitié, et il prête ».
14. « Mais ceux qui le bénissent auront la
terre en héritage 1 »; ceux qui bénissent le juste, le seul vraiment juste et
qui donne la justice, qui fut pauvre ici-bas en y apportant les grandes
richesses dont il devait combler ceux qu’il y trouve véritablement pauvres.
C’est lui, en effet, qui a enrichi de l’Esprit-Saint les coeurs des pauvres,
qui a comblé de l’or de la justice les âmes qui s’anéantissaient par l’aveu de
leurs péchés; lui qui a pu enrichir le pêcheur qui abandonnait ses filets, et
qui méprisait ce qu’il avait pour saisir ce qu’il n’avait pas 2. « Car Dieu a
choisi ce qui est faible dans le monde, pour confondre ce qui est fort 3 ». Il
ne s’est point servi d’un orateur pour gagner un pêcheur, mais d’un pêcheur
pour gagner l’orateur, d’un pêcheur pour gagner l’homme du sénat, d’un pêcheur encore
pour gagner le maître de l’empire. « Ceux qui le bénissent posséderont la terre
en héritage»; ils seront ses cohéritiers dans cette terre des vivants dont il
est dit dans un autre psaume: « Vous êtes mon espérance et mon héritage dans la
terre des vivants 4 ». « Vous êtes mon héritage », dit-il à Dieu, il ne craint
pas de s’arroger la possession de Dieu même. « Ils posséderont la terre en
héritage; mais ceux qui le maudissent périront». Or, ceux qui le bénissent ne
le font que par sa grâce. Car il est venu vers ceux qui le maudissaient, et ils
l’ont béni; et c’est déjà périr pour ceux qui le maudissent, que de le bénir
sous le poids de sa grâce; ils le maudissaient par leur propre malice, et ils
le bénissent par le don qu’il leur fait.
15. Ecoutez ce qui suit: « Le Seigneur dirige
les pas des hommes, et ils chercheront ses voies 5 ». Pour que l’homme
recherche les voies du Seigneur, il faut que le Seigneur lui-même dirige ses
pas. Si le Seigneur n’eût en effet dirigé les pas des hommes, ils eussent été eux-mêmes
si corrompus et eussent marché dans une telle
1.
Ps. XXXVI, 22. — 2. Matt. IV, 19. — 3. I Cor. I, 27. — 4. Ps. CXLI, 6. — 5. Id.
XXXVI, 23.
dépravation, que, dans leurs sentiers
tortueux, ils n’eussent pu revenir au bien. Mais le Seigneur est venu pour nous
appeler, nous racheter, répandre son sang; ce sont là, et le prix qu’il a
donné, et le bien qu’il a fait, et les douleurs qu’il a endurées. Examine ce
qu’il a fait, c’est bien un Dieu; vois ce qu’il a souffert, c’est bien un
homme. Quel est ce Dieu-Homme? O homme, si tu n’avais abandonné Dieu, un Dieu
ne se ferait point homme pour toi! C’était peu pour sa bonté, pour sa
miséricorde, de t’avoir fait homme, s’il ne se fût fait homme pour toi. C’est
lui qui dirige nos pas, afin que nous désirions ses voies. « C’est le Seigneur
qui redresse les pas de l’homme, lequel recherche ses voies ».
16. Mais si tu yeux suivre la voie du Christ,
ne va point te promettre les félicités du siècle. Il a marché par des chemins
difficiles, mais il a promis de grands biens; c’est à toi de le suivre. Ne
considère pas seulement le chemin à suivre, mais le point où tu dois aboutir.
Tu souffriras des maux qui passeront, pour arriver à des joies éternelles. Si
tu veux supporter le travail, envisage la récompense. L’ouvrier se
découragerait dans la vigne, s’il n’envisageait son salaire. Et quand tu auras
envisagé ton salaire, tout ce que tu souffres te paraîtra vil et peu digne
d’être comparé avec le bonheur qui en sera la récompense. Tu seras étonné d’un
si grand prix pour un travail si minime. Car enfin, mes frères, pour mériter un
repos éternel, il faudrait un travail éternel; et un bonheur sans fin ne
devrait s’acheter que par une douleur également sans fin; mais si ton labeur
était éternel, quand pourrais-tu arriver à l’éternelle félicité? De là vient
pour la douleur cette nécessité de finir pour faire place à un bonheur sans
fin. Et pourtant, mes frères, cette félicité éternelle pouvait être le prix
d’une peine bien longue. Ainsi, pour mériter un bonheur sans fin, notre labeur,
notre misère eussent pu durer des siècles. Et eussent-ils duré un millier
d’années, qu’est-ce qu’un millier d’années en face de l’éternité? qu’est-ce
qu’un nombre fini, quelque grand qu’il soit, en face de l’infini? Dix mille
années, des millions et des milliards d’années, si l’on peut s’exprimer ainsi,
tout cela finira et ne peut se comparer à l’éternité. C’est donc un autre effet
de la bonté de Dieu de t’avoir mesuré une épreuve non seulement temporelle,
mais encore très-courte. La vie de l’homme serait courte, ne compterait que
bien peu de jours, quand même Dieu ne mêlerait pas à nos misères des joies qui
sont assurément plus nombreuses et plus durables que nos peines; et ces peines
en sont plus courtes et moins nombreuses, afin que nous puissions les endurer.
Qu’un homme donc voie sa vie entière s’écouler jour par jour, heure par heure,
dans les travaux, dans les chagrins, dans la douleur, dans les tourments, dans
la prison, dans les plaies, dans la faim et dans la soif, et cela pendant toute
une vie jusqu’à l’extrême vieillesse, la vie de l’homme n’a que peu de jours,
et, après ce labeur, viendra le royaume éternel, la félicité sans fin,
l’égalité avec les anges, l’héritage du Christ et le Christ lui-même,
cohéritier avec nous. Quelle récompense, en comparaison du labeur! Des
vétérans, qui se fatiguent dans les armées, qui affrontent les blessures
pendant tant d’années, qui portent les armes de la jeunesse, se retirent cassés
de vieillesse; et, pour avoir quelques jours de paix dans ces vieilles années
qui pèsent sur ces hommes à qui la guerre ne pesait rien, quelles difficultés à
surmonter, combien de marches, que le froids rigoureux, quelles chaleurs à
supporter, quelles extrémités, quelles blessures, quel. périls à braver! Et
dans toutes ces fatigues ils n’envisagent que ces quelques jours de vieillesse,
qu’ils ne sont pas certains d’atteindre. Donc, « le Seigneur dirige les pas des
hommes, et ils chercheront ses voies ». C’est là ce que je commençais à
exposer: si tu veux suivre la voie du Christ, si tu es vraiment chrétien, et le
vrai chrétien est celui qui ne méprise pas la voie du Christ, mais qui veut
suivre ses pas même dans les souffrances, garde-toi de chercher une autre voie
que celle qu’il a parcourue. Elle paraît difficile et néanmoins c’est la voie
sûre; l’autre peut avoir ses attraits, mais elle est infestée par les voleurs.
« Et les hommes chercheront sa voie ».
17. « Quand il se heurtera, il n’en sera
point troublé, parce que le Seigneur fortifie ses mains 1 ». C’est là désirer
la voie du Christ Qu’il arrive à cet homme de passer par la tribulation, par le
déshonneur, par les affronts, par la douleur, par les pertes et par les peines
si nombreuses dans la vie humaine; il se rappelle toutes les souffrances qu’a
dû endurer
1. Ps. XXXVI, 24.
Jésus-Christ, et « quand il se heurtera, il
ne sera point troublé, parce que ses mains sont fortifiées par le Seigneur »,
qui a le premier passé par ces peines. Que pourrais-tu craindre, ô homme,
puisque Dieu dirige tes pas, pour te faire désirer ses voies? Que peux-tu
redouter? Les douleurs? Le Christ a été flagellé 1. Les affronts? Il s’est
entendu lire: « Vous êtes possédé du démon 2 », lui qui chassait les démons.
Craindrais-tu les trames et les conspirations des méchants? Ou a conspiré
contre lui 3. Tu ne saurais peut-être établir ton innocence en toute
accusation, et tu as la douleur d’entendre de faux témoins déposer contre toi.
Ils ont porté un faux témoignage contre Jésus-Christ tout le premier, non
seulement avant sa mort, mais encore après sa résurrection. On produisit de
faux témoins pour le faire condamner par les juges 4; et de faux témoins encore
calomnièrent son tombeau. Jésus-Christ ressuscita avec tout l’éclat du miracle,
et la terre ébranlée annonça la résurrection du Sauveur. Il y avait là une
terre qui gardait la terre, mais cette terre plus dure ne put être changée.
Elle rendit témoignage à la vérité, mais elle fut séduite par la terre
menteuse. Les gardiens racontèrent aux Juifs ce qu’ils avaient vu, ce qui était
arrivé; mais ils reçurent de l’argent, et on leur dit: « Rapportez que pendant
votre sommeil ses disciples sont venus et l’ont enlevé 5». Voilà de faux
témoins contre sa résurrection. Mais quel aveuglement dans ces faux témoins,
mes frères; quel aveuglement! Voilà ce qui arrive d’ordinaire aux faux témoins,
c’est de tomber dans l’aveuglement su point de parler contre eux-mêmes sans le
savoir, et de démasquer ainsi leur faux témoignage. Qu’ont-ils dit contre
eux-mêmes? Pendant que nous dormions, ses disciples mont venus et l’ont enlevé
». Quoi donc? Oui fait cette déclaration? celui qui dormait, le ne croirais pas
de tels hommes, quand même ils ne me raconteraient pas leurs songes. Quelle
extravagance! Si tu veillais, pourquoi le laisser enlever? Si tu dormais, d’où
le sais-tu?
18. Ainsi en est-il de ceux qui sont leurs
enfants, comme il vous en souvient, et dont il faut dire un mot, puisque c’est
l’occasion. Plus, en effet, nous voulons leur salut, et plus
1. Matt. XXVII, 26.— 2. Jean, VIII, 48— 3.
Id. IX, 22.— 4. Matt, XXVI, 60. — 5. Id. XXVIII, 12, 13.
nous devons démasquer leur vanité. Voilà que
le corps de Jésus-Christ est encore en butte aux faux témoins; ce qu’a d’abord
enduré le chef, le corps l’endure aussi. Il n’y a là rien d’étonnant, et
aujourd’hui il ne manque pas de gens pour dire à ce corps du Christ répandu sur
la terre: Race de traîtres. C’est là un faux témoignage, et peu de mots me
suffiront pour te convaincre que tu es un faux témoin. Tu me dis: Tu es un
traître. Je réponds: Tu mens. Nulle part et jamais tu n’as pu prouver ma
trahison; et moi, dans tes paroles et à l’instant, je démasque ton mensonge. Il
est constant que tu as dit que nous avons aiguisé nos épées; je cite les actes
de tes circoncellions. Tu as dit, et cela y est constaté, que tu ne réclames
pas les biens enlevés 1; et je lis dans ces mêmes actes que tu donnes
procuration pour les exiger. Tu as dit encore: Nous ne présentons uniquement
que les Evangiles; et je lis une foule d’arrêts des juges, dont tu as tourmenté
ceux qui sont séparés d’avec toi; je lis des suppliques à un empereur apostat,
à qui tu as dit qu’il n’y a que la justice pour avoir accès auprès de lui 2.
L’apostasie de Julien vous paraissait sans doute faire partie de l’Evangile? Te
voilà donc convaincu de mensonge. Que doit-on croire de tout ce que tu as dit
de moi? Quand même je ne pourrais démasquer la fausseté de tes reproches, il me
suffit de prouver que tu es menteur. Que dis-tu? Tel on te voit, tels on voit
tous les autres. C’est avec raison que tu as envoyé partout ces paroles, tu as
voulu grossir le mensonge par d’autres mensonges, afin de n’avoir plus à rougir
d’avoir menti.
19. Mais il faut, dit-il, maintenir le
jugement de nos pères contre Cécilien. Pourquoi le maintenir? parce que c’est
le jugement des évêques? Il faut donc aussi maintenir le jugement porté contre
toi par les Maximianistes. Car c’était auparavant, et je pense que vous le
savez, que les évêques, unis à Maximien, qui était encore son diacre, vinrent à
Carthage, comme le porte la requête qu’ils ont
1. Saint Augustin se propose évidemment dans
ces discours de réfuter cette déclaration de Primianus, dont il fait mention
dans son Abrégé des Conférences avec les Donatistes, 3e jour, ch. 8; mais d’une
manière plus expressive dans son livre contre Cresconius, chap. XXVII, en ces
termes: Puisque Primianus, dans ses actes de tribunal de Carthage, a dit entre
autres calomnies dont il nous a chargés: Ils enlèvent les biens des autres, et
nous abandonnons ce que l’on nous prend.
2. C’est le langage de Rogatien et de
Pontius, dans les requêtes présentées à Julien l’Apostat, au nom des
Donatistes, d’après la let. CV aux Donatistes, n. 8, et liv. II contre
Pétilien, ch. 22 et 27.
attachée à leurs actes, quand ces
Maximianistes plaidaient au sujet d’une maison avec le procureur de ce
Primianus qui abandonne ce qu’on lui prend. Donc, ils envoyèrent d’abord une
requête à son sujet, se plaignant de ce qu’il n’avait pas voulu se rendre dans
leur assemblée. Mais vois comme Dieu leur a rendu ce qu’ils ont dit de
Cécilien. Admirable ressemblance! Dieu a voulu, après tant d’années, leur
remettre sous les yeux ce qui s’est passé alors, afin qu’ils ne trouvent aucun
moyen de dissimuler ou de s’échapper. Ils diraient qu’ils ont oublié les actes
précédents, Dieu ne permet point qu’ils les oublient; et puisse cela servir à
leur salut! Car c’est là un effet de sa miséricorde, s’ils considéraient ce qui
s’est fait. Remettez-vous donc sous les yeux, mes frères, l’unité de l’univers
entier dont ils se sont séparés contre Cécilien; représentez-vous le parti des
Donatistes, d’où se sont détachés les Maximianistes contre Primianus. Ce que
les premiers ont fait contre Cécilien, les seconds l’ont fait contre Primianus.
C’est pourquoi les Maximianistes se vantent d’aimer mieux la vérité que les
Donatistes, puisqu’en effet ils ont imité la conduite de leurs ancêtres. Ils
ont élevé Maximien contre Primianus, comme les autres avaient élevé Majorin
contre Cécilien, et ont renouvelé de lui et de Primianus les plaintes de leurs
pères au sujet de Cécilien. Car, s’il vous en souvient bien, ceux-ci dirent que
Cécilien, fidèle à sa conscience, n’avait point voulu se trouver avec eux,
parce qu’il connaissait leurs intrigues; de même ceux-là se plaignent de
Primianus, qui a refusé d’aller à eux. Pourquoi trouver bon que Primianus ait
connu les intrigues des Maximianistes, et ne point pardonner à Cécilien d’avoir
connu les intrigues des Donatistes? Maximien n’était pas encore ordonné, et
déjà l’on accusait Primianus; des évêques s’assemblent; ils veulent obliger
Primianus de se trouver dans leur assemblée; il refuse d’y aller, comme le
constate la circulaire insérée dans les actes. Il refusa, etje ne l’en blâme
point, je l’approuve au contraire. Si tu as reconnu là quelque faction, tu as
bien fait de ne point te mêler à des factieux, mais de réserver ta cause à un
tribunal plus impartial de ton parti. Il restait encore la secte de Donat, et
Primianus pouvait s’y justifier; c’est pourquoi il ne voulut point aller à ceux
qui ourdissaient déjà des trames. Tu vois que nous louons ta résolution à
l’égard des Maximianistes; considère bien maintenant la cause de Cécilien. Tu
ne veux point le juger comme un frère, juge-le comme un étranger. Que disais-tu
en toi-même en refusant de venir? Ces gens ont conspiré contre ma vie; ils sont
gagnés contre moi; si je me remets entre leurs mains, je fais tort à ma cause.
Je n’irai point chez eux, je réserve ma cause pour des hommes plus intègres et
d’une pins grande autorité. C’est là un bon avis. Mais si Cécilien a raisonné
de la sorte? Tu auras bien de la peine à nous prouver qu’une autre Lucille a
corrompu ceux-ci contre toi, tu n’en trouveras pas la preuve; et cependant
Cécilien le savait tellement bien, que cela est prouvé par les actes mêmes de
ce concile 1.Mais tu as vu je ne sais quoi de ténébreux; on t’a dit que tu
avais à craindre; j’accorde à ta crainte d’avoir pris des sûretés; tu as bien
fait de n’aller point trouver de telles gens, puisqu’il y en avait d’autres qui
pouvaient te juger. Ecoute maintenant Cécilien: tu t’es conservé la Numidie, et
lui le monde entier. Mais si tu veux faire valoir contre lui le jugement des
Donatistes, il faut donner la même valeur à celui dont tu es frappé par les
Maximianistes; s’il est condamné par des évêques, tu l’es aussi par des
évêques. Pourquoi ensuite faire revoir ta cause pour obtenir l’avantage contre
les Maximianistes, comme il en avait ensuite appelé, pour faire condamner les
Donatistes? Ce qui s’est donc fait alors s’est renouvelé d’une manière complète
et évidente, et les Maximianistes font contre Primianus les plaintes que les
Donatistes ont faites contre Cécilien. Je ne puis vous dire, mes frères,
combien je suis ému et comment je rends grâces à Dieu; c’est vraiment par un
effet de sa miséricorde qu’il leur a mis sous les yeux un tel exemple, bien
fait pour les éclairer s’ils étaient sages. Pour peu que cela vous plaise, mes
frères, et puisque Dieu l’a fait tomber sous nos mains, écoutez le concile des
Maximianistes. (Et dans son homélie, il fait lecture du concile.)
20. « A nos très-saints frères et collègues
dans toute l’Afrique ». (Toute leur unité se borne à la seule Afrique. Mais
dans cette
1. Le saint Docteur parle des actes
recueillis chez Zénophide, homme consulaire, l’an 320, et dont il cite quelques
fragments contre Cresconius, en 20, et l’endroit où Nundinarius, diacre de
l’évêque de Certe, prouve que les évêques avaient été gagnés par l’argent de
Lucille, femme puissante alors, pour établir Majorin évêque de Carthage, contre
Cécilien Voyez les lettres à Glorius et à Clusius, et lettre XLIII, n 17.
Afrique, il y a l’unité catholique avec eux,
et dans les autres parties du monde, ils ne sont pas avec l’Eglise catholique.)
« A nos frères très-saints et collègues établis dans toute d’Afrique, c’est-à-dire
dans la province proconsulaire, dans la Numidie, la Mauritanie, la Byzacène et
Tripoli; à tous les prêtres et diacres, à tous les peuples militant avec nous
dans la vérité de l’Evangile, Victorin, Fortumat, Victorien, Miggin, Saturnin,
Constance, Candoire, Innocent, Cresconius, Florent, Salvius, un autre Salvius,
Donat, Géminius, Prétextat » (c’est là cet Assuritain qu’ils ont reçu dans la
suite, et qui à son tour reçut celui qui l’avait condamné), « Maximien,
Théodore, Anastase, Donatien, Donat, un autre Donat, Pompone, Pancrace,
Janvier, Secundinus, Pascase, Cresconius, Rogatien, un autre Maximien, Bénénat,
Gaïen, Victorin, Contaise, Quintaise, Félicien » (est-ce ce Mustitain qui vit
encore? C’en est peut-être un autre et d’un autre endroit), « Salvius, Miggin,
Proculus, Latinus, et les autres réunis au concile de Cabarsusse, salut en
Notre Seigneur. Il n’est personne, frères bien-aimés, pour ignorer que les
prêtres du Seigneur ne suivent point leur volonté, mais la loi de Dieu, soit
quand ils condamnent des coupables, soit quand ils écoutent la justice pour
absoudre les innocents des peines qui leur étaient infligées. C’est également
s’exposer à un grand péril que d’épargner un coupable ou de s’efforcer
d’accabler un innocent; surtout qu’il est écrit: Vous ne ferez mourir ni
l’innocent, ni le juste, et s vous ne justifierez point le coupable 1. Cet
oracle de l’Ecriture nous imposait l’obligation d’évoquer la cause de
Primianus, que le peuple saint de Carthage avait établi évêque de cette église,
pour veiller sur le bercail du Seigneur. Les lettres des anciens de cette
église nous forçaient d’écouter, d’examiner q toutes choses à son sujet, afin
qu’après avoir stout pesé, nous pussions, ou le déclarer innocent, ce qui eût
été bien désirable, ou, s’il était coupable, montrer à tous qu’il était
justement condamné. Notre plus vif désir était que le peuple de l’église de
Carthage pût s’applaudir d’avoir à sa tête un évêque entièrement saint, exempt
de tout reproche. Il faut en effet qu’un prêtre du Seigneur soit tel qu’il
puisse mériter et obtenir pour
1. Exod XXIII, 7.
son peuple ce que ce même peuple ne pourrait
lui-même obtenir de Dieu; car il est écrit: Si le peuple a péché, le prêtre
priera pour lui; mais si le prêtre vient à pécher, qui donc priera pour lui 1?
» (Les apôtres eux-mêmes se recommandaient aux prières des peuples, et ils
disaient dans leurs prières: « Pardonnez-nous nos offenses 2 ». L’apôtre saint
Jean a dit: « Devant Dieu le Père nous avons pour avocat Jésus-Christ qui est
juste; c’est lui qui est la victime de propitiation pour nos péchés 3 ». Mais
ce qu’ils citent regarde ce prêtre qu’ils ne comprennent pas, et a été écrit
pour avertir le peuple par cette prophétie, qu’il doit reconnaître pour prêtre
celui pour qui nul ne prie. Or, quel est le
prêtre pour qui nul ne prie, sinon celui qui
prie pour tous 4? On était alors sous le
sacerdoce lévitique; alors le prêtre pénétrait dans le sanctuaire; il offrait
des victimes pour le peuple, et on avait une image du prêtre futur
et non la réalité; les prêtres d’alors
étaient pécheurs comme les autres hommes; et Dieu
voulant, par cette prophétie, avertir le
peuple d’appeler, par ses désirs, ce Prêtre qui intercède pour tous sans que
personne doive prier pour lui, le désigne ainsi dans ces avertissements: « Que
le peuple pèche, le prêtre prie pour lui; mais si le prêtre vient à pécher, qui
priera pour lui? » Donc, ô peuple, choisis un prêtre pour lequel tu ne sois
point obligé de prier, mais dont la prière devienne pour toi une sécurité. Ce
prêtre est Notre Seigneur Jésus-Christ, le seul Prêtre, le seul médiateur entre
Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme 5). «Or, les scandales de Primianus et
sa perversité si particulière l’ont tellement désigné au jugement du ciel, que
l’auteur de tant de crimes devait être nécessairement retranché; lui qui,
récemment ordonné » (voici qu’ils énumèrent les crimes de Primianus), « a
poussé les prêtres de ce même peuple de Carthage à entrer dans une conjuration
impie, et leur a demandé, comme par grâce, d’être d’accord avec lui»; (voilà ce
qu’il leur demanda; mais eux, loin de le lui promettre, gardèrent le silence;
alors il ne craignit pas d’accomplir seul le crime qu’il méditait), « afin de
condamner quatre diacres, hommes distingués et d’un mérite reconnu par tous,
savoir, Maximien, Rogatien, Donat
1. I
Rois, II, 25. — 2. Matt. VI, 12. — 3. I Jean, II, 1, 2. — 4. Rom. VIII, 34. —
5. 1
Tim. II, 5.
et Salgame ». (Il y avait dans ces quatre cet
auteur du schisme, qui retranchait encore à
une part déjà retranchée, et qui ne gémissait
point de se voir séparé de l’unité tout entière.)
« Ces prêtres donc, effrayés de sa criminelle
audace, ayant repoussé par leur silence toute complicité, il osa seul accomplir
sa criminelle entreprise, au point de se croire en droit de porter une sentence
contre le diacre Maximien, homme connu de tous pour son innocence, et cela sans
aucun procès, sans accusateur, sans témoin, quand cet homme, qui n’avait pas
comparu, était malade au lit ». (Voyez bien son crime.) « C’est ainsi qu’il avait
déjà condamné des clercs par un emportement semblable. Et comme il avait admis
des incestueux à la sainte communion, contre la loi et les décrets de tous les
prêtres, malgré l’opposition de la plus grande partie du peuple; pressé par les
lettres des plus nobles parmi les anciens de corriger par lui-même ce qu’il
avait fait, il a poussé la témérité jusqu’à négliger de le faire. Justement
émus de cette conduite, les anciens de cette église envoyèrent à tous les
évêques des lettres et des ambassadeurs, pour nous prier avec larmes de les
venir trouver, afin qu’après avoir pesé toutes choses, et mûrement examiné les
accusations, on rendît l’éclat à cette Eglise. Or, quand sur ces invitations
nous sommes venus ici, cet homme bouillant, faisant valoir ses motifs que l’on
connaît, s’abstint de nous rencontrer ». (Vous connaissez ce que l’on objecte à
Primianus; c’est que le parti de Donat est souillé d’inceste. Voici en effet
leur règle: tel est l’homme avec qui l’on communique, tels deviennent tous les
autres et la masse entière. Si donc ils disent vrai, tout le parti de Donat est
souillé d’inceste. Que les Numides viennent donc nous dire: Que nous importe à
nous que tu aies admis à ta communion je ne sais quels incestueux? comment cela
pourrait-il nous atteindre à une si longue distance? Mais si vous ne voulez pas
qu’un fait arrivé à Carthage ait son contre-coup en Numidie, comment ce qui se
passe en Afrique a-t-il pu nuire à la terre entière? Leur défense arrive
toujours à les charger davantage et à nous excuser.) « Il s’est abstenu de nous
rencontrer ». (C’est leur plainte contre Cécilien.) « S’obstinant dans sa
rébellion, il a persévéré dans le mal; puis, ayant rassemblé des hommes perdus
». (Voici quelque chose de plus: on n’a pas fait ce reproche à Cécilien; écoutez
ces reproches.) « Ayant obtenu des gardes, il assiégea les portes des églises »
(assurément afin d’empêcher les évêques d’y entrer), « et nous ôta la liberté
d’y entrer et d’y célébrer les saints mystères. Tout homme qui soutient la
vérité peut apprécier ou juger si telle est la conduite d’un évêque, ou s’il
est permis à des chrétiens d’en agir ainsi. C’est notre propre frère qui nous a
fait ce que n’aurait pas fait un étranger ». (Que dirai-je de plus?
ils accumulent les accusations et condamnent
Primianus; mais lisons la condamnation.)
« Nous donc, prêtres du Seigneur, en présence
de l’Esprit-Saint, attendu que le même Primianus a substitué des évêques à
d’autres qui étaient encore vivants; qu’il a admis des incestueux à la
communion des saints;qu’il a tenté d’engager des prêtres à former une
conjuration; qu’il a fait jeter dans un cloaque le prêtre Fortunat, qui venait
par le baptême au secours des malades; qu’il a refusé de communiquer avec le
prêtre Démétrius, afin d’obtenir la démission de son fils; qu’il a fait un
crime à ce prêtre de l’hospitalité donnée à des évêques; que ledit Primianus a
lancé la multitude pour abattre les maisons des chrétiens; qu’il a fait
assiéger d’abord, puis lapider par ses satellites des évêques et des clercs;
qu’il a fait massacrer dans une église des vieillards qui voyaient avec peine
les Claudianistes admis à la communion; qu’il a cru devoir condamner des clercs
innocents; qu’il a refusé de se présenter devant nous pour être entendu, et
qu’il a fermé et fait garder les portes des églises par des gens attroupés et
des archers pour nous en interdire l’entrée; qu’il a ignominieusement repoussé
les légats que nous lui avions envoyés; qu’il a usurpé plusieurs places,
d’abord par la violence et ensuite par l’autorité judiciaire ». (Il abandonne
pourtant ce qu’il a pris. L’apôtre saint Paul nous dit: « Quelqu’un d’entre
vous ayant un différend avec un autre, ose-t-il bien l’appeler en jugement
devant les infidèles et non devant les saints 1?» Voyez quel crime ils
reprochent à Primianus, de n’avoir pas voulu décider de ces places au tribunal
des évêques, mais à celui des juges.) « Sans
1. I Cor. VI, I.
parler d’autres crimes dont il est coupable,
et qu’une plume honnête se refuse à retracer, nous l’avons condamné à être à
jamais séparé de l’assemblée des prêtres, de peur que son contact ne jette sur
l’Eglise quelque souillure ou quelque crime. Tel est le sens de cet
avertissement et de cette exhortation de saint Paul: Nous vous ordonnons, mes
frères, au nom de Jésus-Christ, de vous séparer de tout frère qui marche dans
le désordre 1. C’est pourquoi, n’oubliant point ce que nous devons à la pureté
de l’Eglise, muons avons jugé à propos d’avertir nos saints collègues dans
l’épiscopat, tous les clercs, tous les peuples qui se souviennent qu’ils sont
chrétiens, d’avoir en horreur sa communion comme celle d’un damné. Quiconque
aura tenté de violer par sa désobéissance ce présent décret, rendra compte de
sa propre mort. Toutefois, il a paru bon au Saint-Esprit et à nous d’accorder
quelque délai à ceux qui sont lents à se convertir, sen ce sens que tout prêtre
ou tout clerc, assez oublieux de leur salut pour ne point se séparer de la
communion de Primianus condamné, à dater du jour de sa condamnation, ou du
huitième jour des calendes de juillet, jusqu’au huitième jour des calendes de
janvier, tomberont sous l’anathème dont il est lui-même frappé. Quant maux
laïques qui ne se seront point abstenus de toute relation avec lui depuis ledit
jour de sa condamnation jusqu’à la prochaine solennité de Pâques, ils ne
pourront être réconciliés à l’Eglise que par la pénitence, si toutefois ils
rentrent en eux-mêmes. Victorin, évêque de Munat, j’ai signé. Fortunat, évêque
de Dionysiane, j’ai signé. Victorien, évêque de Carcabie, j’ai signé. Florent,
évêque d’Adrumète, j’ai signé. Miggin évêque d’Eléphantaire, j’ai signé.
Innocent, évêque de Thébal, j’ai signé. Miggin, au nom de mon collègue Salvius,
évêque de Membressitane, j’ai signé. Salvius, évêque d’Ausafe, j’ai signé.
Donat, évêque de Sabrat, j’ai signé. Gémélius, évêque de Tanasbée, j’ai signé
». (Parmi ceux qui ont signé cette condamnation, nous lisons les noms de
Prétextat, évêque d’Assurite, et de Félicien de Mustitane.) « Prétextat, évêque
d’Assurite, j’ai signé. Maximien, évêque de Sabate, j’ai signé. Datien, évêque
de Camicète, j’ai signé.
1. II Thess. III, 6.
Donat, évêque de Fisciane, j’ai signé.
Théodore, évêque d’Usule, j’ai signé. Victorien, j’ai signé par ordre de
l’évêque Agnose, mon collègue. Donat, évêque de Cebresut, j’ai signé. Natalien,
évêque de Thélen, j’ai signé. Pomponius, évêque de Macriane, j’ai signé.
Pancrace, évêque de Baliane, j’ai signé. Janvier, évêque d’Aquen, j’ai signé.
Secundus, évêque de Jacondiane, j’ai signé. Pascase, évêque duBourg d’Auguste,
j’ai signé. Creso, évêque de Conjustie, j’ai signé. Rogatien, évêque, j’ai
signé. Maxime, évêque d’Erommène, j’ai signé. Bénénat, évêque de Tugutiane,
j’ai signé. Ritanus, évêque, j’ai signé. Gaïanus, évêque de Tigual, j’ai signé.
Victorin, évêque de Leptimagne, j’ai signé. Contaise, évêque de Bénèfe, j’ai
signé. Quintaise, évêque de Capse, j’ai signé. Félicien, évêque de Mustitane,
j’ai signé. Victorien, par délégation de l’évêque Miggin, j’ai signé. Latinus,
évêque de Muge, j’ai signé. Proculus, évêque de Girbitane, j’ai signé. Donat,
évêque de Sabrat, pour Marratius mon frère et collègue, j’ai signé. Proculus,
évêque de Girbitane, au nom de Gallionus, mon collègue, j’ai signé. Secondien,
évêque de Prisiane, j’ai signé. Helpidius, évêque de Tusdritane, j’ai signé.
Donat, évêque de Samurdat, j’ai signé. Gétulicus, évêque de Victoriane, j’ai
signé. Annibonius, évêque de Robarte, j’ai signé. Annibonius, encore à la
prière de mon collègue, l’évêque d’Angendiare, j’ai signé. Tertullus, évêque
d’Abite, j’ai signé. Primulien, évêque, j’ai signé. Secundinus, évêque
d’Arusiane, j’ai signé. Maxime, évêque de Pittane, j’ai signé. Crescentianus,
évêque de Murre, j’ai signé. Donat, évêque de Belme, j’ai signé.
Persévérantius, évêque de Tébertine, j’ai signé. Faustin, évêque de Bine, j’ai
signé. Victor, évêque d’Altiburitane, j’ai signé. En tout, cinquante-trois ».
21. Veuillez bien, mes frères, faire une
simple remarque. C’est là ta condamnation, disons-nous à Primianus. Que
veux-tu? qu’elle ait de la valeur ou qu’elle n’en ait point? je suis d’accord
avec toi pour dire que tous ont menti contre toi; et voici ce qui me le fait
croire: c’est que tu as plaidé ta cause devant d’autres j tiges qui ont
condamné ceux-là. Si donc je te crois innocent parce que, sans te présenter à
des factieux, tu as prouvé ailleurs ton innocence de manière
à faire condamner ceux qui t’avaient
condamné; sache à ton tour reconnaître l’innocence de Cécilien, qui a refusé de
comparaître devant tes ancêtres, pour réserver sa cause au jugement de
l’univers entier, comme tu as réservé la tienne au jugement du concile des
Numides. Si le siége de Bagaï t’a rendu ton innocence, à combien plus forte
raison le Siége apostolique lui a rendu la sienne. Ou bien veux-tu donner de la
valeur à sa première condamnation? Si elle a de la valeur, c’est contre toi.
Car jamais cette condamnation n’a eu de valeur contre Cécilien, jamais elle
n’en aura; prends garde toutefois de te condamner toi-même.
22. Ils osent bien dire ici:Mais nous, qui
avons ensuite condamné les Maximianistes, nous étions en plus grand nombre.
Donnez donc de la valeur au jugement rendu contre Félicien, et vous en donnerez
alors à celui qui frappe Cécilien. Dans leur concile de Bagaï, ils ont aussi
condamné Félicien maintenant Félicien est admis à la communion; donc, ou bien
c’est un coupable que l’on a admis, ou bien un innocent que l’on a condamné. Si
tu reçois un coupable, pour garder la paix avec Donat, cède à tous les peuples
pour la paix de Jésus-Christ; mais si par erreur vous avez condamné un
innocent; si trois cents évêques ont pu se tromper en condamnant Félicien,
soixante-dix évêques n’ont-ils pu sans erreur condamner Cécilien? Qu’avez-vous
donc à répondre? quand on vous objecte: Les Maximianistes vous ont condamnés
les premiers; vous répliquez en disant: Mais nous étions bien plus nombreux en
condamnant les Maximianistes. On peut répondre à l’instant à chacune de vos
objections: que c’est vous les premiers qui avez condamné Cécilien. Si l’on
doit s’en tenir à la priorité dans le jugement, c’est aux Primianistes à céder
au concile des Maximianistes; et si l’on s’en tient au plus grand nombre, c’est
aux Donatistes à céder à l’univers entier: je ne vois rien de plus juste. Les
Maximianistes sont peu nombreux, mais les premiers. Un accusé n’a pas le droit
de condamner. Si c’est là ton avis, comment, sous le poids d’une condamnation,
as-tu pu condamner un autre? Car il a signé avec ceux qui ont porté la
sentence, et ils ne lui ont point gardé la place d’un homme qui plaide sa
cause. Mais il en est autrement de Cécilien: on lui a gardé la place d’un homme
qui se justifie, ainsi que le porte la sentence elle. même; car il n’a pas été
admis à la communion sans avoir purgé son accusation. Mais ici Maxime est
condamné par les juges, et là il est parmi les juges qui condamnent. Que ce
soit là de l’équité dans le concile de Bagaï nous voulons bien vous l’accorder.
C’est à tort que les Maximianistes t’ont condamné; comme c’est à tort que les
premiers de votre secte ont condamné Cécilien. Tu t’es justifié à Bagaï, lui
est justifié par une sentence d’outre-mer, sentence ratifiée par tout
l’univers. Qu’as-tu donc à répondre? Nous sommes, dis-tu, en plus grand nombre
que les Maximianistes. Eh bien! soyez plus nombreux, parlons alors du nombre.
Voyez quelle différence. Les Maximianistes ont condamné eu toi un absent qui
refusait de comparaître devant eux. C’est là une ressemblance, car tes ancêtres
ont ainsi condamné Cécilien absent, et qui évitait leur faction. A ton tour tu
les as condamnés quoique absents au concile de Bagaï: mais Cécilien s’est
justifié en présence même de ses adversaires. Il y encore une autre différence
bien grande: c’est toi-même qui es allé chercher des juges en Numidie, toi qui
les as établis juges, les Maximianistes ne les avaient pas demandés:
tandis que Cécilien a fait condamner Donat
par les juges mêmes qu’avaient demandés les Donatistes. Les Maximianistes
peuvent donc te répondre et à bon droit: Nous sommes d’abord venus près de
vOus, nous évêques de votre province, d~’un diocèse qui vous appartient; nous avons
voulu entendre votre cause; vous avez dédaigné de vous présenter devant nous.
Si vous redoutiez notre juge. ment, nous devions du moins choisir les juges de
concert, et vous n’aviez pas droit de choisir ceux que vous vouliez. Voyez
encore quelle différence. Les Donatistes alors envoyèrent à l’empereur des
suppliques pour qu’il nommât des juges; ils récusèrent ceux qui les avaient
condamnés, et qu’ils avaient demandés avant leurs condamnations. On leur en
donna d’autres selon leur requête, nouvelle con damnation; ils en appelèrent à
l’empereur, nouvelle condamnation. Condamné une seule fois et en son absence,
un maximianiste se tait; condamné trois fois, et toujours présent, un donatiste
ne se tait point?
23. Entre toi et les Maximianistes, il reste
(382) la question du nombre. Je l’ai dit: je suis d’accord avec toi. Trois cent
dix sont plus que cent, ou ce qu’il y avait d’évêques Maximianistes contre
Primianus: et les milliers d’évêques répandus par toute la terre, qui ont
condamné Donat pour soutenir Cécilien, se sont-ils donc pour toi d’aucune
autorité? Mais, diras-tu: est-ce que les milliers d’évêques répandus dans le
monde entier ont condamné les Donatistes? Très-bien, ils ne les ont pas
condamnés. Mais pourquoi? parce qu’ils n’ont pas assisté au jugement; et s’ils
s’ont pas assisté au jugement, ils ne l’ont point condamné, puisqu’ils ne
connaissent rien de cette affaire. Pourquoi donc te séparer de ces innocents?
voilà un homme baptisé qui vient à toi des extrémités du monde, et tu veux le
baptiser de nouveau, et lorsque tu le prépares à exercer ton ministère de mort,
et à réitérer ce que l’on ne donne qu’une fois, il t’aborde avec de grands cris
et des gémissements, et te dit: Que prétendez-vous faire? me rebaptiser? vous
dit cet homme de je ne sais quel pays, de la Mésopotamie, de la Syrie, du Pont,
ou même de plus loin. Mais vous n’avez pas le baptême, lui réponds-tu. Comment?
lisez les lettres de l’Apôtre, que l’on m’a données. Voici venir je ne sais
quel homme de Galatie, du Pont, un inconnu de Philadelphie ou d’une de ces
églises auxquelles saint Jean a écrit u il vient de Colosses, il vient de
Philippe, de Thessalonique: Je n’ai pas le baptême, vous dira-t-il, moi qui ai
reçu les lettres de l’Apôtre, par la prédication duquel vous êtes baptisés? Tu oses
bien lire ces lettres, et refuser d’être en paix avec moi?
1. Apoc. I, 4.
L’Eglise qui a été jeune et qui a vieilli,
n’a point vu le juste manquer de pain ou de la parole de Dieu qui est le vrai
pain. Elle a vu au contraire ce juste prêter, et surtout prêter au Seigneur en
secourant les pauvres. Evitons le mal, mais cela est insuffisant si nous ne
faisons le bien. Laissons faire l’impie dont la ruine sera complète; dans sa
malice il peut bien épier le juste, mais il ne surprendra que le corps: l’âme
lui échappera toujours. Ce que les Donatistes peuvent dire d’Augustin.
1. Il nous reste, mes frères, à vous exposer
à discuter la troisième partie du psaume.
Je le vois; Dieu me rappelle pour m’acquitter
de ma dette, à la vérité contre mon dessein, mais non contre les desseins de sa
Providence. bien donc attentifs, mes frères, afin que, s’il v’est possible,
avec le secours de Dieu, je fasse droit à une obligation dont je reconnais
l’existence. De qui sont ces paroles que nous venons de chanter? « J’ai été
jeune, maintenant j’ai vieilli; et je n’ai point vu le juste abandonné, ni sa
postérité mendier son pain (Ps. XXXVI, 25)
». Si ce n’est qu’un seul homme qui parle ainsi, quelle durée peut avoir la vie
un seul homme, et quelle merveille serait-ce qu’un homme placé dans quelque
coin du monde, pendant toute sa vie qui est bien courte, comme toute vie
humaine, quel que soit l’espace qui sépare la jeunesse de la vieillesse, n’eût
point vu le juste abandonné, ni sa postérité mendier son pain? Il n’y a là rien
d’étonnant. Il est très-possible qu’avant sa naissance un juste ait demandé son
pain; il est possible que cela soit arrivé dans un pays qu’il n’habitait pas.
Ecoutez encore une difficulté qui m’embarrasse: voilà que le premier d’entre
vous, qui a déjà de longues années, en jetant les yeux sur les jours qu’il a
vus s’écouler, et en ramenant dans sa pensée tout ce qu’il a pu connaître, ne
voit pour mendier son pain,ni le juste, ni le fils du juste; et néanmoins, en
feuilletant les Ecritures, il voit qu’Abraham, tout juste qu’il était,
souffrit la faim dans le pays qu’il habitait,
et dut changer de contrée 1; il voit que son fils Isaac, pressé aussi par la
disette, alla chercher des vivres 2 en d’autres contrées. Où est maintenant la
vérité de cette parole: « Je n’ai point vu le juste abandonné, ni sa postérité
chercher du pain? » Et quand même cette parole se vérifierait dans le cours de
sa vie, la lecture des livres saints, plus croyable que la vie des hommes, lui
montre néanmoins le contraire.
2. Que faire donc? Aidez-moi, je vous prie,
de votre zèle et de votre piété, à comprendre dans les versets du psaume quelle
est la volonté de Dieu, et les instructions qu’il veut nous donner. Il est à
craindre, en effet, qu’un homme faible et incapable de comprendre les saintes
Ecritures, voyant de bons serviteurs de Dieu dans quelque détresse et dans la
nécessité de mendier leur pain, et réfléchissant à cette parole de saint Paul:
« Nous travaillons dans la faim et dans la soif, dans le froid et dans la
nudité 3 », ne vienne à se scandaliser et à dire en lui-même: De bonne foi, ce
que je viens de chanter est-il donc vrai; est-ce bien vrai, ce que je viens de
chanter avec piété et debout dans l’Eglise: « Je n’ai jamais vu le juste
abandonné, ni sa race mendier son pain? » Il est à craindre qu’il ne se dise
que l’Ecriture le trompe; que ses membres ne se ralentissent dans l’exercice
des bonnes oeuvres; et, ce qui est pire encore, que ces membres ne se
ralentissent chez l’homme intérieur, qu’il n’abjure toute oeuvre pieuse et ne
se dise dans son âme: A quoi bon faire le bien? à quoi bon partager mon pain
avec l’indigent et vêtir celui qui est nu, et loger chez moi celui qui n’a
point de refuge, dans la foi en cette parole: « Je n’ai jamais vu le juste
abandonné ni sa race mendier son pain », quand je vois tant de vrais serviteurs
de Dieu en proie à la faim? Et si je me trompe, ajoutera-t-il, au point de
prendre pour juste et celui qui vit bien et celui qui vit mal, tandis que Dieu
en juge tout autrement, et voit un méchant dans celui que je crois bon, du
moins que dirai-je d’Abraham, que I’Ecriture elle-même appelle juste? Que dire
de l’Apôtre saint Paul qui dit: « Soyez mes imitateurs comme je le suis du
Christ 4? » Veut-il me souhaiter aussi les
1. Gen.XII, 10. — 2. Id. XXVI, 1. — 3. II Cor. XI, 27. — 4. I Cor. IV, 16.
maux qu’il a dû endurer: « La faim et la
soif, le froid et la nudité 1? »
3. Un homme qui est dans ces pensées, et dont
les forces intérieures sont, tomme je l’ai dit, affaiblies pour tout bien,
pouvons-nous le prendre comme un paralytique, ouvrir le toit de ce passage de
l’Ecriture, et le descendre aux pieds du Seigneur? Vous le voyez, il y a là de
l’obscurité. S’il y a de l’obscurité, c’est qu’il y a un toit qui nous dérobe
le sens, et je vois devant moi un paralytique spirituel. Je vois donc ce toit,
et je sais que le Seigneur est caché sous ce toit. Je ferai alors, autant qu’il
me sera possible, ce que le Seigneur approuva dans ceux qui découvrirent le
toit et descendirent le paralytique aux pieds du Christ qui lui dit: «Mon fils,
prenez courage, vos péchés vous sont remis 2». Puis il guérit cet homme de la
paralysie intérieure, en lui remettant ses péchés et en affermissant sa foi.
Mais il y avait là des hommes dont les yeux ne pouvaient voir la guérison de la
paralysie intérieure, et qui prirent pour un blasphémateur le médecin qui
l’avait faite. « Quel est», disaient-ils, « cet homme qui remet les péchés? Il
blasphème. Quel autre que Dieu peut remettre les péchés 3? » Et comme ce
médecin était Dieu, il entendit ces pensées dans leurs coeurs. Ils croyaient
que cette oeuvre était vraiment de Dieu, et ils ne voyaient point Dieu présent
devant eux. Ce médecin agit donc aussi sur le corps du paralytique, afin de guérir
encore la paralysie intérieure de ceux qui tenaient ce langage. Il fit une
oeuvre qu’ils pussent voir et il leur donna la foi. Courage donc ! ô toi dont
le cœur est faible, languissant jusqu’à laisser toute bonne oeuvre, à la vue de
tout ce qui se passe dans le monde; toi qui es perdu intérieurement courage!
découvrons ce toit, s’il nous est possible, afin de descendre aux pieds du
Seigneur.
4. Dans l’Eglise, qui est son corps mystique,
le Seigneur fut jeune dans les premiers temps et maintenant il a vieilli. C’est
là ce que vous savez, ce que vous reconnaissez, ce que vous comprenez, parce
que vous faites partie de ce corps et que vous comprenez que le Christ est
notre chef, et que nous sommes les membres de ce chef 4? Mais n’y a-t-il que
nous, et tous ceux qui nous ont précédés ne le sont-ils pas comme nous? Tous
ceux qui ont été justes
1. II Cor. XI, 17. — 2. Luc, V, 18-22. — 3.
Ibid. et Matt, IX, 3. — 4. Cor. XII, 27; Ephés. IV, 15.
dès l’origine du monde ont le Christ pour
chef. Car ils ont cru qu’il viendrait comme sous croyons qu’il est venu; et
tout comme nous, ils ont été guéris par la foi qu’ils avaient en lui: c’est
ainsi qu’il est le chef de toute la cité de Jérusalem, formée de tous les
fidèles depuis le commencement du monde jusqu’à la fin, en y ajoutant les
légions et les armées les anges, de manière à ne composer qu’une seule cité
sous un seul roi, comme une seule province soumise à un seul empereur, heureuse
dans une paix, dans un salut inaltérable, bénissant Dieu sans fin dans une
félicité sans fin. Or, ce corps de Jésus-Christ, ou l’Eglise 1, ressemble à un
homme: il a été jeune, et voilà qu’à la fin des siècles il jouit d’une
vieillesse heureuse, de celle dont il est dit: «Ils se multiplieront dans une
vieillesse féconde 2 ». Elle lest multipliée en effet parmi les nations, et sa
voix est comme celle d’un homme qui consi1ère d’abord ses jeunes années, puis
celles de son déclin; il considère tout, parce que l’Ecriture lui fait
connaître tous ses âges; et dans un transport de joie il nous donne cet avis: «
J’ai été jeune », dans le premier âge du monde, « et voilà que j’ai vieilli »,
car j’en suis aux derniers temps « et jamais je n’ai vu le juste abandonné, non
plus que sa race mendiant son pain ».
5. Nous connaissons donc cet homme, jeune autrefois,
maintenant vieilli, et par l’ouverture du toit nous arrivons au Christ. Mais
quel est donc ce juste que l’on n’a point vu dans l’abandon, et dont la race
n’a pas mendié son pain? Savoir quel est ce pain, c’est connaître injuste. Or,
le pain est la parole de Dieu, qui ne sort jamais de la bouche du juste. C’est
là ce que répondit ce juste lui-même tenté dans son chef. Quand le diable dit à
Jésus-Christ qui souffrait du jeûne et de la faim: « Dis que ces pierres se
changent en pain», il répondit: « L’homme ne vit pas seulement-de pain, mais de
toute parole de Dieu ». Or, soyez, mes frères, quand est-ce que le juste ne
fait point la volonté de Dieu? Il la fait toujours, puisqu’il conforme sa vie à
cette volonté, et que cette volonté de Dieu ne sort point de son coeur, car la
volonté de Dieu, c’est la loi de Dieu. Or, qu’est-il dit de lui? « Qu’il
méditera cette loi jour et nuit ». Tu manges du pain matériel pendant une
heure,
1. Coloss. I, 18, 24. — 2. Ps. XCI, 15. — 3. Matt. IV, 3, 4. — Ps., I, 2.
puis c’est assez; mais le pain de la parole,
tu en manges nuit et jour. L’écouter ou la lire, c’est manger; y penser, c’est
la ruminer, afin d’être parmi les animaux purs, et non parmi les impurs 1.
C’est là ce que vous dit la sagesse par la bouche de Salomon: « Un trésor
désirable demeure dans la bouche de l’homme sage; mais l’homme insensé l’avale
d’un trait 2». Or, avaler de manière à ne rien laisser voir de ce qu’on a
avalé, c’est oublier ce que l’on a entendu. Mais l’homme qui ne l’oublie point,
le rumine dans sa pensée, et trouve son plaisir à ruminer ainsi. De là cette
parole: « Une sainte pensée te gardera 3.» Si donc en ruminant ce pain, tu as
pour gardienne une sainte pensée, « tu n’as jamais vu le juste délaissé, ni sa
race mendiant son pain ».
6. « Chaque jour il est pris de pitié et il
prête 4». Le mot latin foeneratur
peut se dire de celui qui prête et de celui qui reçoit en prêt. Il serait plus
clair pour nous de dire: Il prête, fœnerat.
Que nous importe ce qu’en diront les grammairiens? Il vaut mieux me mettre à
votre portée avec un barbarisme, que d’être si disert, pour vous laisser dans
le désert. Donc ce juste « est chaque jour pris de pitié, et il prête ». Mais
que les prêteurs ne s’en réjouissent point. De même, en effet, qu’il y a pain
et pain, nous trouvons aussi prêteur et prêteur; afin que nous découvrions
totalement le toit pour arriver à Jésus-Christ. Je ne veux point que vous soyez
prêteurs; et si je ne le veux point, c’est que Dieu lui-même ne le veut point.
Car si je le défends seul, et que Dieu le permette, agissez, prêtez; mais, si
Dieu ne le veut point, j’aurai beau le vouloir, celui qui le ferait courrait à
sa perte. Comment savoir que Dieu ne le veut point? Il est dit ailleurs: Le
juste « n’a point donné son argent à usure 5 ». Et tous les prêteurs, ce me
semble, comprennent combien l’usure est un crime détestable, odieux, exécrable.
Et pourtant, moi qui vous parle, ou plutôt Dieu que nous adorons, et qui vous
défend de prêter à usure, vous ordonne ailleurs de prêter à usure; il vous dit:
Prêtez à Dieu avec usure. Tu as de l’espérance en prêtant à un homme, et tu
n’en aurais pas en prêtant à Dieu? Si tu as prêté ton argent à usure,
c’est-à-dire si tu l’as confié à un homme dont tu espères retirer
1. Lévit. I. — 2. Prov. XXI, 20. — 3. Id. II,
11. — 4. Ps. XXXVI, 26. — 5. Ps. XIV, 5.
plus que tu n’as donné, non pas ton argent
seulement, mais quelque chose de plus que tu n’as prêté, soit en froment, soit
en vin, soit en huile, soit en toute autre denrée; si, dis-je, tu espères plus
que tu n’as donné, tu es usurier, et en cela tu es plus blâmable que louable.
Comment donc faire, me diras-tu, pour tirer un certain profit d’un prêt? Vois
ce que fait le prêteur à usure. Il veut assurément donner moins et retirer
plus; fais de même donne peu, et reçois plus. Vois les proportions larges que
prendra ton usure. Donne les biens temporels et tu recevras ceux de l’éternité;
donne la terre, tu recevras le ciel. Mais à qui la donner? me diras-tu
peut-être. Voilà Dieu qui se présente, pour que tu la lui prêtes à usure, lui
qui te défendait l’usure. Ecoute dans l’Ecriture comment tu prêteras au
Seigneur: « Celui-là prête à usure au Seigneur», est-il dit, « qui a pitié du
pauvre 1 ». Assurément Dieu n’a pas besoin de toi, mais un autre en a besoin.
Ce que tu donnes à l’un, l’autre le reçoit pour lui. Car le pauvre n’a rien à
te rendre; il le voudrait faire, mais il ne trouve rien; il ne lui reste que la
bonne volonté de prier pour toi. Or, un pauvre qui prie pour toi, semble dire à
Dieu: Seigneur, j’ai fait un emprunt, soyez ma caution. En ce cas, si le pauvre
n’est pas solvable, tu auras dans Dieu une belle garantie. Voilà que Dieu te
dit dans les Ecritures: Donne sans crainte, c’est moi qui suais caution. Que
disent ordinairement les hommes qui garantissent? Quel est leur langage? C’est
moi qui vous le rendrai, c’est moi qui reçois, c’est à moi que vous le donnez.
Croyez-vous que Dieu vous dise aussi: C’est moi qui reçois, c’est à moi que tu
donnes? Oui, assurément, si le Christ est Dieu, comme je n’en doute pas, lui
qui a dit: « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ». Et comme on lui
demandait: « Quand est-ce que nous vous avons vu avoir faim? » afin de nous
montrer qu’il est réellement caution pour les pauvres, qu’il répond pour tous
ses membres, car il est le chef et eux sont les membres, et ce que reçoivent
les membres, le chef le reçoit aussi: «Ce que vous avez fait au moindre de ceux
qui m’appartiennent », répond-il, « c’est à moi que vous l’avez fait ». Courage
donc, usurier avare, vois ce que tu as donné, vois ce que tu recevras. Si tu
n’avais donné qu’une modique somme d’argent,
1. Prov. XIX, 17.
et que l’emprunteur te donnât pour cette
modique somme une magnifique villa d’un prix bien supérieur à l’argent que tu
as donné, quelles actions de grâces tu lui rendrais, quelle joie serait la
tienne ! Ecoute quel domaine va te donner ton emprunteur: «Venez, bénis de mon
Père, recevez », quoi? ce que vous avez donné? Oh! non. Vous avez donné des
richesses terrestres, qui se seraient rouillées en terre, si vous ne les aviez
prêtées. Qu’en eussiez-vous fait si vous ne les eussiez données? Ce qui devait
périr dans la terre, se conserve dans le ciel. C’est donc ce dépôt conservé que
nous devons recevoir. C’est votre mérite qui est conservé, et c’est ce mérite
qui est votre trésor. Vois, en effet, ce qui va t’échoir: « Recevez le royaume
qui vous été préparé dès l’origine du monde». Quelle parole, au contraire,
entendront ceux qui n’ont rien voulu prêter? « Allez au feu éternel, préparé au
diable et à ses anges». Et que faut-il entendre par ce royaume? Ecoutes ce qui
suit: « Ceux-ci iront au feu éternel, et les justes dans la vie éternelle 1 ».
Voilà ce qu’il faut ambitionner, ce qu’il faut acheter, ce qu’il faut acquérir
par des usures. Celui qui vous tend la main sur la terre, c’est le Christ qui
règne dans les cieux. Voilà comment prête le juste: « Tout le jour il est pris
de pitié, et il prête à usure ».
7. « Et sa race sera en bénédiction 2 ». Ici
rejetons toute pensée charnelle. Nous voyons
bien souvent mourir de faim les enfants du
justes; comment donc « sa postérité sera-t-elle dans la bénédiction? » Cette
race doit s’entendre de ses oeuvres, ce qu’il sème pour récolter ensuite. Car
l’Apôtre a dit: « Ne nous lassons pas de faire le bien; car nous moissonnerons
dans le temps, sans nous fatiguer. C’est pourquoi, pendant qu’il en est temps,
faisons du bien à tous 3 ». Telle est votre postérité qui sera en bénédiction.
Tu confies une semence à la terre, et tu la recueilles au centuple, et tu la
perdrais en la confiant au Christ? Remarque bien le mot de semence expressément
employé par l’Apôtre à propos des aumônes. Voici ses paroles: « Celui qui sème
peu recueillera peu; et celui qui sème dans la bénédiction moissonnera dans les
bénédictions4 ». Mais peut-être est-ce pour toi une peine de semer, et ton
coeur est-il
1. Matt. XXV, 34-46. — 2. Ps. XXXVI, 26.— 3.
Gal. VI, 9.— 4. II Cor. IX 6.
ému à la vue des malheureux. Car nul doute
qu’un jour nous ne soyons plus heureux de n’avoir plus personne à soulager.
Quand tous seront devenus incorruptibles, il n’y aura plus ni affamé à qui tu
puisses donner à manger, ni altéré à qui donner à boire, ni homme nu à revêtir,
ni étranger à recevoir; nais ici-bas nous semons dans les larmes, dans les
tentations, dans les douleurs, dans les gémissements. Vois ce que dit un autre
psaume: « Ils allaient et pleuraient en répandant leur semence ». Vois aussi
que « sa semence sera en bénédiction: — mais ils reviendront avec joie en
portant leurs gerbes 1 ».
8. Vois donc ce qui suit et abjure la
paresse: « Evite le mal et fais le bien 2 ». Garde-toi de croire qu’il te
suffira de ne point enlever à un homme son vêtement. Ne pas le dépouiller,
c’est s’abstenir du mal; mais ne le dessèche pas, ne deviens pas stérile. Sache
tout à la fois, et ne pas dérober le vêtement, et revêtir celui qui est nu.
C’est là éviter le mal pour faire le bien. Que m’en reviendra-t-il, diras-tu?
Déjà celui à qui tu as prêté, t’a dit ce qui t’en reviendra; il te donnera la
vie éternelle, prête-lui sans crainte. Ecoute encore ce qui suit: «
Détourne-toi du mal et fais le bien; et tu habiteras les siècles des siècles ».
Et ne va point croire que tes dons ne soient vus de personne, ou que Dieu
t’abandonne quand, après une aumône faite à l’indigent, il te survient quelque
dommage ou quelque perte à déplorer; ne dis pas: De quoi me sert d’avoir fait
de bonnes oeuvres? Je crois que Dieu n’aime point ceux qui font le bien. — D’où
vient, mes frères, ce bruit, ce murmure, si ce n’est que l’on entend souvent ce
langage? Chacun le reconnaît à cet instant, ou dans sa propre bouche, ou dans
bouche d’un voisin, ou dans celle d’un ami. Je supplie Dieu de le faire
disparaître et d’arracher toutes les épines de son champ; qu’il y mette le bon
grain et l’arbre fruitier. — Pourquoi donc, ô homme, après avoir fait aumône,
t’affliger d’une perte que tu es-les? Ne vois-tu pas que tu perds ce que tu
avais pas donné. Pourquoi ne pas jeter les feux sur le Dieu que tu sers? Où est
donc ta loi? Pourquoi dort-elle ainsi? Réveille-la dans ton coeur. Ecoute ce
que le Seigneur luienênie t’a dit, quand il t’exhortait à faire ces sortes de
bonnes oeuvres: « Faites-vous des
1. Ps. CXXV, 6.— 2. Ps. XXXVI, 27.
bourses qui ne s’usent point, un trésor qui
ne s’épuise jamais, dans ce ciel dont n’approche pas le voleur ». Rappelle-toi
ces paroles quand une perte t’afflige. Pourquoi pleurer, ô insensé, ô homme au
coeur étroit, sinon dépravé? Pourquoi as-tu perdu, sinon parce que tu n’as pas
prêté? Pourquoi cette perte? qui te la fait essuyer? Le voleur, diras-tu. Ne
t’avais-je donc point averti de ne rien mettre où le voleur peut venir? Si donc
il s’afflige, celui qui essuie une perte, qu’il s’afflige de n’avoir point
placé son argent où il n’aurait pu le perdre.
9. « Car le Seigneur aime la justice, et il
n’abandonnera point ses saints 2 ». Quand les saints sont dans la peine,
gardez-vous de croire que Dieu ne juge point les hommes, ou qu’il les juge sans
équité. Celui qui t’avertit de juger avec justice, pourrait-il juger d’une
manière perverse? « Il aime donc la justice et n’abandonne point ses saints».
Mais il agit de manière que la vie des saints soit cachée en lui, et que tous
ceux qui souffrent sur la terre soient comme des arbres que l’hiver a
dépouillés de leurs fruits et de leur feuillage; mais, quand il apparaîtra
comme un soleil nouveau, ils montreront par des fruits la vie qu’ils
conservaient dans leur racine. « Il aime donc la justice et n’abandonnera point
ses saints ». Mais ce saint souffre de la faim? Dieu ne l’abandonnera pas, «
lui qui afflige celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants 3 ». Tu le méprises
quand il est dans la peine, tu seras dans la stupeur à la vue de ses richesses.
D’où lui vient sa peine? Des maux passagers. Quand sera-t-il dans les
richesses? Quand il entendra: « Venez, bénis de mon Père, possédez le royaume
qui vous est préparé dès l’origine du monde 4 ». Ne recule donc point devant la
peine, afin d’être parmi ceux qui méritent d’être admis. Dieu aime tellement la
justice qu’il n’abandonne point les saints, bien qu’il les afflige pour un
temps; et comme il afflige celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants, il n’a
pas épargné son Fils unique, bien qu’il ne trouvât en lui aucun péché. « Le
Seigneur donc aime la justice, et il n’abandonne point ses saints ». Mais s’il
ne les abandonne pas, leur donnera-t-il par hasard ce que tu désires ici-bas,
des années
1. Luc, XII, 33. — 2. Ps. XXXVI, 28. — 3.
Hébr. XII, 6. — 4. Matt. xxv, 34
nombreuses, une vieillesse prolongée? Tu ne
vois pas qu’en désirant la vieillesse, tu désires ce qui sera un sujet de
plainte quand il arrivera. Ferme donc l’oreille à toute âme ou méchante, ou
infirme, ou bornée, qui te dirait « Comment se peut-il que Dieu aime la justice
et n’abandonnera point ses saints? » A la vérité, il n’a point abandonné les
trois enfants qui le bénissaient dans la fournaise: le feu ne les toucha point
1; mais les Macchabées n’étaient-ils pas des saints, quand leur corps et non
leur foi succomba dans les flammes 2? Il est vrai, diras-tu, que c’est là une
grande difficulté, de voir que ces hommes demeurent fermes dans la foi et que
Dieu les abandonne. Ecoute ce qui suit: « Ils seront conservés pour l’éternité
». Tu leur souhaitais quelques années; et, pour le Seigneur, les leur accorder,
c’eût été, penses-tu, ne pas les abandonner. Il accordait une protection
visible aux enfants dé la fournaise, aux Macchabées une protection invisible;
il confondait les infidèles en donnant aux premiers la vie du temps; il
préparait à l’impiété des juges en couronnant les seconds d’une manière invisible;
et il n’abandonnait ni les uns ni les autres, lui « qui n’abandonnera point ses
saints». Et les trois enfants n’eussent obtenu qu’une mince faveur, s’ils
n’eussent eu l’éternité pour expectative « Ils seront conservés pour l’éternité
».
10. « Quant aux injustes, ils seront châtiés,
et la race des impies périras. » De même que la race du juste sera en
bénédiction, « la race de l’impie périra ». Car sa race signifie ses oeuvres.
Autrement, nous avons vu le fils de l’impie florissant dans le monde, parfois devenir
juste et fleurir en Jésus-Christ. Cherche donc bien le sens, afin d’ouvrir le
toit et de parvenir jusqu’au Seigneur 3. Le sens charnel serait une erreur pour
toi. Mais ce que sème l’impie, ou les oeuvres des impies, périront et ne
fructifieront point; car ils n’ont de la force que pour un temps; ils
chercheront plus tard et ne trouveront rien de ce qu’ils auront fait. Car voici
les plaintes de ceux qui auront perdu leurs oeuvres: « De quoi nous a servi
notre orgueil et le vain étalage de nos richesses? Tout cela s’est dissipé
comme l’ombre 4 ». Donc la race de l’impie périra.
11. « Quant aux justes, ils posséderont la
terre en héritage 5 ». Encore une fois, loin
1. Dan. III, 50. — 2. II Macch. VII, 7. — 3. Luc,
V, 19. — 4. Sag. V, 8. — 5. Ps. XXXVI, 29.
de toi l’avarice; qu’elle ne vienne point te
promettre de vastes domaines et te faire espérer ce que tu as ordre de
mépriser. Cette terre est celle des vivants, celle des saints. C’est pour cela
qu’il est dit: « Vous êtes mon espérance, mon héritage sur la terre des vivants
1 ». Car si telle est ta vie, comprends alors la terre qui doit t’échoir. C’est
la terre des vivants, tandis que celle-ci est la terre des mourants, et qui
recevra morts ceux qu’elles nourris vivants. Donc, telle terre, telle vie; si
la vie est éternelle, la terre aussi sera éternelle. Mais comment cette terre
sera-t-elle éternelle? « Ils l’habiteront pendant les siècles des siècles ». Il
y aura donc une autre terre que nous habiterons éternellement. Car il est dit
de celle-ci que « le ciel et la terre passeront 2 »
12. « La bouche du juste méditera la sagesse
3 ». C’est là le pain dont nous avons parlé: voyez avec quelles délices notre
juste s’en nourrit, comment, dans sa bouche, il savoure la sagesse. « Sa langue
publiera la justice, La loi de son Dieu est dans son cœur 4 ». L’on ne peut
croire qu’il a dans la bouche ce qu’il n’a pas dans le coeur, à le comparer à
ceux dont il est dit: « Ce peuple m’honore des lèvres, mais leurs coeurs sont loin
de moi 5. Sa langue publiera la justice parce que la loi de Dieu est dans son
cœur. » Et quel est son avantage? C’est que ses pieds « ne seront point pris au
piége ». La parole de Dieu, dès qu’elle est dans notre coeur, nous préserve de
tout piége; la parole de Dieu, si elle est dans notre coeur, nous détourne de
la voie mauvaise; la parole de Dieu dans notre coeur nous éloigne de toute
chute. Il est avec toi celui dont la parole ne s’éloigne point de ton coeur.
Mais quel mal peut arriver à celui dont Dieu est le gardien? Tu commets un
homme pour garder ta vigne, et tu oses sûreté contre les voleurs; et toutefois,
un gardien peut s’endormir, il peut s’abattre et laisser passer le voleur: «
Or, celui qui garde Israël ne dormira point, ne s’assoupira point 6 car la loi
de Dieu est dans son coeur; et ses pieds ne seront point pris au piége » Qu’il
vive donc en paix, qu’il soit en paix parmi les méchants, en paix parmi les
impies. Quel mal peut faire au juste l’homme impie, l’homme d’iniquité?
1.
Ps. CXLI, 6. — 2. Matt. XXXIV, 35.— 3. Ps. XXXVI, 30 — 4. Id. 31— 5. Isa. XXIX, 13.— 6.
Ps. CXX, 4.
Considère la suite: «Le pécheur épie le
juste, il cherche à lui donner la mort 1». Il tient en effet ce langage
consigné au livre de la Sagesse: « Nous sommes fatigués de le voir, car sa vie
diffère de la vie des autres 2 » Il cherche donc à le faire mourir. Mais quoi?
Le Seigneur qui le garde, qui habite avec lui, qui ne sort ni de sa bouche ni
de son coeur, l’abandonnera-t-il? Où est donc ce que nous lisions plus haut: «
Il n’abandonnera point ses saints 3? »
13. Donc « le pécheur épie le juste et
cherche à lui donner la mort; mais le Seigneur ne le lui abandonnera pas entre
les nains 4 ». Pourquoi donc a-t-il abandonné les martyrs aux mains des impies?
Pourquoi ceux-ci en ont-ils fait ce qu’ils ont voulu? Ils ont frappé celui-ci
du glaive, cloué cet autre à la croix, livré celui-là aux bêtes, condamné
ceux-ci au feu, jeté ces autres dans les cachots, pour les faire mourir plus
lentement. Il est certain toutefois que le Seigneur n’abandonnera point ses
saints; « car le Seigneur ne le lui abandonnera pas entre les mains ». Pourquoi
donc enfin a-t-il abandonné son Fils aux mains des Juifs? Ici, ouvre le toit 5,
situ veux être guéri de toute paralysie intérieure; arrive jusqu’au Seigneur,
écoute ce que l’Ecriture nous dit ailleurs, car elle prévoyait ce que les
impies feraient souffrir su Sauveur; que dit-elle donc? « La terre est livrée
aux mains de l’impie 6 ». Qu’est-ce à dire que la terre est livrée aux mains de
l’impie? La chair est entre les mains des persécuteurs. Car le Seigneur, dans
cette occasion, n’a point abandonné son juste, et de cette chair captive il a
tiré une âme indomptée. Le Seigneur abandonnerait le juste au pouvoir des
méchants, s’il le laissait consentir à leurs desseins; et c’est pour éviter ce
malheur que dans un autre psaume le Prophète faisait cette prière: « Ne me
livrez point, Seigneur, à l’homme du péché, d’accord avec mes désirs 7 ». Il
est à craindre que vous ne tombez de vos désirs dans les mains du pécheur, et
que votre amour pour cette vie d’un jour ne vous jette sous sa puissance, et ne
vous fasse perdre ainsi la vie éternelle. De quel désir encore ne veut-il point
tomber entre les mains du pécheur? De celui dont un autre prophète a dit: « Je
n’ai point désiré le jour
1.
Ps. XXXVI, 32. — 2. Sag. II, 15.— 3. Ps. XXXVI, 28. — 4. Id. 33. — 5. Luc, V,
19. — 6. Job,
IX, 24. — 7. Ps. CXXXIX, 9.
de l’homme, vous le savez 1 ». Car celui qui
désire vivement le jour de l’homme, et qui n’a point l’espérance de la vie
éternelle, ne peut que s’abandonner aux volontés d’un adversaire qui le menace
de le tuer, et dès lors de lui faire perdre cette vie ou le jour de l’homme.
Mais pour celui qui écoute cette parole du Seigneur: « Ne craignez point ceux
qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme 2 », quand ce qui est terre
serait livré entre les mains des impies, l’esprit s’en irait, la terre seule
serait captive; et, l’âme demeurant libre, la terre ressusciterait. L’esprit
est changé pour aller à Dieu, la terre sera changée pour aller au ciel. Rien ne
périt de cette terre livrée pour un temps aux mains des pécheurs: « Les cheveux
de votre tête sont comptés 3».Soyez donc en sûreté, si Dieu est en votre
intérieur. En chasser le diable, c’est y admettre Dieu. « Le Seigneur
n’abandonnera pas le juste aux mains du méchant, et ne le condamnera point
quand il le jugera ». On lit dans quelques exemplaires: « Et quand Dieu le
jugera, le jugement sera pour lui ». « Pour lui », signifie qu’il sera l’objet
du jugement. C’est ainsi que nous pouvons dire à quelqu’un: Jugez-moi, pour:
entendez ma cause. Lors donc que le Seigneur entendra la cause de son juste: «
Car nous devons tous comparaître au tribunal du Christ, afin que chacun reçoive
ce qui est dû ses bonnes ou à ses mauvaises actions, pendant qu’il était revêtu
de son corps 4»; quand donc arrivera le jugement du juste, Dieu ne le
condamnera point, bien qu’en cette vie les hommes paraissent le condamner. Et
si le proconsul prononça une sentence contre Cyprien, il y a une différence
entre le tribunal de la terre et le tribunal du ciel: celui de la terre le
condamna, celui du ciel lui décerna la couronne. « Il ne le condamnera point
lorsqu’il passera au jugement».
14. Mais quand cela sera-t-il? Ne croyez
point que ce soit maintenant; car maintenant c’est le temps de travailler, le
temps de semer, le temps d’endurer le froid; mais semez en dépit des vents et
de la pluie, ne soyez point paresseux; viendra l’été qui vous consolera, et
alors vous vous réjouirez d’avoir semé. Que faire donc maintenant? « Attends le
Seigneur ». Et en l’attendant, que faire?
1.
Jérém. XVII, 16. — 2. Matt. X, 28. — 3. Id. 30. — 4. II Cor. V, 10.
« Garde ses voies ». Et si je les garde,
quelle sera ma récompense? « Il t’élèvera, afin que tu aies la terre en
héritage 1 ». Quelle terre? Encore une fois, ne porte point ta pensée sur
quelque villa; c’est la terre dont il
est dit « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous est préparé dès
l’origine du monde 2 ». Et qu’arrivera-t-il à ceux qui nous ont torturés, au
milieu desquels nous gémissons, dont nous avons supporté les scandales, et dont
les fureurs ont rendu vaines toutes les prières que nous faisions pour eux?
Voici la suite: « Tu seras témoin de la perte des méchants »; et tu la verras
de tout près, car tu seras à la droite et eux à la gauche. C’est ce que l’on
voit des yeux de la foi; or, ceux qui ne les ont point, s’affligent du bonheur
des méchants, ils croient que leur propre justice est inutile, quand ils voient
l’impie en honneur. Mais pour celui qui a l’oeil de la foi, quel est son
langage? « J’ai vu l’impie élevé, il dépassait en hauteur les cèdres du Liban 3
». Le voilà donc élevé, il plane dans les hauteurs, et après? « Et j’ai passé,
et il n’était déjà plus; et je l’ai cherché sans trouver même sa place 4».
Pourquoi n’était-il plus, et sa place ne se trouvait-elle point? Parce que tu
as passé. Mais si tu as encore des pensées charnelles, si un bonheur terrestre
te paraît encore le vrai bonheur, tu n’as pas encore passé, tu es égal ou même
inférieur à l’impie; marche donc et passe; et lorsque dans ta marche tu l’auras
dépassé, regarde avec foi, et en voyant sa fin tu diras en toi-même: Ce n’est
point là cet homme si enflé d’orgueil; tu croiras passer près d’une grosse
fumée. Car c’est encore là ce qu’a dit plus haut notre psaume: « Ils
s’évanouiront comme s’évanouit la fumée ». La fumée s’élance dans les airs,
s’élève comme un épais tourbillon. Plus elle s’élève, plus elle se dilate. Mais
quand tu seras passé, regarde en arrière; il n’y aura que de la fumée derrière
toi, si Dieu est devant toi. Ne regarde point derrière avec des regrets, comme
regarda la femme de Loth, qui demeura en chemin; mais regarde avec mépris, et
tu verras que le méchant n’est plus nulle part, et tu chercheras sa place.
Quelle est sa place? Sa place consiste dans son pouvoir, dans ses richesses,
dans le rang
1.
Ps. XXXV, 34.— 2. Matt. XXV, 34.— 3. Ps. XXXVI, 35.— 4. Id. 36.— 5. Gen. XIX, 26.
qu’il occupe dans Je monde, qui lui
assujettit le grand nombre, en sorte qu’il commande et qu’on lui obéit. Cette
place donc n’existera plus, mais elle passera et tu pourras dire:
« J’ai passé et voilà qu’il n’était plus».
Qu’est. ce à dire: j’ai passé? Je me suis avancé, je suis arrivé à la vie
spirituelle, je suis entré dans le sanctuaire de Dieu, afin de contempler la
fin du méchant 1 « Et voilà qu’il n’était plus; je l’ai cherché sans même
trouver sa place ».
15 « Garde l’innocence ». Garde-la avec le
même soin que tu gardais ton argent lorsque tu étais avare; comme tu gardais ta
bourse de peur qu’elle ne devînt la proie du voleur; veille avec le même soin
sur ton innocence, de peur que le démon ne te la ravisse; qu’elle te soit un
patrimoine assuré, elle qui enrichit même les pauvres. « Garde ton innocence ».
De quoi te servirait de gagner de l’or et de perdre l’innocence? « Garde
l’innocence et considère la justice 2 ». Que tes yeux soient droits pour voir
ce qui est droit, mais non mauvais pour voir les méchants, ni obliques de
manière que Dieu lui-même te paraisse oblique ou injuste, favorisant l’impie et
persécutant le fidèle. Ne vois-tu point combien ta vue est oblique? Corrige
alors tu yeux « et regarde en droite ligne ». Quelle droite ligne? Ne considère
pas les choses présentes. Et que verras-tu? « Qu’il reste quelque chose à
l’homme de la paix ». Quel est ce « reste? » Qu’après ta mort tu rie seras
point mort; voilà ce qui reste. Il y aura donc pose le juste quelque chose
après cette vie; c’est-à-dire que sa semence sera en bénédiction. De là vient
que le Seigneur a dit: « Celui qui croira en moi vivra quand même il serait
mort 3 »; car il reste quelque chose à l’homme de la paix.
16. « Quant aux méchants, ils périront, in idipsum », dit le latin. Qu’est-ce à
dire, in idipsum? Ou bien, pour l’éternité,
ou toi ensemble. « Ce qui reste de l’impie périra 4. Mais il reste quelque
chose à l’homme pacifique; donc tous ceux qui ne sont point pacifiques sont
impies. « Bienheureux les pacifiques, parce qu’ils seront appelés les enfant de
Dieu ».
17. « Mais le salut des justes vient du
Seigneur, il est leur soutien au jour de la
1. Gen. LXXII, 17. — 2. Id. XXXVI, 37. — 3.
Jean, XI, 25. — 4. Ps. XXXVI, 38.— 5. Matt. V, 9.
tribulation: Le Seigneur les aidera, les
sauvera, les délivrera des mains des pécheurs 1». Que les justes tolèrent donc
maintenant les pécheurs, que le bon grain tolère l’ivraie, que le froment
tolère la paille; car viendra le temps de la séparation, et l’on tirera le bon
grain de ce que le feu doit consumer; l’un sera mis dans les greniers célestes,
l’autre jeté aux flammes éternelles; Dieu n’avait laissé le juste et l’injuste
vivre ensemble qu’afin que l’un tendît des piéges, que l’autre fût éprouvé, et
qu’ensuite le premier fût condamné, le second couronné.
18. Grâces à Dieu, mes frères; par la grâce
du Christ nous avons acquitté notre dette, sais la charité me tient toujours en
redevance; car elle est une, et l’acquitter tous les jours, c’est la devoir
tous les jours. Nous avons beaucoup parlé contre les Donatistes, nous avons
apporté beaucoup de faits, beaucoup d’actes en dehors des règles des Ecritures,
parce qu’ils nous y ont forcé. Car s’ils me blâment de vous avoir fait ces
lectures, j’accepte leur blâme, pourvu que vous soyez instruits. En ce cas, en
effet, nous pouvons leur répondre: « J’ai fait une folie, et vous m’y avez
contraint 2 ». Du reste, mes frères, conservez avant tout notre héritage, dont
nous sommes assurés par le testament de notre Père, non par l’acte frivole d’un
homme, mais bien par le testament de notre Père. Soyons en pleine sécurité; car
celui qui a fait ce testament vit toujours. Lui qui a fait le testament à
l’héritier, jugera lui-même de son testament. Chez les hommes, autre est le
testateur et autre le juge; et pourtant, celui qui s’en tient au testament gagne
sa cause auprès d’un autre qui est juge, non auprès d’un juge qui serait mort.
Combien nous devons être certains de la victoire, quand c’est le testateur qui
doit nous juger! Car si le Christ est mort pour un temps, il vit pour
l’éternité 3.
19. Qu’ils disent donc de nous ce qui leur
plaira, nous les aimerons même en dépit d’eux. Nous connaissons, mes frères,
nous connaissons ce qu’ils savent dire; gardons-nous de nous en irriter contre
eux, supportez-le patiemment avec nous. Ils voient qu’il ne leur reste aucune
réplique, et ils se tournent contre nous-même, versant le blâme sur nous,
disant bien des choses qu’ils savent,
1.
Ps. XXXVI, 39, 40.— 2. II Cor. XII, 11. — 3. Rom. V, 9.
et bien des choses qu’ils ne savent pas. Ce
qu’ils savent, c’est notre passé; car, dit l’Apôtre, « nous fûmes jadis
insensés, incrédules, éloignés de toute bonne œuvre ». Contre toute sagesse et
avec folie nous avons donné dans une erreur funeste, nous sommes loin de le
nier; et moins nous nions notre passé, plus nous bénissons Dieu qui nous l’a
pardonné. Pourquoi donc, ô hérétique, abandonner ta cause pour te prendre à un
homme? Qui suis-je, moi? qui suis-je? Est-ce que je suis l’Eglise catholique?
est-ce que je suis l’héritage du Christ répandu chez toutes les nations? Il me suffit
d’être dans cette Eglise. Tu me reproches mes fautes passées, que fais-tu là de
si bien? Je suis pour mes fautes plus sévère que tu ne peux l’être, et ce que
tu blâmes, je l’ai condamné. Puisses-tu m’imiter un jour, afin que ton erreur
soit aussi du passé! Mes fautes passées, on les connaît principalement dans
cette ville. Ici, je l’avoue, j’ai vécu dans le désordre; et plus la grâce que
Dieu m’a faite m’est un sujet de joie, plus mon passé, que dirai-je? me cause
de douleur. Oui, ce serait de la douleur s’il durait encore. Mais que dirai-je?
qu’il me réjouit? je ne puis le dire; plût à Dieu que je n’eusse jamais été de
la sorte! Mais ce que j’étais, grâce au Christ, je ne le suis plus. Quant à ce
qu’ils blâment du présent, ils ne le connaissent pas. Il y a sans doute en moi
quelques défauts à blâmer, mais les connaître est une grande prétention de leur
part. Je fais de grands efforts dans le secret de mes pensées, pour combattre
les désirs mauvais; j’ai des luttes bien longues, presque incessantes contre
les assauts de l’ennemi qui cherche ma perte. Je gémis devant Dieu, dans ma
faiblesse; et il sait ce qu’enfante mon coeur, lui qui connaît ce que je dois
produire. « Peu m’importe », dit l’Apôtre, « que je sois jugé par vous ou au
tribunal d’un homme; mais je ne me juge point moi-même ». Je me connais mieux
qu’eux, et Dieu mieux que moi. Je demande au Christ qu’ils n’aient rien à vous
reprocher à cause de moi. Car ils disent: Quels sont ces gens? d’où
viennent-ils? nous les avons vus dans le dérèglement; qui les a baptisés? S’ils
nous connaissent bien, ils savent que nous avons autrefois passé la mer. Ils
savent que nous avons vécu en pays étranger, et que nous en sommes revenu autre
1. Tit. III, 3.
que nous n’étions parti. Ce n’est point ici
que nous avons été baptisé; mais l’Eglise dans laquelle nous avons été baptisé
1, est célèbre dans l’univers entier. Il y a plusieurs de nos frères qui
connaissent que nous avons reçu le baptême, parce qu’ils l’ont reçu avec nous.
Il est aisé de savoir tout cela, pour peu que nos frères eu soient dans
l’inquiétude. Mais serait-ce satisfaire les Donatistes que leur apporter le
témoignage d’une Eglise avec laquelle ils ne communiquent pas? C’est avec
raison qu’ils ignorent qu’au-delà des mers j’ai été baptisé dans le Christ,
puisqu’au-delà des mers ils n’ont point de Christ. Celui-là seul possède le
Christ au-delà des mers, qui est outre-mer en communion avec l’Eglise
universelle. Comment un Donatiste pourrait-il savoir où j’ai été baptisé, lui
dont la communion passe à peine la mer? Toutefois, mes frères, que leur
dirai-je? Pensez de moi comme il vous plaira: si je suis bon, je suis froment
dans l’Eglise du Christ; si je suis mauvais, je ne suis que paille dans
l’Eglise du Christ, et néanmoins je ne sors pas de l’aire. Mais toi, emporté
dehors par le vent de la tentation, qui es-tu? Le vent n’emporte pas le froment
hors de l’aire; par le lieu où tu es, reconnais ce que tu vaux.
20. Mais, me diras-tu, qui es-tu donc pour
tant parler contre nous? Qui que je sois, fais attention aux paroles, non à
celui qui parle. Pourtant, diras-tu, le Seigneur a dit au pécheur: « Pourquoi
ouvrir la bouche pour parler de mon alliance 2? » Que Dieu parle ainsi, je le
sais, il y a une sorte de pécheurs auxquels Dieu le dit avec raison; mais à quelque
pécheur qu’il tienne ce langage, s’il le fait, c’est qu’il ne sert de rien au
pécheur de parler de la loi de Dieu. Mais cela ne peut-il être avantageux à
ceux qui l’écoutent? Selon Jésus-Christ nous avons dans l’Eglise deux sortes de
prédicateurs, des bons et des méchants. Que disent les bons en prêchant: «
Soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ 3? » Qu’est-il dit aux bons?: «
Soyez l’exemple des fidèles 4 ». Voilà ce que nous tâchons d’être; ce que nous
sommes, celui-là le sait qui entend nos gémissements. Toutefois il est dit à
propos des méchants: « Les
1. Voy. liv. IX des Confes. ch. 6. — 2. Ps.
CXLIX, 16. — 3. I Cor. IV, 10. — 4. I Tim. IV, 12.
scribes et les pharisiens sont assis sur la « chaire de Moïse; faites
ce qu’ils vous disent et non ce qu’ils font 1».Tu le vois, dans la chaire de
Moïse, à laquelle a succédé la chaire du Christ, on voit s’asseoir des bons et
des méchants; mais en disant le bien, ils ne nuisent pas à l’auditeur. Pourquoi
donc as-tu abandonné la chaire à cause du méchant qui s’y assied? Reviens à la
paix, reviens à la concorde qui ne t’est point nuisible. Si mes paroles sont
bonnes, mes oeuvres bonnes, imite-moi; si je ne fais pas le bien que je prêche,
tu as le conseil du Seigneur; fais ce que je dis, évite ce que je fais; mais ne
te sépare point de la chaire catholique. Voilà qu’au nom du Christ nous allons
partir, et ils vont parler beaucoup. Qui les arrêtera? Méprisez tout ce qui
regarde notre personne. Ne leur dites que ceci: Mes frères, répondez à la
question; l’évêque Augustin est dans l’Eglise catholique; il porte sa besace
dont il rendra compte à Dieu; je l’ai vu parmi les bons; s’il est mauvais, il
le sait; s’il est bon, ce n’est pas même en lui que j’espère. J’ai appris avant
tout, dans l’Eglise catholique, à ne pas mettre mon espoir dans un homme. Vous
avez donc raison, vous autres, de reprendre les hommes, puisque c’est dans
l’homme que repose votre espoir. Oui, quand ils accuseront notre vie, méprisez
tout cela. Nous savons quelle placet nous avons dans vos coeurs, parce que nous
savons quelle place vous occupez dans le nôtre. Ne prenez point contre eux
notre parti. Quoi qu’ils vous disent de nous, passez vite, de peur que, en vous
fatiguant à me défendre, vous n’abandonniez votre propre cause. Ils agissent avec
adresse; et, dans la crainte qu’on n’aborde la discussion de leur cause, ils
s’efforcent de nous détourner ailleurs, afin
que, tout entiers à nous justifier, nous ne
puissions rien dire pour les convaincre. Vous dites que je suis mauvais, et j’en
dis bien plus de moi-même; laissez là ce sujet, traitons la question même,
écoutez la cause de 1’Eglise et voyez où vous en êtes, Que la vérité vous parle
de tous côtés, écoutez-la avec avidité; de peur que le pain ne vous manque à
jamais, quand vous cherchez toujours à blâmer, à dédaigner, à calomnier le vase
dans lequel on vous le présente.
1. Matt. XXIII, 2, 3.
HOMÉLIE AU PEUPLE, APRÈS L’ÉVANGILE DE LA CHANANÉENNE.
Le Prophète gémit en se souvenant du repos,
il craint le châtiment de Dieu, qui pourtant nous sert pour le salut. Il semble
dire que les maux de cette vie doivent lui suffire; et alors il énumère ce
qu’il endure. Sa chair est malade, les flèches de Dieu le transpercent. Il est
dans le trouble à la vue de ses péchés, la paix n’est point dans ses os, il est
courbé sous le poids de ses fautes, son âme est dans l’illusion, son cœur dans
le trouble. Il souffre l’abandon, le faux témoignage, il chancèle et on
l’insulte. Toutefois, s’il s’afflige, ce n’est pas du châtiment, mais du crime.
Il pratique la justice et implore le secours de Dieu.
1. Cette femme de l’Evangile nous donne une
réponse bien analogue à ces paroles que nous avons chantées: « Je publie mon
iniquité, je prendrai soin de mon péché 1 », le Seigneur, envisageant les
péchés de cette femme, l’appela chienne en disant: « Il ne convient pas de
jeter aux chiens le pain des enfants 2». Mais elle, qui savait et publier son
iniquité, et prendre soin de son péché, ne lui point ce que disait la vérité;
au contraire, elle avoua sa misère et obtint miséricorde en s’inquiétant de son
péché. Car elle avait demandé la guérison de sa fille, et peut-être dans sa
fille désignait-elle sa propre vie. Ecoutez donc le psaume que nous allons, autant
que possible, exposer et expliquer tout entier. Que le Seigneur soit dans nos
coeurs, afin que nous y trouvions des leçons salutaires, que nous les exposions
telles que nous les aurons conçues, les trouvant facilement, les exposant d’une
manière convenable.
2. « Psaume de David, pour le souvenir du
sabbat 3 ». Tel est le titre du psaume. Nous touchons ce que l’Ecriture nous
raconte à propos du saint prophète David, qui fut, selon la chair, un des
ancêtres de Notre Seigneur Jésus-Christ 4; et, dans toutes les bonnes oeuvres
qu’elle nous a fait connaître, nous ne trouvons rien qui regarde le souvenir du
sabbat. Qu’étant-il besoin qu’il se souvint du sabbat que les Juifs observaient
avec soin; quelle mémoire fallait-il pour un jour qui revenait chaque semaine?
Il fallait l’observer, mais il n’était pas nécessaire de s’en souvenir. On ne
se souvient, en effet, que
1. Ps. XXXVII, 19 — 2. Matt. IV, 26. — 3. Ps. XXXVII, 1 — 4. Rom. I, 3
d’une chose qui n’est plus devant soi; ici,
par exemple, vous vous souvenez de Carthage où vous êtes allés quelquefois; et
aujourd’hui, vous vous souvenez d’hier, de l’an passé, de toute autre année
antérieure, de quelque action que vous avez déjà faite, des lieux que vous avez
visités, de quelque scène que vous avez vue. Que signifie, mes frères, ce
souvenir du sabbat? Quelle âme s’en souvient de la sorte? Qu’est-ce que le
sabbat? car David s’en souvient en gémissant. Vous avez entendu la lecture du
psaume, et tout à l’heure, quand nous l’expliquerons, vous entendrez quelle
douleur il y témoigne, quels gémissements lui échappent, quels pleurs, quelle
tristesse profonde. Mais, bienheureux celui qui est triste de cette manière.
C’est ainsi que, dans l’Evangile, le Seigneur appelle heureux quelques-uns de
ceux qui pleurent 1. Comment peut être heureux l’homme qui pleure? Comment
heureux, s’il est malheureux? Il serait malheureux, au contraire, s’il ne
pleurait point. Tel est donc celui qui se souvient ici du sabbat, ce je ne sais
quel homme qui pleure, et puissions-nous être ce je ne sais qui t C’est une âme
qui s’afflige, qui gémit, qui pleure en se souvenant du sabbat. Or, sabbat
signifie repos. Assurément, l’interlocuteur était dans je ne sais quelle
agitation, puisqu’il gémissait au souvenir du repos.
3. Cet homme donc, redoutant un plus grand
malheur que celui dont il était accablé déjà, raconte et offre à Dieu ses
agitations. Car il dit clairement qu’il est dans la douleur, et il n’est
besoin, pour le comprendre, ni d’interprète, ni de soupçon, ni de conjecture:
ses
1. Matt. V, 5.
paroles ne nous laissent aucun doute sur le
mal dont il souffre, et il n’est nul besoin de le chercher, mais de comprendre
ce qu’il dit. Et s’il ne craignait un malheur plus grand que celui dont il
souffre, il ne commencerait pas ainsi: « Seigneur, ne me reprenez point dans
votre indignation, ne me corrigez point dans votre colère 1 ». Il arrivera, en
effet, que Dieu châtiera des pécheurs dans sa colère et les reprendra dans son
indignation. Tous ceux qu’il reprendra ne seront peut-être pas corrigés; et néanmoins,
plusieurs seront sauvés par le châtiment. Il y en aura, puisque être châtié,
c’est « passer comme par le feu 2». D’autres, au contraire, seront repris sans
néanmoins se corriger. Car ce sera bien les reprendre que de leur dire: « J’ai
eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger; j’ai eu soif, et vous ne m’avez
point donné à boire 3 »; et tout ce qui vient ensuite, pour reprocher la dureté
de coeur et la stérilité aux méchants qui seront à sa gauche et auxquels il
dira: « Allez au feu éternel qui a été préparé au diable et à ses anges 4 ».
Cette âme donc, redoutant des maux bien plus grands que ceux dont elle gémit en
cette vie, supplie le Seigneur et s’écrie: « Seigneur, ne me reprenez pas dans
votre colère ». Que je ne sois point avec ceux auxquels vous direz: « Allez au
feu éternel qui a été préparé au diable et à ses anges.— Ne me corrigez pas
dans votre colère »; mais plutôt, corrigez-moi dès cette vie, et rendez-moi
telle que je n’aie pas besoin de passer par le feu de l’expiation, comme ceux
qui doivent être sauvés, mais comme par le feu. Pourquoi, sinon parce qu’en
cette vie ils élèvent sur le vrai fondement un édifice en bois, en foin, en
paille? S’ils bâtissaient en or, en argent, en pierres précieuses, ils seraient
en sûreté contre l’un et l’autre feu; non seulement contre le feu éternel qui
doit dévorer l’impie pendant l’éternité, mais contre le feu qui doit purifier
ceux qui seront sauvés par le feu. Il est dit en effet « qu’ils seront sauvés,
mais comme par le feu ». Or, parce qu’il est dit: « Il sera sauvé », on
dédaigne ces flammes. Mais, bien qu’il serve à nous sauver, ce feu sera
néanmoins plus horrible que toutes les douleurs qu’un homme peut endurer
ici-bas. Et pourtant, vous savez quels maux endurent les méchants, quels maux
ils peuvent
1.
Ps. XXXVII, 2.— 2. I Cor. III, 15.— 3. Matt. XXV, 41.— 4. Id. 42.
endurer encore sur la terre; mais ils n’ont
rien enduré que les bons ne puissent endurer. Quels supplices les lois humaines
ont-elles pu infliger au magicien, au voleur, à l’adultère, au scélérat, au
sacrilège, que le martyr n’ait pas souffert en confessant Jésus-Christ? Les
maux de cette vie sont donc bien plus supportables; et toutefois, voyez avec
quel empressement les hommes feront, pour les éviter, tout ce que vous leur
commanderez. Combien gagneraient-ils plus à supporter ce que Dieu ordonne, pour
éviter ces horribles tourments?
4. Mais pourquoi demander de n’être point
repris avec indignation, ni corrigé avec colère? Comme si le prophète disait à
Dieu: Puisque les maux que j’ai endurés sont grands et nombreux, qu’ils me
suffisent, je vous eu supplie. Alors il se met à les énumérer, offrant à Dieu
comme une satisfaction ce qu’il a souffert, afin de ne pas souffrir davantage.
« Vos flèches me pénètrent de toutes parts, et votre main s’est appesantie sur
moi 1 ».
5. « En face de votre colère, il n’y a rien
de « sain en mon corps 2 ». Déjà il nous racontait ce qu’il souffrait en cette
vie, et ces maux viennent de la colère de Dieu, puisqu’ils viennent de sa
vengeance. De quelle vengeance? De celle qu’il a tirée d’Adam. Car le péché
d’Adam ne demeura point impuni, et Dieu ne dit point en vain: « Tu mourras de
mort 3 »; et nous n’avons rien à souffrir en cette vie qui ne nous vienne de
cette mort que nous avons méritée par le péché. Car nous portons un corps
mortel, et qui, sans le péché, ne serait point mortel, exposé aux tentations,
plein de sollicitudes, en proie aux maladies corporelles, en proie à
l’indigence, assujetti aux changements, qui languit même en santé, parce qu’il
ne jouit jamais d’une santé complète. Pourquoi dire: « Il n’y a rien de sain
dans ma chair », sinon parce que cette santé, ou ce que l’on appelle ainsi en
cette vie, n’est point une santé pour ceux qui comprennent le vrai sabbat et
s’en souviennent? Si tu es sans manger, la faim te presse bientôt. C’est comme
une maladie naturelle; et ce qui était d’abord une peine vengeresse est devenu
pour nous une seconde nature. Ce qui était un châtiment pour le premier homme
est naturel pour nous. De là
1. Ps. XXXVII, 3.— 2.Id. 4.— 3. Gen. II, 17.
vient cette parole de l’Apôtre: « Nous aussi,
par nature, nous fûmes enfants de colère comme le reste des hommes: Enfants de
«colère, par nature », c’est-à-dire soumis à la vengeance du péché. Mais
pourquoi dire: «Nous fûmes? » c’est que par l’espérance nous ne le sommes plus,
bien que nous le soyons en réalité. Pourtant il est mieux de dire ce que nous
sommes en espérance, parce que notre espérance est certaine et qu’elle n’a rien
d’incertain qui puisse nous inspirer le moindre doute. Ecoutez encore la gloire
en espérance: « Nous gémissons en nous-mêmes », dit l’Apôtre, « attendant
l’effet de l’adoption divine, la délivrance de notre chair 1». Quoi donc, Paul,
n’avez-vous pas été racheté? Le prix de votre rançon n’est-il point payé? Un sang
divin n’a-t-il pas été répandu et n’est-il pas la rançon de tous les hommes?
Qui, sans doute, mais voyez ce qu’il ajoute: « Nous sommes sauvés par
l’espérance; or, l’espérance que l’on voit n’est plus une espérance. Comment
espérer ce que l’on voit? Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore,
nous l’attendons par l’espérance 2». Qu’est-ce qu’il attend par la patience? Le
salut. Le salut de quoi? De son corps; car il a dit: « La délivrance de notre
chair ». S’il attendait la santé de son corps, ce n’était donc point cette
santé qu’il avait déjà. La faim tue un homme ainsi que la soif, si l’on n’y
apporte remède. Le remède à la faim, c’est la nourriture; le remède contre la
soif, c’est la boisson; le remède à la fatigue, c’est le sommeil. Retranchez
ces remèdes, et voyez si ces maladies ne vous tuent pas. S’il y a donc en vous
de quoi vous tuer, si vous ne mangez, une vous glorifiez pas de votre santé;
mais plutôt attendez en gémissant la délivrance de votre se corps.
Réjouissez-vous de votre rédemption, bien que vous ne soyez pas encore dans une
sûreté réelle, mais seulement en espérance. Car si l’espérance ne vous fait
gémir, vous n’arriverez point à la réalité. Cela donc n’est point la santé
parfaite, dit le Prophète: « En face de votre colère il n’y a rien de sain en
ma chair ». D’où viennent ces flèches dont il est transpercé? C’est une peine,
un châtiment, et peut-être appelle-t-il des flèches ces le douleurs de l’âme et
de l’esprit qu’il nous faut là endurer. Le saint homme Job a fait mention de
ces flèches, et dans l’abîme de ses malheurs
1.
Eph. II, 3.— 2. Rom. VIII, 23.— 3. Id. 24, 25.
il dit que les flèches du Seigneur l’ont
traversé1. Il est cependant ordinaire d’entendre par flèches les paroles du
Seigneur mais pourrait-il ainsi se plaindre d’en être percé? Les paroles de
Dieu sont comme des flèches qui portent l’amour et non la douleur. Ou bien,
serait-ce peut-être que l’amour et la douleur sont inséparables? Car il y a
nécessairement douleur à aimer sans posséder. Il peut aimer sans souffrir,
celui qui possède ce qu’il aime; mais, disons-nous, quand on aime et qu’on n’a
point encore ce que l’on aime, on doit nécessairement gémir dans sa douleur. De
là cette parole de l’Epouse des cantiques qui figurait l’Eglise du Christ: «
L’amour m’a blessée 2 ». Elle dit que l’amour l’a blessée, parce qu’elle aimait
sans posséder l’objet de son amour; elle souffrait de ne l’avoir point.
Quiconque n’a point souffert de cette blessure ne saurait arriver à la
véritable santé. Car celui qui en ressent la douleur doit-il donc y demeurer
toujours? Nous pouvons alors entendre ainsi ces flèches qui transpercent le
Prophète: Vos paroles ont blessé mon coeur, et ces paroles m’ont fait souvenir
du repos. Ce souvenir du sabbat, que je ne possède-point encore, m’empêche de
me réjouir et me fait comprendre qu’il n’y a rien de sain dans ma chair, que la
santé qu’elle possède n’en mérite pas le nom quand je la compare à celle dont
je jouirai dans le repos éternel, quand cette chair corruptible sera revêtue
d’incorruptibilité, que cette chair mortelle sera revêtue d’immortalité3; en
comparaison de cette santé, celle d’ici-bas, je le vois, n’est qu’une maladie.
6. « Il n’y a nulle paix dans mes ossements,
à la vue de mes péchés 4 ». On se demande quel est celui qui parle ainsi;
plusieurs pensent que c’est Jésus-Christ, à cause de quelques allusions à la
passion, allusions auxquelles nous arriverons bientôt, pour montrer qu’elles
prédisent la passion de Jésus-Christ. Mais, comment celui qui n’avait pas de
péché 5 a-t-il pu dire: « La vue de mes péchés ne laisse aucune paix dans mes
os? » Pour comprendre ceci, nous sommes dans la nécessité de connaître le
Christ tout entier, ou le chef et les membres. Souvent, en effet, quand
Jésus-Christ parle, il le fait seulement comme chef, et ce chef est le Sauveur,
né de la Vierge Marie 6;
1.
Job, VI, 4. — 2. Cant. II, 5, V, 8. — 3. I Cor. XV, 53. — 4. Ps. XXXVII, 6. —
5. I
Pierre, II, 22. — 6. Luc, II, 7.
quelquefois au contraire il parle au nom de
son corps qui est la sainte Eglise réunie dans l’univers entier. Nous autres,
nous sommes aussi de son corps, si toutefois nous avons en lui une foi sincère,
une espérance ferme, une ardente charité; nous sommes en son corps, nous en
sommes les membres, et nous trouvons que c’est nous qui parlons ici, selon ce
mot de saint Paul: « Parce que nous sommes les membres de son corps 1 », et que
l’Apôtre a répété à plusieurs endroits. Dire en effet que ces paroles ne sont
pas du Christ, c’est dire aussi que ces autres ne lui appartiennent point: « O
Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné? » Car nous y lisons aussi: «
Mon Dieu, pourquoi m’abandonner? Le rugissement de mes péchés éloigne de moi
tout salut 2».Comme tu lis dans l’un: « La vue de mes péchés», tu lis dans
l’autre: « Le rugissement de mes péchés ». Or, si le Christ est sans faute,
sans péché, nous nous prenons à douter si les paroles de ce psaume lui
appartiennent. Et pourtant, il serait dur et contrariant d’admettre que ce
psaume ne regarde point le Christ, quand nous pouvons y lire la passion aussi
clairement que dans l’Evangile. C’est là que nous lisons en effet: « Ils ont
partagé mes vêtements et ont tiré ma robe au sort 2».Pourquoi donc le Seigneur,
cloué à la croix, a-t-il récité de sa propre bouche le premier verset du
psaume, et a-t-il dit: « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné? »
Qu’a-t-il voulu nous faire comprendre, sinon que c’est lui qui parle dans tout
le psaume, puisqu’il en a récité le commencement? Et quand il dit ensuite: «
Les rugissements de mes péchés », il n’est pas douteux que ces paroles ne
soient du Christ. Mais d’où viennent les péchés, sinon de son corps mystique
qui est l’Eglise? Car ici le corps du Christ parle aussi bien que la tête.
Comment parle-t-il comme parlerait un seul? « Parce qu’il est dit qu’ils seront
deux dans une même chair. Ce sacrement est grand, observe l’Apôtre; je dis en
Jésus-Christ et en l’Eglise ». C’est pourquoi, dans l’Evangile, répondant à un
homme qui l’interrogeait sur le renvoi d’une épouse, il a dit.: « N’avez-vous
point lu ce qui est écrit, « que Dieu, dès le commencement, fit un homme et une
femme, et que l’homme quittera son père et sa mère pour à attacher à son
épouse, et qu’ils seront deux dans une même
1.
Eph. V, 30.— 2. Ps. XXI, 2.— 3. Id. 19.
chair? Ils ne sont donc plus deux, mais une
seule chair 1», Si donc il a dit: «Ils ne sont plus deux, mais une seule chair
»; comment s’étonner qu’une même chair n’ait plus qu’une même langue, une même
parole, puisqu’il y a unité de chair, de chef et de corps? Ecoutons donc le Christ
dans son unité, et néanmoins le chef comme chef, et le corps comme le corps. Il
n’y a point division de personne, mais différence de dignité; c’est le chef qui
sauve, le corps qui est sauvé. Que le chef montre donc de la miséricorde, et
que le corps déplore sa misère. Le chef doit purifier, le corps confesser les
péchés, et néanmoins il n’y a qu’une seule voix, quand l’Ecriture ne distingue
point si c’est le corps ou la tête qui parle; mais nous, qui l’entendons, nous
faisons ce discernement; et pour lui, il parle toujours comme parle un seul.
Pourquoi ne parlerait. il pas «de ses péchés», celui qui a dit: « J’ai eu faim
et vous ne m’avez pas donné à manger; j’ai eu soit et vous ne m’avez pas donné
à boire; j’ai été étranger, et vous ne m’avez point recueilli; j’ai été malade
et en prison, et vous ne m’avez pas visité 2 ». Assurément le Seigneur n’a pas
été en prison. Pourquoi ne parlerait-il pas ainsi, celui qui, à cette question:
« Quand vous avons-nous vu ayant faim, ayant soif ou en prison, sans prendre
soin de vous secourir 3? » a bien pu répondre au nom de ses membres, et dire: «
Ce que vous n’avez pas fait au moindre des miens, vous ne me l’avez pas fait?»
Pourquoi ne dirait-il pas: « A la vue de mes péchés », celui qui dit à Saul: «
Pourquoi me persécuter 4 », lui qui dans le ciel ne rencontrait plus de
persécuteurs? Dans ce cas, c’était la tête qui parlait pour le corps; et de
même ici c’est encore la tête qui tient le langage du corps, car c’est le corps
que vous entendez. Mais, soit que vous entendiez le langage du corps, n’en
séparez point le chef; de même qu’en entendant les paroles du chef, n’en
séparez pas le corps, car ils ne sont plus deux, mais bien une seule chair.
7. « Nulle partie de ma chair n’est saine à
la vue de votre colère 5».Mais c’est peut-être
à tort que Dieu est irrité, ô Adam, ô genre
humain; c’est à tort que Dieu s’est irrité contre toi ! puisque déjà tu as
reconnu ta faute, et que, constitué dans le corps du Christ, tu as vie
1. Matt.
XIX, 4. — 2. Id. XV, 42, 43. — 3. Id. 44.— 4. Act. IX,4. — 5. Ps.
XXXIV, 4.
dit: « Nulle partie de ma chair n’est sauné à
la vue de votre colère». Expose donc la justice de cette colère divine, afin de
ne point paraître excuser ta faute, accuser Dieu lui-même. Poursuis et dis-nous
d’où vient cette colère? « Nulle partie n’est saine dans ma chair à la vue de
votre colère; la paix n’est plus dans mes os 1». Dire que «la paix n’est pas
dans ses os », c’est répéter cette pensée que « nulle partie de sa chair n’est
saine ». Toutefois il n’a point répété: « A la vue de votre colère »; mais il
expose la cause de nette colère divine: « Nulle paix», dit-il, n’est «dans mes
os en face de mes péchés ».
8. « Mes iniquités ont élevé ma tête, elles
pèsent sur moi comme un lourd fardeau 2 », Voilà d’abord la cause, puis ensuite
l’effet; il lit d’où son mal est venu. « Mes iniquités ont élevé ma tête ». Nul
n’est orgueilleux, si ce n’est le coupable qui élève sa tête en haut. Il
s’élève en haut celui qui se dresse contre Dieu. Vous avez entendu dans le
livre de l’Ecclésiastique: « Le commencement de l’orgueil, c’est de se séparer
de Dieu 3 ». A celui qui le premier ne voulut point obéir, l’iniquité fit lever
la tête contre Dieu. Et parce que l’iniquité lui avait fait lever la tête, que
fit le Seigneur? « L’iniquité pèse sur moi comme un lourd fardeau ». Elever la
tête, c’est une marque de légèreté; il semble que celui qui lève la tête ne
porte rien. Comme donc ce qui peut s’élever a de la légèreté, on lui donne un
poids qui le rabaisse, son oeuvre descend sur sa tête et son iniquité pèsera
sur son cœur 4. Elle « pèse sur moi comme un lourd fardeau».
9. « La pourriture et la corruption se sont
mises dans mes plaies 5».Il n’a point la santé celui qui a des plaies, surtout
quand il y a dans ces plaies corruption et puanteur. D’où vient la puanteur? de
la corruption. Qui ne comprend cela d’après les actes de la vie humaine? Qu’un
homme ait un bon odorat spirituel, il sentira l’odeur qui s’exhale des péchés.
A cette odeur des péchés est opposée l’odeur dont saint Paul a dit: « Nous
sommes la bonne odeur du Christ, devant Dieu, partout pour ceux qui se sauvent
6.». Mais d’où s’exhale cette odeur, sinon de l’espérance? D’où encore, sinon
du souvenir du sabbat? D’une part, en effet, nous gémissons en cette vie;
d’autre part nous espérons pour l’autre
1.
Ps. XXXIV, 4. — 2. Id. 5. — 3. Eccli. X, 14. — 4. Ps. VII, 17. — 5. Ps.
XXXVII, 6. — 6. II Cor. II, 15.
vie. Ce qui nous fait gémir, c’est l’odeur
fétide; ce qui nous fait espérer, c’est la bonne odeur. Si donc nous n’étions
pas attirés par cette odeur, nous n’aurions aucun souvenir du sabbat. Mais,
parce que le Saint-Esprit nous la fait sentir au point de dire à notre époux:
«Nous vous suivrons à l’odeur de vos parfums 1 », nous détournons notre odorat
des puanteurs, et nous nous tournons vers lui pour respirer quelque peu. Mais
si nous ne sentons aussi l’odeur de nos péchés, nous ne confesserons point,
dans nos gémissements, que « la puanteur et la corruption sont dans nos plaies
». Pourquoi? « A cause de ma folie ». De même que plus haut il a dit: « A la
vue de mes péchés»; de même il dit maintenant: «A la vue de ma folie ».
10. « Je suis devenu misérable, j’ai été
courbé pour toujours 2». Pourquoi a-t-il été courbé? parce qu’il s’était élevé.
Humiliez-vous, Dieu vous redressera; élevez-vous, il vous abaissera. Dieu ne
manquera pas de poids pour vous courber; ce poids sera le fardeau de vos
péchés, qu’il fera retomber sur votre tête, et vous en serez courbés. Mais
qu’est-ce que être courbé? c’est ne pouvoir se relever. Telle était cette femme
que le Seigneur trouva courbée depuis dix-huit ans; se relever lui était
impossible 3. Tels sont encore ceux qui ont le coeur baissé jusqu’à terre.
Puisque cette femme a trouvé le Seigneur qui l’a guérie, qu’elle entende cette
parole: Les coeurs en haut. Elle gémit néanmoins de se sentir courbée. Il est
courbé aussi celui qui dit: « Le corps qui se corrompt appesantit l’âme, et
cette habitation terrestre abat l’esprit capable des plus hautes pensées 4».
Qu’il gémisse dans ces maux, afin d’en être guéri; qu’il se souvienne du
sabbat, afin d’arriver au véritable sabbat. Car cette fête des Juifs était une
figure. Figure de quoi? de ce que rappelle à son souvenir celui qui dit: « Je
suis devenu misérable et courbé jusqu’à la fin ». Qu’est-ce à dire: «Jusqu’à la
fin? » jusqu’à la mort. « Tout le jour, je marchais dans ma douleur». « Tout le
jour», sans interruption. Tout le jour, dit-il, pour dire toute sa vie. Mais,
depuis quand a-t-il connu sa misère? depuis qu’il s’est souvenu du sabbat.
Voulez-vous qu’il ne soit point contristé quand il se souvient de ce qu’il n’a
pas? « Tout le jour donc je marchais dans ma douleur ».
1. Cant. I,
3,— 2. Ps. XXXVII, 7.— 3.Luc, XIII, 11.— 4. Sag. IX, 15.
11. « Parce que mon âme est pleine
d’illusions, et ma chair n’est point saine 1 ». L’homme dans son intégrité
comprend l’âme et le corps. L’âme est remplie d’illusions, la chair n’est point
saine; quel sujet de joie lui reste-t-il? N’est-il pas nécessairement dans la tristesse?Tout
le jour je marche dans la douleur. Soyons donc tristes jusqu’à ce que notre âme
soit délivrée de ses illusions, et notre corps revêtu de santé. Car la santé
dans la plénitude sera l’immortalité. Quelles illusions dans votre âme ! et, si
j’entreprenais de les exposer, quand aurais-je fini? Quelle âme ne les endure
point? Je dirai en un mot que notre âme est pleine d’illusions, et que ces
illusions nous permettent souvent à peine de prier. Nous ne pouvons penser aux
objets corporels qu’au moyen des images; et souvent il nous vient en foule de
ces images que nous ne cherchons point, et nous voulons aller de l’une à
l’autre, voltiger de celle-ci à celle-là: et souvent tu voudrais revenir à ta
pensée première, chasser celle qui t’occupe, quand une nouvelle arrive; tu
cherches à rappeler ce que tu oubliais, sans qu’il te revienne à l’esprit, et
il te vient plutôt ce que tu ne voulais pas. Où était ce que tu avais oublié?
Comment est-il revenu en ta mémoire, quand tu ne le cherchais point? quand tu
le cherchais, tu n’as rencontré que mille objets que tu ne cherchais point. Je
ne vous dis cela qu’en un mot, mes frères; c’est je ne sais quelle semence
légère que je répands, afin qu’en la méditant en vous-mêmes, vous sachiez ce
que l’on appelle pleurer les illusions de notre âme. Elle a donc été la proie
de ces illusions, elle a perdu la vérité. De même que l’illusion est pour l’âme
un supplice, ainsi la vérité est une joie. Mais comme nous gémissions sous le
poids de ces futilités, la vérité nous est venue, nous a trouvés affublés
d’illusions, et a pris notre chair, ou plutôt l’a prise de nous, c’est-à-dire
du genre humain. Elle s’est montrée aux yeux de notre chair, afin de guérir par
la foi ceux à qui elle devait enseigner la vérité, afin que l’oeil devenu sain
pût voir cette vérité. Car le Christ est lui-même la vérité qu’il nous a
promise, alors que sa chair était visible, afin de nous initier à la foi dont
la vérité est la récompense. Car le Christ ne s’est point montré lui-même sur
la terre, il n’a montré que sa chair.
1. Ps. XXXVII, 8.
S’il se fût en effet montré lui-même, les
Juifs l’auraient vu et l’auraient connu; mais s’ils l’eussent connu, ils
n’eussent jamais crucifié le Seigneur de la gloire 1. Peut-être les disciples
le virent-ils quand ils dirent: « Montrez-nous le Père et cela nous suffit
2».Mais lui, pour leur montrer qu’ils ne l’avaient point vu encore, ajouta: «
Il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez point
encore? Philippe, celui qui me voit, voit aussi mon Père 3».Si donc ils
voyaient le Christ, comment voulaient-ils voir son Père, puisque voir le
Christ, c’était voir le Père? Donc ils ne voyaient point le Christ, puisqu’ils
demandaient qu’on leur montrât le Père. Comprenez encore qu’ils ne l’avaient
point vu; il leur en fit la promesse comme récompense, en disant: « Celui qui
m’aime garde mes commandements; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père, et
moi aussi je l’aimerai 4 ». Et comme si quelqu’un lui eût demandé: Que lui
donnerez-vous pour gage de votre amour? « Je me montrerai à lui », répond-il.
Si donc il promet pour récompense à ceux qui l’aiment de se montrer à eux, il
est clair qu’il nous promet de la vérité une vue telle que, après en avoir
joui, nous ne disions plus: « Mon âme est en proie aux illusions ».
12. « J’ai été affaibli et humilié à l’excès
5 ». Le souvenir de cette hauteur du sabbat lui fait comprendre son
humiliation. Celui en effet qui ne peut comprendre l’éminence de ce repos, ne
peut voir où il est maintenant. Aussi est-il écrit dans un autre psaume: «J’ai
dit dans mon extase: Me voilà rejeté loin de vos 6». Dans le ravissement de son
âme, il a vu en effet je ne sais quoi de sublime, et il n’était point tout
entier où il contemplait cette vision; mais un éclair de la lumière éternelle,
pour ainsi dire, lui a fait comprendre qu’il n’était point dans les régions
qu’il voyait, et fait voir le lieu où il était; alors, comme affaibli et
resserré par les misères de l’humanité, il s’est écrié: « J’ai dit dans mon
extase: Me voilà repoussé loin de vos regards. Ce que j’ai vu dans mon extase
m’a fait comprendre combien je suis éloigné de ce lieu où je ne suis point
encore. C’est là qu’était déjà celui qui raconte qu’il fut élevé jusqu’au
troisième ciel, et qu’il entendait là des paroles
1. I
Cor, II, 8.— 2. Jean, XIV, 8.— 3. Id. 9.— 4. Id. 21.— 5. Ps. XXXVII, 9. — 6. Id.
XXX, 23.
ineffables que l’homme ne saurait redire.
Mais il fut rappelé sur notre terre afin d’y gémir, d’y trouver la perfection
dans sa faiblesse et d’être ensuite revêtu de force; encouragé toutefois tans
l’exercice de son ministère par la vue de ces merveilles, il ajoute: « J’ai
entendu des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à l’homme de redire 1 ».
A quoi bon maintenant me demander, ou à tout autre, ce que homme ne saurait dire;
s’il ne put le répéter lui qui avait bien pu l’entendre? Pleurons toutefois et
gémissons en confessant notre misère: reconnaissons où nous sommes,
rappelons-nous le sabbat et attendons avec patience ce que nous a promis celui
qui nous a donné en lui-même un modèle de patience. « J’ai été affaibli et
humilié à l’excès ».
13. «Je rugissais dans les frémissements de
mon coeur 2».Vous remarquez souvent que les serviteurs de Dieu pleurent et
gémissent; vous en demandez la cause, et il n’apparaît au dehors que le
gémissement de quelques serviteurs de Dieu, si toutefois il arrive aux oreilles
de son voisin. Car il y a un gémissement secret que les hommes n’entendent pas;
et toutefois, si le coeur est en proie à quelque pensée ou quelque violent
désir, jusqu’à trahir par quelque cri extérieur la blessure de l’homme
intérieur, on en demande la cause; et l’homme se dit en lui-même: Peut–être
est-ce pour tel sujet qu’il gémit, peut-être lui a-t-on fait tel mal. Mais qui
peut comprendre la raison de ses soupirs, sinon l’homme qui les entend ou qui
les voit? si dit-il: « Je rugissais dans le gémissement de mon cœur »; parce
que les hommes entendent les gémissements d’un autre homme, n’entendent souvent
que les gémissements de la chair, et non le rugissement du coeur. Tel, que je
ne connais point, a ravi à un autre son bien; celui-ci gémit, mais non dans son
coeur; celui-là gémit, parce qu’il a perdu un fils, cet autre une épouse; tel,
parce la grêle a ravagé sa vigne; tel, parce que son vin s’est aigri; tel,
parce qu’on lui a volé un cheval; tel, parce qu’il a subi quelque perte; tel,
parce qu’il craint un ennemi; tous ceux-là gémissent, mais dans le rugissement
la chair. Quant au serviteur de Dieu, qui rugit en se souvenant du sabbat,
lequel est règne de Dieu, et que ne posséderont ni le
1. I
Cor, XI, 2-10.— 2. Ps. XXXVII, 9.
sang ni la chair 1, il peut dire: « Je
rugissais dans les frémissements de mon cœur ».
14. Et comme Dieu connaît la cause de ses
rugissements, il ajoute aussitôt: « Tous mes désirs sont devant vous 2 ». Non
pas devant les hommes qui ne sauraient voir le coeur; mais c’est « sous vos
yeux que sont mes désirs ». Que vos désirs soient donc devant lui; « et mon
Père qui voit dans le secret vous le rendra 3 ». Car ton désir, c’est ta
prière; et si ton désir est continuel, ta prière est continuelle. Aussi
n’est-ce pas en vain que l’Apôtre a dit: « Priez sans relâche 4 ». Aurons-nous
donc toujours les genoux en terre, le corps prosterné, les mains élevées, pour
qu’il nous dise: « Priez sans cesse? » Si nous appelons cela prier, je ne crois
pas que nous puissions le faire sans interruption. Mais il est dans l’âme une
autre prière incessante, qui est le désir. Quoi que vous fassiez, vous ne
cessez point de prier, si vous désirez le repos du ciel. Si donc tu ne veux pas
interrompre ta prière, n’interromps pas ton désir. Un désir incessant est une
voix continuelle. Te taire, ce serait ne plus aimer, Qui donc se sont tus? Ceux
dont il est dit: « Et comme l’iniquité se multiplie, la charité se refroidit
chez plusieurs 5 ». Le refroidissement de la charité, c’est le silence du
coeur; la flamme de la charité au contraire est le cri du coeur. Si la charité
demeure fervente, tu cries toujours; situ cries toujours, tu désires toujours;
situ désires, tu te souviens du sabbat; et lu dois alors comprendre quel est le
témoin de tes désirs. Maintenant, considère quel désir tu dois mettre sous les
yeux de Dieu. Est-ce la mort d’un ennemi, dont le souhait paraît juste aux
hommes? Car souvent nous demandons ce que nous ne devons pas. Voyons ce que les
hommes croient souhaiter avec justice. Souvent ils demandent la mort d’un autre
pour entrer dans son héritage. Que ceux-là toutefois qui demandent la mort d’un
ennemi, écoutent ce que dit le Seigneur:
Priez pour vos ennemis6. Qu’ils n’osent donc
point demander la mort d’un ennemi; qu’ils en demandent plutôt la conversion,
et l’ennemi sera vraiment mort, puisque converti, il ne sera plus un ennemi. «
Tous mes désirs sont devant vous ». Mais qu’arriverait-il si le désir était
devant Dieu, et que les gémissements
1. I
Cor, XV, 50. —2. Ps. XXXVII, 10. — 3.Matt. VI, 6. — 4. I Thess. V,17. — 5.
Matt. XXIV, 12.— 6. Id. V, 44; Luc, VI, 27.
n’y soient point? Et comment pourrait-il en
être ainsi, quand le gémissement est la voix du désir? Aussi est-il dit: « Et
mon gémissement ne vous est point inconnu ». Il n’est point caché pour vous,
quoiqu’il le soit pour beaucoup d’hommes. On voit quelquefois un humble
serviteur de Dieu, qui lui dit: « Mon gémissement ne vous est pas inconnu », et
quelquefois on voit rire ce même serviteur de Dieu; est-ce que le désir est
mort dans son coeur? Si ce désir y est toujours, il y a donc aussi un
gémissement. Bien qu’il n’arrive pas toujours à l’oreille des hommes, il ne
cesse pas néanmoins d’être dans l’oreille de Dieu.
15. « Mon coeur s’est troublé 1 »; pourquoi
s’est-il troublé? « Et ma force m’a trahi ». Souvent je ne sais quoi de soudain
vient troubler le coeur: que la terre vienne à trembler, que le tonnerre gronde
au ciel, qu’il se fasse un mouvement impétueux, un bruit insolite, que l’on
rencontre un lion, alors on se trouble; que des voleurs soient en embuscade, le
coeur se trouble, il craint, il est de toutes parts dans l’angoisse. Pourquoi?
« Parce que ma force m’a trahi ». Si cette même force me soutenait,
qu’aurais-je à craindre? Nulle nouvelle, nul frémissement, nul fracas, nulle
chute, rien de ce qui est horrible ne pourrait nous effrayer. D’où vient alors
ce trouble? « De ce que ma force m’a trahi ». Et d’où vient cette trahison de
mes forces? De ce que « la lumière de mes yeux n’est point avec moi ». Adam
n’avait donc plus déjà cette lumière de ses yeux: car cette lumière, c’était
Dieu; et après l’avoir offensé, Adam s’enfuit vers les ombrages et se cacha
dans les arbres du paradis 2. Il redoutait la présence du Seigneur, et il
cherchait l’ombre des grands arbres. Déjà dans ces arbres il n’avait plus cette
lumière de ses yeux qui avait fait sa joie jusqu’alors. Si donc Adam fut
coupable dès l’origine, nous le sommes par naissance; or, ces membres divers viennent
se réunir au second ou nouvel Adam, car le nouvel Adam est rempli de l’esprit
qui vivifie 3; et devenus membres de son corps, ils crient en faisant cet aveu:
« La lumière de mes yeux n’est plus en moi »; et déjà, si l’homme est racheté
par cet aveu, s’il est incorporé au Christ, la lumière de ses yeux n’est-elle
donc point avec lui? Non, elle n’est plus en lui: il peut l’entrevoir encore,
1.
Ps. XXXVII, 13 — 2. Gen III, 8 — 3. I Cor XV, 45
comme ceux qui se souviennent du sabbat,
comme ceux qui regardent par l’espérance;
mais elle n’est point pour eux cette vision
dont il est dit: « Je me montrerai à lui 1». Il y a bien
là quelque lumière, parce que nous sommes
enfants de Dieu et que la foi nous y fait croire;
mais ce n’est pas encore cette lumière que
nous verrons: « Ce que nous serons un jour ne paraît point encore: nous savons
que, quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui, et nous le
verrons tel qu’il est 2». Car à présent la lumière de la foi est la lumière de
l’espérance. « Tant que nous sommes dans ce corps, en effet, nous marchons en
dehors du Seigneur: car nous n’allons à lui que par la foi, sans le voir tu
découvert 3». Et tant que nous ne voyons pas ce que nous espérons, nous
l’attendons « par la patience 4 ». Ce sont là des paroles d’exilés, et non pas
d’hommes établis dans la patrie. C’est donc avec raison, c’est avec vérité, et
s’il n’use point de déguisement c’est avec sincérité qu’il fait cet aveu:
«Lumière de mes yeux n’est point avec moi ». Voilà ce que souffre l’homme dans
son âme, en lui-même, avec lui-même; ce qu’il souffre de sa part, ce que nul ne
lui fait endurer, si
ce n’est lui-même: telle est la peine qu’il
s’est attirée, et que nous avons définie tout
à l’heure.
16. Mais est-ce là tout ce que l’homme endure?
Au dedans de lui-même il souffre de ses propres misères, et à l’extérieur, il
souffre de tout ce que lui font endurer ceux au milieu desquels il vit; il
souffre donc ses maux particuliers, il est forcé de souffrir de la part des
autres. Delà ces deux cris du Prophète: « Purifiez-moi de mes fautes cachées,
et détournez de votre serviteur les fautes des autres 5 ». Déjà il a confessé
les fautes qui lui sont propres et dont il voudrait être purifié: qu’il parle
des péchés des autres dont il prie Dieu de l’éloigner. « Mes amis »; que
dirai-je alors des ennemis? « Mes amis et mes proches se sont placés debout en
face de moi »s. Comprenez bien cette expression: « Ils se sont élevés debout en
face de mois, car ils se sont élevés contre moi, et sont tombés contre
eux-mêmes. « Mes amis et mes proches se sont élevés et placés en face de moi ».
Ecoutons ici la voix du chef, et voyons
1. Jean, XIV, 21.— 2. I
Jean, III, 2.— 3. II Cor. V, 6,7 — 4. Rom. VIII, 25. — 5. Ps. XVIII, 13, 14. —
6. Ps.
XXXVII, 12.
paraître notre chef dans sa passion. Mais
encore une fois, quand c’est la tête qui parle, n’en séparez point les membrés.
Si le chef n’a point voulu séparer sa voix de celle du corps, le corps
oserait-il bien se séparer des douleurs du chef? Souffrez donc dans le Christ,
puisque le Christ a pour ainsi dire péché dans votre faiblesse. Il parlait
naguère de vos péchés, et il en parlait comme s’ils eussent été les siens. Il
disait en effet: « A la vue de mes péchés », comme s’ils eussent été les siens.
De même donc qu’il a voulu que nos péchés fussent les siens, parce que nous
sommes ses membres, faisons de ses souffrances les nôtres, parce qu’il est
notre chef. Ce n’est point pour que nous soyons traités autrement que ses amis
sont devenus ses ennemis. Préparons-nous, au contraire, à prendre le même
breuvage; ne rejetons point son calice, afin de mériter, par son humilité, de
soupirer après sa grandeur. Telle fut, en effet, sa réponse à ceux qui
voulaient partager sa grandeur, et qui n’envisageaient point son humilité quand
il leur dit: « Pouvez-vous boire le calice que je boirai moi-même 1? » Donc les
douleurs de notre Maître sont aussi nos douleurs; et quand chacun de nous aura
servi Dieu fidèlement, gardé la bonne foi, payé ses dettes, accompli la justice
envers les hommes, je voudrais bien voir s’il n’aura point à souffrir ce que
Jésus-Christ nous dit de sa passion.
17. « Mes amis et mes proches se sont tenus
tout près contre moi debout; d’autres proches se sont éloignés 2». Quels sont
ces proches, dont les uns se sont rapprochés, dont les autres se sont éloignés?
Les Juifs étaient proches pour le Sauveur, puisqu’ils lui étaient unis par le
sang; ils s’en approchèrent et le crucifièrent. Les Apôtres étaient des proies;
mais eux se tinrent dans l’éloignement, de peur de souffrir avec lui. On
pourrait encore donner cette interprétation: « Mes amis», ou ceux qui ont feint
de l’être. Car ils feignirent d’être ses amis, en disant: « Nous savons que
vous enseignez la voie de Dieu dans la vérité 3 »; alors qu’ils voulaient le
nier au sujet du tribut à payer à César, et qu’il les confondit par leur propre
langage, ils voulaient paraître ses amis. Mais il n’avait pas besoin alors
qu’on rendît témoignage aucun homme 4, puisqu’il savait ce qui était dans
l’homme; aussi répondit-il, en entendant
1. Matt, XX, 22.— 2. Ps. XXXVII, 13.— 3.Matt.
XXII, 16.— 4. Jean, II, 25
ces paroles: « Hypocrites, pourquoi me
tentez-vous 1? » Donc, « mes amis et mes proches sont venus près de moi, en
face et debout; d’autres proches se sont éloignés ». Vous comprenez mon
explication. J’ai appelé ses proches ceux qui s’approchèrent de lui et
néanmoins s’en éloignèrent de cœur. Comment être plus près de corps que ceux
qui élevèrent Jésus sur la croix? Comment s’en éloigner de coeur plus que ceux
qui le blasphémaient? Isaïe a parlé de cet éloignement; voyez en effet ce qu’il
dit de ceux qui sont proches et de ceux qui sont éloignés: « Ce peuple m’honore
des lèvres »; voilà un rapprochement corporel: « mais leur coeur est loin de
moi 2 ». Ceux qui sont proches sont en même temps éloignés, proches des lèvres,
éloignés de coeur. Toutefois, comme la crainte retint les Apôtres dans
l’éloignement, on peut d’une manière plus nette et plus claire entendre des
uns, qu’ils s’approchèrent, des autres, qu’ils s’éloignèrent: surtout que saint
Pierre, qui l’avait suivi plus hardiment, en était encore loin, et qu’interrogé
il se troubla et renia ce Maître avec lequel il avait juré de mourir 3. Mais
afin que de son éloignement il vînt à se rapprocher, il entendit après la résurrection:
« M’aimez-vous? » et il répondit: « Je vous aime 4 ». Et cette affirmation
rapprochait celui que son reniement avait éloigné; ainsi une triple
protestation d’amour effaça son triple renoncement. « Et mes proches se
tenaient loin de moi ».
18. « Ils emploient la violence, ceux qui en
veulent à mon âme 5». Il est facile de connaître ceux qui en veulent à son âme;
car ils n’avaient point cette âme ceux qui ne faisaient point partie de son
corps. Ceux qui cherchaient cette âme en étaient éloignés; et la cherchaient
pour la tuer. Car on peut rechercher son âme pour un bon motif; puisque, dans
un autre endroit, il nous fait ce reproche: « Il n’y a personne pour rechercher
mon âme 6 ».Il se plaint donc aux uns de ce qu’ils né recherchent point son
âme, et aux autres, de ce qu’ils la recherchent. Quel est celui qui recherché
son âme dans une intention pure? Celui qui l’imite dans ses souffrances. Quels
sont ceux qui la recherchaient dans une intention perverse? Ceux qui lui
faisaient violence et qui le crucifiaient.
1. Matt. XXII,
18.— 2. Isa. XXIX, 13.— 3. Matt. XXVI, 70.— 4. Jean, XXI, 27.— 5. Ps.
XXXVII, 13. — 6. Id. CXLI, 5.
19. Voici la suite: « Ceux qui cherchaient le
mal en moi ont parlé vainement ». Que signifie: « Ceux qui cherchaient le mal
en moi? » Ils cherchaient beaucoup et ne trouvaient rien. Peut-être veut-il
dire: Ils me cherchaient des crimes; car ils cherchèrent de quoi l’accuser, «
sans rien trouver 1».Ils cherchaient le mal chez l’homme de bien, le crime chez
l’innocent; et qu’eussent-ils trouvé chez celui qui n’avait aucune faute? Mais
comme ils cherchaient des fautes chez l’homme qui n’en avait commis aucune, ils
n’avaient plus de ressource qu’à feindre ce qu’ils ne trouvaient point. C’est
pourquoi, « ceux qui cherchaient le mal en moi, tenaient le langage de la
vanité », non de la vérité; « et tout le jour ils tramaient la fraude »;
c’est-à-dire, ils s’étudiaient sans cesse au mensonge. Vous connaissez tous les
faux témoignages qu’ils ont apportés contre le Sauveur, même après sa résurrection.
En effet, pour ces soldats du sépulcre, dont Isaïe avait dit: « Je mettrai les
méchants près de son tombeau 2 » (c’étaient bien des méchants, puisqu’ils ne
voulurent point déclarer la vérité, et qu’ils se laissèrent corrompre, pour
semer le mensonge), voyez quelle fut l’ineptie de leur langage. On les
interroge, et les voilà qui répondent: « Lorsque nous étions endormis, ses
disciples sont venus et l’ont enlevé 3 ». Quelle vanité de langage ! S’ils
dormaient, comment savaient-ils ce qui s’était passé?
20. « Pour moi », dit le Prophète, « je suis
comme un sourd qui n’entend rien ». Car il ne répondait pas plus à ce qu’on lui
objectait que s’il n’eût point entendu. « Non plus qu’un sourd, je n’entendais
pas; et n’ouvrais ma bouche non plus qu’un muet ». Puis il répète sous une
autre forme: «Je suis comme un homme qui n’entend point et qui n’a nulle
réponse à la bouche 4 »; comme s’il n’avait rien à leur dire, aucune réplique
pour les confondre. Mais ne leur avait-il pas fait déjà beaucoup de reproches, tenu
bien des discours, et dit: « Malheur à vous, Scribes et Pharisiens hypocrites 5
», et autres choses semblables? Pourtant, dans la passion, il ne dit rien de
tout cela, non qu’il n’eût rien à dire, mais il attendait que tout fût achevé,
et que s’accomplît tout ce
1. Matt. XXVI, 59. — 2. Isa. LIII, 9. — 3.
Matt. XXVIII, 13. — 4. Ps. XXXVII, 14, 15.— 5. Matt XXIII, 13.
qui était prédit à son sujet, lui dont il est
écrit: « Comme une brebis devant celui qui la tond, il est sans voix et n’ouvre
pas la bouche 1». Il devait donc se taire dans sa passion, celui qui ne se
taira point au jugement. Il était venu pour être jugé, lui qui viendra plus
tard pour juger; et pour juger avec une puissance d’autant plus grande qu’il
s’est laissé juger avec plus d’humilité.
21. « Parce que j’ai espéré en vous,
Seigneur, vous m’exaucerez, Seigneur mon Dieu 2 ». Comme si on lui demandait:
Pourquoi n’avez-vous point ouvert la bouche? pourquoi n’avez-vous point dit:
Epargnez-moi? Pourquoi sur la croix n’avez-vous point confondu les impies?
Voilà qu’il poursuit en disant: « Parce que j’ai espéré en vous, Seigneur, vous
m’exaucerez, Seigneur mon Dieu ». Il te montre ce qu’il faut faire quand
viendra la tribulation, Tu cherche parfois à te justifier, et nul n’entend ta
défense. Alors survient le trouble, comme ta cause était perdue, parce que nul
ne vient te défendre ou te rendre témoignage. Mais garde l’innocence dans ton
coeur, où nul ne peut opprimer la justice de ta cause. Si le faux témoignage a
prévalu contre toi, ce n’est que devant les hommes; mais prévaudra-t-il devant
Dieu, qui sera le juge de ta cause? Et au jugement de Dieu il n’y aura d’autre
juge que ta conscience. Entre un juge qui est juste et la conscience, ne crains
rien que ta cause: si tu n’as point une mauvaise causa, tu n’auras ni
accusateur à craindre, ni faux témoin à repousser, ni témoin véridique à
rechercher. Apporte seulement une bonne conscience, afin de pouvoir dire: «
Parce que j’ai espéré en vous, Seigneur, vous m’exaucerez, Seigneur mon Dieu. »
22. « Je disais: Ne permettez plus que mes
ennemis m’insultent, eux qui ont fait éditer leur insolence quand mes pieds
étaient chancelants 3 ». Il revient à sa faiblesse corporelle, et ce chef a
égard à ses pieds. La gloire du ciel ne lui fait point négliger ce qu’il a sur
la terre, il nous regarde, il nous voit. Quelquefois, dans cette vie fragile,
nos pieds sont ébranlés, ils tombent dans quelque faute; alors s’élèvent contre
nous les langue perverses de nos ennemis. C’est en ce casque nous comprenons ce
qu’ils méditaient duos leur silence. ils parlent avec aigreur et
1. Isa. LVIII, 7. — 2. Ps. XXXVII, 16. — 3.
Id. XXXVII, 17.
cruauté, ils se font une joie d’avoir trouvé
ce qui devrait les affliger. « Et j’ai dit: Que mes ennemis ne m’insultent plus
à l’avenir ». Voilà ce que j’ai dit; et néanmoins, pour que je nie corrigeasse
sans doute, vous les avez, fait parler avec insolence contre moi, ô mon Dieu, «
pendant que mes pieds chancelaient»; c’est-à-dire, ils se sont élevés, et ont
mal parlé quand j’étais ébranlé. Ils auraient du avoir pitié du faible, sans
l’insulter, selon cette parole de l’Apôtre: « Mes frères, si quelqu’un est
tombé par surprise dans quelque crime, vous autres, qui êtes spirituels,
relevez-de dans un esprit de douceur ». Et il en ajoute cette raison: « Chacun
craignant d’être tenté à son tour 1».Tels n’étaient point ceux dont il est dit:
« Quand mes pieds chancelaient, ils parlaient de moi avec arrogance»; mais ils
ressemblaient à ceux dont il est dit ailleurs: « Ceux qui me persécutent,
seront comblés de joie si je viens à faiblir 2 ».
23. « Je suis préparé au châtiment 3».
Admirables paroles du Prophète, comme s’il lisait: Je suis né pour endurer les
châtiments. Car il ne pouvait naître que d’Adam à qui la peine est due. Mais
souvent en cette vie les méchants échappent à la peine, ou n’en souffrent que
de légères, parce que leur conversion n’offre aucun espoir. Or, il est
nécessaire qu’ils passent par le châtiment, ceux à qui Dieu prépare la vie
éternelle; car elle est vraie, cette parole: « Mon fils, ne t’aigris point sous
le fouet du Seigneur, ne te fatigue point quand il te châtie: car le Seigneur
châtie celui qu’il aime, il corrige celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants
4 ». Que mes ennemis donc ne m’insultent plus, qu’ils ne se répandent point en
outrages; et si on Père me châtie, « je suis préparé au châtiment »; parce
qu’il me prépare un héritage. Si tu veux échapper au fouet du Seigneur,
l’héritage ne sera point pour toi. Tout fils
doit passer par le châtiment: et c’est
tellement sans exception, que celui-là même qui s’avait point de péché 5, n’a
pas été épargné 6. « Je suis donc préparé au châtiment ».
24. « Et ma douleur est toujours présente à
mes yeux 7 ». Quelle douleur? Peut-être celle du châtiment? Il est vrai, mes
frères, et le dis en vérité, les hommes s’affligent des châtiments, et non de
ce qui amène les châtiments.
1.
Gal. VI,1. — 2. Ps. XII, 5. — 3. Id. XXXVII, 18. — 4. Prov. III, 11, 12.— 5. I
Pier. II, 22.— 6. Rom. VIII, 32.— 7. Ps. XXXVII, 18.
Il n’en est pas ainsi de celui qui parle.
Ecoutez, mes frères: qu’un homme, le premier venu, essuie une perte, il est
plutôt prêt à dire: Je ne mérite point cette perte, qu’à considérer pourquoi
elle lui arrive; il pleure une perte d’argent et non la perte de la justice. Si
tu as péché, pleure ton trésor intérieur; tu n’as rien peut-être en ta maison,
et ton coeur est encore plus vide; mais si ton coeur est plein de Dieu qui est
son bien, pourquoi ne pas dire: « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté,
comme il a plu au Seigneur ainsi il a été fait, que le nom du Seigneur soit
béni 1?» D’où vient donc la plainte de l’interlocuteur? Du châtiment qu’il
endurait? Point du tout. « Ma douleurs, dit-il, est toujours devant mes yeux ».
Et comme si nous lui disions Quelle douleur? d’où vient-elle? « C’est »,
dit-il, « que je publierai mon iniquité, et je prendrai soin de mon péché 2 ».
Voilà d’où vient sa douleur; elle ne vient pas du châtiment; elle vient de la
plaie et non du remède. Car le châtiment est comme un remède pour le péché. Ecoutez,
mes frères: nous sommes chrétiens; et néanmoins qu’un d’entre nous vienne à
perdre son fils, il le pleure; que ce fils devienne pécheur, il ne le pleure
pas. C’est en le voyant tomber dans le péché qu’il devrait pleurer et gémir;
c’est alors qu’il faudrait le refréner, lui donner une règle de conduite, le
châtier. S’il l’a fait sans être écouté, c’est alors qu’il fallait pleurer;
car, vivre dans la luxure est une mort plus funeste que ce trépas qui met fin à
la luxure; vivre ainsi, chez vous, c’était non seulement la mort, mais la
puanteur. Voilà les maux qu’il faut pleurer; les autres, il faut les supporter;
endurons ceux-ci, mais déplorons les premiers. Il faut les déplorer comme vous
l’entendez faire au Prophète: « Voilà que j’annonce mon iniquité, je prendrai
soin de mon péché ». Ne te crois pas en sûreté parce que tu as confessé ta
faute, comme celui qui la confesse et qui est prêt à la commettre encore. Mais
publie ton iniquité de telle sorte que tu penses avec soin à ton péché.
Qu’est-ce à dire, prendre soin de son péché? Prendre soin de sa blessure. Si tu
disais: J’aurai soin de ma blessure, que devrait-on comprendre, sinon: Je
mettrai mes soins à me guérir? Tel est le soin à prendre de son péché, c’est
une application continuelle, un effort incessant, une diligence soutenue à
1. Job, I, 21. — 2. Ps. XXXVII, 19.
tout faire pour guérir notre péché. Voilà que
chaque jour tu pleures ton péché, mais peut-être que tes larmes coulent sans
que la main agisse. Fais des aumônes, afin que tes péchés soient rachetés, que
tes dons réjouissent l’indigent, afin que tu aies à te réjouir du don de Dieu.
L’indigent a besoin, et tu as besoin; il a besoin de toi, et toi de Dieu. Tu
méprises le pauvre qui a besoin de toi, et Dieu ne te méprise pas, toi qui as
besoin de lui? Comble donc l’indigence du pauvre, afin que Dieu comble ton âme.
C’est dire: « Je prendrai soin de mon péché », je ferai tout ce qu’il faut
faire pour effacer mon péché, le guérir complètement. « Je prendrai soin de mon
péché ».
25. « Quant à mes ennemis, ils vivent 1 ».
Ils ont le bonheur, ils jouissent des félicités
du siècle où j’endure la fatigue, et je rugis
dans les gémissements de mon coeur. Comment vivent les ennemis de celui qui
disait d’eux tout à l’heure: « Qu’ils ont dit des paroles vaines? » Ecoute ce
qui est dit dans un autre psaume: « Leurs fils sont comme de nouvelles
plantations »; et plus haut: « Leur bouche porte le mensonge, leurs filles sont
parées comme les autels d’un temple; leurs greniers sont pleins, ils regorgent
de çà et de là; leurs boeufs sont gras, des brebis fécondes se multiplient dans
leurs étables; on ne voit point leurs haies en ruine, on n’entend point de cris
dans leurs places publiques ». Donc, mes ennemis vivent: telle
est la vie qu’ils mènent, la vie qu’ils chantent,
la vie qu’ils aiment, la vie qu’ils possèdent
pour leur malheur. Qu’ajoute en effet le
Prophète? « Ils ont appelé heureux le peuple qui a de tels biens ». Qu’en
dis-tu, toi qui as soin de ton péché? Quel est ton langage, ô toi qui accuses
ton iniquité? « Bienheureux le peuple qui a le Seigneur pour son Dieu. Mes
ennemis vivent; ils prévalent sur moi; ils se multiplient ceux qui une haïssent
injustement 2».Que veut dire: Ils me haïssent injustement? Ils haïssent celui
qui leur veut du bien. Rendre le mal pour le mal, ce n’est pas être bon; ne pas
rendre le bien pour le bien, c’est de l’ingratitude; mais rendre le
mal pour le bien, c’est là haïr injustement.
Ainsi firent les Juifs: le Christ est venu chez
eux avec des biens, et pour ces biens ils lui
ont rendu le mal. Craignons, mes frères,
1. Ps. XXXVII, 20. — 2. Id. CXLIII, 12-15.
une faute semblable: il est si facile d’y
tomber. Mais quand nous disons: Tels furent les Juifs, que chacun de nous se garde
bien de se croire excepté. Que l’un de vos frères vous réprime pour votre bien,
vous tombez dans cette faute, si vous le haïssez. Et voyez comme elle est
facile, comme elle est bientôt commise; évitez un si grand malheur, un péché si
facile.
26. « Ceux qui me rendent le mal pour le
bien, me déchirent parce que je poursuis la justice 1».C’est là le motif du
bien pour le mal. Que signifie: « Je poursuis la justice? » Je ne l’abandonne
point. Ne prenons pas toujours la persécution en mauvaise part; poursuivre,
signifie suivre parfaitement: « Parce que j’ai poursuivi la justice». Ecoute le
langage de notre chef qui gémit dans sa passion: « Ils m’ont rejeté, moi le
bien-aimé, comme un mort en abomination. Etait-ce peu d’être mort? pourquoi en
abomination? Parce qu’il a été crucifié. Car cette mort sur la croix était une
grande abomination pour ceux qui ne comprenaient pas que cette parole: « Maudit
l’homme qui pend au bois 2», était une prophétie. Le Christ n’a point apporté
la mort ici-bas, il l’y a trouvée comme le fruit maudit du premier homme 3; et,
se revêtant de cette mort qui était la nôtre et qui nous venait du péché, il
l’a suspendue au bois. Dès lors, afin que l’on ne crût pas, comme certains
hérétiques 4 l’ont fait, que Notre Seigneur Jésus-Christ n’avait qu’une chair
apparente, et qu’il n’avait point subi la mort sur la croix, le prophète
s’écrie: « Maudit tout homme qui pend au bois ». Il nous montre que le Fils de
Dieu a souffert une véritable mort, celle qui était due à notre chair mortelle:
il craint que, s’il n’est maudit, tu ne le croies pas mort. Comme donc cette
mort n’était feinte, mais descendait par la filiation de cet Adam maudit
d’après cet arrêt de Dieu: Tu mourras de mort 5; et, comme Jésus devait subir
un véritable trépas, afin qu’il donnât ainsi une vie véritable, voilà qu’il est
lui-même atteint par la malédiction de la mort, pour nous mériter la
bénédiction de la vie. « Ils m’ont rejeté, moi le bien-aimé comme un mort en
abominations. »
27. « Ne m’abandonnez pas, Seigneur Dieu, ne vous
éloignez pas de moi 6 ».
1. Ps. XXXVII, 21. — 2. Deut. XXX, 23. — 3.
Gal, III, 10. — 4. Manichéens. — 5. Gen. II, 17.— 6. Ps. XXXVII, 22.
Disons ces paroles en lui-même, disons-les
par lui; car il intercède pour nous 1; disons: « Ne m’abandonnez pas, Seigneur
mon Dieu». Il avait dit pourtant: « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous
abandonné 2? » Et voilà qu’il dit: « O Dieu, ne vous éloignez pas de moi ». Si
Dieu ne s’est point retiré du corps, s’est-il donc retiré du chef? De qui est
donc cette prière, sinon du premier homme? Or, pour nous montrer qu’il a tiré
d’Adam une véritable chair, il s’écrie: « O Dieu, mon Dieu, pourquoi
m’avez-vous abandonné? » Car Dieu ne l’avait point délaissé. S’il ne
t’abandonne point pourvu que tu croies en lui, ce seul Dieu Père, Fils et
Saint-Esprit pourrait-il abandonner le Christ? Mais alors, il avait personnifié
en lui-même le premier homme. Nous savons, d’après l’Apôtre, « que notre vieil
homme a été cloué à la croix avec lui 3»; et nous n’aurions pu nous dépouiller
de cette vétusté, si le Christ n’eût été crucifié en sa faiblesse. Car il est
venu sur la terre pour nous renouveler en lui; et le désir de le posséder,
l’imitation de ses douleurs nous font entrer dans ce renouvellement. Donc, la
voix de son infirmité était notre voix disait: « O Dieu, mon Dieu, pourquoi
m’avez-vous abandonné? » De là encore cette autre parole: « Le rugissement de
mes péchés 4 ». Comme s’il disait: C’est au nom du pécheur que je vous tiens ce
langage: « Seigneur, ne vous éloignez pas de moi ».
28. « Seigneur, Dieu de mon salut, soyez
attentif à me secourir 5 ». Ce salut, mes frères, est celui dont se sont enquis
les prophètes, au dire de saint Pierre, et que n’ont point reçu
1.
Rom. VIII, 34. — 2. Matt. XXVII, 46; Ps. XXI,
2. — 3. Rom. VI. — 4. Ps. XXI, 2. — 5. Id. XXXVII, 23.
ceux qui le recherchaient; mais ils l’ont recherché et l’ont annoncé,
et nous sommes venus, nous qui avons trouvé ce qu’ils désiraient de pénétrer.
Et voilà que nous-mêmes ne l’avons pas reçu encore; d’autres viendront après
nous et le trouveront de même sans le recevoir; puis ils passeront, afin que
tous, à la fin du jour, nous recevions le denier du salut avec les patriarches,
les prophètes et les apôtres. Vous connaissez ces mercenaires ou ces ouvriers
que le père de famille envoya dans sa vigne à des heures différentes, et qui
reçurent néanmoins une même récompense1. Ainsi les Prophètes et les Apôtres, et
les martyrs et nous, et ceux qui viendront après nous jusqu’à la consommation
des siècles, nous recevrons alors le salut éternel, afin que, contemplant la
gloire de Dieu, et le voyant face à face, nous le bénissions dans l’éternité
sans défaillance, sans la peine cuisante de l’iniquité, sans aucune altération
du péché; nous bénirons Dieu sans soupirer davantage, nous attachant à celui
après lequel nous avons soupiré jusqu’à la fin, et dont l’espérance faisait
notre joie. Nous serons alors dans la cité bienheureuse où Dieu sera notre
bien, Dieu sera notre lumière, Dieu sera notre nourriture, Dieu sera notre vie.
Tout ce qui est notre bien, pendant que nous travaillons dans notre exil, nous
le trouverons en Dieu. En lui sera ce repos dont nous ne pouvons nous souvenir
qu’avec douleur. Car il nous rappelle ce sabbat dont le souvenir a inspiré tant
de paroles, dont nous devons tant parler encore, que notre coeur, sinon notre
bouche, doit chanter toujours; car le silence de la bouche n’étouffe point les
cris du coeur.
1. Matt. XX, 9.
PSAUME 38: LES PROGRÈS DE LA VERTU.
SERMON PRÊCHÉ A CARTHAGE A LA FÊTE DE SAINT CYPRIEN.
Ce cantique est celui de l’homme intérieur,
qui laisse en arrière ce qui est terrestre pour s’élever à Dieu. S’il garde le
silence, il perd l’occasion de dire le bien. Il parle donc, mais à Dieu. Il
veut connaître sa fin ou Jésus-Christ, contempler sa beauté, connaître ses
années qui demeurent. Il voit ici-bas l’avare qui thésaurise sans savoir pour
qui, il conseille de confier notre argent à Dieu, qui nous instruit, nous
humilie par la mort certaine, quoique l’heure en soit incertaine. Voyageurs en
cette vie, allons à Dieu qui seul est souverainement. Aller en enfer c’est
n’être plus, quoique l’on soit encore.
1. Le Psaume que nous venons de chanter et
que nous entreprenons d’expliquer, est intitulé: « Pour la fin, psaume à David
pour Idithun 1 ». Ce sont donc les paroles d’un homme appelé Idithun qu’il nous
faut attendre et écouter; et si chacun de nous peut être Idithun, il se
retrouvera et s’entendra dans les paroles qu’il chantera. Cherchez quel est cet
homme que l’on appelait Idithun, d’après le nom qu’il eut autrefois à sa
naissance; pour nous, écoutons le sens de ce nom, et cherchons dans cette
signification à comprendre le sens de la vérité. Autant que nous avons pu le
savoir par ce nom, que les hommes versés dans les saintes Ecritures ont traduit
du grec en latin, Idithun signifie: Qui les devance. Quel est cet homme qui
devance, ou quels sont ceux qu’il dépasse? Car on n’a pas dit simplement: Qui
devance; mais: Qui les devance. Or, est-ce en dépassant qu’il chante, ou en
chantant qu’il dépasse? Mais, soit qu’il chante en dépassant, ou qu’il dépasse
en chantant, c’est le cantique de celui qui devance que nous avons chanté tout
à l’heure. C’est à Dieu, que nous chantons, de voir si nous sommes de ceux qui
s’avancent. Mais si l’homme qui progresse a chanté, qu’il se réjouisse d’être
ce qu’il a chanté. Si tel autre qui a chanté demeure encore attaché à la terre,
qu’il désire être un jour ce qu’il vient de chanter, Car cet homme que l’on
appelle: Devançant les autres, devance en effet ceux qui demeurent fixés à la
terre, courbés vers les choses du monde dont s’occupent leurs pensées, et qui
n’ont d’espérance que dans les biens passagers. Lesquels a-t-il devancés, sinon
ceux qui demeurent?
1. Ps. XXXVIII, 1
2. Vous savez que plusieurs Psaumes ont pour
titre: Cantique des degrés; et l’expression grecque anabathmon nous en explique suffisamment la signification. Ce sont
en effet des degrés que l’on monte, mais que l’on ne descend pas. Le mot latin
n’ayant pu rendre la signification propre, a dit en général des degrés, et nous
a laissé douter si ces degrés étaient pour monter ou pour descendre. Mais comme
« il n’y a pas de discours, pas de langage dans lequel on n’entende leurs voix
1 », le texte précédent explique celui qui est venu après; et le grec nous
donne une certitude quand le latin donnait un doute. De même que dans ces
Psaumes, le chantre est un homme qui s’élève, de même ici il devance les
autres. Mais pour s’élever, pour devancer ainsi les autres, il n’est besoin ni
de pieds, ni d’échelles, ni d’ailes; et toutefois, si nous envisageons l’homme
intérieur, c’est réellement avec des pieds, des ailes et des échelles. Si ce
n’était avec les pieds, comment cet homme intérieur dirait-il: « Que le pied de
l’orgueil ne me vienne point 2? » Si ce n’était avec des échelles, qu’aurait vu
Jacob, alors que des anges montaient et descendaient 3? » Si ce n’était avec
des ailes, pourquoi donc s’écrier: « Qui me donnera des ailes, comme à la
colombe, et je volerai, et je me reposerai 4? Dans les choses corporelles
cependant, autres sont les pieds, autres des échelles, autres des ailes. Mais
chez l’homme intérieur, ailes, pieds, échelles sont les affections de la bonne
volonté. Nous nous en servons pour marcher, pour monter, pour prendre l’essor.
Donc, lorsque nous parlons d’un homme qui devance les
1. Ps. XVIII,
4.— 2. Id. XXXV, 12.— 3. Gen. XXVII, 12.— 4. Ps, LIV,7.
autres, que celui de nos auditeurs qui veut
l’imiter ne cherche point à franchir un fossé par un bond léger, ni à s’élancer
comme au vol, au-delà d’un escarpement: ce que j’entends d’une manière
corporelle; car celui dont il s’agit, doit aussi franchir des fossés, « ces
lieux creux et brûlés par le feu, qui périront, Seigneur, sous les regards
menaçants de votre face 1 ». Or, quels sont ces lieux creux et brûlés par le
feu, qui doivent périr sous le regard du Seigneur, sinon les péchés? Ce qui est
brûlé par le feu, c’est l’oeuvre d’un ardent désir du mal; ce qui est creux,
c’est l’oeuvre d’une lâche timidité. Car tous les péchés viennent des désirs ou
de la lâcheté. Que notre héros franchisse donc tout ce qui peut le retenir sur
la terre; qu’il dresse ses échelles, qu’il déploie ses ailes, et que chacun
voie s’il peut se reconnaître ici. Je ne doute point que plusieurs, par la
divine miséricorde, ne s’y puissent reconnaître, qui méprisent le monde, et
tous les attraits que peut nous offrir le monde, et se proposent de vivre
saintement, à cause des joies spirituelles qu’ils goûtent dès cette vie. Et
d’où viendront ces délices pour ceux qui marchent encore sur la terre, sinon
des oracles divins, de la parole de Dieu, ou de quelque parole des saintes
Ecritures, que l’on aura méditée, et dont on trouvera le sens avec d’autant
plus de joie qu’on l’aura recherché avec peine? Car il y a dans les livres
saints des délices pures et innocentes. S’il y en a dans l’or, dans l’argent,
dans les festins, dans la débauche, dans la pêche et dans la chasse, dans le
jeu, dans le divertissement, dans les folies du théâtre, dans la recherche et
dans la possession des ruineux honneurs de ce monde; si l’on en trouve dans
toutes ces choses qui ne peuvent donner une joie solide, pourrait-on n’en pas
trouver dans les livres saints? Que l’âme au contraire s’élance par dessus ces
bas-fonds, qu’elle cherche son bonheur dans la parole de Dieu, et qu’elle dise
avec autant de vérité que de sécurité: « Les impies m’ont raconté leurs
plaisirs; mais, Seigneur, ce n’est point comme votre loi 2 ». Qu’ Idithun
vienne et devance tous ceux qui se plaisent ici-bas, qu’il mette son bonheur
dans les choses d’en haut, dans la parole de Dieu, dans les douceurs de la loi
du Très-Haut. Mais, que dis-je? Faut-il encore passer de ce bonheur à un autre?
Ou doit-il arrêter
1. Ps. LXXIX, 17. — 2. Id. 118, 85.
là sa course, celui qui veut devancer?
Ecoutons plutôt ses paroles, car cet homme qui bondit me paraît avoir sa
demeure dans la parole de Dieu; c’est là qu’il a puisé ce que nous allons
entendre.
3. « J’ai dit: Je veillerai sur mes voies,
pour n’être point coupable dans mes paroles 1 ». Croyez-le bien, il est
difficile pour un homme de lire, de parler, de prêcher, d’avertir, de
reprendre, quand il est à l’oeuvre, fatigué par les devoirs pénibles, comme un
homme qui traite avec des hommes, bien qu’il ait devancé tous ceux qui n’ont
point mis leur joie en Dieu, et de ne point faillir ou pécher par la langue. «
Quiconque ne pèche point par la langue», est-il écrit, « est un homme parfait
2». Peut-être l’interlocuteur avait-il parlé de manière à s’en repentir, et
avait-il dit quelque parole qu’il eût voulu, mais qu’il ne pouvait retenir. Ce
n’est pas sans raison que notre langue est toujours humide, afin de glisser
facilement. Il voit donc combien il est difficile qu’un homme soit obligé de
parler et ne dise rien qu’il puisse regretter; et, à la vue de toutes ces
fautes, il se prend d’ennui et demande à Dieu de pouvoir les éviter. Telle est
la peine dans laquelle se trouve l’homme qui devance. Que l’homme qui demeure
en arrière ne me juge pas, qu’il prenne le devant et il éprouvera ce que je
dis; car alors il sera un témoin et un fils de la vérité. Dans cette situation
il avait résolu de ne point parler, afin de n’avoir point à se repentir de ses
paroles. C’est là ce qu’indiquent les premiers mots: « J’ai dit: Je veillerai
sur mes voies, pour n’être point coupable dans mes paroles ». Oui, Idithun,
garde tes voies, afin que tes paroles soient irréprochables: pèse bien ce que
tu diras, examine, consulte la vérité intérieure; et porte-la ensuite à
l’auditeur du dehors. Tu cherches souvent à en agir ainsi dans le trouble des
affaires, dans la préoccupation des esprits, alors que l’âme déjà si faible et
sous le poids d’un corps qui se corrompt, veut écouter et veut parler, écouter
à l’intérieur, parler au dehors; et, dans son empressement à parler, elle
néglige de s’instruire, et il lui arrive de dire ce qu’elle aurait dû taire. Le
meilleur des remèdes en ce cas est le silence. Voilà un pécheur, un pécheur qui
mérite ce nom plus particulièrement, homme orgueilleux et jaloux; il entend
parler Idithum,
1. Ps. XXXVIII, 2. — Jacques, III, 2.
il épie son langage, lui tend des piéges; et
il est bien difficile que dans ses paroles il n’en trouve quelques-unes qui
manquent de convenance. Il est auditeur sans pardon, et jaloux jusqu’à la
calomnie. C’est pourquoi Idithun, qui le devance, avait résolu de se taire et
commençait ainsi son cantique: « J’ai dit: Je veillerai sur mes voies, afin de
n’être point répréhensible dans mes paroles ». Tant que je serai surpris par
les médisants, ou du moins tenté, sinon surpris, «je veillerai sur mes voies, pour
ne point pécher en paroles ». Quoique bien au-dessus des terrestres plaisirs,
quoique les frivoles affections des choses temporelles ne me touchent point;
quoique je dédaigne ces choses d’ici-bas pour m’élever à un amour meilleur, il
me suffit néanmoins de goûter devant Dieu le plaisir de comprendre la
supériorité de mon amour; qu’est-il besoin de parler pour que l’on me censure,
et d’ouvrir le champ aux médisances? « J’ai donc dit: Je veillerai sur mes
voies, afin de ne point pécher dans mes paroles. J’ai mis une garde à ma
bouche». Pourquoi? Est-ce à cause des hommes pieux, des hommes qui aiment la
parole de Dieu, des fidèles, des saints? A Dieu ne plaise I Ces hommes écoutent
avec l’intention de louer ce qu’ils approuvent; et, quant à ce qu’ils désapprouvent,
au milieu de bien des choses dont ils font l’éloge, ils aiment mieux le
pardonner que l’envenimer par la calomnie. A l’égard desquels veux-tu donc
veiller sur tes voies, afin de n’être pas répréhensible en paroles, et veux-tu
mettre un frein à ta bouche? Ecoute la réponse: « Tandis que le pécheur se
tient devant moi ». Il ne se tient pas près de moi; mais: « Il se tient à
l’encontre de moi ». Que puis-je dire enfin pour le satisfaire? Je parle de
choses spirituelles à un homme tout charnel, qui voit, qui entend au dehors,
mais qui à l’intérieur est sourd et aveugle. Car l’homme animal ne comprend
point ce qui est de l’esprit de Dieu 1. Et s’il n’était charnel,
s’emporterait-il à ces calomnies? « Bienheureux celui qui parle à une oreille
qui écoute 2 », non à l’oreille du pécheur, qui se tient à l’encontre. Telle
était cette multitude qui se dressait en frémissant devant celui « qui
ressemblait à la brebis que l’on mène à la boucherie, et qui n’ouvrait point la
bouche, non plus que l’agneau devant celui qui le tond 3». Que dire en effet à
1. I Cor. II, 14. — 2. Eccli. XXV, 12. — 3.
Isa. LIII, 7.
des hommes orgueilleux, brouillons,
calomniateurs, querelleurs, verbeux? Que leur dire de saint, de pieux, comment
leur parler de religion, ô toi qui les devances; quand le Sauveur dit à des
hommes qui l’écoutaient volontiers, qui désiraient s’instruire, dont la bouche
s’ouvrait à la vérité, qui la recevaient avidement: « J’ai encore beaucoup de
choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter à présent 1? » Et l’Apôtre:
« Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes
charnels »: dont il ne faut point désespérer, mais qu’il faut nourrir. Car il
ajoute: « Je vous ai donné du lait comme à de petits enfants en Jésus-Christ,
et non de la nourriture dont vous n’étiez pas capables ». Parlez donc au moins
maintenant. « Maintenant même, vous ne l’êtes pas encore 2».Ne t’empresse donc
point d’écouter ce que tu ne comprends point, mais grandis afin de comprendre.
C’est ce que nous disons aux petits enfant, qu’il nous faut nourrir du lait de
la piété dam le giron de l’Eglise, et rendre capables de manger à la table du
Seigneur. Que dire de semblable au pécheur qui se tient en face de moi, qui se
croit ou feint d’être capable d’entendre ce qui est au-dessus de lui? Si je lui
parle et qu’il ne comprenne point, il croira que je suis en défaut, et non pas
son intelligence. C’est donc en vue de ce pécheur qui se tient à l’encontre de
moi, que « j’ai mis un frein à ma bouche ».
4. Et qu’en est-il advenu? « Je suis resté
muet, dans l’humiliation, et n’ai dit aucun bien 3 ». Celui qui s’est avancé
souffre de nouvelles difficultés, dans le degré qu’il occupe; il tâche de
s’élever sur un autre, afin d’échapper à ces difficultés nouvelles. La crainte
de pécher me fermait la bouche et m’imposait silence; je m’étais dit en effet:
« Je veillerai sur mes voies, afin de ne point pécher en paroles »; et, quand
la crainte du péché me ferme la bouche, voilà que « je demeure muet, dans
l’humiliation, sans dire aucun bien ». D’où vient que je disais le bien, sinon
parce que je l’entendais? «Vous ferez résonner à mon oreille la joie et
l’allégresse 4 », a dit David. Et l’ami de l’Epoux se tient près de lui,
l’écoute, et tressaille d’entendre, non sa propre voix, mais celle de l’Epoux
5. Afin de dire la vérité, il écoute le
1. Jean, XVI, 1,2.— 2. I
Cor. III, 1,2.— 3. Ps. XXXVIII,3. — 4. Id. 1, 10. — 5. Jean, III, 29.
Seigneur. Ils parlent d’eux-mêmes ceux qui disent
le mensonge 1. Notre interlocuteur a donc éprouvé quelque chose de fâcheux, et
dans son aveu il nous invite à y prendre garde et à ne point l’imiter. Car,
disions-nous, la crainte excessive d’échapper une parole qui ne fût pas bien,
lui a fait prendre la résolution de ne dire même aucun bien; et cette
résolution de se taire l’a empêché d’écouter. En effet, si tu as devancé les
autres, tu es devant Dieu, écoutant de lui ce que tu dois dire eux hommes:
entre Dieu qui est riche, et l’homme qui est pauvre, désirant entendre quelque
chose, tu interviens, toi qui devances afin de pouvoir écouter d’une part, et
parler d’autre part: si tu ne veux point parler, tu ne mérites point
d’entendre; tu méprises le pauvre et encours le mépris du riche. Tu as donc oublié
que tu es le serviteur établi par Dieu sur toute sa famille pour donner la
nourriture aux autres serviteurs 2? Pourquoi donc chercher à recevoir ce que tu
es paresseux à donner? Il est bien juste que le refus de dire ce que tu avais
reçu t’empêche de recevoir ce que tu désirais. Tu désirais quelque chose, et
déjà tu possédais: donne d’abord ce que tu as, afin de mériter ainsi de
recevoir encore. Donc, après avoir mis un frein à ma bouche, et m’être imposé
silence, parce qu’il me paraissait dangereux de parler, il m’est arrivé, dit
l’interlocuteur, ce que je ne voulais point: « Je suis devenu sourd, humilié »,
non que je me sois humilié; mais « j’ai été humilié ». J’ai commencé à taire
les meilleures choses, dans la crainte d’en dire de mauvaises; et j’ai blâmé ma
résolution. J’ai cessé de dire le bien. « Et ma douleur s’est renouvelée ». Le
silence avait été pour moi un soulagement dans cette douleur que m’avaient
infligée mes calomniateurs et mes censeurs, ce que la calomnie m’avait fait
souffrir s’apaisait; mais depuis que je ne dis plus le bien, ma douleur s’est
renouvelée. Taire ce que je devais dire m’est devenu plus douloureux que dire
ce que je ne devais pas. « Ma douleur s’est renouvelée ».
5. « Un feu s’est embrasé dans ma méditation
3 ». Mon coeur a été dans l’inquiétude. Je voyais les insensés et j’en séchais
de dépit 4, et dans mon silence j’étais dévoré par le zèle de votre maison 5.
J’ai jeté les yeux sur le
1. Jean, VIII, 44. — 2. Matt. XXIV, 45— 3. Ps. XXXVIII, 5 — 4. Id. 118, 158. — 5. Id. LVIII, 8.
Seigneur qui me disait: « Méchant et
paresseux serviteur, si tu donnais mon argent aux banquiers, à mon retour je le
retirerais avec usure ». Et que le Seigneur détourne de ses ministres cette
malédiction: « Jetez dans les ténèbres extérieures », pieds et poings liés, ce
serviteur sinon dissipateur, du moins négligent à faire valoir 1. Mais, si l’on
condamne ainsi le paresseux qui a conservé l’argent du maître, que sera-ce de
ceux qui l’ont dissipé dans la débauche? « Un feu s’est embrasé dans ma méditation
». Placé dans cette alternative de parler ou de se taire, en face d’auditeurs
dont les uns cherchaient à le calomnier, les autres à s’instruire; sujet
d’opprobre pour ceux qui sont dans l’abondance, de mépris pour les orgueilleux
2, et considérant combien sont heureux ceux qui ont faim et soif de la justice
3, n’ayant de toutes parts que fatigue et qu’affliction; craignant de jeter des
perles devant les pourceaux, craignant aussi de ne point donner la nourriture
aux vrais serviteurs; dans cette angoisse il cherche un état plus avantageux
que ce ministère qui offre à l’homme tant de labeurs et de dangers; il soupire
après cette fin où l’homme n’aura rien de pareil à souffrir, après cette fin,
dis-je, où le Seigneur dira à son fidèle serviteur: « Entre dans la joie de ton
Seigneur 4: J’ai parlé, dit-il, en mon langage 5 ». Donc, au milieu de ces
angoisses, de ces dangers, de ces difficultés, parce que le bonheur que vous
fait goûter la loi de Dieu n’empêche pas que la charité de plusieurs se refroidisse
6; au milieu de toutes ces peines, « j’ai parlé », dit le prophète, « en mon
langage ». A qui? Non point à un auditeur que je veux instruire, mais à celui
que je veux pour maître, et qui m’exaucera. « J’ai parlé dans mon langage», à
celui qui me dit intérieurement tout ce que j’entends de bon et de vrai.
Qu’as-tu dit?: « Seigneur, faites-moi connaître ma fin ». J’ai déjà devancé
bien des objets, je suis arrivé à d’autres, et ceux auxquels je suis arrivé
sont meilleurs que ceux que j’ai devancés; mais il m’en reste beaucoup à
dépasser encore. Nous ne demeurerons point toujours en ces lieux où nous devons
subir la tentation, les scandales, les auditeurs et les calomniateurs. «
Faites-moi donc connaître ma fin »: cette fin qui
1. Matt. XXV,
26, 27, 30.— 2. Ps. CXXII, 4.— 3. Matt. V, 6.— 4. Id. XXV, 21. — 5. Ps. XXXVIII,
5. — 6. Matt. XXIV, 12.
me manque, et non la course que j’ai déjà
faite.
6. Il appelle fin ce but que l’Apôtre dans sa
course ne perdait pas de vue, alors qu’il confessait son imperfection, envisageant
en lui-même quelque chose, et cherchant autre chose ailleurs. Car il dit: « Non
pas que j’aie atteint mon but ou que je sois parfait, mes frères; je ne crois
pas avoir atteint mon but 1 ». Et de peur que tu n’en viennes à dire: Si
l’Apôtre ne l’a pas atteint, l’atteindrai-je, moi? si l’Apôtre n’est point
parfait, comment arriver à la perfection? vois ce qu’il fait, écoute ce qu’il
dit. Que faites-vous donc, ô Apôtre? Vous n’avez pas atteint votre but, vous
n’êtes point parfait? Que faites-vous donc? A quoi m’engagez-vous? Quel modèle
me proposez-vous à suivre ou à imiter? « Tout ce que je sais, c’est qu’oubliant
ce qui est derrière moi, et m’avançant vers ce qui est devant moi, je tends à
cette palme de la vocation de Dieu en Jésus –Christ 2 »; je tends à cette
palme, dit l’Apôtre, je n’y suis pas encore arrivé, je ne l’ai point encore
saisie. Ne retombons pas au point d’où nous nous sommes élancés, ne demeurons
pas où déjà nous sommes arrivés. Courons, efforçons-nous, nous sommes dans la
voie: sois moins en sûreté pour ce que tu as déjà dépassé, que soucieux pour le
but où tu n’es pas encore parvenu. « Tout ce qui est en arrière », dit
l’Apôtre, « je l’oublie pour m’élancer en avant, je m’efforce d’arriver à cette
palme de la vocation suprême de Dieu en Jésus-Christ ». C’est lui qui est ma
fin. Il est une chose, dit l’Apôtre, et ce point unique le voici: « Seigneur,
montrez-nous le Père, et cela nous suffit 3 ». C’est là ce qui faisait dire au
Psalmiste: « J’ai fait une seule demande au Seigneur, je la revendiquerai. Le
voilà qui oublie ce qui est en arrière, pour se jeter dans l’avenir. J’ai fait
une demande au Seigneur, et je la renouvellerai, c’est d’habiter dans la maison
du Seigneur tous les jours de ma vie ». Pourquoi? « Afin de contempler la beauté
du Seigneur 3? »C’est là que je me réjouirai avec le compagnon de mon bonheur,
sans craindre un adversaire: quiconque voudra contempler avec moi sera pour moi
un ami et non un calomniateur jaloux. C’est là ce que désirait Idithun; il
voulait le savoir dès cette vie, afin
1. Phil. III, 12, 13.— 2. Id. 14.— 3. Jean,
XIV, 9.— 4. Ps. XXVI
de comprendre ce qui lui manquait, et
ressentir moins de joie de ce qu’il avait acquis, que de désirs pour ce qu’il
devait acquérir encore; de ne point s’arrêter en chemin après avoir franchi
quelques degrés, mais de s’élancer par de brûlants désirs vers les régions
éternelles; jusqu’à ce qu’enfin, après avoir franchi quelques degrés, il
parvînt à les franchir tous, et qu’au lieu de ces quelques gouttes de rosée que
laisse tomber sur lui la nuée des saintes Ecritures, il vînt comme un cerf à la
source d’eau vive 1, qu’il vît la lumière dans la lumière 2, et se dérobât,
dans la face de Dieu, au trouble des hommes 3. C’est là qu’il dira: Il est bon
d’être ici, je ne veux rien de plus, j’aime tous ceux qui se trouvent ici, je
n’y crains personne. C’est là le bon, le saint désir. Soyez heureux avec nous,
vous qui le ressentez, et priez pour qu’il persévère dans notre coeur, et que
les scandales ne nous découragent point. Car voilà ce que nous autres demandons
pour vous. Eh ! ne croyez pas que nous soyons dignes de prier pour vous, et
vous indignes de le faire pour nous. L’Apôtre se recommandait aux auditeurs
auxquels il prêchait la parole de Dieu 4. Priez donc pour nous, mes frères,
afin que nous voyions ce qu’il faut voir, et que nous disions convenablement ce
qu’il faut dire. Du reste, ce désir, je le sais, se trouve chez bien peu, et il
n’y a pour me bien comprendre que ceux qui ont goûté les choses que je dis.
Toutefois nous parlons pour tous, et pour ceux qui ont ce désir et pour ceux
qui ne l’ont point encore; pour ceux qui l’ont, afin qu’ils soupirent avec nous
vers le ciel; pour ceux qui ne l’ont pas, afin qu’ils secouent leur paresse,
qu’ils franchissent les degrés d’ici-bas, qu’ils arrivent enfin aux délices de
la loi du Seigneur, sans demeurer dans les plaisirs des méchants. Il en est
beaucoup, en effet, qui ont beaucoup à raconter, beaucoup à s’applaudir;
l’injuste vante ses injustices. On trouve à la vérité quelques plaisirs dans
l’iniquité, mais non comme ceux de votre loi 5, ô mon Dieu. Qu’ils parlent donc
avec nous, ceux qui croient que nous parlons à Dieu comme David. C’est là une
affaire tout intérieure, on n’en peut rien dire par les paroles. Mais que celui
qui s’en occupe, croie qu’un autre s’en occupe aussi. Qu’il ne s’imagine
1. Ps. XLI, 2.— 2. Id. XXXV, 10.— 3. Id. XXX,
21.— 4. Colos. IV,3, — 5. Ps. 118, 15.
pas être le seul pour recevoir ce qui vient
de Dieu. Que par leur bouche Idithun dise aussi: « Seigneur, faites-moi
connaître ma fin ».
7. « Et quel est le nombre de mes jours 1?»
le cherche ce nombre de jours qui est. Je puis lire et même comprendre un
nombre sans nombre, comme il y a des années sans années. Dire années en effet,
c’est comme dire un nombre; et toutefois: « Vous êtes le même, Seigneur, et vos
années ne finiront point 2». Faites-moi donc connaître le nombre de mes années,
mais le nombre qui subsiste. Quoi donc? Est-ce que le nombre des années où tu
es arrivé n’est pas un nombre? Assurément c’est un nombre; et, à le bien
considérer, il n’en est point: si je m’y arrête, il paraît être, il n’en est
point si je le dépasse: si je m’en dégage pour contempler les choses
éternelles, si je compare les choses qui passent avec celles qui demeurent, je
vois ce qui est vrai; mais qu’y a-t-il plus que nos jours pour avoir plus
d’apparence que de réalité? Dirai-je que mes jours sont bien des jours? Oui,
ces jours, les appellerai-je des jours; et donnerai-je témérairement un si
grand nom à ce qui s’écoule avec tant de rapidité? Je ne suis pas néanmoins si
près du néant que j’oublie celui qui eut: Je suis celui qui suis 3. Y a-t-il
donc un nombre pour les jours? Oui, il en est un qui est sans fin. Quant à ceux
d’à présent, je répondrai qu’il y a quelque chose, si je retiens assez du jour
où tu m’interroges pour dire qu’il existe, ou bien toi-même qui m’interroges,
retiens le moment où tu parles. Peux-tu le retenir? Si tu as retenu celui
d’hier, tu retiens celui d’aujourd’hui. Mais le jour filer, me diras-tu, je ne puis
le retenir, il ut écoulé: je retiens celui d’aujourd’hui, ç’est avec moi. N’en
as-tu pas déjà perdu qui s’est écoulé depuis l’aube? Car n’a-t-il pas commencé
à la première heure? Montre-moi la première heure de ce jour; montre-moi même
la seconde. Elle s’est envolée, me diras-tu, mais je vous montrerai la
troisième, c’est peut-être à celle-là que nous en sommes. Donc nous parlons de
jours, et d’un troisième jour; et si tu me donnes une troisième, ce sera une
troisième heure, non un troisième jour. Je ne te l’accorderai même pas, pour
peu que tu t’élèves avec moi au-dessus des dates terrestres. Montre-moi en
effet cette
1. Ps. XXXVIII, 3.— 2. Id. CI, 28.— 3. Exod.
III, 14.
troisième heure, cette heure dans laquelle tu
es actuellement. Car si une partie déjà s’en est écoulée, il en reste une autre
partie; tu ne saurais me donner ce qui est écoulé, puisqu’il n’existe plus, ni
ce qui en reste, puisqu’il n’est pas encore. Que me donneras-tu donc de cette
heure qui s’écoule actuellement? M’en donneras-tu suffisamment pour hasarder ce
seul mot: elle est? Mais ce mot Est 1 n’a qu’une syllabe, n’est que d’un
instant, et cette syllabe a trois lettres; or, en la prononçant, tu n’arrives
pas du coup à la seconde lettre, que tu n’aies fini la première; et la troisième
ne résonne qu’après la seconde. Que me donneras-tu donc dans cette unique
syllabe? Et tu retiens des jours, toi qui ne saurais retenir une seule syllabe?
Nos instants s’envolent et emportent tout, le torrent du monde s’enfuit: « Ce
torrent auquel a bu pour nous dans son chemin celui qui a élevé la tête 2». Ces
jours donc ne sont plus:
ils s’en vont presque avant d’arriver; et
quand ils sont arrivés, ils ne peuvent subsister; ils se touchent, ils se
suivent, mais ne se maintiennent point. On ne retranche rien au passé on attend
un avenir qui doit passer; on ne l’a point qu’il n’arrive, et quand il arrive
on ne le retient point. « Faites-moi connaître le nombre de mes jours », non
point ce nombre qui ne subsiste pas, ou plutôt ce qui est étrange et me jette dans
un trouble plus dangereux, ce qui est tout à la fois et qui n’est pas; car nous
ne pouvons pas dire d’une chose qu’elle est, quand elle ne subsiste point, ni
que ce qui vient et passe ne soit aucunement. Je cherche l’Etre simple, l’Etre
véritable, je veux l’Etre purement, cet Etre qui est dans la Jérusalem épouse
de mon Dieu, où il n’y a plus ni mort, ni défaillance, ni jour qui passe, mais
un jour qui demeure, qui n’a point eu d’hier, qui n’est point refoulé par le
lendemain. C’est là, Seigneur, « ce nombre de mes jours, qui subsiste, que je
demande à connaître ».
8. « Afin que je sache ce qui me fait défaut
3 ». Car c’est là ce qui me manque pendant que je travaille ici-bas; et tant
que cela me fera défaut, je ne me dis point parfait et tant que je ne le reçois
point, je répète « Non que j’aie atteint déjà ou que je sois
1. Dans la prononciation latine, on fait
sentir chacune des trois lettres, et c’est de cette prononciation qu’argumente
le saint Docteur. — 2. Ps. CIX, 7.— 3. Id. XXXVIII, 5.
parfait, mais je poursuis cette palme du
suprême appel de Dieu 1 », tel sera le prix de ma course. Cette course doit
aboutir à une certaine demeure, et cette demeure sera la patrie qui ne connaît
ni l’exil, ni la sédition, ni l’épreuve. Donc, « faites-moi connaître,
Seigneur, le nombre de mes jours, qui subsiste, afin que je sache ce qui me
fait défaut»; parce que je n’y suis point encore parvenu; afin que je ne
m’enorgueillisse point de ce que j’ai déjà, et que je sois trouvé en Dieu ayant
une justice, mais non celle qui vient de moi. En comparant ce qui est en moi
avec tout ce qui n’y est point de la même manière, en voyant qu’il me manque
bien plus que je n’ai, je serai plutôt humilié de ce qui me fait défaut,
qu’enorgueilli de ce que je trouverai en moi. Ceux, en effet, qui croient avoir
quelque chose, pendant qu’ils sont en cette vie, se privent par cet orgueil de
ce qui leur manque: parce qu’ils regardent comme grand ce qui est de la terre.
« Si quelqu’un s’imagine être quelque chose, il se trompe lui-même, puisqu’il
n’est rien 2 ». Ils ne se grandissent pas pour cela. L’enflure, l’orgueil imite
la grandeur, mais il n’a rien de solide.
9. Notre interlocuteur, qui devance les
autres, roule en son âme quelque dessein que peut seul comprendre Celui qui a
les mêmes pensées; comme si Dieu, exauçant sa prière, lui eût fait connaître sa
fin, et fait comprendre le nombre de ses jours, non de ceux qui passent, mais
de ceux qui demeurent; le voilà qui considère ce qu’il a dépassé, qui le
compare avec ce qu’il connaît de l’éternité, et comme si on lui demandait:
Pourquoi désirer de connaître le nombre de tes jours, qui subsiste? Que
penses-tu des jours présents? Du lieu où il s’est élevé, il regarde ce qui est
ici-bas et s’écrie « Voilà que mes jours ont vieilli 3! » Dès lors que ceux-là
vieillissent, j’en veux de nouveaux, de ceux qui ne vieillissent jamais, afin
que je puisse dire: « Ce qui était vieux est passé, « tout est devenu nouveau
4! » Aujourd’hui en espérance, bientôt en réalité. Bien que nous soyons
renouvelés par la foi et l’espérance, combien nous faisons d’oeuvres du vieil
homme! Car nous ne sommes pas tellement revêtus du Christ qu’il ne nous reste
plus rien d’Adam. Voyez Adam vieillir et le Christ se
1. Philip.III, 12-14. — 2. Gal. VI, 3. — 3.
Ps. XXXVIII, 6. — 4. II Cor. V,17.
renouveler en nous: « Quoique l’homme
extérieur se détruise en nous», dit l’Apôtre, « l’homme intérieur se renouvelle
de jour en jour 1 ». Donc nous ne sommes point à demeure, ni pour le péché, ni
pour la mortalité, ni pour le temps qui s’enfuit, ni pour les gémissements, le
travail et les sueurs, ni pour ces âges qui se succèdent, nous passons
insensiblement de l’enfance à la vieillesse, et en face de tout cela voyons ici
le vieil homme, les vieux jours, le vieux cantique, le vieux Testament: mais
considérons l’homme intérieur, et au lieu de ce qui change, voyons ce qu’il
faut renouveler, nous trouverons alors l’homme nouveau, le jour nouveau, le
nouveau cantique, le nouveau Testament: attachons-nous à ce qui est nouveau, de
manière à ne point craindre ce qui a vieilli. Donc, en notre course en cette
vie, nous passons de ce qui a vieilli à ce qui est nouveau; et ce passage
s’effectue pendant que l’homme extérieur se détériore, que l’homme intérieur se
renouvelle; jusqu’à ce que le corps qui se corrompt extérieurement, payant
tribut à h nature, arrive à la mort et se renouvelle dans la résurrection.
C’est alors que se renouvellera en réalité ce qui se fait ici-bas ers
espérance. Tu fais donc une oeuvre, maintenant, en te dépouillant de ce qui a
vieilli pour courir à ce qui est nouveau. Mais Idithun, courant à ce qui est
nouveau, et s’élançant vers ce qui était devant lui, s’écriait: « Seigneur,
faites-moi connaître ma fin et le nombre de mes jours, qui subsiste réellement,
afin que je sache ce qui me fait défaut». Il traîne après lui le vieil Adam, et
se hâte d’arriver au Christ. « Voilà», dit-il, « que mes jours ont vieilli ».
Ces jours qui me viennent d’Adam, vous les faites vieux; ils vieillissent
chaque jour, ils vieillissent au point de finir entièrement. « Et tout mon être
sera devant vous comme rien ». Oui, devant vous, Seigneur, tout mon être sera
comme le néant, devant vous qui voyez tout cela; et moi, si je le vois, ce
n’est que devant vous, et non devant les hommes. Que dirai-je? Quelles paroles
employer pour montrer que mon être n’est rien en comparaison de Celui qui est?
Mais c’est à l’intérieur que cela se dit, comme c’est à l’intérieur que cela se
fait sentir. C’est « devant vous », Seigneur, c’est-à-dire où se fixent vos
yeux et non les yeux des hommes.
1. II Cor. IV, 16.
Mais que voient vos yeux? « Que mon être
n’est rien devant vous »
10. « En vérité, tout homme vivant sur la
terre n’est que vanité 1». «En vérité», dit le Prophète, de quoi parlait-il
alors? Voilà que j’ai passé en revue tout ce qui est périssable, j’ai méprisé
tout ce qui est ignoble, j’ai foulé aux pieds ce qui est terrestre, je me suis
élevé jusqu’aux délices de la loi du Seigneur, j’ai supputé avec hésitation le
nombre des jours du Seigneur, j’ai désiré cette fin qui n’a point de fin, j’ai
demandé pour mes jours un nombre qui subsiste, parce que le nombre des jours
d’ici-bas n’est rien en vérité; me voilà donc aujourd’hui, élevant mes désirs
bien au-dessus de tout cela, si j’aspire après les choses qui demeurent: « En
vérité », quel que soit mon état ici-bas, tant que je suis en ce monde, tant
que je porte une chair mortelle, tant que la vie de l’homme sur la terre est
une épreuve 2, tant que je gémis au milieu des scandales, tant que moi qui suis
debout, j’ai à craindre la chute, tant que je suis dans l’incertitude et de mes
maux et de mes liens, « tout n’est que vanité chez l’homme qui vit ici-bas ». «
Tout homme », dis-je, et l’homme en retard, et l’homme qui devance les autres,
et Idithun lui-même, est tributaire de la vanité: car imité des vanités, tout
est vanité; qu’a de plus l’homme de tout le labeur qui le consume sous le
soleil 3? Mais Idithun est-il donc sous le soleil encore? D’une part, il est
sous le soleil, d’autre part, il est bien supérieur au soleil. Il est sous le
soleil alors qu’il veille, qu’il dort, qu’il mange, qu’il boit, qu’il a faim,
qu’il a soif, qu’il a de la vigueur, qu’il ressent la fatigue, qu’il redevient
enfant, qu’il rajeunit, qu’il vieillit, qu’il est dans l’incertitude au sujet de
ses désirs et de ses craintes; en tout cela Idithun est sous le soleil, bien
qu’il devance les autres. En quoi donc les devance-t-il? Par ce désir: «
Seigneur, faites-moi connaître ma fin 4 ». C’est là un désir supérieur, qui
domine tout ce qui est sous le soleil. Les choses visibles sont sous le soleil
nais tout ce qui est invisible n’est pas sous le soleil. La toi ne se voit
point, l’espérance ne se soit point, la charité ne se voit point, la bonté ne
se voit point; enfin on ne voit point cette crainte chaste qui demeure dans les
siècles siècles 5. Idithun trouvant en cela sa joie
1. Ps. XXXVIII, 6.— 2. Job, VII, 1.— 3.
Eccle. 1,2,3.— 4. Ps. XXXVIII, 5 — 5. Id. XVIII, 10.
et sa consolation, et s’élançant au-delà du
soleil, parce que sa conversation est dans le ciel, gémit de tout ce qu’il a
sous le soleil il méprise tout cela et s’en afflige, et aspire avec amour à
tout ce qui est du ciel. Il a parlé des choses d’en haut, laissons-le parler
des choses d’en bas. Vous avez entendu ce qu’il faut désirer, écoutez ce qui
est a mépriser « En vérité, tout homme vivant est vanité ».
11. « Quoique l’homme passe dans l’image 1 ».
Dans quelle image, sinon de celui qui a dit: « Faisons l’homme à notre image et
à notre ressemblance 2? » « Quoique l’homme passe dans l’image ». Il dit ici «
quoique», parce que cette image est quelque chose de grand. Et après ce «
quoique » vient un « cependant »; et de la sorte « quoique » marquera ce qui
est au-delà du soleil, et « cependant » désignera ce qui est sous le soleil;
l’un a rapport à la vérité, l’autre à la vanité. « Quoique l’homme passe dans
l’image, toutefois un rien le trouble ». Ecoute son trouble et vois si ce n’est
pas une futilité, afin de la fouler aux pieds, de la laisser en arrière, et de
te réfugier dans les cieux, où il n’y a plus de vanité. Quelle est cette
vanité? « L’homme amasse des trésors et ne sait pour qui ». O folie de la
vanité ! «Bienheureux celui qui a mis son espérance dans son Dieu, qui ne s’est
point arrêté aux vanités et aux folies du mensonge 3 ». O avare, tu prends mes
paroles pour du délire; mon langage à tes yeux ressemble aux contes de vieilles
femmes. Car toi, dans les profondeurs de ton esprit, dans ta rare prudence, tu
imagines chaque jour des moyens d’acquérir de l’argent par le négoce, par l’agriculture,
souvent peut-être par l’éloquence, par la jurisprudence, par la milice, et même
par l’usure. En homme judicieux, tu n’omets rien, absolument rien, pour
entasser argent sur argent et Je resserrer avec soin dans l’ombre. Tu sais
voler un homme et éviter le voleur; tu crains pour toi ce que tu fais aux
autres, et ce que l’on te fait ne te corrige pas. Mais on ne te fait rien, j’y
consens; tu es un homme prudent; non seulement tu sais amasser, mais tu sais
conserver: tu sais où il faut placer, à qui tu dois prêter, afin de ne rien
perdre de ce que tu as amassé. J’interroge donc ton coeur, je fais appel à ta
prudence:
voilà que tu as amassé, et que tu as si bien
1.
Ps. XXXVIII, 7. — 2. Gen. I, 26. — 3. Ps. XXXIX, 5.
conservé que tu n’as rien perdu; mais,
dis-moi, pour qui conserves-tu? Je ne veux point discuter avec toi, je ne
rappelle rien, je n’exagère aucunement le mal que peut causer la vanité de ton
avarice; je n’en propose qu’un seul, je ne discuterai que ce point, dont la
lecture du Psaume nous offre l’occasion. Tu amasses donc, tu thésaurises; je ne
te dirai point:
Lorsque tu amasses, ne peut-on pas ramasser à
tes dépens? Je ne dirai point: Quand tu veux ravir ta proie, n’es-tu pas la
proie d’un autre? Je parlerai plus clairement; car, aveuglé par ton avarice, tu
n’as ni entendu ni compris; je ne dirai donc pas: Prends garde qu’en faisant ta
proie d’un plus faible, tu ne deviennes la proie d’un plus fort. Car tu ne sais
pas que tu es dans la mer, et tu ne vois pas que les gros poissons dévorent les
plus petits. Je passe donc tout cela sous silence; je ne parle point des
difficultés, des dangers que l’on rencontre en amassant de l’argent, de ce que
souffrent ceux qui amassent, des périls qui les environnent, de la mort qui les
menace presque partout, je passe tout cela sous silence. Tu amasses donc sans
aucune résistance, tu conserves, sans qu’on te prenne rien: réveille ton coeur
et cette rare prudence qui me tourne en dérision, qui ne voit que folie dans
mes paroles; et dis-moi: Tu thésaurises, et pour qui ces richesses? Je vois
bien ce que tu voudrais me répondre, comme si la réponse que tu veux me faire
avait échappé au Psalmiste; tu me diras: Je conserve pour mes enfants. C’est la
réponse du dévouement qui sert d’excuse à l’iniquité: je conserve, dis-tu, pour
mes enfants. Oui, c’est pour tes enfants; mais Idithun l’ignorait-il? Il le
savait fort bien, mais il comptait cela parmi les jours anciens, et n’y
opposait que le mépris, parce qu’il courait vers les jours nouveaux.
12. Car enfin je vais te mettre en cause avec
tes enfants. Tu passeras, et tu amasses pour ceux qui passeront, ou plutôt, tu
passes, et ils passent aussi. Car j’ai dit: Tu passeras, comme si maintenant tu
étais stable. Aujourd’hui même, depuis le commencement de mon discours jusqu’à
présent, sais-tu que nous avons vieilli? Tu ne remarques pas l’insensible
accroissement de tes cheveux; et maintenant que tu es debout ici, occupé de
quelque affaire, lorsque tu parles, les cheveux croissent sur ta tête: car ce
n’est pas un accroissement subit qui t’a fait chercher le perruquier. Le temps
s’écoule donc toujours avec rapidité, soit qu’on s’en aperçoive, soit qu’on n’y
prenne pas garde, soit qu’on s’occupe malencontreusement d’autre chose. Tu
passes donc, et tu conserves pour ton fils qui passe. Je te demanderai tout
d’abord: Es-tu bien assuré qu’il possédera ce que tu lui as gardé? S’il n’est
point encore né, es-tu certain qu’il naîtra? Tu conserves donc pour tes
enfants, et tu ne sais ni s’ils naîtront, ni s’ils posséderont: et tu ne mets
pas ton argent où tu devrais le mettre. Car ton Seigneur ne donne. rait pas à
son serviteur le conseil de perdre son argent. Tu es le riche serviteur d’un
père de famille de distinction. C’est lui qui t’a donné ce que tu aimes, ce que
tu possèdes, et il ne veut point que tu perdes ce qu’il te donne, lui qui doit
se donner à toi. Mais, dis-je, il ne veut pas même que tu perdes ce qu’il t’a
donné pour un temps. Tu as de grands biens, des biens en abondance, qui
dépassent de beaucoup tes nécessités: c’est là un superflu; même en ce cas, je
ne veux pas que tu en perdes quelque peu, dit le Seigneur ton Dieu. Et que
ferai-je? Change-les de place, celle où tu les a mis n’est pas sûre. Assurément
tu veux être l’esclave de ton avarice: mais vois que mon conseil peut bien être
d’accord avec cette avarice même. Tu veux en effet posséder ce que tu as, et
non le perdre:je te montre le lieu où tu dois le placer. N’amasse point sur la
terre, où tu ne sais pour qui tu amasses des richesses, ni quel usage ensuite
en fera celui qui les possédera, et en sera le maître. Peut-être est-ce un
homme ruiné qui les possédera, et qui ne pourra tenir ce que tu lui auras
laissé. Peut-être les perdras-tu avant l’arrivée de celui pour qui tu les
conserves. Contre toute sollicitude, voici le conseil que je te donne: «
Amassez-vous des trésors dans le ciel 1». Si tu voulais conserver des richesses
ici-bas, tu chercherais quelque coin dans ton grenier; peut-être dans ta maison
craindrais-tu tes domestiques, et confierais-tu ton trésor à quelque banquier:
car chez lui un accident n’est pas facile, on n’y redoute point le voleur, tout
y est bien gardé. Pourquoi ces pensées dans ton âme, sinon parce que tu n’as
pas de meilleur endroit pour conserver tes richesses? Mais si je t’en indiquais
un autre? Je te dirai donc: Ne va pas
1. Matt. VI, 20.
confier ton argent à ce banquier peu
solvable, mais il en est un plus sûr, donne-le-lui: il a de vastes greniers où
tes richesses ne se peuvent détériorer; il est plus riche que tous les riches.
Mais, me répondras-tu, comment oser m’adresser à un tel homme? Et si lui-même
t’y engage? Eh bien ! reconnais-le enfin; il n’est pas seulement un père de
famille, nais il est encore ton maître. Je ne veux pas, dit-il, ô mon serviteur,
que tu perdes ton argent, mais voici où tu dois le placer: pourquoi le mettre
où tu pourrais le perdre, et si tu ne l’y perds, où tu ne peux toi-même
demeurer toujours? Il est un autre lieu où je dois t’appeler; que ton bien t’y
précède; ne crains pas de le perdre. C’est moi qui te l’ai donné, c’est moi qui
en serai le gardien. Voilà ce que te dit ton Seigneur: interroge ta foi, et
vois situ veux croire en lui. Tu me diras peut-être: Je regarde comme perdu ce
que je ne vois pas; c’est ici que je veux voir tout cela. Mais en voulant le
voir ici-bas, d’abord tu ne l’y verras point, et tu n’auras rien là- haut. Tu
as dans la terre je ne sais quels trésors cachés, et en marchant tu ne les
portes pas avec toi. Tu viens entendre un sermon, pour amasser des richesses
intérieures, et tu l’occupes des extérieures; les as-tu donc apportées ici avec
toi? Tu ne les vois pas même à présent. Tu crois les avoir chez toi, parce que
tu sais que tu les y a déposées; sais-tu si tu ne les as pas perdues? Combien
sont rentrés chez eux sans y retrouver ce qu’ils y avaient entassé ! Voilà
peut-être que la crainte saisit les coeurs des avares, et parce que j’ai dit
que beaucoup n’avaient souvent point retrouvé en rentrant chez eux ce qu’ils y
avaient laissé, chacun s’est dit dans son âme: A Dieu ne plaise ! ô Evêque,
souhaitez-nous mieux, priez pour nous; Dieu nous en garde; à Dieu ne plaise
qu’il en soit ainsi; je crois que Dieu me fera trouver chez moi ce que j’y ai
laissé. Tu crois en Dieu, dis-tu, mais ne crois-tu pas aussi à Dieu? Je crois,
en Jésus-Christ, que je retrouverai en sûreté chez moi ce que j’y ai laissé,
que nul n’en approchera, que nul ne l’enlèvera. Tu veux avoir dans ta foi en
Jésus-Christ une garantie contre les pertes de ta maison; mais cette foi au
Christ sera une garantie plus sûre encore, si tu mets tes richesses où il te
conseille. Auras-tu donc de la confiance en ton serviteur et des doutes pour
ton maître, de la confiance pour ta demeure, des doutes pour le ciel? Mais,
diras-tu, comment placer mon argent dans le ciel? Je t’ai donné ce conseil,
place-le où je te dis. Comment arrivera-t-il au ciel, je ne veux point que tu
le saches. Place-le entre les mains des pauvres, donne-le aux- indigents, que
t’importe la manière dont il parvienne au ciel? Moi qui le reçois, ne saurai-je
pas l’y envoyer? As-tu donc oublié cette parole: « Ce que vous avez fait au
moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez fait 1? » Voilà quelqu’un de tes
amis qui a des souterrains, des citernes; et quand tu cherches des vaisseaux
pour y conserver des liquides, soit du vin, soit de l’huile, et remiser ainsi
tes récoltes pour les conserver, s’il venait te dire: Je te les conserverai;
mais s’il avait des canaux dérobés, des conduits, par lesquels s’épancherait
secrètement ce que tu verserais à découvert, et qu’au moment où il dit: Verse
là ce que tu as, tu visses bien que tel n’est pas l’endroit où tu croyais
verser, tu hésiterais alors d’épancher tes liquides. Mais lui qui connaît les
secrètes ouvertures qu’il a ménagées dans ses citernes, ne te dirait-il pas:
Verse sans crainte, cela passera dans la citerne; tu ne vois pas comment, mais
compte sur moi qui ai fait ces routes? Or, celui qui a fait toutes choses, nous
a fait à tous des demeures: il veut que nous y fassions passer nos richesses,
de peur que nous ne les perdions en terre. Mais quand tu les auras conservées
sur cette terre, dis-moi, pour qui les amasses-tu? Tu as des enfants;
comptes-en un de plus et donne une part au Christ. « Il thésaurise et ne sait
pour qui sont ses trésors, il se trouble en vain ».
13. « Et maintenant ». Puisqu’il en est
ainsi, s’écrie Idithun, qui considère certaines vanités, qui aperçoit certaines
vérités, qui se trouve placé entre ce qui est au-dessus de lui et ce qui est
au-dessous; car il a au-dessous de lui ce qu’il a devancé, et au dessus les
objets où tendent ses efforts. « Et maintenant », s’écrie-t-il, que j’ai
beaucoup laissé, que j’ai foulé aux pieds tant d’objets, que les choses du
temps ne sont rien pour moi, je ne suis point encore parfait, je n’ai rien reçu
encore. « C’est par l’espérance, en effet, que nous sommes sauvés. Or,
l’espérance que l’on voit n’est plus l’espérance; car, comment espérer ce que
l’on voit? Mais si nous espérons
1. Matt. XXV, 40.
ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons
par la patience 1 ». Et maintenant quelle peut donc être mon espérance?»
N’est-ce « point le Seigneur? » Celui-là est mon attente, qui m’a donné tous
les biens que je méprise; et lui, qui est au-dessus de tout, doit se donner à
moi, lui par qui tout a été fait, qui m’a fait parmi tant de merveilles, c’est
le Seigneur qui est mon attente. Vous voyez Idithun, mes frères, vous voyez
comme il espère. Que nul homme ici-bas ne se dise donc parfait; le croire, ce
serait de l’erreur, de l’illusion, de la séduction: nul ne peut être parfait en
cette vie. De quoi lui servirait cette pensée qui lui ferait perdre l’humilité?
« Et maintenant, quelle est mon espérance, sinon le Seigneur? » Quand il sera
venu, on ne l’attendra plus; alors viendra la perfection. Quelque progrès
qu’ait fait Idithun, il attend toujours. « Tout mon être est toujours sous vos
yeux». Idithun s’élance, il marche vers Dieu, il commence à être quelque peu. «
Toute ma substance est devant vous ». Mais cette substance est aussi devant les
hommes. Tu as de l’or, tu as de l’argent, des esclaves, des terres, des arbres,
des troupeaux, des serviteurs; tout cela peut être vu des hommes; mais il y a
une substance qui est toujours devant toi: « Et ma substance est toujours sous
vos yeux ».
14. « Délivrez-moi de toutes mes iniquités 2
». Il est vrai que j’ai dépassé beaucoup
de choses, que j’en ai beaucoup foulé aux
pieds. « Mais dire que nous n’avons plus de péchés, c’est nous tromper
nous-mêmes et n’avoir pas en nous la vérité 3 ». J’ai surpassé bien des choses,
et néanmoins je frappe ma poitrine, en disant: « Remettez-nous nos dettes,
comme nous remettons à ceux qui nous doivent 4 ». C’est donc vous, Seigneur,
qui êtes mon espérance, vous qui êtes ma fin. « Car le Christ est la fin de la
loi pour justifier ceux qui croient 5 ». Délivrez-moi donc de ces fautes que
j’ai laissées en arrière, afin que je n’y retombe plus, mais absolument de
toutes celles qui me font dire en frappant ma poitrine: « Remettez-nous nos
dettes ». « Délivrez-moi de toutes mes iniquités », parce que je sens et tiens
pour vraie cette parole de l’Apôtre: « Quelle que soit notre perfection, soyons
dans ce sentiment ».
1.
Rom. VIII, 24, 25. — 2. Ps. XXXVIII, 9. — 3. I Jean, I, 8.— 4. Matt. VI, 12 — 5.
Rom. X, 4.
Après avoir dit qu’il n’était point encore
parfait, il ajoute aussitôt; « Quelle que soit notre perfection, soyons dans ce
sentiment ». Qu’est-ce à dire: « Quelle que soit notre perfection? » Déjà,
Paul, vous aviez dit: « Non que j’aie atteint mon but ou que je sois parfait».
Suivons l’ordre des paroles: «Tout ce que je sais, c’est que, oubliant ce qui
est derrière moi, et m’avançant vers ce qui est devant moi, je m’efforce
d’atteindre le but et de cueillir la palme à laquelle Dieu m’appelle d’en haut
par Jésus-Christ ». Il n’est donc point encore parfait, puisqu’il poursuit
cette palme de la suprême vocation de Dieu, qu’il n’a pas encore cueillie,
qu’il n’a pas encore atteinte. S’il n’est point encore parfait, parce qu’il est
encore en arrière, qui de nous est parfait? Et néanmoins il ajoute aussitôt: «
Quelle que soit notre perfection, ayons ces sentiments ». Quoi donc, ô Apôtre,
vous n’êtes point parfait et nous le serions? Avez-vous donc oublié, mes
frères, que tout à l’heure il s’est dit parfait? Car il n’a pas dit:
« Vous qui êtes parfaits, soyez dans ce
sentiment »; mais bien: « Nous qui sommes parfaits, ayons ce sentiment »; lui
qui avait dit un peu avant: « Non que j’aie atteint le but et que je sois
parfait ». Car tu ne peux être parfait ici-bas qu’à la condition de savoir que tu
ne peux y être parfait. Ta perfection consiste donc à élever ton vol au-dessus
de certains biens, pour en suivre d’autres; à ne devancer les uns que pour voir
celui qui reste à saisir, après avoir dépassé tous les autres. Telle est la foi
certaine. Quiconque pense avoir atteint déjà le but, ne s’élève qu’afin de
tomber.
15. Parce que tel est mon sentiment; parce
que je me dis tout à la fois imparfait et parfait: imparfait, puisque je n’ai
point reçu l’objet de mes désirs; parfait, puisque je comprends ce qui me
manque; parce qu’il y a dans mes sentiments du mépris pour les choses humaines,
que je ne mets point ma joie dans les choses périssables, que je suis la
dérision de l’avare qui vante sa sagesse, et m’accuse de folie, que telle est
ma conduite et que je suis cette voie; « voilà », dit le Prophète, « que vous
m’avez rendu l’opprobre des insensés ». Vous m’avez condamné à vivre, condamné
à prêcher au milieu des insensés; je ne puis être pour eux qu’un sujet
1. Philipp. III, 12-15.
de dérision. Car nous sommes en spectacle
immonde, aux anges et aux hommes 1; aux anges qui nous bénissent; aux hommes
qui nous méprisent, ou plutôt aux anges qui nous bénissent et qui nous blâment,
comme aux hommes qui nous blâment et qui nous bénissent tour à tour. A droite
et à gauche, nous avons des armes avec lesquelles nous combattons dans
l’honneur et l’ignominie, par la bonne et par la mauvaise renommée, comme des
séducteurs, quoique sincères 2. Ce sont les anges, ce sont les hommes qui
pensent ainsi; parmi les anges, en effet, il en est de saints auxquels nos
bonnes oeuvres sont agréables; il est aussi des anges prévaricateurs, auxquels
déplaît une vie sainte; et parmi les hommes, il en est de saints qui
applaudissent à notre vie; comme il en est de très-méchants qui la tournent en
dérision. Ce sont là des armes d’une part, et des armes d’autre part; les unes
à droite, les autres à gauche; et toutes sont néanmoins des armes; je me sers
de toutes ces armes, et de celles de droite et de celles de gauche, et de ceux
qui me louent et de ceux qui me blâment, et de ceux qui m’honorent, et de ceux
qui me navrent d’ignominie. Avec ces deux sortes d’armes, je livre un combat au
diable, je le frappe des unes et des autres: dans la prospérité, si je ne me
laisse point corrompre, et dans l’adversité, si je ne me laisse point abattre.
16. « Vous m’avez rendu l’opprobre de
l’insensé. Je suis devenu sourd et n’ai point ouvert ma bouche 3 ». Mais
vis-à-vis de l’insensé « j’ai été sourd et n’ai point ouvert ma bouche ». A qui
dirais-je ce qui se passe en moi? J’écouterai ce que le Seigneur Dieu dira en
moi, car il dira des paroles de paix pour son peuple 4; mais « il n’y a point
de paix pour l’impie », dit le Seigneur. « Je suis devenu sourd et n’ai point
ouvert ma bouche. Car c’est vous qui m’avez fait ». C’est donc parce que c’est
Dieu qui t’a fait que tu n’as pas ouvert la bouche? C’est étonnant. Car le
Seigneur n’a-t-il pas formé ta bouche pour la parole? « Celui qui a planté
l’oreille n’entend-il point? Celui qui a fait l’oeil ne voit-il point 5? » Le
Seigneur t’a donné une bouche pour parler, et tu dis: « Je suis devenu sourd et
n’ai point ouvert ma bouche: parce
1. I
Cor. IV, 9.— 2. II Cor. VI, 7, 8. — 3. Ps. XXXVIII, 10. — 4. Id. Ps, LXXXIV,
9. — 5. Isa. XLVIII, 22. — 6. Ps. XCIII, 9.
que c’est vous qui m’avez fait 1? » ou bien:
« Parce que c’est vous qui m’avez fait », appartiendrait-il au verset suivant?
« Parce que c’est vous qui m’avez fait, détournez de moi vos vengeances 2 ».
Parce que c’est vous qui m’avez fait, ne m’anéantissez point: ne me frappez que
pour me faire avancer, non pour me faire succomber. Frappez-moi seulement pour
m’étendre, non pour me réduire. « Parce que c’est vous qui m’avez fait,
détournez de moi vos châtiments ».
17. « J’ai succombé sous le poids de votre main,
quand vous m’avez corrigé ». C’est-à-dire, j’ai succombé sous le châtiment. Et
toutefois, qu’est-ce que le châtiment de votre part, sinon ce qui suit: « Vous
avez corrigé l’homme à cause de sa faute, vous avez fait sécher mon âme comme
l’araignée? » C’est là, chez Idithun, une haute pensée; si l’on peut suivre
cette pensée, s’élever à cette hauteur. Il dit qu’il a succombé sous les
châtiments du Seigneur; il demande que ces châtiments s’éloignent de lui, et le
demande au Dieu qui l’a fait. Que celui qui l’a fait le refasse; que celui qui
l’a créé, le crée de nouveau. Toutefois, mes frères, pouvons-nous croire que ce
soit sans raison qu’il a succombé, au point de vouloir une création nouvelle,
une seconde formation? « C’est pour son iniquité », dit-il, « que vous avez
châtié l’homme ». Si j’ai succombé, c’est simplement parce que je suis infirme;
si je crie du fond de l’abîme, c’est simplement à cause de l’iniquité; aussi
m’avez-vous châtié, non pas condamné: « Vous avez corrigé l’homme à cause de
son iniquité ». Ecoute cela plus clairement dans un autre psaume: « Il est bon
pour moi que vous m’ayez humilié, afin que j’apprenne à devenir juste devant
vous 2 ». J’ai été humilié, mais c’est mon bien; c’est un châtiment, mais aussi
une grâce. Que peut donc me réserver après le châtiment celui qui fait du
châtiment une grâce? car c’est de lui qu’il est dit « J’ai été humilié, et
c’était mon salut 3»; et: « Il m’est bon que vous m’ayez humilié, afin que
j’apprenne à devenir juste. Vous avez châtié l’homme à cause de l’iniquité ».
Et ce qui est écrit ailleurs: « Vous attachez la douleur à vos commandements »,
n’a pu être dit à Dieu que par l’homme qui
1.
Ps. XXXVIII, 11. — 2. Id. 12. — 3. Id. 118, 71.— 4. CXIV, 6. — 5. Id. CXIII, 20.
progresse, parce que lui seul a pu
l’apercevoir. « Vous attachez », dit-il, « la douleur à vos préceptes », vous
me faites de la douleur un précepte. C’est vous qui formez cette douleur que
j’endure, vous ne la laissez point inachevée, mais vous la formez: et cette
douleur que vous avez formée pour me l’infliger, me devenait un précepte, afin
que je fusse délivré par vous. Vous formez la douleur, fingis, est-il dit; vous la façonnez, et non, vous la simulez:
ainsi façonne l’artiste; ainsi le potier tire son nom de la poterie qu’il façonne.
« C’est donc à cause de l’iniquité que vous avez châtié l’homme ». Je me vois
dans les peines, je me vois dans l’affliction, et je ne vois en vous aucune
injustice. Donc, si je suis dans la peine et qu’il n’y ait aucune injustice en
vous, n’en faut-il pas conclure que vous châtiez l’homme à cause de l’iniquité?
18. Et comment « l’avez-vous châtié » ou
instruit? Dis-nous cette leçon, ô Idithun comment Dieu t’a-t-il instruit? « Et
vous avez fait dessécher mon âme comme l’araignée1». Telle est la leçon. Quoi
de plus desséché que l’araignée? Je parle de l’animal. On pourrait dire aussi:
Quoi de plus frêle que la toile de l’araignée? Pressez-la légèrement du doigt,
tout se brise; rien, absolument rien n’est plus frêle. C’est l’état où vous
avez réduit mon âme en me châtiant à cause de l’iniquité. Quand le châtiment
rend faible, c’est que la force a du vice. Je vois que quelques-uns d’entre
vous ont pris les devants et ont compris; mais ceux dont la course est agile ne
doivent pas abandonner ceux qui sont tardifs, afin que tous suivent le chemin
de l’Evangile. Voici donc ce que j’ai dit et ce qu’il faut comprendre: Si la
juste leçon de Dieu a réduit à cette infirmité, il y avait donc du vicieux dans
la force. L’homme a déployé ses forces pour déplaire à Dieu, qui l’en a châtié
par la faiblesse; car il a déplu par un orgueil qu’a dû rabattre l’humilité.
Tous les orgueilleux vantent leurs forces. C’est pourquoi beaucoup sont venus
de l’Orient et de l’Occident, et ont remporté la victoire, afin de reposer
-avec Abraham, et Isaac, et Jacob, dans le royaume des cieux. Pourquoi ont-ils
vaincu? Parce qu’ils n’ont pas voulu être forts. Qu’est-ce à dire, qu’ils n’ont
pas voulu être forts? Ils ont craint de trop présumer d’eux-mêmes, ils n’ont
point établi leur
1. Ps. XXXVIII, 12,
propre justice et se sont soumis à la justice
de Dieu 1. Enfin, quand le Seigneur dit: « Beaucoup viendront de l’Orient et
reposeront avec Abraham, et Isaac, et Jacob, dans le royaume des cieux; mais
les enfants du royaume 2 », c’est-à-dire les Juifs qui ignorent la justice de
Dieu et qui veulent établir leur propre justice, « iront dans les ténèbres
extérieures »; rappelez-vous la foi de ce centenier, de cet homme de la
gentilité, si faible en lui-même, si peu fort, qu’il disait: « Je ne suis pas
digne que vous entriez dans ma maison ». Il ne se croyait pas digne de recevoir
le Christ dans sa maison, lui qui l’avait déjà reçu dans son coeur. Car le
maître de l’humanité, le Fils de l’homme, avait trouvé dans son coeur où
reposer sa tête 3. Le Seigneur, prenant en considération la parole du
centenier, dit à ceux qui le suivaient: « En vérité, je vous le déclare, je
n’ai pas trouvé une si grande foi en Israël 4 ». Il trouva ce centenier faible
et les Israélites forts, et se prononça ainsi entre eux: « Le médecin n’est pas
nécessaire à ceux qui se portent bien, mais à ceux qui se portent mal 5». Et
pour cela, c’est-à-dire à cause de cette humilité, « beaucoup viendront de
l’Orient et de l’Occident, et reposeront avec Abraham, Isaac et Jacob, dans le
royaume des cieux; mais les enfants du royaume iront dans les ténèbres
extérieures». Vous voilà mortels, portant une chair corruptible, et vous
tomberez comme l’un des princes. « Vous mourrez comme les hommes 6 », vous
tomberez comme le diable. De quel remède est pour vous l’assujettissement à la
mort? Le diable est superbe, comme l’ange qui n’a point une chair mortelle;
mais toi, qui es revêtu d’une chair mortelle, et à qui ne profite pas une
semblable humiliation, tu tomberas comme l’un des princes. Le premier bienfait
de la grâce de Dieu est donc de nous amener à confesser notre infirmité, afin
que nous lui rapportions tout ce que nous avons de bonté et de puissance « Afin
que celui qui se glorifie, se glorifie en Dieu 7. Quand je suis faible», dit
saint Paul, «c’est alors que je suis fort
8.Vous avez donné à l’homme une leçon à cause de l’iniquité; et vous avez fait
dessécher mon âme comme l’araignée ».
1.
Rom. X, 3. — 2. Matt. VIII, 8-12. — 3. Luc, IX, 58. — 4. Matt. VIII, 10. — 5.
Id. 11 12.— 6. Ps. LXXXI, 7. — 7. I Cor. I, 31.— 8. II Cor. XII, 10.
19. « Mais c’est en vain que l’homme se
trouble en cette vie 1 ». Il en revient à ce qu’il a dit un peu plus haut: quel
que soit le progrès de l’homme, il se trouble vainement en cette vie, puisqu’il
est dans l’incertitude. Qui peut être assuré même de son propre bien? « C’est
en vain qu’il se trouble ». Qu’il jette ses anxiétés au sein de Dieu 2, qu’il y
jette ses inquiétudes, que ce soit Dieu qui le nourrisse et qui le garde. Qu’y
a-t-il ici-bas de certain, sinon la mort? Considérez tous les liens ou tous les
maux de cette vie, dans la justice ou même dans l’injustice, qu’y a-t-il
ici-bas de certain, sinon la mort? Tu avances dans la vertu: tu sais ce que tu
es aujourd’hui; mais tu ne sais ce que tu seras demain. Tu es pécheur: tu sais
ce que tu es aujourd’hui; tu ne sais ce que tu seras demain. Tu espères de
l’argent, tu ne sais s’il arrivera. Tu espères une épouse, tu ne sais si tu
l’obtiendras, ni celle que tu auras. Tu espères des enfants, tu ne sais s’il t’en
naîtra; sont-ils nés, tu ne sais s’ils vivront; vivent-ils, tu ne sais si la
santé les favorisera ou leur fera défaut. Tourne-toi de toutes parts, tu ne
vois qu’incertitude: la mort seule est certaine. Tu es pauvre, il n’est pas
certain que tu deviennes riche; tu es ignorant, il n’est pas certain que tu
deviennes savant; tu es malade, il n’est pas certain que tu guérisses. Tu es
né, il est certain que tu mourras; et en cela même la mort est certaine, le
jour de la mort est incertain. Dans toutes ces incertitudes, il n’y a que la
mort qui soit certaine; encore son heure est-elle incertaine, et il n’y a que
la mort que l’on cherche à éviter, bien qu’elle soit inévitable. « Tout homme
vivant est vainement troublé ».
20. Bien au-dessus de toutes ces frivolités,
touchant déjà aux biens supérieurs, foulant aux pieds les choses terrestres
auxquelles néanmoins il serait réduit, « Seigneur», s’écrie Idithun, « exaucez
ma prière 3 ». De quoi me faut-il me réjouir, de quoi gémir? Je me réjouis de
ce qui est déjà passé, je gémis de ce qui me reste encore. « Exaucez ma prière
et mes supplications, prêtez l’oreille à mes sanglots. » Est-ce à dire qu’après
m’être lancé de la sorte, et avoir franchi tant d’obstacles, je n’ai plus rien
à pleurer? N’ai-je pas à pleurer davantage? « Car, multiplier la science, c’est
multiplier la
1.
Ps. XXXVIII, 12.— 2. Id. LIV, 23.— 3. Id. XXXVIII, 13.
douleur 1» N’est-il pas vrai que, plus je
désire ce que je n’ai point encore, plus je gémis jusqu’à ce qu’il arrive, plus
je répands de larmes jusqu’à ce que j’en jouisse? N’est-il pas vrai que plus
les scandales se multiplient, que plus abonde l’iniquité, que plus la charité
se refroidit, et plus je dis: « Qui donnera de l’eau à ma tête, et à mes yeux
une source de larmes 2? Exaucez ma prière et mes supplications; prêtez
l’oreille à la voix de mes sanglots ». Ne restez point muet éternellement. « Ne
vous taisez pas devant moi »; je vous écouterai. Car le Seigneur a un langage
secret; il parle au coeur de beaucoup et dans ce silence du coeur un grand
bruit se fait entendre, quand le Seigneur dit à haute voix: « C’est moi qui
suis ton salut. Dites à mon âme: C’est moi qui suis ton salut 3 ». En disant: «
Ne vous taisez point devant moi », il demande au Seigneur que cette voix qui
lui dit: « Je suis ton salut », ne se taise jamais dans son coeur.
21. « Car je suis un étranger devant vous 4
». Moi étranger, chez qui? Quand j’étais chez le diable, j’étais étranger, mais
j’avais un détestable maître d’hôtel; maintenant je suis déjà chez vous, mais
encore étranger. Comment suis-je étranger? Oui, étranger pour l’endroit d’où je
dois émigrer encore, et non pour celui où je dois demeurer éternellement. Que
l’on appelle ma demeure l’endroit où je serai éternellement; mais quand je dois
émigrer, je suis étranger; et pourtant je suis étranger chez Dieu, quoique je
doive y avoir une demeure pour toujours. Mais quelle est cette maison où je
dois aller en quittant ce lieu de passage? Reconnaissez donc la demeure
splendide dont saint Paul a dit: « Dieu nous donnera une habitation, une maison
que l’homme n’a point faite, une demeure éternelle dans les cieux 5». Mais, si
cette maison du ciel est éternelle, une fois que nous y serons arrivés, nous ne
serons plus étrangers. Comment serais-tu étranger dans une demeure éternelle?
Ici-bas, toutefois, où le maître de la maison doit te dire: Va, sans savoir
quand le dira-t-il, sois toujours prêt. Or, tu seras prêt, si tu désires la
demeure éternelle. Garde-toi de lui en vouloir, parce qu’à son gré il te dit: «
Pars ». Il n’a point souscrit d’obligation envers toi, il ne s’est engagé à
rien, et tu n’es
1.
Eccle. I, 18. — 2. Jérém. IX, 1. — 3.Ps. XXXIV, 3. — 4. Id. XXXVIII, 13. — 5.
II Cor. V, 1.
point venu lui offrir une certaine somme
d’argent, pour louer sa maison, un temps fixé: tu t’en iras quand le Seigneur
voudra. C’est donc gratuitement que tu demeures aujourd’hui. C’est là haut
qu’est ma patrie, ma demeure. « Je suis devant vous comme un étranger et un
voyageur ». Ici on sous-entend « devant vous ». Beaucoup sont voyageurs avec le
diable; mais ceux qui ont déjà cru, ceux qui sont fidèles, sont voyageurs, il
est vrai, parce qu’ils ne sont pas encore arrivés à la patrie, à la véritable
demeure; néanmoins ils ont leur demeure en Dieu. « Pendant que nous avons un
corps, nous marchons en dehors du Seigneur, et notre ambition est de lui
plaire, soit que nous soyons éloignés de lui, soit que nous soyons en sa
présence 1. Je suis voyageur et étranger comme tous mes ancêtres ». Si donc je
suis comme tous mes ancêtres, puis-je refuser d’être voyageur quand eux-mêmes
ont voyagé? Arriverai-je à la demeure fixe à d’autres conditions qu’ils n’y
sont arrivés?
22. Que me reste-t-il donc à demander,
puisque je dois certainement sortir d’ici? « Laissez-moi quelque relâche, afin
que je goûte le rafraîchissement avant de partir 2 ». Vois, Idithun, de quels
noeuds il te faut délivrer, afin qu’ensuite tu goûtes avant ce départ le
rafraîchissement que tu désires. Tu as quelques ardeurs que tu voudrais
tempérer, et tu demandes « quelque rafraîchissement », et tu voudrais « quelque
relâche». Quelle relâche peut t’accorder le Seigneur, à moins de t’enlever ce
remords qui te fait dire: « Remettez-nous nos dettes 3? » Pardonnez-moi donc
avant que je m’en aille pour n’être plus. Délivrez-moi de mes péchés avant mon
départ, afin que je ne parte point avec mes péchés. Faites-moi rémission, afin
que ma conscience demeure en repos, et qu’elle soit délivrée des cuisantes
inquiétudes: inquiétudes qui me font penser à mon péché. « Donnez-moi quelque
relâche, afin que j’aie du rafraîchissement », avant tout, « avant que je ne
parte, et désormais je ne serai plus ». Car si vous ne me permettez aucun
rafraîchissement, j’irai et ne serai plus. « Avant que je ne parte » pour cet
endroit où je ne serai plus, si j’y arrive. « Donnez-moi quelque relâche et
quelque rafraîchissement». On se demande ici comment l’interlocuteur
1.
II Cor. V, 6-9.— 2. Ps. XXXVIII, 14 — 3. Matt. VI, 12.
ne sera-t-il plus. N’irait-il point dans le
repos? Dieu préserve Idithun d’un tel malheur! Assurément Idithun ira de plein
pied dans le repos. Mais supposez un homme injuste, qui ne soit point Idithun,
qui ne fasse aucun progrès; un homme qui amasse, qui couve son or, un homme
injuste, orgueilleux, plein de jactance, de vanité, de mépris pour le pauvre
couché à sa porte; cet homme ne sera-t-il plus? Que signifie donc: « Je ne
serai plus? » Car si le mauvais riche n’était plus, qui donc brûlait? Qui
demandait que Lazare laissât tomber une goutte d’eau pour rafraîchir sa langue?
Qui disait: « Abraham, ô mon Père, envoyez Lazare 1? » Celui qui parlait ainsi
existait réellement; celui qui -brûlait existait, puisqu’il doit ressusciter au
dernier jour pour être, avec le démon, condamné au feu éternel. Que signifie
donc: «Je ne serai plus », à moins qu’Idithun n’envisage ici ce que signifie
être et ne pas être? De l’oeil de son coeur, de la force de ses veux il voyait
cette fin qu’il avait désiré voir quand il s’écriait: « Seigneur, montrez-moi
ma fin ».
Il voyait le nombre de ses jours, celui qui subsiste: il comprenait que
tout ce qui est intérieur n’est rien en comparaison de l’être véritable, et il
avouait que lui-même n’était pas. Dans ce qu’il voyait, il y a des choses qui
demeurent, d’autres qui sont mobiles, périssables, fragiles; et même cette
douleur éternelle de l’enfer, pleine de corruption, ne se prolonge que pour
finir indéfiniment. Il a envisagé cette contrée bienheureuse, cette patrie
céleste, cette incomparable demeure où les saints participent à la vie
éternelle, à l’immuable vérité; et il appréhende d’aller hors de là, où l’être
n’est plus: il soupire après ce séjour où est l’être parfait. Cette comparaison
l’établit donc entre l’un et l’autre, et dans sa crainte, il s’écrie: «
Donnez-moi quelque relâche, afin que j’obtienne du rafraîchissement, avant
d’aller où je ne serai plus ». Car si vous ne me faites remise de mes péchés,
j’irai loin de vous pour l’éternité. Loin de qui irai-je pour l’éternité? Loin
de celai qui a dit: « Je suis celui qui suis »; loin de celui qui a dit: « Va
dire aux enfants d’Israël: Celui qui est m’a envoyé vers vous 2 ». Celui-là
donc va au néant qui tourne le dos à celui qui est, dans la stricte vérité,
23. Aussi, mes frères, si je vous ai causé
1. Luc, XVI, 24. — 2. Exod. III, 14.
de la fatigue corporelle, supportez-la; je me
suis fatigué moi-même; mais en vérité c’est vous-mêmes qui vous êtes fatigués.
Si je vous voyais prendre à dégoût mes paroles, je me tairais aussitôt.
PSAUME 39: LES DIVERTISSEMENTS DU MONDE.
Le monde sévit contre nous, tantôt à la
manière du lion, tantôt à la manière du serpent; cette manière, la plus à
craindre, est celle des hérétiques rebaptisants. Le Seigneur nous exauce en
nous tirant du péché, en nous établissant sur le Christ ou sur la pierre. A la
vue de la voie étroite et de la voie large, les justes craignent de prendre la
mauvaise voie; le Seigneur les guidera et leur donnera en spectacle les
merveilles de la grâce, comme la marche sur l’eau de saint Pierre. Dans le
spectacle de la terre un seul est couronné; pour nous, ce sont tous ceux qui
courent, pourvu qu’ils arrivent au but. Jésus-Christ vient établir le nouveau
sacrifice. Signe de Caïn et du peuple juif. Prédication de la vérité, de la
miséricorde, de l’humilité. Soyons confus de nos péchés.
1. De toutes les prédictions qu’a faites
Notre Seigneur Jésus-Christ, nous voyons les unes s’accomplir, et nous espérons
l’accomplissement des autres; toutes néanmoins s’accompliront, parce qu’elles
sont émanées de la vérité, qui exige autant de fidélité dans la foi qu’elle en
met elle-même dans ses paroles. Celui qui croit sera dans la joie quand ces
choses s’accompliront; et celui qui ne croit pas sera confondu. Que les hommes
le veuillent ou ne le veuillent pas, qu’ils le croient ou ne le croient pas,
ces choses s’accompliront, selon cette parole de l’Apôtre: « Si nous le
renonçons, il nous renoncera aussi; si nous t avons confiance en lui, il
demeurera fidèle, car il ne saurait se contredire 1 ». Avant tout cependant,
mes frères, souvenez-vous d’une courte parole que nous venons d’entendre dans
l’Evangile, et retenez-la bien: « Celui-là sera sauvé qui aura persévéré
jusqu’à la fin 2 ». Déjà nos pères ont été traduits devant les assemblées; ils
ont plaidé leur amuse devant leurs ennemis qu’ils aimaient; te leur ont donné
et la leçon qu’ils pouvaient donner, et la charité selon leurs forces; alors te
sang des justes a été répandu, et ce sang est devenu, dans l’univers entier,
une semence d’où a surgi la moisson de 1’Eglise. Ensuite
1. II Tim. II, 12. — 2. Matt. X, 22; XXIV,
13.
est venu le temps des scandales, de
l’hypocrisie, des épreuves de la part de ceux qui disaient: Le Christ est ici
ou il est là 1. Notre ennemi fut d’abord un lion attaquant avec violence;
aujourd’hui, c’est un serpent qui use d’artifice. Mais comme nous sommes les
membres de celui à qui il est dit: « Vous foulerez aux pieds le lion et le
dragon 2 », qu’il foule aujourd’hui le dragon et nous mette hors de ses
embûches, comme jadis il foula sous les pieds de nos pères le lion qui sévissait
ouvertement et qui traînait les martyrs à la torture. C’est contre ce dragon
que l’Apôtre nous mettait en garde quand il disait: « Je vous ai fiancés à cet
unique Epoux, Jésus-Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge pure;
mais je crains que, comme Eve fut séduite par les artifices du serpent, vos
esprits ne se corrompent et ne dégénèrent de la chasteté qui est en
Jésus-Christ 3 ». Le serpent donc, cet ancien adultère, cherche à corrompre la
pureté, non de la chair, mais du coeur; de même que l’homme adultère
s’applaudit de son iniquité, quand il a corrompu la chair, ainsi tressaille le
démon quand il a flétri l’âme. De même que nos pères avaient besoin de patience
contre le lion, ainsi nous faut-il de la vigilance contre le serpent.
1.
Matt. 23. — 2. Ps. XC, 13. — 3. II Cor. XI, 2.
Toutefois la persécution, soit du lion, soit
du serpent, n’a jamais fait défaut à l’Eglise; et la ruse est plus à redouter
encore que la violence. Autrefois il forçait les chrétiens à renier le Christ,
aujourd’hui il enseigne aux chrétiens à renier le Christ; la violence jadis, la
leçon aujourd’hui. Alors il recourait à la force, aujourd’hui c’est aux
embûches; on le voyait alors frémissant, on le découvre avec peine, aujourd’hui
qu’il glisse et qu’il rampe. On sait comment alors il forçait les chrétiens à
l’apostasie. On les entraînait pour qu’ils abjurassent le Christ, et la
confession leur valait la couronne. Maintenant qu’il enseigne à renier le
Christ, il trompe d’autant plus facilement que celui à qui l’on enseigne à
renoncer au Christ ne s’aperçoit point qu’il s’en éloigne. Qu’est-ce que les
hérétiques 1 disent maintenant au chrétien catholique? Viens, fais-toi
chrétien. Mais lui dit-on: Fais-toi chrétien, pour qu’il réponde: Je ne le suis
pas? Autre est ce langage: Viens, fais-toi chrétien, et autre: Viens, abjure le
Christ. Un mal visible, c’est le rugissement du lion que l’on entend de loin,
que l’on évite de loin. Mais le dragon se glisse, il rampe et dérobe sa marche
légère; il se traîne et ne fait résonner qu’un astucieux sifflement; mais il ne
dit pas: Renonce au Christ. Qui l’écouterait, avec tant de martyrs qui ont
obtenu la couronne? Mais il dit: Sois chrétien. Quiconque l’entend, charmé de
sa voix, sinon encore infecté de son venin, répond: Mais je suis chrétien. S’il
se laisse ébranler, si la dent du serpent le saisit, il répond: Pourquoi me
dis-tu: Sois chrétien? Quoi donc? Ne suis-je pas chrétien? Non, dit l’autre.
Moi, je ne suis pas chrétien? Non, encore une fois. Alors fais-moi chrétien, si
je ne le suis pas. Viens alors, mais quand l’évêque te demandera: Qui es-tu? Ne
réponds pas: Je suis chrétien; dis que tu ne l’es pas, afin que tu puisses le
devenir. Car s’il entendait la profession de foi d’un chrétien, il n’oserait le
rebaptiser. Mais quand il entendra ce qu’il n’est pas, il lui donnera ce qu’il
paraît ne pas avoir, afin de s’abriter lui-même contre toute peine 2, en se
conformant à la déclaration qu’on lui fait. Dis-moi donc, ô hérétique, pourquoi
te croire exempt de fautes? Que me dit cette déclaration? Que ce n’est pas toi,
mais ce chrétien qui renie le Christ? Mais si
1. Les Donatistes. — 2. Les lois impériales
portaient des pénalités contre ceux qui réitéraient le baptême.
le renégat est coupable, que sera-ce de celui
qui lui donne des leçons d’apostasie? Seras-tu donc innocent, quand tes leçons
de chrétien obtiennent le même effet que les menaces d’un païen? Que fais-tu
enfin? Parviens-tu à dépouiller cet homme de ce qu’il a, parce que tu lui fais
dire qu’il ne l’a pas? Sans l’en dépouiller, tu fais qu’il l’ait pour sa
condamnation. Ce qu’il avait, il l’a toujours, car le baptême est comme un
caractère indélébile; l’ornement du soldat devient l’accusation du transfuge.
Que fais-tu, en effet? Tu mets le Christ sur le Christ. Si tu avais ta simplicité,
tu ne chercherais pas un double Christ. Mais enfin, as-tu donc oublié que le
Christ est la pierre, et que « cette pierre, qu’ont rejetée les architectes,
est devenue la pierre angulaire 1? » Si donc le Christ est la pierre, et que tu
veuilles mettre le Christ sur le Christ, aurais-tu oublié cette parole de
l’Evangile, qu’une pierre ne restera pas sur une pierre 2? Telle est la force
d’union qui est dans la charité, que de tant de pierres vivantes qui servent à
construire le temple de Dieu, il ne se forme qu’une seule pierre. Mais toi qui
fais schisme, tu retires les autres de cet édifice pour les inviter à la ruine;
et ces embûches sont nombreuses et de chaque jour; et nous les voyons, et nous
en souffrons, et nous faisons tous nos efforts-pour les réprimer, tantôt par la
discussion, tantôt par la conviction, en allant les instruire, en les
effrayant, mais toujours dans la charité, Et quand, malgré nos efforts, ils
persévèrent dans leur malice, et que notre coeur s’attriste de la mort de nos
frères; quand il plaint ceux qui sont dehors, qu’il craint pour ceux du dedans,
au milieu d’angoisses sans nombre, des continuelles épreuves de cette vie, que
ferons-nous? Car l’accroissement de l’iniquité attiédit la charité, « puisque
la charité de beaucoup s’affaiblit par l’abondance de l’iniquité 3 ». Que
ferons-nous donc, sinon ce qui suit, si néanmoins nous le pouvons avec le
secours de Dieu: « Celui qui aura persévéré jusqu’à la fin sera sauvé 4».
12. Disons donc avec notre psaume: « J’ai
attendu patiemment le Seigneur 5 ». Ce n’est point un homme quelconque avec ses
promesses, un homme capable de tromper et de se tromper, que j’ai attendu avec
1.
Ps. CXV. 22; Matt. XXI, 42; I Pierre, II, 4, 7. — 2. Matt. XXIV, 2.— 3. Id. 12.
— 4. Id. 13. — 5. Ps. XXXIX, 2.
patience; ni un homme pour me consoler, et
qui séchera dans sa douleur, avant d’adoucir la mienne. Qu’il me console, mes
frères, celui qui est triste avec moi; que nous puissions gémir ensemble,
pleurer ensemble, prier et attendre ensemble. Qui pouvons-nous attendre, sinon
le Seigneur qui ne nous trompera point dans ses promesses, bien qu’il en
diffère l’accomplissement? Il les accomplira, certainement il les accomplira;
il en a déjà mis sous nos yeux une grande partie, et Dieu ne nous eût-il rien
montré, que nous ne devrions pas douter de sa véracité. Supposons qu’il nous a
tout promis sans rien donner encore; il a la bonté pour promettre, la fidélité
pour tenir parole; pour toi, demande avec piété, et si tu es petit, si tu es
faible, demande miséricorde. Ne vois-tu pas les petits agneaux frapper de leurs
têtes les mamelles de leur mère, pour en tirer du lait? « J’ai attendu», dit le
Prophète, «j’ai attendu le Seigneur». Qu’a fait le Seigneur? A-t-il détourné de
toi son visage? A-t-il méprisé ta patience? Ne t’aurait-il pas vu? Il n’en est
pas ainsi. Qu’est-ce donc? « Et il s’est rendu attentif, et il a écouté ma
prière1 ». Il a écouté, il a exaucé. Ce n’est donc pas en vain que tu as
attendu, puisque ses yeux te fixaient et ses oreilles t’entendaient. « Car les
yeux du Seigneur sont sur de juste, et ses oreilles attentives à ses prières 2
». Mais quoi ! lorsque ta vie était un désordre, tes paroles un blasphème, ne
voyait-il pas? n’entendait-il pas? Que devient donc cette parole du Psalmiste,
que la face du Seigneur est sur ceux qui commettent le mal? et pourquoi? « Pour
effacer leur mémoire de dessus la terre 3 ». Donc, lorsque tu commettais le
mal, Dieu te voyait, mais il n’était pas attentif à tes besoins. Dès lors
c’était peu, pour celui qui a patiemment attendu le Seigneur, de dire: Le
Seigneur m’a vu; mais il dit: Il s’est rendu attentif, c’est-à-dire, il a pris
soin de me consoler, de me lire du bien. A quoi a-t-il été attentif? « A
exaucer ma prière ».
3. Que t’a-t-il donné? Qu’a-t-il fait pour
toi? il! m’a tiré de l’abîme de la misère et d’un lac fangeux. il a consolidé
mes pieds sur la terre et a dirigé mes pas. Il a mis dans ma bouche un cantique
nouveau, un hymne à notre Dieu 4 ». Il nous a donc fait de
1. Ps. XXXIX, 3.— 2. Id. XXXIII, 16.— 3. Id.
17.— 4. Id. XXXIX, 3,4.
grands biens, et nous est redevable encore.
Mais que celui qui a déjà reçu ces promesses ait la foi pour le reste, lui qui
aurait toujours dû croire, n’eût-il rien reçu. Dieu a voulu par des effets nous
montrer qu’il est fidèle dans ses promesses et large dans ses dons. Qu’a-t-il
donc fait dès cette vie? « Il m’a tiré de l’abîme de la misère ». Quel est cet
abîme de misère? C’est l’abîme du péché creusé par les convoitises de la chair.
Tel est ce lac bourbeux. D’où Dieu t’a-t-il retiré? d’une certaine profondeur.
Aussi criais-tu dans un autre psaume: « Du fond de l’abîme j’ai crié vers vous,
ô mon Dieu 1». Mais ceux qui crient déjà du fond de l’abîme ne sont pas au plus
profond: leurs cris les soulèvent. Ceux-là sont plus bas dans l’abîme, qui ne
savent pas qu’ils y sont plongés. Tels sont les orgueilleux qui méprisent, au
lieu de prier avec piété, de gémir avec larmes: ces âmes que désigne cet autre
passage de 1’Ecriture « Quand le pécheur arrive dans les profondeurs du mal, il
méprise 2». Dès qu’un homme compte pour rien d’être pécheur, dès qu’au lieu de
confesser ses crimes, il va jusqu’à les défendre, il est au plus profond de
l’abîme. Mais celui qui dans l’abîme pousse des cris, a déjà soulevé sa tête du
fond de cet abîme afin de crier. Dieu l’a entendu et l’a tiré des profondeurs
de la misère, et du lac bourbeux. Déjà il a la foi qu’il n’avait pas; il a
l’espérance dont il était sevré; il marche avec le Christ, lui qui errait avec
le diable. Aussi dit-il que le Seigneur « a consolidé ses pieds sur la pierre,
qu’il a dirigé ses pas. Cette pierre était le Christ 3». Soyons donc sur la
pierre, marchons avec droiture. Car nous devons marcher encore afin d’arriver.
Que disait en effet saint Paul, affermi sur la pierre, lui dont les démarches
étaient redressées? « Non que j’aie atteint déjà mon but, ou que je sois
parfait. Non, mes frères, je ne crois pas être arrivé à mon but 4 ».
Qu’avez-vous donc obtenu, si vous n’avez point reçu? D’où vient cette action de
grâces qui vous fait dire: « Mais j’ai obtenu miséricorde? » C’est que ses
pieds sont redressés et qu’il marche sur la pierre. Que dit-il en effet? « Il
est un fait, c’est que j’oublie ce qui est en arrière ». Qu’est-ce qui est en
arrière? L’abîme de misère. Qu’est-ce
1.
Ps. CXXIX, 1. — 2. Prov. XVIII, 3. — 3. I Cor. X, 4. — 4. Philipp. III, 12, 13.
— I Tim. I,
13.
encore? Le lac bourbeux, les charnelles
convoitises, les ténèbres de l’iniquité. « J’oublie ce qui est en arrière, pour
m’élancer vers ce qui est devant moi ». Il ne dirait pas qu’il s’élance, s’il
était parvenu. Car l’âme s’élance par l’amour de ce qu’elle désire, et non par
la joie de ce qu’elle a obtenu. « Je m’élance»,dit-il, «vers ce qui est en
avant, je cours vers la palme de la céleste vocation qui est en Dieu par
Jésus-Christ 1». Il courait donc, il voulait remporter la palme. Et ailleurs,
sur le point de cueillir cette palme, « J’ai achevé ma course 2 », dit-il.
Quand il disait donc: « Je cours vers la palme de la céleste vocation », parce
que ses pieds étaient redressés, raffermis sur la pierre, déjà il marchait dans
le bon chemin: il avait des grâces à rendre, il avait des demandes à faire, à
rendre grâces de ce qu’il avait reçu, à demander ce qui lui était dû encore.
Qu’avait-il reçu? Le pardon de ses fautes, les lumières de la foi, la force de
l’espérance, le feu de la charité. De quoi le Seigneur lui était-il redevable?
«Il ne me reste plus», dit-il, « qu’à recevoir la couronne de justice ». Il y a
donc envers moi des arrérages? Quels arrérages? « La couronne de justice, que
le Seigneur, comme un juste juge, m’accordera en ce grand jour 3 ». Dans sa
bonté paternelle, il m’a tiré d’abord de l’abîme des misères, m’a remis mes
fautes, m’a soulevé du lac bourbeux: dans l’équité d’un juge, il tient sa
promesse envers celui qui marche dans la bonne voie, après l’avoir fait tout
d’abord marcher dans cette voie. Ce juge équitable tiendra donc sa promesse;
mais envers qui? « Celui qui aura persévéré jusqu’à la fin sera sauvé 4 ».
4. « Il a mis dans ma bouche un cantique
nouveau ». Quel est ce nouveau cantique? « Un hymne à notre Dieu ». Tu chantais
autrefois peut-être des hymnes aux dieux étrangers, vieilles hymnes que
chantait le vieil homme et non l’homme nouveau: que le vieil homme se renouvelle
et chante un cantique nouveau, qu’il se renouvelle et qu’il aime ces nouveautés
qui le rajeunissent. Qu’y a-t-il de plus ancien que Dieu, qui est avant tout,
sans fin comme sans commencement? Il est nouveau pour toi quand tu reviens à
lui; car, en t’éloignant de lui, tu
1. Philipp. III, 14. — 2. II Tim. IV, 7. — 3.
Id. 8. — 4. Matt.X, 22. — 5. Ps. XXXIX, 4.
avais vieilli, et tu avais dit: « Je vieillis
au milieu de mes ennemis 1 ». Nous chantons donc un hymne à notre Dieu, et cet
hymne nous délivre. « Je logerai, j’invoquerai le Seigneur et je serai délivré
de mes ennemis 2 ». Un hymne est en effet un cantique de louanges. Invoque en
louant, non pas en blâmant. Si tu demandes que Dieu afflige ton ennemi, si tu
veux te réjouir du mal d’autrui, et que tu demandes ce mal à Dieu, tu le rends
complice de ta méchanceté. Mais le rendre complice de ta méchanceté, ce n’est
plus l’invoquer avec louange, c’est l’invoquer en le blâmant. Tu crois alors
que Dieu est semblable à toi. De là vient ce reproche qu’il te fait ailleurs: «
C’est là ce que tu as fait, et je me suis tu. Ton iniquité m’a jugé semblable à
toi 3 ». Invoque alors le Seigneur en le bénissant; ne va point le croire
semblable à toi, pour te rendre semblable à lui. « Soyez parfaits comme votre
Père est parfait, lui qui fait lever son soleil sur les bons et sur les
méchants, qui fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes 4 ». C’est à toi
de louer le Seigneur de manière à ne souhaiter aucun mal à tes ennemis. Et quel
bien faut-il désirer pour eux? le même que pour toi. Ce n’est pas à tes dépens
que la grâce les fera bons, et ce qui leur sera donné ne diminuera rien de ce
qu’elle te donne, Ton ennemi n’est ton ennemi qu’à cause de sa malice; qu’il
devienne bon, et il sera pour toi un ami, un compagnon; il sera même un frère,
et tu voudras aimer avec lui ce que tu aimes. Loue donc le Seigneur en
l’invoquant, et chante un hymne à ton Dieu. « C’est », dit le Seigneur, « un
sacrifice de louanges qui doit m’honorer ». Quoi donc? La gloire de Dieu en
sera plus grande si vous le glorifiez? Est-ce ajouter à sa gloire, que lui
dire: Je vous glorifie, ô mon Dieu? Le rendons-nous plus saint en lui disant:
Seigneur, je vous bénis? Pour lui, nous bénir, c’est nous rendre plus saints,
plus heureux; nous glorifier, c’est nous élever en gloire et en honneur: mais
nous, le glorifier, c’est profit pour nous, rien pour lui. Comment le
glorifier? En chantant sa gloire, mais nullement en lui en donnant. Aussi après
avoir dit: « C’est un sacrifice de louanges qui doit m’honorer », qu’a-t-il
ajouté? Afin que nul ne croie faire un avantage à Dieu en lui offrant ce
sacrifice
1.
Ps. VI, 8.— 2. Id. XVII, 4.— 3. Id. XLIX, 21.— 4. Matt, V, 45, 48.
de louanges. « Tel est », dit le Seigneur, «
le chemin où je lui montrerai mon salut 1 ». Tu le vois, louer Dieu est un
avantage pour toi, plutôt que pour le Seigneur. L’as-tu loué? Tu es dans la
voie droite. L’as-tu blâmé? tu es égaré.
5. « Il a mis dans ma bouche un cantique
nouveau, un hymne à notre Dieu ». On me demandera peut-être quel est celui qui
parle dans ce psaume. Je le dirai en un seul mot, s’est Jésus-Christ. Mais,
comme vous le savez, mes frères, et comme il est bon de le répéter souvent, le
Christ parle quelquefois de lui-même, c’est-à-dire comme notre chef. Car il est
le Sauveur de son corps 2, il est notre chef, le Fils de Dieu, né de la Vierge;
il a souffert pour nous, il est ressuscité pour notre justification, il est
assis à la droite de Dieu, afin d’intercéder pour nous 3, et d’assigner
jugement la félicité aux bons, le châtiment aux méchants. Ce chef, qui est le
nôtre, a bien voulu devenir le chef d’un corps, en prenant de nous une chair
dans laquelle il pût mourir pour nous; pour nous encore il l’a ressuscitée,
afin de nous donner en cette chair un modèle de cette résurrection, qui nous
apprît à espérer ce que nous n’espérions pas, et qui consolidât nos pieds sur
la pierre, en nous faisant marcher dans le Christ. Il parle donc tantôt au nom
du chef, et tantôt en notre nom ou au nom des membres. Quand il dit: « J’ai eu
faim et vous m’avez donné à manger 4 », c’étaient ses membres qui parlaient, et
non point lui-même. Quand ildit: « Saul, Saul, pourquoi me persécuter 5? »
c’était le chef réclamant pour les membres. Et pourtant il, n’a point dit: «
Pourquoi persécuter mes membres? » mais bien: « Pourquoi me persécuter?» Si
nous souffrons en lui, nous serons couronnés avec lui. Telle est la charité du
Christ. Que peut-on lui comparer? C’est pour l’en bénir qu’il a mis un hymne
dans notre bouche, et il parle ainsi dans ses membres.
6. « Les justes verront, ils craindront, ils
espéreront dans le Seigneur ». Les justes verront. Quels justes? Les croyants.
« Car le juste vit de la foi 6». Tel est l’ordre qui règne dans l’Eglise: les
uns précèdent, les autres suivent; ceux qui précèdent servent de modèles à ceux
qui viennent après: et ceux qui suivent
1.
Ps. XLIX, 23.— 2. Eph. V, 23.— 3. Rom. VIII, 23.— 4. Matt. XXV, 35 — 5. Act.
IX, 4. — 6. Habac. II, 4; Rom. I, 17.
prennent exemple sur ceux qui précèdent. Mais
ceux qui se donnent en exemple à ceux qui les suivent, n’ont-ils donc point de
guide? S’ils ne suivent personne, ils vont s’égarer. Ils suivent donc aussi un
guide, qui est le Christ. Les plus saints dans l’Eglise, n’ayant aucun homme à
imiter sur la terre, parce qu’ils ont devancé tous les autres, ont toujours à
imiter le Christ, qu’ils suivront jusqu’à la fin. Et vous voyez ces degrés
marqués par l’apôtre saint Paul: « Soyez mes imitateurs, comme je le suis du
Christ 1 ». Que ceux alors dont les démarches sont redressées sur la pierre,
servent de modèle à ceux qui ont la foi. « Soyez », dit-il, « l’exemple des
fidèles 2 ». Ces fidèles sont les justes qui, s’attachant du regard à ceux qui
les ont précédés dans le bien, les suivent en les imitant. Comment les
suivent-ils? « Les justes verront et ils craindront ». Ils verront, et ils
craindront de suivre une fausse voie, quand ils verront que les plus saints
marchent dans la bonne. Alors ils diront en eux-mêmes ce que disent
ordinairement les voyageurs, quand ils en voient d’autres marcher hardiment,
marcher dans un chemin qu’eux-mêmes ne connaissent pas, et qui leur laisse
quelque incertitude: Ce n’est pas en vain, se disent-ils, que ces autres
prennent ce chemin pour aller où je veux aller moi-même. Pourquoi marchent-ils
résolument par cet endroit, sinon parce qu’il est dangereux d’aller par cet
autre? « Les justes donc verront, et ils craindront ». Ils voient ici un étroit
sentier, là une voie large: ici de rares voyageurs, là une grande foule 3. Or,
si tu es juste, ne compte pas, mais pèse; apporte-moi une balance, non point
une balance trompeuse, puisqu’on t’appelle juste, et qu’on a dit de toi: « Les
justes verront et ils craindront ». Garde-toi donc de compter cette foule
d’hommes qui marchent - par la voie large, qui vont demain remplir le théâtre,
qui célébreront demain la fondation de cette ville et qui la déshonorent par
leurs désordres. Ne considère donc point cette foule: elle est nombreuse, qui
peut la compter? Mais il y en a peu dans la voie étroite. Apporte-moi, dis-je, une
balance, et pèse bien; vois combien de paille tu soulèves pour si peu de
grains. C’est là ce que doit faire le juste et le fidèle qui suit. Que feront
ceux qui précèdent? Ils seront sans orgueil, sans hauteur,
1.
Cor. IV, 16. — 2. I Tim. IV, 12. — 3. Matt. VII, 13, 14,
sans fraude pour ceux qui suivent. Comment
pourraient-ils tromper ceux qui suivent? En leur promettant de les sauver par
eux-mêmes. Que devront faire ceux qui suivent? « Les justes verront, et ils
craindront, et ils espéreront dans le Seigneur », et non dans ceux qui les
précèdent; en considérant ceux qui marchent devant eux, ils les suivent à la
vérité, ils les imitent, mais ils attachent leur pensée sur celui qui a donné à
ceux-ci la grâce de les précéder, et ils espèrent en lui. Alors, tout en les
imitant, ils mettent leur espérance dans celui qui a fait ceux-ci tels qu’ils
sont. « Les justes verront, et ils craindront, et ils espéreront dans le
Seigneur »: c’est encore ce qui est dit dans un autre psaume: « J’ai levé les
yeux vers les montagnes 1 »; et par ces montagnes nous avons entendu les hommes
illustres, les grands hommes de la vie spirituelle, qui ont acquis dans
l’Eglise, non l’enflure, mais une grandeur solide. Ce sont eux qui nous ont
ouvert les saintes Ecritures, les prophètes, les évangélistes, les saints
docteurs. « C’est là, c’est vers ces montagnes que j’ai levé les yeux, et de là
me viendra le secours ». Et de peur que nous ne voyions là un secours humain,
le Prophète ajoute: « Tout mon secours est dans le Seigneur qui a fait le ciel
et la terre 2. Les justes verront et ils craindront, et ils mettront leur
espoir dans le Seigneur ».
7. Courage, mes frères; que ceux qui veulent
espérer dans le Seigneur, qui voient et qui craignent, se gardent bien de
marcher dans les voies mauvaises, dans les voies larges; qu’ils choisissent la
voie étroite, où les pas de quelques-uns sont déjà redressés sur la pierre; et
qu’ils écoutent maintenant ce qu’ils ont à faire: « Bienheureux l’homme qui a
mis son espérance dans le nom du Seigneur, qui n’a point tourné ses regards
vers les vanités et vers les folies du mensonge 3 ». Dans ce chemin que tu
voulais prendre, remarque la foule de la voie large: ce n’est pas en vain
qu’elle conduit à l’amphithéâtre, ni en vain qu’elle conduit à la mort. La voie
large est le chemin de la mort; sa largeur nous plaît un instant; mais elle
devient étroite, et pour l’éternité. La foule toutefois y marche, la foule s’y
presse, la foule s’y livre à ses ébats, la foule y vient de toutes parts.
Garde-toi bien
1. Ps. CXX, 1, 2. — 2. Id. 2.— 3. Id. XXXIX,
5.
de les imiter, de quitter ta voie; ce sont là
des vanités, des folies menteuses. Que le Seigneur ton Dieu soit toujours ton
espérance: n’attends de lui rien autre chose, mais qu’il soit lui-même ton
espérance. Le grand nombre attend de Dieu de l’argent, d’autres espèrent que
Dieu leur donnera des honneurs fragiles et périssables, toute autre chose que
Dieu lui-même; pour toi, ne demande à Dieu que lui seul; méprise tout ce qui
n’est pas lui, ne cherche que lui; oublie tout le reste pour te souvenir de
lui; laisse tout en arrière pour courir à lui. C’est lui assurément qui l’a
redressé dans tes égarements, lui qui te dirige dans la voie droite, lui qui te
fera parvenir au terme. Qu’il soit donc ton espérance, puisqu’il te conduit et
te fera arriver. Où l’avarice doit-elle te mener et aboutir? Tu cher. chais des
domaines, lu voulais posséder la terre, tu évinçais tes voisins; ceux-ci
évincé, tu portais envie à d’autres voisins; ton avarice ne voyait de bornes
que les rivages de la nec Arrivé sur ces bords, tu voudrais les îles; possédant
la terre, tu voudrais prendre le ciel. Laisse là tous ces désirs: celui qui a
fait le ciel et la terre a bien plus d’attraits.
8. « Bienheureux l’homme qui a mis son «
espérance dans le nom du Seigneur, qui n’a point tourné ses regards sur les
vanité et sur les folies du mensonge ». Pourquoi des folies mensongères? La
folie est menteuse, la sagesse est véridique. Tu prends ce que tu vois pour des
biens, illusion! tu manques de sagesse, l’excès de la fièvre t’a rendu
frénétique; ce que tu aimes n’est pas réel. Louer un cocher, acclamer un
cocher, raffoler d’un cocher; voilà ton occupation. C’est là une vanité, une
folie menteuse. Nullement, répond-il; rien de mieux, rien de plus amusant. Que
dire à ce fiévreux? Si vous avez quelque pitié, priez pour ces gens-là. Sou.
vent quand on désespère d’un malade, le médecin se tourne vers ceux qui
pleurent autour de lui dans la maison, qui sont suspendus à ses lèvres pour
entendre ce qu’il pense du malade en danger; le médecin est alors dans
l’angoisse, il ne voit rien de boni promettre, il craint d’effrayer en disant
le mal qu’il appréhende; alors il choisit na parti modéré: Dieu est bon,
dit-il, priez pour ce malade. Auquel de ces insensés pourrai-je donc
m’adresser? Qui voudra m’entendre? Qui d’entre eux ne nous croit point (427)
misérables? Parce que nous ne sommes point faux avec eux, ils pensent qu’il y a
perte pour nous dans la privation de ces plaisirs nombreux et variés dont ils
raffolent, sans voir combien ils sont faux. Comment donner à ce malade, malgré
lui, un oeuf ou un breuvage salutaire? Quel moyen trouver pour le guérir? Dans
la crainte qu’il ne meure de faim et qu’il n’en vienne à rendre impossible son
retour à la santé, je l’engage à prendre quelque nourriture; et le voilà qui
s’apprête à frapper, qui s’emporte contre le médecin. Aimons-le, bien qu’il
nous frappe; ne l’abandonnons pas malgré ses injures; il reviendra au bien et
nous remerciera. Combien peuvent ici se reconnaître, se voir, se parler
mutuellement dans 1’Eglise de Dieu; maintenant qu’ils sont dans le giron de la
sainte Eglise, ils se sentent des affections déjà plus saintes pour entendre la
parole de
pour accomplir les devoirs et les prévenances
de la charité, pour demeurer dans l’Eglise, afin d’être mêlés au troupeau de
Jésus-Christ. Ils se voient et se parlent nullement l’un de l’autre. Quel est,
disent-ils, amateur du cirque? cet homme infatué lutteurs, et qui vantait les
comédiens? Voilà ce qu’un homme dit d’un autre, et cet autre de lui. Voilà leur
langage, langage qui doit nous réjouir. Quand ceux-ci nous comblent de joie, ne
désespérons point de leur salut. Prions pour eux, mes frères bien-aimés: ce qui
formait jadis le nombre des impies, augmente aujourd’hui le nombre des impies.
« Il n’a point regardé les vanités et les folies mensongères ». Cet homme est
vainqueur, il a pris tel cheval, il prononce, il joue le rôle du devin; il
affecte la divination; et, se séparant de la source de la divinité, souvent il
se prononce, et souvent il se trompe. Pourquoi? Parce que ce sont là des folies
menteuses. Comment se fait-il que leurs oracles se vérifient quelquefois? C’est
afin qu’ils séduisent les insensés, et que sous un spécieux amour de la vérité,
ils tombent dans le piége du mensonge; qu’on les laisse en arrière, qu’ils
soient abandonnés et retranchés. S’ils étaient nos membres, qu’ils soient
mortifiés. « Mortifiez vos membres sur la terre « Coloss. III, 5) », nous dit l’Apôtre. Que notre Dieu soit notre espérance.
Celui qui a tout fait, est bien supérieur à tout; celui qui a fait tout ce qui
est beau, a plus de beauté lui-même; l’auteur de tout ce qui est fort, de tout
ce qui est grand, a plus de force et plus de grandeur: il sera pour toi tout ce
que tu pourras désirer. Apprends donc à auner le Créateur dans la créature, et
dans l’oeuvre l’ouvrier; ne t’éprends d’aucune de ses oeuvres, afin de ne point
perdre celui dont tu es l’ouvrage. « Bienheureux donc l’homme qui a mis son
espérance dans le nom du Seigneur, qui ne s’est point arrêté aux vanités et aux
folies du mensonge ».
9. Mais un homme frappé de ce verset, et qui
voudra se corriger, un homme que saisit de crainte la justice de la foi, et qui
veut marcher dans la voie étroite, viendra peut-être me dire: Je ne pourrai
marcher dans cette voie, si rien ne l’offre à mes yeux. Que faisons-nous donc,
mes frères?Le renverrons-nous, sans qu’il ait rien vu? Il en mourra, il n’y
tiendra pas, il ne pourra nous suivre. Que faire? Remplaçons donc ses
spectacles par d’autres spectacles. Et quels spectacles donner à un chrétien
que nous voulons retirer des spectacles mondains? Grâces en soient rendues au
Seigneur notre Dieu; dans le verset suivant, le psalmiste nous indique le genre
de spectacle que nous devons mettre sous les yeux de ceux qui veulent des
spectacles. Le voilà qui s’exile du cirque, de l’amphithéâtre; qu’il cherche
des spectacles, qu’il cherche à voir; nous ne l’abandonnerons point sans
spectacles. Par quoi les remplacerons-nous? Ecoutez ce qui suit: « Vous avez
fait, Seigneur mon Dieu, de nombreuses merveilles (Ps. XXXIX, 6) ». Il se repaissait des spectacles des hommes, qu’il
envisage les merveilles de Dieu. Ces merveilles de Dieu sont innombrables;
qu’il les admire et les contemple. Pourquoi n’en est-il pas ému? Il vante un
cocher qui conduit quatre chevaux et les fait courir sans aucun choc; et le
Seigneur n’a-t-il pas aussi des miracles spirituels dans le même genre? Que cet
homme mette le frein à son avarice, le frein à sa nonchalance, le frein à son
injustice, le frein à son imprudence, le frein à tous ces mouvements dont la
fougue enfante les vices, qu’il leur mette un frein et se les assujettisse,
qu’il gouverne ses passions sans en être l’esclave; qu’il les dirige où bon lui
semble et ne se laisse pas entraîner malgré lui. Il louait un cocher; on le
louera à son tour comme le cocher de (428) ses passions; il demandait un
vêtement pour un cocher, lui-même sera revêtu d’immortalité. Tels sont les jeux
et les spectacles auxquels Dieu nous fait assister. Du haut du ciel, il nous
crie: Je vous regarde; combattez, je vous soutiendrai; remportez le prix et je
vous couronnerai. « Vous avez fait, Seigneur mon Dieu, de nombreuses
merveilles; et dans vos conseils nul ne peut vous ressembler 1 ». Vois maintenant
un histrion. Il a mis tous ses soins pour apprendre à marcher sur une corde, il
s’y suspend et se tient ainsi en suspens. Mais voyez Dieu qui vous donne de
plus grands spectacles. Cet homme apprend à marcher sur une corde, en fait-il
marcher un autre sur la mer? Oublie donc le théâtre, et vois notre bienheureux
Pierre, non plus un funambule, mais un mariambule, si je puis dire ainsi. A ton
tour, marche aussi, non plus sur ces eaux de la mer, où la marche de Pierre
était une figure, mais sur d’autres eaux, puisque ce siècle est une mer. Il a
son amertume dangereuse, il a ses flots de tribulations, ses tempêtes de
tentations: il a pour poissons des hommes qui paraissent heureux de leur
malheur, et se dévorent mutuellement; c’est là que tu dois marcher, c’est là ce
que tu dois fouler aux pieds. Tu veux des spectacles, sois toi-même un
spectacle. Ne perds point courage; vois celui qui t’a précédé et qui te crie: «
Nous sommes en spectacle à ce bas « monde, et aux anges et aux hommes 2 ».
Foule aux pieds la mer, afin de n’y être pas submergé. Tu n’iras, tu ne
marcheras que sur l’ordre de celui qui le premier marcha sur la mer, comme le
disait autrefois saint Pierre: « Si c’est vous, Seigneur, faites que j’aille à
vous sur les eaux 3 ». Et comme c’était lui-même, il entendit sa prière, il
exauça son désir, il l’appela sur les eaux, et le souleva quand il enfonçait.
Telles sont les merveilles du Seigneur qu’il te faut contempler; mais vois de
l’oeil de la foi. Fais toi-même ces merveilles; car si les vents se déchaînent,
si les flots se soulèvent, si la faiblesse humaine te fait désespérer de ton
salut, tu as une prière toute préparée Seigneur, je péris. Si déjà tu marches
sur la pierre, tu n’as pas à craindre sur les eaux; mais si tu n’étais sur la
pierre, tu serais englouti par les flots; car il nous faut
1.
Ps. XXXIX, 6. — 2. Cor. IV, 9 — 3. Matt. XIV, 28-31.
marcher sur ce rocher que ne recouvre point
leur fureur.
10. Vois donc les merveilles du Seigneur. «
J’ai annoncé, j’ai publié ces merveilles; ils se sont multipliés à l’infini 1
». Il y a un nombre d’élus, mais il y a au-delà de ce nombre. Il y a un nombre
déterminé qui appartient à la Jérusalem céleste. « Le Seigneur connaît ceux qui
sont à lui 2 ». Les chrétiens qui le craignent, les chrétiens fidèles, les
chrétiens qui gardent ses préceptes, qui marchent dans les voies de Dieu, qui
s’abstiennent du péché, qui confessent cour qu’ils ont pu commettre: ceux-là
sont du nombre des élus. Mais est-ce tout? Il y en a au-delà du nombre. Car,
s’il y a peu d’assistants ici, peu en comparaison de cette foule des grandes
assistances: quelles multitudes ne remplissent point parfois nos églises, n’en
pressent point les murailles, ne se serrent point jusqu’à s’étouffer? S’il y a
des joua publics, on les voit incontinent courir à l’amphithéâtre; ceux-là sont
au-delà du nombre, Mais nous parlons ainsi pour les faire entrer dans le
nombre; absents d’ici, ils ne peuvent nous entendre; mais ils vous entendront
quand vous en serez sortis. « J’ai annoncé » dit le prophète, « j’ai parlé ».
C’est le Christ qui parle de la sorte; il a prêché comme chef, il a prêché par
ses membres, il a envoyé des prédicateurs, il a envoyé des apôtres. « Leur
langage a été entendu par toute la terre, et leurs paroles jusqu’aux confins de
l’univers 3 ». Combien de fidèles s’assemblent à leurs paroles, combien
accourent en foule; beaucoup se convertissent en réalité, beaucoup ne le font
que faussement; la conversion réelle est pour le plus petit nombre, la fausse
conversion pour le plus grand: car « ils se multiplient à l’infini ».
11. « J’ai annoncé vos merveilles, je les ai
prêchées: ils se sont multipliés à l’infini. Vous n’avez voulu ni sacrifice ni
offrande 4 ». Ce sont là les merveilles de Dieu, les desseins de Dieu à qui nul
n’est égal; il veut détourner de sa vaine curiosité cet amateur des spectacles,
et lui faire chercher avec nous des spectacles plus saints, plus avantageux,
qui donnent la vraie joie à ceux qui les trouvent; et telle sera cette joie
qu’il n’aura plus à craindre l’échec de celui qu’il aimera; il
1.
Ps. XXXIX, 6. — 2. II Tim. II, 19. — 3. Ps. XVIII, 5. — 4. Ps. XXXIX, 7.
aime un cocher, et il supportera les huées,
si ce cocher est vaincu; que ce cocher soit vainqueur, voici un manteau. Pour
le misérable qui vient l’acclamer? Non, le vêtement est pour le vainqueur, les
huées pour celui qui applaudissait le vaincu. Pourquoi donc partager la
confusion d’un homme dont tu ne partages point le manteau? Il en est bien
autrement dans nos spectacles. « Il est vrai », dit saint Paul, «que tous
partent » dans votre lice, dans vos spectacles; « mais un seul reçoit le prix 1
»; les autres sont vaincus et s’en vont Ils ont persévéré à courir; mais un
seul ayant reçu le prix, il n’y a plus rien pour les autres qui ont également
travaillé. Notre course est bien différente. Tous ceux qui prennent part à la
course et persévèrent à courir, emportent le prix: le premier arrivé attend
pour recevoir sa couronne avec les autres. Notre arène est en effet l’oeuvre de
la charité, non de la cupidité: tous ceux qui courent sont unis par la charité,
et cette charité même la course.
12. « Vous n’avez voulu ni sacrifice ni
offrande », dit à Dieu le Psalmiste. Dans l’ancienne loi, quand le véritable
sacrifice connu des fidèles nous était annoncé par des figures, on célébrait
alors les figures de l’avenir: beaucoup en comprenaient le sens, mais beaucoup
plus encore l’ignoraient. Les Prophètes et les saints patriarches savaient ce
que l’on célébrait; mais le reste de ce peuple inique était charnel, au point
de figurer lui-même les événements de l’avenir. Or, il arriva que le premier
sacrifice fut aboli, que disparurent ces holocaustes de béliers, de boucs, de
taureaux et d’autres victimes; Dieu n’en voulut plus. Pourquoi n’en voulut-il
plus? Pourquoi d’abord en avait-il voulu? Parce que tout cela n’était que comme
une promesse de Dieu; or, quand on a donné ce que l’on a promis, les paroles de
la promesse ne sont plus rien. Un homme est engagé à sa promesse jusqu’à ce
qu’il l’ait tenue; quand il l’a accomplie, il change alors de langage. Il ne
dit plus: Je donnerai, ce qu’il promettait de donner; mais bien: J’ai donné;
l’expression est changée. Pourquoi cette expression a-t-elle été d’abord
agréable à Dieu, et pourquoi l’a-t-il changée? C’est que cette expression était
celle de son temps, et qu’elle lui a plu selon l’époque. Elle était d’usage
dans le temps des
1. I Cor. IX, 21.
promesses, mais quand les promesses ont reçu
leur accomplissement, alors les expressions promissives ont disparu pour faire
place au langage de l’accomplissement. Donc, ces sacrifices, qui étaient le
langage de la promesse, ont disparu. Qu’a-t-on donné pour les accomplir? Ce
corps que vous connaissez, mais que vous ne connaissez pas tous1; et plaise à
Dieu que vous, qui le connaissez, ne le connaissiez point pour votre
condamna-ion! Soyez attentifs, car c’est le Christ Notre Seigneur qui parle,
tantôt dans ses membres, et tantôt par lui-même; voyez en quel temps il est
dit: « Vous n’avez voulu ni des sacrifices, ni de l’offrande ». Qu’est-ce donc?
Sommes-nous présentement abandonnés sans sacrifice? A Dieu ne plaise. « Vous
m’avez donné un corps parfait ». C’était pour donner la perfection à ce corps
que vous n’avez plus voulu de ces offrandes; vous les avez agréées avant que
mon corps fût parfait. L’accomplissement des promesses a supprimé le langage
primitif. Si l’on emploie en effet les paroles de la promesse, c’est que cette
promesse n’est pas accomplie. Cette promesse était exprimée par des signes; les
signes ont disparu quand s’est montrée la vérité promise. Nous sommes dans ce
corps, nous en faisons partie; nous savons ce que nous recevons; et vous qui ne
le savez pas encore, puissiez-vous l’apprendre, et quand vous l’aurez appris,
puissiez-vous ne pas le recevoir pour votre condamnation! « Car celui qui mange
et boit d’une manière indigne, mange et boit son propre jugement 2 ». Ce corps
est parfait pour nous, devenons parfaits dans ce même corps.
13. « Vous avez refusé le sacrifice et les oblations;
mais vous m’avez donné un corps parfait; vous n’avez demandé pour le péché ni
holocauste, ni sacrifice; alors j’ai dit: « Me voici 3 ». Est-il besoin
d’expliquer ces paroles: « Vous avez refusé le sacrifice et l’oblation; mais
vous m’avez donné un corps parfait. Vous n’avez demandé pour le péché ni
l’holocauste, ni le sacrifice », qu’il demandait autrefois. « Alors j’ai dit:
Me voici ».
Il est temps que vienne la promesse, puisque
les signes de la promesse vont disparaître. En
effet, unes frères, voyez les uns abolis,
l’autre accomplie. Que la nation juive me montre
1. Le saint Docteur désigne un les
Catéchumènes, qui se connaissaient pas l’Eucharistie. — 2. I Cor. XI, 29. — 3.
Ps. XXXIX, 7, 8.
aujourd’hui un prêtre. Où sont leurs
sacrifices? Ils ont disparu, il n’en est plus rien. Les aurions-nous réprouvés
alors? Nous les réprouvons aujourd’hui, parce que l’heure en est passée; ils
sont hors de propos, hors de convenance. Tu me les promets encore, et je tiens
déjà la promesse. Ils ont encore quelques observances dans leurs fêtes, afin de
n’être point sans aucun signe. Caïn lui-même, cet aîné, assassin de son plus
jeune frère, eut un signe pour empêcher qu’on ne le tuât, ainsi qu’il est écrit
dans la Genèse: « Le Seigneur mit une figure sur Caïn afin que nul n’osât le
tuer 1 ». De là vient la durée de la nation juive. Toutes les nations soumises
à la domination romaine se sont fondues dans le droit romain, en ont accepté
les pratiques superstitieuses; puis est venue la grâce de Notre Seigneur Jésus-Christ
qui les en a séparées. Mais la nation juive est demeurée avec son signe, le
signe de la circoncision, le signe des azymes; nul n’a tué Caïn, nul ne l’a
tué, il a toujours sa marque. Il est maudit sur la terre qui a ouvert sa bouche
pour recevoir de sa main le sang d’Abel. Car il a répandu le sang et ne l’a
point recueilli; il l’a répandu, une autre terre l’a reçu; et il est maudit sur
cette terre qui a ouvert sa bouche et recueilli ce sang précieux: et cette
terre qui l’a recueilli, c’est l’Eglise. C’est donc d’elle qu’il est rejeté. Et
ce sang crie de la terre vers moi. C’est de cette terre que le Seigneur a dit:
« La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu’à moi 2 ». Il crie, dit
le Seigneur, de la terre vers moi. Il crie vers le Seigneur, et celui qui l’a
répandu est sourd, parce qu’il ne l’a point bu. Les Juifs sont donc maintenant
comme Caïn, avec un signe. Les sacrifices que l’on offrait chez eux ont
disparu; et ce qui leur en est resté, pour servir de signe comme à Caïn, est
accompli sans qu’ils le sachent. Ils immolent l’agneau, ils mangent des pains
azymes: « Car Jésus-Christ, notre agneau pascal, a été immolé pour nous». Je
reconnais donc en lui cet Agneau qui a été tué; où sont les azymes? « C’est
pourquoi », continue saint Paul, « célébrons notre solennité, non dans le vieux
levain ni dans le ferment de la malice et de l’iniquité »: (il montre par là ce
qu’est le vieux levain, une pâte vieillie et aigrie), « mais avec les azymes de
la sincérité et de la vérité 3 » Ils sont
1.
Gen. IV, 15.— 2. Id. 10. — 3. I Cor. V, 7.
demeurés dans l’ombre sans pouvoir envisager
le soleil de justice; mais nous qui sommes dans la lumière, nous recueillons le
sang du Christ. Si nous avons une vie nouvelle, chantons un cantique nouveau,
une hymne à notre Dieu. « Vous n’avez pas voulu d’holocauste pour le péché;
alors j’ai dit: Me voici».
14. « Il est écrit de moi à la tête de votre
livre que j’accomplirai votre volonté; je l’ai voulu, ô mon Dieu, et votre loi
est gravée au fond de mon cœur 1 ». Le voici qui revient à ses membres, et
lui-même fait la volonté de son Père. Mais au commencement de quel livre est-il
écrit de lui? Peut-être au commencement de ce livre des Psaumes. A quoi bon
chercher plus loin et feuilleter d’autres livres? Voilà qu’à la tête du livre
des Psaumes nous lisons: «
Bienheureux l’homme qui n’est point allé dans
le conseil des méchants, qui ne s’est pas arrêté dans la voie des pécheurs, qui
ne s’est point assis dans la chaire de pestilence, mais qui n’a d’autre loi que
la volonté du Seigneur »; ce qui revient à dire: « Je l’ai voulu, ô mon Dieu,
votre loi est gravée dans le fond de mon coeur »; ou bien: « Et qui jour et
nuit médite sa loi 2 ».
15. « J’ai annoncé votre justice dans une
grande assemblée 3 ». Il parle ici aux membres, il les engage à faire ce qu’il
a fait. Il a prêché, prêchons aussi; il a souffert, souffrons avec lui; il a
été glorifié, nous serons glorifiés avec lui. « J’ai prêché votre justice dans
une grande assemblée ». Jusqu’où s’étend cette assemblée? Dans l’univers
entier. Que renferme-t-elle? Toutes les nations. Pourquoi toutes les nations?
Parce que c’est la postérité d’Abraham, dans laquelle tous les peuples doivent
être bénis 4. Pourquoi encore toutes les nations? « Parce que leur voix s’est
répandue par toute la terre 5 ». « Dans une grande assemblée. « Voilà que je ne
retiendrai point mes lèvres, Seigneur, vous le savez ». Mes lèvres parlent, et
je ne les empêcherai pas de parler. Le sen de mes lèvres arrive aux oreilles
des hommes, mais vous connaissez mon coeur. «Je n’empêcherai donc point mes
lèvres, Seigneur, vous le savez ». Autre est ce qu’entend l’homme, et autre ce
que connaît le Seigneur. Ainsi
1.
Ps. XXXIX, 8-10. — 2. Id. I, 1,2.— 3. Id. XXXIX, l0. — 4. Gen. XII, 3; XXI, 18.
— 5. Ps.
XVIII, 5.
donc, parlez des lèvres, mais soyez près de
Dieu par le coeur, afin que nous ne prêchions pas seulement des lèvres, et
qu’on ne dise point de nous: « Faites ce qu’ils vous disent et non pas ce
qu’ils font 1 »; ou que l’on ne dise pas de ce peuple, dont la bouche loue
Seigneur, tandis que le coeur en est loin: « Ce peuple me loue des lèvres, mais
leur coeur est loin de moi 2. Car c’est la croyance du coeur qui nous conduit à
la justice, et la confession des lèvres qui nous mène au salut 3 ». C’est ce
que fit le larron, crucifié avec Seigneur, et qui, à la croix même, le reconnut
pour le Seigneur. D’autres ne le reconnurent point aux miracles qu’il faisait,
lui le reconnut à la croix. Il était cloué à la croix par tous ses membres; ses
mains y étaient clouées, ses pieds étaient transpercés, son corps était collé
au bois; les autres membres de ce corps n’étaient point libres; il ne restait
que la langue et le coeur; il crut du coeur et il confessa de la langue. «
Souvenez-vous de moi», dit-il, « Seigneur, quand vous serez dans votre royaume
». Il croyait son salut bien éloigné encore; il eût été heureux de l’obtenir,
même après un temps bien long; il espérait pour l’avenir, et il n’attend pas un
jour. «Souvenez-vous de moi », dit-il, « quand vous serez dans votre royaume »,
et Jésus répond: « En vérité, je vous le dis, aujourd’hui vous serez avec moi
dans le paradis 4 ».Or, le paradis a des arbres de bonheur: aujourd’hui avec
moi sur l’arbre de la croix, aujourd’hui avec moi sur l’arbre du salut.
5. « Voilà que je ne fermerai point mes
lèvres, Seigneur, vous le savez », de peur qu’il ne croie dans son coeur, et
que la crainte ne ferme ses lèvres à la confession de sa foi. Il y a des
chrétiens, en effet, qui ont la foi dans le coeur; mais au milieu des païens
aux paroles amères, qui n’ont qu’une feinte politesse, qui ont l’âme corrompue,
qui sont sans foi, badins, railleurs, pour peu qu’on leur fasse un crime d’être
chrétiens, ils n’osent confesser des lèvres la foi qu’ils ont dans le coeur,
ils interdisent à ces lèvres de dire au dehors ce qu’ils savent, ce qu’ils
croient intérieurement. Mais le Seigneur les condamne. «Celui», dit-il, « qui
aura rougi de moi devant les hommes, je rougirai de lui devant mon Père 5 »,
c’est-à-dire, je ne
1. Ps. XXIII, 3. — 2. Isa. XXIX, 13. — 3.
Rom. X, 10. — 4. Luc, XXIII, 42, 43. — 5. Marc, VII, 38.
le connaîtrai point: parce qu’il a rougi de
me confesser en présence des hommes, à mon tour, je le désavouerai devant mon
Père. Que les lèvres parlent donc selon le coeur; c’est un avis contre la
crainte. Que le coeur ait en lui ce que disent les lèvres; c’est un conseil
contre le déguisement. Souvent la crainte empêche de dire ce que l’on sait, ce
que l’on croit; souvent la dissimulation nous fait dire ce que nous n’avons pas
dans le coeur. Que les lèvres et le coeur soient d’accord. En demandant la paix
à Dieu, sois en paix avec toi-même; qu’il n’y ait aucun désaccord entre le
coeur et les lèvres. « Je ne tiendrai point mes lèvres fermées, Seigneur, vous
le savez ». Comment Dieu le sait-il? Et que sait-il? Il voit dans le coeur où
l’homme ne voit point. Aussi le Prophète a-t-il dit: « J’ai cru ». Le voilà
donc qui possède un coeur; il a ce que Dieu veut voir; et alors qu’il ne
retienne point ses lèvres. Mais il ne les ferme point. Que dit-il en effet? «
C’est pour cela que j’ai parlé 1». Et comme il a dit ce qu’il croyait, il
cherche ce qu’il rendra au Seigneur pour le bien que le Seigneur lui a fait, et
il ajoute « Je prendrai le calice du salut, et j’invoquerai le nom du Seigneur
2». Il n’a pas craint cette parole du Seigneur: « Pouvez-vous boire le calice
que je boirai moi-même 3? » Il confesse de bouche ce qu’il a dans son coeur, et
il en arrive aux souffrances. Mais dans ses souffrances, en quoi lui nuit son
ennemi? « Car la mort des justes est précieuse devant la face du Seigneur 4 ».
Ces morts auxquelles aboutissait la fureur des païens nous consolent
aujourd’hui. Nous célébrons la fête des martyrs, nous les prenons pour modèles,
nous considérons leur foi, comment ils furent découverts, comment emmenés,
quelle fut leur contenance devant les juges. Ils n’avaient dans l’Eglise de
Dieu aucune hypocrisie, et unis par les liens de la charité, ils confessèrent
le Christ; membres qu’ils étaient, ils ont désiré suivre leur chef. Mais
qu’étaient-ils pour avoir ce désir? Ils étaient patients dans les douleurs,
fidèles dans leur confession, véridiques dans leurs paroles. Ils lançaient à la
face de leurs interrogateurs, les flèches de Dieu, et leurs blessures
enflammaient la colère; ils firent à plusieurs les blessures du salut. Voilà ce
que nous nous
1. Ps. CXV, 10. — 2. Id. CXV, 13. — 3. Matt.
XX, 22. — 4. Ps. CXV, 15.
représentons, ce que nous voyons, ce que nous
désirons imiter. Voilà les spectacles des chrétiens, que Dieu contemple du haut
du ciel; c’est à cela qu’il nous exhorte, pour cela qu’il nous soutient; c’est
à ces luttes qu’il promet et décerne des récompenses. « Je ne tiendrai point
mes lèvres fermées ». Garde-toi de craindre et de tenir tes lèvres fermées. «
Seigneur, vous le savez »; mon coeur ressent ce que disent mes lèvres.
17. « Je n’ai point recélé ma justice dans «
mon cœur 1 ». Qu’est-ce à dire: « Ma justice? » Ma foi, parce que « le juste
vit de la foi 2 ». Ainsi un persécuteur demande, comme il en avait jadis le
pouvoir: Qui es-tu? es-tu païen ou chrétien? Chrétien, répond l’interrogé.
Voilà sa justice: il a cru et il vit de la foi. Il n’a pas enfoui sa justice
dans son coeur. Il n’a point dit en son âme: Je crois au Christ, à la vérité;
mais à ce persécuteur furieux et menaçant, je ne dirai point que je crois; mon
Dieu voit bien ma foi dans mon coeur; il sait que je ne le renonce point. Voilà
ce qui est dans ton coeur, j’y consens; mais sur tes lèvres? Je ne suis pas
chrétien? Alors le témoignage de tes lèvres est contraire à celui de ton coeur.
« Je n’ai point caché ma u justice dans mon cœur ».
18. « J’ai proclamé votre vérité et votre
salut ». J’ai chanté votre Christ, qui est « votre vérité comme votre salut o.
D’où vient que le Christ est la Vérité? « Je suis la Vérité», a-t-il dit 3. De
quelle manière est-il pour lui le salut? Siméon, dans le temple, reconnut le
saint Enfant dans les bras de sa Mère, et s’écria: « Mes yeux ont vu votre
salut 4 ». Le vieillard reconnut l’Enfant, il redevint enfant dans l’Enfant
divin, et se renouvela par sa foi. Il avait reçu une réponse du ciel, et il
parla de la sorte; le Seigneur lui avait promis qu’il ne sortirait point de
cette vie sans avoir vu le salut de Dieu. Il est bon que Dieu fasse connaître
ainsi le Sauveur aux hommes; mais qu’ils s’écrient: « Montrez-nous, Seigneur,
votre miséricorde, et donnez-nous votre Sauveur 5», ce Sauveur de Dieu dans
toutes les nations. Car, après avoir dit en un endroit: « Que le Seigneur nous
prenne en pitié, nous bénisse et projette sur nous la lumière de sa face, afin
que sur la terre nous connaissions votre voie 6 »; il ajoute aussitôt: « Et
1.
Ps. XXXIX, 11. — 2. Habac. II, 4; Rom. 1,17. — 3. Jean, XIV, 6. — 4. Luc, II,
30. — 5. Ps. LXXXIV, 8. — 9. Id. LXVI, 2.
« que les nations connaissent votre salut ».
Il dit d’abord: « Afin que sur la terre nous connaissions votre voie »; et
ensuite: « Que les nations connaissent votre salut». Comme si on lui disait:
Quelle est cette voie que tu veux connaître? Les hommes cherchent après la
voie; est-ce la voie qui vient aux hommes? Eh bien ! c’est votre voie qui est
venue vers les hommes, qui les a trouvés dans l’égarement, et qui a invité à
marcher en elle ceux qui étaient en dehors. Marchez en moi, a-t-elle dit, et
vous ne vous égarerez pas: « Je suis la voie, la vérité et la vie 1 ». Ne dis
donc plus: Où est la voie de Dieu? en quelle contrée dois-je aller? quelle
montagne me faut-il gravir? quelles campagnes explorer? Cherches-tu la voie de
Dieu? Le salut de Dieu est lui-même la voie de Dieu, et il se trouve partout, parce
que le salut du Seigneur est dans toutes les nations. « J’ai proclamé votre
vérité et votre salut».
19. « Je n’ai point caché votre clémence ni
votre vérité au milieu d’un grand peuple 2 ». Soyons donc ce peuple, faisons
partie de ce grand corps; ne cachons ni la miséricorde, ni la justice de Dieu.
Veux-tu entendre la miséricorde du Seigneur? Retire-toi de tes péchés, et il te
pardonnera tes péchés. Veux-tu connaître la vérité du Seigneur? Pratique la
justice, et ta justice sera couronnée. On te prêche aujourd’hui sa miséricorde,
pour te montrer ensuite sa vérité. Car Dieu n’est pas miséricordieux jusqu’à
être injuste, ni juste au point de manquer de miséricorde. Est-ce peu de
miséricorde pour toi que d’oublier tes actes jusqu’à présent? Tu as vécu dans
le désordre jusqu’aujourd’hui, tu y vis encore; commence aujourd’hui à bien
vivre, et tu n’échapperas pas à cette clémence. Si telle est la miséricorde,
quelle est la vérité? Toutes les nations seront rassemblées devant lui, et ce
pasteur séparera les brebis d’avec les boucs pour mettre les brebis à la droite
et les boucs à la gauche. Que dira-t-il aux brebis? « Venez les bénis de mon
Père, recevez le royaume qui vous a été préparé ». Et aux boucs? « Allez au feu
éternel 3 ». C’est là qu’il n’y aura plus de pénitence. Après avoir méprisé la
bonté de Dieu, tu en sentiras la justice; mais si tu n’as point méprisé sa
bonté, sa vérité te remplira de joie.
20. « Pour vous, Seigneur, n’éloignez pas
1. Jean, XIV, 6.— 2. Ps. XXXIX, 11.— 3. Matt.
XXV, 32, 33, 41.
de moi vos miséricordes 1 ». Le Christ
envisage ses membres malades. Parce que je n’ai point caché votre miséricorde
ni votre vérité au milieu d’un grand peuple, de cette Eglise qui est une dans
toute la terre; arrêtez vos regards sur les membres malades, sur les coupables,
sur les pécheurs, et ne détournez point d’eux vos miséricordes. « Votre amour
et votre vérité veillent toujours sur moi ». Je n’oserais revenir à vous si je
n’étais assuré votre pardon; et je ne pourrais persévérer je n’étais sûr de vos
promesses. « Votre amour et votre vérité veillent toujours sur moi ». Je
considère que vous êtes bon, je sais que vous êtes juste; j’aime le Dieu bon,
je crains le Dieu juste. L’amour et la crainte dirigent, parce que « votre
miséricorde et votre vérité veillent toujours sur moi ». Pourquoi ont-elles
cette vigilance et ne dois-je point les perdre de vue? « Parce que je suis
environné de maux sans nombre 2 ». Qui peut énumérer les péchés? qui peut
compter ses propres fautes et celles des autres? Leur poids faisait gémir celui
qui a dit: « Purifiez-moi, Seigneur, de mes fautes cachées, et n’imputez pas à
votre serviteur celles des autres 3 ». Comme si c’était peu de nos propres
fautes, nous sommes chargés de celles autres; je crains pour moi; je crains
pour mon frère qui est bon; je tolère celui qui est méchant; et sous un tel
fardeau, que deviendrons-nous, si la divine miséricorde ne nous soutient? «
Mais vous, Seigneur, ne vous éloignez pas de moi ». Demeurez près de moi. De
qui le Seigneur s’approche-t-il? De ceux qui ont le coeur brisé 4. Il s’éloigne
des orgueilleux, s’approche des humbles. Car, du haut de son trône, le Seigneur
regarde les humbles 5. Mais que l’orgueilleux ne croie pas échapper à ses yeux;
car « il voit de loin ce qui est élevé ». Il voyait de loin le Pharisien qui se
vantait, et il aidait de tout près le publicain qui avouait ses fautes 6. L’un
vantait ses mérites et cachait ses blessures; l’autre, sans parler de ses
mérites, exposait ses plaies. Il se présentait au médecin, car il se savait
malade; il savait qu’il avait besoin de guérison; il osait lever les yeux vers
le ciel et se frappait poitrine; il ne se pardonnait point à lui-même, afin que
Dieu lui pardonnât; il voyait ses fautes, afin que Dieu ne les vît plus; il
1.
Ps. XXXIX, 12. — 2. Id. XXXIX, 12.— 3. Id. XVIII,
13, 14. — 4. Id. XXXIII, 19.— 5. Id. CXXXVII, 6.— 6. Luc, XVIII, 11.
se châtiait, afin que Dieu l’épargnât. Ainsi
parle l’auteur sacré; écoutons pieusement ses paroles, aimons-les pieusement,
et répétons-les du coeur, de la langue et de tout ce que nous avons de plus
intime. Que nul ne se croie juste; celui qui parle est vivant; il vit, et
plaise à Dieu qu’il vive. Il vit encore ici; il vit, mais avec la mort; et si
l’esprit est vivant à cause de la justice, le corps est mort à cause du péché
1. « Et le corps qui se corrompt, appesantit l’âme, et cette habitation
terrestre abat l’esprit capable des plus hautes pensées 2 ». A toi donc de
crier, à toi de gémir, à toi d’avouer ta misère, mais non de t’élever, de te
vanter, de te glorifier de tes mérites; car si tu as quelque chose dont tu
puisses te réjouir, qu’as-tu que tu n’aies pas reçu 3? « Je suis environné de
maux sans nombre ».
21. « Mes iniquités m’ont investi, et je n’ai
pu en soutenir la vue 4 ». Il y a quelque chose que nous devons voir; qui donc
nous empêche de le voir? N’est-ce point le péché? Pour nous empêcher de voir la
lumière, il ne faut, dans notre oeil, qu’une humeur, qu’un peu de poussière,
qu’une fumée, un rien qui y pénètre; et cet oeil malade ne peut supporter la
lumière; comment élever à Dieu un coeur malade? Ne faut-il pas le guérir, afin
que tu voies? N’est-ce pas orgueil de ta part de dire Je verrai et ensuite je
croirai? Qui parle de la sorte? Quel est celui qui veut voir et qui dit: Je
verrai d’abord, puis je croirai?Je veux montrer la lumière, ou plutôt la
lumière se veut montrer à moi. A qui? Elle ne peut se montrer à un aveugle, qui
ne la voit point. Pourquoi ne la voit-il point? Son oeil est chargé de péchés
nombreux. Que dit-il, en effet? « Mes iniquités m’ont investi, et il m’a été
impossible de voir ». Il faut donc éloigner les iniquités, remettre les péchés,
soulager l’oeil de son poids, guérir ce qui est malade et appliquer le précepte
comme un cuisant collyre. Fais d’abord ce qui t’est commandé; guéris ton coeur,
purifie-le, aime ton ennemi 5. Et qui aime son ennemi? C’est toutefois l’ordre
du médecin: il est amer, mais efficace. Que puis-je te faire? dit-il. Telle est
ta maladie, que tu seras guéri par là. Il dit même plus Quand tu seras guéri,
mon ordonnance ne sera plus difficile; c’est avec plaisir que tu
1.
Rom. VIII, 10. — 2. Sag. IX, 15. — 3. I Cor. IV, 7. — 4. Ps. XXXIX, 13. —
5. Matt. V, 44.
aimeras ton ennemi; tâche de te guérir. Dans les
tribulations, dans les angoisses, dans les tentations, sois fort, sois
constant; c’est la main d’un médecin et non d’un larron. Mais, dit le pécheur,
après avoir accompli les préceptes, en commençant par la foi; après avoir
purifié mon coeur selon vos conseils, que verrai-je, une fois que mon coeur
sera guéri, purifié? » Bienheureux ceux dont le coeur est « pur, parce qu’ils
verront Dieu 1 ». Pour cela, répond-il, je ne le puis aujourd’hui, puisque « je
ne puis voir à cause des iniquités qui m’ont investi ».
22. « Elles sont plus nombreuses que les
cheveux de ma tête 2 ». Il prend les cheveux de sa tête pour exprimer un grand
nombre. Qui peut compter les cheveux de sa tête? Encore moins ses péchés, plus
nombreux que ses cheveux. Ils paraissent petits, mais le nombre en est grand.
Tu as évité les plus graves, tu ne commets point l’adultère, tu t’abstiens de
l’homicide, tu ne ravis pas le bien d’autrui, tu ne profères ni blasphème, ni
faux témoignage: ce sont là les montagnes du péché. Tu as donc évité les plus
graves, mais que fais-tu des moindres? Ces moindres, ne les crains-tu pas? Tu
as jeté la montagne loin de toi, prends garde que le sable ne t’ensevelisse. «
Mes iniquités sont plus nombreuses que les cheveux de ma tête 3 ».
23. « Et mon coeur a défailli ». Faut-il
s’étonner que ton coeur soit éloigné de Dieu, quand il s’abandonne lui-même?
Qu’est-ce à dire: Mon coeur a défailli? C’est-à-dire, mon coeur ne peut point
se connaître lui-même. Voilà ce que signifie: « Mon coeur a défailli ». C’est
par le coeur que je veux voir le Seigneur, et je ne le puis, à cause du grand
nombre de mes péchés. C’est peu encore: mon coeur ne peut même se comprendre.
Non, mon coeur ne se comprend point, que nul ne le croie. Est-ce que Pierre se
connaissait dans son propre coeur, quand il disait: « Je serai avec vous
jusqu’à la mort 3? » Il avait dans le coeur une fausse présomption, il y
cachait une véritable crainte: et son coeur ne pouvait comprendre son coeur.
Son coeur ne se croyait point malade, mais le médecin le voyait. Ce qui lui fut
alors prédit s’accomplit. Dieu voyait en lui ce que lui-même n’y voyait point;
c’est que son coeur l’avait abandonné, c’est
1. Matt. V, 8. — 2. Ps. XXXIX, 13. — 3. Matt.
XXVI, 35.
que son coeur était caché à son coeur même. «
Et mon coeur a défailli ». Mais quoi ! quels doivent être nos cris? nos
paroles? « Qu’il vous plaise, Seigneur, de me délivrer 1 ». Comme s’il disait:
« Seigneur, si vous voulez, vous pouvez me guérir 2. Qu’il vous plaise,
Seigneur, de me délivrer, soyez attentif à me secourir ». Ce langage est celui
des membres pénitents, des membres qui souffrent, des membres qui crient sous
le fer des médecins, mais qui espèrent. « Seigneur, soyez attentif à me
secourir ».
24. « Qu’ils soient confondus et couverts de
honte, ceux qui cherchent mon âme pour me la ravir 3 ». Dans un autre endroit
il se plaint en disant: « Je regardais à droite, et je voyais, et nul ne
cherchait mon âme 4 »; c’est-à-dire, nul ne cherchait à m’imiter. C’est le
langage du Christ dans sa Passion: Je regardais à ma droite, non pas du côté
des Juifs impies, mais à ma droite, du côté des Apôtres eux-mêmes. « Et nul ne
recherchait mon âme». Ils étaient si loin de rechercher mon âme, que le plus
présomptueux renia mon âme 5. Mais comme on peut rechercher un homme, ou pour
jouir de son amitié, ou pour le persécuter, le Christ veut ici couvrir de honte
et flétrir certains autres qui recherchent son âme. Et pour qu’on n’attribue
pas ses paroles le même sens qu’à sa plainte, qu’on ne recherche point son âme,
il ajoute: « Afin de la ravir »; c’est-à-dire, ils cherchent mon âme avec des
desseins de mort: qu’ils soient donc, poursuit-il, confondus et flétris.
Beaucoup en effet ont cherché son âme, et n’ont trouvé que la honte et la
confusion; ils ont cherché son âme, et dans leur intention ils la lui ont ôtée;
mais il avait le pouvoir de la donner et le pouvoir de la reprendre 6. Ils
tressaillirent donc lorsqu’il la donna, et furent dans la confusion quand il la
reprit. « Qu’ils soient dans la honte et dans la confusion, ceux qui cherchent
mon âme pour me la ravir ».
25. « Qu’ils reculent en arrière, chargés
d’ignominie, ceux qui me veulent du mal 7 ». Ne prenons pas en mauvaise part
ces paroles: « Qu’ils reculent en arrière ». C’est un bien qu’il leur souhaite;
c’est la parole de celui qui dit sur la croix: « Mon Père, pardonnez-leur, car
ils ne savent ce qu’ils
1.
Ps. XXXIX, 14..— 2. Matt. VIII, 2. — 3. Ps. XXXIX, 15. — 4. Id. CXLI. — 5. Matt. XXVI, 70. — 6.
Jean, X, 18. — 7. Ps. XXXIX, 15.
font 1 ». Pourquoi donc leur dit-il de
retourner en arrière? C’est que ceux qui auparavant étaient orgueilleux, et
tombèrent à la renverse, devinrent humbles et se relevèrent. Quand ils prennent
le devant, ils veulent précéder le Seigneur, être plus parfaits que le
Seigneur; mais demeurer en arrière, c’est reconnaître qu’il est plus parfait,
qu’il doit marcher devant, et eux venir après, qu’il doit les guider et eux le
suivre. Aussi reprit-il Pierre qui lui donnait un conseil peu sage. Le Seigneur
allait souffrir pour notre salut, il annonçait à ses disciples ce qui allait
arriver dans sa Passion; et Pierre lui dit: « Non point, Seigneur, veillez sur
vous, il ne vous arrivera rien de tel ». Le voilà qui veut marcher devant le
Seigneur, donner des conseils au Maître. Or, pour lui rappeler qu’il ne doit
point précéder, mais suivre: « Arrière, Satan», lui dit le Seigneur. Tu es
Satan, dit-il, parce que tu veux marcher devant celui qu’il te faut suivre:
mais si tu marches arrière, et que tu me suives, tu ne seras plus Satan. Que
sera-t-il donc? « Sur cette terre j’établirai mon Eglise ».
26. « Qu’ils reculent en arrière chargés
d’ignominie, ceux qui me veulent du mal». Il y a des esprits méchants, qui
maudissent leurs coeurs autant qu’ils paraissent bénir. Vous dites à l’un:
Es-tu chrétien? Sois chrétien à ton tour, répond-il. Cette parole est bonne, et
Dieu ne leur en tiendra pas compte, mais du sens qu’il y ajoute; comme il tint
compte aux Juifs du souhait qu’ils firent à l’aveugle-né quand il fut guéri:
accablé de leurs questions arrogantes, « Voulez-vous », dit-il, « devenir aussi
ses disciples? » « Les Juifs alors le chargèrent de malédictions», dit
l’Evangéliste, « ils le maudirent en disant: Pour toi, sois son disciple 2 ».
Comme ils le maudissaient, le Seigneur le bénit. Il fit ce qu’avaient dit les
Juifs, et rendit à ceux-ci leurs malédictions. « Qu’ils reculent en arrière,
couverts d’ignominie, ceux qui me veulent du mal ». Quelques-uns, sans être
bons, nous souhaitent du bien; il faut s’en défier. De même en effet que les
premiers, en voulant nous maudire, nous souhaitent pourtant du bien, quoique
dans une intention mauvaise; ainsi d’autres, avec bonne intention, nous
souhaitent ce qui un mal. Voici: tel qui te dit: Sois chrétien,
1. Luc, XXIII, 34. — 2. Jean, IX, 21, 28.
te dit du bien, mais avec mauvaise intention;
mais que l’on vienne te dire: Nul n’est meilleur que toi, et que l’on
t’applaudisse de la sorte dans ta vie criminelle, car le pécheur est loué dans
les désirs de son âme, et l’on applaudit à celui qui fait le mal 1; on t’applaudit
pour ton malheur: de même que le premier te maudissait pour ton bonheur, le
second te bénit pour ton malheur. Mais fuis, mais évite chacun de ces deux
ennemis. L’un sévit, l’autre caresse: ni l’un ni l’autre ne sont bons; l’un a
recours à la colère, l’autre est fourbe dans ses éloges. Evite l’un et l’autre,
et prie pour l’un et pour l’autre. Car celui qui faisait cette prière: « Qu’ils
retournent sur leurs pas, couverts d’ignominie, ceux qui me veulent du mal »,
celui-là jette les yeux sur une autre catégorie de fourbes et de méchants, qui
nous bénit pour nous perdre: « Que ceux-là soient chargés de leur propre honte,
qui me disent: Courage ! courage ! » Ils donnent de fausses louanges: c’est un
grand homme, un homme de bien, un lettré, un savant; pourquoi est-il chrétien?
Ils applaudissent en vous ce que vous ne voudriez pas qu’on louât; ils blâment
ce qui fait votre joie. Mais dis-leur seulement: Pourquoi donc, ô homme, louer
en moi la bonté, la justice? Si vous me croyez tel, bénissez Jésus-Christ qui
m’a fait ainsi. Mais lui: Non pas, ne va point te calomnier toi-même, c’est toi
qui t’es fait ce que tu es. « Qu’ils soient couverts de confusion ceux qui me
disent: Courage! courage ! » Qu’est-il dit ensuite? « Qu’ils tressaillent,
qu’ils soient dans la joie, Seigneur, ceux qui vous cherchent 2! » Ce n’est pas
moi, c’est bien vous qu’ils cherchent: Ce n’est point à moi qu’ils disent:
Courage ! courage ! mais ils voient que si j’ai quelque sujet de m’applaudir,
c’est en vous que je me glorifie: « Que celui, en effet, qui se glorifie, se
glorifie dans le Seigneur 3. Qu’ils tressaillent, qu’ils soient dans la joie,
ceux qui vous cherchent, et qu’ils disent toujours: Que le Seigneur soit
glorifié ». Quand le pécheur devient juste, bénis celui qui justifie l’impie 4;
s’il reste dans son péché, bénis encore celui qui l’appelle au pardon; s’il
s’élance dans la carrière de la justice, bénissons aussi celui qui l’appelle à
la récompense. « Que le Seigneur
1. Ps. X,3. — 2. Id. XXXIX, 17.— 3. I Cor. I,
31.— 4. Rom. IV, 5.
reçoive toujours les bénédictions de celui «
qui aime son salut ».
27. « Pour moi», à qui ils voulaient tant de
mal; « pour moi », dont ils cherchaient l’âme afin de la perdre; et, pour
parler de cette autre catégorie: « Pour moi », à qui tous criaient: Courage !
courage ! pour moi, « je suis pauvre et dans l’indigence ». Il n’y a rien en
moi que l’on puisse louer. Que Dieu déchire mon sac, et me couvre du vêtement
de sa gloire. « Je vis, non pas moi, mais le Seigneur vit en moi 1 ». Si le
Christ vit en toi, si le bien qui est en toi vient du Christ, tout ce que tu as
est du Christ. Qu’es-tu donc par toi-même? « Je suis pauvre et dans l’indigence
». Je ne suis point riche, puisque je ne suis point superbe. II était riche
celui qui disait: « Seigneur, je vous rends grâces de ce que je ne suis point
comme les autres hommes 2 »; mais il était pauvre ce publicain qui disait: «
Seigneur, ayez pitié de moi qui suis un pécheur ». L’un rejetait le trop plein
de son âme, l’autre pleurait à la faim. « Je suis pauvre et dans l’indigence ».
Et que deviendras-tu avec ton indigence et ta pauvreté? Va mendier à la porte
du Seigneur; frappe et l’on t’ouvrira. « Je suis pauvre et dans l’indigence;
mais le Seigneur prendra soin de moi. Jette dans le Seigneur tes angoisses,
espère en lui et il fera le reste 3 ». Pourquoi te charger de toi-même? Comment
pourvoir à tes besoins? Abandonne ces soins à celui qui t’a fait. Si, même
avant que tu fusses, il a pris soin de toi, comment t’abandonnerait-il,
maintenant que tu es ce qu’il te voulait? Car déjà tu es fidèle et tu marches
dans les voies de la justice. Il t’abandonnerait, « Celui qui fait luire son
soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les
injustes 4 », alors que dans ta justice tu vis de la foi? il pourrait te
mépriser 5, te négliger, te rejeter? Loin de là, puisqu’il a soin de toi dès ce
monde; il te vient en aide, il te donne ce qui est nécessaire, écarte ce qui
est nuisible. Te donner, c’est te consoler, pour que tu demeures ferme; te
reprendre, c’est te châtier, de peur que tu ne périsses. Le Seigneur a donc
soin de toi, ne t’inquiète point. Il te porte, celui qui t’a fait; garde-toi
d’échapper à la main de ton Créateur; échapper à cette main, c’est te briser
dans ta chute.
1. Gal. II, 20.— 2. Luc, XVIII, 11, 13.— 3.
Ps. LIV, 23.— 4. Matt. V, 45. — 5. Rom. I, 17.
C’est l’effet de la bonne volonté que tu de.
meures dans les mains de ton Créateur. Dis alors: Mon Dieu l’a voulu, il me
portera, il me soutiendra. Jette-toi donc dans ses bras: ne crois pas t’y
précipiter comme dans le vide; loin de toi cette pensée. C’est lui qui a dit: «
Je remplis le ciel et la terre 1». Il ne te manquera nulle part; pour toi, ne
lui manque jamais, ne te manque pas à toi-même.
28. « C’est vous, Seigneur, qui êtes mon
soutien, mon protecteur, ne tardez point 2».
Il prie, il implore, il craint de manquer de
courage: « Ne tardez point ». Que signifie: « Ne tardez point? Si ces jours
n’eussent été abrégés, nulle chair n’eût pu être sauvée 3». Voilà ce que nous lisions
tout à l’heure à propos des jours de tribulation. Ce sont les membres de
Jésus-Christ qui invoquent le Seigneur comme s’ils ne formaient qu’un seul
homme, qu’un seul corps du Christ, répandu dans toute la terre, un seul
mendiant, un seul pauvre; car il est pauvre aussi, lui qui de riche est devenu
pauvre, selon cette parole de l’Apôtre: « Etant riche, il est devenu pauvre,
afin de vous enrichir de sa pauvreté 4». Il enrichit les vrais pauvres, il
appauvrit les faux riches. C’est ce pauvre qui crie à Dieu: « Des extrémités de
la terre, je crie vers vous, quand mon âme est dans l’ennui 4 ». Voici venir
les jours des tribulations, et des plus grandes tribulations; ils viendront,
selon le témoignage de l’Ecriture; et à mesure qu’ils approchent, les tribulations
s’accroissent. Que nul ne se promette ce que l’Evangile ne promet point. Je
vous conjure, mes frères, d’examiner si les Ecritures nous ont trompés en rien;
si elles ont fait une prédiction, et qu’il soit arrivé le contraire de ce qui
était prédit: il est de toute nécessité que tout arrive comme elles l’ont
marqué. Or, les Ecritures n’ont d’autres promesses pour cette vie, que peines,
qu’afflictions, qu’angoisses, que surcroîts de douleurs, que tentations sans
nombre. C’est à tout cela qu’il faut nous pré. parer, de peur d’être surpris et
de tomber dans le découragement. « Malheur aux femmes enceintes, aux nourrices
6 » vous venez de l’entendre. Les femmes enceintes figurent ceux qui- sont
enflés d’espoir; les nourrices, ou celles qui allaitent, marquent ceux qui
jouissent de ce qu’ils ont désiré. Une
1. Jérém. XXIII, 24. — 2. Ps. XXXIX, 18. — 3.
Matt. XXIV, 22 — 4. II Cor. VIII, 9. — Ps. LI, 3. — 6. Matt. XXIV, 19.
femme enceinte, en effet, a l’espérance d’un
fils, mais d’un fils qu’elle ne voit pas encore; celle qui allaite, embrasse le
fils qu’elle espérait. Prenons, pour plus de lumière, une comparaison: Quelle
villa magnifique a mon voisin! si elle m’appartenait! comme je la joindrais à
la mienne, et des deux n’en ferais qu’une seule! L’avarice aussi aime l’unité:
ce qu’elle aime est un bien; mais elle ne sait où il faut l’aimer. Cet homme
convoite la terre de son voisin, mais ce voisin est riche, il n’a besoin de
rien, il a des honneurs, il a même de la puissance, et il y a plus de motifs
peut-être d’appréhender sa puissance, qu’il n’y en a d’espérer sa terre: notre
avare n’espérant rien, ne conçoit pas, son âme ne ressemble pas à la femme
enceinte. Mais que le voisin soit pauvre, qu’il se trouve dans la nécessité de
vendre son bien ou qu’on puisse l’y forcer, notre avare ouvre les yeux, il
espère la villa son âme est enceinte, elle a l’espoir qu’elle pourra acquérir
et posséder la terre d’un voisin pauvre. Et lorsque ce voisin dans l’indigence,
pressé par le besoin, vient trouver son voisin riche, pour lequel peut-être il
est d’ordinaire obséquieux, pour qui il a de la déférence jusqu’à se lever à
son arrivée, le saluer en inclinant la tête; prêtez-moi, je vous en prie,
dit-il, je suis dans le besoin, un créancier me presse. Je n’ai rien sous la
main, répond le riche, qui aurait si l’autre voulait vendre. Nous savons tout
cela, nous avons eu de ces gens parmi nous; puissions-nous n’en plus avoir!
Nous ne sommes pas d’hier, nous ne sommes pas pour aujourd’hui seulement; il
est temps encore de se corriger: nous n’en sommes pas encore à cette séparation
des uns à droite, des autres à gauche 1; nous ne sommes pas encore dans les
enfers, où était c riche qui soupirait après une goutte d’eau 2: écoutons
pendant que nous sommes en vie, et corrigeons-nous. Ne désirons pas le bien des
autres, afin de ne ressembler pas aux femmes enceintes; ne les possédons point,
afin de ne point les embrasser, comme on embrasse des enfants: « Malheur aux
femmes qui seront en ces jours enceintes, ou nourrices ». Il faut changer, il
faut élever notre coeur, ne pas demeurer de coeur ici-bas. C’est une région
maudite, qu’il nous suffise
1. Matt. XXV, 33. — Luc, XVI, 22.
de la nécessité d’y demeurer de corps; ne faisons rien de ce qui n’est
pas nécessaire. Qu’à chaque jour suffise sa peine 1; et que notre coeur habite
plus haut. « Si vous êtes ressuscités avec le Christ (dit l’Apôtre aux fidèles,
qui reçoivent le corps et le sang du Seigneur) « si vous êtes ressuscités avec
le Christ, ayez du goût pour les choses du ciel, où Jésus-Christ est assis à la
droite de Dieu. Cherchez les choses d’en haut, et non les choses de la terre.
Car vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ 2 ». Ce
qui nous est promis n’apparaît pas encore; il est préparé, mais vous ne le voyez
point. Tu es gros de désirs, sois-le de ces désirs-là; que telle soit ton
espérance: et alors tu aboutiras à un enfantement certain, non plus à un
avortement, ni à rien d’ici-bas; tu embrasseras dans l’éternité le fruit que tu
auras mis au monde. C’est ainsi que le prophète Isaïe s’écriait: « Nous avons
conçu et nous avons enfanté un souffle de salut 3 ». Tout cela est donc dans
l’éloignement, on ne le donne point aujourd’hui, mais un jour on le donnera.
Combien Dieu nous a-t-il déjà donné? qui pourra compter ses dons d’après les
saintes Ecritures? Il y est parlé de l’Eglise, nous la voyons établie; il y est
parlé de la destruction des idoles, et nous voyons qu’elles ne sont plus; il y
est écrit que les Juifs perdront leur royaume, c’est ce que nous voyons; il y
est écrit qu’il y aura des hérétiques dans l’avenir, et nous les voyons; il y
est parlé du jour du jugement, il est parlé encore de la récompense des bons,
de la peine des méchants; et Dieu, que nous voyons fidèle en tout le reste,
pourrait-il faiblir et nous tromper en ce dernier point? « Le Seigneur prendra
soin de moi. C’est vous, ô mon Dieu, qui êtes mon soutien, mon protecteur; ô
mon Dieu, ne tardez point. Si ces jours n’eussent été abrégés, nulle chair
n’eût pu être sauvée; mais ils seront abrégés en faveur des élus ». Ces jours
seront des jours de tribulation et ne seront pas aussi longs qu’on le croit.
Ils passeront avec rapidité, et alors viendra le repos qui ne passera point,
quoiqu’on doive, ce semble, acquérir par une longue douleur un bien sans
limite.
1. Matt.VI, 34. — 2. Colos. III, 1-3. — 3.
Isa. XXVI, 18. — 4. Matt. XXIV, 22.
PSAUME 40: LE CHRIST DANS LES MARTYRS
SERMON AU PEUPLE POUR UNE FÊTE DE MARTYRS.
Les Juifs ont crucifié Jésus afin d’empêcher que
l’on crût à lui, et sa mort a répandu son nom dans toute la terre; le sang des
martyrs a multiplié les chrétiens. Le salut pour nous est de comprendre
pourquoi Jésus s’est anéanti jusqu’à mourir; celui qui le comprend ne sera
point livré à l’ennemi qui est le diable, lion quand il persécute les martyrs,
serpent quand il séduit par l’hérésie. Dieu vient à notre secours, empoisonne
nos plaisirs, nous fait aimer ce qui est aimable, et guérit notre âme qui a
péché. Nos ennemis entrent pour voir les hypocrites dans l’ Eglise, comme Judas
dans le collège apostolique; ils cherchent le mal, Dieu en tire le bien.
Accomplissement des prophéties en Jésus-Christ.
1. En ce jour où nous célébrons les saints
martyrs, pour glorifier les douleurs du Christ, chef des martyrs, qui ne s’est
point épargné lui-même en appelant ses soldats au combat, mais qui a le premier
combattu, le premier vaincu, afin d’encourager les combattants par son exemple,
de les soutenir de sa majesté, de les couronner selon ses promesses; écoutons quelques
passages de ce psaume qui regardent la passion. Nous l’avons dit souvent, et
nous ne craignons pas de répéter ce qu’il vous est bon de retenir, c’est que
Notre Seigneur Jésus-Christ parle souvent en son propre nom, c’est-à-dire en
qualité de chef, et souvent encore il parle dans la personne de ses membres,
c’est-à-dire de nous-mêmes et de sa sainte Eglise; de telle sorte néanmoins
qu’une seule personne semble parler, afin de nous faire comprendre que la tête
et les membres subsistent dans une parfaite unité, et qu’ils sont inséparables;
telle est l’union dont il est dit: « Ils seront deux dans une même chair 1 ».
Si donc nous reconnaissons qu’il n’y a pour deux qu’une même chair,
n’attribuons aux deux qu’une même voix. Commençons notre discours par ce verset
que nous avons chanté, en répondant au lecteur, bien qu’il soit tiré du milieu
du psaume: « Mes ennemis m’outragent dans leurs discours; ils s’écrient: Quand
mourra-t-il? Quand périra son nom 2? » C’est Notre Seigneur Jésus-Christ qui
parle; mais voyez si l’on ne peut pas l’entendre aussi des membres. Cela fut
dit quand Notre Seigneur vivait encore sur la terre dans une chair mortelle.
Les Juifs en effet voyaient la multitude accepter
1. Gen. II, 24; Eph. V, 31. — 2. Ps, XL, 6.
son autorité, ainsi que sa majesté et sa
divinité qui éclataient dans ses miracles; alors, stigmatisés par la parabole
de ceux qui avaient dit: « Voici l’héritier, venez, tuons-le, et l’héritage
sera pour nous 1 »; ils dirent en eux-mêmes, c’est-à-dire entre eux, ce mot fameux
du grand-prêtre Caïphe: « Vous voyez qu’il est suivi d’une grande foule, que le
monde court après lui; si nous le laissons vivre, les Romains viendront nous
exterminer, nous et notre ville. Il est bon qu’un homme meure pour le peuple,
et non que toute la nation périsse ». Or, l’Evangéliste ajoute à ces paroles
d’un homme qui ne savait ce qu’il disait: « Il ne parlait pas ainsi de
lui-même; mais, étant pontife cette année, il prophétisa que Jésus-Christ
devait mourir pour le peuple et pour la nation 2 ». Et néanmoins, à la vue du
peuple qui le suivait, ils dirent: « Quand mourra-t-il, quand périra son nom?»
c’est-à-dire, quand nous l’aurons fait mourir, son nom n’existera plus sur la
terre, et une fois mort, il ne séduira plus personne; sa mort seule fera comprendre
aux hommes qu’ils ne suivaient qu’un homme et qu’il n’ avait en lui aucune
espérance de salut; ils abandonneront son nom et il ne subsistera plus. Il est
donc mort, mais son nom n’a point péri, il s’est répandu par toute la terre; il
est mort, mais c’était le grain de froment qui doit mourir pour faire surgir
une abondante moisson 3. Lors donc que Notre Seigneur Jésus-Christ fut
glorifié, les hommes crurent en lui plus que jamais et en plus grand nombre; et
les membres entendirent le langage que le
1. Matt. XXI, 38. — 2. Jean, XI, 47-51. — 3.
Jean, XII, 25.
chef avait entendu. Le Seigneur était remonté
lins les cieux et souffrait encore en nous sur la terre, lorsque ses ennemis
dirent: « Quand mourra-t-il et quand périra son nom? » De là viennent les
persécutions que Satan souleva contre l’Eglise pour perdre le nom du Christ. Ne
croyez pas en effet, mes frères, que les païens qui sévissaient contre les
chrétiens, ne se proposaient pas d’effacer de la terre le nom du Christ. C’est
pour tuer le Christ, non plus dans le chef, mais dans les membres, que l’on
égorgea les martyrs. Or, l’effusion de ce sang précieux servit à multiplier les
membres l’Eglise, et la mort des martyrs fut ajoutée à cette semence divine. La
mort de ses justes précieuse devant le Seigneur 1. Les chrétiens allèrent donc
chaque jour se multipliant, et ce souhait de leurs ennemis. « Quand
mourra-t-il, quand périra son nom? » ne fut pas accompli. On le fait encore
aujourd’hui. On voit les païens se réunir, compter les années, prêter l’oreille
au dire de certains fanatiques: Un jour viendra qu’il n’y aura plus de
chrétiens 2; le culte de nos idoles sera rétabli comme auparavant. Ils disent
encore: « Quand mourra-t-il, quand périra son nom? » Deux fois vaincus, soyez
donc sages pour la troisième: le Christ est mort, et son nom n’a point disparu;
les martyrs sont morts, et l’Eglise s’en accroît davantage, et le nom du Christ
se répand dans toutes les nations; lui qui a prédit sa mort et sa résurrection,
qui a prédit la mort et le couronnement des martyrs, a prédit aussi ce qui doit
arriver à son Eglise. S’il a dit vrai deux fois, aura-t-il menti la troisième?
Vous n’avez donc contre lui qu’une fausse opinion; mieux vaudrait pour vous
croire en lui, « afin de comprendre sa pauvreté, son indigence 3; car de riche
qu’il était, il s’est fait pauvre, afin que vous fussiez enrichis de sa
pauvreté 4 », dit saint Paul. Cette pauvreté est pour lui une cause de mépris,
et l’on dit: C’était un
1. Ps. CXV, 15. — 2. Saint Augustin nous dit,
dans la Cité de Dieu (liv. XVIII,
chap. XXXV), que les païens voyant que des persécutions et si nombreuses
n’avaient pu mettre fin à la religion chrétienne, mais qu’elle y puisait même
une force merveilleuse d’accroissement, inventèrent je ne sais quels vers
grecs, formant la réponse des oracles à une consultation, et qui attribuent à
saint Pierre d’avoir usé de maléfices pour faire adorer le Christ pendant 365
ans après lesquels ce culte devait immédiatement disparaître. Mais si l’on part
de la première prédication de saint Pierre à la Pentecôte, ce nombre d’années
doit échoir à la 399e du Christ; et ce culte est si loin de disparaître, qu’il
renverse au contraire ce qui des temples des Dieux, qu’il brise les idoles, et
règne glorieusement. (Cité de Dieu,
liv. XVIII, chap. LIV.) — 3. Ps. XL, 10. — II Cor. VIII, 9.
homme. Que pouvait-il être? Il est mort, il a
été crucifié: vous rendez un culte à un homme, vous mettez votre espoir dans un
homme, vous adorez un mort. Erreur. Comprends donc, ô mon frère, ce pauvre, cet
indigent, afin que sa pauvreté t’enrichisse. Comprends-tu le pauvre et
l’indigent? Sais-tu bien que c’est le Christ lui-même qui est ce pauvre, cet
indigent d’un autre psaume: « Pour moi, je suis pauvre, je suis indigent, mais
le Seigneur a pris soin de moi 1? » Qu’est-ce que comprendre le pauvre et
l’indigent? C’est comprendre « qu’il s’est anéanti, prenant la forme d’un
esclave, se rendant semblable aux autres hommes, reconnu homme par ses dehors
»; lui qui était riche devant son Père, pauvre à nos yeux; riche dans le ciel,
pauvre sur la terre; riche parce qu’il était Dieu, pauvre parce qu’il était
homme. Ton trouble viendrait-il de ce que tu vois un homme, tu vois une chair,
tu envisages sa mort, tu persifles sa croix? C’est là ton trouble? Comprends
donc ce pauvre, cet indigent. Qu’est-ce à dire? Comprends que, dans cette
infirmité que tu vois, il y a une divinité cachée; qu’il est riche, parce qu’il
l’est de lui-même; qu’il est pauvre, parce que tu l’étais. Sa pauvreté
néanmoins fait notre richesse, comme son infirmité fait notre force, comme sa
folie fait notre sagesse, comme sa nature mortelle fait notre immortalité 2.
Considère quel est ce pauvre, n’en juge point par la pauvreté des autres. Il
est venu enrichir les pauvres, lui qui s’est fait pauvre. Ouvre donc le giron
de ta foi, et reçois-y ce pauvre pour ne pas demeurer dans ta pauvreté.
2. « Bienheureux celui qui comprend le pauvre
et l’indigent, le Seigneur le délivrera au jour mauvais 3». Ce jour mauvais
viendra; bon gré mal gré, il viendra; viendra le jour du jugement, jour mauvais
si tu n’as pas compris le pauvre et l’indigent. Car alors apparaîtra clairement
ce que tu refuses de croire aujourd’hui; mais tu ne pourras échapper à
l’évidence, toi qui ne crois pas à l’invisible. Tu es invité à croire ce que tu
ne vois pas, afin d’échapper à la confusion lorsque tu verras. Comprends donc
le pauvre et l’indigent, c’est-à-dire Jésus-Christ, comprends les richesses
cachées dans celui que tu vois pauvre. Car en lui sont cachés les trésors de la
sagesse
1. Ps. XXXIX,
18. — I Cor, I, 30. — Ps. XL, 2.
et de la science 1. Il te délivrera au jour
mauvais, parce qu’il est Dieu; parce qu’il est homme, il a ressuscité ce qu’il
y avait en lui d’humain, l’a changé, l’a amélioré, l’a élevé au ciel. Mais
cette nature divine qui a voulu ne faire en l’homme et avec l’homme qu’une
seule personne, ne pouvait ni décroître, ni croître, ni mourir, ni ressusciter.
Il est mort à cause de l’infirmité de l’homme; mais, après tout, Dieu ne
saurait mourir. Que le Verbe de Dieu ne meure pas, n’en sois pas étonné,
puisque l’âme d’un martyr ne meurt point. N’entendions-nous pas tout à l’heure
Jésus-Christ qui nous disait: « Ne craignez « point ceux qui tuent le corps et
qui ne peuvent tuer l’âme 2?» Donc, à la mort des martyrs les âmes ne sont
point mortes, et le Verbe serait mort quand le Christ expira? Le Verbe de Dieu
est bien plus que l’âme humaine, puisque celte âme de l’homme a été faite par
Dieu; et si elle est faite par Dieu, elle est faite par le Verbe, puisque tout
a été fait par lui 3. Donc le Verbe ne meurt pas, puisque l’âme faite par le
Verbe est immortelle. Mais de même que nous disons: L’homme est mort, bien que
son âme ne meure point; nous disons de même sans erreur que le Christ est mort,
bien que la divinité ne meure pas en lui. D’où vient sa mort? de sa pauvreté,
de son indigence. Que sa mort ne te blesse point, ne t’empêche point de
contempler sa divinité. « Bienheureux celui qui comprend le pauvre et
l’indigent». Jette les yeux sur les pauvres, sur les indigents, sur ceux qui
ont faim, qui ont soif, qui sont étrangers, qui sont nus, qui sont malades, qui
sont en prison; comprends bien ce pauvre, car si tu le comprends, tu
comprendras aussi celui qui a dit: « J’ai eu faim, j’ai eu soif, j’ai été nu,
étranger, malade, prisonnier 4 ». Et de la sorte, le Seigneur te délivrera au
jour mauvais.
3. Vois aussi quel sera ton bonheur. « Que le
Seigneur le conserve ». Le prophète souhaite le bonheur à l’homme qui comprend
le pauvre et l’indigent. Ce souhait est une promesse: ceux qui en agissent
ainsi peuvent attendre en toute sécurité: « Que le Seigneur le conserve et le
vivifie ». Qu’est-ce à dire, « le conserve et le vivifie? » En quel sens « le
vivifie? » Dans le sens de la vie
1. Coloss. II, 3. — 2. Matt. X, 28. — 3.
Jean, I, 3. — 4. Matt. XXV, 15 — 5. Ps. XL, 3.
éternelle. Car on ne donne la vie qu’à celui
qui est mort. Mais un mort peut-il comprendre le pauvre et l’indigent? Le
prophète nous promet donc la vie dont parle saint Paul: « Le corps est mort à
cause du péché, mais l’esprit vit à cause de la justice; or, si celui qui a
ressuscité le Christ d’entre les morts habite en vous, il rendra aussi la vie à
vos corps mortels, à cause de l’esprit qui habite en vous 1 ». C’est là cette
vie qui est promise à celui qui comprend le pauvre et l’indigent. Mais saint
Paul a dit à Timothée, que « nous avons reçu la promesse de cette vie et de la
vie future 2 », donc, ceux qui ont l’intelligence du pauvre et de l’indigent ne
doivent pas croire que, certains d’aller au ciel, ils sont négligés sur la
terre; qu’ils n’ont à espérer que pour l’avenir et l’éternité, et que Dieu ne
prend aucun soin de ses saints et de ses fidèles en cette vie: aussi le
prophète, après nous avoir dit ce que nous devons attendre principalement: «
Que le Seigneur le conserve et le vivifie»; jette les yeux sur la vie actuelle
et s’écrie: « Qu’il le rende heureux sur la terre ». Elève donc tes regards sur
ces promesses de la foi chrétienne: Dieu ne t’abandonne pas sur la terre, et il
te fait des promesses pour le ciel. Beaucoup de mauvais chrétiens, de ces
consulteurs d’éphémérides, qui observent les temps et les jours, pressés par
les reproches qu’ils reçoivent de nous ou de chrétiens qui valent mieux qu’eux,
au sujet de ces pratiques nous répondent: Ces choses nous servent pour la vie
présente, mais nous sommes chrétiens pour la vie éternelle; nous croyons au
Christ afin qu’il nous donne la vie céleste, mais cette vie temporelle, qui est
aujourd’hui la nôtre, il n’en prend aucun souci. Il ne leur reste plus qu’à
dire, en résumé, qu’il faut honorer Dieu en vue de la vie éternelle, et le
diable en vue de la vie temporelle. Mais Jésus-Christ lui-même va leur
répondre: « Vous ne pouvez servir deux maîtres 3 ». Or, tu sers celui-ci à
cause de tes espérances du ciel, et tu sers celui-là à cause de tes espérances
de la terre; combien ne serait-il pas mieux de servir celui qui a fait le ciel
et la terre? Celui qui a pris soin qu’il y eût une terre, négligera-t-il son
image sur la terre? Donc, «Que le Seigneur conserve, qu’il vivifie » celui qui
comprend le pauvre et l’indigent. De
1. Rom, VIII, 10, 11. — 2. I Tim. IV, 8. — 3.
Matt. VI, 24.
plus, qu’en lui donnant la vie pour
l’éternité, il lui donne le bonheur sur la terre ».
4. « Qu’il ne le livre point entre les mains
de son ennemi 1 ».Cet ennemi, c’est le diable. Que nul, en entendant ces
paroles, ne pense à aucun homme qui serait son ennemi. Déjà peut-être il
pensait à son voisin, à tel autre avec lequel il est en procès, à celui-ci qui
veut le dépouiller de son bien, à celui-là qui veut le forcer à vendre sa
maison. Loin de vous ces pensées; mais pensez à celui dont le Seigneur a dit: «
C’est l’homme ennemi qui a fait cela 2 ». C’est lui, cet ennemi qui veut se
faire adorer en vue des biens de la terre, dans son impuissance à renverser le
nom chrétien: il se voit en effet distancé par la gloire et la renommée du
Christ; il voit, qu’égorger des martyrs, c’est leur procurer une couronne et un
triomphe sur lui-même, qu’il ne réussit à persuader aux hommes que le Christ
n’est rien, qu’il lui est difficile de tromper en déshonorant le Christ, et il
s’efforce de tromper en le comblant d’éloges. Quel était jadis son langage?
Quel homme adorez-vous? un Juif mort, un crucifié, un homme de rien qui n’a pu
se défendre du trépas. Mais quand il a vu le genre humain accourir au nom du
Christ, et au nom du crucifié les temples renversés, les idoles brisées, les
sacrifices éteints, les hommes comprendre que tout cela est prédit dans les
Prophètes, s’éprendre d’admiration et fermer leur coeur à toute injure contre
le Christ, il s’est revêtu des louanges du Christ et a pris un autre moyen de
nous détourner de la foi. Elle est belle, dit-il, cette loi des chrétiens, elle
est puissante, elle est divine, ineffable; mais qui la peut accomplir? Au nom de
notre Sauveur, mes frères, foulez aux pieds le lion et le dragon 3 ! Dans ses
blasphèmes insolents, c’était le lion qui frémissait; dans ses éloges
astucieux, c’est le dragon qui tend des embûches. Qu’ils embrassent la foi,
ceux qui avaient quelque doute, et qu’ils ne disent pas: Qui peut accomplir
cette loi? S’ils comptent sur leurs forces, ils ne l’accompliront point. Mais
qu’ils croient en se reposant sur la grâce de Dieu, qu’ils viennent dans cette
confiance, qu’ils viennent chercher du secours, et non leur condamnation. C’est
au nom du Christ que vivent tous les fidèles; chacun selon son état
accomplissant les préceptes du Christ, voit dans le mariage, soit dans le
célibat, soit
1. Ps. XI, 3. — 2. Matt. XIII, 28. — 3. Ps.
XC, 13.
dans la virginité, ils vivent autant que Dieu
leur donne de vivre; ils ne présument point de leurs forces, mais ils savent
qu’ils n’ont à se glorifier que de Dieu. « Qu’avez-vous que vous n’ayez point
reçu? Si vous avez reçu, pourquoi vous glorifier, comme si vous n’aviez pas reçu
1? » Ne me dis plus alors: Qui accomplit la loi? Il l’accomplit en moi, celui
qui est venu vers le pauvre avec ses richesses: c’était le pauvre à la vérité
qui venait vers le pauvre, mais plein de richesses pour celui qui n’en avait
point. L’homme qui a ces pensées, qui comprend le pauvre et l’indigent, qui ne
dédaigne pas la pauvreté du Christ, qui comprend les richesses du Christ,
celui-là devient heureux sur la terre; il n’est pas livré aux mains de cet
ennemi qui cherche à lui persuader de servir Dieu pour les biens du ciel, et le
diable pour les biens de la terre. « Que Dieu ne le livre point aux mains de
son ennemi ».
5. « Que le Seigneur lui porte secours 2 ».
Mais où? Peut-être dans le ciel, peut-être dans ce qui concerne la vie
éternelle, en sorte qu’il lui reste à servir le diable, dans les privations
terrestres, et à cause des nécessités de cette vie! Non. Tu as la promesse de
la vie présente et de la vie future 3. Il est venu te trouver sur la terre,
celui qui a créé le ciel et la terre. Ecoute enfin ce qu’il dit ensuite: « Que
le Seigneur lui porte du secours sur son lit de douleur ». Ce lit de douleur,
c’est l’infirmité de la chair. Ne dis point: Je ne puis maîtriser, ni porter,
ni refréner ma chair: Dieu te donne cette puissance. « Que le Seigneur te porte
secours sur ton lit de douleur ». Ton lit te portait et tu ne portais pas ton
lit; mais tu avais une paralysie intérieure; le Christ est venu te dire: «
Prends ton grabat et va dans ta maison 4. Que le Seigneur lui porte du secours
sur son lit de douleur ». Le Prophète en appelle maintenant à Dieu, comme si on
lui demandait: Puisque Dieu nous porte du secours, pourquoi donc avons-nous à
subir tant de douleurs en cette vie, tant de scandales, tant de travaux, tant
de troubles du côté de la chair et du monde? Il en appelle à Dieu et nous
expose la sagesse de ses remèdes. « Pendant son infirmité », dit-il, « vous
avez bouleversé toute sa couche ». Mais qu’est-ce que cela: « Vous avez
bouleversé toute sa couche pendant son infirmité? » Cette couche se dit de
quelque chose de
1. I Cor. IV,
7.— 2. Ps. XL, 4.— 3. 1 Tim. IV, 8.— 4. Marc, II, 11.
terrestre. Toute âme infirme en cette vie
cherche quelque chose de terrestre où elle se puisse reposer, car elle ne peut
supporter que difficilement la fatigue d’une tension de l’esprit vers Dieu;
elle cherche donc sur la terre quelque objet qui lui serve de repos, où elle
puisse en quelque sorte s’étendre et faire une pose, comme sont les choses que
peuvent aimer les âmes innocentes. Il n’est point ici question de ces
convoitises perverses qui font que les uns se délassent au théâtre, les autres
dans le cirque, dans l’amphithéâtre, celui-ci dans les jeux, celui-là dans la
bonne chère, plusieurs dans les voluptés de l’adultère, d’autres dans les
violences de la rapine, d’autres enfin dans la fraude et dans les artifices de
la fourberie; tout cela est pour ces hommes un délassement. Comment un
délassement? lis y trouvent une félicité. Mais éloignons tout cela pour en
venir à l’homme innocent. Il trouve son repos dans sa maison, dans sa famille,
dans son épouse, dans ses enfants, dans sa pauvreté, dans son champ médiocre,
dans le petit jardin qu’il a planté, dans quelque bâtisse qu’il a faite avec
soin; c’est en cela que se délassent les justes. Toutefois, Dieu qui veut que
nous n’ayons d’amour que pour la vie éternelle, mêle des amertumes à nos
plaisirs les plus innocents, afin de nous y faire sentir la tribulation et de
retourner ainsi notre couche, dans notre infirmité. « Pendant mon infirmité
vous avez bouleversé toute ma couche ». Qu’il ne cherche donc point pourquoi il
trouve des épines même dans ses oeuvres les plus innocentes. L’amertume des
choses de la terre lui apprend à s’élever à un amour supérieur; de peur que ce
voyageur qui va dans sa patrie ne prenne l’hôtellerie pour sa maison, « vous
avez bouleversé toute sa couche pendant son infirmité ».
6. Mais pourquoi en agir ainsi? C’est que
Dieu flagelle celui qu’il reçoit parmi ses enfants 1 ». Pourquoi encore? Parce
qu’il a été dit à l’homme: « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front 2 ».
Si donc l’homme doit reconnaître que c’est à cause de ses péchés, qu’il subit
tous ces châtiments dont Dieu se sert pour bouleverser notre couche dans notre
infirmité, qu’il se convertisse et qu’il se dise: «Pour moi, j’ai dit:
Seigneur, ayez pitié de moi, guérissez mon âme, car j’ai péché contre vous ». O
mon Dieu, exercez-
1. Hébr. XII, 6. — 2.Gen. III, 19.
moi par les châtiments; vous jugez bon
d’exercer celui que vous recevez parmi vos enfants, vous qui n’avez pas épargné
votre Fils unique. Pour lui, il a subi le châtiment sans être coupable; et moi
je dis: « Ayez pitié de moi, guérissez mon âme, parce que j’ai péché contre
vous ». S’il a subi des incisions, celui qui n’avait aucune gangrène; si, lui
qui est pour nous la guérison, n’a pas dédaigné les brûlures du remède;
pouvons. nous témoigner de l’impatience, quand le médecin nous coupe et nous
brûle, c’est-à-dire, nous met à l’épreuve de toutes les tribulations, nous
guérit de notre péché? Livrons-nous donc entièrement à la main du médecin: il
n’est pas dans l’erreur, et ne tranche point la chair vive au lieu de la chair
corrompue; il juge de ce qu’il voit, il sait jusqu’où va le mal, lui qui a fait
la nature; il discerne ce qui est son oeuvre et ce qui est l’oeuvre de nos
convoitises. Il sait qu’il a donné à l’homme en santé des préceptes pour
l’empêcher de tomber dans la langueur; qu’il lui a dit dans le paradis: Mange
ceci, ne touche point à cela 1. L’homme en santé n’a pas écouté le précepte du
médecin qui l’aurait empêché de tomber; qu’il l’écoute dans sa maladie, afin
d’en relever. « Pour moi, j’ai dit: Seigneur, ayez pitié de moi, guérisses mon
âme, parce que j’ai péché contre vous ». Dans mes actions, dans mes fautes, je
n’accuse pas le hasard, je ne dis pas: Voilà ce que m’a fait le destin; je ne
dis point: C’est Vénus qui m’a fait adultère, Mars qui m’a fait brigand,
Saturne qui m’a fait avare; « j’ai dit: Seigneur, ayez pitié de moi, guérissez
mon âme, parce que j’ai péché contre vous». Est-ce le Christ qui parle ainsi?
Est-ce lui, notre Chef sans péché? Est-ce lui qui a restitué ce qu’il n’avait
point enlevé 3? Est-ce lui qui seul est libre parmi les morts 3? Il était libre
en effet parmi les morts, parce qu’il était sans péché; puisque tout homme qui
pèche devient esclave du péché 4. Est-ce donc bien lui? C’est lui dans ses
membres, car la voix de ses membres est sa voix, comme la voix de notre chef
est notre voix. Nous étions en lui quand il disait: « Mon âme est triste
jusqu’à la mort 5». Car il ne craignait pas de mourir, lui qui était venu pour
mourir; il ne refusait pas de mourir, celui qui avait
1.
Gen. II, 16, 17.— 2. Ps. LXVIII, 5.— 3. Id. LXXXVII, 6. — 4. Jean, VIII,
34. — 5. Matt. XXVI, 38.
la puissance de donner sa vie, et la
puissance de la reprendre 1; mais les membres parlaient dans la personne du
chef, et le chef parlait au nom des membres. C’est donc en notre nom, qu’il
exhale cette plainte: « Guérissez mon âme, parce que j’ai péché contre vous».
Car nous étions en lui, quand il dit: « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous
abandonné 2? » En effet, dans le psaume qui contient ce verset, nous lisons à
la suite: « Les rugissements de mes péchés 3 ». Quel péché y avait-il en lui,
sinon que notre vieil homme a été crucifié avec lui, afin que le corps du péché
fût anéanti, et que désormais nous ne fussions plus esclaves du péché 4.
Disons-lui donc, et disons en lui: « Pour moi, Seigneur, prenez-moi en pitié,
guérissez mon âme, parce que j’ai péché contre vous ».
7. « Mes ennemis m’outragent dans leurs
discours, ils ont dit: Quand mourra-t-il, quand périra son nom 5?» Nous avons
déjà imposé ces paroles, nous avons commencé par là; allons plus loin, II n’est
pas nécessaire de répéter ce qui est frais encore dans votre mémoire et dans
vos cœurs.
8. « Ils entraient afin de me voir 6 ».
L’Eglise endure ce qu’a enduré le Christ, la passion du chef devient la passion
des membres. Le serviteur est-il donc plus grand que son Seigneur, et le
disciple au-dessus du maître? « S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront à
votre tour; s’ils ont traité de Béelzébub le père de famille, combien plus ses
serviteurs 7? Ils entraient donc afin de voir ». Ce Judas était près de notre
chef, il entrait auprès de notre chef, afin de voir, c’est-à-dire d’espionner;
non pas afin de trouver des motifs de croire, mais afin d’avoir quoi de trahir.
Celui-là donc entrait afin de voir, et notre chef a voulu nous servir
d’exemple. Qu’est-il arrivé ensuite aux membres après l’exaltation du chef?
Saint Paul n’a-t-il pas dit: « Quelques faux frères se sont introduits dans
l’Eglise pour espionner notre liberté? » Ceux-là aussi entraient donc pour
voir. Il est en effet des hypocrites, des méchants déguisés, qui se joignent à
nous sous les apparences de la charité, qui épient tous les mouvements, toutes
les paroles des saints, qui tendent partout des piéges. Et que leur arrive-
t-il? Lisez ensuite: « Leur cœur
1. Jean. X,
18. — 2. Matt. XXVII, 46. — 3. Ps. XXI, 2. — 4. Rom. VI, 6 — 5. Ps. XL, 6. — 6.
Id. 8. — 7. Matt. X, 24, — 8. Gal, II, 4.
a proféré des choses vaines »; c’est-à-dire,
qu’ils affectent dans leurs discours une feinte charité; ce qu’ils disent est
vain, sans vérité, sans solidité. Et comme ils cherchent les occasions de nous
accuser, que dit le prophète? « Ils se sont amassé l’iniquité». Car nos ennemis
préparent des calomnies contre nous; c’est beaucoup pour eux d’avoir des
prétextes de nous accuser. « Ils ont amassé contre eux l’iniquité ». Contre
eux, dit le Prophète, et non contre moi. De même que Judas le fit contre lui-même,
et non contre le Christ, ainsi les hypocrites le font contre eux, non contre
l’Eglise; car c’est d’eux qu’il est dit ailleurs « L’iniquité a menti contre
elle-même 1. C’est contre eux-mêmes qu’ils ont amassé l’iniquité ». Et de même
qu’ils entraient pour voir, « ils sortaient dehors et ils parlaient ». Celui
qui était entré pour voir, sortait dehors et parlait. Plût à Dieu qu’il fût
dedans et qu’il parlât selon la vérité! Il ne sortirait point dehors où il dit
le mensonge. Il est un traître et un persécuteur, celui qui sort au dehors pour
parler. Si tu fais partie des membres du Christ, viens à l’intérieur, demeure
uni au chef. Tolère l’ivraie, si tu es le bon grain; tolère la paille, si tu es
le froment 2; si tu es un bon poisson, souffre dans le filet des poissons
mauvais. Pourquoi t’envoler avant qu’il soit temps de vanner? Pourquoi prévenir
le temps de la moisson, pour arracher le froment avec toi? Pourquoi rompre le
filet avant d’être sur les bords? « Ils sortaient dehors, et ils parlaient».
9. « Tous mes ennemis tenaient contre moi le
même langage 3 ». Ils tenaient le même langage contre moi; combien eût-il été
mieux qu’ils tinssent un même langage avec moi? Qu’est-ce à dire: « Le même
langage contre moi? » ils formaient tous le même dessein, la même conspiration.
C’est donc le Christ qui leur dit: Vous vous unissez contre moi, unissez-vous à
moi. Pourquoi contre moi? pourquoi pas avec moi? Si vous aviez toujours le même
sentiment, vous ne seriez point déchirés par le schisme. Car l’Apôtre leur dit:
« Je vous supplie, mes frères, d’avoir tous
le même langage, afin qu’il n’y ait aucun schisme parmi vous 4. Mes ennemis
murmuraient contre moi le même langage; tous méditaient le mal contre moi », ou
plutôt contre eux, car ils se sont amassé
1.
Ps. XXVI, 12.— 2. Matt, XIII, 30.— 3. Ps. XL, 8. — I Cor. I, 10.
l’iniquité; mais aussi contre moi, car il
faut les juger d’après leurs intentions. De ce qu’ils n’aient rien pu faire,
n’en concluons pas qu’ils ne voulaient rien faire. Le diable aussi voulut exterminer
le Christ, et Judas le voulut mettre à mort: mais la mort et la résurrection du
Christ nous ont donné la vie; et néanmoins le diable et Judas ont reçu la
récompense de leur volonté perverse, et non point de notre salut. Car, vous le
savez, c’est d’après l’intention qu’un homme doit être jugé digne de récompense
ou de châtiment, et nous voyons des hommes faire à d’autres des souhaits tels
que nous pouvons le désirer, et qui sont accusés de malédiction. Quand cet
homme, jadis aveugle, mais dont les yeux elle coeur étaient rendus à la
lumière, confondait les Juifs aux yeux ouverts, au coeur aveugle, « Voulez-vous
», leur dit cet homme déjà éclairé, « voulez-vous aussi être ses disciples? »«
Mais eux », dit l’Evangile, « s’écrièrent en le maudissant: Pour toi, sois son
disciple 1 ». Puisse tomber sur chacun de nous cette malédiction qu’ils lui
jetaient! Elle est appelée malédiction à cause de l’erreur malveillante de ceux
qui la profèrent, et non du mal que contiennent les expressions: l’historien
qui nous la raconte envisage plutôt leur intention que leurs paroles. « Ils
méditaient le mal contre moi ». Or, quel mal arriva-t-il au Christ, quel mal
aux martyrs? Dieu changea tout en bien.
10. « Ils ont arrêté contre moi une parole
d’iniquité ». Quelle parole d’iniquité? Jette
les yeux sur notre chef: « Tuons-le, et
l’héritage sera pour nous 3 ». Insensés, comment
donc aurez-vous son héritage? Parce que vous
l’aurez tué? Eh bien! le voilà tué, et l’héritage
ne sera point pour vous. « Celui qui dort ne
se relèvera-t-il donc pas? » Quand sa mort vous donnait des jubilations, il
dormait; car il dit dans un autre psaume: « Pour moi, j’ai dormi ». Ses ennemis
furieux voulurent le mettre à mort: « Pour moi », dit-il, « j’ai dormi ». Car
si je l’avais voulu, je n’aurais éprouvé aucun sommeil. « Je me suis endormi,
parce que j’ai le pouvoir de donner ma vie, et le pouvoir aussi de la reprendre
4. J’ai dormi, j’ai pris mon sommeil et je me suis éveillé 5 ». Que les Juifs
donc s’emportent, que la terre soit livrée aux
1. Jean, IX, 27, 28.— 2. Ps. XL, 9.— 3. Matt.
XXI, 38. — 4. Jean, X, 18.— 5. Ps. III,6.
mains de l’impie 1, que mon corps soit entre
les mains des persécuteurs, qu’ils le suspendent à la croix, l’y attachent avec
des clous, le percent d’une lance: « Celui qui dort ne se lèvera-t-il point? »
Pourquoi a-t-il dormi? Parce que le vieil Adam était la figure de l’Adam futur
2: « Et Adam dormait quand Dieu tira Eve de son côté 3 », Adam était donc la
figure du Christ, Eve la figure de l’Eglise: d’où elle fut appelée mère des
vivants. Quand le Seigneur forma-t-il Eve? Quand Adam dormait. Quand les
sacrements de l’Eglise coulèrent-ils du flanc du Christ? Quand il dormait sur
la croix. « Celui qui dort ne se lèvera-t-il donc point? »
11. D’où vient ce sommeil? De celui qui est
entra pour voir, et qui s’est amassé l’iniquité. « Car l’homme de ma paix, en
qui je me confiais, qui mangeait mon pain, a levé le talon contre moi 4 ». Il a
levé le pied contre moi, il a voulu me frapper. Quel est cet homme de sa paix?
Judas. Mais le Christ a-t-il eu confiance en lui, pour dire: «En qui je me
confiais? » Ne le connaissait-il point dès le commencement? Ne savait-il pas ce
qu’il serait avant qu’il fût né? N’avait-il pas dit à ses disciples: « Je vous
ai choisis douze et l’un de vous est un démon 5? » Comment donc a-t-il espéré
en lui, sinon parce que ce Judas est parmi ses membres, et que plusieurs
fidèles ayant espéré en Judas, le Seigneur se personnifie en eux? Beaucoup de
ceux qui croyaient en Jésus-Christ voyaient Judas marcher parmi les douze
disciples, et quelques-uns espéraient en lui; car il était semblable aux
autres; et parce que le Christ était en cens de ses membres qui avaient cet
espoir, comme il est dans ceux qui ont faim et soif, il a pu dire: « J’ai eu
confiance», comme il a dit: «J’ai eu faim ». Si donc nous lui disons: Seigneur,
quand avez-vous espéré? comme on lui a dit: Quand avez-vous eu faim? de même
que dans cette occasion il nous a dit: Ce que vous aven fait au plus petit des
miens, c’est à moi que vous l’avez fait; de même il peut nous dire ici: Quand
le moindre des miens avait confiance en Judas, c’était moi qui avais confiance,
En qui ai-je eu la confiance? En « l’homme de ma paix, en qui j’ai espéré, qui
mangeait mon pain ». Comment l’a-t-il désigné dans sa passion, d’après ces
paroles du Prophète? Il le fit
1. Job, IX, 24. — 2. Rom. V, 14. — 3. Gen.
II, 21. — 4. Ps. XL, 10. — 5. Jean. VI, 71. -
connaître par un morceau de pain 1, afin que
l’on reconnût que c’était de lui qu’il était dit: Qui mangera mon pain ».Et
quand Judas vint ensuite pour le livrer, il lui donna le baiser 2, afin de
montrer que c’était lui que désignait cette parole: « L’homme de ma paix ».
12. « Mais vous, Seigneur, ayez pitié de moi
3 ». Il parle ici sous la forme de l’esclave, sous la forme du pauvre et de
l’indigent. « Bienheureux celui qui comprend le pauvre et l’indigent 4. Ayez
pitié de moi, ressuscitez-moi, et je me vengerai d’eux ». Voyez quand s’est
dite cette parole, maintenant accomplie. Les Juifs ont mis à mort le Christ
pour ne point perdre leur patrie 5; et, après sa mort, ils la perdirent;
arrachés de leur royaume, ils furent dispersés. Le Christ, après sa
résurrection, leur rendit la souffrance, et la rendit comme un avertissement,
non point comme une condamnation. Cette cité dans laquelle tout un peuple
frémissait, comme le lion qui enlève et qui rugit, s’écriait: « Crucifiez-le,
crucifiez-le 6», renferme aujourd’hui des chrétiens, et pas un seul juif, tous
les Juifs en sont expulsés. L’Eglise du Christ est plantée en ce lieu d’où l’on
a extirpé les épines de la Synagogue. Leur feu s’est donc allumé comme le feu
dans les épines 7; mais le Seigneur était un bois vert. « C’est ce qu’il dit
lui-même à quelques femmes qui le pleuraient comme un homme qui va mourir: « Ne
pleurez point sur moi, mais pleurez sur vous et sur vos enfants 8»; prédisant
ainsi: « Ressuscitez-moi, et je me vengerai d’eux. Si l’on traite ainsi le bois
vert, que fera-t-on au bois sec9? » Quand le bois vert pourra-t-il être consumé
par le feu des épines? « Ils ont pris flamme comme le feu dans les épines 10 ».
Le feu consume les épines; et à quelque bois vert qu’on l’applique, il ne
s’allume que difficilement; la sève du bois vert résiste longtemps à cette
flamme lente et sans vigueur, capable néanmoins de consumer des épines. «
Ressuscitez-moi, je me vengerai d’eux ». Ne croyez pas, mes frères, que le Fils
ait moins de puissance que le Père, parce qu’il dit: « Ressuscitez-moi », comme
s’il ne pouvait se ressusciter lui-même. Car le Père a ressuscité seulement ce
qui pouvait mourir; c’est-à-dire,
1. Jean, XIII, 26. — 2. Matt. XXVI, 49. — 3.
Ps. XL, 11. — 4. Id. 2. — 5. Jean, XI, 18. — 6. Luc, XXIII, 31; Jean, XIX, 6. —
7. Ps. 118, 12.— 8. Luc, XXIII, 28.— 9. Id. 31.— 10. Ps. CXVII, 12.
la chair est morte, la chair est ressuscitée.
Ne croyez pas non plus que Dieu, le Père du Christ, a pu ressusciter le Christ
en cette chair de son Fils, et que le Christ, Verbe de Dieu, égal à son Père,
n’aurait pu ressusciter sa chair. Ecoutez dans l’Evangile: « Détruisez ce temple
de Dieu et je le rebâtirai en trois jours ». Et pour dissiper tous les doutes:
« Il parlait ainsi », dit l’Evangéliste, « du temple de son corps 1,
Ressuscitez-moi, et je me vengerai d’eux ».
13. « Voici en quoi j’ai connu votre amour
pour moi, c’est que mon ennemi n’a pas triomphé de moi 2». Voir le Christ à la
croix, c’était un bonheur pour les Juifs; ils croyaient avoir assouvi leur
volonté de lui nuire; ils ont contemplé dans le Christ à la croix, le fruit de
leur cruauté; ils branlaient la tête: « S’il est le Fils de Dieu, qu’il
descende de la croix 3 ». Lui qui le pouvait, n’en descendait pas; loin de
montrer son pouvoir, il enseignait la patience. S’il fût descendu de la croix
quand ils parlaient ainsi, il eût paru céder à leurs insultes; on eût pu croire
qu’il ne pouvait supporter les opprobres. Il demeura donc à la croix,
nonobstant leurs blasphèmes; il était ferme quand eux chancelaient. Car s’ils
branlaient la tête, c’est qu’ils n’étaient pas unis au Christ, qui est le
véritable chef. Grande leçon de patience que nous donne le Christ! car, tout en
refusant d’agir selon les provocations des Juifs, il fit quelque chose de plus
grand, puisqu’il est plus merveilleux de sortir du tombeau que de descendre de
la croix. « C’est que je ne serai point pour mon ennemi un sujet de triomphe ».
Ils tressaillirent donc à ce moment: mais le Christ ressuscita, mais le Christ
entra dans sa gloire. Aujourd’hui qu’ils voient tout le genre humain croire en
son nom, qu’ils osent aujourd’hui le provoquer, aujourd’hui branler la tête: ou
plutôt, que leur tête soit immobile, et, si elle s’agite, que ce soit dans la
stupeur et dans l’admiration. Ils disent en effet aujourd’hui: Serait-il donc
celui qu’ont prédit Moïse et les Prophètes? Ils ont dit de lui « qu’il a été
conduit comme une brebis pour être immolé; que, comme l’agneau devant celui qui
le tond, il est demeuré sans voix, et n’a pas ouvert la bouche; que nous sommes
guéris par ses blessures 4 ». Or,
1. Jean, II, 19, 21.— 2. Ps. XL, 12.— 3.
Matt. XXVII, 39, 40. — 4. Isa. LIII, 5, 7.
nous voyons que ce crucifié entraîne après
lui le genre humain, et que nos pères ont dit en
vain: « Tuons-le, de peur que le monde ne le
suive » Peut-être ne le suivrait-on pas s’il n’était point mort. « Pour moi, le
signe de votre amour, c’est que je ne serai pas un sujet de triomphe pour mon
ennemi ».
14. « Vous m’avez au contraire soutenu à
cause de mon innocence 2 »: véritable innocence ! intégrité sans tache,
paiement sans dette, châtiment sans faute! « Vous m’avez soutenu à cause de mon
innocence, et m’avez affermi en votre présence pour jamais 3». Vous m’avez
affermi pour jamais, et affaibli pour un temps, affermi en votre présence,
affaibli en présence des hommes. Quoi donc? Louange à Dieu, gloire à Dieu. «
Béni soit le Seigneur, Dieu d’Israël 4 ». Car il est le Dieu d’Israël, notre
Dieu, le Dieu de Jacob, le Dieu du second fils, le Dieu du second peuple. Qu’on
n’ose point nous dire: C’est des Juifs que l’on parle ainsi; je ne suis point
d’Israël. Les Juifs sont bien moins enfants d’Israël. Car l’aîné des deux
frères, c’est le peuple rejeté; le second, c’est le peuple chéri de Dieu.
Aujourd’hui s’accomplit cette parole: « L’aîné servira le plus jeune 5 ».
Aujourd’hui, mes frères, les Juifs sont nos serviteurs; aujourd’hui ils sont nos
colporteurs, ils portent les livres que nous étudions. Ecoutez en quoi les
Juifs nous rendent service et non sans raison. Caïn, ce frère aîné qui tua son
frère le plus jeune, fut marqué d’un signe, afin qu’on ne le tuât point,
c’est-à-dire, afin
1. Jean, XII, 19. — 2. Ps. XL, 13. — 3. Ibid.
— 4. Id. 14. — 5. Gen. XXV, 23.
qu’il demeurât lui-même un peuple 1. Or, les
Juifs ont les Prophètes et la loi, et cette loi et ces Prophètes ont annoncé le
Christ, Quand nous avons affaire aux païens et que nous leur montrons
aujourd’hui, dans l’Eglise du Christ, l’accomplissement de ce qui a été prédit
longtemps d’avance concernant le nom du Christ, le Christ damas son chef et
dans ses membres, nous prenons les livres des Juifs, afin que ces païens ne
puissent croire que nous avons fabriqué ces prophéties, et que nous avons
ajusté sur l’événement ces annonces de l’avenir. Car les Juifs sont nos
ennemis, et ces livres de nos ennemis nous servent à convaincre les païens.
Dieu a donc tout réglé, tout disposé pour notre salut. Il a prédit avant nous,
il accomplit la prophétie de nos jours, et ce qui n’est point encore accompli,
s’accomplira. Il a donc tenu sa promesse de manière à nous faire croire à ce
qu’il nous doit encore; car il nous donnera ce qu’il ne nous pas donné encore,
comme il a donné aujourd’hui ce qu’il n’avait pas donné auparavant. Si
quelqu’un veut voir où sont écrites ces promesses, qu’il lise Moïse et les
Prophètes. Si quelque ennemi veut s’opiniâtrer en disant: Vous vous êtes fait
vos prophéties, montrons-lui les livres des Juifs, puisque l’aîné doit être le
serviteur du plus jeune. Que nos adversaires y lisent des oracles accomplis
aujourd’hui sous nos yeux; et disons tous: « Béni soit de siècle en siècle le
Seigneur Dieu d’Israël; et tout le peuple dira: Amen, Amen ».
1. Gen. IV, 15.
PSAUME 41: LES SOUPIRS DE L’ÉGLISE
Ce cerf altéré désigne les membres de
l’Eglise, qui sont les fils de Coré ou du Calvaire. Le désir de la vie éternelle
a de l’analogie avec les moeurs des cerfs qui sont agiles, qui tuent les
serpents, ce qui leur occasionne une grande soif, qui se soulagent mutuellement
du fardeau de leur tête. Le cerf du psaume se nourrit de ses larmes, quand on
lui dit: Où est ton Dieu? Il le trouve dans les régions spirituelles de la
méditation, en s’élevant jusqu’aux saintes harmonies qui lui font désirer le
ciel. Il s’afflige d’être encore ici-bas, il s’effraie des abîmes. Il veut
aller au ciel par l’espérance, par l’humilité et surtout par la prière, qui est
le meilleur des sacrifices.
1. Il y a longtemps, mes frères, que mon âme
voudrait s’épanouir avec vous dans la parole de Dieu, et vous saluer en celui
qui est notre secours et notre salut. Ecoutez donc par notre intermédiaire ce
que dit le Seigneur, et avec nous réjouissez-vous en lui, en sa parole, en sa
vérité, en sa charité. Le Psaume dont nous voulons vous parler aujourd’hui, est
en accord avec l’ardeur de vos désirs. C’est par un saint désir en effet qu’il
commence; et le chantre s’écrie: « Comme le cerf altéré brame après les sources
d’eau vive, ainsi mon âme soupire après vous, ô mon Dieu ! 1 ». Qui donc parle
ainsi? C’est nous, si nous voulons. Pourquoi chercher ailleurs celui qui parle,
quand tu peux être toi-même ce que tu cherches? Toutefois, ce n’est point un
seul homme, mais bien tout un corps. C’est le corps du Christ, ou l’Eglise 2.
Il est vrai qu’on ne trouve point le même désir chez tous ceux qui entrent dans
l’Eglise: et néanmoins ceux qui ont goûté combien le Seigneur est doux, et
retrouvé cette douceur dans ce cantique, ne doivent pas croire que cette faveur
est pour eux seuls; mais qu’ils se persuadent que cette semence est répandue
dans le champ du Seigneur, par toute la terre, et que les chrétiens disent avec
une certaine unité: « Comme le cerf altéré brame après les sources d’eau vive,
ainsi mon âme soupire après vous, ô mon Dieu ». On peut en effet, sans erreur,
appliquer ces paroles aux catéchumènes, qui s’empressent d’arriver à la grâce
du baptême. De là tient qu’on leur chante solennellement ce
1. Ps. LI, 2.— 2. Colos. I, 24
psaume, afin qu’ils soupirent après cette
source de la rémission des péchés. « Comme le cerf brame après les fontaines
d’eau vive ». Qu’il en soit ainsi, et que cette interprétation, qui est vraie,
qu’autorisent nos solennités, soit reçue dans l’Eglise. Toutefois, mes frères,
il me semble que le baptême n’assouvit pas chez les fidèles cet ardent désir;
qu’il ne sert qu’à l’attiser davantage, s’ils savent bien en quel lieu ils voyagent
comme étrangers, et où leur pèlerinage doit aboutir.
2. Voici donc le titre du psaume: « Pour la
fin, pour l’intelligence, psaume aux fils de Coré 1 ». D’autres titres encore
font mention des fils de Coré 2, et il me souvient de vous en avoir parlé, de
vous avoir expliqué le sens de cette dénomination; et pourtant, il faut dire un
mot de ce titre: ce que nous en avons dit auparavant ne doit pas nous empêcher
d’en parler; tous n’étaient pas présents toutes les fois que nous en avons
parlé. Que Coré ait été un homme, comme il est vrai, et qu’il ait eu des
enfants appelés fils de Coré 3 pour nous, cherchons la figure qu’il nous dérobe
et faisons ressortir les mystères dont ce nom est chargé. Car c’est dans le
sens d’un profond mystère que l’on appelle les chrétiens fils de Coré. Comment
fils de Coré? fils de l’Epoux, fils du Christ. Les chrétiens sont appelés aussi
fils de l’Epoux 4.Comment donc le Christ serait-il Coré? C’est que Coré
signifie l’endroit chauve ou Calvaire. Mais ceci paraît encore bien éloigné. Je
demandais pourquoi le Christ est appelé Coré, et je cherche plus encore
1. Ps. LI, 1. — 2. Id. XLIII-XLVIII. — 3.
Num. XXVI, 11 — Matt. IX, 15.
les rapports du Christ avec le mot chauve ou
Calvaire. Or, le lieu du Calvaire où il fut crucifié 1, ne vous vient-il pas en
pensée? Il vous vient assurément. Donc les fils de l’époux, les fils de ses
douleurs, les fils rachetés par son sang, les fils de sa croix, qui portent
gravé sur leur front, ce que ses ennemis désirent sur le Calvaire, sont appelés
fils de Coré. C’est pour eux, pour leur donner l’intelligence, que nous
chantons ce Psaume. Stimulons donc notre intelligence, et comprenons-le,
puisqu’il est chanté pour nous. Que nous faut-il comprendre? En le chantant
quelle intelligence veut-on nous en donner? J’ose bien dire: « Les perfections
invisibles de Dieu sont devenues visibles depuis la création du monde, par tout
ce qui a été fait 2». Entrez donc avec moi, mes frères, dans une sainte
avidité, prenez part à mon désir. Aimons ensemble, ayons soif ensemble et
courons ensemble aux sources de l’intelligence. Soupirons comme le cerf après
cette fontaine; et, sans parler de cette source de la rémission des péchés,
après laquelle soupirent nos catéchumènes, soupirons, nous qui sommes baptisés,
après cette autre fontaine dont l’Ecriture dit ailleurs: « C’est en vous qu’est
la source de la vie ». Source qui est aussi une lumière, « puisque c’est à
votre lumière que nous verrons la lumière 3 ». Si donc il est source et
lumière, il est aussi intelligence, car il apaise dans une âme la soif de la
science; et quiconque a de l’intelligence est éclairé par une certaine lumière,
qui n’est ni corporelle, ni charnelle, ni extérieure, mais intérieure. Il y a
donc, mes frères, une certaine lumière intérieure qui manque à l’homme dépourvu
d’intelligence. Aussi l’Apôtre conjure-t-il ainsi ceux qui soupirent après
cette source d’eau vive, et qui en goûtent quelque peu: « Désormais, ne marchez
plus comme les Gentils, qui s’avancent dans la vanité de leurs pensées, qui ont
l’esprit plein de ténèbres, entièrement éloignés de. la vie de Dieu, à cause de
l’ignorance qui est en eux et de l’aveuglement de leur cœur 4». Si donc leur
intelligence est obscurcie, c’est-à-dire s’ils sont dans les ténèbres parce
qu’ils ne comprennent point, il suit de là que l’intelligence est une lumière.
Cours donc à la fontaine, soupire après les sources d’eau vive. C’est en Dieu
1. Matt. XXVII, 33. — 2. Rom. I,20. — 3. Ps.
XXXV, 10.— 4. Eph. IV, 17, 18.
qu’est la source de la vie et la source
intarissable: c’est de son flambeau que nous vient une lumière qui ne
s’obscurcira jamais. Soupire après cette lumière, après cette fontaine, lumière
que tes yeux ne connaissent point, lumière à laquelle tu dois préparer l’oeil
de ton âme, fontaine où ne peut se désaltérer que la soif intérieure. Cours à
cette fontaine, soupire après ses eaux; mais n’y cours point d’une manière
telle quelle, ni comme tout animal peut y courir; cours-y comme le cerf.
Qu’est-ce à dire, comme le cerf? Qu’il n’y ait rien de pesant dans ta course,
mais qu’elle’ soit légère, que tes désirs soient vifs. Le cerf est pour nous un
modèle de vitesse.
3. Peut-être n’est-ce point l’agilité seule.
ment, mais d’autres qualités encore que l’Ecriture veut nous signaler chez les
cerfs. Ecoutez ce qu’ils ont encore de spécial. Ils tuent les serpents; et,
après les avoir tués, ils sont brûlés d’une soif plus ardente, la mort des
serpents les précipite plus rapidement encore vers les fontaines. Pour toi, les
serpents sont tes vices: donne la mort aux serpents de l’iniquité, et tu n’en
auras que plus soif de la vérité. L’avarice souffle peut-être à ton âme une
parole de ténèbres, elle siffle contrairement à la parole de Dieu,
contrairement au précepte du Seigneur. Et comme l’on te dit: Dédaigne un tel gain,
ne commets point l’iniquité si tu préfères l’iniquité, au lieu de dédaigner un
gain temporel, tu aimes mieux être mordu par le serpent que le tuer toi-même.
Mais dans cette faveur que tu as pour tes vices, pour tes convoitises, pour ta
cupidité, en un mot pour ton serpent, comment reconnaîtrai-je ce désir qui te
précipitera vers les sources d’eau vive? Surchargé du poison de la malice,
comment pourras-tu recourir aux sources de la sagesse? Extermine donc en toi ce
qui est contraire à la vérité;et quand il n’y aura plus chez toi nulle
convoitise mauvaise, n’en demeure point là, comme s’il ne te restait rien à
désirer. Il y a toujours quelque point où tu dois t’élever; si déjà tu as
obtenu de n’avoir plus aucune entrave en toi-même. Mais situes du nombre des
cerfs, tu me diras peut-être: Dieu sait que je ne suis point avare ni désireux
du bien d’autrui, que je ne brûle point des feux de l’adultère, que je ne sens
en mon âme ni haine ni envie contre qui que ce soit, et autres choses
semblables. Tu me diras encore:
Je n’ai point ces défauts; et tu cherches
peut-être où sera ton plaisir. Désire ce qui pourra te plaire, soupire après
les sources d’eau vive. Dieu a de quoi te rassasier, te combler, quand tu
viendrais à lui avec la soif et l’agilité du cerf qui a tué des serpents.
4. Il est encore une remarque à faire au
sujet du cerf. On dit que les cerfs, et quelques-uns affirment l’avoir vu, car
on n’oserait rien écrire de semblable si on ne l’avait vu; on dit donc que des
cerfs marchant en troupes, ou cherchant à la nage d’autres contrées, appuient
l’un sur l’autre le poids de leurs têtes; sorte que l’un ouvre la marche, que
ceux qui suivent reposent leurs têtes sur lui; et de même ceux qui suivent sur
ceux qui les devancent, et, ainsi jusqu’au dernier; que le dernier, fatigué au
premier rang du poids de sa tête, revient derrière, afin de laisser au suivant
le fardeau qu’il portait, et de se rendre de sa fatigue, en donnant sa tête à
porter, comme le faisaient les autres. C’est ainsi que tour à tour, portant ce
qu’ils ont de trop lourd, ils achèvent le voyage sans se quitter. N’est-ce
point au cerf que l’Apôtre fait allusion quand il dit: « Portez mutuellement
vos fardeaux, et vous accomplirez la loi du Christ 1?»
5.Un tel cerf, affermi dans la foi, qui voit
ne point ce qu’il croit, qui désire comprendre ce qu’il aime, souffre des
contradictions de qui ne sont point des cerfs, qui ont l’intelligence
obscurcie, qui sont plongés dans les ténèbres intérieures et aveuglés par de
coupables convoitises. Ils vont même jusqu’à dire insolemment à l’homme de foi
qui ne peut montrer ce qu’il croit: « Où est donc ton Dieu 2? » Ecoutons ce
qu’a opposé à ces paroles ce cerf qu’il nous faut imiter, si le nous pouvons.
D’abord il exprime l’ardeur de sa soif: « Comme le cerf », dit-il, «brame après
eau de fontaine, ainsi mon âme soupire après vous, ô mon Dieu ». Mais est-ce
pour s’y baigner que le cerf brame après les eaux? jusque-là nous ne savons si
c’est pour y ou s’y baigner. Ecoute ce qui suit et ne questionne plus: « Mon
âme a soif de vous, qui êtes le Dieu vivant ». Cette parole: « Comme le cerf
brame après l’eau des
fontaines, ainsi, mon âme soupire après vous,
ô mon Dieu 3 », je la répète ici: « Mon âme a soif de vous, ô Dieu, source de
vie ».
1. Gal. VI, 2. — 3. Ps. XLI, 4. — 3. Id, 2,
3.
Quelle est la cause de sa soif? « Quand
apparaîtrai-je devant la face de Dieu? » Arriver, apparaître: voilà ce qui
attise ma soif. J’ai soif dans mon pèlerinage, soif dans ma course: je serai
désaltéré à mon arrivée. Mais, « quand arriverai-je? » Ce qui est court aux
yeux de Dieu, est bien long pour mes désirs. « Quand apparaîtrai-je devant la
face de Dieu? » C’est ce même désir qui lui fait pousser ailleurs cette
exclamation: « Je n’ai fait au Seigneur qu’une seule demande, c’est d’habiter tous
les jours de ma vie dans la maison du Seigneur ». Pourquoi? « Afin », dit-il, «
de contempler la beauté du « Seigneur». — « Quand viendrai-je et apparaîtrai-je
devant la face de Dieu? »
6. Pendant que je nourris ces desseins, que
je cours, que je suis en chemin, avant d’arriver, avant d’apparaître: « Mes
larmes nuit et jour ont été ma nourriture, alors qu’on me dit chaque jour: Où
est ton Dieu 2? » —« Mes larmes », dit le Prophète, « étaient pour moi un
pain», non pas une amertume. Elles m’étaient délicieuses, ces larmes; et, comme
dans ma soif pour ces eaux vives, je ne pouvais en boire, je buvais avidement
mes larmes. Il ne dit point: Mes larmes sont devenues pour moi un breuvage, de
peur qu’il ne paraisse les désirer comme les eaux vives; mais en conservant
cette soif qui me brûle, qui me porte vers les sources d’eau, mes larmes sont
ma nourriture, avant que j’arrive. Et ces larmes, dont il se nourrit,
redoublent assurément sa soif pour les eaux. Chaque jour, en effet, comme
chaque nuit, mes larmes sont ma nourriture. Les hommes prennent pendant le jour
cet aliment appelé du pain; ils dorment la nuit; mais le pain des larmes se
mange la nuit comme le jour; soit que par nuit et jour vous entendiez le temps
de cette vie, soit que le jour vous désigne la félicité, et la nuit les
afflictions d’ici-bas. Que je sois donc heureux ou malheureux ici-bas, dit le
Prophète, je verse les larmes d’un saint désir, et ce désir insatiable ne me
quitte point; et le bonheur de cette vie est un malheur pour moi, jusqu’à ce que
j’apparaisse devant la face de Dieu. Pourquoi m’obliger à bénir le jour où la
joie du monde vient me sourire? N’est-ce pas une joie trompeuse? N’est-elle
point insaisissable, caduque et mortelle? N’est-elle point
1. Ps, XXVI, 4. — 2. Id. XLI, 414, XLI, 4.
COMMENTAIRE SUR
sans durée, volage, passagère? N’offre-t-elle
pas la déception plus que le plaisir? Pourquoi donc, au milieu même de cette
joie, mes larmes ne seraient-elles pas mon pain? Quel que soit en effet le
bonheur terrestre qui brille autour de nous, tant que nous habitons notre
corps, nous sommes exilés loin du Seigneur 1; et « chaque jour on me dit: Où
est ton Dieu?» Qu’un païen me parle ainsi, ne puis-je pas, à mon tour, lui
dire: Où est ton Dieu? Il me montre son Dieu du doigt. Du doigt il me désigne
une pierre et dit: Voilà mon Dieu. Mais encore, « où est ton Dieu?» Que je
raille sa pierre, il rougit de me l’avoir montrée: et, détournant les yeux de
cette pierre, il regarde le ciel, et m’indiquant du doigt peut-être le soleil,
il me dit encore Voilà mon Dieu. Mais enfin, « où est ton Dieu? » L’oeil de son
corps a trouvé de quoi me montrer; pour moi, ce n’est point que je n’aie un
Dieu à montrer, mais le païen n’a pas ces yeux auxquels je puisse le désigner.
Il a pu désigner à mon oeil corporel le soleil pour son Dieu, mais moi, à quel
oeil montrerai-je le Créateur du soleil?
7. Toutefois, à force d’entendre chaque jour:
« Où est ton Dieu? » et de me nourrir chaque jour de mes larmes, j’ai médité
jour et nuit cette parole: « Où est ton Dieu? » et à mon tour j’ai cherché mon
Dieu, afin d’essayer si je ne pourrais point non seulement croire, mais encore
voir quelque chose. Je vois en effet les oeuvres de Dieu, et non le Dieu qui
les a faites. Mais puisque je soupire comme le cerf après les sources d’eau
vive, et qu’en Dieu est la source de la vie, et que notre psaume a pour titre:
« Intelligence pour les fils de Coré », et que les perfections invisibles de
Dieu deviennent visibles par la création du monde: que ferai-je pour trouver
Dieu? Je considérerai la terre; mais la terre a été faite. J’y trouve sans
doute une beauté admirable; mais elle a un auteur. Il y a dans les plantes et
dans les animaux des merveilles sans nombre; mais tout cela est l’oeuvre d’un
Créateur. J’envisage les vastes plaines de la mer, elle m’épouvante; je
l’admire, mais je cherche celui qui l’a créée. Je regarde les cieux, la beauté
des astres, j’admire cet éclat du soleil suffisant pour éclairer le jour, et la
lune qui nous soulage des ténèbres de la nuit; tout cela est admirable, tout
cela digne d’éloges,
1. II Cor. V 6.
tout cela nous ravit, car ce ne sont point
des beautés de la terre, mais des beautés des cieux; mais ma soif ne s’étanche
point; j’admire tout cela, je le chante, mais j’ai toujours soif de celui qui a
fait tout cela. Je rentre donc en moi-même, et je me demande ce que je suis,
moi qui veux approfondir tout cela: je trouve que j’ai une âme et un corps; un
corps que je dirige, une âme qui me conduit; un corps pour servir, une âme pour
commander. Je vois dans l’âme une supériorité sur le corps, et je comprends que
c’est l’âme et non le corps qui peut discerner toutes ces choses: et cependant
je reconnais que c’est par le corps que j’ai pu voir tout ce que j’ai vu.
J’admirais la terre, mes yeux l’avaient vue; j’admirais la mer, mes yeux
l’avaient vue; le ciel, les astres, le soleil, la lune, je ne les connais que
des yeux. Ces yeux, membres de mon corps, sont les fenêtres de l’âme. Il y a
intérieurement quelqu’un qui regarde partes fenêtres, qui sont ouvertes sans profit,
si la pensée est absorbée ailleurs. Ce n’est point avec ces yeux qu’il faut
chercher mon Dieu, l’auteur de tout ce que mes yeux aperçoivent. Que mon âme
considère donc par elle-même, s’il y a quelque chose que les yeux ne voient
point, comme ils voient les couleurs et la lumière, quelque chose que je
n’entende point par les oreilles, comme j’entends le chant elle bruit, quelque
chose que je ne sente point par les narines, comme les odeurs, que ne discerne
point le palais ni la langue, comme les saveurs, que je ne distingue point
partout le corps, comme je sens ce qui est dur, mon, froid, chaud, doux, âpre;
mais s’il y a quelque chose que je voie intérieurement. Qu’est-ce à dire, voir
intérieurement? C’est-à-dire quelque chose, qui ne soit ni la couleur, ni le
son, ni l’odeur, ni la saveur, rai le chaud, ni le froid, ni la dureté, ni la
mollesse. Que l’on me dise un peu de quelle couleur est la sagesse. Quand nous
pensons à la justice, et que sa beauté remplit déjà notre âme, quel son a
frappé mes oreilles? Quelle vapeur s’est élevée jusqu’à mon odorat? Qu’en
est-il venu à ma bouche? Qu’est-ce que la main a pris plaisir à toucher? Cette
justice est toute intérieure, elle est belle, on la loue, on la voit, Et quand
les yeux du corps seraient dans les ténèbres, l’esprit n’en jouit pas moins de
sa lumière. Que voyait Tobie, quand cet aveugle donnait à son fils, qui voyait
la lumière, des (451) conseils pour la conduite de sa vie 1? Il y a donc
quelque chose de visible pour l’esprit qui domine, qui gouverne, qui habite le
corps; quelque chose qu’il ne connaît ni par les yeux du corps, ni par les
oreilles, ni par les narines, ni par le palais, ni par le contact du corps,
mais par lui-même; et ce qu’il connaît par lui-même est bien supérieur à ce
qu’il connaît par son esclave. Cela est indubitable; car l’esprit se connaît
par lui-même; et, pour se connaître, il se voit. Mais, pour se voir, il n’a
point recours aux yeux du corps; il fait même abstraction de tous les sens du
corps comme d’autant d’obstacles et d’embarras, afin de rentrer en lui-même, de
se voir en lui-même, de se connaître par lui-même. Mais Dieu est-il donc
quelque chose de semblable à notre âme? lieu sans doute ne peut être vu que de
l’esprit, mais non à la manière de l’esprit. Car cette âme cherche quelque
chose qui est Dieu, et dont on ne puisse lui dire insolemment: «Où est ton
Dieu? » Elle cherche une vérité immuable, nue substance indéfectible. Or, telle
n’est pas notre âme qui a ses défauts, ses progrès, qui menait et qui ignore,
qui se souvient et qui oublie, qui veut aujourd’hui, qui ne veut plus demain,
Or, Dieu n’est point assujetti au changement. Si Dieu était assujetti au
changement, ils m’insulteraient à bon droit, ceux qui me disent: « Où est ton
Dieu? »
8. Cherchant donc mon Dieu dans les choses
visibles et corporelles, et ne le trouvant point; cherchant encore en moi sa
substance, assume s’il était de même nature que moi, et ne l’y trouvant pas
plus, je sens que mon Dieu est supérieur à mon âme. Donc, afin de l’atteindre:
« J’ai médité ces choses et répandu mon âme au-dessus de moi 2 ». Quand mon
esprit pourrait-il atteindre ce que l’on doit chercher dans des régions
supérieures, s’il ne se répandait au-dessus de lui-même? A demeurer en
lui-même, il ne versait que lui; et en se voyant il ne verrait point Dieu. Que
mes insulteurs me disent maintenant: « Où est ton Dieu? » oui, qu’ils me
disent: pour moi, tant que je ne verrai point, tant que je suis éloigné, je me
nourris suit et jour de mes larmes. Qu’ils me disent encore: « Où est ton Dieu?
» je cherche mon dieu dans tous les corps, soit terrestres, soit célestes, et
ne le trouve point; je le cherche
1. Tob. IV, 2. — 2. Ps XLI, 5.
dans la substance de mon âme, et ne le trouve
point; et toutefois, j’ai résolu de chercher mon Dieu, et de comprendre par1les
créatures visibles les beautés invisibles de Dieu 1; « et j’ai répandu mon âme
au-dessus de moi »; il ne me reste plus rien à atteindre, si ce n’est mon Dieu;
c’est là, c’est au-dessus de mon âme qu’est la demeure de mon Dieu; c’est là qu’il
habite, c’est de là qu’il me regarde, de là qu’il m’a créé, de là qu’il me
dirige, de là qu’il me conseille, de là qu’il me stimule, de là qu’il
m’appelle, de là qu’il me redresse, de là qu’il me conduit, de là qu’il me fait
aboutir.
9. En effet, lui qui a dans le secret une
maison infiniment élevée, a aussi son tabernacle sur la terre; et ce
tabernacle, c’est son Eglise, encore étrangère. C’est là qu’il faut chercher
Dieu, parce que dans ce tabernacle on trouve le chemin qui conduit à son
palais. Quand je répandais mon âme dans les régions supérieures, pour chercher
mon Dieu, quel était mon dessein? « d’entrer dans le tabernacle du Seigneur ».
Car je ne puis errer en dehors de ce tabernacle en cherchant mon Dieu. « Parce
que j’entrerai dans le lieu de votre tabernacle admirable, jusqu’à la maison de
Dieu ». J’entrerai donc dans le lieu de cette tente admirable, jusqu’à la
maison de Dieu. Combien n’ai-je pas à admirer dans ce tabernacle? Voici toutes
les merveilles qu’il présente à mon admiration. Ce tabernacle de Dieu sur la
terre, ce sont les âmes des fidèles; j’admire en eux la subordination des
membres, car le péché ne règne plus en eux pour les assouplir à ses
convoitises; ils ne font pas de leurs membres des instruments d’iniquité pour
servir au péché, mais ils les font servir au Dieu vivant par leurs bonnes
oeuvres. J’admire les membres du corps devenus des armes pour l’âme qui sert
Dieu 2. Je jette les yeux sur cette âme soumise à Dieu, et qui règle toutes les
oeuvres de son activité, qui met un frein à ses convoitises, qui repousse
l’ignorance, qui s’étudie à supporter ce qu’il y a de dur et de difficile, qui
se maintient pour les autres dans la justice et dans la charité. J’admire dans
une âme toutes ces vertus; mais je ne suis encore que dans le tabernacle. Je
m’élève encore au delà; et quelles que soient les merveilles du tabernacle, je
suis dans la stupeur quand j’arrive à la maison de
1.
Rom. I, 20. — 2. Id. VI, 12, 13.
Dieu.
C’est de
ce palais que le Psalmiste parlait ailleurs, quand, s’étant posé cette question
difficile et épineuse: Pourquoi les méchants sont presque toujours heureux sur
la terre, et les bons malheureux, il s’écriait: « J’ai médité pour savoir, et
mes yeux n’ont vu qu’un grand travail, jusqu’à ce que j’entre dans la maison de
Dieu, et que j’aie vu à la fin des pervers 1 ». Telle est donc la source de
l’intelligence, le sanctuaire de Dieu, la maison de Dieu. C’est là que le
Prophète a compris la fin dernière, et qu’il a pu résoudre la question du
bonheur des méchants et des souffrances des justes. Quelle solution y a-t-il
donnée? C’est que les méchants épargnés ici-bas, sont réservés à des châtiments
sans fin; et que les bons qui souffrent, sont éprouvés pour être mis ensuite en
possession de l’héritage éternel. Voilà ce que le Prophète a connu dans le
sanctuaire de Dieu; telle est la fin des choses qu’il a comprises. Il s’est
donc élevé jusqu’au sanctuaire pour arriver à la maison de Dieu; toutefois, en
admirant les merveilles du tabernacle, il est arrivé à la maison de Dieu, en
suivant je ne sais quelle douceur, quel charme intérieur et caché, comme si une
suave harmonie s’exhalait de la maison de Dieu. Or, comme il marchait dans le
tabernacle, dominé par cette harmonie de l’intérieur, cédant à l’enchantement,
suivant cette harmonie de l’oreille et s’élevant au-dessus de tout bruit de la
chair et du sang, il est arrivé jusqu’à la maison de Dieu. Car il nous raconte
ainsi sa marche et la voie qu’il a tenue, comme si nous lui disions: Tu
admirais le tabernacle de Dieu sur la terre; comment es-tu arrivé au secret de
la maison de Dieu? « C’est », dit-il, « au son de l’allégresse et de la
louange, au son des cantiques des fêtes ». Quand les hommes célèbrent ici-bas
les fêtes de la débauche, ils ont la coutume d’établir devant leur demeure des
orchestres, des joueurs de harpe, ou toute symphonie quia des attraits, des
stimulants pour la débauche. Or, quand nous passons par là, que disons-nous de
ces bruits? Que fait-on là? Et on nous répond qu’il y a quelque fête. On y
célèbre, dit-on, quelque naissance, quelque mariage; on tâche de donner un
prétexte à ces chants ridicules, de couvrir d’une excuse une telle débauche.
Dans la maison de Dieu, c’est une fêle continuelle. Or, on n’y célèbre rien de
ce
1. Ps. LXXII, 16, 17.
qui passe. Cette fête éternelle, c’est le
choeur des anges: voir Dieu à découvert, c’est une joie sans défaut. Tel est ce
jour de fête que n’ouvre aucune entrée, que ne vient clore aucune fin. Cette
fête éternelle et sans fin a, pour les oreilles du coeur, je ne sais quoi de
sonore et de ravissant, si toutefois cela n’est couvert par le bruit du monde.
Pour celui qui marche dans ce tabernacle, et qui médite sur les merveilles de
Dieu pour la rédemption des fidèles, il y a dans le concert de cette fête, un
charme d’oreille qui l’entraîne comme le cerf aux sources d’eau vive.
10. Cependant, mes frères, tant que nous
sommes en ce corps mortel, nous sommes éloignés du Seigneur 1, et le corps qui
se corrompt aggrave l’âme, et cette demeure terrestre abat l’esprit capable des
plus hautes pensées 2 et bien que sur la route nous dissipions des nuages par
la vivacité de nos désirs, que nous parvenions parfois à cette harmonie et à
concevoir par nos efforts quelque chose de ce qui est dans la maison de Dieu,
néanmoins le poids de nos faiblesses nous fait retomber dans notre torpeur
ordinaire, et nous rentrons dans nos habitudes. Et, de même que nous avions
trouvé de quoi nous réjouir, nous retrouvons ici-bas de quoi gémir. Ce cerf, en
effet, qui a jour et nuit ses larmes pour nourriture, poussé par son désir vers
les sources d’eau vive ou vers les délices intérieures de Dieu, et qui répand
son âme dans les régions supérieures, pour atteindre plus haut que son âme, qui
marche dans le lieu d’un tabernacle merveilleux, et qui se laisse aller aux
ravissements d’une harmonie spirituelle et intelligible qui lui fait mépriser
tout ce qui est extérieur pour les charmes intérieurs, ce cerf est encore un
homme, il gémit encore ici-bas, il porte encore une chair fragile, il est
encore exposé aux scandales du inonde. Il se regarde alors comme venant des
régions supérieures, et se voyant dans ce lieu de douleur, comparant à cet état
présent les choses qu’il est allé voir, qu’il a vues avant de revenir, il
s’écrie: « Pourquoi tant de tristesse, ô mon âme, et d’où te vient ce trouble
3? » Déjà noue avons goûté les charmes d’une joie intérieure, voilà que la
perspicacité de l’esprit a pu pénétrer jusqu’à l’immuable, quoique en passant
et seulement comme l’éclair; pourquoi me troubler encore,
1. II Cor. V, 6. — 2. Sag IX, 15. — 3. Ps.
33.1, 6.
et d’où vient ta tristesse? Car ton Dieu
n’est pour toi l’objet d’aucun doute. Tu ne manques pas de réponse contre ceux
qui te disent: « Où est ton Dieu? » J’ai déjà pressenti l’immuable, pourquoi me
troubler encore? « Espère en Dieu e. Et comme si sou âme lui répondait dans le
silence: Pourquoi te troublé-je, sinon parce que je ne suis pas encore où l’on
goûte la douceur ineffable, et où je n’ai fait que passer? Puis-je boire sans
crainte ires fontaines? N’ai-je plus à redouter aucun scandale? Mes passions
sont-elles vaincues, domptées, au point de me laisser en sûreté? le diable, mon
ennemi, n’a-t-il pas toujours l’œil ouvert sur moi? Chaque jour ne tend-il pas
des piéges pour me surprendre? Tu ne veux point que je te trouble, quand je
suis encore en ce monde, exilée loin de la demeure de mon Dieu! Mais, « espère
en Dieu », répond-il à son âme qui le trouble, et qui semble justifier ce
trouble par les misères dont le monde est rempli. En attendant, habite là en
espérance. « Car l’espérance qui verrait ne serait plus une espérance; et si
nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons par la
patience 1».
11. «Espère en Dieu». Pourquoi, «Espère?» «
Parce que je le confesserai encore ». Comment le confesseras-tu? « Je
confesserai qu’il est mon aDieu, le Sauveur qui fixe mes regards 2 ». Le salut
ne peut me venir de moi-même, je ta publie, je le proclame; « c’est mon Dieu,
qui est le Sauveur que j’envisage». Comme s’il craignait de perdre ce qu’il
connaît en partie, il regarde avec inquiétude que le serpent ne vienne point à
se glisser. Il ne dit pas encore: Je suis tout à fait sauvé. Car, possédant les
prémices de l’esprit, nous gémissons intérieurement, en attendant que nous
soyons adoptés et délivrés de notre corps 3. Quand le salut sera parfait en
nous, nous aurons la vie éternelle dans la maison de Dieu, nous bénirons à
jamais celui à qui le prophète chantait: «Bienheureux ceux qui habitent votre
maison, ils vous béniront dans les siècles des siècles4 ». Nous n’avons pas
encore ce bonheur, parce que nous ne possédons pas encore ce salut qui nous est
promis; mais je chante le Seigneur dans mon espérance, et je lui dis: « Mon
Dieu est le Sauveur qui fixe mes regards; car l’espérance nous sauve,
1. Rom. VIII, 24, 25.— 2. Ps XLI, 7.— 3. Rom.
VIII, 23.— 4. Ps. LXXXIII, 5.
« et l’espérance qu’on verrait ne serait
point une espérance ». Persévère, afin d’arriver; cours, jusqu’à ce que vienne
le salut. Ecoute le langage que ton Dieu te tient à l’intérieur: « Attends le
Seigneur, que ton coeur s’affermisse et attende le Seigneur 1; car celui-là
sera sauvé qui aura persévéré jusqu’à la fin 2. Pourquoi donc cette tristesse,
ô mon âme, et pourquoi me troubler? Espère dans le Seigneur, car je le
confesserai de nouveau». Et voici la confession que je ferai: « C’est mon Dieu,
qui est le Sauveur que j’envisage».
12. « Mon âme s’est troublée en moi-même 2 ».
Est-ce en Dieu qu’elle s’est troublée? Non, c’est en moi. Elle était raffermie
en voyant l’immuable, elle s’est troublée en voyant ce qui est assujéti au
changement. Je sais que la justice de Dieu demeure éternellement; quant à la
mienne, je ne sais si elle subsistera. Cette parole de l’Apôtre m’effraie: «
Que celui qui est ferme prenne garde de tomber 4 ». Donc, parce qu’il n’y a en
moi aucune stabilité, et que je ne puis espérer en moi, « mon âme se trouble en
moi ». Veux-tu qu’elle ne se trouble point? Qu’elle ne demeure pas en toi; mais
dis: « Seigneur, j’élève mon âme vers vous 5». Ecoute plus clairement encore.
N’espère jamais de toi, mais de ton Dieu. Si tu comptes en effet sur toi-même,
ton âme se trouble, car elle ne trouve rien qui la rassure à ton sujet. Donc
puisque mon âme se trouble en moi, que me reste-t-il sinon l’humilité, afin que
mon âme ne présume point d’elle-même? Que lui reste-t-il, sinon de s’anéantir
afin de mériter d’être élevée? De ne rien s’attribuer, afin que Dieu lui donne
ce qui sera utile? Donc, parce que mon âme se trouble en moi, et que ce trouble
vient de l’orgueil: «Alors je me suis souvenu de vous, Seigneur, dans la terre
du Jourdain, sur la colline d’Hermon 6 ». D’où m’est venu ce souvenir de vous?
D’une petite hauteur, dans la terre du Jourdain. Peut-être veut-il dire du
baptême, où Dieu accorde la rémission des péchés. Nul en effet ne court à la
rémission des péchés, s’il ne se déplaît à lui-même; nul ne court à la
rémission du péché qu’en s’avouant pécheur; et nul ne s’avoue pécheur qu’en
s’humiliant devant Dieu. Donc, u je me suis souvenu de vous
1. Ps. XXVI, 14. — 2. Matt. X, 22; XXIV,13. — 3. Ps. LI, 7.— 4. I Cor. X, 12. — 5. Ps. XXIV, 1. —
6. Ps. XL, 7.
« dans la terre du Jourdain », non pas sur
une haute montagne, mais « sur une colline peu élevée », afin que vous, ô Dieu,
vous fassiez de cette faible colline une haute montagne: parce que « celui qui
s’élève sera humilié, et quiconque s’abaisse sera élevé 1 ». Mais si tu
cherches la signification des noms, Jourdain signifie descente. Descends alors,
afin que tu sois relevé; ne t’élève point, pour n’être pas brisé. Quant à «
Hermon, cette faible colline », Hermon signifie anathème. Sois donc anathème à
tes yeux, par l’horreur que tu auras de toi-même; car c’est déplaire à Dieu que
te plaire à toi-même. Donc, parce que le Seigneur nous donne tout ce que nous
avons de bon, parce qu’il est bon lui-même, et non parce que nous sommes
dignes; parce qu’il est miséricordieux et non parce que nous l’avons mérité: «
Je me suis souvenu de Dieu, de la terre du Jourdain, de la colline d’Hermon »;
et, parce qu’il s’en souvient avec humilité, il méritera d’être élevé et de
jouir de Dieu; car ce n’est point s’élever que se glorifier en Dieu 2.
13. « Un abîme appelle un autre abîme, dans
le bruit de vos cataractes 3 ». Je pourrai sans doute achever le psaume, avec
le secours de votre attention dont je vois la ferveur. J’ai droit de plaindre
un peu moins la peine que vous avez de m’écouter, quand vous voyez vous-mêmes
les sueurs et le travail que j’endure pour vous parler. En me voyant souffrir,
vous y prenez part assurément, puisque c’est pour vous et non pour moi que je
travaille. Ecoutez donc, puisque c’est votre désir, je le vois. « Un abîme
appelle un autre abîme au bruit de vos cataractes »: c’est à Dieu qu’il parle
ainsi, celui qui s’est souvenu de lui dans la terre du Jourdain et d’Hermon;
c’est avec admiration qu’il s’écrie: « Un abîme appelle un autre abîme au bruit
de vos cataractes ». Quel abîme appelle et quel abîme est appelé? Le sens de
ces paroles est vraiment un abîme. On nomme abîme une profondeur impénétrable,
incompréhensible, et ce nom se donne ordinairement aux grandes eaux. Il y a là
une hauteur et une profondeur que l’on ne peut mesurer complètement. Enfin il
est dit en un certain endroit: « Vos jugements sont un profond abîme 4»;
l’Ecriture voulant nous
1.
Luc, XIV, 11; XVIII, 14. — 2. I Cor. I, 3. — 3. Ps. XLI, 8. — 4. Id. XXXV, 7.
montrer par là qu’on ne saurait comprendre
les jugements de Dieu. Quel abîme appelle et quel abîme est appelé? Si l’abîme
est une profondeur, pensons-nous que le coeur de l’homme ne soit point un
abîme? Quoi de plus profond que cet abîme? Les hommes peuvent parler, on peut
les voir agir dans leurs mouvements extérieurs, lés entendre dans leurs
discours. Mais de qui peut-on pénétrer les pensées, et voir le coeur à
découvert? Qui peut comprendre ce qu’il porte dans son âme, ce qu’il pense dans
son âme, ce qu’il médite, ce qu’il combine dans son âme, ce qu’il désire et ce
qu’il repousse dans son âme? Je pense que l’on peut appeler un abîme ces hommes
dont il est dit ailleurs: « L’homme s’élèvera au faîte de son coeur, et Dieu
plus haut encore 1 ». Si donc l’homme est un abîme; comment l’abîme
appelle-t-il un abîme? Est-ce un homme qui appelle un autre homme?
L’appelle-t-il comme on invoque le Seigneur? Non, mais le mot invocat signifie appeler près de soi.
Quelqu’un a dit en effet: Il appelle la mort 2; c’est-à-dire, il vit de telle
sorte qu’il appelle la mort. Car il n’est personne qui fasse une prière pour
invoquer la mort; mais, pour les hommes, vivre mal, c’est l’invoquer, l’appeler
à eux « L’abîme appelle donc l’abîme », un homme appelle un autre homme. On
apprend ainsi la sagesse, on s’instruit de la foi, quand l’abîme appelle un
autre abîme. Ils appellent un abîme ces saints prédicateurs de la parole de
Dieu. Ceux-ci ne sont-ils pas des abîmes? Pour te montrer qu’ils sont des
abîmes à leur tour, l’Apôtre a dit: « Peu m’importe que je sois jugé par vous,
ou devant le tribunal de l’homme »; mais écoute plus loin quel abîme il
constitue: « Mais je ne me juge point moi-même 3 ». Croiriez-vous qu’il y ait
en l’homme une telle profondeur, qu’elle se dérobe à ses propres yeux? Quelle
profondeur de faiblesse était cachée en saint Pierre, quand, aveuglé sur tout
ce qui se passait en son âme, il promettait si témérairement de mourir avec son
Maître 4 ! Quel abîme n’était-il point! Abîme cependant découvert aux yeux de
Dieu. Car alors le Christ lui montrait en lui ce qu’il ignorait lui-même. Donc
tout homme est un abîme, quelles que soient sa sainteté et sa
1. Ps. LXIII, 7, 8. — 2. Esop. fab. VI. — 3.
I Cor. IV, 3. — 4. Jean, XIII, 37.
justice, quelques progrès qu’il ait faits
dans la vertu, et il appelle un autre abîme, quand il instruit un autre homme
de quelque article de foi, ou de quelque vérité qui concerne la vie éternelle.
Mais l’abîme n’est utile à l’abîme qu’il appelle, que quand cela se fait au
bruit de vos cataractes, ô Dieu. L’abîme appelle un abîme, un homme gagne un
autre homme: non par sa propre voix, mais « par la voix de vos cataractes ».
14. Ecoutez un autre sens: « L’abîme appelle
un autre abîme, au bruit de vos cataractes ». Pour moi qui tremble quand mon
âme est troublée en moi, je suis saisi d’effroi à cause de vos jugements. « Car
vos jugements sont des abîmes profonds 1 »; or, l’abîme appelle un autre abîme.
Car cette chair mortelle, calamiteuse, pécheresse, pleine d’afflictions et de
scandales, assujettie aux convoitises, est déjà un effet de votre jugement,
puisque vous avez dit au pécheur: «Tu mourras de mort»; et encore: « A la sueur
de ton front tu mangeras ton pain 2 ». Tel est le premier abîme les jugements
de Dieu. Mais si les hommes viennent à vivre dans le désordre, « l’abîme alors
appelle un autre abîme »; parce qu’ils passent de châtiments en châtiments, de
ténèbres en ténèbres, de profondeur en profondeur, de supplice en supplice, et
des brasiers de la convoitise aux brasiers de l’enfer. C’est là peut-être ce
que craignait celui qui dit ici: « Mon âme est troublée en moi; aussi me
suis-je souvenu de vous, ô mon Dieu, dans les terres du Jourdain et d’Hermon ».
Je dois être humble; car je crains vos jugements: ces jugements me glacent
d’effroi, aussi « mon âme en est-elle troublée en moi-même». Et quels sont vos
jugements que je redoute? Faut-il donc peu craindre d’être jugé par vous? Ils
sont terribles vos jugements, ils sont sévères, insupportables, et plût à Dieu
qu’il n’y eût rien que cela: « Un abîme appelle un autre abîme dans le bruit de
vos cataractes »; vous nous menacez, sous nous dites qu’après les eaux de cette
vie il nous reste à craindre une autre damnation: « Au bruit de vos cataractes
l’abîme appelle un autre abîme. Où irai-je pour échapper à vos regards, où
fuirai-je devant votre esprit 3 », si l’abîme appelle un autre abîme, si, après
ces peines, j’en dois craindre de plus douloureuses?
1. Ps. XXIV, 7. — 2. Gen. II, 17; II, 19. —
3. Ps. CXXXVIII, 7.
15. « Toutes vos eaux soulevées, tous vos «
flots ont passé sur moi 1 ». Vos flots dans les maux que j’endure; vos eaux
soulevées, dans les menaces que vous me faites. Tout ce que je souffre est un
de vos flots; toute menace de votre part est un soulèvement des eaux. Dans vos
flots, c’est l’abîme, qui appelle dans ces eaux suspendues un autre abîme.
Ainsi mes douleurs actuelles, voilà tous vos flots: les châtiments dont je suis
menacé, ce sont là vos eaux suspendues qui ont passé sur moi. Une menace qui ne
sévit pas encore, c’est un bras suspendu. Mais comme vous devez nous délivrer,
j’ai dit à mon âme: « Espère en Dieu, car je confesserai de nouveau qu’il est
un Sauveur à mes yeux, qu’il est mon Dieu 2 ». Plus nos maux sont fréquents,
plus sera douce votre miséricorde.
16. C’est pourquoi le Prophète ajoute: «
Pendant le jour le Seigneur annonce sa miséricorde, et il la fait sentir
pendant la nuit 3 ». Nul ne peut écouter, s’il est dans la douleur. Veillez
donc sur vous dans la prospérité; écoutez dans le bonheur; lorsque tout est
calme, instruisez-vous des règles de la sagesse et recueillez la parole de Dieu
comme une nourriture. Lorsqu’un homme est dans l’affliction, il doit se nourrir
de ce qu’il a entendu dans le calme. Car c’est dans les jours de paix que le
Seigneur promet sa miséricorde à celui qui le sert fidèlement; il te promet
alors de te délivrer, mais ce n’est que pendant la nuit qu’il te donne cette
miséricorde promise pendant le jour. Quand viendra la tribulation, son secours
ne te fera point défaut. Car il est dit en certain endroit: « La divine
miséricorde, au jour de la tribulation, est comme la nuée de la pluie au temps
de la sécheresse 4. Pendant le jour le Seigneur promet cette miséricorde, qu’il
fait « sentir pendant la nuit e. Il ne te fait sentir son secours, que s’il
t’arrive quelque affliction, d’où te puisse tirer celui qui te l’a promis
pendant le jour. De là vient qu’il nous avertit d’imiter la fourmi 5. De même,
en effet, que le jour marque la prospérité de cette vie, et que la nuit marque
l’adversité; de même, en d’autres endroits, c’est l’été qui désigne la. vie
heureuse, comme l’hiver désigne le malheur. Or, que fait la fourmi? Pendant
l’été, elle fuit des provisions qui doivent lui servir
1.
Ps. XLI, 8. — 2. Ibid. 6. — 3. Ibid. 9. — 4. Eccli. XXXV, 26. — 5. Prov. VI, 6.
pendant l’hiver. Donc, au moment de l’été,
quand vous êtes heureux et dans le calme, écoutez la parole du Seigneur.
Comment, en effet, vous serait-il possible, au milieu des tempêtes de ce monde,
de traverser toute cette mer sans aucune tribulation? Comment cela pourrait-il
se faire? Quel homme l’a déjà fait? Si cela est arrivé à quelqu’un, cette paix
est encore plus à craindre. « Le Seigneur promet « pendant le jour la
miséricorde qu’il fait u sentir pendant la nuit ».
17. Que fais-tu donc dans ton pèlerinage?
Oui, que fais-tu? « J’ai dans mon âme une prière pour le Dieu de ma vie 1 ».
Voilà ce que je fais ici-bas, pauvre cerf altéré, soupirant après les fontaines
d’eau vive, au souvenir de cette voie qui m’a conduit à travers le tabernacle,
jusqu’à la maison de Dieu, Quand cette chair corruptible appesantit mon âme 2:
« J’ai en moi une prière pour le Dieu de ma
vie ». Je n’irai pas, en effet, acheter au-delà des mers des présents pour les
offrir à mon Dieu; pour qu’il m’écoute plus favorablement, je n’irai point sur
des vaisseaux chercher au loin de l’encens et des aromates, et je ne prendrai,
dans mon troupeau, ni veau ni bélier. « J’ai dans mon âme une prière pour le
Dieu de ma vie ». J’ai dans l’âme une victime à immoler; dans l’âme, de
l’encens à lui offrir; dans l’âme encore, un sacrifice pour fléchir mon Dieu: «
Une âme brisée par la douleur est un sacrifice agréable à Dieu 3 ». Or, vois
quel est ce sacrifice d’une âme brisée, que j’ai en moi: « Je dirai à Dieu:
Vous êtes mon « soutien, pourquoi m’avez-vous oublié? » car je souffre ici-bas
comme si vous m’aviez oublié. Toutefois vous m’exercez par ces douleurs; et je
sais que si vous différez, vous ne me ravissez point l’objet de vos promesses;
et néanmoins, pourquoi m’avez-vous oublié? Notre chef a dit lui-même en notre
nom « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné 4? » Je dirai à mon
Dieu: Vous êtes mon soutien, pourquoi m’avez-vous oublié?
18. « Pourquoi m’avez-vous repoussé? » loin
de ces sources profondes de l’intelligence et de l’immuable vérité. Pourquoi me
repousser? Pourquoi me rejeter dans ces bas-fonds, quand le poids si lourd de
mon iniquité me faisait soupirer après le ciel? C’est le
1. Ps. LI, 10. — 2. Sag. IX, 15. — 3. Ps. L,
19. — 4. Ps. XXI, 2; Matt, XXVII, 46.
même qui dit ailleurs: « J’ai dit dans mon
extase »; dans cette même extase sans doute où il a vu je ne sais-quoi de
sublime. « J’ai dit dans mon extase: Me voilà rejeté loin de vos regards1». Il
compare les lieux où il se trouve avec ces régions auxquelles il s’était élevé,
et alors il se voit rejeté loin des regards du Seigneur, comme il dit ici: «
Pourquoi me repousser loin de vous? Pourquoi marché-je dans ma tristesse,
pendant que mon ennemi m’afflige, pendant qu’il brise mes os 2 », ce tentateur,
qui est le diable, au milieu des scandales, qui vont toujours croissant, et qui
refroidissent la charité de beaucoup 3? Quand nous voyons dans l’Eglise les vaillants
succomber bien souvent sous les scandales, le corps du Christ ne dit-il point:
« Pourquoi l’ennemi a-t-il brisé mes os? » Car ces os, ce sont les forts qui
parfois succombent eux-mêmes à la tentation. A la vue de ces malheurs, tout
membre du Christ ne s’écrie-t-il pas avec la voix du Christ: « Pourquoi me
rejeter? pourquoi marché-je dans la tristesse, quand mon ennemi m’afflige et
brise mes os? » Non content de s’en prendre à ma chair, il brise encore mes os;
en sorte que ceux dont on attendait de la résistance, vous les voyez céder à
l’épreuve; et alors, en voyant succomber les forts, les faibles sont dans le
désespoir. Quels dangers pour nous, mes frères!
19. « A la persécution ils ajoutent l’injure ». Voici encore ces défis insolents:
« Chaque jour ils me disent: Où est ton Dieu 4? » C’est principalement dans les
épreuves de l’Eglise, qu’ils nous répètent: « Où est ton Dieu? » Combien les
martyrs ont entendu ces défis, pendant qu’ils souffraient courageusement pour
l’amour du Christ? combien de fois on leur a dit: Où est votre Dieu? Qu’il vous
délivre, s’il peut. Les hommes voyaient au dehors leurs tourments, ils ne
voyaient pas leurs couronnes à l’intérieur. «A la persécution ils ajoutent
l’injure, en me disant chaque jour: Où est ton Dieu? » Et moi, que répondrai-je
à ces provocations, quand mon âme est troublée en moi-même; que lui dirai-je,
sinon: « Pourquoi cette tristesse, ô mon âme, et pourquoi me troubler 5? » Et
comme si elle me répondait:
Veux-tu que je ne te cause aucun trouble, au
1.
Ps. XXX, 23. — 2. Id. XLI, 11 — 3. Matt. XXIV, 12. — 4. Ps, XLI, 11. — 5. Id. 12.
milieu de tant de maux? Quand je soupire
après les biens, quand je suis dévorée par la soif et le malheur, pourrais-je
ne pas te troubler? « Espère en Dieu, parce que je le confesserai de nouveau ».
Et il répète cette confession, pour s’affermir dans l’espérance: « Il est à mes
yeux un Sauveur, il est mon Dieu».
PSAUME 42: LES GÉMISSEMENTS DES SAINTS.
Ce discours fut prêché un jour de jeûne, dans
l’après-midi. Saint Augustin y relève les gémissements du bon grain mêlé à la
paille, et demandant à Dieu d’en être séparé par le jugement. C’est Dieu qui
nous donne le courage de les supporter ici-bas; qui nous donnera la lumière,
nous fera approcher de son autel pour fortifier l’homme nouveau.
Appliquons-nous à la justice, confessons le Seigneur, faisons les oeuvres
sanctifiantes de l’aumône, du jeûne, de la prière, et Dieu nous exaucera.
1. Ce psaume est court; il convient ainsi à
l’avidité des auditeurs et n’incommode point ceux qui sont à jeun.
Nourrissons-en notre âme qui est triste, si l’on en croit celui qui chante le
psaume; tristesse qu’il attribue, je crois, à un certain jeûne, ou plutôt à une
certaine faim qu’elle endure. Car le jeûne est un acte de volonté, la faim
vient de la nécessité. L’Eglise endure la faim, le corps de Jésus-Christ a
faim, cet homme répandu dans tout le monde, dont la tête est dans le ciel et
les membres sur la terre. Comme il parle dans tous les psaumes pour y chanter
ou y gémir, pour tressaillir de ce qu’il espère, ou pour soupirer de ce qu’il
endure, nous devons connaître sa voix, être familiarisés avec elle, puisqu’elle
est la nôtre. Ne nous arrêtons pas davantage à vous dire quel est celui qui
parle ici;que chacun de vous soit dans le corps du Christ, et alors chacun de
vous parlera.
2. Vous connaissez tous ceux qui avancent
dans la vertu, qui gémissent au souvenir de la patrie céleste, qui savent
qu’ils sont ici-bas en exil, qui marchent dans la voie droite, qui s’affermissent
dans le désir de la patrie céleste comme sur une ancre solide; vous savez,
dis-je, que cette race de chrétiens, cette bonne semence, ce froment du Christ,
gémit sur la terre avec la zizanie, et cela jusqu’au temps de la moisson,
c’est-à-dire jusqu’à la fin des siècles, ainsi que nous l’expose l’infaillible
vérité 1. Il gémit donc au milieu de la zizanie, c’est-à-dire parmi les
méchants, les hommes de la fraude et de la séduction, ceux que trouble leur
colère, ou qui s’empoisonnent par leurs ruses. Il comprend qu’il est avec eux
dans le inonde entier comme dans un seul champ, qu’il reçoit la même pluie, les
mêmes tempêtes, qu’il croît avec eux au milieu des maux de cette vie, qu’il
partage avec eux les mêmes dons que Dieu accorde indistinctement aux bons et
aux méchants, « lui qui fait lever son soleil sur les bons et « sur les
mauvais, et qui fait pleuvoir sur les «justes comme sur les injustes 2». Ce
germe saint, cette race d’Abraham, voyant combien de vicissitudes lui sont
communes avec ceux dont elle doit être un jour séparée, qui naissent comme
elle, qui partagent avec elle les conditions de la vie humaine, qui portent
comme elle une chair périssable, qui jouissent de la même lumière, des mêmes
eaux, des mêmes fruits, qui partagent le bonheur comme le malheur de cette vie,
la disette ou l’abondance, la paix ou la guerre, la santé ou la maladie; elle
voit que tout lui est commun avec les méchants, bien que sa cause ne leur soit
pas commune; et alors elle s’écrie « Jugez-moi, ô Dieu, et séparez ma cause de
celle d’un peuple impie 3. Jugez-moi », dit-elle, « ô mon Dieu ». Je ne crains
pas votre
1.
Matt. XIII, 18. — 2. Id. V, 45. — 3. Ps. XLII, 1.
jugement, parce que je connais votre
miséricorde. « Jugez-moi, ô Dieu, et séparez ma cause de celle d’un peuple
impie ». Maintenant que je suis dans ces contrées de l’exil, vous ne faites
encore aucune séparation locale, parce que je vis avec l’ivraie, jusqu’au temps
de la moisson1; vous ne me donnez pas une pluie à part, non plus qu’une lumière
à part; seulement, séparez ma cause. Mettez une différence entre celui qui
croit en vous et celui qui n’y croit point. Semblables par la faiblesse, ils
diffèrent par la conscience; le labeur est le même, les désirs sont opposés.
Les désirs des méchants périront; mais le désir des justes pourrait nous
laisser des doutes, si l’auteur des promesses n’était infaillible. Le terme de
nos désirs est celui-là même qui nous a fait les promesses. Il se donnera,
parce qu’il s’est déjà donné; il se donnera immortel à des hommes immortels,
lui qui s’est donné mortel à des mortels. « Jugez-moi, ô Dieu, et séparez ma
cause de celle de la nation impie. Délivrez-moi de l’homme impie et trompeur »;
c’est-à-dire, d’un peuple qui n’est pas saint. Délivrez-moi de l’homme, dit le
Prophète, c’est-à-dire, d’une certaine race d’hommes. Car il y a homme et
homme; et de ces deux, l’un sera pris, l’autre sera laissé 2.
3. Mais parce qu’il faut de la patience pour
supporter, jusqu’à la moisson, ce que j’appellerais, si je le pouvais, une
séparation non séparée; car l’ivraie est avec le froment, et alors ils ne sont
pas encore séparés; mais l’ivraie c’est l’ivraie, et le froment c’est le
froment, et alors il y a déjà une distinction; donc parce qu’il faut de la
force, implorons-la de celui qui nous a ordonné d’être forts; et, si lui-même
ne nous rend forts, nous ne serons point tels qu’il nous veut. Demandons la
force à celui qui a dit: « Celui-là sera sauvé qui aura persévéré jusqu’à la
fin 3»; et de peur de s’affaiblir en s’arrogeant la force, l’âme ajoute
aussitôt: « C’est vous, Seigneur, qui êtes ma force; pourquoi une rejeter?
pourquoi marché-je dans la tristesse, quand mon ennemi m’afflige? » L’âme
recherche la cause de sa tristesse: « Pourquoi, dit-elle, marché-je dans la
douleur sous l’oppression de mon ennemi? » Je marche dans la tristesse, mou
ennemi me harcèle chaque jour de ses vexations, en me
1.
Matt. XIII, 10. — 2. Id. XXIV, 40. — 3. Id. X, 22.
suggérant ce qu’il est mal d’aimer ou mal de
redouter; et mon âme, en résistant à cette double suggestion, sans être
vaincue, est b néanmoins en danger; alors, saisie de tristesse, elle dit à
Dieu: Pourquoi? Qu’elle s’informe près de lui et qu’elle entende ce pourquoi.
Elle cherche dans le psaume la cause de sa douleur, en disant: « Pourquoi m’avez-vous
repoussée, pourquoi marché-je dans la tristesse? » Qu’elle l’apprenne d’Isaïe,
qu’elle se souvienne du passage que l’on vient de lire: « L’esprit », dit-il, «
sortira de moi; et c’est moi qui ai fait tout ce qui respire; j’ai quelque peu
contristé ce peuple à cause de son péché; j’ai détourné de lui ma face, et il
est devenu triste, et il s’en est allé tout affligé dans sa voie 1 ». Quelle
est donc ta question: « Pourquoi me repousser? pourquoi marché-je dans la
tristesse? » Tu l’as entendu: à cause du péché. La cause de ta tristesse est
donc le péché; puisse la justice être la cause de ta joie! Tu voulais du péché
sans vouloir souffrir, C’était peu à tes yeux que ta propre injustice, tu as
voulu rendre injuste celui-là même dont tu récusais les châtiments, Ecoute
cette parole plus équitable d’un autre psaume: « Vos humiliations sont un bien
pour moi, afin que j’apprenne votre justice 2 ». Dans mon orgueil j’avais
appris mes iniquités; que j’apprenne votre justice dans l’humilité. « Pourquoi
marcher tristement sous l’oppression de mon ennemi? » Tu te plains de l’ennemi;
il t’afflige, en effet; mais tu lui en as donné l’occasion. Et maintenant qu’il
y a remède, forme un bon dessein; admets en toi ton roi et bannis le tyran.
4. Mais écoutez ce que dit le Prophète pour
en arriver là, les supplications qu’il emploie, l’humble prière qu’il fait.
Prie toi-même comme tu entends prier, et prie lorsque tu entends; que, cette
parole soit unanime pour nous: « Envoyez votre lumière et votre vérité: elles
m’ont guidé, elles m’ont introduit sur votre montagne sainte et dans votre
vestibule 3 ». Votre lumière est en même temps votre vérité; il y a deux noms,
mais un seul objet. Qu’est-ce eu effet que la lumière de Dieu, sinon la vérité
de Dieu? Ou qu’est-ce que la vérité de Dieu, sinon la lumière de Dieu? Et l’une
et l’autre forment un seul Jésus-Christ. « Je suis la lumière du monde: celui
qui croit en moi ne marchera point
1. Isa. LVII, 16, 17. — 2 Ps. 118, 71. — 3.
Id. XLII, 3.
dans les ténèbres. Je suis la voie, la vérité
et la vie 1». C’est lui qui est la lumière, lui qui est la vérité. Qu’il vienne
donc et nous délivre, en séparant notre cause de celle d’un peuple impie, qu’il
nous arrache à l’homme de l’iniquité, de la fourberie; qu’il sépare le froment
de l’ivraie; car au temps de la moisson, il enverra ses anges qui arracheront
de son royaume tous les scandales, et les jetteront dans la fournaise ardente;
mais le froment, ils le mettront dans ses greniers 2. Il enverra sa lumière et
sa vérité, parce que ce sont elles qui nous ont déjà guidés et qui nous
introduiront sur la montagne sainte et dans son vestibule. Nous avons des
gages, espérons la récompense promise. Cette montagne sainte, la sainte Eglise
du Christ. Telle est cette montagne qui, selon la vision de Daniel, de petite
pierre d’abord, a pris de l’accroissement au point de renverser les royaumes de
la terre, et qui dans son étendue renferme le monde entier 3. C’est de cette
montagne encore qu’a été exaucé, nous dit-il, celui qui s’écrie: « Mes clameurs
se sont élevées jusqu’au Seigneur, il m’a exaucé du haut de sa montagne sainte
4». Qu’il n’espère aucunement être exaucé pour la vie éternelle, celui qui prie
en dehors de cette montagne. Il est beaucoup d’hommes qui se voient exaucés en
bien des points. Qu’ils ne s’applaudissent pas de ce que Dieu les exauce; car
les démons furent exaucés et envoyés dans les pourceaux 5. Désirons être
exaucés pour la vie éternelle, désir qui nous fait dire à Dieu: « Envoyez votre
lumière et votre vérité». Cette lumière veut les yeux du coeur. « Bienheureux
en effet », est-il dit, « ceux dont le coeur est pur, car ils verront Dieu 6 ».
Nous sommes aujourd’hui sur cette montagne, c’est-à-dire dans son Eglise, dans
sa tente. La tente est le palais des voyageurs, la maison est pour ceux qui
doivent l’habiter à demeure. La tente sert aussi pour les voyageurs et les gens
de guerre. Au nom de tente, souviens-toi de la guerre, veille à l’ennemi. Mais
quel sera le palais? « Bienheureux ceux qui habitent votre palais, vous
béniront dans les siècles des siècles 7 ».
8. Arrivés au tabernacle, et affermis sur la
montagne sainte, qu’avons-nous à espérer? « Et je m’approcherai de l’autel de
Dieu ». Il
1. Jean, VIII, 12; XIV, 6. — 2. Matt. XIII, 41- 43. — 3. Dan. II, 35. — 4. Ps. III, 5. — 5. Matt. VIII, 32,— 6.
Id. V, 8.— 7. Ps. LXXXIII, 5.
est en effet un autel sublime, invisible,
dont n’approche pas l’homme injuste. Celui-là seul peut en approcher, qui
s’approche avec sécurité de l’autel d’ici-bas: c’est là qu’il trouvera la vie,
si dès ici-bas il a séparé sa cause. « Je m’approcherai de l’autel de Dieu »;
de sa montagne sacrée, de son tabernacle, de sa sainte Eglise, je passerai à
cet autel de Dieu qui est dans le ciel. Quel est le sacrifice que l’on y offre?
Celui même qui en approche est offert en holocauste. « Je m’approcherai de
l’autel du Seigneur ». Qu’est-ce à dire, de l’autel du Seigneur? « Du Dieu qui
réjouit ma jeunesse ». Jeunesse veut dire ici nouveauté; c’est comme s’il
disait: Du Dieu qui me réjouit dans mon renouvellement. Il remplit de joie
l’homme nouveau, après avoir affligé le vieil homme. Je marche contristé
maintenant par ma vieillesse; devenu l’homme nouveau, je serai ferme et plein
de joie. Alors « ô Dieu, mon Dieu, je chanterai vos louanges sur la harpe ».
Qu’est-ce que chanter les louanges de Dieu sur la harpe, et sur le psaltérion?
Car on ne prend pas toujours le psaltérion, ni toujours la harpe. Ces deux
instruments de musique ont entre eux une différence bien marquée, digne d’être
examinée et confiée à la mémoire. La main porte l’un et l’autre, touche l’un et
l’autre; et ils désignent certaines oeuvres dont le corps est l’instrument.
L’un et l’autre sont harmonieux, pourvu qu’on touche bien du psaltérion, qu’on
touche bien de la harpe. Mais on nomme psaltérion cet instrument qui a la
tortue ou la voûte à sa partie supérieure, c’est-à-dire ce tambour, ce bois
creux sur lequel on appuie les cordes qui doivent résonner; dans la harpe, au
contraire, ce même bois est à la partie inférieure; de là vient la nécessité de
distinguer si nos oeuvres sont faites sur la harpe ou sur le psaltérion, bien
qu’elles soient également agréables à Dieu, harmonieuses pour ses oreilles.
Aussi, quand nous agissons selon les préceptes du Seigneur, avec l’intention de
lui obéir et d’accomplir ses préceptes, si nos oeuvres ne sont le fruit
d’aucune peine, c’est là chanter sur le psaltérion. C’est l’oeuvre des anges,
qui sont supérieurs aux souffrances. Mais quand nous devons lutter ici-bas
contre la douleur, la tentation, le scandale, comme nous ne souffrons que dans
la partie inférieure de l’âme, c’est-à-dire à cause de notre condition
mortelle, et parce que notre origine première
nous a soumis à la peine, et que ces
nombreuses tribulations ne viennent point d’en haut, c’est là chanter sur la
harpe. Car alors c’est d’en bas que s’exhale cette harmonie suave. Nous
souffrons et nous chantons sur le psaltérion, ou plutôt, nous chantons et nous
jouons de la harpe. Quand l’Apôtre disait que pour obéir à Dieu il annonçait
l’Evangile et le prêchait par toute la terre, parce qu’il n’avait reçu,
disait-il, cet Evangile ni d’un homme, ni par l’intermédiaire d’un homme, mais
bien de Jésus-Christ, les cordes de sa harpe résonnaient d’en haut; mais quand
il disait: « Nous mettons notre gloire dans les afflictions, sachant que
l’affliction engendre la patience, la patience la pureté, et la pureté
l’espérance », sa harpe résonnait d’en bas, et néanmoins avec harmonie. Car
toute patience est agréable à Dieu. Mais c’est briser la harpe que défaillir
dans la tribulation. Comment donc dit-il maintenant: « Je vous chanterai sur la
harpe? » parce qu’il avait dit: « Pourquoi marcher dans la tristesse quand
l’ennemi m’afflige? » Il souffrait alors dans son âme inférieure, et néanmoins
il voulait en cela plaire à Dieu, il brûlait du désir de lui rendre grâces en
souffrant avec courage: et comme il ne pouvait vivre ici-bas sans souffrir, il
était redevable à Dieu de sa patience. « Je vous chanterai sur la harpe, ô
Dieu, mon Dieu ».
6. Et s’adressant à son âme, pour tirer des
sous suaves de ce bois inférieur et harmonieux: « D’où te vient cette tristesse
», lui dit-il, « ô mon âme, et pourquoi me troubler? » Dans la peine où je
suis, dans les langueurs, dans les chagrins, pourquoi me troubler, ô mon âme?
Quel est l’interlocuteur? et à qui s’adresse-t-il? Il parle à son âme, nous le
voyons tous; il est clair que le discours est pour elle. « D’où te vient cette
tristesse, ô mon âme, et pourquoi me troubler? » On demande qui est
l’interlocuteur. Est-ce la chair qui s’adresse à l’âme, cette chair qui sans
l’âme ne parle point? Il convient mieux en effet à l’âme de s’adresser à la
chair, qu’à la chair de s’adresser à l’âme. Toutefois il n’est pas dit: D’où te
vient cette tristesse, ô ma chair; mais bien: D’où te vient cette tristesse, ô
mon âme? S’il s’adressait à la chair, il ne dirait peut-être pas: D’où te vient
ta tristesse; mais: D’où te vient ta douleur; car la douleur de l’âme s’appelle
tristesse, tandis que ce que l’on souffre dans la chair s’appelle douleur et ne
peut se dire tristesse. Et pourtant, la douleur corporelle produit d’ordinaire
la tristesse de l’âme. Mais il n’en est pas moins une différence entre la
douleur et la tristesse; car la douleur est pour la chair, la tristesse pour
l’âme. Aussi est-il dit clairement: « Pourquoi, mon âme, es-tu triste? » Car ce
n’en point l’âme qui s’adresse à la chair, puisqu’il ne dit point: D’où te
vient cette tristesse, ému chair? ce n’est pas non plus la chair qui s’adresse
à l’âme; il serait absurde qu’un inférieur parlât ainsi au supérieur. Nous
comprenons dès lors qu’il est en nous une image de Dieu, c’est-à-dire l’esprit
et la raison. C’est l’esprit qui tout à l’heure en appelait à la lumière de
Dieu, et à la vérité de Dieu. C’est lui qui nous apprend ce qui est juste et ce
qui est injuste; lui qui nous fait discerner le vrai du faux; lui que l’on
appelle intelligence, et qui n’est point dans les bêtes; lui que nul ne peut
négliger en lui préférant tout le reste et en se méprisant comme s’il n’en
avait point, sans entendre ces reproches du Psalmiste: « Gardez-vous de
ressembler au cheval et au mulet, qui n’ont point d’intelligence 1». C’est donc
en nous l’esprit qui s’adresse à l’âme. Celle-ci est abattue par la
tribulation, fatiguée par les angoisses, resserrée par les tentations, accablée
sous les travaux. L’esprit qui reçoit d’en haut la vérité, relève cette âme en
disant: « D’où te vient cette tristesse, ô mon âme, et pourquoi me troubler? »
7. Voyez si ce langage ne nous reporte point
à ce conflit dont nous parle saint Paul, figure alors de beaucoup de chrétiens,
de nous-mêmes peut-être, quand il disait: « Selon l’homme intérieur, je trouve
du plaisir dans la loi de Dieu, mais je sens dans mes membres une autre loi 2
»; c’est-à-dire, des mouvements de la chair: et dans cet antagonisme, comme
saisi d’un certain désespoir, il invoque la grâce de Dieu: « Malheureux homme
que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort? la grâce de Dieu par
Jésus-Christ Notre Seigneur 3? » Tels sont les lutteurs que Notre. Seigneur a
daigné personnifier en lui quand il a dit: « Mon âme est triste jusqu’à la mort
4 ». Car il savait ce qu’il était venu faire au monde. Pouvait-il craindre les
souffrances. celui qui avait dit: « J’ai le pouvoir de donner ma vie, et le
pouvoir aussi de la
1.
Ps. XXXI, 9.— 2. Rom. VII, 22.— 3. Id. 25.— 4. Matt. XXVI, 38,
reprendre; nul ne peut me l’ôter, mais je la
donne moi-même, afin que je la reprenne le nouveau 1? » Or, en disant: « Mon
âme est triste jusqu’à la mort», il figurait quelques-uns de ses membres.
Souvent, en effet, l’âme croit sincèrement, elle croit que l’homme, selon les
enseignements de la foi, passera au sein d’Abraham; elle le croit, et
néanmoins, quand elle arrive à l’heure la mort, elle se trouble à cause de ses
habitudes en cette vie; elle se relève pourtant afin d’entendre la voix
intérieure de Dieu, jusqu’à saisir intérieurement une spirituelle harmonie.
Car, dans le silence, une mélodie céleste se fait entendre, non plus aux
oreilles, mais à l’âme; en sorte que tout bruit du corps devient un ennui pour
celui qui choisit cette mélodie, et que toute la vie humaine n’est plus qu’un
bruit fâcheux, qui l’empêche d’entendre ce concert plein de charmes, ravissant,
ineffable. Qu’un trouble, en effet, vienne l’en distraire, l’homme souffre
violence; et, s’adressant à son âme: « Pourquoi», lui dit-il, « cette
tristesse, ô mon âme, et pourquoi me troubler? » Serait-ce peut-être parce
qu’il est difficile que la vie soit pure au jugement de celui qui sait juger
avec tant d’exactitude et de lumière? Bien qu’une vie soit irréprochable aux
yeux des hommes, et qu’ils n’y puissent rien reprendre avec justice, les yeux
de Dieu sont perspicaces, la règle de sa justice n’est point sujette à
l’erreur, et il trouve à reprendre dans un homme ce que les hommes n’y voyaient
point de blâmable, ce que ne découvrait pas intérieurement celui-là même qui
est jugé. Telles sont, peut-être, les appréhensions qui troublent notre âme; et
l’esprit lui jetterait cette apostrophe: Pourquoi te troubler à cause de tes
péchés que tu ne peux éviter entièrement? «Espère dans le Seigneur, car je le
confesserai de nouveau ». Ce dialogue guérit une partie de ses maux, une fidèle
confession purifie le reste. Crains donc si tu dis que tu es juste, si tu n’es
pénétré de cette autre parole du psaume: « N’entrez point en jugement avec
votre serviteur». Pourquoi: «N’entrez point en jugement avec votre serviteur? »
C’est que j’ai besoin de votre miséricorde. Et si votre miséricorde n’est pour
rien dans votre jugement, où irai-je? « Si vous examinez toutes les iniquités,
Seigneur, qui pourra tenir
1. Jean, X, 17, 18.
devant vous, ô mon Dieu 1? » « N’entrez donc
point en jugement avec votre serviteur, car nul homme vivant ne paraîtra juste
devant vous 2 ». Donc, si nul homme vivant n’est juste en votre présence,
malheur à quiconque vit ici-bas, quelle que soit la pureté de sa vie, si Dieu
entre en jugement avec lui! C’est pourquoi Dieu, par un autre prophète, prend
ainsi à partie les hommes arrogants et superbes: « Pourquoi vouloir entrer en
jugement avec moi? vous m’avez tous abandonné, dit le Seigneur 3». Garde-toi
donc d’entrer en jugement avec Dieu; efforce-toi d’être juste, et, quelle que
soit ta justice, fais l’aveu de tes fautes; espère toujours la miséricorde; et,
dans cet humble aveu, dis sans crainte à cette âme qui te trouble et qui se
soulève contre toi: « D’où te vient cette
tristesse, ô mon âme, et pourquoi me troubler? » Tu voulais peut-être espérer
en toi-même? « Espère en Dieu», non pas en toi. Qu’es-tu par toi-même? Qu’il
soit pour toi la santé, celui qui a souffert tant de blessures pour toi. «
Espère dans le Seigneur », dit le Prophète, « car je le confesserai de
nouveau». Que lui confesseras-tu? « Qu’il est le salut à mes yeux, qu’il est
mon Dieu ». Vous êtes le salut qu’attendent mes yeux, et vous une guérissez.
Malade, je m’adresse à vous: je vous reconnais pour mon médecin, et je ne vante
point ma santé. Qu’est-ce à dire: Je reconnais en vous mon médecin, et je ne
vante point ma santé? C’est ce qui est marqué dans un autre psaume: « J’ai dit:
Seigneur, ayez pitié de moi, guérissez mon âme, car j’ai péché contre vous 4».
8. C’est là, mes frères, une parole sûre:
mais veillez à faire de bonnes oeuvres. Touchez du psaltérion, en obéissant aux
préceptes; touchez de la harpe, en souffrant les maux de ce monde. Vous venez
d’entendre cette parole d’Isaïe: « Partage ton pain avec celui qui a faim 5 ».
Ne va pas croire qu’il suffise de jeûner. Ton jeûne peut t’affliger, mais sans
soulager le pauvre. Tes angoisses te seront fructueuses, quand elles
soulageront la peine des autres. Voilà que tu refuses quelque chose à ton âme,
à qui donneras-tu ce que tu t’es retranché? Où mettras-tu ce que tu as ainsi
épargné? Combien le dîner dont aujourd’hui nous nous sommes privés aurait pu
nourrir
1. Ps. CXXIX, 3.— 2. Id. CXLII, 2.— 3. Jérém.
II, 29, — 4. Ps. XL, 5. — 5. Isa. LVIII, 7.
de pauvres! Jeûne donc de manière à te
réjouir de ton dîner qu’un autre aura mangé, afin que tu sois exaucé dans tes
prières. Le Prophète nous dit au même endroit: « Lorsque tu auras de bon coeur
partagé ton pain avec celui qui a faim, tu parleras encore que je dirai: Me
voici 1 ». On fait souvent l’aumône avec chagrin et avec murmure, pour échapper
aux importunités d’un mendiant, et non pour soulager la faim qui le presse. Or,
Dieu aime celui qui donne avec joie 2. Si tu ne donnes ton pain qu’avec
tristesse, ton pain est perdu comme ton mérite. Agis donc de
1. Isa. LVIII, 9, 10.— 2. II Cor. IX, 7.
bon coeur, afin que celui qui voit à l’intérieur
te dise: « Me voici », quand tu parleras encore. Comme Dieu accueille
promptement les prières de ceux qui font le bien! et les oeuvres qui justifient
un homme en cette vie, ce sont le jeûne, l’aumône et la prière. Veux. tu que ta
prière vole jusqu’à Dieu? donne-lui deux ailes: le jeûne et l’aumône.
Puisse-t-il nous trouver tels; afin que la lumière de Dieu nous trouve en
sûreté, comme la vérité de Dieu, quand viendra nous délivrer de la mort celui
qui est venu subir la mort pour nous. Ainsi soit-il!
PSAUME 43: L’AFFLICTION ET LA GRÂCE.
Les fils de Coré sont les martyrs qui en
appellent à Dieu dans leurs tourments, qui comparent aux maux qu’ils endurent
les merveilles de Dieu en faveur de son peuple délivré, puis établi dans la terre
promise. Dieu demeure sourd à nos demandes, pour que nous apprenions à lui
demander les biens éternel: qu’il n’accorde pas en cette vie. Les merveilles du
Seigneur étaient l’effet gratuit de sa bonté qui nous délivrera des maux
d’ici-bas. Entre la gloire du passé et celle de l’avenir, il y a la peine du
présent, épreuve nécessaire pour nous faire connaître si nous servons Dieu par
amour, et dont Dieu nous délivrera par sa grâce.
1. Ce psaume, d’après l’indication du titre,
est pour les fils de Coré. Or, Coré signifie chauve, ou calvaire, et l’Evangile
nous raconte que Notre Seigneur Jésus-Christ fut crucifié en un lieu appelé
Calvaire 1. II est donc visible que ce Psaume est pour les fils de ses
douleurs. Nous en avons d’ailleurs le témoignage évident et sûr de l’apôtre
saint Paul qui, dans les persécutions que les Gentils faisaient subir à
l’Eglise, emprunte un verset de notre psaume, dont il tire un encouragement à
souffrir et une consolation. C’est ici en effet qu’est écrit ce qu’il intercale
dans sa lettre: « Chaque jour on nous égorge pour votre amour, ô mon Dieu, on
nous regarde comme des brebis destinées à la boucherie 2 ». Ecoutons donc en
notre psaume la voix des martyrs, et voyez la justice de cette
1.
Matt. XXVII, 31. — 2. Ps. XLIII, 22; Rom. VIII, 36.
cause que soutiennent les martyrs, puisqu’ils
s’écrient: « C’est pour vous, Seigneur ». C’est
pour cela que le Seigneur ajoute: «A cause de
la justice », quand il dit: « Bienheureux ceux qui sont persécutés à cause de
la justice 1 »; de peur qu’on ne vînt à revendiquer la gloire de souffrir,
quand on endure la persécution sans défendre une cause juste. De là vient
encore cette exhortation à ses disciples: « Vous serez heureux quand les hommes
vous traiteront de telle manière et vous maudiront à cause de moi » Tel est le
sens de cette parole: « On nous égorge tous les jours à cause de vous ».
2. Il est bien digne en effet de nos
méditations, ce profond dessein du Seigneur qui, d’une part, délivre de
l’Egypte, avec tant d’éclat, nos ancêtres, les patriarches, ainsi que
1. Matt. V, 10.
tout le peuple d’Israël, submerge dans les
eaux ennemis qui les poursuivent, les conduit à travers les nations qui se
soulèvent, leur assujettit leurs ennemis et les établit dans la terre promise,
leur fait remporter avec peu de soldats d’éclatantes victoires sur de grandes
armées; puis, d’autre part, il se plaît à se détourner de son peuple, laisse
maltraiter et égorger ses saints, et nul ne résiste, nul ne les défend, nul ne
les protége. On dirait que Dieu se dérobe à leurs gémissements, qu’il les a
oubliés, qu’il n’est plus leur Dieu, ce Dieu à la main puissante, au bras si
élevé, dont la force merveilleuse a, disons-nous, délivré de l’Egypte nos pères
ou le peuple d’Israël, les a établis en royaume dans une terre dont il chassait
les nations vaincues, à la face des peuples étonnés qu’un si petit nombre pût
vaincre un si grand nombre. Tel est l’aveu plein de larmes qui ouvre le chant
de notre psaume. tout cela n’est pas arrivé sans motif, mais afin que nous en
comprissions les raisons. Qu’elles soient arrivées, cela est évident;
approfondissons quelque peu les raisons pour lesquelles Dieu l’a permis. Aussi
bien le psaume n’a-t-il pas seulement pour titre: « Aux fils de Coré »; mais: «
Intelligence aux fils de Coré 1 ». C’est ce que nous avons déjà vu dans cet
autre dont le Sauveur récita sur la croix le premier verset: « O Dieu, mon
Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné 2? » Car c’était
nous que le Seigneur figurait dans ces
paroles; il parlait au nom de son corps (nous sommes en effet son corps, et il
est notre chef), quand il proféra sur la croix cette parole qui est moins la
sienne que la nôtre. Dieu, en effet, ne l’a jamais abandonné, et lui ne s’était
point retiré de son Père; mais c’était en notre nom qu’il disait: « O Dieu, mon
Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné? » En effet, nous lisons ensuite: « Le
rugissement de mes péchés éloigne de moi le salut 3 ». Voilà ce qui nous montre
au nom de qui il parlait, puisqu’on ne pouvait trouver en lui aucun péché. « Je
crierai vers vous pendant le jour», dit le même psaume, « et vous ne
m’exaucerez point: et la nuit», il sous-entend assurément, et vous n’exaucerez
point ma prière; il ajoute: « Et ce ne sera point une folie pour moi ».
C’est-à-dire, par cela même que vous ne m’écouterez point, il y aura là pour
moi, non pas un défaut de sagesse, mais une
1.
Ps. XLIII, 1,— 2. Id. XXI, 2.— 3. Id. 3.
leçon. Qu’est~ce à dire, que je comprendrai
parce que vous ne m’exaucerez point? c’est-à-dire que vous n’écouterez point
mes voeux temporels, afin que je comprenne que je dois vous demander les biens
éternels. Dieu en effet n’abandonne pas réellement, quand il semble abandonner;
il nous ôte ce que nous avons tort de désirer, et nous enseigne ce qu’il est
bon de demander. Si Dieu nous exauçait toujours dans ce qui regarde les biens
de cette vie, si nous avions tout en abondance, ne souffrant dans le cours de
cette vie mortelle aucune affliction, aucune nécessité, aucune angoisse, nous
croirions que Dieu n’a pas pour ses serviteurs d’autres grands biens que ceux
de la terre, et nous n’en désirerions pas de plus excellents. Dieu donc mêle à
nos joies de cette vie l’amertume de l’affliction, afin que nous soupirions
après une autre vie, dont la douceur est sans danger; tel est le titre:
« Intelligence pour les enfants de Coré ».
Ecoutons le psaume, afin d’y mieux comprendre encore cette vérité.
3. « Seigneur, nous avons entendu de nos
oreilles; nos pères nous ont raconté l’œuvre que vous avez accomplie en leurs
jours, et dans les siècles passés ». Etonnés de ce que
le Seigneur paraisse abandonner ceux qu’il
veut exercer par les souffrances, les interlocuteurs rappellent ces merveilles
qu’ils ont apprises de leurs pères, et semblent dire: Ces maux que nous
endurons sont loin de ce que nos pères nous ont raconté. « En vous ont espéré
nos pères; ils ont espéré, et vous les avez délivrés. Pour moi, je suis un ver
et non pas un homme. Je suis l’opprobre des hommes, le rebut de la populace 1
». Ils ont espéré et vous les avez délivrés; moi j’ai espéré, vous m’avez
délaissé; est-ce donc en vain que j’ai mis en vous ma confiance, en vain que
mon nom est écrit sur votre livre, que votre nom est écrit dans mon âme? Voici
donc ce que nous ont raconté nos pères: «
Votre main a détruit les nations, et pour eux, vous les avez solidement assis;
vous avez affaibli les peuples, et puis chassés 2 ». C’est-à-dire, vous avez
chassé les nations du pays qu’elles possédaient pour y introduire et y asseoir
nos pères, et pour affermir leur royaume dans votre miséricorde. Voilà ce que
nos pères nous ont raconté.
4. Mais peut-être ont-ils accompli ces
1. Ps. XXI, 27. — 2. Id. XLIII, 3.
merveilles parce qu’ils étaient un peuple
courageux, guerrier, invincible, exercé, belliqueux? Point du tout. Nos pères
ne nous ont point dit cela, l’Ecriture n’en dit rien; mais, que dit-elle? sinon
ce qui suit: « Ce n’est point par le glaive qu’ils ont acquis en héritage la
terre promise, et leur bras ne les a point sauvés; mais c’est votre droite,
votre bras et la lumière de votre visage ». Votre droite ou votre puissance;
votre bras ou votre Fils. « Et la lumière de votre face ». Que signifie cette
expression? C’est que vous leur avez donné de tels signes de protection, que
l’on reconnaissait votre présence. Quand le Seigneur, en effet, nous signale sa
présence par quelque miracle, est-il pour cela visible à nos yeux? Mais le
miracle. a pour effet de montrer qu’il est présent. Enfin, que disent tous ceux
que de pareils faits remplissent d’étonnement? J’ai vu Dieu, il était là.
«C’est votre droite, votre bras, le reflet de votre face; parce que vous avez
mis en eux vos complaisances ». C’est-à-dire, vous avez agi comme si vous vous
plaisiez en eux; en sorte que tous ceux qui vous voyaient en agir ainsi avec
eux, disaient: C’est Dieu qui est avec eux, c’est Dieu qui les conduit.
5. Quoi donc? Dieu était-il alors autre qu’il
n’est maintenant? Loin de là. Que nous dit ensuite le Psalmiste? « C’est
vous-même qui êtes mon Roi et mon Dieu 2 ». C’est vous-même, vous n’êtes point
changé. Les temps sont changés, je le vois; mais le Créateur des temps ne
change point. « C’est vous-même qui êtes mon Roi et mon Dieu ». C’est toujours
vous qui me conduisez, toujours vous qui venez à mon secours. « C’est vous qui
ordonnez le salut de Jacob ». Qu’est-ce à dire: « Vous ordonnez?» C’est-à-dire,
bien que cette nature qui vous constitue ce que vous êtes en votre substance,
demeure cachée à nos regards, et que vous ne soyez pas intervenu en faveur de
nos pères, dans votre essence, de manière qu’ils pussent vous voir face à face;
néanmoins, c’est vous qui ordonnez à telle créature qu’il vous plaît de sauver
Jacob. Vous voir face à face n’est en effet réservé qu’à ceux qu’aura délivrés
la résurrection. Nos pères eux-mêmes du Nouveau Testament, bien qu’ils aient vu
vos mystères à découvert, bien qu’ils aient annoncé aux autres ces mystères
révélés, ont proclamé qu’ils ne voyaient qu’en
1. Ps. XLIII,4.— 2. Id. 5.
énigme et comme dans un miroir; et que vous voir
face à face 1, était une faveur réservée au moment dont l’Apôtre parle ainsi: «
Vous êtes morts et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ; or, à
l’apparition du Christ qui est votre vie, vous apparaîtrez aussi avec lui dans
la gloire 2 ». C’est pour ce moment que Dieu nous réserve de le voir face à
face; ce qui a fait dire à saint Jean: « Mes bien-aimés, nous sommes les fils
de Dieu, mais ce que nous serons un jour ne paraît point encore. Nous savons
que, quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui, parce que
nous le verrons tel qu’il est 3 ». Quoique nos pères ne vous aient, donc point
vu face-à- face, et tel que vous êtes; quoique cette vision nous soit différée
jusqu’à la résurrection; quoique ce soient des anges qui nous ont assistés, «
c’est vous néanmoins qui ordonnez le salut de Jacob ». Non seulement par
vous-naine, vous nous assistez; mais de quelque créature que vous vous serviez
pour nous assister, vous ne l’ordonnez pas moins pour le salut de vos
serviteurs que vous opérez par vous-même; et ce qui s’opère pour le salut de
vos serviteurs, c’est ce que l’on fait d’après vos ordres. Mais dès lors que
vous êtes mon Dieu et mon Roi, et que vous ordonnez le salut de Jacob, pourquoi
ces maux que nous endurons?
6. Mais peut-être ces merveilles que l’on
nous a racontées ne sont-elles que pour le passé, et n’avons-nous rien de
semblable à espérer pour l’avenir? Telle est au contraire l’espérance qu’il
nous faut avoir. « C’est en vous que nous abattrons la puissance de nos ennemis
». Donc nos pères nous ont raconté les merveilles que vous avez accomplies dans
leur temps et dans les jours anciens; ils nous ont dit que, pour les établir,
vous aviez dissipé les nations, chassé les peuples, voilà pour le passé; mais
dans l’avenir, que doit-il arriver? « En vous nous abattrons la puissance des
peuples »: un temps viendra où de tous les ennemis des chrétiens seront vannés
comme la paille, dissipés comme la poussière et emportés de dessus la terre.
Mais avec un passé glorieux comme on nous le on raconte, avec un avenir tel
qu’il nous est annoncé, pourquoi donc aujourd’hui ces maux
1. I
Cor. XIII,12. — 2. Coloss. III, 3, 4. — 3. I Jean, III, 2, — 4. Ps.
XLIII, 6.
que nous souffrons, sinon pour donner
l’intelligence aux fils de Coré? «Par vous nous abattrons la puissance de nos
ennemis, et en votre nom nous foulerons aux pieds nos persécuteurs 1 ». Voilà
pour l’avenir.
7. «Je ne mettrai point mon espérance dans
mon arc 2 »; de même que nos pères ne la mettaient point dans l’épée. « Et ce
ne sera point mon glaive qui me sauvera ».
8. «Car c’est vous qui nous avez sauvés de
ceux qui nous affligeaient 4 ». Cette forme du passé nous désigne l’avenir; cet
emploi de la forme du passé nous marque une certitude aussi grande que si les
faits étaient accomplis. Remarquez que souvent les Prophètes parlent des faits
qu’ils annoncent pour l’avenir, comme s’ils étaient accomplis déjà. Car, en
parlant de la passion du Sauveur, qu’il annonçait pour l’avenir, le psalmiste a
dit: « Ils ont percé mes pieds et mes mains, ils ont compté tous mises os »; il
n’a point dit: Ils perceront, ils compteront. « Ils m’ont considéré, ils m’ont
regardé »; et non: Ils me considéreront, ils me regarderont. « Ils se sont
partagé mes vêtements 4 »; et non: Ils se partageront. Tous ces faits sont à
venir, et néanmoins prédits comme accomplis: parce que devant Dieu ce qui doit
arriver est aussi certain que s’il était déjà passé. Pour nous, ce qui est
arrivé est certain; ce qui est à venir, incertain. Nous savons un fait quand il
est accompli, et il est impossible qu’un fait accompli ne le soit point. Mais
donne-moi un prophète, et l’avenir est pour lui aussi certain que pour toi le
passé: et autant pour toi il est impossible qu’un fait accompli, présent à ta
mémoire, ne soit point arrivé; autant pour lui il est impossible qu’un fait
qu’il connaît pour l’avenir, n’arrive point. C’est pour cela qu’il prédit ce
qui doit arriver, avec la même certitude que s’il était arrivé. C’est là donc
ce que nous espérons: « Vous nous avez sauvés de ceux qui nous affligeaient, et
ceux qui nous haïssaient, vous les avez couverts de confusion ».
« Durant tout le jour, nous nous glorifierons
dans le Seigneur ». Voyez comme il entremêle des paroles au futur, afin de vous
montrer que sous la forme du passé il annonce néanmoins l’avenir. « Durant tout
le jour, nous nous glorifierons en Dieu; et sous chanterons les louanges en
votre nom
1.
Ps. XLIII, 6.— 2. Id. 7.— 3. Id. 8. — 4. Ps. XXI,17, 19.
pendant tous les siècles 1 ». Pourquoi-nous
glorifier? pourquoi chanter des louanges? Parce que vous nous avez arrachés à
ceux qui nous persécutaient, parce que vous nous donnerez un royaume éternel,
parce que vous accomplirez en nous cette parole: « Bienheureux, Seigneur, ceux
qui habitent votre maison; ils vous loueront dans les siècles des siècles 2 ».
10. Si donc voilà un avenir très-assuré pour
nous, si nos pères nous ont raconté les merveilles du passé, qu’avons-nous
maintenant? « Maintenant vous nous avez repoussés, vous « nous avez couverts
d’ignominie ». Cette ignominie n’est point dans notre conscience, mais à la
face des hommes. II y eut des temps, en effet, où l’on persécutait les
chrétiens, où ils fuyaient partout, où l’on disait de toutes parts: Voilà un
chrétien, comme si c’était là un sujet d’opprobre et d’insulte. Où est donc ce
Dieu, qui est notre Dieu et notre Roi, qui ordonne le salut de Jacob? Où est
celui qui a opéré toutes ces merveilles que nous racontaient nos pères? Où est
celui qui doit accomplir tout ce qu’il nous a prédit par l’Esprit-Saint? Serait-il
donc changé? Non; mais tout cela est pour l’intelligence aux fils de Coré. Nous
devons comprendre quelque peu pourquoi Dieu veut nous faire endurer ces choses
au milieu des temps. Pourquoi toutes ces douleurs? « Maintenant vous nous avez
rejetés et couverts d’ignominie; et vous ne marcherez plus, Seigneur, à la tête
de nos armées 3 ». Nous marchons contre nos ennemis, et vous ne marchez point
avec nous nous les voyons, ils sont victorieux et nous succombons. Où donc est
votre force d’autrefois? Où est votre droite et votre puissance? Où est donc
cette mer qui se dessèche? Où sont donc ces Egyptiens qui poursuivent Israël
dans les flots? Où est cet Amalech dont le signe de la croix vainquit les
résistances? « Et vous ne marcherez plus, Seigneur, à la tête de nos armées ».
11. « Vous nous avez fait reculer à la suite
de nos ennemis »; en sorte qu’ils paraissent ouvrir la marche et que nous
sommes en arrière; ils paraissent vainqueurs et nous vaincus. « Et ceux qui
nous haïssaient enlevaient nos dépouilles 5 »: quelles dépouilles, Sinon!
nous-mêmes?
1.
Ps. XLII, 9. — 2. Id. 10. — 3. Ibid. — 4. Exod. XIV, 21,27; XVII, 11. — 5.
Ps. XLIII, 11.
12. « Vous nous avez livrés comme des brebis
que l’on dévore, et dispersés parmi les nations ». Les nations nous dévorent;
on désigne ici ceux que la persécution a incorporés aux Gentils. L’Eglise les
pleure comme des membres qui sont dévorés.
13. « Vous avez vendu votre peuple pour rien
». Nous avons vu ceux que vous avez livrés, sans voir ce que vous avez reçu. «
Et la foule ne se pressait point dans leurs fêtes 1 ». Quand les chrétiens
fuyaient les persécutions des idolâtres leurs ennemis, pouvaient-ils
s’assembler pour chanter les louanges de Dieu? Pouvaient-ils chanter ces hymnes
dans les églises de Dieu, comme on les chante pendant la paix, quand les frères
élèvent jusqu’aux oreilles de Dieu leurs mélodieux concerts? « Et la foule ne
se pressait point à leurs fêtes ».
14. « Vous avez fait de nous un sujet
d’opprobre pour nos voisins, la fable et la dérision de tous ceux qui nous
environnent. « Vous avez fait de nous un exemple pour les nations 3 ». Que
signifie « un exemple? »L’homme qui fait des imprécations apporte quelquefois
un type des maux qu’il adjure. Puisses-tu mourir comme un tel, subir de pareils
châtiments! Combien n’a-t-on pas dit: Puisses-tu être ainsi crucifié ! Il ne
manque pas aujourd’hui d’ennemis du Christ, comme les Juifs, pour nous dire,
quand nous défendons contre eux le Christ: Puisses-tu mourir comme il est mort!
Car ils ne lui auraient point infligé ce genre de mort, s’ils ne l’avaient eu
en horreur, ou s’ils en avaient pu comprendre le mystère. L’aveugle à qui l’on
met un collyre, ne voit point ce collyre dans la main du médecin. Or, la croix
elle-même dut profiter à ceux qui l’y clouaient. Ce remède les guérit ensuite,
et ils crurent à celui qu’ils avaient crucifié. « Vous avez fait de nous un
exemple pour les nations; les peuples en nous voyant ont branlé la tête »; ils
branlaient la tête par mépris. « Leurs lèvres parlaient et ils branlaient la
tête 4 ». Voilà ce qu’ils oni fait au Seigneur, ce qu’ils ont fait à tous les
saints qu’ils ont pu persécuter, enchaîner, tourner en dérision, livrer aux
magistrats, flageller et faire mourir.
15. « Tout le jour ma honte est présente à
mes yeux, la confusion a couvert mon visage, à la voix de celui qui m’insulte
1.
Ps. XLIII, 12. — 2. Id. 13. — 3. Id. 14, 15. — 4. Id. XXI, 8.
et m’accable d’outrages 1 »; c’est-à-dire, à
la voix de ceux qui m’accablent d’outrages, me faisant un crime du culte que je
vous rends, de l’honneur que je témoigne à votre nom; ils me reprochent comme
un crime ce nom qui doit effacer tous mes crimes. « A la voix de celui qui
insulte, et qui outrage », c’est-à-dire, qui parle contre moi. « A la face de
l’ennemi, du persécuteur ». Que devons-nous comprendre ici? Ce qui a été dit du
passé n’aura plus lieu dans nos temps; ce que nous espérons pour l’avenir,
n’apparaît point encore. Dans le passé: le peuple sortit de l’Egypte avec tout
l’éclat des prodiges, il fut délivré de ceux qui le poursuivaient, il fut
conduit à travers les peuples que Dieu chassa, et enfin établi en royaume. Quel
est l’avenir?C’est que le peuple sera tiré de l’Egypte de ce bas monde, sous la
conduite du Christ et à la splendeur de sa gloire; que les saints seront placés
à sa droite, et ses ennemis à sa gauches, que les méchants subiront, avec le
diable, un châtiment éternel, que le Christ avec ses saints régnera
éternellement. Voilà l’avenir, le reste est du passé. Qu’y a-t-il entre les
deux? Les peines. Pourquoi? Pour montrer l’âme qui honore Dieu, et comment elle
l’honore; si elle sert gratuitement celui qui l’a sauvée gratuitement. Que Dieu
vous dise en effet: Que m’avez-vous donné pour vous créer? si vous avez pu bien
mériter de moi depuis votre création, assurément vous n’aviez rien mérité avant
d’être créé; que pouvons-nous répondre à celui qui tout d’abord nous a créés
gratuitement, parce qu’il est bon, et non parce que nous avions des mérites?
Que dirons-nous aussi de notre réparation, qui est une seconde naissance? Que
nos mérites nous ont valu de la part du Seigneur ce salut éternel qu’il nous
envoie? Point du tout. Si Dieu avait pris en considération nos mérites, il nous
aurait condamnés. Il n’est donc point venu pour examiner nos mérites, mais pour
nous remettre nos péchés. Tu n’étais pas, et tu es aujourd’hui; qu’as-tu donné
à Dieu?Tu étais dans le mal, Dieu t’en a délivré; qu’as-tu. donné à Dieu? Que
n’as-tu pas reçu de lui gratuitement? C’est justement que l’on appels grâce ce
qui est donné pour rien. Dieu donc te demande de le servir gratuitement, toi
aussi, non parce qu’il te donne les biens temporels, mais parce qu’il t’en
promet d’éternels.
1. Ps. XLIII, 16, 17. — 2. Matt. XXV, 33.
16. Mais à l’égard de ces biens éternels,
garde-toi de toute fausse idée, de peur que tu ne serves pas Dieu gratuitement,
en te faisant des biens célestes une idée charnelle. Eh quoi! situ sers le
Seigneur parce qu’il te donne une belle terre, cesseras-tu de le servir s’il te
la reprend? Mais peut-être dis-tu en toi-même: Je servirai Dieu parce qu’il
doit te donner une belle campagne, mais qui n’est point du temps. Tu as encore
des motifs défectueux, car tu ne sers point le Seigneur par amour simplement,
puisque tu en attends une récompense. Tu veux avoir dans le siècle à venir ce
que tu dois quitter dans celui-ci; tu veux changer et non retrancher tes
délices charnelles. On ne fait pas un mérite de jeûner à celui qui ne le fait
que pour se préparer à un dîner d’apparat. Souvent en effet on invite à un
grand repas des hommes qui ont jeûné pour y venir avec plus d’appétit; ce jeûne
est-il bien celui de la continence, et ne serait-il pas celui de
l’intempérance? Garde-toi donc d’espérer que Dieu te donnera ce qu’il t’ordonne
de mépriser en cette vie. C’est en effet ce qu’espéraient les Juifs, c’est la
question qui les troublait. Eux aussi espèrent une résurrection, mais ils
croient à une résurrection qui leur donnera ce qu’ils aiment sur la terre.
Aussi, quand les Sadducéens, qui ne croient pas à la résurrection, leur
proposèrent la question de cette femme qui avait eu successivement sept frères
pour maris, et qu’on leur demanda de qui elle serait épouse à la résurrection,
ils furent en défaut et ne trouvèrent aucune réponse. Mais quand la question
fut posée au Seigneur, comme il nous promet une résurrection telle que l’on
n’aura plus aucun désir des voluptés charnelles, mais dont les joies sans fin
seront puisées en Dieu, il répondit: « Vous êtes dans l’erreur, ne sachant ni
les Ecritures, ni la puissance de Dieu; car au jour de la résurrection les
hommes n’auront point de femmes, ni les femmes de maris, puisqu’ils ne seront
plus assujettis à la mort 1 ». C’est-à-dire qu’il n’est pas besoin de
successeur, quand nul ne cède sa place. Qu’arrivera-t-il donc? « Tous», dit le
Sauveur, « seront comme les anges de Dieu ». A moins peut-être que tu n’en sois
à croire que les anges mettent leur joie dans les festins de chaque jour, dans
le vin dont tu t’enivres, ou que tu ne croies que les
1. Matt. XXII, 29, 30; Luc XX, 35, 36.
anges ont des épouses. Il n’y a rien de tout
cela parmi les anges. D’où vient la joie des anges, sinon de ce qui a fait dire
au Seigneur: «Vous ne savez donc pas que les anges voient la face de mon Père
1? » Si donc la vue de mon Père constitue la joie des anges, prépare ton âme à
une joie semblable, à moins que tu ne trouves mieux que la face de Dieu.
Malheur à ton amour, si tu as la moindre pensée qu’il y ait une beauté plus
grande que la beauté de celui qui a donné à tout objet la beauté qu’il possède,
et si cette beauté t’absorbe au point que tu ne mérites plus de penser à Dieu.
Le Seigneur était incarné, c’était un homme qui apparaissait aux hommes.
Comment apparaissait-il? Je l’ai dit, c’était un homme aux yeux des hommes.
Avec quelle grandeur apparaissait-il? La chair y voyait la chair. Que montrait
de grand celui dont il est dit: « Nous l’avons vu, et il n’avait ni grâce ni
beauté 2? » Quel est celui qui n’avait ni grâce, ni beauté? C’est celui dont il
est dit: « Il surpasse en beauté les enfants des hommes 3 ». Comme homme, il
n’avait ni grâce ni beauté, mais il était beau dans la nature qui l’élève
au-dessus des enfants des hommes. Aussi, en montrant aux hommes ce que l’on
peut appeler la difformité de la chair, que dit-il? « Celui qui m’aime, garde
mes commandements, et celui qui m’aime sera « aimé de mon Père, et moi je
l’aimerai, et je me montrerai à lui 4 ». Il promettait de se montrer à ceux qui
le voyaient. Mais quel est le sens de ses paroles? Il semble leur dire: Vous
voyez en moi la forme de l’esclave, la forme divine vous est cachée: l’une est
douce pour vous, l’autre vous est réservée; par l’une je vous donne la
nourriture des petits enfants, par l’autre je suis l’aliment des parfaits. Dieu
en agit donc ainsi afin de préparer aux choses invisibles cette foi qui nous
purifie, c’est-à-dire que tout cela doit donner l’intelligence aux fils de
Coré, afin que les saints soient dépouillés de ce qu’ils ont de terrestre, et
même de la vie temporelle; afin qu’ils ne servent point le Seigneur par amour
pour ces biens, mais qu’impur amour pour lui leur fasse endurer tout ce qu’ils
ont à souffrir dans le temps.
17. Or, après avoir compris tout cela, que
disent les fils de Coré? « Tous ces maux sont
1. Matt. XVIII 10. — 2. Isa. LIII, 2. — 3.
Ps. XL V, 3. — 4. Jean, XIV, 21
« venus fondre sur nous, et nous ne vous
avons pas oublié ». Qu’est-ce à dire: « Et nous ne vous avons pas oublié? Et
nous n’avons point répudié votre alliance; et notre coeur ne s’est point retiré
de vous; et nos pas ne se sont point égarés loin de vos sentiers 1 ». C’est là
l’intelligence, que notre coeur ne s’éloigne pas de vous, que nous ne vous
mettions pas en oubli, que nous ne commettions pas le mal dans votre alliance,
nous qui sommes en butte aux tribulations et aux vexations des païens. « Pourtant
vous avez détourné nos sentiers de votre voie ». Nos sentiers sont dans les
voluptés du siècle; nos sentiers sont dans la prospérité des biens temporels;
or, vous avez détourné nos sentiers de votre voie, et nous avez montré combien
est peu large et combien est étroite la voie qui conduit à la vie. « Et vous
avez détourné nos sentiers de votre voie ». Que signifie cette parole, que «
nos sentiers sont loin de votre voie? » C’est comme s’il nous disait: Vous êtes
dans l’angoisse, vous avez beaucoup à souffrir, vous avez perdu ici-bas bien
des choses que vous aimiez; mais moi, je ne vous ai point abandonné dans cette
voie dont je vous ai dit qu’elle est étroite. Vous cherchiez de larges
sentiers; et moi, qu’est-ce que je vous dis? C’est par là qu’on arrive à la vie
éternelle; celle que vous voulez prendre conduit à la mort. « Combien est large
et spacieuse la voie qui conduit à la mort, et combien en est-il qui la
suivent! Combien est petite et étroite la voie qui conduit à la vie, et combien
peu y veulent marcher 2 ! » Quel est ce petit nombre? Ceux qui souffrent les
afflictions, qui endurent les épreuves, qui ne se laissent point abattre dans
les maux de cette vie, qui ne se réjouissent pas pour une heure seulement de la
parole de Dieu, pour sécher au temps de l’épreuve comme sous les feux du soleil
3, mais qui ont les racines de la charité, comme nous venons de l’entendre dans
l’Evangile 4. Ayez donc, vous dirai-je, la racine de la charité, afin que vous
ne soyez point brûlés, mais alimentés par le soleil qui se lèvera. « Tous ces
maux sont venus foudre sur nous, et nous ne vous avons point oublié, et nous
n’avons pas répudié votre alliance, et notre coeur ne s’est point retiré de
vous ». Mais parce que nous en agissons
1. Ps. XLIII, 18, 19. — 2. Matt. VII, 13, 14.
— 3. Id. XIII, 20-23. — 4. Marc, IV, 16-20.
de la sorte au milieu des tribulations, déjà
nous marchons dans la voie étroite; « et vous, vous avez détourné vos sentiers
de notre voie».
18. « Et pourtant vous nous avez oubliés dans
le lieu de notre faiblesse ». Vous nous relèverez donc dans te lieu de notre
force. « Et l’ombre de la mort nous a couverts 1», La mortalité est pour nous
l’ombre de la mort. La véritable mort sera d’être condamné avec Satan.
19. « Si nous avons oublié le nom de notre
Dieu ». C’est là l’intelligence pour les fils
de Coré. « Si nous avons tendu les bras vers
les dieux étrangers 2».
20. « Dieu ne doit-il pas rechercher ces
crimes, lui qui connaît le secret des cœurs 3 » Il le connaît, et pourtant il le
recherche; s’il connaît le secret des coeurs, que devient cette parole: « Le
Seigneur ne doit-il pas rechercher tout cela? » Il le connaît pour lui-même, il
le cherche à cause de nous. Souvent, en effet, le Seigneur dit qu’il recherche
et qu’il comprend ce qu’il nous fait comprendre. Il te dit alors ce qu’il fait
en toi, et non ce qu’il connaît. Nous disons en effet d’un jour qu’il est
joyeux, quand il est serein; or, le jour ressent-il de la joie? Mais nous vous
disons qu’il est joyeux, parce qu’il nous procure de la joie. De même nous
disons: Un ciel triste, non que les nuées soient capables de sens, mais parce
que les hommes à cette vue sont tristes eux-mêmes; on appelle triste ce qui
peut les contrister. De même on dit que Dieu connaît, quand il nous fait
connaître. Dieu dit à Abraham: « C’est maintenant que je connais la crainte
pour le Seigneur 4 ». Ne la connaissait-il donc pas auparavant? Mais Abraham ne
se connaissait point, et ce fut à cette épreuve qu’il apprit à se connaître.
Souvent, en effet, l’homme croit pouvoir ce qu’il ne peut réellement, ou il
croit ne pouvoir point ce qu’il peut; il arrive alors que la divine Providence
le met à l’épreuve, et qu’à cette épreuve il se connaît; or, on dit alors que
Dieu connaît ce qu’il nous a fait connaître ainsi. Pierre se connaissait-il
quand il dit au Médecin: « Je suis avec vous jusqu’à la mort 5? ». Mais le
Médecin lui avait tâté le pouls, et connaissait chez ce malade l’intérieur que
le malade ne connaissait point. La tentation survint: le
1. Ps. XLIII, 20. — 2. Id. 21. — 3. Id. 12.—
4. Gen. XIII, 12. — 5. Mat. XXVI, 35.
Médecin prouva qu’il avait bien jugé, et le
malade perdit sa confiance en lui-même. C’est ainsi que Dieu connaît et qu’il
recherche. Pourquoi rechercher ce qu’il connaît? C’est tour toi, afin que tu
puisses te connaître toi-même et que tu en rendes grâces à ton Créateur. « Dieu
ne doit-il pas rechercher tout cela? »
21. « C’est lui qui connaît les secrets des
azurs ». Que signifie: « Il connaît les secrets?» Quels secrets? « C’est que
pendant tout le jour nous sommes livrés à la mort à cause de vous, que nous
sommes regardés comme des brebis qu’on va égorger ». Tu peux voir en effet
qu’un homme se mortifie, non le motif pour lequel il se mortifie; Dieu le
connaît; c’est là un secret. Mais quelqu’un s’en vient me dire: Voilà qu’on
arrête cet homme pour le nom du Christ, il confesse le nom du Christ. Les
hérétiques ne confessent-ils pas aussi le nom du Christ, et pourtant ils ne
meurent point pour lui? Et dans l’Eglise catholique, vous dirai-je, pensez-vous
qu’il n’y en ait pas eu, qu’il ne s’en puisse trouver qui aient souffert pour
une gloire purement humaine? S’il n’y avait point de ces gens-là, saint Paul ne
dirait point: « Quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai la charité,
cela ne me sert de rien 2 ». Il savait qu’il pouvait s’en trouver quelques-uns
qui n’endurassent ces douleurs que par ostentation, et non par amour. C’est
donc là un secret impénétrable pour nous, et que Dieu seul peut sonder. Il peut
seul en juger, lui qui connaît les secrets du coeur. « Pendant tout le jour, on
nous livre à la mort, nous ressemblons aux brebis que l’on égorge ». Je vous ai
dit déjà que saint Paul cite ce passage pour encourager les martyrs, afin
qu’ils ne viennent pas à défaillir dans leurs douleurs pour le nom du Christ.
22. « Levez-vous, Seigneur, pourquoi
dormez-vous? » A qui va cette parole? Quel est l’interlocuteur? Ne semble-t-il
pas plutôt dormir lui-même et rêver, celui qui parle de la sorte: « Levez-vous,
Seigneur, pourquoi dormir? » Alors il vous répond: Je sais ce que je dis; je
sais qu’il ne dort point, celui qui est le gardien d’Israël; et toutefois les
martyrs crient: « Levez-vous, Seigneur, pourquoi dormez-vous? » Seigneur Jésus,
vous avez été mis à mort, vous avez dormi
1.
Ps. XLIII, 22. — 2. I Cor. XIII, 3.
dans votre passion et vous vous êtes levé en
ressuscitant pour nous. Oui, c’est pour nous que vous êtes ressuscité, nous le
savons; pourquoi êtes-vous ressuscité? Les Gentils qui nous persécutent croient
que vous êtes mort, sans croire que vous êtes ressuscité. Levez-vous donc pour
eux. Pourquoi dormir, et dormir pour eux, non pour nous? S’ils croyaient en
effet à votre résurrection, pourraient-ils bien persécuter ceux qui croient en
vous? Mais d’où viennent leurs persécutions? Pourquoi ces cris: Effacez de la
terre, tuez je ne sais quels hommes qui ont cru en vous, en je ne sais quel
homme mort sur un gibet? Vous dormez encore pour eux: levez-vous, afin qu’ils
comprennent que vous êtes ressuscité, et qu’ils demeurent en paix. Enfin, il
est arrivé que les martyrs, mourant au milieu de ces cris, se sont endormis,
mais leur sommeil a éveillé le Christ vraiment mort; et le Christ s’est comme
éveillé parmi les Gentils, c’est-à-dire qu’ils ont cru à sa résurrection; ainsi
peu à peu leur foi au Christ, leur conversion a grossi leur nombre, a inspiré
des craintes aux persécuteurs et a fait cesser les persécutions. Pourquoi?
parce que le Christ s’est levé chez les Gentils, lui qui dormait auparavant
pour leur incrédulité. « Levez-vous, Seigneur, ne nous rejetez pas toujours ».
23. « Pourquoi détourner votre visage? »comme
si vous n’étiez point avec nous, comme si vous nous aviez oubliés. « Pourquoi
oublier notre pauvreté et notre misère 2?».
24. « Notre âme est abaissée dans la poussière
2 ». Où a-t-elle été abaissée? Dans la poussière, c’est-à-dire que la poussière
nous persécute. ils nous persécutent, ceux dont il est dit: « Il n’en est pas
ainsi des impies, non, il n’en est pas ainsi; mais ils seront comme la
poussière que le vent chasse de la surface de la terre 3 ». « Notre âme est
abaissée dans la poussière, nos entrailles rampent sur la terre ». Il paraît
désigner par là un excès d’humiliation, que subit un homme lorsqu’il se
prosterne et que son ventre touche à la terre. Quand on s’abaisse en effet
jusqu’à mettre un genou en terre, on a de quoi s’abaisser encore. Mais quand
par l’abaissement le ventre touche à la terre, on ne peut s’abaisser davantage.
Tenter de le faire ne serait plus s’abaisser, mais s’écraser. C’est là peut-
1. Ps. XLIII, 24. — 2. Id. 25.—. 3. Idi. I,
4.
être ce que l’on veut dire ici: Nous sommes
prosternés dans ha poussière à un tel point qu’il nous est impossible de l’être
davantage; l’humiliation est à son comble, soulagez-nous par votre pitié.
25. L’Eglise, mes frères, en parlant de la
sorte, ne gémirait-elle point sur le sort de ceux que les persécuteurs ont
entraînés à l’impiété, en sorte que ceux qui ont résisté diraient: « Notre âme
a été humiliée dans la poussière? » C’est-à-dire, entre les mains de cette
poussière, livrés à ces persécuteurs impies, « notre âme a été humiliée dans la
poussière », afin que nous invoquions votre puissance, et que vous nous
accordiez votre secours dans la tribulation: « Nos entrailles s’attachaient à
la terre », c’est-à-dire, nos entrailles se laissaient persuader par cette
poussière impie: tel est le sens de cette expression s’attachaient ». En effet,
si dans les flammes de la charité on dit très-bien: « Mon âme s’attache à vous,
ô mon Dieu 1 »; et encore: « Il m’est bon de m’attacher à Dieu 2 », c’est bien
s’attacher à Dieu que consentir à ce qu’il nous demande: et alors ce n’est pas
sans raison que l’on dit du ventre qu’il s’est attaché à la terre, puisqu’il
désigne ceux qui ont cédé à la persécution et consenti à l’impiété; ils se sont
donc attachés à la terre. Mais pourquoi les désigner par le ventre, sinon parce
qu’ils sont charnels, et qu’ainsi le front de l’Eglise désignerait les saints,
les hommes spirituels; et le ventre, les hommes charnels? Le front de l’Eglise
est en évidence; le ventre est caché, comme plus faible et moins résistant.
C’est là ce que nous marque l’Ecriture, à cet endroit où quelqu’un dit qu’il a
reçu un livre, et que « ce livre était doux à sa bouche, mais amer dans ses
entrailles 3 ». Qu’est-ce à dire, sinon que les principaux commandements,
acceptés avec joie par l’homme spirituel, sont rejetés par l’homme charnel, et
que cet homme charnel trouve la peine où l’homme spirituel trouve la joie? Que
dit encore ce livre, mes frères? « Vends ce que tu possèdes, et donne-le aux
pauvres». Combien est suave une telle parole dans la bouche de l’Eglise! Tout
homme spirituel l’accomplit. Mais pour l’homme charnel, dites-lui: Fais cela;
et alors vous quitter avec tristesse, comme le riche de l’Evangile 4 quitta
1.
Ps. LX1I, 9. — 2. Id. LXIII, 28. — 3. Apoc. X, 10. — 4. Matt. XIX, 22.
le Seigneur, est chose plus certaine que
faire ce que vous lui avez dit. Pourquoi s’en aller triste, sinon parce que ce
livre est doux à la bouche, amer dans les entrailles? Tu as donné je ne sais
combien d’or ou d’argent, et tu es dans cette alternative, ou de perdre cette
somme, ou de commettre quelque péché, de faire outrage à l’Eglise, d’être
contraint au blasphème; alors, dans cette fâcheuse alternative, ou de perdre
ton argent, ou de blesser la justice, on te dit: Perds ton argent plutôt que de
perdre la justice. Mais toi, dont la bouche ne trouve rien de suave dans la
justice, et qui es encore au nombre de ces membres infirmes qui composent les
entrailles de l’Eglise, tu es dans une tristesse qui te fait préférer la perte
de la justice à la perte de quelque pièce de monnaie, et tu encours un dommage
bien plus grave, tu n’emplis ta bourse qu’en vidant ton coeur. C’est
probablement de ceux-là qu’il est dit: « Nos entrailles s’attachaient à la
terre ».
26. « Levez-vous, Seigneur, secourez-nous 1». Il s’est levé, mes frères
bien-aimés; oui, il s’est levé et nous a secourus. Car à son lever,
c’est-à-dire à sa résurrection, quand il s’est fait connaître aux Gentils, la
persécution a cessé, et alors ceux qui s’attachaient à la terre se sont
arrachés à la terre, et la pénitence les a réintégrés au corps du Christ,
malgré leur faiblesse, malgré leur imperfection, et cette parole s’est
accomplie en eux: « Vos yeux ont vu ce qu’il y avait en moi d’imparfait, et
tous seront écrits dans votre livre 2. Levez-vous, Seigneur, secourez-nous, et
rachetez-nous à cause de votre nom », c’est-à-dire gratuitement; à cause de
votre nom, et non point à cause de mes mérites; parce que vous daignez le faire,
et non parce que je suis digne que vous le fassiez. Si en effet nous ne vous
avons pas oublié, si notre coeur ne s’est point éloigné de vous, si nous
n’avons pas tendu les mains à des dieux étrangers, comment l’aurions-nous pu
faire sans votre secours? D’où nous serait venue cette force, si votre grâce ne
nous eût parlé intérieurement, ne nous eût exhortés sans nous abandonner? Que
nous soyons donc, ou abattus par la tribulation, où consolés par la félicité,
rachetez-nous, non point à cause de nos mérites, mais à cause de votre nom.
1. Ps. XLIII, 26. — 2. Id. CXXXVIII, 16.
PSAUME 44: L’ÉPITHALAME DE L’ÉGLISE
PRÊCHÉ AU PEUPLE DE CARTHAGE 1
Ce psaume est pour les fils de Coré ou du
Chauve; mais à ce propos, gardons-nous de ressembler aux enfants qui insultaient
à Elisée, soyons enfants, mais par l’innocence. Ce psaume est pour ceux qui se
convertiront et pour le bien-aimé. Ce bien-aimé est le Verbe fait chair, — sa
beauté, sa bonté, — sa puissance créatrice, — sa promptitude, — la grâce de ses
lèves, — son glaive ou sa parole, qui divise le fils contre le père, — son
humanité qui nous attire, — sa justice, sa vérité, sa douceur, son trône
éternel, son sceptre qui nous redresse, l’onction qui le fait le Christ. —
Vêtement de l’Epouse ou de l’Eglise, une dans sa foi; avec la variété des
langues, — elle est la bonne odeur du Christ pour la vie et pour la mort. — Ses
palais ou les coeurs des saints. — Les filles des rois sont les filles des
Apôtres converties ou engendrées au Christ. Beauté intérieure de la reine. —
Les filles des rois viennent après elle avec des présents ou des oeuvres de
charité. — Les évêques successeurs des Apôtres. Beauté extérieure, ou bon
exemple.
1. Je vous conjure, mes frères, d’apporter
autant d’attention pour considérer ce psaume avec nous, que nous avons mis de
joie à le chanter avec vous. On le chante en effet aux saintes épousailles de
1’Epoux et de l’Epouse, roi et du peuple, du Sauveur et de ceux qu’il doit
sauver. Celui qui vient à ces noces avec la robe nuptiale, cherchant la gloire
de l’Époux, et non la sienne propre, apporte non seulement cette attention que
donnent les hommes qui aiment les spectacles sans en donner eux-mêmes, mais il
grave ces paroles dans son coeur, afin qu’elles n’y demeurent point stériles,
qu’elles y germent au contraire, qu’elles éclosent, qu’elles croissent,
qu’elles mûrissent un fruit que Dieu puisse récolter. C’est pour nous que le
psaume doit se chanter, pour nous qui devons être les fils de Coré, comme
l’indique le titre. Ces fils de Coré étaient des hommes; et toutefois, pour
l’homme spirituel, toute inscription de l’Ecriture une signification qu’il ne
suffit pas d’écouter, mais qu’il faut comprendre. Nous cherchons dans l’hébreu
la valeur de ce mot et les interprétations de toutes les expressions de
l’Ecriture nous enseignent que les fils de Coré signifient les enfants du
Chauve. Gardons-nous de railler ce nom, de peur qu’on ne trouve en nous ces
moqueries
1. Dans le manuscrit de Corbie on lit ce
titre: V des nones de septembre, le mercredi, ce discours fut prononcé dans la
basilique Restituée, sur le psaume XLIV. Or, au greffe de cette basilique on
trouve que plusieurs conciles de Carthage y furent célébrés, entre autres le
grand concile, qui eut lieu l’an 401, le 13 septembre. Les vieux manuscrits de
Reims portent le même titre que celui de Corbie.
enfantines des jeunes gens qui insultaient le
prophète Elisée, comme nous lisons au livre des Rois, et qui criaient derrière
lui: « Monte, chauve, monte, 1 ». Telle était la stupide insolence de ces enfants
qui le maudissaient à leur propre perte; des ours sortis de la forêt les
dévorèrent. Voilà ce qui est écrit, nous vous avons cité l’endroit: «ux qui ont
de la mémoire peuvent s’en souvenir; ceux qui ne s’en souviennent point peuvent
lire; et ceux qui ont lu doivent croire. Quel était pour l’avenir le sens de
cette figure, c’est là ce que nous devons éviter. Ces enfants étaient la figure
de ces hommes insensés, dont l’ignorance est l’apanage; ce que l’Apôtre veut
éloigner de nous quand il dit: « Ne soyez point sans discernement comme les
enfants 2». Et parce que le Seigneur nous avait invités à imiter les enfants
quand il prit l’un d’eux devant lui et qu’il dit: « Si quelqu’un ne devient
comme cet enfant, il n’entrera point dans le royaume des cieux 3 », l’Apôtre a
soin de nous détourner de l’ignorance des enfants, et de recommander leur
simplicité à notre imitation: « Gardez-vous », nous dit-il, « de l’ignorance
des enfants, mais soyez comme eux sans malice, « afin que par la prudence vous
deveniez des « hommes faits ». Que celui qui se plaît à imiter les enfants,
mette son plaisir dans leur simplicité et non dans leur ignorance. Ceux-ci
donc, dans leur ignorance, insultaient au saint de Dieu qui était chauve, et
criaient
1.
IV Rois, II, 23. — 2. I Cor. XIV, 20. — 3. Matt. XVIII, 2, 3.
derrière lui: « Chauve, chauve ! » Ils furent
dévorés par les bêtes, et figuraient ces hommes qui devaient imiter leur folie
enfantine en raillant un certain chauve crucifié au Calvaire 1. Ceux-là aussi
devinrent la proie des bêtes ou des démons, du diable et de ses anges, qui
agissent parmi les hommes de l’incrédulité. Telle était la folie de ceux qui,
devant le bois sacré de la croix, s’écriaient en branlant la tête: « S’il est
Fils de Dieu, qu’il descende de la croix 2 ». Or, nous sommes les enfants de ce
chauve, si nous sommes les fils de l’Epoux; c’est pour nous qu’est écrit ce
psaume dont le titre porte: « Aux fils de « Coré, pour ceux qui doivent changer
3 ».
2. Qu’ai-je besoin d’exposer le sens de ces
paroles: « Pour ceux qui doivent changer? » Que puis-je vous dire? Quiconque a
changé le comprend. A ces paroles: « Pour ceux qui doivent changer », qu’il
voie ce qu’il était jadis et ce qu’il est maintenant. Qu’il voie d’abord le
changement opéré dans le monde, qui naguère adorait les idoles, et qui
maintenant adore le vrai Dieu; qui naguère servait l’ouvrage de ses mains, et
qui sert maintenant Celui dont il est l’ouvrage. « Pour ceux qui ce doivent
changer ». Voyez en quel temps fut dite cette parole. Un reste de païens voit
avec stupeur ces grands changements; et ceux qui ne veulent point changer
voient nos églises remplies et leurs temples déserts; ici de grandes
solennités, là une grande solitude. Ils admirent le changement, qu’ils lisent
la prophétie, qu’ils prêtent l’oreille à celui qui fait les promesses et qu’ils
croient à celui qui les accomplit. Mais chacun de nous aussi, mes frères, a
passé du vieil homme à l’homme nouveau; que d’infidèle il devienne fidèle;
d’avare, libéral; d’adultère, homme chaste; de méchant, bienfaisant. Qu’il soit
donc notre psaume, cet hymne que l’on chante pour ceux qui seront changés, et
qu’il commence par nous décrire celui par qui tout est changé.
3. Le titre est donc: « Pour ceux qui doivent
changer, intelligence aux fils de Coré, cantique pour le bien-aimé 4 ». Ce
bien-aimé a été vu par ses persécuteurs, mais non pour en être compris. « Car
s’ils eussent connu le Seigneur, ce Roi de gloire, ils ne l’eussent point
crucifié 5 ». C’était pour cette intelligence que lui-même cherchait d’autres
yeux
1. Matt. XXVII,
33. — 2. Id. 39. — 3. Ps. XLIV, 1. — 4. Ibid. — 5. I Cor, II, 8.
quand il disait: « Celui qui me voit voit
aussi mon Père 1 ». Que le psaume relève ici ses louanges; réjouissons-nous de ces
noces et nous serons aussi de ceux qui entrent eux-mêmes dans ces saintes
épousailles, qui y sont invités, et où les invités sont l’Epouse même. Car
cette Epouse est l’Eglise, et 1’Epoux est le Christ. Les jeunes étudiants
chantent parfois aux hommes et aux femmes qui se marient, des vers appelés
épithalames; tout ce qui est chanté l’est à la gloire de l’époux et de
l’épouse; or, dira-t-on que dans ces noces du Christ où nous sommes invités, il
n’y a pas un thalamus ou lit nuptial? D’où vient alors cette parole d’un autre
psaume: « Il a placé sa tente dans le soleil, et lui-même est comme l’Epoux qui
sort de son lit nuptial 2? » L’union conjugale, c’est le Verbe uni à la chair;
et le lit où s’est opérée cette union est le sein de la Vierge. C’est là que la
chair a été unie au Verbe, et de là vient cette parole: « Ils ne sont plus
deux, mais une seule chair 3 ». L’Eglise a été tirée d’entre les hommes, afin
que cette chair unie au Verbe devînt la tête de l’Eglise, et que les membres de
cette tête fussent tous ceux qui croiront. Veux-tu voir en effet celui qui est
venu à ces noces? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu,
et le Verbe était Dieu4 ». Que cette Epouse se réjouisse, elle qui est aimée de
Dieu. Quand l’aime-t-il? quand elle est encore souillée. « Tous ont péché, dit
l’Apôtre, ce et ont besoin de la gloire de Dieu 5». Et encore: « Le Christ est
mort pour les pécheurs 6 ». Dieu l’a aimée dans sa laideur, afin qu’elle
quittât cette laideur. Ce n’est pas toutefois à cause de cette laideur qu’il
l’a aimée, puisque Dieu n’aime point ce qui est laid; et s’il l’aimait, il le
conserverait; or, le voilà qui la dépouille de cette laideur pour lui donner la
beauté. Comment donc était cette épouse qu’il est venu trouver, et qu’en a-t-il
fait? Qu’il vienne aussi en nous dans ces paroles prophétiques; qu’il vienne à
nous lui-même, cet Epoux; aimons-le, ou même ne l’aimons point, si nous
trouvons en lui quelque difformité. Il a trouvé en nous bien des laideurs, et
néanmoins il nous a aimés: ne l’aimons point, si nous trouvons en lui quelque
chose de difforme. En cela
1. Jean, XIV, 9. — 2. Ps. XVIII, 6. — 3.
Matt. XIX, 6. — 4. Jean, I, 1. — 5. Rom. III, 23. — 6. Id. V, 6.
même qu’il s’est revêtu de notre chair, et
que le Prophète a dit de lui: « Nous l’avons vu, et il n’avait ni apparence ni
beauté 1 »; il y a une grande beauté, si nous considérons la miséricorde qui
l’a réduit à cet état. C’était ou nom des Juifs que le Prophète s’écriait: «
Nous l’avons vu, et il n’avait ni apparence ni beauté». Pourquoi? parce qu’ils
ne le comprenaient point. Mais pour ceux qui le comprennent, il y a dans « le
Verbe qui s’est fait chair 2 », une beauté suprême. « A Dieu ne plaise »,
disait un ami de cet Epoux, « que je me glorifie, sinon en la croix de Notre Seigneur
Jésus-Christ 3 » C’est peu n’en pas rougir, si tu ne vas jusqu’à t’en
glorifier. Mais pourquoi n’avait-il ni apparence ni beauté? Parce qu’un Christ
à la croix était un scandale pour les Juifs, une folie pour les Gentils.
Pourquoi n’avait-il aucune beauté sur la croix? Parce que, en Dieu, ce qui est
folie, est plus sage que les hommes; ce qui est faible en Dieu, est plus fort
que les hommes 4. Pour nous qui croyons, que Epoux apparaisse toujours dans sa
beauté. est beau comme Dieu, puisque le Verbe est Dieu; il est beau dans le
sein de la Vierge il se revêt de la nature humaine sans se dépouiller de la
nature divine: il est beau dans sa naissance, ce Verbe enfant; car cet Enfant à
la mamelle, et dans les bras de sa mère, donne la parole aux cieux, fait chanter
sa gloire par les anges; une étoile amène à sa crèche les Mages qui l’y
adorent, lui qui est la nourriture des pacifiques 5. Il est donc beau dans le
ciel et beau sur la terre; beau dans les entrailles virginales, beau dans les
bras maternels; beau dans ses miracles et beau dans la flagellation; beau quand
il nous invite à sa vie, beau quand il méprise la mort; beau quand il donne son
âme, et beau quand il la reprend; beau sur la croix, beau dans le sépulcre,
beau dans le ciel. Ecoutez ce cantique pour le comprendre, et que l’infirmité
de la chair ne détourne point vos yeux de la splendeur et de la beauté de cet
Époux. La grande et la véritable beauté, c’est la justice: dès que tu découvres
l’injustice, il n’y a plus de beauté à tes yeux; si donc il est toujours juste,
il est toujours beau. Qu’il se montre donc aux yeux de notre âme, cet Epoux
qu’un de ses prophètes
1.
Isa. L II, 2~ — 2. Jean, I, 14.— 3. Gal. VI, 14. — 4. I Cor. I, 23, 25. — 5. Luc,
II, 8-14.
a si bien chanté. Le voici qui commence.
4. « Une bonne parole s’échappe de mon coeur,
c’est au roi que j’adresse mes œuvres 1». Quel est ici l’interlocuteur? est-ce
Dieu le Père, ou le Prophète? Plusieurs ont compris que c’est le Père qui dit:
« Une bonne parole est sortie de mon coeur », pour désigner une naissance
ineffable, et nous empêcher de croire que Dieu eut besoin d’un secours étranger
pour engendrer son Fils, comme un homme qui, pour engendrer des enfants, a
recours au mariage, sans lequel nul homme n’a de postérité. Dieu donc, pour nous
empêcher de croire que, pour engendrer son Fils, il a besoin de quelque
mariage, s’écrie: « Une bonne parole ce s’est échappée de mon coeur».
Aujourd’hui, ô homme, ton coeur enfante un dessein généreux et n’a nul besoin
d’une épouse d’après ce conseil né de ton coeur, tu construis un édifice; or,
cette oeuvre était déjà celle de ton esprit avant d’être celle de tes mains:
elle est déjà faite dans ton esprit, par cela même que tu dois la faire: et tu
t’extasies devant une construction qui n’existe pas encore, qui n’a nulle
apparence d’un édifice, et qui n’existe que dans ton dessein; nul autre ne peut
louer ton dessein, situ ne lui en as fait part ou s’il n’a vu ton oeuvre. Donc,
si fout est l’oeuvre du Verbe, et si le Verbe vient de Dieu, regarde l’oeuvre de
cet édifice construit par le Verbe, et que l’édifice t’en fasse admirer le
dessein. Quel doit être le Verbe, par qui sont faits le ciel et la terre, et
toute la beauté des cieux, et la fécondité de la terre, et l’étendue des mers,
et la capacité de l’air, et l’éclat des astres, et la clarté du soleil et de la
lune? Voilà ce qui est visible; mais franchis au delà, élève-toi par la pensée
jusqu’aux Anges, aux Principautés, aux Trônes, aux Dominations, aux Puissances:
« Tout a été fait par lui ». Pourquoi donc toutes ces choses ont-elles été
faites si bien? C’est parce que ce la bonne parole » qui devait les faire s’est
échappée. Donc le Verbe est bon; et c’est au Verbe que l’on a dit: « Bon Maître
». Et le Verbe lui-même a répondu: « Pourquoi m’appeler bon? Il n’y a que ce
Dieu seul qui soit bon 2 ». On lui dit donc: « Bon Maître »; et il répond:
«Pourquoi ce m’appeler bon? » puis il ajoute: « Il n’y a de bon que Dieu seul
». Comment donc lui-
1. Matt. II, 1.— 2. Marc, X, 18.
même est-il bon, sinon parce qu’il est Dieu?
Et non seulement Dieu, mais Dieu unique avec son Père. Quand il a dit en effet:
« Il n’y a de bon que Dieu seul », il ne s’est point séparé de Dieu, mais il
s’est uni à lui. « Une ce bonne parole s’est donc échappée de mon cœur ».
Laissons à Dieu le Père ce langage au sujet de son Verbe qui est bon, qui est
notre bien, et par lequel seul nous pouvons devenir bons.
5. Voyons la suite: « C’est au roi que je dis
mes œuvres ». Est-ce encore le Père qui parle ainsi? Si ce langage est encore
du Père, voyons comment nous pouvons entendre, sans blesser la foi vraie et
catholique, cette parole: « C’est au roi que je dis mes œuvres ». Quelles
oeuvres le Père peut-il raconter à son Fils notre roi? quelles oeuvres peut
faire connaître le Père à son Fils, puisque toutes les oeuvres du Père ont été
accomplies par le Fils? A moins peut-être que dans cette parole: « Je dis mes
oeuvres au roi », le mot « dire » n’exprime la génération du Fils. Je crains
que des gens peu instruits ne puissent me comprendre; je le dirai cependant, me
suivra qui le pourra, de peur que si je m’en tais, celui qui pourrait me
suivre, ne le fasse point, Nous lisons ces mots dans un autre psaume: « Dieu a
parlé une seule fois ». Dieu a parlé si souvent par ses Prophètes, si souvent
par ses Apôtres, il parle aujourd’hui si souvent par ses saints, et le
Psalmiste dit: « Dieu a parlé une seule fois (Ps. LXI, 12) » Comment n’a-t-il parlé qu’une fois, sinon parce
qu’il n’a qu’une parole, un Verbe unique? De même que dans ce verset: « Une ce
bonne parole s’est échappée de mon coeur», nous reconnaissons la génération du
Fils, la même pensée me semble répétée dans ce qui vient ensuite; alors «je
dis», serait la répétition de « une bonne parole s’est échappée « de mon cœur
». Que signifie: « Je dis? » Je profère une parole. D’où vient en Dieu, la
parole, sinon de son coeur, du fond de lui-même? Pour toi, tu ne dis rien au
dehors qui ne s’exhale de ton coeur; ta parole qui résonne et qui passe, ne
vient pas d’ailleurs, et tu serais étonné que Dieu parlât de la sorte? Mais, en
Dieu, dire est quelque chose d’éternel, Toi, tu parles maintenant, parce que
tout à l’heure tu te taisais, ou bien voilà que tu n’émets pas encore ta
parole,’et tout à l’heure, quand tu commenceras, tu rompras en quelque sorte le
silence, et tu enfanteras une parole qui n’était pas auparavant. Ce n’est pas
ainsi que Dieu enfante son Verbe; le dire de Dieu est sans commencement et sans
fin; et pourtant il ne dit qu’une parole. Qu’il en dise une autre, si la
première est finie. Mais comme l’interlocuteur subsiste toujours, comme sa
parole subsiste également, comme cette parole une fois dite n’a point de fin;
alors cette fois même est sans commencement, on ne la répète pas deux fois,
parce que dite une fois elle subsiste toujours. Cette phrase donc: « Une bonne
parole s’est échappée de mon coeur », a le même sens que celle-ci: « Je dis mes
oeuvres au roi ». Mais pourquoi dis-je mes oeuvres? Parce que toutes les
oeuvres de Dieu sont dans son Verbe. Tout ce que Dieu devait faire dans la création
était dans son Verbe; et ce qui n’eût pas été d’abord dans son Verbe, n’eût pu
être réalisé: de même que rien n’entre dans une construction, s’il n’est
d’abord dans l’idée. C’est ce qui est marqué par l’Evangile: « Ce qui a été
fait en lui était vie 1 » Donc ce qui a été fait était auparavant, mais dans le
Verbe; et toutes les oeuvres de Dieu étaient là avant d’être des oeuvres; mais
le Verbe était, et ce Verbe était Dieu, et il était en Dieu et il était Fils de
Dieu, et il était un seul Dieu avec son Père. « Pour moi, je dis mes oeuvres au
roi ». Entende celui qui parle, quiconque peut comprendre le Verbe; et qu’il
voie avec le Père cette parole éternelle, en qui sont toutes les choses à
venir, et en qui ne cessent pas d’être celles qui ont passé. Toutes ces oeuvres
de Dieu sont dans son Verbe comme dans sa parole, comme dans son Fils unique,
comme dans le Verbe de Dieu.
6. Quelle est la suite? « Ma langue est comme
la plume de l’écrivain rapide 2 ». Quel rapport, mes frères, quel rapport entre
la langue de Dieu et la plume de l’écrivain? Quelle ressemblance entre une
pierre et le Christ 3? quelle ressemblance entre un agneau et le Sauveur 4?
entre un lion et la force du Fils unique de Dieu 5? Tout cela néanmoins a été
dit; et sans ces comparaisons il nous serait difficile de nous élever des
choses visibles à l’Invisible lui-même. C’est ainsi que nous n’élevons pas
jusqu’à l’excellence divine celle
1. Jean, I, 3. — 2. Ps.
XLIV, 2. — 3. I Cor. X, 4. — 4. Jean, I, 29,— 5. Apoc. V, 5.
chétive plume de l’écrivain, sans la mépriser
pourtant. Car je me demande pourquoi Dieu a comparé sa langue à la plume habile
écrivain? Quelle que soit en effet la rapidité d’un écrivain, on ne peut lui
comparer cette vitesse dont un autre psaume a dit: « Son Verbe se répand avec
rapidité 1». Toutefois, autant que l’intelligence peut pénétrer ces matières,
il me semble que l’on peut attribuer au Père cette parole: «Ma langue est la
plume l’écrivain ». Ce que dit la langue, en effet, résonne et passe; ce que
l’on écrit, demeure. Comme donc Dieu dit son Verbe, et que ce Verbe ne résonne
pas, ne passe point, mais se dit toujours et demeure toujours, Dieu a préféré
comparer sa parole à une écriture plutôt qu’à un son. Qu’il ajoute: « Qui écrit
rapidement », il stimule notre esprit qui cherche à comprendre: mais ne
s’arrête point à considérer les écrivains et les copistes les plus habiles;
avec ces considérations il s’en tiendra là. Qu’il soit, habile à considérer
l’expression « rapidement », et qu’il s’efforce de découvrir ce que signifie «
rapidement ». Telle est en Dieu la rapidité, qu’il n’y a rien de plus rapide.
Or, en écrivant, on ne peut écrire qu’une lettre après une lettre, une syllabe
après une syllabe, un mot après un mot; on ne passe à un second qu’après avoir
formé le premier. Le plus expéditif est d’avoir peu de paroles sans que rien
soit omis, de renfermer tout en un mot.
7. Cette parole ainsi proférée, parole
éternelle et coéternelle à celui qui est éternel, cet Époux, le voici: « Il
surpasse en beauté les enfants des hommes » 2. « Les enfants des hommes »,
est-il dit, pourquoi pas les anges? Qu’a-t-il voulu dire par « les enfants des
hommes », sinon qu’il est un homme? Mais de peur qu’on ne vît dans le Christ
qu’un homme ordinaire, il dit: « Vous surpassez en beauté les enfants des
hommes ». Tout homme soit, il est avant les fils des hommes; qu’il soit parmi
les enfants des hommes, passe les enfants des hommes; bien qu’il in nombre des
enfants des hommes, il tus que les enfants des hommes. « La est répandue sur
vos lèvres ». «La loi donnée par Moïse, la grâce et la vérité ment de
Jésus-Christ 3 ». J’avais besoin
1. Ps. CXLVII, 15. — 2. Id. XLIV, 3. — 3.
Jean, I, 17.
de ce secours, « Car selon l’homme intérieur
je me plais dans la loi de Dieu, mais je sens dans mes membres une loi qui
résiste à la loi de l’esprit, et qui me captive sous la loi du péché qui est
dans mes membres. Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de
mort? La grâce de ce Dieu par Jésus-Christ Notre Seigneur1. » Cette grâce est
donc répandue sur vos lèvres ». Il est venu vers nous avec la parole de la
grâce, avec le baiser de la grâce. Quoi de plus doux que cette grâce? Quel est
son effet en nous? « Bienheureux sont ceux dont les iniquités sont remises,
dont les ce péchés sont couverts 2 » S’il venait comme un juge sévère, sans que
la grâce fût épanouie sur ses lèvres, qui oserait espérer son salut? Mais en
venant avec la grâce il n’a point exigé ce qu’on lui devait, il a même payé ce
qu’il ne devait pas. N’étant point pécheur, devait-il mourir? Et à toi pécheur,
que te revenait-il, sinon la mort? Il t’a déchargé de tes dettes pour payer ce
qu’il ne devait point. C’est là une grâce magnifique. Pourquoi une grâce? Parce
qu’elle est donnée gratuitement. Aussi peux-tu rendre grâces à Dieu, mais non
grâce pour grâce; c’est là l’impossible. Aussi David se demandait ce qu’il
devait rendre. « Que rendrai-je au Seigneur », disait-il, «pour tous les biens
qu’il m’a rendus? » Il semble avoir trouvé quelque chose: «Je prendrai le
calice du salut, et j’invoquerai le nom du Seigneur 3». Mais est-ce bien rendre
à Dieu grâce pour grâce, que d’invoquer le Seigneur et de prendre le calice du
salut? Qui donc t’a donné ce calice du salut? Aussi David se borne-t-il à
remercier, car il trouvait impossible de rendre grâce pour grâce. Trouve ce que
tu peux offrir à Dieu, sans l’avoir reçu de lui, et tu lui auras rendu grâces.
Prends garde néanmoins qu’en cherchant à lui rendre en échange ce que tu n’as
point reçu de lui, tu ne trouves ton péché. Assurément tu ne le tiens pas de
lui, mais tu ne dois pas le lui offrir non plus. Ce fut là le don des Juifs qui
lui rendirent le mal pour le bien; trempés de la rosée, ils ne lui donnèrent
aucun fruit, mais les épines de la douleur 4. Quel que soit donc le bien que tu
veuilles offrir à Dieu, sans l’avoir reçu de lui, tu ne le trouveras pas en
toi. « C’est la grâce de Dieu qui est répandue
1. Rom. VII, 22, 25. — 2. Ps. XXXI, 1. — 3. Id. CXV, 12, 13. — 4. Matt. XXVII, 29.
sur ses lèvres ». C’est lui qui t’a fait, et
fait gratuitement. Il n’aurait pu faire du bien à aucun homme sans le créer
d’abord. Tu étais perdu, et il t’a recherché; et en. te retrouvant il t’a
ramené dans le bon chemin. Sans te reprocher le passé, il t’a promis pour
l’avenir. Il est donc vrai que ce la grâce est « répandue sur ses lèvres ».
8. «Aussi», dit le Psalmiste, «Dieu vous
a-t-il béni éternellement ». Il est bien difficile de comprendre que Dieu le
Père dise à son Fils: « Aussi le Seigneur vous a-t-il béni pour l’éternité ».
Il serait plus aisé d’attribuer cette parole au Prophète; on trouve en effet
dans les saintes Ecritures ces changements de personnes, si brusques et si
inattendus; pour le lecteur attentif, les pages sacrées en sont pleines:
«Seigneur, délivrez mon âme des lèvres injustes, des langues menteuses » et
aussitôt: « Que vous donner, comment ce vous défendre contre les langues
trompeuses? » C’est une personne au premier verset, une autre personne au
second; l’une prie, l’autre vient au secours. « Elles sont ce aiguës les
flèches de l’homme puissant, elles dévorent comme la flamme ». C’est une
personne, autre encore que celle-ci: « Que vous donner, et comment vous
défendre? » puis en vient une autre encore pour nous dire: «Hélas ! combien mon
exil est long à mon impatience ». Tant de changements dans si peu de versets
stimulent notre attention: l’Ecriture n’en marque point l’endroit, elle ne nous
dit point: Cette parole est d’un homme, cette autre de Dieu; mais elle nous
force à chercher dans les paroles ce qui est de l’homme et ce qui est de Dieu.
C’est un homme qui disait: « Une bonne parole s’est échappée de mon coeur,
c’est au Roi que je dis mes oeuvres ». Voilà ce que disait l’homme, ce que
disait l’écrivain du psaume, mais il le disait dans la personne de Dieu:
c’est en son propre nom qu’il commence à
dire: «C’est pour cela que Dieu t’a béni pour l’éternité ». Car Dieu avait dit:
«La grâce est épanouie sur vos lèvres », à celui qu’il avait fait plus beau que
les enfants des hommes, à cet homme que l’Eternel avait engendré éternellement comme
Dieu. Le Prophète est donc plein d’une joie ineffable; et, considérant tout ce
que Dieu le Père a révélé de son Fils à un homme qui a pu parler ainsi
1. Ps. CXIX, 2,5.
au nom de Dieu, il s’écrie: « Aussi Dieu vous
a-t-il béni pour l’éternité». Pourquoi? A cause de la grâce. Et où tend cette
grâce? Au royaume des cieux. Le premier Testament avait promis la terre; et
autre fut la récompense ou la promesse de Dieu à ceux qui vivaient sous la loi,
autre à ceux qui vivent sous la grâce; aux Juifs placés sous la loi, la terre
de Chanaan; à ceux qui vivent sous la grâce, le royaume des cieux. C’est
pourquoi ce royaume, qui appartenait à ceux qui vivaient sous la loi, a passé
avec la terre; mais le royaume du ciel, promis à ceux qui vivent sous la grâce,
ne passe point. C’est pour cela, dit le Prophète, ce que Dieu vous a bénis, non
pour un temps, mais ce pour l’éternité ».
9. D’autres ont préféré attribuer à la
personne du Prophète toutes les paroles précédentes, ils lui ont même attribué
ce début: « Une bonne parole s’est échappée de mon cœur », comme un hymne qu’il
chanterait au Seigneur. (Quiconque en effet chante un hymne, laisse échapper de
son coeur une bonne parole; de même que le blasphème contre Dieu est une parole
mauvaise échappée du coeur). En sorte que ces paroles qui viennent après: «Je
dis mes oeuvres au ce roi », signifieraient que l’oeuvre suprême de l’homme est
de louer Dieu. C’est à Dieu à te plaire par sa beauté, à toi de le louer partes
actions de grâces. Dès que tes oeuvres ne tendent point à louer Dieu, tu
commences à l’aimer toi-même; et tu es du nombre de ceux dont l’Apôtre a dit: «
Les hommes s’aimeront eux-mêmes 1 ». Commence par te déplaire à toi-même, afin
de te complaire en celui qui t’a fait. Que ton oeuvre soit la louange de Dieu, qu’une
bonne parole s’échappe de ton coeur. « Dis donc tes oeuvres au roi », puisque
tu lui dois de pouvoir le faire, et qu’il t’a donné de quoi lui offrir.
Rends-lui ses propres dons; et cette part de ton héritage que tu as reçue, ne
va pas, comme le prodigue, la dissiper en vivant dans la débauche, et paître
ensuite les pourceaux. Souviens-toi de ce passage de l’Evangile, car c’est de
nous aussi qu’il est dit: «Il était mort et il est ressuscité, il était ce
perdu et il est retrouvé 2 »
10. « Ma langue est comme la plume d’un
écrivain très-habile ». Plusieurs ont cru que le Prophète avait récité d’abord
ce qu’il devait écrire, et qu’alors il comparait sa langue
1.
II Tim. III, 2. — 2. Luc, XV, 32.
à la plume de l’écrivain; qu’il avait ajouté:
« Ecrivain très-prompt », pour faire entendre qu’il écrivait ce qui allait
bientôt s’accomplir, et alors écrire vite signifierait écrire des choses qui
vont arriver, ou écrire ce qui ne saurait tarder. Car Dieu n’a pas tardé de
envoyer son Christ. Le temps ne paraît-il point court, dès qu’il est passé?
Remontez générations antérieures, et Adam ne vous paraîtra créé que d’hier.
Ainsi ont passé les choses depuis le commencement; elles ont passé rapidement.
Rapidement encore viendra le jour du jugement: préviens cette vitesse; et s’il
se hâte de venir, hâte-toi plus encore de changer. Alors apparaîtra la face du
juge; mais vois ce que dit le Prophète: « Prévenons cette face par un humble
aveu1. La grâce est épanouie sur vos lèvres, aussi votre Dieu vous a-t-il béni
pour l’éternité ».
11. « Ceignez-vous de votre glaive sur votre
cuisse, ô Tout-Puissant 2 ». Qu’est-ce que votre glaive, sinon votre parole?
C’est avec ce glaive qu’il a renversé ses ennemis, avec ce glaive qu’il a
séparé le fils de son père, la fille sa mère, la bru de sa belle-mère. Voici en
effet ce que nous lisons dans l’Evangile: « Je suis point venu apporter la
paix, mais le glaive. Dans une famille de cinq personnes, il y aura division:
deux seront contre trois, trois contre deux; c’est-à-dire le fils contre son
père, la fille contre sa mère, la contre sa belle-mère 3 ». Quel glaive a fait
ces divisions, sinon le glaive apporté par le Christ? Et en effet, mes frères,
c’est là ce que nous voyons tous les jours. Un jeune homme veut servir Dieu,
son père s’y oppose:
les voilà divisés l’un contre l’autre. L’un
promet un héritage sur la terre, l’autre veut celui-là du ciel: autre est la
promesse de celui-là, autre le choix de celui-ci. Que le père néanmoins ne crie
pas à l’injure, on ne lui préfère que Dieu seul; et pourtant il dispute à son
fils le droit de servir Dieu selon ses voeux. Mais le glaive de Dieu qui les
sépare est plus que la nature charnelle qui les unit. Cela se vérifie encore
dans la fille à l’égard de sa mère, et bien plus dans la bru à l’égard de sa
belle-mère. Souvent dans la même maison on voit la bru et la belle-mère, l’une
catholique, l’autre hérétique; et lorsque ce glaive a puissamment frappé, nous
n’avons pas à redouter un second baptême. La fille a
1. Ps. CIV, 2.— 2. Id. XLIV, 4.— 3. Matt.
X,34, 35; Luc, XII, 51-53.
pu être séparée de sa mère, et la bru ne
pourrait l’être de sa belle-mère.
12. C’est là ce qui est arrivé d’une manière
générale dans le genre humain: le fils a pris parti contre son père. Nous étions
jadis fils du diable, et quand nous étions encore infidèles on nous a dit: «
Vous avez le diable pour père 1». Et d’où venait en nous toute infidélité,
sinon de ce diable notre père? Il était notre père, non qu’il nous eût créés,
mais parce que l’imitation nous avait faits ses enfants. Aujourd’hui nous
voyons le fils prenant parti contre son père. Par l’effet de ce glaive sacré il
renonce au démon et trouve un autre père comme une autre mère. Le démon, en se
proposant pour modèle, n’engendrait que pour la mort; les deux parents que nous
trouvons nous engendrent à la vie éternelle. Le fils prend parti contre son
père, la fille contre sa mère; ceux d’entre les Juifs qui crurent au Christ
prirent parti contre la Synagogue. La bru prend parti contre sa belle-mère; on
appelle bru cette multitude venue des Gentils, parce qu’elle a pour Epoux le
Christ, Fils de la Synagogue. D’où était le Fils de Dieu selon la chair? De la
Synagogue. C’est lui qui a quitté son père et sa mère pour s’attacher à son
épouse, afin qu’ils fussent deux dans une même chair 2; et ceci n’est point une
conjecture, puisque l’Apôtre nous dit: «Ce sacrement est grand, je dis dans le
Christ et ce dans l’Eglise 3 ». Pour s’unir à la nature humaine, il a donc
quitté son Père en quelque sorte, car il ne l’a point quitté de manière à s’en
séparer entièrement. Comment l’a-t-il quitté? « C’est qu’ayant la nature de ce
son Père, il n’a point cru faire une usurpation de s’égaler à Dieu; et
néanmoins il s’est anéanti en prenant la forme de l’esclave 4 ». Et sa mère,
comment l’a-t-il quittée? En quittant le peuple juif, cette synagogue attachée
aux rites anciens. Il en donnait une figure quand il disait: « Quelle ce est ma
mère et quels sont mises frères 5? » Il enseignait au dedans, tandis que sa mère
et ses frères se tenaient au dehors. Voyez s’il n’en est pas ainsi des Juifs
aujourd’hui. Le Christ enseigne dans l’Eglise, eux s’obstinent dehors. Quelle
est donc cette belle-mère? C’est la synagogue, mère de l’Epoux, Notre Seigneur
Jésus-Christ. Sa bru, c’est l’Eglise qui est venue
1. Jean, VIII, 44. — 2. Gen.II, 24. — 3. Eph. V, 32. — 4. Phil. II, 6. — 5. Matt. XII, 48.
des Gentils, sans accepter la circoncision de
la chair, prenant ainsi parti contre sa belle-mère. « Ceignez-vous de votre
glaive ». En vous parlant de la sorte nous avons dit la puissance de ce glaive.
13. « Ceignez-vous de votre glaive », ou de
votre parole, « sur vos reins, ô Tout-Puissant »; que votre glaive soit sur vos
reins. Qu’est-ce à dire: «Sur vos reins?» Que devons-nous entendre par vos
reins? la chair. De là cette parole: « Il ne manquera pas de prince ce en Juda,
ni de chef issu de ses reins 1 ». Aussi Abraham, à qui Dieu avait promis une
postérité en laquelle toutes les nations devaient être bénies, envoyant son
serviteur pour chercher une femme à son fils, d’où devait venir ce germe sacré
en qui tous les peuples ont reçu la bénédiction; Abraham dont la foi voyait
dans cet humble germe la grandeur de son nom, ou le Fils de Dieu qui devait
naître un jour, parmi les enfants, des hommes, sur la tige d’Abraham, demanda
au serviteur qu’il envoyait: « Mets ta main sous ma cuisse, et jure ainsi 3 ».
Comme s’il disait: Place ta main sur l’autel ou sur l’Evangile, ou sur un
Prophète, ou sur quelque chose de sacré. Mets ta main sous ma cuisse, dit-il,
parlant ainsi dans sa confiance, sans rougir de cette manière de jurer, parce
qu’il en comprenait la mystérieuse vérité. De là vient ce langage: «Ceignez
votre épée sur ce votre cuisse, ô Tout-Puissant », adressé à celui qui est
tout-puissant jusque dans ses reins: « Parce qu’en Dieu ce qui est faible a ce
plus de force que les hommes 3. O Tout-ce Puissant ».
14. « Dans votre éclat, dans votre beauté s,
ou dans cette justice qui vous fait toujours beau, toujours glorieux: «Avancez,
marchez à la victoire, et régnez 4 ». N’est-ce point là ce que nous voyons?
C’est là ce qui est accompli. Jetez les yeux sur l’univers entier; le Christ
s’avance, il a des succès, il règne, les nations lui sont soumises. Qu’était-ce
que voir cela en esprit? Ce qu’est aujourd’hui d’en constater la vérité. Quand
le Prophète parlait de la sorte, le Christ ne régnait point encore de la sorte,
il n’avançait point, il ne marchait point de victoire en victoire: tout cela
était promis, tout cela est accompli, nous le tenons de nos mains. Dieu a tenu
déjà beaucoup de
1. Gen. XLIX, 10. — 2. Id. XXIX,2. — 3. I Cor. I, 25. — 4. Ps. XLIV, 5,
ses promesses, il est peu en redevance. «
Avancez, marchez à la victoire et régnez».
15. « A cause de la vérité, de la douceur, et
de la justice ». Dieu a montré la vérité, quand la vérité est sortie de la
terre, et que la justice a regardé du haut des cieux 1». Le Christ s’est
présenté au genre humain qui l’attendait, et dans ce germe d’Abraham tous les
peuples ont été bénis. L’Evangile a été prêché, c’est la vérité. Qu’est-ce que
la douceur? Les martyrs ont souffert, ce qui a fait beaucoup avancer le royaume
de Dieu, qui obtenu des succès chez tous les peuples. Les martyrs souffraient
tout, sans se laisser abattre comme sans résister; ils disaient tout, ils ne
cachaient rien; prêts à tout, ils ne refusaient rien. Voilà une grande douceur.
Voilà ce qu’a fait le corps du Christ, à l’exemple de son chef. Le premier, il
a été conduit à la mort, et « comme l’agneau en présence de celui qui le tond, il
n’a pas ouvert sa bouche 3 ». Telle était sa douceur, que sur la croix il
disait: «Mon Père, pardonnez-leur, ce car ils ne savent ce qu’ils font 4 ». Que
signifie: « A cause de la justice? » « C’est qu’en ce effet il viendra pour
juger, et rendre à chacun selon ses oeuvres ». Il a dit la vérité, il a
souffert l’injustice, il apportera l’équité. « Et votre droite vous conduira
par des merveilles ». C’est sa droite qui nous conduit, sa droite qui le
conduit. Il est un Dieu, nous sommes des hommes. Il a en lui la même puissance
que le Père, la même immortalité que le Père; la divinité du Père, l’éternité
du Père, la vertu du Père. Sa droite le conduira merveilleusement, faisant des
oeuvres divines, tolérant des oeuvres humaines, et dédaignant par bonté les oeuvres
des hommes. Il arrive où il n’était pas encore, et sa droite l’y conduit. Car
il est conduit lui-même par cette puissance qu’il a donnée aux saints. « Votre
droite vous conduira merveilleusement».
16. « Vos flèches sont acérées et puissantes
6 ». Vos paroles percent le coeur, y excitent l’amour. De là ce mot des
Cantiques: « L’amour m’a blessée 7 ». L’épouse accuse ainsi une blessure
d’amour, c’est-à-dire qu’elle avoue son amour, qu’elle dit la flamme de son
cœur, ses soupirs pour son époux qui lui a lancé la flèche de la parole. « Vos
flèches sont acérées
1. Ps. XLIV, 5.— 2. Id. LXXXIV, 12. — 3. Isa.
LIII, 7. — 4. LUC, XXIII, 34.— 5. Rom. II, 6. — 6. Ps XLIV,
6.— 7. Cant. II, 5, V,8.
et puissantes ». Elles pénètrent, elles ont
de l’effet. « Aiguës et puissantes. Les peuples tomberont sous vos coups ».
Quels peuples sont tombés? Ceux-là sont tombés qui ont été frappés. Nous voyons
des peuples soumis au Christ, mais qui ne sont point tombés. Le Prophète nous
explique ce genre de chute: « Dans le cœur », dit-il. C’est par là qu’ils
élevaient contre le Christ, c’est par là qu’ils tombent devant le Christ. Saul
blasphémait le Christ, il se dressait contre lui; il implore le Christ, il
tombe, il se prosterne; il meurt comme ennemi du Christ, afin de vivre disciple
du Christ. Une flèche part du ciel, Saul est frappé au coeur, lui qui n’est pas
encore Paul, mais Saul, qui lève la tête, qui n’est pas encore renversé: il
reçoit une flèche et son coeur fléchit. Car son coeur ne fléchit pas, quand son
visage fut abattu, mais bien quand il dit: « Seigneur, que m’ordonnez-vous de
faire 1? » Tu courais tout à l’heure pour garrotter les chrétiens, pour les
conduire au supplice; et maintenant tu dis au Christ: « Que voulez-vous que je
fasse? » O flèche acérée, flèche puissante, qui perça le coeur de Saul et en
fit Paul ! Il en est des peuples comme il en fut de lui: voyez les nations,
voyez-les s’incliner devant le Christ. Donc « tous les peuples tomberont de
coeur devant vous, tous les ennemis du Roi »; c’est-à-dire, tous vos ennemis.
Il donne le nom de Roi au Christ qu’il reconnaît pour son Roi. « Les peuples
tomberont de coeur devant vous, tous les ennemis du Roi ». Ils étaient ennemis:
frappés de vos flèches, ils tombent devant vous. D’ennemis ils sont devenus
amis; m’étaient des ennemis morts, ce sont des amis vivants. Ainsi s’accomplit:
« Pour ceux qui doivent changer ». Nous cherchons à comprendre chaque parole,
chaque verset; mais sous cherchons de manière que nul n’hésite à les appliquer
au Christ: «Les peuples tomberont de coeur devant vous, tous les ennemis du Roi
».
17. « Votre trône, ô Dieu, est pour les
siècles des siècles ». Car Dieu vous a béni pour l’éternité, à cause de la
grâce qui s’épanouit sur vos lèvres. Dans le royaume des Juifs le trône était
temporel; il regardait ceux qui étaient sous l’empire de la loi et non ceux qui
étaient sous l’empire de la grâce. Le Christ est venu pour délivrer ceux qui
étaient
1. Act. IX, 6.
sous la loi et les établir sous la grâce. «
Son ce trône est pour les siècles des siècles ». Pourquoi? Parce que le premier
siége n’était que celui d’un royaume temporel. Pourquoi maintenant un trône
dans les siècles des siècles? Parce que c’est le trône de Dieu, ce Votre ce
siége, ô Dieu, est pour les siècles des siècles».
O Dieu de l’éternité! Dieu ne pourrait avoir
un trône temporel. « Votre siége, ô Dieu, est ce pour les siècles des siècles;
le sceptre de ce votre empire est un sceptre de droiture ». Il est sceptre de
droiture, parce qu’il rend les hommes droits. Ils étaient courbés, tortueux;
ils voulaient régner pour eux-mêmes; ils s’aimaient, ils aimaient leurs
désordres; ils ne soumettaient point à Dieu leur volonté, mais ils prétendaient
ployer la volonté de Dieu au gré de leurs convoitises. Le pécheur, l’homme
injuste, en effet, s’emporte souvent contre Dieu, parce qu’il ne pleut pas; et
il ne veut pas que Dieu s’irrite contre sa mollesse. Et presque chaque jour des
hommes s’occupent à disputer contre Dieu: Il devait, disent-ils, agir ainsi; il
n’a pas bien fait là. Tu sauras donc ce que tu dois faire, et Dieu ne le saura
pas? Tu es tortueux, mais Dieu est droit. Comment unir ce qui est droit à ce
qui est tortueux? On ne peut les mettre en ligne. C’est comme si tu posais un
bois tortueux sur un parquet bien uni; il n’y a ni alignement, ni adhésion, ni
ajustement. Le parquet est uni partout, et ce bloc tortueux ne peut s’ajuster à
ce qui est uni. Or, la volonté de Dieu est unie, droite; la tienne est courbée;
et celle de Dieu te paraît courbée à son tour, parce que tu ne saurais y conformer
la tienne. Mais redresse-toi sur ce modèle, et ne force pas le modèle à se
courber avec toi; tu ne le pourrais, tes efforts seraient vains, ce modèle est
toujours droit. Veux-tu t’y adapter? Corrige-toi, et le sceptre de Dieu qui te
dirigera sera le sceptre de la droiture. Car un roi tire son nom de régir ou
rendre droit; il rie régit pas, celui qui ne redresse pas. De là vient que
notre Roi est le Roi des âmes droites. De même qu’il est notre Prêtre parce
qu’il nous sanctifie, il est notre Roi parce qu’il nous redresse. Mais,
qu’est-il dit ailleurs? « Vous serez saint aux yeux de l’homme saint, ce pur
aux yeux de l’homme pur, élu aux yeux de l’homme élu, méchant aux yeux du
méchant 1». Or, Dieu n’est pas pervers, mais
1. Ps. XVII, 26, 27.
les pervers le voient ainsi. Que le bien te
plaise, et Dieu est bon à tes yeux; qu’il te déplaise, et Dieu est pervers.
Dieu te paraît tortueux, parce que tu l’es toi-même; car il est droit
éternellement. Ecoute ce qui est dit dans un autre psaume: « Combien est bon le
Dieu d’Israël pour ceux qui ont le coeur droit 1 !»
18. « Le sceptre de la droiture est le
sceptre de votre empire. Vous avez aimé la justice et haï l’iniquité 2 ». Vois
quel est ce sceptre de la droiture. « Vous avez aimé la justice et haï
l’iniquité ». Approche de ce sceptre, et que le Christ soit ton roi; laisse-toi
redresser par ce sceptre, de peur qu’il ne te brise, car c’est un sceptre de
fer, un sceptre inflexible. En effet, qu’est-il dit? « Tu les gouverneras avec
un sceptre de fer, et tu les briseras comme le vase d’argile 3 ». Il conduit
les uns, il brise les autres; il dirige l’homme spirituel et brise l’homme
charnel. Approche-toi donc du sceptre, que crains-tu de lui? Voici tout le
sceptre: « Vous avez aimé la justice et haï l’iniquité ». Que crains-tu? Mais
tu es peut-être injuste, et la haine que l’on attribue au Roi pour l’iniquité
te fait trembler. Tu as un remède pourtant. Que hait-il? L’injustice; est-ce
toi qu’il hait? Mais l’iniquité est-elle en toi? Si Dieu la hait, commence par
la haïr, afin que vous soyez unis dans une même haine. En haïssant ce que Dieu
hait tu seras l’ami de Dieu, et ainsi tu aimeras ce qu’il aime. Prends à dégoût
l’iniquité qui est en toi, aime en toi la créature de Dieu. Tu es en effet
homme injuste. En cela je dis deux choses; oui, deux choses homme et injuste.
Dans ces deux noms, le premier vient de la nature, le second du péché; l’un est
l’ouvrage de Dieu, l’autre est ton ouvrage; aime donc l’oeuvre de Dieu et
déteste ton oeuvre, puisque Dieu la déteste. Comprends alors qu’en haïssant ce
qu’il hait tu commences à t’unir à lui. Il doit punir le péché, parce que son
sceptre est un sceptre de droiture. Mais ne pourrait-il pas laisser bi péché
impuni? Il faut que le péché soit puni, et s’il n’était point châtié, il ne
serait plus péché. Préviens donc le Seigneur, et si tu ne veux pas qu’il le
punisse, punis-le toi-même. C’est pour cela que Dieu t’épargne ici-bas, qu’il
diffère, qu’il retient son bras, qu’il tend son arc, c’est-à-dire qu’il menace.
Nous dirait-il si longtemps qu’il va frapper, s’il le voulait
1.
Ps. LXXII, 1. — 2. Id. XLIV, 8.— 3. Id. II, 9.
en effet? Il tarde alors de mettre la main à
ton péché;. mais toi, ne tarde point. Applique-toi donc à punir tes péchés,
puisqu’un péché ne peut demeurer impuni. Donc il sera châtié ou par toi ou par
Dieu; ne te pardonne rien afin que Dieu te pardonne. Ecoute un exemple du
fameux psaume de la pénitence: «Détournez votre face de mes péchés 1 ». Dit-il:
Détournez de moi? Dans un autre endroit il dit clairement: «Ne détournez pas de
moi votre face 2 ». Donc « détournez votre face ce de mes péchés », je ne veux
pas que vous voyiez mes péchés; car en Dieu, voir, c’est châtier. Aussi, qu’un
juge punisse un crime, on dit qu’il connaît d’un crime, qu’il y a mis son attention,
afin de le connaître et de le punir parce qu’il est juge. C’est ainsi que Dieu
est juge lui-même. « Détournez votre ce face de mes péchés ». Mais toi, n’en
détourne pas ton regard, si tu veux que Dieu en détourne le sien. Vois ensuite
comme le Prophète fait valoir ce motif devant Dieu dans ce même psaume: « Pour
moi », dit-il, «je reconnais mon crime, et ma faute est toujours ce devant mes
yeux as. Il ne veut pas que Dieu voie ce qu’il veut voir lui-même. «Le sceptre
de votre règne est un sceptre de droiture ». Ne nous applaudissons pas à
l’excès de la divine miséricorde, c’est un sceptre de droiture. Disons-nous
pour cela que Dieu est sans miséricorde? Quoi de plus miséricordieux que lui,
qui pardonne tout aux pécheurs, que lui, qui oublie le passé de ceux qui se
convertissent à lui? Aimez toutefois sa miséricorde, mais de manière à
respecter sa véracité; la miséricorde en lui ne peut détruire la justice, non
plus que la justice ne détruit la miséricorde. Mais pendant qu’il diffère de te
châtier, ne diffère pas toi-même; parce que le sceptre de son royaume est un
sceptre de justice.
19. « Vous avez aimé la justice et haï
l’iniquité; c’est pour cela que votre Dieu vous a marqué de l’onction 4 ». Il
vous a oint, afin que vous aimiez la justice et que vous haïssiez l’injustice.
Remarquez cette expression: « C’est pour cela, ô Dieu, que votre ce Dieu vous a
oint ». O Dieu, c’est un Dieu qui vous a marqué de l’onction. Un Dieu est oint
par un Dieu. Dans le latin, on pourrait croire que le-mot Dieu est répété au
même cas; mais dans le grec la différence est claire,
1.
Ps. L, 11. — 2. Id. XXVI, 9. — 3. Id. L, 5. — 4. Id. XLIV, 8.
puisque l’un de ces noms est au nominatif,
tandis que l’autre est au vocatif. « Un Dieu vous a oint ». O vous, qui êtes «
Dieu, votre Dieu vous a oint »; comme s’il disait: C’est pour cela qu’un Dieu
t’a marqué de l’onction, ô toi qui es Dieu. C’est ainsi que vous devez
l’entendre et le comprendre, le grec l’a nettement déterminé. Quel est donc ce
Dieu oint par un Dieu? Que les Juifs nous disent; car ces Ecritures leur sont
communes avec nous. Un Dieu a été oint par un Dieu; quand on vous parle
d’onction, comprenez le Christ, puisque Christ vient de chrisma, chrême, et que ce nom de Christ nous rappelle une onction.
Les rois et les
prêtres n’étaient marqués de l’onction en
aucun endroit de la terre, sinon dans ce royaume où le Christ était prophétisé,
où il était oint et d’où devait sortir le nom de Christ; on ne trouve l’onction
nulle part, chez aucun peuple, dans aucun royaume. Un Dieu a donc reçu
l’onction d’un Dieu; et de quelle huile, sinon d’une huile spirituelle? L’huile
visible n’est en effet qu’un signe, l’huile invisible est un sacrement, l’huile
spirituelle est à l’intérieur. Un Dieu a été oint pour nous, envoyé pour nous,
et ce Dieu, pour recevoir l’onction, était un homme; mais homme de manière à
demeurer Dieu, et Dieu ne dédaignant pas d’être homme; vrai homme et vrai Dieu.
Ne trompant en rien, non plus qu’il n’était trompé; partout véritable, partout
la vérité même. Ce Dieu donc était homme, et s’il a été oint, tout Dieu qu’il
était, c’est qu’il était homme, et qu’ainsi il est devenu Christ.
20. Ceci était figuré, quand Jacob mit une
pierre sous sa tête et s’endormit 1. Le patriarche Jacob avait donc mis une
pierre sous sa tête; et pendant qu’il dormait sur cette pierre, il vit le ciel
s’ouvrir, et une échelle qui allait du ciel en terre, et des anges qui
montaient et qui descendaient; après cette vision il s’éveilla, oignit la
pierre et s’en alla. Dans cette pierre il vit le Christ, et pour cela il
l’oignit. Voyez donc depuis combien le Christ était prédit. Que signifie cette
onction donnée à une pierre, surtout chez les patriarches qui adoraient un seul
Dieu? Il fit cela en figure, car après l’avoir fait il n’y revint pas d’une manière
continue pour y adorer et y offrir des sacrifices. C’était la figure d’un
1. Gen. XXVIII, 11.
mystère, et non l’ouverture d’un sacrilège.
Voyez quelle pierre: «La pierre que les architectes ont repoussée est devenue
la ce pierre angulaire 1 ».Et parce que le Christ est la tête de l’homme, cette
pierre fut mise à la tête de Jacob. Voyez donc ici un grand mystère. Le Christ
est la pierre; « une pierre ce vivante, rejetée par les hommes », nous dit
saint Pierre, ce mais choisie de Dieu 2 ». Et la pierre était à la tête, parce
que le Christ est la tête de l’homme 3. Cette pierre est ointe, parce que c’est
de l’onction que vient le nom de Christ. Et la révélation du Christ nous montre
des échelles qui vont de la terre au ciel, ou du ciel à la terre, et des anges
qui montent et qui descendent 4. Nous comprendrons mieux cette figure quand
nous aurons cité une parole du Seigneur dans l’Evangile. Vous savez que Jacob
est le même qu’Israël 5. Or, quand il lutta et eut l’avantage sur l’ange, quand
il reçut la bénédiction de celui qu’il avait vaincu, son nom fut changé, il
s’appela Israël; ainsi le peuple d’Israël prévalut contre le Christ qu’il fit
crucifier, et pourtant dans la personne de ceux qui crurent au Christ, il reçut
la bénédiction de celui qu’il avait vaincu. Mais il y en eut beaucoup pour ne
pas croire, de là vient que Jacob fut boiteux. Il fut donc béni et boiteux;
béni dans ceux qui crurent, car nous savons qu’un grand nombre dans ce peuple
embrassèrent la foi, boiteux dans ceux qui demeurèrent incrédules. Et comme le
nombre des incrédules fut plus grand que celui des croyants, il est dit que
l’ange, pour le rendre boiteux, le frappa sur l’étendue de la cuisse. Que
désignait cette étendue de la cuisse, sinon sa postérité nombreuse? Voyez donc
ces échelles dans l’Evangile; en voyant Nathanaël, « voilà », dit le Seigneur,
« un vrai ce Israélite, sans déguisement 6 ». C’est là ce qui est dit de Jacob:
« Et Jacob, qui était sans déguisement, demeurait au logis 7 ». Voilà ce que
rappelait le Seigneur, en voyant Nathanaël sans déguisement, et qui appartenait
à cette postérité, à cette nation. «Voilà», dit-il, « un véritable Israëlite,
sans déguisement ». il l’appela donc Israélite sans déguisement à cause de
Jacob. Alors Nathanaël: « D’où me connaissez-vous? » Et le Seigneur: « Je t’ai
vu quand tu étais sous
1.
Ps. CXVII, 22.— 2. I Cor. XI, 3.— 3. I Pierre, II, 4.— 4. Gen. XXVIII, 12; Jean, I,
51.— 5. Gen. XXXII, 28.— 6. Jean, 1,47.— 7. Gen. XXV, 27.
le figuier »; c’est-à-dire, quand tu faisais partie
de ce peuple établi sous la loi qui le couvrait comme d’une ombre charnelle,
c’est là que je t’ai vu. Qu’est-ce à dire: C’est là que je t’ai vu? Là que je
t’ai pris en pitié. Celui-ci se souvenant qu’il avait été vraiment sous un
figuier, et s’étonnant que Jésus-Christ le sût, parce qu’il croyait n’avoir été
vu de personne, lui fit cette confession: « Vous êtes le Fils de Dieu, vous
êtes le Roi ce d’Israël ». Qui parla ainsi? Celui qui venait de s’entendre dire
qu’il était un vrai Israélite, et qu’il n’y avait en lui aucun déguisement. Et
le Seigneur: «Parce que je t’ai dit: Je t’ai vu sous le figuier, tu as cru,
mais ce tu verras de plus grandes choses ». Il parle à Israël, à Jacob, à celui
qui avait mis une pierre sous sa tête. « Tu verras de plus grandes choses ».
Quelles plus grandes choses? Car cette pierre est déjà posée sous sa tête. « En
vérité, je vous le déclare, vous verrez le ciel ouvert, et les anges de Dieu ce
montant et descendant sur le Fils de ce l’homme ». Ah ! que les anges de Dieu montent
et qu’ils descendent par ces échelles, et que cela se fasse dans l’Eglise. Les
anges de Dieu sont les messagers de la vérité; qu’ils montent et qu’ils
considèrent: « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était ce en Dieu, et
le Verbe était Dieu ». Qu’ils descendent et qu’ils considèrent ce que le «
Verbe s’est fait chair, et qu’il a habité parmi nous 2 ». Qu’ils montent pour
élever les forts; qu’ils descendent pour nourrir les faibles. Voyez Paul qui
monte: « Que nous ce soyons hors de nous-mêmes, c’est pour Dieu ». Voyez-le qui
descend: «Que nous ce soyons plus calmes, c’est pour vous 3 ». Voyez-le monter
encore: « Nous prêchons la ce sagesse de Dieu aux parfaits ». Voyez-le
redescendre: « Je vous ai donné du lait et non de la nourriture 4 ». Voilà ce
qui se fait dans l’Eglise, les anges de Dieu montent et descendent sur le Fils
de l’homme; car le Fils de l’homme est en haut, c’est vers lui comme vers le
chef, que s’élèvent les coeurs. Le Fils de l’homme ou son corps est aussi en
bas; ses membres sont donc ici-bas, sa tête est en haut; on monte vers la tête,
on descend vers les membres. Le Christ est au ciel, et le Christ est sur la
terre. S’il n’était que dans le
1. Jean, I, 48-51. — 2. Id. 1, 14.— 3. II
Cor. V, 13. — 4. I Cor. II, 6; III, 2.
ciel et non sur la terre, d’où viendrait
cette voix: «Saul, Saul, pourquoi me persécuter 1? » Car, dans le ciel, qui
pouvait le molester? Personne assurément, ni les Juifs, ni Saul, ni le diable
tentateur; nul dans le ciel ne peut lui nuire; mais telle est la liaison des
membres dans le corps humain, que la langue réclame quand le pied est blessé.
21. « Vous avez aimé la justice et haï
l’iniquité: aussi votre Dieu, ô Dieu, vous a-t-il ce marqué de l’onction 2 ».
Nous avons parlé du Dieu marqué de l’onction, ou du Christ. On ne pouvait
désigner plus formellement son nom de Christ qu’en l’appelant le Dieu oint. De
même qu’il est le plus beau parmi les enfants des hommes; ainsi « il a été
marqué d’une huile de joie par-dessus tous ceux qui doivent la partager avec
lui». Quels sont ses cohéritiers? Les enfants des hommes; car le Fils de
l’homme a voulu participer à leur nature mortelle, afin de les rendre
participants de son immortalité.
22. « La myrrhe, l’ambre et le sandal
s’exhalent de vos vêtements 3 ». C’est-à-dire, que vos vêtements répandent la
bonne odeur. Or, ses vêtements sont les saints, les élus du Christ, toute son
Eglise, dont il se revêt comme d’une robe sans tache et sans ride4: il l’a
lavée dans son sang pour en effacer les taches, il l’a étendue sur la croix
pour en ôter les rides. De là cette bonne odeur-marquée ici par le nom de
quelques parfums. Ecoutez saint Paul, cet humble apôtre, le bas de la frange
qui guérit du flux de sang la femme qui le touchait 5, écoutez-le nous dire: «
Nous sommes la bonne odeur de Jésus-Christ en tout lieu, et pour ceux qui se
sauvent, et ce pour ceux qui périssent ». Il ne dit pas: Nous sommes la bonne
odeur pour ceux qui se sauvent, l’odeur pernicieuse pour ceux qui périssent;
mais bien: « Pour ce qui me regarde, nous sommes la bonne odeur, et pour ceux
qui se sauvent, et pour ceux qui se perdent ». Qu’un homme trouve son salut
dans la bonne odeur, cela n’est ni improbable, ni incroyable: mais comment un
homme périrait-il à l’occasion d’une bonne odeur? Il y a là un grand sens, une
grande vérité; et quelle que soit la difficulté de le comprendre, il en est
ainsi. Or, pour vous montrer que cela est difficile à comprendre,
1.
Act. X, 4 — 2. Ps. XLIV, 8. — 3. Id. 9. — 4. Eph.V, 27. — 5. Matt. IX, 20. — 6.
II Cor, II, 15.
saint Paul ajoute: « Et qui peut comprendre
cela 1?» Qui peut comprendre qu’une bonne odeur fasse mourir un homme?
Toutefois, mes frères, j’en dirai un mot. Voilà que Paul prêchait l’Evangile;
beaucoup aimaient ce prédicateur, beaucoup lui portaient envie; ceux qui lui
portaient envie périssaient à cause de la bonne odeur. Il était donc pour ceux
qui périssaient une bonne odeur, et non une odeur pernicieuse; car ce qui
augmentait leur envie, c’était la grâce qui éclatait si fort en lui; et l’on ne
porte pas envie aux misérables. Il était donc plein de gloire en prêchant la
parole de Dieu, et en vivant selon la règle du sceptre de droiture; et il était
aimé tous ceux qui en lui aimaient le Christ, qui le suivaient à l’odeur de ses
parfums, qui aimaient l’ami de leur Epoux, étant eux-mêmes cette Epouse qui dit
dans les Cantiques: « Nous courons après l’odeur de vos parfums 2 ». Mais plus
ces envieux le voyaient dans l’éclat de la prédication évangélique et d’une vie
sans tache, plus la jalousie les déchirait, et la bonne odeur les suffoquait.
23. « La myrrhe, l’ambre, le sandal
s’exhalent de vos vêtements et des palais d’ivoire, où les filles des rois font
vos délices et votre gloire ». Par ces maisons d’ivoire entendez de vastes
palais, des maisons royales: c’est là que des filles de rois font les délices
du Christ. Veux-tu prendre au figuré ces palais d’ivoire? Ce sont les vastes
demeures, ces immenses tabernacles de Dieu, les coeurs des saints, ces rois
eux-mêmes qui dominent leur chair, qui s’assujétissent les bruyantes passions
humaines, qui affligent leur corps et le réduisent en servitude; parce que
c’est là que les filles des rois font ses délices. Toutes ces âmes qui sont
nées de la prédication évangélique des saints, sont filles de rois: elles sont
filles de rois aussi ces Eglises, filles des Apôtres. Car le Christ est le Roi
des rois; ils sont rois encore, ceux dont il est dit: «Vous serez assis sur
douze trônes pour juger les douze tribus d’Israël 4 ». Ils ont prêché la
vérité, et ont engendré des Eglises, non point à eux, mais au Christ. C’est là
le mystère que de figurait cette prescription de la loi: «Si un frère vient à
mourir, que son frère prenne son épouse et qu’il suscite des enfants à son
frère 5 ». Que le frère donc épouse la veuve,
1. II Cor, II, 16.— 2.
Cant. I, 3.— 3. Ps. XLIV, 10,— 4. Matt. XIX, 28 — 5. Deut. XXV, 5.
et qu’il suscite une lignée, non pour lui,
mais pour son frère. Or, le Christ a dit: « Allez dire ce à mes frères1 ». Au
livre des Psaumes il dit: « J’annoncerai votre nom à mes frères 2 ». Le Christ
est mort, il est ressuscité, il est monté aux cieux, il est corporellement
absent: ses frères alors ont pris son épouse, afin de lui susciter une
postérité par la prédication de l’Evangile, non par eux-mêmes, mais par
l’Evangile, et au nom de leur frère. « C’est au ce nom de Jésus-Christ », dit
l’un d’eux, « et par l’Evangile que je vous ai engendrés 3 ». Aussi, en
suscitant une postérité à leur frère, ils ne l’ont pas appelée du nom de Pierre
et de Paul, mais chrétienne, du nom du Christ. Voyez si tel n’est pas le sens
marqué dans ces versets. Car dans « ces maisons d’ivoire », il nous parlait de
ces palais dont les dimensions, la beauté, les délices sont vraiment royales,
comme sont les coeurs des saints, et il ajoute: « C’est là que les filles des
rois feront votre gloire et vos délices ».Elles sont bien ce filles « de rois
», ces filles de vos Apôtres; mais c’est « pour votre gloire as, parce qu’ils
ont suscité une postérité à leur frère. Aussi Paul, voyant que ceux qu’il avait
engendrés à son frère, prenaient son nom, s’écria: « Paul a-t-il donc été
crucifié pour vous 4?» Que dit la loi? Que l’enfant porte le nom du défunt 5.
Qu’il croisse pour le défunt, qu’il soit appelé du nom du défunt. Saint Paul
observe donc cette prescription légale. C’est à cette prescription qu’il
rappelle ceux qui voulaient prendre son nom: «Paul a-t-il donc été ce crucifié
pour vous? » Voyez le défunt. « Est-ce que Paul a été crucifié pour vous? »Quoi
donc? En engendrant ces enfants, ne leur avez-vous pas donné votre nom? Point
du tout. Car il dit: «Est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés? Les
filles des ce rois ont donc fait vos délices et votre gloire ». Remarquez bien
et retenez cette expression: «Votre gloire ».C’est avoir la robe nuptiale, que
chercher pour lui l’honneur et la gloire. Dans ces filles de rois, voyez les
villes qui ont cru au Christ, et qui ont eu des rois pour fondateurs et dans
ces palais d’ivoire, les riches, les superbes, les orgueilleux. « Les filles
des rois ont fait vos délices et votre gloire », parce qu’elles ont été moins
fières de la gloire de
1.
Matt. XXVI, 10.— 2. Ps. XXI, 23.— 3. I Cor. IV, 15.— 4. Id. I, 13 — 5.
Il y a ici une erreur. Vide Retract. II, c. 12, et lib. Quaest. in Deut.
leurs fondateurs que jalouses de votre
gloire. Que l’on me montre, à Rome, en l’honneur de Romulus, un temple qui
rivalise avec l’église bâtie en l’honneur de saint Pierre. Mais en Pierre qui
est-ce que l’on honore, sinon celui qui est mort pour nous? Car nous portons le
nom du Christ et non celui de Pierre. Et si nous sommes nés du frère du défunt,
nous avons cependant le nom du défunt; nous sommes nés par l’un, mais nés pour
l’autre. Voilà Rome, voilà Carthage, voilà tant d’autres villes qui sont filles
de rois; elles ont fait les délices et la gloire de leur roi, et dans leur
ensemble elles forment en quelque sorte une seule et même reine.
24. Mais quel épithalame, mes frères? Voilà
que, dans ces cantiques pleins d’allégresse, l‘Epouse elle-même s’avance.
L’Epoux était venu d’abord, sa beauté nous a été décrite, et nos yeux l’ont
contemplée: que l’Epouse vienne à son tour. « La reine s’est tenue de bout à
votre droite ». Celle qui est à gauche n’est pas la reine. Il y en aura une en
effet à la gauche et à qui l’on dira: «Allez au feu éternel ». Mais à celle de
droite, on dira: «Venez, bénis de mon Père, et recevez le royaume qui vous a
été préparé dès l’origine du monde 2 ». « La reine s’est tenue à votre droite:
son vêtement était d’or, nuancé ce de diverses broderies ». Quel est le vêtement
de cette reine? Il est précieux, il est nuancé, ce qui figure la doctrine du
Christ prêchée dans tous les divers idiomes. Autre est l’idiome africain, autre
le syrien, autre le grec, autre l’hébreu, autre tel ou tel: et tous ces idiomes
forment à la reine les nuances de son vêtement. De même que ces nuances dans
leur variété ne forment qu’une seule et même robe, de même toutes les langues
ne prêchent qu’une même foi. Que la robe ait ses nuances, mais aucune
déchirure. Nous voyons donc dans les nuances la diversité des langues, et dans
le vêtement l’unité; mais dans ces nuances que désigne l’or? la sagesse
elle-même. Quelle que soit la diversité des langues, on ne prêche que l’or. La
variété n’est point dans l’or, mais sur l’or. Car c’est la même sagesse, la
même doctrine, la même règle de vie, qu’on prêche en toutes langues. La variété
est donc dans le langage, mais l’or dans les pensées.
25. Le Prophète s’adresse donc à cette reine;
1. Ps. XLIV, 10. — 2. Matt. XXV, 34, 41.
il chante avec joie son épithalame; il chante
chacun de nous, si toutefois nous savons où nous sommes, et si nous nous
efforçons d’appartenir à ce corps, et de demeurer unis par la foi et
l’espérance aux membres du Christ, C’est donc à nous qu’il s’adresse. «
Ecoutez, ô ma fille, et voyez ». Le Prophète lui parle comme un de ses aïeux,
parce que toute âme chrétienne est fille de rois; que ce soit un prophète qui
parle ou un apôtre, c’est toujours comme à sa fille; c’est ainsi que nous
appelons les Prophètes nos pères, les Apôtres nos pères; si nous voyons en eux
des pères, assurément ils voient en nous des fils: et c’est une seule voix
paternelle qui s’adresse à une fille unique: « Ecoute et vois, ô ma ce fille ».
D’abord écoute, et vois ensuite. On est venu jusqu’à nous avec l’Evangile, on
nous a prêché ce que nous ne voyons pas encore, et en l’écoutant nous avons
cru, et en croyant nous verrons, comme le dit le même Epoux par la bouche du
Prophète: « Le peuple que je ne connaissais pas m’a servi, il m’a obéi dès
qu’il m’a entendu 1 ». Qu’est-ce à dire: « Dès qu’il m’a entendu? »
c’est-à-dire, sans m’avoir vu. Les Juifs l’ont vu et l’ont crucifié; les
Gentils ne l’ont point vu et ont cru en lui. Que la reine vienne donc du pays
des Gentils, qu’elle vienne avec son vêtement d’or nuancé de broderies; qu’elle
vienne du pays des Gentils, avec son cortège de toutes les langues, dans
l’unité de la sagesse, et qu’on lui dise: «Ecoute ma fille, et vois ». Tu ne
verras que si tu écoutes. Ecoute afin de purifier ton coeur par la foi, comme
le dit l’Apôtre dans les Actes: «C’est par la foi qu’il a purifié leurs coeurs
2 ». Nous écoutons donc ce que nous devons croire avant de le voir, afin de
purifier ainsi notre cœur et de mériter la vision. Ecoute alors, afin de
croire, et purifie ton coeur par la foi. Et que verrai-je quand mon coeur sera
pur? « Bienheureux ceux dont le coeur est pur, parce qu’ils verront Dieu 3.
Ecoute, ô ma fille, et vois; incline ton oreille ». C’est peu d’écouter, écoute
humblement: « Incline ton oreille. Oublie ton peuple et la maison de ton père 4
». Il y avait un certain peuple, une certaine maison de ton père, c’est là,
c’est dans ce peuple que tu es née, à Babylone, dans cette ville qui a le
diable pour roi. De quelque point de la terre que soient venues les nations,
elles étaient sous
1.
Ps. XVII, 45.— 2. Act. XV, 9.— 3. Matt. V, 8.— 4. Ps. XLIV, 11.
la domination du diable; mais elles ont
renoncé leur père. « Oublie ton peuple et la maison de ton père ». Il t’a
engendrée dans la souillure, et a fait de toi une pécheresse: Celui-là te rend
à la beauté, qui justifie l’impie. « Oublie ton peuple et la maison de ton père
».
16. « Car le roi s’est épris de ta beauté 1
». quelle beauté, sinon de celle qu’il a faite? Il s’est épris de la beauté ».
De qui est cette beauté? Est-ce d’une pécheresse, d’une injuste, d’une impie,
telle qu’était cette chez le démon son père, et au milieu de son peuple? Non,
mais de celle dont il est dit: « Quelle est celle-ci qui s’élève éclatante de
blancheur 2? » Auparavant donc elle n’était point blanche, mais depuis sa
blancheur est éblouissante: «Car vos péchés fussent-ils rouges comme le
vermillon, je vous rendrai blancs comme la neige 3 ». « Le Roi s’est donc épris
de votre beauté. Quel est ce Toi? « Celui qui est le Seigneur votre Dieu ».
Vois si tu ne dois pas abandonner celui qui t ton père, ce peuple qui était le
tien, venir à ce roi qui est ton Dieu: il est Dieu et ton Roi; et ton Roi sera
lui-même Epoux. C’est donc ton Roi, ton Dieu, qui de-t ton Epoux, lui qui
t’enrichit d’une dot, qui t’embellit, lui qui te rachète, lui qui guérit, lui
qui te donne tout ce qui peut plaire en toi.
27. «Et les filles de Tyr viendront l’adorer
et lui offrir des présents 4 ». C’est ton Roi, ton Dieu, que « viendront adorer
les filles de Tyr chargées de présents ». Or, les filles de Tyr sont les filles
de la gentilité: la partie est prise pour le tout. Tyr était voisine de cette
contrée où se chantait cette prophétie; elle désignait les nations qui devaient
croire Christ. De là vint cette chananéenne qui fut tout d’abord appelée
chienne, Car pour vous montrer qu’elle appartenait bien à ce pays,voici ce que
dit l’Evangile: «Jésus se retira sur les terres de Tyr et de Sidon, et voici
qu’une femme chananéenne sortant de ces contrées s’écriait », et le reste qui
est marqué en cet endroit. Or, celle qui n’était qu’une chienne en demeurant
parmi son peuple et chez son père, crie et vient à ce Roi; puis, embellie par
sa foi en lui, qu’a-t-elle mérité d’entendre? « O femme, votre foi est grande
5. « Le roi s’est épris de votre beauté; et les
1. Ps. XLIV, 12.— 2. Cant. VIII, 5.— 3. Isa. I, 18.— 4.Ps. XLIV, 13. — Matt XV, 21-28.
filles de Tyr viendront l’adorer avec des
présents ». Quels présents? C’est ainsi que le Roi veut qu’on vienne à lui,
afin de remplir ses trésors: c’est lui qui donne de quoi les remplir et qui
veut que vous les remplissiez vous-mêmes. Qu’elles viennent, dit-il, et
qu’elles l’adorent avec des présents. Qu’est-ce à dire avec des présents? « Ne
vous amassez ce point des trésors sur la terre, où les vers et ce la rouille
peuvent les dévorer, et où les voce leurs fouillent et dérobent; mais
amassez-vous des trésors dans le ciel, où il n’y a ni ce vers ni rouille pour
dévorer, ni voleurs ce pour fouiller et dérober. Car là où est votre ce trésor,
là est aussi votre cœur 1». Venez donc avec des présents: « Répandez les
aumônes, ce et tout deviendra pur pour vous 2 ». Venez avec des présents à
celui qui dit: «Je veux ce la miséricorde plutôt que le sacrifice 3 ». Dans ce
temple qui était jadis la figure du temple à venir, on venait avec des
taureaux, des béliers, des boucs, avec divers animaux propres au sacrifice,
afin que ce sang répandu fût l’annonce d’un sacrifice bien supérieur à ceux qui
avaient lieu. Maintenant ce sang précieux prédit par tous ces rites est enfin
arrivé; le Roi lui-même est venu, et il exige des présents. Quels présents? Des
aumônes. Car il viendra juger les hommes, et tenir compte à quelques-uns de
leurs présents. « Venez », leur dira-t-il, « bénis de mon Père, et recevez le
royaume qui vous a été préparé dès ce l’origine du monde ». Pourquoi? « J’ai eu
ce faim et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à
boire; j’ai été nu, et vous m’avez revêtu; étranger, et vous m’avez recueilli;
infirme et en prison, et vous m’avez visité ». Tels sont les présents avec
lesquels les filles de Tyr viennent adorer le Roi; et comme elles diront: «
Quand vous avons-nous vu?» lui qui est dans le ciel et sur la terre, par ceux
qui montent, comme par ceux qui descendent, leur répondra ce Quand vous l’avez
fait au moindre de mes ce frères, c’est à moi que vous l’avez fait 4 ».
28. « Les filles de Tyr l’adoreront avec des
ce présents ». Et pour nous préciser plus clairement quelles sont ces filles de
Tyr, et avec quels présents elles viendront l’adorer, le Prophète ajoute: «Les
grands de la terre invoqueront vos regards 5 ». Ces filles de Tyr
1. Matt. VI, 19-21. — 2. Luc, XI, 41. — 3.
Osée, VI, 6; Matt. IX, 13. — 4. Matt. XXV, 34-40. — 5. Ps. XLIV,
13.
qui viendront l’adorer avec des présents sont
donc les riches d’entre le peuple, à qui l’ami de l’Epoux s’adresse ainsi:
«Ordonnez aux riches de la terre de n’être point orgueilleux, de ne point
mettre leur confiance dans les richesses incertaines; mais dans le Dieu vivant,
qui nous donne avec abondance ce qui est nécessaire à la vie; de s’enrichir par
de bonnes oeuvres; de donner facilement, de faire part de leurs richesses».
L’adorer avec des présents; car ce n’est point là perdre, mais se faire un
trésor que l’on peut toujours retrouver. « Qu’ils s’amassent un trésor qui soit
un fondement solide pour l’avenir, afin d’embrasser la véritable vie 1 ».
Adorer avec des présents, c’est donc implorer vos regards. Ils viennent en
foule dans l’Eglise pour y faire leurs aumônes, de peur qu’ils ne soient dehors,
c’est-à-dire de peur que, placés en dehors de l’Eglise, ils ne fassent leurs
aumônes dans l’Eglise. Car le visage de cette Epouse, de cette reine, leur sera
favorable dans leurs bonnes oeuvres. C’est pourquoi ceux qui vendaient leurs
terres, venaient avec des présents implorer les faveurs de cette reine, et
déposaient aux pieds des Apôtres l’argent qu’ils portaient 2. La charité était
alors fervente dans l’Eglise, et l’Eglise était la face de cette reine; la face
de cette reine était la soumission des filles de Tyr, ou des riches qui
adoraient avec des présents: « Les riches d’entre le peuple imploreront votre
faveur ». Ceux qui implorent la faveur, et celle dont on implore la faveur, ne
forment tous qu’une seule épouse, tous une seule reine, la mère et les fils ne
font qu’un même tout appartenant à Jésus-Christ, appartenant au chef.
29.Mais parce que ces aumônes et ces bonnes
oeuvres se font quelquefois en vue d’une gloire humaine, le Seigneur lui-même
nous donne cet avertissement: « Gardez-vous de faire vos bonnes oeuvres sous
les yeux des hommes, afin d’en être vus 3 »; mais il nous marque- en même temps
la publicité qu’on doit donner à ces oeuvres, à cause du visage de l’Epouse: «
Que vos œuvres », dit-il, « brillent devant les hommes, afin qu’ils voient vos
bonnes actions et qu’ils en glorifient votre Père qui est dans les cieux 4 »;
non pas que dans ces bonnes oeuvres faites en public vous dussiez chercher
votre propre gloire, mais bien la gloire de Dieu. Eh! qui sait, me
1. I Tim. VI, 17-19.— 2. Act. IV, 34.—
3.Matt. VI, 1.— 4. Id. V, 16.
dira-t-on, si c’est ma gloire ou la gloire de
Dieu que je cherche? Quand je donne au pauvre, on me voit, mais qui voit mon
intention? Qu’il te suffise du témoin qui te voit, car ce témoin est celui qui
t’en donnera la récompense. Celui qui voit dans le secret aime aussi dans le
secret: il aime dans le secret, qu’il soit aussi aimé au dedans, celui qui
donne aussi la beauté intérieure. Ne cherche pas un vain plaisir dans les
regards extérieurs, non plus qu’à être vu, à être loué, mais vois ce qui suit:
«Toute la gloire de cette fille du roi vient de son cœur 1 ». Non seulement
elle a au dehors un vêtement d’or nuancé de broderies, mais celui qui s’est
épris de sa beauté connaît sa beauté intérieure. Quelle est donc cette beauté
intérieure? Celle de la conscience. C’est là que voit Jésus-Christ, là que nous
aime Jésus-Christ, là que nous parle Jésus-Christ, là que Jésus-Christ châtie,
là que Jésus-Christ nous couronne. Que votre aumône soit donc secrète, parce
que: «Toute ce la gloire de cette fille du roi vient de ce son coeur: elle est
parée de franges d’or et ce couverte de broderies 2 ». Sa beauté est
intérieure: « ces franges d’or désignent la variété des langues, la beauté de
la doctrine. Mais à quoi bon tout cela sans la beauté intérieure?
30. « A sa suite les vierges seront
présentées au roi ». Voilà ce qui est véritablement accompli. L’Eglise a pris
de l’accroissement, l’Eglise s’est répandue parmi les nations Quel vif désir
maintenant, pour ces vierges, de plaire à ce roi? Qui les presse en cela?
L’Eglise qui leur en a donné l’exemple. « A sa suite, les vierges seront
présentées au roi: les compagnes de l’Epouse, ô roi, vous seront présentées ».
Celles qui seront présentées ne sont pas étrangères à l’Epouse, ce sont pour
elle des proches, et qui lui appartiennent. Et comme le Prophète avait dit « au
roi », il lui adresse maintenant la parole en disant: «A vous: ses proches vous
seront présentées ».
31. « Elles seront présentées dans la joie et
ce dans l’allégresse, elles seront amenées au temple du roi. ». Ce temple du
roi, c’est l’Eglise même, et l’Eglise même entre dans le temple du roi. De quoi
ce temple est-il construit? des hommes qui entrent dans ce temple. Quelles en
sont les pierres vivantes, sinon les fidèles de Dieu? On les amènera dans le
1. Ps. XLIV, 15. — 2. Ibid. — 3. Ibid. — 4.
Id. 16.
temple du roi. Il y a d'autres vierges qui
sont hors du temple du roi, les vierges hérétiques: elles sont vierges à la
vérité, mais de quoi leur servira cette virginité, si elles ne sont amenées
dans le temple du roi? Le temple du roi est dans l'unité: le temple du roi
n'est ni ruineux, ni ouvert par des fentes, ni démembré. Ses pierres vivantes
sont reliées par la charité. « Elles seront amenées dans le temple du roi ».
32. « A la place de vos pères il vous est né
des enfants 1 ». Rien de plus clair. Voyez maintenant ce temple du roi, puisque
c'est de lui que parle notre psaume, à cause de l’unité répandue par toute la
terre, et que c'est là que doivent être présentées, sous peine de ne pas plaire
au roi, celles qui ont voulu être vierges. « A la place de vos pères il vous
est né des fils ».Ce sont les Apôtres qui vous ont engendrés; ils ont été
envoyés, ils ont prêché, ils sont des pères. Mais ont-ils pu demeurer toujours
avec nous d'une manière corporelle? Bien que l'un d'eux ait dit: « J'ai un vif
désir d'être dégagé des liens du corps pour être avec Jésus-Christ, ce qui est
sans comparaison le meilleur; mais il est plus,avantageux pour vous que je reste
en cette vie 2 »; nonobstant cette parole, combien de temps a-t-il pu demeurer
ici-bas? Jusqu'aujourd'hui? Jusqu'à la fin des siècles? Leur absence a-t-elle
donc mis l'Eglise dans le délaissement? Point du tout: « A la place de vos
pères il vous est né des fils ». Les Apôtres sont les pères, mais après les
Apôtres il vous est né des fils que l'on a établis évêques. Car ces évêques,
répandus aujourd'hui dans le monde entier, d'où sont-ils nés? L’Eglise les
appelle ses pères, et c'est elle-même qui les a engendrés, elle-même qui les a
établis sur les sièges de ses pères. Ainsi donc, ô sainte Eglise, ne va pas te
croire abandonnée parce que tu ne vois plus Pierre, que tu ne vois plus Paul,
que tu ne vois plus ceux qui t'ont fait naître; tu as trouvé d'autres pères
dans ta propre lignée. « A la place de vos pères il vous est né des fils; vous
les établirez princes sur toute la terre ».Vois ce temple du Roi, comme il
s'étend au loin, afin que les vierges qui n'ont pas été amenées à ce temple
sachent bien qu'elles n'ont aucune part a espérer dans ces saintes épousailles.
« A la place de vos pères il vous est né des fils;
1. Ps., XLIV, 17. — 2. Philipp. I, 23, 24.
vous les établirez princes sur toute la terre
». Telle est l'Eglise catholique: ses fils sont princes sur toute la terre, ses
fils sont établis à la place de leurs pères. Que nos frères séparés le
reconnaissent et qu'ils reviennent à l'unité, qu'ils se laissent amener dans,
le temple du roi. Dieu a établi son temple en tous lieux, en tous lieux encore
il a consolidé les bases des Apôtres et des Prophètes. L'Eglise a enfanté des
fils qu'elle a établis princes sur toute la terre, à la place de leurs pères.
33. « Ils se souviendront de votre nom dans la suite des âges. C'est
pour cela que les peuples vous confesseront 1 ». De quoi sert-il de confesser
Dieu hors de son temple? A quoi bon prier, si l'on ne prie sur la montagne? «
J'ai crié vers le Seigneur », dit le Prophète, « et il m'a exaucé du haut de sa
montagne sainte 2 ». De quelle montagne? De celle dont il est dit: « La ville
placée sur la montagne ne saurait être cachée 3 ». De quelle montagne? De celle
que vit Daniel, comme une petite pierre qui grandissait démesurément, qui
renversait les royaumes du monde et qui s'étendait sur toute la terre 4. C'est
là que doit adorer celui qui veut recevoir, que doit demander celui qui veut
être exaucé, que doit confesser ses fautes celui qui en désiré le pardon. «
C'est pour cela que les peuples vous confesseront dans le cours des siècles et
à jamais ». Car dans la vie éternelle, si, comme il est vrai, il n'y a plus de
gémissement à cause du péché, il y aura néanmoins confession éternelle du
bonheur dont on jouira, et elle se fera par les chants de l'allégresse dans
cette patrie meilleure et sans fin. C'est en effet de cette cité qu'il est
écrit dans un autre psaume: « Cité de Dieu, on a dit de toi des merveilles 5 ».
Cette épouse du Christ, cette fille du roi, épouse du roi, dont les princes
doivent bénir le nom d'âge en âge, c'est-à-dire jusqu'à ce que finisse le monde
qui se perpétue par tant de générations, eux qui ont pour elle une si vive
charité, afin que, délivrée de ce mode, elle règne avec Dieu, les peuples
doivent la confesser éternellement. Une charité parfaite mettra dans tous les
coeurs l'éclat et la splendeur de la lumière, afin qu'elle se connaisse
pleinement dans son universalité, elle qui est maintenant inconnue et cachée à
elle-même dans beaucoup de ses membres. De là vient que
1. Ps. XLIV, 18. — 2. Id. III, 5. — 3. Matt.
V, 14. — 4. Dan. II, 35. — 5. Ps. LXXXVI, 3.
l’Apôtre nous avertit de ne rien juger avant
le temps, jusqu’à ce que Dieu vienne, qu’il éclaire la profondeur des ténèbres,
qu’il manifeste les pensées des coeurs, et alors chacun recevra sa gloire de
Dieu même 1. Cette cité sainte se rendra en quelque sorte témoignage à
elle-même, quand ces peuples qui la composent la béniront éternellement; ainsi
elle ne sera plus cachée à elle-même et en aucune de ses parties, puisque nul
de ses membres n’aura rien de caché.
1. I Cor. IV, 5
Ce Psaume est pour les fils de Coré ou du
Calvaire, et dès lors pour nous, et le Christ est notre fin, puisque nous unir
à lui c’est arriver au dernier terme de la gloire. Dieu est pour nous un
refuge, parce qu’il habite notre conscience, à moins que le péché ne l’en
bannisse; le péché nous ferme alors cet asile, et où recourir? C’est une
créance que Dieu a sur nous, et que l’on ne solde que par la douleur. Les fils
de Coré sont les Juifs convertis à la voix de Pierre, quand le Saint-Esprit
descendit. ils trouvèrent le calme dans la foi. Les montagnes transportées dans
la mer, ce sont les Apôtres an milieu des nations qui s’ébranlent, se
convertissent, reçoivent la rosée de la grâce, tandis qu’Israël demeure stérile,
se heurte contre la petite pierre qui devient montagne. Paix avec Dieu.
1. Il est, mes frères, plusieurs sujets fort
connus de vous, ce me semble, et sur lesquels nous passons légèrement, car il
n’est pas besoin d’appuyer longuement sur les choses que vous savez. Comprenons
bien que nous sommes les fils de Coré. Je ne fais que vous rappeler ce que vous
savez déjà, que Coré signifie Chauve, et que Notre Seigneur, parce qu’il fut
crucifié au Calvaire 1, s’attira beaucoup de fidèles, comme ce grain de froment
qui serait demeuré seul, s’il ne fût mort dans la terre 2; et que ces hommes
attirés au Crucifié, s’appellent mystérieusement fils de Coré. Du reste, je ne
sais quels étaient ces fils de Coré, quand on chantait ce psaume 3; mais nous
devons suivre l’esprit qui vivifie, et non la lettre qui tue 4. C’est donc nous
qu’il faut comprendre ici, et voir si c’est à nous que s’adresse la suite du
psaume ou son contexte. Nous nous y retrouverons sans nul doute, si nous nous
attachons aux membres de ce corps dont la tête est dans le ciel, où elle s’est
élevée après la passion, afin d’élever avec elle ceux qui étaient dans la
bassesse, de les rendre fertiles avec elle, en leur faisant porter des
1. Matt. XXVII, 35. — 2. Jean, XII, 24. — 3.
I Paral. XXVI, 1. — 4. II Cor, III, 6.
fruits dans la patience. Or, le psaume a pour
titre: « Pour la fin, psaume aux enfants de Coré, pour les mystères 1 ». Il y a
donc ici des choses cachées, mais vous savez que celui qui fut crucifié au
Calvaire, déchira le voile du temple, afin d’en mettre les secrets en évidence
2, Comme la croix de Notre Seigneur fut une clé qui ouvrit ce qu’il y avait de
plus caché, croyons qu’il voudra bien nous venir en aide, et nous révéler ces
figures. « Pour la fin », cette expression doit toujours s’appliquer à
Jésus-Christ, « qui est la fin de la ce loi pour justifier ceux qui croiront 3
». Or, on l’appelle fin, non parce qu’il détruit, mais parce qu’il
perfectionne. En effet, nous disons d’un pain qu’il est fini quand il est
mangé; d’une robe que l’on tissait, qu’elle est finie. Dans le premier cas il y
a destruction, dans le second achèvement. Mais comme en allant au Christ nous
ne pouvons nous élever davantage, il est appelé la fin de notre course.
N’allons pas croire qu’une fois arrivés à lui il nous reste encore à faire de
nouveaux efforts pour aller au Père. Ainsi le pensait Philippe, qui lui disait:
«Seigneur, montrez-nous le Père et cela nous suffit ». En disant: « Cela
1. Ps. XLV, 1. — 2. Matt. XXVII, 51.— 3. Rom.
X, 4.
nous suffit », il cherchait une fin qui
complète, qui perfectionne. Mais Jésus lui répond: « Philippe, voilà si
longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez pas encore? Philippe,
celui qui me voit, voit aussi mon Père ». En lui donc nous avons le Père, parce
qu’il est dans le Père, et que le Père est en lui, et que le Père et lui sont
un 2.
2. Quel est donc l’avertissement que nous
donne le Prophète dans ce cantique où nous devons reconnaître notre voix, si
toutefois nous entrons dans les sentiments qu’il expime? ce Dieu est notre
refuge et notre force 3 ». Certains asiles sont quelquefois peu sûrs, et s’y
abriter c’est s’exposer plutôt que se préserver. Ainsi, par exemple, tu as
recours à un homme élevé dans le monde pour t’en faire un ami puissant; tu vois
un refuge près de lui. Et telle est néanmoins l’inconstance des choses de la
terre, et chaque jour on voit tomber tant d’hommes puissants, qu’après avoir
choisi un tel asile, c’est alors redoublent tes craintes. Auparavant tu ne
craignais que pour toi, mais depuis que cet homme est ton appui, tu crains
aussi pour lui. Plusieurs, en effet, qui avaient eu recours à de les
protections, ont été recherchés à la chute de leurs protecteurs; et nul ne les
eût inquiétés, s’ils n’eussent recherché ces appuis. Pour nous, tel n’est point
notre appui, mais notre appui est la force même. Nous y réfugier, c’est y
trouver la sûreté.
3. « Il est notre secours dans les
afflictions sans nombre qui nous visitent 4 ». Les afflictions sont nombreuses,
et dans toute affliction néanmoins il nous faut recourir à Dieu:
nous soyons affligés soit dans nos biens,
dans notre santé, soit dans le danger que courent nos âmes, soit dans toute
autre chose nécessaire à cette vie, le chrétien ne doit recourir qu’à Dieu
seul; et s’il y recourt, il deviendra fort. Ce n’est point par lui-même qu’il
sera fort, il ne sera pas son propre appui; mais il trouvera la force en celui
qui lui aura donné asile. Cependant, mes chers frères, de toutes les
afflictions de l’âme humaine, il n’en est pas de plus douloureuse que la
conscience de nos péchés; car s’il n’y a aucune blessure, et si cet intérieur
de l’homme appelé conscience est complètement sain, d’où que lui vienne la
peine, il se réfugie dans cet intérieur et y trouve Dieu. Mais si de
1. Jean, XIV, 8, 9.— 2. Id. X, 30.— 3. Ps.
XLV, 2.— 4. Id. 3
nombreuses fautes ont banni le repos de cette
conscience, et que Dieu n’y soit pas, que fera l’homme? où trouvera-t-il un
abri contre les peines? Qu’il fuie de la campagne dans la cité, du forum à sa
maison, de sa maison dans sa chambre la plus retirée, la peine le suit
toujours. Après sa chambre il n’a plus d’autre lieu où fuir, que cette retraite
intérieure. Mais s’il doit encore y trouver le trouble, la fumée du péché, le
brasier du crime, il ne peut s’y réfugier; il en est chassé; et, chassé de là,
il est hors de lui-même. Il trouve son ennemi où il cherchait la sûreté; où
pourra-t-il se fuir lui-même? Partout où il puisse aller, il se traîne après
lui; et partout où il se traîne il est son propre bourreau. Ce sont là les
grandes tribulations qui viennent assaillir l’homme; il n’y en a point de plus
cuisante, parce qu’il n’y en a point de plus intérieure. Voyez, bien-aimés,
quand des bûcherons vont abattre des bois et les apprécier, il y a souvent à la
surface quelque chose de gâté, de pourri, mais le charpentier en examine pour
ainsi dire la moelle et le coeur, et s’il voit que cet intérieur est bon, il
prononce hardiment qu’ils auront une longue durée dans l’édifice: et il se met
peu en peine de la pourriture de la surface, quand il reconnaît que l’intérieur
est bon. Mais chez l’homme il n’y a rien de plus intérieur que sa conscience;
de quoi lui sert alors que l’extérieur soit d’une santé parfaite, quand la
moelle de la conscience est en pourriture? Ce sont donc là des peines
cuisantes, des peines tout à fait insupportables et, comme le dit le Psalmiste,
des peines excessives; et toutefois le Seigneur vient nous en soulager par le
pardon de nos péchés, Car il n’y a que sa bonté qui puisse guérir la conscience
des pécheurs. S’il endure de cruels tourments, cet homme qui se reconnaît
débiteur du fisc; et qui, en face de ses affaires dans le désordre, reconnaît
qu’il ne peut vivre en payant ce qu’il doit; s’il se plaint des tortures que
lui font endurer les receveurs qui le pressent chaque année, et s’il n’a pour
respirer que l’espoir de trouver quelque indulgence près des princes de la
terre; combien plus vive doit être la peine de celui que ses fautes nombreuses
rendent passible des plus grands supplices, et comment s’acquitter sur le fond
d’une conscience en désordre, puisque s’acquitter c’est périr? Cette créance ne
peut se solder que par la douleur. Il n’y a donc (490) plus que le pardon qui
puisse nous donner la sécurité, pourvu qu’après le pardon nous ne contractions
plus de nouvelles dettes.
4. Ainsi ces fils de Coré peuvent s’entendre
de ceux à qui Pierre adressa la parole dans les Actes des Apôtres, alors que
leur attention était excitée par la descente merveilleuse de l’Esprit-Saint,
lorsque tous ceux qui l’avaient reçu parlaient toutes les langues. Il leur
prêcha en effet le Christ, qui faisait éclater son pouvoir en envoyant le
Saint-Esprit. Ces hommes pesant, d’une part., combien leur avait paru
méprisable celui qu’ils avaient tué de leurs propres mains; et, d’autre part,
combien il était grand et puissant devant Dieu, lui qui remplissait du
Saint-Esprit des hommes simples, et leur faisait parler diverses langues,
s’écrièrent dans la componction de leur coeur: « Que ferons-nous? » C’étaient
les peines intérieures qui les venaient trouver. Pour eux, en effet, ils ne
trouvèrent point eux-mêmes leurs péchés; mais la parole des Apôtres les leur
fit trouver. D’où il suit que ce fut la tribulation qui les trouva, et qu’ils
ne trouvèrent point eux- mêmes la tribulation. Qu’un homme, sans en être
aucunement averti, considère ses oeuvres et se mette à prier Dieu, que dit-il?
» J’ai trouvé « l’affliction et j’ai invoqué le nom de mon Dieu 1 ». Il y a
donc une affliction que vous trouvez vous-même, et une affliction qui vient vous
trouver. Mais pour écarter celle que nous trouvons, ou celle qui vient nous
trouver, il nous faut recourir à Celui qui est notre refuge dans les
afflictions. Aussi David ayant rencontré l’affliction, s’écriait: « Et j’ai
invoqué le nom du Seigneur »; et ceux que l’affliction est venue trouver
disaient encore: « Dieu est notre refuge et notre force, il est notre soutien
dans les tribulations qui ce sont venues nous accabler ». Mais, puisque Dieu
est devenu protecteur, où a-t-il fait voir sa protection? « Touchés de
componction », est-il écrit, « ils dirent dans leur coeur: Que ferons-nous 2? »
Ils sont pris comme d’un grand désespoir. S’il est si grand celui que nous
avons mis à mort, que deviendrons-nous? Et Pierre: « Faites pénitence, que
chacun de vous soit baptisé au nom du Christ, et vos péchés vous seront remis 3
». Car ils n’ont rien pu trouver de plus grave que ce péché. Quoi de plus
horrible pour un
1. Ps. CXIV, 3.— 2. Act. II, 37.— 3. Id. 38.
malade que de tuer son médecin? Oui, quel
plus funeste emportement pour le malade que d’ôter la vie au médecin? Quand on
pardonne un tel crime, que ne peut-on point pardonner? Ils reçurent donc une
grande assurance de la part de celui qui est appelé « notre refuge et notre
force. Que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus »; c’est au nom de celui
que vous avez mis à mort qu’il vous faut être baptisés, « et vos péchés vous
seront pardonnés ». Vous n’avez connu votre Médecin qu’après, buvez sans
crainte le sang que vous avez répandu.
5. Enfin, après une telle assurance, quel est
leur langage? « Aussi bien, serons-nous sans crainte dans les troubles de la
terre 1? ». Naguère ils étaient dans l’inquiétude, les voilà tout à coup dans
la sécurité; d’un trouble excessif ils passent au plus grand calme. Pour eux le
Christ dormait, et ils étaient dans le trouble; le Christ s’éveille, et, comme
nous l’avons entendu tout à l’heure dans l’Evangile, il commande aux tempêtes
et les tempêtes s’apaisent 2. Comme le Christ est dans le coeur de chacun de
nous parla foi, cette figure nous montre que tout homme dont le coeur perd la
foi est troublé par les ouragans du siècle; il est troublé comme si le Christ
dormait; mais que le Christ s’éveille, et le calme se rétablit. Que dit donc
enfin le Seigneur? « Eh ! où est votre foi 3? » Le Christ s’éveille et réveille
votre foi, afin que le calme du navire devienne aussi le raine de vos coeurs. «
Vous êtes notre soutien dans ce les afflictions qui sont venues fondre sur ce
nous ». Voilà ce qu’il fit pour établir la paix.
6. Voyez quel fut ce calme. « Aussi
n’aurons-nous aucune crainte, quand la terre serait ébranlée et que les
montagnes seraient transportées au milieu de la mer». Alors même nous ne
craindrons rien. Cherchons ces montagnes transportées, et si nous pouvons les
trouver, il est clair que c’est en cela que sera notre sécurité. Car le
Seigneur a dit à ses disciples: « Si vous aviez de la foi comme un grain de
sénevé, vous diriez à cette montagne: « Ote-toi et jette-toi dans la mer, et il
en serait ainsi 4 ». Peut-être était-ce de lui-même qu’il parlait en disant:
«Cette montagne », car il a été, appelé montagne: «Et dans les derniers
1.
Ps. XLV, 3. — 2. Matt. VIII, 24-26. — 3. Luc, VIII, 25. — Matt. XVII, 19; Marc,
XI, 23.
jours se manifestera la montagne du Seigneur
». Mais cette montagne sera placée sur d’autres montagnes, car les Apôtres
aussi sont des montagnes qui portent cette montagne principale. Aussi Isaïe
a-t-il ajouté: « Dans les derniers temps se manifestera la montagne du Seigneur
sur le sommet d’autres montagnes 1 ». Cette montagne s’élève donc au-dessus des
autres montagnes et s’assied sur leurs cimes, car les autres montagnes prêchent
cette montagne sainte. Quant à la mer, elle est le symbole de ce monde, et en
comparaison de cette mer la Judée paraissait une terre ferme, car elle n’était
point couverte des flots amers de l’idolâtrie, mais elle était comme une terre
sèche, environnée de toutes parts de Gentils qui ressemblaient à une onde
amère. Or, cette terre devait être troublée, c’est-à-dire la Judée elle-même;
et les montagnes devaient se transporter au milieu des eaux, c’est-à-dire
premièrement cette grande montagne, assise sur les sommets des montagnes. Car
il abandonna la nation juive pour passer aux autres nations; il passa de la
terre dans la mer. Par qui fut effectué ce passage? Par les Apôtres, à qui il
avait dit: «Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à
cette montagne: Ote-toi et jette-toi dans la mer, et il en serait ainsi »;
c’est-à-dire, votre prédication pleine de foi fera que cette montagne, ou
moi-même, je sois prêché parmi les Gentils, glorifié parmi les Gentils, connu
chez les Gentils, que s’accomplisse cette parole: « Le peuple que je ne
connaissais point m’a servi 2 ». Quand ces montagnes ont-elles été transportées?
Que l’Ecriture nous le dise encore. Lorsque l’Apôtre prêchait aux Juifs, ils
rejetèrent sa parole, et Paul leur dit alors: « Nous étions envoyés vers vous,
mais puisque vous avez méprisé la parole de Dieu, nous allons vers les Gentils
3 ». Les voilà donc transportés au sein des mers. Or, les Gentils crurent à ces
montagnes, et il arriva que ces montagnes furent dans le coeur de la mer; et il
n’en fut pas ainsi des Juifs, dont il est dit: « Ce peuple m’honore des lèvres,
et leur coeur est loin de moi 4 ». Telle est la promesse que le Seigneur
faisait par son Prophète pour le Nouveau Testament: «Je mettrai mes lois dans
leurs coeurs 5 ». Ces lois, ces préceptes,
1. Isa. II, 2.— 2. Ps. XVII, 45.— 3. Act.
XIII, 46.— 4. Isa. XXIX, 13; Matt. XV, 8.— 5. Jean, XXXI, 33; Héb. VIII, 10.
présentés par les Apôtres à la foi et à la
croyance des Gentils, voilà ce que notre psaume appelle des montagnes
transportées au coeur des mers. Pour nous alors il n’y aura point de crainte.
Pour qui n’y aura-t-il rien à craindre? Pour nous qui avons été touchés de
componction, afin de n’être point des rameaux retranchés, comme les Juifs
réprouvés. Quelques-uns d’entre eux ont cru et se sont attachés aux Apôtres qui
prêchaient. Qu’ils craignent, ceux que les montagnes ont abandonnés; mais nous,
nous ne quittons pas les montagnes; et, quand elles sont transférées au sein
des mers, nous les y suivons.
7. Qu’est-il arrivé après que les montagnes
ont été transférées au sein des mers? Ecoutez et voyez la vérité. Quand ces
choses étaient annoncées, elles étaient obscures, puisqu’elles n’étaient pas
encore accomplies; maintenant qu’elles sont accomplies, qui ne les reconnaîtra?
Que l’Ecriture te serve de livre pour les comprendre; que toute la terre te
serve de livre pour en voir l’accomplissement. Ceux-là seuls peuvent lire dans
les livres qui connaissent les lettres; mais dans le livre du monde entier un
idiot peut lire. Qu’est-il donc arrivé quand les montagnes ont été transférées
du sein des mers? « Leurs flots ont mugi, ils ce se sont troublés», quand on
prêchait l’Evangile, ils ont dit: « Quelle est cette parole? Il ce semble que
cet homme noué annonce d’autres dieux 1». Ainsi disaient les Athéniens. Mais
quel tumulte ne soulevèrent pas les Ephésiens, qui voulurent tuer les Apôtres, et
poussèrent dans le théâtre ces grands cris: « Vive la grande Diane d’Ephèse 2
», Or, au milieu de ces flots et de ces tempêtes de la mer, ils ne craignaient
pas, ceux qui avaient pris Dieu pour soutien. Enfin l’apôtre saint Paul voulait
entrer dans le théâtre, et il en fut empêché par les disciples, car il fallait
qu’il demeurât dans sa chair à cause d’eux 3. Et toutefois ce les eaux de la
mer se soulevèrent ce avec fracas; les montagnes furent ébranlées ce par sa
force as. De qui cette force? Est-ce de la mer, ou plutôt de Dieu dont il est
dit: « Vous êtes notre refuge, notre force, notre ce soutien dans les
tribulations sans nombre qui nous ont assaillis 4? » Les montagnes, ou les
puissances du siècle, ont été troublées. Il y a en effet les montagnes de Dieu
et les montagnes du siècle; les montagnes du siècle,
1.
Act. XVII, 18.— 2. Id. XIX, 28.— 3. Phil. I, 24.— 4. Ps. XLV, 2.
qui ont le diable pour chef, et les montagnes
de Dieu dont le chef est le Christ. Mais de ces montagnes, les unes ont été
ébranlées par les autres. C’est alors qu’elles ont élevé leurs voix et leurs
cris contre les chrétiens quand montaient leurs flots en courroux. Oui, ces
montagnes furent ébranlées, et il se fit un grand bruit sur la terre et sur les
flots. Mais contre qui toutes ces clameurs? Contre cette ville bâtie sur la
pierre 1. Les eaux mugissent, les montagnes se troublent à la prédication de
l’Evangile. Que deviens-tu, cité de Dieu? Ecoutez ce qui suit.
8. « Les bonds du fleuve portent la joie ce
dans la cité de Dieu 2 ». Lorsque les montagnes sont ébranlées, et que la mer
s’élève en courroux, Dieu témoigne par l’impétuosité du fleuve qu’il
n’abandonne point sa cité. Qu’appelle-t-on les bonds du fleuve? Cette
inondation du Saint-Esprit dont le Seigneur a dit: «Si quelqu’un a soif, qu’il
vienne et ce qu’il boive; qui croit en moi, des fleuves ce d’eau vive couleront
de son sein 3 ». Ces fleuves coulaient donc du sein de Pierre, de Paul, de
Jean, des autres apôtres, des autres évangélistes fidèles. Et comme ces fleuves
coulaient d’un seul fleuve, « les élans multipliés du fleuve portent la joie
dans la cité ce de Dieu ». Et pour vous faire mieux comprendre que cela est dit
du Saint-Esprit, voici ce qu’ajoute l’évangéliste, au même endroit: « Il disait
cela du Saint-Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui. Car ce
l’Esprit-Saint n’était pas encore envoyé, ce puisque Jésus n’était pas encore
glorifié 4 ». Or, après que Jésus eut manifesté sa gloire par sa résurrection,
sa gloire encore par son Ascension, au jour de la Pentecôte, l’Esprit-Saint
descendit, et remplit les fidèles qui parlèrent diverses langues 5, et se
mirent à prêcher aux Gentils. De là cette joie dans la cité de Dieu, tandis que
la mer se troublait au mugissement de ses eaux, que les montagnes s’ébranlaient
et demandaient ce qu’il fallait faire, comment repousseraient-elles cette
nouvelle doctrine, et pourraient-elles exterminer de la terre la famille
chrétienne. Contre qui tous ces efforts? Contre ces élans du fleuve qui
portaient la joie dans la cité de Dieu. De là aussi nous comprenons facilement
de quel fleuve il veut parler, et qu’il
1. Matt, VII, 24. — 2. Ps. XLV, 5. — 3. Jean,
VII, 37, 38.— 4. ld. 37-39. — 5. Act. II, 4.
désigne l’Esprit-Saint quand il dit: « Les
bonds du fleuve portent la joie dans la cité de Dieu ». Que dit-il en effet
après cela? « Le Très-Haut a sanctifié son tabernacle ». Dès lors qu’il parle
immédiatement de sanctification, il est évident que ces bonds du fleuve doivent
s’entendre de l’Esprit-Saint, qui sanctifie toute âme pieuse croyant au Christ,
pour prendre place dans la cité de Dieu.
9. « Mais Dieu est au milieu de la cité, elle
ce ne sera point ébranlée ». Que la mer se soulève, que les montagnes
s’ébranlent; ce Dieu est au milieu de la cité, elle ne sera ce point ébranlée 1
». Qu’est-ce à dire, « au milieu d’elle? » Faut-il croire que Dieu se tienne en
quelque lieu, et qu’il soit environné de tous ceux qui croient en lui? Dieu
alors serait circonscrit dans un lieu, et ce qui l’environne est au large,
tandis que lui, qui est environné, serait à l’étroit? Point du tout.
N’imaginons rien de semblable à l’égard de Dieu, qui ne peut être circonscrit
dans aucun lieu, qui a son trône dans la conscience des justes; et telle est la
manière dont il habite le coeur des hommes, que si l’homme vient à tomber en se
retirant de Dieu, Dieu néanmoins demeure en lui, sans être en danger de tomber,
comme s’il ne trouvait plus d’appui. Il te relève pour que tu sois en lui,
plutôt qu’il ne s’abaisse vers toi, de manière à tomber, si tu te dérobes à
lui. Qu’il se dérobe à toi et tu tomberas; dérobe-toi, s’il te plaît, et lui ne
tombera pas. Que signifie donc: « Dieu est au milieu d’elle? » Cela signifie
que Dieu a la même justice pour tous et ne fait acception de personne. De même
que le milieu d’un cercle est à égale distance des extrémités qui
l’environnent; de même il est dit que Dieu est au milieu, parce qu’il veille
également sur chacun des hommes: « Dieu est ce au milieu de la cité, elle ne
sera point ébranlée ». Pourquoi ne sera-t-elle point ébranlée? parce que Dieu
est au milieu d’elle. « Le Seigneur la protégera de sa face. C’est ce lui qui
est notre appui dans les tribulations ce excessives qui sont venues fondre sur
nous. Dieu la protégera de sa face ». Qu’est-ce à dire de sa face? En se
faisant voir. Et comment Dieu se montre-t-il de manière que nous voyions sa
face? Je vous le rappelle, vous connaissez la présence de Dieu, nous la
connaissons par ses oeuvres; et quand nous
1. Ps. XLV, 6.
recevons de lui quelque secours de manière à
ne pas douter qu’il ne nous vienne de Dieu, il nous montre alors son visage. «
Dieu la protègera de sa face ».
10. « Les nations se sont soulevées ».
Comment soulevées? Pourquoi ce soulèvement? Pour renverser la cité de Dieu, au
milieu de laquelle est Dieu lui-même? Pour détruire le tabernacle qu’il a
sanctifié, qu’il protège de sa face? Non, mais ce soulèvement des nations est
un soulèvement salutaire. Voyons en effet la suite. « Les royaumes se sont
inclinés 1 ». Les royaumes, dit le Prophète, se sont inclinés, ils ne s’élèvent
plus pour sévir, ils s’inclinent pour adorer. Quand les royaumes se sont-ils
inclinés? Quand s’est accomplie cette prophétie d’un autre psaume: «Les rois de
la terre viendront l’adorer, toutes les nations le serviront 2 ». Quelle cause
a fait incliner les royaumes? Cette cause, écoutez-la: « Le Très-Haut a fait
retentir sa voix, et la terre en a tremblé ». Les sacrificateurs des idoles
élevaient la voix comme les grenouilles du fond de leurs marais, et avec un
bruit d’autant plus fort que ce bruit venait d’une boue et d’une fange plus
infecte. Mais quel rapprochement entre ce bruit des grenouilles et les
tonnerres des nuées? Car c’est de là que « le Très-Haut fit retentir cette voix
dont la terre a été ébranlée »; il a tonné du haut de ses nuées. Quelles nuées
sont les siennes? Les Apôtres, ses prédicateurs, qui étaient les porte-voix de
ses préceptes, et les instruments de ses miracles. Ils sont des nuées comme ils
sont des montagnes; des montagnes à cause de leur hauteur et de leur solidité,
des nuées à cause de la pluie et de la fécondité qu’elles répandent. Ces nuées
ont arrosé la terre, et c’est d’elles qu’il est dit: «Le Très-Haut a fait
retentir sa voix dont la terre a été ébranlée ». C’est encore de ces nuées que
Dieu parle quand il menace une certaine vigne stérile, et c’est par suite de
cette menace que les montagnes ont été transportées dans le sein de la mer. «
Je commanderai aux nuées», dit le Seigneur, « de ne laisser tomber sur elle
aucune pluie 3 ». C’est là ce qui s’accomplit, comme nous l’avons observé,
quand les montagnes furent transférées au sein de la mer; quand il fut dit aux
Juifs: « Nous étions envoyés vers vous, mais puisque vous repoussez la parole
de Dieu, allons chez les nations 4 »:
1.
Ps. XLV, 7.— 2. Id. LXXI, 11.— 3. Isa. V, 6.— 4. Act. XIII, 46.
alors s’accomplit cette menace: « Je
commanderai aux nuées de ne laisser tomber sur elle aucune pluies ». Aussi la
nation juive est-elle demeurée comme une toison sèche dans l’aire. Car vous
savez que ce fait arriva autrefois par miracle. L’aire était desséchée, la
toison seule était humide, mais la rosée n’était pas visible dans la toison 1.
Ainsi le sacrement de la nouvelle alliance était invisible dans le peuple juif.
La toison était pour eux ce qu’est pour nous un voile: et le sacrement était
voilé dans la toison. Mais dans l’aire, ou chez toutes les nations, l’Evangile
du Christ est en évidence; la pluie est visible, la grâce de Jésus-Christ est à
découvert; aucun voile ne la couvre. Mais pour en faire sortir la rosée, on a
pressé la toison. C’est en la pressant de la sorte qu’ils ont fait sortir le
Christ du milieu d’eux, et le Seigneur au moyen de ses nuées a répandu la pluie
dans l’aire, et la toison est demeurée dans la sécheresse. C’est donc de là que
« le Très-Haut a fait retentir sa voix », c’est de ces nuées qu’est sortie la
voix qui a forcé les royaumes à s’incliner et à l’adorer.
11. « Le Dieu des vertus est avec nous, le
Dieu de Jacob est notre appui 2». Ce n’est point un homme quelconque, ni une
puissance quelconque, ni même un ange, ni aucune créature, soit terrestre, soit
céleste, mais « le Seigneur des vertus qui est avec nous, c’est le Dieu de
Jacob qui est notre appui ». Celui qui a envoyé les anges, est venu après les
anges, il est venu pour être servi par les anges, il est venu afin d’élever les
hommes à la hauteur des anges. Incomparable faveur! « Si Dieu est pour nous,
qui ce sera contre nous? Le Dieu des armées est ce avec nous ».Quel est ce Dieu
des armées qui est avec nous? ce Si Dieu est pour nous as, dit l’Apôtre, « qui
sera contre nous? lui qui n’a pas épargné son propre Fils, qui l’a livré à la
mort pour nous, comment ne nous donnerait-il point toutes choses avec lui 3? »
Soyons donc en assurance, et dans la paix du coeur nourrissons du pain de Dieu
une conscience pure. « Le Seigneur des armées est avec nous, le Dieu de Jacob
est notre appui ». Quelle que soit ta faiblesse, vois quel est ton appui. Un
homme tombe malade, on appelle un médecin: le médecin dit qu’il prend le malade
sous sa garantie. Qui donc
1. Juges, VI, 37, 38. — 2. Ps. XLV, 8. — 3.
Rom. VIII, 31, 32.
est l’appui du malade? le médecin. Grand
espoir de salut, puisque c’est un célèbre médecin qui l’a entrepris. Quel est
notre médecin? Tout autre médecin n’est qu’un homme auprès de lui: tout médecin
qui vient près d’uni malade, peut être malade à son tour, excepté Dieu. « C’est
le Dieu de Jacob qui nous prend sous sa garde ». Deviens tout à fait comme
l’enfant que les parents entreprennent d’élever. Ceux qu’on n’entreprend pas d’élever,
on les expose; ceux qu’on entreprend d’élever, on les nourrit. Or, penses-tu
que Dieu se charge de toi-même, comme ta mère s’est chargée de ton enfance?
Point du tout; il s’en charge pour l’éternité. Car c’est toi qui as chanté dans
un autre psaume: « Voilà que mon père et ma ce mère m’ont abandonné, mais le
Seigneur ce m’a pris sous sa garde 1. C’est le Dieu de ce Jacob qui nous
sauvera ».
12. « Venez et voyez les oeuvres du Seigneur
2 ». Depuis que le Seigneur a voulu te sauver, qu’a-t-il fait? Jette les yeux
sur l’univers entier; viens et regarde. Si tu ne viens, tu ne vois pas; si tu
ne vois, tu ne croiras pas; si tu ne crois pas, tu es éloigné; si tu crois, tu
viens; et si tu crois, tu vois. Comment vient-on à cette montagne sainte?
Est-ce à pied? est-ce avec des vaisseaux? ou avec des ailes? ou avec des
chevaux? Que l’éloignement des lieux ne te cause ni souci ni trouble, la
montagne elle-même vient vers toi. C’est elle qui était une petite pierre, qui
a pris de l’accroissement, qui est devenue cette grande montagne remplissant
toute la terre 3. Par quelles terres veux-tu aller à celui qui a rempli toute
la terre? La voilà qui vient, éveille-toi, son accroissement éveille même ceux
qui dorment: si tant est que leur sommeil ne soit pas, si profond qu’ils
demeurent insensibles à cette montagne qui les frappe, et qu’ils puissent
entendre: « Debout, ô toi qui dors, sors d’entre les morts et le Christ sera ta
lumière 4 ». C’était beaucoup pour les Juifs de voir la pierre. Car cette
pierre était petite encore: la voyant si petite, ils la méprisèrent; en la
méprisant, ils s’y heurtèrent, et en s’y heurtant, ils s’y meurtrirent; ils
n’ont plus qu’à s’y faire écraser. C’est de cette pierre en effet qu’il est
dit: « Quiconque heurtera cette pierre s’y ce brisera;, et elle écrasera celui
sur qui elle
1.
Ps. XXVI, 10.— 2. Id. XLV, 9.— 3. Dan. II, 35.—4. Eph. V, 14.
tombera 1 ». Etre meurtri ou être écrasé,
sont bien différents en effet. Etre meurtri est beaucoup moins qu’être écrasé;
mais le Christ ne doit écraser, en venant dans sa gloire, que celui qu’aura
meurtri son humilité. Avant de se montrer dans sa gloire, le Sauveur s’est
montré aux Juifs dans son humilité; et en se heurtant contre lui, ils se sont
meurtris; il viendra ensuite pour le jugement, dans sa gloire, dans sa majesté,
dans sa grandeur, dans l’éclat de sa puissance; non plus dans sa faiblesse pour
être jugé, mais dans sa force, pour juger et pour écarter ceux qui se sont
meurtris en le heurtant.
Ainsi c’est lui qui est la pierre
d’achoppement, et la pierre de scandale pour les incrédules 2. Donc, mes frères
bien-aimés, ne nous étonnons point si les Juifs n’ont point connu, s’ils ont
méprisé cette pierre si petite qu’ils voyaient à leurs pieds: ne pas le
reconnaître quand il est devenu une si grande montagne, voilà ce qui doit nous
étonner. Les Juifs se sont heurtés contre une petite pierre qu’ils ne voyaient
pas, et aujourd’hui les hérétiques se heurtent contre une montagne. Déjà cette
pierre a pris de l’accroissement; aujourd’hui nous leur disons: Voilà que
s’accomplit la prophétie de Daniel; cette pierre, d’abord petite, a grossi;
elle est devenue une haute montagne qui remplit la terre. Pourquoi vous y
heurter et ne pas y monter? Qui peut dire assez aveugle pour se heurter contre
une montagne? Comme si le Christ était venu vers toi pour te fournir une cause
de scandale, et non une cause d’élévation. « Venez donc et gravissons la
montagne du Seigneur 3 ». Ainsi dit Isaïe: «Venez et montons ». Qu’est-ce à
dire: « Venez et montons? » venez, c’est-à-dire croyez; « montons » ou
avançons. Mais eux ne veulent ni venir, ni monter, ni croire, ni avancer. Ils
aboient contre la montagne. Tant de fois ils se sont heurtés contre elle et
meurtris, et ils s’obstinent à ne point monter, aimant mieux se heurter encore.
Disons-leur: « Venez et voyez les oeuvres du Seigneur, les prodiges qu’il a
faits sur la terre 4 ». On appelle prodiges ces miracles accomplis quand le
monde a cru en Jésus-Christ, parce qu’ils avaient un sens prophétique.
Qu’est-il donc arrivé, qu’annonçaient-ils?
13. « Il a fait cesser les guerres jusqu’aux
extrémités du monde 5 ». Nous ne voyons
1. Luc, XX, 18.— 2. I Pier. II, 8.— 3. Isa.
II, 3. — 4. Ps. XLV, 9.— 5. Id. 10.
pas encore que cela soit accompli, car il y a
des guerres encore, et entre les peuples pour l’empire, et entre les sectes;
entre les juifs, les païens, les chrétiens, les hérétiques, il y a des guerres,
de fréquentes guerres, les uns combattant pour la vérité, les autres pour
l’erreur. Cette parole: « Il a fait cesser les guerres jusqu’aux extrémités du
monde », n’est donc point accomplie, mais peut-être s’accomplira-t-elle.
Maintenant même, n’est-elle donc pas accomplie? Elle l’est pour quelques-uns.
Elle l’est pour le froment, pas encore pour l’ivraie. Que signifie donc: «Il a dut
cesser les guerres jusqu’aux extrémités du monde? » Il appelle guerres, les
combats contre Dieu. Or, qui combat contre Dieu? l’impiété. Que peut faire à
Dieu l’impiété? Rien. Que fait contre une pierre un vase de terre déjà fêlé,
quel qu’en soit le choc? Plus le choc est violent, et plus complète est sa
ruine. Ces guerres étaient grandes jadis, elles étaient fréquentes. L’impiété
livrait bataille à Dieu, et les vases de terre se brisaient, quand les hommes
étaient assez présomptueux pour compter sur leurs propres forces. Ils
s’armaient fors de ce bouclier dont parle Job à propos le l’impie: «Il s’est
élancé contre Dieu, le cou abrité de son bouclier 1 ». Qu’est-ce à dire: «Le
cou abrité de son bouclier? » C’est-à-dire, en se confiant trop à la protection
de cette armure. Ressemblaient-ils à ces orgueilleux, ceux qui disaient: «Le
Seigneur est notre appui et notre force, il nous soutient dans les tribulations
excessives qui sont-venues fondre sur nous 2 »; ou bien dans un autre psaume:
«Je ne mettrai point mon espoir dans mon arc, et mon bras ne me sauvera point
3?» Quand un homme reconnaît qu’il n’est rien en lui-même, qu’il ne peut rien
attendre de lui-même, ses armes sont brisées entre ses mains, la guerre est
finie. Telles sont les guerres apaisées par la voix du Tout-Puissant, par cette
voix sortie des nuées, qui fit trembler la terre et incliner les empires: ces
guerres ont cessé jusqu’aux extrémités du monde. «Il a brisé l’arc, rompu les
lances et jeté au feu les boucliers 4 ». Un arc, des lances, des boucliers, du
feu. L’arc signifie les embûches; les lances, l’attaque ouverte; le bouclier,
la vaine présomption dans ses forces; et le feu qui doit consumer tout cela,
est celui dont le Seigneur a dit: «Je suis
1.
Job, XV, 20. — 2. Ps. XLV, 2, — 3. Id, XLIII, 7. — 4. Id. XLV, 10.
ce venu apporter le feu sur la terre 1 », et
dont le Psalmiste a dit: «Nul ne peut se dérober à ses flammes 2 ». Quand ce
feu brûlera en nous, il ne nous restera plus aucune arme impie, il faut que
toutes soient brisées, soient rompues, soient brûlées. Demeure donc sans armes
et sans appui en toi-même; et plus tu seras faible, sans aucune défense en toi,
plus deviendra ton appui celui dont il est dit: « C’est le Dieu de Jacob qui
veut nous sauver ». Tu avais de la puissance en toi-même, et voilà le trouble
chez toi. Loin de toi ces armes sur lesquelles tu comptais; écoute cette parole
du Seigneur: « Ma grâce te suffit». Dis à ton tour: « Quand je suis faible,
c’est ce là que je suis fort ». Ce mot est de l’Apôtre. Il avait perdu toutes
les armes de sa force, lui qui disait: « Pour moi, je n’ai point à me ce
glorifier sinon dans ma faiblesse 3 »; comme s’il disait: Je ne cours point
contre Dieu avec le cou abrité par mon bouclier: « Moi qui ai d’abord été un
blasphémateur, un persécuteur, un outrageux ennemi; mais qui ai ce reçu
miséricorde, afin que Jésus-Christ ce montrât en moi toute sa patience envers
ce ceux qui croiront en lui, pour la vie éternelle 4.— En apaisant les guerres
jusqu’aux ce confins du monde ». Or, quand le Seigneur entreprend de nous
sauver, nous laisse-t-il sans armes? Il nous donne des armes sans doute, mais
d’autres armes, celles de l’Evangile, de la vérité, de la continence, du salut,
de l’espérance, de la foi, de la charité. Ces armes nous les aurons, mais pas de
nous-mêmes. Les armes qui venaient de nous sont brûlées, si tant est que nous
ayons été embrasés de ce feu du Saint-Esprit dont il est dit: « Il jettera les
boucliers au feu ». Tu voulais être fort en toi-même, et Dieu t’a rendu
faible,'afin de te rendre fort en lui, toi dont la force n’était que faiblesse.
14. Quelle est donc la suite? « Demeurez en
ce repos ». Pourquoi? « Et voyez que c’est moi ce qui suis Dieu 5 ». Voyez que ce
n’est point vous, mais bien moi qui suis Dieu; c’est moi qui ai créé et qui
crée de nouveau; moi qui ai formé et qui reforme; moi qui ai fait et qui
refais. Si tu n’as pu te faire toi-même, comment te referais-tu? Voilà ce que
ne voit pas l’esprit humain dans son trouble; et c’est à la vue de ce trouble
1.
Luc, XII, 49.— 2. Ps. XVIII, 7— 3. II Cor. XII, 9, 10.— 4. I Tim. I, 13, 16. — 5. Ps.
XLV, 11.
opiniâtre qu’on lui dit: « Demeurez en
repos», c’est-à-dire, éloignez votre âme des querelles, ne raisonnez point, ne
vous armez point contre Dieu, autrement vos armes seraient vivantes encore et
non consumées par le feu. Mais si elles sont brûlées, « demeurez en ce paix »,
n’ayant plus de quoi combattre. Si vous êtes en repos en vous-mêmes, et que
vous me demandiez tout ce que vous espériez d’abord de vous-mêmes: «Demeurez en
repos, et vous verrez que je suis vraiment ce Dieu ».
15. « Je serai exalté au milieu des nations,
exalté sur toute la terre ». J’ai dit tout à l’heure que la terre signifiait le
peuple juif, et la mer les autres nations. « Les montagnes ce ont été
transférées au sein des mers; les nations se sont troublées et les royaumes se
ce sont abaissés; le Très-Haut a fait retentir sa ce voix et la terre a
tremblé. Le Dieu des armées est avec nous, le Dieu de Jacob veut ce nous sauver
1 ». Toutes ces merveilles se sont opérées chez les nations, les nations
1. Ps. XLV, 12.
se convertissent à la foi, et les armes de la
présomption humaine sont brûlées: le repos, la paix du coeur nous montre en
Dieu l’auteur de tous ces dons. Mais Dieu, après s’être ainsi glorifié, a-t-il
donc abandonné le peuple juif, dont l’Apôtre a dit: « Je vous exhorte à n’être
point sages en vous-mêmes, car une partie des Juifs est tombée dans
l’aveuglement, jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât dans l’Eglise 1
», c’est-à-dire, jusqu’à ce que les montagnes fussent transférées chez ces
peuples, que les nuées y répandissent la pluie, et que le Seigneur par la
grande voix de son tonnerre inclinât les empires. Jusqu’à ce que la plénitude
des nations entrât. Qu’arrivera-t-il ensuite? « Et qu’ainsi tout Israël fût
sauvé 2 ». C’est dans ce même ordre que notre psaume a dit: «Ma gloire éclatera
ce parmi les nations, elle éclatera sur la terre »; c’est-à-dire, au milieu des
mers et sur les continents, afin que tous puissent chanter ce qui suit: Le Dieu
des armées est avec ce nous, le Dieu de Jacob veut nous sauvera.
1. Rom. XI, 25. — 2. Id.. 26.
Les fils de Coré ou les chrétiens doivent
imiter la simplicité des enfants, en éviter l’irréflexion. Ils doivent chanter
ce roi des Juifs et de tous les peuples, qui s’élève au milieu des jubilations,
au bruit des trompettes, mais le chanter avec intelligence, ou plutôt avec la
foi qui est la lumière du coeur. Il s’élève au ciel, d’où nous devons croire
qu’il viendra pour le jugement. Il est assis à la droite de Dieu et veut
s’asseoir dans nos coeurs. Pour cela il n’est pas nécessaire d’être enfant
d’Abraham, il faut avoir la foi du centenier et éviter l’orgueil des Juifs.
1. Le Seigneur notre Dieu emploie dans les
livres sacrés des saintes Ecritures des moyens nombreux et variés pour
alimenter cette foi dans laquelle nous vivons et qui nous vivifie, il en
multiplie les figures et les expressions, et néanmoins il ne prêche qu’une même
foi. C’est un même et unique sujet qui revient sous des symboles différents,
afin d’éviter ainsi l’ennui et d’affermir en nous l’unité de foi par l’accord
de ces symboles. Aussi, à propos du psaume que nous venons d’entendre et que
nous avons chanté nous-mêmes, vous dirons-nous ce que vous connaissez déjà; et
néanmoins j’espère, avec le secours de Dieu, vous causer quelque plaisir en
vous faisant ruminer en quelque sorte ce que vous avez vu çà et là. Cette expression
ruminer désigne les animaux purs, et Dieu a voulu nous montrer par là que tout
homme qui écoute sa parole doit la mettre dans son coeur, de (497) manière à ne
pas négliger d’y revenir par la pensée: écouter alors, ce serait manger,
repasser dans sa mémoire ce qu’il a entendu; et savourer ce plaisir, ce serait
ruminer. La variété du langage reporte donc plus agréablement notre pensée sur
les vérités que nous savons, et nous les fait écouter plus volontiers; le
langage seul est varié, et cette variété renouvelle pour nous une antique
vérité.
2. Voici le titre du psaume: « Pour la fin,
psaume de David, pour les fils de Coré 1 ». D’autres psaumes encore sont
intitulés: Pour les fils de Coré, et nous indiquent un consolant mystère, comme
ils nous laissent deviner un grand symbole: c’est nous-mêmes en effet qu’il
faut reconnaître dans ces psaumes; ce titre désigne quiconque les lit et les
entend, c’est un miroir qui nous montre ce que nous somes. Ces enfants de Coré,
qui sont-ils? Il y eut un homme du nom de Coré 2, je sais qu’un homme
s’appelait ainsi: toutefois, quand nous lisons le psaume et que la parole
divine s’adresse à certains hommes que l’on ne saurait regarder comme les fils
de celui que l’on appelait Coré, la pensée a recours à un sens mystérieux et recherche
la signification de Coré. Or, ce mot hébreu a été traduit et interprété en grec
et en latin; et nous avons le sens de beaucoup de noms hébreux. Nous cherchons
donc et nous trouvons que Coré signifie Chauve. Voilà que votre attention
redouble. Cette expression: Enfants de Coré, vous paraissait bien obscure;
mais: Enfants du Chauve, ne l’est-elle pas davantage? Quels sont ces fils du
Chauve? Sont-ils fils de l’Epoux? Car l’Epoux a été crucifié à l’endroit Chauve
ou Calvaire. Relisez dans l’Evangile le lieu où le Seigneur fut mis à la croix,
et vous trouverez qu’il fut crucifié au Calvaire 3. Dès lors, ceux qui tournent
sa croix en dérision doivent être dévorés par les démons comme par des bêtes
farouches. Tel est en effet le sens prophétique d’un passage de l’Ecriture. Un
jour que le prophète Elisée, cet homme de Dieu, gravissait une montagne, des
enfants le raillaient en criant derrière lui: « Monte, chauve, monte, chauve 4
»; moins par cruauté que pour figurer l’avenir, il les fit dévorer par des ours
qui sortirent de la forêt 5. Si ces enfants n’eussent pas été
1. Ps. XLVI, 1.— 2. Num, XVI, 1.— 3. Matt.
XXVII, 33.— 4. IV Rois, II, 23.— 5. Id. 24.
dévorés de la sorte, vivraient-ils encore?
Eux qui sont nés mortels, n’eussent-ils pu succomber à quelque fièvre?
Toutefois ils sont devenus pour la postérité un terrible symbole. Que nul ne
tourne la croix en dérision: les Juifs ont été livrés à la puissance et aux
morsures des démons. Car, en crucifiant le Christ au Calvaire et en l’élevant
en croix, ils disaient à leur tour comme ces enfants, et sans plus comprendre
le sens de leurs paroles: Monte, chauve. Qu’est-ce à dire: « Monte? »
Crucifiez-le, crucifiez-le 1. Toutefois, on nous propose dans l’enfance un
modèle d’humilité à copier et un modèle d’irréflexion à éviter. Le Seigneur
lui-même propose l’enfance à ses disciples comme un modèle d’humilité, quand il
appelle à lui des enfants, et quand il répond à ceux qui les écartaient de lui:
«Laissez ce venir à moi les petits enfants, car le royaume ce de Dieu
appartient à ceux qui leur ressemblent 2 ». L’Apôtre à son tour nous montre
dans l’enfance un modèle d’irréflexion qu’il faut éviter. « Ne soyez point sans
prudence comme des enfants ». Puis il les propose à notre imitation: «Soyez
comme eux sans malice, ayez la prudence des hommes forts 3 ». Ce psaume: « Pour
les fils de Coré », est donc pour les chrétiens. Ecoutons-le comme les fils de
cet Epoux que des enfants sans réflexion crucifièrent au Calvaire. Ils ont
mérité d’être dévorés par les bêtes féroces, et nous d’être couronnés par les
anges. Car nous reconnaissons, sans en rougir, l’humilité de Notre Seigneur.
Nous ne rougissons pas de celui qui a été mystérieusement appelé chauve, à
cause du Calvaire. C’est au nom de cette même croix sur laquelle on l’insultait,
qu’il n’a pas voulu que notre front demeurât chauve, puisqu’il l’a marqué de ce
signe sacré. Enfin, pour mieux comprendre que toutes ces paroles s’adressent à
nous, écoutez-les.
3. « Peuples, battez des mains ». Le peuple
juif était-il tous les peuples? Mais une partie d’Israël est tombée dans un tel
aveuglement, qu’ils criaient comme des enfants: «Chauve, ce chauve 5 », et que
le Seigneur fut ainsi crucifié à l’endroit du Calvaire 6, afin que son sang
répandu rachetât la nation, et que s’accomplît la parole de saint Paul: « Une
ce partie d’Israël est tombée dans l’aveuglement
1.
Luc, XXIII, 21. — 2. Matt. XIX, 14. — 3. I Cor. XIV, 20. — 4. Ps. XLVI, 2. —
5. IV Roi, II, 23. — 6. Matt. XXVII, 33.
jusqu’à ce que la plénitude des nations fût
entrée 1». Qu’ils l’insultent donc, ces fous, ces stupides, ces insensés, et
qu’ils disent: « Chauve, chauve »; pour vous, rachetés par son sang qui a été
répandu au Calvaire, « Peuples, battez des mains », applaudissez à la grâce de
Dieu qui est allée jusqu’à vous. « Applaudissez ». Qu’est-ce à dire: «
Applaudissez? » Réjouissez-vous. Mais pourquoi « des mains?» c’est-à-dire par
de bonnes oeuvres. Que votre joie n’éclate pas dans vos paroles tandis que vos
mains seraient oisives. Si vous vous réjouissez, « battez des mains ». Qu’il
voie les mains des nations, celui qui a daigné leur départir cette joie. Que
signifient les mains des nations? Les oeuvres de ceux qui font le bien. «
Peuples, battez des mains, élevez jusqu’à Dieu les chants de votre allégresse
». Aux mains unissez la voix. Bénir Dieu de la voix seulement serait une
bénédiction imparfaite, puisque les mains seraient désoeuvrées; l’applaudir des
mains serait encore imparfait, la langue serait muette; que les mains
s’unissent à la voix; que celle-ci parle, que celles-là travaillent, « Elevez
jusqu’à Dieu vos chants d’allégresse ».
4. « Car le Seigneur est le Très-Haut, le
Dieu terrible ». Il est le Très-Haut celui qui est descendu sur la terre pour
être tourné en dérision, et qui est devenu terrible en montant au ciel. « C’est
legrand roi qui domine la terre 2 ». Non seulement les Juifs, bien qu’il soit
aussi leur roi; c’est delà en effet que sont venus les Apôtres qui ont embrassé
la foi, et ces milliers d’hommes qui ont vendu leurs biens pour en déposer le
prix aux pieds des Apôtres 3. Ainsi se vérifia le titre que Pilate avait mis
sur la croix: Roi des Juifs 4. Car il est leur Roi en effet. « Peuples, battez
des mains, parce que le Seigneur est le Dieu de toute la terre ». Il ne lui
suffit pas de dominer une seule nation, car il n’a donné un si grand prix que
pour racheter le monde entier. « C’est le grand Roi qui domine la terre».
5. « Il nous a soumis tous les peuples et a
jeté les nations sous nos pieds 5 ». Quelles nations, et à qui les a-t-il
soumises? Quels sont les interlocuteurs? des Juifs peut-être? Cela est juste à
l’égard des Apôtres, à l’égard des saints. C’est à eux que Dieu a soumis les
peuples et les nations, de sorte qu’ils sont en
1.
Rom. XI, 25.— 2. Ps. XLVI, 3.— 3. Act. IV, 34.— 4. Matt. XXVII, 37. — 5. Ps.
XLVI, 4.
honneur chez tous les peuples, ces hommes qui
ont mérité que leurs concitoyens les fissent mourir, de même que leur Dieu a
été livré à la mort par ses concitoyens, et qu’il est en honneur chez les
gentils; lui que les siens ont crucifié, est adoré par des étrangers, devenus
les siens à cause du prix dont il les a rachetés. Car il nous a rachetés afin
que nous ne fussions plus étrangers. Penses-tu dès lors que ces paroles
appartiennent aux Apôtres: « Il nous a soumis les nations, il a mis les peuples
à nos pieds? » Je ne sais. Mais un langage si fastueux étonnerait dans les
Apôtres, qui se réjouiraient alors de voir les nations à leurs pieds,
c’est-à-dire les chrétiens sous les pieds des Apôtres. Leur joie au contraire
est de nous voir avec eux aux pieds de celui qui est mort pour nous. C’est en
effet sous les pieds de Paul que venaient se jeter ceux qui voulaient être à
Paul, et à qui il disait: Paul a-t-il donc été crucifié pour vous 1? Que
signifient donc ces paroles? Comment faut-il entendre: « Il nous a soumis les
nations, il a mis les peuples sous nos pieds?» Tous ceux qui appartiennent à
l’héritage du Christ sont parmi les nations, et tous ceux qui n’appartiennent
pas à l’héritage du Christ sont aussi disséminés parmi les peuples, et vous
voyez l’Eglise du Christ, tellement élevée au nom du Christ, que tous ceux qui
ne croient pas en lui sont sous les pieds des chrétiens. Combien maintenant
qui, sans être chrétiens, viennent vers l’Eglise implorer son assistance, nous
demandent quelque secours temporel, bien qu’ils refusent encore de régner
éternellement avec nous? Si donc tous, et même ceux qui n’appartiennent pas à
l’Eglise, viennent en implorer les faveurs, n’est-il pas vrai que Dieu nous a
soumis tous les peuples et qu’il a mis les nations à nos pieds? »
6. « Il nous a choisis pour son héritage;
c’est la beauté de Jacob qu’il a aimée 2 ». C’est parce que Dieu a trouvé en
Jacob une certaine beauté, qu’il nous a choisis en Jacob pour son héritage.
Esaü et Jacob étaient deux frères, et ils se battaient dans le sein de leur
mère, et ses entrailles maternelles étaient ébranlées par ce conflit; et de ces
deux le plus jeune fut choisi et préféré à l’aîné; et il fut répondu: « Il y a
dans votre sein deux peuples, et l’aîné servira le plus jeune 3 ». Cet aîné se
rencontre chez tous les peuples,
1. I Cor. I,
13. — 2. Ps. XLVI, 5. — 3. Gen. XXV, 23.
comme le plus jeune se rencontre chez tous
les peuples; mais le plus jeune y est dans les chrétiens véritables, dans les
élus, les hommes fidèles et pieux; l’aîné y est dans les orgueilleux, les
indignes, les pécheurs obstinés, qui soutiennent leurs péchés loin de les
accuser; tel fut ce peuple juif, ignorant la justice de Dieu et voulant faire
valoir la sienne 1. Mais comme il est dit que « l’aîné servira le second», il
devient évident que les impies sont soumis aux hommes pieux, comme les humbles
dominent les superbes. Esaü naquit le premier, et Jacob le second; mais celui
qui vint au inonde le second fut préféré au premier qui
vendit son droit d’aînesse par gourmandise.
Voici ce qui est écrit: «Il convoita le plat de lentilles, et son frère lui
dit: Si tu veux que je te le cède, vends-moi ton droit d’aînesse 2».
Celui-ci préférant l’objet de sa convoitise
au droit que lui avait donné sa naissance, donna son droit d’aînesse pour
manger des lentilles. Or, nous voyons que la lentille est la nourriture des
Egyptiens; car elle abonde en Egypte. De là l’estime dont jouit la lentille
d’Alexandrie, qui vient jusqu’en nos contrées; comme s’il ne venait point de
lentilles ici. Ce fut donc l’appétit d’un mets égyptien qui lui fit perdre son
droit d’aînesse. Ainsi en est-il du peuple juif, dont il est dit: « Leurs
coeurs se retournaient vers l’Egypte 3», ils en convoitaient en quelque sorte
les lentilles, et ils perdirent leur primauté. « Il nous a choisis pour son
héritage; c’est la beauté de Jacob qu’il a aimée ».
7. « Dieu s’élève au bruit des jubilations 4
». Ce Dieu, c’est Notre Seigneur Jésus-Christ, qui s’élève au milieu de
l’allégresse. « Le Seigneur monte au bruit de la trompette ». Il est monté;
mais où, si ce n’est où nous savons? Ce fut là que les Juifs ne le suivirent
point, pas même des yeux. Ils le raillèrent sur la croix 5, et ne le virent pas
monter au ciel. « Le Seigneur s’élève au bruit des jubilations ». Qu’est-ce que
la jubilation, sinon une joie qui admire et que les mots ne peuvent exprimer?
Mais les transports de joie et d’admiration des Apôtres, en voyant monter au
ciel 6 celui dont ils avaient pleuré la mort, voilà ce que des paroles ne
pouvaient exprimer; ils n’avaient plus que des sons confus pour témoigner ce
que des paroles ne
1.
Rom. X, 3. — 2. Gen. XXV, 30-34. — 3. Act. VII 39.— 5. Ps. XLVI, 6. — 6. Matt.
XXVII, 39. — 7. Act. I, 9.
pouvaient dire. Ce fut là que la trompette se
fit entendre, cette voix des anges. Car il est dit:
« Elève la voix, comme la trompette 1 ». Les
anges donc prêchèrent l’Ascension du Seigneur; ils virent les disciples
immobiles, frappés d’étonnement, de stupeur, muets, mais tressaillant dans
leurs coeurs, quand le Seigneur montait au ciel; puis retentit la trompette ou
la voix des anges: « Hommes de Gaulée, pourquoi demeurer là? Celui-là est Jésus
2 ». Comme s’ils n’eussent point connu Jésus. Ne l’avaient-ils pas vu à
l’instant même devant eux? Ne l’avaient-ils pas entendu converser avec eux? Non
seulement ils avaient vu son visage quand il était présent avec eux, mais ils
avaient touché ses membres 3. Pouvaient-ils donc ignorer que ce fût là Jésus?
Mais les anges leur parlaient comme à des hommes que l’admiration et la joie de
l’allégresse avaient mis hors d’eux-mêmes, et leur disaient: «Celui-là est
Jésus ». Comme s’ils eussent dit: Si vous croyez en lui, c’est bien là celui
dont la mort sur la croix a fait chanceler vos pieds, celui dont la mort et la sépulture
vous ont fait croire que vous l’aviez perdu; c’est bien là ce Jésus. Il monte
en votre présence, ce et un jour il viendra du ciel de la « même manière que
vous l’y avez vu monter 4 ». Son corps se dérobe à vos regards, mais Dieu ne se
sépare point de vos coeurs. Voyez-le s’élever, croyez en lui bien qu’il soit
absent, espérez qu’il viendra; toutefois, que sa miséricorde vous fasse sentir
sa présence secrète. Car celui qui s’élève au ciel et se dérobe à vos yeux vous
a fait cette promesse: « Voilà que je suis avec vous jusqu’à la consommation
des siècles 5 ». C’est donc avec raison que l’Apôtre nous disait: « Le Seigneur
est proche, soyez sans inquiétude 6». Le Christ est assis au haut des cieux, et
les cieux sont loin de nous, et pourtant celui qui est assis là-haut est près
de nous. « Le Seigneur s’élève au bruit des trompettes ». Donc vous, fils de
Coré, si vous comprenez qui vous êtes, et si vous vous reconnaissez dans ce
psaume, vous tressaillez de joie en vous y voyant.
8. « Chantez des hymnes à notre Dieu, chantez
7 » celui qui fut raillé comme un simple mortel, par ceux qui ne connaissaient
point Dieu. « Chantez notre Dieu ». Car ce
1. Isaïe, LVIII, 1.— 2. Act. I, 11. — 3. Luc,
XXIV, 39.— 4. Act. I, 11.— 5. Matt, XXVIII, 20. — 6.
Philipp. IV,
5. — 7. Ps. XLVI, 7.
n’est pas seulement un homme, il est aussi
Dieu. Homme, il est fils de David 1, et Dieu, il est Seigneur de David, ayant
tiré sa chair de la souche des Juifs, « qui ont pour pères les patriarches »,
dit l’Apôtre, « et chez qui le Christ est né selon la chair». Donc le Christ
est selon la chair de la souche des Juifs. Mais quel est ce Christ qui tient
aux Juifs par la chair? « Celui qui est Dieu béni dans tous les siècles 2 ». Il
était donc Dieu avant la chair, Dieu dans la chair, Dieu avec la chair. Non
seulement il était Dieu avant la chair, mais Dieu avant la terre d’où la chair
a été formée; et non seulement encore avant la terre d’où la chair a été
formée, mais Dieu avant le ciel qui fut créé avant la terre; Dieu avant le
premier jour qui ait été fait; Dieu avant tous les anges, et ce Dieu était
Christ; car ce Au commencement était le Verbe, et le « Verbe était en Dieu, et
le Verbe était Dieu; tout a été fait par lui, et rien de ce qui a été fait ne
l’a été sans lui 3 ». Or, il est avant tout, celui par qui tout a été fait. «
Chantez ce donc à notre Dieu, chantez ».
9. « Car Dieu est le roi de toute la terre 4
». En effet, Dieu n’est-il point avant toute la terre? N’est-il pas le Dieu du
ciel et de la terre, qui n’ont été faits que par lui? Qui pourrait dire qu’il
n’est point son Dieu? Mais tous les hommes ne l’ont point reconnu pour leur
Dieu; et ce Dieu connu en Judée 5 », était Dieu seulement de ces contrées où il
était connu; on ne disait point encore aux fils du Chauve: « Vous tous, peuples
de la terre, battez des mains ». Or, ce Dieu connu des Juifs est le Dieu de
toute la terre. Il est connu de tous, parce que s’est accomplie cette parole
d’Isaïe: «Ce Dieu qui est le tien et qui t’a délivré, est appelé le Dieu de
toute la terre 6. Car Dieu est le Dieu de la terre entière, chantez avec
intelligence ». Selon l’avis qu’il nous en donne, le Prophète nous apprend à
chanter avec intelligence, et à chercher non point le son de l’oreille, mais
bien la lumière du coeur. « Chantez », dit-il, ce avec intelligence ». Les
Gentils, d’où vous avez été tirés pour devenir chrétiens, adoraient des dieux
faits à la main, ils leur chantaient des hymnes, mais sans intelligence; s’ils
eussent chanté avec intelligence, ils n’eussent pas adoré des pierres; qu’un
homme raisonnable
1.
Rom. 1, 3. — 2. Id. IX, 5. — 3. Jean, I, 1-3. — 4. Ps. XLVI, 8. — 5. Id. LXXV,
2.— 6. Isa. LIV, 5.
chante une pierre sans raison, dira-t-on
qu’il chante avec intelligence? Maintenant, mes frères, nos yeux ne voient pas
le Dieu que nous adorons, et néanmoins nous l’adorons sans erreur. Dieu nous
paraît bien plus grand quand il se dérobe à nos regards; si nous le voyions de
nos yeux, nous pourrions bien le mépriser. Les Juifs ont méprisé le Christ
qu’ils voyaient, les Gentils l’ont adoré sans le voir. C’est à eux qu’il a été
dit: « Chantez avec intelligence. Gardez-vous de ce ressembler aux animaux sans
raison, à qui ce l’intelligence fait défaut 1 ».
10. « Le Seigneur dominera tous les peuples 2
». « Lui qui ne régnait que sur un seul peuple, régnera », dit le Prophète, «
sur toutes les nations ». Quand le Psalmiste parlait ainsi, Dieu ne régnait que
sur un seul peuple; c’était une prophétie dont l’accomplissement n’était pas
encore visible. Grâce à Dieu, nous voyons s’accomplir ce qui n’était qu’un
germe prophétique. Dieu nous avait fait longtemps d’avance un billet qu’il
acquitte à l’échéance. « Dieu régnera sur toutes les nations », c’est là une
promesse. « Dieu s’assied sur son trône auguste ». Ce qui était promis alors
s’accomplit maintenant, nous sommes en possession de la promesse, « Dieu est
assis sur son trône auguste ». Quel est ce trône auguste? Peut-être les cieux,
et ce sens est bon. Car le Christ, comme nous le savons, s’est élevé aux cieux
avec cette chair clouée à la croix, et il est assis à la droite du Père 3, d’où
nous attendons qu’il vienne juger les vivants et les morts 4. « Il est donc
assis sur son trône auguste». Les cieux, voilà son trône saint. Veux-tu être
toi-même son trône? Loin de toi de croire que tu ne le puisses; prépare-lui une
place dans ton coeur: il viendra s’y asseoir avec délices. C’est lui
certainement qui est la force de Dieu, la sagesse de Dieu 5. Et que dit
l’Ecriture à propos de la sagesse? L’âme des justes est pour la sagesse un
trône 6. Donc si ton âme est juste, la sagesse y est assise; que ton âme soit
juste, et alors elle sera pour la sagesse un trône royal. En vérité, mes
frères, tout homme qui vit saintement, dont les oeuvres sont pures, dont la
conduite respire la charité la plus dévouée, n’est-il pas un trône où Dieu
s’assied pour commander?
1.
Ps.XXXI, 9. — 2. Id. XLVI, 9. — 3. Act. I, 2.— 4. II Tim, IV,1. — 5. I Cor. I, 24. — 6. Sag.
VII.
L’âme reçoit les ordres de Dieu qui siége en
elle, et les transmet aux membres. Car c’est ton âme qui commande à tes
membres, qui imprime le mouvement à ton pied, à ta main, à ton oeil, à ton
oreille, c’est elle qui commande à tes membres comme à des serviteurs; mais
elle-même obéit intérieurement au Seigneur qui demeure en elle. Elle n’a point
le droit de commander à ses inférieurs, elle ne se soumet elle-même volontiers
à celui qui est au-dessus d’elle. « Dieu siége sur non trône auguste ».
11. « Les princes des peuples se sont unis au
Dieu d’Abraham 1». Dieu est le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de
Jacob 2. Tout cela est vrai, Dieu l’a dit, et les Juifs s’en sont enorgueillis,
en disant: « Nous sommes les enfants d’Abraham 3 ». Ils se glorifiaient du nom
de leur père, et du sang qu’ils tenaient de lui, sans en avoir la foi; attachés
à lui par le sang, ils dégénéraient par les moeurs. Que dit enfin le Seigneur
aux hommes orgueilleux? « Si vous êtes les enfants d’Abraham, faites les
oeuvres d’Abraham 4 ». Que dit aussi Jean à quelques-uns d’entre eux qui
venaient à lui en tremblant, et qui voulaient se corriger par la pénitence? «
Race de vipères ». Ils étaient alors injustes, ils étaient corrompus, ils
étaient pécheurs, ils étaient impies 5; ils venaient pour recevoir le baptême
de Jean; que leur dit-il? « Race de vipères ». Ils se vantaient d’être les fils
d’Abraham, et il les appelle fils de vipères. Abraham était-il donc une vipère?
Mais dans leur vie dépravée ils avaient imité les démons, et ils étaient
devenus les fils de ceux qu’ils imitaient par leur dépravation. « Race de
vipères », leur dit-il, « qui donc vous a enseigné à fuir la colère qui
s’approche? Faites de dignes fruits de pénitence, et ne dites pas en vous-mêmes
nous avons Abraham pour père, comme pour vous enorgueillir du sang d’Abraham;
car Dieu peut susciter de ces pierres mêmes des enfants d’Abraham 6 ». Abraham
ne serait point sans postérité, quand même Dieu vous damnerait; car il a le
pouvoir de damner ceux qu’il hait et de donner à Abraham les fils qu’il lui a
promis. Et d’où lui donnera-t-il des fils, s’il vient à damner les Hébreux, qui
sont nés de sa chair? « De ces pierres
1. Ps. XLVI, 10. — 2. Exod. III,6. — 3. Jean
VIII, 33. — 4. Id. 39. — 5. Matt. III, 7. — 6. Id. 9.
mêmes », et il leur montrait les rochers du
désert. Quels étaient ces rochers, sinon les Gentils qui adoraient des pierres?
Comment donc étaient-ils des pierres? En adorant des pierres, ils méritaient
d’être appelés des pierres, selon cette prophétie du Psalmiste: « Qu’ils
deviennent semblables à ces idoles, ceux qui les font, et ceux qui se confient
en elles 1 ». Toutefois Dieu a suscité de ces pierres des enfants d’Abraham;
car nous tous qui adorions des pierres, nous sommes convertis au Seigneur, nous
sommes devenus enfants d’Abraham, non par la voie de la chair, mais par
l’imitation de sa foi. « Donc les princes des peuples se sont unis au Dieu
d’Abraham ». Et ces princes des peuples sont les princes des Gentils, non les
princes d’un seul peuple; et ces chefs de tous les peuples « se sont unis au
Dieu d’Abraham ».
12. Parmi ces princes était le centurion dont
vous venez d’entendre parler dans l’Evangile. Car ce centurion était élevé en
honneur et en puissance parmi les hommes, il avait sa place parmi les princes
du peuple. Il envoya ses amis au-devant du Christ qui venait chez lui, ou
plutôt il envoya ses amis au Christ qui devait passer par là, et le pria de
guérir son serviteur qui était malade. Comme le Seigneur voulait y venir en
personne, il lui fit dire: « Je ne suis pas digne que vous entriez ce sous mon
toit, mais dites seulement une parole et mon serviteur sera guéri. Car je suis
ce homme sous la puissance d’autrui, ayant sous ce moi des soldats ».
Considérez l’ordre qu’il suit: il dit d’abord qu’il est sous les ordres d’un
chef, et ensuite qu’il commande à. des soldats. Je suis sous la puissance d’un
autre et j’en ai d’autres sous ma puissance; je suis assujéti et d’autres me
sont assujétis. « Et je dis à l’un: Va, et il va; et à l’autre: Viens, et il
vient; et à mon serviteur: Fais ceci, et il le fait ». Comme s’il disait: Si
moi, qui dois obéir à des supérieurs, je commande à mes subalternes; vous, qui
n’êtes sous la puissance d’aucun autre, ne pouvez-vous pas commander à votre
créature, puisque tout a été fait par vous et rien sans vous? « Dites donc une
parole », ajoute le centurion, « et mon serviteur sera guéri. Car je ne suis
pas digne que vous entriez dans ma maison ». Il n’osait introduire dans sa
maison le Christ qu’il avait déjà dans son coeur: son âme était
1. Ps. CXIII, 8.
déjà le trône du Christ, et celui qui cherche
les humbles y était assis. « Plein d’admiration le Christ se retourne et dit à
ceux qui le suivaient: En vérité, je vous le déclare, je n’ai pas trouvé une
foi aussi grande en Israël 1 ». Et d’après un autre Evangéliste qui nous
raconte le même fait, le Seigneur ajoute: « C’est pourquoi je vous dis que
beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident, et reposeront avec Abraham,
Isaac et Jacob, dans le royaume des cieux 2 ». Ce centurion n’était pas du
peuple d’Israël. Car dans ce peuple d’Israël des orgueilleux rejetaient Dieu de
chez eux; et parmi les princes des Gentils il se trouve un homme humble qui
l’appelle chez lui. Jésus admirant sa foi condamne la perfidie des Juifs. Car
ils se croyaient en santé quand ils étaient dangereusement malades, et ils
tuaient le médecin sans le connaître. Que leur dit-il donc pour rabattre et
condamner leur orgueil? « Je vous le déclare, beaucoup viendront de l’Orient et
de l’Occident », et qui n’appartiennent point à la race d’Israël: ils
viendront, ceux auxquels le Psalmiste a dit: « Vous tous, ô peuples, battez des
mains; et ils reposeront avec Abraham dans le royaume des cieux ». Abraham
n’est pas leur père selon la chair, et néanmoins ils reposeront avec lui dans
le royaume des cieux, et ils seront ses enfants. Pourquoi ses enfants? Non qu’ils
soient issus de sa chair, mais parce qu’ils ont imité sa foi. « Quant aux fils
de ce royaume », c’est-à-dire aux Juifs, « ils iront dans les ténèbres
extérieures: c’est là qu’il y aura pleur et grincement de dents 3 ». Ceux qui
sont nés d’Abraham selon la chair seront condamnés aux ténèbres extérieures, et
ceux qui auront imité sa foi reposeront
1.
Luc, VII, 6- 9. — 2. Matt. VIII, 11. — 3. Id. 12.
avec lui dans le royaume des cieux. C’est
donc avec raison que le Prophète a dit: « Les princes des peuples se sont unis
au Dieu d’Abraham ».
13. Que deviendront ceux qui appartiennent au
Dieu d’Abraham? « Voilà que les dieux forts de la terre se sont élevés jusqu’à
l’excès ». Ceux qui étaient dieux, ce peuple de Dieu, cette vigne de Dieu, dont
il est dit: « Jugez entre ma vigne et moi », seront jetés dans les ténèbres
extérieures, ils ne reposeront point avec Abraham, Isaac et Jacob, ils ne
s’unissent point au Dieu d’Abraham. Pourquoi? Parce qu’ils étaient de puissants
dieux de la terre, et qu’ils n’espéraient que dans la terre. Dans quelle terre?
En eux-mêmes, puisque tout homme est terre. Il a été dit à l’homme en effet:
«Tu es terre et tu retourneras en terre 1 ». Or, c’est de Dieu et non de
soi-même que l’homme doit tout espérer et attendre son secours. Ce n’est point
d’elle-même que viennent à la terre la pluie et la lumière. De même que la
terre doit attendre du ciel la pluie et le soleil, ainsi l’homme doit attendre
de Dieu la miséricorde et la vérité. Donc « ces dieux de la terre se sont
élevés outre mesure », c’est-à-dire se sont enorgueillis. ils n’ont pas cru
avoir besoin de médecin, et ils sont demeurés dans leur maladie, et la maladie
les a conduits à la mort. Les branches naturelles ont été coupées, afin que
l’on pût insérer l’humble olivier sauvage 2. « Parce que les puissants dieux de
la terre se sont élevés outre mesure ». Conservons donc en nous, mes frères,
l’humilité, la charité, la piété; appelés à la place de ces réprouvés,
craignons de les suivre dans le chemin de l’orgueil.
1. Gen. III, 19. — 2. Rom. XI, 17.
Ce psaume est pour le deuxième jour de la
semaine, celui où fut formé le firmament par Jésus-Christ ressuscité. Ce
firmament est l’image de 1’Eglise, qui est la cité du grand roi, la montagne
sainte sur laquelle Dieu exauce nos prières, et qui remplit le monde entier;
Elle est un seul édifice formé néanmoins de la circoncision et de la gentilité,
deux murailles unies par le Christ, qui est la pierre de l’angle. La gentilité,
figurée par l’aquilon, dépose son orgueil, vient avec ses rois recevoir la
grâce. Mélange des bons et des méchants; les bons sont le froment parfois
recouvert de paille. La force de Sion, c’est la charité qui nous fait proclamer
Jésus-Christ comme notre Dieu.
1. Ce psaume a pour titre: « Cantique à la
louange des fils de Coré, pour le second jour de la semaine 1». Ecoutez, comme
les enfants du ciel, ce que le Seigneur voudra bien me suggérer à ce sujet. Ce
fut le second jour de semaine, ou le lendemain du jour que nous appelons
Dimanche, et que l’on appelle encore tonde férie, que fut créé le firmament du
ciel, ou plutôt le firmament qui est le ciel. Car Dieu donna au ciel le nom de
firmament 2. Le premier jour il avait fait la lumière qu’il avait séparée des
ténèbres; il avait appelé la lumière jour, et les ténèbres nuit. Or, comme
l’indique le contexte du psaume, Dieu nous marqué dans cet ouvrage quelque
chose qui sait s’accomplir en nous; et les siècles se sont écoulés sur le
modèle de cette création. n’est point en effet sans raison que le Seigneur a
dit de Moïse: « C’est de moi qu’il a écrit 3 », puisque toutes les Ecritures,
même celles qui regardent la création, peuvent être envisagées comme une
prophétie de l’avenir; et qu’ainsi la création de la lumière annonçait la
résurrection du Christ. Car alors la lumière fut vraiment séparée des ténèbres,
quand l’immortalité se dégagea des liens, de mort. Quelle devait en être la
conséquence, sinon qu’il se formât pour ce chef un corps qui est l’Eglise?
Enfin, il y a aussi un autre psaume, pour le premier jour du Sabbat, et qui
annonce clairement la résurrection du Seigneur. Car on y lit: « Princes, ouvrez
vos portes; élevez-vous, portes éternelles, et le Roi de gloire entrera 1 ».
N’est-il pas visible que ce Roi de gloire est le Christ? Lui dont
1. Ps. XLVII,1.— 2. Gen. I, 3-8.— 3. Jean, V,
46.— 4. Ps. XXLIII, 7, 9..
saint Paul a dit: « S’ils eussent connu le
Roi de gloire, ils ne l’eussent jamais crucifié 1 ». Donc par le second jour de
la semaine il nous est impossible d’entendre autre chose que l’Eglise du
Christ; mais l’Eglise du Christ dans les saints, l’Eglise du Christ dans ceux
dont les noms sont écrits au ciel, 1’Eglise du Christ dans ceux qui ne cèdent
point aux tentations de ce monde. Car ceux-là méritent de s’appeler firmament.
C’est donc l’Eglise du Christ qui est appelée firmament, dans ceux qui sont
forts et dont l’Apôtre a dit: « Nous devons, nous qui sommes plus forts,
supporter les faiblesses des infirmes 2 ». C’est de ce firmament qu’il est
parlé dans ce Psaume. Ecoutons-le, comprenons-le, associons-nous à la gloire et
au règne qu’il célèbre. Aussi voyons-nous que tette Eglise est appelée un
firmament dans les lettres de l’Apôtre; écoutons et voyons: « Elle est »,
dit-il, « l’Eglise de Dieu, la colonne et le firmament de la vérité 3 ». C’est
de ce firmament que notre psaume entretient les fils de Coré, que vous savez
déjà être les fils de 1’Epoux crucifié au Calvaire 4; car Coré signifie Chauve.
Voici donc la suite du psaume intitulé: « Le second jour de la semaine ».
2. « Le Seigneur est grand et digne de nos
louanges 5 ». Oui, « le Seigneur est grand, il est souverainement louable »;
mais est-il béni parles infidèles? Est-il béni par ceux qui le connaissent et qui
néanmoins vivent dans le désordre, qui sont pour le nom du Seigneur une cause
de blasphème parmi les nations 6?
1.
Cor. II, 5. — 2. Rom. XV, 1. — 3. I Tim. III, 15.— 4. Matt. XXVII, 33. — 5. Ps.
XLVII, 2. — 6. Isa. LII, 5; Rom, II, 24.
Ceux-là bénissent-ils Dieu? Quand même ils le
béniraient, leurs bénédictions seraient-elles acceptées, puisqu’il est écrit: «
La louange n’est pas bonne dans la bouche d’un pécheur 1? » Tu nous dis donc, ô
saint Prophète: « Le Seigneur est grand et souverainement digne de nos louanges
». Mais dis-nous, en quel endroit le faut-il bénir? « Dans la cité de notre
Dieu, sur la montagne sainte ». Il est dit ailleurs à propos de cette montagne:
« Qui s’élèvera sur la montagne du Seigneur? L’homme au coeur pur, aux mains
innocentes 2 ». C’est pour eux que « le Seigneur est grand et souverainement
louable »; et encore: « Dans la cité de notre Dieu, sur la montagne sainte ».
Telle est la cité placée sur la montagne et qui ne peut être cachée 3. Tel est
le flambeau que l’on ne cache point sous le boisseau, que chacun connaît, qui
brille partout. Mais tous ne sont pas citoyens de cette ville; il n’y a que
ceux pour qui « le Seigneur est grand et souverainement louable ». Voyons
quelle est cette cité; et comme il est dit: « Dans la cité de notre Dieu, sur
la montagne sainte », peut-être devons-nous rechercher aussi cette montagne où
Dieu exauce nos prières. Car ce n’est probablement pas sans raison qu’il est
dit dans un autre psaume: « Ma voix s’est élevée jusqu’à Dieu, et il m’a exaucé
du haut de la montagne sainte 4 ». Cette montagne a contribué à te faire
exaucer. Car si tu n’y étais monté, tu aurais pu crier d’en bas, mais non être
exaucé. Quelle est donc cette montagne, mes frères? Il faut la rechercher avec
soin, avec la plus vive attention; il faut des efforts pour s’en emparer et y
monter. Mais que faire si elle n’occupe qu’un lieu dans le monde? Faudra-t-il
quitter la patrie pour arriver à cette montagne? Au contraire, ne pas
l’habiter, c’est être hors de notre patrie. Car c’est bien elle qui est notre
cité, si nous sommes les membres de ce roi qui est le chef de la cité. Où donc
est cette montagne? Si elle occupait une seule partie du monde, il nous
faudrait tout entreprendre pour y arriver. Mais à quoi bon te tourmenter?
Plaise à Dieu que tu ne mettes pas plus de lenteur pour aller à cette montagne
qu’elle n’en a mis à venir t’éveiller. Il y eut en effet une pierre angulaire
méprisée par les Juifs 5, qui s’y
1.
Eccl. XV, 9.— 2. Ps. XXIII, 3.— 3. Matt. V, 15, 15.— 4. Ps. III, 5. — 5. Rom. IX, 32.
heurtèrent, détachée d’une certaine montagne
sans la main d’un homme 1, c’est-à-dire détachée du royaume des Juifs, et qui
vint sans la main d’un homme, parce que nul homme n’eut part à cet enfantement
de Marie qui mit au monde Jésus-Christ 2. Mais si cette pierre était demeurée à
l’endroit où les Juifs la heurtèrent 3, tu n’aurais rien où tu puisses monter.
Qu’est-il donc arrivé? Que dit la prophétie de Daniel? sinon que cette pierre a
grandi et qu’elle est devenue une grande montagne? Combien grande? jusqu’à
remplir toute la terre 4. Donc, cette montagne en grandissant, jusqu’à
embrasser toute la terre, est venue jusqu’à nous. A quoi bon dès lors chercher
cette montagne comme si elle était loin de nous, et ne pas y monter puisqu’elle
est sous nos yeux, afin que pour nous aussi, « le Seigneur soit grand et
souverainement louable? »
3. Et même afin que tu ne puisses méconnaître
la montagne dont parle notre psaume, et que tu ne croies devoir la chercher en
quelque lieu de la terre, écoute la suite. Après avoir dit: « Dans la cité de
notre Dieu, sur la montagne sainte », qu’ajoute le Psalmiste? « Vous étendez
les montagnes de Sion qui sont la joie de la terre entière 5 ». Il n’y a qu’une
seule montagne de Sion: pourquoi est-il dit: « Les montagnes? » Serait-ce parce
que ceux-là aussi appartiennent à Sion, qui sont venus d’un côté différent, de
manière à se rencontrer dans la pierre de l’angle, et à former deux murs, comme
deux montagnes dont l’une viendrait des circoncis, l’autre des incirconcis, l’une
des Juifs, l’autre des Gentils, et qui dès lors ne sont plus séparés? S’il y a
une divergence parce qu’ils viennent de directions différentes, ils ne sont
plus différents dans l’angle qui les unit. « C’est lui », dit l’Apôtre, « qui
est notre paix, c’est lui qui de deux peuples n’en fait qu’un; c’est là cette
pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs, et qui est devenue la pierre angulaire ».
Cette montagne a réuni en elle deux montagnes. C’est un seul édifice, et il y a
pourtant deux édifices: deux à cause des deux peuples qui viennent de deux
directions différentes, un seul à cause de la pierre angulaire qui les unit.
Ecoute ceci encore: «Les montagnes de Sion, les flancs de l’Aquilon, sont la
cité du
1.
Dan. II, 34.— 2. Matt. I, 16; Luc, I, 34, II, 7.—3. Rom.
IX, 32.— 4. Dan. II, 35.— 5. Ps. XLVII, 3.— 6. Eph. II, 14.— 7. Ps. CXVII, 22.
grand roi ». Au nom de Sion, tu te figurais
cet unique endroit de la terre où est bâtie Jérusalem, et tu n’y rencontrais
qu’un peuple circoncis, et dont Jésus-Christ n’a recueilli que les restes, la
plus grande partie ayant été chassée par le vent comme la paille. Il est écrit
en effet: « Les restes seront sauvés 1». Mais jette les yeux sur les Gentils,
et vois l’olivier sauvage greffé sur l’olivier franc 2, dont il boit la sève.
Les Gentils sont donc « ces flancs de l’Aquilon » ajoutés au palais du grand
Roi. L’Aquilon est ordinairement opposé à Sion, car Sion est au midi, et
l’Aquilon est l’opposé du midi. Quel est cet Aquilon, sinon celui qui a dit: «
J’établirai mon trône du côté de l’Aquilon, et je serai semblable au Très-Haut
3? » C’était jadis l’empire de Satan, qui régnait sur les Gentils adonnés à
l’idolâtrie et au culte des démons. Or, tout ce qu’il y avait d’hommes dans
l’univers entier, s’étant attaché à lui, était devenu Aquilon. gais comme celui
qui peut enchaîner le fort, lui enlève aussi ses dépouilles 4, et se les
approprie, les hommes délivrés de l’infidélité et du culte superstitieux des
démons, ont cru au Christ et sont entrés dans la structure de cette ville, et
ils se sont rencontrés, à l’angle, avec cette muraille qui venait de la
circoncision, et ces flancs de l’aquilon sont devenus la cité du grand Roi.
Aussi est-il dit dans un autre endroit de l’Ecriture: « Les nuées aux reflets
d’or viennent de l’Aquilon, c’est en elles que le Tout-Puissant fait consister
son honneur et sa gloire 5». La convalescence d’un malade désespéré fait la
gloire du médecin. Les nuées de l’Aquilon ne sont point noires, ni ténébreuses,
ni obscures, mais elles ont des reflets d’or. D’où vient cela, sinon de la
grâce qui les éclaire par le Christ? Voilà « les flancs de l’Aquilon devenus la
cité du grand Roi ». Ils sont bien des flancs, puisqu’ils avaient adhéré au
démon. On dit en effet de ceux qui s’attachent à quelqu’un qu’ils sont toujours
à ses côtés. Souvent encore, à propos de quelques hommes, nous disons: Il est
honnête homme et pourtant mal flanqué; c’est-à-dire, il a de la probité, mais
ceux qui l’accompagnent sont mauvais. Donc les flancs de l’Aquilon désignent
ceux qui adhéraient au diable; c’est de là que revenait celui dont nous
entendions tout à l’heure l’histoire, qui était mort et qui
1.
Rom. IX, 27.— 2. Id. XI, 17.— 3. Isa. XIV, 13, 14. — 4. Matt. XII, 29. — 5. Job,
XXXVII, 22.
ressuscita, qui était perdu et qui fut retrouvé
1. Il s’en était allé dans une région lointaine, était arrivé jusqu’à
l’Aquilon, et là, comme vous l’avez entendu, s’était attaché à un prince de ces
contrées. Il devint donc un flanc de l’Aquilon en s’attachant à ce prince de
ces contrées; mais comme la cité du grand Roi se peuple des flancs de
l’Aquilon, il rentra en lui-même et dit: « Je me lèverai et j’irai à mon Père 2
». Alors, accourant au-devant de lui, il s’écria: « Il était mort, il est
ressuscité; il était perdu et je l’ai retrouvé ». Le veau gras devint la pierre
angulaire 3. Enfin, le fils aîné, qui ne voulait prendre aucune part au festin,
entra sur les instances de son père: et ainsi ces deux murailles, comme ces
deux fils, arrivèrent au veau gras et formèrent la cité du grand Roi.
4. Continuons donc le psaume et disons: «
Dieu sera connu dans ses demeures 4». Dans ses demeures, est-il dit, à cause
des montagnes, à cause des deux murailles, à cause des deux fils. « Le Seigneur
sera connu dans ses palais ». Mais le Prophète ajoute à l’instant, pour nous
prêcher la grâce: « Quand il en prendra la garde ». Que deviendrait en effet la
cité, si Dieu ne la gardait? Ne s’écroulerait-elle pas à l’instant, si elle
n’avait tin tel fondement? Car nul ne peut en poser d’autre que celui qui a été
posé et qui est Jésus-Christ 5, « Que nul donc ne se prévale de ses mérites,
mais que celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur »; puisque cette
ville n’est grande, et que le Seigneur n’est en elle qu’à la condition qu’il en
prendra la garde: comme un médecin prend un malade pour le guérir, et non pour
l’aimer tel qu’il est. Le médecin, en effet, n’aime pas la fièvre. Il n’aime
pas le malade non plus, et néanmoins il l’aime. S’il aimait le malade, il le
souhaiterait toujours en cet état, et s’il n’aimait le malade, il ne viendrait
pas le visiter; il aime donc le malade afin de le guérir. Le Seigneur a donc
pris cette cité sous sa garde, et il s’y est fait connaître, c’est-à-dire que
sa grâce y a été connue; car tous les privilèges de cette ville qui se glorifie
en Dieu, elle ne les tient pas d’elle-même. De là vient cette parole qui lui
est adressée: « Qu’avez vous que vous n’ayez reçu? Mais si vous avez reçu,
pourquoi vous glorifier comme si vous
1.
Luc, XV, 32.— 2. Id. 18.— 3. Eph. II, 20.— 4. Ps. XLVII, 4.— 5. I Cor. III, 11. — 6. Id. I,
31.
« n’aviez pas reçu 1? » « Le Seigneur sera
donc connu dans les demeures de cette ville, quand il l’aura prise sous sa
garde ».
5. « Car voilà que les rois de la terre se
sont rassemblés 2 ». Voyez comme viennent ces flancs de l’Aquilon, voyez comme
ils disent: « Venez, allons à la montagne du Seigneur; car il nous a fait
connaître ses voies, afin que nous y marchions 3. Voilà que les rois de la
terre se sont rassemblés, ils se sont réunis dans l’unité». Où donc se sont-ils
réunis dans l’unité, sinon en celui qui est la pierre angulaire 4? « Eux-mêmes
à cette vue ont été dans l’admiration ». Après qu’ils ont admiré les miracles
et la gloire du Christ, qu’est-il arrivé? « Ils ont été dans la stupéfaction,
dans le trouble, saisis de crainte 5». D’où leur venait cette crainte, sinon du
remords de leurs péchés? Que les rois courent donc après ce roi, que les
potentats le reconnaissent pour maître. Aussi est-il dit ailleurs: « Pour moi,
j’ai été établi roi dans Sion, sur la montagne sainte, pour prêcher la loi du
Seigneur; le Seigneur m’a dit: Tu es mon fils, je t’ai engendré aujourd’hui.
Demande-moi et je te donnerai les nations pour héritage, et ton domaine
s’étendra jusqu’aux confins de la terre; tu les gouverneras avec un sceptre de
fer, tu les briseras comme un vase d’argile 6 ». Le roi établi dans Sion a été
entendu, et il a reçu en héritage les confins de la terre. Les rois ont-ils
donc à redouter de perdre leur domination, de se la voir enlever, comme le
craignit ce misérable Hérode, qui, pour tuer un petit enfant, en fit mourir
tant d’autres 7? Il craignait de perdre la royauté, et il ne mérita point de
connaître le roi. Hélas! que n’adorait-il ce roi avec les Mages! la malheureuse
passion de régner ne lui eût pas fait égorger tant d’innocents pour mourir si
coupable. Sa part, en effet, fut d’égorger des innocents, et le Christ,
nonobstant son jeune âge, couronna ces enfants qui mouraient pour lui. Il y
avait donc de quoi trembler pour les rois, quand le Christ disait: « Pour moi,
j’ai été établi roi par lui », et celui qui m’a sacré roi me donnera pour
héritage les confins de la terre. Pourquoi, ô rois, porter envie à ce roi?
Voyez-le, mais sans envie. Car il est bien différent des autres, celui qui a
dit: « Mon royaume n’est pas de
1. I
Cor. IV, 7.— 2. Ps. XLVII, 5.— 3. Isa. II, 3. — 4. Eph. II, 20. — 5. Ps. XLVII,
6,7. — 6. Id
II, 16-9. — 7. Matt. II, 3.
ce monde 1 ». Ne craignez donc point qu’il
vous ôte un royaume temporel, il vous donnera au contraire un royaume, mais
dans les cieux, dont il est le Roi. Quelle est donc la suite du psaume? « Et
maintenant, ô rois, comprenez ». Déjà s’aiguisait votre envie: « Comprenez »
qu’il s’agit d’un roi tout différent, dont le royaume n’est point d’ici-bas.
C’est donc à bon droit que les rois de la terre se sont rassemblés, se sont
troublés, ont été saisis de crainte ». De là vient qu’on leur dit: «
Maintenant, ô rois, comprenez, instruisez-vous, juges de la terre 2 », Et
qu’ont-ils fait? « Ils ont ressenti des douleurs comme celles de l’enfantement
». Quelles sont « ces douleurs comme celles de l’enfantement », sinon les
douleurs de la pénitence? Voyez encore ces douleurs, ce travail de
l’enfantement: « Votre crainte, ô Dieu », s’écrie lsaïe, « nous a fait
concevoir et enfanter l’esprit de salut 3 », Ainsi conçurent les rois, dans la
crainte que leur inspira le Christ, et ils
enfantèrent le salut en s’attachant par la foi à celui
qu’ils redoutaient. « Là donc sont des
douleurs comme celles de l’enfantement ». Quand on parle d’enfantement, espérez
un fruit. Le vieil homme a enfanté, et il en est résulté l’homme nouveau. « Là
sont des douleurs comme celles de l’enfantement ».
6. « D’un souffle tempêtueux vous briserez
les vaisseaux de Tharsis 4 ». C’est-à-dire, en un mot, vous renverserez
l’orgueil des Gentils. Mais quel est dans cette histoire le fait qui marquerait
en figure la chute de l’orgueil des nations? A cause « des vaisseaux de Tharsis
». Les savants ont cherché quelle était cette ville de Tharsis, c’est-à-dire
quelle ville pouvait être ainsi désignée. Les uns ont cru que la Cilicie était
désignée sous le nom de Tharsis, à cause de Tharse, qui en est la métropole.
C’était la patrie de l’apôtre saint Paul, né à Tharse en Cilicie 5. D’autres y
ont vu Carthage, qui aurait peut-être jadis porté ce nom, ou que désignerait
quelque expression semblable. Dans le prophète Isaïe on trouve en effet: «
Hurlez, vaisseaux de Carthage 6 ». Un même endroit d’Ezéchiel est traduit,
Carthage par les uns et Tharsis par les autres 7: cette variante chez les
interprètes pourrait bien nous faire croire que cette ville appelée Carthage
1. Jean, XVIII, 36.— 2. Ps. II, 10, 11. — 3.
Isa. XXVI, 18.— 4. Ps. XLVII, 8.— 5. Act. XXI, 39.— 6. Isa. XXIII, 1, selon les
LXX.— 7. Ézéch. XXXVIII, 13, selon les LXX.
est appelée ici Tharsis. On sait en effet que
Carthage, à son origine, était florissante en vaisseaux, et tellement
florissante qu’elle était célèbre chez tous les peuples par son commerce et sa
navigation. Car Didon, fuyant son frère et abordant ces côtes d’Afrique, où
elle bâtit Carthage, avait enlevé, du consentement des principaux du pays, tous
les vaisseaux qui mouillaient près de Tyr pour le commerce. Depuis son origine,
Carthage n’a jamais manqué de vaisseaux pour le négoce. De là l’orgueil de cette
cité; en sorte que, sous la figure de ses vaisseaux, on peut voir l’orgueil des
nations, qui fondent leur espoir sur des choses inconstantes comme le souffle
des vents. Ne mettons donc point notre confiance dans nos voiles nombreuses, ni
dans la prospérité du siècle, houleux comme la mer; que notre point d’appui
soit dans Sion, où nous pourrons être solidement établis, et non plus exposés à
tout vent de doctrine 1. Que tous ceux alors que les biens de cette vie
enflaient d’orgueil soient renversés, et que tout orgueil des Gentils soit
soumis au Christ, « qui doit briser d’un souffle impétueux les vaisseaux de
Tharsis », non pas d’une ville quelconque, mais de Tharsis. Pourquoi « d’un
souffle impétueux? » C’est-à-dire, par une grande crainte. Tout orgueil, en
effet, a redouté le jugement du Christ, au point de croire en lui avec
humilité, pour ne plus craindre sa gloire.
7. « Ce qui nous était annoncé, nous le
voyons dans la cité de Dieu 2 ». O bienheureuse Eglise, un jour tu as entendu,
un autre jour tu as vu. Elle a entendu les promesses, elle en voit
l’accomplissement; elle a entendu les Prophètes, elle voit l’Evangile. Tout ce
qui s’accomplit aujourd’hui a été prophétisé. Elève donc les yeux, tourne tes
regards dans le monde entier et vois ses possessions s’étendre jusqu’aux
confins de la terre; vois s’accomplir cette prophétie: « Tous les rois de la
terre se prosterneront devant lui, tous les peuples le serviront 3 ». Vois
comme s’est accomplie cette parole: « Elevez-vous, ô Dieu, par-dessus les
cieux, et que votre gloire s’étende par toute la terre 4 ». Contemple donc
celui dont les mains et les pieds furent percés par des clous, dont on a pu
compter les os lorsqu’il pendait à la croix, dont la robe
1.
Eph. IV, 14. — 2. Ps. XLVII, 9. — 3. Id. LXXI, 11. — 4. Id. CVII, 6.
fut tirée au sort 1: vois dans sa royauté
celui qu’ils ont vu pendu à la croix; vois siéger dans les cieux celui qu’ils
ont méprisé quand il marchait sur la terre. Vois dès lors s’accomplir cette
parole: « Tous les confins de la terre se souviendront du Seigneur et se
tourneront vers lui, toutes les nations du monde se prosterneront devant lui 2
». A cette vue tu n’as plus qu’à t’écrier: « Ce qui était annoncé, nous le
voyons ». C’est avec raison que l’Eglise est ainsi appelée du milieu des
Gentils: « Ecoute, ô ma fille, et vois; oublie ton peuple et la maison de ton
père 3». Ton père était jadis l’Aquilon, viens à Sion, à la montagne sainte.
Ecoute et vois non pas vois et écoute, mais écoute et vois d’abord écoute, et
vois ensuite. Vous écoutez d’abord ce que vous ne voyez pas, et ensuite vous
verrez ce que vous aurez entendu. « Un peuple qui m’était inconnu m’a servi »,
dit le Prophète, « il m’a écouté lorsqu’il m’a entendu parler ». S’il s’est
rendu parce qu’il a entendu, il n’avait donc point vu. Que deviendrait cette
parole: « Ceux à qui il n’avait pas été annoncé verront sa lumière, et ceux qui
n’ont rien ouï de lui le comprendront?» Ceux à qui les Prophètes n’ont pas été
envoyés, ont été les premiers à écouter et à comprendre les Prophètes; ceux qui
d’abord ne les avaient pas entendus, les ont écoutés ensuite avec admiration.
Mais ceux à qui les Prophètes étaient envoyés sont demeurés en arrière, portant
nos livres, n’en comprenant pas la vérité. Ils avaient les tables du Testament
et n’en ont point l’héritage. Pour nous, «ce qui nous a été annoncé, nous le
voyons, dans la cité du Dieu des armées, dans la cité de notre Dieu ». C’est là
que nous avons entendu, là aussi que nous avons vu. Quiconque est au dehors ne
peut entendre ni voir; quiconque est dans cette ville n’est ni sourd ni
aveugle: « Comme nous avons entendu, ainsi nous avons vu». Où donc as-tu
entendu? Où as-tu vu? « Dans la cité du Dieu des vertus, dans la cité de nôtre
Dieu. Le Seigneur l’a fondée pour l’éternité ». Qu’ils ne viennent point nous
insulter, ces hérétiques divisés par provinces; qu’ils ne s’élèvent point, en
disant: « Le Christ est ici ou il est là 4! » Nous dire que le Christ est ici
ou qu’il est là, c’est nous porter à la division.
1.
Matt. XXVII, 35. — 2. Ps. XXI, 28. — 3. Id. XLIV, 1l. — Matt. XXIV, 23.
Dieu nous a promis l’unité: les rois ont été
rassemblés dans l’unité et non divisés par le schisme. Cette cité qui embrasse
le monde entier sera peut-être détruite un jour? Point du tout. « Dieu l’a
fondée pour l’éternité ». Si donc c’est pour l’éternité que Dieu l’a fondée,
pourquoi redouter que le fondement soit renversé?
8. « Grand Dieu ! nous avons senti votre
miséricorde au milieu de votre peuple 1 ». Qui donc a ressenti cette
miséricorde, et où l’a-t-il ressentie? N’est-ce point votre peuple, ô Dieu, qui
a ressenti votre miséricorde, et comment « l’avons-nous ressentie au milieu de
votre peuple? » comme si autres étaient ceux qui l’ont ressentie, et autres
ceux au milieu desquels ils l’ont ressentie. C’est là, mes frères, un grand
symbole, que vous connaissez pourtant; et quand nous aurons dégagé d’ici, ou de
ces versets, ce que vous connaissez, il n’en sera pas plus obscur, mais plus
doux. En cette vie on range dans le peuple de Dieu tous ceux qui participent à
ses sacrements, quoique tous n’aient point la même part à sa miséricorde. Tous
ceux qui reçoivent le sacrement de baptême, sont appelés chrétiens, mais tous
ne vivent pas d’une manière digne de ce sacrement. Car il est plusieurs dont
l’Apôtre a dit « qu’ils ont l’apparence de la piété, sans en avoir la réalité 2
». Néanmoins celte apparence de piété leur donne un rang dans le peuple de
Dieu, de même que, quand on bat le grain dans l’aire, la paille y tient une
place comme le froment. Mais aura-t-elle aussi sa place dans le grenier? C’est
au milieu de ce peuple mauvais qu’habite le peuple de Dieu qui a ressenti les
effets de sa miséricorde. Il vit d’une manière digne de cette miséricorde, car
il écoute, il retient, il pratique ce conseil de saint Paul: « Nous vous
enjoignons et vous conjurons de ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu 3 ».
Celui-là donc reçoit tout à la fois le sacrement et la miséricorde de Dieu, qui
ne reçoit pas en vain la grâce de Dieu. Est-ce alors un obstacle pour lui
d’habiter au milieu d’un peuple insubordonné, jusqu’à ce que le van passe dans
l’aire, et que les bons soient séparés des méchants? Est-ce un obstacle
d’habiter chez ces peuples? Qu’il s’efforce d’être de ceux qui sont appelés
firmament en recevant la divine miséricorde, qu’il soit un lis au milieu des
1.
Ps. XLVII, 10.— 2. II Tim. III, 5».— 3. II Cor. VI, 1.
épines. Car veux~tu comprendre que les épines
elles-mêmes appartiennent au royaume de Dieu? Voici une comparaison: « Comme le
lis », dit l’Ecriture, « est au milieu des épines, ainsi est ma bien-aimée au
milieu des filles 1 ». Est-il dit au milieu des étrangères? Non, mais au milieu
des filles. Il y a donc des filles qui sont mauvaises et il y en a d’autres qui
sont parmi elles comme des lis au milieu des épines. Donc ceux qui ont part aux
sacrements, sans mener une vie pure, sont appelés enfants de Dieu sans être
enfants de Dieu: on dit qu’ils sont à lui et ils lui sont étrangers; à lui à
cause du sacrement; étrangers à cause de leurs vices. Il en est de même des filles
étrangères: elles sont filles à cause de leur piété apparente, étrangères parce
qu’elles ont perdu la vertu. Que le lis y habite aussi, qu’il y reçoive la
divine miséricorde, qu’il conserve la racine d’une belle fleur, et ne se montre
pas ingrat envers la douce rosée qui tombera du ciel. Que les épines soient
ingrates et croissent par ces pluies; elles croissent pour le feu, et non pour
le grenier. « Grand Dieu! nous avons reçu votre miséricorde au milieu de votre
peuple ». Oui, au milieu de ce peuple insensible à votre miséricorde, nous
avons reçu votre miséricorde. « Le Christ est venu en effet chez les siens, et
les siens ne l’ont point reçu ». Mais « à tous ceux qui l’ont reçu » au milieu
du peuple, « il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu 2».
9. Mais ici tout homme qui réfléchit se
demande: Quoi donc? Ce peuple qui, au milieu du peuple de Dieu, reçoit la
divine miséricorde, est-il bien nombreux? Hélas, qu’il est en petit nombre !
c’est à peine si l’on en trouve quelques-uns: et Dieu se contentera-t-il de si
peu, et perdra-t-il le grand nombre? Ainsi parlent ceux qui se promettent ce
qu’ils n’ont pas entendu promettre par le Seigneur. Est-il vrai que si nous
vivons dans le désordre, si nous jouissons des plaisirs du monde, si nous
donnons satisfaction à nos convoitises, Dieu nous perdra? Combien en
trouvera-t-on pour gar. der les commandements de Dieu? A peine en
trouverez-vous un ou deux, bien peu du moins. Dieu ne doit-il sauver que ceux-là,
et damner les autres? Point du tout, nous dit-on, mais quand il viendra, et
qu’il verra une si grande foule à sa gauche, il en aura pitié et pardonnera
tout. C’est bien là ce que promit le
1. Cant. 11,2. — 2. Jean, I, II, 12.
serpent au premier homme: Dieu l’avait menacé
de la mort, s’il touchait au fruit défendu 1; « Point du tout », dit le
serpent, « vous ne mourrez point 2 ». Nos premiers parents crurent le serpent,
et virent que la menace de Dieu était vraie, que la promesse du diable était
fausse. Ainsi en est-il aujourd’hui, mes frères; figurez-vous l’Eglise comme un
paradis terrestre où le serpent ne cesse de suggérer ce qu’il suggérait alors.
Toutefois la chute premier homme doit être pour nous un préservatif de chute et
non un modèle de péché. Adam est tombé pour que nous nous relevions. A ses
suggestions faisons constamment la réponse de Job. Car le démon le tenta par la
femme, comme par une nouvelle Eve; et l’homme vaincu dans le paradis, fut
vainqueur sur le fumier 3. Loin de nous d’écouter ses dires et de croire qu’il
y ait si peu de justes; il y en a beaucoup, mais ils sont cachés dans un plus
grand nombre. Nous ne pouvons le nier, les méchants, sont en plus grand nombre,
et tellement en plus grand nombre, que les bons n’apparaissent au milieu d’eux,
que comme le bon grain dans l’aire. Quiconque en effet jette un regard dans
l’aire, pourrait croire qu’il n’y a que de la paille. Que l’on y fasse entrer
un homme peu connaisseur, il croira que c’est inutilement qu’on y introduit les
boeufs, et que des hommes supportent la chaleur du jour, pour briser la paille;
et néanmoins il y a là une masse de bons grains, que le van doit séparer de la
paille. Alors on verra cet amas de blé se dégager de la paille qui
l’enveloppait. Et dès maintenant, voulez-vous connaître de bons chrétiens?
soyez bons et vous en trouverez.
10. Vois ce que notre psaume oppose à ce
désespoir. Après avoir dit: « Nous avons ressenti, ô Dieu, votre miséricorde,
au milieu de votre peuple », il nous montre que c’est au milieu de ce peuple
insensible à la divine miséricorde, que plusieurs ressentent les effets de
cette miséricorde: et pour empêcher qu’on ne regardât ce nombre comme tellement
petit qu’il deviendrait nul, en quels termes le Prophète va-t-il nous consoler?
« Comme votre nom, Seigneur, ainsi votre louange se répandra jusqu’aux confins
de la terre 4 ». Qu’est-ce à dire? « Le Seigneur est grand, et infiniment digne
de louanges, dans la cité de notre Dieu, sur sa montagne sainte »;
1.
Gen. II, 17. — 2. Id. III, 4. — 3. Job, II, 8.10.— 4. Ps. XLVII, 11.
or, il ne peut être loué que par ses saints.
Car ceux qui vivent dans le désordre ne le louent point; mais ils ne le
prêchent de bouche, que pour le blasphémer par leur vie. Si donc il m’y a que
les saints pour louer Dieu, que les hérétiques ne se disent point à eux-mêmes:
C’est chez nous que subsiste encore la louange, parce que nous sommes peu
nombreux, que nous vivons loin de la foule, et dans la justice, que nous
bénissons Dieu, non seulement par nos paroles, mais aussi par notre vie. On
leur répond par le même psaume: Pourquoi dire que vous bénissez dans une partie
du monde ce Dieu auquel il est dit: « Comme votre nom, Seigneur, ainsi votre
louange se répandra jusqu’aux confins de la terre? » c’est-à-dire, de même que
vous êtes connu dans toute la terre, ainsi vous y êtes béni; et c’est vous
louer que vivre dans la piété. « Comme votre nom, Seigneur, ainsi votre louange
est répandue », non point dans une partie de la terre, mais « dans toute la
terre ». « Votre droite est pleine de justice », c’est-à-dire, ils sont
nombreux, ceux qui se tiendront à votre droite. Et non seulement ils seront
nombreux ceux qui sont à votre gauche, mais la masse du bon grain qui sera à
votre droite formera aussi une plénitude 1: « Votre droite est pleine de
justice ».
11. « Que la montagne de Sion soit dans la
joie, et les filles de Juda dans l’allégresse, à la vue de vos jugements, ô mon
Dieu ». O montagne de Sion, ô filles de Juda, vous souffrez aujourd’hui au
milieu de l’ivraie, au milieu de la paille, au milieu des épines; mais
tressaillez à cause des jugements de Dieu. Votre Dieu ne peut errer dans ses
jugements. Que votre vie vous sépare des méchants, si votre naissance vous a
jetées au milieu d’eux; ce n’est pas en vain que vous avez chanté de la voix et
du coeur: « Ne perdez pas mon âme avec les impies, ni ma vie avec les hommes de
sang 2 ». Le souverain Créateur viendra faire le discernement, il viendra le
van à la main afin de ne laisser ni tomber un grain de blé dans la paille
destinée au feu, ni passer la moindre paille avec le froment destiné au grenier
céleste 3. Tressaillez donc, filles de Sion, à la vue des infaillibles
jugements du Seigneur, et gardez-vous de juger témérairement. A vous de
recueillir, à Dieu de séparer. « Que la montagne de Sion
1. Matt. XXV, 33. — 2. Ps. XXV, 9. — 3. Matt.
III, 12.
soit dans la joie, et les filles de Juda dans
l’allégresse, à cause de vos jugements, ô mon Dieu ». Par ces filles de Juda,
gardez-vous d’entendre les Juifs, Juda signifie confession.
Tous les fils de la confession sont les fils
de Juda: et le salut qui vient des Juifs n’est
autre que le Christ issu des Juifs 1. Voilà
ce que dit l’Apôtre: « Car le juif n’est pas celui qui l’est au dehors, et la
circoncision n’est pas celle qui se fait sur la chair, qui est extérieure; mais
le juif est celui qui l’est intérieurement; et la circoncision du coeur se fait
par l’esprit, et non par la lettre; et ce juif tire sa gloire non des hommes,
mais de Dieu 2 ». Sois juif de cette manière: glorifie-toi de la circoncision
du coeur, quoique tu n’aies pas celle de la chair. « Que les filles de Sion
tressaillent à cause de vos jugements, ô mon Dieu »
12. « Environnez Sion, embrassez son enceinte
3 ». Que l’on dise à ceux dont la vie est un désordre, et au milieu desquels se
trouve le peuple qui a reçu la divine miséricorde: Il y a au milieu de vous un
peuple dont la vie est sainte. « Environnez Sion ». Mais comment? « Embrassez
son enceinte »; embrassez-la, non par le scandale, mais par la charité, afin
d’imiter ceux qui mènent au milieu de vous une vie sainte, et par cette
imitation d’être incorporés au Christ dont ils sont les membres. « Environnez
Sion, embrassez son enceinte, parlez sur ses tours ». Chantez ses louanges du
haut de ses forteresses.
13. « Reposez votre amour dans sa vertu 4»,
afin de n’avoir pas l’extérieur de la piété, et d’en repousser l’esprit 5; «
mais affermissez vos coeurs dans sa vertu ». Quelle est la vertu de cette cité?
Pour comprendre la vertu de cette cité, il faut comprendre la force de la
charité. C’est là une vertu que nul ne peut vaincre; c’est un feu que
n’éteignent point ni les flots de cette vie, ni les fleuves des tentations.
C’est d’elle qu’il est écrit: « L’amour est fort comme la mort 6 ». De même en
effet qu’on ne peut résister à la mort, qui s’avance, et que nul artifice, nul
remède ne peuvent dérober à ses coups l’homme qui est né mortel; de même le
monde, est impuissant contre la charité. Toutefois la comparaison avec la mort
est en sens contraire; et comme
1. Jean, IV, 22.— 3. Rom. II, 28, 20.— 4. Ps.
XLVII, 13.— 5. Id. 14. — 6. II Tim. III, 5.— 7. Cant. VIII, 6.
la mort est invincible à nous enlever, la
charité au contraire est invincible à nous sauver. Beaucoup en effet ne sont
morts victimes de la charité qu’afin de vivre pour Dieu. C’est la charité qui
embrasait les martyrs, non les martyrs hypocrites, non ceux qu’enflait la vaine
gloire, non ceux dont il est dit: « Quand même je livrerais mon corps pour être
brûlé, si je n’ai point la charité, cela ne me sert de rien 1 ». Mais ces
martyrs du Christ et de la vérité, qu’une véritable charité conduisait à la
mort, quelle prise ont eue sur eux les violences des bourreaux? Les larmes de
leurs proches avaient plus d’empire sur eux que, les cruautés des persécuteurs.
Combien de fils ont retenu leurs pères en présence de la mort? Combien
d’épouses embrassaient les genoux de leurs maris, afin de n’être point laissées
dans le veuvage? Combien de fils s’opposaient au trépas de leurs pères, comme
nous le voyons dans le martyre de sainte Perpétue? Tout cela est arrivé. Mais
quelle que fût l’abondance ou l’impétuosité de ces larmes, quel feu de la
charité ont-elles pu éteindre? Telle est la force de Sion, à laquelle on dit
ailleurs: « Que la paix s’affermisse dans votre vertu, et l’abondance dans vos
forteresses 2. Parlez du haut de ses tours, reposez vos coeurs dans sa force,
et distribuez ses demeures ».
14. Quel est le sens de ces paroles: «
Reposez vos coeurs dans sa force, et distribuez ses demeures 3? » c’est-à-dire,
faites le discernement d’une demeure et d’une autre demeure, ne les confondez
point. Il est en effet des maisons qui ont l’apparence de la piété, sans en
avoir l’esprit; et il est des maisons qui ont tout à la fois l’apparence et
l’esprit de la piété. Distinguez et ne confondez point. Pour vous, ce sera
distinguer sans confondre, que de reposer vos coeurs dans sa force,
c’est-à-dire de devenir spirituels par la charité. Alors vous ne jugerez pas
témérairement; alors vous verrez que les méchants ne font aux bons aucun obstacle
réel, tant que nous sommes dans l’aire: « Comptez ses demeures ». On peut
encore donner un autre sens à ces paroles, et y voir une recommandation faite
aux Apôtres de distribuer ces deux palais, dont l’un vient de la circoncision
et l’autre de la gentilité. Quand Paul, appelé d’abord Saul, devint Apôtre, et
qu’il
I Cor. XIII, 3. — 2. CXXI, 7. — 3. Id. XLVII,
14.
entra dans l’unité avec les autres Apôtres,
il parut bon à ces derniers de prêcher aux Juifs, et à Paul d’aller chez les
Gentils 1. Cette distinction de leur apostolat distribuait entre eux les palais
de la cité du grand Roi; et, se rencontrant à la pierre angulaire, ils
divisèrent en quelque sorte la prédication de l’Evangile, mais se réunirent par
la charité. Car les paroles qui suivent nous montrent qu’il s’agit ici de
prédicateurs: « Distribuez ses demeures, afin de parler aux races futures »;
c’est-à-dire, afin que la prédication de l’Evangile arrive jusqu’à nous, qui
devons suivre. Car ils n’ont pas borné leur travail à ceux qui vivaient de leur
temps; comme ce ne fut pas seulement pour les Apôtres, mais aussi pour nous,
que le Seigneur daigna se montrer après sa résurrection. Car, en leur parlant,
il avait aussi les yeux sur nous, quand il disait: « Voici que je suis avec
vous jusqu’à la consommation des siècles 2». Devaient-ils vivre ici-bas en
effet jusqu’à la du monde? De même il dit encore: « Je ne prie pas seulement
pour eux, mais pour tous ceux qui croiront en moi sur leur prédication 3 ».
C’est donc nous qu’il avait en vue, puisqu’il est mort pour nous. est alors
avec raison que le Prophète leur
: « Afin que vous racontiez aux races futures
».
15. Que direz-vous? « Que c’est là Dieu, et
notre Dieu 4 ». On voyait en, lui la terre, et non le Créateur de la terre; on
touchait sa chair, on ne connaissait pas Dieu sous cette chair. La chair était
entre les mains de ceux dont il l’avait prise, puisque la vierge Marie était de
la race d’Abraham; ils se sont arrêtés à la chair, sans comprendre la divinité.
O Apôtres, ô grande cité, annonce du haut de tes tours: « Celui-là est Dieu,
notre Dieu ». De même, oui, de même qu’il a été méprisé,
1. Gal. II, 9. — 2. Matt. XXVIII, 20. — 3.
Jean, XVII, 20.— 4. Ps. XLVII, 15
qu’il n’a été qu’une pierre devant les pieds de ceux qui la heurtaient,
afin d’humilier les coeurs de ceux qui le confesseraient; de même « il est
notre Dieu ». On l’a vu dans le monde, comme dit le Prophète: « On l’a vu
ensuite sur la terre, et il a conversé avec les hommes 1 ». « Celui-là est
notre Dieu». Il est homme aussi, et qui pourra le connaître? « Car c’est là
notre Dieu ». Mais peut-être n’est-ce que pour un temps, comme les faux dieux.
Car si l’on peut les appeler des dieux, bien qu’ils ne le soient pas, on ne les
appelle ainsi que pour un temps. Que nous dit en effet le Prophète, ou que leur
apprend-il à leur dire? Voici ce que vous leur direz, Quoi donc? « Qu’ils
soient bannis de la terre, et de tout ce qui est sous le ciel, ces dieux qui
n’ont pas fait le ciel et la terre 2 ». Tel n’est point notre Dieu, qui s’est
élevé au-dessus de tous les dieux. Au-dessus de quels dieux? de « tous les
dieux des païens qui sont des démons; mais le Seigneur a fait le ciel 3». C’est
donc lui qui est notre Dieu; oui, « c’est là notre Dieu ». Jusques à quand? «
Pour jamais, et dans les siècles des siècles, il régnera sur nous éternellement
». S’il est notre Dieu, û est aussi notre Roi; il nous protège contre la mort,
car il est notre Dieu; il nous conduit, de peur que nous ne tombions, car il
est notre Roi. Mais en nous conduisant il ne nous brise point; car il ne brise
que ceux qu’il ne conduit point. « Vous les conduirez avec un sceptre de fer »,
dit le Prophète, « et vous les briserez comme des vases d’argile 4 ». Il en est
qu’il ne conduit point; mais il les brisera sans ménagement comme des vases
d’argile. Puisse-t-il toujours nous régir, nous délivrer; car « c’est lui qui
est notre Dieu pour jamais, dans les siècles des siècles; lui qui régnera
éternellement sur nous ».
1. Baruch, III, 38.— 2.
Jérém. X, II— 3. Ps. CXV, 5.— 4. Id. II, 9.
L’impie jouissant du bonheur temporel, et le
juste qui en est privé, voilà pour beaucoup la pierre de scandale. — Les
nations désignent les impies; les habitants de la terre, les justes. Les riches
peuvent être pauvres, s’ils ne comptent pas sur leurs richesses, et les pauvres
sont riches quand ils les désirent. Ecoutons de manière à comprendre et nous
verrons Dieu pour jouir de lui, non pour le fuir, comme ceux qui ont compté sur
leur force, sur leur bien, sur leurs amis, qui se sont fait de magnifiques
tombeaux pour y demeurer, mais dont l’âme va au feu éternel, et qui laissent
leurs biens à des étrangers ou à ceux qui ne peuvent les secourir.
1. Toutes les paroles de l’Ecriture sont
utiles à ceux qui les comprennent bien, mais dangereuses pour ceux qui les
veulent accommoder à la perversité de leur coeur, plutôt que de redresser leur
coeur d’après ces règles saintes. C’est en effet chez les hommes un désordre
bien grand, mais ordinaire, de vouloir que Dieu suive leur propre volonté,
quand c’est à eux de suivre la volonté de Dieu; de vouloir que Dieu se déprave,
parce qu’ils ne veulent point se corriger, et de ne voir le bien que dans leur
propre volonté, et non dans celle de Dieu. Nous entendons souvent les hommes se
plaindre contre Dieu, de la prospérité des méchants et des tribulations de
l’homme de bien; comme si Dieu était injuste ou ne savait ce qu’il doit faire,
ou détournait complètement ses regards des choses humaines, ou ne voulait point
troubler son repos pour y donner ses soins, comme si voir et corriger les
désordres fût une fatigue pour lui. Ils murmurent donc, ces hommes qui ne
veulent adorer Dieu que pour en être plus heureux ici-bas, quand ils voient
dans l’abondance et la félicité de la terre ceux qui n’adorent que Dieu; tandis
que pour eux, qui adorent le Seigneur, ils sont dans l’angoisse, dans la
disette, dans les chagrins et dans toutes les autres misères de cette vie.
C’est contre cette voix impie, contre ces blasphèmes et ces murmures, que la
parole divine nous devient un charme qui guérit de la morsure du serpent. Tout
cela est en effet comme le pus du coeur empoisonné, qui vomit contre Dieu le
blasphème ordurier; et, ce qu’il y a de pire, écartant la main du médecin sans
écarter la morsure du serpent. C’est-à-dire, que le coeur de l’homme écarte la
sévérité de la parole de Dieu, pour admettre les flatteries pernicieuses du
serpent. C’est contre ces hommes que la parole divine a des chants, et qu’elle
va nous prévenir dans ce psaume. Je vous exhorterais à y donner toute votre
attention, s’il ne l’attirait pas lui-même, et non seulement la nôtre, mais
celle du monde entier. Ecoutez en effet sa manière de commencer.
2. « Nations de la terre, écoutez ceci ». Ce
n’est donc pas vous seuls qui êtes ici. Qu’est-ce en effet que ma voix, pour
crier de manière à retentir chez toutes les nations? C’est par les Apôtres que
Notre Seigneur Jésus-Christ s’est fait entendre, il a crié par autant de
langues qu’il en a envoyées; et ce psaume autrefois récité chez un seul peuple,
dans la synagogue des Juifs, nous le voyons chaula dans l’univers entier, dans
toutes les Eglises, et ainsi s’accomplit cette parole: « Nations de la terre,
écoutez ceci ». Mon but unique est de fixer votre attention, de peur que la
fatigue du corps ne vous empêche d’appliquer votre esprit effrayé de la
longueur du psaume. S’il est possible, nous le verrons entièrement aujourd’hui,
sinon, il nous en restera une partie pour demain; toutefois, donnez-nous une
attention soutenue. Vous n’entendrez, s’il plaît à Dieu, que des choses
capables de vous encourager plutôt que de vous fatiguer. « Nations de la terre,
écoutez ceci »; et vous-mêmes faites partie de ces peuples. « Prêtez l’oreille,
ô vous qui habitez l’univers ». Le Prophète semble se répéter, comme s’il ne
lui eût pas suffi de dire « Ecoutez ». Vous
dire: Ecoutez mes paroles, prêtez l’oreille,
c’est vous dire de n’écouter pas à la légère. Qu’est-ce à dire: « Prêtez
l’oreille? » C’est dans le même sens que Notre Seigneur disait: « Que celui-là entende,
qui a des oreilles pour entendre 1 »; et toutefois tous ceux qui étaient autour
de lui avaient des oreilles. De quelles oreilles parlait-il, sinon des oreille
du coeur, quand il disait: « Que celui-là entende, qui a des oreilles pour
entendre? » C’est à ces mêmes oreilles que s’adresse le Psalmiste: « Prêtez
l’oreille, vous tous qui habitez l’univers». On pourrait trouver encore ici une
différence. Nous ne devons pas sans doute en rétrécir l’étendue, mais il n’est
pas inutile d’exposer cette signification. Il y a peut-être une différence
entre cette expression: « Tous les peuples », et cette autre: « Vous tous qui
habitez l’univers ». Le Prophète a voulu peut-être nous montrer une
signification plus accentuée dans cette expression: « Qui habitez »; en sorte
que les peuples désigneraient les impies, et que les habitants de la terre
seraient tous les hommes justes. Celui qui habite, en effet, n’est point
assujéti; mais celui qui est assujéti, est plus habité qu’il n’habite. Un homme
possède véritablement ce qu’il a, quand il en est le maître; mais celui-là est
maître, qui n’est point garrotté par les convoitises: au lieu que celui qui
porte ces liens, est plutôt possédé que possesseur. Nous avons un mot qui
désigne l’habitation dans cette parole de l’Ecriture: « J’ai mieux aimé être
petit dans la maison du Seigneur que d’habiter sous les tentes des pécheurs 2».
Quoi donc? Etre petit dans la maison du Seigneur, n’est-ce pas l’habiter? Il
n’emploie ce mot d’habiter, que pour ceux qui règnent, qui possèdent, qui
dominent, qui gouvernent; quant à ceux que l’on méprise, ils n’habitent pour
ainsi dire pas, mais ils sont assujétis. L’interlocuteur aurait dit alors:
J’aime mieux servir dans la maison du Seigneur, que régner sous les tentes des
pécheurs. Si donc il y a une distinction entre « toutes les nations » et « tous
les habitants de la terre», comme il y en a une entre « écoutez » et « prêtez
l’oreille», ce qui paraît une répétition, sans en être une réellement, le
Prophète a voulu nous dire que tous entendront cette parole de Dieu, non
seulement les pécheurs et les impies, mais aussi les justes. Ils sont mélangés
aujourd’hui
1. Matt. XI, 25. — 2. Ps. LXXXIII, 11.
pour entendre cette parole; mais quand
viendra le moment d’en rendre compte, ceux qui l’auront entendue sans profit
seront séparés de ceux qui l’auront entendue des oreilles. Que les pécheurs
écoutent: « Vous tous, ô peuples, écoutez ceci ». Que les justes écoutent, eux
qui n’ont pas entendu en vain, et qui gouvernent la terre plus qu’ils n’en sont
gouvernés « Prêtez l’oreille, vous tous qui habitez la terre ».
3. Le Prophète ajoute encore: « Et vous,
hommes de la terre, et enfants des hommes 1 ». Cette expression: « Hommes de la
terre», s’appliquerait aux pécheurs; et cette autre: « Enfants des hommes »,
aux fidèles et aux justes. Vous voyez donc revenir cette distinction. Quels
sont les hommes de la terre? les fils de la terre. Quels fils de la terre? Ceux
qui recherchent les possessions terrestres. Quels sont les fils des hommes?
Ceux qui appartiennent au Fils de l’homme. Déjà nous avons établi devant vous
cette distinction, et nous avons vu qu’Adam était homme sans être fils de
l’homme; que le Christ était fils de l’homme, et qu’il était Dieu 2. Ainsi,
tous ceux qui appartiennent à Adam sont hommes de la terre, tous ceux qui sont
du Christ sont « fils de l’homme ». Que tous écoutent néanmoins, je ne refuse
ma parole à personne. Celui-ci est terrestre, qu’il écoute ma parole, dans la
crainte du jugement; celui-là est fils de l’homme, qu’il écoute, afin de
régner. « Que le riche et le pauvre s’unissent ». Nouvelle répétition. Cette
expression: « Le riche », s’applique aux hommes terrestres; cette autre: «Le
pauvre», aux enfants des hommes. Par les riches on doit entendre les
orgueilleux; et par les pauvres, les humbles. Qu’un homme possède beaucoup de
biens, il est pauvre s’il ne s’en prévaut pas. Qu’il ne possède rien, Dieu le
rangera néanmoins parmi les riches, les réprouvés, s’il a le désir ou l’orgueil
de la richesse. C’est par le coeur, et non par le palais ou le coffre-fort, que
Dieu juge des pauvres ou des riches. Ne sont-ils pas réellement des pauvres,
ceux qui accueillent ce précepte de l’Apôtre, disant à Timothée: « Commande aux
riches du siècle de n’être point orgueilleux 3? » Comment, de ceux qui étaient
riches, a-t-il fait des pauvres? Il leur enlève ce qui nous fait rechercher les
richesses. Car
1. Ps. XL, VIII,3.— 2. Discours sur le Ps.
VIII, n. 10.— 3. I Tm. VI, 17.
nul ne désire les richesses que pour s’élever
au-dessus de ceux qui l’environnent, et leur paraître supérieur. Leur interdire
l’orgueil, c’est donc les rendre semblables à ceux qui n’ont rien; et peut-être
un mendiant est plus orgueilleux de ses quelques pièces de monnaie, que le
riche docile à cette recommandation de saint Paul: « Défendez aux riches du
siècle de s’enorgueillir ». Comment s’abstenir de l’orgueil? En accomplissant
ce qui suit: « De ne pas mettre leur confiance dans les richesses incertaines,
mais dans le Dieu vivant, qui nous donne avec abondance ce qui nous est nécessaire
pour la vie 1 ». L’Apôtre ne dit pas: Qui leur donne; mais bien: « Qui nous
donne». Paul n’avait-il donc aucune richesse? Il en avait assurément. Quelles
richesses? Celles dont l’Ecriture a dit à un autre endroit: « Le monde entier
est la richesse de l’homme fidèle 2 ». Ecoute encore ce qu’il avoue de
lui-même: « Nous paraissons ne rien posséder, quoique nous possédions tout 3».
Quiconque désire la richesse, ne doit donc pas s’attacher à une partie, et il
possédera le tout; mais qu’il s’attache à Celui qui a tout créé. « Que le riche
et le pauvre s’unissent ». Il est dit dans un autre psaume: « Que les pauvres
mangent, et ils seront rassasiés ». Quel avantage fait-il aux pauvres? «Qu’ils
mangent et ils seront rassasiés ». Que mangeront-ils? c’est le secret des
fidèles. Comment seront-ils rassasiés? En imitant la passion du Seigneur, et en
ne laissant pas improductif le prix de leur rançon. « Les pauvres donc
mangeront et seront rassasiés, et ils béniront le Seigneur, ceux qui le
recherchent 4 ». Et les riches? Ils mangent aussi. Mais comment? « Tous les
riches de la terre ont mangé et ont adoré 5». Le Prophète ne dit point: ils ont
mangé et sont rassasiés; mais bien: «Ils ont mangé et ils ont adoré ». Ils
adorent Dieu à la vérité, mais ne veulent pas voir des frères dans les autres
hommes. Ceux-ci mangent donc et ils adorent; ceux-là mangent et sont rassasiés;
et tous mangent néanmoins. A celui qui mange on demandera compte de sa
nourriture; que le dispensateur de cette nourriture n’en éloigne personne, mais
qu’il avertisse de redouter le compte à rendre. Que tous donc prêtent l’oreille
à ces paroles, pécheurs et
1. I Tim. VI, 17. — 2. Prov. XVII, 6, selon
les LXX. — 3. II Cor. VI, 10.— 4. Ps. XXI, 27. —5. Id.30.
justes, peuples et habitants de la terre. «
Et les habitants de la terre, et les enfants des hommes, et le riche et le
pauvre ensemble », unis et non séparés. C’est le temps de la moisson qui doit
séparer, c’est la main du vanneur qui le pourra faire 1. Maintenant, que le
riche et le pauvre s’unissent pour écouter, que les boucs et les agneaux
paissent ensemble, jusqu’à l’avènement de Celui qui doit séparer les uns à sa
droite, les autres à sa gauche 2. Qu’ils s’unissent pour écouter le maître qui
les instruit, de peur qu’ils ne soient séparés pour entendre le Juge qui les
condamnera.
4. Mais que doivent-ils entendre maintenant?
« Ma bouche parlera la sagesse, et les méditations de mon coeur donneront
l’intelligence 3». Ici encore il y a une répétition, de peur qu’après avoir
dit: « Ma bouche », on ne crût entendre parler un homme qui aurait la sagesse
sur les lèvres. Plusieurs ont en effet la sagesse sur les lèvres et non dans le
coeur; et c’est d’eux qu’il est dit: « Ce peuple m’honore des lèvres, et leur
coeur est loin de moi 4 ». Que va donc te dire l’interlocuteur? Après avoir
dit: « Ma bouche parle la sagesse », afin que tu comprennes bien que la parole
de la bouche émane véritablement du coeur, il ajoute: « Et la méditation de mon
coeur donne l’intelligence ».
5. « Je prêterai l’oreille à la parabole, je
développerai sur la harpe le sujet de mes chants 5». Quel est celui-ci dont le
coeur, dans ses méditations, donne l’intelligence, en sorte qu’elle n’est pas
seulement sur la superficie des lèvres, mais qu’elle pénètre l’intérieur de
l’homme? Quel est celui qui écoute et qui parle ensuite? Beaucoup parlent sans
avoir écouté. Quels sont donc ceux qui parlent sans avoir écouté? Ceux qui ne
font pas ce qu’ils disent; tels ces Pharisiens, assis, dit le Seigneur, dans la
chaire de Moïse. Dieu a voulu vous par1er de cette chaire de Moïse par ces
hommes qui disent et ne font pas. Le Seigneur a voulu par là vous donner la
sécurité. Ne craignez point, dit-il, « faites ce qu’ils disent, mais ne faites
pas ce qu’ils font, car ils disent et n’agissent pas 6». Ils n’écoutent pas ce
qu’ils disent. Mais ceux qui disent et qui pratiquent, entendent ce qu’ils
disent; de là vient qu’ils parlent avec fruit, parce qu’ils écoutent. Celui-là
donc qui parle sans écouter peut être utile aux
1.
Matt. III, 12. — 2. Id. XXV, 30, 33. — 3. Ps. XLVIII, 4. — 4. Isa. XXIX, 13. — 5.
Ps. XLVIII, 5. — 6. Matt. XXIII, 2, 3.
autres et inutile à lui-même. Quant à celui
qui parle ici, qui veut écouter d’abord, parler ensuite; avant de dire: « Je
développerai sur ma harpe le sujet de mes chants », ce qui est le langage des
organes, car l’âme se sert du corps comme le joueur de sa harpe, il nous dit
tout d’abord: « J’inclinerai mon oreille à la parabole »; c’est-à-dire, avant
de vous parler par mes organes, avant de jouer du psaltérion, je prêterai tout
d’abord l’oreille à la parabole; c’est-à-dire, j’écouterai ce que je dois vous
dire. Et pourquoi « à la parabole? » Parce que maintenant nous voyons dans un
miroir et en parabole 1, selon cette parole de l’Apôtre: « Tant que nous
habitons dans ce corps, nous marchons hors du Seigneur 2», Car nous ne voyons
pas encore face à face sans le voile des paraboles, sans l’ombre des énigmes.
Tout ce que nous comprenons maintenant, nous le voyons en énigme. L’énigme est
une parabole obscure, difficile à comprendre. Quelque soin que prenne l’homme
de cultiver son coeur, de rentrer en lui-même pour comprendre les choses
intérieures, tant que nous voyons à travers le voile d’une chair corruptible,
nous ne voyons qu’en partie. Mais quand la résurrection nous aura rendus
incorruptibles, et qu’apparaîtra le Fils de l’homme pour juger les vivants et
les morts, alors on verra ce Fils de l’homme, qui a d’abord été jugé et qui à
son tour jugera le monde, fera le discernement des bons et des méchants,
placera les méchants à sa gauche et les bons à sa droite. Les bons et les
méchants le verront, mais il dira aux méchants: « Allez au feu éternel »; et
aux bons: « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume. Et les méchants s’en
iront aux flammes éternelles, et les justes dans la vie éternelle 3 »; et là
ils verront à découvert
cette face que les méchants ne sont pas
dignes de voir. Ecoutez mes paroles. Quand le Fils de l’homme était sur la
terre pour être jugé, les méchants l’ont vu comme les bons, car les
Apôtres qui le suivaient l’ont vu, et les
Juifs qui le crucifièrent l’ont vu aussi; de même quand il viendra juger le
monde, les bons et les méchants le verront aussi; les bons, pour en recevoir la
récompense, parce qu’ils l’auront suivi; les méchants, pour en être châtiés,
parce qu’ils l’auront crucifié. Il n’y aura donc pour être damnés que ceux qui
l’auront crucifié? J’ose le dire, il n’y aura que ceux-là.
1. I Cor. XIII,
12. — 2. II Cor. V, 6. — 3. Matt. XXV, 31-36.
Donc, diront les pécheurs d’ici-bas, nous
sommes en sûreté. Oui, vous êtes en sûreté, si Dieu ne sonde pas l’intention.
Mais que dis-je? Que votre charité veuille bien comprendre, afin qu’au jugement
de Dieu ils ne se plaignent point de n’avoir point compris. Les Juifs ont vu le
Christ et l’ont crucifié; et toi qui ne vois pas le Christ, tu es rebelle à sa
parole. Mais résister à sa parole, n’est-ce pas crucifier sa chair, situ le
voyais? Le juif l’a méprisé quand il pendait à la croix, et tu le méprises
quand il est assis dans le ciel. Deux sortes d’hommes l’ont donc vu quand il
était sur la terre; deux sortes d’hommes le verront quand il viendra. Car le
Fils de l’homme viendra pour nous juger. Comme le Père ne s’est pas incarné et
n’a pas souffert, il ne juge que par son Fils, qui a dit dans l’Evangile: « Le
Père ne juge personne, il a donné tout jugement au Fils »; et peu après il
ajoute: « Il lui a donné le pouvoir de juger, parce qu’il est le Fils de
l’homme 1 ». Comme Fils de Dieu, le Verbe est toujours avec son Père; et comme
il est toujours avec son Père, il juge toujours avec son Père; mais comme Fils
de l’homme, il a été jugé et il doit juger. De même qu’il a été vu par ceux qui
ont cru en lui et par ceux qui l’ont cloué à la croix quand il a été jugé;
ainsi, quand il viendra juger, il sera vu par ceux qu’il condamnera et par ceux
qu’il couronnera. Mais quant à cette vision de Dieu qu’il a promise à ceux qui
l’aiment, quand il a dit: « Celui qui m’aime sera aimé de mon Père; celui qui
m’aime garde mes commandements, et moi je l’aimerai et me manifesterai à lui 2
»; cette vision n’est pas pour les méchants. Cette claire vue sera comme une
intimité, il la réserve aux siens et n’en fait aucune part aux impies. Quelle
est cette vision? qu’est-ce que le Christ? Il est égal au Père. Mais encore,
qu’est-ce que le Christ? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en
Dieu, et le Verbe était Dieu 3 ». C’est après cette vision que nous aspirons en
gémissant, pendant que nous sommes en cette vie; telle est la vision qui nous
est réservée pour la fin des temps, vision que nous n’avons ici-bas que sous
des voiles 4. Si donc nous voyons en énigme, inclinons notre oreille pour
entendre, et développons ensuite sur la harpe l’objet de nos chants;
1. Jean, V, 22, 27. — 2. Id. XIV, 21. — 3.
Id. L 1. — 4. I Cor. XIII, 12.
écoutons ce que nous disons, faisons ce que
nous recommandons.
6. Que dit le Prophète? « Pourquoi
craindrai-je au mauvais jour? D’être enveloppé dans l’iniquité de mes voies».
Ce début est un peu obscur: « Pourquoi », dit-il, « craindrai-je au mauvais
jour? D’être enveloppé dans l’iniquité de mes voies ».Cette iniquité qui doit
l’envelopper est donc un plus grand sujet de crainte. Car un homme ne doit pas
craindre ce qu’il ne peut éviter. Que fera, par exemple, pour ne pas mourir,
celui qui craint la mort? Qu’un fils d’Adam m’indique le moyen d’échapper à la
peine d’Adam. Mais plutôt qu’il se sou-vienne que, né d’Adam, il a suivi
Jésus-Christ, et qu’il doit ainsi payer le tribut d’Adam et recueillir les
promesses de Jésus-Christ. Celui qui redoute la mort n’a donc nul moyen de
l’éviter; mais pour celui qui redoute l’arrêt qui frappe les impies « Allez au
feu éternel », il y a moyen d’y échapper. Qu’il ne craigne donc point. A quoi
bon cette crainte? L’iniquité de ses voies doit l’envelopper. Si donc il évite
les voies impies, et marche par les voies de Dieu, il n’arrivera point aux
jours mauvais: le jour mauvais, le dernier de tous, n’aura rien de fâcheux pour
lui. Car ce dernier jour sera funeste aux uns, favorable aux autres. Sera-t-il
funeste à ceux qui s’entendront dire: « Venez, bénis de mon Père, recevez le
royaume 1? » Mais il sera funeste pour ceux qui entendront « Allez au feu
éternel ». Si donc c’est l’iniquité de nos voies qui doit nous envelopper,
pourquoi craindre au jour mauvais? Que les hommes plutôt travaillent ici-bas à
leur salut, qu’ils détournent l’iniquité de leurs voies; qu’ils marchent, oui,
qu’ils marchent dans cette voie dont le Christ a dit: « C’est moi qui suis la
voie, la vérité, et la vie 2 »; et qu’ils ne craignent pas au jour mauvais,
puisque celui qui s’est fait la voie leur donne la sécurité. « Pourquoi
craindrai-je au jour mauvais? D’être enveloppé dans l’iniquité de mes voies ».
Qu’ils évitent l’iniquité de leurs démarches, car c’est par la démarche que
chacun tombe. Ecoutez bien, mes frères; que dit le Seigneur au serpent? « La
femme observera ta tête, et toi tu observeras son talon 3 ». Le diable observe
donc ton talon, afin de te faire tomber dans tes démarches. S’il observe ton
talon, observe sa tête. Qu’est-ce à dire sa tête? Le
1. Matt. XXV, 32-41. — 2. Jean, XIV, 6. —
Gen. III, 15.
commencement d’une suggestion mauvaise. Dès
qu’il commence à te suggérer le mal, résiste-lui, avant qu’un plaisir criminel
surgisse, et que le consentement le suive; ainsi tu éviteras sa tête, et il ne
surprendra pas ton talon. Pourquoi le Seigneur tenait-il ce langage à Eve?
Parce que l’homme tombe par la chair, et que pour nous l’Eve intérieure est
notre chair. « Celui qui aime son épouse », a-t-il été dit, « s’aime lui-même
1». Qu’est-ce à dire, « lui-même? » L’Apôtre l’explique ensuite et dit: « Nul
n’a jamais haï sa propre chair 2». Comme donc le démon veut nous faire tomber
par la chair, de même qu’il fit tomber Adam par Eve 3, il est recommandé à Eve
d’observer la tête du serpent, parce que celui-ci observe son talon. Si donc
c’est l’iniquité de votre ta-ion ou de vos démarches qui doit vous envelopper,
pourquoi craindre au jour mauvais, puisque votre conversion au Christ vous
donne le pouvoir de ne point commettre l’iniquité, et qu’alors il n’y aura plus
rien pour vous envelopper, et que vous verrez avec joie et sans pleurs votre
dernier jour?
7. Quels sont alors ceux qu’enveloppera
l’iniquité de leurs démarches? « Ceux qui se confient en leur vertu, et se
glorifient dans l’abondance de leurs richesses 4 », Voilà donc ce que
j’éviterai, pour n’être point enveloppé dans l’iniquité de mes démarches.
Comment l’éviter? Ne mettons point notre espérance dans nos vertus, non plus
que notre gloire dans nos grandes richesses; mais glorifions-nous dans celui
qui a promis la grandeur à notre humilité, et qui menace de damner les
orgueilleux; et alors l’iniquité de nos démarches ne nous enveloppera point;
mais ceux « qui mettent leur espoir dans leur vertu, et leur gloire dans leurs
grandes richesses ».
8. Il en est qui comptent sur leurs amis,
d’autres sur leur force, d’autres sur leurs richesses. C’est en cela et non en
Dieu qu’espèrent les hommes. Après avoir parlé de la force, parié des
richesses, le Prophète parle des amis: « Un frère ne rachète point, un homme
rachètera-t-il 5? » Espères-tu qu’un homme te rachètera de la colère à venir?
Si un frère ne t’en rachète pas, un homme t’en rachètera-t-il? De quel frère
est-il dit que s’il ne rachète point, nul homme ne pourra nous racheter? de celui
qui a dit après la
1.
Eph. V, 28. — 2. Id. 29. — 3. Gen. III, 6. — 4. Ps. XLVIII, 7.— 5. Id. 8.
résurrection: « Allez, dites ceci à mes
frères 1 ». Il a voulu devenir notre frère, et nous le témoignons tous les
jours en disant à Dieu: «Notre Père ». Appeler Dieu « notre Père », c’est
appeler le Christ notre frère. Donc, avec Dieu pour Père et le Christ pour
frère, il n’y a rien craindre au jour mauvais. Celui-là ne peut être enveloppé
dans l’iniquité de ses voies; car il ne compte ni sur sa vertu, ni sur
l’abondance de ses richesses, et ne se vante point d’avoir de puissants amis.
Que l’homme compte alors sur celui qui est mort pour le délivrer de la mort
éternelle; qui s’est humilié pour l’élever; qui l’a cherché jusque dans
l’impiété, afin que l’homme devenu fidèle le cherchât à son tour. Si donc ce
frère ne nous rachète pas, l’homme nous rachètera-t-il? Adam nous
rachètera-t-il, si le Christ ne nous rachète pas? « Le frère ne rachète point,
l’homme rachètera-t-il 5? »
9. « L’homme ne donne point à Dieu le prix de
sa rançon ni ne rachète son âme 2», Tel fonde son espoir sur sa force, ou sur
ses grandes richesses, qui ne saurait donner à Dieu le prix de sa rançon »,
c’est-à-dire de quoi fléchir le Seigneur, et l’apaiser pour ses péchés: « Il ne
saurait racheter son âme », lui qui présume de sa vertu, de ses amis, de ses
richesses. Quels sont ceux-ci qui rachètent leur âme? Ceux à qui le Seigneur a
dit: « Faites-vous des amis avec la monnaie de l’iniquité, afin qu’ils vous
reçoivent dans des tabernacles éternels 3 ».Ceux-là donnent le prix de leur
âme, qui ne cessent de faire l’aumône. Aussi ne veut-il point que ceux qu’il
instruit par Timothée, soient orgueilleux et se glorifient de leurs richesses;
enfin il ne veut pas que leurs richesses vieillissent chez eux, mais qu’ils en
usent de façon à racheter leur âme. Car il dit: « Ordonnez aux riches du siècle
de ne point s’enorgueillir, ni de compter sur des richesses qui sont
incertaines; mais sur Dieu qui nous donne tout ce qui nous est nécessaire 4».
Et comme s’ils disaient: Que ferons-nous de nos richesses? il ajoute: « Que les
riches le soient en bonnes oeuvres, qu’ils donnent généreusement, qu’ils
fassent part de leurs biens 5 ». En cela ils ne perdront rien; d’où le
savons-nous? Ecoutez ce qui suit: « Qu’ils s’acquièrent un trésor et un
fondement solide pour
1.
Matt. XXVIII, 10.— 2. Ps. XLVIII, 9.— 3. Luc, XVI, 9.—4. I Tim. VI,17.— 5. Ibid.
l’avenir, afin qu’ils embrassent la vie
éternelle 1 ». C’est ainsi qu’ils donneront la
rançon de leur âme. Voici encore un
avertissement du Seigneur: « Faites-vous des bourses qui ne s’usent point, et
dans le ciel un trésor qui ne s’épuise jamais, dont le voleur n’approche point,
que les vers n’altèrent point 2 ». Le Seigneur n’exige donc pas que tu perdes
tes richesses, il te conseille seulement d’en changer la place. Comprenez bien
ceci, mes frères si un ami entrait dans votre maison, et qu’il vît votre
froment placé dans un endroit humide, sachant combien le blé est assujéti à la
pourriture, ce que peut. être vous ne sauriez pas, il vous donnerait un avis,
et vous dirait: Frère, vous perdez ce que vous n’avez amassé qu’avec beaucoup
de travail; vous avez mis dans un endroit humide ces blés qui seront bientôt
pourris. Que faut-il faire, lui direz-vous? Les mettre dans un endroit plus
élevé. Alors vous écouteriez cet avis amical, vous transporteriez vos blés dans
un lieu plus élevé; et vous n’écoutez pas le Christ qui vous avertit de mettre
votre trésor dans le ciel, où vous ne retrouverez pas seulement ce que vous
aurez conservé, mais où vous échangerez la terre pour le ciel, des biens du
temps pour des biens de l’éternité, où vous prêtez à usure à Jésus-Christ, et
où pour peu de choses sur la terre, il vous rendra de grands biens? Quant à
ceux qui seront enveloppés par l’iniquité de leurs voies, parce qu’ils se
confient en leur vertu, qu’ils se glorifient de leurs richesses et qu’ils
mettent leur espoir dans la puissance de leurs amis: « Ils ne donnent rien à
Dieu pour leur rançon, ils ne rachèteront point leur âme».
10. Que dit le Prophète à propos de cet
homme? « Son labeur sera éternel, sa vie aura une fin 3 ». Son labeur sera donc
sans fin, mais sa vie est bornée. Pourquoi dit-il que sa vie aura une fin?
C’est que ces hommes ne font consister la vie que dans les délices de chaque
jour. Aussi beaucoup de pauvres et d’indigents parmi nous, trop peu affermis
dans la vertu et n’envisageant point ce que Dieu leur a promis pour ces grands
travaux, quand ils voient des riches chaque jour dans les festins, radieux de
tout l’éclat de l’or et de l’argent, que disent-ils? Voilà les seuls qui
vivent, c’est là vraiment vivre. Voilà ce que l’on dit; ne le disons plus, mes
frères, je
1. I
Tim. VI, 19. — Luc, XII, 33. — Ps. XLVIII 10.
vous en avertis. Et si nous devons encore
entendre ce langage, que du moins nous l’entendions plus rarement que si nous
n’avions point été avertis. Nous n’avons pas en nous-mêmes cette confiance, que
cet avertissement fasse disparaître totalement ce langage; mais que du moins il
devienne plus rare, car on le tiendra jusqu’à la fin des siècles. C’est peu
qu’on dise d’un riche qu’il vit, on ajoute qu’il parle, qu’il tonne. Tu crois
qu’il est seul pour vivre; eh bien! qu’il vive, mais sa vie finira, car il ne
donne rien pour la rançon de son âme; sa vie finira, son labeur ne finira
point. « Il travaillera éternellement, et sa vie finira ». Comment sa vie
finira-t-elle? Comme la vie de celui qui était vêtu de pourpre et de fin lin,
qui faisait chaque jour bonne chère, qui n’avait que la hauteur et l’orgueilleux
mépris pour ce malheureux couvert d’ulcères, couché à sa porte, dont les chiens
léchaient les plaies, tandis qu’il désirait les miettes qui tombaient de la
table du riche. De quoi servirent à cet homme ses grands biens? l’un et l’autre
changèrent d’état: de la porte du riche l’un fut porté au sein d’Abraham, et de
sa table splendide l’autre fut précipité dans le feu: le premier se reposait,
le second brûlait; l’un était rassasié, l’autre avait soif; chez l’un, au
labeur temporel succédait une vie sans fin; chez l’autre, à une vie passagère
succédait une douleur éternelle. De quoi servaient les richesses à cet homme
qui, dans les flammes de l’enfer, demandait qu’une goutte d’eau tombât du doigt
de Lazare pour rafraîchir sa langue; « car », disait-il, « je brûle de cette
flamme », et cela ne lui fut point accordé 1. Il désirait une goutte d’eau
tombant du doigt de Lazare, comme celui-ci avait désiré les miettes tombant de
sa table; mais la douleur avait fini pour l’un, comme la vie avait fini pour
l’autre: la douleur de ce dernier devait être éternelle, la vie de celui-là
également éternelle. Notre vie d’ici-bas n’est proprement pas une vie pour nous
qui souffrons; mais il n’en sera pas ainsi dans la suite, notre vie sera
éternellement dans le Christ: quant à ceux qui veulent vivre ici-bas, ils
souffriront à jamais et ne vivront qu’un temps.
11. « Car celui-là ne verra point la mort
après avoir vu mourir les sages ». Celui dont le travail sera éternel, et dont
la vie
1. Luc, XVI, 19-26. — Ps. XLVIII, 11.
doit finir, « ne verra point la mort après
avoir vu mourir les sages ». Qu’est-ce à dire? C’est-à-dire que, après avoir vu
mourir les sages, il ne saura point ce qu’est la mort. Car il se dit: Cet homme
n’est-il pas mort en dépit de sa sagesse, de sa vie si régulière et de sa piété
envers Dieu? Je n’ai donc plus qu’à me livrer aux plaisirs pendant cette vie,
car la sagesse ne peut nous donner de ne point mourir. Il voit ainsi un sage
mourir, sans comprendre ce qu’est la mort. « Il ne connaîtra point la mort après
avoir vu mourir les sages ». Il ressemble aux Juifs qui ont vu le Christ cloué
à la croix, et qui l’ont méprisé en disant: « S’il était Fils de Dieu, il
descendrait de la croix 1 »: ils n’ont point vu ce que c’est que mourir. Ah! si
du moins ils eussent vu ce que c’est que mourir, s’ils l’eussent compris! Le
Christ mourait selon le temps, pour vivre selon l’éternité, et eux vivent selon
le temps pour subir une mort éternelle. Mais parce qu’ils le voyaient mourir,
ils ne voyaient point la mort, c’est-à-dire qu’ils ne comprenaient pas ce que
c’est que la véritable mort. Que disent-ils en effet, même dans leur sagesse? «
Condamnons-le à une mort honteuse, et l’on verra ce que valent ses paroles;
s’il est vraiment le Fils de Dieu, Dieu le délivrera des mains de ses ennemis 2
», et ne permettra pas qu’il meure, s’il est vraiment son Fils. Mais en le
voyant sur la croix, exposé à leurs insultants défis, sans en descendre, ils se
dirent: C’est vraiment un homme. On leur répond: Il pouvait bien descendre de
la croix, celui qui a pu ressusciter du sépulcre; mais il nous apprenait à
supporter les insultes, à n’opposer que la patience aux langues des méchants, à
boire le calice de l’amertume, et à recevoir ainsi le salut éternel. Bois donc,
ô malade, bois ce calice amer, afin d’obtenir la guérison, toi dont les
entrailles ne sont point guéries: ne crains point, c’est pour t’empêcher de
craindre que le médecin a bu le premier ce breuvage, ou que le Seigneur a
épuisé le premier le calice amer de la passion. Il l’a bu, celui qui n’avait en
lui aucun péché, qui n’avait rien à guérir. Bois à ton tour, jusqu’à ce que
l’amertume de cette vie soit passée, jusqu’à ce que vienne cette vie, qui
n’aura ni scandales, ni colère, ni envie, ni amertume, ni fièvre, ni tromperie,
ni dissensions, ni
1. Matt. XXVII, 12. — 2. Sag. II, 20.
vieillesse, ni mort, ni combat. Souffre
ici-bas, puisque fa douleur doit finir. Souffre, de peur qu’en refusant de
souffrir, tu n’arrives à la fin de ta vie sans arriver à la fin de tes
douleurs. « Il ne comprendra point la mort en voyant mourir les sages».
12. « L’imprudent et l’insensé périront
ensemble 1 ». Qui est imprudent? Celui qui l’envisage pas l’avenir. Qui est
insensé? Celui qui ne comprend pas son malheur. Mais toi, comprends ton
malheureux sort en cette vie, et pense à devenir heureux dans l’avenir.
Comprendre ton sort ici-bas, c’est n’être plus insensé; et pourvoir à ton
avenir, c’est n’être plus imprudent. Quel est celui qui pourvoit à son avenir?
C’est le serviteur à qui son maître avait donné l’administration de son bien,
pour lui dire ensuite: « Vous ne pouvez plus gouverner mes biens, rendez compte
de votre administration. Que ferai-je », dit en lui-même ce serviteur? « je ne
puis bêcher la terre, et je rougis de mendier 2 ». Mais, avec le bien de son
maître, il se fit des amis qui pussent le recevoir quand il fut privé de son
emploi. Il fit donc tort à son maître, afin de se faire des amis chez qui il
pût se retirer; mais toi, tu n’as pas à craindre de faire du tort, puisque le
Seigneur t’y engage, en te disant lui-même: « Faites-vous des amis avec la
monnaie de l’iniquité ». Peut-être tes biens ne sont-ils que le fruit de
l’injustice; ou peut-être y a-t-il injustice en ce que tu possèdes, et qu’un
autre n’a rien; que tu es dans l’abondance, un autre dans la pauvreté. Avec
cette monnaie de l’iniquité, avec ces biens que les méchants seuls appellent
des richesses, fais-toi des amis, et tu seras prudent. C’est amasser pour toi,
sans tromper personne. Tu paraîtras dissipateur, mais est-ce dissiper son
argent que de le mettre en trésor? Voyez, mes frères, les enfants qui veulent
acheter je ne sais quoi; ont-ils trouvé quelques pièces de monnaie, ils les
mettent dans quelque lieu secret, qu’ils n’ouvrent que longtemps après. Ont-ils
perdu leur trésor, parce qu’ils ne le voient point? Soyez donc sans crainte
vous-mêmes. Des enfants ont caché leur argent dans leur coffre, et sont pleins
de sécurité, et tu craindrais en le plaçant dans les mains du Christ? Sois donc
prudent, et fais-toi des ressources pour l’avenir dans le ciel. Sois prudent et
imite la fourmi,
1. Ps. XLVIII, 11. — 2. Luc, XVI, I, 2.
comme le dit l’Ecriture 1; amasse pendant
l’été, afin de ne pas souffrir de la disette en hiver: l’hiver, c’est le
dernier jour, le jour de la tribulation; l’hiver, c’est le jour des scandales
et de l’amertume: amasse aujourd’hui ce qui peut te soutenir alors: situ ne le
fais, tu mourras tout à la fois imprudent et insensé.
13. Mais ce riche est mort et on lui a fait
des funérailles dignes de lui. Voilà où les hommes en reviennent: ils ne
considèrent point la vie d’un homme, mais la pompe de ses funérailles. O
heureux celui qui fait verser tant de larmes ! Hélas! il a vécu de manière à
être regretté d’un petit nombre, et tous devraient pleurer celui qui mène une
vie si désordonnée. Mais sa pompe funèbre était magnifique; il repose dans un
riche tombeau, de précieux tissus l’enveloppent, il est tout embaumé de parfums
et d’aromates. Et puis quel tombeau on lui élève! Quel marbre superbe! Hélas!
vit-il dans ce tombeau? Il y est mort. Voilà ce que les hommes ont pris pour
des biens, et ils se sont éloignés de Dieu, et n’ont pas cherché les vrais
biens, emportés qu’ils étaient par l’éclat des biens trompeurs: aussi voyez la
suite. Celui qui n’a pas donné le prix de son âme, qui n’a pas compris la mort,
parce qu’il a vu mourir les sages, a pris place parmi les imprudents et les
insensés pour mourir avec eux. Et comment périront « ceux qui laisseront leurs
richesses aux étrangers? — L’imprudent et l’insensé doivent mourir ensemble ».
14. Ecoutez bien, mes frères ! « Et ils
laisseront leurs richesses à l’étranger». Il semble que le Prophète regarde
comme une malédiction que des étrangers possèdent leurs biens après leur mort.
Bienheureux alors ceux qui laisseront leurs biens à leurs enfants, qui ont les
leurs pour héritiers? Avoir des enfants, c’est n’être point mort. Que font les
enfants? Ils conservent à leur tour ce que leur omit laissé les parents; et
même c’est peu de le conserver, ils l’augmentent. Et pour qui conservent-ils
ces richesses? Pour leurs enfants, et ceux-ci à leur tour pour leurs enfants,
et ces troisièmes pour leurs enfants encore. Qu’y aura-t-il donc pour le
Christ? Qu’y aura-t-il pour leur âme? Tout sera-t-il pour les enfants? Entre
tous ces enfants qu’ils ont sur la terre, qu’ils daignent compter un frère
qu’ils ont au ciel, à qui ils auraient dû tout donner,
1. Prov. VI, 6; XXX, 25.
ou du moins partager avec lui. Toutefois, me
dira quelqu’un: Voilà ceux que maudit l’Ecriture: ceux qui meurent sans laisser
à leurs enfants leur héritage; elle appelle heureux celui qui leur laisse ses
possessions. Pour moi, qui prête mon oreille à la vérité, je veux examiner ce
sens, et je trouve que l’Ecriture n’a rien dit en vain. Je vois mourir en effet
beaucoup de méchants qui ont leurs fils pour héritiers; et I’Ecriture n’a pu
parler de manière à les séparer de ces misérables dont elle condamne la
conduite; et quel peut être mon sens, croyez-vous, mes frères, sinon que tous
les hommes de cette sorte laisseront leurs biens à des étrangers? Comment leurs
fils seront-ils des étrangers? Les fils des méchants sont des étrangers; nous
voyons en effet qu’un étranger devient le prochain d’un autre, dès qu’il lui
rend service. Qu’un des vôtres ne vous rende aucun service, il vous devient
étranger. Où trouvons-nous donc un étranger dont ses services ont fait un
proche? Dans l’Evangile. Un homme blessé par des voleurs gisait sur le grand
chemin, et le Seigneur avait dit à quelqu’un: « Tu aimeras le prochain comme
toi-même; et cet homme avait répondu: Qui donc est mon prochain? et le Seigneur
lui dit qu’un homme allant de Jérusalem à Jéricho tomba entre les mains des
voleurs qui le laissèrent à demi-mort »; que ses proches passèrent; car c’était
un juif qui allait aussi de Jérusalem à Jéricho; « et que le prêtre qui vint
sur ces entrefaites passa outre; qu’un lévite vint aussi et passa de même;
qu’un Samaritain vint à passer », et que ce Samaritain, que je ne connais
point, mais qui était étranger au blessé, « s’approcha de lui, considéra sa
misère, soigna ses plaies par pitié, le mit sur son cheval, le conduisit dans
une hôtellerie et le recommanda au maître de l’hôtellerie». Tout cela est une
parabole qu’il me serait trop long d’expliquer; mais, pour en revenir à ce que
j’ai avancé, mes frères, le Seigneur demanda: « Lequel des trois qui passèrent
fut le prochain du blessé? et le docteur de la loi répondit: Je crois que c’est
celui qui eut pitié de lui. Allez », dit le Sauveur, « et faites de même 1 ».
Celui-là donc est votre prochain à qui vous faites miséricorde. Si donc un
Samaritain est devenu le prochain de ce blessé par la pitié qu’il en eut,
1. Luc, X, 27-37.
par les secours qu’il lui porta; quiconque ne
peut te venir en aide au moment des afflictions, devient pour toi un étranger.
Revenons donc à ces riches qui ont vécu dans le crime, qui ont agi avec
orgueil, qui sont morts en laissant leurs richesses, je ne dis pas à des
étrangers, mais à des fils, et à des fils qui vivront comme leurs pères, qui
seront superbes comme eux, voleurs comme eux, avares comme eux: ces fils leur
sont étrangers. Et afin que vous compreniez bien qu’ils leur sont étrangers,
les héritiers de ce riche de l’Evangile que dévoraient les flammes, le
secoururent-ils? Mais, direz-vous, peut-être n’eut-il point d’héritiers
naturels, et ses biens passèrent-ils à des étrangers? L’Evangile nous dit qu’il
avait des héritiers; car il s’écrie:
« J’ai cinq frères ». Ses frères ne purent
alors le secourir au milieu des flammes dévorantes. Que dirait ce riche
aujourd’hui? « J’ai cinq frères 1 », et j’ai négligé de me faire un ami de
celui qui gisait autrefois à ma porte: ces frères qui possèdent mes biens ne
peuvent me secourir, et sont des étrangers pour moi. Vous le voyez donc, tous
ceux qui vivent mal laissent leurs biens à des étrangers.
15. Mais sans doute ces étrangers, qu’on
nomme leurs proches, leur viennent en aide? Voyez ce qu’ils peuvent leur
donner, écoutez à ce propos les railleries de l’Ecriture: « L’imprudent et
l’insensé périront ensemble, et ils laisseront leurs biens à des étrangers».
Pourquoi dit-il: « A des étrangers? » Parce qu’ils ne pourront leur être
d’aucun secours. Et toutefois voyez en quoi ils s’imaginent leur être utiles: «
Et leurs tombeaux seront leurs maisons pour l’éternité 2 ». On leur construit
des sépulcres, et ces sépulcres sont des maisons. Souvent tu entendras un riche
te dire: J’ai un palais de marbre, que je dois laisser, et je ne pense pas à me
construire une maison éternelle pour y habiter sans fin. Quand il pense à se
bâtir un sépulcre enrichi de marbre et de sculpture, il semble penser à une
maison éternelle; comme si telle était la demeure du riche de l’Evangile. Ah!
s’il y demeurait, il ne demeurerait point dans les enfers. Ce qui doit nous
préoccuper, ce n’est pas le lieu où demeurera le corps, mais bien le lieu que
doit habiter l’âme du pécheur; mais « leurs sépulcres sont leurs demeures pour
l’éternité. Leurs tentes subsisteront d’âge en âge.
1. Luc, XVI, 28. — 2.Ps. XLVIII, 12
« Leurs tentes » sont les demeures qu’ils
n’habitent que d’une manière passagère, « leurs maisons », les sépulcres qu’ils
doivent habiter à jamais. Ils laissent les tentes à leurs proches, ces tentes
qu’ils habitaient pendant leur vie, et ils vont dans leurs sépulcres comme dans
des palais éternels. De quoi leur sert que leurs tentes passent de race en
race? Et par là nous entendons qu’elles passeront à leurs enfants, leurs
petits-enfants, à leurs arrière-petits-enfants; de quoi leur serviront leurs
tentes, quel bien leur feront-elles? Oui, quel bien? Ecoutez-le. « Ils
invoqueront leurs noms dans leurs terres». Qu’est-ce à dire? Ils porteront du
pain et du vin à leurs tombeaux, et là ils invoqueront le nom des morts.
Combien pensez-vous que l’on ait invoqué le nom de ce riche, quand on
s’enivrait à son tombeau, et qu’une goutte d’eau ne tombait point sur sa langue
brûlante 1? Les hommes alors satisfont leur intempérance, mais ne soulagent
point les âmes de leurs proches. Ces âmes n’ont de richesse que les bonnes
oeuvres de leur vie; si pendant la vie elles n’ont point travaillé pour
elles-mêmes, elles ne trouvent rien à la mort. Mais que leur feront les hommes?
« Ils invoqueront seulement leurs noms dans leurs terres ».
16. « L’homme au milieu de sa grandeur ne l’a
point comprise; il s’est comparé aux animaux sans raison et leur est devenu
semblable 2 ». Quelle insulte pour des hommes qui n’ont su que faire de leurs
richesses pendant leur vie, qui ont cru se rendre heureux en se faisant un
tombeau de marbre, comme une demeure éternelle, et en faisant invoquer leur nom
sur la terre par leurs proches qui auront hérité de leurs biens ! Ils auraient
dû au contraire se préparer une demeure éternelle par de bonnes oeuvres, se
préparer une vie sans fin, envoyer leurs richesses devant eux, accomplir de
bonnes oeuvres, jeter un regard de pitié sur l’homme dans la disette, donner à
ceux qui marchaient avec eux dans la même voie, et ne point
1. Luc, XVI, 24. — 2. Ps. XLVIII, 13.
mépriser ce Christ couvert d’ulcères couché à
leur porte, et qui a dit: « Ce que vous ferez au moindre de mes frères, c’est à
moi que vous l’aurez fait 1 ». L’homme donc dans sa grandeur ne l’a point
comprise. Qu’est-ce à dire: « L’homme dans sa grandeur?» L’homme fait à l’image
et à la ressemblance de Dieu, l’homme supérieur aux animaux 2. Car Dieu n’a pas
fait l’homme de la même manière que l’animal; mais il a fait l’homme pour
dominer les animaux, et les dominer par la force, ou bien par la raison. Mais
l’homme « n’a pas compris »; et lui, qui était créé à l’image de Dieu, « s’est
comparé à l’animal sans raison, et lui est devenu semblable ». De là vient
qu’il est dit ailleurs: « Ne soyez pas semblables au cheval et au mulet, qui
sont sans intelligence 3 ».
17. «C’est là pour eux la voie du scandale
4». Qu’elle soit la voie du scandale pour eux et non pour toi. Quand le
serait-elle pour toi? Lorsque tu croiras ces hommes bienheureux. Mais si tu
comprends que ce n’est point là le bonheur, il n’y aura de scandale que pour
eux, et non pour le Christ, ni pour son corps, ni pour ses membres. « Et ensuite
ils béniront Dieu des lèvres». Qu’est-ce à dire, qu’ils béniront Dieu des
lèvres? Quand ils en sont venus à ne chercher d’autres biens que les biens
temporels, ils deviennent hypocrites; et s’ils bénissent Dieu, c’est des
lèvres, et non du coeur. De tels hommes devenus chrétiens ne peuvent entendre
parler de la vie éternelle, et dire qu’il leur faut au nom du Christ mépriser
les richesses, grimacer intérieurement; et s’ils n’osent le faire en face, par
un reste de pudeur ou par la crainte d’être réprimandés par les hommes, ils le
font de coeur et ils méprisent en eux-mêmes. La bénédiction est donc sur leurs
lèvres, la malédiction dans leurs coeurs. « Et ensuite ils béniront des lèvres
». Il serait trop long d’achever le psaume; qu’il suffise à votre charité de ce
que vous avez entendu aujourd’hui, nous achèverons demain avec le secours de
Dieu.
1.
Matt. XXV, 40.— 2. Gen. I,26.— 3. Ps. XXXI, 9.— 4. Id. XLVIII, 14.
DEUXIÈME SERMON. — L’EMPLOI DES RICHESSES (SUITE).
Les pécheurs auront pour pasteur la mort, ou
le diable qui a introduit la mort dans le monde; de même que la vie ou
Jésus-Christ est le pasteur des fidèles. Déjà ces fidèles habitent le ciel par
la foi et surtout par la charité; c’est là qu’est leur coeur. C’est de là que
leur vient la vie, car la vie du temps n’est pas la vie proprement dite. La vie
des justes paraît une folie, et un jour ils domineront les méchants qui les
prennent aujourd’hui pour des insensés. Cette vie des justes consiste dans
l’union au Créateur, qui ne promet que pour l’avenir. Travaillons au salut de
notre âme, acceptons la douleur comme un redressement, une perfection.
1. S’il vous en souvient, mes frères, nous
devons achever aujourd’hui le psaume que nous avons commencé hier. Nous en
étions arrivés à ce verset où l’Esprit de Dieu flétrit ces hommes qui n’ont de
souci que pour les biens passagers d’ici-bas, sans s’occuper nullement de ce
qui doit succéder à cette vie, sans mettre leur bonheur autre part que dans les
richesses et les honneurs du siècle, dans une vertu d’un instant; qui
n’aspirent, au moment de la mort, qu’à s’entourer d’une certaine pompe funèbre,
qu’à être ensevelis dans des tombeaux artistement ciselés, qu’à faire retentir
leurs noms dans leurs terres et dans leurs palais; mais qui ne s’inquiètent
point du sort de leur âme après cette vie; imprudents que n’effraie pas cette
parole du Christ: « Insensé, cette nuit même on te redemandera ton âme, et pour
qui sera ce que tu as amassé 1? » Ils ne considèrent point que le mauvais
riche, après avoir fait chaque jour bonne chère et s’être vêtu de pourpre et de
fin lin 2, fut condamné aux tourments de l’enfer; et qu’après les douleurs, les
ulcères et la faim, le pauvre reposa au sein d’Abraham. Voilà ce qui les
inquiète peu. Mais ils s’occupent du présent, peu soucieux pour l’avenir, sinon
de rendre célèbre sur la terre un nom réprouvé dans le ciel. C’est en faisant
le portrait de ces hommes que l’Esprit-Saint a dit: « Leur voie est pour eux la
voie du scandale, puis ils béniront Dieu des lèvres 3 ». C’est ce que Notre
Seigneur Jésus-Christ a dit de quelques-uns qui arrivent d’abord à la foi,
purifiés par la parole de Dieu et les
1.
Luc, XII, 20. — 2. Id. XVI, 19. — 3. Ps. XLVIII 14.
exorcismes faits au nom du Christ, afin de recevoir
la grâce et le baptême, et qui retournent plus tard à des désordres plus grands
que leurs désordres passés. « Leur dernier état devient pire que le premier 1
». Ainsi dit l’apôtre saint Pierre; et le Seigneur: « Le dernier état de cet
homme est pire que le premier 2 ». Pourquoi? Parce qu’auparavant c’était un
païen déclaré, et qu’aujourd’hui il est chrétien de nom, couvrant sa malice
d’un voile religieux. Leur état sera pire, est-il écrit, parce qu’il est caché,
comme il est dit: « Ils béniront Dieu des lèvres »; c’est-à-dire que le nom du
Christ est sur leurs lèvres, mais non dans leurs coeurs. C’est d’eux qu’il est
dit: « Ce peuple m’honore des lèvres, mais leur coeur est loin de moi 3 ».
Telle est la partie du psaume que nous avons expliquée.
2. Voici de quelle manière commencent les
versets à expliquer: « Ils sont comme des troupeaux dans l’enfer; la mort est
leur pasteur 4». De qui? De ceux qui ont trouvé le scandale dans leur voie. De
qui? De ceux qui ne sont occupés que du présent, sans penser à l’avenir; de
ceux qui ne croient pas à une vie autre que cette vie, laquelle mérite plutôt
le nom de mort. Ce n’est donc pas sans sujet qu’ils ressemblent à des troupeaux
dans l’enfer, ayant la mort pour pasteur. Qu’est-ce à-dire que la mort est leur
pasteur? La mort serait-elle donc une réalité ayant quelque puissance? La mort
est en effet la séparation de l’âme et du corps, et cette séparation de l’âme
et du corps, voilà ce que redoutent les hommes;
1. II Pierre, II, 20. — 2. Luc, XI, 26. — 3.
Ps. XXIX, 13.— 4. Ps. XLVIII, 15.
mais il est une mort plus réelle, et que les
hommes ne redoutent point, c’est la séparation de l’âme et de Dieu. C’est là
proprement la mort. Comment cette mort doit-elle « être pour eux un berger? »
Si le Christ est la vie, le diable est la mort. Or, nous savons par de nombreux
passages de l’Ecriture que le Christ est la vie. Mais le diable est la mort,
non que lui-même soit la mort, mais parce que la mort vient de lui. Qu’il soit
question de la mort à laquelle Adam fut condamné, elle n’est entrée que par lui
dans le genre humain; qu’il soit question de la mort qui sépare notre âme de
Dieu, elle vient encore de celui qui tomba par orgueil, et qui, jaloux de voir
l’homme se tenir debout, le renversa par une mort invisible, de manière qu’il
dut subir aussi une mort visible 1. Ceux donc qui lui appartiennent ont la mort
pour pasteur mais nous, qui pensons à un avenir immortel, te n’est pas sans
raison que nos fronts sont marqués du signe de la croix, parce que nous n’avons
d’autre pasteur que la vie. Le pasteur des infidèles est donc la mort; le
pasteur des fidèles est la vie. Quoi donc? Sommes-nous déjà dans le ciel? Nous
y sommes selon la foi. Si nous ne sommes pas dans le ciel, que devient cette
parole: Elevez vos coeurs? Si nous ne sommes pas dans le ciel, que devient ce
mot de saint Paul: « Notre conversation est dans le ciel 2? » Notre corps est
donc sur la terre, et notre coeur dans le ciel. C’est là que nous habitons, si
nous y envoyons de quoi y retenir notre coeur. Car nul n’est de coeur qu’au
lieu occupé par ses pensées; et sa pensée est au même lieu que son trésor. S’il
a son trésor sur la terre, son coeur ne s’élève pas au-dessus de la terre; et
s’il a son trésor dans le ciel, son coeur ne descend pas du ciel; le Seigneur
nous dit clairement: « Là où est votre trésor, là aussi est votre coeur 3 ».
3. Ils paraissent donc florissants ici-bas,
ceux dont la mort est le pasteur, tandis que les justes sont dans l’affliction;
mais pourquoi? parce que nous sommes encore dans la nuit. Comment dans la nuit?
C’est-à-dire que les mérites des justes n’apparaissent point, tandis que le
bonheur des impies est en évidence. Tant que dure l’hiver, l’herbe paraît plus
riante que l’arbre; car l’herbe paraît vive pendant l’hiver, tandis que l’arbre
paraît desséché: mais quand le
1. Gen, III, 1. — 2.
Phil. III, 20. — 3. Matt. VI, 21.
soleil nous donnera ses feux de l’été,
l’arbre, qui paraissait desséché pendant l’hiver, se couvrira de feuilles,
portera des fruits, tandis que l’herbe se desséchera: alors vous voyez l’arbre
dans sa gloire, tandis que l’herbe sèche et meurt. Ainsi en est-il des
afflictions des justes ici-bas, avant que l’été vienne pour eux. Leur vie est
dans la racine, et n’apparaît pas encore dans les branches. Or, notre racine
est la charité. Et que dit l’Apôtre? Que notre racine soit en Dieu, que la vie
soit notre pasteur, que notre demeure ne doit point s’écarter du ciel, que sur
cette terre nous devons vivre comme si nous étions morts, afin que, vivant des
choses d’en-haut, nous soyons morts pour celles d’ici-bas, et non morts pour
celles d’en haut, vivant pour celles d’en bas. Comme donc notre vie, non plus
que notre coeur, ne doit point s’éloigner du ciel, que nous dit saint Paul? «
Vous êtes morts». Mais ne crains pas: « Votre vie », a-t-il ajouté, « est
cachée en Dieu avec le Christ ». C’est là qu’est notre racine. Mais un jour
notre gloire apparaîtra, et nous serons revêtus de nos feuilles et de nos
fruits. Voilà ce que nous promet l’Apôtre en disant: « Lors de l’apparition du Christ,
qui est notre vie, vous apparaîtrez aussi avec lui dans la gloire 1 ». Ce sera
notre matin, car le matin n’est pas venu pour nous. Que les orgueilleux
s’enflent de vanité ainsi que les riches du siècle, que les impies aient
l’insulte pour les bons, les infidèles pour les fidèles, et qu’ils disent: De
quoi vous sert votre foi? Qu’avez-vous de plus en possédant le Christ? Que les
fidèles répondent, s’ils sont vraiment fidèles: Il est nuit, on ne voit pas
encore ce que nous possédons. Que leurs mains ne se lassent point dans les
bonnes oeuvres. Aussi est-il dit ailleurs: « Au jour de la tribulation, j’ai
cherché mon Dieu; mes mains étaient avec lui pendant la nuit, et je n’ai pas
été déçu 2 ». Au matin apparaîtra notre travail, et la récompense nous viendra
le matin: ceux qui souffrent aujourd’hui domineront ensuite; et ceux qui font
étalage de jactance et d’orgueil, seront dans la servitude. Quelle est en effet
la suite du psaume? « Ils sont comme des troupeaux dans l’enfer, la mort sera
leur pasteur, et au matin les justes domineront sur eux 3 »
4. Ce verset me paraît éclairci, parce que
1.
Coloss. III, 3,4. — 2. Ps. LXXXVI, 3 — 3. Id. XLVIII, 15.
nous avons donné auparavant le sens de
celui-ci: « Les justes domineront au matin». Endurez donc la nuit, soupirez
après le matin. Ne t’imagine pas que l’on vive la nuit, et que l’on ne vive
plus au matin. Le sommeil serait-il donc la vie, et le réveil ne serait-il pas
une vie? L’homme qui dort, au contraire, n’est-il pas plus semblable à la mort?
Et qui sont ceux qui dorment? Ceux qu’éveille saint Paul, si tant est qu’ils
veuillent s’éveiller. De qui dit-il, en effet: « Levez-vous, vous qui dormez,
sortez d’entre les morts, et Jésus-Christ vous éclairera. 1? » Donc ceux que le
Christ a éclairés, veillent déjà, mais le fruit de leurs veilles n’apparaît pas
encore; au matin il apparaîtra, c’est-à-dire quand prendra fin l’incertitude de
cette vie. Ce monde est donc une nuit; n’en vois-tu pas en effet les ténèbres?
Un homme fait le mal, il vit, il est en horreur, il fait trembler, on le
respecte; un autre fait le bien, il est réprimandé, couvert d’imprécations,
d’accusations, il souffre, il tremble: c’est là une espèce de nuit. Mais c’est
dans la racine qu’est la vigueur, le fruit, l’abondance: la vie n’est pas encore
dans les bran-cimes, mais la racine n’est point morte: on la dirait desséchée,
mais voici venir le temps où elle se couvrira de sa gloire et s’enrichira de
ses fruits. Et de ceux dont on nous défend d’être jaloux, que nous dit le
psaume? « Qu’ils se dessécheront comme le foin, et tomberont comme l’herbe des
prés 2 ». Ceux-là tomberont; quand ils verront à leur droite ces mêmes saints,
qu’ils raillaient dans les peines de cette vie, et ils se parleront eux-mêmes
avec repentir, mais avec un repentir tardif et inutile. Ayant refusé de faire
ici-bas une pénitence fructueuse, ils en feront une alors, mais une pénitence
inutile. Que diront-ils donc dans un vain repentir? « Les voilà ceux que nous
avons tournés jadis en u dérision, et comme le rebut du monde! » J’emprunte au
livre de la Sagesse ces paroles connues de ceux qui les entendent souvent.
C’est le langage futur des méchants, quand ils verront apparaître le Juge, avec
les fidèles à sa droite, et tous ses saints qui jugeront avec lui. Voilà ce
qu’ils diront, et l’Ecriture a consigné leurs paroles: « Ce sont donc là ces
hommes que nous avons tournés en dérision, que nous regardions comme le rebut
de la terre! insensés que nous étions, nous regardions
1. Eph. V, 14. — 2. Ps. XXXVI, 1, 2.
leur vie comme une folie 1 ». Quand un homme
commence à vivre pour Dieu, à mépriser le monde, quand il renonce à venger une
injure, dédaigne les biens d’ici-bas, ne cherche point en cette vie une
félicité passagère, s’élève au-dessus de tout, pour s’occuper uniquement de
Dieu, demeurer toujours dans la voie du Christ, non seulement les païens disent
de lui: C’est un insensé; mais ce qui est plus déplorable, comme il y a dans
l’Eglise beaucoup d’âmes endormies qui ne veulent point s’éveiller, on entend
des proches, on entend des chrétiens dire: Quelle folie vous est venue? Mes
frères, qu’est-ce donc que demander s’il est fou, à un homme qui vit selon le
Christ? Avons-nous réfléchi à cette parole? Nous avons horreur des Juifs qui
disent à Jésus-Christ: « Vous êtes un possédé du démon 2 ». Et quand nous
entendons ce passage de l’Evangile nous frappons nos poitrines. Il y a de la
scélératesse de la part des Juifs à dire à Jésus-Christ: « Vous êtes possédé du
démon »; et toi, ô chrétien, quand tu vois que le démon est sorti d’un cœur qu’habite
maintenant Jésus-Christ, et que tu dis: D’où vient cette folie? cet homme ne te
paraît-il point possédé du démon? On a dit du Seigneur lui-même: C’est un
insensé, quand il tenait aux Juifs un langage qu’ils ne pouvaient comprendre;
on l’a traité de fou, de possédé du démon 3; et pourtant quelques-uns sortaient
du sommeil et disaient: «Ces paroles ne sont pas d’un possédé du démon 4 ».
Ainsi en est-il aujourd’hui, quand ces paroles arrivent aux nations, à ceux qui
habitent l’univers, aux enfants de la terre, aux fils des hommes, au riche, au
pauvre, c’est-à-dire à tous ceux qui appartiennent à Adam comme à ceux qui
appartiennent au Christ; les uns disent: Tu es possédé du démon; les autres: «
Ces paroles ne sont pas celles d’un possédé ». Les uns, en effet, marchent dans
la voie du monde et n’écoutent.ces paroles que d’une manière passagère: les
autres ne les accomplissent pas en vain, mais comme il est dit: « Prêtez
l’oreille, vous qui habitez la terre 5 ». Et quand ils vivent ainsi, le fruit
est encore incertain. Quant à ceux qui font le mal et qui choisissent la vie du
monde, « la mort sera leur pasteur »; au lieu que ceux qui choisissent la vie
de Dieu, auront
1. Sag. V, 3, 4. — 2. Jean, VIII, 48. — 3.
Id. X, 20. — 4. Id. 21.— 5. Ps. XLVIII, 2.
pour pasteur la vie elle-même. Car c’est la
vie qui viendra juger et qui frappera de damnation, avec leur pasteur, ceux
auxquels elle dira: « Allez au feu éternel, qui a été préparé au diable et à
ses anges 1 ». Mais ceux qui ont reçu des insultes, et à qui leur foi a valu
dérision, entendront de la vie elle-même qu’ils auront pour pasteur: « Venez,
bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du
monde 2. Les justes domineront donc les méchants »; non point aujourd’hui, mais
au matin. Que nul ne dise: Que me sert d’être chrétien? Je ne commande à
personne, que du moins je domine les méchants. Ne vous pressez point; vous
dominerez, mais au matin. « Et leur appui se consumera dans l’enfer, après la
gloire dont ils auront joui ». Aujourd’hui ils sont dans la gloire, dans
l’enfer elle sera consumée, Qu’est-ce que leur appui? l’appui de leurs
richesses, l’appui de leurs amis,
l’appui de leur propre puissance. Mais à la
mort de l’homme, en ce jour même périront toutes ses pensées 3. Autant il avait
paru élevé en gloire, pendant qu’il vivait parmi hommes, autant la mort doit
l’humilier, l’anéantir dans les supplices de l’enfer.
5. « Mais Dieu rachètera mon âme 4 ». Ecoutez
le cri de l’espérance pour l’avenir:
« Toutefois Dieu rachètera mon âme ». C’est
peut-être le cri de l’âme qui aspire après la délivrance de cette vie. Un homme
est en prison: Dieu, dit-il, délivrera mon âme; un autre gémit dans les
chaînes: Dieu délivrera mon âme; un troisième se trouve exposé à la mer, il est
battu par les flots en courroux et tempétueux, que dit-il? Dieu délivrera mon
âme. Ils veulent être délivrés des maux de cette vie. Telle n’est point la
délivrance que l’on souhaite ici. Ecoutez la suite: « Dieu délivrera mon âme de
la puissance de l’enfer, quand il m’aura pris sous sa garde ». Dès lors il est
question de cette délivrance dont le Christ nous a donné le modèle en lui-même.
Il est descendu aux enfers et ensuite remonté au ciel. Ce que nous avons vu
dans le chef, nous le trouvons dans les membres. Notre foi dans le chef est
basée sur la prédication de ceux qui ont vu ce qu’ils nous ont annoncé, et nous
avons vu par leurs yeux, puisque nous sommes un même corps 5. Mais
1.
Matt. XXV, 41.— 2. Id. 34.— 3. Ps. CXLV, 4.— 4. Id. XLVIII, 16— 5. I Cor. XII, 12; Rom. XII,
5.
ceux-là peut-être sont plus privilégiés,
parce qu’ils ont vu, et peut-être le sommes-nous moins, parce que cela nous a
été seulement prêché? Tel n’est point le langage de celui qui est la vie et
notre pasteur. Car il reproche à un disciple son doute, et sa volonté de
toucher ses plaies; et quand ce disciple eut touché ses plaies, et se fut
écrié: « Mon Seigneur et mon Dieu », comparant l’hésitation de ce disciple avec
la foi de l’univers entier: « Vous avez cru », lui dit-il, « parce que vous avez
vu: bienheureux ceux qui ne voient pas et qui croient 1 ». « Dieu toutefois
rachètera mon âme de l’enfer, quand il m’aura pris sous sa garde ». Mais
ici-bas que faut-il attendre? le labeur, l’angoisse, la tribulation, l’épreuve:
n’espérez rien autre chose. Où donc sera la joie? Dans l’espérance de l’avenir.
Car l’Apôtre a dit: « Soyons toujours dans la joie ». Au milieu de vos
tribulations, « soyez toujours dans la joie, toujours dans la tristesse ».
Toujours dans la joie, car il a dit: « Nous paraissons dans la tristesse, et
pourtant nous sommes dans la joie 2 ». Il y a chez nous tristesse en apparence;
mais il n’en est pas de même de notre joie. Pourquoi la tristesse n’est-elle
qu’apparente? parce qu’elle passera comme un songe, « et que les justes domineront
au matin ». Car vous le savez, quiconque raconte un songe, ajoute comme; c’était comme si je voyais, comme
si je dînais, comme si j’étais à cheval, comme si je discutais. Toujours comme si, parce qu’en s’éveillant il n’a
pas trouvé ce qu’il voyait. J’avais comme
trouvé un grand trésor, dit un mendiant; sans ce comme, il ne serait pas mendiant; à cause du comme il est mendiant. Pour ceux dès lors qui ouvrent les yeux sur
les plaisirs du monde, et savent y fermer leur coeur, ce comme passe rapidement et fait place à la réalité. Leur comme est
la félicité de cette vie; la réalité, c’est la peine. Pour nous il y a comme
une tristesse, et non comme une joie. Car l’Apôtre ne dit point: Soyez comme
dans la joie, mais toujours tristes; ou: Comme dans la joie et comme dans la
tristesse; mais bien: « Comme dans la tristesse, mais toujours dans la joie ».
« Nous sommes semblables à des pauvres »; il dit ici semblables au lieu de comme, « et nous enrichissons bien des
hommes ». Et quand
1. Jean, XX, 28, 29. — 2. II Cor. VI, 10.
l’Apôtre parlait ainsi, il ne possédait rien.
Il avait tout abandonné, n’avait plus aucune richesse. Et que dit-il ensuite? «
Comme ne possédant rien »; ce dénûment est aussi un comme pour l’apôtre saint Paul. « Et possédant tout »; ici il ne dit
point comme. Il était pauvre en
apparence; mais c’était bien en réalité, et non en apparence, qu’il
enrichissait beaucoup d’hommes. Il était comme dénué, et toutefois il
possédait, non plus en apparence, mais réellement toutes les richesses. Comment
possédait-il en réalité toutes les richesses? Parce qu’il était uni au Créateur
de toutes choses. « Toutefois », dit le Prophète, « le Seigneur rachètera mon
âme de l’enfer, quand il me prendra sous sa garde ».
6. Que deviendront ceux qui désirent les
biens du monde? Tu verras un méchant dans les délices de cette vie, et ton pied
chancellera peut-être, et tu diras en ton âme: Dieu, j’ai connu les actes de
cet homme, les crimes qu’il a commis, et le voilà dans le bonheur, il fait
trembler les autres, il domine, il s’élève; il n’a pas la moindre migraine, il
n’essuie pas la moindre perte: et te voilà pris de doute contre ta foi, et ton
coeur s’écrie: Malheur à moi ! c’est en vain que j’ai la foi, Dieu n’a aucun
soin des choses d’ici-bas. Dieu donc vient nous éveiller, et que nous dit-il? «
Ne crains point, lorsqu’un homme sera devenu riche 1». Pourquoi les richesses
de cet homme t’inspiraient-elles de la crainte? Tu craignais d’avoir vainement
cru en Dieu, d’avoir perdu le fruit de ta foi, l’espérance fondée sur ta
conversion: un gain frauduleux s’est présenté, tu pouvais t’enrichir, échapper
à la misère; mais les menaces de Dieu t’ont détourné de la fraude et fait
mépriser un tel gain; tu en vois un autre qu’un gain frauduleux vient
d’enrichir, qui est exempt de peines, et tu crains ton attachement pour la
justice. « Ne crains pas », te dit l’Esprit-Saint, « quand un homme sera devenu
riche ». Tu ne veux avoir des yeux que pour les biens présents. Ce sont des
biens futurs que t’a promis celui qui est ressuscité, mais il n’a promis pour
ici-bas ni le repos ni la paix. Tout homme cherche le repos: c’est un vrai
bien, mais il ne cherche pas ce bien dans la région où il se trouve. La paix
n’est point de cette vie; c’est dans le ciel que l’on nous promet ce que nous cherchons
ici-bas:
1. Ps. XLVIII, 17.
c’est dans le siècle à venir que l’on nous
promet ce que nous cherchons dans le présent.
7. « Ne crains point quand un homme est
devenu riche, et qu’il étend la gloire de sa maison ». Pourquoi ne pas
craindre? « Car à sa mort, il n’emportera pas toutes ses richesses 1 ». Tu le
vois vivant, pense à son trépas. Tu vois ce qu’il possède, vois ce qu’il doit
emporter avec lui. Que doit-il emporter? Il a des monceaux d’or, des monceaux
d’argent, de grands domaines, de nombreux esclaves: il meurt, et tout cela va
rester il ne sait à qui. Quand même il le laisserait à ceux qu’il veut
enrichir, il ne saurait le conserver à ceux à qui il désire le conserver.
Plusieurs en effet ont acquis ce qu’on ne leur avait point laissé, et plusieurs
ont perdu ce qu’ils avaient reçu en héritage. Tout cela va donc rester, et
qu’emportera-t-il avec lui? Mais, dira-t-on, il emporte au moins le linceul
dont on l’enveloppe, et ce que l’on dépense pour lui ériger un tombeau de
marbre, qui perpétuera sa mémoire. Et moi je vous dis: Non, pas même cela. On
fait tout cela pour un homme privé de tout sentiment. Qu’on orne ainsi un homme
dans son lit, profondément endormi, il aurait du moins ces ornements avec lui;
et peut-être que, quand il serait couvert de ces riches vêtements, il se
croirait en songe couvert de haillons. L’objet qu’il se représente lui fait une
plus vive impression qu’un objet qu’il ne voit pas. Bien qu’il n’en doive pas
juger ainsi à son réveil, néanmoins l’impression de ce qu’il voyait en songe
était plus forte que celle de tout ce qu’il ne voyait pas. Donc, mes frères,
que les hommes se disent: Que l’on fasse à ma mort de somptueuses dépenses,
qu’ai-je à faire de si riches héritiers? Ils auront dans mes biens une assez
forte part; il est bien juste que j’en détache une partie pour mon corps. Que
peut posséder une chair déjà morte? que peut posséder une chair déjà en
pourriture, une chair privée de sentiment? Si cet homme, dont la langue était
desséchée 2, possédait quelque chose, que l’homme, j’y consens, emporte de son
bien. Est-ce bien là, mes frères, ce que nous lisons dans l’Evangile? Ce riche
avait-il dans les flammes ses vêtements de soie et de lin? Etait-il dans les
enfers comme dans ses festins somptueux? Non, il n’avait point toutes ses
richesses quand la soif le
1. Ps. XLVIII, 18. — 2. Luc, XVI, 24.
dévorait et qu’il demandait un goutte d’eau.
L’homme n’emporte donc rien avec lui, et ce n’est point lui qui reçoit ce que l’on
donne à sa sépulture. Il n’y a d’homme, que quand il y a sentiment. Où il n’y a
plus de sentiment, il n’y a plus d’homme. On voit seulement par terre le vase
qui renfermait l’homme, la maison qui le renfermait. Nous appelons le corps une
maison, et l’âme est le maître qui y demeure. Cette âme est donc tourmentée
dans les enfers: de quoi lui sert que le corps soit enveloppé de précieux
tissus, dans les parfums et dans les aromates? Comme si tu ornais les murailles
d’un palais dont le maître est en exil. Voilà cet homme qui souffre de la faim
et de la soif dans l’exil, à peine a-t-il une hutte où il puisse prendre son
sommeil, et tu dis: Qu’il est heureux d’avoir un si beau palais! Qui ne prendra
ta parole pour une folie ou pour une raillerie? Tu ornes le corps, et l’âme est
dans les tourments. Fais quelque chose pour l’âme, et tu auras fait quelque
chose pour le mort. Mais que lui donneras-tu, quand il a désiré une goutte
d’eau sans l’obtenir? Il n’a pas voulu jeter avant lui quelque peu de son bien.
Pourquoi n’a-t-il pas voulu? Parce que « cette voie est pour eux la voie du
scandale ». Il n’a envisagé que la vie présente, il n’a eu d’autre souci que
d’être enseveli dans des habits précieux. Son âme lui est enlevée, selon cette
parole du Sauveur: « Insensé, on va cette nuit te redemander ton âme, et à qui
appartiendra ce que tu as amassé 1? » Ainsi s’accomplit en lui cette parole de
notre psaume: « Ne craignez point, quand un homme sera enrichi, et quand sa
gloire s’étendra sur sa famille; car en mourant il n’emportera pas toutes ses
richesses, et sa gloire ne le suivra point dans le tombeau ».
8. « Son âme a reçu des bénédictions en cette
vie 2 ». Redoublez d’attention, mes frères: « Son âme a reçu des bénédictions
en cette vie ». Tant que ce riche a vécu, il s’est fait du bien. Tel est le
langage de tous, langage bien faux. Le bien n’était que dans l’esprit de celui
qui le bénissait, et non dans réalité. Que dis-tu, en effet? qu’il a mangé,
qu’il a bu, qu’il a fait à sa volonté, qu’il a vécu dans les festins
splendides, et qu’ainsi il s’est fait du bien? Et moi, je dis qu’il s’est fait
du mal. Car ce n’est point moi, mais Jésus-Christ
1. Luc, XII, 20. — 2. Ps. XLVIII, 19.
qui dit que cet homme s’est fait son malheur.
Quiconque voyait ce riche chaque jour en festin, croyait qu’il se traitait
bien, et quand il a dû brûler dans les enfers, ce que l’on croyait bien, est
devenu un mal, car il digérait dans les enfers ses festins d’ici-bas. Je parle
de l’iniquité qui faisait sa nourriture. Sa bouche charnelle prenait des mets
délicats, et la bouche de son coeur se repaissait d’iniquité. Cette nourriture
de l’injustice que prenait ici-bas la bouche de son coeur, voilà ce qu’il
digérait dans les supplices de l’enfer. Le plaisir de manger ne dura qu’un
temps, la digestion sera éternelle. On mange donc l’iniquité, me dira
quelqu’un? que signifie manger l’iniquité? Ce n’est point moi qui parle ainsi,
mais bien l’Ecriture; écoutez: «Comme le raisin vert est pour les dents, la
fumée pour les yeux, telle est l’iniquité pour celui qui la commet 1 ». Se
nourrir en effet de l’iniquité, ou la commettre volontiers, c’est ne plus se
nourrir de la justice. Or, la justice est un pain. Quel pain? « Je suis le pain
de vie descendu du ciel 2 ». Tel est le pain de notre coeur. Celui qui mange
des raisins verts en a les dents agacées et ne peut plus manger de pain, il ne
peut plus que dire qu’il est bon sans pouvoir y toucher; ainsi en est-il de
celui qui s’est nourri d’iniquité, qui a donné le péché en pâture à son coeur;
incapable de manger le véritable pain, il en est réduit à louer la parole de
Dieu sans l’accomplir. Pourquoi ne l’accomplit-il point? A peine se met-il en
devoir, qu’il est pris de douleur, de même que nos dents nous font souffrir,
quand nous voulons manger du pain après avoir mangé des raisins verts. Mais que
font ceux qui ont les dents agacées? Ils s’abstiennent pendant quelque temps de
manger des raisins verts, et leurs dents reprennent cette solidité, qui leur
permet de manger du pain. Ainsi en est-il de nous qui faisons l’éloge de la
justice. Si nous voulons en faire notre aliment, abstenons-nous de toute
iniquité, et alors naîtra dans notre coeur non seulement le bonheur de louer la
justice, mais le bonheur de nous en nourrir. Qu’un chrétien dise: Dieu sait que
j’aime le bien, mais que je ne puis le faire: il a les dents agacées, longtemps
il s’est nourri d’iniquité. On se nourrit donc de justice? Si elle n’était pas
un aliment, Dieu ne dirait point: « Bienheureux ceux qui ont
1. Prov. X, 26.— 2. Jean, VI, 41.
faim et soif de la justice 1». Donc, puisque
« l’âme de cet homme sera bénie pendant sa vie », les bénédictions seront
ici-bas pour lui, et les tourments après la mort.
9. « Il vous louera si vous lui faites du
bien ». Considérez cette vérité, qu’elle vous nourrisse, qu’elle soit enracinée
dans vos coeurs et soit votre aliment. Voyez ces hommes, gardez-vous de leur
ressembler prenez garde surtout à ces paroles: « Il vous louera, si vous lui
faites du bien». Combien de chrétiens, mes frères, qui remercient Dieu seulement
quand il leur arrive quelque bien? C’est accomplir cette parole: « Il vous
bénira quand vous lui ferez quelque bien ». Il vous bénira et dira:
Véritablement vous êtes mon Dieu: il m’a délivré de ma prison et je le bénirai.
Il lui survient quelque bonheur, et il bénit Dieu; quelque malheur, et il
blasphème. Quel fils es-tu donc, pour qu’un père te déplaise alors qu’il te
châtie? Le ferait-il situ ne lui déplaisais? Et situ lui déplaisais au point
d’encourir sa haine, voudrait-il te redresser? Rends donc grâces à celui qui te
redresse, afin que tu puisses recueillir l’héritage du Dieu qui te châtie. Te
redresser, c’est te perfectionner; et s’il te redresse fortement, c’est qu’il
te réserve un héritage précieux. Si tu compares en effet ces châtiments avec
les biens qu’il te réserve, tu trouveras que ces châtiments ne sont rien. Saint
Paul nous dit à ce propos: « Les afflictions si courtes et si légères de la vie
présente, nous préparent un poids incroyable de gloire ». Mais pour quel
moment? « Ne considérons point les choses visibles, mais bien les choses
invisibles; non plus celles du temps, mais celles de l’éternité. Ce que l’on
voit est passager, ce que l’on ne voit pas est éternel 2 ». Et ensuite: « Les
douleurs de la vie présente ne sont-point comparables à la gloire future qui
doit éclater en nous 3 ». Qu’est-ce donc que ta douleur? Mais, diras-tu, elle
dure toujours, soit, Depuis ta naissance, dans tous les âges jusqu’à l’extrême
vieillesse, jusqu’à la mort, tu dois souffrir comme Job; qu’un homme endure
depuis l’enfance ce que Job a enduré quelque temps, néanmoins les douleurs
passeront et auront une fin; la récompense de ces douleurs sera éternelle. Ne
compare plus les maux avec les biens, mais le temps avec l’éternité, situ le
peux.
1.
Matt. V, 6. — 2. II Cor. IV, 17, 18. — 3. Rom. VIII, 18.
10. « Il vous bénira si vous lui faites du
bien e ». Qu’il n’en soit pas ainsi de vous, mes frères; considérez que, si je
vous tiens ce langage, si nous chantons ce psaume, si je me fatigue à vous
l’expliquer, c’est pour vous détourner d’en agir de la sorte. Vos occupations
deviennent pour vous une épreuve: souvent dans votre négoce vous entendez la
vérité, et alors vous blasphémez, vos blasphèmes retombent sur l’Eglise.
Pourquoi? parce que vous êtes chrétiens. S’il en est ainsi, je vais chez Donat,
direz-vous, je veux me faire païen. Pourquoi? Parce que vous avez touché le
pain du bout des dents, et que vos dents étaient agacées. A la vue de ce pain,
vous le vantiez: vous y avez mis la dent et vous l’avez sentie endolorie;
c’est-à-dire que vous applaudissez en écoutant la parole de Dieu, mais que vous
blasphémez, quand on vous dit: Faites ceci. N’agissez plus de la sorte; dites
plutôt: Ce pain est excellent, mais je ne puis en manger; au lieu que
maintenant tu le bénis en le voyant des yeux, et tu te récries:
Qu’il est mauvais ! qui donc l’a fait? dès
que tu en goûtes. Par cette conduite tu bénis Dieu quand il te fait du bien; et
pour toi, dire: «Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sera toujours
en ma bouche 1 », c’est là un véritable mensonge. Ce que chantent vos lèvres
doit aussi sortir de votre coeur. Tu as chanté dans l’Eglise: « Je bénirai le
Seigneur en tout temps ». Comment en tout temps? s’il t’arrive en tout temps
quelque gain, tu le bénis en tout temps; mais qu’un jour arrive la perte, et
alors aussi arrive le blasphème, et non la louange: est-ce bien là le bénir en
tout temps? est-ce bien là sa louange qui est toujours dans ta bouche? Tu
ressemblerais à celui dont le Prophète a dit: « Il vous bénira, Seigneur, quand
vous lui aurez fait quelque bien ».
11. « Il ira jusqu’où sont allés ses pères
2»; c’est-à-dire qu’il imitera ses ancêtres. Les méchants d’aujourd’hui ont des
frères, ont une lignée. Les méchants d’autrefois sont les pères de ceux d’aujourd’hui;
et les méchants d’aujourd’hui sont les pères des méchants à venir; de même que
les anciens justes sont les pères de ceux d’aujourd’hui, comme ceux
d’aujourd’hui les pères des justes qui viendront après eux. L’Esprit-Saint a
voulu nous montrer que la justice n’est point à condamner,
1. Ps. XXXIII, 2. — 2. Id. XLVIII, 20.
bien que les méchants blasphèment contre
elle, mais que ces hommes ont leur père dans la suite des âges. Adam eut deux
fils; chez l’un fut l’iniquité, chez l’autre la justice:
Caïn était méchant, mais Abel était juste.
Or, l’iniquité sembla dominer la justice, puisque l’injuste Caïn tua le juste
Abel 1, pendant la nuit. Etait-ce le matin? Mais au matin les justes
prévaudront sur les méchants. Ce matin viendra donc et l’on verra où est Abel,
où est Caïn. Ainsi en est-il de tous ceux qui auront suivi Caïn, comme de ceux
qui auront suivi Abel. « Il ira jusqu’où sont allés ses pères: il a perdu la
lumière pour toujours». Quand il était en cette vie, il était dans les
ténèbres, s’applaudissait des faux biens, n’aimait point les véritables: voilà
pourquoi il sera précipité dans l’enfer, et passera des ténèbres de l’illusion
aux ténèbres des tourments. Donc « ils seront éternellement privés de lumière
». Mais pourquoi? Voici à la fin du psaume la réponse donnée au milieu: «
L’homme était en honneur, il ne l’a pas compris, il s’est comparé aux animaux
sans raison et leur est devenu semblable 2 ».
1. Gen. IV, 8.— 2. Ps. XLVIII, 21.
Quant à vous, mes frères, considérez que vous êtes les hommes créés à
l’image de Dieu, et à sa ressemblance 1. Cette image est intérieure en vous,
elle n’est pas dans votre corps; ni ces oreilles que vous voyez, ni ces yeux,
ni ces narines, ni ce palais, ni ces mains, ni ces pieds ne sont à la
ressemblance de Dieu, qui est néanmoins en vous: où est l’intelligence, où est
l’esprit, où est la raison qui recherche la vérité, où est la foi, où est votre
espérance, où est votre charité, là est aussi l’image de Dieu. C’est au moins
là que vous comprenez et que vous voyez que tout passe ici-bas, comme il est
dit dans un autre psaume: « Quoique l’homme passe avec l’image de Dieu, il est
néanmoins inutilement troublé: il amasse, et ne sait pour qui 2. Ne vous
troublez donc point: quels que soient ces biens, si vous êtes élevés en honneur
et intelligents, vous verrez qu’ils passent bien vite. Car si vous n’êtes point
élevés en honneur, et si vous n’avez point l’intelligence, vous êtes comparés
aux animaux sans raison, et vous leur devenez semblables.
1. Gen. I, 26. — 2. Ps. XXXVIII, 7.
Le Dieu qui appelle à la foi la terre entière
et non l’Afrique seulement, est le Dieu des dieux, c’est-à-dire des anges et
des saints, qui sont les cohéritiers de Jésus-Christ, qui doivent entrer en
participation de sa gloire, aussi bien que le Dieu des démons, qui à leur tour
sont les dieux des nations. Il a parlé et fait éclater sa gloire à Jérusalem
d’abord, puis dans les nations par le moyen des Apôtres. Mais pendant sa vie et
à la croix, il était caché et parlait miséricorde; à sa résurrection il parut
un Dieu même à Thomas; tel il viendra au grand jour parler justice. Le feu qui
le précède n’est qu’un châtiment vulgaire, le plus terrible c’est la privation
de Dieu. Alors se fera la séparation; les uns, figurés par les cinq vierges
sages, les cinq frères du mauvais riche, les cent cinquante-trois poissons,
monteront en haut pour juger avec Dieu. Ils ont fait miséricorde et ont offert
le sacrifice de louanges, non avec des animaux, mais avec la sainteté du coeur
et des oeuvres. Ce sacrifice, le pécheur ne peut l’offrir. Crime du scandale,
de la détraction. Glorifions-nous, mais en Dieu.
1. C’est à chacun de nous, mes frères, de
voir en lui-même l’efficacité de la parole de Dieu pour amender notre vie, nous
faire espérer ses récompenses et craindre ses châtiments; c’est à nous, dans ce
péril extrême, de mettre sous nos yeux notre conscience, sans déguisement comme
sans flatterie; car, vous le voyez, le Seigneur notre Dieu ne flatte personne.
S’il nous console en nous promettant des biens, en soutenant nos espérances, il
n’épargne aucunement ceux qui mènent une vie
coupable et n’accueillent sa parole qu’avec mépris. Que chacun s’interroge
donc, alors qu’il en est temps, qu’il voie où il en est, et’ qu’il persévère
dans le bien ou se détourne du mal. Car ce n’est point un homme, ni même un
ange, mais bien « le Dieu des dieux, le Seigneur qui nous parle », comme il est
dit dans notre psaume. Mais en parlant qu’a-t-il fait? « Il a appelé la terre
depuis l’Orient jusqu’à l’Occident 1». Celui qui a appelé la terre depuis
l’Orient jusqu’au couchant, c’est Jésus-Christ Notre Seigneur et Sauveur, le
Verbe qui s’est tait chair pour habiter parmi nous 2. Notre Seigneur
Jésus-Christ est donc le Dieu des dieux, parce que tout a été fait par lui, et
que rien ne l’a été sans lui. Le Verbe de Dieu, s’il est Dieu, est assurément
le Dieu des dieux; or, 1’Evangile nous répond qu’il est Dieu: « Au commencement
était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu 3 ». Et. si
tout a été fait par lui, comme le dit ensuite l’évangéliste, il faut que les
dieux qui ont été faits l’aient été par lui. Car il n’y a qu’un Dieu qui n’a
pas été fait, et celui-là est vraiment le seul Dieu. Or, ce seul Dieu, Père,
Fils et Saint-Esprit, est un Dieu unique.
2. Quels sont donc, et où sont ces dieux, qui
ont pour Dieu le Dieu véritable? Un autre psaume a dit: « Dieu s’est assis dans
la synagogue des dieux, il est au milieu des dieux pour les juger 4». Nous ne
savons encore s’il n’y aurait pas dans le ciel quelques autres dieux, dans
l’assemblée ou dans la synagogue desquels Dieu siégerait pour les juger. Voyez
dans le même psaume à qui Dieu adresse ces paroles: « J’ai dit: Vous êtes des
dieux, vous êtes tous les enfants du Très-Haut, et néanmoins vous mourrez comme
des hommes, vous tomberez comme un des princes 5 ». Il est évident par là que
ceux qu’il appelle dieux sont des hommes déifiés par sa grâce, et non point nés
de sa substance. Celui-là seul peut justifier qui a la justice par lui-même et
non par un autre. De même que celui-là peut déifier, qui est Dieu par lui-même
et non par un autre; or, celui qui justifie est aussi celui qui déifie, parce
qu’en nous justifiant, il fait de nous des enfants de Dieu. « Il leur a donné
le pouvoir de
1. Ps. XLIX, 1.—2. Jean, I, 14.— 3. Id. I. — 4. Ps. LXXXI, 1. — 5. Id. 6.
« devenir fils de Dieu 1». Devenir fils de
Dieu, c’est devenir des dieux; et toutefois nous ne sommes tels que par la
grâce de l’adoption, et non par la nature ou la naissance. Il n’est qu’un seul
Fils de Dieu, Dieu unique avec son Père, c’est Notre Seigneur et Sauveur
Jésus-Christ, le Verbe qui était au commencement, Verbe en Dieu et Verbe Dieu.
Ceux qui deviennent des dieux, le deviennent par la grâce de Dieu; ils ne naissent
point de sa substance, de manière à être ce qu’il est lui-même; il leur fait la
faveur d’arriver jusqu’à lui, et d’être ainsi les cohéritiers de Jésus-Christ.
Tel est en effet la charité de cet héritier, qu’il a voulu des cohéritiers.
Quel homme dans son avarice voudrait que d’autres entrassent en partage avec
lui? S’il s’en trouvait pour en vouloir et partager avec eux l’héritage, sa
part serait bien moindre que s’il l’eût possédé tout entier; mais l’héritage
que nous partageons avec le Christ, ne diminue point par le nombre des
possesseurs; quel que soit le nombre des cohéritiers, la part n’en est point
rétrécie; mais elle est aussi large pour un grand nombre que pour un petit
nombre; celle de chacun vaut toutes les autres. «Voyez », nous dit un Apôtre, «
quel amour le Père a eu pour nous, appelés enfants de Dieu et qui le sommes en
effet 2 ». Et ailleurs: «Mes bien-aimés, nous sommes enfants de Dieu; « et ce
que nous serons un jour ne paraît pas encore ». Nous le sommes donc en
espérance, et pas encore en réalité. « Car nous savons », dit le même Apôtre, «
que quand il apparaîtra, nous serons semblables à lui, parce que nous le
verrons tel qu’il est 3. » Un seul est semblable à lui par la naissance, nous
le serons par la vue. Car nous ne serons pas semblables à lui de la même
manière que le Fils, qui est tout ce qu’est celui qui l’a engendré; nous serons
semblables sans être égaux, tandis que le Fils est d’abord égal, et par là même
semblable. Nous avons vu ceux qui sont devenus des dieux par la justification,
et qui sont appelés fils de Dieu; mais ces autres dieux qui ne sont point des
dieux, pour qui le Dieu des dieux est terrible, quels sont-ils? Il est dit dans
un psaume que « Dieu est terrible par-dessus tous les dieux ». Et comme si l’on
demandait: Quels sont ces autres dieux? il ajoute: « Les dieux des nations sont
tous des démons 4 ». Dieu donc est terrible
1. Jean, I, 12. — 2. I Jean, III, 1. — 3. Id.
2. — 4. Ps. XCV, 4,5
pour les dieux des nations, pour les démons; aimable
pour les dieux qu’il a faits, pour ses enfants. De là vient que nous voyons la
majesté de Dieu proclamée par les uns et par les autres, et les démons ont
confessé le Christ, et les fidèles ont aussi confessé le Christ. « Vous êtes le
Christ, Fils du Dieu vivant 1», s’écria saint Pierre. « Nous savons qui vous
êtes, le Fils de Dieu 2 », lui dirent les démons. Je trouve donc la même
confession, sans trouver la même charité; ou plutôt la charité est d’une part,
de l’autre, la crainte. Ils sont donc enfants de Dieu ceux qui le trouvent
aimable; ceux qui le trouvent terrible, ne sont point ses enfants; il a fait
dieux ceux qui le trouvent aimable, et il a convaincu de n’être pas dieux ceux
qui le trouvent terrible. Les uns deviennent des dieux, les autres en ont
l’apparence; la vérité donne aux uns la divinité, l’erreur l’attribue aux
autres.
3. Donc « le Dieu des dieux a parlé »; et
parlé en différentes manières. C’est lui qui a parlé au moyen des anges, qui a
parlé dans les Prophètes 3, qui a parlé de sa propre bouche, qui a parlé dans
ses Apôtres, qui parle dans ses fidèles, qui se sert de notre bassesse pour
vous dire ce que nous disons de vrai. Voyez donc ce qu’a fait au moyen de ce
langage si répété, si diversifié, qui nous vient par tant d’organes, par tant
d’instruments, ce Dieu qui les touche, qui les accorde, qui les inspire. « Car
il a parlé et il a appelé la terre». Quelle terre? l’Afrique peut-être? Car on
entend dire que l’Eglise du Christ, c’est le parti de Donat. Dieu n’a pas
seulement appelé l’Afrique, mais il n’a pas séparé l’Afrique du reste du monde.
Car celui qui « a appelé la terre de l’Orient au couchant », qui n’a laissé
aucune partie du monde sans l’appeler, a trouvé l’Afrique dans les peuples
qu’il daignait appeler à lui. Que l’Afrique se réjouisse d’être appelée, sans
se glorifier d’être séparée. Nous le disons avec raison, le Dieu des dieux a
fait entendre sa voix en Afrique, mais sans l’y borner; car « il a appelé la
terre de l’Orient à l’Occident». Il ne reste aux hérétiques ni ténèbres pour
cacher leurs embûches, ni ombres pour voi1er leur dogme erroné; car, « nul ne
peut se dérober au feu de ce soleil 4 ». Celui qui a appelé la terre, a appelé
toute la terre; celui
1.
Matt. XVI, 16.— 2. Marc, I, 24.— 3. Héb. I, 1. — 4. Ps. XVIII, 7.
qui a appelé la terre, l’a appelée telle
qu’il l’a créée. Pourquoi m’apporter de faux christs et de faux prophètes? Que
me veulent ces hommes qui cherchent à m’enlacer dans leurs discours captieux,
en disant: « Le Christ « est ici, ou il est là 1?» Je ne comprends rien quand
on me montre des parties; le Dieu des dieux me montre l’univers entier; lui qui
« a appelé la terre de l’Orient jusqu’à l’Occident », l’a rachetée sans
exception; il a condamné ceux qui divisent par la calomnie.
4. Mais après avoir vu que c’est la terre qui
est appelée depuis l’Orient jusqu’à l’Occident; depuis quel temps celui qui l’a
appelée a-t-il commencé à l’appeler? Ecoutez cette parole: « C’est de Sion que
lui vient l’éclat de sa beauté 2 » Ce passage du psaume est d’accord avec
l’Evangile, qui dit: « Allez dans toutes les nations, en commençant par
Jérusalem ». Remarquez: « Dans toutes les nations; il a appelé la terre depuis
l’Orient jusqu’à l’Occident ». Ecoutez encore: « En commençant par Jérusalem;
c’est de Sion que lui vient l’éclat de sa beauté ». Donc, « il a appelé la
terre depuis l’Orient jusqu’à l’Occident », est analogue à ces paroles du
Seigneur: « Il fallait que le Christ souffrît, qu’il ressuscitât d’entre les
morts le troisième jour, et qu’en son nom la pénitence et la rémission des
péchés fussent prêchées parmi les peuples 3 ». Car tous les peuples sont
disséminés de l’Orient à l’Occident. Quant à cette parole: « C’est de Sion que
lui vient l’éclat de la beauté », ou que l’Evangile a commencé à jeter son
éclat, puisque c’est là que l’on a d’abord annoncé celui qui est le plus beau
parmi les enfants des hommes 4, elle est analogue à ces mots du Seigneur: « En
commençant par Jérusalem ». Les nouvelles Ecritures s’accordent avec les
Ecritures anciennes, comme les anciennes avec les nouvelles; les deux séraphins
se disent mutuellement: « Saint, Saint, Saint est le Seigneur, le Dieu des
armées 5 ». Les deux Testaments sont d’accord, et tous deux n’ont qu’une même
voix; écoutons la voix de ces deux Testaments, si unis entre eux, et rejetons
les calomnies des déshérités. Voilà donc ce qu’a fait le Dieu des dieux: « Il a
appelé la terre de l’Orient à l’Occident », et sa beauté lui est venue de Sion.
C’est là qu’étaient les
1. Matt. XXIV, 23. — 2. Ps. XLIX, 2. — 3.
Luc, XXIV, 46, 47. — 4. Ps. XLIV, 3. — 5. Isa. VI, 3.
disciples qui reçurent l’Esprit-Saint, quand
il descendit du ciel, au cinquantième jour après la résurrection du Christ 1.
De là nous vient I’Evangile, de là cette prédication, qui remplit l’univers
entier, et cela par la grâce de la foi.
5. Car le Seigneur étant venu sur la terre,
est venu caché, parce qu’il venait pour souffrir: ayant la force en lui-même,
il a paru néanmoins dans l’infirmité de la chair. Il devait être vu, mais sans
être compris, et méprisé afin d’être mis à mort. L’éclat de sa gloire était
dans sa divinité; mais elle se dérobait sous le voile de la chair. Car si les
Juifs l’eussent connu, ils n’eussent jamais crucifié le Seigneur de la gloire
2. Il a donc vécu caché au milieu des Juifs, au milieu de ses ennemis, opérant
des miracles, souffrant des injures, jusqu’à ce qu’il fût suspendu à la croix,
et que les Juifs l’y voyant suspendu lui prodiguassent outrage sur outrage,
branlant la tête devant la croix et s’écriant: « S’il est le Fils de Dieu,
qu’il descende de la croix ». Donc, le Dieu des dieux était caché, et lorsqu’il
parlait, il nous faisait entendre la voix de la miséricorde plutôt que celle de
la majesté. Comment pouvait-il dire autrement qu’en notre nom: « O Dieu, mon
Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné 4? » Quand le Père aurait-il quitté le
Fils, ou le Fils quitté le Père? Le Père et le Fils ne sont-ils pas un seul
Dieu? Cette parole: « Mon Père et moi sommes un », n’est-elle donc pas d’une
vérité absolue? D’où vient alors: « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous
abandonné? » si ce n’est le cri du pécheur dans l’infirmité de la chair? Lui
qui a pris la ressemblance de la chair de péché 6, pourquoi ne prendrait-il pas
une voix qui ressemblât à la voix du pécheur? Le Dieu des dieux était donc
caché, lorsqu’il vivait parmi les hommes, lorsqu’il avait faim et soif, lorsque
la fatigue le faisait asseoir, lorsqu’il dormait pour soulager sa lassitude,
lorsqu’il était saisi, flagellé, amené devant le juge, et qu’il réprimait son
orgueil en lui disant: « Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir s’il ne te venait
d’en haut 7 »; et lorsqu’il a été conduit à la mort, sans ouvrir sa bouche, non
plus que l’agneau devant celui qui le tond 8, et lorsqu’il a été cloué à la
croix, puis
1.
Act. II, 4.— 2. I Cor. II, 8.— 3. Matt. XXVII, 39.— 4. Ps. XXI, 2; Matt. XXVII,
46.— 5. Jean, X, 30. Rom. VIII, 8.— 6. Jean, XIV, 11. — 7. Isa. LIII, 7.
enseveli, le Dieu des dieux a toujours été
caché. Mais qu’arriva-t-il après sa résurrection? Les disciples furent d’abord
dans la stupeur, et refusèrent d’y croire jusqu’à ce qu’ils l’eussent touché de
leurs propres mains 1. C’était la chair qui était ressuscitée, parce que la
chair seule avait pu mourir; mais la divinité, qui ne peut mourir, était voilée
par cette même chair ressuscitée. On pouvait voir la forme du corps, toucher
les membres, palper les blessures; mais le Verbe par qui tout a été fait, qui
pourra le voir? le toucher? le palper? Et pourtant, « ce Verbe s’est fait chair
et a demeuré parmi nous 2». Et Thomas, qui touchait la chair, comprenait Dieu
autant que possible. Car, après avoir touché les plaies, il s’écria: « Mon
Seigneur et mon Dieu 3 ». Or, le Seigneur leur montrait cette forme, cette
chair qu’ils avaient vue clouée à la croix et déposée dans le sépulcre. Il en
agit ainsi avec eux pendant quarante jours. Il ne se montra point aux Juifs
impies; il se montra seulement à ceux qui avaient cru en lui avant qu’il fût
crucifié, afin de fortifier par sa résurrection ceux que sa croix avait
ébranlés. Le quarantième jour, il décrivit son Eglise ou la terre qu’il appelle
depuis l’Orient jusqu’à l’Occident, afin de ne laisser point d’excuse à ceux
qui veulent périr dans le schisme, et il monta au ciel en disant: « Vous serez
mes témoins à Jérusalem », d’où a jailli l’éclat de sa gloire, et dans toute la
Judée, et dans la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre ». A ces mots,
une nuée le reçut, et les disciples regardaient celui qu’ils avaient connu,
mais qu’ils n’avaient connu que dans l’humilité et non dans la gloire. Comme il
se séparait d’eux pour aller au ciel, des anges leur dirent: « Hommes de
Galilée, pourquoi demeurer là? Ce Jésus que vous voyez monter au ciel, en
descendra de la même manière que vous l’avez vu s’y élever 4 ». Il monta donc,
et les disciples retournèrent à Jérusalem pour y demeurer, selon l’ordre qu’il
leur en avait donné, jusqu’à ce qu’ils fussent remplis de l’Esprit-Saint. Mais
qu’avait-il dit à Thomas qui le touchait? « Tu as cru, parce que tu as vu;
bienheureux ceux qui ne voient point et qui croient 5 ». C’est de nous que
parlait le Sauveur. Cette terre appelée de l’Orient à l’Occident ne voit pas,
et pourtant elle croit.
1.
Luc XXIV, 37. — 2. I Jean, I, 14. — 3. Id. XX, 28. — 4. Act. I, 3-12. — 5.
Jean, XX, 29.
Donc le Dieu des dieux était caché, et pour
ceux parmi lesquels il vivait, et pour ceux qui l’ont crucifié, e-t pour ceux
dont les yeux le virent ressusciter, et pour nous qui croyons qu’il est assis
dans les cieux, et qui ne l’avons point vu conversant sur la terre. Mais quand
nous le verrions, verrions-nous autre chose que les Juifs qui l’ont crucifié?
Il est mieux pour nous de ne pas voir le Christ et de le croire Dieu, que pour
eux de l’avoir vu et de l’avoir cru simplement un homme. Ils crurent à l’erreur
et le firent mourir; nous croyons à la vérité, et de là nous vient la vie.
6. Quoi! mes frères, ce Dieu des dieux, alors
caché, main-tenant caché, sera-t-il donc toujours caché? Assurément non:
écoutez ce qui suit: « Dieu viendra ostensiblement 1 ». Il est venu caché, il
viendra au grand jour. Il est venu caché pour être jugé, il viendra au grand
jour pour juger; il est venu caché pour se présenter devant un juge, il viendra
au grand jour pour juger les juges eux-mêmes: « Il viendra donc au grand jour
et ne se taira point ». Comment donc? Est-ce qu’il se tait maintenant? D’où
vient alors ce que nous vous prêchons? D’où viennent ces préceptes? D’où ces
conseils? D’où vient cette trompette effrayante? IL ne se tait pas et pourtant
il se tait, Il ne se tait pas à l’égard des avertissements, il se tait quant à
la vengeance; il ne se tait pas à l’égard des préceptes, il se tait à l’égard
des peines. Il tolère chaque jour les crimes des pécheurs, qui n’ont souci de
Dieu ni dans leur conscience, ni dans le ciel, ni sur la terre: rien de tout
cela ne lui échappe, et il avertit généralement tous les hommes, et quand il en
châtie quelques-uns sur la terre, c’est un avertissement et pas encore une
condamnation. Il s’abstient donc de juger, il demeure caché dans le ciel, il
intercède encore pour nous; il est patient envers les pécheurs, il ne
s’abandonne point à son indignation, mais il attend leur repentir. Il dit
ailleurs: « Je me suis tu, me tairai-je donc toujours 2? » Quand il ne se taira
plus, c’est donc alors « que Dieu viendra au grand jour ». Quel Dieu? « Notre
Dieu ». C’est vraiment notre Dieu qui est lieu. Les dieux des nations sont des
démons, le Dieu des chrétiens est le Dieu véritable. Il viendra, mais au grand
jour, non plus pour lIre exposé aux outrages, ni souffleté,
1. Ps. XLIX, 3. —2. Isa. XLII, 14.
ni flagellé; il viendra, mais au grand jour,
non pour qu’on le frappe d’un roseau sur la tête, non pour qu’on l’attache à la
croix, qu’on le fasse mourir, qu’on l’ensevelisse: c’est là tout ce qu’a voulu
souffrir le Dieu caché. II viendra au grand jour et ne se taira point.
7. La suite du psaume nous montre qu’il
viendra pour juger. « Un feu marchera devant lui 1 ». Devons-nous craindre?
Changeons-nous, et nous ne craindrons plus. La paille peut craindre le feu,
mais que peut le feu sur l’or? Il ne tient qu’à toi de ne pas éprouver ce que
tu éprouveras malgré toi, si tu ne te corriges. Quand même nous pourrions
empêcher l’arrivée de ce jour du jugement, il me semble néanmoins qu’il ne
faudrait pas vivre dans le désordre. Quand même le feu ne serait pas à craindre
au jour du jugement, et que les pécheurs n’auraient à redouter que d’être
séparés de Dieu, quelles que fussent d’ailleurs leurs délices; dès qu’ils ne
verront point celui qui les a créés, qu’ils seront privés des ineffables douceurs
de sa face, ils auront encore à pleurer, quelle que soit leur éternité et
l’impunité de leurs crimes. Mais que dirai-je, et à qui le dirai-je? Les coeurs
qui aiment Dieu comprennent seuls ce châtiment, et non ceux qui le méprisent.
Ceux qui sentent quelque peu la douceur de- la sagesse et de la vérité,
comprennent mes paroles et savent ce qu’il y a de pénible dans la séparation de
Dieu; mais ceux qui n’ont point goûté cette douceur n’ont qu’à redouter le feu.
S’il n’aspire point à voir Dieu, qu’il redoute les tourments, celui que
n’attirent point les récompenses. Si tu n’as que mépris pour les promesses de
Dieu, crains du moins ses menaces, On te promet de voir Dieu, et cette promesse
ne te fait ni changer, ni tressaillir, ni soupirer, ni désirer: tu te plonges
dans le péché, dans les délices de la chair, tu amasses de la paille, et le feu
viendra. « Un feu brûlera en sa présence ». Ce feu sera loin de ressembler à
celui de ton foyer; et pourtant, s’il te fallait y mettre la main, tu ploierais
à la volonté de celui qui t’en menacerait. S’il te disait: Signe contre ton
père, signe contre tes enfants, autrement je vais mettre ta main au feu; tu
ferais tout pour épargner cette douleur à ta main, pour épargner à l’un de tes
membres la douleur d’un moment, car cette douleur ne serait pas éternelle. Tu
fais
1. Ps. XCVI, 3.
donc le mal pour éviter une douleur si légère
dont te menace un ennemi, et tu ne fais pas le bien quand le Seigneur te menace
d’un malheur éternel ! Nulle menace ne devrait te porter à faire le mal, comme
nulle menace ne devrait te détourner de faire le bien. Mais les menaces du
Seigneur, les menaces du feu éternel t’interdisent le mal et te stimulent pour
le bien, D’où vient cette torpeur, sinon de ton peu de foi? Que chacun alors
sonde son coeur et voie ce qu’y produit la foi, Si nous croyons au jugement à
venir, mes frères, vivons dans la vertu. C’est maintenant le temps de la
miséricorde, celui du jugement viendra ensuite. Nul ne dira: Faites--moi
retourner à mes années premières. Ce sera le temps des regrets, mais des
regrets superflus: qu’il se repente, maintenant que la pénitence est utile;
qu’on mette de l’engrais sur les racines de l’arbre, c’est-à-dire le deuil du
coeur et les larmes, de peur que Dieu ne vienne et ne l’arrache 1. Lorsqu’il
sera arraché, il n’attendra plus que le feu. Maintenant on peut encore insérer
de nouveau les rameaux retranchés 2: « Alors, tout arbre qui ne porte pas de
bons fruits sera coupé et jeté au feu 3 ». « Un feu brûlera en sa présence ».
8. « Et autour de lui une tempête effroyable
4 ». Elle sera grande, la tempête qui vannera l’aire si spacieuse du Seigneur;
c’est ce tourbillon dont le souffle doit séparer les saints de tout ce qui est
impur, et les fidèles des hypocrites, et les âmes pieuses qui craignent le
Seigneur, de tous les orgueilleux qui le méprisent. Aujourd’hui, tout est
mélangé de l’Orient à l’Occident. Voyons ce que fera celui qui doit venir, ce
qu’il fera dans cet ouragan, qui sera « autour de lui une tempête horrible».
Sans nul doute, un tel ouragan fera une séparation, et telle est la séparation
que n’ont pas attendue ceux qui ont rompu les filets avant d’arriver au rivage
5. Or, cette séparation établit une différence entre les bons et les méchants,
Aujourd’hui, en effet, il en est qui suivent le Christ, qui. ont déchargé leurs
épaules des soins embarrassants de cette vie, qui n’ont pas entendu en vain ces
paroles: « Si vous voulez être parfait, vendez ce que vous possédez et
donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel, puis venez et
suivez-moi 6 ». C’est à eux
1. Luc, XIII, 8.— 2. Rom. XI, 19.— 3. Matt.
III, 10.— 4. Ps. XLIX, 3. — 5. Luc, V, 6.— 6. Matt. XIX, 21.
qu’il est dit: « Vous vous assiérez sur douze
trônes, pour juger les douze tribus d’Israël 1 ». Les uns donc jugeront avec le
Seigneur, tandis que les autres seront jugés et passeront à la gauche. Que les
uns doivent juger en effet avec le Sauveur, nous en avons un témoignage évident
que je viens de vous citer: « Vous vous assiérez sur douze trônes, pour juger
les douze tribus d’Israël ».
9. Mais, dira quelqu’un, les douze Apôtres,
et pas plus, doivent siéger avec le Christ, Où donc sera l’apôtre saint Paul?
Doit-il en être séparé? Loin de nous de tenir ce langage! loin de nous de le
penser même intérieurement ! Mais peut-être, dira-t-on, devra-t-il occuper la
place de Judas? Cependant l’Ecriture fait connaître celui qui fut ordonné pour
le remplacer: car Matthias est désigné si expressément, que le doute n’est pas
possible 2. La chute de Judas n’empêche pas que le nombre de douze ne soit
complet. Mais si les douze trônes sont occupés par les douze Apôtres, Paul ne
jugera donc point? Ou peut-être jugera-t-il debout? Nullement. Dieu dans sa
justice ne le souffrira point il ne jugera point debout, celui a travaillé plus
que tous les autres 3. Ce seul apôtre saint Paul nous force donc d’examiner, de
rechercher avec plus de soin pourquoi l’Evangile a précisé douze trônes Il y a
dans l’Ecriture, en effet, d’autres nombres pour exprimer une multitude. Cinq
vierges sont admises, et cinq autres exclues 4. Entendez ces vierges comme il
vous plaira, soit de la chasteté et de l’intégrité du coeur, comme doit être
vierge cette Eglise à qui il est dit: « Je vous ai fiancée à cet unique Epoux,
pour vous présenter à Jésus-Christ comme une vierge sans tache 5 »; soit de
cette pureté de la chair que de saintes femmes ont vouée à Dieu: est-ce que
dans tant de milliers, cinq seulement seront élues? Le nombre de cinq nous
marque seulement la continence dans les sens de la chair au nombre de cinq. Les
uns, en effet, se perdent par les yeux, d’autres par l’ouïe, d’autres par des
odeurs illicites, plusieurs par un goût dépravé, plusieurs enfin par des
embrassements adultères: voilà donc en nous cinq portes de corruption, et
quiconque les ferme par la continence, et une continence qui s’appuie sur le
1.
Matt. XX, 28. — 2. Act. X, 26.— 3. I Cor. XV, 10, —4. Matt. XXV, 10, 12. — 5.
II Cor. XI,
2.
témoignage de la conscience, ne doit pas s’en
référer aux louanges des hommes: voilà les cinq vierges sages qui portent leur
huile avec elles 1. Qu’est-ce à dire qu’elles ont leur huile avec elles? C’est
là notre gloire, le témoignage de notre conscience 2. Le riche dévoré dans les
flammes de l’enfer, nous dit encore: « J’ai cinq frères 3 ». C’est là l’image du
peuple juif qui était sous la loi: car Moïse leur législateur, a écrit cinq
livres. De même encore le Seigneur, après sa résurrection, ordonna de jeter le
filet du côté droit, et les pécheurs prirent cent cinquante-trois poissons; «et
nonobstant ce grand nombre », dit l’Evangile, « le filet ne se rompit point 4».
Avant sa passion, il avait fait jeter le filet, sans indiquer la droite ou la
gauche: s’il eût dit, en effet, la droite, il eût désigné les bons seulement,
et seulement les méchants s’il eût indiqué la gauche; mais quand il n’y a ni
droite ni gauche, c’est qu’on pêche les méchants mêlés aux bons. On en prit
tant alors que le filet se rompait, au témoignage de l’Evangile 5. Cette pêche
désignait le temps présent: les filets qui se rompent, ce sont les déchirures,
les divisions des hérétiques et des schismatiques. Mais ce que fit le Sauveur
après sa résurrection, nous montre ce qui doit arriver quand nous serons
ressuscités, dans ce grand nombre marqué pour le ciel, où nul méchant ne doit
se trouver. Les filets jetés à droite, désignent les bons, séparés des hommes
de la gauche. Mais ceux de la droite ne seront-ils composés que de cent
cinquante-trois justes? L’Ecriture parle de mille millions 6. Lisez
l’Apocalypse, et vous verrez que le seul peuple juif fournit douze fois douze
mille élus 7. Voyez le grand nombre des martyrs: non loin d’ici la seule Masse blanche 8, comme on l’appelle, a
plus de cent cinquante-trois martyrs. Enfin, ces sept mille hommes dont il est
dit à Elie: « Je me suis réservé sept mille hommes qui n’ont point courbé le
genou devant Baal 9 », surpassent de beaucoup le nombre de ces poissons. Donc
ces cent cinquante-trois poissons 10, ne fixent pas le nombre des saints, mais
l’Ecriture a ses raisons pour désigner par ce nombre déterminé l’universalité
des saints et des justes; en sorte que ces cent cinquante-trois nous marquent
tous ceux qui appartiennent
1.
Matt. XXV, 14.— 2. II Cor. I, 12. — 3. Luc, XVI, 28. — 4. Jean, XXI, 6, 11. — 5.
Luc, V, 6. — 6. Dan. VII, 10. — 7. Apoc. VII, 4.— 8. V. Serm.
CCCVI, n. 2.— 9 III Rois, XIX, 18.— 10. Jean, XXI, 11.
à la résurrection pour la vie éternelle. Car
la loi renferme dix préceptes et l’Esprit de grâce par lequel on les accomplit a
sept dons 1. Cherchons donc la signification de ces deux nombres dix et sept:
dix préceptes, sept dons de l’Esprit de grâce qui nous aide à accomplir les
préceptes. Ce nombre de dix-sept renferme donc ceux qui appartiennent à la
résurrection, qui sont à droite, qui auront part au royaume des cieux, à la vie
éternelle, c’est-à-dire qui accomplissent la loi par la grâce de
l’Esprit-Saint, et non par leurs propres oeuvres ou par leurs propres mérites.
Prenez maintenant ce nombre de dix-sept, et additionnez ensemble tous les
autres nombres depuis un jusqu’à dix-sept, en ajoutant deux à un, puis trois,
puis quatre, de manière à faire dix, puis cinq qui donneront quinze, puis six,
vingt et un, puis sept, vingt-huit, puis huit, trente-six, puis neuf,
quarante-cinq, puis dix, cinquante-cinq, puis onze, soixante-six, puis douze,
septante-huit, puis treize, nonante-un, puis quatorze, cent cinq, puis quinze,
cent vingt, puis seize, cent trente-six, puis dix-sept, cent cinquante-trois;
et vous trouverez que le nombre de saints est admirablement exprimé par ce
petit nombre de poissons. De même donc que ces cinq vierges expriment des
vierges sans nombre, de même que les cinq frères de celui qui était torturé
dans les enfers désignent des milliers dans le peuple juif, de même que les
cent cinquante-trois poissons désignent des milliers de millions d’élus, de
même sur les douze trônes, il ne s’assiéra pas douze juges seulement, mais le
grand nombre des parfaits.
10. Mais je vois ce que vous me demandez
encore: de même que je vous ai montré comment cinq vierges en désignent
beaucoup d’autres, comment les cinq frères expriment un grand nombre de Juifs,
et comment enfin le nombre de cent cinquante-trois désigne tant d’élus,
montrez-nous, me direz-vous, pourquoi et comment ces douze trônes, au lieu de
marquer douze hommes seulement, en désignent un si grand nombre? Pourquoi ces
douze trônes, qui désignent ceux de tous les endroits du monde qui auront pu
rivaliser de perfection avec les parfaits auxquels il fut dit: « Vous serez assis
sur douze trônes pour juger les douze tribus d’Israël 2? » Pourquoi ces hommes
venus de toutes parts sont-
1. Isa. XI, 23. — 2. Matt. XIX, 23.
ils désignés par le nombre douze? Parce que
cette expression de toutes parts se
dit de l’univers entier; or, l’univers entier a quatre parties, l’orient et
l’occident, le midi et l’aquilon: comme donc ceux qui sont parfaits dans la
foi, et par l’obéissance à la Trinité, sont appelés, au nom de la Trinité, de
ces quatre parties du monde, et que quatre, trois fois répété, donne douze,
vous devez comprendre pourquoi doivent être au nombre de douze ceux qui
jugeront Israël, car Israël était divisé en douze tribus, et ces douze tribus
désignent tout Israël. De même que les juges seront rassemblés des quatre coins
du monde, de même aussi viendront des quatre coins du monde ceux qui devront
être jugés. L’apôtre saint Paul, reprenant les laïques d’entre les fidèles, qui
ne portaient point leurs procès au tribunal de l’Eglise, mais qui traînaient
devant le tribunal public leurs adversaires dans des affaires litigieuses, leur
dit « Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges 1? » Voyez comment il
s’établit juge, et non seulement lui, mais tous ceux qui jugent équitablement
dans l’Eglise?
11. Il est donc évident que plusieurs doivent
juger avec le Sauveur, et que d’autres seront jugés, non pas également, mais
selon leurs mérites; le Christ doit venir avec ses anges, les peuples de la
terre seront rassemblés devant lui 2, et parmi les anges on doit compter ceux
qui ont été assez parfaits pour s’asseoir sur les douze trônes, et juger les
douze tribus d’Israël. Car des hommes sont aussi appelés des anges; l’Apôtre a
dit de lui-même: « Vous m’avez accueilli comme l’ange du Seigneur 3 ». Il est dit
de Jean-Baptiste: « Voilà que j’envoie devant votre face mon ange, qui
préparera la voie devant vous ». Donc, en venant avec ses anges, il viendra
avec ses saints. C’est ce qu’Isaïe nous dit clairement: « il viendra juger avec
les anciens de son peuple 4». Or, ces anciens du peuple, ceux qui sont appelés
des anges, ces millions d’élus qui viendront de tous les points du monde, c’est
là ce qu’on appelle le ciel. D’autres sont appelés la terre; mais une terre
fertile. Quelle est cette terre fertile? Celle qui doit être à la droite, et à
qui l’on dira: « J’ai eu faim, et vomis m’avez donné à manger 5»; c’est une
terre vraiment
1. I
Cor. VI, 3.— 2. Matt. XXV, 31, 32.— 3. Gal. IV, 14.— 4. Malach.
III, 1; Matt. XI, 10. — Isa. III, 14. — 5. Matt. XXV, 35.
fertile qui comblait de joie saint Paul, en
lui envoyant de quoi subvenir à ses besoins: « Ce n’est pas que je désire vos
dons », leur dit-il, « mais je cherche le fruit qui vous en reviendra ». Il les
remercie en disant: « Vos premiers sentiments pour moi ont refleuri 1 ». Il
dit: « Ont refleuri », comme s’il parlait d’un arbre frappé d’une certaine
stérilité. Mais pour continuer notre psaume, que fera le Seigneur quand il
viendra pour nous juger? « Il appellera les cieux en haut ». Il appellera donc
en haut le ciel ou tous les saints, tous les parfaits qui doivent juger, ceux
qui doivent s’asseoir pour juger les douze tribus d’Israël 2. Comment les
appellera-t-il en haut, puisque le ciel est toujours en haut? Mais ailleurs il
nomme les cieux ceux qu’il appelle ici le ciel. Quels cieux? Ceux qui racontent
la gloire de Dieu. « Les cieux publient la gloire de Dieu »,et dont il est dit:
« Leur voix se répand sur tous les confins de la terre, et leurs paroles
jusqu’aux extrémités du monde 3 ». Voyez comme le Seigneur discernera dans son
jugement: « Il appellera les cieux en haut, ainsi que la terre, pour séparer
son peuple ». De qui, sinon des méchants? de ceux dont il n’est plus fait
mention, comme étant déjà condamnés au supplice. Vois donc et reconnais les
bons. « Il appellera les cieux en haut ainsi que la terre, pour séparer son
peuple ». Il appelle la terre, non pour la confondre, mais pour la séparer.
D’abord il a fait appel aux hommes sans discernement, quand le Dieu des dieux a
parlé, pour appeler la terre depuis l’Orient jusqu’à l’Occident; il n’avait
fait aucun discernement: ses serviteurs étaient allés convier aux noces, et
avaient rassemblé les bons et les méchants 4 ». Mais quand le Dieu des dieux
viendra d’une manière ostensible, et qu’il ne se taira point, « il appellera le
ciel « en haut», pour juger avec lui. Tel en effet est le ciel, tels sont les
cieux, comme la terre et les terres, 1’Eglise et les Eglises. « Il appellera
donc le ciel en haut, ainsi que la terre, pour séparer son peuple ». C’est donc
avec le ciel qu’il a fait le discernement de la terre, ou le ciel s’est joint à
lui pour faire ce discernement. Mais comment faire la séparation sur la terre?
En mettant les uns à droite, les autres à gauche. Que dit-il à la terre ainsi
1. Philipp. IV, 10, 17. — 2. Matt. XIX, 28. —
3. Ps. XVIII, 2, 5. — 4. Matt. XXII, 10.
séparée? « Venez, bénis de mon Père, recevez
le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde. Car j’ai eu faim, et
vous m’avez donné à manger », et le reste. Mais eux, « quand vous avons-nous vu
avoir faim », lui diront-ils? Et lui: « Quand vous l’avez fait au moindre des
miens, c’est à moi que vous l’avez fait 1». Le ciel montre à la terre que ses
plus petits ont été appelés en haut, et tirés de leur bassesse: « Quand vous
l’avez fait au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez fait ». « Il
appellera le ciel en haut, ainsi que la terre, pour séparer son peuple ».
12. «Rassemblez autour de lui ses justes 2 ».
Telle est la voix de Dieu et du Prophète qui voyait l’avenir comme s’il eût été
présent, et qui commande aux anges de rassembler les hommes. « Il enverra ses
anges, et ils rassembleront devant lui toutes les nations 3. « Rassemblez les
justes autour de lui ». Quels sont ces justes, sinon ceux qui vivent de la foi,
qui font des oeuvres de miséricorde? Car ces oeuvres sont des oeuvres de
justice. Tu lis dans l’Evangile: « Prenez garde de faire votre justice en
présence des hommes pour en être vus 4». Et comme si l’on demandait: Quelle
justice? l’Evangéliste ajoute: « Ainsi en faisant l’aumône 5 ». Donc l’aumône
désigne ici les oeuvres de justice. Rassemblez donc ses justes, rassemblez ceux
qui ont pris en pitié le pauvre, qui ont eu l’intelligence du pauvre et de
l’indigent: assemblez-les, afin que le Seigneur les conserve et les vivifie 6:
« Rassemblez-lui ses justes; tous ceux qui contractent avec lui une alliance
par le sacrifice », c’est-à-dire, qui pensent à ses prouesses dans les bonnes
oeuvres qu’ils font. Car ces oeuvres sont des sacrifices, puisque le Seigneur a
dit: « Je préfère la miséricorde au sacrifice 7 ». Ils contractent donc une
alliance avec lui par le sacrifice.
13. « Les cieux annonceront sa justice 8 ».
Oui, en effet, les cieux nous ont annoncé la justice de Dieu. Les évangélistes
l’ont prêchée. Par eux nous avons appris que ceux-là seraient à sa droite, à
qui le Père de famille dirait: « Venez, bénis de mon Père, et recevez ». Que
recevrez-vous? « le royaume ». Pourquoi? « Parce que j’ai eu faim, et que vous
m’avez donné à manger 9 », Quoi de
1.
Matt. XXV, 34-40. — 2. Ps. XLIX, 1. — 3. Matt. XXV, 32. — 4. Id. VI, 1 — 5. Id.
2. — 6. Ps.
XL, 2, 3. — 7. Osée, VI, 6; Matt. IX, 13. — 8. Ps. XLIX, 6. — 9. Matt. XXV, 34.
-
plus vulgaire, de plus terrestre, que de
donner un morceau de pain à celui qui a faim? Voilà ce que coûte le royaume des
cieux. « Partage ton pain avec celui qui a faim, et reçois sous ton toit celui
qui n’a pas d’asile; si tu vois un homme nu, couvre-le 1 » - Mais si tu n’as ni
pain à partager avec lui, ni logis à lui offrir, ni habit pour le vêtir,
donne-lui un verre d’eau froide 2; mets seulement deux deniers dans le trésor
3. Ces deux deniers valurent à la veuve ce que valut à Pierre d’abandonner ses
filets, et à Zachée de donner la moitié de son bien 4. Ce royaume coûte ce que
vous avez. « Les cieux donc annonceront sa justice, car le Seigneur est juges.
Oui, vraiment juge, ne confondant rien, discernant tout. « Car le Seigneur
connaît ceux qui sont à lui 5». Bien que les grains soient cachés dans la
paille, le laboureur les connaît. Que nul ne craigne d’être le bon grain,
fût-il mêlé à la paille, car les yeux de notre vanneur ne peuvent se tromper.
Ne crains donc pas que la tempête qui se fera autour de lui te confonde avec la
paille. La tempête sera violente à la vérité, et pourtant elle n’ôtera pas un
seul grain de blé pour le jeter avec la paille; car le juge ne sera point
quelque homme agreste avec son trident, mais bien le Dieu Trinité. « Les cieux
annonceront sa justice, car le Seigneur est un juge. Que les cieux aillent et
qu’ils prêchent, que leur voix gagne les confins de la terre, et que leurs
paroles se répandent jusqu’aux extrémités du monde 6 »; et que ce grand corps
dise à Dieu: « Des confins de la terre j’ai crié vers vous, quand mon coeur
était dans l’angoisse 7 » Aujourd’hui qu’il est dans la confusion, il gémit;
après le discernement, il sera dans la joie. Qu’il élève donc la voix et qu’il
dise: « Ne perdez point mon âme avec les impies, et ma vie avec les hommes de
sang 8 ». Le Seigneur ne nous perdra pas avec eux, parce qu’il est un juge.
Qu’il crie donc vers lui, et lui dise: « Jugez-moi, Seigneur, et séparez ma
cause de celle d’un peuple impie » Qu’il parle ainsi et Dieu l’écoutera; et
tous ses justes se presseront autour de lui. « Il a appelé la terre pour
séparer son peuple ».
14. « Ecoute, mon peuple, et je te parlerai
10».
1.
Isa. LVI I, 7.— 2. Matt. X, 42. — 3. Marc, XII, 42.— 4. Luc, XIX, 8. — 5. II
Tim. 11, 19.— 6. Ps. XVIII, 5. — 7. Id. LX, 3. — 8. Id. XXV, 9. — 9. Id. XLII, 1. — 10.
Id. XLIX, 7.
Voyez qu’il ne se tait pas maintenant, si
vous prêtez l’oreille, celui qui doit venir et qui ne se taira point. «Ecoute,
ô mon peuple, et je te parlerai ». Car si tu n’écoutes, je ne parlerai point. «
Ecoute, et je te parlerai ». Si tu n’écoutes, je parlerai, mais non pour toi.
Quand donc te parierai-je? quand tu écouteras. Quand écouteras-tu? Quand tu
seras mon peuple. « Ecoute, ô toi qui es mon peuple ». Tu n’écoutes pas, si tu
es un peuple étranger. « Ecoute, ô mon peuple, et je te parlerai. Israël, je te
rendrai témoignage ». Ecoute, Israël, écoute ô mon peuple. Israël est un nom
choisi: « On ne t’appellera plus Jacob, est-il dit, Israël sera ton nom 1» -
Ecoute donc comme Israël, comme celui qui voit Dieu; pas encore face à face,
mais par la foi. Car Israël signifie celui qui voit Dieu. « Qu’il entende,
celui qui a des oreilles pour entendre 2, et qu’il voie, celui qui a des yeux
pour voir. Ecoute, Israël, et je te rendrai témoignage ». Celui qui disait plus
haut: « Mon peuple », dit ensuite: «Israël »; et après avoir dit: « Je te
parlerai », il dit: « Je te rendrai témoignage ».Que dira donc à son peuple
celui qui est le Seigneur notre Dieu? Quel témoignage rendra-t-il à son Israël?
Ecoutons: « Moi Dieu, je suis ton « Dieu ». Je suis Dieu et suis ton Dieu.
Qu’est-ce à dire: « Je suis ton Dieu? » C’est-ce qui fut dit à Moïse: « Je suis
celui qui suis 3 ». Qu’est-ce à dire encore: « Je suis ton Dieu? »Je suis le
Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob. Je suis Dieu et je suis ton
Dieu. Et quand même je ne serais pas ton Dieu, je suis Dieu. Je suis Dieu pour
mon bonheur, et ce serait ton malheur si je n’étais pas ton Dieu. Car à vrai
dire, cette parole: « Je suis ton Dieu», ne s’adresse qu’à celui que Dieu
traite plus familièrement, qu’il regarde comme son serviteur fidèle, comme son
bien. « Moi Dieu, je suis ton Dieu ». Que veux-tu de plus? Voudrais-tu demander
à Dieu qu’il te récompense, qu’il te donne quelque bien qui t’appartiendrait en
propre? Ce Dieu qui te le donnerait se donne lui-même à toi. Y a-t-il rien de
plus riche? Tu voulais un don, tu as le donateur. «Moi Dieu, je suis ton Dieu».
15. Voyons ce que Dieu exige de l’homme; quel
tribut veut lever sur nous notre Dieu, notre chef et notre roi; car il a voulu
être pour nous un roi, il veut que nous soyons sa province. Ecoutons ses édits.
Que le pauvre
1. Gen. XXXII, 28. — 2. Matt. XI, 15. — 3.
Exod. III, 14.
ne craigne point les édits du Seigneur,
puisqu’il nous donne le premier ce qu’il exige de nous; donnez-le seulement de
bon coeur. Dieu n’exige de nous rien qu’il ne nous ait donné, et il a donné à
tous ce qu’il demande à tous. Qu’exige-t-il en effet? Ecoutons: « Je ne
t’accuserai point au sujet de tes sacrifices 1 ». Je ne te dirai point:
Pourquoi ne m’as-tu pas immolé un taureau puissant? Pourquoi n’as-tu pas choisi
dans ton troupeau le plus fort des chevreaux? Pourquoi se promène-t-il dans le
bercail, au lieu d’être sur mon autel? Je ne dirai point: Cherche dans tes
champs, dans ton parc, dans ta maison, de quoi m’offrir. Non, « je ne
t’accuserai point au sujet de tes sacrifices ». Quoi donc? Vous n’acceptez
point mes sacrifices pour agréables? « Vos holocaustes sont toujours en ma
présence ». Il parle de certains holocaustes dont il est dit dans un autre
psaume: « Si vous aviez voulu des sacrifices, je vous en aurais offert, mais
les holocaustes ne vous sont point agréables »; puis le psalmiste ajoute: « Le
sacrifice qui plaît à Dieu est une âme brisée, et Dieu ne dédaigne pas un coeur
contrit et humiliée ». Quels sont donc les holocaustes que Dieu ne méprise pas?
Quels holocaustes sont toujours en sa présence? «O Dieu»,continue le Prophète,
« dans votre amour, répandez vos bénédictions sur Sion, élevez les murs de
Jérusalem; c’est alors que vous recevrez le sacrifice de justice, et les
offrandes et les holocaustes 3 ». Il assure que Dieu recevra certains
holocaustes. Quand y a-t-il holocauste? quand toute la victime est consumée par
le feu; des mots grecs kausis action
de brûler, et olon entièrement:
holocauste signifie donc brûlé totalement. Or, il est un feu qui vient d’une
charité très-fervente; que notre âme soit donc embrasée de cette flamme de
l’amour, que cette charité s’empare de nos membres et les fasse servir à son
usage; qu’elle ne les laisse point au service de l’iniquité, afin qu’il soit
totalement embrasé du feu de l’amour divin, celui qui veut offrir à Dieu un
holocauste. Voilà « ces holocaustes qui sont toujours en ma présence ».
16. Mais peut-être que cet Israël ne comprend
point encore les sacrifices que Dieu toujours en sa présence, et qu’il pense à
ses boeufs, à ses chevreaux, à ses béliers. Arrière
1. Ps. XLIX, 8. — 2. Id. L, 18-20. — 3. Id.
20, 21.
cette pensée: « Je n’accepterai point les
veaux de tes étables’ 1 ». J’ai parlé d’holocauste, et déjà ta pensée courait à
des troupeaux terrestres, tu m’y choisissais quelque pièce bien grasse: « Je
n’accepterai point les veaux de tes étables ». Le Prophète annonce ici le
Nouveau Testament, qui a mis fin aux anciens sacrifices. Car ils figuraient ce
sacrifice à venir, dont le sang devait nous purifier. « Je n’accepterai point
les veaux de vos étables, ni les boucs de vos troupeaux ».
17. « Les bêtes des forêts m’appartiennent 2
». Pourquoi tenir de toi ce que j’ai créé? Sont-ils plus à vous à qui j’en ai
donné la possession, qu’à moi qui les ai créés? « C’est donc à moi
qu’appartiennent les hèles des forêts ». Mais, dira peut-être cet Israël, les
animaux sont à Dieu; oui, pour ces bêtes que je enferme pas dans mes enclos,
que je n’attapas dans mon étable; mais ce boeuf, cette brebis, ce chevreau,
sont bien à moi. « C’est à moi qu’appartiennent les animaux qui paissent sur
les montagnes, ainsi que les brebis ». A moi ce que tu ne possèdes pas, à moi
ce que tu possèdes. Si tu es en effet mon serviteur, tes biens m’appartiennent
totalement; et tandis que tout le bien que s’amasse un esclave est à son
maître, on ne aurait soustraire à la possession du maître ce qu’il a créé pour
cet esclave. Elles m’appartiennent donc ces bêtes des forêts, que tu n’as pas
soumises; ils m’appartiennent aussi les troupeaux qui paissent sur les
montagnes, et ces boeufs qui sont dans tes étables: tout m’appartient, puisque
j’ai tout créé.
18. «Je connais tous les oiseaux du ciel 3».
Comment Dieu les connaît-il? Il les a suspendus dans les cieux, les a comptés;
qui d’entre nous connaît tous les oiseaux du ciel? Quand le Seigneur nous
donnerait la connaissance de tout ce qui vole dans les airs, lui ne les connaît
point de la manière qu’il permet à l’homme de les connaître. Autre est la
connaissance chez Dieu, autre est la connaissance chez l’homme; de même autre
est pour Dieu posséder, et autre pour l’homme; c’est-à-dire que Dieu possède
bien autrement que les hommes. Pour toi, en effet, ce que tu possèdes n’est pas
complètement en ton pouvoir, puisque tu ne saurais à ton gré faire vivre un
boeuf ou l’empêcher de mourir ou de paître l’herbe. Celui qui a le souverain
1. Ps. XLIX, 9.— 2. Id. 10. — 3. Id, 11.
pouvoir, a aussi la connaissance la plus
étendue comme la plus secrète. Reconnaissons-le à la gloire de Dieu. Loin de
vous de dire Comment Dieu peut-il connaître? N’attendez pas de moi, mes frères,
que je vous explique la manière dont connaît le Seigneur; ce que je puis vous
dire, c’est qu’il ne connaît point comme les hommes, ni même comme les anges;
mais je n’oserais dire comment il connaît, je ne puis même le savoir. Toutefois
je sais une chose, c’est que Dieu savait ce qu’il devait créer, même avant
qu’il y eût aucun oiseau. Mais quelle connaissance en avait-il? O homme, depuis
ta naissance, depuis que tu as reçu le sens de la vue, tu as considéré des
oiseaux. Ces oiseaux sont sortis de l’eau à la parole de Dieu, qui a dit: « Que
les eaux produisent des oiseaux 1 ». Où Dieu connaissait-il ce qu’il commandait
à l’eau de produire? Car il connaissait ce qu’il avait créé, et il le connaissait
avant de l’avoir créé. Telle est donc pour Dieu la connaissance, que toutes les
créatures étaient en lui d’une manière ineffable, avant leur création; mais
exigera-t-il de toi ce qu’il avait avant même de rien créer? « Je connais tous
les oiseaux du ciel », et tu ne saurais me les donner. Je connais tout ce que
tu peux immoler à ma gloire; et je le connais, non pour l’avoir fait, mais
parce que je devais le faire. « Et la beauté des champs est avec moi ». Ce
qu’il y a de beau dans les campagnes, la fertilité de tout ce qui produit sur
la terre, tout cela « est avec moi », dit le Seigneur. Comment avec lui? Est-ce
même avant d’exister? Avec lui était tout ce qui devait exister, et avec lui
est encore ce qui est passé; il voit l’avenir sans que pour cela rien du passé
lui échappe. Tout est avec lui par une certaine connaissance de l’ineffable
sagesse divine qui est en son Verbe, et ce Verbe comprend tout. La beauté des
champs ne serait-elle pas avec lui, en ce sens que Dieu est partout et qu’il a
dit: « Je remplis le ciel et la terre 2? » Qu’est-ce qui ne serait pas avec
celui dont il est dit: « Si je monte vers les cieux, vous y êtes; si je
descends dans les enfers, je vous rencontre 3? » Tout est avec lui: non qu’il
souffre du contact des êtres qu’il a créés ou qu’il en ait besoin. Peut-être y
a-t-il près de toi une colonne, près de laquelle tu te tiens debout; et si tu
ressens la fatigue, tu t’appuies
1.
Gen, I, 20. — 2. Jérém. XXIII, 24. — 3. Is. CXXXVIII, 8.
sur elle. Tu as donc besoin de ce qui est avec
toi, mais Dieu n’a nul besoin de ce qui est avec lui. Les campagnes et leur
beauté sont avec lui, la beauté des cieux avec lui, tous les oiseaux avec lui,
parce que lui-même est partout. Et pourquoi tout est-il avec lui? Parce que
tout lui était connu avant d’exister, ou d’être créé.
19. Qui peut nous expliquer et nous faire
comprendre ce qui est dit dans un autre psaume: « Car vous n’avez nul besoin de
mes biens 1? » Le Prophète nous dit qu’il n’a pas besoin de recevoir de nous,
rien qui lui soit nécessaire. « Si j’ai faim, je ne vous le dirai point 2 ».
Or, celui qui garde Israël, ne souffrira ni de la faim, ni de la soif, ni du
sommeil 3. Mais voilà que j’accommode mon langage à votre nature charnelle:
parce que tu n’as pas mangé, et que dès lors tu souffres de la faim, tu
t’imagines que Dieu a faim de manière à manger. S’il a faim, il ne te le dit
pas: tout est devant lui, il peut prendre partout ce qui lui est nécessaire.
Dieu parle donc ainsi pour confondre notre faible intelligence, et non pour faire
quelque aveu de sa faim. Et toutefois à cause de nous ce Dieu des dieux a
daigné avoir faim. Il est venu pour avoir faim et nous rassasier, avoir soif et
nous donner à boire, se revêtir de notre nature mortelle pour nous revêtir de
l’immortalité, se faire pauvre pour nous enrichir, Car eu se revêtant de notre
pauvreté il n’a point perdu ses richesses, puisqu’en lui sont cachés tous les
trésors de la sagesse et de la science 4. Si « j’ai faim, je ne te le dirai
point. C’est à moi qu’appartient la terre avec tout ce qu’elle renferme ». Ne
te mets donc pas en peine de ce que tu me donneras, j’ai sans peine ce que je
veux.
20. Pourquoi penser à tes troupeaux? «
Mangerai-je la chair de tes boeufs, et boirai-je le sang des boucs? » Vous
voyez ce que n’exige point de nous celui qui va nous faire je ne sais quelle
prescription. Si votre pensée se portait sur de tels sacrifices, détournez-en
votre esprit, et gardez-vous de penser à offrir à Dieu rien de semblable.
Avez-vous un taureau gras, tuez-le pour les pauvres; que les pauvres mangent la
chair tics taureaux, bien qu’ils ne boivent pas le sang des boucs. Et quand
vous l’aurez fait, il vous en tiendra compte, celui qui a dit: « Si j’ai faim,
je ne
1.
Ps. XV, 2. — 2. Id. XLIX, L2. — 3. Id. CXX, 4. — 4. Coloss. II, 3.
te le dirai pas »; mais il vous dira un jour:
« J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger 1», « Mangerai-je la chair des
boeufs, et boirai-je le sang des boucs?»
21. Dis donc alors: Seigneur, notre Dieu, que
demandez-vous de votre peuple, de votre Israël? « Immole au Seigneur un
sacrifice de louanges 2 ». Disons-lui donc nous aussi:
« Seigneur, les voeux que je vous offrirai
sont dans mon âme, et les actions de grâces que je vous rendrai 3 ». Je craignais
que vous n’en vinssiez à me demander quelque chose qui fût hors de moi, que je
pouvais compter dans mon étable, et que le voleur m’avait peut-être dérobé. Que
m’ordonnez-vous? « Immole à Dieu un sacrifice de louanges ». Nous voilà en
sûreté; nous n’allons pas en Arabie chercher de l’encens, ni fouiller dans les
magasins d’un avare négociant; Dieu nous demande un sacrifice de louanges. Or,
ce sacrifice de louanges, Zachée l’avait dans ses biens, la veuve l’avait dans
sa bourse chétive, un autre pauvre l’avait dans un verre d’eau froide; et cet
autre ne l’a ni dans ses biens, ni dans sa bourse, ni dans un verre d’eau, mais
il l’a complètement dans son coeur. La maison de Zachée reçut le salut 4; et la
veuve donna plus que les riches qui étaient là 5; celui qui n’a donné qu’un
verre d’eau froide ne perdra point sa récompense 6, mais la paix doit être sur
la terre pour les hommes de bonne volonté 7: « Immole à Dieu un sacrifice de
louanges ». O sacrifice gratuit donné par la grâce ! Je n’ai point acheté ce
que je devais vous offrir, c’est vous qui m’en avez fait don, car je ne
l’aurais même point. « Immole à Dieu un sacrifice de louanges ». C’est immoler
ce sacrifice de louanges que rendre grâces à celui dont te vient tout le bien
que tu possèdes, et qui dans sa bonté te pardonne tout le mal qui vient de toi,
et qui est en toi. « Immole à Dieu un sacrifice de louanges, et rends au
Très-Haut tes hommages ». Tel est le sacrifice dont l’odeur lui est agréable. «
Rends tes hommages au Très-Haut».
22. « Invoque-moi au jour de la tribulation,
et je te délivrerai, et tu m’en glorifieras 8 » Car tu ne saurais compter sur
tes forces, tes efforts ne sont que vanité.
1.
Matt. XXV, 35. — 2. Ps. XLIX, 14. — 3. Id, LV, 12. — 4. Luc, XI, 8. — 5. Marc,
XII, 42. — 6. Matt. X, 42. — 7. Luc, II, 14. — 8. Ps. XLIX, 15.
« Invoque-moi au jour de la tribulation, et
je te délivrerai, et tu m’en glorifieras ». C’est pour cela que j’ai permis que
ce jour de tribulation t’arrivât; si tu n’étais dans l’affliction, peut-être ne
m’invoquerais-tu pas; mais dans la tribulation, tu m’invoques; et quand tu
m’invoqueras, je te délivrerai; et quand je te délivrerai, tu m’en rendras
grâces, afin de plus te séparer de moi. Un homme s’était assoupi, sa prière
s’était attiédie, et il s’écria: « J’ai trouvé la douleur et la tribulation, et
j’ai invoqué le nom du Seigneur 1». Il a trouvé dans la tribulation quelque
chose d’utile, la corruption de ses péchés devenait une gangrène pour lui, il
était privé de sentiments, et la tribulation est pour lui un feu qui brûle, un
fer qui tranche. « J’ai trouvé», dit le Prophète, « la tribulation et la
douleur, j’ai invoqué le nom de mon Dieu ». Il y a, mes frères, des peines que
tout le monde connaît; en voici de fort communes dans le genre humain: cet
homme pleure parce qu’il a éprouvé une perte; cet autre pleure parce qu’il est
orphelin; celui-ci s’afflige parce qu’il a est banni de sa patrie et qu’il
désire y rentrer, l’éloignement lui paraît insupportable; la grêle a ravagé la
vigne de celui-là, il est sensible à l’inutilité de son travail et de tous ses
soins. Quand est-ce que l’homme est exempt de peine? C’est un ami qui devient
son ennemi. Y a-t-il rien de plus sensible dans vie humaine? Voilà des misères,
des plaintes communes à tous; dans ces afflictions ils invoquent le Seigneur,
et ils font bien. Qu’ils prient Dieu, qui peut ou leur apprendre à supporter
ces maux, ou les guérir quand on les supporte. Il sait limiter la tentation,
afin qu’elle n’excède pas nos forces 2. Invoquons le Seigneur au milieu de ces
afflictions; et toutefois ce ne sont là que des tribulations qui viennent
d’elles-mêmes, ainsi qu’il est écrit dans un autre psaume: « Vous êtes notre
secours dans les maux sans nombre qui fondent sur nous 3 ». Il en est que nous
devons trouver nous-mêmes. Que celles-ci viennent d’elles-mêmes, il en est une
que nous devons chercher et trouver. En quoi consiste-t-elle? Dans la félicité
même en ce bas monde, dans l’affluence des biens temporels; non que ce soit là
une peine, c’est au contraire un soulagement dans nos peines. Dans quelles
peines? dans les peines de notre
1. Ps. CXIV, 3.— 2. I
Cor. X, 13.— Ps. XLV, 2.
exil. Car n’être pas encore avec Dieu, vivre
au milieu des tentations et des embarras, ne pouvoir jamais être sans crainte,
c’est là une tribulation, puisque ce n’est point la sécurité qui nous est
promise. Quiconque ne ressent point cette peine de l’exil, n’a nul souci de
retourner dans sa patrie. C’est là, mes frères, une véritable affliction. A la
vérité nous faisons de bonnes oeuvres en cette vie, quand nous donnons du pain
à celui qui a faim, un asile à l’étranger, elle reste: c’est encore là une
tribulation. Nous voyons des malheureux, que nous essayons de soulager, parce
que leur misère nous a touchés de compassion. Combien serais-tu mieux dans ce
séjour où tu ne verrais ni affamé à qui donner du pain, ni étranger à recevoir,
ni indigent à revêtir, ni malade à visiter, ni plaideurs à mettre d’accord, où
tout sera la perfection, la vérité, la sainteté, l’éternité ! Là, notre pain
sera la justice, notre breuvage la sagesse, notre vêtement l’immortalité; le
ciel sera notre éternelle demeure, notre durée sera sans fin. La maladie
viendra-t-elle nous y surprendre? La fatigue nous entraînera-t-elle au sommeil?
Il n’y aura là ni la mort ni les procès; mais la paix, mais le repos, mais la
joie, mais la justice. Nul ennemi n’entrera dans ce lieu, nul ami n’en sortira.
Quel sera là notre repos? Si nous réfléchissons à l’état où nous sommes, et si
nous le comparons à celui que nous a promis celui qui ne sait point mentir,
cette promesse elle-même nous montre dans quelle tribulation nous sommes
plongés. Or, cette-tribulation, nul ne la trouve que celui qui la cherche par
la pensée. Vous êtes en santé, voyez si vous souffrez; car pour un malade, il
sent facilement qu’il souffre; mais quand vous êtes en santé, voyez si vous
souffrez de n’être point avec Dieu. «J’ai rencontré la tribulation et la
douleur, et j’ai invoqué le nom de mon Dieu 1 ». « Immole à Dieu un sacrifice
de louanges ». Bénis-le dans ses promesses, bénis-le quand il t’appelle,
bénis-le quand il t’encourage, bénis-le quand il te soutient; et comprends
enfin quel est ton état d’affliction. Invoque le Seigneur, et il te délivrera,
et tu le glorifieras, et tu demeureras en lui.
23. Mes frères, écoutez la suite du psaume.
Quelqu’un, peut-être, parce que Dieu lui a dit: « Offre au Seigneur un
sacrifice de
1. Ps. CXIV, 3.
louanges », comme un tribut qui lui est dû,
médite en son coeur, et se dit: Chaque jour je me lèverai, j’irai à l’église et
je chanterai au Seigneur un hymne le matin, un hymne le soir, un troisième et
un quatrième dans ana demeure, chaque jour je fais à Dieu le sacrifice de la
louange, l’offrande à mon Dieu. En cela vous ferez bien; mais ne vous laissez
point aller à la sécurité, parce que vous en agissez ainsi, et que votre langue
bénit Dieu, tandis que votre vie est pour lui une malédiction. O mon peuple, te
dit le Dieu des dieux, le Seigneur qui appelle la terre de l’Orient à
l’Occident, bien que tu sois confondu avec l’ivraie 1. « Offre au Seigneur un
sacrifice de louanges, et présente-lui tes prières». Mais garde-toi de chanter
bien, et de vivre mal. Pourquoi? « Dieu a dit au pécheur: Est-ce à toi de
publier mes décrets, et à ta bouche d’annoncer mon alliance 2? ». Vous voyez, mes
frères, avec quelle crainte nous parlons ainsi. Notre bouche publie l’alliance
du Seigneur, nous vous prêchons ses enseignements et ses décrets. Et que dit
Dieu au pécheur? « Est-ce à toi? » Il défend donc aux pécheurs de prêcher? Que
devient cette parole: « Faites ce qu’ils vous disent, et ne faites point ce
qu’ils font 3?» Et cette autre « Peu m’importe que le Christ soit annoncé par
occasion, ou par un zèle véritable 4! »Ces paroles de l’Apôtre doivent rassurer
les fidèles au sujet du prédicateur quel qu’il soit, mais non ceux qui disent
le bien et font le mal. Pour vous donc, mes frères, vous n’avez rien à craindre
maintenant; si vous entendez le bien, vous entendez Dieu, quel que soit celui
qui vous prêche. Toutefois le Seigneur n’a pas voulu laisser les prédicateurs
sans quelque menace; de peur que ce seul titre ne les endorme dans la voie
pernicieuse, et qu’ils ne se disent: Le Seigneur ne nous perdra point, lui qui
s’est servi de notre bouche pour verser de si grands biens sur son peuple. O
toi qui prêches, écoute ce que tu dis, écoute le premier tes paroles, toi qui
veux qu’on les écoute; et dis en toi-même ces paroles d’un autre psaume: «
J’écouterai ce que me dira le Seigneur, car il annoncera la paix à son peuple 5
». Qui suis-je, pour forcer les autres à écouter ce que le Seigneur dit par ma
bouche, moi qui n’entends point
1.
Matt. XIII, 25. — 2. Ps. XLIX, 6. — 3. Matt. XXIII, 3. — 4. Philipp. I, 18. —
5. Ps.
LXXXIV, 9.
ce qu’il dit en moi? J’écouterai d’abord, oui
j’écouterai; mon premier soin sera d’écouter ce que le Seigneur dira en moi,
parce qu’il dira des paroles de paix à son peuple. Que j’écoute, que je châtie
mon corps, que je le réduise en servitude, de peur qu’après avoir prêché aux
autres, je sois moi-même réprouvé 1. « Est-ce bien à toi de publier mes
décrets? » Est-ce à toi de publier ce qui n’a pas d’utilité pour toi? Dieu donc
avertit l’homme de s’écouter, non de renoncer à la prédication, mais bien de
pratiquer l’obéissance. « Mais est-ce bien à toi d’ouvrir la bouche pour publier
mon alliance? »
24. « Mais toi, tu as pris en haine le
châtiment 2 ». Tu hais les corrections. Le pardon te fait chanter mes louanges;
le châtiment soulève tes murmures; comme si je n’étais pas ton Dieu et quand je
châtie, et ton Dieu encore quand je pardonne. «Car je réprime et corrige ceux
que j’aime 3 ». Mais toi, tu hais le châtiment, tu as rejeté loin de toi mes
discours. Tu rejettes loin de toi ce que je dis par ta bouche. « Tu as donc
rejeté mes discours derrière toi », de manière que sans les voir, tu en
sentiras le poids. « Tu as rejeté mes discours derrière toi».
25. « En voyant un voleur, tu courais avec «
lui, et tu partageais l’héritage des adultères 4 ». Ne va point dire: Je n’ai
commis aucun vol, aucun adultère. De quoi cela te sert-il, si tu as des
complaisances pour celui qui commet ces crimes; n’est-ce point là courir avec
eux? Louer celui qui agit de la sorte, n’est-ce pas entrer en partage avec lui?
C’est là, mes frères, courir avec le voleur et entrer en partage avec les
adultères; si tu ne le fais pas en effet, tu vantes celui qui le commet, tu
deviens solidaire avec lui, c’est là louer le pécheur dans les désirs de son
âme, et le bénir dans ses crimes 5. Tu t’abstiens du crime, tu applaudis les
criminels. N’est-ce là qu’un léger mal? « Tu as pris part avec les adultères ».
26. « Ta bouche a été féconde en malice, ta
langue a embrassé la fraude 6 ». Le Prophète dénonce ici la méchanceté, la
fourberie de ces hommes flatteurs qui, connaissant le mal qu’on leur dit, non
seulement n’osent reprendre ceux qui le disent, de peur de les blesser, mais
les applaudissent par un silence
1. I
Cor. IX, 27.— 2. Ps XLIX, 17.— 3. Apoc. III, 19. — 4.Ps. XLIX, 18.— 5. Id. IX,
3.—6. Id. XLII, 19.
coupable. C’est peu de ne point dire: C’est
mal; ils vont jusqu’à dire: C’est bien; et néanmoins ils savent que cela est
criminel, mais leur bouche est pleine de malice, leur langue a préparé la
fourberie. La fourberie est la fraude en parole, c’est le langage en désaccord
avec la pensée. Le Prophète ne dit pas: Ta langue a ourdi ou commis la
fourberie; mais, pour nous montrer qu’il y avait dans le crime un plaisir
coupable, il dit: « Elle a embrassé ». C’est peu d’agir mal, tu y mets ton
bonheur; tu as des louanges au dehors et la dérision dans l’âme. Tu causes la ruine
d’un homme qui étale ses vices avec imprudence, qui ne voit pas même s’ils sont
des vices; et toi qui le sais, tu ne lui dis pas: Où vas-tu? Si tu le voyais
marcher dans les ténèbres, et près de l’endroit où tu connais un puits, quel
homme serais-tu donc en gardant le silence? Ne te regarderait-on pas comme
l’ennemi de sa vie? Et cependant, ce ne serait que la vie du corps et non celle
de l’âme qu’il perdrait dans un puits. Il s’élance donc dans l’abîme du vice,
il étale devant toi sa vie criminelle, tu en vois l’horreur, et tu lui
applaudis au dehors, tandis que tu le méprises dans ton âme. Oh! s’il se
retournait un jour vers le Seigneur, cet homme que tu tournes en dérision, que
tu ne veux pas reprendre, et qu’il s’écrie: « Confusion sur ceux qui me disent:
Courage, courage 1 ! ». « Ta langue a embrassé la fourberie»,
27. « Tranquillement assis, tu parlais contre
ton frère ». Cette expression « assis » a le même sens que celui que nous avons
donné à « embrasser ». Agir debout, ou en passant, c’est ne point y rechercher
le plaisir; mais s’asseoir pour le faire, n’est-ce point prendre tout son
loisir? Donc « tu t’es assis pour parler contre ton frère »; tu as mis tes
soins à commettre la détraction, tu t’es assis pour le faire: tu en voulais
faire ton occupation, tu embrassais le mal, tu donnais à la fraude un baiser
criminel. « Tu t’asseyais donc pour parler contre ton frère, et tu plaçais le
scandale devant le fils de ta propre mère 2 ». Quel est ce fils de ta mère?
n’est-ce pas ton frère? Le Prophète a donc voulu répéter ici ce qui a été dit
plus haut: « Tu parlais contre ton frère ». N’a-t-il pas voulu mettre une
certaine distinction? Oui, mes frères, je crois qu’il est bon de distinguer.
Ainsi un frère
1. Ps. XXXIX, 16. — 2. Id. XLIX, 20.
médit de son frère, quand un homme affermi
dans la foi, jouissant d’une certaine considération, instruit et instruisant
les autres, médit de son frère également instruit, et qui marche dans la voie
droite; mais voici un homme qui est faible, et votre détraction est un scandale
pour lui. Qu’un homme de quelque considération et de quelque science médise des
gens de bien, voilà un scandale pour les infirmes incapables de juger sagement.
Or, cet infirme est appelé « le fils de notre mère », et non de notre père,
parce qu’il a besoin de lait, et qu’il s’attache encore aux mamelles. Il est
porté sur le sein de l’Eglise, il ne peut prendre la solide nourriture de son
père, mais il se nourrit aux mamelles de sa mère, incapable de juger, parce
qu’il est encore animal et charnel. « L’homme spirituel, en effet, juge de
tout; mais l’homme animal ne perçoit pas les choses qui sont de l’Esprit de
Dieu; c’est une folie pour lui ». C’est pour ces hommes que l’Apôtre a dit: «
Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes
charnels encore, comme à des enfants en Jésus-Christ, je vous ai donné du lait,
non une nourriture solide: vous ne pouviez la supporter, vous ne le pouvez même
encore 2 ». J’étais pour vous une mère, dit l’Apôtre, comme il dit ailleurs: «
Je me suis fait petit au milieu de vous, comme la nourrice pleine de tendresse
pour ses enfants 3 ». Non comme la nourrice donne à ses enfants la nourriture,
mais comme la nourrice leur prodigue ses caresses. Il y a des mères qui,
devenues mères, donnent leurs enfants à des nourrices; elles sont mères, mais
au lieu d’allaiter leurs enfants, elles les donnent à nourrir; et les
nourrices, loin d’allaiter leurs enfants, allaitent des étrangers; mais
l’Apôtre avait lui-même enfanté des fidèles, il les nourrissait, et ne confiait
ce soin à personne, lui qui disait: « Vous que j’enfante une seconde fois,
jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous 4 ». Donc il prodiguait ses
caresses et allaitait. Or, des hommes doctes et spirituels blâmaient Paul. «
Ses lettres », disaient-ils, « sont dures et accablantes; en face il est faible
de corps, méprisable dans ses discours 5». Voilà les propos qu’il attribue
lui-même dans ses lettres à ses détracteurs, ils s’asseyaient
1. I
Cor. II, 14.— 2. Id. III, 2. — 3. I Thess. II, 7— 4. Gal. IV, 19. — 5. II Cor. X, 10.
donc, et parlaient mal de leur frère, et
plaçaient le scandale devant le fils de leur mère que l’Apôtre devait nourrir.
Ils obligeaient ainsi cette mère à enfanter de nouveau. « Devant le fils de ta
mère tu plaçais le scandale ».
28. « Voilà ce que tu as fait, et je me suis
tu 1 ». C’est pourquoi le Seigneur Dieu viendra et ne se taira point.
Aujourd’hui il nous dit: « Voilà ton ouvrage et je me suis tu ». Qu’est-ce à
dire: « Je me suis tu? » Pour toi, j’ai différé ma vengeance, j’ai suspendu
toute sévérité, j’ai prolongé ma patience, et longtemps j’ai attendu ton
repentir. « Voilà tes oeuvres et je me suis tu ». Or, quand j’attends
patiemment ton repentir, toi, comme l’a dit l’Apôtre: « Par la dureté et
l’impénitence de ton coeur, tu t’amasses un trésor de colère pour le jour de la
colère, et de la manifestation du juste jugement de Dieu 2. Dans ton iniquité,
tu m’as cru semblable à toi ». C’est peu que le mal ait pour toi de l’attrait,
tu crois encore qu~il en a pour moi. Parce que Dieu ne fait pas éclater sa
vengeance, tu en fais un complice, et comme à un juge corrompu, tu lui donnes
part à tes rapines. « Dans ton iniquité, tu m’as cru semblable à toi », parce
que tu refusais d’être semblable à moi. « Soyez parfaits », dit le Sauveur, «
comme votre Père céleste, qui fait luire son soleil sur les bons et sur les
méchants 3 ». Loin de prendre pour modèle celui qui fait du bien même aux
méchants, tu veux t’asseoir pour calomnier les bons. « Dans ta malice tu m’as
cru semblable à toi, je t’accuserai ». Quand viendra le Seigneur notre Dieu, et
qu’il ne gardera point le silence, alors «je t’accuserai ». Que ferai-je pour
te reprendre? Que te ferai-je? Tu ne te vois pas maintenant, je te forcerai à
te voir. Si tu te voyais, tu te déplairais à toi-même et tu me plairais dès
lors; mais parce que sans te voir tu as mis en toi tes complaisances, tu te
déplairas un jour ainsi qu’à moi, à moi quand tu seras jugé, à toi quand tu
brûleras dans les flammes. Que te ferai-je, dit le Seigneur? « Je te mettrai en
présence de toi-même ». Pourquoi vouloir te dérober à tes yeux? Tu te rejettes
en arrière pour ne point te voir, je te forcerai à te regarder; ce que tu as
rejeté derrière loi, je l’exposerai à tes regards, tu verras ta laideur, non pour
l’effacer, mais
1.
Ps. XLIX, 21.— 2. Rom, II, 5. — 3. Matt. V, 45, 48.
pour en rougir. Et quand le Seigneur tient ce
langage, mes frères, faut-il désespérer de celui qu’il menace de la sorte?
Cette ville dont on publia jadis: « Dans trois jours Ninive sera détruite 1»,
n’employa-t-elle point ces trois jours à se convertir, à prier, à pleurer, à
mériter son pardon au lieu d’un châtiment imminent? Qu’ils écoutent, ceux qui
sont dans le même état, pendant qu’ils peuvent écouter le Seigneur, même dans
son silence. Il viendra et ne se taira point, et il t’accusera, quand il n’y
aura pas moyen de t’amender. « Je le mettrai », dit le Seigneur, « en face de
lui-même ». Qui que tu sois, fais donc aujourd’hui ce que le Seigneur menace de
te faire. Ne rejette plus derrière toi ces fautes que tu dissimules, que tu ne
veux point voir, mets-les sous tes regards. Assieds-toi sur le tribunal de ta
conscience, deviens ton propre juge, cède à la crainte, que l’aveu s’échappe de
ton coeur, et dis à ton Dieu: « Je reconnais mon iniquité, et mon péché est
toujours devant mes yeux 2 ». Mets devant toi ce que tu rejetais encore; de
peur que ton Dieu dans sa justice ne te mette sous tes propres regards, et que
tu ne puisses te dérober à toi-même.
29. « Comprenez enfin tout cela, vous qui
oubliez le Seigneur ». Vous le voyez, Dieu crie, il ne se tait point, il
n’épargne personne. Tu avais oublié le Seigneur, tu ne pensais pas à ta vie
désordonnée; comprends donc que tu as oublié le Seigneur, « de peur qu’enfin il
ne te saisisse comme un lion, et que nul ne puisse te délivrer ». Qu’est-ce à
dire: « Comme un lion?» Avec une force, avec une puissance, à laquelle on ne
peut résister. Tel est le sens qu’il donna au mot « lion ». Car cette
expression se prend tantôt comme un blâme, tantôt comme un éloge. Le diable est
appelé un lion dans l’Ecriture: « Votre adversaire est comme un lion rugissant
», dit-elle, « qui rode autour de vous, cherchant à vous dévorer 3 ». Or, parce
que le diable a été appelé lion à cause de son impitoyable fureur, le Christ ne
peut-il être appelé lion à cause de sa force souveraine? D’où vient donc ce mot
de l’Ecriture: « Il a vaincu le lion, de la tribu de Juda 4? » De grâce, mes
frères, écoutez ce qui reste; je vous en conjure, oubliez votre fatigue, il
vous soutiendra, celui qui vous a donné des forces jusqu’ici. Tout à l’heure,
comme pour nous désigner le tribut de
1. Jonas, III, 4-10. — 2. Ps. L, 5.— 3. I
Pierre, V, 8,— 4. Apoc, V, 5.
louanges qu’il exige de nous, le Seigneur,
comme vous l’avez entendu, nous disait:
« Offre à Dieu un sacrifice de louanges, et
rends au Très-Haut tes hommages ». Mais ensuite le Seigneur dit au pécheur: «
Est-ce à toi de publier mes jugements, et ta bouche s’ouvrira-t-elle pour
annoncer mon alliance? » Comme s’il lui disait: Tes louanges ne te servent de
rien: je n’ai demandé le sacrifice de louanges qu’à ceux dont la vie est
sainte; c’est à eux que la louange est profitable: mais pour toi, il ne te sert
de rien de me louer. Est-ce à toi de le faire? « La louange ne sied pas dans la
bouche du pécheur 2 ». Il résume ensuite ces deux pensées dans une même
conclusion, qui est un reproche pour les méchants trop oublieux de Dieu. «
Comprenez donc enfin, vous qui oubliez le Seigneur, de peur qu’il ne vous
enlève comme un lion, et que nul ne puisse vous délivrer ».
30. « Le sacrifice de louanges est le culte
qui m’honore 3». Comment le sacrifice de louanges doit-il m’honorer? Il est
certain que cette louange ne sert de rien aux pécheurs, dont la bouche s’ouvre
pour publier votre alliance, ô mon Dieu, et dont les actions condamnables sont
en horreur à vos yeux. Et néanmoins, répond le Seigneur, je ne laisse pas de
leur dire: « C’est le sacrifice de louanges qui doit m’honorer». Tu croyais que
la louange était inutile pour toi; eh bien ! loue-moi, elle te deviendra utile.
Vivre mal et bien dire, ce n’est pas encore me louer; de même que commencer à
vivre saintement et s’en attribuer le mérite, ce n’est point me louer encore.
Je ne veux point que tu ressembles à ce scélérat qui insultait au crucifié 4,
mais je ne veux pas non plus faire de toi cet hypocrite qui vantait ses mérites
dans le temple, et cachait ses plaies 5. Si tu es pécheur et obstiné dans tes
vices, je ne puis te dire seulement: Ta louange est inutile, mais bien: Ta
louange s’existe même point, et je ne la regarde point comme une louange: situ
crois être juste, et nul n’est juste s’il n’est humble et pieux, si tu
t’enorgueillis de ta justice, au point de te comparer aux autres et de les
mépriser, si tu l’élèves et te glorifies de tes mérites, ce n’est point là me
louer. Quiconque est pécheur ne me loue point, non plus que le juste qui
1. Ps. XLIX, 14, 16.— 2.Eccli. XV, 9.— 3. P.
XLIX, 23 — 4. Luc, XXIII, 39. — 5. Id. XVIII, 11.
s’attribue sa justice. Mais le pharisien s’attribuait-il
sa justice, quand il disait: « Seigneur, je vous rends grâces de ce que je ne
suis point comme les autres hommes? » Il remerciait Dieu du bien qui était en
lui. Quelle que soit donc ta vertu, quoique tu comprennes que tu as reçu de
Dieu tout le bien qui est en toi, si néanmoins tu t’élèves au-dessus de celui
qui en a moins, tu n’es qu’un envieux, tu ne sais me louer. Commence donc à
corriger tes désordres et à vivre saintement comprends surtout que c’est par la
grâce de Dieu que tu te corriges: « C’est en effet le Seigneur qui redresse les
démarches de l’homme 1 ». Après avoir compris tout cela, aide les autres à
devenir ce que tu es; car tu étais toi-même ce qu’ils sont. Aide-les de tout
ton pouvoir, et sans te désespérer, car Dieu n’a pas borné à toi seul les
trésors de ses grâces. Donc on ne peut louer Dieu, et l’offenser par une vie
désordonnée; on ne le loue point quand on commence une vie régulière dont on
s’attribue le mérite et non à la grâce de Dieu; on ne le loue point, quand on
reconnaît qu’on le doit à la grâce de Dieu, et qu’on ne veut cette grâce que
pour soi-même. Dès lors1 celui qui disait: « Seigneur, je vous rends grâces de
ce que je ne suis point comme les autres hommes, qui sont injustes, voleurs,
adultères, ni même comme ce publicain 2 », ne pouvait-il pas ajouter: Faites à
ce publicain les mêmes grâces qu’à moi, achevez de me donner ce qui me manque
encore? Mais il parlait, comme plein de lui-même; il ne disait point: « Pour
moi je suis pauvre et indigent 3 », comme le faisait le publicain en disant: «
Seigneur, soyez-moi propice, car je suis un pécheur 4 ». Aussi le publicain
s’en retourna-t-il justifié, beaucoup plus que le pharisien. Ecoutez donc ceci,
vous qui vivez saintement; écoutez encore, vous qui vivez dans le désordre: «
C’est le sacrifice de louange qui doit m’honorer ». Nul n’est méchant quand il
m’offre ce sacrifice. Je ne dis point: Que nul méchant ne m’offre ce sacrifice,
mais bien: Nul n’est méchant dès qu’il me l’offre. Celui qui me loue est bon,
car s’il me loue, ce n’est pas seulement en paroles, mais en mettant ses
paroles en harmonie avec ses oeuvres.
31. « C’est le sacrifice de louanges qui doit
1. Ps. LXIII, 23.— 2. Luc, XVII, 11.— 3. Ps.
LXIX, 6. — 4. Luc, XVIII, 13.
m’honorer: c’est la voie par laquelle je
manifesterai le salut de Dieu 1 », C’est donc dans le sacrifice de louanges
qu’est « cette voie par laquelle je manifesterai le salut de Dieu ». Qu’est-ce
que le salut de Dieu? C’est Jésus-Christ; et comment le Christ nous est-il
montré dans le sacrifice de louanges? C’est que le Christ vient en nous avec la
grâce. Voici ce que dit l’Apôtre: « Je vis, non plus moi, mais le Christ vit en
moi: et si je vis maintenant dans un corps charnel, je vis dans la foi du Fils
de Dieu, qui m’a aimé, et qui s’est livré pour moi 2 ». Que les pécheurs
reconnaissent donc qu’ils n’auraient pas besoin du médecin, s’ils jouissaient
de la santé 3. Car le Christ est mort pour les impies 4. Pour eux donc,
reconnaître leurs impiétés, puis imiter le publicain qui disait: « Seigneur,
soyez-moi propice, car je suis un pécheur 5 », c’est découvrir leurs blessures
au médecin, et implorer son assistance. Comme ils ne se louent pas eux-mêmes,
comme ils s’accusent au contraire, de sorte que si quelqu’un d’eux se glorifie,
il ne se glorifie pas en lui-même, mais dans le Seigneur 6, ils proclament la
cause de l’avènement du Christ qui est venu pour sauver les pécheurs. «
Jésus-Christ est
1. Ps. XLIX, 23. — 2. Gal. II, 20. — 3. Matt.
IX, 22. — 4. Rom. V, 6. — 5. Luc, XVII, 13. — I Cor. I, 31.
venu dans ce monde », nous dit saint Paul, pour sauver les pécheurs,
entre lesquels-je suis le premier 1 ». Aussi, quand les Juifs se glorifient de
leurs oeuvres, le même Apôtre réprime leur orgueil, jusqu’à dire qu’ils
n’appartiennent pas à la grâce, eux qui comptent sur leurs mérites et sur leurs
oeuvres pour obtenir une récompense 2. Quiconque sait en effet qu’il appartient
à la grâce, qui est le Christ et qui vient du Christ, comprend qu’il a besoin
de la grâce. Ce qui est appelé grâce, est donné gratuitement; et dès lors nul
mérite en toi n’a pu précéder et provoquer ce qui est un don gratuit. Si tes
mérites avaient précédé, la récompense ne serait plus regardée comme une grâce,
mais comme l’acquit d’une dette 3. Si donc tu prétends que tes mérites ont
précédé, c’est toi et non le Seigneur que tu veux louer; et dès lors tu ne
reconnais plus le Christ qui est venu avec la grâce. Ainsi, abaisse un regard
sur tes oeuvres, comprends quelle en était la malice, en sorte qu’elles
appelaient sur toi le châtiment et non la récompense. Et quand tu auras compris
ce qui était dû à tes mérites, tu comprendras aussi ce que tu reçois par la
grâce, et tu glorifieras Dieu par le sacrifice de louanges. Telle est la voie
qui te montrera dans le Christ le salut de Dieu.
1. I
Tim I, 15. — 2. Gal. V, 4. — 3. Rom. IV, 4.
Culpabilité des chrétiens au théâtre, et
prière à Dieu de les ramener comme David. La faute d’un si grand homme n’est un
encouragement que pour les méchants. Profit qu’en doivent tirer les âmes de
bonne foi. Danger de la prospérité, David persécuté demeure juste. Précaution
contre le désespoir. David n’a point péché par ignorance, mais il implore la
miséricorde et se fait justice à lui-même. Parabole de Nathan. La brebis du
pauvre. La femme adultère obtient son pardon; comme pour David, son péché est
toujours sous ses yeux. Dieu seul est sans péché. Souillure universelle. Dieu
pardonne à quiconque se châtie. Les Ninivites. L’hysope on l’humilité aide à
nous purifier. L’homme humble écoute comme Jean-Baptiste. Dieu châtie en cette
vie pour épargner en l’autre. David en face d’Absalom et de Séméi. Union à
l’Esprit-Saint, au Verbe de Dieu. Sacrifice de la loi nouvelle; prière pour
l’Eglise. Réprimons le péché dans nous et dans les autres.
1. La vue d’une foule si nombreuse m’impose
le devoir de ne point tromper son attente, et de ne pas surcharger sa
faiblesse. Je vous demanderai seulement du silence et du repos, afin qu’après
les fatigues d’hier, j’aie encore assez de voix et de force. Il faut croire que
(547) dans votre charité, vous ne venez en si gram nombre aujourd’hui, qu’afin
de prier pour
ceux qu’éloigne d’ici une folle et
malheureuse passion. Nous ne parlons en effet ni des païens, ni des juifs, mais
bien des chrétiens; non de ceux qui sont encore catéchumènes, mais de plusieurs
qui sont baptisés, dont vous n’êtes nullement éloignés par le baptême, mais à
qui vous êtes loin de ressembler par le coeur. Combien de frères ne devons-nous
pas pleurer aujourd’hui, à la pensée qu’ils courent après la vanité et les
folies du mensonge 1, et négligent d’aller où ils sont appelés ! Qu’un accident
quelconque les effraie au milieu du cirque, ils feront le signe de la croix;
ils se tiendront là, marquant leur front d’un signe qui devrait les en
éloigner, s’il était dans leur coeur. Demandons à Dieu que, dans sa
miséricorde, il leur donne la lumière qui condamne ces folies, l’amour qui les
fuit, le pardon qui les oublie. Il est donc heureux pour nous que nous ayons chanté
aujourd’hui un psaume de la pénitence. Parlons même aux absents, votre mémoire
sera pour eux notre voix. Ne négligez ni ceux qui souffrent, ni ceux qui
languissent; mais, afin de les guérir plus facilement, conservez vous-mêmes
votre santé. Que vos réprimandes les corrigent, que vos discours les consolent,
que la sainteté de votre vie leur serve de modèle, et celui qui vous a pris en
pitié aura aussi pitié d’eux. Car en vous retirant de si grands dangers, la
bonté du Seigneur n’a pas été épuisée. Ils viendront par le chemin que vous
avez pris, ils passeront où vous avez passé. Leur état est fâcheux, j’en
conviens; il est périlleux, ils courent à leur perte, à une mort certaine,
puisqu’ils connaissent le mal qu’ils font. Il y a une différence, en effet,
entre courir à ces folies quand on méprise la parole du Christ, et y courir
quand on sait ce qu’il faut éviter. Mais notre psaume nous apprend à ne pas
désespérer même de ceux qui en sont là.
2. En voici le titre: « Psaume à David,
lorsque le prophète Nathan vint le trouver, après son adultère avec Bethsabée
»; car Bethsabée était femme et épouse d’un autre homme. Nous ne le disons
qu’avec douleur et en tremblant; et pourtant ce n’est point pour qu’on en garde
le silence, que le Seigneur l’a fait consigner dans l’histoire.
1. Ps. XXXI, 5.— 2. Id, L, 1, 2.
J’en parlerai donc, non de plein gré, mais
parce que j’y suis contraint, et j’en parlerai non comme d’un modèle à imiter,
mais comme d’un motif de crainte. David, roi et prophète, qui devait être selon
la chair l’aïeul du Seigneur 1, s’éprit de la beauté de cette femme étrangère,
et commit un adultère avec elle. Les psaumes n’en disent rien, mais le titre
nous l’indique, et nous le lisons plus à découvert dans le livre des Rois. Ces
deux ouvrages sont canoniques, et tout chrétien doit y croire sans hésiter. Le
crime fut commis et ensuite consigné dans 1’Ecriture. David fit même tuer à la
guerre le mari de cette femme; à l’adultère il joignit le meurtre: et après ce
crime le prophète Nathan lui fut envoyé, et envoyé par le Seigneur, pour lui
reprocher un si grand forfait 2.
3. Voilà ce que les hommes doivent éviter;
écoutons ce qu’ils doivent imiter, s’il leur arrive de tomber. Plusieurs, en
effet, veulent bien tomber comme David, mais non se relever avec lui. Ce n’est
donc point lorsqu’il tombe, mais bien quand il se relève qu’il devient ton
modèle, situ es tombé. Veille donc à ne point tomber. Que la chute des grands
ne soit point un sujet de joie pour les petits, mais que les petits craignent
en voyant tomber les grands. Tel est le but de cette histoire, c’est pour cela
qu’elle est écrite, pour cela que l’Eglise fait souvent lire et souvent chanter
ce psaume. Que les hommes qui ne sont point tombés l’écoutent, afin de ne point
tomber, et ceux qui sont tombés, afin de se relever. Le crime d’un si grand
saint n’est pas couvert du silence; on le publie dans l’Eglise. Les coeurs
dépravés l’écoutent, et y cherchent un encouragement au péché, ils s’efforcent
d’y voir une excuse pour le crime qu’ils ont résolu de commettre, et non un
moyen d’éviter celui qu’ils n’ont pas encore commis. Ils disent en eux-mêmes:
David l’a fait, et moi, pourquoi non? Et voilà qu’en se livrant au crime, parce
que David l’a commis, cette âme devient plus criminelle que David lui-même. Je
vais m’expliquer plus clairement, s’il est possible. David ne s’était point,
comme toi, proposé de modèle: il tombait sous le poids de la concupiscence, et
non sous le patronage de la sainteté; tandis que toi, tu t’enhardis au péché
par l’exemple d’un saint; et, loin d’imiter sa sainteté, tu n’imites que sa
chute.
1. Rom.I, 3 — II Rois, XI, XII, 1-14.
Tu aimes en David ce que David hait en lui:
tu te prépares au crime, tu pèches avec réflexion; tu cherches dans le livre de
Dieu une autorisation à la licence, et tu n’écoutes la parole de Dieu que pour
faire ce qui déplaît à Dieu. Voilà ce que n’a point fait David, Un prophète le
reprit, un prophète ne le fit point tomber. Mais à d’autres cette histoire est
très-utile, et ils mesurent leur faiblesse sur la chute d’un homme si fort;
afin d’éviter ce que Dieu condamne, ils interdisent à leurs yeux jusqu’au
regard peu dangereux; ils ne les arrêtent point sur la beauté d’une chair
étrangère, et ne se rassurent point avec une simplicité perverse; ils ne disent
point: J’ai regardé sans malice, avec bonté, c’est par charité que j’ai regardé
longtemps. Ils ont devant les yeux la chute de David, et ils comprennent que ce
grand homme est tombé afin d’apprendre aux petits à ne point regarder ce qui
pourrait causer leur chute. Ils répriment la liberté de leurs regards: ils rie
se familiarisent pas facilement, ne s’entretiennent pas avec des femmes
étrangères, ne lèvent point les yeux vers les appartements des autres, ni sur
les terrasses voisines. Car David ne vit que de loin cette femme qui causa sa
chute. La femme était loin, la luxure était proche. Ce qu’il voyait était loin
de lui, ce qui le perdait était en lui. Il faut donc veiller à cette faiblesse
de la chair, et se souvenir de ces paroles de l’Apôtre: « Que le péché ne règne
pas dans votre chair mortelle 1 ». L’Apôtre n’a pas dit: Qu’il n’y soit point;
mais: « Qu’il n’y règne pas ». Le péché est en toi, quand tu en ressens
l’attrait; il y règne, si tu y consens. Il faut réprimer l’attrait charnel,
surtout lorsqu’il nous porte à ce qui est défendu, à ce qui est funeste, et non
lui lâcher les rênes. Il faut le dominer, et non pas en être dominé. Regarde
sans crainte, si tu n’as rien qui te porte au mal. Mais, diras-tu, je résiste
avec force. Es-tu donc plus fort que David?
4. Un tel exemple nous dit aussi que nul ne
doit s’élever dans la prospérité. Il en est beaucoup en effet qui craignent
l’adversité et non la prospérité de cette vie. Or, la prospérité est plus
dangereuse pour l’âme que le malheur ne l’est pour le corps. L’une commence à
corrompre l’esprit, afin que l’autre le puisse abattre. Il nous faut donc, mes
frères,
1. Rom. VI, 12.
redoubler de précautions contre la félicité.
Aussi voyez comment la parole de Dieu cherche à nous prémunir contre toute
sécurité, quand la félicité nous sourit. « Servez le Seigneur», nous est-il
dit, « avec crainte et tremblement, et servez-le avec allégresse ». Avec
allégresse, pour le remercier; avec crainte, pour éviter la chute. David ne
pécha point quand il était en butte aux persécutions de Saül. Quand ce saint
prophète avait pour ennemi Saül qui le fatiguait de ses poursuites, quand il
fuyait çà et là pour ne pas tomber entre ses mains 2, il ne convoita point la
femme d’un autre, il ne fit point mourir l’époux après avoir débauché l’épouse.
Dans cette instabilité du malheur, son âme était d’autant plus fixée en Dieu,
qu’il paraissait plus malheureux. Le malheur a donc son utilité, et le fer du.
médecin est plus utile que les amorces du démon. La disparition de ses ennemis
lui donna la tranquillité; délivré de toute poursuite, son coeur s’enfla. Cet
exemple doit donc nous faire craindre la félicité. « J’ai rencontré », dit-il,
«la tribulation et la douleur, et j’ai invoqué le nom de mon Dieu 3».
5. Mais le crime fut commis; que mes paroles
soient donc un avertissement pour ceux qui ne sont point tombés, afin qu’ils
veillent à conserver leur innocence, et que les petits craignent, en voyant
tomber un si grand saint. S’il est dans cet auditoire quelque pécheur à qui la
conscience reproche quelque crime, qu’il écoute les paroles de ce psaume; qu’il
sonde la profondeur de cette plaie, mais qu’il ne désespère point de la puis.
sauce du médecin. Le péché joint au désespoir, c’est la mort certaine. Loin de
vous de dire: Puisque j’ai commis telle faute je serai certainement réprouvé,
Dieu ne me pardonnera point de si grands crimes, pourquoi n’entasserai-je pas
faute sur faute? Jouissons ici-bas de tous les plaisirs dans la volupté, comme
dans la débauche: tout espoir de salut est perdu, jouissons au moins de ce qui
est sous nos yeux, si nous ne pouvons posséder ce que promet la foi. Ce psaume
est donc de nature à mettre sur leurs gardes ceux qui ne sont pas tombés
encore, et à prémunir contre le désespoir ceux qui sont tombés. O pécheur, qui
que tu sois, et qui hésites à faire pénitence de tes fautes, parce que tu
désespères de ton salut, écoute les gémissements de David. Ce
1. Ps. II, 11. — 2. I Rois, XXIV, 5, XXVI,
9.— 3. Ps. XCIV, 3, 4.
n’est pas le prophète Nathan que Dieu
t’envoie, mais David lui-même, Ecoute ses cris, et crie avec lui; écoute ses
gémissements, et gémis avec lui; écoute ses pleurs, et joins-y tes pleurs;
écoute-le qui se corrige, et prends part à sa joie. Si tu n’as pu fermer ton
coeur au péché, du moins ne le ferme pas à l’espérance du pardon. Dieu envoie
le prophète Nathan vers ce pécheur 1, vois l’humilité du roi. Il ne rejette
point la leçon qui lui est faite, il ne dit pas: Oses-tu me parler ainsi à moi
qui suis roi? Ce prince dans sa majesté écouta le Prophète; que le peuple dans
son humilité écoute le Christ.
6. Ecoute aussi, toi pécheur, et dis avec
David: « Ayez pitié de moi, ô mon Dieu, selon la grandeur de votre miséricorde
2». Implorer une grande miséricorde, c’est avouer une grande misère. Qu’ils
n’implorent qu’une miséricorde légère ceux qui n’ont péché que par ignorance: «
Ayez pitié de moi », dit David, « selon votre grande miséricorde ». Guérissez
ma large blessure, par la puissance de vos remèdes. Mon mal est grand, mais
j’ai recours à la puissance infinie. Une blessure aussi mortelle me jetterait
dans le désespoir, si je ne trouvais un médecin aussi puissant. « Ayez pitié de
moi, dans toute l’étendue de votre miséricorde; et dans la multitude de vos
bontés, effacez mon péché ». Dire: «Effacez mon péché », revient à dire: « Ayez
pitié de moi, mon Dieu». De même: « La multitude de vos bontés», a le même sens
que: « L’étendue de votre miséricorde». Parce que votre miséricorde est grande,
vos miséricordes sont nombreuses, et de votre grande miséricorde viennent vos bontés
infinies. Vous avez l’oeil sur les contempteurs pour les corriger, l’oeil sur
les ignorants pour les instruire, l’oeil sur ceux qui avouent leurs fautes pour
leur pardonner. Un homme a-t-il péché par ignorance? Quelqu’un déjà qui vous
avait beaucoup offensé, qui avait fait des maux nombreux, « a trouvé
miséricorde », nous dit-il, parce qu’il avait agi dans l’ignorance et dans
l’incrédulité 3». Mais David ne pouvait dire: « J’ai agi dans l’ignorance »,
car il n’ignorait pas, que toucher à l’épouse d’un autre, est un crime, ni
qu’il y a homicide à faire mourir le mari qui ignorait tout, qui n’en
témoignait pas la moindre colère. Il obtient donc miséricorde celui qui pèche
par
1. II Rois, XII, 1.— 2. Ps. L, 3.— 3. Tim. I,
13.
ignorance; mais celui qui pèche sciemment,
obtient non pas une miséricorde quelconque, mais une grande miséricorde.
7. « Lavez-moi de plus en plus de mon «
injustice». Qu’est-ce à dire: « Lavez-moi de plus en plus? » C’est que je suis
beaucoup souillé. Lavez de plus en plus les péchés que j’ai commis en pleine
connaissance, vous qui avez effacé les fautes que j’ignorais. Il ne faut pas
désespérer de votre miséricorde. « Purifiez-moi de mon péché 1 ». Quel en sera
le salaire? C’est un médecin, offre une récompense; c’est un Dieu, offre un
sacrifice. Que donneras-tu pour être purifié? Vois celui que tu invoques; il
est juste, et parce qu’il- est juste il hait le péché; parce qu’il est juste,
il châtie le péché: tu ne saurais enlever à Dieu sa propre justice. Implore sa.
miséricorde, mais considère sa justice: sa miséricorde pardonne au pécheur,
mais sa justice châtie le péché. Quoi donc? Tu cherches la miséricorde, et le
péché doit-il demeurer impuni? Que David nous réponde, que les pécheurs nous
répondent, qu’ils nous répondent comme David, et qu’ils disent: Non, Seigneur,
mon péché ne sera point impuni; je connais la justice de celui dont j’implore
la miséricorde; mon péché ne sera point sans châtiment; mais, je vous en
supplie, ne le châtiez point, car je veux le châtier moi-même: épargnez-moi,
puisque je ne veux point m’épargner.
8. « Car je reconnais mon iniquité, et mon
crime est toujours devant moi 2 ». Je n’ai
point rejeté en arrière ce que j’ai fait, je
ne m’oublie point moi-même pour regarder les
autres, je ne cherche point à ôter la paille
de l’oeil de mon frère, quand il y a une poutre
dans mon oeil 3; mon péché est toujours sous
mes yeux, et non derrière moi. Il était derrière moi, quand est venu le
Prophète qui m’a exposé la parabole de la brebis du pauvre. Voici en effet ce
que dit Nathan à David: «Un homme riche avait beaucoup de brebis; un pauvre son
voisin n’en avait qu’une seule qu’il élevait dans son sein et avec son pain; un
étranger vint chez le riche qui, sans toucher à son troupeau, jeta un oeil
d’envie sur la brebis du pauvre son voisin, et la tua pour son hôte; qu’a
mérité cet homme 4? » Dans son indignation David prononça une sentence, et ne
sachant point que le Prophète le
1.
Ps. L, 4. — 2. Id. 5. — 3. Matt. VII, 3. — 4. II Rois, XII, 2-6.
prendrait dans ses paroles, il dit que ce
riche était digne de mort, et rendrait quatre brebis; sentence sévère, mais
juste! Alors son péché n’était pas encore sous ses yeux, son action criminelle
était derrière lui; il ne connaissait point encore sa propre faute, et il était
sans pitié pour celle d’un autre. Mais le Prophète, envoyé à dessein, remit
sous les yeux du roi cette faute laissée en arrière, afin de lui faire
comprendre qu’il s’était lui-même condamné par sa propre sentence. Il s’était
servi de sa langue comme d’un fer salutaire, pour ouvrir la plaie et la guérir.
Ainsi en usa le Sauveur avec les Juifs, qui lui amenaient une femme adultère,
pour lui tendre un piége, et qui y tombèrent eux-mêmes. «Cette femme», lui
disaient-ils, « vient d’être surprise en adultère: « or, Moïse nous a commandé
de lapider ces « coupables; pour vous, qu’en pensez-vous 1?» il y avait là un
double piége tendu à la sagesse du Seigneur: s’il la condamnait à mort, il
perdait sa réputation de douceur; s’il la faisait renvoyer libre, il encourait
leur calomnie et passait pour un violateur de la loi. Que répond le Sauveur? Il
ne leur dit point: Qu’on la fasse mourir; il ne dit point: Qu’on la mette en
liberté; mais: « Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre ».
La loi était juste en décrétant la mort contre l’adultère; mais donnez à cette
loi juste des exécuteurs innocents. Vous considérez celle que vous amenez,
voyez aussi ce que vous êtes. « A ces mots, ils s’en allèrent l’un après
l’autre ». Il ne resta que la femme adultère avec le Seigneur; que la malade
avec le médecin; que la profonde misère avec la profonde miséricorde. Ceux qui
l’amenaient rougirent sans demander leur pardon; celle que l’on amenait fut
dans la confusion et fut guérie. « Le Seigneur lui dit: O femme, aucun ne vous
a-t-il condamnée? et celle-ci: Aucun, Seigneur. Et le Seigneur: Et moi non
plus, je ne vous condamnerai point, allez et ne péchez plus à l’avenir ». Le
Christ a-t-il donc agi contre sa loi? Car son Père n’avait pas donné cette loi
sans lui. Si le ciel, la terre et tout ce qui est en eux, ont été faits par
lui, la loi aurait-elle été écrite sans le Verbe de Dieu? Donc le Seigneur
n’agit point alors contre sa loi, non plus qu’un potentat n’agit contre les
lois, quand il fait grâce à des coupables qui avouent leurs crimes. Moïse était
1. Jean, VIII, 4 -11.
le ministre de la loi, le Christ en était le
promulgateur; Moïse fait lapider comme juge, le Christ fait grâce en roi. Le
Seigneur eut pitié de cette femme selon l’étendue de sa miséricorde, comme le
demande le Prophète, comme il en supplie le Seigneur par ses cris et ses
gémissements. Voilà ce que n’ont point fait ceux qui lui présentaient la femme
adultère; et quand le médecin étalait leurs plaies sous leurs yeux, ils n’ont
point demandé au médecin la guérison. Ainsi en est-il beaucoup qui ne
rougissent point du péché, et qui rougissent de la pénitence. Incroyable folie:
tu ne rougis point de la plaie, et tu rougis des bandes qui la couvrent?
N’est-elle pas plus hideuse et plus fétide, quand elle est à nu? Va donc
trouver le médecin, fais pénitence et dis-lui: « Je connais mon iniquité, et
mon péché est toujours sous mes yeux ».
9. « J’ai péché contre vous, contre vous
seul, j’ai commis le mal en votre présence 1», Que veut dire cette parole?
Est-ce que l’adultère de cette femme et le meurtre du mari ne furent connus
d’aucun homme 2? Tous ne savaient-ils point le crime de David? Que signifie: «
J’ai péché contre vous seul, j’ai commis le mal en votre présence? » C’est que
Dieu seul est sans péché. Celui-là seul punit avec justice, qui n’a rien en soi
que l’on doive punir: il peut reprendre justement, celui en qui l’on ne peut
rien reprendre. « J’ai péché contre vous seul, j’ai commis le mal en votre
présence; en sorte que vos paroles seront justifiées et que vous vaincrez quand
vous serez jugé ». A qui s’adressent ces dernières paroles, mes frères? il est
difficile de le voir. Assurément le Prophète s’adresse à Dieu, et il est
évident que Dieu le Père n’a pas été jugé. Qu’est-ce à dire: « J’ai péché
contre vous seul, j’ai commis le mal en votre présence, en sorte que vous serez
justifié dans vos discours, et que vous vaincrez quand vous serez jugé? » Le
Prophète voit dans l’avenir le juge suprême qui sera jugé, le juste que
jugeront les pécheurs, et qui sera vainqueur, parce qu’il n’y aura en lui rien
de condamnable. Seul de tous les hommes, l’Homme-Dieu a pu dire avec vérité: «
Si vous trouvez en moi un péché, dites-le ». Mais il y avait peut-être en lui
quelque faute qui échappait aux hommes, et alors ils ne pouvaient trouver en
lui ce qui existait réellement, bien que
1. Ps. L, 6. — II Rois, XI, 4, 15.
d’une manière cachée? Il dit ailleurs: «
Voici le Prince de ce monde », celui dont l’oeil perçant voit les péchés de
tous: « Voici le prince de ce monde», ce préposé de la mort qui en frappe tous
les pécheurs: « Car la mort n’est entrée dans l’univers entier que par la
jalousie du démon 1 »; « voici donc le m prince de ce monde » (disait
Jésus-Christ la veille de sa passion), « et il ne trouvera rien en moi », rien
de coupable, rien qui soit digne de mort, rien qui mérite condamnation. Et
comme si on lui demandait: Pourquoi donc mourez-vous? il continue en disant: «
Mais afin que le monde connaisse que je fais la volonté de mon Père, levez-vous,
sortons d’ici 2 ». Je souffre, dit-il, sans le mériter, pour ceux qui le
méritent, afin de faire vivre en moi ceux pour qui j’endure si injustement la
mort. C’est donc à ce juste sans péché que s’adresse David, quand il dit: «
J’ai péché à l’encontre de vous seul, j’ai fait le mal en votre présence, en
sorte que vous serez justifié dans vos paroles, et vainqueur quand on vous
jugera ». Vous êtes bien supérieur à tous les hommes, à tous les juges, et
quiconque se croit juste, n’est qu’injuste auprès de vous; vous seul jugez dans
la justice, et l’on vous a jugé injustement, vous qui aviez le pouvoir de
donner votre vie, comme le pouvoir de la reprendre 3. Vous triomphez donc alors
qu’on vous-met en jugement. Vous surpassez tous les hommes, parce que vous êtes
plus que tous les hommes, et que c’est par vous que les hommes ont été faits.
10. « J’ai péché contre vous seul, j’ai fait
le mal en votre présence, en sorte que vous serez justifié dans vos paroles, et
triompherez quand vous serez mis en jugement. Voilà en effet que j’ai été conçu
dans l’iniquité 4 ». Comme si l’on disait: Ceux-là sont vaincus qui ont agi
comme vous, ô David; car ce n’est pas un crime léger, une peccadille, qu’un
adultère et un homicide: en est-il de même de ceux qui n’ont commis aucune
faute depuis qu’ils sont sortis des entrailles de leur mère? Imputeriez-vous à
ceux-là quelques péchés, en sorte qu’il n’y ait pour triompher au jugement que
celui dont vous venez de parler? David parle ici au nom du genre humain, il a
vu les chaînes de tous, il a considéré en nous la mort qui se propage
1. Sag. II, 21. — 2. Jean, XIV, 30, 31. — 3.
Id. X, 18. — 4. Ps. L, 7.
il a vu l’iniquité à notre origine, et il
s’écrie: « Voilà que je suis conçu dans l’iniquité ». David était-il donc né de
l’adultère, lui fils de Jessé, homme juste, et de son épouse 1? Pourquoi dit-il
qu’il est conçu dans l’iniquité, sinon parce que l’iniquité nous vient d’Adam?
Et l’assujettissement à la mort s’est formé de l’iniquité même. Nul ne vient au
monde qu’il
n’entraîne avec lui sa peine, et le mérite de
sa peine. Le Prophète a dit ailleurs: « Nul n’est pur en votre présence, pas
même l’enfant qui est sur la terre depuis un jour 2 ».
Car nous savons que le baptême du Christ a la
force d’effacer les péchés, et qu’il est institué pour la rémission des fautes.
Si les enfants naissent avec une parfaite innocence, pourquoi les mères, les
voyant malades, viennent-elles en hâte les apporter à l’Eglise? Qu’efface donc
ce baptême, cette rémission? Je vois cet innocent qui pleure au lieu de
s’irriter. Qu’efface en lui le baptême? Que délie la grâce? Elle le délivre du
péché transmis. Si cet enfant pouvait parler, il dirait; et s’il avait
l’intelligence comme David, il répondrait: Pourquoi ne voir en moi que
l’enfant? Tu ne vois pas mes fautes à la vérité; « mais je suis conçu dans
l’iniquité, et dans ses entrailles ma mère m’a nourri du péché ». Car ce lien
de la concupiscence ne se trouvait pas dans le Christ né de la Vierge, qui
l’avait conçu de l’Esprit-Saint. On ne peut dire de celui-là qu’il est conçu
dans l’iniquité, il ne peut répéter: « Dans ses entrailles, elle m’a nourri du
péché, cette mère », à qui l’ange avait dit: « L’Esprit-Saint viendra en vous,
et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre 3 ». Si donc les hommes
sont conçus dans l’iniquité, s’ils sont nourris du péché dans les entrailles
maternelles, ce n’est point que l’union des époux soit un péché; mais parce
qu’alors, ce qui a lieu, vient d’une chair condamnée, et la condamnation de la
chair c’est la mort, et toute chair a son principe mortel. Aussi l’Apôtre ne
dit-il point que notre corps doit mourir, mais qu’il est mort: « A la vérité le
corps est mort à cause du péché, mais l’esprit vit à cause de la justice 4 ».
Comment pourrait naître sans les liens du péché ce qui est conçu, ce qui germe
dans un corps que le péché a
1. I Rois, XVI, 18. — 2. Job, XIV, 5, selon
les LXX. — 3. Luc, I, 35 — 4. Rom. VIII, 10.
frappé de mort? Cette action, dès qu’elle,
est chaste, n’est point criminelle; mais l’origine du péché entraîne le
châtiment qui lui est dû. Un époux, pour être époux, n’en est pas moins mortel,
et il n’est mortel qu’à cause du péché. Le Seigneur aussi était assujéti à la
mort, mais non cause du péché; il a pris sur lui notre peine, et a dès lors
expié notre faute. Il est donc juste que tous meurent en Adam, et que tous
vivent en Jésus-Christ 1. « Le péché », dit saint Paul, « est entré dans ce
monde, et par le péché la mort; ainsi la mort a passé en tous les hommes par
celui-là seul en qui tous ont péché 2 ». C’est un arrêt, dit l’Apôtre: tous ont
péché en Adam. Un seul enfant a pu naître dans l’innocence, parce qu’il n’était
point l’oeuvre d’Adam.
11. « Voilà que vous avez aimé la vérité,
vous m’avez découvert ce qu’il y avait pour moi d’incertain et de caché dans
votre sagesse 3 ». « Vous avez aimé la vérité »; c’est-à-dire, vous ne laissez
point sans châtiment les péchés que vous couvrez du pardon. « Vous avez aimé la
vérité »; et vous dispensez la miséricorde, de manière néanmoins à sauvegarder
la vérité. Vous pardonnez à celui qui avoue sa faute, et vous lui pardonnez
parce qu’il se châtie lui-même; ainsi sont d’accord la miséricorde et la
vérité: la miséricorde, parce que l’homme est délivré; la vérité, parce que le
péché reçoit son châtiment. « Voilà que vous avez aimé la vérité; vous m’avez
découvert ce qu’il y avait pour moi d’incertain et de caché dans votre sagesse
». Qu’y avait-il d’incertain, qu’y avait-il de caché? C’est que Dieu pardonne
même à de tels coupables. Rien d’aussi caché, rien d’aussi incertain. C’est
dans cette incertitude que les Ninivites firent pénitence. Ils se dirent en
effet, nonobstant les menaces du Prophète, nonobstant cette lugubre parole: «
Dans trois jours Ninive sera détruite »; ils se dirent qu’il fallait implorer
la divine miséricorde; ils se dirent dans leur perplexité: « Qui sait si Dieu
n’adoucira point sa sentence et n’aura point pitié de nous? » Dire: « Qui sait
», c’est être dans l’incertitude. Donc dans leur incertitude ils firent
pénitence, et obtinrent une miséricorde incertaine; ils se prosternèrent et
s’humilièrent dans les larmes, dans le jeûne, dans le cilice et dans la cendre;
ils gémirent, ils pleurèrent, et Dieu leur
1. I
Cor. XV, 22. — 2. Rom, V, 12. — 3. Ps. L, 8.
pardonna 1. Ninive demeura-t-elle sur pied
ou, fut-elle renversée? Autres sont les pensées. des hommes, et autres celles
de Dieu. Pour moi, je crois que la prédiction du Prophète fut accomplie. Voyez
ce qu’était Ninive, et comprenez qu’elle fut renversée: elle fut détruite du
côté du mal, et reconstruite dans le bien; de même que Saul persécuteur dut
être renversé, pour que s’élevât Saul le prédicateur 2. Qui ne croirait que
cette ville où nous sommes a été renversée pour son bonheur, si tous ces
insensés quittaient leurs folies, pour revenir dans 1’Eglise avec componction,
et demandaient à Dieu pardon de leurs fautes passées? Ne dirions-nous pas
alors: Où est cette Carthage d’autrefois? Elle n’est plus ce qu’elle était,
elle est renversée; mais, pour être ce qu’elle n’était pas, elle est donc reconstruite?
C’est en ce sens qu’il fut dit à Jérémie: « Voilà que je t’ai établi pour
arracher, pour détruire, pour renverser, pour dissiper, et ensuite pour édifier
et planter 3». De là encore ce mot du Seigneur: « Je frapperai et je guérirai 4
». Il frappe ce qu’il y a de grangréné dans le vice, il guérit la douleur de la
blessure. Ainsi en usent les médecins: ils tranchent, ils frappent, ils
guérissent; ils s’arment pour frapper, ils prennent le fer et ne viennent que
pour guérir. Mais comme les Ninivites étaient de grands coupables, ils dirent:
« Qui sait? » Cette incertitude, le Seigneur en avait délivré David son
serviteur. Quand, en face du Prophète qui lui reprochait son crime, il s’écria:
« J’ai péché »; aussitôt il entendit le Prophète, c’est-à-dire l’Esprit-Saint
par la bouche du Prophète, qui, lui dit: « Votre péché vous est remis 5 ». Le
Seigneur donc lui avait découvert ce qu’il y a d’incertain dans sa sagesse.
12. « Vous me laverez avec l’hysope »,
dit-il, « et je deviendrai pur 6 ». Nous savons que l’hysope est une herbe peu
élevée, mais curative: on dit que sa racine s’attache à la pierre. De là vient
qu’elle est choisie comme un symbole de la pureté du coeur. Toi aussi, embrasse
la pierre, par la racine de l’amour: sois humble devant ton Dieu qui est
humble, afin de t’élever un jour avec ton Dieu glorifié., Tu seras lavé avec
l’hysope, l’humilité, du Christ te purifiera. Au lieu de mépriser la
1. Jean, III, 4-10. — 2. Act. IX, 4. — 3.
Jérém. I, 10. — 4. Deut. XXXII, 39, — 5. II Rois, XII, 13. — 6. Ps. L, 9.
bassesse de cette herbe, considère sa vertu
médicale. J’ajouterai ceci, que disent d’ordinaire les médecins, et dont les
malades font l’expérience: c’est que l’hysope a la vertu de guérir les poumons.
Or, le poumon est le symbole ordinaire de l’orgueil; il s’enfle et se dilate
par la respiration. Il est dit de Saul persécuteur ou de Saul l’orgueilleux,
qu’il courait pour lier les chrétiens, ne respirant que le meurtre 1; son
poumon n’était point pur, et il respirait le meurtre, il respirait le sang.
Mais écoute combien est pur celui qu’a lavé l’hysope: « Vous me laverez avec
l’hysope et je serai pur; vous me laverez, et je serai plus blanc que la neige
». «Quand même », est-il dit ailleurs, « vos péchés seraient comme la pourpre,
ils se blanchiraient comme la neige 2 ». C’est de ceux-là que le Christ se
forme un manteau sans tache et sans ride 3. De là vient que sur la montagne son
vêtement parut blanc comme la neige 4, et fut le symbole de l‘Eglise pure de
tout péché.
13. Mais où est l’humilité qui vient de
l’hysope? Ecoutez la suite: « Vous ferez entendre à mon oreille la joie et
l’allégresse, et les ossements brisés tressailliront 5. Vous mettrez dans mon
oreille la joie et l’allégresse ». Je me réjouirai de vous entendre et non de
parler contre vous. Tu es pécheur, ô homme, pourquoi t’en défendre? Tu veux
parler: souffre que Dieu te parle, écoute, cède à la parole divine, ne te
trouble point afin de ne point augmenter tes blessures: une faute est commise,
ne la défends point, confesse-la sans l’excuser. Tu succomberas si tu te
constitues l’avocat de ta faute: tu n’es pas un avocat irréprochable, ta
défense ne peut être que malheureuse. Qui es-tu en effet, pour te défendre? Tu
n’es propre qu’à t’accuser. Loin de toi donc ces excuses: ou, je n’ai rien
fait; ou, quelle grande faute ai-je commise? ou, d’autres l’ont faite ainsi que
moi. Si, coupable d’un crime, tu dis que tu n’as rien fait, tu ne seras rien
devant Dieu, tu ne recevras rien de lui: Dieu est tout prêt à t’accorder le
pardon, tu en fermes l’issue jusqu’à toi: il est prêt à te faire grâce, ne lui
oppose point ta défense comme une digue, ouvre-lui ton coeur par l’aveu. « Vous
me ferez entendre la joie et
1. Act. IX, 1. — 2. Isa. I, 18. — 3. Eph. V, 27. — 4. Matt. XVII, 2. 5. — 5. Ps. L, 10.
l’allégresse ». Que Dieu, mes frères, me
donne d’exprimer ma pensée. Les auditeurs sont plus heureux que les
prédicateurs: quiconque s’instruit est humble, mais celui qui instruit les autres
doit se mettre en garde contre l’orgueil, contre toute volonté de plaire aux
hommes, ce qui serait alors déplaire à Dieu. Ceux qui instruisent, mes frères,
tremblent devant ces paroles, et je ne vous parle qu’en tremblant. Croyez-en à
mon coeur que vous ne pouvez voir: mais puisse s’adoucir en notre faveur, et
nous être propice, celui qui connaît avec quel tremblement je vous instruis !
Mais lorsque nous l’écoutons qui nous parle intérieurement, qui nous enseigne,
alors nous sommes en sûreté, notre joie est sans crainte: nous avons un maître,
nous cherchons sa gloire, nous le louons dans ses enseignements: sa vérité nous
transporte à l’intérieur où nul ne fait et n’entend le bruit. C’est là que
David trouvait sa joie et son allégresse. «Vous mettrez», dit-il, « dans mon
oreille la joie et l’allégresse ». Mais il écoute parce qu’il est humble. Celui
qui écoute, qui écoute vraiment, sincèrement, celui-là écoute avec humilité,
car toute sa gloire est dans celui dont il écoute la parole. Après avoir dit: «
Vous mettrez dans mon oreille la joie et l’allégresse, il nous montre ce qu’il
en revient d’avoir écouté. Les ossements brisés tressailliront ». Les ossements
brisés, les ossements de celui qui écoute, n’ont point ce faste et cet orgueil
que surmonte difficilement en lui-même celui qui parle. De là encore l’humilité
de ce grand homme dont le Christ a dit que nul ne fut plus grand parmi les
enfants des hommes 1, et qui s’humilia au point de se dire indigne de délier
les cordons des souliers du Seigneur 2, de ce Jean-Baptiste, qui rendit toute
la gloire à son maître et devint ainsi son ami. Et quand on le prenait pour le
Christ, et qu’il pouvait se prévaloir et s’enorgueillir de cette erreur; non
que lui-même se soit dit le Christ, mais quand il pouvait accepter cet honneur
de la part des hommes qui voulaient spontanément le lui déférer 3, il repoussa
ce faux honneur afin de trouver la vraie gloire; et voyez comme son humilité
venait de ce qu’il écoutait: « Celui qui a l’épouse », dit-il, « est l’époux;
mais celui qui se tient debout et qui écoute, est l’ami de
1.
Matt. XI, 11. — 2. Marc, I, 7. — 3. Luc, III, 15.
l’époux ». Il dit qu’il est debout et qu’il
écoute, non pas, qu’il tombe et qu’il parle. « Il est debout», dit-il, « et il
écoute l’époux». Vous l’entendez, il est debout, où donc est la
joie et l’allégresse? Il continue aussitôt: «
Il est debout, et il l’écoute, et il tressaille de joie à la voix de l’époux 1.
Quand j’écouterai, vous me donnerez la joie et l’allégresse, et les ossements
jetés à terre tressailliront ».
14. « Détournez votre face de mes fautes,
effacez toutes mes iniquités 2 » Déjà tressaillent mes ossements jetés à terre,
déjà l’hysope m’a purifié, et je suis devenu humble. « Détournez votre face,
non de moi, mais de mes péchés ». Car il dit ailleurs en suppliant: « Ne
détournez point de moi votre face 3». Il ne veut donc point que Dieu détourne
de lui sa face, mais il veut qu’il la détourne de ses péchés. Car Dieu voit
tout péché dont il ne détourne pas sa face; s’il le voit il le châtie. «
Détournez donc votre face de mes fautes, effacez toutes mes iniquités». Il se
rassure au sujet de son grand péché; il porte plus loin sa confiance, il veut
que toutes ses fautes soient effacées: il met son espoir dans la main du
médecin, dans cette grande miséricorde, qu’il a implorée au commencement du
psaume: « Effacez toutes mes iniquités ». Dieu détourne ses regards, et c’est
ainsi qu’il les efface: en détourner son regard, c’est les effacer; les voir,
c’est les écrire. Tu as entendu que Dieu efface nos péchés quand il s’en
détourne, écoute ce qu’il fait quand il les voit: « La face du Seigneur est sur
tous ceux qui font le mal, afin d’effacer de la terre jusqu’à leur souvenir 4
»; parce qu’il n’efface pas leurs péchés. Mais ici, que demande le Prophète? «
Détournez vos regards de mes péchés ». Cette prière est sage, car lui-même ne
détourne point les yeux de ses fautes, puisqu’il dit: « Pour moi, je connais
mon péché ». Tu as donc le droit, tu fais bien de demander à Dieu qu’il
détourne son regard de tes péchés, situ n’en détournes pas le tien; mais si tu
rejettes ton péché en arrière, Dieu le tient présent sous ses yeux. Que ton
péché soit donc toujours sous tes yeux, si tu veux que Dieu en détourne ses
regards tu peux alors le demander en toute sûreté, et il t’exaucera.
15. « Créez en moi,, Seigneur, un coeur
nouveau ». « Créez »; le Prophète n’a point
1. Jean, III, 29.— 2.
Ps. L, 11 — 3. Id. XXVI, 3.— 4. Id. XXXIII, 17.
voulu dire par là: Faites en moi quelque
chose de nouveau; mais comme il priait avec repentir, comme il était coupable
d’un crime, et qu’avant ce crime il était plus innocent, il nous montre ainsi
la valeur de cette expression: « Créez. Et renouvelez au fond de mon âme
l’esprit de droiture ». Mon crime, dit-il, avait détruit et courbé la droiture
de mon esprit. Il dit dans un autre psaume: « Ils ont, courbé mon âme 1 ». Et
quand l’homme se penche vers les convoitises du temps, il se courbe en quelque
sorte; quand il s’élève aux biens d’en haut, de manière à trouver la douceur en
Dieu, son coeur devient droit. « Combien est bon le Dieu d’Israël, pour ceux «
qui ont le coeur droit 2 ! » Donc, mes frères, écoutez. Souvent Dieu châtie de
ses péchés en cette vie l’homme auquel il pardonne pour l’autre vie. David
lui-même, à qui Dieu avait dit par son Prophète: « Votre péché vous est remis 3
», dut subir les châtiments dont Dieu l’avait menacé à cause de sa faute. Son
fils Absalon lui fit une guerre sanglante et le réduisit à d’humiliantes
extrémités 4. Il marchait dans la douleur, dans l’affliction et le mépris,
tellement soumis à Dieu qu’il reconnaissait sa justice dans ces traitements, et
confessait qu’il ne souffrait rien qu’il n’eût mérité. Déjà son coeur était
redressé, et Dieu ne lui déplaisait point. Il entendit patiemment un homme qui l’injuriait
et lui jetait à la face des imprécations 5, un homme qui se déclarait son
ennemi, et marchait avec les soldats de son fils rebelle. A ces malédictions
jetées au roi, un des compagnons de David voulut courir sur cet insolent et le
tuer; niais David le retint. En quels termes? « C’est Dieu», dit-il, « qui l’a
envoyé pour me maudire ». Il reconnaît donc sa faute, il en approuve le
châtiment, il ne cherche point sa propre gloire; il bénit le Seigneur du bien
qu’il trouve en lui-même, il bénit le Seigneur des maux qu’il endure, il bénit
le Seigneur en tout temps; la louange du Seigneur est toujours en sa bouche 6.
Tels sont les hommes au coeur droit: bien différents de ces hommes dépravés qui
se croient justes et Dieu pervers; qui jubilent quand ils font le mal; qui
blasphèment quand ils souffrent; qui sous le fouet de la tribulation s’écrient
dans leur âme dépravée: Dieu, que t’ai-je fait? En vérité, ils
1. Ps. LV, 7.— 2. Id. LXXII, 1.— 3. II Rois,
XII, 13.— 4. Id. XV, 10.— 5. Id. XVI, 6. — 6. Ps. XXII, 2.
n’ont rien fait pour Dieu, ils ont tout fait
pour eux-mêmes: « Renouvelez dans mes entrailles d’esprit de droiture ».
16. « Ne me repoussez point de votre présence
». Détournez vos regards de mes péchés, mais ne m’éloignez pas de votre
présence. Il redoute le regard de Dieu, et néanmoins il invoque ce regard. « Ne
m’éloignez pas de votre présence, et ne retirez pas de moi votre Esprit-Saint 1
». Car le Saint-Esprit est dans celui qui avoue ses fautes. Que votre péché
vous déplaise, c’est là un don de l’Esprit-Saint. Le mal plaît à l’esprit
impur, il déplaît à l’esprit de sainteté: et quoique, d’une part, tu demandes
encore pardon à Dieu, néanmoins comme d’autre part tu as en aversion le mal que
tu as fait, lu es uni à Dieu, puisque tu hais ce qu’il hait. Ainsi, vous voilà
deux contre la fièvre, le médecin et toi. Mais comme il n’est pas au pouvoir de
l’homme d’avouer et de punir par lui-même son péché, quiconque s’irrite contre
soi-même et se prend à dégoût, ne le fait que par un don de l’Esprit-Saint. Aussi
le Prophète ne dit point: Donnez-moi votre Esprit-Saint, mais: « Ne le retirez
pas de moi. Ne retirez pas de moi votre Esprit-Saint ».
17. « Rendez-moi la joie de votre salut 2 ».
« Rendez-la-moi », car je l’avais avant de la perdre par le péché: « Rendez-moi
cette joie de votre salut »; c’est-à-dire de votre Christ. Sans lui, qui peut
être guéri? Avant même qu’il fût né d’une vierge, « le Verbe était au
commencement, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu 3». Ainsi les
anciens croyaient à l’Incarnation dans l’avenir, comme nous y croyons au passé.
Les temps ont changé, mais non la foi. « Rendez-moi la joie de votre salut, et
fortifiez-moi de votre souverain Esprit ». Plusieurs ont vu ici la Trinité, si
l’on envisage Dieu en lui-même et sans le mystère de l’Incarnation. Il est
écrit en effet: « Dieu est esprit 4 ». Ce qui n’est point corporel et qui
existe néanmoins ne peut être qu’esprit. Quelques-uns donc ont vu ici la
Trinité, « l’Esprit de droiture » serait le Fils 5, « l’Esprit-Saint », le
Saint-Esprit, et « l’Esprit souverain», le Père. Que l’on entende ainsi ces
paroles, ou que dans cette expression: « Renouvelez dans mes entrailles
l’esprit de droiture », le Prophète ait parlé
1.
Ps. L, 13.— 2. Id. 14. — 3. Jean, I, 1. — 4. Id. IV, 24.— 5. Cap.IV, n. 6,
Hieronimus in Epist. ad Galat.
de l’esprit de l’homme, que le péché a
courbé, rendu tortueux, en sorte que l’Esprit-Saint soit cet esprit principal,
qu’il demande à Dieu de ne point lui ôter, et dans lequel il veut être affermi,
aucun de ces deux sens n’est contre la foi.
18. Mais voyez ce qu’il ajoute: «
Fortifiez-moi », dit-il, « parle souverain Esprit ». En quoi veut-il être
affermi? Parce que vous m’avez accordé mon pardon, parce que j’ai la certitude
que vous ne m’imputerez point ce que vous m’avez remis, cette faveur me donne
la sécurité, cette grâce me fortifie, et je ne serai pas ingrat. Que ferai-je
alors? « J’enseignerai vos voies aux méchants ». Moi, jadis impie, j’instruirai
les impies, c’est-à-dire qu’après avoir été méchant, je ne le suis plus, et que
si vous ne retirez de moi votre esprit, si même vous m’affermissez dans
l’esprit souverain, « j’enseignerai vos voies aux méchants ».Quelles voies leur
enseignerais-tu? « Les impies se retourneront vers vous 1 ». Si le péché de David
est regardé comme une impiété, que les impies ne se livrent point au désespoir,
puisque Dieu pardonne à l’impie: mais à la condition qu’ils se convertiront à
lui, qu’ils étudieront ses voies. Si l’on ne voit point dans les péchés de
David une impiété, et si l’impiété est proprement l’apostasie contre Dieu, si
elle consiste à n’adorer pas un seul Dieu, à ne l’avoir jamais servi, ou à le
quitter après l’avoir servi, il y a comme exagération dans cette parole: « Les
impies se tourneront vers vous». Telle est l’abondance de votre miséricorde,
que ceux qui se convertissent à vous, non seulement d’entre les pécheurs
vulgaires, mais aussi d’entre les impies, ne doivent point désespérer. « Les
impies, se retourneront vers vous ». Pourquoi? Afin que leur foi leur soit
imputée à justice, quand ils croiront en celui qui justifie l’impie 2.
19. «Délivrez-moi des sangs, Seigneur, Dieu
de mon salut ». En mettant au pluriel le mot sang, le traducteur latin s’est
servi d’une expression peu latine pour rendre la force du grec. Nous savons
tous que le mot sang n’a pas de pluriel; et néanmoins comme le grec l’a mis au
pluriel, non sans raison, et parce qu’il en était ainsi dans l’hébreu, le pieux
interprète a mieux aimé employer une expression moins latine qu’une autre moins
exacte.
1. Ps. L, 15. — 2. Rom. IV, 5.
Pourquoi donc a-t-il dit au pluriel: «
Délivrez-moi des sangs? » Il a voulu montrer dans la pluralité du sang, comme
dans l’origine de cette chair du péché, la pluralité de fautes. C’est dans le
même sens que sain Paul, envisageant ces fautes sans nombre qu nous viennent de
la corruption du sang et de la chair, s’écriait: « La chair et le sang ne
posséderont pas le royaume de Dieu 1 ». Et néanmoins, d’après l’enseignement du
même Apôtre, il est de foi que notre chair ressuscitera, et qu’elle méritera
d’être incorruptible selon cette parole: « Il faut que ce corps corruptible
soit revêtu d’incorruptibilité, et que cette chair mortelle soit revêtue
d’immortalité 2 ». Comme donc c’est du péché que vient cette corruption, elle
donne son nom aux péchés; de même qu’on donne le nom de langue à cette parcelle
de chair, à ce membre qui se meut dans la bouche quand nous articulons des mots
distincts, et langue encore ce que profère cette langue; ainsi nous disons la
langue latine ou la langue grecque; non que la chair soit différente, mais
simplement le son. De même alors qu’on appelle une langue ce que produit une
langue; de même on appelle sang l’iniquité qui vient du sang. Jetons donc les
yeux sur le grand nombre d’iniquités, ainsi qu’il l’a dit plus haut: « Effacez
toutes mes fautes; et les attribuant à la corruption de la chair et du sang, «
Délivrez-moi », dit-il, «des sangs»; c’est-à-dire, délivrez-moi de mes
iniquités, purifiez-moi de toute corruption. Dire alors: Délivrez-moi des
sangs, c’est témoigner le désir d’être incorruptible: car la chair et le sang
ne posséderont pas le royaume de Dieu, non plus que la corruption ne possédera
l’héritage incorruptible. « Délivrez-moi des sangs, Seigneur, Dieu de mon salut
». Il nous montre ainsi que quand notre corps sera parfaitement sain, il n’y
aura en lui rien de cette corruption, que l’on désigne sous le nom de chair et
de sang: et que la santé du corps sera complète. Maintenant, en effet, comment
dire qu’il est sain, ce corps qui tombe, qui est dans le besoin, qui est sans
cesse tourmenté par la maladie de la faim ou de la soif? Voilà ce qui
disparaîtra
car les aliments sont pour l’estomac, et
l’estomac pour les aliments 3, mais Un jour Dieu détruira l’un et les autres.
Dieu donnera au corps une beauté parfaite, la mort sera
1. I Cor. XV,
5. — 2. Id. 53. — 3. I Cor. VI, 13.
absorbée dans sa victoire 1, il n’y aura plus
aucune corruption, nulle défaillance ne nous surprendra, les années ne nous
changeront point, nul travail ne nous fatiguera, nous n’aurons besoin ni de
viande pour réparer nos forces, ni de nourriture pour les soutenir. Toutefois
nous ne serons privés ni d’aliments ni de breuvage; mais nous aurons pour
nourriture et pour breuvage Dieu lui-même: c’est le seul aliment qui nourrisse
toujours et qui ne s’épuise jamais. « Délivrez-moi des sangs, Seigneur, Dieu de
mon salut ». Ce salut, nous en jouissons dès maintenant. Ecoutez l’Apôtre: «
Nous sommes sauvés par l’espérance ». Et voyez qu’il parlait du salut du corps:
«En nous-mêmes nous gémissons dans l’attente de l’adoption des enfants de Dieu,
qui sera la délivrance de notre corps; nous sommes en effet sauvés par
l’espérance; or, l’espérance que l’on verrait ne serait plus de l’espérance;
comment espérer ce que l’on voit? Si donc nous ne voyons pas encore ce que nous
espérons, nous l’attendons par la patience 2 ». Celui qui persévérera jusqu’à
la lin, et telle est la patience, celui-là sera sauvé 3; et voilà le salut que
nous n’avons pas encore, mais que nous devons avoir. La réalité n’existe pas
encore, l’espérance est certaine. « Et ma langue alors publiera votre justice
».
20. « Seigneur, vous ouvrirez mes lèvres, et
ma bouche publiera vos louanges 4. Vos louanges, parce que vous m’avez créé;
vos louanges », parce que vous ne m’avez
pas abandonné, malgré mon péché; « vos
louanges », parce que vous m’avez averti
de confesser ma faute; « vos louanges», parce
que vous m’avez purifié afin que je fusse en
sûreté: « Vous ouvrirez mes lèvres, et ma
bouche publiera vos louanges ».
21. « Si vous aviez voulu des sacrifices, je
vous en aurais offert 5 ». Au temps de David on offrait à Dieu des animaux en
sacrifice, mais il voyait les temps à venir. N’est-ce point nous que nous
reconnaissons dans ces paroles? Ces sacrifices étaient des symboles qui
annonçaient l’unique sacrifice du salut. Dieu ne nous a donc pas abandonnés
sans nous laisser un sacrifice que nous puissions lui offrir. Ecoute le
Prophète soucieux de son péché, et cherchant à obtenir le pardon du crime qu’il
a commis: « Si vous eussiez voulu des
1. I
Cor. XV, 54.— 2. Rom. VIII, 23 - 25.— 3. Matt. X, 21; XXIV, 13— 4. Ps. L, 17. —
5. Id.
18.
sacrifices », dit-il, « je vous en aurais
offert. Mais les holocaustes ne vous sont point agréables 1 ». N’aurons-nous
donc rien à offrir? Nous présenterons-nous ainsi devant Dieu? Comment alors
l’apaiser? Eh bien ! offre à Dieu, tu as en toi de quoi lui offrir. Ne va pas
au loin chercher de l’encens; mais dis: «En moi, Seigneur, sont les vœux que je
vous présenterai, les louanges que je vous offrirai 2». Ne cherche point un
animal pour l’égorger, tu as en toi de quoi immoler à Dieu. « Le sacrifice que
veut le Seigneur est une âme brisée, et Dieu ne dédaigne pas un coeur contrit
et humilié 3». Le taureau, le bouc, le bélier, il les dédaigne; ce n’est plus
le moment de les offrir. On les offrait quand ils étaient des symboles, des
promesses; mais la promesse a dû disparaître devant l’objet lui-même. « Dieu
donc ne rejette pas un coeur contrit et humilié ». Dieu est élevé, tu le sais:
si tu t’élèves, il s’éloignera de toi; si tu t’abaisses, il s’en approchera.
22. Voyez celui qui parle ici: il semblait
que cette prière n’était que de David, et néanmoins voyez ici notre image, et
la figure de l’Eglise. « Dans votre bonté, Seigneur, répandez vos faveurs en
Sion 4 ». Soyez favorable à cette Sion. A quelle Sion? A la cité sainte. Quelle
est la cité sainte? Celle qui ne peut être cachée, qui est établie sur la
montagne 5. En Sion est la contemplation, parce qu’elle contemple ce qu’elle
espère. Sion signifie donc la contemplation, et Jérusalem vision de la paix.
Vous vous reconnaissez donc en Sion et en Jérusalem, si vous attendez avec
certitude l’espérance à venir, et si vous êtes en paix avec Dieu. « Elevez les
murs de Jérusalem. Seigneur, dans votre bonté, répandez vos faveurs en Sion;
élevez les murs de Jérusalem ». Que Sion ne s’attribue aucun mérite; mais vous,
Seigneur, comblez-la de vos grâces: « Elevez les murs de Jérusalem », mettez
les boulevards de notre immortalité, dans la foi, dans l’espérance, dans la
charité.
23. «Alors vous recevrez le sacrifice de
justice 6. Maintenant pour nos fautes vous recevez le sacrifice d’une âme
brisée, d’un coeur contrit et humilié, alors on ne vous offrira plus qu’un sacrifice
de justice, uniquement des louanges. « Bienheureux ceux qui
1. Ps. L, 19.— 2. Id. LV,12.— 3. Id. L,19.—
4. Id. 20.— 5. Matt. V, 14. — 6. Ps. L, 21.
habitent vos demeures, ils vous béniront
éternellement 1 ». Voilà le sacrifice de justice. « Quant aux offrandes et aux
holocaustes ». Qu’appelle-t-on holocaustes? L’offrande entièrement consumée par
le feu. Quand le corps de la victime était brûlé entièrement par le feu de
l’autel, ce sacrifice prenait le nom d’holocauste. Que le feu divin nous consume
entièrement, qu’une sainte ferveur nous absorbe. Quelle ferveur? « Nul ne peut
se dérober à ses feux 2 ». Quelle ferveur encore? L’Apôtre l’a dit: « Ayons la
ferveur de l’esprit 3 ». Non seulement que notre âme, que notre corps aussi
soit embrasé de ce feu de la divine sagesse, afin de mériter là haut
l’immortalité; que notre holocauste s’élève jusqu’à absorber la mort dans sa
victoire 4. « On fera en votre honneur des offrandes et des holocaustes, et
l’on placera la chair des veaux sur vos autels ». Pourquoi des veaux? Qu’y
choisira le Seigneur? Est-ce l’innocence du jeune âge, ou l’affranchissement du
joug de la loi?
24. Nous voici, mes frères, par la grâce du
Christ, à la fin du Psaume, non peut-être comme nous l’aurions voulu; mais, du
moins, comme nous l’avons pu. Il nous reste à vous adresser quelques mots sur
les malheurs dans lesquels nous vivons. Car nous vivons en ce monde et il nous
est impossible de nous séparer des désordres du monde. Il nous faut donc de la
patience pour vivre au milieu des méchants, car les bons qui vivaient avec nous
quand nous étions impies, nous ont supportés avec patience. N’oublions pas ce
que nous étions, ne désespérons pas de ceux qui sont aujourd’hui ce que nous
avons été. Toutefois, mes frères, dans une telle diversité de moeurs, et dans
une si effroyable corruption, gouvernez vos maisons, gouvernez vos enfants,
gouvernez vos familles. Autant nous sommes obligé de vous parler au nom de
l’Eglise, autant le devoir vous oblige à veiller sur vos familles, afin que
vous puissiez rendre un bon témoignage de ceux qui vous sont confiés. Dieu aime
l’ordre. C’est une innocence bien fausse et bien perverse, que de lâcher les
rênes aux péchés. C’est une indulgence bien inutile et même bien funeste que
celle d’un père pour un fils qui ressentira la sévérité de Dieu; et non
seulement le fils, mais avec
1.
Ps. LXXXII, 5. — 2. Id. XVII, 7.— 3. Rom. XII, 11.— 4. I Cor. XV, 51.
lui ce père dissolu. Quoi donc en effet? S’il
ne pèche point, n’est-il pas cause des péchés de son fils, n’est-ce pas à lui
d’en arrêter les désordres? Veut-il faire croire à ce fils qu’il commettrait
les mêmes fautes, s’il n’était trop vieux? Une faute que tu ne détestes pas
dans ton fils est une faute qui te plaît; c’est l’âge qui te fait défaut et non
la concupiscence. Surtout, mes frères, veillez sur ceux de vos enfants pour qui
votre foi vous a fait demander le baptême. Mais peut-être un fils indigne
méprisera les avertissements, les réprimandes, les châtiments de son père; eh
bien ! accomplissez votre devoir, Dieu lui demandera compte du sien.
Ces
cinquante premiers Psaumes ont été traduits par M. l’abbé MORISOT
David
a remporté sur ses ennemis de grandes victoires; après les avoir exterminés, il
a régné avec gloire; ainsi Jésus-Christ a-t-il triomphé des hommes; il a
détruit en eux l’orgueil et les autres vices, et il les a soumis à son empire
par la crainte de ses jugements; ils se sont convertis, et alors l’Eglise a
triomphé malgré ses humiliations et les persécutions qu’elle a endurées; elle
s’est répandue partout, et elle règne nième sur les pécheurs, parce que Dieu la
protége et la soutient dans ses combats.
1. Le psaume dont nous allons entretenir
votre charité est peu étendu, mais son titre exige quelques explications;
écoutez-nous donc patiemment, nous vous l’expliquerons de notre mieux, et dans
la mesure des grâces que Dieu nous accordera à cet effet. Nous ne pouvons
passer outre sans donner un développement suffisant à notre interprétation,
puisque, selon le bon plaisir de nos frères, nos paroles doivent être
recueillies non seulement par vos oreilles et vos coeurs, mais aussi par le
stylet; nous devons donc avoir en vue nos auditeurs présents et nos futurs
lecteurs. Nous vous avons fait lire aussi un passage du livre des Rois, oit il
est question de l’événement qui a donné lieu à ce psaume. Saül avait été choisi
de Dieu, il était devenu roi, mais à titre transitoire et à cause de la dureté
de coeur et des mauvaises dispositions du peuple juif: non pour le bien-être de
ce peuple, mais pour sa punition, selon cette sentence de nos livres saints qui
parlent ainsi de Dieu: « Il fait régner l’homme hypocrite, parce que le peuple
est corrompu 1». Arrivé ainsi au pouvoir, Saül persécutait David: David en qui
Dieu préfigurait le royaume du salut éternel, David que Dieu avait choisi pour
régner toujours dans la personne de ses descendants, puisque notre Roi, le Roi
des siècles, avec qui nous devons régner éternellement, devait « naître de la
race de David selon la chair 2 ». Dieu choisit, élut et prédestina donc David
pour être roi, mais il ne voulut point le laisser monter sur le trône avant de
lui avoir fait subir l’épreuve de la persécution et de l’en avoir délivré; et
en cela David devait nous figurer d’avance, et figurer en nous le corps dont le
Christ est le chef. Car si notre chef lui-même n’a voulu régner dans le ciel
qu’après avoir fourni sur la terre une carrière pénible; s’il n’a voulu élever
jusqu’au ciel le corps dont il s’était revêtu ici-bas, qu’en lui faisant suivre
une voie douloureuse, de quel droit les membres oseraient-ils se promettre de
pouvoir être plus
1. Job, XXXIV, 30. — 2. Rom. I, 3.
heureux que leur chef? « S’ils ont appelé le
Père de famille Belzébuth, ne traiteront-ils pas de même ses serviteurs 1?»
N’espérons donc point un chemin plus facile: marchons où il a marché avant
nous, suivons la route qu’il nous a tracée; ses pas doivent nous servir de
guides; si nous nous écartons, notre perte est certaine.
Vois donc ce que figurait David; vois, par
conséquent, ce que figurait Saül: Saül annonçait le règne du mal, David, celui
du bien; celui-ci la vie, l’autre la mort. Nous ne sommes, à vrai dire,
persécutés que par la mort; et, encore, en triompherons-nous à la fin et
pourrons-nous lui dire: « O mort, où est ta force; ô mort, où est ton aiguillon
2? »Comment puis-je dire que la mort seule nous persécute? Parce que si nous
n’étions point condamnés à mourir, quel mal pourrait nous faire notre ennemi?
Nuit-il aux anges? La mort elle-même, source de nos plus amères tribulations,
la mort elle-même verra finir son règne, lorsqu’à la fin des siècles nous
ressusciterons d’entre les morts: si alors on nous trouve établis dans la
justice, sa puissance s’évanouira à notre égard, comme elle s’est évanouie à
l’égard de notre chef. Car en mourant, le Christ devint l’assassin de la mort;
au moment où il rendit le dernier soupir, elle périt bien plutôt sous ses
coups, qu’il ne succomba lui-même victime de ses atteintes.
2. Si, maintenant, nous voulons étudier le
nom même de Saül, nous y rencontrerons encore un sens mystérieux; car ce nom
signifie demande ou désir. Pouvons-nous avoir le moindre doute sur la cause de
notre mort? Le péché de l’homme, en voilà l’origine:
l’homme s’est donc, à vrai dire, souhaité la
mort; voilà pourquoi on donne le nom de « désir » à la mort; car il est écrit:
« Dieu n’a point fait la mort, et il ne se réjouit point dans la perte des
vivants; il a créé toutes choses afin de les faire subsister, et il a mis
toutes les nations de la terre dans un même de état de santé et de bonheur »;
mais, diras-tu, d’où vient donc la mort? « Les impies l’ont attirée par leurs
mains et leurs paroles; ils la considéraient comme une amie, ils ont péri 3 ».
Ils l’ont désirée et se sont perdus, ils sont tombés dans les piéges de la
mort, alors même qu’ils la regardaient comme une amie; ainsi le peuple juif, en
demandant un
1.
Matt. X, 25.— 2. I Cor. XV, 55.— 3. Sag. I, 13, 14, 16.
roi, crut avoir en lui un ami, et il n’y
rencontra qu’un ennemi. Cette nation arracha au Seigneur la permission d’avoir
un roi, et il lui donna Saül, comme il avait livré en leur propre puissance
ceux-là mêmes qui, par leurs mains et leurs désirs, s’étaient efforcés
d’attirer la mort; la mort fut donc figurée en la personne de Saül, c’est
pourquoi le dix-septième psaume porte ce titre: « Psaume pour le jour où le
Seigneur délivra David de la main de ses ennemis et de la main de Saül». Il
parle d’abord de ses ennemis et ensuite de la main de Saül, parce que la mort,
notre plus cruelle ennemie, sera détruite la dernière; « et de la main de Saül
»,signifie donc qu’il nous a rachetés de l’enfer et délivrés de l’empire de la
mort.
3. Au moment où Saül persécutait le saint
homme David, celui-ci s’enfuit en un lieu où il pensait trouver un abri sûr;
pendant sa fuite il s’arrêta en passant chez le prêtre Achimélech, qui lui
donna les pains consacrés à Dieu, et ainsi figura-t-il en sa personne la
royauté et le sacerdoce; puisque, selon la parole du Sauveur citée dans
l’Evangile, « il mangea les pains de proposition que les prêtres seuls avaient
le droit de manger 1 ». Ce fut alors que Sait! commença à vouloir découvrir ses
traces, et s’irrita contre ses serviteurs, parce qu’aucun d’eux ne consentait à
le lui livrer: voilà ce que nous avons lu dans le livre des Rois.
Quand David vint chez le prêtre Achimélech,
le prince des pasteurs de Saül, un Iduméen, nommé Doëch, se trouvait là; témoin
de la colère de son maître, et de la persistance de tous à ne point lui livrer
David, Doëch déclara traîtreusement en quel endroit il l’avait aperçu. Saül
envoya donc chercher le prêtre avec toute sa famille, et donna l’ordre de les
mettre à mort; mais aucun de ceux qui accompagnaient le roi n’osa, même sur ses
ordres réitérés, porter la main sur les prêtres du Seigneur; pourtant celui qui
avait imité Judas dans sa trahison, persévéra comme lui jusqu’à la fin dans ses
honteux errements, et continua à faire sortir de la racine empoisonnée de son
coeur des fruits tels qu’un mauvais arbre peut en produire. A un signe du roi,
ce Doëch tua donc de sa propre main le prêtre avec tous les siens, et leur
ville elle-même fut ensuite entièrement détruite.
1. Matt. XII, 4.
Doëch fut donc l’ennemi du roi David et du
prêtre Achimélech. Il n’y avait en lui qu’un homme, et néanmoins il
représentait toute une classe d’hommes, comme David, personnification visible
de la royauté et du sacerdoce, n’était non plus qu’un homme tout à la fois
prêtre et roi, et pourtant représentait une autre classe d’hommes. Voyons donc
ce que sont dans le temps présent et sur cette terre ces deux classes d’hommes,
afin que nous puissions faire tourner à notre profit les paroles que nous avons
chantées ou entendu chanter. Portons notre attention sur Doëch, puis sur ceux
que représentent le roi et le prêtre, enfin sur les hommes opposés au Pontife
et au roi.
4. D’abord réfléchissez au sens même ries
noms, vous y verrez déjà de mystérieuses choses: Doëch signifie mouvement;
Iduméen veut dire terrestre. Voyez donc quelle classe d’hommes désigne ce Doëch
en mouvement. Il est terrestre, sa durée ne sera donc pas éternelle: elle est
éphémère. Que peut-on attendre d’un homme terrestre? des oeuvres célestes? Non,
car il sera toujours homme. Pour le dire brièvement et sans retard, il y a
aujourd’hui ici-bas un royaume terrestre et un royaume céleste. Qu’ils soient
de la terre ou du ciel, qu’ils doivent être détruits, ou qu’ils soient destinés
à persévérer toujours, ces deux royaumes ont leurs citoyens, passagers comme le
temps, mélangés en ce monde les uns parmi les autres; les membres de celui-ci
et les membres de celui-là sont donc comme confondus ensemble. Les citoyens du
royaume céleste gémissent, répandus au milieu des citoyens du royaume
terrestre; et si, parfois, je dois le dire encore, les membres du royaume du
ciel se trouvent engagés dans les affaires du royaume de la terre, les affaires
du royaume des cieux ne restent point non plus tout à fait étrangères aux
membres du royaume d’ici-bas; les divines Ecritures nous en fournissent plus
d’un exemple. Babylone a vu Daniel et les trois enfants à la tête de
l’administration royale. En Egypte Joseph tenait le premier rang après le roi
pour exercer cet empire souverain dont le peuple de Dieu devait être plus tard
délivré. Comme les trois enfants, comme Daniel, Joseph se livrait donc d’une
certaine façon au soin des affaires publiques: de là il résulte évidemment que
le royaume terrestre attire à lui les citoyens du royaume céleste, non pour en
faire les complices de ses oeuvres d’iniquité, mais pour se décharger sur eux
du soin de ses affaires, c’est-à-dire de ses intérêts publics.
Qu’est-ce que le royaume des cieux? En quel
sens peut-il s’attacher ici-bas pour un temps les membres du royaume terrestre?
ces hommes que l’Apôtre accusait de ne point annoncer le pur Evangile,
d’annoncer le royaume des cieux tout en bornant leurs désirs à ce monde
périssable, de rechercher leurs propres intérêts tout en prêchant le Christ?
Soyez bien persuadés qu’ils ont été appelés à titre de mercenaires pour
travailler au profit du royaume céleste; car l’Apôtre dit d’eux dans l’élan de
sa joie: « Il y en a qui prêchent Jésus-Christ avec un esprit d’envie et de
jalousie, avec une intention qui n’est pas pure, croyant qu’ils ajouteront une
affliction nouvelle à mes liens: mais que m’importe? pourvu que Jésus-Christ
soit annoncé de quelque manière, par occasion ou par un vrai zèle, je m’en
réjouis et m’en réjouirai 1». C’est aussi de tels hommes que Jésus-Christ
disait: « Les scribes et les pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse, faites
donc ce qu’ils disent, mais ne faites pas ce qu’ils font 2 ». Ils parlent le
1angage de David, ils agissent à la manière de Doëch. Ecoutez-les comme si je
vous parlais moi-même, mais ne les imitez pas. Voilà les deux classes d’hommes
bien distinctes que l’on rencontre en ce monde, c’est d’elles qu’il est
question dans ce psaume.
5. En voici le titre: « Pour la fin,
intelligence à David, lorsque l’Iduméen Doëch dit à Saül: David est venu en la
maison d’Achimélech ». Et pourtant nous lisons qu’il est venu en la maison
d’Achimélech. Les noms se ressemblent, il n’y a de différent qu’une syllabe ou
plutôt qu’une lettre: nous sommes donc autorisé à penser que les titres ont été
probablement changés. En examinant avec attention divers manuscrits des
Psaumes, nous avons remarqué le nom d’Abimélech plus souvent que celui
d’Achimélech. Dans un autre endroit des psaumes il y a plus qu’une
dissimilitude de noms, c’est une différence très-marquée entre les noms, et qui
ne laisse aucun doute. En effet, David changea de visage, non devant Je roi
Abimélech, mais devant le roi Achis, dont il prit ensuite congé et quitta la
1. Philipp. I, 17, 18. — 2. Matt. XXXIII, 2,
3.
présence, tandis que le titre du psaume porte:
« Quand il changea de visage devant Abimélech 1». Ce changement de nom renferme
un mystère, attachons-nous donc plus particulièrement à découvrir le sens
caché; et, sous prétexte de discuter un point d’histoire, ne négligeons point
de soulever le voile qui dérobe à notre vue un trésor secret.
En expliquant ce psaume, nous avons fait
connaître le sens du nom d’Abimélech, et nous avons dit qu’il signifie: Royaume de mon père. Comment David
a-t-il quitté le royaume de son père? comment est-il parti? De la même manière
que le Christ s’est éloigné du royaume des Juifs pour passer du côté des
Gentils. David a été trahi, lorsqu’il est venu prendre possession du royaume de
son père; comme Notre Seigneur Jésus-Christ a été livré à la mort marquée par
Saül, lorsqu’il est venu prendre possession du royaume des Juifs établi par son
Père et dont il a dit: «On vous ôtera le royaume de Dieu et on le donnera à un
peuple qui produira les fruits de justice 2 ». Voilà sans doute pourquoi
l’esprit prophétique, en donnant à ce psaume le titre que vous savez, a dicté
le nom d’Abimélech et non point celui d’Achimélech. Pas plus qu’Isaac, qui
pourtant figurait la passion du Sauveur, David ne fut mis à mort; néanmoins le
sang coula pour donner à ces toux figures leur signification parfaite: du côté
d’Isaac ce fut le sang du bélier; du côté de David ce fut celui du prêtre
Achimélech. Comme ils ne devaient point ressusciter, ils ne levaient pas non
plus être mis à mort; mais, in les délivrant du danger de mourir par l’effusion
du sang, Jésus marquait mieux sa résurrection, dont ils étaient ainsi la
figure, parce qu’elle lui était réservée, à lui, comme tu souverain Seigneur.
Nous pourrions en ire davantage sur ce sujet, si nous avions pris à tâche
d’expliquer les mystérieuses significations de ces choses passées.
6. Nous venons de parler avec bien de la
difficulté, peut-être trop longuement, de ce titre; mais nous l’avons fait
comme Dieu tous a permis de le faire; puisque nous en sommes venus à bout,
parlons maintenant es deux classes d’hommes dont il a déjà été question. Faites
attention qu’il y a en ce onde deux sortes de personnes: les unes souffrent, on
souffre au milieu des autres.
1. Ps. XXXIII, 1. — 2. Matt. XXI, 43.
Celles-ci pensent à la terre, celles-là au
ciel; d’un côté les coeurs sont plongés dans la boue; de l’autre, ils s’élèvent
jusqu’aux anges. Ici on espère les biens temporels dont le monde dispose; là on
a en vue les biens éternels que nous a promis un Dieu fidèle en ses promesses.
Ces deux sortes de, personnes se trouvent confondues ensemble. Parfois nous
rencontrons à la tête d’une administration terrestre un citoyen de Jérusalem,
un citoyen du. royaume des cieux: ainsi nous le voyons revêtu de la pourpre,
occupant une place parmi les magistrats; il est édile, prêteur, empereur; il
gouverne une république terrestre; mais il tient son coeur élevé bien au-dessus
de ce bas monde, s’il est chrétien, fidèle et pieux, s’il éprouve du mépris
pour ce qui l’entoure, s’il place ses espérances là où il n’est pas encore. À
cette classe de personnes appartint autrefois Esther. Cette sainte femme,
devenue reine, se trouva dans la périlleuse nécessité'de prier pour ses
concitoyens, et pendant qu’elle priait en, présence de Dieu dont elle ne
pouvait tromper l’infinie science, elle confessa qu’elle n’avait jamais estimé
ses ornements royaux plus qu’un vêtement de femme souillé par la boue 1. Si
nous voyons des citoyens du royaume des cieux engagés dans la question des
affaires de Babylone, tout occupés du gouvernement des biens terrestres, ne
désespérons pas d’eux; par la même raison n’applaudissons pas à tous ceux qui
s’occupent des choses du ciel, parce que bien souvent l’on voit assis sur la
chaire de Moïse des fils de pestilence, des hommes dont il est écrit: « Faites
ce qu’ils disent, mais gardez-vous de faire ce qu’ils font, car ce qu’ils
disent, ils ne le font pas ». Au milieu des embarras du siècle, ceux-là portent
leurs affections jusque dans le ciel, et ceux-ci traînent leurs coeurs par
terre, au moment même où ils ouvrent la bouche pour des conversations toutes
célestes; viendra plus tard le temps du vanneur; alors on fera le discernement
exact des uns et des autres, et de la sorte aucun bon grain ne tombera dans
l’état de paille destinée au feu, aucun fétu de paille ne viendra se mêler au
froment que l’on doit renfermer dans les greniers. Mais pendant que les bons et
les méchants vivent confondus les unis avec les autres, prenons-en occasion
d’écouter notre voix, c’est-à-dire la voix des citoyens du royaume des
1. Esth. XIV, 16.
cieux; car, s’il est un désir que nous
devions former, c’est d’avoir à supporter les méchants plutôt que d’être à
charge aux bons; unissons-nous à cette voix par nos oreilles, notre langue,
notre coeur et nos oeuvres. Par là nous disons nous-mêmes ce que. nous
entendons. Parlons d’abord de l’ensemble des hommes mauvais qui appartiennent
au royaume de la terre.
7. « Pourquoi celui qui est puissant en
malice se glorifie-t-il 1? » Considérez bien, mes frères, de quelle nature est
la gloire de la malignité, la gloire des hommes mauvais. Quelle est cette
gloire? « Pourquoi celui qui est puissant en malice se glorifie-t-il? »
C’est-à-dire: De quoi peut se glorifier celui qui surabonde de malice? Il faut
être puissant en bonté et non en méchanceté. Y a-t-il de la grandeur à se
glorifier d’être méchant? Le nombre de ceux qui peuvent bâtir une maison est
peu considérable, mais le premier ignorant venu peut la détruire. Semer du
froment, le cultiver ensuite, en attendre la maturité, user joyeusement du
fruit de ses labeurs, voilà le propre d’un petit nombre; avec une étincelle
chacun est à même de réduire en cendres toute la récolte; donner la vie à un
enfant, le nourrir après l’avoir mis au monde, l’élever et le conduire jusqu’à
l’adolescence, c’est une grande affaire; le tuer en un clin d’oeil, quoi de
plus facile? Rien de plus aisé que de détruire. Que celui qui se glorifie, se
glorifie dans le Seigneur 2. Que celui qui se glorifie, se glorifie dans sa
bonté. Tu te glorifies, parce que tu es puissant dans le mal. Mais de quoi
es-tu capable, ô puissant? que peux-tu faire? tu te vantes beaucoup. Tu feras
mourir un homme; un scorpion, un accès de fièvre, un champignon vénéneux peut
en faire autant. Egaler en puissance un champignon empoisonné, voilà ce à quoi
tu peux réussir; est-ce là pour toi un sujet d’orgueil? Les bons citoyens de
Jérusalem, qui ne prennent point plaisir à faire le mal, mais qui se
réjouissent d’opérer le bien, se glorifient non en eux-mêmes, mais dans le
Seigneur. Ils s’efforcent aussi de bien faire, ce qui tend à l’édification, et
d’agir de telle sorte que leurs oeuvres puissent durer longtemps. Mais quand
ils travaillent à détruire, ils le font pour la correction et le profit des
autres, et non point dans le but d’opprimer des
1.
Ps. LI, 3. — 2. I Cor. I, 31.
innocents.
Comparée
au pouvoir des bons, la puissance des méchants ne mérite-t-elle pas qu’on leur
adresse ces paroles du psaume: « Pourquoi celui qui se glorifie, se
glorifie-t-il dans la malice? »
8. « Votre langue a médité l’injustice, elle
« a pensé tout le jour à l’iniquité 1 »; tout « le jour »; c’est-à-dire en tout
temps, sans éprouver de lassitude, sans interruption, sans repos. Quand tu ne
fais pas le mal, tu y penses, en sorte que si’ tes mains sont vides d’iniquité,
ton coeur en est rempli. Tu fais du mal; et, situ ne peux en faire, tu en dis,
c’est-à-dire, la médisance sort de tes lèvres, et lors. que tu ne peux même en
venir jusque-là, tu veux et tu penses le mal. « Tout le jour » signifie donc
sans cesse. A un pareil homme nous souhaitons un châtiment. Mais n’est-il pas
pour lui-même un châtiment assez sévère? Tu le menaces; lorsque tu le menaces,
où veux-tu le jeter? dans le malheur? abandonne-le à lui-même. Pour le punir
exemplairement, tu veux le livrer aux bêtes. Celles-ci peuvent bien déchirer
son corps; mais il est, lui, incapable de ne pas se déchirer le coeur. Au
dedans il est son propre supplice, et tu voudrais le tourmenter au dehors? II
vaut mieux prier Dieu pour lui, afin qu’il soit délivré de lui-même.
Remarquez-le toutefois, mes frères, il n’y a dans ce psaume ni prière en faveur
des méchants, ni imprécation contre eux, nous ne devons y voir que l’annonce de
ce qui leur adviendra; ne vous imaginez donc pas que le psalmiste, animé de
mauvais vouloir envers eux, ait voulu manifester dans ses paroles les
sentiments de son coeur, il n’a fait qu’une prophétie.
Voyons ce qui suit. Toute ta puissance,
toutes ces pensées iniques que tu nourrissais en ton âme durant le jour; ces
réflexions malignes, sans cesse exprimées par ta langue, à quoi ont-elles
abouti? quel en est le résultat? « Tu as fait le mal comme un rasoir affilé ».
Voilà bien ce que les méchants font aux bons, ils leur rasent les cheveux.
Mépriser les biens de la terre et la vie même, telle est la disposition d’esprit
où se trouvent les vrais citoyens de Jérusalem, parce qu’ils écoutent cette
parole de leur Seigneur et Roi: « Ne craignez point ceux qui ne peuvent tuer
que le corps et ne peuvent tuer l’âme 2 ». Parce qu’ils ont entendu ces autres
paroles de
1. Ps. LI, 4. — 2. Matt, X, 28.
l’Evangile qu’on a lues tout à l’heure: « Que
sert-il à l’homme de gagner tout le monde entier, s’il vient à perdre son âme
1?» que peut faire le rasoir de Doëch à un homme qui pense ici-bas au royaume
des cieux, et qui doit plus tard y demeurer, à un homme qui possède Dieu en
lui-même et qui doit être éternellement uni avec Dieu? Encore une fois, que
peut lui faire ce rasoir? Il lui rasera les cheveux; il le rendra chauve. Telle
a été la destinée du Christ, puisqu’il a été crucifié au sommet du Calvaire. Il
en fait un enfant de Coré, qui veut dire Chauve. Par cheveux on entend les
choses superflues d’ici-bas; non point que Dieu ait fait des cheveux un
ornement inutile du corps humain, mais comme on peut les couper sans faire
souffrir la personne à laquelle on les coupe, ceux qui s’attachent cordialement
à Dieu considèrent les biens de la terre du même oeil que s’ils étaient des
cheveux. Parfois néanmoins tu dois te servir de ces cheveux pour opérer le
bien; par exemple, partager ton pain avec celui que la faim tourmente, recevoir
en ta maison l’indigent dépourvu d’un toit protecteur, vêtir le malheureux que
tu vois condamné à la nudité. Les martyrs qui ont répandu leur sang pour
l’Eglise à l’imitation du Seigneur et entendu celte parole: « Comme le Christ a
donné son urne pour nous, nous devons aussi la donner pour nos frères 2 », les
martyrs se sont en quelque façon servis de leurs cheveux pour nous faire du
bien; ils se sont dépouillés en notre faveur de ce que le rasoir de Doëch peut nous
ôter d’une manière plus ou moins absolue. Que l’on puisse faire du bien à
l’aide de ces cheveux, la femme pécheresse nous en a donné la preuve:
prosternée aux pieds du Seigneur elle avait amèrement pleuré; après les avoir
arrosés de ses larmes, elle les essuya avec ses cheveux. Quelle leçon
devons-nous tirer delà? c’est qu’en usant de miséricorde à l’égard d’autrui, tu
dois encore lui venir en aide, si tu le peux. Lorsque tu prends pitié de lui,
tu sembles verser sur lui des larmes; tu les essuies avec tes cheveux, quand tu
lui procures ton secours. Si telle doit être notre conduite envers tous les
hommes, à plus forte raison devons-nous agir de la sorte dès qu’il est question
des pieds du Seigneur. Or,
quels sont-ils? Ce sont les saints
prédicateurs de l’Evangile dont il est écrit: « Qu’ils sont
1. Matt. XVI, 26. — 3. I Jean, III, 16.
« beaux les pieds de ceux qui annoncent la «
paix, de ceux qui annoncent les biens 1 !»Que Doëch aiguise donc sa langue
comme un rasoir, que ses machinations deviennent plus ténébreuses encore, qu’il
emploie à les ourdir toute sa malice; il nous enlèvera toutes les superfluités
de cette vie passagère, mais pourra-t-il nous arracher les biens nécessaires
qui subsisteront éternellement?
10. « Tu as préféré la malice à la bonté ».
Tu avais devant toi la bonté, n’aurais-tu point dû l’aimer? Il n’aurait fallu
ni dépense, ni lointaine navigation pour la posséder; devant toi se trouvent la
bonté et la méchanceté; compare-les et choisis; mais peut-être as-tu un oeil
pour voir la méchanceté et n’en as-tu pas pour voir la bonté. Malheur au coeur
méchant! Le pire est qu’il se détourne pour ne point voir ce qui frappe ses
regards. C’est bien de telles gens qu’il a été écrit: « Il n’a pas voulu avoir
l’intelligence pour faire le bien » Nous ne pouvons croire qu’il n’ait pu, car
il est dit: « Il n’a pas voulu avoir l’intelligence pour faire le bien ». Il a
fermé les yeux à la lumière qu’il avait devant lui. Nous lisons ensuite: « Il
s’est livré à des pensées iniques, jusque sur son lit 2 », c’est-à-dire, dans
le plus profond secret de son coeur. Voilà ce que le Psalmiste reproche à cet
Iduméen Doëch, à cet ensemble d’hommes méchants, sans cesse agités d’un
mouvement terrestre, passager et non céleste. « Tu as préféré la malice à la
bonté ». Veux-tu être assuré que le méchant voit distinctement l’une et
l’autre, qu’il se détourne de l’une et choisit l’autre? Voici la preuve.
Pourquoi se plaint-il, lorsqu’il est victime de quelque injustice? Pourquoi
exagère-t-il autant que possible le mal dont il soutire, et fait-il l’éloge de
la bonté? Pourquoi blâme-t-il son persécuteur d’avoir préféré pour lui le mal
au bien? Qu’il soit donc à lui-même sa- propre règle de vie, c’est d’après
lui-même qu’il sera jugé, s’il fait ce qui est écrit: « Vous aimerez votre
prochain comme vous-même 3 »; et: « Faites aux autres le « bien que vous voulez
qu’ils vous fassent 4 ». Il trouve dans le fond de son coeur la connaissance de
ce principe: il ne faut point faire à autrui ce que nous ne voudrions point qui
nous fût fait à nous-mêmes. « Tu as préféré la malice à la bonté »; homme
injuste,
1.
Isa. LII, 7; Rom. X, 15.— 2. Ps. XXXV, 4, 5.— 3. Matt. XXII, 39, — 4. Id. VII,
12.
déréglé et pervers, tu veux mettre l’eau
au-dessus de l’huile, mais l’eau reprendra le dessous et l’huile le dessus Tu
prétends soumettre la lumière aux ténèbres, mais les ténèbres disparaîtront et
la lumière restera. Tu veux placer la terre au-dessus du ciel: entraînée par
son propre poids, elle reviendra bientôt en son lieu. Tu périras donc comme submergé,
en préférant le mal au bien, car jamais le mal ne vaincra le bien: « Tu as
préféré le mal au bien, tu as mieux aimé dire des injustices que parler selon
l’équité ». Devant mi l’iniquité et la justice se trouvent, tu n’as qu’une
langue et tu la tournes où bon te semble; pourquoi donc la tournes-tu plutôt du
côté de l’iniquité que du côté de la justice? Tu ne voudrais point te nourrir
d’aliments amers, et tu donnes à ta maligne langue l’iniquité pour nourriture.
Puisque tu choisis tes aliments, choisis de même tes paroles. Tu donnes à
l’iniquité la préférence sur la justice, tu mets la malice au-dessus de la
bonté; mais quoi que tu fasses, qu’est-ce qui prendra le dessus, sinon la
justice et la bonté? En te plaçant d’une certaine manière sur ce qui doit,
nécessairement prendre le dessous, non seulement tu ne réussiras jamais avec
tes appuis à dominer le bien, mais tu te précipiteras avec eux dans le mal;
voilà pourquoi le Psalmiste ajoute:
11. « Tu as aimé toutes les paroles de
submersion 1 ». Dérobe-toi, si tu le peux, au danger de périr submergé Tu fais
naufrage et tu t’accroches à du plomb. Si tu ne veux pas noyer, saisis donc une
table, monte sur du bois; que la croix soit ta sauvegarde, si tu ne veux pas
noyer. Mais parce que tu es Doëch, Iduméen, parce que tu es ébranlé et
terrestre, que fais-tu? « Tu aimes toutes les paroles de ruine et la langue
trompeuse ». Cette langue est venue la première et à sa suite les paroles de
ruine. Qu’est-ce qu’une langue trompeuse? C’est un instrument de fourberie au
service de ceux qui pensent une chose et qui en «lisent une autre. Le fruit de
tout cela, c’est le bouleversement et la ruine.
12. « C’est pourquoi Dieu te détruira à la
fin 2 », quoique tu sembles en ce moment aussi vigoureux que l’herbe des champs
paraît l’être avant de subir les ardeurs du soleil. Car toute chair n’est que
de l’herbe, et l’éclat de l’homme ressemble à la fleur de l’herbe. L’herbe
s’est desséchée, sa fleur est tombée,
1. Ps. LI, 6. — 2. Id. 7.
mais la parole de Dieu demeure éternellement
1. Attache-toi donc à ce qui demeure éternellement. Si tu t’attaches à l’herbe
et à sa fleur, Dieu te détruira à la fin, parce que l’herbe se desséchera et
que sa fleur tombera. Il te détruira sinon aujourd’hui, du moines à la fin,
quand il prendra le van et qu’il séparera le tas de paille de la masse du
froment. Est-ce qu’alors on ne renfermera pas le bon grain dans les celliers?
Est-ce qu’on ne jettera pas la paille dans le feu? Est-ce que Doëch tout entier
ne se tiendra pas à sa gauche, au moment où le Seigneur dira: « Allez au feu
éternel qui a été préparé au diable et à ses anges? » « Dieu te détruira donc à
la fin, il t’arrachera et te fera sortir de ta tente». L’Iduméen Doëch est sous
la tente, mais le serviteur ne demeurera pas toujours dans la maison de son
père 2. Il fait encore un peu de bien, sinon par ses oeuvres, du moins par la
parole de Dieu, car tout en cherchant son profit dans le service de l’Eglise,
il prêche encore la parole du Christ. Mais il te fera sortir de ta tente. « En
vérité, je vous le dis, ils ont reçu leur récompense ». « Et il arrachera ta
racine de la terre des vivants». Nous devons donc avoir notre racine dans la
terre des vivants. Puisse-t-elle y être! La racine est cachée; on voit les
fruits, mais on ne peut voir la racine. Notre racine, c’est la charité; nos
fruits, ce sont nos bonnes oeuvres: tes bonnes oeuvres doivent donc provenir de
la charité, et alors ta racine se trouve dans la terre des vivants. Doëch en
sera arraché, il est impossible qu’il y reste, parce qu’il n’y a point jeté
profondément ses racines; il ressemble aux plantes dont la semence a été jetée
sur, la pierre: elles poussent bien des racines, mais comme elles manquent de
terre, elles se dessèchent aussitôt que le soleil se lève 3. Pour ceux qui
enfoncent profondément leurs racines, l’Apôtre leur dit: « Je fléchis pour vous
les genoux devant le Père de Notre Seigneur Jésus-Christ, afin que vous soyez
enracinés et fondés dans la charité; et, comme vous avez jeté là vos racines,
afin que vous puissiez connaître quelle est la hauteur, la largeur, la longueur
et la profondeur, et comprendre aussi l’amour de Jésus-Christ envers nous,
amour qui surpasse toute connaissance, pour être comblés de toute la plénitude
des dons de Dieu ». Une racine si
1. Isa. XL, 6, 8. — 2. Jean, VIII, 35. — 3.
Matt. XIII, 5.
grande, si simple, si féconde, si
profondément affermie est bien digne de produire de pareils fruits. Mais la
racine de Doëch sera arrachée de la terre des vivants.
13. « Et les justes verront et ils seront
saisis de crainte, et ils riront de lui ». Quand craindront-ils? quand
riront-ils? Cherchons à le comprendre et. à bien voir en quel temps l’on peut
craindre et rire d’une manière vraiment utile. Pendant le cours de notre
pèlerinage ici-bas, prenons garde de rire, dans la crainte de pleurer ensuite.
Nous lisons ce que l’avenir réserve à Doëch, et parce que nous le comprenons et
le croyons, nous voyons, mais nous craignons. Il a donc été dit: « Les justes
verront et seront saisis de crainte». A la vue de ce qui adviendra finalement
aux méchants, pourquoi tremblons-nous? parce que l’Apôtre a dit: « Opérez votre
salut avec crainte et tremblement 2 ». Pourquoi avec tremblement? « Que celui
qui croit être ferme prenne garde de tomber 3 ». Pourquoi avec tremblement? parce
qu’il est dit en un autre endroit: « Mes frères, si quelqu’un est tombé par
surprise en quelque faute, vous qui êtes spirituels, ayez soin de le relever
dans un esprit de douceur, chacun de vous pensant à lui-même et craignant
d’être tenté de la même manière 4 ». Donc ceux qui sont justes aujourd’hui, qui
vivent de la foi et qui connaissent l’avenir réservé à Doëch, craignent pour
eux-mêmes le même sort, car ils savent se qu’ils sont aujourd’hui, ils ignorent
ce qu’ils seront demain. « Les justes verront d’abord, et ils craindront », et
quand riront-ils? quand le règne de l’iniquité sera venu à son terme; lorsque
le temps de l’incertitude aura disparu, comme il a déjà disparu en grande
partie: quand se seront évanouies les ténèbres de ce monde, au milieu desquelles
nous ne marchons que guidés par la lumière des Ecritures, et toujours
tourmentés par la crainte de nous perdre dans les ombres de la nuit. Nous
marchons en effet à la clarté de la prophétie; car voici ce que nous dit
l’apôtre saint Pierre: « Nous avons les oracles des prophètes, dont la
certitude ne laisse aucun doute et auxquels vous ferez bien de vous arrêter
comme devant une lampe qui luit dans un lieu obscur jusqu’à la ce que le jour
commence à vous éclairer et que l’étoile du matin se lève en vos
1.
Ps. LI, 8. — 2. Id. II, 11.— 3. I Cor. X, 12. — 4. Gal. VI, 1.
cœurs 1 ». Tant que nous marchons à la
lumière d’une lampe, il nous faut vivre avec le sentiment de la crainte; mais
quand sera venu pour nous le véritable jour, c’est-à-dire quand aura lieu cette
manifestation du Christ dont l’Apôtre nous parle en disant: « Lorsqu’
apparaîtra. Jésus-Christ votre vie, vous « paraîtrez aussi avec lui dans sa
gloire 2 », alors les justes riront de Doëch, alors le temps de lui venir en
aide sera passé: aujourd’hui si tu vois un homme de mauvaise conduite, tu
travailles à le corriger; car celui qui vit dans l’injustice, peut se convertir
et redevenir bon, comme le juste est capable de perdre son innocence et de
devenir coupable. Tu ne dois donc ni avoir de toi trop bonne opinion, ni
désespérer d’autrui. Si donc tu es bon, si tu ne préfères point le mal au bien,
mets tous tes soins, à ramener dans b chemin droit celui qui marche dans la
voie de l’iniquité. Mais quand aura sonné l’heure du jugement, il n’y aura plus
lieu à correction, ce sera le moment de la condamnation; et si alors on se
repent, le repentir sera inutile, parce qu’il viendra trop tard. Veux-tu que ta
pénitence. soit profitable? N’attends pas, corrige-toi dès aujourd’hui tu es
coupable, Dieu est ton juge, efface tes fautes et l’approche de ton juge te
remplira de joie.. Aujourd’hui il t’exhorte à la conversion afin de n’avoir pas
à te juger; il te demandera plus tard un compte rigoureux, aujourd’hui il se
fait ton avocat. Alors donc, mes frères, ce sera le temps de rire. Le livre de
la Sagesse nous parle clairement de ces moqueries adressées aux justes par les
méchants. Car la Sagesse elle-même, prenant possession des âmes pures, leur
fera tenir ce langage: « Je vous reprenais et vous ne m’écoutiez pas, je vous
parlais et vous ne prêtiez pas l’oreille à mes discours; aussi je rirai lorsque
je verrai votre perdition 3 ». Ainsi les justes parleront-ils à Doëch. Voyons
aujourd’hui et tremblons, dans la crainte de nous entendre dire de semblables
paroles; et, si nous ressemblons à Doëch, corrigeons-nous, afin que vivant
aujourd’hui sous l’empire de la crainte, nous puissions plus tard nous livrer à
la joie.
14. Que diront alors ceux qui riront? « Et ils
se moqueront de lui et ils diront: Voilà l’homme qui n’a pas mis en Dieu son
appui 4». Vous le voyez, il est ici question du
1. II Pierre, I, 19.— 2. Coloss. III, 6.— 3. Prov. I, 21.— Ps. LI, 9.
l’assemblée des hommes terrestres. Plus de
biens tu auras, plus grand tu seras: voilà bien la manière dont s’expriment les
avares, les ravisseurs du bien d’autrui, les oppresseurs de l’innocence, les
envahisseurs des propriétés qui ne leur appartiennent pas, ceux qui refusent de
rendre les dépôts à eux confiés. Plus tu posséderas, plus grand tu seras
c’est-à-dire, la mesure de ta fortune en argent et en propriétés sera la mesure
de ta puissance: « Voilà l’homme qui n’a pas mis en Dieu son appui, mais qui a
placé son espérance dans la grandeur de la fortune ». Un pauvre méchant dira
peut-être: Je ne suis pas du nombre de ces gens-là, parce que le Prophète a
dit. « Il a mis son espérance dans la grandeur de sa fortune »; puis, jetant
les yeux d’une part sur ses haillons, d’autre part, sur son voisin, qui fait
partie du peuple de Dieu, mais qui est riche et bien mieux vêtu que lui, il se
dira encore intérieurement: Le Prophète a voulu parler de celui-ci: il n’a pas
pu parler de moi. Ne t’y trompe pas, il n’y a ni distinction ni exception à
faire en ta faveur. Vois et crains, afin de rire plus tard. Les ressources te
manquent, mais si ton coeur est rongé par la convoitise, en es-tu plus
innocent? Notre Seigneur Jésus-Christ dit un jour à un riche: « Va, vends ce
que tu possèdes; donne-le aux pauvres, tu auras un trésor dans le ciel, viens
et suis-moi ». Cet homme s’éloigna le coeur chagrin, le Seigneur avait alors
donné aux riches un grand sujet de craindre pour leur salut, car il avait
ajouté qu’il serait plus facile à un chameau de passer par le trou d’une
aiguille, qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux. A ces mots, ses
disciples contristés se dirent les uns aux autres: S’il en est ainsi, qui
est-ce qui pourra se sauver 1? » En parlant de la sorte ne faisaient-ils
attention qu’au petit nombre des riches? L’innombrable multitude des pauvres
n’occupait-elle point leur pensée? Ne pouvaient-ils pas se dire: Puisqu’il est
aussi difficile, aussi impossible à des riches d’entrer dans le royaume des
cieux qu’à un chameau de passer par le trou d’une aiguille, tous les pauvres
entreront dans le ciel, les riches seuls en seront exclus? Y a-t-il beaucoup de
riches? la multitude des pauvres est immense, on les compte par milliers. Ce
n’est point de nos vêtements, mais de l’éclat de notre justice que
1. Matt., XIX, 21, 24, 25..
dépendra notre gloire dans le royaume
céleste. Les pauvres y seront égaux aux anges de Dieu, revêtus de la robe de
l’immortalité, ils brilleront de l’éclat du soleil dans le royaume de leur
père. Pourquoi donc nous inquiéter, pourquoi nous tourmenter d’un si petit
nombre de riches? Mais ce n’était point là la pensée des Apôtres; et lorsque le
Seigneur leur disait: « Il serait plus facile à un chameau de passer par le
trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux », et
qu’ils demandaient: « Qui est-ce qui pourra se sauver? » ils avaient en vue les
convoitises et non la fortune. Ils voyaient en effet que les pauvres eux-mêmes
sont rongés par l’avarice, malgré leur pénurie. L’avarice, voilà la cause de la
condamnation des riches; ce n’est pas leur aisance, et pour vous en assurer,
remarquez bien ce que je dis: Ce riche que tu vois à. tes côtés e de la fortune
et n’est peut-être pas avare; pour toi tu ne possèdes rien, mais la soif des
richesses te dévore. Un pauvre couvert d’ulcères, accablé de maux, léché par
des chiens, n’ayant ni ressources, ni aliments, ni même de quoi se vêtir, a été
emporté par les anges dans le sein d’Abraham 1. A ce souvenir tu te réjouis
d’être pauvre; est-ce que tu désirerais aussi les ulcères de Lazare? Est-ce que
la santé n’est pas pour toi une véritable fortune? Lazare a tiré son mérite,
non de sa pauvreté, mais de sa piété. Qui est celui qui a été emporté par les
anges? Tu le vois; où a-t-il été emporté? Tu ne le vois pas. Quel est-il? Un
pauvre accablé de maux et couvert’ d’ulcères. Où les anges l’ont-ils
transporté? Dans le sein d’Abraham. Si tu lis les Ecritures, tu verras
qu’Abraham était riche 2. Sache-le bien, les richesses ne sont point blâmables,
car Abraham possédait de l’or en abondance, aussi bien que de l’argent, des
trou peaux, des serviteurs; en un mot, il était riche, et c’est dans son sein
que le pauvre Lazare s’est vu transporter. Oui, un pauvre a été reçu dans le
sein d’un riche: quel contraste ! Mais non, ils étaient tous deux riches de Dieu;
ils étaient l’un et l’autre pauvres de convoitises.
15. Qu’est-ce donc que l’Ecriture condamne en
Doëch? Elle ne dit pas: Voilà l’homme qui a été riche; mais: « Voilà l’homme
qui n’a point mis en Dieu son appui, qui a placé sa confiance dans ses grandes
richesses ». Il est
1.Luc, XVI, 22. — Gen. XIII, 2.
condamné, puni, enlevé de sa tente, comme un
tourbillon tout terrestre, comme la poussière que le vent emporte de dessus la
surface de la terre: il est déraciné et arraché de la terre des vivants, non parce
qu’il a été riche, mais parce qu’il a placé ses espérances dans sa fortune au
lieu de les placer en Dieu 1. Est-ce de pareils riches que parle l’apôtre saint
Paul quand il dit: « Ordonne aux riches de ce monde de ne pas être orgueilleux
» comme Doëch, « et de ne pas mettre leur confiance en des richesses
incertaines et périssables », comme Doëch qui a mis son appui dans leur
multitude; mais d’espérer dans «le Dieu vivant » et de ne pas ressembler à
Doëch qui « n’a pas pris Dieu pour son appui? » Enfin, que leur recommande-t-il
encore: « Qu’ils soient riches en bonnes oeuvres, qu’ils donnent facilement,
qu’ils partagent avec les pauvres 2 ». S’ils donnent facilement, s’ils
partagent leurs biens avec ceux qui n’en ont pas, passeront-ils par le trou de
l’aiguille? Oui, ils y passèrent, car le chameau y a passé avant eux et pour
eux. Il y est en effet entré le premier, celui qui a dû s’abaisser à l’exemple
d’un chameau, pour pouvoir être chargé du fardeau de sa passion; d’ailleurs il
a dit lui-même: Ce qui est impossible à l’homme est facile à Dieu 3. Que Doëch
soit donc condamné et que les justes trouvent maintenant en lui un sujet de
crainte. Tu as peut-être de la fortune, mais au lieu d’espérer en elle, tu
espères en Dieu. Celui qui ne suit pas ton exemple et qui ne cherche pas son
appui dans le Seigneur est à juste titre condamné: « Et il a placé son
espérance dans «la multitude de ses richesses », pareil en cela à ceux qui
disent: Bienheureux le peuple qui possède ces choses, c’est-à-dire, les biens
de la terre; tandis que les adversaires de Doëch répètent: « Bienheureux le
peuple qui a pour Dieu le Seigneur ». Le Psalmiste énumère tous les biens qui,
selon eux, font le bonheur d’un peuple, car ils parlent comme des enfants
étrangers, comme Doëch l’Iduméen, le terrestre: « Leur bouche s’est répandue en
vanité, et leur droite est une droite d’iniquité; leurs enfants sont dans leur
jeunesse comme de nouveaux plans d’arbres; leurs filles sont parées et ornées
comme l’est un temple; leurs celliers sont remplis; ils regorgent et se
déversent l’un dans l’autre:
1.
Ps. I, 4. — 2. I Tim. VI, 17, 18. — 3. Matt. XIX, 26.
« leurs vaches sont grasses, la clôture de
leurs héritages n’est ni brisée ni ouverte à tout venant, on n’entend aucun cri
dans leurs places publiques 1 ». Ils semblent trouver dans cette tranquillité
d’ici-bas une félicité sans bornes. Mais celui qui est terrestre est aussi
ébranlé que la poussière enlevée par le vent de dessus la surface de la terre.
Mais enfin, que leur reproche-t-on? On ne leur reproche pas de jouir de tous
ces biens, car il y a des justes qui les possèdent aussi. Alors que leur
reproche-t-on? Ecoutez-moi attentivement et vous ne blâmerez point
i,ndistinctement tous les riches, comme vous ne ferez ni de la pauvreté ni des
privations auxquelles elle condamne, un titre assuré de salut. Car s’il ne faut
point s’appuyer sur les richesses, il ne faut pas davantage compter sur les
mérites de la pauvreté; le Dieu vivant doit être seul le fondement de notre
espérance. Encore une fois, que leur reproche-t-on donc? d’avoir proclamé
bienheureux le peuple qui jouit de ces avantages, et d’avoir par conséquent agi
comme des enfants étrangers; « d’avoir parlé le langage de la vanité, d’avoir
eu en leur droite une droite d’iniquité ». Et toi, que diras-tu? « Bienheureux
le peuple qui a pour Dieu le Seigneur ».
16. Il est condamné l’homme « qui amis sa
confiance dans la grandeur de ses richesses et qui s’est prévalu dans sa vanité
», car y a-t-il pensée plus vaine que celle d’attribuer à une pièce de monnaie
un pouvoir supérieur à celui de Dieu? Il est condamné l’homme qui a proclamé
bienheureux le peuple riche des biens de la terre. Mais toi qui dis: « Heureux
le peuple qui a pour Dieu le Seigneur», que penses-tu de toi? Où places-tu tes
espérances? « Pour moi », ce sont tous les justes qui parlent ici: « Pour moi,
je suis comme un olivier fertile dans la maison de mon Dieu ». Ce langage n’est
pas seulement celui d’un homme, c’est le langage de l’olivier fertile dont les
rameaux orgueilleux ont été retranchés, et sur lequel on a greffé l’humble
olivier sauvage 2. « Pareil à un olivier fertile dans la maison de mou Dieu,
j’ai mis mon espérance dans la miséricorde du Seigneur». Doëch a dit: « J’ai
placé mon espérance dans la multitude de mes richesses »: ainsi il sera
déraciné et arraché de la terre des vivants. Pour moi, parce que je suis pareil
à un
Ps. CXLIII, 14, 15. — 2. Rom. XI, 17.
olivier fertile dans la maison du Seigneur »,
dont les racines vont puiser leur sève dans cette terre des vivants au lieu
d’en être arrachées, j’ai mis toute ma confiance dans la miséricorde divine ».
Mais peut-être y a-t-il là une réserve. Parfois, en effet, il est des hommes
qui se trompent à cet égard, ils adorent Dieu et sous ce rapport ils ne
ressemblent point à Doëch; mais s’ils espèrent en Dieu, c’est dans la vue d’en
obtenir des biens temporels, c’est comme s’ils se disaient: J’adore mon Dieu,
aussi il me rendra riche, il me donnera des enfants, il m’accordera une épouse.
Dieu seul peut distribuer de tels dons, mais il ne veut point qu’on l’aime dans
l’intention d’en obtenir la jouissance, car souvent il les accorde aux
méchants, afin d’apprendre aux justes à attendre de sa part autre chose. En
quel sens dis-tu donc: « J’ai placé mon espérance dans la miséricorde divine? »
N’est-ce point pour obtenir du Seigneur des avantages temporels? Non. « J’ai
placé mon espérance dans la miséricorde divine pour toujours, pour les siècles
des siècles». A ces paroles: « Pour toujours », il a voulu ajouter ces autres:
« Pour les siècles des siècles », afin de montrer plus clairement par cette
répétition combien solidement il était établi dans l’amour des choses célestes,
dans l’espérance de l’éternel bonheur.
17. Je vous bénirai à jamais et je
confesserai que c’est vous qui l’avez fait 1». Qu’avez-vous fait? Vous avez
condamné Doëch et couronné David: « Je vous bénirai à jamais et je confesserai
que c’est vous qui l’avez fait ». Magnifique aveu: « Vous l’avez fait ».
Qu’avez-vous fait, sinon ce qui a été dit tout à l’heure: « Pareil à un olivier
fertile dans la maison, de mon Dieu, j’ai placé mon espérance dans la
miséricorde du Seigneur pour toujours, pour les siècles des siècles? » C’est
votre oeuvre; l’impie est incapable par lui-même de se justifier. Quel est donc
celui qui rend juste et saint? « Croyant en celui qui justifie l’impie », dit
saint Paul. «Qu’as-tu en effet que tu n’aies reçu2?» Comme situ pouvais le
trouver en toi-même! A Dieu ne plaise que je me glorifie de la sorte, dit
l’homme qui s’est déclaré contre Doëch, qui le supporte ici-bas, en attendant
qu’il sorte de sa tente et soit arraché de la terre des vivants. Je ne me
glorifie point comme si je n’avais
1. Ps. LI, 11. — 2. II Cor. IV, 7.
rien reçu, je me glorifie en Dieu. Et je
confesserai devant vous que vous l’avez fait; c’est-à-dire, vous l’avez fait
sans aucun mérite de ma part, c’est un effet de votre miséricorde. Qu’ai-je
fait, moi? si vous vous le rappelez: « J’ai été d’abord un blasphémateur, je
vous ai persécuté, je vous ai insulté ». Et vous qu’avez-vous fait? J’ai obtenu
miséricorde, parce que j’ai agi dans l’ignorance 1. Je confesserai à jamais
devant vous que vous l’avez fait ».
18. « Et j’attendrai votre nom, parce qu’il
est doux ». On ne rencontre qu’amertumes en ce monde, mais votre nom est rempli
d’agréments; et si l’on trouve ici-bas quelques douceurs, quelles amertumes on
ressent quand on les a goûtées! La grandeur et la douceur donnent à votre nom
la prééminence sur toutes choses. Les méchants m’ont fait le récit de leurs
plaisirs; mais, Seigneur, que leurs charmes sont loin de ressembler à ceux de
votre loi 2! Si les martyrs n’avaient trouvé aucune douceur dans leurs
tourments, auraient-ils pu en supporter les amertumes? Il était facile pour
tous de voir en quelles amertumes ils étaient plongés, mais on ne pouvait guère
éprouver la joie qu’ils ressentaient. Le nom de Dieu est donc plein de charmes
pour ceux qui préfèrent le Seigneur à tous les plaisirs: « J’attendrai votre
nom, parce qu’il est doux ». Mais à qui prouver que le nom de Dieu est doux? Dis-moi
quelle personne peut en savourer les délices? Fais du miel toutes les louanges
possibles; exagère autant que tu voudras sa douceur; l’homme qui ne connaît pas
le miel ne te comprendra pas avant d’en avoir goûté. Voilà pourquoi le
Psalmiste t’invite d’une manière si pressante à faire l’expérience des charmes
du nom de Dieu: « Goûtez », dit-il, « et voyez combien le Seigneur est doux 3».
Tu neveux pas le goûter et tu dis: Il est doux. A quoi sert de parler ainsi? Si
tu l’as goûté, qu’on le voie dans les fruits de salut que tu produiras, et non
pas seulement dans tes paroles, c’est-à-dire dans tes feuilles, parce que tu
pourrais bien être maudit de Dieu comme le figuier stérile 4. « Goûtez», dit le
Psalmiste, « et voyez combien le Seigneur est doux ». « Goûtez et voyez ». Si
tu goûtes, tu verras. Mais comment en viendras-tu à persuader un homme qui ne
goûte pas? Quels
1. I Tim. I, 13. — 2. Ps.
118, 85. — 3. Jean, XXXII, 9. — 4. Matt. XXI, 19.
que soient tes efforts à exalter la douceur du nom de Dieu, tes louanges
ne seront jamais que des paroles incapables de la faire apprécier; il en serait
tout autrement si tu pouvais la faire savourer. Les impies eux-mêmes entendent
les louanges qu’on en fait, mais il n’y a que les saints pour les comprendre.
Le Psalmiste sent toute cette douceur du nom de Dieu, il veut en donner une
idée et la faire en quelque sorte toucher des yeux, mais il ne trouve personne
à qui il puisse expliquer sa pensée; car, d’une part, les saints qui savourent
et connaissent cette douceur du nom de Dieu, n’ont aucunement besoin d’en
entendre parler; d’autre part, les impies sont incapables d’apprécier ce qu’ils
ignorent. Que faire alors? Comment parler de cette douceur du nom de Dieu? Il
se sépare aussitôt de la foule des méchants et il dit: « J’attendrai votre nom,
parce qu’il est doux en présence de vos saints ». Votre nom n’est pas doux en
présence des impies, mais je sais à qui sa douceur est bien comme, c’est à ceux
qui en ont fait l’expérience.
Ce psaume nous fait connaître les ennemis de
Dieu et du peuple fidèle; le nombre en est grand, car ce sont tous les impies
et les libertins ils nient l’existence de Dieu pour s’autoriser et persévérer
dans leur corruption, et, pour être conséquents avec eux-mêmes, ils persécutent
son peuple. Mais, en punition de leur langage sacrilège, le Seigneur les frappe
d’aveuglement, les remplit d’une crainte insensée et les anéantit; quant à ses
enfants, il les console par l’espérance d’un Sauveur et des joies du ciel.
1. Nous entreprenons de vous expliquer ce
psaume, autant du moins que nous le permettra la grâce de Dieu. Notre frère
nous ordonne de vouloir le faire, et il offre au Seigneur ses prières, afin que
nous le puissions. Si par trop d’empressement nous venons à omettre quelque
détail, celui qui daigne dicter nos paroles suppléera lui-même en vos coeurs à
l’insuffisance de notre discours. Le titre le ce psaume est: « Pour la fin,
pour Mahéleth, intelligence à David ». « Pour Mahéleth ». Si nous en croyons
les interprètes des noms hébreux, le sens serait celui-ci: Pour une personne
qui enfante ou qui souffre. Qui est-ce qui enfante et qui souffre ici-bas? Les
fidèles le savent, puisqu’ils sont condamnés à y vivre. Le Christ enfante, le
Christ souffre; le chef et les membres enfantent et souffrent, l’un au ciel,
les autres sur la terre. S’il n’en était ainsi du Christ, dirait-il: « Saul,
Saul, pourquoi me persécutes-tu 1? » Il enfantait un persécuteur, et celui-ci
par sa grâce une fois converti enfantait à son tour; car il fut
1. Act. IX, 4.
ensuite éclairé de la lumière d’en haut; puis
ayant pris place parmi les membres du Christ qu’il persécutait, animé des
sentiments de la même charité, et comme s’il était dans le travail de
l’enfantement, il disait: « Mes petits enfants, pour qui je sens de nouveau les
douleurs de l’enfantement, jusqu’à ce que Jésus-Christ soit formé en vous 1 ».
Ce psaume a donc trait aux membres du Christ, à son corps qui est l’Eglise 2, à
cet homme un, c’est-à-dire à cette grande unité dont le chef est au ciel. Cet
homme gémit, enfante et souffre, mais pourquoi? Au milieu de quelles gens? son
chef même a pris soin de l’en instruire, de le lui faire connaître, quand il a
dit: «L’iniquité abondera et l’on verra se refroidir la charité d’un grand
nombre ». Mais « si l’iniquité abonde », et si la charité « d’un grand nombre
se refroidit »; qui est-ce qui restera pour enfanter? Le voici: « Celui qui
persévérera jusqu’à la fin sera sauvé 3 ». Y aurait-il de la grandeur d’âme à
persévérer, s’il ne fallait le faire en dépit de tracasseries,
1.Gal.
IV, 19. — 2. Col. I, 24. — 3. Matt. XXIV, 12, 13.
de tentations, de troubles et de scandales
sans nombre? Il n’y a ni obligation ni vertu à tolérer le bien. Mais puisqu’il
est dans ce psaume question de cet homme, étudions-en le sens. Les hommes au
milieu desquels il gémit et souffre, y sont réprimandés à cause de lui, et, à
la fin, se trouvent et se lisent les motifs consolants qui peuvent soutenir la
patience de ceux qui enfantent et qui souffrent. Quels sont donc ceux au milieu
desquels nous gémissons et souffrons les travaux de l’enfantement, si nous
appartenons au corps du Christ, si nous vivons sous le joug de son autorité
suprême, si nous occupons une place parmi ses membres? quels sont-ils? Ecoute,
je vais te l’apprendre.
2. « L’insensé a dit dans son coeur: Il n’y a
point de Dieu ». Voilà bien les hommes au milieu desquels souffre et gémit le
corps du Christ; et, si telle est cette classe d’hommes, le nombre de ceux que
nous enfantons est bien petit; autant que nous pouvons en juger, il n’y a guère
de ces insensés, il paraît bien difficile de rencontrer un homme qui dise dans
son coeur: « Il n’y a point de Dieu 1 ». Leur nombre est si restreint qu’ils
craignent de s’exprimer ainsi dans la foule où ils vivent: c’est leur coeur qui
le dit, car leur bouche n’oserait proférer de telles paroles. Il y en a donc
bien peu que nous soyons obligés de supporter, c’est à peine si l’on en peut
rencontrer. « Ceux qui disent dans leur coeur: Il « n’y a point de Dieu », sont
rares. Mais si nous attachons un autre sens à ce texte, ces impies tout à
l’heure si peu nombreux, si rares, presque introuvables, se trouvent tout à
coup singulièrement multipliés; ceux qui vivent mal se montrent à nous; si nous
considérons la conduite des scélérats, des criminels, des hommes corrompus dont
le nombre est si grand, en un mot, des personnes qui se font du péché comme un
besoin continuel et qui, à force de le commettre, ont perdu toute honte, quelle
multitude s’offre à nos regards! Placé au milieu d’elle, le corps du Christ ose
à peine condamner en elle les fautes, dont elle cherche vainement à le rendre
coupable: il s’estime trop heureux de conserver intacte son innocence, de ne
pas faire ce que la coutume ne lui donne pas la hardiesse de blâmer; et s’il ne
craint point d’élever la voix contre tant de désordres, les réclamations, les
cris des
1. Ps. XIII, 1.
libertins ne tardent pas à étouffer la
courageuse protestation de ceux qui marchent dans la voie du bien. lis sont donc
ainsi disposés, qu’ils disent dans leur coeur: « Il n’y a point de Dieu ». Je
puis en donner la preuve; la voici: Ils s’imaginent que leur conduite plaît à
Dieu. Ils portent la croyance en Dieu, au point de penser qu’il approuve tout
ce qu’ils font. Si, éclairé par la sagesse, tu comprends que « l’imprudent a
dit dans son coeur: Il n’y a point de Dieu»; si tu y fais réflexion, situ
examines bien ce fait et que tu en saisisses bien la portée, tu seras convaincu
de ceci: c’est que l’homme qui croit que Dieu approuve sa mauvaise conduite, ne
croit vraiment pas que Dieu soit Dieu. En effet, pour être Dieu il faut qu’il
soit juste; et, s’il est juste, l’injustice et l’iniquité lui déplaisent. Tu
nies donc l’existence de Dieu, en prétendant qu’il est d’accord avec le péché.
Si le Dieu qui déteste le mal est seul vrai
Dieu, si d’autre part tu ne regardes pas comme tel le Dieu qui n’approuve point
le péché, ce langage de ton coeur: Dieu approuve mes désordres, se réduit à
celui-ci: Il n’y a point de Dieu.
3. Entendues dans un autre sens, ces paroles
ont trait à notre chef, à Notre Seigneur Jésus-Christ lui-même. Lorsqu’il
apparut en ce monde sous la forme d’esclave, ceux qui le crucifièrent dirent
aussi: «Il n’est pas Dieu». Le livre de la Sagesse avait cité par avance leurs
paroles. Toutefois, fais d’abord attention au degré de corruption où ils
étaient descendus pour être à même de dire en leur coeur: Il n’est pas Dieu.
Après avoir lu ce verset: « L’imprudent a dit dans son coeur: Il n’y a pas de
Dieu », nous trouvons bien exprimée dans le suivant la cause de ces paroles
insensées: « Ils sont corrompus, ils sont devenus abominables dans leurs
iniquités ». Tu le vois, ils se sont abandonnés à la corruption, puisque dans
l’égarement de leurs pensées, ils ont tenu ce langage dans leur coeur. La
désobéissance aux enseignements de la loi engendre la corruption, amène le
dévergondage des moeurs, et précipite l’homme dans les derniers excès du mal;
telle est la marche que l’on suit pour en venir à nier Dieu. Quel langage
tiennent en effet ceux dont les pensées ne sont pas droites? « Notre vie est
courte; elle est traversée d’une infinité d’ennuis ». De ce premier
dérèglement dans la foi, ils tombent daims
cet autre désordre dont parle l’apôtre saint Paul Mangeons et buvons, car
demain nous mourrons 1 ». Le livre de la Sagesse développe amplement cette
pensée corruptrice: « Couronnons-nous de roses avant qu’elles se flétrissent;
laissons partout des traces de notre joie ». Après avoir ainsi traduit les
idées des méchants, il ajoute: « Faisons mourir le pauvre qui est juste 2 ».
N’est-ce pas lire: Il n’y a point de Dieu? Ils semblaient tenir un langage
plein de douceur: « Couronnons-nous de rosés avant qu’elles se flétrissent».
Jamais parole fut-elle plus délicate, plus inoffensive? Croirait-on que cette
tendresse de langage doit aboutir à un crucifiement, à des coups d’épée? Y
a-t-il de quoi t’étonner? La racine des ronces n’est-elle pas non plus douce au
toucher? Serre-la donc dans tes mains, elle ne te blessera pas; mais en est-il
le même de la tige qui en sort? « Ils sont donc corrompus, ils sont donc
devenus abominables dans leurs iniquités. L’imprudent a dit dans son coeur: Il
n’y a pas de Dieu; s’il est le Fils de Dieu, qu’il descende de la croix 3».
C’est bien dire: « Il n’y a point de Dieu».
4. Mais comment le corps du Christ gémit-il
parmi de telles gens? Les Apôtres et les disciples du Sauveur y ont gémi en
leur temps. Pour nous, quels rapports avons-nous avec eux? comment au milieu
d’eux endurons-nous les douleurs de l’enfantement? Il en est encore qui disent:
Le Christ n’est pas Dieu. Ce qui reste de païens le dit: nous l’entendons dire
à ces juifs, qui portent en tout lieu la preuve de leur condamnation. Une
multitude d’hérétiques tiennent le même langage. Les Ariens ont dit: Il n’est
point Dieu. Les Eunoméens ont dit aussi: Il n’est point Dieu; nous pouvons
ajouter ici, mes frères, que tous les chrétiens dont nous avons parlé tout à
l’heure, et qui vivent mal, ne disent pas autre chose. Car lorsque nous leur
annonçons que le Christ viendra juger tous les hommes, comme nous l’attestent
les Ecritures, qui ne peuvent nous tromper, ils aiment mieux prêter l’oreille
aux suggestions du serpent, de cet esprit infernal qui n’avait pas craint de
donner le démenti à Dieu lui-même dans le Paradis terrestre, et qui avait dit à
Adam: « Tu ne mourras pas 4 », quand le
1. I
Cor. XV, 32. — 2. Sag. II, 1-20. — 3. Matt. XXVIII, 40. — 4. Gen. III, 4.
Seigneur lui avait formellement attesté qu’il
mourrait 1. Ils font le mal si hardiment qu’ils ne craignent pas de se dire: Le
Christ viendra et il accordera à tous le pardon de leurs fautes. Le voilà donc
convaincu de mensonge, celui qui s’est annoncé comme devant séparer les justes
d’avec les pécheurs, et placer les uns à sa droite et les autres à sa gauche.
Le voilà convaincu de mensonge, celui qui s’est annoncé comme devant dire aux
justes: « Venez, bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé
dès le commencement du monde »; et aux pécheurs: « Allez au feu éternel qui a été
préparé pour le démon et ses anges 2 ». D’après ces paroles, pourrait-il
pardonner à tous? Pourrait-il ne condamner personne? Il ment donc; s’exprimer
ainsi n’est-ce pas dire: Il n’est pas Dieu? Prends garde de mentir toi-même.
Car tu es homme et il est Dieu. Dieu est la vérité même, et tout homme est
menteur 3. O corps du Christ, que feras-tu au milieu de ces méchants? Il faut
t’en éloigner, par tes affections et tes moeurs. Ne les imite pas, n’entre
point en société avec eux, ne donne à leurs désordres ni ton consentement, ni
ton approbation; inflige-leur plutôt le châtiment d’un blâme sévère. Pourquoi
prêter attention à des hommes qui parlent de la sorte: « Ils sont corrompus et
sont devenus abominables dans leurs iniquités, il n’en est aucun parmi eux pour
faire le bien? »
5 « Du haut du ciel le Seigneur a jeté les
yeux sur les enfants des hommes, afin de voir s’il en est qui aient
l’intelligence ou qui cherchent Dieu 4». Qu’est-ce à dire? Tous ceux
qui disent: Il n’y a pas de Dieu, sont-ils
corrompus? sont-ils tous devenus abominables?
Eh quoi! s’ils en étaient là, Dieu
l’ignorerait-il? ou plutôt serions-nous à même de pénétrer
les secrètes pensées de leurs coeurs, s’il ne
nous en faisait la grâce? S’il le savait, s’il en
avait la connaissance, pourquoi donc est-il
écrit que « du haut du ciel il a jeté ses regards sur les enfants des hommes
pour voir s’il en est qui aient la sagesse ou qui cherchent Dieu? » Ces paroles
désignent non une personne instruite, mais une personne qui cherche à
s’instruire: « Du haut du ciel le Seigneur a jeté ses regards sur les enfants
des hommes, afin de voir s’il en est qui aient l’intelligence ou qui cherchent
1.Gen. II, 17 — 2. Matt.
XXV, 34, 41.— 3. Ps CXV, 11 — 4. Id. LII, 3.
« Dieu ». Et comme s’il avait trouvé ce qu’il
cherchait à apercevoir en jetant ses regards du haut du ciel, il prononce ce
jugement « Tous se sont écartés de la voie et sont de-« venus inutiles; il n’y
en a pas qui fassent le « bien». De ce verset surgissent deux difficultés peu
aisées à résoudre. Si Dieu regarde du haut du ciel pour voir s’il y a un homme
qui ait l’intelligence ou qui cherche Dieu, l’insensé peut s’imaginer que Dieu
ne connaît pas tout. Voilà la première difficulté; voici la. seconde: S’il n’y
a pas un homme pour faire le bien, s’il n’y en a pas un seul, où trouver celui
qui supporte au milieu des méchants des douleurs pareilles à celles de
l’enfantement?
Pour résoudre la première difficulté, il faut
se rappeler que l’Ecriture attribue à Dieu lui-même ce que la créature fait
sous l’influence de la grâce. Ainsi, par exemple, situ prends pitié d’un
pauvre, on dit que c’est Dieu qui en a pitié, parce que tu agis par son
inspiration. Tu te connais toi-même, c’est lui qui t’éclaire; situ lui dis comme
le Prophète « Seigneur, vous allumerez ma lampe, mon Dieu, vous dissiperez mes
ténèbres 1 ». Mais parce qu’il t’aide à te connaître, parce qu’il te donne la
connaissance de toi-même, il te connaît; car, s’il n’en était ainsi, comment
pourrait-on dire: « Le Seigneur votre Dieu vous tente pour savoir si vous
l’aimez 2? » Que-signifie: pour savoir? Afin de vous communiquer par sa grâce
cette science. Nous devons donc entendre dans le même sens ces paroles: « Du
haut du ciel le Seigneur a jeté « ses regards sur les enfants des hommes, afin
« de savoir s’il en est qui aient la sagesse ou « qui cherchent Dieu».
Puisse-t-il nous venir en aide et nous accorder la faveur de mettre en pratique
les bons désirs qu’il a déposés dans nos coeurs! Selon l’apôtre saint Paul:
« Nous n’avons point reçu l’esprit de ce
monde, mais l’Esprit de Dieu, afin que nous connaissions les dons que Dieu nous
a faits ». Cet Esprit qui nous a fait connaître les-faveurs dont Dieu nous a
gratifiés, nous fait aussi mettre une différence, entre ceux à qui ces faveurs
ont été refusées et nous; il nous aide à les comparer à nous et à les
connaître. Si, en effet, nous comprenons que tout ce que nous possédons de bien
nous vient uniquement de la bonté et de la générosité de
1. Ps. XVII, 29. — 2. Deut. XIII, 3.
l’auteur de tout bien, il nous sera aussi
facile de comprendre que ceux à qui il n’a rien accordé ne peuvent rien avoir.
Cette science nous vient de l’Esprit de Dieu, et par cela même que nous le
voyons, il est dit que Dieu le voit, car il est la source de notre science. Il
faut encore entendre dans le même sens ces autres paroles: « L’esprit examine
tout, même ce qu’il y a de plus élevé en Dieu ». Non pas que l’Esprit examine,
puisqu’il connaît tout, mais parce que Dieu te le donne pour te’ faire
approfondir toutes choses; et comme sa grâce te fait agir, on dit qu’il fait ce
que tu ne pourrais faire sans lui, Donc, quand tu fais quelque chose, Dieu est
censé le faire. C’est donc par une faveur de l’Esprit de Dieu qu’ils ont reçu,
que ses enfants « jettent leurs regards sur les enfants des hommes pour voir
s’il en est qui aient la sagesse ou qui cherchent Dieu ». Mais parce qu’ils le
font par l’influence de sa grâce et de son Esprit, on dit que Dieu le fait,
c’est-à-dire qu’il regarde et qu’il voit. Pourtant, puisque ce sont des hommes
qui regardent et qui voient, pourquoi dire: « Du haut du ciel? » Parce que
saint Paul a dit: « Votre demeure est dans le ciel 1 ». N’est-ce point par le
coeur que vous voyez, que vous regardez pour comprendre? Chrétien, puisque
c’est par le coeur que tu agis de la sorte, vois donc si ton coeur est en haut;
en ce cas, tu jettes du haut du ciel tes regards sur la terre; et comme tu le
fais par la grâce de Dieu, « le Seigneur jette du haut du ciel ses regards sur les
enfants des hommes»; suivant notre manière de voir on peut ainsi résoudre là
première difficulté.
6. Que voyons-nous en regardant, en jetant
les yeux sur les enfants des hommes; qu’est-ce que Dieu aperçoit? Que peut
remarquer celui à qui le Seigneur fait la grâce de voir? Ecoute, je vais te le
dire: « C’est que tous se sont écartés de la voie et sont devenus inutiles: il
n’y en a pas qui fasse le bien, il n’y en a pas un seul ». S’il n’y en a pas
qui fasse le bien, s’il n’y en a pas un seul, il n’y aura donc pas de justes
pour gémir au milieu des méchants? Attends, dit le Seigneur, ne te hâte point
de te prononcer; j’ai donné aux hommes le pouvoir de bien faire, mais avec le
secours de ma grâce et non pas avec leurs propres forces; car d’eux-mêmes ils
sont méchants; quand ils font le mal, ils sont
1. I Phil. III, 20.
enfants des hommes, ils sont mes coulants
quand ils se conduisent bien. Par la puissante bonté de Dieu, les enfants des
hommes deviennent ses enfants, parce que son Fils est devenu le Fils de l’homme.
Voyez quelle admirable société s’est établie entre Dieu et nous; il nous a
promis de nous rendre participants de sa divinité, ne devait-il point, sous
peine de parjure, devenir d’abord lui-même participant de notre mortalité? Le
Fils de Dieu donc pris part à notre nature humaine pour nous donner part à sa
nature divine. Celui qui a promis de te faire entrer en communion de ses biens
a voulu entrer auparavant en communion de tes maux. Il l’a promis sa divinité,
mais avant tout il t’a manifesté son immense charité. Que si tu mous enlèves ce
que nous avons reçu en devenant enfants de Dieu, tu ne trouveras plus tel nous
que les vices des enfants des hommes, et alors tu verras combien sont vraies
ces paroles: « Il n’y en a pas qui fasse le bien, il n’y en a pas un seul 1».
7. « Est-ce qu’ils n’acquerront pas la
science, iceux qui commettent l’iniquité et qui dévorent mon peuple comme un
morceau de pain? Est-ce qu’ils n’acquerront pas la science 2? » Est-ce qu’il ne
leur sera pas donné de voir? Parlez, menacez, élevez la voix comme une femme
qui enfante, comme sue personne qui souffre. Car ils dévorent votre peuple de
la même manière qu’on dévore un morceau de pain. Il y a donc ici un peuple de
Dieu que l’on dévore, et pourtant: « Il n’y en a pas qui fasse le bien, il n’y
en à pas un seul». Ce que nous avons dit tout à l’heure, nous aide à répondre:
ce peuple que l’on dévore, ce peuple qui souffre au milieu des méchants, ce
peuple qui gémit et enfante au milieu d’eux, se compose d’enfants des hommes
devenus enfants de Dieu: voilà pourquoi on le dévore. « Car vous avez confondu
le conseil du pauvre, parce qu’il a mis en Dieu son espérance 3». Le plus
souvent, en effet, la raison pour laquelle on méprise et l’on dévore le peuple
de Dieu, c’est sa qualité même de peuple de Dieu. Que je me livre, dit-on, à la
rapine; que je devienne spoliateur: si ma victime est un chrétien, quel mal me
fera-t-elle? Celui qui parle en faveur des victimes et menace les persécuteurs,
celui-là parle en faveur de son peuple, car il dit:
1.
Ps. LII, 4. — 2. Id. 5. — 3. Ps. XIII, 6.
« Est-ce que ceux qui commettent l’iniquité
n’acquerront pas la science? » L’homme qui voyait le voleur et courait avec
lui, qui entrait en partage avec les adultères, qui s’asseyait et méditait
contre son frère., qui tendait un piège au fils de sa mère, cet homme a dit
dans son coeur: « Il n’y a pas de Dieu ». C’est pourquoi le Seigneur lui dit en
retour: « Tu as fait cela et je me suis tu; tu as supposé l’iniquité en moi, tu
as cru que je te ressemblerais », c’est-à-dire, si je te ressemblais je ne
serais pas Dieu. Et il ajoute: « Je te reprendrai, je te ferai comparaître
devant toi-même ». Maintenant tu ne veux pas te connaître, tu ne veux point par
là éprouver de déplaisir; plus tard tu te connaîtras et tu pleureras. Dieu
forcera nécessairement les méchants à reconnaître leur iniquité. S’il ne le
faisait pas, où donc seraient ceux qui doivent dire: « A quoi nous a servi
notre orgueil? qu’avons-nous retiré de l’éclat de nos richesses? » Alors ils
seront instruits, ceux qui ne veulent pas s’instruire aujourd’hui: « Est-ce
qu’ils n’acquerront pas la science, tous ceux qui font le mal et qui dévorent
mon peuple commue un morceau de pain? » Quel sens donner à ce qui suit: « Comme
un morceau de pain?» Ils dévorent mon peuple comme on mange le pain. Parmi les
aliments qui servent à notre nourriture, nous choisissons tantôt les uns,
tantôt les autres. Nous ne mangeons pas toujours les mêmes légumes, la même
sorte de viande, les mêmes fruits, mais toujours nous mangeons du pain. Quelle
est donc la signification de ces paroles: « Ils dévorent mon peuple comme un
morceau de pain? » Ceux qui dévorent mon peuple comme un morceau de pain, le
font sans interruption, sans fin.
8. «Ils n’ont pas invoqué Dieu 1 ». Le
Prophète console ici celui qui gémit; il l’exhorte surtout à ne point imiter
les méchants, dans la crainte de le voir entraîné au mal par le spectacle des
prospérités dont ils jouissent habituellement. Tu entreras en possession de ce
qui t’a été promis, l’espérance des méchants se borne au temps présent; la
tienne a pour objet les biens éternels; ce qu’ils espèrent leur échappera,
jamais tu ne perdras ce que tu attends; les avantages de ce monde sont
trompeurs, ceux auxquels tu aspires sont véritables « Car ils n’ont point
invoqué
1. Ps. LII, 6.
« Dieu ». Est-ce que de telles gens ne le
prient pas tous les jours? Non, ils ne le prient pas. Attention ! je vais
essayer avec l’aide de Dieu de vous le faire comprendre.
Dieu veut qu’on le serve et qu’on l’aime
gratuitement, c’est-à-dire dans le sentiment d’un pur amour, parce qu’il se
donne lui-même, mais non parce qu’en outre de lui-même il donne encore autre
chose. Aussi l’homme qui prie Dieu de lui donner des richesses, n’invoque pas
Dieu, mais il invoque les biens dont il veut s’enrichir. Appeler à soi,
n’est-ce point le vrai sens du mot invoquer? Invoquer signifie donc appeler à
soi. En effet, quand tu dis: Seigneur, accordez-moi de la fortune, ton désir
n’est pas que Dieu lui-même vienne à toi, tu ne veux y voir venir que la
fortune. Ce dont tu souhaites entrer en possession, voilà ce que tu invoques.
Si tu invoquais Dieu, il viendrait lui-même à toi et serait ton trésor. Le plus
vif objet de tes désirs, c’est une aire remplie de toutes parts, peu t’importe
que ton âme reste vide des biens célestes. Dieu remplit le coeur et non les
celliers. De quelle utilité peuvent être pour toi les biens extérieurs, si tu
es dénué des biens intérieurs? Ceux-là donc ne prient pas Dieu qui le prient
pour obtenir de lui les avantages temporels, les biens d’ici-bas, le bonheur de
cette vie terrestre et passagère. Aussi que lisons-nous ensuite? « Ils ont été
saisis par la crainte là où il n’y avait rien à craindre ». Que l’on perde sa
fortune, y a-t-il là un vrai sujet de crainte? Non, et pourtant on redoute une
pareille perte. On aurait bien raison de trembler si l’on venait à perdre la
sagesse; et c’est précisément là qu’on ne se trouble pas. Ecoute, réfléchis et
saisis bien le caractère des méchants.
9. L’on confie à un homme un petit sac d’argent:
il ne veut point le rendre, il le regarde comme sa propriété, il ne pense pas
qu’on puisse le lui réclamer, il le considère comme lui appartenant, il refuse
de s’en dessaisir. Il lui est facile de voir ce qu’il craint de perdre, ce
qu’il refuse d’avoir; son âme est partagée entre l’argent et la probité. Plus
est précieuse à tes yeux l’une rie ces choses, plus on doit craindre de la
perdre. Pour garder l’or tu perds la probité. Tu souffres un dommage bien plus
considérable que celui de rester pauvre, et le gain que tu as fait te comble de
joie: tu as été saisi de crainte là où tu n’avais rien à craindre. Rends cet
argent. Je dis trop peu en m’exprimant ainsi: perds-le pour ne point perdre la
fidélité. Tu crains de rendre cet argent, et tu consens à perdre la probité.
Les martyrs ne se sont point emparés des richesses d’autrui, afin de ne point
perdre la foi. Ils ont même poussé le désintéressement jusqu’à mépriser les
leurs. Ils ont perdu leur âme pour la retrouver dans la vie éternelle 1. Ils
ont donc été saisis de crainte quand il fallait craindre. Mais ceux qui ont dit
du Christ: « Il n’est pas Dieu, ceux-là ont tremblé quand il n’y avait pas
sujet de le faire ».En effet, ils ont dit: «Si nous le laissons aller, les
Romains viendront et ils nous ôteront notre pays et notre royaume 2». Quelle
folie, quelle imprudence de dire dans son coeur: « Il n’est pas Dieu». Tu as
craint de perdre la terre, et tu as perdu le ciel; tu as craint de voir les
Romains venir et t’enlever ton pays et ton royaume; auraient-ils été à même de
t’enlever ton Dieu? Que te reste-t-il, sinon la nécessité d’avouer que tu as
laissé échapper de tes mains ce que tu as voulu conserver contre les droits de
la justice?,En faisant mourir le Christ, tu as perdu ton pays et ton royaume. Vous
avez préféré la mort du Christ à la perte de votre pays, et vous avez perdu
tout à la fois votre pays, votre royaume et le Christ. La crainte les a portés
à crucifier le Sauveur, mais pourquoi cela? « Parce que Dieu disperse les
ossements de ceux qui veulent plaire aux hommes». Ils voulaient plaire aux
hommes, et ils ont tremblé à la pensée de perdre leur pays. Mais le Christ dont
ils ont dit: Il n’est pas Dieu, a mieux aimé déplaire à des hommes de leur
caractère, il a préféré déplaire aux enfants des hommes, et non point aux
enfants de Dieu. Aussi leurs ossements ont-ils été dispersés, tandis que les
siens sont demeurés intacts: « Eux ont été couverts de confusion, parce que «
Dieu les a méprisés ».Et de fait, mes frères, ils ne pouvaient, en ce qui les
concernait, être couverts d’une confusion plus complète, car la nation juive a
cessé d’exister en ces lieux où les Israélites avaient mis le Christ à mort,
précisément dans l’intention de conserver leur pays et leur royaume; et
toutefois, en leur manifestant ainsi son mépris, Dieu a voulu les exciter à se
convertir. Qu’ils reconnaissent donc maintenant le Christ; qu’après
1. Matt. X, 39. — 2. Jean, XI, 48.
avoir dit de lui: Il n’est pas Dieu, ils proclament sa divinité; qu’ils
reviennent à l’héritage de leurs pères, Abraham, Isaac et Jacob, et possèdent
avec leurs ancêtres la vie éternelle, quoiqu’ils aient perdu la vie temporelle!
Comment cela? en cessant d’être enfants des hommes, et en devenant enfants de
Dieu; car tant qu’ils resteront dans leur incrédulité, et ne consentiront point
à se convertir, à eux s’appliqueront ces paroles: « Il n’y en a pas qui fasse
le bien, il n’y en a pas un seul; ils ont été couverts de confusion, parce que
Dieu les a méprisés ». Le Prophète semble se tourner vers eux, et leur dire: «
Qui est-ce qui donnera de Sion un Sauveur à Israël? » Insensés, vous outragez,
vous insultez, vous souffletez, vous couvrez de crachats, vous couronnez
d’épines, vous crucifiez. Savez-vous qui? « Qui est-ce qui donnera de Sion le
salut à Israël? » N’est-ce point celui-là même de qui vous avez dit: « Il n’est
pas Dieu? » « Ce sera Dieu, quand il fera cesser la captivité de son peuple ».
Celui-là seul peut faire cesser la captivité de son peuple, qui a consenti à se
livrer entre nos mains. Mais qui est-ce qui le comprendra? « Jacob sera dans la
joie, et Israël dans l’allégresse ». Oui, ce Jacob, oui, cet Israël qui a tenu
son aîné sous sa dépendance, sera dans l’allégresse, parce qu’il aura
l’intelligence de toutes choses.
SERMON AU PEUPLE.
D’après
le titre de ce psaume, David s’était réfugié chez les Ziphéens pour y trouver
un abri contre les poursuites de Saül; mais il fut trahi par ceux-là mêmes an
milieu desquels il avait espéré trouver un toit hospitalier. David représentait,
en cette circonstance, le Sauveur et ses disciples, comme les Ziphéens
figuraient les mondains, dont l’éclat n’est que passager. La
prière
adressée à Dieu par le roi fugitif du sein de sa retraite, convient donc
parfaitement à Jésus-Christ et à l’Eglise, dont les membres sincères sont
cachés aux yeux du monde. L’humilité du chrétien et l’éclat du mondain ne
dureront pas; de là, pour le premier, le désir de ne point briller ici-bas, de
ne pas mettre ses espérances dans les éphémères futilités de la terre, mais de
les placer en Dieu et de le servir pour lui-même.
1. Si nous saisissons bien le sens du titre
de ce psaume, sa longueur même nous sera avantageuse; et, puisque le Psaume est
court, nous emploierons, à expliquer le titre, le temps que l’explication du
psaume laissera à notre disposition. Du sens de ce titre bien compris dépend
l’intelligence du psaume dont nous venons de chanter les versets: car l’homme
qui lit bien l’inscription placée au frontispice d’une maison, y pénètre sans
crainte, et ne s’égare pas quand il y est entré, parce que l’inscription a été
mise au seuil de l’édifice, dans l’unique but d’indiquer les moyens de ne point
s’y égarer.
Ce psaume est ainsi conçu: « Pour la fin,
dans les hymnes, intelligence à David, lorsque les habitants de Ziph vinrent
trouver Saül pour lui dire: David n’est-il pas caché chez nous 1? » Nous savons
que Saül persécutait le saint homme David: il était la figure du royaume de ce
monde, prédestiné non pas à la vie, mais à la mort. Nous nous souvenons de l’avoir
déjà expliqué à votre charité. Vous devez le savoir aussi; et, si vous le
saviez déjà, vous le rappeler. David préfigurait le Christ ou le corps du
Christ. Qu’était-ce donc que les Ziphéens? Il y avait un bourg du nom de Ziph,
dont les habitants s’appelaient Ziphéens:
David s’était retiré sur leur territoire pour
échapper aux poursuites de Saül, qui le recherchait et voulait le faire mourir.
A peine eurent-ils connaissance de ce fait, qu’ils allèrent indiquer à Saül la
retraite de sa
1. PS. LIII, 1, 2.
victime, et lui dire: « Est-ce que David
n’est point caché chez nous 1? »Cet acte de lâcheté ne leur fut d’aucun profit,
comme il ne fut pour David la cause d’aucun mal: il ne servit qu’à manifester
clairement la méchanceté de leurs dispositions. Pas plus après leur trahison
qu’auparavant, Saül ne réussit à s’emparer de David; et même, comme il se
trouvait dans une caverne de ce pays, et, à vrai dire, sous la main de David,
celui-ci ne voulut point en profiter pour le faire mourir: il renonça à l’occasion
favorable qui se présentait, et lui fit grâce de la vie 2. Pour Saül, il lui
fut impossible de mettre à exécution ses projets homicides.
2. Peu nous importe de connaître la valeur
morale des Ziphéens; occupons-nous de ceux que le Psalmiste veut nous désigner
sous ce nom. Si nous cherchons la signification de ce mot, nous trouverons
qu’il veut dire: florissants, éclatants. Les ennemis du saint roi David
brillaient de je ne sais quel éclat: ils paraissaient au grand jour, tandis que
David se cachait. Si nous voulons bien comprendre ce psaume, il nous faut
savoir quelles sont, parmi les hommes, ces personnes brillantes. Voyons d’abord
celles que David préfigurait en se dérobant aux regards d’autrui: il nous sera
ensuite plus facile de connaître celles que ses ennemis représentaient en
paraissant au grand jour. Saint Paul nous apprend quel est ce David qu’on
n’aperçoit pas, lorsque, s’adressant aux membres du Christ, il leur dit: « Vous
êtes morts, et votre vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu ». Et quand
fleuriront ces fidèles cachés aujourd’hui? « Lorsque Jésus-Christ, qui est
votre vie, paraîtra », ajoute-t-il, « vous paraîtrez aussi avec lui dans la
gloire 3 ». Quand ces membres du Christ fleuriront, les Ziphéens ressembleront
à une herbe qui se dessèche; car, voyez à quelle fleur l’Ecriture compare leur
gloire. « Toute chair n’est que de l’herbe, et tout l’éclat de la chair est
comme la fleur de l’herbe ». En fin de compte, « l’herbe se dessèche, et sa
fleur fanée tombe à terre ». Et quel sera le sort de David? Ecoute ce qui suit:
« Mais la parole de Dieu demeure éternellement 4 ».
Il y a donc ici-bas deux classes d’hommes,
qu’il nous faut bien distinguer l’une de l’autre, et entre lesquelles nous
devons
1. Rois, XXIII, 14, 15, 19. — 2. Id. XXIV,
4-8, — 3. Col. III, 3, 4. — 4. Ps. XL, 6, 8.
nécessairement choisir. A quoi te
servirait-il, en effet, de les connaître, si tu devais être indifférent à faire
un choix? Tu as aujourd’hui le pouvoir de choisir; le temps viendra où ce
pouvoir ne t’appartiendra plus, car alors Dieu se hâtera de rendre à chacun
selon ses oeuvres. Qui sont donc ces Ziphéens si brillants, sinon ce corps de
Doëch l’Iduméen, dont nous avons déjà, il y a quelques jours, entretenu votre
charité? C’est d’eux qu’il a été dit: « Voilà l’homme qui n’a pas pris Dieu
pour son appui, mais qui a mis son espérance dans la multitude « de ses
richesses, et placé sa force dans la vanité ». Voilà bien ces enfants du
siècle, dont l’Evangile a voulu notas parler, quand il nous a dit qu’ils sont
dans leurs affaires plus rusés que les enfants de la lumière; car on les voit
supputer toutes les chances d’un avenir qui ne leur appartiendra peut-être pas.
Vous savez quelle conduite l’économe infidèle tint à l’égard de son maître: il
travailla pour lui-même aux dépens de celui-ci, en remettant à ses créanciers
une partie de leur dette, afin de trouver chez eux un asile lorsqu’il serait
privé de sa charge. Il avait agi de mauvaise foi, et, pourtant, son maître lui
donna des louanges, non pas sans doute à cause de l’injustice qu’il avait
commise, mais en raison de l’adresse qu’il avait montrée. A plus juste titre
devons-nous, surtout après la recommandation expresse de Notre Seigneur
Jésus-Christ, nous préparer des amis avec le Mammon d’iniquité 1. Par Mammon on
entend les richesses. Nous ne devons avoir de trésor que dans le ciel, où nous
habiterons éternellement. C’est pourquoi ceux-là seuls donnent à l’argent le
nom de richesses, qui ne savent jeter de l’éclat que sur la terre, et qui ne
veulent point s’en servir de manière à se préparer des amis pour l’éternité. La
raison en est qu’ils ne connaissent pas les véritables richesses. Les pécheurs,
qui brillent comme l’herbe pour un temps, sont seuls à leur donner le nom de
richesses: et voilà les Ziphéens, les adversaires de David, les hommes qui
jettent en ce monde un si vif éclat.
3. Parfois il arrive que des enfants de
lumière, entraînés par la faiblesse humaine, portent leur attention sur de
pareils hommes, et quand ils voient le bonheur sourire aux méchants, ils chancellent
dans leur route, et ils
1. Luc, XVI, 8, 9.
se disent: Quel avantage retiré-je de mon
innocence? A quoi me sert d’être fidèle lieu, d’observer ses commandements, d
n’être à charge à personne, de ne rien dérober à qui que ce soit, de ne jamais
nuire à autrui, d’être, autant que possible utile à prochain?Je remplis tous
mes devoirs: les mécréants sont heureux, et moi, je souffre ! Eh quoi!
voudrais-tu être aussi un Ziphéen? Ils sont tous brillants en ce monde; mais,
au jugement de Dieu, ils se dessécheront, puis ils seront jetés dans le feu
éternel. Est-ce cela que tu désires pour toi? As-tu mis en oubli les promesses
de celui qui est descendu du ciel vers toi? Ne connais-tu pas l’exempte qu’il
t’a lui-même donné? Si l’éclat des Ziphéens méritait d’exciter tes désirs, ton
Sauveur ne s’en serait-il pas revêtu pour les jours de sa vie mortelle? Ou
bien, la puissance de le faire lui a-t-elle manqué? Il a préféré ne pas se
faire connaître; il a mieux aimé dissiper les soupçons que Ponce Pilate élevait
sur la nature de sa puissance, et répondre à ses questions, comme s’il
adressait la parole à ces orgueilleux Ziphéens eux-mêmes: « Mon royaume n’est
pas de ce monde 1 ». Il se cachait donc ici-bas, et tous les hommes vertueux
s’y cachent, à son exemple, parce que leur véritable bien est au dedans d’eux:
il est caché dans leur coeur, dans ce coeur où se trouvent leur foi, leur
charité, leur espérance, leur trésor. De tels biens paraissent-ils au regard du
monde? Non, ils s’y dérobent, et la récompense que lieu leur réserve ne paraît
pas davantage. Comment donc se fait-il que l’éclat des mondains soit si vif? Il
éblouit les yeux, mais il ne les éblouira pas toujours. Pareil à la beauté de
ces herbes qui naissent et gardent leur verdeur en hiver, pour se flétrir aux
premières ardeurs du soleil d’été, il ne durera qu’un moment. Ne nous livrons
donc pas à ces pensées que le Prophète développe dans un autre psaume. Il avoue
qu’il a failli tomber de défaillance et qu’il a marché d’un pas chancelant dans
la voie de Dieu, parce qu’il a vu l’éclat et le bonheur des méchants.
Néanmoins, dès qu’il a connu ce que Dieu, souverainement ennemi du mensonge,
réserve pour l’avenir aux pécheurs, ce qu’il promet aux justes malheureux, il
s’écrie, dans les transports de sa joie et de sa reconnaissance:
1. Jean, XVIII, 36.
« Que le Dieu d’Israël est bon pour ceux qui
ont le coeur droit ! mes pas ont chancelé je me suis vu sur le point de tomber
». Et pourquoi? « Parce qu’à la vue du tranquille bonheur des méchants, la
jalousie s’est emparée de mon cœur ». Mais sa démarche s’est raffermie,
lorsqu’il a pénétré les mystères de l’avenir. Il ajoute dans un autre verset du
même psaume: « J’ai trouvé en cela une grande obscurité »; c’est-à-dire, une
grande difficulté s’est présentée à mon esprit. Pourquoi les hommes qui font le
mal en cette vie, y sont-ils néanmoins si heureux? Pourquoi ceux qui pratiquent
la vertu, y sont-ils, au contraire, sujets à tant de peines? Cette difficulté
me semblait singulièrement grave, et presque impossible à résoudre. « Je ne
vois qu’obscurité devant moi, jusqu’à ce que j’entre dans le sanctuaire de
Dieu, et que je pénètre les mystères de l’avenir 1 ». Quels mystères l’avenir
doit nous révéler? L’Evangile nous les a déjà fait connaître: « Lorsque le Fils
de l’homme viendra, tous les peuples de la terre seront rassemblés devant lui,
et il les séparera, comme un pasteur sépare les agneaux d’avec les boucs: il
mettra les brebis à la droite, elles boucs à la gauche 2 ». Les Ziphéens seront
d’abord mis de côté, puis ils seront jetés au feu. Verra-t-on briller ceux qui
seront placés à la gauche? car alors ils gémiront: alors leur âme sera saisie
de repentir, mais d’un repentir hors de saison alors ils s’écrieront: « De quoi
nous a servi notre orgueil? Quel avantage retirons-nous du faste de nos
richesses? Tout cela a passé comme l’ombre 3 ». O Ziphéens, qui êtes maintenant
à la gauches il est trop tard pour vous repentir d’avoir brillé dans l’ombre.
Au lieu de reconnaître David, quand il se cachait au milieu de vous, pourquoi
le trahissiez-vous? Si alors vous vous étiez corrigés, votre douleur présente
ne vous serait point inutile. Il y a un repentir utile, et un repentir qui ne
l’est pas. Tu te repens utilement, lorsque tu t’accuses, lorsque tu te
reproches ta conduite désordonnée, lorsqu’à la suite de ces secrets reproches,
tu combats tes mauvaises habitudes, lorsque, après leur avoir fait la guerre,
tu t’en corriges, lorsque tu te convertis, et que, te dépouillant du vieil
homme et te revêtant du nouveau, tu préfères les ignominies du Christ à la
gloire des Ziphéens.
1. Ps. LXXII, l-17. — 2.
Matt. XXV, 31-33. — 3. Sag. V, 8, 9.
Pendant que tu renfermes ton trésor dans ton
coeur, et que tu es caché parmi les Ziphéens, pendant que tu conserves aussi en
secret l’espoir de ton éternelle récompense, s’il t’arrive d’occuper dans le
monde un poste élevé, n’en conçois aucun orgueil, car l’orgueil que tu en
ressentirais, te précipiterait dans l’éphémère vanité des Ziphéens. Imite
plutôt l’exemple d’Esther, de cette sainte femme qu’admira autrefois le peuple
juif. Mariée à un roi étranger, elle apprit à quel péril se trouvait exposée
toute sa nation, et la nécessité urgente d’intercéder auprès du souverain en
faveur d’Israël: elle se mit donc en prière, et, pendant son oraison, elle confessa
à Dieu que tous ses ornements royaux n’avaient pas à ses yeux plus de prix
qu’un vêtement de femme souillé par la menstruation 1. Des hommes ne
pourraient-ils pas faire ce que font des femmes, et l’Eglise chrétienne
aurait-elle moins de force que cette femme juive? Je dirai donc à votre
charité: « Si les richesses vous surviennent en abondance, n’y arrêtez point
votre coeur 2 ». Si abondantes qu’elles soient, si grande que soit ici-bas ta
prospérité, ne te fie pas à cette mer, ne te fie point à ses apparences
séduisantes. Si tu deviens riche, et que ta fortune s’accroisse sans cesse,
foule aux pieds les biens de la terre, attache ton coeur à Dieu. En t’élevant
au-dessus d’eux, et donnant à Dieu tes affections, tu ne seras pas exposé à
tomber lorsqu’ils manqueront sous tes pieds. Ainsi il ne t’arrivera point, par
Je fait d’une pensée déréglée et peu chrétienne, ce qui est marqué en un autre
psaume. Après avoir parlé de l’éclat des Ziphéens, le Prophète ajoute: « Vos
pensées sont étrangement profondes ». Oui, je le répète: « Vos pensées sont
étrangement profondes: l’imprudent ne les comprendra pas; l’insensé n’en
saisira pas le sens ». Qu’est-ce qu’il ne comprendra pas? le voici: « Les
méchants s’élèveront comme l’herbe, et tous ceux qui commettent l’iniquité
paraîtront;et, finalement, ils périront à jamais dans la suite de tous les
siècles ». L’éclat des méchants les a fascinés, et ils ont dit en eux-mêmes:
Les méchants sont en honneur; à ce trait, il me semble que Dieu les aime.
Entraînés alors par le désir de partager la gloire temporelle des méchants, ils
se sont précipités dans le mal, et leur perte ne sera
1. Esth. XIV, 16.— 2. Ps. LXI, 11. — 3. Id.
XCI, 6—8.
point de quelques instants, comme leur éclat,
mais elle durera autant que les siècles des siècles. En voici la raison:
L’imprudent ne comprendra pas, et l’insensé ne pénétrera pas les secrets de
l’avenir, parce qu’il n’entre pas dans le sanctuaire du Seigneur pour en avoir
l’intelligence; et, parce que cette intelligence est difficile à acquérir, ce
psaume commence par nous faire voir David caché au milieu des Ziphéens, ne
désirant nullement leur éclat, mais surtout pratiquant l’humilité, afin de
posséder en Dieu une beauté secrète et cachée,
Quel est donc le titre de ce psaume? Qu’y
est-il dit de David?: « Pour la fin, dans les hymnes, » c’est-à-dire, dans les
louanges. Et quelles louanges? « Le Seigneur me l’a donné, le Seigneur me l’a
ôté; il a été fait selon son bon plaisir: que son saint nom soit béni 1! » La
perte de tous ses biens était-elle une preuve que Job était desséché? Non; les
feuilles étaient tombées, mais la racine restait toujours vigoureuse. Donc, «
pour la fin, dans les hymnes ». Et ensuite? « Intelligence à David ».
Intelligence, par opposition à ces autres paroles: «L’imprudent ne connaîtra
pas ces choses, et l’insensé ne les comprendra point. Intelligence à David,
lorsque les Ziphéens vinrent trouver Saül, et lui dirent: Est-ce que David ne
s’est point retiré chez nous? » Que David soit caché chez vous, si vous le
voulez; mais que, du moins, votre gloire ne soit pas la sienne. Ecoute donc sa
prière.
4. « Dieu, sauvez-moi par votre nom, et
jugez-moi par votre puissance 2». Que l’Eglise, cachée parmi les Ziphéens,
redise ces paroles. Qu’elles se retrouvent aussi sur les lèvres de ce corps
chrétien, qui renferme dans son coeur le trésor de ses bonnes oeuvres, et y
conserve l’espérance de la récompense immortelle promise à ses mérites. Que
l’Eglise dise donc: « O Dieu, sauvez-moi par votre nom, et jugez-moi par votre
puissance ». O Christ, vous êtes venu sur la terre; vous y êtes apparu dans
l’humilité: vous avez été méprisé, flagellé, crucifié, mis à mort; mais, trois
jours après, vous êtes ressuscité: le quarantième jour vous êtes monté aux
cieux; vous êtes assis à la droite de votre Père, et personne ne vous y voit.
Puis, vous on avez fait descendre le Saint-Esprit, et ceux qui en étaient
dignes l’ont reçu. Brûlant du feu
1. Job, I, 21. — 2. Ps. LIII, 3.
de votre amour, ils se sont répandus au milieu
des nations pour annoncer au monde la gloire de votre humilité: je vois votre
nom placé au-dessus de tous les noms, le genre humain en connaît la grandeur;
et pourtant, l’on ne nous a annoncé que votre faiblesse. L’Apôtre des nations,
saint Paul, a déclaré ne savoir rien autre chose, parmi nous, que Jésus et
Jésus crucifié 1: par là il voulait nous exciter à préférer les ignominies du
Sauveur à la gloire et à l’éclat des Ziphéens. cependant le même apôtre ajoute,
en parlant du Christ: « Quoiqu’il soit mort à cause de sa faiblesse, il vit
néanmoins par la puissance de Dieu 2 ». Il est donc venu mourir par infirmité,
et il viendra juger par la puissance de Dieu: mais la faiblesse même de sa
croix a environné son nom d’une brillante auréole de gloire. Quiconque ne
croira pas à ce nom, que la faiblesse a illustré, sera saisi d’épouvante, quand
Jésus-Christ viendra juger le monde dans l’éclat de sa puissance. Faible
autrefois, mais revêtu de force au jour du jugement, puisse-t-il ne point nous
jeter à la gauche, quand il viendra vanner son grain; et, pour cela,
puisse-t-il nous sauver par son nom, et nous juger par sa puissance ! Quel est
l’homme assez téméraire pour oser dire à Dieu: « Jugez-moi? » Quand on veut
maudire un homme, ne lui dit-on pas: « Que Dieu te juge? » Oui, ce serait une
véritable malédiction, s’il te jugeait dans sa puissance, sans te sauver par
son nom; mais s’il te sauve d’abord par son nom, il te jugera ensuite
favorablement; sois tranquille: un pareil jugement n’aboutira point pour toi à
la punition éternelle, il ne servira qu’à te séparer des méchants. Le Psalmiste
s’exprime ainsi en un autre endroit: « O Dieu, jugez-moi et séparez ma cause de
celle du peuple qui n’est pas saint 3 ». Qu’est-ce à dire: « Jugez-moi? »
Distinguez-moi des Ziphéens, au milieu desquels je me trouve caché; je supporte
aujourd’hui leur éclat mais vienne bientôt pour moi le moment de briller.
L’éclat de la leur n’a duré qu’un instant; elle a disparu dès que l’herbe s’est
desséchée. De quel éclat brillerai-je à mon tour? « Ils seront plantés dans la
maison du Seigneur: ils fleuriront dans les palais de notre Dieu 4 ». Nous
fleurirons donc aussi, mais notre beauté ne se flétrira pas: elle sera pareille
à la beauté des
1. I
Cor. II, 2.— 2. II Cor. XIII, 4.— 3. Ps. XLII, 1.— 4. Id. XCI, 14.
feuilles de cet arbre planté sur le bord de
l’eau, et dont il est écrit: « Et ses feuilles ne tomberont pas 1 ». Donc: « O
Dieu, sauvez-moi par votre nom; jugez-moi dans votre puissance ».
5. « O Dieu, écoutez ma prière: prêtez l’oreille
aux paroles de ma bouche ». Que les paroles de ma bouche parviennent jusqu’à
vos oreilles, parce que je ne vous demande point l’éclat des Ziphéens. « Prêtez
l’oreille aux paroles de ma bouche». Prêtez l’oreille, car ma prière a beau
retentir à l’oreille des Ziphéens, ils ne l’écoutent pas, parce qu’ils ne la
comprennent pas. La possession des biens temporels est pour eux un sujet de
joie, mais ils ne savent nullement désirer les biens éternels. Que ma prière
arrive jusqu’à vous, poussée hors de moi et portée vers vous par le désir de
jouir de vos éternels bienfaits: je la dirige vers vous; aidez-la à y parvenir,
à ne pas s’arrêter au milieu de sa course, à ne point retomber à terre. Lors
même que vous ne m’accorderiez point ce que je sollicite de votre miséricorde,
je ne me troublerai pas; car, j’en suis sûr, je l’obtiendrai de vous un jour.
Il est dit qu’un homme, se trouvant dans le
péché, a prié Dieu, et que, pour son plus grand bien, il n’a pas été exaucé. Le
désir des biens temporels l’avait porté à prier Dieu; et parce qu’il se
trouvait plongé dans les tribulations de cette vie, il aurait souhaité voir le
terme de ses peines et le retour de sa passagère prospérité: c’est pourquoi il
s’écria « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné? » Ce sont les
propres paroles du Christ, paroles adressées par lui à Dieu en faveur de ses
membres. « Le cri de mes péchés », dit-il encore, « éloigne de moi le salut: je
crie pendant le jour, et vous ne m’écoutez pas; je crie pendant la nuit, et
vous ne m’exaucez pas, afin de m’inspirer la sagesse 2 ». C’est-à-dire: Je crie
vers vous la nuit; et, si vous ne m’exaucez pas, ce n’est point pour me laisser
dans mon imprudence, c’est au contraire pour m’enseigner la sagesse; c’est pour
m’apprendre ce que je devais vous demander, Je vous demandais, en effet, des
choses qui auraient pu contribuer à me rendre malheureux. O homme, tu demandes
des richesses. Tu ne sais donc pas combien d’autres hommes les richesses ont
rendus
1. Ps. I, 3 — 2. Id. XXI, 2, 3.
malheureux? Te seraient-elles plus
profitables? Des pauvres nombreux ont trouvé leur sécurité à rester inconnus; à
peine étaient-ils devenus riches, à peine avaient-ils brillé aux regards du
monde, que déjà des hommes, plus puissants qu’eux, en faisaient leur victime et
leur proie, S’ils avaient compris le réel avantage de demeurer dans la solitude
et l’oubli du monde, ils ne se seraient point trouvés exposés aux dangereuses
convoitises de gens qui les recherchaient, non pour ce qu’ils étaient, mais
pour ce qu’ils possédaient. En fait de biens temporels, nous vous avertissons
et nous vous prions dans le Seigneur de ne rien demander en particulier, mais
d’attendre de la bonté de Dieu ce qu’il sait vous être utile. Car vous ignorez
absolument ce qui vous convient le mieux. Ce qui vous plairait davantage vous
serait souvent nuisible, et vous trouverez parfois votre profit en ce qui vous
sourit le moins. Vous êtes malades; ne prescrivez pas vous-mêmes au médecin les
remèdes qu’il doit vous appliquer. Le docteur des nations, l’apôtre saint Paul
lui-même a dit: « Nous ne savons ce que nous devons demander ». A plus forte
raison l’ignorons-nous nous-mêmes. Il lui semblait qu’il priait d’une manière
convenable, quand il conjurait le Seigneur de lui ôter l’aiguillon de la chair,
cet ange à qui Dieu avait permis de le souffleter, afin qu’il ne pût
s’enorgueillir de la grandeur de ses révélations. Comment le Tout-Puissant
répondit-il à sa prière? Lui accorda-t-il ce qu’il demandait? Non; il ne fit
que ce qui était le plus avantageux pour l’Apôtre. Voici sa réponse: « J’ai
prié par trois fois le Seigneur de l’éloigner de moi, et il m’a répondu: Ma
grâce te suffit, car l’infirmité sert à perfectionner la vertu 2 ».J’ai
appliqué le remède sur le mal: je sais quand je l’ai appliqué, c’est à moi de
savoir quand il faudra l’ôter. Le malade ne doit ni se retirer d’entre les
mains du médecin, ni lui donner des conseils. Ainsi faut-il raisonner et agir
dans toutes les circonstances de la vie. Les tribulations t’accablent? si tu
sers bien Dieu, tu te rappelleras qu’il sait ce qui convient à chacun. Tu nages
dans les eaux de la prospérité? prends surtout soin qu’elle ne gâte pas ton
coeur, et ne t’éloigne pas de celui qui t’a rendu heureux. David, comprenant
ces choses, dit à Dieu: « Seigneur,
1. Rom. VIII, 26. — 2. II Cor. XII, 7-9.
« écoutez ma prière: rendez-vous attentif aux
paroles de ma bouche ».
6. « Car les étrangers se sont élevés contre
moi 1 ». Quels étrangers? Est-ce que David
n’était pas juif, et de la tribu de Juda?
Ziph appartenait à la même tribu et à la même nation. Comment les Ziphéens
pouvaient-ils être des étrangers? Par rapport au pays, à la tribu, à la
parenté, ils ne l’étaient pas; mais ils l’étaient quant à l’éclat. En veux-tu
la preuve? Dans un autre psaume, on désigne sous le nom d’enfants étrangers «
ceux dont la bouche est remplie de paroles vaines, et dont la droite est une
droite d’iniquité ». Le Psalmiste rend ensuite compte de l’éclat des Ziphéens.
« Dans leur jeunesse, leurs enfants sont comme de nouveaux plants d’arbres;
leurs filles sont ornées et parées comme un temple; leurs celliers sont pleins
et regorgent de l’un dans l’autre; leurs brebis sont fécondes et fertiles;
leurs vaches sont grasses; il n’y a dans leurs haies ni passage, ni lacune, et
l’on n’entend aucun cri dans leurs places publiques».Voilà bien les Ziphéens:
voilà bien ceux qui brillent pour un temps. « Ils ont proclamé bienheureux le
peuple qui possède toutes ces choses ». N’est-ce point à juste titre qu’on leur
donne le nom d’étrangers? Et toi, qui es caché au milieu des Ziphéens, que
dis-tu? « Bienheureux le peuple qui a pour Dieu le Seigneur 2 ». C’est cette
pensée qui a dicté et porté vers le trône de l’Eternel la prière du Prophète: «
O Dieu, rendez-vous attentif à ma voix, parce que les étrangers se sont élevés
contre moi, et que les puissants ont cherché mon âme ».
7. Mes frères, tous ceux qui bornent leurs
espérances à ce bas monde, travaillent d’une nouvelle manière à la perte des
saints qui ne partagent point leurs folles illusions. Maintenant, rien ne les
sépare les uns des autres: ils vivent tous ensemble, mais ils sont
singulièrement opposés les uns aux autres: ceux-ci ne recherchent que les biens
temporels et les joies fugitives de la terre; ceux-là placent leur plus ferme
espérance dans le Seigneur Dieu. Les Ziphéens semblent être d’accord avec toi,
mais ne te fie pas trop à leurs pacifiques apparences: le temps de se montrer
tels qu’ils sont réellement n’est pas venu: qu’une occasion se présente, qu’on
blâme quelqu’un d’entre eux de son éclat
1. Ps. LIII, 5. — 2. Id. CXLIII, 7, 15.
mondain, je ne dis pas que celui-là offensera
l’évêque, mais j’affirme qu’il ne s’approchera pas même de l’Eglise, dans la
crainte de perdre un peu de cet éclat passager. Pourquoi vous parlé-je ainsi,
mes frères? Parce qu’au nom de Jésus-Christ vous m’écoutez tous aujourd’hui
volontiers; et, parce que vous comprenez mes paroles, vous y donnez votre
approbation: vous n’applaudiriez pas à mon discours si vous n’en saisissiez
point parfaitement le sens. Mais cette intelligente disposition d’esprit doit
porter des fruits: en portera-t-elle? on le verra dans l’occasion. L’on dit que
vous êtes des nôtres: néanmoins, s’il survient une tentation, ne passerez-vous
pas subitement dans les rangs des étrangers, et ne pourra-t-on pas dire de
vous: « Les étrangers se sont élevés contre moi, et les puissants ont cherché
mon âme? » Ne devra-t-on pas vous appliquer encore ces autres paroles: « Ils
n’ont point eu Dieu en vue? n Peut-il vraiment avoir Dieu en vue, celui qui ne
porte ses regards que vers les choses de la terre, qui cherche à entasser
trésor sur trésor, à multiplier ses troupeaux, à remplir ses celliers, à dire à
son âme: « Tu as des biens en abondance, réjouis-toi, fais bonne chère,
rassasie-toi? » Peut-il avoir Dieu en vue, celui qui se glorifie de la sorte,
et qui brille ainsi de l’éclat des Ziphéens, celui qui mérite par là de
s’entendre dire: « Insensé », c’est-à-dire homme dépourvu d’intelligence, homme
imprudent; cette nuit même on te redemandera ton âme: à qui passeront tous les
biens que tu avais amassés pour elle 1? Ils m’ont point eu Dieu en vue ».
8. « Car voilà que Dieu vient à mon secours 2
». Et ceux au milieu desquels je suis caché ne le savent pas. S’ils avaient
Dieu en vue, ils comprendraient comment le Seigneur nie vient en aide, car il
vient au secours de tous les saints; mais ce secours est intérieur, et les
hommes ne l’aperçoivent pas. Comme les impies trouvent, dans leur conscience,
la source des plus grandes peines, ainsi les justes trouvent, dans la leur, la
source des plus grandes joies. «Notre gloire », dit l’Apôtre, est dans le
témoignage de notre conscience 3 ». C’est dans l’intérieur de sa conscience, et
non dans l’éclat extérieur des Ziphéens, que se glorifie celui qui dit: « Car
le Seigneur vient à mon secours ».
1.
Luc, XII, 20. — 2. Ps. LIII, 6. — 3. II Cor. I, 12.
Si éloigné de moi que soit l’objet de mes
espérances, le secours, dont je suis aujourd’hui favorisé de sa part, me comble
de joie, et ces délices, qui surabondent maintenant en moi, me font comprendre
combien sont injustes ces paroles de certains hommes: « Qui est-ce qui nous a
montré des biens? — Seigneur, la lumière de votre visage est imprimée sur nous.
Vous avez répandu la joie dans mon coeur 1 ». « Vous avez répandu la joie »,
non sur ma vigne, ou mes troupeaux, ou mon aire, ou ma table, mais « dans mon
coeur: car le Seigneur vient à mon secours » Comment vient-il à ton secours? «
Et le Seigneur est le protecteur de mon âme ».
9. « Faites retomber sur mes ennemis le mal
qu’ils veulent me faire 2 ». Si brillants qu’ils soient, si vif éclat qu’ils
projettent aujourd’hui, ils seront plus tard jetés au feu. « Et dispersez-les
par votre puissance n. Pour le moment, tu les vois florissants, tu les vois
s’élever de terre comme l’herbe verdoyante ne sois ni assez imprudent ni assez
insensé pour te laisser éblouir par de telles apparences; tu périrais
éternellement 3 ». Car: « Faites retomber sur mes ennemis le mal qu’ils veulent
me faire ». Si, en effet, tu appartiens au corps de David, il les dispersera
par sa puissance. Le bonheur de ce monde leur sourit, mais Dieu emploiera son
pouvoir à les faire périr. Toutefois, leur joie et leur perte seront d’inégale
durée l’une n’est que passagère, l’autre sera éternelle: l’une provient de la possession
de biens trompeurs; l’autre les condamnera à de véritables tourments. «
Seigneur, dispersez par votre puissance » tous ces hommes que vous avez tolérés
dans votre faiblesse.
10. « Je vous offrirai des sacrifices
volontaires 4 ». Peut-on comprendre, sur le dire d’un autre, quel est ce bien
du coeur de l’homme, si ou ne le connaît par une expérience personnelle? Quel
sens donner à ces paroles: « Je vous offrirai des sacrifices volontaires? » Je
vais vous le dire: comprenez-moi, si vous le pouvez et comme vous le pourrez;
et, si vous ne le pouvez, du moins croyez-moi, et priez Dieu de vous accorder
la grâce de saisir ma pensée. Devons-nous passer outre sans vous avoir expliqué
ce verset? Je l’avoue à votre charité, le goût que j’y trouve m’invite assez de
lui-même à vous en parler,
1.
Ps. IV, 6, 7. — 2. Id. LIII, 7.— 3. Id. XCI, 7, 8. — 4. Id. LIII, 8.
et je rends grâces à Dieu de ce que vous
prêtez à mes paroles une si grande attention. Si je m’apercevais que vous
éprouvez de l’ennui à m’entendre, je me tairais: néanmoins, et autant que Dieu
m’en ferait lai grâce, je m’en entretiendrais dans le secret de mon âme. Vienne
donc sur mes lèvres l’expression des pensées de mon coeur; que ma parole les
manifeste au grand jour! Expliquons, comme nous le pourrons, ces quelques mots:
« Je vous offrirai des sacrifices volontaires ». De quel sacrifice est-il ici
question, mes frères? Quelle offrande digne de lui ferai-je au Seigneur pour le
remercier de ses bienfaits? Irai-je chercher comme victime la brebis la plus
grasse du troupeau? Choisirai-je un bélier? Aviserai-je le plus beau boeuf de
l’étable ou rapporterai-je des parfums du pays de Saba? Que faire? Que lui
offrir, sinon ce qu’il dit lui-même: « Le sacrifice de louanges m’honorera 1 ».
Qu’est-ce à dire: « Volontaire? » J’aime gratuitement l’objet de mes louanges.
Je loue Dieu, et je mets mon bonheur dans l’accomplissement de ce devoir: j’y
trouve ma joie, car celui que je loue est le sujet de ma gloire. Mais, en cela,
je ne ressemble aucunement à ces amateurs de farces théâtrales, qui saluent de
leurs acclamations un cocher, un chasseur, le premier histrion venu, qui
invitent les autres témoins de ces farces à les imiter et à crier comme eux, et
qui, à la fin, sont trop souvent réduits à rougir de la défaite de leurs
coryphées. Il ne doit pas en être ainsi quand nous louons Dieu: que notre
louange soit volontaire: aimons-le sincèrement: aimons-le, louons-le
gratuitement. En parlant de la sorte, nous voulons dire: pour lui-même, et non
pour autre chose. Si tu loues Dieu pour obtenir de lui quelque autre chose, tu
ne l’aimes pas gratuitement. Ne rougirais-tu pas de ne devoir qu’à tes
richesses l’affection de ta femme? N’aurais-tu pas lieu de craindre qu’elle se
rende coupable d’adultère dans le cas où tu deviendrais indigent? Si tu exiges
d’une épouse un amour gratuit, seras-tu admis à aimer Dieu d’une manière
intéressée? O avare, quelle récompense le Seigneur te réserve! Il ne te donne
pas la terre; mais, en se donnant lui-même à toi, il te donne celui qui a fait
le ciel et la terre. «Je vous offrirai des sacrifices volontaires n. Ne lui en
offre point de forcés; car si ta louange
1. Ps. XLIX, 25.
est intéressée, elle est par là même forcée.
Si, en effet, tu possédais ce qui charme ton coeur, tu ne louerais pas Dieu.
Ecoute bien ce que je dis. Tu loues Dieu, par exemple, pour obtenir de lui une
fortune considérable: situ connaissais un autre moyen de te la procurer, la
demanderais-tu à Dieu? Lui offrirais-tu le tribut de tes hommages? Donc, en
louant Dieu à propos de la fortune que tu veux acquérir, tu le loues forcément
et non pas d’un plein gré, car alors tu aimes autre chose que lui. Voilà
pourquoi le Prophète a dit: « Je vous offrirai des sacrifices volontaires.
Méprise toutes choses, considère Dieu avant tout. Les bienfaits tirent leur
prix de celui-là même qui nous les distribue, car tous les biens temporels nous
viennent de sa main généreuse: aux uns, il les accorde pour leur bonheur; aux
autres, pour leur malheur: à tous il les accorde suivant la hauteur et la
profondeur de ses jugements. En présence de ces impénétrables jugements de
Dieu, l’Apôtre se sentait saisi d’épouvante et s’écriait: « O profondeur de la
sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont incompréhensibles!
Que ses voies sont impénétrables! Qui est-ce qui peut sonder toutes ses voies
ou comprendre tous ses desseins 1 ! » Il sait donc quand il enrichit et qui il
enrichit, quand il appauvrit et qui il appauvrit. Demande-lui aujourd’hui ce
qui plus tard te sera utile, ce qui te sera éternellement avantageux. Pour lui,
aime-le gratuitement. Pourrait-il te donner quelque chose de meilleur que
lui-même? Si, parmi ses bienfaits, tu trouves mieux que lui, demande-le. « Je
vous offrirai des offrandes volontaires ». Pourquoi, « volontaires? » Parce
qu’elles seront gratuites. Qu’est-ce à dire: gratuites? « Et je confesserai
votre nom, Seigneur, parce qu’il est bon »: pour nul autre motif que sa bonté
même. Le Prophète dit-il: Seigneur, je rendrai hommage à votre nom, parce que
vous m’accordez des terres fertiles, de l’or et de l’argent, d’immenses
richesses, une fortune considérable, d’éclatantes dignités? Non. Que dit-il
donc? « J’exalterai votre nom parce qu’il est bon ». Je ne trouve rien de
meilleur que votre nom; « c’est pourquoi, Seigneur, je lui rendrai hommage
parce qu’il est bon ».
11. « Car vous m’avez délivré de toute
Rom. XI, 33, 34.
affliction 1 ». Par là, j’ai compris que
votre nom est bon. Si j’avais pu le connaître avant d’être éprouvé par la
tribulation, elle ne m’aurait pas sans doute été nécessaire; mais Dieu l’a
permise pour me donner un salutaire avertissement: une fois averti, j’ai loué
votre saint nom. En effet, je n’aurais point su où je me trouve, si je n’avais
appris à connaître ma faiblesse. Vous m’avez donc délivré de toutes mes peines,
« et j’ai porté mes regards sur mes ennemis ». J’ai considéré ces Ziphéens: mon
coeur s’est élevé au-dessus de leur éphémère beauté; j’ai passé outre et je
suis parvenu jusqu’à vous: de là, j’ai jeté les yeux sur ces Ziphéens, et j’ai
vu que « toute chair est pareille à l’herbe des champs », et que « tout l’éclat
de l’homme ressemble à l’éclat de la fleur champêtre 2 » C’est ce que le
Prophète avait déjà dit ailleurs: « J’ai vu u l’impie élevé comme les cèdres du
Liban j’ai passé, et il n’était déjà plus ». « Il n’était déjà plus ».
Pourquoi? Parce que tu étais passé: tu étais passé, parce que tu n’avais
1. Ps. LIII, 9. — 2. Isa. XL, 6.
pas inutilement entendu ces paroles: Elève
ton coeur; parce que tu n’étais pas resté sur la terre où tu pouvais te
corrompre; parce que tu avais élevé ton âme jusqu’à Dieu; parce que tu t’étais
élevé au-dessus des cèdres du Liban. De la hauteur où tu t’étais placé, tu
avais jeté les yeux sur l’impie, et il n’était déjà plus. Tu l’avais cherché,
et il était devenu impossible de le trouver 1. Tu n’es plus désormais sujet à
souffrir, parce que tu es entré dans le sanctuaire de Dieu, et que tu as
pénétré les mystères de l’avenir 2. Telle est la conclusion que tire le
Psalmiste: « Et j’ai porté mes regards sur mes ennemis ». Efforcez-vous donc,
mes frères, d’entrer dans les mêmes dispositions d’esprit: ouvrez vos coeurs,
rendez plus clairvoyants les yeux de votre âme, apprenez à aimer Dieu d’une
manière gratuite, à mépriser le temps présent, à offrir à Dieu un sacrifice
volontaire de louanges, afin qu’après vous être placés au-dessus de l’éclat
passager des mondains, vous puissiez dominer du regard tous vos ennemis.
SERMON AU PEUPLE.
Figuré par David, le chrétien se trouve environné
de méchants; dans ses pénibles épreuves, il a recours à la prière, à
l’espérance, à la patience et au pardon. Ses sens se révoltent à la pensée des
mauvais traitements auxquels il est en butte; mais, loin de s’ouvrir à la
haine, son coeur s’ouvre à la charité il voudrait mourir, mais l’amour pour le
prochain te retient ici-bas. Obligé de rester au milieu de ses ennemis, il se
retire du moins dans la solitude de sa conscience, mais il n’y rencontre que le
trouble; alors il recourt de nouveau à la prière, à une prière animée par le
pur amour de la gloire de Dieu et la confiance en lui. Son amour pour Dieu lui
fait désirer la punition et l’aveuglement de ceux qui le détestent et
l’oublient: sa confiance lui fait demander, pour lui-même, d’être éclairé et
affermi dans la foi.
1.Le titre de ce psaume est: « Pour la fin,
dans les hymnes, intelligence à David 1 ». Quelle est cette fin? Nous allons
vous l’expliquer, mais en peu de mots, parce que vous le savez déjà. «
Jésus-Christ est la fin de la loi, pour justifier tous ceux qui croient en lui
2». Dirigeons donc notre intention vers cette foi; dirigeons-la vers
Jésus-Christ. Pourquoi est-il
1. Ps. LIV, 1. — 2. Rom. X, 4.
appelé notre fin? Parce que nous devons lui
rapporter tout ce que nous faisons, et que, quand nous serons parvenus à le
posséder, nous n’aurons plus rien, ni à désirer, ni à acquérir. Il y a deux
sortes de fins: l’une qui consiste à périr; l’autre à se perfectionner: on
entend ce mot dans un sens ou dans l’autre, suivant les circonstances. Ainsi,
quand on dit: Cette viande est finie, on ne donne pas au
mot finie la même signification que lorsqu’on
dit: Ce vêtement est fini. La manière de s’exprimer est la même dans les deux
cas; mais, dans le premier, on veut dire: ces aliments sont consommés, ils
n’existent plus; dans le second, ce vêtement est achevé, il est parfait. Notre
fin doit consister dans notre perfection, et notre perfection, c’est le Christ:
c’est en lui que nous devenons parfaits, car nous sommes ses membres, et il est
notre chef. On dit qu’il est la fin de la loi, parce que, sans lui, personne ne
peut l’accomplir. Lors donc que, dans les psaumes, vous lisez ces mots: « Pour
la fin » (et plusieurs d’entre eux portent ce titre), votre pensée ne doit pas
s’arrêter à une idée de mort, mais à l’idée de la consommation de la
perfection.
2. « Dans les hymnes »: dans les louanges.
Que nous soyons dans la tribulation et l’angoisse, ou dans le bonheur et la
joie, notre devoir est de louer celui qui nous instruit en nous éprouvant, et
qui nous console par ses bienfaits: car la louange de Dieu doit se trouver
toujours dans le coeur et sur les lèvres du chrétien. S’il bénit le Seigneur au
moment de la prospérité, qu’il ne le maudisse pas à l’heure de l’épreuve, mais
qu’il accomplisse cette recommandation du Psalmiste Je bénirai le Seigneur en
tout temps: ses louanges se trouveront toujours sur mes lèvres 1. Si le bonheur
te sourit, reconnais dans la conduite de Dieu à ton égard les caresses d’un
père. Es-tu soumis à l’épreuve? Vois-y la main d’un père qui te corrige. Qu’il
te caresse ou te corrige, il t’instruit pour te rendre digne de l’héritage
qu’il te réserve.
3. Quel est le sens de ces mots: «
Intelligence à David? » Nous le savons: David était un saint prophète, roi
d’Israël, fils de Jessé 2 ». Mais parce que, selon la chair, Jésus-Christ est
sorti de sa race pour notre salut 3, il est souvent désigné sous le nom de
David: et l’on parle de David en figure, c’est-à-dire pour parler du Christ, à
cause de l’origine charnelle qu’il a tirée de David. Sous un rapport, il est
fils de David; et, sous un autre, il en est le Seigneur. Fils de David selon la
chair, il en est le Seigneur en tant que Dieu. Si toutes choses ont été faites
par lui 4, par lui aussi a été créé David, de la race de qui il s’est fait
homme. Aussi quand le Sauveur interrogea les Juifs, et leur demanda de qui le
Christ
1.
Ps. XXXIII, 1. — 2. I Rois, XVI, 13. — 3. Rom. I, 3. — 4. Jean, I, 3.
était Fils, « ils répondirent: de David ».
Voyant qu’ils s’arrêtaient à la chair, et perdaient de vue la divinité, il
redressa leur jugement et leur fit cette question: « Comment donc David,
parlant sous l’inspiration du Saint-Esprit, l’appelle-t-il son Seigneur en
disant: Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce
que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied? Si donc David, parlant
par le Saint-Esprit, l’appelle son Seigneur, comment peut-il être son Fils 1? »
Il leur proposa cette difficulté, mais il ne nia pas qu’il fût le fils de
David. Vous voyez qu’il est le Seigneur de David: expliquez-moi comment il en
est le Fils; vous voyez qu’il en est le Fils, dites-moi comment il en est le
Seigneur. La foi catholique tranche cette difficulté. Comment est-il le
Seigneur de David? « Parce que au commencement était le Verbe, que le Verbe
était en Dieu, que le Verbe était Dieu ». Comment en est-il le Fils? Parce que
le « Verbe s’est « fait chair, et qu’il a habité parmi nous 2». David est la
figure du Christ. Le Christ, comme nous l’avons souvent dit à votre charité, est
tout à la fois tète et corps. Nous ne devons point nous considérer comme lui
étant étrangers, puisque nous sommes ses membres: ne nous croyons pas, non
plus, autres que lui, parce que, dit l’Apôtre, « ils seront deux dans une même
chair: ce sacrement est grand, je dis dans Jésus-Christ et dans l’Eglise 3».
Jésus-Christ, dans son ensemble, est en même temps tête et corps; nous devons
donc appliquer ces paroles: « Intelligence à David », à nous aussi bien qu’au
Christ, car nous sommes comme lui désignés sous le nom de David. Que les
membres du Christ aient l’intelligence, que le Christ ait l’intelligence dans
ses membres, et que ses membres l’aient en lui, parce que la tête et les
membres ne font qu’un seul et même Christ. La tête était dans le ciel, et elle
disait: « Pourquoi me persécutes-tu 4? » Nous sommes avec lui dans le ciel par
nos espérances, et il est avec nous sur la terre par la charité. Donc,
«Intelligence à David ». Puissent les paroles que nous entendons devenir pour
nous une source de réflexions! Puisse l’Eglise avoir l’intelligence, car c’est
pour nous une grave obligation de nous appliquer
1.
Matt. XXII, 41-45. — 2. Jean, I, 1, 11. — 3. Eph. V, 31, 32. — 4. Act. IX, 4.
sérieusement à comprendre de quels maux nous
sommes accablés en cette vie, de quels maux nous désirons être délivrés, quand,
à la fin de l’Oraison dominicale, nous disons: « Seigneur, délivrez-nous du mal
1 ».
Par un effet de cette intelligence, le
Psalmiste déplore ici quelqu’une des nombreuses tribulations dont nous sommes accablés
peu dans le cours de notre vie. Pour celui qu n’a point cette intelligence, il
ne joint par ses gémissements à ceux du Psalmiste. Nous devons nous le
rappeler, nos très-chers frères, si nous avons, comme créatures, des traits de
ressemblance avec Dieu, c’est uniquement par notre intelligence. Nous sommes en
effet, sous une multitude de rapports, inférieurs aux animaux; mais ce qui
donne à l’homme de la ressemblance avec Dieu, c’est précisément ce qui établit
une différence marquée entre lui et les bêtes. De toutes les facultés qu’il a
reçues de la munificence divine, la raison seule le distingue des brutes. Ce
don, qui nous est propre et particulier, ce don de l’intelligence, que nous
tenons de la bonté du Créateur, plusieurs le méprisent: aussi le Seigneur leur
fait-il un reproche sévère de leur conduite: « Ne vous rendez point», leur
dit-il, « semblables au chevalet au mulet, qui sont privés d’intelligence 2». «
L’homme », ajoute-t-il ailleurs, « avait été élevé en dignité». Quelle était
cette dignité, sinon sa ressemblance avec Dieu? « L’homme», donc, « avait été
élevé en dignité, et il ne l’a pas compris: on l’a comparé aux bêtes dépourvues
de raison, et il leur est devenu semblable 3 ». Comprenons bien à quel degré
d’honneur nous avons été élevés: ayons intelligence. Si nous avons
l’intelligence, il nous est facile de voir que notre demeure d’ici-bas n’est
pas le séjour de la joie, mais qu’elle est celui des gémissements: le moment de
tressaillir d’allégresse n’est pas encore venu: nous sommes encore condamnés à
nous plaindre. Et si la joie habite déjà dans les coeurs, elle est occasionnée
par l’espérance, et non par la possession de l’objet que nous désirons. Les
promesses divines nous réjouissent, car celui qui nous les a faites n’est point
trompeur. Mais, quant au temps présent, apprenez de quels maux, de quelles
sollicitudes nous y sommes accablés; et, si vous êtes dans la bonne voie,
remarquez bien que
1.
Matt. VI, 13.— 2. Ps. XXXI, 9. — 3. Id. LVIII, 21.
mes paroles s’appliquent à vous-mêmes. Pour
celui qui n’est pas encore engagé dans le chemin de la vertu, il s’étonne de
voir ces membres de David condamnés à de telles épreuves, parce qu’il ne s’y
voit pas exposé. Et, tant qu’il ne ressent point de pareils maux, il n’est
point du nombre des membres du Christ; ce qu’éprouve le corps du Christ, il ne
l’éprouve pas, parce qu’il n’en fait pas partie: qu’il y entre, et il verra par
sa propre expérience quels sont ces maux. Que le Prophète parle donc;
écoutons-le, et disons avec lui:
4. « Mon Dieu, écoutez ma prière et ne
méprisez pas ma demande: soyez attentifs à me secourir et exaucez-moi 1 ». Ces
paroles sont celles d’un homme affligé, accablé d’ennuis et de tribulations.
Livré à une épreuve pénible, brûlé du désir d’en être délivré, il a recours à
la prière. Il nous reste maintenant à apprendre en quels maux il se trouve
plongé; et, quand il nous l’aura dit, nous devrons reconnaître que nous avons
part à son affliction: unis dans la souffrance, nous le serons aussi dans la
prière. « Je suis affligé dans mon exercice, et je suis troublé ». Affligé,
troublé, en quoi? « Dans mon exercice » Il va parler des méchants qui le font
souffrir et des épreuves qu’ils lui font subir: voilà son exercice. Ne vous
imaginez point que les méchants sont inutiles en ce monde, et que Dieu ne les
emploie pas à opérer le bien. Il accorde la vie aux méchants, soit pour leur
donner le temps de se convertir, soit afin de les faire servir à éprouver les
bons. Puissent ceux qui nous persécutent aujourd’hui, revenir au bien et partager
nos épreuves: néanmoins, aussi longtemps qu’ils nous tourmentent,
puissions-nous à notre tour ne pas les prendre en haine! En effet, de ce qu’ils
sont aujourd’hui dans la mauvaise voie, il nous est impossible de conclure que,
plus tard, ils ne se convertiront pas: bien souvent il arrive que, au lieu de
haïr un ennemi comme tu le crois, tu détestes sans le savoir un de tes frères.
Les saintes Ecritures nous l’attestent: le démon et ses anges sont condamnés au
feu éternel: eux seuls ne nous laissent aucun espoir de les voir revenir au
bien: nous avons à soutenir contre eux une lutte invisible, et c’est à cette
lutte que l’Apôtre veut nous préparer, quand il nous dit: « Nous n’avons pas à
combattre contre la
1. Ps. LIV, 2.
« chair et le sang », c’est-à-dire, contre
des hommes que nous sommes à même de voir; « mais contre les principautés et
les puissances, contre les princes de ce monde, de ces ténèbres 1 ». A
l’entendre s’exprimer de la sorte, et dire: « lie ce monde », tu croirais
peut-être que le gouvernement du ciel et de la terre appartient au démon, mais
ne t’y trompe pas; aux mots « de ce monde », il a ajouté: de ces ténèbres. Par
« le monde », il a entendu: les amis du monde. « Le monde »selon lui, ce sont
les impies et les pécheurs: c’est du monde que l’Evangile a dit: « Le monde ne
l’a pas connu 2 ». Car si le monde n’a pas connu la lumière parce qu’elle luit
dans les ténèbres, et si les ténèbres ne l’ont point comprise, ces ténèbres,
qui n’ont point compris la lumière, lorsqu’elle se présentait à eux, voilà ce
que I’Ecriture veut nous désigner sous le nom de monde, et les démons sont les
princes de ces ténèbres. Au témoignage des saintes Ecritures, il est donc
certain que jamais aucun de ces princes des ténèbres ne se convertira. Mais ces
ténèbres, qu’ils gouvernent, et ceux qui étaient ténèbres, ne deviendront-ils
pas lumière? Nous ne saurions l’affirmer, car l’Apôtre a dit à des hommes
entrés dans les rangs des fidèles: « Vous étiez autrefois ténèbres; mais,
maintenant, vous êtes lumière dans le Seigneur 3». En vous-mêmes vous étiez
ténèbres; vous êtes lumière dans le Seigneur. Ainsi, mes frères, tant que dure
leur méchanceté, les méchants servent à éprouver les bons. Ecoutez-moi quelques
instants, et comprenez-moi bien. Si tu es bon, tu n’auras pour ennemi qu’un
méchant; mais le Seigneur t’a donné la règle de la douceur que tu dois montrer
à. son égard. Il faut que tu imites la bonté de ton Père céleste, qui fait
lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et qui fait tomber la pluie
sur les justes et sur les pécheurs 4. Si tu as un ennemi, Dieu lui-même n’en
manque pas. Tu as pour ennemi un homme qui a été comme toi créé par Dieu, et
Dieu a pour ennemi sa propre créature. En plusieurs endroits de l’Ecriture,
nous voyons que les méchants et les pécheurs sont ennemis de Dieu: personne,
pas même eux, ne lui peut rien reprocher: tous ceux qui se déclarent contre lui
sont des ingrats: tout ce qu’ils ont de bien, ils l’ont
1.
Eph. VI, 1.2. — 2. Jean, I,10. — 3. Eph. V, 8. — 4. Matt. V, 45.
reçu de lui; les maux mêmes dont ils
souffrent sont un effet de sa miséricorde à leur égard, car, s’il les éprouve,
c’est afin de les empêcher de s’enorgueillir; c’est afin que, devenus humbles,
ils reconnaissent la suprême majesté du Très-Haut; néanmoins, il leur pardonne.
Et toi, quel bien as-tu fait? quel service as-tu rendu à cet ennemi que tu
supportes si difficilement? Le Seigneur l’a comblé de bienfaits: il fait lever
son soleil sur les bons et sur les méchants; il fait tomber la pluie sur les
justes-et suries pécheurs; et toi, qui ne peux ni faire lever le soleil ni
faire tomber la pluie, tu ne peux conserver seulement la douceur à l’égard de
ion ennemi, afin de posséder ici-bas la paix réservée aux hommes de bonne
volonté 1? Tu as donc reçu le charitable commandement d’imiter ton Père céleste
et d’aimer tes ennemis, car il est dit dans l’Evangile: « Vous aimerez vos
ennemis 2 » Mais comment pourrais-tu t’exercer à l’accomplir, si tu n’avais
rien à supporter de la part d’aucun ennemi?
Tu le vois donc: les méchants te servent à
quelque chose: si Dieu les épargne, puisse son indulgence s’étendre aussi
jusqu’à toi! car si, aujourd’hui, tu es bon, ce n’est peut-être qu’après avoir
été méchant. Si, au contraire, il ne les épargnait pas, on ne te verrait pas
maintenant occupé à lui rendre grâces. De ce que tu es passé de l’iniquité à la
justice, il ne suit nullement que le chemin de l’une à l’autre doive être fermé
aux autres.
5. Placé au milieu des méchants, tourmenté
par leurs procédés haineux, quelle prière le Prophète adresse-t-il à Dieu? Que
dit-il? « Je suis affligé dans mon exercice ». Après avoir essayé de porter la
charité jusqu’à aimer ses ennemis, il a été accablé de tristesse en se voyant
en butte à l’inimitié d’une foule d’adversaires, et, comme assailli par autant
de chiens enragés, il a défailli sous le fardeau de la faiblesse humaine. Une
tentation affreuse s’est présentée alors à son esprit; il a senti son âme
envahie par une pensée diabolique, celle de prendre en haine ses ennemis. Alors
il a lutté contre ce mouvement désordonné de son coeur; il a voulu porter sa
charité jusqu’à la perfection; et, au milieu de ce combat, au milieu de cette
lutte, il est tombé dans le trouble. Il avait déjà dit dans un
1. Luc. II, 14. — 2. Id. VI, 27, 35.
autre psaume: « La colère a troublé mes
yeux»; et il avait ajouté: « J’ai vieilli au milieu de mes ennemis 1 ». La
tempête l’avait assailli, et il avait, comme Pierre, commencé à s’enfoncer dans
les flots 2. Celui qui aime ses ennemis, marche d’un pas ferme sur les vagues
de cette vie. Le Christ marchait sans crainte sur les eaux de la mer, parce que
nulle épreuve ne peut éteindre en lui l’amour qu’il éprouve pour ses ennemis.
Lorsqu’il était attaché à la croix, il s’écria en effet: « Mon Père,
pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font 3 ». Pierre voulut imiter
Jésus. Jésus marchait sur les eaux en qualité de chef, et Pierre en qualité de
corps, « parce que », avait dit le Sauveur, « sur cette pierre je bâtirai mon
Eglise». Il reçut l’ordre de marcher sur les eaux, et il y marcha, soutenu par
la grâce de son Maître, et non par ses propres forces; mais, quand il se vit
assailli par la tempête, il eut peur, et les flots cédèrent sous ses pas, et il
fut troublé dans son exercice. Quelle était cette tempête? «La voix de l’ennemi
et la persécution du pécheur ». L’Apôtre, plongé dans l’eau, s’écria: «
Seigneur, sauvez-moi, je péris 4 ». Ainsi s’exprime le Psalmiste: « Seigneur,
exaucez ma prière et ne méprisez pas ma demande: soyez attentif à me secourir,
exaucez-moi». Pourquoi? Quelles sont tes souffrances? Quelle est la cause de
tes gémissements? « Je suis accablé d’ennuis dans mon exercice ». Vous m’avez
placé au milieu des méchants, afin qu’ils exercent ma patience: mais l’épreuve
est trop au-dessus de mes forces: calmez mes alarmes, et rendez-moi la paix:
tendez-moi une main secourable; retirez-moi des eaux de la tribulation où je
commence à m’engloutir. « Je suis devenu triste dans mon affliction: la voix u
de mon ennemi, les persécutions des pécheurs m’ont jeté dans le trouble, car
ils ont travaillé à faire peser sur moi leurs injustices; et, dans leur colère,
ils me noircissent » Vous comprenez quels sont et cette tempête et ces flots.
Ses ennemis l’insultaient, comme on insulterait une personne plongée dans l’humiliation;
et, pourtant, il priait: ils exerçaient sur lui leur rage en l’accablant de
leurs bruyantes injures, et, dans le secret de son coeur, il invoquait le Dieu
qu’ils ne voyaient pas.
1. Ps. VI, 8.— 2.Matt. XIV, 30.— 3. Luc,
XXIII, 34.— 4. Matt. XIV, 30.
6. Lorsque le chrétien se sent en butte à de
pareilles tribulations, il ne doit ni se laisser conduire par le sentiment de
la haine, ni se raidir contre ses persécuteurs: il lui est inutile de lutter
contre la tempête: recourir à la prière pour conserver la charité, tel est son
devoir. Ton âme doit en effet demeurer inaccessible à la crainte des mauvais
procédés de ton ennemi. Quel mal pourrait-il te faire? Il peut te dire beaucoup
d’injures, t’accabler de reproches sanglants, te noircir par ses calomnies:
mais, en définitive, n’as-tu pas pour toi cette parole du Sauveur: «
Réjouissez-vous et tressaillez d’allégresse, parce que votre récompense sera
grande dans le ciel 1?» Ton ennemi multiplie ici-bas ses injures, et tu
t’assures une plus ample récompense pour le ciel. Mais qu’il ajoute encore à
l’iniquité de sa conduite, qu’il pousse sa malice jusqu’à l’extrême, ton avenir
ne saurait t’inspirer aucune inquiétude, puisque à toi s’adressent ces paroles
du Sauveur: Ne craignez « point ceux qui ne tuent que le corps, et ne peuvent
tuer l’âme 2 ». Pourquoi craindre l’ennemi qui te tourmente? Que ton coeur ne
se trouble donc pas, et ne perde rien de cette charité que tu dois ressentir
pour lui. Cet ennemi est homme; il est chair et sang: il n’en veut qu’à ce qu’il
voit en toi. Mais tu as un autre ennemi, un ennemi invisible: c’est le prince
des ténèbres, qui se sert de cet homme de chair et de sang comme d’un
instrument pour te faire souffrir; il en veut à tes biens invisibles: il
cherche à t’enlever et à détruire tes richesses intérieures. Tu as donc deux
ennemis, ne l’oublie pas. L’un est visible, l’autre est caché: ton ennemi
visible est un homme; ton ennemi invisible, c’est le démon. Cet homme est
pareil à toi sous le rapport de sa nature humaine: par rapport à la foi et à la
charité, il ne te ressemble pas encore, mais il pourra te ressembler plus tard.
De ces deux ennemis, vois l’un et comprends l’autre: aime le premier, prends
garde au second. Ton ennemi visible veut faire disparaître ce qui te donne de
l’avantage sur lui: par exemple, si tes richesses surpassent les siennes, il
veut te rendre pauvre: si tu le domines par ta haute position, il cherche à
t’abaisser: situ es plus fort que lui, son ambition est de t’affaiblir: ses
efforts tendent à détruire en toi ou à te prendre ce qui lui
1. Matt. V, 12. — 2. Id. X, 28.
porte ombrage. Ton ennemi caché prétend aussi
te dépouiller des avantages que tu as sur lui: tu l’emportes sur ton semblable par
le bonheur, qui est ici-bas ton partage: pour le démon, tu lui deviens
supérieur par ta charité à l’égard de tes ennemis. De même que l’homme, opposé
à toi, s’efforce de t’enlever la félicité temporelle dont tu jouis, de la
diminuer, de la détruire; de même le démon cherche à triompher des avantages
que tu as sur lui. Travaille donc à garder toujours dans ton coeur l’amour pour
ton ennemi, puisque cet amour te rend victorieux du démon même. Que l’homme te
persécute autant qu’il le pourra, qu’il te ravisse par la violence ce qu’il
pourra, si tu continues à aimer ton ennemi visible, la victoire sur ton ennemi
caché est à toi.
7. Pendant que le Prophète priait, plongé
dans le trouble et l’ennui, ses yeux étaient aussi comme troublés par la
colère. Garder longtemps de la colère contre son semblable, c’est déjà. le
détester. La colère trouble les yeux; la haine aveugle; la colère est une
paille; la haine est une poutre. Tu nourris parfois de la haine dans ton coeur,
et tu réprimandes celui qui se fâche; tu détestes le prochain, et celui que tu
blâmes n’est qu’irrité contre lui; tu mérites donc qu’on t’applique ces
paroles: « Ote premièrement la poutre qui se trouve dans ton oeil; tu verras
ensuite à tirer la paille qui est dans l’oeil de ton frère ». Voyez la différence
qui existe entre la colère et la haine. Tous les jours des pères de famille
s’emportent contre leurs enfants: trouvez-en un seul qui les déteste. Plongé
dans le trouble et la tristesse, le Prophète priait et luttait contre les
ressentiments que lui inspiraient tous les outrages de ses détracteurs, car il
ne voulait, ni les surpasser en méchanceté, ni leur rendre injure pour injure,
ni haïr aucun d’eux
voilà ce qu’il demandait à Dieu par ses
prières et ses larmes: « La voix de mon ennemi, les persécutions des pécheurs
m’ont jeté dans le trouble et la tristesse, car ils ont travaillé à faire peser
sur moi leur injustice, et, dans leur colère, ils me noircissent. Mon coeur
s’est troublé en moi». Il avait déjà exprimé les mêmes sentiments dans un autre
psaume: « La colère a troublé mes yeux 2 ». « Mes yeux se sont troublés »: et
1. Matt. VII, 5. — 2. Ps. VI, 8.
qu’est-il arrivé? « La crainte de la mort
s’est abattue sur moi». La charité est pour nous la vie: si elle est la source
de la vie, la haine est le principe de la mort. Quand un homme craint de haïr
celui qu’il aimait, il craint la mort, mais une mort plus redoutable, plus
intime que celle du corps, la mort de l’âme. Tu tremblais à la vue d’un homme
qui te persécutait: quel mal pouvait-il te faire, puisque, pour te rassurer, le
Seigneur t’a dit: « Ne craignez point ceux qui ne peuvent vous ôter que la vie
du corps 1? » Par ses mauvais traitements, il aurait pu faire mourir ton corps,
tes sentiments haineux ont tué ton âme; il aurait privé de la vie le corps de
son prochain, tu as fait périr une âme, qui est la tienne: donc, « la crainte
de la mort s’est abattue sur moi ».
8. « La crainte et le tremblement m’ont
saisi, et je me suis trouvé plongé dans les ténèbres, et j’ai dit 2 » Celui qui
déteste son frère est encore dans les ténèbres; car si la charité est lumière,
la haine est ténèbres 3. Quel langage se tient à lui-même l’homme qui est tombé
dans cette faiblesse, et qui se sent troublé dans son exercice? « Qui est-ce «
qui me donnera des ailes comme à la colombe? Je m’envolerai et je me reposerai
». L’objet de ses désirs, c’était la mort ou la solitude. Tant que je suis en
cette vie, dit-il, et qu’on me commande d’aimer mes ennemis, je sens que les
outrages, toujours nouveaux, dont ils m’accablent et me noircissent, troublent
mes yeux, affaiblissent ma vue, pénètrent jusque dans mon coeur, et donnent la
mort à mon âme. Je voudrais m’éloigner dans la crainte d’ajouter à mes péchés
de nouvelles fautes, si je continuais à demeurer ici; mais je suis faible. Je
désirerais, du moins, me voir séparé davantage du reste des hommes, afin que
mes plaies ne se rouvrent point sous le coup de nouvelles blessures, et que,
rendu à la santé, je puisse me livrer encore à mon exercice. Voilà ce qui
arrive souvent, mes frères: et, d’ordinaire, le serviteur de Dieu voit surgir
en son âme le désir de la solitude: la multitude de ses tribulations et des
scandales qui frappent ses regards, en est le seul motif: voilà pourquoi il
dit: « Qui est-ce qui me donnera des ailes? » Des ailes lui manquent-elles, ou
plutôt, celles dont il est pourvu sont-elles liées? S’il en manque, il
1. Matt. X, 28. — 2. Ps. LIV, 6. — 3. I Jean,
II, 9-11.
faut qu’on lui en donne; s’il en a, il faut
lui rendre la liberté de s’en servir. De celui qui délie les ailes d’un oiseau
on peut dire indifféremment, ou qu’il les lui donne, ou qu’il les lui rend.
L’oiseau qui ne peut se servir de ses ailes pour s’élever dans les airs, n’en a
véritablement pas: et des ailes qui ne peuvent se mouvoir, sont à vrai dire un
fardeau. « Qui est-ce», dit le Psalmiste, « qui me donnera des ailes comme à la
colombe? Et je m’envolerai, et je me reposerai». Où se reposera-t-il?
Ces paroles ont un double sens; car l’Apôtre
a dit: « Je désire mourir, et me trouver réuni au Christ, ce qui, sans aucun
doute, est le plus avantageux». Malgré sa force, sa grandeur d’âme, son courage
intrépide, quoiqu’il fût un intrépide soldat du Christ, saint Paul s’est
troublé dans son exercice l’Ecriture en fait foi, car il a dit: « Que désormais
personne ne m’inquiète 1 ». On croirait qu’il a emprunté au Psalmiste ce
passage: « L’ennui me saisit quand je vois les « pécheurs abandonner votre loi
2 ».
Bien souvent un homme s’efforce de redresser
ceux qui dépendent de lui, et dont les moeurs dépravées et corrompues inspirent
à sa vigilance la plus vive sollicitude; mais souvent aussi son adresse et ses
soins demeurent stériles; alors, il faut qu’il les supporte, puisqu’il est
incapable de les ramener au bien. Ce malheureux, qui résiste à tes généreux efforts,
t’appartient, soit parce qu’il est homme comme toi, soit parce que d’ordinaire
les liens de la communion ecclésiastique vous unissent ensemble. S’il est
membre de la même Eglise, que feras-tu? En quel endroit te réfugier? Comment te
séparer de lui pour n’avoir plus rien à supporter de sa part? Approche-toi de
lui: adresse-lui la parole, exhorte-le, flatte-le, menace-le, réprimande-le.
J’ai fait tout cela; j’ai dépensé, j’ai épuisé tout ce que j’avais de forces,
et je ne vois pas que j’aie réussi en quelque chose; je suis à bout de
ressources; il ne me reste donc qu’à gémir et à pleurer. En présence de
l’inutilité de mes efforts, mon coeur pourra-t-il jamais trouver le repos? Je
dirai donc: « Qui est-ce qui me donnera des ailes comme à la colombe? » « Comme
à la colombe », et non point, comme au corbeau. La colombe cherche, en prenant
son vol, à échapper à ceux
1. Gal. VI, 17. — 2. Ps. 118, 55.
qui la tourmentent; mais elle ne perd point
pour cela la charité. Elle est le symbole de l’amour, et l’on aime à entendre
ses cris plaintifs. Nul être n’est si ami des gémissements; elle se plaint nuit
et jour: on dirait que Dieu l’a placée ici-bas parce qu’il faut y gémir. Quel
est donc le langage de cet homme, au coeur duquel la charité ne s’éteint pas?
Je ne puis supporter les outrages des hommes; ils grincent des dents contre
moi; la rage les transporte; la colère s’est allumée en eux, et, dans leur
fureur, ils me noircissent; je ne puis leur être utile; puissé-je donc goûter
le repos quelque part, éloigné d’eux corporellement, mais uni de coeur à eux
tous ! Puisse mon amour pour eux ne point s’ébranler en moi ! Mes paroles et
mes entretiens leur sont inutiles: je leur ferai peut-être plus de bien par mes
prières. Les hommes parlent ainsi; mais, d’habitude, ils se trouvent si
étroitement liés, qu’ils sont incapables de prendre leur essor: ce n’est point
la glu qui paralyse leurs ailes, c’est le devoir. Si le devoir et les exigences
de leur charge les arrêtent, s’ils ne peuvent s’éloigner, ils sont, du moins, à
même de dire avec saint Paul: « Je désirerais mourir et « me voir réuni au
Christ: c’est ce qui m’est le plus avantageux; mais je dois encore rester en
vie à cause de vous 1 ». Pareil à une colombe que retient, non pas la passion,
mais la charité, il ne pouvait s’envoler: il ne manquait pas de mérites pour
cela: la nécessité de remplir son devoir y mettait seule obstacle. Néanmoins,
le désir de la séparation doit toujours vivre dans notre coeur: celui-là seul
le comprend, qui se trouve déjà engagé dans la voie étroite 2; car il sait que
les persécutions ne font pas défaut à l’Eglise, même en ce temps où elle semble
se reposer tranquillement de toutes celles qu’ont subies les martyrs. Non, les
persécutions ne manquent pas de nos jours, car elle est vraie cette parole de
l’Apôtre: « Tous ceux qui veulent vivre avec piété dans le Christ, souffriront
persécution». Tu ne souffres pas persécution, c’est que tu ne veux pas vivre
avec piété dans le Christ. Veux-tu la preuve de ce que tu as entendu tout à
l’heure? Commence à vivre pieusement dans le Christ. Mais en quoi consiste
cette vie pieuse? A ressentir au dedans de toi-même la vérité de ces paroles de
saint Paul, et à répéter: « Qui est-ce qui
1.
Phil. I, 23, 24. — 2. Matt. VII, 14. — 3. II Tim. III, 12.
est faible, sans que je sois faible moi-même?
Qui est-ce qui est scandalisé, sans que je me sente enflammé 1? » Les
faiblesses et les scandales des autres, telles étaient les persécutions dont il
avait à souffrir. Est-il maintenant nécessaire de demander, si, de nos jours,
il y a des persécutions à souffrir? Ceux qui s’y trouvent exposés, disent que
jamais elles n’ont été plus nombreuses. Souvent, quand on voit de loin un
homme, on dit de lui: Celui-là est bien heureux. Pourquoi tient-on ce langage?
Parce qu’on voit ses peines propres, sans voir celles d’autrui; ou bien, on n’a
rien à souffrir et l’on ne compatit nullement aux douleurs qui tourmentent et
consument les autres. Que l’on commence donc à vivre pieusement dans le Christ,
et l’on sentira bientôt toute la vérité de ce que dit saint Paul, et l’on
désirera avoir des ailes, et l’on voudra s’éloigner, s’enfuir et demeurer dans
le désert.
9. Pourquoi, en effet, les serviteurs de Dieu
vont-ils, en si grand nombre, peupler la solitude des déserts? Qu’en pensez-vous,
mes frères? S’ils trouvaient le bonheur au milieu des hommes,
s’éloigneraient-ils de toute société humaine? Et, pourtant, à quoi
réussissent-ils en fin de compte? Ils s’éloignent, ils s’enfuient, ils
établissent leur demeure dans le désert, c’est vrai: mais parviennent-ils à n’y
rencontrer personne? La charité qui les anime les réunit ensemble; et, dans la
multitude de leurs compagnons, il en est qui exercent leur patience. Toute
assemblée nombreuse renferme infailliblement, en son sein, des méchants: Dieu
sait que nous avons besoin d’être exercés, et il fait entrer dans nos rangs, et
des gens qui ne persévéreront pas, et des hypocrites qui ne se sont pas même
encore engagés dans la voie où ils devraient toujours marcher. Il le sait aussi
nous devons nécessairement supporter les méchants et tirer profit de ce que
nous sommes bons: aimons nos ennemis, réprimandons-les, châtions-les,
excommunions-les, séparons-les même de nous; mais toujours sous l’inspiration
de la charité: car voyez ce que dit l’Apôtre: « Si quelqu’un n’obéit pas à
notre parole, faites-le-moi connaître par une lettre, et n’ayez plus rien de
commun avec lui». Et afin que tu ne te laisses point emporter par la colère, et
que tes
1. II Cor, Xl, 29.
yeux ne se troublent pas, il ajoute: « Ne le regardez
pas comme un ennemi, mais reprenez-le comme un frère, afin qu’il rougisse».
Ainsi, il ordonne la séparation, sans détruire la charité. Par là, tes yeux ne
s’éteignent pas, et la vie demeure entière en toi, car la perte de la charité
serait ton coup de mort. C’est ce que redoutait le Psalmiste, quand il disait:
« La crainte de la mort s’est abattue sur moi »; et, pour que je ne perde pas
la vie de la charité, « qui est-ce qui me donnera des ailes comme à la colombe?
Et je volerai, et je me reposerai ». Où aller? De quel côté diriger mon vol? En
quel lieu trouverai-je le repos? « Je me suis éloigné par la fuite, et j’ai
établi ma demeure dans le désert». En quel désert? Partout où tu pourras fixer
ton séjour, d’autres hommes s’y réuniront avec toi: ils chercheront la solitude
et vivront avec toi: tu ne peux refuser de vivre en compagnie de tes frères,
et, dès lors, tu rencontres des méchants; dès lors, tu es condamné à souffrir.
« Je me suis éloigné par la fuite et j’ai établi ma demeure dans le désert». En
quel désert? Ne serait-ce point dans celui de ta conscience, dans cette
solitude, où nul ne saurait entrer, où personne n’habite avec toi, où tu
rencontres la société de Dieu seul? Car si tu choisissais, comme lieu de
retraite, un désert ordinaire, un endroit quelconque, que ferais-tu de ceux qui
viendraient se joindre à toi? Tant que tu vivras parmi les hommes, tu ne
pourras te séparer de tes semblables. Porte plutôt tes regards sur le divin
Consolateur, sur notre Seigneur et notre Roi, sur notre Maître et notre
Créateur, sur celui qui est devenu créature au milieu de nous: rappelle-toi
qu’entre ses douze disciples, il y en eut un qu’il dut supporter.
10. « Voilà », dit le Prophète, « que je me
suis éloigné par la fuite, et que j’ai établi ma demeure dans le désert 2 ». Je
vous l’ai déjà fait remarquer: peut-être s’est-il enfui dans la solitude de sa
conscience; peut-être a-t-il trouvé là une retraite capable de lui procurer le
repos. Néanmoins, sa charité l’y troublait; car, s’il avait rencontré un désert
dans sa conscience, sa charité ne l’y laissait pas seul. Sa conscience le
consolait intérieurement, mais des tribulations venues du dehors le
tourmentaient: tranquille du côté
1.
II Thess. III, 14. — 2. Ps. LIV, 9.
de lui-même, mais inquiet du côté des autres,
il s’écrie: « J’attendais celui qui devait me délivrer du découragement et de
la tempête». Te voilà exposé aux flots de la mer, à la fureur des vents: tu
n’as plus qu’une ressource, c’est de crier: « Seigneur, je péris 1 ». Daigne
celui qui marche sur les eaux sans trembler, te tendre une main secourable !
Puisse-t-il te soutenir au milieu de tes alarmes, établir solidement sur
lui-même ta.sécurité, te parler intérieurement et te dire: Jette les yeux sur
moi; rappelle-toi ce que j’ai moi-même enduré ! Si tu es condamné à endurer un
frère méchant ou un ennemi étranger, n’ai-je pas eu le même sacrifice à faire?
Au dehors, les Juifs frémissaient de rage contre moi: au dedans, j’étais trahi
par un de mes disciples. La tempête est déchaînée; mais « il délivre de la
crainte et de la tempête». Les vents et les vagues secouent ton esquif:
n’est-ce point parce qu’il dort en ton coeur? Une mer furieuse ballottait la
barque conduite par les disciples: pendant ce temps-là, Jésus dormait. A la
fin, il leur vint en pensée que celui qui dormait au milieu d’eux, était le
Créateur et le Maître des vents: ils s’approchèrent donc du Christ et
l’éveillèrent: aussitôt il commanda aux vents, et à la tempête succéda un grand
calme 2. Si ton coeur est en proie à l’agitation, faut-il s’en étonner? Tu as
perdu le souvenir de celui en qui tu crois: tu manques de patience pour
souffrir, parce que tu oublies ce que le Christ a souffert pour toi. Si le
Christ n’occupe point tes pensées, il dort: éveille-le, ranime ta foi. Il dort en
toi, dès que tu oublies ses souffrances; quand tu en gardes la mémoire, il y
veille. Que si tu t’appliques de tout ton coeur à la considération de ses
souffrances, ne supporteras-tu pas les tiennes avec patience, et même avec
bonheur? Ne seras-tu pas heureux d’avoir quelque ressemblance avec ton roi
humilié et persécuté? Les consolations et la joie que tu puiseras dans cette
pensée, seront, pour toi, la preuve que le Christ s’est levé, qu’il a commandé
aux vents et que le plus grand calme a succédé à la tempête. « J’attendais
celui qui devait me délivrer de mes alarmes et de la tempête ».
11. « Seigneur, précipitez-les dans les
abîmes, et divisez leurs langues 3 ». Expression d’un désir et non d’un
mouvement de colère
1. Matt. XIV,
30. — 2.Id. VIII, 25, 26. — 3. Ps. LIV, 10.
de la part du Prophète: car, mes frères, il
avait jeté les yeux sur ceux qui le persécutaient et noircissaient sa
réputation. A ceux qui se sont élevés pour le mal, il est utile d’être
profondément abaissés; pour ceux qui ont malicieusement conspiré, il est
avantageux que « leurs langues soient divisées » qu’ils s’accordent pour le
bien et qu’ils parlent tous le même langage. « Tous mes ennemis », dit-il
ailleurs, « murmuraient en semble contre moi 1». Qu’ils perdent cet accord pour
le mal; que leurs langues soient divisées; qu’ils ne s’entendent plus. «
Seigneur, précipitez-les dans les abîmes, et divisez leurs langues ». «
Précipitez-les dans les abîmes »: pourquoi? parce qu’ils se sont élevés. «
Divisez »: pourquoi? parce qu’ils ont méchamment conspiré. Souviens-toi de
cette tour bâtie par les orgueilleux après le déluge: quel fut leur langage? «
Pour qu’un nouveau déluge ne nous engloutisse pas, élevons une haute tour 2 ».
Ils se croyaient bien abrités contre le bras de Dieu par leur orgueil; ils
bâtirent une tour élevée, et le Seigneur divisa leurs langues; ils commencèrent
à ne plus s’entendre, et c’est alors que se forma la multitude des langues. Une
seule langue avait jusque-là régné dans le monde; l’unité de langage était
utile aux hommes qui s’accordaient pour le bien et demeuraient dans l’humilité;
mais lorsque leur réunion dégénéra en une assemblée de conspirateurs, Dieu prit
pitié d’eux et divisa leurs langues, afin qu’ils ne fussent plus à même de se
comprendre et de former une société mauvaise. Les langues ont donc été divisées
par l’orgueil des hommes; elles ont été réunies par l’humilité des Apôtres;
l’esprit d’orgueil fut la cause de leur division: l’Esprit-Saint fut le
principe de leur réunion. Lorsqu’en effet le Saint-Esprit descendit sur les
disciples du Sauveur, ils parlèrent toutes les langues, tout le monde les
comprit; auparavant dispersées, les langues se rassemblèrent. Si donc les
hommes agissent encore par méchanceté, s’ils sont encore païens, il est bon
pour eux que leurs langues soient dans la confusion; mais s’ils veulent ne
parler qu’une seule langue, qu’ils viennent tous dans le giron de l’Eglise ils
y rencontreront sans doute une grande diversité dans la manière de parler, mais
aussi, ils y rencontreront la même foi, parlant à leurs
1. Ps. XL, 8. — 2. Gen. XI, 4.
coeurs le même langage. « Seigneur,
précipitez-les dans les abîmes, et divisez leurs
langues ».
12. « Car j’ai vu l’injustice et la
contradiction dans leur ville ». C’était avec raison qu’il cherchait à fuir
dans le désert, puisqu’il voyait, dans leur ville, l’iniquité et la
contradiction. Il est une ville pleine de troubles ses habitants ont bâti la
tour dont nous venons de parler; la confusion est son partage; elle a nom
Babylone et se trouve dispersée parmi les innombrables nations du monde; c’est
de son sein que sortent, pour former l’Eglise, tous ceux qui se retirent dans
le désert d’une bonne conscience, car ils voient la contradiction régner dans
cette ville. Le Christ est venu. — Qui est le Christ? — N’es— tu pas une ville
de contradiction? C’est le Fils de Dieu. — Dieu a-t-il un Fils? — N’es-tu pas
une ville de contradiction? Il est né d’une Vierge, il est mort dans les
tourments, il est ressuscité. — Comment cela peut-il se faire? — N’es-tu pas une
ville de contradiction? Remarque au moins le glorieux éclat de sa croix. Celte
croix, que ses ennemis ont insultée, a déjà trouvé place au front des rois;
l’événement a déjà prouvé la puissance de Celui qui y a été attaché; il a
dompté le monde, non par les armes, mais par le bois de sa croix. Ses ennemis
avaient cru que ce bois était digne de tous les mépris; ils s’arrêtaient devant
lui, secouaient la tête et disaient:
« S’il est le Fils de Dieu, qu’il descende de
sa croix 1». Cloué à ce bois, il tendait les bras à ce peuple incrédule et
ennemi. Si celui qui vit de la foi est juste 2, celui-là est injuste qui n’a
pas la foi. Par le mot « injustice », j’entends donc la perfidie. Le Seigneur
voyait donc l’iniquité et la contradiction dans la ville; il étendait ses bras
vers un peuple incrédule et ennemi; il en attendait patiemment le retour au
bien et disait: « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font 3
». On ne peut en douter, les restes de cette ville le persécutent encore
aujourd’hui; ils sont encore animés, à son égard, du même esprit de
contradiction; sa croix est aujourd’hui imprimée sur tous les fronts, et, de
là, il tend encore ses bras à ces restes incrédules et ennemis. « Parce que
j’ai vu l’iniquité et la contradiction dans la ville».
1.
Matt. XXVI, 40. — 2. Rom. I, 17. — 3. Luc. XXIII, 34.
13. « Jour et nuit l’iniquité et la douleur
environneront ses murailles 1»,ses remparts, c’est-à-dire ces nobles citoyens qui
en sont comme les chefs. Si ce prince, dit-on souvent, se faisait chrétien,
personne ne resterait païen; c’en serait fait du paganisme du jour où cet homme
deviendrait chrétien. Chaque jour on répète le même propos. Oui, si ce grand
personnage embrassait la religion chrétienne, on ne rencontrerait plus un seul
païen. Mais, parce qu’ils persistent dans leur fausse religion, ils sont comme
les murs de cette cité incrédule et pleine de contradiction, Combien de temps
encore resteront-ils debout? Pas toujours, car ils seront renversés, L’arche.
fait le tour des murailles de Jéricho; bientôt elle le fera pour la septième
fois, et alors s’écrouleront les remparts de cette ville sans foi et animée de
l’esprit de contradiction 2. En attendant, le Prophète se trouble dans son
exercice, et, dans la nécessité où il se trouve de supporter les contradictions
des restes de cette ville, il désire avoir des ailes pour s’envoler; il
souhaite la tranquillité du désert. Mais non; qu’il demeure ferme au milieu des
contradictions; qu’il supporte les menaces; qu’il boive les opprobres; qu’il
attende Celui qui le délivrera des alarmes et de la tempête; qu’il porte ses
regards sur son Chef, sur son modèle, et si les réalités de la vie le jettent
dans le trouble, que, du moins, ses immortelles espérances ramènent le calme
dans son âme. « Jour et nuit l’iniquité environnera ses murailles; la douleur
et l’injustice se trouvent au milieu d’elle ». Il y a là de la douleur, parce
qu’il y a là de l’iniquité; on y voit l’injustice, c’est pourquoi on y voit la
douleur. Qu’ils écoutent donc Celui qui leur tend les bras et leur dit: « Venez
à moi, vous tous qui souffrez » Vous le poursuivez de vos clameurs, de vos
contradictions et de vos outrages, et il vous appelle: « Venez à moi, vous tous
que l’orgueil fait souffrir, et vous trouverez le repos dans mon humilité »,
car, ajoute-t-il, « apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur, et
vous trouverez le repos de vos âmes 3». En effet, pourquoi souffrent-ils, sinon
parce qu’ils manquent de douceur et de l’humilité du coeur? Dieu s’est abaissé;
rougir en face de cette humiliation de son Dieu, voilà le devoir de l’homme
orgueilleux.
1. Ps. LIV, 11. — 2. Jos. VI, 5. — 3. Matt.
XI, 28, 29.
14. « Sur ses places on rencontre toujours
l’usure et la tromperie 1». L’usure et la tromperie sont des crimes; elles
devraient donc, au moins, se dérober aux regards du public; loin de là, elles
s’étalent et s’exercent au grand jour. Celui qui se tient dans l’intérieur de
sa maison pour faire le mal, rougit encore de sa conduite; mais, « sur ses
places on rencontre toujours l’usure et la tromperie ». L’usure est élevée à la
hauteur d’une profession; on dit qu’elle est un art; ceux qui l’exercent
forment une corporation, mais une corporation nécessaire au bien-être de la
cité, qui recueille le bénéfice de sa profession,, et qui, loin de se cacher,
ne craint pas de se montrer sur les places publiques. A côté de cette usure il
en est une autre plus coupable encore; elle consiste à ne point pardonner les
offenses d’autrui, et à avoir les yeux troublés quand tu récites ces paroles de
l’Oraison dominicale: « Remettez-nous nos dettes». Lorsque tu prieras et que tu
en seras venu en cet endroit de la prière, à quoi t’arrêteras-tu? Une parole
outrageante est venue frapper tes oreilles, et pour cela tu exiges la honte
d’une condamnation? Malheureux usurier en tait d’injures! N’exige pas plus que
tu n’as donné. Tu as reçu un soufflet, et tu réclames la mort de ton agresseur?
Usure condamnable! Comment pourras-tu prier? Et si tu abandonnes la prière,
comment trouveras-tu accès auprès de Dieu? Tu diras: « Notre Père, qui êtes aux
cieux, que votre nom soit sanctifié; que votre règne arrive; que votre volonté
soit faite sur la terre comme dans le ciel; donnez-nous aujourd’hui notre pain
quotidien ». Tu arriveras enfin à ces paroles: « Remettez-nous nos dettes,
comme mous remettons à ceux qui nous doivent 2». Qu’il y ait de ces usures dans
cette ville méchante, j’y consens; mais que jamais elles ne pénètrent à
l’intérieur de cette cité où l’on se frappe la poitrine. A quel parti
t’arrêteras-tu, quand tu te trouveras en cet endroit de ta prière? C’est le
divin avoué qui a composé pour toi cette formule de prière; il savait d’avance
l’opposition de ses paroles avec ta conduite; aussi a-t-il ajouté: « Car en
vérité je vous le dis, si vous remettez aux hommes les offenses qu’ils vous ont
faites, les vôtres aussi vous, seront remises; mais si vous ne pardonnez pas
aux hommes leurs
1. Ps. LIV, 12.— 2. Matt. VI, 9,13.
offenses, votre Père ne vous pardonnera pas
non plus les vôtres 1 ». Qui est-ce qui a dit cela? Celui qui connaît tes
dispositions, et qui te voit debout devant lui pour le prier. Il a voulu
devenir ton avocat, ton avoué, ton intercesseur auprès de Dieu; il sera plus
tard ton juge et il te dit: Tu n’obtiendras rien autrement. Que faire alors? Si
tu ne prononces pas ces paroles, tu n’obtiendras rien; il en sera de même, situ
les prononces contre ta façon de penser. Il faut donc que tu les répètes avec
franchise ou que tu agisses d’accord avec elles, ou bien tu ne mériteras pas de
voir ta prière exaucée; car ceux qui ne se conduisent pas ainsi, sont du nombre
de ces usuriers coupables dont nous avons parlé. Qu’il en soit ainsi de ceux
qui adorent ou cherchent les idoles; mais, ô peuple de Dieu, ô peuple de
Jésus-Christ, ô corps sacré de ce divin chef, qu’il n’en soit jamais ainsi de
loi! Considère le lien de la paix qui vous unit; considère les promesses de vie
qu’on t’a faites. Quel bénéfice te procureraient tes exigences à l’égard de
celui qui t’a offensé? La vengeance pourrait-elle guérir les blessures de ton
âme? Aurais-tu à te réjouir du mal d’autrui? Tu as eu à supporter des
traitements mauvais: pardonne, afin que vous ne soyez pas deux méchants. « Sur
ses places on rencontre toujours l’usure et l’iniquité »
15. Tu ne peux supporter la contradiction et
l’iniquité qu’on rencontre dans cette ville; voilà donc pourquoi tu cherchais
la solitude; voilà pourquoi tu désirais des ailes; voilà la cause de tes
murmures. Repose-toi au milieu de ceux qui sont, comme toi, dans le sein de
l’Eglise. Ne cherche pas la solitude; écoute ce que dit le Prophète en parlant
d’eux: « Si un ennemi m’avait insulté». Il avait dit plus haut qu’il était
troublé dans son exercice par les clameurs de son ennemi et les persécutions
des pécheurs; car II se trouvait peut-être dans cette ville qui bâtit par
orgueil une haute tour, et qui-vit ses langues divisées par la destruction de
son oeuvre 2. Ecoute les gémissements qui tombent de ses lèvres dans le sein même
de l’Eglise, à cause des périls où l’exposent des faux frères. « Si un ennemi
m’avait insulté, je l’aurais souffert en patience; et si celui qui me haïssait
avait ouvert la bouche », c’est-à-dire s’il m’avait orgueilleusement insulté,
s’il m’avait
1. Matt. VI, 14, 15.— 2. Gen. XI, 4.
traité fièrement, s’il m’avait menacé de me
faire tout le mal possible, je me serais peut-être dérobé à ses invectives.
Qu’une personne, vivant hors de l’Eglise, te persécute, où te réfugieras-tu
pour lui échapper? Au milieu des membres de ta communion. Mais, dans le cas
présent, te reste-t-il autre chose à faire qu’à te retirer dans la solitude? «
Mais toi », continue-t-il, « toi qui étais un même coeur avec moi, toi qui
étais mon ami et mon guide! » Autrefois, peut-être, tu m’as donné des conseils,
tu m’as servi de guide, tu m’as aidé par de salutaires avertissements; nous
avons vécu ensemble dans l’Eglise de Dieu: « Mais toi, qui étais un même coeur
avec moi, toi qui étais mon ami et mon guide, toi qui prenais en ma société
d’agréables repas! » Quels sont ces repas, ces aliments si doux? Tous ceux qui
se trouvent ici ne le savent pas; pour ceux qui en ont été instruits, ils ne
doivent pas s’en prévaloir avec aigreur; ils doivent pouvoir dire à ceux qui
l’ignorent « Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux. Tu prenais en ma
société d’agréables « aliments; nous avons marché d’un même pas dans la maison
du Seigneur ». D’où est donc venue cette pénible mésintelligence? Elle est
venue de celui qui était dans l’Eglise et qui en est sorti. Il avait marché
d’un même pas avec moi dans la maison du Seigneur; depuis, il a bâti une autre
maison contre celle de Dieu. Pourquoi a-t-il abandonné celle où nous marchions
ensemble d’un même pas? pourquoi s’est-il éloigné de celle où nous prenions
tous deux de si doux aliments?
16. « Que la mort les surprenne et qu’ils
descendent vivants dans l’enfer ». C’est ainsi que le Prophète rappelle à notre
souvenir les origines du schisme d’Israël; voilà comment il nous remet en
mémoire l’époque où des orgueilleux se séparèrent de ce premier peuple de Dieu,
et prétendirent faire des sacrifices en dehors du temple; une mort d’un genre
nouveau vint les frapper; la terre s’entr’ouvrit sous leurs pas et les
engloutit tout vivants 1. « Que la mort », dit-il, « les « surprenne, et qu’ils
descendent tout vivants dans l’enfer». Que veut dire le mot « vivants? « Qu’ils
sachent qu’ils vont périr, et que néanmoins ils périssent. Périr vivant, être
englouti dans les abîmes de la terre, veut
1. Nomb. XVI, 1, 33.
donc dire ici: être dévoré, consumé par les
passions terrestres.
Tu dis à un homme: Mon frère, pourquoi
souffres-tu? Nous sommes frères, nous invoquons le même Dieu, nous croyons au
même Christ, nous lisons le même Evangile, nous récitons le même psaume, nous
répondons le même Amen, nous chantons
le même Alleluia, nous célébrons la
même pâque; pourquoi donc es-tu hors de l’Eglise, tandis que je suis un de ses
membres? Pressé par ces raisons; touchant en quelque sorte du doigt la vérité
de ce qu’on lui dit, cet homme répond: Que Dieu rende à nos ancêtres selon
leurs oeuvres. N’est-il pas vrai qu’il meurt tout vivant? Tu le presses
davantage et tu ajoutes: C’est bien assez que tu aies eu le malheur de te
séparer de nous; faut-il y ajouter celui d’un second baptême? J’ai autant que
toi, avoue-le; mais tu me détestes; pourquoi détester en moi le Christ? De
telles gens reconnaissent souvent leur infortune; ils en gémissent et ils
disent: Nous te comprenons bien, nous faisons mal; ah! si seulement nous
pouvions agir d’autre manière! Mais pouvons-nous changer les choses établies
par nos ancêtres? « Qu’ils descendent vivants dans les enfers! » Si tu mourais
avant d’y descendre, saurais-tu ce que tu fais? Mais, puisque tu n’ignores pas
que tu fais le mal, et que néanmoins tu persistes à le vouloir faire, ne
descends-tu pas tout vivant dans les enfers? Mais pourquoi la terre s’est-elle
entr’ouverte seulement sous les pas des chefs pour les engloutir, tandis que le
feu du ciel est tombé sur le peuple qui les suivait, et l’a consumé tout entier
1? Le Psalmiste, en nous rappelant ce châtiment, nous parle d’abord de la
punition du peuple, puis de celle des chefs de la sédition. « Que la mort
descende sur eux! »Voilà pour ceux sur lesquels le feu du ciel est tombé;
aussitôt il ajoute: « Qu’ils soient précipités vivants dans l’enfer». Par là il
veut désigner ceux que la terre engloutit tout vivants dans ses abîmes. Il
commence par les plus petits pour finir par les plus grands. « Que la mort
descende » sur ceux qui ont écouté et suivi les séditieux. Pour les chefs et
les princes, « qu’ils soient précipités tout vivants dans les enfers», parce
que les Ecritures sont entre leurs mains, et parce qu’en les lisant tous les
jours ils ont appris que l’Eglise
1. Nomb. XVI. 47.
catholique s’est répandue dans tout
l’univers, de façon à ne laisser place à aucune objection ni à aucun témoignage
en faveur de leur schisme. Ils le savent bien; ils n’ignorent donc pas que ce
qu’ils font est mal; ils descendent donc tout vivants dans les enfers. Pour les
autres, le feu de la colère divine les a consumés; brûlés du désir de la
contention, ils n’ont point consenti à se séparer de leurs chefs; ces méchants
les ont entraînés dans le mal; le feu est venu en eux s’ajouter au feu, et la
flamme dévorante de la colère de Dieu est venue se joindre à la flamme de la
discorde. « Que la mort descende sur eux et qu’ils soient précipités tout
vivants dans les enfers, parce que la malice est dans leur tente au milieu
d’eux ». « Dans leurs tentes »,où ils ne sont que comme des étrangers et en
passant; car ils ne demeureront pas toujours sur la terre, quoiqu’ils
apportent, dans la défense d’Intérêts passagers, un acharnement extrême. «
L’iniquité est donc dans leurs tentes; elle se trouve au milieu d’eux ». Que
peuvent-ils avoir davantage, au milieu d’eux, que leur propre coeur?
17. «Pour moi, j’ai crié vers le Seigneur».
Ce sont les paroles du corps de Jésus-Christ
son unité est dans l’angoissé, l’ennui, les
tourments et le trouble de son exercice. Cet homme unique, cet ensemble des
membres d’un même corps, crie vers Dieu des extrémités de la terre, dans
l’ennui profond où son âme est plongée: « J’ai », dit-il, « crié vers vous des
extrémités de la terre, pendant que l’angoisse oppressait mon cœur 1 ». Il
était unique, mais il représentait l’universalité, l’ensemble des membres du
corps; quoique se trouvant en tous lieux, il n’avait qu’une voix pour crier,
des extrémités de la terre, vers le Seigneur ». Si plusieurs n’étaient pas unis
en lui, comment pourrait-il, des extrémités de la terre, ne faire entendre
qu’un même cri? « Pour moi, j’ai crié vers le Seigneur». C’est bien: crie vers
le Seigneur, et non pas vers Donat, dans la crainte d’avoir pour ton Seigneur
celui qui a renoncé à servir avec toi le Seigneur. « J’ai crié vers le
Seigneur, et il m’a exaucé».
18. « Le soir, le matin et à midi, je
raconterai et j’annoncerai, et il écoutera ma voix ».
Ne garde pas le silence: annonce hautement ce
que tu as appris, « le soir », sur le passé;
1. Ps. LX, 3
« le matin », sur l’avenir; « à midi », sur
l’éternité. A ce qu’il appelle « le soir», se rapporte ce qu’il raconte; « au
matin », ce qu’il annonce; « à midi », l’accomplissement de ses désirs. Par le
midi, il entend le sommet d’où l’on ne descend point vers le cou-chiant: à midi,
la lumière du soleil se trouve à son plus haut degré d’élévation; c’est alors
que se montre dans toute sa splendeur l’éclat de la sagesse, et que le feu de
la charité fait sentir toute son ardeur. « Le soir, le matin, à midi». «Le
soir», Jésus a été attaché à la croix; « le matin», il est ressuscité; il est
monté au ciel « à midi ». « Le soir », je raconte la patience du Christ
mourant; j’annonce, « le matin », la nouvelle vie de sa résurrection; je le
prierai d’exaucer ma prière, lorsque «à midi » il sera assis à la droite de son
Père. Celui qui intercède pour nous dans le ciel écoutera ma voix 1. Quelle
sécurité est celle du prophète ! Quelle est sa consolation ! Comme il se sent
devenu plus fort contre les alarmes et la tempête, contre les méchants, contre
les pécheurs du dehors et du dedans, contre ceux qui, après avoir appartenu à
l’Eglise, en sont sortis!
19. C’est pourquoi, mes frères, tous ceux
qui,'réunis avec vous dans l’enceinte de l’Eglise, vous apparaissent comme des
turbulents, des orgueilleux, des gens conduits par l’intérêt, vaniteux,
dépourvus d’un zèle chaste, pur et tranquille pour la gloire de Dieu,
suffisants, toujours prêts, s’ils en trouvaient l’occasion, à semer autour
d’eux la discorde, tous ceux-là sont la paille de l’aire du Seigneur 2. Le vent
de l’orgueil les a déjà réduits à ce petit nombre que vous voyez; mais la
paille n’en sortira en totalité qu’au jour du jugement, en ce jour où le
Seigneur purifiera son aire. Pour nous, nous n’avons plus qu’à chanter, à prier
et à gémir avec le Psalmiste, et à dire, dans le sentiment de la plus complète
sécurité: « Il rachètera mon âme dans la paix». Cette prière a trait à ceux qui
n’aiment pas la paix: « Il rachètera mon âme dans la paix», parce que j’étais
pacifique avec ceux qui la détestent 3. « Il rachètera mon âme dans la paix; il
la délivrera « de ceux qui s’approchent de moi ». Car, par rapport à ceux qui
sont loin de moi, ma cause n’est pas en danger. J’ai bien moins à craindre un
homme qui me dit: Viens, adore
1.
Rom. VIII, 31. — 2. Matt. III, 12.— 3. Ps. CXIX, 7.
cette idole: un pareil homme est
singulièrement loin de moi. Mais quand je dis à quelqu’un: Es-tu chrétien? et
qu’il me répond Oui, je le suis; j’ai près de moi mon ennemi:
sa proximité est dangereuse. « Il rachètera
mon âme dans la paix; il la délivrera de ceux qui s’approchent de moi, car ils
étaient avec moi en beaucoup». Pourquoi ai-je dit qu’ « ils s’approchent de
moi», sinon parce qu’ « ils étaient avec moi en beaucoup? »
Ce verset a deux sens. « Ils étaient avec moi
en beaucoup de choses». Nous avions les uns et les autres le même baptême: en
cela, ils étaient avec moi; nous lisions le même Evangile: en cela, ils étaient
avec moi. Nous célébrions ensemble les fêtes des martyrs: en cela, ils étaient
avec moi. Nous solennisions la même fête de Pâques: en cela encore, ils étaient
avec moi. Mais nous n’étions pas tout à fait d’accord, car je n’étais avec eux
ni dans le schisme, ni dans l’hérésie. Unis en beaucoup de points, nous
différions en quelques-uns; mais, parce qu’ils sont en désaccord avec moi sur
un petit nombre de choses, il ne leur sert de rien de s’accorder avec moi sur
beaucoup d’autres. Car voyez, mes frères, combien de choses nous énumère saint
Paul, qui pourtant nous deviennent inutiles, dès qu’une seule nous manque, «
Quand», dit-il, « je parlerais le langage des hommes et des anges eux-mêmes,
quand j’aurais le don de prophétie, quand je pénétrerais tous les mystères et
que j’aurais une parfaite science de toutes choses, quand je transporterais les
montagnes, que je distribuerais mon bien aux pauvres et que je livrerais mon
corps au supplice du feu »: que de choses il énumère! et pourtant, que la
charité manque au milieu de ce merveilleux ensemble, elle l’emportera toute
seule sur toutes les autres qualités, si nombreuses qu’elles soient 1. D’accord
avec moi dans toutes les pratiques religieuses, ils en diffèrent sous le
rapport de la charité, car ils ne l’ont pas. « Ils étaient avec moi en beaucoup
de choses».
Autre sens: « Parce qu’ils étaient avec moi
en beaucoup», ceux qui se sont séparés de moi étaient avec moi, non pas en
petit nombre, mais en grand nombre. Sur toute la surface de la terre, il y a
peu de bon grain, mais beaucoup de paille. Que veut donc dire le Prophète? Ils
étaient avec moi
1. I Cor. XIII.
comme de la paille; ils n’y étaient pas comme
du bon grain: la paille, je le veux bien, est proche, voisine du froment: tous
deux viennent de la même semence; le même champ les produit tous deux; à l’une
et à l’autre la même pluie donne la même sève; à tous deux sont réservés le
même moissonneur, le même fléau, le même van, niais non le même cellier: «
Parce qu’ils étaient avec moi en grand nombre».
20. « Dieu m’exaucera, et il les humiliera, lui
qui est avant tous les siècles». Car ils ont placé leur confiance dans je ne
sais quel chef, qui s’est mis à leur tête et qui n’est que d’hier. « Celui qui
est avant tous les siècles les humiliera». Quoique le Christ soit né, dans le
temps, de la Vierge Marie, néanmoins « le Verbe était au commencement», avant
tous les siècles, « et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu 1. Celui
qui est avant tous les siècles, les humiliera, car il n’y a pas de changement
pour eux». Je parle de ceux pour lesquels il n’y a pas de changement. Il savait
que quelques-uns persévéreraient dans la méchanceté et y mourraient. Nous le
voyons, en effet, il n’y a pas de changement pour eux. Ceux-là ne changent pas,
qui meurent dans le déréglement, dans le schisme; Dieu les humiliera, parce
qu’ils se sont élevés par leur séparation; ils seront humiliés par leur
condamnation. Il n’y a point de changement pour eux, car on ne peut appeler de
ce nom le mouvement d’une personne, non vers le bien, mais vers le mal: ils ne
changeront ni maintenant, ni au moment de la résurrection, car nous
ressusciterons tous, mais nous ne serons pas tous changés 2. Pourquoi? Parce
qu’il n’y a pas de changement pour eux, et qu’ils n’ont pas craint Dieu. Mes
frères, je ne vois à cela qu’an remède: c’est qu’ils craignent le Seigneur et
qu’ils abandonnent le parti de Donat. Tu dis à un donatien: Tu périras dans
l’hérésie, dans le schisme; il faut que Dieu te punisse de ton infidélité; tu
seras condamné, il est inutile de te flatter; ne prends point un aveugle pour
ton guide, « car si un aveugle en conduit un autre, ils finissent par tomber
tous deux dans le précipice 3 ». Peu m’importe: je vivrai aujourd’hui comme
j’ai vécu hier: ce qu’ont été mes parents, je le serai moi-même. — Tu ne crains
pas Dieu. —
1.
Jean, I, 1. — 2. I Cor. XV, 31.— 3. Matt. XV, 14.
Inspire-lui la crainte de Dieu. Si, à ses
yeux, l’Ecriture est la parfaite expression de la vérité, parce que tel est
l’enseignement chrétien, qui n’est point sujet à l’erreur, comment pourra-t-il
persévérer dans l’hérésie, surtout quand il portera son attention sur le
spectacle frappant de l’existence de l’Eglise catholique, de cette Eglise que
Dieu a répandue par tout le monde, dont il annonce l’admirable extension avant
de l’opérer, à l’égard de laquelle enfin il a accompli toutes ses promesses?
Que ceux qui ne craignent pas Dieu prennent garde à eux et qu’ils tremblent,
car « il a étendu son bras pour leur rendre suivant leurs mérites»..
21. « Ils ont profané son alliance». Voici en
quels termes est conçue cette alliance qu’ils ont profanée: « Toutes les
nations de la terre seront bénies en votre race 1 » Ils ont profané son
alliance. Et toi, que dis-tu à l’encontre de ces paroles du divin Testateur?
L’Afrique seule a mérité la grâce de posséder saint Donat: l’Eglise du Christ
est demeurée en lui seul. Dis donc: L’Eglise de Donat. Pourquoi dis-tu:
L’Eglise du Christ, puisqu’il a été dit de lui: « En lui seront bénies toutes
les nations de la terre? » Veux-tu suivre Donat? Renonce au Christ, et alors tu
seras libre. Ecoutez ce qui suit: « Ils ont profané son alliance». Quelle était
cette alliance? « Des promesses ont été faites à Abraham et à sa race».
L’Apôtre ajoute: « Mes frères, lorsqu’un homme a fait un contrat ou un
testament qui a été confirmé, nul ne peut le casser ni y ajouter quoi que ce
soit. Or, des promesses ont été faites à Abraham et à sa race». L’Ecriture ne
dit pas: A ceux de sa race, comme si elle eût voulu en marquer plusieurs, mais
« à sa race», c’est-à-dire à l’un de sa race, qui est le Christ 2. C’est donc
en ce Christ que reposent les promesses de l’alliance: « En ta race seront
bénies toutes les nations de la terre». Tu as donc profané cette alliance,
puisque tu as fait schisme avec l’ensemble de toutes les nations, et que tu
fais bande à part. Que tu aies été retranché et privé de l’héritage céleste,
c’est un effet de la colère de Dieu; car, écoute bien ce qui suit: « Ils ont
profané son alliance, ils ont été séparés par la colère de son visage ». Se
peut-il quelque chose de plus formel? Est-il possible de
1. Gen. XIII, 3; XXVI,
4. — 2. Gal. III, 15, 16.
désigner plus clairement les hérétiques? «
Ils ont été divisés par la colère de son visage».
22. « Et son coeur s’est approché». De qui
veut nous parler le Prophète, sinon de celui qui les a séparés dans sa colère?
Pourquoi « son coeur s’est-il approché? » C’est pour que nous comprenions ses
desseins; car les hérétiques ont servi à asseoir la vérité catholique, et ceux
qui ne suivent pas les enseignements de la foi ont contribué à affermir ceux
qui lui sont restés fidèles. Il y avait, dans nos saints livres, une foule de
passages obscurs: des hérétiques se sont séparés, qui ont soulevé des doutes,
au grand détriment de la tranquillité de l’Eglise de Dieu; les obscurités ont
disparu, et l’on a connu la volonté du Seigneur. Voilà pourquoi il est dit dans
un autre psaume: « Il s’est fait une assemblée de taureaux au milieu des
peuples, qui les ont suivis comme des vaches, afin de faire sortir ceux qui
avaient été purifiés par l’argent ». « Faire sortir», signifie faire paraître,
faire briller: ainsi, dans l’art de travailler l’argent, on appelle ressorteurs ceux qui donnent une forme à
un informe lingot. Il y avait donc, dans les rangs du peuple de Dieu, une
multitude d’hommes capables de connaître et d’expliquer parfaitement le sens
des Ecritures: mais ils ne se faisaient pas connaître eux-mêmes et ne
s’appliquaient à résoudre aucune difficulté, parce que personne ne songeait à
en soulever. Est-ce qu’on avait traité d’une manière complète du mystère de la
sainte Trinité, avant d’entendre blasphémer les Ariens? Avait-on dit tout ce
qui concerne la pénitence, tant que les Novatiens n’avaient point fait
d’objection à ce sujet? Ainsi, jusqu’au moment où certains hérétiques se
séparèrent de l’Eglise et soutinrent la nécessité de réitérer le baptême, on
n’avait point épuisé les questions qui y ont trait. On n’avait point non plus
parlé nettement de l’unité de l’Eglise, comme on l’a fait depuis que ce nouveau
schisme a ébranlé ceux d’entre les catholiques qui étaient faibles; mais alors,
ceux qui étaient pleinement instruits de ces matières ont dû, pour empêcher la
perte des âmes infirmes, réfuter les vaines subtilités des impies, et
éclaircir, par leurs discours, ce qu’il y avait d’obscur dans l’Ecriture
sainte. De la sorte, la colère du visage de Dieu a séparé ces malheureux, et
son coeur s’est approché
1. Ps. LXVII, 31.
de nous. Comprenez donc ce que le Prophète a
dit en un autre psaume: « L’assemblée des taureaux», c’est-à-dire des
orgueilleux, confiants dans leur force, « au milieu des vaches des peuples».
Qu’appelle-t-il des vaches? Les âmes faciles à séduire. Et pourquoi cela? «
Afin de faire sortir», de faire paraître ceux qui étaient cachés, « et qui sont
purifiés par l’argent ». Cet argent désigne la parole de Dieu. « Les paroles du
Seigneur sont des paroles pures et chastes; c’est un argent purifié par le feu,
purgé de toutes les souillures de la terre et épuré sept fois 1 ». Voyez comme
l’Apôtre éclaircit ce passage et en fait ressortir le sens caché. « Il
faut»,dit-il, « qu’il y ait des hérésies, afin que l’on découvre parmi vous
ceux qui sont éprouvés 2 ». Que veut dire le mot « éprouvés? » Il signifie: «
Affermis par l’argent», par la parole de Dieu. « Et afin qu’on les découvre? «
Qu’ils sortent. Pourquoi? A cause des hérétiques. Qu’est-ce à dire?A cause de «
l’assemblée des taureaux, au milieu des vaches des peuples». Voilà pourquoi «la
colère du visage de Dieu les a divisés »: voilà pourquoi « son coeur s’est
approché ».
23. « Ses discours sont plus doux que
l’huile: « ils sont perçants comme des flèches ». Certaines paroles de
l’Ecriture semblaient dures, tant qu’elles n’étaient pas comprises: leur
signification une fois saisie, elles ont paru douces à entendre. La première
hérésie qui se soit déclarée parmi les disciples du Christ, a pris pour
prétexte de son existence la dureté des discours du Sauveur. Il avait dit: « Si
quelqu’un ne mange ma chair et ne boit mon sang, il n’aura point la vie en lui
». Ses disciples ne pénétrèrent pas le sens de ses paroles, et ils se dirent
les uns aux autres: « Cette parole est dure: qui est-ce qui pourra l’entendre?
» Ils se plaignirent donc de cette dureté de ses discours, et ils se séparèrent
de lui: aussi resta-t-il seul avec ses douze apôtres. Ceux-ci lui
représentèrent que leurs compagnons avaient été scandalisés de l’entendre:
alors il leur répondit: « Voulez-vous aussi me quitter? Seigneur», dit saint
Pierre, « où irions-nous? Vous avez les paroles de la vie éternelle 3».
Nous vous en conjurons, soyez attentifs à la
leçon de l’Apôtre; et, comme des enfants, apprenez de lui à être pieux. Est-ce
que
1. Ps. XL, 7.— 2. I Cor. XI, 19. — 3. Jean,
VI, 51-69.
Pierre saisissait déjà, dans toute son
étendue, le sens caché de ce discours de Jésus-Christ? Non, il ne le saisissait
pas, mais il croyait pieusement à la bonté des paroles qu’il ne comprenait pas.
Par conséquent, si la parole de Dieu est dure, et qu’elle ne soit pas encore
comprise, qu’elle reste dure pour les impies, mais que ta piété l’adoucisse pour
toi, parce que, quand tu la comprendras, elle deviendra pareille à l’huile, et
pénétrera jusqu’à tes os.
24. Pierre avait vu ses compagnons se
scandaliser de la parole divine, trop dure à leur avis, et s’éloigner de lui,
et alors il lui avait dit: « Seigneur, vous avez les paroles de la vie
éternelle: à qui pourrions-nous aller? » Il semblerait que le Prophète est dans
les mêmes sentiments que le prince des Apôtres, et qu’il tient à Dieu le même
langage; il ajoute:
« Jette dans le sein du Seigneur toute ta
sollicitude, et il te nourrira». Tu es petit; tu ne comprends pas encore le
sens caché des paroles divines: il y a peut-être là du pain, et tu ne peux
encore te nourrir que de lait 1. Ne t’irrite pas contre les mamelles que tu
suces; elles te rendront capable de t’asseoir plus tard à une table:
aujourd’hui, tu ne saurais encore y prendre place. Voilà que, par suite de
l’éloignement des hérétiques, plusieurs passages de l’Ecriture ont perdu leur
dureté et se sont amollis: de durs qu’ils étaient, les discours du Seigneur
sont devenus plus doux que l’huile; « et, pourtant, ce sont des flèches ».
Entre les mains des prédicateurs de l’Evangile ils sont devenus une arme
puissante. Munis de telles armes, ces prédicateurs les lancent au coeur de ceux
qui les écoutent: ils les attaquent à temps et à contre-temps, et ces discours
et ces paroles sont comme des flèches destinées à percer le coeur des hommes et
à les disposer à la paix. Ces paroles étaient dures et elles se sont adoucies,
et, pourtant, elles n’ont rien perdu de leur force: elles se sont changées en
flèches. « Ses discours sont devenus doux comme de l’huile, et ils sont
perçants comme des flèches». Tu n’es peut-être pas encore capable de manier ces
armes: ce que ces discours renferment d’obscurité n’est peut-être pas encore à
la portée de ton intelligence; ce qu’ils ont de dur ne s’est peut-être pas
encore amolli pour toi: « Jette donc, dans le sein de Dieu, ta sollicitude, et
il te nourrira », Jette-toi dans les bras de
1. I Cor. III, 2.
Dieu; et, si tu veux agir ainsi, que personne
ne se substitue à lui. « Jette sur lui ta sollicitude». Vois comment saint
Paul, ce grand soldat de Jésus-Christ, a défendu aux petits de se décharger sur
lui-même de tous leurs soins. « Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous? ou
bien, est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés 1? » N’était-ce pas leur
dire: « Déchargez-vous sur le Seigneur de « tous vos soins, et il vous
nourrira?» Aujourd’hui un enfant veut se jeter avec sa sollicitude dans les
bras du Seigneur, et voilà que je ne sais quel étranger se présente à lui, et
lui dit: C’est moi qui te reçois. Cet enfant ressemble à un vaisseau qui est
devenu le jouet de la tempête, et l’étranger lui dit: Je te reçois.
Réponds-lui: Je cherche un port afin de m’y réfugier, et non pas un rocher pour
me briser contre lui: « Jette dans le sein de Dieu ta sollicitude, et il te
nourrira », et vois bien qu’il est comme un port où tu trouveras ton salut. «
Il ne permettra pas que le juste soit éternellement agité». Tu sembles ballotté
au gré des flots de la mer orageuse de cette vie: tu arriveras au port;
seulement, avant d’y entrer, aie soin de ne pas laisser briser le câble qui te
retient à l’ancre: maintenu par l’ancre, le vaisseau peut être agité: jamais la
tempête ne le pousse loin du rivage, et, bien qu’il soit agité aujourd’hui, il
ne le sera pas toujours. C’est à cette agitation que le Prophète faisait tout à
l’heure allusion, quand il disait: « Je me suis affligé dans mon exercice, et
je me suis troublé: j’attendais celui qui devait me délivrer du découragement
et de la tempête». Lorsqu’il parlait, il était en proie à l’agitation, mais il
ne devait pas être toujours agité, car il était fortement retenu à l’ancre, et
cette ancre était son salut. « Il ne permettra pas que le juste soit
éternellement agité ».
25. Mais que deviendront les impies? «Pour
vous, Seigneur, vous les conduirez dans un puits de corruption 2». Ce puits de
corruption désigne un abîme de ténèbres. « Vous les conduirez dans un puits de
corruption»: parce que, quand un aveugle en conduit un autre, ils tombent tous
les deux dans le précipice 3. Dieu les conduit dans le puits de la corruption,
non parce qu’il est l’auteur de leurs fautes, mais parce qu’il est le juge de
leurs iniquités: il les a abandonnés aux
1. I
Cor. I, 13. — 2. Ps. LIV, 23. — 3. Matt. XV, 11.
passions de leur cœur 1: car ils ont préféré
les ténèbres à la lumière; ils ont mieux aimé être aveugles que jouir de la
vue. Le Seigneur Jésus a brillé aux yeux de l’univers entier:
qu’ils s’unissent donc à tous les autres
hommes, et qu’ils chantent: « Il n’y a personne qui puisse se dérober à
l’ardeur bienfaisante de ses rayons 2 ». Mais non; ils se sont séparés de tous
pour s’attacher à un seul: ils ont quitté tout le corps pour suivre un membre
pourri; ils ont abandonné la vie pour se jeter dans la mort: quel sera leur
châtiment, sinon de tomber dans le puits de la corruption?
26. « Les hommes de sang et d’hypocrisie ».
Le Prophète les appelle « hommes de sang», en raison de l’influence désastreuse
et meurtrière qu’ils exercent autour d’eux:
si seulement ils se bornaient à tuer les
corps, sans toucher aux âmes! Le sang qui s’échappe d’une plaie corporelle fait
mal à voir: mais voit-on saigner le coeur de celui qu’on a rebaptisé? Un
spectacle pareil ne frappe que les regards de l’âme. Les circoncellions ne se
font pas faute de commettre des meurtres visibles, et, par conséquent, nous
pouvons les appeler à la lettre « des hommes de sang». Considère leurs armes,
et dis-moi s’ils ne sont pas plutôt des hommes de sang que des hommes de paix.
Ils ne se contentent pas de porter en leurs mains des bâtons: on y voit encore
des frondes, des haches, des pierres, des lances: munis de ces instruments
dangereux, ils se répandent et pénètrent partout où ils peuvent: ils ont soif
du sang innocent; ils sont donc, à vrai dire, « des hommes de sang ».Quoi qu’il
en soit, nous serions encore tentés de dire: Plaise à Dieu que de tels hommes
se bornent à faire mourir les corps sans faire périr les âmes! Et qu’ils ne se
t’imaginent pas: nous ne détournons point de leur sens les paroles du
Psalmiste, quand nous appelons « hommes de sang », ceux qui tuent les âmes, car
ils ont donné le même nom à leurs Maximianistes, Ils les ont, en effet,
condamnés, et, dans la sentence de condamnation prononcée contre eux, les
membres de leur concile ont dit « Leurs pieds sont prompts et légers pour «
répandre le sang: l’affliction et le malheur se trouvent dans leurs voies, ils
n’ont point connu le chemin de la paix 3». Voilà ce qu’ils ont dit des
Maximianistes. Et moi, je
1. Rom.I, 24. — 2. Ps. XVIII, 7.— 3. Id.
XIII, 3.
demande à quelle époque les Maximianistes
sont devenus des assassins? Je suis loin de dire qu’ils ne se seraient pas
rendus coupables de meurtre, s’ils avaient pu se trouver en assez grand nombre
pour espérer l’impunité; mais enfin leur petit nombre les a rendus timides: ils
préféraient souffrir eux-mêmes ce qu’ils ne pouvaient faire souffrir aux
autres. J’interroge donc un donatiste, et je lui dis Dans ton concile, tu as
appliqué aux Maximianistes ces paroles: « Leurs pieds étaient agiles pour
répandre le sang». Eh bien! indique-moi une seule personne que les
Maximianistes aient touchée du bout du doigt. Me répondra-t-il autre chose que
ce que je dis moi-même? Ceux qui se sont séparés de l’unité, qui séduisent les
âmes et les font par conséquent mourir, ne sont-ils pas de vrais assassins?
S’ils ne tuent pas les corps, n’ôtent-ils pas la vie aux âmes? Tu as
parfaitement expliqué les paroles du Psalmiste; et, puisque tu agis de la sorte,
ne cherche point à te dérober aux conséquences de tes explications. « Les
hommes de sang et de ruse». Leur ruse consiste à tromper les autres, à
dissimuler leurs pensées, à séduire les âmes. Qui sont donc ceux « que la
colère de Dieu a séparés?» ce sont « des hommes de sang et de ruse ».
27. Qu’est-ce que le Prophète dit de
pareilles gens? « Ils n’iront pas à la moitié de leurs jours». « Ils n’iront
pas à la moitié de leurs jours », c’est-à-dire, ils ne réussiront pas
comme ils se le promettent: ils décherront
avant que se soit écoulée la série des jours sur lesquels ils fondent leurs
espérances. Ne ressemblent-ils pas à cette perdrix dont il a été écrit: « Ils
l’abandonneront au milieu de ses jours et, à la fin de sa vie, elle sera folle
et « insensée 1» Ils réussissent, mais seulement pour un temps, car voici ce
que dit l’Apôtre: « Les méchants et les imposteurs se fortifieront de plus en
plus dans le mal, séduisant les autres et se trompant eux-mêmes. — Si « un
aveugle sert de guide à un autre aveugle, ils tombent tous les deux dans le
précipice 2 ». C’est donc à juste titre que le Prophète dit qu’ « ils tombent
dans un puits de corruption». Qu’est-ce donc que dit l’apôtre saint Paul: « Ils
se fortifieront de plus en plus dans le mal», mais ce ne sera pas pour
longtemps, puisqu’un peu auparavant il avait dit: Mais leurs progrès auront des
bornes, c’est-à-dire, « ils n’iront pas à la moitié de leurs jours». Ecoutez ce
qu’il ajoute, et vous y verrez la raison de ces paroles: « Leur folie sera
connue de tout le monde, de la même manière que fut manifestée la folie de ces
personnes 3». «Les hommes de sang et de ruse n’iront pas à la moitié de leurs
jours: pour moi, Seigneur, j’espérerai en vous». Les méchants n’arriveront pas
à la moitié de leurs jours, puisqu’ils ont mis dans l’homme leur espérance;
mais moi, pourquoi passé-je des jours de cette vie au jour de l’éternité? Parce
que c’est en vous, ô mon Dieu, que j’ai placé mon espoir.
1.
Jérém. XVII, 2. — 2. Matt. XV, 14. — 3. II Tim. III, 9, 13.
PRÊCHÉ À CARTHAGE.
Comme David, comme le
Sauveur surtout, les justes sont ici-bas tourmentés par les pécheurs; malgré
leurs souffrances, ils sont à l’abri de la crainte, ils sont confiants et tranquilles,
parce qu’en réalité leurs ennemis ne peuvent leur faire de mal; parce que la
tribulation nous perfectionne et nous rend pareils à Jésus-Christ; parce que
les méchants se convertiront eux-mêmes plus tard, sous l’influence de la colère
divine et de leur propre humilité; parce qu’enfin Dieu est un bon Père, qui
récompensera les justes de leur affectueux dévouement pour lui. Assurés de leur
délivrance comme s’ils en étaient déjà les témoins, ils s’attachent au Seigneur
d’une manière plus parfaite, et lui offrent leur coeur comme une louange digne
de lui.
1. Lorsque nous sommes sur le point d’entrer
dans une maison, nous portons nos regards sur le frontispice, afin d’y lire le
nom de celui qui l’habite et de celui à qui elle appartient; par là, nous
évitons de pénétrer mal à propos où il ne faut pas, et de nous tenir par
timidité en dehors d’une maison où nous pourrions entrer. De même qu’au portail
de cette habitation se trouve cette inscription: Cet immeuble appartient à tel
ou tel propriétaire, ainsi lisons-nous en tête de ce psaume le titre suivant: «
Pour la fin; pour le peu ple qui s’est éloigné des saints; à David, pour
l’inscription du titre, lorsque les étrangers le prirent dans Geth ». Voyons
quel est ce peuple qui s’est éloigné des saints, pour l’inscription du titre.
Ce psaume a trait à David, et, vous le savez déjà, ce nom doit être entendu
dans un sens spirituel, car il est, à vrai dire, question ici de celui-là seul
dont l’Apôtre a dit: « Le Christ est la fin de la loi pour la justification de
ceux qui croient 1». Aussi, quand tu lis: « Pour la fin », porte tes regards
vers le Christ, dans la crainte de t’arrêter en chemin et de ne point parvenir
au but. Car n’importe où tu t’arrêtes, si tu ne t’es pas encore élevé jusqu’au
Christ, la sainte Ecriture ne te dit rien autre chose que ceci: Marche! car,
dans l’endroit où tu es, la sécurité te se trouve pas encore. Il est un lieu où
l’on peut s’établir en toute sûreté; il est une pierre sur laquelle s’élève une
maison solide qui n’a rien à craindre ni de la pluie, ni de la tempête. Les
fleuves ont rompu leurs digues, et leurs eaux furieuses sont venues la battre
en brèche, et elle ne s’est pas écroulée, parce qu’elle était bâtie sur la
pierre 2; et cette
1. Rom. X, 4. — 2. Matt. VII, 25.
pierre, c’était le Christ 1. C’est le Christ
qui est désigné sous le nom de David, car il a été dit de lui: « Il est né,
selon la chair, de la race de David 2 ».
2. Quel est donc ce peuple qui s’est éloigné
des saints, pour l’inscription du titre?Ce titre lui-même va nous le dire.
Pendant la passion du Seigneur, au moment où il fut attaché à la croix, on
écrivit une inscription, car il y en avait une là, et elle était écrite en
hébreu, en grec et en latin: « Voici le roi des Juifs» ces trois langues
étaient comme trois témoins appelés à confirmer l’authenticité de ce titre,
parce que toute parole tire son autorité de la déposition de deux ou trois
témoins 3. A la lecture de ce titre, les Juifs s’indignèrent et dirent à
Pilate: « Garde-toi d’écrire: C’est le Roi des Juifs; mais: Il s’est dit le Roi
des Juifs ». Ecris donc ses paroles, et n’écris pas que ce qu’il a dit est
vrai. Mais parce que ces paroles d’un autre psaume sont vraies « Ne change rien
à l’inscription du titre », Pilate répondit: « Ce que j’ai écrit est écrite.
Comme s’il avait voulu dire: Si vous aimez la fausseté, moi je n’altère pas la
vérité. Les Juifs regardèrent cette réponse comme un outrage; ils en devinrent
furieux et s’écrièrent: « Nous n’avons point d’autre roi que César 5 »; et
parce qu’ils se trouvaient offensés de la teneur de l’inscription, ils
s’éloignèrent des saints. Que ceux qui reconnaissent et disent que Jésus-Christ
est leur Roi, s’approchent des saints et s’attachent fortement au Saint par
excellence; mais que ceux qui ont protesté contre l’inscription placée
au-dessus du Christ, qui ont refusé de reconnaître
1. I
Cor. X, 4. — 2. Rom. I, 3. — 3. Deut. XIX, 15. — 4. Ps. LVI, 1. — 5. Jean, XIX, 15,
22.
Dieu pour leur Roi et qui lui ont préféré un
homme, que ceux-là soient rejetés loin des saints! Une nation qui met son
bonheur à obéir à un homme, une nation qui repousse bien loin d’elle la royale
autorité du Seigneur, une nation qui oublie que se soumettre à la royauté de
Dieu, c’est régner soi-même et exercer sur ses passions un empire souverain,
cette nation s’est constituée dans un état de complet éloignement à l’égard des
saints. Par conséquent, mes frères, vous ne devez point regarder les Juifs
comme seuls coupables d’une pareille faute; ils en ont donné le premier
exemple, et, en considérant leur conduite, chacun devrait y voir un écueil à
éviter. Ils ont ouvertement renié Jésus-Christ comme Roi; ils ont choisi César.
Sans doute César est un roi, mais un roi homme parmi d’autres hommes, pour
gouverner tes choses de la terre; or, il y a un autre Roi, qui exerce son
empire sur les choses du ciel. La puissance de l’un ne dépasse point les
limites de cette vie passagère; celle de l’autre embrasse l’éternité. Celui-ci
appartient au ciel, celui-là à la ferre; le roi de ce monde est soumis au Roi
du ciel; le Roi du ciel est supérieur à tout. En demandant César pour roi, les
Juifs n’ont donc point péché; leur crime a consisté à ne point accepter la
royauté du Christ. Il y en a beaucoup maintenant pour ne pas reconnaître la
puissance souveraine du Christ, qui règne dans les cieux et gouverne toutes
choses. Voilà ceux qui nous fout souffrir, et nous trouvons dans ce psaume de
quoi nous affermir contre eux. Il faut nécessairement que nous ayons à souffrir
de leur part jusqu’à la fin; il n’en serait pas de même si Dieu ne le jugeait
utile pour nous. Toute tentation est, en effet, une épreuve, et toute épreuve
porte ses fruits; car, d’ordinaire, l’homme s’ignore lui-même; il ne sait ni ce
dont il est capable, ni ce dont il est incapable; tantôt il présume à tort de
lui-même, et parfois il doute de ses forces quand il n’a pas lieu de s’en
défier; une tentation se présente: c’est pour lui un moyen de s’interroger sur
sa valeur réelle et de se connaître tel qu’il est. Dieu le connaissait, mais il
ne se connaissait pas lui-même. Par un sentiment de confiance présomptueuse,
Pierre avait cru que ce qu’il n’avait pas encore se trouvait en lui; il s’était
imaginé qu’il était assez fort pour persévérer jusqu’à la mort dans la fidélité
à Notre Seigneur Jésus-Christ; Pierre ignorait combien il était faible, mais
Dieu le savait. On lui répondit qu’il se trompait et qu’il était encore
incapable d’un pareil dévouement. Celui qui lui parlait de la sorte l’avait
créé et devait lui donner le courage nécessaire à un pareil sacrifice; le
Sauveur savait qu’il n’avait pas encore communiqué cette grâce à Pierre; Pierre
ignorait qu’il ne l’avait pas encore reçue; le moment de la tentation arrivé,
il renia son Maître, puis il pleura, et enfin il reçut la force d’en haut 1.
Nous n’avons rien de nous-mêmes; il nous faut donc demander, mais nous ne
savons ce que nous devons demander; nous recevons la grâce de Dieu, mais nous
ignorons la nécessité de lui témoigner notre reconnaissance; par conséquent les
tentations et les peines sont toujours indispensables dans le cours de notre
vie, pour nous instruire; mais nos tribulations ne peuvent avoir d’autre cause
que les hommes séparés des saints. Remarquez-le bien, mes frères, cette
séparation n’est pas physique et corporelle; elle est toute spirituelle et
morale. Il arrive souvent, en effet, qu’un homme, très-éloigné de toi par la
distance des lieux, se trouve néanmoins en parfaite union avec toi, parce qu’il
aime ce que tu aimes. Il peut se faire aussi que ton voisin soit uni de coeur
avec toi, parce que vos mutuelles affections se portent sur le même objet; mais
par une raison tout opposée, il arrivera qu’un habitant de la même maison soit
bien éloigné de toi, parce qu’il aime le monde et que tu aimes Dieu.
3. Mais quel est le sens de ces autres
paroles, qui appartiennent encore au titre et le complètent: « Les Allophyles
se sont saisis de David dans Geth ». Geth était une ville des Allophyles,
c’est-à-dire des étrangers, d’un peuple éloigné des saints; dès lors qu’ils
sont étrangers, au lieu de se rapprocher des saints, ils s’en éloignent; et
tous ceux qui refusent de reconnaître le Christ pour leur Roi, deviennent des
étrangers. Pourquoi cela? Parce que la vigne, autrefois plantée par la main du
Seigneur, ne donna que des fruits amers et mérita ainsi d’entendre le Seigneur
lui adresser ce reproche: « Vigne étrangère, pourquoi tes fruits sont-ils
devenus amers 2? » Dieu ne lui a pas dit: Tu es ma vigne, parce que, si elle
eût été sa vigne, les fruits qu’elle donna eussent été remplis de douceur; et
parce
1. Luc, XXII, 35-62, — 2. Jérém. II, 21.
que ses fruits devinrent amers, elle cessa
d’être la vigne du Seigneur; elle devint étrangère pour lui. « Les Allophyles
se saisirent »donc « de la personne de David ». De fait, l’Ecriture nous
raconte que David, fils de Jessé, roi d’Israël, se retira chez les Allophyles
pour échapper aux poursuites de Saül 1; il entra dans leur ville et même dans
le palais de leur roi; mais elle ne nous dit pas qu’ils l’aient retenu
prisonnier. Les Allophyles ont donc retenu et retiennent encore dans Geth notre
véritable David, Jésus-Christ Notre Seigneur, qui est né de la race du roi
d’Israël. Nous avons dit que Geth était une ville. Si nous cherchons à
connaître le sens de ce nom, nous trouverons qu’il signifie pressoir.
Jésus-Christ, notre Chef, le Sauveur de tout le corps, qui est né d’une Vierge,
qui a été attaché à la croix, et qui nous montre déjà, dans le mystère de sa
chair ressuscitée, l’espérance et le modèle de notre propre résurrection,
Jésus-Christ se trouve encore ici-bas; il y est présent dans son corps, et ce
corps c’est l’Eglise. Le corps est intimement uni à son Chef, et le Chef,
parlant au nom du corps, s’écrie: « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu 2?
»Et le corps est dans son Chef, selon cette parole de l‘Apôtre: « Il nous a
ressuscités avec lui, et il nous a fait asseoir avec lui dans le ciel 3 ». Nous
sommes assis avec lui dans le ciel, et il souffre avec nous sur la terre; c’est
en espérance que nous sommes avec lui dans le ciel, et c’est par charité qu’il
souffre avec nous sur la terre. En vertu de cette mutuelle union, qui semble ne
faire de nous et de Jésus-Christ qu’un seul homme, l’époux et l’épouse ne sont
plus qu’une seule chair; voilà pourquoi le Sauveur a dit: « Ils ne sont plus
deux, mais ils sont une seule chair 4 ». Comment donc le Christ est-il retenu
prisonnier dans Geth? Son corps, c’est-à-dire son Eglise, est enfermé dans le
pressoir? Qu’est-ce à dire, dans le pressoir? pans les tribulations. Mais il y
a un avantage ê être serré dans le pressoir. A la vigne, le raisin n’est pas
pressé; il y apparaît dans son entier, mais il n’en sort rien. On le porte au
pressoir, on l’y foule, on l’y écrase, ou semble lui faire tort; mais le tort
apparent qu’on lui cause est loin d’être inutile: sans cela le raisin
demeurerait stérile.
1. I
Rois, XXI, 10. — 2. Act. IX, 4, — 3. Eph. II, 6. — 4. Matt. XIX, 6. — 5. Eph.
I, 22, 23.
4.Les hommes qui se sont éloignés des saints
les font souffrir. Que ceux-ci lisent donc attentivement ce psaume; qu’ils s’y
reconnaissent; et, puisqu’ils sont sujets aux tribulations dont il parle,
qu’ils répètent la prière du Prophète, Il n’est pas nécessaire que celui qui
n’endure rien redise les paroles du Psalmiste; je n’y astreins nullement les
chrétiens placés en dehors des tourments de la vie; mais qu’ils prennent garde
de s’éloigner des saints en voulant s’écarter de la souffrance. Chacun de nous
doit penser à son ennemi; et, s’il est chrétien, son ennemi c’est le monde.
Toutefois, en entendant l’explication de ce psaume, ne reportons point nos
pensées sur nos inimitiés particulières, car nous devons le savoir, nous
n’avons pas à combattre contre la chair et le sang, mais contre les princes,
les puissances et les esprits de malice, ou, en d’autres termes, contre le
démon et ses anges 1. La raison eu est facile à saisir: quand des hommes nous
tourmentent, c’est le démon qui leur en suggère la pensée, qui anime leur
volonté et les tourne à sa guise comme des vases qui lui appartiennent. Ne
l’oublions donc pas, nous avons deux ennemis; l’un visible et l’autre
invisible; l’homme que nous voyons et le démon que nous-ne voyons pas. Aimons
l’homme, mettons-nous en garde contre le démon; prions pour l’homme, prions
contre le démon, et disons à Dieu: « Seigneur, prenez pitié de moi, parce que
l’homme m’a foulé aux pieds ». Si un homme te foule aux pieds et t’écrase, ne
crains rien, pourvu que tu produises du vin, car tu n’es devenu raisin que pour
être ainsi écrasé. « Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que l’homme m’a foulé
aux pieds. L’homme», qui s’est éloigné des saints, « m’a fait la guerre et m’a
tourmenté pendant tout le jour ». Mais pourquoi ne pas entendre du démon ces
dernières paroles? Serait-ce parce qu’on ne l’a jamais désigné sous le nom
d’homme? L’Evangile ferait-il erreur quand il dit: « L’homme ennemi a fait cela
2? » Quoiqu’il ne soit pas homme, il peut donc, en une certaine manière,
s’appeler de ce nom. Ainsi parlait le Psalmiste, et il avait en vue, soit le
démon, soit le peuple qui s’était éloigné des saints, soit chacun de ceux qui
l’avaient suivi, c’est-à-dire les hommes dont le démon se sert pour tourmenter
le peuple de Dieu, ce peuple
1. Eph. VI, 12. — 2. Matt. XIII, 28,
inviolablement attaché aux justes, au Saint
des saints, au Roi dont la dign,ité suprême, consacrée par l’inscription de la
croix, a suffi à remplir d’indignation ses ennemis, à les repousser et à les
séparer de lui; mais quelles que soient les personnes entrevues par le
Prophète, il doit dire: « Prenez pitié de moi, Seigneur, car l’homme m’a foulé
aux pieds». Ce mauvais traitement ne doit en rien diminuer son énergie;
toujours il doit garder le souvenir de celui qu’il invoque et dont l’exemple
soutient son courage. La première grappe de raisin serrée dans le pressoir fut
le Christ; et quand les tortures de la passion eurent écrasé cette grappe, il
en sortit ce qui rend « si précieuse et si belle cette coupe qui enivre 1 ». En
considérant son chef, le corps donc doit dire: « Prenez pitié de moi, Seigneur,
parce que l’homme m’a foulé aux pieds; il m’a fait la guerre et m’a affligé
pendant tout le jour ». « Pendant tout le jour », toujours. Que personne ne se
dise: Au temps de nos ancêtres on souffrait beaucoup; ce temps est passé, on ne
souffre plus aujourd’hui. Si tu penses que, de nos jours, il n’y ait rien à
endurer, tu n’as pas encore commencé à vivre en chrétien; car où serait la
vérité de ces paroles de l’Apôtre: « Tous ceux qui veulent vivre avec piété
dans le Christ souffriront persécution 2 ». Si donc tu ne souffres aucun mauvais
traitement à cause du Christ, n’est-il pas à craindre que tu n’aies pas encore
commencé à vivre pieusement en lui? Lorsque tu auras embrassé une vie pieuse et
chrétienne, alors tu seras entré dans le pressoir; prépare-toi à être écrasé.
Puisses-tu alors ne pas être un raisin desséché ! Puisses-tu, sous la presse,
donner abondance de vin!
5. « Pendant tout le jour mes ennemis m’ont
foulé aux pieds 5 ». Mes ennemis sont ceux qui se sont séparés des justes. Nous
avons expliqué ces mots. « Je craindrai la hauteur du jour». Que veut dire: «
La hauteur du jour? » Cette expression est peut-être bien élevée pour notre
intelligence; chose facile à comprendre, puisqu’il est question « de la hauteur
du jour». Des hommes se sont éloignés des saints: ils ont peut-être agi de la
sorte, parce qu’ils n’ont pu parvenir jusqu’à «la hauteur du jour », dont les
douze apôtres sont les heures brillantes; aussi se sont-ils égarés dans le
jour, ceux qui ont attaché le Sauveur à la croix, ne
1.
Ps. XXII, 5. — 2. II Tim. III, 12. — 3. Ps. LV, 3.
voyant en lui qu’un homme ordinaire. Mais
pourquoi ont-ils été plongés dans les ténèbres et se sont-ils, en conséquence,
éloignés des saints? Le jour luisait dans les hauteurs, et ils n’ont pas connu
celui qui s’y dérobait à leurs regards; s’ils avaient connu ce Roi de gloire;
ils ne l’auraient jamais crucifié 1. Eblouis par l’éclat de ce jour, ils se
sont éloignés des saints, ils en sont devenus les ennemis, ils les tourmentent
et les écrasent comme on écrase le raisin dans le pressoir. On peut encore
donner un autre sens à ce passage: « La hauteur du jour a fait que mes ennemis
m’ont foulé aux pieds pendant tout le jour », c’est-à-dire toujours. « La
hauteur du jours, » ou bien l’orgueil fastueux des hommes. Quand ils foulent
aux pieds les justes, ils sont plus élevés qu’eux, et ceux qui sont foulés aux
pieds sont au-dessous de ceux qui les écrasent. Toutefois, que la hauteur des
hommes sous les pieds desquels tu te trouves ne te fasse pas trembler, car elle
est éphémère; elle n’est que d’un jour, sa durée ne sera pas éternelle.
6. « Parce que le grand nombre de ceux qui me
font la guerre, sera dans la crainte». Quand seront-ils saisis de crainte?
Lorsque aura passé le jour de leur élévation, car ils ne s’élèvent que pour un
temps, et ensuite la crainte les saisira. « Pour moi, Seigneur, j’espérerai en
vous». Le Prophète ne dit point: Pour moi, je ne craindrai pas; mais: « Le
grand nombre de ceux qui me font la guerre, sera dans la crainte ». Lorsque
sera venu le jour du jugement, alors toutes les nations de la terre se
lamenteront 2; et quand le signe du Fils de l’homme aura paru dans les cieux,
la tranquillité des justes sera parfaite, car, en ce moment, ils verront se
réaliser ce qu’ils espéraient, ce qu’ils désiraient, ce dont ils demandaient
l’accomplissement; pour les autres, le temps de la pénitence sera entièrement
écoulé, parce que, au moment où ils auraient pu se repentir d’une manière
utile, leur coeur se sera endurci contre les avertissements de Dieu.
Pourront-ils élever un mur pour se garantir contre ses jugements?
Admire la piété de celui qui parle ici, et,
si tu fais partie de son corps, imite-le. Après avoir dit: « Le grand nombre de
ceux qui me font la guerre sera dans la crainte », il n’ajoute pas: Pour moi,
je ne craindrai point, car il redoute de laisser supposer que
1. I
Cor, II, 8. — 2. Matt. XX, 31.
la cause de sa fermeté se trouve en lui-même
et dans ses propres forces; il a peur de s’élever dans le temps et de voir son
orgueil passager le priver de tout droit au repos éternel; il veut donc faire
bien comprendre d’où lui vient sa fermeté. « Pour moi », dit-il, «j’espérerai
en vous, Seigneur». Il n’exprime pas ici un sentiment de présomption, il
indique le motif de son assurance. Si je n’éprouve aucune crainte, ce pourrait
être un effet de l’endurcissement de mon coeur, car il en est beaucoup chez qui
un orgueil démesuré étouffe toute appréhension.
Que votre charité veuille bien y réfléchir;
autre chose est la santé du corps, autre chose son insensibilité, autre chose
encore son immortalité. La santé parfaite est, en effet, l’immortalité. On
nomme encore ainsi, dans un certain sens, l’exemption d’infirmités dont nous
jouissons dans le cours de notre vie mortelle. Ne pas être malade s’appelle
avoir la santé; à simple vue, le médecin déclare qu’on en jouit; aussitôt que
commence la maladie, la santé est altérée; elle est rétablie, dès que la
guérison se manifeste. Il est donc facile de le remarquer et de vous en
convaincre; le corps humain peut passer par ces trois états différents: la
santé, l’insensibilité et l’immortalité 1. En santé, il est exempt de maladie;
néanmoins, il souffrirait si l’on venait à le froisser ou à le tourmenter. La
douleur n’existe point pour celui qui en a perdu le sentiment; plus il devient
étranger à la souffrance, plus dangereux est son état. Quant à l’immortalité,
elle ne connaît, non plus, aucune douleur; pour elle, la corruption est comme
anéantie; le corps corruptible s’est revêtu d’incorruptibilité, le corps mortel
s’est revêtu d’immortalité'. Nulle souffrance, ni dans un corps parvenu à
l’immortalité, ni dans un corps devenu insensible. Que l’homme insensible ne se
croie point pour cela immortel; celui qui souffre est plus près de
l’immortalité que celui chez qui se trouve éteint le sentiment de la douleur.
Tu rencontres un homme altier, orgueilleux et
insolent, qui s’est mis dans l’esprit de ne rien craindre; le crois-tu plus
fort que celui qui a dit: « Nous ne trouvons que combats au dehors, et au
dedans que sujets de crainte 2? » Le crois-tu plus fort que notre Chef, que
notre Seigneur Dieu, qui a dit
1. I
Cor. XV, 53, 54. — 2. II Cor. VII, 5.
« Mon âme est triste jusqu’à la mort 1?» Non,
un pareil homme n’est pas plus fort. Que son insensibilité aie te charme pas,
car, au lieu de se revêtir d’immortalité, il s’est dépouillé de tout sentiment.
Néanmoins, une affectueuse amitié ne peut Mre étrangère à ton âme, et
I’Ecriture blâme ceux qui ont le coeur sec; qu’un sentiment plein de vigueur
t’anime donc et te fasse dire: « Qui est-ce qui est faible, sans que je le sois
moi-même? qui est-ce qui est scandalisé, sans que je brûle 2?» Si saint Paul
fût resté étranger au scandale et à la perte des faibles, sa raideur et son
insensibilité te sembleraient-elles les meilleures dispositions possibles? Loin
de là. Tu n’y verrais point un signe de la tranquillité de son âme; ce serait
un irrécusable témoignage de sa stupidité. Sans aucun doute, mes frères,
lorsque nous serons parvenus à ce lieu fortuné, à cette. demeure désirable, à
cette félicité souveraine, à cette patrie céleste, où notre âme tranquille sera
plongée dans une quiétude et une joie éternelles, nous n’y serons sujets à
aucune douleur, parce qu’il n’y aura là rien qui puisse nous faire souffrir. «
Le grand nombre », dit le Psalmiste, «de ceux qui me font la guerre, sera saisi
de crainte». Les hommes stupides, qui ne craignent rien aujourd’hui, seront
alors eux-mêmes troublés par l’épouvante, car la terreur qui s’emparera d’eux,
sera si grande qu’elle brisera et broiera leur coeur, si endurci qu’il soit. «
Le grand nombre de ceux qui me font la guerre sera saisi de crainte; pour moi,
Seigneur, j’espérerai en vous ».
7. « En Dieu je me louerai de mes paroles;
j’ai placé mes espérances dans le Seigneur, je ne craindrai point ce que
l’homme pourra me faire 3». Pourquoi? Parce que j’espérerai en Dieu. Pourquoi?
Parce qu’en Dieu je me louerai de mes paroles. Si c’est en toi que tu loues tes
paroles, je ne te dis pas d’être exempt de crainte, car il est impossible qu’il
en soit ainsi pour toi; si, en effet, tu prononces des paroles de mensonge, ces
paroles t’appartiendront en propre, par cela même qu’elles seront menteuses;
si, au contraire, elles sont l’expression de la vérité, et que, pourtant, tu
les attribues à ton mérite, au lieu d’y voir un effet de la grâce divine, elles
seront vraies en elles-mêmes, mais tu seras un menteur. Si, enfin, tu reconnais
que tu ne peux rien dire
1. Matt. XXVI,
38. — 2. II Cor. XI, 29. — 3. Ps. LV, 5.
de convenable dans la sagesse de Dieu et dans
la foi de la vérité, à moins d’en avoir reçu le pouvoir de celui dont il est
dit: « Qu’as-tu, que tu n’aies point reçu 1?» alors, tu loues tes paroles en
Dieu, afin d’être loué par la parole de Dieu. En honorant, comme venant de
Dieu, les dons qu’il t’a départis, tu honores Dieu lui-même, et le Seigneur,
qui t’a fait ce que tu es, t’honorera aussi; mais, dès que tu honores, comme
venant de toi et non pas de Dieu, ce qu’il t’a donné, tu t’éloignes du Saint
des saints, de la même manière que les Allophyles se sont éloignés des justes.
Donc, « en Dieu je louerai mes paroles ». Si ce sont « mes paroles » que je
loue, comment puis-je les louer « en Dieu?» Ce sont «mes paroles», et je les
louerai « en Dieu ». Je les louerai « en Dieu », parce qu’elles me viennent de
lui; ce sont mes paroles, parce qu’il m’a fait la grâce de les prononcer. Tout
en me les inspirant, il a voulu qu’elles devinssent les miennes, dès lors que
j’aimerais celui de qui elles viennent; il me les a inspirées; donc, elles
m’appartiennent. S’il n’en était ainsi, comment pourrions-nous dire: «
Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien 2? »Comment disons-nous que ce
pain est nôtre, puisque nous prions qu’on nous le «donne? » Si tu demandes à
Dieu ton pain, tes mains ne resteront pas vides, et tu ne feras point preuve
d’ingratitude en disant que ce pain est le tien. Si tu ne disais pas: « Notre
pain », c’est que tu ne l’aurais pas encore reçu de la munificence divine; si,
au contraire, tu dis qu’il est à toi en ce sens qu’il viendrait de toi, tu perds
le don de Dieu, parce que tu te montres ingrat à l’égard de celui qui t’avait
comblé de ses bienfaits. « Je louerai » donc « mes paroles en Dieu », parce
qu’il est le principe de tous les discours conformes à la vérité. « Je louerai
mes paroles », parce que j’étais altéré et que j’ai puisé à cette source pour y
étancher ma soif. « En Dieu, je louerai mes paroles; j’ai placé mes espérances
dans le Seigneur, et je ne craindrai point ce que l’homme pourra me faire ».
N’es-tu pas l’homme qui disait tout à l’heure: « Seigneur, prenez pitié de moi,
parce que l’homme m’a foulé aux pieds; durant tout le jour il m’a fait la
guerre et m’a tourmenté? » Comment dis-tu maintenant: « Je ne craindrai pas ce
que l’homme pourra me faire? » Que te fera t-il?
1. I Cor. IV, 7. — 2. Matt. VI, 11.
Tu as dit, il n’y a qu’un instant: « Il m’a
foulé aux pieds, il m’a accablé de tribulations ». Agir ainsi à ton égard,
n’est-ce rien? Le Prophète porte ses regards sur le vin qui coule du pressoir,
et il répond: Oui, l’homme m’a foulé aux pieds »; oui, « il m’a accablé de
tribulations », mais, en définitive, que peut-il me faire? J’étais une grappe
de raisin; je deviendrai du vin. « J’ai placé mes espérances en Dieu; je ne
craindrai point ce que l’homme pourra me faire ».
8. « Durant tout le jour ils avaient mes
paroles en abomination 1 ». Il en est ainsi, vous ne l’ignorez pas. Dites la
vérité, prêchez-la: Annoncez le Christ aux païens, montrez l’Eglise aux
hérétiques, parlez à tous du salut; ils s’insurgent contre mes paroles; ils les
prennent en abomination. En agissant de la sorte, à qui s’attaquent-ils, sinon
à celui en qui «je louerai mes discours? » « Tout le jour, ils avaient mes
paroles en abomination ». Il devrait leur suffire de les détester, sans rien
faire de plus que les décrier et les rejeter; mais non, ces paroles coulent de
la plus pure source de la vérité; quand ils les détestent et les rejettent,
comment agissent-ils à l’égard de celui qui les a inspirées? Le voici: « Tous
leurs desseins à mon égard ne tendaient qu’au mal ». Ils ont un suprême dégoût
pour le pain; peuvent-ils aimer beaucoup le vase dans lequel on le leur
présente? « Tous leurs desseins à mon égard ne tendaient qu’au mal ». S’ils ont
tenu cette conduite envers le Sauveur, le corps doit accepter ce que la tête a
accepté elle-même, afin de ne point s’en séparer. Ton Sauveur a été méprisé, et
tu voudrais être honoré de ceux qui se sont éloignés des saints ! Il ne
convient pas que tu cherches à obtenir ce qui ne lui a pas été donné. « Le
disciple n’est pas au-dessus de son maître, ni le serviteur au-dessus de son
Seigneur 2 ». S’ils ont donné le nom de Béelzébub au Père de famille, à bien
plus forte raison devront-ils le donner à ses domestiques! « Tous leurs
desseins à mon égard étaient tournés au mal ».
9. « Ils habiteront comme étrangers, et ils
se cacheront 3 ». Habiter un pays comme étranger, c’est voyager hors de son
propre pays; ceux qu’on nomme habitants étrangers, demeurent dans un pays qui
n’est pas
1.Ps. LV, 6. — 2. Matt. X, 21, 25. — 3. Ps.
LV, 7.
le leur. Tout homme est, ici-bas, un voyageur
en pays étranger; vous nous y voyez, parce que nous sommes entièrement couverts
de chair; mais cette enveloppe charnelle vous empêche d’apercevoir le fond de
nos coeurs. Voilà pourquoi l’Apôtre a dit: « Ne jugez pas avant le temps,
jusqu’à ce que vienne le Seigneur qui éclairera les ténèbres les plus secrètes,
et qui fera voir à découvert les pensées du coeur; et, alors, chacun recevra de
Dieu sa gloire et sa récompense 1 ». En attendant ce grand jour, pendant le
cours de ce pèlerinage terrestre, chacun de nous porte son coeur en lui-même,
et tous les coeurs sont un livre fermé pour tous les autres. Par conséquent, «
ils habiteront comme des étrangers et ils se cacheront » ceux dont les desseins
sont méchants à l’égard du juste qu’ils persécutent. Ils voyagent en ce lieu
d’exil; ils y sont revêtus de chair; aussi cachent-ils leur fourberie dans le
secret de leur coeur; ils y renferment toutes leurs pensées mauvaises.
Pourquoi? Parce que cette vie est un voyage en pays étranger. Qu’ils mettent
tous leurs soins à déguiser leurs pensées; un jour viendra où ce qu’ils cachent
sera étalé aux regardé de tous, où ils ne pourront plus se cacher eux-mêmes.
On peut encore donner un autre sens à ces
paroles: « Ils se cacheront». Cette seconde explication plaira peut-être
davantage. Les hommes qui se sont séparés des saints, s’introduisent parfois
dans leurs rangs, revêtus du manteau de l’hypocrisie, et le mal qu’ils font au
corps du Christ est d’autant plus déplorable qu’on ne peut les éviter, comme
s’ils lui étaient entièrement étrangers. Dans le récit de ses tribulations
l’Apôtre place, au nombre de ses plus pénibles, celles qui lui sont venues des
hypocrites: « Périls des eaux», dit-il; « périls des voleurs, périls du côté de
ma nation, périls de la part des gentils, périls dans la ville, périls dans les
déserts, périls sur mer», et il ajoute: «Périls de la part des faux frères 2».
Ils sont surtout à craindre, ceux dont il est dit dans un autre psaume: « Ils
entraient pour voir 3 ». Ils entrent pour soir, et personne ne peut leur dire:
N’entre pas pour voir. Car s’il entre, c’est en qualité de frère, et non comme
étranger: on ne s’en défie pas. «Ils habiteront donc comme étrangers, et ils se
cacheront». Puisqu’ils entrent
1. I
Cor. IV, 5. — 2 II Cor. XI, 26. — 3. Ps. XL, 7.
dans l’Eglise, comme dans une grande maison,
sans intention d’y demeurer toujours, « ils y habiteront comme étrangers». Le
Seigneur a voulu nous faire comprendre que de tels pécheurs sont des esclaves,
car, suivant l’oracle évangélique, « celui qui commet le péché est l’esclave du
péché »; c’est pourquoi il y est dit: « Le serviteur ne demeurera pas toujours
dans la maison, mais le fils y «demeurera éternellement 1». Celui qui entre
dans l’Eglise en qualité d’enfant, n’y restera pas comme étranger, mais il y
demeurera jusqu’à la fin 2. Mais celui qui y pénètre comme un esclave, comme un
fourbe, comme un pécheur, qui n’obéit que sous le regard du maître, qui cherche
à dérober, à accuser, à blâmer, celui-là n’y entre que comme étranger, il n’y
demeurera pas d’une manière fixe et permanente. Mes frères, de pareilles gens
ne doivent nous inspirer aucune crainte: « J’ai placé en Dieu mon espérance: je
ne craindrai pas ce que l’homme pourra me faire». Qu’ils entrent dans notre
maison, qu’ils y séjournent, qu’ils usent de dissimulation, qu’ils cachent
leurs pensées, peu importe: ils ne sont que chair. Pour toi, mets tes
espérances dans le Seigneur, et la chair ne sera pas capable de te faire du
mal. — Mais l’homme m’accable d’afflictions, il me foule aux pieds. —. Puisque
tu es raisin, si tu es écrasé, tu donneras du vin: les peines que tu auras à
endurer, porteront des fruits, car un autre verra ta patience et l’imitera.
Pour apprendre à supporter ceux qui te font souffrir, n’as-tu pas toi-même
porté tes regards sur ton chef, sur cette première grappe de raisin, sur le
Sauveur, en la compagnie de qui l’homme, c’est-à-dire, le traître Judas est
entré pour voir, a établi son séjour et s’est caché? Pourquoi craindrais-tu les
hypocrites, qui entrent dans l’Eglise, y demeurent et s’y cachent? Tu n’as
aucun motif de le faire. Judas, le père de ces fourbes, a vécu dans la société
du Sauveur, et Jésus le connaissait: Judas vivait avec lui comme fin étranger,
et, quoiqu’il déguisât avec soin ses intentions perverses, les secrets de son
coeur n’étaient nullement un mystère pour son maître: il fut choisi, et puisque
tu devais ignorer de quels hommes il faudrait t’éloigner, le Christ a voulu te
faire trouver, dans sa propre conduite, un sujet de consolation. Il aurait pu
ne pas choisir Judas, car il le con naissait:
1. Jean, VIII, 34, 35. — Matt. X, 22; XXIV,
13.
n’avait-il pas dit, en effet, à ses
disciples: « Est-ce que je ne vous ai pas choisis tous les douze? Et pourtant,
il y en a un parmi vous qui est un démon 1». De là pourrait-on inférer que le
démon a été choisi? Et si Notre Seigneur ne l’a pas choisi, comment les Apôtres
se sont-ils trouvés au nombre de douze, au lieu de ne se trouver qu’au nombre
de onze? Comme les autres, Judas a été choisi, mais dans un autre but. Les onze
ont été choisis pour être éprouvés; Judas l’a été pour tenter. Tu devais
ignorer de quels hommes méchants il faudrait t’éloigner, de quels fourbes et de
quels hypocrites il te faudrait prendre garde; tu ne devais pas connaître ceux
qui habiteraient avec toi comme étrangers, et te déguiseraient leurs pensées
perverses: comment le Sauveur aurait-il pu te servir d’exemple, s’il ne t’avait
dit: J’ai eu l’un d’entre eux en ma compagnie; je t’ai donné d’avance un modèle
en ma personne; j’ai supporté, j’ai voulu souffrir à côté de moi un homme dont
les déguisements m’étaient parfaitement connus, et, par là, te donner une
consolation pour les circonstances où tu ne saurais distinguer tes ennemis? Un
hypocrite m’a fait souffrir: un hypocrite agira de même à ton égard; pour être
plus fort, pour te tourmenter davantage, on t’accusera, on t’imputera des
crimes imaginaires; je suppose que ces calomnies prévalent contre toi: seras-tu
seul victime de ces procédés coupables? N’en ai-je pas été moi-même la victime?
Oui, les calomnies des méchants ont prévalu contre moi, et, toutefois, elles ne
m’ont point ravi le ciel. Quoique le corps du Sauveur fût déjà enseveli, de
faux témoins se présentèrent encore pour déposer contre lui: ce n’avait pas été
assez, pour ses ennemis, de le calomnier devant les tribunaux; ils voulurent le
flétrir encore jusque dans son tombeau. Ayant reçu de l’argent comme prix de
leur mensonge, ils firent cette déposition: « Pendant que nous dormions, ses
disciples sont venus et l’ont enlevé 2». Il fallait vraiment que ces Juifs
fussent devenus aveugles, pour croire à un témoignage aussi incroyable, pour
croire au témoignage de gens endormis. Ou bien, les témoins ne dormaient pas,
et alors, on ne devait pas ajouter foi à leurs paroles, puisqu’elles étaient
mensongères: ou bien, ils dormaient réellement; et, alors, comment
1. Jean, VI, 71.— 2. Matt. XXVIII, 13.
ont-ils pu voir ce qui se passait? «Ils
habiteront comme des étrangers et ils se cacheront». Ils auront beau demeurer
et se cacher, que pourront-ils faire? « Pour moi, j’ai mis en Dieu mon
espérance: je ne craindrai point ce que l’homme pourra me faire ».
10. « Ils observeront toutes mes démarches ».
Les hommes, qui habitent comme étrangers et se cachent, ne le font que pour
voir où la faiblesse humaine nous fera tomber: ils sont attentifs à chacun de
nos pas, et, dès que nous venons à tomber, ils saisissent nos pieds, afin de
nous faire périr: ou bien, ils mettent leur pied devant nous pour nous jeter à
terre; ou bien encore, et surtout, ils s’efforcent de trouver, en notre
conduite, un prétexte à accusations. Quel est celui qui ne tombe jamais en
faute? Y a-t-il rien de plus facile, surtout quand on parle? Car n’est-il pas
écrit: « Si quelqu’un ne pèche point par la langue, il est parfait 1?» Qui
est-ce qui osera se dire ou se croire arrivé à la perfection? Il est donc
indubitable qu’on pèche en parlant. Ceux qui demeurent parmi nous comme
étrangers et qui s’y cachent, examinent toutes nos paroles: ils s’ingénient à
nous tendre des piéges et à lancer contre nous d’inextricables mensonges, au
milieu desquels ils s’embarrassent eux-mêmes, avant d’y embarrasser les autres:
par là, ils se prennent d’abord eux-mêmes, et périssent les premiers dans les
lacets où ils prétendaient prendre et faire périr les autres. L’homme exposé à
leurs artifices, rentre dans son propre coeur, et de là, il élève ses pensées
vers Dieu, et il apprend à dire: « En Dieu, je louerai mes discours». Tout ce
que j’ai dit de bon et de vrai, je l’ai dit pour Dieu, et sous son inspiration;
et si, par hasard, j’ai dit ce que je ne devais pas dire, c’est comme homme que
je l’ai dit, mais comme homme soumis à Dieu, à ce Dieu qui soutient celui qui
marche dans le chemin droit, qui rappelle par ses menaces celui qui s’égare,
qui pardonne à celui qui reconnaît ses fautes, qui lui fait rétracter ses
paroles imprudentes, qui le relève de ses chutes. Car le juste tombera et se
relèvera sept fois, mais les impies persévéreront dans le mal 2. Qu’aucun
d’entre nous ne craigne donc ces hommes hypocrites, acharnés à nous suivre, à
scruter nos paroles, je dirais presque, à compter les syllabes qui s’échappent
de nos lèvres. Qu’aucun de nous ne redoute les violateurs
1. Jean, III, 2. — 2. Prov. XXIV, 6.
des divins commandements. Il s’ingénie à
trouver en toi quelque chose de répréhensible: se servir de toi pour croire en
Jésus-Christ, c’est le moindre de ses soucis. Examine avec soin les discours de
celui que tu reprends; vois s’ils ne renferment pas des avis salutaires pour
toi. — Mais les discours d’un homme qui pèche en parlant, peuvent-ils renfermer
des conseils qui me soient utiles? — L’avantage que tu pourrais en retirer, ce
serait peut-être de te montrer moins censeur de paroles, et de recueillir plus
soigneusement les bonnes recommandations. « Ils observeront toutes mes
démarches».
11. « Comme mon âme l’a déjà endurée ». Je
parle de ce que j’ai déjà enduré: je parle par expérience. «Comme mon âme l’a
déjà enduré, ils habiteront comme étrangers et se cacheront». Que mon âme
supporte donc, et ceux du dehors, qui aboient contre moi comme des chiens
furieux, et ceux qui, au dedans, me dérobent leurs pensées. La tentation qui
vient du dehors, ressemble à un torrent impétueux: puisse-t-elle te trouver
fortement attaché à la pierre ! Qu’elle vienne nous frapper, mais puisse-t-elle
aussi nous laisser debout! Ce sera la preuve que notre maison est bâtie sur la
pierre 1. Si l’ennemi est au dedans, il y habitera comme étranger et s’y
cachera: puisse-t-il être auprès de nous, comme la paille est auprès du
froment! On amènera les boeufs pour battre l’aire: la tentation servira de
fléau; tu seras séparé de la paille, et celle-ci se trouvera brisée.
12. «Vous les sauverez pour rien 2 ». Le
Prophète nous apprend à prier pour nos ennemis. « Ils habiteront comme des
étrangers et se cacheront», parce qu’ils sont des fourbes, des hypocrites, des
trompeurs: prie pour eux et ne dis pas: Cet homme est si méchant, si corrompu !
Dieu le ramènera-t-il au bien? Ne désespère pas de lui: fais attention à celui
que tu pries, et non à celui pour lequel tu pries. Tu vois la dangereuse
maladie de l’un: ne vois-tu pas, chez l’autre, le pouvoir de guérir? « Ils
habiteront comme des étrangers, et se cacheront, comme mon âme l’a déjà
éprouvé. Supporte-les, prie pour eux, et tu verras l’accomplissement de ces
paroles: « Vous les sauverez pour rien ». Les sauver, ce n’est rien pour vous,
Seigneur, car il ne vous en aucun effort. Leur misérable état ne
1. Matt. VII, 25. — 2. Ps. LV, 8.
laisse aux hommes aucun espoir, et d’un mot,
vous les guérissez; leur guérison sera pour nous un sujet d’étonnement, et,
pourtant, elle ne vous coûtera rien. «Vous les sauverez pour rien». On peut
expliquer ces paroles d’une autre manière: Vous les sauverez sans aucun mérite
de leur part. « Auparavant »,dit saint Paul, «j’ai été un blasphémateur, un
persécuteur et un homme injuste 1 ». Les prêtres lui donnaient des lettres,
afin que, partout où il rencontrerait des chrétiens, il pût les emmener et les jeter
en prison 2. Et, pour mieux réussir dans sa coupable mission, il habitait
d’abord comme étranger, et se cachait. Certes, chez lui, il n’y avait aucun
mérite: on ne pouvait y trouver que des motifs de condamnation; il n’avait
aucune bonne oeuvre à offrir à Dieu. Néanmoins il fut sauvé. « Vous les
sauverez gratuitement ». Ils n’amèneront dans votre temple, ni boucs, ni
béliers, ni taureaux; ils n’y apporteront ni offrandes, ni parfums; ils ne
répandront point sur votre autel la liqueur d’une bonne conscience. Eu eux vous
ne trouverez que rudesse, corruption et horreur; et, puisqu’ils ne mériteront,
sous aucun rapport, que vous les sauviez, « vous les sauverez pour rien »;
c’est-à-dire que vous leur donnerez gratuitement votre grâce. Quels mérites le
larron pouvait-il offrir sur la Croix? D’un repaire de brigands il avait passé
au pied d’un tribunal; du tribunal, on l’avait conduit à la potence; de la
potence, il entra au paradis 3. Il éleva la voix, parce qu’il avait crus. Mais
qui est-ce qui lui avait donné la foi, sinon le Sauveur crucifié à côté de lui?
« Vous les sauverez pour rien ».
13. « Vous conduirez les peuples dans votre «
colère». Vous vous irritez et vous les conduisez; vous les punissez et vous les
sauvez: vous les épouvantez et vous les rétablissez dans la tranquille paix de
la justice. Que veulent dire, en effet, ces paroles: «Vous les conduirez dans
votre colère? » Vous semez des tribulations sous chacun de leurs pas, afin que,
plongés dans la peine, les hommes aient recours à vous, au lieu de se laisser
séduire par de folles joies et une sécurité trompeuse. Il semblerait que vous
êtes irrité, et, de fait, vous agissez en père. Un enfant qui méprise les
ordres paternels, attire sur lui la colère de l’auteur de ses jours ou le
soufflette,
1. Tim.
I, 17 — 2. Act. IX, 2.— 2. Luc, XXVI, 43 — 3. Ps. CXV, 10.
on le frappe, on lui tire les oreilles, on le
traîne par les bras, on le conduit à l’école. « Vous conduirez les peuples dans
votre colère». Combien sont entrés dans la maison de Dieu, combien ont
contribué à la remplir, qui s’y sont trouvés amenés par sa colère! Accablés de
tribulations, ils se sont vus remplis de foi. La tribulation nous secoue, comme
on secoue un vase pour en faire sortir les immondices qu’il contient, et alors
la grâce vient remplir notre âme. « Vous conduirez les peuples dans votre
colère».
14. « Seigneur, je vous ai fait connaître ma
vie ». Vous m’avez accordé le bienfait de la vie: voilà pourquoi je vous l’ai
fait connaître. Est-ce que Dieu ignore quel don il t’a fait? Pourquoi donc le
lui annonces-tu? Aurais-tu la prétention de lui apprendre quelque chose? Non,
sans doute. Pourquoi donc le Prophète dit-il: « Je vous ai fait connaître? »
Serait-ce, Seigneur, parce que cette connaissance pourrait vous être utile?
Quel avantage le Seigneur pourrait-il en tirer? Dieu y gagne pour sa gloire.
Quand l’apôtre saint Paul disait: « J’ai été d’abord un blasphémateur, un
pécheur, un homme injuste », comment faisait-il connaître sa vie? Il la faisait
connaître en ajoutant: « Mais j’ai obtenu miséricorde 1 ». Il a annoncé sa vie,
non pour lui-même, mais pour Dieu: car il l’a annoncée de manière à en amener
d’autres à la foi; il l’a annoncée, non pour son propre avantage, mais pour
l’avantage de la cause de Dieu. En effet, il ajoute: « Car Jésus-Christ est
mort et il est ressuscité, afin que celui qui vit ne vive plus pour lui-même,
mais pour celui qui est mort en faveur de tous 2 ». Si tu vis, ce n’est pas de
toi-même que tu tiens ce bienfait, parce que c’est Dieu qui te l’a accordé; fais-le
donc connaître, non pour toi, mais pour lui; ne cherche point ton intérêt, ne
vis pas pour toi: vis pour celui qui est mort en faveur de tous. L’Apôtre,
parlant de certains réprouvés, ne dit-il pas: Ils cherchent tous leur avantage,
et ils oublient les intérêts de Jésus-Christ’? Si, de la connaissance que tu
donnes de ta vie, tu cherches à tirer ton utilité personnelle au lieu d’en
tirer celle des autres, c’est pour toi que tu la fais connaître, et non pour
Dieu. Mais situ l’annonces de manière à exciter le prochain à la recevoir
lui-même de la main qui te l’a donnée, tu l’annonces pour la gloire de
1. I
Tim. I, 13. — II Cor. V, 25. — 3. Phil. II, 21.
ton bienfaiteur; aussi recevras-tu une plus
ample récompense, par cela même que le don de Dieu n’a pas trouvé en toi un
ingrat. « Seigneur, je vous ai fait connaître ma vie, vous avez mis mes larmes
en votre présence ». Vous avez exaucé ma prière. « Selon la promesse que vous
m’en avez faite ». Votre conduite envers moi a répondu à vos promesses. Vous
m’aviez dit que vous écouteriez le cri de ma douleur: j’ai cru à votre parole,
j’ai pleuré, et vous m’avez exaucé. Par vos promesses vous avez montré une
miséricorde infinie à mon égard, et vous avez manifesté votre infaillible
véracité par votre fidélité à les accomplir. «Selon la promesse que vous m’en
aviez faite ».
15. « Que mes ennemis retournent en arrière 1
». C’est pour leur bien, et non pour leur malheur, que le Prophète exprime ce
désir: la cause de leur persévérance dans le mal se trouve dans leur persistance
à marcher toujours devant eux. Tu engages ton ennemi à bien vivre, à se
corriger: il méprise tes conseils, il rejette bien loin tes avis: Voilà,
dit-il, un grand personnage pour me donner des conseils! Voilà un grand docteur
pour m’instruire ! Il prétend l’emporter sur toi, et, parce qu’il se regarde
comme supérieur à toi, il ne se corrige pas. Il ne remarque pas que tes paroles
ne sont pas de toi; il ne remarque pas que tu fais connaître ta vie, non pour
toi-même, mais pour Dieu: il veut marcher le premier, et il ne se corrige pas:
il serait avantageux pour lui de se retourner en arrière, et de marcher à la
suite de celui qu’il voudrait précéder. Avant sa passion, le Sauveur
entretenait ses disciples des douleurs qu’il devait alors endurer; Pierre,
saisi d’horreur, s’écria: « Non. Seigneur, il n’en sera pas ainsi ». Il avait
dit, peu de temps auparavant: « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant », et
il avait reconnu sa divinité; et déjà il tremblait de le voir mourir, comme
s’il ne voyait plus en lui qu’un homme. Mais le Seigneur était venu en ce monde
pour souffrir, et nous ne pouvions arriver au salut qu’à la condition d’être
rachetés au prix de son sang. Au moment où Pierre avait confessé hautement sa
divinité, Jésus l’avait félicité et lui avait dit: « Ce n’est ni la chair ni le
sang qui te l’ont révélé, mais c’est mon Père, qui est dans le ciel. C’est
pourquoi tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes
1. Ps. LV, 10.
« de l’enfer ne la vaincront pas, et je te donnerai
les clefs du royaume des cieux ». Voyez quelle récompense il accorde à cette
confession pleine de vérité, de dévouement et de foi: « Vous êtes le Christ,
Fils du Dieu vivant ». Dès que le Sauveur parla de sa passion à ses disciples,
Pierre eut peur de le voir mourir; toutefois, sa mort était la condition
essentielle de notre salut; il s’écria donc: «Non, Seigneur, il n’en sera pas
ainsi ». Et Jésus, qui lui avait dit, quelques instants auparavant: « Tu es
Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise », lui répondit alors: «
Arrière, Satan, arrière: tu es pour moi un scandale ». Comment l’homme que l’on
avait appelé Pierre, et proclamé bienheureux, est-il devenu si vite digne de
recevoir le surnom de Satan? « Parce que », ajouta le Sauveur, « tu n’as point
de goût pour les choses de Dieu: tu n’en as que pour les choses de l’homme 1 ».
Quelques instants plus tôt il goûtait les choses de Dieu, « car ni la chair ni
le sang ne t’ont révélé cela, mais mon Père, qui est dans le ciel ». Quand il
louait ses paroles en Dieu, on ne l’appelait que du nom de Pierre: il mérita
celui de Satan, dès qu’il parla de lui-même, sous l’influence de la faiblesse
de l’homme et d’une affection charnelle, parce qu’ainsi il mettait obstacle à
son salut personnel et à celui des autres. Il voulut avoir le pas sur le divin
Maître, et donner au guide céleste des conseils inspirés par une sagesse tout
humaine. « Non, Seigneur, il n’en sera pas ainsi». Tu dis: « Non », et tu
ajoutes: « Seigneur? » S’il est le Seigneur, n’agit-il pas avec une souveraine
puissance? S’il est le maître, ne sait-il pas ce qu’il doit faire, ce qu’il
doit enseigner? Néanmoins, tu prétends conduire ton guide, instruire ton
maître, donner des ordres à ton Seigneur, dicter à Dieu tes volontés. Tu veux
primer le Très-Haut! « Arrière ! » Un souhait plus utile à ses ennemis
pouvait-il sortir de la bouche du Prophète: « Que mes ennemis retournent en s
arrière? » mais qu’ils ne restent pas derrière. Qu’ils retournent en arrière,
afin de ne plus marcher les premiers, mais de manière à marcher toujours et à
ne pas rester derrière. «Que mes ennemis retournent en arrière ».
16. « Quel que soit le jour où je vous
invoque, je sais que vous êtes mon Dieu ».
1. Matt. XVI, 16-23.
Admirable science! Le Prophète ne dit pas: Je
sais que vous êtes Dieu; il dit: « Je sais que vous êtes mon Dieu! » Oui, il
est ton Dieu, car il te vient en aide. Oui, il est ton Dieu, car tu lui
appartiens. Voilà pourquoi il est écrit: « Bienheureux est le peuple qui a pour
Dieu le Seigneur ! » Pourquoi est-il dit: « Qui a pour Dieu le Seigneur? » Où
est l’homme dont il ne soit pas le Dieu? Il est le Dieu de tous, mais
particulièrement de ceux qui l’aiment, qui s’attachent à lui, qui le possèdent
et l’adorent; ils font, en quelque sorte, partie de sa maison; ils sont comme
les membres de sa grande famille, puisqu’ils ont été rachetés au prix du sang
de son Fils unique. O ineffable bonté de Dieu! Nous lui appartenons, et il est
devenu notre héritage ! Les étrangers, qui ont été éloignés des justes, ne sont
pour lui que des enfants dont il ne s’occupe pas. Voyez ce qu’en dit ailleurs
le Psalmiste: « Mon Dieu, délivrez-moi de la puissance des enfants étrangers,
dont la « bouche a publié la vanité, et dont la droite est une droite
d’injustice ». Remarque leur grandeur: grandeur d’un jour! gloire orgueilleuse
et éphémère ! « Leurs enfants ressemblent à des plantes nouvelles: leurs filles
sont ornées comme un temple ». Il donne la description du bonheur de ce monde,
de ce bonheur dont les apparences trompeuses séduisent l’homme, auquel on
attache le plus grand prix, que l’on préfère à la véritable, à l’éternelle
félicité. Ceux qui négligent les biens durables, deviennent par là même des
enfants étrangers: ce ne sont plus des enfants de Dieu. Le Prophète continue
« Leurs fils ressemblent à des plantes
nouvelles leurs filles sont ornées comme des temples leurs celliers sont
remplis; ils regorgent et se déversent l’un dans l’autre: leurs brebis sont
fécondes et de produits abondants: leurs vaches sont grasses: la clôture de
leurs héritages n’est ni brisée ni ouverte à tout venant: on n’entend aucun cri
dans leurs places publiques ». Que lisons-nous ensuite? « Ils ont proclamé
bienheureux le peuple qui possède de tels avantages ». Mais qui est-ce qui
tient ce langage? des enfants étrangers, « dont la bouche publie la vanité». Et
toi, que dis-tu? « Bienheureux le peuple qui a pour Dieu le Seigneur 1 ». Il
n’envisage aucun des bienfaits
1. Ps. CXLIII, 11-15.
que dispense aux hommes la main du Seigneur:
il n’a en vue que le Dieu qui se donne lui-même. Mes frères, tous les biens
énumérés par les enfants étrangers, Dieu les donne: il les accorde même aux
étrangers, même aux méchants, même aux blasphémateurs, car il fait lever son
soleil sur les bons et sur les méchants: il fait tomber la pluie sur les justes
et sur les pécheurs: il les accorde parfois aux bons; parfois aussi il les leur
refuse, comme il les donne et les refuse aux méchants; mais, tandis qu’il
réserve à ceux-ci un feu éternel, il se réserve à lui-même pour ceux-là. Il y a
donc un mal exclusivement réservé aux pécheurs, comme il y a un bien
spécialement destiné aux justes; et, enfin, comme intermédiaire entre ce bien
et ce mal, il y a des biens et des maux répartis indistinctement entre les uns
et les autres.
17. Aimons donc Dieu, mes frères; aimons-le
d’un amour chaste et pur. Notre affection n’est pas pure, si nous aimons Dieu
pour la récompense que nous en attendons. Hé quoi! si nous servons Dieu, n’en
recevons-nous pas une récompense? Oui, et cette récompense sera le Dieu
lui-même que nous servons: il sera notre récompense, car nous le verrons tel
qu’il est 2. Vois en, quoi consiste cette récompense qui t’est réservée.
Qu’est-ce que Notre Seigneur Jésus-Christ dit à ceux qui l’aiment? « Celui qui
m’aime, garde mes commandements: celui qui m’aime, sera aimé de mon Père, etje
l’aimerai». Que lui donnerez-vous donc? « Je me montrerai à lui 3 » Si tu
n’aimes pas Dieu, cette récompense te paraîtra de mince valeur: aime-le, qu’il
soit l’objet de tes désirs les plus ardents, sers-le gratuitement comme tu as
été racheté par lui, car, sous aucun rapport, tu n’avais mérité qu’il mourût
pour toi: considère toutes les grâces dont il t’a comblé; brûle du désir de le
posséder, et alors, tu ne lui demanderas rien autre chose que lui-même: il te
suffira, Si avare que tu puisses être, Dieu te suffit. Ton désir de posséder va
peut-être jusqu’à vouloir devenir le maître de toute la terre, peut-être même
du ciel. Celui qui a créé l’un et l’autre est plus grand que tous les deux. Mes
frères, oserai-je le dire? Que les mariages d’ici-bas vous apprennent en quoi
consiste un amour chaste et pur: ces mariages se ressentent nécessairement de
l’infirmité
1. Matt. V, 45. 12. — 2. I Jean, III, 2. — 3.
Jean, XIV, 23.
humaine. Celui-là n’aime pas son épouse, qui
s’unit à elle pour sa dot; et celle-là n’aime pas son époux, qui l’aime
uniquement à cause des quelques présents ou des grands biens qu’elle en a
reçus. On a vu souvent un mari, d’abord fortuné, devenir ensuite très-pauvre: une
multitude d’hommes se sont vus proscrits. A partir de ce jour de chastes
épouses les ont chéris davantage. Le malheur des maris a souvent servi
d’épreuve pour reconnaître la pureté des unions conjugales: afin de montrer
qu’elles n’aimaient personne autre, des femmes, loin d’abandonner leurs maris,
se sont alors plus fortement attachées à eux. Si donc une femme aime son mari,
qui n’est pourtant qu’un homme, d’une manière si désintéressée et si pure; si
un homme s’affectionne si gratuitement, et d’une amitié si chaste, une femme
qui n’est que chair, comment devons-nous aimer Dieu, ce véritable et sincère
Epoux des âmes, qui leur communique le pouvoir d’engendrer pour la vie
éternelle, et qui ne permet pas aux nôtres de demeurer stériles? Aimons-le donc
si vivement, que nous n’en aimions pas d’autre, et alors se réalisera en nous
cette parole que nous avons récitée et chantée, et qui, à vrai dire, se trouve
être la nôtre: « Quel que soit le jour où je vous invoque, je sais que vous
êtes mon Dieu ». Invoquer Dieu, c’est l’invoquer tout seul: aussi, comment
certains autres hommes ont-ils agi, d’après l’Ecriture? « Ils n’ont pas invoqué
Dieu ». Pourtant ils croyaient l’invoquer, puisqu’ils le priaient de leur
accorder des héritages, d’augmenter leur fortune, de prolonger leur vie, de
veiller sur tous leurs autres intérêts temporels. En quels termes l’Ecriture
parle-t-elle de pareilles gens? « Ils n’ont pas invoqué Dieu; aussi la crainte
les a-t-elle saisis là où il n’y avait rien à craindre 1». Que veulent dire ces
paroles: « Quand il n’y avait rien à craindre? » Ils tremblaient de se voir
dépouillés de leur argent, de remarquer, dans leur maison, une moins grande
quantité de meubles, de vivre en ce monde moins longtemps qu’ils ne le
pensaient. « Mais la crainte les a saisis là où ils n’avaient rien à craindre
». Ne voyons-nous pas là l’histoire des Juifs? « Si nous le laissons vivre, les
Romains viendront et ruineront notre ville ». « Ils ont tremblé quand ils n’a«
vaient rien à craindre. Je sais que vous êtes
1. Ps. XIII, 5.
mon Dieu ». Richesses inappréciables du coeur
! ineffable lumière des yeux de l’âme ! confiance et sécurité bien dignes
d’admiration! « Je sais que vous êtes mon Dieu ».
18. «Je me louerai en Dieu de mes paroles; je
louerai en Dieu mes discours. J’ai mis en Dieu mon espérance; je ne craindrai
point ce que l’homme pourra me faire 1». Nous avons déjà donné le sens de ces
paroles.
19. « Mon Dieu, j’ai en moi les voeux que je
vous offrirai, et les louanges que je chanterai en votre honneur 2 » Faites des
voeux au Seigneur votre Dieu, et accomplissez-les 3. Quels voeux lui
ferez-vous? que lui rendrez-vous? immolerez-vous en son honneur des animaux
comme ceux qu’on lui offrait jadis? Non, il ne faut rien lui offrir de pareil;
tu as assez en toi-même à lui consacrer et à lui rendre. Tire du fond de ton
coeur, comme d’un coffre précieux, l’encens de la louange; offre-lui le
sacrifice de la foi dans le riche sanctuaire d’une bonne conscience; embrase du
feu de la charité tout ce que tu lui offriras. Oui, tu trouveras en toi-même
les voeux que tu dois offrir à Dieu en sacrifice de louanges. « Mais, pourquoi
le louer? quel bienfait t’a-t-il accordé? « Parce que vous avez délivré mon âme
de la mort ». C’est là la vie que le Prophète fait connaître à Dieu: « Seigneur,
je vous ai fait connaître ma vie ». Qu’étais-je, en effet? J’étais mort, et la
cause de ma mort se trouvait en moi-même. Et par votre grâce qui suis-je? Je
suis vivant. « C’est pourquoi, Seigneur, j’ai en moi les voeux que je vous
offrirai et les louanges que je chanterai en votre honneur ». J’aime mon Dieu,
personne ne me l’enlèvera; personne, non plus, ne sera capable de me ravir ce
que je veux lui offrir, car mes présents sont renfermés dans mon coeur. C’était
donc à bien juste titre que le Psalmiste disait tout à l’heure, dans le
sentiment d’une noble confiance: « Qu’est-ce que l’homme pourrait me faire? »
Qu’il me persécute, qu’il me fasse librement souffrir, qu’il vienne à bout
d’accomplir tous les mauvais desseins qu’il forme contre moi, que pourra-t-il
m’enlever? S’il me dépouille de mon or, de mon argent, de mes troupeaux, de mes
esclaves, de mes servantes, de mes propriétés, de mes maisons, de tout ce que
je possède, pourra-t-il aussi m’enlever les voeux qui sont en moi, les louanges
que je veux
1.
Ps. LV, 11. — 2. Id. 12. — 3.Id. LXXV, 12.
chanter en l’honneur de Dieu? Satan fut
autorisé à tenter le saint homme Job, en un clin d’oeil il lui enleva tout; il
le dépouilla de la fortune qu’il possédait, le priva dé ses domaines et fit
mourir tous ses héritiers. Toutes ces pertes, Job ne les subit point l’une
après l’autre, mais toutes ensemble, tout d’un coup, subitement; il apprit au
même moment tous ses malheurs. Dépouillé de tout, il resta seul; toutefois il y
avait encore dans son coeur des voeux pour Dieu; il s’y trouvait des louanges à
chanter en l’honneur du Très-Haut; le coffre précieux de ce coeur juste demeura
à l’abri des atteintes du démon; il était rempli d’offrandes pour l’Eternel.
Voici ce qui y était renfermé, voici ce qu’il en fit sortir; écoute bien: « Le
Seigneur me l’avait donné, le Seigneur me l’a ôté; rien ne s’est fait sans la
volonté de Dieu; que son saint nom soit béni ». O richesses intérieures, sur
lesquelles le démon ne peut étendre la main ! Il offrait en sacrifice à Dieu ce
que Dieu lui avait donné; le Seigneur l’avait enrichi, et c’était avec ces
richesses qu’il faisait au Seigneur l’offrande la plus agréable. Dieu te
demande des louanges; il veut que tu confesses son nom; lui offriras-tu
quelques-uns des fruits de ton champ? C’est lui qui a fait tomber sur ce champ
les pluies qui l’ont fécondé. Lui donneras-lu une partie de tes trésors? C’est
encore lui qui t’en a gratifié. Pourras-tu vraiment lui offrir une chose que tu
n’aies pas reçue de sa munificence? Y a-t-il rien dont tu ne doives lui être
reconnaissant? Enfin, lui donneras-tu quelque chose qui vienne de ton coeur?
C’est de lui que te sont venues la foi, l’espérance et la charité; voilà
l’offrande par excellence, voilà le vrai sacrifice à lui faire. L’ennemi est
àmême de t’enlever tout le reste malgré toi; ces dons intérieurs, il ne te les
ravira pas, àmoins que tu n’y consentes. Les biens extérieurs, on peut en être
privé malgré soi; on voudrait posséder de l’or et l’on en perd; on voudrait
avoir une maison et on en est dépouillé; mais, à moins de le mépriser, personne
ne peut être dépouillé du don de la foi.
20. « Seigneur, j’ai en moi les voeux que je
vous offrirai et les louanges que je chanterai en votre honneur, parce que vous
avez délivré mon âme de la mort, et mes yeux de toute larme, et mes pieds de
toute chute, afin que je vous plaise dans la lumière des
1.
Job, 1, 12, 21. — 2. I Cor. IV, 7.
vivants
1». Il
n’est pas étonnant que ces paroles déplaisent aux enfants étrangers qui se sont
éloignés des justes, puisque la lumière des vivants ne brille point à leurs
yeux, et qu’ainsi ils ne peuvent voir ce qui plaît à Dieu. La lumière des
vivants, c’est la lumière des immortels, c’est le flambeau des saints. Celui
qui n’est point plongé dans les ténèbres plaît if Dieu dans la lumière des
saints. On examine un homme et tout ce qu’il a, et néanmoins on ne le connaît
pas; mais en lui il n’y a pas de mystère pour Dieu; parfois le démon lui-même
ne le connaît pas, et s’il ne le tente pas, il se voit réduit à ignorer quel il
est. C’est ce qui est arrivé pour le saint homme Job, dont je parlais tout à
l’heure. Dieu le connaissait parfaitement et rendait témoignage à sa vertu; le
démon ne le connaissait pas; aussi disait-il: « Est-ce gratuitement que Job
sert « son Dieu? » Voyez la manière dont il cherche à irriter Dieu; c’est le
sublime du genre; voyez ce qu’il lui reproche. Devant Dieu Job était un bon
serviteur, un homme soumis en toutes choses et parfait en toutes ses oeuvres.
Parce qu’il était riche et que l’abondance et la joie se trouvaient dans sa
maison, le démon fit cette remarque que, si Job servait fidèlement le Seigneur,
c’était sans doute à cause de tous les biens qu’il en avait reçus. « Est-ce
gratuitement que Job sert son Dieu? » Chez lui, l’amour gratuit pour Dieu était
la vraie lumière, la lumière des vivants. Dieu, qui lisait dans le coeur de son
serviteur, y voyait cet amour pur, et ce coeur éclairé de la lumière des
vivants était pour lui un objet de complaisance; et le démon l’ignorait, parce
qu’il était plongé dans les ténèbres. Le Seigneur donna donc au démoii le
pouvoir de tenter Job, non pour acquérir par l’intermédiaire de celui-ci une
connaissance qu’il avait déjà, mais pour mettre sous nos yeux un modèle à
imiter. S’il n’en avait pas été ainsi, verrions-nous dans ce saint homme un
exemple que nous devons et voulons suivre? La tentation eut lieu; Job perdit
tout ce qu’il possédait: ses biens, ses serviteurs, ses enfants; tout, excepté
Dieu, lui fut enlevé; il resta donc seul. Toutefois, Satan lui avait laissé sa
femme; mais, de sa part, était-ce un acte de commisération? il se souvenait de
celle qui l’avait aidé à séduire Adam; s’il laissa à Job son épouse, ce fut à
titre de soutien pour lui-
1. Ps. LV,13.
même, et non à titre de consolation pour sa généreuse victime. Rempli
de Dieu, possédant en son âme les voeux et les louanges qu’il voulait offrir à
l’Eternel, Job fit voir qu’il servait le Seigneur gratuitement, d’une manière
désintéressée, et qu’après avoir tout perdu il était toujours le même, parce
qu’il possédait encore Celui dont la munificence l’avait enrichi. « Le Seigneur
m’avait tout donné, il me l’a ôté; rien ne s’est fait sans la volonté du
Seigneur: que son saint nom soit béni! » Couvert de plaies depuis les pieds
jusqu’à la tête, mais l’âme saine, éclairé de la lumière des vivants, de la
lumière qui brillait dans son coeur, il répondit aux infernales suggestions de
sa femme: « Tu as parlé comme une femme qui a perdu le sens 1», c’est-à-dire,
comme une femme que n’éclaire point la lumière des vivants, car la lumière des
vivants c’est la sagesse, et les ténèbres des insensés c’est la folie. « Tu as
parlé comme une femme qui a perdu le sens ». Tu vois mon corps, mais tu
n’aperçois pas le flambeau qui illumine mon coeur. N’aurait-elle pas dû alors
aimer son mari d’un amour plus vif? Elle l’aurait pu, mais ses yeux étaient
incapables de contempler la beauté intérieure de cette âme d’élite; elle
ignorait combien ce coeur était agréable à Dieu, en raison des voeux et des
louanges dont il était rempli et qu’il voulait offrir au Tout-Puissant.
Admirable impossibilité pour le démon, de ravir ce trésor si précieux!
Merveilleuse conservation de ce bien intérieur que Job possédait et voulait
posséder plus parfaitement encore en marchant de vertus en vertus ! Mes frères,
puissent tous ces exemples nous porter à aimer Dieu gratuitement, à placer
toujours en lui notre espérance, et à ne craindre ni les hommes ni les démons!
Ni les uns ni les autres ne peuvent agir contre nous sans la permission de Dieu,
et jamais Dieu ne permet que ce qui peut nous être utile. Supportons les
méchants et soyons bons, car nous avons été méchants nous-mêmes, et ceux-là
encore dont nous osons nous permettre de désespérer, Dieu les sauvera pour
rien. Ne désespérons donc du salut de personne; prions pour tous ceux qui nous
font souffrir, et ne nous éloignons jamais de Dieu. Qu’il soit notre richesse,
notre espérance et notre salut; il est ici-bas notre consolateur, au ciel il
sera notre
1. Job, II, 10.
récompense; sur la terre et dans le ciel il
nous donnera la vie dont il est la source, et dont il est écrit: « Je suis la
voie, la vérité et la vie 1 ». Ainsi pourrons-nous lui plaire ici-bas dans la
lumière de la foi; au ciel, en sa présence, dans la lumière de son visage, dans
la lumière des vivants.
1. Jean, XIV, 6.
SERMON AU PEUPLE
Jésus-Christ,
voulant nous porter à nous aimer les uns les autres, nous a aimés le premier; et
cet amour, il nous l’a particulièrement manifesté dans sa passion. Le psaume
LVIe a trait à cette passion du Sauveur; nous y trouvons des rapprochements qui
conviennent bien mieux à Jésus-Christ qu’à David: ainsi, le titre du psaume et
celui de la croix, la caverne où se cacha David pour échapper aux poursuites de
Saül et le tombeau où le Sauveur cacha sa divinité. La prière du roi fugitif
convient donc parfaitement à l’Homme-Dieu-souffrant: comme elle dépeint bien la
faiblesse de son humanité sainte, sa confiance en Dieu le Père, l’inanité des
efforts de ses ennemis, la honte qui est devenue leur partage, la gloire qui
résulte pour lui des ignominies de sa passion ! Admirable exemple donné à
chacun de nous au milieu des épreuves de la vie ! Puissions-nous le suivre!
1. Mes frères, l’Evangile que nous venons
d’entendre nous fait connaître l’immense charité de Notre Seigneur et Sauveur
pour nous, de Jésus-Christ, toujours Dieu dans le sein de son Père, devenu
homme parmi nous, en se revêtant de notre chair, et assis maintenant à la
droite du Père éternel. Oui, par la lecture qui vous a été faite, vous avez dû
comprendre combien nous aime notre Rédempteur. Il nous a lui-même donné et fait
connaître la mesure de son amour pour nous, en nous disant que son commandement
nous oblige à nous aimer les uns les autres’. De plus, il n’a pas voulu nous
laisser de doutes ou d’inquiétudes sur l’étendue de l’affection que nous devons
mutuellement nous porter: il a précisé les bornes de cette affection, pour
qu’elle plaise à Dieu et devienne parfaite, c’est-à-dire, qu’elle ne soit
inférieure à aucune autre; il nous a donné à cet égard un enseignement positif,
exprès, car il a. dit: « On ne peut avoir une plus grande charité que de donner
sa vie pour ses amis 2». Il a pratiqué lui-même ce qu’il a enseigné: ses
Apôtres ont suivi ses préceptes et ses exemples, et ils nous ont appris que
nous devons marcher sur leurs traces. Imitons donc Jésus-Christ
1. Jean, XIII, 34. — 2. Id. XV, 12.
sans doute nous ne lui ressemblons pas sous tous
rapports: comme notre Créateur, il est bien différent de nous; mais puisqu’il a
bien voulu se faire homme pour nous, nous avons, selon son humanité, des traits
de ressemblance avec lui. S’il eût été le seul à nous donner l’exemple, aucun
de nous peut-être ne devrait oser marcher sur ses traces, car il n’a pas cessé
d’être Dieu en devenant homme; mais, en tant qu’homme, il a eu des imitateurs:
Seigneur, il en a eu dans ses serviteurs; Maître, il en a eu dans ses
disciples: ceux que nous pourrions appeler nos pères, parce qu’ils sont entrés
avant nous dans sa famille, nos compagnons dans le service de Dieu, ont marché
à sa suite: d’ailleurs, il ne nous commanderait pas de faire ce qu’il a fait
lui-même, s’il le jugeait impossible. Si tu compares la grandeur de ta
faiblesse à la difficulté du précepte, et que le courage te manque, puise de la
force dans les exemples placés sous tes yeux. L’exemple lui-même te remplit de
crainte: mais n’as-tu pas à côté de toi celui qui, après t’avoir donné
l’exemple, te donnera la force de le suivre?
Ecoutons maintenant ce psaume; par une
heureuse coïncidence, et par un effet de la grâce divine, il concorde
parfaitement avec
l’Evangile de ce jour, et il nous rappelle la
charité de Jésus-Christ qui a donné sa vie pour nous, afin que nous donnions
aussi la nôtre pour nos frères 1. Il y a donc entre l’Evangile d’aujourd’hui et
ce psaume, rapport et accord: nous pouvons apprendre par la lecture de l’un et
de l’autre combien Notre Seigneur nous a aimés en donnant sa vie pour nous,
puisque le LVIe psaume a trait à sa passion. Vous savez déjà, sans aucun doute,
que considéré dans son entier, le Christ est en même temps tête et corps. Comme
tête, notre Sauveur a souffert sous Ponce-Pilate, il est ressuscité ensuite
d’entre les morts, et il est maintenant assis à la droite de son Père son
corps, c’est l’Eglise; non pas telle ou telle Eglise, mais l’Eglise répandue
dans tout l’univers: cette Eglise qui comprend tout à la fois les hommes
aujourd’hui vivant dans son sein, et ceux qui lui ont appartenu dans les
siècles passés, et ceux qui lui appartiendront après nous jusqu’à la fin des
siècles. Dans son intégrité, l’Eglise se compose de tous les fidèles, parce
qu’ils sont tous membres du Christ; elle a sa tête dans le ciel, d’où celle-ci gouverne
le reste du corps. Le corps est privé de la vue de son divin Chef, mais il lui
est uni par les liens de la charité. Puis donc que le Christ, envisagé dans son
entier, est en même temps tête et corps, nous devrons comprendre en ce sens les
mots de tête et de corps, et les lui appliquer, toutes les fois que nous les
rencontrerons dans la lecture de n’importe quel psaume. Le Sauveur n’a pas
voulu que dans ces différents passages on parlât de lui sans parler de nous,
puisqu’il n’a pas voulu s’en séparer; n’a-t-il pas dit, en effet: « Voilà que
je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles 2? » S’il est avec nous,
il parle en nous, il parle de nous, il parle par nous: de même, parlons-nous en
lui, et disons-nous pour cela la vérité, tandis que nous tombons dans l’erreur
et le mensonge dès que nous voulons parler en nous-mêmes et d’après nous.
2. Ce psaume a donc trait à la passion du
Seigneur: aussi commence-t-il par ces mots « Pour la fin 3 ». Jésus-Christ est
la fin. En quel sens? Il est la fin, non pour consumer, mais pouf’ consommer.
Consumer, c’est détruire: consommer, c’est conduire à la perfection. Quand nous
disons qu’une chose est finie,
1. Jean, III, 16. — 2. Matt. XXVIII, 20. — 3.
Ps. LVI, I.
nous parlons de sa fin, mais nous n’entendons
pas toujours ce mot dans le même sens. Si nous disons que le pain est fini, que
le vêtement est fini, nous n’attachons pas à ces paroles une signification
analogue. Le pain est fini, quand il est mangé; le vêtement est fini, quand il
est terminé. Le pain est détruit, le vêtement est parfait. Le Christ est donc
la fin de notre entreprise; quels que soient, en effet, nos efforts, c’est en
lui et par lui que nous nous perfectionnons, et notre perfection consiste à
parvenir jusqu’à lui: et lorsque tu y seras parvenu, tu n’auras plus d’autre
but à atteindre, car il est ta fin. Ton voyage n’a d’autre but que l’endroit où
tu vas; une fois arrivé là, tu y restes. Ainsi celui vers qui tu te diriges,
est la fin de tes recherches, de tes projets, de tes efforts, de tes intentions:
dès que tu seras parvenu à le posséder, tu ne désireras plus rien, parce que tu
ne saurais posséder rien de meilleur. Jésus-Christ nous a donc donné l’exemple
de la vie que nous devons mener en ce monde: il nous donnera, dans l’autre, la
récompense de notre fidélité à suivre ses traces.
3. « Pour la fin. Ne corromps rien, pour
David sur l’inscription du titre; lorsqu’il fuyait de devant la face de Saül
dans une caverne ». Si nous nous reportons à la sainte Ecriture, nous verrons
que le saint roi d’Israël, David, qui a donné son nom au Psautier, a été
persécuté par Saül, aussi roi du même peuple; beaucoup d’entre nous le savent
pour avoir lu ou entendu lire les Ecritures 1. Saül devint donc le persécuteur
de David: l’un était violent, et l’autre d’un caractère extrêmement doux;
celui-ci se montrait aussi simple, aussi patient, aussi bienfaisant que
celui-là se montrait jaloux, cruel et ingrat. David usa de tant de ménagements
àl’égard de Saül, qu’ayant vu tomber celui-ci entre ses mains, il ne lui fit
aucun mal et ne le toucha pas même du bout du doigt. Dieu lui ménagea
l’occasion de faire mourir son persécuteur: il préféra lui pardonner et lui
laisser la vie. Un pareil bienfait ne désarma point Saül; il continua de tendre
des embûches à son bienfaiteur. Au moment où ce roi, déjà réprouvé de Dieu,
persécutait celui qui était choisi d’avance pour lui succéder, David s’éloigna
de la présence de Saül, et se réfugia dans une caverne.
1. Rois, XXIV, l-4.
Mais quel rapport cet événement peut-il avoir
avec le Christ? Si tout ce qui se passait alors figurait l’avenir, il est ici
bien plus question du Christ que de David, car j’ignore, à vrai dire, comment
on pourrait appliquer à celui-ci les paroles précitées: « Ne corromps rien sur
l’inscription du titre »: car jamais on n’a écrit de titre pour David, et, par
conséquent, Saül n’en a jamais altéré. Nous voyons, au contraire, que, pendant
la passion du Sauveur, on a fait une inscription ainsi conçue: « Roi des Juifs
»: ce titre devait attacher une honte éternelle au front des scélérats qui
avaient trempé leurs mains dans le sang de leur roi. Saül représentait les
Juifs, comme David était la figure de Jésus-Christ. Selon l’Evangile des
Apôtres, comme nous le croyons et le confessons tous, Jésus-Christ est né, selon
la chair, de la race de David 1». En tant que Dieu, il est élevé au-dessus de
David, de tous les hommes, du ciel et de la terre, des Anges, de toutes les
choses visibles et invisibles, parce que tout a été fait par lui, et que sans
lui rien n’a été fait 2. Il a daigné se faire homme et sortir de la race de
David, pour descendre jusqu’à nous: il est né de la tribu de David, à laquelle
appartenait la Vierge Marie, qui a enfanté le Christ 3. On plaça donc au-dessus
du Christ cette inscription: « Roi des Juifs » Saill, comme nous l’avons dit,
représentait le peuple juif David était la figure du Christ; et le titre
indiqué dans le psaume préfigurait celui-ci « Roi des Juifs ». Les Juifs
s’irritèrent de ce qu’on avait écrit: « Roi des Juifs »; il leur répugnait
d’avoir pour roi l’homme qu’ils avaient eu le pouvoir de crucifier, car ils ne
prévoyaient pas alors que l’image de cette croix à laquelle ils l’avaient
attaché, ornerait un jour la couronne des rois. Exaspérés de ce qu’on lui avait
donné ce titre, ils allèrent trouver Pilate, ce juge auquel ils avaient proposé
de mettre à mort le Christ, et ils lui dirent: « N’écrivez pas: Roi des Juifs,
mais écrivez qu’il s’est donné pour le roi des Juifs » Mais comme le
Saint-Esprit avait déjà dit par la bouche du Psalmiste « Ne corromps rien sur
l’inscription du titre », Pilate leur répondit: « Ce que j’ai écrit est écrit 4
» Pourquoi voudriez-vous me faire mentir? Je n’altère pas la vérité.
1. Rom I, 3; Matt. I, 1.— 2. Jean, I, 3.— 3.
Luc, I, 27; II, 4.— 4. Jean, XIX, 19-22.
4. Nous comprenons maintenant le sens de ces
paroles: « Ne corromps rien sur l’inscription du titre ». Que veulent dire ces
autres: « Quand David fuyait de devant la face de Saül dans une caverne? » Il
est vrai que ceci est arrivé à David; mais puisque nous voyons que
l’inscription du titre ne le concerne pas, cherchons à comprendre comment la
fuite dans une caverne concerne le Christ. Evidemment la caverne où David se
réfugia, était une figure; elle représentait quelque autre chose. D’abord,
pourquoi s’y retira-t-il? Pour se cacher et empêcher son ennemi de le trouver.
Qu’est-ce que se cacher dans une caverne? C’est se cacher sous terre. En effet,
l’homme qui se retire dans une caverne, se retire sous terre, pour ne pas être
vu: Jésus s’était couvert de terre, car le corps dont il s’était revêtu, était
de la terre, et il se cachait ainsi, afin que les Juifs ne pussent apercevoir
sa divinité; si, en effet, ils l’avaient connu, jamais ils n’auraient crucifié
le Roi de gloire 1. Pourquoi n’ont-ils pas trouvé le Roi de gloire? Parce qu’il
s’était caché dans une caverne; c’est-à-dire, il ne présentait à leurs regards
que l’infirmité de sa chair: sous ce voile épais, dérobé en quelque sorte à
leurs yeux par ce vêtement de terre, il déguisait la grandeur majestueuse de sa
divinité. Aussi les Juifs crurent-ils crucifier un homme, parce qu’ils
méconnurent en lui le Dieu; ils n’avaient pu s’emparer de lui que parce qu’il
était homme, c’est pourquoi ils ne purent crucifier et mettre à mort en lui que
l’homme. Il ne laissa voir que de la terre à ceux qui le cherchaient dans de
mauvaises intentions, comme il réserve la vie éternelle à ceux qui le cherchent
avec droiture; selon la chair, il s’éloigna de la présence de Saül et s’enfuit
dans une caverne. Si tu consens à voir dans cette fuite la passion du Sauveur,
tu le remarqueras, il s’est dérobé aux regards des Juifs jusqu’au point de
mourir. Tant qu’il n’eut pas rendu le dernier soupir, les Juifs, malgré la
rigueur des tourments qu’ils lui faisaient endurer, s’imaginaient toujours que
s’il était le Fils de Dieu, il pouvait s’échapper de leurs mains, et prouver,
par quelque prodige, sa divine origine. Le livre de la Sagesse l’avait prédit:
« Condamnons-le à une mort honteuse, et nous verrons si ce qu’il a dit est vrai.
S’il est vraiment le Fils de Dieu, le
1. I Cor. II, 8.
Seigneur prendra sa défense, et il le
délivrera de la puissance de ses ennemis 1 ». On le crucifia, personne ne vint
le délivrer ils crurent donc qu’il n’était pas le Fils de Dieu. Aussi
l’insultèrent-ils, lorsqu’il fut attaché à la croix; ils passaient devant lui
en secouant la tête, et disaient: « Si tu es le Fils de Dieu, descends de la
croix. Il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même 2 ». En tenant
ce langage, « ils se sont », dit le livre de la Sagesse, « égarés dans leurs
pensées, parce que leur propre malice les a rendus aveugles 3 ». Pour celui qui
a facilement pu sortir vivant du tombeau, était-ce bien difficile de descendre
de la croix? Mais pourquoi a-t-il voulu se montrer patient jusqu’à son dernier
soupir? C’était afin de se retirer dans la caverne, loin des regards de Saul.
Par caverne on peut entendre un lieu placé en dessous de la surface de la
terre: or, il est un fait certain, que tout le monde connaît, c’est que le corps
du Sauveur a été enfermé dans un sépulcre qu’on avait creusé dans la pierre. Ce
tombeau fut donc la caverne où il se réfugia pour éviter la présence de Saül;
et, tant qu’il n’y fut pas déposé, les Juifs continuèrent à exercer contre lui
leur malice. Qu’il ait été l’objet de leurs procédés méchants, jusqu’au moment
où il fut enseveli, en voici la preuve. Même après sa mort, et avant qu’on
l’eût détaché de la croix, ils percèrent son côté d’un coup de lance; mais dès
qu’il fut enseveli par les soins des personnes qui assistèrent à ses
funérailles, ils n’eurent plus sur sa chair divine aucun pouvoir. Le Seigneur
sortit vivant, libre des atteintes de ses ennemis et de la corruption, de cette
caverne où il s’était retiré pour échapper aux poursuites de Saül; puis il se
montra àses membres, tout en se dérobant aux regards des impies, dont Saül
était la figure. Après sa résurrection ses membres corporels furent touchés par
ses membres spirituels, car ceux-ci n’étaient autres que les Apôtres, et les
Apôtres portèrent alors leurs mains sur son corps ressuscité, et ils crurent 4.
Alors aussi on vit que la persécution de Salit n’avait abouti à rien.
Passons maintenant à l’explication du psaume,
car nous avons suffisamment parlé de son titre; nous en avons dit tout ce que
le Seigneur a bien voulu nous suggérer.
1. Sag, II, 20, 18. — 2.
Matt. XXVI, 40, 42. — 3. Sag. II,21.— 4. Luc, XXIV, 39.
5. « Ayez pitié dc moi, ô mon Dieu; ayez «
pitié de moi, parce que mon âme met sa « confiance en vous 1». C’est
Jésus-Christ qui dit au milieu des tourments de sa passion:
« Ayez pitié de moi, Seigneur » Un Dieu dit à
Dieu: « Ayez pitié de moi ». Celui qui, avec son Père, prend pitié de toi, crie
en toi-même: « Ayez pitié de moi ». Et quand il s’écrie:
« Ayez pitié de moi », il prie à ta place,
car il emprunte tes paroles; c’est pour te délivrer qu’il s’est fait homme, et
c’est comme homme qu’il dit: « Ayez pitié de moi, Seigneur, ayez pitié de moi
n. Et par homme, j’entends son âme et son corps. Le Verbe s’est revêtu de
l’homme tout entier: et l’homme tout entier est devenu le Verbe. Toutefois, de
ce que l’Evangile a dit: « Le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous
2 », il ne faut point conclure que le Fils de Dieu s’est uni à un corps sans
âme; car on donne le nom de chair à l’homme, comme il nous est facile de nous
en convaincre par ce passage de la sainte Ecriture: « Et toute chair verra le
salut de Dieu 3». Un corps sans âme pourrait-il voir ce salut de Dieu? En
parlant des hommes le Sauveur dit à son tour: « Comme vous lui avez donné la
puissance sur toute chair 4». N’avait-il reçu de puissance que sur les corps?
Lui qui était venu surtout pour sauver les âmes, n’avait-il reçu, relativement
à elles, aucun pouvoir? Il y avait donc, tout à la fois, en Jésus-Christ, une
âme et un corps, un homme complet, et le Verbe était uni à cet homme: et cet
homme et le Verbe étaient un seul homme, comme le Verbe et cet homme étaient un
seul Dieu. Qu’il dise donc: « Ayez pitié de moi, Seigneur, ayez pitié de moi ».
Pour nous, ne nous étonnons ni de la prière qu’il adresse à son Père, ni de la
miséricorde qu’il exerce à notre égard: il ne prie en notre faveur que parce
qu’il est miséricordieux envers nous. C’est par bonté qu’il s’est fait homme:
il est venu en ce monde, non par une nécessité résultant de sa nature, mais
parce qu’il avait résolu de nous délivrer des nécessités où nous engageait
notre condition. « Ayez pitié de moi, Seigneur; ayez pitié de moi, parce que
mon âme a mis sa confiance en vous ». Tu entends la prière du Maître: apprends
de là à prier toi-même. Il a prié, afin de t’enseigner à le bien faire; comme
il a souffert, afin
1. Ps. LVI, 2.— 2. Jean, I, 14.— 3. Isa. XL,
5; Luc, III,6. — 4. Jean, XVII,2.
de te montrer à souffrir; comme encore il est
sorti vivant d’entre les morts, pour exciter en toi l’espérance de la
résurrection.
6. « J’espérerai à l’ombre de vos ailes,
jusqu’à ce que passe l’iniquité ». Sans aucun doute, c’est Jésus-Christ tout
entier qui a prononcé ces paroles: ce sont aussi les nôtres. Loin d’être
arrivée à son terme, l’iniquité se trouve encore dans toute sa force, et le
Sauveur lui-même nous annonce qu’à la fin des temps il y aura une surabondance
de méchanceté. « Parce que»,dit-il, « l’iniquité se multipliera, on verra se
refroidir la charité de plusieurs: mais celui qui persévérera jusqu’à la fin
sera sauvé 1. Quel est l’homme qui persévérera jusqu’à la fin, jusqu’à ce que
l’iniquité soit arrivée à son terme? C’est celui qui fera partie du corps du
Christ, qui sera du nombre de ses membres, et qui aura appris de son chef à
garder la patience et à persévérer toujours. Tu passes, avec toi passent toutes
les épreuves qui tourmentent ton existence ici-bas. Tu te diriges vers une
autre vie où sont déjà entrés tous les saints: tu y entreras toi-même, situ es
saint. Cette autre vie est aujourd’hui le partage des martyrs: sois martyr, et
elle deviendra aussi ton héritage. Mais parce que tu seras passé de cette vie
terrestre dans la vie éternelle, crois-tu que c’en est fait de l’iniquité? Si
des méchants meurent, d’autres viennent au monde; et de même qu’ils se
succèdent de manière à ce que les uns prennent la place laissée vide par la
mort des autres, de même aussi des justes nouveaux viennent se substituer aux
justes qui sortent de ce inonde. Jusqu’à la consommation des siècles, il ne
manquera donc jamais de méchànts Iour tourmenter les justes, ni de justes pour
supporter les méchants. « Et j’espérerai à l’ombre de vos ailes, jusqu’à ce que
passe l’iniquité ». C’est-à-dire: Vous me protégerez, et afin que l’ardeur brûlante
du péché ne me dessèche pas, vous me mettrez à l’ombre de vos ailes.
7. « Je crierai vers le Dieu Très-Haut 2 ».
S’il est le Très-Haut, comment peut-il entendre les cris de ta prière? Le
Prophète le savait par expérience, car il ajoute: « Le Seigneur m’a comble de
ses bienfaits » S il m a fait du bien avant même que je le cherche, pourrat-il
ne pas m’écouter, lorsque je ferai monter vers son trône les accents de ma
prière?
1. Matt. XXIV, 12. — 2. Ps. LVI, 3.
Le Seigneur Dieu nous a donné la preuve de
son infinie bonté, en nous envoyant son Fils, afin qu’il mourût pour nos
péchés, et qu’il ressuscitât pour notre justification 1. Pour qui a-t-il voulu
soumettre son Fils à la nécessité de mourir? Pour les impies. Ils ne
cherchaient pas Dieu, et Dieu les cherchait. Le Seigneur est donc élevé
au-dessus de toutes choses; et, pourtant, il a les yeux ouverts sur nos
épreuves: nos cris s’élèvent facilement jusqu’à lui, car il est près de ceux
dont le coeur est brisé de douleur 2. « Je crierai vers le Dieu Très-Haut, vers
le Dieu qui m’a comblé de ses bienfaits ».
8. « Du haut du ciel il a envoyé, et m’a
sauvé 3 ». C’est un fait indubitable: le Fils de Dieu fait homme, devenu chair
et participant à notre nature, a été sauvé: du haut du ciel, Dieu le Père lui a
envoyé son secours et l’a sauvé: du haut de son trône, il l’a protégé et l’a
fait sortir vivant du tombeau; mais comment a-t-on pu vous dire que le Seigneur
Jésus s’est ressuscité lui-même? C’est que nous lisons dans la sainte Ecriture,
et que son Père l’a ressuscité, et qu’il s’est ressuscité lui-même. Son Père
l’a ressuscité: écoute l’Apôtre, il te l’affirme, car il dit: « Jésus-Christ
s’est rendu obéissant jusqu’à la mort, et jusqu’à la mort de la croix. C’est
pourquoi Dieu l’a élevé dans la gloire, et lui a donné un nom qui est au-dessus
de tous les noms 4». Vous venez d’apprendre que le Père a ressuscité son Fils,
et l’a élevé en gloire; apprenez maintenant de sa propre bouche qu’il a fait
lut-même sortir son corps vivant du tombeau. Comparant ce corps à un temple, il
dit aux Juifs: « Détruisez ce temple, et je le rebâtirai en trois jours ».
L’Evangéliste a bien soin de nous faire saisir parfaitement le sens de ces
paroles, car il ajoute: « Il parlait du temple de son corps 5 ». C’est donc
comme chair, c’est comme homme qu’il prie ici et qu’il dit: « Du haut du ciel
il a envoyé et m’a sauvé».
9. « Il a fait tomber dans l’opprobre ceux
qui me foulaient aux pieds ». Il a livré à la honte ceux qui l’ont foulé aux pieds,
ceux qui l’insultaient lorsqu’il était attaché à la croix, ceux enfin qui l’ont
crucifié, comme s’il n’était qu’un homme, parce qu’ils n’ont point compris
qu’il était Dieu. Voyez si l’événement n’a
1. Rom. IV, 25. — 2. Ps.XXXIII, 19. — 3. Ps.
LVI, 4. — 4. Philip. II, 8, 9.,— 5. Jean, II, 19, 21.
pas justifié ces paroles: il n’est pas ici
question d’un événement à venir, pour lequel on nous demande notre croyance: il
s’agit d’un fait accompli que nous pouvons voir de nos yeux. Les Juifs ont fait
souffrir le Christ: ils se sont laissé dominer par l’orgueil contre lui. En
quel endroit? Dans la ville de Jérusalem. Ils y étaient les maîtres: voilà
pourquoi ils s’y montraient si orgueilleux: voilà pourquoi ils y levaient si
hautement la tête. Après la passion du Sauveur, ils en ont été arrachés, et ils
ont perdu le royaume à la tête duquel ils n’ont pas voulu placerle Christ.
Voyez comme ils sont tombés dans l’opprobre: les voilà dispersés au milieu de
toutes les nations, incapables de s’établir n’importe où, ne tenant nulle part
une place fixe. Il reste encore assez de ces malheureux Juifs pour porter en
tous lieux nos livres saints, à leur propre confusion. Quand, en effet, nous
voulons prouver que le Christ a été annoncé par les Prophètes, nous montrons aux
païens ces saintes lettres. Les adversaires de notre foi ne peuvent nous
reprocher, à nous chrétiens, d’en être les auteurs et de les avoir fait
parfaitement concorder avec l’Evangile, afin de faire croire que ce que nous
prêchons avait été prédit d’avance: car la vérité de notre Evangile ressort
avec évidence de ce fait palpable, que toutes les prophéties relatives au
Christ sont entre les mains des Juifs, et qu’ils les possèdent toutes. Par là,
des ennemis nous fournissent eux-mêmes, dans ces Ecritures divines, des armes
pour réfuter et convaincre d’autres ennemis. Quelle honte leur a donc été
infligée? C’est qu’ils sont les dépositaires des livres où le chrétien trouve
le fondement le plus solide de sa foi. ils sont nos libraires: ils ressemblent
à ces serviteurs qui portent des livres derrière leurs maîtres: ceux-ci les
lisent à leur profit: ceux-là les portent sans autre bénéfice que la fatigue
d’en être chargés. Tel est l’opprobre infligé aux Juifs: voilà comme
s’accomplit en eux cette prédiction si ancienne: « Il a fait tomber dans
l’opprobre ceux qui me foulaient aux pieds ». Quelle honte pour eux, mes
frères, de lire ce verset, et de ressembler à des aveugles qui se trouvent en
face d’un miroir ! Devant les saintes Ecritures, dont ils sont les dépositaires,
les Juifs sont dans une condition analogue à celle d’un aveugle devant un
miroir: on l’y voit, et il ne s’y voit pas lui-même. « Il a fait tomber dans
l’opprobre ceux qui me foulaient aux pieds ».
10. En entendant ces paroles: « Du haut du
ciel il a envoyé et m’a sauvé », tu as cherché peut-être à savoir ce qu’il a pu
envoyer du ciel; qui il a envoyé de ce bienheureux séjour. A-t-il député un
ange pour sauver le Christ? Est-ce bien au serviteur à sauver son maître? Tous
les anges sont des créatures mises au service du Christ. Dieu a pu les envoyer
pour obéir à ses ordres et le servir: mais ils n’ont point reçu la mission de
lui venir en aide, car il est écrit que les anges le servaient 1. En cela ils
n’imitaient point l’homme charitable, qui soulage un indigent: ils
remplissaient à l’égard du Tout-Puissant l’office de serviteurs assujétis à son
autorité suprême. « Il m’a sauvé »: qu’a-t-il donc « envoyé du ciel? » Le
voici, car le verset suivant nous le dit: « Du haut du ciel il a envoyé sa
miséricorde et sa vérité ». Dans quel but? « Et il a arraché mon âme du milieu
des jeunes lionceaux ». « Il a », dit-il, « envoyé du ciel sa miséricorde et sa
vérité»; et le Sauveur ajoute: « Je suis la vérité 2». Dieu a donc envoyé sa
vérité pour arracher mon âme de ce lieu de douleurs, du milieu des jeunes
lionceaux: il a, pour la même raison, envoyé sa miséricorde. Nous voyons, dans
nos saints livres, que le Christ est tout à la fois miséricorde et vérité;
miséricorde, pour compatir à nos misères; vérité, pour accomplir les promesses
qu’il nous a faites. N’est-ce point ce que j’ai dit tout à l’heure, quand j’ai
affirmé qu’il s’est ressuscité lui-même? Car si c’est la vérité qui a
ressuscité le Sauveur; si c’est la vérité qui a arraché son âme du milieu des
lionceaux, comme c’est la miséricorde qui l’a porté à mourir pour nous: la
vérité l’a de la même façon retiré vivant d’entre les morts pour notre
justification. De fait, il avait annoncé qu’il ressusciterait, et la vérité ne
saurait mentir: et parce qu’il était la vérité, parce qu’il n’était pas
menteur, il montra à ses Apôtres des cicatrices véritables, car il avait reçu
de véritables blessures. Les disciples touchèrent ces cicatrices, ils y
portèrent les mains, ils les examinèrent de leurs propres yeux. Après avoir mis
ses doigts dans son côté ouvert, l’un d’eux s’écria: « Mon Seigneur et mon Dieu
3! » Sa miséricorde l’avait porté à mourir pour ce disciple: la
1. Matt. IV, 11. — 2. Jean, XIV, 6.— 3. Id.
XX, 28.
vérité le porta à ressusciter encore pour
lui. « Il a envoyé du ciel sa miséricorde et sa vérité, et il a arraché mon âme
du milieu des jeunes lionceaux ». Qu’était-ce que ces jeunes lionceaux? C’était
ce peuple dégradé, indignement trompé et séduit par les princes des prêtres:
les lions, les jeunes lionceaux n’étaient autre que ces mêmes princes. Tous ont
frémi: tous ont mis le Christ à mort. La suite de ce psaume va nous apprendre
leur triste fin.
11. « Et il a arraché mon âme du milieu des
jeunes lionceaux ». Pourquoi dis-tu: « Et il a arraché mon âme? » A quelles
épreuves ton âme avait-elle été soumise pour en être arrachée? « J’ai dormi
dans le trouble ». Par ces paroles, Jésus-Christ marque sa mort. A la vérité,
nous lisons que David s’est réfugié dans une caverne, mais le texte sacré ne
nous dit pas qu’il y ait dormi. Autre est ce David qui s’est caché dans une
caverne; autre est ce David qui a dit: «J’ai dormi dans le trouble». L’Evangile
nous parle de ce trouble, qui venait non de lui-même, mais de ceux qui le
tourmentaient. Il dit qu’il a été troublé, moins pour exprimer l’état d’une âme
qui ne tremblait réellement pas, que pour faire connaître les pensées de ses
ennemis à son égard. Ils s’imaginaient l’avoir troublé et vaincu; mais, quoique
dans le trouble, il dormait. Au milieu du trouble il était si calme qu’il
dormait à son gré. Quand on est agité, on ne dort pas: aussi, tous ceux qui
éprouvent du tourment se réveillent-ils bientôt, ou se trouvent-ils dans
l’impossibilité absolue de se livrer au sommeil. Pour Jésus, il fut troublé, et
néanmoins il dormit. Humilité infinie d’un Dieu, qui veut bien se laisser ainsi
troubler! puissance plus grande encore de celui qui est capable de dormir dans
un pareil trouble!
D’où lui venait ce pouvoir de dormir? Il le
dit lui-même: « J’ai le pouvoir de donner mon âme, et j’ai celui de la
reprendre; personne ne me la ravit malgré moi: c’est moi -même qui la donne et
qui la reprends ensuite 1 ». Ses ennemis le troublaient, et lui dormait. Adam
préfigurait le Christ quand Dieu lui envoya un sommeil pour tirer de son côté
la première femme 2. Dieu ne pouvait-il pas tirer du côté du premier homme la
femme qu’il lui destinait, sans avoir besoin de l’endormir? Ou bien voulut-il
Jean, X, 18.— 2.Gen. II, 21.
qu’Adam fût plongé dans le sommeil, pour ne
point lui laisser sentir qu’il lui enlevait une côte? Enfin, quel est l’homme
assez profondément endormi pour ne pas s’éveiller au moment où l’un de ses os
se brise? Celui qui a pu enlever une côte à un homme endormi sans lui faire
éprouver aucune douleur, aurait certainement pu agir de même à l’égard d’un
homme éveillé. Mais pourquoi Dieu at-il voulu envoyer un sommeil à Adam, pour
le moment où il devait lui prendre une de ses côtes? Parce qu’au moment où le
Christ dormait sur l’arbre de la croix, une épouse a été tirée pour lui de son
côté; pendant qu’il était attaché à la croix, on lui perça le côté avec une
lance 1, et de cette plaie découlèrent les sacrements de l’Eglise. « J’ai dormi
dans le trouble ». Dans un autre psaume il s’exprime clairement à cet égard: «
Je me suis endormi », dit-il, « et j’ai pris du repos ». Il marque bien ici sa
puissance, car il aurait pu se borner à dire, comme il vient de le faire: « Je
me suis endormi ». Quel est donc le sens de ces paroles: « Je me suis endormi
», sinon: «Je me suis endormi », parce que je l’ai bien voulu. Ce né sont point
mes ennemis qui m’ont forcé à dormir contre mon gré: je me suis laissé aller au
sommeil, parce que tel a été mon bon plaisir: car «j’ai le pouvoir de donner
mon âme et j’ai celui de la reprendre »; c’est pourquoi il ajoute: « Je me suis
endormi et j’ai pris du repos, et je me suis éveillé, parce que le Seigneur m’a
pris sous sa garde 2 ».J’ai dormi dans le «trouble». D’où lui venait ce
trouble? Qui est-ce qui le tourmentait? Voyons en quels termes il reproche le
mauvais état de leur conscience aux Juifs qui cherchaient à s’excuser de la
mort du Christ. Suivant le récit de l’Evangile, ils le traduisirent au tribunal
du gouverneur romain, pour ne pas être accusés de l’avoir condamné à mort.
Aussi, quand Pilate leur eut dit: «Prenez cet homme, et jugez-le vous-mêmes
selon votre loi », répondirent-ils: « Il ne nous est permis de faire mourir
personne 3 ». une leur était pas permis de mettre à mort le Christ; leur
était-il plus permis de le traîner aux pieds d’un juge, pour le faire condamner
au dernier supplice? Qui est-ce qui s’est rendu coupable de déicide? Est-ce
celui qui a cédé devant les clameurs d’un peuple en déliré?
1. Jean, XIX, 31. — 2. Ps. III, 6. — 3. Jean,
XVIII, 31.
N’est-ce pas plutôt ce peuple qui, par ses
cris furieux, a extorqué d’un juge pusillanime une condamnation à mort?
Appelons-en au témoignage du Sauveur lui-même; qu’il nous fasse connaître les
vrais auteurs de sa mort. Prononcera-t-il le nom de Pilate? Mais il a condamné
malgré lui le Christ. Sans doute, il l’a fait frapper de verges et revêtir
d’une tunique méprisable; et, après cela, il l’a fait exposer à leurs regards;
mais dans quel but? C’était afin que leur rage, assouvie par le spectacle de
ses blessures sanglantes, n’exigeât pas de sa faiblesse une suprême
condamnation. Voilà pourquoi, en les voyant persister à réclamer la mort de
leur victime, il lava ses mains, comme nous le voyons dans l’Evangile, et
s’écria: « Je suis innocent du sang de ce juste 1 ». A ton avis, Pilate, qui a
cédé aux cris de la multitude, est-il innocent?. Non: mais incontestablement
ceux-là sont encore plus coupables, qui ont obtenu par leurs cris son sanglant
supplice. Interrogeons le Sauveur, écoutons-le: il nous dira à qui il attribue
sa mort, car il a dit: « J’ai dormi dans le trouble ». Interrogeons-le, et
disons-lui: Puisque vous avez dormi dans le trouble, apprenez-nous quels sont
ceux qui vous ont persécuté et fait mourir. Est-ce bien Pilate qui vous a livré
aux soldats pour vous faire attacher à la croix et transpercer de clous?
Ecoute, il va te le dire. Ce sont « les enfants des hommes ». Il désigne
évidemment par là ceux qui l’ont fait souffrir. Mais comment ont-ils pu le
faire mourir, puisque leur main n’était point armée? lls n’ont pas tiré l’épée
contre lui; ils ne se sont point précipités sur sa personne; et, pourtant, ils
l’ont fait mourir: voici comment. « Leurs dents sont des armes et des traits
perçants; leur langue est une épée tranchante ». Remarquez-le bien: si leurs
mains sont dépourvues d’armes, leur bouche est armée. C’est de là qu’est sorti
le glaive qui a tué le Christ, comme, de la bouche du Christ, est sortie l’épée
qui a donné la mort au peuple juif. Car le Sauveur est armé d’une épée à deux
tranchants: par sa résurrection il en a frappé ses ennemis, et il a tiré du
milieu d’eux ceux qu’il prédestinait à la foi 2. L’épée des Juifs était
malfaisante, celle du Christ était salutaire; les flèches des uns donnaient la
mort, les flèches de l’autre communiquaient la vie:
1. Matt. XXVII, 24. — 2. Apoc. I, 16.
car il tient en ses mains des traits
bienfaisants: ce sont ses paroles saintes, avec lesquelles il blesse les
coeurs, afin de s’en faire aimer. Bien différentes sont les flèches de ses
ennemis: bien autre est leur glaive. « Les dents des enfants des hommes sont
des armes et des traits perçants: leur langue est une épée tranchante ». La
langue des enfants des hommes est une épée tranchante: leurs dents sont des
armes et des traits perçants. A quel moment les ont-ils mis en oeuvre, sinon
quand ils ont crié: Crucifiez-le! Crucifiez-le 1 !
13. Mais, ô mon Dieu, quel mal vous ont-ils
fait? Que le Prophète se livre maintenant aux transports de la joie. Dans tous
les versets que nous venons d’expliquer, c’était Dieu qui parlait: nous
entendions le Prophète, mais il nous parlait au nom de Dieu: Dieu était en lui.
Mais quand le Prophète nous parie en son propre nom, le Seigneur se sert de lui
comme d’un organe, car il lui dicte la vérité qu’il doit annoncer. Maintenant
donc, mes frères, écoutons le Prophète nous parlant en son propre nom.
Le Prophète avait vu en esprit le Seigneur
Jésus humilié, sanglant, frappé de verges, couvert de crachats, privé de
l’usage de ses mains, souffleté, couronné d’épines, attaché à la croix: il
avait vu la cruauté de ses ennemis et sa patience, leur joie insénsée et son
apparente défaite; et, après tant d’humiliations de sa part, et tant de rage
furieuse dela leur, il avait vu sa résurrection, et l’inanité des tourments
dont les Juifs l’avaient accablé: alors, transporté de joie à la vue d’un spec.
tacle qui semblait s’étaler sous ses yeux, il s’écrie: « O Dieu, élevez-vous au
plus haut des cieux ! » Attaché à la croix en tant qu’homme, et comme Dieu,
élevé au plus haut des cieux, voilà le Christ, Que vos ennemis restent sur la
terre: pour vous, montez au plus haut des cieux, afin de les juger. Que sont
devenus ces furieux? Où sont leurs dents tranchantes comme des épées, et
perçantes comme des flèches? Est-ce « que les blessures qu’ils ont faites, ne
ressemblent pas aux blessures que les enfants font avec leurs flèches? » Le
Psalmiste s’exprime ainsi dans un autre endroit pour montrer l’inutilité de
leurs mauvais traitements et des fureurs auxquelles ils se sont abandonnés.
1. Jean, XIX, 6.
Ils n’ont pu nuire à celui qui a été crucifié
un moment, mais qui est bientôt sorti vivant du tombeau pour aller s’asseoir
dans le ciel: « Les blessures qu’ils ont faites, ressemblent donc aux blessures
que les enfants font avec leurs flèches 1». Avec quoi les enfants se font-ils
des flèches? Avec des roseaux. Et alors, quelles flèches ! quelle force quel
arc! quels coups ! quelles blessures ! « Seigneur, élevez-vous au plus haut des
cieux, et que votre gloire se répande sur toute la terre ! » Pourquoi,
Seigneur, êtes-vous élevé au plus haut des cieux? Mes frères, nous ne voyons
pas que Dieu soit élevé au plus haut des cieux, mais nous le croyons; que sa
gloire soit au-dessus de toute la terre, nous le croyons et nous le voyons.
Veuillez remarquer le lamentable aveuglement
des hérétiques. Ils se sont séparés de l’unité de l’Eglise de Jésus-Christ: ils
tiennent à une partie et perdent le tout; ils refusent d’être en communion avec
cet univers où s’est répandue la gloire du Sauveur. Nous autres catholiques,
nous sommes partout, parce que d’un bout du monde à l’autre, partout où s’est
manifestée la gloire de Jésus-Christ, on nous trouve unis parles liens d’une
même foi. Nous voyons aujourd’hui l’accomplissement de cette prophétie de
David: « Notre Dieu est élevé au plus haut des cieux, et sa gloire est répandue
sur toute la terre ». O hérésie insensée! tu crois avec moi ce que tu ne vois
pas, et tu ne crois pas ce qui se passe sous tes yeux? Tu crois avec moi que le
Christ est élevé au plus haut des cieux, quoique nous ne le voyions pas; et tu
nies que sa gloire soit répandue sur toute la terre, et néanmoins, il suffit
d’ouvrir les yeux pour le voir. « Elevez-vous, Seigneur, au plus haut des
cieux, et que votre gloire se répande sur toute la terre ».
14. Le Prophète laisse de nouveau parler le
Seigneur. Pendant que le Prophète se livre aux transports de la joie et
s’écrie: « Elevez-vous, Seigneur, au plus haut des cieux, et que votre gloire
se répande sur toute la terre », Dieu lui-même commence à nous entretenir: il
nous affermit et semble nous dire: Quel mal m’ont fait ceux qui me
persécutaient? Pourquoi nous adresse-t-il ces paroles? Parce que nos ennemis
nous persécutent aussi: mais ils ne réussiront pas davantage à nous nuire. Que
votre charité écoute
1. Ps. LXIII, 8.
le Sauveur: il nous parle et nous encourage
par son exemple. « Ils ont préparé un piège à mes pieds; ils ont courbé mon âme
1 ». Ils ont voulu comme l’arracher du ciel et la précipiter dans les abîmes de
la terre. « Ils ont courbé mon âme. Ils ont creusé une fosse devant moi, et y sont
eux-mêmes tombés ». Est-ce à moi ou à eux-mêmes qu’ils ont nui? Le Christ s’est
montré Dieu, car il s’est élevé au plus haut des cieux, et sa gloire s’est
répandue sur toute la terre. Nous voyons son règne: où se trouve le royaume des
Juifs? Parce qu’ils ont fait ce qu’ils ne devaient pas faire, ils ont été punis
comme ils le méritaient. « Ils ont creusé une fosse et y sont eux-mêmes tombés
». Ils ont persécuté le Christ; il n’en a pas souffert: eux seuls en ont pâti.
Toutefois, mes frères, n’allez pas vous imaginer qu’une telle punition soit
pour les seuls Juifs, car quiconque prépare un piége pour son frère, doit
nécessairement y tomber le premier. Faites-y bien attention, mes frères;
considérez les choses en chrétiens, et ne vous laissez point séduire par les
apparences. Parce que je vous parle de la sorte, quelqu’un d’entre vous pense
peut-être à tel ou tel homme, qui a voulu tromper son frère ou lui tendre des
pièges. Cet homme a tenté, en effet, de tromper le prochain, et il y a réussi:
son frère est tombé dans les embûches qu’on lui avait tendues; il s’est vu
dépouiller de son bien, jeter en prison, accabler par de faux témoignages,
enlacer dans des accusations capables de compromettre son honneur et sa vie. Le
premier semble avoir joué le rôle d’oppresseur; le second, celui d’opprimé;
celui-ci paraît avoir eu le dessous; celui-là, le dessus: et alors, on croirait
volontiers àune erreur, à une fausseté de ma part, parce que j’ai dit que celui
qui prépare un piége àson frère, y tombe infailliblement le premier. Je
m’adresse ici à des chrétiens: cherchez donc la preuve de ce que je vous dis
dans les événements du passé que vous avez appris àconnattre elle s’y trouve.
Les païens ont persécuté les martyrs: on s’est emparé de ces défenseurs de la
foi, on les a chargés de chaînes, on les a jetés en prison; ils se sont vu
envoyer aux bêtes: les uns ont fini par le fer, les autres par le feu. Les
persécuteurs ont-ils vraiment remporté la victoire: les martyrs ont-ils été
véritablement vaincus?
1. Ps. LVI, 7.
Non. L’auréole de la gloire couronne les
martyrs dans le sein de Dieu: pour les païens, le piége où ils sont tombés,
c’est l’abîme de leur conscience: car voilà bien le précipice où se jettent les
impies, une conscience pervertie et troublée. N’est-ce point tomber dans un
précipice, que de n’avoir plus pour guide le flambeau de la foi chrétienne, et
d’être ainsi frappé d’aveuglement? Oserais-tu le croire? Si l’on n’était tombé
dans le piège, on verrait devant soi. On ne sait pas plus où l’on va que le
voyageur qui s’est jeté dans un trou, et qui a perdu son chemin. Ainsi en
est-il de tous les méchants: en s’engageant dans la voie du crime, ils se sont
écartés du droit chemin.
Mais ton ennemi est peut-être déjà parvenu à
te livrer aux mains des voleurs, de gens injustes, ou de juges circonvenus par
lui: pendant que ton âme est noyée dans l’affliction, il est dans la joie, il
s’abandonne aux transports de l’allégresse. Prends-y garde, je te l’ai déjà
dit: ne considère pas les choses avec les idées d’un païen: vois-les d’un oeil
chrétien. Ton adversaire se livre à la joie cette joie même est la fosse où il
tombe. La tristesse d’un homme qui souffre injustement, est de beaucoup
préférable à la joie d’un méchant qui fait le mal. La joie à laquelle le
méchant s’abandonne, est vraiment le précipice où il se jette: une fois qu’il y
est tombé, il ne voit plus rien; il est devenu aveugle. Tu te lamentes, pour
avoir perdu tin vêtement: ton frère a perdu la foi, et tu ne verses aucune
larme sur lui? En est-il un seul parmi vous qui ait fait une perte semblable?
Ton ennemi t’assassine, tu tombes sous ses coups: vit-il? Es-tu mort? Non.
Chrétiens, qu’avez-vous fait de votre foi? Que devient celui qui meurt
corporellement? Ecoutez le Seigneur; il vous dit: « Celui qui croit en moi
vivra, lors même qu’il mourrait ». Par une conséquence naturelle, celui qui ne
croit pas est mort, lors même qu’il est vivant. « Ils ont creusé une fosse
devant moi, et ils y sont eux-mêmes tombés ». Il faut nécessairement qu’il en
soit ainsi à l’égard de tous les méchants.
15. Par leur patience les bons ont le coeur
toujours prêt à faire la volonté de Dieu; ils
mettent leur gloire à souffrir, et ils
disent: « Mon coeur est prêt, Seigneur 2; mon cœur est prêt: je chanterai et je
psalmodierai vos
1. Jean, XI, 25. — 2. Ps. LVI, 8.
louanges ». Comment mon ennemi s’est-il
conduit à mon égard? Il m’a tendu un piège:
mais mon coeur est prêt. Il a préparé une
fosse devant moi, pour m’y faire tomber, et je ne préparerais pas mon coeur à souffrir
ses ruses méchantes? Il a préparé une fosse devant mes pieds, afin de
m’opprimer, et je ne préparerais pas mon coeur à le supporter? Puisqu’il a
creusé cette fosse, il y tombera pour moi, je chanterai et je psalmodierai.
Ecoute l’Apôtre: son coeur était prêt, car il imitait parfaitement le Seigneur
son Dieu. « Nous nous glorifions », dit-il, « dans l’affliction, car
l’affliction produit la patience, la patience produit la pureté, la pureté
produit l’espérance, et l’espérance ne confond point, parce que l’amour de Dieu
a été répandu dans nos coeurs par le Saint-Esprit, qui nous a été donné 1 ». Il
souffrait, il était chargé de chaînes, jeté en prison, accablé de coups,
éprouvé par la faim, la soif, le froid et la nudité, surchargé enfin de travaux
et de douleurs 2 et, pourtant, il disait: « Nous nous glorifions dans nos
afflictions ». Comment pouvait-il parler de la sorte, sinon parce que son coeur
était prêt? C’est pourquoi il chantait et psalmodiait. « Mon coeur est prêt,
Seigneur; mon coeur est prêt; je chanterai et je psalmodierai vos louanges ».
16. « Réveillez-vous, ma gloire'». Ainsi
s’exprime celui qui s’était réfugié dans une caverne, loin de la présence de
Saül. « Réveillez-vous, ma gloire ». Que Jésus soit glorifié après sa passion.
« Réveillez-vous, ma harpe et mon luth». Qui est-ce qu’il invite à se
réveiller? Je vois bien ici deux instruments de musique, mais je ne vois dans
le Christ qu’un seul corps: une seule chair est ressuscitée, tandis que nous
voyons se lever la harpe et le luth. Autre est la harpe, autre est le luth. On
nomme instruments de musique tous les objets qui contribuent à cet art; qu’ils
soient de grande dimension et se gonflent à l’aide du vent, peu importe; pourvu
qu’ils servent à moduler des airs et qu’on puisse les saisir, on les appelle
ainsi, quelle que soit d’ailleurs leur forme. Tous ces instruments sont
différents les uns des autres: je voudrais, autant que Dieu me le permettra,
vous faire comprendre en quoi consiste cette différence, vous en expliquer la
raison et vous montrer pourquoi le Prophète dit à tous: « Levez-
1.
Rom. V, 3-5 — 2. II Cor. XI, 27. — 3. Ps LVI, 9.
vous ». Nous en avons déjà fait la remarque: il n’y a eu, en
Jésus-Christ, qu’un seul corps pour ressusciter, tandis que le Psalmiste dit: «
Levez-vous, ma harpe et mon luth ». Pour la harpe, celui qui en joue la porte
dans ses mains: ses cordes sont tendues mais l’endroit d’où elles tirent leurs
sons, et le bois concave qui pend et qui résonne, dès qu’on le touche, parce
qu’il reçoit l’air, se trouvent à l’extrémité supérieure de cet instrument. Le
luth, au contraire, porte à son extrémité inférieure ce bois concave et sonore.
Dans la harpe, les cordes reçoivent donc d’en haut leurs sons: dans le luth,
elles les reçoivent d’en bas: entre ces deux instruments, voilà toute la
différence. Que nous représentent-ils l’un et l’autre? Le Christ, notre
Seigneur et notre Dieu, réveille sa harpe et son luth, et il dit: « Je me
lèverai dès le matin ». Vous voyez là, sans doute, une allusion à sa résurrection,
car nous connaissons l’Evangile, et vous savez à quelle heure il est sorti du
tombeau. Combien de temps chercherons-nous encore le Sauveur au milieu des
ténèbres? Le jour est venu, reconnaissons-le donc: il est ressuscité dès le
matin ». Mais que signifient la harpe et le luth? Le Christ s’est servi de son
corps pour deux sortes d’oeuvres bien différentes: pour opérer des miracles, et
pour endurer des tourments. Les miracles venaient d’en haut: les souffrances
venaient d’en bas.
SERMON AU PEUPLE.
C’est
une loi naturelle de respecter les droits de la justice et de la vérité, car
ils sont inscrits dans le coeur humain et doivent se refléter dans la conduite.
Mais les actes démentent trop souvent les principes. Les Juifs, les hérétiques
et les pécheurs en donnent la preuve par leur astucieux entêtement à ne rien
entendre qui les éclaire ou les gêne; mais leur malice se retourne contre eux,
et, pour les punir, Dieu se contente de les abandonner aux passions de leur
coeur, qui les aveuglent et les font cruellement souffrir. Puissions-nous
profiter de leur exemple et mettre en pratique les leçons de la justice et de
la vérité!
1. Nous devrions bien plutôt écouter
qu’expliquer les paroles que nous venons d’entendre Il semblerait que la vérité
fait un discours au genre humain tout entier, car elle dit à tous: « Si vous
parlez vraiment selon la justice, enfants des hommes, soyez justes dans vos
jugements». Est-il, en effet, rien de plus facile, n’importe à quel scélérat,
que de parler selon la justice? Interrogez le premier venu sur une affaire de
justice: si ses intérêts ne sont pas en cause, ne vous donnera-t-il pas
facilement une réponse conforme aux règles de l’équité? La raison en est
simple: au moment où la main du Créateur nous tirait du néant, la Vérité a
écrit, au fond de nos coeurs, ces paroles: « Ne fais pas à autrui ce que tu ne
veux pas qu’on te fasse 1». Personne ne pouvait ignorer ce principe, même avant
que Dieu donnât sa loi, car il devait servir à juger ceux-là mêmes à qui la loi
n’avait pas été donnée. Mais, afin d’empêcher les hommes de se plaindre, et de
dire qu’il leur avait manqué quelque chose pour opérer leur salut, on écrivit
sur des tables ce qu’ils ne lisaient
1. Tob. IV, 16; Matt. VII, 12.
plus dans leurs coeurs. Ce principe y était
gravé, mais ils ne voulaient pas le lire. On plaça donc sous leurs yeux ce
qu’ils seraient obligés d’apercevoir dans leur conscience: la voix que Dieu lui
fit entendre au dehors, força l’homme à rentrer en lui-même, selon cette parole
de nos livres saints: « L’impie sera interrogé dans ses pensées 1». Où se
rencontre une interrogation, là se trouve une loi. Les hommes, recherchant les
biens extérieurs, sont comme sortis hors d’eux-mêmes: alors, on leur a donné une
loi extérieure, une loi écrite: il ne faudrait pas conclure de là qu’il n’y
avait pas de loi gravée dans le coeur humain: seulement, ô homme, comme tu
avais pris la fuite, et que tu t’étais éloigné de ton propre coeur, le Dieu qui
se trouve partout arrête ta course vagabonde, et te force à rentrer en
toi-même. Aussi, comnient la loi écrite parle-t-elle à ceux qui ont méconnu la
loi gravée dans leurs cœurs 2? Le voici: « Violateurs de la loi, rentrez en
vous-mêmes 3». Qui est-ce qui t’a appris à ne pas vouloir qu’un autre
s’approchât de ta femme? qui est-ce qui t’a appris à ne pas vouloir qu’on te
vole? qui est-ce enfin qui t’a appris à ne pas vouloir qu’on te fasse souffrir
une injustice ou mille autres mauvais procédés dont on pourrait parler en
général et en particulier? On pourrait interroger les hommes sur une multitude
de choses, et leur demander, relativement à chacune d’elles, s’ils voudraient
les souffrir: et ils répondraient aussitôt, à haute et intelligible voix: Non,
je ne consentirai pas à cela. Mais, si tu ne veux pas te soumettre à ce mauvais
traitement, crois-tu que tu sois le seul homme vivant? Est-ce que tu ne vis pas
en société avec le genre humain tout entier? Celui qui a été créé par la même
main que toi, est ton frère: nous avons tous été créés à l’image de Dieu, et
cette image subsiste en nous, à moins que nous n’ayons détruit l’oeuvre du
Créateur par des passions basses et terrestres. Par conséquent, « ne fais pas à
autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse». Ce que tu ne veux pas souffrir de
la part des autres, tu le trouves mauvais; une loi intérieure, gravée dans ton
coeur, te force à le reconnaitre. Mats tu le faisais toi-même, et celui qui en
souffrait se plaignait hautement de tes violences. Pourquoi es-tu obligé de
rentrer en toi-même, dès qu’un autre
1.
Sag. I, 9. — 2. Rom. II, 15. — 3. Isa. XLVI, 8.
t’inflige les mêmes mauvais traitements? Le
vol est-il légitime? Non. Je demande si l’adultère est une bonne action, et
tous s’écrient: Non. L’homicide est-il permis? Tous répondent encore: Nous le
détestons. Est-il beau de désirer le bien d’autrui? Il n’y a qu’une voix pour
dire: Non. Si tu n’en conviens pas encore avec les autres, qu’un homme désire
avoir injustement ce qui t’appartient: tu ne trouves rien de répréhensible dans
sa conduite? Alors, tu es libre de répondre comme il te plaira. Il y a donc
parmi les hommes, et sur ces différents, points, unanimité à dire que de
pareilles choses ne sont pas bonnes. Nous pouvons raisonner de la même manière
au sujet de toute bonne action, qu’il s’agisse de rendre service, de faire du
bien, ou qu’il soit simplement question de ne faire aucun tort au prochain. Je
parle à un tomme qui a faim, je lui dis: Tu souffres de la faim; un autre, ton
voisin, a du pain; il en possède au-delà du nécessaire, il sait que tu en as
besoin, il ne t’en donne pas; sa conduite te déplaît, parce que tu as faim;
auras-tu le droit de dire que tu fais bien, quand, ayant le nécessaire, tu
refuseras de secourir un frère que tu vois dans le besoin? Un étranger arrive dans
ton pays, ne sachant où il prendra son repos; on ne le reçoit nulle part; il
accuse hautement d’inhumanité les habitants de cette ville; il prétend que des
barbares l’auraient mieux reçu. Il sent vivement l’injustice dont il a à
souffrir: pour toi, tu ne la sens peut-être pas: ce que tu as à faire, c’est de
te mettre, par la pensée, à la place de cet étranger, -et alors tu comprendras
comment on peut trouver mauvais de ne pas recevoir ce que tu refuses dans ton
pays à un voyageur inconnu. Je vous le demande à tous: est-ce vrai? Oui. Est-ce
juste? Oui, encore.
2. Mais écoutez le Psalmiste: « Si ce que
vous « dites est vraiment juste, enfants des hommes, soyez justes dans vos
jugements ». Soyez justes, non pas seulement en paroles, mais encore en
actions. Si tu parles d’une manière et que tu agisses de l’autre, tes paroles
sont bonnes, mais tes jugements sont mauvais. Je te demande lequel vaut mieux,
de l’or ou de la fidélité? Comme tu n’es ni perverti ni ennemi de la vérité, au
point de donner la préférence à l’or, tu réponds à ma demande en te déclarant
pour la fidélité: tu parles alors selon la justice. As-tu entendu le
Psalmiste? « Si ce que vous dites est
vraiment juste, enfants des hommes, soyez justes dans vos jugements ». Quelle
preuve donner de la différence qui se trouve entre tes jugements et tes
paroles? J’ai déjà reçu de toi un témoignage non équivoque de la préférence que
tu donnes à la fidélité. Mais voilà qu’un ami est venu je ne sais d’où pour te
visiter, et, en l’absence de tout témoin, il t’a confié un trésor. Personne, du
moins du côté des hommes, personne, si ce n’est lui et toi, ne connaît cet acte
de confiance. Il y avait là pourtant un témoin, un témoin invisible, mais un
témoin qui voit tout. Avant de remettre en tes mains son trésor, ton ami a eu
peut-être soin d’écarter toute autre personne: il t’a conduit dans un endroit
secret, dans la chambre où tu couches: mais ce témoin du dépôt, qu’on ne voit
point dans l’intérieur d’une chambre à coucher, habite le fond de vos
consciences. Ton ami, après t’avoir confié la somme d’argent dont il s’agit, a
repris le chemin de sa demeure, gardant à cet égard un silence absolu vis-à-vis
des membres de sa famille, espérant d’ailleurs revenir au moment opportun, et
rentrer en possession de son bien, car un homme doit-il tromper ceux avec
lesquels il est lié d’affection? Cependant, comme les choses de ce monde sont
fragiles, cet homme vient à mourir laissant un fils pour hériter de lui: cet
enfant ne sait ce que possédait son père; il ignore le dépôt confié à la garde
de ta bonne foi. Homme prévaricateur, rentre; oui, rentre dans ton coeur: une
loi s’y trouve écrite; cette loi, la voici: « Ne fais pas à autrui ce que tu ne
veux pas qu’on te fasse ». Suppose que tu es l’auteur même du dépôt, que tu
n’en as rien dit à aucun des tiens, et qu’en mourant tu as laissé un fils: quel
procédé aurais-tu le droit d’attendre de la part de ton ami? Réponds-moi:
prononce toi-même la sentence. En ton âme est dressé le tribunal du juge: le
Seigneur Dieu y est assis: ta conscience fait l’office d’accusateur: le
bourreau, c’est la crainte. Tu vis au milieu d’intérêts humains: tu fais
société avec des hommes: vois donc quelle manière d’agir tu exigerais de ton
ami à l’égard de ton fils. Je sais bien ta pensée, je connais ta réponse
qu’elle te serve donc de guide pour prononcer ton jugement. Prononce la
sentence: elle sera juridique. La vérité ne sait pas se taire: ses déclarations
viennent de plus loin que les lèvres: elles viennent du coeur; prêtes-y
l’oreille, et conforme à ses décisions la conduite que tu tiendras envers le
fils de ton ami. Forcé par le besoin, cet enfant est peut-être devenu un
vagabond: il ne sait ce que possédait son père: il ignore quel usage il a fait
de son bien: ou ne lui a jamais dit en quelles mains il en a fait le dépôt.
Suppose qu’il est ton fils: tu méprises son père, parce qu’il est mort: agis
comme si ce père était vivant, et, afin de ne point perdre la vie de l’âme,
conduis-toi de la même manière que tu désirerais voir dans les autres, si tu venais
à mourir. Mais l’avarice donne des conseils bien différents: elle commande des
choses contraires à la loi de Dieu. Autres sont les ordres du Seigneur; autres
ceux de l’avarice. Dans le paradis, notre Créateur nous enjoint ses volontés:
le serpent séducteur, venant à l’encontre, enjoint le contraire. Rappelle en ta
mémoire ta première chute en Adam: c’est à cause d’elle qu’il te faut mourir,
souffrir, manger ton pain à la sueur de ton front: c’est à cause d’elle que la
terre se couvre pour toi de ronces et d’épines 1. Puisses-tu trouver dans les
leçons de l’expérience la sagesse que tu n’as pas voulu puiser dans les
préceptes du Seigneur! Néanmoins la cupidité l’emporte: pourquoi la vérité
n’est-elle pas la plus puissante? Que sont aussi devenues ces paroles, si
conformes à la justice, que tu prononçais tout à l’heure? Je te vois résolu à
nier le dépôt confié à tes soins: tu n’as d’autre pensée que celle d’en
frustrer l’héritier de ton ami. Il n’y a qu’un instant, je t’avais demandé
lequel tu aimais le mieux, lequel tu préférais de l’or ou de la bonne foi:
pourquoi parler d’une manière et agir de l’autre? Ce passage du psaume ne
t’inspire-t-il aucune crainte? « Si vous parlez vraiment selon la justice,
enfants des hommes, soyez justes dans vos jugements ». Tu m’as dit que la bonne
foi est de beaucoup la meilleure, et voilà que dans ton jugement tu donnes la
préférence à l’or. Tes paroles ne laissaient pas supposer de ta part une
semblable manière d’agir: tes paroles sont justes, tes jugements sont faux. Quand
tu parlais ainsi d’après les règles de la justice, tu parlais donc contre ta
façon de penser ! « Si vous parlez vraiment selon la justice,
1. Gen. III, 17, 18.
enfants des hommes, soyez justes dans vos
jugements». En me répondant d’une manière aussi juste, tu parlais donc par
respect humain et sans franchise.
3. Mais il en est temps, mes frères;
arrivons, s’il. vous plaît, au sujet de ce psaume. Les paroles qu’il renferme
sont pleines de douceur: l’Eglise les connaît parfaitement, parce qu’elles ont
souvent retenti à ses oreilles. Ce sont les paroles de Notre Seigneur
Jésus-Christ: ce sont les paroles de tout son corps: ce sont celles de l’Eglise
militante, de cette Eglise qui voyage comme exilée sur la terre, à travers
mille écueils, au milieu d’ennemis qui la flattent et la maudissent. Si tu
n’aimes point les adulateurs, tu ne craindras pas davantage ceux qui te feront
des menaces. Le Psalmiste a examiné tous les hommes, et il s’est aperçu que
tous parlent selon la justice. Qui est-ce qui oserait s’exprimer autrement? Ne
s’exposerait-il pas à passer pour un homme injuste? Le Prophète semble donc les
entendre tous; on dirait qu’il examine les mouvements de leurs lèvres; il leur
adresse cet avertissement: « Si vous parlez vraiment selon la justice », si vous
parlez sincèrement selon la justice, si votre langage ne dément pas les
secrètes pensées de votre coeur, « enfants des hommes, soyez justes dans vos
jugements». Ecoute l’Evangile, il s’exprime de la même manière que le
Psalmiste: «Hypocrites », dit le Sauveur en s’adressant aux Pharisiens, «
comment pouvez-vous dire de bonnes choses, puisque vous êtes mauvais? Ou bien
rendez bons l’arbre et ses fruits: ou bien rendez-les mauvais ». Muraille de
boue, pourquoi vouloir te blanchir? Je sais ce que tu es à l’intérieur: tes
belles apparences ne me trompent pas. Je sais ce que tu montres: je n’ignore
pas davantage ce que tu caches. «Car », suivant le langage de l’Evangile,
Jésus-Christ n’avait pas besoin que quelqu’un lui rendît témoignage sur la
valeur des hommes, car il savait parfaitement ce qu’il y avait en eux 2 ». « Il
n’ignorait pas ce qu’il y avait dans le coeur humain », puisqu’il l’avait créé,
qu’il s’était fait homme pour ramener l’homme égaré. Voyez-le donc: n’y a- t-il
pas une liaison surprenante entre toutes ces paroles: « Hypocrites, comment
pouvez-vous dire de bonnes choses, puisque vous êtes
1. Matt. XII, 34, 35. — Jean II, 25
mauvais? Si donc vous parlez selon la
justice, enfants des hommes, soyez justes dans vos jugements». Avez-vous tenu
le langage de la droiture, quand vous avez dit: « Maître, nous savons que vous
êtes juste et que vous ne faites acception de personne 1? »Pourquoi votre coeur
était-il alors plein de ruse méchante? Pourquoi, après avoir détruit en vous
l’image de votre Créateur, lui présentiez-vous celle de César? Si l’on a
entendu vos paroles, l’expérience a aussi démontré de quelle nature étaient vos
jugements; car, n’avez-vous pas crucifié celui à qui vous donniez le nom de
juste? « Si donc vous parlez vraiment selon la justice, que vos jugements
soient justes, ô enfants des hommes ». Pourquoi me dites-vous: « Nous savons
que vous êtes juste », puisque je prévois d’avance quel sera votre jugement,
puisque vous crierez: « Crucifie-le, crucifie-le? ». « Si donc vous parlez vraiment
selon la justice, enfants des hommes, soyez justes dans vos jugements ».
Qu’avez-vous fait, en effet, lorsque vous avez persécuté le Dieu-Homme, et que
vous avez mis à mort votre Roi? De ce que vous l’ayez fait mourir, il ne
suivait pas qu’il ne serait pas votre Roi, puisqu’il devait ressusciter. Quand
il s’était agi du titre placé sur la croix du Sauveur, et où l’on avait écrit
en trois langues différentes, en hébreu, en grec et en latin: « Voici le Roi
des Juifs 2», un juge, qui n’était qu’un homme, avait su répondre: « Ce que
j’ai écrit est écrit ». Et Dieu n’aurait pas su dire: Ce que j’ai écrit est
écrit? Oui, il est votre Roi: vivant, il est votre Roi; crucifié, il est votre
Roi; il est ressuscité, il est remonté au ciel; et, là encore, il est votre
Roi: plus tard, il reviendra, et malheur à vous, car alors il n’aura pas cessé
d’être votre Roi. Allez maintenant, parlez selon la justice, et toutefois ne
vous mettez pas en peine de juger avec droiture, ô enfants des hommes ! Vous ne
voulez pas juger avec droiture: la droiture présidera au jugement qu’on rendra
contre vous. Car il vit, votre Roi; il ne meurt plus: désormais la mort
n’exercera plus sur lui son empire 3. Il vient: « Violateurs de sa loi, rentrez
en vous-mêmes 4». Il viendra; corrigez-vous avant sa venue, prévenez son
avènement par une humble confession 5. Il
1. Matt. XX 1, 16. — 2. Luc, XXIII, 38. — 3.
Rom. VI, 7. — 4. Isa. XLVI, 6. — 5. Ps. XCIV, 2.
viendra, et il est votre Roi. Souvenez-vous
du titre qui a été attaché à sa croix. Vous avez beau ne pas voir
l’inscription, elle y est: quoiqu’on ne la lise pas sur la terre, elle se
conserve du moins toujours dans le ciel. Pensez-vous que le texte de cette
inscription ait été altéré? Quel est le litre de ce psaume? « Pour la fin; ne
corromps rien, à David, sur l’inscription du titre ». Cette inscription du
titre n’est donc pas altérée. Le Christ, voilà votre Roi, parce qu’il est le
Monarque universel; « parce que la royauté lui appartient et qu’il gouvernera
tous les peuples 1 ». Dès lors que vous êtes soumis à sa puissance suprême, il
vous avertit avant de venir; il vous dit: Je ne vous juge pas encore, mais je
vous exhorte à penser à vous, Si je vous fais aujourd’hui des menaces, c’est
afin de n’avoir pas à vous juger plus tard et à vous punir. « Si donc, ô
enfants des hommes, vous parlez vraiment selon la justice, soyez justes dans
vos jugements ».
4. Mais comment agissez-vous maintenant?
Pourquoi vous parlé-je ainsi? « Pendant que vous êtes sur la terre, vous ne
travaillez qu’à former dans votre coeur des desseins injustes 2 ». Mais votre
coeur est-il bien seul occupé d’injustices? Ecoute ce qui suit: Car les mains
suivent le coeur; elles lui obéissent: l’un réfléchit, les autres agissent: et
quand elles n’agissent pas, c’est par impuissance et non par défaut de volonté.
Quoique tu ne puisses accomplir tous tes désirs, dès lors que tu les as formés,
Dieu t’en tient compte. « Pendant que vous êtes sur la terre, vous ne
travaillez qu’à former dans votre coeur des desseins coupables ». Que lis-tu
ensuite? « Avec l’iniquité, vos mains font une chaîne ». « Elles font une
chaîne », c’est-à-dire, le péché vient du péché, il engendre à son tour le
péché; la cause en est dans le péché. Expliquons-nous. Un homme s’est rendu
coupable de vol, c’est un péché: il a été vu, et il cherche à tuer le témoin de
sa mauvaise action: voilà un péché enchaîné à un autre. Si, par un secret
jugement de Dieu, il réussit à se défaire, par le meurtre, de cet importun
témoin, il sent bien qu’il est connu comme assassin, et alors il prend ses
mesures pour en finir avec un homme qui peut déposer contre lui: aux deux
premières fautes il en
1. Ps. XXI, 29. — 2. Id. LVII, 3
enchaîne une troisième. Sur ces entrefaites,
et afin de n’être ni surpris ni convaincu d’avoir commis de tels crimes, il
consulte un astrologue. Nouveau péché ajouté aux trois autres. Peut-être
l’astrologue lui donne-t-il une réponse désagréable et inquiétante. Il a donc
recours à un aruspice, et il le prie de faire pour lui des expiations: celui-ci
déclare qu’une expiation lui est impossible; il faut donc s’adresser à un
sorcier. Comptez, si vous le pouvez, tous les anneaux de cette chaîne de
péchés. « Avec l’iniquité vos mains font une chaîne ». Jusques à quand te
livreras-tu à ce détestable métier? Jusques à quand ajouteras-tu péché à péché?
Dégage-toi donc; brise ces chaînes de péchés. Mais, dis-tu, je ne puis. Elève
vers Dieu les cris de ta prière, et dis-lui: « Malheureux que je suis ! qui
est-ce qui me délivrera de ce corps de mort 1? » La grâce de Dieu viendra en
toi, et alors tu trouveras ton bonheur dans le bien, comme tu le trouvais
autrefois dans le mal; et, dégagé de tes chaînes, rendu à la liberté, tu feras
monter vers le trône de l’Eternel les accents de ta reconnaissance: « Seigneur,
vous avez brisé les liens qui me retenaient captif 2. Vous avez brisé mes liens
», c’est-à-dire, vous m’avez pardonné mes péchés. Vois si les péchés ne sont
pas de véritables liens. « Chacun, dit l’Ecriture, est embarrassé dans les
lacets de ses péchés 3 ». Ce ne sont pas de simples liens, ce sont des lacets:
on appelle de ce nom ce qui se fait avec des crins tressés: en d’autres termes,
tes péchés s’entrelaçaient les uns dans les autres. « Malheur », dit Isaïe, «
malheur à ceux qui traînent leurs péchés comme une longue corde 4». Que veulent
dire ces paroles: « Malheur à ceux qui traînent leurs péchés comme une longue
corde? » Malheur à ceux qui font une chaîne avec l’iniquité. Nos péchés nous
punissent autant qu’ils nous embarrassent: le Seigneur Jésus s’arma d’un fouet fait
de cordes pour chasser du temple tous ceux qui y faisaient un trafic indécent
5. Mais parce que tu ne sens pas le poids de tes chaînes, tu ne yeux pas encore
les voir brisées: elles te plaisent, tu trouves en elles ton bonheur; mais
elles te paraîtront bien lourdes, quand le Seigneur dira: «Qu’on lui lie les
mains et les pieds, et qu’on le jette
1.
Rom. VII, 24.— 2. Ps. CXV, 16.— 3. Prov. V, 22.— 4. Isa. V, 18.— 5. Jean, II, 15.
dans les ténèbres extérieures: il y aura là
pleur et grincement de dents 1 ».Tu te sens saisi d’horreur et d’épouvante; tu
frappes ta poitrine: à ton avis il est mal de commettre le péché, il est beau
de pratiquer la vertu. « Enfants des hommes, si vous parlez vraiment selon la
justice, soyez donc justes dans vos jugements ». Faites passer vos paroles dans
vos actions, et que votre conduite soit l’expression de votre manière de
parler. Ne faites pas de chaînes avec l’iniquité, parce que les liens que vous
feriez en cette vie serviraient plus tard à vous ôter• l’usage de vos membres.
Il en est qui n’écoutent pas cet avertissement, quoique tous n’y soient pas
sourds: ceux qui ne les écoutent pas, Dieu les connaît d’avance.
5. « Les pécheurs se sont éloignés dès le sein
de leurs mères; ils se sont égarés avant d’en sortir: ils n’ont dit que des
faussetés ». Lorsqu’ils parlent iniquité, ils disent des faussetés, parce que
l’iniquité est la fausseté même: et quand ils parlent justice, leur langage est
encore aussi peu droit, parce que leur coeur dément en secret les paroles qui
sortent de leur bouche. Pourquoi le Prophète dit-il: « Les pécheurs se sont
éloignés dès le sein de leurs mères? » Cherchons-en avec soin la raison: car
peut-être a-t-il voulu dire que Dieu connaît d’avance, dès le sein de leur
mère, ceux qui commettront le péché. D’où vient, en effet, que Rébecca, étant
encore enceinte, et portant dans ses entrailles deux jumeaux, le Seigneur dit:
« J’aime Jacob et je déteste Esaü 2?» Ne dit-il pas encore: « L’aîné sera
assujéti au plus jeune? » C’était là, sans doute, un secret jugement de Dieu,
mais un jugement qui s’exerçait dès le sein de la mère; « car les péchés se
sont éloignés » dès leur origine. De quoi se sont-ils éloignés? De la vérité.
De quoi encore? de la céleste patrie, de la vie bienheureuse. En ont-ils été
éloignés dès le sein de leur mère? Quels pécheurs ont été éloignés même avant
de naître? Qui est-ce qui pourrait venir au monde, s’il n’était d’abord enfermé
dans le sein maternel? Et parmi ceux qui nous écoutent inutilement, y en
aurait-il un seul en cette vie, s’il n’était préalablement né? Les pécheurs ont
donc peut-être été éloignés d’un autre sein, dans lequel la charité souffrait
au point de dire par la bouche de l’apôtre saint Paul: « Mes
1. Matt. XXII, 13. — 2.
Gen. XXV, 23; Mal. I, 2, 3; Rom. IX, 13.
petits enfants, pour qui je ressens de
nouveau une sorte de travail de l’enfantement, jusqu’à ce que Jésus-Christ soit
formé en vous ». Demeure donc en ce sein; attends que tu y sois formé. N’aie
pas la prétention de t’attribuer l’usage du jugement que tu n’as pas encore. Tu
es encore charnel: tu es conçu, car dès lors qu’on t’a donné le nom de
chrétien, tu as apparu dans les entrailles de ta mère sous l’influence d’un
certain sacrement. L’homme, en effet, ne se forme pas seulement des entrailles
de sa mère, il se forme aussi dans ses entrailles; il naît d’abord dans les
entrailles maternelles; puis il en tire sa substance. Voilà pourquoi il a été
dit de Marie: « Ce qui est né en vous est du Saint-Esprit ». Le Sauveur n’était
pas encore né de la sainte Vierge, mais il était déjà né en elle. De petits
enfants naissent donc dans les entrailles de l’Eglise, et il est pour eux
avantageux de ne naître que parfaitement formés, parce qu’ils tomberaient de
son sein, pareils à des avortons. Puisse-t-elle t’engendrer, et ne pas avorter
! Sois patient, jusqu’au moment où ta formation sera complète, jusqu’au jour où
tu seras affermi par l’enseignement de la vérité; reste enfermé dans les
entrailles de ta mère. Mais si, par impatience, tu viens à les ébranler, elle
te jettera hors de son sein: sa douleur sera grande; mais elle sera moins à
plaindre que toi.
6. « Les pécheurs se sont-ils éloignés dès le
sein de leurs mères? ils se sont égarés avant d’en sortir: ils n’ont dit que
des faussetés ». Se sont-ils égarés dès le sein de leur mère, parce qu’ils ont
dit des faussetés? ou plutôt, ont-ils dit des faussetés, parce qu’ils se sont
égarés dès le sein de leur mère? En effet, le sein de l’Eglise est le séjour permanent
de la vérité; et quiconque s’en éloigne doit infailliblement dire des
faussetés. Oui, je le dis, l’erreur et le mensonge se trouvent nécessairement
dans la bouche de quiconque n’a pas voulu naître dans ses entrailles, ou s’est
vu rejeté par elle comme un avorton, après qu’il a été conçu. C’est pourquoi
les hérétiques déclament contre l’Evangile: parlons donc spécialement de ces
malheureux, que nous voyons avec douleur rejetés du sein de notre commune mère.
Nous leur lisons ce passage de l’Evangile: Voici les paroles du Christ: « Il
fallait que le Christ
1. Gal. IV, 19. — 2. Matt, I, 20.
souffrît et ressuscitât le troisième jour ».
A ces mots, je reconnais, disent-ils, notre chef; c’est bien là l’Epoux.
Reconnais donc aussi avec moi l’épouse, car vois ce qui suit: « Et que l’on
prêchât en son, nom la pénitence et la rémission des péchés parmi toutes les
nations, en commençant par Jérusalem ». — Viens ici, viens ici. — Voilà
l’Eglise répandue « parmi toutes les nations, en commençant par Jérusalem »: aussi
je ne dis pas: Viens ici, puisqu’elle vient elle-même à toi. Mais ils restent
sourds et demeurent en opposition avec l’Evangile; ils ne nous permettent pas
de leur lire la parole de Dieu; et, tandis qu’ils se vantent de l’avoir
préservée des flammes, ils s’efforcent de l’effacer avec leur langue; ils
parlent en leur nom et ils ne disent que des choses vaines. Tel et tel,
s’écrient-ils, ont livré les saints livres. Je le dis plus liant qu’eux, et je
dis ce qui est: Oui, tel et tel sont des traditeurs. Mais que m’importe? Ceux
que tu viens de citer, tu ne peux trouver leurs noms dans l’Evangile: je ne
pourrais davantage t’y montrer les noms de ceux dont je parle. Otons nos
livres, n’ayons en main que celui de Dieu. Ecoute: c’est Jésus-Christ qui te
parle, c’est la vérité qui te dit: « Il fallait qu’on prêchât en son nom la
pénitence et la rémission des péchés parmi toutes les nations, en commençant
par Jérusalem ». — Non, répondent-ils, nous n’écouterons pas: c’est plutôt à
vous d’écouter ce que nous vous disons: ce que dit l’Evangile, nous ne
consentons pas à l’entendre. « Les pécheurs se sont éloignés dès le sein de
leur mère: ils se sont égarés avant d’en sortir; ils ont dit des faussetés ».
Pour nous, disons la vérité, puisque nous l’avons entendue: c’est Dieu, et non
pas un homme qui nous a parlé. Un homme peut mentir; il est impossible que la
vérité nous trompe. Si je reconnais le Christ, qui est la vérité même, c’est la
vérité qui m’apprend à le connaître: c’est encore elle qui m’aide à connaître
l’Eglise, cette Eglise à qui Dieu a donné communication de la vérité. Qu’on ne
vienne point me dire des faussetés. Quand on a été formé dans les entrailles de
l’Eglise pour s’égarer dès son sein, et qu’on veut me dogmatiser, j’ai le droit
de savoir d’abord ce qu’on a l’intention de m’enseigner. Vous vous êtes
éloignés dès
1. Luc, XXIV, 46, 17.
le sein de votre mère, vous vous êtes égarés
même avant d’en sortir: je le vois, et j’écouterais vos enseignements? Mais
vous ne pouvez me dire que des faussetés! « ils se sont égarés dès le sein de
leur mère; ils ont dit des faussetés ».
7. « Leur fureur est pareille à la fureur
d’un serpent ». Vous allez entendre quelque chose d’important. « Leur fureur
est pareille à celle d’un serpent ». Comme si nous l’avions interrogé sur le
sens de ces paroles, le Prophète ajoute: « D’un aspic qui est sourd »; pourquoi
est-il sourd? « Et qui se bouche les oreilles ». Sa surdité vient donc de ce
qu’il se bouche les oreilles. « Il se bouche donc les oreilles, et n’écoute ni
la voix de l’enchanteur, ni celle du remède que lui prépare le sage ». Ce que
nous disons ici, nous l’avons entendu dire à d’autres; nous disons ce que les
hommes, appliqués à l’étude de ces choses, ont pu y comprendre, ce que
l’Esprit-Saint connaît bien mieux que personne. Le Prophète s’est exprimé
ainsi, sans doute, parce qu’il peut se faire que ce que nous avons entendu dire
soit l’exacte vérité. Lorsqu’un marse enchanteur a commencé à exercer son
influence sur l’aspic, par la récitation de quelques formules particulières,
comme en emploient les magiciens, savez-vous ce que fait ce reptile? Veuillez
avant tout, mes frères, faire une remarque; je vous préviens d’avance, afin
qu’aucun d’entre vous n’éprouve de scrupule à écouter ce que je vais dire;
quelles que soient les comparaisons dont elle se sert, jamais la sainte
Ecriture ne donne d’importance et d’estime à l’objet même de la comparaison;
elle ne fait qu’en tirer une similitude. Ainsi, le Sauveur n’a pas donné son
approbation à ce juge inique, dépourvu de toute crainte de Dieu et des hommes,
qui ne voulait point écouter la veuve de l’Evangile; il ne s’est servi de son
exemple que pour faire une comparaison 2. Jésus-Christ n’a pas non plus
prétendu louanger l’homme indolent, qui a donné trois pains à son ami, plutôt pour
échapper à ses importunités que pour lui témoigner son affection; néanmoins, il
a utilisé son exemple et en a fait le sujet d’une comparaison. Des objets
très-peu dignes de louanges servent donc parfois à établir, dans certaines
limites, d’utiles similitudes. Parce que les divines Ecritures vous
Ps. LVII, 5, 6. — Luc, XVIII, 2
parlent d’enchanteurs, êtes-vous en droit de
croire que vous devez vous rendre au milieu des Marses? S’il en était ainsi,
vous devriez aussi fréquenter les spectacles et les théâtres, puisque l’Apôtre
a dit: « Je ne lutte pas, comme si je battais l’air 1 ». Car lutter, c’est
donner le spectacle des cinq combats. Saint Paul a parlé de la lutte par simple
comparaison; voulait-il nous inspirer du goût pour ces sortes de spectacles? Il
a dit encore: « Celui qui combat dans la lice s’abstient de tout 2 ». Un
chrétien doit-il, en conséquence de ces paroles, affecter de courir au théâtre,
et de s’occuper de vanités pareilles? Quand on se sert devant toi d’une
comparaison, remarque donc attentivement ce qu’on veut t’apprendre et te
défendre. Ainsi a-t-on voulu tirer une similitude du fait d’un Marse, qui
enchante un aspic, pour le faire sortir de sa ténébreuse demeure? il veut
l’amener au jour; l’aspic se plaît dans l’obscurité, au sein de laquelle il
s’enveloppe et se cache; et, comme il ne veut pas en sortir, il refuse
d’écouter la voix fascinatrice à laquelle il se sent porté à obéir malgré lui;
pour cela, que fait-il? Il presse contre terre l’une de ses oreilles, tandis
qu’à l’aide de sa queue il ferme l’autre; voilà comment il agit pour éviter de
son mieux le piége du charmeur, et ne point sortir de son repaire. Le
Saint-Esprit compare à ce reptile certains pécheurs, sourds à la voix de Dieu,
et qui, loin de mettre en pratique la parole du Seigneur, font tout leur
possible pour ne pas même l’entendre.
8. Chose pareille s’est vue aux premiers
jours du Christianisme. Le martyr Etienne prêchait la vérité, il voulait comme
charmer des âmes plongées dans les ténèbres, et les amener à la lumière; arrivé
au point de leur parler du Christ, il ne put se faire entendre de ces âmes
volontairement endurcies. Aussi que nous dit d’elles la sainte Ecriture? Que
nous rapporte-t-elle à leur endroit? Voici ce qu’elle nous raconte: « Ils
bouchèrent leurs oreilles ». Ce qu’ils firent ensuite, l’histoire de la passion
d’Etienne nous l’apprend. lls n’étaient pas sourds, mais ils se sont rendus
tels. Les oreilles de leur coeur étaient fermées; toutefois la vérité fut si
forte que, traversant les oreilles de leur corps, elle vint frapper violemment
celles de leur coeur; alors ils bouchèrent même les oreilles de leur corps, et
en vinrent à lapider
1. I
Cor. IX, 26, 28. — 2. Ibid.
le
saint 1. C’étaient
bien des aspics, frappés de surdité et plus durs que les pierres dont ils
accablèrent leur enchanteur; ils n’écoutèrent ni la voix du charmeur, ni celle
« du remède « que leur mélangeait le sage ». Qu’est-ce que ce remède mélangé
par le sage? Un remède mélangé veut dire, sans doute, un remède préparé.
Demandons-nous comment un remède peut être tel sans être préparé? Les
prophéties, la loi, tous les commandements étaient des remèdes, mais des
remèdes non encore préparés; leur préparation a été opérée par la venue du
Sauveur. Les Juifs n’ayant pu les supporter, à cause de leur simplicité native,
ces remèdes ne guérissaient pas. Le Christ est venu leur donner toute leur
perfection. Etienne s’efforçait de les charmer et de leur insinuer ce remède
préparé; ils ne voulurent pas seulement l’entendre; ils bouchèrent leurs oreilles
par opposition à celui-là même qui avait donné au médicament toute sa vertu,
car à peine avaient-ils entendu prononcer le nom du Sauveur, qu’ils avaient
déjà pris cette précaution d’une surdité volontaire. Leur fureur était devenue
pareille à celle d’un serpent. Pourquoi fermer vos oreilles? Attendez, écoutez;
puis, si vous le pouvez, vous vous emporterez. Ce qu’ils voulaient, c’était non
pas écouter, mais s’irriter. S’ils avaient prêté l’oreille aux paroles du
saint, ils auraient bien pu se calmer et bien faire. « Leur fureur est
semblable à celle d’un serpent».
9. Tels sont encore aujourd’hui ceux qui nous
font souffrir. Dès le premier abord, ils se croyaient en possession de la
vérité: niais Dieu n’a pas cessé de soutenir son Eglise; il n’a pas différé de
les confondre. On a prêché la vérité dans cette Eglise; dans le sein de cette
bonne mère on a étalé au grand jour tous leurs mensonges. La lumière s’est
montrée à tous; tous les yeux ont pu contempler cette ville, placée sur la
montagne, et qui ne peut demeurer cachée, ce flambeau élevé sur le chandelier,
et qui brille aux regards de tous ceux qui habitent la maison 2. Où l’Eglise de
Dieu est-elle encore inconnue? En quels endroits n’ont pas encore pénétré les
rayons de la vérité chrétienne? Le Sauveur n’est-il pas cette montagne immense,
qui s’est formée d’une petite pierre, et qui s’étend sur toute la face de
l’univers »? Voilà ce qui les
1. Act. VII, 56, 57. — 2. Matt. V, 14, 15.—
3. Dan, II, 35.
convainc d’erreur; ils n’ont rien à dire
contre l’Eglise. A quoi sont-ils réduits? A nous dire:
Pourquoi nous chercher? Que nous voulez-vous?
Retirez-vous de nous. A dire à leurs partisans: Que personne d’entre vous
n’engage de conversation avec eux ! Ne les fréquentez pas, ne les écoutez pas.
Leur fureur est pareille à celle des serpents, « à la fureur d’un aspic sourd,
qui se bouche les oreilles, et qui n’entend ni la voix de l’enchanteur, ni la
voix du médicament que lui prépare le sage». D’après ce passage, n’est-il pas
facile d’imaginer de quel remède veut parler le Prophète, puisqu’il y est
question de la voix? Est-ce qu’un médicament aune voix? Oui, il est un remède
qui peut parler; ce remède, nous vous l’apportons; écoutez donc ce qu’il vous
dit, mais non à la manière d’un aspic sourd. « Enfants des hommes, si vous
parlez « vraiment selon la justice, que vos jugements soient justes». C’est la
parole «du remède», mais « du remède préparé par le sage ». Car Jésus-Christ
est venu pour accomplir la loi et les Prophètes 1, pour affermir la vérité
elle-même, pour établir enfin les deux commandements, qui renferment toute la
loi et tous les Prophètes 2.
10. On dit que, pour boucher parfaitement ses
oreilles, l’aspic presse l’une contre terre, et qu’à l’aide de sa queue, il
ferme l’autre. Voulons-nous voir encore en cela un autre mystère?
Demandons-nous quel est le sens de ce fait? Dans la queue, il faut voir le
symbole des choses passées, qui sont derrière nous; nous devons donc tourner le
dos au passé, pour porter notre attention vers ce qu’on nous promet; ne nous
attachons donc d’affection ni à notre vie passée, ni à la vie présente; c’est
l’avis que nous donne l’Apôtre: « Quel fruit », nous dit-il, « avez-vous retiré
de ce qui vous fait maintenant rougir 3? » Il nous défend par là de nous
rappeler avec plaisir le passé; par là, aussi, il arrête le désir secret d’en
jouir encore, et ainsi nous empêche-t-il de reporter nos affections dans la
terre d’Egypte. Pour le présent, en quels termes nous commande-t-il de le
mépriser? « Nous ne regardons point les choses visibles; nous ne considérons
que les choses invisibles. Les choses visibles appartiennent au temps et
passent vite; mais les choses invisibles sont éternelles 4». Il raisonne de la
même
1. Matt. V, 1,7,— 2. Id. XXII, 40,— 3. Rom.
VI, 21. — 4. II Cor. IV, 18.
manière au sujet de la vie présente: « Si
nous espérons en Jésus-Christ seulement en ce qui regarde la vie présente, nous
sommes les plus misérables de tous les hommes ». Oublie donc le passé; car,
pendant son cours, tu as mal vécu; méprise le présent, parce qu’il s’écoule
avec rapidité, et qu’en y attachant tes affections, tu trouverais en lui
l’obstacle le plus sérieux à l’acquisition des biens à venir. Si la vie
présente fait ton bonheur, tu appliques une oreille contre terre; et, si le
passé te charme encore, malgré la vitesse avec laquelle il s’éloigne de toi, tu
fermes avec la queue ton autre oreille. Va donc au jour, c’est ton devoir;
écoute la voix du remède que t’a préparé le sage; sors des ténèbres; ainsi
marcheras-tu à la lumière, et pourras-tu dire, dans le sentiment de la joie: «
J’oublie ce qui est derrière moi, et je m’avance vers ce qui est devant moi 2
». L’Apôtre ne dit pas: J’oublie ce qui est passé, pour mettre mon bonheur dans
le présent. En affirmant qu’il oublie le passé, il montre qu’il ne se sert pas
de la queue pour fermer l’une de ses oreilles; et, en ajoutant qu’il s’avance
vers les choses de l’avenir, il fait preuve de n’être point assourdi par les
affaires du moment. Puisqu’il entend, il est juste qu’il prêche ensuite, qu’il
se livre aux transports de la joie, et que, sous l’influence de ce sentiment
d’allégresse, il se dépouille de son premier vêtement et vienne au grand jour
annoncer la vérité.
Le serpent fait encore un autre emploi de sa
malice, et, sous ce rapport, le Seigneur nous engage à l’imiter: «Soyez», nous
dit-il, « soyez malins comme des serpents 3 ». Qu’est-ce à dire, « malins comme
des serpents? » Pour mettre sa tête à l’abri des coups de son adversaire, le
serpent lui présente le reste de son corps. Agis de même, car la tête de
l’homme, c’est le Christ 4. Mais tu es appesanti par le poids de ta première
peau, si j’ose parler ainsi, et par la lourdeur du vieil homme; aussi l’Apôtre
nous adresse-t-il cet avertissement: « Dépouillez-vous du vieil homme, et
revêtez-vous de l’homme nouveau 5 ». — Comment, diras-tu, comment me dépouiller
du vieil homme? — Imite la malice du serpent. Que fait-il pour se dépouiller de
sa vieille peau? Il se force à passer par
1. I Cor. XV, 19. — 2. Phil. III, 13. — 3. Matt. X, 16. — 4. I Cor. XI, 3. — 5. Colos. III, 9,
10.
un trou étroit. — Mais où trouverai-je ce
trou étroit par où je passerai? — Le voici; le Sauveur te l’indique. « La voie
qui mène à la « vie est étroite; il y en a peu qui y marchent 1 ». Parce qu’il
y en a peu pour oser la suivre, tu crains de t’y engager; tu ne veux pas y
marcher? C’est là qu’il faut se dépouiller de son vieux vêtement; il est
impossible de s’en dépouiller ailleurs. Si tu consens à être toujours chargé
des dépouilles du vieil homme, à les voir embarrasser tes mouvements et
t’étouffer, ne prends point ce chemin étroit, car tu ne pourras y passer avec
le fardeau de tes péchés et de ta première vie. Puisque ce corps, qui se
corrompt, appesantit l’âme 2, ou bien ne te laisse accabler par aucun désir
charnel, ou bien dépouille-toi de la concupiscence du vieil homme. Et comment
t’en dépouiller, si tu ne passes par la voie étroite, si tu n’es rusé comme un
serpent?
11. « Dieu a brisé leurs dents dans leur
bouche 3 ». A qui le Seigneur a-t-il brisé les dents? A ceux dont la fureur est
pareille à la fureur du serpent et de l’aspic qui ferme ses oreilles pour
n’entendre, ni la voix de l’enchanteur, ni celle du remède préparé par le sage.
Qu’est-ce que Dieu leur a fait? « Il a brisé leurs dents dans leur bouche ».
Dieu l’a fait, et, non seulement il l’a fait autrefois, mais il le fait encore
aujourd’hui. Cependant, mes frères, pourquoi ne pas se contenter de dire que «
Dieu a brisé leurs dents », sans ajouter qu’il les a brisées « dans leur
bouche? » Pareils au serpent et à l’aspic, dont nous parlions tout à l’heure,
les Pharisiens ne voulaient entendre ni la loi, ni les préceptes que
Jésus-Christ, la vérité même, leur apportait: leurs péchés passés étaient, pour
eux, un objet de complaisance, ils ne voulaient point renoncer à la vie
présente, c’est-à-dire qu’ils préféraient les joies passagères de ce monde aux
joies durables de l’éternité. Ils ne voulaient rien écouter, car leurs oreilles
étaient fermées, l’une par le plaisir que leur causait la mémoire du passé,
l’autre par le plaisir que leur procuraient les biens présents. Pourquoi, en
effet, ont-ils dit: « Si nous le laissons agir de la sorte, les Romains
viendront et nous enlèveront notre ville et notre pays 4? » C’est qu’ils ne
voulaient point perdre leur ville. Par conséquent, ils avaient appliqué
1. Matt. VII, 14. — 2.
Sag. IX, 15. — 3. Ps. LVII, 7. — 4. Jean, XI, 48.
contre terre une de leurs oreilles; aussi ne
voulurent-ils pas recevoir les paroles salutaires que leur adressait le sage,
et y restèrent-ils sourds. Il est dit encore qu’ils étaient avares et aimaient
l’argent, et nous trouvons dans l’Evangile l’histoire de toute leur vie, même
de leur vie passée, faite par Jésus-Christ. Il suffit de lire ce livre divin
pour comprendre ce qui leur fermait les deux oreilles.
Que votre charité veuille bien remarquer la
conduite de Dieu à leur égard. « Il a brisé leurs dents dans leur bouche ». Que
veulent dire ces mots: « Dans leur bouche? » Ils signifient qu’il les a forcés
de prononcer eux-mêmes leur condamnation, et que la sentence est sortie de leur
propre bouche. Leur but était de pouvoir décrier le Sauveur, à l’occasion du
tribut à payer à César. En réponse à leur question, Jésus ne leur dit ni qu’il
était permis, ni qu’il était défendu de le payer. S’il avait dit: Payez le
tribut à César, ils l’auraient accusé de manquer de respect à la nation Juive
en la déclarant tributaire, car, la prédiction en avait été faite dans la loi:
c’était en raison de leurs péchés qu’ils subissaient l’humiliante nécessité de
payer un tribut. S’il nous oblige, disaient-ils, à remplir ce devoir à l’égard
de l’empereur, nous aurons une preuve contre lui, nous l’accuserons d’outrager
la nation. Si, au contraire, il nous dit: Ne payez pas, vous n’y êtes pas
tenus, nous aurons toute facilité de prouver qu’il s’est déclaré contre César
et nous a empêchés de lui rendre nos devoirs. Tel fut le double piége qu’ils
tendirent au Sauveur, comme s’ils avaient pi,i espérer l’y prendre. Mais à qui
s’adressaient-ils? A celui qui savait briser les dents de ses adversaires dans
leur bouche. « Montrez-moi une pièce de monnaie », leur dit-il: « Hypocrites,
pourquoi me tentez-vous? » Pensez-vous à payer le tribut? Voulez-vous observer
la justice? Me demandez-vous un conseil pour devenir justes? « Si vous parlez sincèrement
selon la justice, soyez donc justes dans vos jugements, ô enfants des hommes ».
Mais puisque votre langage est tout opposé à vos jugements, vous n’êtes que des
hypocrites: « Pourquoi me tentez-vous? » Je vais briser vos dents dans votre
bouche. « Montrez-moi une pièce de monnaie ». Et ils en mirent une sous ses
yeux. Et au lieu de leur dire: Voilà l’image de César, il leur adresse cette
question: « De qui
est cette image? » Par là il brisait leurs
dents dans leur bouche; car, Jésus leur demandant quelles étaient l’image et
l’inscription gravées sur cette pièce de monnaie, ils furent obligés de
répondre que c’étaient celles de César. Le Sauveur avait, dès lors, toute
facilité de briser leurs dents dans leur bouche. Vous avez répondu: aussi vos
dents sont-elles brisées dans votre bouche. « Rendez donc à César ce qui est à
César, et à Dieu ce qui est à Dieu 1 ». César vous demande son image:
rendez-la-lui. Dieu vous demande la sienne: faites de même. Vous n’avez pas le
droit de faire perdre à César sa monnaie: vous n’avez pas davantage le droit
d’enlever à Dieu ce qui lui appartient. A cela qu’avaient-ils à répondre? Rien.
Ils avaient été envoyés vers Jésus pour trouver en lui un motif de le décrier:
ils revinrent en disant qu’il était impossible de lui répondre. Pourquoi cela?
Parce que leurs dents avaient été brisées dans leur bouche.
12. Autre fait semblable. Les Pharisiens
dirent à Jésus: « Par quelle puissance faites-vous tous ces prodiges? » Et il leur
répondit: « Je vais, à mon tour, vous faire une question: « répondez-moi».Et il
les interrogea au sujet de Jean, et leur demanda d’où venait le baptême de
Jean, de Dieu ou des hommes? par là, il les mettait dans l’impossibilité de
répondre, à moins de se condamner eux-mêmes. Ils ne voulurent pas dire que ce
baptême venait des hommes, dans la crainte d’être lapidés par ceux qui les
entendraient, parce qu’on regardait Jean comme un prophète. Dire qu’il venait
de Dieu était pour eux bien plus difficile, car c’était avouer que lui-même
était le Christ, puisque Jean l’avait annoncé comme tel. Restés entre ces deux
impossibilités, incapables de répondre de façon ou d’autre, ces malheureux, qui
voulaient embarrasser le Sauveur, en appelèrent à l’ignorance et lui dirent:
«Nous ne savons pas 2 ». Quand ils lui disaient: « Par quelle puissance
faites-vous ces prodiges? » ils avaient l’intention de le mettre en défaut et
de l’attaquer. S’il avait dit: Je suis le Christ, ils se seraient jetés sur
lui, prétextant de sa part l’arrogance, l’orgueil, des paroles sacrilèges: il
ne voulut point faire cette déclaration, muais il posa une question sur le
compte de Jean, qui, lui, avait publiquement reconnu le caractère du Christ.
1. Matt. XXII, 17, 21.— 2. Marc, XI, 28, 33.
Ses ennemis ne se sentirent pas l’audace
d’attaquer le témoignage de Jean, parce qu’ils avaient à craindre de se voir
assassinés par le peuple: le courage leur manqua aussi pour avouer que Jean
avait dit vrai, parce que c’était donner à Jésus le droit de leur dire Ajoutez
donc foi à ses paroles. Dans cette alternative ils gardèrent le silence, sous
prétexte d’ignorance: preuve évidente qu’ils étaient dans l’impossibilité de
mordre: d’où venait cette impossibilité? Elle venait, vous le comprenez
aisément, de ce que leurs dents étaient brisées dans leur bouche.
13. Un pharisien avait invité le Sauveur àun
repas; alors une femme pécheresse entra dans la salle du festin, et se jeta aux
pieds de Jésus: le pharisien en fut scandalisé; et, dans le sentiment de la mauvaise
humeur qu’il éprouva contre lui, il s’écria: « Si cet homme était un véritable
prophète, il connaîtrait cette femme qui le touche ». O toi, pharisien, qui
n’es certainement pas un prophète, comment sais-tu que Jésus ignore quelle est
cette femme qu’il voit prosternée devant lui? A son avis le Sauveur n’observait
pas la pureté judaïque, pureté néanmoins tout extérieure, et à laquelle le
coeur restait complètement étranger. Mais les pensées de son hôte étaient aussi
peu ignorées du Christ que les péchés de cette femme; aussi lui fit-il la
réponse que vous savez. J’abrége: il voulut lui briser les dents dans la
bouche. Voici la question qu’il lui adressa: « Deux débiteurs étaient
redevables à un homme: l’un devait cinq cents deniers, l’autre cinquante. Comme
ils n’avaient ni l’un ni l’autre de quoi s’acquitter de leurs dettes, leur
créancier leur fit remise du tout. Lequel des deux l’a aimé davantage? » Jésus
interroge le pharisien et le force à répondre: celui-ci répond de manière à se
briser les dents dans la bouche; il répond, mais confus; et tandis que la
miséricorde divine lui est refusée, la femme pécheresse est admise à en
recueillir le bénéfice; par là tous peuvent s’apercevoir que si elle est entrée
avec une sorte de violence, dans une maison étrangère, elle ne s’est pas
approchée d’un Dieu étranger 1.
14. « Le Seigneur a brisé leurs dents dans
leur bouche. Le Seigneur a brisé les mâchoires des lions »,aussi bien que les
dents des aspics. Que font les aspics? Ils sont insidieux; ils
1. Luc, VII, 39-50.
se glissent secrètement pour lancer plus
sûrement leur dard: leur venin se répand et empoisonne pour ainsi dire, avant
qu’on s’en aperçoive. Pour les nations, elles se sont ouvertement déclarées
contre l’Eglise; elles ont rugi comme des lions, « Pourquoi les nations
ont-elles frémi? Pourquoi les peuples ont-ils formé de vains complots 1?» Quand
les adversaires du Sauveur lui tendaient des piéges, et lui demandaient, par
exemple, « s’il est permis ou défendu de payer le tribut u à César », ils
agissaient à la manière des aspics et des serpents, et, alors, leurs dents se
sont brisées dans leur bouche. Plus tard, ils ont crié: « Crucifie-le !
Crucifie-le 2! » Ce n’était plus là le langage de l’aspic: c’était le
rugissement du lion; « mais Dieu a aussi broyé les mâchoires des lions ». Ce
n’est pas sans motif, peut-être, qu’il n’est pas dit ici « dans leur bouche ».
Quand les pharisiens cherchaient par de captieuses questions àprendre Jésus
dans ses paroles, ils se trouvaient forcément condamnés par leur propre
réponse; mais lorsqu’ils l’attaquaient brutalement, pouvait-il, lui, les
réduire à l’impuissance en les interrogeant à leur tour? Toutefois, leur
mâchoire a été aussi brisée. Après avoir été attaché à la croix, le Sauveur est
ressuscité, il est monté au ciel, il est couronné de gloire et adoré de toutes
les nations et de tous les rois. Que les Juifs l’attaquent, s’ils le peuvent:
ils en sont désormais incapables, car « le Seigneur a broyé les mâchoires des
lions».
15. Les hérétiques nous donnent, comme les
Juifs, une preuve et un exemple de ce qu’ils sont. Il nous est impossible d’en
douter, ce sont des serpents: assourdis par la fureur, ils ne veulent rien
entendre de ce que leur dit le remède préparé par le sage; aussi le Seigneur
a-t-il brisé leurs dents dans leur bouche. Comme ils s’emportent contre nous !
Ne nous accusent-ils pas d’être en quelque sorte des persécuteurs, parce que
nous les chassons des églises? Demande-leur maintenant si l’on doit en exclure
les hérétiques, ou leur laisser le droit d’y entrer. Qu’ils répondent! S’ils
disent qu’on ne doit pas les en bannir, les Maximianistes y rentreront
aussitôt. Mais pour ne pas y voir revenir les Maximianistes, ils disent qu’il
faut en éloigner les hérétiques. Pourquoi alors nous accuser et crier contre
nous?
1. Ps. I, 1. — 2. Matt. XXVII, 23; Jean, XIX,
6.
Vos dents seraient-elles brisées dans votre
bouche?— Qu’y a-t-il de commun entre les rois et nous,disent-ils? Qu’y a-t-il
de commun entre les empereurs et nous? Pour vous, vous avez mis en eux votre
confiance. — Et moi, je leur demande à mon tour: Qu’avez-vous de commun avec
les proconsuls qui sont les envoyés des empereurs? Qu’y a-t-il dé commun entre
vous et les lois portées par eux coutre vous? Les empereurs de notre communion
ont édicté des lois contre tous les hérétiques, et ceux qu’ils désignent sous
le nom d’hérétiques sont apparemment ceux qui n’appartiennent pas à leur
communion; on ne se tromperait pas, sans doute, en vous rangeant parmi eux. Si
ce sont de vraies lois, elles doivent vous être appliquées, puisque vous êtes
hérétiques; si elles sont fausses, pourquoi en requérez-vous l’application à
ceux qui se sont séparés de vous? Veuillez y faire attention, mes frères, et
prenez garde à ce que nous venons de dire. Toutes les fois qu’ils ont lutté
coutre les Maximianistes pour les chasser, comme schismatiques condamnés par
eux, d’églises dont ils étaient maîtres depuis longtemps, puisqu’ils avaient
reçu leurs siéges de ceux qui les y avaient précédés, les Donatistes ont eu
recours aux lois de l’empire; ils se sont présentés devant les juges et se sont
déélarés catholiques, afin de mieux réussir à déposséder les hérétiques.
Pourquoi te dire catholique, pour exclure des hérétiques? Pour ne pas être
chassé toi-même comme ennemi de la foi, ne vaudrait-il pas mieux devenir
franchement catholique? Tu es catholique pour le moment, afin de chasser les
hérétiques au moyen de ton nom, car le juge ne peut agir que suivant la teneur
de ses lois. Parce qu’ils se sont dits catholiques, on les a admis à plaider.
Ils ont accusé d’hérésie les Maximianistes, on leur a demandé leurs preuves:
alors ils ont lu les actes du concile de Bagaï, où leurs adversaires avaient
été condamnés; on inséra ces actes dans les registres du proconsul; il fut
prouvé que ces hérétiques ne devaient rester en possession d’aucune église,
puisqu’une condamnation avait été prononcée contre eux; aussi, le proconsul
rendit-il une sentence conformément aux lois. Quelles étaient ces lois?
C’étaient celles qui avaient été édictées contre les hérétiques. Dès lors
qu’elles frappaient les hérétiques, ou les avait donc aussi portées contre toi,
ô Donatiste. — Pourquoi cela? Je
ne suis aucune hérésie. — S’il en est ainsi,
les lois précitées sont fausses, puisqu’elles émanent d’empereurs qui n’appartiennent
pas àta communion, et qu’elles désignent sous le nom d’hérétiques tous ceux qui
ne sont pas de la même communion qu’eux. Mais je ne m’inquiète pas de savoir si
ces lois sont vraies ou si elles sont'fausses; mettons de côté cette question,
si tant est que c’en soit encore une: je me borne pour le moment à te demander
ton opinion à ce sujet: Ces lois sont-elles vraies? sont-elles fausses? Si
elles sont vraies, qu’on les regarde comme telles; si elles sont fausses,
pourquoi t’en servir? Tu as fait au proconsul cette déclaration: Je suis
catholique: chasse les hérétiques. Celui-ci a exigé de toi les preuves de ton
assertion: tu as alors produit les actes de ton concile, et fait voir que les
Maximianistes y ont été condamnés. Soit connivence, soit ignorance des choses,
le proconsul a, comme juge, appliqué la loi, et tu lui as fait faire ce que tu
ne veux pas faire toi-même; car s’il a appliqué, par suite de tes
sollicitations, les lois impériales, pourquoi ne pas t’en servir
personnellement pour te corriger? Il a dépossédé de son église un hérétique, et
cela en vertu des lois impériales pourquoine pas vouloir qu’on agisse de même
envers toi, d’après les mêmes lois? Nous nous résumons: Quelle a été votre
conduite en toute cette affaire? Les Maximianistes étaient en possession de
certaines églises: aujourd’hui, vous en êtes les maîtres, parce que vous en
avez chassé les Maximianistes: on a fait paraître les édits des proconsuls, on
a cité les actes, on a employé des huissiers, des villes ont été soulevées, et les
gens chassés de leurs sièges. Pourquoi? Parce qu’ils étaient hérétiques. En
vertu de quelles lois les a-t-on dépossédés? Réponds. En vérité, vos dents ont
été brisées dans votre bouche. Si la loi est fausse, elle n’a aucune force
contre ceux qui se séparent de ta croyance. Si elle est vraie, elle doit
s’appliquer à toi comme à eux. Que peuvent-ils répliquer? « Le Seigneur a brisé
leurs dents dans leur bouche ». Lorsqu’ils ne peuvent, par leurs subtilités
trompeuses, se glisser comme des aspics, ils emploient la violence ouverte et
rugissent comme des lions. Les circoncellions se forment en bandes armées pour
courir de tous côtés et commettre le crime: nul ne saurait dire ni le nombre ni
la scélératesse de leurs sanglants forfaits, car ils y emploient toutes leurs
forces: mais « le Seigneur a brisé aussi les mâchoires des lions».
16. « Ils seront anéantis comme l’eau qui
court dans le lit d’un torrent 1 ». Ne vous épouvantez pas à la vue de ces
cours d’eau auxquels on donne le nom de torrents; ne tremblez pas, si vous les
voyez gonflés par les pluies d’hiver: leurs eaux, en s’écoulant, ne font que
passer: par la violence et la rapidité de leurs flots, ils font grand bruit
pour un moment; mais bientôt ce bruit s’apaise, car ils ne sauraient longtemps
garder le même niveau. C’en est déjà fini d’un grand nombre d’hérésies:
pareilles à des torrents que contiennent avec peine leurs rives, elles se sont
précipitées avec toute la violence dont elles se sentaient capables: elles ont
eu leurs cours; leur lit s’est dèsséché, et c’est tout au plus si l’on se
sou-vient d’elles: à peine sait-on qu’elles ont existé. « Ils seront anéantis
comme l’eau qui court dans le lit d’un torrent ».
Les hérétiques ne sont pas seuls à faire du
bruit pour un moment, et à vouloir nous entraîner à leur suite: ce monde tout
entier en est là. Tous les impies, tous les orgueilleux font grand bruit en
frappant le rocher de leur orgueil, comme les flots rapides et pressés d’une
rivière retentissent en se brisant contre leurs rives: ce sont des eaux
d’hiver; elles ne peuvent rester en place; il faut qu’elles se rendent où les
dirige leur cours; elles doivent parvenir à leur destination c’est à ce torrent
du siècle que le Seigneur s’est abreuvé, car il a souffert ici-bas, il a bu de
l’eau du torrent, mais seulement en passant, parce qu’il ne s’est point arrêté
dans la voie des pécheurs 2. Voici comme l’Ecriture s’exprime à son sujet: «
Dans son chemin il boira de l’eau du torrent: c’est pourquoi il lèvera la tête
3 ». C’est-à-dire: il est mort, aussi est-il couronné de gloire; il a souffert,
aussi est-il ressuscité. Si, dans son chemin, il n’avait pas consenti à boire
de l’eau du torrent, il ne serait pas mort; sa mort a été le prélude de sa
résurrection; et, parce qu’il est sorti vivant d’entre les morts, il est entré
dans le séjour de la gloire. Donc, « il boira dans son chemin de l’eau du
torrent, et à cause de cela, il lèvera la tête ». Notre chef est aujourd’hui
exalté; puissions-nous, puisque nous sommes
1. Ps. LVII,
8. — 2. Id. I, 1.— 3. Id. CIX, 7.
ses membres, arriver à la même gloire. « Ils
seront anéantis comme l’eau qui court dans le lit d’un torrent. Le Seigneur a
bandé son arc, jusqu’à ce qu’ils soient réduits à la défaillance ». Le Seigneur
ne cesse de nous faire entendre ses menaces: ses menaces, voilà son arc; il
tend son arc, il ne frappe pas encore. « Il a bandé son arc jusqu’à ce qu’ils
soient réduits à la défaillance » Il en est beaucoup qui sont tombés en
défaillance; car, en le voyant bander son arc, ils ont eu peur. Voilà le motif
qui a fait défaillir Saul, et lui a fait dire: « Seigneur, que dois-je faire
pour me montrer soumis à vos ordres? Je suis », répondit le Sauveur, « je suis
Jésus de Nazareth, que tu persécutes ». En lui parlant ainsi du haut du ciel,
Dieu bandait son arc, Après avoir été ses ennemis, plusieurs se sont sentis
faiblir et se sont convertis, n’osant point lever longtemps la tête contre
Dieu, qui ne cessait de tendre contre eux son arc. Ne craignons pas de
défaillir: saint Paul l’a tait avant nous: « C’est », dit-il, « quand je tombe
en défaillance, que je suis plus fort ». Aussi, quand il priait Dieu de lui
ôter l’aiguillon de la chair, lui fut-il répondu: « La force se perfectionne
dans la faiblesse 2 ». « Il a bandé son arc jusqu’à ce qu’ils tombent en défaillance
».
17. « Ils disparaîtront comme de la cire qui
se fond 3 ».Tu diras peut-être: Tous ne me ressemblent pas; tous ne tombent pas
en défaillance pour puiser la foi dans leur faiblesse, car on en voit un grand
nombre persévérer dans le péché et dans la malice. Ne crains rien de leur part;
« ils disparaîtront comme de la cire qui se fond ». Ils ne tiendront pas
longtemps contre toi; leur résistance ne sera pas de longue durée; ils seront
consumés par les ardeurs mêmes de leur concupiscence. Il y a, pour ces pécheurs
endurcis, une sorte de peine cachée; à partir de ce. verset jusqu’à la fin du
psaume, le Prophète nous en parlera: il nous reste peu de versets à expliquer;
veuillez me prêter toute votre attention.
L’avenir réserve aux pécheurs une peine d’une
certaine nature; c’est la géhenne du feu, c’est le feu éternel. Elle est de
deux sortes. La peine de l’enfer, d’abord: le mauvais riche en souffrait; après
avoir relégué en dehors de sa porte le pauvre Lazare, objet de ses mépris, il
eût désiré qu’une goutte
1.
Act. IX, 6, 5. — 2. II Cor. XII, 10, 9. — 3. Ps. LVII, 9.
d’eau, tombée du bout du doigt de ce
malheureux, vînt rafraîchir ses lèvres desséchées par le feu; et il s’écriait:
« Que je souffre dans ces flammes 1 ! » Ensuite, la peine finale à laquelle
seront condamnés ceux que le Seigneur placera à sa gauche en leur disant: «
Allez au feu éternel, qui a été préparé au démon et à ses anges 2». Ces
punitions seront visibles à tous les yeux, soit au moment où nous sortirons de
cette vie, soit à la fin des temps, lorsque sera venu le jour de la
résurrection des morts. Mais pour aujourd’hui, n’y a-t-il aucune peine réservée
aux pécheurs, et le Seigneur laissera-t-il leurs iniquités impunies jusqu’à ce
dernier jour? Non, il est pour eux ici-bas une peine secrète; nous allons vous
en entretenir. L’Esprit de Dieu veut nous la faire connaître; puissions-nous en
concevoir une idée juste, y prendre garde et l’éviter ! Par là, nous nous
préserverons de ces punitions terribles que je vous signalais tout à l’heure.
Quelqu’un me dira peut-être: Pendant cette vie mortelle, l’homme est exposé à
des peines de plus d’une sorte, à la prison, à l’exil, aux tourments, à la
mort, à des douleurs et à des tribulations de tout genre. Oui, l’existence
humaine est traversée de ces peines diverses, et Dieu nous en afflige, par un
juste jugement de sa Providence; elles servent à éprouver les uns et à punir
les autres. Parfois il arrive que les justes se voient soumis à de pareilles
épreuves et que les pécheurs en sont exempts. Le Prophète s’en était aperçu; il
avait alors senti une sorte de faiblesse dans sa démarche; mais enfin, il
s’était écrié: « Que le Dieu d’Israël est bon pour ceux qui ont le coeur droit
! Mes pieds se sont ébranlés, parce que j’ai été saisi d’indignation en u voyant
la paix dont ils jouissent». Il avait été témoin de la félicité des méchants;
il aurait presque désiré de leur ressembler, car il les voyait placés au faîte
des honneurs, réussissant à merveille, nageant, en quelque sorte, dans
l’abondance des biens de ce monde; pareil à un enfant encore faible, il
souhaitait recevoir de la main de Dieu tous ces avantages temporels; ses pas
devinrent donc chancelants, jusqu’au moment où il réfléchit à ce qu’il y avait
à craindre ou à espérer pour l’avenir. Aussi dit-il dans le même psaume: « Je
ne vois, que difficultés devant moi, jusqu’à ce que j’entre dans le
1. Luc, XVI, 24. — 2. Matt. XXV, 41.
sanctuaire de Dieu, et que je comprenne leur
fin 1 ». Le Saint-Esprit veut fixer notre attention sur les peines réservées
aux pécheurs, mais il ne veut nous parler ni des peines de l’enfer, ni du feu
éternel, qui brûlera les méchants après la résurrection; ni des épreuves de
cette vie, qui sont communes aux justes et aux pécheurs, et qui, le plus
souvent, affligent d’une manière plus sensible les amis de Dieu que ses
ennemis; ce qu’il a en vue, ce sont certaines peines de la vie présente.
Faites-y bien attention, écoutez-moi; ce que je vais vous dire, vous le savez
déjà; mais vous éprouverez un véritable plaisir à entendre le Psalmiste vous le
répéter ici, et à comprendre un passage qui vous a paru difficile à saisir
avant toute explication. Vous connaissez déjà les vérités dont je vais vous
entretenir; néanmoins, elles vous seront aussi agréables que si elles avaient
pour vous le charme de la nouveauté, parce que je vous aiderai à les découvrir
là où vous ne supposiez pas les voir renfermées. Voici donc en quoi consiste la
punition des impies. « Ils disparaîtront comme de la cire qui se fond ». Je
vous l’ai déjà dit: la cause d’un pareil effet se trouve être dans leurs
passions. La concupiscence coupable est comme un feu; c’est une flamme ardente.
Le feu réduit en cendres un vêtement, et une âme, dévorée par l’ardeur d’une
passion adultère, demeurerait intacte? La sainte Ecriture nous parle du dessein
de commettre l’adultère, et nous dit: « Où est l’homme capable de porter du feu
dans le pan de sa robe, sans qu’elle en soit brûlée? » Place des charbons
ardents sur le pan de ta robe, elle sera bientôt percée; et quand tu auras mis
dans ton coeur le désir de l’adultère, il n’en sera pas atteint?
18. Ce genre de punition, très-peu d’hommes
le remarquent; c’est pourquoi l’Esprit de Dieu s’applique tout particulièrement
à nous le faire connaître. Ecoute la parole de l’Apôtre: « Dieu les a livrés
aux désirs dépravés de leur cœur ». Voilà le feu en présence duquel ils fondent
comme la cire, car ils perdent en quelque sorte la consistance de la chasteté;
aussi appelle-t-on mous et dissolus ceux qui se laissent aller à de telles
passions. Qu’est-ce qui les amollit? Qu’est-ce qui les rend dissolus? C’est le
feu des passions. « Dieu les a livrés aux désirs désordonnés de leur
1. Ps. LXVII, 1, 2, 3, 16, 17. — 2. Prov. VI,
27, 29.
coeur, et leur corruption les a portés à des
actions indignes de l’homme; ils ont été remplis de toutes sortes d’injustices
». Saint Paul énumère un grand nombre de péchés, et il ajoute qu’ils sont la
punition du péché; il dit, en effet, que l’orgueil est la première de ces
punitions, et, pourtant, il est bien plutôt le premier de tous les péchés. Le
premier péché de l’homme est l’orgueil, comme la dernière de ses peines sera le
feu éternel, ou le feu de l’enfer, qui tourmente dès maintenant les damnés. Ce
qui se trouve entre ce premier péché et cette dernière peine est, en même
temps, péché et punition du péché. Car l’Apôtre rapporte une foule d’actions
détestables, qui sont chez les pécheurs la conséquence et la punition d’autres
fautes. « Dieu », dit-il, « les a livrés aux désirs corrompus de leurs coeurs,
et leur corruption les a portés à des actions indignes de l’homme ». Et afin
que personne ne pût croire que les méchants n’ont à redouter aucune peine,
autre que celle où ils trouvent maintenant leur bonheur, et pour inspirer à
tous la crainte de ce qui arrivera plus tard, il parle de la dernière peine. «
Après avoir connu la justice de Dieu, ils n’ont pas compris que les auteurs de
pareils désordres sont dignes de mort, non seulement ceux qui s’y abandonnent,
mais encore ceux qui les approuvent ». Les auteurs de pareils désordres. Quels
désordres? Ceux qu’il a désignés plus haut comme étant la punition du péché;
car « Dieu les a livrés aux désirs corrompus de leur coeur, et leur corruption
les a portés à des actions indignes de l’homme ». Qu’un homme soit adultère, c’est
déjà une punition pour lui; n’en est-il pas de même s’il est menteur, avare,
trompeur, assassin? De quelle faute ces nouvelles prévarications peuvent-elles
être la peine? De leur première apostasie, de leur orgueil. « Le commencement
de tout péché est de s’éloigner de Dieu par l’apostasie; et le commencement de
tout péché est l’orgueil 1». C’est pourquoi il donne le nom de premier au péché
de ceux « qui, ayant connu Dieu, ne l’ont pas glorifié comme Dieu et ne lui ont
pas rendu grâces, mais se sont égarés dans leurs vains raisonnements; aussi
leur coeur, dépourvu d’intelligence, a-t-il été rempli de ténèbres ». Cet
obscurcissement du coeur
1. Eccli. X, 14, 15,
est déjà une grande peine. Mais quelle en a
été la cause? « Ils disaient qu’ils étaient sages, et ils sont devenus fous 1
». Ils disaient tenir d’eux-mêmes ce qu’ils avaient reçu de Dieu; et s’ils.ont
reconnu la source divine où ifs l’ont puisé, ils n’ont pas glorifié celui
qu’ils avaient reconnu comme l’auteur de leurs lumières; c’est-à-dire, « ils
disaient qu’ils étaient sages ». Le Prophète indique immédiatement après quelle
a été leur punition. « Ils sont devenus fous, et leur coeur dépourvu
d’intelligence a été rempli de ténèbres. Ils disaient qu’ils étaient sages, et
ils « sont devenus fous ». Est-ce là une punition de minime importance? Pour ne
parler que de celle-là, peut-on dire que l’obscurcissement du coeur,
l’aveuglement de l’esprit doivent être considérés comme peu de chose? Si un
homme avait perdu un oeil au moment même où il se rendait coupable d’un vol,
tous seraient unanimes à dire que Dieu était là pour le punir. Le pécheur a
perdu l’oeil de son coeur, et l’on s’imaginerait que Dieu l’a épargné? « Ils
disparaîtront comme la cire qui se fond ».
19. « Un feu est tombé sur eux, et ils n’ont
point vu le soleil ». Vous voyez comment le Prophète explique la peine de
l’aveuglement de l’esprit. « Un feu est tombé », c’est le feu de l’orgueil
terni par la fumée; c’est le feu de la concupiscence, c’est le feu de la
colère. Quel feu! celai qui en est atteint ne voit pas le soleil. C’est
pourquoi il a été dit: « Que le soleil ne se couche point sur votre colère 2».
Aussi, mes frères, redoutez les ardeurs d’une coupable concupiscence, si vous
voulez ne pas fondre comme de la cire et disparaître de devant la face de Dieu,
Car si ce feu des passions vient à tomber sur vous, il vous sera désormais
impossible de voir le soleil. Quel est ce soleil? Ce n’est point celui dont les
rayons frappent les regards des bêtes et des mouches aussi bien que les vôtres;
ce n’est pas celui que contemplent également les bons et les méchants, et que
Dieu fait lever sur les hommes vertueux et sur les pécheurs 3. Il est un autre
soleil, et c’est de lui que les pécheurs parleront quand ils diront: « Le
soleil ne s’est point levé sur nous; toutes ces choses ont passé comme l’ombre.
Nous nous sommes donc écartés de la voie de la vérité; la lumière de la justice
n’a pas lui sur nous,
1.
Rom.. I, 21,29,— 2. Eph. IV, 26. — 3. Matt. V, 45.
et le soleil ne s’est point levé sur nous ».
Pourquoi? « Parce qu’un feu est tombé sur eux et qu’ils n’ont pas vu le soleil
1 ». La concupiscence de la chair les a vaincus; mais d’où leur est venue cette
concupiscence? Remarquez-le bien. Tu es venu en ce monde, apportant avec toi,
comme un héritage, l’ennemi que tu dois vaincre; c’est déjà assez pour toi d’en
triompher, sans que tu lui en adjoignes d’autres. La lice de cette vie s’est
ouverte pour toi et pour lui en même temps; engage donc le combat avec cet
ennemi qui t’accompagnait à ton entrée dans le champ de bataille. Tu n’as pas
encore remporté sur lui la victoire; pourquoi donc provoquer au combat une
multitude de passions? De fait, mes frères, l’homme naît avec la concupiscence
de la chair; mais s’il est bien formé à la lutte, il distingue bien vite son
ennemi, il fond sur lui et l’attaque, et son triomphe ne se fait pas longtemps
attendre; avant l’arrivée d’autres adversaires, il peut aisément vaincre. Mais
si l’on néglige d’en finir avec cette concupiscence qu’on a apportée avec soi
en ce monde comme perpétuel effet du péché, si l’on fait naître et qu’on excite
beaucoup d’autres passions, il est sûr qu’on éprouvera à les surmonter
d’énormes difficultés, et qu’on sera consumé par elles comme par un feu
intérieur, parce que les forces, se trouvant partagées, ne peuvent plus être
d’aucune utilité. Ne t’imagine donc pas que les peines de l’avenir soient les
seules que tu aies à redouter; vois celles qui t’attendent pour le présent. «
Un feu est tombé sur eux, et ils n’ont pas vu le soleil ».
20. « Avant que le nerprun produise ses u
épines, Dieu les dévorera comme s’ils étaient vivants, comme dans sa colère 2
». Qu’est-ce que le nerprun? C’est une espèce d’épines toute particulière: ce
sont des épines très-épaisses. Le nerprun n’est d’abord que de l’herbe: alors
il est tendre et beau; mais plus tard il se transforme en épines. Les péchés ne
semblent maintenant procurer que des plaisirs, ils ne font pas encore sentir
d’épines. Le nerprun n’est que de l’herbe, on n’y trouve rien qui blesse. « Avant
que le nerprun produise des épines »; avant que ces malheureux plaisirs et ces
voluptés déplorables donnent lieu à des tourments certains. Vous qui aimez
ardemment une chose et qui ne parvenez point à en
1. Sag. V, 6, 9. — 2. Ps. LVII, 10
jouir, interrogez-vous vous-mêmes; voyez si
vos désirs ne sont pas pour vous la source des plus cuisantes douleurs; et, si
un jour vous pouvez atteindre à votre coupable but, soyez en sûrs, la crainte
vous tourmentera cruellement. Considérez donc à quelles peines vous êtes
ici-bas condamnés, avant que vienne la résurrection des morts, avant que votre
corps sorte du tombeau pour ne pas être changé; « car nous ressusciterons tous,
mais nous ne serons pas tous changés 1 ».Les méchants auront une chair de
corruption pour souffrir et non pour mourir, parce que, s'ils mouraient, leurs
douleurs auraient un terme; alors ils sentiront toutes les épines du nerprun,
c'est-à-dire toutes les douleurs et la poignante vivacité de leurs tourments.
Quelles épines feront souffrir ces malheureux quand ils s'écrieront: « Voilà
ceux dont nous nous sommes autrefois moqués 2 » Epines de regret et de repentir
! Mais pénitence trop tardive ! Repentir infructueux et stérile comme les
épines! La pénitence d'aujourd'hui est une peine salutaire; celle du dernier
jour ne sera qu'une punition infligée par la vengeance divine. Veux-tu n'être
point transpercé par ces épines de la fin des temps? Laisse-toi blesser
aujourd'hui par celles d'un repentir utile; mets en pratique ces paroles du
Psalmiste: « Je me suis converti dans le chagrin que l'épine m'a causé en me
transperçant. J'ai reconnu mon péché; je n'ai point caché mon injustice. J'ai
dit: Je déclarerai moi-même mon iniquité en face du Seigneur; et vous m'avez
pardonné l'impiété de mon coeur 3 ».Commence dès maintenant; que ton âme soit
brisée par la componction; puisses-tu ne jamais mériter qu'on dise de toi ce
que l'Ecriture a dit de certaines personnes vraiment dignes de mépris: « Ils
ont été déchirés, et néanmoins ils n'ont pas été touchés de componction 4 ».
Remarquez bien, je vous prie, quels sont ces hommes Il déchirés sans être
touchés de componction ». Vous les voyez blessés, vous ne les voyez pas
contrits et repentants. Ils sont hors de l'Eglise et n'en ressentent aucune
peine; aussi ne cherchent-ils pas à rentrer dans le giron de celle dont ils ont
été violemment arrachés. Leur nerprun produira plus tard pour eux des épines;
ils ne veulent pas aujourd'hui de
1. I
Cor. XV, 51. — 2. Sag. V, 3. — 3. Ps. XXXI, 4-6. — 4. Id. XXXIV,16.
blessures qui lcs guérissent; un jour viendra
où ils seront blessés pour leur malheur. Aujourd'hui déjà, et quoique le
nerprun ne se soit point encore transformé en un buisson épineux, une flamme
est tombée sur eux, qui ne leur permet pas de voir le soleil, et qui sert d'instrument
à la colère de Dieu pour les dévorer tout vivants: c'est la flamme des passions
désordonnées, du désir des vains honneurs, de l'orgueil, de leur avarice; elle
les enveloppe de toutes parts, et, par suite, ils ignorent la vérité, ils ne
s'aperçoivent nulle. ment de leur défaite, et la vérité elle-même est incapable
de les assujétir à son joug. Qu'y a-t-il pourtant de plus glorieux, mes frères,
que de se laisser vaincre et assujétir par la vérité? Soumets-toi
volontairement à elle, parce qu'elle te dominerait plus tard malgré toi.
Toutefois ce feu des mauvais désirs qui tombe sur les pécheurs, afin de les
empêcher d'apercevoir le soleil, dévore le nerprun avant qu'il montre ses
épines, c'est-à-dire qu'il enveloppe comme d'un nuage leur mauvaise vie, avant
que se fassent sentir les douleurs éternelles dont elle sera manifestement
punie; c'est par un effet de la colère divine que ce feu cache le nerprun. Ne
voyez-vous pas déjà pour eux une punition effrayante en ce qu'ils ne voient pas
le soleil, et en ce qu'ils s'imaginent n'avoir pour jamais à redouter les
douloureuses conséquences de léur vie de péché? Vous êtes, nous dit le
Prophète, un nerprun; la flamme de vos passions mauvaises vous dévorera tout
vivants, c'est-à-dire, pendant que vous êtes en ce monde; ainsi sera-t-elle
déjà l'instrument de la vengeance de votre Dieu; elle vous dévorera avant que
vos fautes produisent pour vous au dernier jugement les épines visibles de
votre éternelle punition; ou, pour m'exprimer autrement, elle semblera vous
dévorer, car elle vous déguisera vos égarements. Voici donc, à mon avis, la
meilleure manière de coordonner le sens de cette phrase: « Un feu est tombé sur
eux, et ils n'ont pas vu le soleil; ce feu, instrument de la colère divine,
vous dévorera comme si vous étiez vivants, comme si vous étiez un nerprun qui
n'a pas encore formé ses épines »; c'est-à-dire: Vous êtes un nerprun; le feu
de la colère de Dieu vous consumera avant votre mort, avant que vous produisiez
les épines qui vous feront souffrir après la mort, au jour de votre
résurrection.
Pourquoi, au lieu de dire que ce feu les
dévorera tout vivants, le Prophète dit-il qu’il les consumera « comme s’ils
étaient vivants? » C’est que la vie des impies n’est pas une véritable vie. A
vrai dire, ils ne vivent pas, seulement ils se croient vivants. Pourquoi
encore, au lieu de dire: Dans la colère de Dieu, le Psalmiste dit-il: « Comme
dans la colère de Dieu? » C’est qu’en les punissant, Dieu ne perd rien de sa
tranquillité. Il est, en effet, écrit: « Pour vous, Seigneur des armées, vous
nous jugez avec tranquillité 1 ». Même au moment où il fait des menaces, il
n’est pas irrité; et, quand il se venge et punit ses créatures rebelles, il ne
se trouble pas, il semble seulement s’irriter. De même ceux qui ne veulent
point se convertir paraissent vivants, quoiqu’ils ne le soient pas en réalité.
Ils sentent toujours peser sur eux la punition infligée par Dieu à la
prévarication de notre premier père et à celles dont ils se sont eux-mêmes
rendus coupables; à cette punition on donne le nom de colère de Dieu, parce
qu’elle est l’effet de ses jugements. Aussi, en parlant des hommes rebelles à
la foi, Dieu dit-il: « Mais la colère du u Seigneur demeure sur lui 2». Nous
naissons sujets à la mort par un effet de la colère divine; voilà pourquoi
l’Apôtre s’exprime ainsi: « Nous avons aussi été autrefois enfants de colère,
comme les autres, par notre nature 3 ». Pourquoi enfants de colère par nature?
Parce que nous portons en nous-mêmes la peine du péché originel. Mais si nous nous
convertissons, la colère disparaît pour faire place à la grâce. Tu refuses de
te convertir? Tu ajoutes à l’iniquité que tu as apportée avec toi en naissant,
et dès cette vie tu seras comme noyé dans la colère divine.
21. Remarquez donc à quelle peine effrayante
sont condamnés les méchants. Réjouissez-vous de n’en être pas accablés, ô vous
tous qui avancez dans le chemin du bien, vous tous qui saisissez et aimez la
vérité, vous tous qui aimez mieux la voir triompher de vous que vous voir
triompher d’elle, vous tous qui, pour entendre plus parfaitement sa voix,
fermez votre âme aux tentations du présent et aux souvenirs du passé, et ne
voulez ressembler j en rien à ces chiens qui retournent à leurs vomissements 4.
Encore une fois, vous tous
qui vous montrez tels que je viens de le
dire, voyez les peines de ceux qui ne vous sont
1. Sag. XI, 18. — 2. Jean, III, 36. — 3. Eph.
II, 3. — 4. II Pier. II, 22.
point pareils, et réjouissez-vous. Les
tourments de l’enfer ne sont pas encore devenus leur partage; ils ne sont pas
encore devenus la proie du feu éternel, et.pourtant, que le chrétien fidèle à
Dieu se compare pour le présent avec l’impie; que l’on mette en présence le
coeur aveugle de l’un et le coeur illuminé de l’autre; comparez deux hommes,
dont l’un jouit de la vue, dont l’autre en est privé. A vrai dire, l’usage de
la vue du corps est-il un si grand avantage? Est-ce que le saint homme Tobie
n’en était pas privé? Son fils en jouissait; il en était lui-même dépourvu, et
toutefois, malgré sa cécité, n’indiquait-il pas le chemin de la vie à ce fils
qui marchait en possession de ses yeux 1? En présence des peines infligées aux
méchants, réjouissez-vous d’en être préservés; car, dit l’Ecriture, « le juste
se réjouira lorsqu’il verra la punition, non pas la punition à venir. Ecoute en
effet ce qui suit: « Il lavera ses mains dans le sang du pécheur ». Quel sens
donner àce passage? Que votre charité veuille bien y faire attention. Est-ce
qu’au moment où la hache du bourreau frappe un assassin, les personnes qui ne
sont point coupables de pareil crime doivent se rendre au lieu du supplice pour
laver leurs mains dans le sang du supplicié? Alors que signifient ces paroles «
Il lavera ses mains dans le sang du pécheur? » A la vue des punitions dont le
pécheur est accablé, le juste devient meilleur; la mort de l’un communique la
vie à l’autre. Si ceux qui meurent spirituellement répandent leur sang de la
même manière, c’est à toi, quand tu en es témoin, de laver tes mains dans ce
sang invisible, et, à l’aide de ce remède étranger, de vivre avec plus de
pureté. Mais si un homme est juste, quel besoin peut-il avoir de laver ses
mains? quelles taches pourrait-il y avoir à faire disparaître? Le juste vit de
la foi. L’Apôtre donne le nom de justes aux fidèles, et dès lors que tu as
commencé à croire, tu as aussi, par là même, commencé à devenir juste, puisque
tu as obtenu le pardon de tes péchés. Sans doute, de ta vie antérieure
resteront toujours certaines fautes qui feront passer dans ton âme un germe de
corruption, comme l’eau de la mer pénètre dans les navires et y dépose des
sédiments boueux; cependant, parce que tu t’es soumis au joug de la foi, cette
foi te fait voir
1. Tob. IV, 1.— 2. Rom. I, 17.
aujourd’hui en énigme le Christ que tu verras
un jour face à face, car le juste vit de la foi; lors donc que devant toi ceux
qui se détournent tout à fait de Dieu deviendront les victimes de leur
aveuglement, quand le feu de la colère de Dieu sera tombé sur eux et les aura
empêchés de voir le soleil, fais attention à la mort dont mourront les impies,
et purifie-toi de tes péchés. Ainsi laveras-tu d’une certaine façon tes mains
dans le sang du pécheur. « Il lavera donc ses mains dans le sang du pécheur ».
22. « Et l’homme dira: Il y a donc une
récompense pour le juste 1 ». Avant que s’accomplissent les promesses divines,
avant que commence pour lui la vie éternelle, avant que les impies soient
précipités dans le feu qui ne s’éteindra jamais, il y aura donc une récompense
pour le juste. Quelle sera cette récompense? « Réjouissons-nous dans
l’espérance
« soyons patients au sein de la tribulation
2». Quelle sera la récompense du juste? « Nous nous glorifions dans nos
afflictions, car nous savons que l’affliction produit la patience, que la
patience produit la pureté, que la pureté produit l’espérance. Or, l’espérance
ne confond point, car l’amour de Dieu est répandu dans nos coeurs par le
Saint-Esprit qui nous a été donné 3 ». L’ivrogne trouve la joie dans son
ivresse, et le juste ne saurait se réjouir f La charité, voilà sa récompense. Celui-là
est malheureux, même quand il se jette dans son vice brutal; celui-ci est au
comble du bonheur, même quand la faim et la soif le tourmentent; l’un se plonge
dans les excès de l’intempérance et y trouve son aliment; l’espérance est la
nourriture de l’autre. Que le juste examine donc les chagrins du méchant etsa
propre joie, et que par la pensée il s’élève jusqu’à Dieu. Si le Seigneur fait
trouver aux fidèles une telle félicité dans la foi, l’espérance, la charité et
la vérité des Ecritures, quel bonheur leur prépare-t-il pour l’éternité? Et
s’il les nourrit ainsi pendant la route, de quelles délices les comblera-t-il
quand ils seront entrés dans la patrie! « Et l’homme dira: Il y a donc une
récompense pour le juste ». Que ceux qui le voient, le croient, qu’ils le
voient et le comprennent. «Le juste se réjouira lorsqu’il verra la punition ».
Quiconque n’a pas d’yeux pour voir cette punition, sera plongé dans la
1. Ps. LVII, 12. — 2. Rom. XII, 12. — 3. Id.
V, 3, 5.
tristesse et ne se corrigera pas. Mais, dès
lors qu’on la voit, on aperçoit la distance qui sépare un coeur aveugle d’un
coeur illuminé, la fraîcheur de la chasteté, de la brû!ante ardeur des passions
charnelles, la sécurité que donne l’espérance, de la crainte qu’inspire le
crime. L’homme témoin du supplice des méchants n’a plus qu’à se juger lui-même
et à laver ses mains dans son propre sang. Que cette comparaison l’aide à
s’avancer dans la vertu, et qu’il se dise: «Le juste aura donc sa récompense;
il y a donc un Dieu pour juger les hommes sur la terre. » Non, pas encore dans
la vie future, ni par le feu éternel, ni dans les enfers, mais dès maintenant,
sur la terre. Le mauvais riche est encore revêtu de pourpre et de fin lin; il
se nourrit encore somptueusement tous les jours; le nerprun n’a pas encore
donné d’épines; il n’a pas encore dit: « Je suis cruellement tourmenté dans
cette flamme 1 ». Mais déjà son coeur est frappé d’aveuglement, et l’oeil de
son âme est éteint. S’il était assis à une table splendide et qu’il fût privé
de la vue corporelle, tu le proclamerais bien malheureux; il est frappé de
cécité spirituelle; il ne voit pas le Christ qui est sa véritable nourriture,
et il serait heureux? Il n’y aurait qu’un aveugle pour oser le prétendre. « Il
y a donc une récompense pour le juste! il y a donc un Dieu pour juger les
hommes sur la terre! »
23. Si nous nous sommes un peu trop étendu,
pardonnez-nous-le, mes frères; nous vous y exhortons au nom du Christ: pensez
àmettre en pratique ce que vous nous avez entendu dire. Ce serait chose inutile
de proclamer la vérité, si le coeur n’était d’accord avec les paroles; et, pour
la même raison, à quoi bon l’entendre, si l’on n’a soin en même temps de bâtir
sur la pierre ferme? Celui qui écoute et met en pratique ce qu’il entend, élève
son édifice sur la pierre; écouter et ne pas se conduire en conséquence, c’est
bâtir sur le sable 2; enfin, ne rien écouter, ne rien faire, c’est ne point
bâtir. Mais, de même qu’un homme ne prépare qu’un édifice de ruine en bâtissant
sur le sable, ainsi est-il emporté avec sa maison par l’impétuosité du torrent,
quand il ne bâtit pas sur la pierre. Il n’y a donc qu’une chose à faire, c’est
de bâtir et de bâtir sur la pierre, ou, en d’autres termes, c’est d’écouter et
d’agir. Et que personne ne dise: Pourquoi
1. Luc, XVI, 19, 21. — 2. Matt. VII, 24, 26.
aller à l’église? Tel et tel y vont tous les
jours et ne mettent en pratique rien de ce qu’ils y entendent. Au moins
écoutent-ils déjà; et, puisqu’ils écoutent, prennent-ils le moyen de bien agir
ensuite. Mais toi, combien tu es loin d’agir, puisque tu t’écartes si vite et
si loin pour ne pas même entendre! Mais, diras-tu encore, je ne bâtis pas sur
le sable. Lorsque le torrent viendra fondre sur toi, il te trouvera exposé sans
défense à l’impétuosité de ses flots: crois-tu qu’à cause de cela il ne
t’emportera pas? penses-tu que l’abondance de l’eau du ciel t’en épargnera
davantage? est-ce que la violence de la tempête te laissera debout? — Je
viendrai donc et j’écouterai. — Oui, tu viendras, et quand tu auras écouté, tu agiras.
Car si tu écoutes sans agir, c’est comme si tu bâtissais sur le sable. Ne point
élever d’édifice, c’est demeurer sans abri contre les éléments du dehors; en
élever un sur le sable, c’est s’exposer à une ruine certaine; reste donc le
devoir de bâtir sur la pierre et de se conduire suivant les leçons qu’on a
reçues.
Ce
psaume désigne Jésus-Christ et l’Eglise sous la figure de David, comme sous
cellé de Saül il désigne les Juifs et les impies. Saül ne put cerner la maison
où David se cachait; les Juifs ne purent empêcher ni la vérité de la
résurrection d’être connue, ni les Apôtres de la prêcher. Jamais la force dont
ils se vantaient n’a été capable de prévaloir contre l’humilité du Sauveur, car
Dieu a soutenu cette vertu de son Fils; il a fait connaître ce qu’elle couvrait
de son voile; il l’a récompensée. En effet, le Seigneur a manifesté la divinité
de Jésus-Christ malgré les ignominies de sa passion; puis il a récompensé son
humilité en amenant au repentir et à la foi les Gentils et une partie des
Juifs. Ceux d’entre eux qui n’ont fait ni aveu ni pénitence de leur faute, sont
la preuve que nous ne devons chercher notre force qu’en Dieu, et. doivent nous
servir d’exemple, car ils ont été dispersés et tous leurs desseins contre le
Christ sont devenus inutiles. Ceux au contraire qui ont profité de la mort du
Sauveur ont trouvé dans l’humilité le principe de leur perfection et le pardon
de Dieu; de la sorte, et par l’effet de sa miséricorde ou de sa vengeance, le
Seigneur domine les pécheurs et les justes, les Juifs et les Gentils.
1. L’Ecriture a coutume d’indiquer, aux
titres des psaumes, les secrètes vérités qu’ils renferment, et d’orner la tête
de chacun d’eux de l’énoncé de ces grands mystères, pour nous instruire
d’avance du sens caché que nous y trouverons en l’étudiant; ainsi lisons-nous,
au frontispice d’une maison, ce qui s’y passe, le nom de celui qui l’habite ou
à qui elle appartient. Voilà pourquoi se trouve écrit, au commencement.de ce
psaume, ce que j’appellerais un titre de titre. Car il porte: « Pour la fin.
N’altère rien, pour David sur l’inscription du titre ». Voilà bien ce que j’ai
appelé un titre de titre. Quelle est l’inscription de ce titre qu’il ne faut
pas altérer? L’Evangile lui-même nous le dit. Lorsque le Sauveur fut attaché à
la croix, une inscription rédigée par Pilate fut placée au-dessus de lui; elle
était ainsi conçue Voilà le Roi des Juifs, et se trouvait écrite en hébreu, en
grec et en latin 1, les trois principales langues de l’univers. Le roi des Juifs
a été crucifié; les Juifs ont crucifié leur Roi; mais, en le crucifiant, ils en
ont fait le Roi des gentils, plutôt qu’ils ne l’ont fait mourir. Autant que
faire se pouvait, ils ont anéanti le Christ; mais ç’a été à leur détriment, et
à notre profit, puisqu’il est mort pour nous et qu’il nous a rachetés au prix
de son sang. Nous sommes à même de le voir aujourd’hui: l’inscription de sa
croix n’a pas été altérée; il est le Roi des gentils: il est le Roi des Juifs
eux-mêmes. En effet, pour s’être opposés à la rédaction de son titre, sont-ils
parvenus à détruire sa puissance royale? Il est Roi, et il exerce son empire,
même sur eux. Car il porte en ses mains un sceptre de fer; et, armé de ce
sceptre, il gouverne et brise
1. Luc, XXIII, 38.
ses sujets. « J’ai été », dit-il, « établi de
Dieu pour être roi sur Sion, sa montagne sainte, et pour y prêcher ses
préceptes. Le Seigneur m’a dit: Vous êtes mon Fils, je vous ai engendré
aujourd’hui. Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour votre héritage,
et pour domaine jusqu’aux extrémités de la terre. Vous les gouvernerez avec un
sceptre de fer, et vous les briserez comme un vase d’argile 1 ». Quels hommes
gouvernera-t-il? Quels hommes seront brisés par lui? Il gouvernera ceux qui lui
obéiront; il brisera ceux qui lui feront résistance. Ces mots: « N’altère pas»,
sont donc une admirable prophétie. Les Juifs étaient allés se plaindre à
Pilate, et lui avaient dit: « Garde-toi d’écrire qu’il est le Roi des Juifs,
mais écris qu’il s’est déclaré Roi des Juifs »; car, ajoutèrent-ils, un pareil
titre consacre sa royauté sur nous. Et Pilate avait répondu: « Ce que j’ai
écrit est écrit 2 ». Voilà l’accomplissement de cette parole: « N’altère pas ».
2. Ce psaume n’est pas le seul à porter une
pareille inscription: « N’altère pas »: ce titre est commun à quelques autres
3, et néanmoins ils ont tous trait à la passion du Sauveur. Sachons donc y
trouver une allusion aux souffrances de Jésus-Christ, et y reconnaître la
parole de Jésus-Christ considéré comme chef et comme corps tout ensemble.
Toujours ou presque toujours dans ce psaume nous devrons considérer les paroles
du Rédempteur, d’abord comme celles de notre divin chef, de l’unique médiateur
de Dieu et des hommes, de Jésus-Christ homme, qui, au commencement, était aussi
en tant que Dieu le Verbe, Dieu en Dieu; du Verbe qui a habité parmi nous après
s’être fait chair 4, qui est sorti, selon la chair de la race d’Abraham et de
David, et qui est né de la Vierge Marie; nous devrons aussi considérer ces
paroles comme celles de Jésus-Christ tout entier, homme parfait, tout à la
fois, chef et corps: car, nous dit l’Apôtre, « vous êtes le corps et les
membres du Christ 5». Saint Paul ajoute, en parlant de lui, qu’il est le Chef
de l’Eglise 6. S’il est notre chef, nous sommes ses membres: il est donc en
même temps chef et corps. Parfois il arrive que certaines paroles ne peuvent
être attribuées à Jésus-Christ comme chef, et si tu ne les rapportais pas au
corps, tu ne
1. Ps. II, 6-9. — 3. Jean, XIX, 21. — 3. Ps.
LVI-LVIII. — 4. Jean, I, 1,14.— 5. I Cor. XII, 27. — Eph. I, 22; Co1oss. I,
18.
pourrais en saisir parfaitement le sens: par
une raison analogue, certaines autres paroles ne Conviennent pas au corps; et,
pourtant, c’est le Christ qui les prononce. Y a-t-il là à craindre de se
tromper? Non, car il suffit d’appliquer au chef ce qui ne peut convenir aux
membres. Enfin, pendant qu’il était attaché à la croix, le Sauveur a parlé au
nom de son corps « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné 1? » Dieu
ne l’avait pas abandonné, puisqu’il n’avait pas abandonné Dieu. Pourrait-on
dire, en effet, que pour descendre jusqu’à nous, il s’était éloigné de son
Père, ou qu’en nous l’envoyant, le coeur de son Père s’était écarté de lui?
Non, mais l’homme avait abandonné Dieu, car Adam, après avoir péché, Adam
autrefois si heureux quand il se trouvait en la présence du Seigneur, s’était
éloigné de la source de son bonheur, épouvanté des reproches de sa conscience
coupable 2. Puisqu’il avait, le premier, abandonné Dieu, il était juste que
Dieu l’abandonnât à son tour. Or, Jésus-Christ ayant puisé sa chair en Adam
parlait au nom de l’humanité qu’il avait prise, car notre vieil homme a été
attaché simultanément à la croix 3.
3. Ecoutons donc ce qui suit: « Lorsque Saül envoya
garder sa maison pour le faire mourir ». S’il n’est point ici question du
crucifiement du Sauveur, il s’agit néanmoins de sa passion: car après avoir été
attaché à la croix, et avoir rendu le dernier soupir, Jésus-Christ a été mis
dans le tombeau: et ce tombeau était, à vrai dire, pour lui, comme une maison,
et la nation juive la fit véritablement garder, quand elle envoya des gardes
pour surveiller le sépulcre de l’Homme-Dieu 4. Dans le livre des Rois, nous
trouvons, sans doute, le récit des précautions prises par Saut pour cerner la
maison où David s’était réfugié, et le faire mourir 5. Cependant, dans
l’explication de ce psaume, nous ne devons faire allusion à cet événement
qu’autant que le Psalmiste l’a fait lui-même. A-t-il voulu se borner à nous
dire qu’on a envoyé garder la maison de David pour le mettre à mort? Si David
figurait le Christ, comment peut-on dire qu’on gardait la maison où se trouvait
le Christ, afin de le faire mourir, puisqu’il n’a été enfermé dans son sépulcre
qu’après avoir perdu la vie sur la croix? Rapporte donc ces paroles au corps
1. Ps. XXI, 2; Matt. XXVII, 46. — 2. Gen. III, 8. — 3. Rom. VI, 6. — 4. Matt. XXVII, 66. — 5. I Rois, XIX,
11.
du Christ; car le mettre à mort, c’était
éteindre sa mémoire, c’était empêcher les peuples de croire en lui, c’était
faire prévaloir, à cet effet, l’imposture des gardes, qui s’étaient laissé
gagner, et disaient, en conséquence, que pendant leur sommeil ses disciples
étaient venus l’enlever 1. C’était vraiment vouloir tuer le Christ, que d’étouffer
sous le poids du mensonge la vérité de sa résurrection, et donner gain de cause
à l’erreur sur l’Evangile. Mais de même que Saûl ne put parvenir à faire mourir
David, de même la nation juive se trouva dans l’impossibilité de faire
prévaloir le témoignage de gardes endormis sur la déposition d’apôtres bien
éveillés. Quelle leçon les gardes reçurent-ils? Que leur apprit-on à dire? Nous
vous donnerons autant d’argent que vous eu voudrez, pourvu que vous disiez que
ses disciples sont venus l’enlever pendant votre sommeil. Voilà quels témoins
les ennemis du Christ figurés par Saül ont produits pour appuyer leur
imposture, pour infirmer la vérité et rendre sa résurrection impossible à
croire. O infidèle, interroge ces témoins endormis, qu’ils répondent et te
disent ce qui s’est passé à son tombeau. S’ils dormaient, comment ont-ils pu le
savoir? S’ils veillaient, comment n’ont-ils pas mis la main sur les ravisseurs?
Que le Prophète dise donc ce qui suit:
4. « Sauvez-moi de mes ennemis, ô mon Dieu !
Délivrez-moi de ceux qui s’élèvent contre moi 2 ». C’est ce qui a eu lieu pour
Jésus-Christ pendant qu’il était en ce monde, c’est encore ce qui aura lieu
pour nous; car nos ennemis, le démon et ses anges, ne cessent jamais de
s’élever contre nous; ils insultent continuellement à notre faiblesse et à
notre fragilité par leurs tromperies, leurs suggestions, leurs tentations; ils
veulent nous faire tomber en toutes sortes de piéges, pendant tout le cours de
notre vie terrestre. Mais que notre prière s’élève aussi sans cesse vers le
trône de Dieu; que les membres du Christ, toujours unis à leur chef qui est au
ciel, s’écrient: « O mon Dieu, sauvez-moi de mes ennemis: délivrez-moi de ceux
qui s’élèvent contre moi ».
5. « Délivrez-moi de ceux qui commettent le
péché; sauvez-moi des hommes de sang
Ils étaient, dans toute la force du terme,
des hommes de sang, ceux qui ont mis à mort le
1.
Matt. XXVIII, 13. — 2. Ps. LVIII, 2. — 3. Id. 3.
juste auquel ils ne purent reprocher aucune
faute. Ils étaient des hommes de sang, ceux qui, au moment où un étranger se
lavait les mains et voulait renvoyer le Christ sans le condamner, ont crié: «
Crucifie-le, crucifie-le». Ils étaient des hommes de sang, ceux auxquels on
reprochait de verser injustement le sans du Christ, et qui, le buvant en
quelque sorte, à la santé de leurs descendants les plus éloignés, ne
craignirent pas de faire entendre cette horrible imprécation: « Que son sang
retombe sur nous et sur nos enfants 1». Après s’être insurgés contre le chef,
ces hommes de sang continuèrent à s’attaquer à ses membres. Car, après la
résurrection et l’ascension du Sauveur, l’Eglise souffrit persécution; et ceux
de ses membres qui étaient sortis du judaïsme pour l’illustrer, furent les
premiers àressentir l’épreuve; de ce nombre furent nos Apôtres. D’abord Etienne
fut lapidé dans le pays de Judée 2, et reçut la couronne indiquée par son nom,
parce qu’Etienne signifie couronne. Humilié sur la terre par sa lapidation, il
fut exalté dans le ciel par son couronnement. Ensuite, parmi les nations, on
vit les rois se révolter contre l’Evangile, car en eux ne s’était pas encore
accomplie cette prophétie: « Tous les rois de la terre l’adoreront, et tous les
peuples lui seront assujétis 3».Alors se déchaîna, contre les témoins du
Christ, l’impétueuse fureur des nations alors coula à grands flots le sang
d’une multitude de martyrs; et, fécondée par ce sang précieux, la semence
divine produisit pour l’Eglise une moisson plus abondante, une moisson si
abondante, que le monde entier en fut rempli: nous en sommes témoins. En sa
qualité de chef et en sa qualité de corps, Jésus-Christ est sorti des mains de
ces hommes de sang; oui, il est délivré des hommes de sang, qui ont autrefois
vécu, qui vivent aujourd’hui et qui vivront plus tard: il est sorti d’entre
leurs mains, et pour le passé, et pour le présent et pour l’avenir, car en
Jésus-Christ nous devons voir le Christ tout entier, puisqu’en sa personne
seront délivrés des hommes de sang les chrétiens fidèles d’aujourd’hui, d’hier
et des siècles futurs: on ne dira jamais sans raison: « Délivrez-moi des hommes
de sang ».
6. « Car ils ont tendu des filets à mon âme
4». Ils ont eu le pouvoir de me saisir et de me
1.
Matt. XXVIII, 23,25.— 2. Act. VII, 58.— 3. Ps. LXXI, 14.— 4. Id. LVIII, 4.
tuer. « Ils ont tendu des filets à mon âme ».
Qu’est devenue cette parole: « Vous avez brisé mes liens 1? » et cette autre: «
Le filet a été rompu, et nous nous sommes échappés?» Comment pourrons-nous
bénir Dieu « de ne pas nous avoir donnés comme une proie à leurs dents 2?» Ils
nous ont tendu des filets, mais le Dieu qui garde Israël ne nous abandonne
pointentre les mains des chasseurs. « Ils ont tendu des pièges à mon âme, et
ceux qui sont forts sont venus fondre sur moi ». Il ne faut pas glisser à la
légère sur ces mots « Ceux qui sont forts»: nous devons soigneusement chercher
à savoir quels sont ces forts prêts à fondre sur nous. Ils sont remplis de
force, mais pour attaquer des infirmes, des gens dépourvus de santé et de
force. Néanmoins l’Ecriture donne des louanges aux faibles et blâme les forts.
Comprenons donc bien à qui le Prophète donne le nom de fort. D’abord, le
Seigneur attribue la force au démon lui-même: « Personne », dit-il, « ne peut
entrer dans la maison du fort ni enlever ses dépouilles, s’il ne lie le fort 3».
Aussi a-t-il lié le fort par sa puissance souveraine comme par des chaînes de
fer, et lui a-t-il enlevé ses dépouilles pour les consacrer à son propre usage;
car tous les pécheurs appartenaient au démon: par la foi, ils sont devenus la
propriété du Christ: c’était à eux que l’Apôtre disait: « Vous étiez autrefois
ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur 4; qui a fait voir les
richesses de sa grâce envers les vases de miséricorde 5». On 1eut donc déjà
interpréter ainsi le mot «forts». Parmi les hommes, il en est qui sont forts
d’une force digne de reproche et de blâme, qui mettent leur espérance dans les
plaisirs de ce monde. Est-ce qu’il ne vous semble pas avoir été doué d’une
grande force, ce riche dont nous entretenait tout à l’heure l’Evangile? Il
avait hérité d’un terrain singulièrement fertile: dans l’incertitude et
l’embarras de ce qu’il ferait pour mettre à couvert ses récoltes, il s’imagina
de détruire ses anciens greniers, d’en construire de nouveaux sur un plan
autrement vaste, afin de pouvoir, ces travaux menés à bonne fin, tenir ce
langage à son âme: « Mon âme, tu as de grands biens: mange, bois, réjouis-toi,
rassasie-toi de tes richesses 6». Quelle force aperçois-tu en lui?
1. Ps. CXV, 16. — 2. Id. CXXIII, 7,6. — 3. Matt. XII, 29. — 4. Eph. V, 8. — 5. Rom. IX, 23. — 6. Luc, XII, 16-19.
« C’est un homme qui n’a pas choisi Dieu pour
son appui, mais qui a mis sa confiance dans ses nombreuses richesses ». Vois
combien il est fort! « Il s’est prévalu dans sa vanité 1».
7. Il en est d’autres pour être forts, et ce
qui leur donne de la force, ce ne sont ni leurs richesses, ni une santé
robuste, ni une éclatante position dans le monde: c’est la confiance en leur
propre justice. Cette classe d’hommes, il faut l’éviter, la craindre, la détester,
mais non l’imiter. Ne me parlez pas de la beauté de leur corps, de leur
fortune, de leur naissance, des honneurs qu’on leur rend: leur confiance ne
vient pas de là: où est, en effet, l’homme assez aveugle pour ne pas comprendre
que tous ces avantages sont de courte durée, sans consistance, caducs et
passagers? Leur confiance vient de la considération de leur propre justice.
Telle fut la force qui empêdia les Juifs de passer par le trou de l’aiguille’.
Dès lors qu’ils ont cru être justes, et qu’ils se sont regardés comme jouissant
d’une santé parfaite, ils ont refusé le remède et fait mourir le médecin. Ce ne
sont pas des hommes de cette force que le Sauveur est venu appeler: ce sont des
infirmes. « Le médecin », dit-il, « n’est pas nécessaire à ceux qui se portent
bien, mais à ceux qui se portent mal; car je ne suis pas venu appeler les
justes, mais les pécheurs à la pénitence ». Ils étaient forts, ceux qui
insultaient les disciples du Christ, parce que leur maître visitait les
infirmes et mangeait avec eux. « Pourquoi », leur disaient-ils, « votre maître
s’assied-il à la table des publicains et des pécheurs 3?» O hommes forts, qui
n’avez nul besoin du médecin! vous ne puisez votre force que dans la folie: le
bon sens n’en est pas la source. Rien de plus fort que les frénétiques: ils
sont bien autrement robustes que ceux qui jouissent d’une santé parfaite; mais
plus grandes sont leurs forces, plus proche est leur mort. Daigne le Seigneur
nous faire la grâce de ne point imiter de telles gens. Chacun de nous doit
craindre de suivre leur exemple. Le Maître de l’humilité, qui a partagé notre
infirmité humaine pour nous rendre participants de sa divinité, qui est
descendu sur la terre pour nous enseigner notre chemin et devenir lui-même
notre voie 4, Jésus-Christ a bien voulu nous recommander,
1. Ps. LI, 9.— 2. Matt. XIX, 24.— 3. Id. IX,
11, 13.— 4. Jean, XIV, 6.
surtout son humilité 1. Il n’a pas dédaigné
de se faire baptiser par son serviteur, afin de nous apprendre à faire l’aveu
de nos fautes, à devenir faibles pour devenir forts, et à pouvoir, de
préférence, dire avec saint Paul: « Quand je suis faible, c’est alors que je
suis fort 2 ». Ainsi l’Apôtre témoignait-il ne pas vouloir être du nombre de
ces forts. Mais en voulant se montrer forts, c’est-à-dire, en présumant de leur
vertu comme s’ils étaient justes, les Juifs se sont heurtés contre la pierre de
scandale 3. L’Agneau leur a semblé être un bouc: ils l’ont tué, comme s’il en
était un; et par là ils ont mérité de n’être point rachetés par l’Agneau. Voilà
les forts qui se sont vantés de leur justice, et se sont élevés contre le
Christ. Ecoutez-les parler. Certains habitants de Jérusalem avaient été envoyés
par eux avec l’ordre de s’emparer du Sauveur: ces émissaires n’osèrent point
accomplir heur mission, car le moment n’était point encore venu pour
Jésus-Christ, dont les forces étaient réelles, de vouloir se laisser prendre:
alors ceux qui les avaient envoyés, leur dirent: Pourquoi donc n’avez-vous pu
vous emparer de sa personne? Jamais, répondirent-ils, jamais homme n’a parlé
comme lui. Et ces forts répliquèrent Est-ce que parmi les Pharisiens ou les
Scribes il y en a un seul pour croire en lui? En dehors de cette populace, qui
ne connaît point la loi, personne n’ajoute foi à ses paroles’. Ils se sont préférés
à une foule d’infirmes, qui se précipitaient au-devant du médecin: pourquoi,
sinon parce qu’ils étaient robustes? Mais, par un nouvel et plus criant abus de
leur force, ils ont entraîné à leur suite toute cette foule et mis à mort le
médecin, qui pouvait guérir les uns et les autres. Pour lui, par cela même
qu’on l’a fait mourir, il s’est servi de son sang comme d’un remède propre à
guérir les malades. « Les forts se sont précipités sur moi ». Réfléchissez bien
au sort de cette classe d’hommes; et, s’il est défendu au chrétien de mettre sa
confiance en sa propre justice, voyez s’il nous est permis de l’appuyer sur
autre chose. Voyez où en sont réduits ceux qui se glorifient de leurs
richesses, de leur force corporelle, de la noblesse de leur origine, des
dignités qui les distinguent dans le inonde, puisque ceux-là tombent si
lourdement, qui se glorifient de leur justice, comme
1.
Matt. III, 13. — 2. II Cor. XI, 10. — 3. Rom. IX, 32. — 4. Jean, VII, 45-49.
s’ils en étaient la source. « Les forts se
sont précipités sur moi ». Du nombre de ces hommes était le pharisien, car il
se vantait de ses forces. « Je vous rends grâces », disait-il, de ce que je ne
suis pas comme le reste des hommes, qui sont injustes, ravisseurs du bien
d’autrui, adultères, ni même comme ce publicain. Je jeûne deux fois la semaine;
je donne la dîme de tout ce que je possède». Voilà un fort qui se vante de sa
forcé: Voici maintenant un infirme, qui se tient bien loin, et qui, par son
humilité même, se rapproche de Dieu. « Mais le publicain se tenait bien loin,
et n’osait pas même lever les yeux au ciel. Il se frappait la poitrine et
disait: O Dieu, soyez-moi favorable, à moi pécheur. En venté, je vous le dis,
cet homme s’en retourna plus juste que le pharisien ». Vois en quoi consiste la
justice: « Celui qui s’élève sera humilié, et celui qui s’humilie sera élevé
1». Tels sont les forts qui se sont précipités sur le Christ: ce sont des
orgueilleux qui, méconnaissant la justice divine, et pénétrés de la valeur de
leur propre justice, ne se sont point soumis à celle de l’Eternel 2.
8. Que dit ensuite le Psalmiste? « Il n’y a
point d’injustice en moi, ô mon Dieu, il n’y a en moi aucun péché 3 ». Les
forts, qui se confiaient en leur justice, se sont précipités sur moi: oui, ils
se sont jetés sur moi, mais ils n’ont trouvé en moi aucun péché. Ces forts,
c’est-à-dire, ces faux justes, pouvaient-ils attaquer le Christ, s’il ne
semblait être un pécheur? Qu’ils le remarquent néanmoins, leur force venait de
l’ardeur de la fièvre qui les dévorait, et non d’une robuste santé. Qu’ils le
reconnaissent, leur force était factice; et s’ils ont persécuté le Christ,
c’est qu’ils se sont crus justes et qu’ils l’ont considéré comme un pécheur. Et
pourtant, « Seigneur, il n’y avait en moi ni injustice ni péché. J’ai couru
sans injustice, et j’ai marché dans la voie droite ». Pendant que je courais,
ces forts n’ont pu me suivre, et ils m’ont considéré comme un pécheur, parce
qu’ils n’ont pas découvert mes traces.
9. « J’ai couru sans injustice, et j’ai suivi
la voie droite: venez à ma rencontre, et voyez 4 ». Le Prophète dit à Dieu: «
J’ai couru sans injustice, et j’ai suivi la voie droite: venez à ma rencontre,
et voyez ». Quoi donc! Le Seigneur ne peut-il voir, sans
1. Luc, XVIII, 11-14. — 2. Rom. X, 3. — 3. Ps. LVIII, 5.— 4. Id. 6.
venir à sa rencontre? En serait-il de lui
comme d’un homme qui ne pourrait te connaître de loin pendant ta promenade, et
à qui tu dirais à haute voix: Viens à ma rencontre, et tu verras comment je
marche; car, en me considérant à pareille distance, tu ne peux examiner mes
pas? Encore une fois, en serait-il ainsi de Dieu; et, pour s’apercevoir que le
Prophète suit la voie droite et court sans péché, aurait-il besoin de venir à
sa rencontre? Nous pouvons donc expliquer ainsi ces paroles: « Venez à ma
rencontre »: venez à mon secours: aidez-moi. Et ces autres mots: « Et voyez »,
doivent s’entendre en ce sens: Faites qu’on me voie courir, faites qu’on me
voie marcher dans le chemin droit: car autrefois Dieu parlait dans le même sens
à Abraham: « Je connais maintenant que tu crains le Seigneur 1 ». Dieu dit: «
Je connais », pour dire: Je t’ai fait connaître; chacun de nous, en effet,
s’ignore lui-même avant l’expérience que lui donne la tentation. Ainsi, quand
il présumait de lui-même, Pierre ne se connaissait pas: il apprit jusqu’où
allaient ses forces, au moment ois il reniait sois Maître:
à la suite de sa chute, il comprit qu’il
avait à tort présumé de lui-même; il pleura 2, et, par ses larmes, il mérita
pour son profit de savoir ce qu’il avait été, et de devenir ce qu’il n’était
pas. Lors donc que Dieu éprouva Abraham, il lui donna la connaissance de
lui-même, et lui dit: « Je connais maintenant », c’est-à-dire, je t’ai fait
connaître. Ainsi, donne-t-on le nom de gai au jour qui nous procure de la joie,
et celui de triste au jour qui nous plonge dans la tristesse? Pour la même
raison on dit que Dieu voit, quand il fait voir. « Venez donc à ma rencontre »,
dit le Prophète, «et voyez ». Quel sens faut-il donc donner à ces paroles?
Aidez-moi, et faites que mes ennemis voient mes traces; qu’ils me suivent: que
ce qui est bon ne leur paraisse point mauvais, et que ce qui est conforme à la
règle de la vérité ne leur semble pas opposé à la droiture. « Parce que j’ai
couru sans péché, et suivi la droite voie; venez à ma rencontre et voyez ».
10. L’excellence de notre Chef m’engage à
vous parler ici de lui. Il a, en effet, voulu devenir faible jusqu’à mourir, et
pour rassembler sous ses ailes les petits de Jérusalem, il s’est revêtu
de,l’infirmité de notre chair, imitant
1. Gen, XXII, 12. — 2. Matt. XXVI, 35, 69,
75.
par là l’exemple de la poule qui se fait
petite avec ses petits. De tous les oiseaux que nous avons été à même
d’examiner, qui font leurs nids sous nos yeux, par exemple les oiseaux de
murailles, les hirondelles qui viennent tous les ans nous demander
l’hospitalité, les cigognes et les autres oiseaux d’espèces différentes qui
font leurs nids devant nous, qui couvent leurs oeufs et nourrissent leurs
petits, comme les pigeons dont nous pouvons tous les jours étudier les
mouvements; de tous ces oiseaux il n’en est aucun pour se faine petit avec ses
petits; nous n’en avons jamais rencontré, connu ou vu, pour ressembler à la
poule. Car, que fait-elle? Je ne relate pas ici un fait inconnu; tous ceux qui
m’entendent le savent pour en avoir été souvent témoins voyez comme sa voix
devient rauque, comme son corps tout entier se hérisse; ses ailes traînent à
terre, ses plumes tombent; elle éprouve pour ses petits je ne sais quel
malaise, et cette sorte de maladie n’est chez elle que l’effet de son amour
maternel. Voilà pourquoi, dans la sainte Ecriture, le Sauveur se compare à une
poule et tient ce langage: « Jérusalem, Jérusalem, combien de fois j’ai voulu
rassembler tes petits, comme la poule rassemble les siens sous ses ailes, et tu
ne l’as pas voulu 1 ! » Comme fait une poule pour ses petits, ainsi a-t-il
rassemblé toutes les nations en se faisant faible pour nous, en nous
empruntant, en empruntant au genre humain l’infirmité de la chair, en se
laissant crucifier, mépriser, souffleter, flageller, attacher au bois de sa
croix et percer d’un coup de lance. En tout cela nous devons voir l’effet de sa
tendresse de mère pour nous, et non pas la preuve de la perte de sa puissance
souveraine; et parce qu’il a été réduit à cet état de faiblesse et
d’humiliation, il est devenu une pierre d’achoppement et de scandale contre
laquelle plusieurs se sont heurtés 2. Réduit à cet état d’infirmité, revêtu de
notre chair sans en prendre le péché, le Christ est devenu participant de notre
faiblesse, sinon de notre injustice; et, en prenant ainsi part à notre
faiblesse, il a fait disparaître notre injustice; c’est pourquoi il dit: « J’ai
couru sans injustice et j’ai suivi la voie droite ». Mais ne devons-nous pas
voir en lui la nature divine? devons-nous méconnaître en lui la toute-puissance
qui nous a créés, pour ne
1. Matt, XXIII, 37. — 2. Rom. IX, 32; 1
Pierre, II, 8.
considérer que ce qu’il a bien voulu devenir
pour nous racheter? Certes, il est de ton devoir de ne pas négliger la
considération de ses grandeurs; c’est même une grande preuve de piété de ta
part que d’apprendre à connaître Celui qui a tant souffert pour toi. Ce n’est
pas un être vil et méprisable, c’est le premier de tous les êtres qui a
souffert pour toi; et toi, qui es-tu? Un grand personnage? Hélas, tu n’es
qu’une faible créature! Qu’a-t-il fait pour toi? Il est devenu tout petit, car
« il s’est humilié et s’est fait obéissant jusqu’à la mort». Et qui était-il?
Ecoute: l’Ecriture l’a dit avant de parler de ses humiliations: « Etant dans la
forme de Dieu il n’a pas cru faire un larcin en se disant égal à Dieu »; mais
lui qui était semblable à Dieu « s’est anéanti lui-même en prenant la forme
d’esclave et en se rendant semblable aux hommes 1 ». Il s’est anéanti de telle
sorte qu’il a pris ce qu’il n’était pas, sans perdre néanmoins ce qu’il était.
Mais comment s’est-il anéanti? En ce qu’il
s’est offert à tes regards dans cet état d’anéantissement; en ce qu’il a dérobé
à tes yeux la suprême grandeur qu’il possède en son Père; en ce que, sur la
terre, il ne te fait voir que son infirmité, se réservant de te rendre témoin
de sa gloire quand tu seras entré, purifié de toute souillure, dans le ciel.
Egal à son Père, il est devenu l’homme de douleurs, et pourtant, à travers le
voile de sa faiblesse, nous devons voir en lui, avec les yeux de la foi, sinon
avec ceux de la chair, le Fils de l’Eternel, et croire du moins ce que nous ne
pouvons contempler face à face; ainsi mériterons-nous de considérer à découvert
ce que, par l’impuissance de nos organes, nous pouvons seulement croire
aujourd’hui. Après sa résurrection il apparut à Marie-Madeleine et lui dit avec
grande raison: «Ne me touche point, parce que je ne suis pas encore monté vers
mon Père 2 ». Pourquoi parler ainsi, puisque peu après les saintes femmes le
touchèrent? Effectivement, au moment où elles venaient de quitter le tombeau
pour retourner à Jérusalem, il se présenta devant elles, et aussitôt elles se
prosternèrent à ses pieds pour l’adorer, et les embrassèrent 3. Les disciples
eux-mêmes furent admis à toucher ses plaies 4. Quel sens dominer à ces paroles:
« Ne me touche point, parce que je ne suis pas
1. Phil. II, 6, 8. — 2. Jean, XX, 17. — 3.
Matt. XXVIII, 9. — 4. Luc, XXIV, 39.
encore monté vers mon Père? » Celui-ci, sans
doute: Ne crois pas que je sois seulement ce que tu vois; n’arrête donc pas tes
regards à ce que tu touches. Tu me vois toujours dans la faiblesse, parce que
je ne suis pas encore monté vers mon Père. Je suis descendu du ciel pour
habiter parmi vous, mais je n’ai pas encore quitté la terre pour remonter
auprès de mon Père, puisque je ne me suis pas encore séparé de vous. Il était
descendu sur la terre sans quitter le ciel: il est remonté au ciel sans quitter
la terre. Mais que signifie cette ascension du Sauvtur vers son Père? Elle
signifie la connaissance que nous acquérons de son égalité avec son Père. Pour
nous, nous montons, lorsque nous devenons plus parfaits et plus capables de
voir, de comprendre et de saisir ce mystère. Il remit donc à un autre temps,
pour Marie-Madeleine, la permission de le toucher, niais il ne la lui refusa
pas pour toujours; il ne lui en enleva pas l’espérance, il ne fit qu’en
différer l’accomplissement. « Car », dit-il, « je ne suis pas encore monté vers
mon Père. Il est sorti du plus haut des cieux; on le rencontre au plus haut des
cieux 1». Le plus haut des cieux, c’est-à-dire la plus relevée de toutes les
choses spirituelles, c’est le Père; voilà d’où le Fils est descendu, voilà où il
est remonté, car il est remonté jusqu’au plus haut des cieux. S’il n’était égal
à son Père, pourrait-il remonter jusque-là? Enfin, lorsque nous comparons
ensemble deux objets inégaux et que nous appliquons l’une contre l’autre deux
mesures d’inégale grandeur, pour voir dans quel rapport elles sont entre elles,
si leurs dimensions sont différentes, nous disons que ces deux objets, ces deux
mesures, ne se rencontrent pas si, au contraire, leurs dimensions se trouvent
être pareilles, nous disons qu’ils se rencontrent. Donc, parce que le Fils est
égal à son Père, « sa rencontre est au plus haut des cieux ». Tel il voulait se
faire connaître de ses serviteurs fidèles, quand il disait: «Ne me touche pas
». Il voulait obtenir cette grâce de la part de son Père en leur faveur, en lui
adressant cette prière: « Levez-vous, venez à ma rencontre et voyez ». Faites
connaître que je vous suis égal. Jusques à quand Philippe me dira-t-il: «
Montrez-nous votre Père, et cela nous suffit? » Jusques à quand lui
répondrai-je: « Je suis avec vous depuis si
1. Ps. XVIII, 7.
longtemps et vous ne connaissez pas mon Père?
Philippe, celui qui me voit, voit aussi mon Père. Ne crois-tu pas que je suis
en mon Père et que mon Père est en moi 1? »Ce disciple ne croit peut-être pas
encore à cette égalité. « Levez-vous donc, venez à ma rencontre, et voyez ».
Faites qu’on me voie, qu’on vous voie aussi, et que les hommes sachent que nous
sommes égaux. Loin des Juifs l’idée de n’avoir crucifié qu’un homme; sans doute
le Sauveur n’a été attaché à la croix que comme homme, mais il est vrai de le
dire, ils n’ont pas su qui ils faisaient mourir; car s’ils l’avaient connu,
jamais ils n’auraient crucifié le Roi de gloire 2. Mais, afin que mes fidèles
connaissent ce Roi de gloire, « levez-vous, venez à ma rencontre, et voyez.
11. « Et vous, Seigneur, Dieu des armées,
vous êtes le Dieu d’Israël ». Vous, ô Dieu d’Israël, qu’on regarde comme le
Dieu du peuple d’Israël seul, vous que l’on considère comme le Dieu de la seule
nation qui vous adore, vous que les autres nations méconnaissent, puisqu’elles
adorent des idoles, Dieu d’Israël, « hâtez-vous de visiter tous les peuples ».
Qu’elle s’accomplisse cette prophétie où, parlant en votre nom à votre Eglise,
à cette cité sainte qui vous appartient, à cette épouse stérile et abandonnée,
qui a eu ensuite plus d’enfants que la femme qui a un mari, Isaïe lui adresse
ces paroles: « Réjouis-toi, stérile, qui n’enfantes pas: pousse des cris de
joie, toi qui n’as point d’enfants, parce que celle qui était abandonnée aura
plus d’enfants que celle qui a un mari ! » Plus que la nation juive, qui a un
mari et qui a reçu une loi; plus que ce peuple qui a eu un roi visible. Car ton
Roi est caché, et cet Epoux que personne ne voit, t’a donné plus d’enfants que
la nation juive n’en a éu de son roi visible: c’est pourquoi le Prophète lui
dit: « Celle qui était abandonnée a eu plus d’enfants que celle qui avait un
mari. Etends le lieu de la tente », ajoute Isaïe; « ne crains point d’agrandir
ta demeuré. Tends tes cordes plus loin: porte-les à droite et à gauche. —
Renferme à droite ceux qui sont bons, et à gauche ceux qui sont méchants »,
jusqu’à ce que vienne le temps de vanner 3. Entre en possession de tous les
peuples. Qu’on invite aux noces les bons et les méchants; que la salle du
festin nuptial se remplisse de
1.
Jean, XIV, 8-11. — 2. I Cor, II, 8. — 3. Matt. XXV, 33; III, 12. -
convives 1. Aux serviteurs d’inviter: au
Seigneur de séparer les uns d’avec les autres. «Etends donc tes cordes à droite
et à gauche, car ta race possédera toutes les nations, et tu habiteras les
villes qui étaient abandonnées ». Abandonnées de Dieu, des Prophètes, des
Apôtres, de l’Evangile, mais remplies de démons. « Tu habiteras les villes
abandonnées; ne crains rien, car tu auras enfin l’avantage. Ne rougis pas de ce
que tu as été un objet d’horreur. — Ne rougis donc point de ce que les forts se
sont élevés contre moi»; quand on publiait des lois contre le christianisme,
quand c’était une honte et une infamie d’appartenir à la religion chrétienne. «
Ne rougis point de ce que tu as été un objet d’horreur: tu oublieras à jamais
ta confusion passée; tu ne te souviendras plus de la honte de ton veuvage. Car
je suis « le Seigneur, qui t’ai faite. Le Seigneur est son nom; celui qui t’a
délivrée, sera appelé le Seigneur, le Dieu d’Israël, le Dieu de toute la terre
2.— Et vous, Seigneur des armées, Dieu d’Israël, hâtez-vous de visiter tous les
peuples ». Hâtez-vous, dirai-je moi-même, de visiter tous les peuples.
12. « N’ayez de compassion pour aucun de ceux
qui commettent le péché ». Ces paroles sont terribles: qui est-ce qui n’en
serait pas épouvanté? Qui est-ce qui ne tremblerait pas en faisant un retour
sur lui-même? Et si pure, si délicate que soit notre conscience, n’a-t-elle pas
encore quelque faute à se reprocher? Quiconque, en effet, commet le péché, se
rend coupable d’iniquité 3 ». « Seigneur, si vous teniez compte de toutes mes
iniquités, qui est-ce qui pourrait soutenir la rigueur de votre jugement, ô mon
Dieu 4? » Et pourtant la parole du Prophète est vraie; elle n’a pas été
prononcée en vain: il faut qu’elle ait, et elle aura, dans une certaine mesure,
son accomplissement: « N’ayez de compassion pour aucun de ceux qui commettent
l’iniquité ». Et pourtant le Seigneur a eu pitié de Paul; et cependant, quand
celui-ci portait encore le nom de Saul, il commettait l’iniquité: quel bien
a-t-il donc fait pour mériter le pardon de Dieu? Ne traînait-il pas à la mort
les saints du Très-Haut? Ne portait-il pas de tous côtés des lettres écrites
par les princes des prêtres, afin de conduire au
1. Matt. XXII, 9, 10. — 3. Isa. LIV, 1, 5. —
4. I Jean, III, 4. — 5. Ps. CXXIX, 3.
supplice, partout où il en rencontrerait, les
disciples du Christ? N’est-ce pas au moment où il agissait ainsi, où tous ses
efforts tendaient à un pareil but, où il ne respirait, selon le langage de
l’Ecriture, que le meurtre elle carnage, n’est-ce pas à ce moment-là même
qu’une voix éclatante l’a appelé du haut du ciel; qu’il a été jeté à terre et
s’est relevé ensuite; qu’il a été aveuglé pour se voir bientôt environné de
lumière; qu’il a été frappé de mort pour revenir promptement à la vie; qu’il a
été perdu et retrouvé ensuite 1? Avait-il mérité de telles faveurs? Comment les
avait-il méritées? Gardons le silence, laissons-le répondre à notre place,
écoutons-le. « Auparavant », dit-il, « j’ai été un blasphémateur, un
persécuteur, un injurieux; mais j’ai obtenu miséricorde 2». Quoi qu’il en soit,
voici une parole dont ou ne peut douter: « N’ayez de compassion pour aucun de
ceux qui commettent l’iniquité ». On peut l’expliquer de deux manières: en ce
sens, d’abord, que Dieu ne laisse impuni aucun péché; en ce sens, ensuite,
qu’il y a certaines fautes dont on n’obtient jamais le pardon de la part de
Dieu, quand on s’en est rendu coupable. Nous allons, autant du moins que besoin
sera, entretenir brièvement votre charité de cette double interprétation des
paroles du Prophète.
13. Griève ou légère, toute iniquité doit
nécessairement recevoir sa punition, soit que le pécheur lui-même en fasse
pénitence, soit que Dieu en châtie l’auteur. Celui qui se repent se punit.
Aussi, mes frères, devons-nous infliger à nos péchés la peine qu’ils méritent,
si nous prétendons obtenir miséricorde de la part de Dieu. Pour lui, il ne
saurait accorder son pardon à tous ceux qui se rendent coupables d’iniquité,
car ne serait-ce point flatter les prévaricateurs? Ne serait-ce point vouloir
perpétuer le crime? De là résulte évidemment la nécessité du châtiment; qu’il
vienne de toi ou de lui, peu importe. Veux-tu ne pas être puni de Dieu?
Punis-toi toi-même. Car tu as fait une chose qui ne peut rester impunie: mais
il est bien préférable que le châtiment vienne de toi, parce qu’alors tu
accompliras ce qui est écrit en un autre psaume « Prévenons sa face par une
humble confession 3». « Prévenons sa face »; qu’est-ce à dire? Avant que Dieu
se mette en devoir de
1.
Act. IX. — 2. I Tim. I, 13. — 3. Ps. XCIV, 2.
punir tes fautes, préviens ses coups par une
humble confession, et punis toi-même tes écarts, et que le Seigneur ne trouve
rien en toi, qui soit digne de châtiment. De fait, en punissant l’injustice, tu
fais acte de justice, et dès lors que Dieu te trouvera déjà appliqué àune
oeuvre de justice, il t’accordera ton pardon. Mais comment puis-je dire qu’en
châtiant ton péché tu accomplis une oeuvre de justice? C’est que tu bais en toi
ce que Dieu hait lui-même; et en cela, tu commences à lui plaire, puisque tu
punis ce qui lui déplaît: il ne peut laisser impuni aucun péché, car cette
parole est vraie: « N’ayez de compassion pour aucun de ceux qui commettent
l’iniquité ».
14. Examinons maintenant la seconde manière
d’interpréter ce passage. Il y a certaine faute dont on n’obtient jamais le
pardon de la part de Dieu, quand on s’en est rendu coupable. Vous me
demanderez, sans doute, quelle peut être cette faute, en quoi elle consiste.
Elle consiste à prendre la défense de ses propres Péchés. Dès qu’une personne
excuse ses iniquités, elle déclare bon ce que Dieu déteste, et ainsi elle
commet une grande faute, Vois combien est injuste et déraisonnable cette
manière d’agir. Si l’homme fait un peu de bien, il se l’attribue; et, quand il
fait le mat, il l’impute à Dieu: ainsi, ils accusent Dieu de leurs désordres.
N’est-ce point porter l’iniquité à son comble? Personne n’oserait dire: L’adultère,
l’homicide, la fraude, le parjure sont choses légitimes. Personne ne serait
assez hardi pour tenir un pareil langage. Ceux mêmes qui s’en rendent
coupables, crient à la prévarication et au scandale, dès qu’ils en souffrent;
nulle âme donc n’est assez pervertie, assez ennemie du genre humain, assez
étrangère à l’union que doit établir entre nous notre commune origine en Adam,
pour considérer comme bons et légitimes l’adultère, la fraude, la rapine, le
parjure. Alors comment peut-on en prendre la défense? En disant: Si Dieu ne
l’avait pas voulu, je ne m’en serais pas rendu coupable. Puis-je m’opposer à
mon destin? Si tu leur demandes ce qu’ils entendent par le destin, ils te
parlent des étoiles; et si tu cherches à savoir qui est-ce qui a créé les étoiles
et réglé leur cours, ils te répondent: C’est Dieu. Par conséquent, tu n’excuses
ton péché que pour en accuser Dieu lui-même; tu absous le
coupable pour mettre le juge en cause. Est-il
possible que le Seigneur prenne pitié de ceux qui commettent une semblable
iniquité? « N’ayez compassion d’aucun de ceux qui commettent le péché ». Que
votre vengeance, dit le Prophète, poursuive leurs péchés: punissez-les,
percez-les des traits de votre justice; ils ne veulent point se connaître:
forcez-les à s’envisager eux-mêmes, et puissent-ils rougir du malheureux état
où ils se trouvent, et trouver en vous leur bonheur! « N’ayez compassion
d’aucun de ceux qui commettent le péché ».
15. « Qu’ils se convertissent sur le soir 1».
Le Prophète parle ici de je ne sais quels hommes, qui commettaient jadis
l’iniquité, qui étaient autrefois ténèbres, et qui se convertissent sur le
soir. Que veulent dire ces paroles: « Sur le soir? » Ensuite. Et encore? Plus
tard, avant d’attacher le Christ à l’instrument de son supplice, ils auraient
dû reconnaître en lui leur médecin; mais ils ne le reconnurent que plus tard;
après sa mort, sa résurrection, son ascension, et la descente du Saint-Esprit
sur les disciples qui se trouvaient dans la même maison et qui, sous la riche
influence de ses dons, parlèrent le langage de tous les peuples; alors ils
s’épouvantèrent de l’avoir cloué à la croix; la conscience bourrelée de
remords, ils demandèrent aux Apôtres comment ils pourraient se sauver, et
ceux-ci leur répondirent: « Que chacun de vous soit baptisé au nom de Notre
Seigneur Jésus-Christ, et vos péchés vous seront remis 2 ». Après avoir fait
mourir le Christ, et avoir répandu son sang, vous obtiendrez néanmoins la
rémission de vos péchés, car il a voulu mourir, afin de racheter par l’effusion
de son sang ceux-là mêmes qui le verseraient. Vous vous êtes montrés cruels à
son égard; vous avez répandu son sang: que votre foi vous fasse, boire ce
breuvage salutaire ! C’est donc avec raison que le Prophète s’exprime ainsi: «
Qu’ils se convertissent sur le soir, et qu’ils souffrent la faim comme des
chiens ».
Les Juifs appelaient de ce nom les Gentils,
parce qu’ils les considéraient comme impurs; voilà pourquoi le Sauveur appela
lui-même ainsi la Chananéenne, qui n’était pas juive. Cette femme le suivait et
lui demandait à grands cris d’avoir pitié de sa fille, et de la
1.
Ps. LVIII, 7. — 2. Act. II, 38.
guérir.
Jésus
prévoyait tout, il savait tout, mais il voulait manifester aux yeux de tous la
foi de cette femme; il différa donc d’accéder à sa demande, et la tint quelque
temps en suspens. Et comment différa-t-il de se rendre aux voeux de cette mère
désolée? « Je n’ai été envoyé », dit-il, « que pour sauver les brebis égarées
de la maison d’Israël ». A Israël il donnait le nom de brebis; et les Gentils,
comment les désignait-il? « Il n’est pas bon de prendre le pain des enfants
pour le jeter aux chiens ». Il donna aux Gentils le nom de chiens, à cause de
leur impureté. Mais que fit cette femme affamée? au lieu de se laisser rebuter
par cette parole, elle la reçut avec humilité, et mérita ainsi la faveur
qu’elle sollicitait. On ne peut effectivement voir une injure dans les paroles
adressées par le Sauveur à la Chananéenne. Qu’un serviteur parle ainsi à son
maître, ce serait outrageant pour celui-ci; mais qu’un maître emploie ce
langage à l’égard de son serviteur, c’est, de sa part, un acte de bonté qu’on
ne saurait accuser de hauteur. « Oui, Seigneur », répondit-elle. Que veut dire
ce « oui? » Vous dites vrai: vos paroles sont l’expression de la vérité même:
je suis un chien. « Mais», ajouta-t-elle, « les chiens mangent les mies qui
tombent de la table de leurs maîtres ». « O femme», reprit aussitôt le Sauveur,
« que ta foi est grande 1! » Tout à l’heure il lui donnait le nom de chien;
maintenant, il lui donne celui de femme. Pourquoi donner le nom de femme à
celle qu’il appelait, un instant auparavant, du nom de chien? Parce qu’au lieu
de repousser la dénomination que lui avait donnée le Sauveur, elle l’avait
humblement acceptée, comme l’expression de la vérité.
Les Gentils sont donc des chiens; c’est
pourquoi ils sont affamés. Il serait avantageux, pour les Juifs eux-mêmes, de
reconnaître qu’ils sont pécheurs, et de se convertir, quoique « sur le soir »,
et « de souffrir la u faim comme les chiens ». Car s’il était rassassié, il ne
l’était pas comme il eût été nécessaire, celui qui disait: « Je jeûne deux fois
la semaine ». Pour le publicain, il souffrait de la faim comme un chien; il
avait faim des bienfaits de Dieu, car il disait: « Soyez-moi propice, à moi qui
suis un pécheur 2 ». « Qu’ils se convertissent » donc
1. Matt. XV, 24 - 28. — 2. Luc, XVIII, 12,
13.
aussi « sur le soir, et qu’ils souffrent la
faim comme les chiens ». Qu’ils désirent la grâce de Dieu, qu’ils comprennent
qu’ils sont pécheurs: que ces forts deviennent faibles, que ces riches
deviennent pauvres, que ces justes reconnaissent leur état de péché, que ces
lions deviennent des chiens. « Qu’ils se convertissent sur le soir et souffrent
la faim comme les chiens, et ils parcourront les alentours de la ville ».
Quelle est cette ville? C’est ce monde, qu’en certains endroits l’Ecriture
appelle une ville d’environnement, parce que le monde, composé de toutes les
nations de la terre, enveloppait de part et d’autre et isolait le peuple juif,
au milieu duquel se disaient ces vérités saintes; il avait reçu, pour ce motif,
le nom de ville d’environnement. « Devenus des chiens affamés, ils parcourront
les alentours de cette ville». Et comment les parcourront-ils? En prêchant
l’Evangile. De loup qu’il était, Saul est devenu un chien sur le soir,
c’est-à-dire qu’il s’est converti tard; et, soutenu par les mies tombées de la
table de son Maître, il a couru dans le chemin de la grâce, et il a parcouru la
ville.
16. « Ils parleront dans leur bouche, et ils
auront une épée sur leurs lèvres 1 ». Cette épée est un glaive à deux
tranchants, dont l’Apôtre nous parle ainsi: « Et le glaive de l’esprit, qui est
la parole de Dieu 2». Pourquoi ce glaive a-t-il deux tranchants, sinon parce
qu’il se sert des deux testaments pour frapper? C’est avec lui que saint Pierre
frappait ceux dont Dieu disait: « Tue et mange 3. Ils auront une épée sur leurs
lèvres, car qui est-ce qui écoute? » Ils parleront et diront: « Qui est-ce qui
écoute? » C’est-à-dire, ils s’indigneront contre ceux qui se montreront lents à
accepter la foi évangélique. Ceux qui tout à l’heure ne voulaient pas croire,
souffrent et se tourmentent de rencontrer des incrédules. Ainsi en est-il
réellement, mes frères. Tu vois un homme se montrer indolent avant de devenir
chrétien, tu lui adresses chaque jour les exhortations les plus pressantes, à
peine songe-t-il à travailler à sa conversion. Qu’il se convertisse enfin; il
voudrait déjà que tous fussent chrétiens, il s’étonne de ne pas les voir déjà
dans le giron de l’Eglise, il oublie qu’il ne s’est lui-même converti que sur
le soir; mais parce qu’il est devenu semblable à un chien affamé, il a aussi un
glaive
1.
Ps. LVIII, 8. — 2. Eph. VI, 17. — 3. Act. X, 13.
sur les lèvres, et il s’écrie: « Qui est-ce
qui écoute? » Que veulent dire ces paroles
« Qui est-ce qui écoute? » Qui est-ce qui
croit ce que nous lui annonçons? A qui la puissance du Seigneur a-t-elle été
révélée 1? « Car qui est-ce qui écoute? » Les Juifs n’ont pas voulu croire, et
alors les Apôtres se sont tournés du côté des Gentils, et leur ont annoncé
l’Evangile: les Juifs ne croyaient pas, et cependant 1’Evangile annoncé par des
Juifs croyants faisait le tour de la ville, et ceux qui le prêchaient disaient:
« Qui est-ce qui nous écoute? »
17. « Et vous, Seigneur, vous vous rirez
d’eux 2 ».Toutes les nations doivent devenir
chrétiennes, et vous dites: « Qui est-ce qui
écoute? » Qu’est-ce à dire: «Vous vous rirez d’eux? Vous compterez pour rien
tous les peuples ». Ce n’est rien à vos yeux, car rien de plus facile pour vous
que la conversion à la foi de toutes les nations du monde.
18. « Je vous garderai toute ma force 3».
Tous ces forts sont tombés, parce qu’ils ne vous ont pas gardé toute leur
force: c’est-à-dire, ceux qui se sont élevés haut pour me combattre, et qui se
sont jetés sur moi, ont mis leur confiance en eux-mêmes; pour moi, « je vous
garderai toute ma force »; car, en m’éloignant de vous, je tombe; et je deviens
plus fort en m’en approchant. Voyez, mes frères, ce qu’il en est de l’âme
humaine: d’elle-même elle n’a ni lumières, ni forces ce qui fait toute sa
beauté, c’est la vertu et la sagesse; or, ni la sagesse, ni la force, ni la
lumière, ni la vertu ne se trouvent en elle: elle les puise à une autre source.
Il est une source et un principe de vertu, une racine de sagesse; pour le dire
en un mot, si toutefois il m’est permis de parler ainsi, il est un pays où
habite l’immuable vérité: que notre âme s’en éloigne, elle tombe dans les
ténèbres; qu’elle s’en approche, elle est environnée de lumière. «
Approchez-vous de Dieu, et vous serez éclairés 4 », puisqu’en vous en
éloignant, vous vous plongez dans les ténèbres; « Je vous garderai donc toute
ma force », je ne m’éloignerai pas de vous,je ne mettrai pas ma confiance en
moi. « Je vous garderai toute ma force, car, Seigneur, vous m’avez pris sous
votre garde ». Où étais-je alors? Où suis-je maintenant? D’où venais-je lorsque
vous m’avez reçu? Quels péchés m’avez
1. Isa. LIII, I. — 2. Ps. LVIII, 9. — 3. Id.
10. — 4. Id. XXXIII, 6.
vous pardonnés? A quel état de bassesse
j’étais réduit ! A quel degré d’élévation je suis parvenu ! J’en garderai le
souvenir, c’est pour moi un devoir de ne pas oublier ce que dit un autre
psaume: « Mon père et ma mère m’ont abandonné, mais le Seigneur m’a pris en sa
garde 1. Je vous garderai ma force, ô mon Dieu, car vous m’avez pris sous votre
garde».
19. « Vous êtes mon Dieu: sa miséricorde me
préviendra 2 ». Voilà ce que le Prophète veut faire entendre en disant: « Je
vous garderai ma force »; je ne mettrai point ma confiance en moi-même. Quel
bien ai-je pu faire, pour que vous preniez pitié de moi et que vous me fassiez
entrer dans la voie de la justice? Qu’avez-vous trouvé en moi, sinon le péché,
rien que le péché? Ce que vous m’avez fait en me donnant la vie venait de vous,
et je ne pouvais vous offrir autre chose, car tout le reste, c’est-à-dire les
péchés que vous m’avez pardonnés, venait de moi. Ce n’est pas moi qui me suis
éveillé le premier pour revenir à vous; c’est vous qui vous êtes approché de
moi pour me tirer de mon sommeil, « car sa miséricorde me préviendra ». Sa
miséricorde me préviendra avant que je fasse le moindre bien. Que répondra à
cela le malheureux Pélage?
20. « Mon Dieu me l’a fait voir dans mes
ennemis 3 ». C’est-à-dire, Dieu m’a fait voir par mes ennemis, toute la
miséricorde dont il a usé à mon égard. Que celui qui a été recueilli par le
Seigneur, se compare à ceux que Dieu a délaissés, et que celui qu’il a choisi
se compare à ceux qui ont été réprouvés. Que les vases de miséricorde se
comparent aux vases de colère, et considèrent que, « de la même masse, Dieu a
fait les uns pour être des vases d’honneur, et les autres pour être des vases
d’ignominie ». Que signifient ces paroles: « Dieu me l’a fait voir par mes
ennemis? Dieu voulant manifester sa colère et sa puissance, a souffert avec
beaucoup de patience les vases de colère qui ont été destinés à la perdition,
afin de faire mieux voir sa bonté envers les vases de miséricorde 4 ». Si donc
il a supporté les vases de colère, pour faire connaître les richesses de sa
bonté à l’égard des vases de miséricorde, c’est avec une extrême justesse que
le Prophète a dit: « Sa miséricorde me préviendra: « Mon Dieu me
1.
Ps. XXVI, 10. — 2. Id. LVIII, 11.— 3. Id. 12. — 4. Rom. IX, 21—23.
l’a fait voir dans mes ennemis».
C’est-à-dire: il m’a fait comprendre l’étendue de sa bonté pour moi, en me
donnant pour exemple ceux qu’il n’a pas aimés comme il m’a aimé moi-même; car
si l’on ne fait mourir un débiteur insolvable, celui à qui on remet sa dette se
montre moins reconnaissant. « Dieu me l’a fait voir dans mes ennemis ».
21. Quant à ses ennemis eux-mêmes, qu’est-ce
qu’ajoute le Prophète? «Ne les faites point mourir, ô mon Dieu, de peur qu’ils
oublient votre loi ». Il prie pour ses ennemis; il accomplit le précepte de la
charité. Tout à l’heure nous entendions sortir de sa bouche ces paroles: «
N’ayez compassion d’aucun de ceux qui commettent l’iniquité ». Maintenant il
dit: « Ne les faites point mourir, de peur qu’on oublie votre loi ». Comment accorder
ensemble ces deux passages de notre psaume? Comment Dieu peut-il en même temps
ne pas prendre en pitié des pécheurs, et ne pas les faire mourir dans la
crainte qu’on oublie sa loi? Ici, remarquez-le, le Prophète parle de ses
propres ennemis. Hé quoi! ses ennemis observent-ils donc les lois de la
justice? Si ceux qui le haïssent pratiquent la justice, il est donc lui-même
coupable d’injustice? Mais comme il observe les lois de l’équité, il endure,
par là même, de la part de ses ennemis, des procédés injustes: il est donc
évident qu’en se déclarant l’adversaire des justes, on se constitue soi-même
dans l’état de péché. Comment donc a-t-il pu dire tout à l’heure: « N’ayez
compassion d’aucun de ceux qui commettent l’iniquité », pour faire maintenant
cette prière en faveur de ses ennemis: « Ne les faites point mourir, de peur
qu’on oublie votre loi? » Ne prenez donc point pitié d’eux, afin de tuer leurs
péchés; ne faites point mourir ceux dont vous tuez les péchés. Qu’est-ce
qu’être tué? C’est oublier la loi de Dieu. Se plonger dans l’abîme du péché,
voilà la véritable mort. Ceci peut très-bien s’entendre des Juifs. Mais quel
rapport ce passage peut-il avoir avec les Juifs: « Ne les tuez pas, de peur
qu’on oublie votre loi? » Ne faites point mourir ces malheureux qui se sont
déclarés contre moi, et m’ont fait mourir moi-même. Que la nation juive
subsiste toujours. Sans doute, les Romains l’ont vaincue, leur ville a été
détruite de fond en comble: on ne permet à aucun de ses membres de rentrer dans
leur cité sainte, et pourtant, il y
a toujours des Juifs. Toutes les provinces
sont tombées au pouvoir des Romains: où est l’homme capable de les reconnaître
toutes au milieu de l’empire romain, et de dire quels noms elles portaient
autrefois, puisque tous leurs habitants sont devenus Romains et en portent le
nom? Néanmoins les Juifs subsistent encore, marqués d’un signe qui les
distingue des autres; s’ils ont subi la honte de la défaite, ils n’ont pas, du
moins, été détruits et absorbés par les vainqueurs. Ce n’est pas sans raison
que, après le meurtre d’Abel, Dieu a placé au front de Caïn un signe qui pût le
faire reconnaître et l’empêcher d’être lui-même tué 1. Or, voici le signe
auquel on reconnaît les Juifs: ils conservent avec un soin extrême les restes
de leur loi; ils reçoivent la circoncision, observent le sabbat, immolent
l’agneau pascal, et mangent le pain azyme. Il y a donc des Juifs, ils n’ont pas
été anéantis: et même leur existence est indispensable pour confirmer les
Gentils dans la foi. Pourquoi cela? Afin que nous connaissions, d’après
l’exemple de nos ennemis, la miséricorde de Dieu à notre égard. « Mon Dieu me
l’a fait voir dans mes ennemis ». A la vue des branches orgueilleuses de
l’olivier franc séparées de leur tronc, l’olivier sauvage, greffé à leur place,
peut comprendre l’étendue de la miséricorde divine envers lui. Voilà où gisent
les rameaux superbes: et toi, qui gisais par terre, voilà où tu as été greffé.
Ne t’enorgueillis donc pas, car tu mériterais d’être à ton tour séparé du
tronc. « Mon Dieu, ne les anéantissez pas, de peur qu’on oublie votre loi ».
22. « Dispersez-les dans votre puissance ».
1. Gen. IV, 15.
L’événement a eu lieu: les Juifs ont été
dispersés parmi les nations, et ils servent de témoins pour attester à tous
leur crime et la vérité de l’Evangile. Les livres qu’ils ont entre les mains,
contiennent les prophéties relatives au Christ, et le Christ, nous le
possédons, Si, par hasard, il s’élève dans l’esprit d’un païen des doutes
concernant les prophéties qui regardent le Sauveur, et dont l’évidence le
saisit d’étonnement; si, dans le sentiment dc l’admiration, il s’imagine que
nous avons nous-mêmes inventé ces prophéties pour les besoins de notre cause,
nous en appelons àux livres des Juifs, et leur antiquité devient entre nos mains
une preuve sans réplique. Voyez donc comment certains ennemis nous servent à
combattre et à vaincre d’autres ennemis. « Dispersez-les dans votre puissance.
Otez-leur tout leur pouvoir, toute leur force. Et conduisez-les, Seigneur, qui
êtes mon protecteur. Perdez en eux les péchés de leur bouche, et les paroles de
leurs lèvres; et qu’ils soient pris dans leur propre orgueil. Ils apprendront
que leurs malédictions et leurs mensonges seront le principe de leur
consommation dans la colère de consommation, et ils ne seront plus ».
Ce passage est très-obscur, et je crains de
ne pas être parfaitement compris dans l’explication que je veux en donner, car
vous êtes déjà fatigués de m’écouter. Remettons donc à demain l’interprétation
des derniers versets de ce psaume, si, toutefois, votre charité veut bien y
consentir. Le Seigneur m’aidera à m’acquitter envers vous de ma dette: car je
compte plus sur lui que sur moi.
1. Le long discours que je vous ai adressé
hier, m’a laissé pour aujourd’hui en dette vis-à-vis de vous; et, puisque Dieu
l’a permis, et que le temps de m’acquitter est venu, je vais le faire. Plus
nous nous montrons dévoué à remplir nos obligations à votre égard, plus aussi
vous devez vous montrer avares créanciers: en d’autres termes, puisque le
Seigneur nous donne ce que nous devons vous communiquer, car il est le Maître
et nous les serviteurs, c’est à vous de recevoir ses dons de manière à faire
voir dans votre conduite le fruit que vous tirerez de nos discours. En effet,
le champ que l’on cultive, et qui ne produit rien de bon, le champ qui ne
récompense point le cultivateur et lui donne des épines au lieu de moissons
abondantes, ne verra jamais sa récolte enfermée dans les greniers du Père de
famille: elle sera jetée au feu. Le Seigneur, notre Dieu, daigne répandre sur
notre coeur la rosée fécondante de sa parole, comme il répand sur les campagnes
d’abondantes ondées, parce que notre coeur est comme un champ qui lui
appartient: et il a droit d’en attendre du fruit, puisqu’il sait quelle semence
et quelles pluies il y a fait tomber. En réalité, nous ne sommes rien sans lui:
nous n’étions rien avant qu’il nous eût créés; et quiconque, devenu homme,
prétend se passer de lui, n’est autre, en fin de compte, qu’un homme pécheur:
c’est donc avec raison que le Prophète a dit: « Je vous garderai ma force ».
Puisque toute cette force, nous la conservons avec lui et pour lui, et que nous
la perdons en nous en éloignant, notre âme doit donc toujours veiller, non pas
seulement à ne pas s’éloigner de lui, mais encore, si elle en est éloignée, à
se diriger vers lui et à s’en approcher chaque jour davantage; pour cela, elle
n’a besoin ni de marcher vite, ni d’employer le secours de chariots, ni de
monter un coursier agile, ni de se servir de grandes ailes: la pureté des
affections et des moeurs irréprochables et saintes, voilà ce qui est nécessaire
pour s’approcher de Dieu.
2. Achevons d’expliquer notre psaume. Nous
nous sommes arrêté à l’endroit où le Prophète commence à parler à Dieu de ses
ennemis, et lui dit: « Ne les tuez point, Seigneur, de peur qu’on oublie votre
loi 1.» Il leur donnait le nom d’ennemis, et, pourtant, il priait le Seigneur
de ne point les tuer, dans la crainte de voir oublier sa loi. Se souvenir de la
loi divine, c’est-à-dire ne pas l’oublier, ce n’est encore ni la perfection, ni
l’assurance d’être récompensé, ni une garantie contre les supplices éternels.
Il en est qui gardent le souvenir de la loi, mais qui ne la pratiquent pas;
ceux, au contraire, qui l’accomplissent, eu conservent la mémoire. Aussi,
1. Ps. LVIII, 12.
quand un homme remplit tous les devoirs àlui
imposés par Dieu, quand il s’efforce incessamment de ne point laisser effacer
de la mémoire de son coeur ce qu’il sait de la loi du Seigneur, et que par
toute sa conduite il se rappelle à chaque instant les préceptes que l’Eternel y
a tracés, cet homme connaît utilement la loi divine, et il ne sera pas
considéré comme un ennemi du Très-Haut. Les Juifs sont les ennemis de
Jésus-Christ; le Psalmiste semble les désigner ici: ils ont la loi de Dieu
entre les mains, ils la conservent; voilà pourquoi le Prophète adresse au
Seigneur cette prière: « Ne les tuez pas, de peur qu’on oublie votre loi». Il
demande que la nation juive subsiste toujours, et que, ce peuple continuant à
subsister, le nombre des chrétiens s’accroisse tous les jours. C’est un fait
indiscutable; on rencontre des Juifs au milieu de tous les autres peuples; ils
sont toujours tels, et n’ont pas cessé d’être ce qu’ils étaient; c’est-à-dire,
que cette nation n’est point passée sous la domination romaine de manière à
perdre son autonomie; mais en pliant sous le joug de l’empire, elle a conservé
ses lois, qui sont les lois divines. Mais comment les observe-t-elle? « Vous
payez la dîme de la menthe, de l’aneth et du cumin, et vous négligez ce qu’il y
a de plus important dans la loi, à savoir: la justice, « la miséricorde et la
foi. Vous avez grand soin de filtrer ce que vous buvez, dans la crainte
d’avaler un moucheron, et vous avalez un chameau 1». Ainsi leur parle le
Seigneur; et, de fait, ils agissent de la sorte; ils conservent entre leurs
mains la loi et les Prophètes, ils lisent et chantent toutes ces paroles
saintes, et ils n’y voient point désigné le Christ lui-même, qui est la lumière
des Prophètes. Non seulement ils ne l’aperçoivent pas, maintenant qu’il est
dans le ciel; ils ne l’ont pas même reconnu, quand il vivait dans l’humiliation
au milieu d’eux, et qu’ils sont devenus coupables à son égard en répandant son
sang; toutefois, je n’entends point parler d’eux tous. C’est ce que je vous
prie, mes frères, de bien remarquer aujourd’hui. J’ai dit qu’il n’est pas
question de tous les Juifs, parce que beaucoup d’entre eux se sont convertis à
celui qu’ils avaient fait mourir, ont cru en lui, et mérité, de sa part, le
pardon de leur déicide; par là ils ont montré aux hommes
1. Matt. XXIII, 23, 24.
à ne point désespérer de leur propr pardon,
quels que soient, d’ailleurs, le nombre et l’énormité de leurs crimes,
puisqu’en s’a vouant coupables, ils ont obtenu miséricorde et que l’indulgence
divine s’est étendue même à l’assassinat commis par eux sur la personne du
Christ. Voilà pourquoi le Psalmiste s’exprime ainsi: « Parce que, mon Dieu,
vous avez bien voulu me recevoir, et que la miséricorde de Dieu me préviendra
». C’est-à-dire, avant aucune bonne action de ma part, sans aucuili mérite,
j’ai été prévenu par sa miséricorde. Quoiqu’il n’ait rien trouvé de bon en moi,
il n’a pas laissé de me rendre bon; il rend juste celui qui se convertit, et il
avertit celui qui s’égare, de rentrer dans la voie droite. « Mon Dieu», ajoute
le Prophète, « mon Dieu me l’a montré dans mes ennemis »; c’est-à-dire, en me
comparant avec mes ennemis, je vois combien il m’aime, combien de preuves de
bonté il me donne; car les vases de colère et les vases de miséricorde, sortant
tous de la même masse, les premiers apprennent aux seconds quelle grâce ceux-ci
ont reçue 1. Nous lisons ensuite: « Ne les tuez pas, de peur qu’on oublie votre
loi ». Ces paroles s’appliquent aux Juifs. Mais quel châtiment leur
infligerez-vous? « Dispersez-les dans votre puissance ». Montrez-leur que la
force appartient à vous, et non à ceux qui mettent leur confiance en leur
propre pouvoir, et qui méconnaissent votre éternelle vérité. Montrez-leur que
si vous êtes fort,ce n’est point à la manière de ces forts dont il est écrit: «
Les forts se sont jetés sur moi »; mais que votre force vous donne le pouvoir
de les disperser. « Et conduisez-les, Seigneur, qui êtes mon protecteur».
C’est-à-dire, dispersez-les, mais ne les abandonnez pas, « de peur qu’on oublie
votre loi ». Et protégez-moi de telle sorte que leur dispersion me fournisse un
témoignage de votre miséricordieuse bonté.
3. Le Psalmiste ajoute: « Perdez en eux les
péchés de leur bouche et les paroles de leurs lèvres ». Comment unir et lier à
ce qui précède ce passage: « Perdez en eux les péchés de leur bouche et les
paroles de leurs lèvres? » Nous ne voyons pas entre les paroles suivantes assez
de liaison pour apercevoir le rapport qui existe entre ces paroles et celles
qui précèdent. « Perdez en eux les péchés de leur bouche et les paroles de
leurs
1. Rom. IX, 21.
lèvres, et qu’ils soient pris dans leur
orgueil. Leur malédiction et leur mensonge produiront leur perfection dans la
colère, qui perfectionne tout, et ils ne seront plus ». Je l’ai déjà dit hier;
ce passage est obscur voilà pourquoi j’ai voulu attendre, pour vous en donner
l’explication, que vos esprits fussent reposés. Puisque vous n’êtes point
encore fatigués de m’entendre, veuillez donc en ce moment élever vos coeurs,
afin de m’aider par votre application; par ses obscurités et ses embarras notre
langage pourrait ne pas répondre à ce que vous attendez de moi; aussi
devez-vous apporter votre part de bonne volonté; de la sorte, vous suppléerez,
par votre promptitude à pénétrer le sens de mes paroles, à ce qui pourrait leur
manquer de clarté.
Ce verset se trouve donc au milieu du psaume,
sans que nous puissions voir facilement sa liaison avec ce qui précède. «
Perdez en eux les péchés de leur bouche, et les paroles de leurs lèvres ».
Néanmoins, ayons recours aux versets précédents. Le Prophète avait dit: « Ne
les tuez pas, de peur qu’on oublie votre loi »; telle était sa prière en faveur
d’hommes en qui il reconnaissait ses ennemis; et il avait ajouté: « Perdez en
eux les péchés de leur bouche, et les paroles de leurs lèvres ». C’est-à-dire,
mettez fin à i leurs discours et non à leur existence: « Ne les tuez donc pas,
de peur qu’on oublie votre loi ». Mais il y a en eux quelque chose que vous
devez tuer, pour que l’on voie l’accomplissement de cette parole: « N’ayez
compassion d’aucun de ceux qui commettent l’iniquité; dispersez-les donc par
votre puissance et conduisez-les », c’est-à-dire, ne les abandonnez pas, tout
en les dispersant; parce qu’en ne les abandonnant point, et en ne les tuant
pas, vous avez encore quelque chose à faire en eux. Qu’y tuerez-vous donc? «
Les péchés de leur bouche et les paroles de leurs lèvres ». Que tuerez-vous en
eux? Les cris qu’ils ont fait entendre: « Crucifie-le! crucifie-le 1! » et non
leur propre personne. Pour eux, ils ont voulu perdre, exterminer et anéantir le
Christ; et vous, en ressuscitant celui qu’ils ont voulu perdre, vous tuez « les
péchés de leur bouche et les paroles de leurs lèvres ». En effet, ils avaient
crié qu’il fallait le mettre à mort, et ils s’aperçoivent ave. étonnement qu’il
vit encore; ils l’ont méprisé
1. Jean, XIX, 6.
pendant sa vie mortelle, et ils le voient
avec stupéfaction adoré de tous les peuples de la terre; ainsi sont tués les
péchés de leur bouche et les paroles de leurs lèvres.
4. « Et qu’ils soient pris eux-mêmes dans
leur orgueil». Que veulent dire ces paroles: « Qu’ils soient pris eux-mêmes
dans leur orgueil? » C’est inutilement que les forts se sont jetés sur le Christ,
et qu’il a paru céder à leurs efforts pour leur laisser croire qu’ils avaient
réussi dans leurs desseins contre lui; c’est en vain qu’ils ont semblé
prévaloir contre le Sauveur. Ils ont bien pu crucifier son humanité sainte,
leur faiblesse a pu l’emporter sur la force, la force a pu être mise à mort;
ils se sont imaginé qu’ils étaient quelque chose; ils se sont considérés comme
des hommes robustes, puissants et incapables de se laisser dominer par
n’importe quelle résistance; ils étaient, à leurs yeux, pareils àun lion tout
préparé à dévorer sa proie, ou semblables à ces taureaux gras dont il est parlé
dans un autre psaume: « Des taureaux gras se sont jetés sur moi 1». Mais
qu’ont-ils fait au Christ? En lui ils ont tué, non la vie, mais la mort. En
effet, au moment où Jésus-Christ rendait le dernier soupir, le règne de la mort
finissait en lui, et celui de la vie commençait, lorsque, par sa résurrection,
il reprenait cette'vie au sein même de la mort; il est ressuscité, car il y
avait en lui une source de vie qu’ils ne pouvaient tarir. Quel a donc été le
résultat de leur méchanceté à l’égard du Sauveur? Ecoute; le voici. Ils ont
détruit le temple. Et lui, qu’a-t-il fait? Il l’a rebâti le troisième jour 2.
Par là ont été tués les péchés de leur bouche et les paroles de leurs lèvres.
Et qu’est-il advenu de ceux qui se sont convertis? « Qu’ils soient pris dans
leur propre orgueil ». On leur a dit que celui qu’ils avaient attaché à la
croix, était ressuscité d’entre les morts, et ilsont cru au prodige de sa résurrection,
quand ils ont vu que, du haut du ciel où il était monté, il avait envoyé
l’Esprit-Saint, pour remplir de ses dons ceux qui avaient cru en lui 3, et
alors ils ont compris qu’en faisant mourir le Christ, ils avaient inutilement
employé leur temps et leurs forces. Tout ce qu’ils avaient fait se réduisait à
rien; il ne leur restait que la responsabilité de leur coupable conduite; et
dès lors que leurs projets avaient été anéantis, et qu’ils
1.
Ps. XXI, 13. — 2. Jean, II, 19. — 3. Act. I, 9, II, 4.
n’avaient recueilli d’autre bénéfice que
celui d’avoir commis le’crime, ils furent pris dans leur propre orgueil, et ils
se virent accablés sous le poids de leur faute, Ils n’avaient donc plus d’autre
ressource que celle de confesser leur péché; c’était la condition pour Obtenir
leur pardon de celui qui avait cédé à leurs efforts criminels; à cette
condition, il devait pardonner sa mort corporelle aux morts spin. fuels qui lui
avaient ôté la vie, et donner la vie de l’âme à ceux qui l’avaient perdue. Ils ont
donc été pris dans leur orgueil.
5. « Leur malédiction et leur mensonge
produiront leur consommation dans la colère de consommation, et ils ne seront
plus ». Il est vraiment difficile de comprendre comment les mots: « Et ils ne
seront plus », se lient avec les précédents. Quel en est le sens? Voyons le
verset que nous venons d’expliquer. Lorsqu’ils auront été pris dans leur propre
orgueil, « leur malédiction et leur mensonge produiront leur consommation ».
Que doit-on entendre par consommation? ce terme signifie: Perfection; car être
consommé veut dire être perfectionné. Autre chose est d’être consommé, autre
chose est d’être consumé. On dit d’un objet qu’il est consommé, quand il est
arrivé à son dernier degré de perfection: on dit qu’il est consumé, lorsqu’il
est détruit èt qu’il n’en reste plus rien. L’orgueil empêchait l’homme de
devenir parfait, car rien ne met obstacle à la perfection, comme ce malheureux
vice. Que votre charité veuille bien apporter un peu d’attention à mes paroles,
et considérer que l’orgueil est un mal singulièrement dangereux, un mal
infiniment à craindre. A votre avis, quel mal est l’orgueil? Pourrais-je
exagérer en vous dépeignant sa malice et ses suites? Le démon n’a commis que ce
péché: voilà la cause de ses tourments sans fin. Sans aucun doute, il est le
chef de tous les pécheurs, c’est lui qui les entraîne au mal: on ne l’accuse ni
d’adultère, ni d’intempérance, ni de fornication, ni d’enlèvement du bien
d’autrui: sa chute n’est venue que de l’orgueil. Et parce que l’envie est la
compagne ordinaire de l’orgueil, il est impossible que le coeur de
l’orgueilleux ne soit pas dévoré par l’envie. Comme conséquence de ce vice, qui
est la suite nécessaire de l’orgueil, le démon, après sa chute, porte envie à
l’homme qui persévère dans le bien, et il s’efforce de le séduire,
pour l’empêcher de parvenir à ce séjour
heureux d’où il est lui-même tombé. Et comme il sait que notre juge n’acceptera
pas de fausses accusations contre nous, il cherche à nous précipiter en des
fautes réelles: si notre avenir devait se décider au tribunal d’un homme,
facile à tromper par des calomnies et des impostures, il ne prendrait ni tant
de peines, ni de si minutieuses précautions pour nous faire commettre le péché;
car il pourrait jeter notre juge dans l’erreur, et opprimer ainsi l’innocence;
et alors, il nous entraînerait aisément dans le piégé, et rien ne lui serait
plus facile que de s’emparer de nous, et de nous faire condamner avec lui. Mais
il ne l’ignore pas, nous avons un juge qu’on ne peut surprendre, un juge
équitable qui ne fait acception de personne, un juge, enfin, devant lequel il
ne veut faire paraître que de vrais coupables, parce que Dieu étant
souverainement juste, les condamnera nécessairement. L’envie seule, compagne
obligée de son orgueil, porte donc le démon à nous pousser dans l’abîme du
péché. D’où il suit que l’orgueil est un grand mal, puisqu’il nous empêche de
devenir parfaits. Qu’on se vante autant qu’on voudra de ses richesses, de la
beauté et de la force de son corps; tous ces avantages ne dureront qu’un temps,
et ceux-là sont vraiment ridicules, qui se glorifient de choses périssables,
qu’ils sont très-souvent exposés à perdre pendant leur vie, et dont ils
devront, de toute nécessité, se séparer au moment de la mort. L’orgueil est un
vice capital, puisqu’il suffit d’une seule tentation d’orgueil pour faire
perdre à un homme, déjà avancé dans la pratique du bien, tout le terrain qu’il
a précédemment parcouru. Les autres vices sont à craindre pour les mauvaises
actions que nous pouvons commettre; nous devons redouter encore davantage
l’orgueil, quand nous en taisons de bonnes. Il n’est donc pas étonnant que
saint Paul ait été assez humble pour dire: « Quand je suis faible, c’est alors
que je suis fort », Pour l’empêcher d’être tenté par l’orgueil, savez-vous quel
remède a employé le sage médecin qui connaissait le mal, et voulait le guérir?
L’Apôtre va nous le dire: « De peur que la grandeur de mes révélations ne
m’inspirât de l’orgueil, Dieu a permis que je ressente dans ma chair un aiguillon,
qui est l’ange et le ministre de Satan, pour me donner des soufflets. C’est
pourquoi j’ai prié le Seigneur par trois fois, afin que cet ange de « Satan se
retirât de moi, et il m’a répondu « Ma grâce te suffit, car la force se
perfectionne dans la faiblesse 1 ». Voyez en quoi consiste la consommation dont
parle le Psalmiste. L’Apôtre, le docteur des nations, le père des fidèles qu’il
a engendrés par l’Evangile, a reçu l’aiguillon de la chair pour en être
souffleté. Y en aurait-il un seul parmi nous, pour oser s’exprimer ainsi à
l’égard de saint Paul, s’il ne l’avait lui-même déclaré humblement? En disant
qu’il n’a pas eu à supporter une pareille humiliation, nous croirions lui faire
honneur, et en définitive, nous le taxerions de mensonge. Mais comme il était
sincère, et qu’il a dit la vérité, nous devons ajouter foi entière à ses
paroles, quand il nous dit que Dieu lui a envoyé l’ange de Satan pour
l’empêcher de s’enorgueillir de la sublimité de ses révélations. Le serpent de
l’orgueil est donc bien à craindre. Mais qu’est-il advenu des Juifs? Ils ont
été pris dans leur péché, car ils ont fait mourir le Christ, et plus grand a
été leur crime, plus aussi ils se sont humiliés, et plus ils ont mérité par là
d’être relevés; ainsi, « qu’ils soient pris dans leur propre orgueil: et leur
malédiction et leur mensonge produiront leur « perfection »; c’est-à-dire, ils
deviendront d’autant plus parfaits, qu’ils ont été surpris à maudire et à
mentir. En effet, l’orgueil ne -leur permettait point de s’avancer vers la
perfection: il leur a fait commettre un grand crime, mais par l’humble
confession qu’ils en ont faite, ils se sont débarrassés de ce malheureux vice;
alors, ils en ont obtenu le pardon; la miséricorde divine leur a rendu
l’innocence, et, parce que de leur bouche étaient sortis la malédiction et le
mensonge, ils sont devenus parfaits. lia été dit à l’homme: Tu as vu et
compris, par ton expérience, ce que tu es: tu t’es égaré, tu es tombé dans
l’aveuglement, tu as commis le péché et fait une lourde chute; tu as reconnu ta
faiblesse, aie donc recours au médecin, et ne te crois pas en bonne santé. Vois
l’abîme où t’a précipité ta frénésie ! Tu as fait mourir ton médecin, et tout
en le livrant à la mort, tu n’as pu l’anéantir; mais, du moins, as-tu agi dans la
mesure de tes forces pour l’exterminer. « Votre malédiction et votre mensonge
serviront à
1. II Cor. XII, 7-10.
vous faire devenir parfaits ». O Juifs, vous
avez fait tout ce qu’il faut pour opérer la malédiction, car « maudit soit
l’homme pendu au gibet ». Vous avez crucifié le Christ et vous l’avez considéré
comme un homme maudit; puis, à la malédiction, vous avez ajouté le mensonge, en
plaçant des gardes près de son tombeau, et en achetant au poids de l’or les
mensonges que vous vouliez leur faire dire 2. Voilà que le Christ est
ressuscité. Qu’est devenue cette malédiction de la croix que vous lui avez
infligée? A quoi a servi le mensonge répandu par les gardes que vous avez
corrompus à prix d’or?
6. « La malédiction et le mensonge serviront
à la consommation dans la colère de consommation». Que veulent dire ces
paroles: « Dans la colère de consommation? » Il y a une colère de consommation,
et il y a une colère de consomption: toute vengeance de la part de Dieu se
nomine la colère de Dieu; mais tantôt il se venge pour perfectionner, tantôt il
se venge pour détruire. Comment se venge-t-il pour perfectionner? « Il frappe
de verges ceux qu’il reçoit au nombre de ses enfants 3 ». Comment se venge-t-il
pour détruire? Il le montrera, lorsqu’il dira à ceux qui seront placés à sa
gauche: « Allez au feu éternel, qui a été préparé pour le démon et pour ses
anges 4 ». La colère divine sera alors une colère de consomption, et non pas
une colère de consommation. Mais « on annoncera la consommation dans la colère
de consommation »; c’est-à-dire, les Apôtres annonceront que, là où le péché
s’est trouvé en abondance, il y aura une surabondance de grâce 5, et que la
faiblesse de l’homme a produit le remède destiné à le guérir, l’humilité. Dans
cette pensée, les Juifs reconnaîtront leurs fautes ils en feront l’aveu, et «
ils ne seront plus », Quel est le sens de ces mots? Ils ne seront plus
orgueilleux. Car le Psalmiste avait dit plus haut: « Qu’ils soient pris dans
leur propre orgueil. La malédiction et le mensonge serviront à la consommation
dans la colère de consommation, et ils ne seront plus » dans les sentiments
d’orgueil où ils ont été surpris.
7. « Et ils sauront que le Seigneur est le
dominateur de Jacob et des extrémités de la terre ». Auparavant, les Juifs
s’imaginaient
1. Deut. XXI, 2; Gal. III, 13. — 2. Matt.
XXVIII, 12. — 3. Hébr. XII, 6. — 4. Mattt. XXV, 41. — 5. Rom. V,
20.
qu’ils étaient justes, parce que leur nation
avait reçu la loi, et qu’elle avait observé les commandements de Dieu; mais la
preuve évidente qu’ils n’en avaient pas été les observateurs fidèles, c’est
qu’ils n’y ont point reconnu le Christ: l’aveuglement de l’esprit était, en
effet, tombé en partie sur le peuple d’Israël 1. Ils doivent s’apercevoir que
les Gentils, considérés par eux comme des pécheurs et des chiens, ne sont
pourtant pas à mépriser. Car s’ils ont été les uns et les autres surpris en
état de péché, ils seront de même, les uns et les aigres, admis au salut
éternel. « Il est», dit saint Paul, «pour les Juifs et pour les Gentils 2. La
pierre qu’ils ont rejetée en bâtissant, est devenue la principale pierre de
l’angle ». Pourquoi? Afin de réunir en elle deux choses différentes, car
l’angle est le point de jonction entre deux murailles. A leurs propres yeux,
les Juifs étaient gens élevés et honorables: les Gentils, au contraire, leur
apparaissaient faibles, pécheurs, esclaves du démon, adorateurs des idoles; et
néanmoins, ils se trouvaient également plongés dans l’abîme de l’iniquité. Il a
été démontré aux Juifs qu’ils étaient pécheurs, « car il n’y a personne qui
fasse le bien, il n’y en a pas un seul 3 ». Ils se sont dépouillés de leurs
idées de hauteur et n’ont plus porté envie aux Gentils; ils ont reconnu que les
uns et les autres étaient également faibles, se sont réunis au moyen de la
pierre angulaire, et ont ensemble adoré Dieu. « Ils sauront que le Seigneur est
le dominateur de Jacob et des extrémités de la terre ». Il sera le maître, non
seulement des Juifs, mais des extrémités de la terre: mystère caché pour eux,
s’ils persévéraient dans leur orgueil ! Orgueil toujours subsistant, s’ils
continuaient à se considérer comme des justes! Mais justice impossible à
supposer en eux en présence de la malédiction et du mensonge; parce que de là
est venue pour eux la consommation dans la colère de consommation, et qu’ils
ont été surpris dans leur orgueil, à la suite de la malédiction qu’ils ont
prononcée en crucifiant le Sauveur. Voici ce qu’a fait Notre Seigneur
Jésus-Christ. Il est mort entre les mains des Juifs, et il a racheté la multitude
des Gentils. Les uns ont répandu son sang, les autres en ont profité, il a été
versé pour l’utilité de tous ceux qui se sont convertis; en effet, ceux-
1. Rom, IX, 21. — 2. Id. 21.— 3. Ps. CXVII,
22. — Rom. III, 12.
là même qui l’ont fait mourir ont reconnu sa
grandeur, et ainsi ont-ils obtenu le pardon de leur coupable déicide.
8. Que leur adviendra-t-il donc? Ce que le
Psalmiste a déjà dit plus haut: « Ils se convertiront sur le soir ». Ils se
convertiront quoique un peu tard, c’est-à-dire après avoir mis à mort Notre
Seigneur Jésus-Christ. « Ils se convertiront un peu tard, et ils souffriront de
la faim comme les chiens ». « Comme les chiens », et non pas comme les brebis
et les veaux: « comme les chiens », c’est-à-dire les Gentils et les pécheurs:
parce qu’après s’être considérés comme des justes, ils ont reconnu leur péché.
Il avait été dit d’eux en un autre psaume: « Ensuite ils se sont hâtés ». C’est
dans le même sens qu’il est dit ici: « Sur le soir ». Au psaume précité, nous
lisons: « Leurs infirmités se sont multipliées; ensuite ils se sont hâtés 2 ».
Pourquoi se sont-ils hâtés ensuite? Parce que « leurs infirmités s’étaient
multipliées ». Car jamais ils n’auraient hâté leur course, s’ils avaient
continué à se regarder comme des hommes sains; le sens de ces paroles: « Leurs
infirmités se sont multipliées », est donc sous une autre forme le même que
celui de ces autres paroles: « Qu’ils soient pris dans leur orgueil; à cause de
la malédiction et du mensonge, on annoncera la consommation dans la colère de
la consommation ». De même les mots: « Ils se sont hâtés ensuite », ont la même
signification que ceux-ci: « Ils ne seront plus » dans leur orgueil. « Et ils
sauront que le Seigneur dominera Jacob et les extrémités de la terre, et ils se
convertiront sur le soir ». Il est donc utile, pour le pécheur, de s’humilier,
et la guérison la plus difficile à opérer est celle de l’homme qui se croit en
bon état de santé. « Et ils environneront la ville ». Hier déjà, il m’a été
donné de vous expliquer cette parole, et de vous faire voir dans cette ville
d’environnement toutes les nations.
9. « Ils seront dispersés afin de manger 3 »,
c’est-à-dire, afin d’en gagner d’autres, de les amener à la foi et de les faire
entrer dans leur corps. « Et s’ils ne sont pas rassasiés, ils murmureront ». Le
Prophète nous a déjà fait connaître la manière dont ils murmureront. « Qui
est-ce qui nous a écoutés? Et vous, Seigneur, vous vous moquerez d’eux », et
1.
Ps. LVIII, 15. — 2. Id. XV, 4. — 3. LVIII, 16.
vous rirez de ce qu’ils diront: « Qui est-ce
qui nous a écoutés? » Pourquoi? « Parce que vous considérez comme rien de
sauver toutes les nations ».Voilà ce que veut dire: « Et s’ils ne sont pas
rassasiés, ils murmureront ».
10. Achevons d’expliquer le psaume. Voyez les
transports d’allégresse de l’angle, et la joie qu’il éprouve à joindre ensemble
les deux murs 1. Les Juifs s’enorgueillissaient, ils ont été humiliés; les
Gentils désespéraient d’eux-mêmes, ils ont appris à espérer. Qu’ils viennent
les uns et les autres se réunir dans l’angle; qu’ils viennent en hâte s’y
rejoindre et s’y donner le baiser de paix. Qu’ils y viennent de côtés opposés,
mais pas pour s’y combattre; qu’ils y viennent, ceux-ci du milieu d’un peuple
de circoncis, ceux-là du milieu des peuples incirconcis. Les murs se trouvaient
bien éloignés l’un de l’autre, mais c’était avant de se rapprocher de l’angle
maintenant qu’ils se sont rejoints, puissent-ils demeurer fermement unis! et
alors, l’Eglise tout entière, formée de ces deux murs, s’écriera: « Pour moi,
je relèverai votre puissance par mes cantiques; et, le matin, je louerai votre
miséricorde». Le matin, quand toutes les tentations seront passées; le matin,
lorsque sera venue à son terme la nuit de ce siècle; le matin, quand nous
n’aurons plus à craindre ni les embûches des voleurs, ni les embûches du démon
et de ses anges; le matin, quand nous contemplerons, non plus la lumière des
Prophètes, destinée à nous éclairer pendant le pèlerinage de cette vie, mais
les rayons du soleil, c’est-à-dire le Verbe de Dieu lui-même. « Et le matin, je
louerai votre miséricorde ». C’est avec raison que le Prophète a dit ailleurs:
« Le matin, je me tiendrai debout devant vous, et je verrai 2 ». C’est aussi un
grand mystère que la résurrection du Sauveur ait eu lieu au point du jour, car
ainsi s’est trouvée accomplie cette prophétie prononcée ailleurs par le
Psalmiste: « On sera dans les larmes le soir, et le matin dans la joie ». A la
chute du jour, les disciples de Notre Seigneur Jésus-Christ pleuraient sa mort;
au lever du soleil, sa résurrection les remplit de joie. « Le matin, je louerai
leur miséricorde ».
11. « Parce que vous êtes devenu mon
protecteur et mon refuge au jour de mon
1.
Eph. II. — 2. Ps. V, 5.
affliction.
O mon
appui, je vous chanterai des « hymnes, parce que, ô mon Dieu, vous êtes mon
protecteur ». Que serais-je, si vous n’étiez venu à mon secours? Combien mes
maux seraient désespérés, si vous n’étiez venu vous-même me guérir ! En quel
abîme serais-je plongé, si vous ne m’aviez tendu la main. Une plaie profonde
mettait ma vie en danger; il me fallait un médecin tout-puissant pour la
guérir, mais rien n’est impossible pour le médecin: ses soins sont acquis à
tous les malades; il faut que tu consentes à te laisser guérir par lui; il faut
te remettre entre ses mains, tu ne saurais t’écarter de lui. Si tu refuses de
te guérir, ta blessure elle-même te recommande de te soigner; tu lui tournes le
dos, il te rappelle, et quand tu t’écartes de lui, il te force en quelque sorte
à t’en rapprocher; ses instances sont de tous les moments, et pour tous il
accomplit cette parole: « Sa miséricorde me préviendra ». Faites bien attention
à ces mots: « Me préviendra ». Si tu lui as offert quelque chose qui
t’appartient en propre, si tu as mérité sa grâce par tes bonnes oeuvres antécédentes,
sa miséricorde ne t’a pas prévenu. Mais comprendras-tu jamais bien que le
Seigneur t’a prévenu, si d’abord tu ne saisis pas bien le sens des paroles de
l’Apôtre: « Qu’as-tu que tu n’aies pas reçu? Et si tu l’as reçu, pourquoi t’en
glorifier, coin me si tu ne l’avais pas reçu ». En d’autres termes « Sa
miséricorde me préviendra ». En présence de tous les dons qui peuvent faire
notre partage ici-bas, soit par l’effet de notre nature, soit comme conséquence
de l’éducation ou de la fréquentation de la société, la foi, l’espérance, la
charité, les bonnes moeurs, la
1. I Cor. IV, 7.
justice, la crainte de Dieu, le Prophète
arrive à cette conclusion, que tous ces dons ne peuvent nous venir que de Dieu,
et il dit: «Vous êtes mon Dieu, vous êtes ma miséricorde». Comblé des bienfaits
du Seigneur, il ne sait quel nom lui donner, il ne sait que l’appeler sa
miséricorde. Nom ineffable, qui ne permet plus à personne de tomber dans le
désespoir. «Vous êtes mon Dieu, vous êtes ma miséricorde ». Qu’est-ce à dire: «
Vous êtes ma miséricorde? » Si tu dis: Vous êtes mon Sauveur, je comprends
qu’il donne le salut. Si tu dis: Vous êtes mon refuge, je comprends que tu te
jettes dans ses bras pour y trouver le calme. Si enfin tu t’écries: Vous êtes
ma force, j’imagine qu’il te soutient. Mais: « Vous êtes ma miséricorde! »
cette manière de s’exprimer signifie: Tout ce que je suis est un don de votre
miséricorde. Mais l’ai-je méritée par mes prières? Pour devenir ce que je suis,
qu’ai-je fait? Qu’ai-je fait pour exister et me trouver à même de vous prier?
Si j’ai contribué en quelque chose à mon existence, j’existais donc avant
d’exister ! Mais si je n’étais rien avant d’exister, je n’ai donc pu contribuer
en rien à me donner l’être. Vous êtes l’auteur de ma vie, et vous ne sauriez
être l’auteur de ce qu’il y a de bon en moi? C’est vous qui m’avez communiqué
l’être, et un autre aurait pu me rendre bon? Si je tenais de vous la vie, et
d’un autre la bonté, il s’ensuivrait qu’un autre serait meilleur que vous, car
la bonté est préférable à l’existence. Mais comme personne n’est ni meilleur,
ni plus puissant, ni plus miséricordieux que vous, vous m’avez donné et la vie
et la vertu. « Vous êtes mon Dieu, vous êtes ma miséricorde ».
SERMON AU PEUPLE.
David a remporté sur ses ennemis de grandes victoires; après les avoir
exterminés, il a régné avec gloire; ainsi Jésus-Christ a-t-il triomphé des
hommes; il a détruit en eux l’orgueil et les autres vices, et il les a soumis à
son empire par la crainte de ses jugements; ils se sont convertis, et alors
l’Eglise a triomphé malgré ses humiliations et les persécutions qu’elle a
endurées; elle s’est répandue partout, et elle règne nième sur les pécheurs,
parce que Dieu la protége et la soutient dans ses combats.
1. Le titre de ce psaume est un peu long,
mais ne nous en effrayons pas, car le psaume en lui-même est de peu d’étendue.
Apportons à le comprendre la même attention que si nous devions lui consacrer
un temps considérable. Nous vous parlons, en effet, au nom de Jésus-Christ,
comme à des enfants nourris de la parole sainte dans l’Eglise de Dieu, comme à
des personnes qui doivent puiser encore à la même source l’aliment de leurs
âmes: vous savez apprécier la valeur de ces Ecritures sacrées, pour lesquelles
les mondains ne ressentent aucun goût: vous êtes donc familiarisés avec elles,
et elles ne doivent plus vous paraître aussi difficiles à comprendre. En effet,
si vous avez écouté avec plaisir ce que nous vous avons dit si souvent; si, au
lieu de laisser tomber en oubli nos instructions, comme certains êtres laissent
tomber dans leur estomac une nourriture qu’ils ne doivent point ruminer, vous
les avez rappelées à votre souvenir pour en tirer un utile profit; la mémoire
fidèle que vous en avez gardée nous sera d’un grand secours; elle nous
dispensera de vous parler comme à des personnes peu instruites, puisque nous
saurons que nous vous adressons des instructions auxquelles vous n’êtes pas
étrangers. — Il est un point sur lequel nous avons souvent attiré votre
attention; le voici: dans presque tous les psaumes, tu dois reconnaître tantôt
les paroles du Christ et de l’Eglise tout ensemble, tantôt celles du Christ
pris isolément, ou de l’Eglise dont nous faisons partie: et ainsi, quand nous
reconnaissons notre voix, il nous est impossible de ne pas éprouver un certain
plaisir, et ce plaisir est d’autant plus vif que nous nous retrouvons plus
parfaitement figurés par le Prophète. Le roi David fut un homme unique, mais il
en figura plus d’un, T car il représenta d’avance l’Eglise, composée d’un grand
nombre d’hommes et répandue jusqu’aux extrémités de la terre: et dans les
circonstances où il n’en figura qu’un seul, il fut l’image de l’Homme-Dieu, de
Jésus-Christ, médiateur de Dieu et des hommes’. Dans ce psaume, ou plutôt dans
le titre de ce psaume, il est question de certains faits glorieux de la vie de
David, d’actions mémorables par lesquelles il a illustré son nom, soit en
triomphant de ses ennemis, soit en les rendant tributaires, lorsqu’après la
mort de Saül son persécuteur, il entra publiquement, à sa place, en possession
du royaume d’Israël. Avant d’être persécuté, il était déjà roi, mais, comme
tel, il n’était encore connu que de Dieu: dans la suite, lorsque sa royauté fut
déclarée et qu’il fut monté sur le trône avec une gloire si éclatante, il
triompha des ennemis auxquels fait allusion le titre de ce psaume, et ce titre
fut ainsi conçu: « Pour la fin. A ceux qui seront changés pour l’inscription du
titre. A David, pour l’instruction, lorsqu’il brûla la Mésopotamie de Syrie et
la Syrie de Sobal; lorsqu’il mit Joab en fuite, qu’il frappa Edom et douze
mille hommes dans la vallée des Salines ». Nous lisons, dans les livres des
Rois, que David a vaincu tous ceux dont les noms sont mentionnés ici: les
habitants de la Mésopotamie de Syrie, ceux de la Syrie de Sobal, Joab et Edom
2. Ces événements ont eu vraiment lieu, et nous en voyons ici l’histoire,
écrite conformément à ce qui
1. I
Tim. II, 5. — 2. II Rois, VIII.
s’est passé. Néanmoins, il est facile de le remarquer,
dans la plupart des titres des psaumes, l’esprit du Prophète s’écarte un peu du
strict récit des faits historiques, pour dire des choses qu’on ne rencontre
point dans le narré des événements: par là, il veut nous avertir que ces titres
ont été écrits, moins pour nous rappeler ou nous apprendre des faits passés,
que pour nous prédire l’avenir. Ainsi, il est dit dans le titre d’un psaume,
que David changea son visage en présence d’Abimélech, et que celui-ci s’en alla
après l’avoir congédié 1; au contraire, le livre des Rois nomme le roi Achis,
et ne cite point Abimélech 2; de même trouvons-nous, dans le cas présent, une
allusion à l’avenir. Effectivement, dans cette histoire des guerres et des
actions mémorables qui ont illustré le règne de David, il est question de tous
ceux que cite le titre et que le saint roi a vaincus, mais il n’est pas dit
qu’il ait porté l’incendie quelque part; et ce que l’histoire ne mentionne pas,
nous le trouvons formellement rapporté dans le titre, car nous y voyons qu’il a
fait brûler la Mésopotamie de Syrie, et la Sine de Sobal. Commençons donc à
chercher là le secret des choses à venir qui s’y trouvaient figurées; faisons,
par nos paroles, sortir de ces ombres épaisses une éclatante lumière.
2. Vous savez le sens de ces paroles: « Pour
la fin ». Car « la fin de la loi, c’est le Christ 3 ». Vous n’ignorez pas non
plus quels sont ceux qui sont changés. Il est impossible d’en douter: ce sont
ceux qui passent de la vieille vie à la vie nouvelle: loin de nous, en effet,
la pensée de prendre ce changement en mauvaise part. Adam a subi un changement,
ç’a été de passer de l’état d’innocence à l’état de péché, du sein du bonheur à
un abîme de tourments. Au lieu de lui ressembler, ceux dont il est ici question
deviennent tels qu’on peut leur appliquer aussi ces paroles de l’Apôtre: «
Autrefois, vous avez été ténèbres, mais maintenant, vous êtes lumière dans le
Seigneur 4 ». Ces hommes sont changés pour l’inscription du titre. Vous
connaissez la teneur de ce titre il a été attaché à la croix du Sauveur, et il
était conçu en ces termes: « Voici le roi des Juifs 5». Tous ceux qui passent
du royaume
1. Ps. XXXIII, 1.— 2. I Rois, XXI, 13.— 3. Rom. X, 4.— 4. Eph. V, 8. — 5. Matt. XXVII, 37.
du démon au royaume du Christ, sont changés
pour l’inscription de ce titre: un changement de cette nature leur est
très-utile, et il s’opère en eux, suivant le texte sacré, « pour l’instruction
». Car après ces mots: « A ceux qui seront changés pour l’inscription du titre
», nous lisons ces autres: « A David, pour l’instruction »; c’est-à-dire, ils
sont changés, non pour eux-mêmes, mais pour David, ils le sont pour
l’instruction. Jésus-Christ n’est pas roi pour régner en ce siècle, car il l’a
publiquement déclaré: « Mon royaume », a-t-il dit, « n’est pas de ce monde 1».
Passons donc à ces instructions, si nous voulons être changés pour
l’inscription du titre, non pas pour nous, muais pour David: de la sorte, ceux
qui vivent ne vivront plus pour eux-mêmes, ils vivront pour celui qui est mort
et ressuscité en leur faveur 2. Toutefois, comment le Christ aurait-il opéré
notre changement, s’il n’avait réalisé ces paroles: « Je « suis venu jeter le
feu dans le monde 3? » Si donc il est venu jeter le feu dans le monde, ç’a été
pour le bien et l’utilité de l’homme mais, remarquez-le, il n’est pas venu
jeter le monde dans le feu. Comment est-il venu jeter « le feu dans le monde? »
Puisqu’il est venu dans ce but, cherchons à connaître cette Mésopotamie de
Syrie, et cette Syrie de Sobal, qu’il a incendiées. La langue hébraïque ayant
servi à la première rédaction des psaumes, consultons l’hébreu pour savoir le
sens de ces différents noms. Au dire des interprètes, Mésopotamie signifie une
vocation élevée. Déjà, le monde tout entier a été élevé par sa vocation. Syrie
veut dire sublime, mais cette Syrie, qui était si haute, a été livrée au feu et
réduite en cendres: puisse-t-elle se relever de son humiliation, comme elle a
été d’abord précipitée, du haut de sa grandeur, dans l’abîme de la faiblesse et
du mépris public! Vaine vieillerie, voilà le sens du mot Sobal. Grâces soient
rendues au Christ de ce qu’il l’a brûlée ! Lorsqu’on brûle de vieilles
broussailles, de nouveaux bourgeons croissent à leur place; et quand le feu a
passé quelque part et qu’il a détruit les vieilles herbes sèches, on y voit
pousser de nouvelles herbes, et plus vigoureuses, et plus abondantes, et plus
vertes. Le feu apporté par le Christ dans le monde n’est pas à craindre, il ne
consume que l’herbe sèche: or, toute chair n’est que
1. Jean, XVIII, 38. — 2. II Cor. V, 15. — 3.
Luc, XII, 49.
de l’herbe desséchée, et l’éclat de l’homme
ressemble à l’éclat de la fleur du foin 1. Le Christ met donc le feu à ces
vanités, « et il convertit Joab ». Par Joab, il faut entendre l’ennemi.
L’ennemi a donc été converti. Interprète ce mot comme tu voudras, si cet ennemi
s’est retourné pour prendre la fuite, c’est le démon; s’il s’est converti pour
embrasser la foi, c’est le chrétien. De quel endroit le démon a-t-il pu
s’enfuir? Du coeur du chrétien; car, dit le Sauveur, « le prince de ce monde a
été chassé dehors 2». Mais pour le chrétien, qui s’est converti au Seigneur,
comment peut-on dire qu’il est un ennemi converti? Parce que, d’ennemi de Dieu,
il est devenu son disciple fidèle. « Il a frappé Edom ». Edom veut dire terrestre.
Il a fallu que l’homme terrestre fût frappé: ne devait-il pas, en effet,
mourir, puisqu’il devait faire place à l’homme céleste? En nous la vie
terrestre a été anéantie; puisse la vie céleste lui succéder ! Puisque nous
avons porté l’image de l’homme terrestre, nous devons de même porter l’image de
l’homme céleste 3. Vois de quelle manière l’homme terrestre est frappé de mort.
Faites mourir vos membres qui sont sur la terre 4. Lorsque David eut frappé
Edom, « il tua encore douze mille hommes dans la vallée des Salines ». Douze
mille est un nombre parfait, et à ce nombre parfait correspond celui des douze
apôtres: et ce n’est pas sans raison, car la parole de Dieu devait être prêchée
par tout le monde. Or, la parole de Dieu, qui est le Christ, se trouve dans les
nuées, c’est-à-dire dans les prédicateurs de la vérité. Pour le monde, il est
partagé en quatre parties, que tous connaissent, et qui sont très-souvent
indiquées dans l’Ecriture sous le nom des quatre vents 5: ce sont l’Orient,
l’Occident, l’Aquilon et le Midi. Le Seigneur a fait entendre sa parole dans
ces quatre directions, pour appeler à lui tous les hommes au nom des trois
personnes de la sainte Trinité. Trois fois quatre font douze. C’est donc à
juste titre que l’on dit que douze mille hommes terrestres ont été frappés de
mort, puisque le monde entier l’a été, et que l’Eglise, sortie du tombeau de la
vie terrestre, a été formée de membres venus de toutes les parties du monde.
Pourquoi est-il dit que le massacre des douze mille
1. Isa. XL, 6.— 2. Jean, XII, 31 — 3. Cor.
XV,49. — 4. Col. III, 5. — 5. Ezéch. XXXVII, 9.
hommes a eu lieu « dans la vallée des
Salines? » Par vallée, on entend l’humilité; et par Salines, ce qui donne de la
saveur. Il en est beaucoup qui subissent des humiliations, mais inutilement et
sans profit; ils ne sont humiliés que dans leur vaine vieillesse. Les uns sont
affligés par une perte d’argent, les autres par la privation d’un fragile
honneur, d’autres encore par le retranchement des aises de la vie; dès lors
qu’ils souffrent, ils subissent une sorte d’humiliation; mais pourquoi ne pas
la souffrir pour Dieu, pour le Christ, afin d’avoir la saveur du sel? Ne
sais-tu pas que le Sauveur t’a dit: « Vous êtes le sel de la terre; si le sel
devient fade et insipide, il n’est plus bon à rien qu’à être jeté dehors 1? »
Il est donc bon d’être sage. ment humilié. Ne voyez-vous pas les hérétiques
plongés dans l’humiliation? Condamnés déjà par les lois divines, à l’empire
desquelles ils ne peuvent se soustraire, ne le sont-ils pas encore par les lois
humaines publiées contre eux? Oui, ils sont humiliés, puisqu’ils sont mis en
fuite et qu’ils souffrent persécution; mais c’est d’une manière insipide; c’est
pour des choses fadès et vaines, car leur sel s’est affadi et il a été jeté dehors,
parce qu’il n’était plus bon à rien qu’à être foulé aux pieds par les hommes.
Nous avons expliqué le titre du psaume:
passons maintenant au psaume lui-même.
3. « Mon Dieu, vous nous avez rejetés et
détruits ». Sont-ce les paroles de David, qui a frappé, consumé par le feu, et
exterminé ses ennemis? Ne sont-ce pas plutôt les paroles de ceux qu’il a ainsi
traités, pour frapper et détruire ce qu’il y avait de mal en eux, pour leur
rendre une nouvelle vie et les ramener au bien? Telle est la grande et sanglante
victoire remportée en ce monde par le Christ, par le véritable David, par celui
qui fut vraiment fort, et que figurait le saint roi d’Israël. Il a opéré ces
merveilles: par le glaive et le feu qu’il est venu apporter en ce monde, il a
fait ce massacre immense; car tu trouves dans l’Evangile ces deux passages: «
Je suis venu jeter le feu dans le monde 2». « Je suis venu apporter le glaive
sur la terre 3 ». il a apporté le feu qui devait consumer la Mésopotamie de
Syrie, et la Syrie de Sobal; il a apporté le glaive qui devait frapper Adam. Ce
carnage a donc eu lieu en faveur de ceux qui
1. Matt. V, 13. — 2. Luc, XII, 49. — 3. Matt.
X, 34.
sont changés pour David, pour l’inscription
du titre. Ce sont eux qui parlent ici: ils ont été frappés pour leur salut,
qu’ils se relèvent donc, et qu’ils parlent; puisqu’ils sont devenus meilleurs,
puisqu’ils ont été changés pour l’inscription du titre, pour leur instruction,
pour David, qu’ils disent donc: « Mon Dieu, vous nous avez rejetés et détruits;
vous vous êtes irrité et vous avez pris pitié de nous ». Vous nous avez
détruits pour nous réédifier; vous avez détruit en nous ce qui était mauvais,
notre vaine vieillerie, afin d’y reconstruire l’édifice de l’homme nouveau, qui
doit subsister toujours. Le Prophète dit avec raison que « vous vous êtes
irrité et que vous avez pris pitié de nous ». Car si vous ne vous étiez pas mis
en colère, vous n’auriez pas eu compassion de nous. Vous nous avez détruits
dans votre colère, mais votre colère ne s’est allumée que contre notre
vieillerie, afin de l’anéantir. Vous nous avez pris en pitié en vue de notre
renouvellement, en vue de ceux qui sont changés pour l’inscription du titre;
parce que si en nous l’homme extérieur se corrompt, l’homme intérieur s’y
renouvelle de jour en jour 1.
4. « Vous avez ébranlé la terre, et vous
l’avez troublée ». Comment la terre a-t-elle été troublée? Par le remords qui
naît du péché. Où irons-nous? où fuirons-nous pour éviter les coups de cette
épée que le Seigneur fait vibrer à nos yeux: « Faites pénitence, car le royaume
des cieux est proche 2? » Vous « avez ébranlé la terre et vous l’avez troublée.
Guérissez ses meurtrissures, parce qu’elle a u été ébranlée ». Elle n’est pas
digne d’être guérie, si elle n’est pas ébranlée. Tu parles, tu prêches, tu
menaces de la colère de Dieu, tu annonces le jugement à venir, tu fais
connaître les volontés du Très-Haut: ton zèle à cet égard ne se refroidit pas;
mais celui qui t’écoute n’éprouve aucun sentiment de crainte; rien ne
l’ébranle: il n’est pas digne d’être guéri. Pour celui que ta parole remue, qui
se sent pénétré jusqu’au fond du coeur; qui se frappe la poitrine et répand des
larmes, on peut lui appliquer ces paroles: « Guérissez ses meurtrissures, parce
qu’elle est ébranlée ».
5. L’homme terrestre donc a été frappé à
mort, notre vieillerie a été consumée par le feu; l’homme est devenu meilleur;
ceux qui
1.
II Cor. IV, 16. — 2. Matt. III, 2.
étaient plongés dans les ténèbres sont
arrivés à la lumière: aussi lisons-nous maintenant ce qui se trouve encore écrit
ailleurs: « Mon fils, lorsque vous entrerez au service de Dieu, demeurez ferme
dans la justice etn dans la crainte, et préparez votre âme à la tentation ».
Ton premier soin doit être de te déplaire, afin de te purifier de tes péchés,
et de devenir meilleur. Tu devras,en second lieu, puisque tu seras
converti,supporter patiemment les tribulations et les épreuves de la vie, et y
persévérer courageusement jusqu’à la fin. Le Prophète a donc voulu y faire
allusion et en parler, quand il a dit: « Vous avez fait voir de dures choses à
votre peuple », à ce peuple, qui est devenu le vôtre, puisque David l’a rendu
tributaire par sa victoire. « Vous avez montré de dures choses à votre peuple
». En quoi? Dans les persécutions souffertes par l’Eglise du Christ, lorsque le
sang des martyrs a coulé à grands flots. « Vous avez fait voir de dures choses
à votre peuple; vous nous avez abreuvé d’un vin aigre »; qu’est-ce à dire, d’un
vin aigre? C’est-à-dire, d’un vin qui ne donnait pas la mort: ce n’était pas un
poison qui tue, c’était une médecine cuisante. « Vous nous avez abreuvés d’un
vin aigre».
6. Comment cela? « Vous avez donné un signe à
ceux qui vous craignent, afin qu’ils prennent la fuite et s’écartent de l’arc
». En nous éprouvant par les tribulations de cette vie, vous nous avez avertis
d’éviter les douleurs causées par le feu éternel, car l’apôtre saint Pierre a
dit: « Le temps est venu où Dieu commencera son jugement par sa propre maison
». Lorsque le monde faisait éclater partout sa fureur, lorsque les persécuteurs
répandaient de tous côtés la souffrance et la mort, que le sang des fidèles
coulait à longs et larges flots, et que les chrétiens enduraient d’intolérables
tourments au milieu des chaînes des prisons et des instruments de supplice,
saint Pierre exhortait les martyrs à la patience, et leur disait: « Voici le
temps où Dieu commence son jugement par sa propre maison; et s’il commence
ainsi par nous, quelle sera la fin de ceux qui n’obéissent pas à l’Evangile de
Dieu? Si le juste lui-même se sauve avec tant de peine, que deviendront alors
les impies et les pécheurs 2? » Qu’arrivera-t-il donc au jugement? L’arc est
1. Eccli. II, 1. — 2. 1 Pierre, IV, 17, 18.
tendu pour menacer, mais non encore pouu
frapper. Voyez ce qu’il y a sur cet arc: ce sont des flèches. Ne doivent-elles
pas être lancées en avant, et pourtant c’est par derrière que le nerf se tend;
c’est du côté opposé à celui où l’on doit envoyer la flèche: plus on tire le
nerf en arrière, plus impétueuse, plus agile est la flèche pour atteindre le but.
Par la même raison, le jugement de Dieu fondra sur nous d’autant plus
inopinément et plus terrible qu’il aura été différé davantage. Il nous faut
donc rendre grâces à Dieu de ce qu’il nous éprouve en ce monde, puisqu’il fait
voir à son peuple un signe qui l’avertit « de fuir de devant l’arc ». A la
suite de cet avertissement salutaire, les fidèles tourmentés par les peines de
la vie, deviendront dignes d’échapper à la peine du feu éternel, réservé à tous
ceux qui ne croient point à ces vérités. « Vous avez donné un signe à ceux qui
vous craignent, afin qu’ils prennent la fuite et s’écartent de l’arc ».
7. « Afin que vos bien-aimés soient délivrés.
Sauvez-moi par votre droite, et exaucez-moi ». Seigneur, sauvez-moi par votre
droite: sauvez-moi de manière que je sois placé à la droite. « Sauvez-moi par
votre droite ». Je ne vous demande point mon salut temporel; qu’à cet égard
votre volonté soit faite. Nous ignorons complètement ce qui nous est avantageux
pour cette vie; nous ne savons ce qu’il faudrait demander 1. Mais « sauvez-moi
par votre droite », en sorte qu’après avoir été éprouvé, s’il le faut, pendant
le cours de mon existence terrestre, je puisse du moins voir se dissiper les
ombres épaisses de la tribulation, me trouver à votre droite, au milieu de vos
brebis, et éviter le malheur d’être placé à votre gauche avec les boucs. «
Sauvez-moi par votre droite, et exaucez-moi ». Je ne vous demande que ce que
vous désirez vous-même me donner: ce n’est point avec la voix de mes péchés que
je crie vers vous et le jour et la nuit, pour que vous ne m’écoutiez pas, et
que vous ne me répondiez pas, afin d’ajouter à ma folie 2. Je crie vers vous,
pour que vous me donniez une salutaire instruction, en ajoutant à mon
humiliation la saveur du sel: par là, mes tribulations m’apprendront ce que je
dois vous demander: aussi, je vous demande la vie éternelle; exaucez-moi donc,
puisque
1. Rom. VIII, 26. — 2. Ps. XXI, 2, 3.
mon plus vir désir est d’être placé à votre
droite. Que votre charité veuille bien le remarquer: tout fidèle qui garde dans
son coeur la parole de Dieu, qui éprouve à l’égard du jugement à venir la
crainte la plus vive, et qui vit avec assez de prudence pour ne point donner
aux autres l’occasion de blasphémer le saint nom de Dieu à cause de lui, ce fidèle
adresse souvent au Seigneur des prières pour obtenir des avantages temporels,
et il n’est pas exaucé: quand, au contraire, il sollicite ce qui peut le
conduire à la vie éternelle, il parvient toujours au comble de ses désirs. Y
a-t-il un seul malade qui ne souhaite pas revenir à la santé? Néanmoins, il lui
est peut-être utile de souffrir encore. Il est possible que Dieu repousse les
demandes que tu lui adresses pour ta guérison; mais s’il refuse d’accéder à tes
désirs, c’est afin de pourvoir àton plus grand bien. Quand, au contraire, tu
lui demandes la grâce- de la vie éternelle, la faveur d’être admis dans le
royaume des cieux et d’être placé à la droite de son Fils, lorsqu’il viendra
juger les vivants et les morts, sois tranquille sur le résultat de ta prière:
si elle n’est pas exaucée aujourd’hui, elle le sera infailliblement plus tard,
parce que le moment d’y donner suite n’est pas encore venu. Ta demande est déjà
exaucée, mais tu ne t’en aperçois pas encore: ce que tu désires se fait,
quoique tu ignores la manière dont il se fait: l’effet de ta prière existe,
comme la rêve, encore renfermée dans la racine de l’arbre, avant de produire
des fruits. «Sauvez-moi par votre droite et exaucez-moi ».
8. « Dieu a parlé dans son saint ». Peux-tu
douter de l’accomplissement des paroles du Tout-Puissant? Si tu avais un ami
sage et sérieux, comment t’exprimerais-tu à son égard? Il a dit cela? il fera
ce qu’il a dit, c’est immanquable, car c’est un homme sérieux; il ne parle pas
à la légère; quand il a promis une chose, il y tient, parce qu’il ne change pas
facilement d’avis. Pourtant ce n’est, en définitive, qu’un homme; il peut avoir
la volonté d’accomplir ses promesses; sera-t-il toujours à même de n’y pas
manquer? en aura-t-il toujours le pouvoir? Mais, du côté de Dieu, il n’y a rien
à craindre, parce qu’il est la vérité même et qu’il possède- la souveraine
puissance; il est sûr; il ne peut te tromper; rien ne dépasse son pouvoir.
Pourquoi donc craindre d’être déçu dans tes espérances? Tu as
besoin de ne pas te tromper toi-même et de
persévérer jusqu’à la fin, jusqu’au moment où il accomplira ses promesses. «
Dieu a parlé dans son saint ». Quel est ce saint qui est celui de Dieu? « Dieu
était dans le Christ, et il s’y réconciliait le monde 1 ». C’était celui dont il
a été dit ailleurs: « O Dieu, toutes vos voies sont dans le saint 2. Dieu a
parlé dans son saint. Je me réjouirai et je diviserai les champs de Sichem ».
Puisque Dieu l’a dit, l’événement aura lieu. C’est la parole de l’Eglise: «
Dieu a parlé dans son saint ». Elle ne répète point simplement les paroles que
Dieu a prononcées. Mais, puisque « Dieu a parlé dans son saint », et que les
choses doivent nécessairement arriver comme il les a prédites, il est sûr
qu’elles auront lieu. « Je me réjouirai et je diviserai les champs de Sichem,
et je partagerai la vallée des tentes». Sichem signifie épaules. Au rapport de
l’historien sacré, lorsque Jacob revint de chez Laban, son beau-père, avec tous
ses biens, il cacha en Sichem les idoles qu’il apportait de la Syrie, où il
avait si longtemps séjourné et d’où il venait enfin de sortir pour retourner
dans son pays natal 3. Arrivé là, il y dressa quelques tentes pour abriter ses
brebis et ses troupeaux, et il donna à cet endroit le nom de « tentes 4 ». Je
diviserai ces tentes, dit l’Eglise. Que veulent dire ces mots: « Je partagerai
Sichem? » Si on les rapporte à ce trait de la vie de.Jacob relatif aux idoles
qu’il cacha en Sichem, ces paroles désignent les Gentils. Je divise les
Gentils. Qu’est-ce à dire: Je divise? La foi n’est pas donnée à tous 5.
Qu’est-ce à dire: Je divise? Les uns croiront, les autres ne croiront pas; et
pourtant, que ceux qui croient ne tremblent pas de ce qu’ils se trouvent au
milieu des incroyants: ils sont aujourd’hui divisés par la foi; au jugement
dernier ils le seront encore, puisque les brebis seront placées à la droite et
les boucs à la gauche 6. Il nous est maintenant facile de comprendre comment
l’Eglise divise Sichem. Mais, puisque Sichem signifie épaules, comment l’Eglise
divise-t-elle les épaules? Les épaules sont divisées en ce sens que, chez les
uns, elles sont surchargées de péchés, et que, chez les autres, elles portent
le joug du Christ. Car il réclamait des épaules dévouées, quand il disait: «Mon
joug est doux et mon fardeau
1.
II Cor. V, 19. — 2. Ps. LXXXVI, 14. — 3. Gen. XXXV, 4. — 4. Id. XXXIII, 17. —
5. II Thess. III, 2 — 6. Matt. XX, 33.
« est léger 1 ». Les autres fardeaux
t’accablent et t’écrasent, mais celui du Christ te soulève; les autres fardeaux
t’appesantissent, celui du Christ, au contraire, te donne des ailes. Si tu ôtes
à un oiseau ses ailes, il semblerait que tu le débarrasses d’un poids
incommode; et néanmoins plus tu l’en décharges, plus tu le condamnes et le
forces à s’abattre. Tu avais voulu le soulager et tu n’as fait que l’empêcher
de quitter la terre; il ne vole plus, parce que tu l’as déchargé; rends-lui son
fardeau et il reprendra son essor. Ainsi en est-il du fardeau du Christ;
puissent les hommes ne point se laisser dominer par la paresse et se décider à
le porter! puissent-ils ne pas s’arrêter à considérer le nombre de ceux qui ne
s’en chargent pas! Que les hommes de bonne volonté le prennent sur leurs
épaules, et ils verront par eux-mêmes combien il est doux, léger et agréable,
combien il est puissant pour nous détacher de la terre et nous élever jusqu’au
ciel. « Je diviserai Sichem, et je partagerai la vallée des tentes ». Par la
vallée des tentes on entend le peuple juif, peut-être à cause des brebis qu’y
amena Jacob; ce peuple lui-même a été divisé, car ceux d’entre les Juifs qui se
sont soumis à la foi chrétienne, sont sortis de là pour entrer dans l’Eglise;
les autres y sont restés et ne se sont point incorporés à Jésus-Christ.
9. « Galaad m’appartient ». Ces noms se
trouvent dans les divines Ecritures. Le mot Galaad s’explique aussi dans un
sens particulier, et il renferme un grand mystère. Il veut dire: Monceau du
témoignage. Quel monceau de témoignages on a vu dans les martyrs ! « Galaad
m’appartient ». Je possède le monceau du témoignage: les vrais martyrs sont les
miens. Que les autres meurent pour leur vieille vanité, leur mort sera
dépourvue de la saveur du sel; pourra-t-on dire alors qu’ils contribuent à
grossir le monceau du témoignage? Quand je livrerais mon corps aux flammes, si
je n’ai pas la charité, mon sacrifice ne me sert de rien 2.Dans un endroit de
l’Evangile Jésus-Christ nous recommande de conserver la paix, mais auparavant
il exige l’emploi du sel: « Ayez », dit-il, « du sel en vous; ayez la paix
entre vous 3 ». Donc, « Galaad m’appartient ». Mais Galaad, c’est-à-dire le
monceau du témoignage, a été visiblement en butte à de grandes épreuves. En
1. Matt. XI, 30. — 2. I Cor. XIII, 3. — 3.
Marc, IX, 49.
effet, l’Eglise était alors aux yeux du monde
un objet de mépris; on faisait à cette veuve un reproche sanglant de ce qu’elle
appartenait au Christ et portait au front le signe de la croix. On ne
l’honorait pas encore, on l’accusait. En ce moment où les honneurs la fuyaient,
où elle se voyait accablée de calomnies, s’éleva le monceau du témoignage, et
par lui se répandit l’amour du Christ; alors cet amour divin gagna tous les
peuples. Le Prophète ajoute: « Manassé est à moi ». Manassé signifie oublié. Il
avait été dit à l’Eglise « Tu oublieras à jamais ta confusion, et tu ne te
souviendras plus de l’opprobre de ton veuvage ». L’Eglise était donc autrefois
plongée dans une confusion qu’elle a depuis oubliée; elle a perdu tout souvenir
de la confusion et de l’opprobre où l’avait jetée son veuvage. Quand les hommes
la méprisaient, on voyait s’élever en sa faveur un monceau de témoignages.
Personne, aujourd’hui, ne se souvient qu’il fut un temps où elle était couverte
de confusion, où c’était une honte de porter le nom de chrétien; personne n’en
a gardé la mémoire: tous l’ont oublié; et désormais « Manassé est à moi. Et
Ephraïm est la force et l’appui de ma tête ». Ephraïm veut dire, production de
fruits. J’ai fructifié, dit l’Eglise, et par là j’ai trouvé la force et le
soutien de ma tête. Car ma tête, c’est le Christ. Et d’où vient que la
production des fruits est le principe de sa force? c’est que si, en tombant
dans la terre, le grain ne s’y multipliait pas, il resterait seul. Par sa mort,
le Christ est tombé en terre, et par sa résurrection il a ensuite porté des
fruits. « Et Ephraïm est la force et l’appui de ma tête ». Pendant qu’il était
cloué à la croix, on le considérait avec mépris; intérieurement c’était un
grain qui avait la force d’attirer tout à lui 2. L’oeil n’aperçoit pas dans le
grain de froment l’innombrable quantité de germes qui s’y trouvent renfermés;
il y voit seulement je ne sais quels dehors méprisables; et toutefois le grain
recèle une force telle qu’il s’assimile la sève de la terre pour en former des
fruits. Ainsi apercevait-on l’infirmité de la chair sur la croix du Sauveur, sans
y voir la force toute-puissante qu’elle recélait. O l’admirable grain de
froment! Sans doute il semblait à tous dépourvu de force pendant qu’il se
mourait sur le bois de la croix; le peuple qui l’environnait
1. Isa. LIV, 4. — Jean, XII, 21, 32.
secouait la tête en passant devant lui et
s’écriait: « S’il est le Fils de Dieu, qu’il descende donc de sa croix 1 ! »
Mais vois quelle était sa force: « Ce qui est faible en Dieu est plus fort que
tous les hommes 2 ». Ce n’est donc pas sans raison qu’il a ensuite produit une
si grande quantité de fruits; ces fruits sont à moi, dit l’Eglise.
10. « Juda est mon roi: Moab est le vase de
mon espérance ». « Juda est mon roi ». Qui est Juda, sinon celui qui est sorti
de la tribu de Juda? qui est Juda, sinon celui à qui Jacob a parlé ainsi: «
Juda, tes frères prononceront tes louanges 3? » « Juda est mon roi»; et quand
Juda, mon roi, me dit: « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps 4 », puis-je
craindre quelque chose? « Juda est mon roi: Moab est le vase de mon espérance
». Pourquoi « le vase?» Parce que « le vase», environné de flammes, est le
signe de la tribulation. Pourquoi « le vase de mon espérance? » Parce que Juda,
mon roi, a marché devant moi. Pourquoi craindre de le suivre partout où il a
marché avant toi? Dans quelle voie t’a-t-il précédé? Dans la voie des
tribulations, des angoisses et des opprobres. Cette voie douloureuse nous était
interdite avant qu’il s’y engageât; maintenant qu’il y a passé, suis-le; depuis
qu’il y a laissé la trace de ses pas, ce chemin est ouvert devant toi. « Je
suis seul», dit-il, « mais seulement jusqu’à ce que je passe 5 ». Ce grain de
froment est seul, mais seulement jusqu’à ce qu’il passe; quand il sera passé,
alors il produira des fruits. « Juda est mon roi », et parce qu’il « est mon
roi, Moab est le vase de mon espérance ». Moab signifie la multitude des
Gentils. La race des Moabites doit son origine à un crime, car elle descend des
filles de Loth, qui, voyant leur père en état d’ivresse, abusèrent honteusement
de lui et commirent avec lui le péché de la chair 6. Il eût mieux valu pour
elles rester stériles que de devenir mères à ce prix. Ces malheureuses
préfiguraient ceux qui abusent de la loi. Que ce mot, loi, soit du féminin en
latin ou du masculin en grec, peu importe, et nous ne devons pas nous en
occuper, parce que masculin ou féminin, dans une langue ou dans l’autre, il ne
saurait, par son genre, préjudicier à la vérité; néanmoins, le caractère de la
loi a quelque chose de mâle, puisqu’elle
1.
Matt. XXVII, 40. — 2. I Cor. I, 25. — 3. Gen. XLIX, 8. — 4. Matt.
X, 28.— 5. Ps. CXL, 10.— 6. Gen. XIX, 31, 38.
gouverne et qu’elle n’est pas gouvernée, Or,
que dit l’apôtre saint Paul? « La loi est bonne, pourvu qu’on en use
légitimement 1». Les filles de Loth avaient, au contraire, abusé de leur père.
De même que les bonnes oeuvres procèdent de l’usage légitime de la loi, ainsi
les péchés viennent de l’abus criminel de la loi. C’est pourquoi, en abusant de
leur père, c’est-à-dire de la loi, ces filles mirent au jour les Moabites, qui
représentent les oeuvres de péché. De là sont venus à l’Eglise les tribulations
et le vase brûlant sous l’action de la flamme. Il est question de ce vase dans
le livre d’un Prophète: Un vase échauffé du côté de l’Aquilon 2, c’est-à-dire,
du côté du démon, qui a dit: « J’établirai mon trône vers l’Aquilon 3 ». Les
plus pénibles tribulations de l’Eglise ne lui viennent donc que de la part de
ceux qui abusent de la loi. Eh quoi ! l’Eglise défaudra-t-elle parce qu’il y en
a pour faire un mauvais usage de la loi? et le vase brûlant, c’est-à-dire la
multitude des scandales, l’empêchera-t-elle de durer jusqu’à la fin des
siècles? Est-ce que Juda, son roi, ne lui a pas annoncé d’avance les
afflictions dont elle sera abreuvée? Ne lui a-t-il pas dit: « La charité se
refroidira, parce qu’on verra se multiplier l’iniquité 4? » A mesure que le
vase s’échauffe, la charité se refroidit. Mais pourquoi, ô divine charité, ne
point consumer par tes propres ardeurs le feu qui met ce vase en ébullition? Tu
ne saurais l’ignorer, ton Roi te parlait quand il faisait allusion à cette
multitude de scandales; il te disait: « Celui qui persévérera jusqu’à la fin
sera sauvé ». Ne cesse donc, jusqu’à la fin, de t’opposer à l’ardeur des
scandales. Le feu de l’iniquité est ardent; mais plus ardent est le feu de la
charité. Ne te laisse donc pas vaincre; persévère jusqu’à la fin. Craindrais-tu
les Moabites, les oeuvres criminelles de ceux qui abusent de la loi? Eh quoi!
Juda, ton Roi, n’a-t-il pas marché devant toi? n’a-t-il pas subi de pareilles
épreuves? Ne sais-tu pas que, par abus de la loi, les Juifs ont fait mourir le
Christ? Espère donc, et marche où ton Roi a marché le premier. Dis donc aussi:
« Juda est mon roi », et parce « qu’il est mon roi », qu’est devenu « Moab? »
Il est devenu pour moi, non un vase de mort, mais « le vase de mon espérance ».
Tu dois voir dans les
1. I Tim. I, 8. — 2. Jérém. I, 13. — 3. Isa
XIV, 13. — 4. Matt. XXIV, 12.
tribulations un vase d’espérance, car
l’Apôtre a dit: « Nous nous glorifions même au sein de la tribulation ». Le
vase est là; mais écoute saint Paul: il te dira que c’est un vase d’espérance.
« Nous savons que la tribulation produit la patience, que la patience produit
la pureté, et que la pureté produit l’espérance ». Effectivement, si la patience
est le résultat de la tribulation, la pureté celui de la patience et
l’espérance celui de la pureté, dès lors que la tribulation est ce vase
brûlant, il est réellement un vase d’espérance, et Moab est avec raison ainsi
nommé. « Or, l’espérance ne confond pas ». Quoi donc? L’ardeur de ta charité
surpasse-t-elle l’ardeur de ce vase échauffé par la flamme? Oui, certes; parce
que l’amour de Dieu a été répandu en nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a
été donné 1.
11. « J’étendrai ma chaussure jusqu’en Idumée
». C’est l’Eglise qui parle: Je viendrai, dit- elle, « jusqu’à l’Idumée ». Que
ses tribulations se multiplient, que le feu des scandales s’allume avec
violence, « j’étendrai ma chaussure jusqu’en Idumée »: c’est-à-dire, selon le
sens de ce mot hébreu qui signifie terrestre, je m’étendrai jusqu’à ceux qui
vivent d’une vie terrestre. « J’étendrai ma chaussure jusqu’en Idumée »;
qu’est-ce que le Prophète entend par chaussure, sinon la prédication de
l’Evangile? « Combien sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix, de
ceux qui annoncent les biens 2 ! Et que vos pieds aient une chaussure pour être
toujours préparés à aller annoncer l’Evangile de la paix 3. Puisque «la
tribulation produit la patience, que la patience produit l’épreuve, que l’épreuve
produit l’espérance », le vase brûlant des afflictions ne me consumera pas, «
car l’amour de Dieu a été répandu en nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a
été donné». Ne cessons ni de prêcher l’Evangile ni d’annoncer le Seigneur
Jésus. « J’étendrai ma chaussure jusqu’en Idumée». Est-ce que les hommes
terrestres ne lui sont pas soumis? Est-ce que ceux qui sont enchaînés par les
passions de ce monde, ne l’adorent pas? Mes frères, combien de personnes
terrestres commettent aujourd’hui le vol pour faire plus vite fortune, et se
rendent coupables de parjure, afin de soutenir leurs tromperies ! et, quand la
crainte les saisit, elles
1.
Rom. V, 3, 5.— 2. Rom. X, 15.— 3. Eph. VI, 15.
consultent les sorciers et ceux qui observent
les astres: par là elles donnent la preuve qu’elles sont des Iduméens, des
hommes terrestres; et, pourtant, elles adorent toutes le Christ, il les tient
sous ses pieds: par conséquent, il étend sa chaussure jusqu’en Idumée. « Les
Allophyles mc sont soumis ». Qu’est-ce que les Allophyles? ce sont des
étrangers, des hommes qui ne font point partie de mon peuple. « Ils me sont
soumis », parce que beaucoup d’entre eux adorent le Christ, et ne régneront
cependant pas avec lui. « Les Allophyles me sont soumis. Qui est-ce qui me
conduira dans la ville qui environne? » Quelle est cette ville qui environne?
Si vous vous en souvenez, mes frères, je vous l’ai déjà dit à l’occasion d’un
autre psaume, en vous expliquant ces paroles: «Et ils environneront la ville ».
Cette ville n’est autre que la masse des Gentils répandus dans tous les pays de
l’univers; ils environnaient de toutes parts le peuple juif: ce petit peuple
adorait un Dieu unique; pour eux, ils étaient adorateurs des idoles, et
esclaves des démons. Le Prophète donne donc aux Gentils le nom mystérieux de
ville environnante, parce qu’ils s’étaient répandus partout, et qu’ils
enveloppaient cette autre ville où l’on adorait un seul Dieu. « Qui est-ce qui
me conduira dans la ville environnante? » Qui est-ce, si ce n’est Dieu? En
d’autres termes: Comment me conduira-t-il, sinon par ces nuées dont il est dit:
« Le bruit de votre tonnerre se fait entendre dans la roue 1 ». Cette roue
n’est autre chose que la ville environnante. Elle est appelée roue, parce
qu’elle signifie le globe terrestre, l’univers. « Qui est-ce qui me conduira
dans la ville environnante? Qui est-ce qui me conduira jusqu’en Idumée?» Afin
que j’étende mon règne même sur les personnes terrestres, afin que ceux-là
mêmes m’adorent qui ne m’appartiennent pas, et ne veulent en rien profiter des
avantages que je leur offre.
12. « Qui est-ce qui me conduira jusqu’en
Idumée? N’est-ce pas vous, Seigneur, qui nous avez rejetés? Et vous ne sortirez
point à la tête de nos armées 2». Est-ce qu’après nous avoir rejetés, vous ne
nous conduirez pas? Mais pourquoi nous avez-vous rejetés? Parce que « vous nous
avez détruits ! » Et pourquoi nous avez-vous détruits? Parce que
1. Ps. LXXVI, 19. — 2. Id. LIX, 12.
vous vous êtes irrité, et que vous avez eu «
compassion de nous»; c’est donc vous qui nous conduirez, après nous avoir
rejetés vous qui ne sortirez pas à la tête de nos armées, vous nous conduirez.
Qu’est-ce à dire « Vous ne sortirez pas à la tête de nos armées? » Le monde
nous persécutera: il nous foulera à ses pieds; alors coulera à grands flots le
sang des martyrs; alors s’élèvera le monceau du témoignage, et les païens, qui
nous persécuteront, diront: « Où est donc leur Dieu 1? » En ce moment, «
Seigneur, vous ne sortirez pas à la tête de nos armées». Vous ne vous
déclarerez pas visiblement contre eux: vous ne manifesterez pas votre puissance
en notre faveur, comme vous l’avez fait autrefois en faveur de David, de Moïse
et de Jésus, fils de Navé, lorsque les Gentils se virent obligés de céder
devant leur valeur guerrière, et qu’après les avoir exterminés et avoir ravagé
leur pays, vous avez introduit votre peuple dans la terre promise. Vous
n’agirez pas ainsi pour nous; « vous ne sortirez point, Seigneur, à la tête de
nos armées». Vous agirez au dedans de nos coeurs. Que signifient ces mots: «
Vous ne sortirez pas? » Ils signifient: Vous n’agirez pas visiblement.
Autrefois, les martyrs marchaient chargés de chaînes, on les jetait en prison,
on les exposait en public à la risée de tous, on les donnait en pâture aux
bêtes, on les précipitait au milieu des flammes n’étaient-ils pas alors des
objets de mépris, parce qu’ils semblaient abandonnés et privés de tout soutien?
Comme Dieu agissait au dedans de leurs coeurs! Quelles consolations intérieures
il leur procurait! Combien leur était douce l’espérance de la vie éternelle!
Leur coeur n’était point délaissé par lui, ce coeur où l’homme demeure en
silence, comblé de joie, s’il est bon; accablé de remords, s’il est du nombre
des méchants. Le Seigneur ne sortait point à la tête de leurs armées et, pourtant,
les abandonnait-il à eux-mêmes? Et n’est-ce pas précisément parce qu’il n’est
pas sorti à la tête de leurs armées, qu’il a conduit l’Eglise jusqu’en Idumée,
jusque dans la ville environnante? Si l’Eglise voulait combattre et se servir
du glaive, ne semblerait-elle pas se battre pour défendre son existence
temporelle? mais comme elle méprisait souverainement la vie présente, un
1. Ps. LXXVIII, 10.
monceau de témoignages s’est élevé en sa
faveur pour la vie éternelle.
13. Seigneur, puisque vous ne sortirez pas à
la tête de nos armées, « donnez-nous du secours du milieu de l’affliction,
parce que le salut qui vient de l’homme n’est que vanité». Loin de nous ceux
qui n’ont pas en eux-mêmes la saveur du sel! Qu’ils souhaitent et recherchent
pour les leurs un salut temporel qui n’est qu’une vaine vieillerie. «
Donnez-nous du secours »: puisez le secours là même où vous sembliez ne pouvoir
en puiser; qu’il nous vienne de cette source. « Donnez-nous du secours du
milieu de l’affliction, parce que le salut qui vient de l’homme n’est que
vanité. En Dieu nous ferons des actes de courage, et il anéantira nos ennemis
». Pour faire des actes de courage, nous ne nous servirons ni de glaives, ni de
coursiers, ni de cuirasses, ni de boucliers, ni de troupes nombreuses, ni de
secours du dehors: où puiserons-nous donc notre force? au dedans de nous; dans
ce lieu secret où nous nous cachons. Où sera-ce donc? Ce sera en Dieu, que nous
ferons des actions d’éclat: nous semblerons méprisés, foulés aux pieds: à nous
voir, on dirait des hommes qui n’ont rien de recommandable; mais « il anéantira
nos ennemis». Voilà, en effet, ce qui est arrivé à nos ennemis. Les martyrs ont
été foulés aux pieds; par leur patience à souffrir, par leur persévérance
jusqu’à la fin, ils ont fait en Dieu des actes de courage. Que sont devenus
maintenant leurs ennemis? ces ennemis ne les persécutent plus comme autrefois
d’une manière sanglante. Mais peut-être pourrait-on dire qu’ils les persécutent
encore aujourd’hui en les affligeant par leurs ignobles excès de gourmandise.
SERMON AU PEUPLE
Ce
psaume est une prière où se peignent parfaitement les destinées de l’Eglise.
Exposée comme son chef à des épreuves de tous les genres et de tous les
instants, mais appuyée sur les plus solides motifs d’espérance, l’exemple de
Jésus-Christ souffrant et triomphant, sa propre perpétuité, la bonté, les
promesses et la justice de Dieu, elle se promet de chanter toujours les
louanges de l’Eternel.
1. Nous entreprenons d’étudier ce psaume conjointement
avec votre charité. Il est court; notre discours durera donc peu de temps,
mais, avec l’aide de Dieu, il suffira à vous instruire. Moyennant la grâce de
Celui qui m’ordonne de vous parler, je satisferai au désir des personnes avides
de m’entendre, sans être une cause d’ennui pour les autres; par là, ceux qui
ont peu de temps à leur disposition, ou qui aiment la brièveté, ne me
trouveront pas trop long. Nous n’avons pas à nous arrêter au titre de ce
psaume, car le voici: « Pour la fin, dans les hymnes, à David ». « Dans les
hymnes », c’est-à-dire, dans les louanges. «Pour la fin », c’est-à-dire, pour
le Christ, « parce que le Christ est la fin de la loi, pour justifier ceux qui
croient en lui 1 ». « A David ». Par là, nous entendons évidemment désigner
celui qui est sorti de la race de David, qui est devenu homme parmi les hommes,
afin de les rendre semblables aux anges. Il nous en avertit lui-même, et nous
ne devons point craindre de le supposer: les paroles contenues dans ce psaume
sont les nôtres, si nous faisons partie du corps de Jésus-Christ; si nous
sommes du nombre de ses membres; oui, nous devons y reconnaître nos propres
expressions, et non celles d’un étranger. Je dis que ce langage est le
1. Rom. X. 4.
nôtre; voici en quel sens: C’est qu’il
appartient non seulement à ceux qui sont ici présents, mais encore à tous nos
frères qui se trouvent répandus dans l’univers depuis l’Orient jusqu’à
l’Occident. Comprenez bien ma pensée; et, pour cela, remarquez-le: le Prophète
s’exprime comme s’il était seul; pourtant, il ne l’était pas, mais ses paroles
sont le langage de plusieurs réunis ensemble et ne formant plus qu’un seul
tout. Effectivement, nous ne sommes tous qu’un seul homme en Jésus-Christ. La
tête en est déjà dans le ciel, tandis que ses membres souffrent encore sur la
terre; et parce que ses membres sont encore souffrants, voici ce que dit cet
homme
2. « O Dieu, écoutez ma demande; rendez-vous
attentif à ma prière 1 ». Qui est-ce qui s’exprime ainsi? Il semblerait que
c’est un homme seul. Vois s’il est seul. « J’ai crié vers vous des extrémités
de la terre, lorsque j’avais le coeur pressé de douleur 2 ». Il n’est donc pas
seul; mais ce sont plusieurs qui parlent comme s’ils n’étaient qu’un, parce
qu’en réalité il n’y a qu’un Christ, dont nous sommes tous les membres. Un
homme, tout seul, pourrait-il élever vers Dieu les cris de sa prière sur tous
les points du monde à la fois? Si donc, des extrémités de la terre, des
supplications se dirigent vers le trône de l’Eternel, ce ne peuvent être que
les supplications de cet héritage dont le Père a parlé àson Fils, quand il lui
a dit: « Demande-moi, et je te donnerai toutes les nations pour héritage, et
les extrémités de la terre pour empire 3 ». Voilà la propriété, l’héritage, le
corps, l’Eglise une du Christ, voilà le tout immense, que nous formons, et dont
la prière se fait entendre d’un bout de l’univers à l’autre. Quelle est cette
prière?je l’ai prononcée tout à l’heure: « O Dieu, écoutez ma demande; soyez
attentif à ma prière; j’ai crié vers vous des extrémités de la terre ». Voilà
ma prière, je vous l’ai adressée des extrémités du monde, de tous les points de
l’univers.
3. Mais pourquoi ai-je ainsi crié vers vous?
« Lorsque j’avais le coeur pressé de douleur ». Ainsi, l’Eglise montre-t-elle
que si sa diffusion au milieu de tous les peuples du monde est pour elle le
sujet d’une grande gloire, elle y trouve aussi la source de grandes épreuves.
L’épreuve est, en effet, La condition obligée de notre pèlerinage sur la terre;
car notre
1.
Ps. LX, 2. — 2. Id. 3. — 3. Id. II, 8.
avancement dans la voie du bien en est le
résultat. Aucun d’entre nous ne peut ni se connaître sans être éprouvé, ni
recevoir la couronne sans avoir remporté la victoire, ni vaincre sans combat, ni
combattre sans avoir à supporter un ennemi ou des tentations. C’est pourquoi le
Christ est accablé d’angoisses sur tous les points de l’univers; mais il n’est
pas, pour cela, délaissé. Nous sommes son corps mystique, et il nous a
préfigurés dans ce corps matériel dont il s’est revêtu, avec lequel il est
mort, ressuscité et monté au ciel; et, par là, il a voulu nous donner
l’espérance d’aller un jour nous réunir à notre chef, puisque nous sommes ses
membres. Il nous a donc figurés en sa personne, quand il s’est laissé tenter
par le démon 1. Nous lisions tout à l’heure dans l’Evangile que Notre Seigneur
Jésus-Christ a été tenté par Satan dans le désert; iln’y a aucun doute à élever
sur la réalité de cette tentation du Sauveur par le démon, et tu étais toi-même
tenté en Jésus-Christ, car il t’avait emprunté la chair de ton corps, et il
devenait pour toi le principe du salut; il avait puisé la mort en toi, et il te
communiquait la vie, à cause de toi, il a subi toutes sortes d’outrages; à
cause de lui, tu es arrivé à la gloire; de ta part lui venait donc la
tentation, et de la sienne venait la victoire. Si nous avons subi, en sa
personne, l’épreuve de la tentation, nous y avons aussi vaincu Satan. Tu
remarques que le Christ a été tenté; ne vois-tu pas qu’il est sorti victorieux
du combat? Par conséquent, situ es, avec lui, soumis à l’épreuve, souviens-toi
aussi qu’avec lui tu en triompheras. Il aurait pu empêcher l’esprit malin de
s’approcher de lui; mais s’il n’avait pas été tenté, il n’aurait pu t’apprendre
à le suivre dans le chemin de la victoire, Il n’est donc pas étonnant de
l’entendre élever la voix dans les pays du monde, puisqu’il s’y voit exposé à
une multitude d’épreuves. Mais d’où vient qu’il n’y succombe pas? Ah! c’est que
« vous m’avez élevé sur la pierre ferme». Il nous est maintenant facile de
reconnaître celui qui élève la voix des extrémités de la terre. Rappelons-nous
les paroles de l’Evangile: « Sur cette pierre, je bâtirai mon Eglise 2». C’est
donc cette Eglise, qu’il a voulu bâtir sur la pierre, c’est cette Eglise qui
crie vers Dieu de tous les pays du monde. Qui est-ce qui est devenu cette
pierre sur
1. Matt. IV, 1. — 2. Id. XVI, 18.
laquelle l’Eglise devait être bâtie? Ecoute saint
Paul, il va te l’apprendre: « La pierre, c’était le Christ 1 ». C’est donc sur
Jésus-Christ que nous avons été élevés. Voilà pourquoi cette pierre sur
laquelle nous avons été édifiés, a été la première frappée des vents, des flots
et de la pluie 2, au moment où le démon tentait le Sauveur dans le désert.
Telle est la base inébranlable sur la quelle il a voulu te placer: aussi notre
prière, loin d’être inutile, est-elle exaucée, puisque nous avons, dans la
place où il nous a mis, le plus puissant motif d’espérer. « Vous m’avez élevé
sur la pierre ferme ».
« Vous m’avez conduit, parce que vous êtes
devenu mon espérance». Si le Christ n’était pas devenu le principe de notre
espérance, il ne nous conduirait pas. Chef, il nous guide; voie, il nous fait
marcher en lui; patrie, il nous dirige vers lui-même. Il nous mène donc, et
pourquoi? Parce qu’il est notre espérance. Pourquoi est-il notre espérance?
Parce qu’il a été tenté, qu’il a souffert et qu’il est ressuscité; je vous l’ai
dit tout à l’heure. Lorsque l’Ecriture nous parle de ses tentations, de ses
souffrances et de sa résurrection, que nous disons-nous à nous-mêmes? Il est
impossible que Dieu nous condamne, après nous avoir envoyé son Fils pour lui
faire subir la tentation, le crucifiement et la mort, et le faire sortir vivant
du tombeau; il est impossible que Dieu ne tienne de nous aucun cas, puisqu’à
cause de nous il n’a pas épargné son propre Fils, et qu’il l’a livré pour nous
tous 3. C’est ainsi que le Christ est devenu notre espérance. En lui, tu vois
les peines que tu as à supporter, et la récompense que tu obtiendras; sa
passion est l’image des unes; sa résurrection, l’image de l’autre. Ainsi,
encore une fois, est-il devenu le sujet de notre espérance. Il y a, pour nous,
deux sortes de vie: l’une, qui est maintenant notre partage; l’autre, qui n’est
encore que l’objet de nos espérances; nous connaissons celle-ci, puisque nous
en jouissons; l’autre nous est inconnue, puisque nous ne la possédons pas
encore. Supporte les épreuves de la vie présente, et tu acquerras la vie
future. Et comment supporter les épreuves de la vie présente? De manière à ne
point succomber à la tentation. Par ses épreuves, ses tentations, ses
souffrances et sa mort, le Christ t’a fait connaître le caractère de notre vie
terrestre; il
1. I
Cor.X, 4. — 2. Matt. VII, 24, 25. — 3. Rom. VIII, 32.
t’a appris aussi, par sa résurrection, quelle
sera la vie éternelle. Nous savions, en effet, que l’homme naît et meurt; mais
nous ne savions que cela, car nous ignorions qu’il dût ressusciter pour vivre
toujours: le Christ a pris la vie que tu connaissais; et il t’a fait connaître
celle dont tu n’avais pas l’idée. Il est donc devenu notre espérance au milieu
des tribulations et des épreuves de notre pèlerinage terrestre. « Nous nous
glorifions dans les souffrances », dit l’apôtre saint Paul, « sachant que
l’affliction produit la patience, que la patience produit la pureté, et que la
pureté produit l’espérance. Or, l’espérance ne confond point, parce que la
charité est répandue dans nos coeurs par le Saint-Esprit, qui nous a été donné
1 ». Celui qui nous a donné le Saint-Esprit est donc devenu le principe de
notre espérance, et dans ce pèlerinage terrestre, nous nous dirigeons vers ce
qui en fait l’objet, ce qui n’aurait pas lieu, si elle ne remplissait nos âmes.
En effet, l’Apôtre ne dit-il pas: « Il n’y a personne pour espérer ce qu’il a
sous les yeux; si, maintenant, nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous en
espérons,avec patience, l’entrée en possession? » et encore: « Nous avons été sauvés
par l’espérance 2? »
5. « Vous m’avez conduit, parce que vous «
êtes devenu mon espérance. Vous êtes, pour moi, en face de l’ennemi, une forte
tour ». Des extrémités de la terre, l’ensemble des fidèles fait entendre ces
cris: Mon coeur est accablé d’angoisses, et mon existence se passe à lutter,
sans cesse, contre les tentations et les scandales; les païens me portent
envie, parce que j’ai triomphé d’eux; afin de me tendre plus facilement des
piéges, les hérétiques se servent du nom chrétien comme d’un manteau pour mieux
tromper sur leurs intentions; le froment est cruellement tourmenté par la
paille, dans le sein même de l’Eglise; le coeur torturé d’angoisses au milieu
de tant d’épreuves, j’élèverai, vers le trône de l’Eternel, les accents de ma
prière; je les lui ferai entendre sur tous les points du monde. Celui qui m’a
placé sur la pierre ferme, pour me conduire jusqu’à lui, ne me délaissera pas;
je lutte sans cesse, le démon me tend des embûches partout, toujours, en toute
occasion, mais le Seigneur n’est-il pas pour moi une tour inexpugnable?
1. Rom. V, 3-5. — 2. Id. VIII, 24.
Lorsque j’y aurai cherché un refuge, je
n’aurai plus à craindre les traits de l’ennemi, et même je pourrai, en toute
sécurité, lancer contre lui autant de flèches qu’il me. plaira. C’est le Christ
en personne qui me tient lieu de tour; et cette tour, où nous pouvons nous
garantir des attaques de nos ennemis, c’est la pierre même sur laquelle a été
bâtie l’Eglise. Tu crains de te voir frappé à mort par le démon? Va te mettre à
l’abri des murs de cette tour, et les traits de cet ennemi infernal ne pourront
jamais t’y atteindre, car tu y seras protégé et soutenu. Mais comment parvenir
jusque-là? Qu’au moment de l’épreuve, personne d’entre vous ne croie devoir
chercher une tour matérielle pour s’y réfugier, de peur qu’après
d’infructueuses recherches, il ne se fatigue et ne succombe ! La tour dont je
parle se trouve devant toi: souviens-toi du Christ, et tu pénétreras dans la
tour. Mais comment se rappeler le souvenir du Christ, de manière à pouvoir
s’introduire dans la tour? Le voici: toutes les fois que tu auras quelque peine
à subir, pense qu’il a souffert le premier, et qu’il a souffert, pour mourir
d’abord, et ressusciter ensuite: n’oublie pas que la souffrance te conduira au
même but que lui; espère-le: cette pensée t’empêchera d’acquiescer aux
suggestions de l’ennemi, et ainsi auras-tu pénétré dans la tour. Si tu donnais
ton consentement aux tentations du démon, il est sûr que, par là même, tu
serais atteint des traits qu’il dirige contre toi. Ne vaut-il pas mieux lui
lancer toi-même des flèches qui le blessent, et te permettent d’en triompher?
Quelles sont ces flèches? C’est la parole de Dieu, c’est ta foi, c’est ton
espérance, ce sont tes bonnes oeuvres. Je ne te dis pas de te mettre à l’abri
des murs de cette tour, pour t’y reposer: il ne doit pas te suffire de voir les
traits de l’ennemi tomber loin de toi, hors de portée; il faut t’y remuer: que
tes mains ne restent pas inactives; tes bonnes oeuvres, voilà l’arme qui servira
à donner la mort à ton ennemi.
6. « J’habiterai, comme un étranger, dans
votre tente pendant tous les siècles 1». Il vous est facile de reconnaître que
celui qui crie vers Dieu est bien celui que je vous al désigné. Lequel d’entre
nous pourrait être étranger pendant tous les siècles? Les jours dont notre vie
se compose, sont en petit nombre: nous ne faisons que passer ici-bas: nous
1. Ps. LX, 5.
sommes maintenant des étrangers: plus tard,
nous habiterons dans la céleste patrie. Tu es ici un étranger, puisque le
Seigneur t’adressera ce commandement: Sors d’ici. Pour cette demeure
permanente, qui t’est réservée dans le ciel, jamais personne ne t’ordonnera
d’en sortir. Tu n’es donc qu’un étranger en ce monde; voilà pourquoi nous
lisons, dans un autre psaume, ces paroles: « Je suis auprès de vous un étranger
et un pèlerin, comme l’ont été tous mes pères 1 ». Sur la terre, nous sommes
des étrangers: le Seigneur nous donnera une habitation éternelle dans les
cieux. «Il y a », dit le Sauveur, « plusieurs demeures dans la maison de mon
Père 2». Ces demeures, il ne les donnera pas comme à des étrangers, mais comme
à des citoyens destinés à y rester toujours. Cependant, comme l’Eglise n’est
pas établie sur la terre pour quelques années seulement, mais qu’elle doit y rester
jusqu’à la consommation des siècles, c’est avec raison que l’ensemble de ses
enfants s’exprime ainsi: « Je « serai étranger dans votre tente pendant « tous
les siècles». Que l’ennemi emploie sa malice et ses forces à me persécuter,
qu’il m’attaque en face, qu’il me tende des piéges, qu’il multiplie les
scandales, qu’il remplisse mon coeur d’angoisses, peu importe: « Je serai un
étranger dans votre tente pendant « tous les siècles ». L’Eglise ne succombera
pas: elle ne sera pas ébranlée; les plus violentes épreuves la trouveront
invincible enfin viendra la consommation des siècles alors nous sortirons de
notre demeure du temps, pour entrer dans celle de notre éternité, où nous
conduira celui qui est devenu notre espérance. « Je serai étranger dans votre
tente jusqu’à la fin des siècles». Nous pouvons donc lui dire: Si tu es
longtemps étranger, tu lutteras sur la terre contre une multitude d’épreuves,
car si la durée de l’Eglise ici-bas devait être courte, bientôt finiraient les
méchancetés insidieuses du tentateur. Je comprends. Tu voudrais que les jours
de l’épreuve fussent en petit nombre; mais si l’Eglise ne devait rester que peu
de temps au milieu du monde, si son existence ne devait se prolonger jusqu’à la
fin, commemit parviendrait-elle à réunir, dans son sein, tous ses enfants? Ne
porte pas envie à tous ceux qui doivent venir après toi dans la suite des
1. Ps. XXXVIII, 13. — 2. Jean, XIV, 2.
ans; et, parce que tu as franchi le torrent,
veuille ne point couper le pont que la miséricorde divine a établi pour le
passage de ceux qui te suivront: laisse-le subsister jusqu’à la fin des temps.
Que dire maintenant des tentations qui deviendront nécessairement de plus en
plus nombreuses, à mesure que se multiplieront les scandales? Le Sauveur a dit:
« Parce que l’iniquité se répandra avec abondance, la charité de plusieurs se
refroidira ». Mais 1’Eglise, qui fait entendre ses cris d’une extrémité de la
terre à l’autre, se compose de ceux dont il est dit ensuite « Celui qui
persévérera jusqu’à la fin, sera sauvé 1». Toutefois, comment pourras-tu
persévérer? Où puiseras-tu des forces pour résister à un si grand nombre de
scandales, de tentations et d’attaques? Où prendras-tu la force nécessaire pour
triompher d’un ennemi invisible? Est-ce en toi-même? Puisque le corps des
fidèles sera étranger ici-bas pendant tous les siècles, d’où lui viendra
l’espérance de subsister toujours, et de ne pas succomber? « Je me mettrai à
couvert sous vos ailes ». Voilà le motif de notre sécurité au milieu des
épreuves, en attendant que les siècles se consomment, et que l’éternité nous
reçoive: nous sommes à couvert sous les ailes de Dieu. Le monde est consumé par
une chaleur brûlante; mais on trouve une ombre bienfaisante sous les ailes de
Dieu. « Je me mettrai à couvert sous vos ailes »
7. « Parce que, ô mon Dieu, vous avez exaucé
ma prière 2 »: quelle prière? celle par laquelle il a commencé. «O Dieu,
écoutez ma demande; soyez attentif à ma prière: je crie vers vous des
extrémités du monde». D’une extrémité de la terre à l’autre, mes cris se sont
élevés vers vous: « Je me mettrai à couvert sous vos ailes, parce que vous avez
entendu ma prière». Mes frères, le Seigneur nous a recommandé la persévérance
incessante dans la prière pour tout le temps de l’épreuve. « Vous avez donné un
héritage à ceux qui craignent votre nom ». Continuons donc à craindre le nom du
Seigneur: le Père éternel ne peut ni ne veut nous tromper. Des enfants
s’imposent les plus grands sacrifices pour entrer en possession de l’héritage
auquel ils ont droit à la mort de leurs parents; et nous, nous ne travaillerons
pas à acquérir l’héritage de notre Père céleste, que nous
1. Matt. XXIV, 12, 13. — 2. Ps. LX, 6.
posséderons éternellement, non pas après lui,
mais avec lui, parce qu’il ne meurt point! « Vous avez donné un héritage à ceux
qui craignent votre nom ».
8. « Vous ajouterez jours sur jours à la vie
du roi ». Le roi dont il est ici question, c’est celui dont nous sommes les
membres, c’est le Christ lui-même, notre chef, notre roi. Vous lui avez ajouté
jours sur jours: vous lui avez donné, non seulement cette vie passagère, qui a
nécessairement un terme, mais encore l’autre vie, la vie sans fin de
l’éternité; aussi a-t-il dit: « Je demeurerai dans la maison du Seigneur
pendant toute la suite des jours 2 », Pourquoi dit-il: « Pendant la suite des
jours », si ce n’est par opposition avec la brièveté de la vie présente? Tout
ce qui finit est de courte durée; mais les jours de l’existence de ce roi
s’ajoutent à d’autres jours, de telle sorte que leur durée n’est pas éphémère,
que le règne du Christ dans 1’E-glise ne se borne pas à quelques années, mais
qu’il se perpétue dans les siècles des siècles avec le règne des élus. Au ciel,
il y a quantité de jours, et tous ces jours n’en font qu’un. Il y a quantité de
jours, car j’ai dit: « Pendant la suite des jours». Ils n’en font qu’un, et
c’est pourquoi il a été dit: « Vous êtes mon Fils; je vous ai engendré
aujourd’hui 3 ». Aujourd’hui indique un seul jour; mais ce jour n’a ni veille
ni lendemain: de même qu’il ne commence pas là où finirait la veille, de même
ne se termine-t-il pas au moment où commencerait le lendemain. L’Ecriture
parle, dans le même sens, des années de Dieu: « Pour vous, Seigneur, vous êtes
toujours le même, et vos années ne passeront pas 4 ». Ces années sont comme des
jours, comme un seul jour. Tu peux dire de l’éternité tout ce qui te plaira:
dis d’elle tout ce que tu voudras, car quelle que soit ta manière de parler, tu
n’en diras jamais assez: mais il faut nécessairement que tu en dises quelque
chose, afin de pouvoir te former une idée de ce que tu ne saurais exprimer. «
Vous ajouterez jours sur jours à la vie du Roi, et vous étendrez ses années de
génération en génération », c’est-à-dire de la génération présente à la
génération future; de la génération présente que l’on compare à la lune, parce
que toutes les générations du temps lui ressemblent; puisque, comme cet astre,
1.
Ps. LX, 7. — 2. Id. XXII, 6.— 3. Id. II, 7.— 4. Id. CX, 28.
elles naissent, croissent, arrivent à leur
apogée, décroissent et finissent par disparaître: à la génération future dont
nous ferons partie à la suite de notre résurrection; alors, nous demeurerons
avec Dieu dans notre habitation permanente, et nous y brillerons, non pas de
l’éclat de la lune, mais de celui du soleil, suivant cette parole du Sauveur: «
Alors les justes seront éclatants comme le soleil, dans le royaume de leur Père
1». Dans les saints Livres, la lune est le symbole de l’inconstance de notre
condition mortelle. Celui qui tomba entre les mains des voleurs, descendait de
Jérusalem à Jéricho; or, Jéricho est un mot hébreu qui signifie Lune: cet homme
quittait donc le séjour de l’immortalité pour descendre à celui de la mort;
voilà pourquoi il a été blessé en son chemin par les voleurs et laissé à moitié
mort 2. Cet homme n’était autre qu’Adam, le père commun de tous les hommes.
Donc, « vous ajouterez jours sur jours à la vie du Roi, de génération en
génération ». La première de ces générations désigne celle qui est sujette à la
mort: c’est évident; mais la seconde, dont tu as fait mention, que
désigne-t-elle? Le voici; écoute-moi.
9. « Il demeurera éternellement en la
présence de Dieu 3 ». En quel sens et pourquoi? « Qui est-ce qui s’appliquera à
connaître sa miséricorde et sa vérité pour lui? » Il est encore dit ailleurs: «
Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité pour ceux qui
recherchent son alliance et ses préceptes 4». II y aurait pour nous un grand
discours à vous adresser au sujet de la vérité et de la miséricorde divines:
mais nous avons promis de ne pas vous parler longtemps. Je vais donc vous dire,
en deux mots, ce que c’est que la vérité et la miséricorde. David dit beaucoup
en disant que « toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité ». La
miséricorde de Dieu consiste à considérer, non pas nos mérites, mais son
infinie bonté; par là il nous pardonne toutes nos fautes, et nous promet la vie
éternelle: sa vérité consiste à nous donner ce qu’il nous a promis.
Reconnaissons-le donc, et conduisons-nous en conséquence. Dieu nous a manifesté
sa miséricorde et sa vérité; sa miséricorde, en nous pardonnant toutes nos
fautes; sa vérité, en accomplissant toutes ses promesses à notre égard.
Agissons de même, et montrons-nous
1. Matt. XIII, 13.— 2. Luc, X, 30. — 3. Ps.
LX, 8. — 4. Id. XXIV, 10
miséricordieux et dévoués à la vérité;
miséricordieux envers les infirmes, les pauvres, et même nos ennemis; dévoués à
la vérité, en ne commettant pas le péché, en n’accumulant pas fautes sur
fautes. Celui, en effet, qui se promet et attend beaucoup de la miséricorde de
Dieu, se fait illusion à lui-même en ce sens qu’il fait de Dieu un partisan de
l’injustice; car il s’imagine qu’en persévérant dans l’iniquité, et en ne
s’écartant pas de la voie mauvaise, il peut attendre en toute sécurité le jour
du Seigneur, et se verra placé au paradis à côté des serviteurs fidèles du
Très-Haut. De bonne foi, situ persévères dans le mal, Dieu serait-il juste en
te plaçant à côté de ceux qui se sont soigneusement éloignés du péché? Veux-tu
donc devenir injuste au point de rendre le Seigneur complice de ton injustice?
Veux-tu le forcer à plier selon ton bon plaisir? Accommode plutôt ta volonté à
la sienne. Celui qui conforme ses désirs aux ordres de Dieu, n’est-il pas de ce
petit nombre d’hommes dont le Sauveur a dit: « Celui qui persévérera jusqu’à la
fin, sera sauvé? » C’est donc avec raison que le Prophète s’èst exprimé ainsi:
« Qui est-ce qui s’appliquera à connaître sa miséricorde et sa vérité pour lui?
» « Pour lui »: quel est le sens de ce mot? Ne suffirait-il pas de dire: « Qui
est-ce qui s’appliquera? » Dans quel but ajouter: « Pour lui?» C’est que
beaucoup cherchent dans les livres la connaissance de sa miséricorde et de sa
vérité; et quand ils l’ont acquise, ils vivent encore pour eux, et non pour
lui; ils cherchent leurs propres intérêts, et non ceux de Jésus-Christ 2. Ils
prêchent la miséricorde et la vérité, et dans leur conduite, on n’aperçoit ni
vérité ni miséricorde. Ils les connaissent toutes les deux, puisqu’ils en font
le sujet de leurs prédications; ils ne seraient nullement capables d’en parler,
s’ils n’en avaient acquis la connaissance. Mais quand on aime Dieu et
Jésus-Christ, et qu’on prêche leur miséricorde et leur vérité, on les prêche et
on les recherche pour eux, et non pour soi-même; ou; pour m’exprimer plus
clairement, au lieu de les annoncer dans l’intention d’en tirer quelque
avantage temporel; on les prêche pour le bénéfice spirituel des membres du
Sauveur, c’est-à-dire de ses fidèles serviteurs: on communique en toute
simplicité aux autres ce
1. Matt. XXIV, 13. — 2. Philipp. II, 21.
qu’on a appris, afin que celui qui vit, ne
vive plus désormais pour lui-même, mais pour le Dieu qui est mort en faveur de
tous 1. « Qui est-ce qui s’appliquera à connaître sa miséricorde et sa vérité
pour lui? »
10. « Ainsi, je chanterai éternellement des
hymnes à la gloire de votre nom, afin de vous offrir mes voeux de jour en jour
2 ». Si tu chantes des hymnes à la gloire du nom de Dieu, ne le fais pas pour
un temps. Veux-tu
1. II Cor. X, 15. — 2. Ps. LX, 9.
le faire pendant les siècles des siècles,
pendant l’éternité? Offre à Dieu les voeux de jour en jour. Qu’ai-je voulu dire
en m’exprimant de la sorte? Offre à Dieu tes voeux, depuis le jour du temps
présent jusqu’au jour de l’éternité. Pendant le cours de ton existence ici-bas,
continue à lui offrir tes voeux, jusqu’au moment où tu verras luire le soleil
de la vie éternelle; c’est-à-dire: « Celui qui persévérera jusqu’à la fin, sera
sauvé.
Ces
dix derniers psaumes, ainsi que le psaume XXXIV, ont été traduits par M. l’abbé
AUBERT; tous les autres compris dans ce volume l’ont été par M. l’abbé MORISOT.
SERMON AU PEUPLE.
Séparé
des méchants par la dignité de sa vocation, le chrétien, comme l’Eglise entière,
se voit persécuté par eux, tantôt d’une manière sanglante, tantôt par des
procédés violents et toujours honteux pour ceux qui les emploient. La lutte
entre Babylone et la eité de Dieu, entre les justes et les pécheurs, durera
jusqu’à la fin des siècles. Néanmoins, il reste soumis à Dieu: loin de se
venger, il souhaite et demande la conversion de ses adversaires; il attend de
Dieu son secours en ce monde et sa gloire en l’autre. Voilà les seuls biens
réels qu’on puisse désirer; aussi, dans sa charité, s’efforce-t-il de détourner
ses ennemis de l’amour des faux biens du monde et de les rapprocher de Dieu:
là, ils apprendront à. connaître la vérité qui éclaire l’homme, et à pratiquer
la vertu qui le sauve.
1. La grâce de Dieu, qui répand sur nous ses
délices afin de féconder notre terre 1, nous fait trouver dans l’étude et
l’intelligence de la parole sainte un plaisir si suave, que nous nous sentons
pressés, nous, de vous l’expliquer, et vous, de l’entendre. Je le remarque avec
bon-. heuretje m’en réjouis; vous n’éprouvez aucun ennui à nous écouter: vous
apportez même ànos discours un goût intérieur très-prononcé, et, sous son
influence, loin de repousser cette salutaire nourriture de vos âmes, vous la
recevez avidement, et vous en faites votre profit. Aussi vous
entretiendrons-nous encore aujourd’hui, pour vous expliquer, autant que le
Seigneur nous le permettra, le psaume que nous venons de chanter. Voici son
titre:
« Pour la fin, pour Idithun, psaume à David
».
1. Ps. LXXXIV, 13.
Je me souviens de vous avoir déjà indiqué le
sens du mot Idithun. Si j’entre bien dans la pensée de l’auteur, et si je rends
bien toute la force de l’expression hébraïque, je le traduirai dans notre
langue par ces autres mots: Homme qui les dépasse. Celui dont les paroles vont nous
occuper, en dépasse donc d’autres; puis, du lieu élevé où il est parvenu, il
jette sur eux un regard de dédain. Voyons donc jusqu’où il s’est avancé:
cherchons à connaître ceux qu’il a dépassés, et l’endroit où il s’est arrêté
encore, quoiqu’il en ait dépassé plusieurs: cherchons à connaître cette demeure
invisible, où il trouve sa sécurité, cet abri tranquille du haut duquel il
contemple le spectacle qui s’étend à ses pieds, cette maison spirituelle en
dehors de laquelle il se penche, non pour s’exposer à une chute dangereuse,
mais pour (2) appeler à lui les hommes indolents qu’il a devancés, et leur
dépeindre les délices de sa retraite. Il a marché plus vite qu’eux; il s’est
élevé au-dessus d’eux: quelqu’un néanmoins est encore plus élevé que lui; aussi
veut-il d’abord nous faire entendre sous l’égide de qui il se trouve, et nous
persuader que s’il en a dépassé d’autres, c’est la preuve de la rapidité de sa
marche, mais non un sujet d’orgueil pour lui.
2. Voyez, d’abord, en quel endroit il a
trouvé la sécurité; car il dit: « Est-ce que mon âme ne sera pas soumise à
Dieu? » Il avait appris que « celui qui s’élève sera humilié, et que « celui
qui s’humilie sera élevé 1 ». Il craint de ressentir les atteintes de
l’orgueil, et cette crainte le fait trembler; non seulement il ne se prévaut
pas de son élévation et ne méprise pas ce qu’il voit au-dessous de lui, mais il
s’humilie en présence du Dieu qui le domine; aussi répond-il aux envieux, qui
gémissent d’avoir été distancés par lui, et qui semblent lui faire des menaces:
« Mon âme « ne sera-t-elle pas soumise à Dieu?» Parce que je vous ai devancés,
est-ce pour vous un motif de me tendre des piéges? Vous voulez m’abattre par
vos injures ou me tromper par vos artifices; croyez-vous que la pensée de mon
élévation au-dessus de vous me fait oublier celui c1ui se trouve au-dessus de
moi? « Mon âme ne sera-t-elle pas soumise à Dieu? » Tant que je marche, si haut
que je monte, si grande que soit la distance qui nous sépare les uns des
autres, je me trouverai toujours inférieur à Dieu; jamais je ne m’élèverai
contre lui. C’est donc en toute sécurité que je m’élève au-dessus de tout le
reste, puisque celui-là me tient dans sa dépendance, qui est supérieur à toutes
choses. « Mon âme ne sera-t-elle pas soumise à Dieu? C’est de lui que vient mon
salut; c’est lui qui est mon Dieu et mon Sauveur: il est mon protecteur, je ne
serai plus ébranlé ». Je sais quel est celui qui se trouve au-dessus de moi,
qui tend une main secourable et miséricordieuse à ceux qui le connaissent, dont
les ailes protectrices m’offrent un abri sûr « Je ne serai plus ébranlé ». Pour
vous, dit-il à quelques-uns, en les devançant,vous faites tous vos efforts pour
m’ébranler; « mais que le pied de l’orgueil ne me fasse point tomber ». Car de
là vient que s’accomplit aussi cet autre passage du même psaume: « Et que la
main des
1. Matth. XXIII, 12.
« méchants ne m’ébranle point 1 »; passage
conforme à celui-ci: « Je ne serai plus ébranlé».
Ces paroles: « Que la main des méchants ne
m’ébranle pas », correspondent en effet à
celles-ci: « Je ne serai plus ébranlé »;
comme le verset: « Que le pied de l’orgueil ne me fasse point tomber »,
correspond à cet autre: « Mon âme ne sera-t-elle point soumise au Seigneur? »
3. Placé en un lieu élevé, fortifié et sûr,
trouvant dans le Seigneur son refuge, et en Dieu sa sécurité comme dans une
forteresse inexpugnable, cet homme porte ses regards sur ceux qu’il a devancés,
il semble les défier, de même que s’il était à l’abri d’une haute tour, suivant
cette parole des livres saints qui a trait à sa personne: « Vous êtes comme une
tour imprenable en face de vos ennemis 2 ». Il jette donc les yeux sur eux, et
leur dit: « Jusques à quand accablerez-vous un homme? » Vous l’accablez d’un
insupportable fardeau, par vos insultes, vos outrages, les pièges que vous lui
tendez et vos mauvais traitements: le fardeau que vous lui imposez, ses forces
sont à peine suffisantes à le porter; pour n’en être pas surchargé, il se tient
dans la soumission à l’égard de son Créateur. « Jusques à quand accablerez-vous
un homme? » Si vous ne voyez en moi qu’un homme, travaillez tous à me donner la
mort». Ecrasez-moi, faites-moi souffrir, « donnez-moi le coup de la mort ».
Jetez-vous sur moi comme sur une muraille qui penche, comme sur une maison qui
tombe de vétusté ». Employez toutes vos forces à m’ébranler et à me renverser.
Mais n’a-t-il pas dit: « Je ne serai plus ébranlé? »Où est l’effet de ses
paroles? «Je ne serai plus ébranlé »; pourquoi? « Parce que Dieu me sauve et me
protége ». Vous êtes des hommes, et, comme tels, vous pouvez accabler un homme
en le surchargeant mais avez-vous un pouvoir quelconque sur le Dieu qui est
devenu son protecteur?
4. « Donnez-lui tous la mort ». Quel est
l’homme dont le corps ait assez d’étendue pour recevoir les coups de tous? Ne
l’oublions pas: en nous se personnifie l’Eglise, le corps de Jésus-Christ; tête
et corps, tout ensemble, Jésus-Christ ne forme qu’un seul homme. Le Sauveur du
corps et ses membres sont deux en une même chair 3; ils sont deux, et,
pourtant, mêmes plaintes, mêmes souffrances, et, après le règne du
1. Ps. XXXV, 12.— 2. Ps. LX, 4. — 3. Gen. II,
24; Eph. V, 31.péché, même repos éternel. Le Christ, considéré dans sa personne
particulière, n’est pas seul à souffrir: si nous le considérons dans son ensemble,
il n’y a que lui pour souffrir. Si, en effet, le Sauveur t’apparaît comme tête
et corps tout ensemble, lui seul est soumis à l’épreuve; mais situ ne vois en
lui que la tête, cette épreuve a lieu en d’autres que lui. Si, en ce cas,
l’épreuve n’atteignait que Jésus-Christ en qualité de chef, comment l’apôtre
saint Paul, l’un de ses membres, dirait-il avec vérité qu’ « il supplée, dans
sa chair, à ce qui manque aux souffrances du Sauveur 1? » Qui que tu sois, dès
lors que tu entends mes paroles, lors même que tu ne tes entendrais pas encore
(mais tu dois les entendre si tu appartiens au corps du Christ), qui que tu
sois, sache-le bien: par cela même que tu fais partie des membres du Sauveur,
les souffrances que te font endurer ceux qui ne sont pas de ce nombre,
suppléent à l’insuffisance de celles du Sauveur. Il y manquait quelque chose,
tu l’y ajoutes: tu en combles la mesure, sans qu’il y ait surabondance en
elles: tu souffres dans la proportion de ce qu’attendait de toi le Sauveur, qui
a souffert en sa propre personne, c’est-à-dire comme notre chef, et qui souffre
dans ses membres, c’est-à-dire encore, en nous-mêmes. Nous composons tous
ensemble une sorte de république, an bonheur de laquelle nous contribuons selon
nos moyens et notre devoir; et, dans la mesure de nos forces, nous formons
comme un faisceau commun de souffrances. La somme de toutes ces souffrances
n’arrivera à sa perfection qu’à la fin des temps. «Jusques à quand
accablerez-vous un homme? » Tout ce que les Prophètes ont souffert, depuis le
jour où le juste Abel a perdu la vie jusqu’au jour où a été répandu le sang de
Zacharie 2, a pesé sur cet homme, parce qu’avant l’Incarnation du Fils de Dieu
il a existé des membres du Christ: il en avait été ainsi de ce patriarche qui,
au moment de sa naissance, montra sa main avant de montrer sa tête 3, quoique
sa main fût parfaitement unie à sa tête et ne fît qu’un avec elle. Mes
frères,n’allez pas vous imaginer que tous ces justes qui ont souffert
persécution de la part des méchants n’aient pas été du nombre des membres de
Jésus-Christ; et ce que je dis des justes du Nouveau Testament, je le dis aussi
1.
Coloss. 24. — 2. Matth. XXIII, 35. — 3. Gen. XXXVIII, 27.
de ceux qui ont été envoyés par Dieu avant
l’avènement du Sauveur pour l’annoncer. Pourrait-il, en effet, ne pas
appartenir au corps du Christ, celui qui appartient à cette cité dont le Christ
est le roi? Cette cité sainte,cette Jérusalem céleste est une, et elle n’a
qu’un roi, et son roi c’est le Christ; car il lui parle ainsi: « Un homme appellera
Sion sa mère »; il l’appellera « sa mère, parce qu’il est homme. Car un homme
appellera Sion sa mère, et cet homme n été formé en elle, et cet homme est le
Très-Haut qui l’a fondée 1 ». Le roi de Sion, qui l’a fondée, le Très-Haut
s’est fait homme en elle, et le plus humble de tous les hommes. Dans les temps
qui ont précédé sa venue, il a envoyé quelques-uns de ses membres pour annoncer
qu’il viendrait; puis il les a suivis, uni à eux par les liens les plus
étroits. Rappelle-toi les circonstances de la naissance de ce patriarche, dont
je parlais tout à l’heure, et qui a préfiguré le corps mystique du Sauveur. Sa
main était sortie du sein maternel avant sa tête, et pourtant elle était
toujours unie à la tête, et sous sa dépendance. En exaltant l’excellence du
premier peuple de Dieu, et en gémissant du malheur qu’avaient eu les branches
naturelles d’être retranchées de l’arbre, l’Apôtre a dit du Sauveur 2: «
L’adoption des enfants de Dieu leur appartient: sa gloire, son alliance, son
culte, sa loi et ses promesses; leurs pères sont les patriarches, et c’est de
leurs pères qu’est sorti,selon la chair, Jésus-Christ même, qui est le Dieu
supérieur à tout, et béni dans tous les siècles. Jésus-Christ est donc né
d’eux», comme de Sion, « selon la chair », parce qu’ « il s’est fait homme en
elle »; parce que « le Christ, Dieu élevé au-dessus de tout, est béni dans tous
les siècles »; parce qu’ « il est le Très-Haut, et qu’il l’a fondée ». Parce
qu’ «il est né d’eux, le Sauveur est fils de David »: il en est le Seigneur,
parce qu’ « il est le Dieu supérieur à tout, et que tous les siècles le
bénissent 3». Les paroles du Psalmiste, que nous venons de citer, appartiennent
donc à tous ceux qui ont fait partie des habitants de cette ville depuis le
jour du meurtre du juste Abel jusqu’à celui de l’assassinat de Zacharie: par le
sang innocent du Précurseur des Apôtres, des martyrs, des chrétiens fidèles, de
toutes les parties de cette ville, de tous les membres de cet homme qui est le
Christ, un cri se fait
1. Ps. LXXXVI, 5.— 2. Rom.
XI, 21. — 3. Rom. IX, 4,5.entendre, cri unique: « Jusques à quand
accablerez-vous un seul homme? Faites-le tous mourir ». Nous verrons si vous
pouvez le détruire et l’anéantir; nous verrons si vous êtes capables d’effacer
son nom de la mémoire des hommes! O peuples, nous verrons si vous ne nourrissez
pas de vains projets 1, lorsque vous dites: « Quand mourra-t-il? quand son nom
sera-t-il effacé de dessus la terre 2?» Jetez-vous « sur cet homme, comme sur
une muraille qui penche, comme sur une vieille maison qui va tomber en ruines
»; poussez-le avec violence. Ecoutez ce qu’il a dit tout à l’heure: « Dieu me
protège, aussi ne serai-je plus ébranlé »; comme la vague pousse devant elle un
monceau de sable, ainsi m’ont poussé les méchants; mais le Seigneur m’a reçu
dans ses bras 3.
5. « Ils ont conspiré en eux-mêmes pour
m’ôter ma gloire 4». Obligés de céder aux violences des méchants, les chrétiens
tombent sous les coups de leurs persécuteurs, et néanmoins ils restent
victorieux: le sang des martyrs est une semence féconde qui multiplie les
fidèles; les ennemis de notre religion se voient forcés de respecter ses
disciples le temps de les faire mourir est passé. « Cependant ils ont conspiré
en eux-mêmes pour m’ôter ma gloire». Aujourd’hui il est impossible de répandre
le sang chrétien, on s’acharne à les déshonorer. La gloire qui s’attache à leur
nom est pour les impies la source d’intolérables tourments intérieurs:
autrefois vendu par ses frères, transporté loin de son pays au milieu de
nations figurées par l’Egypte, jeté honteusement en prison, accusé par le faux
témoignage d’une femme, ce nouveau Joseph, ce Joseph spirituel, l’Eglise, a vu
se réaliser en lui cette parole prophétique: « Le glaive a transpercé son âme 5
» mais aujourd’hui il est parvenu au faîte de la gloire; loin d’être soumis à
ses frères, et vendu par eux, il soulage leur disette par l’abondance du
froment qu’il leur distribue 6. Son humilité, sa chasteté, son
incorruptibilité, ses afflictions, ses souffrances, lui ont fait remporter la
victoire sur ses ennemis: ils sont témoins de l’honneur qui l’entoure, et cet
honneur, ils voudraient l’en dépouiller. Ce passage de la sainte Ecriture: « Le
pécheur verra », est présent à leur pensée. Ils ne
1. Ps. II, 1. — 2. Ps. XL, 6. — 3. Ps. CXVII,
13.— 4. Ps. LXI, 5.— 5. Ps. CIV, 18. — 6. Gen. XXXVII, XXXIX, XLI.
peuvent pas ne pas voir, puisqu’une ville,
placée sur la montagne, se trouve forcément exposée à tous les regards 1. « Le
pécheur verra » donc « et frémira de colère; il grincera des dents, et séchera
de désespoir 2 ». Ils cachent dans le secret de leur coeur, mais leur visage ne
trahit point au dehors la méchanceté qui les porte au mal et à la colère: voilà
pourquoi le corps du Christ dépeint ainsi leurs pensées: « Ils ont conspiré en
eux-mêmes pour m’ôter ma gloire ». Car ils n’osent pas dire ce qu’ils pensent.
Quoiqu’ils nous souhaitent du mal, souhaitons-leur du bien: « Seigneur, jugez
les: faites-les tomber du haut de leurs pensées 3». Y aurait-il, pour eux, rien
de plus utile et de meilleur, que de tomber de l’endroit où ils se trouvent, où
ils se sont élevés pour faire le mal? Cette chute leur inspirant des pensées
tontes différentes, ils pourraient dire avec le Psalmiste: « Vous avez affermi
mes pieds sur la pierre 4 ».
6. « Cependant ils ont conspiré en eux-mêmes
pour me ravir ma gloire ». Tous se sont-ils déclarés contre un seul? Un seul
s’est-il déclaré contre tous? Tous se sont-ils levés contre tous? Un seul
l’a-t-il fait contre un seul? Quand le Prophète dit: « Vous accablez un homme
», il ne parle que d’un seul; et quand il ajoute: « Faites-le tous mourir», il
indique une conspiration de tous contre un seul; lilais c’est, à vrai dire, une
conspiration de tous contre tous, puisqu’elle est dirigée contre tous les
chrétiens unis en un seul corps.
Maintenant, des diverses erreurs opposées au
Christ, de ses différents ennemis, peut-on dire qu’ils ne font qu’un, ou
doit-on les désigner sous le nom de tous? Oui, j’ose dire qu’ils ne font qu’un,
car il y a une seule ville et une seule ville, un seul peuple et un seul
peuple, un seul roi et un seul roi. Et quand je dis: Il y aune seule ville et
une seule ville, j’entends une seule Babylone et une seule Jérusalem. Qu’on
leur donne d’autres noms mystérieux, peu importe; car, eu réalité, il n’y a que
deux villes, l’une qui a pour roi le démon, l’autre que gouverne le Christ. Il
y a, dans l’Evangile, un passage qui me frappe singulièrement et dont le sens
ne vous échappe point; le voici: Plusieurs personnes avaient été invitées aux
noces, sans distinction aucune entre les bons et les méchants, et la salle du
1.
Matth. V, 14.— 2. Ps. CXI, 10. — 3. Ps. V, 11. — 4. Ps. XXXIX. 3.festin se
trouvait remplie de convives, car des serviteurs avaient été envoyés de tous
côtés avec ordre d’amener au repas tous ceux qu’ils trouveraient, sans faire
attention à ceux qui le méritaient et à ceux qui en étaient indignes: le roi
entra alors pour voir ceux qui étaient à table; et, apercevant un homme qui
n’avait point la robe nuptiale, il lui adressa ces paroles que vous connaissez:
« Mon ami, pourquoi es-tu venu ici, puisque tu n’as pas la robe nuptiale?
Celui-ci garda le silence ». Le roi commanda qu’on lui liât les pieds et les
mains, et qu’on le jetât dans les ténèbres extérieures. Ce malheureux fut donc
enlevé de vive force de la salle du festin et précipité dans les tourments.
Quel était cet homme? Quelle place tenait-il, quel nombre représentait-il au
milieu de cette foule de convives? Le Seigneur a voulu nous faire comprendre
que cet homme représentait à lui seul un corps composé d’un grand nombre de
membres; après nous avoir dit que le roi donna ordre de jeter cet homme hors de
la salle, et de le précipiter dans les tourments qu’il avait mérités, il a, en
effet, immédiatement ajouté:
« Car il y en a beaucoup d’appelés, et peu
d’élus 1 ». Comment? Vous avez invité au festin une foule d’hommes: un grand
nombre s’y sont rendus: vous avez commandé, vous avez fait annoncer partout le
repas des noces, le nombre des conviés s’est démesurément accru 2, la chambre
nuptiale s’est trouvée remplie de convives, un seul d’entre eux a été exclu de
l’assemblée, et vous dites: « Il y en a beaucoup d’appelés, et peu d’élus? » Ne
serait-il pas plus exact de dire: Tous sont appelés, il y en a beaucoup d’élus:
un seul a été renvoyé. Si le Seigneur disait: Beaucoup ont été appelés; la
plupart d’entre eux ont été choisis; quelques-uns d’entre eux ont été
réprouvés, il serait assez naturel de penser que ce petit nombre d’hommes
réprouvés se trouvent représentés par l’homme qui fut seul exclu; mas ce n’est
pas ainsi qu’il s’exprime; il dit d’abord qu’un seul des invités a été renvoyé,
puis il ajoute: « Il y en a beaucoup d’appelés et peu d’élus ». Si ceux qui
sont restés dans la salle du festin ne sont pas les élus, où les trouver? L’homme
réprouvé en a été chassé, les élus y sont restés: il y a peu d’élus, parce que
ce malheureux réprouvé en représente, dans sa
1. Matth. XXII, 10-14. — 2. Ps. XXXIX, 6.
personne, une multitude d’autres. Tous ceux dont
les désirs ne s’élèvent pas au-dessus de ce bas monde, qui préfèrent à Dieu les
joies de la terre, qui cherchent leur avantage, et non la gloire de
Jésus-Christ 1, tous ceux-là sont les citoyens d’une seule et même ville, de la
Babylone mystique quia pour roi le démon; de même, cette autre ville, que le
Christ gouverne, se compose de toutes les personnes animées de sentiments
célestes, dont les pensées sont toutes spirituelles, qui vivent ici-bas avec
tremblement, dans la crainte d’offenser Dieu; quis’efïorcent de ne point com
mettre le péché, et ne rougissent point d’avouèr leurs fautes lorsqu’elles ont
eu le malheur d’en commettre: en un mot, elle compte pour habitants les hommes
humbles et doux, les chrétiens qui sont devenus saints, justes, pieux et bons.
Babylone a paru la première en ce monde; mais si elle l’emporte par son
ancienneté, elle est loin de l’emporter sous le rapport de l’excellence et de
la gloire: elle est donc l’aînée Jérusalem est plus nouvelle; son existence
date d’une époque moins éloignée de nous. La première remonte à Caïn, la
seconde à Abel. A chacune de ces deux villes appartient une société d’hommes
d’un caractère particulier, que gouverne un roi différent de l’autre; toujours
opposées l’une à l’autre, ces deux sociétés lutteront ensemble jusqu’à la fin
du monde; aujourd’hui leurs membres se trouvent confondus ensemble, mais alors
aura lieu leur séparation: les uns seront placés à droite, et les autres à
gauche; aux uns l’on dira: « Venez, bénis de mon a Père, possédez le royaume
qui vous a été préparé dès le commencement du monde»; et aux autres: « Allez au
feu éternel, qui a été préparé pour le démon et ses anges 2». Elevé, le jour de
son triomphe, au-dessus de tout, le Roi de la Ville sainte, le Christ dira à
ses sujets: « Venez, bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a été
préparé dès le commencement du monde ». A ceux qui seront à sa gauche, aux
habitants de la ville des pécheurs, il tiendra un autre langage « Allez au feu
éternel». Fera-t-il une distinction entre le roi de cette ville et ses sujets?
Non, car il ajoutera: « Qui a été préparé pour le démon et ses anges ».
7. Attention, mes frères; attention, je vous
en prie: ce serait pour moi un véritable plaisir
1. Philip. II, 21. — 2. Matth. XXV, 34, 41.de
vous parler encore quelques instants de cette cité sainte, dont la pensée fait
le charme de mon âme. En effet, ô cité de Dieu, on m’a dit de toi de bien
belles choses 1. Si jamais, ô Jérusalem, ton souvenir s’efface de ma mémoire,
que ma main droite tombe elle-même en oubli 2 ! Cette ville, dont le souvenir
m’est si doux, est vraiment notre patrie: je ne dis pas assez, elle est notre
seule patrie; tout ce qui se trouve en dehors d’elle n’est pour nous qu’un
triste lieu d’exil. Je ne vous entretiendrai donc pas de choses qui vous soient
inconnues: vous approuverez ce que je vais vous dire, car je ne ferai que
raviver vos souvenirs; vous connaissez d’avance l’objet de mes enseignements.
L’Apôtre a dit: « Ce qui est spirituel n’a pas été formé le premier; ce qui est
animal l’a été d’abord: ensuite est venu ce qui est spirituel 3 ». Puisque Caïn
est né le premier, et qu’Abel est venu au monde après lui, Babylone est donc la
plus ancienne 4. Mais, comme les deux fils d’Adam que nous venons de nommer, «
l’aîné sera l’esclave du plus jeune »; de même si Babylone l’emporte
sur.Jérusalem par l’ancienneté, Jérusalem est bien supérieure à Babylone par la
dignité 5. Mais pourquoi celle-ci a-t-elle existé avant celle-là? L’Apôtre nous
le dit: « Ce qui est spirituel n’a pas été formé le premier: ce qui est animal
l’a été d’abord; ensuite est venu ce qui est spirituel ». Et pourquoi Jérusalem
l’emporte-t-elle en dignité sur Babylone? Parce que l’aîné sera l’esclave du
plus jeune ». La sainte Ecriture nous apprend que Caïn bâtit une ville 6. On en
était alors au commencement de toutes choses: les hommes n’avaient encore
accompli aucun travail: nulle autre ville n’existait. Il est pour toi facile de
le comprendre: Caïn et Abel comptaient déjà un grand nombre de descendants:
leurs familles s’étaient suffisamment étendues pour pouvoir composer une
société et former la population d’une ville. L’aîné des deux frères bâtit donc
une ville, à une époque où il n’y en avait pas d’autre. Jérusalem, la ville
sainte, cité et royaume de Dieu, ombre et figure de l’avenir, Jérusalem fut
bâtie ensuite. Grand et ineffable mystère, indiqué dans ces paroles de saint
Paul: « Ce qui est spirituel n’a pas été formé le premier; ce qui est animal
l’a été d’abord; ensuite
1.
Ps. LXXXVI, 3. — 2. Ps. CXXXVI, 5. — 3. I Cor. XV, 46. — 4. Gen. IV, 1, 2.
— 5. Gen. XXV, 23. — 6. Gen. IV, 17.
est venu ce qui est spirituel ». Caïn fut
donc le premier à édifier une cité, et il l’édifia quand il n’en existait pas
encore d’autre. Mais, au moment où Jérusalem fut construite, on en voyait déjà
une; elle porta d’abord le nom de Jébus, d’où est venu à ses habitants celui de
Jébuséens. Cette ville tomba au pouvoir des ennemis: ils la soumirent à leur
puissance et la détruisirent, et sur ses ruines, avec ses débris, on en éleva
une nouvelle: c’était Jérusalem, la vision de paix, la cité de Dieu 1. Parce
qu’on est enfant d’Adam, on n’est point pour cela citoyen de Jérusalem ses
descendants traînent à leur suite les chaînes du péché, et comme conséquence de
leur état de péché, ils en subissent la peine, ils sont condamnés à mourir. La
vieille ville de Jébus les compte donc, en un sens, au nombre de ses habitants;
mais s’ils veulent appartenir au peuple de Dieu, il faut qu’en eux le vieil
homme soit détruit et fasse place au nouveau; com prenez-vous maintenant pour.
quoi Caïn a bâti une ville à une époque où il n’y en avait pas encore? Chacun
de nous est d’abord sujet aux passions mauvaises et à la mort, pour devenir bon
ensuite: « car, de même que plusieurs sont devenus pécheurs par la désobéissance
d’un seul, ainsi par l’obéissance d’un seul plusieurs deviendront justes 2». «
Nous mourons tous en Adam 3 », et chacun de nous tire de lui son origine.
Passons donc à Jérusalem; le vieil homme sera détruit en nous, et le nouveau y
sera édifié. Comme il aurait pu parler aux Jébuséens au moment de la ruine de
leur ville et de la construction de Jérusalem, l’Apôtre nous parle à
nous-mêmes, et nous dit: « Dépouillez-vous du vieil homme, et revêtez-vous de
l’homme nouveau 4 ». Et à tous ceux d’entre nous qui. font maintenant partie de
Jérusalem, et qui brillent de l’éclat de la grâce, saint Paul dit encore: «
Autrefois vous avez été ténèbres; « mais aujourd’hui, vous êtes lumière dans le
Seigneur 5 ». La cité des méchants est donc aussi ancienne que le monde: elle
durera jusqu’à la consommation des siècles; les habitants de la cité de Dieu ne
sont que des pécheurs convertis.
8. Les habitants de ces deux villes sont
maintenant confondus ensemble; à la fin des temps ils seront séparés: une lutte
acharnée règne
1.
Jos. XVIII, 28.— 2. Rom. V, 19.— 3. I Cor. XV, 22.— 4. Colos. III, 9,
10. — 5. Eph. V, 8.entre eux tous, car les uns combattent pour l’iniquité et
les autres pour la justice; ceux-ci pour la vérité, ceux-là pour la vanité. Par
suite de ce mélange temporaire des bons et des méchants, il arrive que des
citoyens de Babylone dirigent les affaires de Jérusalem, comme parfois les
habitants de Jérusalem ont entre les mains la direction des affaires de
Babylone. La preuve de ce que j’avance vous paraît difficile à apporter; la
voici néanmoins: Prenez patience; des exemples vous en convaincront. Suivant le
langage de l’Apôtre, « tout » ce qui arrivait au peuple juif « était figure: et
tout a été écrit pour nous servir d’instruction, à nous qui nous sommes
rencontrés à la fin des temps 1 ». Portez donc votre attention et vos regards
sur ce premier peuple qui a été l’image du peuple suivant, du peuple
chrétien,et vous toucherez du doigt la preuve de mes paroles. Il y eut à
Jérusalem de mauvais rois, tout le monde le sait: on en connaît le nom et le
nombre. Ils étaient donc tous, sans exception, des citoyens de Babylone, et
pourtant ils gouvernaient Jérusalem, en dépit de leur méchanceté: ils devaient,
plus tard, en être éloignés pour partager le sort des démons. Par contre, nous
voyons à la tête de l’administration de Babylone des habitants de la cité de
Dieu. Vaincu par le prodige dela fournaise ardente, Nabuchodonosor n’a-t-il
point confié le gouvernement de son royaume aux trois jeunes hébreux? Les
satrapes eux-mêmes ne leur étaient-ils pas soumis? En réalité, l’autorité
supérieure a donc été exercée à Babylone par des habitants de Jérusalem 2.
Remarquez-le, mes frères: le même fait se reproduit encore, et de nos jours,
dans l’Eglise. En effet, le Sauveur a dit: « Faites ce qu’ils enseignent, mais
ne les imitez pas ». Tous ceux auxquels s’appliquent ces paroles, sont des
citoyens de Babylone, qui dirigent les affaires de Jérusalem, De fait, s’ils
n’étaient en rien chargés de l’administration de cette ville, dirait-on d’eux:
« Faites ce qu’ils disent? Ils sont assis sur la chaire de Moïse ». Et, d’autre
part, s’ils étaient du nombre des citoyens de Jérusalem, et destinés à régner
éternellement dans les cieux avec Jésus-Christ, ajouterait-on: « Ne les imitez
pas 3? » Non; puisque cette sentence sera prononcée contre eux: « Retirez-vous
de moi, vous tous qui êtes des ouvriers
1. I
Cor. X, 11. — 2. Dan, III, 97. — 3. Matth. XXIII, 2, 3.
d’iniquité 1 ». Vous le voyez donc, les
habitants de la cité des méchants se trouvent parfois à même de gérer les
affaires de la cité des justes. Assurons-nous maintenant que le rôle rempli par
les uns l’est aussi quelquefois par les autres. Tout gouvernement de ce monde
doit périr un jour; sa puissance disparaîtra le jour où se manifestera cette
puissance royale à laquelle nous faisons allusion, quand nous disons dans notre
prière: « Que votre règne arrive 2 », et dont il a été prédit: « Et son règne
n’aura pas de fin 3 ». Ce gouvernement terrestre a donc à sa tête des citoyens
sortis de nos rangs. Que de fidèles, en effet, que de justes, dans les villes
qu’ils habitent, remplissent les fonctions de magistrats, de juges, de ducs et
de comtes, et sont revêtus de l’autorité royale ! Ils sont tous vertueux et
bons; ils ne pensent qu’aux choses admirables que l’on dit de vous, ô
bienheureuse cité 4! Pour eux, tout ce qu’ils font dans cette passagère
Babylone est un embarras et une entrave: le docteur de la Cité de Dieu leur
commande de garder la fidélité à leurs supérieurs, soit « au roi, comme ayant
une autorité souveraine, soit aux gouverneurs, comme envoyés de sa part pour
punir ceux qui font mal, et traiter favorablement ceux qui font bien ». S’ils
servent des maîtres, ils doivent leur obéir 5: chrétiens, ils doivent se
montrer soumis aux païens; parmi eux l’homme vertueux est obligé de se montrer
fidèle même aux méchants, quoique sa sujétion à leur égard soit purement
temporaire, et que sa destinée soit de régner éternellement. Ainsi en sera-t-il
jusqu’au moment où l’iniquité arrivera à son terme 6. Les serviteurs omit donc
l’ordre de supporter l’autorité de leurs maîtres, même lorsqu’elle se montre
injuste et méchante: il faut que les citoyens de Jérusalem supportent les
habitants de Babylone, et leur montrent, si j’ose parler ainsi, plus de
déférence que s’ils appartenaient eux-mêmes à la société des pécheurs, car en
eux doit s’accomplir cette parole du Sauveur: Si l’on te commande « de marcher
l’espace de mille pas, fais-en deux mille 7 ». C’est à cette Babylone, répandue
eu tous lieux, dispersée jusqu’aux extrémités de la terre, confondue, pour le
moment, avec Jérusalem, c’est à elle que s’adressent les paroles du
1.
Luc, XIII, 27.— 2. Matth. VI, 10.— 3. Luc, I, 33.— 4. Ps. LXXXVI, 3. — 5. I
Pierre, II, 13, 18. — 6. Ps. LVI, 2. — 7. Matth. V, 41.Psalmiste: « Jusques à
quand accablerez-vous un seul homme? Faites-le tous mourir ». Vous tous qui
êtes en dehors comme des épines dans les buissons, comme des arbres stériles
dans les forêts, vous qui tenez au dedans la place de l’ivraie ou de la paille;
qui que vous soyez, séparés déjà des bons ou mêlés encore avec eux, ou destinés
à exercer encore la patience des justes, et à vous en voir un jour forcément
éloignés, « faites-les tous mourir; jetez-vous sur moi comme sur un mur qui
penche, comme sur une maison qui tombe en ruine. Ils ont conspiré en eux-mêmes
pour me ravir mon honneur ». Ils ne l’ont pas dit; ils se sont contentés de le
penser. « Ils ont conspiré en eux-mêmes pour me ravir mon honneur ».
9. « Dans l’excès de ma soif, j’ai couru ».
Ils me rendaient le mal pour le bien 1. Ils me faisaient mourir, ils me
repoussaient; pour moi, j’avais soif de leur salut; ils voulaient me ravir ma
gloire, et moi je brûlais du désir d’en faire les membres de mon corps.
Effectivement, lorsque nous buvons, que faisons-nous si ce n’est d’introduire
dans notre corps, et de faire passer jusqu’à l’extrémité de nos membres, une
humidité et une fraîcheur qui se trouvent hors de nous? Ainsi agit Moïse avec
la tête du veau d’or. Cette tète avait une signification prophétique et cachait
un grand mystère, car elle représentait la société des méchants, qui par leur
amour excessif des avantages temporels ne ressemblent que trop aux jeunes
boeufs dont la plus grande jouissance consiste à manger l’herbe des champs 2. Car
« toute chair n’est que de l’herbe 3 ». Parmi les Israélites, il y avait, comme
je l’ai dit, une société d’impies. Vivement irrité de leur idolâtrie, Moïse
jeta dans le feu la tête du veau d’or, la fit réduire en poussière, et jeta
cette poussière dans de l’eau qu’il fit ensuite boire au peuple 4. La colère du
législateur des Israélites fut elle-même une prophétie. Cette société des
impies est jetée par Dieu dans le creuset des tribulations, et par sa parole il
la réduit en poussière: car, peu à peu se dissipe leur union, elle s’use
insensiblement, pareille à un vêtement qui vieillit; tous ceux qui deviennent
chrétiens s’en séparent: ce sont, en quelque sorte, des grains de poussière qui
se détachent de l’ensemble:
1. Ps XXXIV, 12. — 2. Ps. CV, 20. — 3. Isaïe,
XL, 6. — 4. Exode, XXXII, 20.
unis les uns aux autres, ils sont les ennemis
de la foi; dès qu’ils s’éloignent les uns des autres, ils l’embrassent avec
empressement. Pouvait-il y avoir un signe plus clair des effets du baptême? A
l’aide de l’eau baptismale les hommes ne devaient-ils pas entrer dans le corps
de cette Jérusalem spirituelle, dont le peuple juif était l’image? La société
des pécheurs a été jetée dans l’eau, et ce mélange n’est-il pas devenu comme un
breuvage destiné aux enfants d’Adam? Tel est le breuvage après lequel, dans
l’ardeur de sa soif, soupirera jusqu’à la fin celui qui parle en ce psaume: il
a soif, il s’élance, il boit une multitude d’âmes, et, pourtant, sa soif ne
sera jamais étanchée: voilà pourquoi il disait à la Samaritaine: « Femme, j’ai
soif, donne-moi à boire 1». Elle reconnut auprès du puits que le Christ avait
soif, et ce fut lui qui la désaltéra; elle reconnut la première de quelle
nature était la soif du Fils de Dieu, et, par sa foi, elle l’étancha. Attaché à
la croix, il dit: « J’ai soif 2 », et néanmoins les Juifs ne lui donnèrent
point le breuvage qui pouvait le désaltérer. Il avait soif de leur salut, et
ils ne lui offrirent que du vinaigre. Au lieu de lui donner de ce vin nouveau
qui doit remplir des outres nouvelles, ils lui apportèrent du vin si vieux
qu’il en était gâté et corrompu 3. Au vin corrompu on donne indifféremment le
nom de vin vieux et celui de vinaigre; par là on désigne ceux qui demeurent
dans le vieil homme, et dont il a été dit: « Pour eux, il n’y a pas de
changement 4 ». Jamais ils ne seront détruits comme les Jébuséens, jamais on ne
se servira d’eux pour bâtir Jérusalem 5.
10. A l’exemple de son divin chef, l’Eglise
court altérée, depuis le commencement du monde, et jusqu’à la fin des temps la
soif la poussera à courir toujours. N’aurait-on pas le droit de lui dire: O
corps sacré de Jésus-Christ, ô sainte Eglise du Sauveur,d’où vous vient cette
soif brûlante? que vous manque-t-il? Hé quoi! vous jouissez ici-bas d’une
gloire sans égale; vous êtes environnée de l’éclat le plus brûlant; vous êtes
parvenue au faîte de la grandeur; manquerait-il encore quelque chose aux
prérogatives dont le Seigneur vous a enrichie jusqu’à présent? Vous voyez
s’accomplir en vous cette prophétie: « Tous les rois de la
1. Jean, IV, 7. — 2. Jean, XIX, 28. — 3.
Matth. IX, 17. — 4. Ps. LIV, 20. — 5. II Rois, V, 6.terre l’adoreront, et
toutes les nations seront «soumises à son empire 1». Pouvez-vous désirer
davantage? Que souhaitez-vous encore? La multitude des peuples qui vous
obéissent ne vous suffit-elle pas? Hélas, répondrait-elle, de quels peuples me
parlez-vous? « Ils me bénissaient du bout des lèvres, et, dans le fond du
coeur, ils me maudissaient. Il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus 2». Une
femme affligée d’un flux de sang toucha la frange du vêtement de Jésus, et se
trouva guérie: le Sauveur s’était aperçu qu’elle le touchait, car il avait
senti qu’une vertu était sortie de lui pour la guérir; il s’étonna de l’action
que cette femme s’était permise, et dit à ses disciples: « Qui est-ce qui m’a
touché? » Tout surpris d’une question pareille, ils lui répondirent: « Une
foule énorme se presse autour de vous, et vous demandez qui est-ce qui a pu
vous toucher? » Et il ajouta: «Quelqu’un m’a touché 3», comme s’il avait voulu
dire: La foule me presse, mais une seule personne m’a touché. Ceux qui, dans
les solennités de, Jérusalem, remplissent nos églises, profitent des fêtes de
Babylone pour remplir les théâtres: cette foule immense sert, respecte et
honore la foi de Jésus-Christ; mais de quelles personnes se compose-t-elle? De
chrétiens qui participent aux sacrements du Sauveur, et qui, néanmoins,
détestent ses commandements; de gens qui ne reçoivent pas ces sacrements de la
loi nouvelle, parce qu’ils sont encore juifs ou païens: ils honorent, ils
louent, ils prêchent la foi de Jésus-Christ; mais, en réalité, « ils ne la
bénissent que du bout des lèvres ». Je ne m’arrête pas à leurs paroles, dit
l’Eglise: Celui qui m’a éclairé de sa divine lumière sait qu’ « ils me maudissent
dans le secret de leur cœur ». Ils me maudissent, dès lors qu’ils cherchent à
me ravir ma gloire.
11. O Idithun, ô corps de Jésus-Christ, qui
distancez ces impies, quelle sera votre ligne de conduite au milieu de tant de
scandales? Que ferez-vous? Vous laisserez-vous aller au découragement? Ne
persévérerez-vous pas jusqu’à la fin? Quoiqu’il ait été dit que, « quand
l’iniquité abondera, on verra se refroidir la charité », n’écouterez-vous pas
ces autres paroles: « Celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé 4? » Les
auriez-vous
1. Ps. LXXI, 11 — 2. Matth. XXII, 14. — 3.
Marc, V, 25-31. — 4. Matth. XXIV, 13, 12.
inutilement devancés? Et vos pensées ne
s’élèveraient-elles plus vers le ciel 1? Les pécheurs sont affectionnés aux
choses de la terre; citoyens et habitants de ce monde, ils n’ont de goût que
pour lui; ils ne sont que de la terre; les serpents trouvent en eux leur
nourriture. Que ferez-vous donc au milieu d’eux? Leurs pensées et leurs oeuvres
sont opposées aux miennes; ils se jettent sur moi et cherchent à me renverser,
comme on cherche à renverser un mur qui a perdu son aplomb: en dépit de leurs
efforts, je leur apparais toujours droit et ferme; alors ils s’ingénient àme
ravir ma gloire: de leur bouche sortent mes louanges, et ils me maudissent dans
le secret de leurs âmes: partout où ils le peuvent, ils creusent des piéges
sous mes pas, et ils ne manquent aucune occasion de me calomnier: « Quoi qu’il
en soit, mon âme restera soumise au Seigneur 2 ». Qui est-ce qui pourra
supporter tant de luttes ouvertes et cachées? Comment ne point défaillir au
milieu d’un si grand nombre d’ennemis connus et de faux frères? Comment
résister à de si difficiles épreuves? Un homme en est-il capable? Et s’il en a
la force, est-ce en lui-même qu’il la trouve? Oh! si j’ai devancé mes ennemis,
je ne m’en prévaus pas, car je ne veux pas que Dieu me frappe et m’humilie. «
Mon âme sera soumise au Seigneur, car c’est de lui que me vient ma patience ».
Au milieu de tant de scandales, qui est-ce qui peut me soutenir, sinon l’attente
de ce que nous espérons sans le voir encore 3? La douleur m’accable
aujourd’hui, bientôt sonnera pour moi l’heure du repos. La tribulation est
maintenant mon partage: plus tard, je recouvrerai mon innocence. L’or
brille-t-il de tout son éclat dans le creuset du joaillier? On le verra dans
toute sa beauté, quand on l’emploiera à former un collier ou d’autres
ornements; mais, auparavant, il lui faut passer par le creuset, pour se
débarrasser de tout alliage et paraître au grand jour dans toute sa splendeur.
Au creuset il y a de la paille, de l’or et du feu: le souffle de l’orfèvre s’y
fait sentir, le feu prend à la paille et purifie l’or; la paille est réduite en
cendres: l’alliage se sépare de l’or. Le creuset, c’est le monde; la paille
n’est autre que les pécheurs: les justes tiennent la place de l’or, la
tribulation fait l’office du feu; le joaillier, c’est Dieu: ce que veut le
1. Philipp. III, 20. — 2. Ps. LXI, 6. — 3.
Rom, VIII, 25.joaillier, je le fais; partout où il me place, je m’y tiens: mon
devoir est de souffrir: à Dieu, de me purifier; la paille prendra feu, elle
semblera destinée à me brûler et à me consumer; mais, en définitive, elle se
réduira en cendres; pour moi, je sortirai des flammes débarrassé de toutes
souillures. Comment cela? « Parce que mon âme sera soumise à Dieu, et que ma
patience vient de lui ».
12. Quel est celui qui vous donne la
patience? « Il est mon Dieu et mon Sauveur; il est mon protecteur, et je ne
serai point ébranlé 1 ». « Il est mon Dieu », voilà pourquoi il m’appelle; « il
est mon Sauveur», aussi me justifie-t-il: « Il est mon protecteur », il me
glorifiera donc: sur la terre ont lieu ma vocation et ma justification; ma
glorification se fera dans le ciel « jamais je n’en sortirai »; ici-bas je me
trouve dans un lieu d’exil, où je n’aurai point de séjour permanent: plus tard,
je m’en éloignerai pour entrer dans une demeure éternelle. Je ne suis
maintenant auprès de vous qu’un étranger sur la terre, à l’exemple de tous mes
ancêtres 2. Je sortirai donc du lieu de mon pèlerinage; mais mon habitation
céleste, je ne la quitterai pas.
13. « J’attends de Dieu mon salut et ma
gloire 3 ». En Dieu je trouverai mon salut et ma gloire, j’y puiserai l’un et
l’autre: le salut, parce que sa grâce me sépare des impies et me rend juste 4;
la gloire, parce qu’après m’avoir justifié, il me conduira à l’honneur des
élus. En effet, « Dieu a appelé ceux qu’il a prédestinés »; et pourquoi les
a-t-il appelés? Il a justifié ceux qu’il « a appelés, et ceux qu’il a
justifiés, il les a comblés de gloire 5 ». La justification aboutit au salut,
et la glorification à l’honneur éternel. Qu’il en soit ainsi de la
glorification, il est inutile de le prouver, cela est évident. Pour ce qui
concerne la justification, nous allons essayer de le démontrer. Cette
démonstration est d’autant plus facile que nous la trouvons dans I’Evangile.
Certaines personnes qui se croyaient justes, blâmaient le Sauveur de ce qu’il
s’asseyait à la table des pécheurs, et prenait ses repas avec des publicains et
des hommes de moeurs relâchées. Que répondit le Sauveur à ces personnes
orgueilleuses, à ces forts de la terre qui s’élevaient avec tant d’insolence, à
ces gens qui se glorifiaient de la santé
1. Ps. LXI, 7.— 2. Ps. XXXVIII, 13. — 3. Ps.
LXI, 8.— 4. Rom. IV, — 5. Rom. VIII, 30.
plus factice que réelle de leur âme? « Ceux
qui se portent bien n’ont pas besoin de médecin: il n’est nécessaire que pour
les malades u. A ses yeux, quels hommes se portent bien? quels hommes sont
malades? Le voici, car il ajoute: « Si je suis venu, c’est pour appeler, non
pas les justes, mais les pécheurs 1». Suivant•lui, ceux qui jouissent d’une
bonne santé, ce sont les justes; or, au lieu d’être effectivement justes, les
Pharisiens se contentaient de croire qu’ils l’étaient: aussi, en concevaient-ils
de l’orgueil, et partaient-ils de là pour reprocher aux malades la présence et
les soins du médecin: toutefois, ils devinrent eux-mêmes si malades, qu’ils
firent mourir ce médecin. Quoi qu’il en soit, le Sauveur donna aux justes le
nom de sains, et celui de malades aux pécheurs. Celui qui a devancé les impies,
s’exprime donc ainsi: Dieu lui-même est l’auteur de ma justification, et si
plus tard je suis glorifié, il en sera encore la cause: « J’attends de Dieu mon
salut et nia gloire »; « mon salut», pour être sauvé; « ma gloire », pour être
glorifié. Mais puisque je ne saurais parvenir, dès maintenant, à la gloire, que
me reste-t-il pour le moment? « En Dieu, je trouverai du secours, car il sera
la source de mon espérance », jusqu’au jour où je parviendrai à la
justification et au salut; car nous « ne sommes sauvés que par l’espérance, et
l’on n’espère pas ce que l’on voit 2», jusqu’au jour où j’entrerai dans cette
gloire ineffable, dans le royaume du Père éternel, où les justes brilleront de
l’éclat du soleil 3. En attendant ce jour fortuné, Idithun se trouve environné
de tentations, d’iniquités, de scandales, d’hommes qui le combattent
ouvertement, qui s’efforcent de le tromper par leurs paroles menteuses, qui le
bénissent de bouche et le maudissent de coeur, qui veulent lui ravir sa gloire;
il s’écrie: « En Dieu je trouverai mon Sauveur », parce qu’il soutient ceux qui
combattent. Contre qui avons-nous à combattre? « Nous avons à combattre, non
contre des « hommes de chair et de sang, mais contre les « principautés et les
puissances 4. En Dieu « donc je trouverai mon secours: il est la source de mon
espérance ». J’espère, car les biens qu’il m’a promis ne sont pas devenus mon
partage: je crois, parce que je ne vois pas encore l’objet de ma foi. Lorsque
1. Matth. IX, 12, 13. — 2. Rom. VIII, 24. —
3. Matth. XIII, 43. — 4. Eph. VI, 12.enfin je le posséderai, je serai sauvé et
glorifié; avant que luise pour nous ce jour fortuné, Dieu ne nous abandonnera
pas quoiqu’il diffère de nous accorder ses dons éternels, il n’en est pas moins
« mon soutien et la source de mon espérance».
14. « O peuples, espérez tous en lui 1 ».
Imitez Idithun; devancez vos ennemis: laissez
bien loin derrière vous ceux qui vous
résistent, qui s’opposent à votre marche vers le ciel, qui vous haïssent. « O
peuples, espérez tous en lui, répandez vos coeurs en sa présence ». Ne vous
laissez point aller au découragement, quand on vous dira: Où est donc votre
Dieu? « Mes larmes», a dit le Prophète, « sont devenues mon pain durant le jour
et pendant la nuit, parce qu’on me dit tous les jours: Où est ton Dieu? » Et il
a ajouté: « J’ai fait de cela le sujet de mes réflexions, et j’ai répandu mon
âme pour l’élever au-dessus de moi 2 », J’ai gardé le souvenir de ce que j’ai
entendu: « Où est ton Dieu? » je me le suis rappelé, et j’ai répandu mon âme
pour l’élever au-dessus de moi ». Je cherchais Dieu, et, pour parvenir jusqu’à
lui, je suis sorti de moi-même, j’ai répandu mon âme et l’ai élevée au-dessus
de moi. « O peuples, espérez donc tous en lui; répandez vos coeurs en sa
présence », et, pour cela, priez, confessez vos fautes, livrez-vous à
l’espérance. Ne retenez pas vos coeurs, ne les emprisonnez pas en eux-mêmes, «
répandez-les en sa présence »; pour les répandre ainsi, vous ne les perdrez
pas, Car il est mon protecteur ». S’il te protége, que craindrais-tu à répandre
le tien? Décharge-toi de toutes tes peines sur le Seigneur 3, et mets en lui
ton espérance. « Répandez vos coeurs en sa présence; il est notre soutien ».
Pourquoi craindre les calomniateurs et les médisants qui vous environnent? Dieu
les déteste 4. S’ils le peuvent, ils vous attaquent ouvertement: quand ils en
sont incapables, ils vous tendent des piéges: ils feignent de vous louer: en
réalité, ils vous maudissent, parce qu’ils sont vos ennemis; mais, encore une
fois, pourquoi les craindre? « Dieu est notre soutien ». Sont-ils de force à
lutter avec lui? Sont-ils plus puissants que lui? « Dieu est notre soutien ».
Soyez donc tranquilles. Si Dieu est pour nous, qui est-ce qui sera contre nous
5?. « Répandez vos coeurs en sa présence », en
1. Ps. LXI, 9.— 2. Ps. XLI, 4, 5.— 3. Ps. LIV, 23.— 4. Rom. I, 29, 30 — 5. Rom. VIII, 31.
vous approchant de lui, en élevant vos âmes
jusqu’à lui. « Dieu est notre soutien ».
15. Puisque vous êtes parvenus en lieu sûr,
puisque vous êtes protégés contre vos ennemis par une tour inexpugnable, prenez
pitié de ceux qui vous inspiraient de la crainte vous, aussi, vous devez
éprouver les ardeurs de la soif, et courir: placés dans la forteresse, regardez
les adversaires d’un oeil de commisération, et dites: « Toutefois, les hommes «
sont vains, les enfants des hommes sont menteurs 1 ». Enfants des hommes,
jusques à quand aurez-vous le coeur pesant? Vous êtes vains, enfants des
hommes, vous êtes menteurs: pourquoi donc aimez-vous la vanité? Pourquoi
allez-vous à la recherche du mensonge 2? Tenez-leur ce langage imprégné de
compassion et de sagesse. Si vous avez devancé vos ennemis, si vous les aimez,
si vous ne prétendez détruire en eux le vieil homme qu’alla d’y faire naître
l’homme nouveau, si vous aimez celui qui juge les nations et relève les ruines
3, tenez-leur ce langage; mais, en leur parlant de la sorte, ne vous laissez
point conduire par les sentiments de haine, ne cherchez point à rendre le mal
pour le mal 4. « Les enfants des hommes sont trompeurs dans leurs balances; ils
s’accordent ensemble dans la vanité ». Ils sont en grand nombre, mais en
définitive ils ne font qu’un, et l’homme qui les représente tous dans sa
personne, est celui-là même qui a été chassé du festin des noces 5. Ils sont
tous d’accord pour rechercher les avantages de ce monde; ils sont tous charnels
et ne veulent que les plaisirs de la chair; et s’ils espèrent quelque chose
pour l’avenir, leurs espérances sont aussi toutes charnelles. Divisés, pour
tout le reste, en une multitude de partis différents, ils ne font plus qu’un
dès qu’il s’agit de la vanité. Leurs erreurs sont innombrables, et se
manifestent avec une surprenante variété de formes: un royaume ainsi divisé ne
saurait subsister longtemps 6; mais, en eux tous on remarque un penchant égal
et pareil de tous points pour la vanité et le mensonge, un dévouement absolu
pour le même roi, pour ce maître avec lequel ils seront éternellement condamnés
au feu 7. « Ils s’accordent ensemble dans la vanité ».
16. Mais voyez quelle soif Idithun ressent
1. Ps. LXI, 10. — 2. Ps. IV, 3. — 3. Ps. CIX,
6. — 4. Rom. XII, 17. — 5. Matth. XXII, 13. — 6. Matth.
XII,
25. — 7. Matth. XXV, 41.à leur endroit: voyez avec quelle ardeur il court vers eux
dans l’excès de sa soif. Altéré du désir de leur salut, il se tourne vers eux
et leur dit: « Ne mettez point votre espérance dans l’iniquité ». Pour moi, je
mets la mienne en Dieu. « Ne mettez point votre espérance dans l’iniquité
1».Vous tous qui ne voulez ni vous approcher, ni marcher plus vite que les
méchants, prenez garde; « ne mettez point votre espérance dans l’iniquité ». Je
vous ai devancés: j’ai placé mon espérance dans le Seigneur: « l’iniquité se
trouve-t-elle en lui 2?» « Ne mettez point votre espérance dans l’iniquité». —
Faisons ceci; agissons encore de telle autre manière; pensons aussi à cela:
tendons telle embûche: voilà bien le langage de ceux qui s’accordent dans la
vanité. Pour toi, tu es altéré; par ceux qui ont déjà servi à étancher ta soif,
tu as appris à connaître ceux qui nourrissent contre toi de pareilles pensées.
« Ne mettez point votre espérance dans l’iniquité ». Elle est vaine, ce n’est
rien; la puissance n’appartient qu’à la justice. On peut, pour quelque temps,
obscurcir la vérité: jamais on ne sera à même d’en triompher complètement.
L’iniquité peut momentanément fleurir, mais son éclat est de courte durée. « Ne
mettez point votre espérance dans « l’iniquité, ne désirez point commettre la
rapine ». Tu n’es pas riche, et tu veux t’emparer du bien d’autrui? Que
gagnes-tu? Que perds-tu? O ruineux bénéfice! Tu gagnes de l’argent, et tu perds
la justice. « Ne désirez point commettre la rapine». — Je suis pauvre, je n’ai
rien.—Voilà pourquoi tu veux te rendre voleur? Tu vois ce que tu dérobes, et tu
ne vois pas de qui tu deviens la proie? Ignores-tu donc que l’ennemi rôde
autour de toi comme un lion rugissant, et qu’il cherche à te dévorer 3? Le bien
d’autrui que tu veux t’approprier, est dans une souricière; tu le prends et tu
es pris. O pauvre, ne désire donc point commettre la rapine; que tes désirs se
portent vers Dieu, car de lui nous viennent les choses nécessaires à la vie 4.
Il t’a créé, il te nourrira. Le voleur reçoit de lui sa nourriture, et il
laisserait mourir de faim un innocent? Il pourvoira à la subsistance, car il
fait lever le soleil sur les bons et sur les méchants, et tomber la pluie sur
les justes et les pécheurs 5. Si sa main bienfaisante s’ouvre
1. Ps. LXI, 11. — 2. Rom. IX, 14. — 3. I
Pierre, V, 8. — 4. I Tim. VI, 17. — 5. Matth. V, 45.
pour ceux qui doivent être réprouvés, se
fermera-t-elle pour les futurs élus? Ne désirez donc point commettre la rapine.
Ceci soit dit au pauvre, qui peut-être ne devient voleur que sous l’influence
de la nécessité. Voici maintenant pour le riche. Je n’éprouve, dit-il, aucun
besoin de manquer à la probité: rien ne me manque; je me trouve dans
l’abondance. O riche, prête aussi l’oreille à la voix du Prophète: « Si vous
possédez d’abondantes richesses, n’y attachez pas votre coeur». L’un est riche,
l’autre n’a rien; que celui-ci ne cherche pas à s’approprier les biens qui ne
sont pas à lni;que celui-là ne s’affectionne pas à ce qu’il possède. « Si vous
avez d’abondantes richesses, n’y attachez pas votre coeur ». C’est-à-dire, si elles
surabondent chez toi, si elles semblent y couler comme de source,
puissent-elles ne point t’inspirer une folle confiance en toi-même ! Puisses-tu
ne pas y accoler ton coeur! « Si tu as d’abondantes « richesses», prends-y
garde: tu n’as pas moins à craindre que le pauvre. Ne vois-tu pas, en effet,
que si tu leur donnes tes affections, tu passeras comme elles? Tu es riche, tu
ne désires plus rien, parce que ta fortune est grande. Ecoute l’Apôtre parlant
à Timothée: « Recommande aux riches de ce monde de ne point être orgueilleux »;
et, pour expliquer ces paroles du Psalmiste: « N’y attachez pas votre cœur »,
il ajoute: « Et de ne pas mettre leur confiance en des biens incertains 1. Si
vous avez d’abondantes richesses, n’y attachez » donc « pas votre coeur »: n’y
mettez pas votre confiance, n’en concevez nul orgueil; qu’elles ne soient point
le mobile de vos espérances, car on dirait de vous: « Voilà un homme qui n’a
pas attendu de Dieu son secours, mais qui a placé sa confiance dans ses grandes
richesses, et mis sa force dans la vanité 2 ». O vous, enfants des hommes, qui
êtes vains et menteurs, ne commettez point de rapines, et, sites richesses
abondent chez vous, n’y attachez pas votre coeur; n’aimez donc plus la va
imité, ne cherchez plus le mensonge ! Heureux l’homme qui a mis son espérance
dans le Seigneur Dieu, et qui ne porte son attention ni sur la vanité, ni sur
les trompeuses folies du monde 3! Vous aspirez à devenir trompeurs, vous voulez
commettre une fraude? De quoi vous servez-vous? De fausses balances. Car, dit
le Psalmiste, « les enfants
1. I
Tim. VI, 17. — 2. Ps. LI, 9. — 3. Ps. XXXIX, 5.des hommes trompent avec leurs
balances». Ils cherchent à induire les autres en erreur en se servant de
fausses balances. Vous trompez, par de mensongères apparences, ceux qui vous
regardent; mais il y en n un autre pour peser: il y en a un autre pour juger du
poids; l’ignorez-vous? Celui pour lequel vous employez une balance fausse ne
s’aperçoit pas de votre supercherie; mais elle est connue de celui qui vous
pèse tous les deux suivant les règles de son incorruptible justice. Ne désirez
donc ni fraude ni rapine; ne mettez donc pas davantage votre espérance dans ce
que vous possédez;.je vous en avertis, je vous en préviens. Tel est le langage
que vous tient Idithun.
17. Mais continuons: « Dieu a parlé une fois,
et j’ai entendu ces deux choses: la puissance est à Dieu, et la miséricorde
vous appartient, Seigneur; vous rendrez à chacun selon ses oeuvres 1 ».Voilà ce
que dit Idithun. Du lieu élevé où il était parvenu, il a entendu une voix et il
nous a répété ce qu’elle lui a dit. Mes frères, ses paroles me surprennent et
me troublent; aussi, je vous en conjure, veuillez me prêter toute votre
attention, car je vais vous faire part de la crainte et de l’espérance qu’elles
m’inspirent. Par la grâce de Dieu nous sommes parvenu à vous expliquer ce
psaume dans tout son entier; nous n’avons plus à développer que le dernier
verset, et quand nous l’aurons fait, il ne nous en restera pius rien à dire.
Veuillez donc vous joindre à moi; efforçons-nous de comprendre ce passage,
autant, du moins, que nous le pourrons. S’il m’est impossible d’en pénétrer
parfaitement le sens, et qu’un autre parmi vous en soit capable, j’en
ressentirai plus de joie que d’envie. Il est difiicile de comprendre comment,
après avoir dit d’abord « que Dieu a parlé une fois », le Prophète ajoute que,
néanmoins, « il a entendu deux choses ». Si, en effet, il avait dit: Le
Seigneur a parlé une fois, et j’ai entendu une chose, la difficulté serait à
moitié résolue; nous n’aurions plus qu’à pénétrer le sens de ces paroles: «
Dieu a parlé une seule fois ». Nous avons donc deux questions à traiter: l’une
relative à ces mots: « Dieu a parlé une fois »; l’autre concernant ces paroles:
« J’ai entendu deux choses», et la contradiction qui semble exister entre ces
deux passages.
18. « Dieu a parlé une fois ». Que dis-tu, ô
1. Ps. LXI, 12, 13.
Idithun? Toi qui as devancé les impies,
est-ce bien ton langage? « Dieu a parlé une seule fois? » Je consulte
l’Ecriture, et elle me dit en un autre endroit: « Dieu a parlé souvent, et en
plusieurs manières à nos pères, par les Prophètes 1 » Pourquoi donc dire: «
Dieu a parlé une seule fois? » N’est-ce pas ce même Dieu qui a parlé à Adam dès
le commencement du monde? N’est-ce pas le même Dieu qui a parlé à Caïn, à Noé,
à Abraham, à Isaac, à Jacob, à Moïse et à tous les Prophètes? A lui seul, Moïse
n’a-t-il pas souvent entendu la parole du Seigneur? Dieu a donc conversé avec
plusieurs hommes, et bien des fois. Il a aussi parlé à son Fils, pendant qu’il
vivait sur la terre; il lui a dit: « Tu es mon fils biens aimé 2 ». Il a encore
parlé aux Apôtres et à tous les saints; et si sa voix ne retentissait pas du
haut du ciel, elle se faisait, du moins, entendre au fond du coeur; car c’est là
que le Seigneur s’adresse particulièrement aux hommes pour les instruire. Aussi
David disait-il: « J’écouterai ce que le Seigneur Dieu me dira dans le secret
de mon âme, parce qu’il adressera des paroles de paix à son peuple 3 ».
Qu’est-ce donc à dire: « Dieu a parlé une seule fois? » Idithun s’était élevé
bien haut, puisqu’il était parvenu à l’endroit où Dieu n’a parlé qu’une fois.
Je vais, en deux mots, expliquer à votre charité ma pensée tout entière. Sur la
terre, sans doute, au milieu des hommes, Dieu a parié maintes fois, en
différentes manières, en plusieurs endroits, par l’organe d’une foule de
créatures diverses; mais, en lui-même, il n’a parlé qu’une fois, parce qu’il
n’a engendré qu’un Verbe. Idithun, en devançant ses ennemis, s’était donc élevé,
par la force pénétrante, par la vivacité, pleine de hardiesse et de confiance,
de son esprit, au-dessus de ce monde et de tout ce qu’il renferme; il s’était
élevé au-dessus des airs et des nuages, du sein desquels le Seigneur avait
parlé souvent et à une multitude d’hommes: il s’était élevé par l’essor
puissant de sa foi, même au-dessus des anges: car, pareil à l’aigle, il
avançait toujours, et, méprisant les régions terrestres, il s’élançait par-delà
les nuées qui enveloppent l’univers, et dont la Sagesse a dit: « J’ai couvert
toute la terre d’une nuée 4 ». Après avoir laissé bien loin derrière
1. Hébr. I, 1. — 2. Matth. III, 17. — 3. Ps.
LXXXIV, 9. — 4. Eccli. XXIV, 6.lui toutes les créatures, brûlant du désir de
trouver Dieu, répandant son âme au-dessus de lui, il était enfin parvenu à un
ciel pur; il était arrivé jusqu’au Principe,jusqu’au Verbe, Dieu en Dieu: alors
il trouva l’unique Verbe d’un Père unique; alors il comprit que Dieu n’a parlé
qu’une fois, alors il vit le Verbe, par qui tout a été fait 1, et en qui toutes
choses subsistent ensemble, dans leur entier, sans inégalité aucune. Car Dieu
savait parfaitement ce qu’il faisait par son Verbe, et puisqu’il le savait, ce
qu’il faisait était donc en lui avant d’exister. Si les choses, qu’il a créées,
ne se trouvaient pas en lui, avant de sortir du néant, comment aurait-il pu
connaître ce qu’il faisait? Mais est-il possible de dire que Dieu faisait des
choses sans les connaître d’avance? Les créatures étaient donc en lui comme
dans leur archétype. Si, maintenant, on ne peut avoir la connaissance d’un
objet qu’après sa création, par quel moyen a-t-il eu cette connaissance?
Remarquez-le, mes frères, ce sont les créatures seules, c’est vous, ce sont les
hommes sortis du néant et placés en ce bas monde, qui ne connaissent pas les
oeuvres de Dieu, tant qu’elles n’ont pas apparu à leurs regards; pour le
Créateur, elles n’avaient rien de caché, même quand elles étaient encore au
nombre des êtres possibles:
lorsqu’il les a faites, il les connaissait
donc. Avant leur création, toutes choses étaient, par conséquent, dans le
Verbe, qui les a faites. Et depuis le jour où elles sont sorties du néant,
elles sont encore dans le même Verbe, mats elles ne sont de la même manière ni
dans le Verbe, ni dans le monde: elles sont, en effet, dans l’état où elles se
trouvent, tout autres que dans l’idée de l’Eternel artiste qui les a créées.
Qui est-ce qui pourra expliquer de tels mystères? Nous essayons de le faire;
mais suivez Idithun, et voyez vous mêmes.
19. Dieu n’a parlé qu’une fois: nous l’avons
démontré de notre mieux; voyons maintenant comment Idithun a entendu deux
choses: « J’ai entendu deux choses ». De ces paroles il ne suit pas
nécessairement qu’il n’ait entendu que deux choses: « J’ai », dit-il, « entendu
deux choses ». Tirons-en donc cette seule conséquence: Il a entendu deux choses
qu’il nous est utile de savoir. Peut-être en a-t-il entendu beaucoup d’autres
1. Jean, I, 3.
qu’il est inutile de nous dire. Le Seigneur
ne s’est-il pas exprimé en ce sens? « J’ai beaucoup de choses à vous dire, mais
vous ne pouvez maintenant les comprendre 1 ». Que veut donc dire le Prophète
par ces paroles: « J’ai entendu deux choses? » Je vous les ferai connaître;
mais, faites-y bien attention, si je vous parle, ce ne sera pas en mon nom,
mais de la part de celui que j’ai entendu. « Dieu a parlé une seule fois»; il
n’a engendré qu’un seul Verbe, son Fils unique, Dieu comme lui. Toutes choses
sont en ce Verbe, parce que tout a été fait par lui: il n’a engendré qu’un seul
Verbe, en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science 2. Il
n’a engendré qu’un seul Verbe, « il n’a parlé qu’une seule fois». En lui, «
j’ai entendu les deux choses » que je vais vous dire: elles ne viennent pas de
moi, je ne vous les rapporterai donc pas comme de moi: voilà pourquoi je vous
dis que « je les « ai entendues. L’ami de l’époux se tient à côté « de lui et
l’écoute 3», afin de dire la vérité. Il l’écoute, afin de ne point parler de
lui-même, et de ne pas dire de faussetés 4. Tu n’auras donc point le droit de
me dire: Qui es-tu, pour me parler ainsi? Pourquoi me tiens-tu ce langage, car
j’ai entendu ces deux choses: je t’en parle, parce que je les ai entendues,
comme j’ai appris que Dieu a parlé une seule fois. J’ai entendu ces deux
choses, qu’il t’est nécessaire de savoir: à force de m’élever au-dessus de
toutes les créatures, je suis parvenu jusqu’au Verbe unique de Dieu, et j’ai
appris en lui que le Seigneur a parlé une seule fois: tu ne dois donc pas
mépriser mes paroles.
20. Qu’il nous rapporte donc enfin ces deux
choses, car il nous importe singulièrement de les connaître. « La puissance est
à Dieu: Seigneur, la miséricorde vous appartient». La puissance et la
miséricorde, sont-ce bien là les deux choses dont il a. entendu parler? Oui, sans
doute: comprenez donc bien ce que c’est que la puissance et la miséricorde de
Dieu; Toutes les Ecritures se rapportent, à vrai dire, à ces deux points.
Telles sont les causes de la mission des Prophètes, de la vocation des
patriarches, de la promulgation de la loi, de l’Incarnation même de Notre
Seigneur
1. Jean, XVI, 12. — 2. Coloss. II, 3. — 3.
Jean, III, 29. — 4. Jean, VIII, 44.Jésus-Christ, du ministère des Apôtres, de
la prédication et de la glorification de la parole de Dieu dans l’Eglise: oui,
en voilà les deux causes: la puissance et la miséricorde divines. Craignez sa
puissance, aimez sa miséricorde. N’ayez pas en sa miséricorde une confiance
telle que vous méprisiez sa puissance: ne redoutez pas, non plus, sa puissance,
au point de perdre toute confiance en sa miséricorde. L’une et l’autre se
trouvent en lui à un égal degré. Il humilie celui-ci, il élève celui-là; par sa
puissance il abaisse l’un, il élève l’autre par sa miséricorde 1. « Dieu
voulant manifester sa juste colère et faire voir sa puissance, souffre, avec
une patience infinie, les vases de colère destinés à la perdition ». Voilà pour
sa puissance; voici pour sa miséricorde: « Afin de faire connaître les
richesses de sa bonté envers les vases de miséricorde qu’il a préparés pour la
gloire». C’est donc le propre de sa puissance de condamner les pécheurs. Et
personne n’osera lui dire: Qu’avez-vous fait? « Car, ô homme, qui es-tu pour te
permettre d’accuser Dieu 2? » Que sa puissance t’inspire donc la crainte, et te
fasse trembler; mais que sa miséricorde anime ta confiance. Le démon, lui
aussi, est une puissance; mais le plus souvent, quand il veut faire du mal, il
est réduit à l’impuissance, parce qu’il dépend d’un pouvoir supérieur. De fait,
si le démon pouvait faire autant de niai qu’il le désire, tous les justes
disparaîtraient; il ne laisserait pas un fidèle en ce monde. Par
l’intermédiaire des vases de perdition, il se précipite sur eux comme sur un
mur qui penche; toutefois il ne l’ébranle qu’autant que Dieu le lui permet: le
Seigneur lui-même soutiendra ce mur, afin qu’il ne croule pas; car, en donnant
au démon le pouvoir de tenter l’homme, il accorde à celui-ci son bienveillant
secours. Le pouvoir d’éprouver les justes n’appartient donc à Satan que dans
une certaine mesure. « Vous nous ferez boire avec mesure les larmes qui
couleront de nos yeux », dit le Prophète 3. Parce que Satan a reçu
l’autorisation de te maltraiter, n’en conçois aucune appréhension, car tu as un
Sauveur rempli de bonté pour toi. Si donc il te tente, c’est pour ton bien
c’est pour t’exercer, t’éprouver et t’aider à te connaître toi-même. D’où peut,
en effet,
1. Ps. LXXIV, 8. — 2. Rom. IX, 22, 23, 26. —
3. Ps. LXXIX, 6.
nous venir la tranquillité, sinon de la
puissance et de la miséricorde divines? Où pouvons-nous trouver la sécurité,
sinon à cette source féconde? Car l’Apôtre a dit: « Dieu est fidèle, et il ne
permet pas que vous soyez tentés au-dessus de vos forces 1 ».
21. « A Dieu donc appartient la puissance.
Car toute puissance vient de Dieu 2 »; ne dis donc pas: Pourquoi le Seigneur
donne-t-il au démon une pareille puissance? Ne devait-il pas lui refuser tout
pouvoir? — Celui qui accorde la puissance est-il dépourvu de justice? Tu peux
murmurer injustement contre lui; pour lui, jamais il ne perdra l’équité. « Y
a-t-il de l’injustice en Dieu? Non 3». Il faut bien t’en persuader: puisse ton
ennemi ne jamais réussir à t’en faire perdre la mémoire! Les motifs qui portent
Dieu à agir de telle ou telle manière, tu peux ne pas les connaître; mais il
est sûr que la justice même ne peut se rendre coupable d’injustice. Tu accuses
le Seigneur d’injustice: mais discutons ensemble un instant, et prête-moi ton
attention. Tu l’accuses d’injustice:connais-tu les règles de la justice? Pour
porter une telle accusation sans blesser le droit, il est indispensable de
savoir toutes les lois de la justice: il faut comparer ensemble l’équité et
l’injustice. Comment, en effet, saurais-tu qu’une chose est injuste, si tu ne
sais pas ce qui est juste? Qui est-ce qui sait si ce que tu appelles un procédé
inique n’est pas de tous points conforme aux règles du droit? — Non, dis-tu, je
maintiens mon opinion. Et tu le soutiens avec autant de fermeté que si tu le
voyais de tes propres yeux; tu te prononces avec autant d’assurance dans le
sens de l’injustice, que si tu tenais en tes mains l’infaillible règle de la
justice et que l’appliquant à la conduite de Dieu, tu aperçusses une différence
entre les deux. A t’entendre, ne croirait-on pas avoir devant soi uu expert
chargé de discerner entre la ligne droite et celle qui ne l’est pas? Je
t’adresse donc cette question: Comment sais-tu que telle chose est juste? Où
est cette règle de justice dont la présence t’apprend que telle autre est
injuste? D’où vient ce je ne sais quoi, dont ton âme se trouve de toutes parts
imprégnée, même au sein des ténèbres, ce je ne sais quoi qui éclaire ton
esprit? D’où sort notre règle de justice? N’aurait-elle ni source ni
1. I
Cor. X, 13. — 2. Rom. XIII, 1. — 3. Rom. IX, 14.principe? Diras-tu qu’elle a son
principe en toi-même? Es-tu capable de te la donner? Personne ne peut te donner
ce qu’il n’a pas. Si donc tu es injuste, tu ne peux devenir juste qu’en te
conformant à une règle immuable de justice; tu deviens injuste dès que tu t’en
éloignes: si tu t’en approches, tu deviens équitable. Que tu t’en éloignes, que
tu t’en approches, elle est toujours la même. Où réside-t-elle donc? Sur la
terre? Non. Si tu cherchais à y trouver de l’or ou des pierres précieuses, à la
bonne heure; mais, ne l’oublie pas, nous parlons de la justice. La
chercheras-tu dans la vaste profondeur des mers, au sein des nuages, dans les
étoiles, parmi les Anges? Sans doute, elle habite au milieu des Anges, mais ils
la puisent eux-mêmes à sa source; elle se trouve en chacun d’eux, et elle ne
procède toutefois que d’un seul principe. Elève donc tes regards, monte au
ciel, dirige-toi vers l’endroit où Dieu n’a parlé qu’une fois, et tu trouveras
la source de la justice là ou se trouve la source de la vie. « Parce qu’en
vous, Seigneur, est la source de la vie 1». De ce qu’avec tes faibles lumières
tu crois pouvoir prononcer entre le juste et l’injustice, il ne suit nullement
que l’injustice se rencontre en Dieu: trop souvent tu te trompes dans tes
appréciations; mais quand elles sont justes, à quoi le dois-tu, sinon à un
rayon de la justice divine qui est descendu sur toi? En lui donc se trouve la
source de la justice. Ne cherche pas l’iniquité où l’on rencontre la pure
lumière. Il est très-possible que tu ignores la raison des choses. S’il en est
ainsi, accuse ton ignorance; souviens-toi de ce que tu es: pense à ces deux
choses: « La puissance est à Dieu; Seigneur, la miséricorde vous appartient. Ne
cherche point à connaître ce qui est au-dessus de toi: ne sonde point la
profondeur des conseils divins qui dépassent les bornes de ton intelligence;
qu’il te suffise de connaître les commandements du Seigneur, et que jamais tu
n’en perdes le souvenir 2 ». A ces commandements se rapportent les deux choses
entendues par Idithun: « La puissance est à Dieu; et, Seigneur, la miséricorde
vous appartient». Ne crains pas ton ennemi; il ne te fera jamais que ce qu’il a
reçu le pouvoir de te faire: crains plutôt celui à qui appartient la puissance
suprême: redoute celui qui peut
1. Ps. XXXV, 10. — 2. Eccli. III, 22.
faire tout ce qu’il veut, dont les oeuvres,
loin d’être entachées d’injustice, sont, au contraire, marquées au coin de la
plus intègre justice. Nous supposions injuste telle ou telle chose: mais dès
lors que Dieu l’a faite, sa justice est démontrée.
22. Quand un homme fait mourir un innocent,
fait-il bien ou mal? Certes, il fait mal. Pourquoi Dieu lui permet-il d’agir
ainsi?Avant de faire cette question, ne devrais-tu pas te souvenir que tu dois
à Dieu ce commandement: « Partage ton pain avec le pauvre abrite ceux qui n’ont
point d’asile, donne des vêtements à celui qui en manque 1?» La justice, de ta
part, consiste à observer cette prescription divine: « Lavez-vous de vos
taches, purifiez-vous: dépouillez-vous de votre malignité, éloignez-la de mes
yeux apprenez à faire le bien, à rendre justice à l’orphelin et à la veuve;
puis vous viendrez, et nous discuterons ensemble, dit le Seigneur 2 ». Tu
prétends discuter avec Dieu commence par te rendre digue d’engager cette
discussion, en accomplissant tes devoirs, et alors tu demanderas au
Tout-Puissant raison de ses actes. O homme, il ne m’appartient pas de te faire
connaître les desseins de l’Eternel: je n’en ai pas le pouvoir; je me borne à
te dire que le meurtre d’un innocent est un crime, et que ce crime n’aurait pas
lieu, si Dieu ne le permettait pas; et de ce qu’un homme se soit rendu coupable
d’une telle faute, il ne suit pas du tout que le Seigneur ait participé à cette
iniquité en la permettant. Sans examiner la cause de cet homme, au sort duquel
tu t’intéresses si vivement, et dont la mort te fait verser des larmes: je
pourrais te dire dès maintenant qu’il n’aurait pas été assassiné, s’il n’avait
pas été coupable, et, par là, je me trouverais en opposition avec toi, puisque
tu soutiens son innocence: encore une fois, je pourrais te fàire cette réponse;
car, pour appuyer ton assertion sur une base sûre, pour dire avec apparence de
raison, que cet homme a été injustement mis à mort, il faudrait avoir
préalablement scruté son coeur jusque dans les plus secrets replis, examiné à
fond tous ses actes, et disséqué chacune de ses pensées: or, tu ne l’as pas
fait: je serais donc à même de clore ici la discussion. Mais tu me parles d’un
juste;qu’on a pu, sans contredit et sans aucun doute,
1. Isaïe, LVIII, 7. — 2. Isaïe, I, 16-18,
appeler de ce nom: d’un juste qui n’avait
commis aucune faute, et que, néanmoins, les pécheurs ont fait mourir, qu’un
traître a livré aux mains de ses ennemis: tu me donnes pour exemple le Christ
lui-même: certes, nous ne pouvons dire qu’il y ait eu en lui aucun péché,
puisqu’il payait des dettes qu’il n’avait pas contractées 1. Que répondre à
cette objection? — Je te tiens, me diras-tu. — Moi aussi je te tiens. Tu me
proposes une difficulté relativement au Christ: il me servira lui-même à la
résoudre. Nous savons quels ont été les desseins de Dieu à l’égard de son Fils:
il a lui-même pris soin de dissiper à cet égard notre ignorance. Puis donc que
tu connais les motifs pour lesquels le Seigneur a permis à des scélérats de
faire mourir son Fils, et que ses desseins sont de nature à obtenir ton
assentiment, et, si tu es juste, à ne point te révolter, tu dois croire aussi
qu’à l’égard des autres Dieu a ses vues, quoique tu ne les connaisses pas.
Mes frères, il a fallu le sang d’un juste
pour effacer la cédule de nos péchés: nous avions besoin d’un exemple de
patience et d’humilité: le signe de la croix était nécessaire pour triompher du
démon et de ses anges 2. Il était indispensable pour nous que Notre Seigneur
souffrit, car il a racheté le monde par sa passion. De quels bienfaits ses
souffrances ont été pour nous la source ! Toutefois, le Sauveur, le juste par
excellence, ne les aurait jamais endurées, si les pécheurs ne l’avaient attaché
à la croix. Mais est-ce bien à ses bourreaux qu’il faut imputer les heureux
résultats de sa mort? Non: ils l’ont voulue, Dieu l’a permise: la volonté seule
de faire périr Jésus-Christ aurait suffi à les rendre criminels mais Dieu
n’aurait point permis une pareille mort, s’il y eût eu injustice à le faire.
Les Juifs ont voulu tuer le Sauveur: supposons qu’un obstacle se soit opposé à
la perpétration dé leur crime, seraient-ils pour cela innocents? Personne
n’oserait ni le penser ni le dire. « Car le Seigneur examine le juste et le
pécheur 3 », et « il pénètre jusque dans les pensées de l’impie 4 ». Il
recherche, non pas ce qu’on a pu taire, mais ce qu’on a voulu faire. Si donc
les Juifs avaient voulu faire mourir le
1. Ps. LXVIII,
5. — 2. Coloss. II, 14, 15. — 3. Ps. X, 6. — 4. Sag. 1, 9.
Christ, sans pouvoir toutefois parvenir à
leurs fins, ils n’en seraient pas moins coupables; mais tu n’aurais pas reçu
les bienfaits dont sa passion a été la source. Les impies ont donc agi de
manière à le faire condamner: Dieu a permis cette condamnation, afin d’opérer
ton salut. Ce que l’impie a voulu faire, lui est imputé à crime; ce que Dieu a
permis est venu de sa puissance: la volonté des Juifs a été contraire aux lois
de la justice: la permission que Dieu leur a donnée y a été conforme. Aussi,
mes frères, le scélérat qui a trahi le Sauveur, Juda et les bourreaux du
Christ, étaient, les uns et les autres, des méchants, des impies et des
pécheurs; tous étaient dignes de condamnation: et, pourtant, le Père « n’a pas
épargné son propre Fils, niais il l’a livré pour nous tous 1». Distingue,
discerne, si tu le peux: offre à Dieu les voeux que tu as faits avec tin sage
discernement 2. Vois ce qu’a fait le Juif prévaricateur: vois ce qu’a fait le
Dieu juste: l’un a voulu faire mourir le Christ, l’autre l’a permis: la
conduite de celui-ci est digne de louanges, la conduite de celui-là mérite le
blâme le plus sévère. Condamnons les intentions perverses des pécheurs:
glorifions les desseins équitables du Très-Haut. Le Christ est mort: quel mal
a-t-il éprouvé? Ceux qui ont travaillé à sa perte, se sont perdus eux-mêmes.
Mais, pour lui, ils n’ont pu lui causer aucun dommage, même en le livrant au
dernier supplice. En mourant dans sa chair, il a porté à la mort le coup de
grâce, il nous a enseigné la patience, et nous a donné, dans sa résurrection, le
modèle de la nôtre. Quelle précieuse occasion de faire le bien les méchants
ont-ils fournie au juste, en le faisant mourir? T’aider par sa grâce à faire le
bien, tirer le bien du mal même que tu fais, n’est-ce pas une des preuves les
plus sensibles de la grandeur de Dieu? Ne t’en étonne pas. Quand il permet de
faire le mal, ce n’est point sans motifs: il ne le fait, du reste, qu’avec
poids, nombre et mesure: sa conduite est à l’abri de tout reproche. Pour toi,
fais seulement tous tes efforts pour lui appartenir; mets eu lui ta confiance;
qu’il soit ton soutien et ton salut; qu’en lui tu trouves un asile inviolable,
une imprenable forteresse; qu’il soit ton refuge, et il ne permettra pas que tu
sois tenté au-dessus de tes forces, et il t’en fera sortir avec
1. Rom. VIII, 32. — 2. Ps. LXV, 13.avantage,
en sorte que tu seras à même de supporter l’épreuve 1. Lorsque tu es éprouvé
par la tentation, tu dois voir en cela l’action de sa puissance; mais sa
miséricorde se manifeste, quand il ne permet pas que tu soit tenté au-delà de
tes forces. « La puissance est à Dieu, et à vous, Seigneur, appartient la
miséricorde: aussi vous rendrez à chacun selon ses oeuvres ».
Après l’explication de ce psaume, comme on montrait
au milieu du peuple un homme qui s’était livré à l’astrologie judiciaire,
Augustin ajouta:
Dans l’ardeur de sa soif, l’Eglise veut faire
entrer aussi dans son corps, l’homme que vous avez sous les yeux. Dès lors il
vous est facile de comprendre combien il en est parmi les chrétiens pour la
bénir du bout des lèvres, et la maudire du fond du coeur. Autrefois chrétien
fidèle, il revient aujourd’hui à elle dans les sentiments de pénitence et de
crainte salutaire que lui inspire la puissance divine, et vient se jeter dans
les bras de la miséricorde du Tout-Puissant. D’abord fidèle à sa foi et à ses
devoirs, il a été séduit par l’ennemi, et il est devenu astrologue. Après avoir
été lui-même séduit, il a séduit les autres; après avoir été trompé, il s’est fait
trompeur; il en a attiré à son erreur; il les a jetés dans l’illusion, il a
proféré quantité de mensonges contre le Dieu qui a donné aux hommes le pouvoir
de faire le bien, et non celui de faire le mal. Il disait que l’adultère et
l’homicide ne sont pas l’effet de notre volonté; que Vénus est l’auteur du
premier, et Mars du second; il ajoutait que la source de la justice se trouve,
non pas en Dieu, mais en.Jupiter: enfin, mille autres blasphèmes abominables
sont sortis de sa bouche. A combien de chrétiens il a extorqué de l’argent?
Vous vous en feriez difficilement une idée. Que de fidèles ont acheté ses
mensonges ! Pourtant, nous leur disions: Enfants des hommes, jusques à quand
aurez-vous le coeur lourd? Pourquoi aimez-vous la vanité et cherchez-vous le
mensonge 2? Maintenant, s’il faut l’en croire, il déteste le mensonge et
reconnaît qu’avant d’en tromper tant d’autres il avait été lui-même la dupe du
démon. Nous pensons, mues Frères, qu’une grande frayeur a été la cause de sa
conversion. Qu’ajouterons-nous? Si cet astrologue abandonnait
1. I Cor. X, 13. — 2. Ps. IV, 3.
aujourd’hui le paganisme pour entrer dans l’Eglise, nous en
ressentirions, sans doute, une grande joie; mais ne devrions-nous pas craindre
que le mobile de sa conversion fût un secret désir d’entrer dans la
cléricature? Celui-ci est pénitent; il ne demande qu’indulgence et pardon.
Ouvrez donc les yeux sur lui; dilatez vos coeurs en faveur de cet homme
repentant, nous vous en conjurons: celui que vous voyez, aimez-le du fond de
vos entrailles; portez incessamment sur lui vos regards. Considérez-le bien;
apprenez à le connaître, et partout où il ira, montrez-le à ceux de vos frères
qui ne sont point ici: ces soins et cette vigilance seront, de votre part, une
oeuvre de miséricorde, qui empêchera ce séducteur de se détourner du bien et de
redevenir l’ennemi de la vérité. Soyez ses gardiens; que ses discours et sa
conduite n’aient rien de caché pour vous: votre témoignage servira à nous
assurer qu’il est vraiment revenu à Dieu. Ainsi placé sous votre surveillance,
ainsi recommandé à votre compassion, il n’aura plus rien de caché pour vous.
Vous savez, par les Actes des Apôtres, qu’un grand nombre d’hommes perdus,
c’est-à-dire exerçant la même profession, et soutenant des doctrines perverses,
apportèrent aux pieds des disciples du Sauveur tous leurs livres: on en brûla
alors un si grand nombre, que l’Ecrivain sacré a cru devoir les estimer, et en
consigner la valeur dans son récit 1. Il l’a fait, sans doute, pour la plus
grande gloire de Dieu et pour empêcher de tels hommes de désespérer de la bonté
de celui qui sait, quand il le veut, chercher ce qui était perdu 2. Celui-ci
était perdu; mais Dieu l’a cherché, il l’a retrouvé, il l’a ramené; cet homme
rapporte avec lui, pour les faire brûler, des livres qui devaient le condamner
au feu éternel; du foyer ardent où ils seront bientôt consumés, il tirera pour
son âme un véritable rafraîchissement. Sachez-le pourtant, mes frères, il y a
longtemps qu’il frappe à la porte de l’Eglise, il avait commencé à le faire
avant Pâques: dès avant Pâques, il demandait à l’Eglise chrétienne un remède à
ses maux. Mais comme l’art dont il a fait profession, le rendait un peu suspect
de mensonge et de dissimulation, nous avons cru devoir différer de le recevoir,
dans la crainte d’être trompé; mais, enfin, nous l’avons reçu, pour ne pas
l’exposer à une
1. Act. XIX, 19. — 2. Luc, XV, 32.nouvelle et
plus dangereuse tentation. Offrez donc à Dieu, pour lui, vos prières par la
médiation du Sauveur. Que chacun de vous conjure aujourd’hui le Seigneur de
lui faire miséricorde; car nous savons, et
nous en sommes sûr, que vos prières effacent toutes ses impiétés. Que Dieu soit
avec vous !
SERMON AU PEUPLE.
Ce
psaume est une prophétie, qui concerne le Messie personnifié dans ses membres.
Figuré par David, le chrétien se trouve, en cette vie, comme dans un désert
aride, où rien ne saurait satisfaire ses désirs; aussi a-t-il soin de s’unir à
Dieu par ses pensées, ses affections et ses espérances. Pour sa récompense, il
reçoit les consolations divines en ce monde, et jouira, dans l’autre, de
l’éternelle béatitude. Au souvenir de ses immortelles destinées, il redouble
ses prières et ses bonnes œuvres pour obtenir les bénédictions célestes, la
sagesse, la vigueur de l’âme, la possession de Dieu, et dans le sentiment de
tranquillité que lui inspire sa confiance en Dieu, il oublie ses épreuves et
délie ses ennemis.
1. Il en est peut-être parmi vous, qui ne
connaissent pas encore suffisamment le Christ; car celui qui a répandu son sang
pour tous les hommes, choisit ses serviteurs dans tous les rangs de la société;
c’est pourquoi je veux aujourd’hui vous parler de manière à être agréable à
ceux qui ont déjà la science de la religion, et à instruire ceux-là mêmes qui n’ont
pas encore du Sauveur une connaissance parfaite. Les psaumes que nous chantons
ont été composés et écrits sous l’inspiration de l’Esprit-Saint bien avant
l’époque où Notre Seigneur Jésus-Christ est né de la Vierge Marie. David,
auteur de ces psaumes, régna sur la nation juive; c’était, de tous les peuples
de l’univers, le seul qui reconnût l’unité de Dieu, et l’adorât, dans cette
conviction, comme le Créateur du ciel, de la terre, de la mer, et de tous les
êtres visibles ou invisibles qu’ils ~renferment. Pour les autres nations, elles
se prosternaient, non pas aux pieds du divin Auteur de l’univers, mais devant
des créatures ou devant des idoles fabriquées de mains d’hommes; ainsi, elles
rendaient le culte suprême au soleil, à la lune, aux étoiles, à la mer, aux
montagnes ou aux arbres. Ce sont autant de merveilles sorties des mains du
Très-Haut, et dans la pensée de l’Eternel elles doivent nous porter à l’adorer
lui-même; knais nous ne serons jamais en droit d’en faire l’objet de notre
culte et de les adorer à sa place. David régna donc sur le peuple juif; et il
fut la souche de cette famille au sein de laquelle Notre Seigneur Jésus-Christ
prit naissance par la Vierge Marie 1; car celle qui est devenue la Mère du
Sauveur, descendait de la race royale de David 2. Ce saint roi composa nos
psaumes, et, dans ses admirables cantiques, il annonça le Christ, qui ne devait
venir que bien plus tard en ce monde; les Prophètes ont aussi prédit ce qui le
concernait, longtemps avant que la Vierge Marie lui donnât le jour selon la
chair; ils ont prédit ce qui devait arriver de notre temps, et tes événements
dont nous lisons aujourd’hui le récit; nous en sommes les témoins oculaires; et
l’accomplissement de leurs prédictions doit nous remplir de joie. Ces saints
personnages ont annoncé d’avance ce qui fait le sujet de nos espérances les
plus vives; ils ne pouvaient en contempler l’accomplissement que dans un esprit
prophétique, puisqu’ils en étaient si éloignés; pour nous, nous en lisons
l’histoire, nous en entendons le narré; nous nous en entretenons, et, dans
l’univers entier, nous trouvons la preuve évidente que toutes les paroles
contenues dans l’Ecriture se sont littéralement vérifiées. Y en aurait-il parmi
nous un seul pour ne pas se réjouir? Tant
1. Rom. 1,3. — 2. Luc, 11, 7.
de prédictions importantes se sont réalisées
jusqu’à nos jours ! Ne doivent-elles pas nous donner l’espoir bien fondé que
toutes les autres s’accompliront infailliblement? C’est un fait dont vous ne
pouvez douter, mes frères, puisqu’il se passe sous vos yeux; le monde entier,
l’univers, toutes les nations, les peuples de tous les pays s’empressent de
connaître Jésus-Christ, et embrassent la foi chrétienne; vous voyez comme
partout s’évanouissent les superstitions païennes; il suffit d’ouvrir les yeux
pour s’en convaincre n’êtes-vous pas, en effet, témoins de la vérité de ce que
nous vous lisons? Les événements, que vous êtes à même de constater, parce
qu’ils ont lieu devant vous, ont été prédits de temps immémorial; nous lisons
les écrits où ils ont été consignés d’avance, et nous assistons, en même temps,
à la réalisation de ces écrits. D’autres événements ne se sont pas encore
produits, que les Prophètes ont néanmoins aussi annoncés; ainsi, il est prédit
qu’après être venu ici-bas pour subir le jugement des hommes, Notre Seigneur
Jésus-Christ y reviendra pour les juger à son tour; qu’après avoir paru sur la
terre au sein des humiliations, il apparaîtra plus tard environné de gloire;
qu’après avoir donné aux hommes l’exemple de la patience, il reviendra un jour
pour les juger selon leurs mérites, et rendre aux justes et aux pécheurs
suivant leurs oeuvres. Ces événements, ce retour du Sauveur, du souverain Juge
des vivants et des morts, qui font le sujet de notre espérance, nous devons les
croire. Quand, en effet, nous voyons, de manière à ne pouvoir en douter,
l’accomplissement d’un si grand nombre de prophéties, est-il pour nous bien
difficile de croire à celles qui ne sont pas encore réalisées? Ne serait-ce
pas, en vérité, le comble de la démence, de refuser sa foi à quelques
prédictions non encore vérifiées par l’événement, lorsque tant d’autres
prononcées si bu gtern ps d’avance, se trouvent déjà justifiées par les faits?
2. Le psaume qui nous occupe en ce moment a
donc trait à la personne de Notre Seigneur Jésus-Christ, considéré comme chef
et corps de l’Eglise tout ensemble. Comme chef, il est le fils de Marie, qui a
souffert, qui a été enseveli, qui est ressuscité et monté au ciel, qui est
assis à la droite du Père, et intercède pour nous auprès de lui. Il est notre
chef, nous sommes ses membres; car il est le chef de l’Eglise, qui est répandue
par toute la terre; elle est son corps: à ce corps appartiennent non seulement
les fidèles aujourd’hui vivants, mais encore ceux qui ont existé avant nous, et
ceux qui viendront après nous jusqu’à la consommation des siècles; la tête de
ce corps, c’est le Christ qui est monté aux cieux 1.Nous ne pouvons donc
ignorer quel est le chef de l’Eglise,quel en est le corps: Jésus-Christ est le
chef; le corps, c’est nous. Aussi, quand nous entendons parler le Sauveur, nous
devons reconnaître dans ses paroles, celles du chef et celles de ses membres;
car tout ce qu’il a souffert, nous le souffrons en lui et avec lui, et tout ce
que nous souffrons, il le souffre cri nous et avec nous. Dans le corps humain,
la tête souffre-t-elle sans que la main partage ses douleurs? La main, à son
tour, peut-elle endurer quelque douleur, sans que la tête en ressente aussi les
atteintes? Le mal qui torture le pied, ne torture-t-il pas en même temps la
tête? Aussi, qu’un de nos membres vienne à souffrir, tous nos autres membres se
hâtent pour ainsi dire, de compatir à ses douleurs, et par là même de
contribuer à les alléger d’où je conclus avec raison, que si nous avons
souffert en sa personne quand il souffrait, il souffre aussi en nous lorsque
nous souffrons; quoique monté au ciel, et assis à la droite de son Père, il
partage les tribulations, les épreuves, les extrémités et les tourments où son
Eglise se trouve exposée, où elle doit se purifier, comme l’or se purifie dans
le creuset. Que nous ayons souffert en sa personne, j’en trouve la preuve dans
les épîtres de saint Paul: « Si vous êtes morts avec Jésus-Christ à ce bas
monde, pourquoi le laissez-vous vous imposer des lois, comme si vous étiez
encore vivants 2?». «Notre vieil homme», dit-il ailleurs, « a été crucifié avec
lui, afin que la chair du péché fût détruite en nous. 3» Si donc nous sommes
morts avec le Christ,
nous sommes aussi ressuscités avec lui. «
C’est pourquoi », ajoute le même Apôtre, « si vous êtes ressuscités avec
Jésus-Christ, recherchez ce qui est au ciel, où Jésus-Christ est assis à la
droite de Dieu; n’ayez d’affection que pour les choses du ciel, et non pour
celles de la terre 4 ». Nous sommes donc morts et ressuscités avec le Christ;
j’ajoute qu’il meurt lui-même et ressuscite avec nous; car ne l’oublions pas,
il est tout à
1.
Coloss. I, 18.— 2. Coloss. II 20.— 3. Rom. VI, 6.— 4. Coloss.III, 1.la
fois le chef et le corps de son Eglise; par conséquent, ses paroles sont les
nôtres comme nos paroles sont les siennes. Ecoutons donc les différents versets
de ce psaume, et reconnaissons-y les paroles du Christ lui-même.
3. Voici quel en est le titre: « Pour David,
quand il était dans le désert d’Idumée 1 ». Par le mot d’Idumée, on entend ce
monde; car les habitants de ces contrées étaient un peuple nomade, et adoraient
les idoles: on n’entend donc pas ce mot dans un bon sens; et, puisqu’il en est
ainsi, il signifie la vie présente, où nous sommes éprouvés par tant de peines
et de si vives douleurs. Le inonde est à vrai dire un désert, où l’on éprouve
une soif ardente; aussi allez-vous entendre les cris plaintifs d’un homme
torturé par la soif au sein d’un désert. Si, à son exemple, nous endurons le
même tourment, comme lui aussi nous aurons, plus tard, le bonheur de voir notre
soif étanchée. Quiconque, en effet, ressentira les ardeurs de la soif, sera
désaltéré dans le séjour éternel; car, dit le Seigneur, « bienheureux ceux qui
ont faim et soif de la «justice, parce qu’ils seront rassasiés 2 ». En ce monde
nous ne devons point chercher ànous rassasier: il nous faut avoir soif: nous ne
serons rassasiés qu’au ciel; aujourd’hui, pour que nous ne tombions pas cmi
défaillance dans le désert de cette vie, le Seigneur répand en nos coeurs la
divine rosée de sa parole, et nous empêche d’être entièrement consumés par
l’ardeur de notre soif; par là, nous conservons le goût et le désir de ce qui
peut l’étancher: nous sommes altérés et nous pouvons nous rafraîchir au moyen
de la grâce que Dieu nous accorde. Néanmoins, nous éprouvons le tourment de la
soif: dans cette situation pénible, notre âme s’adresse à Dieu; que lui
dit-elle?:
4. « O Dieu, ô mon Dieu, mon coeur veille «
et s’élève vers vous dès le point du jour 3». Qu’est-ce que veiller? C’est ne
pas dormir. Qu’est-ce que dormir? Il y a un sommeil de l’âme, et il y a un
sommeil du corps. C’est pour nous tous une indispensable nécessité de dormir
corporellement: privé de ce repos bienfaisant, l’homme se fatigue, le corps
perd ses forces, car il est trop faible pour supporter longtemps l’action d’un
esprit vif et appliqué à des choses sérieuses laissez à votre âme
1.
Ps. LXII, 1. — 2. Matth. V, 6.— 3. Ps. LXII, 2
toute sa liberté; qu’elle s’occupe
continuellement: vous verrez bientôt que votre corps est incapable de soutenir
une pareille épreuve, parce qu’il participe à la faiblesse de la matière; il
succombera infailliblement sous le poids du travail; il. périra. Aussi, Dieu
a-t-il accordé à notre enveloppe mortelle le sommeil qui doit réparer ses
forces, et lui permettre de supporter la fatigante activité de notre âme. Mais
prenons garde de laisser notre âme s’endormir aussi, car le sommeil de l’âme
est chose mauvaise. Celui du corps est bon, puisqu’il contribue à en réparer
les forces, à entretenir sa vigueur: quant au sommeil de l’âme, il consiste à
oublier Dieu, et toute âme qui perd le souvenir du Créateur, s’y trouve
plongée. C’était à des personnes de ce caractère que l’Apôtre parlait en
quelque endroit de ses épîtres: elles avaient oublié leur Dieu, et, dans leur
sommeil, elles songeaient à adorer les idoles. Les adorateurs des faux dieux ne
ressemblent-ils pas, en effet, à des gens qui rêvent de choses vaines? Que leur
âme se réveille, aussitôt elle reconnaît son Créateur, elle n’adore plus les
divinités qu’elle a elle-même fabriquées. L’Apôtre, parlant à ces sortes de
personnes, s’exprime donc ainsi: « Lève-toi, toi qui dors; sors d’entre les
morts, et Jésus-Christ t’éclairera 1». Par ces paroles, saint Paul voulait-il
éveiller un homme endormi du sommeil du corps? Non; son intention était de
faire sortir du sommeil de l’âme des chrétiens qu’il désirait voir éclairés de
la lumière du Christ. Le Prophète n’était point plongé dans cet assoupissement
spirituel, quand il disait
« O Dieu, ô mon Dieu, je veille et m’élève
vers vous dès le point du jour». Ton coeur ne serait pas éveillé si le point du
jour n’était venu dissiper le sommeil de ton âme. Le Christ éclaire les âmes,
et les empêche ainsi de rester endormies elles s’assoupissent, dès que les
rayons de sa lumière ne parviennent plus jusqu’à elles. C’est pourquoi le
Psalmiste lui dit ailleurs: « Eclairez mes yeux, Seigneur, afin que je ne
m’endorme point d’un sommeil de mort 2 ». Car si les âmes se détournent
elles-mêmes de la lumière divine, celle-ci les environne de son éclat mais
elles ne l’aperçoivent point parce qu’elles dorment. Il en est de ces âmes
comme d’une personne qui s’endort au milieu du jour; le
1. Eph. V,14.— 2. Ps. XII,4.soleil est levé,
il brille de tous ses feux, et, pourtant, la personne dont nous parlons se
trouve comme plongée dans les ténèbres, parce qu’étant assoupie, elle ne
remarque en aucune manière la splendeur du jour qui l’environne. Ainsi, le
Sauveur est à côté de certains chrétiens: la vérité leur est annoncée, mais
leur âme est encore ensevelie dans le sommeil. Si vous êtes vous-mêmes
éveillés, vous leur direz donc sans cesse: « Toi, qui dors, lève-toi et sors
d’entre les morts, et le Christ t’éclairera ». Par toute votre vie, par votre
conduite, vous devez prouver aux autres que vous veillez dans le Christ; les
païens, qui dorment, s’en apercevront: ils se réveilleront au bruit de vos
veilles, ils sortiront de leur assoupissement, et commenceront à dire avec vous
en Jésus-Christ « O Dieu, ô mon Dieu, je veille et m’élève a vers vous dès le
point du jour».
5. «Mon âme a soif de vous ». Voilà ce que
produit le séjour du désert d’Idumée. Voyez de quelle soif le Prophète est
tourmenté voyez ce qu’il y a de bien dans cette soif. « Mon âme a soif de vous
». Il en est qui ont soif, mais ce n’est pas de Dieu qu’ils sont altérés.
Quiconque souhaite vivement posséder un objet, est brûlé par l’ardeur de ses
désirs, qui sont, à vrai dire, la soif de son âme. Et remarquez, je vous prie,
combien de désirs se partagent le coeur humain. L’un voudrait de l’or, l’autre
de l’argent, celui-ci des propriétés, celui-là des héritages ou des richesses
considérables, ou de nombreux troupeaux, ou bien encore, une maison spacieuse,
des honneurs, une épouse, des enfants: vous le voyez, les désirs qui
remplissent le coeur de l’homme, sont innombrables: il en est desséché et
consumé; aussi, qu’il est petit le nombre de ceux qui savent dire à Dieu «
Seigneur, mon âme a soif de vous! » à peine en trouverait-on pour tenir ce
langage, car les hommes ont soif de ce monde, ils ne comprennent point qu’ils
se trouvent au désert d’Idumée et que leur âme devrait y avoir soif de Dieu. «
Mon âme a soit de vous »: tel doit être notre langage; oui, nous devons tous
répéter ces paroles, parce qu’en Jésus-Christ nous ne devons faire qu’un coeur
et qu’une âme: puisse notre âme être altérée de Dieu dans le désert d’Idumée !
6. «Seigneur», dit le Prophète, «mon âme a
soif de vous: mon corps lui-même sèche du désir de vous voir». C’est trop peu
que mon âme soit altérée: il faut que mon corps éprouve aussi le même tourment.
Mais comment, en quel sens peut-il partager les tortures de mon coeur, puisque
à un corps altéré il faut de l’eau pour se rafraîchir, et que le coeur ne peut
étancher sa soif qu’à la source de la sagesse? C’est à cette fontaine sacrée
que nos âmes seront désaltérées, selon cette autre parole du Psalmiste: « Ils
seront enivrés des biens de votre maison, et vous les rassasierez du torrent de
vos délices 1 ». Nous devons donc avoir soif de la sagesse etde la justice, et
nous n’en serons pleinement rassasiés qu’à la fin de notre vie, au moment où
Dieu nous mettra en possession des biens qu’il nous a promis. Le Seigneur nous
a promis de nous élever au même rang que les anges 2: ils ne souffrent pas,
comme nous, de la faim et de la soif, car ils se nourrissent d’un aliment
immortel: la vérité, la lumière, la justice fait leur nourriture. C’est
pourquoi, rien ne manque à leur bonheur: du sein de cette inénarrable félicité,
du haut de cette Jérusalem céleste qu’ils habitent, et dont nous sommes encore
exilés, ils portent sur nous leurs regards, ils nous plaignent de ce que nous
sommes ainsi éloignés du séjour du bonheur: par l’ordre de Dieu, ils viennent
ànotre aide pour nous faire parvenir plus sûrement un jour à cette éternelle
patrie qui doit nous réunir les uns aux autres, et où nous puiserons dans le
Seigneur, comme en une source féconde, la vérité et l’éternité qui doivent
mettre le comble à nos désirs. « Mon corps lui-même», dit le Prophète, « sèche
du désir de vous voir», parce que, Dieu l’a dit, notre chair ressuscitera
d’entre les morts. A notre âme donc est promise la béatitude céleste; à notre
corps, la résurrection. Oui, nous ressusciterons dans notre chair: le Seigneur
nous en fait la promesse formelle. Ecoutez-le donc bien; apprenez-le, et ne
l’oubliez pas: voilà le sujet de notre espérance: voilà pourquoi nous sommes
chrétiens. Car nous n’avons pas embrassé la foi pour acquérir un bonheur
terrestre, qui devient souvent l’apanage des voleurs et des scélérats: nous
sommes chrétiens, et, comme tels, nous avons le droit et le devoir de prétendre
à un bonheur bien différent: nous entrerons en possession de ce bonheur quand
se seront entièrement
1. Ps. XXXV, 9. — 2. Luc, XX, 36.écoulés les
temps réservés à l’existence de ce monde. La résurrection de la chair, voilà ce
que nous attendons, voilà ce que Dieu nous promet; et elle se fera de manière
qu’à la fin des siècles, le corps aujourd’hui habité par notre âme, reviendra à
la vie. La grandeur de ce mystère ne doit point effrayer votre foi, car le Dieu
qui nous a créé lorsque nous n’existions pas encore, trouvera-t-il une
difficulté insurmontable à nous rétablir dans l’état où nous nous trouvons
aujourd’hui? Vous n’avez donc aucun motif de douter de la réalité des promesses
divines, par cela même que vous voyez les morts se corrompre, et tomber en
cendres et en poussière. De ce qu’on brûle le corps d’un défunt, ou de ce que
des chiens le dévorent, il ne suit nullement qu’il ne doive pas ressusciter:
vous auriez tort de le croire, parce que ces cadavres ont beau être déchirés ou
réduits en cendres, ils sont toujours relativement à Dieu dans leur entier: ils
ne font, en effet, que retourner et retomber dans ces éléments du monde, du
sein desquels le Seigneur les avait primitivement tirés pour en former notre
corps nous ne pouvons plus les apercevoir; mais le Seigneur sait où il les
reprendra pour nous les rendre, comme, avant de nous créer, il a su où les
prendre pour nous les donner. Tel sera donc le caractère de cette résurrection,
que notre corps d’aujourd’hui, qui est destiné à sortir plus tard vivant
d’entre les morts, ne sera plus, comme maintenant, sujet à la corruption.
Aujourd’hui, par une conséquence nécessaire de la fragilité de notre chair mortelle,
il faut que nous mangions sous peine d’éprouver le tourment de la faim et de
perdre nos forces: il faut que nous buvions, ou que nous ressentions les
ardeurs de la soif, et la défaillance: il est indispensable pour nous de nous
reposer, parce qu’autrement nous tomberions en langueur, et que le sommeil nous
accablerait bientôt. D’autre part, si nous consacrons au sommeil trop de temps,
nous nous affaiblissons: c’est pour nous une impérieuse nécessité de sortir de
notre assoupissement. Quoique nous buvions et mangions uniquement pour réparer
nos forces, si nos repas sont prolongés, au lieu de nous fortifier, ils nuisent
à notre santé. Restons droits trop longtemps, nous nous fatiguons, il faut nous
asseoir: que nous demeurions, au contraire, trop longtemps assis, la fatigue
vient à la rescousse, et nous oblige à nous lever. Remarquez-le encore: notre
corps ne demeure jamais dans le même état. De l’enfance nous passons avec une
rapidité extrême à la jeunesse: tu crois encore rencontrer un enfant, que déjà
tu ne le reconnais plus, il est déjà devenu grand: à cette première jeunesse
succède aussi vite l’adolescence: la jeunesse a disparu, et tu n’en saurais
plus trouver les traces: l’homme fait se forme à la suite de l’adolescence, que
tu chercherais inutilement à retrouver. Enfin, l’âge mûr fait place à la
vieillesse, sans laisser aucun vestige de son passage, et le vieillard meurt,
et tu n’en vois plus rien. Nos différents âges n’ont donc pas de stabilité:
nous ne nous arrêtons nulle part, et, partout, nous rencontrons fatigue,
lassitude et corruption. L’objet de nos espérances, la glorieuse résurrection
que le Seigneur nous promet, voilà ce qui nous soutient au milieu de nos
innombrables défaillances; aussi éprouvons-nous une soif ardente pour ce bienheureux
séjour, où nous serons revêtus d’incorruptibilité; aussi, notre corps
soupire-t-il lui-même vivement après le jour où il verra Dieu. Plus il souffre
au sein de cette Idumée, dans la solitude de ce désert, plus ses désirs
s’enflamment; plus il se fatigue, plus il souhaite d’entrer dans la demeure de
son éternel repos.
7. Mes frères, on peut encore dire, en un
autre sens, que le corps même du véritable chrétien, du fidèle sincère, a soif
de Dieu, dès ce monde. Si, en effet, il a besoin de pain, d’eau, de vin,
d’argent, du secours d’une bête de somme, il les demande à Dieu, et il ne les
demande, ni aux démons, ni, aux idoles, ni àje ne sais quelles puissances de ce
monde. H en est qui, pendant le cours de leur vie, au moment où ils souffrent
de la faim, abandonnent le vrai Dieu pour s’adresser à Mercure ou à Jupiter, ou
à cette- fausse divinité à laquelle ils donnent le nom de Céleste ou à
quelqu’autre démon semblable: dès lors que, dans leur détresse, ils ont recours
à de pareils soutiens, il est évident que leur corps n’a point soif du
Tout-Puissant. Pour ceux d’entre nous, qui soupirent après lui, ils doivent le
faire, tout à la fois, par leur âme et par leur corps: par leur âme, car Dieu
lui donne une nourriture qui lui est propre, c’est-à-dire, sa parole sainte:
par leur corps, puisque le Seigneur lui procure les aliments (23) nécessaires:
par l’une et par l’autre, parce qu’il les a créés tous les deux. Pour tes
besoins matériels, tu sollicites le secours des démons: est-ce qu’après avoir
tiré ton âme du néant, le Très-Haut leur alaissé le soin de créer ton corps? Ne
l’oublie pas, ton âme et ton corps ont un auteur commun; c’est le maître de
l’univers: ils sont tous deux sortis de ses mains; tous deux également en
reçoivent leur nourriture: aussi faut-il qu’ils ressentent pour Dieu une soif
égate, et que dans la multitude innombrable de leurs souffrances, ils soient
pareillement et tout ensemble rassasiés.
8. Notre âme et notre corps soupirent donc
ardemment, non après une créature quelconque, mais après vous, Seigneur, qui
êtes notre Dieu; or en quel lieu se trouvent-ils pour éprouver cette soif qui
les dévore? Le voici: « C’est dans un pays désert, où l’on ne trouve ni chemin
ni fontaine». Nous l’avons déjà dit: l’Idumée, ce désert dont il est parlé au titre
de notre psaume, n’est autre que ce bas monde. C’est « un pays désert », où
n’habite aucun homme; mais il y a plus: « on n’y trouve ni chemin ni fontaine
». Si seulement on rencontrait un chemin dans ce désert: si seulement l’homme
qui s’y trouve engagé était à même d’y apercevoir une issue. Mais non: on n’y
rencontre personne, la présence d’un de ses semblables n’y vient point réjouir
et réconforter le malheureux voyageur: il ne sait pas même par où il pourra en
sortir; il est donc condamné à y rester malgré lui. Si, du moins, en ce triste
lieu d’exil où il se voit forcé de demeurer il pouvait trouver une source d’eau
vive pour s’y rafraîchir. O l’affreux désert ! O l’horrible, l’effrayant,
séjour! Pourtant, le Seigneur a pris pitié de notre infortune; il a tracé pour
nous une voie dans le désert de notre vie, il nous a donné Notre Seigneur
Jésus-Christ 1. Pour nous consoler dans ce désolant pèlerinage, des
prédicateurs de sa parole ont été envoyés par lui vers nous; il nous a donné de
l’eau pour nous désaltérer dans cette aride solitude, car il a rempli ses
Apôtres de l’Esprit-Saint qui est devenu en eux une source d’eau vive,
jaillissant jusqu’à la vie éternelle 2. Nous avons donc ici-bas tout ce que
nous pouvons désirer: toutefois, ces secours précieux accordés à notre
faiblesse, ce n’est point le désert qui nous les fournit. Aussi, le Psalmiste
1. Jean, XIV, 6. — 2. Jean, IV, 14.
nous a-t-il d’abord parlé des privations
pénibles auxquelles nous condamne le désert. Si, après avoir reçu son charitable
avertissement, tu viens à trouver pour ta consolation, ou des compagnons
bienveillants, ou une route sûre, ou encore des sources abondantes, tu devras
conclure que le désert est incapable de te procurer de pareils adoucissements à
tes peines, et qu’il faut en rendre grâces à celui qui a bien voulu ne pas te
délaisser dans la solitude.
9. « Ainsi, j’ai paru en votre présence dans
« votre sanctuaire, afin de voir votre gloire et votre puissance ». D’abord,
mon âme a ressenti les ardeurs de la soif dans la solitude du désert; mon corps
a partagé ses tourments dans cette terre où l’on ne rencontre ni hommes, ni
chemins, ni fontaines: « Aussi, j’ai paru en votre présence, dans votre
sanctuaire, pour voir votre gloire et votre puissance ». Nul ne peut entrer en
possession du véritable bien qui est Dieu, s’il n’a d’abord éprouvé les
tortures de la soif au milieu du désert de la vie, au sein des peines de ce
monde où il se trouve plongé. « J’ai paru », dit le Prophète, « en votre
présence, dans votre sanctuaire ». On trouve dans votre sanctuaire les plus
douces consolations. « J’ai paru en votre présence»; qu’est-ce à dire? Afin que
vous me voyiez, et vous m’avez vu, afin que je pusse vous contempler à mon
tour. « J’ai paru devant vous pour voir ». David ne dit pas: J’ai paru devaut
vous, afin que vous voyiez; mais il dit: « J’ai paru en « votre présence pour
voir moi-même votre « puissance et votre gloire ». C’est pourquoi l’Apôtre
s’exprime ainsi: « Maintenant nous « connaissons Dieu, ou plutôt, il nous connaît
1 ». Vous avez d’abord apparu devant Dieu, afin que Dieu pût ensuite apparaître
devant vous. « Pour contempler votre puissance et votre gloire ». Que dans ce
désert, dans cette solitude, l’homme prétende en tirer et en recevoir son
secours, jamais il ne sera admis à contempler la puissance et la gloire du
Très-Haut. Il y demeurera condamné à mourir de soif, car il n’y rencontrera ni
chemins, ni consolations, ni sources d’eaux vives qui le désaltèrent et
l’empêchent de périr. Si, au contraire, il élève vers Dieu ses regards, et que,
du fond de son coeur, il lui dise: « Mon âme a soif de vous, Seigneur,
1. Gal. IV, 9.
et mon corps partage ses désirs »; si, au
milieu de ses privations, il n’attend de personne autre que Dieu
l’adoucissement de ses peines et les choses nécessaires à la vie; si, enfin, il
souhaite vivement le jour où,suivant la promesse divine, son corps sortira
vivant du tombeau, il trouvera les plus abondantes consolations dans le
souvenir qu’il aura gardé du Tout-Puissant.
10. Mes frères, avant le jour de sa
bienheureuse résurrection, pendant le cours de sa vie mortelle et de sa fragile
existence, notre corps trouve des adoucissements à ses maux dans le pain,
l’eau, les fruits, le vin, l’huile, qui entretiennent en lui la vie, et nons
sont à tel point nécessaires, que s’ils nous font défaut, nous ne tardons pas à
succomber: il y trouve une sorte de bonheur, quoiqu’il ne soit point encore
parvenu à jouir de cette santé parfaite au sein de laquelle il ne ressentira ni
privations, ni douleurs. Ainsi en est-il de notre âme, même quand elle est
encore unie ànotre corps, même au milieu des épreuves et des dangers de ce
monde, et des infirmités inhérentes à sa nature: elle aussi trouve son
soulagement dans la parole sainte, dans la prière et les entretiens spirituels.
Pour elle, comme pour notre corps, il y a donc ici-bas quelque diversion à ses
peines Mais lorsqu’aura eu lieu notre résurrection, quand notre corps ne
réclamera plus de jouissances matérielles, il habitera le séjour de
l’immortalité, et s’y trouvera établi pourjamais: alors aussi un aliment divin
deviendra la nourriture de notre âme: elle sera sustentée par le Verbe éternel,
qui a fait toutes choses 1. C’est donc pour nous un devoir de rendre grâces au
Tout-Puissant de ce qu’il ne nous abandonne pas à notre malheureux sort; il
nous donne, en effet, les choses nécessaires à la vie du corps et à celle de
l’âme; et hors même qu’il nous éprouve en ne pourvoyant pas àtous nos besoins,
il veut seulement nous instruire et nous porter à l’aimer davantage; ainsi, au
lieu de nous laisser corrompre par les plaisirs sensuels, nous conservons de
lui un souvenir salutaire. Parfois, il nous retire ce qui nous est nécessaire,
il nous frappe, mais pour nous apprendre qu’il est toujours notre maître et qu’il
ne cesse d’être notre Père, soit qu’il nous bénisse, soit qu’il nous châtie. Sa
providence nous réserve un magnifique
1. Jean, I, 3.
et inamissible héritage. Eh quoi ! si tu veux
léguer à ton fils une coupe, un cellier ou un autre objet quelconque, tu lui
conseilles d’en faire un bon usage, et pour lui inspirer la sagesse, pour
l’empêcher d’abuser de tes biens, et l’exciter à ménager des objets qu’il lui
faudra pourtant, comme toi, abandonner plus tard à d’autres, tu lui infliges de
sévères corrections, et tu prétendrais n’en pas recevoir de notre Père céleste
! Et tu ne voudrais pas être préparé par les privations et les épreuves, à la
possession de l’inamissible héritage qu’il nous réserve ! Cet héritage n’est
autre que Dieu lui-même; nous le posséderons et il nous possédera
éternellement.
11. Apparaissons donc devant Dieu, dans son
sanctuaire, afin qu’il nous apparaisse àson tour; que la sainteté et la
vivacité de nos désirs nous transporte jusqu’aux pieds de son trône, et alors
nous serons les témoins de la puissance et de la gloire de son Fils. Il ne
s’est encore manifesté qu’à un petit nombre d’hommes; que les autres pénètrent
dans son sanctuaire, et ils l’y contempleront. Beaucoup s’imaginent qu’il n’a
été qu’un homme, puisque, suivant le témoignage des Apôtres du christianisme,
il est né d’une femme, qu’il a été crucifié et qu’il est mort, qu’il a
conversé, bu et mangé avec les hommes, et qu’il a agi à la manière des autres:
ils ne voient en lui qu’un homme comme un autre; et, pourtant, vous en avez la
preuve dans le passage de l’Evangile qu’on vous lisait tout à l’heure, il a
établi sa grandeur divine quand il a dit: « Mon Père et moi, nous ne sommes
qu’un 1».Voilà celui qui s’est abaissé jusqu’à se faire homme pour nous relever
du sein de notre faiblesse! C’est le souverain Maître de l’univers! C’est
l’égal du Père éternel! Voilà comment le Seigneur nous a aimés, avant même que
nous l’aimions! Si, avant d’aimer notre Dieu, nous avons reçu de lui un
témoignage d’ineffable affection dans la Personne de son égal, de son Fils, qui
s’est fait homme comme nous, que ne devons-nous pas attendre de lui pour le
moment où nous l’aimerons éternellement? Parce que le Fils de Dieu est devenu
semblable à nous, beaucoup de personnes en conçoivent je ne sais quelle basse
idée; la raison en est facile à saisir, c’est qu’elles n’ont point pénétré dans
son
1. Jean, I, 30.sanctuaire, c’est qu’il ne
leur a encore manifesté ni sa puissance ni sa gloire; en d’autres termes, elles
n’ont point encore purifié leur coeur; par conséquent, elles ne comprennent
point la grandeur de sa puissance; elles ne lui rendent point grâces de ce que,
malgré sa majesté infinie, il est descendu jusqu’à nous, pour y naître et y
souffrir dans l’humiliation; elles sont, en un mot, incapables de contempler sa
puissance et sa gloire.
12. « Car votre miséricorde vaut mieux que
toutes les vies 1 ». Il y a, en ce monde, pour l’homme, des manières de vivre
de plus d’un genre; mais, dans le ciel, Dieu ne nous en réserve que d’une
sorte; et quand il nous l’accordera, ce sera, non en raison de nos mérites,
mais par un effet de sa miséricorde. Car pour mériter une pareille
faveur,qu’avons-nous fait? En vertu de quelles bonnes oeuvres avons-nous
prévenu les dons et les grâces du Seigneur? A-t-il trouvé en nous des actes de
vertu à récompenser? Ou plutôt, n’y a-t-il pas trouvé des fautes à punir? Ah,
sans doute il aurait pu, sans injustice, nous punir, car il nous a pardonné
bien des chutes; et n’est-ce pas justice que de châtier un pécheur? Et
puisqu’il aurait pu, sans blesser nos droits, nous frapper à cause de nos
péchés; ç’a donc été de sa part une grande preuve de miséricorde de ne pas nous
punir, de nous justifier, de changer notre malice en bonté, et notre impiété en
un véritable esprit de religion. « La miséricorde du Seigneur vaut donc mieux
que toutes les vies ». De quelles vies parte le Prophète? De celles
qu’embrassent les hommes. Celui-ci choisit la vie du commerçant, celui-là la
vie du cultivateur: l’un préfère l’existence du banquier; l’autre, celle du
soldat: chacun se décide suivant son goût, d’une manière ou d’une autre. Voilà
donc divers genres de vie, mais « votre miséricorde est préférable à toutes les
vies ». Ce que vous accordez aux convertis, vaut mieux que ce que choisissent
les méchants. Vous nous mettez en possession d’une vie bien autrement précieuse
quetoutes celles que nous aurions pu choisir dans le monde. « Parce que votre
miséricorde est préférable à toutes les vies, ma bouche chantera vos louanges».
Vos louanges ne sortiraient point de mes lèvres, si votre miséricorde ne me
prévenait: elles ne sont donc qu’un. effet de votre généreuse
1. Ps. LXII, 4.
bonté à mon égard: non, je ne serais
nullement capable de vous bénir, si vous ne
m’en donniez vous-même le pouvoir. « Parce
que votre miséricorde est préférable à toutes les vies, ma bouche chantera vos
louanges ».
13. « De la sorte je vous bénirai en cette
vie, et je lèverai mes mains vers vous en invoquant votre saint nom 1». «Je
vous bénirai de la sorte dans ma vie »: c’est-à-dire, dans la vie dont vous
m’avez gratifié; non pas dans la vie que j’ai choisie parmi toutes celles que
se partagent mes semblables, et pour des motifs mondains, mais dans celle que
vous m’avez miséricordieusement accordée, afin que je vous bénisse. « Je vous
bénirai de la sorte dans ma vie ». Quel sens donner à ces mots, « de la sorte?
» J’attribuerai, non à mes mérites, mais à votre bonté pour moi, cette vie au
sein de laquelle je chanterai vos louanges. « Et je lèverai mes mains en
invoquant votre saint, nom ». Prie donc, et durant ce pieux exercice élève tes
mains. Attaché à la croix, Notre Seigneur a élevé ses mains en notre faveur: Il
a étendu les bras pour nous. S’il a agi ainsi en sa douloureuse passion,
c’était afin de nous faire étendre les nôtres vers les bonnes oeuvres: sa croix
a donc été pour nous une source de grâces. Jésus a élevé ses mains vers le
ciel: il s’est offert lui-même pour nous en sacrifice à Dieu son Père, et, par
là, il a effacé toutes nos fautes. Levons donc nous-mêmes les nôtres vers le trône
du Tout-Puissant dans l’exercice de la prière, afin qu’occupées à opérer toutes
sortes de bonnes oeuvres, elles ne se fatiguent point inutilement à s’étendre
vers le ciel. Que fait, en effet, celui qui élève ses mains vers Dieu? C’est
pour nous un devoir de le faire et de prier le souverain Maître, car, « je veux
», dit l’Apôtre, « que les hommes prient en tout lieu, et lèvent vers le ciel
leurs mains pures, avec un esprit éloigné de toute colère et de toute
contention 2». Pourquoi ce devoir? Pourquoi ce commandement? Afin qu’au moment
où nous élèverons nos bras vers Dieu, le souvenir de nos actions se présente à
nous. Tu agis ainsi pour demander ce que tu désires par là, tu penses à les
employer au bien, pour ne pas avoir à rougir de cette action « Et j’élèverai
mes mains, en invoquant votre saint nom ». C’est ainsi qu’en priant nous
1. Ps. LXII, 5 — 2. I Tim, II, 8.
nous soutenons dans cette Idumée, dans ce
désert, dans ce pays où l’on ne trouve ni chemins ni fontaines, dans cette
solitude affreuse où le Christ s’est fait notre voie 1; voie, néanmoins, qui ne
nous est pas venue de cette terre maudite. « J’élèverai mes mains en invoquant
votre saint nom ».
14. Mais quand j’élèverai mes mains pour
invoquer votre saint nom, que vous dirai-je? Que pourrai-je vous demander? Mes
frères, toutes les fois que vous élevez vos mains vers le trône de l’Eternel,
réfléchissez à ce que vous allez lui demander; car, ne l’oubliez pas, vous vous
adressez au Tout-Puissant. Ne sollicitez de sa part rien de ce que lui demandent
ceux qui n’ont pas encore la foi: il faut que l’objet de votre prière soit
digne de lui et de vous. Voyez quels biens le Seigneur accorde même aux impies;
et tu demanderais à ton Dieu des richesses? Mais n’en comble-t-il pas les
scélérats eux-mêmes, ceux qui ne croient pas en lui? Ce qu’il donne aux
méchants mérite-t-il vraiment ta considération? Ne sois donc pas étonné, si les
bienfaits accordés par la Providence aux pécheurs sont peu de chose, puisqu’ils
sont dignes de pareilles gens; n’attribue donc aucun prix aux faveurs que Dieu
leur départit. Sans doute, tous les biens temporels viennent du Créateur;
pourtant, veuillez y faire attention, les dons qu’il répand sur les impies
comme sur les justes, doivent être considérés comme étant de mince valeur: il
nous en réserve de bien autres. Toutefois, que les uns nous apprennent à juger
sainement des autres. Voyez quels bienfaits il répand sur ceux qui l’offensent.
Il fait luire sur eux les rayons du soleil; mais, remarquez-le, les bons et les
méchants se trouvent, en cela, également favorisés. Il fait descendre sur leurs
propriétés les ondées du ciel, comme sur le reste de la terre. Qui est-ce qui
pourrait dire la fécondité que ces pluies apportent avec elles! Néanmoins,
elles sont encore le partage des justes et des pécheurs, car nous lisons dans
l’Evangile: « Il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et
fait tomber la pluie sur les justes et sur les pécheurs 2». La chaleur et la
lumière du soleil, l’abondance des pluies, et tous les biens, dont elles sont
la source, nous devons les demander à Dieu, parce qu’ils nous sont nécessaires;
mais à ces bienfaits de la Providence ne doivent pas se
1. Jean, XIV, 6. — 2. Matth V, 45.
borner nos désirs, parce qu’ils sont communs
à ceux qui servent le Seigneur et à ceux qui l’offensent. Quel doit donc être
l’objet de nos prières, au moment où nous élevons nos mains vers le ciel? Le
Psalmiste nous l’indique autant, du moins, que la chose lui est possible.
Pourquoi avoir dit: Autant que la chose lui est possible? Autant qu’une bouche
d’homme est capable de le dire à une oreille humaine: car l’Esprit-Saint se
sert ici de l’intermédiaire d’in homme et de certaines comparaisons pour se
mettre à la portée des plus ignorants, et même des enfants. Que dit donc le
Prophète? Que demande-t-il? « J’élèverai mes mains vers vous en invoquant votre
saint nom ». Qu’obtiendra-t-il? «Mon âme sera remplie et comme engraissée de
vos bénédictions ». Pensez-vous, mes frères, qu’il sollicite pour son âme une
sorte d’embonpoint matériel? oh! non, il ne borne pas ses désirs à si peu de
chose: il ne souhaite ni béliers ni porcs engraissés; il ne ressemble point à
ces hommes, qui entrent dans une taverne, pour y demander des mets aussi
substantiels et s’y rassasier; et si nous le croyions capable de pareille
chose, en vérité serions-nous dignes d’écouter la parole sainte? Nous devons
donc entendre ce verset dans un sens spirituel. Il y a une sorte de graisse
propre à notre âme: cet aliment, qui satisfait surabondamment à ses besoins, n’est
autre que la sagesse. Les âmes auxquelles elle fait défaut, maigrissent en
quelque sorte, et dépérissent à tel point que bientôt elles se trouvent trop
faibles pour opérer n’importe quelle bonne oeuvre. Mais pourquoi cette
faiblesse extrême dans la pratique des vertus chrétiennes? Parce que
l’embonpoint qui résulte pour elles d’une alimentation riche, leur fait défaut,
L’apôtre saint Paul nous parle de cet état de luxuriante santé spirituelle, et
recommande à chacun de nous de faire le bien écoute ses paroles, les voici: «
Dieu aime celui qui donne de bon coeur et avec joie 1». Cette vigueur, où notre
âme la puise-t.elle, sinon en Dieu, comme à une source abondante? Mais
qu’est-ce que cette énergie en comparaison de celle que le Seigneur nous
accordera dans le ciel, lorsqu’il sera lui-même notre nourriture? Pendant le
cours de cette vie passagère, sur cette terre d’exil, nous ne pouvons pas dire
ce que nous serons
1. II Cor. IX, 7.pendant l’éternité;
aujourd’hui, pendant que nous élevons nos mains vers Dieu, nous lui demandons
peut-être cette surabondance, au sein de laquelle nous serons un jour
rassasiés, où disparaîtra tout à fait notre indigence; où, enfin, nous ne
désirerons plus rien, parce que nous posséderons tout ce qui peut ici-bas
enflammer nos désirs, tout ce que nous aimons comme étant digne de nos
affections. Déjà nos ancêtres sont morts, mais Dieu est toujours vivant: nous
ne pouvons, par conséquent, jouir toujours de la présence de nos pères; mais
dans le ciel, dans la véritable patrie, nous serons toujours en la présence du
Dieu vivant, de notre Père céleste. Dès lors que notre patrie d’ici-bas est
terrestre, tant de plaisirs qu’elle nous offre, nous en sortirons un jour:
d’autres hommes y naîtront nécessairement, et ils apparaîtront sur la scène de
ce monde, pour en éloigner leurs parents, qui l’habitent aujourd’hui. Un enfant
ne reçoit l’existence que iour dire à l’auteur de ses jours: Que fais-tu ici?
Venir après d’autres, naître, et chasser devant nous ceux qui nous ont précédés
dans le chemin de la vie, voilà notre destinée sur la terre: au ciel, nous
vivons tous simultanément, sans nous rein placer les uns les autres, parce que
personne ne cédera sa place et personne ne sera là pour la prendre. O
bienheureuse patrie! qui est-ce qui pourrait en dépeindre les charmes? Sur la
terre tu aimes les richesses? Au ciel, tu posséderas Dieu lui-même. Tu éprouves
un indicible plaisir à te désaltérer à une source d’eau vive? Y a-t-il rien de
plus limpide ou de plus pur que la source de la sagesse éternelle? Le Seigneur,
qui a créé l’univers, te tiendra lieu de tout ce que tu peux aimer. «Mon âme
sera remplie et comme engraissée de vos bénédictions, et mes lèvres s’ouvriront
avec bonheur pour vous louer. Au milieu de ce désert, j’élèverai mes mains vers
vous en invoquant votre saint nom: et mon âme sera remplie et comme engraissée
de vos bénédictions, et mes lèvres s’ouvriront avec bonheur pour vous louer».
Pendant que la soif nous tourmente, c’est pour nous un devoir de prier; quand
nous n’en souffrirons plus, au lieu de prier Dieu, nous le louerons: « Et mes
lèvres s’ouvriront avec bonheur pour vous louer ».
15. « Je me souviendrai de vous sur ma
couche, et, dès le matin, je méditerai vos merveilles, parce que vous êtes mon
protecteur 1 ». Ce lit du Prophète, c’est son repos. Puisse celui qui jouit du
repos, ne pas oublier le Seigneur! Plaise à Dieu que celui qui est tranquille,
ne se laisse pas corrompre, et ne perde point le souvenir du Tout-Puissant! Et
dès lors qu’il en sera ainsi, il gardera le souvenir du Seigneur dans tout ce
qu’il fèra. Par le point du jour il entend les actions de l’homme, parce que,
dès le matin, chacun se met au travail. Que dit-il donc? ou plutôt, que veut-il
dire par ces paroles: « Je me souviendrai de vous sur ma couche, et dès le
matin je méditerai vos merveilles? » Il veut dire: Si je ne me souviens pas de
vous sur nia couche, je ne serai pas davantage disposé, dès Je matin, à
niéditer vos merveilles; car celui qui oublie Dieu au sein du repos,
pensera-t-il à lui au moment d’agir? Mais l’homme qui eu garde le souvenir
pendant le repos, ne l’oublie pas non plus clans l’action; car il craint alors
de tomber en défaillance. « Et dès le matin je méditerai vos merveilles, parce
que vous êtes mon protecteur ». De fait, si Dieu ne venait à notre secours,
jamais nous ne serions capables d’opérer le bien et d’accomplir nos devoirs.
Nos actions doivent être marquées au coin de l’honnêteté: et puisque
Jésus-Christ nous instruit de ce que nous avons à faire, notre conduite doit
être lumineuse et pure. L’Apôtre nous en avertit: « Celui qui fait mal »,
dit-il, « agit dans les ténèbres, et non pas aux premiers rayons du soleil.
Ceux qui s’enivrent, s’enivrent pendant la nuit; et ceux qui dorment, dorment
pendant la nuit: pour nous, qui sommes des enfants de lumière, soyons sobres».
Il nous recommande de vivre honnêtement, et de marcher à la lumière du jour. «
Marchons avec honnêteté, comme au grand jour 2. Parce que», ajoute-t-il, « vous
êtes les enfants du jour et de la lumière, et non les enfants de la nuit et des
ténèbres 3 ». Quels sont ces enfants de la nuit et des ténèbres? Ce sont ceux
qui font toujours le mal. Et ils sont à tel point des enfants de la nuit,
qu’ils craignent de laisser voir leurs oeuvres: ils ne font le mal en public,
que quand beaucoup d’autres agissent de la sorte: et lorsqu’ils sont presque
seuls à le faire, ils se cachent. Pour commettre
1. Ps. LXII, 7, 8. — 2. Rom. XIII, 13. — 1
Thess. V, 5-8.publiquement le péché, on se trouve, à la vérité, exposé à la
lumière du soleil, mais on est plongé dans les ténèbres du coeur. Il n’y a
donc, pour agir dès le matin, que ceux qui se conduisent chrétiennement. Celui
qui se souvient du Christ pendant le repos, s’en souvient aussi pendant le
cours de toutes ses actions, et le Sauveur lui vient en aide pour
l’accomplissement de ses devoirs, afin que sa faiblesse ne l’entraîne point à
des chutes déplorables. « Je me souviendrai de vous sur ma couche, et, dès le
matin, je méditerai vos merveilles, parce que vous êtes mon protecteur ».
16. « Et je tressaillerai de joie à l’ombre
de vos ailes ». Mes bonnes oeuvres me jettent
en des transports de joie, parce que vos
ailes sont étendues sur moi. Je ne suis qu’un petit
oiseau: si vous ne me protégez, le vautour
m’enlèvera. S’adressant à Jérusalem, à cette ville qui l’a fait mourir sur la
croix, Notre Seigneur dit quelque part: « Jérusalem, Jérusalem, combien de fois
j’ai voulu rassembler tes enfants, comme la poule rassemble ses petits sous ses
ailes 1! » Nous sommes petits: que Dieu donc nous garde à l’ombre de ses ailes!
Et quand nous serons devenus grands, il nous sera encore utile d’être protégés
par le Seigneur, et de nous tenir toujours, comme si nous étions petits, sous
ses ailes, parce qu’il sera toujours plus grand que nous: jamais nous ne
parviendrons à l’égaler, n’importe à quelle hauteur nous puissions parvenir.
Que personne donc ne dise: Daigne le Seigneur étendre sur moi sa protection,
parce que je suis petit! car, à aucune époque, on ne pourra arriver à un tel
point de grandeur, qu’on soit à même de se suffire sans lui. Sans le secours de
Dieu, tu n’es rien. Aussi devons-nous désirer son incessant secours, et si nous
savons nous montrer petits à son égard, nous trouverons en lui la source d’une
véritable grandeur. « Et je tressaillerai de joie à l’ombre de vos ailes».
17. « Mon âme s’est étroitement uni à vous
pour vous suivre 2 ». Voyez le Prophète comme il s’attache fortement à Dieu,
sous l’influence de ses désirs et de la soif qui le tourmente! Puissions-nous
éprouver nous-mêmes ses sentiments affectueux pour le Seigneur! Puissent ces
sentiments germer dans
1. Matth. XXIII, 37. — 2. Ps. LXII, 9.
vos coeurs, y recevoir la rosée de la grâce,
y grandir, y arriver à un tel degré de vigueur que vous puissiez dire du fond
de votre être: « Mon âme s’est unie étroitement au Seigneur pour le suivre ».
Quel est donc ce lien étroit, et si j’osais parler ainsi, cette glu qui nous
unit à Dieu? C’est la charité. Si seulement cette charité, cette glu
établissait l’union entre le Tout-Puissant et ton âme, et la faisait venir
après Dieu ! Je dis après Dieu, et non avec lui, parce qu’il doit te précéder,
et tu dois le suivre; car quiconque veut marcher devant lui, prétend vivre au
gré de ses propres caprices et dans l’indépendance à l’égard de l’Eternel.
Aussi Pierre fut-il repoussé, pour avoir osé donner des conseils à Jésus-Christ
la veille de sa passion. Alors, cet Apôtre était encore faible et ignorant: il
ne savait pas encore de quelle utilité devait être, pour le genre humain, le
douloureux sacrifice du Sauveur. Notre Seigneur, qui était venu en ce monde
pour nous racheter du prix de son sang, prédit à ses disciples les
circonstances diverses de son agonie et de sa mort. Pierre fut saisi
d’épouvante en apprenant de la bouche même de Jésus que son Maître allait
bientôt mourir; il s’imaginait que le Christ vivrait toujours tel qu’il le
voyait, car il ne voyait rien que d’un oeil charnel, et son affection pour le
Sauveur était tout humaine. Aussi s’écria-t-il: « Mais, non, Seigneur, il n’en
sera pas ainsi: vous prendrez pitié de vous-même », « Arrière, Satan, arrière»,
répondit Jésus: «loin de goûter les choses de Dieu, tu n’as de goût que pour
celles du monde 1 ». Quel est le sens de ces mots: « Tu n’as de goût que pour
les choses de ce monde?» Le voici: Tu veux marcher devant moi; c’est pourquoi
retourne en arrière, et,au lieu de m précéder, tu me suivras. A la suite du
Sauveur, il pourrait dire: « Mon âme s’est unie étroitement à vous pour vous
suivre ».
Le Psalmiste ajoute avec raison: « Et votre
main droite m’a soutenu. Mon âme s’est unie étroitement à vous pour vous
suivre, et votre main droite m’a soutenu ». Jésus-Christ a tenu ce langage en
nous, c’est-à-dire, dans l’homme dont il s’était revêtu pour nous racheter;
l’Eglise le dit elle-même dans la personne de Jésus-Christ son chef, car elle a
déjà souffert ici-bas de cruelles persécutions, et en souffre aujourd’hui
encore
1. Matth. XVI, 22, 23.dans chacun de ses
enfants. Où est le parfait chrétien, qui n’éprouve toutes sortes de tentations?
Tous les jours, le démon et ses anges le tourmentent pour le pervertir; dans ce
but, ils emploient tour à tour les désirs mauvais, les passions coupables, la
promesse du gain, la crainte des pertes temporelles, l’espérance de la vie, la
peur de la mort, l’inimitié d’un grand de la terre, l’amitié d’un prince. Le
démon ne néglige rien pour nous faire perdre l’amitié de Dieu: aussi
vivons-nous en de continuelles persécutions: aussi rencontrons-nous, dans Satan
et ses anges, d’infatigables ennemis; mais pourquoi trembler? Si l’esprit
infernal est pareil à un vautour, ne sommes-nous point cachés sous les ailes
d’une poule divine, et peut-il nous atteindre?Cette poule, qui nous rassemble
sous ses ailes, jouit d’une force invincible. Sans doute, elle est devenue faible
pour nous; mais Notre Seigneur Jésus-Christ, la sagesse de Dieu incarnée,
trouve en lui-même une force irrésistible. On peut donc attribuer à l’Eglise,
comme au Christ, ces paroles: « Mon âme s’est unie étroitement à vous pour vous
suivre, et votre main droite m’a soutenu ».
18. «Mes ennemis ont inutilement cherché à
perdre mon âme 1 ». Quel mal m’ont causé ceux qui cherchaient à me perdre? Si
seulement ils cherchaient mon âme pour s’unir à elle par les liens d’une même
foi ! Mais non ils l’ont cherchée pour me l’ôter. Et toutefois, à quoi
pouvaient aboutir leurs efforts? étaient-ils capables de détruire le lien, la
glu, qui la tenaient unie à Dieu? « En effet, qui nous séparera de l’amour de
Jésus-Christ? Sera-ce l’affliction, ou l’épreuve avec ses ennuis, ou la
persécution, ou la faim, ou la nudité, ou le glaive 2? Votre main droite m’a
soutenu. La force du lien qui m’attache à vous, Seigneur, et votre main
toute-puissante ont paralysé leurs efforts, et c’est inutilement qu’ils ont
cherché à perdre mon âme». Ces ennemis dont parle le Psalmiste, désignent, si
l’on veut, ceux qui ont persécuté ou voudraient persécuter 1’Eglise; mais ils
représentent particulièrement les Juifs, qui ont cherché à perdre l’âme du
Christ, soit comme chef, puisqu’ils l’ont crucifié, soit comme corps, en
persécutant après la mort du Sauveur ses premiers disciples. « Ils ont cherché
à perdre mon âme: ils seront précipités
1. Ps. LXII,10. — 2. Rom. VII, 35.
dans les profondeurs de la terre ». Dans la
crainte de perdre la terre, ils ont attaché à la croix le Fils de Dieu; c’est
pourquoi ils ont été précipités dans les profondeurs de la terre. Par « ces
profondeurs de la terre », que peut-on entendre? Les passions, les désirs
terrestres, Il vaut bien mieux vivre sur la terre, que de s’enfoncer dans ses
abîmes sous l’influence des passions mondaines. Quiconque, en effet,
s’abandonne aux désirs terrestres, contrairement à ses intérêts éternels, se
place sous la terre, car il la préfère réellement à son âme; il la met
au-dessus de lui, il se constitue en dessous d’elle. Notre Seigneur opérait
d’innombrables prodiges, attiré par un spectacle si nouveau, le peuple se
précipitait sur ses pas; dans la crainte de perdre la terre, on entendit les
Juifs s’écrier « Si nous le laissons vivre, les Romains viendront, et ils nous
enlèveront notre ville et notre pays 1». Ils ont craint de perdre la terre,
etidu même coup ils se sont jetés dans ses abîmes, et ce qu’ils craignaient
leur est arrivé. La mort du Sauveur leur parut le moyen le plus sûr de n’être
pas dépossédés de leur terre, et ce fut précisément elle qui causa leur ruine.
Le Christ leur avait dit « On vous ôtera votre royaume, pour le donner à un
peuple qui accomplira les devoirs de la justice 2 ». En conséquence de cette
menace, ils le mirent à mort; des malheurs sans fin, des persécutions atroces
suivirent de près leur déicide. Vaincus par les empereurs romains et les rois
des nations étrangères, chassés du pays même qui fut témoin du supplice
sanglant du Christ, ils ont laissé leur patrie au pouvoir des chrétiens: le
crucifié y règne aujourd’hui, partout retentissent ses louanges; on n’y
rencontre plus un seul Juif: tous ses ennemis ont disparu. La Judée n’a plus
d’autres habitants que les disciples du Sauveur. Les Juifs ont eu peur de se
voir enlever leur pays par les Romains: tour éviter cette catastrophe, ils ont
cloué Jésus-Christ àla croix, et, en punition de leur crime, les Romains sont
venus les dépouiller de leur royaume. Donc, « mes ennemis seront précipités
dans les profondeurs de la terre ».
19. « Ils tomberont sous le tranchant du
glaive 3». L’accomplissement de cette prophétie a eu lieu d’une manière
frappante à l’égard des Juifs: leurs ennemis sont venus
1. Jean, XI, 48. — 2. Matth. XXI, 43. — 3.
Ps. LIII, 11.et les ont exterminés. « Ils seront la proie des renards». Sous ce
nom se trouvent désignés les rois qui gouvernaient le monde au moment où la
nation juive fut détruite. Ecoutez bien, mes frères; apprenez et coin prenez
que le Prophète donne à ces rois le nom de renards. Le Sauveur lui-même a ainsi
appelé le roi Hérode: « Allez, dites à ce renard 1». Voyez, et remarquez-le
attentivement: les Juifs n’ont pas voulu du Christ pour leur roi, et ils sont
devenus la proie des renards, Au moment où Pilate, gouverneur de la Judée pour
les Romains, céda aux vociférations des Juifs et condamna Jésus à mort, il leur
dit « Voulez-vous donc que je crucifie votre roi? » Car on l’appelait le Roi
des Juifs, et il l’était effectivement. Ceux-ci lui refusèrent ce titre, et
répondirent: « Nous n’avons pas d’autre roi que César 2». Ils repoussèrent la
domination d’un Agneau, pour se soumettre à celle d’un renard: ce fut donc avec
justice qu’ils devinrent la proie des renards.
20. « Mais le roi 3»; le Prophète veut parler
ici du roi que les Juifs ont éloigné d’eux pour se soumettre à un renard: «
Mais le roi », c’est donc à dire, le véritable roi, dont la puissance a été
consacrée par l’inscription placée sur l’instrument de son supplice:
inscription écrite en hébreu, en grec et en latin, et conçue en ces termes:
Voici « le Roi des Juifs ». Par elle, tous les témoins de la mort du Sauveur
ont pu connaître la gloire du roi des Juifs, comme aussi se convaincre du crime
honteux de ces déicides qui ont repoussé leur vrai Maître pour se plier sous le
joug d’un renard, du César romain. « Mais le Roi mettra sa joie en Dieu »; pour
eux, ils deviendront la proie des renards, « mais le roi se réjouira dans le
Seigneur ». Ils avaient cru remporter une éclatante victoire sur leur roi en le
condamnant à la mort de la croix, et voilà que par son supplice sanglant, il a
racheté l’univers. « Mais le Roi se
1. Luc, XIII, 32. — 2. Jean, XIX, 15. — 3.
Ps. LXII, 12.
réjouira dans le Seigneur, et tous ceux qui jurent par son nom, seront
honorés ». Pourquoi « ceux qui jurent par son nom, seront-ils honorés? » Parce
qu’ils auront choisi le Christ pour leur roi, au lieu de choisir un renard:
parce qu’au moment où les Juifs l’outrageaient, Jésus-Christ a payé le prix de
notre rançon. Nous lui appartenons donc puisqu’il nous a rachetés, et qu’à
cause de nous il a vaincu le monde, non par la force des armes, muais avec le
bois dérisoire de sa croix. « Mais le roi se réjouira dans le Seigneur, et tous
ceux qui jurent par son nom, seront honorés ». Qui est-ce qui jure par son nom?
Tous ceux qui lui consacrent leur vie; tous ceux qui lui font des promesses et
les accomplissent; tous ceux qui se font chrétiens. Voilà ce que le Prophète
veut dire par ces paroles: « Ceux qui jurent par son nom, seront honorés. La
bouche des méchants sera fermée pour toujours». Quelles iniques paroles les
Juifs ont prononcées! Quels méchants discours ont tenus les Juifs et ceux qui
ont défendu le culte des idoles en persécutant les chrétiens ! Par les mauvais
traitements qu’ils faisaient subir aux disciples du Sauveur, ils s’imaginaient
pouvoir en finir bientôt avec eux, et pendant ce temps-là le nombre des
chrétiens augmenta sensiblement, tandis qu’ils disparurent eux-mêmes, et qu’il
n’en resta pas de traces. « La bouche des méchants sera fermée pour toujours».
Aujourd’hui, il n’y a personne pour oser parler en public contre Jésus-Christ:
tous redoutent sa puissance, « parce que la bouche des méchants sera fermée
pour toujours». Quand le Sauveur était revêtu de la faiblesse de l’Agneau, les
renards étaient remplis de hardiesse pour l’attaquer et l’insulter; mais ils
gardent le silence depuis qu’il est devenu le lion de la tribu de Juda, et
qu’il a vaincu 1. « Car la bouche des méchants sera fermée pour toujours ».
1. Apoc. V, 5.
SERMON AU PEUPLE.
Les
paroles de ce Psaume conviennent parfaitement à Jésus-Christ souffrant dans son
corps et dans sa personne. Il demande à Dieu d’être délivré de la crainte de
leurs ennemis, car ils ne sont pas redoutables. Les Juifs ont tendu des pièges
au Sauveur ils ont mis en jeu toute leur malice, ils l’ont fait mourir mais en
définitive, à quoi ont- ils réussi? à travailler à leur propre confusion, car
Jésus-Christ est ressuscité, l’Evangile a été prêché dans le monde. Mais si la
crainte de nos ennemis est vaine, celle de Dieu est nécessaire pour établir,
dans notre coeur, la droiture qui nous préservera de la condamnation finale et
nous sauvera.
1. Nous solennisons le jour anniversaire de
la mort de saints martyrs: une telle fête doit nous combler de joie, en même
temps qu’elle doit nous rappeler leurs souffrances, et les immortelles
espérances qui les ont soutenus au milieu de leurs supplices. Jamais ils
n’auraient eu assez de force et de courage pour supporter, avec un corps fragile,
les tortures auxquelles ils ont été condamnés, s’ils n’avaient eu en vue les
inénarrables délices du repos céleste. Pour entrer dans l’esprit de cette
solennité, nous allons nous entretenir ensemble de ce psaume. Hier, j’ai
entretenu bien longuement votre charité; et, pourtant, il m’est impossible de
célébrer ce grand jour, sans remplir encore à votre égard les devoirs de ma
charge. Le psaume qui nous occupe en ce moment, a particulièrement trait à la
passion du Seigneur: il convient donc d’en donner aujourd’hui l’explication,
car les martyrs n’auraient pu se montrer si fermes, s’ils n’avaient porté leurs
regards sur celui qui a souffert le premier; ils n’auraient pu souffrir comme
lui, s’ils n’avaient eu dans le coeur l’espérance de la résurrection glorieuse,
dont il leur a donné la preuve anticipée dans sa personne. Du reste, votre
sainteté ne l’ignore pas: Notre Seigneur Jésus-Christ est notre chef, et tous
ceux qui lui sont unis par la charité, sotit ses membres; et quand vous
entendez sa voix, vous le savez très-bien, c’est tout à la fois la voix du chef
et celle des membres, et cette voix concerne et regarde non seulement le
Seigneur Jésus, qui est déjà monté au c:el, mais encore les membres de ce chef
sacré, qui doivent l’y suivre un jour. Reconnaissons donc, dans ce psaume, la
parole du Sauveur et la nôtre: et que personne d’entre nous ne dise que nous
sommes aujourd’hui exempts de souffrances et de tribu-la lions: car, je vous
l’ai dit souvent, si l’Eglise était autrefois battue par la tempête dans la
généralité de ses membres, elle est maintenant tourmentée en particulier dans
chacun d’eux. Le Seigneur tient enchaînée la puissance du démon, et il n’est
pas à même de faire tout le mal qu’il pourrait et voudrait faire; mais le
pouvoir de tenter les fidèles, autant qu’il est utile à leur avancement dans le
chemin de la vertu, lui a été laissé. Il ne nous serait nullement avantageux
d’être exempts d’épreuves; ne prions donc pas Dieu de nous en préserver, mais
demandons-lui la grâce de ne point succomber à la tentation.
2. Disons-lui donc comme le Prophète « O
Dieu, écoutez la prière que je vous adresse dans mon affliction délivrez-moi de
la crainte de mon ennemi ». Les ennemis du nom chrétien ont persécuté les
martyrs quelle était alors la prière adressée à Dieu par le corps du Christ? li
demandait que ses membres fussent délivrés des persécutions de leurs ennemis et
n’eussent point, de la part de ceux-ci, à subir le dernier supplice. Leur
prière a-t-elle été inutile, parce qu’ils sont morts au milieu des tourments?
au sein de la douleur et de l’humiliation, ils ont espéré en Dieu et néanmoins,
le Seigneur ne les a-t-il pas abandonnés, comme s’il méprisait
1. Ps. LXIII, 2.
leur fidélité et les témoignages de leur
suprême confiance? Oh! non, mes frères. «Y a-t-il un seul homme qui ait invoqué
Dieu, et se soit vu rejeté de lui? Où est celui qui « a mis son espérance dans
le Seigneur, et e qui s’en est trouvé abandonné 1? » Leur prière était exaucée,
ils succombaient, et néanmoins ils étaient délivrés de la puissance de leurs
ennemis. Ceux d’entre les chrétiens qui cédaient à la crainte et aux menaces,
on les laissait vivre, et par là même ils devenaient les victimes de leurs
adversaires. En mourant, les uns triomphaient; les autres succombaient, même en
continuant de vivre: aussi, dans les transports de leur joie et de leur
reconnaissance, les martyrs disaient-ils « Si le Seigneur n’avait été avec
nous, ils nous auraient dévorés tout vivants 2 ». Plusieurs sont devenus, de
leur vivant, les victimes de leurs adversaires; plusieurs autres étaient alors
déjà morts. Ceux qui ont regardé comme indigne d’un homme sérieux la foi
chrétienne, étaient déjà morts, quand ils ont été anéantis par leurs ennemis;
mais ceux-là ont succombé de leur vivant, au pouvoir des persécuteurs, qui ont
reconnu dans l’Evangile l’expression de la vérité, qui voyaient dans le Christ
lè Fils de Dieu, qui ont lait profession extérieure de cette vérité qu’ils
croyaient de toute la force de leur âme, et qui néanmoins ont faibli au milieu
des tortures, et sacrifié aux idoles. Les uns étaient déjà morts, quand ils ont
été dévorés par leurs adversaires les autres sont morts, parce qu’ils ont été
dévorés. Quoique dévorés vivants, ils n’ont pu survivre à leur défaite. C’est
pourquoi telle est la prière des martyrs « Seigneur, délivrez mon âme de la
crainte de mes ennemis ». Je ne vous demande pas qu’ils ne me fassent point
mourir, mais je vous demande de ne point craindre mon ennemi, lors même qu’il
me donnerait le coup de la mort. Le serviteur demande donc, dans cette prière,
le courage que le divin Maître exigeait de ses disciples: « Ne craignez pas »,
leur disait-il, « ceux qui tuent le corps et ne e peuvent tuer l’âme; craignez
plutôt celui qui a le pouvoir de tuer le corps et l’âme, et de les précipiter
dans la géhenne du feu 3. Oui », ajoutait-il en un autre endroit, « oui, je
vous le dis, craignez un tel homme 4 » Qui sont ceux qui donnent la
1. Eccli. II, 11, l2. — 2. Ps. CXXIII, 3.— 3.
Matth. X, 28.— 4. Luc, XII, 5
mort au corps? Ce sont les ennemis. Quelle
recommandation fait le Seigneur? De ne pas les craindre. Prions-le donc de nous
accorder ce qu’il exige. de nous. « Seigneur, préservez mon âme de la crainte
de mon ennemi ». Que je sois à l’abri de la crainte de mon ennemi, mais que la
crainte de votre saint nom me domine tout entier. Puissé-je redouter, non point
celui qui tue le corps, mais celui qui peut tuer le corps et l’âme, et les
précipiter dans la géhenne du feu! Me voir complètement à l’abri de la crainte,
ce n’est point là l’objet de mes désirs: ce que je veux, c’est de ne pas
craindre mon ennemi, c’est de vous servir, Seigneur, dans la crainte de vos
jugements.
3. « Vous m’avez protégé contre l’assemblée
des méchants, contre la multitude de ceux qui commettent l’iniquité 1». Ici, portons
nos regards sur notre chef. Beaucoup de martyrs ont pu, à juste titre, se
plaindre des procédés des méchants et des pécheurs, mais nul -d’entre eux n’a
eu à souffrir, de leur part, autant que le Sauveur: en considérant ce qu’il a
enduré, nous comprendrons bien mieux ce qu’ils ont supporté. Il a été protégé
contre l’assemblée des méchants: Dieu lui accordait son secours; il n’a pas
lui-même abandonné son corps à la volonté perverse des pécheurs: Fils de Dieu
incarné, Fils de Dieu et Fils de l’homme tout ensemble, Fils de Dieu à cause de
la substance divine qu’il possédait, Fils de l’homme, à cause de la forme
d’esclave dont il s’était revêtu 2, il le protégeait: car il avait le pouvoir
de donner sa vie et de la reprendre 3. Quel mal ses ennemis ont-ils pu lui
faire? Ils ont fait mourir son corps, mais ils n’ont pu faire mourir son âme.
Veuillez remarquer ceci. C’eût été peu pour lui d’exciter de bouche ses
disciples au martyre: il fallait qu’il leur prêchât d’exemple: ses leçons n’en
devaient être que plus puissantes sur leurs coeurs. Vous savez quelles étaient
ces assemblées de méchants: c’étaient celles des Juifs; vous connaissez
l’iniquité de cette multitude de pécheurs: elle a consisté dans le dessein
formé par eux de faire mourir Notre Seigneur Jésus-Christ. « J’ai opéré sous
vos yeux un si grand nombre de bonnes oeuvres: pour laquelle voulez-vous me
mettre à mort 4? » Il avait supporté patiemment les indiscrets empressements de
tous leurs
1. Ps. LXIII, 3. — 2. Phil. II, 6, 7. — 3.
Jean, X, 18.— 4. Jean, X, 32.malades, guéri tous leurs infirmes, prêché au
milieu d’eux la parole de Dieu; il avait mis le doigt sur leurs vices pour leur
en inspirer la haine, et non pour leur faire détester le médecin, qui voulait
leur rendre la santé de l’âme: au lieu de lui témoigner de la reconnaissance
pour tant de guérisons, ils se montrèrent ingrats: à les voir s’emporter contre
lui, on eût dit qu’une fièvre violente leur avait ôté le sens, et qu’une sorte
de rage les animait à l’égard du bienveillant médecin, qui était venu apporter
un remède à leurs maux: ils formèrent donc le projet de le perdre, comme s’ils
voulaient s’assurer de ce qu’il était: un homme, comme les autres, sujet à la
mort, ou un homme supérieur aux autres, et à l’abri des coups du trépas. Le livre
de la Sagesse de Salomon a prédit les paroles qu’ils prononcèrent alors: «
Condamnons-le à mourir d’une mort infâme: éprouvons si ce qu’il a dit est
véritable. S’il est le Fils de Dieu, que Dieu le délivre 1 !» Voyons ce qu’il
en est advenu
4. « Ils ont aiguisé leurs langues comme une
épée. Les dents des enfants des hommes sont comme des armes et des flèches:
leur langue est comme une épée perçante 2». Ce que le Psalmiste dit ailleurs,
nous le retrouvons ici: « Il ont aiguisé leur langue comme une épée ». Que les
Juifs ne disent pas: Nous n’avons pas fait mourir le Christ. Car s’ils l’ont
traduit au tribunal de Pilate, c’était afin de rejeter sur le gouverneur romain
l’odieux de la condamnation du Sauveur, et de n’être point eux-mêmes accusés.
En effet, lorsque Pilate leur dit: « Faites-le vous-mêmes mourir», ils lui
firent cette réponse: « Il ne nous est permis de faire mourir personne 3 ».
Leur dessein était donc de faire peser sur un seul, sur le juge, toute la
responsabilité de leur crime; mais pouvaient-ils tromper le souverain Juge? Ce
qu’a fait Pilate pèse donc sur lui dans la proportion de la part qu’il a prise
à la perpétration du déicide. Mais, si l’on compare sa conduite à celle des
Juifs, il est de beaucoup moins coupable qu’eux. Autant que possible, il
insista en sa faveur pour le tirer de leurs mains: dans cette intention, il le
fit flageller et le présenta tout ensanglanté à leurs regards. En le soumettant
au supplice de la flagellation, ce faible juge n’avait certainement
1. Sag. II, 18-20. — 2. Ps. LVI, 5. — 3.
Jean, XVIII, 31.
pas la volonté de se déclarer contre Jésus et
de lui faire du mal: ce qu’il avait en vue, c’était de donner à leur fureur’
une sorte de satisfaction; il s’imaginait qu’en le voyant meurtri de la sorte,
ils s’adouciraient un peu et se désisteraient de leur projet homicide 1. Il
suivit donc ce plan de conduite, mais s’apercevant qu’ils persévéraient dans
leurs idées sanguinaires, il lava ses mains, vous le savez, et il déclara qu’il
n’était pour rien dans la condamnation de cet homme, et qu’il était innocent de
sa mort 2. Néanmoins, il le condamna. Il agit contre son gré, et tout le monde
lui impute l’injustice de celte condamnation; et ceux qui l’ont forcé à rendre
l’inique sentence seraient innocents ! Oh ! non, Pilate a prononcé le verdict;
il a donné l’ordre de crucifier Jésus; il l’a, en quelque sorte, tué de sa
main: mais, en réalité, ô Juifs, c’est vous qui lui avez donné le coup de la
mort. Et comment lui avez-vous ôté la vie? De quel instrument vous êtes-vous
servi? Du glaive de votre langue, car vous l’avez aiguisée comme une épée. Et à
quel moment avez-vous frappé votre victime? C’est lorsque vous vous êtes
écriés: « Crucifie-le, crucifie-le 3 !»
5. Mais je ne veux point passer sous silence
une pensée qui me vient à l’esprit: je vais vous en faire part, afin que vous
ne vous laissiez point troubler par la lecture de nos saints livres. Un
évangéliste nous rapporte que Notre Seigneur Jésus-Christ a été crucifié à la
sixième heure 4; selon le récit d’un autre écrivain sacré, il l’a été à la
troisième 5. Si nous ne comprenions point cette apparente contradiction, c’en
serait assez pour nous jeter dans le trouble. Il est dit que dès le
commencement de la sixième heure, Pilate moula à son tribunal, et, de fait,
quand le Sauveur fut élevé en croix, il était six heures. Mais l’autre
évangéliste, considérant les dispositions intérieures des Juifs, et leur désir
ardent de détourner d’eux l’odieuse responsabilité de leur déicide, les
condamne, par son récit, comme réellement coupables de la mort du Sauveur,
puisqu’il nous dit que Jésus a été crucifié à la troisième heure. Si, en effet,
nous pesons toutes les circonstances rapportées par l’écrivain sacré, nous
voyons qu’au moment où ils firent comparaître le Christ au tribunal de Pilate,
ils firent tous
1. Jean, XIX, 1, 5. — 2. Matth. XXVII, 24. —
3. Luc, XXXIII, 21. — 4. Jean, XIX, 14. — 5. Marc, XV, 25.leurs efforts pour le
faire crucifier; de là on peut conclure que quand ils ont crié: « Crucifie-le,
crucifie-le», on en était à peu près à l’heure de tierce. Par leurs cris ils
devinrent donc les véritables auteurs de sa mort: les agents du pouvoir
l’attachèrent à la croix à midi, et les violateurs de la loi demandèrent son
supplice à la troisième heure: ce que les uns ont accompli au milieu du jour,
les autres l’avaient commandé à neuf heures du matin:
le Christ a été mis à mort par la langue de
ceux-ci, et par la main de ceux-là. Les plus coupables n’étaient certainement
pas ceux qui agissaient par obéissance, c’étaient ceux qui par leurs clameurs
arrachaient à Pilate une sentence capitale. Voilà donc le but où tendaient les
malicieux efforts des Juifs; voilà le résultat auquel ils voulaient parvenir:
en finir avec Jésus-Christ, mais ne pas le condamner eux-mêmes; le faire mourir,
et ne pas en assumer la responsabilité devant l’opinion publique. « Ils ont
aiguisé leur langue comme une épée ».
6. « Ils ont bandé leur arc et empoisonné
leurs flèches » Sous le nom d’arc le prophète veut désigner des embûches, des pièges.
Celui qui se sert de l’épée pour se battre de près, attaque son ennemi en face;
mais employer des flèches, c’est vouloir le frapper en traître; car une flèche
vient vous blesser avant même que vous ayez le temps d’y penser. Mais qui
est-ce qui pouvait être dupe de ces artifices du coeur humain? Etait-ce Notre
Seigneur Jésus-Christ? « Mais il n’avait pas besoin qu’on lui apprît ce qui se
trouvait dans le coeur de l’homme, car il savait parfaitement ce qui s’y
trouvait ». C’est le témoignage que lui rend l’évangéliste 1. Ecoutons
néanmoins leurs discours, voyons les projets qu’ils ont formés, dans l’idée que
le Christ ignorait leurs desseins. « Ils ont bandé leur arc, et empoisonné
leurs flèches pour en percer l’innocent dans les ténèbres». Vous savez de
quelles ruses ils se sont servis: ils ont acheté à prix d’argent un homme de sa
société, l’un de ses disciples, pour qu’il les aidât à mettre la main sur lui
2; des faux témoins ont été fournis par eux: tels sont les pièges et les
artifices dont ils ont fait usage « pour percer l’innocent dans les ténèbres ».
Abominable conduite ! se mettre dans l’ombre, en un lieu caché, pour lancer des
flèches sur un homme innocent, pour frapper et faire mourir celui
1. Jean, II, 25. — 2. Matth. XXVI, 14, 15.
qui n’avait pas en lui-même une tache aussi
large que la pointe d’une de ces flèches. Leur victime n’était autre que cet
innocent Agneau, qui jamais ne fut souillé, qui toujours fut parfaitement pur
et exempt de toute tache, et qui à aucune époque n’eut besoin d’être purifié,
parce qu’en aucun temps il ne contracta de souillure. Il a rendu à beaucoup la
robe blanchie de leur innocence en leur pardonnant leurs fautes; mais, pour
lui, il n’a jamais cessé de porter ce vêtement d’éclatante blancheur, parce
qu’il n’a jamais commis le péché. « Pour percer l’innocent dans les ténèbres ».
7. « Ils les ont lancées à l’improviste et
sans rien craindre 2 ». Quelle dureté de coeur! Vouloir faire mourir Celui qui
ressuscitait les morts ! « A l’improviste », c’est-à-dire, en traîtres, comme
subitement, dans l’intention de surprendre leur victime. Notre Seigneur se
trouvait au milieu d’eux; il semblait ignorer leurs projets; pour eux, ils ne
savaient jusqu’où allaient son ignorance et sa pénétration à leur égard: ils
connaissaient même si peu ses pensées, qu’à vrai dire ils ne savaient pas qu’il
n’ignorait rien de ce qui les concernait, qu’il était au courant de tout ce qui
se passait, et qu’il était venu pour les laisser faire de sa personne ce qu’ils
croyaient pouvoir attribuer à leurs propres forces et à leur volonté
personnelle. « Ils les ont lancées à l’improviste et sans rien craindre ».
8. « Ils se sont affermis dans leurs desseins
pervers ». « Ils se sont affermis ». Une foule de miracles s’est opérée sous
leurs yeux: loin d’en être ébranlés, ils ont persévéré dans leurs projets et
leurs discours pervers. Le Christ a été traduit devant le tribunal de Pilate:
alors le juge a tremblé; niais ceux qui lui ont livré l’innocent n’ont ressenti
aucune crainte. L’un a été effrayé, quoiqu’il fût investi du pouvoir; parvenus
au comble de la fureur, les autres n’ont ressenti ni trouble ni tourment:
Pilate a voulu laver ses mains, les Juifs ont souillé leur langue. Pourquoi? «
Parce qu’ils se sont affermis dans leurs desseins pervers ». Pourtant, que n’a
pas fait Pilate? Que n’a-t-il pas dit? Quels moyens n’a-t-il pas employés pour
les arrêter dans la funeste voie où la fureur les engageait? « Ils ne se sont
pas moins affermis dans leurs desseins pervers ». Ils se sont écriés: «
Crucifie-le, crucifie-le». Répéter ce qu’on a déjà
1. Ps. LXIII, 6.
dit, c’est donner à ses paroles une force
nouvelle; c’est en augmenter la malice. Mais voyons comment ils se sont
affermis dans leurs projets mauvais. « Faut-il donc.», s’écria le juge, « que
je crucifie votre Roi?» Et ils répondirent: « Nous n’avons point d’autre roi
que César 1 ». « Ils se sont affermis dans leurs desseins mauvais ». Pilate
leur offrait pour roi le Fils de Dieu; pour eux, ils lui préférèrent un homme,
et par ce choix ils devinrent dignes d’avoir César pour maître, et de n’avoir
point le Christ pour roi. Voici encore comment « ils se sont affermis dans
leurs desseins pervers ». Pilate ajouta: « Je ne trouve en cet homme rien qui
le rende digne de mort ». Et ces hommes « qui s’étaient affermis dans leurs
mauvais projets », s’écrièrent: « Que son sang retombe sur nous et sur nos
enfants 3 !» « Ils se sont endurcis dans leur injuste résolution. Ils se sont
opiniâtrés dans leurs méchants projets », non au détriment du Sauveur, mais «
pour leur propre perte ». Comment, en effet, ne seraient-ils pas devenus les
victimes de leurs entêtements, puisqu’ils ont dit: « que son sang retombe « sur
nous et sur nos enfants? » Leur endurcissement a donc tourné contre eux, car il
est dit en un autre endroit de l’Ecriture: «Ils ont creusé devant moi une fosse
dans laquelle ils sont eux-mêmes tombés». Loin de tomber vaincu sous les coups
de la mort, Jésus-Christ en est devenu le vainqueur; quant à eux, ils sont
devenus les victimes de leur iniquité, parce qu’ils ont voulu y persévérer.
9. On ne saurait en douter, nies frères, car
c’est une chose certaine; il faut que tu fasses mourir le péché en toi, ou que
le péché te fasse périr à son tour; mais ne t’imagine pas que le péché, dont je
parle; soit un ennemi extérieur: reporte tes regards sur ton propre coeur, et
tu verras que cet ennemi est intimement uni à ce coeur pour te combattre. Ah !
ne te laisse pas vaincre par ces passions intérieures, qui sont tes adversaires
les plus dangereux, situ n’en triomphes pas entièrement les luttes que tu dois
le plus redouter, te viennent de toi-même; ton âme te déclare la guerre: c’est
là, et nulle part ailleurs, que se trouve pour toi le danger. Tu tiens à Dieu
par une partie de ton être; par l’autre partie, tu tiens au monde et tu y
cherches ton bonheur: et toutes les deux se livrent un
1. Jean, XIX, 15. — 2. Luc, XXIII, 14, 22. —
3. Matth. XXVII, 25.
continuel combat; puissions-nous tenir à
Dieu, y tenir chaque jour davantage, ne point nous en séparer, ne rien perdre
de notre attachement pour lui; car il sera pour nous la source d’une force
irrésistible; et si nous persévérons à coin battre avec courage, nous
triompherons inévitablement de notre adversaire intérieur. Votre chair est
comme la demeure dû péché:
puisse-t-elle ne pas en devenir le trône. «
Que le péché», dit l’Apôtre, « ne règne point dans ton corps, pour lui faire
accomplir ses mauvais désirs 1 ». Si tu ne cèdes point à ses convoitises, si
persuasives, si en traînantes qu’elles puissent être, tù réussiras, en leur
résistant, à les empêcher de régner en toi, et à les détruire par là, tu
n’éprouveras plus de ces luttes intestines où se trouve compromise ton
innocence. Mais quand se consommera ce triomphe? Quand la mort sera ensevelie
dans sa défaite, et que notre chair mortelle sera devenue incorruptible 2.
Alors, tu n’éprouveras plus aucune résistance de la part de la matière, et Dieu
seul fera désormais ton bon heur. Les Juifs portaient donc envie au Sauveur,
ils n’avaient d’autre désir que celui de dominer, et d’exercer le pouvoir
souverain: aux yeux de plusieurs d’entre eux, Jésus leur enlevait ce pouvoir;
aussi la soif ardente qu’ils ressentaient pour la domination les poussait-elle
à se révolter contre lui. S’ils avaient résisté à leur désir coupable, ils auraient
triomphé de leur envie: elle ne les aurait point vaincus, et le Seigneur, qui
était venu pour les guérir, les aurait sauvés de la mort. Mais, parce qu’ils
ont nourri la fièvre qui les consumait, ils ont repoussé leur médecin; ils ont
agi selon les mouvements et les ardeurs de leur fièvre, et toutes les
ordonnances de leur médecin, ils n’en ont tenu aucun compte; voilà pourquoi ils
sont devenus les victimes de leur malice: le Sauveur, au contraire, y a
échappé; car la mort a été détruite en lui, tandis que l’iniquité a trouvé la
vie en eux; et parce qu’ils l’ont laissée subsister, ils sont morts eux-mêmes.
10. « Ils se sont concertés pour dresser
leurs pièges en secret, et ils ont dit: Qui est-ce qui les verra? » Ils
s’imaginaient que leurs projets homicides étaient ignorés de leur victime, de
Dieu lui-même. Mais supposons que le Sauveur ne fût qu’un homme, et que pareil
aux autres hommes, il ne connût pas les pensées
1. Rom. VI, 12. — 2. I Cor.
XV, 54.qu’ils
nourrissaient contre lui; Dieu lui-même pouvait-il les ignorer? O coeur humain,
pourquoi donc as-tu dit: Qui est-ce qui me verra? Oublies-tu que le Seigneur
t’a créé, et qu’il ne te perd pas de vue? « Ils ont dit: Qui est-ce qui les
verra?» Dieu les voyait; et le Christ aussi, parce qu’il est Dieu. Mais
pourquoi s’imaginaient-ils qu’il ne les voyait pas? Ecoute ce qui suit.
11. « Ils se sont étudiés à former des
projets criminels, mais ils n’ont pu réussir dans leur malice 1», c’est-à-dire
dans leurs desseins cruels et malins. Ne le livrons pas nous-mêmes, ont-ils
dit; servons-nous pour cela de l’un de ses disciples: ne le faisons pas mourir,
mais forçons le juge à le condamner à mort. Faisons tout ce qu’il faut pour
nous débarrasser de lui; mais ayons soin de ne point laisser même soupçonner
que nous nous en occupons. Eh quoi! ne vous a-t-on pas entendus crier: «
Crucifie-le, crucifie-le? » Si vous êtes aveugles, n’en est-ce pas assez?
Faut-il encore que vous soyez sourds? L’innocence simulée n’est pas plus de
l’innocence, que la justice feinte n’est de la justice. C’est une double
injustice d’abord, parce qu’en soi il y a injustice, et qu’à ce péché vient se
joindre la dissimulation. Voilà pourquoi ils n’ont pu réussir dans leurs
mauvais desseins. Plus ils croyaient mettre de finesse dans l’élaboration de
leurs plans, moins ils réussissaient, parce qu’en s’éloignant de la lumière de
la vérité et de la justice, ils se précipitaient dans les abîmes des conseils
méchants. La justice a un éclat qui lui est propre: elle répand ses rayons sur
l’âme qui s’attache à elle, et elle lui communique son éclat: par une raison
contraire, plus l’âme humaine s’éloigne de la lumière de la justice, et
s’efforce de l’affaiblir par ses attaques, plus aussi s’éteint en elle ce
flambeau divin, plus profonde est sa chute dans l’abîme des ténèbres. Ces
hommes, qui scrutaient l’art de faire du mal au juste, s’éloignaient donc de la
justice, et plus ils s’en écartaient, plus aussi ils défaillaient dans leur
pénible travail. O l’adroit moyen de faire croire à leur innocence! Lorsque
Judas, repentant d’avoir trahi le Christ, vint jeter à leurs pieds l’argent
qu’ils lui avaient donné comme prix de sa trahison, ils ne voulurent point
remettre cet argent dans le trésor, « car », dirent-ils, « C est le prix du
1. Ps. LXIII, 7.
sang: nous ne devons pas le faire entrer dans
le trésor 1». « Ce trésor » n’était autre qu’un coffre, consacré à Dieu, où
l’on renfermait l’argent destiné au soulagement des serviteurs du Très-Haut qui
manquaient du nécessaire. O homme! que ton coeur soit plutôt ce coffre divin où
se con servent les richesses du Seigneur! Puisse-t-on y voir une monnaie
divine! Puisse ton âme être cette précieuse monnaie, et porter sur elle l’image
de ton souverain empereur! D’après cela, quel nom donner à ces sentiments de
feinte innocence qui portèrent les Juifs à n’oser mettre dans le trésor du
temple le prix du sang de Jésus-Christ, et à ne pas craindre de répandre ce
sang lui-même, et d’en souiller leur conscience?
12. Mais que leur est-il advenu? «Ils n’ont
pu réussir dans leurs malicieux desseins » -Pourquoi cet échec? Parce qu’ils
ont dit « Qui est-ce qui s’en apercevra? » Ils s’imaginaient et tâchaient de se
persuader que personne ne découvrirait le fil de leur trame. Remarque bien ce
qui arrive à une âme méchante: elle s’éloigne de la lumière de la vérité, et
par cela même qu’elle ne voit plus Dieu, elle se figure que Dieu ne la voit
plus. Ainsi en est-il advenu des Juifs: ils se sont écartés de la vérité; ils
se sont jetés dans les ténèbres, ils n’ont plus vu Je Seigneur et ils ont dit:
Qui est-ce qui nous aperçoit? Celui-là même qu’ils attachaient à la croix,
suivait la trace de leurs dissimulations méchantes; pour eux, ils ne pouvaient
ni faire réussir leurs projets, ni voir désormais le Fils de Dieu et le Père
éternel. Mais puisque le Sauveur n’ignorait rien de ce qui concernait ses
ennemis, pourquoi s’est-il soumis à tomber en leurs mains, et à se voir par eux
mis à mort? Pourquoi a-t-il laissé réussir les plans qu’ils avaient formés
contre lui? Pourquoi? Parce qu’il s’était fait homme pour sauver les hommes, il
avait caché sa divinité sous les traits de l’humanité pour donner à ceux qui ne
le connaissaient pas un exemple de force d’âme et de courage: il connaissait
lui-même la malice de ceux qui le persécutaient, mais il souffrait leurs
mauvais traitements pour en venir à ses fins.
13. Voyons ce qui suit: «L’homme et le coeur
profond s’approcheront, et Dieu sera exalté 2 » Les Juifs avaient dit: Qui
est-ce qui nous verra? « Ils n’ont pu faire réussir
1. Matth. XXVII, 6. — 2. Ps. LXIII, 8.leurs
malicieux projets ». L’homme a pénétré tous leurs desseins, et- il leur a
permis de s’emparer de son humanité sainte: s’il n’avait pas été revêtu de
notre humanité, jamais ses ennemis n’auraient pu, ni mettre la main sur lui, ni
le voir, ni le frapper, ni le crucifier, ni le faire mourir: par la même
raison, il n’aurait pas été délivré de leurs embûches. « Cet homme, ce coeur
profond », c’est-à-dire ce coeur secret, s’approcha donc aux regards d’un
homme, il n’offrait que l’apparence des hommes; mais sous cette enveloppe
mortelle, se dérobait- à leurs yeux la divinité: on n’apercevait donc point en
lui cette nature divine qu’il partageait avec le Père et qui le rendait égal au
Père; on n’y voyait que la forme d’esclave, par laquelle il lui était devenu
inférieur. Il nous instruit lui-même de ces différents états où il se trouve,
suivant qu’on le considère ou comme Dieu ou comme homme. Comme Dieu, il nous
dit: « Mon Père et moi, nous ne sommes qu’un 1». Comme homme, il ajoute: « Mon
Père est plus grand que moi 2 ». Mais pourquoi, comme Dieu, peut-il dire: « Mon
Père et moi nous ne sommes qu’un? » Parce qu’étant de la nature de Dieu, il n’a
pas cru « commettre un larcin en disant qu’il était égal à Dieu » Pourquoi
encore a-t-il pu dire comme homme: « Mon Père est plus grand que moi? » Parce
qu’ « il s’est anéanti lui-même en prenant la nature d’esclave 3 ». L’homme et
le coeur profond se sont approchés, et Dieu a été exalté. L’homme a été mis à
mort, et le Dieu a été glorifié. Qu’il ait été crucifié, ç’a été la suite dé la
faiblesse humaine: s’il est ressuscité et monté au ciel, ç’a été l’effet de sa
puissance divine 4. « L’homme s’approchera, et aussi le coeur profond »,
c’est-à-dire le coeur secret, le coeur caché, qui ne faisait paraître ni ce
qu’il savait, ni ce qu’il était. Aussi les Juifs supposaient-ils qu’il n’était
autre que ce qu’il semblait être: ils le mirent donc à mort cet homme qui
s’était retiré dans la profondeur de son humilité, mais Dieu fut exalté dans la
grandeur de sa gloire par sa puissance infinie, et dans la suprême majesté de
sa gloire, il s’est retiré dans ce séjour céleste, qu’il n’avait point quitté,
même au temps de ses humiliations.
14. « L’homme s’approchera, et aussi le coeur
profond, et Dieu sera glorifié ». Aussi, mes
1. Jean, X, 30.— 2. Id. XIV, 28.— 3. Phil.
II, 6, 7.— 4. II Cor. XIII, 4.
frères, considérez la profondeur du coeur de
l’homme. De quel homme? De celui dont le Prophète a parlé ainsi: « Un homme
dira à Sion: Tu es ma mère. Et cet homme a été formé en elle: il est le
Très-Haut qui l’a fondée 1». Le Très-Haut, qui a jeté les fondements de Sion, a
été formé et s’est fait homme dans cette ville dont il est devenu le fondateur.
« L’homme s’est donc approché, et aussi le coeur profond ». Considère la profondeur
du coeur de cet homme, et, si tu le peux, et autant que tu le pourras, vois
Dieu dans l’abîme de ce coeur. L’homme s’est approché; et parce qu’il était
Dieu, parce qu’il devait souffrir volontairement, parce qu’il devait encourager
les faibles par son exemple, parce qu’enfin les efforts de ses ennemis et de
ses persécuteurs devaient rester inutiles, vu que, malgré l’humanité et la
chair mortelle dont il était revêtu, il était Dieu; voici ce qu’ajoute le
Psalmiste: « Leurs flèches sont devenues comme des traits lancés par des
enfants ». Qu’est devenue la fureur des Juifs? A quoi ont abouti les
rugissements du lion, les cris effrénés de ce peuple ivre de colère: «
Crucifie-le! Crucifie-le? » Les piéges, creusés par ceux qui ont tendu leur
arc, ont-ils servi à prendre leur victime? Mais non, car « leurs flèches sont
devenues comme des traits lancés par des enfants ». Vous le savez: les enfants
se servent de roseaux pour faire des flèches. Avec de telles armes, qui
pourraient-ils blesser? Comment pourraient-ils en blesser d’autres? Quels bras
pour lancer un trait? Quels traits entre pareilles mains? Quelles mains?
Quelles armes? «Leurs flèches sont devenues comme des traits lancés par des
enfants».
15. « La malice de leur langue n’a pas
réussi; elle s’est retournée contre eux-mêmes 2 ». Qu’ils aiguisent leur langue
comme on aiguise un glaive, qu’ils s’affermissent, s’ils le veulent, dans leurs
injustes résolutions; en vérité, ils ont eu raison de s’y affermir, puisque «
la malice de leur langue n’a pas réussi, et qu’elle s’est retournée contre eux
». Leurs projets pouvaient-ils réussir contre Dieu? « L’iniquité », a dit le
Prophète, « s’est menti à elle-même 3. La malice de leur langue n’a pas réussi;
elle s’est retournée contre eux ». Le Sauveur est sorti vivant du tombeau où
l’avaient jeté ses ennemis. Ceux-ci avaient
1. Ps. LXXXVI, 5. — 2. Ps. LXIII, 9. — 3. Id.
XXVI, 12.passé devant sa croix ou s’y étaient arrêtés, comme le Psalmiste
l’avait prédit longtemps
auparavant en ces termes: « Ils ont percé mes
mains et nies pieds, et compté tous mes os; ils m’ont regardé et considéré
attentivement 1». Alors, ils secouaient la tête en disant: « S’il est le Fils
de Dieu, qu’il descende donc de la croix ! » Ils avaient voulu, en quelque
sorte, s’assurer s’il était le Fils de Dieu, et, à leur avis, ils avaient
reconnu qu’il ne l’était pas, puisqu’en dépit de leurs insultes, il n’était pas
descendu de la croix; s’il l’avait fait, ils auraient avoué sa
filiation divine 2. Pour toi, mon frère, que
penses-tu de ce qu’il est resté sur sa croix, et de ce que, néanmoins, il est
ressuscité? Quel profit ont-ils tiré de leur conduite à son égard? Et quand
même il ne serait point sorti vivant de son tombeau, en auraient-ils été plus
avancés? Non, car il leur serait advenu ce qui est advenu aux persécuteurs des
martyrs. Les martyrs ne sont point encore revenus à la vie; leurs persécuteurs
n’y ont rien gagné, puisque nous célébrons aujourd’hui le triomphe éternel des
victimes. A quoi a donc abouti la fureur des ennemis de notre Dieu? « Leurs
flèches sont devenues comme des traits lancés par des enfants; la malice de
leur langue n’a pas réussi, elle s’est retournée contre eux ». Jusqu’où ont-ils
poussé cette malice, dont les calculs leur ont fait défaut? Jusqu’à placer des
gardes auprès du tombeau du Christ; car bien qu’ils l’eussent fait mourir,
qu’il fût enseveli, il leur inspirait encore des craintes. Ils dirent donc à
Pilate « Ce séducteur ». Ainsi appelaient-ils Notre
Seigneur Jésus-Christ, et ce devait être là
un sujet de consolation pour tous les chrétiens que le nionde calomnie. Ils
s’adressèrent donc à Pilate et lui dirent: « Etant encore en vie, ce séducteur
a dit qu’il ressusciterait trois jours après sa mort. Ordonnez donc qu’on garde
son tombeau jusqu’au troisième jour, de peur que ses disciples ne viennent
l’enlever, et qu’ils ne disent au peuple qu’il est ressuscité d’entre les
morts; cette dernière erreur serait pire que la première. Vous avez des gardes,
leur répondit Pilate: allez, et gardez-le comme vous voudrez. Ils s’en allèrent
donc, établirent une garde près du sépulcre, en y plaçant des soldats, et ils
apposèrent leur sceau sur la pierre 3 ».
1.
Ps. XXI, 17, 18.— 2. Matth. XXVII, 40-43.— 3. Matth. XXVII, 63-66.
Les Juifs appostèrent auprès du tombeau de
Jésus des soldats pour le garder: tout à coup la terre trembla, et le Sauveur
sortit vivant du séjour de la mort, et il s’opéra, autour de son tombeau, de
tels prodiges que les soldats, chargés de le garder, auraient pu en rendre
témoignage s’ils avaient voulu rapporter les faits comme ils les avaient vus;
malheureusement, l’amour de l’argent, qui avait aveuglé un compagnon de Jésus,
dans la personne de Judas, paralysa la langue des soldats auxquels fut confiée
la garde du divin tombeau. « Nous vous donnerons de l’argent, leur dirent les
Juifs: vous direz donc que, pendant votre sommeil, ses disciples sont venus et
l’ont enlevé 1 ». En vérité, « les profonds calculs de leur malice ont été
déjoués ». O malheureuse astuce ! ne faut-il pas que tu aies perdu de vue la
lumière d’une réflexion éclairée, que tu te sois précipitée dans les ténèbres
d’une noire méchanceté pour tenir ce langage: Dites que, pendant votre sommeil,
ses disciples sont venus et qu’ils l’ont enlevé? Comment I tu en appelles au
témoignage de gens endormis ! Ne dormais-tu pas toi-même en imaginant une
pareille combinaison, qui montre surabondamment ta faiblesse? Car s’ils
dormaient, qu’ont-ils pu voir? Et s’ils n’ont rien vu, méritent-ils le nom de
témoins? « Mais ils n’ont pu réussir dans leurs vains projets ».
Ils se sont écartés des rayons de la lumière
divine; ils ont vu échouer leurs entreprises, et puisqu’au moment d’agir, ils
n’ont pu venir à bout de rien, ils ont manifesté leur impuissance. Pourquoi cela?
Parce que l’homme s’est approché, et aussi le coeur profond, et Dieu a été
exalté. Oui, aussitôt que la résurrection de Jésus-Christ fut connue dans le
monde, au moment où, par la descente du Saint-Esprit, des disciples,
jusqu’alors découragés et dominés par la crainte, se montrèrent assez fermes
pour annoncer la mort de leur Maître et tout ce qu’ils avaient vu, alors fut
exaltée et glorifiée la grandeur du Dieu qui avait paru au pied d’un tribunal,
et y avait subi une condamnation ignominieuse pour nous relever du milieu de
notre bassesse jusqu’à lui: et quand les Apôtres, pareils â des trompettes
divines, eurent annoncé à l’univers l’avènement futur de Celui qu’ils avaient
vu jugé par des hommes, et qui viendra les juger à
1. Matth. XXVIII, 12, 13.son tour, alors «
tous ceux qui les virent, furent plongés dans le trouble ». Dieu fut donc
glorifié: le Christ fut annoncé; dès lors plusieurs d’entre les Juifs
s’aperçurent que
leurs coreligionnaires avaient échoué dans la
réalisation de leurs projets: une foule de miracles s’opéraient, en effet, sous
leurs yeux, au nom de Celui qu’ils avaient crucifié et fait mourir de leurs
propres mains. Ils se séparèrent donc de coeur et d’affection de leurs frères
endurcis, trouvant dans l’opiniâtre impiété de ces malheureux aveugles un sujet
de dégoût et d’horreur: et, mieux inspirés par rapport à leur salut, ils
s’adressèrent aux Apôtres, et leur dirent: « Que ferons-nous? Tous ceux qui les
virent, furent plongés dans le trouble 1». En d’autres termes, on vit tomber dans
le trouble tous ceux qui s’aperçurent de l’inutilité de leurs projets, et
comprirent que leurs malicieux complots tourneraient à leur propre confusion et
à leur propre perte.
16. « Et tout homme fut saisi de crainte 2».
Ceux qui n’éprouvèrent pas ce sentiment de crainte ne méritaient pas même le
nom d’hommes. « Tout homme fut saisi de crainte »: c’est-à-dire, toute personne
raisonnable et capable d’apprécier les événements: aussi, devrait-on donner le
nom de bêtes, et même de bêtes brutes et sauvages, aux hommes qui demeurèrent
alors insensibles à la crainte; et le peuple juif est encore aujourd’hui un
lion qui rugit et fait des victimes. Mais la crainte s’empara de tout homme,
c’est-à-dire, de quiconque voulut se soumettre au joug de la foi, et conçut une
sainte frayeur à la pensée du jugement à venir. « Et tout homme fut saisi de
crainte, et ils publièrent hautement les oeuvres de Dieu ». A celui qui disait:
« Seigneur, délivrez-moi de la crainte de mes ennemis », s’appliquent donc ces
paroles: « Tout homme a été saisi de crainte ». Il était délivré de la crainte
de ses ennemis, mais il était sous l’impression de la crainte de Dieu. S’il
redoutait quelqu’un, c’était, non pas celui qui peut tuer le corps, mais celui
qui peut précipiter tout à la fois le corps et l’âme dans la géhenne du feu 3.
Les Apôtres ont prêché l’Evangile. D’abord, Pierre fut saisi de crainte, il
avait peur de l’ennemi: son âme n’était pas encore à l’abri de toute
appréhension à
1.
Act. II, 1-37. — 2. Ps. LXIII, 10 — 3. Matth. X, 28.
l’égard de ses adversaires. Questionné par
une servante sur sa présence au milieu des disciples. du Sauveur, il renia
trois fois son divin Maître 1. Après sa résurrection, Jésus affermit cette
colonne de l’Eglise. Pierre annonce alors la bonne nouvelle sans trembler, et,
néanmoins, sous l’influence de la crainte; sans trembler en face de ceux qui
peuvent tuer le corps; sous l’influence de la crainte à l’égard de celui qui
peut précipiter tout àla fois le corps et l’âme dans la géhenne du feu. « Tout
homme a été saisi de crainte, et ils ont hautement publié les oeuvres de Dieu
». Dès que les Apôtres eurent commencé à publier les oeuvres du Très-Haut, les
princes des prêtres les firent comparaître devant eux, et leur firent des
menaces en leur intimant « la défense de prêcher au nom de Jésus-Christ. Mais
ceux-ci leur répondirent: Dites-nous à qui, de Dieu ou des hommes, il vaut
mieux obéir 2? » Que pouvaient-ils répondre à une pareille question?
Auraient-ils osé dire qu’il vaut mieux obéir aux hommes qu’à Dieu? Non, et leur
réponse n’était pas douteuse, et ils devaient déclarer que la soumission envers
Dieu doit avoir le pas sur la soumission à l’égard des hommes;
aussi, parce qu’ils connaissaient la volonté
du Tout-Puissant, les Apôtres dédaignèrent-ils les menaces des prêtres. « La
crainte, dont l’homme fut saisi », devint donc la source de sa fermeté et de
son courage, et « ils publièrent hautement les oeuvres de Dieu ». Si l’homme
éprouve des sentiments de crainte, ce n’est point son semblable, mais son créateur
qui doit les lui inspirer. Redoute ce qui est supérieur à l’homme, et jamais
l’homme ne te fera trembler. Appréhende la mort éternelle, et tu ne
t’inquiéteras nullement de la vie présente. Soupire après les immortelles
voluptés du paradis; que l’immuable tranquillité du ciel soit l’objet de tes
désirs, et tu te riras du monde entier et de tous ses faux biens. Aime et
crains en même temps; aime ce que Dieu te promet, crains l’effet de ses
menaces, et les promesses de l’homme ne corrompront point ton coeur, et ses
menaces ne t’ébranleront pas. « Tout homme a été saisi de crainte, et ils ont
publié hautement les oeuvres de Dieu, et ils les ont comprises ». Qu’est-ce à
dire: « Ils ont compris ses prodiges? » Etait-ce là, ô Seigneur
1. Matth. XXVI, 69. — 2. Act. V, 27-29.Jésus,
ce que vous taisiez lorsque, pareil à une innocente brebis, vous alliez à la
mort, sans ouvrir la bouche pour vous plaindre de vos bourreaux, lorsque nous
vous considérions plongé dans les souffrances et la douleur, et ressentant toute
notre faiblesse? Etait-ce pour cela, ô le plus beau des enfants des hommes, que
vous nous dérobiez la vue de vos charmes infinis 1, et que vous sembliez
n’avoir ni grâce ni beauté 2? Attaché à la croix, vous supportiez les insultes
et les ricanements de vos ennemis: « S’il est le Fils de Dieu », disaient-ils,
« qu’il descende donc de sa croix 3 ! »De tous vos serviteurs, de tous ceux qui
connaissent votre suprême puissance, en est-il un seul qui ne se soit
entièrement décrié: Oh ! si seulement il descendait du haut de sa croix pour la
confusion de ceux qui le blasphèment de la sorte ! Mais il ne devait pas en
être ainsi: il fallait que le Sauveur mourût pour le salut de ceux qui étaient
condamnés à mourir, comme il devait ressusciter pour nous communiquer la vie
éternelle. Voilà ce que ne comprenaient pas ceux qui le défiaient de descendre
de sa croix; mais quand, après sa résurrection, il monta glorieusement au ciel,
ils comprirent les oeuvres de Dieu: « Ils ont publié les oeuvres de Dieu, et
ils les ont comprises ».
17. « Le juste se réjouira dans le Seigneur
4». La tristesse ne doit plus être aujourd’hui le partage du juste. Au moment
où le Sauveur mourut sur la croix, les Apôtres étaient plongés dans la
tristesse, ils s’en retournèrent, le coeur accablé de chagrin et d’ennui, car
ils croyaient avoir perdu toute lueur d’espérance. Le Sauveur sortit d’entre
les morts, et, malgré le prodige de sa résurrection, leur tristesse était
toujours la même, quand il vint les visiter. Par un effet de sa volonté, les deux
disciples qui voyageaient sur le chemin d’Emmaüs ne le reconnurent point: ils
gémissaient et pleuraient; il différa de se faire connaître à eux jusqu’au
moment où il leur eut exposé le sens des Ecritures, et montré, par les passages
de nos saints livres, que les événements devaient avoir lieu comme, ils avaient
eu lieu effectivement. Il leur fit comprendre que, d’après les oracles sacrés,
le Seigneur devait ressusciter le troisième jour. Mais serait-il ressuscité
d’entre les morts le troisième jour, s’il était descendu de sa croix?
1.
Ps. XLIV, 3.— 2. Ps. LIII, 2 - 7.— 3. Matth. XXVI, 40. — 4. Ps. LXIII,
11.
Aujourd’hui vous êtes tristes en voyageant
mais combien vous seriez heureux et fiers si votre Sauveur, pour répondre aux
insultantes provocations des Juifs, était descendu de sa croix! Vous seriez au
comble de la joie, s’il leur avait, par là, fermé la bouche. Mais attendez que
le médecin vous fasse connaître ses projets et agisse: il ne descend pas de sa
croix; il veut mourir de la main de ses ennemis, pour vous préparer le remède
qui doit vous guérir. Le voilà maintenant ressuscité; il vous parle, vous ne le
reconnaissez pas encore, mais vous n’en ressentirez que plus de joie lorsque
vos yeux s’ouvriront. Plus tard, et par la fraction du pain, il se manifeste à
eux, et ils le reconnaissent 1, et leur joie se traduit en exclamation: « Le
juste se réjouira dans le Seigneur». On annonce l’heureuse nouvelle à un
disciple incrédule: le Seigneur a été vu, il est ressuscité; la tristesse de
cet Apôtre continue, car il ne croit pas à l’événement dont on lui parle: « Si
je ne mets pas mes doigts à la place de ses clous, si je ne touche pas ses
plaies, je ne croirai pas ». Le Sauveur lui donne son corps à toucher; il y
porte la main, il le palpe et s’écrie: « Mon Seigneur et mon Dieu! Le juste se
réjouira dans le Seigneur». Ils se sont donc réjouis dans le Seigneur, les
justes qui ont vu et touché, et qui ont cru. Mais les justes d’aujourd’hui, qui
ne voient point et ne touchent point, peuvent-ils, eux aussi, se réjouir dans
le Seigneur? Oui, car le Seigneur a dit à Thomas lui-même: « Parce que tu m’as
vu, tu m’as cru; bienheureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru 2».
Réjouissons-nous donc tous dans le Seigneur; que, réunis dans le sentiment
d’une même foi, nous formions tous ce juste dont parle le Psalmiste: ne formons
tous qu’un seul corps uni au même chef, et réjouissons-nous, non en nous-mêmes,
mais dans le Seigneur; car notre souverain bien réside, non en nous, mais en
celui qui nous a créés: lui seul est notre bien et la source de notre joie.
Qu’aucun d’entre nous ne se réjouisse en lui-même; que personne ne présume ou
ne désespère de lui-même; que personne ne place son espérance dans son
semblable, car nous devons nous efforcer d’amener les autres à partager notre
confiance, mais jamais nous ne devons les considérer comme le motif et lé
principe de notre espérance,
1. Luc, XXIV, 16-46. — 2. Jean, XX, 25-29.18.
« Le juste se réjouira dans le Seigneur, et il espérera en lui, et tous ceux
qui ont le coeur droit seront au comble de l’allégresse ». Le Seigneur Jésus
est ressuscité, il est monté au ciel, il nous a prouvé par là l’existence d’une
autre vie, il a manifesté au grand jour les desseins qu’il tenait cachés au
plus profond de soit coeur, et fait voir qu’ils n’étaient pas vains; il a
répandu son sang comme prix de notre rédemption: la sagesse de ses plans divins
a éclaté au grand jour: on a publié ses prodiges: le monde entier y a cru; le
juste, n’importe en quelle contrée du monde il se trouve, « se réjouira donc
dans le Seigneur, et mettra son espérance en lui, et tous ceux qui ont le coeur
droit, seront au comble de l’allégresse ». Qui sont ceux dont le coeur est
droit? Mes frères, nous vous le disons souvent, et il est bon pour vous de le
bien comprendre. Qui sont ceux dont le coeur est droit? ce sont les hommes qui
attribuent les tribulations, au milieu desquelles ils vivent, non à un défaut
de sagesse de la part de Dieu, mais à sa sagesse, et qui les regardent comme un
moyen providentiel destiné à la guérison de leur âme: de pareilles gens ne sont
point infatués de la pensée de leur propre justice, au point de supposer qu’ils
souffrent sans l’avoir mérité, ou d’accuser Dieu de ce que les plus grands
pécheurs ne sont pas les plus affligés. Encore une fois, remarquez-le, car nous
vous l’avons souvent dit. Souffres-tu quelque maladie dans ton corps, ou une
perte dans tes biens, ou une séparation pénible occasionnée par la mort, dans
ta famille? Parmi ceux qui t’entourent, tu en remarques de plus méchants que
toi, et sans te croire vraiment juste, tu les reconnais moins bons encore; je
t’en conjure, ne sois point jaloux de ce qu’ils réussissent, et se trouvent à
l’abri des châtiments célestes. Puissent les desseins du Très-Haut ne point
ébranler ta foi! Ne dis pas: Je suis pécheur, et Dieu me punit: pourquoi donc
n’inflige-t-il aucune punition à cet homme, qui l’a évidemment offensé plus
grièvement que moi? J’ai mal fait, je le sais bien; mais si coupable que je
sois, le suis-je autant que lui? Si tu parlais ainsi, tu donnerais la preuve
sans réplique de la fausse direction imprimée à tes pensées. Que le Dieu
d’Israël est bon, mais pour ceux qui ont le coeur droit ! Tes pieds glissent
sous toi, parce que tu t’irrites contre les pécheurs, envoyant la paix dont ils
jouissent 1. Laisse agir le médecin; celui qui connaît la blessure sait le
remède qu’il doit y appliquer. Mais pourquoi cet autre n’est-il pas maltraité?
Pourquoi? parce qu’il est impossible d’espérer le sauver. On te fait de
douloureuses incisions, parce que tu pourras guérir. Souffre donc, avec
droiture de coeur, toutes tes épreuves. Le Seigneur sait ce qu’il doit
t’accorder, et ce qu’il doit te refuser. Ce qu’il te donne doit servir à te
consoler, et non à te corrompre; s’il te refuse ses dons, supportes-en la
privation et ne blasphème pas. Si la conduite de Dieu te déplaît et te fait
blasphémer, si tu te complais en toi-même, c’est la preuve que tu as le coeur
tordu et perverti; et le pis, en tout cela, c’est que tu veux faire du coeur de
Dieu ce que tu fais du tien: tu veux lui imposer tes volontés au lieu d’agir
selon son bon plaisir. Eh quoi! Voudrais-tu détourner aussi du bien le coeur de
Dieu? Il est si droit! Prétendrais-tu lui communiquer la fausseté du tien? Ne
vaudrait-il pas mieux, mille fois, ramener le tien à la droiture dc celui de
Dieu? N’est-ce point là ce que t’a enseigné ce Dieu, dont les souffrances
faisaient tout à l’heure le sujet de nos entretiens? Ne te montrait-il pas
qu’il s’était revêtu de ta faiblesse, quand il disait: « Mon âme est triste
jusqu’à la mort? » Ne te figurait-il pas en sa personne, quand il disait: « Mon
Père, si c’est possible, que ce calice s’éloigne de moi? » Le coeur du Père et
celui du Fils n’étaient pas différents l’un de l’autre: ce n’était, à vrai
dire, qu’un seul coeur; mais en se revêtant de la forme d’esclave, il a pris
ton coeur pour l’instruire par ses exemples. Or, voilà qu’en face de la
tribulation, ton coeur est tout différent du sien: il voudrait ne pas être
éprouvé; il se met en contradiction avec la volonté divine. Puisque le coeur de
Dieu ne peut se prêter aux mauvaises dispositions du tien, conforme donc le
tien à celui de Dieu; écoute ce qu’il dit à son Père: « Toutefois, ne faites
pas ce que je veux, mais faites ce que vous voulez 2».
19. Aussi, « tous ceux qui ont le coeur
droit, seront loués ». Qu’en conclure? C’est que, si « ceux qui ont le coeur
droit, doivent être loués »,ceux qui ont le coeur tordu et déréglé seront
condamnés. Tu as à choisir de deux choses l’une: choisis donc tandis qu’il en
est
1. Ps. LXXII, 1-3. — 2. Matth. XXVI, 38,
39.temps. Si ton coeur est droit, tu iras à la droite et tu seras loué. Comment
cela? « Venez, bénis de mon Père: recevez le royaume qui vous a été préparé dès
l’origine du monde ». Si, au contraire, tu as le coeur tordu et déréglé, situ
te moques de Dieu, si tu te joues de sa Providence; si tu dis en toi-même: Il
est évident que Dieu ne s’occupe pas des choses de ce monde; car, s’il en
prenait soin, ce scélérat serait-il dans l’abondance et moi dans la disette? il
est sûr que ton coeur n’est pas droit. Viendra le jugement, et alors on
connaîtra les motifs secrets de la conduite de Dieu: alors aussi, parce que tu
n’auras pas voulu rétablir ton coeur dans la droiture et le rendre semblable à
celui de Dieu, parce que tu auras négligé de te rendre digne d’aller à la
droite du Seigneur, en cet endroit « où seront loués ceux qui ont le coeur
droit », tu iras à la gauche, et tu y entendras ces paroles: « Allez au feu
éternel, qui a été préparé au démon et à ses anges 2 ». Sera-t-il temps alors
de redresser son coeur? Redressez-le donc maintenant, mes frères; redressez-le
dès aujourd’hui. Quel obstacle pourrait s’y opposer? On chante le psaume devant
toi; on te lit l’Evangile; tu entends de bonnes lectures, de saintes instructions;
le Seigneur est patient: tu l’offenses et il t’épargne; tu renouvelles tes
infidélités, et il ne te punit pas, et tu ajoutes encore au nombre de tes
fautes. Jusques à quand le Très-Haut usera-t-il d’indulgence à ton égard?
Prends-y garde! Tu pourrais bien éprouver à la fin les rigueurs de sa justice.
Nous vous effrayons, parce que nous sommes saisis de crainte rassurez-nous, et
nous ne vous troublerons plus. Mais j’aime beaucoup mieux trembler à la pensée
de Dieu, que de puiser ma confiance dans la pensée de n’importe quel homme, «
car tout homme a été saisi de crainte, et ils ont publié les oeuvres de Dieu ».
Daigne le Seigneur nous compter au nombre de ceux qui ont tremblé et fait
connaître ses ouvrages. Nous vous prêchons maintenant en son nom, mes frères,
parce
1. Matth. XXV, 34, 41.
que nous craignons. Nous sommes témoins de votre empressement à écouter
sa parole, du vif désir que vous avez de nous entendre, de votre bonne volonté.
La terre de votre coeur est suffisamment imprégnée de la rosée du ciel.
Puisse-t-elle produire du froment et non des épines, car si les celliers du
père de famille doivent contenir le bon grain, les épines seront livrées aux
flammes. Tu sais ce que tu dois faire de ton champ, et Dieu ne saurait ce qu’il
doit faire de son serviteur? Pour une terre fertile, la pluie qui l’arrose est
un bienfait du ciel; et, si elle tombe sur un champ couvert de ronces et
d’épines, en est-elle moins précieuse? Et ce champ peut-il rendre la pluie
responsable de sa stérilité? La pluie elle-même ne rendra-t-elle pas témoignage
contre lui, et ne dira-t-elle pas J’ai répandu partout, d’une manière égale, la
douceur de mes ondées? Quelles sont tes oeuvres? Remarque-le attentivement,
afin de juger de ce qui t’est réservé. Si tu produis du froment, sois-en sûr,
tu iras dans le cellier du Père de famille; si tu produis des épines, le feu
sera ton partage; mais le temps d’être mis dans les greniers célestes ou jeté
dans te feu éternel n’est pas encore venu: préparons-nous donc à ce moment
décisif, et nous n’éprouverons aucune crainte. Vous qui m’écoutez et moi qui
vous parle au nom de Jésus-Christ, nous vivons encore; et puisqu’il en est
ainsi, n’avons-nous ni le moyen ni le temps de réformer nos pensées, et de
devenir de parfaits chrétiens? Et si vous le voulez, pourquoi cette conversion
n’aurait-elle pas lieu dès aujourd’hui? Pourquoi ce changement de nos moeurs ne
se ferait-il pas dès maintenant? Pour en venir là, faut-il faire de grandes
acquisitions, des recherches pénibles, de lointains voyages aux Indes? Faut-il
noliser des vaisseaux choisis entre tous? Non; change ton coeur au moment même
où je t’adresse la parole, et ainsi sera accompli ce que, depuis si longtemps,
on te presse de faire; et si tu ne le fais pas, ta mauvaise volonté sera pour
toi la source d’une punition éternelle.
SERMON AU PEUPLE.
Ezéchiel
et Jérémie chantent le retour de Babylone à Jérusalem, d’où le crime du
Calvaire a de nouveau banni les Juifs. Babylone ou confusion est la ville de
Caïn, Jérusalem ou vision de la paie est la ville d’Abel. Ces deux cités
mélangées ici-bas seront séparées par Dieu au jugement, Jérusalem à sa droite,
Babylone à sa gauche. Nous sommes de Babylone par l’amour du monde, et de
Jérusalem par l’amour de Dieu. — Ce Psaume est pour ceux qui commencent à
sortir de Babylone, ou à aimer Dieu, à chanter Jérusalem, à l’habiter par le
coeur. Ici-bas, quand nous soupirons après Jérusalem, la chair résiste, mais la
mort sera détruite et la charité fera de nous un holocauste. Toute chair ou
tons les hommes viendront au Seigneur; on leur a prêché l’idolâtrie, mais Dieu
leur remettra leurs fautes par l’expiation du Calvaire, dont l’effet est figuré
par l’entrée du grand prêtre seul dans le Saint des Saints, figure demeurée
incomprise pour les Juifs incrédules. Bienheureux au contraire les hommes unis
à Dieu par l’incarnation. Dieu leur donnera dans sa maison le spectacle de la
justice. C’est le Christ qui doit nous exaucer, lui l’espoir de la terre et non
d’une partie, l’espoir de la mer on du monde, où il nous prend dans ses filets.
Soyons les bons poissons. Dieu prépare les montagnes on les apôtres, trouble le
fond des mers, ou les coeurs impies, les amène au bien. Le monde révolté est
vaincu. Dieu visite la terre, l’arrose, laisse croître l’ivraie jusqu’à la
moisson, féconde le désert, multiplie le bercail. L’hymne de joie.
1. Le titre du psaume nous fait connaître ici
la voix d’une sainte prophétie. Voici cette inscription: « Pour la fin, psaume
de David, cantique de Jérémie et d’Ezéchiel au nom du peuple de la captivité,
au moment du retour 1». Tous ne savent point ce qui se passa chez nos pères au
temps de la captivité de Babylone, mais ceux-là seulement qui ont écouté ou lu
avec soin les saintes Ecritures, Le peuple d’Israël fut donc captif, emmené de
Jérusalem, et réduit en servitude à Babylone 2. Mais le saint prophète Jérémie
annonça que ce peuple reviendrait de cette captivité, après soixante et dix
années, qu’il rebâtirait cette même cité de Jérusalem, dont il avait pleuré la
dévastation par ses ennemis 3. Or, en ce même temps il y avait, parmi ce peuple
captif à Babylone, des Prophètes, et entre autres le prophète Ezéchiel. Ce
peuple donc attendait que fussent accomplies les soixante-dix années, selon la
prophétie de Jérémie. Il arriva, qu’après ces soixante-dix années, le temple se
releva de ses ruines, et une grande partie de ce peuple revint de la captivité.
Mais comme l’Apôtre a dit: « Toutes ces choses qui leur arrivaient étaient des
figures; elles ont été écrites pour nous instruire, nous qui vivons à la fin
des temps 4», nous devons connaître
1. Ps. LXIV, 1. — 2. IV Rois, XXIV, 25. — 3.
Jérém. XXIX, 11, et XXIX, 10. — 4. I Cor. X, 11.
d’abord ce qui est pour nous la captivité,
ensuite la délivrance; nous devons connaître Babylone, dans laquelle nous
sommes captifs, et Jérusalem, où nous aspirons à retourner. Ces deux cités sont
réellement et littéralement deux cités. Cette Jérusalem, à la vérité, n’est
plus habitée par les Juifs. Après la mort du Sauveur Sur la croix, ce crime fut
vengé par de grands fléaux; arrachés de ce lieu, où leur fureur insolente, leur
délire impie avait éclaté contre leur médecin, ils furent dispersés parmi les
nations, et leur terre échut aux chrétiens: alors s’accomplit ce que leur avait
dit le Seigneur: « C’est pourquoi le royaume de Dieu vous sera enlevé, et donné
à un peuple pratiquant la justice 1 ». En voyant des foules si nombreuses à la
suite du Seigneur qui prêchait le royaume des cieux, et qui faisait des
miracles, les princes de cette cité s’écrièrent: « Si nous le laissons ainsi,
chacun le suivra, et les Romains viendront et nous extermineront nous et notre
ville 2 ». Afin de ne point perdre la ville, ils mirent à mort le Seigneur, et
ils la perdirent précisément à cause de cette mort. Donc cette cité de la terre
était la figure d’une cité éternelle dans le ciel: mais dès que fut prêchée au
grand jour la cité ainsi figurée, celle qui en était l’ombre fut rejetée: aussi
n’y voit-on plus aujourd’hui
1. Matth. XXI, 43. — 2. Jean, XI, 48.ce temple
qui avait été construit pour symboliser dans l’avenir le corps du Seigneur.
Nous avons la lumière, la figure a passé: et toutefois nous sommes encore dans
une certaine captivité: « Tant que nous sommes sous notre «chairs, dit
l’Apôtre, « nous sommes éloignés du Seigneur 1 ».
2. Voyez aussi les noms de ces deux cités,
Babylone et Jérusalem. Babylone signifie confusion, et Jérusalem, vision de la
paix. Fixez votre attention sur la cité de confusion, pour comprendre la cité
de la paix; supportez l’une et soupirez après l’autre. A quoi pouvons-nous
distinguer ces deux cités? Pouvons-nous les séparer l’une de l’autre? Elles
sont mélangées, et mélangées dès l’origine même du genre humain; elles doivent
arriver ainsi jusqu’à la fin des siècles. Jérusalem a commencé par Abel,
Babylone par Caïn; cflr lés murailles de ces villes ne se sont élevées que plus
tard. Cette Jérusalem était dans la terre des Jébuséens; car elle s’appelait
d’abord Jébus 2, et la race des Jébuséens en fut chassée, quand le peuple de
Dieu, délivré de 1’Egypte, fut introduit sur la terre promise. Babylone fut
bâtie au milieu des régions de la Perse, et leva longtemps sur les autres
nations sa tête orgueilleuse. Ces deux villes ont donc été bâties à des époques
fixes, afin d’être la figure de ces autres cités commencées jadis, et qui
doivent durer jusqu’à la fin des siècles, mais se séparer à la fin. Comment
alors pouvons-nous les montrer, aujourd’hui qu’elles sont mélangées? Dieu saura
les discerner quand il mettra les uns à sa droite, les autres à sa gauche.
Jérusalem occupera la droite et Babylone la gauche. Jérusalem entendra ces
paroles: « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé
dès l’origine du monde». Babylone s’entendra dire: « Allez au feu éternel
préparé au diable et à ses anges 3 ». Toutefois, avec la lumière de Dieu, nous
pouvons donner des marques pour distinguer les pieux fidèles, même dès
aujourd’hui, et les citoyens de Jérusalem des citoyens de Babylone. Ces deux
cités subsistent par deux amours: Jérusalem par l’amour de Dieu, Babylone par
l’amour du monde. Que chacun interroge son coeur, et il saura de quelle ville
il est citoyen; et s’il reconnaît qu’il est de Babylone, qu’il
1. II Cor. V, 6.— 2. II Rois, V, 6 et Josué,
XVIII, 28.— 4. Matth, XXV, 34, 41.
extirpe de son coeur les convoitises pour y
planter la charité; s’il se reconnaît au contraire habitant de Jérusalem, qu’il
endure la captivité et soupire après sa délivrance, Plusieurs, en effet, qui
avaient pour mère la sainte Jérusalem, étaient retenus par leurs convoitises
dans la corruption de Babylone, et leurs désirs corrompus en avaient fait des
citoyens de cette ville: beaucoup en sont là aujourd’hui encore, et beaucoup
après nous continueront à en être là sur cette terre; mais le Seigneur, qui a
fondé Jérusalem, connaît ceux qu’il a prédestinés pour enêtre les habitants,
bien qu’il les voie encore sous le joug du démon, attendant qu’il les rachète
par le sang du Christ: il les connaît avant qu’ils se connaissent eux-mêmes.
Telle est donc l’allégorie sous laquelle ce psaume est chanté. Aussi a-t-il
dans son titre le nom de deux prophètes qui existaient aux jours de la
captivité, de Jérémie et d’Ezéchiel qui chantaient, « lorsqu’ils commençaient à
sortir ». Commencer à sortir, c’est commencer à aimer. Il en est beaucoup en
effet qui sortent secrètement, et les affections du coeur sont les pieds de
ceux qui sortent; et ils sortent de Babylone. Qu’est-ce àdire, de Babylone? De
la confusion. Comment sortir de Babylone ou de la confusion? Ceux qui étaient
d’abord mélangés par de semblables désirs commencent à se distinguer par la
charité; une fois séparés, ils ne sont plus dans la confusion. Et s’ils sont
encore mélangés d’une manière corporelle, du moins ils sont séparés par leurs
saintes aspirations. Ecoutons donc maintenant, mes frères, écoutons; et que nos
désirs soient bien ceux de notre cité. Et quelle est donc la joie que nous
chante le Prophète? Comment raviveren nous tet amour de notre cité qu’un trop
long éloignement nous a fait oublier? Mais c’est de là que notre Père nous a
envoyé ses lettres, que Dieu nous a fait parvenir ses saintes Ecritures,
lettres qui nous ont inspiré le désir du retour; car, aimer notre éloignement,
c’était passer à l’ennemi, et tourner le dos àla patrie. Quel est donc l’objet
de ces chants?
3. «C’est en Sion, ô Dieu, qu’il convient de
chanter votre gloire 1 ». Sion est notre patrie; car Sion n’est autre que
Jérusalem; et vous devez connaître le sens d’un tel nom. De même que Jérusalem
signifie vision de la paix, de même Sion signifie regard, ou vision
1. Ps. LXIV, 2.et contemplation. Je ne sais
quel spectacle si grand nous est promis; et ce spectacle, c’est Dieu lui-même
fondateur de la cité. Belle et splendide cité, dont le fondateur est plus splendide
encore: « Il convient de chanter votre gloire, ô Dieu », dit le Prophète. Mais
où? « En Sion », et non point à Babylone. Quiconque s’est mis en devoir d’en
sortir, chante alors Jérusalem dans son coeur, d’après cette parole de l’Apôtre
« Notre conversation est dans le ciel 1 ». « Quoique nous vivions dans la chair
», dit-il encore, « nous ne combattons pas selon la chair 2 ». Déjà nous sommes
en Jérusalem par le désir, déjà nous avons jeté dans cette terre notré
espérance comme une ancre, afin de ne point faire naufrage sur cette mer. De
même, alors que nous disons avec raison qu’un navire est à terre dès qu’il est
à l’ancre, il flotte à la vérité, mais il est en quelque sorte amené à terre,
pour résister aux vents et aux tempêtes; ainsi contre les tentations de notre
pèlerinage ici-bas, nous avons notre espérance fixée dans la cité de Jérusalem,
et qui nous empêche d’être jetés contre les écueils. Celui-là donc chante en
Sion, qui chante selon cette espérance; qu’il dise alors: « C’est en Sion, ô Dieu,qu’il
convient de chanter votre gloire»: oui, en Sion, non point à Babylone. Mais
peut-être maintenant encore êtes-vous à Babylone. J’y suis, nous répond cet
homme Plein d’amour, ce citoyen; j’y suis, mais de corps seulement, et non de
coeur. Ayant ainsi fait ces deux affirmations que j’y suis de corps et non de
coeur: je ne chante point Babylone, car c’est mon coeur qui chante, et non
point mon corps. Les citoyens de Babylone entendent, je le sais, ma voix
corporelle; mais le fondateur de Jérusalem entend les chants de mon coeur. De
là vient que l’Apôtre exhortait les habitants à chanter des cantiques d’amour
pleins de l’espérance de retourner à cette splendide cité, vision de la paix:
«Chantez», leur disait-il, « chantez du fond de vos coeurs à la gloire de Dieu
». Qu’est-ce à dire: « Chantez dans vos coeurs?» Ne chantez point de cette
Babylone où vous êtes; mais chantez de cette patrie d’en haut que vous habitez
par l’espérance. Donc, « c’est en Sion qu’il convient, ô Dieu, de chanter votre
gloire ». C’est l’hymne de Sion, et non l’hymne de Babylone, qui vous est
agréable. Ceux qui
1. Philip. III, 20. — 2. II Cor. X, 3. — 3.
Eph. V, 19.
chantent à Babylone, sont citoyens de
Babylone, et ne chantent point pieusement, même quand ils chantent l’hymne de
Dieu. Ecoute la parole de l’Ecriture: « La louange n’est pas bonne dans la
bouche du pécheur 1. C’est en Sion, « ô Dieu, qu’il convient de vous bénir».
4. « C’est à Jérusalem qu’on s’acquittera des
voeux qu’on vous aura faits ». Ici-bas
nous faisons des voeux, là haut nous les
acquitterons. Qui donc fait ici-bas des voeux qu’il n’acquitte point? Celui qui
ne persévère pas jusqu’à la fin dans les voeux qu’il a faits. Aussi le
Psalmiste a-t-il dit ailleurs: « Faites des voeux au Seigneur votre Dieu, et
accomplissez-les 2. C’est en Jérusalem que l’on tiendra ses voeux ». C’est là
que nous serons entièrement, c’est-à-dire corps et âme, à la résurrection des
justes; c’est là que nos voeux seront totalement accomplis; non seulement notre
âme y sera, mais aussi notre chair, qui ne sera plus corruptible, car nous ne
serons plus à Babylone, mais notre corps sera devenu céleste. Quel changement
nous est promis? « Tous nous ressusciterons », dit l’Apôtre, « mais nous ne
serons pas tous changés ». Il indique aussi ceux qui seront changés. «En un
clin d’oeil, au son de la dernière trompette, car la trompette sonnera, et les
morts ressusciteront incorruptibles désormais, c’est-à-dire dans leur
intégrité, et nous serons changés ». Plus loin il nous explique en quoi
consistera ce changement: « Il faut », dit-il, « que ce corps corruptible soit
revêtu d’incorruptibilité, et que ce corps mortel soit revêtu d’immortalité, et
après que ce corps de corruption sera revêtu d’incorruptibilité, que ce corps
de mort sera revêtu d’immortalité, cette parole de l’Ecriture s’accomplira: La
mort a été absorbée dans sa victoire. O mort, où est donc ton aiguillon 3? »
Dès que commencent à se former en nous les prémices de l’esprit qui nous font
soupirer après Jérusalem, nous ressentons en notre chair corruptible bien des
résistances qui deviendront insensibles quand la mort sera absorbée dans sa
victoire. La paix régnera, il n’y aura plus de guerre. Or, le règne de la paix
sera aussi le règne de cette cité qui est la vision de la paix. La mort ne nous
sera donc plus un obstacle. Maintenant, combien n’avons-nous pas à lutter
contre la mort! De là viennent
1. Eccli. XV, 9. — 2. Ps. LXXV, 12. — 3. I
Cor. XV, 51-55.ces sensualités de la chair, qui nous suggèrent tant de désirs
coupables; et quand même nous n’y consentirions pas, il nous faut néanmoins
lutter pour n’y point consentir. La convoitise de la chair nous a donc tout
d’abord conduits sans résistance, puis entraînés malgré nos efforts. Puis est
venu le secours de la grâce, et alors, sans pouvoir désormais nous conduire ou
nous entraîner, elle a lutté contre nous; et après la lutte viendra la
victoire. Si elle te livre aujourd’hui des assauts, du moins qu’elle ne te
renverse pas; et quand la mort sera absorbée dans la victoire, la lutte alors
cessera. Qu’est-il dit? « La mort sera notre dernier ennemi détruit ».
J’accomplirai mon voeu. Quel voeu? Le même que l’holocauste. Or, on appelle
holocauste ce qui est entièrement consommé par le feu; l’holocauste est donc le
sacrifice où tout est brûlé; car olon
signifie entièrement, et kausis,
brûlure. Holocauste donc, brûlé entièrement. Que cette flamme nous gagne,
flamme divine qui est en Jérusalem; que la charité nous embrase jusqu’à la
consomption de tout ce qu’il y a de mortel en nous, et que tout ce qui nous
fait obstacle s’en aille en sacrifice au Seigneur. De là vient qu’il est dit
ailleurs:
« Dans votre amour, Seigneur, répandez vos
bénédictions sur Sion, afin que s’élèvent les murailles de Jérusalem; alors
vous accepterez le sacrifice de justice, les oblations et les holocaustes 2.
C’est en Sion, ô mon Dieu, qu’il faut chanter votre gloire, et nos voeux pour
vous s’accompliront en Jérusalem ». Ici nous cherchons si Jésus-Christ notre
Seigneur et Sauveur ne nous serait point présenté commue le roi de cette cité:
chantons donc jusqu’à ce que nous arrivions à quelque donnée plus claire. Déjà
je pourrais vous dire à qui il est dit: « C’est vous, ô Dieu, qu’il convient de
chanter dans Sion, et nos voeux pour vous s’accompliront en Jérusalem ». Mais,
si je le disais, ce serait à moi plutôt qu’à l’Ecriture que l’on croirait; et
peut-être ne me croirait-on pas. Ecoutons la suite.
5. « Exaucez ma prière », dit le Prophète, «
c’est à vous que s’adressera toute chair 3 ».
Et le Seigneur nous dit qu’il a reçu la puissance
sur toute chair 4. Il commence donc à paraître en roi, quand il est dit: «
C’est à vous que toute chair doit s’adresser. Toute chair donc », dit le
Prophète, « doit s’adresser
1. I Cor. XV,
26.— 2. Ps. L, 20, 21.— 3. Id. LXIV, 3.— 4. Jean, XVII, 2.
à vous ». Pourquoi toute chair doit-elle
venir à lui? Parce qu’il a pris une chair. Où toute chair viendra-t-elle? Les
prémices de la chair lui viennent d’un sein virginal: or, les prémices posées,
le reste a dû suivre, et l’holocauste s’achever. Comment « toute chair? » Tout
homme. Et comment tout homme? Veut-il nous prédire que tous croiront en
Jésus-Christ? Les impies, qui doivent être damnés, ne seront-ils pas en grand
nombre? Chaque jour bon nombre d’incrédules ne meurent-ils point dans leur
infidélité? Com ment donc entendrons-nous: « Toute chair viendra vers vous? »
Toute chair, dit le Prophète, la chair de toute race: de toute race donc la
chair viendra vers nous. Qu’est-ce à dire: la chair de toute race? Est-il venu
des pauvres, sans que vinssent aussi des riches? ou des hommes d’humble
condition, sans que vinssent aussi des grands? ou des ignorants, sans que
vinssent des savants? ou des hommes, sans que vinssent des femmes? ou des
maîtres, sans que vinssent des esclaves? ou des vieillards, sans que vinssent
des jeunes gens? ou des jeunes gens, sans que vinssent des adolescents? ou des
adolescents, sans que vinssent des enfants?ou des enfants, sans que l’on
apportât des nouveau-nés? ou des Juifs (car c’est de là que vinrent les
Apôtres, et tant de milliers d’autres, qui furent croyants 1 après avoir été
persécuteurs), sans que vinssent des Grecs? ou des Grecs, sans que vinssent des
Romains? ou des Romains, sans que vinssent des barbares? Et qui peut énumérer
toutes les nations qui viennent à celui à qui s’adressent ces paroles: « C’est
à vous que toute chair doit venir? Exaucez ma prière, car toute chair doit
venir à vous ».
6. « Les paroles des méchants ont prévalu sur
nous, et vous nous pardonnerez nos iniquités 2 » Que signifie: « Les paroles
des méchants ont prévalu sur nous, et vous nous pardonnerez nos iniquités? ».
Que nous sommes nés sur cette terre, et que. nous avons rencontré des méchants
dont nous avons écouté le langage. Que l’attention de votre charité m’aide à
expliquer ma pensée. Tout homme apprend la langue du pays, de la contrée, de la
ville où il est né; il est imbu de ses moeurs, de sa vie. Comment un enfant né
parmi les païens n’adorerait-il pas la pierre, quand ce culte lui est inoculé
par ses parents?
1. Act. II, 41. — 2. Ps. LXIV, 4.Ce sont les
paroles qu’il entend tout d’abord: il a sucé l’erreur avec le lait; et comme
ceux qui lui parlaient étaient ses ancêtres, et que l’enfant qui apprenait à
parler était tout jeune, comment ce jeune enfant pouvait-il ne point suivre
l’autorité de ses ancêtres, et ne point regarder comme bien ce qu’il leur
entendait louer? Donc les nations converties àla foi du Christ, et se souvenant
dans la suite des impiétés de leurs ancêtres, pouvaient dire avec Jérémie: «
Vraiment nos pères ont « adoré le mensonge et la vanité, qui ne leur ont servi
de rien 1»: parler ainsi, c’est renoncer à leur culte et aux sacrilèges
impiétés de leurs ancêtres. Mais pour leur insinuer ce culte sacrilège, il a
fallu la persuasion de ceux qui leur paraissaient une autorité d’autant plus
plausible, qu’elle était consacrée par un âge plus grand; quiconque veut
quitter Babylone pour venir à Jérusalem, doit faire cet aveu et dire: « Les
discours des impies ont prévalu sur nous». Nos guides nous ont enseigné le mal
et nous ont faits citoyens de Babylone; nous avons abandonné le Créateur pour
adorer la créature; nous avons laissé celui qui nous a faits pour adorer ce que
nous avons fait. « Les discours des impies ont prévalu sur nous »; mais
pourtant ne nous ont pas étouffés. Pourquoi? « Vous nous pardonnerez nos
iniquités ». Que votre charité veuille bien écouter. « Vous pardonnerez nos
iniquités »; ne se dit qu’à un prêtre qui fait une offrande, pour l’expiation
de l’impiété, et se rendre Dieu propice. On dit que l’impiété nous est remise,
quand Dieu se rend propice à notre impiété. Qu’est-ce, pour Dieu, qu’être
propice à notre impiété? C’est nous la remettre, nous en accorder le pardon.
Mais, pour obtenir de Dieu le pardon, il faut un sacrifice propitiatoire. Le
Seigneur notre Dieu nous a donc envoyé un prêtre qui est le nôtre; il a pris en
nous de quoi offrir à Dieu, c’est-à-dire les saintes prémices de notre chair
dans le sein de la Vierge. Tel est l’holocauste qu’il a offert à Dieu: il a
étendu ses mains sur la croix, pour dire: « Que ma prière s’élève comme
l’encens en votre présence, que mes mains élevées soient comme le sacrifice du
soir 2». Car le Seigneur, vous le savez, fut mis en croix vers le soir: et
alors nos impiétés ont été pardonnées, autrement elles nous eussent absorbés:.
. Jérém. XVI 19. — 2. Ps. CXL, 2.— 3. Matth.
XXVII,46.
les discours des méchants ont prévalu sur
nous: nous avions pour guides les prédicateurs d,e Jupiter, de Saturne, de
Mercure. «Les discours des impies ont prévalu sur nous ». Mais que ferez-vous?
« Vous serez indulgent pour nos impiétés ». C’est vous qui êtes prêtre et
victime, qui offrez et qui êtes l’offrande. Il est le prêtre qui a pénétré
jusqu’au sanctuaire du voile qui est à l’intérieur, et seul de tous ceux qui
ont porté une chair comme la nôtre, il intercède pour nous 1. Voilà ce que
figurait chez le premier peuple, et dans le premier temple, cette entrée du
grand prêtre seul dans le Saint des saints, alors que tout le peuple était
debout au dehors: et celui qui pénétrait seul dans l’intérieur du voile,
offrait le sacrifice pour le peuple qui se tenait au dehors 2. Pour qui le
comprenait bien, c’est l’esprit qui donne la vie; pour qui ne comprenait pas,
c’est la lettre qui tue. Tout à l’heure, à la lecture de l’Apôtre, vous avez
entendu: « La lettre tue, mais l’esprit vivifie 3». Les Juifs, en effet, n’ont
jamais compris ce qui avait lieu chez ce peuple, et ne le savent pas même
aujourd’hui. Car c’est d’eux qu’il est dit: « Quand on lit Moïse, il y a un
voile sur leur coeur 4 ». Or, ce voile est une figure:
la figure passera et fera place en eux à la
vérité. Mais quand ce voile disparaîtra-t-il? Ecoute l’Apôtre: «Quand ce peuple
sera converti au Seigneur, le voile sera levé 5». Donc, tandis qu’ils ne sont
point convertis au Seigneur, ils ont le coeur voilé en lisant Moïse. Voilà ce
que figurait encore la face lumineuse de Moïse, « en sorte que les enfants
d’Israël ne pouvaient fixer les yeux sur sa face vous l’avez entendu tout à
l’heure dans la lecture; et il y avait un voile entre la face de Moïse qui
parlait, et le peuple qui écoutait sa parole. Ils écoutaient donc sa parole à
travers le voile et sans voir sa face. Que dit alors l’Apôtre? « En sorte que
les enfants d’Israël ne pouvaient fixer les yeux sur la face de Moïse. Ils ne
pouvaient la contempler », dit-il, « jusqu’à la fin 6 ». Qu’est-ce à dire: «
jusqu’à la fin? » Jusqu’à ce qu’ils comprissent le Christ. Car, l’Apôtre l’a
dit: « Le Christ est la fin de la loi, pour justifier ceux qui croiront 7 ». Il
est vrai qu’il y a une splendeur sur la face de Moïse, face corporelle
et mortelle: or, cette splendeur
pourrait-elle
1.
Hébr. VI, 19, 20. — 2. Id. IX, 7. — 3. II Cor. III, 6. — 4. Id. 15. — 5. II
Cor. III, 16.— 6. Ibid. 17.— 7. Rom. X, 4.être durable pour l’éternité? Assurément
elle doit disparaître à la mort. Mais la splendeur de la gloire et de la
béatitude en Notre Seigneur Jésus-Christ est éternelle. Tout cela n’était
qu’une figure qui passait avec le temps, et ce que couvrait cette figure était
la vérité. Aussi les Juifs lisent, mais sans comprendre le Christ; la portée de
leur vue ne va point jusqu’à la fin, parce que le voile qu’ils rencontrent leur
dérobe la vue de la lumière intérieure. Vois ici le Christ sous un voile. Notre
Seigneur lui-même a dit: « Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi car
c’est de moi qu’il a écrit 1». Or, après que nos péchés nous sont remis, ainsi
que nos impiétés, par la vertu de ce sacrifice du soir, nous passons au
Seigneur, et le voile est levé:
c’est pourquoi quand le Seigneur fut sur la
croix, le voile du temple se déchira 2. « Exaucez ma prière, toute chair doit
venir à vous. Les discours des impies ont prévalu sur nous, et vous nous
remettrez nos impiétés ».
7. « Bienheureux celui que vous avez élu et
adopté 3». Qui donc est choisi par lui et adopté? Qui est élu par notre Sauveur
Jésus-Christ? Ou bien lui-même en sa chair, en son humanité serait-il élu et
adopté? Alors ce langage s’adresserait à lui, comme Verbe de Dieu, qui était
dès le commencement, ainsi que le dit l’Evangéliste: « Au commencement était le
Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu 4 »; car il est aussi
Fils de Dieu, Verbe de Dieu, dont il est dit encore: « Toutes choses ont été
faites par lui, et rien n’a été fait sans lui »: en sorte que ce serait à lui,
Fils de Dieu devenu prêtre pour nous, après avoir adopté une chair, que
s’adresserait cette parole: « Bienheureux celui que vous avez élu et adopté »,
c’est-à-dire bienheureux l’homme dont vous vous êtes revêtu, qui a commencé
dans le temps, qui est né d’une femme, le temple en quelque sorte de celui qui
est toujours éternel, et qui a été éternellement. Ou plutôt le Christ aurait-il
adopté quelque bienheureux, et alors on désignerait, non pas au pluriel, mais
au singulier celui qu’il a adopté? En effet, c’est un seul qu’il a adopté, car
il n’adopte que l’unité. Il n’adopte ni les schismes, ni les hérésies, qui se
divisent à l’infini; il n’y a point la l’unité que l’on puisse adopter. Mais
ceux
1. Jean, V, 46. — 2. Matth. XXVII, 51. — 3.
Ps. LXIV, 5. — 4. Jean, I, 1-3.
qui demeurent dans l’union du Christ, et qui
sont ses membres, ne font en quelque sorte qu’un seul homme, dont l’Apôtre a
dit: « Jusqu’à ce que nous parvenions tous à l’unité dans la connaissance du
Fils de Dieu, à l’état de l’homme parfait, à la mesure de l’âge de la plénitude
du Christ 1 ». Un seul homme est donc adopté, qui a pour chef le Christ: « Car
le Christ est lui-même le chef de l’homme 2». C’est encore là « cet homme
bienheureux qui n’est point allé dans les conseils des impies 3 », et le reste
qu’on lit dans le Psaume: c’est lui qui est adopté. Mais il ne l’est pas à
l’exclusion de nous; car nous faisons partie de ses membres, nous sommes
gouvernés par un même chef, nous vivons dans un même esprit, nous désirons tous
la même patrie. Voyons donc si ce qui est dit du Christ, l’est aussi de nous,
et nous concerne; interrogeons nos consciences, et pénétrons cet amour; si ce-t
amour est faible et nouvellement éclos, car il a bien pu éclore dans quelque
coeur, que celui-là arrache les épines qui croissent auprès, c’est-à-dire, les
soucis du monde, de peur qu’ils ne viennent à s’accroître et à étouffer le
germe sacré. « Bienheureux celui que vous avez élu et adopté». Soyons en lui et
nous serons adoptés à notre tour; soyons en lui et nous serons élus.
8. Et que nous donnera-t-il? « Cet élu », dit
le Prophète, « habitera dans vos tabernacles ». Telle est la Jérusalem que
chantent ceux qui commencent à sortir de Babylone: « Il habitera dans vos
tabernacles; nous serons comblés des biens de votre maison 4 ». Quels sont les
biens de la maison de Dieu? Mes frères, imaginons un palais bien riche, qui
regorge de richesses, où tout soit en abondance, où brillent des vases d’or et
d’argent, qui renferme de nombreux serviteurs, de grands troupeaux, beaucoup de
chevaux; un palais enfin qu’embellissent les peintures, les marbres, les
lambris dorés, les colonnes, les galeries, les appartements divers; voilà ce
que l’on désire, mais lorsqu’on est encore dans la confusion de Babylone.
Retranche tous ces désirs, habitant de Jérusalem, retranche tout cela ! Si tu
désires le retour, que la captivité n’ait point de charmes pour toi. Es-tu sur
le chemin du retour? Ne regarde point en arrière, ne t’arrête pas en chemin. Il
ne manque pas d’ennemis qui te vanteront
1. Ephés. IV, 13. — 2. I Cor. XI, 3. — 3. Ps. I, 1. — 4. Id. LXIV, 5.
la captivité, l’éloignement: que les discours
des méchants ne prévalent plus sur toi. Soupire après la maison de Dieu,
soupire après les biens de sa maison; mais ne désire point ces biens que tu souhaites
ordinairement dans ta demeure, ou dans celle de ton voisin, ou même dans celle
de ton patron. Il est un autre bien qui est propre à la maison de Dieu.
Qu’avons-nous besoin d’énumérer les biens de cette maison? Qu’il nous les
indique celui qui chante son retour de Babylone: « Nous serons comblés»,dit-il,
«des biens de votre maison». Quels sont ces biens? Nous avions élevé les désirs
de notre coeur, jusqu’à l’or, l’argent, et ce qu’il y a de précieux: ne
désirons rien de tout cela, c’est une charge plutôt qu’un soulagement. Méditons
donc ici-bas ces biens de Jérusalem, ces biens de la maison du Seigneur, ces
biens du temple du Seigneur; car la maison du Seigneur est le temple même du
Seigneur. « Nous serons comblés des biens de votre maison; et votre saint
temple est admirable à cause de la justice 1». Voilà les biens de la maison de
Dieu. Le Prophète ne dit point: Votre saint temple est admirable dans ses
colonnes, admirable dans ses marbres, admirable dans ses lambris dorés; mais
admirable à cause de la justice. Vos yeux extérieurs peuvent se fixer sur le
marbre et l’or, mais c’est l’oeil intérieur qui voit la beauté de la justice.
Oui, dis-je, c’est à l’oeil intérieur que l’éclat de la justice est visible.
S’il n’y arien de beau dans la justice, pourquoi aimer un vieillard juste? Qu’y
a-t-il dans son corps qui flatte le regard? Des membres courbés, un front
couvert de rides, une tète aux cheveux blancs, une faiblesse exhalant des
plaintes continuelles. Mais ce vieillard décrépit n’ayant rien qui puisse
plaire à tes yeux, charmera tes oreilles: par quelle mélodie? par quel chant?
Si ses chants étaient beaux dans sa, jeunesse, avec l’âge tout a disparu. Le
sonde sa parole aura peut-être des charmes pour toi, quand sa bouche dépouillée
de ses dents ne laisse échapper que des sons incomplets? Toutefois s’il est
juste, s’il n’ambitionne pas le bien d’autrui, s’il trouve sur son bien une
part pour le pauvre, s’il a de bons conseils, une réflexion sage, une foi pure,
s’il est prêt à immoler ses membres débiles pour rendre témoignage à la vérité,
beaucoup de martyrs
1. Ps. LXIV, 6.
étaient en effet des vieillards. D’où viendra
notre amour pour lui, qu’y a-t-il en lui qui charme nos yeux? Rien absolument.
Il y a donc une beauté de justice, que voient les yeux de notre âme, qui nous
porte à l’amour, à l’enthousiasme: voilà ce qui eut des charmes pour les
hommes, dans ces martyrs dont les membres étaient déchirés par les bêtes. Mais
alors que tout était souillé de sang, que les entrailles se répandaient sous
les morsures des bêtes, n’était-ce point là une horreur pour les yeux? Qu’y
avait-il d’aimable, sinon que ces membres déchirés et hideux couvraient une
beauté de justice parfaite. Tels sont les biens de la maison de Dieu,
prépare-toi à t’en rassasier. Mais pour t’en rassasier en arrivant dans ce
palais, il te faut en avoir faim et soif dans ton pèlerinage ici-bas: que ce
soit donc là ta faim et ta soif, parce que tels sont les biens de Dieu. Ecoute
ce roi à qui l’on tient ce langage, qui est venu pour te ramener, qui s’est
fait lui-même ta voie 1. Que dit-il? « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de
la justice, parce qu’ils seront rassasiés 2 ». Le temple de Dieu est saint,
admirable à cause de la justice. Et par le temple, mes frères, n’imaginez rien
que vous-mêmes. Aimez la justice, et vous êtes le temple de Dieu.
9. « Exaucez-nous, ô Dieu notre Sauveur ». Il
nous montre maintenant le Dieu qu’il invoque. Notre Sauveur est, à proprement
parler, Notre Seigneur Jésus-Christ. Nous voyons plus clairement de qui le Prophète
avait dit: « Toute chair doit aller à vous. Exaucez-nous, ô Dieu notre
Sauveur». Cet homme adopté peur le temple de Dieu, est multiple, et néanmoins
unique. C’est dans la personne d’un seul qu’il a dit: « Ô Dieu, exaucez ma
prière ». Et comme dans cet homme unique, il y en a plusieurs, il dit
maintenant: « Exaucez-nous, ô Dieu notre Sauveur». Ecoute plus clairement que
c’est de lui qu’il est question: « Exaucez-nous, ô Dieu, notre Sauveur, vous,
l’espoir des confins de la terre et des îles lointaines ». Voilà pourquoi il
est dit: « Toute chair doit venir à vous ». Elle vient de toutes parts. « Vous
êtes l’espoir de tous les confins de la terre », non pas l’espérance d’un seul
angle de terre, non pas l’espoir de la Judée seulement, non pas l’espoir de
l’Afrique seule, non pas l’espoir de la Pannonie,
1. Jean, XIV, 6. — 2. Matth. V, 6.
non pas l’espoir de l’Orient ou de l’Occident
mais « l’espoir de tous les confins de la terre et dans la mer bien loin »; oui,
des confins de la terre. « Et dans la mer au loin»: c’est au loin, parce que
c’est dans la mer. La mer est ici la figure die ce monde, amer à cause de la
salaison, troublé par les tempêtes, et où les hommes guidés par leurs
convoitises coupables et dépravées, sont devenus des poissons se dévorant les
uns les autres. Voyez cette mer dangereuse, cette onde amère, aux flots
meurtriers; voyez de quels hommes elle est remplie. Qui souhaite un héritage,
autrement que par la mort d’un autre? Qui convoite un gain,sinon au détriment
d’un autre? Combien veulent s’élever par la chute même des autres? Combien
encore désirent que les autres vendent leurs biens, afin de les acheter? Quelle
oppression mutuelle, comme on se dévore dès qu’on le peut ! Et quand un grand poisson
en a dévoré un plus petit, il est à son tour dévoré par un plus grand encore. O
poisson méchant, tu fais ta proie d’un plus petit, et tu deviens la proie d’un
plus grand. Voilà ce qui arrive chaque jour et sous nos yeux: nous en sommes
témoins, ayons-le en horreur. Gardons-nous d’en agir ainsi, mes frères, car
c’est Dieu qui est l’espoir des confins de la terre. Et s’il n’était pas aussi-
l’espérance, « au loin sur la mer », il ne dirait pas à ses disciples: « Je
ferai de vous; des pêcheurs d’hommes 1 ». Déjà pris au milieu de la mer dans
les filets de la foi, réjouissons-nous d’y nager encore à travers ces filets;
car cette mer est houleuse encore, mais les filets dans lesquels nous sommes
engagés seront tirés sur le rivage Ce rivage est le terme de la mer, et dès
lors la fin du monde pour nous. Jusque-là, mes frères, vivons saintement dans
ces filets; ne les déchirons point pour sortir dehors. Beaucoup d’autres ont
rompu ces filets, et ont fait des schismes et sont allés au dehors. Ils ne
pouvaient, disaient-ils, souffrir les poissons mauvais enfermés dans le filet;
et voilà qu’ils sont devenus pires encore que ceux qu’ils disaient n’avoir pu
tolérer. Ces filets, en effet, ont pris de bons et de mauvais poissons; car le
Seigneur a dit: « Le royaume des cieux est semblable à un filet jeté dans la
mer, et qui rassemble toutes sortes de poissons; et lorsqu’il est plein on le
retire, et, s’asseyant sur le rivage, on réunit les
1. Matth. IV, 19.
bons dans un vase, et on jette les mauvais il
en sera ainsi », continue-t-il, « à la consommation des siècles ». Voilà qu’il
nous montre le rivage, qu’il montre le terme de la mer. « Les anges viendront,
et sépareront les mauvais du milieu des justes, et ils les jetteront dans la
fournaise du feu: c’est là qu’il y aura pleur et grincement de dents 1».
Courage donc, ô habitants de
Jérusalem, qui êtes dans les filets, qui êtes
les bons poissons; tolérez les mauvais, mais ne
brisez point les filets: « Ils vous
retiennent dans la mer, mais ils ne vous retiendront plus au rivage. Celui qui
est l’espérance des confins de la terre, est aussi l’espérance au loin sur la
mer ». Or, comme c’est sur la mer, c’est au loin.
10. « Il prépare les montagnes dans sa
puissance 2»: non pas dans leur puissance. C’est lui en effet qui a préparé ces
grands prédicateurs, qu’il appelle des montagnes; humbles en eux-mêmes, ils
sont élevés en lui. Il prépare donc les montagnes dans sa puissance. Et que dit
une de ces montagnes? « Nous avons reçu en nous-mêmes une réponse de mort, afin
de ne point mettre notre confiance en nous-mêmes, mais en Dieu qui ressuscite
les morts 3». Mettre sa confiance en soi-même, et ne point la mettre dans le
Christ, c’est n’être point de ces montagnes qu’il prépare dans sa puissance. «
C’est donc en sa puissance qu’il prépare les montagnes. Il se revêt de force».
Je comprends la force: Mais « se revêtir», qu’est-ce? Ceux qui placent le
Christ au milieu d’eux, l’environnent, c’est-à-dire qu’ils sont pour lui comme
un vêtement. Nous l’avons tous communément, il est au milieu de nous: nous
sommes pour lui un vêtement, nous tous qui croyons en lui; et comme notre foi
n’est point l’oeuvre de nos forces, mais de sa puissance, il est donc « revêtu
de sa force», mais non de notre vertu.
11. « C’est vous qui troublez le fond des
mers 4 »,Voilà ce qu’il a fait: son oeuvre est visible. Il a préparé les
montagnes dans sa puissance, et les a envoyées prêcher: il s’est environné de
foi dans sa force, et la mer s’est troublée, le siècle s’est troublé, et s’est
mis à persécuter les saints. « Environné de force, vous troublez le fond des
mers ». Le prophète
1.
Matth. XIII, 47-50. — 2. Ps. LXIV, 7. — 3. II Cor. I, 9. — 4. Ps. LXIV, 8.
ne dit point: Vous troublez la mer, mais « le
fond de la mer ». Ce fond de la mer c’est le coeur des impies. De même que
c’est jar le fond que l’on bouleverse avec plus de violence, parce que le fond
contient tout ainsi tout ce qui est l’oeuvre de la langue, des mains, des
puissances diverses, pour persécuter l’Eglise, vient du fond. Si la racine de
l’iniquité n’était point dans le coeur, tout cela ne marcherait point contre le
Christ. Il a troublé le fond, peut-être à dessein de l’épuiser: car en certains
fléaux il a épuisé la mer jusqu’au fond, et en a fait un désert. C’est ce que
dit un autre psaume: « Il a fait de la mer une terre sèche 1 ». Tous les impies
et les païens qui ont embrassé la foi, étaient la mer, et sont devenus la
terre: stériles d’abord à cause de l’eau salée, ils sont devenus fertiles en
fruits de justice. « Vous troublez le fond des mers: et qui supportera le bruit
de ses flots? » Qu’est-ce à dire, « qui supportera? » Quel homme supportera le
bruit des flots, les injonctions des puissances du monde? Mais d’où vient qu’on
les supporte? C’est qu’il a préparé les montagnes dans sa puissance. Pourquoi
donc se demander qui les supportera? Il veut dire: Par nous-mêmes nous ne
pourrions supporter ces persécutions, si Dieu ne nous en donnait la force. «
C’est vous qui troublez le fond de la mer: et qui supportera le bruit de ses
flots? »
12. « Les nations seront dans l’effroi 2 ».
D’abord l’effroi pour les nations; mais ces montagnes préparées dans la force
du Christ, ont-elles été dans l’effroi? La mer s’est troublée, elle s’est ruée
contre ces montagnes ses lames ont été brisées, et les montagnes sont demeurées
inébranlables. « Les nations seront dans le trouble, toutes en proie à la
crainte ». Déjà la crainte s’est emparée de toutes; ceux qui naguère étaient
troublés, sont maintenant dans l’effroi. Les chrétiens, sans rien craindre, ont
inspiré de la crainte. Ceux qui les persécutaient les redoutent. Car il a
vaincu celui qui est environné de sa puissance; et toute chair vient à lui, au
point d’effrayer les obstinés sur leur petit nombre. « Et tous ceux qui
habitent les confins de la terre, seront dans la crainte à cause de vos
miracles ». Car les Apôtres ont opéré des miracles qui ont jeté dans la crainte
et amené à la foi les confins de la terre.
1.
Ps. LXV, 6. — 2. Id. LXIV, 8. — 3. Ib. 9.
13. « Vous répandrez la joie sur nos
démarches au matin et au soir 1», c’est-à-dire:
vous nous les rendrez agréables. Que nous
est-il promis dès cette vie? « Vous répandrez la joie sur les démarches du
matin et du soir ». Nous marchons en effet le matin, comme nous marchons le
soir. « Le matin »signifie la prospérité du siècle, et le soir » la tribulation
du siècle, Que votre charité veuille bien le remarquer, l’une et l’autre
servent d’épreuve à notre âme; la corruption est l’écueil de la prospérité,
comme l’abattement, de l’adversité. Aussi le matin est-il le symbole de la
prospérité, parce que le matin a sa joie après les tristesses de la nuit. Mais
les ténèbres sont tristes, alors que vient le soir: c’est pourquoi au soir du
monde fut offert le sacrifice du soir. Gardons-nous donc de toute tristesse le
soir, et de toute corruption le matin. Voilà je ne sais quel homme qui t’offre
un bénéfice pour t’engager au mal, c’est là le matin; une forte somme d’argent
te sourit, c’est le matin pour toi. Garde-toi de toute corruption, et tu auras
une heureuse issue. Or, situ as une issue, tu ne seras point pris au piége.
Cette promesse d’un gain est en effet un appât sur un piège: tu es embarrassé,
tu ne trouves point d’issue; tu es pris au piége. Or, le Seigneur ton Dieu t’a
ouvert une issue pour échapper au piége du gain, alors qu’il dit dans son
coeur: Je suis ton trésor. Ne t’arrête pas aux promesses du monde, tuais aux
promesses du Créateur du monde: considère les promesses que fait le Seigneur, à
tes oeuvres de justice, méprise celles que te fait un homme pour te détourner
de la justice et t’amener à l’injustice. Ne considère donc point les promesses
du inonde,mais celles du Créateur du monde; et tu pourras au matin t’échapper
par l’issue que t’ouvre cette parole du Seigneur: « Que sert à l’homme de
gagner le monde entier, s’il vient à perdre son âme 2? » Mais celui qui n’a pu
te corrompre en te promettant de l’or, ni t’amener à l’iniquité, va recourir
aux menaces, il va devenir ton ennemi, et te dire: Si tu n’agis selon mon gré,
moi j’agirai, je t’en ferai repentir, tu auras en moi un ennemi. Quand il
t’offrait un gain, c’était le matin pour toi; maintenant que le soir est venu,
tu es triste. Mais celui qui t’a donné une issue le matin t’en donnera une le
soir encore. De même qu’au flambeau du
1. Ps. LXIV, 9. — 2. Matth. XVI, 26.
Seigneur, lu as méprisé le matin du monde,
que les souffrances du Seigneur te fassent aussi mépriser le soir, et dire à
ton âme: Que peut me faire cet homme, que n’ait enduré pour moi mon Dieu?
Gardons la justice, et ne consentons pas à l’iniquité. Qu’il sévisse contre ma
chair, le piége sera brisé, et je volerai vers mon Dieu, qui me dit: « Ne
crains point ceux qui tuent le corps, mais qui ne peuvent tuer l’âme 1 ». Et
même au sujet du corps il nous donne une garantie, en disant: « Il ne périra pas
un cheveu de votre tête 2 ». Il donne ici cette magnifique image: « Vous
mettrez la joie dans mes issues du matin et du soir ». Si ces démarches en
effet n’ont pour vous aucun charme, il vous en coûtera peu de sortir de là. Tu
donneras tête baissée dans le gain qui t’est promis, si tu goûtes peu les
promesses du Sauveur. Et derechef, tu céderas à la tentation et à la crainte,
si lu ne trouves tes délices dans les douleurs qu’il a le premier endurées,
pour te ménager une issue. « Vous mettrez la joie dans nos démarches du matin
et du soir».
14. « Vous avez visité la terre et l’avez
enivrée 3 ». Par où a-t-il enivré la terre? « Quelle est la splendeur de votre
calice qui enivre 4! Vous avez visité la terre et l’avez enivrée »: vous avez
envoyé vos nuages qui ont épanché la rosée de la vérité, et la terre a été
enivrée. « Vous avez multiplié ses richesses ». Par quel moyen avez-vous
multiplié ses richesses? « Le fleuve du Seigneur a été rempli d’eau ». Quel est
ce fleuve de Dieu? Le peuple de Dieu. Le premier peuple a été rempli de manière
à arroser tout le reste de la terre. Ecoute le Seigneur qui promet des eaux: «
Si quelqu’un a soif, qu’il vienne et qu’il boive. Quiconque croit en moi, des
fleuves d’eau vive couleront de son sein 5 ». S’il y a des ruisseaux, il n’y a
cependant qu’un fleuve; parce que dans l’unité tous n’en forment qu’un seul. Il
y a plusieurs Eglises, et néanmoins une seule Eglise, plusieurs fidèles et une
seule épouse du Christ; ainsi plusieurs écoulements ne forment qu’un seul
fleuve. Beaucoup d’israélites embrassèrent la foi, et furent remplis de
l’Esprit-Saint: puis ils se répandirent dans les nations et commencèrent à
prêcher la vérité; et ce fleuve de Dieu, qui a été rempli d’eau, arrosa toute
la terre.
1.
Matth. X, 28. — 2. Luc, XXI, 18. — 3. Ps. LXIV, 10.— 4. Id, XXII, 5. —6. Jean,
VII, 37, 38.« Vous avez ainsi préparé leur nourriture: parce que telle est
votre préparation ». Ce n’est point parce qu’ils avaient bien mérité de vous,
ceux à qui vous avez pardonné leurs péchés: leurs mérites étaient mauvais; mais
vous l’avez fait à cause de votre miséricorde: « Comme c’est ainsi que vous
préparez, vous leur avez préparé leur nourriture ».
15. « Arrosez ses sillons ». Creusons d’abord
des sillons qui seront ensuite arrosés
que notre coeur trop dur s’ouvre au soc de la
parole de Dieu. « Arrosez ses sillons, multipliez ses fruits ». Voilà ce que
nous voyons; les hommes croient, leur foi engendre d’autres croyants, et ces
croyants d’autres croyants encore: il ne suffit point à l’homme d’être fidèle
et de gagner l’unique nécessaire. Ainsi se multiplie la semence; on jette
quelques grains et des moissons surgissent. « Arrosez ses sillons, multipliez
ses produits, et le germe tressaillera pénétré de ses rosées 1 »; c’est-à-dire,
avant peut-être qu’elle ne puisse recevoir toute l’eau du fleuve, «quand elle
germera, elle tressaillera de sa rosée, ou de ce qui lui est convenable ». Aux
enfants, en effet, ainsi qu’aux faibles, on ne donne qu’une faible rosée des
mystères, parce qu’ils ne pourraient supporter la vérité dans sa plénitude.
Ecoulez quelle douce rosée est donnée aux enfants à leur naissance, ou quand,
nouvellement nés, ils sont le moins coupables: « Je n’ai pu», dit l’Apôtre,
«vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels,
comme à des enfants en Jésus-Christ 2 ». Quand il dit: « Des enfants en
Jésus-Christ », il parle d’enfants déjà nés, mais incapables de goûter cette
abondante sagesse, dont il dit: « Nous prêchons la sagesse aux parfaits 3 ».
Qu’il se réjouisse de ses gouttes de rosée, à sa naissance et pendant son
accroissement; devenu parfait, il prendra la nourriture de la sagesse: de même
que l’on donne d’abord du lait à un enfant et qu’il devient capable de
nourriture; toutefois, c’est de cette nourriture, dont il était d’abord
incapable, que s’est formé le lait. « Et quand elle germera, elle se réjouira
de quelques gouttes de rosée ».
16. « Vous bénirez la couronne des années de
votre bonté 4 ». C’est aujourd’hui le moment de semer, la semence croît, la moisson
viendra ensuite. Et aujourd’hui, au milieu
1. Ps. LXIV, 11. — 2. I Cor. III, 1. — 3. Id.
II, 6. — 4. Ps. LXV, 12.de ces semailles, l’ennemi est venu semer la zizanie;
et voilà que les méchants, les faux chrétiens, ont germé au milieu des bons;
ils leur ressemblaient par la tige, mais non par le fruit. On appelle zizanie
ces plantes qui à leur naissance, ressemblent au froment, comme l’ivraie et la
folle avoine et tant d’autres qui leur ressemblent dans leurs premières tiges.
De là vient que le Seigneur parlait ainsi à propos de la zizanie répandue « Son
ennemi vint et sema de la zizanie au milieu du froment; or, après que l’herbe
eut poussé et produit son fruit, la zizanie parut aussi. Donc c’est l’ennemi
qui est venu semer la zizanie »: mais qu’a-t-il fait au froment? Ce froment
n’est pas étouffé par l’ivraie; au contraire, on a laissé l’ivraie pour laisser
croître le froment. Car le maître lui-même dit à quelques ouvriers qui
voulaient arracher la zizanie: « Laissez croître l’un et l’autre jusqu’à la moisson,
de peur qu’en voulant arracher la zizanie vous n’arrachiez aussi le froment;
mais au temps de la moisson je dirai aux moissonneurs: Arrachez d’abord la
zizanie, faites-en des gerbes pour les brûler; mais amassez le froment dans mon
grenier 1». Cette fin de l’année est la moisson du siècle. « Vous bénirez la
couronne des années de votre bonté ». Lorsque tu entends couronne, cela
signifie l’honneur de la victoire. Triomphe du démon, et tu seras couronné. «
Vous bénirez la couronne des années de votre bonté ». Il nous remet encore la
bonté de Dieu sous les yeux, afin que nul ne se glorifie de ses mérites.
17. « Et vos campagnes seront pleines de
fécondité, les confins du désert s’engraisseront, et les collines auront une
ceinture de joie 2». Les campagnes, les collines, les confins du désert, tout
cela désigne les mênies hommes. Dans les plaines tout est de niveau; donc, à
cause de ce niveau, les peuples justes sont comparés à des campagnes. Ce sont
des collines à cause de leur élévation; parce que Dieu élève jusqu’à sa
sublimité ceux qui s’humilient. Les confins du désert désignent toutes les
nations. Pourquoi confins du désert? Elles étaient désertes, en effet, puisque
nul prophète ne leur était envoyé; elles étaient donc semblables au désert que
nul homme ne traverse. Nulle parole de Dieu n’a été
1. Matth. XIII, 25-30. — 2. Ps. LXIV, 13.
envoyée aux Gentils. Les prophètes n’ont
prêché qu’au peuple d’Israël. Alors vint le Seigneur, le froment dont ce peuple
d’Israël embrassa la foi. Car le Christ disait à ses disciples: « Vous dites
que la moisson est encore éloignée; levez les yeux, et voyez les campagnes qui
blanchissent pour la moisson 1». Il y eut donc une première moisson, il y en
aura une seconde à la fin des temps. La première moisson se composa de Juifs,
parce que c’était à eux que les Prophètes étaient envoyés pour prêcher
l’avènement du Sauveur. C’est pourquoi le Seigneur disait à ses disciples: «
Voyez comme les campagnes blanchissent pour la moisson »: c’étaient les
campagnes de la Judée. « D’autres », leur dit-il encore, « ont travaillé, et
vous êtes entrés dans leurs travaux 2 ». Les prophètes ont travaillé pour
semer, et vous, c’est avec la faux que vous entrez dans leurs labeurs. La
première moisson est donc faite, et c’est de ce premier froment qui fut alors
purifié, que l’on a ensemencé toute la terre, pour produire cette autre moisson
que l’on doit recueillir à la fin des temps. Dans cette seconde moisson, il a
été semé de l’ivraie, de là le travail actuel. De même que dans la première moisson
les Prophètes travaillèrent jusqu’à l’arrivée du Sauveur: ainsi, daus cette
seconde, ont travaillé les Apôtres, et travaillent tous les prédicateurs de la
vérité, jusqu’à la fin des siècles, alors que le Seigneur enverra ses anges
pour la récolte. C’était donc tout d’abord le désert, mais « les confins du
désert se sont engraissés ». Voilà que dans les endroits où les Prophètes ne
s’étaient pas fait entendre, on a reçu le Seigneur des Prophètes: « Les confins
du désert s’engraisseront, et les collines auront une ceinture de joie ».
18. « Les béliers dans les troupeaux ont été environnés 3»: il faut
sous-entendre « de joie ». La joie qui faisait une ceinture aux collines,
environnait aussi les béliers. Et ces béliers sont les mêmes que les collines.
Collines à cause de la sublimité de la grâce; béliers, comme chefs du bercail.
Donc les béliers ou les Apôtres ont été environnés de joie, ils ont tressailli
devant leurs moissons, ils n’ont pas travaillé en vain ni prêché inutilement. «
Donc les chefs des troupeaux ont été environnés, et les vallées donneront des
1. Jean, IV, 35. — 2. Id. 38. — 3. Ps. LXIV,
14.blés en abondance »; et les peuples humbles parieront des fruits nombreux «
Ils crieront », et à cause de ces cris ils produiront du froment en abondance.
Que doivent-ils crier? « Ils chanteront une hymne ». Autre chose est de crier
contre Dieu, et autre de chanter une hymne; autre de proférer des chants
sacrilèges, autre de chanter les louanges de Dieu. Proférer le blasphème, c’est
produire des épines; chanter une hymne, c’est produire du froment.
PRÊCHÉ À CARTHAGE.
Double
erreur des Juifs qui ont attendu dans la résurrection les biens de la terre, et
cru qu’ils ressusciteraient seuls. Jésus répond que nous serons alors comme des
anges. C’est un bonheur que toute la terre doit chanter, chanter même
extérieurement ou sur le psaltérion, afin que les hommes en soient édifiés. La
grâce est pour tous, mais n’est point le salaire de nos mérites. De là cette
crainte que doivent nous inspirer les oeuvres de Dieu, qui donne la lumière aux
humbles et aveugle les orgueilleux. Les Juifs ont été retranchés, et les
Gentils insérés à leur place: de cette insertion Dieu retranche encore les
hérétiques. Le mensonge de ses ennemis concourt à sa gloire. Mensonges
d’accusation, mensonges contre la résurrection. Jésus triomphe en montant au
ciel. Les Gentils qui étaient une mer sont devenus une terre sèche. Toute âme
humble passe à pied sec le fleuve de la vie, pour s’épanouir en Jésus-Christ,
qui est ici-bas notre espérance, qui sera notre force. Au rejeton d’Abraham,
nous devons ce que nous sommes, il nous éclaire, nous maintient dans la vertu,
nous soutient dans les épreuves, nous aide à supporter les hommes. C’est lui
qui nous garantit du feu qui nous consumerait, de l’eau qui nous corromprait.
Offrons-lui des holocaustes, c’est-à-dire que le feu ne laisse en nous rien de
terrestre, des holocaustes intérieurs, par la charité, qui lui amèneront les
boeufs et les boucs, les innocents et les coupables. Il fait à notre âme cette
faveur, qu’il la tire du culte des idoles pour la tourner vers lui, qu’il nous
détourne de l’iniquité, nous donne la prière, et par la prière la miséricorde.
1. Ce psaume a pour titre: « Pour la fin,
chant du psaume de la résurrection 1 ». Lorsque dans l’énoncé d’un psaume vous
entendez « pour la fin », comprenez: pour le Christ, d’après cette parole de
l’Apôtre: « Le Christ est la fin de la loi, pour justifier ceux qui croiront 2
». Vous allez donc entendre un chant de résurrection, et savoir qui ressuscite,
autant qu’il voudra bien lui-même nous en donner l’intelligence. Nous autres,
chrétiens, nous connaissons la résurrection qui s’est opérée dans notre chef,
et qui aura lieu dans ses membres. « Le Christ est chef de l’Eglise, et
l’Eglise forme les membres du Christ 3 ». Ce qui s’est tout d’abord accompli
dans le chef, doit ensuite s’accomplir dans le corps. Telle est notre espérance
voilà pourquoi nous croyons, voilà ce qui nous soutient, ce qui nous fait
supporter la malice de ce monde, parce que l’espérance nous
1.
Ps. LXV, 1.— 2. Rom. X, 4. — 3. Coloss. I, 18.
console, jusqu’à ce que l’espérance devienne réalité;
or, elle se réalisera quand nous ressusciterons, alors que devenus célestes
nous serons semblables aux anges. Qui oserait l’espérer, si la vérité même ne
l’avait promis? Ces promesses, cette espérance, les Juifs les avaient aussi; de
là vient qu’ils se glorifiaient de leurs bonnes oeuvres, comme des oeuvres de
justice, parce qu’ils avaient reçu la loi, et qu’en la prenant pour règle de
vie, ils devaient posséder ici-bas des biens temporels, et à la résurrection
des morts, acquérir ces mêmes biens qui faisaient leur joie ici-bas. Aussi les
Juifs ne pouvaient-ils répondre aux Sadducéens, qui niaient la résurrection
future, et qui leur proposaient la question qu’ils firent au Seigneur. Nous
comprenons, en effet, par l’admiration que leur causa la solution du Seigneur,
que cette question était pour eux insoluble. Les Sadducéens le questionnaient
donc au sujet d’une femme qui avait eu sept (56) maris, non pas simultanément,
mais successivement. Pour favoriser l’accroissement du peuple, la loi ordonnait
que si un homme venait à mourir sans enfants, son frère, s’il en avait,
épouserait sa veuve, afin de susciter des enfants à son frère 1. Ils
proposèrent donc une femme qui avait eu sept maris, tous morts sans enfants, et
qui n’avaient épousé cette veuve de leur frère, que pour accomplir ce devoir,
et firent alors cette question: « A la résurrection, duquel des sept
sera-t-elle la femmes 2? » Assurément, cette question n’eût été pour les Juifs
ni insoluble, ni même difficile, s’ils n’avaient pas espéré après la
résurrection le même genre de biens qu’en cette vie. Mais le Seigneur en leur
promettant d’être comme les anges, et non point dans la corruption d’une chair
humaine, leur dit: « Vous êtes dans l’erreur, ne sachant ni les Ecritures, ni
la puissance de Dieu; à la résurrection, les hommes n’auront point de femmes,
ni les femmes de maris, ils ne seront plus assujettis à la mort, mais ils
seront comme les anges de Dieu 3». Il leur montre qu’il y a besoin de
succession, là seulement où il y a des décès à pleurer; mais qu’il n’est plus
besoin de successeurs quand il n’y a point de décès. C’est pour cela qu’il
ajoute: ils ne seront plus assujettis à la mort. Toutefois, comme les Juifs
croyaient à la résurrection future, quoique d’une manière charnelle, ils furent
heureux de cette réponse faite aux Sadducéens, avec lesquels ils étaient en
dispute au sujet de cette question captieuse et obscure. Donc les Juifs
croyaient à la résurrection des morts; et ils espéraient qu’eux seuls
ressusciteraient pour la vie heureuse, à cause de l’oeuvre de la loi, à cause
de la justification des saintes Ecritures, qu’ils possédaient seuls, à
l’exclusion des Gentils. « Le Christ a été crucifié, l’aveuglement est tombé
sur une partie d’Israël, jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât dans
l’Eglise 4»:
ainsi dit l’Apôtre. Or, la résurrection fut
promise aux Gentils, quand ils crurent à la résurrection de Jésus-Christ. De là
vient que notre psaume combat cette orgueilleuse présomption des Juifs, et
célèbre la foi des Gentils appelés à la même espérance de résurrection.
2. Voilà, mes Frères, eu quelque manière
1.
Deut. XXV, 5 — 2. Matth. XXII, 28. — 3. Id. 23-30; Luc, XX, 27-36. — 4. Rom. XI, 23.
le sens du psaume. Arrêtez votre attention
sur le peu que j’ai dit et que je viens d’expo. ser; ne vous en laissez
détourner par aucune autre pensée: le psaume contredit la présomption des
Juifs,qui se basaient sur les justifications de la loi, et ont crucifié
Jésus-Christ, lequel est ressuscité le premier, et les Juifs seront les seuls
de ses membres qui ne ressusciteront point avec lui, mais tous ceux qui ont cru
en lui, c’est-à-dire les Gentils. Voici comme il commence: « Sonnez de la
trompette au Seigneur 1 » Qui sonnera? « Toute la terre ». Donc la Judée ne
sera point seule. Voyez, mes Frères, comme il est question de l’Eglise entière
répandue dans l’univers; et non seulement plaignez les Juifs, qui enviaient
cette faveur aux Gentils, mais pleurez encore plus sur les hérétiques. Car s’il
faut plaindre ceux qui ne sont point amenés au bercail, combien plus encore
ceux qui n’y sont venus que pour en sortir? « Que toute la terre donc sonne de
la trompette au Seigneur ». Qu’est-ce à dire: « Sonnez de la trompette? »
Poussez des cris de joie, si les paroles vous manquent. Les paroles ne vont point
dans la trompette, mais seulement les sons joyeux; c’est le coeur qui déborde,
qui jette sa joie au dehors, avec de simples cris que nulle parole ne peut
rendre. « Que toute la terre sonne de la trompette au Seigneur: que nul ne se
fasse entendre sur une partie seulement. Non dis-je, que nul ne divise la
terre; que la terre entière soit dans la joie, que cette joie soit catholique.
Dire catholique, c’est dire universelle: quiconque divise se sépare du tout; il
veut hurler, mais non sonner de la trompette. « Que la terre sonne de la
trompette au Seigneur ».
3. « Chantez des psaumes en son nom 2»Que
veut dire le Prophète? que les chants des psaumes soient une gloire pour son
nom. Hier je vous ai dit ce que signifie chanter un psaume, et il me semble que
votre charité s’en souvient. Chanter un psaume, c’est prendre une lyre appelée
psaltérion, et mettre l’action de la main qui touche d’accord avec la voix. Si
donc vous êtes dans la jubilation, que Dieu vous entende; mais touchez votre
harpe, afin que les hommes vous voient et vous entendent; mais non pas en votre
nom. « Gardez-vous, en effet, de faire vos oeuvres de justice en présence des
hommes, afin d’en
1. Ps. LXV, 2. — 2. Id.être vu ». Au nom de
qui, me diras-tu, faut-il toucher de la harpe, afin que mes oeuvres soient
dérobées au regard des hommes? Voyez dans un autre endroit: « Que vos oeuvres
aient de l’éclat aux yeux des hommes, afin qu’ils voient vos bonnes actions, et
qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux 2. Qu’ils voient vos bonnes
actions et qu’ils glorifient », non pas vous, mais Dieu, Car si vous ne faites
le bien que pour en tirer une certaine gloire, on vous fera la réponse que fit
le Sauveur à propos de certains hommes de cette catégorie: « En vérité, je vous
le déclare, ils ont reçu leur récompense »; et encore: « Autrement vous n’aurez
point de récompense de « votre Père qui est dans les cieux’ ». Donc, diras-tu,
je dois cacher mes oeuvres, et ne point les faire en présence des hommes? Point
du tout. Que dit en effet le Sauveur? « Que vos oeuvres aient de l’éclat en
présence des hommes ». Je demeurerai donc dans l’incertitude. D’une part, vous
me dites: « Gardez-vous de faire vos oeuvres de justice devant les hommes»; et
d’autre part: « Que vos oeuvres aient de l’éclat en présence des hommes ». Quel
précepte écouter? que faire? que laisser? Il y a pour l’homme la même
impossibilité de servir deux maîtres, qui donnent des ordres différents, que
d’en servir un seul, dont les ordres sont différents aussi. Mais le Seigneur
n’a point dit: Mes préceptes sont différents. Remarque bien la fin, et chante
pour la même fin; vois pour quelle fin tu dois agir. Si tu agis pour en tirer
ta gloire, voilà ce que je défends; mais si c’est pour la gloire de Dieu, voilà
ce que j’ordonne. Chantez donc sur la harpe, non pas en votre nom, mais au nom
du Seigneur votre Dieu. A vous le chant, à lui la louange; à vous de vivre
saintement, à lui d’en retirer la gloire. D’où vous vient le moyen de vivre
saintement? Si vous l’aviez de toute éternité, votre vie n’aurait jamais été
coupable; si vous l’aviez de vous-mêmes, votre vie n’aurait jamais manqué
d’être sainte. « Chantez donc sur la lyre au nom du Seigneur ».
4. « Mettez votre gloire dans ses louanges 4
». Le Prophète veut que toute notre volonté soit pour la gloire de Dieu, il ne
nous laisse aucun sujet de nous louer nous-mêmes. Il n’en faut que plus nous
glorifier et nous
1. Matth. VI,
1. — 2. Id. V, 16. — 3. Id. VI, 1, 2. — 4. Ps. LXV, 2.
réjouir; attachons-nous au Seigneur, et qu’en
lui soit notre louange. Dans la lecture de l’Apôtre vous avez entendu: «
Considérez votre vocation, mes Frères, vous trouverez parmi vous peu de sages
selon la chair, peu de puissants et peu d’illustres; mais Dieu a choisi ce qui
est fou selon le monde, pour confondre les sages; il a choisi ce qui est faible
selon le monde, afin de confondre les forts; il a choisi ce qu’il y a de plus
vil, ce qui n’est rien comme ce qui est quelque chose, afin de détruire ce qui
est 1 ». Qu’a-t-il voulu dire? qu’a-t-il voulu montrer? Notre Seigneur
Jésus-Christ qui est Dieu, est venu restaurer le genre humain, et donner sa
grâce à tous ceux qui comprennent qu’elle est un don de lui, et non un mérite
de leur part; et pour que nul homme ne pût se glorifier selon la chair, il a
choisi les infirmes. Car le mérite ne fit pas choisir Nathanaël lui-même. Que
diras-tu, en effet? Voilà Matthieu le Publicain, choisi sur son comptoir 2, et
le Sauveur ne choisit point Nathanaël, à qui néanmoins il rend témoignage en
ces termes: « C’est là un vrai israélite, sans déguisements 3». On comprend
alors que Nathanaël était savant dans la loi. Non pas que le Sauveur ne dût pas
choisir des savants; mais s’il les eût choisis tout d’abord, ils auraient
attribué leur élection au mérite de leur doctrine; la louange eût été pour leur
science, et la louange de la grâce dans le Christ en eût souffert. Il lui
rendit témoignage comme à un bon fidèle qui n’a pas de déguisement, et
néanmoins il ne le mit pas au nombre de ses disciples, qu’il choisit d’abord
parmi les illettrés. Et qu’est-ce qui nous fait comprendre qu’il était habile
dans la loi? Quand l’un de ceux qui avaient suivi le Seigneur lui dit z « Nous
avons trouvé le « Messie, appelé le Christ»; il demanda d’où il était, et comme
on lui répondit: « De Nazareth »; « il peut », dit-il à son tour, « venir
quelque chose de bien de Nazareth ». Mais dès qu’il comprenait que de Nazareth
pouvait venir quelque bien, il était habile dans la loi et avait examiné
attentivement les Prophètes, Je sais que l’on donne à ces paroles une autre
accentuation, mais qui n’est pas adoptée par les plus habiles, et d’après
laquelle il aurait répondu avec un certain désespoir: « De Nazareth peut-il
venir quelque
1. I
Cor. I, 26-28. — 2. Matth. IX, 9. — 3. Jean, I, 41.47.bien? » C’est-à-dire, est-ce bien
possible? et donnant à sa réponse l’accent du doute. Nous lisons ensuite: «
Venez et voyez 1 ». Or, cette réponse: « Venez et voyez », peut convenir à
chaque manière de parler. Si c’est le doute qui vous fasse dire: « De Nazareth
peut-il venir quelque chose de bon? » la réponse est: « Venez et voyez »,
puisque vous ne croyez point. Si vous dites affirmativement: « De Nazareth il
peut venir quelque chose de bon »; la réponse sera aussi: « Venez et voyez »
combien est bon ce que je vous dis de Nazareth; venez voir que vous avez raison
de croire, faites-en l’expérience. On peut aussi conclure en faveur de son
habileté dans la loi, de ce qu’il ne fut pas admis nu nombre des disciples par
celui qui a choisi ce qu’il y a de faux selon le monde, alors que le Seigneur
lui rendait ce témoignage: « Voilà un vrai israélite, sans déguisement ». Dieu
choisit donc ensuite des orateurs; mais ceux-ci eussent pu s’enorgueillir, s’il
n’eût d’abord choisi des pêcheurs: il choisit des riches; mais ils auraient cru
que c’était en considération de leurs richesses, s’il n’avait d’abord choisi
des pauvres; il choisit ensuite des empereurs; mais il était plus avantageux
pour home de voir un empereur y faire son entrée en déposant son diadème, et en
pleurant au souvenir d’un pêcheur, qu’un pêcheur pleurant au souvenir d’un
empereur. « Dieu a choisi ce qu’il y a de faible selon le monde pour confondre
ce qui est fort; il a choisi ce qu’il y a de méprisable pour réduire au néant
ce qui est, comme ce qui n’est point 2». Et quelle est la suite? L’Apôtre
conclut ainsi:
« Afin que nulle chair ne se puisse glorifier
devant Dieu 3 », Voyez comment il nous interdit la gloire pour nous donner la
gloire; il nous interdit la nôtre afin de nous donner la sienne; il nous enlève
de la gloire ce qui est futile, pour nous en donner la plénitude; une gloire
chancelante, pour nous donner la gloire solide. Combien donc notre gloire n’en
est-elle pas plus forte et plus solide pour être en Dieu? Ce n’est point alors
en toi-même qu’il faut te glorifier, la vérité te le défend; niais cette parole
de l’Apôtre est le précepte de la vérité: « Que celui qui se glorifie, le fasse
dans le Seigneur 4». N’imitez point les Juifs, qui voulaient
attribuer leur justification en quelque sorte
à leurs propres mérites, et
1.
Jean, I, 41-47. — 2. I Cor. I, 27, 28. — 3. Id. 29, — 4. I Cor. I, 31
portaient envie aux Gentils qui arrivaient à
la grâce évangélique pour obtenir la rémission de tous leurs péchés; comme si
eux-mêmes n’avaient aucun pardon à obtenir; comme s’ils ne devaient plus
attendre que la récompense de leurs bonnes oeuvres. Malades encore, ils se
croyaient guéris, et leur maladie n’en était que plus dangereuse. Car si leur
maladie eût été moindre, ils n’eussent pas dans leur délire tué le médecin. «
Mettez votre gloire à le bénir».
5. « Dites au Seigneur: Que vos œuvres sont
redoutables 1! » Pourquoi redoutables,
et non pas aimables? Ecoutez cette autre
parole du psaume: « Servez le Seigneur avec crainte, et chantez ses louanges
avec tremblement 2 ». Qu’est-ce que cela signifie? Entendez la réponse de
l’Apôtre: « Travaillez à votre salut », nous dit-il, « avec crainte et avec
tremblement». Pourquoi « avec crainte et tremblement? » Il en donne la raison:
« Car c’est Dieu qui, par sa volonté, opère en vous le vouloir et le faire 3 ».
Si donc c’est Dieu qui agit en toi, tu ne fais le bien que par la grâce de
Dieu, et non par tes propres forces. Donc, à ta joie unis la crainte; de peur
que Dieu n’enlève à ton orgueil ce qu’il a donné à ton humilité. Et afin que
vous pussiez comprendre que tel fut pour les Juifs le sort de leur orgueil, eux
qui se croyaient justifiés par les oeuvres de la loi, et qui tombaient par là
même, un autre psaume a dit: « Les uns comptent sur leurs chariots, les autres
sur leur cavalerie», comme sur des degrés, sur des instruments d’élévation. «
Mais nous», dit le Prophète, « nous nous glorifierons dans le nom du Seigneur
notre Dieu. Ceux-là donc mettent leur confiance dans leurs chars et dans leurs
coursiers; mais nous, c’est dans le Seigneur notre Dieu que nous mettons notre
gloire». Vois comment les uns se glorifient d’eux-mêmes, et comment les autres
ne s’exaltent qu’en Dieu. Aussi qu’est-il dit ensuite? « Leurs pieds ont été
garrottés, et ils sont tombés. Nous, au contraire, nous nous sommes relevés et
redressés 4 ». Ecoute le même langage de la part de Notre Seigneur lui-même: «
Je suis venu », dit-il, « afin d’éclairer ceux qui ne voient point, et d’ôter
la vue à ceux qui voient 5 ». Considère d’une part
la bonté, et d’autre part une certaine
sévérité,
1. Ps, LXV, 3. — 2. Ps. II, 11. — 3. Philip.
II, 12, 13, — 4. Ps, XIX, 8, 9. — 5. Jean, IX, 39.Et pourtant, où trouver plus
de bonté, plus de miséricorde, plus de justice? Pourquoi dès lors « ceux qui ne
voient point doivent-ils voir? » A cause de cette bonté du Seigneur. Pourquoi
aussi «ceux qui voient deviendront-ils aveugles? » A cause de leur orgueil. Ils
voyaient donc, en effet, et les voilà frappés de cécité? Ils ne voyaient pas,
en réalité, seulement ils croyaient voir. Voyez en effet, mes Frères, quand les
Juifs disaient: « Sommes-nous donc des aveugles? » le Seigneur répondit: « Si
vous étiez des aveugles, vous n’auriez point de péchés; mais maintenant que
vous dites: Nous voyons, votre péché demeure en vous 1 ». Tu viens au médecin
et tu dis que tu vois? Plus de collyres alors, tu demeureras aveugle; avoue que
tu es aveugle, et mérite ainsi devoir. Considère les Juifs et considère les
Gentils. « Ceux qui ne voient point, verront, dit le Seigneur, et je suis venu
pour que ceux qui voient soient frappés d’aveuglement». Les Juifs voyaient
Notre Seigneur Jésus-Christ dans sa chair, les Gentils ne le voyaient point;
voilà que ceux qui l’ont vu l’ont crucifié, ceux qui ne l’ont point vu, ont cru
en lui. Qu’avez-vous donc fait, ô Christ? qu’avez-vous fait contre ces
superbes? Nous voyons par votre faveur, et nous sommes vos membres. Vous avez
caché le Dieu, pour ne montrer que l’homme. Et pourquoi? « Afin qu’une partie
d’Israël tombât dans l’aveuglement et que la plénitude des nations entrât ». C’est
pour cela que vous avez dérobé le Dieu à leurs regards, pour ne leur offrir que
l’homme. Ils voyaient donc, et ne voyaient pas: ils voyaient ce que vous aviez
emprunté, et non ce que vous étiez; ils voyaient la forme de l’esclave, et non
la forme de Dieu 2: cette forme de l’esclave qui a fait dire: Mon Père est plus
grand que moi 3, et non la forme de Dieu, au sujet de laquelle vous venez
d’entendre: Mon « Père et moi sommes un 4 ». Ce qu’ils voyaient, ils l’ont
saisi; ce qu’ils voyaient ils l’ont crucifié. Ils ont insulté l’homme qu’ils
voyaient sans connaître ce qu’il cachait. Ecoute ces mots de l’Apôtre: « S’ils
l’avaient connu, ils n’eussent jamais crucifié le Seigneur de la gloire 5».
Donc, ô Gentils qui êtes appelés, voyez les branches que Dieu a retranchées
dans sa justice, et vous que sa
1. Jean, IX, 40, 41 — 2. Philipp. II, 6, 7. —
3. Jean, XIV, 28. — 4. Id. X, 30.— 5. 1 Cor. II.
bonté veut bien insérer, et devenus
participants de l’olivier fécond, n’allez point vous élever ou vous
enorgueillir. « Ce n’est point vous qui portez la racine, mais bien la racine
qui vous porte ». Soyez plutôt dans l’effroi en voyant retrancher les branches
naturelles. Car les Juifs sont les fils des Patriarches et enfants d’Abraham
selon la chair. Que dit encore l’Apôtre? « Mais, diras-tu, ces branches ont été
retranchées afin que je fusse inséré à leur place. Il est vrai; leur
incrédulité les a fait retrancher; mais toi, poursuit-il, qui es debout à cause
de ta foi, ne cherche pas à t’élever, mais crains; car, si Dieu n’a point
épargné les branches naturelles, il ne t’épargnera pas non plus 1 ». Considère
ces rameaux qui sont brisés, et toi inséré, loin de t’enorgueillir sur ces
rameaux retranchés, dis plutôt à Dieu: « Combien vos oeuvres sont redoutables,
ô Dieu ! » Mes frères, si nous n’avons point à nous enorgueillir contre les
Juifs retranchés du tronc des Patriarches, s’il nous faut plutôt craindre et
dire à Dieu: « Combien vos oeuvres sont redoutables ! » combien moins nous
est-il permis de nous prévaloir contre les blessures de nouveaux
retranchements? Les Juifs ont été retranchés d’abord et les Gentils unis; de
cette insertion, les hérétiques ont été de nouveau retranchés; mais
gardons-nous de nous prévaloir contre eux, de peur qu’en insultant à ces
malheureux retranchés, nous ne méritions de l’être à notre tour. Quel que soit
l’évêque dont vous entendiez la voix, je vous en supplie, mes frères, vous tous
qui êtes dans le sein de l’Eglise, gardez-vous de toute insulte contre ceux qui
sont dehors; mais plutôt priez pour eux, afin qu’ils rentrent à l’intérieur. «
Car Dieu a la puissance de les enter de nouveau 2». C’est là ce que l’Apôtre a
dit des Juifs, et qui s’est accompli en eux. Le Seigneur ressuscita, et
beaucoup embrassèrent la foi: ils ne le connurent point en le crucifiant, et
néanmoins plus tard ils crurent en lui, et un tel forfait leur fut pardonné. Le
sang du Seigneur a été répandu et pardonné à des homicides, pour ne pas dire à
des déicides: « Car s’ils eussent connu le Seigneur de la gloire, ils ne l’eussent
jamais crucifié 3 ». Naguère donc, Dieu a pardonné aux homicides le sang
innocent qu’ils avaient répandu; ils ont bu par la grâce ce même
1.
Rom. XI, 17-20. — 2. Ibid. 23. — 3. I Cor. II, 8.sang versé par leur
fureur. « Dites donc à Dieu: Combien vos oeuvres sont redoutables ! » Pourquoi
redoutables? « Parce qu’une partie d’Israël est tombée dans l’aveuglement
jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât dans l’Eglise 1 ». O plénitude
des nations, dites à Dieu: « Combien vos oeuvres sont redoutables !»
Réjouissez-vous, mais avec tremblement, ne vous élevez point au-dessus des
rameaux retranchés. « Dites à Dieu: Combien vos oeuvres sont redoutables ! »
6. « Vos ennemis mentiront contre vous, à
cause de votre puissance 2 ». Ils mentiront contre vous, de manière à grandir
votre puissance. Qu’est-ce à dire? Redoublez d’attention, mes frères. La
puissance de Notre Seigneur Jésus-Christ s’est surtout manifestée dans la
résurrection, d’où est venu le titre à notre psaume. Or, à sa résurrection il
apparut à ses disciples 3. Il n’apparut point à ses ennemis, mais à ses
disciples. Tous le virent crucifié, les fidèles seuls le virent ressuscité afin
que, dans la suite, celui-là crût qui en aurait la volonté, et que la
résurrection fût promise à celui qui croirait. Beaucoup de saints ont fait des
miracles, nul d’entre eux n’est ressuscité après sa mort: parce que ceux qu’ils
ont ressuscités n’ont ressuscité que pour mourir encore. Que votre charité
veuille bien le remarquer, Le Seigneur nous a dit en nous parlant de ses
oeuvres: « Croyez à mes oeuvres, si vous ne voulez point croire en moi 4 ». Il
faisait valoir aussi les anciennes merveilles des Prophètes, sinon les mêmes
absolument, du moins les mêmes en grand nombre, émanant de la même puissance.
Le Seigneur marcha sur la mer, et y fit marcher Pierre 5. Le Seigneur
n’était-il point là quand la mer ouvrit ses eaux, afin de livrer passage à
Moïse et au peuple d’Israël 6? C’était le même Seigneur qui opérait ces
merveilles. Il accomplissait les unes dans sa chair, les autres dans la chair
de ses serviteurs. Toutefois, ce qu’il n’a point fait par l’entremise de ses
serviteurs (car c’était lui qui opérait toutes ces merveilles), c’est que l’un
d’eux mourût et revînt ensuite à la vie éternelle, Si donc les Juifs pouvaient
dire, quand le Seigneur faisait des miracles: C’est ce que Moïse a fait aussi,
ce qu’a fait Elie, ce qu’a fait
1.
Rom. XI, 17-25. — 2. Ps. LXV, 3, — 3. Act. X, 41. — 4. Jean, X, 38.— 5. Matth. XIV,
25, 29. — 6. Exod. XIV, 21.
Elisée: s’ils pouvaient s’attribuer de
semblables miracles, car ces Prophètes ont ressuscité des morts, et tait de
nombreuses merveilles: voilà que quand ils lui demandent un signe qui lui soit
propre, il attire leur attention sur un miracle qui ne doit s’accomplir qu’en
lui seul, et leur dit: «Cette génération mauvaise et adultère demande un signe,
et il ne lui en sera point donné d’autre que celui du prophète Jonas. De même,
en effet, que Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre de la
baleine, ainsi le Fils de l’homme sera trois jours et trois nuits dans le sein
de la terre 1» Comment Jonas fut-il dans le ventre de la baleine? N’est-ce
point de manière à en sortir vivant? Or, les enfers furent pour le Seigneur ce
que la baleine fut pour Jonas. Voilà le miracle propre qu’il signale à
l’attention, le principal miracle. Il y a plus de puissance à ressusciter après
la mort qu’à ne point mourir. La merveille donc de la puissance du Seigneur,
dans son humanité, resplendit dans le miracle de sa résurrection. Voilà ce que
l’Apôtre nous signale en disant: « Non pas avec ma justice qui vient de la loi,
mais avec celle qui vient de la foi en Jésus-Christ, qui est la justice que
donne Dieu par la foi, afin de le connaître, ainsi que la puissance de sa
résurrection 2». Voilà ce qu’il signale aussi en un autre endroit: « Quoique
crucifié selon la faiblesse de la chair, il vit néanmoins par la puissance de
Dieu 3». Si donc la puissance de Dieu se montre dans son éclat à la
résurrection du Seigneur, qui forme le titre de notre psaume, quel est le sens
de ces paroles: « Dans l’éclat de votre puissance, vos ennemis mentiront contre
vous », sinon: vos ennemis mentiront jusqu’à vous crucifier, et vous serez
crucifié pour ressusciter? Donc leur mensonge fera éclater votre puissance dans
toute son étendue. Pourquoi un ennemi ment-il ordinairement? Afin de diminuer
la puissance de celui qui est l’objet de son mensonge. Pour vous, dit le
Prophète, c’est le contraire qui arrive. Votre puissance apparaîtrait moins, si
ces hommes ne mentaient point contre vous.
7. Voyez même, dans l’Evangile, le mensonge
des faux témoins, et considérez qu’il a pour sujet sa résurrection. Quand on
demandait en effet au Sauveur: « Par quel signe nous montrez-vous que vous
pouvez faire
1. Matth.
XII, 39, 40. — 2. Philipp. III, 9, 30. — 3. II Cor. XIII, 4.de telles choses 1?
» en outre de ce qu’il avait dit au sujet de Jouas, il ajoute dans le même
sens, mais sous une autre comparaison, afin de nous montrer que cette merveille
tant signalée est particulière au Sauveur: « Détruisez », dit-il, « le temple
de Dieu, et je le rétablirai en trois jours. Et ils répondirent: On a mis
quarante-six ans à bâtir ce temple, et vous le relèverez en trois jours? » Et
l’Evangéliste, nous exposant le sens de ces paroles, ajoute « Or, il disait
cela en parlant du temple de son corps 2». Donc, il promettait de montrer aux
hommes sa puissance, dans cette chair qui lui suggérait la comparaison du
temple, et qui était en effet le temple où se cachait sa divinité. Les Juifs ne
voyaient alors que l’extérieur du temple, mais ne voyaient pas la divinité qui
en habitait l’intérieur. Ces paroles fournirent aux faux témoins un mensonge
qu’ils débitèrent contre lui, oui, ces mêmes paroles dans lesquelles il
signalait sa résurrection future, en parlant du temple. Voici en effet ce que
déposèrent contre lui les témoins, quand on leur demanda ce qu’ils avaient
entendu dire: « Nous l’avons entendu qui disait: Je détruirai ce temple et le
ressusciterai en trois jours 3». Ils avaient donc entendu: « Je le
ressusciterai après trois jours ». Ils n’avaient pas entendu: « Je détruirai »,
mais bien: « Détruisez ». Ils changèrent un mot et quelques lettres, afin
d’ourdir un faux témoignage. Mais, ô vanité de l’homme, ô infirmité de l’homme,
à qui veux-tu changer une parole? Tu changes une parole à la Parole
incomparable? Tu peux changer ta parole, mais peux-tu changer la parole de
Dieu? Aussi est-il dit ailleurs: « Et u l’iniquité s’est donnée à elle-même le
démenti 4 ». Pourquoi donc, ô Seigneur, vos ennemis ont-ils menti contre vous,
vous que chante la terre entière? « Le mensonge de vos ennemis contre vous fera
ressortir l’éclat de votre puissance ». Ils diront: Je détruirai, quand vous
aurez dit: « Détruisez?». Pourquoi vous accusent-ils d’avoir dit: Je détruirai,
et ne disent-ils point ce que vous avez dit: « Détruisez? » Ils veulent, ce
semble, se défendre en vain contre l’accusation d’avoir détruit le temple. Car
si le Christ est mort quand il l’a voulu, c’est vous néanmoins qui l’avez tué.
Nous vous l’accordons, ô imposteurs,
1. Jean, II, 18. — 2. Jean, II, 19 - 21. — 3.
Matth. XXVI, 61. — 4. Ps. XXVI, 12.
c’est lui qui a détruit le temple. Car
l’Apôtre a dit: « C’est lui qui m’a aimé et qui s’est livré à la mort pour moi
1». Il est dit du Père: « Qu’il n’a pas épargné son propre Fils, mais qu’il l’a
livré pour nous tous 2». Si donc c’est le Père qui a livré son Fils, si c’est
le Fils qui s’est livré lui-même, qu’a fait Judas? Le Père, en livrant son Fils
à la mort pour nous, a fait une bonne oeuvre: le Christ, et se livrant lui-même
pour nous, a fait une bonne oeuvre: Judas, en livrant son Maître au profit de
son avarice 3, a commis un crime. Car, le profit qui nous revient de la passion
du Christ ne sera point attribué à la malice de Judas: Judas recevra le
châtiment de sa trahison, et le Christ la louange de ses faveurs. Que lui-même
ait détruit son temple, qu’il l’ait détruit, celui qui a dit: « J’ai le pouvoir
de donner ma vie, et le pouvoir aussi de la reprendre: nul ne me l’ôte, mais je
la donne de moi-même et de moi-même la reprends 4 ». Qu’il ait donc détruit son
temple, c’est l’oeuvre de sa grâce et de votre malice. « Selon l’étendue de
votre puissance, vos ennemis mentiront contre vous ». Les voilà qui mentent,
voilà que l’on croit en eux, vous voilà saisi, vous voilà crucifié, vous voilà
insulté, voilà qu’ils branlent la tête: « S’il est Fils de Dieu, qu’il descende
de la croix 5». Voilà que vous donnez votre vie à votre gré, que votre côté est
ouvert par la lance 6, que les sacrements coulent de votre flanc sacré; vous
êtes déposé de la croix, enveloppé de linceuls, placé dans le sépulcre, des
gardes aussi sont mis tout près, de peur que vos disciples ne vous enlèvent:
l’heure de la résurrection arrive, la terre s’ébranle, les tombeaux s’ouvrent,
vôtre résurrection est secrète, votre apparition manifeste. Où sont donc alors
ces menteurs? où est le faux témoignage de leur malice? N’est-ce point pour
faire éclater votre puissance qu’ils ont menti contre vous?
8. Voyons aussi ces gardiens du sépulcre;
qu’ils racontent ce qu’ils ont vu; qu’ils reçoivent de l’argent, et vendent
leur mensonge: qu’ils parlent, ces pervers à qui d’autres pervers ont donné le
mot d’ordre; qu’ils parlent, les hommes corrompus par les Juifs, qui n’ont pas
voulu être intègres avec le Christ; qu’ils viennent parler et mentir à leur
1.
Gal, II, 20.— 2. Rom. VIII, 32.— 3. Matth. XXVI, 15.— 4. Jean, X, 18. —
5. Matth. XXVII, 40. — 6. Jean, XIX, 34.tour. Que diront-ils? Parlez, et
voyons; mentez-vous aussi, pour faire éclater la grande puissance du Seigneur.
Que direz-vous? Quand nous étions endormis, les disciples sont venus et l’ont
enlevé du sépulcre 1. O folie ! ô véritable rêve ! Ou bien vous étiez éveillés,
et vous avez dû défendre d’approcher; ou bien vous dormiez, et vous ne savez ce
qui est arrivé. Les voilà qui mentent comme des ennemis, le nombre des menteurs
s’accroît, afin que s’accroisse encore le prix du mensonge. « Car c’est pour
faire éclater votre puissance, que vos ennemis mentent contre vous ». Ils ont
donc menti, ils ont menti, pour faire éclater votre puissance; et vous avez
apparu aux hommes véridiques à l’encontre des menteurs, et vous avez apparu a
ces hommes véridiques, dont vous-même avez fait la véracité.
9. Aux Juifs de rester dans leurs mensonges;
à vous, parce qu’ils ont menti pour faire éclater votre puissance, à vous
s’applique ce qui suit: « Que la terre entière vous adore et vous chante des
psaumes; qu’elle célèbre votre nom sur des guitares, ô Tout-Puissant 2»;
naguère si humilié, maintenant « Tout-Puissant »; humilié entre les mains de
ses ennemis menteurs; « Tout-Puissant», au-dessus des anges qui chantent sa
gloire. « Que toute la terre vous adore et célèbre votre gloire, qu’elle chante
votre nom sur des guitares, ô Tout-Puissant ».
10. « Venez et voyez les oeuvres du Seigneur
». O nations, nations éloignées, laissez les Juifs dans leurs mensonges, venez
avec des aveux. « Venez et voyez les oeuvres du Seigneur: il est terrible dans
ses desseins sur les enfants des hommes 3 ». Lui- même est appelé Fils de
l’homme, et a été véritablement fait fils de l’homme; vrai Fils de Dieu dans la
forme de Dieu, vrai fils de l’homme dans la forme de l’esclave 4; mais ne jugez
pas de cette forme de l’esclave, par la condition de ceux qui lui ressemblent:
« Il est terrible dans ses desseins sur les enfants des hommes ». Voilà que,
dans leurs trames, les enfants des hommes ont imaginé de crucifier le Christ,
et ce crucifié a frappé d’aveuglement ceux qui le clouèrent sur la croix.
Qu’avez-vous donc fait, ô enfants des hommes, en tramant de noirs complots
contre votre Seigneur, en qui se dérobait la majesté pour
1.
Matth. XXVIII, 13. — 2. Ps. LXV, 4. — 3. Id. 5.— 4. Philipp. II, 6,
ne laisser voir que l’infirmité? Vous avez
formé un dessein de perdition, lui d’aveuglement et de salut: d’aveuglement
contre les superbes, de salut en faveur des humbles; mais d’aveuglement contre
les superbes, afin que cet aveuglement, les humiliât, que l’humilité leur fit
confesser leurs fautes, que la confession les éclairât. « Vous êtes terrible
dans vos desseins sur les enfants des hommes ». Vraiment terrible! Voilà qu’une
partie d’Israël tombe dans l’aveuglement voilà que les Juifs desquels est né le
Christ sont dehors; voilà que les Gentils, les adversaires des Juifs, sont à
l’intérieur avec le Christ 1. « Vous êtes terrible dans vos desseins sur les
enfants des hommes ».
11. Aussi qu’a-t-il fait dans ce dessein
redoutable? Il a changé la mer en une terre sèche. C’est là ce que dit ensuite
le Prophète: « Qui fait de la mer une terre sèche 2 ». Le monde était une mer
qui avait l’amertume de la salaison, une mer troublée par la tempête, où
bouillonnaient les flots de la persécution. Or, cette mer est tellement devenue
une terre sèche, que le monde, naguère surchargé d’eau amère, a maintenant soif
d’eau douce. Qui a fait ce changement? « Celui qui change la mer en terre
sèche». Que dit maintenant l’âme de toutes les nations? « Notre âme est pour
vous comme une terre sans eau 3». C’est lui qui « change la mer en une terre sèche,
et fait traverser le fleuve à pied sec ». Ceux-là mêmes qui étaient la mer sont
devenus une terre sèche. « Ils passeront le fleuve à pied sec ». Qu’est-ce que
le fleuve? C’est tout ce qui meurt en cette vie, Voyez un fleuve; un flot vient
et passe, un autre lui succède pour passer encore. N’est-ce pas là dans un
fleuve le jeu des eaux qui naissent de la terre pour s’écouler? Quiconque est
né sur la terre, devra céder sa place à celui qui naîtra: et cet ordre des
choses qui passent constitue une espèce de fleuve. Mais que l’âme avide ne se
jette point dans ce fleuve; loin de s’y jeter, qu’elle se tienne sur les bords.
Et comment traversera-t-elle ces charmes des choses passagères? Qu’elle croie
au Christ, et elle les traversera à pied sec: lui-même la guidera, elle passera
à pied sec. Qu’est-ce à dire, passer à pied sec? passer facilement Sans
chercher un cheval pour passer, sans s’élever dans son
1. Rom. XX, 25. — 2. Ps.
LIV, 6. — 3. Id. CXLII, 6.orgueil pour traverser le fleuve: elle passera
humblement et passera sûrement. «Ils passeront le fleuve à pied sec ».
12. « C’est là que nous nous réjouirons en
lui». Enfants d’Israël, vous vous glorifiez de vos oeuvres: déposez cet orgueil
qui vous porte à vous glorifier de vous-mêmes, et recevez la grâce de vous
glorifier dans le Christ. C’est là que nous nous épanouirons, mais pas en
nous-mêmes. « C’est là que nous nous réjouirons en lui ». Quand serons-nous
dans cette allégresse? Quand nous aurons passé le fleuve à pied sec. La vie
éternelle nous, est promise, la résurrection nous est promise, et là notre
chair ne passera plus; elle passe maintenant qu’elle est sous l’empire de la
mort. Voyez s’il est un âge qui se puisse tenir dans le même état. L’enfant
veut croître, il ne sait pas que sa vie est un espace qui se rétrécit par la
succession des années. Car l’accroissement ne multiplie point nos années, il
nous les enlève au contraire; de même que l’eau du fleuve ne marche qu’en
s’écartant de la source. L’enfant veut croître pour échapper à la tutelle de
ses parents: il croît et le temps passe vite, il arrive à l’adolescence; que
celui qui a dépassé les années enfantines s’en tienne à la jeunesse, s’il le
peut; elle-même fuit rapidement. Vient ensuite la vieillesse: faites qu’elle
soit éternelle; la mort y mettra fin. Donc toute chair qui naît forme un
fleuve, Or, afin que la convoitise des choses d’ici-bas ne vienne point
bouleverser ou précipiter encore ce courant, celui-là le passe facilement, qui
le passe avec humilité, ou à pied, en prenant pour guide celui qui l’a passé le
premier, qui jusqu’à la mort but en chemin l’eau du torrent, et pour cela leva
la tête 1. Si donc nous passons le fleuve à pied, c’est-à-dire si nous
traversons sans regret cette vie mortelle qui s’écoule, nous nous réjouirons en
lui. Mais en qui maintenant nous réjouissons-nous, si ce n’est en lui, ou dans
l’espérance de le posséder? Si donc nous avons quelque joie aujourd’hui, c’est
la joie de l’espérance; alors seulement nous nous réjouirons en lui. C’est en
lui maintenant, mais par l’espérance: « Alors ce sera face à face 2 ».
13. « C’est là que. nous nous réjouirons en
lui ». En celui « qui règne éternellement, par sa vertu 3 ». Pour nous, quelle
vertu
1. Ps. CIX, 7.— 2. I Cor. XIII, 12.— 3. Ps.
LXV, 7.
avons-nous? Est-elle éternelle? Si notre
vertu était éternelle, nous ne serions point déchus, ni tombés dans le péché,
nous n’aurions point mérité d’être châtiés par la mort 1. Il nous a donc
adoptés celui dont notre faute nous avait séparés. « C’est lui qui règne
éternellement par sa vertu ». Devenons ses cohéritiers, et nous serons forts en
lui, mais lui l’est par sa propre vertu. Nous serons éclairés, et lui la
lumière qui nous doit éclairer; éloignés de lui nous ne sommes plus que
ténèbres; pour lui, il ne peut s’éloigner de lui-même. C’est sa flamme qui nous
réchauffe; loin de lui, il n’y avait que glace pour nous, près de lui sa flamme
nous échauffe de nouveau. Disons-lui dès lors qu’il nous garde dans sa vertu,
parce que nous trouverons notre joie dans celui « qui règne éternellement par
sa propre vertu ».
14. Mais ces avantages, il ne les procure pas
seulement aux Juifs qui arrivent à la foi. Comme les Juifs s’étaient beaucoup
élevés en présumant de leur propre vertu, voilà que plus tard ils connurent
quelle vertu leur avait donné une force salutaire, et plusieurs d’entre eux
embrassèrent la foi; or, cela ne suffit point au Christ; le don qu’il nous a
fait est grand, c’est un don précieux; mais ce don qu’il nous a fait ne doit
point s’arrêter aux Juifs seulement. « Ses regards. s’arrêtent sur les nations.
Donc il porte ses regards sur les nations 2 ». Que faisons-nous alors? diront
les Juifs eu murmurant: ils ont donc aussi ce que nous avons nous-mêmes; à eux
l’Evangile, comme à nous l’Evangile; à eux la grâce de la résurrection, comme à
nous la grâce de la résurrection; à quoi nous sert que nous ayons reçu la loi,
que nous ayons vécu dans les justifications de la loi, que nous ayons observé
les préceptes de nos pères? C’est donc inutilement? Pour eux les mêmes faveurs
que pour nous! point de litige, point de contestation. « Que les rebelles ne
s’exaltent point en eux-mêmes ». O chair misérable et corrompue, n’es-tu donc
pas pécheresse? Que profère donc ta langue? Considère ta conscience. Tous ont
péché, tous ont. besoin de la grâce de Dieu 3. Reconnais-toi donc, ô faiblesse
humaine, tu n’as reçu la loi que pour transgresser la loi, car tu n’as ni gardé
ni observé les préceptes que tu as reçus. Il ne t’est revenu de la loi que la
prévarication, que
1. Gen. III, 17. — 2. Ps.
LXV, 7. — 3. Rom. III, 23.tu as commise, et non la justification que la loi
ordonne. Si donc le péché a abondé, pourquoi cette jalousie quand la grâce
surabonde1? Loin de toi les murmures: « Que les murmurateurs ne s’exaltent pas
en eux-mêmes ». Cette parole: «Que les murmurateurs ne s’exaltent pas », semble
d’abord une malédiction; qu’ils s’élèvent au contraire, mais pas en eux-mêmes.
Qu’ils s’humilient en eux-mêmes, qu’ils s’élèvent dans le Christ. « Car celui
qui s’humilie sera élevé, et celui qui s’élève sera humilié 2 ». Que les
rebelles ne s’élèvent pas en eux-mêmes ».
15. « Nations, bénissez notre Dieu 3 ». Voilà
que Dieu a repoussé les murmurateurs et leur en a donné la raison: plusieurs se
sont convertis, plusieurs sont demeurés dans leur orgueil. Ne les redoutez
point, quand ils envient aux nations la grâce de l’Evangile voilà qu’est venu
ce rejeton d’Abraham en qui sont bénies les nations 4. Bénissez celui en qui
vous êtes bénies. « Nations, bénissez le Seigneur notre Dieu écoutez chanter
ses louanges». Loin de vous louer vous-mêmes, c’est lui qu’il faut chanter.
Pourquoi le louer? parce que nous devons à sa grâce tout ce qu’il y a de bon en
nous. « C’est lui qui a rendu la vie à mon âme 5 ». Telle est donc l’hymne de
sa louange: « Il a rendu la vie à mon âme ». Elle était donc morte, et morte en
toi. De là vient qu’il ne vous sied point de vous élever en vous-mêmes. Voilà
que ton âme était morte en toi; d’où lui viendra la vie, sinon de celui qui a
dit: « Je suis la voie, la vérité et la vie 6? »Ainsi que l’a dit l’Apôtre à
quelques fidèles: « Autrefois vous étiez ténèbres, et maintenant vous êtes
lumière dans le Seigneur 7 ». Donc les ténèbres sont en vous et la lumière dans
le Seigneur: en vous est la mort, dans le Seigneur la vie. « C’est lui qui a
donné la vie à mon âme ». Le voilà qui domine la vie à notre âme, par la foi
que nous avons en lui; dans notre âme il met la vie: mais que nous faut-il
faire, sinon persévérer jusqu’à la fin 8? Et qui nous le donnera, sinon celui
dont il est dit ensuite: « Il n’a point laissé chanceler mes pieds? » C’est
donc lui qui rend la vie à mon âme, lui qui dirige mes pieds de peur qu’ils ne
chancellent, qu’ils ne fléchissent et
1.
Rom. V, 20. — 2. Matth. XXIII, 12. — 3. Ps. LXV, 8. — 4. Gen. XII, 3. — 5. Ps. LXV,
9. — 6. Jean, XIV, 6. — 7. Ephés. V, 8. — 8. Matth. X, 22.
n’entraînent ma chute; c’est lui qui nous
fait vivre, qui nous fait persévérer jusqu’à la fin, pour que nous vivions
éternellement. « Il n’a pas laissé mes pieds chanceler ».
16. Pourquoi dire, ô Prophète: « Il n’a point
fait chanceler mes pieds? » Qu’avez-vous donc enduré, ou qu’auriez-vous pu
endurer, qui eût pu faire chanceler vos pieds? Quoi? Ecoutez la suite. Pourquoi
ai-je dit qu’ « il n’a point fait chanceler mes pieds? » C’est que nous avons
passé par des épreuves qui eussent fait chanceler nos pieds, si lui-même ne
nous dirigeait et ne raffermissait nos pas. Qu’est-ce que cette épreuve? « Vous
nous avez éprouvés, ô Dieu; vous nous avez fait passer par le feu comme on y
fait passer l’argent 1». Ce n’est point comme la paille, mais comme l’argent,
que vous nous avez fait passer par le feu: nous mettre au feu, ce n’était point
nous mettre en cendres, mais laver nos souillures. « Vous nous avez donc mis au
feu comme on y met l’argent ». Voyez comment Dieu sévit contre ceux dont il a
fait vivre l’âme. « Vous nous avez poussés dans un piège »: non pour nous y
prendre et nous donner la mort, mais pour nous en délivrer et nous donner
l’expérience. « Vous avez mis les tribulations sur notre dos 2 ». Nous
redresser mal, c’était nous enorgueillir; nous redresser mal, c’était nous
courber, afin que, courbés, nous pussions nous redresser parfaitement. « Vous
avez mis les tribulations sur notre dos, vous avez élevé les hommes sur nos
têtes 3». Voilà ce qu’a enduré l’Eglise dans les persécutions, dans ses
persécutions nombreuses et de tous genres: voilà ce qu’elle a souffert en
particulier, ce qu’elle endure encore maintenant. Car il n’est personne qui se
puisse dire en cette vie exempt de tribulations, Des hommes donc s’élèvent sur
nos têtes: nous sommes assujettis à ceux que nous ne voulons point, et souvent
nous subissons des supérieurs que nous savons être plus coupables que nous.
L’homme qui est sans faute est un homme bien supérieur; plus ses fautes sont
nombreuses au contraire, plus il est abaissé. Mais il nous est bon de nous
considérer comme des pécheurs, et de supporter dès lors ceux qui sont placés
sur nos têtes; afin d’avouer par là au Seigneur, que nous souffrons justement.
Pourquoi ne souffrir en effet qu’avec impatience ce que fait celui qui est
1. Ps. LXV, 10. — 2. Id. 11. — 3. Id,
12.juste? « Vous avez mis sur notre dos les tribulations: vous avez imposé les
hommes sur nos têtes». Dieu semble agir ainsi dam sa colère: demeure sans
crainte, car il est un père, et ne sévit jamais afin de perdre. S’il t’épargne
pendant que tu vis dans le désordre, il n’en est que plus irrité. Toutes ces
tribulations ne sont que les fouets qui doivent te corriger, pour n’être pas
l’arrêt de ton châtiment. « Vous avez mis les tribulations sur notre dos, vous
avez élevé les hommes sur nos têtes ».
17. « Nous avons passé par le feu et par
l’eau 1 ». Le feu et l’eau, voilà deux dangers pour cette vie. L’eau paraît
éteindre le feu, et le feu paraît dessécher l’eau. Telles sont aussi les épreuves
si fréquentes en cette vie. Le feu dessèche, l’eau corrompt: et nous avons
àcraindre le feu de la tribulation, comme l’eau de la corruption. Dans les
angoisses, ce que le monde appelle malheur devient comme un feu; dans la
prospérité, l’abondance vient à couler, et c’est comme une eau, Garde-toi donc,
et du feu qui te brûlerait, et de l’eau qui te corromprait. Tiens ferme contre
le feu; tu dois passer au feu, tu es jeté dans la fournaise comme un vase
d’argile, afin d’être consolidé dans ta forme. Mais le vase, une fois consolidé
par le feu, ne craint plus l’eau: et toutefois, s’il n’est solidifié par le
feu, il se dissoudra dans l’eau comme une boue. Ne t’empresse donc point de te
jeter dans l’eau; passe par le feu pour aller à l’eau, afin de traverser l’eau.
Aussi dans les sacrements, dans les catéchismes, dans les exorcismes, nous
commençons par le feu. Et d’où viendrait en effet que les esprits immondes
s’écrient: Je brûle, si ce n’est point là un feu? Or, après les feux de
l’exorcisme on arrive au baptême: de même que du feu à l’eau, et de l’eau au
rafraîchissement. Ce qui a lieu dans les sacrements, a lieu aussi dans les
épreuves de cette vie. Nous éprouvons tout d’abord la crainte, c’est là le feu
après la crainte, il nous faut redouter la félicité du monde qui nous
corromprait. Mais quand le feu ne t’a point fait rompre, et que dans l’eau,
loin d’être submergé, tu as surnagé, la règle te fait arriver au repos, et
ainsi tu passes par le leu et par l’eau pour arriver au rafraîchissement. Car
ce que les sacrements renferment en signes, ce sont les
1. Ps. LXV, 12.
choses qui doivent nous arriver dans la
perfection de la vie éternelle. Or, quand nous serons arrivés à ce
rafraîchissement, mes frères bien-aimés, nous n’aurons plus à craindre aucun
ennemi, aucun tentateur, aucun jaloux, aucun feu, aucune eau; ce sera un
rafraîchissement continuel. Mais ce nom de rafraîchissement lui vient du repos.
Dites que c’est une chaleur, c’est vrai; dites que c’est un rafraîchissement,
c’est vrai encore. En mauvaise part, le rafraîchissement arriverait à nous
engourdir ici-bas. Mais là, il n’y a plus de torpeur, il n’y a que le repos; ce
que l’on appelle chaleur ne nous suffoquera point, ce sera une ferveur
d’esprit. Considère cette chaleur dans un autre psaume: « Nul ne peut se
dérober à sa flamme 1 ». Que dit encore l’Apôtre? « Ayez la ferveur de l’esprit
2 ». Donc « nous avons passé par l’eau et par le feu; et vous nous avez
conduits au rafraîchissement. »
18. Considérez que si le Prophète ne se tait
point au sujet du rafraîchissement, il ne se tait pas non plus au sujet du feu
qu’il nous faut désirer: « J’entrerai dans votre maison avec des holocaustes
3». Qu’est-ce que l’holocauste? Ce qui est brûlé totalement, mais par le feu
divin. Car on appelle holocauste ce sacrifice dans lequel tout est brûlé.
Autres sont en effet les sacrifices partiels et autre l’holocauste. Il y a
holocauste quand tout est embrasé, tout est consumé par le feu divin; s’il n’y
en a qu’une partie, c’est le sacrifice. Tout holocauste est donc un sacrifice,
mais tout sacrifice n’est pas un holocauste. Aussi cette promesse d’holocaustes
vient-elle du corps du Christ, c’est le Christ qui parle dans son unité. «
J’entrerai dans votre maison au u moyen des holocaustes 3 ». Que votre feu
brûle tout ce qui est en moi, qu’il ne reste rien de moi, que tout soit à vous.
C’est là ce qui doit arriver à la résurrection des justes, « quand ce corps
corruptible sera revêtu d’incorruptibilité, que ce corps mortel sera revêtu
d’immortalité, alors arrivera ce qui est écrit: La mort est absorbée dans sa
victoire 4 ». La victoire est comme un feu divin; et comme elle doit absorber
jusqu’à notre mort, c’est un holocauste. Rien de mortel ne demeurera dans notre
chair, rien de coupable dans notre coeur; tout ce qui est
1. Ps. XVIII, 7. — 2. Rom.
XII, 11.— 3. Ps. LXV, 13 — 4. Cor. XV, 54.de la vie mortelle sera
consumé, afin d’être consommé dans la vie éternelle; tout alors sera donc
holocauste.
19. Et qu’arrivera-t-il dans ces holocaustes?
« Je vous rendrai ces voeux dont mes lèvres ont fait la distinction 1 ». Quelle
distinction entre des voeux? Il y a cette distinction, que tu dois t’accuser,
mais bénir Dieu; comprendre que tu es créature, et lui créateur; que tu es
ténèbres, et lui la lumière; que tu dois lui dire: « C’est à vous, Seigneur,
d’allumer le flambeau qui m’éclaire; à vous, ô mon Dieu, de dissiper mes
ténèbres 2 ». Dire en effet, ô mon âme, que ta lumière vient de toi, c’est ne
faire aucun discernement; et sans discernement, il n’y aura dans tes voeux nulle
distinction. Rends au Seigneur des voeux distincts, confesse que tu es mobile,
et lui immuable; confesse que tu n’es rien sans lui, et que lui au contraire
sans toi est parfait; que tu as besoin de lui, et qu’il n’a nul besoin de toi.
Crie vers lui « J’ai dit au Seigneur: Vous êtes mon Dieu, et vous n’avez mini
besoin de mes biens 3 ». T’agréer en holocauste, ce n’est pour lui ni croître,
ni augmenter, ni s’enrichir, ni se perfectionner: ce qu’il fait pour toi, ce
qu’il fait à ton sujet, est un profit pour toi, nullement pour lui. Par ce
discernement, tu rends à Dieu les voeux dont tes lèvres ont tait la
distinction. « Je vous rendrai les voeux qu’ont discernés mes lèvres ».
20. « Les voeux que ma bouche a proférés au jour
de ma tribulation 4 ». Combien est douce parfois, combien est nécessaire la
tribulation! Qu’a proféré sa bouche dans sa détresse? « Je vous offrirai des
holocaustes de moelle 5 ». Qu’est-ce à dire: «De moelle?» J’aurai pour vous un
amour intérieur, non point superficiel; mais cet amour pour vous sera dans la
moelle de mes os, Rien en moi n’est plus intérieur que cette moelle; les os
sont plus à l’intérieur que la chair, et la moelle est plus intérieure encore
que les os. Donc n’adorer Dieu qu’à l’extérieur, c’est chercher bien plus à
plaire aux hommes; c’est avoir d’autres sentiments intérieurs, et dès lors ne
pas offrir des holocaustes de moelle: que Dieu voie la moelle, et il agrée
l’homme tout entier. « Je vous offrirai des holocaustes de moelle, avec de
l’encens et
1.
Ps. LIV, 14. — 2. Id. XVII, 29. — 3. Ps. XV, 2. — 4. Id. LXV, 14. — 5. Ibid. 15.
des béliers ». Ces béliers sont les chefs de
l’Eglise; et le corps du Christ parle ici tout entier: voilà ce qu’il offre à
Dieu. Qu’est-ce que l’encens? la prière. « Avec de l’encens et « des béliers. »
Car les béliers prient sans cesse pour leurs troupeaux. « Je vous offrirai des
boeufs et des boucs ». Nous voyons des boeufs fouler le grain, puis immolés à
Dieu, A propos des prédicateurs de l’Evangile l’Apôtre nous a indiqué la
manière de comprendre ce passage: « Vous ne lierez point la bouche au boeuf qui
foule le grain. Est-ce « que Dieu se soucie des boeufs 1?» Ces béliers sont
donc grands, ces boeufs sont grands. N’y a-t-il rien pour ces autres, qui sont
peut-être coupables de quelques péchés, qui sont tombés peut-être en voyage, et
dont la blessure est guérie par la pénitence? Qu’ils se rassurent, le Prophète
a dit aussi des boucs « Je vous offrirai des holocaustes de moelle, avec de
l’encens et des béliers: je vous offrirai des boeufs et des boucs ». Cette
addition sauve aussi les boucs; par eux-mêmes ils ne pourraient être sauvés,
mais unis aux boeufs, ils deviennent agréables. Ils se sont fait avec la
monnaie de l’iniquité 2 des amis qui les ont reçus dans les tabernacles
éternels. Ces boucs ne seront donc point à la gauche, puisqu’ils se sont fait
des amis avec la monnaie de l’iniquité. Quels boucs seront à la gauche? Ceux à
qui il est dit: « J’ai eu faim, et vous ne m’avez point donné à manger 3 »; et
non ceux qui ont racheté leurs péchés par l’aumône.
21. « Venez, écoutez, vous tous qui craignez
le Seigneur, et je vous raconterai 4 ». Allons, écoutons ce qu’il doit nous
raconter, « Venez, écoutez, et je vous racontera ». Mais à qui dit-il: « Venez
et écoutez? A vous tous qui craignez Dieu ». Si vous ne craignez point Dieu, je
ne raconte point. Il n’y a rien à raconter où n’est pas la crainte de Dieu. Que
la crainte de Dieu ouvre les oreilles, afin que ma narration trouve où entrer
et par où entrer. Mais que raconterai-je? « Ces grands biens que Dieu a faits à
mon âme». Le voilà qui veut raconter, mais que va-t-il raconter? Les espaces de
la terre, sa distance des cieux, le nombre des astres, et les phases du soleil
et de la lune? Ces créatures marchent dans l’ordre tracé; et ceux qui les ont
étudiées avec trop de curiosité n’en ont point connu le
1. I
Cor. IX, 9.— 2. Luc, XVI, 9.— 3. Matth. XV, 42.— 4. Ps. LXV, 18.
Créateur 1. Voici donc ce qu’il faut écouter
et retenir: « O vous qui craignez Dieu: le grand bien qu’il a fait à mon âme »,
et si vous le voulez, à la vôtre. « Le bien qu’il a fait à mon âme, ma bouche
le crie vers lui ». Et ce bien fait à son âme, c’est de pouvoir crier vers
Dieu; voilà ce bien qu’il préconise, comme fait à son âme. Voilà, mes frères,
que nous étions païens, sinon en nous-mêmes, du moins en nos pères. Or, que dit
l’Apôtre? « Vous le savez, quand vous étiez païens, vous vous laissiez conduire
à des idoles muettes 3 ». Que telle soit maintenant l’hymne de l’Eglise: « Quel
grand bien il a fait à mon âme, ma bouche le crie vers lui ». Homme, je
m’adressais à la pierre, je m’adressais à un bois sourd, je parlais à des
simulacres sourds et muets; mais l’image de Dieu s’est retournée vers son
Créateur. « Moi qui disais au bois: « Tu es mon Père; et à la pierre: Tu m’as
engendré 4»; je dis maintenant: «Notre Père, qui êtes aux cieux ». Ma bouche a
crié vers lui: « Ma bouche »,et non une bouche étrangère. Quand je criais vers
la pierre, dans une vie pleine de vanité, à l’exemple de mes pères 6, je criais
par une bouche étrangère quand j’ai crié vers le Seigneur, selon le don qu’il
m’en a fait, l’inspiration qu’il m’a envoyée, « c’est par ma bouche que j’ai
crié vers lui; et sous ma langue je l’ai glorifié». Qu’est-ce à dire: « J’ai
crié vers lui, je l’ai glorifié sous ma langue? » Je l’ai prêché en public, je
l’ai confessé en secret. C’est que ma langue glorifie le Seigneur; tu dois le
glorifier sous ta langue, c’est-à-dire penser à l’intérieur ce que tu dis avec
certitude. « Ma bouche a crié vers lui, et je l’ai glorifié sous ma langue ».
Vois quelle intégrité intérieure il désire, celui qui offre des sacrifices de
moelle, C’est là, mes frères, ce qu’il faut faire, ce qu’il faut imiter afin
que vous puissiez dire: «Venez et voyez le grand bien qu’il a fait à mon âme ».
Tout ce que raconte le Prophète est l’effet de la grâce de Dieu en notre âme.
Voyez ce qu’il dit ensuite.
22. « Si dans mon coeur j’ai vu l’injustice,
que le Seigneur ne m’exauce point 7 ». Voyez, mes frères, combien facilement,
combien journellement les hommes accusent en rougissant les iniquités des
autres hommes il a mal agi, agi en fripon, c’est un homme
1.
Sag. XIII, 9. — 2. Ps. LXV, 17. — 3. I Cor. XII, 2. — 4. Jérém. II, 27.— 5.
Matth. VI, 9. — 6. I Pierre, I, 18. — 7. Ps. LXV, 18.
criminel. C’est, là sans doute ce que l’on
dit au sujet des hommes. Mais considère si dans ton coeur tu ne vois point
l’injustice, de peur de méditer intérieurement ce que tu blâmes dans un autre,
et de crier contre lui, non parce qu’il est coupable, mais parce qu’il, est
surpris. Reviens à toi, et sois ton juge intérieurement. Dans le secret de ton
intérieur, dans la veine intime de ton coeur, où tu es seul avec celui qui te
voit, prends à dégoût ton iniquité, afin de plaire à Dieu. Garde-toi d’avoir
pour elle un regard de complaisance ou d’amour, mais plutôt un regard de dédain
et de mépris, jusqu’à t’en séparer. Et la joie qu’elle t’a promise pour
t’entraîner au péché, et les menaces lugubres qu’elle t’a faites, pour te jeter
dans les forfaits, tout cela n’est rien, tout cela doit passer: tout cela doit
être méprisé, foulé aux pieds, et non pris en considération pour être accepté.
Souvent elle s’insinue par la pensée, souvent encore par les conversations des
méchants. « Les mauvais entretiens corrompent les bonnes moeurs pour toi, ne te
laisse point séduire 1 ». C’est peu d’en détourner les yeux, peu encore de n’en
point parler: ne les regarde point du coeur, c’est-à-dire, n’aie pour eux ni
inclinaison, ni consentement. Journellement nous prenons le regard pour
l’affection; ainsi nous disons de Dieu: Il m’a regardé. Qu’est-ce à dire: Il
m’a regardé? Avant cela ne te voyait-il donc point? Ou ses regards, dirigés en
haut, ont-ils dû s’abaisser sur toi, provoqués par tes supplications? Il te
voyait, même auparavant; mais dire: Il m’a regardé, c’est dire: Il m’a aimé. A
un homme qui te voit, et dont tu implores la pitié, tu dis: Faites attention à
moi. Il te voit cependant, et tu lui dis: Regardez-moi. Qu’est-ce à dire:
Regardez-moi? Accordez-moi votre amour, votre attention, votre pitié. Quand
donc le Prophète nous dit: « Si j’ai envisagé l’iniquité dans mon coeur », ce
n’est point qu’il n’y ait dans le coeur humain aucune suggestion criminelle. li
ya toujours suggestion,et suggestion incessante; mais que le regard ne s’y
repose point. Regarder l’iniquité, c’est regarder en arrière; c’est encourir la
sentence du Seigneur qui dit dans l’Evangile: « Nul n’est propre au royaume de
Dieu, s’il regarde en arrière en mettant les mains à la charrue 2 ». Que me
faut-il donc faire? Ce que nous dit
1. I Cor. XV, 33. — 2. Luc, IX, 62.l’Apôtre:
« J’oublie ce qui est en arrière, pour m’étendre vers ce qui est en avant 1 ».
Tout notre passé qui est derrière, est une iniquité. Nul n’est bon avant de
venir au Christ; tous ont péché, et sont justifiés par la foi 2. La justice ne
sera parfaite que dans cette vie
niais c’est lui qui nous inspire les bonnes
moeurs, pour y arriver, lui qui nous en fait don. Loin de toi donc, oh! loin de
toi, de compter sur tes mérites. Et quand l’iniquité te sera suggérée, loin de
toi d’y consentir. Que dit en effet le Prophète? « Si dans mon coeur j’ai vu
complaisamment l’iniquité, que le Seigneur ne m’exauce point».
23. « Si le Seigneur m’a écouté », c’est que
je n’ai point regardé l’iniquité dans mon coeur. « Et il a écouté la voix de ma
prière 3 ».
24. « Béni soit mon Dieu, qui n’a point
rejeté ma prière, ni éloigné de moi sa miséricorde 4 ». Il continue dans le
même sens, depuis l’endroit où il dit: « Venez, entendez, et je vous raconterai,
à vous tous qui craignez le Seigneur, combien il a fait pour mon âme 5 ». Vous
avez entendu ses paroles, et il conclut enfin: « Béni soit mon Dieu, qui n’a
point rejeté ma prière, ni détourné de moi sa miséricorde ». C’est ainsi que
l’interlocuteur arrive à la résurrection, où nous sommes déjà en espérance:
bien plus, en réalité; car ces paroles sont les nôtres. Tant que dure notre
séjour ici-bas, supplions le Seigneur de ne point rejeter notre prière, de
n’éloigner point de nous sa miséricorde;
1.
Philip. III, 13. — 2. Rom. III, 22. — 3. Ps. LIV, 19.— 4. Id. 20. — 5. Id.16.
c’est-à-dire, de nous accorder la persévérance dans la prière et de
persévérer lui-même à nous prendre en pitié. Plusieurs ne prient qu’avec
nonchalance, dans la phase de leur conversion: ils ont d’abord de la ferveur,
puis vient la nonchalance, puis la froideur, puis la négligence: ils se croient
en sûreté. L’ennemi veille: et loi, tu dors. Le Seigneur nous prescrit dans
l’Evangile « de toujours prier, de ne point nous lasser». Il apporte en exemple
ce juge d’iniquité, qui ne craignait point Dieu, n’avait aucun respect pour les
hommes, et qu’importunait cette veuve qui chaque jour le suppliait de
l’entendre: il cède à l’ennui, lui que la pitié ne fléchissait point; et ce
juge inique se dit en lui-même: « Quoique je ne craigne point Dieu, et que je
m’inquiète peu des hommes, cependant, parce que cette veuve m’importune tous
les jours, j’entendrai sa cause et lui ferai justice. Or, le Seigneur ajoute:
Si un juge d’iniquité en agit de la sorte, votre Père ne vengera-t-il pas ses
élus, qui crient à lui jour et nuit? Assurément, vous dis-je, il leur fera
promptement justice 1 ». Ne cessons donc point de prier. Un retard dans ce
qu’il doit nous accorder, n’est pas un refus: certains de sa promesse, ne
cessons de prier, et ceci est encore un de ses bienfaits. Aussi a-t-il dit: «
Béni soit mon Dieu qui n’a point éloigné de moi ma prière et sa miséricorde ».
Tant que la prière ne sera pas loin de tes lèvres, sois en sûreté, parce que sa
miséricorde n’est pas loin de toi.
1. Luc, XVIII, 1.8.
SERMON AU PEUPLE.
C’est
le Seigneur qui nous bénit, parce qu’il nous cultive et qu’il habite en nous;
parce que, si nous travaillons avec lui par la grâce, c’est lui seul qui donne
l’accroissement. C’est à lui que nous devons demander la bénédiction. Mais pour
nous bénir, nous donnera-t-il les biens de la terre? C’est là une bénédiction
qui ne vient que de lui, et toutefois il les donne aux bons et aux méchants ne
le servons donc point pour les obtenir, ne pleurons point s’ils nous sont
enlevés, le donateur nous reste. Le chrétien travaille au grand jour comme la
fourmi, et comme elle, jouit invisiblement. La bénédiction de Dieu, c’est sa
lumière qui fera resplendir en nous son image, c’est la voie de Dieu ou
Jésus-Christ béni chez tous les peuples. C’est 1à le salut. Nous chanterons
alors le cantique de l’homme nouveau; il ne restera rien du vieil homme. La
terre donnera d’heureux fruits, ou des cohéritiers du Christ. Appelons son
avènement et son règne.
1. Dans les deux psaumes que nous avons
exposés naguère, votre charité s’en souvient, nous avons exhorté notre âme à
bénir le Seigneur, et nos chants pieux ont répété « O mon âme, bénis le
Seigneur 1 ». De même que dans ces psaumes nous avons engagé notre âme à bénir
le Seigneur, de même en celui-ci nous devons dire: « Que Dieu nous prenne en
pitié et qu’il nous bénisse 2». Que notre âme bénisse le Seigneur et que le
Seigneur nous bénisse. Que nous bénissions le Seigneur, nous grandissons; qu’il
nous bénisse, nous grandissons encore: l’un et l’autre nous sont utiles. Nos
bénédictions n’ajoutent rien à sa majesté, nos malédictions n’y dérogent en
rien. Maudire le Seigneur, c’est se ravaler soi-même; le bénir, c’est s’élever
soi-même. C’est le Seigneur qui nous bénit le premier, il est juste que nous le
bénissions ensuite. L’une de ces bénédictions est la pluie, l’autre la récolte.
Elle est donc dévolue à Dieu qui nous donne la rosée et la culture, comme la
récolte au laboureur. Ainsi chantons ses louanges, non point avec une dévotion
stérile, non point d’une voix sans portée, mais dans la sincérité du coeur.
Dieu est en effet appelé cultivateur 3. L’Apôtre a dit: « Vous êtes le champ
que Dieu cultive, l’édifice qu’il bâtit 4 ». Dans les choses visibles de ce
monde, la vigne n’est pas un édifice, ni l’édifice une vigne; quant à nous,
nous sommes la vigne du Seigneur, parce qu’il nous cultive pour nous faire
produire; nous sommes
1. Ps. CII, 1, et CIII, 1.— 2. Id. LXVI, 2.— 3. Jean, XV, 1.— 4. I Cor. III. 9.
l’édifice de Dieu, parce qu’en nous cultivant
il habite en nous. Que dit en effet le même apôtre? « J’ai planté, Apollo a
arrosé, Dieu a donné l’accroissement. Donc celui qui plante n’est rien, non
plus que celui qui arrose, mais Dieu, qui donne l’accroissement 1 ». C’est donc
lui qui fait croître. Mais les autres sont-ils les agriculteurs? Car on appelle
agriculteur celui qui plante, celui qui arrose; or, l’Apôtre a dit: « J’ai
planté, Apollo a arrosé ». Demandons comment l’Apôtre l’a fait. Il répond: «
Non pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi 2 ». Quelque part que tu ailles,
soit du côté des anges, c’est Dieu qui te cultive; soit du côté des Prophètes,
c’est Dieu qui te cultive; soit du côté des Apôtres, je vois encore que c’est lui
qui te cultive. Mais nous, que sommes-nous donc? Peut-être les ouvriers de ce
cultivateur, et cela par les forces qu’il nous a départies, par la grâce dont
il nous a fait don. C’est donc lui qui nous cultive, lui qui nous donne
l’accroissement. Mais tous les soins du vigneron pour sa vigne, se bornent à la
bêcher, à la tailler, et aux autres travaux de la culture; quant à faire
pleuvoir sur sa vigne, il ne le saurait. S’il peut quelquefois l’arroser, avec
quoi le peut-il? II conduira bien l’eau dans la rigole, mais c’est Dieu qui
donne la source d’eau. Enfin, dans sa vigne, il ne peut faire croître le
sarment, il ne peut former du fruit, il ne peut modifier les espèces, il ne
peut changer le temps de la germination. Mais Dieu qui peut
1. I Cor. III, 6-9. — 2. I Cor. XV, 10.tout
est notre agriculteur, et nous sommes en sûreté. Quelqu’un objectera peut-être:
Vous
dites que c’est Dieu qui nous cultive; et moi
je soutiens que les Apôtres sont aussi des
agriculteurs, eux qui ont dit: «J’ai planté,
Apollo a arrosé ». Si je parle de moi-même,
qu’on ne me croie point; si c’est le Christ,
malheur à quiconque refuse de le croire !
Que dit donc Notre Seigneur Jésus-Christ? «
Je suis la vigne, et vous les branches, mon Père est le vigneron 1 ». Que la
terre soit donc aride, et qu’elle crie à la soif; car il est écrit: « Mon âme,
sans vous, est comme une terre sans eau 2 ». Que notre terre, qui est
nous-mêmes, soupire donc après la pluie, et dise: « Que le Seigneur nous prenne
en pitié, et qu’il nous bénisse ».
2. « Qu’il fasse resplendir son visage sur
nous et qu’il nous bénisse 3 ». On demandera peut-être ce que c’est que « nous
bénir». L’homme souhaite que Dieu le bénisse en bien des manières: celui-ci
demande pour bénédiction que le Seigneur comble sa maison des biens nécessaires
à cette vie; celui-là voudrait pour bénédiction l’exemption de toute maladie
corporelle; cet autre, malade peut-être, demandera que Dieu le bénisse en lui
rendant la santé; un autre encore désire des enfants, et dans son chagrin de n’en
voir point naître, voudrait pour bénédiction une postérité. Qui peut énumérer
toutes les manières dont les hommes voudraient obtenir de Dieu ses
bénédictions? Et qui de nous peut dire que ce n’est point par une bénédiction
de Dieu que la campagne donne des récoltes, qu’une maison regorge de richesses
temporelles, que nous possédons une santé corporelle inaltérable, ou que nous
la recouvrons après l’avoir perdue? La fécondité des épouses, les voeux chastes
de ceux qui désirent des enfants, qui en est le maître, sinon le Seigneur notre
Dieu? Lui qui a créé quand rien n’était, maintient son oeuvre par les
générations successives. Telle est l’oeuvre de Dieu, le don de Dieu. C’est peu
pour nous de dire: Voilà l’oeuvre de Dieu, le don de Dieu; mais lui seul fait
ces oeuvres et ces dons. Peut-on dire, en effet, que Dieu fait ces oeuvres, et
qu’un autre sans être Dieu les fait aussi? C’est Dieu qui les fait, et qui les
fait seul. C’est donc vainement qu’on le demande, soit aux hommes, soit aux
démons; tout ce que reçoivent les
1. Jean, XV, 5, 1. — 2. Ps. CLXII, 6. — 3.
Ps. LXVI, 2.
ennemis de Dieu, ils le reçoivent de lui; et
quand ils l’obtiennent après l’avoir demandé à d’autres, c’est de lui qu’ils
l’obtiennent sans le savoir, De même que, s’ils sont châtiés, et qu’ils
attribuent à d’autres ces châtiments, c’est par lui qu’ils sont châtiés à leur
insu:
de niéme s’ils se fortifient, s’ils sont
rassasiés, sauvés, délivrés, et que dans leur ignorance ils l’attribuent aux
hommes, aux démons ou aux anges: ceux-ci ne peuvent rien que par celui qui a
tout pouvoir. Si nous parlons ainsi mes frères, c’est afin que, si nous
désirons parfois les biens de la terre, ou pour subvenir à nos besoins, ou même
à cause de notre faiblesse, nous ne les demandions qu’à celui qui est la source
de tout bien, le créateur elle réparateur de toutes choses.
3. Mais il y a certains dons que Dieu fait
même à ses ennemis, d’autres qu’il ne réserve qu’à ses amis. Quels sont les
dons qu’il fait à ses ennemis? Ceux que je viens d’énumérer. Les bons, en
effet, ne sont point seuls pour avoir des maisons qui regorgent des biens de la
terre, ils ne sont point seuls pour avoir la santé, pour sortir de maladie,
pour avoir des enfants, ni seuls pour avoir de l’argent, et tout le reste qui
est nécessaire pour cette vie du temps qui doit passer: les méchants possèdent
tout cela, souvent même les bons ne l’ont point; mais souvent encore les
méchants en éprouvent la disette, et parfois plus que les bons; parfois les
bons plus que les méchants. Dieu a donc voulu que ces biens du temps fussent
mêlés; s’il ne les donnait qu’aux bons seulement, les méchants croiraient que
c’est pour ce motif qu’il faut adorer Dieu; et s’il ne les donnait qu’aux
méchants, ceux des bons qui sont faibles craindraient d’en être privés. Notre
âme est en effet bien faible, et peu disposée au règne de Dieu, et Dieu qui
nous cultive doit la nourrir. Tel arbre en effet qui peut braver les tempêtes,
n’est sorti de terre que comme une herbe chétive. Ce vigneron divin sait donc
bien tailler et émonder les arbres robustes j ainsi que donner des tuteurs à
ceux qui sont nouvellement nés. Aussi, mes bien-aimés, comme je vous le disais
tout à l’heure, si les biens n’étaient l’apanage que des bons seulement, tous
se convertiraient à Dieu afin de les posséder; et s’ils n’étaient l’apanage que
des méchants, les faibles craindraient que leur conversion ne les privât de ce
qui serait aux méchants seuls. (71) Dieu les a donc donnés saris distinction
aux bons et aux méchants. Au contraire, que les bons seuls soient privés de ces
biens, et les faibles craindront alors de se convertir au Seigneur; et s’il n’y
a que les méchants pour en être privés, on ne verrait de peine que dans le
châtiment des méchants. Donc, si Dieu les accorde aux bons, c’est pour les consoler
dans leur pèlerinage; s’il les accorde aux méchants, c’est pour avertir les
bons de désirer d’autres biens qui ne leur seraient pas communs avec les
méchants. Il les enlève ensuite aux bons quand il lui plaît, afin qu’ils
sondent leurs forces; et qu’ils sachent, eux qui l’ignoraient jusque-là, s’ils
peuvent dire: «Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté: ainsi qu’il a plu au
Seigneur, il a été fait; que le nom du Seigneur soit béni 1». Voilà une âme qui
bénit le Seigneur, qui a produit des fruits, fertilisée qu’elle était par la
rosée des bénédictions: « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté ». Il a
soustrait les dons, mais non le donateur. Toute âme simple et bénie, qui ne
s’attache pas aux choses de la terre, qui ne se traîne point avec des ailes
embarrassées par la glu, mais dont les deux ailes reflètent l’éclat des vertus
dans la double émeraude de la charité, s’élève en liberté dans les airs; elle
se voit enlever ce qu’elle foulait, sans s’y reposer aucunement, et dit avec
sécurité: « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté: ainsi qu’il a plu au
Seigneur, il a été fait; que le nom du Seigneur soit béni ». Il a donné, il a
ôté: celui qui a donné subsiste, et il ôte ce qu’il a donné que son nom soit
béni. C’est donc pour cela que ces biens sont parfois étés aux bons. Mais qu’un
homme faible ne vienne point nous dire: Quand pourrai-je avoir toute la force
du saint homme Job? Tu admires la force de l’arbre, parce que tu es
nouvellement né; et ce grand arbre, dont tu admires la force, ne fut qu’un
roseau, sans celui qui te couvre de ses branches et de son ombre. Craindrais-tu
que ces biens ne te soient enlevés, parce que tu es bon? Remarque alors qu’ils
sont enlevés aussi bien aux méchants. Pourquoi donc retarder ta conversion? Ce
que tu crains de perdre en devenant bon, tu le perdras peut-être en demeurant
mauvais. Si tu les perds étant vertueux, tu as pour consolateur celui qui te
les a ôtés; ta cassette sera sans or, mais ton coeur plein de foi:
1. Job, I, 21.
pauvre au dehors, tu seras riche à l’intérieur;
tu porteras avec toi des richesses que nul ne pourra t’enlever, dusses-tu
échapper nu au naufrage. Si donc, dans ton impiété, tu es exposé à quelque
perte, pourquoi celte perte ne te rendrait-elle pas bon, puisque tu vois aussi
bien des méchants essuyer des perles? Mais leur désastre alors est bien plus
grand; il n’y a rien dans la maison, et moins encore dans la conscience. Qu’un
impie vienne à perdre ces biens, il ne possède plus rien à l’extérieur, et n’a
rien non plus pour se reposer intérieurement. Il fuit les lieux témoins de son
désastre, et où jadis il étalait orgueilleusement ses richesses aux yeux des
hom mes; il n’ose plus affronter les regards des autres, il ne peut rentrer en
lui-même, où il ne trouve rien. Loin d’imiter la fourmi, il ne s’est amassé
aucun grain pendant l’été 1. Qu’ai-je dit pendant l’été? Quand la vie était
calme pour lui, quand ce siècle était pour lui souriant de prospérité, quand il
avait des loisirs, quand chacun vantait son bonheur, c’était alors l’été pour lui.
Il eût imité la fourmi, s’il eût entendu la parole de Dieu, s’il eût amassé du
grain, s’il fût rentré en lui-même. Mais était venue l’épreuve de la
tribulation, et survenu l’engourdissement de l’hiver, la tempête de la crainte,
le froid du chagrin, ou quelque dommage, quelque danger pour la vie, la perte
des siens, quelque déshonneur, quelque humiliation; voilà l’hiver. La fourmi se
retire alors vers les approvisionnements qu’elle a faits pendant l’été; là,
dans son intérieur le plus secret, où nul ne la voit, elle jouit du fruit de
son travail d’été. Quand, aux beaux jours, elle faisait ses provisions, chacun
la voyait; nul ne la voit quand elle s’en nourrit en hiver. Qu’est-ce que cela,
mes Frères? Voyez la fourmi de Dieu: chaque jour, à son lever, elle court à
l’église de Dieu, elle prie, elle entend des lectures, chante des hymnes,
réfléchit à ce qu’elle a entendu, rentre en elle-même et fait une secrète
provision des grains qu’elle amasse dans l’aire. Voilà ce que font ceux qui ont
la sagesse d’écouter ce que nous disons ici; chacun les voit venir à l’église,
sortir de l’église, écouter le sermon, écouter la lecture, chercher un livre,
l’ouvrir, le lire: tout cela se fait visiblement. C’est la fourmi qui voyage,
qui porte, qui fait des provisions, sous les yeux de ceux qui la regar
1. Prov. VI, 6, et XXX, 25.regardent. Un jour
viendra l’hiver, et pour qui n vient-il pas? Arrive un accident, la pauvreté,
Les autres plaignent cet homme dans sou malheur, et ne connaissent point les
provisions de cette fourmi. Malheur, disent-ils, à celui-ci qui a fait cette
perte, à celui-là qui en a fait une autre, quel est son courage, pensez-vous?
Quel est son accablement? Chacun mesure d’après soi-même, compatit selon ses
forces, et se trompe en cela même, qu’il veut appliquer à celui qu’il ne
connaît poini sa propre mesure. Tu vois un homme qui fuji une perte, ou qui
subit une humiliation, ou réduit à l’indigence: que crois-tu alors? Qu’il a
commis quelque crime, pour être ainsi accablé. Que telle soit la pensée, le sentiment
de nies ennemis. Ne sais-tu donc pas, ô homme, que tu es ton propre ennemi,
quand aux jours d’été tu n’amasses point ce qu’il a amassé? Maintenant c’est la
fourmi qui se nourrit intérieurement de ses labeurs de l’été; tu pouvais la
voir amasser, tu ne la vois pas se rassasier. Autant qu’il a plu à Dieu de nous
suggérer ces réflexions, de soutenir notre faiblesse et noire humilité, nous
vous expliquions, selon notre pouvoir, pourquoi Dieu dorme indistinctement ses
biens aux bons et aux méchants, et les enlève aux méchants comme aux bons. Vous
les donne-t-il, n’en soyez point orgueilleux; vous les enlève-t-il, n’en soyez
pas accablé. Tu crains qu’il ne les retire; il peut les enlever au bon comme au
méchant: il est donc préférable que tu sois bon, pour perdre ce qui est de
Dieu; car alors Dieu te reste. Quant à ce méchant, je lui dirai pour
l’exhorter: Tu essuieras quelque perte (qui est exempt de la mort de ses
proches?) un malheur viendra fondre sur toi, une calamité imprévue, le monde
est plein, les exemples abondent: je t’avertis pendant l’été, il ne manque pas
de grains à ramasser; vois la fourmi, ô paresseux’, amasse en été, puisque tu
le peux: l’hiver ne te permettra pas d’amasser, mais seulement de manger tes
provisions. Combien en est-il dont la tribulation est telle qu’ils ne peuvent
ni lire, ni écouter, ni peut-être aborder ceux qui les consoleraient? La fourmi
est demeurée dans ses galeries; qu’elle examine si elle a fait pendant l’été
une provision qui la garantisse contre l’hiver.
4. Maintenant que Dieu nous bénira, pourquoi
nous bénira-t-il? Quelle bénédiction
1. Prov. VI, 6; XXX, 25.
demande cette prière: « Que Dieu nous
bénisse? » La bénédiction qu’il réserve à ses amis, qu’il n’accorde qu’aux
bons. Ne désire pas comme bien précieux ce que les méchants reçoivent aussi:
Dieu, dans sa bonté, les accorde, « lui qui fait luire son soleil sur les bons
et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes 1 ». Qu’y
a-t-il donc de réservé pour les bons? de réservé pour les justes? « Que les
rayons de sa face tombent sur nous ». La lumière de ce soleil, vous la répandez
sur les méchants comme sur les bons, répandez sur nous la lumière de votre
face. Les bons et les méchants partagent avec les troupeaux la vue de cette
lumière. « Mais bienheureux ceux dont le coeur est pur, parce qu’ils verront
Dieu 2 ». « Que les rayons de sa face tombent sur nous ». Il y a deux manières
d’entendre cette parole, expliquons l’une et l’autre: répandez sur nous les
rayons de votre face, montrez. nous votre visage. Car Dieu n’a pas besoin de
faire briller son visage, comme si ce visage était parfois sans lumière; mais,
faites-le briller sur nous, afin que nous puissions voir ce qui nous était
dérobé, et que ce qui est sans que nous le voyions, nous soit révélé ou brille
sur nous. Ou bien, rendez brillante sur nous votre image; comme s’il disait:
faites briller sur nous votre visage; vous avez gravé en nous votre face, vous
nous avez fait à votre image et à votre ressemblance 3; vous avez fait de nous
votre monnaie; mais votre image ne doit point demeurer dans l’obscurité:
envoyez un rayon de votre sagesse, qu’elle dissipe nos ténèbres, et que votre
image brille enfin sur nous; que nous sachions que nous sommes votre image, que
nous entendions ce qui est dit au Cantique des cantiques: « A moins que tu ne
te connaisses, ô la plus belle des femmes 4 ». Voilà ce qui est dit à l’Eglise:
« Puisses-tu te connaître toi-même». Qu’est-ce à dire? Puisses-tu connaître que
tu es à l’image de Dieu. O âme précieuse de l’Eglise, rachetée par le sang de
l’Agneau sans tache, vois quelle est ta valeur, examine ce que l’on a donné
pour toi. Disons donc et désirons surtout « que le Seigneur fasse rayonner son
visage sur nous ». Nous portons en nous son image; de même que l’on voit la face
des empereurs dans leur statue, Dieu a mis aussi dans son image son visage
1.
Matth. V, 45. — 2. Id. 8. — 3. Gen. I, 26. — 4. Cant. I, 7.sacré; mais les
impies ne savent point que cette image de Dieu est en eux. Que doivent-ils
dire, afin que Dieu fasse rayonner cette face sur eux-mêmes? « C’est vous,
Seigneur, qui allumerez mon flambeau; ô mon Dieu, éclairez mes ténèbres 1 ». Je
suis dans la nuit du péché; mais qu’un rayon de votre sagesse dissipe ces
ténèbres épaisses, que votre face devienne visible; et s’il arrive à cause de
moi quelque difformité, eh bien ! reformez vous-même ce que vous avez formé. «
Que le Seigneur fasse briller en nous son visage ».
5. « Afin que nous connaissions votre voie
sur la terre 2». « Sur la terre», ici-bas, en cette vie « que nous connaissions
votre voie». Qu’est-ce que « votre voie?» Celle qui conduit à vous. Que nous
sachions où aller, que nous sachions encore par où aller l’un et l’autre nous
sont impossibles dans nos ténèbres. Vous êtes loin de ceux qui voyagent, vous
nous avez tracé la route par laquelle nous devons retourner à vous: « Que nous
connaissions votre voie sur la terre ». Quelle est cette voie de Dieu, puisque
nous désirons de « connaître votre voie sur la terre? » C’est à nous de la
chercher, sans pouvoir la connaître par nous-mêmes. Nous pouvons l’apprendre de
l’Evangile: « Je suis la voie », dit le Seigneur; le Christ a donc dit: «Je
suis la voie». Craindrais-tu d’errer? Il ajoute, « et la vérité ». Qui peut
errer dans la vérité? On n’est dans l’erreur que pour avoir dévié de la vérité.
Le Christ est la vérité, le Christ est la voie: marche. Crains-tu de mourir
avant d’y arriver? «Je suis la vie:je suis», a-t-il dit, « la voie, la vérité
et la vie 3». Comme s’il disait: Que crains-tu? Tu marches par moi, tu marches
vers moi, tu reposes en moi. Que veut dire alors le Prophète: « Que nous
connaissions votre voie sur la terre », sinon que nous connaissions ici-bas
votre Christ? Mais que le psaume réponde lui-même; de peur que vous ne pensiez
qu’il faut chercher en d’autres endroits de l’Ecriture un témoignage qui
manquerait ici, il montre, en reprenant le verset, ce que signifie: « Afin que
nous connaissions votre voie sur la terre »; et comme si tu demandais: sur
quelle terre et quelle voie? « Et votre salut », dit-il, « dans toutes les
nations ». Tu demandes en quelle terre? Ecoute « Dans toutes les nations. »
1. Ps. XVII, 29. — 2. Id. LXVI, 3. — 3. Jean,
XIV, 6.
Tu demandes quelle voie? Ecoute encore: «
Votre salut». Est-ce pour lui-même que le Christ est le salut? Et que disait
donc dans l’Evangile ce vieillard Siméon, ce vieillard dont les années se
prolongent jusqu’à l’enfance du Verbe? Voilà que ce vieillard prit dans ses
mains le Verbe de Dieu enfant. Pourquoi celui qui a daigné habiter les
entrailles d’une vierge aurait-il dédaigné d’être dans les bras d’un vieillard?
Il est donc dans les bras du vieillard tel qu’il fut dans le sein de la Vierge;
faible enfant dans les entrailles maternelles et dans les mains séniles, pour
nous donner la force, lui par qui tout a été fait (si tout est par lui, sa mère
est aussi par lui): il est venu humble, infirme, et toutefois d’une infirmité
qui doit changer: « Car s’il a été crucifié dans l’infirmité de la chair, il
vit néanmoins dans la force de Dieu 1 », dit l’Apôtre. Il était donc dans les
mains du vieillard. Et que lui dit ce vieillard? Que dit-il, en se félicitant
d’être bientôt délivré, en voyant qu’il tient dans ses bras celui par qui et en
qui doit lui venir le salut? « Seigneur », dit-il, « laissez maintenant votre
serviteur allez en paix, puisque mes yeux ont vu votre salut 2. Que « Dieu donc
nous bénisse, qu’il ait pitié de nous, qu’il fasse briller sur nous les rayons
de sa face, afin que nous connaissions votre voie en cette vie». Sur quelle
terre? «Dans toutes les nations ». Quelle voie? « Votre « salut ».
6. Quand la terre connaîtra ta voie de Dieu,
quand toutes les nations connaîtront le salut de Dieu, qu’arrivera-t-il? « Que
tous les peuples vous bénissent, ô mon Dieu; que tous les peuples», dit le Prophète,
« publient vos louanges 3 ». Voici l’hérétique: J’ai, dit-il, des populations
dans l’Afrique; un autre à telle autre partie: Moi, j’ai des populations en
Galatie. Fort bien; tu as des peuples en Afrique, celui-ci en Galatie; et moi
je cherche celui qui a des sectateurs partout. Vous avez bien osé tressaillir à
ces paroles: « Que les peuples vous bénissent, ô mon Dieu ». Remarquez, dans le
verset suivant, que le Prophète ne parle point d’une partie quelconque: « Que
tous les peuples publient vos louanges ». Marchez dans la voie avec toutes les
nations, marchez dans la voie avec tous les peuples, ô fils de la paix, fils de
l’Eglise, qui
1. II Cor. XIII, 4. — 2. Luc, II, 29, 30. —
3. Ps. LXVI, 4.est seule catholique; marchez dans la voie, marchez en chantant
des hymnes. Voilà ce que font les voyageurs pour alléger leur fatigue. O vous
donc, chantez dans cette voie, je vous en supplie par la voie elle-même,
chantez dans cette soie: chantez un cantique nouveau; que nul ne chante rien du
vieil homme; chantez les hymnes de la patrie, rien de vieux. Nouvelle voie,
nouveau voyageur, nouveau cantique. Ecoute l’Apôtre qui t’exhorte à chanter un
cantique nouveau: « Si donc quelqu’un est à Jésus-Christ, c’est une nouvelle
créature: le passé n’est plus, tout est devenu nouveau 1 ». Chantez un cantique
nouveau dans la voie que vous connaissez sur la terres En quelle terre? « Dans
toutes les nations ». Donc le cantique nouveau n’appartient point à telle
partie. Chanter dans une partie, c’est chanter le passé: quoi qu’il puisse
chanter, c’est le passé qu’il chante, c’est le vieil homme qui chante, il est
divisé, il est charnel. Il est certainement charnel, autant qu’il est le vieil
homme; autant il est l’homme nouveau, autant il est l’homme spirituel. Voilà ce
que dit l’Apôtre: « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais
seulement comme à des hommes charnels ». Comment leur prouvera-t-il qu’ils sont
charnels? « Quand l’un dit: Je suis à Paul; et l’autre: Je suis à Apollo,
n’êtes-vous pas»,dit saint Paul, « des hommes charnels 2?» Chantez donc en
esprit un cantique nouveau dans la voie sûre. Ainsi chante le voyageur, souvent
même il chante pendant la nuit. Autour de nous se font entendre des ennemis
redoutables, ou plutôt sans se faire entendre ils gardent le silence, d’autant
plus redoutable que leur silence est plus profond; et toutefois on chante bien
qu’on redoute les voleurs. Combien est-il plus sûr pour toi de chanter dans le
Christ? Il n’y a dans cette voie aucun voleur, à moins que tu n’ailles te jeter
chez les voleurs, en quittant cette voie. Chante, je le répète, chante en
sûreté un cantique nouveau dans le chemin que tu connais « sur la terre »,
c’est-à-dire « dans toutes les nations». Remarque bien qu’il ne chante pas avec
toi le cantique nouveau, celui qui ne veut être que dans une partie du monde. «
Chantez »,dit le Prophète, « un cantique nouveau »; et il continue: « Que toute
la terre chante le Seigneur 3. Que les peuples
1. II Cor. V, 17. — 2. I Cor. III, 1, 4. — 3.
Ps. XCV, 1.
vous bénissent, ô mon Dieu». Ils ont trouvé
votre voie, qu’ils vous confessent. Chanter c’est confesser, confesser tes
fautes et la vertu de Dieu. Confesse ton iniquité, confesse la grâce de Dieu:
accuse-toi, glorifie le Seigneur; réprime-toi, et bénis-le, afin que quand il
viendra il trouve que tu t’es châtié, et se donne à toi pour Sauveur. Pourquoi
craindre de le confesser, vous qui avez trouvé cette voie dans tous les
peuples? Pourquoi craindre de le confesser, et dans cette confession de chanter
un cantique nouveau avec toute la terre, dans toute la terre, et dans la paix
catholique? Craindrais-tu d’avouer tes fautes à Dieu, de peur qu’il ne te
condamne à cause de tes aveux? Si tu te caches par défaut d’aveu, tu te
confesseras pour être condamné. Tu crains de faire des aveux, toi que le défaut
d’aveu ne saurait cacher; tu seras condamné par ton silence, tandis que l’aveu
pourrait te sauver. « Que les peuples vous confessent, ô mon Dieu, que tous les
peuples chantent vos louanges 1».
7. Et parce que cet aveu ne nous conduit pas
au supplice, le Prophète continue: « Que les nations tressaillent et soient
dans l’allégresse ! » Si l’aveu devant un homme arrache des pleurs aux fripons,
que l’aveu devant Dieu donne la joie aux fidèles. Au tribunal d’un homme, on
force un voleur à l’aveu par la crainte et la torture: souvent même la crainte
étouffe cet aveu qu’arracherait la douleur: et tel qui gémit dans les
tourments, mais qui craint la mort après son aveu, supporte la torture autant
qu’il est possible; mais s’il est vaincu par la douleur, son aveu fait son
arrêt de mort. Pour lui donc il n’y a nulle joie, nulle allégresse; avant
l’aveu, il est déchiré par les ongles de fer, après l’aveu, il est condamné,
livré au bourreau; partout il est malheureux. Mais « que les nations tressaillent
et soient dans l’allégresse ! » Quelle en sera la cause? la confession.
Pourquoi? Parce que c’est au Dieu de bonté qu’elles font des aveux; s’il exige
la confession, c’est pour délivrer les humbles; s’il damne celui qui refuse
l’aveu, c’est pour châtier son orgueil. Sois donc dans la tristesse avant
l’aveu, et après l’aveu dans la joie, car tu seras guéri. Le pus s’était amassé
dans ta conscience, l’abcès était formé, la douleur ne te laissait aucun repos:
le médecin
1. Ps. LXVI, 5.
applique le lénitif des paroles, souvent il
tranche, il attaque l’endroit douloureux avec le fer de la chirurgie; reconnais
alors la mains du médecin; fais un aveu, et que cet aveu fasse écouler tout le
pus de la plaie; tressaille ensuite et sois dans la joie; le reste sera bientôt
guéri. « Que les peuples vous confessent, ô mon Dieu, que tous les peuples «
vous bénissent ! » Et à cause de leur confession, « que les nations soient dans
la joie et dans l’allégresse, parce que vous jugez les peuples dans l’équité ».
Nul ne saurait vous tromper; qu’il se réjouisse d’être jugé, celui qui a craint
son juge. Dans sa prévoyance, il a prévenu sa face par l’aveu 1; et quand ce
juge viendra, il jugera les peuples dans l’équité. De quoi servira la ruse de
l’accusateur dès que la conscience est témoin, alors que tu seras là en
présence de ta cause, et que le juge ne requiert aucun témoin? Il t’a envoyé un
avocat: à cause de lui et par lui fais ion aveu; prends en main ta cause, il
est un défenseur pour le pénitent, un intercesseur pour celui qui avoue, et
pour l’innocent un juge. Peux-tu craindre avec raison, quand c’est ton avocat
qui est ton juge? « Que les nations donc soient dans la joie, qu’elles
tressaillent, parce que vous jugez les peuples avec justice ». Mais ils
pourront redouter d’être mal jugés; qu’ils se laissent redresser et diriger par
celui qui voit ce qu’ils ont à juger. Qu’ils soient redressés ici-bas, et
qu’ils ne craignent plus le jugement. Voyez ce qui est dit dans un autre
Psaume: « Sauvez-moi, Seigneur, par votre nom, et jugez-moi dans votre
puissance 2». Que dit-il? Si vous ne me sauvez pas d’abord en votre nom, j’ai
tout à craindre quand vous me jugerez dans votre puissance; mais si votre nom
est pour moi un nom de salut, comment craindre celui qui me jugera dans sa
puissance et dont le nom m’a d’abord sauvé? Ainsi encore dans cet endroit: «
Que tous les peuples vous confessent! » Et de peur que vous n’en veniez à
redouter cette confession, « que les nations », dit-il, « soient dans la joie
et dans l’allégresse ! » Pourquoi « cette joie et cette allégresse? Parce que
vous jugez les peuples dans l’équité ». Nul contre nous ne vous fait des
présents, nul ne peut vous corrompre, nul vous tromper. Sois donc en sûreté, ô
mon frère. Mais qu’as-tu
1. Ps. XCIV, 2. — 2. Ps. LIII, 3.
pour ta défense? Nul ne peut corrompre Dieu,
c’est évident. Mais n’a-t-il pas d’autant plus à craindre qu’il est plus
corruptible? Quelle est donc la garantie de sûreté? Cette parole déjà émise: «
O Dieu, sauvez-moi par votre nom, et jugez-moi dans votre puissance ». De même
ici encore: « Que les nations soient dans la joie et dans l’allégresse, parce
que vous jugez les peuples dans l’équité ». Et pour ôter la crainte aux
pécheurs, il ajoute: « Et vous dirigez les nations sur cette terre ». Les nations
étaient dépravées, elles étaient dans la voie de perdition, elles étaient
corrompues; leur dépravation, leur perdition, leur corruption leur faisait
redouter l’avènement du souverain Juge: sa main s’est montrée, elle s’est
étendue miséricordieuse sue les peuples, ils sont dirigés dans la voie droite;
comment craindre pour juge celui qu’elles ont vu les redresser? Qu’elles
s’abandonnent à sa main miséricordieuse, puisqu’il dirige les nations sur la
terre. Sous sa direction, les peuples ont marché dans la foi, ont tressailli en
lui, ont fait de bonnes oeuvres; et si dans leur navigation sur la mer, l’eau
entre parfois par les moindres fissures, si par quelque fente elle arrive dans
la sentine, en l’épuisant chaque jour au moyen des bonnes oeuvres, de peur qu’elle
n’entre davantage, et qu’arrivant au comble elle ne fasse sombrer le navire, en
l’épuisant chaque jour par la prière, le jeûne, l’aumône, et surtout en disant
avec un coeur pur: « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux
qui nous ont offensés 1»; en parlant ainsi, marche en toute sûreté, tressaille
dans ton chemin, chante sur ta route. Ne crains point ton juge; il a été ton
Sauveur avant que tu fusses fidèle. Tu étais impie, quand il t’a cherché pour
te racheter: t’abandonnera-t-il pour te perdre, maintenant que tu es racheté, «
lui qui dirige les peuples en cette terre? »
8. Le Prophète est dans la joie, il
tressaille, il répète pour nous exhorter les mêmes versets. « Que les peuples
vous confessent, ô mon Dieu, que tous les peuples vous confessent: la terre a
donné son fruit 2 ». Quel fruit? « Que tons les peuples vous confessent ! » La
terre existait, elle était couverte d’épines alors est venue la main de celui
qui les
1. Matth. VI, 12. —2. Ps. LXVI, 6.arrache,
est venu l’appel de sa majesté et de sa miséricorde; la terre a confessé Dieu,
la terre a donné son fruit. Mais eût-elle donné son fruit, si déjà elle n’avait
reçu la rosée? La terre eût-elle donné son fruit, si la divine miséricorde
n’était venue d’en haut? Lisez-moi, di. ras-tu, quand la terre a reçu la rosée
avant de produire ses fruits. Ecoutez cette pluie du Seigneur: « Faites
pénitence; car le royaume de Dieu approche 1 ». Il a fait pleuvoir, et cette
pluie est un tonnerre qui épouvante: craignez-le quand il tonne, et recevez sa
pluie. Après cette voix de Dieu qui est tonnerre et pluie, après cette voix
examinons ce passage de l’Evangile. Voilà une femme de mauvaises moeurs, mal
famée dans la cité, qui se précipite dans une maison étrangère, où elle n’était
point conviée, niais où l’appelait un convié, non par la parole, mais par la
grâce. Cette malade savait qu’elle avait une place dans la maison où venait
s’asseoir le médecin. Elle entre donc, cette pécheresse, mais elle n’ose aller
qu’à ses pieds; elle pleure, donc à ses pieds, les arrose de ses larmes, les
essuie de ses cheveux, les oint d’un parfum 2. Qu’y a-t-il d’étonnant pour toi?
« La terre a donné son fruit». Voilà ce qui s’est accompli, sous la pluie qui
tombait de la bouche du Seigneur: voilà des faits que nous lisons dans
l’Evangile; en tous les lieux où il a fait pleuvoir par ses nuées, en envoyant
les Apôtres qui ont prêché la vérité. « La terre a produit des fruits abondants
», et cette maison a rempli toute la terre.
9. Vois ce que dit ensuite le Prophète: «Que
Dieu nous bénisse, le Seigneur notre Dieu; que notre Dieu nous bénisse 3 ». «
Qu’il nous bénisse », ainsi que je l’ai dit; qu’il nous bénisse, et nous
bénisse encore, que sa bénédiction soit un accroissement. Que votre charité
veuille bien le voir: déjà la terre a produit son fruit en Jérusalem. C’est là
le berceau de l’Eglise: c’est là qu’est venu l’Esprit-Saint, qu’il a rempli
ceux qui habitaient en un même lieu; là qu’ont éclaté les miracles, qu’on a
parlé toutes les langues 4. Ceux qui étaient là furent remplis de l’Esprit de
Dieu et se convertirent; en recevant avec crainte la pluie divine, ils ont
donné par la confession un fruit si précieux, qu’ils mettaient leurs biens en
commun, les distribuaient aux pauvres, eu sorte que nul ne revendiquait rien en
1.
Matth. III, 2. — 2. Luc, VII, 37,38.— 3. Ps. LXVI, 7. — 4. Act. 1-4.
propre, que tous les biens étaient communs,
et qu’ils n’avaient qu’un coeur et qu’une âme en Dieu 1. Le Seigneur leur avait
donné, en effet, le sang qu’ils avaient répandu, il le leur avait donné avec
son pardon, afin qu’ils apprissent à boire ce sang répandu par eux. Admirable
fruit ! Oui, « la terre donna là son fruit», un fruit très-beau, un fruit
excellent. N’y a-t-il que cette terre pour avoir donné son fruit? « Que le Seigneur
nous bénisse, le Seigneur notre Dieu; que Dieu nous bénisse». Qu’il nous
bénisse encore; car le sens d’une bénédiction est surtout l’accroissement.
Prouvons-le par la Genèse; vois les oeuvres de Dieu. Le Seigneur fit la
lumière, et il sépara la lumière des ténèbres; il appela jour la lumière, et
nuit les ténèbres. Il n’est pas dit: Il bénit la lumière; car c’est la même
lumière qui reparaît dans l’alternative des jours et des nuits. Il appela ciel
le firmament entre les eaux et les eaux; il n’est pas dit qu’il bénit le ciel.
Il sépara les eaux de l’aride, il donna le nom de terre à l’aride, et celui de
mer aux eaux rassemblées; il n’est pas dit non plus que Dieu les bénit. Il en
vint ensuite aux êtres qui devaient avoir la fécondité de la reproduction et vivre
dans les eaux. Ceux-ci, en effet, se multiplient d’une manière étonnante, et
Dieu les bénit en disant: « Croissez et multipliez, remplissez les eaux de la
mer, et que les oiseaux se multiplient sur la terre ». De même, quand il eut
tout soumis à l’empire de l’homme, qu’il avait créé à son image, il est écrit:
« Dieu les bénit en disant: « Croissez et multipliez, couvrez la face de la
terre 2 ». Donc, l’effet propre de la bénédiction, est cette fécondité qui
parvient à couvrir la surface de la terre. Ecoute encore dans ce psaume: « Que
Dieu nous bénisse, le Seigneur notre Dieu; que Dieu nous bénisse». Et quelle
sera la force de cette bénédiction? « Et qu’il soit révéré sur tous les confins
de la terre ». Telle est donc, mes frères, la bénédiction féconde qui nous
vient de Dieu, au nom de Jésus-Christ, qu’il a rempli de ses enfants la face de
la terre, après les avoir adoptés pour son royaume comme les cohéritiers de son
Fils unique. Il n’a engendré qu’un Fils unique, mais il n’a point voulu qu’il
fût seul; oui, dis-je, il n’a point voulu qu’il demeurât seul, ce Fils unique
engendré par lui. Il lui a fait des frères, et lui a préparé des
1. Act. IV, 32. — 2. Gen. I,
1-28.cohéritiers, sinon par la génération, du moins par l’adoption. Il lui a
fait d’abord partager notre nature mortelle, afin que nous crussions que nous
pouvons être participants de sa divinité.
10. Voyons donc, mes frères, quel est notre
prix. Tout est prédit, tout est en évidence, 1’Evangile parcourt l’univers
entier; le travail qui s’opère aujourd’hui dans le genre humain, est un
témoignage formel, tout ce qui est prédit dans les Ecritures s’accomplit. De
même que tout ce qui est prédit jusqu’aujourd’hui est arrivé, ainsi le reste
s’accomplira. Craignons le jour du jugement, car le Seigneur viendra. Il est
venu dans l’humilité, il viendra dans la gloire; il est venu pour être jugé, il
viendra pour juger. Reconnaissons-le dans son humilité, afin de ne point
redouter sa gloire; embrassons-le quand il est humble, afin de désirer sa grandeur.
Car il viendra dans sa bonté, si nous soupirons après lui. Or, ceux-là
soupirent après lui, qui croient en lui, qui gardent ses commandements.
Dussions-nous ne point le vouloir, il viendra. Désirons donc son avènement,
puisqu’il viendra toujours malgré nous. Comment désirer son avènement? Par une
vie sainte, et des actions pures. Que le passé n’ait pour nous aucun attrait,
et le présent aucun charme ! N’imitons point le serpent qui se bouche l’oreille
de sa queue, ou qui appuie son oreille sur la terre 1; que le passé ne nous
empêche point d’écouter, que le présent ne nous détourne point de penser à
l’avenir; oublions le passé pour nous jeter vers ce qui est en avant 2. Ce qui
nous occupe aujourd’hui, nous fait gémir aujourd’hui, soupirer aujourd’hui, parler
aujourd’hui; ce que nous sentons quelque peu, sans pouvoir l’atteindre, nous
l’atteindrons, et nous en jouirons à la résurrection des justes. Notre jeunesse
sera renouvelée comme celle de l’aigle 3, seulement brisons contre la pierre
qui est le Christ 4, ce que nous tenons du vieil homme. Qu’il y ait vérité, mes
frères, dans ce que l’on raconte du serpent ou de l’aigle, que ce soit un adage
répandu chez les hommes plutôt qu’une vérité; les saintes Ecritures n’en sont
pas moins vraies, et n’ont point sans motif parlé de la sorte; mettons en
pratique la
1. Ps. LVII, 5. — 2. Philip. III, 13. — 3.
Ps. CIII, 5. — 4. Id. CXXXVI, 9, et I Cor X, 4.
leçon qu’elles nous donnent, sans nous inquiéter si le fait est réel.
Sois donc tel que ta jeunesse se puisse renouveler comme celle de l’aigle; et
sache bien qu’elle ne peut être renouvelée, qu’à la condition que le vieil
homme qui est en toi sera brisé contre la pierre; c’est-à-dire que sans le
secours de la pierre, sans le secours du Christ, tu ne peux arriver au
renouvellement. Que la douceur de ta vie passée ne te rende point sourd à la
voix de Dieu; que les biens présents ne te retiennent pas, ne t’enlacent pas,
ne te fassent point dire: Je n’ai pas le temps de lire, le loisir d’entendre.
C’est là mettre son oreille contre la terre. Qu’il n’en soit pas ainsi de toi,
mais deviens ce qui est le contraire selon toi, c’est-à-dire, oublie le passé,
avance-toi vers l’avenir, et brise le vieil homme contre la pierre. Et si l’on
te propose des paraboles que tu retrouves dans les saintes Ecritures,
accepte-les avec foi; si tu n’y vois qu’un adage, tu peux n’y point croire.
Peut-être en est-il ainsi, peut-être non. Mais toi, fais-en ton profit, et que
cette parabole te conduise au salut. Tu ne veux point de cette parabole, fais
ton salut par une autre, mais fais-le toutefois; et attends avec sécurité le
royaume de Dieu, afin que ta prière ne soit pas en opposition avec toi. Car
toi, ô chrétien, quand tu dis: « Que votre règne arrive», comment peux-tu bien
dire: « Que votre règne arrive 1? » Examine ton coeur et vois bien: « Que votre
règne arrive ». Me voici, répondit; ne crains-tu rien? Nous l’avons dit souvent
à votre charité; mais prêcher la vérité n’est rien, si le coeur est en
désaccord avec la langue, et entendre la vérité n’est rien, si cette audition
ne produit aucun fruit. Nous vous parlons de cette chaire, comme d’un lieu plus
élevé; mais nous sommes à vos pieds attérés par la crainte, il le sait ce Dieu
qui se rend propice aux humbles; car la voix de la louange a moins de charmes
pour nous que la piété des pénitents, que les oeuvres des coeurs droits.
Combien encore vos progrès seuls font notre seule joie; combien les louanges
nous paraissent dangereuses, il le sait celui qui doit nous tirer de tout
danger; qu’il nous délivre ainsi que vous de toute tentation, et daigne enfin
nous reconnaître, et nous couronner dans son royaume.
1. Matth. VI, 10.
Ce
chant est intitulé: Psaume du Cantique. Selon
quelques-uns, Cantique désignerait la
part de l’intelligence, Psaume l’exécution
extérieure; alors cantique serait plus général, et l’on devrait dire livre
des Cantiques, ce qui n’a pas lieu
toutefois.— Le Christ s’est levé, les Juifs ses ennemis ont tremblé, puis ont
été bannis des lieux où ils croyaient l’avoir vaincu; pour les justes, au
contraire, ils seront rassasiés. Chantez donc, ô justes, celui qui est
ressuscité. Pour lui ouvrir les coeurs par la foi, vous aurez à souffrir, mais
le Seigneur va délivrer les uns, ressusciter les autres d’entre vous, et
habiter en vous quand vous n’aurez qu’une seule âme. Quand le Christ traversa
les nations qui étaient alors un désert spirituel, les Apôtres qui sont des
cieux et des montagnes firent tomber la rosée de la grâce par la volonté du
Seigneur. La loi chez les Juifs étau imparfaite ou laissait dans
l’imperfection, mais le Seigneur l’a perfectionnée par la loi de grâce. Il a
donné au peuple ancien la manne, au peuple nouveau l’Eucharistie. Avec la grâce
le bien s’est fait par amour et non par crainte. De là ce verbe qui vient aux
prédicateurs avec la force du bien-aimé, qui a enchaîné le démon, lui a repris
ses dépouilles, distribué ses ministres pour la beauté de l’Eglise. Dormir
entre les héritages serait dormir entre les deux Testaments, avoir
l’indifférence pour la terre, la patience pour le ciel. Les saints sont les
ailes de l’Eglise, qui portent au loin ses louanges. Chez la colombe argentée,
il y a des rois ou plutôt des hommes qui ont un ministère différent, et qui
obtiennent la rémission des péchés, Le Christ est la montagne fertile ainsi que
la lumière, les Apôtres ne sont l’un et l’autre que par lui; Dieu réside en
eux, ils en sont le char glorieux. Ils accomplissent la charité qui résume tous
les préceptes. Le Christ sans ses membres a reçu des dons pour les hommes,
comme Dieu il nous fait des dons. La captivité qu’il captive désigne ceux qui
embrassent le joug du Seigneur; béni soit le Dieu du salut qui s voulu mourir
afin de nous apprendre la résignation. Il brise la tête de ses ennemis en les
amenant à la foi, en précipitant dans l’abîme les obstinés. En nous tournant
vers le Seigneur nous deviendrons ses chiens par la fidélité et la prédication.
Les traces du Seigneur ont été vues dans les vertus des vierges, la conversion
de Paul, le courage des martyrs. Honte aux hérétiques qui cherchent à séduire
les âmes faibles. Les pays lointains comme l’Ethiopie étendront leu maies vers
lui, il nous rendra vainqueurs de la mort.
1. Le titre de ce Psaume ne semble point
soulever de pénible discussion, il paraît au contraire simple et facile. Il
porte, en effet: « Pour la fin, psaume du cantique, à David lui-même 1 ». Déjà
dans plusieurs psaumes nous vous avons donné le sens de cette expression « Pour
la fin »; c’est que «le Christ est la fin de la loi pour justifier ceux qui
croiront 2 », la fin qui perfectionne, et non qui termine ou qui détruit.
Toutefois, si l’on veut s’appliquer à rechercher le sens de cette expression, «
Psaume du cantique »: pourquoi n’est-il pas dit simplement ou Psaume ou
Cantique, mais l’un et l’autre? ou quelle est la différence entre Psaume du
cantique, et Cantique du psaume, car nous voyons dans quelques psaumes de
semblables titres? on trouvera peut-être cette différence: nous abandonnons ce
travail à certains esprits subtils et qui ont plus de loisirs que nous.
Quelques-uns 3 avant nous ont assigné cette différence entre le cantique et le
psaume, que le cantique est un chant oral, tandis que le psaume s’exécute sur
un instrument visible qui est le psaltérion, et qu’alors le cantique
1. Ps. LXVII, 1. — 2. Rom. X, 4. — 3.
Hilaire, prolog, sur les Ps.
serait l’oeuvre mentale de l’intelligence, le
psaume l’oeuvre corporelle. Ainsi dans ce psaume soixante-septième, que nous
entreprenons d’exposer, nous trouvons cette parole: « Chantez au Seigneur,
chantez son nom sur vos instruments 1 »; ils ont fait cette distinction: «
Chantez au Seigneur », désignerait les divers sentiments qui occupent notre
coeur et qui sont connus à Dieu, invisibles pour les hommes; mais les bonnes oeuvres
doivent être en évidence pour les hommes, afin qu’ils glorifient notre Père qui
est dans les cieux; c’est donc avec raison qu’il est dit: « Chantez le nom du
Seigneur sur vos instruments », c’est-à-dire, publiez sa louange, que son nom
se redise avec allégresse. Autant qu’il m’en souvienne, j’ai suivi moi-même
ailleurs cette distinction. Je me rappelle que nous avons lu aussi: « Bénissez
Dieu sur vos instruments 3 », car le bien que nous faisons d’une manière
visible n’est pas agréable aux hommes seulement, mais à Dieu. Or, tout ce qui
plaît à Dieu n’est pas toujours de nature à plaire aux hommes, qui souvent ne
peuvent le voir. Aussi serions-nous
1. Ps. LXVII, 5. — 2. Matth. V, 16. — 3. Ps.
XLVI, 7, 8.étonnés que l’on trouvât dans quelque autre endroit de l’Ecriture: «
Chantez son nom », comme nous y trouvons ces deux expressions: « Chantez Dieu
et bénissez son nom sur vos instruments ». Si l’on trouve cette expression,
nous avons perdu notre peine en assignant une différence. Ce qui m’étonne
encore, c’est que généralement on dise des psaumes plutôt que des cantiques, au
point que le Seigneur a dit: « Ce qui est écrit à mon sujet dans la loi, dans
les Prophètes et dans les Psaumes 1 ». On dit encore le livre des Psaumes, et
non des Cantiques: « Comme il est écrit au livre des Psaumes 2 », est-il dit;
tandis que, d’après notre distinction, il semble qu’on devrait les appeler des
Cantiques, car il peut y avoir cantique sans psaume, et non psaume sans
cantique. Il peut y avoir en effet dans notre esprit des pensées dont les actes
ne soient pas corporels; mais il n’est aucun acte louable dont la pensée n’ait
occupé notre esprit. Dès lors, tout psaume serait un cantique, mais tout
cantique ne serait pas un psaume; et pourtant, avons-nous dit, on emploie le nom
générique de psaumes, non de cantiques, et l’on ne dit point livre des
Cantiques, mais des Psaumes. Si l’on comprenait et si l’on discutait le sens
des paroles où ce titre porte seulement « Psaume », et où il y a seulement «
Cantique », non plus « Psaume du cantique », ainsi que dans le nôtre, mais «
Cantique du psaume »; je ne sais si l’on pourrait justifier cette distinction.
Aussi, comme nous l’avions déjà fait, laissons-nous ces discussions à ceux qui
peuvent s’y livrer, qui ont le loisir d’établir ces différences, et de les
marquer de quelque point certain; nous, et autant qu’il nous est possible, avec
le secours de Dieu, examinons et exposons le texte du psaume.
2. « Que Dieu se lève, et que ses ennemis
soient dissipés 3 ». Ainsi a-t-il été fait; le Christ s’est levé, lui, le Dieu
suprême, béni dans tous les siècles 4, et les Juifs ses ennemis se sont
dispersés dans toutes les nations, vaincus qu’ils étaient dans ces mêmes lieux
où ils avaient sévi contre lui, et d’où ils étaient chassés dans l’univers entier:
et maintenant ils haïssent encore, mais ils craignent, et sous le poids de
cette crainte ils font ce qui suit: « Et que ceux qui le haïssent fuient devant
sa face ». La fuite, pour l’âme, c’est
1. Luc, XXIV, 41.— 2. Act. I, 20. — 3. Ps.
LXVII. — 4. Rom. XX, 5.
la crainte. Car s’il s’agit d’une fuite
corporelle, comment pourraient-ils fuir la face de celui qui montre partout
l’effet de sa présence? « Où irai-je devant votre esprit», a dit le Psalmiste,
« et où fuir devant votre face 1? » C’est donc l’esprit en eux, et non le corps
qui fuit; c’est-à-dire qu’ils craignent sans pouvoir se cacher; et s’ils
fuient, ce n’est pas celle face qu’ils ne sauraient voir, mais celle qu’ils
sont forcés d’envisager. Car on appelle sa face, sa présence au moyen de son
Eglise. C’est pourquoi quand leur haine fit explosion, il leur dit: « Un jour
vous verrez le Fils de l’homme venant sur les nuées du ciel 2». C’est ainsi
qu’il est venu dans son Eglise, la jetant sur tous les confins de la terre où
ses ennemis sont dispersés. Or, il est venu sur des nuées semblables à celles
dont il a dit: « Je commanderai aux nuées de ne plus vous donner de la pluie 3
». « Que ceux qui le haïssent, fuient donc en sa présence »: qu’ils craignent
la présence de ses saints et de ses fidèles, dont il- a dit: « Ce que vous avez
fait au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez fait 4 ».
3. « Qu’ils disparaissent comme la fumée 5».
Des flammes de leur haine, il s’est élevé comme une vapeur d’orgueil; ils ont
opposé leur bouche au ciel 6, en criant: « Crucifiez-le, crucifiez-le 7 », ils
ont insulté leur captif, l’ont raillé sur la croix: et bientôt ils ont disparu
en vaincus de, ces mêmes lieux où ils s’étaient enflés de leur victoire. «
Comme la cire fond devant la flamme, que les impies disparaissent devant le
Seigneur ». Peut-être le Psalmiste a-t-il voulu désigner ici ceux dont
l‘endurcissement se fond dans les larmes de la pénitence: et toutefois on peut
y voir encore une menace du jugement à venir; car s’ils ont péri parce qu’ils
se sont élevés comme la fumée, c’est-à-dire, enflés d’orgueil, ils ne peuvent
espérer au dernier jour que la damnation, en sorte qu’ils disparaîtront pour
toujours de sa présence, quand il se montrera dans tout son éclat, comme le feu
qui est la lumière des justes et le châtiment des pécheurs.
4. Voici la suite: « Que les justes se
rassasient, qu’ils tressaillent en la présence du «Seigneur, qu’ils s’abreuvent
de ses joies 8».
1.
Ps. CXXXVIII, 7. — 2. Matth. XXVI, 64 — 3. Isaïe V, 6 — 4. Matth. XXV, 40 — 5.
Ps. LXVII, 3. — 6. Id. LXXII, 9. — 7. Jean, XIX, 6. — 8. Ps. LXVII, 4.Car, alors,
ils entendront: « Venez, bénis de mon Père, et recevez le royaume 1. Qu’ils «
soient donc dans la joie e ceux qui ont été dans la tristesse, et qu’ils
tressaillent en présence du Seigneur ». Cette allégresse ne donnera point une
vaine jactance, comme il arrive en présence des hommes, mais elle éclatera en
présence de Celui qui voit sans se tromper ses propres dons. « Qu’ils
s’abreuvent de ses joies »; non pas dans une allégresse mêlée de crainte 2,
comme il arrive ici-bas, tant que la vie de l’homme sur la terre est une
tentation 3.
5. Enfin il se tourne vers ceux à qui il a
inspiré une si grande espérance, et les stimule en cette vie, par ces
exhortations: « Chantez au Seigneur, bénissez son nom sur vos instruments 4 ».
Nous avons dit à propos du titre ce que nous pensions de cette parole. Chanter
à Dieu, c’est vivre pour Dieu; bénir son nom sur des instruments, c’est
travailler pour sa gloire. C’est donc par ces chants, par ces accords,
c’est-à-dire par cette vie et par ces oeuvres qu’il vous faut « ouvrir la voie
», dit le Prophète, « à Celui qui s’élève au-dessus de l’Occident ». Ouvrez la
route au Christ, afin que les coeurs s’ouvrent à lui par la foi, au moyen de
ceux dont les pieds sont beaux, en apportant l’Evangile 5. Car c’est lui qui
s’élève au-dessus du couchant; soit que nul ne puisse le recevoir en se
tournant à lui par une vie nouvelle, sans avoir abjuré le vieil homme, et
renoncé au monde; soit que s’élever au-dessus de l’Occident, se dise de la
résurrection qui triomphe de la mort corporelle. « Car le Seigneur est son
nom». Et si les Juifs l’eussent connu, ils n’eussent jamais crucifié le
Seigneur de la gloire 6.
6. « Tressaillez en sa présence ». O vous à
qui il est dit: « Chantez au Seigneur, bénissez son nom sur vos instruments,
ouvrez la route à celui qui s’élève au-dessus de l’Occident, tressaillez aussi
en sa présence 7 », comme des hommes tristes qui sont néanmoins dans la joie 8.
Pour lui ouvrir la route, pour lui préparer le moyen de venir et de s’emparer
des nations, vous aurez à souffrir des choses tristes de la part des hommes.
Toutefois, loin de vous toute défaillance, tressaillez au contraire, non plus
en présence des hommes
1.
Matth. XXV, 34. — 2. Ps. II, 11. — 3. Job, VII, 1. — 4. Ps. LXVII, 5. — 5.
Isaïe LII, 7. — 6. I Cor, II, 8. — 7. Ps. LXVII, 5. — 8. II Cor. VI, 10.
mais devant Dieu. Soyez pleins de joie dans
votre espérance, et patients dans la tribulation 1. «Tressaillez en présence de
Dieu». Mais ceux qui jettent le trouble en vous devant les hommes, « seront
troublés à leur tour, devant la face de Dieu qui est le Père de l’orphelin, et
rend justice à la veuve 2 ». Ils regardent comme dans la désolation ceux que le
glaive de la parole de Dieu vient séparer, les parents des enfants, les époux
de leurs épouses 3; mais ceux qui sont ainsi délaissés, et dans le veuvage,
reçoivent les consolations « de celui qui est le Père des orphelins, qui rend
justice à la veuve »; ils reçoivent ses consolations, ceux qui lui disent: «
Voilà que mon père et ma mère m’ont délaissé, mais le Seigneur m’a pris sous sa
garde 4 »: qui ont mis leur espoir en Dieu, qui ont persisté nuit et jour dans
la prière 5:
en présence de Dieu, ils seront dans le
trouble, ces méchants qui verront qu’ils n’ont rien obtenu parce que le monde
entier a suivi le Seigneur 6.
7. C’est en effet de ces orphelins et de ces
veuves, c’est-à-dire de ceux qui se privent de tout commerce avec les
espérances d’ici-bas, que le Seigneur se fait un temple, et c’est de ce temple
qu’il dit ensuite: « Dieu habite son sanctuaire ». Le Prophète nous indique, en
effet, ce qu’est ce sanctuaire, quand il dit: « C’est Dieu qui fait habiter
ensemble ceux qui ont une même âme 7 »; qui sont unanimes ou qui ont les mêmes
sentiments tel est le sanctuaire du Seigneur. Car après avoir dit: « Le
Seigneur est dans son sanctuaire », comme si nous lui demandions quel est ce
lieu, puisque le Seigneur est partout entièrement, et qu’il n’est aucun espace
corporel qui le puisse contenir, le Prophète s’explique aussitôt, afin que nous
ne cherchions pas le Seigneur en dehors de nous, mais que plutôt, n’ayant
qu’une même âme pour habiter la même demeure, nous méritions que le Seigneur
daigne habiter avec nous. Le sanctuaire du Seigneur, c’est ce que cherchent les
hommes quand ils veulent un lieu où leurs prières soient exaucées. Qu’ils
soient donc eux-mêmes ce qu’ils cherchent, et qu’ils repassent avec amertume ce
qu’ils disent dans leur coeur ou plutôt dans le silence le plus profond 8, qu’ils
n’aient qu’une
1.
Rom. XII, 12.— 2. Ps. LXVII, 6.— 3. Matth. X, 34, 35.— 4. Ps. XXVI, 10.— 5. I
Tim. V,
5. — 6. Jean, XII, 19. — 7. Ps. LXVII, 7. — 8. Ps. IV, 5.même âme, « dans la
même demeure », afin qu’ils deviennent de vastes appartements habités par le
Seigneur, et qu’ils soient exaucés en eux-mêmes. Il est, en effet, un vaste
édifice, meublé non seulement de vases d’or et d’argent, mais aussi de vases de
bois et d’argile. Les uns sont pour l’ornement, les autres pour l’ignominie;
mais si quelques-uns purifient en eux ce qui tient au vase d’ignominie 1, ils
seront unanimes « dans une « maison e et deviendront ainsi le sanctuaire de
Dieu. De même, en effet, que dans un vaste palais, le maître ne prend- point
son repos dans un appartement quelconque, mais dans le lieu le plus honorable
et le plus secret; de même le Seigneur n’habite point chez tous ceux qui sont
dans sa demeure, car il n’habite point en ceux qui sont des vases d’ignominie,
mais il a son sanctuaire en ceux qu’ « il fait habiter par l’accord des
manières ou des moeurs, dans une seule maison ». Le mot grec, en effet, tropoi se peut traduire en latin par
manières ou moeurs. Le grec ne porte pas non plus: « Il fait habiter dans»;
mais simplement: « Il fait habiter ». « Le Seigneur est » donc « dans son lieu
sacrée. Quel est ce lieu? Car c’est Dieu qui se le prépare. C’est Dieu, en
effet, « qui fait habiter dans une même demeure les hommes d’une même âme »:
c’est là son sanctuaire.
8. Vois aussi par le verset suivant que c’est
bien la grâce qui se construit cet édifice, bien que ceux dont elle le
construit ne l’aient prévenue par aucun mérite. « C’est lui qui dans sa force
délivre les captifs ». Car il brise les entraves pesantes du péché, qui leur
faisaient obstacle pour marcher dans la voie des commandements: il les délivre
avec cette force qu’ils n’avaient pas avant sa grâce. « Il en est de même de
ces rebelles qui habitent les sépulcres 2 »; c’est-à-dire de ces pécheurs tout
à fait morts, qui ne s’occupent que d’oeuvres mortes. Ceux-ci sont rebelles, en
effet, en résistant à la justice. Pour ces autres, qui sont captifs, ils
voudraient peut-être marcher, mais ils ne le peuvent; ils prient Dieu de leur
en donner le pouvoir et lui disent: « Délivrez-moi de mes chaînes 3 »; et
lorsque Dieu les exauce, ils lui rendent grâce en disant: « Vous avez brisé mes
chaînes 4 ». Quant à ces rebelles qui habitent les sépulcres, ils ressemblent à
ceux dont l’Ecriture a
1.
II Tim, II, 20. — 2. Ps. LXVII, 7. — 3. Id. XXIV, 17. — 4. Id. CXV, 17.
dit ailleurs: « Un mort, non plus que s’il
n’existait pas, ne loue point le Seigneur 1 ». De là cette autre sentence: «
Quand le pécheur est descendu au fond de l’abîme, il dédaigne 2». Il y a une
différence entre désirer la justice et la combattre; entre vouloir secouer le
joug du mal, et défendre ses fautes plutôt que d’en faire l’aveu: or, la grâce
du Christ délivre les uns et les autres dans sa force. Quelle force, sinon la
force de résister au péché jusqu’à en mourir? Car les uns et les autres de ces
hommes deviennent propres à entrer dans la construction du sanctuaire de Dieu,
les uns par la délivrance, les autres par la résurrection. Il ne fallut au
Christ qu’un ordre pour délier cette femme que Satan tenait courbée vers la
terre depuis dix-huit ans 3, et qu’un cri pour triompher de la mort de Lazare
4. Celui qui a opéré ces merveilles sur des corps, peut en produire de bien
plus admirables dans nos coeurs, et faire « que nous n’ayons qu’une âme pour
habiter dans un même palais, en délivrant les captifs dans sa puissance, ainsi
que les rebelles qui habitent les sépulcres ».
9. « Seigneur, quand vous sortiez à la vue de
votre peuple 5 ». Le Seigneur sort quand il se montre dans ses oeuvres. Or, il ne
se montre pas à tous, mais seulement à ceux qui savent discerner l’oeuvre
divine. Car je ne parle point maintenant de toutes ces oeuvres qui sont
évidentes pour tous les hommes, des cieux, de la terre, des mers et de tout ce
qu’ils renferment; mais de ces oeuvres par lesquelles « il délivre dans sa
force les captifs ainsi que les rebelles qui habitent les sépulcres, et fait
habiter un même palais à ceux qui ont un même coeur ». C’est ainsi qu’il marche
sous les yeux de son peuple, ou sous les yeux de ceux qui comprennent cette
grâce. Enfin, il poursuit: « Quand vous e parcouriez le désert, la terre fut
ébranlée», C’était un désert que ces nations qui ne connaissaient point le
Seigneur: un désert que ces lieux où Dieu n’avait donné aucune loi; où n’habitait
nul prophète pour annoncer l’avènement du Seigneur. Donc « quand vous
parcouriez le désert », ou quand votre nom fut prêché parmi les Gentils, « la
terre fut ébranlée », ces hommes terrestres furent poussés à embrasser la foi.
Mais pourquoi fut
1 Eccli. XVII, 26. — 2. Prov. XVIII, 3. — 3.
Luc, XIII, 1. — 4. Jean, XI, 43, 44. — 5. Ps. LXVII, 8.elle ébranlée? « C’est
que les cieux répandirent leur influence devant la face du Seigneur». Vous
reportez-vous en esprit à ces moments où Dieu traversait le désert en présence
de son peuple, sous les yeux des enfants d’Israël, et s’environnait pendant le
jour d’une colonne de nuées, et d’une colonne de feu pendant la nuit 1; alors
vous comprendrez que « les cieux « s’épanchèrent devant le Seigneur», puisqu’il
fit pleuvoir la manne pour son peuple 2; voilà ce qu’exprimerait ensuite le
Prophète: « La montagne de Sinaï est en présence du Dieu « d’Israël, Dieu
laisse tomber sur son héritage une pluie bienfaisante 3»; parce que ce fut sur
le mont Sinaï que Dieu s’entretint avec Moïse, quand il donna la loi 4. Alors
la manne serait cette pluie bienfaisante que Dieu fit tomber sur son héritage,
c’est-à-dire sur son peuple, car ce fut à eux seuls, et non aux autres peuples,
que Dieu donna cette nourriture; et quand il dit ensuite: « Il est épuisé», on
doit comprendre que ce même héritage s’est affaibli; car ils murmurèrent et
conçurent du dégoût pour la manne; ils voulaient pour nourriture des viandes,
et tout ce qui constituait leur alimentation ordinaire en Egypte 5. Mais si nous
nous en tenons aux termes de la lettre sans recourir au sens spirituel, il nous
faudra montrer quels étaient les hommes dont le corps était enchaîné, et quels
étaient ceux qui habitaient les sépulcres et qui furent délivrés par la
puissance divine. Ensuite, si ce peuple de Dieu, si cet héritage s’épuisa, dans
son dégoût pour la manne, au lieu de dire après cela: « Mais toi, tu l’as rendu
parfait », il faudrait dire: Mais toi, tu l’as frappé, car ces murmures et ces
dégoûts, outrageants pour le Seigneur, furent suivis d’une plaie bien
douloureuse 6. Enfin, tout ce peuple mourut au désert, et nul, excepté deux
hommes, ne mérita d’entrer dans la terre promise 7. Sans doute on pourrait dire
que cet héritage devint parfait dans sa postérité; nous devons toutefois nous
attacher au sens spirituel pour être plus à l’aise. « Tout se passait en figure
pour ce peuple 8»; jusqu’à l’arrivée de la lumière et la disparition des ombres
9.
10. Que Dieu donc ouvre à nos instances; et
que ses mystères se découvrent à nos yeux, autant qu’il daignera nous
l’accorder. Pour
1. Exod. XIII, 21. — 2. Id. XVI, 13. — 3. Ps.
LXVII, 10. — 4. Exod. XIX, 18.— 5. Nombres, XI, 5, 6. — 6. Id. 33. — 7. Id.
XIV, 29, 30. — 8. Cor. X, 11.— 9. Cant. II, 17.
ébranler la terre et l’amener à la foi, quand
l’Evangile parcourait les nations, « les cieux se sont épanchés devant la face
du Seigneur »; ces mêmes cieux dont le Psalmiste a chanté ailleurs: « Les cieux
racontent la gloire de Dieu ». Car c’est d’eux qu’il est dit un peu plus bas: «
Il n’est point de langue, point d’idiome qui n’entende cette voix; son éclat
s’est répandu dans tout l’univers, il a retenti jusqu’aux derniers confins de
la terre 1 ». Toutefois ce
n’est pas à ces cieux qu’il faut attribuer
une telle gloire, comme si la grâce qui a fécondé
le désert des nations, et mis en mouvement la
terre vers la foi, pouvait venir des hommes.
Ce n’est point par eux-mêmes que les cieux se
sont épanchés, mais bien « devant la face du Seigneur », qui habitait en eux,
et qui leur faisait habiter la même demeure dans l’union des âmes. Ils sont
aussi les montagnes dont il est dit: « J’ai levé les yeux vers les montagnes,
d’où me viendra le secours ». Et toutefois, afin de ne point laisser croire
qu’il met sa confiance dans des hommes, le Psalmiste ajoute aussitôt: « Mon
secours me viendra du Seigneur qui a fait le ciel et la terre 2 ». C’est encore
à lui qu’il est dit ailleurs: « C’est vous qui répandez une lumière admirable
du haut des montagnes éternelles 3 »; bien qu’elle vienne des montagnes éternelles,
c’est vous néanmoins qui la répandez. De même ici: « Les cieux se sont épanchés
», mais, « devant la face du Seigneur». Car eux-mêmes ont été sauvés
par la foi, et cela ne vient point de leurs
mérites, puisque c’est un don de Dieu: cela ne vient pas des oeuvres, afin que
nul ne se glorifie. Nous sommes, en effet, son ouvrage 4. « C’est lui qui nous
fait habiter la même demeure dans l’union des âmes ».
11. Mais que dit ensuite le Prophète: « La
montagne de Sinaï, en face du Dieu d’Israël? » Faut- il sous-entendre, s’est
épanchée; afin d’appeler encore montagne de Sinaï ce qu’il vient d’appeler du
nom de ciel; de même que nous avons donné aux cieux le nom de montagne? Dans ce
sens nous ne devons pas nous étonner qu’il soit dit: « La montagne », et non les
montagnes, comme il avait été dit: Les cieux, et non le ciel; car dans un autre
psaume, après avoir dit: « Les cieux
1.
Ps. XVIII, 2-5. — 2. Id. CXX, 1, 2. — 3. Ps. LXXV, 5. — 4. Ephés. II,
8-10.racontent la gloire de Dieu 1, il répète en d’autres termes la même pensée
selon la coutume des saintes Ecritures: « Et le firmament nous annonce ses
oeuvres». Il a d’abord dit: « Les cieux », et non le ciel, et ensuite il dit:
Le firmament, et non les firmaments. Or, « Dieu appelle ciel le firmament 2»,
ainsi qu’il est dit dans la Genèse. Ainsi donc, les cieux et le ciel, les
montagnes et la montagne ont une signification semblable et nullement
différente: de même que les nombreuses Eglises, et la seule Eglise, n’ont pas
un sens divers, mais un seul et même sens. Mais pourquoi « cette montagne de
Sinaï, qui engendre dans la servitude 3», comme l’a dit l’Apôtre? Faut-il
entendre par là cette loi donnée sur le mont Sinaï, et que « les cieux auraient
épanchée devant la face du Seigneur », afin d’ébranler la terre? Et cet
ébranlement de la terre serait-il le trouble des hommes incapables d’accomplir
cette loi? Mais, s’il en est ainsi, cette loi est encore cette pluie
bienfaisante, dont le Prophète a dit ensuite: « Vous ménagerez, Seigneur, une
pluie désirable à votre héritage »; car il n’en a pas agi de la sorte avec
aucun peuple, et ne leur a pas manifesté ses jugements 5. Cette pluie que Dieu
a réservée à son héritage est donc la loi qu’il lui a donnée. « Elle s’est
affaiblie », la loi ou la nation qui est notre héritage. On peut entendre que
la loi s’est affaiblie, en ce sens qu’elle ne s’accomplissait point, non qu’en
elle-même elle fût faible, mais parce qu’elle aboutissait à la faiblesse chez
les hommes qu’elle menaçait sans leur donner le secours de la grâce. C’est en
effet le terme dont s’est servi l’Apôtre en disant: « Ce qui était impossible à
la loi, chez l’homme en qui la chair l’affaiblissait 6 », voulant nous montrer
que c’est dans un sens spirituel qu’elle doit s’accomplir. Il dit néanmoins
qu’elle s’affaiblit, parce que les faibles ne peuvent l’accomplir. Mais
l’héritage qui s’affaiblit nous désignerait sans ambiguïté le peuple après que
la loi lui fut donnée. « Car la loi est venue, en sorte que le péché a abondé
7». Alors le verset suivant: « Vous lui avez donné la perfection», se rapporte
à la loi quia été perfectionnée, selon l’Apôtre, c’est-à-dire accomplie; c’est
ce que dit le Seigneur dans l’Evangile: « Je ne suis point venu pour
1.
Ps. XVIII, 2, — 2. Gen. I, 8. — 3. Gal. IV, 24. — 4. Exod. XIX, 18. — 5. Ps.
CXLVII, 20. — 6. Rom. VIII, 3. — 7. Rom. V, 20.
détruire, mais pour accomplir la loi 1». De
là vient que l’Apôtre, après avoir dit que la loi était affaiblie par la chair,
puisque la chair ne peut accomplir ce qui ne s’accomplit que par l’esprit, c’est-à-dire
par une grâce spirituelle, dit encore: « Afin que la justice de la loi soit
accomplie en nous qui ne marchons pas selon la chair, mais selon l’esprit 2 ».
Ainsi donc: « Vous lui avez donné la perfection; parce que l’amour est la
plénitude de la loi 3, et que l’amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs»,
non par nous-mêmes, mais « par l’Esprit-Saint qui nous a été donné 4 »; tel
serait le sens de: « Vous lui avez donné la perfection », si l’on entend que
c’est la loi qui a été perfectionnée; mais, si c’est l’héritage, le sens est
plus facile à saisir. Si l’on veut, en effet, que l’héritage du Seigneur, ou le
peuple de Dieu ait été affaibli à cause de la loi, « parce que la loi est «
entrée, de telle manière que le péché a « abondé »; alors ces paroles: « Vous
l’avez perfectionné », s’entendraient dans le même sens que ces autres du même
saint Paul: « Où le péché a abondé, la grâce a surabondé 5 ». Car le péché se
multipliant a multiplié aussi les infirmités, et ensuite ils ont précipité leur
marche 6; car ils ont gémi et ont demandé à Dieu d’accomplir avec son secours
ce qu’ils ne pouvaient accomplir avec un simple précepte.
12. Il y a dans ces paroles un autre sens,
qui me paraît plus probable. Cette pluie abondante s’entend bien mieux de la
grâce, qui nous est donnée sans être appelée par aucune oeuvre méritoire. « Si
c’est par grâce, ce n’est point en vue des oeuvres, autrement la grâce ne
serait plus grâce 7. Je ne suis pas digne d’être appelé Apôtre », est-il dit
encore; « puisque j’ai persécuté l’Eglise de Dieu; muais c’est parla grâce de
Dieu que je suis ce que je suis 8». Telle serait la pluie volontaire: « Car il
nous a volontairement appelé par la parole de la vérité 9 ». C’est donc une
pluie de son amour. De là vient qu’il est dit ailleurs: « Vous nous couvrez de
votre amour, comme d’un bouclier 10 ». Or, quand le Seigneur traversait le
désert, c’est-à-dire quand l’Evangile était, annoncé aux nations, « les cieux
distillèrent » cette
1.
Matth. V, 17. — 2. Rom. VIII, 3, 4. — 3. Id. XIII, 10. — 4. Id. V, 5.— 5. Id.
20.— 6. Ps. XV, 4.— 7. Rom. XI, 6.— 8. I Cor. XV, 9, 10. — 9. Jacques, I,
18. — 10. Ps. V, 13.pluie: non d’eux-mêmes cependant, mais « en présence du
Seigneur », car eux-mêmes aussi lui doivent la grâce d’être ce qu’ils sont. Et
s’il est parlé du « mont Sinaï », c’est que celui qui a travaillé plus que tous
les autres, non pas lui, niais la grâce de Dieu avec lui 1, afin qu’il
s’épanchât plus abondamment parmi les nations, c’est-à-dire dans le désert où
le Christ n’avait pas été annoncé, pour ne point bâtir sur le fondement d’un
autre 2; celui-là, dis-je, était Israélite, de la race d’Israël, de la tribu de
Benjamin 3; il avait été engendré dans la servitude, en cette Jérusalem
terrestre, qui est esclave avec ses enfants; et c’est pourquoi il persécutait
l’Eglise. Car, selon l’avis qu’il nous en donne: « De même que le Fils engendré
selon la chair poursuivait le Fils selon l’esprit; ainsi en est-il maintenant 4
». Mais j’ai obtenu miséricorde, parce que j’ai agi dans l’ignorance, n’ayant
point la foi 5. Admirons donc « les cieux qui s’épanchent à la face du Seigneur
», admirons plus encore cette « montagne de Sinaï », c’est-à-dire celui qui fut
tout d’abord persécuteur, Hébreu fils d’Hébreux, et Pharisien en ce qui regarde
la loi 6. Que faut-il admirer? Qu’il n’ait point agi de lui-même, mais « devant
la face du Dieu d’Israël », d’Israël dont il dit: « Et à l’Israël de Dieu 7»;
et dont le Seigneur a dit: « C’est là un vrai Israélite, sans déguisement 8 ».
Telle est la pluie de grâce que le Seigneur a ménagée à son héritage, et que ne
précédaient point les mérites des bonnes oeuvres. « Cet héritage s’est affaibli
». Car l’Apôtre a reconnu qu’il n’est rien par lui-même, ni par ses propres
forces, mais qu’il doit à la grâce de Dieu ce qu’il est. Il a reconnu ce qu’il
a dit plus tard: « Je me glorifierai dans mes infirmités 9 ». Il a reconnu la
vérité de cette parole: « Ne t’élève point dans ta sagesse, mais crains 10 ».
Il a compris, que « Dieu donne la grâce aux humbles 11. Il s’est affaibli, mais
vous, ô Dieu, l’avez conduit à la perfection; parce que la vertu se
perfectionne dans la faiblesse 12 ». Dans quelques exemplaires et latins et
grecs, on ne trouve pas: « La montagne de Sinaï », mais simplement: « En face
du Dieu de Sinaï, en face du Dieu d’Israël ». C’est-à-dire:
1. I Cor. XV, 10. — 2. Rom. XV, 20 — 3.
Philip. III, 5. — 4. Gal. IV, 25, 29. — 5. I Tim.
I, 13. — 6. Philip. III, 5. — 7. Galat. VI, 16. — 8. Jean, 1, 47. — 9. II Cor. XII,
9. — 10. Rom. XI, 20. — 11. Jacques, IV, 6. — 12. II Cor. VII, 9.
« Les cieux se sont épanchés en face du Dieu
d’Israël »; et comme si l’on demandait de quel Dieu: «En face du Dieu de
Sinaï»,dirait le Prophète, « du Dieu d’Israël », c’est-à-dire en face du Dieu
qui a donné sa loi au peuple d’Israël. Pourquoi donc «les cieux s’épanchent-ils
en face de Dieu »; en face de ce Dieu, sinon pour accomplir ainsi la prophétie:
« Celui qui a donné la loi, donnera aussi la bénédiction 1? » « La loi », pour
effrayer celui qui présume des forces de l’homme; « la bénédiction »,qui
délivre celui qui espère en Dieu. Vous donc, ô mon Dieu, avez donné la
perfection à votre héritage: parce qu’en lui-même il s’est affaibli, afin de
recevoir de vous le perfectionnement.
13. « Les animaux qui sont les vôtres,
habiteront en cette terre». « Qui sont les vôtres», non qui s’appartiennent;
qui vous sont soumis, non abandonnés à eux-mêmes; qui ont besoin de vous, non
point qui se suffisent. Enfin, il est dit ensuite: « Vous l’avez préparé dans
votre bonté, Seigneur, pour celui qui est pauvre 2». « Dans votre bonté», et
non dans le droit qu’il en avait. Il est pauvre, en effet, parce qu’il est
infirme, afin d’être conduit à la perfection: il reconnaît son indigence, afin
d’être rassasié. Telle est la bonté dont il est dit ailleurs: « Le Seigneur
épanchera ses bénédictions, et notre terre donnera son fruit 3 »; en sorte que
le bien se fera, non par crainte, mais par amour; non par l’effroi du
châtiment, mais par la joie intime de la justice. Telle est, en effet, la vraie
et saine liberté, Mais le Seigneur la prépare à celui qui est pauvre, non point
à celui qui est dans l’abondance, et qui rougirait de cette pauvreté: c’est de
tels hommes qu’il est dit: « Nous sommes en butte à l’outrage du riche, au
mépris des superbes 4». Il appelle orgueilleux ceux qu’il a d’abord appelés
riches.
14. « Le Seigneur donnera son Verbe »:
c’est-à-dire, la nourriture à ses animaux qui habiteront cette terre. Mais que
feront ces animaux auxquels il donnera le Verbe, sinon ce qui est dit ensuite?
« Qu’ils évangéliseront avec une grande force 5 ». Avec quelle force, sinon
avec cette force qui lui fait délivrer les captifs? Peut-être appellerait-il
ici force, la vertu d’opérer des miracles qui éclata dans les prédicateurs de
l’Evangile.
1.
Ps. LXXXIII, 8. — 2. Ps. LXVII, 11. — 3. Id. LXXXIV, 13. — 4. Id. CXXII, 4. —
5. Id.
LXVII, 12.
15. Quel est donc celui qui « donnera le
Verbe à ceux qui prêcheront l’Evangile avec une grande force? C’est, dit le
Prophète, le roi des vertus du Bien-Aimé 1». Le Père est donc le roi des vertus
du Fils. Car, le bien-aimé, à moins que l’on ne précise quel est ce bien-aimé,
s’entend par antonomase du Fils unique de Dieu. Le Fils est-il le roi des
vertus, c’est-à-dire des vertus qui lui obéissent? Car « il doit donner la
parole à ceux qui évangéliseront avec une grande force, celui qui est roi des
vertus», et dont il est dit: « Le Seigneur des vertus est lui-même le roi de
gloire 2». Qu’il n’ait point dit: Le roi de ses vertus, mais simplement: « Le
roi des vertus du bien-aimé », c’est une manière de parler très-fréquente dans
les Ecritures, pour peu qu’on y fasse attention: c’est ce qui arrive surtout
quand le nom propre est exprimé, afin que l’on ne puisse douter que c’est bien
du même personnage qu’il est question. Voilà ce que l’on trouve assez
fréquemment dans le Pentateuque: « Et Moïse fit » tel et tel objet «comme le
Seigneur l’avait commandé à Moïse 3 » en langage ordinaire on aurait dit: Moïse
fit ce que lui commanda le Seigneur; le texte sacré porte, au contraire: «
Moïse fit ce que le Seigneur commanda à Moïse », comme si Moïse, à qui Dieu
avait commandé, n’était pas Moïse qui exécuta, quoique ce fût bien le même
cependant. Ces locutions se rencontrent bien difficilement dans le
Nouveau-Testament, et toutefois l’Apôtre s’en servait quand il disait:
« A propos de son Fils qui lui est né de la
race de David selon la chair, qui a été prédestiné Fils de Dieu en puissance,
selon l’Esprit de sainteté, par la résurrection d’entre les morts, de
Jésus-Christ Notre Seigneur 4 »; comme si autre était le Fils de Dieu qui est
né de la race de David selon la chair, et autre Jésus notre Seigneur, tandis
que c’est bien le même. Dans les anciens livres on rencontre fréquemment cette
locution: et c’est pourquoi, quand elle amène tant soit peu d’obscurité, on
doit recourir aux exemples du même genre qui portent leur évidence en
eux-mêmes; ainsi elle est quelque peu obscure dans le passage du Psaume que
nous exposons. Si l’on disait, en effet, Jésus-Christ roi des puissances de
Jésus-Christ, le passage serait aussi clair que celui-ci: « Moïse accomplit ce
que Dieu avait
1. Ps. LXVII, 13. — 2. Id. XXIII, 10. — 3.
Nombre, XVII, 11, selon les Septante. — 4. Rom. I, 3, 4.commandé à Moïse »;
mais comme il est dit: « Roi des vertus du bien-aimé », il ne vient pas
facilement à l’esprit que celui qui est le bien-aimé soit aussi le Roi des
vertus. Cette expression donc: « Roi des puissances du bien-aimé», peut
s’entendre comme s’il était dit, roide ses vertus, puisque le roi des vertus
est le Christ, et que le bien-aimé est aussi le même Christ. Ce sens toutefois
n’est pas si rigoureux, qu’on n’en puisse donner un autre: car on peut entendre
que le Père est le roi des vertus de son Fils bien-aimé, et ce même bien-aimé
lui dit: « Tout ce qui est à moi est à vous, et tout ce qui est à vous est à
moi 1». Mais vient-on à me demander si Dieu le Père de Notre Seigneur
Jésus-Christ peut être aussi appelé roi, je ne sache pas qu’il y ait un homme
pour oser le dépouiller de ce titre, quand l’Apôtre a dit: « Au roi des siècles,
au Dieu immortel, invisible, unique 2 ». Et si l’on veut appliquer cette parole
à la Trinité, nous y trouvons encore Dieu le Père. Mais à moins d’entendre
d’une manière charnelle, cette expression: «O Dieu! donnez votre jugement au
roi, et votre justice au fils du roi 3 »; je ne sais si l’on peut y voir autre
chose que « à votre Fils ». Donc le Père est aussi roi. De là vient que « le
roi des puissances du bien-aimé », peut s’entendre de deux manières. Aussi,
après avoir dit: « Le Seigneur donnera son Verbe à ceux qui évangéliseront avec
une grande puissance »: comme la puissance vient de celui qui gouverne, et doit
servir les desseins de celui qui la donne, le Prophète ajoute: « Le Seigneur
qui donnera le Verbe à ceux qui évangéliseront avec une grande puissance, est
le roi des puissances du bien-aimé».
16. Voici le verset suivant: « Bien-Aimé, et
pour partager les dépouilles de la beauté de la maison 4 ». Il répète, afin de
mieux appeler l’attention: cette répétition toutefois ne se trouve pas dans tous
les exemplaires, et les plus soignés la marquent d’une étoile, ou du signe que
l’on appelle astérisque, et par lequel on veut faire connaître ce qui manque
dans le texte des Septante, mais qui est dans l’hébreu. Mais que l’on admette
que cette expression, « bien-aimée » est répétée ou qu’elle n’est exprimée
qu’une fois, voici, je crois, le sens qu’il faut donner à ce qui suit: « Et
pour
1.
Jean, XVII, 10. — 2. I Tim. I, 17. — 3. Ps. LXXI, 2. — 4. Ps. LXVII, 13.partager les
dépouilles de la beauté de la maison », comme s’il y avait: « C’est au
bien-aimé de partager les dépouilles qui embelliront le palais », c’est-à-dire,
de celui qui est bien-aimé quand il assigne les dépouilles en partage. Cette
maison embellie, c’est l’Eglise qu’enrichit le Christ, quand il l’orne de
dépouilles comme on corps est beau par la distribution proportionnée des
membres. Or, on appelle dépouilles ce que l’on enlève à l’ennemi. L’Evangile
nous en explique la nature, quand nous lisons: « Nul ne peut entrer dans la
maison d’un homme fort, pour en enlever les dépouilles, sans avoir auparavant
lié le fort 1». Le Christ a donc enchaîné le diable avec des liens spirituels,
quand il a triomphé de la mort, et s’est élevé de l’abîme jusque dans les
cieux; il l’a enchaîné par le sacrement de son incarnation, puisqu’il a été
permis au démon de le faire mourir, bien qu’il ne trouvât en lui rien qui fût
digne de mort; et c’est après l’avoir ainsi enchaîné, que le Christ lui a
enlevé ses dépouilles. Il exerçait alors son pouvoir sur les enfants de la
rébellion 2, dont l’infidélité servait ses desseins. Or, le Seigneur en
purifiant ces vases par la rémission des péchés, et en sanctifiant ces
dépouilles enlevées à l’ennemi terrassé et enchaîné, les a distribuées pour
l’embellissement de son palais; en faisant des uns des Apôtres, des autres des
Prophètes, d’autres des pasteurs et des docteurs, pour les fonctions du
ministère, et l’édification du corps du Christ 3. « De même, en effet, que e
notre corps est un, bien qu’il ait plusieurs membres, et que tous ces membres,
quoique nombreux, ne composent néanmoins qu’un seul corps: ainsi en est-il du
Christ. Or, tous sont-ils Apôtres?Tous sont-ils Prophètes? Tous sont-ils des
puissances? Tous ont-ils le don de guérir? Tous parlent-ils diverses langues? Tous
sont-ils interprètes? Mais c’est le seul et même Esprit qui opère toutes ces
choses, distribuant à chacun ses dons, selon qu’il lui plaît ». Telle est la
beauté du palais auquel on distribue des dépouilles; en sorte que celui qui
l’aime s’exalte de cette beauté et s’écrie: « Seigneur, j’aime la richesse de
votre maison 5 ».
17. Dans les versets qui vont suivre, le
Prophète adresse la parole à ces mêmes
1.
Matth. XII, 29. — 2. Eph. II, 2. — 3. Id. IV, 11, 12. — 4. I Cor. XII, 11, 12,
29, 30. — 5. Ps, XXV, 8.
membres qui font la beauté de l’édifice, et
s’écrie: « Si vous vous endormez au milieu des héritages, ailes de la colombe
argentée, et dont le cou est enrichi de reflets d’or et d’émeraude 1 ».
Cherchons d’abord quel est l’ordre de ces paroles, et comment se termine la
pensée; car elle n’est point définie, puisqu’il est dit: « Si vous dormez ».
Ensuite, quand il parle de ces « ailes argentées de la colombe », faut-il
l’entendre au singulier, et dire, de cette aile, hujus pennae, ou au pluriel, ces ailes, hae pennae? Mais le grec exclut absolument le singulier et emploie
ici le pluriel. Cependant c’est encore une question incertaine, s’il faut lire,
ces ailes, ou bien, ô ailes, comme si on leur adressait la parole. Ainsi donc, les
paroles qui ont précédé, ont-elles donné l’achèvement à cette pensée, en sorte
qu’elle soit ainsi réglée: « Le Seigneur donnera son Verbe à ceux qui
évangéliseront avec une grande puissance, si vous dormez au milieu de
l’héritage, ô vous, ailes de la colombe argentée »? Ou bien trouve-t-elle son
complément dans les paroles qui suivent, de cette manière: « Si vous dormez au
milieu de l’héritage, les ailes de la colombe argentée deviendront blanches
comme la neige du Selmon 2 ». C’est-à-dire que ces ailes blanchiront, si vous
dormez au milieu de l’héritage; en sorte qu’il adresserait la parole à ceux qui
sont partagés comme des trophées pour l’ornementation du palais; c’est-à-dire:
Si vous dormez entre deux héritages, ô vous qui êtes distribués pour l’embellissement
du palais, par la manifestation de l’Esprit, ainsi qu’il est nécessaire, en
sorte qu’à l’un l’Esprit-Saint ait donné la parole de la sagesse, à l’autre la
parole de la science selon le même Esprit, à celui-ci la foi, à cet autre le
don de guérir dans le même Esprit, et le reste 3. Si donc vous vous endormez au
milieu de l’héritage, alors les ailes de la colombe argentée deviendront
blanches comme la neige du Selmon. On peut encore l’entendre de cette manière «
Si vous, ô ailes de la colombe argentée, dormez au milieu des héritages, ils
blanchiront comme la neige du Selmon», c’est-à- dire les hommes qui recevront
par la grâce la rémission de leurs péchés. Aussi est-il dit à propos de
l’Eglise, au Cantique des cantiques: « Quelle est celle-ci qui s’élève dans sa
1.
Ps. LXVII, 14. — 2. Id. 15. — 3. I Cor. XII, 7, 9.blancheur 1? » Dieu accomplissant
ainsi la promesse qu’il a faite par le Prophète: « Vos péchés fussent-ils comme
le vermillon, je vous rendrai blancs comme la neige 2». On peut donc comprendre
ce passage de manière que dans cette expression: « des ailes d’une colombe
argentée, il faille sous-entendre, vous serez; et alors le sens deviendrait: O
vous qui êtes distribués pour l’embellissement du palais, si vous dormez au
milieu des héritages, vous serez des ailes, d’une colombe argentée:
c’est-à-dire, vous vous élèverez dans les hauteurs, mais en vous rattachant à
l’Eglise par des liens sacrés. Par cette colombe argentée, je ne vois pas ce
qu’il nous est possible d’entendre mieux que celle dont il est dit: « Ma
colombe est unique 3 ». Elle est argentée, parce qu’elle est instruite des
divins enseignements; et ces enseignements du Seigneur sont appelés dans un
autre endroit: « Un argent qui a passé à l’épreuve du feu de la terre, et qui
est purifié sept fois 4 ». Il y a donc un grand bien à dormir entre ces deux
héritages dans lesquels on prétend voir les deux testaments, en sorte que
dormir entre deux héritages, ce serait reposer sur l’autorité de ces
Testaments, c’est-à-dire, s’en rapporter à leur autorité, terminer dans la paix
et à l’amiable toute dispute, dès que l’on apporte des témoignages et des
preuves de l’un ou de l’autre. S’il en est ainsi, quelle leçon paraît donnée à
ceux qui évangélisent avec une grande puissance, sinon que le Seigneur doit
leur donner sa parole, afin qu’ils puissent évangéliser, s’ils se reposent
entre les deux héritages? Alors donc leur sera donnée la parole de vérité,
s’ils ne négligent point l’autorité des deux Testaments; en sorte qu’ils seront
eux-mêmes des ailes de la colombe argentée, eux dont la prédication porte
jusqu’au ciel la gloire de l’Eglise.
18. Mais « entre les épaules »: c’est là une
partie du corps; cette partie tient à la région du coeur, et toutefois en arrière;
les plumes de son dos, dit le Prophète, et il ajoute que cette partie de la
colombe argentée a des reflets d’or, c’est-à-dire la force de la sagesse, et je
ne crois pas que par cette force on puisse mieux entendre que la charité. Mais
pourquoi le dos, et non la poitrine? Je m’étonne en effet de
1. Cant. III, 6, selon les Septante. — 2. Isaïe, I, 8. — 3. Cant. VI, 8 — 4. Ps. XI, 7.
cette parole d’un autre psaume, où il est
dit: « Il te couvrira de son ombre entre ses épaules, et tu espéreras sous ses
ailes 1 » tandis que les ailes ne peuvent abriter que ce qui est sous la
poitrine. En latin, inter scapulas,
entre les épaules, peut s’entendre peut-être de part et d’autre, en avant et en
arrière, en sorte que par épaules, nous comprenions ces parties du corps au
milieu desquelles est placée la tête; il est possible encore que l’hébreu se
puisse entendre de la même façon; mais dans le grec, metaphrena. ne peut se dire que de la partie postérieure, ce qui
est inter scapulas, entre les
épaules. Or, est-ce là qu’est l’éclat de l’or, c’est-à-dire la sagesse et la
charité, parce que c’est là que les ailes sont attachées en quelque sorte, ou
bien, parce que c’est là que l’on porte le fardeau léger? Que sont en effet ces
deux ailes, sinon les deux préceptes de la charité, qui renferment toute la loi
et les Prophètes 2? Qu’est-ce que le fardeau léger, sinon la charité que l’on
accomplit par ces deux préceptes? Tout ce qui est difficile dans ces deux
préceptes devient léger pour celui qui aime. Et nous n’avons pas d’autre raison
de bien comprendre cette parole: « Mon fardeau est léger 3 », sinon que Dieu
nous donne l’Esprit-Saint, par qui la charité est répandue dans nos coeurs 4,
afin que par amour nous fassions de bon coeur ce que la crainte fait faire à
celui qui agit en esclave; car on n’est pas ami du bien, quand on préférerait
que le bien ne fût point commandé, si cela était possible.
19. On peut demander encore: Pourquoi
n’est-il pas dit: Si vous dormez parmi les héritages, mais « au milieu des
héritages » que veut dire « au milieu des héritages? » Si l’on eût traduit le
grec d’une manière plus expresse, on eût dit: Dans le milieu des héritages, ce
que je n’ai lu chez aucun interprète; c’est pourquoi il me semble que la
traduction: «Au milieu des héritages», a la même valeur. Je dirai donc ce que
j’en pense. Cette expression, dans le grec, s’emploie pour désigner un lien, un
pacte, qui devient indissoluble; c’est ainsi que l’Ecriture s’en sert pour
désigner le testament formé entre le Seigneur et son peuple: car, au lieu que
le latin dit: « Entre vous et moi », le grec porte: « Au milieu du mien et du
vôtre ». Ainsi encore à propos du signe de la circoncision, alors que
1.
Ps. XC, 4. — 2. Matth. XXII, 40, — 3. Id. XI, 30. — 4. Rom. V, 5.Dieu, s’adressant
à Abraham, lui dit: « Il y aura une alliance entre toi et moi, et toute ta
postérité 1 »; le grec porte: « Au milieu du mien et du tien, et au milieu de
ta postérité ». De même quand le Seigneur parlait à Noé de cet arc-en-ciel qui
sera un signe établi 2, il répète souvent cette expression, ainsi traduite en
latin: inter me et vos, « entre vous
et moi », ou « entre moi et toute « âme vivante », et chaque fois que l’on
rencontre ces idées, nous voyons dans le grec « au milieu du mien et du tien »,
ana meson, David et Jonathan
conviennent d’un signe pour ne pas se tromper dans leurs conjectures 3; et ce
que le latin exprime par « entre eux deux », le grec l’exprime par « au milieu
d’eux deux », ou ana meson. Mais nos
traducteurs ont eu raison de ne point traduire cet endroit du psaume par «
entre les héritages », comme il est d’ordinaire dans la langue latine, mais de
dire « au milieu des u héritages e, comme dans le milieu des héritages, ce que
dit le grec avec plus de précision, et ce qui se dit ordinairement des choses
qui doivent être en parfait accord, ainsi que je le disais tout à l’heure.
L’Ecriture alors commande de dormir entre les héritages, à ceux qui sont les
ailes de la colombe argentée, ou qui doivent le devenir par ce moyen. Or, ces
héritages sont les deux Testaments, et quelle leçon devons-nous en tirer, sinon
de ne point contredire à l’accord des deux Testaments, mais de les comprendre
et d’acquiescer à leur autorité, d’être tout à la fois le signe et
l’enseignement de leur accord, puisque nous sentons qu’ils ne disent rien de
contraire l’un à l’autre, et que nous le montrons dans l’admiration de la paix,
et comme dans le sommeil de l’extase? Mais si nous voyons les Testaments dans
les héritages, klerois, puisque c’est
là un nom grec, et qui ne signifie pas Testaments, c’est que ces deux
Testaments nous donnent l’héritage, dont le nom en grec est kleronomia, comme celui de l’héritier, kleronomos. Or, kleros, en grec, signifie un lot tiré au sort, et les sorts que
nous a promis le Seigneur, se nomment les parties de cet héritage, distribuées
au peuple, De là vient que la tribu de Lévi ne dut point avoir de sort, parce
qu’elle devait vivre de la dîme 4. De kleros
viennent ces noms de clergé et de
1. Gen. XVII, 2,7.— 2.
Id. IX, 12.— 3. I Rois, XX, 20-23. — 4. Nombres, XVIII, 20.
clercs, donnés à ceux qui ont pris un rang
dans les divers degrés du ministère ecclésiastique, car ce fut par le sort
qu’on élut Matthias, le premier, disons-nous, qui ait été ordonné par les
Apôtres 1. C’est pourquoi à cause de l’héritage qui nous vient par testament
comme l’effet qui nous vient de la cause, on a désigné les Testaments eux-mêmes
sous le nom d’héritages.
20. Toutefois, il me vient à l’esprit un
autre sens bien préférable, si je ne me trompe, et qui nous fait comprendre par
les sorts les héritages eux-mêmes; l’héritage de l’Ancien Testament, bien qu’il
soit l’ombre symbolique de l’avenir, serait la félicité de la terre; l’héritage
du Nouveau Testament serait le bonheur sans fin, et dormir au milieu des
héritages signifierait qu’on ne recherche point celui-là avec ardeur, mais que
l’on attend celui-ci avec patience. Ceux en effet qui servent Dieu pour ce
motif, ou plutôt qui, pour ce motif ne le servent point, en cherchant dans
cette vie et sur cette terre la félicité, voient le sommeil les fuir, ils ne
dorment point. Agités par la flamme de leurs convoitises, ils se jettent clans
les crimes, dans les forfaits; le désir d’acquérir, la crainte de perdre leur
enlèvent le repos. « Mais celui qui m’écoute », a dit la Sagesse, « habitera
dans l’espérance; libre de crainte, il s’abstiendra de tout mal 2 ». Autant que
je puis voir, tel est le sens de dormir au milieu des sorts, c’est-à-dire au
milieu des héritages; c’est habiter l’héritage éternel, non point encore en
réalité, mais en espérance, et faire trève avec tout désir de bonheur
terrestre. Et quand viendra l’objet de notre espérance, nous ne reposerons plus
entre deux héritages, mais nous régnerons dans l’héritage nouveau, l’héritage
véritable, dont l’ancien était la figure. Si donc nous entendons ces paroles: «
Si vous dormez au milieu des héritages », comme s’il était dit: Si vous mourez
au milieu des héritages, comprenant que l‘Ecriture, comme il lui arrive
d’ordinaire, appellerait du nom de sommeil, la mort corporelle; la plus sainte
mort qui vient clore les jours de cette vie, est celle de l’homme qui persévère
à réprimer en lui les désirs des biens terrestres, et à n’espérer jusqu’à la
fin que l’héritage du ciel. Ceux qui dormiront ainsi au milieu des héritages
auront des ailes
1. Act. I, 26. — 2. Prov. I, 33.comme ta
colombe argentée; parce qu’au jour de la résurrection, ils s’envoleront sus les
nuées, à travers les airs, au-devant du Christ, afin de vivre toujours avec le
Seigneur; ou bien parce qu’à l’occasion de ceux qui meurent ainsi, la gloire de
l’Eglise éclate et plus haut et plus loin, et s’élève comme sur les ailes de la
plus sublime louange. Ce n’est pas en effet sans raison qu’il est écrit: « Ne
louez aucun homme avant sa mort 2 ». Donc, tous les saints de Dieu, depuis
l’origine du genre humain jusqu’au temps des Apôtres, parce qu’ils ont bien su
dire: « Je n’ai point désiré les jours de l’homme, vous le savez 3»; et encore:
« J’ai fait une prière au Seigneur et je la renouvellerai 4 »; et depuis le
temps des Apôtres, qui a marqué plus clairement la différence entre les deux
Testaments, les Apôtres eux-mêmes, les martyrs et les autres justes, comme les
chefs du troupeau avec leur postérité, tous se sont endormis au milieu des
héritages, méprisant la félicité du règne terrestre, pour mettre leur espérance
dans ce royaume des cieux qu’ils ne tenaient pas encore. Et comme ils ont goûté
cet heureux sommeil, voilà qu’ils sont comme les ailes de cette Eglise qui est
la colombe argentée, et qu’elle-même s’élève par les louanges qu’on leur donne
ainsi la renommée de leur sainteté est pour ceux de l’avenir une invitation à
les imiter, et ceux-ci, dormant à leur tour ce même sommeil, deviendront des
ailes nouvelles, qui porteront jusqu’aux siècles derniers la sublime renommée de
l’Eglise.
21. « Pendant que celui qui habite au-dessus
des cieux partage les rois à cause d’elle, voilà qu’elle deviendra plus blanche
que la neige du Selmon 5 ». Celui qui habite au-dessus des cieux est le même «
qui monte au plus haut des « cieux, pour accomplir toutes choses, tandis qu’il
distribue les rois à cause d’elle», c’est-à-dire à cause de cette colombe
argentée. Car l’Apôtre continue en disant: « C’est lui aussi qui a fait les uns
Apôtres, les autres Prophètes, ceux-ci évangélistes, ceux-là pasteurs et
docteurs ». Qu’est-ce autre chose
que partager les rois à cause d’elle, sinon «
pour l’oeuvre du ministère, pour l’édification du corps du Christ 6 »; puisque
ce corps du Christ, c’est elle-même? Ils sont
1. I Thess. IV, 16. — 2. Eccli. XI, 30. — 3.
Jérém. XVII, 16.— 4. Ps. XXVI, 4. — 5. Ps. LXVII, 15. — 6. Ephés. IV,
10-12.appelés « rois e, du mot régir: et que doivent-ils régir principalement,
sinon les convoitises de la chair, de peur que le péché ne règne dans leur
corps mortel, qu’ils n’abandonnent leurs membres au péché comme des instruments
d’iniquité; et afin qu’ils se donnent à Dieu, comme devenus vivants de morts
qu’ils étaient, et que leurs membres soient des instruments de justice 1? C’est
ainsi qu’ils seront des rois, séparés d’abord des étrangers, parce qu’ils ne
porteront point le joug avec les infidèles, séparés entre eux, par leur propre
ministère, mais dans la concorde. « Tous, en effet, ne sont point Apôtres, ni
tous Prophètes, ni tous docteurs; tous également n’ont point le don de
guérison, ni tous le don des langues, ni tous le dort de les interpréter. « Or,
c’est le seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun
ses dons selon qu’il lui plaît 2 »; et c’est en donnant cet Esprit que celui
qui habite les cieux, établit une distinction parmi les rois à cause de la
colombe argentée. C’est de ce même Esprit-Saint que l’ange parlait à la Mère,
pleine de grâce, de celui qui habite les cieux, quand elle demandait comment
elle pourrait enfanter, elle qui ne connaissait point d’homme, et qu’il lui
répondait: « L’Esprit-Saint descendra en vous, et la vertu du Tout-Puissant
vous couvrira de son ombre 3 ». Qu’est-ce à dire, « vous couvrira de son ombre
», sinon sera pour vous un ombrage? De là vient que ces rois, que la grâce de
l’Esprit-Saint en Jésus-Christ a partagés à cause de la colombe argentée, «
deviendront blancs comme la neige de Selmon ». Car Selmon signifie ombre. Or,
ce n’est point par leurs mérites ou par leur propre vertu qu’ils ont leurs
attributs. « Qui est-ce, en effet, qui met de la différence entre vous », dit
saint Paul? « et qu’avez-vous que vous n’ayez point reçu 4? » Donc, pour être
discernés des impies, ils reçoivent la rémission des péchés, de celui qui a
dit: « Vos péchés fussent-ils comme le vermillon, je vous rendrai blancs commue
la neige 5». Voilà comment « ils deviendront blancs comme la neige du Selmon »,
c’est par la grâce de l’Esprit du Christ, par qui leur sont assignés même leurs
dons propres: c’est de lui qu’il est dit, comme je l’ai rappelé plus haut
1.
Rom. VI,12, 13. — 2. I Cor. XII, 11, 29, 30. — 3. Luc. I, 35, — 4. I Cor. IV,
7. — 5. Isaïe,
I, 18.
« L’Esprit-Saint descendra en vous, la vertu
du Très-Haut vous couvrira de son ombre; c’est pourquoi le Saint qui naîtra de
vous s’appellera le Fils de Dieu 1 ». Or, cette ombre s’entend d’un abri contre
la flamme des convoitises charnelles; de là vient que cette vierge n’a point
conçu le Christ par les désirs de la chair, mais par la foi de l’esprit. Or,
l’ombre tient du corps et de la lumière; c’est pourquoi ce Verbe qui était au
commencement cette lumière véritable, afin de nous offrir un ombrage au milieu
du jour, « s’est fait chair, et a demeuré parmi nous 2 » c’est-à-dire que
l’homme s’est uni à Dieu, comme le corps à la lumière, et a couvert d’une ombre
protectrice ceux qui croient en lui. Ce n’est point, en effet, d’une ombre de
cette nature qu’il est dit: « Tout cela s’est évanoui comme une ombre 3 »; ni
d’une ombre semblable que l’Apôtre a dit: « Que personne donc ne vous condamne
au sujet du manger ou du boire, ou à cause des jours de fêtes, des nouvelles
lunes, des jours de sabbat: tout cela est l’ombre de l’avenir 4 ». Mais c’est
d’une ombre pareille qu’il est dit: « Protégez-moi à l’ombre de vos ailes 5».
Ainsi, quand celui qui habite les cieux fait le discernement des rois à cause
de la colombe argentée, qu’ils ne vantent point leurs mérites, qu’ils ne se
confient point dans leur propre vertu: « Ils deviendront blancs comme la neige
du Selmon»; ils seront purifiés par la grâce à l’ombre du Christ.
22. C’est cette montagne de Selmon que le
Prophète appelle ensuite « Montagne de Dieu, montagne fertile, montagne
laiteuse 6, ou grasse ». Quel autre sens que celui de la fertilité peut-on
donner à une montagne grasse? Car cette montagne, c’est-à-dire « Selmon » est
encore appelée de ce même nom. Mais nous, quelle montagne devons-nous entendre
par cette « montagne de Dieu, cette montagne fertile, cette montagne grasse »,
sinon ce même Christ, Notre Seigneur, dont un autre Prophète a dit: « Voilà que
dans les derniers jours, la montagne du Seigneur se manifestera au-dessus du
sommet des montagnes 7? » Voilà cette montagne qui est laiteuse à cause des
enfants qui ont besoin de lait pour nourriture 8, montagne fertile, qui
fortifie, qui
1. Luc,
I, 35.— 2. Jean, I, 1, 14.— 3. Sag. V, 9.— 4. Co1oss II, 16, 17.— 5. Ps. XVI,
8. — 6. Id.
LXVII, 16. — 7. Isaïe, II, 2 — 8. I Cor, III, 1.
enrichit de ses dons excellents; car le lait
qui se coagule en fromage devient une admirable figure de la grâce: il est le
produit de la surabondance du coeur maternel, et il est donné, avec une
délicieuse miséricorde, gratuitement aux enfants. Dans le grec il y a doute si
ce terme laiteux est à l’accusatif ou au nominatif; parce que dans cette langue
le mot montagne est du genre neutre; c’est pourquoi plusieurs latins ont
traduit, non pas Montem Dei, mais Mons Dei. Je crois qu’il est mieux de
dire, à l’accusatif: « En Selmon, montagne de Dieu », c’est-à-dire en cette
montagne de Dieu, qui est appelée Selmon, dans le sens que nous avons donné
plus haut selon nos forces.
23. Il dit ensuite que « la montagne de Dieu
est une montagne laiteuse, une montagne fertile », afin que nul n’ose désormais
comparer Notre Seigneur Jésus-Christ aux autres montagnes, appelées aussi montagnes
de Dieu; on lit en effet: « Votre justice est comme les montagnes de Dieu 1»;
de là vient que l’Apôtre a dit: « Afin que nous aussi, nous soyons en lui la
justice de Dieu 2 ». C’est de ces montagnes qu’il est dit ailleurs: « Vous
projetez du haut de vos montagnes éternelles une lumière admirable 3 »: parce
que la vie éternelle leur a été donnée, que par elle l’éminente autorité des
livres saints a été consolidée; mais elles empruntaient leur lumière à celui à
qui il est dit: « C’est vous qui éclairez. J’ai levé les yeux vers la montagne,
d’où me viendra le secours »: et cependant ce n’est point par elles-mêmes que
ces montagnes me donneront du secours; mais « mon secours me viendra du
Seigneur, qui a fait le ciel et la terre 4 ». Une de ces montagnes, quoique
supérieure, après avoir dit qu’elle avait travaillé plus que toutes les autres
ajoutait « Non pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi 5 ». Afin donc que nul
n’ait l’audace de comparer cette montagne qui désigne le plus beau des fils des
hommes 6, à ces autres montagnes, qui sont les fils des hommes: car il y en eut
qui dirent que ce Fils était Jean-Baptiste, d’autres Elie, d’autres Jérémie, ou
quelqu’un des Prophètes 7; voilà que David les apostrophe en disant: « Pourquoi
vous imaginer que les montagnes fertiles, sont la
1.
Ps. XXXV, 7. — 2. II Cor. V, 21. — 3. Ps. LXXV, 5.— 4. Id, CXX, 1, 2. — 5. I
Cor. XV, 10. — 6. Ps. XLIV, 3 — 7. Matth. XVI, 14.montagne sur laquelle il a plu au
Seigneur d’habiter? Pourquoi le soupçonner 1? » Ils sont à la vérité des
lumières, puisqu’il leur a été dit: « Vous êtes la lumière du monde 2 »; mais
voici encore une autre parole: « Lumière véritable, qui éclaire tout homme 3»;
de même ces Apôtres sont des montagnes, et néanmoins il est une montagne bien
supérieure, établie sur le sommet des autres montagnes 4. Ces montagnes tirent
donc leur gloire de celle qu’elles portent; et l’une d’elles a dit: « A Dieu ne
plaise que je me glorifie, sinon en la croix de Notre Seigneur Jésus-Christ,
par qui le monde est crucifié pour moi et moi tour le monde 5: afin que celui
qui se glorifie, ne se glorifie point en lui-même, mais en Dieu 6. Pourquoi
vous « imaginer que les montagnes fertiles sont cette montagne, en laquelle il
plaît au Seigneur d’habiter? » Non pas qu’il n’habite point dans les autres;
mais parce qu’il y habite par lui-même. « Car c’est en lui que réside la
plénitude de la divinité 7 »; non pas d’une manière figurative comme dans le
temple construit par Salomon 8, mais d’une manière corporelle, ou solide et
réelle. « Car Dieu était en lui se réconciliant le monde 9», Soit que nous
entendions ceci du Père, puisque le Christ a dit: « C’est le Père, qui demeure
en moi, qui accomplit les oeuvres. Je suis en mon Père, et mon Père est en moi
10 »; soit que l’on entende par là que « Dieu était dans le Christ », le Verbe
dans l’homme; le Verbe n’en était pas moins dans la chair, de manière que lui
seulement être appelé spécialement le Verbe fait chair 11, c’est-à-dire l’homme
ne formant avec le Verbe qu’une seule personne qui est le Christ. « Pourquoi
donc vous imaginer que les montagnes fertiles sont cette même montagne en
laquelle il a plu à Dieu d’habiter »; et bien autrement qu’en ces autres
montagnes dont l’une vous paraît être lui-même? Bien qu’ils soient enfants de
Dieu par la grâce de l’adoption, il n’en faut pas conclure que l’un d’eux est
le Fils unique de Dieu, à qui son Père disait: « Asseyez-vous à ma droite
jusqu’à ce que je vous aie fait de vos ennemis un marchepied 12. Car le
Seigneur habitera jusqu’à la fin »; c’est-à-dire, le Seigneur
1.
Ps. LXVII, 17.— 2. Matth. V, 14. — 3. Jean, I, 9. — 4. Isaïe, II, 2.— 5. Gal.
VI, 14, — 6. I Cor. I, 31. — 7. Coloss, II, 9. — 8. III Rois, VI, 1. — 9. II
Cor. V, 19.— 10.Jean, XIV, 10. — 11. Id. I, 14. — 12. Ps. CIX,1.habitera ces
montagnes qu’il ne faut point comparer à cette autre montagne, élevée sur le
point culminant des montagnes 1, pour les diriger à leur terme, lequel est
lui-même contemplé dans sa divinité; « car, le Christ est la fin de la loi pour
justifier ceux qui croiront 2 ». Il a donc plu à Dieu d’habiter cette hauteur
élevée sur le sommet des montagnes, et à qui il dit: « Vous êtes mon Fils
bien-aimé, en qui j’ai mis mes complaisances 3 ». Or, le Seigneur est lui-même
une montagne qui habitera, pour les mener à leur fin, ces autres montagnes sur
lesquelles il est élevé. « Il n’y a qu’un seul Dieu et un médiateur entre Dieu
et les hommes, Jésus-Christ homme 4 », qui est la montagne des montagnes, comme
le Saint des saints. De là cette parole: « Moi en eux, et vous en moi 5.
Pourquoi donc vous imaginer que les montagnes fertiles sont la montagne qu’il a
plu au Seigneur d’habiter? » Car le Seigneur, montagne fertile, habitera les
autres montagnes fertiles pour les conduire à leur fin, de sorte qu’elles
feront partie de celles auxquelles il a dit: « Sans moi vous ne pouvez rien
faire 6».
24. Ainsi s’accomplit encore ce qui suit «
Les chars de Dieu sont des myriades »: ou « ils se multiplient de dizaines de
mille », ou de dix fois mille. Il n’y a ici qu’un mot grec, murioplasion, que les traducteurs latins
ont rendu, chacun comme il a pu. Il était difficile, en effet, de le rendre en
latin; car, chez les Grecs, mille s’exprime par Xilia tandis que muriades
ou myriades, signifie plusieurs dizaines de milliers: car une myriade signifie
dix mille. Le Prophète a donc voulu désigner par ce nombre cette grande foule
de saints et de fidèles qui, en portant Dieu, deviennent en quelque sorte les
chars de Dieu. C’est en demeurant dans cette foule, et en la gouvernant, qu’il
la mène à sa fin, comme qui conduit un char vers un lieu marqué. Car « c’est
Jésus-Christ tout d’abord, ensuite ceux qui sont à Jésus-Christ, ensuite la fin
7 ». Telle est la sainte Eglise: elle se compose de ceux dont il est dit
ensuite: « Ils tressaillent par milliers. Car ils s’épanouissent dans
l’espérance», jusqu’à ce qu’ils arrivent à la fin, qu’ils attendent dans la
patience 8. C’est bien
1.
Isaïe, II, 2. — 2. Rom. X, 4. — 3. Matth. III, 17. — 4. I Tim. II,
5. — 5. Jean, XVII, 23. — 6. Id. XV, 5. — 7. I Cor. XV, 23, 24. — 8. Rom. VIII,
25.justement,
qu’après avoir dit: « Ils tressaillent par milliers », l’écrivain sacré ajoute
aussitôt: « Le Seigneur est en eux ». Et ne «
nous étonnons pas qu’ils se réjouissent, puisque le Seigneur est en eux ». Car
« c’est par de nombreuses tribulations qu’il nous faut entrer dans le royaume
de Dieu 1 »; mais « le Seigneur est en eux ». Dès lors, s’ils sont « comme dans
la tristesse, néanmoins ils sont toujours dans la joie 2 »; non pas dans la
joie que donne la possession de la fin, mais dans la joie que donne
l’espérance; « ils sont aussi patients dans la tribulation 3 », parce que « le
Seigneur est en eux, en Sina, la montagne sainte». En interprétant les noms
hébreux, nous trouvons que Sina signifie préceptes: il a d’autres sens encore,
mais c’est là, je crois, le plus convenable pour le moment. Car en nous
expliquant d’où vient la joie de ces myriades qui composent le char de Dieu, «
Le Seigneur est avec eux », dit le Prophète, « en Sina, sur la montagne sainte
»; c’est-à-dire, le Seigneur est avec eux dans ses préceptes; et le précepte
est saint, comme l’a dit l’Apôtre: « Donc la loi est sainte, et le commandement
est saint, juste et bon 4». Mais de quoi nous servirait un précepte, si nous ne
trouvions en lui le Seigneur, dont il est dit: « C’est Dieu qui, par sa bonne
volonté, opère en nous le vouloir et le faire 5?» Car un commandement sans le
secours de Dieu, n’est
qu’une lettre qui tue 6. « Puisque la loi est
entrée pour faire abonder le péché 7 ». Mais
comme la plénitude de la loi, c’est la
charité 8», voilà que la loi s’accomplit par la charité, et non par la crainte.
« La charité de Dieu est en effet répandue dans nos coeurs par l’Esprit-Saint
qui nous a été donné 9». Ces milliers sont donc dans la joie, parce qu’ils accomplissent
la justice de la loi, autant que l’Esprit de grâce leur vient en aide, parce
que « le Seigneur est en eux, en Sina, dans son sanctuaire».
25. S’adressant maintenant au Seigneur: «
Vous êtes monté au plus haut des cieux »,
lui dit le Prophète, « entraînant captive la
captivité même; vous avez reçu des dons pour les hommes 10 ». Voilà ce que
l’Apôtre nous rappelle, quand il parle ainsi du Christ Notre Seigneur: « La
grâce », nous dit-il, « a été donnée à chacun de nous selon la mesure
1.
Act. XIV, 21. — 2. II Cor. VI, 10. — 3. Rom. XII, 12.— 4. Id. VII, 12. — 5.
Philip. II,
13. — 6. II Cor. III, 6. — 7. Rom. V, 20. — 8. Id. XIII, 10. — 9. Id. V, 5. —
10. Ps. LXVII, 19.
du don de Jésus-Christ: c’est pourquoi « il
est dit qu’en montant au ciel il a emmené captive la captivité elle-même, et a
répandu ses dons sur les hommes. Qu’est-ce à dire qu’il est monté, sinon qu’il
était descendu auparavant dans les lieux inférieurs de la terre? Celui qui est
descendu est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin de remplir
toutes choses 1 ». Il est donc hors de doute que c’est au Christ qu’il est dit:
« Vous êtes monté en haut, emmenant captive la captivité; vous avez reçu des
dons pour les hommes ». Ne soyez pas étonnés que l’Apôtre, citant ce même
passage, ne dise point: « Vous avez reçu des dons pour les hommes »; mais bien:
« Il a répandu ses dons sur les hommes ». Il a parlé d’après son autorité
apostolique, en ce sens que le Fils est Dieu avec son Père. Dans ce sens, le
Christ a répandu ses dons sur les hommes, en leur envoyant l’Esprit-Saint,
lequel Esprit vient du
Père et du Fils. Mais dans ce sens que ce
même Christ a un corps, qui est l’Eglise, et
des membres qui sont les fidèles (d’où vient cette
parole: « Vous êtes le corps du Christ, ainsi que ses membres 2 »), assurément
il a lui-même reçu des dons pour les hommes.
Car le Christ s’est élevé au ciel, où il est
assis à la droite de son Père 3; mais s’il n’était pas
aussi sur la terre, il n’eût point crié: «
Saul, Saul, pourquoi me persécuter 4? » Comme
donc ce même Christ nous dit: « Ce que vous
aurez fait au moindre des miens, c’est à moi que vous l’aurez fait 5 »;
pourquoi douterions-nous que dans ses membres il reçoit lui-même les dons que
ses membres reçoivent?
26. Mais que signifie: « Il a fait captive la
captivité? » Est-ce qu’il a vaincu la mort qui tenait captifs ceux qui étaient
sous son empire? Ou bien le Prophète appellerait-il captivité les hommes qui
étaient sous le joug du démon? Alors nous aurions une allusion à cette
captivité dans le titre d’un autre psaume: « Quand l’édifice était construit
après la captivité 6 »; c’est-à-dire l’Eglise après l’idolâtrie. Par captivité,
il désigne alors les hommes qui étaient retenus captifs, comme l’expression
milice nous laisse entendre ceux qui portent les armes, et cette captivité fut,
dit-il, captivée par le Christ. Pourquoi n’y
1. Ephés. IV, 7-10. — 2. I Cor. XII, 27.— 3.
Marc, XVI, 19. — 4. Act. IX, 4. — 5. Matth. XXV, 40. — 6. Ps. XCV, I.aurait-il
pas une captivité heureuse, si les hommes peuvent être en captivité pour leur
bonheur? Aussi fut-il dit à Pierre: « A l’avenir tu seras preneur, capiens, d’hommes 1 ». Ils sont donc
captifs, parce qu’ils sont pris, et pris, parce qu’ils sont sous le joug; oui,
sous ce joug qui est doux 2, et ils sont délivrés du péché dont ils étaient
esclaves, pour servir la justice dont ils étaient affranchis 3. Il est donc en
eux celui qui « a répandu ses dons sur les hommes, et a reçu les dons pour les
hommes ». De là vient que cette captivité, cet esclavage, ce char, ce joug ne
pèsent point sur des hommes qui gémissent, mais bien sur des hommes « qui
tressaillent par milliers. Car le « Seigneur est en eux, sur le Sinaï, dans son
sanctuaire 4 ». Il est une autre interprétation qui donne à Sina le sens de
mesure, et qui revient à la nôtre; car l’Apôtre, en nous parlant de ces dons
d’une joie toute spirituelle, dans ce que nous avons cité plus haut, ajoute: «A
chacun de nous a été donnée la grâce, selon la mesure du don de Jésus-Christ ».
Puis vient alors ce qui suit ici « C’est pourquoi il est dit qu’en montant au
ciel, il a emmené captive la captivité, et a répandu ses dons sur les hommes 5
»; ce qu’exprime ici: « Vous avez reçu des dons pour les hommes ». Quoi de plus
évident que l’accord entre ces vérités?
27. Qu’ajoute ensuite le Prophète? « Même
ceux qui ne croient pas pour habiter 6»;
ou, comme portent certains manuscrits: «
Refusant de croire à toute habitation ». Refuser la foi, qu’est-ce autre chose
que ne pas croire? Mais il n’est pas facile de comprendre ceux dont il parle
ici. Comme s’il donnait raison de ce qu’il a dit plus haut, après avoir écrit:
« Vous avez emmené captive la captivité, et reçu des dons pour les hommes ». le
Prophète ajoute: « Ceux-là même qui ne croient point pour habiter »,
c’est-à-dire, dont la foi est insuffisante pour
habiter. Que veut dire le Prophète, et de qui
parle-t-il? Cette captivité voudrait-elle nous
expliquer ce qui la rendait une captivité
mauvaise avant qu’elle devînt bonne? Son incrédulité la mettait sous le joug de
son ennemi, « qui agit sur les enfants de rébellion, parmi lesquels vous avez
été autrefois, quand vous viviez parmi eux 7 ». C’est donc par les
1. Luc, V, 30. — 2. Matth. XI, 30. — 3. Rom.
VI, 18.— 4. Ps. LXVII, 18. — 5. Ephés. IV, 7, 8. — Ps. LXVII, 19. — 9. Ephés.
II, 2, 3.
dons de la grâce, que celui qui a reçu des
dons pour les hommes, a emmené captive cette captivité. Ils n’avaient pas, en
effet, la foi pour habiter. C’est de là que les a délivrés la foi, afin que
devenus croyants, ils pussent habiter dans la maison du Seigneur, qu’ils
devinssent nième la maison de Dieu, et ce chai’ de Dieu où des milliers
tressaillent d’allégresse.
28. De là vient l’enthousiasme du Prophète,
qui voyait dans l’avenir ce qu’il chantait alors, et s’écriait à son tour dans
une sainte allégresse: « Le Seigneur Dieu est béni, béni soit le Seigneur, de
jour en jour 1 ». Quelques manuscrits grecs portent « chaque jour ». Car il y a
dans le grec, emeran kathemeran, ce
qui peut se rendre d’une manière plus vraie, par « chaque jour »; expression qui a le même sens que de jour en « jour
». Tous les jours, en effet, jusqu’à la fin, il emmène captive la captivité,
recevant des dons pour les hommes.
29. Et comme il dirige ce char vers la fin,
voilà que le Prophète continue en disant: « Le Dieu de notre salut nous assure
une course heureuse, il est notre Dieu, le Dieu qui nous sauve 2 ». Il nous
montre ici le prix de la grâce. Qui pourrait vivre, si Dieu ne nous guérissait?
Mais de peur qu’on ne s’avise de dire: Pourquoi donc mourons-nous, si la grâce
de Dieu nous donne le salut? aussitôt le Prophète ajoute: « L’assujettissement
à la mort est la part du Seigneur-Dieu »; comme s’il disait: Pourquoi donc, ô
homme, t’indigner d’avoir une condition mortelle? Ton Dieu n’a pas eu d’autre
issue que la mort. C’est donc à toi de te consoler plutôt que de t’indigner,
car « le Seigneur aussi est assujetti à la mort. Or, c’est par l’espérance que
nous avons le salut; et si nous ne voyons pas ce que nous espérons, nous
l’attendons par la patience 3 ». Supportons donc aussi la mort avec patience, à
l’exemple de celui que nul péché ne rendait tributaire de la mort, et qui, tout
Dieu qu’il était, bien que nul ne pût lui ôter la vie, qu’il ne la donnât de lui-même,
a voulu passer par la mort.
30. « Toutefois le Seigneur brisera la tête
de ses ennemis, il abattra le front superbe de ceux qui marchent dans leurs
forfaits 4 »; c’est-à-dire, qui s’élèvent avec jactance, qui s’enorgueillissent
dans leurs
1.
Ps. LXVII, 20.— 2. Id. 21. — 3. Rom. VIII, 24. — 4. Ps. LXVII, 22,crimes, alors
qu’ils devraient s’humilier et dire: « Seigneur, ayez pitié de moi, qui suis un
pécheur ». Mais il brisera leur tête, « car celui qui s’élève sera humilié 1 ».
Ainsi, bien que la mort soit aussi le partage du Seigneur, cependant ce même
Seigneur, parce qu’il est Dieu, est mort selon la chair, volontairement et non
par nécessité. « Il brisera la tête de ses ennemis »; non seulement de ceux qui
insultaient au crucifié, et lui disaient en branlant la tête: « S’il est le
Fils de Dieu, qu’il descende de la croix »; mais la tête de tous ceux qui
s’élèvent contre sa doctrine, et qui raillent sa mort comme celle d’un homme.
Car celui-là même dont il a été dit: « Il a sauvé les autres et ne peut se
sauver lui-même 2, est le Dieu de notre vie, le Dieu qui peut nous sauver »;
mais afin de nous donner une leçon d’humilité et de patience, et d’effacer de
son sang la cédule de nos péchés, il a voulu être lui-même assujetti à la mort,
afin que cette mort ne fût plus pour nous une cause d’effroi, mais bien celle
dont il nous délivre eu mourant de la sorte. Toutefois celui-là qui meurt au
milieu des insultes « brisera la tête de ses ennemis» dont il a dit: «
Ressuscitez-moi, et je me vengerai d’eux 3 »; soit en leur rendant le bien pour
le mal, quand il s’assujettit nos têtes par la foi; soit en rendant la justice
pour l’injustice, quand il abat la tête des orgueilleux. Chacune de ces
manières, en effet, brise la tête de ses ennemis, qui doivent secouer leur
orgueil, soit en se corrigeant par l’humilité, soit en roulant dans les
profondeurs de l’abîme.
34. « Le Seigneur dit: Je sortirai de Basan
4»; ou, comme on lit dans quelques manuscrits: « Je ferai sortir de Basan ».
Or, c’est lui qui nous change pour nous sauver, lui dont il est dit: « Il est
le Dieu de notre salut, le Dieu qui nous sauve ». C’est à lui que l’on dit
ailleurs: « Changez-nous, ô Dieu des vertus, montrez-nous votre face et nous
serons sauvés 5 »; et ailleurs encore: « Changez-nous, ô Dieu de notre salut 6
». Je sortirai de Basan, dit le Prophète. Or, Basan signifie confusion.
Qu’est-ce donc que sortir de la confusion, sinon rougir de nos fautes et
demander à Dieu qu’il nous les pardonne dans sa miséricorde? De là vient que le
publicain n’osait lever les yeux au ciel; il était
1.
Luc, XVIII, 13, 14. — 2. Matth, XXVII, 40, 42. — 3. Ps. XL, 11.— 4. Id. LXVII, 23. —
5. Id. LXXIX, 20. — 6. LXXXIV, 5.
dans la confusion en jetant les yeux sur
lui-même; aussi descendit-il justifié 1, car le Seigneur a dit: « Je ferai
sortir de Basan ». Basan signifie encore sécheresse, et il est bien de
comprendre que c’est le Seigneur qui nous délivre de la sécheresse ou de la
disette. Tout pauvre, en effet, qui se croit dans l’abondance, qui croit
regorger quand il est dans la disette, ne se convertit point. « Bienheureux, en
effet, ceux qui omit faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés
2». C’est de cette pauvreté que le Seigneur nous délivre; car c’est dans la
sécheresse de l’âme qu’on lui a dit: « J’ai levé les mains vers vous, mon âme
sans vous est comme une terre sans eau 3». Mais on peut dire avec raison, comme
on lit dans certains manuscrits: « Je reviendrai de Basan ». Car il se tourne
en effet vers nous, celui qui a dit:
« Revenez à moi, et je reviendrai à vous 4»
mais il n’y revient que quand la confusion remet incessamment sous nos yeux
notre péché 5, et que quand la sécheresse nous fait soupirer après la rosée de
celui qui réserve une pluie fertile à son héritage. Car la sécheresse affaiblit
cet héritage, qui est rétabli quand se retourne vers lui celui à qui il est
dit: « En vous tournant vers moi, vous m’avez rendu la vie 6 ». «Le Seigneur
dit: « Je sortirai de Basan, je ferai sortir pour le fond de l’abîme ». Si « je
les fais sortir », comment est-ce «pour le fond de l’abîme? » Car c’est pour
lui-même que le Seigneur nous fait sortir, ou opère notre conversion, quand il
nous convertit d’une manière salutaire, et ce n’est point pour nous jeter dans
les abîmes. Peut-être l’expression latine est-elle fautive, et aurait-elle dit
le fond de l’abîme au lieu de profondément? Car ce n’est point lui qui se
tourne vers nous, mais il fait revenir à lui ceux que le poids de leurs péchés
a plongés dans l’abîme de ce siècle; c’est de là que revenait David quand il
disait: « Du fond de l’abîme, j’ai crié vers vous, ô mon Dieu 7 ». Si l’on ne
traduit pas: « Je ferai sortir »; mais, « je sortirai pour les profondeurs de
l’abîme », il faut comprendre en ce sens que le Seigneur promet de pénétrer par
sa miséricorde les profondeurs de l’abîme, pour en délivrer les pécheurs les
plus désespérés. Dans quelques manuscrits grecs, j’ai trouvé
1. Luc, XVIII, 13. — 2. Matth. V, 6. — 3. Ps. CXLII, 6. — 4. Zach. I, 3. — 5. Ps. L, 5. — 6. Id, LXX, 20.— 7. Id. CXXIX,
1.non plus, « dans le fond de l’abîme », mais, « dans les profondeurs », en buthois, ce qui confirme notre
premier sens, c’est-à-dire que le Seigneur ramène à lui ceux qui l’invoquent du
fond des abîmes. Et toutefois, il n’est point contre la vérité d’entendre par
là que le Seigneur se tourne vers ces âmes pour les délivrer; et il les ramène
à lui, ou il se tourne pour les délivrer, de manière à teindre son pied dans le
sang. C’est ce que dit le Prophète au Seigneur: « De manière que votre pied
sera teint de sang 1»; c’est-à-dire, que ceux qui se tournent vers vous, ou
vers lesquels vous vous tournez pour opérer leur délivrance, fussent-ils au
fond de la mer submergés sous le poids de leurs péchés, feront de tels progrès
dans la grâce, puisque « cette grâce aura abondé où avait abondé le péché 2»;
que parmi vos membres, ils deviendront votre pied pour aller prêcher
l’Evangile, et que, pour votre nom, endurant un long martyre, ils combattront
jusqu’au sang. C’est là, je crois, la meilleure manière de comprendre ce pied
teint de sang.
32. Il ajoute: « La langue de vos chiens le
sera aussi du sang de vos ennemis 3 »: il appelle chiens ceux-là mêmes qui
doivent combattre jusqu’au sang pour la foi en l’Evangile, aboyant en quelque
sorte pour leur Dieu. Il n’entend pas ces autres chiens dont l’Apôtre a dit: «
Evitez les chiens 4 », mais bien « ceux qui se nourrissent des miettes qui
tombent de la table de leur maître ». La chananéenne, qui faisait cet aveu,
mérita d’entendre: « O femme, votre foi est grande, qu’il vous soit fait selon
votre désir 5». Voilà des chiens à louer, et non à détester; ils sont fidèles à
leur maître, et défendent sa maison en aboyant contre les voleurs. Le Prophète
ne dit pas seulement « des chiens », mais « de vos chiens »; et ce n’est point leurs
dents, mais leur langue qu’il trouve louable: car ce n’est point sans raison,
ni sans un grand mystère, que Gédéon reçut l’ordre de ne conduire avec lui que
les soldats qui lécheraient l’eau du fleuve, à la manière des chiens; et que
dans une si grande multitude il ne s’en trouva que trois cents de semblables 6.
Dans ce nombre, en effet, nous retrouvons le signe de la croix, à cause de la
lettre grecque qui, dans les nombrés,
1.
Ps. LXVII, 21.— 2. Rom. V, 20. — 3. Ps. LXVII, 24.— 4. Philip. III, 2. — 5.
Matth. XV,
28. — 6. Juges, VII, 5, 6.
signifie trois cents. C’est de semblables
chiens qu’il est dit dans un autre psaume: « Ils se changeront vers le soir, et
souffriront de la faim comme des chiens 1». Si quelques chiens, en effet, ont
encouru le blâme d’Isaïe, ce n’est point parce qu’ils étaient chiens, mais
parce qu’ils aimaient à dormir, et ne savaient plus aboyer 2. Il nous montre
par là que si ces chiens veillaient et aboyaient dans l’intérêt de leur maître,
ils seraient des chiens dignes d’éloges, comme le seront ceux dont il est dit:
« Il en est de même de la langue de vos chiens ». Toutefois le Prophète a
prédit que d’ennemis ils deviendraient tels par cette admirable conversion dont
il a déjà parlé. Aussi le psaume dit-il que « vers le soir ils « se
convertiront, et souffriront de la faim comme des chiens ». Et comme si nous
lui demandions d’où leur viendra cet avantage, de devenir les chiens de celui
dont ils étaient auparavant les ennemis, il nous répond: « C’est de lui-même ».
Voici, en effet, ce que nous lisons: « La langue de ceux qui, d’ennemis, sont
par vous, vos chiens ». C’est-à-dire par votre amour, par votre miséricorde,
par votre grâce. Comment, en effet, l’auraient-ils pu par eux-mêmes? Quand nous
étions ennemis, nous avons été réconciliés à Dieu par la mort de son Fils 3:
c’est pour cela que le Seigneur prit la mort pour son partage.
33. « O Dieu, vos traces ont été vues ». Vos
pas, quand vous veniez dans le monde, comme pour parcourir l’univers entier,
sur ce char de triomphe; ces mêmes pas qui sont les fidèles et les saints, et
qu’il appelle nuées dans l’Evangile, quand il dit: « Un jour vous verrez le
Fils de l’homme venant sur les nuées 4 ». Or, à l’exception de cet avènement où
il paraîtra juge des vivants et des morts 5, et qui lui fait dire: « Vous
verrez un jour le Fils de l’homme venant sur les nuées; vos démarches ont été
vues », c’est-à-dire ont été manifestées, et la grâce du Nouveau Testament a
été révélée. De là vient qu’il est dit: « Combien sont beaux les pieds de ceux
qui annoncent la paix, qui annoncent les biens 6! » Cette grâce, en effet, et
ces démarches étaient cachées dans l’Ancien Testament: mais quand les jours ont
été accomplis, et qu’il a plu à Dieu de révéler son
1.
Ps. LVIII, 15. — 2. Isaïe, LXVI, 10. — 3. Rom. V, 10. — 4. Matth, XXVI, 64;
Marc, XIII, 26. — 5. II Tim. IV, 1. — 6. Rom. X, 15Fils, et de le faire prêcher aux nations
1, « vos pas ont été vus, ô Dieu: les pas de mon Dieu, du roi qui est dans son
sanctuaire ». Dans quel «sanctuaire», sinon dans son temple? « Or, le temple de
Dieu est saint», dit l’Apôtre, « et vous êtes ce temples ».
34. Mais afin que ces démarches fussent plus
visibles, « voilà que les princes marchaient les premiers, accompagnés des
symphonistes, et au milieu des jeunes filles frappant des tambours 3 ». Ces
princes sont les Apôtres, ce sont eux qui ont marché en avant, appelant les
peuples à leur suite. « Ils ont marché les premiers », prêchant la nouvelle
alliance, « unis aux symphonistes », ou à ceux dont les bonnes oeuvres, devenant
invisibles, étaient pour Dieu une louange semblable à une symphonie. Ces mêmes
princes étaient « au milieu de jeunes filles qui frappaient des tambours», ou
qui faisaient honneur à leur ministère; car les ministres qui gouvernent les
nouvelles Eglises sont ainsi au milieu d’elles: ce sont en effet de jeunes
filles qui bénissent Dieu dans une chair domptée; et tel serait le sens de ces
tambours, qui se forment d’une peau sèche et étirée.
35. Aussi, de peur qu’on ne donne à tout cela
un sens charnel, et qu’on ne voie dans
ces paroles des choeurs érotiques, le
Prophète ajoute: « Bénissez le Seigneur au milieu des Eglises ». Comme s’il
nous disait: Pourquoi ces jeunes filles qui frappent des tambours vous feraient-elles
croire à des divertissements lascifs? « Bénissez le Seigneur dans ses Eglises
»; car ce sont des Eglises que nous désignent ces expressions symboliques; les
églises sont de jeunes filles embellies d’une grâce nouvelle; les églises
frappent des tambours, et la chair châtiée est une spirituelle symphonie. «
Bénissez donc Dieu dans vos assemblées, et le Seigneur aux sources d’Israël 4
». C’est en effet de là qu’il a choisi ceux dont il a fait des sources. Car
c’est de là qu’il a choisi les Apôtres, ceux qui ont entendu tout d’abord: «
Celui qui boira de l’eau que je lui donnerai, n’aura jamais soif, mais elle
deviendra en lui une fontaine d’eau jaillissante jusqu’à la vie éternelle 5 ».
36. « Là était le jeune Benjamin ravi en
1.
Gal. IV, 4. — 2. I Cor. III, 7. — 3. Ps. LXVII, 26. — 4. Id. 27. — 5. Jean, IV,
13, 14.
extase 1». Là était Paul, le dernier des
Apôtres, qui dit: « Pour moi, je suis enfant d’Israël, de la race d’Abraham, de
la tribu de Benjamins 2»; et tout à fait en extase, alors que le miracle si
éclatant de sa vocation tenait les assistants dans la stupeur. Car l’extase est
le ravissement de l’esprit: ce qui arrive quelquefois par une crainte
excessive; parfois encore, par une révélation, alors que l’esprit abandonne les
sens corporels, afin de voir tout ce qui doit lui être démontré. Tel est le
sens que l’on pourrait donner à cette expression,en extase; parce qu’à cette
parole, adressée du haut du ciel au persécuteur: « Saul, Saul, pourquoi me
persécuter 3? » les yeux du corps furent privés de la lumière, et il répondait
à Dieu, qu’il voyait des yeux de l’esprit; quant à ceux qui étaient avec lui,
ils l’entendaient répondre sans voir à qui il s’adressait. On peut encore dans
cette extase entendre celle dont il parle, quand il dit qu’il connaît un homme
élevé jusqu’au troisième ciel, sans savoir néanmoins si ce fut avec son corps
ou sans son corps; mais qu’enfin il fut ravi au paradis et qu’il entendit des
paroles ineffables, qu’il n’est pas permis à l’homme de rapporter 4. « Les
princes de Juda, les premiers entre tous, les princes de Zabulon, les princes
de Nephtali ». Comme il désigne les Apôtres sous le nom de princes, parmi
lesquels se trouve « le jeune Benjamin dans son extase », paroles que chacun,
sans hésitation, applique à saint Paul; ou bien comme sous ce nom de princes,
il désigne tous ceux des différentes Eglises qui se distinguent et peuvent
servir de modèles, on se demande pourquoi ces noms des tribus d’Israël? S’il
n’était fait mention que de Juda, comme c’est dans cette tribu que sont nés les
rois, et même Jésus-Christ selon la chaire, nous serions portés à croire que
cette tribu nous désigne les princes du Nouveau Testament: mais comme le
Prophète ajoute: « Les princes de Zabulon, les princes de Nephtali », on est
porté à croire qu’il y eut des Apôtres dans ces tribus, et non dans les autres.
A la vérité, je ne vois point comment on prouverait cette opinion; mais comme
je ne vois pas non plus comment on la réfuterait, et qu’il est question là des
princes de l’Eglise, des chefs de ceux qui bénissent Dieu dans les
1.
Ps. LXVII, 28. — 2. Philip. III, 5. — 3. Act. LX, 4-7. — 4. II Cor. XII, 2-4. —
5. Ps. LXVII, 28. — 6. Rom. IX, 9.églises, je ne vois dans ce sens aucune absurdité; mais je
préfère celui qui ressort de l’étymologie de ces noms. Ce sont en effet des
noms hébreux, et Juda veut dire confession; Zabulon, la maison du courage;
Nephtali, ma dilatation. Tous ces noms nous désignent les véritables princes
des Eglises, dignes de nous conduire, dignes d’être nos modèles, dignes de nos
hommages. Dans l’Eglise, en effet, les martyrs tiennent le premier rang, et
sont au faîte des honneurs. Or, dans le martyre, il y a d’abord une confession,
et la force d’endurer tout ce qu’il faudra pour la soutenir; viennent ensuite
les tourments, et après les tourments, la dilatation de l’allégresse qui en est
la récompense. On peut encore l’entendre dans le sens des trois vertus que
recommande l’Apôtre, la foi, l’espérance et la charité 1; la confession est
l’oeuvre de la foi, la force l’oeuvre de l’espérance, et la dilatation l’oeuvre
de la charité. C’est en effet par la foi que l’on croit de coeur pour obtenir
la justice, et que l’on professe de bouche pour obtenir le salut 2. Or, pour
celui qui est dans les tourments, la réalité est triste, mais l’espérance donne
des forces. Car, « si nous espérons ce que nous ne voyons point, nous
l’attendons par la patience 3 ». Quant à l’allégresse, elle est le fruit de la
charité répandue dans nos coeurs; car « la charité parfaite bannit la crainte 4
»: et cette crainte serait un tourment pour notre âme qu’elle jetterait dans
l’inquiétude. Donc, « les princes de Juda marchent les premiers » de ceux qui
bénissent le Seigneur dans tes assemblées. « Les princes de Zabulon, les «
princes de Nephtali », les princes de la confession, de la force, de
l’allégresse; les princes de la foi, de l’espérance et de la charité.
37. « Seigneur, déployez votre force ». Il
n’y a qu’un seul Jésus-Christ Notre Seigneur, par qui toutes choses ont été
faites, et nous sommes en lui 5; nous lisons qu’il est la Vertu de Dieu, la
sagesse de Dieu 6. Or, comment Dieu peut-il déployer son Christ, sinon en le
faisant connaître? « Dieu manifeste sa charité envers nous. Puisque c’est quand
nous étions encore pécheurs que le Christ est mort pour nous 7. Que ne nous «
donnera-t-il point après nous l’avoir donné 8? Déployez votre force, ô mon
Dieu;
1. II Cor. XIII, 13. — 2. Rom, X, 10. — 3. Id. VIII,25. — 4. I Jean, IV, 18.— 5. I Cor. VIII, 6. — 6. Id. I, 21. —
7. Rom. V, 8. — 8. Id. VIII, 32.
confirmez ce que vous avez fait en nous 1 ».
Déployez en nous enseignant, confirmez en nous aidant.
38. « Dans votre temple qui est à Jérusalem,
les rois vous offriront des présents 2 ». Dans votre temple et dans cette
Jérusalem libre, qui est notre mère 3, et qui est aussi votre temple saint;
dans ce temple donc « les rois vous offriront des présents ». Quels que soient
ces rois, ou les rois de la terre, ou ces rois à qui le roi des cieux assigne
un rang chez la colombe argentée, « ces rois vous offriront des présents ». Et
quels présents vous seront plus agréables, que les sacrifices de louanges? Mais
ces louanges éprouvent une dissonance de la part de ceux qui se nomment
chrétiens, et ont une foi différente. Faites alors ce qui suit: « Réprimez les
bêtes des roseaux 4 ». Car ce sont des bêtes, et leur inintelligence les rend
nuisibles: ils sont les bêtes des roseaux, parce qu’ils pervertissent le sens
des Ecritures au profit de leurs erreurs. De même que par la langue on désigne
souvent la parole, de même par roseaux on peut fort bien entendre les
Ecritures; c’est ainsi que dans l’hébreu, le grec ou le latin, ou dans toute
autre langue, on désigne l’effet par le nom de l’instrument. Il est d’usage en
latin de donner à l’écriture le nom de style, parce que l’on écrit avec le
style; on peut donc appeler aussi roseau, ce que l’on écrit avec le roseau.
L’apôtre saint Pierre dit que ces hommes ignorants et légers détournent les
Ecritures à des sens pervers, et pour leur propre ruine 5: voilà ces bêtes des
roseaux, dont il est dit ici: « Réprimez ces bêtes féroces des roseaux ».
39. C’est d’eux encore que le Prophète a dit:
« C’est une troupe de taureaux parmi les génisses des peuples, afin que soient
tirés dehors ceux qui sont éprouvés comme l’argent 6». Il les appelle taureaux
à cause de leur orgueil, de leur cou raide et indocile; il désigne ainsi les
hérétiques. « Ces génisses des peuples » doivent s’entendre, selon moi, des
âmes faciles à séduire, et qui suivent ces taureaux sans résistance. Ils ne
séduisent point les peuples entiers, qui renferment des hommes stables et
graves; de là ce mot des Ecritures: « C’est au milieu d’une grave assemblée que
je vous bénirai 7 »; mais ils séduisent
1.
Ps. LXVII, 29. — 2. Id. 30. — 3. Gal. IV, 26. — 4. Ps. LXVII, 31.— 5. II
Pierre, III, 16.— 6. Ps. LXVII, 31. — 7. Id. XXXIV, 18.les génisses qu’ils
rencontrent parmi ces peuples. « Il en est en effet parmi eux qui s’insinuent
dans les maisons, qui emmènent après eux comme captives des femmes chargées de
péchés, et entraînées par toutes sortes de désirs; qui apprennent toujours,
sans parvenir à connaître la vérité 1». Cette autre parole de l’Apôtre: « Il
faut des hérésies, afin qu’on reconnaisse ceux d’entre vous qui ont une vertu
éprouvée 2 », nous la retrouvons encore dans ce qui suit: « Afin que soient mis
dehors ceux qui sont éprouvés par l’argent », c’est-à-dire éprouvés par la
parole du Seigneur. Car « la parole du Seigneur est une parole chaste, c’est un
argent éprouvé par le feu terrestre 3 ». Qu’ils soient tirés dehors, est-il
dit, qu’ils soient visibles, qu’ils apparaissent; ou, comme dit saint Paul, «
qu’on les reconnaisse ». De là vient que dans l’argenterie, on appelle exclusores, ou tireurs dehors, ceux qui
donnent la forme aux objets qu’ils tirent d’une masse en fusion. Il est en
effet dans l’Ecriture bien des sens cachés, connus seulement de quelques
esprits supérieurs; et l’on ne s’en sert jamais d’une manière plus efficace et
plus convenable que pour répondre aux hérétiques. Alors en effet ceux-là même
que touche peu la doctrine, secouent leur sommeil, écoutent avec ardeur, et les
hérétiques sont réfutés. Combien de sens n’a-t-on pas découverts dans les
saintes Ecritures pour prouver contre Photius que le Christ est Dieu ! Combien
pour prouver qu’il est un homme, contre Manès! Combien en faveur de la Trinité,
contre Sabellius! Combien en faveur de l’unité dans la Trinité, contre les
Ariens, les Eunomiens, les Macédoniens! Combien en faveur de l’Eglise répandue
dans l’univers entier, du mélange des bons et des méchants jusqu’à la fin des
siècles, de leur impuissance à nuire aux bons en partageant les mêmes
sacrements, contre les Donatistes, les Lucifériens et autres, s’il en est
encore, qui partagent leurs erreurs et s’éloignent de la vérité! Combien
encore, contre tant d’autres hérétiques, dont il serait trop long d’établir ici
la nomenclature, ou de faire mention, ce qui n’est point nécessaire dans cet
ouvrage! Les auteurs approuvés qui ont mis en relief tous ces sens, seraient
demeurés inconnus, ou auraient moins de célébrité que ne leur en ont donné les
contradictions de ces orgueilleux
1.
II Tim. III, 6, 7. — 2. I Cor. XI, 19. — 3. Ps. XI, 7.
que l’Apôtre compare à des taureaux,
c’est-à-dire à des hommes rebelles et indociles au joug pacifique et doux de la
discipline, quand il dit qu’il faut élire pour évêque, un homme « capable
d’exhorter par la saine doctrine, et de convaincre ceux qui la contredisent 1».
Il en est beaucoup en effet d’insoumis; ce sont là ces taureaux dont le cou ne
saurait supporter le joug, la charrue, l’attelage: des hommes aux paroles
vaines et qui séduisent les âmes; les âmes, le Prophète les appelle des
génisses. Telle est donc l’utilité que se propose la Providence divine quand
elle permet que des taureaux s’assemblent parmi les génisses des peuples, afin
que soient tirés dehors, ou mis en évidence, ceux qui sont éprouvés comme
l’argent. Car Dieu ne permet les hérésies, que pour manifester ceux qui sont
éprouvés. Toutefois on pourrait comprendre encore: « Des taureaux se réunissent
parmi les génisses des peuples, afin d’éloigner de ces génisses, ceux qui sont
éprouvés comme l’argent ». Le but des docteurs hérétiques est en effet
d’exclure de la portée des âmes qu’ils cherchent à séduire, c’est-à-dire d’en
éloigner, ceux qui sont éprouvés comme l’argent, et dès lors capables
d’enseigner la parole de Dieu. Peu importe l’un ou l’autre sens que l’on donne
à cette expression; voici la suite: « Dispersez les nations qui veulent la
guerre ». Car elles ne cherchent point à se corriger, mais bien à contredire.
Le Prophète annonce donc qu’ils seront plutôt dispersés eux-mêmes, ceux qui,
loin de se corriger, s’étudient à disperser le troupeau du Christ. S’il les
appelle des nations, ce n’est point que les familles s’y reproduisent, mais
c’est à cause des sectes qui se perpétuent pour confirmer l’erreur.
40. « Des envoyés viendront de l’Egypte.
L’Ethiopie préviendra sa main 2 ». Ces dénominations d’Egypte et d’Ethiopie
désignent les nations converties à la foi, c’est la partie pour le tout; il
appelle envoyés les prédicateurs de la réconciliation. « Nous sommes donc», dit
saint Paul, « des ambassadeurs au nom du Christ, comme si Dieu vous exhortait
par notre bouche; nous vous conjurons au nom du Christ de vous réconcilier à
Dieu 3 ». Ce n’est donc plus d’Israël seulement, où furent choisis les Apôtres,
mais des autres nations qu’il s’élèvera des prédicateurs
1.
Tit. I, 9. — 2. Ps. LXVII, 32. — 3. II Cor. V, 20.
de la paix chrétienne: voilà ce qui est
prédit en figure. Mais dire: « L’Ethiopie préviendra sa main », signifie, elle
préviendra sa vengeance: c’est-à-dire, en se tournant vers lui, afin d’obtenir
la rémission des fautes, et de n’encourir point l’obstination, en demeurant
dans le péché. C’est ce qui est dit dans un autre psaume: « Prévenons sa face par
des hymnes d’allégresse 1 ». De même que « sa main » signifie sa vengeance, «
sa face » désigne sa présence et son apparition, qui aura lieu au jugement.
Comme donc il a entendu par l’Egypte et l’Ethiopie, les peuples de l’univers
entier; voilà qu’il ajoute: « A Dieu les royaumes de la terre ». Ce n’est donc
point à Arius, ni à Sabellius, ni à Donat, ni aux autres taureaux à la tête
haute, mais « à Dieu, qu’appartiennent les royaumes de la terre 2 ».
41. Plusieurs manuscrits latins, et
principalement les grecs, séparent ces versets de manière à ne pas dire dans le
même verset: « A Dieu les royaumes de la terre »; mais « à Dieu » est à la fin
d’un verset. Il faut lire: « L’Ethiopie préviendra la main pour Dieu», et dans
le verset suivant: « Royaumes de la terre, chantez le Seigneur, faites résonner
vos harpes en l’honneur de Dieu ». Cette distinction, d’accord avec un plus
grand nombre de manuscrits et plus recommandable par l’autorité, est sans doute
préférable, et me semble prêcher la foi qui précède les bonnes oeuvres; car
l’impie est justifié par la foi sans aucun mérite de bonnes oeuvres, comme le
dit l’Apôtre: « A l’homme qui croit en celui qui justifie l’impie, la foi est
imputée à justice 3 », en sorte que la foi commence, ensuite les oeuvres de la
charité. Car on ne peut appeler bonnes oeuvres que celles qui viennent de
l’amour de Dieu. Mais il faut que la foi les précède, afin que les oeuvres
viennent de la foi, et non pas que la foi vienne des oeuvres, car nul homme ne
peut agir par amour de Dieu, si d’abord il ne croit en Dieu. Telle est la foi
dont il est dit: « En Jésus-Christ, ni la circoncision, ni l’incirconcision ne
servent de rien, mais la foi qui agit par la charité 4 ». Telle est la foi dont
il est dit à l’Eglise elle-même dans les cantiques « Tu viendras, tu passeras
outre par l’initiative de la foi 5 ». Elle est venue comme le char de Dieu,
environnée de myriades qui applaudissaient, suivant
1.
Ps. XCIV, 2. — 2. Id. LXVII, 33. — 3. Rom. IV, 5. — 4. Gal. V, 6. — 5. Cant. IV, 8,
suiv. les Septante.
une route favorable, et passant de ce monde à
son Père 1, afin que s’accomplit en elle cette parole de l’Epoux lui-même, qui
passa de ce monde au Père: « Je désire que « là où je suis, eux-mêmes soient
avec moi 2 », mais par l’initiative de la foi. Comme la foi doit donc précéder,
afin que les bonnes oeuvres viennent ensuite, et qu’il n’y a de bonnes oeuvres
que celles qui suivent la foi; ces paroles: « L’Ethiopie préviendra la main
pour Dieu », ne paraissent avoir d’autre sens que celui-ci: L’Ethiopie croira
en Dieu. C’est ainsi qu’elle préviendra sa main, ou ses oeuvres. La main de
qui, sinon de l’Ethiopie? Il n’y a dans le grec aucune ambiguïté à cet égard;
car le mot « sa», qui est du féminin, ne laisse aucun doute. Ainsi ces paroles
n’auraient d’autre sens que celui-ci: « L’Ethiopie étendra d’abord ses mains
vers Dieu», c’est-à-dire fera précéder ses œuvres par sa croyance en Dieu. «
J’estime», dit l’Apôtre, «que l’homme est justifié par sa croyance en Dieu sans
les oeuvres de la loi. Dieu n’est-il que le Dieu des Juifs? N’est-il pas aussi
le Dieu des nations 3? » Ainsi donc l’Ethiopie, qui parait être la dernière des
nations, sera justifiée par la foi sans les oeuvres de la loi. Car elle ne se
glorifie point des oeuvres de la loi pour être justifiée; elle ne met pas ses
mérites avant sa foi, mais sa foi avant ses mérites. Dans plusieurs manuscrits,
on ne lit point « ses mains», mais « sa main», ce qui a la même valeur, car
cela s’entend toujours des oeuvres. J’aimerais mieux que l’on eût traduit en
latin: « L’Ethiopie étendra d’abord ses mains, suas, ou sa main, suam,
vers le Seigneur », cela serait plus clair qu’avec ejus, et cela serait possible sans blesser la vérité, puisque dans
le grec le pronom autes, d’elle, ne
signifie pas seulement ejus, mais
encore suam ou suas; suam si c’est la
main, suas si l’on dit les mains.
Cette expression du grec Xeira autes,
que nous lisons dans plusieurs manuscrits, peut se dire de sa main; cette
autre, qui est rare dans les manuscrits grecs, Xeiras peut se rendre en latin par les mains d’elle, manus ejus, ou par manus suas, ses mains.
42. Après avoir parcouru dans sa prophétie,
tout ce que nous voyons accompli déjà, le Prophète nous exhorte à bénir le
Christ, dont il nous prédit le futur avènement.
1. Jean, XIII, — 2. Id. XVII, 21 — 3. Rom.
III, 18, 29.
« Royaumes de la terre, chantez le Seigneur,
bénissez-le sur vos instruments, chantez le Seigneur qui s’élève par-dessus le
ciel des cieux, à l’Orient 1 »; ou, comme on lit dans quelques manuscrits: «
Qui s’élève sur le ciel du ciel à l’Orient ». Ces paroles ne désignent point le
Christ pour celui qui ne croit ni à sa résurrection, ni à son ascension. Et
quand le Seigneur ajoute: « A l’Orient », n’est-ce point pour désigner le lieu
même de cette résurrection et de cette ascension, qui s’effectuèrent dans les
pays orientaux? Il est donc assis par-dessus le ciel du ciel, à la droite de
son Père. Voilà ce qu’a dit l’Apôtre: « C’est lui qui est monté par-dessus tous
les cieux 2 ». Que peut-il y avoir encore des cieux, après le ciel du ciel?
Nous pouvons aussi dire les cieux des cieux, comme le firmament fut appelé ciel
3: et cependant au lieu de ciel, nous lisons les cieux, dans ces paroles: «Et
que les eaux qui sont par-dessus les cieux bénissent le Seigneur 4 ». Et comme
c’est de là que le Christ doit venir pour juger les vivants et les morts, voyez
ce qui suit: « Voici qu’il fera entendre sa voix, la voix de la force ». Celui
qui sera « sans voix comme l’agneau devant celui qui le tond 5,voilà qu’il fera
retentir sa voix»: non pas la voix de la faiblesse, comme s’il devait être mis
en jugement; mais « la voix de la force », comme il convient à un juge. Il ne
sera plus comme auparavant un Dieu caché, qui n’ouvre point la bouche devant le
tribunal des hommes; mais « Dieu, notre Dieu viendra d’une manière visible, et
ne se taira point 6», Pourquoi perdre l’espoir, ô infidèles? pourquoi vos
sarcasmes? Que dit le mauvais serviteur: « Voilà que mon maître tarde à venir
7? Voilà «que le Seigneur fera entendre sa voix, la voix de la force».
43. « Rendez gloire au Dieu dont la
magnificence éclate en Israël 8 ». Ce qui a fait dire à l’Apôtre: « Et à
l’Israël de Dieu 9. Car
1. Ps. LXVII, 33, 31. — 2. Ephés. IV, 10. —
3. Gen; 1, 8. — 4. Ps. CXLVIII, 4. — 5. Isaïe, LIII, 7. — 6. Ps. XL1X, 3. — 7.
Luc, XII, 45.— 8. Ps. LXVII, 35.— 9. Gal. VI, 16.
tous ceux qui viennent d’Israël ne sont point
pour cela israélites 1 »; puisqu’il y a aussi un Israël selon la chair. De là
cette parole de l’Apôtre: « Voyez Israël selon la chair 2. Ceux qui sont
enfants d’Abraham selon la chair, ne sont point pour cela enfants de Dieu, mais
ce sont les enfants de la promesse qui sont réputés enfants d’Abraham 3 ».
Ainsi donc « la gloire se montrera en Israël » dans son plus vif éclat, quand
il n’y aura plus dans son peuple aucun mélange de méchants, quand il sera comme
une masse de froment purifiée par la ventilation 4, comme cet Israël qui est
sans déguisement 5, « et sa vertu sera sur les nuages». Car il ne viendra point
seul pour juger, mais il viendra « avec les anciens de son peuple 6 », à qui il
a promis qu’ils s’assiéront sur des trônes pour juger 7, et qui doivent juger
les Anges eux-mêmes 8. Voilà ces nuages.
44. Enfin, de peur qu’on ne donne à ces
nuages une autre signification, le Prophète
ajoute: « Le Seigneur est admirable dans ses
saints, le Dieu d’Israël 9 ». C’est alors, en
effet, que se vérifiera dans sa plénitude cette expression d’Israël, ou
qui voit Dieu: « Car nous le verrons tel qu’il est 10 ». « Béni soit le
Seigneur; c’est lui qui donnera la vertu et la force à son peuple » aujou1d’hui
faible et fragile. « Car aujourd’hui nous portons notre trésor dans des vases
de terre 11». Alors, par une heureuse transformation dans notre corps: « Il
donnera la force et le courage à son peuple. Et ce corps qui est semé dans
l’infirmité, se relèvera dans la force 12». Il nous donnera donc la force qu’il
nous a promise dans sa chair, et que l’Apôtre appelle: « La vertu de la
résurrection 13 », une force capable de détruire la mort, notre ennemie 14 ».
Nous aussi, en finissant, avec le secours de Dieu, ce psaume long et difficile
à
comprendre, écrions-nous: « Dieu soit béni».
Ainsi soit-il.
1. Rom. IX, 6. — 2. I
Cor. X, 18. — 3. Rom. IX, 8. — 4. Matth. III, 12.— 5. Jean, I, 47.— 6. Isaïe, III,
14.— 7. Matth. XIX, 28.— 8. I Cor. VI, 3. — 9. Ps. LXVII, 36. — 10. I Jean,
III, 2. — 11. II Cor. IV, 8.— 12. I Cor. XV, 43. — 13. Philip. III, 10. — 14. I
Cor. XV,
26.
PREMIÈRE PARTIE DU PSAUME.
Bien
que l’Eglise soit en paix, elle a cependant de quoi gémir avec le Christ qui
parle dans le psaume, qui s’en est fait l’application, ainsi que les Apôtres en
parlant de lui. Il est pour ceux qui doivent changer. Or, nous changeons eu mal
par notre faute, et en bien par la grâce de Dieu. Cette grâce nous vient de la
Passion, ou de la Pâque, du passage de Jésus-Christ Les eaux l’ont submergé, ou
la foule a prévalu contre lui. Nous avons horreur de la mort, et le désir ou
plutôt la promesse de l’immortalité nous aide à souffrir. Nous sommes le limon
où le Christ est plongé, pour nous donner la substance, ou bien soit la
richesse spirituelle, soit l’innocence. Le Christ s’est fatigué à crier contre
les scandales des Scribes et des Pharisiens. Si ses yeux se sont lassés
d’espérer en Dieu, c’est dans la personne des Apôtres et des disciples. Ses
ennemis le haïssent, non comme on hait le méchant, mis ils le haïssent sans
sujet; car il reprend simplement au démon ce que celui-ci a volé. Il ne parle
de son imprudence et de ses fautes, qu’au nom de l’Eglise qui demande à Dieu
que l’on ne puisse rougir de ses membres. Le zèle de la maison de Dieu l’a fait
traiter comme étranger par les enfants de la synagogue. On lui a donné pour
nourriture le fiel ou le péché. Il s’est revêtu d’un sac, on plutôt de notre
chair, et on l’a persiflé. Il demande à Dieu l’accomplissement des promesses,
au temps marqué par Dieu. Seulement que Dieu le délivre, et ne laisse point
l’abîme se refermer sur lui.
1. Nous apparaissons au monde pour être agrégés
au peuple de Dieu au moment où cet arbrisseau qui a germé d’un grain de sénevé
étend au loin ses rameaux; où ce levain d’abord méprisable a fermenté dans
trois mesures de farine 1, c’est-à-dire dans l’univers entier que repeuplèrent
les trois fils de Noé 2: car on vient en foule de l’Orient et de l’Occident, de
l’Aquilon et du Midi pour reposer avec les patriarches, tandis que leurs
descendants selon la chair, mais qui n’ont pas imité leur foi, sont chassés
dehors 3. Nous avons donc ouvert les yeux en face de cette gloire de l’Eglise
du Christ elle jadis stérile, mais à qui l’on prédisait la joie, et l’on
annonçait qu’elle aurait une postérité plus nombreuse que celle qui avait
l’Epoux 4, nous voyons qu’elle a oublié les opprobres et les ignominies de son
veuvage aussi pouvons-nous être dans l’étonnement quand nous lisons dans
quelques prophéties des paroles d’humilité dans la bouche du Christ ou dans
notre bouche. Il est possible encore que nous en soyons moins touchés; car nous
ne sommes point venus dans le moment où, sous le pressoir de la persécution,
l’on en goûtait la lecture. Mais si nous considérons combien nos tribulations
sont nombreuses, combien est étroit 5 le chemin où nous marchons, si tant est
que
1. Matth. XIII, 31-33 et Luc, XIII, 19-21. —
2. Gen. IX, 19. — 3. Matth. VIII, 11.— 4. Isaïe, LIV, 1, et Gal. IV, 27.— 5.
Matth. VII, 14.
nous y marchions, et par quelles douleurs,
par quelles angoisses il nous conduit à ta vie éternelle: si nous examinons
combien ce que l’on appelle bonheur en cette vie est plus à craindre que le
malheur; car le malheur bien souvent nous fait recueillir de la tribulation un
fruit excellent, tandis que Le bonheur corrompt notre âme par une fausse
sécurité, et donne lieu aux tentatives du démon; en considérant donc avec
prudence et droiture, comme la victime déjà prête, que la tentation est le fond
de la vie humaine sur la terre 1, que nul homme n’est dans une sécurité
parfaite, qu’il ne doit être sans crainte que quand il arrivera dans la patrie,
d’où nul ami ne s’en va, où n’entre aucun ennemi; même aujourd’hui dans les
splendeurs de l’Eglise nous retrouvons nos cris dans ces cris de détresse.
Alors comme membres du Christ, unis à notre chef par les liens de la charité,
pour nous maintenir réciproquement, nous dirons des psaumes, ce qu’en dirent
les martyrs qui ont passé avant nous; car depuis le commencement jusqu’à la
fin, la tribulation est connue à tous les hommes. Toutefois reconnaissons dans
le grain de sénevé 2 le psaume que nous entreprenons d’exposer, et dont nous
voulons parler à votre charité au nom du Seigneur. Détournons quelque peu notre
pensée de la hauteur de cet arbrisseau, de
1. Job, VII, 1 — 2. Matth. XIII, 31.
l’étendue de ses branches, et de cette
majesté où viennent se reposer les oiseaux du ciel;et voyons de quelle
petitesse a pu surgir cette immensité qui nous plaît dans cet arbre. C’est le
Christ qui parle ici, vous le savez déjà, le Christ non seulement comme chef,
mais aussi dans ses membres. Nous le reconnaissons à ses paroles. Que le Christ
parle ici, il ne nous est aucunement permis d’en douter. Il y a ici en effet
des plaintes prophétiques accomplies dans sa passion: « Ils m’ont donné du fiel
pour nourriture, et du vinaigre pour étancher ma soif 1 »: c’est là ce qui fut
alors réalisé à la lettre, et dans tous les détails de la prophétie. Après que
le Christ suspendu à la croix a dit: « J’ai soif », et qu’à cette parole on lui
a offert dans une éponge, du vinaigre qu’il goûta; après qu’il s’est écrié: «
Tout est consommé», et que baissant la tête, il a rendu l’esprit 2, voulant
nous montrer que toutes les prophéties à son sujet étaient accomplies, dès lors
il ne nous est plus permis d’y voir une autre signification. Les Apôtres
parlant du Christ ont puisé des témoignages dans ce psaume. Qui oserait
s’écarter de leurs sentiments? quel agneau ne suivra les béliers du troupeau?
C’est donc le Christ qui parle ici; et pour nous, il est mieux d’indiquer les
endroits où la parole est à ses membres, afin de montrer que c’est le Christ
tout entier qui parle ici, que de douter que ce langage appartienne au Christ.
2. Voici le titre du psaume: « A David, pour
la fin, pour ceux qui doivent changer 3 ». Il faut entendre par là changer avec
avantage, car on peut changer en pire ou en mieux. Adam et Eve devinrent pires;
mais ceux qui s’éloignent d’Adam et d’Eve, pour s’attacher à Jésus-Christ,
deviennent meilleurs: « De même en effet que la mort est entrée par un seul
homme, c’est aussi par un seul homme que nous vient la résurrection: et de même
qu’Adam est pour tous une cause de mort, le Christ sera pour tous une source de
vie 4». Adam, tel que Dieu l’avait fait, a changé cet état contre l’état bien
inférieur de son iniquité; mais les fidèles échangent l’état que leur a fait
l’iniquité, contre l’état supérieur de la grâce. Nous changer en mal, c’est
l’effet de notre
1. Ps. LXVIII, 22. — 2. Jean, XIX, 28-30. —
3. Ps. LXVIII, 1. — 3. I Cor. XV, 21, 22.
iniquité; nous changer en mieux, ce n’est
point l’effet de notre justice, mais bien de la grâce de Dieu. C’est donc à
nous qu’il faut attribuer notre changement en mal, et c’est Dieu qu’il faut
bénir de notre changement en bien. Ce psaume est donc: « Pour ceux qui doivent
changer ». Mais d’où a pu venir ce change. ment, sinon de la passion du Christ?
Le mot Pâques signifie en latin
passage; car Pâques n’est pas un mot grec, mais bien un mot hébreu. Dans la
langue grecque, il a le sens de passion, puisque pasxein signifie souffrir: mais à s’en tenir à l’expression
hébraïque, on trouve un autre sens. Pâques signifie donc passage. C’est le sens
que lui donne saint Jean, qui s’exprime ainsi à propos de la cène que célébra
le Christ, la veille de sa passion, et dans laquelle il institua le sacrement
de son corps et de son sang: « Quand vint pour Jésus l’heure de passer de ce
monde à son Père ». Il nous montre donc le passage de la pâque. Mais si celui
qui était venu pour nous n’avait passé de ce monde à son Père, comment
pourrions-nous y passer d’ici-bas, nous qui ne sommes point descendus pour
relever quoi que ce soit, mais qui sommes tombés? Pour lui, il n’est point
tombé, mais il est descendu afin de relever ce qui était tombé. Pour lui comme
pour nous, c’est donc un passage que d’aller de cette vie à son Père, de ce
monde au royaume des cieux, d’une vie pénible à la vie sans fin, d’une vie
terrestre à la vie céleste, d’une vie corruptible à la vie incorruptible, d’une
vie d’angoisses à une perpétuelle sécurité. «Pour ceux qui changeront », voilà
donc le titre du psaume. Mais la cause de notre changement, ou la passion de Notre
Seigneur, nos plaintes dans ces douleurs, voilà ce qu’il nous faut examiner, ce
qu’il faut reconnaître, afin de gémir, nous aussi; mais cette attention, cette
reconnaissance, ces gémissements doivent nous faire changer, afin que
s’accomplisse pour nous le titre du psaume: « Pour ceux qui seront changés ».
3. « Sauvez-moi, ô Dieu, parce que les eaux
pénètrent jusqu’à mon âme 2 ». Ce grain est aujourd’hui méprisé, parce qu’il ne
semble pousser que d’humbles cris. Au jardin il est submergé, et le monde un
jour doit admirer la majestueuse étendue de cette plante dont le germe a été
méprisé par les Juifs.
1. Jean, XIII, 1. — 2 Ps. LXVIII, 2.
Considérez, en effet, ce grain de sénevé,
chétif, noirâtre et tout à fait méprisable, afin de voir comment se vérifie le
mot du Prophète « Nous l’avons vu, et il n’avait ni apparence ni beauté ». Il
se plaint que les eaux pénètrent jusqu’à son âme: parce que ces foules
tumultueuses, désignées sous le nom des eaux, ont prévalu sur le Christ au
point de Je faire mourir. Elles ont eu la puissance sur lui jusqu’à le
mépriser, le saisir, le garrotter, l’insulter, le souffleter, lui cracher au
visage. Jusqu’à quel point encore? jusqu’à le mettre à mort. Donc «les eaux ont
submergé jusqu’à son âme ». Car il appelle son âme, cette vie, et c’est
jusque-là que peut s’avancer la fureur de ses ennemis. Mais l’auraient-ils pu,
si lui-même ne l’eût permis? Pourquoi donc pousser des cris comme s’il
souffrait malgré lui, sinon parce que le chef est pour nous la figure des
membres? Pour lui, il a souffert, parce qu’il l’a voulu; mais les martyrs ont
souffert, quand même ils ne l’eussent point voulu. Voici, en effet, comment le
Sauveur prédit à Pierre sa passion: « Dans ta vieillesse, lui dit-il, un autre
te ceindra et te conduira où tu ne voudras point 2 ». Quel que soit notre désir
d’être unis au Christ, nous ne voudrions pas mourir néanmoins; et si nous
souffrons volontiers ou du moins avec patience, c’est qu’il n’y a point d’autre
passage par lequel nous puissions nous unir au Christ. Si nous pouvions par
quelqu’autre moyen aller au Christ, ou à la vie éternelle, qui voudrait mourir?
Saint Paul, exposant quelque part notre nature intime, ou cette union de l’âme
et du corps, et cette familiarité mutuelle que fait naître l’attachement, l’intime
liaison, dit que nous avons dans le ciel une demeure éternelle, que la main de
l’homme n’a point faite: c’est-à-dire l’immortalité qui nous est préparée, et
dont nous serons revêtus à la fin du temps, quand nous ressusciterons d’entre
les morts; et il ajoute: « Notre désir sera, non pas d’en être dépouillés, mais
de l’avoir comme un second vêtement, en sorte que ce qu’il a de mortel soit
absorbé par la vie 3». Si cela était possible, nous dit-il, nous voudrions
devenir immortels, nous voudrions que l’immortalité nous arrivât, et nous
changeât dès maintenant tels que nous sommes, afin que notre mortalité actuelle
fût absorbée
1. Isaïe, LIII, 2. — 2. Jean, XXI, 18. — 3.
II Cor. V, 1, 4.
par la vie, que notre corps ne passât point
par la mort, pour ressusciter à la fin des temps. En vain donc nous passons du
mal au bien, le passage n’en a pas moins son amertume; il a de ce fiel que les
Juifs donnèrent au Seigneur dans sa passion, tout ce qui nous fait souffrir a
de cette âcreté, symbole de ceux qui l’abreuvèrent de vinaigre 1. C’était donc
nous qu’il figurait d’avance, qu’il personnifiait en lui-même, quand il dit: «
Sauvez-moi, ô Dieu, car les eaux submergent jusqu’à mon âme ». Ceux qui l’ont
persécuté ont même pu le tuer, mais ils n’auront plus aucun pouvoir sur lui.
Car le Seigneur nous a prémunis d’avance, quand il a dit: « Ne craignez point
ceux qui tuent le corps, et n’ont plus rien à vous faire; mais craignez celui
qui peut précipiter l’âme et le corps dans l’enfer 2 ». Plus notre crainte est
grande, et moins nous méprisons les biens médiocres; plus nous désirons
l’éternité, plus nous méprisons les biens du temps. Ici-bas nous savourons
jusqu’aux délices passagères, et les tribulations même d’un moment nous sont
amères. Mais qui ne boirait à la coupe des tribulations passagères, par crainte
du feu éternel; et qui ne mépriserait les délices d’un moment, en espérant les
délices de la vie éternelle? Crions donc au Seigneur, afin qu’il nous délivre
de cette vie, de peur que dans l’accablement nous ne cédions à l’iniquité, et
ne soyons réellement submergés « Sauvez-moi, ô Dieu, car les eaux vont jusqu’à
submerger mon âme ».
4. « J’ai été fixé dans le limon de l’abîme,
il n’a point de substance 3 ». Qu’est-ce qu’il appelle limon? ceux qui
persécutent? Car l’homme a été pétri de limon 4. Mais déchoir de la justice, a
fait de ceux-ci le limon de l’abîme; quiconque résiste à leurs persécutions et
à leurs efforts pour l’entraîner, fait de l’or au moyen de ce limon. En lui le
limon doit mériter de prendre une forme céleste et d’être mis au nombre de ceux
dont le titre du Psaume a dit: « Pour ceux qui doivent changer». Or, quand
ceux-ci étaient un limon, j’ai été plongé en eux, c’est-à-dire qu’ils m’ont
saisi, qu’ils ont prévalu sur moi, qu’ils m’ont donné la mort. «J’ai été fixé
dans le limon de l’abîme, et ce n’est point une substance ». Qu’est-ce à dire:
«Ce n’est point une substance? » Est-ce le limon qui ne serait
1.
Matth. XXVII, 31.— 2. Id. X, 20.— 3. Ps. LXVIII, 3.— 4. Gen. II, 7.
pas une substance? Ou bien, est-ce moi qui,
arrêté dans le limon, ne suis pas une substance? Qu’est-ce à dire: «J’ai été
fixé? » Le Christ a-t-il été arrêté de la sorte? Ou bien tout arrêté qu’il fut,
n’a-t-il pas été, comme il est écrit au livre de Job, « la terre livrée « aux
mains de l’impie 1? » A-t-il été fixé d’une manière corporelle, car on put le
tenir ainsi et il fut crucifié? Et il n’eût pas été crucifié, s’il n’eût été
fixé par des clous. Comment donc dire de lui qu’ « il n’est pas une substance?
» D’autre part, est-ce que ce limon n’est pas substantiel? Nous comprendrons ce
que signifie: « Il n’y a pas de substance», si tout d’abord nous pouvons
comprendre ce qu’est une substance. Substance a quelquefois lé sens de
richesses, et c’est ainsi que l’on dit: Il a de la substance; et encore: Il a
perdu toute substance. Mais, dans ce cas, pouvons-nous croire que: « Il n’y a
pas de substance », signifie: Il n’y a pas de richesses, comme s’il s’agissait
ici de richesses, ou qu’il en fût aucunement question? Ou peut-être ce limon
a-t-il le sens de pauvreté, et alors il n’y aura de richesses pour nous que
quand nous aurons part à l’éternité? Nous posséderons alors les véritables
richesses, puisque nous ne manquerons de rien. On pourrait alors entendre cette
parole en ce sens, et le Psalmiste dirait: « J’ai été fixé dans le limon de
l’abîme, et il n’y a pas de substance», pour dire, j’ai été réduit
à la pauvreté. Car le Christ se plaint ici
d’être « pauvre et souffrant 2». Et l’Apôtre a dit de
lui: « Etant riche, il s’est fait pauvre à
cause de vous, afin que vous soyez enrichis de sa pauvreté 3 ». Alors le
Seigneur, pour nous signaler sa pauvreté, aurait dit: « Il n’y a aucune
substance ». Revêtir la forme de l’esclave, c’était, pour lui, descendre à la
dernière pauvreté. Quelles sont donc ses richesses? « Ayant la nature de Dieu,
il n’a point cru que ce fût une usurpation de s’égaler à Dieu ».Voilà ses
richesses immenses, incomparables. D’où vient alors sa pauvreté? De ce qu’ « il
s’est anéanti, en prenant la forme de l’esclave, en se rendant semblable aux
hommes; et reconnu homme par tout ce qui était en lui, il s’est humilié, se
rendant obéissant jusqu’à la mort »; en sorte qu’il a pu dire: « Les eaux ont
pénétré jusqu’à mon âme». Ajoutez aussi à la mort: et que pourrez-vous ajouter
de plus? L’ignominie de
1. Job, IX, 24. — 2. Ps. LXVIII, 30. — 3. II
Cor. VIII, 9.
la mort. Aussi l’Apôtre a-t-il dit: « Et la
mort de la croix 1 ». Immense pauvreté! mais d’où viendront d’immenses
richesses. Car si le comble a été à son indigence, il sera mis aussi aux
richesses qui nous viendront de sa pauvreté. Quelles richesses n’a-t-il point
pour nous enrichir de son indigence ! Que ne produiront point en nous ses
richesses, quand sa pauvreté nous enrichit de la sorte !
5. « Je suis fixé dans le limon de l’abîme,
et il n’y a nulle substance». On peut encore entendre par substance, ce qui
nous fait ce que nous sommes. Mais cette interprétation devient plus difficile
à saisir, quoique les choses soient d’un fréquent usage; toutefois, comme
l’expression est inusitée, il faut la remarquer et l’expliquer tant soit peu;
avec de l’attention cette explication ne nous fatiguera point. On dit un homme,
on dit le bétail, on dit le ciel, le soleil, la lune, la pierre, la mer, l’air;
tous ces objets sont des substances, par cela même qu’ils existent. Les natures
s’appellent aussi des substances, Dieu est une certaine substance; car ce qui
n’est pas substance, n’est absolument rien. Etre quelque chose, c’est donc être
une substance. De là vient que dans la foi catholique, on nous prémunit contre
les raisons des hérétiques, en nous faisant dire que le Père, le Fils et le
Saint-Esprit sont d’une seule substance. Qu’est-ce à dire d’une seule
substance? Par exemple, si le Père est de l’or, le Fils est de l’or, le
Saint-Esprit est de l’or. Tout ce qu’est le Père comme Dieu, le Fils l’est
aussi, le Saint-Esprit l’est aussi, Mais être Père, ce n’est pas son être
absolu, car Dieu n’est point appelé Père par rapport à lui-même, mais par
rapport à son Fils; en lui-même, il s’appelle Dieu. Aussi dès lors qu’il est
Dieu, par là même il est substance. Et parce que le Fils est de même substance
que lui, assurément le Fils est Dieu aussi. Mais comme être Père n’est point le
propre de sa substance, et qu’il n’est ainsi appelé qu’à cause du Fils, nous ne
disons pas que le Fils est Père, comme nous disons que le Fils est Dieu. Si tu
demandes ce qu’est le Père, on te répond: Il est Dieu. Tu demandes ce qu’est le
Fils; on répond: Il est Dieu. Tu demandes ce que c’est que le Père et le Fils;
on répond encore: Dieu. Si l’on t’interroge sur le Père seul, réponds qu’il est
Dieu; sur le Fils seul,
1. Philip. II, 6.8.
réponds aussi qu’il est Dieu; sur l’un et
l’autre, réponds non qu’ils sont des Dieux, mais un Dieu. Il n’en est pas ainsi
des hommes. Tu demandes ce qu’est Abraham, notre père, on te répond: Un homme;
on exprime sa substance. Tu demandes ce qu’est Isaac son fils, on répond: Un
homme; Isaac et Abraham sont de la même substance. Tu demandes ce que c’est
qu’Abraham et Isaac, on ne répond plus un homme, mais des hommes. Il n’en est
pas ainsi dans la divinité. La substance y est tellement une, qu’elle admet
l’égalité, mais non la pluralité. Si donc l’on te fait cette objection:
Puisque, selon toi, le Fils est tout ce qu’est le Père, assurément le Fils est
Père aussi, tu répondras: J’ai dit que substantiellement, le Fils est tout ce
qu’est le Père, mais non en ce qui est dit dans un autre sens. En lui-même il
est appelé Dieu; par rapport à son Père, il est appelé Fils. De même, le Père
est appelé Dieu en lui-même, et Père par rapport à son Fils. Celui qui est
appelé Père par rapport au Fils n’est pas Fils, et celui qui est appelé Fils
par rapport au Père, n’est pas Père; mais celui qui est Père, considéré en
lui-même, ou le Père; et celui qui est Fils, considéré en lui-même, on le Fils,
voilà Dieu. Que signifie donc: « Il n’y a point de substance? » Si nous
entendons ainsi la substance, comment comprendre ce qu’a voulu dire le
Psalmiste: « J’ai été fixé dans le limon de l’abîme, et il n’y a pas de
substance? » Dieu a fait l’homme, et l’a fait substance 1; et que n’est-il
demeuré tel que Dieu l’avait fait? Si l’homme était demeuré ce que Dieu l’avait
fait, celui que Dieu a engendré n’eût pas été cloué comme homme. Mais comme
l’iniquitéa fait déchoir l’homme de la substance dans laquelle Dieu l’avait
créé 2 (car l’iniquité n’est pas une nature créée par Dieu mais l’iniquité est
cette perversité que l’homme a faite); voilà que le Fils de Dieu est descendu
dans le limon de l’abîme, et y a été cloué; et comme il était retenu dans leurs
iniquités, il n’était point cloué à une substance. « J’ai été fixé dans le
limon de l’abîme, et il n’y a point de substance. Tout a été fait par lui, et
rien n’a été créé sans lui 3 ». Toutes les natures sont ses oeuvres; l’iniquité
n’a pas été faite par lui, parce que l’iniquité n’est point une oeuvre. Les
substances qui le bénissent ont été faites par lui. Or, toutes les substances
qui le bénissent sont mentionnées
1. Gen I, 27. — 2. Id. III, 6. — 3. Jean, I,
3.
par les trois enfants dans la fournaise; en
sorte que l’hymne des bénédictions passe des choses terrestres aux choses
célestes, ou des choses célestes aux choses terrestres pour arriver à Dieu 1.
Non que toutes ces créatures aient l’intelligence pour louer Dieu; mais parce
que les réflexions que toutes nous inspirent enfantent la louange, et que la
contemplation de ces créatures fait jaillir de notre âme une hymne au Créateur,
Tout bénit donc Dieu, oui, tout ce qu’a fait Dieu. Mais dans cette hymne, pourriez-vous
remarquer la voix de l’avarice? Le serpent lui-même y bénit Dieu, mais non
l’avarice. Toutes les bêtes qui rampent sont appelées à louer Dieu; oui, toutes
les bêtes rampantes sont nommées, niais aucun vice n’y est nommé. Car le vice
vient de nous, de notre volonté; et le vice n’est point une substance. C’est
dans les vices que le Seigneur a été embarrassé quand il a souffert la
persécution; dans les vices des Juifs, et non dans la substance de l’homme, qui
a été faite par lui. « J’ai été fixé », dit-il, « dans le limon de l’abîme, et
il n’y a nulle substance ». J’ai été fixé, et n’ai point retrouvé ce que
j’avais fait.
6. « Je suis allé en pleine mer, et la
tempête m’a submergé 2 ». Béni soit celui qui, dans sa miséricorde, est arrivé
à la profondeur des mers, et qui a daigné descendre dans les entrailles d’un
monstre marin; mais qui en a été rejeté le troisième jour 3. Il est arrivé
jusqu’à la profondeur des mers, profondeur où nous étions engloutis, profondeur
où nous avions fait naufrage: c’est là qu’il est venu, et la tempête l’a
englouti: car c’est là qu’il a été le jouet des flots ou plutôt des hommes; ou
de ces voix qui disaient: « Crucifiez-le, crucifiez-le », alors que Pilate
s’écriait: « Je ne trouve aucun motif de le condamner à la mort», et que
s’élevaient de plus en plus ces clameurs: « Crucifiez-le, crucifiez-le 4 ». La
tempête allait croissant jusqu’à ce qu’elle eut submergé celui qui était venu
en pleine mer. Et le Seigneur endura entre les mains des Juifs, ce qu’il
n’avait pas souffert en marchant sur la mer 5; et non seulement ce qui ne lui
était point arrivé, mais ce qu’il n’avait pas laissé subir à Pierre. « Je suis
allé en pleine mer, et la tempête m’a submergé ».
1.
Dan. III, 24-90. — 2. Ps. LXVIII, 3.— 3. Matth. XII, 40,— 4. Jean, XIX, 6. —
5. Matth. XIV, 25.
7. « Je me suis épuisé à crier; mon gosier en
est devenu rauque 1». Où? et quand? Interrogeons l’Evangile. Car notre psaume
nous fait connaître d’avance la passion du Sauveur. Nous savons en effet qu’il
a souffert: nous lisons et nous croyons que les eaux pénétrèrent jusqu’à son
âme; nous savons encore que la tempête le submergea,puisque les séditieux
eurent le pouvoir de le faire niourir: mais qu’il se soit fatigué à force de
crier, que son gosier en soit devenu rauque, non seulement nous ne lisons pas
cela, mais nous lisons le contraire, puisqu’il ne répondait point à leurs
provocations, afin d’accomplir ce qui est dit dans un autre psaume: « Je suis
comme un homme qui n’entend point et qui n’a point de réponse en sa bouche 2 »;
et cette autre prophétie d’Isaïe: « Il a été comme la brebis que l’on va
égorger, et non plus que l’agneau devant celui qui le tond, il n’a point ouvert
sa bouche 3». Or, s’il ressemble à l’homme qui n’entend point, qui n’a point de
réponse en sa bouche, comment s’est-il fatigué à crier, et son gosier en est-il
devenu rauque? Ou bien, se taisait-il parce que son gosier était rauque pour
avoir tant crié en vain?Car nous connaissons par un autre psaume cette parole
tombée de la croix: « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné 4?» Mais
cette parole fut-elle bien élevée et bien longue pour que le gosier du Sauveur
en devînt rauque? Au contraire, longtemps il cria: « Malheur à vous scribes et
pharisiens 5 ». Longtemps il cria: « Malheur au monde à cause des scandales 6 !
» Et en effet il criait comme un homme à la voix rauque, aussi ne le
comprenait-on point, quand les Juifs demandaient: « Que dit-il? C’est là une
parole dure, et qui peut l’entendre? Nous ne savons ce qu’il dit 7». Il
prononçait toutes sortes de paroles, mais son gosier était rauque pour eux, et
ses paroles n’étaient point comprises. « Je me suis épuisé à crier, mon gosier
en est devenu rauque ».
8. « Mes yeux se sont lassés à vous attendre,
ô mon Dieu 8 ». Loin de nous d’appliquer ces paroles à notre chef, loin de nous
de croire qu’ils aient cessé d’espérer en son Dieu, les yeux de celui en qui
était Dieu, se réconciliant le monde 9,de celui qui était le Verbe se
1.
Ps. LXVIII, 1. — 2. Id. XXXVII, 15. — 3. Isaïe, LIII, 7. — 4. Ps. XXI, 2 — 5.
Matth. XXIII, 13, 14 — 6. Id. XVIII, 7. — 7. Jean, VI, 61, et XVI, 18.— 8. Ps.
LXVIII, 4. — 9. II Cor. V, 19.
faisant chair pour habiter parmi nous 1, en
sorte que non seulement Dieu était en lui, mais qu’il était Dieu. Tel n’est
donc point le sens; et les yeux de notre chef n’ont point cessé d’espérer en
son Dieu; mais ses yeux ont pu faillir dans son corps, c’est-à-dire dans ses
membres. Telle est donc la voix des membres, la voix dru corps, mais non la
voix du chef. Mais comment la retrouvons-nous dans son corps, dans ses membres?
Que puis-je vous dire encore? Que vous rappellerai-je? A sa passion, à sa mort,
ses disciples n’osèrent plus croire qu’il fût le Christ. Les Apôtres furent
dépassés par le voleur qui crut, alors que ceux-ci venaient à défaillir 2, Vois
doué ces membres qui désespèrent: vois s’entretenant en chemin après la
résurrection ces deux disciples, dont l’un était Cléophas, et dont les yeux ne
pouvaient le reconnaître. Comment l’eussent-ils connu des yeux, quand leur
esprit chancelait à son égard? Il y avait dans leurs yeux un phénomène
semblable à celui de leur esprit. Ils parlaient de lui entre eux, et interrogés
par lui sur le sujet de leur entretien, ils répondirent: « Etes-vous donc le
seul étranger à Jérusalem? Ignorez-vous ce qui s’est passé, comment Jésus de
Nazareth, puissant en oeuvres et en paroles, a été mis à mort par les anciens
et les princes des prêtres? Pour nous, nous espérions qu’il délivrerait Israël
3 ».Ils avaient espéré, ils n’espéraient plus. Leurs yeux s’étaient lassés à
espérer dans leur Dieu. C’est donc en leur nom que le Sauveur a dit: « Mes yeux
se sont lassés d’espérer en mon Dieu ». Ce fut cette espérance qu’il leur
rendit, quand il leur fit toucher ses plaies; et après les avoir touchées,
Thomas revint à l’espérance qu’il avait perdue, et s’écria: « Mon Seigneur, et
mon Dieu ». Tes yeux, ô Thomas, se sont lassés d’espérer en ton Dieu; tu as
touché ses plaies, et tu as retrouvé ton Dieu: tu as touché la forme de
l’esclave, et tu as reconnu ton Seigneur. Toutefois le Seigneur lui dit: « Tu
as cru, parce que tu as vu ». Et comme pour nous désigner d’avance par la voix
de sa miséricorde: « Bienheureux », a-t-il ajouté, « ceux qui ne voient point
et qui croient ». « Mes yeux se sont lassés d’espérer en mon Dieu ».
9. « Ils se sont multipliés plus que les
cheveux de ma tête, tous ceux qui me haïssent
1. Jean, I, 11. — 2. Luc, XXIII, 42. — 3. Id.
XXIV, 13-21. — 4. Jean, XX, 28, 29.
« sans sujet 1 ». Comment multipliés? Et
s’adjoignant un des douze 2. « Ils se sont multipliés plus que les cheveux de
ma tête, ceux qui nie haïssent sans sujet ». C’est aux cheveux de sa tête qu’il
compare ses ennemis. Il fut donc bien juste de les raser, quand il fut crucifié
au Calvaire 3. Que les membres s’appliquent cette parole, et apprennent à subir
une haine injuste. Et s’il est nécessaire, ô Chrétien, que le monde te haïsse
dès aujourd’hui, pourquoi ne pas agir de manière à rendre sa haine injuste,
afin de reconnaître ta propre voix, dans le corps mystique de ton Seigneur, et
dans ce psaume qui le prophétise? Cornaient se pourra-t-il que le monde te
haïsse gratuitement? Il le fera si tu ne causes à personne aucun mal qui puisse
t’attirer cette haine, puisque gratuitement signifie sans sujet. C’est peu que
l’on te haïsse sans sujet, agis encore de manière que l’on te rende le mal pour
le bien. « Ils se sont fortifiés coutre moi, ces ennemis qui me poursuivent
injustement ». Ce qu’il a dit d’abord: « Ils se sont multipliés plus que les
cheveux de ma tête »; le Psalmiste le répète ici: « Mes ennemis se sont
fortifiés contre moi »; et après avoir dit d’abord: « Ils me haïssent
gratuitement », il répète: « Ils me poursuivent d’une manière injuste». Telle
est la voix des martyrs, non point dans les tourments qu’ils endurent, mais
dans leur cause. Ce n’est point d’être persécuté, ni d’être saisi, ni flagellé,
ni emprisonné, ni proscrit, ni mis à mort,que l’on est louable; mais endurer
tout cela pour une bonne cause, voilà ce qui honore. Car l’honneur est dans la
bonté de la cause, et non dans l’atrocité de la peine. Quelque grands
qu’eussent été les supplices des martyrs, peuvent-ils être égaux aux supplices
de tous les voleurs ensemble, de tous les sacrilèges, de tous les scélérats?
Ceux-ci n’ont-ils pas encouru aussi la haine du monde? Oui assurément. La
grandeur de leur malice remplit plus que la moitié du monde, et ils sont en
quelque sorte bannis de la société même des mondains, car ils troublent même la
paix terrestre; et ils sont en butte à des maux nombreux, mais non sans sujet.
Voyez encore la plainte de ce larron crucifié avec le Seigneur: quand d’autre
part un des larrons insultait au Seigneur cloué à la croix, et lui disait: « Si
tu es
1.
Ps. LXVIII, 5. — 2. Matth. XXVI, 14. — 3. Id. XXVII, 33.
le Fils de Dieu, délivre-toi », l’autre le
fit taire en disant: « Tu ne crains pas Dieu, quand tu es condamné au même
supplice? Pour nous, c’est justement que nous sommes châtiés de nos crimes 1».
Voilà que ce n’est point sans sujet: mais l’aveu lui fait rejeter ce qu’il a de
corrompu, et il devient apte à prendre la nourriture du Seigneur. lia rejeté
son iniquité, il l’accuse, et cet aveu l’en guérit. Voilà donc deux larrons,
voilà aussi le Seigneur: ils sont en croix, comme lui-même est en croix: le
monde hait les uns, mais non sans sujet; le monde hait l’autre, mais
gratuitement: « J’ai payé ce que je n’ai point enlevé ». Telle est bien la
gratuité. Je n’ai rien dérobé, et je dédommage; je n’ai point péché et je subis
le châtiment. Celui-là est le seul pour être tel, il n’a rien dérobé. Non seulement
il n’a rien dérobé, mais ce qu’il n’a point acquis par la rapine, il
l’abandonne, pour venir jusqu’à nous. « Il n’a point cru que ce fût une
usurpation, pour lui, de s’égaler à Dieu: et pourtant il s’est anéanti, en
prenant la forme d’un esclave 2 ». Il n’a donc rien usurpé. Quel est
l’usurpateur? Adam. Quel est le premier usurpateur? Celui qui séduisit Adam 3.
Quelle fut l’usurpation du diable? « J’établirai mon trône vers l’aquilon, et
je serai semblable au Très-Haut 4». Il usurpa ce qui ne lui avait pas été
donné; c’est là un vol. Donc le diable usurpa ce qu’il n’avait pas reçu; il
perdit ce qu’il avait reçu; et celui qu’il voulait tromper, il le fit boire à
la coupe de son orgueil: « Goûtez», dit-il, « et vous serez comme des dieux 5
». Ils voulurent usurper la divinité, ils perdirent le bonheur. Il est donc
voleur, de là vient qu’il subit le châtiment. « Pour moi», dit le Psalmiste, «
j’ai payé ce que je n’ai point ravi ». Or, le Seigneur, aux approches de sa
passion, parle ainsi dans l’Evangile: « Voici venir le prince de ce monde »,
c’est-à-dire le diable, « et il ne trouvera rien en moi »; c’est-à-dire, il ne
trouvera pas de quoi m’ôter la vie: « mais afin que tous sachent bien que je
fais la volonté de mon Père, levez-vous, sortons d’ici 6 ». Il s’en alla pour
souffrir, afin de payer ce qu’il n’avait point usurpé. Qu’est-ce à dire: « Il
ne trouvera rien en moi? » Aucune faute. Le diable a-t-il donc perdu quelque
chose de son héritage? Qu’il compte avec
1. Luc, XXIII, 39 - 41.— 2. Philip. II, 6, 7.
— 3. Gen. III, 1— 4. Isaïe, XIV, 13. — 5. Gen. III, 5.— 6. Jean, XIV, 30.
les voleurs, « il ne trouvera rien en moi ».
Toutefois en disant qu’il n’a rien usurpé, faisant allusion au péché, il
affirme qu’il n’a rien pris qui ne fût à lui; c’est là le vol, c’est là
l’iniquité; niais il a repris au démon ce que celui-ci avait enlevé. « Personne
», dit-il, « n’entre dans la maison d’un homme fort, et n’enlève ce qui lui
appartient, s’il n’a d’abord garrotté cet homme fort 1 ». Or, il a lié le fort,
et lui a enlevé sa dépouille; il ne l’a point volée, et il peut vous répondre:
ces dépouilles avaient été enlevées à mon palais je ne commets pas un vol, je
reprends ce qui était volé.
10. « Seigneur, vous connaissez mon
imprudence 1». Il parle de nouveau, au nom de son corps. Quelle imprudence, en
effet, peut-il y avoir dans le Christ? N’est-il point la Force et la Sagesse de
Dieu? Parlerait-il de cette imprudence dont l’Apôtre a dit: « Ce qui paraît en
Dieu une folie est plus sage que les hommes 3? » « Mon imprudence»,c’est-à-dire,
ce qu’ont tourné en dérision, contre moi, ceux qui se croyaient sages. Vous
savez pourquoi: « Vous connaissez mon imprudence ». Qu’y a-t-il de plus
semblable à l’imprudence, que de souffrir qu’on le saisisse, qu’on le flagelle,
qu’on lui crache au visage, qu’on lui donne des soufflets, qu’on le couronne
d’épines, qu’on.l’attache à la croix, quand il pouvait, d’un seul mot,
renverser tous ses persécuteurs? Tout cela ressemble à de l’imprudence, cela
paraît de la folie, mais cette folie est supérieure à tous les sages. C’est une
folie àla vérité; mais jeter le grain en terre, paraît une folie pour quiconque
ignore les usages du laboureur. On ne le sème qu’avec des fatigues, on le porte
dans l’aire, on le bat, on le vanne; et ce n’est qu’après avoir affronté les
dangers et les intempéries du ciel, après avoir coûté des travaux, aux
campagnards, des soins aux maîtres, que le froment pur est mis dans le grenier.
Aux approches de l’hiver, on tire du grenier ce froment émondé, et on le jette;
cela paraît imprudent; mais l’espoir du semeur fait que ce n’est pas
imprudence. Le Seigneur donc ne s’est pas épargné, parce que son Père « ne l’a
point épargné, mais l’a livré pour nous tous 4». C’est de lui que l’Apôtre a
dit: « Il m’a aimé et s’est livré lui-même pour moi 5. Car si le grain de
froment
1. Matth. XII, 29. — 2. Ps. LXVIII, 6. — 3. I Cor. I, 25. — 4. Rom. VIII, 32. — 5. Gal. II, 20.
« ne tombe à terre pour y mourir», comme il
l’a dit lui-même, « il ne rapportera aucun fruit 1». C’est là mon imprudence,
et tu la connais. Pour eux, s’ils l’eussent connu, ils n’eussent jamais
crucifié le roi de gloire 2. « O Dieu, vous connaissez mon imprudence, et mes
fautes ne vous sont point cachées». Il est clair, évident, manifeste, que ces
paroles doivent s’entendre du corps du Christ; car lui n’eut aucune faute, il
se chargea de celles des autres, mais n’en commit aucune. « Et mes fautes ne
vous sont point cachées»: c’est-à-dire, je vous ai confessé toutes mes fautes,
et avant qu’elles fussent dans ma bouche, vous les avez connues dans ma pensée,
vous avez vu les blessures que vous deviez guérir. Mais où? Assurément dans son
corps et dans ses membres, dans ses fidèles, d’où était venu pour s’attacher à
lui ce membre, qui faisait l’aveu de ses fautes, « Et mes péchés», dit-il, « ne
vous sont point cachés».
11. « Qu’ils ne rougissent point de moi, u
ceux qui espèrent en vous, Seigneur, Dieu « des vertus 3 » Voici de nouveau la
voix du chef: « Qu’ils ne rougissent point de moi »;. qu’on ne leur dise point:
Où est celui qui vous disait: «Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi 4.
Qu’ils ne rougissent point à mon sujet, ceux qui espèrent en vous, Seigneur,
Dieu des vertus. Qu’ils n’éprouvent aucune confusion à cause de moi, ceux qui
vous cherchent, ô Dieu d’Israël ». Ceci peut s’entendre du corps; mais à
condition de ne point faire de ce corps un seul homme: car un seul homme ne
saurait être son corps, mais seulement un faible membre; tandis que son corps
est composé de plusieurs membres. Son corps dans son intégrité, c’est l’Eglise
entière. C’est donc avec raison que l’Eglise tient ce langage: « Qu’ils ne
rougissent point à mon sujet, ceux qui espèrent en vous, ô Dieu des vertus ».
Que je ne sois plus en butte aux soulèvements des persécuteurs, que je n’aie
pas à lutter contre la jalousie dc mes ennemis, et les aboiements de ces
hérétiques sortis de mon sein, mais qui n’étaient point de moi: car s’ils
eussent été de moi, ils fussent demeurés avec moi 5. Que leurs scandales ne
m’accablent point, « de manière qu’ils rougissent de moi, ceux qui espèrent en
vous, Seigneur,ô Dieu des vertus ».
1.
Jean, XII, 24, 25. — 2. I Cor, II, 8. — 3. Ps LXVIII, 7. — 4. Jean, XIV, 1.— 5. I
Jean, II, 19.
« Qu’ils ne soient point couverts de
confusion à cause de moi, ceux qui vous cherchent, ô Dieu d’Israël ».
12. « Car c’est à cause de vous que j’ai
supporté les opprobres, et que l’ignominie a couvert mon visage 1». Ce serait
peu de dire: « J’ai supporté »; il va plus loin: « C’est pour vous que j’ai
supporté ». Souffrir parce que tu as péché, c’est souffrir pour toi, et non
pour Dieu. « Quelle gloire vous revient-il », dit saint Pierre, « de souffrir
parce que vous êtes châtiés à cause de vos péchés 2?» Mais souffrir parce que
tu as gardé le commandement de Dieu, c’est là souffrir pour Dieu; et ta
récompense t’attend dans l’éternité, parce que c’est pour Dieu que tu as
souffert l’outrage. De là vient qu’il a souffert le premier, afin de nous
apprendre à souffrir. Mais s’il a souffert, lui à qui l’on ne pouvait faire
aucun reproche; à combien plus juste raison devons-nous souffrir, nous à qui
notre ennemi peut bien n’avoir aucune faute à reprocher, mais qui avons en nous
une autre cause d’un châtiment bien mérité? Un homme t’appelle voleur, et tu ne
l’es pas; c’est une injure que tu reçois; toutefois tu n’es pas tellement
innocent qu’il n’y ait en toi rien qui déplaise à Dieu. Or, si celui qui
n’avait absolument rien dérobé, qui a dit en toute vérité: « Voici le prince de
ce monde, et il ne trouvera rien en moi 3 », a été appelé pécheur, appelé
inique, appelé Béelzébub 4, appelé insensé; toi, serviteur, tu ne veux pas
entendre, après l’avoir mérité, ce que le Seigneur a entendu sans le mériter
aucunement? Il est venu pour te donner l’exemple, et comme s’il l’eût fait sans
motif, tu n’en profites d’aucune sorte. Pourquoi a-t-il entendu ces injures,
sinon afin que tu puisses les entendre sans te décourager? Mais les entendre,
pour toi, c’est l’abattement: c’est donc en vain que le Christ les a entendues,
puisqu’il les entendait pour toi et non pour lui. « C’est donc à cause de vous
que j’ai supporté l’opprobre, que l’irrévérence a couvert ma face». «
L’irrévérence, dit-il, « a couvert mon visage ». Qu’est-ce que l’irrévérence?
Ne savoir point rougir. C’est faire un reproche à un homme que dire de lui:
C’est un homme irrévérent. C’est pour l’homme un grand défaut que dene savoir
plus rougir. L’irrévérence est donc une sorte
1. Ps. LXVIII, 8. — 2. I Pierre, II, 20. — 3.
Jean, IX, 24. — 4. Matth. X, 25.
d’impudence. Or, un chrétien doit avoir cette
irrévérence, quand il se trouve au milieu des hommes qui n’aiment point le
Christ. S’il rougit du Christ, il sera effacé du livre des vivants. li te. faut
donc cette impudence quand on insulte au Christ devant toi: lorsqu’on t’appelle
adorateur d’un crucifié, sectateur d’un supplicié, disciple d’un homme puni de
mort; rougir alors, c’est mourir. Ecoute en effet l’arrêt de celui qui ne
trompe jamais: « Quiconque rougira de moi devant les hommes, à mon tour je
rougirai de lui en présence des anges de Dieu 1 ». Veille donc sur toi; aie de
l’impudence, du front, quand tu entends injurier le Christ; oui, aie du front.
Que peux-tu craindre pour ton front, que tu as muni du signe de la croix? Tel
est le sens de ces paroles: « C’est à cause de vous que j’ai supporté l’injure,
que l’irrévérence a couvert mon visage ». « A cause de vous, j’ai supporté
l’injure »: et parce que je n’ai point rougi de vous, quand on m’injuriait à
cause de vous, « voilà que l’impudence a envahi mon visage».
13. « Je suis devenu étranger à mes propres
frères, j’ai été méconnu par les fils de ma mère 2 ». II est devenu étranger
pour les fils de la synagogue. Dans sa patrie on disait: « Ne savons-nous pas
qu’il est le fils de Marie et de Joseph 3? » Et pourquoi est-il dit à un autre
endroit: « Pour celui-là nous ne savons d’où il est 4? Je suis donc devenu «
étranger aux fils de ma mère ». Ils n’ont su d’où j’étais, et leur chair était
ma chair: ils ne savaient pas que je suis né de la race d’Abraham; c’est en lui
que mon corps était caché, lorsqu’il ordonna à son serviteur de mettre sa main
sous sa cuisse, et qu’il jura par le Dieu du ciel 5. « Je suis devenu un
étranger pour les fils de ma mère ». Pourquoi? Comment ne m’ont-ils point
connu? Pourquoi m’ont-ils traité comme un étranger? Comment ont-ils bien osé
dire: « Nous ne savons d’où il est? Parce que le zèle de votre maison m’a
dévoré 6»; c’est-à-dire, parce que j’ai poursuivi en eux leurs iniquités, parce
qu’au lieu de les supporter patiemment je les ai repris, parce que j’ai cherché
votre gloire dans votre maison, que j’ai frappé du fouet ceux qui commettaient
des malversations dans le temple 7: c’est là aussi qu’il
1. Luc, IX, 26. — 2. Ps. LXVIII, 9. — 3. Luc,
IV, 22. — 4. Jean, IX, 29 — 5. Gen. XXIV, 9. — 6. Ps. LXVIII, 10. — 7. Jean,
IX, 15.
est dit que « le zèle de votre maison m’a
dévoré ». De là vient que je suis un hôte, un
étranger; de là encore: «Nous ne savons d’où
il est ». Ils sauraient d’où je suis, s’ils connaissaient vos commandements. Et
si je les avais trouvés fidèles à vos préceptes, le zèle
de votre maison ne m’eût point dévoré. « Et
les injures de ceux qui vous outragent sont retombées sur moi ». C’est là le
passage que citait saint Paul (vous venez de l’entendre lire), et il ajoute: « Tout
ce qui est écrit, n’est écrit que pour nous instruire, et pour nous donner
l’espérance dans la consolation des saintes Ecritures 1 ». Il attribue donc au
Christ cette parole: « Les injures de ceux qui vous outragent sont retombées
sur moi ». Pourquoi sur vous? Peut-on outrager le Père, sans outrager le Christ
lui-même? Pourquoi « les injures de ceux qui vous outragent, retombent-elles
sur moi? », parce que celui qui me connaît, connaît aussi le Père 2: parce que
nul n’a insulté le Christ, sans insulter Dieu parce que nul ne peut honorer le
Père, sinon celui qui honore le Fils 3. « Les injures de ceux qui vous
outragent retombent sur moi », parce qu’elles arrivent jusqu’à moi.
14. « J’ai couvert mon âme du jeûne, et l’on
m’en a fait un sujet d’opprobre 4 ».Dans un autre psaume déjà, nous vous avons
exposé le sens spirituel du jeûne du Christ 5. Pour lui, il y avait jeûne,
quand nul ne croyait en lui: il avait faim d’âmes qui crussent en lui: il avait
soif aussi quand il dit à la Samaritaine: « J’ai soif, donnez-moi à boire 6».
Or, il avait soif de la foi. Et quand sur la croix il dit aussi: « J’ai soif 7
», il désirait la foi de ceux dont il avait dit: « Père, pardonnez-leur, car
ils ne savent ce qu’ils font 8 ». Mais qu’est-ce que les hommes lui ont donné à
boire dans sa soif? Du vinaigre. Qui dit aigri, dit aussi vieilli. Ils l’ont
donc abreuvé du vieil homme, en refusant d’être des hommes nouveaux. Pourquoi
n’ont-ils pas voulu être nouveaux? Parce qu’ils ne sont point de ceux dont le
titre du psaume a dit
« Pour ceux qui doivent changer». Donc «j’ai
couvert mon âme du jeûne ». Enfin il repoussa le fiel qu’ils lui avaient
offert: il aima mieux jeûner que de goûter l’amertume. Car ceux qui provoquent
l’aigreur n’entrent point
1. Rom. XV, 4.— 2. Jean, XIV, 9. — 3. Id. V,
23. — 4. Ps. LXVIII, 11. — 5. Voyez Disc. sur le Ps. XXXIV, Serm. II, n° 4. —
6. Jean, IV,7. — 7. Id. XIX, 28. — 8. Luc, XXIII, 34.
dans son corps mystique, et il a dit d’eux: «
Les âmes à fiel ne s’élèveront point en elles-mêmes 1 ». Donc « j’ai couvert
mon âme de jeûne, et l’on m’en a fait un sujet d’opprobre ». Ils m’ont fait un
sujet d’opprobre, de mon désaccord avec eux, c’est-à-dire de ce qu’ils me
faisaient jeûner; car n’être point d’accord avec ceux qui persuadent le mal,
c’est jeûner à son sujet; et ce jeûne attire l’opprobre, c’est-à-dire l’insulte
à celui qui ne consent point au mal.
15. « Et le sac a été mon vêtement 2 ».Déjà
nous avons quelque peu parlé du sac 3. «Pour moi, quand ils se livraient à la
violence contre moi, je me couvrais d’un cilice, j’humiliais mon âme dans le
jeûne. Le sac a été mon vêtement »: c’est-à-dire, j’ai opposé
ma chair à leurs sévices: j’ai caché nia
divinité. « Le sac », parce que le Christ avait une
chair mortelle, pour condamner, par le péché,
le péché dans la chair 4. « J’ai pris un sac pour vêtement: et je suis devenu
pour eux une parabole », c’est-à-dire un sujet de dérision. On appelle
parabole, prendre pour type un homme dont on dit du mal; ainsi par exemple:
qu’il périsse comme un tel, voilà une parabole, ou une comparaison, une
ressemblance en fait de malédiction. «Je suis devenu pour eux une parabole».
16. « Ils m’insultaient, ceux qui étaient
assis sur la porte 5». Ici, « sur la porte ». n’a d’autre signification qu’en
public. « Et ceux qui buvaient du vin, chantaient contre moi ». Pensez-vous,
nies frères, que cela ne soit arrivé qu’au Christ? Chaque jour cela lui arrive
dans ses membres: quand parfois un serviteur de Dieu est obligé de défendre ces
ivresses, ces débauches, soit dans quelque maison champêtre, soit dans quelque
bourgade, où n’a pas été entendue la parole de Dieu; c’est peu d’y chanter, on
veut encore chanter contre celui qui interdit ces chants. Comparez le jeûne du
Christ, avec leurs orgies. « Ils chantaient contre moi, ceux qui buvaient le
vin », le vin de l’erreur, le vin de l’impiété, le vin de l’orgueil.
17. « Pour moi, je vous adresse ma prière, ô
mon Dieu 6». Pour moi, j’étais près de vous. Comment? En vous invoquant. Si
l’on te maudit, ô Chrétien, et que tu n’aies rien à
1. Ps. LXV, 7. — 2. Id. LXVIII, 12. — 3.
Voyez Disc. sur le Ps. XXXIV, Serm. II, n° 3. — 4.
Rom. VIII, 3. — 5. Ps. LXVIII, 13. — 6. Id.14.
faire; si l’on te jette l’opprobre à la face,
cl que tu n’aies aucun moyen de ramener au bien celui qui t’insulte, il ne te
reste qu’à prier. Mais souviens-toi de prier aussi pour lui. « Pour moi, je
vous adresse ma prière, ô mon Dieu. Au temps où il vous plaira, Seigneur ».
Voilà le grain de froment qui est enfoui, il en sortira un fruit. « Au temps où
il vous plaira, Seigneur». Les Prophètes ont fait mention de ce temps, dont
l’Apôtre a dit: « Voici maintenant le temps favorable, voici maintenant le jour
du salut 1. Au temps où il vous plaira, dans votre infinie miséricorde». Le
temps où il plaît à Dieu est « dans sa miséricorde infinie ». Si cette
miséricorde n’était infinie, que ferions-nous dans l’infinité de nos fautes? «
Dans votre miséricorde infinie, exaucez-moi dans la vérité de votre salut ». Il
dit votre vérité, comme il a dit, « votre miséricorde »; car toutes les voies
du Seigneur sont miséricorde et vérité 2. Comment miséricorde? En pardonnant
les péchés. Comment vérité? En acquittant ses promesses. « Exaucez-moi dans la
vérité de votre salut».
18. «Retirez-moi de la fange, afin que je n’y
demeure point 3 ». C’est de cette fange qu’il a dit plus haut: « Je suis fixé
dans le limon de l’abîme, et ce n’est point une substance ». Après avoir écouté
l’explication de ce premier passage, il ne vous reste rien de plus â comprendre
ici. Le Christ veut donc être tiré du bourbier où plus haut il se dit enfoncé.
«Tirezu moi de cette fange, afin que je n’y demeure « point n. Et il explique
lui-même: « Queje sois u délivré de ceux qui me haïssent». Ils sont donc le
limon qui me submergeait. Mais voici peut-être une réflexion qui nous est
suggérée. Tout à l’heure il disait: «J’ai été fixé », maintenant il dit: «
Tirez-moi de cette fange, afin que je n’y demeure point »; tandis que, selon le
premier sens, il devrait dire: Sauvez-moi, en me tirant de cette fange qui
m’arrêtait, et non en m’empêchant de m’y arrêter. Il y était donc resté d’une
manière corporelle, et non selon l’esprit. Il parle ainsi en se conformant à
l’infirmité de ses membres. Lorsque tues saisi par celui qui te pousse au
péché, ton corps est tenu en réalité, tu es alors enfoncé dans le limon de
l’abîme, d’une manière corporelle; mais tant que tu n’y as pas consenti, tu n’y
demeures point; tu y
1.
II Cor. VI, 2. — 2. Ps. XXIV, 10. — 3. Id. LXVIII, 15, — 4. Id. 3.
demeures au contraire, si tu y consens. C’est
donc à toi de prier, afin que ton âme ne soit point retenue comme ton corps, et
que tu sois libre dans les chaînes. « Délivrez-moi de ceux qui me haïssent,
délivrez-moi du sein de l’abîme ».
19. « Que le tourbillon des eaux ne me
submerge point 1». Mais déjà il était submergé. C’est vous qui avez dit: « Je
suis jeté en pleine mer »; et encore: « La tempête m’a submergé ». La tempête a
submergé son corps, mais qu’elle ne submerge pas mon esprit, Quand il est dit:
« Si l’on vous poursuit dans une cité, fuyez dans une autre 2 »; cela signifie
que ceux-là ne devaient y demeurer ni selon le corps, ni selon l’esprit. Il
n’est pas à désirer pour nous d’y être embarrassé, même d’une manière
corporelle; et nous devons l’éviter autant que possible. Quelque peu que nous y
demeurions, nous sommes alors tombés entre les mains des méchants, notre corps
y est embarrassé, et. dès lors nous sommes fixés dans le limon de l’abîme; il
nous reste à prier pour notre âme, afin qu’elle n’y demeure pointa c’est-à-dire
que nous n’y consentions point, et que les vagues ne nous submergent point, de
manière à nous plonger dans les profondeurs de la vase. « Que le gouffre ne
m’engloutisse point, que le puits de l’abîme ne se referme point sur moi
».Qu’est-ce àdire, mes frères? Que demande le Prophète? Il est profond, l’abîme
de l’iniquité humaine; quiconque s’y laisse tomber, tombe dans un gouffre
insondable. Mais si de ces profondeurs il confesse à Dieu ses péchés, le puits
ne se refermera point sur lui; c’est ce qu’exprime ainsi un autre psaume: « Du
fond de l’abîme, j’ai crié vers vous, Seigneur; Seigneur, écoutez ma voix 3 ».
Mais s’il lui arrive ce qui est dit dans une autre sentence des Ecritures: «
Quand l’impie est descendu dans les profondeurs du mal, il méprise 4 »; alors
le puits se referme sur lui. Pourquoi se ferme-t-il? Parce que lui-même a fermé
la bouche. Voilà ce pécheur qui ne fait point d’aveu; il est vraiment mort, et
alors s’accomplit en lui ce qui est dit ailleurs: « Un mort ne confesse pas
plus le Seigneur que s’il n’était pas 5 ». Voilà, mes frères, ce que nous
devons craindre par-dessus tout. Si tu vois un homme tombé
1. Ps. LX, VIII, 16.— 2. Matth. X, 23.— 3.
Ps. CXXIX. 1, 2.— 4. Prov. LVIII, 3. — 5. Eccli. XVII, 26.
dans l’iniquité, il est plongé dans le
gouffre; mais si tu lui énumères ses fautes, et qu’il réponde: J’ai péché, je
l’avoue, le puits ne se referme pas sur lui; mais si tu l’entends dire:
Quel mal ai-je fait? il prend alors la
défense de ses fautes; l’abîme se referme sur lui, et il n’y a nulle issue pour
en sortir. Sans l’aveu, il n’y a point de place pour la miséricorde. Tu te fais
le défenseur de ton péché, comment Dieu peut-il t’en délivrer? Pour que Dieu
soit ton libérateur, sois toi-même ton accusateur,
DEUXIÈME PARTIE DU PSAUME.
L’abîme
se referme sur nous par le refus de l’aveu de nos fautes. Dieu vent que l’on
fasse appel à sa bonté, et même quand il permet l’affliction, il agit avec
miséricorde. Hâtez-vous de me secourir, non seulement d’une manière spirituelle
et dans mon âme, mais d’une manière ostensible, afin que mes ennemis puissent
profiter de nia délivrance, comme la délivrance des enfants de la fournaise
convertit Nabuchodonosor. Vous savez ce que l’on nous reproche. Mon coeur n’a
trouvé personne qui s’affligeât avec lui sur les hommes qui se perdent. Les
fidèles composent la nourriture du Seigneur, les hommes y jettent le fiel des
contradictions et de l’hérésie, et le Seigneur refuse d’en boire, parce que ces
hommes n’entrent point dans son Eglise. Par un juste châtiment de Dieu ils
doivent trouver un piége dans ce qui est visible, être courbés vers les biens
de cette vie, être en butte le la haine, et laisser désertes leurs habitations.
S’ils ont aidé à l’accomplissement des desseins de Dieu, c’est par leur malice.
Les Juifs ont persécuté celui qui voulait expier nos fautes: en voulant tuer un
juste, ils ont encore tué un Dieu; ils ne doivent point lire leur nom sur le
livre de vie. Le pauvre et l’affligé trouveront le soulagement dans la face de
Dieu, ou dans le bonheur de l’autre vie. Ils béniront Dieu, c’est là le vrai
sacrifice. Nous qui sommes captifs, nous entrerons dans la cité de la
délivrance, si nous servons Dieu par amour pour sa gloire
1. Il nous reste à vous expliquer
aujourd’hui, mes frères, la seconde partie du psaume, dont nous avons entretenu
hier votre piété. Je vois qu’il me faut acquitter ma dette, si toutefois la
longueur du psaume ne me laisse pas encore aujourd’hui votre débiteur. Je vous
en préviens d’avance, et vous supplie de ne pas attendre de moi de longues
discussions sur les passages qui sont clairs par eux-mêmes. De cette manière
nous pourrons au besoin nous arrêter sur les endroits obscurs, et peut-être
acquitter notre dette; et ainsi de jour en jour, vous payer à mesure que nous
deviendrons débiteur. Voyons donc la suite du psaume, après ce verset: « Que
l’abîme ne se referme point sur moi 1 » Hier, nous avons insisté auprès de
votre charité, en vous suppliant d’apporter toute l’attention de votre âme,
toute la ferveur de votre piété pour écarter de nous cette malédiction, Car
l’abîme, ou le gouffre de l’iniquité se ferme sur l’homme qui, non seulement
1. Ps. LXVIII, 16
est plongé dans le péché, mais qui se ferme
l’issue même de la confession. Quand cet homme en vient à dire: Je suis
pécheur; l’abîme s’illumine d’un rayon de lumière dans ses profondeurs. Le
psaume continue donc par les lamentations de Notre Seigneur Jésus-Christ, dans
ses tourments, de Jésus-Christ dans le chef et dans les membres. Comme nous
vous l’avons dit: en certains endroits il faut discerner les paroles du Chef;
mais les paroles qui ne peuvent convenir au Chef, il faut les attribuer aux
membres. Le Christ parle comme s’il était seul; car il est bien seul, celui
dont il est dit: « Ils seront deux dans une même chair 1 ». S’il n’y a qu’une
seule chair, pourquoi s’étonner qu’if n’y ait qu’une seule voix? Voici donc la
suite: « Exaucez-moi, Seigneur, parce que votre « miséricorde est pleine de
bonté 2 ». Il nous exprime pour quel motif il doit être exaucé: la divine
miséricorde est pleine de bonté. N’était-il pas plus conséquent de dire:
1. Gen. II, 24, et Ephés. V, 31. — 2. Ps.
LXVIII, 17.
Exaucez-moi, Seigneur, afin qu’il y ait de la
bonté dans votre miséricorde? Pourquoi dire: « Exaucez-moi, parce que votre
miséricorde est pleine de bonté? » Quand il était dans la tribulation, il a
parlé de la miséricorde en termes quelque peu différents, puisqu’il disait: «
Exaucez-moi, Seigneur, parce que je suis dans la peine ». Dire alors: «
Exaucez-moi, parce que je suis dans la peine », c’est exprimer le motif pour
lequel il veut être exaucé: mais pour un homme qui est dans l’affliction, il
faut que la divine miséricorde soit pleine de bonté. A propos de cette bonté
dans la miséricorde du Seigneur, écoutez cette autre parole de l’Ecriture «
Comme la pluie au temps de la sécheresse, ainsi est admirable la miséricorde de
Dieu au temps de la tribulation 1». Ce qu’il appelle admirable dans un endroit,
il l’appelle dans l’autre pleine de bonté. Donc, quand le Seigneur permet ou
fait que nous soyons dans quelque tribulation, même alors il agit avec
miséricorde: car sans nous soustraire alors la nourriture, il en stimule le
désir. Aussi que dit il maintenant? « Exaucez-moi, Seigneur, parce que votre
miséricorde est pleine de bonté ». Je vous en supplie, ne différez pas de
m’entendre; telle est l’affliction qui m’accable, que votre miséricorde me sera
douce. Vous n’avez différé de me secoùrir, que pour me faire apprécier la
douceur de votre secours: il n’y a donc plus lieu de
différer: la tribulation s’est élevée pour
moi au comble du malheur; que votre miséricorde vienne y apposer l’oeuvre de la
bouté. « Exaucez-moi, Seigneur, parce que votre miséricorde est pleine de
bonté. Jetez les yeux sur moi, selon l’étendue de votre compassion »; et non
selon le grand nombre de mes fautes.
2. « Ne détournez pas votre visage de votre
serviteur 1 ». Or, cette expression « de votre serviteur », ou de celui qui est
petit, est un acte d’humilité; parce que dans l’épreuve de la tribulation je
n’ai pas eu l’orgueil: « Ne détournez pas votre face de votre serviteur». Telle
est l’admirable miséricorde de Dieu que le Prophète chantait plus haut. Car
dans le verset suivant il explique ce qu’il a dit: « Je suis dans la
tribulation, hâtez-vous de me secourir». Qu’est-ce à dire: « Hâtez-vous? » Ne
différez pas davantage: la tribulation
1. Eccli. XXXV, 26. — 2. Ps. LXVIII, 18.
m’accable; les malheurs sont venus sur moi,
que votre miséricorde les suive.
3. « Veillez sur mon âme et rachetez-la 1 ».
Cela n’a pas besoin d’explication: voyons ce qui suit. « Délivrez-moi à cause
de mes ennemis ». Voilà une prière que nous devons admirer, qu’il ne faut pas
effleurer légèrement, ni négliger en courant; il faut l’admirer: «
Délivrez-moi, à cause de mes ennemis ». Qu’est-ce à dire: « A cause de mes
ennemis, délivrez-moi? » Afin que ma délivrance les confonde, les tourmente.
Quoi donc ! si nul ne devait souffrir de ma délivrance, ne faudrait-il pas me
secourir? Eh ! la délivrance n’est-elle si agréable pour toi, que quand elle
devient la damnation d’un autre? Voilà qu’il n’y a aucun ennemi, que ta
délivrance doive couvrir de confusion ou tourmenter; en demeureras-tu là? Ne
voudras-tu pas être délivré? Ou bien, tes ennemis doivent-ils profiter de ta
délivrance, au point de pouvoir se convertir? Mais ce qui doit nous étonner,
c’est que le Prophète ait ainsi motivé sa prière. Est~ce qu’un serviteur de
Dieu n’est délivré par le Seigneur son Dieu, que pour le progrès des autres?
Mais alors, si nul n’en devait profiter, ce serviteur de Dieu ne serait-il donc
point délivré? A quelque point de vue que j’envisage soit le châtiment, soit ta
délivrance des ennemis, je ne vois point le motif de cette prière: « Délivrez-moi,
à cause de mes ennemis »; à moins d’entendre par là un autre motif, et quand je
vous l’aurai exposé, avec le secours de Dieu, chacun de vous en jugera selon
l’esprit qui habite en lui. Il y a pour les saints une certaine délivrance
occulte: elle a lieu pour eux. Il en est une autre, publique et évidente: elle
a lieu à cause de leurs ennemis, que Dieu veut punir ou délivrer. A la vérité
Dieu n’a pas délivré des violences de la persécution ces frères: « Macchabées
2, dont Antiochus, dans sa fureur, il fit venir la mère, afin que ses caresses
rappelassent ses enfants à l’amour de la vie, et qu’en cherchant à vivre pour
les hommes ils mourussent devant Dieu. Mais cette mère, différente d’Eve et
semblable à l’Eglise, vit mourir avec joie, afin de les retrouver vivants, ceux
qu’elle avait enfantés avec douleur; elle les exhortait à choisir la mort pour
les lois de la patrie et du Seigneur leur Dieu, plutôt que de vivre en les
méprisant. Que
1. Ps. LXVII, 19. — 2. II Machab. VII.
devons-nous croire ici, mes frères, sinon
qu’ils furent délivrés? Mais leur délivrance fut occulte: enfin Antiochus
lui-même, qui les fit mettre à mort, crut avoir fait ce que sa cruauté lui
dictait, ou plutôt lui imposait. Mais ce fut d’une manière évidente que les
trois enfants furent délivrés des flammes de la fournaise 1; puisque leurs
corps en furent retirés, et que l’on vit qu’ils étaient sains et saufs. Les uns
donc furent couronnés d’une manière invisible, les autres délivrés au grand
jour: tous néanmoins furent sauvés. Quel fruit ces trois enfants tirèrent-ils
de leur délivrance? pourquoi leur couronnement fut-il différé? Nabuchodonosor
lui-même se convertit à leur Dieu; il prêcha ce Dieu qui avait délivré ses
serviteurs, ce même prince qui l’avait méprisé en jetant les jeunes hommes dans
la fournaise. Il y a donc une délivrance occulte, et une délivrance évidente.
La délivrance occulte est pour l’âme, tandis que la délivrance évidente est
pour le corps: l’âme est délivrée secrètement, le corps l’est ostensiblement.
Si donc il en est ainsi, reconnaissons la voix du Seigneur dans ce psaume: ce
qu’il nous a dit plus haut: « Veillez sur mon âme et délivrez-la », s’entend de
la délivrance invisible. Reste alors à délivrer le corps: et en effet, à la
résurrection du Sauveur, et quand il monta aux cieux, quand il envoya d’en haut
l’Esprit-Saint 2, ceux qui l’avaient mis à mort embrassèrent la foi, et
d’ennemis qu’ils étaient devinrent ses amis, par l’effet de la grâce, et non
par leur propre justice. C’est pourquoi le Prophète poursuit: « Délivrez-moi à
cause de mes ennemis. Veillez sur mon âme », mais secrètement: « A cause de mes
ennemis, délivrez » aussi mon corps. Car il ne servirait de rien à mes ennemis
que vous eussiez seulement délivré mon âme: ils croiront qu’ils ont fait quelque
chose, qu’ils ont atteint leur but. Qu’est-il besoin de répandre mon sang, si
je dois passer par la corruption 3? Donc « veillez sur mon âme et délivrez-la
», car vous seul le savez: ensuite, « à cause de mes ennemis, délivrez-moi »,
afin que ma chair ne voie point la corruption.
4. « Vous connaissez mes opprobres, et ma
confusion et ma honte 4 ». Qu’est-ce que l’opprobre? la confusion? la honte?
1. Dan. III, 49. — 2. Act. I, 9, et II, 4 — 3. Ps. XXIX, 10. — 4. Id. LXVIII, 20.
On appelle opprobre ce que nous reproche un
ennemi. La confusion est le reproche qui aiguillonne notre conscience. La honte
est la rougeur qu’amène sur un front innocent la fausse accusation d’un crime.
Le crime n’existe pas, ou s’il existe, il n’est point le fait de celui à qui on
le reproche; mais à cause de la faiblesse de l’âme humaine, souvent nous
rougissons même quand on nous impute faussement un crime; non point parce qu’on
nous l’objecte, mais parce qu’on le croit. Tout cela se rencontre dans le corps
mystique du Seigneur. Car en lui, il ne pouvait y avoir de honte, puisqu’il n’y
avait pas de crime. Toutefois on reprochait aux chrétiens le fait même d’être
chrétiens. C’était une gloire; les âmes fortes l’entendaient volontiers, et
l’entendaient de manière à ne pas rougir du nom du Seigneur. Une certaine
impudence avait envahi leur visage, ils avaient le front de Paul qui s’écriait:
«Je ne rougis pas de l’Evangile, car il est la vertu de Dieu pour eu sauver
ceux qui croiront ». O Paul, n’es-tu pas, toi aussi, adorateur d’un crucifié?
C’est peu pour moi, répond-il, de n’en pas rougir; mais ma gloire unique est où
mon ennemi voit une honte pour moi. « Loin de moi de me glorifier, sinon en la
croix de Jésus-Christ Notre Seigneur, par qui le monde est crucifié pour moi,
et moi pour le monde 2». Contre un tel front l’on ne pouvait jeter que
l’opprobre. Car il ne pouvait-y avoir de confusion pour sa conscience déjà
guérie, ni de honte pour son visage. Mais quand on vint reprocher à
quelques-uns d’avoir tué le Christ, ils furent justement aiguillonnés par leur
mauvaise conscience; une confusion salutaire les convertit, en sorte qu’ils
purent s’écrier: « Vous avez connu ma confusion 3 ». Vous donc, Seigneur,
connaissez non seulement mon opprobre, mais aussi ma confusion, et chez plusieurs
ma honte; ils croient en moi à la vérité, mais ils rougissent de me confesser
publiquement et devant les hommes; la langue humaine a sur eux plus de force
que la promesse divine. Voyez donc ces hommes:
ce sont eux que l’on recommande à la bonté de
Dieu, non plus afin qu’il les abandonne en cet état, mais afin qu’il les
soutienne de son secours. Un homme qui croyait, mais qui craignait encore, a
dit en effet: « Je crois, Seigneur, mais aidez mon incrédulité 4.
1.
Rom. I, 16.— 2. Gal. VI, 14.— 3. Ps. CXXXIII, 2.— 4. Marc, IX,23.
« Tous ceux qui me persécutent sont en votre
eu présence ». Si donc j’essuie un opprobre, vous savez pourquoi; une
confusion, vous savez pourquoi; une honte, vous savez encore pourquoi;
délivrez-moi donc, à cause de mes ennemis, parce que vous connaissez tout cela,
mais eux ne le connaissent point; et comme ils sont devant vous sans connaître
cela, ils n’ont pu ni éprouver de la honte, ni se corriger, si vous ne me
délivrez en considération de mes ennemis.
5. « Mon coeur a attendu l’outrage et la
misère 2». Qu’est-ce à dire « A attendu? » Il a prévu qu’il en serait ainsi, il
l’a prédit. L’avènement du Christ n’avait point d’autre but. S’il n’eût voulu
mourir, il n’eût point voulu naître; c’est en vue de sa résurrection qu’il a fait
l’un et l’autre. Il y avait en effet dans le genre humain deux choses fort
connues, une troisième était ignorée. Les hommes connaissaient la naissance et
la mort, mais nous ne savions ressusciter ni vivre éternellement. Or, pour nous
apprendre ce que nous ne savions point encore, Dieu a voulu passer par deux
phases bien connues. C’est donc pour cela qu’il est venu. « Mon coeur a attendu
l’outrage et la misère ». Mais de qui est cette misère? Il a attendu la misère,
mais c’est plutôt la misère de ceux qui le crucifiaient, qui le persécutaient;
en sorte qu’il y avait la misère chez eux, et chez lui miséricorde. Car il
prenait en pitié leur misère, quand sur la croix il s’écriait: « Mon Père,
pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font 3. Mon coeur a attendu
l’outrage et la misère: j’ai attendu quelqu’un qui s’affligeât avec moi, et nul
ne s’est rencontré ». De quoi donc m’a-t-il servi d’attendre? c’est-à-dire de
quoi m’a-t-il servi de prophétiser? de quoi m’a servi de prêcher que je venais
pour cela? Voilà que s’accomplit ce que j’ai dit: « J’ai attendu que l’on
s’affligeât avec moi, et nul ne s’est rencontré; j’ai espéré un consolateur, et
n’en ai point trouvé »; c’est-à-dire, nul ne s’est rencontré. Cette parole du
verset précédent: « J’ai attendu quelqu’un qui s’affligeât avec moi »; il la
répète au verset suivant: « J’ai espéré un consolateur». Ce qu’il a dit encore
plus haut: « Et nul ne s’est rencontré »; il le répète ici: « Et n’en ai point
trouvé». Il n’y a donc rien d’ajouté, c’est la première pensée qu’il répète.
Mais en
1. Ps. LXVIII, 21. — 2. Id. — 3. Luc, XXIII,
34. — 4. Ps. LXVIII, 21.
examinant de près cette pensée, on peut
soulever quelques questions. Ses disciples ne furent-ils donc point dans
l’affliction quand il fut conduit pour être supplicié, quand il fut cloué à la
croix, quand il mourut? Leur tristesse fut si grande qu’ils en pleuraient
encore, quand Marie Madeleine, qui le vit la première, vint alors leur raconter
ce qu’elle avait vu 1. C’est l’Evangile qui nous le rapporte; ce n’est point de
notre part une parole hasardée, ce n’est point un soupçon. Il est constant que
les disciples en furent dans la tristesse, dans les larmes. Des femmes qui lui
étaient étrangères pleuraient quand on le conduisait au supplice, et se
tournant de leur côté, il leur dit: « Pleurez, mais sur vous, et non sur moi 2
». Comment donc attendit-il sans le trouver quelqu’un qui s’affligeât avec lui?
Nous regardons, et nous voyons de la tristesse, des pleurs, des lamentations;
et de là vient que cette parole nous étonne: « J’ai attendu que l’on
s’affligeât avec moi, et nul ne s’est rencontré; que l’on me consolât, et je
n’ai trouvé personne ». Toutefois, avec plus d’attention, nous verrons qu’il a
attendu que l’on s’affligeât avec lui, sans trouver personne. Les disciples
étaient pris d’une tristesse charnelle, au sujet de cette vie périssable, qu’il
devait échanger contre la mort et recouvrer par la résurrection; tel était le
sujet de leur tristesse. Ils devaient s’attrister au contraire au sujet de ces
aveugles qui avaient tué le médecin, de ces infortunés qui, dans la fougue de
leur démence, insultaient celui qui leur apportait le salut. Lui voulait les
guérir, eux voulurent le tuer; de là cette tristesse du médecin. Or, vois s’il
y eut quelqu’un pour s’affliger avec lui. Il ne dit pas en effet: J’ai attendu
que l’on s’affligeât, et nul ne s’est rencontré; mais « que l’on s’affligeât
avec moi », c’est-à-dire pour le même sujet qui m’affligeait moi-même, « et je
n’ai trouvé personne ». Pierre l’aimait assurément beaucoup, lui qui, sans
hésiter, se précipita pour marcher sur les flots, et fut délivré à la parole du
Seigneur 3: lui qui, dans son amour, le suivit audacieusement quand on le
conduisait à la mort, et pourtant le renia trois fois dans son trouble. Pourquoi?
sinon parce qu’il voyait un mal dans la mort? Car il évitait ce qu’il croyait
1. Jean, XX, 18, et Marc. XVI, 9 — 2. Luc,
XXIII, 24. — 3. Matth. 29, 31.
un mal. Il gémissait de voir dans le Seigneur
ce que lui-même voulait éviter. Aussi avait-il dit auparavant: « A Dieu ne
plaise, Seigneur! veillez sur vous, il n’en sera pas ainsi »: quand il mérita
d’être appelé « Satan », après s’être entendu dire: « Tu es bienheureux, Simon,
fils de Jean 1 ». Donc nul ne partageait cette tristesse au sujet de ceux pour
lesquels Jésus disait: «Mon Père, pardonnez-leur, ils ne savent ce qu’ils font.
J’ai attendu que l’on s’affligeât avec moi, et nul ne l’a fait». Non, il ne
s’est trouvé personne. «J’ai cherché eu des consolateurs et n’en ai point
trouvé ». Quels sont ces consolateurs? Ceux qui avancent dans la vertu. Car ce
sont eux qui nous consolent, telle est la consolation pour les prédicateurs de
la vérité.
6. « Ils m’ont donné du fiel pour nourriture,
et dans ma soif m’ont abreuvé de vinaigre 2 ». Ceci s’est accompli à la lettre,
ainsi que nous le voyons dans l’Evangile. Mais, remarquons-le bien, mes frères,
ne pas trouver de consolateurs, ne trouver personne qui s’affligeât avec moi,
voilà ce qui était pour moi du fiel, voilà pour moi l’amertume, voilà le
vinaigre; il m’élait amer à cause de ma douleur, c’était le vinaigre, parce
qu’il avait vieilli. Nous lisons à la vérité, comme le raconte l’Evangile 3,
qu’on lui offrit du fiel; mais pour breuvage, et non pour nourriture. Toutefois
ce qui était prédit ici s’est accompli à la lettre, et c’est dans ce sens qu’il
faut entendre: « Ils m’ont donné du fiel pour nourriture »; et non seulement
dans cette parole, mais dans ce fait même nous devons rechercher un mystère,
percer l’obscurité, entrer dans le temple par la déchirure du voile, et voir
une figure ou dans la manière de prédire, ou dans la manière dont le fait s’est
accompli. « Il m’ont donné du fiel pour nourriture», dit le Prophète. Ce qu’ils
m’ont présenté n’était point une nourriture, c’était plutôt un breuvage; mais,
ils l’ont donné pour nourriture »: le Seigneur en effet avait déjà pris une
nourriture, et elle fut arrosée de fiel. Il avait pris une nourriture agréable,
en mangeant la Pâque avec ses disciples: ce fut là qu’il établit le sacrement
de son corps 4. Or, sur cette nourriture si agréable, si douce, de l’unité du
Christ que l’Apôtre nous signale dans ces paroles
1.
Matth. XVI, 17, 22, 23. — 2. Ps. LXVIII, 22. — 3. Matth. XXVII, 34. — 4. Luc, XXII,
19.
« Nous sommes tous un seul pain, un seul
corps 1»; sur cette nourriture, qui vient jeter le fiel, sinon les
contradicteurs de l’Evangile, semblables aux persécuteurs du Christ? Car iI y
eut moins de crime pour les Juifs de le crucifier quand il était sur la terre,
qu’il n’y en a pour ceux qui le méprisent dans le ciel. Ce que firent donc les
Juifs en lui jetant un breuvage amer sur la nourriture qu’il avait prise,
ceux-là le renouvellent qui, par une vie criminelle, apportent le scandale dans
l’Eglise: voilà ce que font les hérétiques en corrompant la doctrine. Or,
qu’ils ne s’élèvent point en eux-mêmes 2; eux qui apportent le fiel sur des
mets si délicats. Mais que fait le Seigneur? Il ne les admet point parmi ses
membres. Voilà ce que figurait le Seigneur quand il goûta le fiel qu’on lui
présentait, et qu’il n’en voulut point boire 3. Ne rien endurer de leur part,
ce serait ne rien goûter; mais comme il faut les endurer, il faut aussi goûter
du fiel. Et comme ces gens ne peuvent compter parmi les membres du Christ, lui
les goûte seulement, mais eux n’entrent point dans son corps. « Voilà qu’ils
m’ont donné du fiel pour nourriture, et dans ma soif ils m’ont abreuvé de
vinaigre ». J’avais soif, et l’on m’a donné du vinaigre: c’est-à-dire, je
désirais d’eux la foi, et je n’ai trouvé que le vieil homme.
7. « Que leur table soit un piège devant eux
4 ». Ils m’ont tendu un piège, en me présentant un pareil breuvage, qu’ils
trouvent un semblable piége. Mais pourquoi devant eux? » Il suffirait de dire:
« Que eu leur table soit un piège » Il y a des hommes qui connaissent leurs
iniquités, et qui néanmoins y persévèrent avec une singulière obstination: leur
piège est alors devant eux. Ils conjurent leur propre perte, et descendent
vivants dans l’enfer 5. Enfin, qu’est-il dit à propos des persécuteurs? « Si le
Seigneur n’eût été avec nous, ils nous eussent peut-être engloutis tout vivants
6 ». Qu’est-ce à dire « vivants? » C’est-à-dire, que nous eussions consenti à
leurs desseins, bien que nous sussions que nous n’y devions point consentir. Le
piège est donc devant eux, et ils ne se corrigent point. Ou bien le piège
est-il sous leurs yeux, afin qu’ils ne tombent point? Voilà qu’ils connaissent
le piège, et ils y mettent le
1. I Cor. 1,17.— 2.
Ps. LXV. 7. — 3. Matth. XXVII, 34. — 4. Ps. LXVIII, 23. — 5. Id. LIV, 14. — 6.
Id. CXXIII, 2, 3.
pied, et ils baissent le cou qui va être
enlacé. Combien il eût été mieux d’éviter le piège, de connaître le péché, de
condamner son erreur, de s’épargner l’amertume, d’entrer dans le corps du
Christ, et de chercher la gloire de Dieu ! Mais, telle est la présomption de
leur esprit, que le piège est sous leurs yeux, et que néanmoins ils y tombent.
« Que leurs yeux soient obscurcis, afin qu’ils ne voient point 1 », dit ensuite
le Prophète: afin que s’ils ont vu sans motif, il leur arrive de ne point voir
du tout. « Que leur table donc soit devant eux comme un piège ». « Qu’elle
devienne un piège devant eux », ce n’est point là un souhait, mais une
prophétie: il n’appelle point ce malheur, il le prédit, C’est une réflexion que
souvent nous avons faite, et il vous en souvient; il ne faut pas voir une
imprécation malveillante, dans une parole prophétique, inspirée par l’Esprit de
Dieu. Que cela donc arrive, puisqu’il est impossible que ces événements
n’arrivent point. Et quand nous voyons l’Esprit de Dieu prédire aux méchants de
semblables malheurs, sachons les comprendre de manière à les éviter pour nous.
Car il nous est utile de le comprendre, et de tirer ce profit de nos ennemis. «
Que leur table soit donc pour eux aussi une représaille et une pierre
d’achoppement». Est-ce là une injustice? Non, c’est une justice. Pourquoi?
Parce que c’est une représaille. Rien ne peut leur arriver qui ne leur soit dû.
C’est donc une représaille contre eux, une pierre de scandale; parce qu’ils
sont pour eux-mêmes un scandale.
8. « Que leurs yeux s’obscurcissent afin eu
qu’ils ne voient point, tenez leur dos toujours incliné ». Telle est la
conséquence. Dès lors que leurs yeux sont obscurcis de peur qu’ils ne voient,
il est de rigueur que leur dos soit toujours courbé. D’où vient cela? C’est
qu’après avoir cessé de connaître les choses d’en haut, leurs pensées ont dû
s’occuper des choses de la terre. Celui-là n’a point le dos courbé, qui sait
comprendre Les coeurs en haut. Car il se dresse pour attendre l’espérance qui nous
est réservée dans le ciel, surtout s’il y envoie ce trésor qui doit suivre son
coeur 2. Mais ceux qui ne comprennent point l’espérance d’une vie future, sont
aveuglés déjà, et s’occupent des choses d’ici-bas: c’est avoir le dos courbé.
Telle est
1. Ps. LXVIII, 24. — 2. Matth. VI, 21.
la maladie dont le Seigneur guérit cette
femme de 1’Evangile, que Satan avait enchaînée depuis dix-huit ans, qui était
courbée et que redressa le Sauveur. Comme il avait opéré cette guérison le jour
du sabbat, les Juifs en furent scandalisés il était bien juste que ces hommes
courbés 1 se scandalisassent de la voir redressée: « Tenez leur dos sans cesse
incliné »,
9. « Versez sur eux votre colère, et que le feu
de votre indignation les atteigne 2 ». Tout cela est clair: toutefois
l’expression « les eu atteigne » semble dire qu’ils fuiront. Mais où
fuiront-ils? Dans le ciel?Vous y êtes, Seigneur. Dans les enfers? Vous y êtes
présent 3. Ils ne veulent point prendre leurs ailes pour voler directement: «
Que le feu de votre colère les atteigne», et ne leur permette point de
s’enfuir.
10. « Que leur habitation devienne déserte 4
». Voilà ce qui est manifeste. De même qu’il ne demandait pas seulement une
délivrance occulte, quand il disait: « Veillez sur mon âme et délivrez-la »,
mais qu’il la voulait d’une évidence corporelle, quand il ajoutait: «
Délivrez-moi à cause de mes ennemis »: de même ici, il prédit à ses ennemis
quelques-unes de ces calamités obscures dont il parlait tout à l’heure.
Combien, en effet, voit-on d’hommes pour comprendre le malheur de celui dont le
coeur est aveuglé? Qu’il vienne à perdre les yeux du corps, chacun plaint son
infortune: qu’il perde les yeux de l’esprit, tout en demeurant dans l’abondance
de tout bien, on vante son bonheur; mais ceux-là seulement qui sont aveuglés
comme lui. Quelle évidence faut-il donc, pour que chacun voie la vengeance
exercée contre eux? Car l’aveuglement des Juifs est une vengeance cachée:
quelle sera la vengeance manifeste? « Que leur habitation soit déserte, et que
nul n’habite sous leurs tentes ». Voilà ce qui est arrivé pour la ville de
Jérusalem, dans laquelle on vit les principaux crier contre le Fils de Dieu: «
Crucifiez-le, crucifiez-le 5 »; et prévaloir sur lui, puisqu’ils eurent le
pouvoir de mettre à mort celui qui avait ressuscité les morts. Combien alors
ils se crurent et grands et puissants ! Vinrent ensuite les représailles du
Seigneur; la ville fut prise d’assaut, les Juifs vaincus, et combien de
milliers
1. Luc, XIII, 16. — 2. Ps. LXVIII, 25. — 3.
Id. CXXXVIII, 8. — 4. Id, XVIII, 26, et Act. 1, 20. — 5. Jean, XIX, 6.
d’hommes égorgés! Aujourd’hui aucun juif n’y
peut retourner. Le Seigneur ne leur permet point d’habiter ces mêmes lieux où
ils purent crier si fort contre lui. Ils ont perdu ce séjour de leur démence,
et puissent-ils connaître, même aujourd’hui, le lieu de leur repos! Quel bien
leur a fait Caïphe en s’écriant: « Si nous le laissons ainsi, les Romains
viendront et nous extermineront, nous et notre ville 1? » Ils ne l’ont point
laissé vivre et pourtant il vit; et les Romains leur ont enlevé et la ville et
la puissance. Tout à l’heure, à la lecture de l’Evangile, nous entendions ces
paroles: « Jérusalem, Jérusalem, combien de fois j’ai voulu rassembler tes
enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et tu n’as pas
voulu? Voilà que votre habitation deviendra déserte 2 ». C’est là ce qui est
dit ici: « Que leur habitation soit déserte et que nul n’habite sous leur tente.
Que nul n’y habite », mais nul d’entre eux. Car ces mêmes lieux sont habités
par beaucoup d’hommes, mais par aucun juif.
11. Pourquoi? « Parce qu’ils ont persécuté
celui que vous avez frappé, et ils ont eu ajouté à la douleur de mes blessures
3». Comment donc ont-ils péché en poursuivant celui que Dieu lui-même avait
frappé? De quoi pouvons-nous incriminer leurs intentions? de malice. Car ce qui
s’est accompli à propos du Christ était nécessaire. Il était venu pour souffrir
à la vérité,et néanmoins il a puni ceux qui l’ont fait souffrir. Judas qui l’a
trahi a été châtié, et le Christ a été crucifié: mais il nous a rachetés de son
sang, et il a puni Judas du prix qu’il en avait reçu. Ce misérable rejeta, en
effet, cet argent au prix duquel il avait vendu le Seigneur, et il nie connut
point le prix auquel le Seigneur l’avait racheté 4. Voilà ce qui arriva à
Judas. Mais comme nous voyons qu’en toutes choses le Seigneur mesure ses
représailles, et qu’il ne laisse personne dépasser dans sa violence le pouvoir
qui lui a été donné; comment ceux-ci purent-ils ajouter quelque chose, ou
comment le Seigneur fut-il frappé? Evidemment, il parle ici au nom de ceux qui
lui forment un corps, d’où lui est venue sa chair, c’est-à-dire du genre
humain, de cet Adam qui, le premier, fut frappé de mort à cause de son péché 5.
C’est donc une peine pour les
1. Jean, XI, 48. — 2. Matth. XXIII, 37, 38. —
3. Ps, LXVIII, 27. — 4. Matth. XXVII, 5. — 5. Gen. III,
19.
hommes de naître mortels: et quiconque
persécute les hommes, ajoute à cette peine. L’homme serait-il donc condamné à
mourir, si Dieu ne l’eût frappé? Pourquoi donc, ô homme, sévir encore contre
lui? Est-ce peu, pour l’homme, d’être condamné à mourir un jour? Chacun de nous
porte donc sa peine: et c’est ajouter à cette peine que vouloir nous
persécuter. Cette peine, Dieu nous l’a infligée. Car le Seigneur prononça
contre l’homme cette sentence: « Au jour où vous en toucherez», dit-il, «vous
mourrez 1 ». C’est dans cette mort qu’il avait pris une chair, et notre vieil
homme a été crucifié avec lui 2. C’est donc au nom de cet homme qu’il dit: «
Ils ont persécuté celui que vous avez frappé, et ils ont ajouté à la douleur de
mes plaies». A quelle douleur de mes plaies? A la douleur de mes péchés; car ce
sont ses péchés qu’il appelle des plaies. Ici, sans vous arrêter au chef, voyez
les membres; c’est en leur nom que lui-même a parlé dans cet autre psaume, où
il élève la voix, puisqu’il en récita hautement le premier verset, quand il
était en croix: « O Dieu, mon Dieu, jetez les yeux sur moi, pourquoi
m’avez-vous abandonné? » Là il continue en disant: « Le rugissement de mes
péchés éloigne de moi votre salut 3 ». Telles sont les blessures que les
voleurs ont infligées en chemin à celui qu’il prit sur son cheval; près duquel
le prêtre et le Lévite avaient passé avec mépris et qu’ils n’avaient pu guérir:
or, le Samaritain étant venu à passer, en eut pitié, s’en approcha et le mit
sur sa propre monture 4. Samarite, en latin, signifie gardien; or, quel est le
gardien, sinon notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ? Et comme il est
ressuscité d’entre-les morts pour ne plus mourir 5, voilà qu’il ne s’endort
point, qu’il ne sommeillera point, celui qui est gardien d’Israël 6. « Ils ont
ajouté à la douleur de mes plaies ».
12. « Ajoutez sans cesse l’iniquité à leur
iniquité 7 ». Qu’est-ce que cette parole? Qui n’en frémirait point? C’est à
Dieu que l’on dit: « Ajoutez l’iniquité à leur iniquité ». Comment Dieu
pourra-t-il ajouter l’iniquité? A-t-il donc l‘iniquité pour l’ajouter? Nous
savons combien est vrai ce mot de saint Paul: « Que pouvons-nous dire? Est-ce
qu’il y aurait en Dieu de l’iniquité? Loin de nous
1.
Gen. II, 17. — 2. Rom. VI, 6. — 3. Ps. XXI, 2. — 4. Luc, X, 30-34. — 5. Rom.
VI, 9. — 6. Ps. CXX, 4. — 7. Id. LXVIII, 28.
eu cette pensée 1 ». Comment dire alors: «
Ajoutez l’iniquité à leur iniquité? » Comment devons-nous comprendre cela?.Que
Dieu nous aide à vous le dire, et à vous le dire brièvement à cause de votre
fatigue. Il y avait iniquité chez eux, parce qu’ils avaient tué un homme juste;
une autre est venue s’y joindre, parce qu’ils ont crucifié le Fils de Dieu. Ils
ont pu sévir contre son humanité. « Mais s’ils l’eussent connu, ils n’eussent
jamais crucifié le Seigneur de la gloire 2 ». Il y avait donc pour eux iniquité
à vouloir tuer un homme, et à cette iniquité s’est jointe celle de crucifier le
Fils de Dieu. Qui donc y a joint cette iniquité? Celui qui a dit: « Ils
respecteront peut-être mon Fils, je le leur enverrai 3». Ils avaient la coutume
de mettre à mort les serviteurs qui leur étaient envoyés pour lever le prix de
la location et du fermage. Le Maître leur envoya son Fils, en sorte qu’ils le
tuèrent aussi. Il a donc ajouté l’iniquité à leur iniquité. Mais Dieu en a-t-il
agi ainsi dans sa colère, ou dans ses justes représailles? « Que leur table»,
dit le Prophète, « soit pour eux un châtiment et un scandale ». Ils méritaient
d’être aveuglés au point de méconnaître le Fils de Dieu. Et pour Dieu, ajouter
l’iniquité à leur iniquité, ce n’était pas blesser, c’était ne pas guérir. De
même que pour augmenter une fièvre, une maladie, tu n’as pas besoin d’y ajouter
une autre maladie, il suffit de n’apporter aucun soulagement; ainsi parce
qu’ils sont devenus tels qu’ils ne méritaient plus la guérison, ils ont en
quelque sorte progressé dans leur malice, selon cette parole: « Quant aux
méchants et aux criminels, ils se fortifient de plus en plus dans le mal 4 »,
et l’iniquité s’ajoute à leur iniquité. « Et qu’ils n’entrent pas dans
l’héritage de votre justice ». Cette parole est assez claire.
13. « Qu’ils soient effacés du livre de vie
5». Y furent-ils donc inscrits un jour? Mes frères, nous ne devons pas entendre
par là que Dieu inscrive quelqu’un sur le livre de vie, ou qu’il l’en efface.
Si un homme a dit: « Ce que j’ai écrit est écrit », à propos de l’inscription:
eu Roi des Juifs 6 », Dieu inscrira-t-il pour effacer ensuite? Il connaît
l’avenir, et avant l’origine du monde il a marqué ceux qui doivent régner avec
son fils
1.
Rom. IX, 14. — 2. I Cor, II, 8.— 3. Matth. XXI, 37. — 4. II Tim. III, 13. — 5. Ps. LXVIII, 29. — 6.
Jean, XIX, 22.
dans la vie éternelle 1. Voilà ceux qu’il a
inscrits, ceux que contient le livre de vie. Enfin, dans l’Apocalypse, que dit
l’Esprit de Dieu à propos des persécutions de l’Antéchrist que ce même livre
nous annonce pour l’avenir? « Alors », est-il dit, « s’uniront à lui ceux qui
ne sont pas inscrits au livre de vie 2 ». D’où il suit que ceux-là certainement
ne le suivront pas, qui y sont inscrits. Mais alors comment les autres
peuvent-ils être effacés d’un livre où ifs ne sont pas inscrits? Le Prophète
parle ici dans le sens de leurs espérances, car ils se croiront inscrits.
Qu’est-ce à dire: « Qu’ils eu soient effacés du livre de vie? » Qu’ils soient
assurés que leur nom n’est point. C’est encore en ce sens qu’il est dit dans un
autre psaume: « Mille tomberont à votre gauche, et dix mille à votre droite 3
», c’est-à-dire beaucoup heurteront contre le scandale, et parmi ceux qui
espéraient siéger avec vous, et parmi ceux qui espéraient se tenir debout à votre
droite, être séparés des boucs de la gauche 4. Nul donc ne doit se tenir à sa
droite et tomber ensuite, ou être chassé après avoir siégé avec lui; mais
plusieurs de ceux qui se croyaient avec lui devaient tomber dans le scandale;
c’est-à-dire beaucoup de ceux qui espéraient s’asseoir avec vous, Seigneur,
beaucoup de ceux qui espéraient se tenir debout à votre droite doivent
néanmoins tomber. Ainsi donc, dans notre psaume, ceux qui espéraient être
inscrits dans le livre de Dieu par les mérites de leur propre justice, et à qui
il est dit: « Sondez les Ecritures, puisque vous croyez eu par elles arriver à
la vie éternelle 5 », seront effacés du livre de vie, c’est-à-dire connaîtront
qu’ils n’y sont point inscrits, quand leur condamnation leur sera signifiée. Car
le verset suivant nous donne cette explication « Et qu’ils ne soient point
inscrits avec les justes ».Je dis donc: « Qu’ils soient effacés», dans le sens
de leur espérance; mais que puis-je dire d’après votre justice? « Qu’ils n’y
soient point inscrits».
14. « Moi, je suis pauvre et affligé 6».
Pourquoi cette parole? Est-ce pour nous faire comprendre que les malédictions
de ce pauvre viennent de l’amertume de son coeur? Car il a prédit bien des maux
qui leur arriveront. Et comme si nous lui disions: Pourquoi tant d’invectives?
Modérez votre colère; il nous
1.
Rom. VIII, 9 — 2. Apoc. XIII, 8. — 3. Ps. XC, 7. — 4. Matth. XXV, 33. — 5. Jean,
V, 39. — 6. Ps. LXVIII, 30.
répond: « Moi, je suis pauvre et affligé ».
Ils m’ont réduit à cette indigence, et accablé de cette douleur: voilà pourquoi
je parle de la sorte. Toutefois ce n’est point ici l’emportement de
l’invective, c’est la prédiction d’un prophète. Car il nous dira plus tard, ail
sujet de sa pauvreté et de son affliction, de quoi nous les faire apprécier,
afin que nous apprenions à être pauvres et à souffrir. « Bienheureux les
pauvres, parce que le royaume des cieux leur appartient»; et: «Bienheureux ceux
qui pleurent, parce qu’ils seront consolés 1». Voilà ce dont lui-même nous a
donné 1’exemple; aussi dit-il: « Moi je suis pauvre et affligé ». C’est tout
son corps qui parle ainsi, car en cette vie le corps du Christ est pauvre et
affligé. Il y a pourtant des chrétiens qui sont riches, il est vrai, mais ils
sont pauvres, s’ils sont vraiment chrétiens; et en comparaison des richesses du
ciel qu’ils espèrent, ils ne voient dans leur or que de la poussière, « Moi je
suis pauvre et affligé ».
15. « Et le salut de votre face m’a soutenu,
ô mon Dieu ». Ce pauvre a-t-il donc été abandonné? Eh! quand as-tu daigné faire
asseoir à la table un pauvre guenilleux? Eh bien! c’est le salut de la face de
Dieu qui a soutenu cet indigent; il a caché sa pauvreté dans sa propre face.
C’est de lui en effet qu’il est dit: « Vous les cacherez dans le secret de eu
votre face 2 ». Or, voulez-vous connaître les richesses qui sont dans cette
face? Les richesses d’ici-bas te donnent le moyen de manger ce que tu veux,et
quand tu veux; mais les richesses de Dieu te délivrent à jamais de la faim. «
Moi, je suis pauvre et affligé, et le salut de votre face m’a aidé, ô mon Dieu
». En quoi? Est-ce à n’être plus ni pauvre ni indigent? « Je célébrerai le
Seigneur dans mes cantiques; je le glorifierai de mes louanges 3». Nous l’avons
dit déjà, ce pauvre célèbre le nom du Seigneur dans ses cantiques, il le
glorifie de ses louanges. Comment oserait-il chanter, s’il n’était délivré de
la faim? « Je célébrerai le nom du Seigneur eu dans mes cantiques, je le
glorifierai de mes louanges ». Immenses richesses. Quelles perles en l’honneur
de Dieu n’a-t-il pas extraites de ce trésor intérieur? « Je le glorifierai de
mes louanges ». Voilà mes richesses. « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté
». Il est donc resté pauvre? Loin de là. Vois ses
1. Matth. V,
3-5. — 2. Ps. XIX, 21. — 3. Id. LXVIII, 31.
richesses: « Comme il a plu au Seigneur,
ainsi a-t-il été fait; que le nom du Seigneur soit béni 1. Je célébrerai le nom
du Seigneur dans mes cantiques, je le glorifierai de mes louanges».
16. « Et cela plaira au Seigneur ». Mes
louanges lui plairont: « Bien plus que le jeune taureau qui commence à montrer
des ongles et des cornes 2 ». Ce sacrifice de louanges lui sera plus agréable
que celui d’un jeune taureau. « Le sacrifice de la louange me glorifiera, et
telle est la voie dans laquelle je montrerai le salut de Dieu. «Immolez au
Seigneur un sacrifice de louanges, et rendez au Très-Haut vos hommages 3 ».
Donc je louerai le Seigneur, et cela lui sera plus agréable que l’offrande d’un
jeune taureau qui commence à montrer des cornes et des ongles. La louange qui s’exhalera
de ma bouche, plaira au Seigneur, bien plus qu’une grande victime immolée sur
ses autels. Faut-il parler des ongles et des cornes de ce jeune taureau? Tout
homme qui est bien armé, qui est riche en louanges de Dieu, doit avoir des
cornes pour secouer son antagoniste, et des ongles pour soulever la terre. Vous
savez ce que font les jeunes veaux qui se développent, et qui acquièrent en
grandissant l’audace des taureaux; car ici le mot jeune désigne une vie
nouvelle. Si donc un hérétique vient à vous contredire, qu’il soit secoué. Un
autre ne contredit point, mais il a des inclinations abjectes et terrestres,
qu’il soit soulevé par vos ongles. Donc, plus que ce jeune taureau, ma louange
doit vous plaire, cette louange qui doit succéder à mon indigence et à mon
affliction, alors que je serai dans l’éternelle société des anges, où il n’y
aura plus ni adversaire à combattre, ni paresseux à soulever de la terre.
17. « Que les pauvres voient et se
réjouissent 4». Qu’ils croient, et s’épanouissent dans l’espérance. Qu’ils
soient plus pauvres encore, afin de mériter d’être rassasiés: de peur qu’en
exhalant la surabondance de leur orgueil, ils ne se voient privés du pain qui
donne la véritable vie. « Cherchez le Seigneur », vous qui êtes pauvres; ayez
faim, ayez soif 5, c’est lui qui est le pain vivant descendu du ciel 6. «
Cherchez le Seigneur, et votre âme vivra ». Vous cherchez le pain
1.
Job, 1, 21. — 2. Ps. LXVIII, 32. — 3. Id. XLIX, 14, 23. — 4. Id. LXVIII, 33. — 5.
Matth. V, 6. — 6. Jean, VI, 51.
qui donne la vie à votre corps cherchez le
Seigneur, afin qu’il donne la vie à votre âme.
18. « Car le Seigneur a exaucé les pauvres ».
Il a exaucé les pauvres, et il ne les eût point exaucés, s’ils n’eussent
vraiment été pauvres. Veux-tu être exaucé? Sois pauvre: que ce soit la douleur,
et non le dégoût, qui crie en toi. « Car le Seigneur a exaucé les pauvres, et
n’a point méprisé ses captifs 1 ». Il a enchaîné les serviteurs qui l’avaient
offensé mais quand ils ont crié dans leurs entraves, il ne les a point méprisés.
Quelles sont ces entraves? Une chair mortelle, une chair corruptible, telles
sont les entraves qui nous enchaînent. Et voulez-vous connaître combien ces
chaînes sont lourdes? C’est de là qu’il est dit: « Le corps qui se corrompt
appesantit l’âme 2». Quand les hommes veulent s’enrichir ici- bas, ils
cherchent des lambeaux pour couvrir ces entraves. Mais que ces entraves te
suffisent pour vêtements, ne cherche rien au-delà de ce qui suffit pour
subvenir à la nécessité. Chercher le superflu, c’est vouloir appesantir tes
chaînes. Dans une semblable détresse, qu’il ne reste simplement que tes
entraves. Qu’à chaque jour suffise sa peine 3. C’est là cette peine qui nous
fait crier vers le Seigneur: « Parce que le Seigneur a exaucé les pauvres, et
n’a point dédaigné ses captifs».
19. « Que les cieux le bénissent, ainsi que
eu la terre et les mers et tous les animaux qui rampent dans leurs abîmes 4».
Pour ce pauvre, il n’y a de vraie richesse, qu’à considérer tes créatures, et à
louer le Créateur. « Que les cieux le bénissent, et la terre et les mers, et
les animaux qui rampent dans leurs abîmes ». Il n’y a vraiment pour louer Dieu
que ces créatures qui nous le font bénir quand nous les considérons?
20. Ecoute un autre verset: « Car le Seigneur
sauvera Sion ». Il rétablit son Eglise, et incorpore à son fils unique les
nations fidèles; sans toutefois frustrer ceux qui croient en lui des dons qu’il
a promis. « Car le Seigneur sauvera Sion, et l’on bâtira des cités
1. Ps. LXVIII,
34. — 2. Sag. IX, 15. — 3. Matth. VI, 34. — 4. Ps. LXVIII, 35.
en Juda 1 ». Ces villes seront des Eglises.
Que nul ne nous dise: Quand sera-ce que l’on bâtira des cités en Juda?
Puisses-tu connaître cette construction, devenir une pierre vivante et faire
partie de l’édifice. C’est maintenant que l’on bâtit les villes de Juda, car
Juda signifie confession. C’est avec la confession de l’humilité que se
bâtissent les villes de Juda:
en sorte qu’on laisse au dehors les
orgueilleux qui rougissent de la confession. « Dieu donc sauvera Sion ». Quelle
Sion? écoute la suite: « Et la postérité de ses serviteurs la possédera, et il
n’y aura pour l’habiter eu que ceux qui aiment son nom 2».
21. Le psaume est terminé, mais arrêtons-nous quelque peu sur ces deux derniers
versets: ils nous prémunissent en effet contre le désespoir qui nous
empêcherait d’entrer dans cette construction. « C’est la postérité de ses
serviteurs», dit le Prophète, « qui doit habiter Sion ». Mais « cette postérité
de ses serviteurs», quelle est-elle? Ce sont les Juifs, me diras-tu peut-être,
les Juifs nés d’Abraham mais nous, qui ne sommes point issus d’Abraham, comment
habiterons-nous cette cité? Ils ne sont point de la race d’Abraham, ces Juifs
auxquels il fut dit: « Si vous êtes les fils d’Abraham, faites les oeuvres
d’Abraham 3 ». C’est donc la postérité de ses serviteurs, ou ceux qui imiteront
la foi de ses serviteurs, qui habiteront cette ville. Enfin le dernier verset
nous explique le précédent. Dans la crainte que tu ne vinsses à croire que ces
paroles: « Elle servira d’asile à la postérité de ses serviteurs »,
s’appliquent aux Juifs, et à dire: Nous sommes la postérité des nations qui ont
adoré les idoles, et rendu un culte aux démons; qu’avons-nous à espérer dans
cette cité? voilà que le Prophète rassure tes espérances et ajoute: «Elle sera
l’asile de ceux qui aiment le nom du Seigneur». Car la postérité de ses
serviteurs est dans ceux qui aiment son nom. Et comme ses serviteurs ont
l’amour de son nom, quiconque aime son nom peut se dire de la postérité de ses
serviteurs; et quiconque n’aime point son nom doit renier qu’il appartienne à
cette postérité.
1. Ps. LXVIII, 36. — 2. Id. 51. — 3. Jean,
VIII, 39.
SERMON POUR UNE FÊTE DE MARTYRS.
Les
martyrs ont dû souffrir dans leur corps et dans leur foi; et ceux qui font
partie de l’Eglise ou du corps de Jésus-Christ doivent souffrir de quelque
façon. Le démon, qui était lion quand il persécutait, est aujourd’hui serpent
et nous persécute par les scandales, surtout de la part des chrétiens. Il est
enchaîné dans le coeur des impies, il sévit par le scandale. Tous donc doivent
subir l’épreuve, tous ont besoin du secours de Dieu. Honte à ceux qui
recherchent la vie du Christ pour l’opprimer, qui nourrissent la haine contre
lui. Que tous marchent docilement à sa suite; qu’ils ne cherchent pas les
applaudissements des flatteurs, qui les perdraient. Gloire à Dieu toujours, et
à lui seul. Oublions le passé, allons toujours en avant.
1. Béni soit le grain de froment qui a voulu
mourir afin de se multiplier 1: béni soit le Fils de Dieu, Jésus-Christ notre
Seigneur et Sauveur, qui n’a pas dédaigné de subir la mort pour nous rendre
dignes de vivre en lui. Il était seul jusqu’à son passage, ainsi que l’a chanté
le Psalmiste: « Me voilà seul jusqu’à ce que j’aie passé 2 »: car c’était un
grain à part, mais qui portait en lui le germe d’une grande multitude; et dans
combien d’autres grains chantons-nous sa louange, quand nous célébrons les
fêtes des martyrs qui ont souffert comme lui? Ses membres si nombreux sont donc
unis par les liens de la paix et de la charité à notre Sauveur, qui est notre
chef unique, et ne forment qu’un seul homme, comme vous le savez pour l’avoir
si souvent entendu: et souvent leur voix retentit dans les psaumes comme la
voix d’un seul homme, et le cri de l’un est comme le cri de tous, parce que
tous ne sont qu’un en un seul. Ecoutons donc les travaux des martyrs, et les
dangers qu’ils ont courus en ce monde, dans l’ouragan de toutes les haines;
dangers non seulement pour ce corps qu’ils devaient toujours quitter, mais
dangers pour leur foi. Car ils pouvaient céder aux douleurs atroces de la
persécution ou à l’amour de la vie, et cette défaillance leur eût fait perdre
tes promesses de Dieu, qui les avait prémunis contre la crainte par ses paroles
et par son exemple par ses paroles, en disant: « Ne craignez point ceux qui
tuent le corps, mais qui ne
1. Jean, XII, 25. — 2. Ps. CXL, 10.
peuvent tuer l’âme 1 »; par ses exemples, en
accomplissant lui-même ses prescriptions, alors qu’il n’évitait ni ceux qui le
frappaient, ni ceux qui lui donnaient des soufflets, ni ceux qui lui crachaient
au visage, ni ceux qui le couronnaient d’épines, ni ceux qui le faisaient
mourir sur la croix. Lui qui ne méritait rien de tout cela, a voulu l’endurer
pour ceux qui le méritaient; il se donnait comme un remède à leur maladie. Les
martyrs ont donc souffert; mais ils eussent défailli, sans le secours de celui
qui a dit: « Voilà que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles
2».
2. Ce psaume est donc le cri de ceux qui
souffrent et par conséquent des martyrs qui sont en danger au milieu de leurs
douleurs, mais qui mettent leur confiance dans leur chef. Ecoutons-les,
unissons-nous à eux, parlons avec eux, du moins par les sentiments du coeur,
sinon en souffrant de la même manière. Pour eux, ils ont reçu la couronne,
tandis que nous sommes au milieu dus périls: non que nous ayons à subir les
persécutions qu’ils endurèrent, mais les persécutions plus dangereuses
peut-être de tous les scandales. Car ils sont plus multipliés de nos jours, que
quand le Seigneur s’écriait: « Malheur au monde, à cause des scandales, et
comme l’iniquité abonde, la charité se refroidit chez plusieurs 3 ». Personne à
Sodome ne faisait subir à Loth une persécution corporelle 4; nul ne l’empêchait
d’y
1. Matth. X, 28. — 2. Id. XXVIII, 20. — 3.
Id. XVIII, 7, et XXIV, 12.— 4. Gen. XIX, 39.
habiter. Pour lui toute persécution était
dans les moeurs corrompues des Sodomites. Ainsi, depuis que le Christ est assis
dans les cieux, depuis qu’il est glorifié, que les rois ont courbé la tête sous
son joug, qu’ils ont incliné leur front devant son signe, et qu’il ne reste
personne qui ose publiquement insulter le Christ, nous n’en gémissons pas moins
au milieu des symphonies et des mélodies; et les ennemis des martyrs,
impuissants à les poursuivre de leurs cris et du glaive, les poursuivent de
leurs vices. Plût à Dieu que nous n’eussions à souffrir que des païens! nous
nous consolerions en attendant que la croix du Sauveur vint marquer ces hommes
qu’elle n’a point touchés encore, et que sa puissance vint enchaîner leur
fureur. Mais nous en voyons qui portent sur leur front le signe du Christ,
porter sur ce même front l’impudence de la luxure, qui insultent plus qu’ils
n’honorent les martyrs aux jours de leur solennité. Voilà ce qui nous fait
gémir, ce qui est pour nous une persécution, pour peu que nous ayons de cette
charité qui s’écrie « Qui donc est faible sans que je sois faible avec lui; qui
est scandalisé sans que je brûle 1? » Nul serviteur de Dieu n’est donc sans
persécution? elle est vraie cette parole de l’Apôtre e Aussi tous ceux qui
veulent e vivre avec piété en Jésus-Christ, souffriront « persécution 2».
Cherchons-en l’origine, cherchons-en la manière, car le diable a deux formes.
C’est un lion qui bondit, un dragon qui tend des embûches. Que ce lion nous
menace, il est un ennemi; que ce dragon nous tende tin piége, il est encore un
ennemi. Quand serons-nous eu sûreté? Tous auront beau devenir chrétiens, le
diable deviendra-t-il chrétien à son tour? une cesse de nous tenter, il est
sans cesse- en embuscade. Il est enchaîné,garrotté dans le coeur des impies, de
peur qu’il ne sévisse contre l’Eglise et ne la tourmente selon ses désirs.
L’honneur rendu à l’Eglise, la paix des chrétiens, voilà ce qui fait grincer
des dents à l’impie; impuissant à sévir contre elle, il a recours aux danses,
aux blasphèmes, aux impudicités, non pour frapper les corps des chrétiens, mais
pour déchirer les âmes. Elevons donc une voix unanime, et répétons ces paroles:
« O Dieu, soyez attentif à me secourir 3». Car dans ce monde nous avons besoin
d’un secours incessant.
1.
II Cor. XI, 29. — 2. II Tim. III, 12. — 3. Ps. LXIX, 2.
Quand ce besoin cessera-t-il? Maintenant
toutefois, que nous sommes dans l’angoisse, disons surtout: « O Dieu, soyez
attentif à me secourir ».
3. « Qu’ils soient couverts de honte et de
confusion, ceux qui recherchent ma vie 1». C’est le Christ qui parle; qu’il
parle comme chef, qu’il parle dans son corps mystique, l’interlocuteur est le
même qui a dit: « Pourquoi me persécutez-vous 2? » C’est lui qui a dit en
effet: « Tout ce que vous avez fait au moindre des miens, c’est à moi que vous
l’avez fait 3 ». Vous connaissez donc la voix de cet homme, de l’homme tout
entier, du chef et des membres; il est inutile de la signaler bien souvent,
puisque vous la connaissez. « Qu’ils soient couverts de honte et de confusion
», dit le Christ, « ceux qui en veulent à ma vie ». Il a dit dans un autre
psaume: « Je regardais à droite, et je voyais que nul ne me connaissait; la
fuite m’était fermée, et nul n’était là pour rechercher ma vie 4 ». Ici donc il
dit de ses persécuteurs que nul ne cherche sa vie; et dans notre psaume, il
appelle la honte et la confusion sur ceux qui recherchent sa vie. Il se
plaignait qu’on ne le cherchât point pour l’imiter; il gémissait de ce qu’on le
cherchât pour l’opprimer. C’est chercher la vie du juste, que penser à
l’imiter; c’est chercher encore la vie du juste, que songer à le tuer. Comme donc
on peut chercher la vie du juste en deux manières, chacnn de ces psaumes nous
exprime l’une de ces manières. Dans l’un, il se plaint que l’on ne recherche
point sa vie, pour souffrir comme lui; mais il dit ici: « Qu’ils soient
couverts de honte et de confusion, ceux qui cherchent ma vie ». S’ils cherchent
cette vie, ce n’est point pour en avoir deux; puisqu’ils ne recherchent point
cette vie comme le voleur cherche la tunique du voyageur; il ne tue que pour
voler et posséder. Mais quiconque poursuit pour tuer, ôte la vie, et ne s’en
revêt point. ils cherchent donc na vie, parce qu’ils veulent me tuer. Et toi,
qu’appelles-tu sur eux? « Honte et confusion ». Que devient alors cette parole
que tu as apprise de la bouche de ton Seigneur: « Auriez vos ennemis, faites du
bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous persécutent 5?» Te
voilà persécuté, et maudissant
1. Ps. LXIX, 3. — 2. Act. IX, 4. — 3. Matth. XXV, 40. — 4. Ps. CXLI, 5. — 5. Matth. V, 44.
ceux qui te persécutent, comment prends-tu pour
modèle ton Seigneur qui a tant souffert et qui, sur la croix, s’écriait: « Mon
Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font 1? » A ce langage le
martyr peut répondre et dire: Tu me proposes un modèle dans le Seigneur qui
dit-: « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font »; reconnais
ma voix, afin qu’elle soit aussi la tienne. Qu’ai-je dit de mes ennemis? «
Honte et confusion sur eux ». Telle est la vengeance que Dieu a exercée sur les
persécuteurs des martyrs. Ce même Saul qui persécutait Etienne a été couvert de
honte et de confusion. Il respirait le carnage, il cherchait ceux qu’il pouvait
saisir pour les livrer à la mort; il entend cette parole d’en haut
« Saul, Saul, pourquoi me persécuter? » Il
est renversé, couvert de honte, et ce persécuteur acharné se relève pour obéir
2. Voilà ce que les martyrs appellent sur leurs persécuteurs: « Honte et
confusion ». En effet, s’ils ne sont sous le poids de la honte et de la
confusion, ils défendront inévitablement leurs actions: ils se font en
eux-mêmes une gloire de saisir, de garrotter, de frapper, de tuer, de danser,
d’insulter: qu’ils rougissent donc une fois de tels actes, qu’ils en soient
confus. S’ils rougissaient, ils se convertiraient; car ils ne peuvent se
convertir que sous le poids de leur confusion et de leur honte. Faisons ces
voeux pour nos ennemis; faisons-les en toute sûreté. Pour moi, je l’ai dit, et
je le dis avec vous: oui, « honte et confusion » à ceux qui dansent, qui
chantent, qui insultent aux martyrs: qu’un jour, dans ces murs, ils frappent
leur poitrine avec confusion.
4. « Qu’ils soient repoussés en arrière et
qu’ils rougissent, ceux qui cherchent à me nuire 3 ». D’abord c’était la
violence des persécuteurs, maintenant c’est la haine de ceux qui méditent le
mal. Après les temps de persécution, l’Eglise a vu naître des temps bien
différents. Ce fut d’abord un choc violent contre cette Eglise, quand les rois
la persécutèrent; et comme ces attaques de la part des rois étaient prédites et
qu’on devait y croire, une fois ce temps écoulé, un autre devait suivre. Ce
temps qui devait suivre est donc arrivé; les rois ont embrassé la foi, la paix
a été donnée à l’Eglise; cette Eglise a été comblée de dignités même sur la
terre,
1.
Luc, XXIII, 34. — 2. Act. VII, 57; IX, 1, 4, 6. — 3. Ps. LXIX, 4.
même en cette vie, et toutefois les
persécuteurs ne laissent pas de frémir, ils roulent dans leurs pensées leurs
projets d’attaque. C’est dans ces pensées que le diable est enchaîné comme dans
l’abîme: il frémit sans briser ses chaînes. Car le Prophète a dit de ces temps:
« Le pécheur verra et frémira de colère ». Et que fera-t-il? ce qu’il fit
d’abord? — Saisis, enchaîne, frappe.— Il ne le fait point. Que fera-t-il donc?
« Il grincera des dents et séchera de rage 1». C’est contre ceux-là que
s’irrite le martyr, et néanmoins ce martyr prie pour eux. De même en effet
qu’il appelait le bien sur ceux dont il disait: « Honte et confusion à ceux qui
cherchent ma vie »; de même encore: « Qu’ils soient rejetés en arrière et
qu’ils rougissent, ceux qui méditent le mal contre moi ». Pourquoi? Afin qu’ils
ne marchent pas en avant, suais qu’ils suivent avec docilité. Blâmer la
religion chrétienne, et prétendre vivre selon ses propres lumières, c’est
vouloir marcher avant le Christ: comme si ce Christ eût été dans l’erreur, ou
qu’il eût été assez faible, assez impuissant pour vouloir mourir, ou pour être
réduit à mourir entre les mains des Juifs: comme s’il était bien courageux pour
un homme d’éviter tout cela, de se détourner de la mort, de feindre la mort
afin d’y échapper, de tuer son âme, afin de vivre selon le corps; voilà ce que
l’on regarde comme les conseils de la force et de la prudence. Quiconque blâme
ainsi le Christ, le précède, prend en quelque sorte le pas sur lui; qu’il croie
au Christ et le suive avec docilité. Car le Seigneur tint lui-même à Pierre le
langage que tenait le Prophète dans ses souhaits contre les persécuteurs qui
méditent le mal contre lui. Pierre en un certain endroit voulut précéder le
Seigneur. Le Sauveur alors parlait de sa passion, et s’il ne l’eût subie, nous
ne serions point sauvés; et Pierre qui, un peu auparavant, avait proclamé le
Fils de Dieu, dans cette confession fameuse qui lui valut le nom de Pierre, sur
laquelle dut être bâtie l’Eglise, s’écria quand le Seigneur parla de sa passion
prochaine: « Point du tout, Seigneur, veillez sur vous, cela n’arrivera point
». Un peu auparavant: « Tu es bienheureux, Simon, fils de Jean », avait dit le
Seigneur, « parce que ce n’est ni le sang ni la chair qui t’ont révélé ceci,
mais mon
1. Ps. CXI, 10.
Père qui est dans le ciel »; et tout à coup:
« Va derrière moi, Satan ». Qu’est-ce à dire:
« Derrière moi? » Suis-moi. Tu veux aller
devant moi, tu veux me donner des conseils; c’est à loi plutôt de suivre les
miens: voilà le sens de Va derrière moi, marche après moi. Il modère celui qui
le précédait, et te replace en arrière; il l’appelle Satan, parce qu’il a voulu
prendre le pas sur le Seigneur. Tout à l’heure il était « bienheureux»,
maintenant c’est « Satan ». Pourquoi tout à l’heure était il « bienheureux? » «
Parce que ce n’est « ni le sang ni la chair qui t’ont révélé ceci », dit le
Sauveur, « mais mon Père qui est dans le ciel ». Pourquoi Satan maintenant? «
Parce que tu ne comprends pas ce qui est de Dieu, mais ce qui est des hommes
1». Nous donc, qui voulons célébrer dignement les fêtes des martyrs, souhaitons
d’imiter les martyrs; ne cherchons point à précéder les martyrs, et n’allons
pas nous croire plus de prudence qu’ils n’en avaient, parce que rions avons
évité les tourments qu’ils endurèrent pour la justice et pour la foi, tourments
qu’ils furent loin d’éviter. « Qu’ils soient donc rejetés en arrière et qu’ils
rougissent », ceux qui méditent le mal et nourrissent leurs coeurs de luxure.
Qu’ils entendent cette parole de l’Apôtre: « Quel fruit avez-vous jamais
recueilli de ces actes qui vous font rougir maintenant 2? »
5. Quelle est la suite? « Qu’ils fuient avec
ignominie ceux qui me disent: Courage ! courage 3 ! » Il y a deux sortes de
persécuteurs, ceux qui blâment et ceux qui flattent.
La langue du flatteur est plus funeste que la
main de l’assassin; et l’Ecriture l’appelle une
fournaise. En parlant de la persécution,
1’Ecriture a dit, à propos des martyrs mis à
mort: « Elle les a éprouvés comme l’or dans
la fournaise, et les a reçus comme la victime de l’holocauste 4». Or, écoutez
cette ressemblance avec la langue des flatteurs. « C’est au feu que l’on
éprouve l’or et l’argent; mais pour l’homme, l’épreuve est la langue des
flatteurs 5 ». Il y a donc feu d’une part, et feu d’autre part, et il te faut
sortir victorieux de l’un et de l’autre. La réprimande t’a brisé, et lu as été
brisé dans la fournaise comme un vase d’argile. La parole
t’a formé, et puis est venue l’épreuve de la
1. Matth.
XVI, 16-23.— 2. Rom. VI, 21. — 3. Ps. LXIX, 4. — 4. Sag. III, 6. — 5. Prov.
XXVII, 21.
tribulation; ce qui a été formé a dû passer
par la cuisson, et si la forme était irréprochable, le feu devait la
consolider. Aussi le Christ a-t-il dit dans sa douleur: « Ma force s’est
desséchée comme l’argile 1». Car la douleur et la fournaise de la tribulation
m’ont rendu plus fort. Mais si tu es assailli par les louanges et par les
applaudissements des flatteurs, et que tu leur souries, achetant de l’huile et
ne la portant pas avec toi, non plus que les cinq vierges folles 2; la bouche
des flatteurs sera une fournaise qui te brisera. Mas nous ne pouvons rien sans
cela; il nous faut et y entrer et en sortir; il nous faut encourir un certain
blâme de la part des méchants, des hommes sans pudeur, et recevoir aussi les
applaudissements des flatteurs: muais il faut également en sortir. Prions donc
celui dont il est dit: « Que le Seigneur veille sur ton entrée et sur ta sortie
3 », afin que tu puisses y entrer tans déshonneur, et sans déshonneur en
sortir. Car l’Apôtre a dit: « Dieu est fidèle, et il ne permettra pas que vous
soyez tentés au-delà de vos forces 4 ». Telle est pour toi l’entrée. Il n’est
pas dit: Vous ne serez point tentés. Sans tentation il n’y a pas d’épreuves, et
sans épreuve il n’y a nul progrès. Que désire donc l’Apôtre? « Dieu est fidèle,
et il ne permettra point que vous soyez tentés au-dessus de vos forces 4». Tu
as entendu l’entrée, écoute aussi la sortie: « Mais il ménagera dans la
tentation une issue, afin que vous la puissiez supporter 5. « Qu’ils fuient
avec ignominie ceux qui me disent: Courage! courage ! » Pourquoi me louer?
Qu’ils louent le Seigneur. Qui suis-je pour être loué moi-même? Qu’ai-je fait?
Qu’y a-t-il en moi que je n’aie reçu? « Si tu l’as reçu », dit l’Apôtre, «
pourquoi te glorifier comme si tu ne l’avais pas reçu 6? Qu’ils fuient donc
avec ignominie ceux qui me disent: Courage ! courage ! » C’est une huile
semblable qui a parfumé la tête des hérétiques 7, et ils nous disent: C’est
moi, c’est moi; on leur répond: C’est vous, Seigneur. Ils ont accueilli ces
acclamations: « Courage! courage! » «Ce courage! courage!»les a entraînés, et
ils sont devenus les guides aveugles des aveugles qui les suivaient 8. C’est à
pleins poumons que l’on crie à Donat ce que nous venons de chanter: «Courage !
couragel» guide
1.
Ps. XXI, 16. — 2. Matth. XXV, 3. — 3. Ps. CXX, 8. — 4. I Cor. X, 13. — 5. Id. —
6. Id. IV, 7.— 7. Ps. CXL, 5 — 8. Matth. XV, 14.
fidèle, guide illustre, Mais lui ne répond
pas: « Qu’ils fuient avec confusion ceux qui me disent: Courage! courage! » et
il n’a point voulut les redresser, et leur faire dire au Christ: Guide fidèle,
chef illustre. Et pourtant l’Apôtre, craignant les applaudissements des hommes
qui le louaient véritablement dans le Christ, ne voulut point être loué à la
place du Christ; et quand plusieurs disaient: « Moi je suis Paul». « Est-ce que
Paul a été crucifié pour vous? » leur dit-il avec la liberté du Seigneur, « ou
seriez-vous baptisés au nom de Paul 1? » Que ce soit donc là le refrain des
martyrs même dans la persécution des flatteurs. « Qu’ils fuient avec confusion,
ceux qui me disent: Courage ! courage ! »
6. Et qu’arrivera-t-il quand ils seront
repoussés, quand ils seront tous dans la confusion, soit ceux qui cherchent ma
vie, soit ceux qui méditent le mal contre moi, soit ceux qui ont des desseins
pervers, et dont une feinte bienveillance veut adoucir les coups que portera
leur langue? quand ils seront repoussés et couverts de confusion,
qu’arrivera-t-il? « Qu’ils soient dans l’allégresse, qu’ils tressaillent en
vous 2 »: non pas en moi, non plus en tel ou tel, mais bien en Celui qui les a
faits lumière, alors qu’ils étaient ténèbres. « Qu’ils tressaillent en vous,
qu’ils soient dans l’allégresse, tous ceux qui vous cherchent ». Autre est
rechercher Dieu, et autre est rechercher les hommes. « Qu’ils soient dans la
joie ceux qui vous cherchent ». Donc ils ne seront pas dans la joie ceux qui se
recherchent eux-mêmes, et que vous avez recherchés le premier, avant qu’ils
aient songé à vous rechercher. Cette brebis ne cherchait point encore son
pasteur, elle errait loin du troupeau, quand le Christ est descendu pour elle,
l’a recherchée, l’a reportée sur ses épaules 3. Pourrait-il, ô brebis, te
mépriser quand tu le cherches. Celui qui le premier t’a recherchée, alors que
tu le méprisais et que tu ne le cherchais point? Comment donc enfin la
rechercher Celui qui le premier t’a recherchée, et t’a reportée sur ses
épaules? Fais ce qu’il a dit: « Celles qui sont mes brebis entendent ma voix et
me suivent 4». Si donc tu cherches Celui qui t’a cherché le premier, tu deviens
sa brebis, tu entends la voix de ton pasteur et tu le suis; vois ce qu’il t’a
montré
1. I
Cor. I, 12,13.— 2. Ps. LXIX, 5. — 3. Luc, XV, 4, 5.— 4. Jean, X, 3.
de lui-même, ce qu’il t’a montré de son
corps, afin que tu ne sois point trompé sur lui ni trompé sur l’Eglise, afin
que nul ne te dise: Celui-ci est le Christ, quand ce ne serait point lui; ou
bien: Voici l’Eglise, quand ce ne serait point l’Eglise. Il en est beaucoup en
effet qui ont dit que le Christ n’avait point de chair, ou que le Christ n’est
point ressuscité dans son corps: garde-toi de suivre leurs voix. Ecoute la voix
du véritable pasteur, qui se revêtit d’une chair, pour courir après la chair
qui était perdue. Il ressuscita et dit « Touchez et voyez, car un esprit n’a ni
chair « ni os, comme vous voyez que j’en ai ». C’est devant toi qu’il se
montre, suis sa voix. Il te montre aussi l’Eglise, afin que nul ne te puisse
tromper en s’appelant l’Eglise: « Il « fallait», dit~il, « que le Christ
souffrît et ressuscitât d’entre les morts le troisième jour, et que l’on
prêchât en son nom la pénitence dans toutes les nations, en commençant par
Jérusalem 2 ». Telle est la voix du pasteur, garde-toi de suivre la voix des
étrangers 3; le voleur n’est pas à craindre pour toi, si tu suis la voix du
pasteur. Mais comment la suivras-tu? Si tu ne dis à aucun homme, en
applaudissant à ses propres mérites: « Courage, courage! » et si tu ne
l’entends point pour l’applaudir, de peur que l’huile des pécheurs ne parfume
ta tête 4. « Qu’ils tressaillent en vous, qu’ils soient dans l’allégresse, tous
ceux qui vous cherchent, et qu’ils disent ». Que diront-ils dans leurs
jubilations? « Gloire à Dieu à jamais ». Qu’ils disent aussi, tous ceux qui
sont dans l’allégresse et qui vous cherchent. Que dire? Qu’ils disent: « Gloire
à Dieu à jamais, ceux qui aiment votre salut». Non seulement, « gloire à Dieu
», mais « gloire à jamais! » Tu étais égaré, tu errais loin de lui: il t’a
appelé: « gloire à Dieu ». Il t’a soufflé la pensée de confesser tes fautes, tu
les a confessées, il t’en accorde le pardon: « gloire à Dieu». Voilà que tu
commences à vivre dans la justice; et il me paraît juste qu’à ton tour tu sois
glorifié. Il fallait bénir le Seigneur quand il te rappelait de tes égarements;
il fallait le bénir encore quand il t’a pardonné les fautes que tu confessais;
maintenant que tu as entendu sa parole et fait des progrès, que tu es justifié,
que tu as atteint les suprêmes degrés de la vertu, il est bien juste pour toi
de recueillir
1. Luc, XXIV, 39. — 2. Id. 46. — 3. Jean, X,
5. — 4. Ps. CXI, 5.
quelque gloire. « Qu’ils disent: Gloire à
Dieu à jamais ». Tu es pécheur, bénis-le, afin qu’il t’appelle; tu confesses
tes fautes, bénis-le, afin qu’il te lardonne; tu marches déjà dans la justice,
bénis-le, afin qu’il te dirige; tu persévères jusqu’à la fin, bénis-le, afin
qu’il te glorifie. « Gloire donc au Seigneur, toujours gloire ». Que tel soit
le refrain des justes, le refrain de ceux qui cherchent le Seigneur. Quiconque
ne tient pas ce langage ne le cherche point. Voilà: « Gloire à Dieu. Qu’ils
tressaillent en vous, qu’ils soient dans l’allégresse,ceux qui le cherchent, et
qu’ils disent: « Gloire au Seigneur à jamais, tous ceux qui aiment votre salut
»: non pas leur salut, comme s’ils pouvaient se sauver eux-mêmes; non comme si
le salut venait de l’homme et que l’on pût être sauvé par lui: « Gardez-vous»,
est-il dit, « de mettre votre confiance dans les princes, dans les fils des
hommes, en qui le salut n’est pas 1». Pourquoi? « Le salut est l’oeuvre du
Seigneur, et votre bénédiction est sur votre peuple 2 ». Donc « gloire à Dieu à
jamais ». Quels hommes parlent ainsi? « Ceux qui aiment votre salut ».
7. « Voilà que le Seigneur sera glorifié et
toi ne le seras-tu jamais nulle part? Quelque peu en lui, nullement en
moi-même; mais si toute ma gloire est en lui, c’est lui qui sera glorifié, et
pas moi. Mais qu’es-tu donc? « Pour moi je suis un pauvre, un indigent 3 ».
Pour Dieu, il est riche, il nage dans l’abondance, il n’a besoin de rien. Voilà
ma lumière; ce qui m’éclaire, c’est que je m’écrie: « C’est vous, Seigneur, qui
allumerez mon flambeau; ô mon Dieu, vous éclairerez mes ténèbres 4. C’est Dieu
qui délie les captifs; Dieu qui relève les blessés Dieu qui rend aveugles les
sages; Dieu qui veille sur les prosélytes 5 ». Et toi donc? « Moi je suis
pauvre et indigent e. Je suis comme l’orphelin; et mon âme est comme une veuve
dans la désolation et dans l’isolement: je cherche du secours; et je confesse
toujours mon infirmité. « Pour moi je suis pauvre et indigent ». Mes péchés
m’ont été pardonnés, j’ai commencé à suivre les préceptes du Seigneur: et
pourtant je suis encore pauvre et indigent. Pourquoi pauvre et indigent? «
Parce que je ressens dans mes membres une autre loi qui résiste à la loi de mon
esprit 6».
1.
Ps. CXLV, 2, 3. — 2. Id. III, 9. — 3. Id. LXIX, 6. — 4. Id. XVII, 29. — 5. Id. CXLV,
7. — 6. Rom. VII, 23.
Pourquoi pauvre et indigent? Parce que, «
Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice 1 ». J’ai encore faim,
encore soit: Dieu diffère, mais ne refuse point de me rassasier. « Je suis
pauvre et indigent: Seigneur, secourez-moi ». C’est par là qu’il a commencé: «
O Dieu, soyez attentif à me secourir. Seigneur, secourez-moi ». On peut
très-bien dire de Lazare qu’il fut secouru: ce pauvre, cet indigent, qui fut
porté dans le sein d’Abraham 2. Il est le symbole de l’Eglise de Dieu, qui doit
sans cesse confesser qu’elle a besoin de secours. Voilà ce qui est vrai, ce qui
est pieux. « J’ai dit au Seigneur: Vous êtes mon Dieu ». Pourquoi? « Parce que
vous n’avez pas besoin de mes biens 3 ». Il n’a nul besoin de nous, mais nous
avons besoin de lui, c’est pour cela qu’il est véritablement notre Seigneur.
Car toi, tu n’es pas pleinement le maître de ton serviteur: tous deux vous êtes
hommes, tous deux vous avez besoin de Dieu. Si tu crois que ton serviteur a
besoin de toi pour lui donner du pain, toi aussi tu as besoin de ton serviteur
pour t’aider dans ton travail. Vous avez l’un de l’autre un besoin réciproque.
Nul d’entre vous n’est donc complètement maître, nul complètement serviteur.
Ecoute le vrai maître dont tu es le vrai serviteur: « J’ai dit au Seigneur «
Vous êtes mon Dieu». Pourquoi êtes-vous mon Seigneur? « Parce que vous n’avez
nul besoin de mes biens ». Qu’es-tu donc, toi? « Moi je suis pauvre et indigent
». Voilà le pauvre, l’indigent: que Dieu le nourrisse, que Dieu le soulage, que
Dieu lui vienne en aide: « Seigneur», dit le Psalmiste, « secourez-moi».
8. «Vous êtes mon secours, mon Sauveur, ô mon
Dieu; ne tardez point ». Vous êtes mon aide, mon libérateur: j’ai besoin de
secours, aidez-moi; je suis dans l’embarras, délivrez-moi. Nul autre que vous
ne peut me tirer de cet embarras. Nous sommes enlacés dans les noeuds de soins
divers; de part et d’autre nous sommes déchirés comme par des aiguillons et des
épines, nous marchons dans l’étroit sentier; nous sommes arrêtés par les
buissons: disons alors à Dieu: « C’est vous mon libérateur ». Celui qui nous a
montré la voie étroite 4, me l’a fait suivre. Que cette parole, mes frères,
soit toujours la nôtre. Si longtemps que nous ayons vécu ainsi, quels
1.
Matth. V, 6. — 2. Luc, XVI, 22.— 3. Ps. XV, 2.— 4. Matth. VII, 14.
que soient nos progrès, que nul ne dise: Il
me suffit, me voilà juste. C’est le langage de celui qui est resté en chemin,
et qui ne sait point arriver. Il s’arrête à l’endroit où il dit: cela suffit.
Ecoute l’Apôtre, à qui rien ne suffit; vois comment il veut du secours jusqu’à
ce qu’il arrive: « Mes frères », dit-il, «je ne pense pas avoir encore atteint
mon but 1». De peur qu’ils ne se croient arrivés, il leur dit encore: « Celui
qui se flatte de savoir quelque chose ne sait pas même encore comment il faut
le savoir 2». Que dit-il donc? « Mes frères, je ne pense pas avoir atteint mon
but ». Il avait dit d’abord: « Non que j’aie déjà recueilli, ou que je sois
parfait »; et il continue: « Mes frères, je ne pense pas avoir atteint mon but
». S’il n’a rien recueilli, il est pauvre et indigent; s’il n’est pas encore
parfait, il est pauvre et indigent. Il a raison de dire: « Seigneur, aidez-moi
». Mais il a une pensée, et une pensée plus élevée. Voyons toutefois ce qu’il
dit: « Que celui qui a la puissance de faire infiniment plus que tout ce que
nous demandons et tout ce que nous pensons 3». Voyez qu’il n’est point arrivé,
qu’il n’a pas atteint son but. Que dit-il donc? «Mes frères, je ne pense pas
avoir atteint mon but; je sais uniquement que j’oublie ce qui est derrière moi,
et pour m’avancer vers ce qui est devant moi, je m’efforce d’atteindre le prix
auquel Dieu m’a appelé d’en haut 4». Il court donc, et toi tu t’arrêtes. Il dit
qu’il n’est point encore parfait, et tu te glorifies de ta perfection ! Honte à
ceux qui te disent: « Courage ! courage ! » Honte à toi entre tous, puisque en
toi-même tu te dis: « Courage ! courage! » Car se louer, c’est se dire: «
Allons ! courage ! » Quiconque s’entend louer par les autres et accueille ces
louanges, ne porte point son huile avec soi: son flambeau s’éteint, l’Epoux lui
fermera la porte 5.
9. Voilà brièvement, mes bien-aimés, les
instructions du psaume, dans cette solennité des martyrs; ainsi comprenons que
les martyrs ont enduré une douleur corporelle; mais nous, de quelque paix que
nous jouissions, il nous est nécessaire de subir une tribulation spirituelle;
il faut que parmi les scandales, et l’ivraie, et la paille, cette masse
1.
Philip. III, 13.— 2. I Cor. VIII, 2. — 3. Ephés. III, 20. — 4. Philip.
III, 12-14. — 5. Matt. XXV, 3, 10. — 6. Id, XIII, 20.
qui est l’Eglise exhale les gémissements, jusqu’à ce que vienne la
moisson, jusqu’à ce que vienne le vanneur, jusqu’au jour où tout sera vanné une
dernière fois, afin que le froment soit séparé de la paille, et placé dans les
greniers 1. Mais en attendant, crions vers le Seigneur: « Je suis pauvre,
indigent;ô Dieu, secourez-moi. Seigneur, vous êtes mon soutien, ne tardez pas
». Qu’est-ce à dire: «Ne tardez point? » Beaucoup disent: Le Christ ne viendra
de longtemps. Eh quoi donc! parce que nous lui disons: Ne tardez point,
viendra-t-il avant le moment qu’il a fixé? Quel est le sens de ce voeu: « Ne
tardez point? » Que son avènement ne me paraisse point trop tardif, Il vous
paraît bien éloigné, mais il ne paraît pas éloigné à Dieu pour qui un millier
d’années n’est qu’un jour, ou trois heures de veille 2. Si tu n’as la patience,
ce temps te paraîtra long, et s’il te paraît long, tu te détacheras de Dieu, tu
ressembleras à ceux qui se fatiguèrent dans la solitude, et qui s’empressèrent
de demander à Dieu ces délices qu’il leur réservait dans la patrie; et comme
ils ne trouvaient point dans le voyage ces jouissances qui les eussent
peut-être corrompus, ils murmurèrent contre Dieu, et retournèrent de coeur en
Egypte 3: le corps en était sorti, le coeur y retournait, Loin de toi, ah !
loin de toi ces sentiments. Crains la parole du Seigneur qui dit: «
Souvenez-vous de l’épouse de Luth 4 ». Elle était en chemin, délivrée de
Sodome, elle regarde en arrière; elle demeura à l’endroit où elle avait
regardé: elle fut changée en statue de sel 5, afin de te donner la sagesse.
C’est une leçon qui t’est donnée, afin que tu aies plus de courage, et que tu
ne demeures pas follement en chemin. Considère celui qui y demeure, et va plus
loin; considère celui qui regarde en arrière, et avec Paul, avance. toi vers
celui qui est devant toi. Que signifie, ne pas regarder en arrière? « J’oublie
», répond-il. « Ce qui est derrière moi ». Alors tu poursuivras la palme à
laquelle tu es appelé d’en haut, et dont tu te glorifieras plus tard. Car le
même Apôtre nous dit: « Il ne me reste qu’à attendre la couronne de justice,
que le Seigneur, comme un juste juge, me donnera en ce grand jour 6 ».
1. Matth. III, 12. — 2. Ps. LXXXIX, 4. — 3.
Exod. XVI, 2, et Act, VII, 39. — 4. Luc, XVII, 32 — 5. Gen. XIX, 29. — 6. II
Tim. IV, 8.
PREMIÈRE PARTIE DU PSAUME.
Le
chrétien doit savoir qu’il n’est rien que par Dieu. Saint Paul, tout pécheur
qu’il était, fut justifié par la divine miséricorde; tel est le don qui nous
délivre il est gratuit, puisque nous ne méritons que le châtiment. Les fils de
Jonadab obéirent aux prescriptions de leur père et Dieu les bénit. Jérémie se
sert de leur exemple pour encourager le peuple à subir la captivité. D’ailleurs
nous devons servir un maître comme nous servirions le Christ, et nous sommes
captifs sous la loi dii péché, depuis Adam qui fut le premier et en qui nous
mourons tous, mais nous vivrons en Jésus-Christ par la foi. Le Seigneur nous
délivre donc par sa justice, et cette justice deviendra la nôtre en demeurant
en nous,sans que néanmoins elle nous soit propre. Mais ne nous élevons pas
comme le pharisien au-dessus de celui qui ne l’a point reçue encore, et qui
pourra nous surpasser, comme Paul en surpassa tant d’autres. C’est la
miséricorde de Dieu qui nous abrite contre sa colère. Cet homme qui demande la
délivrance, c’est l’Eglise qui demandera Ta patience à ce même Dieu, son
protecteur dès sa jeunesse, qui chantera Dieu ici-bas et dans le ciel, qui
parait un prodige dans 1a voie que le Christ a suivie avant nous, lui que l’on
a cru délaissé de Dieu. Honte à ceux qui compromettent notre âme par le
découragement ! Dieu les confondra pour leur bien. Ajoutons à sa louange en le
remerciant de ses dons invisibles. Renonçons au trafic ou à la gloire que l’on
tire de ses bonnes oeuvres, et à la lettre de la loi. Comme l’eau de la
piscine, le peuple Juif fut troublé à l’avènement du Christ, qui vint s’ajuster
à nous pour nous ressusciter, tandis que la loi n’était que le bâton d’Elisée.
1. Dans toutes les saintes Ecritures, la
grâce de Dieu qui nous délivrer se signale à notre attention afin de nous
stimuler davantage. Voilà ce que chante le Prophète, dans le psaume dont nous
voulons entretenir votre charité. Le Seigneur m’aidera, afin que j’en conçoive
une idée convenable, et que je vous l’explique aussi d’une manière qui vous
soit utile. Je suis en effet dominé par la crainte et par l’amour de Dieu;par
la crainte, car il est juste; par l’amour, car il est miséricordieux. « Qui
pourrait en effet lui dire: Que faites-vous 1», s’il condamnait l’injuste?
Combien est grande sa miséricorde, pour qu’il justifie l’injuste? De là vient
que l’Apôtre, dans ce que vous venez d’entendre, nous prêche la grâce: et cette
prédication lui attirait l’inimitié des Juifs, qui s’appuyaient sur la lettre
de la loi, qui s’éprenaient de leur propre justice, et la vantaient. C’est
d’eux que l’Apôtre a dit: « Je leur rends ce témoignage, qu’ils ont le zèle de
Dieu, mais non selon la science ». Et comme si nous lui demandions: Qu’est-ce
qu’avoir le zèle de Dieu non point selon la science? il ajoute aussitôt: « Ne
connaissant point la justice de Dieu, et voulant établir la leur, ils ne se
sont point soumis à la justice de Dieu 2 ». Ils se glorifient de leurs oeuvres,
dit-il, et se privent ainsi de la grâce; et comme
1. Sag. XII, 12. — 2. Rom, X, 2, 3.
s’ils étaient pleins de confiance dans leur
fausse santé, ils se dérobent au médecin. C’est contre ces présomptueux que le
Seigneur avait dit: « Je ne suis point venu inviter les justes, mais les
pécheurs à la pénitence. Ce ne sont point ceux qui se portent bien, mais les
malades qui ont besoin du médecin 1». Toute la grande science d’un homme est
donc de savoir que de lui-même il n’est rien, et que c’est de Dieu et pour Dieu
qu’il est tout ce qu’il peut être. « Qu’avez-vous », dit saint Paul, « que vous
n’ayez point reçu; et si vous avez reçu, pourquoi vous glorifier comme si vous
n’aviez point reçu 2? » Telle est la grâce que nous prêche saint Paul: ce fut
ainsi qu’il s’attira l’inimitié des Juifs qui se glorifiaient de la lettre de
la loi et de leur propre justice. C’est donc en nous prêchant cette grâce que
l’Apôtre, dans le passage qu’on vient de nous lire, nous tient ce langage: «
Pour moi, je suis le moindre des Apôtres, indigne même du nom d’apôtre, parce
que j’ai persécuté l’Eglise de Dieu 3. Mais Dieu m’a fait miséricorde», ait-il
dit ailleurs, « parce que j’ai agi dans l’ignorance n’ayant point la foi ». Et
un peu plus loin: « Ç’est une vérité certaine, et digne d’être reçue en toute
soumission, que Jésus-Christ est venu dans ce monde pour sauver les pécheurs,
dont je suis le premier.
1.
Matth. IX, 12, 13. — 2. I Cor. IV, 7. — 3. Id. XV, 9.
N’y avait-il donc point de Pécheurs avant lui?
Pourquoi dire alors: « Je suis le premier? » J’ai devancé les autres, non par
le temps, mais en malice. « Or », poursuit-il, « j’ai obtenu miséricorde, afin
que je fusse le premier en qui Jésus-Christ fît éclater sa longanimité, et que
je servisse d’exemple à ceux qui croiront en lui, pour la vie éternelle 1 »;
c’est-à-dire, afin que tout homme inique, tout pécheur désespérant de lui même,
s’armant en quelque sorte d’un courage de gladiateur, résolu de suivre ses
penchants, parce qu’il se croit damné sans ressource, jette les yeux sur
l’apôtre saint Paul, à qui Dieu a pardonné une telle cruauté, une si noire
malice, et qu’il abjure son désespoir pour se retourner vers Dieu. Telle est
donc la grâce que Dieu nous prêche dans ce psaume: parcourons-le, afin de voir
s’il en est ainsi, ou si je ne lui donne pas un sens étranger. Je crois en
effet que c’est là le sentiment qui y règne, et qui résonne dans presque toutes
ses syllabes: c’est-à-dire qu’il a pour objet de nous prêcher le don gratuit de
la grâce de Dieu, qui nous délivre, malgré notre indignité, non point à cause
de nous, mais bien à cause d’elle-même: et quand même je ne vous tiendrais
point ce langage, et que je ne vous aurais point fait ce préambule, tout homme
entrerait dans ce sentiment, pour peu qu’il eût d’intelligence, et qu’il
apportât son attention aux paroles de ce psaume. Le texte seul suffirait pour
changer son opinion, s’il eût été d’un autre avis, et l’amener à ce qui
retentit dans le psaume. Qu’est-ce à dire? que nous placions en Dieu toute
notre espérance, que par nous-mêmes nous ne présumions aucunement de nos
forces; de peur qu’en nous attribuant ce qui vient de Dieu, nous ne perdions ce
que nous avons reçu.
2. Le titre de notre psaume est comme
d’ordinaire une inscription placée sur le seuil pour indiquer ce que l’on fait
dans la maison: « Pour David, psaume des fils de Jonadab, et « de ceux qui
furent emmenés les premiers en captivité 2». Jonadab fut un homme dont Jérémie
releva les vertus dans ses prophéties, et qui avait prescrit à ses enfants de
ne point boire de vin, non plus que d’habiter dans des maisons, mais dans des
tentes. Or, les fils demeurèrent dans les prescriptions de leur père, et
méritèrent ainsi que le Seigneur les bénît 3.
1. I
Tim. I, 13, 15, 16.— 2. Ps. LIX, 1.— 3. Jérém. XXXV, 6-10.
Ce n’était point le Seigneur, mais bien kur
père qui avait fait ces prescriptions. Ils les acceptèrent néanmoins comme si
elles émanaient de leur Dieu: car si le Seigneur n’avait pas enjoint de ne
point boire de vin, et d’habiter sous des tentes, il avait toutefois ordonné
aux enfants d’obéir à leur père. Le fils ne doit donc refuser obéissance à son
père, que quand le père lui commande contrairement à son Dieu. Car le père n’a
plus alors le droit de s’irriter de la préférence que l’on donne à Dieu, sur
lui. Mais quand le père commande ce que Dieu ne défend point, on doit lui obéir
comme à Dieu, puisque Dieu a ordonné d’obéir à un père. Dieu bénit donc les
fils de Jonadab à cause de leur obéissance, et les opposa à son peuple rebelle,
lui reprochant de n’obéir point à son Dieu, tandis que les fils de Jonadab
étaient fidèles aux prescriptions de leur père. Or, Jérémie, dans ce
rapprochement, avait pour but de les préparer à être emmenés à Babylone, à ne
point résister à la volonté de Dieu, et à n’attendre de l’avenir que la
servitude. Telle est donc la couleur que l’on a voulu donner au titre du
psaume; aussi après avoir dit: « Des fils de Jonadab »,on ajoute: « Et des
premiers qui furent emmenés en captivité », non que les fils de Jonadab aient
été captifs, mais parce que l’exemple de leur obéissance à leur père était
proposé àceux qui allaient être emmenés captifs, afin qu’ils comprissent que
leur captivité était le châtiment de leur rébellion envers Dieu. Ajoutez à cela
que Jonadab signifie le volontaire de Dieu. Qu’est-ce à dire volontaire de
Dieu? Qui sert Dieu de plein gré. Qu’est-ce à dire volontaire de Dieu? «
Seigneur, vos volontés sont dans mon âme, je chanterai vos louanges 1 ».
Qu’est-ce à dire encore le volontaire de Dieu? « Je vous fais le sacrifice de
ma volonté 2 ». Car si l’enseignement des Apôtres avertit le serviteur d’obéir
à l’homme qu’un pour maître, non point comme par nécessité, mais de bon gré, et
d’affranchir son coeur, par un service volontaire, combien plus votre volonté
doit être pleine, entière, affectueuse, quand il s’agit du service de Dieu qui
voit cette volonté? Qu’un serviteur te serve à contre-coeur, tu peux bien voir
sa main, son visage, sa présence, mais non découvrir son coeur. Et pourtant
l’Apôtre leur dit: « Ne servez point sous le regard seulement »
1. Ps. LV, 12. — 2. Id. LIII, 8.
Qu’est-ce à dire, «sous le regard?» Quoi
donc! mon maître va-t-il pénétrer la manière dont je le sers, pour me dire de
ne point servir « à cause de son oeil? » Il ajoute: « Servez comme si vous
serviez le Christ». Cet homme, votre maître, ne voit point, mais le Christ,
votre Maître, vous voit. « Servez donc de coeur», dit l’Apôtre, « et d’une
pleine volonté 1 ». Tel fut Jonadab, ou plutôt, tel est le sens de son nom.
Mais que signifient « ceux qui furent les premiers emmenés captifs? » Les Juifs
furent emmenés en captivité une première, une seconde et une troisième fois.
Mais le psaume ne parle ni pour ceux, ni de ceux qui furent emmenés les
premiers: en discutant le psaume, en le sondant, en scrutant le sens de tous
les versets, on voit qu’il a un tout autre sens, et qu’il n’y est aucunement
question de je ne sais quels hommes, qui, à telle invasion de leurs ennemis,
furent, je ne sais à quelle époque, emmenés captifs de Jérusalem à Babylone.
Mais que nous dit le psau nie, sinon ce que vous avez entendu à la lecture de
saint Paul? Il nous prêche la grâce de Dieu; et il nous la prêche, parce que de
nous-mêmes nous ne sommes rien: il nous la prêche, parce que tout ce que nous
sommes, c’est par la divine miséricorde, et que de nous-mêmes nous ne sommes
que méchants. Pourquoi donc nous appeler « captifs? » et pourquoi ce mot de
captivité doit-il nous signaler la grâce du libérateur? L’Apôtre nous fait
cette réponse: « Chez moi l’homme intérieur se plaît dans la loi de Dieu: mais
je sens dans mes membres une loi contraire à la loi de l’esprit, et qui me
tient captif sous la loi du péché qui est dans mes membres ». Te voilà donc
réduit en captivité. Que dit alors le psaume? Ce que dit ensuite l’Apôtre: «
Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort? La grâce de
Dieu par Jésus-Christ Notre Seigneur 2 ». Mais après l’explication du terme «
captifs n, pourquoi « les premiers? » Cela devient clair, si je ne me trompe. C’est
qu’auprès des fils de Jonadab toute désobéissance devient coupable. Or, c’est
la désobéissance qui nous a réduits en captivité, car Adam lui-même fut
coupable de désobéissance. Aussi saint Paul a-t-il dit, et c’est la vérité, «
que tous meurent en Adam, en qui tous ont péché 3 ». Il est donc vrai que « les
premiers furent emmenés en
1. Ephés. VI,
6, 7. — 2. Rom. VII, 22-15. — 3. Id. V, 12.
captivité »: puisque « le premier homme est
l’homme terrestre formé de la terre, le second est l’homme céleste, qui vient
du ciel. Comme le premier fut terrestre, ses enfants sont terrestres; comme le
second est céleste, ses enfants sont célestes. De même que nous avons porté
l’image de l’homme terrestre, portons aussi l’image de Celui qui est dans le
ciel ». Le premier homme nous a rendus captifs, le second nous délivrera de la
servitude. « De même en effet que tous meurent en Adam, tous aussi vivront en
Jésus-Christ 1 ». Mais ils meurent en Adam à cause de leur naissance charnelle,
ils seront délivrés dans le Christ par la foi du coeur. Tu n’étais pas libre de
ne point naître d’Adam, et tu es libre de croire au Christ. Autant donc tu
voudras appartenir au premier homme, autant tu feras partie de la captivité. Et
qu’est-ce à dire: Tu voudras appartenir? ou même tu appartiendras? Tu en fais
partie déjà: crie donc: « Qui me délivrera de ce corps de mort 2? » Ecoutons ce
même cri dans la bouche du Psalmiste
3. « Mon Dieu, j’ai crié vers vous, que ma
confusion ne soit pas éternelle ». Déjà je suis dans la confusion, mais que ce
ne soit pas éternellement. Comment serait-il exempt de confusion celui à qui
l’on dit: « Que vous revient-il de ces actes dont vous rougissez maintenant 3?
» Comment donc pourrions nous échapper à la confusion éternelle? «
Approchez-vous de lui, recevez sa lumière, et votre face n’aura point à rougir
4». Vous avez été dans la confusion en Adam; retirez- vous d’Adam,
approchez-vous du Christ, et vous n’aurez plus à rougir. « Seigneur, c’est en
vous que j’ai mis mon espoir, je ne serai point confondu éternellement ». Si je
suis confondu en moi-même, jamais en vous je ne serai confondu.
4. « Délivrez-moi dans votre justice et
rachetez moi 5 ». Non point dans ma justice, mais dans la vôtre: en comptant
sur la mienne, je serais au nombre de ceux dont il est dit: « Dans leur
ignorance de la loi de Dieu, et leurs efforts pour établir leur propre justice,
ils ne se sont point soumis à la justice de Dieu 6 ». Donc « en votre justice
», et non dans la mienne. Qu’est-ce, en effet, que la mienne? L’iniquité l’a précédée.
Et quand je
1. I Cor. XV, 47-49, 22 — 2. Rom. VII, 24. —
3. Id. VI, 21. — 4. Ps. XXXIII, 6. — 5. Id. LXX, 1. — 6. Rom. X, 3.
serai juste, ce sera par votre justice t car
je ne serai juste que quand vous m’aurez donné la justice; et cette justice ne sera
la mienne qu’en demeurant en moi, puisqu’elle viendra de vous. Je crois, en
effet, à celui qui justifie l’impie, afin que ma foi me soit imputée à justice
1. Cette justice sera donc à moi, mais non comme si elle m’était propre, comme
si j’avais pu me la donner moi-même: ainsi que le croyaient ceux qui se
glorifiaient dans la lettre de la loi, et qui dédaignaient la grâce. Car il est
dit ailleurs « Jugez-moi, Seigneur, selon ma justice 2 ». Et le Prophète
assurément ne se glorifiait point de sa propre justice. Mais rappelons-nous ce
mot de l’Apôtre: « Qu’avez-vous que vous n’ayez point reçu 3?» Et parlez de
votre justice, sans oublier que vous l’avez reçue, et sans rien envier à ceux
qui l’ont reçue. Le Pharisien aussi reconnaissait qu’il était redevable à Dieu,
quand il disait: « Je vous rends grâces de ce que je ne suis point comme le
reste des hommes ». « Je vous rends grâces », très-bien; « de ce que je ne suis
point comme le reste des hommes »: pourquoi? Te plairait-il d’être bon, parce
que les autres sont mauvais? Que va-t-il ajouter enfin? « Ils sont injustes,
voleurs et adultères, tel qu’est ce Publicain ». Ce n’est plus là se réjouir,
c’est insulter. Quant à l’humble captif, « il n’osait lever les yeux au ciel,
mais il frappait sa poitrine en disant « Seigneur, soyez-moi propice, car je
suis un pécheur 4 ». C’est donc peu de reconnaître que le bien qui est en toi
vient de Dieu, si tu ne veilles à ne point t’élever au-dessus de celui qui ne
l’a point encore, et qui te devancera peut-être quand il l’aura reçu. Quand
Paul lapidait Etienne », de combien de chrétiens n’était-il pas persécuteur? Et
néanmoins après une fois converti, il surpassa ceux qui l’avaient précédé. Dis
donc à Dieu ce que tu entends dans le psaume: « Seigneur, j’ai mis en vous mon
espoir, je ne serai point confondu éternellement. Délivrez-moi, rachetez-moi,
dans votre justice », et non dans la mienne. « Inclinez votre oreille vers moi
». C’est là confesser sa bassesse. Dire: « Inclinez-vous vers moi », c’est
avouer que l’on ressemble ami malade qui est couché devant le médecin qui est
debout. Vois enfin que c’est
1. Rom. IV, 5.— 2. Ps. VII, 9.— 3. I Cor. IV, 7.— 4. Luc, XVIII, 11, 13. — 5. Act. VII, 59.
un malade qui parle: « Inclinez votre oreille
jusqu’à moi,et sauvez-moi».
5. « Soyez pour moi un Dieu protecteur». Que
les flèches de l’ennemi ne m’atteignent point, car je ne puis me défendre.
C’est peu que « Dieu soit mon protecteur »; le Prophète ajoute: « Servez-moi de
forteresse, afin de me sauver 1 ». « Soyez pour moi une forteresse », soyez
vous-même mon lieu fortifié. Où donc allais-tu, Adam, lorsque tu fuyais Dieu,
et que tu te cachais dans les arbres du jardin? Où allais-tu, quand tu fuyais
sa face qui avait fait ta joie 2? Tu l’as fui, et tu es mort; tu es devenu
captif, et Dieu te recherche et ne t’abandonne point; il laisse sur les
montagnes ses quatre-vingt-dix-neuf brebis, et recherche la brebis égarée; et
en la retrouvant il s’écrie: « Il était mort et il est ressuscité; il était
perdu, et il est retrouvé 3 ». Ainsi Dieu devient le lieu de noire refuge, lui
qui tout d’abord nous faisait craindre et fuir. « Soyez pour moi », dit le
Prophète, «un lieu fortifié, afin de me sauver». Je ne puis avoir de salut
qu’en vous; si vous n’êtes mon repos, mon mal ne saurait se guérir. Levez-moi
de terre, que je me repose en vous, afin que je m’élève dans un lieu sûr. Qu’y
a-t-il de plus sûr? Quels adversaires, dis-moi, pourras-tu craindre, quand il
sera ton refuge? Qui pourra t’atteindre de ses traits cachés? Je ne sais de
quel homme on raconte que du sommet d’une montagne il cria à l’empereur qui
passait: Je n’ai cure de toi, et à qui l’empereur répondit: Ni moi de toi. Il
n’avait que le dédain pour un empereur avec des armes éclatantes, et une
puissante armée. Où était-il? dans un lieu fortifié. S’il se trouvait en
sûreté, sur un terrain élevé, que sera-ce de toi, en celui qui a fait le ciel
et la terre? « Soyez donc pour moi un Dieu protecteur, un lieu de sûreté afin
de me sauver». Et si je me choisis un autre lieu, il n’y a point de salut pour
moi. Cherche, ô homme, si tu peux trouver un lieu plus fortifié. Tu ne saurais
échapper à Dieu qu’en fuyant vers Dieu. Si tu veux échapper à sa colère,
cherche un refuge dans sa miséricorde. « C’est vous, en effet, qui êtes mon
ferme appui, vous qui êtes mon refuge». Qu’est-ce à dire: « Mon ferme appui? »
C’est par vous que je suis ferme, en vous qu’est ma force. « Car c’est vous qui
êtes mon ferme appui, vous qui êtes mon
1.
Ps. LXX, 3. — 2. Gen. III, 8.— 3. Luc, XV, 4, 24.
refuge »: je me réfugierai donc en vous, afin
de trouver en vous la force quand je serai faible par moi-même. Car c’est la
grâce du Christ qui te donne la force et. te fait Inébranlable contre les
efforts de l’ennemi. Mais il y a là toujours de l’humaine fragilité, toujours
de la captivité première, toujours la loi des membres qui résiste à la loi de
l’esprit, et qui veut me captiver sous cette loi du péché 1; toujours le corps
qui se corrompt et appesantit l’âme 2. Quelque fermeté que vous donne la grâce
de Dieu, tant que vous portez ce vase de terre qui renferme le trésor de Dieu,
cette argile vous laisse toujours dans la crainte 3. « C’est donc vous qui êtes
mon ferme appui », afin qu’en cette vie je puisse résister à toutes les
tentations. Quel qu’en soit le nombre, quelque trouble qu’elles me causent: «
c’est vous qui êtes mon refuge ». Il me reviendra de l’aveu de ma faiblesse
d’être timide comme le lièvre, parce que je suis plein d’épines comme le
hérisson. Mais il est dit dans un autre psaume, que « la pierre est le refuge des
hérissons et des lièvres 4 »; or, cette pierre était le Christ 5.
6. « Délivrez-moi, mon Dieu, de la main du
pécheur 6». Ils sont pécheurs en général, ces hommes au milieu desquels gémit
celui qui va être délivré de la captivité; celui qui s’écrie: « Malheureux
homme que je suis, qui me délivrera de ce corps mortel? La grâce de Dieu par
Jésus-Christ, Notre Seigneur ». Au dedans j’ai pour ennemi cette loi qui est
dans nos membres; au dehors encore des ennemis à qui en appeler? A celui que le
Prophète implorait: « Purifiez-moi, mon Dieu, de mes fautes cachées, et
n’imputez pas à votre serviteur les fautes des autres 8 ». Dire donc: «
Sauvez-moi », c’est lui demander de te guérir de tes maux intérieurs, ou de
cette faiblesse qui te rend esclave, de celle qui te rattache au premier homme,
et qui te fait gémir avec les premiers captifs. Mais une fois délivré de tes
propres iniquités, veille aux iniquités de ceux avec lesquels il te faut vivre
jusqu’à ce que cette vie soit écoutée. Mais quand le sera-t-elle? La voilà qui
finit pour toi, mais finira-t-elle pour l’Eglise avant la fin des temps? Or,
cet homme qui parle ici, c’est le Christ dans
1. Rom VII, 23. — 2. Sag
IX, 15. — 3. II Cor IV, 7 — 4. Ps. CIII, 18. — 5. I Cor, X, 4. — 6. Ps. LXX, 4. — 7.
Rom. VII, 24, 25. — 8. Ps. XVIII, 13, 14.
son unité. Sans doute il y a beaucoup de
fidèles qui ont quitté ce corps, et qui jouissent du repos que Dieu donne aux
âmes de ses serviteurs; niais le Christ a des membres aussi dans ceux qui
vivent maintenant, et dans ceux qui doivent maître ensuite. Donc, jusqu’à la
fin des siècles subsistera cet homme qui demande à Dieu la délivrance de ses
péchés, et de cette loi des membres qui résiste à la loi de l’esprit. Il gémira
sur les fautes de ceux au milieu desquels il doit vivre jusqu’à la fin des
siècles. Or, ces pécheurs sont de deux sortes: les uns qui ont reçu la loi, les
autres qui ne l’ont pas reçue. Tous les païens n’ont reçu aucune loi, les Juifs
et les Chrétiens ont reçu la loi. Le nom de pécheur est donc un nom générique;
il signifie transgresseur de la loi, si on a reçu la loi, ou simplement pécheur
sans la loi, si on ne l’a point reçue. L’Apôtre fait mention de ces deux
catégories, et dit: « Ceux qui ont péché sans la loi, pé« riront sans la loi,
et ceux qui ont péché avec la loi, seront jugés par la loi 1». Mais toi, qui
gémis entre ces deux pécheurs, dis à Dieu ce que tu entends dans ce psaume: «
Mon Dieu, délivrez-moi de la main du pécheur». De quel pécheur? « De la
puissance du transgresseur de la loi, et de l’homme inique ». L’homme qui a
violé la loi est inique à la vérité, car on ne peut la violer sans iniquité;
mais si tout violateur de la loi est coupable, tout injuste n’est point, pour
cela, violateur de la loi. « Sans la loi », dit l’Apôtre, « il n’y a pas violation
de la loi 2 ». Donc, ceux qui n’ont pas reçu la loi peuvent être appelés
injustes, mais non prévaricateurs. Les uns et les autres sont jugés selon leurs
mérites. Mais moi, qui veux être délivré de la servitude par votre grâce, je
crie vers- vous: « Délivrez-moi de la main du pécheur ». Qu’est-ce à dire: « De
sa main? » De sa puissance, de peur que éa violence ne m’arrache un
consentement; de peur que ses artifices ne me persuadent l’iniquité. «
Délivrez-moi de la main du prévaricateur de la loi, et de l’injuste ». Mais,
diras-tu, pourquoi demander que Dieu te délivre de la main du transgresseur de
la loi, et de l’injuste? Garde-toi d’y consentir; et à ses violences, oppose la
patience et le calme. Mais quelle patience opposer quand ne nous soutient plus
celui qui est une forteresse? Pourquoi lui dis-je: « Délivrez-moi de la
1. Rom. II, 12.— 2. Id. IV, 15.
main du violateur de la loi, et de l’injuste?
»Parce qu’il n’est point en moi d’être patient, mais en vous, qui donnez la
patience.
7. De là vient que je dis ensuite: « C’est
vous qui êtes ma patience ». Et si vous êtes
ma patience, j’ai raison de dire encore: «
Vous êtes, Seigneur, mon espérance dès ma jeunesse 1». Dieu est-il ma patience
parce qu’il est mon espoir, ou mon espoir parce qu’il est ma patience? «
L’affliction », dit l’Apôtre, « produit la patience, la patience la pureté, la
pureté l’espérance; or, cette espérance n’est pas vaine 2. Je m’applaudis
d’avoir mis en vous mon espoir, ô mon Dieu, je ne serai point confondu
éternellement. Seigneur, vous êtes mon espoir dès ma jeunesse ». Est-ce bien
dès ta jeunesse que Dieu est ton espoir? Ne l’est-il pas dès la mamelle, dès la
plus tendre enfance? Oui, dit le Prophète. Car, voyons la suite, de peur que
cette parole: « Mon espérance dès ma jeunesse », ne semble dire que Dieu n’a
rien été pour mon enfance, ma naissance même. « C’est en vous que j’ai été
affermi dès le sein de ma mère ». Ecoute encore: « Dès le sein de ma mère vous
êtes mon protecteur 3». Pourquoi donc « dès ma jeunesse », sinon depuis que
j’ai commencé à espérer? Car auparavant je n’espérais pas en vous, bien que
vous fussiez mon protecteur, pour me faire arriver avec bonheur au temps où
j’ai commencé à espérer en vous. Or, j’ai commencé à mettre en vous mon espoir,
dans ma jeunesse, alors que vous m’avez armé contre le diable, afin que sous
l’armure de vos milices, muni de votre foi, de la charité, dé l’espérance et de
tous vos autres dons, je pusse
combattre tous vos ennemis invisibles, et
entendre ces paroles de l’Apôtre: « Nous n’avons plus à combattre contre le
sang et la chair, mais contre les principautés, coutre les puissances, contre
les princes du monde, et de ces ténèbres, contre les esprits de malice 4 ». Il
est donc jeune encore, celui qui livre ces combats; mais nonobstant sa
jeunesse, il succombera, s’il ne met son espoir en celui qu’il invoque en
disant: « Vous êtes, Seigneur, mon espoir dès ma jeunesse ».
8. « Vous serez toujours le sujet de mes
cantiques ». Est-ce dès l’origine de mon
espoir jusqu’à présent? Non, mais « toujours
». Qu’est-ce que « toujours? » Non
1. Ps. LXX, 5.— 2. Rom, V, 3, 5.— 3. Ps. LXX,
6,— 4. Ephés. VI, 12.
seulement tant que dure la foi, mais au temps
de la vision. « Car, maintenant que nous sommes en cette vie, nous sommes
éloignés du Seigneur; puisque nous allons à lui par la foi, sans le voir à
découvert 1». Or, un temps viendra que nous verrons à découvert ce que nous
croyons sans le voir: et notre joie sera de voir ce que nous aurons cru; tandis
que la vue de ce qu’ils n’auront point voulu croire fera la confusion des
impies. Alors ce sera la réalité; maintenant ce n’est que l’espérance. « Or,
l’espérance qui verrait ne serait plus l’espérance; si nous ne voyons pas ce
que nous espérons, nous l’attendons par la patience 2». Tu gémis donc maintenant,
tu cours maintenant au lieu de ton refuge, afin d’être sauvé; maintenant que tu
es malade, tu cherches le médecin; que sera-ce quand tu auras une santé
parfaite? Quand tu seras comme les anges de Dieu 3, pourras-tu oublier la grâce
qui t’a délivré? Non. « C’est vous que je chanterai toujours».
9. « Beaucoup me regardent comme un prodige
4». Ici-bas, dans cette vie de l’espérance, vie de sanglots, vie d’humilité,
vie de douleur, vie d’infirmité, vie de gémissements dans nos chaînes; quoi donc
en cette vie? « Beaucoup me regardent comme un prodige». Pourquoi « comme un
prodige? » Pourquoi m’insulter quand ils voient un prodige en moi? Parce que je
crois ce que je ne vois pas encore. Eux qui n’ont de bonheur que dans ce qu’ils
voient, mettent leurs délices dans l’ivresse, dans la luxure, dans l’adultère,
dans l’avarice, dans les richesses, dans la rapine, dans les dignités du
siècle, dans l’éclat d’une muraille de boue; voilà leurs délices; mais moi je
suis une voie bien différente; je méprise les biens présents, je redoute
jusqu’au bonheur de ce monde, et n’ai de sécurité quo dans les promesses de
Dieu. Pour eux: « Mangeons et buvons, et nous mourrons demain ». Que dis-tu?
Répète encore. « Mangeons », dit-il, « et buvons ». Continue; qu’as-tu dit
ensuite? « Car demain nous mourrons ». Tu m’effrayes sans me séduire. La raison
que tu me donnes me glace d’effroi, et m’empêche de t’écouter. « Nous mourrons
demain », dis-tu, et tout à l’heure: « Mangeons et buvons ». Car, après avoir
dit:
1. II Cor. V, 6. — 2. Rom. VIII, 24. — 3.
Matth. XXII, 30.— 4. Ps. LXX, 7.— 5. I Cor. XV, 32.
« Mangeons et buvons», tu as ajouté: « Parce
que nous mourrons demain ». Ecoute-moi, au contraire: jeûnons et prions, car
nous mourrons demain, C’est en marchant dans cette voie étroite et rude, que «
je parais à plusieurs une monstruosité; mais vous êtes, ô Dieu, mon puissant
appui ». Venez, Seigneur Jésus, venez me dire: Ne te décourage point dans cette
voie, j’y ai marché le premier, moi-même je suis la voie 1, c’est moi qui
conduis, je conduis en moi et jusqu’à moi. Que je sois donc « un prodige pour
beaucoup»: je n’ai rien à redouter, parce que « vous êtes, Seigneur, mon
puissant protecteur ».
10. « Que ma bouche soit pleine de vos
louanges, afin que tout le jour je chante votre gloire et votre magnificence
2». Qu’est-ce à dire t «Tout le jour?» sans interruption. Dans la prospérité,
car vous me consolez; dans l’adversité, parce que vous m’épurez; avant ma
naissance, parce que vous m’avez créé; après ma naissance, parce que vous
m’avez sauvé; après mon péché, parce que vous m’avez pardonné; dans ma
conversion, parce que vous m’avez aidé; dans ma persévérance, parce que vous la
couronnez. Oui, Seigneur, « que ma bouche soit pleine de vos louanges, afin que
je chante votre gloire tout le jour, et votre magnificence ».
11. « Ne me rejetez pas au temps de ma
vieillesse 3. Vous qui êtes l’espérance de mes jeunes années, ne me rejetez pas
au temps de ma vieillesse ». Quel est ce temps de la vieillesse? « Au déclin de
ma force, ne m’abandonnez pas». Le Seigneur te répond au contraire: Que ta
force s’affaiblisse, afin que la mienne demeure en toi, et que tu puisses dire
avec l’Apôtre: « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort 4 ». Ne
crains point d’être abandonné dans cette impuissance, dans cette vieillesse.
Quoi donc ! ton Dieu n’a-t-il pas été infirme sur la croix? Ses ennemis ne le
regardaient-ils point comme un homme sans force, comme un captif, un opprimé?
N’ont-ils pas branlé la tête, comme des taureaux pleins de force et de
puissance, en lui disant: « S’il est fils de Dieu, qu’il descende de la croix
5? » Cette faiblesse lui valut-elle d’être abandonné, quand il aima mieux ne
pas descendre de la croix, afin que l’on ne pût voir en cela une concession aux
1. Jean, XIV, 6. — 2. Ps. LXX, 8. — 3. Id. 9.
— 4. II Cor. XII, 10.— 5. Matth. XXVII, 39, 40.
insolences, plutôt qu’une manifestation de sa
force? Que t’apprend-il, en demeurant à la croix, sans vouloir en descendre,
sinon à supporter les insultes, sinon à demeurer fort dans ton Dieu? C’est
peut-être de lui qu’il est dit: « Je suis pour beaucoup un prodige, et vous
êtes mon ferme appui? » Appui dans son infirmité, mais non dans sa force; en ce
sens qu’il nous a personnifiés en lui-même, et non qu’il est descendu. Je suis
devenu un prodige pour beaucoup. Ce serait là sa vieillesse, puisque le vieil
homme désigne bien une vieillesse, et l’Apôtre a dit: « Notre vieil homme a été
crucifié avec Lui 1 ». Si notre vieil homme était en lui, il y avait donc une
vieillesse; car la vieillesse vient de vieux. Et pourtant, comme cette parole
est vraie: « Ta jeunesse se renouvellera comme celle de l’aigle 2 »; il est
ressuscité le troisième jour et nous a promis la résurrection pour la fin des
siècles. Le chef a précédé, les membres doivent suivre. Pourquoi craindre qu’il
ne t’abandonne, qu’il ne te méprise au temps de la vieillesse, au déclin de tes
forces? C’est, au contraire, au déclin de ta propre force que la sienne se fera
sentir en toi.
12. Pourquoi parlé-je ainsi? « Parce que mes
ennemis on-t parlé contre moi, et ceux qui épiaient ma vie se sont concertés en
disant: Voilà qu’il est abandonné de Dieu; poursuivez-le, saisissez-le, car il
n’est personne pour le délivrer 3». Voilà ce qui est dit du Christ. Cette
puissance de divinité qui le rend égal à son Père, lui avait fait ressusciter
les rnorls; et quand il tombe entre les mains de ses ennemis, le voilà faible
et saisi comme un homme sans force. Comment l’eût-on saisi, si ses ennemis
n’eussent dit d’abord « Dieu l’a délaissé? » De là cette plainte qu’il exhale
sur la croix: « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné 4? » Mais Dieu
avait-il bien abandonné’ son Christ, lui qui était alors dans le Christ, se
réconciliant le monde 5? Et ce Christ, né des Juifs selon la chair, était Dieu,
et Dieu par-dessus toutes choses, béni dans tous les siècles 6. Dieu donc
l’avait-il abandonné? Point du tout. Mais il parle ici en notre nom, au nom de
notre vieil homme crucifié avec lui 7; c’est encore de ce vieil homme qu’il
avait pris un corps, puisque Marie était fille d’Adam. Il s’appropriait donc
1. Rom. VI, 6. — 2. Ps. CII, 5. — 3. Id. LXX,
10, 11. — 4. Id. XXI, 2. — 5. II Cor. V, 19. — 6. Rom. IX, 5. — 7. Id. VI, 6.
la pensée de, ses ennemis, quand il disait
sur la croix: « Pourquoi m’avez-vous abandonné 1? » D’où leur vient la pensée
malheureuse que vous m’avez abandonné? « Car s’ils eussent connu le Seigneur de
la gloire, ils ne l’eussent point crucifié 3. Poursuivez-le et saisissez-le ».
Toutefois, mes frères, ces paroles conviennent mieux aux membres du Christ, et
nous devons y retrouver nos propres paroles; car c’est en notre nom que le
Christ les a proférées, et non dans sa puissance et dans sa majesté. C’était
dans l’humanité dont il s’était revêtu pour nous, et non dans cette puissance
qui nous a créés.
13. « Seigneur, mon Dieu, ne vous éloignez
pas de moi 4». Ainsi en est-il, et il ne
s’éloigne point. Le Seigneur est toujours
près de ceux qui ont le coeur contrit 5. « Mon Dieu, soyez attentif à me
secourir ».
14. « Qu’ils soient confondus, anéantis, les
ennemis de mon âme 6 ». Quel souhait? « Qu’ils soient confondus et anéantis ».
Pourquoi ce souhait? « Parce qu’ils compromettent mon âme ». Qu’est-ce à dire «
qu’ils la compromettent? » Qu’ils l’engagent comme dans une rixe. Car on
appelle compromis des hommes que l’on engage dans des querelles. Si donc il en
est ainsi, évitons ceux qui compromettent notre âme. Qu’est-ce à dire: qui
compromettent notre âme? Qui nous provoquent à résister à Dieu, à le maudire
dans nos malheurs. Quand est-ce que tu es assez droit pour goûter la bonté du
Dieu d’Israël, qui est bon pour les humbles de coeur 4? Quand est- ce que tu es
droit? Veux-tu l’entendre? Lorsque Dieu te plait dans le bien que tu fais, et
que tu ne le maudis point dans les maux que tu endures. Comprenez bien ces
paroles, mes frères, et soyez en garde vis-à-vis de ceux qui compromettent vos
âmes. Tous ceux qui ont sur vous une influence de découragement dans le chagrin
et dans les épreuves, aboutissent â vous le faire maudire dans vos souffrances,
et à tirer de votre bouche ces paroles Qu’est-ce que cela? qu’ai-je fait? Ainsi
donc, tu n’as rien fait, tu es juste, et Dieu est injuste? Mais, diras-tu, je
suis pécheur, je l’avoue, je ne me dis point juste; néanmoins, pour être pécheur,
le suis-je autant que tel autre qui est heureux? Autant que Galus-Seïus? Je
connais ses crimes, ses iniquités, dont je suis
1.
Matth. XXVII, 46. — 2. I Cor, II, 8. — 3. Ps. LXX, 12, — 4. Id. XXXIII, 19. —
5. Id. LXX, 13. — 6. Id, LXXII, 2.
bien loin, tout pécheur que je suis; et
pourtant je le vois dans une prospérité florissante, quand je languis dans une
tefle misère. Si donc je dis: Que vous ai-je fait, ô mon Dieu, ce n’est pas que
je n’aie fait aucun mal, mais je n’en ai pas fait assez pour endurer ce que je
souffre. Encore une fois, c’est toi qui es juste, et Dieu qui est injuste.
Eveille-toi, misérable, ton âme est compromise. Je ne me dis point juste, me
répondras-tu. Que dis-tu donc? Je suis pécheur, mais les fautes que j’ai
commises ne méritent pas de si grands maux. A la vérité, tu ne dis point à
Dieu: Je suis juste et vous injuste; mais bien: Je suis injuste, et vous plus
injuste encore. Voilà comment ton âme est engagée, voilà ton âme qui guerroie.
Quelle âme, et contre qui? Ton âme, et contre Dieu; ton âme, qui est créature,
en guerre contre son créateur; âme ingrate, par cela même que tu cries contre
lui. Reviens donc à l’aveu de ta faiblesse; implore le secours du médecin.
N’estime pas heureux ceux qui ne fleurissent que pour un temps. Dieu te châtie,
et il les épargne; il ne te châtie peut-être, et ne te purifie comme un fils,
qu’afin de te laisser son héritage. Reviens donc, prévaricateur, reviens en ton
coeur 1, et n’engage point ton âme. Celui que tu veux combattre est beaucoup
plus fort que toi. Plus grandes seront les pierres que tu lanceras contre le
ciel, et plus elles t’écraseront par leur chute. Reviens donc et reconnais-toi.
C’est à Dieu que tu t’en prends; c’est à toi de rougir et de t’en prendre à
toi-même. Tu ne ferais aucun bien sans sa bonté; tu n’aurais rien à souffrir
sans sa justice. Eveille-toi donc à cette voix: « Le Seigneur a donné, le
Seigneur a ôté; comme il a plu au Seigneur, ainsi a-t-il été fait: que le nom
du Seigneur soit béni 2 ». Ils étaient injustes, ces hommes pleins de santé,
assis auprès de Job 3; et néanmoins, lui que Dieu devait recevoir dans le ciel,
était flagellé, et eux, qu’il devait punir un jour, étaient alors épargnés.
Quelles que
soient donc les afflictions qui t’arrivent,
les outrages que tu essuies, n’engage point ton âme; ne l’engage pas contre
Dieu, ni même contre ceux qui te font subir ces traitements. La moindre haine
que tu conçoives contre eux compromettrait ton âme à leur égard. Rends plutôt
grâces à Dieu, et prie-le pour eux. C’est peut-être une invocation en leur
1. Isaïe, XLVI, 8. — 2. Job, I, 21. — 3. Id.
IX, 13.
faveur, que cette parole que tu as entendue «
Qu’ils soient confondus, anéantis, ceux qui engagent mon âme ». « Qu’ils soient
confondus, anéantis», car ils présument de leur justice; qu’ils soient
confondus, voilà ce qui leur convient, afin qu’ils reconnaissent leurs péchés;
qu’ils en soient dans la confusion, dans la défaillance, eux qui avaient tort
de présumer de leur justice, qu’ils disent dans leur défaillance: « Quand je
suis faible, c’est alors que je suis puissant 1 ». Qu’ils disent encore: « Ne
me rejetez point aux jours de ma vieillesse 2 ». C’est donc leur bien que
souhaitait le Prophète, dans cette confusion de leurs maux, dans cette
défaillance de leurs forces pour le mal, afin que, confondus et anéantis, ils
cherchent à échanger cette confusion contre la lumière, et cette faiblesse
contre la force. Ecoute ce qui vient ensuite: « Qu’ils revêtent la confusion et
la honte, ceux qui cherchent ma ruine. La confusion et la honte »: la
confusion, à cause de leur conscience criminelle, et la honte pour devenir
modestes. Qu’il en soit ainsi d’eux, et ils deviendront bons. N’accuse donc
plus de violence le prophète; puisse-t-il être exaucé en leur faveur. La parole
d’Etienne paraissait violente, alors que de sa bouche enflammée s’exhalait
cette apostrophe: « Hommes à la tête dure, incirconcis de coeur et d’oreilles,
vous résistez toujours au Saint-Esprit 3 ». Quel transport de colère, quelle
véhémence contre ses adversaires ! Son âme te paraît engagée? Loin de là, il
cherchait leur salut, il enchaînait par ses paroles ces frénétiques à l’aveugle
délire. Vois en effet que son âme n’était engagée ni contre Dieu ni contre
eux-mêmes. « Seigneur Jésus », dit-il, « recevez mon esprit 4 ». Il ne
s’emporta point contre Jésus, puisqu’il endurait d’être lapidé pour sa parole;
son âme n’était donc point compromise vis-à-vis de Dieu. Elle ne l’était pas
non plus vis-à-vis de ses ennemis, puisqu’il s’écrie: « Seigneur, ne leur
imputez pas ce péché 5. Qu’ils revêtent la confusion et la honte, ceux qui
méditent ma ruine ». Voilà ce que cherchent tous ceux qui m’affligent, ils
cherchent à me nuire. Voilà ce que cherchait cette femme, qui donnait ce
conseil: «Blasphème ton Dieu, et meurs 6 », et cette autre épouse de Tobie, qui
disait à
1.
II Cor. XIX, 10.— 2. Ps. LXX, 9.— 3. Act. VII, 51.— 4. Id. 56.— 5. Id. 59. — 6.
Job, II, 9.
son mari: « Où sont toutes vos justices 1? »
Elle parlait ainsi pour l’animer contre Dieu, qui l’avait rendu aveugle, et
compromettre son âme par ce sentiment coupable.
15. Si donc, dans la tentation, nul n’a pu
t’indisposer contre Dieu, nul ne t’a extorqué une résistance dans le malheur,
ou ne t’a inspiré l’aversion contre ceux qui te font souffrir, ton âme n’est
point engagée. Tu peux dire en toute sûreté ce qui suit: « Pour moi,
j’espérerai toujours en vous, j’ajouterai à vos louanges 2». Qu’est-ce à dire?
Voici ce qui doit nous surprendre: « J’ajouterai à vos louanges ». Voudrais-tu
perfectionner la louange du Seigneur? Peu t-on ajouter à cette louange? Si
cette louange est pleine, que pourras-tu y ajouter? On a chanté Dieu dans ses
bienfaits, dans toutes ses créatures, dans la création de toutes choses, dans
l’ordre et la disposition des siècles, dans l’ordre des temps, dans la hauteur
des cieux, dans la fécondité de la terre, dans l’immensité des mers, dans la
beauté des créatures qui naissent de toutes parts, dans les fils mêmes des
hommes, dans la loi qu’il doit donner, dans la délivrance de son peuple de la
captivité égyptienne, et dans ses autres merveilles si nombreuses; mais on ne
l’avait pas encore béni d’avoir ressuscité notre chair pour la vie éternelle.
Que ce soit donc là le surcroît de louange qui lui vient de la résurrection de
Notre Seigneur Jésus-Christ: en sorte que ce soit sa louange qui enchérisse sur
toute louange passée; c’est ainsi que nous pouvons parfaitement l’entendre.
Mais toi, homme pécheur peut-être, qui craignais de compromettre ton âme, qui
n’espérais que de lui seul la délivrance de ta première captivité, qui
n’espérais plus en ta propre justice, mais en ta grâce de celui que prêche
notre psaume, que pourras-tu ajouter à la louange de Dieu? J’y ajouterai,
dit-il. Voyons ce qu’il y ajoutera. Votre louange, ô Dieu, pourrait être
parfaite, et nul défaut ne paraîtrait dans cette louange; non, rien n’y
manquerait, quand mème vous condamneriez tous les injusles. Car ce ne serait
pas une moindre louange, pour le Seigneur, que cette justice qui condamne
l’iniquité; ce serait là une grande gloire. Vous avez fait l’homme, vous lui
avez donné son libre arbitre, vous l’avez placé dans le paradis, en lui donnant
un précepte; vous l’avez
1. Tobie, II, 22. — 2. Ps. LXX, 14.
menacé d’une mort bien juste, s’il le
violait; vous n’avez rien négligé, nul n’en pouvait exiger plus de vous; il a
péché, et le genre humain est devenu une masse de pécheurs naissant d’autres
pécheurs 1 et si vous condamniez cette masse d’iniquités, qui pourrait dire:
Vous agissez injustement? Vous seriez alors dans la justice, et là serait toute
votre gloire; mais comme vous avez délivré le pécheur même et justifié l’impie,
« j’ajouterai à vos louanges un surcroît de gloire ».
16. « Ma bouche publiera votre justice 2 »,
et non la mienne. C’est par là que j’enchérirai sur toutes vos louanges; car
toute ma justice, si tant est que je sois juste, n’est que votre justice en
moi, et non la mienne: puisque c’est vous qui justifiez l’impie 3. « Ma bouche
publiera votre justice, et votre salut durant tout le jour ». Qu’est-ce à dire,
« votre salut? » C’est à Dieu qu’il appartient de nous sauver 4. Que nul ne
prétende se sauver lui-même. C’est Dieu qui peut nous sauver. Nul ne se sauvera
par ses forces, le salut vient du Seigneur, le salut de l’homme est vanité 5. «
Je chanterai votre salut tout le jour »: en tout temps. Es-tu dans l’adversité?
chante le salut de Dieu; dans la prospérité? chante encore le salut du
Seigneur. Ne chante point dans la prospérité que c’est le Seigneur qui sauve
pour te taire dans le malheur: ce ne serait plus « durant tout le jour », comme
il vient d’être dit. Car tout le jour comprend aussi la nuit. Ainsi, par
exemple, dire que trente jours se sont écoulés; n’est-ce point dire autant de
nuits? et les nuits ne sont-elles point comprises dans le mot jour? Qu’est-il
dit en effet dans la Genèse? « Et le soir et le matin formèrent un jour 6 ».
Donc le jour entier s’entend aussi de la nuit; car la nuit sert au jour, et non
le jour à la nuit. Tout ce que tu fais dans ta chair mortelle doit servir à la
justice; agis toujours pour obéir à Dieu et non au stimulant de la chair, de
peur d’assujettir le jour à la nuit. Donc tout le jour, c’est-à-dire dans la
prospérité coin me dans le malheur, chante les louanges de Dieu; tout le jour,
ou dans la prospérité, toute la nuit ou dans le malheur; et néanmoins chante
pendant tout le jour, la louange de Dieu, afin de ne point dire en vain: « Je
bénirai le Seigneur en tout
1. Gen. II et III. — 2. Ps. LXX, 15. — 3. Rom. IV, 5.— 4. Ps. III, 9. — 5. Id. LIX, 13. — 6. Gen. I, 5.
temps, sa louange sera toujours en ma bouche
». Job louait le Seigneur, quand il jouissait heureusement de ses enfants, de
ses troupeaux, de ses serviteurs, de tout son bien; c’était le jour alors: vint
ensuite le malheur, la pauvreté se rua sur lui; il perdit et ce qu’il possédait,
et ceux auxquels il le réservait; c’était alors la nuit. Vois-le cependant qui
loue Dieu tout le jour. Quand s’éteignit pour lui le jour du bonheur, parce que
l’éclat de la lumière ou de la prospérité disparut, cessa-t-il de bénir Dieu?
Le jour ne brillait-il pas dans son coeur, d’où s’échappaient ces rayons: « Le
Seigneur a donné, le Seigneur a ôté; comme il a plu au Seigneur, il a été fait;
que le nom du Seigneur soit béni 2? » Or, ce n’était encore là que comme les
heures du soir: la nuit devint ensuite plus épaisse, les ténèbres plus
profondes, c’est-à-dire, la maladie du corps, la pourriture et les vers; et
dans cette pourriture néanmoins, il ne cessa de louer Dieu durant cette nuit
extérieure, lui que faisait tressaillir la lumière de son âme. Et quand sa
femme le portait au blasphème, et compromettait son âme, il répondit à cette
misérable, qui était comme l’ombre de la nuit « Vous parlez comme une femme
insensée ». Véritable fille des ténèbres, « Si nous avons reçu les biens de la
main de Dieu; comment n’en pas recevoir les maux 3? » Nous l’avons béni pendant
le jour, nous tairons-nous pendant la nuit? « J’annoncerai votre salut tout le
jour», même avec sa nuit.
17. « Car je n’ai point connu le trafic». Ce
qui me porte à vous «bénir tout le jour», dit le Prophète, «c’est que je ne
connais point le négoce 4 ». Quel est ce négoce? Que les trafiquants écoutent,
et changent de vie; qu’ils ne soient plus ce qu’ils ont été, qu’ils désavouent,
qu’ils oublient leur passé; enfin qu’ils n’aient pour ce passé ni approbation
ni louange; qu’ils le blâment et le condamnent, qu’ils se corrigent si le
trafic est un péché. Car de là vient ce je ne sais quel besoin d’acquérir, qui
vous porte au blasphème, ô trafiquants, dès que vous essuyez quelque perte; et
dès lors vous ne louez pas Dieu durant tout le jour. Et quand il vous arrive de
tromper sur le prix des marchandises, et que non contents de mentir, vous
ajoutez le serment au mensonge; comment la louange de
1.
Ps. XXXIII, 2. — 2. Job, I, 21. — 3. Id. II, 10. — 4. Ps. LXX, 15.
Dieu est-elle dans votre bouche pendant tout
le jour, alors que, si vous êtes chrétiens, vos paroles sont une cause de
blasphème contre le nom du Seigneur 1? et l’on dit: Voilà des chrétiens ! Si
donc le Psalmiste chante le Seigneur pendant tout le jour, parce qu’il ignore
le trafic, que les chrétiens se corrigent et ne trafiquent plus. Mais, me dira
un négociant: je fais venir de bien loin des marchandises, dans ces lieux où
elles ne se trouvent point, et afin de vivre, je cherche le bénéfice de ma
peine, en vendant au-dessus du prix d’achat. Comment vivre autrement, et
n’est-il pas écrit: « L’ouvrier est digne de son salaire 2? » Mais il s’agit
ici de mensonge et de parjure; ce n’est point le défaut du négoce, c’est le
mien propre: car il ne m’est pas impossible, si je le veux, de m’exempter de ce
défaut. Je ne veux donc pas attribuer au négoce une faute qui m’est propre: si
je ments, c’est moi qui ments, et non le négoce. Je pourrais dire: J’ai acheté
àtel prix, je revends à tel autre: achetez si cela vous agrée. Une telle
franchise n’éloignerait pas les acheteurs, tous viendraient au contraire,
appréciant ma loyauté plus que iries marchandises. Ainsi donc, me dira-t-on,
conseillez-nous de ne recourir ni au mensonge ni au parjure, mais non de renoncer
au négoce qui me fait vivre. Où irai-je si vous nie tirez de là? Deviendrai-je
artisan? Cordonnier, ferai-je des chaussures? Les cordonniers ne sont-ils point
menteurs? Ne sont-ils point parjures? Quand ils ont vendu une chaussure et en
ont reçu le prix, ne laissent-ils pas l’ouvrage déjà commencé, pour se mettre à
un autre, trompant ainsi celui qu’ils avaient promis de satisfaite bientôt? Ne
disent-ils pas souvent: Je le fais aujourd’hui, je l’achève aujourd’hui? Et
puis, sont-ils exempts de tromperies dans leurs marchandises? Ils font les
mêmes parjures, ils font les mêmes mensonges: mais ce n’est point à leur
profession, c’est à leur malice qu’il faut s’en prendre. Tout artisan donc,
assez méchant pour ne point craindre Dieu, tombe dans le mensonge, dans le
parjure, ou par avidité, du gain, ou par appréhension d’une perte et de la
pauvreté; ils sont loin de louer Dieu sans cesse. Pourquoi donc me retirer de
mon trafic? Pour devenir un laboureur murmurant contre Dieu quand il
1. Rom. II, 24. — 2. Luc, X. 7.
tonne, recourant aux sortilèges par crainte
de la grêle, cherchant à résister au ciel même, souhaitant la faim aux pauvres,
afin de vendre ce que j’ai gardé? C’est là que vous voulez m’amener? Mais,
direz-vous, les bons laboureurs n’en sont point là, Les bons trafiquants, non
plus, ne font ce que vous leur attribuez. Direz-vous que c’est un mal d’avoir
des enfants, parce que pour un mal de tête qui leur arrive, des mères coupables
et infidèles ont recours à des ligatures sacrilèges, à des enchantements? Tout
cela est le vice des hommes, et non des conditions. Voilà ce que peut me
répondre un négociant. Cherchez donc, ô évêque, la manière d’entendre ces
négoces, dont il est parlé dans notre psaume; de peur que vous l’entendiez mal
et ne m’interdissiez tout trafic; dites-moi comment je dois vivre: si je suis
bien, je m’en trouverai bien: je sais toutefois que si je suis mauvais, il ne
faut pas l’attribuer à mon trafic, mais bien à mon injustice. A ne dire que la
vérité on ne trouve point de contradicteur.
18. Cherchons donc ce que l’on appelle ici
négoce, puisque ne point le connaître, c’est bénir Dieu tout le jour. Négoce
signifie en grec action, et en latin, negatum
otium, nul repos:
qu’il vienne de l’action. ou de la négation du
repos, exposons ce qu’il est. Un négociant plein d’activité met en quelque
sorte sa confiance dans ses actes, loue ses propres oeuvres et n’arrive point à
la grâce de Dieu. Il est donc en opposition avec cette grâce de Dieu, que
préconise notre psaume; car il nous entretient de la grâce de Dieu, de manière
que nul ne se glorifie de ses oeuvres; de même qu’il est dit quelque part: «
Les médecins u ne rendront point à la vie n, et pourtant les hommes doivent-ils
pour cela renoncer à la médecine? Qu’est-ce que cela signifie? Cette expression
désigne les orgueilleux, qui promettent le salut aux hommes, tandis que le
salut vient de Dieu 2. De même alors que le Prophète nous met en garde contre
les médecins, c’est-à-dire contre ces orgueilleux prometteurs de salut, par
cette parole: « Je publierai votre salut tout le jour »; de même il nous met en
garde contre les trafiquants qui se confient dans leur industrie et dans leurs
affaires: « Ma bouche publiera votre justice », et non la mienne. Quels
1. Ps. LXXXVII, 11. — 2. Id. III, 9.
sont ces trafiquants, c’est-à-dire ceux qui
mettent leur confiance dans leurs affaires? Ceux qui, dans leur ignorance de la
justice de Dieu, veulent établir leur propre justice, et se soustraire à celle
qui vient de Dieu 1, C’est donc là un vrai négoce, parce qu’il ne laisse aucun
repos, negatotium. Quel mal y a-t-il
à refuser tout repos? Le Seigneur eut raison de chasser du temple ceux dont il
disait: « Il est écrit: Ma maison est une maison de prière; et vous en faites
une maison de négoce 2 »: c’est-à-dire, en vous glorifiant de vos oeuvres, sans
chercher le repos, sans écouler cette parole de l’Ecriture qui condamne votre
agitation et votre empressement: « Faites trêve, et voyez que je suis le
Seigneur 3 ». Qu’est-ce à dire: « Faites trêve, et voyez que je suis le
Seigneur », sinon que c’est Dieu qui agit en vous, afin de ne point vous
glorifier de vos oeuvres? N’entendras-tu point la voix de celui qui dit: «
Venez à moi, vous tous qui ployez sous le fardeau du labeur, et je vous soulagerai.
« Prenez sur vous mon joug et apprenez que je suis doux et humble de coeur, et
vous trouverez le repos pour vos âmes 4? » Voilà le repos que l’on nous prêche
à l’encontre du négoce: voilà le repos à l’encontre de ceux qui n’aiment point
le repos, qui travaillent, qui se glorifient de leurs oeuvres, qui ne cherchent
pas en Dieu le repos, et qui s’éloignent d’autant plus de la grâce, qu’ils
s’enorgueillissent plus de leurs oeuvres.
19. Mais dans quelques exemplaires on lit «
Parce que je ne connais point la littérature ». Au lieu de « négoce » dans
certains exemplaires, d’autres portent: « la littérature ». Il n’est pas facile
de trouver un accord entre ces deux expressions; et néanmoins la différence des
interprétations sert plutôt à nous montrer le véritable sens qu’à nous induire
en erreur. Cherchons donc aussi le sens de littérature, et n’allons pas heurter
les grammairiens, comme nous avons heurté les négociants; car un grammairien
peut vivre honnêtement dans son art sans parjure, comme sans mensonge.
Cherchons quelle est cette littérature que ne connaît point celui qui a dans la
bouche, pendant tout le jour, la louange de Dieu. Il y a chez les Juifs une
certaine littérature, car c’est à eux que nous
1.
Rom. X, 3. — 2. Matth. XXI, 13. — 3. Ps. XLV, 11. — 4. Matth. II, 28, 29.
rapportons ces paroles, et c’est là que nous
en comprendrons le sens. Tout à l’heure, à propos des trafiquants, leurs actes
et leurs oeuvres nous ont montré que l’on appelle négoce, l’art détestable
stigmatisé par ces paroles de l’Apôtre: « Dans leur ignorance de la justice de
Dieu, et leur volonté d’établir leur propre justice, ils ont refusé toute
soumission à la justice de Dieu 1 »; et que le même Apôtre condamne encore: «
Cela ne vient pas de nos oeuvres, afin que nul ne se puisse applaudir 2 ».
Comment donc? Ne ferons-nous aucun bien? Nous en ferons; mais Dieu lui-même
agira en nous: « Car nous sommes son ouvrage, étant créés en Jésus-Christ par
les bonnes oeuvres 3 ». De même que nous avons trouvé, dans ces paroles, la
condamnation des trafiquants, c’est-à-dire de ceux qui se glorifient de leurs
oeuvres, qui s’élèvent dans ce négoce ennemi du repos, qui s’agitent plutôt
qu’ils n’agissent, en bien, puisque ceux-là font le bien en qui Dieu lui-même
agit: ainsi nous trouverons chez les Juifs, je ne sais quelle littérature. Dieu
veuille m’aider à vous exprimer en paroles, ce qu’il fait entrevoir à mon
esprit. Les Juifs, pleins de présomption dans leurs vertus, et dans la justice
de leurs oeuvres, se glorifiaient avec orgueil de la loi, de ce qu’ils avaient
reçu la loi, que n’avaient pas reçue les autres nations; et dans cette loi, ils
s’applaudissaient, non plus de la grâce, mais de la lettre, car la loi sans la
grâce n’est plus qu’une lettre; elle demeure pour nous convaincre d’iniquité,
et non pour nous donner le salut. Que dit en effet l’Apôtre? « Si la loi qui a
été donnée avait pu produire la vie, il serait vrai de dire que la justice
vient de la loi; mais la loi écrite a tout renfermé sous le péché, afin que la
promesse de Dieu fût donnée par la foi en Jésus-Christ, chez ceux qui croiront
4 ». C’est de cette loi qu’il a dit ailleurs: « La lettre tue, mais l’esprit
vivifie 5». Tu n’as que la lettre, si tu es prévaricateur de la loi. « Toi qui
avec la lettre de la loi et la circoncision,», dit-il encore, « es
transgresseur de la loi 6». N’a-t-on pas raison de chanter et de dire: «
Délivrez-moi de la main du violateur de la loi, et de l’injuste 7?» Tu as donc
une lettre, mais tu n’accomplis pas cette lettre. Comment ne
1. Rom. X, 3. — 2. Ephés. II, 9. — 3. Id. 10.
— 4. Gal. III, 21,22. — 5. II Cor. III, 6. — 6. Rom, II, 27. — 7. Ps. LXX, 4.
l’accomplis-tu point? « Parce que tu dérobes,
tout en prêchant qu’il ne faut point dérober; tu es adultère tout en prohibant
l’adultère; tu es sacrilège malgré ton horreur pour les idoles. Vous êtes cause
que le nom du Seigneur est blasphémé parmi les nations, ainsi que cela est
écrit 1». De quoi donc peut te servir mine lettre que tu n’accomplis pas? Et
pourquoi ne point l’accomplir? Parce que tu présumes de toi-même. Pourquoi ne
pas l’accomplir? Parce que tu es un trafiquant plein de confiance dans tes
oeuvres: tu ne sais point qu’il le faut le secours de la gràce pour accomplir
le précepte de la loi. Voilà que Dieu commande; fais ce qu’il prescrit. Tu veux
agir comme de toi-même, et te voilà tombé; alors pèse sur toi cette lettre qui
te punira sans te sauver. Il est donc vrai, de dire que « la loi vient de
Moïse, et la grâce de Jésus-Christ 2 ». Moïse a écrit cinq livres; et dans les
cinq galeries qui environnaient la piscine, il y avait des malades qui étaient
couchés, mais sans pouvoir être guéris 3. Voilà comment pèse sur toi cette
lettre, qui peut convaincre un coupable, mais non sauver un homme injuste. Dans
ces galeries, qui figuraient les cinq livres de Moïse, on exposait les malades
plutôt qu’on ne les guérissait. Qu’est-ce donc qui guérissait alors la maladie?
le mouvement de l’eau. Dans la piscine ainsi agitée descendaient les malades,
et un seul était guéri, comme symbole de l’unité: tout malade qui descendait
alors n’était point guéri pour cela. Admirable symbole de l’unité dans ce corps
qui crie vers Dieu de tous les confins de la terre! Nul autre n’était guéri, si
l’eau n’était troublée de nouveau. L’agitation de la piscine figurait donc la
perturbation du peuple juif, à l’avènement de Notre Seigneur Jésus-Christ. Car
on croyait que l’eau était troublée dans la piscine par l’arrivée de l’ange.
Cette eau donc, environnée de cinq galeries, c’était le peuple Juif environné
de la loi: il y avait des malades dans chacune des galeries, et ils n’étaient
guéris que quand l’eau était troublée et agitée. Le Christ est venu, l’eau a
été troublée, il a été crucifié, que le malade descende afin d’être guéri.
Comment descendre? qu’il s’humilie. Vous tous alors, qui aimez la lettre sans
la grâce, vous demeurerez sous les galeries, vous serez malades, couchés à
terre, sans
1. Rom. II, 21-27. — 2. Jean, 1, 17. — 3. Id.
V, 2.
guérison: car vous avez présumé de la lettre.
« Si la loi donnée eût pu produire la vie, la justice alors viendrait de la loi
1 ». Mais la loi a été donnée afin que vous devinssiez coupables, que coupables
vous fussiez saisis,de crainte, que la crainte vous fît implorer le pardon, et
qu’ainsi vous n’eussiez plus de confiance dans vos forces, ni de présomption
dans la lettre. Voilà ce que nous figurait encore le prophète Elisée qui envoya
par son serviteur son bâton, afin de ressusciter un mort. Le fils de la veuve
qui l’hébergeait venait de mourir; dès qu’il l’apprit, il donna son bâton à son
serviteur: « Va », lui dit-il, « et pose-le sur le cadavre 2 ». Le Prophète ne
savait-il point ce qu’il faisait? Le serviteur alla donc, mit le bâton sur le
cadavre, etIe mort ne ressuscita point. « Si la loi qui a été donnée, pouvait
produire la vie, la justice « viendrait de la loi n. Mais cette loi envoyée par
le serviteur ne donne point la vie et toutefois celui qui avait envoyé son
bâton par son serviteur, vint ensuite donner la vie. Comme l’enfant n’était pas
en effet ressuscité, Elisée vint lui-même, figurant Notre Seigneur, qui s’était
fait précéder de son serviteur avec sa loi, comme avec un bâton. Il vint auprès
de ce mort étendu par terre, et mit ses membres sur ses membres. C’était un
enfant, un tout jeune homme: le Prophète contracta sa taille naturelle, et se
raccourcit dans la proportion de l’enfant qui était mort, Ce mort ressuscita,
quand le Prophète vivant se fût proportionné à lui, et le maître fit ce que
n’avait point fait le bâton; la grâce produisit l’effet que la lettre n’avait point
produit. Ceux donc qui sont demeurés avec le bâton du Prophète se glorifient
dans la lettre aussi n’ont-ils point la vie. Pour moi, je veux me glorifier
dans votre grâce. « Dieu me garde», a dit saint Paul, « de me glorifier, sinon
en la croix de Notre Seigneur Jésus-Christ 3 », sinon en ce Dieu vivant qui
s’est proportionné à mon cadavre, afin de me ressusciter, afin que de la sorte,
je n’eusse plus la vie, mais que Jésus-Christ vécût en moi 4. Je me glorifie
donc de la grâce, et ne « connais point la littérature »; c’est-à-dire que je
réprouve de tout mon coeur ces hommes qui mettent leur confiance dans la lettre
pour s’éloigner de la grâce.
20. Le Prophète a donc raison d’ajouter:
1. Gal, III, 21 — 2. IV Rois, IV, 29.— 3.
Gal. VI, 14.— 4. Id. II, 20
« J’entrerai dans la puissance du Seigneur 1
»; non point dans la mienne, mais dans celle du Seigneur. Pour eux, en effet,
ils se glorifient dans la lettre, et dès lors n’ont point connu la grâce jointe
à la lettre. « Car c’est Moïse qui a donné la loi, et Jésus-Christ la grâce et
la vérité 2 ». C’est lui qui est venu pour accomplir la loi, quand il nous a
fait don de la charité, par laquelle on peut l’accomplir; « puisque la loi dans
sa plénitude, c’est la charité 3 ». Mais les Juifs n’ayant point la charité,
c’est-à-dire, n’ayant point l’esprit de la grâce: « Car la charité de Dieu est
répandue dans nos coeurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné 4 »; en sont
restés à se glorifier dans la lettre. Et comme « la lettre tue, et que l’esprit
vivifie 5; moi qui n’ai point connu la lettre, j’entrerai dans la puissance du
Seigneur ». Tel est le sens que vient confirmer et achever d’éclaircir le
verset suivant, de manière à le fixer dans le coeur des hommes, et à ne laisser
notre intelligence dans aucun doute. « Seigneur »,
1. Ps. LXX, 16. — 2. Jean, I, 17. — 3. Rom.
XIII, 10. — 4. Id V, 5. — 5. II Cor. III, 6.
dit le Prophète, « je ne me souviendrai
uniquement que de votre justice ». Uniquement ! Pourquoi donc, mes frères,
ajouter uniquement? Il suffirait de
dire: Je me souviendrai de votre justice. «Uniquement », dit le Prophète, et
non de la mienne. « Qu’avez-vous, en effet, que vous n’ayez point reçu? Et si
vous avez reçu, pourquoi vous glorifier, comme si vous n’aviez point reçu 1? »
C’est uniquement votre justice qui me délivre, il n’y a de moi que le péché
seulement. Que je ne m’applaudisse donc point de mes propres forces, que je ne
demeure point dans la lettre: que je répudie toute littérature, c’est-à-dire
tous les hommes qui se glorifient de la lettre, qui semblables à des
frénétiques s’appuient sur leurs forces pour leur malheur: que je répudie ces
hommes, afin que je vive dans la puissance du Seigneur, que je sois fort alors
même que je serai faible, et que vous, ô Dieu, soyez puissant en moi, parce que
« je me souviendrai uniquement de votre justice ».
1. I Cor. IV, 7.
DEUXIÈME PARTIE DU PSAUME.
L’orgueil
nous a éloignés de Dieu, la fatigue nous y ramènera par la grêce, qui est un
dors gratuit et que n’a précédée en nous aucun mérite, car c’est de l’homme
animal créé le premier, que nous vient la captivité, et dis second homme, ou de
l’homme spirituel, la délivrance. Ecoutons le Seigneur, et ne tuons point
l’héritier. Dès notre jeunesse il nous a montré que nous sommes des déserteurs,
que la grâce seule nous ramène comme le Prodigue, que depuis notre conversion,
c’est encore lui qui est notre guide, car il est la voie, en dehors de laquelle
nous uie pouvons marcher sans trouver la mort, puisqu’il est la vie. Et
l’Eglise publiera jusqu’à la fin du monde la grâce du Christ, la délivrance par
le Christ, les merveilles qui sont l’oeuvre du Christ. L’homme a voulu être
comme Dieu, et s’éloigner de Dieu, tandis qu’il ne peut être comme Dieu qu’en
demeurant en lui. La défense de toucher à l’arbre de la science du bien et du
mal était le moyen de maintenir l’homme dans une soumission qu’il voulut
secouer, et en dehors de Dieu qui est le bien, il ne trouva qu’une profonde
misère. Il ne revient à Dieu qu’en disant: « Qui est semblable à Dieu? » Le
Christ alors nous tire de l’abîme, une première fois en ressuscitant dans cette
chair qu’il tient de nous; une seconde fois, en nous donnant l’espérance de la
résurrection; une troisième fois, quand nous ressusciterons réellement.
Chantons, et des lèvres et du coeur, sa justice qui se multiplie. Bénissons-le
avec l’Eglise jusqu’à la fin des temps.
1. Hier nous avons démontré à votre charité
que ce psaume nous prêche la grâce de Dieu, qui nous sauve gratuitement, sans
que nous ayons auparavant mérité autre chose
que la damnation; mais comme nous ne pouvions
l’expliquer entièrement hier, nous avons réservé pour aujourd’hui la seconde
partie, vous promettant d’acquitter notre dette (143) avec le secours de Dieu.
Et maintenant qu’il nous faut l’acquitter, soyez attentifs et ouvre; vos coeurs
comme des champs fertiles qui rendent la semence au centuple, et ne sont point
rebelles à la céleste rosée. Nous avons parlé hier du titre du psaume, et
toutefois pour le rappeler à votre mémoire et le faire connaître à ceux qui
étaient absents hier, nous en disons rapidement un mot, que doivent se rappeler
ceux qui ont entendu, et écouter ceux qui ne le savent point. Ce psaume est
pour les enfants de Jonadab, nom qui signifie volontaire de Dieu, et nous
enseigne qu’il faut servir Dieu avec une volonté spontanée, c’est-à-dire une
volonté bonne, pure, sincère et parfaite, et non avec déguisement: c’est ce
qu’indiquent encore ces paroles d’un autre psaume: « Je vous offrirai des
sacrifices volontaires 1». C’est donc pour les fils de Jonadab, ou pour les
fils de l’obéissance, que l’on chante ce psaume, et pour ceux qui les premiers
furent conduits en captivité, afin que nous reconnaissions aussi notre
gémissement, et qu’à chaque jour suffise sa malice 2. Si l’orgueil nous a
éloignés de Dieu, que la fatigue nous ramène à lui. Et comme nous ne pouvons
retourner à lui que par la grâce, cette grâce nous est donnée gratuitement; car
si elle n’était gratuite, elle ne serait plus une grâce. Or, si elle est grâce,
parce qu’elle est gratuite, nul mérite en vous ne l’a précédée, pour vous la
faire accorder. Car si vos bonnes oeuvres l’avaient précédée, ce serait une
récompense, et non un don gratuit: or, le salaire que nous méritions, c’est
l’enfer, Notre délivrance n’est donc point due à nos mérites, mais bien à la
grâce de Dieu. Bénissons-le donc, et reconnaissons que nous lui sommes
redevables de tout ce qui est en nous, et de notre salut. C’est ainsi que le
Prophète conclut tout ce qu’il a déjà dit: « Seigneur, je me souviendrai
uniquement de « votre justice 3 ». C’est là que nous avons terminé hier notre
instruction. Ces premiers captifs sont donc ceux qui appartiennent au premier
homme: car c’est à cause du premier homme, en qui nous mourons tous, que nous sommes
captifs. « En effet, ce n’est point l’homme spirituel qui fut formé le premier,
mais bien l’homme animal d’abord, ensuite l’homme spirituel 4». Le premier
homme a donc l’ait les premiers captifs, et le second
1.
Ps. LIII, 8.— 2. Matth. VI, 34.— 3. Ps. LXX, 16.— 4. I Cor. XV, 46.
homme les seconds rachetés. Car ce nom de
rachetés dit hautement que nous étions captifs. D’où nous eût-on rachetés, si
auparavant nous n’eussions été eu servitude? Pour exprimer plus clairement
cette captivité que nous insinuait l’épître de saint Paul, nous avons emprunté
ses paroles, afin de la prêcher en répétant avec lui: « Je vois dans mes
membres une loi qui résiste à la loi de mon esprit, et qui me rend captif sous
la loi du péché qui règne dans mes membres 1 ». Telle est notre première
captivité qui fait conspirer la chair contre l’esprit 2. C’est là le châtiment
du péché, de diviser contre lui-même l’homme qui n’a pas voulu avoir un seul
maître. Car rien n’est aussi avantageux pour l’âme que l’obéissance. Et si cet
assujétissement est si avantageux à l’âme, dans un serviteur pour obéir à son
maître, dans un fils pour obéir à son père, dans une épouse pour obéir à son
mari; combien le sera-t-il plus dans l’homme pour obéir à Dieu? Adam fit
l’expérience du mal, et tout homme est Adam, de même que tout homme est Christ
en ceux qui croient, parce que tous sont membres du Christ: Adam fit donc
l’expérience du mal, qu’il n’eût jamais ressenti s’il fût demeuré fidèle à
cette parole: « N’y touche point 3 ». Après cette expérience du mal, qu’il
obéisse au médecin qui veut le relever, lui qui n’a point voulu croire au
médecin pour n’être point malade. Car un bon, un fidèle médecin donne à ceux
qui sont en santé le moyen de ne point leur devenir nécessaire. Car ce n’est
point l’homme en santé, mais bien le malade qui a besoin du médecin 4. Or, un
médecin habile qui vous aime assez pour ne point chercher à vendre son art, qui
a plus de joie de vous voir en santé que de vous voir malade, donne aux hommes
qui se portent bien des conseils qu’ils doivent observer pour ne point tomber
malades. Mais qu’on néglige Ces conseils, et qu’on arrive à la maladie, on a
recours au médecin. On invoque, sous l’empire du mal, celui que l’on méprisait
en santé. Qu’on le supplie du moins, et que dans le délire de la fièvre on ne
s’emporte pas jusqu’à le frapper. Vous avez entendu tout à l’heure, dans la
lecture de l’Evangile, une parabole contre ces frénétiques. Etaient-ils sains
d’esprit ceux qui disaient: « Voici l’héritier, venez, tuons-le, et l’héritage
sera pour
1. Rom, VII, 23. — 2. Gal. V, 17. — 3. Gen.
II, 17. — 4. Matth, IX, 12.
nous 1? » Assurément non: car après avoir tué
le fils, ils eussent tué le père; est-ce là de la sagesse? Enfin les voilà qui ont
tué le fils: mais le fils est ressuscité, et la pierre qu’ont repoussée ceux
qui bâtissaient, est devenue la pierre angulaire 2. Ils se sont heurtés contre
elle, et se sont meurtris; elle tombera sur eux pour les écraser. Mais il n’en
est pasde même de celui qui chante dans notre psaume, et qui dit: « J’entrerai
dans la puissance du Seigneur »: non pas dans la mienne; mais dans celle «du
Seigneur ». « Seigneur, je me souviendrai uniquement de votre justice ». Je ne
reconnais en moi aucune justice, je me souviendrai uniquement de la vôtre.
C’est de vous que je tiens tout le bien qui est en moi; et tout le mal qui est
en moi vient de moi. Au lieu du supplice que je méritais, vous m’avez donné la
grâce que je ne méritais point. C’est donc uniquement de votre justice que je
veux me souvenir.
2. « O Dieu, vous m’avez instruit dès ma
jeunesse 3 ». Que m’avez-vous enseigné? Que je dois me souvenir uniquement de
votre justice. Si je considère en effet ma vie passée, je comprends ce que je
méritais, et ce qui m’a été accordé au lieu de ce que je méritais. Je méritais
la peine, j’ai reçu la grâce; je méritais l’enfer, j’ai reçu la vie éternelle.
« O Dieu, vous m’avez instruit dès ma jeunesse ». A la première lueur de cette
foi qui m’a renouvelé, vous m’avez appris qu’il n’y avait en moi rien qui pût
me faire croire que vos dons étaient mérités. Qui peut se tourner vers Dieu,
s’il n’est dans l’iniquité? Qui est racheté, sinon le captif? Qui peut dire que
sa captivité était injuste, quand il a quitté son général pour suivre un
déserteur? C’est Dieu qui est le général, et le déserteur, c’est le diable: le
général a intimé un ordre, le déserteur a insinué la révolte 4; est-ce an
commandement ou à la fourberie que tu as prêté l’oreille? Le diable te
paraît-il préférable à Dieu? Celui qui fait défaut, à celui qui t’a créé? Tu as
cru à la promesse du diable, et tu as rencontré la menace de Dieu. Maintenant
donc, délivré de sa servitude, heureux en espérance, mais pas encore en
réalité, marchant dans la foi, et non dans la claire vue, notre interlocuteur
s’écrie: « O Dieu, vous m’avez instruit dès ma jeunesse ». De-
1. Matth. XXI, 38. — 2. Ps. CXVII, 22. — 3.
Id. LXI, 17. — 4. Gen. II, 17, et III, 1.
puis que je me suis tourné vers vous, que
vous avez renouvelé en moi ce que vous aviez fait, créé de nouveau ce que vous
aviez créé, réformé ce que vous aviez formé; depuis que je me suis tourné vers
vous, j’ai compris qu’il n’y avait d’abord en moi aucun mérite, mais que votre
grâce m’a été donnée gratuitement, afin que je me souvinsse uniquement de votre
justice.
3. Mais après la jeunesse? Car « vous m’avez
instruit», dit le Prophète, «dès mes jeunes années »; qu’est-il arrivé après la
jeunesse? Dès l’abord de ta conversion, tu as compris qu’avant ton retour à
Dieu, il n’y avait rien de juste en toi, et que l’iniquité a précédé tout
d’abord, afin que, à l’iniquité une fois bannie, pût succéder la charité; ayant
revêtu l’homme nouveau, seulement par l’espérance, et pas encore dans la
réalité, tu as compris qu’en toi nul bien n’avait précédé, que la grâce de Dieu
t’a seule tourné vers Dieu. Mais depuis ta conversion, as-tu du moins quelque
mérite qui t’appartienne, et dois-tu compter sur tes forces? Les hommes disent
quelquefois: Laissez maintenant, j’avais besoin d’être mis sur le bon chemin;
il suffit, je suivrai ma route. Le guide qui t’a montré le chemin reprend: Ne
veux-tu point que je te conduise? Mais toi, dans ta présomption: Non, non,
c’est assez, je suivrai ma route. On te laisse, et ton ignorance t’égare de
nouveau. Il eût été bien pour toi qu’il te conduisît toujours, celui qui
t’avait mis d’abord sur la voie. S’il rie le fait, tu vas t’égarer encore;
dis-lui donc: « Seigneur, conduisez-moi dans voire voie, et je marcherai dans
votre vérité ». Mais prendre une voie nouvelle, c’est la jeunesse pour toi;
c’est un renouvellement, le commencement de la foi. Car auparavant tu errais
dans tes propres voies, tu t’égarais dans les sentiers âpres et épineux;
meurtri dans tous tes membres, tu cherchais ta patrie, ou cette stabilité d’esprit
qui te fît dire: C’est bien, et le le fît dire avec une pleine confiance, libre
de toute épreuve, et enfin de toute captivité; or, c’est là ce que tu ne
trouvais point. Que dirai-je? Qu’un guide est venu te montrer la voie? C’est la
voie elle-même qui est venue vers toi, et tu as été remis dans cette voie, sans
que tu l’aies aucunement mérité, puisque tu étais dans l’erreur. Mais depuis
1. Ps. LXXXV, 11.
que tu y marches, es-tu ton propre guide
Celui qui t’a enseigné la voie t’a-t-il délaissé? Non, dit le Psalmiste:, «
Vous m’avez enseigné dès ma jeunesse; et jusqu’à ce jour, je publierai vos
merveilles ». Car il y a du merveilleux dans ce que vous faites pour moi, pour
me diriger et me mettre sur la route; et ce sont là vos merveilles. Quelles
sont, crois-tu, les merveilles de Dieu? et de toutes ces merveilles, qu’y
a-t-il de plus admirable que de ressusciter les morts? Mais suis-le donc un
mort, diras-tu? Si tu étais mort, on ne te dirait point: « Lève-toi, ô toi o
qui dors, sors d’entre les morts, et le Christ « t’illuminera 1 ». Tous les
infidèles sont morts, comme tous les pécheurs, ils ont la vie corporelle, mais
l’âme est morte. Or, rendre la vie à celui dont le corps est mort, c’est le
mettre en état de voir encore cette lumière, et de respirer l’air; mais ce
n’est pas être pour lui l’air et la lumière; il commence à revoir ce qu’il
voyait auparavant. Ce n’est pas ainsi que l’on ressuscite une âme. Dieu seul
ressuscite une âme, comme il est vrai de dire que seul il rend la vie au corps;
mais pour Dieu, ressusciter un corps, c’est le rendre au monde; tandis que
ressusciter une âme, c’est la ramener à lui-même. Supprimez l’air de ce monde,
et le corps meurt aussitôt; que Dieu se retire, et notre âme est morte. Pour
Dieu, ressusciter une âme, c’est la mettre en lui-même; en dehors de lui, elle
meurt de nouveau. Or, il ne la ressuscite point pour l’abandonner à elle-même,
comme il ressuscita Lazare, mort depuis quatre jours, et rendu à la vie du
corps par la présence corporelle du Sauveur. Il approcha son corps du sépulcre
et cria: « Lazare, sortez, dehors »: Lazare se leva et sortit du sépulcre, tout
lié qu’il était, puis on le délia et il s’en alla 2. La présence du Seigneur le
rendit à la vie, niais il vécut en l’absence du Seigneur. Et toutefois, en le
ressuscitant par sa présence corporelle et visible, il le ressuscita encore par
cette invisible majesté dont aucun lieu n’est privé. Or, bien que le Seigneur
fût présent, d’une manière visible, pour ressusciter Lazare; quand le Seigneur
s’éloigna de celte ville ou de ce lieu, Lazare cessa-t-il de vivre? Ce n’est
pas ainsi que notre âme revient à la vie. Dieu la ressuscite, et voilà qu’elle
meurt de nouveau, si Dieu l’abandonne.
1. Ephés. V, 14. — 2. Jean, XI, 41-44,
donne. Je vais vous dire une chose hardie, et
vraie néanmoins: nous avons deux vies, la vie de l’âme et la vie du corps, De
même que l’âme est la vie du corps, ainsi Dieu est la vie de isotte âme; et
comme le corps meurt quand il perd son âme, l’esprit meurt quand il perd son
Dieu. C’est donc une grâce de la part de Dieu de nous ressusciter et de
demeurer avec nous. Aussi, parce qu’il nous délivre de notre mort, et qu’il
renouvelle en quelque sorte notre vie, nous lui disons: « O Dieu, vous m’avez
instruit dès mes jeunes années ». Et parce qu’il ne s’éloigne point de ceux
qu’il ressuscite, de peur que son éloignement ne leur donne la mort, nous lui
disons: « Et jusqu’à présent j’annoncerai vos merveilles», car je ne vis qu’en
union avec vous; c’est vous qui êtes la vie de mon âme; elle meurt si vous
l’abandonnez à elle-même. « C’est donc jusqu’à présent », c’est-à-dire, tandis
que ma vie, ou plutôt mon Dieu est en moi. Mais après?
4. « Et jusqu’à ma vieillesse, et mes
derniers jours 1». Voilà deux expressions pour désigner la vieillesse, et dont
le sens est distinct du grec. L’âge mûr qui succède à la jeunesse, a chez les
Grecs un nom particulier, et il en est un autre pour la vieillesse qui vient
après l’âge mûr: on appelle presbutes,
l’homme de l’âge mûr, et geron le
vieillard. Mais comme ces deux noms sont confondus en latin, on a désigné la
vieillesse par deux expressions, vieillesse et derniers jours; vous savez que
ce sont là deux âges différents. « Vous m’avez instruit de votre grâce, dès u
ma jeunesse; et jusqu’à présent », après ma jeunesse, « j’annoncerai vos
merveilles », car vous êtes avec moi pour me garantir de la mort, vous qui êtes
venu me ressusciter: « Et jusqu’à ma vieillesse, et le déclin de ma vie»;
c’est-à-dire, jusqu’à mon dernier moment, si vous n’êtes avec moi, je n’aurai aucun
mérite; que votre grâce demeure donc en moi. Ainsi parlerait un homme seul,
toi, lui ou moi; mais comme c’est la parole d’un noble interlocuteur,
c’est-à-dire de l’unité même, c’est la parole de l’Eglise; cherchons la
jeunesse de l’Eglise. A son avènement, le Christ est crucifié, il meurt, il
ressuscite, il appelle les nations, les voilà qui se convertissent, de généreux
martyrs se présentent pour le Christ, le sang des fidèles est répandu,
1. Ps. LXX, 18.
voilà que s’élève dans l’Eglise une abondante
moisson: c’est sa jeunesse. Mais, à mesure que le temps marche, que l’Eglise
confesse toujours et dise: « Jusqu’à ce jour j’annoncerai vos merveilles ». Non
seulement dans ma jeunesse, alors que Paul et Pierre, que les premiers Apôtres
les annonçaient; niais dans le cours des âges, moi ou plutôt l’unité des
membres qui composent votre corps, « j’annoncerai vos merveilles ». Et après? «
Jusque dans la vieillesse et mes derniers jours, je publierai vos merveilles »;
car l’Eglise sera ici-bas jusqu’à la fin des temps. Eh! Si elle ne devait
subsister ici-bas jusqu’à la fin des siècles, à qui le Seigneur aurait-il dit:
« Je suis avec vous, jusqu’à la consommation des temps 1? » Pourquoi fallait-il
nous tenir ce langage dans les saintes Ecritures? C’est qu’on devait rencontrer
des ennemis de la foi chrétienne qui diraient: Les chrétiens ne sont que pour
un instant, ils disparaîtront, le culte des idoles reviendra, tout sera rétabli
comme auparavant 2. Combien de temps subsisteront les chrétiens? «Jusqu’à la
vieillesse, et les dernières années »; c’est-à-dire jusqu’à la fin des siècles.
Et toi, misérable infidèle, tu attends que le Christianisme passe, et tu
passeras sans être chrétien: tandis que les chrétiens doivent demeurer jusqu’à
la fin des temps; et toi, dans ton infidélité, à la fin d’une vie si courte, de
quel front te présenteras-tu devant un juge que tu auras blasphémé pendant ton
existence? Donc, « depuis ma jeunesse jusqu’aujourd’hui, et jusqu’à ma
vieillesse et mes derniers jours, Seigneur, ne m’abandonnez pas ». Et cela ne
sera point pour un temps, comme le disent nos ennemis. « Ne m’abandonnez point,
que je n’aie publié votre puissance devant toute génération à venir ». A qui le
bras du Seigneur a-t-il été montré 3? Le bras du Seigneur, c’est le Christ. Ne
m’abandonnez donc point: qu’ils ne soient point dans la joie, ceux qui disent:
Les chrétiens ne sont que pour un temps. Qu’il y ait toujours des hommes pour
annoncer votre bras. A qui? « A toutes les races futures ». Si donc c’est à
toutes les races futures, c’est jusqu’à la fin des siècles; car à la fin du
monde, il n’y aura plus de génération à venir.
5. « Je publierai votre puissance et votre
1. Matth. XXVIII, 20. — 2. Voir Discours sur
le Ps. XL, n. 1. — 3. Ps. LIII, 1.
justice 1». C’est là montrer votre bras à
toutes les générations à venir. Et quelle est l’oeuvre de votre bras? notre
délivrance gratuite. Voilà ce que je dois publier, votre grâce à toute
génération à venir; je dirai à tout homme qui doit naître: Tu n’es rien par
toi-même, invoque le Seigneur; le péché vient de toi, le mérite vient de Dieu:
ce qui t’est dû, c’est le châtiment, et si tu reçois une récompense, Dieu
couronnera ses dons, et non pas tes mérites. Je dirai à toute génération à
venir: Tu es venu de la captivité, tu appartenais à Adam. A toute génération à
venir, je montrerai non mes forces, non ma justice, mais « votre puissance et
votre justice, ô Dieu, jusqu’aux plus hautes merveilles qui sont votre ouvrage
». Jusqu’à quel point « votre justice et votre puissance? » jusqu’à la chair et
au sang? Bien plus « jusqu’aux merveilles les plus élevées qui sont votre
ouvrage». Les cieux sont en haut, les Anges sont en haut, ainsi que les Trônes,
les Dominations, les Principautés, les Puissances; ils vous doivent ce qu’ils
sont, ils vous doivent la vie, et surtout la vie de justice, et la vie
heureuse. Jusqu’où donc « publierai-je votre justice et votre puissance? » «
Jusqu’aux plus hautes merveilles qui sont votre ouvrage ». Ne croyez pas que
l’homme seul ait part à la grâce de Dieu. Qu’était l’ange avant d’être créé?
Que serait-il s’il était délaissé de son Créateur? Donc « je publierai votre
justice et votre puissance, jusqu’aux plus hautes merveilles qui sont votre
ouvrage».
6. Toutefois l’homme se glorifie: et pour
être de la première captivité, il écoute la suggestion du serpent: « Goûtez, et
vous serez comme des dieux 2 ». Des hommes comme des dieux ! « O Dieu, qui est
semblable à vous? » Rien, ni dans l’abîme, ni dans l’enfer, ni sur la terre, ni
dans les cieux; car c’est vous qui avez tout créé. Comment l’oeuvre
entre-t-elle en lice avec l’ouvrier? « O Dieu, qui est semblable à vous? » Pour
moi, dit ce misérable Adam, et tout homme est en Adam, lorsque, cédant à la
perversité, je veux être semblable à vous, je me vois réduit à en appeler à
vous, de ma triste captivité; heureux jadis sous un roi plein de bonté, je suis
devenu l’esclave de mon séducteur; et maintenant je crie vers vous, parce que
je suis tombé en me séparant de vous. Et pourquoi
1. Ps. LXX, 19.— 2. Gen. III, 5.
suis-je tombé loin devons? Parce que j’ai
cédé à la malice, et voulu être semblable à vous. Quoi donc? N’est-ce pas à
devenir semblable à lui, que le Seigneur nous appelle? N’est-ce point lui qui
nous dit: « Aimez vos ennemis; priez pour ceux qui vous persécutent: faites du
bien à ceux qui vous haïssent? » C’est là nous inviter à lui devenir
semblables. Et puis, que dit-il ensuite? « Afin que vous soyez les enfants de
votre Père qui est dans les cieux ». Or, que fait ce Père? Le voici assurément:
« Il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur
les justes et sur les injustes 1». Donc vouloir du bien à ses ennemis, c’est
ressembler à Dieu; et ce n’est point là de l’orgueil, mais de l’obéissance.
Pourquoi? Parce que nous sommes faits à l’image de Dieu. « Faisons l’homme »,
dit-il, « à notre image et à notre ressemblance 2 ». Il n’y a donc point
usurpation à garder,en nous l’image de Dieu, et puissions-nous ne point la
perdre par notre orgueil. Mais qu’est-ce que cette prétention orgueilleuse
d’être semblable à Dieu? Quel motif, pensez-vous, fait dire à cette âme
captive: « Seigneur, qui est semblable à vous?» Quelle malice y a-t-il dans
cette ressemblance? Ecoutez et comprenez, si vous le pouvez; nous espérons que
celui qui nous met lui-même ces paroles dans la bouche, nous donnera aussi le
pouvoir de les comprendre. Dieu n’a besoin d’aucun bien, il est le bien
suprême, et tout bien vient de lui. Pour être bons, nous avons besoin de Dieu;
mais lui, pour être bon, n’a nul besoin de nous, et non seulement de nous, mais
pas même « de ces merveilles si hautes qui sont son ouvrage»; il n’a besoin ni
des esprits célestes, ni des esprits supérieurs encore, ni de ce que l’on nomme
le ciel des cieux, pour être supérieur en bonté, en puissance, en félicité. Que
serait tout ce qui n’est point lui, si lui-même ne l’eût créé? Quel besoin peut
avoir de toi celui qui était avant toi, et qui est si puissant, qu’il t’a créé
lorsque tu n’étais pas? Mais cette oeuvre, est-ce l’oeuvre des parents à
l’égard des enfants? Cette génération est plutôt l’oeuvre d’une convoitise
charnelle, qu’une création: Dieu crée alors qu’ils engendrent. Mais situ crées
aussi bien que Dieu, dis-moi ce que ta femme doit mettre au monde. Pourquoi te
demander de me le dire? Que ta femme le
1. Matth. V, 44, 45.— 2. Gen. I, 26.
dise, elle qui ne sait ce qu’elle porte. Et
toutefois les hommes engendrent des fils, pour être la consolation et le
soutien de leur vieillesse. Or, Dieu n’a-t-il créé tout ce qui existe que pour
avoir un soutien dans ses vieux jours? Dieu connaît ce qu’il crée, et ses
desseins de bonté sur sa créature, et ce qu’elle deviendra par sa propre
volonté: Dieu connaît tout cela, et le coordonne avec sagesse, Mais l’homme,
pour être quelque chose, se tourne vers celui qui l’a créé. Pour lui, s’en
éloigner, c’est se glacer; s’en rapprocher, c’est se réchauffer; s’en éloigner,
c’est la nuit; s’en rapprocher, c’est la lumière. Celui qui lui a donné l’être
lui donne encore le bien-être. Enfin ce fils le plus jeune qui voulut avoir en
main la part de cet héritage que son père lui gardait si avantageusement,
devint maître de lui-même et s’en alla dans un pays éloigné, où il servit un
maître méchant et garda les pourceaux. Mais la faim corrigea cet orgueilleux,
que l’abondance avait éloigné 1. Donc tout homme qui aspire à être semblable à
Dieu, qui veut se tenir auprès de lui, qui lui garde toute sa force 2, comme a
dit le Prophète, ne doit point s’en éloigner; qu’il s’attache à lui, afin d’en
recevoir l’empreinte, comme la cire reçoit l’empreinte d’un anneau; qu’en
s’attachant à lui, il en reçoive l’image, et dise avec le Prophète: « Il m’est
bon de m’attacher à Dieu 3 », alors il gardera cette image, cette ressemblance
à laquelle il a été fait. Mais si vouloir imiter Dieu n’est qu’un acte pervers,
et de même que Dieu n’a besoin de personne pour le gouverner et le conduire, si
l’homme veut user de sa puissance pour se diriger et se conduire comme Dieu,
sans aucune main étrangère, que lui restera-t-il alors, mes frères, sinon de
languir loin de ce feu divin, de s’évanouir loin de cette vérité, de changer
toujours et d’aboutir au néant, loin de celui qui est souverainement, qui est
immuable?
7. Voilà ce qu’a fait le diable: il a voulu
imiter Dieu, mais d’une manière criminelle. Loin d’être soumis à la puissance
divine, il a voulu une puissance à l’encontre de Dieu même. Quant à l’homme, il
entendit le Seigneur Dieu qui lui intimait ce précepte « Ne touchez point 4». A
quoi? A cet arbre. Et qu’était-ce que cet arbre? S’il est bon.
1. Luc, XV, 12-16.— 2. Ps. LVIII, 10.— 3. Id.
LXXII, 28.— 4. Gen. II, 17.
pourquoi n’y pas toucher? S’il est mauvais,
que fait-il dans le paradis? C’est au contraire parce qu’il est un bon arbre
qu’il est dans le paradis: mais je te défends d’y toucher. Pourquoi n’y pas
toucher? Parce que je veux ton obéissance et non tes contradictions. Voilà ton
service, ô serviteur; mais ne sers point d’une manière perverse. Serviteur,
écoute avant tout l’ordre du Maître, et tu comprendras le sens du précepte. Cet
arbre est bon, et je te défends d’y toucher. Pourquoi? Parce que je suis
maître, et toi serviteur. C’est là toute la raison. Te paraît-elle faible, et
dédaignerais-tu de me servir? Quel est ton avantage, sinon d’être soumis à ton
maître? Or, s’il est avantageux pour toi d’être sous un maître, et d’obéir, que
devait-il te commander? Pouvait-il exiger quelque chose de toi? Devait-il te
dire: Offre-moi un sacrifice? N’a-t-il pas fait toutes les créatures, et
toi-même entre ces créatures? Devait-il te dire: Sois à mon service, ou près de
ma couche, quand je prends mon repos, ou à table quand je répare mes forces, ou
dans le bain quand je me lave? Eh quoi! parce que Dieu n’avait nul besoin de
tes services, ne devait-il rien te commander? Mais s’il fallait t’intimer un
ordre, afin de te faire sentir, pour ton avantage, que tu es sous la dépendance
d’un maître, il devait faire quelque défense, non pas que l’arbre fût mauvais,
mais parce que tu avais besoin d’obéir. Or, le Seigneur ne pouvait te faire
mieux sentir l’avantage de l’obéissance, qu’en prohibant pour toi ce qui
n’était point mauvais. Il n’y a que l’obéissance qu’on puisse rémunérer, il n’y
a que la désobéissance que l’on châtie. L’arbre est bon, mais je te défends d’y
toucher. Tu ne mourras point, situ n’y touches point. Interdire cet arbre,
était-ce donc interdire tous les autres? Le jardin n’est-il pas plein d’arbres
fruitiers? Te manquerait-il quelque chose? Je t’interdis celui-là, je te
défends d’en goûter. Il est bon, mais l’obéissance est meilleure encore. Si tu
viens à y toucher, cet arbre deviendra-t-il un poison, qui te fera mourir? Non:
mais toucher au fruit défendu est une désobéissance qui t’assujétit à la mort.
Aussi cet arbre est-il appelé l’arbre de la science du bien et du mal 1, non
que ses fruits la pussent donner; mais peu importe la nature de l’arbre, et la
nature de ses fruits, il était ainsi appelé parce que l’homme qui ne voudrait
1. Gen. II, 7.
point faire le discernement du bien et du
mal, d’après le précepte de Dieu, le devait faire par sa propre expérience, et
n’enfreindre la défense que pour trouver la mort. Mais d’où vient, mes frères,
qu’Adam y toucha? Que lui manquait-il? Oui, dites-le-moi, que lui manquait-il
dans le paradis, au milieu de ces richesses, au milieu des délices, alors que
ses délices étaient de voir la face de Dieu, cette face qu’il craignait après
le péché comme la face d’un ennemi? Que lui manquait-il pour toucher à cet
arbre? N’est-ce pas qu’il voulut user de sa puissance, et mit son bonheur à
violer une défense, afin de n’être sous aucune domination, et d’être comme
Dieu, puisque Dieu n’a aucun maître? Funeste liberté! criminelle présomption !
Le voilà qui mourra parce qu’il s’est éloigné de la justice! Voilà qu’il a
violé le précepte, qu’il a secoué de ses épaules le joug de la discipline, et
brisé dans sa fureur le frein qui le dirigeait; où est-il maintenant? Le voici
captif, et il s’écrie; « Seigneur, qui est semblable à vous? » J’ai voulu
follement devenir semblable à vous, et me voilà semblable aux bêtes. Sous votre
empire, assujéti à vos lois, j’étais véritablement semblable à vous: mais
l’homme était en honneur, et il ne l’a pas compris, il s’est comparé aux
animaux sans raison, et leur est devenu semblable Dans cette malheureuse
ressemblance avec l’animal, crie donc enfin, et dis au Seigneur: « O Dieu, qui
est semblable à vous? »
8. « Que d’angoisses, et nombreuses et
accablantes, vous m’avez fait éprouver 2 !» Tout cela est bien juste, esclave
orgueilleux; car tu as voulu, dans ton insolence, être semblable à ton Seigneur,
toi qui étais fait à son image. Et tu voudrais trouver le bonheur en
t’éloignant du bien suprême? Dieu te dit alors: Si tu trouves la félicité en
t’éloignant de moi, je ne suis pas le bien pour toi. Mais si Dieu est bon,
souverainement bon, d’une bonté qui lui soit propre et ne lui vienne point
d’ailleurs; s’il est pour nous le souverain bien,que serais-tu loin de lui,
sinon mauvais? Et s’il est notre bonheur, que peux-tu espérer en t’éloignant de
lui, sinon le malheur? Reviens donc, instruit par le malheur, et dis: «
Seigneur, qui est semblable à vous? Que d’angoisses, et nombreuses et
accablantes, m’avez-vous fait éprouver ! »
1. Ps. XLVIII, 13. — 2. Id. XX, 20.
9. Toutefois ce n’était point un abandon,
mais bien un châtiment, une épreuve. Ecoutons cette action de grâce du
Prophète: « Vous êtes revenu, et vous m’avez rendu à la vie et retiré une
seconde fois des entrailles de la terre 1». Quelle fut donc la première fois?
Pourquoi « une seconde fois? » O homme, tu es
tombé de bien haut, esclave rebelle, orgueilleux contre Dieu, tu es tombé de
bien haut! Cette parole s’est accomplie en toi:
« Quiconque s’élève sera humilié »; que cette
autre s’accomplisse de même: « Quiconque s’abaisse sera élevé 2 ». Sors enfin
de l’abîme. Me voici, dit-il, je reviens et je le reconnais: « O Dieu, qui est
semblable à vous? Quelles tribulations, et nombreuses et accablantes, vous
m’avez fait éprouver! Mais vous êtes revenu, vous m’avez rendu à la vie, et
m’avez une seconde fois retiré des entrailles de la terre ». Je comprends. Vous
m’avez retiré des abîmes de la terre: vous m’avez retiré des profondeurs et de
l’abîme du péché. Mais comment une seconde fois? » Quelle fut la première?
Voyons la suite du psaume. Elle vous expliquera peut-être ce que nous ne
comprenons pas encore, ce que signifie « une seconde fois ». Ecoutons donc. «
Combien d’angoisses, et nombreuses et accablantes, m’avez-vous fait éprouver!
Et vous êtes revenu, et m’avez rendu à la vie, vous m’avez retiré une seconde
fois des entrailles de la terre 3». Mais ensuite? « Vous avez multiplié votre
justice, vous vous êtes tourné vers moi pour me consoler, et me retirer de
nouveau des entrailles de la terre 4 » Voici encore une fois « de nouveau ».
S’il nous paraissait difficile d’en préciser le sens une première fois, que
sera-ce maintenant qu’il est répété? « De nouveau », signifie d’abord deux
fois, et le voici encore une fois. Puisse m’aider celui de qui vient la grâce;
puisse m’aider ce bras que nous annonçons à toute créature à venir; puisse-t-il
m’aider lui-même, et que sa croix soit une clef qui m’ouvre ce mystère sacré.
Ce n’est pas sans raison en effet qu’à sa mon sur la croix, le
voile du temple 4 fut déchiré en deux
parties, parce que la passion de Jésus-Christ mettait à
découvert les mystères les plus cachés.
Puisse-t-il assister ceux qui retournent à lui; que
le voile soit enlevé 5; et que Jésus-Christ
1.
Ps. LXX, 20. — 2. Luc, XIV, 11. — 3. Ps. LIX, 21. — 4. Matth. XXVII, 51. — 5. II
Cor, III, 16.
notre Seigneur et Sauveur nous dise pourquoi
le Prophète parle ainsi: « Vous m’avez fait éprouver des peines sans nombre et
accablantes; et revenant à nous, vous nous avez vivifié, et retiré de nouveau
des entrailles de la terre ». Voilà une première fois « de nouveau ». Cherchons
ce qu’il signifie et nous trouverons pourquoi il est répété une seconde fois.
10. Qu’est-ce que le Christ? « Au
commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu, et le Verbe était en Dieu.
Il était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par lui, et
rien n’a été fait sans lui ». Prodigieuse élévation! Incommensurable élévation!
Et toi captif, où es-tu? Dans la chair, dans la mort. Qui est donc ce Verbe? Et
toi qui es-tu? Qu’a fait ensuite ce Verbe? Et pour qui? Qui est-il, sinon le
Verbe, comme on l’appelle? Quel Verbe? Est-ce une parole qui résonne et qui
passe? C’est le Verbe qui est Dieu et en Dieu, le Verbe par qui tout a été
fait. Qu’est-il pour toi? « Le Verbe qui s’est fait chair, pour habiter parmi
nous 1. Celui qui n’a pas épargné son propre Fils, mais qui l’a livré pour
nous, que ne nous donnera-t-il pas avec lui 2? » Voilà ce qu’il est, ce qu’il
devient, et pour qui. Le Fils de Dieu prend une chair à cause du pécheur, de
l’homme inique, du déserteur, de l’orgueilleux, de ce misérable qui voulait
être semblable à son Dieu. Il est devenu ce que tu es, ô fils de l’homme, afin
que nous devinssions fils de Dieu. Il s’est fait chair; d’où est venue cette
chair? De la vierge Marie 3. D’où venait la vierge Marie? D’Adam. C’était donc
de ce premier captif, et la chair du Christ venait de cette niasse de
servitude. A quoi bon? Pour te servir de modèle. Il à pris en toi le moyen de
mourir pour toi; il a pris en toi de quoi offrir pour toi, afin de t’instruire
par son exemple. Que devait-il t’apprendre? Que tu dois ressusciter. Comment
pourrais tu le croire, si tu ne voyais la résurrection dans une chair tirée de
la masse de ta mortalité? C’est donc en lui que nous sommes ressuscités tout
d’abord, et nous sommes ressuscités, parce que le Christ est ressuscité; car ce
n’est point le Verbe qui est mort, puis ressuscité: mais c’est la chair qui,
dans le Verbe, est morte, puis ressuscitée. Le Christ est mort dans cette chair
qui doit mourir en toi, et ressuscité dans cette
1.
Jean, I, 13-14. — 2. Rom. VIII, 32.— 3. Luc, II, 7.
même chair comme tu dois ressusciter. Son
exemple t’apprend à ne rien craindre, mais à espérer. Tu redoutais la mort, et
le voilà qui meurt; tu désespérais de ressusciter, le voilà qui ressuscite.
Mais, diras-tu, le Christ est ressuscité; et moi, ressusciterai-je? Il est
ressuscité dans cette chair qu’il a prise de toi et pour toi. C’est donc ta
nature qui t’a précédé en lui: c’est ce qu’il tenait de toi qui est monté au
ciel avant toi; tu y es donc monté aussi toi-même. Le Christ y est monté le
premier, et nous en lui: parce que sa chair était de nature humaine. Donc, à sa
résurrection nous avons été retirés des entrailles de la terre. Alors cette
parole: « Vous m’avez retiré des entrailles de la terre », se justifie à la
résurrection de Jésus-Christ. Et quand nous avons cru en lui, « il nous a tirés
de nouveau des entrailles de la terre ». Voilà encore « de nouveau ». Ecoute
l’Apôtre qui nous en prêche l’accomplissement: « Si donc vous êtes ressuscités
avec le Christ, cherchez ce qui est d’en haut, goûtez ce qui est d’en haut, où
le Christ est assis à la droite de Dieu; goûtez ce qui est du ciel, non ce qui
est sur la terre 1 ». Le Christ est donc ressuscité le premier; nous aussi nous
sommes ressuscités, mais seulement par l’espérance. Ecoute le même apôtre saint
Paul qui nous dit: « Nous gémissons intérieurement dans l’attente de
l’adoption, qui sera la délivrance de notre corps ». Tu es encore dans les
gémissements, encore dans l’attente. Qu’as-tu donc reçu du Christ? Ecoute ce
qui suit: « Nous sommes sauvés par l’espérance; or, l’espérance qui verrait, ne
serait plus une espérance. Car, comment espérer ce que l’on voit déjà? Si nous
espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons par la patience 2 ». Ainsi
donc, c’est par l’espérance que nous sommes tirés de l’abîme une seconde fois.
Pourquoi une « seconde fois? » Parce que le Christ nous avait déjà précédés; et
comme nous ressusciterons en réalité; puisque nous vivons dans l’espérance, et
que maintenant nous marchons dans la foi; nous avons été retirés des entrailles
de la terre, par la foi en celui qui est ressuscité avant nous des entrailles
de la terre; notre âme est sortie de l’infidélité, de l’incrédulité, Ainsi
s’est accomplie en nous une première résurrection par la foi. Mais si elle doit
être la seule, que devient cette parole de saint
1. Coloss. III, 1, 2. — 2. Rom. VIII, 23-25.
Paul: « Nous attendons l’adoption qui
délivrera notre corps?» et cette autre du même endroit: « Le corps est mort à
cause du péché, mais l’esprit vit à cause de la justice? Or, si l’esprit qui a
ressuscité le Christ d’entre les morts, vit en nous, celui qui a ressuscité
Jésus-Christ d’entre les morts, vivifiera aussi vos corps mortels à cause de
son esprit qui habite en vous ». Donc, nous sommes déjà ressuscités en esprit
par la foi, l’espérance et la charité. Mais il nous reste à ressusciter dans
notre corps. Te voilà donc une première fois et une seconde fois tiré des
entrailles de la terre. Une première fois, dans le Christ qui nous à précédés;
une seconde fois, en espérance, et cette espérance deviendra une réalité. «
Vous avez multiplié votre justice », dans ceux qui ont embrassé la foi, et qui
sont ressuscités d’abord en espérance: « Vous avez multiplié votre justice ».
Car le châtiment vient de cette justice: « Et le temps est venu», dit saint
Pierre, « de commencer le jugement par la maison de Dieu 2 », ou par les
saints. « Or, Dieu châtie tout homme qu’il adopte pour fils 3». Vous avez
multiplié votre justice »: puisque vous n’avez pas épargné vos fils eux-mêmes,
et que vous ne préservez pas du châtiment ceux à qui vous réservez l’héritage
éternel. « Vous avez multiplié votre justice et vous vous êtes retourné pour me
consoler »: et comme vous ressusciterez mon corps à la fin des temps, « vous
m’avez tiré de la terre encore une fois ».
11. « Pour moi, je chanterai toujours votre
vérité sur les instruments du psaume 4». L’instrument du psaume est le
psaltérion. Mais qu’est-ce que le psaltérion? Un instrument de bois avec des
cordes. Que signifie-t-il? Il diffère quelque peu de la harpe: ceux qui le
connaissent prétendent qu’il y a cette différence, que dans le psaltérion, ce
bois creux auquel sont ajustées ces cordes qui doivent résonner, est à la
partie supérieure, tandis qu’il est à la partie inférieure dans la harpe. Et
comme l’esprit vient du ciel, tandis que la chair vient de la terre, le
psaltérion paraît être un instrument céleste, tandis que la harpe serait
terrestre. Or, comme le Prophète avait parlé de nous tirer deux fois des
entrailles de la terre, une fois selon l’esprit et par l’espérance, une seconde
fois, d’une
1.
Rom VIII, 10, 11. — 2. I Pierre, IV, 17.— 3. Prov. III, 12; Hébr. XII,
6. — 4. Ps. LXX, 22.
manière corporelle et en réalité; écoutez ces
deux résurrections: « Pour moi, je chanterai, en votre honneur, votre vérité
sur l’instrument du psaume ». Voilà pour l’esprit: et que sera-ce du corps? «
Je vous chanterai sur la harpe, ô saint d’Israël ».
12. Ecoutez encore cette résurrection, une
première fois et une seconde fois. « Mes lèvres tressailliront quand je
chanterai votre gloire 1». Comme les lèvres peuvent se dire de l’homme
intérieur aussi bien que de l’homme extérieur, et que le sens qu’elles ont ici
peut être incertain; le Prophète ajoute: « Ainsi que mon âme que vous avez
rachetée». Donc, avec ces lèvres intérieures, sauvés en espérance, retirés des
abîmes de la terre par la foi et la charité, et attendant néanmoins la
délivrance de notre corps 2, que disons-nous à Dieu? Le Prophète a déjà parlé «
de notre âme que Dieu a rachetée».Mais pour ne point nous laisser croire que
notre âme seule est rachetée par la délivrance dont il a parlé, «et encore»,
dit-il. Qu’est-ce à dire encore? « Mais encore ma langue », c’est bien la
langue du corps, « publiera tout le jour votre justice 3 »; c’est-à-dire
éternellement, à jamais. Mais quand est-ce qu’il en sera ainsi? A la fin des
siècles, lorsque notre corps sera ressuscité et semblable aux anges. Comment
savons-nous que c’est de la fin du siècle qu’il est dit: « Et mon âme chantera
votre justice pendant tout le jour? » C’est qu’alors « seront couverts de honte
et de confusion ceux
1. Ps. LXX, 23. — 2. Rom. VIII, 23. — 3. Ps.
LXX, 24.
qui cherchent à me nuire ». Or, quand seront-ils dans la honte et dans
la confusion, sinon à la fin des siècles? Ils ne peuvent être confondus qu’en
deux manières, ou quand ils croiront au Christ, ou quand le Christ viendra les
juger. Tant que l’Eglise, en effet, sera sur la terre, tant que le froment
gémit au milieu de la paille, tant que gémissent les épis mêlés à l’ivraie 1,
les vases de miséricorde parmi les vases de colère destinés à l’ignominie 2,
tant que gémit le lys au milieu des épines, il ne manquera pas d’ennemis pour
dire: « Quand mourra-t-il? quand périra sa mémoire et n son nom 3? »
C’est-à-dire: A bientôt, et il n’y aura plus de chrétiens; ils ne sont que
depuis un temps, et un temps viendra qu’ils disparaîtront. Mais en parlant de
la sorte, ces ennemis meurent pour l’éternité et l’Eglise demeure, montrant le
bras de Dieu à toute génération à venir. Mais à la fin des temps le Christ
viendra dans sa gloire, et les morts ressusciteront tous, chacun portant ses
oeuvres: les bons seront séparés et mis à la droite, et les méchants à la
gauche 4; et nos insulteurs d’autrefois seront confondus, et nos railleurs
couverts de honte; et c’est ainsi qu’après la résurrection, ma langue publiera
votre justice et chantera votre louange pendant tout le jour, pendant que la
honte et l’ignominie feront le partage de ceux qui cherchent à me nuire.
1.
Matth. III, 12; XIII, 30. — 2. II Tim. II, 20. — 3. Ps. XL, 6. — 4. Matth. XXV,
33.
C‘est
le Christ qui nous donne la véritable paix avec Dieu. Il a reçu le pouvoir de
juger et de sauver ceux qui sont humbles, pauvres selon l’esprit divin, qui ne
prétendent point tenir la justice d’eux-mêmes. C’est de Dieu que vient le
jugement ou la droiture, la justice. C’est aux montagnes ou aux hommes de
recevoir et de maintenir la paix, aux collines d’obéir aux montagnes, mais sans
les préférer alu Christ, comme font les schismatiques. Les premières nous
réconcilient avec Dieu, l’obéissance des collines arrive au perfectionnement.
Le démon ou calomniateur sera humilié quand Jésus nous donnera la grâce, mourra
et ressuscitera, régnera avec le soleil ou s’assiéra à la droite de Dieu,
tandis que la lune ou l’Eglise qu’il a devancée dans le ciel, réparera par les
générations successives les pertes de la mort. Il descend par la grâce comme la
pluie sur la toison. La lune ou l’Eglise sera élevée. Conversion des Ethiopiens
ou Gentils, schismes. Le Christ nous arrache au puissant ou au démon, nous
pardonne, nous rachète de l’usure ou du châtiment, nous fait grandir à ses
yeux, vit éternellement, recueille l’or de l’Arabie on la sagesse des
convertis, affermit les montagnes ou accomplit les promesses des saintes
Ecritures, s’élève au-dessus du monde par le fruit de la chaulé, qui est le
froment et qui domine le u onde. Que son nom soit béni, puisque de lui nous
vient la bénédiction.
1. « Pour Salomon », tel est le titre du
psaume: et toutefois ce qu’il contient ne peut s’accorder avec le récit de
l’Ecriture au sujet de Salomon, roi charnel d’Israël, mais convient très-bien à
Notre Seigneur Jésus-Christ. C’est pourquoi ce nom de Salomon ne nous paraît
ici qu’une figure de l’avenir qui nous annonce le Christ. Car Salomon signifie
pacifique, et dès lors s’applique d’une manière bien vraie et bien convenable à
celui qui nous sert de médiateur, afin que d’ennemis que nous étions, nous
soyons réconciliés à Dieu, par la rémission de nos péchés. « Car lorsque nous
étions ennemis, nous avons été réconciliés à Dieu par la mort de son Fils 2».
Ce même Fils est le véritable pacifique, « puisque des deux peuples, il n’en a
fait qu’un seul, en détruisant dans sa propre chair le mur de séparation, ou
leurs inimitiés; abolissant par ses décrets la loi chargée de préceptes, pour
former en lui seul un homme nouveau de ces deux peuples, mettant la paix entre
eux; il est donc venu prêcher la paix à ceux qui étaient éloignés et la paix
encore à ceux qui étaient proches 3». Lui-même nous dit dans l’Evangile: « Je
vous laisse ma paix, je vous donne ma paix 4 ». Et dans une foule d’autres
témoignages le Christ notre Seigneur se montre pacifique non point dans le sens
de cette paix que le monde connaît et recherche, mais de cette
1. Tiré de l’épître CLXIX à Evode, n. I.— 2.
Rom. V, 10.— 3. Ephés. II, 14-17. — 4. Jean, XIV, 27.
paix dont le Prophète a dit: « Je leur
donnerai de vraies consolations, et paix sur paix 1 »: c’est-à-dire, qu’à la
paix de réconciliation j’ajouterai la paix de l’immortalité. Car après
l’accomplissement des promesses de Dieu, le même Prophète nous fait espérer une
dernière paix dans laquelle nous vivrons éternellement avec Dieu, lorsqu’il
nous dit: « Seigneur, notre Dieu, donnez-nous votre paix, après nous avoir
donné toutes choses 2». Cette paix alors sera parfaite, « quand la mort notre
dernière ennemie sera détruite 3». Mais en qui cela s’accomplira-t-il, sinon
dans ce roi de paix et de réconciliation? « De même, en effet, que tous meurent
en Adam, de même tous seront vivifiés en Jésus-Christ 4 ». Après avoir trouvé
le vrai Salomon, le vrai
pacifique, écoutons maintenant les
enseignements du psaume.
2. « O Dieu, donnez au roi votre jugement, et
votre justice au fils du roi 5 ». Le Seigneur dit lui-même dans l’Evangile: «
Le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils 6». C’est bien
là: « ô Dieu, donnez votre jugement au roi ». Et ce roi est aussi fils du roi,
car le Père est roi lui-même: aussi est-il écrit qu’un roi fit des noces à son
fils 7. Cette répétition est dans l’usage des Ecritures. Ainsi cette expression
« Votre jugement », est répétée dans « votre
1. Isa. LVII, 19, suiv. les Septante. — 2.
Id. XXVI, 12, suiv. les Septante — 3. I Cor. XV, 26. — 4.
Id. 22.— 5. Ps. LXVI, 2. — 6. Jean, V, 22 — 7. Matth. XXII, 2.
justice »; et cette autre: « Au roi », dans «
au Fils du roi »; de même qu’il est dit ailleurs: « Celui qui habite dans les cieux
se rira d’eux, et le Seigneur les persiflera 1 ». Or, « celui qui habite les
cieux », est bien le même que « le Seigneur»; et « se rira d’eux » a le même
sens que « les persiflera ». Il en est de même dans « les cieux qui racontent
la gloire de Dieu et le firmament qui annonce l’oeuvre de ses mains 2 ». «
L’oeuvre de ses mains » est une répétition de « sa gloire », et « annoncer »
une répétition de « raconter». Or, ces répétitions sont fréquentes dans les
Ecritures, soit qu’elles redisent les mêmes paroles, soit qu’elles expriment le
même sens avec des paroles différentes: elles se trouvent principalement dans
les psaumes, et dans ce style dont le but est d’émouvoir les âmes.
3. Le Prophète continue: « De juger votre
peuple dans la justice; et vos pauvres dans l’équité 3 ». Ces paroles: « De
juger votre peuple dans la justice », font voir suffisamment que le Père, qui
est roi, a donné au roi son Fils le jugement et la justice pour juger votre
peuple. Cette même expression se trouve dans Salomon: « Proverbes de Salomon,
fils de David, de connaître la sagesse et la discipline 4 »; c’est-à-dire,
proverbes de Salomon, qui enseignent la sagesse et la discipline. De même «
votre jugement de juger votre peuple », signifie votre jugement afin qu’il juge
votre peuple. Mais ces expressions « Votre peuple», et ensuite « vos pauvres »;
et ces autres, « dans la justice », puis « dans l’équité», sont encore des
répétitions. Le Prophète nous apprend ainsi que le peuple de Dieu doit être
pauvre, sans orgueil, plein d’humilité. « Bienheureux en effet les pauvres de
gré, parce que le royaume des cieux est à eux 5». Telle était la pauvreté du
bienheureux Job, même avant qu’il eût perdu ses richesses terrestres. Ce qu’il
est bon de remarquer ici, car il est plus facile pour quelques-uns de
distribuer tous leurs biens aux pauvres que de se faire les pauvres de Dieu.
Ils s’enflent et sont pleins de jactance; ils croient que c’est à eux-mêmes, et
non à la grâce de Dieu, qu’ils doivent de vivre saintement, et voilà que leur
vie n’est pas sainte, quelque nombreuses que paraissent leurs bonnes oeuvres.
Ils croient tout tenir d’eux-mêmes, et se glorifient comme
1. Ps. II,
4. — 2. Id. XVIII, 2.— 3. Id. LXXI, 2. — 4. Prov. I, 1.— 5. Matth, V, 3.
s’ils n’avaient rien reçu 1: ce sont des riches
en eux-mêmes, et non des pauvres de Dieu; pleins de leurs mérites, et non
indigents pour l’amour de Dieu. Or, l’Apôtre l’a dit: « Quand je distribuerais
tous mes biens aux pauvres, et que je livrerais mon corps aux flammes, si je
n’ai point la charité, cela ne me sert de rien 2 »; comme s‘il disait: Il ne me
servirait de rien de distribuer mes biens aux pauvres, si je ne devenais pauvre
pour Dieu. « La charité ne s’enfle point d’orgueil 3 »: et il n’y a point de
charité en celui qui est ingrat envers l’Esprit-Saint, par qui la charité est
répandue dans nos coeurs 4. Aussi ces hommes n’appartiennent-ils pas au peuple
de Dieu, parce qu’ils ne sont point pauvres selon Dieu. Ainsi parlent en effet
les pauvres selon Dieu: « Pour nous, nous n’avons pas reçu l’Esprit de ce
monde, mais l’Esprit qui vient de Dieu, afin de connaître les dons que Dieu
nous a faits 5 ». Tandis que dans notre psaume, afin d’exprimer ce mystère d’un
Dieu qui s’unit à l’homme, ou du Verbe fait chair 6, il est dit à Dieu le Père
qui est Roi: « Donnez votre justice au Fils du Roi »: ceux-ci ne veulent point
qu’on leur donne la justice, ils prétendent l’avoir en eux-mêmes. « Ignorant
cette justice qui vient de Dieu, et voulant établir leur propre justice, ils ne
sont point soumis à la justice de Dieu 7 ». Ils ne sont donc point affamés de
Dieu, mais pleins d’eux-mêmes, puisqu’ils ne sont pas humbles, mais superbes.
Or, ce Fils du Roi viendra juger le peuple de Dieu tians la justice, et les
pauvres dans l’équité, et par ce jugement, il séparera les pauvres qui sont à
lui, c’est-à-dire, ceux qu’il a enrichis de sa pauvreté. Car c’est vers lui que
ce peuple de pauvres élève cette voix: « Jugez-moi, ô Dieu, et séparez ma cause
de cette nation qui n’est point sainte 8 ».
4. Il y a ici dans les expressions un ordre
qui est changé; après avoir dit d’abord: « Dieu, donnez votre jugement au
roi,et votre justice au fils du roi », énonçant d’abord le jugement, ensuite la
justice, le Prophète au verset suivant met au premier rang la justice, et au second
le jugement: « Pour juger votre peuple dans la justice, et vos pauvres selon le
jugement »; et montre ainsi que ce jugement a le sens de justice, et que lieu
importe à quel rang vienne cette expression, qui a le
1. I
Cor. IV, 7. — 2. Id. XIII, 5 — 3. Id. 4. — 4. Rom. V, 5. — 5. I Cor. II, 12. — 6. Jean,
I, 14. — 7. Rom. X, 3. — 8. Ps. XLII, 1.
même sens. On appelle d’ordinaire partial, un
jugement injuste; mais on ne dit guère une justice inique ou injuste; car si
elle est fausse, elle sera injuste, et dès lors ne s’appellera plus justice.
Dire alors jugement, puis le répéter sans le nom de justice, puis dire justice
et lui donner ensuite le nom de jugement, c’est montrer suffisamment qu’il
appelle jugement ce que d’ordinaire on appelle justice, c’est-à-dire ce qui ne
peut s’entendre d’un faux jugement. Quand le Seigneur nous dit en effet: « Ne
jugez point selon l’apparence, mais jugez selon le sens droit 1 », il montre
qu’un jugement peut être sans droiture; et en disant: « Portez un jugement
droit », il défend l’un e1à ordonne l’autre. Mais quand il dit le jugement,
sans aucune qualification, il veut que l’on entende la justice. C’est ainsi
qu’il a dit: « Vous omettez ce qu’il y a d’important dans la loi, la
miséricorde et le jugement 2 »; et que Jérémie a dit aussi: « Il amasse des
richesses, mais non avec jugement 3 ». Il ne dit pas qu’il amasse des richesses
avec un jugement faux ou pervers, ni avec un jugement droit ou injuste; mais
bien « non avec jugement », réservant ainsi le nom de jugement à tout ce qui
est droit et juste.
5. « Que les montagnes reçoivent la paix pour
le peuple, et les collines la justice 4 ». Les montagnes sont plus hautes, les
collines moins élevées. Le Prophète désigne ici ceux qu’il appelle ailleurs «
les grands et les petits ». Ce sont là « ces montagnes qui bondirent comme des
béliers, et ces collines comme des agneaux, quand Israël sortit de l’Egypte 5»;
c’est-à-dire, quand le peuple de Dieu fut délivré de l’esclavage de ce monde.
Ces montagnes sont donc les hommes qui, dans l’Eglise, dominent par une
sainteté supérieure et qui sont capables d’instruire les autres 6; qui ne
parlent que pour enseigner la vérité, qui règlent leur vie afin d’être des
modèles de sainteté. Mais pourquoi « la paix est-elle pour les montagnes, et la
justice pour les collines? » Serait-il indifférent de dire que les montagnes
reçussent la justice pour le peuple, et les collines la paix? Car la justice
comme la paix est nécessaire aux uns et aux autres, et il est possible que la
paix ne soit qu’un autre nom de la justice. Telle serait en
1. Jean, VII, 24. — 2. Matth. XXIII, 23. — 3.
Jérém. XVII, 11. — 4. Ps. LXXI, 3.— 5. Id. CXIII, 1, 4, 13.— 6. II Tim. II, 2.
effet la véritable paix, non plus comme les
hommes injustes la font entre eux. Ou peut-être, ne faut-il pas dédaigner la
distinction du Prophète, et dire: « La paix aux montagnes et la justice aux
collines? » Car ceux qui sont éminents dans l’Eglise doivent apporter tous
leurs soins à maintenir la paix, à ne pas briser les liens de l’unité, à ne point
causer de schismes dans l’Eglise par leur conduite orgueilleuse. Quant aux
collines, elles doivent imiter les montagnes, et leur être soumises, de manière
néanmoins à leur préférer Jésus-Christ: de peur que séduites par l’éclat
apparent de quelques montagnes dangereuses, elles n’en viennent à se séparer du
Christ et à rompre avec l’unité. Voilà pourquoi le Prophète appelle « sur les
montagnes la paix, pour le peuple ». Qu’elles disent: « Soyez mes imitateurs,
comme je le suis du Christ 1 ». Mais qu’elles disent encore: «Quand un ange
venu du ciel, ou nous-mêmes vous annoncerions un Evangile autre que celui que
vous avez reçu, qu’il soit anathème 2». Qu’elles disent enfin: « Paul a-t-il
été crucifié pour vous, ou seriez-vous baptisés au nom de Paul 3? » Qu’ « ils
reçoivent cette paix pour le peuple » de Dieu, ou pour les pauvres de Dieu, qui
leur fasse désirer de régner, non sur eux, mais avec eux. Qu’à leur tour
ceux-ci ne disent point: « Moi je suis à Paul, moi à Apollo, moi à Céphas »,
mais bien tous: « Moi je suis au Christ 4 ». La justice dès lors consiste pour
les serviteurs à ne point se préférer ni même s’égaler au Seigneur, et à lever
les yeux vers les montagnes d’où le secours doit leur venir, de manière
cependant à ne pas attendre ce secours des montagnes elles-mêmes, mais bien du
Seigneur qui a fait le ciel et la terre 5.
6. On peut très-bien encore donner à ces
paroles: « Que les montagnes reçoivent la paix pour le peuple », le sens d’une
paix qui nous réconcilie avec Dieu, car les montagnes la reçoivent pour son
peuple. Voilà ce que nous prêche l’Apôtre: « Le passé n’est plus, tout est
devenu nouveau: or, tout vient de Dieu qui nous a réconciliés avec lui par le
Christ, et nous a confié le ministère de la réconciliation ». Voilà comment les
montagnes reçoivent la paix pour son peuple. « Car Dieu était dans le Christ se
réconciliant le monde, n’imputant plus aux hommes leurs péchés,
1. I
Cor. XI, 1.— 2. Gal, I, 8.— 3. I Cor. I,13.— 4. Id., 1. — 5. Ps. CXX, l, 2.
et mettant en nous la parole de réconciliation
». En qui la met-il, sinon dans ces montagnes qui reçoivent la paix pour son
peuple? Voilà que les messagers de la paix s’écrient ensuite: « Nous
remplissons donc la fonction d’ambassadeurs du Christ, c’est Dieu même qui vous
exhorte par notre bouche; nous vous conjurons, au nom du Christ, de vous
réconcilier avec Dieu 1 ». Telle est la paix que les montagnes reçoivent pour
son peuple, c’est-à-dire la prédication et le message de la paix: aux collines
la justice, ou l’obéissance qui est, pour l’homme ainsi que pour toute créature
douée de raison, l’origine et le perfectionnement de la justice. Entre ces deux
hommes, Adam qui fut pour nous la source de la mort, et le Christ ou l’auteur
de notre salut, la grande différence consiste « dans cette désobéissance d’un
seul homme «qui en a rendu tant d’autres pécheurs, comme l’obéissance d’un seul
homme en établira un grand nombre dans la justice 2. Que les montagnes
reçoivent donc la paix pour le peuple, et les collines la justice »: afin que
l’accord des uns et des autres justifie cette parole: « Voilà que la justice et
la paix se sont embrassées 3 ». Il est vrai que l’on trouve dans certains
exemplaires: « Que les montagnes et les collines reçoivent la paix»: je crois
qu’il faut l’entendre des prédicateurs de l’Evangile, soit des premiers, soit
des seconds. Alors dans ces manuscrits on lit ainsi le verset suivant: « C’est
dans la justice qu’il jugera les pauvres du peuple ». Toutefois on préfère les
exemplaires qui portent, comme nous venons de l’expliquer: « Que les montagnes
reçoivent la paix pour le peuple, et les collines la justice ». D’autres encore
lisent: « Pour votre peuple »; d’autres n’ont point « votre », mais seulement «
le peuple».
7. « Il jugera les pauvres du peuple, et
sauvera les fils des pauvres 4 ». Les pauvres et les fils des pauvres me
paraissent identiques, de même que la cité de Sion n’est autre que la fille de
Sion. Mais si l’on veut une distinction: par « les pauvres », nous entendrons «
les montagnes »; et par « les fils des pauvres, les collines »: alors les
pauvres seraient les Prophètes et les Apôtres, et leurs fils, ou « les fils des
pauvres», seraient ceux qui sous leur autorité s’avancent dans la
1.
II Cor. V, 17-20. — 2. Rom. V, 19. — 3. Ps. LXXXIV, 11. — 4. Id. LXXI, 4.
vertu. Le Prophète dit d’abord que Dieu « les
«jugera », ensuite qu’il « les sauvera », pour nous donner un aperçu du
jugement qu’il doit exercer; car il ne doit les juger que pour les sauver, ou
les séparer de ceux qui seront damnés et réprouvés, et leur donner ainsi le
salut qu’il est prêt de révéler dans ces derniers temps 1. Ceux-là lui disent
en effet: « Ne perdez point mon âme avec les impies 2 »et encore: « Jugez-moi,
ô Dieu, et séparez ma cause de celle d’une nation qui n’est point sainte 3 ».
Remarquons aussi que le Prophète ne dit point: Il jugera le pauvre peuple; mais
bien: « Les pauvres du peuple». Quand il dit plus haut: « Afin de juger le
peuple dans la justice et vos pauvres dans l’équité», il identifie le peuple de
Dieu avec ses pauvres, ou simplement ceux qui sont bons et qui doivent être
placés à sa droite. Mais comme, en cette vie, ceux de la droite et ceux de la
gauche paissent ensemble, ainsi que des boucs et des agneaux que l’on doit
séparer à la fin des jours 4, le Prophète appelle ce mélange peuple de Dieu. Et
comme le Prophète donne ici un sens favorable au jugement, et l’entend de ceux
qu’il doit sauver; « il jugera les pauvres du peuple», signifie dans son
langage, qu’il discernera pour les sauver ceux de sou peuple qui sont pauvres,
Après avoir dit quels sont ceux qui sont pauvres 5, comprenons encore qu’ils
sont indigents. « Il humiliera le calomniateur». Nous ne connaissons pas de
plus grand calomniateur que le diable. Voici une de ses calomnies: « Est-ce
gratuitement que Job honore le Seigneur 6? » C’est lui que le Seigneur Jésus
humilie, en donnant sa grâce aux siens, afin qu’ils servent Dieu gratuitement,
c’est-à-dire qu’ils trouvent leurs délices dans le Seigneur 7. Il l’a humilié
encore, quand le diable, ou le prince de ce monde, ne trouvant rien en lui 8,
le mit à mort sous les calomnies de ces Juifs qui étaient pour le calomniateur
des instruments dociles, agissant par ces enfants de rébellions 9. Ce fut une
humiliation pour lui de voir celui qu’ils avaient mis à mort, ressuscitant et
détruisant cet empire de la mort, dans lequel il exerçait une telle puissance,
que par un seul homme qu’il avait séduit, il entraînait le genre humain dans
1. I
Pierre, I, 5. — 2. Ps. XXV, 9.— 3. Id. XIII, 1.— 4. Matth. XXV, 32. — 5. Plus haut,
n. 3. — 6. Job, I, 9. — 7. Ps. XXXVI, 4. — 8. Jean, XIV, 30. — 9. Ephés. II, 2.
une éternelle damnation. Il fuit surtout
humilié, parce que si le péché d’un seul homme a fait ainsi régner la mort, à
plus forte raison ceux qui reçoivent l’abondance de la justice et de la grâce,
régneront dans la vie par un seul qui est Jésus-Christ 1, qui a confondu le
calomniateur, ainsi que les accusations mensongères, les juges d’iniquité, les
faux témoins, que ce calomniateur suscitait pour le perdre.
8. « Il demeurera autant que le soleil, ou
avec le soleil 2 ». Quelques-uns de nos interprètes ont cru qu’il était mieux
de traduire ainsi, parce qu’il y a dans le grec sumparamenei, qu’on ne peut traduire en latin en un seul mot, que
par compermanebit, il condemeurera:
et comme on ne pouvait rendre cette pensée en une seule expression latine, on a
dit: « Il demeurera avec le soleil ». Condemeurer au soleil n’aurait en effet
d’autre sens que « demeurer avec le soleil ». Mais qu’y a-t-il de si grand à
demeurer avec le soleil pour celui par qui tout a été fait, et sans qui rien
n’a été fait 3, sinon la condamnation de ceux qui s’imaginent que la religion
du Christ ne doit subsister que pour un temps, pour disparaître ensuite? « Il
subsistera donc avec le soleil », tant que le soleil se lèvera et se couchera;
c’est-à-dire que l’Eglise de Dieu ou le corps mystique du Christ subsistera sur
la terre tant que s’écouleront les siècles. Quand le Prophète ajoute « Et avant
la lune, de génération en génération », il aurait pu dire aussi bien: Et avant
le soleil, c’est-à-dire et avec le soleil et avant le soleil; ce qui
signifierait: et avec les temps et avant les temps. Or, ce qui précède le temps
est éternel: et l’on doit regarder comme vraiment éternel, ce qui ne varie
point avec le temps, comme le Verbe qui était au commencement. Mais le Prophète
a préféré symboliser dans la lune ces accroissements et ces dépérissements des
choses mortelles. Aussi après avoir dit: « Avant la lune », le Prophète voulant
en quelque sorte nous expliquer le sens qu’il y attache, ajoute: « Dans les
générations des générations »; comme s’il disait: « Avant la lune »,
c’est-à-dire, avant « les générations des générations », qui passent avec la
mort et la succession des choses mortelles, comme les phases d’accroissement et
de disparition de la lune. Dès lors, dans quel sens
1. Rom. V, 17. — 2. Ps. LXXI, 5. — 3. Jean,
I, 3.
plus plausible peut-on dire que le Christ
subsistera, « avant la lune », sinon que par son immortalité il a devancé tout
ce qui est mortel? On pourrait encore entendre très-bien qu’après avoir humilié
le calomniateur, le Christ est assis à la droite de son Père, et qu’il demeure
ainsi « avec le soleil ». Car on entend par le Fils la splendeur de la gloire
éternelle 1: le soleil serait alors le Père, et le Fils en serait l’éclat.
Toutefois cela doit s’entendre de la substance invisible du Créateur, et non de
cette substance visible des créatures, qui est celle des corps célestes, dont
le plus éclatant est le soleil, objet de notre comparaison, comme on en tire
des objets terrestres, tels que la pierre, le lion, l’agneau, l’homme qui a
deux fils, et le reste. Donc après avoir humilié le calomniateur, il demeure «
avec le soleil »: car après avoir vaincu le diable par sa résurrection, il est
assis à la droite du Père 2, où il ne mourra plus, et où la mort n’a plus
d’empire sur lui 3. Et cela « devant la lune », comme le premier-né d’entre les
morts précédant son Eglise qui passe avec les hommes, par les phases de la mort
et de la succession. Voilà « les générations des générations». A moins
d’entendre par génération notre naissance temporelle, et par « générations des
générations », notre naissance dans l’éternité. Voilà l’Eglise que précède le
Christ, afin de demeurer « avant la lune », lui, le premier-né d’entre les
morts. Mais comme il y a dans le grec geneas
geneon, plusieurs ont traduit non plus « générations », au pluriel, mais «
la génération des générations ». Car geneas
répond à deux cas du grec, et pour traduire par l’accusatif pluriel, tas geneas, ou les générations, plutôt
que par le génitif singulier, tes geneas,
il n’y a pas de raison évidente, sinon que l’on a préféré traduire à
l’accusatif « les générations des générations », comme une explication de ce
qu’il entendait par « la lune », qui est aussi à l’accusatif.
9. « Il descendra comme la pluie dans la
toison, et comme la rosée qui dégoutte sur la terre4 ». C’est là une allusion
qui nous rappelle que c’est dans le Christ que doit s’accomplir cette figure
qui eut lieu sous Gédéon. Ce juge demanda pour signe au Seigneur que la toison
placée dans l’aire, fût trempée de rosée, quand l’aire demeurerait
1.
Hébr. I, 3.— 2. Marc, XVI, 19.— 3. Rom. VI, 9. — 4. Ps. LXXI, 6.
sèche 1; et ensuite que la toison demeurât
sèche, tandis que l’aire serait mouillée; ce qui arriva en effet. Nous voyons
en cela le peuple d’Israël, ou le premier peuple qui est une toison desséchée
dans l’aire immense de l’univers entier. Ce même Christ est descendu comme la
rosée dans la toison, tandis que l’aire était encore desséchée: aussi a-t-il
dit: « Je ne suis envoyé que vers les brebis perdues de la maison d’Israël 2 ».
C’est là qu’il a choisi et la mère qui devait lui donner cette forme de
l’esclave dans laquelle il devait se rendre visible pour les hommes, et ces
disciples auxquels il a donné ce précepte: « N’allez point par la voie des
gentils, n’entrez point dans les villes des Samaritains allez d’abord vers les
brebis de la maison d’Israël qui ont péri 3». Mais leur dire: «allez tout
d’abord à ces brebis», c’est leur dire qu’au temps marqué pour tremper l’aire e
la divine rosée, ils devront aller aussi vers ces autres brebis qui ne sont
point de l’antique bercail d’Israël, et dont il a dit: « J’ai d’autres brebis
qui ne sont point de ce bercail, il faut que je les amène, afin qu’il n’y ait
qu’un troupeau et qu’un pasteur 4 ». De là cette parole de l’Apôtre: « Je dis
que le Christ a été le ministre pour le peuple circoncis, afin de vérifier la
parole de Dieu, et de confirmer les promesses faites à nos « Pères».C’est ainsi
que la pluie est descendue sur la toison, pendant que l’aire demeurait sèche.
Mais l’Apôtre continue « Les gentils doivent louer Dieu de sa miséricorde 5 »
puisque au temps marqué s’accomplit cette promesse du Prophète: « Le peuple que
je n’ai point connu, m’a servi, il m’a obéi en entendant ma voix 6»: or, nous
voyons aujourd’hui le peuple juif qui demeure dans l’aridité, tandis que dans
l’univers entier les nuées de la grâce arrosent pleinement tous les peuples.
Notre psaume a pris un autre terme pour désigner la même pluie; il la nomme: «
des gouttes de rosée qui tombent », non plus sur la toison, mais « sur la terre
». Qu’est-ce en effet que la pluie, sinon des gouttes qui tombent? Aussi, Dieu
a-t-il, selon moi, désigné ce peuple sous le nom d’une toison, ou bien parce
qu’il devait être dépouillé du droit d’enseigner comme on dépouille une brebis
de sa toison; ou bien
1. Juges, VI, 36 et seq. — 2. Matth. XV, 21.
— 3. Id. X, 5, 6 — 4. Jean, X, 16. — 5. Rom. XV, 8, 9. — 6. Ps. XVII, 45.
parce qu’il renfermait cette pluie divine en
lui-même sans permettre de l’annoncer aux peuples incirconcis.
10. « La justice s’élèvera en ses jours,
ainsi que l’abondance de la paix, jusqu’à ce que la lune disparaisse 1». Cette
expression « disparaisse » est rendue chez d’autres interprètes par « soit
enlevée », et chez d’autres encore par « soit élevée»:chacun a traduit à sa
guise le verbe grec anatanairethe.
Mais il y a peu de différence entre « disparaisse » et « soit enlevée». «
Disparaître e a plus ordinairement le sens d’être enlevé, de n’être plus, que
celui d’être élevé plus haut. « Etre enlevé », ne peut guère s’entendre que
datas le sens d’être perdu, de n’exister plus; « être élevé », n’a d’autre sens
que d’être plus haut: ce qui se prend quelquefois en mauvaise part, et désigne
l’orgueil; ainsi: « Ne t’élève point dans ta sagesse 2». Damas un sens
favorable, il signifie un plus grand honneur, ainsi quand on élève un objet:
par exemple: « Pendant la nuit élevez vos mains vers le sanctuaire, et bénissez
le Seigneur 3 ». Si donc nous traduisons par « disparaisse», qu’en
résultera-t-il, sinon que, pour la lune, « disparaître » aura le sens de n’être
plus? Peut-être le Prophète a-t-il voulu nous dire qu’il n’y aura plus de
mortalité, quand « la mort notre dernière ennemie sera détruite 4 »; en sorte
que l’abondance de la paix sera telle que rien ne s’opposera à la félicité des
bienheureux, de la part des infirmités de la mort: ce qui arrivera dans ce
séjour dont Dieu nous a donné l’infaillible promesse, par Jésus-Christ Notre
Seigneur, et dont il est dit: « En ses jours s’élèvera la justice ainsi que
l’abondance de la paix »: jusqu’à ce que la mort soit vaincue, et que toute
mortalité soit détruite et absorbée, Mais si la lune désigne ici, non plus
cette mortalité de la chair que subit ici-bas l’Eglise, mais bien l’Eglise
elle-même qui doit être délivrée de cette mortalité pour demeurer
éternellement, il faut traduire ainsi: « En ses jours s’élèvera la justice et
l’abondance de la paix, jusqu’à ce que la lune soit élevée »; comme si l’on
disait: En ses jours s’élèvera la justice qui dompte les contradictions et les
rébellions de la chair, et une paix surgira pour aller croissant et se
multipliant, jusqu’à ce que la lune s’élève, ou plutôt jusqu’à la glorification
de
1. Ps. LXXI, 7. — 2. Eccli. XXXII, 6. — 3.
Ps. CXXXIII, 2. — 4. I Cor. XV, 26,
l’Eglise qui doit régner par la gloire de la
résurrection, avec ce premier-né d’entre les morts, qui l’a précédée dans cette
gloire, et qui est assis à la droite de soma Père 1: c’est là demeurer « avec
le soleil et avant la lune », que ce même soleil doit ensuite élever en gloire.
11. « Il dominera depuis la mer jusqu’à la
mer, et depuis le fleuve jusqu’aux extrémités de la terre 2 ». Ainsi doit régner
celui dont il est dit: « En ses jours s’élèvera la justice et l’abondance de la
paix, jusqu’à ce que la lune soit exaltée ». Si par lune on entend ici
l’Eglise, on voit combien il doit étendre au loin cette Eglise, puisqu’il
ajoute: « Il dominera depuis la mer jusqu’à la mer ». Car la terre est
environnée de cette grande mer, qu’on appelle Océan, dont nous avons dans nos
terres quelques portions étroites que forment ces mers si connues sillonnées
par nos vaisseaux. « Depuis la mer jusqu’à la mer », ou depuis une extrémité de
la terre jusqu’à l’autre, voilà ce que le Prophète assigne à la domination du
Christ, dont le nom et la puissance devaient être prêchés dans l’univers entier
pour le dominer. Et pour que nous ne donnions pas un autre sens à ces paroles:
« Depuis la mer jusqu’à la mer », le Prophète ajoute: « Depuis le fleuve
jusqu’aux extrémités de la terre ». Or, « jusqu’aux extrémités de la terre »,
était exprimé dans ces paroles; « Depuis la mer jusqu’à la mer ». Mais quand le
Prophète nous parle « du fleuve », il veut dire que le Christ a commencé à
signaler sa puissance sur le fleuve du Jourdain, où il choisit ses disciples,
où il fut baptisé et ou l’Esprit-Saint descendit sur lui alors que cette voix
se fit entendre du ciel: « Celui-ci est mon fils bien-aimé 3». Tel est donc le
point de départ de sa doctrine: c’est de là que l’autorité de cet enseignement
céleste s’est i’épandue jusqu’aux confins de la terre, que 1’Evangile du
royaume des cieux a été prêché dans l’univers entier, pour servir de témoignage
à toutes les nations: puis arrivera la fin de toutes choses.
12. « Devant lui les habitants de l’Ethiopie
se prosterneront, et ses ennemis baiseront la poussière 4 ». Les Ethiopiens
désignent ici les nations, c’est la partie pour le tout, et le
Prophète choisit ici la nation la plus
reculée
1.
Marc, XVI, 19. — 2. Ps. LXXI, 8. — 3. Matth. III, 17. — 4. Ps. LXXI, 9.
sur les confins de la terre. « Ils se
prosterneront en sa présence », est-il dit, pour, ils l’adoreront. Or, comme il
doit naître en diverses contrées de la terre des schismes qui porteront envie à
l’Eglise catholique répandue dans le monde entier; comme ces schismes se
diviseront ét porteront chacun le nom de son auteur; comme ils s’attacheront
aux hommes qui les ont provoqués, jusqu’à combattre même cette gloire du Christ
resplendissante chez tous les peuples, voilà que le Prophète à ces paroles: «
Les Ethiopiens se prosterneront devant lui », ajoute: « Et ses ennemis
baiseront la poussière »: c’est-à-dire, aimeront les hommes et porteront envie
à cette gloire du Christ, qui a fait dire: « Elevez-vous, Seigneur, au-dessus
des cieux, et que votre gloire apparaisse à la terre 1 ». L’homme a mérité, par
son péché, d’entendre: « Tu es terre, et tu retourneras dans la terre 2». Or,
baiser cette terre, c’est-à-dire, se soumettre avec joie à l’autorité de ces
hommes frivoles, les aimer, y trouver ses délices, c’est contredire les saintes
Ecritures, qui préconisent l’Eglise catholique, dont le règne s’étendra, non
plus sur quelque partie de la terre, comme il en est des schismes, mais qui
envahira successivement l’univers entier et jusqu’aux Ethiopiens, c’est-à-dire
aux plus éloignés, comme aux Plias dépravés des hommes.
13. « Les rois de Tharsis et des îles lui
apporteront des présents; les rois des Arabes et de Saba lui amèneront des
offrandes. Tous les rois de là terre l’adoreront, toutes les nations lui seront
assujetties 3 ». Il n’est pas besoin d’expliquer ce passage, mais d’en
contempler la vérité. Elle éclate aux yeux, non. seulement des fidèles qui en
tressaillent, mais des infidèles qui en gémissent. A moins peut-être que nous
ne demandions le sens de « ces offrandes qu’on doit amener ». Car on amène ce
qui peut marcher. Or, serait-il ici question de victimes à immoler? Loin de
nous de croire à une telle justice en ses jours. Mais les offrandes préconisées
par ce verset, nous semblent désigner les hommes que l’autorité des rois amène
au sein de l’Eglise du Christ, bien que ces rois aient aussi amené à Dieu des
présents par leurs persécutions, en immolant des martyrs, sans savoir ce qu’ils
faisaient.
14. Le Prophète expliquant pourquoi les
1. Ps. CVII, 6.— 2. Gen. III, 19.— 3. Ps.
LXXI, 10, 11.
princes doivent rendre au Christ un si grand
honneur, et toutes les nations le servir, ajoute: « Parce qu’il arrachera le
pauvre des mains du puissant, ce pauvre qui n’a personne pour soutien 1 ». Ce
pauvre, cet indigent, c’est le peuple qui croit en lui. Et dans ce peuple il
est aussi des rois qui l’adorent, qui ne dédaignent pas de paraître pauvres et
indigents, c’est-à-dire qui confessent leurs péchés, qui sentent le besoin de
la gloire de Dieu, afin que ce roi fils du roi les délivre du puissant. Or, ce
puissant est le même que le Prophète vient d’appeler calomniateur, et qui
tient, non de sa propre force, mais des péchés des hommes, le pouvoir de les
soumettre à sa tyrannie. C’est pourquoi il est appelé le fort, et ici le
puissant. Mais celui qui a humilié le calomniateur, et qui est entré dans la
maison du fort, afin de le garrotter et de lui enlever ses dépouilles 2, a «
délivré aussi le faible des mains du puissant, et le pauvre qui était sans
appui ». Nulle autre force, nul autre juste, pas même un ange n’eût pu le
faire. Comme ces pauvres n’avaient aucun appui, le Christ est venu les sauver.
15. Mais on peut objecter: Si l’homme était
au pouvoir du démon à cause de ses péchés, ces mêmes péchés plaisaient-ils donc
au Christ pour qu’il délivrât le pauvre des mains du puissant? Loin de là;
lui-même doit « pardonner au pauvre et à l’indigent 3 », c’est-à-dire remettre
les fautes à l’homme humble, qui n’a pas confiance dans ses propres mérites,
qui n’espère point son salut de sa propre force, mais qui sent le besoin de la
grâce du Sauveur. « Et il sauvera les âmes des pauvres ». Le Prophète nous signale
ainsi le double effet de la grâce; et dans la rémission des péchés, quand il
dit: « Il pardonnera au pauvre et à l’indigent »; et dans la part qui nous est
donnée à la justice, quand il ajoute: « Il sauvera les âmes des pauvres ». Nul
en effet ne peut sans la grâce de Dieu se procurer le salut, qui est la justice
parfaite. Car l’accomplissement de la loi, c’est la charité, et la charité
n’existe point en nous par notre propre. force, mais elle est répandue dans nos
coeurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné 4.
16. « Il délivrera leurs âmes de l’usure et
de l’iniquité 5». Quelles sont ces usures,
1. Ps. LXXI,
12 — 2. Matth. III, 29. — 3. Ps. LXXI, 13. — 4. Rom. V, 5. — 5. Ps. LXXI,
14.
sinon les péchés, que l’on nomme encore des
dettes 1? On leur donne, je crois, le nom d’usures, parce qu’un pécheur souffre
dans les châtiments un mal plus grand que celui qu’il a commis en péchant. Un
meurtrier, par exempte, tue le corps d’un homme, et ne peut rien sur son âme:
mais pour lui, il se condamne corps et âme à l’enfer. De là vient qu’à propos
de ces contempteurs de la loi en cette vie, de ces railleurs du supplice à
venir, il est dit: « Je viendrai pour exiger le salaire avec usure 2 ». Or, les
âmes des pauvres sont délivrées de ces usures, par le sang qui a été répandu
pour la rémission des péchés. Racheter de l’usure, c’est donc racheter du péché
qui mérite un plus grand châtiment; or, le Christ nous rachète de l’iniquité en
nous donnant le secours de sa grâce pour pratiquer la justice. Il y a dès lors
ici une répétition de ce qui a été dit plus haut: puisque « pardonner au pauvre
et à l’indigent 3», c’est le «délivrer de l’usure », et « sauver les âmes des
pauvres», c’est les sauver « de l’iniquité »; le mot « racheter » serait sous
entendu dans l’un et dans l’autre cas. Et en effet, pardonner, c’est racheter
de l’usure; sauver, c’est racheter de l’iniquité. Ainsi « pardonner au pauvre
et à l’indigent, et sauver les âmes des pauvres, c’est racheter leurs âmes de
l’usure et de l’iniquité.— Son nom sera pour eux un nom de gloire ». Car ils
relèvent par des louanges le nom d’un si grand bienfaiteur, ceux qui répondent
qu’il est digne et juste de rendre grâces au Seigneur leur Dieu. On trouve en
d’autres exemplaires: « Et ton nom est glorieux à ses propres yeux». Car si le
monde ne voit dans les chrétiens que des hommes à mépriser, leur nom est grand
devant celui qui le leur a donné, et qui ne se souvient plus, pour le leur
reprocher 3, du nom qu’ils portaient auparavant, lorsqu’ils étaient engagés
dans les superstitions des Gentils, ou de ces noms qui désignaient leurs crimes
avant qu’ils fussent chrétiens: voilà le nom qui est honorable à ses yeux, bien
qu’il paraisse méprisable à nos ennemis.
17. « Et il vivra, et on lui donnera de l’or
de l’Arabie 4 ». « Vivre »; de qui ne peut-on point parler ainsi, quelque peu
de temps qu’il doive passer sur la terre? Le Prophète veut donc nous signaler
cette vie du « Christ
1. Matth. VI,
12.— 2. Id. XXV, 27.— 3. Ps. XV, 4.— 4. Id. LXXI, 15.
qui déjà ne meurt plus, et sur qui la mort a
perdu son empire 1 ». « Il vivra donc » celui dont on a méprisé la mort:
puisque selon le mot d’un autre Prophète: « Sa vie e fut retranchée de dessus
la terre 2». Mais qu’est-ce à dire qu’on « lui donnera de l’or de l’Arabie? »
De là, en effet, Salomon tira de l’or, et cela devient pour le Psalmiste une
figure du véritable Salomon, ou du véritable pacifique. L’ancien Salomon, en
effet, ne domina point «depuis le fleuve jusqu’aux extrémités du monde ». Cette
prophétie nous marque alors que les sages du monde eux-mêmes croiront au
Christ. Par l’Arabie nous entendons les Gentils; par l’or, cette sagesse qui
est au-dessus des autres sciences, comme l’or au-dessus des métaux. De là cette
parole:
« Recevez la prudence comme l’argent, et l’or
comme un or éprouvé 3. Il sera l’objet éternel de leurs vœux ». Comme il y a
dans le grec, peri autou, plusieurs
ont traduit qu’on fera des voeux « à son sujet»; d’autres, « pour lui-même »,
ou « pour lui ». Or, qu’est-ce que faire des voeux « à son sujet », sinon peut-être
dire: « Que votre règne arrive 4? »Or, l’avènement du Christ sera pour les
fidèles l’entrée du royaume de Dieu. Mais il est assez difficile de comprendre
« pour lui», sinon que prier pour l’Eglise, c’est aussi prier pour lui,
puisqu’elle est son corps mystique, C’est en effet le Christ et l’Eglise que
figure ce grand sacrement: « Ils seront deux dans une même chair 5 ». Quant au
reste du sujet: « Tout le jour ils le béniront », il est assez évident que
c’est pendant les siècles.
18. « Il sera sur la terre le ferme appui des
hautes montagnes 6. Car toutes les promesses de Dieu ont en lui leur
affirmation 7»; c’est-à-dire, se confirment en lui. Car c’est en lui que
s’accomplit tout ce qu’ont annoncé les Prophètes au sujet de notre salut. Il
convient, en effet, d’entendre par ces montagnes les auteurs dont Dieu s’est
servi pour nous donner les livres saints; Jésus-Christ devient pour eux un
ferme appui, parce que c’est à lui que se rapporte tout ce que Dieu a fait
écrire. Il a voulu que cela fût écrit sur la terre, parce que c’est pour ceux
qui vivent sur la terre qu’il l’a fait écrire; et que lui-même n’est venu sur
la terre qu’afin de le
1.
Rom. VI, 9. — 2. Isa. LIII, 8; Act, VIII, 33. — 3. Prov. VIII, 10, 11. — 4.
Matth. VI, 10. — 5. Ephés. V, 31, 32. — 6. Ps. LXII, 16. — 7. II Cor. I, 20
confirmer, ou d’en montrer en lui
l’accomplissement. « Il fallait», dit-il, « que s’accomplit tout ce qui a été
écrit à mon sujet dans la loi, dans [es Prophètes et dans les psaumes 1 »:
c’est-à-dire « sur les hautes montagnes ». Voilà que « dans les derniers jours,
la montagne du Seigneur se manifestera et s’élèvera sur le sommet des montagnes
2 ». Ce que le psaume exprime ainsi: « Sur les hautes montagnes. Et son fruit
dominera les sommets du Liban ». Le Liban a d’ordinaire pour nous le sens des
dignités du siècle, car c’est une montagne dont les arbres sont très-élevés, et
dont le nom signifie blancheur. Or, quelle merveille que le fruit du Christ
s’élève au-dessus de tous les prestiges du siècle, puisque tous ceux qui aiment
ce fruit ont dédaigné ce qu’il y a d’éclatant et d’élevé dans le monde? Si nous
entendons le Liban dans un sens favorable, à cause «des cèdres du Liban que
Dieu a plantés 3 », que devons-nous entendre par ce fruit qui s’élève au-dessus
du Liban, sinon celui que nous marque saint Paul, quand il va parler de la
charité: « Je vous montrerai une voie plus élevée encore 4? » C’est là ce qu’il
met au premier rang dans les dons de Dieu, quand il dit: « Or, le fruit de
l’Esprit-Saint est la charité 5 », et le reste, qu’il énumère ensuite. « Et ils
fleuriront dans la cité comme les plantes de la terre ». Le mot de cité n’est
point ici déterminé, et il n’est point dit: sa ville, ou la ville de Dieu, mais
seulement: dans la cité; nous le prendrons en bonne part, et ce sera dans la
cité de Dieu, ou dans l’Eglise, qu’ils fleuriront comme l’herbe; mais une herbe
qui porte du fruit, comme le froment; car lui-même a le nom de plante dans les
saintes Ecritures; ainsi dans la Genèse Dieu ordonne à la terre de produire toute
espèce d’arbres, toute espèce de plantes 6, et il n’est point dit toute espèce
de froment, ce qui n’eût pas été omis certainement, s’il n’eût pas été compris
sous le nom générique des plantes; on en trouve encore beaucoup d’exemples dans
les Ecritures. Mais si nous devons donner à ces paroles: « Ils fleuriront comme
les plantes de la terre », le sens de: « Toute chair est une herbe, et tout
éclat pour l’homme n’est qu’une fleur des plantes 7», alors la cité nous
désignera la société du
1. Luc. XXIV, 44.— 2. Isa. II, 2.— 3. Ps. CIII, 16.— 4. I Cor. XII, 31. — 5. Gal. V, 22. — 6. Gen. II, 11. — 7.
Isa. XL, 6.
monde, et ce n’est pas sans raison que Caïn
en fut le premier fondateur 1. Or, quand ce fruit du Christ est élevé au-dessus
du Liban, c’est-à-dire au-dessus des arbres à longue vie et des bois
incorruptibles, comme ce fruit est éternel, l’homme dans tout son éclat et dans
toute sa grandeur ici-bas, n’est plus comparé qu’à une herbe, car tous ceux qui
croient eu Jésus-Christ, qui espèrent la vie éternelle, n’ont que du mépris
pour une félicité passagère, et ainsi s’accomplit ce qu’a dit le Prophète: «
Toute chair est une herbe, et toute beauté de la chair n’est qu’une fleur de
l’herbe; l’herbe se dessèche, la fleur tombe, mais la parole de Dieu demeure éternellement
». C’est en cela que le fruit du Christ domine les cèdres du Liban. Jamais la
chair n’a été qu’une herbe, et la beauté de la chair que la fleur d’une herbe;
mais comme l’on n’enseignait pas la félicité qu’il fallait choisir et préférer,
la fleur de l’herbe était en honneur, et non seulement on ne la dédaignait
point, mais on la recherchait avec empressement. Or, comme si toutes ces fleurs
mondaines commençaient à devenir viles dès qu’on s’en détourne et qu’on les
dédaigne: «Voilà », dit le Prophète, «que son fruit sera élevé au-dessus du
Liban, et qu’ils fleuriront dans la cité comme les fleurs de la terre 2 »;
c’est-à-dire que l’on estimera pardessus tout les promesses éternelles, et que
l’on regardera comme l’herbe des champs ce qui occupe l’attention du monde.
19. « Que son nom soit béni à jamais: son nom
durera plus que le soleil 3 ». Le soleil
ici marque les temps. Donc le nom du Christ
durera éternellement. Car l’éternité a devancé
les temps, et ne finira point avec les temps.
« C’est en lui que seront bénies les tribus de la terre »; puisque c’est en lui
que s’accomplit la promesse faite à Abraham. « Il n’est point dit, en effet: En
ceux qui naîtront, comme s’ils devaient être plusieurs; mais bien comme en
parlant d’un seul: En celui qui naîtra, et qui est le Christ 4 ». Il fut dit
1. Gen. IV, 17.— 2. Ps. XI, 6-8.— 3. Ps.
LXXI, 17.— 4. Gal. III, 16.
à Abraham, en effet: « En celui qui naîtra de
toi seront bénies toutes les tribus de la terre 1. Or, ce ne sont pas les
enfants selon la chair, mais les enfants de la promesse, qui font partie de sa
race 2. Toutes les nations le béniront». C’est là une répétition qui explique
ce qui précède. Ces peuples qui seront bénis en Jésus-Christ le grandiront, non
point en ajoutant à sa grandeur, puisque par lui-même il est grand, mais en le
bénissant, en chantant sa grandeur. C’est ainsi que nous grandissons Dieu;
ainsi disons-nous encore: « Que votre nom soit sanctifié 3 », bien qu’il soit
saint éternellement.
20. « Béni soit le Seigneur, Dieu d’Israël, qui seul opère les
merveilles 4». A la vue de ces merveilles qu’il vient d’énumérer, le Prophète
échappe un hymne, et bénit le Seigneur, le Dieu d’Israël. Alors s’accomplit ce
qui est dit à cette veuve stérile: « Celui qui t’a délivrée, ce Seigneur d’Israël,
sera appelé le Dieu de toute la terre 5 ». C’est lui qui « seul fait des
merveilles », parce que c’est lui qui en opère dans tous ceux qui en font: «
Lui qui seul opère des miracles ».
21. « Et que le nom de sa gloire soit béni dans
l’éternité et dans les siècles des siècles 6 » Comment traduire en latin, si
nous ne pouvons dire: Dans l’éternité, et dans l’éternité de l’éternité? Comme
si « l’éternité » avait un autre sens que « le siècle », ce qui n’est pas. Mais
le grec porte: eis ton aiona, kai eis ton
aiona tou aionos, que l’on traduirait plus facilement par: Dans les
siècles, et dans les siècles des siècles; alors «les siècles» s’entendraient de
la durée du temps, et « les siècles des siècles » marqueraient ce qui est de
l’avenir. « Et toute la terre sera remplie de sa gloire. Ainsi soit-il. Ainsi
soit-il». Vous l’avez ordonné, Seigneur, et cela s’accomplit: cela s’accomplit
jusqu’à ce qu’enfin la parole partie « du fleuve », parviendra « jusqu’aux
dernières extrémités de la terres ».
1.
Gen. XXII, 18. — 2. Rom. IX, 8.— 3. Matth. VI, 9. — 4. Ps. LXXI, 18. — 5. Isa. LIV,
5 — 6. Ps. LXXI, 19.
SERMON AU PEUPLE (1).
Dans
l’Ancien Testament était caché le Nouveau, comme le fruit dans sa racine. De
cette racine Dieu a retranché des branches pour y greffer les Gentils qui
doivent craindre et persévérer dans le bien. Les promesses temporelles, figures
des promesses spirituelles, n’étaient que pour un temps, non plus que les
hymnes de David, ou ce culte de la synagogue, mère des Apôtres ou des chefs du
bercail. Ce peuple tiré de la servitude, puis errant dans le désert, et
introduit dans la terre promise, était la figure du peuple chrétien, délivré
par le baptême. Toutefois la terre promise qui finit pour les Juifs, les force
à chercher une terre sans fin. La synagogue servait Dieu pour les biens du
temps et se scandalisait de voir ces biens entre les mains des impies Elle ne
bénit plus le Seigneur, elle l’accuse, puis arrive à comprendre qu’il faut
chercher Dieu lui-même. — Le Prophète a failli s’égarer en voyant la prospérité
des impies, qui pèchent dans l’abondance et non par nécessité, qui haïssent
tout avertissement, qui se glorifient du mal sans penser à leur fin. Mais la
mort changea les rôles pour Lazare et pour le mauvais riche. Le vrai fidèle se
demande si Dieu n’a pas soin des choses d’ici-bas; il se rassure par l’autorité
des livres saints, qui prêchent la providence et la justice; il méprise des
biens que Dieu donne h ses ennemis. il s’unit à Dieu pour voir, à la lueur du
jugement, que l’élévation des impies n’est qu’une vaine fumée, leur félicité,
celle d’un songe qu’il n’y a qu’à nous laisser mener par la main à la
possession de Dieu, seul et souverain bien.
1. Ecoutez, écoutez, ô vous, mes frères
bien-aimés, qui êtes les entrailles du corps de Jésus-Christ, vous qui avez mis
votre espoir dans le Seigneur votre Dieu, qui détournez les yeux des vanités et
des folies mensongères 2; et vous qui les regardez encore, écoutez, pour ne les
regarder plus. Ce psaume a pour inscription ou pour titre: « Fin des psaumes de
David, fils de Jessé, psaume d’Asaph 3 ». Nous avons beaucoup de psaumes qui
portent le nom de David, mais nulle autre part qu’en celui-ci ne se lit cette
addition: « Fils de Jessé », qui, nous devons le croire, n’est pas sans motif
ni sans raison. Partout en effet Dieu se montre à nous, et stimule en nous
l’amour et le pieux désir de comprendre. Que signifie: « Fin des psaumes de
David, fils de Jessé? » On appelle hymnes des louanges que l’on chante en
l’honneur de Dieu; des chants qui contiennent la louange du Seigneur. Une
louange qui ne serait point la louange de Dieu, ne serait plus une hymne; de
même une louange, et même louange de Dieu,, mais que l’on ne chante pas, n’est
pas l’hymne. Dès lors, l’hymne renferme ces trois conditions la louange, la
louange de Dieu, puis le chant. Que signifie donc: « Fin des hymnes? » C’est
dire: fin des louanges
1. Ce sermon prêché au peuple, probablement
en 411, la veille de la fête de saint Cyprien. Voir Lettre CXL à Honor. — 2.
Ps. XXXIX, 5.—3. Id. LXXII, 1.
que l’on chante en l’honneur de Dieu. Le
Prophète semble nous annoncer un événement triste et lamentable. Car celui qui
chante une louange, non seulement loue, mais loue avec allégresse, et celui qui
chante une louange, non seulement chante, mais aime celui qu’il chante. La
louange témoigne d’un zèle de prédication; le chant est l’élan du coeur. Donc «
fin des hymnes de David », dit le Prophète, et il ajoute « Du fils de Jessé ».
Car ce David, fils de Jessé 1 fut roi en Israël, dans l’Ancien Testament,
lorsque le Nouveau Testament était caché dans l’Ancien comme le fruit dans la
racine cherchez du fruit dans la racine, vous n’en trouverez point, et
néanmoins vous n’en trouverez point dans les branches qui ne soient issus de la
racine. En ces jours donc, et chez ce peuple issu le premier d’Abraham selon la
chair, car le second peuple aussi est issu d’Abraham, mais selon l’esprit; chez
ce peuple donc encore charnel où quelques Prophètes comprenaient et les
desseins de Dieu, et le moment où il devait se révéler au monde; ces Prophètes
annoncèrent les temps à venir et l’avènement de Notre Seigneur Jésus-Christ. Et
comme ce Christ qui devait naître selon la chair, étau caché dans la génération
patriarcale comme dans sa racine, et devait se manifester au temps marqué,
semblable au fruit qui apparaît,
1. I Rois, XVI, 18.
ainsi qu’il est écrit: « Voilà que fleurit la
tige sur la racine de Jessé 1 »; de même, cette nouvelle alliance dont le
Christ est l’auteur, était voilée dans ces premiers temps, connue seulement des
Prophètes, et de quelques âmes d’élite, à qui Dieu, sans découvrir le présent,
voulait bien révéler l’avenir. Pour n’en citer qu’un exemple, en effet, que
signifie, mes frères, cette action d’Abraham, qui envoie son serviteur fidèle
chercher une épouse à son fils unique, et lui dit: « Pose ta ain sur ma cuisse,
et jure-moi 2? » Que signifiait la cuisse d’Abraham, que touchait le serviteur
en faisant serment? Qu’y avait-il, sinon cette promesse: « En ta postérité
seront bénies toutes les nations 3? » Cette cuisse désigne le corps entier; or,
du corps d’Abraham, par Isaac, par Jacob, et pour abréger, par Marie, est né
Jésus-Christ Notre Seigneur.
2. Comment ferons-nous voir que la racine
était chez les Patriarches? Interrogeons saint Paul. Voilà que des Gentils
convertis au Christ prétendent s’élever contre les Juifs qui ont crucifié le
Christ, bien que de ce peuple soit sortie une muraille qui est venue s’unir à
l’angle, ou dans le Christ, à cette autre muraille venant des incirconcis ou
des Gentils. Donc les Gentils prétendent s’élever, et l’Apôtre abaisse ainsi
leurs prétentions: « Si toi, qui n’étais que l’olivier sauvage, as été greffé
parmi les branches, ne t’élève point au-dessus des rameaux naturels. Si tu te
glorifies, ce n’est point toi qui portes la racine, mais la racine qui te porte
». L’Apôtre le déclare donc: sur le tronc des Patriarches on a retranché des
branches à cause de leur infidélité, et l’on a inséré l’olivier sauvage, afin
de lui donner part au suc et à la séve de l’olivier franc; c’est là l’Eglise
venue de la gentilité. Qui enta jamais un olivier sauvage sur un olivier franc?
C’est le franc que l’on greffe sur le sauvage, et l’on ne voit point le sauvage
sur le franc. Quiconque le ferait, ne recueillerait que des baies sauvages.
C’est en effet ce que l’on cuite qui pousse et qui porte du fruit. Car le fruit
n’est point celui de la racine, mais celui de la greffe. L’Apôtre veut nous
montrer que Dieu, par sa toute-puissance, a fait que l’olivier sauvage, greffé
sur l’olivier franc, ne donnât plus de fruits sauvages, mais bien l’olive, et
1. Isa. XI, 1. — 2. Gen. XXIV, 2. — 3. Id.
XXII, 18.
c’est à la toute-puissance de Dieu qu’il
attribue ce miracle, en nous disant: « Si tu as été retranché de l’olivier
sauvage, ta tige naturelle, pour être enté, contre ta nature, sur l’olivier
franc, ne te glorifie point contre les branches. Mais, diras-tu », poursuit
l’Apôtre, « ces branches mit été rompues, afin que je fusse inséré. Il est vrai,
elles ont été rompues à cause de leur incrédulité; et toi, c’est par la foi que
tu es debout: crains au lieu de t’élever dans ta sagesse». Qu’est-ce à dire: «
Ne point s’élever dans sa sagesse?» Ne pas s’enorgueillir de son insertion,
mais craindre que l’infidélité n’aboutisse au retranchement, comme il en a été
d’eux-mêmes. « Car c’est leur infidélité », dit-il encore, « qui les a fait
retrancher; mais toi, tiens ferme dans la foi, crains au lieu de t’élever. Car
si Dieu n’a point épargné les branches naturelles, il ne t’épargnera point non
plus». Puis il continue par ce passage si intéressant, si beau, qu’il faut si
bien écouter: « Vois donc », nous dit-il, « la bonté et la sévérité de Dieu: sa
sévérité pour ceux qu’il a retranchés, et sa bonté pour toi, qui es inséré, si
tu persévères dans le bien. Autrement », c’est-à-dire si tu ne persévères pas
dans le bien, « tu tomberas à ton tour, et pour eux, s’ils ne demeurent point
dans l’infidélité, ils seront insérés de nouveau 1 ».
3. Ainsi donc, mes frères, dans l’Ancien
Testament, notre Dieu avait fait au peuple charnel des promesses temporelles et
terrestres. Il leur promit un royaume terrestre, il leur promit cette terre
vers laquelle on les conduisit après la délivrance de l’Egypte: Josué les
introduisit dans la terre promise, qui vit s’élever cette Jérusalem terrestre,
où régna David. Ils reçurent donc cette terre après la délivrance de l’Egypte
et le passage de la mer Rouge; après des allées et des venues dans le désert,
ils furent mis en possession de la terre et du royaume. Maîtres du royaume,
comme ils n’avaient reçu que des biens terrestres, ils méritèrent par leurs
péchés d’être attaqués, vaincus, emmenés captifs; enfin la ville elle-même fut
entièrement détruite. Telles étaient ces promesses qui ne devaient point durer,
et qui étaient des figures de promesses plus durables; en sorte que ce cours de
promesses temporelles était la figure prophétique de l’avenir. Il devait donc
1. Rom. XI, 17-24.
finir ce royaume, qui était le royaume de
David fils de Jessé, le royaume d’un homme, d’un saint, d’un prophète, lequel
voyait et annonçait le Christ à venir, et issu de lui-même selon la chair; il
n’était néanmoins qu’un homme, il n’était pas le Christ, il n’était pas notre
roi, le Fils de Dieu, mais seulement le roi David, fils de Jessé. Il devait
périr ce royaume qu’avaient reçu ces hommes charnels, et dont ils bénissaient
Dieu. Rien ne leur paraissait grand comme cette délivrance temporelle de leurs
oppresseurs, comme le passage de la mer Rouge qui les dérobait à la poursuite
de leurs ennemis, comme cette course à travers le désert qui aboutit à fonder
une patrie et un empire. C’était là pour eux le seul motif de louer Dieu; ils
ne comprenaient point les promesses divines que dérobaient ces figures. Or, quand
s’évanouirent ces biens qui portaient à louer Dieu un peuple charnel qui eut
David pour roi, durent cesser aussi « les hymnes de David, fils de Jessé », et
non fils de Dieu. Nous voilà, Dieu aidant, sauvés de l’écueil que ce titre nous
présentait; vous comprenez ce que signifie: « Fin des psaumes de David, fils de
Jessé ».
4. Qui parle dans ce psaume? « Asaph 1».
Qu’est-ce que « Asaph? » D’après le sens que nous donne la traduction de
l’hébreu en grec, et du grec en latin, « Asaph » signifie synagogue. Voici donc
la voix de la synagogue. Maïs à ce mot de synagogue, n’écoute pas ta haine
contre cette meurtrière du Sauveur. Il est vrai que cette synagogue a mis à
mort le Sauveur, nul n’en doute; mais souviens-toi que c’est de la synagogue
que sont venus ces chefs du bercail dont nous sommes les agneaux. De là cette
parole du psaume « Amenez au Seigneur les fils des béliers 2 ». Or, quels sont
ces béliers? C’est Pierre, c’est Jean, c’est Jacques, c’est André, c’est
Barthélemy, ce sont les autres Apôtres. C’est de là que vient Saul d’abord,
ensuite appelé Paul, c’est-à-dire tout d’abord orgueilleux, puis humble. Car,
vous le savez, Saül, d’où vient le nom de Saul, fut un roi superbe et insoumis.
Ce ne fut point par une espèce de jactance que l’Apôtre changea son nom; mais
Saul devint Paul, ou plutôt l’orgueilleux devint humble. Car Paul, ou paulum, désigne la médiocrité. Or,
veux-tu savoir ce que signifie
1.
Ps. LXXII, 1. — 2. Id. XXVIII, I.
Saul? Ecoute ce même Paul, te racontant ce
qu’il a été par sa propre malice, et ce qu’il est devenu par la grâce de Dieu:
écoute quel était Saul, et quel est Paul. « Tout d’abord, j’ai été un
blasphémateur », nous dit-il, « j’ai persécuté, j’ai outragé 1 ». Voilà Saul,
écoute maintenant Paul: « Je suis », dit-il, « le moindre des Apôtres ».
Qu’est-ce à dire le moindre, sinon le plus petit ou Paul? Et il ajoute: « Je ne
suis pas digne d’être appelé Apôtre ». Pourquoi? parce que j’ai été Saul.
Comment Saul? Qu’il nous l’explique: « Parce que j’ai persécuté l’Eglise de
Dieu: mais la grâce de Dieu m’a fait ce que je suis 2 ». Il se dérobe à sa
propre grandeur, il se fait petit en lui-même, et grand en Jésus-Christ. Le
voilà Paul, que dit-il? « Dieu », nous dit-il, « n’a point repoussé son peuple
», et il parle du peuple Juif, son peuple qu’il a connu dans sa prescience. Car
moi aussi, je suis enfant d’Israël, de la race d’Abraham, et de la tribu de
Benjamin 3 ». Donc Paul lui-même nous vient de la synagogue, Pierre et les
autres Apôtres de la synagogue. Donc à ce nom de synagogue, ne t’arrête pas à
ce qu’elle mérite, mais à ce qu’elle a produit. Donc la synagogue parle dans ce
psaume, alors que finissent les psaumes de David, fils de Jessé: c’est-à-dire,
alors que touchaient à leur fin, ces objets temporels d’un culte que ce peuple
charnel rendait à Dieu. Pourquoi devaient-elles finir, sinon pour que l’on en
cherchât d’autres? Et quelles autres chercher? d’autres qui n’étaient point là?
Nullement, mais bien celles qui étaient voilées sous ces figures, et non celles
qui n’y étaient point; mais celles qui s’y cachaient sous l’enveloppe des
mystères, comme le fruit dans sa racine. Quelles autres chercher? Ces promesses
qui étaient pour nous des figures 4.
5. Voyez rapidement, comme nous étions peints
dans ces figures. Le peuple d’Israël est sous le joug de Pharaon et des
Egyptiens 5; le peuple chrétien, que Dieu se réservait, était avant la foi sous
l’empire du démon, assujéti à leur prince. Voilà un peuple esclave en Egypte,
et un peuple esclave de ses péchés; car ce n’est que par le péché seulement que
le diable peut nous dominer, Moïse délivra du joug de l’Egypte le peuple
ancien, et
1. I
Tim. I, 13.— 2. I Cor. XV, 9, 10.— 3. Rom. XI, 1, 2.— 4. I Cor. X, 6. — 5. Exod. I, 10.
Notre Seigneur Jésus-Christ délivre le peuple
nouveau de sa vie ancienne du péché. Le premier peuple dut passer par les eaux
de la mer Rouge, le second par celles du baptême. Les ennemis de l’un sont
submergés dans la mer Rouge 1, tous les péchés de l’autre dans les eaux du
baptême. Soyez attentifs, mes frères: après le passage de la mer Rouge, ce
n’est point aussitôt la patrie, ce n’est pas aussitôt le triomphe, comme s’il
n’y avait plus d’ennemis à combattre; mais il restait la solitude, et dans ce
pèlerinage, il restait les embûches des ennemis: ainsi après le baptême, il
nous reste la vie chrétienne dans les épreuves. Dans ce désert, on soupirait
après la terre promise, et quel est l’objet des soupirs des chrétiens quand ils
sont purifiés par le baptême? Règnent-ils donc avec Jésus-Christ? Ils ne sont
point encore parvenus à cette patrie qui nous est promise, mais qui ne doit
point se terminer, et où les hymnes de David ne finiront point. Que tous les
fidèles veuillent bien écouter mes paroles, et qu’ils sachent où ils sont: ils
sont au désert, et soupirent après la patrie. Leurs ennemis sont morts par le
baptême, ceux-là toutefois qui les suivaient par derrière. Qu’est-ce à dire qui
les suivaient par derrière? Nous avons devant nous l’avenir, derrière nous le
passé tous les péchés du passé sont noyés dans les eaux du baptême; et nos
tentations ne sont plus derrière nous, mais dans les embûches du voyage. Aussi
l’Apôtre marchant encore dans ce désert s’écriait; « J’oublie ce qui est
derrière moi, pour m’avancer vers ce qui est devant moi, afin d’atteindre la
palme à laquelle Dieu m’a appelé d’en haut 3 ». Comme s’il disait: Je veux
atteindre la patrie céleste que Dieu m’a promise. Et dans ce désert, mes
frères, tout ce qu’endura ce peuple, tous les dons que lui fit le Seigneur,
tous les châtiments qu’il lui infligea, sont des figures de ce qui doit nous
arriver dans le désert de cette vie, quand nous marcherons en Jésus-Christ
cherchant notre patrie, et qui sera pour nous une source de consolations ou
d’épreuves. Il ne faut donc pas s’étonner de voir à sa fin ce qui n’était
qu’une figure de l’avenir. Ce peuple fut conduit à la terre promise, mais
devait-elle durer toujours? S’il en était ainsi, elle ne serait pas une figure,
mais bien une réalité. Comme donc elle n’était qu’une
1. Exod. XIV, 22, 23. — 2. Philip. III, 13, 14.
figure, le peuple n’aboutit qu’à une
situation temporaire; or, une situation temporaire devait finir, et en
finissant nous forcer à chercher ce qui n’a point de fin.
6. Donc, la synagogue, ou ceux qui servaient
Dieu avec piété, mais en vue des biens terrestres, (les biens de cette vie (car
il est des impies qui demandent ces biens d’ici-bas aux dénions, et le peuple
avait cette supériorité sur les Gentils, que s’il recherchait les biens
présents, les biens temporels, il les demandait néanmoins au seul Dieu créateur
et des choses visibles et des choses invisibles); ces hommes pieux donc, mais
charnels, cette partie de la synagogue, bonne en ce temps-là, mais non d’une
piété spirituelle comme celle des Prophètes, et de ceux qui attendaient un
royaume céleste et éternel; cette synagogue vit les biens que Dieu prodiguait à
son peuple, et qu’il lui promettait pour l’avenir l’abondance des richesses de
la terre, une patrie, la paix, une félicité terrestre. Mais il n’y avait là que
des symboles; et sans coin Prendre les promesses que cachaient ces figures,
elle s’imagina que c’était beaucoup pour Dieu de la traiter ainsi, et qu’il
n’avait rien de mieux à donner à ceux qui le servent avec amour et fidélité.
Dans cette pensée elle vit des hommes pécheurs, impies, blasphémateurs, des
adorateurs de démons, iles fils du diable, qui vivaient dans les excès de la
malice et de l’orgueil, et qui possédaient néanmoins ces biens de la terre et
du temps, dont la convoitise la portait à servir Dieu. Alors surgit dans sois
coeur une exécrable pensée, bien capable de la faire chanceler dans la voie de
Dieu, et même de l’en écarter. Or, voici la pensée qui tourmentait ce peuple de
l’Ancien Testament: à Dieu ne plaise qu’elle soit aussi chez ceux de nos frères
qui sont charnels, quand on leur prêche ouvertement la félicité ! Que dit alors
cette synagogue? Que dit ce peuple? Nous servons Dieu, et voilà des châtiments,
des fléaux, voilà qu’on nous prive de ce que nous aimons, de ce que nous
regardions comme une grande faveur de Dieu: des hommes criminels au contraire,
des hommes injustes, orgueilleux, blasphémateurs, remuants, ont en abondance
tous ces biens, pour lesquels nous servons le Seigneur; c’est donc inutilement
que nous le servons. C’est jusque-là qu’est tombé le peuple de notre psaume,
peuple qui touche à sa fin, qui
chancelle. Il voit en effet que ces biens
terrestres qui lui font servir Dieu, coulent en abondance chez ceux qui ne
servent point le Seigneur, et le voilà qui chancelle, qui tombe en défaillance,
qui disparaît avec les hymnes de David, parce qu’en de semblables coeurs il n’y
avait plus de louanges. Qu’est-ce à dire, qu’en de semblables coeurs il n’y
avait plus de louanges? Qu’avec de telles pensées on ne bénit plus le Seigneur.
Comment en effet bénir Dieu, quand peu s’en faut qu’on ne l’accuse d’injustice,
parce qu’il donne tant de biens aux méchants, et qu’il en prive ceux qui le
servent? A ces hommes, Dieu paraissait n’avoir aucune bonté; or, ceux qui ne
voient en Dieu aucune bonté, sont loin de le louer, et comme ils cessent de
louer Dieu, la louange fait défaut chez eux. Plus tard néanmoins ce peuple
comprit ce que Dieu l’avertissait de chercher, quand il privait ainsi ses
serviteurs des biens temporels qu’il donnait àses ennemis, à des impies, à des
blasphémateurs; cet avertissement lui fit connaître qu’en outre des biens que
Dieu donne aux bons et aux méchants, et dont il prive quelquefois les méchants
comme les bons, il en est qu’il réserve particulièrement aux bons. Qu’est-ce à
dire, qu’il réserve pour les bons? Que leur réserve-t-il? Lui-même. Nous
pouvons, si je ne me trompe, aller rapidement dans le psaume; nous le
comprendrons avec le secours du Seigneur. Voyons revenir de ses erreurs et se
repentir, celui qui avait cru que Dieu manquait de bonté, parce qu’il donnait
aux méchants les biens terrestres et les refusait à ceux qui le servent. Il a
compris ce que Dieu réserve à ses adorateurs; dans cette pensée, et comme pour
se châtier de cette erreur, il s’écrie:
7. « Quelle bonté chez le Dieu d’Israël ! »
Mais pour qui? « Pour ceux qui ont le coeur droit ». Qu’est-il pour l’impie? Il
paraît injuste. C’est ainsi que dans un autre psaume il est dit: « Vous êtes
saint pour l’homme saint, innocent avec l’innocent, et pervers avec l’homme
pervers 1 ». Qu’est-ce à dire « pervers avec le pervers? » L’homme corrompu ne
verra chez vous que corruption. Non que Dieu se puisse laisser corrompre. Loin
de là: il est ce qu’il est; mais de même que le soleil est agréable pour
l’homme qui a les yeux purs, sains, fermes et vigoureux,
1. Ps. XVII, 26, 27.
tandis qu’il paraît avoir des aiguillons pour
les yeux chassieux, qu’il est la joie de l’un, et le tourment de l’autre, non
que lui-même change, mais bien l’objet qu’il frappe; ainsi dès que tu seras corrompu,
tu verras en Dieu la corruption, tu seras changé, mais non lui. Tu trouveras
ton supplice dans ce qui fera la joie des bons. Telle est la pensée du Prophète
qui s’écrie: « Combien est bon le Dieu d’Israël, pour l’homme au coeur droit ».
8. Mais pour toi, ô Prophète? « Pour moi, mes
pieds ont failli chanceler 1 ». Quand est-ce que les pieds chancellent, sinon
quand le coeur n’est point droit? Et d’où vient que le coeur n’était point
droit? Ecoute: « Peu s’en faut que mes pas ne glissent». Tout à l’heure il
disait: « Ont failli », maintenant « peu s’en faut »; tout à l’heure: « Ses
pieds chancelaient », maintenant « ses pas glissent». Mes pieds ont failli
chanceler, peu s’en faut que mes pas ne s’égarent. « Des pieds chancelants »;
mais dans quelle voie ont-ils chancelé, de quelle voie mes pas se seraient-ils
égarés? « Mes pieds chancelaient » pour s’égarer, « mes pas glissaient » pour
tomber, non pas tout à fait, mais « presque ». J’allais à l’erreur, sans y être
encore; je tombais, mais je n’étais pas encore tombé.
9. Mais pourquoi? « C’est », répond le
Prophète, « que je porte envie aux pécheurs, en
voyant la paix dont ils jouissent 2 ». J’ai
considéré les pécheurs, je les ai vus dans la paix. Quelle paix? Une paix
temporelle, fragile, caduque et terrestre, mais telle cependant que je la
désirais de Dieu. J’ai vu chez ceux qui ne servaient point le Seigneur, ce que
je désirais pour prix de mes adorations; et mes pieds ont chancelé, et mes pas
ont presque glissé.
10. Mais il va vous dire en quelques mots
pourquoi les méchants possèdent ces biens:
« C’est que leur mort est inévitable, et que
leur châtiment s’affermira. Aussi ne sont-ils point dans les travaux des
hommes, et ne seront-ils point châtiés comme eux 3 ». J’ai compris, nous
dit-il, pourquoi ils ont la paix et fleurissent ici-bas. C’est que leur mort
est inévitable, c’est-à-dire que la mort est pour eux certaine, et qu’elle sera
éternelle; elle ne se détournera point d’eux, et ils ne pourront s’en
détourner; « c’est que leur mort est inévitable, et que leur châtiment
s’affermira ». Un châtiment qui s’affermit, n’est plus un
1. Ps. LXXII, 2. — 2. Id. 3. — 3. Id. 4, 5.
châtiment passager; il est ferme pour
l’éternité. C’est donc parce que Dieu leur réserve des maux qui doivent durer
éternellement, qu’ « ils ne sont point aujourd’hui dans les travaux des hommes,
et qu’ils ne sont point châtiés avec eux ». Toutefois n’est-il point châtié
avec les hommes, ce diable auquel on prépare un supplice sans fin?
11. Aussi qu’arrive-t-il ici-bas à ceux qui
ne sont point châtiés avec les hommes, qui ne souffrent point avec eux? « Voilà
», dit le Prophète, « que l’orgueil les domine ». Voyez ces orgueilleux
incorrigibles; voyez cette victime dévouée au sacrifice, qu’on laisse errer à
son gré, dévaster comme il lui plaît, jusqu’au jour où l’on doit l’égorger. Or,
il est bon, mes frères, de voir dans les paroles du Prophète, cette victime
dont nous parlons. L’Ecriture qui en fait mention ailleurs, nous dit que ces
hommes sont destinés à l’immolation, qu’on ne les épargne qu’en leur laissant
une triste liberté 2. « C’est pourquoi », dit le Prophète, « ils sont au
pouvoir de l’orgueil ». Qu’est-ce qu’ « être au pouvoir de l’orgueil? Leur
iniquité, leur impiété, les enveloppe comme un vêtement». Il ne dit pas qu’ils
sont couverts, mais « enveloppés », complètement revêtus de leur impiété.
Malheur bien légitime ! sous leur manteau, ils ne voient point, ils ne sont vus
de personne, et leur intérieur est invisible. Tel en effet qui pourrait sonder
l’âme de ces hommes que l’on croit heureux ici-bas, tel qui verrait les
tortures de leur conscience, tel qui découvrirait dans leurs coeurs ces
déchirements, ces tyrannies de la crainte et de la convoitise, les trouverait
malheureux dans ce qu’on regarde comme un bonheur; « mais enveloppés de leur
iniquité et de leur impiété», ils ne voient point et ne sont point vus.
L’Esprit-Saint les connaissait quand il en parlait de la sorte; et nous devons
les regarder avec cet oeil qui nous montre la vérité, quand on nous ôte le
voile de l’impiété. Sachions donc les connaître, et fuyons-les nonobstant leur
bonheur; nonobstant leur bonheur, ne les imitons point: gardons-nous de
demander au Seigneur notre Dieu, comme une grande faveur, des biens qu’ont
mérité d’obtenir ceux qui ne le servent point. Car il nous réserve un tout
autre bien, un bien vraiment désirable: écoutez quel bien.
12. Voici d’abord leur portrait. « Leur
iniquité
1. Ps. LXXII, 6. — 2. Prov. VII, 22.
sortira de leur abondance 1». Voyez si cette
grosse victime ne se reconnaît point ici. Ecoutez, mes frères, et ne passons
pas légèrement sur cette parole: « Leur iniquité sortira comme de leur
embonpoint ». Il y a des méchants, mais méchants par maigreur, et qui sont
méchants précisément parce qu’ils sont maigres, c’est-à-dire des âmes faibles,
chétives, et comme sous l’empire de la nécessité; ils sont mauvais à la vérité,
et vraiment condamnables; car on doit plutôt subir la nécessité que de
commettre le crime. Et toutefois autre est pécher dans la nécessité, autre dans
l’abondance. Qu’un pauvre mendiant commette un vol, son péché vient de sa
maigreur; mais un riche dans l’abondance, pourquoi s’empare-t-il du bien
d’autrui? Le péché vient chez l’un de sa maigreur, chez l’autre de sa graisse.
Aussi, dis à ce pauvre: Pourquoi cette injustice? et le voilà qui s’humilie,
qui se repent, qui s’afflige. C’est la nécessité, dit-il, qui m’y a forcé.
Comment n’as-tu pas craint le Seigneur? La nécessité m’a contraint. Dis à un
riche au contraire: Pourquoi cette injustice, et ne crains-tu pas le Seigneur?
situ as toutefois assez de considération pour le pouvoir faire. Vois s’il
daignera même t’écouter, et si l’iniquité qui vient de son abondance ne
rejaillira point sur toi. Car ces hommes déclarent la guerre à tous ceux qui
les instruisent et qui les reprennent, ils deviennent ennemis de quiconque dit
la vérité, accoutumés qu’ils sont aux flatteries, ayant eux-mêmes l’oreille
délicate, et le coeur corrompu. Qui ose dire à un riche: C’est mal à toi de
prendre le bien d’autrui? Et si quelqu’un ose le dire, et qu’il soit de telle
condition qu’on n’ose point lui résister, que répondra ce riche? Il n’ouvre la
bouche que pour blasphémer Dieu. Pourquoi? parce qu’il est orgueilleux.
Pourquoi? parce qu’il est dans l’abondance. Pourquoi? parce qu’il est une victime
dévouée au sacrifice. « Leur iniquité sortira de leur graisse ».
13. « ils ont tout dépassé dans la pensée de
leur coeur ». C’est intérieurement qu’ils ont dépassé. Qu’est-ce à dire «
dépassé? » Au-delà de la voie. Qu’est-ce à dire encore? Ils ont dépassé les
bornes de la nature humaine, et ne se croient plus des hommes comme les autres
hommes. Oui, dis-je, ils ont franchi les bornes de la nature humaine. Parfois
tu dis
1. Ps. LXXII, 7.
à l’un de ces hommes: Ce pauvre que tu vois
est ton frère, vous êtes issus des mêmes parents, d’Adam et d’Eve: n’écoute
point ton orgueil, n’écoute point cette enflure de la vanité, quelque nombreux
que soient tes serviteurs, quels que soient l’or et l’argent que lu possèdes,
quelque précieux que soit le marbre de ton palais, quelque étincelant qu’en
soit le dôme: non plus que le pauvre, tu n’as pour te couvrir qu’un même ciel,
qui est le toit du monde. Rien ne t’appartient de tout ce qui te distingue du
pauvre; tout cela est étranger pour toi; c’est en cela qu’il faut te voir, et
non pas voir cela en toi-même. Considère ce que tu es en face du pauvre, mais
considère toi-même, non ce que tu possèdes. Pourquoi mépriser ton frère? Vous
étiez nus l’un et l’autre dans les entrailles de vos mères; et certes quand
vous serez sortis de cette vie, quand l’âme aura quitté vos chairs en
pourriture, démêle qui pourra discerner les ossements du pauvre et du riche. Je
parle de l’égalité de nature qui est la condition du genre humain, et dans
laquelle nous naissons tous; or, celui que nous voyons riche en cette vie, n’y
sera pas toujours, non plus que le pauvre. Le riche, à sa naissance, n’est
point riche, àsa mort il ne sera point riche; pour le riche comme pour le
pauvre, même entrée dans la vie, même sortie de ce monde. J’ajoute même que
leur sort peut être changé. Partout aujourd’hui on prêche l’Evangile; remarque
ce pauvre couvert d’ulcères, couché à la porte du riche, et dont le désir est
de se rassasier des miettes qui tombaient de la table de ce riche; vois ce même
riche, revêtu comme toi de pourpre et de fin lin, et qui était chaque jour
clans la bonne chère. Or, il arriva que ce pauvre mourut et fut porté par les
anges dans le sein d’Abraham. Le riche mourut aussi et fut enseveli; nul
peut-être n’avait eu soin de la sépulture de l’autre; et quand ce riche était
dans les tourments de l’enfer, ne leva-t-il point les yeux, et ne vit-il pas au
sein d’une joie infinie celui qu’il avait méprisé au seuil de sa porte? Ne
désira-t-il point qu’une goutte d’eau tombât du doigt de celui qui avait envié
jadis les miettes de sa table? Combien, mes frères, dura l’angoisse du Pauvre?
Combien durèrent les délices du riche? Mais ce qui ensuite leur échut en
partage est éternel. Comme il n’y avait donc pour lui nul moyen d’échapper à la
mort,et comme son châtiment devait être sans fin, il n’a point partagé le
labeur des hommes, ni subi avec eux son châtiment. Le pauvre, au contraire,
flagellé en cette vie, doit se reposer en l’autre; car Dieu châtie celui qu’il
reçoit au nombre de ses enfants 1. Mais à qui parle-t-on ainsi? A l’homme de la
bonne chère, qui est chaque jour vêtu de pourpre et de fin lin. A qui tenir ce
langage? A l’homme qui a tout dépassé « dans la pensée de son coeur », qui dira
un jour avec raison, mais trop tard: « Envoyez Lazare, afin qu’il avertisse mes
frères 2 »: car il ne tirera aucun profit de sa pénitence. Non point qu’il
n’ait aucun regret, mais ce regret doit être éternel, ce regret ne produira
point le salut. ils ont donc « tout dépassé dans la « pensée de leur coeur ».
14. « Ils ont pensé et dit le mal 3 ». Mais
ce n’est qu’en tremblant que les hommes disent le mal: comment ceux-ci le
disent-ils? « Ils publient l’iniquité sur les hauteurs ». Non. seulement ils
publient l’iniquité, mais ils le font à haute voix, aux oreilles de tous, avec
orgueil: c’est à moi que tu as affaire, moi qui te donnerai une leçon, tu
sauras qui je suis, tu y laisseras la vie. Avoir cette pensée, ce serait
beaucoup, quand même tu ne la montrerais pas: quand même ce désir de vengeance
demeurerait inconnu, et enseveli dans le secret de ton coeur. Mais à quoi bon?
Cet homme est-il maigre? « Leur injustice sortira comme de leur graisse. lis
publient l’iniquité sur les hauteurs ».
15. « Ils opposent leurs bouches au ciel, et
leur langue dépasse la terre 4 ». Qu’est-ce à dire, « dépasse la terre? » C’est
la répétition de ce qui est dit: « Ils opposent leurs bouches au ciel »; car
dépasser la terre signifie aller au-delà de tout ce qui est terrestre. Mais
qu’est-ce qu’aller au-delà de tout ce qui est terrestre? C’est-à-dire que
l’homme dans son langage ne songe point qu’il peut mourir subitement, qu’il
menace comme s’il devait toujours vivre:
sa pensée oublie l’humaine fragilité, et ne
sait point de quel faible manteau il est revêtu; il ignore ce que l’Ecriture a
dit ailleurs à propos de ces orgueilleux: « Son âme s’en ira et il retournera
dans la terre, en ce jour périront toutes ses pensées 5 ». Mais ces hommes, peu
soucieux de leur dernier jour, n’ont qu’un langage d’orgueil; ils opposent
1. Hébr. XIII 6. — 2. Luc, XVI, 19-31. — 3.
Ps. LXXII, 8. — 4. Id. 9. — 5. Id. CXIV, 4.
leurs bouches au ciel, et s’élèvent au-dessus
de la terre. Rien de plus insensé qu’un voleur jeté dans une prison, qui ne
penserait point à son dernier jour, au jour qui termine sa condamnation; et
pourtant il peut encore s’enfuir. Mais où fuir la mort? Ce jour arrivera
certainement. Quelle peut être pour toi la plus longue vie? Combien dure peu ce
qui a une fin, quelle qu’en soit la durée ! Ajoutez que cette durée n’est point
longue; car celle qu’on appelle une longue vie est courte et encore incertaine.
Pourquoi n’y point réfléchir? C’est que l’on oppose sa bouche au ciel, et que
la langue dépasse la terre.
16. « Aussi mon peuple eu reviendra-t-il à
ces pensées 1». Asaph lui-même en revient le premier. Il a vu que les biens
sont pour les impies, sont pour les orgueilleux; il se retourne vers Dieu, et
commence à lui en demander raison. Mais quand? « alors que les jours
s’accompliront pour eux ». Que sont «des jours accomplis? » « Lorsque les temps
ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils 2 ». Ainsi les temps étaient
accomplis quand le Christ est venu nous apprendre à mépriser ce qui est
temporel, à ne pas estimer ce que désirent les méchants, à souffrir ce que
redoutent les hommes d’iniquité. Il s’est donc fait la voie, il nous a fait
rentrer en nous mêmes, et nous a montré ce qu’il faut demander à Dieu. Vois
maintenant comment de ses pensées qui se détruisent mutuellement, et qui se
brisent comme des flots par leur propre choc, il s’élève aux vrais biens
désirables. « C’est pourquoi mon peuple en reviendra là, et les jours
s’accompliront en eux ».
17. « Et ils ont dit: Comment Dieu le
sait-il? le Très-Haut en a-t-il connaissance 3? » Vois par quelles réflexions
ils doivent passer. Les méchants sont heureux, donc Dieu n’a aucun soin des
choses humaines. Est-il vrai qu’il sache ce que nous faisons? Ecoutez les
paroles du psaume; et je vous en supplie, mes frères, que des chrétiens ne
disent plus:
«Comment Dieu le sait-il? et le Très-Haut en
a t-il connaissance? »
18. Comment peux-tu croire en effet que Dieu
ignore ce qui se passe ici-bas, que le Très-Haut n’en a point de connaissance?
Le Psalmiste répond: « Voilà que les pécheurs et les heureux du siècle ont
obtenu des
1. Ps. LXXII, 10. — 2. Gal, IV, 4. — 3. Ps.
LXXII, 11.
richesses 1 ». Ils sont pécheurs, ils sont
dans l’abondance, et néanmoins ils ont encore obtenu des richesses ici-bas. Il
l’a déclaré, il n’a point voulu être pécheur, afin d’avoir des richesses. Cette
âme charnelle vendait sa justice au prix des biens visibles et terrestres.
Quelle justice peut-on acheter avec de l’or, comme si l’or était plus précieux
que la justice? Quand un homme nie un dépôt, pour qui le dommage est-il plus
grand, pour celui qui nie, ou pour celui à qui on le nie? L’un perd un
vêtement, l’autre sa foi. « Voilà que les pécheurs et les riches du siècle ont
obtenu des biens». Donc Dieu ne le sait pas? donc le Très-Haut n’en a point de
connaissance?
19. « Et j’ai dit: C’est donc en vain que
j’ai justifié mon coeur ». Voilà que je sers Dieu, et je n’ai pas ces biens;
ceux-là ne le servent point et sont dans l’abondance: « Donc c’est vainement
que j’ai justifié mon coeur, et que j’ai lavé mues mains parmi les innocents 2
». C’est donc en vain que j’ai fait cela. Où est la récompense pour une vie
juste? Où est le prix de ta fidélité? Je vis dans la justice et j’ai faim,
tandis que l’impie est dans l’abondance. « Et j’ai purifié mes mains parmi les
innocents ».
20. « Durant tout le jour je suis flagellé 3
».Vos fléaux ne s’éloignent point de moi. Je vous sers fidèlement, et je suis
châtié: cet autre ne vous sert point, il est au comble des biens. Terrible
question que l’homme se pose à lui-même ! Son âme est dans le trouble, elle est
sur le point de passer au mépris de ce qui passe pour désirer ce qui dure
éternellement. Telle est la pensée qui bâte pour l’âme ce passage. Dès qu’elle
est agitée par la tempête, c’est pour arriver au port. Il en est de même de ces
malades, qui souffrent moins lorsque la santé est bien loin encore, et dont la
douleur est plus aigué quand la guérison est proche. C’est ce que les médecins
appellent des accès de crise, qui sont le passage à la convalescence: la lièvre
est plus vive, mais aboutit à la santé; la crise est plus violente, mais la guérison
est proche. Telles sont les récriminations du Psalmiste. Ses paroles sont
fâcheuses, insolentes, presque blasphématoires: « Comment Dieu le sait-il? » Je
dis « presque », et en effet il ne dit point: Dieu ne le sait point; il ne dit
point: Le Très-Haut n’en a point connaissance; mais il se
1. Ps. LXXII, 12.— 2. Id. 13.— 3. Id. 14.
questionne, il est dans l’hésitation et dans
le doute, Il disait un peu auparavant: « Mes pieds ont failli chanceler », comme
il dit maintenant: « Comment Dieu le sait-il, et le Très-Haut en a-t-il
connaissance? » Il n’affirme point, mais son doute est dangereux, et tel est le
péril qui le ramène à la santé. Ecoute bien cette guérison: « C’est donc en
vain que j’ai justifié mon coeur, et que j’ai lavé mes mains parmi les
innocents, tout le jour je subis la flagellation, je suis châtié dès le matin
». Or, le châtiment est une correction: châtier, c’est se corriger. Qu’est-ce à
dire: « dès le matin? » Sans délai. Il est un délai pour les impies, il n’en
est point pour moi. Pour eux le châtiment est tardif, ou même nul, pour moi il
vient « dès le matin. — Tout le jour je suis flagellé, et mon châtiment est du
matin ».
24. « Et je disais: Voilà ce que je
raconterai 1 »; ou ce que j’enseignerai. Qu’enseigneras-tu? Que le Très-Haut
n’en a point connaissance, et que Dieu ne sait rien? Veux-tu donc enseigner que
les justes mènent sans profit une vie juste, que l’homme de bien sert Dieu
inutilement, puisque Dieu, ou favorise les méchants, ou n’a souci de personne?
Est-ce là ce que tu veux dire, enseigner? Il cède à l’autorité qui le domine.
Quelle autorité? Souvent l’homme veut s’abandonner à ces sentiments; mais il
est retenu par les saintes Ecritures qui lui disent de vivre toujours dans la
justice, qui lui répètent que Dieu a soin des choses d’ici-bas, et qu’il met
une différence entre le juste et l’impie. Voilà donc ce qui retient le
Psalmiste, alors qu’il voudrait enseigner une telle doctrine. Et que dit-il? «
Si je disais: Voilà ce que je raconterai: je rejetterais la race de vos enfants
». Mon langage serait une condamnation portée contre vos enfants, contre les
justes. Ou bien, comme on lit dans certains exemplaires: « Parmi vos enfants à
qui ai-je parlé? » ou bien auquel de vos enfants ai-je parlé? Auquel mon
langage convenait-il, qui l’approuvait? Parler ainsi, c’est m’éloigner de tous.
Celui-là m’ap. prouve en effet qui est d’accord avec moi; mais point d’accord,
point d’approbation. Je tiendrai un langage autre que celui d’Abraham, celui
d’Isaac, celui de Jacob, et celui des Prophètes. Car ils se sont tous accordés
à dire que Dieu prend soin de ce qui se passe
1. Ps. LXXII, 15.
ici-bas: et moi j’irai dire qu’il n’en prend
aucun soin? Aurai-je donc plus de lumière qu’eux tous? Telle est l’autorité
salutaire qui éloigne de lui toute pensée impie.
22. Que dit ensuite le Prophète? « Si je
disais: Voilà ce que j’enseignerai, je rejetterais la race de vos enfants ».
Que fait-il donc pour ne point la rejeter? « J’ai résolu de comprendre », nous
dit-il. Il veut donc comprendre ce mystère; Dieu veuille bien l’aider et le lui
faire connaître: toujours est-il, mes frères, qu’il évite une chute effroyable,
alors qu’il ne présume point de sa science, et qu’il veut apprendre ce qu’il ne
sait point. Naguère il prétendait que l’on crût à sa science, il voulait
enseigner que Dieu n’a aucun soin des actions des hommes. C’est la doctrine
impie et pernicieuse que prêchent tous les méchants. Il est bon que vous le
sachiez, mes frères; il en est beaucoup qui prétendent et qui osent dire que
Dieu n’a aucun souci des actions des hommes, que tout est gouverné par le
hasard, ou que nos volontés sont sous l’influence des astres, et que chacun de
nous, loin d’être dirigé selon ses propres mérites, ne l’est que par la
fatalité de son étoile. Doctrine impie! Doctrine effroyable! C’est là que
devait aboutir celui dont « les pieds ont quelque peu chancelé, dont les pas
ont failli trébucher 1 »; c’est à cette erreur qu’il courait: mais comme il
n’était point d’accord avec la génération des enfants de Dieu, il entreprend de
connaître; le voilà qui condamne ce qui est en dissonance avec les justes de
Dieu. Ecoutons ce qu’il va dire, car il a entrepris de connaître, et avec le
secours de Dieu, il a compris, et nous en a fait part. « J’ai entrepris de
connaître », dit-il, « et c’est là un travail devant moi ». C’est vraiment un
labeur pénible, de connaître comment Dieu prend soin de ce que font les hommes,
quand les méchants sont heureux, les justes dans la peine ! C’est là une grande
difficulté. Aussi, « c’est là un labeur pénible devant moi ». C’est comme une
muraille en face de moi; mais le Prophète a dit: « Avec le secours de Dieu
j’irai au-delà du mur 2. « C’est là un labeur pénible devant moi ».
23. Tu dis vrai, ô Prophète, c’est un labeur
pénible. Mais pour Dieu, il n’est point de labeur; mets-toi en présence du Dieu
qui ne connaît point la peine, et il n’y aura rien de
1. Ps. LXXII, 16. — 2. Id. XVII, 30.
pénible pour toi. C’est ce qu’a fait le
Prophète, car il précise combien de temps ce labeur sera devant lui: « Jusqu’à
ce que j’entre dans le sanctuaire du Seigneur, et que je comprenne la fin des
choses 1 ». Voilà une grande parole, mes frères. Je suis dans un long travail,
dit le Prophète, et je vois devant moi un labeur en quelque sorte inextricable,
quand je veux examiner comment Dieu connaît les choses humaines et en prend
soin, et comment n’est-il point injuste, alors que les pécheurs, les criminels
sont heureux sur la terre, tandis que les hommes pieux, qui le servent avec
fidélité, sont souvent dans l’épreuve, et brisés par la tribulation: voilà ce
qu’il est très-difficile de comprendre, mais seulement « jusqu’à ce que j’entre
dans le sanctuaire de Dieu ». Mais que verras-tu dans ce sanctuaire, afin de
résoudre cette difficulté? « Je comprendrai », dit le Psalmiste, «la fin des
choses», non celles qui sont présentes. C’est vers le sanctuaire de Dieu que-je
dirige mes yeux pour voir la fin, peu soucieux du présent. Tout ce qui porte le
nom d’homme, toute cette masse de mortels doit subir l’examen, tout alors sera
pesé; et alors seront appréciées les oeuvres des hommes. Aujourd’hui tout est
enveloppé d’un nuage, mais Dieu connaît les mérites de chacun. «Je comprendrai
», dit le Prophète, « quelle est la fin »; non par moi-même, car il n’y a
devant moi que labeur. Comment alors «comprendrai-je la fin? » En entrant dans
le sanctuaire de Dieu. C’est donc là qu’il comprendra pourquoi les méchants
sont heureux ici-bas.
24. « A cause de leurs artifices, vous les
avez fait tomber 2» A cause de leurs artifices, ou de leur fraude: parce qu’ils
cherchent la fraude, ils sont trompés. Qu’est-ce à dire: Ils sont trompés,
parce qu’ils veulent tromper? Ils veulent tromper les hommes par mille
artifices, eux-mêmes sont trompés, et délaissent les biens de l’éternité, pour
les biens du temps, Donc, mes frères, ils se trompent en voulant tromper. Je
vous l’ai déjà dit, mes frères, quelle âme peut avoir celui qui vole un
manteau, et qui perd la foi? Est-ce bien celui qui perd ce vêtement qui est
victime de la fraude, ou celui qui éprouve un si grand dommage? C’est le
premier, si le manteau est plus précieux que la foi; mais si
1. Ps. LXXII, 17. — 2. Id. 18.
la foi est infiniment préférable au monde
enlier, l’un perdra son manteau à la vérité, mais il est dit à l’autre: « Que
sert à l’homme de gagner le monde, s’il vient à perdre son âme 1».
Qu’arrive-t-il donc aux méchants? « A cause de leurs artifices vous les avez
fait tomber: vous les avez humiliés pendant qu’ils s’élevaient ». Il n’est pas
dit: Vous les avez humiliés, parce qu’ils s’élevaient:car ce n’est point après
qu’ils se sont élevés que vous les avez humiliés, mais à l’instant même qu’ils
s’élevaient vous les avez humiliés. Car s’élever ainsi, c’est déjà tomber, «
Vous les avez humiliés pendant qu’ils s’élevaient ».
25. « D’où leur est venue cette catastrophe
subite 2?» Le Prophète s’étonne à leur sujet, il comprend leur dernière fin.
«Ils se sont véritablement évanouis» comme une fumée qui ne s’élève que pour se
dissiper. Comment dit-il qu’ « ils se sont évanouis? » Il en parle comme un
homme qui comprend la fin des choses. « Ils se sont évanouis; ils ont péri à
cause de leur iniquité».
26. « Comme le songe d’un homme qui s’éveille
3 ». Comment se sont-ils évanouis? Comme s’évanouit le songe d’un homme qui
s’éveille. Suppose un homme qui voit en songe, qui dans son rêve croit avoir
trouvé des trésors, il est riche, mais seulement jusqu’à ce qu’il s’éveille.
Ces hommes se sont donc évanouis, « comme le songe de cet homme à son lever »;
il cherche, et ne trouve rien; rien dans ses mains, rien dans son lit. Il
s’était endormi pauvre, un songe l’avait enrichi; il eût été riche sans le
réveil, mais il s’est éveillé, et n’a retrouvé que la misère, qui l’avait
abandonné dans son rêve. Ainsi les méchants retrouveront la misère qu’ils ont
entassée. Quand ils s’éveilleront de cette vie, alors s’évanouira ce qu’ils ont
possédé pendant leur sommeil. Tel est le songe pour l’homme qui s’éveille. Et
pour éviter cette objection: N’est-ce donc rien à vos yeux que cet éclat qui
les environne, rien que cette pompe, rien que ces titres, que ces images, que
ces statues, que ces louanges, que cette foule de clients? « Seigneur », répond
le Prophète, « vous anéantirez leur image dans votre cité ». Je vous parlerai
donc avec liberté, mes frères, dans la place que j’occupe et qui m’y autorise,
car, quand nous nous mêlons à vous, c’est plus pour vous
1.
Matth. XVI, 26. — 2. Ps. LXXII, 19. — 3. Id. 20.
soutenir que pour vous instruire; je vous en
supplie donc, dans la crainte et dans l’amour du Christ, ô vous qui êtes privés
de ces biens, ne les convoitez point, et vous qui les possédez, n’y mettez
point votre confiance. Remarquez-le, je ne vous dit point: Vous serez damnés
dès lors que vous les possédez; mais: Vous serez damnés, si ces biens vous
donnent de la présomption, s’ils stimulent votre orgueil, s’ils vous
grandissent à vos propres yeux, s’ils vous font mépriser les pauvres, si dans
l’exaltation de votre vanité, vous en venez à oublier la condition de la nature
humaine. En ce cas, en effet, Dieu devrait à sa justice de châtier au dernier
jour, et d’anéantir dans sa cité l’image de ces hommes. Que celui qui est riche
le soit donc, selon le précepte de l’Apôtre: « Ordonnez», dit-il, « aux riches
de ce monde, de n’être point orgueilleux, de ne point mettre leur confiance
dans des richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant, qui nous donne avec
abondance ce qui est nécessaire à la vie ». Il réprime ainsi l’orgueil des
riches, et leur donne un conseil. Comme si ces riches lui disaient: Nous avons
les richesses, et vous nous défendez de nous enorgueillir, vous nous interdisez
d’étaler toutes les pompes de nos richesses, que ferons-nous donc de ces biens?
N’ont-ils pas occasion d’en faire usage? « Qu’ils soient riches en bonnes
oeuvres », dit l’Apôtre, « qu’ils donnent facilement, et qu’ils prêtent ». Que
leur en reviendra-t-il? « Qu’ils se fassent ainsi un trésor, et s’établissent
un fondement solide pour l’avenir, afin d’arriver à la véritable vie 1 ». Où doivent-ils
s’amasser un trésor? où l’interlocuteur a jeté les yeux, quand il est entré
dans le tabernacle de Dieu. Que tous ceux d’entre vous, mes frères, qui sont
riches, tremblent à cette parole; que tous ceux qui ont des biens, de l’or, de
l’argent, des esclaves, des honneurs, tremblent quand le Prophète s’écrie: «
Seigneur, vous réduirez au néant leur image dans votre cité ». N’est-il pas
bien juste que Dieu anéantisse leur image dans sa cite, lorsque dans leur cité
terrestre ils ont anéanti l’image de Dieu? « Vous réduirez donc au néant,
Seigneur, leur image dans votre cité ».
27. « Alors mon coeur s’est trouvé dans la
joie ». Voici l’objet de ses tentations. « Mon coeur s’est trouvé dans la joie,
et mes reins
1. I Tim. VI, 17-19.
se sont changés 1 ». Mes reins se
changeaient, lorsque je faisais mes délices des biens temporels. On peut aussi
donner ce sens: « Parce que mon coeur a mis sa joie en Dieu, mes reins se sont
changés», c’est-à-dire mes affections charnelles se sont changées, et je suis
devenu entièrement chaste. « Mes reins se sont changés »; voyons de quelle
manière.
28. « Voilà que j’ai été réduit au néant, et
je ne l’ai point connu 2 ». Moi qui vous parle maintenant contre les richesses,
j’ai quelquefois désiré ces sortes de biens. Aussi, « ai-je été réduit au
néant, quand mes pieds chancelaient». «J’ai été réduit au néant sans rien
connaître ». On voit dès lors qu’il ne faut pas désespérer de ces hommes dont
je viens de parler.
29. Qu’est-ce à dire: « Je ne l’ai point
connu? » « J’étais devant vous comme le stupide animal, et néanmoins j’étais
toujours avec vous 3». Il y a une grande différence entre ce nouvel
interlocuteur et les autres. Celui-ci a ressemblé à l’animal par ses désirs
terrestres, quand, réduit au néant, il n’a point connu les biens éternels; mais
il ne s’est point éloigné de Dieu, car il n’a point espéré recevoir ces biens
des esprits malins, ni du diable. Je vous en ai déjà fait la réflexion, c’est
la synagogue qui parle ici, ou ce peuple qui n’a point servi les idoles. J’ai
donc ressemblé aux bêtes, en espérant de mon Dieu les biens terrestres; mais je
ne me suis jamais séparée de mon Dieu.
30. Dès lors qu’elle ne s’est point éloignée
de Dieu, même en ressemblant à l’animal, elle ajoute: « Vous avez tenu la main
de ma droite 4 ». Elle ne dit point Ma main droite, mais « la main de ma droite
»; si c’est la main de la droite, la main a donc une main. « Vous avez tenu la
main de ma droite », afin de me conduire. Que nous marque cette main? la
puissance. Nous disons de quelqu’un qu’il tient dans sa main ce qu’il tient en
son pouvoir. C’est ainsi que, en parlant de Job, le diable dit à Dieu: «
Etendez votre main et ôtez-lui ce qu’il a ». Que signifie: « Etendez votre
main? » Donnez-moi le pouvoir. La main de Dieu est donc la puissance de Dieu,
selon qu’il est écrit ailleurs: « La mort et la vie sont dans les mains
1.
Ps. LXXII, 21. — 2. Ibid. 22. — 3. Ibid. 23. — 4. Ibid. 24. — 5. Job. I, 11.
de la langue 1 ». La langue a-t-elle donc des
mains? Que signifie alors: « Dans les mains de la langue », sinon au pouvoir de
la langue? « C’est ta bouche qui te justifiera, et ta bouche qui te condamnera
2. Vous avez tenu la main de ma droite », ou la puissance de ma droite. Quelle
était ma droite? «Je suis toujours avec vous ». Ma gauche était de ressembler
au stupide animal, ou d’avoir en moi des convoitises terrestres, mais ma droite
était d’être toujours avec vous. Vous avez donc tenu la main de cette droite,
ou plutôt vous en avez dirigé la puissance. Quelle puissance? « Il leur a donné
la puissance de devenir les enfants de Dieu 3 ». Asaph commence d’être parmi
les enfants de Dieu, et appartient au Nouveau Testament. Vois comment Dieu a
tenu la main de sa droite. « Vous m’avez dirigé selon votre volonté ».
Qu’est-ce à dire, « selon votre volonté? » Non point selon mes mérites.
Qu’est-ce encore, « selon votre volonté? » Ecoute l’Apôtre qui eut comme
l’animal des désirs terrestres, et qui vécut selon l’Ancien Testament: que
dit-il? « Tout d’abord, je fus un blasphémateur, un persécuteur, un véritable
ennemi; mais j‘ai obtenu miséricorde 4 ». Qu’est-ce encore, selon votre
volonté? « C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis 5. Et vous
m’avez reçu u avec gloire». Où m’avez-vous reçu? et dans quelle gloire? Qui
nous l’expliquera? qui nous le dira? Attendons cet honneur, qui doit nous
arriver à la résurrection, au dernier jour. « Et vous m’avez reçu avec gloire».
31. Le voilà qui commence à méditer le
bonheur du ciel, à se reprocher d’avoir ressemblé à l’animal par ses désirs
terrestres. « Qu’y a-t-il pour moi dans le ciel, et sans vous, qu’ai-je désiré
sur la terre 6?» Vous comprenez ces paroles, je l’entends à ce bruit. Asaph
compare à ses désirs terrestres, cette récompense du ciel qu’il doit recevoir,
il a vu ce que Dieu lui réserve; alors il médite, et cette méditation
l’enflamme d’un saint désir pour je ne sais quel bien ineffable que l’oeil n’a
point vu, que l’oreille n’a point entendu, et qui n’est pas entré dans le coeur
de l’homme 7. Il ne dit pas: C’est tel ou tel bien que j’ai dans le ciel, mais:
« Qu’y a-t-il au ciel
1.
Prov. XVIII, 21. — 2. Math. XII, 37.— 3. Jean, I, 12.— 4. I Tim. I, 13. — 5. I
Cor. XV, 10. — 6. Ps. LXXII, 25. — 7. I Cor. II, 9.
pour moi? » Qu’est-ce que je possède au ciel?
Qu’est-ce que ce bien? Est-il grand? de quelle nature? Et comme ce bien du ciel
ne doit point passer, « que puis-je désirer sur la terre, si ce n’est vous? »
Voilà que vous vous réservez à mon amour: (je m’explique, mes frères; comme je
le puis; ayez de la condescendance pour moi, suppléez à mes efforts pour
stimuler votre piété; il m’est impossible de m’expliquer parfaitement.) Vous me
réservez dans le ciel des biens impérissables, et c’est vous-même. Et moi, je
vous ai demandé, sur la terre, des biens que possèdent les impies, des
richesses, de l’or, de l’argent, des pierres précieuses, des esclaves, que
possèdent les méchants, qui sont le partage des criminels, le partage de tant
de scélérats, le partage de tant de femmes débauchées, le partage de tant
d’hommes souillés; voilà ce qui me paraissait considérable, et ce que je
demandais à Dieu sur la terre, tandis que mon Dieu lui-même se réserve à moi
dans le ciel. « Au ciel, quel est mon bien? » Ce bien, il peut maintenant le
faire connaître. « Et que puis-je, après vous, désirer sur la terre? »
32. « Mon coeur et ma chair ont défailli, ô
Dieu de mon coeur 1». Voilà donc ce qui m’est réservé au ciel, « le Dieu de mon
coeur, le Dieu qui est mon partage ». Eh quoi! mes frères? Cherchons les
richesses d’ici-bas, que les hommes se choisissent un apanage. Voyez-les
déchirés par toutes sortes de passions contraires; les uns choisissent l’épée,
les autres le barreau, ceux-ci les sciences diverses, ceux-là le négoce ou la
culture des champs. Qu’ils se fassent une part dans les choses d’ici-bas; mais
que le peuple de Dieu s’écrie: « C’est Dieu qui est mon partage », non pas mon
partage pour un temps, mais « mon partage pour l’éternité ». Quand j’aurai de
l’or éternellement, qu’est-ce que cela? Mais avoir Dieu, quand même ce ne
serait pas éternellement, quel bien pour moi! Ajoutez que c’est Dieu qui daigne
se promettre à moi, et m’assurer que je le posséderai éternellement. Ineffable
bien que je posséderai sans cesse! Indicible félicité! « C’est Dieu qui est mon
partage ». Pour combien de temps? « Pour l’éternité ». Voyons, en effet,
comment notre interlocuteur a aimé Dieu; il a châtié son coeur: « C’est le Dieu
de mon coeur, c’est
1. Ps. LXXII, 26.
le Dieu qui est mon héritage pour
l’éternité». Son coeur est donc chaste, il aime Dieu gratuitement sans lui demander
d’autre récompense. Demander à Dieu toute autre récompense que lui-même, et le
servir dans ce dessein, c’est estimer ce que l’on demande plus que Dieu dont on
l’attend. Mais quoi ! Dieu n’a-t-il donc nulle récompense à nous donner?
Aucune, si ce n’est lui-même. La récompense de Dieu, est Dieu même. Voilà pour
le Prophète l’objet de son amour, de ses transports: tout autre amour ne Serait
plus un amour chaste. Loin de ce feu immortel, c’est le froid, c’est la
corruption. Ne t’en éloigne point, ô mon frère, tu aurais pour apanage la
corruption, pour apanage la souillure. Asaph revient, il cède au repentir, il
choisit la pénitence, il s’écrie: « Dieu est mon partage ». Quelles délices
pour lui dans ce partage qu’il a choisi!
33. « Voilà qu’ils périront, ceux qui
s’éloignent de vous 1 ». Celui-ci donc s’était « éloigné de Dieu, mais pas
loin. « Je ressemble », dit-il, « au stupide animal, mais je suis toujours avec
vous ». Les autres, au contraire, se sont retirés bien loin de Dieu; car non
seulement ils ont désiré les biens terrestres, mais ils les ont demandés aux
mauvais anges et au diable. « Ceux qui s’éloignent de vous, périront ». Et
qu’est-ce que s’éloigner de Dieu? « Vous perdrez, Seigneur, quiconque porte son
amour à d’autre qu’à vous». L’amour chaste est opposé à cette fornication
spirituelle. Qu’est-ce que l’amour chaste? L’amour de l’âme pour Dieu son
époux. Mais que désire-t-elle de cet époux qu’elle aime de toute sa flamme?
Va-t-elle, comme les femmes de la terre, se choisir un homme pour gendre ou
pour époux, et lui demander les richesses, comme si elle n’aimait que son or,
ses campagnes, son argent, ses pierreries, ses cheveaux, ses esclaves, et le
reste? Point du tout. Asaph n’aime que Dieu, il l’aime gratuitement parce qu’il
trouve en lui toutes choses, et que c’est par lui que tout a été fait 2. « Vous
perdrez », dit-il, « tous ceux qui portent loin de vous leur amour ».
34. Mais toi, Prophète, que fais-tu? « Pour
moi, il m’est bon de m’attacher au Seigneur 3 ». C’est là le comble des biens,
Désires-tu mieux? Je te plains de ton désir. Mes frères, que
1. Ps. LXXII, 27. — 2. Jean, I, 3. — 3. Ps.
LXXII, 28.
voulez-vous de plus? Le bien suprême est de nous attacher à Dieu, quand
nous le verrons face à face 1. Et quel est le bien aujourd’hui? Aujourd’hui,
que je parle en étranger, « mon bien est de m’attacher à Dieu »; mais comme je
ne suis que voyageur, comme je n’ai pas encore atteint le but, « je mets en
Dieu mon espérance ». Tant que tu n’es pas encore attaché à Dieu, mets en lui
ton espoir. Es-tu dans l’agitation? Jette l’ancre sur la terre ferme. Adhère au
Seigneur, sinon par la présence, du moins par l’espoir. « Mon bien est de
mettre en Dieu mon espérance ». Et qu’arrivera-t-il, si tu mets en Dieu ton
espoir? Que devras-tu faire, sinon louer le Seigneur, et le faire bénir par les
autres? Si tu étais partisan d’un habile cocher, ne forcerais-tu pas les autres
à l’aimer avec toi? Tout partisan d’un cocher parle de lui partout sur son
passage, il veut déterminer les autres à l’aimer aussi. On aime gratuitement
des hommes flétris, et l’on ne veut pas aimer Dieu sans récompense! Aimez donc
le Seigneur gratuitement, et n’enviez cet amour à personne. Emparez-vous de
lui, vous tous qui le pouvez, vous tous qui devez le posséder. Il peut vous suffire,
car il ne connaît point de limites; vous le posséderez tous tout entier, il est
tout entier à chacun de vous. Que ce soit donc là ton occupation, ô mon frère,
dans ton séjour ici-bas, mets ton espoir dans le Seigneur. Que dit ensuite le
Prophète? « Afin que je publie toutes vos louanges, sous les portiques de la
fille de Sion ». « Afin que je publie toutes vos louanges », dit le Prophète,
mais où? « Sous les portiques de la fille de Sion »; parce que l’on prêche Dieu
inutilement, en dehors de l’Eglise. C’est peu de louer Dieu, c’est peu de
publier toutes ses louanges. Il faut le prêcher « sous les portiques de la
fille de Sion ». Cherche l’unité de l’Eglise, et ne jette point le schisme
parmi les peuples, porte-les à l’unité, n’en fais qu’un seul corps.
J’ai oublié depuis quel temps je vous parle.
Notre psaume est fini; la sueur me fait conjecturer que j’ai parlé bien
longtemps: niais il m’est difficile de vous satisfaire; vous me faites
violence, et puissiez-vous par cette violence ravir le ciel!
1. I Cor. XIII, 12.
SERMON AU PEUPLE.
C‘est
la synagogue ou le peuple Juif qui parle dans ce psaume, lequel parait faire
suite au précédent, car il s’agit de la disparition des figures de l’Ancien
Testament, de la destruction de la ville et du temple, qui étaient des
monuments de la promesse de Dieu. Aujourd’hui que l’homme céleste a paru,
l’homme terrestre a dû disparaître. Dieu fit d’abord des promesses temporelles
à l’homme encore enfant; puis des promesses spirituelles à l’homme devenu
adulte. Les premières ont dû disparaître avec l’Ancien Testament, pour feire
place aux promesses du ciel. Pour s’être attachés aux premières, tes Juifs ont
perdu et les biens temporels et les biens célestes. — Néanmoins la synagogue
est l’héritage de Dieu, héritage délivré par Moïse dont la houlette figurait le
Christ, et recruté parmi les Juifs et parmi les Gentils. En réprimant ces
derniers, Dieu leur a fait connaître le Christ. Dès lors les figures devaient
disparaître. Rome alors exécuta contre Jérusalem la volonté de Dieu sans la
connaître, puis crut au Messie, que la synagogue attend toujours. Toutefois les
Juifs sortis du sein de Dieu, et lépreux comme la main de Moïse, y rentreront
après la conversion des Gentils, ils seront guéris par le serpent d’airain. Le
Seigneur a donc affermi la mer ou converti les Gentils, et détruit la puissance
du démon, qu’il a donné en pâture à ses adorateurs, comme Moïse fit boire à
Israël la tête du veau d’or, réduite en poussière et jetée dans l’eau. Ces
peuples sont incorporés au Christ, comme les serpents des magiciens de Pharaon
furent absorbés par celui de Moïse. — C’est Dieu qui fait jaillir, et l’eau de
la vie éternelle, et celle qui passe avec la rapidité du torrent, c’est-à-dire
la doctrine pure, qui fait taire le démon et l’orgueilleux, qui a fait le jour
on la doctrine des parfaits, et la nuit on celle des moins parfaits, l’homme
spirituel et l’homme charnel. Toutefois le Prophète implore le pardon de son
peuple coupable, qui n’a point adoré les faux dieux, qui a fait pénitence à la
parole de Pierre, qui comprendra enfin le salut. Humilité du chrétien. —
Nécessité de la foi aux promesses de Dieu.
1. Ce psaume a pour titre: « Intelligence
«d’Asaph 1». Or, Asaph signifie, en latin, Assemblée, en grec, Synagogue.
Voyons ce qui a été compris par cette synagogue, ou plutôt comprenons d’abord
ce qu’était la synagogue, afin de comprendre ensuite ce qu’elle a compris.
Toute réunion, en général, s’appelle synagogue; or, on peut appliquer ce mot de
réunion aux animaux comme aux hommes; seulement ici, il n’est pas question
d’animaux, puisqu’il est parlé d’intelligence. Ecoute en effet ce qu’il est dit
de l’homme qui étaie en honneur, et qui a négligé de le comprendre: « L’homme
était en donneur, il ne l’a point compris, il s’est comparé aux anis maux sans
raison, et leur est devenu semblable 2». Inutile dès lors de nous arrêter ici
plus longtemps, et de démontrer avec plus de soin qu’il ne s’agit point d’une
assemblée d’animaux, mais bien d’une réunion d’hommes; alors cherchons de quels
hommes il est question. Assurément, il ne s’agit point de ces hommes qui, ne
comprenant point l’honneur de leur condition, se sont comparés aux stupides
animaux et leur sont devenus semblables, mais bien de ceux qui l’ont compris.
C’est
1. Ps, LXXIII, 1. — 2. Id. XLVII, 13.
ce que marque le titre qui dit: «
Intelligence d’Asaph ». Nous allons donc entendre la voix d’une assemblée
intelligente. Mais comme le nom de synagogue est tellement particulier à la
réunion du peuple d’Israël, que toujours, en entendant synagogue, nous
entendons le peuple juif, voyons si ce n’est point lui qui parle dans notre
psaume. Mais alors quels juifs, et quel peuple d’Israël? Ce n’est point la
paille, mais le froment 1, non point les rameaux brisés, mais les rameaux
affermis 2. « Tous ceux qui sont nés d’Israël, ne sont point tous israélites,
mais c’est Isaac qui sera appelé votre fils, c’est-à-dire, ce ne sont point les
enfants selon la chair, qui sont enfants de Dieu, mais bien les fils de la promesse,
qui sont réputés de la race d’Abraham 3 ». Il y a donc de vrais enfants
d’Israël, au nombre desquels se trouvait celui dont le Sauveur a dit: « Voilà
un vrai israélite, sans déguisement 4 ». Toutefois ils ne sont pas israélites
dans le même sens que nous, car nous sommes aussi de la race d’Abraham. Et
l’Apôtre s’adressait à des Gentils quand il disait: « Vous êtes de la race
d’Abraham, et les héritiers de la
1.
Matth. III, 12.— 2. Rom. XI, 17.— 3. Id. IX, 6 - 8.— 4. Jean, 1, 47.
promesse ». Nous sommes donc enfant d’Israël,
quand nous suivons les traces d’Abraham notre père. Mais nous entendons ici ces
Israélites, à la manière de l’Apôtre: « Pour moi ». dit-il, « je suis enfant
d’Israël, de la race d’Abraham, de la tribu de Benjamin 2 ». Comprenons alors
ceux dont les Prophètes ont dit: « Les restes d’Israël seront sauvés 3 ».
Ecoutons donc la voix de ces restes d’Israël échappés au naufrage; cette voix
de la Synagogue qui avait reçu l’Ancien Testament, et qui n’attendait que des
récompenses temporelles, d’où lui venaient ses allures chancelantes. Que
lisons-nous en effet dans un autre psaume, que le titre assigne à Asaph? «
Combien est bon le Dieu d’Israël pour ceux qui ont le coeur droit! Quant à mes
pieds, ils ont failli trébucher ». Et comme si nous lui demandions: Pourquoi
vos pieds ont-ils failli trébucher? « Mes pas se sont presque égarés», nous
dit-il, « parce que j’ai porté envie aux pécheurs, en voyant la paix dont ils
jouissent». Il n’attendait du Seigneur qu’un bonheur temporel, selon les promesses
de l’Ancien Testament, et il voit que les impies jouissent de ce bonheur,
qu’ils ont, sans adorer Dieu, ce qu’il attend pour prix de ses services; alors
ses pieds chancellent comme s’il servait Dieu en vain. « Voilà», dit-il en
effet, « que les pécheurs et ceux qui sont ici-bas dans l’abondance ont obtenu
les richesses. Est-ce donc en vain que j’ai justifié mon coeur 4? » Voyez
combien ses pieds sont ébranlés, pour que son âme en vienne jusqu’à dire Que me
revient-il de servir le Seigneur? Tel qui ne le sert point est heureux; et moi
qui le sers, je suis dans l’angoisse. Enfin, quand même je serais heureux, dès
lors que celui qui ne sert point Dieu l’est aussi, comment ce, bonheur
viendrait-il du culte que je rends à Dieu? Or, le psaume que je viens de citer,
précède immédiatement celui que nous expliquons.
2. Sans aucun dessein de notre part, mais
bien par la Providence de Dieu, nous venons d’entendre fort à propos dans
l’Evangile: «Que la loi fut donnée par Moïse, que la grâce et la vérité viennent
de Jésus-Christ 2». Car si nous remarquons bien les différences entre les deux
Testaments, l’Ancien et le Nouveau, nous ne trouverons ni les
1.
Gal. III, 29.— 2. Rom. XI, 1.— 3. Id. IX, 27.— 4. Ps. LXXII, 1-3, 12, 13 — 5. Jean,
I, 17.
mêmes sacrements, ni les mêmes promesses,
quoique ce soient les mêmes préceptes. Car: « Vous ne tuerez point; vous ne
commettrez point la fornication; vous ne déroberez point; honorez votre père et
votre père; vous ne direz point de faux témoignage; vous ne désirerez point le
bien du prochain; vous ne désirerez point son épouse non plus 1»; voilà ce qui
nous est aussi ordonné. Quiconque néglige ces préceptes, s’écarte de la voie,
et se rend indigne d’aller avec Dieu sur cette montagne sainte, dont le
Prophète a dit: «Qui habitera, Seigneur, dans vos tabernacles, ou qui reposera
sur votre sainte montagne 2? L’homme aux mains innocentes, et au coeur pur 3».
En examinant ainsi les préceptes, nous les trouvons semblables, ou à peine
différents dans l’Evangile, de ce qu’en ont dit les Prophètes. Ainsi donc, ce
sont les mêmes préceptes, mais non les mêmes sacrements, ni les mêmes
promesses. Voyons pourquoi ce sont les mêmes préceptes; c’est qu’ils
déterminent la manière dont nous devons servir Dieu. Les sacrements sont
différents, car les uns donnent le salut, les autres promettent le Sauveur. Les
sacrements de la Nouvelle Alliance donnent le salut, tandis que c’est le
Sauveur qui est promis dans ceux de l’Ancienne Alliance; mais dès lors que l’on
possède le Sauveur promis, à quoi bon s’arrêter aux promesses? Je dis que nous
possédons ce qui était promis, non point que nous ayons déjà la vie éternelle,
mais parce que le Christ prédit par les Prophètes est venu. Les sacrements sont
changés, ils sont devenus plus faciles, moins nombreux, plus salutaires, plus
heureux. Pourquoi les promesses ne sont-elles pas les mêmes? C’est que la terre
de Chanaan fut promise aux Juifs, terre grasse et fertile, où coulaient des
ruisseaux de lait et de miel; un royaume leur fut promis, la félicité du temps
leur était promise, la fécondité dans la famille et la victoire sur leurs
ennemis 4. Tout cela n’est qu’un bonheur de la terre. Mais comment ces
promesses étaient-elles d’abord nécessaires? « C’est que ce n’est point le
corps spirituel qui a été créé le premier », dit saint Paul, « mais bien le
corps animal, et ensuite le spirituel. Le premier homme, est l’homme terrestre,
formé de la terre; le second est l’homme céleste, venu
1.
Exod. XX, 12-17.— 2. Ps. XIV, I.— 3. Id. XXIII, 4.— 4. Exod. III, 8.
du ciel. Comme le premier fut terrestre, ses
enfants sont terrestres, et comme le second fut céleste, ses enfants sont
célestes. De même que nous avons porté l’image de l’homme terrestre, il nous
faut porter l’image de l’homme qui est du ciel 1 ». L’Ancien Testament fut fait
à l’image de l’homme terrestre, et c’est à l’image de l’homme céleste qu’est
fait le Nouveau Testament. Mais afin que l’on ne crût point que le Créateur de
l’homme terrestre n’est pas celui qui a fait l’homme céleste, voilà quo Dieu,
pour nous montrer qu’il a créé l’un et l’autre, a voulu être l’auteur des deux
Testaments, et faire dans l’Ancien des promesses terrestres, et des promesses
célestes dans le Nouveau. Mais jusques à quand, ô homme, seras-tu terrestre?
Jusques à quand auras-tu du goût pour la terre? Parce que l’on donne à un
enfant des jouets enfantins pour amuser son jeune esprit, faut-il, quand il
grandit, ne pas les lui enlever des mains, afin de lui donner une occupation
plus utile et plus digne de son âme? Toi-même, n’as-tu pas donné à ton fils des
noix quand il était enfant, et un livre quand il a grandi? Si donc Dieu, par le
Nouveau Testament, a secoué, des mains de ses fils, ces espèces de jouets
d’enfants, afin de leur donner, à mesure qu’ils grandissent, quelque chose de plus
utile, ce n’est pas une raison de croire qu’il n’a point donné les premiers
biens, il est l’auteur des uns et des autres. « Mais la loi fut donnée par
Moïse, la grâce et la vérité par Jésus-Christ 2 »; « la grâce », parce que
c’est la charité qui accomplit ce que prescrivait la loi; « la vérité», parce
que Dieu nous rend ce qu’il a promis. Voilà ce qu’a compris cet Asaph. Enfin
tous ces biens temporels promis aux Juifs sont retranchés. Où est maintenant
leur royaume? Où est le temple? Où est l’onction? Où est le sacerdoce? Où sont
chez eux les Prophètes? Depuis l’avènement de celui que les Prophètes
annonçaient, ils n’ont plus paru dans cette nation; elle a perdu les biens de
la terre, et n’a pas encore acquis ceux du ciel.
3. Il ne faut donc point nous attacher aux
biens de la terre, quoiqu’ils nous viennent de Dieu. Mais parce que nous ne
devons pas nous y attacher, ce n’est pas une raison pour croire que ce soit un
autre que Dieu qui nous
1. I
Cor. XV, 46-49. — 2. Jean, I, 17.
les donne; c’est de lui qu’ils nous viennent
mais ne regarde pas comme une grande faveur de sa part, des biens qu’il donne
même au méchant. Car s’il les estimait, il ne les donnerait point aux impies.
Si donc il veut en faire le partage des méchants, c’est pour apprendre aux bons
à lui demander ce qu’il ne donne pas aux impies. Quant aux Israélites, ils
s’attachèrent misérablement aux biens terrestres, sans mettre son espoir dans
Celui qui a créé le ciel et la terre; qui leur donna les biens terrestres, qui
les délivra de la captivité temporelle de l’Egypte, qui leur ouvrit un passage
à travers la mer Rouge, et engloutit leurs ennemis dans les flots q; sans
mettre alors leur confiance dans Celui qui devait leur donner les biens
célestes à l’âge viril, comme il leur avait donné les biens terrestres dans
leur enfance, ils ont craint de perdre ce qu’ils avaient reçu et ont mis à mort
le donateur. Nous vous parlons ainsi, mes frères, hommes du Nouveau Testament,
afin que vous ne vous attachiez point aux biens d’ici-bas. S’ils sont inexcusables
dans leur attachement pour ces biens, eux qui ne connaissaient point encore la
nouvelle Alliance; combien moins pourront trouver d’excuses pour leurs
convoitises terrestres, ceux qui connaissent les promesses spirituelles du
Nouveau Testament ! Rappelons-nous, mes frères, cette parole des persécuteurs
du Christ: « Si nous le laissons libre, les Romains viendront, et nous
enlèveront et la ville et le royaume 2». Vous le voyez, ils ont craint de
perdre des biens terrestres, et ont tué le Roi du ciel. Et que leur est-il
arrivé? Ils ont même perdu les biens temporels: ils ont subi la mort dans ce
même lieu où ils avaient mis à mort le Christ: l’appréhension de perdre la
terre leur fit tuer l’Auteur de la vie, et ils n’en perdirent pas moins et la
vie et la Terre; et cela au temps même qu’ils l’avaient tué, afin qu’une telle
coïncidence leur indiquât la cause de ces désastres. Les Juifs en effet
célébraient la Pâque, lorsque leur ville fut détruite, et toute la nation était
accourue en foule pour célébrer cette solennité. Ce fut alors que Dieu, par la
main des méchants, bien qu’il soit toujours bon, par la main des injustes, bien
qu’il demeure juste et agisse avec justice, tira des Juifs cette éclatante
vengeance, qui les fit périr par milliers et détruisit leur ville.
1. Exod, XIV, 22, 28. — 2. Jean, XI, 18.
Tel est le désastre que voit Asaph, et qu’il
pleure dans notre Psaume; dans ses lamentations il nous apprend à discerner les
biens de ta terre des biens du ciel, et l’Ancien Testament du Nouveau: afin que
tu saches par où il te faut passer, ce qu’il te faut espérer, à quels biens tu
dois renoncer ou t’attacher. Il commence donc ainsi.
4. « Pourquoi, Seigneur, nous avez-vous
rejetés jusqu’à la fin 1? » Nous avez-vous repoussés à jamais dans la personne
de ce peuple Juif, dans la personne de celte assemblée qui est spécialement
appelée Synagogue? « Pourquoi, Seigneur, nous avez-vous rejetés à jamais? » Ce
n’est point là une inculpation, c’est une question. « Pourquoi », quel motif
vous a fait agir ainsi? Qu’avez-vous fait? « Vous nous avez rejetés jusqu’à la
fin ». Qu’est-ce à dire, « à la fin? » Peut-être jusqu’à la fin du monde. Ou
bien nous auriez-vous rejetés jusqu’au Christ qui est la fin pour tous ceux qui
croient 2? « Pourquoi, Seigneur, nous avez-vous rejetés jusqu’à la fin? votre
fureur s’est-elle enflammée contre les brebis de votre bercail? » Pourquoi
cette colère contre les brebis de votre troupeau, sinon parce que nous nous
attachions aux biens terrestres, et que nous ne connaissions point notre pasteur?
5. « Souvenez-vous de votre peuple, que vous
avez possédé depuis le commencement 3 ». Cette prière viendrait-elle des
Gentils? Dieu les a-t-il possédés à l’origine? Et toutefois il possédait la
race d’Abraham, le peuple d’Israël, né selon la chair des Patriarches qui sont
aussi nos pères, car nous sommes devenus leurs enfants, non plus en vivant
selon la chair, mais en imitant leur foi. Mais qu’est-il arrivé à ce peuple qui
fut tout d’abord l’héritage de Dieu? « Souvenez-vous, Seigneur, de ce peuple que
vous avez possédé depuis le commencement. Vous avez « racheté le sceptre de
votre héritage 4 ». Ce peuple, qui est le vôtre, c’est « le sceptre de votre
héritage que vous avez racheté ». Reportons-nous à ce que Dieu fit tout d’abord
quand il voulut posséder en héritage ce peuple qu’il délivra de l’Egypte, quel
signe donna-t-il à Moïse, alors que Moïse lui disait: « Quel signe leur
donnerai-je, pour leur montrer que vous m’envoyez? Et le Seigneur lui répondit:
Que tiens tu en ta
1. Ps. LXXIII, 1.— 2. Rom. X, 4.— 3. Ps.
LXIII, 2.— 4. Exod. IV, 1-4.
main? une houlette. Jette-la sur la terre. Et
Moïse jeta sur la terre sa houlette qui devint un serpent, et Moïse eut peur et
s’enfuit. Or, le Seigneur lui dit: Saisis-le par la queue, et il le saisit, et
il redevint une houlette, comme auparavant ». Qu’est-ce que cela signifie? Car
ce ne fut point une action sans motif. Interrogeons les saintes Ecritures. A
quoi aboutit pour l’homme l’insinuation du serpent? A la mort 1. Donc la mort vient
du serpent. Si la mort vient du serpent, dans le sceptre il faut voir le
serpent, et dans le Christ la mort. De là vient que quand les Juifs mouraient
au désert par la morsure des serpents, Dieu donna ordre à Moïse d’élever un
serpent d’airain, et d’avertir le peuple que tout homme blessé par le serpent,
qui le regarderait, serait guéri 2. Ce qui arrivait; et les hommes mordus par
les serpents étaient guéris de cette blessure venimeuse, en regardant le
serpent d’airain. Que signifiait cette merveille, être guéri d’un serpent par
la vue d’un serpent? Etre sauvé de la mort par la foi en un mort? Et toutefois
« Moïse eut peur et s’enfuit 3 ». Que signifie cette fuite de Moïse, à la vue
du serpent? Quoi, mes frères, sinon ce que nous raconte l’Evangile? A la mort
du Christ, les disciples furent saisis de crainte, et oublièrent l’espérance
qu’ils avaient eue en lui 4. Mais qu’est-il dit ensuite? « Prends-le par la
queue 5 » Qu’est-ce à dire, u la « queue? » Saisis la partie postérieure. C’est
dans le même sens qu’il dit encore: « Tu me verras par derrière 6 ». D’abord le
sceptre de Moïse devint un serpent, et quand il en saisit la queue, ce fut un
sceptre; comme le Christ mourut d’abord, pour ressusciter ensuite. La queue du
serpent est aussi la fin des siècles. Aujourd’hui l’Eglise marche à travers la
mort. Les uns vont, les autres viennent par la mort comme par le serpent;
puisque c’est lui qui a semé la mort; mais à la fin des siècles, que figure la
queue du serpent, nous retournons à Dieu, nous devenons le royaume stable de
Dieu, et alors s’accomplit en nous cette parole: « Vous avez racheté le sceptre
de votre héritage ». Mais l’interlocuteur est ici la Synagogue; et c’est plutôt
parmi les Gentils que paraît racheté le sceptre de l’héritage du Seigneur; car
il n’y avait dans les Juifs qu’une espérance cachée, soit dans ceux
1. Gen. III, 4, 5.— 2. Nomb. XXI, 8; Jean,
III, 14.—3. Exod. IV, 3. — 4. Luc, XXIV, 21. — 5. Exod. IV, 4 — 6. Id.
XXXIII, 23.
qui devaient croire dans l’avenir, soit dans
ceux qui crurent alors, à la descente du Saint-Esprit, quand les disciples
parlèrent toutes les langues des peuples 1. Alors en effet quelques milliers de
Juifs, qui avaient crucifié le Christ, embrassèrent la foi: il s’en trouva même
qui eurent assez de foi pour vendre leurs biens et en apporter le prix aux
Apôtres 2. Tout cela néanmoins se passait dans l’obscurité, tandis que c’était
avec plus d’éclat que le sceptre de l’héritage de Dieu devait être racheté
parmi les Gentils; le Prophète alors nous montre ceux dont il a dit: « Vous
avez racheté le sceptre de votre héritage ». Il ne parle pas ainsi des Gentils,
cela est visible chez eux. De qui dès lors? « De la montagne de Sion ». Et
comme on pouvait donner un autre sens à la montagne de Sion, le Prophète
ajoute: « Cette montagne sur laquelle vous avez demeuré », qu’habitait jadis
votre peuple, sur laquelle fut construit le temple, où l’on célébra les
sacrifices, et ces rites nécessaires alors qui promettaient le Christ.
Promesses devenues inutiles en face de l’accomplissement. La promesse est
nécessaire en effet avant qu’elle soit accomplie, afin que celui à qui elle est
faite n’oublie point ce qui lui est promis, et ne meure par défaut d’espérance.
Il doit donc espérer, afin de recevoir au temps marqué: dès lors il ne doit point
abandonner la promesse. Aussi n’abandonnait-on point les figures, afin que les
ombres ne disparussent qu’à l’aube du jour. « Cette montagne de Sion, sur
laquelle vous avez demeuré ».
6. «Jusqu’à la fin, élevez votre main contre
leur orgueil 3 ». De même que vous nous rejetiez jusqu’à la fin, de même «
jusqu’à la fin élevez votre main contre leur orgueil ». L’orgueil de qui? De
ceux qui ont renversé Jérusalem. Quels sont-ils, sinon les rois des Gentils? La
main du Seigneur s’est levée heureusement contre leur orgueil, jusqu’à la fin,
car ils ont connu le Christ, et « le Christ est la fin de la loi pour justifier
ceux qui croiront 4 ». Heureux souhait du Prophète ! Il semble parler avec
colère, on dirait qu’il maudit. Plût à Dieu que ses malédictions s’accomplissent,
ou plutôt réjouissons-nous de ce qu’elles s’accomplissent au nom de Jésus-
Christ. Tous ceux qui tiennent le sceptre s’inclinent devant la croix; ainsi
s’accomplit cette parole: « Les rois de la terre l’adoreront,
1.
Act. II, 4. — 2. Id. IV, 34. — 3. Ps. LXXIII, 3. — 4. Rom. X, 4.
toutes les nations lui seront assujetties 1
». Déjà sur le front des rois, le signe de la croix est plus précieux que les
perles de leur diadème. « Jusqu’à la fin, élevez votre « main contre leur
orgueil. Que de ravages a « faits l’ennemi dans votre sanctuaire ! » Avec
quelle fureur l’ennemi a sévi contre tout ce qui vous était consacré, contre le
temple, contre le sacerdoce, contre tout ce qui était alors sacré ! Ces excès
sont bien l’oeuvre d’un ennemi. Car les Gentils, qui les commettaient alors,
adoraient de faux dieux, de vaines idoles, et servaient les démons; et,
toutefois, ils ont causé de grands ravages dans la maison de Dieu. Comment
l’auraient-ils pu, si Dieu ne l’eût permis? Or, comment Dieu l’eût-il permis,
si ces rites figuratifs ne fussent devenus inutiles, par l’avènement de Celui
qui avait fait ces promesses? « Que de ravages a donc faits l’ennemi dans votre
sanctuaire! »
7. «Tous ceux qui vous haïssent ont signalé
leur orgueil 2 » Vois ces esclaves des démons, ces idolâtres, comme l’étaient
les Gentils quand ils détruisirent la ville et le temple de Dieu. « Ils
signalèrent leur orgueil, au milieu de vos solennités ». Rappelez-vous ce que
nous avons dit, que Jérusalem fut renversée pendant cette solennité de Pâques,
choisie par les Juifs pour crucifier le Seigneur. Assemblés ils sévirent,
assemblés ils périrent.
8. « Quant à leurs signes, ils les ont placés
« comme des signes, et n’ont point compris 3 ». Ils avaient des signes à
planter là: leurs étendards, leurs aigles, leurs dragons, étendards de Rome,
leurs statues mêmes qu’ils placèrent d’abord dans le temple; ou peut-être «
leurs signes », seraient les oracles de leurs devins, inspirés par les démons.
«Et ils n’ont point compris ». Qu’est-ce qu’ils n’ont pas compris? « Que vous
n’auriez aucun pouvoir sur moi, s’il ne vous avait été donné d’en haut 4 ». Ils
n’ont pas compris que ce n’était point pour les élever en gloire que Dieu leur
permettait d’affliger, de prendre et de détruire cette ville, mais que leur
impiété servait à Dieu comme une hache dans sa vengeance. Ils sont devenus
l’instrument de sa colère, et non les ministres de sa bonté. Car Dieu fait
quelquefois ce que font souvent les hommes. Souvent dans sa colère, un
1. Ps. LXXI, 11. — 2. Id. LXXIII,1.— 3. Id.
5.— 4. Jean, XIX, 11.
homme ramasse la première baguette qu’il
trouve à terre, le premier sarment venu, et après qu’il en a châtié son fils,
il jette le sarment au feu, et réserve son héritage pour son fils: ainsi Dieu
se sert des méchants pour châtier les bons, et donne ici-bas le pouvoir àceux
qui seront damnés pour exercer la patience de ceux qui seront sauvés. Eh quoi,
mes frères? pourriez-vous croire que ce peuple ait été châtié, jusqu’à périr
entièrement? Combien d’entre eux ont ensuite embrassé la foi, et combien
doivent l’embrasser encore? Autre est la paille, autre le froment; tous deux,
néanmoins, subissent le fléau qui brise l’une et purge l’autre. Quel avantage
pour nous Dieu n’a-t-il pas tiré de la trahison de Judas? Quel bonheur n’a pas
procuré aux Gentils infidèles la fureur des Juifs? Le Christ u été mis à mort,
afin que cloué à la croix, il pût être regardé par tout homme blessé par le
serpent 1. C’est ainsi que, peut-être, les Romains avaient appris de leurs
devins, qu’ils devaient marcher contre Jérusalem, et la prendre; et quand ils
l’eurent prise et détruite, ils dirent que c’était l’ouvrage de leurs dieux. «
Quant à leurs signes, ils les ont placés s comme des signes, et n’ont point
compris ». Que n’ont-ils pas compris? « Que cela venait d’en haut ». Car si le
décret n’en était venu d’en haut, jamais la fureur des Gentils n’eût eu contre
le peuple juif de tels succès. Mais le décret est venu d’en haut, ainsi que l’a
dit le prophète Daniel: « La parole est sortie dès le commencement de ta prière
2 ». Voilà ce que signifie la réponse du Sauveur à Pilate, qui s’enflait dans
son orgueil, qui plaçait son trophée comme un trophée, sans le comprendre, et
qui disait au Christ: « Vous ne me répondez point? Vous ne savez donc point que
j’ai le pouvoir de vous faire mourir, et le pouvoir de vous renvoyer absous? »
Mais le Sauveur, comme pour crever cette bulle de vanité, lui répond: « Vous
n’auriez aucun pouvoir sur moi, s’il ne vous était venu d’en haut 3 ». Ainsi,
dans notre psaume, les Gentils placent « leurs étendards comme des signes, sans
comprendre » Comment n’ont-ils pas compris? « Que c’est un pouvoir d’en haut».
Les Romains, en effet, pouvaient-ils comprendre que c’était d’en haut que leur
venait le pouvoir d’accomplir ces choses?
9. Passons rapidement sur ces versets,
puisque
1. Nomb. XXI, 8.— 2. Dan. IX, 23. — 3. Jean,
XIX, 10, 11.
que la ruine de Jérusalem leur donne de
l’évidence, et qu’il est pénible de s’appesantir sur une plaie, fût-elle d’un
ennemi. « Ils ont uni leurs efforts pour abattre nos portes, comme on abat les
arbres d’une forêt; ils ont ruiné l’édifice avec la scie et le marteau 1 ». Ils
y ont mis l’unanimité, la constance: «ils ont employé la scie et le marteau
pour ruiner l’édifice ».
10. « Ils ont incendié votre sanctuaire,et
profané sur la terre le tabernacle de votre nom 2».
11. « Ils ont dit dans leur coeur, et comme
réunis en famille ». Qu’ont-ils dit? « Venez, faisons disparaître de la terre
du Seigneur toutes les solennités du Seigneur 3 ». C’est Asaph qui donne ici ce
titre de Seigneur, car les forcenés n’appelaient pas ainsi celui dont ils
détruisaient le temple. « Venez, faisons disparaître de la terre les solennités
du Seigneur». Que fait Asaph? Où est « l’intelligence d’Asaph » dans tous ces
malheurs? De quoi lui sert ce châtiment même qu’il a reçu? Son esprit dépravé
ne se corrige-t-il point? Tout ce qui était debout jadis est maintenant
détruit: plus de sacerdoce, plus d’autel des Juifs, plus de victimes et plus de
temple. N’a-t-il donc plus à connaître rien qui doive succéder à ces ruines? et
ce signe des promesses devrait-il disparaître, si l’objet des promesses n’était
venu? Voyons donc ici l’intelligence d’Asaph, voyons s’il a fait des progrès à
l’école du malheur. Ecoute ce qu’il dit: « Nous n’avons point vu nos prodiges,
tout prophète a disparu, et Dieu ne nous connaît plus 4 ». Voilà ces Juifs qui
accusent Dieu de ne les plus connaître, c’est-à-dire de les abandonner
jusqu’alors dans la captivité, de ne point les délivrer, et qui attendent le Christ
jusqu’à présent. Le Christ viendra sans douté, mais il viendra comme juge; il
est venu d’abord nous appeler, il viendra ensuite nous juger. Il viendra,
puisqu’il est venu; il viendra, cela est évident, mais il viendra d’en haut. Il
était devant toi, ô Israël! Tu t’es meurtri, en te heurtant contre lui: pour
n’être point écrasé, regarde-le venir d’en haut. Voilà ce qu’ont annoncé les
Prophètes: « Quiconque heurtera contre cette pierre sera brisé, elle écrasera
celui sur qui elle tombera 5 ». Petite elle meurtrit, grande elle
1. Ps. LXXIII, 6. — 2. Id. 7. — 3. Id. 8. —
4. Id. 9. — 5. Isa. VIII, 14, 15; Luc, XX, 18.
écrasera. Déjà tu ne comprends plus tes
signes, il n’y a déjà plus de prophète, et tu dis: « Le Seigneur ne nous
connaît plus ». C’est toi qui ne le connais plus. « Il n’y a plus de prophète,
et Dieu ne vous connaît plus ».
12. «Jusques à quand, ô Dieu, notre ennemi
nous insultera-t-il 1? » Plains-toi, Asaph, comme un homme abandonné de Dieu,
un homme que l’on méprise; plains-toi comme un malade, ô toi, qui as mieux aimé
tuer le médecin que lui demander ta guérison: il ne te connaît plus. Voilà ce
qu’il a fait pour toi, et dis qu’il ne te connaît plus. Ceux à qui il n’a pas
été annoncé le verront, et ceux qui n’ont pas ouï parler de lui le connaîtront
2; et tu viens nous dire: « Il n’est plus de prophète, et il ne nous connaît
plus? » Où est donc ton intelligence? «L’ennemi méprise votre nom jusqu’à la
fin ». Or, cet ennemi méprise votre nom jusqu’à la fin, pour que dans votre
colère vous le réprimiez, et qu’en le châtiant vous le connaissiez enfin, ou du
moins jusqu’à la fin. Jusqu’à quelle fin? Jusqu’à ce qu’il vous connaisse
lui-même, jusqu’à ce qu’il pousse des cris vers vous, et qu’il saisisse enfin
la queue du serpent, pour retourner dans votre royaume.
13. « Pourquoi détourner votre main, et
retirer de votre sein votre main droite pour toujours 3? » Un autre signe donné
à Moïse. Sa houlette fut un signe, comme sa main droite fut aussi un signe.
Après le signe de la houlette, Dieu lui en donna un autre dans sa main droite.
Donc le signe de la houlette fut suivi d’un autre signe: « Mettez », dit le
Seigneur, « votre droite dans votre sein. Et Moïse l’y mit. Retirez-la; et il
la retira, et voilà qu’elle était blanche», c’est-à-dire lépreuse. Car cette
blancheur dans la peau n’est pas une blancheur de beauté, mais une blancheur de
lèpre 4. Or, l’héritage du Seigneur, ou son peuple, fut jeté dehors par le
Seigneur et devint lépreux. Mais que dit ensuite le Seigneur? « Remettez votre
main dans votre sein, et Moïse l’y remit, et sa main avait sa couleur naturelle
5». Quand sera-ce, dit Asaph, que vous agirez ainsi? Jusques à quand
éloignerez-vous votre main de votre sein, afin qu’elle demeure impure au
dehors?
1. Ps. LXXIII, 10. — 2. Isa. LII, 15; Rom.
XV, 21.— 3. Ps. LXXIII, 11.— 4. Lévit. XIII, 25. — 5. Exod. IV, 6, 7.
Remettez-la dans votre sein, afin qu’elle
reprenne sa couleur naturelle, et connaisse son Sauveur. « Pourquoi jusqu’à la
fin détourner votre main droite du milieu de votre sein? » C’est là le cri d’un
aveugle, d’un peuple sans intelligence, mais Dieu fait son oeuvre. Pourquoi le
Christ est-il venu? « Israël », dit l’Apôtre, « est tombé dans l’aveuglement,
jusqu’à ce que la plénitude des nations fût entrée, et qu’ainsi tout Israël fût
sauvé 1». Reconnais donc, ô Asaph, ceux qui t’ont précédé, afin de les suivre
au moins, si tu n’as pu les devancer. Car ce n’est pas en vain que le Christ
est venu, ou qu’il a été mis à mort; ce n’est pas en vain que le grain de
froment a été mis en terre, mais bien pour multiplier 2. Le serpent ne fut
élevé au désert que pour guérir ceux que le venin avait blessés 3. Pèse donc ce
qui a été fait; ne t’imagine pas que le Christ est venu en vain, de peur qu’il
ne te condamne à son second avènement.
14. Asaph l’a compris, puisque le titre
porte: « Intelligence d’Asaph ». Or, que dit-il? « Le Seigneur, notre roi avant
tous les siècles, a opéré le salut au milieu de la terre 4 ». D’une part nous
disons: « Il n’y a plus de prophète, et Dieu ne nous connaît plus »; d’autre
part: « Notre Dieu est notre roi avant tous les siècles »; car il est le Verbe
qui était au commencement, et par qui les siècles ont été faits: « Il a donc
opéré le salut au milieu de la terre. Il est notre Dieu, notre roi avant tous
les siècles ». Qu’a-t-il fait? « Il a opéré le salut au milieu de la terre »:
et je me plains encore comme un homme abandonné. Voilà que Dieu produit le
salut sur la terre, et moi je demeure terre. Asaph a bien compris: «
Intelligence d’Asaph ». Qu’est-ce que fout, cela? Quel est le salut qu’a opéré
le Christ sur la terre, sinon d’apprendre aux hommes à désirer les biens
éternels, et à ne point demeurer attachés à ceux de la terre? « Le Seigneur,
notre roi avant tous les siècles, a opéré le salut au milieu de la terre». Pendant
que nous crions: « Jusques à quand, Seigneur, serons-nous en butte aux outrages
de nos ennemis? Jusques à quand cet ennemi insultera-t-il à votre nom? Jusques
à quand éloignerez-vous de votre sein votre main droite 5? » Pendant
1. Rom. XI, 25. — 2. Jean, XII, 25. — 3. Nomb
XXI, 9. — 4. Ps. LXXIII, 12. — 5. Id. 9.
que nous parlons ainsi: « Dieu, notre roi
avant les siècles, a opéré le salut au milieu de la terre »: et nous demeurons
endormis. Déjà les nations s’éveillent, et nous dormons profondément, et comme
si Dieu nous avait abandonnés, nous nous repaissons de rêveries. « Il a opéré
le salut au milieu de la « terre».
15. Corrige-toi donc, ô Asaph, afin de
comprendre, et dis-nous quel est ce salut que Dieu a opéré au milieu de la
terre. Voilà que pour vous est détruit le salut du temps: qu’a fait le
Seigneur? Où sont ses promesses? « Dans votre puissance vous avez affermi la
mer ». Le peuple juif était comme une terre sèche, et les Gentils, comme une
mer d’amertume, l’environnaient de toutes parts « Vous avez affermi la mer dans
votre puissance », elle est devenue comme une terre sèche, altérée des eaux du
ciel. « Dans votre puissance, vous avez affermi la mer, et brisé sous les flots
les têtes des dragons 1». Ces têtes des dragons, sont la puissance orgueilleuse
de Satan, qui dominait sur les nations, et que vous avez brisée dans les eaux,
Seigneur, en délivrant par le baptême ces malheureux esclaves.
16. Qu’a fait le Seigneur, après avoir brisé
les têtes des dragons? Ils ont en effet un prince, qui est le premier et le
grand dragon. Et qu’en a fait Celui qui a opéré le salut au milieu de la terre?
Ecoutez: « Vous avez u écrasé la tête du dragon 2 ». De quel dragon? Par les
dragons nous avons entendu tous les démons qui sont aux ordres du diable. Que faut-il
entendre par cet autre dragon dont le psaume parle au singulier, et dont le
Seigneur a brisé la tête, sinon le diable lui-même? Qu’en a fait le Seigneur? «
Vous avez écrasé la tête du dragon »; tête qui est la source du péché, tête qui
fut maudite, pour inviter la race d’Eve à prendre garde à cette tête du serpent
3. Dieu donc avertit l’Eglise de fuir le commencement du péché. Quel est ce
commencement du péché, ou la tête du dragon? « Le commencement de tout péché,
c’est l’orgueil 4 ». Donc, briser la tête du dragon, c’était briser l’orgueil
du diable. Mais qu’a fait de cette tête brisée, Celui qui a opéré le salut au
milieu de la terre? « Vous l’avez donnée en pâture aux peuples de l’Ethiopie ».
Qu’est-ce à dire? Que devons-nous
1. Ps. LXXIII, 13.— 2. Ps. LXXIII, 14.— 3.
Gen. III, 15.— 4. Eccli. X, 15.
entendre par les peuples de I’Ethiopie, sinon
toutes les nations de la terre? Voilà ce que désigne la couleur de l’Ethiopien,
qui est noir. Ceux qui étaient noircis par le péché, sont appelés à la foi, ces
peuples dont il est dit: « Vous étiez autrefois ténèbres, aujourd’hui vous êtes
lumière dans le Seigneur 1 ». Ils I sont donc noirs, quand Dieu les appelle,
mais afin qu’ils ne demeurent point noirs. C’est d’eux qu’est formée l’Eglise,
à qui l’on chante: « Quelle est celle-ci qui s’élève dans sa blancheur 2? » Et
sa noirceur ne lui fait-elle pas dire: « Je suis noire, mais je suis belle 3»
Mais comment l’Ethiopien s’est-il nourri du dragon? Ne s’est-il pas nourri
plutôt de Jésus-Christ?Mais de Jésus-Christ pour se consommer en lui, du dragon
pour le consumer en eux. Nous avons en effet à ce sujet la figure d’un grand
mystère; cette figure, c’est le veau d’or qu’adora un peuple infidèle et
apostat, qui recherchait les dieux de l’Egypte et répudiait celui qui l’avait
délivré de l’esclavage des Egyptiens. Moïse, en effet, dans sa colère à la vue
de ce peuple qui se prosternait devant une idole, et enflammé du zèle de Dieu,
voulut infliger à ces idolâtres un châtiment temporel, qui leur fit éviter une
mort sans fin. Il jeta dans le feu la tête du veau, la brisa, la réduisit en
poudre, et la jeta dans l’eau pour la faire boire au peuple 4. C’était là un
grand symbole. O colère vraiment prophétique dans une âme toujours tranquille,
éclairée d’en haut! Que fait Moïse? Jetez, lui fut-il dit, cette tête au feu,
pour la rendre méconnaissable, faites-en une poudre, afin de la réduire peu à
peu; jetez cette poudre dans l’eau, et faites-la boire au peuple. Que nous dit
cette figure, sinon que les adorateurs du diable ne sont qu’un même corps avec
lui? De même ceux qui connaissent le Christ, sont incorporés au Christ, selon
cette parole de saint Paul: « Vous êtes le corps et les membres du Christ 5 ».
Or, il fallait consumer le corps du diable, et le consumer par les Israélites.
C’est de ce peuple en effet que viennent les Apôtres, de lui que vient
l’Eglise, Mais il fut dit à Pierre, à propos des Gentils: « Tue, et mangeb6 ».
Qu’est-ce à dire: « Tue et mange? » Tue ce qu’ils sont, et fais-les ce que tu
es. Ici, « tue et mange »; là, brise et bois: ici et là, c’est néanmoins la
même
1. Ephés. V, 8. — 2. Cant. VIII, 5, suiv, les
Septante. — 3. Id. I, 4. — 4. Exod. XXXII, 1-20.— 5. I Cor. XII, 27.— 6. Act. X,
13.
figure; il fallait, en effet, oui certes, il fallait
qu’un corps qui était au diable passât par la foi dans le corps du Christ.
Ainsi le diable est consumé peu à peu en perdant ses membres. Voilà ce que
figurait encore le serpent de Moïse. Car les mages de Pharaon changeront comme
Moïse leurs verges en serpents, mais le serpent de Moïse dévorera toutes ces
verges des mages 1. Voilà ce qui arrive maintenant au corps du démon; il est
dévoré par les Gentils qui embrassent la foi, il est donné en pâture aux
peuples de l’Ethiopie. Dire qu’ « il est donné en pâture aux peuples de
l’Ethiopie », peut signifier encore qu’il est en proie à leurs morsures. A
quelles morsures? A leurs accusations, à leurs malédictions, à leurs
représailles, dans le sens de cette prohibition de saint Paul: « Si vous vous
déchirez, si vous vous dévorez les uns les autres, prenez garde de vous
consumer réciproquement 2». Qu’est-ce à dire, « vous déchirer, vous dévorer
mutuellement? » Disputer ensemble, médire l’un de l’autre, vous injurier
réciproquement. Voyez ces morsures qui détruisent le diable aujourd’hui. Quel
homme aujourd’hui, même chez les païens, dans sa colère contre son serviteur,
ne le traite pas de satan? Voilà donc le diable donné en pâture. Tel est le
langage des chrétiens, le langage même des païens, qui le maudissent fous en
l’adorant.
17. Voyons la suite, mes frères, et redoublez
d’attention, je vous en supplie; on est heureux d’entendre ce que l’on voit
s’accomplir dans le monde entier. Il n’en était pas ainsi quand le Prophète
l’annonçait: c’était alors la promesse, mais non l’accomplissement; quel
bonheur aujourd’hui pour nous, de voir se vérifier dans le monde entier les
prophéties que nous lisons dans ce livre! Voyons ce qu’a fait Celui que
comprend Asaph, et qui «a opéré le salut au milieu de la terre». «Vous avez
fait jaillir des fontaines et des torrents 3 »; qui ont fait couler l’eau de la
sagesse, répandu les richesses de la foi, arrosé les Gentils dans l’erreur, et
par leur influence ramené tous les infidèles aux douceurs de la foi. « Vous
avez sait jaillir les fontaines et les «torrents». Peut-être y a-t-il ici un
sens différent; peut-être un sens unique, et alors telle serait l’abondance des
fontaines, qu’elles auraient formé des fleuves. « C’est vous qui
1. Exod. VII, 12. — 2. Gal. V, 15. — 3. Ps.
LXXIII, 15.
avez fait jaillir les fontaines et les
torrents». S’il y a une différence, c’est que chez les uns « la parole de Dieu
est une source d’eau qui jaillit jusqu’à la vie éternelle 1», tandis que chez
d’autres, cette parole qu’ils entendent, que leur langue publie, mais qui ne
leur sert pas à mieux vivre, passe comme un torrent. Car les torrents ont cela
de particulier qu’ils ne coulent pas toujours: quelquefois, néanmoins, on donne
aux fleuves ce nom de torrents; c’est ainsi qu’il est dit: « Ils seront enivrés
par l’abondance de vos demeures, et vous les abreuverez au torrent de vos joies
saintes 2 ».Or, ce torrent ne doit jamais tarir. Mais on appelle torrents
proprement dits, ces cours d’eau, qui se dessèchent en été, et que grossissent
les eaux de l’hiver. Voici donc un homme véritablement fidèle, qùi doit
persévérer jusqu’à la fin, qui n’abandonnera point Dieu au moment de l’épreuve,
qui souffre tout pour.la vérité, et non pour la fausseté ou l’erreur. Or, d’où
lui vient cette vigueur, sinon de ce que le Verbe est devenu en lui u une
source d’eau vive, qui jaillit « jusqu’à la vie éternelle? » Tel autre reçoit
cette parole; il la prêche et ne se tait point, c’est une eau qui coule; l’été
nous montrera si c’est une source ou un torrent. Toutefois qu’ils arrosent l’un
et l’autre la terre, de la part de Celui « qui a opéré le salut sur toute la
terre »: que les fontaines jaillissent, que les torrents s'écoulent. « C’est
vous qui avez fait jaillir les fontaines et les torrents ».
18. « C’est vous qui avez desséché les
fleuves d’Etham ». Ici Dieu fait jaillir les fontaines et les fleuves; là il
dessèche les fleuves, afin que d’une part les eaux se précipitent, et que
d’autre part elles s’arrêtent. « Les fleuves d’Etham », dit le Prophète.
Qu’est-ce que Etham? Un nom hébreu. Quel en est le sens? Fort, robuste. Quel
est ce fort, ce robuste dont Dieu dessèche les fleuves? qui, sinon le dragon
lui-même? « Nul en effet n’entre dans la maison du fort, pour en enlever les
dépouilles, avant d’avoir lié le fort 3». C’est là le fort qui a présumé de son
pouvoir, pour abandonner Dieu; ce fort qui a dit: « J’établirai mon trône du
côté de l’Aquilon, je serai semblable au Très-Haut 4». Il a présenté à l’homme
cette coupe d’une force
1. Jean, IV, 14. — 2. Ps. XXXV, 9. — 3. Matth. XII, 29. — 4. Isaïe, XIV, 13.
trompeuse. Ils voulurent être forts, nos
pères qui croyaient devenir des dieux en touchant au fruit défendu. Adam était
devenu fort, quand Dieu disait avec ironie: « Voilà qu’Adam est devenu comme
l’un de nous 1.» Ils étaient forts ces Juifs qui présumaient de leur propre
justice. « Sans connaître la justice de Dieu, et dans leur désir d’établir leur
propre justice, les voilà comme des forts, rebelles à la justice de Dieu 2».
Voyez au contraire cet homme qui a dissipé sa force, et qui demeure faible,
pauvre, se tenant debout et éloigné, sans oser lever les yeux au ciel, mais qui
frappe sa poitrine, et qui dit: « Seigneur, ayez pitié de moi, qui suis un
pécheur 3». Il est faible, et a conscience dc sa faiblesse, ce n’est point un
fort: c’est une terre sèche; qu’elle reçoive l’eau des fontaines et des
torrents. Quiconque présume de sa vertu est encore dans sa force. Que leurs
fleuves soient desséchés, qu’elles tarissent toutes ces doctrines des païens,
des aruspices, des astrologues, des magiciens, puisque Dieu a desséché les eaux
du fort: « C’est vous qui avez tari les fleuves d’Etham ». Mort à ces
doctrines, et que les âmes soient trempées de l’Evangile de vérité!
19. « A vous le jour, et à vous la nuit 4 ».
Qui peut l’ignorer, puisque Dieu en est l’auteur, et que tout a été fait par
son Verbe 5? C’est donc à Celui qui « a opéré le salut au milieu de la terre »,
qu’il est dit: « A vous le jour, et à vous la nuit ». Il nous faut donc
comprendre ce qui regarde ici ce salut qu’il a opéré au milieu de la terre. « A
vous le jour ». Qui est ici désigné? Les hommes spirituels. « Et à vous la nuit
». Et ceux-là? Les hommes charnels. «A vous le jour, et à vous la nuit ». Que
l’homme spirituel tienne à l’homme spirituel un langage spirituel; car il est
dit: « Nous tenons aux parfaits le langage de la sagesse, en communiquant les
choses spirituelles à ceux qui sont spirituels 6 ». Mais cette sagesse est
au-dessus de l’homme charnel: « Car », dit le même Apôtre, « je n’ai pu vous
parler comme à des hommes spirituels, mais seulement comme à des hommes
charnels 7 ». Donc l’homme spirituel, s’adressant à l’homme spirituel, c’est «
le jour qui parle au jour ». Mais l’homme charnel qui ne tait point sa foi en
Jésus crucifié, telle que
1.
Gen. III, 22.— 2. Rom. X, 3.— 3. Luc, XVIII, 13.— 4.
Ps. LXXIII, 16. — 5. Jean, I, 3.— 6. I Cor, II, 13, 6. — 7. Id. III, 1.
peuvent l’avoir les petits, c’est « la nuit
qui donne la science à la nuit 1. A vous le jour, et à vous la nuit ». A vous
appartiennent et les hommes spirituels et les hommes charnels; vous éclairez
les uns au flambeau de la sagesse et de l’invariable vérité, vous consolez les
autres par la manifestation de votre humanité, comme la lune qui vient consoler
la nuit. « A vous le jour, et à vous la nuit ». Veux-tu connaître le jour?
Vois, si tu le peux, élève ton esprit autant que tu en es capable. Voyons si tu
appartiens au jour, voyons si tu en pourras soutenir la vue. Peux-tu contempler
ce que tu viens d’entendre dans l’Evangile: « Au commencement était le Verbe,
et le Verbe était en Dieu, et, le Verbe était Dieu 2? » Car ta pensée ne peut
embrasser d’autres paroles que celles qui passent à mesure qu’elles résonnent.
Peux-tu comprendre le Verbe, non plus un son, mais Dieu? Ne comprends-tu pas ce
qui est dit ici: « Que le Verbe était Dieu? » Te voilà donc méditant de telles
paroles. « Tout a été fait par lui », et il a même fait ceux qui parlent de la
sorte. Qu’est-ce donc que ce Verbe? Le comprends-tu, homme charnel?
Réponds-moi, comprends-tu? Non, tu ne comprends point, tu appartiens à la nuit:
tu as besoin de la lune pour ne point mourir dans les ténèbres. « Car voilà que
les pécheurs ont bandé leur arc pour percer dans l’obscurité de la lune ceux
qui ont le coeur droit 3». La chair du Christ fut obscurcie, quand on la
descendit de la croix, pour la placer dans le tombeau: et ceux qui l’avaient
mis à mort, lui insultait; il n’était pas ressuscité encore, les disciples au
coeur droit étaient percés de flèches, mais seulement dans l’obscurcissement de
la lune. Donc, afin que le jour parle au jour, et que la nuit enseigne à la
nuit, puisque « le jour est à vous, comme la nuit est à vous »; daignez
descendre, ô mon Dieu, et en même temps demeurer en votre Père; descendez et
venez à ceux pour qui vous descendez. Daignez descendre, ô vous qui étiez en ce
monde, vous, par qui le monde a été fait, vous que le monde n’a point connu.
Que la nuit ait sa consolation; qu’elle ait « le Verbe qui s’est fait chair et
qui a demeuré parmi nous 4. « A vous le jour, et à vous la nuit. C’est vous qui
avez fait le soleil et la lune »: le soleil
1. Ps. XVIII, 3. — 2. Jean, I, 1. — 3. Ps. X,
3. — 4. Jean, I, 14.
ou les hommes spirituels, la lune ou les
hommes charnels. Que l’homme encore charnel ne soit point abandonné, mais conduit
à la perfection. « Vous avez fait le soleil et la lune »: le soleil, image des
parfaits; la lune, image des moins parfaits, et vous ne les avez point
abandonnés. Car voici ce qui est écrit: « Le sage demeure comme le soleil,
l’insensé change comme la lune 1 ». Quoi donc! parce que le soleil demeure,
c’est-à-dire parce que « le sage demeure toujours égal comme le soleil, et que
l’insensé change comme la lune », faut-il abandonner pour cela celui qui est
encore charnel, encore faible? Que devient alors cette parole de l’Apôtre: « Je
suis redevable aux sages et aux insensés 2? C’est vous qui avez fait le soleil
et la lune ».
20. « C’est vous qui avez fixé les bornes de
la terre 3 ». Ne les a-t-il pas fixées tout d’abord, quand il a fondé la terre?
Mais comment a-t-il mis des bornes à la terre. « Celui qui a opéré le salut au
milieu de la terre? » Comment, sinon, comme le dit l’Apôtre « C’est par la
grâce que nous sommes sauvés, et cela ne vient pas de nous, c’est un don de
Dieu, qui ne vient pas de nos oeuvres, afin que nul ne s’élève? » Nos oeuvres
n’étaient donc pas bonnes? Elles étaient bonnes, mais comment? Par la grâce de
Dieu. Suivons saint Paul, et voyons. « Nous sommes son ouvrage, créés en
Jésus-Christ dans les bonnes oeuvres 4 ». C’est ainsi qu’il a posé des bornes à
la terre, « Celui qui a opéré le salut au milieu de la terre. C’est vous qui
avez posé des limites à la terre, qui avez fait l’été et le printemps». L’été
ou ceux dont l’âme est fervente. C’est vous, dis-je, qui avez fait les âmes ferventes;
vous encore, qui avez fait le printemps, ou les nouveaux dans la foi. « L’été
comme le printemps, vous les avez faits ». Qu’ils ne se glorifient point, comme
s’ils n’avaient rien reçu: « C’est vous qui les avez faits ».
21. « Souvenez-vous de cette créature qui est
la vôtre ». Quelle est cette créature? « L’ennemi a insulté au Seigneur 5».
Pleure, ô Asaph, qui le comprends, pleure ton aveuglement du passé: « L’ennemi
a insulté au Seigneur ». On a dit au Christ, dans sa propre nation: « Celui-là
est un pécheur,
1.
Eccli. XXVII, 12.— 2. Rom. I, 14.— 3. Ps. LXXIII, 17. — 4. Ephés. II,
8-10. — 5. Ps. LXXIII, 18.
nous ne savons d’où il vient: nous
connaissons Moïse, Dieu lui a parlé, celui-là est un samaritain 1. L’ennemi a
donc insulté au Seigneur: un peuple insensé a irrité votre nom ». Asaph n’était
alors qu’un peuple insensé, mais Asaph n’avait point encore d’intelligence.
Qu’est-il dit au psaume précédent? « J’ai été pour vous comme le stupide
animal; mais j’étais toujours avec vous »; car il n’a point couru après les
dieux et les idoles des nations. Comme homme du moins il a connu le Seigneur,
qu’il avait méconnu comme animal. Car il a dit: « Je suis toujours avec vous,
nonobstant ma stupidité». Mais que disons-nous encore dans ce même psaume
d’Asaph? « Vous avez tenu la main de ma droite, vous m’avez conduit dans votre
bonté, et m’avez élevé en gloire 2 »: « dans votre bonté », et non dans votre
justice; c’est votre don, non pas mon mérite. Ici encore: « L’ennemi a insulté
au Seigneur, et un peuple insensé a irrité votre nom ». Tous ont-ils donc péri?
Loin de là. Si des rameaux ont été brisés, il en reste néanmoins quelques-uns
afin d’y greffer l’olivier sauvage 3; la racine subsiste encore, et parmi ces
rameaux que leur infidélité a fait briser, il en est qui ont été rappelés par
la foi. Car l’apôtre saint Paul, brisé d’abord à cause de son infidélité, fut
rejoint sur la tige par sa foi. Donc, « un peuple insolent a irrité votre nom»,
quand il s’est écrié: Qu’il descende de la croix 4 ».
22. Mais toi, Asaph, que dis-tu, maintenant
que tu comprends? «Ne livrez pas aux bêtes une âme qui vous confesse 5 ». Je
comprends, dit Asaph; et comme il est dit dans un autre psaume: « Je sais que
j’ai péché, et je n’ai point déguisé mon crime 6 ». Comment cela? C’est que
Pierre osa bien reprocher aux Israélites 7, qui admiraient le prodige des
langues, d’avoir mis à mort le Christ, ce Christ envoyé pour eux, « et qu’à ces
paroles, ils furent touchés au fond de leur coeur, et ils dirent aux Apôtres:
Que nous faut-il faire? dites-le-nous. Et les Apôtres: Faites pénitence, et que
chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ; alors vos péchés vous
seront remis 8».Voilà donc la pénitence qui m’arrache cet aveu: « Ne livrez
point aux bêtes une âme qui vous confesse ».
1. Jean, IX, 24, 29; VIII, 48.— 2. Ps. LXXII,
23, 24. — 3. Rom. XI, 17. — 4. Matth. XXVII, 40. — 5. Ps.
LXXIII, 19. — 6. Id. XXXI, 5. — 7. Act. II, 37, 38.
Pourquoi cette confession? « C’est que je me
suis retourné dans ma douleur, en proie à l’aiguillon 1 ». La componction a
donc envahi leur coeur; l’orgueil et la cruauté font place chez eux à la
douleur et au repentir,: « Ne livrez pas aux bêtes une âme qui vous confesse ».
A quelles bêtes, sinon à celles dont les têtes furent brisées sur les eaux? Car
le diable est appelé bête, lion et dragon. « Ne livrez point », dit le
Prophète, « au diable et à ses anges, une âme qui vous confesse ». Que le
serpent me dévore, si je goûte les choses de la terre, si je désire les biens
d’ici-bas, si j’attends encore les promesses de l’Ancien Testament, au mépris
du Nouveau qui est révélé. Maintenant que j’ai déposé tout orgueil, que je
connais non plus ma justice, mais votre grâce, que les bêles de l’orgueil
n’aient plus aucun pouvoir sur moi. « Ne livrez point aux bêtes une âme qui
vous confesse; et n’abandonnez point jusqu’à la fin les âmes des pauvres». Nous
étions riches, nous étions forts, mais, « vous avez desséché les fleuves
d’Etham ». Aujourd’hui, loin d’établir notre justice, nous reconnaissons votre
grâce, nous sommes dans l’indigence, exaucez vos mendiants. Nous n’osons lever
les yeux au ciel, mais nous frappons nos poitrines, en disant: « Seigneur,
soyez-moi propice, à moi qui suis un pécheur 2. N’oubliez pas jusqu’à la fin
l’âme de vos pauvres ».
23. « Jetez les yeux sur votre Testament 3».
Accomplissez ce que vous avez promis; nous avons le contrat, nous attendons
l’héritage. « Jetez les yeux sur votre Testament n, non plus sur l’Ancien: ce
n’est point la terre de Chanaan que je vous demande, ni une victoire temporelle
sur mes ennemis, ni cette fécondité charnelle qui me donnera beaucoup
d’enfants, ni des richesses de la terre, ni un salut passager: «Jetez les yeux
sur ce testament», qui nous promet le royaume des cieux. Je comprends
aujourd’hui votre Testament; Asaph en a l’intelligence, Asaph n’est plus
l’animal stupide; il comprend ce qui est écrit: « Voici venir des jours,dit le
Seigneur, et j’établirai avec la maison d’Israël et la maison de Juda, une
alliance nouvelle, non plus selon l’alliance que j’ai formée avec leurs pères
4. Jetez les yeux sur votre Testament, parce que des
1. Ps. XXXI,
4. — 2. Luc, XVIII, 13. — 3. Ps. LXXII, 20. — 4. Jérém. XXXI, 31, 32.
hommes ténébreux ont rempli sur votre terre
les maisons de l’iniquité ». Leurs coeurs étaient alors impies, car nos maisons
sont bien nos coeurs: c’est là que se plaisent ceux qui ont le coeur pur 1. «
Jetez donc les yeux sur votre Testament»; et que les restes soient sauvés 2:
car le grand nombre de ceux qui s’attachent à la terre, sont dans l’aveuglement
et absorbés par la terre. La poussière est entrée dans leurs yeux; elle les
aveugle, et ils sont devenus une poussière vaine qu’emporte le vent de la
surface de la terre 3. « Des hommes de ténèbres ont rempli sur la terre des
maisons d’iniquités». Ils n’ont vu que la terre et sont devenus aveugles; c’est
d’eux que le Psalmiste a dit ailleurs: « Que leurs yeux s’obscurcissent, et
qu’ils ne voient point, tenez leur dos toujours courbé 4.» Ils sont donc «
absorbés dans la terre, ces aveugles qui ont occupé sur la terre les demeures
de l’iniquité »: parce qu’ils avaient des coeurs iniques. Or, nos demeures,
avons-nous dit, sont nos coeurs. C’est là que nous habitons volontiers, quand
nous les purifions de toute injustice. C’est là qu’est la conscience mauvaise,
qui en repousse l’homme, et où Jésus-Christ ordonne au paralytique de rentrer,
après lui avoir remis ses péchés, et enjoint de porter son grabat: « Prenez
votre grabat, et allez en votre maison 5»: portez votre chair, et rentrez dans
votre conscience guérie. « Voilà que des aveugles ont rempli sur la terre des
maisons d’iniquité ». Ils sont aveugles et absorbés par la terre. Qui, ces
aveugles? Ceux dont le coeur est impie. Dieu les traite selon leurs coeurs.
24. « Que l’homme humble ne retourne point avec
confusion »; puisque l’orgueil a confondu les autres. « Le pauvre et l’indigent
béniront votre nom 6 ». Vous voyez, mes frères, combien doit être douce la
pauvreté; vous voyez que les pauvres et les indigents appartiennent à Dieu;
mais les pauvres d’esprit, parce que le royaume des cieux leur appartient 7.
Quels sont les pauvres d’esprit? Les humbles, ceux qui redoutent la parole de
Dieu, qui confessent leurs péchés; mais non ceux qui présument de leurs mérites
et de leur justice. Quels sont les pauvres d’esprit? Ceux qui louent Dieu du
bien qu’ils peuvent faire, qui s’accusent du mal qu’ils commettent. « Sur
1.
Matth. V, 8.— 3. Rom. II, 27.— 4. Ps. I, 4.— 5. Id. LXVIII, 24.— 6. Jean, V, 8.
— 7. Ps. LXXIII, 21. — 8. Matth. V, 3.
qui reposera mon esprit», dit le Prophète, «
sinon sur l’homme humble, paisible, et qui redoute ma parole 1? » Voilà donc
Asaph qui a l’intelligence, voilà qu’il ne s’attache plus à la terre, voilà
qu’il ne compte plus sur les promesses temporelles de l’ancienne alliance: il
se fait votre mendiant, votre pauvre; il a soif de vos fleuves, parce que les
siens sont desséchés. Telles sont ses dispositions, que ses espérances ne
soient point trompées: il a levé ses mains vers vous pendant la nuit, qu’il ne
soit point frustré dans son attente 2. « Que l’homme humble ne retourne point
dans la confusion: votre nom sera béni du pauvre et de l’indigent ». Ils
bénissent votre nom quand ils confessent leurs péchés, ils bénissent votre nom
quand ils soupirent après les promesses de l’éternité. Ce ne sont point les
hommes orgueilleux de leurs richesses, ni ceux qui se prévalent témérairement
de leur propre justice, ce ne sont point ceux-là qui béniront votre nom: qui
sera-ce donc? « Le pauvre et l’indigent ».
25. « Levez-vous, Seigneur, et vengez ma
cause 3 ». Je parais abandonné, parce que je n’ai point recueilli le fruit de
vos promesses. Voilà que mes larmes sont ma nourriture le jour et la nuit,
pendant que l’on me dit sans cesse: Où est donc ton Dieu 4? Et comme je ne puis
montrer mon Dieu, on me tourne en dérision comme si je suivais un fantôme. Non
seulement les païens, mais les Juifs, mais les hérétiques, mais souvent mes
frères de l’Eglise catholique, répondent par la raillerie, à la prédication des
promesses de Dieu, à l’annonce d’une résurrection à venir. On en voit même
aujourd’hui qui ont été régénérés dans l’eau du salut éternel, qui portent le
sacrement du Christ, et qui nous disent: Qui donc est ressuscité jusqu’à
présent? Depuis que j’ai enseveli mon père, je ne l’ai point entendu me parler
du fond du sépulcre. Dieu a donné sa loi à ses serviteurs, afin de les occuper
pour un temps; mais qui est revenu du tombeau? Que puis-je dire à ces hommes?
Leur montrerai-je ce qu’ils ne voient pas? Je ne puis; car Dieu ne se rendra
point visible pour les satisfaire. Qu’ils le fassent eux-mêmes, s’ils le
peuvent: qu’ils agissent, qu’ils s’efforcent; qu’ils changent Dieu, puisqu’ils
ne veulent point se changer eux-
1. Isa. LXVI, 2. — 2. Ps. LXXVI, 3. — 3. Id.
LXXII, 22. — 4. Id. XLI, 4.
mêmes. Qu’il voie Dieu, celui qui le petit
voir; qu’il croie en Dieu, celui qui ne saurait le voir: mais voir Dieu, est-ce
le voir des yeux? C’est le voir de l’intelligence, le voir du coeur. Ce n’était
point le soleil et la lune que voulait montrer Celui qui disait: « Bienheureux
ceux dont le coeur est pur, parce qu’ils verront Dieu 1 ». Que le coeur impur,
peu disposé à la foi, croie au moins ce qu’il ne peut voir. Je ne crois rien,
dit-il, que croirai-je donc? On voit aussi ton âme sans doute? insensé ! ton
corps est visible, enais ton âme, qui la verra? Mais puisqu’il ne paraît de toi
que ton corps, pourquoi ne pas l’ensevelir? Celte parole vous étonne: Pourquoi
ne pas t’ensevelir, puisqu’on ne voit que ton corps? C’est que je suis en vie,
réponds-tu, car tu te sens alors. Mais comment saurai-je que tu es en vie,
puisque je ne vois point ton âme? Comment le saurai-je? C’est que je parle, me
réponds-tu, c’est que je marche, c’est que j’agis. Insensé! les oeuvres de ton
corps me feront croire à la vie, et les oeuvres de la création ne te feront pas
croire au Créateur! Un autre me dira peut-être: après ma mort je ne serai
plus.rien c’est un lettré sans doute, qui a pris cette maxime dans Epicure,
dans ce je ne sais quel philosophe en délire, plus ami de l’orgueil que de la
sagesse, à qui les philosophes eux-mêmes ont donné le nom de pourceau: c’est
lui qui a placé le souverain bonheur dans les voluptés du corps, et il est
appelé pourceau, parce qu’il se vautrait dans le bourbier de la chair. C’est à
lui sans doute que notre savant a emprunté cette maxime: Après la mort, je ne
serai plus rien. Que les fleuves d’Etham soient desséchés; périssent ces
doctrines des Gentils; vivent les plantes de Jérusalem: qu’elles voient ce
qu’elles pourront voir, qu’elles croient du fond du coeur ce qu’elles ne
pourront voir. Assurément, tout ce que nous voyons aujourd’hui tians le monde
n’existait pas encore, quand le Seigneur opérait le salut au milieu de la
terre, et quand on faisait ces promesses: c’était alors le temps de la
prophétie: aujourd’hui que nous la voyons s’accomplir, l’insensé dit encore
dans son coeur: « Il n’y a point de Dieu 2 ». Malheur aux coeurs pervers; car
tout ce qui reste à s’accomplir, s’accomplira en effet, comme s’est accompli ce
qui ne l’était point encore au moment de la
1. Matth. V, 8. — 2. Ps. XIII, 1.
prophétie. Dieu, après avoir accompli toutes
ses promesses, nous aurait-il trompés sur le seul jour du jugement? Le Christ n’était
point autrefois sur la terre. Dieu nous l’a promis, Dieu nous l’a envoyé: une
vierge n’avait pas enfanté; Dieu nous l’a promis, il nous l’a montré: un sang
précieux n’avait pas été versé pour effacer la cédule de notre mort; Dieu nous
l’a promis, il nous l’a montré: la chair n’était pas encore ressuscitée pour la
vie éternelle; Dieu nous l’a promis, il nous l’a montré: les Gentils n’avaient
point encore embrassé la foi; Dieu nous l’a promis, et il nous l’a montré: les
hérétiques armés au nom du Christ, n’avaient pas encore combattu contre le
Christ; Dieu nous l’a prédit et il l’a montré: les idoles des nations n’étaient
point encore tombées à terre; Dieu l’a prédit et nous l’a montré: et quand il
accomplit tant d’événements qu’il a promis, il nous aura trompés uniquement an
sujet du jugement? Non, il viendra comme tout le reste est venu: avant leur
accomplissement, tous ces événements étaient à venir, ils ont été d’abord
annoncés, puis accomplis ensuite. Ce jour viendra donc, mes frères; que nul ne dise:
Il ne viendra point; ou bien: Il viendra, mais ce ne sera de longtemps. Mais il
est proche, le jour où tu sortiras de la terre. Qu’il nous suffise d’une
première erreur: si une fois déjà nous n’avons pu demeurer fermes dans le
précepte de Dieu, corrigeons-nous du moins par l’exemple. Le monde n’avait pas
eu d’exemple de la chute du genre humain, quand il fut dit à Adam: « Si tu
touches à ce fruit, tu mourras». Mais le serpent tortueux vint dire: « Tu ne
mourras point». L’homme crut au serpent et méprisa Dieu: l’homme crut au
serpent, toucha au fruit défendu, et mourut 1.La promesse de Dieu ne fut-elle
pas justifiée plutôt que la promesse de l’ennemi? Elle le fut en effet, nous le
savons: de là vient que nous mourons tous. Que cette expérience nous tienne sur
nos gardes. Aujourd’hui encore le serpent vient murmurer à notre oreille et
nous dire: Dieu voudrait-il damner les multitudes et ne sauver que le petit
nombre? Que signifie ce langage, sinon: Agissez contre le
1. Gen. II, 17; III, 4, 6, 19.
précepte, vous ne mourrez point? Mais
aujourd’hui comme alors, si nous cédons aux suggestions du diable pour mépriser
les préceptes du Seigneur, viendra le jour du jugement qui justifiera les
menaces de Dieu, et démentira les promesses de l’ennemi. «Levez-vous, Seigneur,
et jugez votre cause». Vous êtes mort, et mort dans les opprobres. On me dit:
Où est ton Dieu 1? « Levez-vous, et jugez ma cause ». Nul autre, en effet, que
celui qui est ressuscité d’entre les morts, ne doit venir nous juger. Il était
prédit qu’il viendrait, et il est venu, et les Juifs l’ont méprisé, dans son
séjour sur la terre; et maintenant qu’il est assis dans les cieux, de faux
chrétiens le méprisent. « Levez-vous, Seigneur, et jugez ma cause». Que je ne
périsse point, puisque j’ai cru en vous; j’ai cru ce que je n’ai point vu, que
mon espérance ne soit point trompée, que je recueille vos promesses. « Jugez ma
cause. Souvenez-vous des outrages de l’insensé, qui durent tout le jour ».
Aujourd’hui encore on insulte au Christ, et pendant tout le jour, ou jusqu’à la
fin des siècles, il y aura des vases de colère. On nous dit encore aujourd’hui:
les Chrétiens prêchent des chimères; on nous dit: la résurrection des morts est
une rêverie. « Jugez ma cause, et souvenez-vous de vos opprobres». Mais de quels
opprobres, sinon de « ceux que l’insensé vous prodigue pendant tout le jour? »
Est-ce en effet l’homme prudent qui parle ainsi. Prudent vient du latin porro videns, qui voit au loin. Si
l’homme prudent voit au loin, c’est la foi qui donne cette longue vue; car nos
yeux ne voient que peine devant nos pieds. « Pendant tout le jour ».
26. « N’oubliez pas la voix de ceux qui vous
invoquent 2», les gémissements de ceux qui soupirent après vos promesses dans
la Nouvelle Alliance, et qui marchent selon la foi. « N’oubliez pas la voix de
ceux qui vous invoquent». Mais ceux-là me disent encore: Où est ton Dieu? « Que
l’orgueil de vos ennemis s’élève toujours devant vous ». Gardez-vous d’oublier
cet orgueil. Aussi Dieu ne l’oublie-t-il point, mais il le châtie ou le
corrige.
1. Ps. XLI, 11. — 2. Id. LXXIII, 23.
SERMON AU PEUPLE.
Le but
auquel nous devons tendre, c’est la fin, ou Jésus-Christ qui doit nous juger,
et accomplir ainsi ses promesses. Mais pour arriver à Dieu, il faut nous
humilier, car Dieu ne s’approche du pécheur que quand celui-ci fait l’aveu de
ses fautes; et l’aveu est une humiliation volontaire, il purifie le temple où
doit venir le Seigneur. Le Prophète redouble ici ses expressions, afin de
confirmer sa pensée. Il a donc fait l’aveu de ses fautes, et seulement après
cet aveu il invoque le Seigneur. C’est l’Eglise qui parle ici dans son chef et
dans ses membres, quand il s’agit de la prédication; dans son chef seulement
quand il s’agit de juger les justices. Le Christ les jugera quand le temps sera
venu. Le temps sera pour celui qui gouverne le temps, parce qu’il viendra dans
son humanité. La terre s’est effondrée sous les péchés des hommes, le Christ en
a raffermi les colonnes ou les Apôtres que la résurrection confirma dans la
foi, et qui prêchèrent l’Evangile. C’est par eux que le Christ nous avertit de
pratiquer la justice, dit aux coupables de ne point s’enorgueillir, mais de
s’humilier par l’aveu. Gardons-nous de blasphémer le Seigneur par nos murmures,
de prendre sa patience pour l’impunité. Ne murmurons pas même intérieurement,
car Dieu pénètre les pensées les plus intimes de notre coeur. Nous lui
échappons en nous réfugiant en lui par la confession. Il abaisse l’orgueilleux
ou le Pharisien, il élève l’humble ou le Publicain qui avoue ses fautes. Dans
sa coupe est le vin pur du décalogue, les Gentils le boivent et sont raffermis;
et le vin trouble les enveloppes figuratives, que boivent les Juifs, et ils
s’affaissent. Il brisera les impies dont nous devons mépriser les honneurs,
élèvera les justes dont l’humilité doit nous plaire.
1. Ce psaume nous offre dans l’humilité un
remède contre l’enflure de l’orgueil, et donne aux petits la consolation de
l’espérance. Il prémunit les orgueilleux contre la présomption, et les humbles
contre la défiance envers le Seigneur. Les promesses divines, en effet, sont
invariables, certaines, inébranlables; elles sont fidèles et hors de doute,
consolantes pour l’affligé. Car « toute la vie de l’homme sur la terre», est-il
écrit, « est une épreuve sans fin ». Nous n’avons point à choisir, ou à
rechercher la prospérité, ou à fuir l’adversité seulement; l’une et l’autre
sont à craindre; l’une qui corrompt, l’autre qui abat; ainsi tout homme, quel
que soit son état en cette vie, n’a de refuge qu’en Dieu, et de joie qu’en ses
promesses. La vie, quelles qu’en soient les joies, est un leurre pour beaucoup,
Dieu ne trompe jamais. Tout homme qui se convertit à lui, ne fait que changer
de plaisir; car les délices ne lui sont point retranchées, mais changées:
ici-bas sans doute nos délices en Dieu ne sont point en réalité, mais
l’espérance que nous en avons est tellement certaine, qu’elle seule est
préférable à toutes les délices du monde, ainsi qu’il est écrit: « Mets tes
délices dans le Seigneur ». Mais ne t’imagine pas avoir déjà ce que Dieu
promet, car le Prophète ajoute aussitôt: « Et il t’accordera les désirs de ton
cœur 2». Mais si
1. Job, VII, 1. — 2.Ps. XXXVI, 4.
les désirs de ton coeur ne sont pas
rassasiés, comment te complaire dans le Seigneur, sinon parce que tu es assuré
des promesses qui le font ton débiteur? C’est donc pour affermir en nous
l’espérance de notre prière, et pour que nous entrions en possession des
promesses que Dieu nous a faites, que le titre du psaume porte: « Pour la fin,
ne corrompez pas». Qu’est-ce à dire: «Ne corrompez point? Exécutez ce que vous
avez promis. Mais quand? Pour la fin na. C’est bien là qu’il te faut diriger
l’oeil de ton esprit, « pour la fin ». Quoi que tu puisses rencontrer sur ta
route, passe outre, afin d’arriver à la fin. Que la félicité du temps fasse
tressaillir les orgueilleux, qu’ils s’enflent de leurs dignités, qu’ils
étincellent d’or, qu’ils scient escortés de serviteurs, environnés de clients:
tout cela passe et s’évanouit comme l’ombre. Quand viendra cette fin qui fait
la joie de tous ceux qui espèrent dans le Seigneur, il n’y aura pour ces hommes
qu’une tristesse sans fin. Quand les humbles recevront ce qui fait la risée des
méchants, l’enflure des superbes ne sera plus qu’un deuil. Alors s’accomplira
cette parole de la sagesse ils diront à la vue de cette gloire des saints,
jadis si patients quand on les humiliait, et si humbles quand on les élevait en
gloire, ils diront donc: « Voilà ces hommes que nous avons tournés en dérision
». Et ils (190) ajouteront: « De quoi nous a servi notre orgueil, et que nous
revient-il du faste de nos richesses? Tout s’est évanoui comme une ombre 1! »
Ils ont mis leur espoir dans des biens corruptibles, et cet espoir s’évapore;
le nôtre, au contraire, se réalisera. Car afin de laisser à la promesse de Dieu
son intégrité, sa stabilité, sa certitude, nous avons dit dans notre coeur et
avec confiance: « Pour la fin, ne corrompez point. » Ne craignez donc point
qu’un potentat vienne altérer les promesses de Dieu. Lui-même ne les altère
point, parce qu’il est véridique; et nul n’est plus puissant que lui pour faire
avorter ses promesses: la promesse de Dieu est donc certaine, et déjà nous
pouvons chanter ce premier verset du Psaume.
2. «Nous nous confesserons, Seigneur, nous «
nous confesserons, et nous invoquerons votre nom 2 ». Ne l’invoque pas avant
d’avouer tes fautes, fais d’abord cet aveu, tu invoqueras ensuite. Invoquer
Dieu, c’est l’appeler en toi: quel autre sens peut avoir invoquer? Si donc tu
l’invoques, ou situ l’appelles en toi, chez qui descend-il? Pas chez
l’orgueilleux. Il est élevé, et nul ne l’atteint en s’élevant. Pour atteindre
toute hauteur, il faut nous élever; et si nous ne pouvons y arriver, nous avons
recours aux machines ou aux échelles, afin de parvenir au faîte: Dieu, au
contraire, est élevé, et il n’y a que les humbles pour l’atteindre. Il est
écrit: « Le Seigneur est près de ceux qui ont un coeur contrit 3». Cette
contrition du coeur, c’est la piété, l’humilité. L’homme contrit se fâche
contre lui-même. Qu’il soit en guerre avec lui-même, afin d’être en paix avec
Dieu; qu’il soit son propre juge, afin d’avoir Dieu pour défenseur. Dieu vient
donc, si nous l’invoquons; mais chez qui vient-il? Jamais chez l’orgueilleux.
Ecoutez un autre témoignage: « Du haut de son trône, Dieu regarde les humbles,
il ne voit que de loin les orgueilleux 4. Ainsi le Seigneur jette les yeux sur
les humbles », mais non de loin, tandis que c’est de loin qu’il voit les
orgueilleux. Or, après avoir dit que Dieu voit les humbles, de peur que les
orgueilleux ne se rassurent dans l’impunité, comme si leur orgueil devait
échapper à celui qui habite au plus haut des cieux, le Prophète les effraie en
disant: Il
1.
Sag. V, 3,8,9.— 2. Ps. LXXIV, 2.— 3. Id. XXXIII, 19.— 4. Id. CXXXVII, 6.
vous voit, il vous connaît, mais de loin. Il
fait les délices de ceux dont il s’approche; pour vous, superbes, dit le
Prophète, hommes altiers, vous ne jouirez pas de l’impunité, car il vous voit;
mais vous n’aurez point le bonheur, il ne vous connaît que de loin. Voyez ce
que vous avez à faire: s’il vous connaît, il ne vous pardonnera point. Vous
épargner, vaudrait mieux pour vous que vous connaître. Qu’est-ce que vous
épargner, en latin ignoscere, sinon
ne pas vous connaître, non noscere?
Que signifie ne pas vous connaître? n’avoir point l’esprit contre vous, non animadvertere, car l’animadversion
se dit d’un homme qui châtie. Ecoutez le Prophète, qui demande à Dieu de
l’épargner: « Détournez votre face de mes péchés 1». Que feras-tu donc, si le
Seigneur détourne de toi son visage? Voilà qui est fâcheux, il est à craindre
qu’il ne t’abandonne. Mais que Dieu ne détourne point son visage, c’est
l’animadversion. Dieu nous comprend, il a le pouvoir et de détourner sa face du
pécheur, et de ne point la détourner de l’homme pénitent. Aussi est-il dit
quelque part: « Détournez votre face de mes péchés »; et ailleurs: « Ne
détournez point de moi votre visage 2 ». Ici, détournez-la de nies péchés; là,
ne la détournez point de moi: confesse donc ton péché, et invoque le Seigneur.
C’est par l’aveu que tu purifies le temple où viendra le Seigneur, sur ton
invocation. Qu’il détourne sa face de ton péché, mais non de toi: qu’il
détourne sa face de ce que tu as fait, mais non de ce qu’il a fait lui- même.
En toi il a fait l’homme, et tu as fait tes péchés. Confesse-les donc, et
invoque le Seigneur; dis-lui: « Nous vous confesserons, Seigneur, nous vous
confesserons nos fautes ».
3. Cette répétition devient ici une
confirmation; ainsi ta confession ne te cause aucun repentir. Celui qui reçoit
cet aveu n’est point un Dieu cruel, ni vindicatif, mi insulteur: confesse-toi
sans crainte. Ecoute celte autre parole encourageante du psaume: «
Confessez-vous au Seigneur, parce qu’il est bon 3 ». Qu’est-ce à dire, « parce
qu’il est bon? » Pourquoi redouter l’aveu? Le Seigneur est bon, il pardonne à
celui qui avoue. Crains d’avouer devant un homme qui est le juge, de peur qu’il
ne te châtie, mais non devant Dieu; l’aveu te le rendra propice, et
1.
Ps. L, 11.— 2. Id. XXVI, 9. — 3. Id. CV, 1; CV, 1
ta négation ne lui déroberait pas ta faute. «
Nous vous confesserons, Seigneur, nous vous confesserons, nous invoquerons avec
confiance votre saint nom ». Nous avons épuisé nos coeurs par la confession;
vous nous avez jetés dans l’effroi et purifiés. L’aveu nous humilie;
approchez-vous des humbles, ô vous qui vous éloignez des superbes. En beaucoup
d’endroits de l’Ecriture, nous voyons, dans la répétition, une confirmation de
la pensée. De là cette locution de Notre Seigneur: « En vérité, en vérité 1».
De là vient que dans plusieurs psaumes, nous lisons: «Ainsi soit-il, ainsi
soit-il 2 ». Une seule fois suffisait pour le sens, la répétition n’est qu’une
manière de le corroborer. Pharaon, roi d’Egypte, vous le savez, pendant que Joseph
était en prison pour avoir aimé la chasteté, Pharaon, dis-je, eut un songe:
sept vaches grasses qui furent dévorées par sept vaches maigres; et ensuite
sept épis pleins dévorés par sept épis grêles. Or, quelle interprétation donna
Joseph? S’il vous en souvient, ce n’étaient point là deux songes, mais une même
vision. « Il n’y a », dit Joseph, «qu’un même sens: la seconde vision»,
ajouta-t-il, « vient confirmer la première 3». Je vous fais ces réflexions,
afin que la répétition, dans le langage des saintes Ecritures, ne vous
apparaisse point comme un besoin de parler. Souvent, en effet, la répétition
n’est qu’une confirmation de la pensée. « Mon coeur est prêt, Seigneur », dit
le Prophète, « mon coeur est prêt 4». Ailleurs il s’écrie: « Attends le Seigneur,
agis avec courage, raffermis ton coeur, et attends le Seigneur 5 ». Il y a dans
les Ecritures une foule de répétitions semblables. Qu’il nous suffise de vous
avoir expliqué cette manière de parler, pour observer cette règle en semblable
rencontre. Revenons maintenant à notre Psaume: « Nous vous confesserons », dit
le Prophète, « et nous en appellerons à nous». Je vous ai dit pourquoi l’aveu
précède ici l’invocation. Invoquer, c’est inviter. Or, le Seigneur ne se rendra
pas à ton invitation, si tu es orgueilleux; et si tu es orgueilleux, tu ne
pourras faire l’aveu de tes fautes. Or, tu ne caches rien à Dieu qu’il ne
sache, et ton aveu ne lui apprend rien; seulement il te purifie.
4. Le Prophète a donc avoué ses fautes, il
1. Jean, 1,51.— 2. Ps. LXXI, 19; LXXXVIII,
53. — 3. Gen. XLI, 1—32. — 4. Ps. LVI, 8. — 5. Id. XXXVI, 14.
a invoqué, ou plutôt, ils ont avoué, ils ont
invoqué; et il est dit au nom d’un seul: « Je raconterai toutes vos merveilles
». Son aveu l’a déchargé de ses misères, l’invocation l’a comblé de biens, et
il répand ces biens avec sa parole. Remarquez-le, mes frères, le Prophète parle
au nom de plusieurs, quand il s’agit d’avouer ses fautes: « Nous vous
confesserons, Seigneur, nous vous confesserons, et nous invoquerons votre nom
». Les coeurs sont multiples pour l’aveu, ils ne sont qu’un pour croire.
Pourquoi sont-ils plusieurs pour l’aveu, un seul pour la foi? C’est que les
hommes confessent des péchés différents, et qu’ils n’embrassent qu’une même
foi. Or, quand le Christ sera venu habiter dans l’homme intérieur par la foi 1,
quand le Dieu invoqué aura pris possession du coeur qui fait l’aveu; alors le
Christ sera tout entier dans son chef et dans son corps, il sera un dans
plusieurs membres, Ecoutez donc ces paroles du Christ; car jusqu’alors elles ne
paraissaient point lui appartenir: « Nous vous confesserons, Seigneur, nous
vous confesserons, nous invoquerons votre nom 2. » Voici donc les paroles de
notre chef. Or, que le chef parle, ou bien les membres, c’est le Christ qui
parle: tantôt au nom dit chef, tantôt au nom des membres. Qu’est-il dit en
effet? « Ils seront deux dans une seule chair. Ce sacrement est grand, et moi,
je le dis, dans le Christ et dans l’Eglise 3 ». Et le Sauveur a dit lui-même
dans l’Evangile: « Ils ne sont donc plus deux, mais une seule chair 4». Pour
nous faire comprendre qu’il y a ici deux personnes en quelque sorte, et qui
n’en font plus qu’une seule par l’union du mariage; voilà qu’un seul nous dit
en lsaïe: « Il m’a mis, comme à un époux, une couronne sur la tête, et m’a paré
de pierreries comme une épouse 5». L’époux se dit du chef, et l’épouse du
corps. C’est donc un seul qui parle, écoutons-le, et nous aussi parlons avec
lui. Soyons ses membres, afin que sa voix soit aussi la nôtre. « Je publierai
», dit-il, « toutes vos merveilles ». Le Christ s’annonce lui-même, et il
s’annonce par ceux qui sont déjà ses membres, et qui en amènent d’autres, afin
que ceux qui n’en étaient pas encore, s’approchent de Dieu, et prennent place
parmi ces membres qui ont déjà prêché l’Evangile;
1. Ephés. III, 17. — 2. Ps. LXXIV, 2.— 3.
Gen. II, 24; Ephés. V, 31, 32. — 4. Matth. XIX, 6. — 5. Isa. LXI,
10.
alors il n’y aura plus qu’un seul corps sous
un seul chef, dans un même esprit, dans une même vie.
5. Que dit-il donc? « Quand le temps sera
venu » dit-il, « je jugerai les justices 1». Quand jugera- t-il les justices?
Quand le temps sera venu. Le temps n’est donc pas venu; bénissons sa divine
miséricorde qui prêche d’abord la justice, et ensuite juge les justices. Car
s’il eût voulu juger avant d’avoir prêché, qui trouverait-il à sauver? Qui
pourrait-il absoudre? C’est donc maintenant le temps de la prédication: « Je
raconterai », dit-il, « toutes vos merveilles ». Ecoule son récit, écoute sa
prédication: car si tu le méprises: « Quand le temps sera venu », dit-il, « je
jugerai les justices ». Je pardonne maintenant, dit-il, à celui qui fait l’aveu
de ses fautes, je ne pardonnerai point à celui qui l’aura dédaigné. « Je
chanterai en votre honneur,ô mon Dieu, la miséricorde et le jugement 2 »,
dit-il dans un autre psaume. « La miséricorde et « le jugement ». C’est
maintenant « la miséricorde », et après « le jugement»; la miséricorde qui
pardonne les fautes, le jugement qui les châtie. Veux-tu ne point redouter 1e
vengeur des crimes? Aime celui qui pardonne, ne rejette point ses faveurs, ne
t’élève point, ne dis point: je n’ai rien à me faire pardonner. Ecoute ce qui
suit: « Quand j’aurai reçu le temps, je jugerai les justices ». Est-ce au
Christ que le temps doit échoir? ou, le Fils de Dieu reçoit-il le temps? Le
temps n’est pas pour le Fils de Dieu, mais c’est le Fils de l’homme qui a reçu
le temps. Lui-même est tout à la fois le Fils de Dieu par qui nous avons été
faits, et le Fils de l’homme qui nous a refaits. Il a revêtu l’humanité, mais
sans se dépouiller; c’est l’homme qui a été élevé à un état supérieur, mais lui
n’a pas été amoindri. Il n’a point cessé d’être ce qu’il était, il a pris ce
qu’il n’était pas. Qu’était-il? « Ayant eu la nature de Dieu, il n’a point cru
faire usurpation en s’égalant à Dieu ». Ainsi dit l’Apôtre. Et qu’a-t-il reçu?
«Il s’est anéanti, et a pris la forme de l’esclave 3 ». Il a donc pris le temps
comme il a pris la forme de l’esclave. Il a donc été changé, diminué,
rapetissé, il est tombé en quelque défaut? Loin de là. Comment donc « s’est-il
anéanti en prenant la forme de l’esclave? » Il a paru s’anéantir parce qu’il a
pris une forme moindre, non
1. Ps. LXXIV, 3. — 2. Id. C, 1. — 3. Philip.
II, 6, 7.
qu’il soit déchu de son égalité avec Dieu.
Que signifie donc, mes frères, cette parole: « Quand j’aurai reçu le temps, je
jugerai les justices? » Fils de l’homme, il a reçu le temps; Fils de Dieu, il
gouverne le temps. Ecoute comment, Fils de l’homme, il a reçu le temps pour
juger. Nous lisons dans l’Evangile: « Dieu lui a donné la puissance de rendre
des jugements, parce qu’il est le Fils de l’homme 1». Comme Fils de Dieu, il
n’a pas reçu la puissance de juger, car il n’a jamais été privé de ce pouvoir
judiciaire: mais comme Fils de l’homme, le temps lui a été assigné pour naître
et pour souffrir, comme pour mourir, pour ressusciter, pour monter au ciel,
enfin pour venir juger le monde. Ce langage est aussi celui de ses membres, car
il ne doit pas juger sans eux; et il est dit dans l’Evangile: « Vous serez assis
sur douze eu trônes, jugeant les douze tribus d’Israël 2.» C’est donc
Jésus-Christ tout entier, dans son chef, et dans ses membres ou dans les
saints, qui dit: « Quand le temps sera venu pour moi, eu je jugerai les
justices ».
6. Qu’arrive-t-il maintenant? « La terre
s’est effondrée ». Comment la terre a-t-elle pu s’effondrer, sinon à cause des
péchés? Aussi pécher s’appelle encore défaillir, et défaillir signifie en
quelque sorte déchoir de la solidité, de la force, de la justice et de la
vertu, pour se répandre comme l’eau. Ce n’est que par l’amour des biens
inférieurs que nous péchons: de même que la force, pour nous, est dans l’amour
des biens supérieurs, de même l’amour des biens d’ici-bas est use défaillance
et comme une dissolution. Voyant l’homme s’effondrer ainsi dans le péché, le
Dieu de la clémence et du pardon, le Dieu qui pardonne le péché sans le châtier
encore, s’écrie: « La terre s’est effondrée, ainsi que eu ses habitants 3 ».
C’est la terre qui s’est effondrée dans ceux qui l’habitent. Le Prophète
explique, au lieu d’ajouter. Comme si tu disais: Comment la terre s’est-elle
effondrée? En a-t-on dérobé les fondements, et ne trouvant plus qu’un vide, s’y
est-elle abîmée? Ce que j’appelle la terre désigne « tous ceux qui l’habitent
». J’ai trouvé, dit-il, une terre pécheresse. Et qu’ai-je fait? « J’en ai
affermi les colonnes ». Quelles colonnes a-t-il affermies? Ce qu’il appelle
colonnes, ce sont les Apôtres. Ainsi saint Paul, parlant des autres
1. Jean, V, 27, — 2. Matth. XIX, 28. — 3. Ps.
LXXIV, 4.
Apôtres, disait: « Ceux qui paraissaient être
les colonnes 1». Mais que seraient ces colonnes, si Dieu ne les eût affermies?
Car elles furent ébranlées par un certain mouvement de la terre, et le
désespoir s’empara de tous les Apôtres, à la passion du Sauveur. Ces colonnes
donc ébranlées par la passion du Sauveur, se raffermirent à sa résurrection. Le
fondement de l’édifice cria par ces colonnes, et dans toutes ces colonnes, ce
fut l’architecte qui parla. L’apôtre saint Paul était une de ces colonnes,
quand il disait: «Est-ce que vous voulez éprouver la puissance du Christ qui
parle en moi 2? » C’est donc « moi », dit le Sauveur, « qui en ai raffermi les
colonnes »: je suis ressuscité, j’ai montré que la mort n’était point à
craindre, j’ai prouvé à ceux qui la craignaient, que le corps même ne périt t
oint par la mort. Mes blessures les effrayaient, mes cicatrices les ont
rassurés. Le Christ pouvait ressusciter sans porter aucune cicatrice: était-ce
trop en effet pour sa puissance, de rétablir son corps dans une intégrité si
parfaite, qu’il ne parût aucune trace de ses anciennes plaies? Il avait sans
doute le pouvoir de guérir ses plaies sans cicatrice, mais il voulut à ces
marques rétablir ces colonnes chancelantes.
7. Nous avons entendu, mes frères, qu’il ne
cesse pas un jour de parler; écoutons ce qu’il nous crie par ces colonnes. Il
est temps d’écouter et de trembler à cette parole: « Quand le temps sera venu,
je jugerai les justices 3». Le temps de juger les justices viendra pour lui;
pour vous est venu le temps de pratiquer la justice. S’il se taisait, vous ne
pourriez faire aucun bien; mais il crie par ses colonnes raffermies. Que
crie-t-il? « J’ai dit aux injustes: Ne commettez pas l’injustice ». Il crie
donc, mes frères, et vous criez aussi certainement; vous prenez plaisir
d’entendre ses cris. C’est par lui que je vous en conjure, laissez-vous
effrayer par cette voix; car j’ai bien moins lieu de me réjouir de vos
applaudissements, que vous d’être effrayés de ces paroles. « J’ai dit aux injustes:
Ne commettez point l’injustice ». Mais ils l’avaient déjà commise, et ils sont
coupables: « la terre s’est effondrée avec ceux qui l’habitent », ils sont
touchés de repentir, ceux qui ont mis à mort le Sauveur, ils ont reconnu leur
péché, ils ont appris des Apôtres
1.
Gal. II, 9. — 2. II Cor. XIII, 3. — 3. Ps. LXXIV, 5.
ne point désespérer leur pardon de celui qui
prêche 1. Il était médecin Celui qui était venu, aussi n’était-il point venu
pour ceux qui avaient la santé. « Ce ne sont pas », avait-il dit, « ceux qui se
portent bien qui ont besoin du médecin, mais les malades. Je ne suis point venu
appeler les justes, mais les pécheurs à la pénitence 2». Donc « j’ai dit aux
injustes: Ne commettez point l’injustice », et ils n’ont pas entendu. Voilà ce
qui nous fut dit en effet autrefois: nous n’avons pas entendu, nous sommes
tombés, nous sommes devenus mortels, engendrés dans la mort: « la terre s’est
effondrée ». Afin de se relever, qu’ils écoutent du moins le médecin qui est
venu près du malade: en santé ils ont refusé de l’écouter pour éviter la chute,
maintenant qu’ils sont couchés à terre, qu’ils l’écoutent pour se relever. «
J’ai dit aux injustes: Ne commettez pas l’injustice ». Que faire? nous l’avons
commise. « Et vous, pécheurs, ne levez point votre tête orgueilleuse».
Qu’est-ce à dire? Si vous avez commis l’iniquité par convoitise, ne la défendez
point par orgueil; accusez-vous si vous l’avez commise. C’est lever la tête,
qu’être coupable sans l’avouer. « J’ai dit aux injustes: Ne commettez point l’injustice;
et aux coupables: Ne levez point la tête ». Le Christ élèvera sa force au
milieu de vous, si vous n’élevez point la vôtre. Votre force vient de
l’iniquité, la force du Christ vient de sa majesté.
8. « Ne vous élevez donc pas; ne proférez
point contre Dieu l’iniquité 3 » Ecoutez ces paroles d’un grand nombre, que
chacun de vous écoute, et soit touché de repentir. Que disent ordinairement les
hommes? Est-il vrai que Dieu jugera les actions des hommes? Est-ce là
l’occupation de Dieu? Aurait-il souci de ce que l’on fait sur la terre? Tant
d’hommes injustes sont dans la prospérité, tant d’innocents dans la douleur!
Or, comme Dieu voulait t’avertir et te corriger, et qu’il lui est arrivé je ne
sais quoi de fâcheux, qui lui découvre sa conscience, et lui fait comprendre
qu’il est juste pour lui de souffrir à cause de ses péchés: d’où lui viennent
ses arguments contre Dieu? Comme il ne peut dire: Je suis juste, que
pensez-vous qu’il va dire? Il y en a de plus pécheurs que moi qui ne souffrent
pas ainsi. Voilà l’iniquité des murmures de l’homme contre Dieu. Comprenez-en
vous-
1.
Act. II, 37, 38. — 2. Matth. IX, 12, 13. — 3. Ps. LXXIV, 6.
mêmes l’injustice: afin de paraître juste, il
accuse Dieu d’injustice. Dire, en effet: C’est injustement que je souffre, c’est
accuser d’injustice Celui qui juge à propos de me soumettre à la douleur, et
déclarer juste celui qui souffre injustement. J’en appelle à vous, mues frères,
est-il bien que l’iniquité soit pour Dieu, la justice pour vous? Parler de la
sorte, c’est proférer l’iniquité contre Dieu.
9. Que dit le Seigneur dans un autre Psaume?
«Voilà votre oeuvre», dit-il, après avoir énuméré plusieurs fautes, et
néanmoins je me suis tu ». Qu’est-ce à dire: « Je me suis tu? » Dieu ne se tait
jamais en précepte, muais quelquefois en châtiment: il diffère sa vengeance, et
ne prononce pas l’arrêt contre le coupable. Mais ce coupable dit alors: J’ai
commis telle et telle faute, et Dieu ne m’a point châtié, me voilà en santé,
rien de fâcheux ne m’est arrivé. « Voilà ce que tu as fait, et j’ai gardé le
silence: tu m’as soupçonné d’être injuste et de te ressembler ». Qu’est-ce à
dire, « de te ressembler? » Parce que tu es injuste, tu m’as cru injuste aussi;
tu m’as regardé comme l’approbateur, et non comme l’ennemi, le vengeur de tes
crimes. Que dit ensuite le Seigneur? « Je t’en convaincrai, et je t’exposerai
toi-même à tes propres yeux 1 ». Qu’est-ce que cela signifie? Que maintenant,
dans tes péchés, tu te dérobes à toi-même, tu ne te vois point, tu ne te
considères point. Je te mettrai donc en face de toi-même, tu seras pour toi un
supplice. C’est ainsi qu’il est écrit ici: « Ne dites point l’iniquité contre
Dieu». Remarquez, mes frères, beaucoup profèrent cette iniquité, mais ils
n’osent le faire ostensiblement, de peur que les hommes de bien n’aient horreur
de leurs blasphèmes; mais dans leurs coeurs, ils rongent ces pensées, ils s’en
font intérieurement un aliment abominable; ils prennent plaisir à parler ainsi
contre Dieu, et si la langue ne fait point d’éclat, le coeur n’est point muet.
De là vient cette parole d’un autre Psaume: « L’insensé a dit dans son coeur:
Dieu n’est point 2 ». « L’insensé l’a dit»; mais il a craint les hommes; il n’a
osé le dire où les hommes l’auraient entendu; jamais il l’a dit dans son coeur
où l’entendait Celui qu’il blasphémait. Aussi voyez, mes bien-aimés,le
Prophète, après avoir dit dans notre psaume: « Ne proférez point l’iniquité
contre Dieu », voit que beaucoup
1. Ps. XLIX, 21. — 2. LI, XIII, 1.
en agissent ainsi dans leurs coeurs, et il
ajoute: « Car ni dans l’Orient, ni dans l’Occident, ni dans les déserts des
montagnes, Dieu « n’est absent, partout il est juge 1». Dieu jugera vos
iniquités, car s’il est un Dieu, il est présent partout. Comment te dérober aux
yeux de Dieu; où iras-tu pour qu’il n’entende point tes blasphèmes? Si Dieu
juge dans l’Orient, va dans l’Occident, et dis contre lui ce qu’il te plaira:
s’il ne juge que dans l’Occident, va dans l’Orient, et parle à ton aise: s’il
juge dans les déserts des montagnes, va au milieu des peuples, afin d’y
murmurer sans crainte. Mais Dieu n’a pus un lieu spécial pour juger les hommes,
il est caché partout, et partout il est visible; nul ne peut le connaître tel
qu’il est, et nul ne peut le méconnaître. Prends guide à ce que tu fais. Tu
blasphèmes le Seigneur; mais « l’Esprit du Seigneur a remplit toute la terre »,
est-il dit dans un autre endroit de l’Ecriture, « et Celui qui contient tout, a
la science de la parole: de là vient que le blasphémateur ne lui est pas
inconnu 2 ». Ne t’imagine donc pas que Dieu soit en certains lieux: il est avec
toi tel que tu es toi-même. Qu’est-ce à dire, tel que tu es toi-même? Bon, si
tu es bon; tu le croiras méchant, si tu es méchant; un Dieu secourable, si tu
es bon; un Dieu vengeur, si tu es méchant. Ton juge est donc dans le secret de
ton coeur. Pour faire le mal, tu fuis le public, tu rentres chez toi où nul
ennemi ne te verra; tu évites même chez toi les endroits les plus exposés, qui
seraient le plus en vue tu vas dans le lieu le plus secret, encore là tu
redoutes un témoin, tu te renfermes dans ton coeur, pour y méditer à l’aise:
mais Dieu pénètre plus avant que ton coeur. En quelque lieu que tu fuies, Dieu
s’y trouve. Comment te fuir toi-même? Ne te suivras-tu point partout où tu
iras? Mais lorsque Dieu est plus en toi que toi-même, où fuir un Dieu irrité,
sinon en s’abritant sous sa miséricorde? Tu n’as donc point à fuir; veux-tu lui
échapper? Fuis en lui-même. Donc, ne proférez plus l’iniquité contre Dieu, pas
même où vous le faites d’ordinaire. « Dans son lit», dit le Prophète, «
l’ennemi a médité l’injustice 3 ». Qu’a-t-il médité dans son lit? Ce lit, c’est
son coeur, ainsi que le dit le Prophète: « Offrez un sacrifice de justice, et
espérez daims le Seigneur ». Et déjà il avait dit: « Dites dans vos coeurs,
1. Ps. LXXIV,
7, 8. — 2. Sag. I, 7, 8. — 3. Ps. XXXV, 5,
et soyez dans vos lits percés de componction
1 ». Autant de fois le péché a stimulé votre coeur, autant de fois il vous faut
sentir l’aiguillon de l’aveu. Dans le lieu même où tu as proféré l’iniquité
contre Dieu, c’est là qu’il te juge: et ce n’est point le jugement qui est
différé, mais le châtiment. Il te juge, il te connaît, il te voit; il ne reste
plus que le châtiment; or, ce châtiment il te l’infligera, quand il sera en ta
présence, et quand apparaîtra cette face majestueuse de Celui qui a été tourné
en dérision, jugé, crucifié, amené devant un tribunal: lorsque tu seras en
présence de cette majesté redoutable, c’est alors que tu subiras ton châtiment,
si tu ne t’es corrigé. Que nous faut-il donc faire? Prévenons sa face par un
humble aveu, en exomologesei 2. «. Préviens-le par la confession, et
alors viendra dans sa douceur Celui dont nous avons excité la colère. « Ni loin
des déserts des montagnes, parce que Dieu est juge». Ni loin de l’Orient, ni
loin de l’Occident, ni loin des déserts, des montagnes: pourquoi? « Parce que
Dieu est juge ». S’il était en quelque lieu, il ne serait plus Dieu or, comme
Dieu est un juge, et non pas un homme, ce n’est pas de quelque lieu qu’il faut
l’attendre. Tu seras toi-même sa demeure, situ es bon, si tu l’invoques en
confessant tes fautes.
10. « Il abaisse l’un pour élever l’autre ».
Quel est celui qu’abaisse un tel juge, et quel est celui qu’il élève? Voyez ces
deux hommes dans le temple, et voyez celui qu’il humilie, et celui qu’il élève,
« Deux hommes », dit le Sauveur, « un pharisien et un publicain, montèrent au
temple pour prier »; le pharisien disait: « Je vous rends grâces de ce que je
ne suis pas comme les autres hommes, injustes, voleurs, adultères, ni même
comme ce publicain je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de ce que je
possède ». Il venait trouver le médecin, et il montrait ses membres pleins de
santé, et cachait ses plaies. Mais que fait cet autre qui sait mieux prendre le
moyen d’être guéri? « Le publicain se tenait au loin, et se frappait la
poitrine ».Vous le voyez debout et au loin, et pourtant il est proche de celui
qu’il invoquait. « Et il frappait sa poitrine en disant: Mon Dieu, soyez-moi
propice, à moi pécheur. En vérité, je vous le déclare, le publicain s’en
retourna plus juste que le Pharisien; parce que tout
1. Ps. IV, 6,5.— 2. Id. XCIV, 2.
homme qui s’élève sera abaissé, et tout homme
qui s’abaisse sera élevé 1 ». Voilà, mes frères, l’explication de ce verset du
psaume. Que fait Dieu dans sa justice? « Il abaisse l’un, et élève l’autre »:
il humilie les orgueilleux, pour élever les humbles.
11. « Dans la main du Seigneur est une coupe
d’un vin pur et néanmoins mélangé ». Cela est bien injuste. « Il en verse à
l’un et à l’autre; et toutefois la lie ne tarit point, tous les pécheurs de la
terre en boiront 2 ». Renouvelez quelque peu votre attention: il y a ici de
l’obscurité; mais, comme il vient de nous être dit dans l’Evangile: « Demandez
et l’on vous dominera; cherchez et e vous trouverez; frappez et l’on vous
ouvrira 3 ». Mais, diras-tu, ou frapper afin que l’on m’ouvre? « Ni à l’Orient,
ni à l’Occident, ni dans les déserts des montagnes, parce que Dieu est juge ».
Si donc il est présent ici et là, s’il n’est absent d’aucun lieu, frappe où tu
es, sois debout, car on est debout pour frapper. Que signifie donc notre
verset? Voici la première difficulté: « Un vin pur, et néanmoins mélangé ».
S’il y a « mélange », comment est-il « pur? » Du reste, que « cette coupe soit
dans la main du Seigneur », je m’adresse à des fidèles instruits dans l’Eglise
du Christ, et qui ne se représentent pas intérieurement l’image de Dieu sous
une forme humaine, qui ne se font point d’idoles dans leurs coeurs, maintenant
que les temples sont fermés. Ce calice a donc une signification, et nous
l‘examinerons. « En la main du Seigneur », ou plutôt en sa puissance, car sa
main signifie son pouvoir; comme on dit souvent des hommes: Il l’a sous la main
c’est-à-dire, cela est en son pouvoir, il le fait à soin gré. « Cette coupe est
donc pleine d’un vin pur et néanmoins trouble ». Le Prophète nous donne ensuite
cette explication: « Il verse », dit-il, « à l’un et à l’autre, et la lie ne
tarit point». Voilà pourquoi le vin est mélangé. Ne vous étonnez point que le
vin soit tout à la fois pur et mélangé; il est pur à cause de son intégrité, il
est trouble à cause de sa lie. Mais qu’est-ce que ce vin, et cette lie?
Pourquoi « verser à l’un et à l’autre », de manière à ne point tarir la lie?
12. Rappelez-vous ce qu’il a dit plus haut: «
Il abaisse l’un, il élève l’autre ». C’est ce
1. Luc, XVIII, 10-14. — 2. Ps. LXXIV, 9.— 3.
Matth, VII, 7.
qu’ont figuré dans l’Evangile ces deux
hommes, l’un pharisien, et l’autre publicain; et dans un sens plus large,
voyons ici deux nations, les Juifs et les Gentils; le peuple juif sera le
pharisien, le peuple des Gentils le publicain. Les Juifs se vantaient de leurs
mérites, les Gentils confessaient leurs péchés. Il peut me comprendre celui qui
a lu dans les Ecritures les lettres apostoliques, et les actes des Apôtres: et
pour abréger, il voit comment les Apôtres exhortaient les Gentils à ne point
désespérer, à la vue des grands désordres de leur vie; et comment ils
réprimaient les Juifs qui se glorifiaient dans les justifications de la loi,
qui se regardaient eux-mêmes comme justes, et les Gentils comme des pécheurs,
parce que les Juifs avaient une loi, un temple, et un sacerdoce 1. Quant à ces
idolâtres, qui rendaient un culte aux démons, ils étaient loin de Dieu, comme
ce publicain qui se tenait éloigné dans le temple. Mais les Juifs se sont
éloignés de Dieu par leur orgueil, commue les Gentils sont revenus à lui par
l’humble aveu. Je vous dirai donc ce qu’il plaira au Seigneur sur «ce calice
qui est en sa main, et plein d’un vin pur ». Un autre pourra vous donner un
sens meilleur; telle est en effet l’obscurité de ce passage, qu’il est
difficile de s’accorder sur un sens unique. Et toutefois, quelque sens que l’on
y donne, pourvu qu’il s’accorde avec les règles de la foi, nous n’aurons ni
envie contre les plus habiles, ni désespoir dans notre humilité. Je dirai donc
à votre charité ce qui me vient à l’esprit, sans empêcher de prêter l’oreille à
ceux qui pourront mieux dire. « Cette coupe d’un vin pur et pourtant eu trouble
», me paraît être la loi, qui fut donnée aux Juifs, et toute cette Ecriture
qu’on appelle ancienne alliance; c’est là que s’embarrassent toutes les
interprétations. C’est là, en effet, qu’est caché le Nouveau Testament, comme
enveloppé dans la lie des cérémonies légales. La circoncision de la chair est
le symbole d’un grand mystère, et nous fait comprendre la circoncision du
coeur. Ce temple de Jérusalem, est le symbole d’un grand mystère, et nous
désigne le corps du Sauveur. La terre des promesses nous marque le royaume des
cieux. L’offrande des victimes et des animaux était un grand symbole: mais tous
ces sacrifices différents ne désignaient qu’un seul et même sacrifice, que le
1. Rom, III, 4.
Seigneur, victime unique sur la croix: ce
seul sacrifice a remplacé tous les autres, parce que tous les autres n’en
étaient que la figure, c’est-à-dire le désignaient comme des symboles. Le
peuple juif a donc reçu la loi, il a reçu des commandements justes et bons.
Quoi de plus juste que ces préceptes: « Vous ne tuerez point; vous ne
commettrez point la fornication; vous ne déroberez point; vous ne direz point
de faux témoignage; honorez votre père et votre mère; vous ne désirerez point
le bien du prochain; vous ne convoiterez pas l’épouse de votre prochain; vous
adorerez un seul Dieu, et ne servirez que lui seul 1 ». Tout cela constitue
leur vin. Les autres préceptes charnels sont en quelque sorte descendus au
fond, pour demeurer chez les Juifs, et afin qu’il en découlât un sens tout à
fait spirituel. « Cette coupe alors en la main du Seigneur », ou en la
puissance du Seigneur, « est d’un vin pur », c’est la sainteté de la loi, « et
néanmoins troublé »; c’est-à-dire mélangé avec la lie du symbole charnel. Or,
comme « il humilie celui-ci », ou le juif orgueilleux, « et abaisse celui-là »,
ou le gentil qui s’humilie: « Il a versé sur l’un et sur l’autre »,
c’est-à-dire du peuple juif, sur le peuple païen. « Toutefois la lie n’est pas
épuisée », parce que toutes les enveloppes charnelles sont demeurées chez les
Juifs. «Tous les pécheurs de la terre en boiront »; Qui en boira? « Tous les
pêcheurs de la terre ». Quels pécheurs de la terre? Les Juifs étaient pécheurs
à la vérité, mais orgueilleux: les Gentils étaient pécheurs aussi, mais
humbles. « Tous les pécheurs boiront »; mais vois pour qui la lie, et pour qui
le vin pur. Car les uns se sont affaissés en buvant la lie, les autres se sont
justifiés en buvant le vin; ils se sont même enivrés, j’ose le dire sans
crainte; et puissiez-vous tous avoir cette ivresse. Souvenez-vous de cette
parole: «Que votre calice est enivrant et délicieux 2! » Eh quoi! mes frères,
pensez-vous qu’ils n’étaient pas dans l’ivresse, tous ceux qui ont voulu mourir
tour Jésus-Christ? Ils étaient ivres au point de méconnaître leurs proches.
Tous les parents:qui essayaient, par l’amorce des biens terrestres, de les
détourner du ciel, ne furent ni écoutés par ces hommes ivres, ni même connus.
N’étaient-ils pas ivres ces
1. Exod. XX, 7-17; Deut, V, 6-21. — 2. Ps.
XXII, 5.
hommes dont le coeur était ainsi changé?
N’était-ce pas de l’ivresse que ce mépris pour le monde? « Tous les pécheurs de
la terre boiront », dit le Prophète. Qui boira le vin? Les pécheurs le boiront,
afin de ne point demeurer dans le péché, afin de devenir justes, et non afin
d’être châtiés.
13. « Quant à moi »: tous boiront, mais pour
moi, c’est-à-dire pour le Christ dans son corps: « Je serai dans une allégresse
éternelle, je chanterai le Dieu de Jacob 1 » dans l’espérance que Dieu me donne
cette promesse pour l’avenir, et dont il est dit «Pour la fin, ne l’altérez
pas. Je serai dans une éternelle allégresse ».
14. « Et je briserai toute la force des impies, et la force des justes
sera élevée 2 ». Voici encore: « Il abaisse l’un, il élève l’autre ». Les
pécheurs ne veulent point dompter ici ces forces qui seront infailliblement
brisées à la fin. Tu ne veux point que le Christ les brise alors; brise-les
toi-même aujourd’hui. Car tu as entendu plus haut, et garde-toi de le mépriser:
« J’ai dit aux pécheurs: N’agissez plus injustement; et aux coupables:
1. Ps. LXXIV, 10.— 2. Id. 11.
« Ne vous élevez point avec orgueil ». Mais à
ces paroles: « Ne vous élevez point avec orgueil », tu as répondu par le mépris
et avec une orgueilleuse enflure: la fin viendra pour toi, et alors
s’accomplira cette parole: « Je briserai toutes les cornes des pécheurs, et
j’élèverai les cornes des justes ». Par les cornes des pécheurs, on entend ces
dignités dont ils s’enorgueillissent, et par les cornes des justes les dons du
Christ. Ce mot de cornes désigne en général tout ce qui est élevé. Dédaigne sur
la terre une élévation terrestre, afin que tu sois un jour grand dans le ciel.
Si tu aimes la gloire d’ici-bas, tu n’auras pas celle d’en haut il y aura
confusion pour toi, à voir ton orgueil brisé, et gloire pour toi à voir élever
ta force. C’est donc maintenant qu’il faut choisir, et non plus alors. Tu ne
pourras dire: Renvoyez-moi afin que je choisisse; car tu as entendu: « J’ai
averti l’impie ». Si je ne l’ai point fait, prépare tes excuses, ta défense,
mais si je l’ai dit, fais par avance l’aveu de tes fautes, afin de ne pas
aboutir à la damnation; car au jugement ton aveu serait trop tardif, et ta
défense inutile.
SERMON AU PEUPLE.
Dieu est
connu en Judée ou chez les hommes qui sont entrés dans la famille d’Abraham,
par la foi. Parmi les douze fils de Jacob, Juda donna des rois à la nation, et
Lévi des prêtres. Ceux-ci n’eurent point de partage dans la terre de Chanaan,
et alors Joseph forma deux tribus. Comme l’avait prédit Jacob, le Christ est
venu de Juda; c’est le vrai roi que les Juifs n’ont vu que pour le crucifier,
que les Gentils ont adoré sans l’avoir vu. La Judée est dès lors dans l‘Eglise.
Judée en effet signifie confession, et l’homme qui fait l’aveu de ses fautes
est en accord avec Dieu. Jusque-là nous sommes en guerre, et il nous faudra
combattre avec les armes de Dieu, jusqu’à la pacification définitive de la
résurrection, qui détruira nos convoitises; et alors nous verrons Dieu en Sion
où il renverse les puissances ennemies. — Dieu répand sa lumière par les
montagnes, ou par les prédicateurs de la vérité. Mais cette vérité ne leur
appartient pas; dès lors il ne faut suivre ni Donat, ni Maximien, ni même Paul
ou Céphas, mais le Christ, et l’homme n’est rien qu’en s’attachant à lui. Nous
séparer de l’Eglise, c’est nous séparer de Dieu. A la prédication de l’Evangile
les orgueilleux se sont endormis pour se réveiller les mains vides, ils n’ont
pas compris, comme Zachée, l’avantage qu’ils pouvaient tirer de leurs richesses
pour la vie éternelle. Les cavaliers ou les orgueilleux se sont endormis, comme
Pharaon, par un effet de la colère de Dieu, et ne s’éveilleront que pour
regretter vainement leur vie. Mais l’homme qui voudra son salut, se confessera
comme Paul, le persécuteur; ce sera là sa première pensée, et sa seconde, ou
les restes de sa pensée, sera de regretter son péché, de bénir Dieu qui noue
tes pardonne. Dans cette ferveur, nous faisons des voeux, mais alors il fait
les accomplir. Les voeux sont une perfection, maie ne regardons point en amère
comme la ferme de Loth. La vérité est le partage de tous, ce n’est pas à nous
que nous devons de la connaître, mais à Dieu. Soyons humbles devant lui.
1. Les Juifs, dont la haine pour Notre
Seigneur Jésus-Christ est connue partout, tirent un sujet de vanité du psaume
que nous venons de chanter. « Dieu est connu dans la
eu Judée », nous disent-ils, « son nom est
grand en Israël 1 »: ils reprochent aux Gentils de ne point connaître le Seigneur,
1. Ps. LXXV, 2.
et se font gloire d’être les seuls pour le
connaître; car si le Prophète s’écrie: Dieu est « connu dans la Judée », il est
donc inconnu ailleurs. Il est vrai que Dieu est connu dans la iodée, si nous
comprenons bien ce qu’est la Judée. Et nous aussi, nous avançons qu’à moins
d’être dans la Judée, nul ne peut connaître Dieu. Que dit néanmoins l’Apôtre? «
Le Juif est celui qui l’est intérieurement, qui est circoncis de coeur selon
l’esprit et non selon la lettre 1 ». Les Juifs ont donc reçu la circoncision de
la chair, et il y a des Juifs circoncis dans la chair, d’autres circoncis dans
le coeur. Nos pères, saints pour la plupart, avaient la circoncision de la
chair, comme signe de leur foi, et la circoncision du coeur, comme l’effet de
leur fol. Voilà que leurs enfants ont dégénéré de leur piété; ils ne font
valoir que leur nom et oublient leurs oeuvres; fils dégénérés de leurs pères,
ils sont Juifs selon la chair, et païens de coeur. Car on appelle Juifs ceux
qui sont nés d’Abraham, qui eut pour fils Isaac, duquel est né Jacob, qui eut
pour fils les patriarches, et de ces douze patriarches est venu le peuple
entier des Juifs. Mais ce nom de Juifs ou Judéens leur vient spécialement de
Juda, l’un des douze fils de Jacob, patriarche comme les douze, dont la
postérité règna sur le peuple des Juifs. Car ce peuple était divisé en douze
tribus selon le nombre des douze fils de Jacob: ces tribus sont en quelque
sorte des curies, des sociétés séparées. Ce peuple avait donc douze tribus, et
parmi ces douze tribus, celle de Juda qui donnait des rois, et celle de Lévi
qui donnait des prêtres. Mais les prêtres occupés au service du temple
n’avaient aucune part dans la terre 2, et néanmoins cette terre devait être
divisée en douze parts; l’exception que l’on faisait en faveur de la tribu de
Lévi, à cause de sa dignité, eût réduit à onze les portions de cette terre, si
les deux fils de Joseph n’étaient venus compléter le nombre douze. Ecoutez
comment cela se fit. Joseph était un des douze fils de Jacob; c’est celui-là
que ses frères vendirent pour l’Egypte, et que sa chasteté porta au comble des
honneurs, parce que Dieu bénit toutes ses actions; lui qui recueillit ses
frères et son père, exténués par la faim, et qui venaient en Egypte chercher du
pain. Ce Joseph eut deux fils, Ephraïm et Manassé. Jacob, en mourant, déclara
qu’il adoptait ses deux petits
1. Rom. II, 29. — 3. Nomb. XVIII, 20.
fils, et dit à Joseph « Ceux qui naîtront à
l’avenir, seront vos enfants; ceux-ci sont à moi, ils partageront la terre avec
leurs frères 1». Or, cette terre promise n’était encore ni échue à ce peuple,
ni divisée; niais il parlait ainsi par l’esprit de prophétie. Avec les deux
fils de Joseph, on compléta donc le nombre de douze, car alors on arrivait à
treize; puisque Joseph fournissait deux tribus, il y avait alors treize tribus.
Si donc nous exceptons du partage la tribu de Lévi, tribu sacerdotale, occupée
au service du temple, vivant de la dîme qu’elle recevait des tribus qui avaient
une part dans les terres, nous retrouvons le nombre douze. Dans ces douze,
c’était la tribu de Juda qui donnait des rois. Il est vrai que, tout d’abord,
le roi Saül fut tiré d’une autre tribu 2, mais il fut réprouvé comme un mauvais
roi; vint alors David, de la tribu de Juda, et ce fut sa race, dans la tribu de
Juda, qui donna des rois 3, Voici ce qu’avait dit Jacob lorsqu’il bénissait ses
enfants « Le prince ne sortira point de Juda, ni le chef de sa postérité,
jusqu’à ce que vienne celui à qui est faite la promesse 4». Or, Notre Seigneur Jésus-Christ
est de la tribu de Juda; car, ainsi que le dit l’Ecriture, et que vous venez de
l’entendre, il est né de Marie, «dans la famille de David 5». Mais dans sa
divinité qui le rend égal à son père, Notre Seigneur Jésus-Christ est non
seulement avant les Juifs, mais avant Abraham 6, non seulement avant Abraham,
mais avant Adam; non seulement avant Adam,mais avant le ciel et la terre, et
avant les siècles « Car tout a été fait par lui, et rien n’a été fait sans lui
7». Telle était donc la prophétie de Jacob: « Le Prince ne sortira point de la
famille de Juda, ni le chef de sa postérité, jusqu’à ce que vienne celui qui a
reçu la promesse »: parcourons les siècles, et nous trouverons que les Juifs
ont toujours eu des rois de la tribu de Juda, d’où leur est venu ce nom de
Juifs; qu’ils n’ont eu aucun roi étranger avant cet Hérode, qui gouvernait
quand le Sauveur vint au monde «. Avant lui tous les rois étaient de la tribu
de Juda, mais jusqu’à celui qui avait reçu la promesses. Aussi à l’avènement du
Sauveur, le royaume des Juifs fut détruit et leur fut enlevé. Ils n’ont plus de
royaume aujourd’hui, parce
1. Gen. XLVIII, 5, 6. — 2. I Rois, IX, 1. —
3. Id. XVI, 12. — 4. Gen. XLIX, 10. — 5. II Tim. II. — 6. Jean, VIII, 58. — 7.
Id 1 3, — 8. Luc, III, 1.
qu’ils ne veulent point reconnaître le
véritable roi. Voyez, mes frères, s’ils doivent porter encore le nom de Juifs,
ou plutôt, vous comprenez que ce nom ne leur convient plus. Car ils ont
eux-mêmes abjuré ce nom, au point qu’ils ne méritent plus ce nom de fils de
Juda que selon la chair. Où donc ont-ils abjuré ce nom? Ils ont blasphémé, ils
ont sévi contre le Christ, c’est-à-dire contre la race de Juda, le sang de
David. Pilate leur dit: « Faut-il crucifier votre roi? » Ils répondent: « Nous
n’avons d’autre roi que César 1». O peuple, qui portes le nom de Juda, tu ne
l’as plus; si tu n’as d’autre roi que César, le prince n’est donc plus en Juda:
il est donc venu « celui qui a reçu la promesse ». Ceux-là sont plus
véritablement fils de Juda, qui de Juifs sont devenus chrétiens: quant aux fils
de Juda qui n’ont pas cru au Christ, ils ont mérité de perdre jusqu’à leur nom.
La véritable Judée est donc l’Eglise qui croit en ce roi, issu de la tribu de
Juda. par la Vierge Marie: qui croit en celui dont l’Apôtre parlait tout à
l’heure dans sa lettre à Timothée: « Souvenez vous que Notre Seigneur
Jésus-Christ, de la race de David, est ressuscité selon l’Evangile que
j’annonce 2 ». Car David est fils de Juda, et le Christ est fils de David. Or,
en croyant au Christ nous appartenons à Juda: et nous avons connu le Christ,
non pour l’avoir vu des yeux, mais nous le tenons par la foi. Qu’ils ne nous
insultent donc plus, ces Juifs qui ne sont plus Juifs. Eux-mêmes l’ont dit: «
Nous n’avons d’autre roi que César »; il leur était plus avantageux d’avoir
pour roi le Christ de la race de David, de la tribu de Juda. Mais comme le
Christ issu de David selon la chair, est aussi Dieu béni par-dessus tout dans
les siècles, il est tout ensemble notre roi et notre Dieu: notre roi parce que
comme Christ, Seigneur et Sauveur, il est né selon la chair dans la tribu de
Juda; notre Dieu, parce qu’il est avant Juda, avant le ciel et la terre,
puisque c’est par lui qu’a été fait le monde spirituel comme le monde visible.
Or, si « tout a été fait par lui », Marie aussi, dont il est né, a été faite
par lui. Dès lors, comment serait-il né comme le reste des hommes, Celui qui a
fait la mère dont il devait naître? Il est donc aussi notre Seigneur, selon ce
mot de l’Apôtre à propos des Juifs: « Ils ont pour pères les patriarches, de
qui est sorti selon la chair
1. Jean, XIX, 15.— 2. II Tim. II, 8.
le Christ même, le Dieu au-dessus de tontes
choses, et béni dans tous les siècles 1 ». Mais les Juifs n’ayant vu le Christ
que pour le crucifier, n’ont pas vu en lui un Dieu; les Gentils, au contraire,
qui sans le voir ont cru en lui, l’ont reconnu pour Dieu. Si donc ceux-ci ont
compris le Seigneur qui se réconciliait le monde dans le Christ 2, tandis que
ceux-là l’ont crucifié, parce qu’ils n’ont point compris en lui un Dieu qui se
cachait dans la chair, arrière cette Judée qui en porte le nom et qui ne l’est
plus: et que la véritable Judée s’approche, elle à qui l’on a dit: «
Approchez-vous de Dieu, et vous serez éclairés, et la confusion ne sera point
sur votre visage ». Le visage du véritable Juif n’aura point à rougir. Car ils
ont entendu, et ils ont cru: et l’Eglise est devenue la véritable Judée, où est
connu le Christ, qui est homme de la lignée de David, et Dieu au-dessus de
David.
2. « Dieu est connu dans la Judée, son nom
est grand dans Israël ». Nous devons prendre Israël dans le même sens que la
Judée; de même que les Juifs ne sont lias les vrais fils de Juda, de même ils
ne sont pas le véritable Israélite. Que signifie en effet Israélite? Qui voit
Dieu. Or, de quelle manière ont-ils vu Dieu, ceux au milieu desquels il a vécu
dans sa chair, et qui l’ont pris pour un homme qu’ils ont crucifié? A sa
résurrection il s’est montré Dieu à tous ceux auxquels il lui plaisait de se
faire voir. Ceux-là donc sont dignes d’être appelés Israélites, qui ont mérité
de comprendre que le Christ était un Dieu fait homme, sans mépriser ce qu’ils
voyaient; mais en adorant ce qu’ils ne voyaient pas. Sans voir le Christ de
leurs yeux, les Gentils l’ont vu en esprit, et leur humble foi a embrassé ce
qu’ils ne voyaient point. Alors ceux qui l’ont touché de leurs mai us l’ont
crucifié; ceux qui t’ont vu par la foi seulement, l’ont adoré. «Son nom est
grand en Israël». Veux-tu être Israélite? Souviens-toi de celui dont le Seigneur
a dit: « Voilà un vrai Israélite, sans déguisement 4 ». Si « le vrai Israélite
est sans déguisement », les hommes de fraude et de mensonge ne sont point
Israélites. Qu’ils ne disent donc point que Dieu est chez eux, que son nom est
grand en Israël. Qu’ils prouvent d’abord qu’ils sont Israélites, et moi je leur
accorderai que «son nom est grand en Israël ».
1.
Rom. IX, 5.— 2. II Cor. V, 19.— 3. Ps. XXXIII, 8.— 4. Jean, I, 47.
3. « Son tabernacle est dans la paix, et sa
demeure en Sion 1 ». Sion est encore pour les Juifs comme une patrie: la
véritable Sion, c’est l’Eglise chrétienne. Voici en effet l’interprétation
qu’on nous donne des noms hébreux: Judée signifie confession, et Israël qui
voit Dieu. Or, Israël ne vient ici qu’après la Judée: « Dieu », dit le Prophète,
« est connu dans la Judée, son nom est grand dans Israël ». Veux-tu voir Dieu?
Confesse tes fautes, et tu
prépareras en toi une place au Seigneur; car
« sa demeure est dans la paix ». Jusqu’à ce que tu aies fait l’aveu de tes
fautes, tu es en guerre avec Dieu. Comment ne pas être en guerre, en effet,
quand tu approuves ce qui lui déplaît? Il punit le voleur, et tu approuves le
vol; il punit l’ivrogne, et tu approuves l’ivrognerie. Tu es en guerre avec
Dieu, tu ne lui fais point une place dans ton coeur; car « sa demeure est dans
la paix ». Mais que faire pour être en paix avec Dieu? Commence par l’aveu.
C’est le mot du Psalmiste: « Commencez, pour le Seigneur, par l’aveu des fautes
2». Qu’est-ce à dire: « Commencez, pour le Seigneur, par l’aveu des fautes? »
Commencez par vous rapprocher de Dieu. Comment? En condamnant ce qui lui
déplaît. Ta vie désordonnée lui est à charge: si elle est agréable pour toi, tu
es en désaccord avec lui; si elle te déplaît, tu te rapproches de lui par
l’aveu. Vois donc de combien de manières tu es en désaccord avec lui, puisque
c’est par cela mérite que tu lui déplais. O homme, tu as été fait à t’image de
Dieu. Mais ta vie perverse et désordonnée a défiguré chez toi, a effacé chez
toi l’image de ton créateur. Dans ce désaccord, situ viens à te considérer et à
te déplaire, tu redeviens semblable à Dieu, puis. que tu détestes ce qu’il
déteste.
4. Mais, diras-tu, comment puis-je être
semblable à Dieu, quand je me déplais encore à moi-même? — Aussi le Prophète
a-t-il dit: « Commencez ». Commence par confesser tes fautes au Seigneur; tu te
perfectionneras dans la paix; car tu es encore en guerre contre toi-même. Tu
dois combattre non seulement contre les suggestions du démon, contre ce prince
de la puissance de l’air, qui règne sur les fils de l’incrédulité, contre le
diable et ses anges, contre les esprits de malice 3 ce n’est pas seulement
contre tout cela qu’il te faut combattre, mais aussi contre toi-même.
1. Ps. LXXV, 3. — 2. Id. CXLVI, 7. — 3.
Ephés. VI, 12.
Comment contre toi-même? Contre tes habitudes
mauvaises, contre les attaches invétérées de ta vie coupable, qui te ramènent
toujours aux désordres du passé, te détournant d’une vie nouvelle. C’est orne
vie nouvelle en quelque sorte, qui t’est demandée, et tu es le vieil homme. La
joie d’une vie nouvelle t’élève, et le poids du vieil homme te rabaisse: ce
double mouvement est une guerre contre toi-même. Te haïr toi-même, c’est t’unir
à Dieu, et cette union à Dieu te donne la force de vaincre, parce que tu as
avec toi Celui qui est supérieur à tout. Vois ce que dit l’Apôtre: « Je suis
soumis à la loi de Dieu par l’esprit, et à la loi du péché par la chair ».
Comment « par l’esprit? » Parce que tu hais ta vie désordonnée. Comment « par
la chair? » C’est que tu n’es pas exempt des suggestions et des attraits du
péché, mais ton coeur uni à Dieu te fait vaincre ce qui refuse en toi d’obéir.
Tu avances d’une part, tu es retardé d’autre part. Traîne-toi vers celui qui
t’élève en haut. Es-tu entraîné par le poids du vieil homme? Redis dans tes
cris: « Malheureux homme que je suis! qui me délivrera de ce corps mortel? »
Qui me délivrera de ce corps qui m’entraîne? Car ce corps corruptible
appesantit l’âme 2. Qui donc me délivrera? « La grâce de Dieu, par Jésus-Christ
Notre Seigneur 3 ». Pourquoi te laisser dans une longue guerre contre toi-même,
jusqu’à ce qùe toute convoitise soit détruite? C’est afin que tu comprennes que
ton châtiment est en toi, que tu as en toi-même ton propre fléau; que ton coin
bat soit de même en toi. C’est ainsi que Dieu tiré vengeance des rébellions:
pour n’avoir point voulu de la paix avec Dieu, le pécheur est en guerre avec
lui-même. Mais tiens tes membres en garde contre tes convoitises déréglées.
Dans l’irritation, tiens-toi dans l’union de Dieu. Elle aura bien pu s’élever,
mais non trouver des armes. L’irritation a ses transports, toi tu as des armes:
qu’elle demeure désarmée, afin que ses vains soulèvements lui apprennent à ne
plus se soulever.
5. Je vous parle ainsi, mes frères, de peur
que cette parole: « Par la chair, je suis soumis à la loi du péché », ne vous
fasse obéir à vos convoitises charnelles. Bien qu’il soit impossible de n’en
point ressentir en cette vie, il ne faut point y consentir pour cela,
1. Rom. VII, 25. — 2. Sag. IX, 15. — 3. Rom.
VII, 25,
Aussi l’Apôtre n’a-t-il pas dit: Que le péché
n’entre point dans votre corps mortel. Il sait que dans un corps mortel il y
aura toujours péché. Mais que dit-il donc? « Que le péché ne règne point en
votre corps mortel ». Qu’est-ce à dire, « qu’il ne règne pas? » Le même saint
Paul nous l’explique. «En sorte», dit-il, « que vous lui obéissiez dans ses
tendances 1 ». Il y a donc des tendances dans la chair, elle a ses
inclinations; mais tu n’obéis point à ces tendances, tu n’es pas à la remorque
de ces inclinations, ta volonté n’y est point: le péché est en toi, mais il a
perdu son empire, puisqu’il n’y règne en aucune sorte. Alors sera détruite la
mort, ta dernière ennemie 2. Que nous promet l’Apôtre en disant que l’esprit en
nous obéit à la loi de Dieu, tandis que la chair obéit à la loi du péché 3?
Apprends qu’il nous promet que ces désirs déréglés s’éteindront un jour dans
notre chair. Car elle ressuscitera et sera changée; et quand cette chair
mortelle sera devenue un corps spirituel, alors nulle convoitise du siècle, nul
attrait charnel ne fera battre notre coeur, et ne nous détournera de la
contemplation de Dieu. Ainsi donc s’accomplira ce que dit l’Apôtre: « A la
vérité, le corps est mort à cause du péché, mais l’esprit est vivant à cause de
la justice. Si donc l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus-Christ habite en
vous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts, rendra aussi la
vie à vos corps mortels à cause de son Esprit qui habite en vous 4». Donc après
la résurrection, le corps jouira de cette paix où le Seigneur établit sa
demeure: mais faisons d’abord l’aveu de nos fautes. « Dieu est connu dans la
Judée ». Confesse à Dieu ce que tu es, alors « son nom sera grand en Israël ».
Tu ne vois pas Dieu tel qu’il est, vois-le par la foi, et alors s’accomplira
cette parole: « Et il fixe dans la paix sa demeure, c’est en Sion qu’il habite
». Sion signifie contemplation. Que veut dire contemplation? Nous contemplerons
Dieu face à face 5. Ici-bas on nous promet Celui en qui nous croyons sans te
voir. Quelle sera notre joie quand nous le verrons? Mes frères, si la simple
promesse nous fait ainsi tressaillir aujourd’hui, que sera-ce quand elle
s’accomplira? Car Dieu accomplira ce qu’il a promis. Et qu’a-t-il
1.
Rom. VI, 12. — 2. I Cor. XV, 26. — 3. Rom. VII, 25. — 4. Id. VIII, 10, 11.— 5.
I Cor. XIII,
12.
promis? Lui-même, que nous verrons face à
face, et dont la vue causera notre joie: et rien autre chose n’aura pour nous
des charmes, parce que rien n’est supérieur à Celui qui a fait lui-même tout ce
qui peut nous plaire. « Son tabernacle est dans la paix et il habite en Sion »:
c’est-à-dire que sa demeure s’établit dans une contemplation paisible, dans une
vue bienheureuse, « en Sion ».
6. « C’est là qu’il a brisé la puissance de
l’arc, le bouclier, le glaive et la guerre 1 ». Où les a-t-il brisés? Dans
cette paix éternelle, cette paix parfaite. Et maintenant, mes frères, ceux qui
ont une foi saine, comprennent qu’ils ne doivent point présumer d’eux-mêmes;
ils émoussent en eux-mêmes la pointe de leurs glaives, et toute la force de
leurs menaces. C’est là que Dieu a brisé toutes les forces dont ils attendaient
un secours temporel, et cette guerre qu’ils faisaient à Dieu en défendant leurs
péchés.
7. « C’est vous qui répandez une lumière admirable
du haut des montagnes éternelles 2 ». Quelles sont ces montagnes éternelles?
Celles que Dieu même a rendues éternelles; quettes sont ces montagnes élevées?
les prédicateurs de la vérité. C’est vous qui les éclairez, mais du haut des
montagnes éternelles: ces hautes montagnes reçoivent d’abord votre lumière, et
la terre se revêt ensuite de cette lumière qu’ont reçue les montagnes. Mais les
grandes montagnes qui ont reçu la lumière sont les Apôtres, les Apôtres
éclairés des premiers rayons de cette lumière naissante. Ont-ils retenti pour
eux ce qu’ils avaient reçu? Point du tout; afin de ne pas entendre cette
parole: « Méchant et lâche serviteur, que ne donnais-tu mon argent à la banque
3? » Si donc ils n’ont point retenu pour eux ce qu’ils avaient reçu, mais l’ont
prêché à l’univers entier, « voilà que des montagnes éternelles vous avez
répandu la lumière ». Vous avez rendu ces montagnes éternelles, et par elles
vous avez promis aux autres une vie sans fin. « Du haut des montagnes
éternelles, c’est vous qui avez répandu une admirable lumière ». C’est vous,
dit le Prophète avec poids et magnificence, « c’est vous »; afin que nul ne
s’imagine que ce sont les montagnes qui l’éclairent. Il en est plusieurs en
effet qui ont cru que la lumière était produite par les montagnes,
1.
Ps. LXXV, 4.— 2. Id. 5.— 3. Matth. XXV, 26, 27
et ils se sont partagé ces montagnes: et
voilà que les montagnes se sont affaissées, et qu’eux-mêmes ont été brisés.
Quelques-uns se sont choisi Donat, quelques autres ont suivi Maximien, celui-ci
l’un, celui-là l’autre. Pourquoi s’imaginer que le salut vient des hommes, et
non de Dieu? O homme! la lumière te vient au moyen des montagnes, mais celui
qui éclaire, c’est Dieu, et non point les montagnes. « C’est vous qui éclairez
», dit le Prophète, « vous », et non les montagnes. « C’est vous qui répandez
la lumière », au moyen des montagnes éternelles, il est vrai mais la lumière
vient de vous. De là vient cette autre parole du Psalmiste: « J’ai levé les
yeux vers les montagnes, d’où me viendra le secours ». Quoi donc! est-ce dans
les montagnes que tu espères, est-ce de là que ton secours doit venir? Es-tu
demeuré sur les montagnes? Prends garde à toi. Il y a quelque chose au-dessus
des montagnes; il y a, par-dessus les montagnes, Celui que redoutent les
montagnes. « J’ai levé les yeux vers les montagnes, d’où me viendra le secours
». Mais que dit ensuite le Prophète? « Mon secours », a-t-il soin de dire, « me
viendra du Seigneur qui a fait le ciel et la terre 1 ». J’ai donc levé les yeux
vers les montagnes, parce que ces montagnes m’enseignent les Ecritures; mais
mon coeur espère en Celui qui éclaire toutes les montagnes.
8. Je vous parle ainsi, mes frères, afin que
nul d’entre vous ne mette son espérance dans un homme. Car l’homme n’est quelque
chose qu’en s’attachant à Celui qui l’a créé: dès qu’il s’en retire, il n’est
plus rien, fût-il uni aux autres hommes. Prends donc conseil d’un homme, de
manière à ne voir que Celui qui éclaire les hommes. Car toi-même tu peux avoir
accès auprès de Celui qui t’instruit par un homme, car il ne t’a pas rejeté
pour le faire approcher. Mais celui qui s’approche véritablement de Dieu, de
manière que Dieu habite en lui, ne peut souffrir ceux qui ne mettent pas en lui
seul leurs espérances. Aussi nous en fut-il donné un exemple, quand les fidèles
se partagèrent les Apôtres, et se divisèrent en schismes, en disant: « Moi je
suis à Paul, et moi à Apollo, et moi à Céphas », ou à Pierre. L’Apôtre
s’apitoie sur eux, et leur dit: « Le Christ est-il donc divisé? » et se
choisissant lui- même pour s’humilier devant
1. Ps. CXX, 1, 2.
eux, « Paul a-t-il donc été crucifié pour
vous », s’écrie-t-il, « ou seriez-vous baptisés au nom de Paul 1?» O sainte
montagne! qui ne cherche point sa gloire, mais la gloire de Celui qui éclaire
les montagnes. Il ne voulait point qu’on mit son espoir en lui, mais en Celui
en qui lui-même espérait. Quiconque dès lors se fera valoir aux yeux des
peuples, de manière à les séparer au moindre trouble qui arrive, et à se faire
un Parti en divisant l’Eglise catholique, celui-là n’est pas une montagne
éclairée par le Très-Haut. Qu’est-il donc? Aveuglé par lui-même, et non point
éclairé par le Seigneur. Comment éprouver la fidélité de ces montagnes? S’il
arrive dans l’Eglise quelque trouble contre les montagnes, soit par les
séditions des hommes charnels, soit par les faux soupçons des autres hommes,
une montagne fidèle repousse avec horreur tous ceux qui'voudraient se donner à
elle pour se séparer de l’unité. Elle-même demeurera dans l’unité quand elle ne
souffrira point que l’unité se divise à son occasion. Pour ceux qui sont
divisés, ils ont tressailli de joie, quand le peuple a fait schisme avec
l’univers entier, pour suivre leur nom; ils se sont élevés, et ont été rejetés.
Que ne s’humiliaient-ils ! Dieu les eût relevés. Puni s’abaisse lui-même quand
il dit: « Paul a-t-il donc été crucifié pour vous? » Et ailleurs « J’ai planté,
A polio a arrosé; mais Dieu a donné l’accroissement. Or, celui qui plante n’est
rien, non plus que celui qui arrose, mais bien Dieu qui donne l’accroissement
2». Ces montagnes sont humbles en elles-mêmes, élevées aux yeux de Dieu; mais
ceux qui s’élèvent en eux-mêmes sont humiliés par Dieu. « Car celui qui s’élève
sera abaissé, et quiconque s’abaisse sera humilié 3 ». Ces hommes, dès lors,
qui recherchent leur propre gloire, abreuvent de fiel les hommes pacifiques
dans l’Eglise. Les uns s’efforcent de maintenir la paix, les autres de semer la
discorde. Or, que dit à ce sujet un autre psaume? « Que les hommes de fiel ne
s’élèvent point en eux-mêmes 4. C’est vous qui donnez la lumière », écoutez
bien, « vous qui donnez une lumière admirable du haut des montagnes éternelles
».
9. « Les hommes au coeur insensé ont été dans
le trouble 5 ». On a prêché la vérité,
1. I
Cor. I, 12, 13. — 2. Id. III, 6,7. — 3. Luc, XIV, 11. — 4. Ps. LXV, 7.— 5. Id. LXXV,
6.
annoncé la vie éternelle aux hommes, et à
cette lumière que répandaient les montagnes, les hommes ont fait bon marché de
la vie présente pour acquérir la vie éternelle. « Mais les hommes au coeur
insensé ont été dans le trouble ». Commuent « se sont-ils troublés? » Quand on
a prêché l’Evangile. Qu’est-ce donc que la vie éternelle? Qui donc est
ressuscité d’entre les morts.? Ainsi parlaient avec surprise les Athéniens,
quand Paul leur annonçait la résurrection des morts, qu’ils prirent pour je ne
sais quelle fable nouvelle 1. Mais comme il parlait d’une autre vie, que l’oeil
n’a point vue, que l’oreille n’a pas entendue, que le coeur de l’homme n’a
point comprise 2, voilà que « des insensés ont été dans le trouble ». Or, que
leur est-il arrivé? « Ils ont dormi leur sommeil, et n’ont trouvé dans leurs
mains aucune de leurs richesses ». Ils ont aimé les biens de cette vie, ils se
sont endormis sur ces biens, et ces biens leur ont causé des délices, telles
qu’en ressent un homme qui, dans son rêve, trouve des trésors; tant qu’il ne
s’éveille point, il est riche. Un songe l’a fait riche, le réveil va
l’appauvrir. Le voila qui s’est endormi sur la terre, et sur la terre dure,
pauvre, mendiant peut-être; il s’est vu en songe dans un lit d’or ou d’ivoire,
et sur des monceaux de plumes: tant qu’il dort, il est bien; mais à son réveil
il se retrouve sur la terre dure où il s’était endormi. Telle est l’image des
riches. Ils sont venus en cette vie, où les ont tenus endormis les convoitises
temporelles; ils se sont trouvés au milieu des pompes et du luxe des richesses:
ce luxe a passé devant leurs yeux, et ils n’ont point compris combien ils
pouvaient en devenir meilleurs. Car, s’ils eussent connu une autre vie, ils s’y
seraient amassé un trésor, avec ce qui doit périr ici-bas: c’est ce bien que
connut Zachée, chef des publicains, quand il reçut Jésus dans sa maison, et
qu’il dit: « Je donne la moitié de mes biens aux pauvres, et si j’ai fait tort
à quelqu’un, je lui rendrai quatre fois autant 3 ». Il n’était point dans
l’illusion d’un songe, mais dans la foi d’un homme éveillé. Aussi le Seigneur,
qui était venu comme un médecin auprès d’un malade, annonça la guérison de cet
homme, en disant: « Le salut est entré aujourd’hui dans cette maison, car
celui-ci est aussi un enfant
1.
Act. XVII, 18, 32. — 2. I Cor, II, 9. — 3. Luc, XIX.
d’Abraham 1». D’où nous apprenons que nous
devenons enfants d’Abraham en imitant sa foi mais les Juifs ont dégénéré de
cette foi, en s’enorgueillissant dans la chair. « Ces hommes donc ont dormi
leur sommeil, dans leurs richesses, et ensuite ils n’ont rien trouvé dans leurs
main ». Ils se sont endormis dans leurs convoitises; ce sommeil leur plaît,
mais il passe, leur vie passe également, et ils se trouvent les mains vides,
parce qu’ils n’ont rien mis en dépôt dans la main du Christ. Veux-tu trouver un
jour quelque chose dans ta main? Ne méprise pas maintenant la main du pauvre,
et regarde les mains vides, si tu veux qu’un jour tes mains soient pleines. Car
le Seigneur l’a dit: « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger; j’ai eu
soif, et vous m’avez donné à boire; j’ai été étranger, et vous m’avez recueilli
», et le reste. Et ceux-ci: « Quand est-ce que nous vous avons vu ayant faim,
ou soif, ou étranger? » Alors le Sauveur leur répond: « Ce que vomis avez fait
au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez fait 2 ». Il a voulu avoir
faim dans les pauvres, Celui qui est riche dans les cieux; et toi, ô homme, tu
hésites à donner à l’homme, quand tu sais que lui donner, c’est donner au
Christ, qui t’a donné le premier ce que tu donnes ensuite? Mais les riches «
ont dormi leur sommeil, et ensuite n’ont retrouvé en leurs mains aucune de
leurs richesses ».
10. « A vos menaces, ô Dieu de Jacob, les
cavaliers se sont assoupis 3 ». Quels sont « ces hommes montés sur des chevaux?
» Ceux qui ont repoussé l’humilité. Monter à cheval n’est pas un péché, mais
bien élever contre Dieu une tête orgueilleuse, et alors se croire en honneur.
Tu es donc à cheval, ô riche; Dieu tonne, et tu t’endors. O colère menaçante !
colère d’uni Dieu ! Ecoutez bien, mes frères, ce qu’il nous faut craindre, La
menace est un bruit, et d’ordinaire le bruit tire les hommes du sommeil. Mais
au contraire, sous le poids de menaces divines, le Prophète s’écrie: « Au bruit
de vos menaces, ô Dieu de Jacob, les cavaliers se sont assoupis ». Tel était le
sommeil de Pharaon, qui montait sur des chevaux 4. Son coeur ne se réveilla
point, parce que ce même coeur s’était endurci contre les menaces. L’en-
1. Luc, XIX, 9.— 2. Matth. XXV, 35-40.— 3.
Ps, LXXV, 7.— 4. Exod. XIV, 8.
durcissement du coeur est un vrai sommeil.
Voyez, mes frères, je vous en supplie, combien il en est qui sont endormis
profondément; dans l’univers entier on prêche l’Evangile, on chante partout, Amen et Alleluia, et ils ne veulent point condamner la vie du vieil homme,
pour s’éveiller à une vie nouvelle, Jadis l’Ecriture sainte n’était qu’en
Judée, aujourd’hui elle est récitée dans tout l’univers. Il n’y avait qu’une
nation où l’on prêchât le culte d’un seul Dieu, où le Créateur de toutes choses
fût adoré; et maintenant où n’est-il point publié? Le Christ est ressuscité;
bafoué sur la croix, il a mis sur le front des empereurs cette même croix,
instrument de ses épreuves; et l’on sommeille encore ! Effrayante colère du
Seigneur, mes frères! Combien il est mieux pour nous d’écouter celui qui dit: «
Debout, ô toi qui dors, lève-toi d’entre les morts, et le Christ sera ta
lumière 1». Mais qui écoutera sa parole? Ceux qui ne montent point à cheval.
Qui ne se grandit point sur des chevaux? Ceux qui ne s’élèvent pas, qui ne se
font pas de leurs honneurs et de leur puissance, un certain piédestal. « Au
bruit de vos menaces, ô Dieu de Jacob, les cavaliers se sont assoupis ».
11. « Vous êtes terrible, et qui pourra vous
résister dans votre colère 2? » Aujourd’hui qu’ils dorment leur sommeil, ils ne
comprennent point votre colère, mais l’effet de cette colère est leur sommeil
même. Un jour ils verront pour l’éternité ce qu’ils ne voient point aujourd’hui
dans leur assoupissement; quand apparaîtra le Juge des vivants et des morts,
alors « qui pourra vous résister dans votre colère? » ils discourent maintenant
à leur gré, ils disputent contre Dieu, et osent dire: Quels sont les chrétiens?
ou, qui est le Christ? ou bien: Quelle ineptie de croire ce que l’on ne voit
pas, et de renoncer aux plaisirs que l’on voit de ses yeux, pour s’opiniâtrer à
croire ce que les yeux ne voient point? Insensés, vous rêvez, vous aboyez, vous
vous élevez contre Dieu de toute la force de vos blasphèmes. Jusques à quand, ô
mon Dieu, jusques à quand les pécheurs pourront-ils se glorifier? Jusques à
quand se répandront-ils en vains discours 3? Mais quand cessera-t-on de
répondre et de questionner, sinon quand on rentrera en soi-même? Quand est-ce
qu’ils tourneront contre eux-
1. Ephés. V, 14. — 2. Ps. LXXV, 8. — 3. Id.
XCIII, 3.
mêmes ces dents acérées dont ils nous
déchirent maintenant, en raillant les chrétiens, en jetant le ridicule sur la
vie des saints? Ils ne se tourneront contre eux-mêmes, que quand s’accomplira
l’oracle de la sagesse: « Ils diront alors en eux-mêmes, se repentant et
gémissant dans l’angoisse de leur esprit »; ils diront en voyant la gloire des
saints: « Les voilà, ces hommes que nous avions en mépris ». O vous, qui dormez
depuis si longtemps ! vous sortez de votre sommeil, et vous vous trouvez les
mains vides. Vous les voyez, au contraire, ayant la gloire de Dieu à pleines
mains, ces pauvres que vous tourniez en dérision. Dites alors, alors que vous
ne pouvez résister à la colère de Dieu, ni de la main, ni de la langue, ni des
paroles, ni de la pensée; dites, quand vous verrez à découvert Celui que vous
avez tourné en dérision lorsqu’on vous annonçait son avènement; mais que diront-ils?
« Nous avons donc erré loin de la voie de la vérité, et la lumière de la
justice n’a pas lui à nos yeux, et le soleil ne s’est point levé pour nous».
Comment le soleil de la justice se lèverait-il pour des hommes endormis? Mais
ce sommeil est un effet de la colère et des menaces de Dieu. Peut être me
dira-t-on: Mais si je ne montais pas à cheval; et alors ils s’accuseront d’être
montés sur des chevaux. Ecoutez-les s’en prendre à ces chevaux sur lesquels ils
ont dormi: « Nous avons donc erré loin de la vérité, et la lumière de la vérité
n’a point lui à nos yeux, le soleil ne s’est point levé pour nous. Que nous a
servi notre orgueil? que nous a procuré l’ostentation de nos richesses? Tout a
passé comme une ombre ».Te voilà donc enfin réveillé. Mais il eût mieux valu
pour toi ne pas monter à cheval, et ne point t’assoupir alors que tu devais
être éveillé, pour entendre la voix du Christ, qui eût été la lumière. « Vous
êtes terrible, Seigneur, et qui peut vous résister dans votre colère? »
Qu’arrivera-t-il alors?
12. « Du haut du ciel vous avez lancé vos
jugements, la terre s’en est émue, elle est demeurée dans le silence 2 ». Elle
qui se trouble, elle qui ose maintenant parler, sera dans le silence et dans le
repos. Mieux vaudrait pour elle le repos aujourd’hui et la joie au dernier
jour.
1. Sag. V, 3, 6, 8, 9. — 2. Ps. LXXV, 9.
13. « La terre a tremblé, elle est demeurée
dans la stupeur ». Quand? « Alors que Dieu se levait pour le jugement, afin de
sauver tous ceux qui ont le coeur doux 1 ». Quels sont ces hommes au « coeur
doux? » Ceux qui n’ont point monté sur des chevaux frémissants, mais qui ont
humblement confessé leurs péchés. « Afin de sauver les hommes au coeur doux ».
14. « C’est pourquoi la pensée de l’homme
vous confessera, et les restes de cette pensée célébreront une fête en votre
honneur». « Unie pensée » d’abord, et ensuite « les restes de cette pensée »
Quelle est cette « pensée » première? Celle qui commence, et la bonne « pensée
» est celle qui commence l’accusation de ses fautes. La confession nous unit au
Christ. Mais cette confession elle-même ou cette première « pensée » laisse en
nous comme des suites, et ces mêmes « suites de la pensée célébreront en votre
honneur des solennités. La pensée de l’homme vous confessera, et les suites de
cette pensée célébreront des solennités en votre honneur 2 » Quelle sera donc «
la pensée qui confessera? » Une désapprobation de notre vie passée, qui prend à
dégoût ce que nous avons été, et nous fait ce que nous n’étions pas encore:
telle est la première « pensée ». Toutefois, comme l’aveu de tes fautes qui est
le fruit de ta première pensée, te doit éloigner du péché, saris te faire
oublier que tu as été pécheur; avoir été pécheur, c’est là célébrer une fête en
l’honneur de Dieu. Encore plus de clarté. La première « pensée » est l’aveu qui
nous fait rompre avec le passé: mais oublier les fautes dont nous avons été
délivrés, c’est ne pas remercier Dieu, et ne point célébrer une fête en son
honneur. Voyez la première « pensée » de Saul devenu apôtre, et déjà Paul. Il
était d’abord Saut, quand une voix se fit entendre du ciel, au moment où il
persécutait le Christ, enlevait les chrétiens, et les cherchait partout pour
les traîner à la mort; il entendit cette voix du ciel: « Saul, Saul, pourquoi
me persécuter 3?» Environné de lumière et néanmoins frappé d’aveuglement afin
de ne voir qu’à l’intérieur, il émit sa première pensée d’obéissance. Il
entendit ces paroles: « Je suis Jésus de Nazareth que tu persécutes. Seigneur
», dit-il alors, « que voulez-vous que je fasse 4? »
1.
Ps. LXXV, 10, — 2. Id. 11. — 3. Act. IX, 4. — 4. Id. 5.
C’est là une « pensée » de confession; il
appelle Seigneur Celui qu’il persécutait. Comment « les restes de cette pensée
seront-ils une fête? » Saint Paul vous l’a dit lui-même, dans la lecture que
vous avez entendue: « Souvenez-vous que Jésus-Christ, de la race de David, est
ressuscité selon l’Evangile que j’annonce 1 ». Qu’est-ce à dire: «
Souvenez-vous? » Que cette « pensée », qui vous a fait tout d’abord avouer vos
fautes, ne s’efface point de votre mémoire. Et voyez comme le même Apôtre se
souvient du lardon qui lui a été accordé: « Tout d’abord », nous dit-il
ailleurs, « je fus un blasphémateur, un persécuteur, un ennemi 2 ». Mais dire:
« Je fus un blasphémateur », est-ce l’être encore? Pour n’être plus
blasphémateur, il eut tout d’abord une « pensée » de confession: et pour se
souvenir du pardon, il eut « ces suites de la pensée », et ces suites furent
une fête en l’honneur de Dieu.
15. Le Christ en effet, mes frères, nous a
renouvelés, il nous a pardonné nos fautes et il a opéré notre conversion.
Oublier cette miséricorde et Celui qui nous l’a faite, c’est oublier le don du
Sauveur: mais quand nous n’oublions point le don du Sauveur, Jésus-Christ
n’est-il pas chaque jour immolé pour nous? Il l’a été une fois; croire en lui,
c’était là une première « pensée »; « les suites de « cette pensée », sont de
nous souvenir de Celui qui est venu en nous, de ce qu’il nous a pardonné. Ces
restes de notre pensée, ou ce souvenir fait que Jésus-Christ s’immole chaque
jour pour nous, et renouvelle chaque jour en nous cette première grâce du
renouvellement. Car le Seigneur nous a retrempés dans le baptême, et nous
sommes devenus des hommes nouveaux, pleins de joie dans l’espérance, et de
patience dans la tribulation «. Et toutefois ne perdons pas le souvenir de la
grâce qui nous a été faite. Si votre « pensée » n’est point aujourd’hui ce
qu’elle a été, car votre première « pensée » a été de sortir du péché, et si
vous n’en sortez pas maintenant que cette oeuvre est accomplie, ayez en vous «
les restes de votre pensée », et n’oubliez point Celui qui vous a guéris.
Oublier que vous fûtes blessés autrefois, c’est n’avoir plus « les restes de
votre pensée». Que veut dire ici David, croyez-vous? Car il parle ici au nom de
tous. David
1. II Tim. II, 8.— 2. I Tim, I,13.— 3. Rom.
XII, 12.
nonobstant sa sainteté pécha gravement, et le
prophète Nathan lui fut envoyé pour le réprimander. David confessa sa faute en
disant: « J’ai péché 1 ». Cette pensée d’accusation fut sa première « pensée ».
« La pensée de l’homme vous confessera ». Quels furent « les restes de cette
pensée? » Ce fut de dire: « Mon péché est toujours devant moi 2».Quelle fut
donc sa première « pensée? » De sortir du péché. Mais s’il est sorti du péché,
comment son péché peut-il être toujours devant lui, sinon qu’après l’exécution
de sa première « pensé », « les restes de cette même pensée » offrent à Dieu
une fête continuelle? Tel est le souvenir que je vous supplie de garder, mes
frères bien-aimés: que tout pécheur délivré se souvienne de ce qu’il a été,
qu’il conserve « les restes de sa pensée ». Car il supportera ceux qui sont à
guérir, s’il se souvient d’avoir été guéri. Que chacun donc se souvienne de ce
qu’il a été, qu’il voie s’il ne l’est point encore, et il viendra en aide à
Celui qui est encore ce que lui-même n’est plus. Que si au contraire il veut
s’appuyer de ses propres mérites, et repousser les pécheurs comme indignes, et
sévir contre eux sans aucune pitié, il monte alors à cheval, qu’il prenne garde
à l’assoupissement. « Ils se sont assoupis tous ceux qui sont montés sur des
chevaux ». Mais voilà qu’il descend de cheval, qu’il s’est humilié: qu’il n’y
monte plus une seconde fois, c’est-à-dire, qu’il ne s’élève plus dans son
orgueil. Comment cela se fera-t-il? « Si les restes de sa pensée » sont pour
Dieu une hymne de louanges.
16. « Faites au Seigneur, votre Dieu, des «
voeux, et accomplissez-les 3 ». Que chacun fasse des voeux selon son pouvoir,
et les accomplisse. N’allez point faire des voeux que vous n’accompliriez pas;
niais que chacun proportionne ses voeux à son pouvoir et les accomplisse. Ne
soyez point tièdes à offrir des voeux; car ce n’est point par votre force que
vous les accomplirez. Vous serez en défaut si vous comptez sur vous-mêmes; mais
faites des voeux, si vous comptez sur le Dieu à qui vous les faites, car alors
vous les accomplirez. « Faites au Seigneur votre Dieu des voeux et
accomplissez-les ». Quels voeux devons-nous faire communément à Dieu? De croire
en lui, d’espérer qu’il nous donnera la vie éternelle, de vivre saintement dans
la
1. II Rois, XC, 13. — 2. Ps. L, 5. — 3. Id.
LXXV, 12.
vie commune à tous les chrétiens. Car il est
une manière de vivre commune à tous. S’abstenir du vol, n’est pas un précepte
enjoint aux vierges, et dont serait exempte une épouse; ne pas commettre
l’adultère, est un précepte commun à tous; éviter les excès du vin, qui gorgent
l’âme et souillent en nous le temple de Dieu, est encore un précepte pour tous;
il est aussi défendu à tous de ne point s’enorgueillir, à tous encore de ne
point commettre l’homicide, de ne point haïr son frère, de ne vouloir aucun mal
à personne. Voilà des voeux obligatoires pour tous. Mais il est encore des
voeux particuliers à chacun. L’un a fait voeu d’être chaste dans le mariage, et
de ne connaître aucune autre femme que la sienne; de même une femme a fait voeu
de ne connaître que son mari. Quelques-uns, après s’être engagés dans le
mariage, ont fait voeu de n’en plus user, de ne plus rien désirer ou supporter
de semblable; d’autres sont allés plus loin encore que ces derniers. D’autres
ont fait voeu, dès l’enfance, de garder la virginité, et de ne pas même se
permettre le mariage, que ces derniers s’étaient permis: c’est un voeu plus
parlait. Ceux-ci ont promis à Dieu de faire de leur maison l’asile de tous nos
frères qui peuvent leur venir: c’est là un voeu agréable à Dieu. Celui-là
promet de quitter son bien pour le donner aux pauvres, et de vivre en
communauté dans la compagnie des saints: c’est encore un voeu méritoire, «
Faites au Seigneur votre Dieu des voeux, et accomplissez-les ». Que chacun
fasse tel voeu qu’il voudra: qu’il ait soin seulement d’accomplir sa promesse.
Quiconque après avoir fait un voeu, regarde en arrière, est déjà coupable.
Voilà je ne sais quelle vierge qui veut se marier après avoir fait voeu de
virginité. Que veut-elle? Ce que veut toute autre tille. Que veut-elle encore?
Ce que veut sa mère. Est-elle donc si coupable? Oui, sans doute. Pourquoi?
Parce qu’elle avait fait un voeu au Seigneur son Dieu. Que dit saint Paul à
propos de ces personnes? Il dit aux jeunes veuves de se marier si elles veulent
1; et pourtant il ajoute à un certain endroit: « Elle sera plus heureuse, si
elle demeure veuve, et c’est ce que je lui conseille 2 ». Il dit qu’elle sera
plus heureuse de demeurer veuve, niais il ne la condamne pas si elle veut se
marier. Et que dit-il de celles qui ont fait
1. I Tim. V, 14 — 2. I Cor. VII, 40.
des voeux sans les accomplir? « Elles encourent
la condamnation », dit-il, « parce qu’elles éludent leur promesse déjà faite 1
». Qu’est-ce à dire, «elles éludent leur promesse déjà faite? » Elles ont fait
no voeu qu’elles n’accomplissent point. Que nul de nos frères qui ont embrassé
la vie monastique ne dise: Je me retire du monastère, car il n’y aura pas que
les moines pour aller au ciel, et ceux qui ne sont point ici, ne laissent pas
d’être à Dieu. On lui répond: Ceux-là n’ont fait aucun voeu; toi, tu en as
fait, et tu regardes en arrière. Que dit le Seigneur en nous menaçant du jour
du jugement? « Souvenez vous de la femme de Loth. Et il parle pour toits. Que
fit la femme de Loth? Elle échappe à la ruine de Sodome, mais, chemin faisant,
elle tourne la tête, et la voilà qui demeure où elle avait regardé. Elle est
changée en statue de sel 3, et devient une leçon pour ceux qui la verront à
l’avenir; afin qu’ils deviennent sages, ne soient point insipides, ne regardent
point en arrière, ne donnent point l’exemple pernicieux qui les fixerait pour devenir
un exemple aux autres. Voilà ce que nous disons aujourd’hui à quelques-uns de
nos frères que nous voyons s’affaiblir eu quelque sorte dans leurs bonnes
résolutions: Voulez-vous donc ressembler à tel ou tel? en leur citant ceux qui
ont regardé en arrière. Voila des hommes fades en eux-mêmes, et qui servent de
condiment aux autres: on les cite afin d’intimider par leur exemple, et de
préserver de leur chute. « Faites au Seigneur votre Dieu des voeux, et
accomplissez-les ». Cette femme de Loth est pour tous un exemple. Qu’une femme
mariée veuille commettre l’adultère, c’est là tourner la tête du lieu où elle
était arrivée. Une veuve qui a fait voeu de demeurer en cet état, veut se
marier, elle veut ce qui a été permis à d’autres qui sont mariés une seconde
fois; mais à elle cela n’est point permis, c’est regarder en arrière. Voila une
vierge qui s’est consacrée à Dieu, elle avait toutes les vertus qui
embellissent la virginité elle-même, et sans lesquelles cette pureté n’est que
laideur. Que serait-ce en effet qu’une âme corrompue dans une chair intacte?
Que dis je? Que serait-ce qu’une chair immaculée, avec l’intempérance du vin,
de l’orgueil, de la colère, de la langue? Car tout cela est condamné par Dieu.
Qu’elle se soit mariée avant
1. I
Tim. V, 12. — 2. Luc, XVII, 32. — 3. Gen. XIX, 26.
d’avoir fait des voeux, elle n’était point
condamnable; elle a choisi mieux, elle s’est élevée au-dessus de ce qui lui
était permis; et voilà que son orgueil la porte à des excès. Je le répète, Il
est permis de se marier avant d’avoir fait des voeux, mais de s’enorgueillir,
jamais. Toi donc, ô vierge de Dieu, tu as renoncé au mariage qui était permis,
et tu as de l’orgueil, ce qui n’est jamais permis. L’humilité dans une vierge
est supérieure à l’humilité dans une épouse; mais une épouse qui est humble est
bien supérieure à une vierge orgueilleuse. Quant à celle qui s’est retournée
vers le mariage, ce n’est point pour avoir voulu se marier qu’elle est
condamnable, mais parce qu’elle s’était élevée au-dessus du mariage, et qu’elle
a regardé en arrière comme la femme de Loth. Ne vous attardez point, mues
frères, qui le pouvez, vous à qui Dieu domine d’aspirer à un état plus élevé:
ce n’est point pour vous détourner des voeux, que je vous parle de la sotte,
mais pour vous faire accomplir ce que vous avez promis. « Faites des voeux au
Seigneur votre Dieu, et accomplissez-les ». Peut-être que mon langage t’a
détourné des voeux que tu voulais taire. Mais écoute ce que dit le Psalmiste.
Il ne dit point: Ne faites aucun voeu; mais au contraire: « Faites des voeux et
« accomplissez-les o. Voudrais-tu ne faire aucun voeu, parce qu’il est dit «
Accomplissez-les? » Alors tu voulais en faire, mais pour ne point les
accomplir? Fais l’un et l’autre au contraire: L’un sera le fruit de ta bonne
volonté, l’autre du secours de Dieu. Considère Celui qui te conduit, et tu ne
regarderas point en arrière le lieu d’où il t’a fait sortir. Ton guide est
devant toi, le lieu d’où tu viens est derrière toi. Aime ton guide. et tu
n’encourras pas sa condamnation en regardant derrière. « Faites des voeux au
Seigneur votre Dieu, et accomplissez-les ».
17. « Tous ceux qui l’environnent, lui
offriront des présents». Qui est-ce qui environne le Seigneur? En quel lieu
peut-être celui-ci pour dire: « Tous ceux qui l’environnent?» Si tu as en
pensée Dieu le Père, où peut n’être l’oint Celui qui est présent partout? Si
c’est le Fils dans sa nature divine, il est avec le Père, présent partout: car
il est la sagesse de Dieu, dont il est dit: « Elle atteint partout à cause de
sa pureté 1 ». Si tu envisages le Fils,
1. Sag. VII, 24.
comme revêtu de notre chair, tel qu’on l’a vu
parmi les hommes, il fut crucifié, il est ressuscité, et nous savons qu’il est
monté au ciel. Qui donc est autour de Dieu? Les anges. Et nous, n’offrons-nous
aucun présent? Car le Prophète a dit: « Tous ceux qui l’environnent lui
offriront des présents ».Si Notre Seigneur était enseveli quelque part sur ta
terre, si son corps était renfermé dans quelque tombeau comme celui des
martyrs, nous remarquerions ceux qui seraient à l’entour, et les peuples qui
avoisineraient ce tombeau, ou ceux qui y viendraient de toutes parts.
Maintenant qu’il s’est élevé de la terre, il est au ciel. Que signifie: « Tous
ceux qui l’environnent lui offriront des présents? » Je vais vous dire le sens
que Dieu daigne m’inspirer au sujet de ces paroles: s’il s’en présente un
meilleur, il sera également à vous, car la vérité est de tout le monde: elle
n’est ni à vous ni à moi, ni à celui ci, ni à celui-là, elle est commune à tous.
Peut-être est-elle au milieu de nous, afin d’être ainsi environnée de tous ceux
qui l’aiment. Ce qui est commun à tous, est au milieu de tous. Qu’est-ce à donc
au milieu? Egalement éloignée de tous, également rapprochée de tous. Ce qui
n’est pas au milieu, paraît un bien privé. Ce qui est public, se place au
milieu, afin que tous ceux qui viennent en aient une part, en soient éclairés.
Que nul ne dise: Ceci est à moi, de peur de s’approprier ce qui est au milieu
pour tous. Qu’est-ce donc: « Tous ceux qui l’environnent lui offriront des
présents? » Tous ceux qui comprennent que la vérité est commune à tous, qui ne
tentent pas de se l’approprier avec orgueil comme leur bien propre, lui
offriront des présents, parce qu’ils ont de l’humilité. Ceux, au contraire, qui
s’emparent de ce qui est commua à tous, qui attirent séparément à eux ce qui
est au milieu, n’offrent pas des présents à Dieu; car « tous ceux qui
l’environnent offrent les présents au Dieu terrible ». C’est au Dieu terrible
que l’on fait des offrandes. Qu’ils le craignent dès lors, tous ceux qui
l’environnent. lis le craindront en effet, et le loueront avec frayeur, car ils
ne l’environnent que pour l’atteindre, afin de le posséder en commun, d’en
recevoir une lumière commune à tous. C’est là craindre Dieu. Chercher à se
l’approprier, de sorte qu’il ne soit plus le bien de tous, c’est le propre de
l’orgueil. Or, il est écrit: « Servez le Seigneur avec crainte, et louez-le
avec tremblement 1 ». Donc ceux qui l’environnent lui offriront des présents,
car ceux-là sont humbles qui savent que la vérité est le bien de tous.
18. A qui offriront-ils des présents? « Au
Dieu terrible, à celui qui ôte l’esprit des princes 2 ». L’esprit des princes
est un esprit d’orgueil. Ceux-là ne sont pas de l’esprit de Dieu, qui regardent
ce qu’ils savent, non comme le bien de tous, mais comme leur bien propre: il
est, au contraire, à celui qui se regarde l’égal de tous, qui se met au milieu
afin que tous puisent en lui ce qu’ils voudront et autant qu’ils voudront, non
ce qui vient de l’homme, mais de Dieu, et dès lors ce qui est à eux puisqu’ils
sont de Dieu. Tous ceux-là donc ont l’humilité, car ils ont échangé leur esprit
coutre l’esprit de Dieu. Qui leur a fait perdre leur esprit? Celui qui le fait
perdre aux princes, ainsi qu’il est dit dans un autre psaume: « Vous leur
ôterez leur esprit et ils seront sans force, et ils retourneront dans leur
poussière. Vous enverrez votre esprit, et ils renaîtront, et la face de la
terre sera changée 3». Quelqu’un a peut-être compris une vérité; s’il se
l’attribue en propre, il a encore son esprit; il est à souhaiter qu’il perde
son esprit pour acquérir l’Esprit de Dieu; il s’enorgueillit encore avec les
princes: il est bon qu’il rentre dans sa poudre, et qu’il dise: «
Souvenez-vous, Seigneur, que nous ne sommes que poussière 4». Si tu confesses
que tu es poussière, de cette poussière Dieu fera un homme. Tous ceux qui
l’environnent lui offrent des présents. Tous ceux qui sont humbles se
prosternent devant lui pour l’adorer. Ils offrent des présents au Dieu
terrible. S’il est terrible, « tressaillez avec crainte, devant Celui qui ôte
l’esprit des rois », ou qui réprime l’audace des orgueilleux. « il est terrible
aux rois de la terre ». Les rois de la terre sont redoutables en effet, mais il
est plus redoutable que tous les rois, Celui qui l’est même aux rois de la
terre. Sois un roi de la terre, et Dieu sera terrible pour toi. Mais, diras-tu,
comment serai-je un roi de la terre? Gouverne la terre, et tu seras un roi de
la terre. Loin de toi cette soif du pouvoir, qui te ferait jeter les yeux sur
de vastes provinces pour y déployer ta puissance; gouverne la terre que tu
portes. Ecoute l’Apôtre
1. Ps. II, 11.— 2. Id. LXXV, 13.— 3. Id.
CIII, 29, 30.— 4. Id, CII, 14.
qui gouvernait la terre: « Je combats, non
comme frappant les airs; mais je châtie mon corps et je le réduis en servitude,
de peur qu’après avoir prêché aux autres, je ne sois réprouvé moi-même ». Soyez
donc, mes frères, soyez autour de Dieu, afin de ne pas attribuer le mérite de la
vérité à celui qui vous l’annonce, quel qu’il soit: que cette vérité soit au
milieu de vous comme le bien de tous. Soyez humbles, et si vous comprenez
quelque peu ce bien inappréciable, ne vous en attribuez pas le mérite. Ce que
nous pourrions comprendre mieux que vous, est à vous; et ce que vous pourriez
mieux comprendre, est à nous également; demeurons tous autour de Dieu et dans
l’humilité. Et de la sorte en faisant abnégation de notre esprit, nous
offrirons des présents à Celui qui est redoutable aux rois de la terre,
c’est-à-dire à ceux qui gouvernent leur chair, dans la soumission au Créateur.
1. I Cor. IX, 26, 27.
SERMON AU PEUPLE,
Idithun,
ou celui qui devance, bondit jusqu’à ce qu’il arrive à la fin de la loi qui est
le Christ, et en dehors de qui tout est affliction. Il demande à Dieu, non les
biens de cette vie, ce serait reculer, mais Dieu lui-même, qu’il appelle en lui
au jour de la tribulation. Cette tribulation, c’est la vie qui est une épreuve.
L’homme qui devance cherche Dieu par de bonnes oeuvres, il le cherche la nuit
ou dans cette vie, qui est ténèbres, puisque nous avons besoin de la lumière
des Ecritures, mais qui est lumière en comparaison de la vie des infidèles.
C’est en cette vie qu’il faut chercher Dieu par des oeuvres incessantes, et le
chercher en sa présence pour éviter la déception. Le Prophète est dans la
tristesse, à la vue des pécheurs qui abandonnent la loi de Dieu; pour se
consoler des scandales, il se souvient de Dieu et cherche en lui le repos.
Partout il rencontre des pièges, et il s’abrite dans le silence pour méditer
les années éternelles, non point ces années dans lesquelles nous n’avons que le
moment où, nous parlons, encore nous échappe-t-il avec chaque syllabe. Dans le
silence de son âme il comprend que Dieu ne nous repoussera point éternellement,
car s’il y a en nous quelque pitié, elle vient de lui. En s’élevant au-dessus
de lui-même, il arrive aux délices pures, et se complaît dans les oeuvres de
Dieu, dans Dieu lui-même, qui est la sainteté, la grandeur, qui opère seul des
merveilles, et fait connaître son Christ aux Juifs et aux Gentils. Alois les
peuples ont confessé le Seigneur, à ta voix des nuées ou des Apôtres, dont la
prédication a transpercé les coeurs, et qui ont converti le monde entier à
cette lumière du Christ, dont les Juifs ont méconnu les traces.
1. Voici l’inscription qui ouvre le psaume: «
Pour la fin, psaume à Asaph pour Idithun 1 ». Vous savez ce que signifie u pour
la fin n. « Car le Christ est la fin de la loi pour ceux qui croiront 2».
Idithun signifie celui qui devance les autres, et Asaph l’assemblée. Celle qui
parle ici, est donc une assemblée qui s’avance pour arriver à la fin, qui est
le Christ Jésus: et le psaume nous apprend ce qu’il nous faut devancer pour
arriver à cette fin, où nous n’aurons plus rien à devancer. Car il nous faut
incessamment dépasser tout ce qui nous est obstacle, tout ce qui nous
embarrasse, tout ce qui nous retient comme
1. Ps. LXXVI, 1.— 2. Rom. X, 4.
une glu, tout fardeau qui appesantit notre
vol, jusqu’à ce que nous arrivions à ce qui doit nous suffire, au-delà de quoi
il n’y a plus rien, qui domine tout, et par qui tout existe. Un jour Philippe
voulait voir le Père, et disait à Notre Seigneur Jésus-Christ: « Montrez-nous
le Père, et cela nous suffit 1 », comme s’il avait encore quelques obstacles à
franchir pour arriver au Père, s’y reposer en toute sécurité, et n’avoir plus
rien à dépasser. Tel est le sens de cette parole: «Cela nous suffit». Or,
Jésus-Christ, qui avait dit, dans toute la force de la vérité: « Mon Père et
moi nous sommes un », avertit Philippe et lui enseigna que
1. Jean, X, 30.
tout homme qui comprend le Christ trouve
aussi sa fin dans le Christ, parce que le Père et lui sont un. « Il y a si
longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez point encore?
Philippe, quiconque me voit, voit aussi mon Père 1 ». Quiconque dès lors veut
entrer dans les sentiments du psaume, les reproduire, les conserver, doit
s’élever au-dessus de tous les désirs charnels, fouler aux pieds les pompes et
les charmes du monde, et ne se proposer d’autre terme à sa course, que Celui
par qui tout a été fait. Tout cela le fait languir, jusqu’à ce qu’il arrive à
sa fin. Que nous dit alors celui qui devance?
2. « J’ai élevé ma voix pour crier vers le
Seigneur 2». Mais combien en est-il qui élèvent la voix au Seigneur, pour en
obtenir des richesses, pour éviter quelque perte, pour la santé des leurs, pour
l’affermissement de leur maison, pour une félicité temporelle, pour les
dignités du monde, enfin pour leur propre santé, qui est le patrimoine du
pauvre? C’est pour ces biens et pour d’autres semblables que beaucoup élèvent
la voix vers le Seigneur 3, à peine s’en trouve-t-il qui élèvent la voix pour
Dieu lui-même. Il arrive aisément qu’un. homme cherche à obtenir quelque chose
de Dieu, et ne cherche pas Dieu: comme si le don nous convenait mieux que le
donateur. Quiconque demande à Dieu autre chose que lui-même, n’est pas encore
l’homme qui devance. Que dit alors cet Idithun? « J’ai élevé ma voix pour crier
vers le Seigneur ». Et pour nous montrer qu’eu élevant sa voix au Seigneur, il
n’a d’autre but que le Seigneur lui-même, il ajoute: « Et ma voix s’adresse à
Dieu. Notre voix peut, en effet, s’élever vers Dieu, et avoir un autre but que
Dieu lui-même. Nos cris ont pour but l’objet qui nous les fait élever. Mais
celui-ci qui aimait Dieu gratuitement, qui sacrifiait volontairement au
Seigneur 3, qui s’était élevé au-dessus de tout ce qui est ici-bas, qui ne
voyait plus au-dessus de lui rien qu’il pût désirer, sinon Celui d’où il
venait, par qui et en qui il avait été créé, vers lequel il élevait sa voix,
celui-ci, dis-je, n’adressait qu’au Seigneur ses cris. Est-ce donc en vain?
Ecoute la suite: « Et il m’a entendu ». Oui, sans doute il se penche vers toi,
quand tu le cherches, et non lorsque tu attends de lui autre chose que lui. Il
est dit de quelques-uns, qu’ « ils ont crié
1. Jean, IV, 8, 9. — 2. Ps. LXXVI, 2. — 3.
Id. LIII, 8.
sans que personne les sauvât, vers le
Seigneur, qui ne les a point écoutés 1 ». Pourquoi? Parce que leur voix ne
cherchait point le Seigneur. Voilà ce que nous marque l’Ecriture, qui dit
ailleurs, à propos de ces hommes: « Ils n’ont pas invoqué le Seigneur 2 ». Ils
n’ont cessé de crier vers lui, et pourtant « ils n’ont point invoqué le
Seigneur ».Que veut dire: « Ils n’ont point invoqué le Seigneur? » lis n’ont
point appelé le Seigneur en eux;,ils ne l’ont point attiré dans leurs coeurs,
ils n’ont point voulu que le Seigneur habitât en eux. Aussi que leur est-il arrivé?:
« Ils ont été saisis de frayeur, ou il n’y avait nulle crainte 3 ». Ils ont
redouté de perdre les biens du temps, parce qu’ils n’étaient point rassasiés de
Celui qu’ils n’avaient point appelé en eux. ils n’avaient point pour lui cet
amour désintéressé qui leur eût fait dire: « Comme il a plu au Seigneur, ainsi
il a été fait: que le nom du Seigneur soit bénis ». « Ma voix donc est pour le
Seigneur », dit le Prophète; puisse-t-il nous enseigner comment il en est
ainsi.
3. « Au jour de ma tribulation, j’ai
recherché le Seigneur 4 ». Qui es-tu pour en agir de la sorte? Vois ce qui
t’affecte au jour de la tribulation. Si tu es affligé d’être en prison, ton
désir est d’être délivré; si tu souffres de la fièvre, tu désires la santé;
situ souffres de la faim, tu recherches la nourriture; si tu as essuyé quelque
dommage, tu cherches de nouveaux gains; si l’éloignement de ta patrie te cause
quelque douleur, tes désirs sont d’y retourner: qu’ai-je besoin d’énumérer tout
le reste, et comment le pourrais-je? Veux-tu tout devancer? Au jour de la
tribulation, recherche le Seigneur, et non autre chose par le Seigneur; oui,
Dieu dans la tribulation, afin qu’il écarte la tribulation, et que tu puisses
demeurer en lui en toute sécurité. « Au jour de la tribulation, j’ai recherché
le Seigneur », rien que Dieu, mais Dieu lui-même. Et comment l’as-tu recherché?
« Toute la nuit je l’ai recherché de mes mains en sa présence ». Redis-le au
Prophète, afin que nous le sachions, que nous le comprenions, que nous le
pratiquions, s’il nous est possible. Qu’as-tu donc recherché au jour de la
tribulation? « Dieu ». Comment l’as-tu cherché? « De mes mains ». Quand l’as-tu
cherché?
1.
Ps. XVII, 42.— 2. Id. XIII, 5.— 3. Ibid.— 4. Job, I, 21.— 5. Ps. LXXVI,
3.
« La nuit ». Où l’as-tu cherché? « En sa
présence ». Quel est le fruit de tes recherches? « Je n’ai pas été déçu ».
Autant de particularités, mes frères, qu’il faut voir, qu’il faut sonder, qu’il
faut examiner avec soin; et quelle est cette affliction qui lui a fait
rechercher Dieu; et qu’est-ce que rechercher Dieu des mains, et pendant la
nuit, et en sa présence: car tout le monde comprend ce qui suit: « Et je n’ai
pas été déçu ». Que veut dire en effet: « Je n’ai pas été déçu?» j’ai trouvé ce
que je cherchais.
4. Cette affliction n’est pas une peine telle
quelle. Quiconque ne devance pas encore, ne con naît d’autre affliction que
celle qui nous survient en des temps fâcheux; mais celui qui s’avance ici
regarde toute sa vie comme une peine. Telle est son ardeur pour la céleste
patrie, que son pèlerinage sur la terre est sa plus grande tribulation.
Comment, je vous le demande, cette vie-ci ne serait-elle pas une calamité?
Comment ne serait-elle point une tribulation, quand elle est appelée une
tentation continuelle? On lit en effet dans le livre de Job: « La vie de
l’homme sur la terre n’est-elle pas une épreuve 1? » Nous dit-il que la vie de
l’homme est éprouvée sur la terre? Du tout. « Elle est elle-même l’épreuve»; si
elle est épreuve, elle est aussi tribulation. Ainsi donc, dans cette tribulation,
c’est-à-dire dans cette vie, l’homme qui devance a cherché Dieu. Comment? « De
mes mains », répond-il. Qu’est-ce à dire, « de mes mains? » Par mes oeuvres.
Car il ne cherchait rien de corporel qu’il pût toucher, comme on cherche une
monnaie d’or ou d’argent qu’on a perdue, ou toute autre chose que la main peut
toucher. Il est vrai que Notre Seigneur Jésus-Christ lui-même voulut qu’on le
touchât des mains, quand il montra ses plaies au disciple qui doutait. Mais
quand après avoir touché les cicatrices des plaies, il se fut écrié: « Mon
Seigneur et mon Dieu »; n’entendit-il pas:
«Tu as cru, parce que tu as vu: bienheureux
ceux qui ont cru sans voir 2? » S’il mérita ce reproche pour avoir cherché Jésus-Christ
de ses mains, en sorte qu’il soit ignominieux d’avoir cherché Dieu de la sorte;
nous qui sommes appelés bienheureux parce que nous avons cru sans voir,
pourquoi chercherions-nous te Seigneur, de la main? Nous le
1. Job, VII, 1. — 2. Jean, XX, 27-29.
chercherons, disons-nous, par nos oeuvres.
Quand le chercherons-nous? « La nuit ». Qu’est-ce à dire, « la nuit? » En cette
vie. Car la nuit règne tant que ne paraît point le jour où Jésus-Christ Notre
Seigneur doit paraître dans sa gloire. Voulez-vous corn prendre que nous sommes
dans la nuit? C’est que si nous n’avions un flambeau nous serions
continuellement dans les ténèbres. Saint Pierre dit en effet: « Nous avons une
preuve plus frappante dans les oracles des Prophètes, sur lesquels vous avez raison
d’arrêter les yeux, comme sur un flambeau qui luit dans un lieu obscur, jusqu’à
ce que vienne à poindre le jour, et que l’étoile du matin se lève dans vos
coeurs ». Il viendra donc après cette nuit, mais pendant cette nuit
servons-nous d’un flambeau. C’est là sans doute ce que nous faisons
actuellement: vous exposer les saintes Ecritures, c’est vous donner comme
consolation dans nos ténèbres, un flambeau qui doit toujours être allumé dans
vos demeures; car c’est à ce sujet qu’il est dit:
« N’éteignez point l’esprit 2 ». Et comme
pour expliquer cette parole, saint Paul ajoute:
« Ne méprisez pas la prophétie ».
C’est-à-dire, que votre lampe soit allumée. Or, cette lumière est appelée nuit
lorsqu’on la compare avec le jour ineffable; mais en face de la vie des
infidèles, la vie des fidèles est bien une lumière. Nous avons déjà dit comment
elle est nuit, et nous l’avons prouvé par le témoignage de saint Pierre, qui
nous parte de flambeau et nous avertit d’être attentifs a ce flambeau,
c’est-à-dire aux discours des Prophètes, « jusqu’à ce que le jour vienne, et
que l’étoile du matin se lève dans nos coeurs ». Saint Paul nous montre aussi
que la vie des fidèles est un véritable jour, si nous la comparons à la vie des
impies: « Loin de nous », dit-il, « ces oeuvres des ténèbres, revêtons-nous des
armes de la lumière; marchons dans la décence comme dans le jour 3 ». Une vie
honnête est donc le jour en comparaison de la vie des impies. Mais ce jour
d’une vie fidèle ne suffit point à notre Iditum. Il veut s’élever au-delà de
cette lumière, jusqu’à ce qu’il arrive à ce jour où il ne craindra plus les
tentations de la nuit. Ici-bas, en effet, bien que la vie des fidèles soit une
lumière, « la vie de l’homme sur la terre est une épreuve 1 ». Elle est lumière
et ténèbres; lumière, si nous
1. II Pier. I,
19.— 2. Id. V, 19.— 3. Rom. XIII, 12.— 4. Job, VII, 1.
la comparons à la vie des infidèles;
ténèbres, si nous la comparons à la vie des anges. Car les anges ont une
lumière que nous n’avons pas encore, et nous avons une lumière que n’ont pas
les infidèles: mais les fidèles n’ont point la vie des anges, ils n’en doivent
jouir que quand ils seront comme les anges de Dieu, ce qui leur est promis pour
le jour de la résurrection 1. Ainsi donc, en ce jour qui est nuit encore, nuit
en comparaison du jour auquel nous aspirons, jour en comparaison des ténèbres
de notre vie passée: dans celte nuit, dis-je, recherchons Dieu de nos mains.
Que nos bonnes oeuvres ne s’arrêtent point; cherchons Dieu, et que nos désirs
ne soient point stériles. Si nous sommes en voyage, faisons les dépenses pour
arriver au terme. Cherchons Dieu de nos mains. Bien que ce soit pendant la nuit
que nous le cherchions de nos mains, il n’y a point d’erreur, puisque nous le
cherchons « en sa présence ». Qu’est-ce à dire, « en sa présence? » «
Gardez-vous de faire vos bonnes oeuvres devant les hommes, afin qu’ils vous
voient; autrement vous n’aurez pas de récompense de votre Père qui est dans les
cieux. Lors donc que vous faites l’aumône », dit il, lorsque vos mains
cherchent Dieu, « ne sonnez pas de la trompette devant vous, comme font les
hypocrites; mais que votre aumône soit dans le secret; et votre Père qui voit
dans le secret vous le rendra 2 ». Donc « j’ai cherché de mes mains en sa
présence, et je n’ai pas été déçu ».
5. Mais voyons ce qu’Idithun a enduré sur la
terre et pendant cette nuit; écoutons avec la plus grande attention, comment
les embarras et les afflictions de cette vie, l’ont mis dans une certaine
nécessité de s’élever au-dessus de tout cela. « Mon âme a refusé toute
consolation 3 ». Tel était mon ennui sur la terre, que mon âme se fermait à
toute consolation. D’où lui venait un tel ennui? La grêle avait-elle ravagé sa
vigne, ou ses olives ne mûrissaient-elles point, ou la pluie avait-elle retardé
ses vendanges? D’où vient cet ennui? Ecoute un autre psaume, dont
l’interlocuteur est le même: « L’ennui m’a saisi, à la vue des pécheurs qui
abandonnent votre loi 4 ». Tel est le mal qui lui avait causé un si profond
ennui, que son âme, dit-il, se
1.
Matth. XXII, 30.— 2. Id. VI, 1, 2,4. — 3. Ps. LXXVI, 3.— 4. Id. 118, 53.
refusait à toute consolation. Absorbé par
l’ennui, plongé dans une tristesse sans ressource, il ne veut plus de
consolation. Dès lors que lui reste-t-il?
6. Vois d’abord ce qui le consolerait.
N’avait-il pas cherché quelqu’un qui s’affligeât avec lui et sans le trouver 1?
Où pouvait-il se tourner pour être consolé, celui qui s’affligeait en voyant
abandonner la loi de Dieu? Où se tourner? vers quelque homme de Dieu?
L’expérience ne lui a-t-elle pas fait rencontrer, de leur part, une douleur
d’autant plus grande, qu’il en avait espéré une joie plus douce? Quelquefois,
en effet, on découvre des hommes justes, et l’on s’en réjouit; il faut d’autant
plus s’en réjouir, que la charité est inséparable de cette joie; niais si dans
ces hommes qui causent notre joie, nous trou. vous quelque dépravation, comme
il arrive souvent, nous ressentons autant d’ennui que tout d’abord nous avions
ressenti de joie; c’est au point que, dans la suite, on craint de donner cours
à sa joie, de s’abandonner à l’allégresse, de peur de rencontrer une tristesse
plus grande encore que la joie que l’on a pu ressentir. Frappé donc de ces
nombreux scandales, comme d’autant de plaies, il ferme son âme à toute
consolation humaine, il n’en veut chercher aucune. Comment vivre alors? comment
respirer? « Je me suis souvenu de Dieu, et j’ai été dans la joie ». Mes mains
n’avaient pas travaillé vainement, elles avaient trouvé le souverain
Consolateur. Ce n’est point dans le repos que « je me suis souvenu de Dieu, et
que j’ai été dans la joie ». C’est donc Dieu qu’il faut prêcher, lui dont le
souvenir a comblé de joie notre interlocuteur, l’a consolé dans la tristesse,
et lui a rendu l’espoir du salut, c’est Dieu qu’il faut bénir. Il nous montre
encore qu’il a été consolé, quand il dit: « J’ai communiqué». Qu’est-ce à dire:
« J’ai communiqué?» J’ai tressailli, j’ai répandu ma joie. On appelle
communicatifs, ceux que le vulgaire nomme causeurs, et qui dans les transports
de leur joie ne peuvent et ne veulent pas se taire. Voilà Idithun, et que
dit-il ensuite? « Et mon âme est tombée en défaillance ».
7. L’ennui l’avait accablé, il retrouvait la
joie dans le souvenir de Dieu, puis il tombe en défaillance, après avoir parlé;
que dit-il ensuite? « Mes ennemis ont devancé le moment
1. Ps. LXVIII, 21.
de la veille 1 ». Mes ennemis ont veillé sur
moi, ils ont veillé plus que moi, et dans cette vigilance ils m’ont surpris. Où
ne sont point leurs pièges? Mes ennemis n’ont-ils pas devancé l’heure de la
veille? Quels sont en effet mes ennemis, sinon ceux dont l’Apôtre a dit: « Vous
n’avez pas à combattre contre la chair et le sang, mais contre les
principautés, contre les puissances, contre les princes de ce monde ténébreux,
contre les esprits de malice répandus dans les airs 2?» C’est donc le diable et
ses anges qu’il nous faut combattre; et c’est avec raison qu’ils sont appelés
gouverneurs du monde, puisqu’ils gouvernent ceux qui sont épris du inonde. Sans
doute l’Apôtre ne les appelle point gouverneurs du monde, comme s’ils avaient
la direction du ciel et de la terre, mais par ce mande il entend les pécheurs:
«Et le monde ne l’a point connu 3». Ainsi donc le monde gouverné par le démon,
c’est le monde qui n’a pas connu le Christ. C’est contre ces démons que nous
avons d’impérissables inimitiés. Quelle que soit ta haine contre un homme, tu
songes à en finir, ou en recevant ses excuses, s’il t’a offensé le premier, ou
en présentant les tiennes, si l’offense vient de toi, ou par de mutuelles
excuses, Si vos outrages sont réciproques: tu t’efforces d’en venir à une
satisfaction, à un accord mais avec le diable et ses anges, nul accord n’est
possible. Ils nous envient le royaume des cieux. Ils ne peuvent s’adoucir à
notre égard: « Ce sont des ennemis qui ont devancé «toutes nos veilles ». Ils
sont plus attentifs à nous tromper, que moi à me défendre. « Mes ennemis ont
devancé toutes mes veilles ». Comment n’auraient-ils point mis en demeure toute
vigilance, eux qui ont tendu partout des pièges et des pierres de scandale?
Es-tu dans l’ennui? tu dois craindre que la tristesse ne t’accable; es-tu dans
la joie? crains que l’expansion de cette joie ne te conduise à la défaillance:
« Mes ennemis ont devancé toutes mes veilles ». Enfin, lorsque tu épanches ta
joie, lorsque tu parles dans une sécurité parfaite, combien n’y a-t-il pas dans
ton langage de ces choses que tes ennemis voudraient saisir et critiquer, et
dont ils voudraient te faire un crime, fût-ce par la calomnie: voilà ce qu’il a
dit, voilà ce qu’il pense, tel est son langage? Que peut faire un homme, sinon
ce
1. Ps. LXXVI, 5.— 2. Ephés. VI, 12. — 3.
Jean, I, 10.
qui suit: « Dans mon trouble, j’ai gardé le
silence? » Il s’est donc troublé, et craignant que son ennemi aux aguets ne
cherchât et ne trouvât dans ses épanchements matière à calomnie, il a gardé le
silence, Mais Idithun n’a point cessé pour cela de s’épancher intérieurement:
s’il a interrompu sa parole extérieure, où peut-être s’était glissée quelque
envie de plaire aux hommes, il ne s’est point découragé, il n’a pas interrompu
ses efforts pour devancer jusqu’à cette vanité. Et que dit-il?
8. « J’ai médité les jours anciens 1 ».
Semblable à celui que l’on maltraite au dehors, il se retire en lui-même dans
le secret de sa pensée. Qu’il nous dise alors ce qu’il y fait
« J’ai médité les jours anciens ». Tant
mieux. Voyez, je vous en supplie, quelles sont ses pensées. Dans son intérieur,
dans son âme, il médite les jours anciens. Nul ne vient lui dire: Tu t’es mal
exprimé; nul mie lui dit C’est trop parlé; nul ne lui dit: Ton opinion est
fausse. Que Dieu l’aide ainsi à se contenter de lui-même: qu’il médite les
jours anciens, et qu’il nous dise ce qu’il a fait dans le secret de son âme, où
en est-il arrivé? qu’a-t-il devancé? où en est-il demeuré? « J’ai médité les
jours anciens, et je me suis souvenu des années éternelles ». Quelles sont ces
années éternelles? Sublime pensée t Voyez si cette pensée n’exige point un
grand silence. Loin de moi tout bruit du dehors, tout fracas des choses
humaines, quand je veux méditer intérieurement les années éternelles.
Sont-elles bien éternelles, ces années qui sont les nôtres, qui furent celles
de nos ancêtres, ou qui seront celles de notre postérité? Gardons-nous bien de
le croire. Que nous reste-t-il de ces années? Dans la conversation, nous
disons: Cette année; mais que possédons-nous de cette année, sinon le jour où
nous sommes? car les jours qui ont précédé ont passé, et il n’en reste rien;
les jours à venir ne sont point encore. Nous ne sommes que dans un jour, et
nous disons: Cette année; disons plutôt: Aujourd’hui, si nous voulons parler du
présent. Que nous reste-t-il, en effet, de toute l’année? Tout ce qui est
écoulé de l’année, n’existe déjà plus; tout ce qu’il y a dans l’avenir n’existe
point encore; comment dire: Cette année? Corrige ton langage et dis:
Aujourd’hui. C’est vrai, je dirai: Aujourd’hui. Et maintenant
1. Ps. LXXVI, 6.
encore fais-y attention; les heures du matin
sont écoulées, les heures à venir ne sont point encore. Corrige donc une
seconde fois ton langage, et dis: Cette heure. Mais dans cette heure quelle est
ta part? Il s’en est écoulé une partie déjà, et l’autre partie n’existe point
encore. Dis donc: Le moment. Quel moment? Pendant que j’articule des syllabes,
si j’en dois prononcer deux, la seconde ne résonne que quand l’autre n’est déjà
plus; et même dans cette syllabe, s’il y a deux lettres, la seconde lettre ne
résonne que quand la première n’est plus. Quelle est donc notre part dans ces
années? Ces années sont mobiles; il nous faut penser aux années éternelles, aux
années qui demeurent, qui ne s’écoulent point dans le va-et-vient des jours,
aux années dont l’Ecriture a dit ailleurs, en parlant à Dieu: « Pour vous, vous
demeurez le même, et vos années ne s’en vont point 1 ». Telles sont les années
que cet homme qui devance a méditées en silence, et non dans un babil
extérieur: « Et je me suis souvenu des années éternelles ».
9. « Et j’ai médité la nuit dans mon coeur
2». Nul ne lui tend des pièges pour incriminer ses paroles, il a médité dans
son coeur. « Je babillais ». Tel est son babil, redouble d’attention, et ne
laisse pas sommeiller ton esprit. Ce babil n’est plus extérieur, il est autre
maintenant. Quel est-il maintenant? « Je me répandais en paroles, et je sondais
mon esprit ». S’il fouillait la terre, pour y chercher un filon d’or, nul ne
l’accuserait de folie, plusieurs même vanteraient sa sagacité à chercher l’or:
quelles richesses n’a-t il pas à l’intérieur, et qu’il ne cherche point?
Idithun sondait son esprit, il s’entretenait avec son esprit, il s’épanouissait
dans son babil. Il s’interrogeait, il s’examinait, il était à lui-même son
juge. Aussi dit-il: « Je sondais mon esprit». Il est à craindre qu’il ne
demeure dans son esprit: il a babillé au dehors, et comme ses ennemis avaient
devancé toute veille, il n’a trouvé là que de la tristesse, et son esprit a
défailli. Après avoir babillé au dehors, il a cherché sa sûreté dans un
entretien intérieur; c’est là que dans le silence il médite les années
éternelles: « Et je sondais mon esprit », nous dit-il encore. Il est à craindre
néanmoins qu’il ne se renferme dans son âme, et ne se jette plus en avant.
Toutefois son
1. Ps. CI, 28. — 2. Id. LXXVI, 7.
action intérieure est préférable à l’action
du dehors. Il y a progrès: voyons quelle en est l’étendue. Car il ne cesse de
se porter en avant, jusqu’à ce qu’il arrive « à cette fin
qui donne le titre à notre psaume: « Je
babillais », dit-il, « et je sondais mon âme ».
10. Et qu’as-tu trouvé, ô Prophète? Que e
Dieu ne nous repoussera point éternellement 1 ». L’ennui l’avait assailli en
cette vie; nulle part la confiance, nulle part une sécurité consolante. A
quelques hommes qu’il pût s’adresser, il trouvait ou redoutait en eux le
scandale. Nulle part il n’est en sûreté. Le silence avait pour inconvénient de
se taire au sujet des bienfaits: parler et babiller au dehors était dangereux,
car ses ennemis qui avaient devancé toutes ses veilles, cherchaient dans son
langage de quoi le calomnier. Eu butte aux angoisses et à la violence, en cette
vie il a beaucoup médité sur l’autre vie qui n’aura point ces épreuves. Et
quand y arrivera-t-il? Car nul doute à cet égard, les afflictions de cette vie
sont un effet de la colère de Dieu. Voici en effet ce que dit Isaïe: « Mes
vengeances contre vous ne seront pas éternelles, et ma colère contre vous ne
durera point à jamais ». Il nous en donne la cause. « C’est de moi que viendra
l’Esprit, et moi j’ai créé les âmes. Je l’ai affligé à cause de son péché, je
l’ai frappé, j’ai détourné de lui ma face, et il s’en est allé, et s’est égaré
dans ses voies 2 ». Quoi donc ! cette colère de Dieu sera-t-elle éternelle?
Voilà ce que le Prophète n’a point trouvé dans son silence, Que dit-il en
effet? « Le Seigneur ne nous repoussera point éternellement; et cela n’entrera
plus désormais dans ses desseins»: c’est-à-dire, il n’entrera pas dans ses
desseins de nous rejeter, et il ne continuera pas éternellement de nous rejeter
loin de lui. Il faut qu’il rappelle à lui ses serviteurs, il faut qu’il
recueille tous ces fugitifs qui reviennent au Seigneur, il faut qu’il écoute
les plaintes de ceux qui sont enchaînés. « Le Seigneur ne nous rejettera pas
éternellement; et cela n’entrera plus désormais dans ses desseins».
11. « Nous privera-t-il de sa miséricorde
jusqu’à la fin, et de race en race? Ou le Seigneur oubliera-t-il sa clémence
3?» En toi et de toi-même, tu n’as pour les autres que cette miséricorde qui te
vient de Dieu; et Dieu oublierait la miséricorde? Le ruisseau coule;
1. Ps. LXXVI, 8. — 2. Isa. LVII, 16, 17.— 3.
Ps. LXXVI, 9, 10.
et la source elle-même se tarirait? « Dieu
oubliera-t-il de nous prendre en pitié? et sa colère va-t-elle arrêter sa
compassion? » On sera-t-il en colère, de manière à n’avoir plus de pitié? Il
lui est plus facile de s’arrêter dans sa colère que dans sa bonté. C’est ce
qu’il avait dit encore par Isaïe: « Ma vengeance contre vous ne sera point
éternelle, ni ma colère sans fin». Et après avoir dit: « Il s’en est allé
triste, et a marché dans ses voies». «Ces voies», dit-il, «je les ai vues, et je
l’ai guéri 1».Voilà ce qu’a reconnu le Prophète, et il s’est élevé au-dessus de
lui-même, pour mettre sa joie en Dieu et s’épanouir là où il est, ainsi que
dans ses oeuvres, non pas dans son esprit, non point dans ce qu’il a été, mais
dans celui qui est son Créateur. C’est de là qu’il s’est élancé pour s’élever.
Voyez-le s’élancer, voyez s’il s’arrête quelque part, jusqu’à ce qu’il arrive à
Dieu.
12. « Et j’ai dit ». Déjà élevé au-dessus de
lui-même, que dit-il? « Maintenant je commence »: je me surpasse moi-même. «
Maintenant je commence ». Nul péril ici désormais; car il était dangereux pour
moi de demeurer en moi-même. « Et j’ai dit: Maintenant, je commence, c’est là
un changement qui est l’oeuvre de la droite du Très-Haut 2». C’est le Très-Haut
qui a commencé à me changer; c’est là un commencement qui me donne la sécurité,
c’est maintenant que j’entre dans ces régions du bonheur où nul ennemi n’est à
craindre, maintenant que j’habite ces contrées où tous mes ennemis ne
devanceront point mes veilles. « Je commence aujourd’hui; ce changement est
l’oeuvre de la droite du Très-Haut ».
13. « Je me suis souvenu des oeuvres de Dieu
». Voyez-le se donnant de l’espace dans les oeuvres de Dieu. Il babillait au dehors,
et dans son affliction son esprit s’en est allé: il a babillé dans le secret de
son coeur, avec son esprit; et en sondant ce même esprit, il s’est souvenu des
années éternelles, souvenu de la miséricorde de Dieu, car le Seigneur ne doit
point nous rejeter éternellement: et le voilà qui se réjouit en sûreté dans ses
oeuvres, qui tressaille sans crainte. Ecoutons ces oeuvres nous aussi, et
prenons part à sa joie; mais élevons cette joie au-dessus de nous-mêmes, et ne
l’abaissons pas au niveau du temps. Car nous aussi, nous avons
1. Isa. LVII, 18. — 2. Ps. LXXVI, 11.
notre lit secret. Pourquoi n’y pas entrer?
pourquoi n’y point travailler dans le silence? pourquoi n’y point sonder notre
esprit? pourquoi n’y point méditer les années éternelles? pourquoi ne pas nous
réjouir dans les oeuvres de Dieu? Ecoutons-le maintenant; que sa parole fasse
tellement nos délices, que même, sortis d’ici, nous fassions encore ce que nous
faisions pendant qu’il parlait; si toutefois nous avons commencé comme le
Prophète l’a dit: « Maintenant, c’en est fait». Te réjouir des oeuvres de Dieu,
c’est t’oublier toi-même, si tu peux mettre en lui seul tes délices. Où trouver
mieux que lui? Ne vois-tu pas que rentrer en toi-même, c’est trouver bien
moins? « Je me suis souvenu des oeuvres de Dieu: parce que je me souviendrai,
Seigneur, de toutes vos oeuvres depuis le commencement 1».
14. « Et je méditerai sur vos oeuvres, et je
m’entretiendrai de vos charmes 2». Voilà un troisième entretien. Entretien au
dehors, quand ton esprit a défailli; entretien intérieur et dans le secret du
coeur, quand il s’est avancé; entretien sur les oeuvres de Dieu, quand il est
arrivé au but qu’il poursuivait. « Je gloserai sur vos charmes », non point sur
les miens. Quel est l’homme qui vit sans charmes? Et pourriez-vous croire, mes
frères, qu’il n’y ait point de charmes pour l’homme qui craint Dieu, qui sert
Dieu, qui aime Dieu? Pouvez-vous le croire et penser qu’il n’y àit rien
d’attrayant dans les oeuvres de Dieu, quand vous trouvez de l’attrait dans un
tableau, dans le théâtre, dans la chasse aux bêtes fauves ou aux oiseaux, dans
la pêche? N’y aurait-il aucun attrait à méditer les oeuvres de Dieu, à
contempler le monde, à ramener sous nos yeux le spectacle de la nature, alors
que l’on en recherche l’auteur, et qu’on ne le trouve jamais en désaccord, mais
dans une harmonie incomparable?
15. « Votre voie, ô Dieu, est dans la
sainteté ». Il envisage autour de nous les oeuvres de la miséricorde suprême,
il en glose, il s’épanouit dans leurs charmes. Tel est son point de départ. «
Votre voie est dans la sainteté ». Quelle est cette voie dans la sainteté? « Je
suis », dit le Seigneur, « la voie, la vérité et la vie 4 ». Revenez donc, ô
hommes, revenez de vos passions. Où allez-vous? Où courez-vous? Pourquoi fuir
ainsi,
1. Ps. LXXVII, 12. — 2. Id. 13. — 3. Id. 14.
— 4. Jean, XIV, 16.
non seulement loin de Dieu, mais loin de
vous? Rentrez en vous-mêmes, ô prévaricateurs 1, sondez votre âme, repassez les
années éternelles, reconnaissez la bonté de Dieu pour vous, et voyez les
oeuvres de sa miséricorde. « Sa voie est dans la sainteté ». Enfants des
hommes, jusques à quand vos coeurs seront-ils appesantis? Que cherchez-vous
dans vos délices? Pourquoi vous éprendre de la vanité, et courir après le
mensonge? Sachez donc que le Seigneur a glorifié son saint 2. « Votre voie est
dans la sainteté ». Elevons-nous donc à lui, élevons-nous au Christ; c’est là
qu’est sa voie. « O Dieu, votre voie est dans le saint. Quel Dieu est aussi
grand que notre Dieu? » Les Gentils trouvent des charmes dans leurs dieux; ils
adorent des idoles, qui ont des yeux et ne voient point, des oreilles et
n’entendent point, des pieds et ne marchent point 3. Pourquoi marcher vers ce
Dieu qui ne marche pas? Je n’adore point ces idoles, me dit-il. Qu’est-ce que
tu adores? La divinité qui y réside? Tu adores, sans aucun doute, ce qui a fait
dire ailleurs: « Que les dieux des nations sont des démons
C’est l’idole que tu adores, ou le démon? Ni
l’idole, ni le démon, crie répond-il. Quel est donc ton culte? Celui des
étoiles, du soleil, de la lune, des corps célestes: qu’il vaudrait mieux adorer
celui qui a fait le ciel et la terre! Quel Dieu est grand comme notre Dieu?
16. « Vous opérez des merveilles, et les
opérez seul ». Vous êtes un Dieu véritablement grand, qui opérez des merveilles
en notre corps et en notre âme, et le seul pour en opérer. Les sourds ont
entendu, les aveugles ont vu, les malades ont été guéris, les morts ont
ressuscité, les paralytiques ont recouvré la force. Ces merveilles toutefois sont
corporelles; voyons les miracles sur l’âme. Des hommes naguère adonnés au vin
sont devenus sobres; ceux qui tout à l’heure adoraient des idoles ont embrassé
la foi; d’autres qui volaient le bien des autres donnent leurs biens aux
pauvres. « Quel Dieu est grand comme notre Dieu? Vous opérez des merveilles et
les opérez seul ». Moïse a fait des merveilles, mais non seul; Elie en a fait,
Elisée en a fait, les Apôtres en ont fait; mais nul d’entre eux n’était seul.
Pour les faire, ces merveilles, vous étiez avec eux; mais
1. Isa. XLVI,
8.— 2. Ps. IV, 3, 4.— 3. Id. CXIII, 5-7. — 6. Id. XCV, 5. — 7. Id. LXXVI,
15.
vous, pour les faire, vous n’aviez nul besoin
d’eux. Ils n’étaient point avec vous, en effet, quand vous les avez faits
eux-mêmes. « Vous êtes un Dieu opérant des merveilles et les opérant seul ».
Comment seul? Peut-être le Père et non le Fils? ou le Fils et non le Père? Non,
mais le Père, le Fils et le Saint-Esprit. « Vous êtes un Dieu opérant seul des
merveilles ». Car il n’y a pas trois dieux, mais un seul Dieu qui fait des
merveilles, et qui en fait dans celui qui devance. Car le jeter en avant et le
faire arriver où il en est, c’est là une merveille de Dieu; mais quand il s’est
tenu un langage intérieur et dans son âme, et qu’il s’est élevé au-dessus de
son âme pour trouver ses délices dans les oeuvres de Dieu, c’est lui qui a fait
là une merveille. Mais qu’a fait le Seigneur? « Vous avez fait connaître aux
peuples votre puissance ». De là cette Eglise, ou Asaph qui devance, parce que
le Seigneur a fait connaître sa puissance parmi les nations. Quelle puissance
a-t-il montrée. aux peuples? « Pour nous, nous prêchons Jésus-Christ crucifié,
scandale pour les Juifs, folie pour les Gentils; mais pour les Juifs qui sont
appelés, aussi bien que pour les Grecs, la puissance de Dieu, la sagesse de
Dieu 1 ». Si donc le Christ est la puissance de Dieu, c’est le Christ qu’il a
fait connaître aux peuples. Pouvons-nous l’ignorer encore? Serions-nous dans
une telle démence, dans une telle prostration, assez arriérés jusqu’à ne pas
voir cette parole accomplie: « Vous avez montré aux peuples votre puissance? »
17. « Votre bras a racheté votre peuple 2 ».
« Votre bras », c’est-à-dire votre puissance. A qui le bras du Seigneur a-t-il
été révélé 3? « Votre bras a racheté votre peuple, les enfants d’Israël et de
Joseph ». Comment paraît-il faire deux peuples « des fils d’Israël et des fils
de Joseph? » Ces fils de Joseph étaient-ils fils d’Israël? Oui, assurément.
Voilà ce que nous savons, ce que nous lisons, ce que nous prêche l’Ecriture, ce
que nous enseigne la vérité, que Israël ou Jacob eut douze tils parmi lesquels
nous comptons Josepli, et que tous ceux qui sont nés de ces douze patriarches
appartiennent au peuple d’Israël. Pourquoi dire alors, « les fils d’Israël et les
fils de Joseph? » Je ne sais point quelle distinction il veut nous indiquer.
1. I
Cor. I, 23, 24. — 2. Ps. LXXVI, 16. — 3. Id. LIII, 1.
Cherchons dans notre âme: peut-être y a-t-il
quelque dessein de ce même Dieu qu’il nous faut chercher de nos mains au milieu
de la nuit, afin de n’être point trompés; c’est nous peut-être que nous
trouverons dans cette distinction « des enfants d’Israël et de Joseph ». Par
Joseph il a voulu entendre un autre peuple que celui d’Israël, le peuple des
Gentils. Pourquoi Joseph désignerait-il les nations? Parce qu’il fut vendu en
Egypte par ses frères 1. La jalousie porta ses frères à vendre Joseph pour
l’Egypte, et ainsi vendu il passa par la douleur et par l’humiliation; reconnu,
il se releva, grandit, commanda. A tous ces points de vue, qu’a-t-il symbolisé?
Quoi, sinon le Christ, vendu par ses frères, rejeté de sa patrie, comme dans
l’Egypte chez les nations? La, humilié d’abord quand la persécution sévit
contre les martyrs, il est élevé dans cette gloire que nous voyons; car voilà
que s’est accompli cet oracle: « Les rois de la terre doivent l’adorer, les
nations le serviront 2 ». Donc Joseph est le peuple des nations, Israël est le
peuple de la race des Hébreux. Dieu a racheté son peuple, « les fils d’Israël
et les fils de Joseph ». Par quoi? Par cette pierre de l’angle où se réunissent
les deux murailles 3.
18. Le Prophète poursuit ainsi: « Les eaux
vous ont vu, ô Dieu 4 ». Quelles sont « ces eaux? » Les peuples. Quelles sont «
ces eaux », est-il dit dans l’Apocalypse? et il est répondu: ce sont les
peuples: par là, nous le voyons clairement, les eaux désignent les peuples 5.
Le Prophète a dit plus haut: « Vous avez fait connaître aux peuples votre
force. C’est donc à bon droit que les eaux vous ont vu, ô Dieu; les eaux vous
ont vu et ont frémi ». Et parce qu’elles ont frémi, elles ont changé. « Les
eaux vous ont vu, ô Dieu, les eaux vous ont vu et ont frémi, et les ahuries ont
été troublés ». Qu’est-ce que « l’abîme? » La profondeur des eaux. Qui n’est
pas ému parmi les peuples quand la conscience est frappée? Tu cherches la
profondeur des mers: quelle profondeur plus grande que la conscience humaine?
Telle est la profondeur qui s’est troublée, quand le Seigneur a racheté sou
peuple par la force de son bras. Quand l’abîme s’est-il troublé? C’est quand
les peuples ont
1. Gen. XXXVII, 28. — 2. Ps. LXXI, 11. — 3.
Ephés. 14. — 4. Id. LXXII, 11. — 5. Apoc. XVII, 15.
répandu leurs consciences par l’aveu. « Et
l’abîme s’est troublé ».
19. « Les eaux sont tombées avec fracas 1».
La louange de Dieu, la confession des fautes, les hymnes, les cantiques, les
prières, c’est là « le fracas des grandes eaux». «Les nuées ont grondé ». Le
fracas des eaux, le trouble de l’abîme viennent de « la grande voix des nuées
». Quelles nuées? Ceux qui ont prêché la parole de vérité. Quelles nuées? Ces
nuées dont Dieu menace la vigne qui donne des épines et non des raisins: « Je
commanderai à mes nuées de ne point pleuvoir sur elle 2 ». En effet, les
Apôtres ont abandonné les Juifs pour aller chez les Gentils. Ces nuées « ont
fait entendre leur voix » dans toutes les nations, et c’est en prêchant le
Christ qu’ « elles ont fait entendre leur voix ».
20. « Car vos flèches ont traversé 3 ». Le
Prophète appelle des flèches, ce qu’il appelait des nuages. Les paroles des
Evangélistes, en effet, sont des flèches, ou ressemblent à des flèches. Car, à
proprement parler, une flèche n’est pas la pluie, ni la pluie une flèche; mais
la parole de Dieu est une flèche parce qu’elle frappe, et une pluie parce
qu’elle arrose. Il n’est donc pas étonnant que l’abîme se trouble, quand « vos
flèches le traversent». Qu’est-ce à dire « traverser? » Qu’elles ne demeurent
point dans les oreilles, mais qu’elles transpercent les coeurs. « La voix de
votre tonnerre est dans une roue». Qu’est-ce à dire? Comment faut-il
comprendre? Dieu nous soit en aide. « La voix de votre tonnerre est dans une
roue ». Dans notre enfance le bruit du tonnerre nous paraissait le bruit d’un
chariot sortant de l’étable: car les secousses du tonnerre ont de la
ressemblance avec les secousses d’un chariot. Faut-il en revenir à ces
puérilités pour comprendre: « La voix de votre tonnerre est dans une roue »;
comme si Dieu avait dans les nuages des chariots dont la marche occasionnerait
ces bruyantes secousses? Point du tout. Ce serait puéril, vain et frivole. Que
signifie donc: « La voix de votre tonnerre est dans une roue?» Votre voix
tourne, je ne comprends pas davantage. Que faire alors? Interrogeons, Idithun
lui-même; peut-être expliquera-t-il ce qu’il entend par « la voix de votre
tonnerre est dans une roue », et que je ne comprends point. Ecoutons ce qu’il
dit ensuite: « Le
1. Ps. LXXVI, 18.— 2. Isa. V, 6.— 3. Ps.
LXXVI, 19.
feu de vos éclairs a brillé devant le globe
terrestre ». Parlez, ô Prophète, car je ne comprenais point. Le globe de la
terre est une roue, car la circonférence du globe terrestre se nomme avec
raison un cercle, d’où l’on appelle petit cercle une petite roue. « La voix de
votre tonnerre est dans une roue, le feu de vos éclairs a brillé devant le
globe de la terre ». Ces nuages, dans une roue, ont parcouru l’univers entier;
ils l’ont parcouru avec des tonnerres et des éclairs; ils ont troublé l’abîme
par les tonnerres des préceptes et par les éclairs des miracles car leur voix a
retenti sur toutes les terres, et leurs paroles dans tous les confins de
l’univers 1. « La terre s’est troublée, elle a bondi en frémissant »:
c’est-à-dire, tous ceux qui l’habitent, et par figure la terre elle-même.
Pourquoi? Parce que toutes les nations sont désignées sous le nom de mer, à
cause de l’amertume de cette vie, exposée à des troubles et à des tempêtes.
Puis, si l’on veut considérer que les hommes se dévorent comme les poissons,
que le plus faible est la proie du plus fort, on voit que ce monde est une mer;
et c’est là qu’allèrent les Evangélistes.
21. « Votre voie est dans la mer 2 ». Tout à
l’heure c’était: « Votre voie est dans la sainteté »; maintenant: « Votre voie
est dans la mer », parce que le Saint lui-même est dans la mer et qu’il a
marché sur les eaux de la mer 3. « Votre voie est dans la mer», c’est-à-dire
que votre Christ est prêché parmi les Gentils. Il est dit, en effet, dans un
autre psaume: « Que Dieu nous prenne en pitié et nous bénisse; qu’il fasse
briller sur nous la lumière de son visage, afin que nous connaissions votre
voie sur la terre ». Où « sur la terre? » « Votre salut est chez toutes les
nations 4 ». Tel est le sens de « votre voie est dans la mer. Et vos sentiers
dans les grandes eaux »: c’est-à-dire chez des peuples nombreux. « Et l’on ne
connaîtra plus vos traces ». Je ne sais à qui cette phrase fait allusion, je
m’étonnerais si ce n’était aux Juifs. Voilà que la miséricorde du Christ est
prêchée aux Gentils, en sorte que « votre voie est dans la mer, vos sentiers
dans les grandes eaux, et l’on ne connaîtra plus vos traces ». Pourquoi et qui
ne les connaître point, sinon ceux qui disent encore: Le Christ
1.
Ps. XVIII, 5. — 2. Ps. LXXVI, 20. — 3. Matth. XIV, 25. — 4. Ps. LXVI, 2,
3.
n’est point encore venu? Pourquoi dire que le
Christ n’est point encore venu? Parce qu’ils ne connaissent point sa marche sur
la mer.
22. « Vous avez conduit votre peuple comme un troupeau, par les mains
de Moïse et d’Aaron 1 ». II n’est pas facile de comprendre pourquoi cette
addition. Aidez-nous de votre attention, car ces deux versets termineront le
psaume et mon discours. Ne vous imaginez point qu’il doive durer encore et que
la crainte de cette longueur ne diminue point votre attention. Après ces
paroles: « Votre voie est dans la mer », que nous avons appliquées aux nations,
« et dans les grandes eaux vos sentiers », que nous avons entendues des
peuples; voilà que le Prophète ajoute: « Et l’on ne connaîtra point vos
sentiers ». Nous lui demandions qui ne les connaîtra point, et voilà qu’il
ajoute aussitôt: « Vous avez conduit votre peuple comme un troupeau, par les
mains de Moïse et d’Aaron » c’est-à-dire, c’est ce peuple que vous avez conduit
par les mains de Moïse et d’Aaron qui ne connaîtra point vos traces. N’est-ce
point un reproche, et un reproche amer qu’il fait à ce peuple quand il s’écrie:
«Votre voie est dans la nier? » Pourquoi « votre voix est-elle dans la mer »,
sinon parce qu’elle est effacée de votre terre? Car les Juifs ont chassé le
Christ, et ces malades n’ont point voulu leur Sauveur: et voilà qu’il s’est
retiré chez les Gentils, chez tous les Gentils, parmi tous les peuples. Seuls,
quelques restes de ce peuple ingrat ont été sauvés; mais la multitude est
restée dehors dans son ingratitude, cette cuisse de Jacob a boité dans toute son
étendue 2. Car la cuisse de Jacob désigne la nombreuse postérité, et la majeure
partie de cette postérité est devenue légère et insensée, au point de
méconnaître la trace du Christ sur les grandes eaux. « Vous avez conduit votre
peuple comme des brebis », qui ne vous ont point connu. Vous les avez comblés
de tant de faveurs, vous avez divisé la mer, vous leur avez fait passer les
eaux à pied sec, vous avez enseveli dans les flots leurs ennemis qui les
poursuivaient; dans leur détresse vous leur avez fait pleuvoir la manne au
désert, les conduisant « par la main de Moïse et d’Aaron »; et néanmoins ils
vous ont chassé de leur terre, en sorte que votre voie a été dans la mer, et
qu’ils n’ont point connu vos traces.
1. Ps. LXXVI, 21. — 2, Gen. XXXII, 31.
Le
Prophète nous avertit de chercher un sens caché dans ces figures que tous les
enfants de la synagogue n’ont pas comprises. Le Prophète, s’adressant au peuple,
parle au pluriel, parce que tous doivent écouter la loi, et avec humilité. Ce
peuple ou la génération venir, c’est l’Eglise formée des Juifs et des Gentils.
Evitons les châtiments consignés par te Prophète, châtiments figuratifs bien
au-dessous de la réalité, Il dit les énigmes dès le commencement, c’est-à-dire
depuis la délivrance d’Egypte. Dieu commence à parler lui-même, puis il se sert
d’un homme pour parler en son nom. Pour cet homme, le commencement c’est
l’Ancien Testament que domine la crainte; la fin, c’est le Nouveau avec la
grâce et la charité. Dans l’un tout est promesse figurative, dans l’autre tout
s’accomplit. La loi est un témoignage parce qu’elle a mis en évidence le péché;
les Juifs l’ont reflue pour la faire connaître aux chrétiens sans l’avoir
eux-mêmes comprise, parce qu’ils n’avaient pas le coeur en haut, ni la foi en
Dieu: ils ne s’attachaient point à Dieu pour faire le bien par sa grâce. Ils
comptaient sur leurs oeuvres, et ont tourné le dos an jour du combat; eux, les
privilégiés de Dieu, les premiers n’ont point gardé son alliance, et dais les
oeuvres extérieures leur coeur, qui n’était pas en Dieu, n’était pas d’accord
avec les mains. Ils ont oublié les merveilles opérées en présence de Moïse,
d’Aaron, des anciens qui étaient en Israël, comme saint Paul pour les premiers
fidèles. L’Egypte est pour nous le monde, Tanis l’humilité. Dieu, qui retint
les eaux, peut arrêter nos convoitises coupables, éclairer notre marche, nous
abreuver de l’Esprit-Saint. Ils eurent soif, Ou mieux, leur coeur n’avait
aucune sève, ils demandaient de la nourriture sans croire pie Dieu pût leur en
donner. Dieu leur en donna d’abord, puis les châtia. La foi leur est donné le
Verbe qui eût ouvert les nuées ou tu bouche des prédicateurs pour en faire tomber
la parole de l’Evangile, ce mène pain qui nous vient par saint Paul. Notre
indocilité provoque la colère du Seigneur qui n’épargne -pas même ses élus. Les
Juifs recherchaient Dieu par crainte de la mort, et non pour lui-même; ils
attendaient de sa bonté L’impunité de leurs crimes. Dieu pardonne sans doute,
mais en cette vie, comme il fit tant de fois pour ce peuple qui aurait dû
profiter des plaies d’Egypte. Dieu se servit des mauvais anges pour exercer sa
justice, comme il se sert quelquefois des bons. Quant aux incrédules, ils, sont
la propriété des démons. L’endurcissement des Egyptiens est l’effet de
l’abandon de Dieu, abandon qui les portait à haïr son peuple. Telle est la
domination des mauvais anges, dont nous délivre la grâce de Dieu seulement, qui
nous arrache à la puissance des ténèbres pour nous transporter au ciel, comme
ce peuple arriva à la terre promise. Nous sommes alors les brebis du Seigneur,
qui chasse devant nous les erreurs, nous met à la place des auges rebelles.
Irrité de nouveau, Dieu rejeta le tabernacle de Silo, permit que l’arche fût
prise, puis frappa les Philistins comme il frappe toute âme lâche. Il rejette
en grande partie le peuple juif, choisit Juda d’où naquit le Christ; de là le
peuple chrétien fondé pour les siècles, enfanté par les églises juives, issu
des Gentils, que Dieu fait paître dans la foi et dans l’innocence.
1. Ce psaume contient le récit de tout ce que
Dieu a fait pour le peuple ancien le Prophète avertit le peuple nouveau
d’éviter l’ingratitude à l’égard des bienfaits de Dieu, de ne point provoquer
sa colère, de recevoir ses faveurs avec soumission et fidélité, de n’être point
« comme leurs pères, une race indocile et rebelle, une race qui n’a point
redressé son coeur, et dont l’âme n’a point mis sa confiance en Dieu 1 ». Tel
est le but du psaume, son utilité, l’excellent fruit qui nous en reviendra.
Bien que tout y soit clair, et facile à exposer, le titre néanmoins attire
notre attention. Ce n’est pas sans sujet qu’il porte: « Intelligence d’Asaph
2»; c’est afin que, loin de s’arrêter à la superficie, le lecteur attentif
cherche un sens plus caché. Puis, avant de rappeler et d’exposer toutes ces
merveilles, qui semblent n’avoir besoin que d’être dites pour être comprises,
le Prophète s’écrie « J’ouvrirai la bouche en paraboles, j’exposerai
1. Ps. LXXVII, 8.— 2. Id. I.
« les propositions depuis te commencement 1».
Qui ne sortirait de son sommeil? Qui oserait lire à la hâte et regarder comme
intelligibles des figures, des paraboles, dont le nom seul indique un sens plus
profond qu’il faut rechercher? Parabole est en effet un mot grec employé dans
le latin, et qui indique une comparaison; car, chacun le sait, dans la parabole
on compare ce que l’on dit avec ce que l’on veut faire entendre. Quant aux
propositions, appelées en grec problemata
ce sont des questions que la discussion doit résoudre. Qui donc alors oserait
lire en courant des paraboles et des propositions? Qui, au contraire, à ces
mots, ne redoublerait d’attention pour les comprendre et en tirer du fruit?
2. « Ecoutez ma loi, ô mon peuple 2 », est-il
dit. Qui parle de la sorte, sinon Dieu, croirons-nous? C’est lui qui a donné sa
loi à son peuple qu’il avait rassemblé après l’avoir tiré de l’Egypte; et cette
assemblée porte le nom
1. Ps. LXXVII, 2. — 2. Id. 1.
de synagogue, œ que désigne encore Asaph.
Mais cette parole: «Intelligence d’Asaph », indiquerait-elle ce que comprenait
un homme du nom d’Asaph, ou bien doit-on l’entendre au figuré, de ce qu’a pu
comprendre la synagogue, ou ce tnême peuple à qui l’on dit: « Ecoutez ma loi, ô
mon peuple? » Mais alors pourquoi un prophète nous dirait-il de ce même peuple:
« Israël ne m’a point connu, e mon peuple a manqué d’intelligence? » Assurément
il y avait dans ce peuple des hommes qui comprenaient,qui croyaient ce qui a
été révélé depuis, et qui par cette croyance appartenaient, non plus à la
lettre de la loi, mais à l’esprit de grâce. Car ils ne manquaient pas de foi,
ceux qui ont pu prévoir et prédire que cette foi nous serait révélée en
Jésus-Christ, et que tous ces rites mystérieux de l’ancienne loi n’étaient que
des ombres de l’avenir. N’y eut-il que les Prophètes pour avoir cette foi, et
le peuple ne l’eut-il point? Il l’avait sans doute, et tous ceux qui écoutaient
fidèlement les Prophètes, recevaient la même grâce pour croire ce qu’ils
entendaient. Mais le mystère du royaume des cieux était voilé dans l’Ancien
Testament, pour être révélé dans le Nouveau, quand les temps seraient
accomplis. « Je ne veux point », dit l’Apôtre, « vous laisser ignorer, mes frères,
que vos pères ont tous été sous la nuée, qu’ils ont tous passé la mer Rouge,
qu’ils ont tous été baptisés sous la conduite de Moïse dans la nuée et dans la
mer, qu’ils ont tous mangé le même pairs mystérieux, qu’ils ont tous bu le même
breuvage spirituel. Car ils buvaient de l’eau de la pierre mystérieuse, pierre
qui les suivait, et cette pierre était le Christ 2 ». C’était donc le même pain
mystérieux, le même breuvage que le nôtre, le même par la signification, et non
en apparence: car ce même Christ qui était pour eux figuré dans la pierre s’est
manifesté à nous dans sa chair. « Mais », poursuit l’Apôtre, « la plupart
d’entre eux ne furent point agréables au Seigneur. Tous à la vérité mangèrent
la même nourriture spirituelle, tous burent le même breuvage spirituel»,
c’est-à-dire un breuvage qui avait une signification spirituelle: « Mais tous
ne furent pas agréables à Dieu ». L’Apôtre dit que « tous ne furent pas
agréables »; il y en avait donc plusieurs qui plaisaient à Dieu: les mystères
étaient
1. Isa. 1, 3. — 2. I Cor. X, 1-5.
communs à tous, mais la grâce qui est la
force des sacrements, n’était pas commune à tous. Aujourd’hui en pleine lumière
de cette foi qui était alors voilée, tous sont baptisés au nom du Père, et du
Fils et du Saint-Esprit 1, c’est pour tous le même bain de la régénération;
mais cette grâce, marquée par les sacrements, et par laquelle les membres du
Christ sont régénérés dans leur chef, n’est pas la même pour tous. Car les
hérétiques ont le même baptême, aussi bien que les faux frères qui sont dans la
communion catholique. Il est donc vrai de dire ici que « tous ne furent « point
agréables à Dieu ».
3. Ce n’est pas inutilement néanmoins, alors
comme aujourd’hui, que cette voix se fait entendre: « Ecoutez ma loi, ô mon
peuple ». On voit dans tous les exemplaires que le Prophète ne dit pas: Ecoute;
mais bien: « Ecoutez ». Car le peuple se compose de nombreux individus, et
c’est à tous que s’adresse au pluriel cette parole qui suit: « Inclinez
l’oreille aux paroles de ma bouche ». « Ecoutez » a le même sens que « prêtez
l’oreille », et « ma loi » est répétée dans ces expressions, « les paroles de
ma bouche ». Il écoute en effet pieusement la loi de Dieu et les paroles de sa
bouche, celui dont l’oreille s’incline avec humilité, non pas celui qui élève
la tête avec arrogance. Une eau que l’on verse est recueillie dans les bas.
fonds de l’humilité, et ne tient point sur le cône de l’orgueil. Aussi est-il
dit ailleurs: « incline l’oreille, et reçois les paroles e de l’intelligence 2
». Nous le voyons suffisamment, ce psaume est de l’intelligence à Asapb, car
dans le titre, ce mot intelligence est au génitif; il y a de l’intelligence, et
non intelligence, et nous devons l’écouter en inclinant l’oreille, ou avec une
humble piété. Et même il n’est pas dit d’Asaph, mais bien à Asaph, comme nous
le voyons par l’article grec, et dans certains exemplaires. Ces paroles sont
donc des paroles d’instruction, des leçons comprises données à Asaph; et Asaph
n’est point un seul homme, mais bien le peuple de Dieu dont nous ne devons pas
nous séparer. Sans doute le mot de Synagogue convient particulièrement aux
Juifs, celui d’Eglise aux chrétiens, comme on dit un troupeau de bêtes, une
réunion d’hommes; cependant nous voyons le nom d’Eglise donné à la Synagogue,
et c’est à nous qu’il convient plus
1. Matth. XXVIII, 19. — 2. Prov. XXII, 17
particulièrement de dire: «Sauvez-nous,
Seigneur, notre Dieu, rassemblez-nous du milieu des peuples, afin que nous
confessions votre nom 1 ». Nous ne devons pas rougir, niais plutôt rendre à
Dieu d’ineffables actions de grâce, de ce que nous sommes les brebis de ses
mains, qu’il avait en vue quand il disait: J’ai d’autres brebis qui ne sont
point de ce bercail, il me faut les amener, afin qu’il n’y ait qu’un seul
troupeau et un seul pasteur 2; enjoignant le peuple fidèle sorti de la
gentilité au peuple fidèle venu des Juifs, dont il disait plus haut: « Je ne
suis envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël 3». Car toutes les
nations seront rassemblées devant lui, et il les séparera comme le berger
sépare les boucs des brebis 3. Cette parole donc: « Ecoutez ma loi, ô mon
peuple, inclinez l’oreille aux paroles de ma bouche», nous devons comprendre
qu’elle est adressée, non plus aux Juifs, mais à nous-mêmes, ou du moins à nous
comme aux Juifs. Car après avoir dit: « Mais la plupart d’entre eux ne furent
point agréables à Dieu», pour montrer qu’il s’agit des Juifs qui déplurent à
Dieu, l’Apôtre ajoute: « Ils périrent dans le désert », puis: « Or, toutes ces
choses ont été des figures de ce qui nous regarde, afin que nous ne nous
livrions pas aux mauvais désirs, comme ils s’y abandonnèrent. Ne devenez point
idolâtres comme quelques-uns d’eux, ainsi qu’il est écrit: Le peuple s’assit
pour manger et pour boire, et ils se levèrent pour se réjouir. Ne commettons
point la fornication, comme le firent quelques-uns, et vingt-trois mille
périrent en un seul jour. Ne tentons point le Christ, comme le tentèrent
quelques-uns qui furent tués par des serpents. Ne murmurez point comme quelques-uns
d’eux murmurèrent et furent frappés par l’ange exterminateur. Or, toutes ces
choses qui leur arrivaient, étaient des figures: elles ont été écrites pour
nous instruire, nous qui nous trouvons à la fin des temps 5». Ces chants sont
donc principalement pour nous. Aussi, entre autres choses, est-il dit dans ce
psaume: « Afin de donner la lumière à une autre génération, aux fils qui
doivent naître et nous suivre ». Or, si la mort que donnaient les serpents, si
les coups de l’ange exterminateur; si la fureur du glaive, n’étaient que des
figures, comme le
1. Ps. CV, 47.— 2. Jean, X, 16. — 3. Matth. XV, 21.— 4. Id. XXV, 92. — 5. I Cor. X, 5-11.
dit clairement saint Paul, bien que ces maux
soient des faits réels; car il ne dit pas Tout cela se disait ou s’écrivait en
figure; mais: « Tout cela leur arrivait en figure »: avec quel pieux
empressement ne devons-nous point éviter les maux dont elles étaient la menace
figurative? De même en effet que dans les biens la réalité figurée dépasse de
beaucoup la figure elle-même, de même en fait de malheurs, ceux que nous
représentent les figures sont incomparablement plus à craindre, que ces
calamités déjà si grandes qui étaient figuratives. De même encore que la terre
de la promesse, où l’on conduisait ce peuple, n’est rien en coin para ison de
ce royaume des cieux, où se dirige le chrétien; de nième ces châtiments,
quelque sévères qu’ils soient, ne sont rien en comparaison des peines dont ils
sont le symbole. Ce que saint Paul appelle ici figures, le Psalmiste, autant que
nous pouvons le voir, l’appelle paraboles et énigmes. Nous ne devons pas nous
attacher aux faits accomplis, mais bien aux instructions qu’ils nous donnent
par une comparaison très-juste. Nous, peuple de Dieu, écoutons donc sa loi, et
inclinons notre oreille aux paroles de sa bouche.
4. « J’ouvrirai ma bouche en paraboles», dit
le Prophète, « je dirai les énigmes dès le commencement 1 ». La suite nous-
montre assez quel est ce commencement dont le Prophète veut parler. Ce n’est
point la création du ciel et de la terre, ni même la création de l’homme et du
genre humain, c’est la délivrance de l’Egypte, alors que ce peuple fut réuni en
un corps, en sorte que les instructions s’adressent à Asaph, qui signifie
réunion. Mais, hélas ! quand le Prophète s’écriait: « J’ouvrirai la bouche en
paraboles», pourquoi ne daignait-il pas ouvrir aussi notre intelligence? Si
seulement, en ouvrant la bouche en paraboles, il nous découvrait aussi ces
paraboles elles-mêmes; si en nous disant des énigmes, il nous en donnait aussi
l’explication, nous ne serions point à la torture. Mais il y a ici une telle
obscurité, une telle nuit, que même avec son secours, si nous parvenons à en
tirer de quoi nourrir nos âmes, nous aurons encore mangé notre pain à la sueur
de notre front 2; et cette peine à laquelle nous sommes condamnés depuis
longtemps, pèse à la fois, non seulement sur le corps, mais encore sur l’âme.
Que le Prophète
1. Ps. LXXVII, 2. — 2. Gen. III, 19.
parle donc, et nous, écoutons ses paraboles
et ses énigmes.
5. « Combien de merveilles nous avons
entendues et apprises, combien d’événements nous ont racontés nos pères 1 !».
C’est le Seigneur qui a parlé plus haut; à qui en effet attribuer ces paroles:
« Ecoutez ma loi, ô mon peuple? » Comment donc est-ce un homme qui parle tout à
coup? Car voici le langage d’un homme: « Combien de merveilles nous avons
entendues et apprises, combien d’événements nous ont racontés nos pères ! » Ou
plutôt, c’est Dieu qui, voulant parler par l’entremise d’un homme, ainsi que
l’a dit l’Apôtre: « Voulez-vous éprouver la puissance du Christ qui parle par
ma bouche 2? » c’est Dieu, dis-je, qui a lui-même parlé tout d’abord, de peur
qu’on ne méprisât un homme, si un homme venait à parler. Telle est en effet la
parole divine, qu’elle s’insinue par les séns de notre corps c’est le créateur
qui stimule, par une action invisible, la créature qui lui est soumise mais ce
n’est point sa substance qui se change en quelque chose de corporel ou de
temporel, afin de se servir de signes matériels et palpables, qui puissent agir
sur les yeux et sur les oreilles, pour manifester sa volonté, autant que des
hommes la peuvent comprendre. Si un ange peut se servir de l’air, d’un nuage,
du feu, ou de quelque autre nature ou apparence qui ait du corps, si l’homme
peut, au moyen d’un regard, d’un mot, de la main, d’une plume, de lettres, ou
par tout autre signe, indiquer les secrets de son coeur; et même si, tout homme
qu’il est, il peut avoir pour messagers d’autres hommes, s’il dit à l’un:
Allez, et il va; à l’autre: Venez, et il vient; et à son serviteur: Fais ceci;
et il le fait 3: avec quelle puissance, et quelle efficacité bien plus grande,
le Seigneur à qui tout est soumis, ne pourra-t-il pas se servir d’un ange ou
d’un homme pour annoncer ce qu’il lui plaît. C’est donc un homme qui dit: «
Combien de merveilles nous avons entendues et apprises, combien d’événements
nous ont racontés nos pères ! » Et néanmoins nous devons écouter ces paroles
comme celles de Dieu, et non comme des fables humaines. C’est pour cela que
Dieu a commencé à dire: « Ecoutez ma loi, ô mon peuple, inclinez l’oreille aux
paroles de ma bouche.
1. Ps. LXXVII, 1. — 2. II Cor. XIII, 3. — 3.
Luc, VII, 8.
J’ouvrirai la bouche en paraboles, je dirai
les énigmes depuis le commencement. Combien de merveilles », répond le
Prophète, « avons-nous entendues et apprises, combien d’événements nous ont
racontés nos pères !» « Nous avons entendu et appris », dit le Prophète; ainsi
dit-il ailleurs: « Ecoute et vois, ô ma fille. Ce qui a été entendu dans
l’ancienne loi, est compris dans la nouvelle: entendu quand se faisait la
prophétie, comme quand elle s’accomplissait. Accomplir la promesse, c’est ne
point tromper ceux qui l’ont écoutée. « Combien d’événements nous ont racontés
nos pères », Moïse et les Prophètes.
6. « Ils n’ont pas été cachés à leurs
enfants, de génération en génération ». Ce qui est génération pour nous, c’est
la naissance spirituelle qui nous a été donnée. « Ils annonçaient les louanges
du Seigneur, ses grandeurs, et les merveilles qu’il faites 2 ». Le sens des
paroles est celui-ci: « Nos pères nous apprenaient ces merveilles, en publiant
les louanges du Seigneur ». Nous louons Dieu afin de l’aimer. Quel amour est
plus avantageux?
7. « Il a suscité un testament en Jacob, et
établi sa loi en Israël 3 ». Tel est le commencement dont il a été dit: « Je
dirai les énigmes depuis le commencement ». L’Ancien Testament est donc le
commencement, et le Nouveau est la fin. C’est la crainte qui domine dans la
loi, et « le commencement de la sagesse, c’est la crainte du Seigneur 4 ». «
Or, la fin de la loi est le Christ qui doit justifier ceux qui croiront 5;
c’est par sa grâce que la charité a été répandue dans nos coeurs, par le
Saint-Esprit qui nous a été donné 6, et la charité parfaite bannit toute
crainte 7, puisque c’est en dehors de la loi, que la justice de Dieu est
manifestée aujourd’hui. Mais comme la Loi et les Prophètes lui rendent
témoignage 8 », c’est pour cela que « Dieu a établi un témoignage en Jacob, et
donné sa loi en Israël ». Aussi ce tabernacle dont la construction était une
oeuvre si admirable et pleine de si grandes figures, a-t-il été appelé
tabernacle du témoignage 9. C’est là qu’était le voile qui cachait l’arche de
la loi, comme le ministre de la loi avait aussi un
1.
Ps. XLIV, 11. — 2. Id. LXXVII, 4.— 3. Id. 5.— 4. Id. CX, 10.— 5. Rom. X, 4.— 6.
Id. V, 5. — 7. I Jean, IV, 18.— 8. Rom. III, 21.— 9. Exod. XL, 2.
voile sur la face, parce que c’était alors le
temps des figures et des énigmes. Tout ce que l’on disait, tout ce que l’on
faisait alors était caché sous les ombres figuratives, on ne le voyait qu’à
travers l’obscurité des symboles. « Mais », dit l’Apôtre, « quand tu auras
passé au Christ, le voile sera enlevé 1 ». Toutes les promesses de Dieu ont en
lui leur vérité, leur amen 2.
Quiconque adhère au Christ, possède tout bien, même sans le comprendre dans la
lettre de la loi; quiconque lui demeure étranger, ne comprend rien, ne possède
rien. « Il a établi un témoignage en Jacob, et donné sa loi en Israël ». C’est
là une répétition comme à l’ordinaire. Car « établir un témoignage », a le même
sens que « donner sa loi »; et « en Jacob », le même sens que « Israël ». Ce
sont là en effet les deux noms d’un même homme, de même que la loi et le
témoignage sont les deux noms d’une même chose. Mais, dira quelqu’un, n’y
a-t-il pas une différence entre « susciter » et « établir? » Il y en a une,
sans doute, comme entre «Jacob » et « Israël ». Ce ne sont point là deux hommes
différents, niais deux noms donnés au même personnage, pour des causes différentes;
Jacob ou supplantateur, parce qu’en naissant il tenait le pied de son frère;
Israël parce qu’il vit Dieu 3. De même « il suscita », diffère de établir. Le
Prophète, en effet, si je ne me trompe, a dit: « Il suscita le témoignage »,
parce que ce témoignage suscita quelque chose. « Sans la loi », dit l’Apôtre, «
le péché était mort, et moi je vivais, lorsque je n’avais point de loi: mais le
commandement étant survenu, le péché a repris la vie ». Voilà donc ce qu’a
suscité la loi, qui est dès lors appelée témoignage; elle a mis en évidence ce
qui demeurait caché, comme le dit ensuite saint Paul: « Mais le péché, pour se
«montrer péché, m’a donné la mort par ce qui était bon ». Cette expression: «
Il a imposé sa loi», désigne en quelque sorte un joug imposé aux pécheurs: de
là cet autre mot: « La loi n’est pas imposée au juste 5 ». C’est donc un
témoignage, puisqu’il devient une preuve; et c’est une loi, parce qu’elle est
une injonction, et néanmoins c’est une seule et même chose, De même donc que le
Christ est une pierre, et que pour les fidèles il est la pierre angulaire 6,
mais pierre de scandale et
1.
II Cor, III, 13, 16.— 2. Id. 1, 20.— 3. Gen. XXV, 25; XXXII, 38. — 4. Rom. VII, 8, 9, 33.—
5. I Tim. 1, 9.— 6. Ps, CXVII, 22.
pierre d’achoppement pour les incrédules; de
même la loi est un témoignage; pour ceux qui usent mal de la loi, témoignage
qui sert à les convaincre et à les châtier; pour ceux qui en usent avec
droiture, témoignage qui démontre à qui les pécheurs doivent recourir pour être
délivrés. « Car c’est par sa grâce, que Dieu nous donne la justice, qui a son
témoignage dans la loi et les Prophètes, et qui justifie l’impie 3.
Quelques-uns ignorant cette justice, et voulant établir celle qui leur est
propre, ne se sont point soumis à la justice de Dieu 1».
8. « Combien a-t-il adressé d’ordonnances à
nos pères, afin qu’ils les tissent connaître à leurs fils, à la génération qui
viendra, aux fils qui sont à naître et qui viendront, et qui les raconteront à
leurs enfants; afin qu’ils mettent leur espérance en Dieu, qu’ils n’oublient
point les oeuvres du Seigneur, et qu’ils recherchent ses préceptes; afin qu’ils
ne deviennent point comme leurs pères, une race indocile et rebelle; une race
dont le coeur n’a pas été droit, dont l’esprit n’a pas été fidèle là Dieu 2 ».
Ces paroles désignent en quelque sorte deux peuples, un peuple de l’Ancien, et
un peuple du Nouveau Testament. Car le Prophète, en disant: « Combien il a
adressé d’ordonnances à nos pères, afin de les faire connaître à leurs fils »;
fait voir qu’ils ont reçu ces ordonnances, « afin de les faire connaître à
leurs fils »; mais il ne dit point qu’ils les aient eux-mêmes connues ou
accomplies: ils les recevaient seulement « pour transmettre à une autre
génération », ce qu’ils n’avaient pas compris eux-mêmes. « Les enfants qui
naîtront et qui s’élèveront ». Ceux qui sont nés ne se sont point élevés: leur
coeur n’était point en haut, mais bien sur la terre. Ce n’est qu’avec le Christ
qu’on s’élève; de là cette parole: « Si vous vous êtes relevés avec le Christ,
cherchez les choses d’en haut 3. Qu’ils disent à leurs enfants », s’écrie le
Prophète, « de mettre en Dieu leur espérance ». C’est ainsi que les justes ne
cherchent point à établir leur propre justice, mais qu’ils découvrent leur voie
en Dieu lui-même, espèrent en lui, afin que sa grâce agisse en eux 4. « Et
qu’ils n’oublient point les oeuvres de Dieu », en s’élevant eux-mêmes, en
vantant leurs oeuvres,
1. Rom. X, 3.— 2. Ps. LXXVII, 5-8. — 3.
Colos. III, 1.— 4. Ps. XXXVI, 5
comme si elles étaient leurs oeuvres; tandis
que c’est Dieu qui, dans sa miséricorde, opère, chez tous ceux qui font le
bien, et le vouloir et le faire 1. « Et qu’ils recherchent ses commandements ».
Comment les chercher, s’ils les savent déjà? « Combien», dit le Prophète, « il
a fait d’ordonnances à nos pères, qui doivent les transmettre à leurs fils,
afin qu’une autre génération en ait connaissance ». Que connaîtra-t-elle?
Assurément les commandements qu’il a faits. Comment rechercheront-ils, sinon
qu’en mettant leur confiance en Dieu, ils rechercheront en lui la grâce de les
accomplir? «Afin qu’ils ne deviennent point, comme leurs pères, une génération
indocile et rebelle, une génération dont le coeur n’a pas été droit ». Et il
nous en explique aussitôt le motif: « Leur esprit», dit-il, « n’a pas été
fidèle à Dieu »; c’est-à-dire qu’ils n’ont pas eu cette foi, qui obtient de
faire ce que la loi commande. Car la loi divine s’accomplit quand l’esprit de
l’homme se met en accord avec l’esprit de Dieu et cela n’arrive que par la foi
en celui qui justifie l’impie 2. Telle est la foi que n’eut point cette
génération indocile et rebelle; de là cette parole du Prophète: « Son esprit
n’avait point mis sa foi en Dieu». Cette expression désigne admirablement la
grâce de Dieu, qui ne se borne point à effacer le péché, mais qui se fait du
coeur de l’homme un coopérateur dans les bonnes oeuvres comme si le Prophète
disait: Son esprit ne s’est point confié à Dieu. Pour le coeur, en effet, se
confier en Dieu, c’est croire que nous ne pouvons sans Dieu arriver à la
justice, mais bien avec Dieu. C’est encore là croire en Dieu, ce qui est plus
que croire à Dieu. Souvent, en effet, il nous faut croire au premier homme
venu, bien qu’il ne faille point croire en lui. Croire en Dieu, c’est donc nous
attacher en lui par la foi, afin d’agir avec Dieu qui fait le bien. «Sans moi»,
dit l’Evangile, « vous ne pouvez faire aucun bien 3». Que pouvait dire de plus
l’Apôtre, qui nous déclare que: « Celui qui s’attache à Dieu devient un même esprit
4? » Autrement la loi n’est qu’un témoignage pour condamner le coupable, et non
pour l’absoudre. Elle est une lettre menaçante qui convaincra les
prévaricateurs, et non un esprit de grâce qui délivre et justifie les
coupables. Donc cette
1. Philipp. II, 13. — 2. Rom. IV, 5. — 3.
Jean, XV, 5. — 4. I Cor, VI, 17,
génération, dont l’exemple est à éviter, fut
indocile et rebelle, parce que « son esprit ne se confia point dans le Seigneur
»: parce que si elle crut parfois à Dieu, elle ne crut point en Dieu: elle ne
s’attacha point à Dieu par la foi, afin que sanctifiée par Dieu, elle put faire
avec lui le bien qu’il eût fait en elle.
9. Continuons: « Les enfants d’Ephrem qui
bandent l’arc et lancent la flèche, ont tourné le dos au jour du combat 1». En
poursuivant la loi de la justice, ils ne sont point parvenus à la loi de la
justice 2. Pourquoi? Parce qu’ils ne l’ont point recherchée par la foi. C’était
en effet une génération dont l’esprit n’avait point cru en Dieu, et ils
attendaient tout de leurs oeuvres. Bander l’arc pour tirer des flèches, c’est
là une oeuvre extérieure, comme celle de la loi, mais ils n’ont point ainsi
redressé leur coeur, où le juste vit de la foi 3 qui agit par la charité 4; or,
c’est par la charité que l’on s’attache à Dieu qui, par sa grâce, opère en
l’homme le vouloir et le faire 5. Qu’est-ce, en effet, que bander l’arc, lancer
la flèche, et tourner le dos au jour du combat, sinon écouter, pro mettre
d’accomplir la loi au jour qu’on l’entend proclamer, puis fuir au jour de la tentation,
s’exercer à la guerre et lâcher pied à l’heure de la bataille? Le Prophète a
dit avec raison: « Ils ont bandé et lancé l’arc »; lorsqu’il aurait dû dire, ce
semble, bander l’arc, et lancer les flèches, car on ne jette pas l’arc, on s’en
sert pour lancer quelque chose. Ou bien, c’est une locution, comme celle dont
nous avons déjà parlé à propos de cette expression: « Il a suscité un
témoignage », pour dire, il a suscité quelque chose à propos de ce témoignage;
alors « lancer l’arc » signifierait lancer une flèche avec l’arc: ou bien il y
a de l’obscurité dans les paroles, il y a un mot qu’il faut sous-entendre, et
alors tel serait l’ordre véritable: « Les enfants d’Ephrem bandent l’arc, et
lancent», sous-entendu, des flèches; et le sens complet serait, bandent l’arc,
et lancent des flèches. S’il y avait en effet: bander et lancer des flèches, il
né faudrait pas comprendre, bander des flèches; mais après l’expression «
bander », il faudrait sous-entendre « l’arc », bien que cette expression fût
omise. Toutefois, quelques exemplaires grecs portent, dit-on, « bander et
lancer avec l’arc »; il faut assurément sous-entendre
1.
Ps. LXXVII, 9.— 2. Rom. IX, 31. — 3. Id. I, 17.— 4. Gal. V, 6.— 5. Philipp.
II, 13.
« des flèches ». Mais par ces enfants
d’Ephrem, le Prophète veut indiquer ici toute cette génération corrompue, et la
partie désigne la généralité. Peut-être a-t-il choisi cette partie pour
désigner le peuple tout entier, parce que c’était d’eux principalement qu’on
devait se promettre le plus de bien; puisqu’ils sont nés de celui que Jacob
bénit comme son petit-fils, qu’il toucha de sa droite et qu’il préféra à son
aîné par une bénédiction mystérieuse, bien que Joseph l’eût placé à gauche
parce qu’il était le plus jeune 1. Le reproche que l’on fait ici à cette même
tribu, le silence de l’Ecriture sur la manière dont elle répondit à cette
bénédiction, nous font comprendre qu’il y avait dans les paroles de Jacob un
mystère, plus grand que ne l’attend la prudence de la chair. Elles marquaient
en effet que les derniers seraient les premiers, et les premiers les derniers
2, lors de l’avènement du Sauveur, dont il est dit: « Celui qui vient après
moi, est fait devant moi 3 ». Ainsi le juste Abel a été préféré à son frère 4,
Isaac à Ismaël 5, Jacob à Esaü né avec lui, mais le premier 6: ainsi Pharès
précéda par sa naissance, naquit avant son frère jumeau, qui avait voulu naître
d’abord et avait montré la main 7 ainsi David fut préféré à ses frères aînés 8;
ainsi enfin le peuple chrétien fut préféré au peuple Juif, selon le sens de
toutes ces figures et de tant d’autres qui furent proposées, non seulement en
actions, mais encore en paroles; et c’est pour le racheter que le Christ a été
mis à mort par les Juifs, comme Abc! par Caïn 9. Voilà donc ce que figurait
l’action de Jacob qui croisa les mains, pour mettre la droite sur Ephraïm placé
à sa gauche; le préférant ainsi à Manassé placé à droite et qu’il touchait de
sa main gauche. Ce ne sont donc point « les fils d’Ephraïm, selon la chair, qui
bandent l’arc, lancent des flèches, et tournent le dos au jour du combat ».
10. Le sens de cette parole: « ils ont tourné
le dos au jour du combat », est expliqué dans les versets suivants qui le
disent avec clarté: « Ils n’ont point gardé l’alliance du Seigneur, et n’ont
point voulu marcher dans ses lois 10». Ainsi donc, « tourner le dos au jour du
combat», c’est ne point garder l’alliance du Seigneur. Ils ont donc bandé l’arc
et lancé les
1. Gen. XLVIII, 14. — 2. Matth. XX, 16. — 3. Jean. I, 27, — 4. Gen. IV, 4,5. — 5. Id. XXI, 12. —
6. Id. XXV, 23. — 7. Id. XXVIII, 27-29.— 8. I Rois, XV, 12. — 9. Gen. IV, 8. —
10. Ps.
LXXVII, 10.
flèches, ils ont engagé leur promesse avec
empressement: « Nous écouterons et nous ferons tout ce que le Seigneur notre
Dieu nous a ordonné 1: Ils ont tourné le dos au jour du combat»; car une
promesse d’obéissance ne s’accomplit point par l’attention à écouter, mais dans
la tentation. Celui dont l’esprit est en Dieu, éprouve alors que Dieu est
fidèle, qu’il ne l’exposera point à une tentation au-dessus de ses forces, mais
lui ménagera dans la tentation une issue, afin qu’il puisse la surmonter et ne
tourne point le dos au jour du combat. Quant à celui qui se glorifie en
soi-même, et non pas en Dieu 2, quelque promesse qu’il ait faite d’être ferme,
bien qu’il bande l’arc et lance des flèches, il tourne le dos au jour du
combat. Parce que son esprit ne s’était point confié en Dieu 3, voilà que
l’Esprit de Dieu n’est point en lui; et comme il est écrit: « N’ayant point
cru, il ne sera point protégé 4 ». Quand après ces paroles: « Ils n’ont point
observé le testament du Seigneur », le Prophète ajoute: « Et ils n’ont point
voulu marcher dans sa loi»; il répète la pensée précédente avec une certaine
explication. Il nomme « Loi de Dieu », ce qu’il avait appelé plus haut, « le
Testament de Dieu », en sorte que cette parole: « Ils n’ont point gardé », se
trouve répétée dans « ils n’ont point voulu marcher ». Mais comme il pouvait
dire plus simplement: Ils n’ont point marché dans sa loi; il me semble qu’il
veut nous faire peser quelque peu, pourquoi il a préféré dire: « Ils n’ont
point voulu marcher », au lieu de: ils n’ont point marché. On aurait pu croire
que la loi des oeuvres est suffisante pour la justification, en voyant les
hommes faire à l’extérieur les oeuvres prescrites, bien qu’au fond de leur
coeur ils eussent mieux aimé qu’elles ne fussent point prescrites, mais les
faire néanmoins: ils paraissent donc marcher dans la loi de Dieu, mais ils n’y
marchent pas réellement, puisque le coeur n’y est point. Car il est impossible
d’appeler oeuvre du coeur, l’oeuvre que l’on fait par crainte du châtiment et
non par amour de la justice. Quant à l’action extérieure, l’homme qui aine la
justice et l’homme qui craint le châtiment, s’abstiennent également de voler;
les mains se ressemblent, et les coeurs sont bien différents; l’oeuvre est la
même, la volonté dissemblable. De là cette
1. Exod. XIX, 8.— 2. I Cor. X, 13.— 3. Id. I,
31.— 4. Eccli. II, 15.
parole flétrissante: « C’est là », dit le
Prophète, « une génération qui n’a pas redressé son coeur ». II n’accuse pas
l’oeuvre, mais le coeur. Quand le coeur est droit, les oeuvres sont droites;
mais quand le coeur n’est pas droit, les oeuvres ne sont pas droites, quelle
qu’en soit l’apparence. Le Prophète nous montre aussi pourquoi cette génération
perverse n’a point redressé son coeur, quand il nous dit: « Son esprit n’a pas
cru en Dieu ». Dieu est droit, en effet, et en s’attachant à lui comme à la
règle immuable, tout coeur humain peut se redresser, quelque tortueux qu’il ait
été. Mais pour unir notre coeur à Dieu et le redresser, il faut nous approcher
de lui, non par une démarche, mais par la foi. Aussi, dans l’épître aux
Hébreux, est-il dit de cette génération indocile et rebelle: « La parole qu’ils
entendirent ne leur servit de rien, n’étant pas unie à la foi chez ceux qui
l’entendirent 1 ». Le Seigneur donc prépare la volonté dans un coeur droit, au
moyen de la foi qui a précédé, et qui nous rapproche de Dieu toujours droit, de
manière à redresser notre coeur. Cette foi est éveillée en nous par
l’obéissance, alors que Dieu nous prévient et nous appelle dans sa miséricorde.
Elle applique ensuite à Dieu notre coeur qui se redresse, et plus il se
redresse, plus il voit ce qu’il ne voyait point, et peut t’aire ce qu’il ne pouvait
faire, Voilà ce que n’avait point fait Simon, à qui l’apôtre saint Pierre
disait: « Tu n’as aucune part dans cette foi, car ton coeur n’est point droit
devant Dieu 2»; nous montrant ainsi que sans Dieu notre coeur ne peut être
droit, afin que les hommes commencent à ne plus marcher sous la loi comme des
esclaves sous le poids de la crainte, mais qu’ils observent comme des enfants
cette loi, dans laquelle n’ont point voulu marcher ces mêmes Juifs, qui sont
demeurés sous le poids de leurs transgressions, C’est la charité, et non la
crainte, qui donne cette volonté; et la charité est répandue dans les coeurs
qui croient par le Saint-Esprit 3. C’est à eux qu’il est dit « C’est la grâce
qui vous a sauvés par la foi, et cela ne vient jas de vous, c’est un don de
Dieu; cela ne vient pas de vos oeuvres, afin que nul ne se glorifie. Car nous
sommes son ouvrage, créés en Jésus-Christ dans les bonnes oeuvres que Dieu a
préparées, afin que nous y marchions 4 », et que nous
1. Héb.
IV, 2. — 2. Act. VIII, 21. — 3. Rom. V, 5.— 4. Ephés. II, 8-10.
n'imitions point ceux qui « n’ont point voulu
marcher dans sa loi », qui n’ont point cru en Dieu, qui n’ont point dirigé vers
lui leur voie, en espérant en lui, afin qu’il fît tout en eux.
11. « Ils ont oublié ses bienfaits, les
miracles qu’il leur a fait voir, et les merveilles qu’il opéra en présence de
leurs pères. Il y a ici une question qu’il ne faut pas négliger. Tout à
l’heure, en parlant de leurs pères, le Prophète les appelait une race perverse
et indocile. « Qu’ils ne deviennent point comme leurs pères, race indocile et
rebelle, race qui n’a pas redressé son cœur », et tout le reste qu’il a dit de
cette race, détournant la race à venir de l’imiter, l’engageant « à mettre en
Dieu son espérance, à n’oublier point les oeuvres de Dieu, à rechercher ses
préceptes »; ainsi que nous l’avons suffisamment expliqué. Maintenant que le
Prophète nous parle de cette génération qui a oublié les bienfaits de Dieu, et
les merveilles qu’il leur a fait voir, pourquoi vient-il ajouter: « Les
merveilles qu’il a opérées en présence de leurs pères? » De quels pères est-il
question, car ils sont eux-mêmes ces 1ères, avec lesquels il ne veut point de
ressemblance dans leurs enfants? Si nous entendons par là ces hommes dont ils
étaient nés, comme Abraham, Isaac et Jacob, ils étaient morts depuis longtemps
quand le Seigneur opéra des merveilles en Egypte. Car nous lisons ensuite: «
Sur la terre d’Egypte, dans les champs de Tanis »; c’est là, nous dit-on, que Dieu
opéra des merveilles en présence de leurs pères. Ou bien ces mêmes pères
étaient-ils présents en esprit, selon cette parole du Sauveur dans l’Evangile:
« Car tous vivent devant lui 2?» Ne serait-il pas plus facile d’entendre par
ces pères, Moïse et Aaron, et ces anciens dont l’Ecriture nous dit qu’ils
reçurent le même esprit que Moïse, afin de l’aider à conduire et à supporter le
peuple 3? Pourquoi ne pas les appeler des pères? Non point dans le sens que
l’on donne à Dieu seul le nom de père, parce qu’il régénère dans le
Saint-Esprit ceux qu’il adopte comme enfants dans l’héritage éternel; niais ce
nom de père serait un nom d’honneur à cause de leur âge et de leur pieux
dévouement. Ainsi saint Paul déjà vieux disait: « Ce n’est point pour vous
donner de la confusion que j’écris ceci; mais ce sont des avis que je vous
donne
1. Ps. LXXVII, 11, 12. — 2. Luc, XX, 38. — 3.
Nomb. XI, 16, 17.
comme à des enfants bien-aimés 1»; et
pourtant il n’ignorait pas cette parole du Seigneur: « N’appelez sur la terre
personne votre père; car vous n’avez qu’un seul père, qui est dans les cieux
2». Ce que le Christ n’a point dit sans doute pour ôter du discours ordinaire
ce terme d’honneur, mais seulement pour nous empêcher d’attribuer, ou à la
nature, ou à la puissance, ou à la sainteté d’aucun homme, la grâce de Dieu qui
nous régénère pour la vie éternelle. En disant donc: « C’est moi qui vous ai
engendré », il a précisé auparavant: « En Jésus-Christ et par l’Evangile »,
afin qu’on ne lui attribuât point ce qui appartient à Dieu.
12. Donc « cette génération indocile et
rebelle a oublié les bienfaits de Dieu, les merveilles qu’il leur a montrées,
les miracles opérés en présence de leurs pères, en Egypte, dans le champ de
Tanis ». Le Prophète alors commence à raconter la suite de ces merveilles. S’il
y a là des paraboles et des énigmes, elles doivent, par la comparaison, nous
rappeler quelques leçons. N’oublions tas le but qui est celui du psaume, et le
fruit principal que nous devons en tirer; ainsi que Dieu nous le marque, en stimulant
si vivement notre attention: « Ecoutez moi, ô mon peuple, inclinez l’oreille
aux paroles de ma bouche »: mettons notre confiance en Dieu, n’oublions point
ses oeuvres, recherchons ses préceptes: ne soyons point comme ces hères, une
race indocile et rebelle, une génération dont le coeur n’est pas droit, dont
l’esprit n’a point cru en Dieu. C’est à ce point qu’il nous faut tout
rapporter. Ainsi tout ce que figurent ces actions symboliques, doit s’accomplir
dans l’homme d’une manière spirituelle, ou par la grâce de Dieu, si ce sont des
biens, ou par le jugement de Dieu si ce sont des malheurs; de même que tout
cela est arrivé pour Israël ou en bénédictions, ou en châtiments contre eux et
contre leurs ennemis. Si nous retenons avec soin tous ces enseignements,
plaçant en Dieu notre espérance, et n’oubliant pas ses bienfaits, si nous avons
pour lui non plus cette crainte servile qui redoute seulement les maux du
corps, mais cette crainte chaste qui demeure dans l’éternité, et qui redoute
comme une grande peine d’être privée de la lumière de justice, alors nous ne
deviendrons point comme ces
1. I
Cor. IV, 14.— 2. Matth. XXIII, 9.
pères, une génération indocile et rebelle. La
terre d’Egypte est donc pour nous l’image de ce monde; le champ de Tanis est
une plaine qui désigne la loi de l’humilité, car Tanis signifie, en hébreu,
humble précepte. Recevons donc en cette vie la loi de l’humilité, afin de
mériter d’être élevés en gloire dans l’autre vie, gloire que nous a promise
Celui qui s’est fait humble pour nous.
13. Car celui qui a divisé la mer pour y «
faire passer son peuple, qui a retenu les eaux comme dans une outre 1», en
sorte que l’eau s’est arrêtée comme si elle eût été enfermée, peut aussi par sa
grâce arrêter le cours de la convoitise et de nos désirs charnels, nous porter
à renoncer au monde, afin que nos ennemis, c’est-à-dire nos péchés, étant
abîmés dans les eaux, le peuple passe par le sacrement de baptême. Celui qui
«les a conduits tout le jour à l’ombre d’une nuée, et toute la nuit à la lueur
du feu 2», peut encore guider nos pas d’une manière spirituelle, si notre foi
crie vers lui: « Redressez mes voies selon votre parole 3 ». C’est de lui qu’il
est dit ailleurs: « Il redressera votre course, et conduira en paix tous vos
pas 4 », par Jésus-Christ Notre Seigneur, qui nous a été révélé en cette vie
comme au grand jour, et qui a paru en sa chair comme il apparaissait dans la
nuée; mais qui viendra au jour du jugement comme dans une nuit de terreur. Car
alors la tribulation sera pour le monde comme un feu qui brillera aux yeux des
justes, et qui consumera les hommes injustes. Celui « qui brisa la pierre au
désert, et les désaltéra par d’abondantes eaux; qui fit sortir l’eau de la
pierre, et les eaux coulèrent comme des fleuves 5», peut sans doute épancher
sur l’âme altérée par la foi, les dons de l’Esprit-Saint, dont cette action
était la figure; il peut le répandre de cette pierre spirituelle qui les
suivait, et qui était le Christ 6; ce même Christ qui était là criant: « Si
quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi »; et encore: « Celui qui boira de l’eau
que je lui donnerai, des fleuves d’eau vive jailliront en lui ». Voilà ce qu’il
disait, comme le marque l’Evangile, « de l’Esprit que devaient recevoir ceux
qui croiraient en lui 7 ».Telle est la pierre qui a frappé le bois de la croix,
1.
Ps. LXXVII, 13. — 2. Id. 14. — 3. Id. 118, 133. — 4. Prov. IV, 27. — 5. Ps.
LXXVII, 15, 16. — 6. I Cor. X, 4. — 7. Jean, VII, 37-39.
comme la verge de Moïse, afin d’en faire
couler la grâce pour les fidèles.
14. Et néanmoins ces hommes, comme une « race
indocile et rebelle, ont continué de pécher contre lui 1 »; c’est-à-dire de ne
point croire. C’est là en effet un péché dont l’Esprit-Saint doit convaincre le
monde, comme l’a dit le Sauveur: « Il le convaincra de péché, parce qu’ils
n’ont point cru en moi 2. Ils ont irrité le Seigneur dans la sécheresse », ou,
selon d’autres exemplaires, « dans un désert sans eau », expression plus
précise qui vient du grec, et qui n’a d’autre sens que la sécheresse. Or, cette
sécheresse venait-elle du désert, ou plutôt de leur coeur? Ils avaient bu l’eau
de la pierre, et alors c’était moins leurs entrailles que leurs coeurs qui
étaient desséchés, et n’avaient aucune vigueur pour produire la justice.
C’était néanmoins dans cette sécheresse qu’ils devaient être pins fidèles à
Dieu, et le supplier de leur donner des moeurs pures, après avoir étanché leur
soif; puisque c’est à lui qu’a recours toute âme fidèle: « Que mes yeux voient
la justice 3 ».
15. « Ils ont tenté Dieu dans le secret de leurs
coeurs, et lui ont demandé une nourriture selon leurs désirs ». Autre chose est
de demander avec fidélité, autre de demander pour tenter. Le Prophète continue:
« Ils murmurèrent coutre Dieu, et dirent: Dieu pourra-t-il préparer des tables
au désert; sans doute il a frappé le rocher, et des eaux en ont coulé, des
torrents ont inondé la terre; mais pourra-t-il nous donner du pain et dresser
des tables pour son peuple 4? » C’était donc sans y croire qu’ils demandaient
une nourriture selon leurs désirs. Ce n’est pas ainsi que saint Jacques nous
engage à demander la nourriture de notre coeur, mais il veut que nous la
demandions avec foi, et non pour tenter ou avec murmure. « Si quelqu’un de vous
», dit-il, « a besoin de la sagesse, qu’il la demande à Dieu, qui répand ses
dons sur tous libéralement et sans les reprocher, et la sagesse lui sera
donnée: mais qu’il demande avec foi, et sans hésiter 5 ». Telle est donc la foi
qui manquait à cette génération, dont le coeur n’était point droit, et dont
l’esprit n’avait pas cru en Dieu.
1. Ps. LXXVII, 17.— 2. Jean, XVI, 9.— 3. Ps.
XVI, 2.— 4. Id. LXIVII, 18-20. — 5. Jacques, I, 5, 6.
16. « Le Seigneur les entendit et différa, le
feu de sa colère s’alluma contre Jacob, et sa fureur contre Israël 1». Le
Prophète explique ce qu’il appelle un feu; il nomme ainsi la colère de Dieu,
bien que le feu véritable ait dévoré beaucoup de ces murmurateurs. Que signifie
donc: « Le Seigneur entendit et différa? » Est-ce d’introduire son peuple dans
la terre promise qu’il différa? Il eût pu le faire en peu de jours, mais a
cause de leurs péchés ils durent être accablés au désert, où le malheur les
affligea pendant quarante ans. En ce cas ce fut son Peuple qu’il différa
d’introduire, et non ceux qui l’avaient tenté par leurs doutes; car tous
périrent au désert, et leurs enfants seulement entrèrent dans cette terre.
Différa-t-il seulement de les châtier, et voulut-il d’abord se prêter à leur
incrédule convoitise, de peur qu’ils ne vinssent à attribuer sa colère à
l’impuissance où il était de subvenir à leur demande, bien qu’ils ne l’eussent
faite que pour le tenter et lui ôter la confiance? Donc « il entendit et
différa » sa vengeance; et après qu’il eût fait ce qu’ils avaient pensé qu’il
ne pourrait faire, alors « sa colère s’alluma contre Israël ».
17. Ensuite, après cette courte exposition,
le Prophète reprend le cours de son récit:
« Parce qu’ils n’ont pas cru en Dieu, ni
espéré dans son salut ». Après nous avoir dit pourquoi le feu de sa colère
s’est allumé contre Jacob, et sa fureur contre Israël, c’est-à-dire, parce
qu’ils n’ont pas cru en Dieu ni espéré dans son salut »; il énumère à l’instant
tous les bienfaits visibles qu’ils reçurent avec ingratitude. « Il avait
cependant commandé aux nuées, et ouvert les portes du ciel. Il leur avait fait
pleuvoir la manne pour apaiser heur faim, et donné le pain du ciel. L’homme
mangea le pain des anges 2. Dieu leur donna des viandes en abondance. Il fit
élever dans les airs le vent d’Orient, et par sa puissance le vent du midi. Il
répandit les viandes comme la poussière, et les oiseaux comme le sable des
mers. Il les fit tomber au milieu de leur camp, autour de leurs tentes. Et ils
mangèrent et furent rassasiés; « Dieu contenta leurs désirs». Voila pourquoi il
différait; mais écoutons ce qu’il a différé. « Les viandes étaient encore dans
leurs bouches,
1. Ps. LXXVII, 21. — 2. Le verset 25 est
expliqué dans le discours sur le Ps. XXXIII, serm. 1, n. 6.
quand la colère de Dieu s’alluma contre eux 1».
Voilà ce qu’il avait différé. Tout d’abord « il différa »; puis ensuite « sa
colère s’alluma contre Jacob, et sa fureur contre Israël ». Si donc il avait
différé, c’était dans le dessein de faire d’abord ce qu’ils croyaient
impossible à sa puissance, et de les châtier ensuite comme ils le méritaient.
S’ils eussent mis en Dieu leur espérance, il eût satisfait en eux, non
seulement leurs désirs charnels, mais les désirs de l’esprit. En effet, «Celui
qui a pu commander aux nuées, ouvrir les portes du ciel, faire tomber la manne
pour les nourrir, et leur donner le pain du ciel de manière que l’homme mangeât
le pain des anges, qui leur adonné des vivres en abondance » pour rassasier ces
incrédules, est assez puissant pour donner, à ceux qui croient en lui, le vrai
pain du ciel dont la manne était la figure; ce pain qui est vraiment le pain
des anges, ce Verbe de Dieu, aliment incorruptible de ceux qui sont
incorruptibles: c’est pour être la nourriture de l’homme qu’il s’est fait
chair, et a demeuré parmi nous 2. C’est là le pain que les nuées de l’Evangile
font pleuvoir dans le monde entier. Il ouvre les coeurs des prédicateurs, comme
des portes célestes, pour annoncer sa parole, non plus à.une synagogue qui
murmure et tente le Seigneur, mais à l’Eglise qui croit et met son espoir en
lui. Celui qui « a fait lever dans les airs le vent d’orient, et souffler par
sa puissance le vent du midi; qui leur fait pleuvoir les viandes comme la
poussière, et les oiseaux comme le sable des mers; qui les a fait tomber au milieu
de leur camp, autour de leurs tentes, pour leur en faire manger et les
rassasier; qui a comblé leurs convoitises et ne les a point privés de leur
désir »; celui-là peut nourrir la foi faible encore de ceux qui croient en lui
sans chercher à le tenter par des signes et des paroles qui sortent de la
chair, et qui traversent les airs à la façon des oiseaux. Ces paroles toutefois
ne viendront point de l’Aquilon, région froide et ténébreuse, c’est-à-dire de
l’éloquence mondaine qui plaît aux hommes, mais en faisant souffler dans les
cieux le vent du midi. Où soufflera-t-il, sinon sur la terre? afin que Les
faibles dans la foi entendent ce qui est de la terre, et se fortifient pour
comprendre les choses du ciel. « Si je
1. Ps. LXXVII, 23-31. — 2. Jean, I, 14.
vous dis des choses terrestres et que vous ne
les croyiez pas, dit le Sauveur, comment croirez-vous les choses du ciel 1? »
Il était en quelque sorte transféré du ciel, ce même saint Paul ravi jusqu’à
Dieu en extase, et qui, se proportionnant à ses auditeurs, leur disait: « Je
n’ai point voulu vous prêcher comme à des hommes spirituels, mais bien comme à
des hommes charnels 2 ». Ravi en Dieu il avait entendu des paroles ineffables
3, qu’il ne lui état pas donné d’exprimer sur la terre en ces sons articulés qui
voltigent contre l’oiseau. Il a fait souffler l’Africus par sa puissance,
c’est-à-dire ces vents du midi, ces souffles de la prédication qui portent la
chaleur et la lumière. Tel est l’effet « de sa puissance », afin que l’Africus
ne s’attribue point ce qui lui vient de Dieu. Ces vents donc viendront
d’eux-mêmes vers les hommes, et leur apporteront les paroles venues d’en haut;
afin que chacun, demeurant à sa place, ramasse autour de son pavillon ces
sortes d’oiseaux, et adore Dieu dans le rang qu’il occupe, et que toutes les
îles des nations arrivent à le connaître 4.
18. Mais pour les infidèles, comme pour cette
nation indocile et rebelle, il arrive que les viandes sont encore dans leurs
bouches, quand « la colère de Dieu s’allume contre eux, et en tue un grand
nombre »; c’est-à-dire la plus grande partie, ou, comme portent certains
manuscrits, « les plus gras d’entre eux ». Il est vrai que nous n’avons point
vu cela dans les manuscrits grecs en notre possession. Mais si tel est le sens
le plus vrai, que faut-il entendre par « les plus gras », sinon les plus
orgueilleux, dont il est dit que u leur « iniquité semble venir de leur
plénitude 5? « Et il abattit l’élite d’Israël ». Il y avait là des élus, à la
foi desquels n’avait aucune part cette génération indocile et rebelle. Mais de
quoi furent-ils empêchés, sinon d’être utiles à ceux que leur affection
paternelle eût voulu conseiller? De quoi peut servir la pitié humaine aux
hommes qui ont irrité Dieu? L’Ecriture, en disant que les élus furent liés, n’a-t-elle
pas voulu nous faire comprendre que les hommes séparés de cette race par leur
vie et leurs moeurs, étaient non seulement des modèles de justice, mais aussi
des modèles de patience, puisqu’ils étaient
1.
Jean, III, 12. — 2. I Cor. III, 1. — 3. II Cor. XII, 4. — 5. Sophon. II, 11
— 6. Ps. LXXII, 7.
confondus dans les châtiments du peuple? Car
je ne vois point pour quel autre motif Dieu aurait laissé emmener en captivité
les saints et les pécheurs: aussi lisons-nous dans les manuscrits grecs, non
plus enepodisen, ou « il empêcha »,
mais qui se traduit mieux par « il lia ensemble ».
19. Mais « cette génération rebelle et
indocile ne laissa pas de pécher encore et ne crut point aux merveilles du
Seigneur. Et leurs jours se consumèrent dans la vanité 1 ». Ils pouvaient,
s’ils eussent cru en Dieu, passer leurs jours dans la vérité, dans l’immobilité
de celui à qui le Prophète dit: « Vos années ne passeront point 3 ». Donc «
leurs jours s’écoulèrent dans la vanité, et leurs années dans la précipitation
». Car la vie des hommes passe bien vite, et celle qui nous paraît la plus
longue, n’est qu’une vapeur de quelques instants.
20. Toutefois « dès qu’il les frappait, ils
le recherchaient », non par amour de la vie éternelle, mais par crainte de
perdre une vie qui n’est qu’une fumée. Ce n’était donc point ceux qut
mouraient, qui cherchaient Dieu, mais ceux qui craignaient de mourir comme eux;
et si l’Ecriture s’exprime comme si ceux qui mouraient eussent cherché Dieu,
c’est qu’ils ne formaient tous qu’un peuple, et que le Prophète en parle comme
d’un même corps. « Et ils retournaient à lui, et se hâtaient de revenir à Dieu.
Ils se souvenaient que Dieu était leur refuge, que le Très-Haut était leur
Sauveur 3 ». Mais tout cela n’était que pour obtenir des biens de la terre,
éviter les maux de cette vie. Chercher Dieu en vue des biens temporels, ce
n’est point aspirer à Dieu, mais à ces biens; ce n’est point une crainte
servile, mais un libre amour, qui honore le Seigneur. Ainsi donc ce n’est point
Dieu que l’on sert, mais on sert ce que l’on aime. De là vient que Dieu, qui
est supérieur à tout, meilleur que tout, est plus que tout digne de notre amour
et de notre culte.
21. Voyons encore la suite: « Ils l’aimaient
du bout des lèvres», dit le Prophète, « mais leur langue mentait au Seigneur.
Leur coeur n’était pas droit devant lui, ils n’étaient point fidèles à son
alliance 4». Mais Dieu, qui pénètre les secrets des hommes, et
qui découvrait sans peine leur préférence,
1.
Is. LXXVII, 32, 33. — 2. Id. CI, 28. — 3. Id. LXXVII. 34, 35.— 4. Id, 36, 37.
voyait que le langage du coeur n’était point
d’accord avec celui des lèvres. Un coeur est droit devant Dieu quand il cherche
Dieu pour Dieu. Il ne veut obtenir de Dieu qu’une seule faveur, qu’il réclamera
toujours, c’est d’habiter dans la maison du Seigneur, et de contempler ses
délices 1. C’est à lui que le coeur des fidèles a dit: Je serai rassasié, non
plus des viandes de l’Egypte, ni de ses melons, ni de ses concombres, ni de
l’ail, ni de l’oignon, que cette génération indocile et rebelle préférait au
pain du ciel 2, ni même de la manne visible, ou de la chair des oiseaux, mais
je serai rassasié quand votre gloire m’apparaîtra 3. Tel est l’héritage du
Nouveau Testament auquel ce peuple ne fut point fidèle. La foi en cette alliance,
bien que voilée alors, était chez les élus; aujourd’hui qu’elle est révélée,
elle n’est que chez bien peu d’appelés. « Beaucoup en effet sont appelés, mais
peu sont élus 4 ». Telle était donc cette race corrompue et rebelle: même en
paraissant cher. cher Dieu, elle ne l’aimait que des lèvres et sa langue était
menteuse; elle n’avait point pour Dieu la droiture du coeur, et lui préférait
les faveurs qu’elle attendait de lui.
22. « Mais lui, plein de miséricorde, leur
pardonnera leurs offenses, et ne les perdra point: sans cesse il retient sa
colère, et ne laisse point s’allumer sa fureur. Il se souvient qu’ils ne sont
que chair, un esprit qui s’en va pour ne plus revenir 5 ». Plusieurs, en lisant
ces paroles, comptent sur la bonté de Dieu pour l’impunité de leurs crimes,
même lorsqu’ils y demeurent, comme cette génération, que le Prophète appelle «
indocile et rebelle, dont le coeur n’était pas droit, et dont l’esprit ne
croyait point en Dieu »: avec laquelle toute ressemblance est funeste. Si.
Dieu, en effet, pour parler leur langage, ne perd point les méchants, il est
certain qu’il ne perdra point non plus les bons. Pourquoi ne pas choisir de
préférence ce qui est hors de doute? Ceux dont la langue est menteuse, et dont
le coeur tient un autre langage, pensent que Dieu est menteur, désirent même
qu’il le soit, quand il menace de châtiments éternels ces prévaricateurs. Mais
ni eux ne peuvent tromper Dieu par leurs «mensonges, ni Dieu nous tromper par
sa vérité. Que cette génération dépravée ne dé-
1. Ps. XXVI, 4.— 2. Exod. XVI, 3. — 3. Ps. XVI, 15.— 4. Matth. XX, 16. — 5. Ps. LXXVII, 38, 39.
détériore point les oracles divins, dont elle
se glorifie, comme elle a détérioré son coeur; malgré cette corruption du
coeur, les paroles de Dieu demeurent incorruptibles. C’est dans ce sens, en
effet, que nous pouvons entendre ces paroles de l’Evangile: « Afin que vous
soyez les enfants de votre Père céleste, qui fait luire son soleil sur les bons
et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes ». Qui ne
voit avec quelle patiente miséricorde il pardonne aux méchants, mais avant de
les juger? C’est ainsi qu’il épargna cette nation, et réprima sa colère pour ne
pas la détruire et l’exterminer entièrement; c’est là ce que nous voyons dans
les paroles de Dieu, dans les supplications de Moïse pour obtenir le pardon de
leurs péchés, alors que Dieu lui dit: « Je les exterminerai, et te ferai le
chef d’une grande nation 2». Moïse insiste, déterminé à périr plutôt qu’eux; il
savait qu’il parlait à un Dieu plein de miséricorde, qui ne pourrait le
détruire, et qui leur pardonnerait en sa faveur. Voyons en effet, combien Dieu
a pardonné, combien il pardonne encore. Il a introduit ces rebelles dans la
terre promise, et conservé cette nation jusqu’à ce qu’ils se fussent engagés à
tuer le Christ, par le plus grand de tous les crimes; bien qu’il les ait
arrachés de leur terre pour les disséminer chez tous les peuples du monde,
néanmoins il ne les a point détruits. Ce peuple subsiste encore, et se conserve
par une succession continuelle, portant un signe, comme autrefois Caïn 3, afin
qu’on ne le détruise pas entièrement. Ainsi s’accomplit cet oracle: « Dieu est
plein de miséricorde, il pardonnera leur crime, et ne les perdra point. Sans
cesse il retient sa colère, et n’aie turne point sa fureur». S’il se livrait à
toute sa colère, c’est-à-dire autant qu’ils en sont dignes, rien ne demeurerait
de cette race criminelle. Ainsi ce même Dieu dont le Prophète chante la
miséricorde et le jugement 4, pousse, encore aujourd’hui, la miséricorde
jusqu’à faire luire son soleil sur les bons et sur les méchants », et à la fin
du inonde, au jugement, il séparera les méchants de la lumière éternelle, pour
les jeter dans des ténèbres sans fin.
23. Toutefois, afin de ne point faire
violence à la parole divine, et quand elle dit: « Dieu ne les perdra point»,
afin de ne point dire au
1. Matth. V, 4. — 2. Exod. XXXII, 10.— 3.
Gen. IV, 15.— 4. Ps. C, 1.
contraire: Il les perdra plus tard; voyons
dans ce même psaume une façon de parler très-ordinaire dans l’Ecriture, et qui
nous donnera une solution plus nette, et plus vraie de cette difficulté.
Parlant un peu plus loin de cette nation, après avoir montré les désastres
essuyés à leur sujet par les Egyptiens, et rappelé la dernière plaie, le Prophète
ajoute: « Il frappa tout premier-né sur la terre d’Egypte, les prémices de
l’enfantement dans tes tabernacles de Cham. Puis il conduisit son peuple comme
des brebis, et leur fit traverser le désert comme à un troupeau. Il les
conduisit dans l’espérance, et ils furent sans crainte, et la mer couvrit leurs
ennemis. Il les conduisit à la sainte montagne, à la montagne que sa droite
avait conquise. Il chassa devant eux les nations, et leur divisa la terre comme
ou divise les héritages 1 ». Si quelqu’un voulait incidenter sur ces paroles et
nous dire: Comment le Prophète peut-il alléguer que Dieu leur ait fait ces
grâces, puisque ceux qui sortirent de l’Egypte, ne furent pas introduits dans
la terre promise, et qu’ils moururent au désert? Que répondre, sinon que l’on
dit eux, parce que c’est le même
peuple, par la succession des enfants? Ainsi quand nous entendons dire, surtout
que les expressions sont au futur: « Et il leur pardonnera leurs fautes et ne
les détruira point: toujours il retiendra sa colère, et sa fureur ne s’allumera
point »; nous devons comprendre que cela s’est accompli dans ceux dont l’Apôtre
a dit: « De même en nos jours, les restes ont été sauvés par l’élection de la
grâce ». De là cette autre parole: « Dieu aurait-il rejeté son peuple? Non,
sans doute. Car moi aussi je suis enfant d’Israël, de la tribu de Benjamin,
Hébreu fils d’Hébreux 2 ». L’Ecriture avait donc en vue ceux de ce peuple qui
devaient croire au Christ, recevoir la rémission des péchés, et même de ce
crime le plus grand de tous, qui leur fit tuer leur médecin, dans un accès de
folie. Voilà ce qui a dicté cette parole du Prophète: « Dieu est
miséricordieux, il leur pardonnera leurs péchés et ne les détruira point; il a
surtout modéré sa colère », jusqu’au point de leur pardonner la mort même de
son Fils: «Et il ne laissera point s’allumer sa fureur, puisque les restes ont
été sauvés ».
24. « Il se souvint que ce peuple est
charnel,
1. Ps, LXXVII, 51-54. — 2. Rom. XI, 5, 1;
Philipp. III, 5.
qu’il n’est qu’un souffle qui passe et ne
revient plus». Aussi, dans ses instances miséricordieuses, les a-t-il rappelés
par sa grâce, car ils ne pouvaient revenir par eux-mêmes. Comment une faible
chair, comment un esprit qui passe sans retour, aurait il pu revenir à Dieu,
sans l’élection de la grâce, quand le poids des châtiments qu’il a mérités
l’entraîne au fond de l’abîme? Et Dieu ne vous donne point cette grâce comme
une récompense, mais elle est un don gratuit, afin que l’impie soit justifié 1,
que la brebis égarée retourne au bercail, non par ses propres forces, mais sur
les épaules du pasteur qui la rapporte 2. Elle a bien pu s’égarer au gré de ses
caprices, mais elle ne pourrait se retrouver elle-même, elle n’est retrouvée
que par la bonté du pasteur qui la recherche, li n’est lias en effet sans
ressemblance avec cette brebis, ce fils qui rentre en lui-même, et se dit: « Je
me lèverai, et j’irai à mon père ». Un appel secret, une sainte inspiration le
cherchait, et il ne doit sa résurrection qu’à celui qui donne la vie à tout: et
par qui a-t-il été retrouvé, sinon par celui qui sauve et qui recherche ce qui
était perdu 3? « Il était mort et il est ressuscité; il était perdu et il est
retrouvé 4». C’est ainsi que l’on peut répondre à cette autre difficulté des
Proverbes, alors que l’Ecriture nous dit, à propos de la voie des impies: «
Quiconque marche dans cette voie, n’en reviendra point 5 ». Parole qui nous
porterait au désespoir sur le compte des impies: quand l’Ecriture nous marque
l’effet de la grâce; car l’homme peut bien par ses propres forces marcher dans
le sentier du mal, tandis qu’il n’en peut revenir par lui-même, si la grâce ne
le rappelle.
23. « Combien de fois donc » ces hommes
pervers et indociles «ont-ils aigri le Seigneur au désert, et ont-ils provoqué
sa justice dans les terres sans eau? Ils sont retournés à leurs murmures, et
ont tenté Dieu, et aigri le saint d’Israël 6 ». C’est là une répétition de
cette infidélité déjà flétrie; mais le Prophète ne la rappelle que pour nous
énumérer les plaies dont le Seigneur frappa l’Egypte en leur considération, Ils
devaient en conserver plus précieusement la mémoire, sans se montrer ingrats.
Enfin quelle est la suite? « Ils oubliaient le bras du Tout-Puissant, au
1. Philipp. XV, 4, 5.— 2. Luc, XV, 5. — 3.
Id. XXIX, 10.— 4. Id. XV, 18, 21. — 5. Prov. II, 19. — 6. Ps.
LXXVII, 40, 41.
jour où il les délivra du joug de
l’oppression ». Vient alors l’énumération des plaies de l’Egypte: « Le Seigneur
a fait éclater sa puissance en Egypte, et ses merveilles dans les champs de
Tanis: lorsqu’il changea leurs fleuves en sang, et leurs pluies dont on ne put
boire »; ou plutôt « toute source d’eaux », comme nous lisons dans le grec, ta ombremata, que nous traduisons en
latin par scaturigines, ou des eaux
qui s’élancent de dessous terre. Les Egyptiens creusèrent, et au lieu d’eau
trouvèrent du sang. « Il envoya contre eux des insectes qui les dévoraient, et
des grenouilles qui désolaient tout. Il livra leurs récoltes à la rouille, et
leurs maisons aux sauterelles. Il fit périr leurs vignes par la grêle, et leurs
sycomores par les frimas. Il livra leurs brebis à la grêle, et leurs troupeaux
au feu du ciel. Il versa sur eux toute sa colère, la fureur, l’indignation, les
tribulations, les influences des mauvais anges. Il élargit les voies de sa
colère, et ne leur épargna point la mort, il livra leurs bestiaux à la peste.
Il frappa tout premier-né de l’Egypte, et les prémices de l’enfantement sous
les tentes de Cham 1.»
26. Tous ces fléaux de l’Egypte peuvent
s’entendre d’une manière allégorique, selon qu’il plaît à chacun de les
interpréter, et de leur trouver des analogies. Nous essayerons de le faire
aussi, et nous y réussirons comme il plaira au Seigneur de nous éclairer. Nous
y sommes forcés par les paroles de ce psaume: « J’ouvrirai ma bouche en parabole,
j’exposerai les énigmes dès le commencement ». Aussi voyons nous dans ce récit
du psaume des plaies dont l’Ecriture ne nous dit point que les Egyptiens aient
été frappés, bien que tous ces fléaux soient décrits très exactement dans
l’Exode. Toutefois ce n’est pas sans raison que nous lisons dans le psaume ce
qui n’est pas dit ailleurs; comme nous ne pouvons y voir que des figures, nous
devons comprendre que ces autres plaies qui sont arrivées très-certainement,
n’ont été envoyées par Dieu et écrites par Moïse, que pour être des figures.
C’est ce que nous pouvons remarquer en beaucoup d’endroits prophétiques de
l’Ecriture. Elle nous raconte parfois des particularités que l’on ne trouve
point dans l’histoire qu’elle en a écrite et qu’elle semble rappeler, souvent
même on
1 Ps. LXXVII, 45-51.
trouve le contraire; afin que nous jugions de
là que son but n’est point celui que l’on croirait tout d’abord, mais qu’il
faut nous élever à une pensée supérieure. Aussi, quant à ces paroles: « il
dominera depuis la mer jusqu’à la mer, et depuis le fleuve jusqu’aux extrémités
de la terre 1»; il est constant qu’elles n’ont pas été accomplies sous le règne
de Salomon, que le psaume paraît chanter, tandis qu’il chante le Christ. Ainsi
donc, dans ces plaies des Egyptiens, que nous marque d’une manière exacte le
livre que l’on nomme Exode, et où l’Ecriture a pris soin de nous détailler ces
fléaux dont ils furent accablés, nous ne trouvons pas ce que dit notre psaume;
« Il détruisit leurs maisons par la rouille». De plus, après avoir dit: « Il
abandonna leurs bestiaux à la grêle », le Prophète ajoute: «Et leurs
possessions au feu du ciel ». Or, nous lisons bien dans l’Exode 2, que leurs
bestiaux furent frappés de la grêle, mais non que leurs possessions aient été
détruites par le feu. Il est vrai qu’à la grêle se mêlent des bruits et des
feux, comme le tonnerre et les éclairs; et pourtant il n’est pas écrit que ces
feux aient rien consumé. Enfin il n’est point dit que les plantes flexibles que
la grêle ne pouvait blesser, aient été frappées ou blessées par des coups
violents, puisqu’elles furent ensuite la proie des sauterelles 3. De même
encore il est dit: « Il fit périr leurs sycomores par les frimas », ce qui
n’est pas dans l’Exode. Car les frimas diffèrent beaucoup de la grêle, et en
hiver, pendant les nuits sereines, les frimas blanchissent la terre.
21. Quant à l’explication de ces figures, que
chacun en parle comme il pourra, et que le lecteur en juge équitablement. Pour
moi, l’eau changée en sang, désigne le jugement charnel que l’on porte sûr les
choses. Ces insectes marquent le cynisme de ceux qui ne respectent point les
parents dont ils sont nés. Les grenouilles, la vanité qui parle sans cesse. La
rouille nuit d’une manière invisible, tantôt on l’appelle rouille, et tantôt canicule
à quel vice comparer ce fléau, sinon à celui qui apparaît le moins, comme la
confiance en soi même? C’est en effet un souffle nuisible qui la produit
insensiblement dans les moissons; c’est le travail de cet orgueil secret. qui
nous fait croire que nous sommes quelque chose, quand en effet nous ne sommes
rien 4.
1. Ps. LXXI, 8.— 2. Exod. IX, 25. — 3. Id. X,
1-15.— 4. Gal. VI, 3.
La sauterelle est cette bouche méchante qui
blesse les autres par le faux témoignage. La grêle, c’est l’injustice qui enlève
le bien d’autrui, qui produit les rapines, les larcins, les pillages, et où le
spoliateur perd plus que ceux qu’il dépouille. La bruine marque le péché qui
refroidit la charité pour le prochain, par le froid de la nuit, dans
l’obscurité de la folie. Quant au feu, s’il s’agit d’un feu séparé des éclairs
et de la grêle, puisqu’il est écrit qu’ «il livra au feu leurs possessions »,ce
qui paraît dire qu’elles furent incendiées, ce que l’Ecriture ne dit point du
feu du tonnerre, il semble désigner une colère violente qui porte souvent
jusqu’au meurtre. La mort des troupeaux, autant que j’en puis juger, marque la
perte de toute pudeur, parce que cette concupiscence, d’où provient la
génération, nous est commune avec les bêtes, et la vertu de chasteté consiste à
l’assujettir et à la régler. La mort des premiers-nés, c’est la perte de cette
justice qui est le bien social parmi les hommes. Cependant, que tel soit le
sens des figures, ou qu’un autre en donne un plus convenable, qui pourrait voir
sans étonnement les dix plaies dont l’Egypte est frappée, et les dix préceptes
inscrits sur les tables pour servie de code au peu pie de Dieu? Chercher
l’analogie de ces deux faits, c’est-à-dire de ces plaies et de ces préceptes,
nous l’avons fait ailleurs 1, et nous n’en voulons point surcharger
l’explication de notre psaume: disons seulement que les dix plaies d’Egypte
sont exprimées ici, quoique l’ordre diffère de celui de l’Exode, puisque au
lieu des trois que nous y voyons 2, et qui manquent ici, c’est-à-dire des moucherons,
des ulcères et des ténèbres, nous eu trouvons trois dans le psaume, et qui
manquent dans l’Exode, c’est-à-dire, la rouille, la bruine et le feu, non le
feu des éclairs, mais le feu qui consuma leurs biens, et dont l’Exode ne parle
point.
28. Mais il est assez clair que Dieu, par un
juste jugement, les accable de ces maux, au moyen des mauvais anges, qui
travaillent dans notre siècle comme dans l’Egypte et dans les champs de Tanis,
où nous devons pratiquer l’humilité, jusqu’à ce que vienne le jour où nous
mériterons de sortir glorieusement de cette bassesse. Egypte, en langue
1. Sermon sur les dix plaies el les dix
préceptes, tome V.— 2. Exod. VIII, 17 IX, 10; X, 22.
hébraïque, signifie ténèbres ou tribulations,
et Tanis, comme nous l’avons dit, signifie un humble commandement. Ne passons
donc point légèrement star ce que le psaume nous dit des mauvais anges, à
propos de ces plaies: « Il a déchaîné contre eux sa colère, son indignation, la
désolation et la fureur, les influences des mauvais anges ». Qu’il y ait un
diable avec ses anges, auxquels Dieu a préparé le feu éternel, il n’est aucun
fidèle pour l’ignorer: mais ceux qui sont moins capables de considération,
comprendront difficilement la souveraine justice de Dieu qui se sert utilement
des méchants mêmes, et qui déchaîne leur puissance contre ceux qu’il juge
dignes de leur méchanceté. Quant à la substance de ces esprits, quel autre que
Dieu les a faits? Mais il ne les a point faits mauvais: il en use néanmoins
dans sa bonté, c’est-à-dire avec sagesse et avec justice: comme au contraire
les méchants abusent pour le mal des meilleures créatures. Dieu donc se sert
des mauvais anges, non seulement pour punir les méchants, comme ceux dont il
est question dans notre psaume, comme le roi Achab, qu’un esprit de mensonge
séduisit par l’ordre de Dieu, afin qu’il pérît dans la guerre 1, mais encore
pour mettre les bons à l’épreuve, et en évidence, comme il arriva pour Job.
Pour ce qui est de cette matière corporelle des éléments visibles, je crois que
les bons anges peuvent s’en servir comme les méchants, selon le pouvoir qu’ils
ont reçu; de même que les hommes bons ou méchants s’en servent indifféremment,
chacun à proportion de sa faiblesse. La terre est à notre usage, ainsi que
l’eau, l’air et le feu, non seulement dans ce qui est nécessaire pour sustenter
notre vie, mais encore dans ce qui est superflu, ou amusant, ou même dans les
oeuvres d’art que l’on admire. Ces ouvrages sans nombre de mécanique, en grec mexanemata, n’ont pas d’autre objet que
ces éléments. Mais la puissance des anges, soit bons, soit méchants, est bien
plus grande, et des bons plus que des mauvais; pour eux néanmoins comme pour
nous, elle est subordonnée à l’ordre ou à la permission de Dieu. Pour nous, en
effet, le pouvoir sur les éléments ne se mesure pàs à la volonté; et dans un
livre authentique de l’Ecriture, nous lisons que le diable a bièn pu lancer le
feu du ciel, pour consumer, par un
1. III Rois, XII, 22.
coup d’une violence extrême et surprenante,
les immenses troupeaux d’un saint personnage: et nul peut-être n’oserait
attribuer au démon une telle puissance, s’il ne l’apprenait par l’autorité de
l’Ecriture. Mais cet homme que la grâce de Dieu avait rendu juste, fort et
saintement clairvoyant, ne dit point: Le Seigneur l’a donné, le diable l’a ôté;
mais bien: « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté 1». Il savait très-bien
que le démon ne peut. user de sa puissance sur les éléments et contre les
serviteurs de Dieu, que selon la volonté et la permission de Dieu. Il
confondait ainsi la malice du démon, parce qu’il connaissait celui qui s’en
faisait un instrument pour l’éprouver. Quant aux fils de l’in. crédulité, le
démon s’en fait des esclaves 2, comme les hommes s’assujétissent les animaux;
et toujours néanmoins autant que le permet la souveraine justice de Dieu. Mais
interdire au démon par une puissance supé. rieure, de traiter à son gré ceux
qui sont à lui, et lui donner un pouvoir sur ceux qui lui sont étrangers, sont
choses bien différentes. Ainsi un homme fait de son cheval ce qu’il veut, et
toutefois il cesse d’en disposer, quand un pouvoir supérieur le lui interdit;
mais pour user du cheval d’un autre, il attend qu’on lui en donne le pouvoir.
Dans un cas on restreint le pouvoir qui existait, dans l’autre on accorde une
puissance qui n’existait pas.
29. S’il en est ainsi, et si Dieu se servit
des anges pour frapper les Egyptiens, oserions-nous bien dire que ce furent ces
mêmes anges qui changèrent les eaux en sang, ces mêmes anges qui produisirent
les grenouilles, merveilles qu’imitèrent les magiciens de Pharaon par leurs
enchantements? Ces esprits méchants obsédaient-ils ce peuple d’une double
manière, l’affligeant d’une part, le trompant de l’autre, selon la juste
volonté de Dieu qui, dans sa toute-puissance, se sert très justement de la
malice des méchants? Je n’ose prononcer. Pourquoi les magiciens de Pharaon ne
purent-ils produire des mouches 3? Est-ce parce que les démons n’en reçurent
point le pouvoir? Ou mieux, n’y a-t-il point là une raison cachée qui dépasse
les forces de notre analyse? Si nous prétendons en effet que Dieu n’agissait
alors que par les anges mauvais, parce qu’il s’agissait de châtiments à
infliger, et non de faveurs à distribuer, comme si Dieu ne
1.
Job, I, 16,21.— 2. Ephés II, 2.— 3. Exod. VII, 10, 22; VIII, 6, 7, 17,
18.
châtiait jamais par le ministère des bons
anges, mais seulement par ces bourreaux de la milice céleste; il nous faudra
croire que Sodome fut ruinée par les mauvais anges, et que ce fut à de mauvais
anges qu’Abraham et Loth donnèrent l’hospitalité. Loin de nous de le penser
contre l’autorité si claire des Ecritures 1. Il est donc évident que ces maux
peuvent arriver aux hommes par les bons et par les mauvais anges. J’ignore
quand cela se fait ou se doit faire. Mais Dieu qui le fait ne l’ignore pas, non
plus que le confident qu’il lui plaît de se choisir. Toutefois, en prenant
l’Ecriture pour règle de mes pensées, je lis que Dieu châtie par les bons
anges, comme il arriva pour Sodome, et qu’il châtie par les mauvais anges,
comme il arriva pour les Egyptiens: mais je ne sache pas que par le moyen des
bons anges, il ait infligé aux justes une épreuve corporelle.
30. Quant au passage du psaume que nous
expliquons, si nous n’osons attribuer aux mauvais anges ces merveilles sur les
créatures; nous avons de quoi leur attribuer, sans hésitation, la mort des
troupeaux, le trépas des premiers-nés, et ce qui déchaîna tous les fléaux, cet
endurcissement du coeur, qui s’opposait à la sortie du peuple de Dieu. Quand
l’Ecriture dit que Dieu jeta leurs coeurs dans cette obstination si injuste et
si criminelle 2, tel n’est point l’effet d’une inspiration de sa part, ou d’une
excitation, mais simplement d’un abandon, en sorte que les diables ont fait,
sur ces enfants de l’incrédulité 3, ce que Dieu leur a permis dans sa stricte
justice. C’est dans ce sens qu’il nous faut entendre cette parole d’Isaïe: «
Vous êtes irrité, Seigneur, et nous sommes pécheurs. Aussi sommes-nous tombés
dans l’égarement. nous sommes tous comme dans l’impureté 4 ». Quelque crime de ce
peuple avait donné lieu à la juste colère de Dieu de leur retirer sa lumière,
en sorte que leur âme aveuglée s’éloigna du chemin de la justice pour tomber
dans des fautes dont rien ne peut diminuer la gravité. quand nous voyons dans
un autre psaume que Dieu convertissait le coeur des Egyptiens, afin qu’ils
n’eussent que de la haine pour son peuple, et qu’ils traitassent injustement
ses serviteurs 5, nous pouvons croire que Dieu agissait ainsi par ses mauvais
anges, afin que les coeurs vicieux de ces incrédules fussent
1. Gen. XVIII et XIX. — 2. Exod. IV, 21.— 3.
Ephés. II, 2. — 4. Isa. LXIV, 5, 6. — 5. Ps. CIV, 25.
portés à la haine contre le peuple de Dieu,
par ces mêmes anges qui se plaisent dans les mêmes vices, et que les merveilles
qui suivirent pussent effrayer et corriger les bons. On peut très-bien croire
aussi que les mauvais anges infligent à ceux que leur abandonne la divine
justice, les plaies de l’âme, dont ces plaies sensibles sont la figure, d’après
cet oracle: « J’ouvrirai ma bouche en parabole ». En effet, quand s’accomplit
ce que nous dit saint Paul: « Dieu les a livrés aux convoitises de leurs
coeurs, afin qu’ils fissent des choses honteuses 1 », il se trouve là des
démons qui s’emparent avec joie de ces coeurs comme d’une propriété: puisque
Dieu leur assujettit la corruption des hommes, à l’exception de ceux qu’il en
délivre par sa grâce. Qui comprendra ces choses 3? Aussi, quand le Psalmiste a
dit: « Il déchaîna contre eux sa colère, son indignation, la désolation et la
fureur, et les influences des anges mauvais»; et qu’il ajoute: «Il élargit les
voies à sa colère », quel esprit assez éclairé, assez pénétrant, peut se
promettre d’aller au fond de la sentence renfermée dans ces paroles? La colère
de Dieu s’était fait un sentier pour châtier par une justice occulte, l’impiété
de l’Egypte. Mais il a élargi ce sentier, et par l’effet des mauvais anges, les
a tirés de ces vices cachés pour les jeter dans des crimes publics, et venger
d’une manière éclatante cette impiété déclarée. Pour délivrer l’homme de ce
pouvoir des mauvais anges, il n’y a que la grâce de Dieu, dont l’Apôtre a dit:
« C’est lui qui nous a arrachés à la puissance des ténèbres, pour nous
transporter dans le royaume de son Fils bien-aimé 3 »: voilà ce que figurait ce
peuple, qu’il arrachait à la puissance des Egyptiens, pour les mettre en
possession de cette terre qui leur était promise, et où coulaient des ruisseaux
de lait et de miel, symbole de la douceur de la grâce.
31. Après avoir énuméré les plaies de
l’Egypte, le Psalmiste continue: « Il mena son peuple comme des brebis, et le
conduisit comme un troupeau dans le désert. Il les conduisit dans l’espérance,
et ils furent sans crainte, et la mer couvrit leurs ennemis 4 ». Voilà ce qui
se produit d’une manière d’autant plus avantageuse, qu’elle est plus
intérieure, alors que Dieu arrache notre âme à la puissance des ténèbres, et
nous transfère dans des pâturages spirituels; nous devenons les brebis
1.
Rom. I, 24.— 2. II Cor. II, 16.— 3. Coloss. I,13.— 4. Ps. LXXVII, 52, 53.
de Dieu, marchant dans cette vie comme dans
un désert, puisque nul ne comprend notre foi. Aussi l’Apôtre a-t-il dit: «
Votre vie est cachée en Dieu avec le Christ 1 ». Nous arrivons ensuite à
l’espérance, car « l’espérance est notre salut ». Nous ne devons plus craindre,
« car si Dieu est avec nous, qui sera contre nous 2? » La mer a englouti nos
ennemis, parce que le baptême nous a remis nos péchés.
32. Le Prophète continue: « Il les fit entrer
sur la montagne sainte». Combien vaut-il mieux entrer dans la sainte Eglise? «
La montagne acquise par sa droite 3 ». Combien est plus sublime encore cette
Eglise acquise par le Christ, et dont il est dit « A qui le bras du Seigneur
a-t-il été révélé 4?» « Il a chassé devant eux les nations »: devant ses
fidèles. Ces nations sont en quelque sorte les erreurs des Gentils, et les
esprits du mensonge. « Il leur a divisé la terre, comme on divise un héritage.
C’est le même esprit qui opère en nous toutes ces choses, distribuant à chacun
ses dons comme il lui plaît 5 ».
33. « Il a fait reposer sous leurs tentes les
tribus d’Israël 6 ». C’est sous les tentes des
nations, dit le Prophète, qu’il fit reposer
les tribus d’Israël. Cela s’accomplit bien mieux d’une manière spirituelle,
selon moi, lorsque la grâce de Jésus-Christ nous élève dans cette gloire d’où
furent chassés et précipités les anges prévaricateurs. Car tant de bienfaits
visibles ne faisaient point déposer à cette « race indocile et rebelle », la
tunique du vieil homme. « Et de nouveau ils tentèrent le Seigneur et l’irritèrent,
ils ne gardèrent point ses préceptes; ils se retirèrent de lui et violèrent son
alliance, aussi bien que leurs pères 7». Ils s’étaient liés envers Dieu par un
pacte, et avaient dit librement: « Nous ferons, et nous écouterons tout ce qu’a
ordonné le Seigneur notre Dieu 8 ». N’oublions pas que le Prophète a dit: «
Aussi bien que leurs pères ». Quoiqu’il paraisse dans tout le psaume ne parler
que des mêmes hommes, il est évident qu’il est question ici de ceux qui étaient
déjà dans la terre promise, et qu’il appelle leurs pères les murmurateurs du
désert.
34. « Ils se sont détournés », dit le
Prophète,
1.
Colos. III, 3. — 2. Rom. VIII, 24, 31. — 3. Ps. LXXVII, 54. — 4. Isa. LIII, 1—
5. I Cor. XII,
11 — 6. Ps. LXXVII, 55.— 7. Id. 56, 57. — 8. Exod. XIX, 8.
« comme un arc nuisible»; ou, comme on lit
dans quelques exemplaires, « comme un arc de travers ». Le Prophète nous
explique ensuite plus clairement sa pensée: « Ils l’ont irrité », dit-il, « sur
les hauts lieux 1 ». Ce qui signifie qu’ils tombèrent dans l’idolâtrie. Un arc
est de travers quand il combat, non plus pour le nom du Seigneur, mais contre
ce même Seigneur qui a dit à ce peuple: « Tu n’auras pas d’autres dieux que moi
2». L’arc désigne ainsi l’intention de l’âme. C’est ce que nous dit le Prophète
avec plus de clarté: « Ils ont allumé sa jalousie en adorant des idoles».
35. « Dieu les vit et les méprisa »,
c’est-à-dire qu’il les vit pour en tirer vengeance, « et pour anéantir Israël
3». Ainsi méprisé de Dieu, que pouvait devenir un peuple qui n’était rien que
par le secours de Dieu? Il rappelle sans doute ce qui eut lieu quand Israël fut
vaincu par les Philistins, du temps du grand prêtre Héli, alors que l’arche de
Dieu fut prise, qu’il se fit un grand carnage des Israélites 4, ce qu’exprime ensuite
le Prophète: « Il rejeta le tabernacle de Silo, ce tabernacle où il avait
demeuré avec les hommes 5». Nous dire: « Où il habita parmi les hommes », c’est
nous dire pourquoi il rejeta ce tabernacle. Ces hommes n’étant pas dignes qu’il
habitât parmi eux, pourquoi n’aurait-il point rejeté ce tabernacle, qu’il avait
fait dresser non pour lui-même, mais pour ces hommes qu’il jugeait indignes de
sa présence?
36. « Il livra leur force à la captivité, et
aux ennemis l’arche de leur gloire ». Il appelle force et gloire des Juifs,
cette arche avec laquelle ils se croyaient invincibles, et dont ils étaient
fiers. Dans la suite, comme ces hommes débauchés s’applaudissaient du temple du
Seigneur, il les effraie par son Prophète: « Voyez », leur dit-il, « ce que j’ai
fait à Silo, où était mon tabernacle ».
37. « Il livra son peuple au glaive, et
méprisa son héritage. Les jeunes guerriers furent dévorés par le feu, ou par sa
colère, u leurs jeunes filles ne furent point pleurées »: la crainte des
ennemis ne le permettait point.
38. « Leurs prêtres tombèrent sous le glaive,
et leurs veuves ne furent point pleurées 9».
1. Ps. LXXVII, 58.— 2. Exod. XX, 3.— 3. Ps. LXXVII, 59.— 4. I Rois, IV, 10, 11. — 5. Ps. LXXVII, 60. — 6. Id. 61. — 7. Jérém.
VII, 12. — 8. Ps. LXXVII, 62, 63.— 9. Id. 64.
Les deux fils d’Héli furent tués en effet, et
la femme de l’un, devenue veuve, mourut bientôt dans l’enfantement, et dans le
trouble d’alors ne pût être pleurée, ni ensevelie avec honneur 1.
39. « Le Seigneur s’éveilla comme d’un
profond sommeil ». Il paraît, en effet, dormir, quand il abandonne son peuple
entre les mains de ceux qu’il déteste, et qui lui disent: « Où est ton Dieu 2?
Il s’est éveillé s comme un homme endormi, comme un homme puissant appesanti
par le vin 3 ». Il n’y a que l’Esprit de Dieu pour oser parler de la sorte. Il
prend le langage insolent des impies, qui s’imaginent que Dieu dort comme un
homme ivre, quand il ne vient point au secours des hommes aussitôt qu’ils
l’avaient cru.
40. « Il frappa ses ennemis par derrière 4»
ces mêmes ennemis qui s’applaudissaient d’avoir pu prendre l’arche. Ils furent
frappés dans la partie la plus cachée du corps 5, ce qui figure pour moi le
châtiment dont sera frappé quiconque regardera en arrière. Tout cela doit être
pour nous du fumier, selon le mot de l’Apôtre 6. Recevoir l’arche de Dieu, sans
se dépouiller de la vanité, c’est ressembler à ces peuples ennemis qui, après
avoir pris l’arche de l’alliance, la placèrent près de leur idole. Et ces idoles
tombent, nonobstant leurs efforts: « Car toute chair n’est qu’une herbe des
champs, toute gloire de l’homme n’est que la fleur de l’herbe. L’herbe se s
dessèche, la fleur tombe; tandis que l’arche du Seigneur demeure éternellement
7», c’est-à-dire le royaume des cieux, le lieu secret de cette alliance, et où
réside « le Verbe » de Dieu. Mais ceux qui aiment ce qui est par derrière, en
sont justement châtiés: « Dieu les couvre d’une éternelle ignominie ».
41. « Il rejeta le tabernacle de Joseph, et
ne choisit point la tribu d’Ephraïm. Mais il choisit la tribu de Juda 8 » Il
n’est point dit qu’il ait rejeté le tabernacle de Ruben, qui fut le premier-né
de Jacob, non plus que ceux qui suivirent Ruben et qui précédèrent Jacob dans
l’ordre de naissance, pour choisir Juda après avoir rejeté les autres. On
pouvait croire néanmoins que ces tribus étaient rejetées car Jacob, dans la
bénédiction qu’il donne à ses lits, maudit les crimes détestables des
1. I
Rois, IV, 19, 20.— 2. Ps. XLI, 11.— 3. Id. LXXVII, 65.— 4. Id. 8, — 5. I Rois,
V, 6.— 6.
Philipp. III, 8.— 7. Isa. XL, 6,7.— 8. Ps. LXXVII, 67, 68.
aînés 1: toutefois, parmi eux la tribu de
Lévi mérita d’être la tribu sacerdotale, et de donner le jour à Moïse 2. Le
Prophète ne dit point que Dieu rejeta la tribu de Benjamin; ou qu’il ne choisit
point la tribu de Benjamin, qui fut la première à donner un roi; car ce fut en
elle que Saut fut élu 3. Or, le peu de temps qui s’écoule entre la réprobation
de Saül qui fut rejeté, et l’élection de David 4, nous ferait dire parfaitement
bien, que Dieu rejeta Benjamin. Mais le Prophète ne donna que les noms de ceux
que leurs mérites paraissaient rendre plus célèbres. Joseph nourrit en Egypte
son père et ses frères. Vendu sans aucune pitié, il mérita d’arriver au comble
de la gloire, par sa piété, sa chasteté, sa sagesse 5: Ephraïm fut préféré à
son aîné dans la bénédiction le Jacob son aïeul 6: et pourtant Dieu rejeta le
tabernacle de Joseph, et ne choisit point Ephraïm ». Que nous montre le
Prophète par ces noms d’un mérite éclatant, sinon que ce peuple tout entier fut
rejeté et réprouvé parce qu’il n’avait jamais recherché de Dieu que des biens
temporels: et que si la tribu de Juda fut choisie, ce ne fut point à cause des
mérites de Juda? Joseph méritait beaucoup plus. Mais comme c’est de la tribu de
Juda que le Christ est né selon la chair, l’Ecriture nous montre ici que le
peuple du Christ, peuple nouveau, a été préféré à l’ancien peuple, par le
Seigneur qui ouvre sa bouche en paraboles. Aussi dans ces paroles qui suivent:
« La montagne de Sion qu’il a aimée », nous aimons mieux voir l’Eglise du
Christ, qui ne sert point Dieu à cause des biens temporels, niais qui plonge
les regards de sa foi dans un lointain avenir et sur les biens éternels: car
Sion signifie contemplation.
42. Nous lisons ensuite: « Il a bâti sa
sanctification comme la corne du rhinocéros 7 », ou, comme l’ont dit quelques
interprètes avec un mot nouveau, son
sanctifice. Le rhinocéros est bien choisi pour figurer ceux dont
l’espérance ferme s’élève vers un seul objet, et dont un autre psaume a dit: «
J’ai fait une seule demande au Seigneur, et la ferai toujours 8 ». Cette
sanctification est, selon saint Pierre, « le peuple saint, le sacerdoce royal
». Quant cette parole: « Il l’a fondée sur la terre pour l’éternité »: le grec
porte eis ton aiona;
1.
Gen. XLIX, 1-7.— 2. Exod. II, 1.— 3. I Rois, IX, 1, 2.— 4. Id. XVI, 1, 13.— 5.
Gen. XLI, 40. — 6. Id. XLVIII, 19. — 7. Ps. LXXVII, 69.— 8. Id. XXVI, 4.— 9. I
Pierre, II, 9.
le latin peut traduire in aeternum, ou in saeculum,
car c’est la même signification, aussi trouvons-nous tantôt l’un et tantôt
l’autre dans les exemplaires latins. Il en est même qui traduisent au pluriel,
dans les siècles, ce que nous n’avons point lu dans les exemplaires grecs que
nous avions sous les yeux. Mais quel fidèle peut douter encore que l’Eglise,
qui passe de cette vie à une autre, avec ceux qui naissent et qui meurent, est
néanmoins fondée pour l’éternité?
43. « Il a choisi David son serviteur 1»; ou
la tribu de Juda à cause de David, David à cause du Christ: et dès lors Juda à
cause du Christ. Aussi les aveugles criaient-ils sur son passage: « Ayez pitié
de nous, fils de David » et ils recevaient la lumière à cause de sa miséricorde
2; parce qu’ils disaient vrai. Ce n’est donc point à la légère, mais avec
réflexion que l’Apôtre fait cette recommandation à Timothée: « Souvenez-vous
que Notre Seigneur Jésus-Christ, de la race de David, est ressuscité selon
l’Evangile que je prêche. C’est pour lui que je souffre dans les chaînes comme
un criminel; mais la parole de Dieu n’est point enchaînée 2 ». Ce Sauveur donc,
fils de David selon la chair, nous apparaît ici en figure sous le nom de David,
alors que Dieu ouvre la bouche pour parler en paraboles. Ne nous étonnons pas
qu’après avoir dit: « Il choisit David », qui nous marque le Christ, le
Prophète ajoute « son serviteur », et non son fils; c’est ce qui nous montre
que ce n’est point la substance du. Fils unique, coéternelle au Père, qui est
issue de David, mais bien la forme de l’esclave.
44. « Il l’a tiré du milieu des bergeries, il
l’a pris quand il gardait les brebis, pour être le pasteur de Jacob son peuple,
et d’Israël son héritage 3». Ce David de qui est né Jésus-Christ selon la
chair, fut tiré de la garde des troupeaux, pour conduire les peuples; mais
notre David ou Jésus-Christ, ne passa que des hommes à d’autres hommes, des
Juifs aux Gentils, et cependant, selon la parabole, il a été transféré d’un
troupeau de brebis à d’autres brebis. On ne retrouve Plus dans ces contrées ces
Eglises juives qui crurent en Jésus-Christ, qui vinrent de la circoncision peu
après la passion et la résurrection du Sauveur, et dont l’Apôtre a dit: «
J’étais inconnu de visage
1.
Ps. LXXVII, 70. — 2. Matth. XX, 30, 34.— 3. II Tim. II, 8, 9. — 4. Ps. LXXVII,
71.
aux Eglises de Judée, qui sont en
Jésus-Christ; seulement elles avaient appris que celui qui nous persécutait,
annonce maintenant la foi qu’il s’efforçait de détruire, et elles bénissaient
Dieu à mon sujet 1». Mais toutes ces Eglises de la circoncision n’existent plus
aujourd’hui; et ainsi le Christ n’est plus dans cette terre qu’on appelait la
Judée. Il en est sorti pour être le pasteur des Gentils. A la vérité, il a été
tiré de la garde des « brebis pleines », comme dit le Psalmiste; car elles étaient
de celles dont il est parlé dans le cantique des cantiques, quand il est dit, à
une Eglise composée de beaucoup d’églises, à un troupeau formé de plusieurs
autres troupeaux: «Vos dents », ou plutôt ceux par qui vous parlez, ou dont
vous vous servez pour manger les autres, et les taire ainsi entrer dans votre
corps, ceux qui sont pour vous « des dents, ressemblent à un troupeau de brebis
nouvellement tondues, qui montent du lavoir; elles n’enfantent qu’un double
fruit, et ne connaissent point la stérilité 2 ». Ils ont déposé comme une
toison les fardeaux du siècle, quand ils ont apporté aux pieds des Apôtres le
prix de leurs biens vendus 3; ils sont sortis de ce même bain, dans lequel
saint Pierre leur a dit de se laver parce qu’ils ont répandu le sang du Christ.
« Faites pénitence», leur dit-il, « et que chacun de vous soit baptisé au nom
du Seigneur Jésus-Christ, et « vos péchés vous seront remis 4». Ils ont porté
un double fruit dans les oeuvres des deux préceptes de la charité, envers Dieu,
et envers le prochain: ainsi nulle de ces brebis n’a été stérile. Notre David a
donc été tiré de la garde des brebis pleines, et garde maintenant, parmi les
Gentils, d’autres brebis, qui sont aussi Jacob et Israël, ainsi que l’a dit
notre Psaume: « Pour faire paître Jacob son serviteur, et Israël son héritage».
Pour être venues en effet de la gentilité, ces brebis n’en sont pas moins de la
race d’Abraham et de Jacob. Car cette race est celle d’Abraham, race de la
promesse que lui fit le Seigneur, en disant: « C’est d’Israël que sortira votre
race 5 ». C’est ce que nous explique saint Paul: « Ce ne sont point les fils
selon la chair », dit-il, « mais les enfants selon la promesse, qui entrent
dans la postérité 6 ». C’était aux fidèles de la Gentilité que l’Apôtre
1. Gal. I, 22-24. — 2. Cant. IV, 2. — 3. Act. II, 45; IV, 34.— 4.
Id. II, 38. — 5. Gen. XXI, 12. — 6. Rom. IX, 8.
disait: « Si vous êtes au Christ, vous êtes
la postérité d’Abraham, les héritiers selon la promesse 1 ». Quant à cette
parole: « Jacob mon serviteur, et Israël mon héritage », c’est une répétition
de pensée, en usage dans l’Ecriture. A moins peut-être qu’on ne veuille mettre
cette différence, que c’est Jacob qui sert en cette vie, et que l’héritage du
Seigneur s’ouvrira par cette vie éternelle qui nous montrera Dieu face à face,
d’où vient te nom d’Israël 2.
45. « Il les a fait paître dans l’innocence
de son coeur ». Quelle plus parfaite innocence que celle qui n’eut point de
péché, non seulement pour la vaincre, mais. encore qu’elle pût vaincre? » Il les
a conduites d’une main « sage et prudente 3». Ou, comme on lit dans d’autres
exemplaires, « de ses mains intelligentes ». On pourrait croire qu’il serait
mieux de dire: dans l’innocence de ses mains, et la sagesse de son coeur; mais
celui qui sait mieux que tout autre comme il convient de dire, attribue au
coeur l’innocence et aux mains la sagesse. Et autant que j’en puis juger, c’est
que beaucoup se croient innocents parce qu’ils s’abstiennent de faire le mal, à
cause du châtiment qu’ils craignent; et qui ont la volonté de le faire, s’ils
te pouvaient impunément. On peut croire â l’innocence de leurs mains, mais non
à celle de leur coeur. Et néanmoins quelle peut être une innocence qui n’existe
pas dans le coeur où est la ressemblance de l’homme avec Dieu? Quand le
1. Gal. III, 29. — 2. Gen. XXXII, 28. — 3.
Ps. LXXVII, 72.
Prophète nous dit que le Christ « a conduit son peuple dans
l’intelligence de ses mains», il semble parler de cette sagesse que le Christ
produit dans ceux qui croient en lui; aussi dit-il « des mains », parce que
c’est la main qui agit: ce que l’on peut entendre de la main de Dieu, car le
Christ est tout ensemble homme et Dieu. Il est certain que le roi David, dont
le Christ est issu, ne pouvait eu agir ainsi à l’égard de ce peuple qu’il
gouvernait, car il était homme: mais il le fait, celui à qui toute âme fidèle
peut dire: « Donnez-moi l’intelligence, et je sonderai votre loi 1». Dès lors,
afin de ne point nous égarer loin de lui, en nous confiant en notre sagesse,
comme si elle était bien la nôtre, soumettons-nous à ses mains par la foi.
Qu’il produise lui-même cette sagesse en nous, afin qu’après nous avoir
délivrés de toute erreur, il nous conduise où toute erreur est impossible.
C’est là le fruit que doit recueillir le peuple de Dieu lorsqu’il écoute sa
loi, qu’il incline l’oreille à sa parole, qu’il redresse son coeur en l’élevant
à lui,s’unit à lui d’esprit par une foi vive, afin de ne point devenir une race
indocile et rebelle. Mais qu’il apprenne de tout ce que nous avons dit, à mettre
son espérance en Dieu, non seulement pour la vie présente, mais aussi pour la
vie éternelle; non seulement pour recevoir la récompense qui est due à ses
bonnes oeuvres, ruais aussi pour faire ces mêmes bonnes oeuvres.
1. Ps. 118, 34.
Sous
la forme du passé, le Prophète ne plaint à Dieu de ce que le Seigneur lui
découvre pour l’avenir, et an nom de ceux qui vivront alors, s’il est question
de la ruine de Jérusalem sous Titus, car alors l’héritage du Seigneur serait un
peuple qui aurait rejeté le Christ, quoique les premiers fidèles en soient
issus, ainsi que les premières Eglises qui appartiennent à cet héritage par
leur foi, mais non le reste du peuple. La Jérusalem du Prophète serait l‘Eglise
formée de la gentilité et de la circoncision; le temple détruit se dirait des
fidèles égorgés, pierres vivantes de l’Eglise: Jérusalem est une hutte
abandonnée, puisque les martyrs ou les fruits que l’on y gardait sont retournés
au ciel. Le sang coula dans le monde entier, et la terreur empêchait que l’on
donnât la sépulture. Le Prophète appelle colère la vengeance que Dieu tire de
l’injustice, et son zèle le soin de notre âme; mais Dieu est toujours calme.
Cette colère se répandra sur les ennemis de Dieu La maison de Jacob, c’est
l’Eglise dont plusieurs membres effrayés retourneront au paganisme. Mais comme
les persécuteurs n’ont de pouvoir que selon la permission de Dieu, le Prophète
implore son secours et sa délivrance, afin que les nations voient la puissance
du Seigneur et se convertissent. S’il appelle la vengeance divine, c’est par
amour de cette justice, ou qui corrige l’impie, ou qui détourne de l’impiété,
ou qui du moins fait éclater l’équité du juge; il ne déteste que le vice. Les
chaînes dans lesquelles il veut que Dieu l’entende, sont les infirmités qui
font gémir les bons, on les liens de la sagesse. Le sang des martyrs a fait
vivre l’Eglise an lieu de la détruire; elle voit la réprobation des
persécuteurs, et chante les louanges de Dieu, jusqu’à la fin des siècles.
1. Le titre de ce psaume est si court et si
simple, qu’il n’est pas, je crois, besoin de nous y arrêter. Quant aux
promesses et aux prophéties qu’il renferme, nous en avons sous les yeux
l’accomplissement. Lorsque au temps de David on chantait ces prophéties, aucun
malheur semblable n’était arrivé à la ville de Jérusalem, ni au temple de Dieu
qui n’était point encore bâti. Qui ne sait que ce fut après la mort de David
que Salomon son fils éleva ce temple au Seigneur? Le Prophète rapporte donc
comme au passé ce que l’Esprit du Seigneur lui montre dans l’avenir. « Dieu,
les Gentils sont entrés dans votre héritage 1 ». Cette même manière de parler a
fait dire à propos de la passion du Sauveur: « Ils m’ont donné du fiel pour
nourriture, et dans ma soif m’ont abreuvé de vinaigre 2 »; et d’autres
particularités qui sont révélées, comme si elles étaient accomplies déjà. Ne
nous étonnons pas que l’on parle ainsi au Seigneur. On ne cherche point à les
liai apprendre comme s’il les ignorait, puisque c’est lui qui les révèle: mais
alors c’est l’âme qui s’entretient avec Dieu, avec cette affectueuse piété
qu’agrée le Seigneur. Quand les Anges fout aux hommes des révélations, ils les
font à des ignorants: mais ce qu’ils redisent à Dieu, il le sait; c’est ainsi
qu’ils lui présentent nos prières, et que dans un langage ineffable ils
demandent ce
1. Ps. LXXVIII, 1. — 2. Id. LXVIII, 22.
qu’ils ont à faire à l’éternelle vérité,
comme à la loi immuable. Ici donc l’homme de Dieu se plaint à Dieu de ce que le
Seigneur lui apprend, comme le disciple parle au maître qui sait et qui juge,
qui approuve ce qu’il a enseigné, qui reprend ce qu’il n’a point enseigné,
d’autant plus que le Prophète personnifie en lui-même ceux qui vivront quand
arriveront ces malheurs. D’ordinaire, en effet, on représente à Dieu dans la
prière les vengeances qu’il a exercées, on le conjure ensuite de prendre en
pitié et de pardonner. De même le Prophète parle ici des malheurs qu’il prédit
comme en parleraient ceux qui les ont essuyés: et cette plainte qui est une
prière, est en même temps une prophétie.
2. « O Dieu! les Gentils sont entrés dans
votre héritage: ils ont souillé votre saint temple, et ont fait de Jérusalem
une hutte pour garder les fruits. Les cadavres de vos serviteurs sont la proie
des oiseaux du ciel, la chair de vos saints, la pâture des bêtes sauvages. Leur
sang a coulé comme l’eau autour de Jérusalem, et nul n’était là pour les
ensevelir 1 ». Si quelqu’un de nous voit dans cette prophétie la ruine de
Jérusalem, qui arriva sous l’empereur romain Titus, alors que Jésus-Christ
était déjà ressuscité et monté au ciel, et qu’on prêchait son Evangile parmi
les Gentils, je ne vois pas comment le
1. Ps. LXXVLII, 1-3.
Prophète appelle héritage du Seigneur ut
peuple qui n’avait pas reçu Jésus-Christ, qu en le rejetant et en le livrant à
la mon avait encouru la réprobation, qui n’avait pat voulu croire en lui-même
après sa résurrection, et qui même avait égorgé ses martyrs. Ils étaient
néanmoins du peuple d’Israël, ceux qui crurent d’abord au Christ, qui
profitèrent de son avènement, pour qui s’accomplit avec fruit et d’une manière
salutaire la promesse qui en avait été faite, et dont le Seigneur lui-même a
dit: « Je ne suis envoyé qu’aux brebis de la maison d’Israël qui se sont
égarées 1»: ce sont là « les enfants de la promesse » parmi les Juifs, ceux «
qui entrent dans la race d’Abraham 2»; ils appartiennent à l’héritage de Dieu.
De là sont venus Joseph, cet homme juste, et la vierge Marie qui a enfanté le
Christ 3; de là Jean-Baptiste, l’ami de l’Epoux, et ses parents, Zacharie et
Elisabeth 4; de là le vieillard Siméon et la veuve Anne, qui n’entendirent
point la parole extérieure du Christ, mais qui le connurent tout enfant 5; de
là les Apôtres; de là Nathanaël sans déguisement 6 de là cet autre Joseph, qui
attendait aussi le royaume de Dieu 7; delà cette grande foule qui le précédait
et qui le suivait en chantant « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur 8
». De là cette troupe de petits enfants, dont il est dit qu’ils accomplirent ce
mot du Prophète: « C’est de la bouche des nouveaux-nés et des enfants à la
mamelle que vous avez tiré une louange parfaite 9 ». De là ceux qui, après sa
résurrection, furent baptisés 10, trois mille en un jour, et cinq mille en un
autre jour, et qui, au feu de la charité, ne firent qu’un seul coeur et une
seule âme, dont nul ne s’appropriait rien, mais qui possédaient tout en commun
11. De là ces saints diacres, parmi lesquels Etienne reçut avant les Apôtres la
couronne du martyre 12. De là toutes ces Eglises de Judée, qui croyaient au
Christ, qui ne connaissaient point le visage de Paul 13, mais ses persécutions
fameuses, et surtout l’insigne miséricorde que lui fit le Christ. De là Paul
lui-même selon la prophétie qui en avait été faite: « C’est un loup ravissant, au
matin il enlève sa proie, au soir il partage les dépouilles 14»; c’est-à-dire
que tout d’abord il persécute et égorge, et ensuite
1.
Matth. XV, 24.— 2. Rom. IX, 8.— 3. Matth. II, 16.— 4. Luc, I, 5.— 5. Id. II,
25, 36.— 6. Jean, I, 47. — 7. Id. XIX, 38; Luc, XXII, 51. — 8. Math. XXI, 9. —
9. Ps. VIII, 3. — 10. Act. II, 41; IV, 4.— 11. Id. IV, 32,— 12. Id. VII, 58. —
13. Gal. 1, 22. — 14. Gen. XLIX, 27.
prêche et donne le pain de la vie. C’était là
parmi les Juifs l’héritage du Seigneur. Aussi le plus humble des Apôtres 1, le
docteur des Gentils a-t-il dit: « Que dirai-je? le Seigneur a-t-il réprouvé son
peuple? Loin de là; car moi aussi je suis Israélite, de la race d’Israël, de la
tribu de Benjamin. Dieu n’a point rejeté son peuple qu’il a choisi dans sa
prescience 2». Ce peuple sorti de l’ancienne alliance pour entrer dans le corps
mystique de Jésus-Christ, est l’héritage de Dieu. Cette parole en effet de
l’Apôtre: « Dieu n’a point rejeté le peuple qu’il a connu dans sa prescience »,
est analogue à cette autre parole du Psalmiste, ainsi écrite: « Car le Seigneur
ne rejettera point son peuple»; et il ajoute: « Il n’abandonnera point son
héritage 3 »: ce qui prouve que ce peuple est bien l’héritage de Dieu, Avant de
parler ainsi, d‘Apôtre avait rappelé la prophétie qui annonce pour l’avenir
l’incrédulité du peuple d’Israël: « J’ai tendu les bras durant tout le jour à
ce peuple incrédule et rebelle à ma parole 4». Ici donc, pour empêcher que
cette parole mal comprise ne fasse envelopper dans le crime d’incrédulité et de
contradiction le peuple tout entier, l’Apôtre ajoute aussitôt: « Je dis donc:
Est-ce que Dieu a rejeté son peuple? Loin de là. Car moi, je suis Israélite, de
la race d’Israël, et de la tribu de Benjamin ». Montrant ainsi qu’il ne parle
que du premier peuple, et que si Dieu l’eût réprouvé, l’eût condamné tout
entier, il ne serait point apôtre du Christ, lui, Israélite de la race
d’Abraham, de la tribu de Benjamin. il emploie aussi un témoignage
très-important, quand il dit: « Ne savez-vous point ce que l’Ecriture rapporte
d’Elie, de quelle sorte il demande justice à Dieu contre Israël? Seigneur, ils
ont tué vos Prophètes, ils ont détruit vos autels; je suis demeuré seul, et ils
me cherchent pour m’ôter la vie. Mais qu’est-ce que Dieu lui répond? Je me suis
réservé sept mille hommes qui n’ont point fléchi le genou devant Baal. De même
donc en ce temps-ci, quelques-uns, que Dieu s’est réservés par l’élection de sa
grâce, ont été sauvés ». Tel est le petit nombre qui fait partie de l’héritage
de Dieu; mais non ceux. dont il
est dit un peu après: « Pour les autres, ils
ont été aveuglés»; selon qu’il est écrit: « Qu’est-
1. I
Cor. XV, 9.— 2. Rom. XI, 1, 2.— 3. Ps. XCIII, 14— 4. Rom, X, 21; Isa. LXV, 2.
il donc arrivé? Ce que cherchait Israël, il
ne l’a point trouvé, mais les élus l’ont trouvé; et les autres sont tombés dans
l’aveuglement 1 ». C’est donc cette élection, ce sont ces restes, c’est ce
peuple de Dieu que Dieu n’a point rejeté, qui forme son héritage. Mais dans cet
autre peuple qui n’a rien trouvé, dans ces autres qui furent aveuglés, ne se
trouvait point l’héritage de Dieu dont on put dire après la glorification du
Christ au temps de l’empereur Titus: « O Dieu, les Gentils sont entrés dans
votre héritage, et tout ce que notre psaume semble prédire sur la destruction
de ce peuple de la ville et du temple.
3. Dès lors, ou bien il nous faut entendre
ces prophéties de ce que firent d’autres ennemis avant l’avènement du Christ en
sa chair (car il n’y avait alors d’autre héritage de Dieu que ce peuple des
saints Prophètes, lorsqu’il fut transporté à Babylone, et que la nation subit
de tels désastres 2; ce peuple des Macchabées, horriblement torturés par
Antiochus, et qui furent si glorieusement couronnés 3; le psaume nous prédit en
effet ce qui fait les horreurs de la guerre), ou bien, s’il nous faut envisager
l’héritage de Dieu après la résurrection et l’ascension du Seigneur, nous
entendrons par ces calamités les maux que les idolâtres, les ennemis du nom
chrétien ont fait endurer à l’Eglise dans cette foule innombrable de martyrs.
Bien que le nom d’Asaph signifie synagogue ou assemblée, et que ce nom se donne
ordinairement au peuple juif: néanmoins cette assemblée peut être nommée
Eglise; et déjà dans un autre psaume 4, nous avons donné le nom d’Eglise à
l’ancien peuple. Cette Eglise est donc l’héritage de Dieu, formé de la
circoncision et de la gentilité, c’est-à-dire du peuple d’Israël et des autres
nations, par « cette pierre qu’ont rejetée les architectes, et qui est devenue
la tête de l’angle 5 »,et à cet angle se sont jointes deux murailles, venant de
directions différentes. « C’est lui qui est notre paix; lui qui e des deux
peuples n’en a fait qu’un; pour former en lui-même un seul homme noue veau de
ces deux peuples, mettant la paix entre eux, les réunissant tous deux à Dieu en
un même corps 6 ». C’est dans ce corps que nous sommes les enfants de Dieu, et
que
1. Rom. XI, 1-7. — 2. IV Rois, XXIV, 14. — 3.
II Macch.VII — 4. Discours sur le Ps. LXXVII, n. 3. — 5. Id. CXVII, 22. — 6.
Ephés. II, 11-16.
nous crions « Abba, notre Père 1». « Abba »
dans la langue des Juifs, « Père » dans la nôtre, car « Abba » signifie « Père
». De là cette parole du Sauveur: « Je ne suis envoyé que vers les brebis
d’Israël qui se sont égarées 2 »; montrant ainsi que la promesse faite à ce
peuple de lui envoyer le Messie était accomplie; et pourtant au même endroit il
ajoute: « J’ai d’autres brebis qui ne sont point de cette bergerie, il me faut
les amener, afin qu’il n’y ait qu’un seul troupeau et qu’un seul pasteur 3 »:
désignant ainsi les nations qu’il devait appeler à lui, non par sa présence
corporelle, afin de justifier cette parole: « Je ne suis envoyé qu’aux brebis
de la maison d’Israël qui se sont égarées »; mais par son Evangile que devaient
aller répandre « les pieds si beaux de ceux qui annoncent la paix, qui prêchent
les biens 4: leur voix s’est fait entendre dans toute la terre, et leurs
paroles jusqu’aux confins du monde 5». De là encore cette Parole de l’Apôtre: «
Je déclare que Jésus-Christ a été le ministre pour le peuple circoncis, afin de
vérifier la parole de Dieu et de confirmer les promesses faites à nos pères ».
Voilà bien: « Je ne suis envoyé qu’aux brebis d’Israël qui se sont égarées ».
L’Apôtre ajoute: « Pour les Gentils, ils doivent bénir la divine miséricorde ».
Voilà aussi: « J’ai encore d’autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie,
il me faut les amener, et il n’y aura plus qu’un troupeau et qu’un pasteur ».
Telle est la double grâce exprimée dans ce mot du Prophète cité par saint Paul:
« Nations, réjouissez-vous avec son peuple 6». C’est donc ce troupeau unique
sous un seul pasteur qui forme l’héritage de Dieu, héritage non seulement du
Père, mais encore héritage du Fils. Car c’est le Fils qui a dit: «Le cordeau a
mesuré ma part dans des lieux ravissants, mon héritage est incomparable ». Et
cet héritage, par la bouche du Prophète, dit à Dieu: « Seigneur, notre Dieu,
possédez-nous 7».Ce n’est point un héritage que le Père mourant ait laissé à
son Fils; mais c’est le Fils qui par sa mort l’a acquis d’une manière
merveilleuse, et en a pris possession par sa résurrection.
4. Si donc c’est à cet héritage qu’il faut
1.
Rom. VIII, 15; Gal. IV, 6. — 2. Matth. XV, 24. — 3. Jean, X, 16.— 4. Rom. X, 75.— 5.
Ps. XVIII, 5.— 6. Rom. XV, 8-10.— 7. Ps. CXV, 6.— 8. Isa. XXVI, 13, suiv. les
Septante.
appliquer la prophétie de ce psaume: « O
Dieu, les nations sont entrées dans votre héritage », et croire que les païens
sont entrés dans l’Eglise, non par la foi, mais par la persécution,
c’est-à-dire qu’ils l’ont envahie dans le dessein de la détruire et de la
ruiner entièrement, comme le prouvent tant de cruautés inouïes, alors cette
parole: « Ils ont profané votre saint temple », se doit appliquer, non plus aux
bois et aux pierres, mais aux chrétiens eux-mêmes, dont saint Pierre a dit
qu’ils sont les pierres vivantes formant la maison de Dieu 1. D’où saint Paul a
dit clairement: « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple 2 ».
Voilà le temple que les persécuteurs ont profané, dans ces chrétiens qu’ils ont
forcés à renier le Christ par les menaces et les tortures, et que leurs
violences ont fait retourner au culte des idoles: toutefois plusieurs se sont
relevés par la pénitence, et purifiés de cette souillure. C’est une âme
pénitente qui a dit: « Purifiez-moi de mes péchés»; et: « Créez en moi un coeur
nouveau, et renouvelez dans mes entrailles un esprit de droiture 3 ». Le
Prophète continue: « Ils ont fait de Jérusalem une hutte pour garder les fruits
»: l’Eglise peut très bien être appelée ainsi: « La Jérusalem libre est notre
mère, dont il est écrit: Réjouis-toi, stérile, qui n’enfantes pas, pousse des
cris de joie, élève la voix, toi qui n’es pas mère: l’épouse délaissée a plus
d’enfants que celle qui a un époux 4 ». Cette expression, « une hutte à garder
les fruits », signifie, selon moi, le désert qu’a tait la fureur de la
persécution: comme une hutte à garder les fruits, car on abandonne ces huttes
aussitôt que les fruits sont cueillis. Et certes, quand les Gentils eurent
persécuté l’Eglise, elle parut un désert, les âmes des martyrs avaient passé au
banquet céleste, comme des fruits nombreux et d’une admirable beauté cueillis
dans le jardin du Seigneur.
5. « Ils ont donné pour pâture, aux oiseaux
du ciel, les cadavres de vos serviteurs, et la chair de vos saints aux bêtes de
la terre 5 », Le mot de « cadavre » est répété dans « la chair », et « vos
serviteurs » dans « vos saints ». Il n’y a de différence qu’entre « les oiseaux
du ciel » et u les bêtes de la «terre ». Traduire « cadavre » est beaucoup
1. I Pierre, II, 5. — 2. I Cor. III, 17. — 3.
Ps. L, 4, 12. — 4. Gal. IV, 26; Isa. LIV, 1, — 5. Ps. LXXVIII, 2.
mieux que traduire « dépouille mortelle »,
comme l’ont fait quelques-uns. Cadavre ne se dit que des morts, et dépouille
mortelle se dit même d’un corps vivant. Lors donc que les martyrs, comme je
l’ai dit, retournèrent comme d’excellents fruits à Dieu qui les cultivait,
leurs cadavres et leurs chairs devinrent la proie des oiseaux du ciel et des
bêtes de la terre; comme s’ils eussent pu perdre quelque chose pour la
résurrection, alors que Dieu, qui a compté les cheveux de notre tête 1, saura
tirer des secrètes entrailles de la nature de quoi nous restaurer.
6. «Ils ont répandu le sang comme l’eau»,
c’est-à-dire avec abondance et avec mépris: « autour de Jérusalem 2 ». Si par
Jérusalem nous entendons la ville de la terre, ce sang répandu autour de ses
murs est celui de ses enfants que l’ennemi a pu rencontrer en dehors de ses
murailles. Mais si nous comprenons cette Jérusalem dont il est dit: « Plus
nombreux sont les fils de l’épouse abandonnée, que les fils de celle qui a un
époux 3 », son enceinte est l’univers entier. Car dans ce même endroit où le
Prophète s’écrie: « L’épouse abandonnée est plus féconde que celle qui a un
époux »; il continue à dire peu après: « Et le Dieu d’Israël qui t’a délivrée
sera appelé le Dieu de la terre entière 4». En ce cas, l’enceinte de Jérusalem,
dans notre psaume, comprendrait les lieux où l’Eglise était répandue, alors
qu’elle croissait et portait des fruits dans le monde entier, et que la
persécution, sévissant partout, fit un grand carnage des martyrs, répandant
leur sang comme l’eau, et les enrichissant des trésors du ciel. Quant à cette
parole: « Nul n’était là pour les ensevelir »; il n’est pas étonnant que, dans
certaines contrées, la terreur ait été si grande, que nul n’ait osé donner la
sépulture aux corps des saints; ou que plusieurs martyrs soient demeurés
longtemps sans sépulture, jusqu’à ce que des mains pieuses leur eussent rendu
ce devoir.
7. « Nous avons été en opprobre à nos voisins
5 ». Aussi n’est-ce point en présence des hommes, mais en présence de Dieu que
la mort de ses saints est précieuse 6. « Nous sommes la fable et le jouet », ou
comme d’autres ont traduit: « La dérision de ceux qui nous environnent ». C’est
une répétition
1. Matth. X, 30, — 2. Ps. LXXVIII, 3. — 3.
Isa. LIV, 1. — 4. Id. 5.— 5. Ps. LXXVIII, 4.— 6. Id. CXV, 15.
de la pensée précédente. Car cette
expression, « en opprobre », est répétée dans « la fable et le jouet »; et «
nos voisins » se trouve répété dans « ceux qui nous environnent ». Dès lors les
voisins de la Jérusalem terrestre sont les autres peuples qui environnaient la
Judée. Quant à la Jérusalem libre qui est notre mère, ses voisins et ceux qui
l’environnent sont les ennemis chez qui elle habite dans l’univers entier.
8. Le Prophète se répand ensuite en prières,
et nous montre que le récit qu’il vient de faire de tant de maux. est moins un
récit qu’une lamentation: « Jusques à quand, Seigneur, durera votre colère, et
votre zèle s’allumera-t-il toujours comme la flamme 1?» Il supplie le Seigneur
de n’entrer point dans une fureur implacable; de ne point prolonger cette
pression, cette affliction, ce massacre, niais de mettre un terme à ses
châtiments, selon cette parole d’un autre psaume: « Jusques à quand serons-nous
nourris du pain des larmes, et abreuvés au calice des pleurs 2?» Dire en effet:
«Jusques à quand, Seigneur, durera votre colère? » a bien le même sens que: Seigneur,
mettez un terme à votre colère. Et quand nous lisons ensuite: « Votre zèle
s’allumera-t-il comme une flamme? » faut-il sous-entendre « jusques à quand »,
et « jusqu’à la fin », comme s’il y avait: Jusques à quand votre colère
s’allumera-t-elle comme une flamme? Sera-ce jusqu’à la fin? Il faut en effet
sous-entendre ces deux mots, comme plus haut nous avons sous-entendu celui-ci:
«Ils ont donné ». Dans la première partie du verset, on lit: « Ils ont donné
les cadavres de vos serviteurs pour servir de proie aux oiseaux du ciel »: ce
verbe « ils ont donné », ne se trouve pas dans la seconde partie: « Et la chair
de vos saints aux bêtes de la terre »; il faut l’y sous-entendre. Quant à ce
zèle et à cette colère de Dieu, ce n’est point une passion qui le trouble,
comme l’en accusent quelques-uns 3 qui ignorent les Ecritures. La colère de
Dieu, c’est la vengeance qu’il tire de l’injustice, et son zèle, la jalousie de
notre pureté, le soin de notre âme qui mépriserait sa loi, et se séparerait de
lui par une fornication spirituelle. Ces sentiments causent du trouble chez les
hommes qui souffrent; mais sont paisibles chez Dieu qui les règle et à qui il
est dit:
1. Ps. LXXVIII, 5.— 2. Id. LXXIX, 6.— 3. Les
Manichéens.
« Pour vous, Seigneur, vous jugez dans le calme
1 ». C’est ce qui nous montre que les tribulations viennent aux hommes, et même
aux fidèles, à cause de leurs péchés: quoique la gloire des martyrs en devienne
plus éclatante par le mérite de la patience, et par leur humble piété à
supporter les fléaux qui sont l’épreuve du Seigneur. C’est ce qu’ont témoigné
et les Macchabées dans les tourments les plus cruels 2, et les trois jeunes
hommes dans les flammes qui ne les touchaient point 3, et les saints Prophètes
en captivité. Sans doute ils supportaient ce châtiment paternel avec force et
humilité, et pourtant ils ne cachaient point que ces maux étaient la punition
de leurs fautes. Ce sont eux qui disent dans le psaume: « Le Seigneur m’a
châtié, et il m’a frappé de verges, et ne m’a point livré à la mort 4». Il
flagelle tous ceux qu’il reçoit parmi ses enfants: quel fils n’est point châtié
de son père 5?
9. Quand le Prophète ajoute: « Répandez votre
colère sur les nations qui ne vous connaissent point, et sur les royaumes qui
n’invoquent point votre nom »: c’est encore une prophétie, et non une
imprécation. Ce n’est point un souhait malveillant, mais un souffle prophétique
qui a dicté ces paroles, de même qu’en parlant des maux qui doivent arriver à
Judas, le Prophète semble appeler de ses désirs le châtiment que Judas aura
bien mérité. Mais comme il n’y a point de commandement de la part du Prophète,
quand il dit au Christ au mode impératif: « Ceignez votre glaive, ô le plus
puissant des rois; revêtez-vous de votre éclat et de votre gloire, et dans
votre majesté, marchez à la victoire et régnez 7»; il ne souhaite rien non
plus, mais il prophétise, quand il dit: « Répandez votre colère sur les nations
qui ne vous connaissent point »: ce qu’il répète selon sa coutume, « et sur les
royaumes qui n’invoquent point votre nom ». Car, royaumes est la répétition de
nations; et: qui n’invoquent point votre nom, la répétition de: qui ne vous
connaissent point. Comment faut-il entendre cette parole du Sauveur dans
l’Evangile: « Le serviteur qui ignore la volonté de son maître et qui fait des
actions dignes du châtiment, en recevra moins: mais le serviteur qui a connu la
volonté
1. Sag. XII, 18. — 2. II Macchab. VII, 1, 2,
etc. — 3. Dan. III, 21. — 4. Ps. CXVII, 18. — 5. Hébr. XII, 6, 7. — 6. Ps.
LXXVIII, 6. — 7. Id. XLIV, 4, 5.
de son maître et fait des actes à châtier, le
sera davantage 1», si la colère de Dieu est plus grande contre les nations qui
ne connaissent point son nom? Car en disant: « Répandez votre colère », il
indique assez quelle grande colère nous devons entendre. Aussi dit-il ensuite:
« Rendez à nos voisins sept fois autant 1». Est-ce parce qu’il y a une grande
différence entre le serviteur qui invoque le nom du Seigneur, bien qu’il ignore
sa volonté, et l’étranger qui n’appartient pas à la famille d’un si grand
maître, qui ignore Dieu au point de ne pas l’invoquer? Au lieu de Dieu, ils
invoquent des idoles, des dénions ou une créature quelconque; mais non le
Créateur qui est béni dans les siècles. Le Prophète ne marque point ici que
ceux dont il parle, ignorent la volonté de Dieu, au point de ne pas craindre le
Seigneur; mais il désigne ceux qui ignorent le Seigneur, de manière à ne pas
l’invoquer, et à se poser comme les antagonistes de son nom. Il y a donc une
grande différence entre ces serviteurs qui ne savent point, à la vérité, ta
volonté de leur maître, mais qui font partie de sa famille, qui vivent dans sa
maison, et ces ennemis qui, non seulement veulent que ce maître leur soit
inconnu, mais qui n’invoquent point son nom, et persécutent ses serviteurs.
10. « Ils ont dévoré la maison de Jacob »,
continue le Prophète, « ils ont mis le deuil dans sa demeure 3 ». Jacob était
en effet la figure de l’Eghise, comme Esaü l’était de la synagogue. De là cette
prédiction: « L’aîné sera le serviteur du plus jeune 4 ». Ce nom peut désigner
aussi l’héritage du Seigneur, dont nous parlions, et contre lequel se sont rués
les peuples par la persécution, afin de l’envahir et de le détruire après
l’ascension du Seigneur. Mais il faut examiner comment nous comprendrons « la
demeure de Jacob ». Il semble qu’on ne peut guère l’entendre que de cette ville
qui possédait le temple, et où le Seigneur avait ordonné que la nation tout
entière viendrait lui offrir des sacrifices, célébrer la Pâque et l’adorer. Car
si le Prophète avait voulu désigner les assemblées chrétiennes, que la
persécution empêchait et désolait, il aurait dû dire des demeures désolées, et
non une demeure. Et pourtant nous pouvons encore ici prendre le singulier pour
1. Luc, XII, 48, 47.— 2. Ps. LXXVIII, 12.— 3. Id. 7.— 4. Gen. XXV, 23.
le pluriel, comme on dit le vêtement pour les
vêtements, le soldat pour les soldats, le troupeau pour les troupeaux: ces
manières de parler qui sont ordinaires, non seulement dans le commun du peuple,
mais aussi chez les plus habiles maîtres de l’éloquence. L’Ecriture elle-même
use de cette façon de parler, et a dit la sauterelle pour les sauterelles 1, la
grenouille pour les grenouilles, et beaucoup d’antres locutions semblables.
Cette expression: « Ils ont dévoré Jacob », marque parfaitement bien que les
menaces des persécuteurs contraignirent beaucoup de chrétiens à entrer dans
leurs corps, ou plutôt dans leur société.
11. Le Prophète sait fort bien que si, d’une
part, Dieu doit châtier selon leur perversité la volonté des persécuteurs,
d’autre part eux n’auraient eu contre son héritage aucune puissance, s’il
n’avait voulu par le fouet du châtiment corriger son peuple de ses péchés.
C’est pourquoi il ajoute: « Ne vous souvenez point de nos anciennes iniquités 2
». Je ne dis pas simplement de nos iniquités passées, et qui pourraient être
bien récentes; mais des « anciennes », c’est-à-dire de celles qui viennent de
nos pères. Car ce n’est plus le châtiment qui est dû à ces offenses, mais bien
la condamnation. « Que vos miséricordes nous préviennent». Qu’elles nous
arrivent avant le jugement. « Car la miséricorde est préférable au jugement.
Or, le jugement sera sans miséricorde, mais pour celui qui n’aura pas été
miséricordieux 3 ». Et quand il ajoute: « Parce que nous sommes devenus pauvres
», il montre son désir que la volonté de Dieu nous prévienne, afin que notre
pauvreté ou notre infirmité soit soutenue par sa miséricorde dans
l’accomplissement des préceptes, et que nous n’arrivions pas au jugement pour y
être condamnés.
12. Aussi lisons-nous ensuite: «
Secourez-nous, ô Dieu notre Sauveur 4 ». Cette expression «notre Sauveur»,
désigne clairement de quelle pauvreté il veut parler, quand il dit: « Parce que
nous sommes réduits à une extrême pauvreté ». C’est une faiblesse qui a besoin
d’un sauveur. Demander un secours pour nous, ce n’est ni faire injure à la
grâce, ni supprimer le libre arbitre. Car agir avec un secours, c’est faire
quelque chose de soi-même. Le Prophète ajoute encore:
1. Ps. LXXVII, 45.— 2. Id. LXXVIII, 8.— 3.
Jacques, II, 13.— 4. Ps. LXXVIII, 9.
« Délivrez-nous, pour la gloire de votre nom
», afin que celui qui se glorifie, ne se glorifie point en lui-même, mais dans
le Seigneur 1. « Et pardonnez-nous nos péchés, à cause de votre nom », mais non
à cause de nous. Que méritons-nous en effet pour nos péchés, sinon un
très-juste châtiment? Nous délivrer, ô Dieu, ou nous tirer de nos misères,
c’est nous aider à faire le bien, et nous pardonner nos péchés, dont nous ne
pouvons être exempts ici-bas. « Car nul homme vivant ne sera juste en votre
présence 2. Or, le péché, c’est l’injustice 3, et si vous considérez nos
injustices, qui subsistera devant vous 4? »
13. « Afin qu’on ne dise point dans les
nations: où est leur Dieu 5?» Ces paroles qu’ajoute le Prophète, sont plutôt en
faveur des nations. Car elles périssent misérablement si elles n’espèrent point
en Dieu, si elles croient ou qu’il n’existe point, ou qu’il n’est pour les
siens d’aucun secours, ne leur accorde aucune faveur, « Et que, sous nos yeux,
on sache parmi les nations, que vous vengez le sang de vos serviteurs qui a été
répandu »: c’est ce qui s’accomplit, ou bien quand ceux qui persécutaient
l’héritage du Seigneur croient en lui; c’est là en effet une vengeance qui fait
mourir par le glaive de la parole de Dieu leur injuste cruauté: et c’est de ce
glaive qu’il est dit: «Ceignez votre épée 6 »; ou bien quand les ennemis de
Dieu persévèrent jusqu’à la fin, et sont châtiés. Car les maux du corps qu’ils
endurent en cette vie, leur sont communs avec les bons. Il est encore une autre
vengeance, c’est l’extension et la fécondité de l’Eglise en ce monde, après ces
persécutions dont ils pensaient l’exterminer; c’est ce que voit tout pécheur,
tout incrédule, tout ennemi de Dieu, qui en grince les dents, et en sèche de
dépit 7. C’est là un châtiment des plus sensibles; qui oserait le nier? Mais je
doute que cette expression « sous nos yeux », se puisse entendre avec justesse,
de cette peine qui demeure cachée au fond du coeur, qui torture ceux qui nous applaudissent
et nous sourient, sans que nous puissions voir ce qu’ils souffrent dans
l’intérieur de l’âme, Mais si l’on entend par là cette foi des persécuteurs qui
tue leur injustice; ou le supplice qui vient torturer leur persévérance dans le
mal,
1. I
Cor, I, 31.— 2. Ps. CXIII, 2.— 3. I Jean, III, 4.— 4. Ps. CXXIX, 3. — 5. Id.
LXXVIII, 10. — 6. Id. XLIV, 4. — 7. Id. CXI, 10.
nous pouvons sans difficulté y appliquer ces
paroles: « Que, sous nos yeux, on connaisse vos vengeances parmi les nations ».
14. Ceci est une prédiction, avons-nous dit,
et non point un désir. Ce qui nous donne lieu de remarquer en passant comment
il faut entendre cette parole de l’Apocalypse à propos des martyrs qui sous
l’autel du Seigneur font entendre ces plaintes: « Jusques à quand, Seigneur,
différerez-vous de venger notre sang 1? » et de ne point laisser croire que ces
âmes saintes veulent assouvir leur haine dans la vengeance, ce qui serait
déroger à leur perfection. Et pourtant il est écrit: « Le juste tressaillira à
la vue des vengeances de l’impie, il lavera ses mains dans le sang du pécheur 2
». Et saint Paul dit: « Ne vous vengez point vous-mêmes, mes bien-aimés, mais
donnez place à la colère: car il est écrit: La vengeance est à moi, et je
l’exercerai, dit le Seigneur 3 ». Dès lors, le Seigneur ne leur commande point
de renoncer à la vengeance, mais de ne point se venger soi-même, et de laisser
exercer sa colère au Dieu qui a dit: « La vengeance est à moi, et je
l’exercerai ». Le Seigneur, à son tour, nous propose dans l’Evangile l’exemple
d’une veuve qui, désirant d’être vengée, importuna un juge inique, et, ce juge
vaincu par ses instances, plutôt que dirigé par la justice, consent à l’écouter
4: et le Seigneur nous tient ce langage, pour nous montrer que Dieu, beaucoup mieux
que ce juge, rendra justice à ses élus, qui en appellent à lui, la nuit et le
jour 5. De là vient ce cri des martyrs, sous l’autel de Dieu, qui demandent
justice et vengeance. Mais que devient donc cette parole: « Aimez vos ennemis,
faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous
persécutent 6? » Que devient cette autre parole: « Ne rendez pas le mal pour le
mal, ni l’injure pour l’injure 7? » et encore: « Ne rendez à personne le mal
pour le mal 7? » Car si l’on ne doit rendre à personne le mal pour le mal, non
seulement il ne faut faire aucun mal à cause du mal qu’on nous aurait fait,
mais il ne faut pas même désirer un mal pour un mal que l’on nous aurait fait
ou désiré. Or, celui-là désire un mal, qui tout en renonçant à se venger lui-même,
attend et souhaite
1. Apoc. VI, 9, 10.— 2. Ps. LVII, 11.—3. Rom.
XII, 19; Deut. XXXII, 35.— 4. Luc, XVIII, 3-5. — 5. Apoc. VI, 9. — 6. Matth. V,
44. — 7. I Pierre, III, 9. — 8. Rom. XII, 17.
que Dieu châtie son ennemi. Si donc l’homme
juste et le méchant demandent également à Dieu d’être vengés de leurs ennemis,
en quoi diffèrent-ils, sinon en ce que le juste désire l’amendement plutôt que
le châtiment de son ennemi? Et quand il voit que Dieu en tire vengeance, il met
sa joie, non dans la peine qu’il endure, car il ne le hait point, mais dans la
justice divine, parce qu’il aime Dieu. Et si Dieu exerce sa vengeance dès ce
monde, il s’en réjouit, ou pour son ennemi, s’il se corrige, ou pour les
autres, s’ils craignent de l’imiter. Lui-même en devient meilleur, non pas en
repaissant sa haine du supplice d’un ennemi, mais en se corrigeant de ses
fautes. C’est donc par bonté, et non par malice, que le juste se réjouit à la
vue des vengeances divines, et qu’il lave ses mains, ou plutôt qu’il purifie
ses oeuvres dans le sang, c’est-à-dire dans la perte des pécheurs, et qu’il
tire de là, non une joie criminelle du mal des autres, mais un exemple des
divins avertissements. S’il s’agit de cette vengeance que Dieu se réserve pour
l’autre vie à son dernier jugement, le juste trouve sa joie dans cette volonté
de Dieu qui ne donne point le bonheur au méchant, ni à l’impie la récompense
des justes; ce serait un acte injuste et contraire aux lois de la vérité qui
fait les délices du juste. Aussi quand le Sauveur nous exhorte à l’amour de
nos, ennemis, il nous propose l’exemple de notre Père céleste, « qui fait luire
son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur
les injustes 1 »: et néanmoins n’a-t-il pas pour eux des châtiments temporels,
et à la fin l’enfer pour les endurcis obstinés? Il faut donc aimer le prochain
sans haïr la justice de Dieu qui le punit, et aimer cette justice qui le châtie
de manière à n’aimer point le cliâtiment, mais l’équité du juge. Un esprit
haineux au contraire, s’afflige de voir son ennemi se convertir et échapper à
la peine, et quand il le voit châtié, il se réjouit de se voir vengé, non qu’il
aime la justice de Dieu, mais bien le malheur de son ennemi, et s’il abandonne
sa cause à Dieu, c’est qu’il souhaite que Dieu châtie cet ennemi, plus que
lui-même ne le pourrait faire: et quand il donne à manger à son ennemi qui a
faim, à boire à celui qui a soif, il savoure méchamment cette parole: « En
agissant ainsi, vous amassez sur sa
1. Matth. V, 45
tête des charbons de feu 1 ». Il prétend
aggraver ainsi la faute de son ennemi, appeler sur sa tête cette indignation de
Dieu figurée, croit-il, par des charbons ardents; il ne comprend pas que ce feu
est la douleur de la pénitence, qui brûle le coeur jusqu’à ce que le coupable,
devant ces bienfaits d’un ennemi, baisse enfin par l’humilité une tête
qu’élevait l’orgueil, en sorte que le bien rie l’un ait vaincu le mal de
l’autre. Aussi l’Apôtre a-t-il eu soin d’ajouter: « Ne vous laissez pas vaincre
par le mal, mais triomphez du mal par le bien 2 ». Comment vaincre le mal par
le bien, quand on n’est bon qu’en apparence, et mauvais au fond de l’âme; quand
sans nuire en actions, on nuit en désirs; que la main est innocente, et la
volonté sanguinaire? C’est donc ainsi que notre psaume prédit les châtiments
des impies, en termes de désirs, en sorte qu’il nous faut comprendre que le
serviteur de Dieu aime ses ennemis, ne souhaite à personne que le bien,
c’est-à-dire la piété en cette vie, l’heureuse éternité en l’autre vie; que dans
les châtiments des méchants, il se réjouit, non des maux qu’ils souffrent, mais
des justes jugements de Dieu; et dans tous les endroits de l’Ecriture, où nous
lisons leur haine contre les hommes, cette haine s’applique à leurs vices, que
chacun devrait détester en soi-même, s’il s’aimait véritablement.
15. Quant à ces paroles: « Que les cris des
enchaînés s’élèvent jusqu’à vous», ou comme on lit dans d’autres exemplaires,
«jusqu’en votre présence 3 »; nous ne voyons guère dans les saintes Ecritures,
que les saints aient été jetés dans les entraves par leurs persécuteurs; et si
cela est arrivé dans les tourments, si grands et si variés qu’ils ont endurés,
cela est arrivé si rarement qu’il n’est pas croyable que le Prophète ait voulu
choisir ce supplice pour s’y arrêter. Mais ces chaînes sont bien l’infirmité,
la corruption des corps qui appesantissent l’âme. Car le persécuteur profitait
de cette faiblesse, comme d’une douleur et d’une peine, pour perdre l’âme en la
poussant à l’impiété. Voilà les chaînes dont l’Apôtre voulait être délivré pour
être avec le Christ; mais il lui fallait prolonger son séjour en cette vie, à
cause des fidèles qu’il formait à l’Evangile 4. Jusqu’à ce qu’enfin ce corps
corruptible ait revêtu l’incorruptibilité, et
1. Rom. XII,
20. — 2. Rom. XII, 21. — 3. Ps. LXXVIII, 11. — 4. Philip. I, 23.
que ce corps mortel soit revêtu d’immortalité
1, la chair qui est infirme retient dans des chaînes l’esprit qui est prompt.
Mais ces liens ne sont lourds que pour ceux qui gémissent sous le poids qu’ils
en ressentent 2, et qui soupirent après le ciel qu’ils doivent revêtir; parce
qu’ils ont horreur de la mort et s’ennuient dans cette vie mortelle. Tels sont
les gémissements que redit le Prophète, afin que ces gémissements s’élèvent
jusqu’à la présence de Dieu. Ces captifs enchaînés peuvent s’entendre encore de
ceux qui sont liés par les préceptes de la sagesse; et ces chaînes portées avec
patience deviennent une gloire: de là cette parole: « Mets tes pieds dans ses
liens 3 ». « Dans la force de votre bras », poursuit le Prophète, « adoptez les
fils de la mort »; ou comme on lit en d’autres exemplaires, « les fils de ceux
que l’on a punis de mort».L’Ecriture nous montre aussi clairement quel était ce
gémissement des captifs qui endurèrent pour le nom de Jésus-Christ les
effroyables persécutions, prophétisées dans notre psaume. Au milieu de
tourments si divers, ils priaient pour l’Eglise, afin que leur sang ne demeurât
point stérile, et que ces moyens par lesquels ses ennemis espéraient détruire
la famille du Seigneur, la rendissent plus féconde, « Les fils de ceux qui ont
été tués », dit le Prophète, et qui, loin de s’effrayer à la vue des
souffrances des martyrs qui les avaient précédés, sont venus en foule embrasser
la foi de Celui pour l’honneur duquel ils les voyaient donner leur vie, excités
qu’ils étaient par leur gloire à les imiter. Aussi dit-il: « Selon la force de
votre bras ». Car tel est l’effet qui en est résulté chez les peuples
chrétiens, que les persécuteurs qui croyaient prévaloir, ne l’eussent jamais
prévu.
16. « Rejetez », dit le Prophète, « rejetez
dans le sein de nos voisins, sept fois autant 4 ». Non qu’il souhaite un mal:
c’est une sentence qu’il annonce, l’avenir qu’il prophétise. Le nombre sept, ou
sept fois autant, désigne une vengeance parfaite, car ce nombre est
ordinairement celui de la perfection. De là vient que l’on entend dans le sens
favorable cette parole: « Il en recevra dans l’éternité sept fois autant 5 »;
ce qui comprend la totalité. « Comme n’ayant rien et possédant tout 6». Il
donne à ces hommes
1. I
Cor. XV, 53.— 2. II Cor. V, 4.— 3. Eccl. VI, 25.— 4. Ps. LXXVIII, 12. — 5.
Marc, X, 30. — 6. II Cor. VI, 10.
le nom de voisins, parce que l’Eglise habite
au milieu d’eux jusqu’au jour de la séparation, puisque maintenant pour les
chrétiens la séparation n’est point visible. « Rejetez dans leur sein », dit le
Prophète, c’est-à-dire d’une manière cachée, afin que la vengeance qui est
secrète aujourd’hui, « soit visible un jour sous nos yeux en face des nations
». Lorsque Dieu en effet livre un homme au sens réprouvé, cet homme reçoit dans
son sein ce qui lui vaudra un supplice éternel. « Rendez-leur l’injure qu’il
vous ont faite, ô mon Dieu». Voilà ce qu’il faut leur rendre sept fois,
c’est-à-dire, à cause des outrages qu’ils vous ont faits, réprouvez-les
complètement dans le secret de leurs âmes; car c’est là qu’ils ont outragé
votre nom, en croyant vous effacer de la terre par la mort de vos persécuteurs.
17. « Pour nous, nous sommes votre peuple 1
»: ce qui doit s’entendre de tous les chrétiens vrais et pieux. « Nous », que
ces persécuteurs pensaient anéantir, « sommes votre peuple, et les brebis de
votre troupeau », afin que celui qui se glorifie, le fasse dans le Seigneur 2,
« nous vous confesserons dans le siècle ». D’autres manuscrits portent « Nous
vous confesserons éternellement ». L’ambiguïté du grec a produit cette
différence. L’expression du grec eis ton
aiona, peut se traduire « dans l’éternité», ou « dans le siècle». Le verset
suivant, selon l’ordinaire des saintes Ecritures et surtout des psaumes, est la
répétition du précédent, en sens inverse; il met en premier lieu ce que le
précédent mettait en second lieu, et en second lieu ce qu’il avait mis en
premier lieu. «Nous vous confesserons » est répété dans « nous annoncerons
votre louange », et au lieu de dire « dans le siècle », la répétition porte «
de génération en génération ». Répéter ainsi la génération désigne une durée
sans fin, soit, comme plusieurs l’ont entendu, que l’on entende par là les deux
générations, l’ancienne et la nouvelle, qui toutes deux néanmoins se forment en
cette vie; car celui qui ne renaîtra point de l’eau et du Saint-Esprit
n’entrera point dans le royaume des cieux 3; ensuite ce n’est qu’en ce monde
que l’on annonce la gloire de Dieu, puisque dans le siècle à venir nous le
verrons tel qu’il est 4, on ne l’annoncera plus à personne. « Nous sommes votre
1. Ps. LXXVIII, 13.— 2. I Cor. I,31.— 3.
Jean, III, 5.— 4. I Jean, III, 2.
« peuple, et les brebis de votre bercail»,
qu’ils ont prétendu détruire par la persécution « Nous vous confesserons dans
le siècle », car cette Eglise, qu’ils ont voulu anéantir, doit durer jusqu’a la
fin du monde: « De génération en génération nous chanterons votre louange», que
ces impies voulaient faire cesser, en nous exterminant. En beaucoup d’endroits
de l’Ecriture, nous vous t’avons dit, le mot de confession est employé pour la
louange, comme il paraît ici. « Vous direz ceci dans votre confession: Toutes
les oeuvres du Seigneur sont parfaitement bonnes et surtout dans cet endroit où
Jésus-Christ, qui n’avait nulle faute à regretter et à confesser à son Père,
lui dit: «Je vous confesse, mon Père, Seigneur du ciel et de la terre, parce
que vous avez dérobé ces choses aux sages et aux prudents, pour les révéler aux
petits 1 ». Je vous cite ces passages pour vous faire comprendre que ces
paroles: « Nous chanterons vos louanges », ne sont qu’une répétition de « nous
vous confesserons».
1. Eccli. XXXIX, 39. — 2. Matth. XI, 25.
SERMON AU PEUPLE.
Ce
psaume est pour ceux de la synagogue qui doivent se convertir au Christ.
Joseph, dont il est ici question, fut déshonoré chez les siens, mis en honneur
chez les étrangers; il est l’image du Christ, et c’est de son bercail que nous
devons faire partie. Le Dieu qui s’assied sur les Chérubins viendra s’asseoir
en nous, si nous avons la charité. Qu’il se montre en face du peuple Juif qui a
boité comme autrefois Jacob, d’une part méconnaissant le Christ à la croix,
d’autre part lui donnant les Apôtres, puis après sa résurrection et son
ascension les Eglises primitives. Dieu n’a donc point rejeté la prière de son
serviteur. Les nations ont insulté ces serviteurs dans la personne des martyrs,
puis les insulteurs se sont ou convertis ou cachés. Ainsi la vigne du Seigneur
est sortie de la servitude, pour être plantés chez les nations vaincues Cette
vigne qui fut d’abord le peuple juif, est aujourd’hui l’Eglise qui domine
toutes les grandeurs. La première vigne ayant mis à mort et rejeté l‘héritier,
celui-ci en a brisé la clôture pour y faire entrer les nations qui ont détruit
le royaume des Juifs. Toutefois cette Vigne est de la race d’Abraham,
affermissez-la dans l’homme de votre droite, qui détruira en nous le péché de
la crainte et le péché de la convoitise, nous fera tourner cette créature et
cet amour du côté de Dieu, afin que nous méprisions toute créature pour nous
attacher au Créateur.
1. Nous ne trouvons dans ce psaume que peu
d’endroits qui puissent arrêter le discours, et que les auditeurs aient de la
peine à comprendre. Aussi àvec le secours de Dieu, et ce désir que vous avez
d’entendre et de voir ce qui a été prédit et prophétisé autrefois, nous
passerons légèrement sur les endroits qui sont clairs, puisque vous êtes
instruits à l’école du Christ; en sorte que si nous rencontrons quelques
obscurités qui m’obligent à vous les expliquer, les passages évidents ne
demandent qu’à être lus. C’est le chant de l’avènement de Jésus-Christ notre
Seigneur et Sauveur, et de sa vigne. Mais c’est Asaph qui chante, Asaph, autant
que j’en puis juger, éclairé, converti, et dont le nom signifie synagogue, vous
le savez. Le psaume a pour titre: « Pour la fin, pour ceux qui doivent être
changés 1 »: en mieux assurément; car le Christ, qui est la fin de ta loi 2, est
venu pour tout améliorer. Le titre porte encore: « Témoignage à Asaph lui-même
». Bon témoignage de la vérité; car ce témoignage confesse le Christ et sa
vigne, le chef et les membres, le roi et le peuple, en un mot le mystère des
saintes Ecritures, le Christ et l’Eglise. Ce titre finit par ces mots « pour
les Assyriens »; et ce mot Assyriens signifie ceux qui se redressent, Que cette
race ne soit plus sans redresser son coeur 3, qu’elle devienne une race au
coeur droit. Ecoutons donc ce que dit ce témoignage.
« Ecoutez-nous, vous qui paissez Israël ».
Qu’est-ce à dire, « vous qui paissez Israël, qui conduisez Joseph comme un
troupeau 4? »
1. Ps. LXXIX, 1.— 2. Rom. X, 4.— 3. Ps.
LXXVII, 8. — 4. LXXIX, 2.
On invoque le Seigneur afin qu’il vienne, on
attend qu’il vienne, on désire qu’il vienne. Puissiez-vous trouver des coeurs
droits, «vous qui conduisez Joseph comme un troupeau »; ce même Joseph, à la
manière d’un troupeau. Joseph est tout à la fois une brebis et un troupeau de
brebis, et à ce nom de Joseph, qui a un grand sens dans l’hébreu, puisqu’il
signifie augmentation, on se rappelle naturellement celui qui doit venir pour
faire germer au centuple le grain de froment mort dans la terre 1; ou pour
multiplier le peuple de Dieu. Toutefois, puisque vous connaissez l’histoire de
Joseph, souvenez-vous qu’il fut vendu par ses frères, déshonoré chez les siens,
élevé en gloire chez les étrangers 2, et vous comprendrez de quel troupeau nous
devons faire partie, avec tous ceux qui ont le coeur droit, afin que la pierre
qu’ont rejetée les architectes, devienne la pierre angulaire 3, unissant les
deux murs qui viennent de deux directions différentes, et s’unissent à l’angle
dans un parfait accord. « Vous qui êtes assis sur des chérubins ». Le chérubin
est le siége de la gloire de Dieu, et signifie la plénitude de la science.
C’est donc dans cette plénitude de la science que Dieu établit son trône; et
quoique nous entendions par les chérubins les puissances et les sublimes vertus
des cieux, tu peux néanmoins être chérubin si tu le veux. Car si le chérubin
est le trône de Dieu, écoute ce que dit l’Ecriture: « L’âme du juste est le
trône de la sagesse 4 ». Comment, diras-tu, serai-je la plénitude de la
science? Qui me donnera cette plénitude? Tu peux l’avoir: « La plénitude de la
loi, c’est la charité 5 ». Ne t’égare pas, ne te répands pas en tant de
sentiers. L’étendue des branches t’effraie, tiens-toi à la racine, sans
t’inquiéter des vastes proportions de l’arbre. Que la charité demeure en toi,
et tu auras nécessairement la plénitude de la science. Que peut ignorer celui
qui fait la charité, puisqu’il est écrit: « Dieu est charité 6? »
3. « Vous qui êtes assis sur les chérubins,
apparaissez ». Nous nous sommes égarés précisément parce que vous ne paraissiez
point. « En présence d’Ephraïm, de Benjamin et de Manassé 7». Montrez-vous,
dis-je, en face de
1. Jean, XII, 25. — 2. Gen. XXXII, 28; XLI,
40. — 3. Matth. XXI, 40; Ps. CXVII, 22.— 4. Sag. VII.—
5. Rom.
XIII, 10.— 6. I Jean, IV, 8. — 7. Ps. LXXIX, 3.
la nation des Juifs, en face de votre peuple
d’Israël. C’est là qu’est Ephraïm, là Manassé, là Benjamin. Mais voyons ce que
ces noms signifient: Ephraïm veut dire multiplication, Benjamin fils de la
droite, Manassé l’oubli. Paraissez donc en face du peuple qui a fructifié, en
face du fils de la droite, en face de l’homme qui a oublié, afin qu’il n’oublie
rien à l’avenir, et qu’il se souvienne que vous êtes son libérateur. Car si
toutes les nations doivent se souvenir, si tous les confins de la terre doivent
se convertir au Seigneur 1, le peuple issu d’Abraham n’aura-t-il pas aussi sa
muraille qui s’appuiera sur l’angle, alors qu’il est écrit: « Les testes seront
sauvés 2? Excitez votre puissance».Vous étiez infirme, Seigneur, quand on
criait: « S’il est Fils de Dieu, qu’il descende de la croix 3». Vous paraissiez
sans force. Vos persécuteurs l’emportaient sur vous, et vous l’aviez prophétisé
d’avance, quand Jacob l’emporta dans la lutte, et que l’homme fut vainqueur de
l’ange. Comment cela, si l’ange ne l’eût bien voulu? L’homme prévalut donc,
l’ange fut vaincu; et l’homme vainqueur retint l’ange et lui dit: «Je ne vous
laisserai point aller que vous ne m’ayez bénis ». C’est là un grand mystère. Le
vaincu attendit et bénit le vainqueur. Vaincu, parce qu’il l’a voulu, faible
dans sa chair, puissant dans sa majesté. Il le bénit et lui dit: «Tu
t’appelleras Israël 4». Toutefois il lui frappa la cuisse qui se dessécha, et
rendit ainsi boiteux cet homme qu’il bénissait. Tu vois donc le peuple juif
devenu boiteux: et en même temps vois la race bénie des Apôtres qui sort de ce
peuple. « Excitez votre puissance». Jusques à quand paraîtrez-vous dans la
faiblesse? O crucifié dans l’infirmité de la chair, « ressuscitez par la
puissance de Dieu 5.— Eveillez votre puissance et venez nous sauver ».
4. « Seigneur, hâtez notre retour». Nous
sommes loin de vous, et nous ne retournerons point à vous, si vous ne hâtez
notre retour. « Eclairez votre visage, et nous serons sauvés 7 ». La face de
Dieu est-elle donc obscure? Cette face n’est pas obscurcie sans doute, mais
Dieu l’a cachée sous un voile charnel, sous le voile de l’infirmité, et l’on
n’a point connu sur la croix Celui qu’on devait reconnaître à la droite de son
Père. C’est en effet ce qui est
1. Ps. XXI, 28. — 2. Rom. IX, 27. — 3. Matth. XXVII, 10. — 4. Gen. XXXIX, 26. — 5. Id. 25. — 6. II Cor. XIII, 4. — 7. Ps.
LXXIX, 4.
arrivé. Asaph n’a point connu le Christ qui
faisait des miracles sur la terre; et toutefois, quand après sa mort il est
ressuscité, puis monté aux cieux, Asaph a chanté ce témoignage que nous lisons
aujourd’hui dans ce psaume: « Donnez la lumière à votre face, et nous serons
sauvés ». Vous avez caché votre face, et nous avons langui; découvrez-la et
nous serons sauvés.
5. « Seigneur, Dieu des vertus, jusques à
quand serez-vous irrité contre la prière de votre serviteur?» Il est
aujourd’hui « votre serviteur 1 ». Vous rejetiez ma prière quand j’étais votre
ennemi, maintenant que je suis votre serviteur, la rejetteriez - vous? Vous
nous avez convertis, nous vous reconnaissons, rejetterez-vous la prière d’un
serviteur? Votre colère était celle d’un père qui corrige, non celle d’un juge
qui condamne. Vous entrez en colère, parce qu’il est écrit: « Mon fils, en
entrant au service de Dieu, demeure ferme dans la justice et dans la crainte,
et prépare ton âme à la tentation 2». Ne croyez point que votre conversion ait
fait disparaître la colère de Dieu; elle est passée, puisqu’il ne vous damne
point. Toutefois il frappe de verges, et ne vous épargne point: parce qu’il
frappe tous ceux qu’il reçoit parmi ses enfants 3. Si tu ne veux point être
châtié, pourquoi solliciter l’adoption? Il flagelle tout enfant qu’il adopte.
Il frappe, lui qui n’a pas épargné son Fils unique. Et néanmoins, «jusques à
quand, Seigneur, rejetterez-vous la prière de votre serviteur? » Non point de
votre ennemi, mais « de votre serviteur»; combien de temps encore?
6. Le Prophète continue: « Jusques à quand
serons-nous nourris du pain des larmes, et nous abreuverez-vous avec mesure au
calice des pleurs 4? » Qu’est-ce à dire « avec mesure? » Ecoute l’Apôtre: «
Dieu est fidèle, et ne permettra point que vous soyez tenté au-dessus de vos
forces 5». Telle est donc la mesure, vos forces. C’est la mesure, car Dieu veut
vous corriger, non vous accabler.
7. « Vous nous avez exposés à la
contradiction de nos voisins 6». C’est ce qui est accompli, car Dieu a choisi,
du milieu d’Asaph, des prédicateurs qui sont allés au milieu des Gentils, pour
y annoncer le Christ, et auxquels on a dit: « Que veut celui-ci qui annonce de
1. Ps. LXXIX, 5.— 2. Eccli. II, 1.— 3. Hébr. XII, 6.— 4. Ps. LXXIX, 6. — 5. I Cor. X, 13.— 6. Ps. LXXIX, 7.
nouveaux dieux 1? Vous nous avez exposés à«
la contradiction de nos voisins ». Car ils prêchaient celui qui est en butte
aux contradictions. Qui prêchaient-ils? Un Christ mort et ressuscité! Qui peut
l’entendre? qui le comprendra? C’est une nouveauté. Toutefois des miracles
s’opéraient, et ces miracles rendaient croyable ce qui était incroyable. Les
hommes contredisaient; mais bientôt le contradicteur était vaincu, et de
contradicteur devenait croyant. On employait cependant le fer et la flamme, les
martyrs étaient nourris du pain de la douleur, abreuvés au calice des larmes,
mais avec mesure, et non au-dessus de leurs forces, afin qu’à la mesure des
larmes succédât la couronne de la joie. « Et nos ennemis nous ont insultés ».
Où sont maintenant ces insulteurs? Longtemps on a dit: Quels sont ces hommes
qui adorent un homme mort, qui adorent un crucifié? Longtemps on l’a dit: où
est maintenant l’orgueil de nos persifleurs? Ceux qui osent nous blâmer, ne
vont-ils pas se réfugier dans les cavernes, de peur d’être en évidence? « Et
nos ennemis nous ont insultés ».
8. Mais écoutez ce qui suit: « Seigneur, Dieu
des vertus, tournez-nous vers vous, montrez-nous votre visage, et nous serons
sauvés. Vous avez transporté votre vigne de l’Egypte; vous avez dissipé les
nations et vous l’avez plantée 2». Nous le voyons, tout cela s’est accompli.
Combien de peuples ont été chassés? Les Amorrhéens, les Céthéens, les
Jébuséens, les Gergéséens et les Evéens: il fallut les dissiper et les vaincre
pour établir dans la terre promise Israël délivré de l’Egypte. Nous avons
entendu d’où cette vigne a été tirée et où elle a été plantée. Voyons ce
qu’elle est devenue ensuite, comment elle a embrassé la foi, quel a été son
accroissement, son étendue. « Vous avez transporté votre vigne de l’Egypte,
vous avez dissipé les nations, et vous l’avez plantée».
9. « Vous lui avez ouvert la voie, vous en
avez planté les racines, elle a rempli la terre 3 ». Aurait-elle pu remplir la
terre, si Dieu ne lui eût ouvert la voie? Quelle est cette voie ouverte en sa
présence? « Je suis », dit le Seigneur, « la voie, la vérité, la vie 4 ». C’est
donc avec raison qu’elle a rempli la terre. Ce qui est prédit de cette vigne,
est
1.
Act. XVII, 18.— 2. Ps. LXXIX, 8, 9.— 3. Id. 10. — 4. Jean, XIV, 6.
accompli pour jamais. Mais qu’est-ce qui
précède? « Son ombre a couvert les montagnes, et ses branches les cèdres les
plus élevés. Elle a étendu ses pampres jusqu’à la mer, et ses rameaux jusqu’au
fleuve 1». Il faut ici une explication, il ne suffit pas de lire et
d’applaudir: aidez-moi de votre attention. Cette vigne, en effet, dont il est
question dans notre psaume, embarrasse bien souvent les hommes peu attentifs.
Nous avons déjà parlé de l’étendue de cette vigne, nous en avons dit l’origine
et les causes de son accroissement. « Vous avez ouvert la voie en sa présence,
vous en avez planté les racines, elle a rempli la terre ». Ceci est la
prophétie de son extension. Toutefois cette vigne est le premier peuple Juif.
Or, cette nation juive a régné depuis la mer jusqu’au fleuve. Depuis la mer,
car nous voyons dans l’Ecriture qu’elle avoisine la mer 2, et jusqu’au fleuve
du Jourdain. Car au-delà du Jourdain, il y avait quelque partie de ce peuple,
mais en-deçà de ce fleuve était toute la nation. Le royaume des Juifs, le
royaume d’Israël s’étendait donc « jusqu’à la mer, et jusqu’au fleuve»; et non,
«depuis la mer jusqu’à la mer, et depuis le fleuve jusqu’aux confins de la
terre ». C’est le prolongement de cette vigne, dont le Prophète a dit: « Vous
avez ouvert un chemin en sa présence, vous en avez planté les racines, elle a
rempli la terre ». Alors après vous avoir prédit l’extension de cette vigne, le
Prophète revient à ses commencements, d’où elle s’est si fort agrandie. Veux-tu
entendre le commencement? « Depuis la mer jusqu’au fleuve ». Et la fin? « Elle
domine depuis la mer jusqu’à la mer, et depuis le fleuve jusqu’aux confins de
la terre 3». C’est dire: « Elle a rempli la terre ». Voyons donc le témoignage
d’Asaph, ce qui est arrivé à la première vigne, et ce qui doit arriver à la
seconde vigne, ou plutôt à la même vigne. Car c’est bien la même, et pas une
autre. C’est de là qu’est venu le Christ: le salut vient des Juifs 4; de là les
Apôtres, de là ces premiers fidèles qui apportaient aux pieds des Apôtres le
prix de leurs biens i; c’est d’elle qu’est venu tout cela. Et si quelques
rameaux « ont été brisés à cause de leur incrédulité: toi », peuple des Gentils,
« tiens ferme dans la foi, ne
1. Ps. LXXIX, 11, 12. — 2. Nombres, XXXIV, 5.
— 3. Ps. LXI, 8. — 4. Jean, IV, 22. — 5. Act. II, 45; XV, 35.
cherche pas à t’élever, mais crains. Car si
Dieu n’a point épargné les rameaux, il ne t’épargnera point. Si tu te
glorifies, ce n’est point toi qui portes la racine, mais la racine te porte 1
». Cette vigne, en présence de laquelle Dieu ouvrit la voie, afin qu’elle
remplît la terre, où fut-elle d’abord? « Son ombre a couvert les montagnes ».
Quelles sont ces montagnes? Les Prophètes. Pourquoi son ombre les a-t-elle
couvertes? Parce qu’ils étaient obscurs dans la prédiction de l’avenir. Tu
entends dire aux Prophètes: Observe le sabbat; que l’enfant soit circoncis le
huitième jour; offre en sacrifice le bélier, le veau et le bouc. Ne t’étonne
point, ce sont là des ombres qui couvrent la montagne de Dieu; après l’ombre
viendra la lumière. «Et ses branches, les cèdres de Dieu », c’est-à-dire
couvrent les cèdres de Dieu les plus hauts, mais de Dieu. Car il y a des cèdres
qui sont le symbole des orgueilleux que Dieu doit détruire. Donc cette vigne,
dans ses accroissements, a couvert les cèdres du Liban, les grandeurs du monde,
les montagnes de Dieu, tous les saints Prophètes, les patriarches.
10. Mais jusqu’où « a-t-elle étendu ses
rameaux? Jusqu’à la mer, et ses pampres jusqu’au fleuve 2». Qu’en est-il
arrivé? « Pourquoi avez-vous détruit sa clôture? Déjà vous pouvez voir la ruine
du royaume des Juifs; déjà dans un autre psaume vous avez pu entendre: « Ils
l’ont abattu avec la hache et la cognée 3». Comment cela pourrait-il se faire,
si la clôture n’était renversée? Quelle est cette clôture? ses forteresses. Car
elle s’est élevée avec orgueil contre celui qui l’avait plantée. Les serviteurs
qu’il envoyait pour recueillir sa redevance, les locataires les ont flagellés,
meurtris, mis à mort. Le fils unique est venu lui-même, et ils ont dit: «
Celui-ci est l’héritier; venez, tuons-le, et nous posséderons son héritage; et
l’ayant tué, ils l’ont jeté hors de la vigne 4 ». Jeté hors de cette vigne, il
la possède davantage. Aussi leur fait-il cette menace par Isaïe: « Je détruirai
sa clôture ». Pourquoi? « J’ai attendu qu’elle produisît du raisin, elle n’a
produit que des épines ». J’ai attendu des fruits de vertu, et n’ai trouvé que
le péché. A quoi tend donc cette plainte à Asaph « Pourquoi avez-vous renversé
la clôture?»
1.
Rom. XI, 18-21.— 2. Ps. LXXIX, 13.— 3. Id. LXXIII, 6.— 4. Matth. XXI,
34-39.
Ignorez-vous donc pourquoi? « J’ai attendu
qu’Israël fît la justice, il a fait l’iniquité 1 ». Ne fallait-il donc point
renverser la clôture? Alors sont venues les nations, et sur les ruines de la
clôture ont envahi la vigne et détruit le royaume des Juifs. C’est ce que
déplore Asaph, mais non sans quelque espérance. Car il parle maintenant pour le
redressement du coeur, et ce psaume est pour les Assyriens, ou ceux qui se
redressent. « Pourquoi avez-vous renversé sa clôture? et voilà qu’elle est au
pillage de tous ceux qui passent par le chemin ». Qu’est-ce à dire: « Ceux qui
passent par le chemin? » Ceux qui ont une domination temporelle.
11. « Le sanglier de la forêt l’a dévastée 2
». Que faut-il entendre par ce sanglier de la forêt? Le pourceau était en
horreur chez les Juifs, parce qu’il était pour eux l’image de l’impureté des
Gentils. Or, ces Gentils ont détruit le royaume des Juifs; mais le roi qui l’a
détruit n’était pas seulement un pourceau à leurs yeux, c’était un sanglier.
Qu’est-ce qu’un sanglier, sinon un porc sauvage, un porc orgueilleux? « Le
sanglier de la forêt l’a ravagée ». « De la forêt», ou de la gentilité. Car la
Judée était une vigne, les Gentils une forêt. Mais qu’a dit le Prophète, à
propos de ces Gentils qui avaient embrassé la foi? « Alors bondiront tous les
arbres des forêts 3. Le sanglier de la forêt l’a dévastée; la bête solitaire en
a fait sa proie ». Qu’est-ce que « la bête solitaire? » Ce nième sanglier, qui
est une bête solitaire, vit à part à cause de sou orgueil. Tel est en effet le
langage de tout homme superbe: C’est moi, c’est moi, il n’y a que moi.
12. Mais quel est le fruit de tout cela?
«Dieu des vertus, revenez enfin vers nous ». Nonobstant toutes ces
catastrophes, « revenez enfin, regardez du haut des cieux, et voyez, visitez
cette vigne. Amenez à la perfection celle que votre droite a plantée 4 ».
Perfectionnez-la sans en planter une autre. Car elle est la postérité
d’Abraham, cette race en qui toutes les nations de la terre doivent être bénies
5. Là est la racine qui porte l’olivier sauvage, greffé depuis. « Rendez
parfaite cette vigne que votre droite a plantée ». Mais comment la
perfectionner? « Affermissez-la dans ce fils de l’homme en qui vous avez
1. Isa. V, 2,5, 7. — 2. Ps. LXXIX, 14. — 3.
Id. XCV, 12. — 4. Id. LXXXIX, 15, 16 — Gen. XXII, 18.
consolidé votre gloire ». Quoi de plus clair?
Attendez-vous, mes frères, que je vous explique ces paroles? Ne vaut-il pas
mieux répéter dans notre admiration: « Perfectionnez cette vigne, que votre
droite a plantée, et perfectionnez-la dans le fils de l’homme? » Quel fils de
l’homme? « Celui en qui vous avez consolidé votre gloire». O fondement
inébranlable! bâtissez tant que vous pourrez. « Nul en effet ne peut en poser
d’autre que celui qui a été posé, et qui est le Christ Jésus 1 ».
13. « Tout ce que le feu a brûlé, tout ce qui
est creusé périra par la menace de votre colère 2 ». Quels sont ces lieux
brûlés et creusés par le feu, qui doivent périr devant la menace de son visage?
Voyons et comprenons ce que le feu peut brûler et creuser. Qu’est-ce que le
Christ a menacé? les péchés: les péchés ont donc été détruits par les menaces
de son visage. Tous les péchés n’ont chez l’homme que deux racines: la cupidité
et la crainte. Examinez, sondez vos coeurs, interrogez-les, approfondissez vos
consciences, et voyez si les péchés peuvent venir d’autre part que de la
crainte ou de la cupidité. On te propose un appât pour commettre le mal; cet
appât te plaît, et tu pèches parce que tu le désires. Mais si cet appât ne
saurait te persuader, on t’effraie par des menaces, et tu agis sous l’empire de
la crainte. Un homme veut te corrompre et t’amener au faux témoignage. Il y a
mille rencontres semblables, mais je propose la plus claire, et qui laisse à
juger des autres. Tu penses donc à Dieu, tu dis en toi-même: « Que sert à
l’homme de gagner l’univers, s’il vient à perdre son âme 3? » Jamais le gain ne
me dominera, jamais je ne perdrai mon âme pour un peu d’argent. Alors le
tentateur a recours à la crainte; il n’a pu corrompre par l’appât, il a recours
aux menaces; la perte des biens, le bannissement, la violence et peut-être la
mort, voilà ses ressources. Les promesses ont échoué, les menaces auront
peut-être plus d’efficacité sur vous. Mais s’il ne vous a fallu, pour résister
à l’appât du gain, que cette parole de l’Ecriture: « Que sert à l’homme de
gagner l’univers entier, s’il vient à perdre son âme »; souvenez-vous de cette
autre contre la crainte: « Ne redoutez point ceux qui tuent le corps, et qui ne
peuvent tuer
1. I
Cor. III, 11. — 2. Ps. LXXIX, 17. — 3. Matth. XVI,26.
l’âme 1 ». Quel que soit l’homme qui en veut à
votre vie, il n’a de pouvoir que sur le corps, il ne peut rien sur l’âme. Ton
âme ne peut mourir, à moins que tu ne la veuilles tuer toi-même. Que
l’injustice des autres tue ta chair, mais que la vérité garde ton âme. Mais si
tu t’éloignes de la vérité, comment ton ennemi pourrait-il te dépasser dans le
mal que tu te fais à toi-même? Dans sa fureur, ton ennemi peut meurtrir ta
chair, et toi, par le faux témoignage, tu donnes la mort à ton âme. Ecoute
l’Ecriture: « La bouche qui ment tue l’âme 2 ». Ainsi donc, mes frères, c’est
l’amour ou la crainte qui nous conduit à tout bien, comme c’est l’amour ou la
crainte qui nous conduit à tout suai. Pour faire le bien, tu aimes Dieu, tu
crains Dieu; pour faire le mal, tu aimes le monde ou tu crains le monde. Tourne
vers le bien ces deux passions. Tu aimais la terre, aime la vie éternelle; tu
craignais la mort, crains l’enfer. De quelque bien que le monde ait promis de
payer ton iniquité, peut-il te donner aussi largement que Dieu donne au juste?
Quelles que soient les menaces du monde contre le juste, le peut-il châtier
comme Dieu châtie le pécheur? Veux-tu voir la récompense en Dieu, si tu vis
dans la justice? « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été
préparé dès l’origine du monde». Veux-tu voir ce qu’il réserve aux impies? «
Allez au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses anges 3 ». C’est
bien pour toi de ne vouloir que le bonheur: car aimer, pour toi, c’est chercher
le bonheur, et craindre, c’est écarter de toi le malheur. Mais tu ne cherches
pas le bonheur où tu devrais le chercher. Tu te hâtes, parce que tu ne veux
souffrir ici-bas ni indigence, ni aucune peine. Ton désir est bon; mais souffre
ce que tu ne désires point, afin d’acquérir ce que tu cherches. Que fera donc
le Seigneur, dont la face détruit le péché? Quels sont les péchés que le feu
dissipe et embrase? Qu’a produit ton amour mauvais? Il t’avait embrasé comme
une fournaise. Qu’a produit ta crainte déréglée? Elle t’a creusé comme une
fosse. Car l’amour embrase, la crainte abaisse. Les péchés qui naissent de
l’amour déréglé sont donc comme des embrasements; ceux d’une crainte servile,
comme des fosses profondes. Il est vrai qu’une crainte juste humilie aussi
1. Matth. X, 28. — 2. Sag. X, 11. — 3. Matth.
XXV, 34, 41.
notre âme, qu’un amour légitime l’embrase
aussi, mais d’une manière bien différente. Car le vigneron supplie pour que
l’arbre qui ne porte pas de bons fruits soit épargné, et s’écrie: « Je
creuserai à l’entour et y mettrai du fumier 1 ». Cette fosse marque la pieuse
humilité d’une âme pénétrée de crainte; et ce fumier les utiles négligences
d’un pénitent. Quant au feu des bonnes oeuvres, le Seigneur a dit: « Je suis
venu apporter le feu dans le monde 2 ». Tel est le feu qui embrase les âmes
ferventes, et ceux qui brûlent de l’amour de Dieu et du prochain. Et alors de
même qu’une crainte pieuse, et qu’un saint amour sont la source des bonnes
oeuvres; de même un amour dépravé, une crainte mauvaise, produisent tous les
péchés. Donc, « tout ce que le feu a brûlé, tout ce qu’il a creusé »,
c’est-à-dire tous les péchés, « périront par la menace de votre visage ».
14. « Que votre main s’étende sur l’homme de
votre droite, sur le fils de l’homme que vous avez établi dans votre force, et
nous ne vous quitterons plus 3 ». Jusques à quand subsistera cette race
corrompue et rebelle, qui ne redresse point sors coeur 4? Qu’Asaph dise à Dieu:
Montrez votre miséricorde, faites-en sentir les effets à votre vigne, et
rendez-la parfaite: « Car l’aveuglement est tombé sur une partie d’Israël,
jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât dans l’Eglise, et qu’ainsi tout
Israël fût sauvé 5». Quand la lumière de votre face se reflétera « sur l’homme
de votre droite, que vous avez affermi dans votre force, nous ne nous
éloignerons plus de vous ». Jusques à quand dureront vos menaces? Combien
encore vos accusations? Accordez-nous cette grâce, « et nous ne vous quitterons
plus. Vous nous rendrez la vie, et nous invoquerons votre nom ». Vous nous
comblerez de vos faveurs, « vous nous rendrez la vie ». Autrefois nous aimions
la terre, et non point vous. Mais vous avez fait mourir en nous les membres de
l’homme terrestre 6. Car cet Ancien Testament, qui a des promesses terrestres,
semble porter les hommes à n’aimer point Dieu gratuitement, mais à l’aimer pour
les biens qu’il nous donne ici-bas. Dis-moi: que peux-tu aimer, et préférer à
Dieu? Aime, si tu le peux, quelque créature qu’il n’ait point faite.
1.
Luc, XIII, 8. — 2. Id. XII, 49. — 3. Ps. LXXIX, 18, 19. — 4. Id. LXXII, 8,9. — 6. Rom. XI, 25, 26. — 7. Coloss. III, 5.
Jette les yeux sur toutes les créatures, vois
si l’amorce de la convoitise n’attache point ton coeur quelque part, le
détournant ainsi de l’amour de Dieu, et situ ne négliges point le Créateur pour
t’éprendre de ses oeuvres. Pourquoi les aimer, sinon à cause de leur beauté?
Mais peuvent-elles égaler en beauté celui qui les a faites? Tu admires ces
beautés parce que tu ne vois point celles de Dieu; mais sers-toi de ces beautés
que tu admires, pour aimer- Dieu que tu ne vois pas. Interroge la créature; si
elle subsiste par elle-même, demeure en elle; mais si elle vient de Dieu, ce
qui la rend nuisible à celui qui s’y attache, c’est la préférence qu’on lui
accorde sur le Créateur. Pourquoi vous tenir ce langage? C’est, mes frères, à
cause du verset que nous expliquons. Ils étaient donc morts, ceux qui n’avaient
pour honorer Dieu, d’autre motif que d’obtenir de lui les biens charnels: or,
l’amour des choses de la chair, c’est la mort 1; et ils sont véritablement
morts ceux qui ne servent point Dieu gratuitement, c’est-à-dire parce qu’il est
bon, et non parce qu’il donne de ces biens dont il ne prive
1. Rom. VIII, 6.
pas les méchants. Tu demandes à Dieu des richesses? Les voleurs en ont.
Une épouse, une famille nombreuse, la santé du corps, les dignités du siècle?
Vois combien de méchants possèdent ces biens. C’est pour cela seulement que tu
sers Dieu? Alors tes pieds seront ébranlés, et tu penseras que tu sers Dieu en
vain, quand tu verras jouir de ces biens ceux qui ne le servent point 1. Donc
ces biens, il les donne aux méchants, et se réserve lui-même aux bons. « Vous
nous donnerez la vie »; car nous étions morts, quand nous nous attachions aux
biens de la terre nous étions morts quand nous portions l’image de l’homme
terrestre. « Vous nous donnerez la vie; vous nous changerez en nous donnant la
vie de l’homme intérieur, et nous invoquerons votre nom »; c’est-à-dire nous
vous aimerons. Dans votre douceur, vous nous remettrez nos péchés, vous nous
justifierez, et serez notre unique récompense. « Seigneur, Dieu des vertus,
revenez à nous, montrez-nous votre face, et nous serons sauvés 2»
1. Ps. LXXII, 2. — 2. Id. LXXIX, 20.
On
foule un pressoir et il en sort d’une part une huile que l’on conserve, d’autre
part un mare que l’on rejette. En cette vie l’olive pend à l’arbre qui porte
ainsi le marc et l’huile, la séparation aura lieu au jugement, l’injustice est
le marc, la charité l’huile, et il y a aujourd’hui injustice et charité. Le
psaume est au cinquième jour de la semaine, au jour où Dieu tira des eaux les
créatures, comme il tire les chrétiens des eaux du baptême, alors l‘affliction
et le baptême préparent le discernement dès ici-bas. Recevez donc les biens
d’en haut et donnez ceux d’en bas, à la prédication joignez l’oeuvre
temporelle; prêchez fortement à chaque nouvelle lune ou nouvelle vie. Tel est
le précepte pour Jacob et pour Joseph. Or, Joseph, qui signifie accroissement,
s’accrut en effet après le passage de la mer Rouge, fleuve du baptême, et par
le baptême le Christ prit son accroissement chez les Gentils, en leur parlant
une langue inconnue pour eux. Israël fut délivré d’une dure servitude, comme
les Gentils du péché. Toutefois nous sommes éprouvés aux eaux de la
contradiction, et ces eaux sont les peuples qui barrèrent le passage à Samson
ou au Christ, et dont la fureur fut brisée, voilà pour l’huile Voyons le marc.
Il y a des dieux récents chez les païens, chez les hérétiques ariens et
manichéens qui, divisés en apparence sont d’accord à défigurer Dieu. Ce sont
des renards se ménageant toujours une issue. Jésus tendit aux Pharisiens leurs
pères un piège sur chacune des issues. Oui peut prendre au même piège les
Manichéens, et attacher ces renards par la queue, ou par une doctrine
postérieure, et y mettre le feu pour les incendier. Alors il n’y aura plus
d’autre Dieu que celui qui est Israël ingrat a été livré aux désirs du coeur,
de là tout ce qui est honteux, la servitude, la foi mentie, et le châtiment
éternel. En vain on se rassure parce que l’on appartient au Christ; les crimes
n’entreront point dans le ciel. Le Christ fera donc le discernement, Ceux qui
auront pris le Christ pour base, et bâti avec le crime seront exclus; ceux qui
bâtissent avec l’or, l’argent, sont les élus; ceux qui bâtissent avec le bois,
la paille, ou avec des affections terrestres mais en demeurant attachés au
Christ, seront sauvés. Avec le froment et le miel de la sagesse, les ennemis du
Seigneur sont demeurés en arrière.
1. Nous avons entrepris, mes frères, de vous
exposer ce psaume; puisse votre calme aider notre voix qui est quelque peu
sourde: mais l’attention des auditeurs me donnera des forces, avec le secours
de Celui qui m’ordonne de parler. Ce psaume à pour titre: « Jusqu’à la fin,
pour les pressoirs, au cinquième jour de la semaine, psaume pour Asaph lui-même
». Combien de mystères accumulés dans un seul titre ! de manière à nous montrer
dès l’abord, l’intérieur du psaume. En parlant du pressoir, n’attendez pas que
nous vous disions rien des cuves, des presses, des corbeilles: le psaume n’en
dit mot, ce qui nous indique tout particulièrement un mystère. En effet, si le
psaume en parlait, il se trouverait des hommes pour croire qu’on doit entendre
ces pressoirs dans le sens littéral, qu’il n’y faut rien voir de plus, qu’il
n’y a là rien de figuratif, rien qui dessine quelque mystère; ce psaume,
pourrait on dire, parle simplement des pressoirs, et vous allez imaginer je ne
sais quelle allégorie. La lecture ne vous a rien laissé entendre de tout cela.
Voyez donc dans ces pressoirs le mystère de l’Eglise, aujourd’hui sur la terre.
Dans un pressoir, trois objets arrêtent nos regards: une presse, et de cette
presse il sort, d’une part ce qu’il faut garder, d’autre part ce qu’il faut
rejeter. On presse donc, on foule, on écrase sous le pressoir; et de là sort
invisiblement une huile qui se clarifie dans le vase, tandis qu’on voit le marc
couler dans les rues. Fixez votre attention sur ce spectacle grandiose. Car
Dieu ne cesse de nous donner de quoi contempler dans noire joie, et les folies
du cirque n’ont rien de comparable avec ces spectacles, qui sont l’huile pour
nous, tandis que le cirque est un marc impur. Vous entendez ces obstinés
coasser leurs blasphèmes, et nous dire que les désastres sont plus fréquents
depuis le christianisme; c’est là, vous le savez, leur refrain layon. De là
encore cet adage ancien dejà, qui date du christianisme: Dieu ne fait point
pleuvoir, prenez-vous-en aux Chrétiens. Ainsi disaient les anciens, aujourd’hui
on dit: Il pleut trop, prenez-vous-en aux chrétiens. Il ne pleut pas, nous ne
semons point; il pleut, nous ne battons iuoint. Esprits aveugles qui
s’enorgueillissent de ce qui devrait les humilier, qui préfèrent le blasphème à
la prière. Quand donc ils se livrent à ces discours, à ces bravades, à ces
insolences, à ces obstinations, et qu’ils le (256) font sans crainte, et
hardiment, qu’ils ne vous troublent point. Songez que les pressoirs abondent,
et tâchez d’être l’huile. Que ce marc tout noirci d’ignorance nous maudisse à
son gré, qu’il nous insulte sur les places publiques où il est jeté; mais toi,
dans le secret de ton coeur, où pénètre l’oeil de ton Père 1, sois une huile
clarifiée dans la cuve. Tant que l’olive pend à l’arbre, elle est parfois
agitée par la tempête, mais elle n’est point écrasée sous le pressoir; l’arbre
porte à la fois, et ce qu’il faut rejeter, et ce qu’il faut conserver: mais
quand elle est écrasée sous le pressoir, alors se fait la séparation, le discernement;
on garde l’un, on jette l’autre. Voulez-vous connaître la force de ces
pressoirs? Pour ne vous donner qu’un exemple des maux dont ils se rendent
coupables ceux-là même qui en murmurent: Combien de vols de nos jours,
disent-ils, combien d’innocents opprimés, combien de pillages du bien d’autrui
! Dans ce pillage du bien d’autrui, vous ne voyez que le marc; et vous ne
remarquez point l’huile ou la charité qui donne aux pauvres de son propre bien.
Il n’y avait pas jadis tant de pillards des biens étrangers; mais il n’y avait
pas non plus tant de donateurs de leur propre bien. Sois donc une bonne fois
plus attentif à ce pressoir, et ne t’arrête pas à ce qui coule au dehors, tu
trouveras mieux en cherchant. Examine, écoute, et vois faire à beaucoup ce qui
attrista et fit retourner ce jeune homme riche, quand le Seigneur lui parla. Un
grand nombre comprennent ce mot de l’Evangile: « Allez, vendez ce que vous
possédez, donnez-en le prix aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel,
puis venez et suivez-moi 2 ». Combien n’en vois-tu point pour agir de la sorte?
Il en est peu, dis-tu. Ceux là néanmoins sont l’huile, et ceux qui usent bien
de ce qu’ils possèdent, sont l’huile aussi: réunis-les ensemble, et tu verras
se remplir les greniers du père de famille. Tu vois un voleur tel que tu n’en
as jainas vu; vois aussi des prodigues tels que tu n’en as jamais vus de
semblables. Bénis donc les pressoirs; voilà que s’accomplit la prophétie de
l’Apocalypse: « Que le juste devienne plus juste encore, et que celui qui est
souillé, se souille encore 3 ». Les pressoirs sont dans ces mots: « Que le
juste devienne plus juste, et que celui qui est souillé, se souille encore ».
1.
Matth. VI, 6.— 2. Id. XIX, 21.— 3. Apoc. XXII, 11.
12. Que signifie ce « cinquième du sabbat? »
Quel en est le sens? Ayons recours aux premières oeuvres de Dieu, nous y
trouverons peut-être de quoi élucider ce mystère. Le sabbat est le septième
jour, alors que Dieu se reposa de tous ses ouvrages 1. Le jour qui suit le
sabbat se nomme le premier jour, que nous appelons encore dimanche. Le second
du sabbat est le second jour; le troisième tin sabbat est le troisième jour; le
quatrième du sabbat est le quatrième jour; le cinquième du sabbat est le
cinquième jour, depuis le dimanche; après vient le sixième du sabbat, ou
sixième jour, et le sabbat lui-même est le septième jour. Voyez donc à qui
s’adresse le psaume. Il me semble qu’il s’adresse à ceux qui ont reçu le
baptême. Or, le cinquième jour Dieu tira les créatures de la substance des
eaux; le cinquième jour donc, ou le cinquième du sabbat, Dieu dit: « Que les
eaux produisent des créatures qui aient une âme vivante 2 ». Voyez donc en
vous-mêmes, vous en qui les eaux ont produit des âmes vivantes. C’est vous qui
appartenez aux pressoirs, et chez vous qui êtes le produit des eaux, il y a
aussi de quoi garder, et de quoi rejeter. Car il en est beaucoup dont la vie ne
répond point à la sainteté du baptême qu’ils ont reçu. Combien en est-il qui
ont préféré aujourd’hui le cirque au théâtre? Combien qui ont reçu le baptême
et qui occupent des loges sur le théâtre, ou se plaignent qu’on ne leur en
fasse point? Ce psaume est « pour les pressoirs, ou cinquième jour du sabbat »,
c’est-à-dire qu’on le chante « pour Asaph », à ceux qui sont sous le pressoir de
l’affliction, et au sacrement du baptême. Or, il y eut un homme du nom d’Asaph,
comme un Idithun, un Coré, comme d’autres noms que nous trouvons dans les
titres des psaumes. Toutefois la signification de ces noms indique souvent un
mystère caché. Asaph signifie en latin assemblée. Donc, « c’est pour les
pressoirs, au cinquième du sabbat », que l’on chante ce psaume « à Asaph »,
c’est-à-dire, c’est pour l’affliction, qui établit le discernement, pour ceux
qui ont reçu dans l’eau une naissance nouvelle, que l’on chante notre psaume à
l’assemblée du Seigneur. Le premier mot du titre nous montre ce qu’il faut
entendre par ces pressoirs: entrons maintenant, si cela vous est agréable, dans
la maison où l’on
1. Gen. II, 2— 2. Id. I,20.
travaille, c’est-à-dire, pénétrons dans
l’intérieur du pressoir. Entrons, examinons, soyons dans la joie, dans la
crainte; désirons et fuyons. Car ce sont là les sentiments qui vous vont
assaillir dans l’intérieur de cette maison, ou dans le texte du psaume, quand
nous commencerons à vous le lire, et à vous dire avec le secours de Dieu, ce
qu’il lui plaira de nous inspirer.
3. Vous donc, ô Asaph, ô sainte Eglise dc
Dieu, « Tressaillez dans le Seigneur qui est notre soutien 2». Vous qui êtes
ici assemblés aujourd’hui, vous, l’Asaph du Seigneur, puisque c’est pour Asaph
ou pour vous que l’on chante ce psaume, « tressaillez en Dieu qui est notre
appui ». Que d’autres s’épanouissent au cirque, vous, tressaillez en Dieu; que
d’autres tressaillent dans celui qui les trompe, vous, tressaillez dans celui
qui vous soutient; que d’autres tressaillent dans leur Dieu, qui est leur
ventre, vous, tressaillez dans le Dieu qui vous soutient. « Poussez des cris
devant le Dieu de Jacob ». Vous aussi, vous appartenez à Jacob, vous êtes même
Jacob, le plus jeune peuple que sert le peuple aîné 1. « Poussez des cris
devant le Dieu de Jacob ». N’avez-vous point de paroles pour vous exprimer, ne
cessez pas de tressaillir; avez-vous des paroles, chantez; n’en avez-vous
point, tressaillez. L’excès de la joie, quand on ne trouve pas d’expressions
suffisantes, se répand en tressaillements: « Tressaillez devant le Dieu de
Jacob ».
4. « Recevez le psaltérion, et donnez du
tambour 2 », « Recevez » et « donnez ». Qu’est-ce à dire « recevez? » Qu’est-ce
à dire « donnez? » « Recevez le psaltérion et donnez du tambour ». Saint Paul
nous le dit quelque part dans ses épîtres, en se plaignant avec douleur, que
nul ne lui avait fait aucune part « à raison du don fait et reçu 3 ». Quel est
ce
« don fait et reçu », sinon ce qu’il nous dit
ailleurs: « Si donc nous avons semé parmi vous les biens spirituels, est-ce une
grande chose, que nous recevions quelque peu de vos biens temporels 4?» Or, on
fait le tambour avec un cuir, ce qui tient à la chair. Le psaume désigne donc
les biens spirituels, et le tambour les biens du temps. Donc, ô peuple de Dieu,
ô Eglise de Dieu, « Recevez le psaltérion, et donnez du tambour»; recevez les
biens de l’esprit, donnez ceux du temps.
1.
Gen. XXV, 23.— 2. Ps. LXXX, 1.— 3. Philipp. IV, 15.— 4. I Cor. IX, 11.
C’est là l’exhortation que nous vous faisions
à la solennité de votre saint martyr, de recevoir les biens de l’âme, et de
donner les biens temporels. Ces édifices, en effet, que l’on élève pour un
temps, afin d’y recevoir les vivants ou les morts, sont nécessaires, mais dans
cette vie qui s’écoule. Car après le jugement, pourrons-nous emporter ces
constructions au ciel? Et sans elles, pourtant, nous ne pouvons faire ici-bas
ce qu’il faut faire pour gagner le ciel. Si donc vous désirez recevoir les dons
de l’esprit, soyez empressés à donner les biens temporels. « Recevez le
psaltérion, et donnez du tambour »; recevez nos instructions, et donnez vos
oeuvres.
5. « Le psaltérion est harmonieux avec la
harpe ». Il me souvient d’avoir exposé à votre charité la différence entre le
psaltérion et la harpe: ceux qui ont pris soin de la retenir, Pourront la
reconnaître; ceux qui ne l’ont point entendue, ou retenue, pourront
l’apprendre. Ces deux instruments de musique, le psaltérion et la harpe, ont
cette différence, que le psaltérion a dans sa partie supérieure cette concavité
qui rend les cordes sonores: on touche en bas les cordes qui résonnent en haut.
Dans la harpe, au contraire, ce bois concave est en bas. L’un donc paraît
descendre du ciel, et l’autre s’élever de la terre. Or, du ciel vient la
prédication de la parole de Dieu. Mais si nous convoitons les biens du ciel, ne
demeurons pas en arrière des oeuvres terrestres; car « le psaltérion
est,harmonieux, mais d’accord avec la harpe ». C’est la répétition de ce qui
est dit plus haut: « Recevez le psaume, et frappez du tambour ». Ici le
psaltérion est mis pour le psaume, et la harpe au lieu du tambour. Toutefois,
c’est là pour nous un avertissement de répondre par des oeuvres temporelles à
la prédication de la parole de Dieu.
6. « Sonnez de la trompette 1». C’est-à-dire,
prêchez plus clairement et avec plus de confiance, et ne craignez point, comme
le dit quelque part un prophète: « Crie, et fais retentir ta voix, comme
l’éclat de la trompette. Sonnez de la trompette au commencement du mois de la
trompette 2». Il était ordonné de sonner de la trompette au commencement de
chaque mois. Les Juifs le font encore aujourd’hui, sans en comprendre le sens
mystique. Tout commencement de mois est une nouvelle lune, mais toute nouvelle
1. Ps. LXXX, 4.— 2. Isa. LVIII, 1.
lune est une vie nouvelle. Qu’est-ce qu’une
nouvelle lune? « Donc si quelqu’un est à Jésus-Christ, c’est une nouvelle
créature 1». Qu’est-ce à dire: « Sonnez de la trompette au commencement du mois
de la trompette 2?» Prêchez en toute confiance une vie nouvelle, ne craignez
point le bruit de l’ancienne vie.
7. « Parce que c’est la loi en Israël, c’est
un décret établi par Dieu pour Jacob 3 ». La loi suppose un jugement. Car ceux
qui ont péché contre la loi, seront jugés par la loi 4. Celui-là même qui a
établi la loi, le Christ Notre Seigneur, Verbe fait chair, « est venu »,
dit-il, « en ce monde pour exercer un jugement, afin que ceux qui ne voient
point voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles 5». Qu’est-ce à dire,
« afin que ceux qui ne voient point voient, et que ceux qui voient deviennent
aveugles »; sinon afin que les humbles soient élevés, et les orgueilleux
abaissés? Car ceux qui voient réellement ne seront point aveuglés, mais ceux
qui croient voir seront convaincus d’aveuglement. Tel est l’effet mystérieux du
pressoir, que « ceux qui ne voyaient point voient, et e que ceux qui voyaient
deviennent aveugles.»
8. « C’est un monument établi par le Seigneur
dans la maison de Joseph 6 ». Courage, mes frères! Qu’est-ce que cria signifie?
Joseph, en hébreu, signifie accroissement. Il vous en souvient, mes frères,
vous savez que Joseph fut vendu en Egypte: c’est le Christ qui passe chez les
nations. Ce fut là que Joseph après tant d’humiliations fut élevé en gloire 7;
comme le Christ après les douleurs des martyrs fut en honneur dans le monde.
Donc Joseph désigne ici les nations; et il est appelé accroissement, parce que
l’épouse stérile a plus d’enfants que celle qui a un époux 8. « C’est un monument
établi par le Seigneur dans la maison de Joseph, lorsqu’il sortit de la terre
d’Egypte ». Voyez ici, mes frères, le cinquième jour du sabbat. Quand Joseph
sortit de la terre d’Egypte, c’est-à-dire quand ce peuple que Joseph avait
multi plié, traversa la mer Rouge 9. Car alors les eaux produisirent des âmes
vivantes 10. Car alors le passage du peuple à travers la mer Rouge ne figurait
que le passage des fidèles à travers les eaux du baptême; nous
1. II Cor. V, 17.— 2. Saint Augustin
n’explique pas cette page du verset: « Au jour de vos grandes solennités ». —
3. Ps. LXXX, 5.— 4. Rom, III, 12.— 5. Jean, IX, 39. — 6.
Ps. LXXX, 6. — 7. Gen. XXXVII, 28; XLI, 37.— 8. Isa. LIV, I — 9. Exod. XIV, 22-31. —
10. Gen. I, 20.
en avons ce témoignage de l’Apôtre: « Je ne veux
pas, mes frères, vous laisser ignorer ce que nos pères furent tous sous la
nuée, que tous passèrent la mer, que tous furent baptisés, sous la conduite de
Moïse, dans la nuée et dans la mer 1». Donc le passage de la mer Rouge n’avait
d’autre signification que le sacrement du baptême; et les Egyptiens qui
poursuivaient les Israélites figuraient la foule de nos péchés passés. Vous
voyez là des symboles transparents. Les Egyptiens passent, ils poursuivent: nos
péchés nous suivent, mais jusqu’à l’eau seulement. Pourquoi donc, ô toi, qui es
en retard, pourquoi redouter de venir au baptême du Christ, de traverser la mer
Rouge? Pourquoi rouge? Consacrée par le sang du Seigneur. Pourquoi n’oser
venir? Ta conscience serait-elle déchirée par le souvenir de quelque faute
grave, en proie aux remords, et te dirait-elle que ta faute est trop grave pour
en espérer le pardon? Crains sans doute qu’il ne demeure en toi quelque faute,
qu’un seul Egyptien ne survive. Quand tu auras traversé la mer Rouge 2, et que
tu seras délivré de tes péchés par une main forte et puissante, tu auras part
aux mystères que tu ne connais. sais point, ainsi qu’il en fut de Joseph, qui «
au sortir de l’Egypte cri tendit une langue à lui inconnue ». Tu entendras donc
un langage que tu ne connaissais point, que savent et entendent ceux qui
aujourd’hui témoignent qu’ils comprennent et qu’ils connaissent. Tu apprendras
où tu dois élever ton coeur: et tout à l’heure quand j’en parlais, plusieurs
d’entre vous ont témoigné par leurs acclamations qu’ils comprenaient; les
autres sont demeurés muets, parce qu’ils entendaient une langue pour eux
inconnue. Courage donc! qu’ils se hâtent, qu’ils passent la mer, qu’ils
apprennent. « Il entendit une langue inconnue pour lui ».
9. « Il a délivré ses épaules des fardeaux
3». Qui « a délivré les épaules du fardeau », sinon celui qui a dit: « Venez à
moi, vous tous qui êtes accablés par le travail et les fardeaux 4? »C’est le
même sous une autre figure. Ce que faisait d’une part la persécution des
Egyptiens, le fardeau des péchés le fait d’autre part. « Il a délivré ses
épaules du fardeau ». Et comme si l’on disait: De quel fardeau? « Ses mains »,
répond le Prophète, « servaient
1. I Cor. X, 1, 2.— 2. Ps. CXXXV, 12.— 3. Id. CXXX, 7.— 4. Matth. XI, 28.
à la corbeille ». Par corbeille il entend ici
l’oeuvre des esclaves; ainsi nettoyer, porter le fumier ou la terre, sont des
oeuvres que font des esclaves au moyen d’une corbeille: or, tout homme qui
commet le péché, devient esclave du péché; et si le Fils de Dieu vient vous
délivrer, vous serez vraiment libres 1. Les emplois abjects du monde sont bien
désignés par des corbeilles; mais ces corbeilles, Dieu les remplit de morceaux
de pain 2: il remplit de morceaux de pain douze corbeilles, parce qu’il a choisi
ce qu’il y a de plus vil selon le monde, pour confondre ce qu’il y a de plus
élevé 3. Mais quand Joseph servait à la corbeille, il y portait la terre, parce
qu’il faisait des briques. « Ses mains ont servi à la corbeille ».
10. « Dans la tribulation, tu m’as invoqué,
et je t’ai délivré 4 ». Toute conscience chrétienne doit se reconnaître ici; et
si elle a saintement traversé la mer Rouge 5, si dans sa fidélité à croire et à
pratiquer, elle a compris une langue jusqu’alors inconnue, qu’elle sache que
Dieu l’a exaucée dans la tribulation. Car c’est une grande tribulation que
d’être accablée sous le fardeau du péché. Quelle joie pour une conscience qui
en est délivrée! Te voilà baptisé, ta conscience, accablée hier, est soulagée
aujourd’hui. Dieu t’a exaucé au jour de la tribulation, mais n’oublie pas la
tribulation qui t’accablait. Avant d’approcher des eaux sacrées, quelles
n’étaient point tes inquiétudes? Quels n’étaient point tes jeûnes? Et dans ton
coeur, quelle amertume ! combien de prières saintes et ferventes? Tes ennemis
sont tués, tes péchés détruits. « Tu m’as invoqué dans la tribulation, et je
t’ai délivré ».
11. « Je t’ai exaucé dans le secret de la
tempête», non de l’ouragan des mers, mais de la tempête du coeur. « Je t’ai
exaucé dans le secret de la tempête; je t’ai mis à l’épreuve aux eaux de la
contradiction 6». C’est là une vérité, mes frères: celui qui a été exaucé dans
le secret de la tempête, doit être éprouvé aux eaux de la contradiction.
Lorsqu’il a embrassé la foi, qu’il a été baptisé, qu’il est entré dans les
voies de Dieu, qu’il a fait couler comme une huile pure dans le vase préparé,
et qu’il s’est séparé de cette lie qui coule vulgairement dans les rues, il
trouve beaucoup de persécuteurs, beaucoup
1.
Jean, VIII, 34, 36.— 2. Matth. XIV, 20.— 3. I Cor. I, 27.— 4. Ps. LXII, 8. — 5.
Ibid. — 5. Exod. XIV, 22.
d’insolents qui le méprisent, le dissuadent,
le menacent dès qu’ils le peuvent, qui t’effraient, et vont jusqu’à l’abattre.
C’est là l’eau de la contradiction. Je ne doute pas qu’il n’y ait ici de ces
menées, je nie persuade qu’il est ici des fidèles, que leurs amis voulaient
entraîner au cirque, à je ne sais quelle niaiserie dans cette solennité que
nous célébrons ceux-ci peut-être les ont au contraire amenés à l’Eglise. Mais
soit qu’ils les aient amenés ici, soit qu’ils aient refusé de les suivre au
cirque, ils ont été mis à l’épreuve aux eaux de la contradiction. Ne rougis
point d’annoncer ce que tu sais, et de défendre la foi contre les
blasphémateurs. Si en effet Dieu t’exauce dans le secret de là tempête, c’est
que le coeur croit pour arriver à la justice; situ es éprouvé aux eaux de la
contradiction, c’est qu’il faut confesser de bouche pour arriver au salut 1. A
quoi est maintenant réduite cette eau de la contradiction? Elle est presque
desséchée. Nos pères en ont ressenti la violence quand les nations se
soulevaient contre la parole de Dieu, contre les mystères du Christ. L’eau se
troublait alors, car l’Apocalypse nous montre que par les eaux il faut souvent
entendre les peuples, quand à la vue des grandes eaux, et à cette question:
Qu’est-ce que cela? on répond: « Ce sont les peuples 2 ». Nos pères ont donc
passé par les eaux de la contradiction quand les nations frémirent, quand les
peuples formèrent de vains complots, quand les rois de la terre se levèrent, et
que les princes se liguèrent contre le Seigneur et contre son Christ 3. Ce
frémissement des peuples, c’était le lion rugissant, barrant le passage à
Samson qui allait chercher une épouse chez les étrangers, c’est-à-dire au Christ
qui descendait chez les Gentils pour s’unir à l’Eglise, Mais que fit le
Seigneur? Il saisit ce lion redoutable, puis le broya, le mit en pièces: ce ne
fut dans ses mains qu’un jeune chevreau. Qu’était-ce que toute la rage de ce
peuple, sinon la langueur du péché? Détruisez cette cruauté, et les rois ne
frémissent plus contre le Christ, les gentils ne l’attaquent plus avec cette
colère: nous trouvons au contraire chez les nations des lois favorables à
l’Eglise, c’est le rayon de miel dans la gueule du lion 4. Pourquoi
craindrais-je cette eau de la contradiction qui est presque desséchée? Elle se
tairait presque, si le marc
1. Rom. X, 10.— 2. Apoc. XVII, 15.— 3. Ps.
II, 1, 2.— 4. Jug. XIV, 5-8.
ne soulevait la contradiction. Quelle que
soit la fureur des étrangers, si du moins les méchants d’entre nous ne les
secondaient point! « Je t’ai entendu dans le secret de la tempête, je t’ai mis
à l’épreuve aux eaux de la contradiction ».Vous vous souvenez de ce qui est dit
du Christ, qu’il est né pour la ruine de plusieurs, comme pour la résurrection
de plusieurs, et pour être un signe de contradiction 1. Nous le savons, et nous
le voyons. La croix se dresse comme un signe, et on la contredit. On contredit
à la gloire de la croix; mais la croix était surmontée d’un titre que l’on ne
pouvait altérer. Car il est dit dans un psaume: « Pour l’inscription du titre,
ne l’altérez point 2 ». C’était là un signe de contradiction, et les Juifs
dirent à Pilate: « N’écrivez point roi des Juifs, mais écrivez qu’il s’est dit roi
des Juifs 3 ». Alors la contradiction fut vaincue, et Pilate répondit: « Ce que
j’ai écrit, je l’ai écrit ». « Je t’ai exaucé dans le secret de la tempête, je
t’ai mis à l’épreuve aux eaux de la contradiction ».
12. Toutes les paroles du psaume, depuis le
commencement jusqu’à ce verset, nous les avons entendues de l’huile du
pressoir. Le reste est plus à déplorer et plus à craindre, car jusqu’à la fin
il est question du marc du pressoir; et ce n’est peut-être point sans raison
que l’on a placé ici une pause. Mais il est utile d’entendre ces paroles, afin
que celui qui se trouve avec l’huile s’en réjouisse, et que celui qui est en
danger de s’écouler comme le marc du pressoir, soi t sur ses gardes. Ecoutez
ces deux hommes: aimez l’un, craignez d’être comme l’autre. « Ecoute, ô mon
peuple, je te parlerai, et te convaincrai 4 ». Ce n’est point à un peuple
étranger, ce n’est point à un peuple qui n’appartienne pas aux pressoirs, que
le Seigneur a dit: « Jugez entre ma vigne et moi 5. Ecoute, ô mon peuple, je te
parlerai et te convaincrai ».
13. « Israël, si tu écoutais ma voix, il n’y
aurait point chez toi un Dieu nouveau 6». Un Dieu récent est un Dieu de fraîche
date or, notre Dieu n’est pas récent, il est de toute éternité, et sera dans
l’éternité. Et si notre Christ est un homme récent, il est un Dieu éternel.
Qu’y avait-il avant le commencement? Or, au commencement était le Verbe, et le
Verbe était en Dieu, et le Verbe était
1. Luc, II, 34.— 2. Ps. LIX, 1.— 3. Jean,
XII, 18-22.— 4. Ps. LXXX, 9.— 5. Isa. V, 5.— 6. Ps. LXXX, 10.
Dieu. Et le Verbe notre Dieu s’est fait
chair, afin d’habiter parmi nous 1. A Dieu ne plaise qu’il y ait en quelqu’un
de nous un Dieu récent. Un Dieu récent est une pierre ou un fantôme. Ce n’est
point une pierre, diras-tu, c’est un Dieu d’or ou d’argent. C’est bien avec
raison que le Prophète a dit de ces divinités précieuses: « Les idoles des
nations sont l’argent et l’or», Elles sont précieuses, puisqu’elles sont d’or
et d’argent; elles sont précieuses et brillantes, et pourtant elles ont des
yeux pour ne point voir 2. Voilà des dieux récents. Quoi de plus récent qu’un
dieu sorti d’une boutique? Bien que depuis plusieurs années ils soient couverts
de toiles d’araignées: tout ce qui n’est pas éternel est récent. Ceci soit dit
aux païens. Un autre prenant en vain le nom du Seigneur son Dieu, s’est fait du
Christ une créature, un Christ inférieur et inégal au Père qui l’a engendré, un
Christ qu’il appelle d’une part Fils de Dieu, quand d’autre part il nie qu’il
soit Fils de Dieu. S’il est en effet le Fils unique du Père, il est tout ce
qu’est le Père, et de toute éternité. Mais toi qui as imaginé dans ton coeur
une autre doctrine, tu as fait un Dieu récent. Un autre encore s’est fait un
Dieu qui combat contre les puissances des ténèbres, qui craint l’envahissement,
qui se défend contre la corruption; qui est corrompu en partie, et veut arriver
à l’intégrité, sans pouvoir l’acquérir, puisqu’il tient à ta corruption. Voilà
ce que disent les Manichéens, qui se font aussi dans leurs coeurs un Dieu
récent. Tel n’est point notre Dieu, tel n’est point ton partage, ô Jacob. Ton
Dieu est le Dieu qui a fait le ciel et la terre, qui n’a pas besoin de tes
biens, qui ne redoute pas les maux.
14. Beaucoup d’hérétiques, à l’instar des
païens, se sont fait eux-mêmes des dieux de toutes sortes, se sont formé des
idoles étrangères; et s’ils ne les ont point placées dans leurs temples, ils
ont fait pire en les élevant dans leurs coeurs, et en se faisant eux-mêmes les
temples de divinités ridicules et mensongères, C’est une oeuvre importante que
briser ces idoles, et préparer en nous-mêmes un sanctuaire au Dieu vivant, et
non de fraîche date. Tous ces hérétiques, différents d’opinions, se font aussi
des divinités différentes; ils déchirent par l’erreur le symbole de la foi, et
semblent se combattre, tandis
1. Jean, I, 1, 51. — 2. Ps. CXIII, 4, 5.
qu’ils ne s’écartent point des pensées
terrestres, et que dans ces pensées terrestres ils sont tous d’accord.
L’opinion varie, la vanité est la même. C’est d’eux qu’il est dit dans un autre
psaume: « Ils se sont liés par la vanité 1 ». Divisés par la diversité de leurs
erreurs, ils s’accordent néanmoins dans une même vanité. Or, vous le savez, la
vanité doit être en arrière, dans l’oubli. Aussi l’Apôtre, oubliant ce qui est en
arrière, c’est-à-dire la vanité, pour s’avancer vers ce qui est devant lui, ou
la vérité, s’efforce de remporter la palme à laquelle Dieu l’a appelé d’en haut
par Notre Seigneur Jésus-Christ 2. Quoique ces hommes soient donc divisés en
apparence, ils sont trop d’accord pour leur malheur. C’est dans ce sens que
Samson attacha les renards par la queue 3. Le renard avec ses artifices est le
symbole des hérétiques, pleins de ruse et de fourberie, se cachant, pour mieux
tromper, dans des tanières aux mille détours, et qui suffoquent par heur
puanteur. C’est contre cette puanteur que saint Paul a dit: « Nous sommes en
tout lieu la bonne odeur de Jésus-Christ 4 ». C’est encore de ces renards qu’il
est dit dans les cantiques: « Prenez-nous ces petits renards qui ravagent les
vignes, et qui se dérobent dans des cavernes tortueuses ». «Prenez-les pour
nous », donnez-leur notre conviction; car c’est prendre un homme que le
convaincre d’erreur. Des renardeaux contredisaient un jour le Sauveur, et lui
disaient: « Par quel pouvoir faites-vous ces miracles; et vous », leur dit-il,
« répondez-moi un seul mot: d’où vient le baptême de Jean? Du ciel ou des
hommes?» Dans les tanières des renards il y a ordinairement une entrée et une
sortie: or, voilà que le chasseur a placé ses piéges sur chacune de ces issues.
« Dites-moi: vient-il du ciel ou des hommes? » Ils comprennent que le piège est
tendu de part et d’autre; et ils se disent en eux-mêmes: « Si nous répondons
qu’il vient du ciel, il nous dira: Pourquoi donc n’avez-vous point cru en lui?
» Car Jean a rendu témoignage au Christ. « Si nous disons qu’il vient de la
terre, le peuple nous lapidera, car on le regarde comme un Prophète ». Flairant
donc le piège qui les menaçait de part et d’autre, ils répondirent: « Nous n’en
savons rien ». Et le Seigneur:
1. Ps. LXI, 10.— 2. Philipp. III, 13, 14.— 3.
Juges, XV, 4.— 4. II Cor. II, I5. — 5. Cant. II, 15.
« Ni moi non plus, je ne vous dis point par
quel pouvoir j’opère ces merveilles 1 ». Vous alléguez l’ignorance quand vous
savez, et moi je ne vous enseigne point cc que vous cherchez. Vous n’avez osé
sortir dans aucune direction, et vous êtes demeurés dans vos ténèbres.
Obéissons donc, nous aussi, à cette injonction du Verbe de Dieu: « Prenez ces
renardeaux qui ravagent nos vignes ». Voyons si nous pourrons en prendre
quelques uns: plaçons nos piéges sur chaque entrée du terrier, afin que le
renard soit pris, quelque route qu’il suive. Ainsi le Manichéen se fait un dieu
nouveau; il adore dans son coeur ce qui ne fut jamais; posons-lui cette
question: La substance divine est-elle corruptible ou incorruptible? Prenez lé
parti que vous voudrez, l’issue qui vous plaira; mais vous n’échapperez point:
si vous dites qu’elle est corruptible, vous serez lapidés, non par le peuple,
mais bien par vous-mêmes. Si vous dites que Dieu est incorruptible, comment
l’incorruptible peut-il redouter le peuple des ténèbres? Que peut faire une
race corruptible à celui qui ne l’est pas? Que pouvez-vous répondre, sinon: «
Nous ne savons? » Or, si vous répondez ainsi, non par fourberie, mais bien par
ignorance, ne demeurez point dans les ténèbres; que le renard se change en
brebis, qu’il croie au Dieu invisible, incorruptible, au Dieu qui n’est point
nouveau; au Dieu seul, et non au Dieu soleil, car n’allons pas ouvrir un autre
terrier au renard qui s’enfuit. Et toutefois nous ne redoutons point le nom de
soleil, car il est dit dans nos saintes Ecritures, qu’il est « un soleil de
justice, et que la santé est sous ses ailes 2 ». On cherche dans l’ombre un
abri contre l’ardeur de ce soleil, on se retire sous ses ailes pour se défendre
de ses feux: la santé est sous ses ailes. Tel est le soleil qui fera dire aux
méchants: « Nous nous sommes donc égarés du sentier de la vérité, et la lumière
de la justice n’a pas lui à nos yeux, le soleil ne s’est point levé pour nous
». Ces adorateurs du soleil diront: « Le soleil ne s’est point levé pour nous
»: puisqu’en adorant ce soleil que Dieu fait lever sur les bons et sur les
méchants, ils n’ont point fait lever sur eux ce soleil qui éclaire les bons.
Chacun d’eux se fait donc, à sa fantaisie, un Dieu récent. Qui
1. Matth. XXI, 23-27; Luc, X, 2, etc. — 3.
Malach. IV, 2. — 4. Sag. V, 6. — 5. Matth. V, 45.
empêchera un coeur erroné de se faire des
fantômes à sa guise? Ils sont donc tous des renards liés par la queue,
c’est-à-dire qu’ils s’accordent dans une même vanité. De là vient que notre
Samson, qui en hébreu signifie leur soleil, ou le soleil de ceux qu’il éclaire,
et non de tous, commue celui qui se lève sur les bons et sur les méchants, mais
le soleil de quelques-uns, le soleil de justice, car il figurait le Christ,
attacha les renards par la queue, comme je commençais à vous le dire, et y mit
une torche enflammée: ce feu devait porter l’incendie, mais dans les moissons des
étrangers. Donc les hérétiques, d’accord dans des enseignements postérieurs et
comme liés par la queue, traînent après eux une torche incendiaire, niais sans
force pour nos moissons. « Le Seigneur, en effet, connaît ceux qui sont à lui,
et tout homme qui invoque le nom du Seigneur, doit se retirer de l’iniquité.
Or, dans un grand palais, il y a non seulement des vases d’argent et d’or, mais
aussi des vases de bois et d’argile; les uns sont en honneur, les autres
méprisés. Si donc un homme se préserve de toute impureté, il sera un vase
d’honneur, utile au Seigneur, et préparé pour toutes sortes de bonnes œuvres 2
»; et dès lors il ne craindra ni la queue des renards, ni leurs torches
enflammées. Mais revenons à notre psaume. « Si tu m’écoutes », dit le Prophète,
« il n’y aura en toi aucun Dieu nouveau ». Ce qui m’étonne, c’est que le
Prophète ait dit: « En toi », in te,
et non pas, a te, de ta façon, comme
si l’idole était quelque chose d’extérieur à l’homme: mais « en toi »dans ton
coeur, dans le travail de ton imagination, dans l’erreur qui t’égare, tu
porteras avec toi ton Dieu nouveau, en demeurant dans le vieil homme. « Si donc
tu veux m’écouter, moi », dit le Prophète, « parce que je suis celui qui suis,
il n’y aura en toi aucun Dieu nouveau; et tu n’adoreras point un Dieu étranger
». Si ce Dieu étranger n’est point en toi, «tu ne l’adoreras point». Si quelque
faux dieu n’aborde point ta pensée, tu n’adoreras point un Dieu forgé par les
hommes: « Il n’y aura en toi aucun Dieu nouveau ».
15. «C’est moi qui suis en effet ». Pourquoi
veux-tu adorer ce qui n’est pas? « Je suis le Seigneur ton Dieu 4 »: parce que
je suis
1. Juges, XV, 4. — 2. II Tim. II, 19-21. — 3. Exod. III, 14. — 4. Ps. LXXX, 11.
celui qui suis. C’est moi, dit le Seigneur,
qui suis d’abord au-dessus de toute créature; et de plus que n’ai-je point fait
pour toi dans le temps? « C’est moi qui t’ai tiré de l’Egypte ». Cette parole
ne s’adresse point à Israël seulement, car nous sommes tous tirés de la terre
d’Egypte, tous nous avons traversé la mer Rouge, et les ennemis qui nous
poursuivaient ont péri dans les eaux. Ne soyons point ingrats envers Dieu,
n’allons point oublier le Dieu qui subsiste, pour nous faire des dieux
nouveaux. « C’est moi qui t’ai tiré de la terre d’Egypte»,dit le Seigneur,
«ouvre la bouche et je la remplirai ». Tu es à l’étroit en toi-même, à cause du
dieu nouveau qui a envahi ton coeur: brise un vain simulacre et bannis de ta
conscience un Dieu fictif: « Ouvre ta bouche » par la confession et par
l’amour; « et je la remplirai », car c’est en moi qu’est la source de vie 1.
16. Voilà ce que dit en effet le Seigneur;
mais qu’est-il dit ensuite? « Et mon peuple n’a pas entendu ma voix 2 ». Dieu
ne parlerait point de la sorte à tout autre qu’à son peuple. Car tout ce que
dit la loi, nous savons qu’elle le dit à ceux qui sont sous la loi 3. « Et mon
peuple n’a pas entendu ma voix; Israël n’a pas fait attention à moi ». Qui a
manqué d’attention? pour qui? « Israël, pour moi ». O âme ingrate, âme qui
existe par moi, âme que j’ai appelée, âme que j’ai amenée à l’espérance, âme
que j’ai purifiée de l’iniquité ! « Israël n’a pas fait attention à moi ». Ils
sont baptisés, ils traversent la mer Rouge, mais ils murmurent pendant la
route, ils contredisent, ils se plaignent, ils se laissent troubler par les
séditions, ils n’ont qu’ingratitude pour celui qui les a délivrés des
poursuites de leurs ennemis, qui les a conduits à pied sec, à travers les eaux,
par le désert, leur donnant la lumière pendant la nuit, l’ombre de la nuée
pendant le jour: « Et Israël n’a point fait attention à moi ».
17. « Et je les ai livrés aux désirs de leurs
coeurs 4 ». Voici le pressoir. Les issues sont
ouvertes, le marc va couler. « Et je les ai
livrés », non point à la pratique de mes préceptes; mais « c’est aux désirs de
leurs coeurs » que je les ai livrés. C’est la plaie dont parle saint Paul: «
Dieu les a livrés aux désirs de leurs coeurs 5. Je les ai livrés aux
1. Ps. XXXV, 10.— 2. Id. LXXX, 12.— 3. Rom. III, 19.— 4. Ps. LXXI, 13.— 5. Rom. I, 24.
convoitises de leurs coeurs, ils suivront
leurs « désirs corrompus e. De là vient tout ce qui vous fait horreur, si
toutefois vous êtes l’huile pure qui coule dans les vases mystérieux du
Seigneur; si toutefois vous aimez ces vases, de là vient tout ce qui vous fait horreur,
Les uns se font les champions du cirque, d’autres de l’amphithéâtre, celui ci
vante une loge sur la place publique, celui-là le théâtre, l’un est dans un
sens, l’autre dans un autre sens, un troisième défend ses dieux nouveaux: « Ils
suivent la corruption de leurs pensées ».
18. « Si mon peuple m’avait écouté, si Israël
avait marché dans mes voies 1» Peut-être cet Israël se dit en lui-même: De
toute évidence, me voilà prévaricateur, voilà que mon coeur m’entraîne dans ses
convoitises; mais que faire? c’est là l’oeuvre du diable, c’est l’oeuvre des
démons. Qu’est-ce que le diable, et que sont les démons? Tes ennemis
assurément. « Si Israël eût marché dans mes voies, j’aurais anéanti tous ses
ennemis 2 ». « Si mon peuple m’eût écouté », dit le Seigneur; comment peut-il
être mon peuple s’il ne m’écoute point? « Si mon peuple m’eût écouté ».
Qu’est-ce que « mon peuple? » « Israël ». Qu’est-ce à dire « s’il m’eût écouté?
» « S’il eût marché dans mes voies». Il se plaint, il gémit sous l’oppression
de ses ennemis; et « j’aurais réduit ses ennemis au néant, j’aurais étendu ma
main sur ses persécuteurs ».
19. Et maintenant quelle plainte peuvent-ils
faire de leurs ennemis? Leurs plus grands ennemis sont eux-mêmes. Comment cela?
Que dit ensuite le Prophète? Vous vous plaignez de vos ennemis, et vous-mêmes,
qu’êtes-vous? « Les ennemis du Seigneur ont menti à la foi qu’ils lui avaient
donnée 3». Renonces-tu au démon? J’y renonce. Et ils reviennent à ce qu’ils ont
abjuré. Et pourtant à quoi donc as-tu renoncé, sinon aux actes mauvais, aux
actes diaboliques, aux actes que Dieu condamne, aux vols, aux rapines, aux
parjures, aux homicides, aux adultères, aux sacrilèges, aux sacrifices
abominables, aux vaines curiosités? C’est à tout cela que tu as renoncé, et
tout cela néanmoins te courbe et te. domine. Ton nouvel état devient pire que
ton premier. Le chien retourne à son vomissement, et le pourceau lavé à son
bourbier 4. «Les ennemis du Seigneur lui ont manqué de parole ».
1. Ps. LXXX, 14.— 2. Id. 15. — 3. Id. 16. — 4.
II Pierre, II, 20, 22.
Admirable patience du Seigneur I Pourquoi ne
sont-ils point renversés? pourquoi le glaive. n’en fait-il point justice?
pourquoi la terre ne s’ouvre-t-elle point pour les engloutir? pourquoi ne
sont-ils pas consumés par le feu du ciel? c’est que la patience du Seigneur est
grande. Seront-ils néanmoins impunis? Loin de là. Qu’ils ne se prévalent point
sur la miséricorde du Seigneur, jusqu’à se promettre qu’il sera injuste en leur
faveur. Ignores-tu que cette longanimité de Dieu est un moyen de t’amener à la
pénitence? Et toutefois, par la dureté, par l’impénitence de ton coeur, tu
amasses un trésor de colère, pour le jour de la colère et de la manifestation
du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses oeuvres 1. Il ne rend
pas toujours ici-bas justice, il la rendra alors. Le châtiment qu’il inflige
ici-bas n’est que pour un temps: ce qu’il doit infliger alors, à l’incorrigible
et à l’impénitent, sera éternel. Et pour comprendre qu’ils ne seront point
impunis, écoute ce qui suit: « Les ennemis du Seigneur lui ont manqué de parole
». Mais, diras-tu, que leur a-t-il fait? N’ont-ils pas la vie? ne peuvent-ils
respirer, ni jouir de la lumière? ne boivent. ils pas aux sources d’eau? ne
mangent-ils point des fruits de la terre? « Leur châtiment sera dans l’éternité
».
20. Que personne donc ne se flatte
d’appartenir au pressoir; son avantage est d’être l’huile du pressoir. Avec des
actions criminelles qui ne peuvent entrer dans le royaume des cieux, n’allons
pas nous le promettre, en disant: J’ai le signe du Christ, les sacrements du
Christ, je ne serai point effacé pour l’éternité; et si je dois être purifié,
je serai sauvé par le feu. Que dit en effet l’Apôtre à propos de ceux qui sont
sur la base? «Nul ne peut poser d’autre fondement que celui qui a été posé, et
ce fondement, c’est Jésus-Christ ». Mais, ajoutent-ils, que dit ensuite
l’Apôtre? « Que chacun prenne garde à ce qu’il bâtit sur ce fondement. L’un
bâtit en or, en argent, en pierres précieuses; un autre en bois, en foin, en
chaume: le feu doit éprouver l’ouvrage de chacun, car le jour du Seigneur le
fera connaître, et il sera révélé par le feu. Celui qui aura bâti un ouvrage
qui subsistera, en recevra la récompense »; c’est-à-dire celui qui aura élevé
sur ce fondement un édifice avec des oeuvres
1. Rom. II, 4-6.
de justice comme « l’or, l’argent, les
pierres précieuses ». Mais celui qui aura bâti avec le péché, comme, « le bois,
le foin et la paille », à cause du fondement, il ne laissera pas « d’être
sauvé, quoiqu’en passant par le feu 1 ». Je préfère l’excès de crainte, mes
frères, et ne veux point vous donner une sécurité trompeuse. Je ne vous
donnerai pas ce que je n’ai point, je vous effraie, parce que je suis effrayé;
je vous donnerais plus de sécurité, si j’en avais moi-même: je crains le le feu
éternel, « Et leur châtiment sera dans'éternité», dit le Prophète; ce que je ne
comprends que du feu éternel, dont l’Ecriture nous dit ailleurs: « Leur feu ne
s’éteindra pas, et le ver qui les ronge ne mourra point 2». Mais c’est des
impies qu’il est parlé, et non de moi, me dira quelqu’un; quelque
pécheur,quelque adultère, quelque trompeur, quelque voleur, quelque parjure que
je sois, j’ai pour base le Christ, je suis chrétien, je sais baptisé; je
passerai par le feu des expiations, mais je ne périrai point, à cause du
fondement. Encore une fois, qui es-tu? Chrétien. Continue encore, que
disais-tu? Coupable de vol, d’adultère et de tous ces crimes dont l’Apôtre a
dit, que « ceux qui les commettent ne posséderont point le royaume des cieux 3
». Assurément, sans être corrigé de ces crimes, sans en avoir fait pénitence,
peux-tu bien te promettre le royaume des cieux? Je ne le pense point. « Car
ceux qui commettent ces crimes n’entreront point dans le royaume des
cieux».Ignores-tu donc que la patience de Dieu t’amène a la pénitence 4? En te
flattant d’illusoires espérances, par ta dureté, par l’impénitence de ton
coeur, tu te fais une provision de colère pour le jour de la colère et de la
manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses oeuvres.
Considère donc le juge qui doit venir. Il a bien fait, et je lui en sais gré,
de ne point nous avoir dérobé la sentence définitive; il na point expulsé les
coupables pour tirer le voile ensuite. Il a voulu nous dire, par avance, ce
qu’il voulait faire. « Toutes les nations seront rassemblées devant lui ». Et
qu’en fera-t-il? « Il les séparera; il placera les uns à droite, les autres à
gauche 5». Y a-t-il donc une place réservée au milieu? Que dira-t-il à ceux de
droite? « Venez, bénis
1. I Cor. III, 10-15. — 2. Isa. LXVI, 24. —
3. Gal. V, 21. — 4. Rom. 1, 4. — 5. Matth. XXV, 32.
de mon Père, recevez le royaume 1 ». Et à
ceux de gauche? « Allez au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et ses
anges 2 ». Si le feu ne t’effraie point, que la compagnie t’effraie. Si donc
ces œuvres ne doivent point posséder le royaume des cieux, ou plutôt, non point
les oeuvres, mais ceux qui les commettent, car dans le feu il n’y aura pas
d’oeuvres semblables 3; et ceux qui seront dévorés dans les flammes ne
commettront plus ni vol, ni adultère, mais « ceux qui les commettent ne
posséderont point le royaume de Dieu »; ces coupables ne seront donc point à la
droite, en compagnie de ceux auxquels on dira: « Venez, bénis de mon Père,
recevez le royaume, puisque ceux qui commettent ces crimes ne posséderont point
le royaume de Dieu ». Mais s’ils ne sont point à la droite, il ne leur reste de
place qu’à la gauche. Et que dira le juge à ceux de gauche? « Allez au feu
éternel; — car leur châtiment sera dans l’éternité ».
21. Expliquez nous, me diras-tu, comment ceux
qui bâtissent sur ce fondement, avec le bois, le foin, la paille, ne doivent
point périr, mais seront sauvés, et cependant comme par le feu. C’est là un
passage difficile, et néanmoins j’en dirai brièvement ma pensée. Mes frères, il
y a des hommes qui ont pour le monde un souverain mépris, qui n’ont aucun goût
pour les choses qui passent avec le temps, qui ne s’attachent par aucune
affection aux oeuvres terrestres, qui vivent dans la sainteté, la chasteté, la
continence, la justice, qui ont peut être vendu tous leurs biens pour en donner
le prix aux pauvres, ou bien qui possèdent comme s’ils ne possédaient pas, qui
usent de ce monde comme s’ils n’en usaient pas 4. Mais il en est d’autres qui
ont quelque attache d’affection pour les biens que Dieu accorde à notre
faiblesse. Tel qui ne prend point le bien d’autrui, s’attache au sien, de
manière à se troubler de la moindre perte. Il ne convoite point l’épouse d’un
autre, mais dans son affection pour la sienne, dans ses rapports avec elle, il
ne garde plus cette prescription divine qui est la génération des enfants. Il
ne s’empare point du bien des autres, mais en exigeant ce qui est à lui, il en
vient avec ses frères à un procès. C’est à ces gens que s’adresse le reproche
de l’Apôtre « C’est déjà une faute bien grave que vous ayez des procès entre
1.
Matth. 34. — 2. Id. 41. — 3. Gal. V, 21. — 4. I Cor. VII, 30, 31.
vous 1 » Il ordonne toutefois que ces
différends soient décidés dans l’Eglise, et non portés aux tribunaux; et il les
condamne comme des fautes. Car alors un chrétien dispute pour des biens
terrestres, beaucoup plus qu’il ne convient à un homme à qui le ciel est
promis, Ce n’est pas tout son coeur qu’il élève à Dieu, mais il en traîne une
partie sur la terre. Enfin, s’il se présente une occasion d’aller au martyre,
ceux qui ont le Christ pour fondement et qui bâtissent avec l’or, l’argent, ou
les pierres précieuses 2, que disent-ils alors? Il m’est bon de mourir et
d’être avec le Christ 3. Ils courent avec allégresse, et ne ressentent rien ou
que très-peu de la faiblesse de la chair. Ceux au contraire qui aiment leurs
biens, leurs palais, sont dans un trouble étrange; le foin, la paille et le
bois sont en feu. Ils ont donc sur le fondement, du loin, de la paille et du
bois; mais dans ce qui est permis, non dans ce qui est criminel. Je dis donc,
mes frères, as-tu le fondement? Attache-toi au ciel, et foule aux pieds la
terre. En agissant ainsi tu ne bâtis qu’en or, en argent, en pierres précieuses.
Mais si tu viens dire: J’aime cette terre, je crains de la perdre; si cette
perte qui te menace te cause de la tristesse, à la vérité tu ne préfères pas
cette terre au Christ: car tel est ton attachement pour elle, que si l’on te
disait: Que préfères-tu, de la terre ou du Christ? malgré ton chagrin de la
perdre, néanmoins tu préférerais le Christ que tu as choisi pour fondement:
alors tu seras sauvé, mais par le feu. Ecoute encore: Tu ne peux conserver ton
bien que par un faux témoignage. L’éviter, c’est avoir le Christ pour
fondement, puisque la vérité l’a dit « La bouche qui ment, tue l’âme 4 ». Donc
ton amour pour la terre ne saurait te porter au larcin, ni au faux témoignage,
ni à l’homicide, ni au parjure, ni à renoncer au Christ; si donc tu abjures
tout cela par amour du Christ, c’est lui que tu as pour base. Et toutefois ton
attachement pour tes biens, ta douleur de les perdre, t’ont fait bâtir sur ce
fondement, non plus avec de l’or, de l’argent, des pierres précieuses; mais
avec du bois, du foin, de la paille. Tu seras donc sauvé, lorsque ton édifice
commencera à brûler, et dès lors comme par le feu. Que nul ne se persuade qu’en
élevant sur ce fondement des adultères, des blasphèmes, des sacrilèges, des
idolâtries, des
1. I
Cor. VI, 7. — 2. Id. III, 11.— 3. Philipp. I, 23. — 4. Sag. I, 11.
parjures, il pourra se sauver par le feu,
comme si c’était là du bois, du foin et de la paille mais celui-là seulement
qui bâtit avec l’amour des choses temporelles, sur le fondement du royaume des
cieux, ou plutôt sur le Christ, cet amour des biens de la terre brûlera, et lui
sera sauvé, à cause de la solidité du fondement.
22. « Les ennemis du Seigneur lui ont menti
», en disant: Je vais à votre vigne, sans toutefois y aller 1: « et leur
châtiment sera » non plus dans le temps, mais « dans l’éternité ». Quels sont
ces ennemis? « Ceux qu’il a nourris du froment le plus pur 2 ». Vous savez
quelle est cette fleur du froment dont se nourrissent plusieurs de ses ennemis,
qui trahissent leur foi envers lui. « Il les a nourris de la fleur du froment
». Il leur a donné ses sacrements. Judas même fut nourri de ce pur froment,
quand il reçut le morceau de pain 3. Cet ennemi du Seigneur a trahi sa foi, et
son châtiment sera dans l’éternité. « Il les a nourris de la fleur du froment,
et les a tu rassasiés du miel de la pierre». Les ingrats! « Et Dieu les a
nourris de la fleur du froment, et rassasiés du miel de la pierre ». Au désert,
cependant, ce fut de l’eau, et non du miel, que Dieu fit jaillir du rocher 4.
Le miel est la sagesse qui pour le coeur est la plus douce de toutes les
nourritures. Combien donc parmi les ennemis du Seigneur trahissent sa foi,
après avoir été nourris non seulement de la fleur du froment, mais aussi du
miel de la pierre, ou de la sagesse du Christ? Combien trouvent leurs délices à
goûter sa parole, à connaître ses sacrements, à pénétrer ses paraboles !
Combien sont ravis de ce miel qui n’est pas d’un homme en effet, mais de la
pierre. Or, la pierre était le Christ 5. Combien sont rassasiés de ce miel, et
s’écrient: Quelle douceur! Y a-t-il rien de comparable? Peut-on rien dire ou
rien comprendre de plus doux? Et pourtant, les ennemis du Seigneur lui ont
menti. Je ne veux point m’arrêter davantage sur un sujet si affligeant; et
quoique le psaume se termine d’u ne manière si effrayante, remontons de la fin
au commencement, et retournons à Dieu: « Tressaillez dans ce Dieu qui est votre
soutien ».
Exhortation à venir l’entendre le lendemain,
et à mépriser les jeux séculaires.
23. Les spectacles des choses divines que
1. Matth, XXI, 30.— 2. Ps. LXXX, 17.— 3.
Jean, XIII, 26.— 4. Exod, XVII, 6. — 5. I Cor. X, 4.
vous admirez au nom du Christ, vous ont tenus
sous la puissance de leur charme, et vous ont disposés non seulement à désirer,
mais à fuir. Ce sont là des spectacles utiles, salutaires, qui édifient sans
détruire; ou mieux, qui détruisent et qui édifient; qui détruisent les dieux
nouveaux, pour édifier notre toi, dans le Dieu qui est véritable, éternel. Nous
supplions donc votre charité de venir demain encore. D’autres, nous dit-on,
auront la mer dans le théâtre, et nous, en Jésus-Christ, le port du salut. Et
comme après-demain, ou quatrième jour de la semaine. Il nous sera impossible de
nous assembler dans l’église de Saint-Cyprien, à cause de la fête des saints
martyrs, nous y reviendrons demain.
Dans
ce psaume Asaph signifie la synagogue, dont les fils étaient les fils adoptifs
de Dieu. C’est au milieu d’eux que Dieu a pris séance. Ce Dieu est le Fils
envoyé aux brebis d’Israël, issu des patriarches comme ceux qu’il vient juger.
Il a fait le discernement en permettant qu’une partie d’Israël tombât dans
l’aveuglement, jusqu’après l’entrée des nations Dieu reproche aux uns d’avoir
tué l’héritier de la vigile, aux autres, qui étaient en grand nombre, de ne
l’avoir point défendu. Toutefois ni les uns, ni les autres n’ont vu en lui le
Christ. De sa mort vient cet ébranlement de la terre à la parole des Apôtres,
et qui fit mépriser la terre mur le ciel. Le Christ est venu combattre
l’orgueil par'humilité, et si nous n’embrassons cette humilité nous mourrons
comme des hommes terrestres, nous tomberons comme les princes du monde.
Levez-vous donc, Seigneur, et jugez la terre, afin d’en prendre possession.
1. « Psaume pour Asaph ». Ce titre que nous
trouvons aussi, dans plusieurs autres psaumes, désigne ou bien le nom de celui
qui l’a composé, ou du moins ce que figure ce même nom, en sorte que nous
pouvons le rapporter à la synagogue, ainsi qu’on interprète le nom d’Asaph,
d’autant plus que tel est le sens indiqué par le premier verset. C’est ainsi
qu’il commence: « Dieu a pris séance dans l’assemblée des dieux ». Et par ces
dieux n’allons pas comprendre les dieux des nations, comme les idoles, ou toute
autre créature céleste ou terrestre qui ne serait point l’homme; puisque peu
après ce verset, le même psaume nous désigne plus clairement ceux que nous
devons entendre par ces dieux dans l’assemblée desquels le Seigneur a pris
séance: « Je l’ai dit », s’écrie le Prophète, « vous êtes des dieux, vous êtes
tous les fils du Très-Haut, et néanmoins vous mourrez comme des hommes, vous
tomberez comme un des princes 2 ». C’est donc dans la synagogue de ces fils du
Très-Haut, dont le Très-Haut lui-même disait par la bouche du prophète Isaïe: «
J’ai nourri des enfants, je les ai élevés, puis ils m’ont
1. Ps. LXXXI, 1. — 2. Id. 6, 7.
méprisé 1 », c’est là que Dieu s’est assis.
Par « la synagogue » nous entendons le peuple juif, car c’est à eux
qu’appartient ce nom de synagogue, bien qu’on le donne parfois à l’Eglise.
Toutefois les Apôtres n’ont jamais donné le nom de synagogue, mais bien celui
d’Eglise à notre assemblée; soit qu’ils aient voulu distinguer l’une de
l’autre, soit qu’il y ait réellement cette différence entre le rassemblement
qu’on nomme synagogue et la convocation qui prend le nom d’Eglise, que l’on
rassemble les animaux, d’où leur est venu ce nom de troupeau qui leur est
propre, tandis que l’on convoque principalement des êtres doués de raison tels
que les hommes. C’est pourquoi il est dit d’Asaph lui-même, dans un autre
psaume: « Je suis devenu devant vous comme l’animal stupide, et je suis
toujours avec vous 2 ». Et en effet, quoique soumis en apparence au seul Dieu
véritable, il donnait néanmoins la préférence aux biens charnels, terrestres et
temporels qu’il lui demandait comme les principales richesses. Nous voyons
aussi que l’Ecriture leur donne souvent le nom de fils, non plus dans le sens
de cette grâce qui appartient au
1. Isa. 1, 2.— 2. Ps. LXXII, 23.
Nouveau Testament, mais bien dans la faveur
de l’Ancien. C’était aussi une faveur de Dieu qui lui faisait choisir Abraham,
pour le rendre père d’une si nombreuse postérité; aimer Jacob, et haïr Esaü,
avant qu’ils fussent nés; délivrer son peuple de l’Egypte, pour l’introduire
dans cette terre promise d’où il avait chassé les Gentils. S’il n’y avait point
là une grâce, quand il s’agit de nous qui avons reçu le pouvoir de devenir
enfants de Dieu 1, non pour acquérir un royaume temporel, mais le royaume des
cieux, le même Evangile ne dirait pas un peu après, que nous avons reçu grâce
pour grâce 2, c’est-à-dire les promesses du Nouveau Testament, au lieu des
promesses de l’Ancien. Nous voyons évidemment, je pense, dans quelle synagogue
a pris séance le Dieu des dieux.
2. Cherchons maintenant si c’est le Père, ou
le Fils, ou le Saint-Esprit, ou la sainte Trinité elle-même, qui s’est assis «
dans la synagogue des dieux, qui a pris place pour les juger ». Chaque personne
est Dieu en effet, et la Trinité n’est qu’un seul Dieu. C’est un point qu’il
n’est pas facile d’éclaircir; car, on ne peut le nier, ce n’est point d’une
manière corporelle que Dieu est présent dans les créatures, mais d’une manière
spirituelle qui convient à sa substance, manière tout à fait admirable, et que
comprennent à peine quelques intelligences. C’est en ce sens que le même
Prophète a dit ailleurs: « Si je monte aux cieux, vous y êtes; si je descends
aux enfers, vous voilà 3». Dieu donc se trouve dans l’assemblée des hommes
d’une manière invisible, comme il remplit le ciel et la terre, ainsi qu’il le
dit lui-même par son Prophète 4. Cela est non seulement évident, mais l’esprit
humain, nonobstant sa faiblesse, comprend que Dieu se trouve dans tout ce qu’il
a créé, pourvu que l’homme se tienne ferme, et qu’il l’écoule, et qu’il
tressaille de joie à sa voix intérieure 5. Ce psaume toutefois, autant que j’en
puis juger, semble préciser un fait qui, depuis un certain temps, a motivé la
présence de Dieu dans la synagogue des dieux. Car cette présence dans le ciel
et sur la terre, n’est point particulière à la synagogue, et ne change point
avec le temps. Donc ce « Dieu qui s’est assis dans la synagogue des dieux »,
est bien celui qui a dit
1.
Malach. I, 2, 3. — 2. Jean, I, 12, 16. — 2. Ps. CXXXVIII, 8. — 3. Jérém. XXIII, 24. —
4. Jean, III. 29.
de lui-même « Je ne suis envoyé qu’aux brebis
de la maison d’Israël qui sont perdues 1». Le Prophète nous en dit la raison:
c’est « pour juger les dieux, au milieu d’eux ». Je le reconnais donc; Dieu
s’est assis dans la synagogue des dieux, « issus des patriarches, et dont le
Christ est né selon la chair ». Car il n’a pris parmi eux une naissance
charnelle, qu’afin que Dieu se trouvât dans la synagogue des dieux. Mais quel
est ce Dieu? Car il n’est pas semblable aux dieux parmi lesquels il s’assied:
aussi, comme l’a dit saint Paul, ce Dieu est-il « par-dessus toutes choses béni
dans tous les siècles 2». Je reconnais, dis-je, que Dieu s’est assis, je
reconnais au milieu, ce Dieu qui est l’Epoux, et dont l’ami a dit: « Il en est
un au milieu de vous, que vous ne connaissez point 3». Car « ils ne l’ont point
connu», dit peu après notre psaume: « Ils ne l’ont point su, ils n’ont point
l’intelligence, ils marchent dans les ténèbres ». A son tour l’Apôtre nous dit
qu’ « une partie d’Israël est tombée dans l’aveuglement, jusqu’à ce que la
plénitude des nations entrât 4 ». Ils le voyaient donc présent au milieu d’eux,
mais ils ne voyaient pas en lui un Dieu tel qu’il voulait paraître, et qui
disait: « Celui qui me voit, voit aussi mon Père 5». Le discernement qu’il fait
des dieux n’a point pour base leurs mérites, mais sa grâce; car de la même
masse d’argile il tire des vases destinés à la gloire, d’autres destinés à
l’opprobre 6. Quel est en effet celui qui te discerne? Qu’as-tu que tu n’aies
pas reçu? Si donc tu as reçu, pourquoi te glorifier, comme si tu n’avais point
reçu 7?
3. Ecoute encore la voix de ce Dieu qui fait
le discernement, écoute la voix du Seigneur, qui divise la flamme du feu 8: « Jusques
à quand jugerez-vous injustement, et accueillerez-vous le visage des méchants
9? » C’est ainsi que le Prophète a dit ailleurs: « Jusques à quand vos coeurs
seront-ils appesantis 10? » Jusqu’à l’avènement de Celui qui est la lumière du
coeur. Je vous ai donné une loi, vous y avez opposé une obstination inflexible;
je vous ai envoyé des Prophètes, et vous les avez accablés d’outrages, ou mis à
mort, ou applaudi à ceux qui le faisaient.
1.
Matth. XV, 24. — 2. Rom. IX, 5. — 3. Jean, I, 26. — 4. Rom,
XI, 25.— 5. Jean, XIV, 9.—6. Rom, IX, 21. — 7. I Cor. IV, 7.— 8. Ps.
XXVIII, 7. — 9. Id. LXXXI, 2. — 10. Id. IV, 3.
Mais si des hommes qui ont fait mourir les
envoyés de Dieu ne méritent pas qu’on leur adresse la parole, vous qui avez
gardé le silence pendant ces cruautés, c’est-à-dire, vous qui avez voulu
imiter, comme s’ils eussent été innocents, ceux qui se taisaient alors: «
Jusques à quand jugerez-vous injustement, et prendrez-vous le visage des
pécheurs? »Voulez-vous aujourd’hui encore tuer l’héritier qui vient? N’est ce
point lui qui a voulu pour vous être sans père comme un orphelin? N’est-ce
point pour vous qu’il a enduré la faim et la soif comme un pauvre? N’est-ce
point lui qui vous a dit: « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur
1? » N’est-ce point lui qui, étant riche, s’est fait pauvre pour l’amour de
vous, afin que vous devinssiez riches par sa pauvreté 2? « Rendez donc justice
à l’orphelin et à l’indigent, prenez en main la cause de l’homme faible et du
pauvre 3». Proclamez la justice, non point de ceux qui sont riches et
orgueilleux pour eux-mêmes, mais de celui qui a daigné se faire humble et
pauvre pour l’amour de vous.
4. Mais, hélas ! ils lui porteront envie, et
loin de l’épargner, ils diront: « Voici l’héritier, tuons-le, et l’héritage
sera pour nous 4 ». « Arrachez donc le pauvre à l’oppression, et délivrez
l’indigent de la main du pécheur 5 ». Ainsi dit le Prophète, afin que dans ce
peuple où est né le Christ et où il est mort, on sache qu’ils n’ont pas été
innocents d’un si grand crime, ceux dont le nombre allait, selon le langage de
l’Evangile, jusqu’à inspirer aux Juifs la crainte de n’oser mettre la main sur
le Christ 6, et qui en vinrent ensuite à une telle connivence, qu’ils
l’abandonnèrent à la criminelle jalousie des princes des Juifs, quand ils
pouvaient, s’ils l’eussent voulu, se faire redouter et empêcher que l’on mit la
main sur lui. C’est d’eux qu’il est dit ailleurs: « Ces chiens muets n’ont su
aboyer 7». Et cette autre parole: « Ainsi périt le juste, et nul n’y fait
attention 8». Il a péri, en effet, autant qu’il était au pouvoir de ceux qui
voulaient sa perte comment eût-il pu périr en mourant, celui qui recherchait
ainsi ce qui avait péri? Or, si le Prophète adresse un reproche si sévère et
1. Matth. XI,
29.— 2. II Cor. VIII, 9.— 3. Ps. LXXXI, 3.— 4. Matth. XXI,31.— 5. Ps. LXXI, 4.
— 6. Luc,
XXII, 2. — 7. Isa. LVI, 10. — 8. Id. LVII, 1.
si juste à ceux dont le silence a permis de
commettre un tel crime: quels reproches, ou plutôt quels châtiments ne
mériteront point ceux qui l’ont accompli par malice et de propos délibéré?
5. Toutefois le verset suivant leur convient
admirablement à tous: « Ils n’ont point su, ils n’ont point compris, ils
marchent dans les ténèbres 1 ». Car si les uns l’eussent connu, ils n’auraient
jamais crucifié le Seigneur de la gloire 2, et si les autres l’eussent connu,
ils n’auraient jamais consenti à demander la délivrance de Barabbas, et la mort
du Christ. Mais comme nous l’avons dit, «une partie d’Israël est tombée dans
l’aveuglement, jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât 3». C’est par
l’aveugleraient de ce peuple, qu’après la mort du Christ, « tous les fondements
de la terre ont été ébranlés ». Ils ont donc été ébranlés et le seront encore,
jusqu’à ce que soit entrée cette plénitude des nations, marquée dans la
prédestination de Dieu. Car à la mort du Christ, la terre trembla, les pierres
se fendirent 4. Et si nous entendons par les fondements de la terre ceux qui
jouissent ici-bas de grands biens, c’est avec raison que le Prophète prédit ici
leur trouble, car ils ne verront qu’avec étonnement les hommes aimer et
embrasser l’humilité, la pauvreté, la mort, qui leur paraissent une affreuse
misère dans le Christ; ou bien eux-mêmes, à leur tour, mépriseront les vaines
félicités d’ici-bas, pour aimer et embrasser ce genre de vie, Ainsi s’ébranlent
les fondements de la terre, quand les uns admirent ces changements, et que les
autres les éprouvent en eux-mêmes. C’est ainsi que nous appelons avec quelque
raison, fondements du ciel, les saints et les fidèles, qui entrent dans
l’édifice du royaume des cieux, et que l’Ecriture en nomme les pierres vivantes
5, et dont la base primitive est le Christ né d’une vierge, et dont l’Apôtre a
dit: « Nul ne peut poser un autre fondement s que celui qui a été posé, et ce
fondement c’est Jésus-Christ 6 ». Viennent ensuite les Apôtres, les Prophètes,
dont l’autorité affermit le céleste édifice, afin qu’en marchant à leur suite,
nous entrions dans cette même construction. Aussi l’Apôtre dit-il aux
Ephésiens: « Déjà vous n’êtes plus des étrangers et des
1.
Ps. LXXXI, 5. — 2. I Cor, II, 8. — 3. Rom. XI, 25. — 4. Matth. XXVII, 51. — 6.
I Pierre, II, 5. — 7. I Cor. III, 11.
hôtes, mais vous êtes de la cité des saints,
et de la maison de Dieu; établis sur le fondement des Apôtres et des Prophètes,
et dont Jésus-Christ lui-même est la principale pierre de l’angle. C’est sur
lui que tout l’édifice construit s’élève en un temple consacré au Seigneur 1».
C’est en ce sens que nous pouvons appeler fondements de la terre ceux dont les
hommes envient sur la terre la puissance et le bonheur, et dont l’autorité les
porte à désirer ces mêmes biens terrestres, et en les acquérant ils paraissent
élever terre sur terre, comme l’édifice supérieur est ciel sur ciel. Aussi
est-il dit au pécheur: « Tu es terre, et tu retourneras en terre 2 »; et
encore: « Les cieux racontent la gloire de Dieu, quand leur voix se fait
entendre dans tout le monde, et que leurs paroles gagnent les confins de la
terre 3 ».
6. Or, le règne de la félicité ici-bas n’est qu’orgueil; cet orgueil
qu’est venu combattre l’humilité du Christ, en faisant ces reproches à ceux
qu’il veut rendre par l’humilité enfants du Très-Haut: « J’ai dit: Vous êtes
des Dieux, vous êtes tous les enfants du Très-Haut. Et toutefois vous mourrez
comme des hommes, vous tomberez comme un des princes 4». Soit qu’en disant: «
Vous êtes des Dieux, vous êtes tous les enfants du Très-Haut »; il s’adresse à
ceux qu’il a prédestinés à la vie éternelle; et qu’il dise aux autres: « Pour
vous, vous mourrez comme u des hommes, vous tomberez comme un des princes »,
faisant ainsi un discernement entre les dieux eux-mêmes; soit qu’il leur
adresse à tous un même reproche, afin de discerner ensuite ceux qui se
corrigeront par l’obéissance; « Pour moi », dirait-il, « je l’ai dit: Vous êtes
des Dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut »: c’est-à-dire, je vous ai
promis à tous le bonheur céleste: « Mais vous, à cause de la faiblesse de la
chair »,
1. Ephés. II, 19-22, — 2. Gen. III, 19. — 3.
Ps. XVIII, 2, 5 — 4. Id. LXXXI, 6, 7.
vous mourrez comme des hommes », et l’orgueil
de votre coeur « vous fera non plus vous élever, mais bien tomber comme un des
princes », c’est-à-dire comme le démon. Comme s’il disait: Telle est la
brièveté de votre vie, que vous mourez avec la même rapidité que les autres
hommes, et pourtant cela ne vous corrige point mais comme le diable, dont les
jours sont nombreux en ce siècle, puisqu’il n’est point revêtu d’une chair
mortelle, vous vous élevez de manière à tomber. C’est par l’orgueil du démon
que les princes des Juifs se sont aveuglés jusqu’à être perfidement jaloux de
la gloire du Christ; tel est le vice qui a porté et qui porte encore à mépriser
un Christ qui s’abaisse jusqu’à la mort de la croix, des hommes qui aiment
l’éclat du monde.
7. C’est donc pour guérir cette plaie que le
Prophète a dit en son propre nom: « Levez-vous, ô Dieu, et jugez la terre 1».
La terre s’est enflée d’orgueil quand on vous a crucifié: levez-vous d’entre
les morts, et jugez la terre. « Car vous exterminerez dans toutes les nations
»; et que devez-vous exterminer, sinon la terre? c’est-à-dire ceux qui ont des
goûts terrestres, soit que vous détruisiez, dans les fidèles, tout orgueil et
toute affection pour la terre, soit que vous sépariez d’eux les fidèles, comme
une terre qu’il faut oublier et fouler aux pieds. C’est ainsi que Dieu juge la
terre, et la détruit parmi les peuples, au moyen de ses membres dont la
conversation est dans le ciel. N’oublions pas de le remarquer, dans plusieurs
exemplaires: « Parce que toutes les nations seront votre héritage », ce qui
peut très-bien s’adapter avec notre sens, et rien n’empêche d’accepter l’un et
l’autre. Car on entre dans son héritage par la charité que Dieu cultive, dans
sa miséricorde, par sa grâce et ses préceptes, afin de détruire toute affection
mondaine.
1. Ps. LXXXI, 8.
Asaph
signifie synagogue: alors le peuple de Dieu qui chante sa victoire sur ses
ennemis, serait l’allégorie du peuple chrétien qui triomphera au dernier
jugement, et qui dit au Christ Qui sera semblable à vous, vous que les hommes
ont méconnu au point de vous juger, lorsque vous viendrez les juger dans votre
gloire? Les ennemis de Dieu seront tumultueux et auront pour chef le démon, que
le Christ tuera du souffle de sa bouche; ainsi s’évanouiront leurs complots,
leur désir de détruire le peuple de Dieu. En vain sera-t-il leur chef, ils
périront comme les princes de Chanaan. Loin d’assujettir le peuple du Seigneur,
il leur faudra se soumettre à la vérité, et devenir comme la paille que le vent
emporte, comme une forêt incendiée, use montagne embrasée. Et toutefois leur
confusion deviendra salutaire, car plusieurs se convertiront.
1. Voici le titre du psaume: « Chant du
psaume pour Asaph 1-».Or, nous l’avons dit souvent, Asaph signifie assemblée.
Donc cet homme qui portait le nom d’Asaph était dans le titre de plusieurs
psaumes la figure du peuple de Dieu. Mais en grec, une assemblée s’appelle
synagogue, nom qu’a retenu d’une manière particulière le peuple juif, au point
de s’appeler la synagogue, comme le peuple chrétien s’appelle plus communément
l’Eglise, qui est aussi une assemblée.
2.. C’est donc le peuple de Dieu, qui s’écrie
dans ce psaume: « O Dieu, qui sera semblable à vous 2? » Parole que l’on ne
peut mieux entendre selon moi que du Christ, car s’étant rendu semblable aux
autres hommes, il a été regardé comme nu homme ordinaire par ceux qui l’ont
méprisé 3. Mais alors il venait pour être mis en jugement; au contraire, quand
il viendra pour juger, alors s’accomplira cette parole: « O Dieu,qui est
semblable à vous? » Si le langage des psaumes ne s’adressait pas souvent au
Christ Notre Seigneur, nous n’y trouverions pas cette parole, que nul fidèle
n’a hésite à lui appliquer: « Votre trône, ô Dieu, est dans les siècles des
siècles, le sceptre de l’équité est le sceptre de votre empire: vous avez aimé
la justice et haï l’iniquité; aussi votre Dieu vous a-t-il oint, ô Dieu, d’une
huile de joie, plus que tous ceux qui doivent la partager 4». C’est à ce même
Christ qu’il est dit maintenant: « O Dieu, qui sera semblable à vous? » Vous
avez voulu, dans votre humilité, devenir semblable à beaucoup d’autres, et même
aux
1.
Ps. LXXXII, 1. — 2. Id. 2. — 3. Isa. LIII, 12.— 4. Ps. XLIV, 7, 8.
voleurs crucifiés avec vous 1; mais quand
vous viendrez dans votre splendeur, « qui sera semblable à vous? » Qu’y
aurait-il d’extraordinaire à dire à Dieu: « Qui sera semblable à vous? » si
cette parole ne s’adressait à ce Dieu qui a voulu devenir semblable aux hommes,
qui a pris la forme de l’esclave, s’est rendu semblable aux autres hommes, et a
été reconnu pour un homme dans ce qui a paru de lui 2. Aussi le Prophète ne
dit-il point: Qui est semblable à vous? comme il devrait le dire si son langage
s’adressait à la divinité. Mais comme ce langage s’adresse à la forme de
l’esclave, ce Christ n’apparaîtra différent des autres hommes que quand il
viendra dans sa gloire. C’est pourquoi le Prophète ajoute: « Ne vous taisez
point, ne demeurez point dans l’inaction ». D’abord il s’est tu quand il a été
jugé; quand, semblable à l’agneau devant celui qui le tond, il a été sans voix,
il n’a pas ouvert la bouche 3, et a fait taire sa puissance. Et pour montrer
qu’il faisait taire cette puissance, avec ce seul mot: « C’est moi 4 », il fit
reculer et tomber à terre ceux qui le cherchaient pour le saisir. Comment donc
pourrait-on le saisir et le mettre à mort, s’il ne se comprimait, et pour ainsi
dire, ne s’adoucissait lui-même? Quelques-uns, en effet, ont traduit cette
parole: « Ne restez point dans l’inaction », comme s’il y avait: « Ne vous
adoucissez point, ô Dieu ! » Lui-même dit ailleurs: « Je me suis tu, me
tairai-je toujours? » Et le Prophète qui lui dit: « Ne
1. Luc. XXIII,33. — 2. Philipp. II, 7. — 3.
Isa. LII, 7. — 4. Jean XVIII, 5, 6. — 5. Isa. XLII, 14.
gardez point le silence », dit ailleurs, en
parlant de lui: « Dieu, notre Dieu, viendra dans sa gloire, et ne se taira
point 1». Il est dit ici: « Ne gardez point le silence ». Car il l’a gardé
quand il est venu sans être connu, et pour être jugé; mais il ne le gardera
point quand il viendra dans sa gloire pour juger le monde.
3. « Car voici que vos ennemis s’assembleront
en tumulte, et ceux qui vous haïssent ont levé la tête 2 ». Le Prophète me
paraît faire ici allusion aux derniers temps, alors que s’échappera librement
ce que la crainte retient dans les coeurs, et s’échappera dans une telle
confusion que ce sera plutôt un bruit qu’une parole ou un discours. Ce ne sera
point alors qu’ils commenceront à haïr, mais après vous avoir haï, ils lèveront
la tête. Non point leurs têtes, mais « la tête», parce qu’ils en viendront à
n’avoir d’autre chef que celui qui s’élève contre tout ce que l’on appelle
Dieu, ce que l’on adore comme Dieu; en sorte que s’accomplit principalement en
lui cette parole: « Quiconque s’élève sera humilié 3», alors que ce Dieu « qui
ne doit ni se taire ni s’adoucir » le tuera du souffle de sa bouche, et le
détruira par l’éclat de sa présence 4.
4. « Ils ont formé des desseins méchants»,
ou, comme portent certains exemplaires, « des complots pleins d’artifice contre
votre peuple, et ont conspiré contre vos saints 5». Ceci est une ironie;
comment pourrait-on nuire au peuple de Dieu, à sa famille, à des saints qui
savent dire: « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous 6? »
5. « Ils ont dit: Venez, exterminons-les du
milieu du peuple 7». Le singulier est mis ici pour le pluriel; comme on dit: A
qui est ce bétail, même en parlant d’un troupeau, et l’on comprend par là tous
les bestiaux. Dans quelques exemplaires, il y a « des nations », parce que les
traducteurs ont plutôt suivi le sens que l’expression. « Venez, exterminons-les
du milieu du peuple ». C’est là le son dont parlait le Prophète, et qui est
plutôt un bruit confus qu’une parole; vain bruit, vaines imprécations ! « Et
qu’à l’avenir « on ne se rappelle plus le nom d’Israël ». D’autres ont dit plus
clairement: « Qu’il ne soit plus fait mention d’Israël à l’avenir ».
1.
Ps. XLIX, 3.— 2. Id. LXXXII, 3.— 3. Luc, XIV, 11.— 4. II Thess. II, 4, 8. — 5.
Ps. LXXXII, 4. — 6. Rom. VIII, 31. — 7. Ps. LXXXII, 5.
Car, rnemoretur
nominis, se rappeler du nom, est une locution vicieuse et inusitée; il est
mieux de dire, se rappeler le nom, mais le sens est le même. Celui qui a
traduit: Memoretur nominis, a suivi
l’expression grecque. « Israël » s’entend ici de toute la race d’Abraham, à qui
l’Apôtre a dit: « Vous êtes la postérité d’Abraham, les héritiers selon la
promesse 1». Ce n’est donc point l’Israélite charnel, dont le même Apôtre a
dit: « Voyez Israël selon la chair 2 ».
6. « Ils ont formé une ligue, ils ont fait
contre vous un testament 3», comme s’ils pouvaient l’emporter. Par testament,
l’Ecriture n’entend pas seulement cet acte qui n’a de valeur qu’à la mort du testateur;
mais elle donne ce nom à toute convention, à tout accord. Laban et Jacob
avaient fait un testament 4, et pourtant cette convention ne devait durer que
pendant leur vie; on trouve une infinité de ces expressions dans les pages
révélées.
7. Le Prophète marque ensuite les ennemis du
Christ sous quelques noms des Gentils; et le sens de ces noms nous marque assez
ce qu’il veut nous faire entendre, car ces noms s’appliquent parfaitement aux
ennemis de la vérité. Les Iduméens signifient des hommes sanguinaires ou
terrestres; les Ismaélites obéissent à eux-mêmes, non pas à Dieu, mais à eux.
Moab, ou de sou père, ce que nous ne pouvons mieux comprendre qu’en nous
rappelant l’histoire de cette fille de Loth, qui usa criminellement de son
père, et en conçut un fils, que cette union incestueuse fit appeler Moab 5. Un
père est bon, ruais comme la loi, si l’on en use d’une manière légitime, et non
d’une manière criminelle et incestueuse 6. Les Agaréniens signifient les
prosélytes, ou les étrangers; entre les ennemis du peuple de Dieu, ce nom
s’appliquerait, non plus à ceux qui en deviennent les citoyens, niais bien à
ceux qui conservent chez lui un sentiment étranger et venu d’ailleurs, et qui
se montrent dès qu’ils trouvent l’occasion de nuire. Gebal signifie une vallée
vaine, une fausse humilité. Ammon, un peuple troublé, un peuple d’affliction.
Amalech un peuple qui lèche, de là vient cette expression: « Ses ennemis
lécheront la terre 7 ». Les étrangers, bien que ce nom seul indique un peuple
1. Gal. III,
29. — 2. I Cor. X, 18.— 3. Ps. LXXXII, 6.— 4. Gen, XXXI, 44. — 5. Id. XIX, 36,
37. — 6. I Tim. I, 8.— 7. Ps. LXXI, 9.
hétérogène et par conséquent ennemi, se
disent en hébreu des Philistins, et signifient des hommes qui tombent de
boisson, comme ceux qu’enivrent les plaisirs du monde. Tyr s’appelle Sor en
hébreu, ce qui signifie angoisse ou tribulation, ce qu’il faut entendre dans le
sens dont l’Apôtre a dit des ennemis de Dieu: « Angoisse et tribulation contre
tout homme qui fait le mal 1 ». Tous les ennemis sont donc marqués dans ce
verset du psaume: « Les Iduméens sous leurs tentes et les Israélites, Moab et
les Agaréniens, Gésbol, Ammon et Amalech, et les étrangers et les habitants de
Tyr 2 ».
8. Et comme pour nous expliquer ce qui rend
ces peuples ennemis du peuple de Dieu, le Prophète ajoute: « Car Assur est venu
avec eux 3 ». Or, Assur peut s’entendre au figuré du diable qui agit sur les
enfants de la rébellion 4, comme sur ses instruments, afin d’attaquer le peuple
de Dieu. « Ils sont venus au secours des enfants de Loth »,dit le Prophète,
parce que tous ces ennemis, excités par le démon, qui est leur prince, « ont
prêté leur secours aux fils de Loth », qui signifie celui qui se détourne. Or,
les anges apostats peuvent bien se nommer les fils de celui qui se détourne,
puisqu’ils se sont détournés de la vérité pour devenir les satellites du démon.
C’est d’eux que l’Apôtre a dit: « Nous avons combattre, non contre la chair et
le sang, mais contre les principautés et les puissances, contre les princes de
ce monde ténébreux, contre les esprits de malice répandus dans les airs 5».
C’est à ces esprits invisibles que viennent en aide les hommes infidèles, dont
ils se servent pour combattre lu peuple de Dieu.
9. Voyons maintenant les imprécations du
Prophète, qui sont des prédilections plutôt que des malédictions. « Traitez-les
», dit-il «comme Madian et Sisara,comme Jabin au torrent de Cison. Ils ont péri
à Endor, ils sont devenus comme le fumier de la terre. L’histoire eu est
témoin, le peuple d’Israël, qui était alors le peuple de Dieu, vainquit et
réduisit tous ces peuples 7, et ceux que le Prophète énumère ensuite: « Traitez
leurs princes comme Oreb et Zeb, et Zébée et Salmana 8». Or, voici
l’interprétation de ces
1. Rom, II, 9. — 2. Ps. LXXXII, 8. — 3. Id.
9. — 4. Ephés. II, 2. — 5. Id. VI, 12. — 6. Ps. LXXXII, 10, 11. — 7. Judic. IV,
15, 16, etc. — 8. Ps. LXXXII, 12.
noms. Madian signifie, qui décline le
jugement; Sisara, l’exclusion de la joie; Jabin, Sage. Mais parmi ces ennemis
que dompta le peuple de Dieu, ou doit entendre par sage, celui dont l’Apôtre a
dit: « Où est le sage, où est le scribe, où est le savant du siècle 1? » Oreb,
la sécheresse, Zeb, le loup; Zébée, la victime, mais du loup,car il a aussi ses
victimes Salmana, l’ombre de la commotion. Tous ces noms conviennent
admirablement aux méchants, que le peuple de Dieu doit vaincre par le bien.
Cison est le torrent qui vit leur défaite, et qui désigne leur dureté; Endor,
où ils périrent, est la fontaine de la génération, mais de cette génération
charnelle, à laquelle ils s’adonnaient pour leur perte, tandis qu’ils
négligeaient la régénération qui conduit à cette vie dans laquelle on ne
connaît ni époux ni épousé, car on n’est plus assujetti à la mort 2. C’est donc
avec raison que le Psalmiste a dit de ces hommes, qu’ « ils sont devenus commue
le fumier de la terre », puisqu’ils n’ont pu produire qu’une fécondité
terrestre. Ces peuples donc vaincus par le peuple de Dieu, figuraient ces
ennemis dont le Prophète invoque la soumission à la vérité.
10. Tous ces princes ont dit: Le sanctuaire «
de Dieu deviendra notre héritage 3 ». Vaines clameurs, qu’ ils « ont fait
retentir vos ennemis », comme l’a dit le Prophète; mais que faut-il entendre
par ce sanctuaire de Dieu, sinon ce même temple, dont l’Apôtre a dit: « Le
temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple 4? » Que veulent en effet les
ennemis de Dieu, sinon assujettir son peuple, le subjuguer, l’assouplir à leurs
volontés impies?
11. Que dit ensuite le Prophète? « Mon Dieu,
faites qu’ils soient comme une roue 5 »; ce que l’on peut très-bien entendre
ainsi: qu’ils ne soient point stables dans leurs desseins toutefois, il me
semble que ces paroles: « Faites qu’ils soient comme une roue», peuvent avoir
ce sens, qu’une roue élève sa partie postérieure, et abaisse sa partie
antérieure. Tel est le sort des ennemis du peuple de Dieu. Le Psalmiste ne fait
pas un souhait, mais une prophétie. Il ajoute même: « Comme la paille en face
du vent». Il entend par la face, la présence. Quelle face peut avoir le vent,
qui n’a aucune trace corporelle, et qui n’est qu’un mouvement, ou une secousse
de l’air? Il
1. I
Cor. I, 20.— 2. Luc, XX, 35, 36.— 3. Ps. LXXXII, 13.— 4. I Cor. III, 17.— 5. Ps.
LXXXII, 14.
s’entend ici de la tentation qui emporte les
coeurs vains et légers.
12. Or, cette légèreté qui nous porte à
consentir au mal, est suivie d’un effroyable tourment; de là cette parole: «
Comme le feu qui embrase une vaste forêt, comme la flamme qui dévore les
montagnes, vous les poursuivrez dans votre colère tempétueuse, vous les
dissiperez dans votre fureur 1». La forêt marque ici la stérilité, les
montagnes l’orgueil: déplorable image des ennemis de Dieu, stériles en justice,
riches en orgueil. Ces mots de feu et de flamme sont une répétition l’un de
l’autre, et désignent en Dieu le jugement et le châtiment. Dans cette
expression « votre fureur » est une répétition de « votre colère tempétueuse »,
et « vous les dissiperez » une répétition de « vous les poursuivrez ».
Souvenons-nous toutefois que la colère de Dieu est sans aucune espèce de
trouble. On appelle colère en lui, ses justes motifs de vengeance: de même que
l’on pourrait appeler colère de la loi la vengeance qu’elle impose à ses
ministres contre les coupables.
13. «Couvrez leur face d’ignominie, Seigneur,
et ils rechercheront votre nom 2 ». C’est là le bien le plus désirable qui leur
est annoncé: et le Prophète ne l’annoncerait point, s’il n’y avait parmi les
ennemis du peuple de Dieu des hommes auxquels ce bonheur dût être accordé avant
le jugement dernier; car ils sont ses ennemis, et les ennemis de Dieu ne sont
associés que par leur jalousie contre te peuple de Dieu. Et aujourd’hui, ils
lèvent la tête et font du bruit partout où ils peuvent; mais en quelques
endroits seulement, et non d’une manière universelle, comme à la fin des
siècles aux approches du jugement. Toutefois ils forment un même corps, et avec
ceux qui doivent croire et les quitter pour passer au corps de l’Eglise, «
heureusement pour ceux-ci que leur visage aura été couvert d’ignominie,
puisqu’ils chercheront le nom du Seigneur); et avec ceux qui doivent persévérer
dans leur malice, qui seront comme la paille au souffle du vent, ou comme des
forêts et comme ces montagnes stériles qui deviendront la proie des flammes.
C’est à eux
1. Ps. LXXXII, 15, 16. — 2. Id. 17.
qu’il revient une seconde fois, en disant: «
Qu’ils soient dans la confusion et dans le trouble jusqu’à la fin des siècles
1». Car ceux qui cherchent le nom du Seigneur ne seront point troublés durant
les siècles des siècles: mais envisageant l’ignominie de leurs péchés, ils en
seront troublés au point de chercher le nom du Seigneur, qui les tirera du
trouble.
14. Le Prophète revient à ces hommes qui font partie de la société des
méchants, et qui doivent passer par la confusion afin de n’être point.
confondus éternellement; qui seront détruits comme méchants, afin d’être
trouvés bons dans l’éternité; Car après avoir dit de ces hommes: « Qu’ils
soient confondus, et qu’ils périssent »; le Prophète ajoute «Et qu’ils sachent
enfin que votre nom est le Seigneur, que vous seul êtes le Très-Haut dans toute
la terre 2 ». Qu’ils le sachent, et qu’ils soient couverts de confusion, de
manière à vous être agréables: qu’ils périssent de manière à subsister encore.
« Qu’ils sachent que le Seigneur est votre nom »; comme si tous les autres qui
portent le nom de Seigneur, usurpaient un nom qui ne leur appartient point,
parce qu’ils dominent en esclaves, et que auprès du véritable Seigneur, ils ne
sont réellement point des seigneurs, dans le sens qu’il est dit: « Je suis
celui qui suis 3 »; comme si tout ce qui est créé n’était rien, si on le
compare au Créateur. Et si le Prophète ajoute: « Vous êtes le seul Très-Haut
dans toute la terre», ou, comme d’autres ont traduit, « sur toute la terre »:
assurément Dieu l’est encore dans le ciel, ou sur tous les cieux, mais il a
mieux aimé parler de la terre, afin d’abaisser notre orgueil: Car la terre, ou
plutôt l’homme n’a plus d’orgueil, quand on lui dit: « Tu es terre 4 », et: «
Pourquoi t’élever, terre et cendre 5? » et qu’il connaît que le Seigneur est le
Très-Haut dans toute la terre, c’est-à-dire que les pensées d’aucun homme ne
peuvent prévaloir contre ceux qui sont appelés par le décret de Dieu, et dont
il est dit: « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous 6? »
1.
Ps. LXXXII, 18.— 2. Id. 19. — 3. Exod. III, 14.— 4.
Gen. III, 19. — 5. Eccli. X, 9. — 6. Rom. VIII, 28, 31.
Ces
pressoirs désignent la vie d’affliction. L’olive et le raisin sont en paix sur
l’arbre; ainsi l’homme avant d’entrer au service de Dieu. Mais dès que nous y
entrons, il faut nous dépouiller du vieil homme, comme le raisin du marc. Les
fils de Coré sont les fils du Calvaire ou les chrétiens. Dieu donc nous met
sous le pressoir afin de nous forcer k porter nos désirs au ciel. Se détacher
des richesses de cette vie, c’est être pauvre; on est, riche et condamnable
quand on les désire, même sans les posséder. Au désir du vrai pauvre Dieu se
donnera lui-même. Mais alors au lieu de regarder en arrière, jetons-nous en
avant: nous serions plus coupables de chercher notre joie dans cette vie
passée; dans le vieil homme dont nous avons dû nous dépouiller. C’est donc
l’Eglise qui aspire aux demeures célestes, qui n’a ici-bas d’autre joie que
dans l’espérance. Son coeur et sa chair tressaillent, celui-là par de saints
désirs, celle-ci par les oeuvres extérieures. C’est la tourterelle qui cherche
un nid, et ce nid est l’Eglise qui a la vraie foi, et qui nous sauve par nos
oeuvres. Le Prophète nous porte par les aspirations dans la maison du Seigneur,
où nous posséderons Dieu lui-même, ne faisant rien par contrainte, mais
bénissant Dieu par amour. C’est là que doit nous conduire la grâce, et plus vif
sera notre désir, plus haute sera notre ascension, dont les degrés sont dans
notre coeur. La loi montrait le péché sans le guérir, l’eau de la piscine ne
guérissait qu’un seul malade quand elle se troublait; ce trouble est l’image de
la passion qui nous a guéris par la grâce, et le grâce nous conduira des vertus
de cette vie à la vérité unique ou à Dieu, que nous verrons et vers qui nous
élèvera l’humilité.
1. Le titre du psaume est « Pour les
pressoirs 1 ». Et néanmoins, autant que votre charité a pu le remarquer avec
nous, car je vous voyais écouter avec la plus vive attention, il n’est question
dans le texte, ni de presse, ni de corbeille, ni de cuve, ni des instruments,
ni même de la construction d’un pressoir; nous n’y avons rien vu de tout cela.
Aussi n’est-il point aisé de voir ce que signifie ce titre: « Pour les pressoirs
». Mais assurément, si après un titre semblable, il était question de tout ce
que nous venons d’énumérer, les hommes charnels s’imagineraient qu’il s’agit de
pressoirs visibles: or, comme après ce titre: « Pour les pressoirs », il n’est
plus question dans aucun verset de tout ce que nos yeux découvrent dans un
pressoir, il n’est plus douteux que l’Esprit de Dieu ne nous invite à chercher
et à comprendre d’autres pressoirs. Rappelons donc à notre mémoire ce qui se
fait visiblement dans les pressoirs, afin d’en voir la réalisation dans
l’Eglise d’une manière spirituelle. La grappe de raisin pend à la vigne, et
l’olive à l’olivier, car c’est à ces deux fruits qu’est réservé le pressoir et
pendant que ces fruits sont à l’arbre, ils jouissent d’un certain air libre; et
avant le pressoir le raisin n’est pas du vin, l’olive n’est pas de l’huile.
Ainsi en est-il des hommes, que Dieu avant tous les siècles a prédestinés à
devenir
1. Ps. LXXXIII, 1.
conformes à l’image de son Fils unique 1, de
cette grappe d’une admirable beauté foulée sous le pressoir de la passion. Ces
hommes donc, avant d’entrer au service de Dieu, jouissent en cette vie comme
d’une délicieuse liberté, ainsi que les raisins ou les olives suspendus aux
branches. Mais comme il est dit. « Mon fils, lorsque vous entrerez au service
de Dieu, demeurez ferme dans la justice et dans la crainte; et préparez votre
âme à la tentation 2 »: tout homme qui se consacre au service de Dieu doit
savoir qu’il arrive au dressoir; il sera foulé, pressé, broyé; non pour périr
en cette vie, mais pour coulerdans les urnes du Seigneur. Il est dépouillé de
ces enveloppes des charnelles convoitises, comme le vin est séparé du marc:
alors s’accomplit en lui à l’égard des terrestres désirs cette recommandation
de l’Apôtre: « Dépouillez-vous du vieil homme, et revêtez-vous de l’homme
nouveau 3». Mais cela ne s’accomplit totalement que dans le pressoir. Aussi
donne-t-on le nom de pressoir à l’Eglise de Dieu sur la terre.
2. Mais qui sommes-nous dans ces pressoirs?
Les fils de Coré. Car le Prophète ajoute: « Pour les pressoirs, aux fils de
Coré ». Les fils de Coré se traduisent par les fils du chauve, autant que
peuvent nous le dire ceux qui sont habiles dans cette langue, et qui ont voulu
consacrer à Dieu leur
1.
Rom. VIII, 29. — 2. Eccli. II, 1. — 3. Coloss. III, 9, 10.
ministère qui d’ailleurs lui était dû: et je
ne veux point échapper à la tâche de chercher avec vous et, avec le secours de
Dieu, de trouver ici un grand mystère. Gardons-nous de railler tout homme
chauve, avec les fils de pestilence; de peur qu’en raillant un certain chauve
offert à notre respect, nous ne devenions la proie du démon. Elisée voyageait,
et des enfants imprudents crièrent derrière lui: « Chauve, chauve »: et lui,
pour nous donner un symbole de l’avenir, se tourna vers le Seigneur, et demanda
que des ours sortissent de la forêt voisine pour les dévorer 1. Tout jeunes
qu’ils étaient, ils perdirent la vie du temps; ils moururent dans l’enfance,
eux qui seraient morts dans la vieillesse; et leur trépas devint pour les
hommes un symbole effrayant. Car alors Elisée figurait celui dont nous sommes
les enfants, nous, fils de Coré, ou de Notre Seigneur Jésus-Christ. Votre
charité doit voir dans l’Evangile pourquoi un homme chauve figurait le Christ,
et se rappeler qu’il fut crucifié au Calvaire 2. Soit donc que cette expression
« aux fils de Coré », ait cette signification que nous lui avons donnée d’après
les anciens; soit qu’elle en ait une autre qui nous échappe: voyez au moins
dans ce qui se présente maintenant un rapport plein de mystères. Les fils de
Coré sont les fils du Christ. Car l’Epoux nous appelle ses enfants, quand il
dit: « Les fils de l’Epoux ne peuvent jeûner, quand l’Epoux est avec eux 3».
Ces pressoirs donc, sont les pressoirs des chrétiens.
3. Or, Dieu nous met sous le pressoir et nous
foule, afin que cet amour qui nous porte vers les biens du monde, biens
terrestres, fugitifs et périssables, ait à souffrir dans ces mêmes biens, au
milieu des misères qui nous accablent et des tribulations sans nombre, et afin
que nous commencions à chercher ce repos, qui n’est ni en cette vie, ni en
cette terre. Alors, comme il est écrit, le Seigneur devient le refuge du pauvre
4». Qu’est-ce à dire « le pauvre? » Celui qui est dénué de tout secours, sans
appui, sans-assistance, sans rien qui soutienne ses présomptions. C’est à ces
pauvres que Dieu vient en aide. Quelles que soient en effet leurs richesses
ici-bas, ces hommes s’inclinent devant cette parole de l’Apôtre: « Ordonnez
1. IV Rois, II, 23, 24. — 2. Matth. XXVII,
33. — 3. Id. XXVII, 15.— 4. Ps. IX, 10.
aux riches de ce monde de n’être « point
orgueilleux, et de ne pas mettre leur confiance en des biens sans consistance
1». Puis considérant combien est incertain ce qui leur causait de la joie,
avant qu’ils entrassent au service de Dieu, c’est-à-dire avant qu’ils fussent
sous les pressoirs, ils comprennent ou que ces richesses leur sont une cause de
tourments, pour les gouverner avec prudence, pour les garder avec sûreté, ou s’ils
ont eu pour elles quelque inclination, ils y ont trouvé plus de crainte que de
vraie joie. Quoi de plus incertain qu’un bien avec cette inconstance? Ce n’est
point sans raison que l’on a donné à la monnaie une forme arrondie, parce
qu’elle n’est point stable. Ces hommes, quels que soient leurs biens, sont
néanmoins pauvres. Ceux qui ne possèdent rien, mais qui désirent posséder, sont
au nombre des riches que Dieu doit condamner. Car Dieu n’envisage point la
possession, mais la volonté. Que ces pauvres donc, privés de tout bien
terrestre, et qui en comprendraient l’instabilité, s’ils les possédaient, qui
gémis. sent devant Dieu, qui n’ont rien ici-bas qui leur plaise et les attache,
qui sont dans les peines et dans les épreuves comme sous un pressoir, qu’ils
fassent couler une huile pure, un vin généreux. Quel est ce vin et cette huile,
sinon les saints désirs? Dans leur détachement de la terre, ils n’ont plus rien
à désirer que Dieu. Car ils aiment celui qui a fait le ciel et la terre. Ils
l’aiment sans être encore avec lui. Dieu se refuse à leur désir, afin de
l’accroître; et il s’accroît afin de pouvoir enfin posséder Dieu. Ce qui doit
combler ce désir n’est pas un bien médiocre, et on doit être exercé pour
s’élever à la hauteur d’un si grand bien. Ce que Dieu doit donner, n’est point
une de ses créatures, mais lui-même qui a tout créé. Exerce-toi, ô chrétien, à
posséder Dieu; désire longtemps ce que tu dois avoir toujours. Dieu condamna
ceux des Israélites qui se hâtaient trop: partout l’Ecriture condamne la
précipitation de ceux qui ne savent attendre. Quels sont, en effet, ces
impatients? Ceux qui s’étant tournés vers Dieu, parce qu’ils ne trouvaient ici.
bas ni le repos qu’ils cherchaient, ni les joies qu’ils se promettaient,
manquent de courage au milieu du chemin, regardent comme trop long ce qu’il
leur reste à vivre ici-bas, et
1. I Tim. VI, 17.
cherchent en cette vie un repos trompeur même
quand on l’obtient. Ils tournent la tête en arrière, ils quittent leurs
résolutions sant considérer cette parole effrayante: « Souvenez-vous de
l’épouse de Loth 1 ». Pourquoi est-elle devenue une statue de sel 2, sinon afin
d’être le condiment des hommes, et de les amener à la sagesse? Son exemple
pernicieux te deviendra salutaire, si tu évites sa faute. Souvenez-vous, est-il
dit, de la femme de Loth. Elle regarda en arrière cette Sodome dont elle était
délivrée, elle demeura à l’endroit où elle avait tourné la tête; elle doit y
demeurer afin de servir de leçon à tous ceux qui passeront en ces lieux. Donc
une fois délivrée de cette Sodome, de notre vie passée, ne regardons plus en
arrière. Car, se hâter, c’est ne point regarder les promesses de Dieu qui nous
paraissent éloignées, c’est envisager ce qui est proche, et dont nous avons été
délivrés. Qu’a dit saint Pierre à propos de ces hommes? « Il leur est arrivé ce
qu’a dit un proverbe très-véritable: Le chien retourne à son vomissement 3 ».
Ta conscience était sous le poids de ses crimes, 1e pardon te les a en quelque
sorte fait vomir, et a ainsi soulagé ta poitrine; une mauvaise conscience est
devenue une bonne conscience; pourquoi retourner à ton vomissement? Si tu as en
horreur le chien qui agit de la sorte, que seras-tu devant Dieu?
4. Chacun de nous retourne en arrière, mes
frères bien-aimés, retourne en arrière, quand il abandonne l’endroit de la
route où il s’était avancé, selon sa promesse au Seigneur. Tel, par exemple, a
fait voeu de garder la chasteté conjugale, car tel est le premier pas de la vie
pieuse; il a renoncé à la fornication et aux criminelles impuretés; mais pour
lui, retourner à la fornication, c’est regarder en arrière. Un autre, inspiré
par Dieu, a fait un voeu plus généreux encore, il a renoncé au mariage; il
pouvait se marier sans se perdre, mais il se perd s’il se marie contre son
voeu; il fait ce que font d’autres qui n’ont émis aucun voeu, et cependant il
se damne, tandis que les autres ne se damnent point. Pourquoi, sinon parce
qu’il a regardé en arrière? Il était en avant de beaucoup, et les autres
étaient loin de l’atteindre. Ainsi une vierge, qui eût pu se marier sans péché
4, devient
1. Luc, XVII, 32. — 2. Gen. XIX, 26. — 3. II
Pierre, II, 22. — 4. I Cor. VII, 28.
adultère du Christ, si elle se marie après
lui avoir été consacrée. Car du lieu où cite était parvenue, elle a regardé en
arrière. Il en est ainsi de tous ceux qui ont voulu renoncer àtoute espérance
du siècle, à foute action terrestre, pour entrer dans la compagnie des saints,
y vivre en commun, de manière à n’avoir plus rien en propre, où tous les biens
sont communs à tous, où tous n’ont plus en Dieu qu’un seul coeur et qu’une
seule âme 1; quiconque renonce à cette vie, n’est pins au niveau de celui qui
ne l’avait pas embrassée. Celui-ci n’y était pas entré, celui-là regarde en
arrière. Donc, mes frères, autant qu’il vous est possible, faites des voeux au
Seigneur, et accomplissez-les, chacun selon votre pouvoir 2; que nul ne regarde
en arrière, ne trouve sa joie dans sa vie passée, ne se détourne de ce qui est
en avant, pour retourner à ce qu’il a quitté. Qu’il hâte sa course jusqu’à ce
qu’il soit arrivé; ce ne sont point nos pieds qui se hâtent, mais l’ardeur de
nos désirs. Que nul, tant qu’il est en cette vie, ne dise qu’il est arrivé. Qui
peut se flatter d’être aussi parfait que saint Paul? Et pourtant il a dit « Mes
frères, je ne pense pas encore être arrivé au but; tout ce que je sais, c’est
que, oubliant tout ce qui est derrière moi, je m’avance vers ce qui est avant
moi, pour atteindre le but et la palme à laquelle Dieu m’a appelé d’en haut, en
Jésus-Christ 3 ». Voilà Paul qui court encore, et toi, tu te croirais arrivé?
5. Si donc au sein même de ta félicité, tu
ressens les afflictions de cette vie, tu comprends que tu es sous les
pressoirs. Pensez-vous en effet, mes frères, n’avoir à craindre que le malheur
en ce monde, et non point la félicité? Au contraire, le malheur ne peut abattre
celui que la félicité n’a pu corrompre. Comment donc éviter et craindre
suffisamment cette prospérité corruptrice, pour te dérober aux séductions de
ses attraits? C’est en ne t’appuyant pas sur ce bâton qui n’est qu’un roseau;
car l’Ecriture nous dit que plusieurs prennent un roseau pour appui. N’y mets
point ta confiance 4, cet appui est fragile, il se brise et te donne la mort.
Si donc le monde a pour toi des félicités souriantes, songe que tu es -sous le
pressoir, et dis: « J’ai rencontré la tribulation et la douleur,
1.
Act. II, 44; IV, 32.— 3. Ps. LXXV, 12.— 4. Philipp. III, 13, 14.— 5. IV Rois, XVIII,
21.
et j’ai invoqué le nom du Seigneur 1». Le
Prophète ne dit point: « J’ai rencontré la tribulation », sans avoir éprouvé
quelque malheur secret. Car il est en cette vie une certaine tribulation qui
atteint ceux qui se croient heureux, alors qu’ils sont loin de Dieu. « Tant que
nous sommes en ce corps, nous habitons hors du Seigneur 2 », dit saint Paul. Tu
serais malheureux d’être séparé de ton père, et il n’est qu’un homme; et loin
de Dieu tu peux être heureux? Il en est donc qui se croient heureux ici-bas.
Mais ceux qui comprennent que, même au sein des voluptés et des richesses,
quelque grandes qu’elles soient, bien que tout réponde à nos désirs, bien qu’on
ne rencontre rien de fâcheux, qu’on n’ait rien d’affligeant à redouter, on n’en
est pas moins dans la misère, dès qu’on est loin de Dieu, ont l’oeil assez
clairvoyant pour découvrir la douleur et la tribulation, et pour en appeler au
nom du Seigneur. Tel est celui qui chante dans notre psaume. Quel est-il? C’est
le corps du Christ. Quel est cet homme? Vous, si vous le voulez; nous tous, si
nous le voulons; nous, les fils de Coré, qui ne formons qu’un seul homme,
puisqu’il n’y a qu’un seul corps du Christ. Comment ne serait-il point un seul
homme, celui qui n’a qu’une seule tête? Or, Jésus-Christ est notre chef à tous,
et nous formons tons le corps de ce chef divin; et tous en cette vie nous
sommes sous les pressoirs. Oui, nous y sommes, à juger sainement des choses.
Donc sous le pressoir de la tentation, élevons nos voix avec le Prophète,
portons nos désirs jusqu’au ciel. « Que vos tabernacles sont aimables, Seigneur
Dieu des armées 3. » Le Psalmiste était alors dans un certain tabernacle, ou
sous le pressoir, mais il soupirait après ces autres tabernacles, d’où toute
pression est bannie. Des tabernacles de la terre, il soupirait après ceux du
ciel, et voulait en quelque sorte y arriver par le canal de ses désirs.
6. Que dit ensuite le Prophète? « Mon âme
aspire au parvis du Seigneur, elle a défailli de désir 4 ». C’est peu des
langueurs de son âme, peu de ses défaillances; où vient-elle à défaillir? «
Dans les parvis du Seigneur ». Le raisin disparaît quand on le presse; mais, où
a-t-il disparu? C’est un vin qui a coulé dans la cuve, dans le repos du
cellier, pour
1.
Ps. CXIV, 3, 4. — 2. II Cor. V, 6. — 3. Ps. LXXXIII, 2.— 4. Id, 3.
être gardé dans une paix profonde. Ici le
désir, au ciel la jouissance; ici les aspirations, au ciel la joie; ici la
prière, au ciel la louange; ici les gémissements, au ciel l’allégresse. Que nul
ne regarde mes paroles comme trop dures, que nul ne refuse de souffrir.
Craignons que le raisin qui redoute le pressoir ne devienne la proie des bêtes
ou des oiseaux. Une grande tristesse apparaît dans ces paroles du Prophète: «
Mon âme aspire aux parvis du Seigneur, elle a défailli de désir »; car il n’a
point ce qu’il désire si vivement. Mais est-il donc sans aucune joie? Quelle
joie? cette joie dont l’Apôtre a dit: « Réjouissons-nous dans l’espérance ».
Ici-bas c’est l’espérance, dans le ciel ce sera la joie de la réalité. Mais
comme ceux qui ont la joie de l’espérance sont assurés de la réalité, ils
endurent dans le pressoir tous les tourments. Aussi l’Apôtre, après avoir dit:
« Réjouissez-vous dans l’espérance », a-t-il ajouté aussitôt: « Soyez patients
dans la tribulation »; et après la patience dans la tribulation, que dit-il
encore? « Persévérez dans la prière ». Pourquoi « persévérer?» Parce que vous
souffrez du retard. Vous priez, et Dieu tarde à vous exaucer, souffrez ces
retards. Trouvons bon que Dieu diffère, car une fois que nous aurons notre
récompense, nul ne nous l’ôtera.
7. Tu l’as entendu gémir sur le pressoir: «
Mon âme aspire au parvis du Seigneur, elle a défailli »: vois, maintenant,
cette joie de l’espérance qui le soutient: « Mon coeur et ma chair ont
tressailli vers le Dieu vivant». Ici-bas ils ont tressailli pour le ciel. D’où
vient cette allégresse, sinon de l’espérance? Pour qui tressaillir? « Pour le
Dieu vivant ». Qu’est-ce qui tressaille en vous, ô Prophète? « Mon coeur et ma
chair ». Pourquoi ce tressaillement? c’est que « le passereau a trouvé « une
demeure pour lui, comme la tourterelle « un nid, où elle placera ses petits 2
». Qu’est-ce à dire? Deux objets tressaillent, selon lui, et dans la
comparaison il montre encore deux oiseaux; c’est son coeur qui tressaille ainsi
que sa chair, double objet qu’il nous ramène dans le passereau et dans la
tourterelle; le passereau serait l’image de son coeur, et la tourterelle de sa
chair. Le passereau a trouvé une demeure pour lui, mon coeur a trouvé un abri.
Il exerce ici-bas ses ailes, dans les vertus
1. Rom. XII, 12. — 2. Ps. LXXXIII, 4.
de cette vie, dans la foi, dans l’espérance
et dans la charité, pour s’élever ensuite dans sa maison; et quand il y sera
arrivé, il y demeurera, et alors il n’aura plus cette voix plaintive qu’il a
sur la terre. Car il se plaint, ce passereau dont le Prophète a dit ailleurs:
«Comme le passereau solitaire sur un toit 1 ». Du toit il vole vers son asile;
qu’il soit sur le toit, qu’il foule aux pieds cette maison charnelle, il aura
dans le ciel une maison pour l’éternité; et alors finiront ses plaintes. La
tourterelle, selon le Prophète, a des petits, c’est-à-dire une chair. « La
tourterelle a trouvé un nid pour y mettre ses petits». Au passereau une
demeure, à la tourterelle un nid, et un nid où elle déposera ses petits. Dans
une maison on demeure toujours; dans un nid, pendant un temps. Notre coeur
s’élève à Dieu par la pensée, comme le passereau qui vole vers sa demeure de
notre chair viennent les bonnes oeuvres. Voyez, en effet, pour quelle part
entre la chair dans les bonnes oeuvres des saints. C’est par elle que nous accomplissons
les oeuvres qui nous sont prescrites, et soulagent en cette vie: « Partage ton
pain avec celui qui a faim, reçois sous ton toit le pauvre sans asile, et si tu
vois un homme nu, couvre-le 2 »: ainsi des autres préceptes que nous
n’accomplissons qu’au moyen du corps. Ce passereau, dès lors, qui songe à sa
demeure, se tient uni à la tourterelle qui se cherche un nid où elle placera
ses petits; car elle ne les place pas d’une manière indifférente, mais elle
cherche un nid pour les placer. Mes frères, vous comprenez mes paroles: combien
en est-il hors de l’Eglise qui paraissent faire de bonnes oeuvres: combien
parmi les païens nourrissent l’affamé, revêtent celui qui est nu, reçoivent
l’étranger, visitent le malade, consolent le prisonnier? Combien font toutes
ces oeuvres? C’est la tourterelle qui devient mère, mais qui ne trouve point de
nid pour ses petits. Combien d’hérétiques qui font de bonnes oeuvres en dehors
de l’Eglise, n’ont point de nid pour leur couvée? Ils seront écrasés, foulés
aux pieds; on n’en prendra aucun soin, ils périront. C’est de cette chair qui
produit, que saint Paul a dit en figure: «Adam ne fut point séduit, mais la
femme fut séduite 3 ». Adam accéda aux désirs de la femme qu’avait séduite le
serpent 4. Et maintenant une pensée déréglée ne saurait tout
1. Ps. CI, 8.— 2.
Isa. LVIII, 7.— 3. I Tim. II, 14.— 4. Gen. III, 6.
d’abord que stimuler vos désirs; que votre
âme y consente, et le passereau tombe: mais si vous surmontez les désirs de la
chair, vos membres sont astreints aux bonnes oeuvres, et la concupiscence est
désarmée; et la tourterelle voit éclore ses petits. Aussi que dit l’Apôtre au
même endroit? « Elle sera sauvée par les enfants qu’elle mettra au monde 1».
Une veuve sans enfants ne serait-elle point plus heureuse de persévérer dans
cet état 2? ne serait-elle pas sauvée parce qu’elle n’aurait point eu
d’enfants? Une vierge, consacrée à Dieu, n’est-elle point plus parfaite? ne
sera-t-elle point sauvée parce qu’elle n’aura point eu d’enfants? n’est-elle
point le partage du Seigneur? Ainsi donc une femme, qui est ici la figure de la
chair, sera sauvée par les enfants qu’elle mettra au monde, c’est-à-dire par
ses bonnes oeuvres. Mais que la tourterelle ne choisisse pas indifféremment le
nid où elle déposera ses petits; qu’elle n’enfante ses bonnes oeuvres que dans
la véritable foi, que dans la foi catholique, dans la société, dans l’unité de
l’Eglise. Aussi l’Apôtre, après avoir dit: « Elle sera sauvée par les fils
qu’elle mettra au monde », a-t-il ajouté: « Si elle demeure dans la foi, dans
la charité, dans la sainteté, et dans une vie de tempérance 3». Si donc tu
demeures dans la foi, cette foi sera le nid où reposeront tes petits. Dieu
même, pour s’accommoder à la faiblesse des petits de votre tourterelle, a
daigné vous préparer un endroit pour votre nid: il s’est. revêtu de votre
chair, qui est une herbe, afin de venir à vous. C’est dans cette croyance qu’il
faut mettre vos petits, dans ce nid qu’il faut faire vos bonnes oeuvres. Quels
sont ces, nids, ou plutôt quel est ce nid? Le Prophète répond: « Vos autels, ô
Dieu des vertus ». Et après avoir dit: « La tourterelle a trouvé un nid où elle
déposera ses petits »; comme si tu demandais: Quel nid? « Vos autels », dit le
Prophète, «vos autels, ô Dieu des vertus, ô mon Dieu, ô mon Roi ». Qu’est-ce à
dire, « ô mon Roi, ô mon Dieu? » Vous qui me gouvernez, qui m’avez créé.
8. Mais c’est ici-bas qu’est le nid, ici-bas
le pèlerinage, ici-bas les soupirs, ici-bas l’accablement, ici-bas
l’affliction, parce que ici-bas c’est le pressoir. Que veut donc la
tourterelle? Où tendent ses affections? Où veut-elle porter nos désirs? élever
nos voeux? Voilà ce
1. I
Tim. II, 15. — 2. I Cor. VII, 40. — 3. I Tim. II, 15.
que médite ici-bas le Prophète, au milieu des
tentations, au milieu des maux qui l’accablent; et se trouvant comme sous le
pressoir, il soupire après les promesses éternelles, il médite les joies du
ciel, et s’entretient de ce qu’il y fera un jour. « Bienheureux », dit-il, «
ceux qui habitent dans votre maison 1». D’où leur viendra ce bonheur? que
feront-ils? que posséderont-ils? Tous ceux que l’on appelle heureux sur la
terre font quelque chose, possèdent quelque chose. Bienheureux cet homme qui a
tant de domaines, tant de serviteurs, tant d’or et tant d’argent; on l’appelle
heureux à cause de ses possessions. Cet autre est heureux aussi, il a obtenu
tels honneurs, il est proconsul, préfet; on le dit heureux à cause de ses
emplois. C’est donc l’emploi, c’est la richesse qui nous fait paraître heureux.
Mais dans le ciel, d’où viendra notre bonheur? Que posséderons-nous? Que
ferons-nous? Ce que nous posséderons, je l’ai dit, tout à l’heure: «
Bienheureux ceux qui habitent votre maison». Tu n’es point riche, si tu n’as
que ta maison, niais c’est être riche que posséder la maison de Dieu. Dans ta
maison, lite faut craindre les voleurs, le mur de la maison de Dieu, est Dieu
lui-même. « Bienheureux ceux qui habitent dans votre maison ». Ils possèdent la
Jérusalem céleste sans angoisse, sans chagrin, sans division et sans partage
tous la possèdent et chacun la possède en totalité. Immenses richesses que
celles du ciel ! Le frère n’y resserre point son frère, nul n’y souffre
l’indigence. Que ferons-nous donc dans ce palais? Car c’est la nécessité qui
est la mère de toutes nos actions. Je vous l’ai déjà dit en un mot, mes frères:
examinez toutes nos actions et voyez si ce n’est la nécessité qui en est le
principe. Voyez ces arts si nobles qui sont pour nous d’un grand secours,
l’éloquence du barreau, la science de la médecine, ils s’exercent ici-bas par
des actes excellents; mais qu’il n’y ait plus de procès, et de quoi serviront
les avocats? qu’il n’y ait ni blessure, ni maladie, à quoi bon le médecin? Tous
les actes qui sont nécessaires, et qui se font dans la vie quotidienne, ont
aussi pour principe la nécessité. Labourer, semer, défricher, naviguer, quelle
est la cause de ces travaux, sinon la nécessité? Que l’homme n’ait jdus faim,
n’ait plus soif, ne soit pas nu, à quoi bon tout
1. Ps. LXXXIII, 5.
cela? Cette vérité s’étend même aux actions
de charité que l’on nous commande; car jusqu’ici je n’ai parlé que des
occupations honnêtes, communes à tous les hommes, et non de ces oeuvres
criminelles, oeuvres détestables, comme les homicides, les adultères, les
larcins et ces crimes énormes que je ne comprends point dans les actions des
hommes: je me borne donc aux actes honnêtes, qui n’ont de principe que la
nécessité, cette nécessité qui nous vient de la faiblesse de la chair. Ces
oeuvres même de charité qui nous sont commandées, supposent la nécessité: «
Donne du pain à celui qui a faim»; à qui en donneras-tu, si nul n’a besoin?
«Reçois dans ta maison celui qui est sans asile 1 »; quel étranger recevras-tu,
si tous sont heureux dans leur patrie? Quel malade pourras-tu visiter, si
chacun jouit d’une santé inaltérable? Quelle querelle devras-tu apaiser dans
une paix profonde? Quel mort à ensevelir quand la vie est sans fin? Tu n’auras
donc plus à faire dans le ciel, ni ces oeuvres honnêtes communes à tous les
hommes, ni ces oeuvres dc charité: les petits de la tourterelle auront déjà
volé hors de leur nid. Que feras-tu donc? Tu nous a déjà fait voir ce que nous
posséderons: « Bienheureux ceux qui habitent dans « votre maison u - Dis-nous
donc, ô Prophète, nos occupations, car il n’y a dans le ciel aucune nécessité
pour nous faire agir. Maintenant même, c’est la nécessité qui me force à
parler, à instruire. Faudra-t-il encore dans le ciel cette instruction qui
instruise les ignorants, ou qui stimule les mémoires oublieuses? Lira-t-on
l’Evangile dans cette patrie où nous contemplerons le Verbe de Dieu? Après nous
avoir dit par ses soupirs et ses gémissements en notre nom, ce que nous
posséderons dans cette patrie après laquelle nous soupirons: « Bienheureux ceux
qui habitent dans a votre maison; que le Prophète nous dise aussi ce que nous
devons y faire. Ils vous béniront dans les siècles des siècles ». Telle sera
donc notre occupation, un alléluia sans fin. Gardez-vous de croire, mes frères,
qu’il y aura là quelque dégoût pour vous: mainte. nant ce chant de joie vous
fatigue, pour peu que vous le prolongiez, et la nécessité vous force de
l’interrompre. Et comme ce que l’on ne voit pas est moins touchant, si
néanmoins, sous le pressoir, et dans la fragilité de la chair,
1. Isa. LVIII, 7.
nous bénissons avec tant d’allégresse ce que
nous montre la foi, que sera-ce quand nous verrons à découvert? Quand la mort
sera absorbée dans sa victoire, quand notre corps mortel sera revêtu
d’immortalité, et ce qui est corruptible devenu incorruptible 1, nul ne dira:
J’ai été debout longtemps, non plus que: J’ai jeûné longtemps, veillé
longtemps. C’est là que règne la stabilité parfaite, et que notre corps, devenu
immortel, sera absorbé dans la contemplation de Dieu. Et si pour nous écouter,
cette chair si fragile se tient debout si longtemps, quels effets ne produira
point sur nous la joie du ciel? Quel changement n’opérera-t-elle pas? Nous
serons semblables à Dieu, parce que nous le verrons tel qu’il est 2. Une fois
semblables à Dieu, pourrions-nous éprouver la défaillance, ou nous détourner de
lui? Soyons sans crainte, mes frères, nous n’éprouverons aucune lassitude à
louer Dieu, à aimer Dieu. Nous cesserions de le louer, si nous cessions de
l’aimer; mais si l’amour doit être éternel en nous, puisqu’on ne pourra se
rassasier de contempler cette beauté, ne crains point alors de ne pouvoir
toujours bénir celui que tu pourras toujours aimer. « Bienheureux donc ceux qui
habitent votre maison, ils vous béniront dans les siècles des siècles ».
Puissions-nous soupirer après cette vie!
9. Mais comment y arriver? « Bienheureux
l’homme dont vous prenez la tutelle, ô mon Dieu 3 !» Le Prophète a compris
qu’en cette vie la fragilité de notre chair nous empêche de voler au séjour du
bonheur; il a considéré ce qui nous pèse; car « le corps qui est corruptible
appesantit l’âme», est-il dit ailleurs, « et cette demeure terrestre ralentit
l’esprit malgré la vivacité de ses pensées 4». L’esprit tend à s’élever, et la
chair, à cause de son poids, à s’abaisser: ces deux mouvements établissent une lutte;
et ce combat est une peine du pressoir. Ecoute l’Apôtre nous peindre cette
pression qui vient de la lutte; car, lui aussi, en sentait le poids, en sentait
l’oppression: « Selon l’homme intérieur, je trouve des charmes dans la loi de
Dieu; mais je sens dans mes membres une autre loi, qui combat contre la loi de
mon esprit, et qui me tient captif sous la loi du péché, qui est dans mes
membres ». Combat douloureux, mes frères, et quelle espérance d’en
1. I Cor. XV, 53, 54.— 2. I Jean, III, 2.— 3.
Ps. LXXXIII, 6.— 4. Sag. IX, 15.
sortir, sans le secours dont il nous parle
ensuite: « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette
mort? La grâce de Dieu, par Notre Seigneur Jésus-Christ 1 ». Voici donc les
joies qu’a vues notre interlocuteur, qu’il a méditées dans son esprit: «
Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous béniront dans les siècles
des siècles ». Mais qui pourra s’y élever? que deviendra ce poids de la chair?
« Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous béniront dans les
siècles des siècles. En moi l’homme intérieur trouve des charmes dans la loi de
Dieu ». Mais que faire? Comment prendre mon vol? Comment parvenir à ces
hauteurs? « Je sens dans mes membres une loi qui est contraire à celle de
l’esprit ». Il déplore son malheur, et il s’écrie: « Qui me délivrera du corps
de cette mort », afin que j’habite la maison du Seigneur, pour le bénir dans
les siècles des siècles? « Qui me délivrera? La grâce de Dieu par Jésus-Christ
Notre Seigneur ». Ainsi d’une part, l’Apôtre ne trouve de remède à cet
embarras, à cette lutte en quelque sorte inextricable que dans « la grâce de
Dieu par Jésus-Christ Notre Seigneur»; d’autre part, le Prophète, soupirant
après la maison de Dieu dans l’ardeur de ses désirs, mais considérant et le
poids de sa chair, et l’embarras du corps, semble se laisser abattre, puis
reprenant l’espérance, il s’écrie: « Bienheureux l’homme dont vous prenez la
tutelle, ô mon Dieu ».
10. Mais quelle est l’action de Dieu dans
celui qu’il entreprend de sauver par cette grâce? Le Prophète nous l’explique
en disant: « L’ascension est dans son coeur», Dieu lui fait des degrés pour
monter, Où lui fait-il ces degrés? Dans le coeur. Donc, plus vif sera votre
amour, plus haute sera votre ascension. « C’est dans le cœur », dit-il, « que
l’ascension est disposée ». Par qui? Par celui qui le prend sous sa tutelle. «
Bienheureux, Seigneur, celui dont vous êtes le protecteur ». Il ne peut rien de
lui-même, il a besoin du secours de votre grâce. Et que lui fait cette grâce?
Elle dispose des degrés dans son coeur. Où prépare-t-elle ces degrés? « Dans
son coeur, dans la vallée des larmes ». Notre pressoir est donc la vallée des
larmes; et les pieuses larmes de l’affliction sont le vin nouveau de ceux qui
aiment Dieu. « Il a disposé
1. Rom, VII, 22-25.
des degrés dans son coeur 1 ». Où les a-t-il
disposés? « Dans la vallée des larmes ». Oui, c’est dans cette vallée des
larmes que sont les degrés de l’ascension. Car pleurer, c’est semer. « Ils allaient
», dit le Prophète, « et pleuraient en répandant leur semence sur la terre 2 ».
Que Dieu, par sa grâce, dispose des degrés dans ton coeur. Elève-toi par
l’amour; de là ce cantique des degrés. Où Dieu a-t-il disposé pour toi ces
degrés? « Dans ton coeur, dans la vallée des larmes ». Ainsi donc, selon le
Prophète, où Dieu a-t-il disposé? pour quel endroit? Qu’a-t-il disposé? « Des
degrés ». Où? Intérieurement « dans le coeur ». Dans quelle contrée, dans
quelle demeure? « Dans la vallée des larmes ». Pour s’élever où? « Au lieu que
Dieu a marqué. » Qu’est-ce à dire, mes frères, « le lieu que Dieu a marqué? »
Quel nom aurait donné le Prophète, s’il eût pu donner un nom? « Des degrés»,
vous est-il dit, « sont disposés dans votre coeur, dans la vallée des larmes ».
Pour m’élever où? me direz-vous. Que va répondre le Prophète? « Que l’oeil ne
l’a point vu, que l’oreille ne l’a point entendu, que le désir en s’en est pas
élevé au coeur de l’homme 3 ». C’est une colline, une montagne, une terre, un
pré; car ce lieu a reçu tous ces noms. Mais ce qu’il est en lui-même, et non en
comparaison, qui nous le dira? car nous ne voyons maintenant qu’en énigme, et
comme par un miroir, ce qu’est ce lieu, mais alors nous le verrons face à face
4. Cessez donc de me demander où est ce « lieu qu’il a désigné ». Il sait où il
veut te conduire, celui qui a disposé des degrés dans ton coeur. Pourquoi ne
monter qu’avec la crainte d’être égaré par ton guide? Le voilà qui a, disposé,
dans la vallée des pleurs, des degrés pour arriver « au lieu qu’il nous destine
». Nous pleurons aujourd’hui. En quel endroit? En cet endroit où sont les
degrés de notre ascension. Quel est le sujet de nos pleurs, sinon celui qui
faisait gémir l’Apôtre, parce qu’il sentait dans ses membres une loi contraire
à la loi de l’esprit 5? D’où cette contradiction? C’est le châtiment du péché.
Avant d’avoir reçu la loi, nous nous imaginions qu’il nous serait facile d’être
justes par nos propres forces; mais quand la loi est survenue, le pêche a
repris sa vigueur, et moi je suis mort
1.
Ps. LXXXIII, 7.— 2. Id. CXXV, 6.— 3. I Cor. II, 9.— 4. Id. XIII, 12. —
5. Rom. VII, 23.
Ainsi dit l’Apôtre. La loi a été donnée aux
hommes, non plus pour les sauver, mais seulement pour leur faire comprendre
combien grave était leur maladie. Ecoute une seconde fois l’Apôtre: « Si Dieu
nous eût donné une loi qui pût nous donner la vie, la justice nous viendrait de
cette loi; mais 1’Ecriture a tout renfermé sous le péché, afin que pour ceux
qui croiront, la promesse fût accomplie par la foi en Jésus-Christ 1 »; et
qu’après la loi vînt la grâce qui trouvât l’homme non seulement abattu, mais
avouant sa misère en s’écriant: « Malheureux homme que je suis, qui me
délivrera du corps de cette mort? » et que le médecin descendît à propos dans cette
vallée des pleurs, et pût dire à son malade Tu connais enfin ta chute,
écoute-moi, afin de te relever, ô toi qui n’es tombé qu’à cause de ton mépris
pour moi. La loi donc a été donnée afin de convaincre de maladie ce malade qui
se croyait en santé; afin de mettre le péché en évidence, et non afin de
l’effacer. Mais le péché étant mis en évidence par la loi écrite, a été ainsi
augmenté; parce qu’il était péché, et parce qu’il était contre la loi. « Or, à
l’occasion du commandement, le péché a produit en moi toutes sortes de
convoitises 2 ». Qu’est-ce à dire que le péché a saisi « l’occasion du
commandement? » Que les hommes ont essayé d’accomplir ce commandement par leurs
propres forces; qu’ils ont été vaincus par leurs convoitises, et qu’ils sont
devenus coupables de la violation de cette loi. Mais que dit encore l’Apôtre: «
Où le péché a’abondé, a surabondé la grâce 3 », c’est-à-dire que la maladie
s’est accrue et a fait ressortir l’efficacité du remède. Aussi, mes frères, ces
cinq galeries de Salomon, au milieu desquelles se trouvait une piscine,
pouvaient-elles guérir les malades? Et pourtant nous lisons dans l’Evangile que
« deux malades gisaient sous ces cinq portiques 4». Or, ces galeries figuraient
la loi de Moïse en cinq livres. Les malades ne sortaient de leurs maisons que
pour être étendus sous ces galeries. Donc la loi montrait la maladie, mais sans
la guérir; la bénédiction de Dieu troublait l’eau comme un ange descendant du
ciel. A la vue de l’eau qui se troublait, le premier qui y descendait était
seul guéri. Or, cette eau, environnée de cinq galeries, était le peuple Juif
enfermé dans la loi. Dieu le
1. Galat. III, 21.— 2. Rom. VII, 7, 8.— 3.
Id. V, 20.— 4. Jean, V, 3.
troubla par sa présence afin d’être mis à
mort. Le Seigneur eût-il été crucifié, s’il n’eût de sa présence troublé le
peuple Juif? Cette eau troublée était donc la figure de la passion du Seigneur
qu’amena le trouble de la nation juive. C’est en cette passion que le malade n
mis sa foi, et il trouve sa guérison en se plongeant dans les eaux troublées.
La loi ou les galeries ne le guérissaient point, il est guéri par la grâce, par
la foi en la passion de Jésus-Christ Notre Seigneur. Un seul étau guéri, parce
qu’il n’y a qu’une Eglise. Que dit donc le Prophète? « Il a préparé des degrés
dans son coeur, dans la vallée, des larmes, au lieu qu’il a destiné ». C’est là
que nous goûterons notre joie.
11. Pourquoi, « dans la vallée des larmes? »
Et de quelle vallée des larmes irons-nous à ce séjour de la joie? « Car celui
qui a donné la loi, donnera aussi la bénédiction 1 », dit le Prophète. Dieu
nous a donné la loi, nous a humiliés par la loi, il nous a montré le pressoir;
nous avons passé par l’affliction, subi la tribulation de notre chair, gémi
sous l’aiguillon du péché qui se révoltait contre l’esprit, et nous avons crié:
«Malheureux homme que je suis 2 ! » Nous avons donc gémi sous la loi: que
reste-t-il, sinon que nous recevions aussi la grâce de Celui qui nous a donné
la loi? La grâce viendra donc après la loi, telle est la bénédiction. Et quel
bien nous a procuré cette grâce, cette bénédiction? « Ils iront de vertus en
vertus ». Car Dieu par la grâce fait éclore les vertus. « L’un reçoit du
Saint-Esprit le don de parler avec sagesse; l’autre reçoit du même Esprit le
don de parler avec science; un autre le don de la foi; un autre le don de
guérir; un autre le don de parler diverses langues; un autre le don de les
interpréter; un autre le don de prophétie 3». Combien de vertus, mais
nécessaires ici-bas, et vertus qui nous conduisent à la vertu! A quelle vertu?
Au Christ, qui est la vertu de Dieu, la sagesse de Dieu 4. Dieu nous donne
ici-bas plusieurs vertus, mais un jour, au lieu de ces vertus qui sont
nécessaires dans la vallée des larmes, il nous donnera une seule vertu qui est
lui-même. On met en effet au nombre de quatre les vertus nécessaires en cette
vie, et nous les retrouvons dans l’Ecriture: la prudence, qui nous fait
discerner
1.
Ps. LXXXIII, 8.— 2. Rom, VII, 4.— 3. I Cor. XII, 8-10.— 4. Id. I, 24.
le bien du mal; la justice qui rend à chacun
ce qui lui appartient, ne doit rien à personne et a pour tous la charité 1; la
tempérance qui nous fait réprimer nos convoitises; le courage à supporter les
afflictions. Telles sont les vertus que nous donne la grâce de Dieu dans cette
vallée des pleurs, et qui nous font arriver à une autre vertu. Or, quelle sera
cette autre vertu, sinon la contemplation de Dieu? Alors il n’y aura plus
besoin de prudence, où il n’y aura plus aucun mal à éviter. Mais quelle pensée
nous vient, mes frères? Il n’y aura plus besoin de cette justice, parce qu’il
n’y aura plus aucune indigence qu’il nous faille secourir; il n’y aura plus de
cette tempérance, puisqu’il n’y aura aucune passion à refréner; il n’y aura
plus de cette patience, parce qu’il n’y aura point d’affliction à supporter. De
ces vertus qui règlent toute action de la vie, nous nous élèverons à cette
vertu de contemplation qui nous mettra en face de Dieu, ainsi qu’il est écrit:
« Je me tiendrai devant vous au matin, et je vous contemplerai 2 ». Et pour te
montrer que les vertus de cette vie active nous conduiront à la contemplation,
le Prophète ajoute: « Ils iront de vertus en vertu ». A quelle vertu? A la
vertu de contemplation. Qu’est-ce que contempler? « Le Dieu des g dieux se
montrera en Sion». Le Christ des chrétiens. Comment « le Dieu des dieux »
est-il le Christ des chrétiens? « J’ai dit: vous êtes des dieux, vous êtes tous
les fils du Très-Haut 3 ». Il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de
Dieu 4, ce Dieu en qui nous croyons, cet Epoux incomparable qui a voulu
apparaître sans beauté, à cause de nos laideurs. « Car nous l’avons vu », dit
le Prophète, « et il n’avait ni grâce ni beauté 5». Or, quand la nature
mortelle n’y mettra plus obstacle, il apparaîtra aux coeurs purs, tel qu’il est
en Dieu, Verbe en son Père, et Verbe par qui tout a été fait. Bienheureux ceux
dont le coeur est pur, parce qu’ils verront Dieu. « Le Dieu des dieux se
montrera en Sion ».
12. De la pensée de ces joies, le Prophète
revient à ses soupirs. Il considère ce qu’il entrevoit dans son espérance, et
où il est en réalité. « le Dieu des dieux apparaîtra en Sion ». Le bénir dans
les siècles des siècles,
1.
Rom. XIII, 8.— 2. Ps. V, 5.— 3. Id. LXXXI, 6.— 4. Jean, I, 12. — 5. Isa. LIII, 2. — 6.
Matth. V, 8.
voilà ce qui comblera notre joie. Mais
ici-bas nous sommes encore dans le temps des gémissements et des soupirs, et
s’il y a quelque joie, ce n’est qu’en espérance, car nous sommes en exil et
dans la vallée des larmes. Le Prophète revient donc en ce lieu des gémissements,
et s’écrie: « Seigneur, Dieu des vertus, écoutez ma prière; prêtez l’oreille, ô
Dieu de Jacob 1 ». C’est vous qui avez changé Jacob en Israël. Il s’appela
Israël, ou qui voit Dieu 2, quand le Seigneur lui eut apparu. Ecoutez-moi donc,
ô Dieu de Jacob, et changez-moi en Israël 3. Quand serai-je Israël? Quand le
Dieu des dieux apparaîtra en Sion.
13. « O Dieu, notre protecteur, jetez les
yeux sur nous ». Ils doivent espérer à l’ombre de vos ailes 4, « car vous êtes
notre protecteur, et regardez la face de votre Christ». Quand est-ce que Dieu
ne regarde point la face de son Christ? Qu’est-ce à dire: «Voyez la face de
votre Christ? » C’est par la face que l’on nous reconnaît, et dès lors: «
Regardez la face de votre Christ », faites-nous connaître la face de votre
Christ. « Regardez la face de votre Christ »; que nous connaissions tous votre
Christ, afin que nous puissions aller de vertus en vertu, et que la grâce
vienne à surabonder, parce que le péché a abondé 5.
14. « Un jour passé dans vos parvis vaut e
mieux que mille autres jours 6 ». C’est vers ces parvis qu’il soupirait, pour
eux que son coeur était en défaillance. Mon âme soupire après vos demeures, ô
mon Dieu, elle en a défailli. Mieux vaut un jour dans vos demeures que mille
autres jours. Les hommes veulent des jours par milliers, ils veulent vivre
longtemps ici-bas; qu’ils méprisent des jours nombreux pour n’aspirer qu’au
jour unique, sans lever et sans coucher; ce jour unique, jour éternel, qui ne
remplace point le jour d’hier, et ne cédera pas au lendemain. Désirons ce jour
unique. Qu’avons-nous besoin de jours par milliers? De ces milliers de jours
passons au jour unique, comme des vertus à l’unique vertu.
15. « Mieux vaut être le dernier dans la
maison du Seigneur, plutôt que d’habiter les tabernacles des pécheurs 7 ». Le
Prophète a trouvé la vallée des larmes, il a trouvé l’humilité pour s’élever;
il sait qu’il tombera,
1.
Ps. LXXXIII, 9.— 2. Gen. XXXII, 28.— 3. Ps. LXXXIII, 10.— 4. Id. XXXV, 8.— 5.
Rom. V, 20.— 6. Ps. LXXXIII, 11. — 7. Id.
s’il prétend s’élever lui-même; que s’il
s’humilie, il sera relevé; et il choisit l’abjection afin que Dieu le relève.
Combien en est-il qui veulent s’élever en dehors des tentes et des pressoirs du
Seigneur, c’est-à-dire de l’Eglise catholique? combien qui aiment les honneurs,
et ne veulent point connaître la vérité? S’ils avaient dans le coeur ce verset
du Prophète: « J’ai préféré le dernier rang dans la maison de Dieu, plutôt que
d’habiter les tentes des méchants »: ne renonceraient-ils point à ces honneurs,
pour courir à la vallée des larmes, et y trouver dans leurs coeurs ces degrés
qui les feraient monter de vertus en vertu, et mettre leur espérance dans le
Christ, plutôt que dans tel ou tel homme? Parole sainte, parole pleine de joie,
parole qui doit être toujours la nôtre que celle-ci: « J’ai préféré le dernier
rang dans la maison de Dieu, plutôt que d’habiter les tabernacles des pécheurs
». C’est lui qui a choisi le dernier rang dans la maison du Seigneur: mais
celui qui l’a invité au festin, lui voyant choisir la dernière place,
l’appellera à la première, et lui dira: « Montez plus haut 1». Pour lui il ne
se porte par son propre choix que dans la maison du Seigneur, quelque place
qu’il occupe, pourvu qu’il ne soit point en dehors.
16. Pourquoi préférer le dernier rang dans la
maison du Seigneur plutôt que d’habiter dans les tabernacles des pécheurs? «
Parce que Dieu aime la miséricorde et la vérité 2». Le Seigneur aime la
miséricorde, dont il m’a prévenu tout d’abord: il aime la vérité de manière à
accomplir sa promesse envers celui qui croit. Ecoute cette miséricorde et cette
vérité dans l’apôtre saint Paul, d’abord Saul et persécuteur. Il avait besoin
de miséricorde, et il proclame que Dieu en a usé envers lui: « Qui fut d’abord
un blasphémateur, un persécuteur, un ennemi, mais qui obtint miséricorde, afin
que Jésus-Christ fît éclater en lui sa patience envers ceux qui croiront en lui
pour la vie éternelle 3 »; afin que nul ne pût douter que tous ses péchés lui
seraient remis, quand Paul obtenait la rémission de si grandes fautes. Telle
est la miséricorde; mais Dieu ne voulut point manifester sa vérité dans le
châtiment du pécheur. Punir le pécheur, ne serait-ce point exercer la vérité?
Oserait-il bien dire: Je ne mérite
1. Luc, XIV, 10. — 2. Ps. LXXXIII, 12. — 3. I
Tim. I, 13, 16.
aucun châtiment, lui qui ne saurait dire: Je
n’ai point péché? Et s’il disait: Je n’ai point péché; à qui le dirait-il? Qui
pourrait-il tromper? Le Seigneur a donc tout d’abord usé de miséricorde envers
lui, et à la miséricorde a succédé la vérité. Ecoute maintenant comme il
réclame cette vérité: « Tout d’abord », dit-il, « j’ai obtenu miséricorde, moi
qui fus d’abord un blasphémateur, un persécuteur, un ennemi; mais c’est par la
grâce de Dieu que je suis ce que je suis 1». Puis, quand il touchait à son
martyre: « J’ai combattu un bon combat, j’ai terminé ma course, j’ai gardé la
foi; il me reste à attendre la couronne de justice ». Celui qui m’a fait
miséricorde me réserve la vérité. Comment réserve-t-il cette vérité? « C’est que
le Seigneur, qui juge avec justice, me rendra cette couronne en ce jour 2». Il
m’a accordé le pardon, il me donnera la justice; il m’a accordé le pardon, il
me doit la couronne. Comment la doit-il? Qu’a-t-il reçu? De qui Dieu est-il
débiteur? Nous le voyons, Paul regarde Dieu comme un débiteur; il a obtenu le
pardon, il exige la vérité: « Le Seigneur », dit-il, « me rendra en ce jour».
Que peut-il te rendre, sinon ce qu’il te doit? D’où vient celte dette? Que lui
as-tu donné? De qui a-t-il reçu quelque chose, qu’il doive rendre ensuite 3?
Dieu s’est fait lui-même débiteur, non qu’il ait reçu, mais parce qu’il a
promis. On ne lui dit point: Rendez ce que vous avez reçu; mais: Donnez ce que
vous avez promis. Il m’a, dit-il, accordé miséricorde, afin de me rendre
innocent, car tout d’abord j’ai été blasphémateur, ennemi acharné; mais je suis
devenu innocent par sa grâce. Or, celui qui m’a fait miséricorde, pourrait-il
nie refuser ce qu’il me doit? Dieu aime la miséricorde et la vérité. Il «
donnera la grâce et la gloire ». Quelle grâce, sinon la grâce dont l’Apôtre
vient de dire: «C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis? » Quelle
gloire, sinon cette gloire dont il a dit: « Il me reste à recevoir la couronne
de justice? »
17. «Aussi», continue le Prophète, « Dieu ne
privera pas de ses biens ceux qui marchent dans l’innocence 4 ». Pourquoi
voulez-vous
1. Cor. XV, 10.— 2. II Tim, IV, 7, 8.— 3.
Rom. XI, 35.— 4. Ps. LXXXIII, 13.
porter atteinte à l’innocence des hommes, sinon afin de vous procurer
des biens? Tel aime mieux perdre l’innocence que rendre ce qu’on lui a confié:
il convoite cet or et perd l’innocence. Que gagne-t-il, et que perd-il? li
gagne un peu d’or, et l’innocence lui fait défaut. Or, quoi de plus précieux
que cette innocence? Mais, dit-il, si je la garde, je vais demeurer pauvre.
Est-ce donc un si mince trésor que cette innocence? Avec un coffre plein d’or,
seras-tu riche, et pauvre avec un coeur plein d’innocence? En désirant donc les
biens du Seigneur, demeure dans l’innocence, maintenant que tu es dans la
pauvreté, dans la tribulation, dans la vallée des larmes, dans l’angoisse, dans
la tentation, Tu recevras plus tard les biens que tu désires, le repos,
l’éternité, l’immortalité, l’impassibilité: tels sont les biens que Dieu réserve
à ses justes. Quant à ces biens qui stimulent ici-bas tes désirs, jusqu’à
sacrifier ton innocence contre le péché, considère ceux qui les possèdent, qui
en regorgent. Tu vois ces biens chez des voleurs, chez des impies, chiez des
scélérats, chez des infâmes, chez les hommes les plus corrompus et les plus
criminels: Dieu leur donne ces grands biens, à cause de la société qu’ils ont
avec le genre humain, à cause de sa grande bonté, lui qui fait luire son soleil
sur les bons, et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les
injustes 1. Donnera-t-il de si grands biens aux méchants, sans te rien
réserver? La promesse qu’il t’a faite serait-elle mensongère? Sois sans
crainte, il en tient en réserve pour toi. Lui qui t’a pris en pitié, quand tu
étais impie, t’abandonnera-t-il, maintenant que tu es pieux? Lui qui a donné au
pécheur la mort de son Fils, que n’aura-t-il pas pour celui qu’a sauvé son Fils
expirant? Sois donc en buté sûreté; et regarde comme ton débiteur celui dont tu
as reçu la promesse. « Le Seigneur ne privera point de ses biens ceux « qui
marchent dans l’innocence ». Qu’avons-nous donc à faire sous ce pressoir, dans
l’affliction, dans les extrémités de cette vie si pleine de périls? Que nous
reste-t-il pour arriver au ciel? « Seigneur, Dieu des vertus, bienheureux
l’homme qui espère en vous».
1. Matth. V, 45.
Dieu nous guérit par sa miséricorde, il nous ouvre les yeux afin de se montrer à nous, lui qui est la
lumière.
Le psaume est pour les fils de Coré ou du Calvaire, il prédit l’avenir avec des
termes du passé, parce que le Prophète voit sa prophétie accomplie en Dieu.
Bénir la terre, en détourner l’esclavage, c’est nous délivrer du péché, comme
il délivrait jadis Israël du joug que ses ennemis appesantissaient sur lui en
punition de ses infidélités. Or, nous sommes par la foi enfants d’Israël en
d’Abraham. Dieu donc nous délivre du joug de Satan par la rémission du péché.
Sa colère ne sera donc pas éternelle, puisqu’il nous renouvellera cl nous
donnera l’immortalité. Ainsi mettons notre joie en Dieu, et alors seulement
elle sera durable, et par un effet de sa divine miséricorde nous comprendrons
que tout bien vient de Dieu, et nul ne troublera nos délices. Quand nous jouiront
de l’adoption, alors sous goûterons ces délices que nous n’avons aujourd’hui
qu’en espérance; nous verrons Dieu face à face et dans cette beauté dont rien
ne peut ici-bas nous donner une image. Nous aurons alors la paix qui est
impossible en cette vie, puisqu’il nous faut lutter contre nos passions, et
contre nos besoins. Et pois ne qui nous récrée ne peut se prolonger sans nous
nuir, et même sans nous tuer, tandis que Dieu nous donnera une paix parfaite.
Aimons-le donc alu de nous rapprocher de lui. La vérité chez les Juifs, la
miséricorde chez les Gentils se sont rencontrées dans le peuple chrétien, de
même que la justice et la pair. Si nous voulons la seconde, pratiquons la
première, et la pain viendra l’embrasser. La vérité qui naît de la terre, c’est
le Christ né d’une femme, afin de nous racheter par sa mort; ou bien encore la
confession des péchés, et alors la justice a regardé cette vérité dans le
publicain. Ainsi le Seigneur nous fera goûter les douceurs de la piété, et dans
les actes de justice une douceur bien supérieure à celle du péché. Faisons
marcher devant nous la justice ou l’aveu, et Dieu viendra en nous.
1. Nous venons de prier le Seigneur notre
Dieu, de nous montrer sa miséricorde, et de nous donner son Sauveur. Ces
paroles étaient une prophétie quand le psaume fut composé et chanté; mais
aujourd’hui déjà le Seigneur a manifesté sa miséricorde aux Gentils, et leur a
donné le salut. Il l’a manifestée sans doute, mais un grand nombré ne veulent
pas être guéris, ni voir ce qu’il leur a montré. Or, comme c’est lui qui guérit
les yeux du coeur, afin que nous puissions le voir, le Prophète, après avoir
dit: « Montrez-nous votre miséricorde », ajoute: « Et donnez-nous votre Sauveur
», comme s’il prévoyait que beaucoup d’aveugles diraient: Comment pourrons-nous
voir ce qui commence à poindre? Nous donner le salut, c’est en effet nous
guérir, afin que nous puissions voir ce qu’il nous a montré: Dieu n’agit point
comme le médecin qui guérit pour montrer cette lumière à ceux qu’il a guéris:
autre est la lumière qu’il fera voir, et autre le médecin qui guérit pour
montrer la lumière, sans être cette lumière lui-même. Il n’en est pas ainsi de
notre Dieu; il est le médecin qui nous guérit, afin de nous montrer la lumière,
et cette lumière que nous pourrons voir, c’est lui-même. Parcourons maintenant
le psaume, autant que nous le pouvons, autant que Dieu nous le permettra dans
sa grâce, et aussi brièvement que l’exige le peu de temps qui nous est donné.
2. Il a pour titre: « Pour la fin, aux
enfants de Coré, Psaume 1 ». N’entendons par cette fin que celle dont l’Apôtre
a dit: « Le Christ est la fin de la loi pour justifier ceux qui croiront 2 ».
Ainsi donner au psaume ce titre: « Pour la fin », c’était de la part du
Prophète élever nos coeurs à Jésus-Christ. Nous ne pouvons errer en fixant les
yeux sur lui, il est la vérité où nous nous hâtons d’arriver, et la voie par
laquelle nous y courons 3. Qu’est~ce à dire: « Aux fils de Coré? » Ce nom de
Coré, en hébreu, se traduit par chauve; donc « aux fils de Coré », signifie aux
fils du chauve. Quel est ce chauve? non plus pour le tourner en dérision, mais
pour pleurer à ses pieds. D’autres se sont moqués de lui, et sont devenus la
proie du démon:ainsi qu’il est dit au Livre des Rois à propos d’Elisée, que des
enfants insultèrent en criant derrière lui: « Chauve, chauve », et voilà que
deux ours sortirent des forêts, dévorèrent ces insolents 4, et plongèrent leurs
pères dans le deuil. Cet événement était une prophétie qui marquait
1. Ps. LXXXIV, 1. — 2. Rom. X, 4. — 3. Jean,
XIV, 6. — 4. IV Rois, II, 23, 24.
par avance Jésus-Christ Notre Seigneur. il
fut tourné en dérision, comme s’il eût été chauve, par ces mêmes Juifs qui le
crucifièrent au lieu du Calvaire 1. Mais nous, si nous croyons en lui, nous
sommes ses enfants. C’est donc pour nous que ce psaume est chanté, puisqu’il a
pour titre: « Aux fils de Coré »: nous sommes les fils de l’Epoux 2. Pour lui,
il est bien l’Epoux, puisqu’il donne pour arrhes à son épouse, son sang et son
Esprit-Saint, dont il nous a enrichis dans cette terre étrangère, nous
réservant des richesses invisibles. S’il nous donne un tel gage, que ne nous
réserve-t-il point?
3. Aussi le Prophète use-t-il de termes qui
semblent appartenir au passé, bien qu’il chante l’avenir; il parle de l’avenir
comme au passé, car en Dieu ce qui doit arriver est déjà fait. Là donc le
Prophète voyait notre avenir, il le voyait comme un fait accompli dans les
desseins de sa providence et dans son infaillible prédestination. C’est ainsi
que dans ce psaume où chacun reconnaît le Christ, et qu’on lit comme si l’on
récitait l’Evangile, le Prophète a dit: « Ils ont percé mes mains et mes pieds.
Ils ont compté tous mes os: ils m’ont regardé, ils m’ont considéré avec
curiosité, ils se sont partagé mes vêtements, et ont tiré ma robe au sort 3».
Qui pourrait lire ce psaume sans reconnaître l’Evangile? Et pourtant, quand le
Prophète parlait dans le psaume,
il ne disait point: Ils perceront mes mains
et mes pieds; mais bien: « ils ont percé mes mains et mes pieds »; ni: Ils
compteront mes os; mais: « Ils ont compté mes os ». Ni: Ils se partageront mes
vêtements; mais: « Ils se sont partagé mes vêtements ». Le Prophète lisait dans
l’avenir, et parlait au passé. Ainsi encore il dit ici: « Seigneur, vous avez
béni votre terre », comme si Dieu l’avait déjà fait alors.
4. « Vous avez détourné l’esclavage de Jacob
4 ». Jacob était jadis le peuple de Dieu, le peuple d’Israël, né de la race
d’Abraham, et qui devait un jour hériter des promesses de Dieu. Tel est donc
l’e peuple avec qui Dieu conclut l’Ancien Testament; mais cet ancien Testament
était la figure du Nouveau. L’un était la figure, l’autre, était la réalité.
Dieu, pour tracer une figure de l’avenir, donne à ce peuple une terre qu’il lui
avait promise, dans un pays qu’habita la nation juive, et dans lequel
1.
Matth. XXVII, 31. — 2. Id. IX, 15. — 3. Ps. XXI, 17-19. — 4. Id. LXXXIV, 2.
était cette Jérusalem que nous connaissons
tous. Ce peuple donc, mis en possession de cette terre, avait beaucoup à souffrir
de la part des peuples qui l’environnaient; et quand il péchait contre son
Dieu, il tombait dans l’esclavage; Dieu voulant, non point le détruire, mais le
redresser, comme un père qui châtie, mais sans maudire. Après la captivité
venait la délivrance; souvent esclave, souvent délivrée, cette nation est enfin
tombée dans l’esclavage, à cause du crime énorme qu’elle a commis én crucifiant
son Seigneur. Que signifie donc, à l’égard du peuple juif, cette parole du
Prophète: « Vous avez détourné l’esclavage de Jacob? » Nous faut-il entendre
ici une autre captivité dont nous voulons tous être délivrés? Car nous
appartenons tous à Jacob, si nous appartenons à la race d’Abraham. L’Apôtre a
dit en effet: «C’est Isaac qui sera nominé votre fils, c’est-à-dire que les
enfants selon la chair ne sont point pour cela enfants de Dieu, mais ce sont
les enfants de la promesse qui sont réputés enfants d’Abraham 2». Si donc les
enfants de la promesse sont réputés enfants d’Abraham, les Juifs en sont déchus
par leurs péchés contre Dieu; et nous, en méritant bien de Dieu, nous sommes
devenus fils d’Abraham, non plus selon la chair, mais selon la foi. En imitant
la foi d’Abraham, nous sommes devenus ses enfants, et eux, en dégénérant de sa
foi, ont perdu l’héritage. Et pour que vous sachiez qu’ils ont perdu la gloire
d’être nés d’Abraham, le Sauveur Jésus-Christ les entendant se vanter avec
orgueil de la noblesse de leur sang, plutôt que d’une sainte vie, alors qu’ils
lui disaient: « Nous avons Abraham pour père »; le Seigneur leur répondit comme
à des enfants dégénérés: « Si vous êtes les fils d’Abraham, faites les oeuvres
d’Abraham 2» Si donc ils n’étaient plus les fils d’Abraham, par cela même
qu’ils n’en faisaient pas les oeuvres; nous qui faisons les oeuvres d’Abraham,
nous en serons les enfants. Or, quelles sont ces oeuvres d’Abraham que nous
faisons? Abraham crut à Dieu, et sa foi lui fut imputée à justice 3. Nous
sommes donc tous fils de Jacob, si nous imitons la foi d’Abraham, qui crut à
Dieu, et qui trouva la justice dans cette foi. Or, quel est cet esclavage dont
nous voulons être délivrés? Car je ne connais personne d’entre nous, captif
chez les barbares,
1. Rom. IX, 7, 8.— 2. Jean, VIII, 39. — 3.
Gen. XV, 6; Gal, III, 6.
et nul peuple armé n’est venu nous envahir, et
nous réduire à la captivité. Et néanmoins je vais vous montrer que nous
gémissons dans un certain esclavage, dont nous souhaitons la délivrance. Que
l’apôtre saint Paul nous le dise plutôt lui-même; qu’il soit notre miroir,
qu’il nous parle, et nous, considérons ses paroles. Il n’est personne qui ne se
reconnaisse ici. Voici donc ce que dit le saint Apôtre: « En moi l’homme
intérieur trouve des charmes dans la loi de Dieu ». Cette loi me cause une joie
dans mon coeur. « Mais je vois une autre loi dans mes membres, et qui répugne à
la loi de l’esprit ». Tu vois la loi, tu comprends la lutte, mais tu n’as pas
encore entendu l’esclavage; écoute alors ce qui suit: «Cette loi répugne à la
loi de l’esprit, et me tient captif sous la loi du péché qui est dans mes
membres 1». Telle est donc la captivité, et qui de nous, mes frères, n’en
voudrait être délivré? D’où viendra la délivrance? Car c’est pour l’avenir que
le psaume a chanté: « Vous avez détourné l’esclavage de Jacob ». A qui
parle-t-il ainsi? Au Christ qui est notre fin, à Coré dont nous sommes les
enfants: c’est lui qui a détourné de Jacob la captivité. Ecoute encore saint
Paul qui le proclame. Quand il dit qu’il est traîné en captivité par la loi des
membres, qui répugne à la loi de l’esprit, il s’écrie dans cette captivité: «
Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort? » Qui me
délivrera? dit-il; et il répond: « La grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre
Seigneur 2». C’est d’elle que le Prophète a dit à ce même Jésus-Christ Notre
Seigneur: « Vous avez détourné la captivité de Jacob ». Comprenez bien la
captivité de Jacob, et comprenez que Dieu nous en délivre, non plus en nous
délivrant des barbares qui n’ont pas fait main basse sur nous, mais en nous
délivrant de nos péchés, de nos oeuvres mauvaises, qui nous assujettissaient à
l’empire de Satan. Car être délivré de ses péchés, c’est échapper à l’empire du
prince des péchés.
5. Comment donc le Seigneur détourne-t-il de
Jacob cette captivité? Voyez qu’il s’agit ici d’une délivrance spirituelle,
voyez que tout se passe à l’intérieur. « Vous avez remis », dit le Prophète, «
l’iniquité de votre peuple, vous avez couvert ses péchés 3 ». C’est donc par la
rémission des fautes que Dieu
1. Rom, VII, 22-25. — 2. Id.— 3. Ps, LXXXIV,
3.
détourne la captivité. Lé péché te retenait
captif; la liberté vient avec la rémission. Confesse donc ta captivité afin de
mériter ta délivrance. Comment invoquer un libérateur, quant on ne connaît
point son ennemi? « Vous avez couvert tous ses péchés 1». Qu’est-ce à dire, «
vous avez couvert? » De manière à ne plus les voir. Qu’est-ce à dire, ne plus
les voir? N’en point tirer vengeance. Vous n’avez point voulu voir nos
péchés,et ne voulant point les voir, vous ne les avez point vus. « Vous avez
couvert tous nos péchés; vous avez apaisé votre colère, vous avez fait cesser
la fureur de votre indignation 2».
6. Et comme le Prophète parle de l’avenir,
bien qu’il se serve du passé, il ajoute: « O Dieu de notre salut, ramenez-nous
». Comment demander l’accomplissement de ce qu’il raconte comme un fait
accompli, sinon parce qu’il veut nous montrer qu’il s’est servi du passé pour
annoncer l’avenir? Mais ce qu’il nous donnait comme accompli ne l’est pas
encore; nous le voyons, puisqu’il en demande l’accomplissement. « O Dieu de
notre salut, ramenez-nous, détournez de nous votre colère 3 ». Tout à l’heure,
ô Prophète, ne disais-tu point: « Vous avez détourné la captivité loin de
Jacob, vous avez couvert toutes ses fautes, apaisé votre colère, et ex fait
cesser la fureur de votre indignation? » Comment dire maintenant: « Détournez
de nous votre colère? » Le Prophète nous répond: J’ai parlé comme d’un fait
accompli, parce que je le vois dans l’avenir; mais comme il n’est point
accompli, j’appelle de mes voeux la réalisation de ce que j’ai vu. « Détournez
de nous votre colère ».
7. « Votre colère contre nous ne sera point
éternelle ». C’est par la colère de Dieu que nous devons mourir, par la colère
de Dieu, que sur cette terre, dans l’indigence et dans la pauvreté, nous mangeons
notre pain à la sueur de notre front. C’est la sentence qu’entendit Adam après
le péché 4. Or, nous étions tous ce même Adam, puisque nous mourons tous en
lui; la sentence qui le frappa, a frappé toute sa race. Nous n’étions pas tels
que nous sommes, nous étions en Adam. Tout ce qui lui est arrivé, nous est
arrivé aussi, et nous devons mourir parce que nous étions, en lui. Les péchés
que commettent
1. Ps. LXXXIV, 4. — 2. Id. 5. — 3. Id. 6. —
4. Gen. III, 19.
les parents, après la naissance des enfants,
ne regardent point les enfants; car ces enfants, une fois nés, sont alors à
eux-mêmes, comme les parents sont à eux-mêmes. Mais que ces enfants une fois
nés suivent les égarements des parents, ils doivent partager leur sort: si, au
contraire, loin d’imiter leurs parents coupables, ils suivent une voie
meilleure, ils se font des mérites propres, qui ne sont plus les mérites des
parents. Il est tellement vrai que les péchés de tes pères ne te nuiront point,
si tu te convertis, qu’ils ne nuiraient même pas à ces mêmes parents, s’ils se
convertissaient. Mais c’est d’Adam que nous tirons cette racine qui nous
assujettit à la mort. Que nous vient-il de lui? Cette fragilité de la chair, ce
foyer de douleur, cette maison de pauvreté, cette chaîne de la mort, ces pièges
de la tentation. Nous portons tous ces maux dans notre chair; c’est l’effet de
la colère de Dieu, parce que telle est sa vengeance. Mais comme nous devions
être régénérés, reprendre par la foi une vie nouvelle, en sorte que la
résurrection fît disparaître en nous toute nature mortelle, et que tout l’homme
fût renouvelé: car de même que tous meurent en Adam, tous vivront dans le
Christ 1; c’est ce qu’a vu le Prophète, qui s’écrie: « Que votre colère ne soit
pas éternelle, et qu’elle ne s’étende pas de génération en génération ». La
race première est devenue mortelle par un effet de votre colère, que votre
miséricorde donne à l’autre race l’immortalité.
8. Où est donc, ô homme, où est ta part de
mérite? Est-ce dans cette conversion qui t’a fait trouver la divine
miséricorde, quand ceux qui ne se sont point convertis ont rencontré la colère?
Aurais-tu pu te convertir sans l’appel de Dieu? Dieu, en te rappelant dans tes
égarements, ne t’a-t-il point donné de te convertir? N’attribue donc pas à
toi-même ta conversion; car si Dieu ne t’eût rappelé de ta fuite, tu n’aurais
pu te convertir, Aussi le Prophète, attribuant à Dieu le bienfait de notre
conversion, le supplie en disant: « C’est vous, ô Dieu, qui en nous
convertissant, nous donnerez la vie ». Ce n’est point nous qui, sans votre
miséricorde et spontanément nous convertirons à vous, pour recevoir de vous la
vie; mais « c’est vous qui nous convertirez pour nous
1. I Cor. XV, 22.
p289
donner la vie »; en sorte que nous tiendrons
de vous, non seulement la vie, mais aussi la conversion qui aboutit à la vie. «
O Dieu, en nous convertissant, vous nous donnerez la vie, et votre peuple se
réjouira en vous 1 ». Pour son malheur, il prenait sa joie en lui-même; pour
son bonheur, il la prendra en vous. Quand il a voulu trouver en lui la joie, il
n’a trouvé que des sujets de larmes. Maintenant que Dieu est toute noire joie,
que celui qui veut se réjouir en toute sécurité, se réjouisse en Celui qui ne
peut périr. A quoi bon, mes frères, mettre votre joie dans l’argent? Cet argent
périra, ou toi-même; et nul ne sait qui des deux périra le premier; ce qui est
certain, c’est que l’un et l’autre périront, l’incertitude ne plane que sur le
premier. Car l’homme ne peut demeurer toujours ici-bas, non plus que son
argent; il en est de même de l’or, des vêtements, d’un palais, des richesses,
des grands domaines et enfin de cette lumière elle-même. Loin de toi donc d’y
mettre ta joie; mais réjouis-toi de cette lumière qui n’a point de couchant,
réjouis-toi dans ce jour qui n’a ni hier, ni lendemain, Quelle est cette
lumière? « Je suis », dit le Sauveur, « la lumière du monde 2 ». Celui qui te
dit: « Je suis la lumière du monde », est celui-là même qui t’appelle à lui.
Pour lui, t’appeler c’est te convertir, te convertir c’est te guérir, te guérir
c’est te faire voir celui qui t’a converti et à qui il est dit: « Ton peuple se
réjouira en toi ».
9. « Montrez-nous, Seigneur, votre
miséricorde ». Voilà ce que nous avons chanté, et déjà nous avons dit: «
Montrez-nous, Seigneur, votre miséricorde, et donnez-nous votre salut 3 »: «
Votre salut », ou votre Christ. Bienheureux celui à qui Dieu a montré sa
miséricorde. Car il ne peut plus s’enorgueillir, celui qui a vu la miséricorde
du Seigneur. Lui montrer en effet cette miséricorde, c’était lui persuader que
tout le bien qui est en l’homme, n’y est que par celui qui est tout notre bien.
Or, quand l’homme comprend que tout le bien qui est en lui, vient de Dieu, et
non de lui-même, il voit facilement que tout ce qu’il a de louable, vient de la
divine miséricorde, et non de son propre mérite. A cette vue, il est loin de
s’enorgueillir: sans orgueil, il ne s’élève point; sans élévation, il ne tombe
point; s’il ne tombe point, il se
1. Ps. LXXXIV, 7. — 2. Jean, VIII, 12. — 3.
Ps. LXXXIV, 8.
tient debout; en se tenant debout, il
s’attache à Dieu; s’attachant à Dieu, il demeure en lui; et demeurant en Dieu,
il en jouit, il tressaille dans le Seigneur son Dieu. Celui qui l’a créé
devient ses délices; et ces délices, nul ne peut les corrompre, les troubler,
les lui ôter. Quelle puissance pourrait le menacer de les lui ôter? Quel voisin
jaloux, quel voleur, quel homme rusé pourrait t’enlever ton Dieu? Ce que tu as
d’extérieur, on peut te l’enlever totalement; mais ce que tu as dans le coeur,
nul ne peut te l’enlever. Telle est cette miséricorde, que Dieu veuille bien
nous la montrer. « Montrez-nous, Seigneur, votre miséricorde, et donnez-nous
votre salut ». Donnez-nous votre Christ, c’est en lui qu’est votre miséricorde.
Disons-lui, nous aussi: Donnez-nous votre Christ. Il nous l’a déjà donné, il
est vrai; disons-lui néanmoins: Donnez-nous votre Christ, puisque nous lui
disons: « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien 1 ». Et quel est notre
pain, sinon celui qui a dit: « Je suis le pain vivant descendu du ciel 2? »
Disons-lui donc: Donnez-nous votre Christ. Déjà il nous l’a donné, mais dans
soin humanité; or, celui qu’il nous a donné comme homme, il nous le donnera
comme Dieu. Aux hommes il a donné un homme, car il le leur a donné à la manière
dont ils pouvaient le recevoir, et nul homme ne pouvait recevoir un Christ en
sa gloire divine. Il s’est donc fait homme pour les hommes, tout en réservant
aux dieux sa divinité. Ma parole n’est-elle point trop hardie? Elle serait
hardie, en effet, si lui-même n’avait dit: « Je l’ai dit: Vous êtes des dieux,
vous êtes tous les enfants du Très-Haut 3». C’est pour cette adoption que nous
sommes renouvelés, c’est pour devenir les enfants de Dieu. Nous le sommes déjà,
mais par la foi: nous le sommes en effet, mais en espérance et non en réalité.
Car l’Apôtre nous l’a dit: « Nous sommes sauvés par l’espérance; et l’espérance
qui verrait ne serait plus l’espérance. Comment espérer ce que l’on voit déjà?
Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons par la
patience 4 ». Qu’est-ce que « nous attendons par la patience », sinon de voir
ce que nous croyons? Maintenant nous croyons ce que nous ne voyons pas: mais en
demeurant fermes dans ce que nous croyons
1. Matth. VI, 11. — 2. Jean, VI, 41. — 3. Ps,
LXXXI, 6; Jean, X, 34. — 4. Rom. VIII, 24, 25,
sans le voir, nous mériterons de voir ce que
nous croyons. Aussi que nous dit saint Jean dans son épître? « Mes bien-aimés,
nous sommes les fils de Dieu, et ce que nous devons être un jour n’apparaît pas
encore 1 ». Quel homme ne bondirait de joie, s’il se trouvait dans une terre
étrangère, sans connaître sa parenté, en proie à l’indigence, à la misère, à la
fatigue, et qu’on vint tout à coup lui dire: Tu es le fils de tel sénateur; ton
père est puissamment riche, et jouit en paix de ses biens, je viens te conduire
près de ton père? quelle ne serait point sa joie, si ce langage n’était point
trompeur? Voilà que l’Apôtre du Christ, qui ne peut nous tromper, vient vous
dire: Pourquoi ce désespoir en vous? Pourquoi cette affliction, ce chagrin qui
vous accable? Pourquoi suivre ainsi vos convoitises, et voulez-vous souffrir la
disette parmi ces faux plaisirs? Vous avez un père, vous avez une patrie; vous
avez un patrimoine. Quel est ce père? « Mes bien-aimés, nous sommes enfants de
Dieu ». Pourquoi ne voyons-nous pas encore notre Père? «Ce que nous devons être
un jour n’apparaît pas encore ». Nous le sommes dès à présent, mais en
espérance: car « ce que nous devons être n’est pas visible ». Que serons-nous?
« Nous savons », poursuit l’Apôtre, « que quand il apparaîtra, nous serons
semblables à lui, puisque nous le verrons tel qu’il est 2 ». Mais c’est du Père
qu’il parle ainsi: n’a-t-il donc rien dit du Fils Notre Seigneur Jésus-Christ?
Serons-nous heureux en voyant le Père, sans voir le Fils? Ecoute le Christ
lui-même: « Quiconque me voit, voit mon Père 2 ». Voir un seul Dieu, c’est voir
la Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Et pour comprendre plus
expressément encore que la vue du Fils constituera notre bonheur, et qu’il n’y
a nulle différence entre voir le Père et voir le Fils: écoute cette parole du
Fils dans l’Evangile: « Celui qui m’aime garde mes commandements, et moi je
l’aimerai, et je me montrerai à lui 3 ». Il parlait à ses disciples, et néanmoins
il disait: « Je me montrerai à lui 4». Pourquoi? N’était-ce point lui-même qui
parlait? Mais c’était la chair qui voyait la chair, et le coeur ne voyait point
la divinité. Or, la chair a vu la chair, afin que le coeur fût purifié par la
foi et pût voir Dieu. Car il est dit de Dieu qu’ « il
1. I Jean, III, 2.— 2. Id. — 3. Jean, XIV, 9.
— 4. Id. 21.
purifie nos coeurs par la foi 1». Et le
Seigneur a dit: « Bienheureux les coeurs purs, parce qu’ils verront Dieu 2 ».
Il a donc promis de se montrer à nous. Or, considérez, mes frères, quelle est
sa beauté. Toutes ces beautés qui vous plaisent et qui flattent votre vue,
c’est lui qui les a créées. Si telle est la splendeur de ses oeuvres, lui-même
que sera-t-il? Si telle est leur magnificence, quelle sera sa grandeur? Donc
tout ce que nous aimons ici-bas, doit nous porter à le désirer, à mépriser
toutes ces créatures, pour n’aimer que lui, et par cet amour purifier nos
coeurs dans la foi, afin qu’à son apparition il trouve en nous un coeur pur.
Cette splendeur qui nous apparaîtra doit nous trouver guéris; telle est
aujourd’hui l’oeuvre de la foi. Aussi disons-nous ici-bas: « Donnez-nous votre
salut »; donnez-nous votre Christ; puissions-nous connaître ce Christ et le
voir, non point comme l’ont vu les Juifs qui l’ont crucifié, mais comme le
voient les anges dont il fait la joie.
10. « J’écouterai ce que dira en moi le
Seigneur Dieu 3 » Ainsi dit le Prophète; Dieu lui parlait intérieurement,
tandis que le bruit du monde éclatait au dehors. Il se sépare alors de ce monde
tumultueux, il se retire en lui-même, pour passer de lui-même à celui dont il
entend la voix. Il se bouche en quelque sorte l’oreille pour ne rien entendre
du bruit tumultueux de cette vie, ni du trouble d’unie âme appesantie par le
poids du corps, ni de ces pensées nombreuses de l’esprit qu’étouffe une
habitation terrestre: « J’écouterai », dit-il, « ce que dira en moi le Seigneur
Dieu ». Il a entendu, quoi? « que le Seigneur donnera des paroles de paix à son
peuple ». Donc la voix du Christ, la voix de Dieu, c’est la paix, qui nous
convie à la paix. Courage! nous dit-elle, aimez la paix, vous tous qui n’êtes
pas encore établis dans la paix. Que pourriez-vous désirer de moi, qui soit
meilleur que la paix? Qu’est-ce que la paix? l’absence de toute guerre. Quand
n’y a-t-il plus de guerre? quand il n’y a ni contradiction, ni résistance, ni
antagonisme. Jugez par là si nous sommes en paix, voyez si nous n’avons point
de lutte contre le diable, si les fidèles et tous les saints ne sont point en
guerre avec le prince des démons. Et comment lutter avec celui qui est
invisible? Ils combattent contre leurs convoitises dont il se
1.
Act. XV, 9.— 2. Matth. V, 8.— 3. Isa. LXXXIV, 9.— 4. Sag. IX, 15.
sert pour suggérer le péché; or, c’est
combattre que refuser de consentir à ces suggestions, et ne point succomber. La
paix n’est donc point avec la lutte. Montrez-moi un homme qui ne ressente aucun
aiguillon dans sa chair, et qui puisse une dire qu’il est en paix. Peut-être
n’est-il plus ébranlé par ces coupables voluptés, mais il en ressent du moins
les suggestions: ou le démon lui suggère ce qu’il méprise, ou il trouve quelque
charme dans la continence. Et s’il ne trouve aucun charme dans ce qui est
criminel, il a du moins à combattre chaque jour la faim et la soif. Quel homme
juste en est exempt? Nous sommes donc en lutte avec la faim, avec la soif, en
lutte avec la fatigue du corps, en lutte avec le plaisir du sommeil, en lutte
avec l’accablement. Nous voulons veiller, nous sommeillons; nous voulons
jeûner, nous souffrons de la faim et de la soif; nous voulons demeurer debout,
la fatigue nous abat. Nous voulons nous asseoir, et le faire trop longtemps est
encore une lassitude. Tout ce que nous recherchons comme un soulagement, nous
devient ensuite une peine. Tu as faim, dira quelqu’un; oui, répons-tu. Et il te
sert à manger. Il le fait pour rétablir tes forces; prends longtemps de ces
nourritures; tu veux te restaurer, continue alors; et par là, ce qui devait
réparer tes forces le causera une lassitude. Las d’être assis, tu te lèves, tu
marches pour te délasser; mais continue ce délassement, et bientôt une longue
marche te fatiguera; et tu chercheras encore un siège. Trouve-moi un
délassement qui, en se prolongeant, n’arrive à te fatiguer. Quelle est donc
cette paix que peuvent goûter les hommes, au milieu de tant d’obstacles, de
tant de désirs, de tant de misères, de lassitudes? Ce n’est point là une
véritable paix, une paix parfaite. Que sera donc la paix dans sa perfection?
«Ce corps corruptible doit se ex revêtir d’incorruption, cette chair mortelle
d’immortalité: et alors s’accomplira cette parole de l’Ecriture: La mort est
absorbée dans sa victoire. O mort, où est ton aiguillon? ô mort, où est ta
prétention 1? » Comment la paix serait-elle parfaite avec la mort? c’est de la
mort que viennent ces lassitudes, jusque dans nos délassements. Tout cela vient
de la mort, puisque nous portons un corps mortel; et qui est mort, selon
l‘Apôtre, même
1. I Cor. XV, 53-55.
avant que l’âme en soit séparée: « Le corps
», dit-il, « est mort à cause du péché 1 ». Prolonge en effet longtemps ce qui
te soutient, il deviendra mortel; prolonge trop un festin, tu en mourras;
prolonge trop, un jeûne, tu en mourras; demeure toujours assis, sans te lever
jamais, tu en mourras; marche toujours sans prendre aucun repos, tu en mourras
prolonge tes veilles sans vouloir du sommeil, tu en mourras; dors toujours,
sans vouloir t’éveiller, tu en mourras. Mais quand la mort sera absorbée dans
sa victoire, ces maux ne seront plus, ils feront place à une paix complète et
satis fin. Nous habiterons une certaine ville, mes frères, et quand j’en parle
je ne voudrais jamais finir, surtout quand je vois se multiplier les scandales.
Qui ne soupirerait après cette cité bienheureuse, d’où nul ami ne sort, où
n’entre nul ennemi, où il n’y a ni tentation, ni sédition, ni schisme dans le
peuple de, Dieu, nul instrument du diable pour affliger l’Eglise, puisque le
prince des démons est jeté dans les flammes éternelles, et avec lui tous ses
suppôts, qui n’ont point voulu se séparer. de lui? Une paix parfaite régnera
donc parmi les enfants de Dieu, qui s’aimeront, se verront pleins de Dieu, car
Dieu sera tout en tous 2. C’est donc Dieu que nous verrons tous, Dieu que nous
posséderons tous, Dieu qui sera notre paix à tous. Quels que soient ses dons
ici-bas, lui seul alors nous tiendra lieu de tout don: il sera pour nous la
paix entière et parfaite. Telle est la paix qu’il annonce à son peuple, et la
paix que voulait entendre celui qui dit ici: «J’écouterai ce que dira en moi le
Seigneur Dieu ses paroles de paix sur son peuple et sur ses saints, et sur tous
ceux qui tournent vers lui leur coeur 3». Courage, mes frères ! Voulez vous
avoir cette paix que vous annonce le Seigneur? Tournez votre coeur vers lui,
non point à moi, non point à cet autre, non point à un homme, quel qu’il soit.
Tout homme en effet qui voudra s’attirer les coeurs des hommes, doit périr avec
eux. Or, quel est le parti le plus avantageux, ou de tomber avec l’homme vers
qui vous tournez vos pensées, ou de vous tenir debout avec l’émule de votre
conversion? Ce n’est qu’en Dieu que nous trouvons notre joie, notre paix, notre
repos, la fin de nos chagrins. « Bienheureux ceux u qui tournent leurs coeurs
vers vous ».
1. Rom. VIII, 10. — 2. I Cor. XV, 28. — 3. Ps. LXXXIV, 9.
11. « Toutefois sa grâce qui sauve est près
de ceux qui le craignent 1». Plusieurs le craignaient jadis dans le peuple
juif. Sur toute la terre on adorait des idoles; on craignait les démons, et non
le Seigneur; les Juifs seuls craignaient Dieu. Mais d’où venait cette crainte?
Dans l’Ancien Testament, on craignait que Dieu ne soumît à la domination des
ennemis, qu’il n’enlevât les terres, qu’il ne ravageât les vignes par la grêle,
qu’il ne frappât les épouses de stérilité, qu’il n’enlevât les enfants. Ces
promesses charnelles enchaînaient des âmes faibles, et les retenaient dans la
crainte de Dieu; mais lui-même était proche de ceux qui le craignaient pour ces
biens. Le païen demandait quelque terre au démon, le juif demandait quelque
terre à Dieu; la demande était la même, et non celui à qui on l’adressait. Le
juif demandait ce que le païen demandait, et toutefois il différait du païen,
en ce qu’il invoquait celui qui avait tout fait. Et Dieu était proche des
Juifs, loin des idolâtres: et néanmoins il jeta les yeux sur ceux qui étaient
éloignés, comme sur ceux qui étaient proches, selon ces paroles de l’Apôtre: «
Il est venu prêcher la paix à vous qui étiez éloignés, et la paix à ceux qui
étaient proches 2 ». Quels sont les proches, selon lui? Les Juifs, parce qu’ils
adoraient un seul Dieu. Selon lui encore, quels étaient les peuples éloignés?
Les Gentils, parce qu’ils avaient abandonné le Créateur pour adorer leurs
propres oeuvres. Car ce n’est point par les lieux, mais par les affections que
l’on s’éloigne de Dieu. Aimes-tu Dieu? tu es près de lui. Le hais-tu? tu es
éloigné. Dans un même lieu, lu peux être auprès de Dieu, ou loin de lui. Voilà
donc, mes frères, ce qu’a vu le Prophète; bien qu’il ait vu la miséricorde de
Dieu s’étendre en général sur tous les hommes, il a compris que Dieu avait pour
les Juifs une affection toute particulière, et il s’écrie: « Toutefois,
j’écouterai ce que dira en moi le Seigneur Dieu, parce qu’il annoncera la paix
à son peuple ». Et son peuple ne sera pas seulement formé du peuple juif, il
sera recruté parmi les nations. « Car le Seigneur fera entendre des paroles de
paix sur ses fidèles, sur ceux dont le coeur se tourne vers lui », et sur tous
ceux qui dans tous les lieux de la terre doivent se convertir à lui de tout
leur coeur. « Toutefois son salut est proche de
1. Ps. LXXXIV, 10. — 2. Ephés. II, 17.
ceux qui le craignent, et sa gloire habitera
notre terre »; c’est-à-dire que ta principale gloire habitera dans la terre
natale du Prophète; parce que c’est là que commencera la prédication du Christ.
De là vinrent les Apôtres envoyés tout d’abord; de là les Prophètes là fut le
temple de Dieu, où l’on sacrifiait au vrai Dieu; là les Patriarches, là encore
celui qui est né de la race d’Abraham, le Christ s’est manifesté, là il est
apparu; de là est la vierge Marie qui a enfanté le Christ. C’est la terre que
ses pieds ont parcourue, qu’il a illustrée de ses miracles. Enfin il a fait à
ce peuple cet honneur de répondre à la chananéenne qui lui demandait le salut
de sa fille: « Je ne suis envoyé que vers les brebis d’Israël, qui se sont
égarées 1». Voilà ce qu’envisage le Prophète, quand il s’écrie: « Toutefois son
salut est près de ceux qui le craignent, et sa gloire habitera notre terre ».
12. « La miséricorde et la vérité se sont
rencontrées 2 ». La vérité s’est trouvée en notre terre dans la personne des
Juifs, et la miséricorde en la terre des Gentils. Où était en effet la vérité?
Dans les oracles de Dieu. Où était la miséricorde? En ceux qui avaient
abandonné leur Dieu pour se tourner vers les démons. Mais Dieu les a-t-il
méprisés? Il a dit au contraire: Appelez ces hommes qui fuient au loin, et qui
se séparent de moi par de longs espaces; qu’on les appelle, qu’ils me trouvent,
alors que je les cherche, puisqu’ils ne veulent point me chercher. Donc « la
miséricorde et la vérité se sont rencontrées; la justice et la paix se sont
embrassées ». Fais la justice, et tu auras la paix; afin que la justice et la
paix s’embrassent en toi. Sans l’amour de la justice, tu n’auras aucune paix.
La justice et la paix se tiennent et s’embrassent, et faire la justice, c’est
rencontrer la paix qui l’embrasse. Ce sont deux amies, et toi, sans faire
l’une, tu voudrais peut-être posséder l’autre. Il n’est personne pour ne point
désirer la paix, mais tous ne veulent point faire la justice. Demandez à tous
les hommes: Voulez-vous la paix? Le genre humain tout entier n’aura que cette
réponse: Je la veux, je la désire, je la souhaite, je l’aime. Aime encore la
justice, parce que la justice et la paix sont deux amies qui se tiennent
embrassées. Si tu n’aimes point l’amie de la paix, cette paix ne t’aimera
point, et ne
1. Matth. XV, 24. — 2. Ps. LXXXIII, 11.
viendra pas en toi. Qu’y a-t-il de grand à
désirer la paix? Tout méchant aime la paix, car la paix est un bien. Mais fais
la justice, parce que la justice et la paix s’embrassent et ne sont point en
désaccord, A quoi bon être en guerre,avec la justice? La justice te dit: Ne
vole point, et tu n’entends pas; Ne commets point l’adultère, et tu ne veux pas
entendre; Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux point qu’on te fasse; ne dis
pas à autrui ce que tu ne veux pas que l’on te dise. Tu es l’ennemi de mon amie
intime, te répond la paix, à quoi bon me chercher? Je suis l’amie de la
justice, et je fuis quiconque est l’ennemi de cette amie. Veux-tu donc arriver
à la paix? Fais les oeuvres de la justice, De là vient cette parole d’un autre
psaume: « Détourne-toi du mal, et fais le bien » (c’est là aimer la justice);
et quand lu auras évité le mal et fait le bien, « cherche la paix, et puis
suis-la 1 ». Car alors tu ne la chercheras pas longtemps, mais elle se
présentera d’elle-même à toi, afin d’embrasser la justice.
13. « La vérité est née de la terre, et la
justice a regardé du ciel 2». « La vérité est née de la terre », c’est le
Christ qui est né d’une femme. « La vérité est née de la terre », c’est le Fils
de Dieu issu de la chair. Qu’est-ce que la vérité? Le Fils de Dieu. Qu’est-ce
que la terre? La chair. Cherche d’où est le Christ, et tu verras que « la vérité
est née de la terre ». Mais cette vérité née de la terre était avant- la terre,
et c’est par elle que le ciel et la terre ont été faits. Mais afin que la
justice regardât du ciel, c’est-à-dire, afin que les hommes fussent justifiés
par la grâce divine, la vérité est née de la vierge Marie, afin de pouvoir
offrir pour tous ceux qui devront être sanctifiés le sacrifice auguste, le
sacrifice de sa passion, le sacrifice de la croix. Or, comment offrir un
sacrifice pour nos péchés sans mourir? Et comment mourir, s’il n’a reçu un
corps mortel? C’est-à-dire que le Christ n’eût pu mourir, s’il n’eût pris une
chair sujette à la mort. Le Verbe ne meurt point, la divinité ne meurt point,
la vertu, la sagesse de Dieu ne meurt point. Comment sans mourir eût-il offert
une victime expiatoire? Comment mourir, s’il n’eût eu une chair? Comment se
revêtir d’une chair, si la vérité ne germe de la terre? « La vérité a germé de
la terre, et la justice a regardé du haut des cieux.»
1. Ps. XXXIII, 15.— 2. Id. LXXXIV, 12.
14. Un autre sens que l’on pourrait donner à
ces paroles: « La vérité a germé de la terre »; c’est la confession qui est née
de l’homme. O homme, tu étais pécheur. O terre, qui as entendu quand tu as
péché: « Tu es terre, et tu retourneras en terre 1 »; que la vérité naisse de
toi, afin que la justice regarde du ciel. Comment la vérité naîtra-t-elle de
toi, pécheur, de toi, injuste? Confesse tes péchés, et la vérité germera de
toi. Mais si dans ton injustice tu prétends être juste, comment la vérité
peut-elle venir de toi? Au contraire, si dans ton injustice tu avoues que tu es
injuste, « La vérité a germé de la terre». Ecoute ce publicain qui prie dans le
temple, bien loin du pharisien, et qui n’ose lever les yeux au ciel, mais qui
se frappe la poitrine en disant: « Seigneur, soyez-moi propice, à moi pécheur
»; c’est « la vérité qui germe de la terre »; puisqu’un homme a confessé ses
fautes. Voyez ensuite: « Je vous déclare », dit le Sauveur, « que ce publicain
retourna chez lui beaucoup plus juste que le pharisien; car tout homme qui
s’élève sera humilié, et tout homme qui s’humilie sera élevé 2. La vérité germe
de la terre » par l’aveu des fautes; « et la justice a regardé du ciel »; de
sorte que le publicain sortit plus juste que le pharisien. Et pour vous faire
comprendre que la vérité consiste principalement dans l’aveu des fautes,
l’évangéliste saint Jean a dit: « Si nous disons que nous n’avons aucun péché,
nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous ». Ecoutez-le
nous dire ensuite comment la vérité germe de la terre, afin que la justice
regarde du haut du ciel: « Si nous confessons nos péchés, Dieu est juste et
fidèle, pour nous les remettre et nous purifier de nos crimes 3 ». La vérité a
« donc germé de la terre, et la justice a regardé du haut du ciel ». Quelle
justice a regardé d’en haut, sinon celle de Dieu qui disait: Pardonnons à cet
homme qui ne se pardonne pas à lui-même? Oublions ses fautes, puisqu’il ne les
oublie point. Il s’applique à s’en châtier, appliquons-nous à l’en délivrer. «
La vérité a germé de la terre, et la justice a regardé d’en haut ».
15. « Car le Seigneur répandra la douceur, et
notre terre donnera son fruit 4». Nous n’avons plus qu’un verset, écoutez sans
ennui
1. Gen. III, 19. — 2. Luc, XVIII, 13, 14.— 3. I Jean, I, 8, 9.— 4. Ps. XXXIV, 13.
ce que je vais dire. Ecoutez, mes frères,
écoutez, je vous en supplie, une importante vérité; soyez attentifs à cette
vérité que vous devez savoir, emportez-la avec vous, et que la parole de Dieu
ne soit point dans vos coeurs une semence inutile. « La vérité a germé de la
terre », dit le Prophète, ou la confession est sortie de l’homme pécheur; « et
la justice a regardé d’en haut ». C’est-à-dire que le Seigneur Dieu a donné la
justification à celui qui avouait ses fautes, afin que l’impie sache bien qu’il
ne peut devenir juste que par la grâce de celui à qui il avoue ses fautes, et
par sa foi en celui qui justifie l’impie 1. Tu peux donc avoir des péchés; mais
un bon fruit, tu le tiendras de celui-là seul à qui tu confesses tes fautes.
Aussi après avoir dit: « La vérité a germé de la terre, et la justice a regardé
d’en haut »; le Prophète ajoute: « Le Seigneur répandra la douceur, et la terre
donnera son fruit », comme si nous lui demandions: Que veut-il dire par ces
paroles: « La justice a regardé d’en haut? » Regardons-nous donc nous-mêmes, et
si nous ne trouvons en nous que des péchés, détestons nos péchés, et désirons
la justice, Dès que nous commencerons à détester nos péchés, cette haine du
péché nous rendra semblables à Dieu; car nous haïrons ce qu’il hait lui-même.
Mais dès que tu auras commencé à haïr tes fautes et à les confesser, et que les
plaisirs coupables te solliciteront et t’emporteront aux choses frivoles, gémis
devant Dieu; confesse-lui tes fautes, et tu mériteras qu’il t’écoute et te
fasse trouver le plaisir dans le bien, tes délices à faire des oeuvres de
justice, bonheur plus suave que tu n’en trouvais d’abord dans le péché. Ainsi
ta joie était dans les excès de la table, elle sera dans la sobriété; tu éprouvais
un bonheur à voler, à prendre aux autres ce que tu n’avais pas, tu le trouveras
à donner ton bien à celui qui n’a rien; le ravisseur aimera à donner, l’amateur
des théâtres deviendra amateur de la prière; au lieu de fredonner les chansons
badines, les refrains adultères, tu aimeras de chanter les hymnes de Dieu, de
courir à l’église comme tu courais au théâtre. D’où vient ce plaisir si pur,
sinon de Dieu qui a répandu sa douceur, et notre terre a donné son fruit?»
Comprenez en effet cette pensée: voici que je vous ai annoncé la parole de
Dieu; j’ai répandu
1. Rom. IV, 5.
cette semence dans des coeurs bien préparés,
des coeurs ouverts et sillonnés en quelque sorte par le soc de la confession;
vous avez reçu cette semence avec piété, avec attention; repassez en vous-mêmes
cette parole, brisez la glèbe afin de couvrir la semence; que les oiseaux ne
l’enlèvent point, qu’elle germe dans vos coeurs. Mais si Dieu ne répand sa
pluie, à quoi bon tout ce qui est semé? Tel est le sens de cette parole: « Le
Seigneur répandra la douceur, et notre terre donnera son fruit ». Que le
Seigneur vous visite, et dans le repos, et dans le négoce, et dans votre
demeure, et dans votre lit, et dans vos repas, et dans vos entretiens, et dans
vos promenades, qu’il visite vos coeurs, quand nous ne sommes point avec vous.
Que la rosée du Seigneur descende eu vous et vivifie ce qui a été semé; et
quand nous ne sommes point avec vous, soit que nous nous reposions en toute
sécurité, soit que nous fassions autre chose, que Dieu veuille donner de
l’accroissement à ce grain que nous avons répandu, afin que, en voyant plus
tard la sainteté de votre vie, nous nous réjouissions de ce fruit de salut. «
Le Seigneur a répandu la douceur, et notre terre a donné son fruit ».
16. « La justice marchera devant lui, il marquera ses pas dans la voie
1 ». Cette justice est celle qui résulte de l’aveu des péchés; et qui est aussi
vérité. Car tu dois être juste envers toi-même, afin de te punir. Telle est la
première justice de l’homme, de châtier le mal en toi, afin que Dieu te rende
bon. Et comme c’est là le premier degré de la justice chez l’homme, c’est ce
qui prépare à Dieu le chemin pour venir en toi, et tu lui ouvres cette voie,
par la confession des péchés. De là vient que Jean, lorsqu’il baptisait dans
l’eau, et qu’il voulait attirer à lui ceux qui se repentaient de leur vie
passée, leur disait: « Préparez la voie au Seigneur, et rendez droits ses
sentiers 2 ». Tu te plaisais dans ton péché, ô homme; que ton passé te
déplaise, afin de pouvoir devenir ce que tu n’étais pas. « Préparez la voie au
Seigneur »; que la justice marche devant toi, par l’aveu de tes fautes. Alors
il viendra et te visitera, « parce qu’il marquera ses pas dans la voie ». Il
trouvera en toi où poser ses pas, et y venir. Mais avant de confesser tes
péchés, tu avais fermé en toi toute voie de Dieu, il n’y en avait aucune par où
il pût venir. Confesser ta vie, c’est ouvrir la voie; et le Christ viendra, «
et il marquera ses pas dans la voie », pour t’apprendre à marcher sur ses
traces.
1. Ps. LXXXIV, 14 — 2. Matth. III, 3.
C’est
Jésus-Christ uni à son corps ou l’Eglise qui parle dans ce psaume. Ne craignons
pas d’y trouver des paroles qui conviennent à Dieu, et d’autres à l’homme
seulement. C’est le même que l’on invoque comme un Dieu, et qui prie en nous
comme un homme. Dieu s’est incliné vers nous qui l’avions offensé; telle est sa
miséricorde, et il garde sa vie pour les justes. Il prête l’oreille à celui qui
est humble, qui sent le besoin de miséricorde, qui n’espère point dans les
richesses. Abraham était riche et fut glorifié aussi bien que Lazare. Car Dieu
pèse l’intérieur, et c’est par l’âme que nous sommes riches ou pauvres. En son
humanité le Christ dit: Gardez mon âme, et il était alors une chair, une âme et
le Verbe. Le chrétien peut se dire saint; mais sanctifié par son chef, et non
se sanctifiant lui-même; il gémit tout le jour dans la succession des siècles.
Elevons donc nos âmes vers Dieu, afin qu’il répande en elles quelque joie, et
que nous les garantissions de la corruption; élevons-les en changeant de
volonté. Fatiguée de la terre où elle rencontre soit les méchants scandaleux,
soit les justes dont elle craint la perte, l’âme du Prophète s’élève à Dieu et
déplore les difficultés qu’elle éprouve à demeurer en lui; mais elle
s’applaudit de ce que Dieu oublie nos dissipations pour nous écouter
favorablement. Car il est miséricordieux pour ceux qui lui demandent ce qui
aboutit au salut. Il exauce Satan qui veut éprouver Job, il n’exauce pas saint
Paul qui veut être délivré de l’épreuve. Ne lui demandons pas ce qu’il ne veut
point. S’il donne aux impies les biens de la terre, que ne réserve-t-il pas à
ceux qui le servent? C’est le ciel. Or, un malade qui vent guérir, endure tout
de la part du médecin qui est faillible, et la santé qu’il rend n’est pas
inaltérable. Quelle ne doit pas être notre espérance pour le ciel
1. Dieu nous exauce quand nous crions vers
lui, dans l’affliction; or, c’est pour un chrétien une affliction que n’habiter
pas le ciel. Ce n’est point assez pour nous des richesses d’ici-bas, quand nous
serions assurés de les posséder éternellement, il nous faut Dieu, et niai n’est
semblable à Dieu les autres ne sont que des démons. Toutes les nations se
prosterneront devant lui, car l’Eglise est composée de tous les peuples, et non
de l’Afrique seulement, comme le prétend Donat. Tous ne forment qu’une seule
Eglise comme il n’y a qu’une seule patrie céleste. C’est là que le Seigneur
nous conduira par sa voie qui est le Christ, en nous donnant sa main qui est le
Christ pour arriver à la vérité, qui est le Christ, et à la vie, encore le
Christ. C’est ce Christ qui nous a tirés de l’enfer inférieur, c’est-à-dire ou
bien de la région des morts, ou de la région qu’habite le mauvais riche, en
nous remettant nos péchés. Les violateurs de la loi se sont élevés contre le
Christ, en l’accusant de la violer; ils n’ont pas compris qu’il fût Dieu; de même
les impies, au jugement, ne verront que l’homme qu’ils ont crucifié. Il sauvera
le fils de la servante, ou le chrétien fils de l’Eglise. Ses ennemis ne le
verront point sans confusion: qu’ils saisissent ici-bas l’occasion d’une
confusion salutaire, et les misères de cette vie se changeront en une véritable
joie, une joie sans fatigue.
2. Dieu ne pouvait faire aux hommes un don
plus excellent que de leur accorder pour chef son Verbe, par lequel il a créé
toutes choses, et de les unir à lui comme ses membres, afin qu’il fût tout à la
fois fils de Dieu et fils de l’homme, un seul Dieu avec le Père, un seul homme
avec les hommes; afin qu’en adressant nos prières à Dieu, nous n’en séparions
pas le Fils, et que le corps du Fils, offrant ses prières, ne soit point séparé
de son chef. Ainsi Notre Seigneur Jésus-Christ, unique Sauveur de son corps
mystique, prie tour nous, prie en nous, et reçoit nos prières. Il prie pour
nous comme notre prêtre, il prie en nous comme notre chef, il reçoit nos
prières comme notre Dieu. Reconnaissons donc, et que nous parlons en lui, et
qu’il parle en nous. Et quand il est question de Jésus-Christ Notre Seigneur,
surtout dans les prophéties, surtout quand il en est question d’une manière qui
paraît indigne de Dieu, ne craignons pas de l’y retrouver, pas plus qu’il n’a
craint de s’unir à nous. Toute créature lui est assujettie, puisque c’est par
lui que toute créature a été faite. Aussi quand nous envisageons sa divinité,
quand nous entendons: « Au commencement était le Verbe, elle Verbe était en
Dieu, et le Verbe était Dieu; il était au commencement en Dieu; tout a été fait
par lui, et rien sans lui 1»; lorsque nous considérons cette divinité
suréminente du Fils de Dieu qui plane au-dessus de ce qu’il y a de plus sublime
parmi les créatures, et que nous l’entendons aussi gémir en quelques endroits
de l’Ecriture, et prier, et confessant ses fautes; nous hésitons alors à lui
attribuer ces paroles, parce que notre esprit ne quitte point facilement ces
hauteurs d’où il contemplait sa divinité pour descendre à une humilité si
profonde. Il craint de lui faire injure, en retrouvant chez
1. Jean, I, 1-3.
un homme les paroles de celui qu’il invoquait
lui-même comme un Dieu; il hésite,-il voudrait changer le sens; et il ne trouve
dans la sainte Ecriture d’autre moyen que d’appliquer ces paroles au Christ, et
de ne s’en point détourner. Qu’il réveille donc et qu’il ravive sa foi; qu’il
comprenne que celui dont il contemplait naguère la divinité a néanmoins pris la
forme de l’esclave, est devenu semblable aux autres hommes, et reconnu pour un
homme, par ce que l’on voyait de lui, qu’il s’est humilié en obéissant jusqu’à
la mort 1, qu’il s’est approprié les paroles du Psalmiste, quand, sur la croix,
il s’est écrié « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné 2? » C’est
donc lui que l’on prie comme un Dieu, c’est lui qui prie comme un homme; ici il
est Créateur, là créature t sans subir de changement, il a pris une nature
changeante, et ne fait de nous avec lui qu’un seul homme, la tête et le corps. C’est
donc lui que nous prions, c’est par lui, c’est avec lui. C’est en lui que nous
disons, c’est en nous que lui-même fait cette prière du psaume qui a pour
titre: « Prière de David 3 ». Car Jésus-Christ est fils de David selon la
chair; mais comme Dieu il est Seigneur de David, créateur de David, et non
seulement avant David, mais avant Abraham dont David est issu; mais avant Adam
père de tous les hommes; mais avant le ciel et la terre qui renferment les
autres créatures. Que personne donc, en entendant ces paroles, ne dise: Le
Christ ne parle point ici; qu’il ne dise pas non plus: Ce n’est point moi qui
parle; mais s’il croit être dans le corps du Christ, qu’il dise tout à la fois:
C’est le Christ qui parle, c’est moi qui parle. Ne parle jamais sans lui, et il
ne dira rien sans toi. N’est-ce point là une leçon de l’Evangile? Nous y lisons
certainement: « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et
le Verbe était Dieu, tout a été fait par lui »; et pourtant nous y lisons
encore: Et Jésus fut contristé 4, Jésus fut fatigué 5, Jésus dormit 6, il eut
faim 7, il eut soif 8, il pria et passa la nuit en prières: « Jésus », est-il
dit, « persistait dans sa prière et il y passait la nuit 9, et des gouttes de
sang coulaient de son corps 10 ».Que nous enseignait-il quand ces gouttes de
sang coulaient sur
1. Philipp. II, 5-8. — 2. Ps. XXI, 2 — 3. Id.
LXXXV, 1. — 4. Matth. XXVI, 38. — 5. Jean, IV, 6. — 6. Matth. VIII, 24. — 7.
Id. IV, 2. — 8. Jean, IV, 7; XIX, 28. — 9. Luc, VI, 12. — 10. XXII, 43, 44.
son corps, pendant sa prière, sinon que le
sang des martyrs devrait couler de son corps mystique ou de l’Eglise?
2. « Seigneur, inclinez votre oreille, et
exaucez-moi 1 ». Ainsi dit le Christ dans la forme de l’esclave; toi, esclave,
parle dans la forme de ton Seigneur: « Inclinez votre oreille, ô Dieu, et
exaucez-moi ». Il incline son oreille, si tu n’élèves point trop la tête. Car
il s’approche de celui qui s’humilie; il s’éloigne de celui qui s’élève, à
moins que lui-même ne l’ait relevé de son humilité. Dieu donc a incliné son
oreille vers nous, lui si haut, et nous si bas; lui, dans la splendeur de la
gloire, nous, dans la dernière abjection, mais pas sans remède néanmoins. « Il
a montré son amour pour nous, et lorsque nous étions impies, il est mort pour
nous. C’est à peine si quelqu’un voudrait mourir pour un homme juste; même pour
un bienfaiteur quelqu’un se présenterait-il? « Mais Notre Seigneur est mort
pour les impies 2 ». Aucun mérite ne nous avait précédés pour que le Fils de
Dieu mourût pour nous, et cette absence de mérites a fait ressortir sa
miséricorde. Combien est donc sûre, combien est infaillible cette promesse de
garder sa vie pour les justes, qu’a faite celui qui a donné sa vie pour les
hommes injustes! « Inclinez, Seigneur, votre oreille, et écoutez-moi, car je
suis pauvre et indigent ». Dieu donc n’incline point l’oreille vers celui qui
est riche, il l’incline au contraire vers celui qui est pauvre et indigent, ou
plutôt qui est humble, qui avoue ses fautes, qui a besoin de miséricorde, non
point vers l’homme rassasié qui s’élève, qui se glorifie, comme s’il ne
manquait de rien, et qui dit « Je vous rends grâces de ce que je ne suis point
comme ce publicain 2». Le Pharisien était riche, puisqu’il vantait ses mérites,
le publicain était pauvre et confessait ses péchés.
3. Et quand je vous dis, mes frères, que Dieu
n’incline point son oreille vers le riche, n’allez pas comprendre qu’il
n’exauce point ceux qui ont de l’or ou de l’argent, des domestiques, des
domaines, dès lors qu’ils y sont astreints par leur naissance, ou par le rang
qu’ils tiennent dans le monde; qu’ils se souviennent seulement de ce qu’a dit
l’Apôtre: « Ordonnez aux riches de ce monde de ne
1.
Ps. LXXXV, 1.— 2. Rom. V, 6-9— 3. Luc, XVIII, 11-13.
point s’enorgueillir 4». Quiconque ne
s’enorgueillit point est pauvre en Dieu, et Dieu incline son oreille vers les
pauvres, vers les indigents, vers les dénués du monde. Ils savent bien qu’ils
ne doivent mettre leur espérance ni dans l’or, ni dans l’argent, ni dans tous
ces biens qui semblent s’écouler avec le temps. Il leur suffit de ne point se
perdre au moyen de ces richesses: c’est beaucoup qu’elles ne leur nuisent pas,
car elles ne peuvent leur servir. Les oeuvres de charité sont utiles sans doute
et chez le riche et chez le pauvre; chez le riche par l’oeuvre et par la
volonté, chez le pauvre par la volonté seulement. Si donc un riche méprise en
lui-même tout ce qui est occasion d’orgueil, il est un pauvre selon Dieu; et
Dieu incline son oreille vers lui, parce qu’il fait que son coeur est contrit.
Vous le savez, mes frères, ce pauvre couvert d’ulcères, et couché devant la
porte du riche, fut porté par les anges au sein d’Abraham: voilà ce que nous
lisons, ce que nous croyons. Quant à ce riche, qui était revêtu de pourpre et
de fin lin, qui faisait chaque jour bonne chère, il fut jeté dans les flammes
de l’enfer 1. Est-ce bien par le seul mérite de sa pauvreté que l’un fut reçu
par les anges, et pour le crime d’être riche que l’autre fut jeté dans les
tourments? Dans ce pauvre, c’est l’humilité qui est glorifiée, et dans ce riche
l’orgueil qui est châtié. Et je prouve en un mot que ce n’est point la
richesse, mais bien l’orgueil que Dieu a condamné dans ce riche. Assurément ce
pauvre fut porté au sein d’Abraham; mais cet Abraham, au dire de l’Ecriture,
était un riche de la terre, il avait de l’or, de l’argent 2. Si le riche est
jeté dans les tourments, comment Abraham était-il plus élevé en gloire que le
pauvre qu’il recevait dans son sein? Mais Abraham était humble au milieu de ses
richesses; il tremblait devant les préceptes de Dieu, il s’y soumettait. Il
estimait si peu les richesses selon le monde, que sur l’ordre de Dieu il allait
immoler son fils 3, l’héritier de ces grands biens. Apprenez donc à être
pauvres, à être indigents, soit que vous possédiez des biens ici-bas, soit que
vous n’en possédiez point. Vous trouvez en effet des gens orgueilleux dans leur
pauvreté, et des hommes riches qui confessent leurs péchés. Or, Dieu résiste
aux
1. I Tim. VI, 17. — 2. Luc, XVI, 19-24.— 3.
Gen. XIII, 2. — Id. XXII, 10.
superbes, aux hommes vêtus de soie et de
pourpre; il donne sa faveur aux humbles 1, qu’ils aient ou non des biens sur la
terre. Dieu regarde l’intérieur; voilà ce qu’il pèse et ce qu’il juge. Tu ne
vois point la balance de Dieu, et néanmoins elle pèse tes pensées. Voyez-le
bien, notre interlocuteur ne fonde son espérance d’être exaucé qu’en ce qu’il
dit: « Je suis pauvre et indigent ». Garde-toi de n’être point pauvre et
indigent; situ ne l’es point, tu ne seras pas exaucé; rejette bien loin tout ce
qui est autour de toi ou en toi, et qui pourrait te donner de la présomption;
que Dieu soit ton unique appui: sois pauvre de lui, afin qu’il t’enrichisse de
lui-même. Tout ce que tu posséderas sans lui ne fera qu’augmenter ton indigence.
4. « Conservez mon âme, parce que je suis
saint 2 ». Ce langage, « parce que je suis saint », je ne sais qui peut le
tenir, sinon celui qui était sans péché en cette vie; qui n’avait commis aucun
péché, qui les a tous effacés. C’est sa voix que nous reconnaissons ici: «
Parce que je suis saint, gardez mon âme »: nous le reconnaissons en cette forme
d’esclave dont il s’était revêtu. Cette nature avait une chair et une âme. Non
point, comme l’ont dit quelques-uns 3, une chair seulement unie au Verbe; mais
une chair, une âme et le Verbe: et tout cela constituait un seul Fils de Dieu,
un seul Christ, un seul Sauveur, égal au Père dans sa forme divine, chef de
l’Eglise dans sa forme d’esclave. Donc à cette parole: « Parce que je suis
saint », faut-il n’entendre que sa voix et la séparer de la mienne? Assurément,
en parlant ainsi, il parle dans son union inséparable avec son corps. Et moi,
oserai-je bien dire: « Parce que je suis saint? Saint et me sanctifiant, sans
avoir besoin qu’un autre me sanctifie, c’est là de l’orgueil, du mensonge:
saint mais sanctifié, ainsi qu’il est dit: Soyez saints, parce je suis saint 4
»; que tout le corps de Jésus-Christ, que cet homme qui crie vers Dieu des
extrémités de la terre 5, ose bien dire avec son chef et sans son chef: « Parce
que je suis saint », car il a reçu la grâce de la sainteté, la grâce du baptême
et de la rémission des fautes. « Voilà ce que vous avez été », nous dit
l’Apôtre, énumérant des péchés, graves et légers, ordinaires et horribles: «
Voilà ce que
1. Jacques, IV, 6.— 2. Ps. LXXXV, 2.— 3. Les
Apollinaristes.— 4. Lévit. XIX, 2. — 5. Ps. LX, 3.
vous avez été, mais vous vous êtes lavés,
mais vous vous êtes sanctifiés 1 ». Si donc nous sommes sanctifiés, selon
l’Apôtre, que chacun des fidèles dise: « Je suis saint ». Ce n’est point là une
parole d’orgueil, mais un témoignage de reconnaissance. Dire que tu es saint
par toi-même, c’est de l’orgueil; mais fidèle à Jésus-Christ, membre de
Jésus-Christ, dire que tu n’es pas saint, c’est de l’ingratitude. Pour confondre
ton orgueil, l’Apôtre ne dit point: Tu n’as rien; mais bien: « Qu’as-tu, que tu
n’aies pas reçu 2? » Il ne t’accuse pas de dire que tu as ce que tu n’as pas,
niais de vouloir t’attribuer ce que tu as; reconnais même que tu as quelque
chose, mais rien de toi, afin de n’être ni orgueilleux ni ingrat. Dis à ton
Dieu: Je suis saint, parce que vous m’avez sanctifié: parce que j’ai reçu la
sainteté, non parce que je l’avais: parce que vous me l’avez donnée, non parce
que je l’ai méritée. Autrement tu t’exposerais à faire injure à Notre Seigneur
Jésus-Christ lui-même. Car si tous les chrétiens, tous les fidèles, parce
qu’ils sont baptisés en Jésus-Christ, ont revêtu Jésus-Christ, ainsi que l’a
dit l’Apôtre: « Vous qui êtes baptisés dans le Christ, vous êtes revêtus du
Christ 3»; si, devenus membres de son corps, ils disent qu’ils ne sont pas
saints, ils font injure à la tête, dont les membres alors ne seraient plus
saints. Vois donc où tu es, et que la gloire de ton chef rejaillisse en toi.
Toi autrefois dans les ténèbres, « maintenant lumière en Jésus-Christ. Car vous
étiez ténèbres », nous dit l’Apôtre 4. Mais êtes-vous donc demeurés ténèbres?
Est-ce pour vous laisser dans ces ténèbres, ou pour vous jeter dans la lumière,
qu’est venu ce divin illuminateur? Que tout chrétien, ou plutôt que tout le
corps du Christ, en butte à la tribulation, éprouvé par des secousses et des
scandales sans nombre, crie au Seigneur: «Gardez mon âme, parce que je suis
saint. Sauvez, ô mon Dieu, votre serviteur qui espère en vous ». C’est là un
saint sans orgueil, puisqu’il espère en Dieu.
5. « Ayez pitié de moi, Seigneur. parce que
j’ai crié vers vous pendant tout le jour 5 ». Non point un seul jour, mais «
tout le jour », ou en tout temps. Depuis que le corps du Christ gémit dans les
angoisses,jusqu’à la fin des siècles qui mettra fin à ces angoisses, cet
1. I
Cor. VI, 11.— 2. Id. IV, 7.— 3.Gal. III, 27.— 4. Ephés. V, 8. — 5. Ps. LXXXV, 3.
homme pousse vers Dieu des cris et des
gémissements; et chacun de nous a sa part dans les gémissements du corps
entier. Tu as crié dans les jours de ta vie, et ta vie est passée un autre t’a
succédé, et a crié pendant sa vie; toi ici, un autre là, un troisième ailleurs
c’est ainsi que dans la succession de ses membres, le Christ a crié pendant tout
le jour. Il se porte comme un seul homme jusqu’à la tin des siècles. Les mêmes
membres du Christ gémissent, et quelques-uns de ces membres déjà reposent en
lui, quelques-uns crient maintenant sur la terre, d’autres gémiront quand nous
serons dans le repos, et après eux d’autres encore. C’est donc le gémissement
du corps entier que marque ici le Prophète, quand il dit: «J’ai crié vers vous
pendant tout le jour». Quant à notre chef, il intercède pour nous 1, à la
droite de son Père. Il reçoit quelques-uns de ses membres, il en châtie
d’autres, purifie celui-ci, console celui-là, crée l’un, appelle l’autre,
rappelle une seconde fois, corrige ceux-ci,- réintègre ceux-là.
6. « Répandez la joie sur l’âme de votre
serviteur, ô mon Dieu, car j’ai levé mon âme vers vous 2 ». Donnez-lui la joie,
parce que je l’ai élevée vers vous. Elle était sur la terre, et en ressentait
les amertumes: afin qu’elle ne dessèche point dans l’amertume, et qu’elle ne
perde point le parfum de votre grâce, je l’ai élevée à vous: faites-lui goûter
quelque joie. Car vous seul êtes la joie, et le monde est plein d’amertume. Le
chef a donc bien raison d’avertir les membres d’élever leurs coeurs au ciel.
Qu’ils l’écoutent, qu’ils lui obéissent: qu’ils élèvent au ciel ce qui est mal
à l’aise sur la terre. Le moyen de tenir le coeur intact, c’est de l’élever à
Dieu. Si tu avais du blé dans un endroit humide, tu le transporterais en haut,
de peur qu’il ne se gâtât. Tu élèverais ton blé en haut, et tu laisses ton
coeur se corrompre sur la terre? Elève le vers le ciel, comme tu ferais de ton
blé. Comment faire, me diras-tu? Quels cables, quelles machines, quelles
échelles ai-je sous la main? Ces échelles sont tes affections: la route à
suivre est ta volonté. Tu montes par l’amour, tu descends par l’insouciance.
Quoique sur la terre, tu es dans le ciel, si tu aimes Dieu. Car le coeur ne
s’élève pas à la façon d’un corps. Un corps ne s’élève qu’en changeant de
place; le coeur s’élève en changeant de volonté.
1. Rom. VIII, 34. — 2. Ps. LXXXV, 4.
« Seigneur, j’ai élevé mon âme vers vous ».
7. « Car vous êtes doux, Seigneur, facile à
fléchir 1». Donnez-moi donc quelque joie. Fatigué de trouver l’amertume sur la
terre, il a désiré quelque douceur, et il en cherche la source, mais ne la
trouve point sur la terre. Quelque part qu’il se trouve, il ne rencontre que
des scandales, des craintes, des tribulations, des épreuves. En quel homme
trouver la sécurité? Qui lui donnera la vraie joie? pas même lui assurément,
combien moins encore un autre! Ou bien les hommes sont méchants, et il faut les
souffrir, espérer qu’ils se pourront convertir; ou ils sont hommes de bien, et
alors il faut les aimer, non sans crainte qu’ils ne deviennent méchants, car
ils peuvent toujours changer. Ici donc l’âme du Prophète est pleine d’amertume,
par la malice des uns, et là elle est tourmentée par la crainte que l’homme de
bien ne vienne à déchoir. Quelque part qu’il jette les yeux, il ne trouve
qu’amertume sur la terre il ne peut l’adoucir qu’en s’élevant à Dieu: « Vous
êtes doux, Seigneur, facile à fléchir ». Qu’est-ce à dire « doux? » Vous me
supportez jusqu’à ce que vous me perfectionniez. Car, mes frères, je dois vous
parler comme un homme au milieu d’autres hommes, et d’après l’expérience des
hommes: que chacun rentre en son coeur, qu’il s’examine et se considère sans
flatterie. Car s’examiner pour se tromper, serait le comble de la folie. Que
chacun donc examine et voie ce qui se passe dans le coeur humain, comment nos
prières sont pour la plupart entravées par nos futiles pensées, de sorte que
son coeur peut à peine se tenir devant Dieu; et lui-même, qui voudrait s’y
tenir, échappe en quelque sorte à ses propres efforts; il ne trouve ni barrière
pour s’enfermer, ni digue pour contenir ses divagations, ses mouvements
désordonnés, afin de se tenir devant Dieu et y goûter la joie. A peine dans
toutes ces prières, trouvons-nous une prière digne de ce nom. Nous croirions
peut-être que d’autres n’éprouvent pas ce que nous éprouvons, si nous ne
lisions dans l’Ecriture cette parole du roi David au milieu de sa prière « J’ai
trouvé mon coeur, ô mon Dieu, pour vous invoquer 2 ». Il a trouvé son coeur,
dit-il, comme si ce coeur lui échappait d’ordinaire, comme s’il le poursuivait
dans sa
1. Ps. LXXXV, 5. — 2. II Rois, VII, 27.
fuite, et que dans l’impossibilité de le
saisir, il criât vers Dieu: « Mon coeur m’a échappé 1». Donc, mes frères, en
examinant ces paroles du Prophète: « Vous êtes doux et facile à fléchir »; il
me semble que quand il dit « Vous êtes doux; versez la douceur dans l’âme de votre
serviteur, parce que vous êtes suave et doux »; il me semble, dis-je, qu’il
attribue à Dieu la douceur, parce que Dieu souffre nos faiblesses et attend
pour nous perfectionner la prière de notre coeur. Et quand nous la lui avons
donnée, il la reçoit favorablement et nous exauce; il oublie tant d’autres
prières faites avec dissipation, et il accepte celle que nous avons à peine
trouvée. Où est, mes frères, où est l’homme qui souffrirait que son ami, après
avoir commencé à s’entretenir avec lui, au lieu d’écouter sa réponse, lui
tournât le dos et parlât avec un autre? Quel juge pourrait vous souffrir si,
après en avoir appelé à son tribunal, tout en lui parlant, vous le quittiez
tout à coup pour aller deviser avec votre ami? Et cependant Dieu souffre ces égarements
du coeur, et dans ceux qui le prient, ces pensées que je n’appelle point
dangereuses, que je n’appelle point coupables et ennemies de Dieu; mais vous
occuper des pensées frivoles, c’est outrager votre interlocuteur. Or, cette
prière est une conversation avec Dieu. Dans une lecture, c’est Dieu qui vous
parle; dans une prière, c’est vous qui parlez à Dieu. Mais quoi? Faut-il
désespérer du genre humain, et dire que tout homme sera damné, dès qu’une
distraction se glissera dans sa prière et viendra l’interrompre? Si cela était,
mes frères, je ne vois pas quelle espérance il nous resterait. Mais puisque
nous espérons en Dieu, puisque sa miséricorde est grande, disons-lui: «
Répandez la joie dans l’âme de votre serviteur, ô mon Dieu, parce que j’ai élevé
mon âme vers vous ». Et comment l’ai-je élevée? Comment l’ai-je pu faire?
Autant que vous m’en avez donné les forces, autant que j’ai pu la retenir dans
sa fuite. Mais as-tu oublié, te répond le Seigneur, combien de fois tu t’es
présenté devant moi, pour t’occuper de tant de frivolités, qu’à peine tu
pouvais faire une prière fixe et arrêtée? « Vous êtes suave et doux, ô mon Dieu
», doux pour me tolérer. Je suis malade et m’écoule comme l’eau; guérissez-moi,
et je serai stable;
1. Ps. XXXIX, 13.
affermissez-moi, et je serai ferme; jusque-là
vous me tolérez, parce que vous êtes suave et doux, ô mon Dieu!
8. « Et plein de miséricorde ». Non seulement
miséricordieux, mais « plein de miséricorde ». Nos péchés abondent, votre miséricorde
abonde en proportion. « Et vous êtes plein de miséricorde pour tous ceux qui
vous invoquent ». Pourquoi l’Ecriture dit-elle en beaucoup d’endroits: « Qu’ils
m’invoqueront, et que je ne les exaucerai pas 1»; et néanmoins « Dieu est plein
de miséricorde pour ceux qui l’invoquent »; sinon parce que beaucoup
l’invoquent, mais sans l’invoquer? C’est d’eux qu’il est dit: « Ils n’ont pas
invoqué Dieu 2 ». lis invoquent, mais non pas Dieu. Tu invoques ce que tu
aimes; tu invoques ce que tu appelles en toi, tu invoques ce que tu veux avoir
en toi. Or, situ invoques le Seigneur, afin qu’il t’arrive de l’argent, un
héritage, une dignité du monde, tu appelles des biens que tu désires posséder,
tu te fais un Dieu complice de tes convoitises, non un Dieu qui écoute les
prières. Dieu est bon s’il t’accorde ta demande. Mais si ta demande est
mauvaise, n’y a-t-il pas plus de miséricorde à ne point l’accorder? Mais qu’il
ne t’accorde rien, et il n’est rien pour toi, et tu dis alors: Que n’ai-je
point demandé, et combien de fois, et je n’ai pas été exaucé? Or, que
demandais-tu? La mort de ton ennemi peut-être. Et si cet ennemi demandait la
tienne? C’est le même Dieu qui t’a créé, et qui l’a créé: il est un homme, de
même que tu es un homme; or, Dieu qui est juste, entend l’un et l’autre et
n’écoute ni l’un ni l’autre. Tu es triste, parce que tu as échoué contre lui;
réjouis-toi de ce qu’il ait échoué contre toi. Mais, diras-tu, ce n’est point
là ce que je demandais, je ne demandais point la mort de mon ennemi, mais bien
la vie de mon fils. Quel mal y avait-il? A ton sens tu ne demandais rien de
mauvais. Mais que diras-tu si ce fils ne t’a été enlevé que pour empêcher que
la malice corrompît son esprit’? Mais il était pécheur, me répondras-tu, et je
souhaitais qu’il vécût afin qu’il se convertît. Tu demandais qu’il vécût afin
qu’il devînt meilleur. Mais si Dieu savait qu’une longue vie le rendrait pire
encore? Comment savais-tu ce qui lui était le plus avantageux, de vivre ou de
mourir? Si tu ne le savais pas,
1. Prov. I, 28. — 2. Ps. LII, 6. — 3. Sag.
IV, 11.
rentre donc en toi-même, et laisse agir Dieu
dans sa sagesse. Que faire alors, me diras-tu? Que demanderai-je? Que
demanderais-tu? Ce que Jésus-Christ, ce que le divin Maître t’a enseigné à
demander. Invoque Dieu comme Dieu; aime Dieu comme Dieu. Il n’est rien de
meilleur que lui; c’est lui qu’il faut souhaiter, désirer, Ecoute une prière
adressée à Dieu dans un autre psaume: « Je n’ai demandé à Dieu qu’une seule
chose, et je la demanderai encore ». Et quelle est cette demande? « D’habiter
dans la maison « du Seigneur, tous les jours de ma vie ». Pourquoi? « Afin d’y
contempler les délices du Seigneur 1 ». Si donc tu veux aimer Dieu, que ton
amour pénètre tes os dans sa sincérité; aime-le par de chastes soupirs, que ton
amour soit une flamme ardente, aspire vers lui; nul amour n’est plus doux,
n’est plus suave, n’est plus délicieux, n’est plus durable. Quoi de plus
durable qu’un amour sans fin? Ne crains pas qu’il ne meure pour toi, celui qui
fait que tu ne meurs point. Si donc tu invoques Dieu comme Dieu, sois en
sûreté, il t’exaucera; tu es dans le sens de ce verset: « Il est plein de
miséricorde pour ceux qui l’invoquent».
9. Ne dis donc point: Dieu ne m’a point fait
cette grâce. Rentre dans ta conscience, pèse, interroge, n’épargne rien, Si tu
as réellement invoqué le Seigneur, sois certain qu’il ne t’a point accordé le
bien temporel que tu lui demandais, par cela seul qu’il ne t’eût servi de rien.
C’est, mes frères, dans cette vérité qu’il faut affermir votre coeur, un coeur
chrétien, un coeur fidèle; ne vous attristez point, comme si Dieu s’était
refusé à vos désirs, ne vous emportez point contre lui. Car il n’est pas bon de
regimber contre l’aiguillon 2.Voyez l’Ecriture: le diable est exaucé, l’Apôtre
ne l’est point. Que vous en semble? Comment Dieu peut-il exaucer les démons?
Ils demandèrent d’entrer dans les pourceaux, et cela leur fut accordé 3.
Comment le diable a-t-il été exaucé? Il demanda de tenter Job, et l’obtint 4.
Comment l’Apôtre n’a-t-il pas été exaucé? « De peur que la grandeur de mes
révélations ne me donnât de l’orgueil, un aiguillon a été mis dans ma chair,
instrument de Satan pour me donner des soufflets; c’est pourquoi j’ai prié
trois fois le
1.
Ps. XXVI, 4.— 2. Act. IX, 5.— 3. Matth. VIII, 31, 32.— 4. Job, I, 11, 12; II, 5, 6.
Seigneur de l’éloigner de moi. Il m’a
répondu: Ma grâce te suffit, car la force se perfectionne dans la faiblesse 1
». Dieu donc a exaucé celui qu’il se préparait à condamner, et n’a point exaucé
celui qu’il voulait guérir. Souvent un malade demande à un médecin bien des
choses que celui-ci n’accorde pas; il résiste à sa volonté pour mieux veiller à
sa santé. Prends donc le Seigneur pour ton médecin; demande-lui le salut, et il
sera lui-même ton salut, non qu’il te sauvera d’une manière extérieure, mais
lui-même sera ton salut: ne cherche donc point d’autre salut que lui-même,
ainsi qu’il est dit dans le psaume: « Dites à mon âme: Je suis ton salut 2 ».
Que peut-il te faire et te dire, que se donner à toi? Veux-tu qu’il se donne
réellement? Mais comment se donner à toi, situ veux ce qu’il ne veut point? Il
écarte les obstacles, afin d’entrer en toi. Considérez, mes frères, les biens
que Dieu donne aux pécheurs, et jugez par là de ce qu’il réserve à ses
serviteurs. A des impies qui blasphèment contre lui, il donne chaque jour le
ciel, la terre, les fontaines, les fruits, la santé, des enfants, les richesses
et l’abondance. Nul autre que Dieu ne donne ces biens. Si telle est sa
munificence envers les méchants, que penses-tu qu’il réserve à ses serviteurs
fidèles? Nous faudra-t-il penser qu’il n’a rien pour les bons, celui qui est si
généreux envers les méchants? Il leur réserve au contraire, non la terre, mais
le ciel. Et je dis trop peu en disant le ciel; il leur réserve lui-même qui a
fait le ciel. Le ciel est beau sans doute, mais celui qui a fait le ciel est
beaucoup plus beau. Pourtant je vois le ciel, et lui, je ne le vois pas; aussi
as-tu des yeux pour voir le ciel, mais tu n’as pas encore un coeur apte à
contempler le créateur du ciel. Mais il est venu du ciel ici-bas pour purifier
ton coeur, et te montrer le créateur du ciel et de la terre. Attends donc avec
patience ton salut. Il sait par quels remèdes il pourra te guérir, quelles
incisions, quelles brûlures il doit te faire. C’est par le péché que tu as
contracté ta maladie: il est venu non seulement pour adoucir, mais pour
trancher et brûler. Ne vois-tu pas ce qu’endurent les hommes entre les mains du
médecin; et il n’est qu’un homme ne donnant qu’une espérance incertaine? Vous
guérirez, dit le médecin, vous guérirez si je pratique
1. II Cor. XII, 7-9.— 2. Ps. XXXIV, 3.
cette incision. C’est un homme qui parle
ainsi, et à un autre homme; et celui qui fait la promesse n’est pas plus
certain que celui qui l’entend; puisqu’elle est faite par un homme qui n’a pas
fait l’homme, et qui ne sait qu’imparfaitement ce qui se passe dans le corps de
l’homme: et néanmoins à la parole d’un homme qui ignore encore plus qu’il ne
connaît ce qui se passe dans le corps humain, voilà un homme qui a confiance,
qui abandonne son corps, qui se laisse garrotter, ou même souvent sans être lié
endure le fer et le feu. Il recouvre la santé pour quelques jours, mais il ne
sait quand il mourra, et parfois même il meurt pendant l’opération, on ne peut
cicatriser ses plaies. Mais à qui Dieu a-t-il fait une promesse qu’il n’ait
point tenue?
10. « Seigneur, fixez ma prière dans votre
oreille 1 ». C’est l’élan d’un coeur qui supplie. « Seigneur, fixez ma prière
dans votre oreille »; c’est-à-dire, que ma prière n’échappe point à votre
oreille, mais, daignez l’y fixer. De quelle manière obtenir que sa prière soit
fixée dans l’oreille de Dieu? Que Dieu nous réponde lui-même, et nous dise:
Veux-tu que ta prière soit fixée dans mon oreille? toi. même fixe ma loi dans
ton coeur. « Seigneur, fixez ma prière dans votre oreille, et soyez attentif à
mes supplications ».
11. « J’ai crié vers vous, au jour de mon
affliction, et alors vous m’avez exaucé 2.»
Ce qui vous a porté à m’exaucer, c’est que
j’ai crié vers vous au jour de mon affliction. Tout à l’heure le Prophète nous
disait: « Pendant tout le jour j’ai crié »; tout le jour j’ai été dans
l’affliction. Qu’un chrétien ne dise donc point qu’il est un jour exempt de
peine. Tout le jour signifie pendant tout le temps Tout le jour il est dans
l’angoisse. Eh quoi donc! y a-t-il tribulation quand tout est bien pour nous?
Oui, tribulation. D’où vient-elle? Tant que nous sommes en cette vie, nous
sommes loin du Seigneur 3. Quelles que soient ici-bas nos réjouissances, nous
ne sommes point dans cette patrie, où nous nous hâtons d’arriver. Celui-là
n’aime point la patrie qui se plaît dans l’exil: pour qui la patrie est douce,
l’exil est amer; si l’exil est amer, il y a tribulation pendant tout le jour.
Quand n’y a-t-il pas tribulation? Quand la patrie a pour nous des charmes. « A
votre droite sont
1. Ps. LXXXV, 6. — 2. Id. 7. — 3. II Cor. V,
6.
les douceurs sans fin. Votre face me comblera
de joie 1 », dit le Prophète, « je contemplerai les beautés de mon Dieu 2 ».
C’es là qu’il n’y aura plus ni labeur, ni gémissements: là, plus de
supplications, mais uni louange sans fin; là, nous chanterons ave les anges un
alléluia sans fin, un amen éternel; là une vision sans lassitude, un amour sans
ennui. Vous-le voyez donc, il n’y a point de bonheur pour nous, tant que nous
n’habiterons point ces demeures. Mais n’avons-nous pas tout en abondance? Quand
même tu aurais tout en abondance, vois si tu es assuré de ne point perdre tout.
Mais n’ai-je point aujourd’hui ce qui me manquait? Ne m’est-il point venu de
l’argent que je n’avais pas? Tu as sans doute aussi la crainte que tu n’avais
pas; et alors ta sécurité égalait ta pauvreté. Mais je t’accorde les richesses,
les biens de ce monde, l’assurance de n’en rien perdre. Que Dieu te dise
encore: Tu auras toujours ces biens, tu les posséderas éternellement, mais tu
ne verras point ma face. Ne consultez pas la chair, mais consultez l’esprit;
laissez répondre votre coeur, répondre cette foi, cette espérance, cette
charité qui commence à naître en vous. Si donc nous avions la certitude que
nous serons toujours dans l’abondance, et que Dieu nous dit: Vous ne verrez
point ma face, goûterions-nous quelque bonheur dans ces biens? Quelqu’un
peut-être choisirait les joies d’ici-bas, et dirait: Je suis riche, c’est bien,
je ne veux rien de plus. Cet homme n’a pas encore commencé à aimer Dieu; il n’a
point encore soupiré dans son exil. Non, non. Arrière toutes ces séductions!
Arrière ces charmes mensongers! Arrière tout ce qui nous dit chaque jour: Où es
ton Dieu? Répandons notre âme sur nous-mêmes, confessons nos fautes avec
larmes; gémissons dans ces aveux, soupirons dans nos misères 3. Rien n’est doux
pour nous en dehors de Dieu. Nous ne voulons rien de ce qu’il nous donne, s’il
ne se donne lui-même celui qui nous a tout donné. « Fixez ma prière dans votre
oreille, ô mon Dieu, écoutez le cri de mes supplications. Au jour de mes
tribulations, j’ai crié vers vous et vous m’avez exaucé ».
12. « Nul d’entre les dieux n’est semblable à
vous, Seigneur 4 ». Quelle est cette parole?
1. Ps. XV, 11. — 2. Id. XXVI, 4.— 3. Id. XLI,
4, 5, 11.— 4. Id. LXXXV, 2.
« Nul d’entre les dieux n’est semblable à
vous, Seigneur ». Que les païens se fassent des dieux selon leurs caprices; que
les ouvriers en argent, en or, les ciseleurs, les sculpteurs, leur fabriquent
des dieux. Quels dieux? Des dieux qui ont des yeux pour ne point voir 1, et
tous ces défauts que le Psalmiste leur a reprochés. Mais, me dit un païen, ce
n’est point là ce que j’adore, ils ne sont que des signes, je ne les adore
point. Qu’adorez-vous donc? Quelque chose de pire: « Car les dieux des nations
sont les démons 2 ». Qu’est-ce donc? Ni les démons non plus, nous ne les
adorons pas. Et pourtant vous n’avez que le démon dans vos temples, et il n’y a
que lui qui inspire vos devins. Mais que nous alléguez-vous? Nous adorons les
anges, les anges sont, nos dieux. Vous ne connaissez nullement les anges, car
les anges adorent un seul Dieu, et n’accordent aucune faveur aux hommes qui
veulent adorer les anges, et non Dieu. Des anges que l’on voulait honorer, ont
défendu aux hommes de leur rendre un culte 3; il le faut au vrai Dieu. Mais
qu’on les appelle des anges ou des hommes, bien qu’il soit écrit: « Je l’ai
dit: vous « êtes des dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut 4; nul parmi
les dieux n’est semblable à vous, ô mon Dieu ». Quelles que soient les pensées
des hommes, la créature ne sera point semblable au Créateur. Or, à l’exception
de Dieu, tout ce qui est dans la nature est l’oeuvre de Dieu. Qui pourra
mesurer la distance entre l’oeuvre et l’ouvrier? Le Prophète s’écrie donc: «
Nul parmi les dieux n’est semblable à vous, ô mon Dieu ». Mais il n’a point
précisé la différence avec Dieu, parce que cette précision est impossible. Que
votre charité le veuille bien comprendre, Dieu est ineffable; il est plus
facile de dire ce qu’il n’est pas, que de dire ce qu’il est. Ta pensée s’arrête
sur la terre, ce n’est pas Dieu; sur la mer, ce n’est pas Dieu; sur tout ce qui
est sur la terre, ce sont des hommes et des animaux, ce n’est pas Dieu; sur
tout ce qu~ est sur la mer, sur tout ce qui vole dans les airs, ce n’est pas
Dieu; sur tout ce qui brille dans les cieux, ce sont les étoiles, le soleil et
la lune, ce n’est pas Dieu; sur le ciel, ce n’est pas Dieu. Elève ta pensée
jusqu’aux Anges, aux Vertus, aux Puissances, aux Archanges, aux Trônes, aux
Sièges, aux Dominations, tout cela n’est pas Dieu. Qu’est-il donc? J’ai
1. Ps. CXIII, 5.— 2. Id. XCV, 5.— 3. Apoc.
XIX, 10. — 4. Ps. LXXXI, 6.
seulement pu te dire ce qu’il n’est pas. Tu
me demandes ce qu’il est? Ce que l’oeil n’a point vu, ce que l’oreille n’a pas
entendu, ce qui n’est pas monté au coeur de l’homme 1. Comment pourrait arriver
à ma langue ce qui n’est pas arrivé jusqu’à mon coeur? «Nul n’est semblable à
vous parmi les dieux, ô mon Dieu; nul ne peut vous être comparé dans vos
oeuvres ».
13. « Toutes les nations que vous avez
faites, viendront et se prosterneront devant vous, ô mon Dieu 2 ». Il
prophétise l’Eglise dans ces paroles: « Toutes les nations que vous avez faites
». S’il est une nation que Dieu n’ait point faite, elle ne l’adorera point;
mais il n’est aucun peuple que Dieu n’ait fait, puisque Adam et Eve, qui sont
la source de toutes les nations, c’est Dieu qui les a créés, et que de là tous
les peuples tirent leur origine: Dieu donc a fait tous les peuples. « Toutes
les nations que vous avez faites, viendront et se prosterneront devant vous, ô
mon Dieu ». Quand le Prophète parlait-il ainsi? Quand il n’y avait pour se
prosterner devant Dieu que quelques saints chez le seul peuple des Hébreux,
ainsi parlait le Prophète, et aujourd’hui, selon cette prophétie, nous voyons «
toutes les nations que vous avez faites, ô mon Dieu, se prosterner devant vous
». Quand le Prophète parlait ainsi, nul ne voyait que par la foi; aujourd’hui
qu’on le voit, pourquoi nier que « toutes les nations que vous avez faites,
Seigneur, viennent se prosterner devant vous, et glorifier votre nom? »
14. « Parce que vous êtes grand, que vous
opérez des merveilles, et que seul vous êtes un grand Dieu ». Que nul ne se
dise grand. On devait voir des hommes se nommer grands: c’est contre cette
prétention que le Prophète s’écrie: « Vous seul êtes grand Dieu 3». Autrement à
quoi bon dire à Dieu, que lui seul est grand et Dieu? Qui peut ignorer qu’il
est Dieu et grand? Mais comme on devait voir des hommes qui se diraient grands,
tout en rapetissant Dieu, le Prophète rabat leur prétention, en disant: « Vous
seul êtes Dieu et grand ». Car ce que vous dites s’accomplit, et non ce que
disent ceux qui prônent leur grandeur. Qu’a dit le Seigneur par l’Esprit-Saint?
« Toutes les nations que vous avez faites viendront, et se prosterneront devant
vous, ô mon Dieu ». Que vient nous dire je ne sais
1. II Cor, II, 9. — 2. Ps. LXXXV, 9. — 3. Id.
10.
quel homme se disant grand? Point du tout;
Dieu n’est pas adoré parmi toutes les nations: toutes les nations ont péri, il
n’y a plus que l’Afrique. Voilà ton langage, ô toi qui te dis grand: mais il
tient un autre langage, ce Dieu qui seul est grand. Que dit-il donc ce seul
grand Dieu? « Toutes les nations que vous avez faites, ô mon Dieu, viendront se
prosterner devant vous ». Je vois ce qu’a dit le seul Dieu qui est grand: que
l’homme se taise dans sa fausse grandeur; oui, fausse grandeur par cela seul
qu’il dédaigne de se faire petit. Qui daigne d’être petit? Celui qui parle
ainsi: « Quiconque, parmi vous, prétendra être grand», a dit le Seigneur, «
sera votre serviteur 1 ». Si cet homme voulait être le serviteur de ses frères,
il ne les séparerait point de leur mère. Mais comme il vise à la grandeur, et
ne veut pas être petit pour le bien des autres: Dieu, qui résiste aux superbes,
mais accorde aux humbles ses faveurs 2, parce que seul il est grand, accomplit
ce qu’il a prédit, et confond ceux qui maudissent le Christ. Or, c’est maudire
le Christ que dire qu’il n’y a plus d’Eglise dans l’univers entier, muais
seulement en Afrique. Dis-lui: Tu perdras tes villas, peut-être ne
t’épargnera-t-il pas les soufflets; et le voilà qui prêche que le Christ a
perdu cet héritage racheté de son sang. Jugez, mes frères, de la violence de
l’outrage. L’Ecriture l’a dit: « Une grande nation est la gloire d’un roi, mais
un peuple décroissant est la confusion du prince 3 ». Tu vas donc jusqu’à faire
cette injure au Christ, de prétendre que son peuple en est réduit à ce coin de
terre? Tu es donc né, tu fais donc profession d’être chrétien pour envier au
Christ sa gloire, et tu prétends en porter le signe sur ton front, quand il
n’est plus dans ton coeur, « Une grande nation est la gloire d’un prince ». Reconnais
donc ton roi, fais-lui cet honneur de lui accorder une grande nation. Quelle
grande nation lui donner, me diras-tu? Ne lui accorde rien selon ton coeur, et
tu feras bien. D’où lui donner alors? Donne-lui d’après ces textes: « Toutes
les nations que vous avez faites viendront se prosterner devant vous, ô mon
Dieu ». Parle ainsi, proclame cette vérité et tu lui donneras une grande
nation; parce que toutes les nations mie sont en lui seul qu’une seule nation,
c’est là l’unité. De même qu’on dit l’Eglise, on dit les Eglises,
1. Matth. XX,26. — 2. Jacques, IV, 6. — 3.
Prov. XIV, 28.
et que ces Eglises ne forment qu’une Eglise
ainsi cette grande nation sera toutes les na lions. Tout à l’heure c’étaient
des nations des nations nombreuses, comment n’y a-t il plus qu’une nation?
Parce qu’il n’y a qu’une seule foi, qu’une seule espérance, qu’une seule
charité, qu’un seul avenir. Et enfin pourquoi n’y aurait-il pas une seule,
nation, quand il n’y a qu’une seule patrie? Cette patrie, c’est le ciel; cette
patrie, c’est Jérusalem: quiconque n’en est pas citoyen ici-bas, n’appartient
pas i cette nation, et quiconque en est citoyen ici-bas, est de l’unique nation
de Dieu. Et cette nation s’étend de l’Orient à l’Occident, du Nord et de
l’Océan dans toutes les quatre parties de l’univers entier. Voilà ce que dit le
Seigneur. De l’Orient et de l’Occident, comme du Nord et de la mer, glorifiez
votre Dieu. Voilà ce qu’il a prédit, ce qu’il a accompli, parce que seul il est
grand. Qu’il cesse donc de parler ainsi contre le Dieu qui seul est grand,
celui qui n’a pas voulu être petit; parce que Dieu et Donat ne peuvent être
grands tous deux.
15. « Conduisez-moi, Seigneur, dans votre
voie, et je marcherai dans votre vérité 1. » Votre voie, votre vérité, votre
vie, c’est le Christ. Le corps est donc pour lui, et le corps vient de lui. «
Je suis la voie, la vérité, et la vie 2 ». « Conduisez-moi, Seigneur, dans
votre voie », Dans quelle voie? « Et je marcherai « dans votre vérité ». Autre
est nous conduire vers le chemin, et autre nous conduire dans le chemin. Voyez
l’homme toujours pauvre, toujours ayant besoin de secours. Ceux qui sont en
dehors du chemin ne sont pas chrétiens, ou ne sont pas encore catholiques; il
faut les conduire vers le chemin. Mais quand ils arriveront au chemin, et
qu’ils seront devenus catholiques dans le Christ, qu’ils se laissent conduire
par lui-même dans ce chemin, afin de ne point tomber. C’est alors qu’ils
marchent dans la voie, avec certitude. « Conduisez-moi, Seigneur, dans votre
voie ». le suis dans cette voie, daignez me conduire vous-même. « Et je
marcherai dans votre vérité »: sous votre direction, je ne puis errer; si. vous
m’abandonnez, je suis dans l’erreur. Prie donc le Seigneur de ne t’abandonner
jamais, de te diriger jusqu’à la fin. Comment conduit-il? par ses conseils, et
en te donnant la main. Et qui a connu le bras du Seigneur 3? Donner son Christ,
c’est donner
1. Ps. LXXXV, 11. — 2. Jean, XIV, 6.— 3. Isa.
LIII, 1.
sa main, et donner sa main, c’est donner son
Christ. Te conduire à la voie, c’est te conduire au Christ; et te conduire dans
la voie, c’est te conduire dans le Christ. Or, le Christ est la vérité. «
Conduisez-moi, Seigneur; dans votre voie, et je marcherai dans votre vérité »;
dans celui-là même qui a dit: « Je suis la voie, la vérité, et la vie ».
Pourquoi en effet conduire dans la voie et dans la vérité, sinon pour arriver à
la vie? C’est donc en lui, Seigneur, que vous nous conduisez vers lui. «
Conduisez-moi, Seigneur, dans votre voie, et je marcherai dans votre vérité ».
16. « Que mon coeur soit dans la joie, afin
de craindre votre nom ». Dans cette joie donc il y a de la crainte. Mais avec
la crainte où peut être la joie? n’y a-t-il point ordinairement de l’amertume
dans la crainte? Un jour nous aurons une joie sans crainte; ici-bas la crainte
est dans la joie. Nous n’avons ni une sécurité entière, ni une joie pleine.
Sans aucune joie nous succombons, avec une entière sécurité notre allégresse
est vicieuse. Que Dieu donc laisse tomber sur nous quelque joie, qu’il nous
inspire de la crainte, et des douceurs de la joie nous conduise au repos de la
sécurité. Qu’il nous inspire de la crainte, afin qu’une trompeuse allégresse ne
nous jette point hors de la voie. Aussi le Psalmiste a-t-il dit: « Servez le
Seigneur dans la crainte, et réjouissez-vous en lui avec tremblement 1 ». Et
l’apôtre saint Paul a dit aussi: « Opérez votre salut avec crainte « et avec
tremblement, car c’est Dieu qui l’opère en vous 2». Quel que soit donc le
bonheur qui nous arrive, mes frères, craignez davantage; car ce que vous prenez
pour une félicité, est plutôt une épreuve. Il vous vient un héritage, une
grande fortune, je ne sais quel comble de prospérité; ce sont autant
d’épreuves, prenez garde à la corruption. Il y a même des prospérités dans le
Christ, et dans la charité du Christ: ainsi tu as peut-être gagné une épouse
qui avait suivi le parti de Donat; tu as amené à la foi tes fils qui étaient
païens; tu as conquis au Christ un ami qui voulait t’entraîner dans les
théâtres, et tu l’as ramené dans l’Eglise; tu avais peut-être un ennemi acharné
à te contredire, et déposant sa rage, il est devenu doux, a connu le Seigneur,
et loin d’aboyer contre toi il proteste
1. Ps. II, 11.— 2. Philipp. II, 12, 13.
avec toi contre les méchants; voilà tout autant
de joies. Qu’est-ce en effet qui nous réjouira, si tout cela ne nous réjouit
point?Ou quelles autres joies plus pures que celles-là pourrons-nous avoir?
Mais comme il y a en cette vie des tribulations, des épreuves, des dissensions
et des schismes, et tous ces maux dont le siècle ne saurait être exempt jusqu’à
ce que l’iniquité disparaisse; que notre joie ne nous endorme point dans notre
sécurité, que notre coeur se réjouisse, mais dans la crainte du Seigneur; qu’il
ne trouve ailleurs ni joie, ni repos. N’attendez pas de sécurité dans l’exil;
quand nous la voudrons goûter ici-bas, ce sera plutôt une glu pour le corps,
qu’une sécurité pour l’homme. « Que mon coeur soit dans la joie, de manière à
craindre votre nom».
17. « Je vous confesserai, Seigneur mon Dieu,
de tout mon coeur, et je glorifierai votre nom dans l’éternité; parce que votre
miséricorde est grande envers moi, et que vous avez arraché mon âme de l’enfer
inférieur 1». Ne m’en veuillez point, mes frères, si je ne vous donne point sur
ce verset une interprétation certaine. Je suis homme, et je n’ose parler que
d’après les saintes Ecritures, jamais de moi-même. Je n’ai point éprouvé
l’enfer, vous non plus: peut-être prendrons-nous un autre chemin qui ne sera
point celui de l’enfer. Tout cela est incertain. Mais comme on ne saurait
contredire l’Ecriture qui nous dit: « Vous avez arraché mon âme à l’abîme
inférieur »; nous comprenons qu’il y a comme deux enfers, l’un supérieur,
l’autre inférieur. Pourquoi, en effet, un enfer inférieur, s’il n’en est un
supérieur? Ce n’est qu’à raison de cette partie supérieure de l’enfer que l’on
peut parler d’une autre. Il me semble donc, mes frères, qu’il est pour les
anges une habitation céleste, séjour des joies ineffables, séjour d’immortalité
et d’incorruption, séjour où tout est en permanence, selon le don et la grâce
de Dieu. C’est la partie supérieure du monde. Si telle est la partie
supérieure, ce séjour terrestre, séjour de la chair et du sang, séjour de la
corruption, où l’on naît pour mourir, où il y a disparition et succession,
mutabilité et inconstance, où l’on ne rencontre que les craintes, les
convoitises, les horreurs, les joies incertaines, une espérance fragile, une
substance
1. Ps. LXXXV, 12, 18.
périssable, ce séjour, dis-je, ne peut être
comparé au ciel dont nous venons de parler; si donc on ne saurait le comparer
au ciel, le ciel est la région supérieure, et celle-ci sera la région
inférieure, d’où vient le nom d’enfer. Mais après la mort, où irons-nous, s’il
n’y a une région encore au-dessous de cette région inférieure que nous habitons
avec notre chair et notre mortalité? Car l’Apôtre l’a dit, « le corps est mort
à cause du péché 1». Nous sommes donc morts dès ici-bas, et rien d’étonnant,
dès lors, que ce séjour soit appelé enfer, s’il y a tant de morts. L’Apôtre ne
dit point que le corps mourra, mais bien: « Le corps est mort ». Il est vrai
que ce corps possède encore une vie; mais il est véritablement mort, bien qu’il
soit uni à l’âme, si nous Je comparons à ce corps que nous devons avoir, et qui
ressemblera au corps des anges. Mais au-dessous de cet enfer, c’est-à-dire
au-dessous de cette partie inférieure, il est un autre enfer où vont les morts,
dont Dieu a voulu tirer nos âmes en y envoyant son Fils. Car, mes fières, c’est
dans ces deux régions inférieures, que Dieu a envoyé son Fils, pour nous
délivrer dans l’une comme dans l’autre. Il est venu dans l’une en naissant,
dans l’autre en mourant. Aussi, d’après l’exposition de l’apôtre saint Pierre,
et non plus d’après les conjectures humaines, est-ce bien lui qui a dit dans un
psaume: « Vous ne laisserez point mon âme dans l’enfer 2». Donc aussi cette
parole: « Vous avez arraché mon âme à l’enfer inférieur », est sa parole, ou
bien notre parole par Jésus-Christ Notre. Seigneur; car s’il est venu dans
l’enfer, c’est afin que nous ne restions point dans l’enfer.
18. J’exposerai aussi une autre opinion. Il y
a peut-être dans les enfers une région plus profonde, où sont précipités les
impies chargés d’iniquités. Car il ne nous est guère possible de définir
qu’Abraham n’avait pas une place, quelque part dans les enfers. Le Seigneur en
effet n’était pas encore descendu dans les enfers, pour en délivrer les âmes
des saints qui l’avaient précédé, et pourtant Abraham était dans le repos. Et
ce riche, tourmenté dans les enfers, leva les yeux pour voir Abraham. Or, il ne
pouvait le voir en levant les yeux, si Abraham n’eût été en haut et lui en bas.
Et quand il s’écrie: « Abraham, ô mon père, envoyez Lazare, afin qu’il
1.
Rom, VIII, 10. — 2. Ps. XV, 10; Act, II, 27.
trempe son doigt dans l’eau, et en laisse
tomber une goutte sur ma langue, car je suis dévoré dans ces flammes »: que lui
répond Abraham? « Mon fils, souviens-toi que tu as reçu de grands biens pendant
ta vie, et Lazare des maux: maintenant il est dans le repos, et toi dans les
tourments. Au surplus un grand chaos est consolidé entre vous et nous, de sorte
que nous ne pouvons aller à vous, ni vous venir, à nous 1». Ce serait donc à la
vue de ces deux enfers peut-être, dont l’un est pour les justes un lieu de
repos, dont l‘autre est pour les impies un lieu de tourments, que le Prophète,
dans sa prière, déjà incorporé à Jésus-Christ, et priant par la voix de
Jésus-Christ, dit que Dieu a délivré son âme de l’enfer inférieur, parce qu’il
l’a délivré des péchés qui pouvaient le conduire aux tourments de cet enfer
inférieur. Il en est de même d’un médecin qui, te voyant près de tomber malade
par excès de fatigue, te dirait: Ménage-toi, traite-toi de telle façon,
repose-toi, prends telle nourriture; autrement tu tomberas malade; mais, au
contraire, ce moyen te sauvera; tu as raison de dire alors au médecin: Vous
m’avez délivré de maladie, non que tu aies été malade, mais parce que tu devais
l’être. Voilà un homme qui avait une affaire embarrassante, et il devait subir
l’emprisonnement; un autre vient et défend sa cause. Que lui dit-il, pour le
remercier? Vous m’avez sauvé de la prison. Un débiteur allait être pendu, on
paie sa dette; on dit qu’il est délivré de la potence. Ni l’un ni l’autre n’y
étaient encore; mais parce que leurs méfaits devaient les y conduire, et qu’ils
y fussent arrivés si l’on ne fût venu à leur secours, on dit avec raison qu’ils
ont été délivrés de cette peine à laquelle des libérateurs ne les ont pas
laissé conduire. Que vous embrassiez donc, mes frères, l’une ou l’autre partie,
j’étudie avec vous la parole de Dieu, sans rien affirmer avec témérité, « Vous
avez délivré mon âme de l’enfer inférieur».
19. « O Dieu, ceux qui violent votre loi, se
sont élevés contre moi 2 ». Quels sont ces violateurs de la loi? Il n’appelle
point ainsi les païens qui n’ont point reçu la lui; et nul ne peut violer un
précepte qui n’est pas imposé. L’Apôtre dit d’une manière absolue
1. Luc, XVI, 22-26. — 2. Rom. IV, 15.
« Sans loi, il n’y a point de prévarication
»; donnant ainsi le nom de prévaricateurs à l’égard de la loi, ceux qui violent
cette même loi. Si nous mettons cette parole dans la bouche du Seigneur, les
violateurs de la loi seront les Juifs. « Ces violateurs se sont élevés contre
moi »; n’observant point la loi, ils ont accusé le Christ de la violer. «Ces
contempteurs de la loi se sont élevés contre moi ». De là cette passion du
Sauveur que nous connaissons. Or, penses-tu que son corps ne souffre plus rien
de semblable? Est-ce possible? « S’ils ont appelé Béelzébub le père de famille,
à combien plus forte raison ses domestiques? Le disciple n’est pas au-dessus du
maître, ni le serviteur au-dessus de son Seigneur 1». Son corps souffre donc de
la part des prévaricateurs; ils s’élèvent contre le corps du Christ. Quels sont
donc ces violateurs de la loi? Les Juifs oseraient - ils bien s’élever contre
le Christ? Non: et ils ne nous font pas subir grande tribulation, car ils n’ont
pas encore embrassé la foi, ni connu le salut. Ceux qui s’élèvent contre le
Christ, ce sont les mauvais chrétiens, qui font subir l’affliction chaque jour
au corps du Christ. Les auteurs de tout schisme, de toute hérésie, tous ceux
qui dans l’Eglise vivent dans le désordre, et qui imposent leur désordre aux
âmes pieuses, qui les attirent, qui corrompent les moeurs pures par leurs
conversations dépravées 2, voilà « les contempteurs de la loi qui s’élèvent
contre moi ». Ainsi doit parler toute âme pieuse, toute âme chrétienne, mais
non toute âme qui n’en souffre point. Or, toute âme qui est chrétienne sait les
maux qu’elle endure: si elle connaît ce qu’elle endure, qu’elle reconnaisse
ici. ses plaintes; et si elle est au-dessus de la douleur, qu’elle soit encore
au-dessus de la plainte; mais si elle ne veut pas demeurer étrangère à la
douleur, qu’elle marche dans la voie étroite 3. Qu’elle commence à vivre
pieusement dans le Christ, alors il devient nécessaire qu’elle endure la
persécution. « Tous ceux», dit l’Apôtre, «qui veulent vivre pieusement dans le
Christ, souffriront persécution 4. Seigneur, les contempteurs de votre loi se
sont élevés contre moi; la synagogue des puissants a recherché « mon âme ».
Cette synagogue des puissants, c’est l’assemblée des orgueilleux; or, la
synagogue
1.
Matth. X, 24, 25. — 2. I Cor. XV, 33. — 3. Matth. VII, 14. — 4. II Tim. III,
12.
des puissants s’est élevée contre notre chef,
ou contre Notre Seigneur Jésus-Christ; et ils ont dit, ils ont crié d’une voix
unanime: « Crucifiez-le ! crucifiez 1 !» C’est d’eux qu’il est écrit: « Pour
ces enfants des hommes, les dents sont des armes et des flèches, et leur langue
est un glaive effilé 2». Ils ne l’ont point frappé; mais crier, c’était le
frapper; crier, c’était le crucifier. Crucifier le Seigneur, c’était obéir à
leurs cris, obéir à leur volonté. « La synagogue des puissants a recherché mon
âme; ils n’ont point arrêté leurs regards sur vous ». Comment n’ont-ils point
arrêté leurs regards? Ils n’ont point compris qu’il était Dieu. Ils eussent
épargné l’homme, ils eussent marché selon leur vue. Mais parce qu’il n’était
pas un Dieu, qu’il était un homme, fallait-il donc le mettre à mort? Epargne
l’homme, et reconnais un Dieu.
20. « Et vous, Seigneur, Dieu de miséricorde
et de clémence, vous êtes plein de patience, de compassion et de vérité 3».
Pourquoi « plein de longanimité, de compassion, de miséricorde? » Parce que sur
la croix, il s’écrie: « Mon Père, pardonnez-leur, ils ne savent ce qu’ils font
4 ». A qui adresse-t-il cette prière? Pour qui? Qui est-ce qui prie? En quel
endroit? C’est le Fils qui invoque son Père, le crucifié en faveur des impies,
quand on l’injurie, non plus en paroles, mais jusqu’à lui donner la mort, quand
il est cloué à la croix; on dirait que ses mains ne sont ainsi étendues qu’afin
de prier pour eux, qu’afin que sa prière s’élevât comme un parfum en présence
de son Père, et que ces mains élevées fussent comme un sacrifice du soir 5. «
Vous êtes plein de patience, de miséricorde et de vérité ».
21. Si donc vous êtes la vérité, « Jetez les
yeux sur moi, prenez-moi en pitié, et donnez la puissance à votre serviteur 6
». Parce que vous êtes la vérité, « donnez la puissance à votre serviteur ».
Que les jours d’épreuve s’écoulent, et que vienne enfin le temps de juger.
Qu’est-ce à dire: «Donnez la puissance à votre serviteur? » « Le Père ne juge
personne, mais il a donné au Fils toute puissance de juger 7». C’est lui qui
ressuscite, et qui doit venir sur la terre pour juger: il apparaîtra terrible,
lui qui a paru méprisable. Il montrera sa puissance, lui qui n’a montré
1. Jean, XIX, 6.— 2.
Ps. LVI, 5.— 3. Id. LXIXV, 15.— 4. Luc, XXIII, 34. — 5. Ps. CXL, 2.— 6. Id. LXXX,
16.— 7. Jean, V, 22.
que patience. A la croix, c’était la
puissance, au jugement, ce sera la puissance. Au jugement il paraîtra dans son
humanité, mais aussi dans sa gloire: « Car il doit venir », ont dit les Anges,
« tel que vous l’avez vu s’élever 1 ». C’est dans la forme de l’homme qu’il
viendra pour le jugement, aussi sera-t-il vu des impies qui ne pourront voir la
forme divine. Car « bienheureux ceux dont le coeur est pur, parce qu’ils
verront Dieu 2». C’est sous la forme de l’homme qu’il apparaîtra pour dire «
Allez au feu éternel 3»; afin que cet oracle d’Isaïe soit accompli: « Enlevez
l’impie, afin qu’il ne voie point la clarté du Seigneur 4 ». Qu’il disparaisse
afin qu’il ne voie point la forme de Dieu. Ils verront donc la forme de
l’homme, mais ils ne verront point « cette forme divine qui le rend égal à Dieu
5 ». « Ce Verbe qui était au commencement, Verbe qui était en Dieu, Verbe qui
était Dieu 6»: voilà ce que les impies ne verront point. Car si le Verbe est
Dieu, et si « bienheureux les coeurs purs parce qu’ils verront Dieu 7 », comme
les impies ont le coeur souillé, assurément ils ne verront pas Dieu. Comment
donc « verront-ils Celui qu’ils ont percé 8», sinon qu’il apparaîtra
visiblement sous la forme humaine pour ceux qui seront jugés, et sous la forme
d’un Dieu pour ceux-là seulement qui seront séparés à sa droite? Quand en effet
ils seront placés à droite, il leur sera dit: « Venez, bénis de mon Père,
recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde ». Et que
sera-t-il dit aux impies de la gauche? « Allez dans le feu éternel, que mon
Père a préparé au diable et à ses anges ». Or, après le jugement, quelle est la
conclusion de l’Evangile? « Ainsi », dit-il, « les impies iront au brasier sans
fin, et les justes à la vie éternelle 9». Ils passeront, ainsi, de la vision de
la forme de l’homme, à la vue de la forme divine. « Or », est-il dit, « c’est
en ceci que consiste la vie éternelle; à vous connaître, vous qui êtes le seul
Dieu, et Jésus-Christ que vous avez envoyé 10 »; c’est-à-dire que lui aussi est
le seul vrai Dieu. Car le Père et le Fils sont un seul vrai Dieu: et alors le
sens serait, afin qu’ils reconnaissent pour vrai Dieu et vous et Jésus-Christ
que vous avez envoyé.
1.
Act. I, 11. — 2. Matth. V, 8.— 3. Id. XXV, 41.— 4. Isa. XXVI, 10, suiv. les
Septante.— 5. Philipp. II, 6.—6. Jean, I, 1.— 7. Matth. V, 8. — 8. Jean, XIX,
37. — 9. Matth. XXV, 34, 41,46,— 10. Jean, XVII, 3.
Car les bienheureux ne passeront point à la
vision du Père, sans voir aussi le Fils. Si l’on ne voyait en effet le Fils
dans le Père, ce même Fils ne dirait point à ses disciples, que le Fils est
dans le Père, comme le Père est dans le Fils. Voilà que ses disciples lui disent:
« Montrez-nous le Père, et cela nous suffit ». Il répond: « Depuis si longtemps
je suis avec vous, et vous ne me connaissez point? Philippe, quiconque me voit,
voit aussi mon Père ». Remarquez: voir le Père, c’est voir aussi le Fils, comme
voir le Fils, c’est voir aussi le Père. Aussi le Sauveur a-t-il ajouté: « Ne
savez-vous donc pas que je suis en mon Père, et que mon Père est en moi?»
C’est-à-dire, en me voyant on voit mon Père, et en voyant le Père on voit le
Fils; on ne peut les séparer dans la vision bienheureuse, comme on ne peut les
séparer dans leur nature et dans leur substance. Et pour vous montrer que le
coeur doit se préparer à voir la divinité du Père et du Fils et du
Saint-Esprit, que nous croyons sans la voir encore, en purifiant néanmoins notre
coeur par cette croyance, afin que nous puissions lavoir un jour, le Seigneur a
dit à un autre endroit: « Celui qui écoute mes commandements et qui les garde,
c’est celui-là qui m’aime: or, celui qui m’aime, sera aimé de mon Père, et moi
je l’aimerai, et me montrerai à lui 1 ». Ceux à qui il parlait, ne le
voyaient-ils donc point? Ils le voyaient, et ne le voyaient point; ils voyaient
dans un sens, et croyaient dans un autre sens; ils voyaient un homme, ils
croyaient in Dieu. Or, au jugement ils verront avec les impies le même Jésus
Notre Seigneur; après le jugement ils verront Dieu à l’exclusion des impies. «
Donnez la puissance à votre serviteur ».
22. « Et sauvez le fils de votre servante 2».
Ce fils de la servante est Notre Seigneur. De quelle servante? de celle qui
répondit, quand on lui annonça Celui qui devait naître: «Voici la servante du
Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole 3». Sauver le Fils de la
servante, c’était donc sauver son Fils: son Fils dans la forme de Dieu, le fils
de la servante sous la forme de l’esclave 4. C’est donc de la servante du
Seigneur qu’est né Notre Seigneur, sous la forme de l’esclave, lui qui dit: «
Sauvez le fils de votre servante»,
1. Jean, XIV, 8-10, 21 — 2. Ps. LXXXV, 16. —
3. Luc, I, 38. — 4. Philipp. II, 6.
Il a été sauvé de la mort, comme vous le
savez, et sa chair qui était morte a repris la vie. Mais afin que vous sachiez
qu’il est Dieu, et qu’il n’est point ressuscité par son Père, tellement que
lui-même ne fût rien dans la résurrection, puisque lui-même aussi a ressuscité
sa chair, vous lisez dans l’Evangile cette parole: « Détruisez le temple de
Dieu, et je le rétablirai en trois jours 1 ». Et pour nous interdire tout autre
sens, l’Evangéliste ajoute: « Il parlait ainsi du temple de son « corps 2 ».
Donc le fils de la servante a été sauvé. Que tout chrétien incorporé au Christ,
s’écrie aussi: « Sauvez le fils de votre servante ». Peut-être ne peut-il point
dire: « Donnez la puissance à votre Fils », puisque ce Fils a réellement reçu
la puissance. Mais pourquoi ne pas le dire également? N’est-ce pas à des
serviteurs qu’il est dit: « Vous vous assiérez sur douze trônes, pour juger les
douze tribus d’Israël 3? » Des serviteurs ne disent-ils pas: « Ignorez-vous que
nous jugerons les anges 4? » Chacun des saints reçoit donc ce pouvoir, et
chacun des saints est le fils de la servante. Mais, s’il est né d’une païenne
pour devenir ensuite chrétien: comment le fils d’une païenne peut-il être le
fils de la servante? Il est alors fils d’une païenne selon la chair, mais fils
de l’Eglise selon l’esprit. « Sauvez le fils de votre servante ».
23. « Donnez-moi un signe de votre faveur 5».
Quel signe, sinon celui de la résurrection? Le Seigneur a dit: « Cette
génération dépravée et rebelle demande un signe, et il ne lui sera donné aucun
anti-signe que celui du prophète Jonas. De même, en effet, que Jouas fut dans
le ventre de la baleine trois jours et trois nuits, ainsi le Fils de l’Homme
sera trois jours dans le sein de la terre 6 ». Donc ce signe de faveur s’est
accompli dans notre chef; mais que chacun de nous s’écrie: « Donnez-moi un
signe de votre faveur »; car nous devons, nous aussi, être changés, quand au
son de la dernière trompette, à l’avènement du Seigneur, les morts
ressusciteront pour être incorruptibles 7. Tel sera le signe de la faveur
divine. « Donnez-moi un signe de votre faveur, afin que mes ennemis le voient
et en soient confondus». Au jugement ils éprouveront une confusion funeste,
ceux qui n’ont pas voulu d’une confusion
1. Jean, II, 19. — 2. Id. 21. — 3. Matth.
XIX, 28. — 4. I Cor. VI, 3. — 5. Ps. LXXXV, 17. — 6. Matth. XII, 39, 40.
— 7. I Cor. XV, 52.
salutaire. Qu’ils soient donc confondus dès
cette vie, qu’ils répudient leurs voies coupables pour marcher dans la voie de
la sainteté: car nul d’entre nous ne peut vivre sans confusion, à moins qu’une
première confusion ne le fasse renaître. Dieu leur offre maintenant l’occasion
d’une confusion salutaire, s’ils ne dédaignent point le remède de l’aveu. Mais
s’ils répudient la confusion aujourd’hui, ils n’échapperont point à la
confusion, quand leurs crimes s’élèveront pour les accuser 1. Comment
seront-ils confondus? ils diront alors: « Voilà donc ceux que nous avons u
tournés en dérision, qui essuyaient nos outrages. Insensés, nous regardions
leur vie comme une folie, comment sont-ils rangés parmi les enfants de Dieu? A
quoi nous revient notre orgueil 2? » Voilà ce qu’ils diront; que ne disent-ils
maintenant ce qu’ils diraient avec fruit? Que chacun se retourne vers Dieu avec
humilité, et dise maintenant: De quoi nous sert notre orgueil? Qu’il exécute
cette parole de l’Apôtre: « Quelle gloire vous revient-il de ces oeuvres qui
vous font rougir maintenant»?» Vous le voyez donc: ici-bas, une confusion
salutaire nous tient lieu de pénitence, mais alors, elle sera tardive, inutile
et sans fruit. « De quoi nous sert notre orgueil? Que nous a valu l’étalage de
nos richesses? Tout a passé comme l’ombre 3 ». Eh! quoi donc? Pendant ta vie
sur la terre, tu ne voyais donc point tout cela passer comme une ombre? Tu eusses
quitté l’ombre pour être dans la lumière; et tu ne dirais point: « Tout s’est
évanoui comme une ombre », alors que tu vas passer de l’ombre aux ténèbres. «
Donnez-moi un signe de votre faveur, afin que mes ennemis le voient et soient
dans la confusion ».
24. « Car vous, Seigneur, m’avez aidé et
m’avez consolé 5 ». « Vous m’avez aidé » dans le combat, « et vous m’avez
consolé » dans ma tristesse. Nul ne recherche la consolation, s’il n’est dans
la misère. Refusez-vous la consolation? Dites que vous êtes heureux. Mais vous
entendez cette parole: « Mon peuple », (déjà vous me répondez, et votre murmure
que j’entends, me prouve que vous connaissez les saintes Ecritures. Que ce même
Dieu qui l’a gravée dans vos coeurs, la fasse paraître dans vos actions. Vous
le voyez donc, c’est
1. Sag. IV, 20.— 2. Id. V, 3, 6.— 3. Rom, VI,
21.— 4. Sag. V, 3-9. — 5. Ps. LXXXV, 17.
vous tromper que vous appeler heureux) « Mon
peuple, ils vous appellent heureux, et ils vous jettent dans l’erreur, ils
ruinent le sentier où vous marchez 1». Tel est encore l’avis de saint Jacques,
dans son épître: « Soyez dans l’affliction et dans les larmes, que vos ris se
changent en deuil 2 ». Vous voyez comment vous parle cet apôtre: comment nous
tiendrait-il ce langage dans la sécurité? Ce monde est une terre de scandales,
d’afflictions et de grands maux: c’est ici que nous devons gémir afin de nous
réjouir dans le ciel; ici l’épreuve, là haut la consolation, alors que nous
dirons: «Parce que vous avez épargné les larmes à nos yeux, et la chute à nos
pieds, voilà que je mettrai mes délices dans le Seigneur, en la terre des
vivants 3 ». Or, la terre est le séjour des morts, ce séjour des morts passera,
et alors viendra la région des vivants. Dans ce séjour des morts, il n’y a que
travail, que douleur, que crainte, que tribulation, qu’épreuve, que
gémissements, que soupirs. Il n’y a que fausse félicité, que véritable misère,
car une félicité trompeuse, est une misère véritable. Mais quiconque reconnaît
qu’il est ici dans une misère véritable, sera dans la vraie félicité. Et
néanmoins parce que tu es dans l’affliction, écoute la parole du Seigneur:
«Bienheureux ceux qui pleurent 4», Eh quoi! «Bienheureux ceux qui pleurent!»
Rien n’est plus près de la misère que les larmes; rien n’en est plus éloigné que
le bonheur; et vous dites qu’ils pleurent, et vous les appelez bienheureux !
Comprenez bien mes paroles, nous dit-il, j’appelle bien heureux ceux qui
pleurent. Comment bienheureux? En espérance. Comment pleurent-ils? En réalité.
Ils pleurent dans cette vie mortelle, dans ces tribulations, dans cet exil; et
comme ils reconnaissent qu’ils sont dans ces misères, ils en gémissent, et ils
sont bienheureux. Pourquoi pleurer dès lors? Le bienheureux Cyprien fut
contristé dans sa passion, aujourd’hui il a les consolations et une couronne de
gloire. Et toutefois, dans ces consolations, il ressent de la tristesse: car
Notre Seigneur Jésus-Christ prie encore pour nous 5: or, tous les martyrs qui
sont avec lui, interviennent en notre faveur. Leurs prières ne doivent cesser,
que quand cesseront nos gémissements. Or, quand cesseront nos gémissements,
nous
1. Isa. III, 12.— 2. Jacques, IV, 9. — 3. Ps. CXIV, 8, 9. — 4. Matth. V, 5. — 5. Rom. VIII, 34.
recevrons tous une même consolation, ne formant plus qu’une même voix,
qu’un même peuple, dans une même patrie. Des milliers de millions uniront leurs
cantiques aux cantiques des anges, et ne formeront qu’un même choeur avec les
Puissances dans l’unique cité des vivants. Où seront les gémissements dans
cette cité? Où les soupirs; la fatigue et l’indigence? Où la mort? Qui y fera
des oeuvres de miséricorde, y donnera du pain au pauvre, alors que tous y
seront rassasiés du pain de la justice? Nul alors ne te dira: Recevez un
étranger; il n’y aura là nul étranger, tous y vivent dans leur patrie. Nul ne
viendra te dire: Réconcilie tes amis qui sont en querelle; tous jouiront en
paix de la présence de Dieu. Nul ne te dira Visite ce malade; la santé et
l’immortalité régneront donc éternellement. Nul ne te dira: Ensevelis ce mort tous
auront la vie éternelle, Il n’y aura plus d’oeuvres de miséricorde, parce qu’il
n’y aura plus de misère. Et quelle sera donc l’occupation au ciel? Le sommeil
peut-être? Si nous combattons contre nous-mêmes, en cette vie, bien que nous
demeurions dans la maison du sommeil, ou dans une chair pesante, si nous nous
éveillons devant ces flambeaux, si cette solennité nous ôte l’envie de
sommeiller, combien ce grand jour devra nous porter à la veille? Arrière donc
tout sommeil, nous veillerons au ciel. Que ferons-nous alors? Il n’y aura plus
d’oeuvres de miséricorde, parce qu’il n’y aura plus de misère. N’y aura-t-il
plus alors ces nécessités que l’on subit aujourd’hui, de semer, de labourer, de
tisser, de moudre le blé, de le cuire? Rien de tout cela, parce qu’il n’y aura
plus de nécessité. De même qu’il n’y aura plus d’oeuvres de miséricorde, parce
qu’il n’y aura plus de misère de même avec la nécessité et la misère,
disparaîtront les oeuvres de miséricorde et de nécessité. Qu’y aura-t-il donc?
Quelle sera notre occupation? Notre action? N’y aura-t-il aucune action, parce
que nous serons en repos? Nous serons donc assis dans l’inaction et
l’indolence? Si notre amour peut se refroidir, nous pourrons cesser d’agir.
Ainsi donc, cet amour qui doit se reposer dans la face de Dieu, qui tend à
Dieu, qui espère en lui, quelle n’en sera point l’ardeur, quand nous arriverons
à lui? Si maintenant, sans le voir, nous soupirons vers lui avec une ardeur si
vive, de quelles clartés ne doit-il point nous illuminer, quand nous le verrons?
Quel changement fera-t-il en nous? Que fera-t-il de nous? Et que ferons-nous,
mes frères? Que le psaume nous le dise: « Bienheureux ceux qui habitent dans
votre maison ». Pourquoi? « Ils vous béniront dans les siècles des siècles 1 »,
Telle sera, mes frères, notre occupation, louer Dieu. Nous l’aimerons et nous
le bénirons. Tu cesseras de le bénir, si tu cesses de l’aimer. Mais tune
cesseras point de l’aimer, parce qu’en le voyant, tu n’éprouveras aucun ennui;
il te rassasiera sans te rassasier. Mon expression te surprend. Moi, si je dis
qu’il te rassasiera, je crains que tu ne t’en ailles de lassitude, comme on
s’en va d’un dîner ou d’un souper. Te dirai-je alors qu’il ne te rassasiera
pas? Mais si je le fais, je crains que l’indigence ne t’effraie, que tu
n’imagines quelque besoin, ou du moins quelque désir à satisfaire. Que dirai-je
donc, sinon ce que l’on peut exprimer sans pouvoir à peine le penser? Que Dieu
nous rassasiera et ne nous rassasiera point; car je trouve l’un et l’autre dans
l’Ecriture. S’il est dit en effet: « Bienheureux ceux qui ont faim, parce
qu’ils seront rassasiés 2 »; il est dit encore dans la Sagesse: « Ceux qui vous
mangent auront encore faim, et ceux qui vous boivent auront encore soif 3 ». Il
n’est pas dit: soif de nouveau; mais: encore soif. Avoir soif de nouveau, ce
serait retourner boire, après avoir digéré ce qu’on aurait bu à satiété. Il en
est de même de ceux qui vous mangent et qui ont encore faim, car ils ont faim
alors même qu’ils vous mangent; et ils ont soif alors même qu’ils vous boivent.
Qu’est-ce à dire avoir soif quand on boit? Avoir une soif inextinguible. Si
donc Dieu nous réserve des délices ineffables et éternelles, que veut-il de
nous maintenant, mes frères, sinon une foi sincère, une espérance ferme, une
charité pure, en sorte que l’homme s’avance dans la voie tracée par le
Seigneur, qu’il supporte les épreuves, et reçoive les consolations d’en haut?
1.
Ps. LXXXIII, 5.— 2. Matth. V, 6. — 3. Eccli. XXIV, 29.
SERMON AU PEUPLE DE CARTHAGE.
C’est Jésus-Christ uni à son corps ou l’Eglise qui parle dans ce psaume. Ne craignons pas d’y trouver des paroles qui conviennent à Dieu, et d’autres à l’homme seulement. C’est le même que l’on invoque comme un Dieu, et qui prie en nous comme un homme. Dieu s’est incliné vers nous qui l’avions offensé; telle est sa miséricorde, et il garde sa vie pour les justes. Il prête l’oreille à celui qui est humble, qui sent le besoin de miséricorde, qui n’espère point dans les richesses. Abraham était riche et fut glorifié aussi bien que Lazare. Car Dieu pèse l’intérieur, et c’est par l’âme que nous sommes riches ou pauvres. En son humanité le Christ dit: Gardez mon âme, et il était alors une chair, une âme et le Verbe. Le chrétien peut se dire saint; mais sanctifié par son chef, et non se sanctifiant lui-même; il gémit tout le jour dans la succession des siècles. Elevons donc nos âmes vers Dieu, afin qu’il répande en elles quelque joie, et que nous les garantissions de la corruption; élevons-les en changeant de volonté. Fatiguée de la terre où elle rencontre soit les méchants scandaleux, soit les justes dont elle craint la perte, l’âme du Prophète s’élève à Dieu et déplore les difficultés qu’elle éprouve à demeurer en lui; mais elle s’applaudit de ce que Dieu oublie nos dissipations pour nous écouter favorablement. Car il est miséricordieux pour ceux qui lui demandent ce qui aboutit au salut. Il exauce Satan qui veut éprouver Job, il n’exauce pas saint Paul qui veut être délivré de l’épreuve. Ne lui demandons pas ce qu’il ne veut point. S’il donne aux impies les biens de la terre, que ne réserve-t-il pas à ceux qui le servent? C’est le ciel. Or, un malade qui vent guérir, endure tout de la part du médecin qui est faillible, et la santé qu’il rend n’est pas inaltérable. Quelle ne doit pas être notre espérance pour le ciel
1. Dieu nous exauce quand nous crions vers lui, dans l’affliction; or, c’est pour un chrétien une affliction que n’habiter pas le ciel. Ce n’est point assez pour nous des richesses d’ici-bas, quand nous serions assurés de les posséder éternellement, il nous faut Dieu, et niai n’est semblable à Dieu les autres ne sont que des démons. Toutes les nations se prosterneront devant lui, car l’Eglise est composée de tous les peuples, et non de l’Afrique seulement, comme le prétend Donat. Tous ne forment qu’une seule Eglise comme il n’y a qu’une seule patrie céleste. C’est là que le Seigneur nous conduira par sa voie qui est le Christ, en nous donnant sa main qui est le Christ pour arriver à la vérité, qui est le Christ, et à la vie, encore le Christ. C’est ce Christ qui nous a tirés de l’enfer inférieur, c’est-à-dire ou bien de la région des morts, ou de la région qu’habite le mauvais riche, en nous remettant nos péchés. Les violateurs de la loi se sont élevés contre le Christ, en l’accusant de la violer; ils n’ont pas compris qu’il fût Dieu; de même les impies, au jugement, ne verront que l’homme qu’ils ont crucifié. Il sauvera le fils de la servante, ou le chrétien fils de l’Eglise. Ses ennemis ne le verront point sans confusion: qu’ils saisissent ici-bas l’occasion d’une confusion salutaire, et les misères de cette vie se changeront en une véritable joie, une joie sans fatigue.
2. Dieu ne pouvait faire aux hommes un don plus excellent que de leur accorder pour chef son Verbe, par lequel il a créé toutes choses, et de les unir à lui comme ses membres, afin qu’il fût tout à la fois fils de Dieu et fils de l’homme, un seul Dieu avec le Père, un seul homme avec les hommes; afin qu’en adressant nos prières à Dieu, nous n’en séparions pas le Fils, et que le corps du Fils, offrant ses prières, ne soit point séparé de son chef. Ainsi Notre Seigneur Jésus-Christ, unique Sauveur de son corps mystique, prie tour nous, prie en nous, et reçoit nos prières. Il prie pour nous comme notre prêtre, il prie en nous comme notre chef, il reçoit nos prières comme notre Dieu. Reconnaissons donc, et que nous parlons en lui, et qu’il parle en nous. Et quand il est question de Jésus-Christ Notre Seigneur, surtout dans les prophéties, surtout quand il en est question d’une manière qui paraît indigne de Dieu, ne craignons pas de l’y retrouver, pas plus qu’il n’a craint de s’unir à nous. Toute créature lui est assujettie, puisque c’est par lui que toute créature a été faite. Aussi quand nous envisageons sa divinité, quand nous entendons: « Au commencement était le Verbe, elle Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu; il était au commencement en Dieu; tout a été fait par lui, et rien sans lui 1»; lorsque nous considérons cette divinité suréminente du Fils de Dieu qui plane au-dessus de ce qu’il y a de plus sublime parmi les créatures, et que nous l’entendons aussi gémir en quelques endroits de l’Ecriture, et prier, et confessant ses fautes; nous hésitons alors à lui attribuer ces paroles, parce que notre esprit ne quitte point facilement ces hauteurs d’où il contemplait sa divinité pour descendre à une humilité si profonde. Il craint de lui faire injure, en retrouvant chez
1. Jean, I, 1-3.
un homme les paroles de celui qu’il invoquait lui-même comme un Dieu; il hésite,-il voudrait changer le sens; et il ne trouve dans la sainte Ecriture d’autre moyen que d’appliquer ces paroles au Christ, et de ne s’en point détourner. Qu’il réveille donc et qu’il ravive sa foi; qu’il comprenne que celui dont il contemplait naguère la divinité a néanmoins pris la forme de l’esclave, est devenu semblable aux autres hommes, et reconnu pour un homme, par ce que l’on voyait de lui, qu’il s’est humilié en obéissant jusqu’à la mort 1, qu’il s’est approprié les paroles du Psalmiste, quand, sur la croix, il s’est écrié « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné 2? » C’est donc lui que l’on prie comme un Dieu, c’est lui qui prie comme un homme; ici il est Créateur, là créature t sans subir de changement, il a pris une nature changeante, et ne fait de nous avec lui qu’un seul homme, la tête et le corps. C’est donc lui que nous prions, c’est par lui, c’est avec lui. C’est en lui que nous disons, c’est en nous que lui-même fait cette prière du psaume qui a pour titre: « Prière de David 3 ». Car Jésus-Christ est fils de David selon la chair; mais comme Dieu il est Seigneur de David, créateur de David, et non seulement avant David, mais avant Abraham dont David est issu; mais avant Adam père de tous les hommes; mais avant le ciel et la terre qui renferment les autres créatures. Que personne donc, en entendant ces paroles, ne dise: Le Christ ne parle point ici; qu’il ne dise pas non plus: Ce n’est point moi qui parle; mais s’il croit être dans le corps du Christ, qu’il dise tout à la fois: C’est le Christ qui parle, c’est moi qui parle. Ne parle jamais sans lui, et il ne dira rien sans toi. N’est-ce point là une leçon de l’Evangile? Nous y lisons certainement: « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu, tout a été fait par lui »; et pourtant nous y lisons encore: Et Jésus fut contristé 4, Jésus fut fatigué 5, Jésus dormit 6, il eut faim 7, il eut soif 8, il pria et passa la nuit en prières: « Jésus », est-il dit, « persistait dans sa prière et il y passait la nuit 9, et des gouttes de sang coulaient de son corps 10 ».Que nous enseignait-il quand ces gouttes de sang coulaient sur
1. Philipp. II, 5-8. — 2. Ps.
XXI, 2 — 3. Id. LXXXV, 1. — 4. Matth. XXVI, 38. — 5. Jean, IV, 6. — 6. Matth.
VIII, 24. — 7. Id. IV, 2. — 8. Jean, IV, 7;
XIX, 28. — 9. Luc, VI, 12. — 10. XXII, 43, 44.
son corps, pendant sa prière, sinon que le sang des martyrs devrait couler de son corps mystique ou de l’Eglise?
2. « Seigneur, inclinez votre oreille, et exaucez-moi 1 ». Ainsi dit le Christ dans la forme de l’esclave; toi, esclave, parle dans la forme de ton Seigneur: « Inclinez votre oreille, ô Dieu, et exaucez-moi ». Il incline son oreille, si tu n’élèves point trop la tête. Car il s’approche de celui qui s’humilie; il s’éloigne de celui qui s’élève, à moins que lui-même ne l’ait relevé de son humilité. Dieu donc a incliné son oreille vers nous, lui si haut, et nous si bas; lui, dans la splendeur de la gloire, nous, dans la dernière abjection, mais pas sans remède néanmoins. « Il a montré son amour pour nous, et lorsque nous étions impies, il est mort pour nous. C’est à peine si quelqu’un voudrait mourir pour un homme juste; même pour un bienfaiteur quelqu’un se présenterait-il? « Mais Notre Seigneur est mort pour les impies 2 ». Aucun mérite ne nous avait précédés pour que le Fils de Dieu mourût pour nous, et cette absence de mérites a fait ressortir sa miséricorde. Combien est donc sûre, combien est infaillible cette promesse de garder sa vie pour les justes, qu’a faite celui qui a donné sa vie pour les hommes injustes! « Inclinez, Seigneur, votre oreille, et écoutez-moi, car je suis pauvre et indigent ». Dieu donc n’incline point l’oreille vers celui qui est riche, il l’incline au contraire vers celui qui est pauvre et indigent, ou plutôt qui est humble, qui avoue ses fautes, qui a besoin de miséricorde, non point vers l’homme rassasié qui s’élève, qui se glorifie, comme s’il ne manquait de rien, et qui dit « Je vous rends grâces de ce que je ne suis point comme ce publicain 2». Le Pharisien était riche, puisqu’il vantait ses mérites, le publicain était pauvre et confessait ses péchés.
3. Et quand je vous dis, mes frères, que Dieu n’incline point son oreille vers le riche, n’allez pas comprendre qu’il n’exauce point ceux qui ont de l’or ou de l’argent, des domestiques, des domaines, dès lors qu’ils y sont astreints par leur naissance, ou par le rang qu’ils tiennent dans le monde; qu’ils se souviennent seulement de ce qu’a dit l’Apôtre: « Ordonnez aux riches de ce monde de ne
1.
Ps. LXXXV, 1.— 2. Rom. V, 6-9— 3. Luc, XVIII, 11-13.
point s’enorgueillir 4». Quiconque ne s’enorgueillit point est pauvre en Dieu, et Dieu incline son oreille vers les pauvres, vers les indigents, vers les dénués du monde. Ils savent bien qu’ils ne doivent mettre leur espérance ni dans l’or, ni dans l’argent, ni dans tous ces biens qui semblent s’écouler avec le temps. Il leur suffit de ne point se perdre au moyen de ces richesses: c’est beaucoup qu’elles ne leur nuisent pas, car elles ne peuvent leur servir. Les oeuvres de charité sont utiles sans doute et chez le riche et chez le pauvre; chez le riche par l’oeuvre et par la volonté, chez le pauvre par la volonté seulement. Si donc un riche méprise en lui-même tout ce qui est occasion d’orgueil, il est un pauvre selon Dieu; et Dieu incline son oreille vers lui, parce qu’il fait que son coeur est contrit. Vous le savez, mes frères, ce pauvre couvert d’ulcères, et couché devant la porte du riche, fut porté par les anges au sein d’Abraham: voilà ce que nous lisons, ce que nous croyons. Quant à ce riche, qui était revêtu de pourpre et de fin lin, qui faisait chaque jour bonne chère, il fut jeté dans les flammes de l’enfer 1. Est-ce bien par le seul mérite de sa pauvreté que l’un fut reçu par les anges, et pour le crime d’être riche que l’autre fut jeté dans les tourments? Dans ce pauvre, c’est l’humilité qui est glorifiée, et dans ce riche l’orgueil qui est châtié. Et je prouve en un mot que ce n’est point la richesse, mais bien l’orgueil que Dieu a condamné dans ce riche. Assurément ce pauvre fut porté au sein d’Abraham; mais cet Abraham, au dire de l’Ecriture, était un riche de la terre, il avait de l’or, de l’argent 2. Si le riche est jeté dans les tourments, comment Abraham était-il plus élevé en gloire que le pauvre qu’il recevait dans son sein? Mais Abraham était humble au milieu de ses richesses; il tremblait devant les préceptes de Dieu, il s’y soumettait. Il estimait si peu les richesses selon le monde, que sur l’ordre de Dieu il allait immoler son fils 3, l’héritier de ces grands biens. Apprenez donc à être pauvres, à être indigents, soit que vous possédiez des biens ici-bas, soit que vous n’en possédiez point. Vous trouvez en effet des gens orgueilleux dans leur pauvreté, et des hommes riches qui confessent leurs péchés. Or, Dieu résiste aux
1. I
Tim. VI, 17. — 2. Luc, XVI, 19-24.— 3. Gen. XIII, 2. — Id. XXII, 10.
superbes, aux hommes vêtus de soie et de pourpre; il donne sa faveur aux humbles 1, qu’ils aient ou non des biens sur la terre. Dieu regarde l’intérieur; voilà ce qu’il pèse et ce qu’il juge. Tu ne vois point la balance de Dieu, et néanmoins elle pèse tes pensées. Voyez-le bien, notre interlocuteur ne fonde son espérance d’être exaucé qu’en ce qu’il dit: « Je suis pauvre et indigent ». Garde-toi de n’être point pauvre et indigent; situ ne l’es point, tu ne seras pas exaucé; rejette bien loin tout ce qui est autour de toi ou en toi, et qui pourrait te donner de la présomption; que Dieu soit ton unique appui: sois pauvre de lui, afin qu’il t’enrichisse de lui-même. Tout ce que tu posséderas sans lui ne fera qu’augmenter ton indigence.
4. « Conservez mon âme, parce que je suis saint 2 ». Ce langage, « parce que je suis saint », je ne sais qui peut le tenir, sinon celui qui était sans péché en cette vie; qui n’avait commis aucun péché, qui les a tous effacés. C’est sa voix que nous reconnaissons ici: « Parce que je suis saint, gardez mon âme »: nous le reconnaissons en cette forme d’esclave dont il s’était revêtu. Cette nature avait une chair et une âme. Non point, comme l’ont dit quelques-uns 3, une chair seulement unie au Verbe; mais une chair, une âme et le Verbe: et tout cela constituait un seul Fils de Dieu, un seul Christ, un seul Sauveur, égal au Père dans sa forme divine, chef de l’Eglise dans sa forme d’esclave. Donc à cette parole: « Parce que je suis saint », faut-il n’entendre que sa voix et la séparer de la mienne? Assurément, en parlant ainsi, il parle dans son union inséparable avec son corps. Et moi, oserai-je bien dire: « Parce que je suis saint? Saint et me sanctifiant, sans avoir besoin qu’un autre me sanctifie, c’est là de l’orgueil, du mensonge: saint mais sanctifié, ainsi qu’il est dit: Soyez saints, parce je suis saint 4 »; que tout le corps de Jésus-Christ, que cet homme qui crie vers Dieu des extrémités de la terre 5, ose bien dire avec son chef et sans son chef: « Parce que je suis saint », car il a reçu la grâce de la sainteté, la grâce du baptême et de la rémission des fautes. « Voilà ce que vous avez été », nous dit l’Apôtre, énumérant des péchés, graves et légers, ordinaires et horribles: « Voilà ce que
1.
Jacques, IV, 6.— 2. Ps. LXXXV, 2.— 3. Les Apollinaristes.— 4. Lévit. XIX, 2. —
5. Ps. LX, 3.
vous avez été, mais vous vous êtes lavés, mais vous vous êtes sanctifiés 1 ». Si donc nous sommes sanctifiés, selon l’Apôtre, que chacun des fidèles dise: « Je suis saint ». Ce n’est point là une parole d’orgueil, mais un témoignage de reconnaissance. Dire que tu es saint par toi-même, c’est de l’orgueil; mais fidèle à Jésus-Christ, membre de Jésus-Christ, dire que tu n’es pas saint, c’est de l’ingratitude. Pour confondre ton orgueil, l’Apôtre ne dit point: Tu n’as rien; mais bien: « Qu’as-tu, que tu n’aies pas reçu 2? » Il ne t’accuse pas de dire que tu as ce que tu n’as pas, niais de vouloir t’attribuer ce que tu as; reconnais même que tu as quelque chose, mais rien de toi, afin de n’être ni orgueilleux ni ingrat. Dis à ton Dieu: Je suis saint, parce que vous m’avez sanctifié: parce que j’ai reçu la sainteté, non parce que je l’avais: parce que vous me l’avez donnée, non parce que je l’ai méritée. Autrement tu t’exposerais à faire injure à Notre Seigneur Jésus-Christ lui-même. Car si tous les chrétiens, tous les fidèles, parce qu’ils sont baptisés en Jésus-Christ, ont revêtu Jésus-Christ, ainsi que l’a dit l’Apôtre: « Vous qui êtes baptisés dans le Christ, vous êtes revêtus du Christ 3»; si, devenus membres de son corps, ils disent qu’ils ne sont pas saints, ils font injure à la tête, dont les membres alors ne seraient plus saints. Vois donc où tu es, et que la gloire de ton chef rejaillisse en toi. Toi autrefois dans les ténèbres, « maintenant lumière en Jésus-Christ. Car vous étiez ténèbres », nous dit l’Apôtre 4. Mais êtes-vous donc demeurés ténèbres? Est-ce pour vous laisser dans ces ténèbres, ou pour vous jeter dans la lumière, qu’est venu ce divin illuminateur? Que tout chrétien, ou plutôt que tout le corps du Christ, en butte à la tribulation, éprouvé par des secousses et des scandales sans nombre, crie au Seigneur: «Gardez mon âme, parce que je suis saint. Sauvez, ô mon Dieu, votre serviteur qui espère en vous ». C’est là un saint sans orgueil, puisqu’il espère en Dieu.
5. « Ayez pitié de moi, Seigneur. parce que j’ai crié vers vous pendant tout le jour 5 ». Non point un seul jour, mais « tout le jour », ou en tout temps. Depuis que le corps du Christ gémit dans les angoisses,jusqu’à la fin des siècles qui mettra fin à ces angoisses, cet
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I Cor. VI, 11.— 2. Id. IV, 7.— 3.Gal. III, 27.— 4.
Ephés. V, 8. — 5. Ps. LXXXV, 3.
homme pousse vers Dieu des cris et des gémissements; et chacun de nous a sa part dans les gémissements du corps entier. Tu as crié dans les jours de ta vie, et ta vie est passée un autre t’a succédé, et a crié pendant sa vie; toi ici, un autre là, un troisième ailleurs c’est ainsi que dans la succession de ses membres, le Christ a crié pendant tout le jour. Il se porte comme un seul homme jusqu’à la tin des siècles. Les mêmes membres du Christ gémissent, et quelques-uns de ces membres déjà reposent en lui, quelques-uns crient maintenant sur la terre, d’autres gémiront quand nous serons dans le repos, et après eux d’autres encore. C’est donc le gémissement du corps entier que marque ici le Prophète, quand il dit: «J’ai crié vers vous pendant tout le jour». Quant à notre chef, il intercède pour nous 1, à la droite de son Père. Il reçoit quelques-uns de ses membres, il en châtie d’autres, purifie celui-ci, console celui-là, crée l’un, appelle l’autre, rappelle une seconde fois, corrige ceux-ci,- réintègre ceux-là.
6. « Répandez la joie sur l’âme de votre serviteur, ô mon Dieu, car j’ai levé mon âme vers vous 2 ». Donnez-lui la joie, parce que je l’ai élevée vers vous. Elle était sur la terre, et en ressentait les amertumes: afin qu’elle ne dessèche point dans l’amertume, et qu’elle ne perde point le parfum de votre grâce, je l’ai élevée à vous: faites-lui goûter quelque joie. Car vous seul êtes la joie, et le monde est plein d’amertume. Le chef a donc bien raison d’avertir les membres d’élever leurs coeurs au ciel. Qu’ils l’écoutent, qu’ils lui obéissent: qu’ils élèvent au ciel ce qui est mal à l’aise sur la terre. Le moyen de tenir le coeur intact, c’est de l’élever à Dieu. Si tu avais du blé dans un endroit humide, tu le transporterais en haut, de peur qu’il ne se gâtât. Tu élèverais ton blé en haut, et tu laisses ton coeur se corrompre sur la terre? Elève le vers le ciel, comme tu ferais de ton blé. Comment faire, me diras-tu? Quels cables, quelles machines, quelles échelles ai-je sous la main? Ces échelles sont tes affections: la route à suivre est ta volonté. Tu montes par l’amour, tu descends par l’insouciance. Quoique sur la terre, tu es dans le ciel, si tu aimes Dieu. Car le coeur ne s’élève pas à la façon d’un corps. Un corps ne s’élève qu’en changeant de place; le coeur s’élève en changeant de volonté.
1.
Rom. VIII, 34. — 2. Ps. LXXXV, 4.
« Seigneur, j’ai élevé mon âme vers vous ».
7. « Car vous êtes doux, Seigneur, facile à fléchir 1». Donnez-moi donc quelque joie. Fatigué de trouver l’amertume sur la terre, il a désiré quelque douceur, et il en cherche la source, mais ne la trouve point sur la terre. Quelque part qu’il se trouve, il ne rencontre que des scandales, des craintes, des tribulations, des épreuves. En quel homme trouver la sécurité? Qui lui donnera la vraie joie? pas même lui assurément, combien moins encore un autre! Ou bien les hommes sont méchants, et il faut les souffrir, espérer qu’ils se pourront convertir; ou ils sont hommes de bien, et alors il faut les aimer, non sans crainte qu’ils ne deviennent méchants, car ils peuvent toujours changer. Ici donc l’âme du Prophète est pleine d’amertume, par la malice des uns, et là elle est tourmentée par la crainte que l’homme de bien ne vienne à déchoir. Quelque part qu’il jette les yeux, il ne trouve qu’amertume sur la terre il ne peut l’adoucir qu’en s’élevant à Dieu: « Vous êtes doux, Seigneur, facile à fléchir ». Qu’est-ce à dire « doux? » Vous me supportez jusqu’à ce que vous me perfectionniez. Car, mes frères, je dois vous parler comme un homme au milieu d’autres hommes, et d’après l’expérience des hommes: que chacun rentre en son coeur, qu’il s’examine et se considère sans flatterie. Car s’examiner pour se tromper, serait le comble de la folie. Que chacun donc examine et voie ce qui se passe dans le coeur humain, comment nos prières sont pour la plupart entravées par nos futiles pensées, de sorte que son coeur peut à peine se tenir devant Dieu; et lui-même, qui voudrait s’y tenir, échappe en quelque sorte à ses propres efforts; il ne trouve ni barrière pour s’enfermer, ni digue pour contenir ses divagations, ses mouvements désordonnés, afin de se tenir devant Dieu et y goûter la joie. A peine dans toutes ces prières, trouvons-nous une prière digne de ce nom. Nous croirions peut-être que d’autres n’éprouvent pas ce que nous éprouvons, si nous ne lisions dans l’Ecriture cette parole du roi David au milieu de sa prière « J’ai trouvé mon coeur, ô mon Dieu, pour vous invoquer 2 ». Il a trouvé son coeur, dit-il, comme si ce coeur lui échappait d’ordinaire, comme s’il le poursuivait dans sa
1.
Ps. LXXXV, 5. — 2. II Rois, VII, 27.
fuite, et que dans l’impossibilité de le saisir, il criât vers Dieu: « Mon coeur m’a échappé 1». Donc, mes frères, en examinant ces paroles du Prophète: « Vous êtes doux et facile à fléchir »; il me semble que quand il dit « Vous êtes doux; versez la douceur dans l’âme de votre serviteur, parce que vous êtes suave et doux »; il me semble, dis-je, qu’il attribue à Dieu la douceur, parce que Dieu souffre nos faiblesses et attend pour nous perfectionner la prière de notre coeur. Et quand nous la lui avons donnée, il la reçoit favorablement et nous exauce; il oublie tant d’autres prières faites avec dissipation, et il accepte celle que nous avons à peine trouvée. Où est, mes frères, où est l’homme qui souffrirait que son ami, après avoir commencé à s’entretenir avec lui, au lieu d’écouter sa réponse, lui tournât le dos et parlât avec un autre? Quel juge pourrait vous souffrir si, après en avoir appelé à son tribunal, tout en lui parlant, vous le quittiez tout à coup pour aller deviser avec votre ami? Et cependant Dieu souffre ces égarements du coeur, et dans ceux qui le prient, ces pensées que je n’appelle point dangereuses, que je n’appelle point coupables et ennemies de Dieu; mais vous occuper des pensées frivoles, c’est outrager votre interlocuteur. Or, cette prière est une conversation avec Dieu. Dans une lecture, c’est Dieu qui vous parle; dans une prière, c’est vous qui parlez à Dieu. Mais quoi? Faut-il désespérer du genre humain, et dire que tout homme sera damné, dès qu’une distraction se glissera dans sa prière et viendra l’interrompre? Si cela était, mes frères, je ne vois pas quelle espérance il nous resterait. Mais puisque nous espérons en Dieu, puisque sa miséricorde est grande, disons-lui: « Répandez la joie dans l’âme de votre serviteur, ô mon Dieu, parce que j’ai élevé mon âme vers vous ». Et comment l’ai-je élevée? Comment l’ai-je pu faire? Autant que vous m’en avez donné les forces, autant que j’ai pu la retenir dans sa fuite. Mais as-tu oublié, te répond le Seigneur, combien de fois tu t’es présenté devant moi, pour t’occuper de tant de frivolités, qu’à peine tu pouvais faire une prière fixe et arrêtée? « Vous êtes suave et doux, ô mon Dieu », doux pour me tolérer. Je suis malade et m’écoule comme l’eau; guérissez-moi, et je serai stable;
1.
Ps. XXXIX, 13.
affermissez-moi, et je serai ferme; jusque-là vous me tolérez, parce que vous êtes suave et doux, ô mon Dieu!
8. « Et plein de miséricorde ». Non seulement miséricordieux, mais « plein de miséricorde ». Nos péchés abondent, votre miséricorde abonde en proportion. « Et vous êtes plein de miséricorde pour tous ceux qui vous invoquent ». Pourquoi l’Ecriture dit-elle en beaucoup d’endroits: « Qu’ils m’invoqueront, et que je ne les exaucerai pas 1»; et néanmoins « Dieu est plein de miséricorde pour ceux qui l’invoquent »; sinon parce que beaucoup l’invoquent, mais sans l’invoquer? C’est d’eux qu’il est dit: « Ils n’ont pas invoqué Dieu 2 ». lis invoquent, mais non pas Dieu. Tu invoques ce que tu aimes; tu invoques ce que tu appelles en toi, tu invoques ce que tu veux avoir en toi. Or, situ invoques le Seigneur, afin qu’il t’arrive de l’argent, un héritage, une dignité du monde, tu appelles des biens que tu désires posséder, tu te fais un Dieu complice de tes convoitises, non un Dieu qui écoute les prières. Dieu est bon s’il t’accorde ta demande. Mais si ta demande est mauvaise, n’y a-t-il pas plus de miséricorde à ne point l’accorder? Mais qu’il ne t’accorde rien, et il n’est rien pour toi, et tu dis alors: Que n’ai-je point demandé, et combien de fois, et je n’ai pas été exaucé? Or, que demandais-tu? La mort de ton ennemi peut-être. Et si cet ennemi demandait la tienne? C’est le même Dieu qui t’a créé, et qui l’a créé: il est un homme, de même que tu es un homme; or, Dieu qui est juste, entend l’un et l’autre et n’écoute ni l’un ni l’autre. Tu es triste, parce que tu as échoué contre lui; réjouis-toi de ce qu’il ait échoué contre toi. Mais, diras-tu, ce n’est point là ce que je demandais, je ne demandais point la mort de mon ennemi, mais bien la vie de mon fils. Quel mal y avait-il? A ton sens tu ne demandais rien de mauvais. Mais que diras-tu si ce fils ne t’a été enlevé que pour empêcher que la malice corrompît son esprit’? Mais il était pécheur, me répondras-tu, et je souhaitais qu’il vécût afin qu’il se convertît. Tu demandais qu’il vécût afin qu’il devînt meilleur. Mais si Dieu savait qu’une longue vie le rendrait pire encore? Comment savais-tu ce qui lui était le plus avantageux, de vivre ou de mourir? Si tu ne le savais pas,
1.
Prov. I, 28. — 2. Ps. LII, 6. — 3. Sag. IV, 11.
rentre donc en toi-même, et laisse agir Dieu dans sa sagesse. Que faire alors, me diras-tu? Que demanderai-je? Que demanderais-tu? Ce que Jésus-Christ, ce que le divin Maître t’a enseigné à demander. Invoque Dieu comme Dieu; aime Dieu comme Dieu. Il n’est rien de meilleur que lui; c’est lui qu’il faut souhaiter, désirer, Ecoute une prière adressée à Dieu dans un autre psaume: « Je n’ai demandé à Dieu qu’une seule chose, et je la demanderai encore ». Et quelle est cette demande? « D’habiter dans la maison « du Seigneur, tous les jours de ma vie ». Pourquoi? « Afin d’y contempler les délices du Seigneur 1 ». Si donc tu veux aimer Dieu, que ton amour pénètre tes os dans sa sincérité; aime-le par de chastes soupirs, que ton amour soit une flamme ardente, aspire vers lui; nul amour n’est plus doux, n’est plus suave, n’est plus délicieux, n’est plus durable. Quoi de plus durable qu’un amour sans fin? Ne crains pas qu’il ne meure pour toi, celui qui fait que tu ne meurs point. Si donc tu invoques Dieu comme Dieu, sois en sûreté, il t’exaucera; tu es dans le sens de ce verset: « Il est plein de miséricorde pour ceux qui l’invoquent».
9. Ne dis donc point: Dieu ne m’a point fait cette grâce. Rentre dans ta conscience, pèse, interroge, n’épargne rien, Si tu as réellement invoqué le Seigneur, sois certain qu’il ne t’a point accordé le bien temporel que tu lui demandais, par cela seul qu’il ne t’eût servi de rien. C’est, mes frères, dans cette vérité qu’il faut affermir votre coeur, un coeur chrétien, un coeur fidèle; ne vous attristez point, comme si Dieu s’était refusé à vos désirs, ne vous emportez point contre lui. Car il n’est pas bon de regimber contre l’aiguillon 2.Voyez l’Ecriture: le diable est exaucé, l’Apôtre ne l’est point. Que vous en semble? Comment Dieu peut-il exaucer les démons? Ils demandèrent d’entrer dans les pourceaux, et cela leur fut accordé 3. Comment le diable a-t-il été exaucé? Il demanda de tenter Job, et l’obtint 4. Comment l’Apôtre n’a-t-il pas été exaucé? « De peur que la grandeur de mes révélations ne me donnât de l’orgueil, un aiguillon a été mis dans ma chair, instrument de Satan pour me donner des soufflets; c’est pourquoi j’ai prié trois fois le
1.
Ps. XXVI, 4.— 2. Act. IX, 5.— 3. Matth. VIII, 31, 32.— 4. Job, I, 11, 12; II, 5, 6.
Seigneur de l’éloigner de moi. Il m’a répondu: Ma grâce te suffit, car la force se perfectionne dans la faiblesse 1 ». Dieu donc a exaucé celui qu’il se préparait à condamner, et n’a point exaucé celui qu’il voulait guérir. Souvent un malade demande à un médecin bien des choses que celui-ci n’accorde pas; il résiste à sa volonté pour mieux veiller à sa santé. Prends donc le Seigneur pour ton médecin; demande-lui le salut, et il sera lui-même ton salut, non qu’il te sauvera d’une manière extérieure, mais lui-même sera ton salut: ne cherche donc point d’autre salut que lui-même, ainsi qu’il est dit dans le psaume: « Dites à mon âme: Je suis ton salut 2 ». Que peut-il te faire et te dire, que se donner à toi? Veux-tu qu’il se donne réellement? Mais comment se donner à toi, situ veux ce qu’il ne veut point? Il écarte les obstacles, afin d’entrer en toi. Considérez, mes frères, les biens que Dieu donne aux pécheurs, et jugez par là de ce qu’il réserve à ses serviteurs. A des impies qui blasphèment contre lui, il donne chaque jour le ciel, la terre, les fontaines, les fruits, la santé, des enfants, les richesses et l’abondance. Nul autre que Dieu ne donne ces biens. Si telle est sa munificence envers les méchants, que penses-tu qu’il réserve à ses serviteurs fidèles? Nous faudra-t-il penser qu’il n’a rien pour les bons, celui qui est si généreux envers les méchants? Il leur réserve au contraire, non la terre, mais le ciel. Et je dis trop peu en disant le ciel; il leur réserve lui-même qui a fait le ciel. Le ciel est beau sans doute, mais celui qui a fait le ciel est beaucoup plus beau. Pourtant je vois le ciel, et lui, je ne le vois pas; aussi as-tu des yeux pour voir le ciel, mais tu n’as pas encore un coeur apte à contempler le créateur du ciel. Mais il est venu du ciel ici-bas pour purifier ton coeur, et te montrer le créateur du ciel et de la terre. Attends donc avec patience ton salut. Il sait par quels remèdes il pourra te guérir, quelles incisions, quelles brûlures il doit te faire. C’est par le péché que tu as contracté ta maladie: il est venu non seulement pour adoucir, mais pour trancher et brûler. Ne vois-tu pas ce qu’endurent les hommes entre les mains du médecin; et il n’est qu’un homme ne donnant qu’une espérance incertaine? Vous guérirez, dit le médecin, vous guérirez si je pratique
1.
II Cor. XII, 7-9.— 2. Ps. XXXIV, 3.
cette incision. C’est un homme qui parle ainsi, et à un autre homme; et celui qui fait la promesse n’est pas plus certain que celui qui l’entend; puisqu’elle est faite par un homme qui n’a pas fait l’homme, et qui ne sait qu’imparfaitement ce qui se passe dans le corps de l’homme: et néanmoins à la parole d’un homme qui ignore encore plus qu’il ne connaît ce qui se passe dans le corps humain, voilà un homme qui a confiance, qui abandonne son corps, qui se laisse garrotter, ou même souvent sans être lié endure le fer et le feu. Il recouvre la santé pour quelques jours, mais il ne sait quand il mourra, et parfois même il meurt pendant l’opération, on ne peut cicatriser ses plaies. Mais à qui Dieu a-t-il fait une promesse qu’il n’ait point tenue?
10. « Seigneur, fixez ma prière dans votre oreille 1 ». C’est l’élan d’un coeur qui supplie. « Seigneur, fixez ma prière dans votre oreille »; c’est-à-dire, que ma prière n’échappe point à votre oreille, mais, daignez l’y fixer. De quelle manière obtenir que sa prière soit fixée dans l’oreille de Dieu? Que Dieu nous réponde lui-même, et nous dise: Veux-tu que ta prière soit fixée dans mon oreille? toi. même fixe ma loi dans ton coeur. « Seigneur, fixez ma prière dans votre oreille, et soyez attentif à mes supplications ».
11. « J’ai crié vers vous, au jour de mon affliction, et alors vous m’avez exaucé 2.»
Ce qui vous a porté à m’exaucer, c’est que j’ai crié vers vous au jour de mon affliction. Tout à l’heure le Prophète nous disait: « Pendant tout le jour j’ai crié »; tout le jour j’ai été dans l’affliction. Qu’un chrétien ne dise donc point qu’il est un jour exempt de peine. Tout le jour signifie pendant tout le temps Tout le jour il est dans l’angoisse. Eh quoi donc! y a-t-il tribulation quand tout est bien pour nous? Oui, tribulation. D’où vient-elle? Tant que nous sommes en cette vie, nous sommes loin du Seigneur 3. Quelles que soient ici-bas nos réjouissances, nous ne sommes point dans cette patrie, où nous nous hâtons d’arriver. Celui-là n’aime point la patrie qui se plaît dans l’exil: pour qui la patrie est douce, l’exil est amer; si l’exil est amer, il y a tribulation pendant tout le jour. Quand n’y a-t-il pas tribulation? Quand la patrie a pour nous des charmes. « A votre droite sont
1.
Ps. LXXXV, 6. — 2. Id. 7. — 3. II Cor. V, 6.
les douceurs sans fin. Votre face me comblera de joie 1 », dit le Prophète, « je contemplerai les beautés de mon Dieu 2 ». C’es là qu’il n’y aura plus ni labeur, ni gémissements: là, plus de supplications, mais uni louange sans fin; là, nous chanterons ave les anges un alléluia sans fin, un amen éternel; là une vision sans lassitude, un amour sans ennui. Vous-le voyez donc, il n’y a point de bonheur pour nous, tant que nous n’habiterons point ces demeures. Mais n’avons-nous pas tout en abondance? Quand même tu aurais tout en abondance, vois si tu es assuré de ne point perdre tout. Mais n’ai-je point aujourd’hui ce qui me manquait? Ne m’est-il point venu de l’argent que je n’avais pas? Tu as sans doute aussi la crainte que tu n’avais pas; et alors ta sécurité égalait ta pauvreté. Mais je t’accorde les richesses, les biens de ce monde, l’assurance de n’en rien perdre. Que Dieu te dise encore: Tu auras toujours ces biens, tu les posséderas éternellement, mais tu ne verras point ma face. Ne consultez pas la chair, mais consultez l’esprit; laissez répondre votre coeur, répondre cette foi, cette espérance, cette charité qui commence à naître en vous. Si donc nous avions la certitude que nous serons toujours dans l’abondance, et que Dieu nous dit: Vous ne verrez point ma face, goûterions-nous quelque bonheur dans ces biens? Quelqu’un peut-être choisirait les joies d’ici-bas, et dirait: Je suis riche, c’est bien, je ne veux rien de plus. Cet homme n’a pas encore commencé à aimer Dieu; il n’a point encore soupiré dans son exil. Non, non. Arrière toutes ces séductions! Arrière ces charmes mensongers! Arrière tout ce qui nous dit chaque jour: Où es ton Dieu? Répandons notre âme sur nous-mêmes, confessons nos fautes avec larmes; gémissons dans ces aveux, soupirons dans nos misères 3. Rien n’est doux pour nous en dehors de Dieu. Nous ne voulons rien de ce qu’il nous donne, s’il ne se donne lui-même celui qui nous a tout donné. « Fixez ma prière dans votre oreille, ô mon Dieu, écoutez le cri de mes supplications. Au jour de mes tribulations, j’ai crié vers vous et vous m’avez exaucé ».
12. « Nul d’entre les dieux n’est semblable à vous, Seigneur 4 ». Quelle est cette parole?
1. Ps. XV, 11. — 2. Id. XXVI, 4.—
3. Id. XLI, 4, 5, 11.— 4. Id. LXXXV, 2.
« Nul d’entre les dieux n’est semblable à vous, Seigneur ». Que les païens se fassent des dieux selon leurs caprices; que les ouvriers en argent, en or, les ciseleurs, les sculpteurs, leur fabriquent des dieux. Quels dieux? Des dieux qui ont des yeux pour ne point voir 1, et tous ces défauts que le Psalmiste leur a reprochés. Mais, me dit un païen, ce n’est point là ce que j’adore, ils ne sont que des signes, je ne les adore point. Qu’adorez-vous donc? Quelque chose de pire: « Car les dieux des nations sont les démons 2 ». Qu’est-ce donc? Ni les démons non plus, nous ne les adorons pas. Et pourtant vous n’avez que le démon dans vos temples, et il n’y a que lui qui inspire vos devins. Mais que nous alléguez-vous? Nous adorons les anges, les anges sont, nos dieux. Vous ne connaissez nullement les anges, car les anges adorent un seul Dieu, et n’accordent aucune faveur aux hommes qui veulent adorer les anges, et non Dieu. Des anges que l’on voulait honorer, ont défendu aux hommes de leur rendre un culte 3; il le faut au vrai Dieu. Mais qu’on les appelle des anges ou des hommes, bien qu’il soit écrit: « Je l’ai dit: vous « êtes des dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut 4; nul parmi les dieux n’est semblable à vous, ô mon Dieu ». Quelles que soient les pensées des hommes, la créature ne sera point semblable au Créateur. Or, à l’exception de Dieu, tout ce qui est dans la nature est l’oeuvre de Dieu. Qui pourra mesurer la distance entre l’oeuvre et l’ouvrier? Le Prophète s’écrie donc: « Nul parmi les dieux n’est semblable à vous, ô mon Dieu ». Mais il n’a point précisé la différence avec Dieu, parce que cette précision est impossible. Que votre charité le veuille bien comprendre, Dieu est ineffable; il est plus facile de dire ce qu’il n’est pas, que de dire ce qu’il est. Ta pensée s’arrête sur la terre, ce n’est pas Dieu; sur la mer, ce n’est pas Dieu; sur tout ce qui est sur la terre, ce sont des hommes et des animaux, ce n’est pas Dieu; sur tout ce qu~ est sur la mer, sur tout ce qui vole dans les airs, ce n’est pas Dieu; sur tout ce qui brille dans les cieux, ce sont les étoiles, le soleil et la lune, ce n’est pas Dieu; sur le ciel, ce n’est pas Dieu. Elève ta pensée jusqu’aux Anges, aux Vertus, aux Puissances, aux Archanges, aux Trônes, aux Sièges, aux Dominations, tout cela n’est pas Dieu. Qu’est-il donc? J’ai
1.
Ps. CXIII, 5.— 2. Id. XCV, 5.— 3. Apoc. XIX, 10. — 4. Ps. LXXXI, 6.
seulement pu te dire ce qu’il n’est pas. Tu me demandes ce qu’il est? Ce que l’oeil n’a point vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au coeur de l’homme 1. Comment pourrait arriver à ma langue ce qui n’est pas arrivé jusqu’à mon coeur? «Nul n’est semblable à vous parmi les dieux, ô mon Dieu; nul ne peut vous être comparé dans vos oeuvres ».
13. « Toutes les nations que vous avez faites, viendront et se prosterneront devant vous, ô mon Dieu 2 ». Il prophétise l’Eglise dans ces paroles: « Toutes les nations que vous avez faites ». S’il est une nation que Dieu n’ait point faite, elle ne l’adorera point; mais il n’est aucun peuple que Dieu n’ait fait, puisque Adam et Eve, qui sont la source de toutes les nations, c’est Dieu qui les a créés, et que de là tous les peuples tirent leur origine: Dieu donc a fait tous les peuples. « Toutes les nations que vous avez faites, viendront et se prosterneront devant vous, ô mon Dieu ». Quand le Prophète parlait-il ainsi? Quand il n’y avait pour se prosterner devant Dieu que quelques saints chez le seul peuple des Hébreux, ainsi parlait le Prophète, et aujourd’hui, selon cette prophétie, nous voyons « toutes les nations que vous avez faites, ô mon Dieu, se prosterner devant vous ». Quand le Prophète parlait ainsi, nul ne voyait que par la foi; aujourd’hui qu’on le voit, pourquoi nier que « toutes les nations que vous avez faites, Seigneur, viennent se prosterner devant vous, et glorifier votre nom? »
14. « Parce que vous êtes grand, que vous opérez des merveilles, et que seul vous êtes un grand Dieu ». Que nul ne se dise grand. On devait voir des hommes se nommer grands: c’est contre cette prétention que le Prophète s’écrie: « Vous seul êtes grand Dieu 3». Autrement à quoi bon dire à Dieu, que lui seul est grand et Dieu? Qui peut ignorer qu’il est Dieu et grand? Mais comme on devait voir des hommes qui se diraient grands, tout en rapetissant Dieu, le Prophète rabat leur prétention, en disant: « Vous seul êtes Dieu et grand ». Car ce que vous dites s’accomplit, et non ce que disent ceux qui prônent leur grandeur. Qu’a dit le Seigneur par l’Esprit-Saint? « Toutes les nations que vous avez faites viendront, et se prosterneront devant vous, ô mon Dieu ». Que vient nous dire je ne sais
1. II Cor, II, 9. — 2. Ps. LXXXV,
9. — 3. Id. 10.
quel homme se disant grand? Point du tout; Dieu n’est pas adoré parmi toutes les nations: toutes les nations ont péri, il n’y a plus que l’Afrique. Voilà ton langage, ô toi qui te dis grand: mais il tient un autre langage, ce Dieu qui seul est grand. Que dit-il donc ce seul grand Dieu? « Toutes les nations que vous avez faites, ô mon Dieu, viendront se prosterner devant vous ». Je vois ce qu’a dit le seul Dieu qui est grand: que l’homme se taise dans sa fausse grandeur; oui, fausse grandeur par cela seul qu’il dédaigne de se faire petit. Qui daigne d’être petit? Celui qui parle ainsi: « Quiconque, parmi vous, prétendra être grand», a dit le Seigneur, « sera votre serviteur 1 ». Si cet homme voulait être le serviteur de ses frères, il ne les séparerait point de leur mère. Mais comme il vise à la grandeur, et ne veut pas être petit pour le bien des autres: Dieu, qui résiste aux superbes, mais accorde aux humbles ses faveurs 2, parce que seul il est grand, accomplit ce qu’il a prédit, et confond ceux qui maudissent le Christ. Or, c’est maudire le Christ que dire qu’il n’y a plus d’Eglise dans l’univers entier, muais seulement en Afrique. Dis-lui: Tu perdras tes villas, peut-être ne t’épargnera-t-il pas les soufflets; et le voilà qui prêche que le Christ a perdu cet héritage racheté de son sang. Jugez, mes frères, de la violence de l’outrage. L’Ecriture l’a dit: « Une grande nation est la gloire d’un roi, mais un peuple décroissant est la confusion du prince 3 ». Tu vas donc jusqu’à faire cette injure au Christ, de prétendre que son peuple en est réduit à ce coin de terre? Tu es donc né, tu fais donc profession d’être chrétien pour envier au Christ sa gloire, et tu prétends en porter le signe sur ton front, quand il n’est plus dans ton coeur, « Une grande nation est la gloire d’un prince ». Reconnais donc ton roi, fais-lui cet honneur de lui accorder une grande nation. Quelle grande nation lui donner, me diras-tu? Ne lui accorde rien selon ton coeur, et tu feras bien. D’où lui donner alors? Donne-lui d’après ces textes: « Toutes les nations que vous avez faites viendront se prosterner devant vous, ô mon Dieu ». Parle ainsi, proclame cette vérité et tu lui donneras une grande nation; parce que toutes les nations mie sont en lui seul qu’une seule nation, c’est là l’unité. De même qu’on dit l’Eglise, on dit les Eglises,
1.
Matth. XX,26. — 2. Jacques, IV, 6. — 3. Prov. XIV, 28.
et que ces Eglises ne forment qu’une Eglise ainsi cette grande nation sera toutes les na lions. Tout à l’heure c’étaient des nations des nations nombreuses, comment n’y a-t il plus qu’une nation? Parce qu’il n’y a qu’une seule foi, qu’une seule espérance, qu’une seule charité, qu’un seul avenir. Et enfin pourquoi n’y aurait-il pas une seule, nation, quand il n’y a qu’une seule patrie? Cette patrie, c’est le ciel; cette patrie, c’est Jérusalem: quiconque n’en est pas citoyen ici-bas, n’appartient pas i cette nation, et quiconque en est citoyen ici-bas, est de l’unique nation de Dieu. Et cette nation s’étend de l’Orient à l’Occident, du Nord et de l’Océan dans toutes les quatre parties de l’univers entier. Voilà ce que dit le Seigneur. De l’Orient et de l’Occident, comme du Nord et de la mer, glorifiez votre Dieu. Voilà ce qu’il a prédit, ce qu’il a accompli, parce que seul il est grand. Qu’il cesse donc de parler ainsi contre le Dieu qui seul est grand, celui qui n’a pas voulu être petit; parce que Dieu et Donat ne peuvent être grands tous deux.
15. « Conduisez-moi, Seigneur, dans votre voie, et je marcherai dans votre vérité 1. » Votre voie, votre vérité, votre vie, c’est le Christ. Le corps est donc pour lui, et le corps vient de lui. « Je suis la voie, la vérité, et la vie 2 ». « Conduisez-moi, Seigneur, dans votre voie », Dans quelle voie? « Et je marcherai « dans votre vérité ». Autre est nous conduire vers le chemin, et autre nous conduire dans le chemin. Voyez l’homme toujours pauvre, toujours ayant besoin de secours. Ceux qui sont en dehors du chemin ne sont pas chrétiens, ou ne sont pas encore catholiques; il faut les conduire vers le chemin. Mais quand ils arriveront au chemin, et qu’ils seront devenus catholiques dans le Christ, qu’ils se laissent conduire par lui-même dans ce chemin, afin de ne point tomber. C’est alors qu’ils marchent dans la voie, avec certitude. « Conduisez-moi, Seigneur, dans votre voie ». le suis dans cette voie, daignez me conduire vous-même. « Et je marcherai dans votre vérité »: sous votre direction, je ne puis errer; si. vous m’abandonnez, je suis dans l’erreur. Prie donc le Seigneur de ne t’abandonner jamais, de te diriger jusqu’à la fin. Comment conduit-il? par ses conseils, et en te donnant la main. Et qui a connu le bras du Seigneur 3? Donner son Christ, c’est donner
1.
Ps. LXXXV, 11. — 2. Jean, XIV, 6.— 3. Isa. LIII, 1.
sa main, et donner sa main, c’est donner son Christ. Te conduire à la voie, c’est te conduire au Christ; et te conduire dans la voie, c’est te conduire dans le Christ. Or, le Christ est la vérité. « Conduisez-moi, Seigneur; dans votre voie, et je marcherai dans votre vérité »; dans celui-là même qui a dit: « Je suis la voie, la vérité, et la vie ». Pourquoi en effet conduire dans la voie et dans la vérité, sinon pour arriver à la vie? C’est donc en lui, Seigneur, que vous nous conduisez vers lui. « Conduisez-moi, Seigneur, dans votre voie, et je marcherai dans votre vérité ».
16. « Que mon coeur soit dans la joie, afin de craindre votre nom ». Dans cette joie donc il y a de la crainte. Mais avec la crainte où peut être la joie? n’y a-t-il point ordinairement de l’amertume dans la crainte? Un jour nous aurons une joie sans crainte; ici-bas la crainte est dans la joie. Nous n’avons ni une sécurité entière, ni une joie pleine. Sans aucune joie nous succombons, avec une entière sécurité notre allégresse est vicieuse. Que Dieu donc laisse tomber sur nous quelque joie, qu’il nous inspire de la crainte, et des douceurs de la joie nous conduise au repos de la sécurité. Qu’il nous inspire de la crainte, afin qu’une trompeuse allégresse ne nous jette point hors de la voie. Aussi le Psalmiste a-t-il dit: « Servez le Seigneur dans la crainte, et réjouissez-vous en lui avec tremblement 1 ». Et l’apôtre saint Paul a dit aussi: « Opérez votre salut avec crainte « et avec tremblement, car c’est Dieu qui l’opère en vous 2». Quel que soit donc le bonheur qui nous arrive, mes frères, craignez davantage; car ce que vous prenez pour une félicité, est plutôt une épreuve. Il vous vient un héritage, une grande fortune, je ne sais quel comble de prospérité; ce sont autant d’épreuves, prenez garde à la corruption. Il y a même des prospérités dans le Christ, et dans la charité du Christ: ainsi tu as peut-être gagné une épouse qui avait suivi le parti de Donat; tu as amené à la foi tes fils qui étaient païens; tu as conquis au Christ un ami qui voulait t’entraîner dans les théâtres, et tu l’as ramené dans l’Eglise; tu avais peut-être un ennemi acharné à te contredire, et déposant sa rage, il est devenu doux, a connu le Seigneur, et loin d’aboyer contre toi il proteste
1.
Ps. II, 11.— 2. Philipp. II, 12, 13.
avec toi contre les méchants; voilà tout autant de joies. Qu’est-ce en effet qui nous réjouira, si tout cela ne nous réjouit point?Ou quelles autres joies plus pures que celles-là pourrons-nous avoir? Mais comme il y a en cette vie des tribulations, des épreuves, des dissensions et des schismes, et tous ces maux dont le siècle ne saurait être exempt jusqu’à ce que l’iniquité disparaisse; que notre joie ne nous endorme point dans notre sécurité, que notre coeur se réjouisse, mais dans la crainte du Seigneur; qu’il ne trouve ailleurs ni joie, ni repos. N’attendez pas de sécurité dans l’exil; quand nous la voudrons goûter ici-bas, ce sera plutôt une glu pour le corps, qu’une sécurité pour l’homme. « Que mon coeur soit dans la joie, de manière à craindre votre nom».
17. « Je vous confesserai, Seigneur mon Dieu, de tout mon coeur, et je glorifierai votre nom dans l’éternité; parce que votre miséricorde est grande envers moi, et que vous avez arraché mon âme de l’enfer inférieur 1». Ne m’en veuillez point, mes frères, si je ne vous donne point sur ce verset une interprétation certaine. Je suis homme, et je n’ose parler que d’après les saintes Ecritures, jamais de moi-même. Je n’ai point éprouvé l’enfer, vous non plus: peut-être prendrons-nous un autre chemin qui ne sera point celui de l’enfer. Tout cela est incertain. Mais comme on ne saurait contredire l’Ecriture qui nous dit: « Vous avez arraché mon âme à l’abîme inférieur »; nous comprenons qu’il y a comme deux enfers, l’un supérieur, l’autre inférieur. Pourquoi, en effet, un enfer inférieur, s’il n’en est un supérieur? Ce n’est qu’à raison de cette partie supérieure de l’enfer que l’on peut parler d’une autre. Il me semble donc, mes frères, qu’il est pour les anges une habitation céleste, séjour des joies ineffables, séjour d’immortalité et d’incorruption, séjour où tout est en permanence, selon le don et la grâce de Dieu. C’est la partie supérieure du monde. Si telle est la partie supérieure, ce séjour terrestre, séjour de la chair et du sang, séjour de la corruption, où l’on naît pour mourir, où il y a disparition et succession, mutabilité et inconstance, où l’on ne rencontre que les craintes, les convoitises, les horreurs, les joies incertaines, une espérance fragile, une substance
1.
Ps. LXXXV, 12, 18.
périssable, ce séjour, dis-je, ne peut être comparé au ciel dont nous venons de parler; si donc on ne saurait le comparer au ciel, le ciel est la région supérieure, et celle-ci sera la région inférieure, d’où vient le nom d’enfer. Mais après la mort, où irons-nous, s’il n’y a une région encore au-dessous de cette région inférieure que nous habitons avec notre chair et notre mortalité? Car l’Apôtre l’a dit, « le corps est mort à cause du péché 1». Nous sommes donc morts dès ici-bas, et rien d’étonnant, dès lors, que ce séjour soit appelé enfer, s’il y a tant de morts. L’Apôtre ne dit point que le corps mourra, mais bien: « Le corps est mort ». Il est vrai que ce corps possède encore une vie; mais il est véritablement mort, bien qu’il soit uni à l’âme, si nous Je comparons à ce corps que nous devons avoir, et qui ressemblera au corps des anges. Mais au-dessous de cet enfer, c’est-à-dire au-dessous de cette partie inférieure, il est un autre enfer où vont les morts, dont Dieu a voulu tirer nos âmes en y envoyant son Fils. Car, mes fières, c’est dans ces deux régions inférieures, que Dieu a envoyé son Fils, pour nous délivrer dans l’une comme dans l’autre. Il est venu dans l’une en naissant, dans l’autre en mourant. Aussi, d’après l’exposition de l’apôtre saint Pierre, et non plus d’après les conjectures humaines, est-ce bien lui qui a dit dans un psaume: « Vous ne laisserez point mon âme dans l’enfer 2». Donc aussi cette parole: « Vous avez arraché mon âme à l’enfer inférieur », est sa parole, ou bien notre parole par Jésus-Christ Notre. Seigneur; car s’il est venu dans l’enfer, c’est afin que nous ne restions point dans l’enfer.
18. J’exposerai aussi une autre opinion. Il y a peut-être dans les enfers une région plus profonde, où sont précipités les impies chargés d’iniquités. Car il ne nous est guère possible de définir qu’Abraham n’avait pas une place, quelque part dans les enfers. Le Seigneur en effet n’était pas encore descendu dans les enfers, pour en délivrer les âmes des saints qui l’avaient précédé, et pourtant Abraham était dans le repos. Et ce riche, tourmenté dans les enfers, leva les yeux pour voir Abraham. Or, il ne pouvait le voir en levant les yeux, si Abraham n’eût été en haut et lui en bas. Et quand il s’écrie: « Abraham, ô mon père, envoyez Lazare, afin qu’il
1.
Rom, VIII, 10. — 2. Ps. XV, 10; Act, II, 27.
trempe son doigt dans l’eau, et en laisse tomber une goutte sur ma langue, car je suis dévoré dans ces flammes »: que lui répond Abraham? « Mon fils, souviens-toi que tu as reçu de grands biens pendant ta vie, et Lazare des maux: maintenant il est dans le repos, et toi dans les tourments. Au surplus un grand chaos est consolidé entre vous et nous, de sorte que nous ne pouvons aller à vous, ni vous venir, à nous 1». Ce serait donc à la vue de ces deux enfers peut-être, dont l’un est pour les justes un lieu de repos, dont l‘autre est pour les impies un lieu de tourments, que le Prophète, dans sa prière, déjà incorporé à Jésus-Christ, et priant par la voix de Jésus-Christ, dit que Dieu a délivré son âme de l’enfer inférieur, parce qu’il l’a délivré des péchés qui pouvaient le conduire aux tourments de cet enfer inférieur. Il en est de même d’un médecin qui, te voyant près de tomber malade par excès de fatigue, te dirait: Ménage-toi, traite-toi de telle façon, repose-toi, prends telle nourriture; autrement tu tomberas malade; mais, au contraire, ce moyen te sauvera; tu as raison de dire alors au médecin: Vous m’avez délivré de maladie, non que tu aies été malade, mais parce que tu devais l’être. Voilà un homme qui avait une affaire embarrassante, et il devait subir l’emprisonnement; un autre vient et défend sa cause. Que lui dit-il, pour le remercier? Vous m’avez sauvé de la prison. Un débiteur allait être pendu, on paie sa dette; on dit qu’il est délivré de la potence. Ni l’un ni l’autre n’y étaient encore; mais parce que leurs méfaits devaient les y conduire, et qu’ils y fussent arrivés si l’on ne fût venu à leur secours, on dit avec raison qu’ils ont été délivrés de cette peine à laquelle des libérateurs ne les ont pas laissé conduire. Que vous embrassiez donc, mes frères, l’une ou l’autre partie, j’étudie avec vous la parole de Dieu, sans rien affirmer avec témérité, « Vous avez délivré mon âme de l’enfer inférieur».
19. « O Dieu, ceux qui violent votre loi, se sont élevés contre moi 2 ». Quels sont ces violateurs de la loi? Il n’appelle point ainsi les païens qui n’ont point reçu la lui; et nul ne peut violer un précepte qui n’est pas imposé. L’Apôtre dit d’une manière absolue
1. Luc, XVI, 22-26. — 2. Rom. IV,
15.
« Sans loi, il n’y a point de prévarication »; donnant ainsi le nom de prévaricateurs à l’égard de la loi, ceux qui violent cette même loi. Si nous mettons cette parole dans la bouche du Seigneur, les violateurs de la loi seront les Juifs. « Ces violateurs se sont élevés contre moi »; n’observant point la loi, ils ont accusé le Christ de la violer. «Ces contempteurs de la loi se sont élevés contre moi ». De là cette passion du Sauveur que nous connaissons. Or, penses-tu que son corps ne souffre plus rien de semblable? Est-ce possible? « S’ils ont appelé Béelzébub le père de famille, à combien plus forte raison ses domestiques? Le disciple n’est pas au-dessus du maître, ni le serviteur au-dessus de son Seigneur 1». Son corps souffre donc de la part des prévaricateurs; ils s’élèvent contre le corps du Christ. Quels sont donc ces violateurs de la loi? Les Juifs oseraient - ils bien s’élever contre le Christ? Non: et ils ne nous font pas subir grande tribulation, car ils n’ont pas encore embrassé la foi, ni connu le salut. Ceux qui s’élèvent contre le Christ, ce sont les mauvais chrétiens, qui font subir l’affliction chaque jour au corps du Christ. Les auteurs de tout schisme, de toute hérésie, tous ceux qui dans l’Eglise vivent dans le désordre, et qui imposent leur désordre aux âmes pieuses, qui les attirent, qui corrompent les moeurs pures par leurs conversations dépravées 2, voilà « les contempteurs de la loi qui s’élèvent contre moi ». Ainsi doit parler toute âme pieuse, toute âme chrétienne, mais non toute âme qui n’en souffre point. Or, toute âme qui est chrétienne sait les maux qu’elle endure: si elle connaît ce qu’elle endure, qu’elle reconnaisse ici. ses plaintes; et si elle est au-dessus de la douleur, qu’elle soit encore au-dessus de la plainte; mais si elle ne veut pas demeurer étrangère à la douleur, qu’elle marche dans la voie étroite 3. Qu’elle commence à vivre pieusement dans le Christ, alors il devient nécessaire qu’elle endure la persécution. « Tous ceux», dit l’Apôtre, «qui veulent vivre pieusement dans le Christ, souffriront persécution 4. Seigneur, les contempteurs de votre loi se sont élevés contre moi; la synagogue des puissants a recherché « mon âme ». Cette synagogue des puissants, c’est l’assemblée des orgueilleux; or, la synagogue
1.
Matth. X, 24, 25. — 2. I Cor. XV, 33. — 3. Matth. VII, 14. — 4. II Tim. III,
12.
des puissants s’est élevée contre notre chef, ou contre Notre Seigneur Jésus-Christ; et ils ont dit, ils ont crié d’une voix unanime: « Crucifiez-le ! crucifiez 1 !» C’est d’eux qu’il est écrit: « Pour ces enfants des hommes, les dents sont des armes et des flèches, et leur langue est un glaive effilé 2». Ils ne l’ont point frappé; mais crier, c’était le frapper; crier, c’était le crucifier. Crucifier le Seigneur, c’était obéir à leurs cris, obéir à leur volonté. « La synagogue des puissants a recherché mon âme; ils n’ont point arrêté leurs regards sur vous ». Comment n’ont-ils point arrêté leurs regards? Ils n’ont point compris qu’il était Dieu. Ils eussent épargné l’homme, ils eussent marché selon leur vue. Mais parce qu’il n’était pas un Dieu, qu’il était un homme, fallait-il donc le mettre à mort? Epargne l’homme, et reconnais un Dieu.
20. « Et vous, Seigneur, Dieu de miséricorde et de clémence, vous êtes plein de patience, de compassion et de vérité 3». Pourquoi « plein de longanimité, de compassion, de miséricorde? » Parce que sur la croix, il s’écrie: « Mon Père, pardonnez-leur, ils ne savent ce qu’ils font 4 ». A qui adresse-t-il cette prière? Pour qui? Qui est-ce qui prie? En quel endroit? C’est le Fils qui invoque son Père, le crucifié en faveur des impies, quand on l’injurie, non plus en paroles, mais jusqu’à lui donner la mort, quand il est cloué à la croix; on dirait que ses mains ne sont ainsi étendues qu’afin de prier pour eux, qu’afin que sa prière s’élevât comme un parfum en présence de son Père, et que ces mains élevées fussent comme un sacrifice du soir 5. « Vous êtes plein de patience, de miséricorde et de vérité ».
21. Si donc vous êtes la vérité, « Jetez les yeux sur moi, prenez-moi en pitié, et donnez la puissance à votre serviteur 6 ». Parce que vous êtes la vérité, « donnez la puissance à votre serviteur ». Que les jours d’épreuve s’écoulent, et que vienne enfin le temps de juger. Qu’est-ce à dire: «Donnez la puissance à votre serviteur? » « Le Père ne juge personne, mais il a donné au Fils toute puissance de juger 7». C’est lui qui ressuscite, et qui doit venir sur la terre pour juger: il apparaîtra terrible, lui qui a paru méprisable. Il montrera sa puissance, lui qui n’a montré
1.
Jean, XIX, 6.— 2. Ps. LVI, 5.— 3.
Id. LXIXV, 15.— 4. Luc, XXIII, 34. — 5. Ps. CXL, 2.— 6. Id. LXXX, 16.— 7.
Jean, V, 22.
que patience. A la croix, c’était la puissance, au jugement, ce sera la puissance. Au jugement il paraîtra dans son humanité, mais aussi dans sa gloire: « Car il doit venir », ont dit les Anges, « tel que vous l’avez vu s’élever 1 ». C’est dans la forme de l’homme qu’il viendra pour le jugement, aussi sera-t-il vu des impies qui ne pourront voir la forme divine. Car « bienheureux ceux dont le coeur est pur, parce qu’ils verront Dieu 2». C’est sous la forme de l’homme qu’il apparaîtra pour dire « Allez au feu éternel 3»; afin que cet oracle d’Isaïe soit accompli: « Enlevez l’impie, afin qu’il ne voie point la clarté du Seigneur 4 ». Qu’il disparaisse afin qu’il ne voie point la forme de Dieu. Ils verront donc la forme de l’homme, mais ils ne verront point « cette forme divine qui le rend égal à Dieu 5 ». « Ce Verbe qui était au commencement, Verbe qui était en Dieu, Verbe qui était Dieu 6»: voilà ce que les impies ne verront point. Car si le Verbe est Dieu, et si « bienheureux les coeurs purs parce qu’ils verront Dieu 7 », comme les impies ont le coeur souillé, assurément ils ne verront pas Dieu. Comment donc « verront-ils Celui qu’ils ont percé 8», sinon qu’il apparaîtra visiblement sous la forme humaine pour ceux qui seront jugés, et sous la forme d’un Dieu pour ceux-là seulement qui seront séparés à sa droite? Quand en effet ils seront placés à droite, il leur sera dit: « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde ». Et que sera-t-il dit aux impies de la gauche? « Allez dans le feu éternel, que mon Père a préparé au diable et à ses anges ». Or, après le jugement, quelle est la conclusion de l’Evangile? « Ainsi », dit-il, « les impies iront au brasier sans fin, et les justes à la vie éternelle 9». Ils passeront, ainsi, de la vision de la forme de l’homme, à la vue de la forme divine. « Or », est-il dit, « c’est en ceci que consiste la vie éternelle; à vous connaître, vous qui êtes le seul Dieu, et Jésus-Christ que vous avez envoyé 10 »; c’est-à-dire que lui aussi est le seul vrai Dieu. Car le Père et le Fils sont un seul vrai Dieu: et alors le sens serait, afin qu’ils reconnaissent pour vrai Dieu et vous et Jésus-Christ que vous avez envoyé.
1.
Act. I, 11. — 2. Matth. V, 8.— 3. Id. XXV, 41.— 4. Isa. XXVI, 10, suiv. les Septante.— 5. Philipp. II, 6.—6. Jean, I,
1.— 7. Matth. V, 8. — 8. Jean, XIX, 37. — 9. Matth. XXV, 34, 41,46,— 10. Jean,
XVII, 3.
Car les bienheureux ne passeront point à la vision du Père, sans voir aussi le Fils. Si l’on ne voyait en effet le Fils dans le Père, ce même Fils ne dirait point à ses disciples, que le Fils est dans le Père, comme le Père est dans le Fils. Voilà que ses disciples lui disent: « Montrez-nous le Père, et cela nous suffit ». Il répond: « Depuis si longtemps je suis avec vous, et vous ne me connaissez point? Philippe, quiconque me voit, voit aussi mon Père ». Remarquez: voir le Père, c’est voir aussi le Fils, comme voir le Fils, c’est voir aussi le Père. Aussi le Sauveur a-t-il ajouté: « Ne savez-vous donc pas que je suis en mon Père, et que mon Père est en moi?» C’est-à-dire, en me voyant on voit mon Père, et en voyant le Père on voit le Fils; on ne peut les séparer dans la vision bienheureuse, comme on ne peut les séparer dans leur nature et dans leur substance. Et pour vous montrer que le coeur doit se préparer à voir la divinité du Père et du Fils et du Saint-Esprit, que nous croyons sans la voir encore, en purifiant néanmoins notre coeur par cette croyance, afin que nous puissions lavoir un jour, le Seigneur a dit à un autre endroit: « Celui qui écoute mes commandements et qui les garde, c’est celui-là qui m’aime: or, celui qui m’aime, sera aimé de mon Père, et moi je l’aimerai, et me montrerai à lui 1 ». Ceux à qui il parlait, ne le voyaient-ils donc point? Ils le voyaient, et ne le voyaient point; ils voyaient dans un sens, et croyaient dans un autre sens; ils voyaient un homme, ils croyaient in Dieu. Or, au jugement ils verront avec les impies le même Jésus Notre Seigneur; après le jugement ils verront Dieu à l’exclusion des impies. « Donnez la puissance à votre serviteur ».
22. « Et sauvez le fils de votre servante 2». Ce fils de la servante est Notre Seigneur. De quelle servante? de celle qui répondit, quand on lui annonça Celui qui devait naître: «Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole 3». Sauver le Fils de la servante, c’était donc sauver son Fils: son Fils dans la forme de Dieu, le fils de la servante sous la forme de l’esclave 4. C’est donc de la servante du Seigneur qu’est né Notre Seigneur, sous la forme de l’esclave, lui qui dit: « Sauvez le fils de votre servante»,
1.
Jean, XIV, 8-10, 21 — 2. Ps. LXXXV, 16. — 3. Luc, I, 38. — 4. Philipp. II, 6.
Il a été sauvé de la mort, comme vous le savez, et sa chair qui était morte a repris la vie. Mais afin que vous sachiez qu’il est Dieu, et qu’il n’est point ressuscité par son Père, tellement que lui-même ne fût rien dans la résurrection, puisque lui-même aussi a ressuscité sa chair, vous lisez dans l’Evangile cette parole: « Détruisez le temple de Dieu, et je le rétablirai en trois jours 1 ». Et pour nous interdire tout autre sens, l’Evangéliste ajoute: « Il parlait ainsi du temple de son « corps 2 ». Donc le fils de la servante a été sauvé. Que tout chrétien incorporé au Christ, s’écrie aussi: « Sauvez le fils de votre servante ». Peut-être ne peut-il point dire: « Donnez la puissance à votre Fils », puisque ce Fils a réellement reçu la puissance. Mais pourquoi ne pas le dire également? N’est-ce pas à des serviteurs qu’il est dit: « Vous vous assiérez sur douze trônes, pour juger les douze tribus d’Israël 3? » Des serviteurs ne disent-ils pas: « Ignorez-vous que nous jugerons les anges 4? » Chacun des saints reçoit donc ce pouvoir, et chacun des saints est le fils de la servante. Mais, s’il est né d’une païenne pour devenir ensuite chrétien: comment le fils d’une païenne peut-il être le fils de la servante? Il est alors fils d’une païenne selon la chair, mais fils de l’Eglise selon l’esprit. « Sauvez le fils de votre servante ».
23. « Donnez-moi un signe de votre faveur 5». Quel signe, sinon celui de la résurrection? Le Seigneur a dit: « Cette génération dépravée et rebelle demande un signe, et il ne lui sera donné aucun anti-signe que celui du prophète Jonas. De même, en effet, que Jouas fut dans le ventre de la baleine trois jours et trois nuits, ainsi le Fils de l’Homme sera trois jours dans le sein de la terre 6 ». Donc ce signe de faveur s’est accompli dans notre chef; mais que chacun de nous s’écrie: « Donnez-moi un signe de votre faveur »; car nous devons, nous aussi, être changés, quand au son de la dernière trompette, à l’avènement du Seigneur, les morts ressusciteront pour être incorruptibles 7. Tel sera le signe de la faveur divine. « Donnez-moi un signe de votre faveur, afin que mes ennemis le voient et en soient confondus». Au jugement ils éprouveront une confusion funeste, ceux qui n’ont pas voulu d’une confusion
1. Jean, II, 19. — 2. Id. 21. —
3. Matth. XIX, 28. — 4. I Cor. VI, 3. — 5.
Ps. LXXXV, 17. — 6. Matth. XII, 39, 40. — 7.
I Cor. XV, 52.
salutaire. Qu’ils soient donc confondus dès cette vie, qu’ils répudient leurs voies coupables pour marcher dans la voie de la sainteté: car nul d’entre nous ne peut vivre sans confusion, à moins qu’une première confusion ne le fasse renaître. Dieu leur offre maintenant l’occasion d’une confusion salutaire, s’ils ne dédaignent point le remède de l’aveu. Mais s’ils répudient la confusion aujourd’hui, ils n’échapperont point à la confusion, quand leurs crimes s’élèveront pour les accuser 1. Comment seront-ils confondus? ils diront alors: « Voilà donc ceux que nous avons u tournés en dérision, qui essuyaient nos outrages. Insensés, nous regardions leur vie comme une folie, comment sont-ils rangés parmi les enfants de Dieu? A quoi nous revient notre orgueil 2? » Voilà ce qu’ils diront; que ne disent-ils maintenant ce qu’ils diraient avec fruit? Que chacun se retourne vers Dieu avec humilité, et dise maintenant: De quoi nous sert notre orgueil? Qu’il exécute cette parole de l’Apôtre: « Quelle gloire vous revient-il de ces oeuvres qui vous font rougir maintenant»?» Vous le voyez donc: ici-bas, une confusion salutaire nous tient lieu de pénitence, mais alors, elle sera tardive, inutile et sans fruit. « De quoi nous sert notre orgueil? Que nous a valu l’étalage de nos richesses? Tout a passé comme l’ombre 3 ». Eh! quoi donc? Pendant ta vie sur la terre, tu ne voyais donc point tout cela passer comme une ombre? Tu eusses quitté l’ombre pour être dans la lumière; et tu ne dirais point: « Tout s’est évanoui comme une ombre », alors que tu vas passer de l’ombre aux ténèbres. « Donnez-moi un signe de votre faveur, afin que mes ennemis le voient et soient dans la confusion ».
24. « Car vous, Seigneur, m’avez aidé et m’avez consolé 5 ». « Vous m’avez aidé » dans le combat, « et vous m’avez consolé » dans ma tristesse. Nul ne recherche la consolation, s’il n’est dans la misère. Refusez-vous la consolation? Dites que vous êtes heureux. Mais vous entendez cette parole: « Mon peuple », (déjà vous me répondez, et votre murmure que j’entends, me prouve que vous connaissez les saintes Ecritures. Que ce même Dieu qui l’a gravée dans vos coeurs, la fasse paraître dans vos actions. Vous le voyez donc, c’est
1.
Sag. IV, 20.— 2. Id. V, 3, 6.— 3. Rom, VI, 21.— 4. Sag. V, 3-9. — 5. Ps.
LXXXV, 17.
vous tromper que vous appeler heureux) « Mon peuple, ils vous appellent heureux, et ils vous jettent dans l’erreur, ils ruinent le sentier où vous marchez 1». Tel est encore l’avis de saint Jacques, dans son épître: « Soyez dans l’affliction et dans les larmes, que vos ris se changent en deuil 2 ». Vous voyez comment vous parle cet apôtre: comment nous tiendrait-il ce langage dans la sécurité? Ce monde est une terre de scandales, d’afflictions et de grands maux: c’est ici que nous devons gémir afin de nous réjouir dans le ciel; ici l’épreuve, là haut la consolation, alors que nous dirons: «Parce que vous avez épargné les larmes à nos yeux, et la chute à nos pieds, voilà que je mettrai mes délices dans le Seigneur, en la terre des vivants 3 ». Or, la terre est le séjour des morts, ce séjour des morts passera, et alors viendra la région des vivants. Dans ce séjour des morts, il n’y a que travail, que douleur, que crainte, que tribulation, qu’épreuve, que gémissements, que soupirs. Il n’y a que fausse félicité, que véritable misère, car une félicité trompeuse, est une misère véritable. Mais quiconque reconnaît qu’il est ici dans une misère véritable, sera dans la vraie félicité. Et néanmoins parce que tu es dans l’affliction, écoute la parole du Seigneur: «Bienheureux ceux qui pleurent 4», Eh quoi! «Bienheureux ceux qui pleurent!» Rien n’est plus près de la misère que les larmes; rien n’en est plus éloigné que le bonheur; et vous dites qu’ils pleurent, et vous les appelez bienheureux ! Comprenez bien mes paroles, nous dit-il, j’appelle bien heureux ceux qui pleurent. Comment bienheureux? En espérance. Comment pleurent-ils? En réalité. Ils pleurent dans cette vie mortelle, dans ces tribulations, dans cet exil; et comme ils reconnaissent qu’ils sont dans ces misères, ils en gémissent, et ils sont bienheureux. Pourquoi pleurer dès lors? Le bienheureux Cyprien fut contristé dans sa passion, aujourd’hui il a les consolations et une couronne de gloire. Et toutefois, dans ces consolations, il ressent de la tristesse: car Notre Seigneur Jésus-Christ prie encore pour nous 5: or, tous les martyrs qui sont avec lui, interviennent en notre faveur. Leurs prières ne doivent cesser, que quand cesseront nos gémissements. Or, quand cesseront nos gémissements, nous
1.
Isa. III, 12.— 2. Jacques, IV, 9. — 3. Ps.
CXIV, 8, 9. — 4. Matth. V, 5. — 5. Rom. VIII, 34.
recevrons tous une même consolation, ne formant plus qu’une même voix, qu’un même peuple, dans une même patrie. Des milliers de millions uniront leurs cantiques aux cantiques des anges, et ne formeront qu’un même choeur avec les Puissances dans l’unique cité des vivants. Où seront les gémissements dans cette cité? Où les soupirs; la fatigue et l’indigence? Où la mort? Qui y fera des oeuvres de miséricorde, y donnera du pain au pauvre, alors que tous y seront rassasiés du pain de la justice? Nul alors ne te dira: Recevez un étranger; il n’y aura là nul étranger, tous y vivent dans leur patrie. Nul ne viendra te dire: Réconcilie tes amis qui sont en querelle; tous jouiront en paix de la présence de Dieu. Nul ne te dira Visite ce malade; la santé et l’immortalité régneront donc éternellement. Nul ne te dira: Ensevelis ce mort tous auront la vie éternelle, Il n’y aura plus d’oeuvres de miséricorde, parce qu’il n’y aura plus de misère. Et quelle sera donc l’occupation au ciel? Le sommeil peut-être? Si nous combattons contre nous-mêmes, en cette vie, bien que nous demeurions dans la maison du sommeil, ou dans une chair pesante, si nous nous éveillons devant ces flambeaux, si cette solennité nous ôte l’envie de sommeiller, combien ce grand jour devra nous porter à la veille? Arrière donc tout sommeil, nous veillerons au ciel. Que ferons-nous alors? Il n’y aura plus d’oeuvres de miséricorde, parce qu’il n’y aura plus de misère. N’y aura-t-il plus alors ces nécessités que l’on subit aujourd’hui, de semer, de labourer, de tisser, de moudre le blé, de le cuire? Rien de tout cela, parce qu’il n’y aura plus de nécessité. De même qu’il n’y aura plus d’oeuvres de miséricorde, parce qu’il n’y aura plus de misère de même avec la nécessité et la misère, disparaîtront les oeuvres de miséricorde et de nécessité. Qu’y aura-t-il donc? Quelle sera notre occupation? Notre action? N’y aura-t-il aucune action, parce que nous serons en repos? Nous serons donc assis dans l’inaction et l’indolence? Si notre amour peut se refroidir, nous pourrons cesser d’agir. Ainsi donc, cet amour qui doit se reposer dans la face de Dieu, qui tend à Dieu, qui espère en lui, quelle n’en sera point l’ardeur, quand nous arriverons à lui? Si maintenant, sans le voir, nous soupirons vers lui avec une ardeur si vive, de quelles clartés ne doit-il point nous illuminer, quand nous le verrons? Quel changement fera-t-il en nous? Que fera-t-il de nous? Et que ferons-nous, mes frères? Que le psaume nous le dise: « Bienheureux ceux qui habitent dans votre maison ». Pourquoi? « Ils vous béniront dans les siècles des siècles 1 », Telle sera, mes frères, notre occupation, louer Dieu. Nous l’aimerons et nous le bénirons. Tu cesseras de le bénir, si tu cesses de l’aimer. Mais tune cesseras point de l’aimer, parce qu’en le voyant, tu n’éprouveras aucun ennui; il te rassasiera sans te rassasier. Mon expression te surprend. Moi, si je dis qu’il te rassasiera, je crains que tu ne t’en ailles de lassitude, comme on s’en va d’un dîner ou d’un souper. Te dirai-je alors qu’il ne te rassasiera pas? Mais si je le fais, je crains que l’indigence ne t’effraie, que tu n’imagines quelque besoin, ou du moins quelque désir à satisfaire. Que dirai-je donc, sinon ce que l’on peut exprimer sans pouvoir à peine le penser? Que Dieu nous rassasiera et ne nous rassasiera point; car je trouve l’un et l’autre dans l’Ecriture. S’il est dit en effet: « Bienheureux ceux qui ont faim, parce qu’ils seront rassasiés 2 »; il est dit encore dans la Sagesse: « Ceux qui vous mangent auront encore faim, et ceux qui vous boivent auront encore soif 3 ». Il n’est pas dit: soif de nouveau; mais: encore soif. Avoir soif de nouveau, ce serait retourner boire, après avoir digéré ce qu’on aurait bu à satiété. Il en est de même de ceux qui vous mangent et qui ont encore faim, car ils ont faim alors même qu’ils vous mangent; et ils ont soif alors même qu’ils vous boivent. Qu’est-ce à dire avoir soif quand on boit? Avoir une soif inextinguible. Si donc Dieu nous réserve des délices ineffables et éternelles, que veut-il de nous maintenant, mes frères, sinon une foi sincère, une espérance ferme, une charité pure, en sorte que l’homme s’avance dans la voie tracée par le Seigneur, qu’il supporte les épreuves, et reçoive les consolations d’en haut?
1.
Ps. LXXXIII, 5.— 2. Matth. V, 6. — 3. Eccli. XXIV, 29.
Probablement prêché à Carthage, en présence de l’évêque de cette ville, Aurèle.
La
ville chantée dans le psaume est la cité de Dieu que nous chantons, si nous
l’aimons. C’est la sainte Sion dont les Apôtres et les Prophètes sont tout à la
fois les citoyens et les montagnes sur lesquelles cette cité est bâtie. Le
Christ est cette pierre de l’angle où se sont rencontrées les deux murailles
venant l’une de la circoncision, l’autre de la gentilité. Il est aussi la base
de la Cité, et au lieu que les édifices de la terre partent d’en bas, l’édifice
spirituel vient d’en haut. Le Christ est encore la porte du bercail, et le
berger, et cet édifice est vivant dans chacune de ses pierres, et chaque pierre
est carrée afin d’être debout en tout sens. Les Apôtres et les Prophètes en
sont la base, parce qu’ils soutiennent notre faiblesse, et les portes, parce
que nous y entrons par eux; et y entrer par eux, c’est y entrer par
Jésus-Christ. De là ce nombre de douze portes, nombre qui désigne
l’universalité, et correspond aux douze siéges, parce qu’on viendra de tous
côtés pour y entrer, y siéger, y juger. Le Christ nous y a précédés et y entre
dans chacun de ses membres qui s’est appliqué les mérites de la passion. C’est
là que viennent Rabab et Babylone, ou les Gentils purifiés. C’est le Christ qui
a fondé cette ville où il est né, comme il a créé sa mère. Là est le roi,
l’ineffable bonheur.
1. Le psaume que l’on vient de chanter n’a
que peu de paroles; mais il est riche de pensées. Il a été lu tout entier, et
vous voyez le peu de temps qu’il a fallu pour arriver à la fin. Notre
bienheureux père, qui nous honore de sa présence, m’a proposé tout à l’heure de
l’exposer à votre charité autant que Dieu voudra bien me l’accorder. Une
proposition si subite serait embarrassante, si celui qui m’engage ne nie venait
en aide par ses prières. Que votre charité soit donc attentive. Ce psaume
chante et signale à notre attention une ville dont nous devenons les citoyens
en devenant chrétiens, et d’où nous sommes exilés en cette vie mortelle; une
ville dont nous approchons par la voie qui y conduit. On ne pouvait jadis
trouver cette voie encombrée d’épines et de ronces; mais afin que nous pussions
arriver à cette cité, le roi lui-même s’en est fait la voie. Donc, en marchant
dans le Christ, étrangers ici-bas jusqu’à ce que nous soyons arrivés, en
soupirant dans le désir de l’ineffable repos qui règne en cette cité, repos
pour lequel on nous a promis « ce que l’oeil n’a point vu, ce que l’oreille n’a
pas entendu, ce qui n’est pas monté au coeur de l’homme 1 »; en marchant donc,
chantons de manière à stimuler nos désirs. Dans l’homme qui désire en effet, le
coeur chante, quand même la langue se tairait; mais pour
1. I Cor, II, 9.
l’homme sans désir, quelque clameur qu’il
fasse entendre aux hommes, il est muet pour Dieu. Voyez comme ceux qui aimaient
cette ville aspiraient à y arriver; avec quelle effusion ces hommes, qui l’ont
prophétisée, qui l’ont signalée à notre espérance, en ont aussi chanté les
attraits. Ces désirs leur venaient de l’amour de cette cité, et cet amour était
une effusion de l‘Esprit-Saint. « Car l’amour de Dieu », dit l’Apôtre, « est
répandu dans nos coeurs, par l’Esprit-Saint qui nous a été donné 1 ». Ayons
donc cette ferveur de l’Esprit-Saint, pour entendre ce qu’on va dire de cette cité
bienheureuse.
2. « Ses fondements sont sur les montagnes
saintes 2 ». Le Prophète n’avait rien dit encore de cette ville, et tout à coup
il s’écrie: « Ses fondements sont sur les montagnes saintes ». Les fondements
de quoi? Sans doute les fondements d’une ville, puisqu’ils sont placés sur des
montagnes. Citoyen donc de cette ville, et plein de l’Esprit-Saint, roulant en
son âme tous les motifs d’amour et de soupirs, pour une cité aussi sainte, il
échappe tout à coup ses méditations et s’écrie: « Ses fondements sont sur les
montagnes saintes»; comme s’il en avait déjà parlé. Comment dire qu’il n’en
avait point parlé, lui qui n’avait point cessé d’en parler dans son coeur?
Comment dire « ses fondements», quand on ni
1. Rom. V, 5. — 2. Ps. LXIXXI, 1.
point encore parlé de la ville? Aussi, ayant
médité longuement cette ville dans le silence de ses pensées et soupiré vers
Dieu, soudain il éclate aux oreilles des hommes: « Ses fondements sont sur les
saintes montagnes ». Et comme si les hommes lui demandaient de quelle ville? «
Dieu », répond-il, « aime les portes de Sion ». Telle est la cité dont les
fondements sont sur les montagnes saintes. C’est de Sion que le Seigneur aime
les portes « plus que tous les tabernacles de Jacob 1 ». Mais qu’est-ce à dire
que e ses fondements sont u sur les saintes montagnes? » Quelles sont les
montagnes sur lesquelles est bâtie cette cité? Un de ses habitants, l’apôtre
saint Paul, nous l’a dit clairement. Prophètes et Apôtres sont également
citoyens de cette ville. S’ils en parlaient, c’était pour exhorter les autres
citoyens. Mais comment l’Apôtre et le Prophète étaient-ils habitants de cette
cité? Peut-être encore étaient-ils en même temps ces montagnes sur lesquelles
s’élève cette ville dont le Seigneur aime les portes. Que cet autre citoyen
nous l’expose donc clairement, de manière à exclure tout doute. S’adressant aux
Gentils, l’Apôtre les exhorte à revenir au Christ, à entrer en quelque sorte
dans la sainte construction: « Vous serez élevés », leur dit-il, « sur le
fondement des Apôtres et des Prophètes ». Et comme si les Apôtres et les
Prophètes, qui servent de fondement à la cité, n’avaient point par eux-mêmes
une solidité suffisante, l’Apôtre ajoute: « Le Christ en est lui-même la
principale pierre angulaire ». Et de peur que les Gentils ne vinssent à croire
qu’ils n’appartenaient pas à Sion; puisque Sion était une cité terrestre et qui
figurait une autre cité, la Jérusalem céleste, dont l’Apôtre a dit qu’ « elle
est notre mère à tous 2»; de peur, dis-je, qu’ils ne vinssent à croire qu’ils
n’appartenaient point à Sion, parce qu’ils ne faisaient point partie du peuple
de Jérusalem, l’Apôtre leur dit u Vous s n’êtes donc plus des étrangers et des
hôtes, « mais vous êtes les citoyens de la cité des saints, de la maison de
Dieu, comme un édifice bâti sur le fondement des Apôtres et des Prophètes ».
Telle est la construction de la cité; mais d’où vient la solidité de cette
construction; sur quoi est-elle appuyée pour ne tomber jamais? « Sur
Jésus-Christ, qui en est ta pierre angulaire 3 ».
1. Ps. LXXXVI, 2. — 2. Gal. IV, 26. — 3.
Ephés. II, 19, 20.
3. Quelqu’un dira peut-être: Si le Christ est
ta pierre angulaire, deux murailles alors viennent se réunir en lui, car il n’y
a pas d’angle à moins que deux murs, ayant une direction différente, ne
viennent le former. Or, deux peuples sont venus, l’un de la circoncision,
l’autre de la Gentilité, et se sont unis pour la paix chrétienne, dans une même
foi, une même espérance, une même charité. Mais si Jésus-Christ est la pierre
de l’angle, il semble que les fondements l’ont précédé, et que la pierre
angulaire n’est venue qu’après, et quelqu’un peut nous objecter que c’est le
Christ qui s’appuie sur les Prophètes et sur les Apôtres, et non ceux-ci sur le
Christ, puisqu’ils sont le fondement, tandis qu’il est la pierre de l’angle.
Mais que celui qui parle ainsi, examine bien le fondement et la pierre
angulaire; car l’angle n’est pas seulement dans ce qui est apparent, et s’élève
hors de terre, il commence dès le fondement; et pour vous faire mieux
comprendre que le Christ est le premier et le principal fondement, « personne»,
dit l’Apôtre, « ne peut établir un autre fondement que celui qui est déjà posé
et qui est Jésus-Christ 1 ». Comment alors les Prophètes et les Apôtres
sont-ils des fondements de la ville sainte, et comment Jésus-Christ lui-même
est-il le fondement au-delà duquel il n’y a plus rien? Comment le comprendre, à
moins de dire en figure qu’il est le fondement des fondements, comme le Saint
des saints. Si donc tu considères les sacrements, le Christ est le Saint des
saints; si tu jettes les yeux sur l’humble bercail, le Christ en est le
pasteur; si tu envisages l’édifice, le Christ en est le fondement des
fondements. Dans nos édifices matériels, on ne saurait mettre la même pierre au
sommet et à la hase: si elle est à la base, elle ne sera point au sommet; et si
elle est au sommet, elle ne sera point à ta base. Tout corps a ses Limites, et
ne peut être ni en tout lieu ni en tout temps. Pour la divinité, au contraire,
elle est présente partout à la fois, et l’on peut en tirer toutes sortes de
comparaisons; et même tout peut être en comparaison, puisque, à proprement
parler, elle n’est rien de ce que l’on en dit. Ainsi, le Christ est-il une
porte comme celte que fait l’ouvrier? Assurément non. Et pourtant il a dit: «
Je suis la porte ». Ou bien est-il un berger comme ceux que nous
1. I Cor. III, 11.
voyons prendre soin de leurs troupeaux?
Pourtant il a dit: « C’est moi le berger 1». Et dans un même endroit il dit les
deux choses à la fois. Car il dit dans l’Evangile que le bon pasteur entre par
la porte; et en même temps il dit: « Je suis le bon pasteur »; et là encore il
dit: « Je suis la porte ». Le pasteur entre par la porte. Et quel est ce
pasteur qui entre par la porte? «Je suis le bon pasteur ». Et quelle est cette
porte, par laquelle vous entrez, ô bon pasteur? « Cette porte, c’est moi ».
Comment donc êtes-vous toutes choses? Comme toutes choses sont par moi. Ainsi
quand Paul entre par la porte, n’est-ce point le Christ qui entre par la porte?
Pourquoi? Ce n’est pas que Paul soit le Christ, c’est que le Christ est en
Paul, et que Paul est par le Christ; n’a-t-il pas dit: « Voulez-vous éprouver
le Christ qui parle par ma bouche 2? » Quand ses saints et ses fidèles entrent
par la porte, n’est-ce point le Christ qui entre par la porte? Comment le
prouver? Saul, qui n’était pas encore Paul, persécutait ses fidèles quand le
Christ lui cria d’en haut: « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu 3?» Le
Christ est donc tout à la fois, le fondement et la pierre de l’angle qui
s’élève d’en bis, si toutefois il est en bas. Car c’est en haut que commence
l’édifice dont nous parlons: et de même que tout édifice matériel a son
fondement eu bas, ainsi l’édifice spirituel a son fondement en haut. Si nous bâtissions
pour la terre, il nous faudrait une base terrestre; mais comme nous bâtissions
pour le ciel, notre fondement nous a précédés dans les cieux. C’est donc lui
qui est la pierre angulaire, et les montagnes sont les Apôtres, les grands
Prophètes, qui supportent la Cité et en sont un édifice vivant. C’est de cet
édifiée que partent les cris de vos coeurs, c’est là l’oeuvre ingénieuse de la
main de Dieu, pour vous faire entrer dans les justes Proportions de cet
édifice. Car ce n’est pas sans raison que l’arche de Noé était construite avec
des bois carrés pour devenir la figure de l’Eglise. Que signifie ce carré?
Voyez une pierre carrée pan exemple; tel doit être le modèle du chrétien. Car
le chrétien ne doit succomber à aucune tentation: poussé de çà et de là, eu tom
sens, il ne tombe point. Tourne comme tu le voudras une pierre carrée, elle se
tient debout.
1. Jean, X. 11. — 2. II Cor. XIII, 3.— 3.
Act. IX, 4.— 4. Gen. VI, 14, suiv. les Septante.
Les martyrs paraissaient tomber, quand on les
faisait mourir: mais qu’est-il dit dans nos cantiques? « Lorsque le juste
tombera, il ne sera point brisé, parce que le Seigneur le soutient par la main
1». Si donc vous êtes préparés à toute tentation, et carrés en quelque sorte,
que nulle violence ne vous renverse, et soyez prêts à tout événement. Tu entres
donc dans cet édifice, par de saintes affections, par une piété sincère, par la
foi, l’espérance et la charité; et entrer dans l’édifice, c’est marcher devant
Dieu. Dans les cités de la terre, autre est l’édifice, et autre ceux qui
l’habitent; mais la Cité qui nous occupe est bâtie de ses propres citoyens; ce
sont eux qui en sont les pierres, car ces pierres sont vivantes. « Quant à vous
»,dit saint Pierre, « vous êtes comme des pierres vivantes formant un édifice spirituel
2 ». C’est à nous que s’adresse l’Apôtre. Continuons à parler de la Cité.
4. « Les fondements sont sur les saintes
montagnes, le Seigneur aime les portes de Sion ». Je vous ai déjà fait
comprendre, mes frères, qu’il ne faut pas voir de différence entre les
fondements de la cité et ses portes. Pourquoi donc les Apôtres, les Prophètes,
sont-ils des fondements? Parce que leur autorité soutient notre faiblesse.
Pourquoi des portes? Parce que c’est par eux que nous entrons dans le royaume
des cieux, car ce sont eux qui nous prêchent. Et quand nous entrons par eux,
nous entrons par le Christ. Car lui-même est la porte 3. Il est dit que
Jérusalem a douze portes 4, et le Christ est en même temps la porte unique, et
les douze portes, parce qu’il est dans les douze. De là le nombre douze pour
les Apôtres; ce nombre douze est très- mystérieux, u Vous serez assis « sur
douze trônes, dit Le Christ, pour juger « les douze tribus d’Israël 5 ». S’il
n’y a que douze trônes, il n’y en aura point pour asseoir Paul, treizième
apôtre, et il ne pourra juger: et pourtant il affirme qu’il jugera, et non
seulement les hommes, mais encore les anges 6. Quels anges, sinon les anges
apostats? Mais, lui dira la foule, pourquoi te vanter de juger? où t’asseoir?
Le Seigneur assure qu’il y a douze siéges pour les douze Apôtres. Judas l’un
d’eux est tombé, et Matthias a été ordonné à sa place 7; le nombre des douze
trônes est donc complet: trouve d’abord où t’asseoir
1. Ps. XXXVI, 24. — 2. I Pierre, II, 5. — 3.
Jean, X, 9.— 4. Apoc. XXI, 12. — 5. Matth. XIX, 28.— 6. I
Cor. VI,
3. — 7. Act. I, 15-26.
avant de menacer de ton jugement. Voyons donc
ce que signifient ces douze trônes. C’est un symbole de l’univers entier, parce
que l’Eglise doit se répandre dans tout l’univers, d’où Dieu fait appel pour
l’édifice du Christ. Ainsi, parce que l’on viendra de toutes parts pour juger,
il y a douze trônes; de même qu’il y a douze portes, parce que l’on entre de
toutes parts. Non seulement donc les douze Apôtres avec saint Paul, mais tous
ceux qui doivent juger appartiennent à ces douze trônes, dont le nombre marque
l’universalité; de même que tous ceux qui entreront appartiennent aux douze
portes. Il y a, en effet, dans le monde quatre parties, l’Orient et l’Occident,
le Nord et le Midi. Ces parties reviennent fréquemment dans les saintes
Ecritures. C’est de ces quatre parties, ou comme il est dit dans l’Evangile, de
ces quatre vents que le Seigneur rassemblera ses élus 1. C’est donc de ces
quatre vents que 1’Eglise est appelée. Comment est-elle appelée? De toutes
parts elle est appelée au nom de la Trinité: car nul n’est appelé dans le
baptême qu’au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Or,en multipliant
quatre par trois, on obtient douze.
5. Heurtez donc par l’amour à ces portes, et
que le Christ lui-même crie en vous: «Ouvrez-moi les portes de la justice 2 ».
Il marche en avant comme chef, il suit dans chacun des membres. Voyez ce que
dit l’Apôtre, car le Christ souffrait en lui: «.J’accomplis en ma chair ce qui
marque aux douleurs du Christ 3 ». « J’achève ». Quoi? «ce qui manque ». A
quoi? « aux douleurs du Christ». Où? « dans ma chair». Pouvait-il donc y avoir
quelque chose d’insuffisant dans les douleurs de cet homme dont le Verbe
s’était revêtu en naissant de la vierge Marie? Car, enfin, il a souffert ce
qu’il devait souffrir, et par sa volonté, non par la volonté du péché. Et nous
voyons qu’il ne restait plus rien à souffrir, puisque sur la croix, après avoir
bu le vinaigre, il s’écria: « C’est achevé, et baissant la tête il rendit l’esprit
4». Qu’est-ce à dire, « c’est achevé? » La mesure de mes douleurs est épuisée;
tout ce qui a été prédit de moi est accompli, comme s’il n’eût attendu pour
mourir que cet accomplissement. Qui sort pour un voyage, comme il
1. Marc, XIII, 27. — 2. Ps. CXVII, 19.— 3.
Coloss. I, 24.— 4. Jean, XIX, 30.
sort de son corps? Mais qui peut mourir
ainsi? Celui qui a dit tout d’abord: « J’ai le pouvoir de donner mon âme, et
aussi le pouvoir de la reprendre: nul ne me l’ôte, mais je la donne de
moi-même, et je la reprends encore 1 ». Il a donc donné sa vie quand il l’a
voulu, et l’a reprise quand il l’a voulu: nul n’a pu la lui ôter, la lui
arracher. Toutes les souffrances marquées ont donc été accomplies, mais dans le
Chef; il restât à les accomplir dans le corps du Christ. Or, vous êtes le corps
et les membres du Christ 2. Aussi l’Apôtre, qui faisait partie de ces membres,
a-t-il dit: « Afin que j’accomplisse dans ma chair ce qui manque à la passion
du Christ». Nous allons donc où le Christ nous a précédés, et le Christ ne
laisse point d’aller où il est allé le premier. Le Christ nous a précédés dans
son chef, il doit suivre dans son corps. De là vient qu’il souffre encore
ici-bas, et il souffrait de la part de Saul, quand Saul entendit: « Saut, Saul,
pourquoi me persécuter 3? » De même que si l’on nous marche sur le pied, la
langue aussitôt s’écrie: Vous m’écrasez. Nul ne touche à cette langue, et
pourtant elle se récrie, plutôt parce qu’elle est unie au membre qui souffre,
que par la douleur qu’elle endure. Ici-bas encore le Christ est dans
l’indigence, ici-bas il est étranger, ici-bas il souffre, ici-bas il est en
prison. Parler ainsi, ce serait l’injurier, s’il n’avait dit lui-même: « J’ai
eu faim, et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à
boire; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli; nu, et vous m’avez revêtu;
malade, et vous m’avez visité. Et eux: Quand, Seigneur,vous avons-nous vu en
proie à ces misères, et vous avons-nous secouru? Et lui: Quand vous l’avez fait
au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez fait 4 ». Entrons donc dans
l’édifice du Christ qui a pour fondement les Apôtres et les Prophètes 5, et
dont il est la pierre angulaire parce que « le Seigneur aime les portes de
Sion, plus que tous les tabernacles de Jacob »; comme si cette même Sion
n’était point dans les tabernacles de Jacob. Et où donc était Sion, sinon dans
ce peuple de Jacob? Car Jacob, lige du peuple juif, était petit-fils d’Abraham,
et ce peuple a reçu le nom d’Israël, parce que Jacob lui-même fut
1.
Jean, X, 17, 18.— 2. I Cor. XII, 27.— 3. Act. IX, 4.— 4. Matth. XXV, 35-40. —
5. Ephès. II, 20
appelé Israël 1. C’est là ce que vous savez.
Mais comme il y avait autrefois des tentes passagères et figuratives, et que le
Prophète parle d’une cité spirituelle dont la ville terrestre n’était que
l’ombre et l’image, le Prophète s’écrie: « Dieu aime les portes de Sion plus
que toutes les tentes de Jacob ». Il aime cette cité spirituelle, plus que tous
les tabernacles figuratifs, qui nous marquaient cette ville céleste, ville
impérissable et toujours en paix.
6. « Cité de Dieu, on dit de toi des choses
merveilleuses ». On dirait que le Prophète envisage cette Jérusalem qui est sur
la terre. Voyez toutefois de quelle cité on a dit des choses admirables: la
Jérusalem de la terre est détruite; la violence de ses ennemis l’a jetée à
terre; elle n’est plus ce qu’elle était; elle n’était qu’une figure, et cette
ombre est passée. Où sont donc « ces merveilles sur la cité de Dieu? » Ecoutez:
« Je me souviendrai de Rahab et de Babylone qui m’ont connu 2 ». Dans cette
cité, dit le Prophète, en parlant au nom du Seigneur, je me souviendrai de
Rahab, je me souviendrai de Babylone. Rahab n’appartient pas au peuple juif,
non plus que Babylone. Car le Prophète dit ensuite: « Voilà que les étrangers
de Tyr, et le peuple de l’Ethiopie ont « été dans tes murs ». C’est donc avec
raison que « l’on chante vos merveilles, ô cité de Dieu», puisque vos murailles
ne renferment pas seulement ce peuple Juif né d’Abraham, mais toutes les
nations, dont quelques-unes sont nommées, pour nous faire entendre les autres.
« Je me souviendrai de Rahab », est-il dit: quelle est cette courtisane? Cette
cabaretière de Jéricho, qui accueillit les envoyés, les mit sur un autre chemin,
crut à la promesse, et craignit Dieu, à qui l’on conseilla de faire descendre
par la fenêtre un cordon de pourpre, c’est-à-dire, de mettre sur son front le
signe du sang de Jésus-Christ. Elle fut ainsi sauvée 5 et figura l’Eglise des
Gentils. De là cette parole du Sauveur aux pharisiens orgueilleux: « En vérité,
je vous le déclare, les publicains et les courtisanes entreront avant vous dans
le royaume des cieux ». Ils entreront avant vous, parce qu’ils font violence.
Ils heurtent par la foi, et tout cède à la foi; nul ne peut leur résister;
1. Gen. XXXII, 28.— 2. Ps. LXXXVI, 3, 4. — 3.
Josué, II; VI, 25.— 4. Matth. XXI, 31.
parce que ceux qui font violence, emportent
ce royaume, selon cette parole: « Le royaume des cieux souffre violence, et
ceux qui font violence l’emportent 1 ». Voilà ce que fit le larron 2, plus fort
à la croix que dans ses brigandages. « Je me souviendrai de Rahab et de
Babylone ». Babylone était la ville du siècle. De même qu’il n’y avait qu’une
ville sainte nommée Jérusalem, il n’y avait qu’une ville de l’iniquité appelée
Babylone; tous les impies appartiennent à Babylone, comme tous les saints à
Jérusalem. On sort de Babylone pour aller à Jérusalem. Et comment, sinon par
celui qui justifie l’impie 3? La cité des saints est donc Jérusalem, comme
Babylone est la cité des méchants. Or, celui qui justifie l’impie est venu; car
«je me souviendrai », dit-il, « non seulement de Rahab », mais aussi « de
Babylone ». Mais pourquoi se souviendra-t-il de Rahab et de Babylone? «Parce
qu’elles m’ont connu ». Aussi l’Ecriture a-t-elle dit quelque part: « Répandez
votre colère sur les nations qui ne vous ont point connu 4 ». Ici il dit: «
Répandez votre colère sur les nations qui ne vous ont point connu »; et
ailleurs: « Prévenez de votre miséricorde ceux qui vous connaissent 5». Et pour
vous montrer que Rahab et Babylone sont prises ici pour les Gentils; comme si
on lui demandait: Pourquoi « vous souvenir de Rahab et deBabylone qui vous
connaissent? » Pourquoi parler ainsi? « Ce sont les étrangers », répond-il, qui
appartiennent à Rahab, à Babylone, «c’est Tyr». Mais jusqu’où prendrez-vous ces
nations? Jusqu’aux extrémités de la terre. Car il a pris pour son peuple celui
qui est aux derniers confins de la terre. « Jusqu’au peuple de l’Ethiopie », dit-il,
« qui a été là ». Si donc l’on y retrouve Rahab, si l’on y est venu de
Babylone, si l’on y voit Tyr et le peuple des Ethiopiens, c’est avec raison, «
ô cité de Dieu, que l’on célèbre tes merveilles ».
7. Mais reconnaissez ici un grand mystère.
Rahab est ici par celui qui y fait venir Babylone, et cette Babylone a
dépouillé Babylone pour devenir Jérusalem. La fille est divisée d’avec sa mère,
et commence à devenir membre de cette reine à laquelle on dit: « Oubliez votre
peuple et la maison de votre père, car le roi s’est épris de votre
1.
Matth. XI, 12. — 2. Luc, XXIII, 40-43.— 3. Rom. IV, 5.— 4. Ps. LXXVIII, 6.— 5.
Id. XXX, 11.
beauté 1 ». Comment Babylone pourrait elle
aspirer à Jérusalem? Comment Rahal arriverait-elle à ces fondements? Comment
pourraient y venir les étrangers? Comment Tyr? Comment les peuples de
l’Ethiopie Ecoute bien: « Un homme dira: Sion est ma mère 2 ». Donc, il est un
homme qui dit: « Sion est ma mère », et c’est par lui que ceux-ci viennent en
Sion. Mais quel est cet homme? Le Prophète nous l’indique, si nous savons
l’entendre et le comprendre: « Un homme dira: Sion est ma mère ». Comme si l’on
demandait au Prophète quel est cet homme par qui Rahab et Babylone, et les
étrangers, et Tyr, et les Ethiopiens viendront à Jérusalem. Voici, répond-il: «
Un homme dira: Sion est ma mère; un homme a été fait en elle, et cet homme est
le Très-Haut qui l’a fondée ». Quoi de plus clair, mes frères? Oui, assurément,
« ô cité sainte, on a dit de toi les plus surprenantes merveilles». Voici qu’un
homme dira: « Sion est ma mère ». Quel est cet homme? « Celui qui a été fait
homme en elle ». Un homme donc a été fait en elle, et cet homme l’a fondée.
Comment a été fait en elle celui-là même qui l’a fondée? Pour qu’un homme fût
fait en elle, déjà elle était fondée. Comprends, si tu le peux. Car il dira: «
Sion est ma mère »; mais celui qui dira: « Sion est ma mère, est homme »: or, «
un homme a été fait en elle »; mais « celui qui l’a fondée » n’est point homme,
il est le « Très-Haut ». Il a donc fondé la ville où il devait naître, quand il
a créé celle qui devait être sa mère. Quelle merveille, mes frères ! quelles
promesses ! quelles espérances ! C’est pour vous que le Très-Haut a fondé une
cité: il appelle cette cité sa mère, c’est en elle qu’ « il a été fait homme,
et le Très-Haut l’a fondée ».
8. Mais comme si l’on demandait: D’où
savez-vous ces choses? Nous venons de chanter ces paroles, et le Christ en son
humanité les chante pour nous tous, lui homme pour nous et Dieu avant nous.
Mais quelle grandeur d’avoir été avant nous? Avant la terre et le ciel, avant
les siècles. C’est donc ce Dieu fait homme pour nous, dans cette cité, c’est le
Très-Haut qui l’a fondée. D’où le savons-nous? « Le Seigneur le racontera dans
les annales des peuples ». Car voilà ce que dit ensuite
1. Ps. XLIV, 11, 12. — 2. Cette variante
vient des Septante. Ps. LXXXVI, 5.
le psaume: « Un bomme dira: Sion est ma mère,
et cet homme a été fait en elle, c’est lui, le Très-Haut, qui l’a fondée. Le
Seigneur le racontera dans les annales des peuples et des princes 1 ». De quels
princes? De ceux qui ont été faits en elle. Les princes qui ont été faits en
elle, sont devenus ses princes. Car avant qu’ils fussent princes dans cette
cité, Dieu avait choisi ce qu’il y a de méprisable dans le monde pour confondre
les forts 2. Le pêcheur était-il un prince? Est-ce un prince qu’un publicain?
Oui, ils sont des princes; car ils ont été faits princes dans cette ville.
Quels sont ces princes? Des princes qui sont venus de Babylone, des princes
selon le monde ont embrassé la foi et sont venus à Rome, dans cette capitale de
Babylone; et sans aller au palais des Empereurs, ils sont allés au tombeau d’un
pêcheur. Pourquoi sont-ils devenus des princes? Parce que Dieu a choisi ce
qu’il y a de faible pour confondre les forts, ce qu’il y a de méprisable, ce
qui n’est rien pour détruire ce qui est 3. Telle est l’oeuvre de celui qui
relève le pauvre de la poussière, et l’indigent de son fumier. Pourquoi le
relever? Pour le faire asseoir entre les princes, entre les princes de son
peuple 4. Quelle merveille ! mes frères, quelle joie ! quelle allégresse ! Des
orateurs sont venus ensuite dans cette cité, mais ils n’y seraient point venus,
si les pêcheurs ne les y avaient précédés. Grandes merveilles que tout cela; mais
où s’accomplissent de telles merveilles, sinon dans cette cité de Dieu, dont on
a dit tant de miracles?
9. Aussi réunissant tant de sujets de joie,
que dira le Prophète pour conclure? «Tu es le séjour de tous ceux qui
tressaillent d’allégresse 5». Elle est donc la cité de la joie, la cité de tous
ceux qui s’abreuvent de délices. Ici-bas nous sommes dans la tristesse, là nous
aurons une joie sans mélange et sans fin. Il n’y aura ni labeur, ni
gémissement; aux supplications succédera la louange. Nul donc ne sera sans
délices: nul gémissement, nul soupir, mais la jouissance dans la joie. Nous
serons en présence de celui qu’appellent nos soupirs, et semblables à lui,
puisque nous le verrons tel qu’il est 6. Là toute notre tâche sera de louer
Dieu, de jouir de Dieu. Que pourrions-nous chercher, quand celui qui a tout
fait, nous
1.
Ps. LXXXVI, 6. — 2. I Cor. I, 27. — 3. Id. 28. — 4. Ps. CXII, 7, 8. — 5. Id.
LXXXVI, 7 — 6. I Jean, III, 2.
suffit? Il habitera en nous, et nous
habiterons en lui; tout lui sera soumis, afin qu’il soit Dieu tout en tous 1. «
Bienheureux donc ceux qui habitent votre demeure ». Pourquoi bienheureux? Parce
qu’ils auront de l’or, de l’argent, une maison nombreuse, de nombreux enfants?
Pourquoi bienheureux? « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous
loueront dans les siècles des siècles 2 ». Telle est la tâche ou plutôt le
repos qui les rendra heureux. N’ayons donc, mes frères, d’autre désir que
d’arriver à ce bonheur; préparons nous à bénir Dieu, à nous réjouir en Dieu.
Nous vous le disions hier, autant qu’il était en nous: il n’y aura plus
d’oeuvre de miséricorde, puisqu’il n’y aura plus de misère. Tu n’y rencontreras
ni pauvres à secourir, ni l’homme nu à revêtir, ni l’homme qui a soif, ni
l’étranger, ni aucun malade à visiter, ni aucun mort à ensevelir, ni des hommes
en procès à réconcilier. Que feras-tu donc? Des besoins corporels te
forceront-ils à défricher, à labourer, à pratiquer le négoce, à voyager? Ce
sera le repos suprême; car il n’y aura plus de ces travaux que la nécessité
nous impose: et avec la nécessité disparaîtront les oeuvres de nécessité.
Qu’arrivera-t-il donc? Le Prophète l’a dit, comme une langue humaine le peut
dire e Tu es comme le séjour de tous ceux qui « tressaillent de joie». Pourquoi
comme le séjour? Parce que la joie que nous ressentirons alors, est de celles
que nous ne connaissons point. Je vois ici-bas bien des délices, beaucoup se
réjouissent en cette vie, l’un pour tel motif, l’autre pour tel autre motif;
mais je ne trouve rien de comparable à cette joie, qui sera comme un agrément
sans fatigue. Si je dis simplement un agrément, tel homme va penser à
l’agrément qu’il trouve à boire, dans un festin, dans l’avarice, dans les
honneurs d’ici-bas. Car les hommes trouvent là des transports et une espèce de
folie: mais, « il n’y a point de joie pour l’impie », a dit le Seigneur 3. Il
est donc une joie que l’oeil n’a point vue, que l’oreille n’a pas entendue, qui
n’est pas entrée dans le coeur de l’homme 4. « Tous ceux qui demeurent en vous,
sont
1. I Cor. XV, 28. — 2. Ps. LXXXIII, 5. — 3.
Isa. XLVIII, 22, suiv. les Septante. — 4. I Cor. II, 9.
comme dans la joie». Préparons-nous donc à une joie supérieure; nous
pouvons bien en trouver des images ici-bas, mais elle n’y est point: ne nous
préparons point à jouir dans le ciel de ce qui fait ici-bas notre joie,
autrement notre abstention deviendrait l’avarice. Vous invitez des hommes à un
repas magnifique, où l’on doit servir beaucoup de mets recherchés; ils ne
dînent pas: et si vous en demandez la cause, ils répondent: Nous jeûnons.
Jeûner est assurément une oeuvre sainte, une oeuvre chrétienne. Mais ne vous
hâtez pas de louer; cherchez la cause, et vous verrez qu’il s’agit du ventre,
et non de la religion. Pourquoi ce jeûne? C’est de peur que des mets vulgaires n’embarrassent
l’estomac, et qu’on ne puisse toucher ensuite aux mets délicats. C’est donc la
sensualité que l’on recherche dans le jeûne. Chose étrange que le jeûne! tantôt
il réprime les appétits, la sensualité, tantôt il les favorise. Si donc, mes
frères, c’est un plaisir semblable que vous espérez dans cette patrie, où nous
invite la trompette céleste, si vous vous abstenez des plaisirs d’ici-bas, pour
en recevoir de semblables et au centuple là haut; vous ressemblez à ceux qui
jeûnent pour mieux manger, et qui sont tempérants par intempérance. Arrière
toutes ces pensées! Préparez-vous à des joies ineffables, et purifiez votre
coeur de toutes les affections de la terre, de tous les plaisirs du siècle.
Nous venons dans le ciel, et ce que nous verrons nous rendra bienheureux, et
cette vue seule nous suffira. Eh! quoi donc? Nous ne mangerons point? Oui, sans
doute, nous mangerons, et telle sera notre nourriture, qu’elle nous rassasiera,
sans nous manquer jamais. « Tous ceux qui demeurent en vous, sont comme dans la
joie ». Nous avons dit quelle sera cette joie: « Bienheureux ceux qui habitent
votre maison, ô mon Dieu, ils vous béniront dans les siècles des siècles».
Louons donc le Seigneur ici-bas, autant qu’il est en nous; mêlons nos
gémissements à nos louanges, car en louant Dieu, nous le désirons, sans le
posséder encore. Et quand nous le posséderons, nous serons tout en lui, le
gémissement disparaîtra pour faire place à la louange, notre unique, notre pure
et notre éternelle préoccupation.
Ce
choeur qui doit répondre, c’est l’Eglise qui chante le Christ, et qui doit,
dans ses membres, passer par les mêmes douleurs que le Christ. Car le psaume
est pour les fils de Coré, ou du Calvaire. Le Christ a donc prié en son
humanité, il a souffert, parce qu’il a voulu personnifier en lui tout son corps
qui est l’Eglise. Il a été libre dans la mort, parce qu’il donnait lui-même sa
vie, et qu’il l’a reprise le troisième jour. Il était dans les ténèbres comme
ceux qu’il était venu en délivrer. La colère de Dieu paraissait appesantie sur
lui, elle n’a fait que passer, et les prophéties se sont accomplies; ses
proches ne comprenant pas ses douleurs, l’ont méconnu, se sont séparés de lui;
ses yeux ou les Apôtres privés de sa lumière, ont langui. Alors il prie du haut
de la croix, il s prié tout le jour par ses bonnes oeuvres, qui n’ont point
touché des coeurs sans vie, incapables de comprendre les miracles, de
ressusciter à la voix des médecins. Encore céderont-ils à la grâce? Car c’est
Dieu qui ressuscite par la grâce, qui appelle par les Apôtres, qui nous amène à
la confession, véritable signe de conversion. Qui dira la vérité à ces âmes
sans vie, et qui ont perdu la lumière? De là remercions Dieu qui nous
ressuscite comme il ressuscite les morts; de là aussi cette prière vive qui
doit s’élever à Dieu, que Dieu n’exauce pas aussitôt, afin d’en attiser
l’ardeur; prière qui est celle de l’Eglise exilée, et qui doit durer jusqu’à ce
que tous ses membres soient dans ta patrie.
1. Le titre du psaume quatre-vingt-septième a
quelque chose de nouveau, qui embarrasse l’interprète. Dans aucun autre psaume,
nous ne trouvons ce que nous rencontrons ici: « Pour Melech, à répondre». Nous
avons pu voir ailleurs ce que signifie et psaume du cantique, et cantique du
psaume; souvent encore nous avons expliqué ces expressions: « Aux fils de Coré
», que nous rencontrons fréquemment, ainsi que « pour la fin »; mais ces
expressions: « Pour Melech, à répondre », c’est là un titre nouveau. « Pour
Melech », peut se traduire en latin, pour le choeur, car le mot hébreu « Melech
», signifie choeur. Or, qu’est-ce à dire pour le choeur, à répondre? sinon que
le choeur doit unir ses accords pour répondre à celui qui chante? D’autres
psaumes, nous devons le croire, ont été chantés de la sorte, bien qu’ils aient
eu d’autres titres; c’était sans doute un moyen de varier, et d’éviter l’ennui.
Car celui-ci n’est pas le seul auquel tout un choeur ait répondu, puisqu’il
n’est pas le seul qui prophétise la passion du Seigneur. S’il y a une autre
raison qui motive la variété des titres, et par laquelle on puisse nous montrer
que dans cette variété, cloaque titre est tellement propre à chacun des
psaumes, qu’il ne pourrait servir à un autre; j’avoue pour moi,
1. Probablement après l’exposition du Psaume
XLI dont il est question au n° 7, et peut-être du Psaume LXVII.
qu’après bien des efforts, je n’ai pu la
découvrir; et ce que j’ai vu de ce qu’ont écrit ce qui en ont parlé avant moi,
n’a pu répondre ou à mon attente, ou à ma lenteur. Je dirai donc ce qui me
paraît de mystérieux dans cette expression: Pour le choeur à répondre,
c’est-à-dire en quoi le choeur doit répondre au chantre. Il y a ici une
prophétie de la passion du Seigneur. Or, l’apôtre saint Pierre a dit: « Le Christ
a souffert pour nous, afin que nous suivions ses traces 1»; c’est là répondre.
L’apôtre saint Jean dit à son tour: « De même que le Christ a donné sa vie pour
nous, de même nous devons donner notre vie pour nos frères 2 ». Voilà répondre
encore. Or, le choeur désigne l’accord qui est le fruit de la charité.
Quiconque, dès lors, pour imiter la passion du Sauveur, livrerait son corps aux
flammes, sans avoir la charité, ne répondrait point en choeur, et cela ne lui
servirait de rien 3. Ainsi donc, de même que dans l’art musical, il y a, comme
les savants ont pu l’exprimer en latin, le praecentor
et le succentor, le premier pour
donner au chant l’intonation, le second pour chanter ensuite; de même dans ce
cantique de la passion, après le Christ qui ouvre la marche, vient le choeur
des martyrs, qui le suit jusqu’à la fin ou l’acquisition des couronnes
éternelles. Ce chant est en effet « pour les fils de Coré », or
1. I Pierre, II, 21. — 2. I Jean, III, 16. —
3. I Cor. XXXI, 3.
pour ceux qui imiteront la passion du Christ.
Car le Christ a été crucifié au Calvaire 1, et en hébreu calvaire se dit Coré.
Ce serait là le sens « d’Eman Israélite », qui termine le titre du psaume, car
Eman signifie son frère. Or, le Christ a élevé au rang de ses frères, ceux qui
ont compris le mystère de la croix, qui loin d’en rougir y mettent au contraire
toute leur gloire, sans s’élever de leurs mérites, sans méconnaître sa grâce;
en sorte que l’on peut dire à chacun d’eux: « Voilà un vrai Israélite sans
déguisement 2 »; ainsi que l’Ecriture témoigne de Jacob qu’il était sans fraude
3. Ecoutons donc la voix prophétique du Christ, qui chante en ce psaume, afin
que le choeur de ses saints lui réponde, soit en l’imitant, soit en lui rendant
grâces.
2. « Seigneur, Dieu de mon salut, j’ai crié
vers vous pendant le jour et pendant la nuit, en votre présence. Que ma prière
pénètre jusqu’à vous, daignez prêter l’oreille à mes supplications 4». Le
Seigneur a prié en effet, non selon la forme de Dieu, mais selon la forme de
l’esclave, car c’est en ce sens qu’il a souffert. Il a prié quand tout était
calme autour de lui, c’est-à-dire pendant le jour, et quand il était dans
l’affliction, ce qui selon moi signifie la nuit. Pour sa prière, elle trouve
accès auprès de Dieu quand elle est exaucée, et Dieu incline son oreille quand
il nous écoute dans sa miséricorde; car en Dieu il n’y a point de membres
corporels comme en nous. Il y a ici une répétition d’usage; et en effet: « Que
ma prière pénètre jusqu’à vous », est identique à: « Prêtez l’oreille à mes
supplications ».
3. « Parce que mon âme est remplie de maux,
et ma vie s’est approchée de la tombe 5 ». Oserions-nous bien dire que l’âme du
Christ fut rassasiée de maux, quand toutes les douleurs de sa passion n’ont eu
de pouvoir que sur sa chair? De là vient qu’en exhortant ses disciples à
souffrir courageusement, et comme pour les inviter à lui répondre en choeur, il
leur dit: « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, et qui n’ont point le
pouvoir de tuer l’âme 6». Son âme donc, que ses persécuteurs ne pouvaient tuer,
pouvait-elle être rassasiée de maux? Si cela est vrai, voyons de quels maux. Ce
ne pouvait être de ces vices qui imposent à l’homme le
1.
Matth. XXVII, 33.— 2. Jean, I, 47.— 3. Gen. XXV, 27. — 4. Ps. LXXXVII, 2, 3. — 5.
Id. 4. — 6. Matth. X, 28.
joug de l’iniquité, que son âme était
rassasiée. Ces maux sont peut-être les douleurs aux-~ quelles son âme fut en
proie en prenant sa chair en pitié; car ce que l’on appelle douleur du corps ne
saurait exister sans l’âme; et quand elle est inévitable, elle est précédée en
nous d’une tristesse dont l’âme seule est le siége. Ainsi donc l’âme peut être
affligée sans que le corps souffre; mais le corps ne peut souffrir sans l’âme.
Pourquoi donc ne disons-nous point que l’âme du Christ fut saturée des péchés
de l’homme, mais seulement des misères de l’homme, puisqu’un autre Prophète
nous dit qu’il a souffert pour nous 1; puisque, selon l’Evangéliste: « Ayant
pris avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée, il commença à s’affliger et à
s’attrister », et que le Seigneur dit de lui-même: « Mon âme est triste jusqu’à
la mort 2? » Voilà ce que voyait le Prophète qui a écrit le psaume, et ce qui
lui fait dire: « Mon âme est rassasiée de misères, et ma vie s’est approchée de
la tombe ». Il ne fait que dire en d’autres termes cette parole de
Jésus-Christ: « Mon âme est triste jusqu’à la mort »; puisque « mon âme est
triste », est identique à « mon âme est rassasiée de misères», et «jusqu’à la
mort», identique à « ma vie s’est approchée de la tombe ». Or, si Notre
Seigneur Jésus-Christ a voulu ressentir en lui ces mouvements de l’infirmité
humaine, ainsi que cette chair de l’homme, et la mort de cette même chair, ce
n’est point par nécessité, mais par un effet de sa compassion. C’est qu’il lui
a plu de personnifier en lui tout son corps, ou cette Eglise dont il a daigné
se faire le chef; en sorte qu’il représente ses membres dans ses saints et dans
ses fidèles. Et dès lors, s’il arrive à quelqu’un d’entre eux de passer par la
douleur et par la tristesse, au milieu des épreuves humaines, qu’il ne se croie
point déshérité de la grâce; qu’il ne regarde point ces ressentiments comme des
péchés, mais comme des marques de l’humaine infirmité, et qu’un membre
s’instruise à l’exemple du chef, comme le choeur répond à la voix du premier
chantre. Nous lisons en effet de l’apôtre saint Paul, un des principaux membres
de ce corps mystique, et nous lui entendons avouer que son âme est en proie à
de semblables misères, quand il dit qu’il ressent une tristesse
1. Isa. LIII, 4. — 2. Matth. XXVI, 77, 38.
profonde, qu’une douleur continuelle traverse
son coeur à la pensée dises frères qui sont les Israélites 1. Et dire que Notre
Seigneur fut aussi attristé à leur sujet aux approches de sa passion, en
laquelle ce peuple allait commettre le plus grand des crimes; c’est là, je
pense, ne dire que la vérité.
4. En fin, cette parole qu’il a dite sur la
croix: « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font 2 », est
marquée clairement dans ce qui suit: « J’ai été mis au nombre de ceux que l’on
descend au tombeau 3»; assurément par ces hommes qui ne savaient ce qu’ils
faisaient, qui crurent que le Christ mourait comme meurent les autres hommes,
comme contraint par une invincible nécessité. Car il appelle tombeau la
profondeur ou de sa misère ou de l’enfer.
5. « J’ai été comme un homme sans secours,
libre entre les morts 4 ». Dans ces paroles nous voyons clairement le Sauveur.
Quel autre eût pu être libre parmi les morts, que celui qui, avec la
ressemblance du péché 5, était seul sans péché? De là vient qu’il dit à ceux
qui follement se croyaient libres « Quiconque fait le péché, est esclave du
péché 6 ». Et comme nous devions être délivrés du péché par celui qui était
sans péché: « Si le Fils vous délivre », leur dit-il, « vous «serez vraiment
libres 7 ». Celui-là donc était «libre entre les morts », qui avait le pouvoir
de donner sa vie et de la reprendre 8, lui à qui nul ne pouvait l’ôter, mais
qui la donnait librement; qui pouvait ressusciter à son gré cette chair, comme
un temple que les Juifs auraient détruit 9 lui qui, abandonné de tous, ne
demeura pas néanmoins seul, puisque son Père ne l’abandonna pas 10, comme il
l’assure lui-même; lui qui pria pour ses ennemis qui ne savaient ce qu’ils
faisaient, qui lui criaient: « Il a sauvé les autres, il ne peut se sauver
lui-même: s’il est le Fils de Dieu, qu’il descende de la croix, et nous
croirons en lui. Que Dieu le délivre, s’il l’aime 11 », et qui était
extérieurement « comme un homme sans secours, comme ces blessés de la mort qui
dorment dans le sépulcre ». Mais le Prophète ajoute: « Effacés de votre
souvenir ». Voilà ce qui établit une différence entre le Christ et les autres
morts. À la vérité,
1. Rom. IX, 2-4, — 2. Luc, XXIII, 34.— 3. Ps.
LXXXVII, 5 — 4. Id. 6. — 5. Rom. VIII, 3.— Jean, VIII,
34.— 6. Id 36. — 7. Id. X, 18. — 8. Id. X, 18.— 9. Id. VIII, 29.— 10. Matth. XXVII,
40-43.
rité, il a été blessé, mis à mort, placé dans
le sépulcre 1; mais ceux qui ne savaient ce qu’ils faisaient, qui ne le
connaissaient point, l’ont cru semblable à ceux qui meurent de leurs blessures,
qui dorment dans le tombeau, dont Dieu ne se souvient pas encore, c’est-à-dire
dont le temps n’est point venu pour la résurrection. C’est l’usage des
Ecritures d’employer le mot dormir en parlant des morts, parce qu’elle veut
nous faire comprendre qu’ils s’éveilleront ou qu’ils ressusciteront. Mais ce
blessé qui dormait dans le sépulcre s’éveilla le troisième jour, et devint
comme le passereau solitaire sur le toit 2, c’est-à-dire qu’il est à la droite
de son Père dans le ciel: car il ne meurt plus, la mort n’a plus d’empire sur
lui 3. Telle est la différence qui l’élève bien au-dessus des autres dont Dieu
ne se souvient point encore pour lès ressusciter, car il réserve aux membres
pour la fin des temps, ce qui est arrivé d’abord aux chefs. On dit en effet que
Dieu se souvient quand il agit, et qu’il oublie quand il n’agit point encore.
Mais en Dieu il n’y a aucun oubli, puisqu’il ne change point, comme il n’y a
pas de souvenir, puisqu’il n’oublie point. « J’ai été traité par ceux qui ne
connaissaient point ce qu’ils faisaient, comme un homme sans secours », bien
que « je fusse libre entre les morts ». Aux yeux de ceux qui ne savaient ce
qu’ils faisaient: « J’étais commue ces blessés de la mort qui dorment dans le
sépulcre; et alors votre main les a retranchés ». C’est-à-dire, quand ils m’ont
regardé dé la sorte, eux-mêmes « ont été retranchés par votre main »; en
d’autres termes, privés des secours de votre main, alors qu’ils me croyaient sans
secours. « Car ils ont creusé une fosse sous mes yeux», est-il dit dans un
autre psaume, « et ils y sont tombés eux-mêmes 4 ». Il est mieux, je crois,
d’entendre ainsi les paroles de notre psaume: « Ils ont été retranchés par
votre main », que de les rapporter à ceux qui dorment dans le sépulcre, et dont
Dieu ne se souvient point encore: puisqu’il y a certainement parmi eux des
justes, dont Dieu ne se souvient point pour les ressusciter, et dont il est dit
néanmoins: « Les âmes des justes sont dans la main de Dieu 5»; c’est-à-dire
qu’elles reposent sous la protection du Tout-Puissante, et
1. Matth. XXVII, 50, 60.— 2. Ps. CI, 8. — 3.
Rom. VI, 9. — 4. Ps. LVI, 7.— 5. Sag. III, 1.— 6. Ps. XC, 1.
qu’elles demeurent à l’ombre du Dieu du ciel.
Mais ceux-là sont rejetés de la main de Dieu, qui ont cru que le Christ en
était rejeté parce qu’ils avaient pu le mettre à mort avec des scélérats.
6. « Ils m’ont placé», continue le Prophète,
dans une fosse profonde 1», ou plutôt, « dans la fosse la plus basse», comme on
lit dans le grec 2. Or, quelle est cette fosse profonde, sinon une misère
tellement profonde, qu’il n’est rien au delà? De là cette parole: « Vous m’avez
tiré de l’abîme de misère 3. Ils m’ont placé dans des lieux ténébreux, à
l’ombre de la mort »; ils croyaient m’y mettre, eux qui ne savaient ce qu’ils
faisaient, qui ne connaissaient pas celui que nul prince du siècle n’a connu 4.
Par cette ombre de la mort, je ne sais si l’on doit entendre la mort
corporelle, ou plutôt celle dont il est écrit: « Que la lumière s’est levée
pour ceux qui étaient assis dans les ténèbres, à l’ombre de la mort 5 »; parce
que la foi à la lumière et à la vie les a tirés des ténèbres et de la mort de
l’impiété. C’est parmi eux qu’avaient rangé le Sauveur, ceux qui ne le connaissaient
point, et dans leur ignorance, ils l’ont mis au rang de ceux qu’il est venu
détourner de ces ténèbres.
7. « Votre indignation s’est appesantie sur
moi 6», ou « votre colère », comme on lit dans certains exemplaires, ou « votre
fureur », comme on lit en d’autres. Car l’expression grecque Tumos, a été traduite différemment.
Quand on lit orgué dans le grec, nul
traducteur n’hésite à traduire ira,
colère, mais quand on rencontre Tumos,
la plupart ne veulent point traduire par colère, bien que les grands auteurs de
l’éloquence latine, dissertant sur les philosophes grecs, aient traduit en
latin ce mot par ira, ou colère. Ne
nous y arrêtons pas plus longtemps, et si nous devons employer une autre
expression, je préfère le mot indignation à fureur, car dans la langue latine,
fureur ne se dit ordinairement pas des hommes rassis. Comment donc entendre: «
Votre colère s’est appesantie sur moi », sinon dans le sens de ceux qui ne
connaissaient point le Seigneur de la gloire 7? Ils croyaient que la colère de
Dieu, non seulement était soulevée, mais encore appesantie sur lui, puisqu’ils
avaient pu le livrer à la
1.
Ps. LXXXVII, 7.— 2. Grec katotato. —
3. Ps. XXXIX, 3. — 4. I Cor. II, 8.— 5. Isa. IX, 2.— 6. Ps. LXXXVII, 8.— 7. I
Cor, II, 8
mort, non point à une mort telle quelle, mais
à ce genre de mort qu’ils avaient le plus en horreur, à la mort de la croix. De
là cette parole de l’Apôtre: « Le Christ nous a rachetés de la malédiction de
la loi, en se faisant malédiction pour nous: car il est écrit: «Maudit soit
Celui qui est suspendu au gibet 1 ». Aussi quand il veut nous faire apprécier
son obéissance jusqu’à la mort: « Il s’est humilié », nous dit-il, « en se
faisant obéissant jusqu’à la mort 2». Et comme cela lui paraissait peu, il ajoute:
« Et jusqu’à la mort de la croix ». Aussi le Prophète, après ce qui précède,
a-t-il ajouté: « Et toutes vos suspensions »; ou selon d’autres traducteurs, «
tous vos flots »; ou selon d’autre encore, « tous vos élans, vous les avez fait
fondre sur moi ». Il est écrit dans un autre psaume: « Toutes vos suspensions
et tous vos flots sont venus sur moi 3», ou comme d’autres on traduit avec plus
de raison, « ont passé sur moi ». Il y a dans le grec, dielthon, et non eiselthon.
Et quand on trouve les deux expressions, « suspensions » et « flots », on ne
saurait mettre l’une pour l’autre. Or, nous avons assigné aux suspensions le
sens de menaces, et aux flots le sens d’afflictions. Les unes et les autres
viennent selon le jugement de Dieu. Mais là il est dit qu’ « elles sont passées
», ici « vous les avez appelées sur moi ». Là donc, bien que plusieurs menaces
soient accomplies, tous les maux qu’il a voulu comprendre dans cette
expression, « ont passé sur moi », dit le Prophète. Ici: « Vous les avez
amenées sur moi. » Passer, se dit en effet de ce qui n’atteint pas, comme les
suspensions, et de ce qui atteint comme les flots. Mais quand il s’agit « des
suspensions », il ne dit point: Elles ont passé sur moi; mais: «Vous les avez
amenée sur moi », pour montrer que toutes les menaces se sont accomplies; or,
tout cela était suspension sur lui, tant que la prophétie renfermait, comme une
menace pour l’avenir, tout ce qui s’est accompli dans la suite au temps de sa
passion.
8. « Vous avez éloigné de moi tous cens qui me
connaissaient 4 ». Si par le mot notos
meos, du latin, nous entendons tous ceux que le Christ connaissait, nous
diront tout le monde; qui en effet ne connaissait-il
1. Gal. III, 13; Deut. XXI, 23.— 2. Philipp. I; 8.— 3. Ps. XLI, 8 — 4. Id. LXXXVII, 9.
pas? Mais le Prophète entend ici tous ceux
qui le connaissaient; autant du moins qu’ils pouvaient le connaître, en ce sens
du moins qu’ils croyaient à son innocence, bien qu’ils ne vissent en lui qu’un
homme, et non un Dieu. Toutefois il pouvait entendre par ce mot de flou, ou
connus, ceux qui lui sont agréables, comme il appelle inconnus les méchants
qu’il doit réprouver au dernier jour, en leur disant: « Je ne vous connais
point 1 ». Quand le Prophète ajoute: « Ils m’ont eu en abomination», on peut
encore entendre ceux mêmes qu’il appelle ses connus ou intimes, et qui avaient
en horreur son genre de supplice: toutefois il est mieux d’appliquer ces
paroles aux persécuteurs du Christ, dont le Prophète a parlé auparavant. « J’ai
été livré », dit-il, « et je ne pouvais sortir ». Est-ce parce que ses
disciples étaient au dehors 2, quand on le jugeait dans l’intérieur du palais,
ou plutôt faut-il donner à cette expression « je ne sortais point » un sens
plus relevé, c’est-à-dire, je me renfermais dans mon intérieur, je ne montrais
point qui j’étais, je ne me faisais point connaître, je ne me manifestais
point? Le Prophète ajoute: « Mes yeux ont langui dans l’indigence 3». De quels
yeux faut-il entendre ces paroles? S’il est question des yeux de cette chair
dans laquelle il souffrait, nous ne lisons point dans la passion, que
l’indigence les ait fait languir, comme il est ordinaire à la faim d’amener la
défaillance. Car il fut livré après la Cène, et crucifié le même jour. S’il est
question des yeux intérieurs, comment se seraient-ils affaiblis par
l’indigence, puisqu’ils avaient l’inextinguible lumière? Mais par ses yeux, il
entend ceux des membres de ce corps dont il était la tête, et qu’il aimait d’un
amour plus particulier commue les membres les plus éclairés et les plus
apparents. C’est de ce corps que l’Apôtre a dit, en le comparant avec le nôtre:
« Si le corps est tout oeil, où sera l’ouïe? s’il est tout ouïe, où sera
l’odorat? Or, si tous les membres n’étaient qu’un seul membre, ou serait le
corps? Mais il y a plusieurs membres, et tous ne font qu’un même corps. L’oeil
ne peut pas dire à la main: Je n’ai pas besoin de toi. Et si la main disait:
Puisque je ne suis pas l’oeil, je mie suis pas du corps, en ferait-elle moins
partie du corps?» Et pour marquer
1. Matth. VII, 23.— 2. Id. XXVI, 56. — 3. Ps.
LXXXVII, 10.
plus clairement encore ce qu’il veut faire
comprendre, l’Apôtre ajoute: « Vous êtes le corps de Jésus-Christ et ses
membres 1 ». Ses yeux donc étaient les saints Apôtres, à qui le sang et la
chair ne l’avaient pas révélé, mais son Père céleste, qui avait fait dire à
Pierre: « Tu es le Christ, Fils du Dieu vivant 2 ». Or, ces Apôtres le voyant
livré et en proie à de telles douleurs, mais ne le voyant point tel qu’ils
désiraient, c’est-à-dire qu’il ne sortait point dehors, ou plutôt ne
manifestait point sa souveraine puissance, mais qu’il demeurait caché en
lui-même, souffrant tout comme s’il eût été vaincu, ces Apôtres « étaient
affaiblis par l’indigence », car ils n’avaient plus la lumière qui était comme leur
nourriture.
9. « Et j’ai crié vers vous, Seigneur ».
C’est ce que le Sauveur fit ostensiblement à la croix. Mais il est bon de
chercher comment nous devons entendre les paroles suivantes: « Durant tout le
jour, j’ai élevé mes mains vers vous ». Si par l’élévation de la main tu
entends la potence de la croix, comment expliquer « tout le jour? » Fut-il donc
suspendu à la croix pendant tout le jour, puisque la nuit appartient aussi au
jour? Si le Prophète a voulu comprendre ici ce jour qui est séparé de la nuit,
et qui est le jour proprement dit, déjà une première et grande partie du jour
s’était écoulée quand le Christ fut mis en croix. Si cette expression, tout le
jour, signifie tout le temps (car cette expression est au féminin, et dans la
langue latine elle n’a d’autre signification que celle d’un temps, bien qu’il
n’en soit pas ainsi en grec, puisque dans cette langue, jour est du féminin, et
de là vient, selon moi, que les traducteurs l’ont ainsi rendu), alors la
question devient plus difficile. Comment dire tout le temps de sa vie, puisque
le Christ n’a pas même étendu ses mains en croix pendant tout un jour? Mais si
l’on veut alors prendre la partie pour le tout, parce qu’il est d’usage dans
l’Ecriture de parler ainsi, je ne trouve aucun exemple qui autorise à prendre
le tout pour la partie, quand cette expression « tout le jour», est
formellement employée. En effet, quand le Sauveur dit dans l’Evangile: «Ainsi
le Fils de l’homme « sera dans le sein de la terre, trois jours et « trois
nuits 3 », il n’est pas contre l’usage d’entendre ici le tout pour la partie,
puisqu’il ne
1. I
Cor. XII, 12-27.— 2. Matth. XVI, 16, 17.— 3. Matth. XII, 40.
dit point: trois jours entiers, trois nuits
entières. Il n’y eut en effet que le jour du milieu qui fut tout entier; des
deux autres il y eut seulement la dernière et la première partie. Mais si dans
cette expression il a voulu désigner sa prière, et non sa croix, prière qu’il
adressait à Dieu Son Père, sous la forme de l’esclave, l’Evangile nous apprend
qu’il pria longtemps avant sa passion, pendant sa passion et même à la croix;
mais nulle part nous ne lisons qu’il l’ait fait tout le jour. Il est mieux dès
lors d’entendre par cette élévation des mains, cette continuité des bonnes
oeuvres que Jésus-Christ n’a point cessé de faire.
10. Mais parce que ses bonnes oeuvres
n’avaient d’utilité que pour les hommes prédestinés au salut, et non pour tous
les hommes, pas même pour tous ceux au milieu desquels il les opérait, le
Prophète ajoute: « Ferez-vous des miracles parmi ceux qui sont morts 1? » Si
nous entendons ces paroles de tous ceux dont la chair était sans vie, de grands
prodiges furent opérés sur les morts, puisque plusieurs revinrent à la vie 2:
et quand le Seigneur pénétra dans les enfers, et en sortit vainqueur de la mort,
c’était en faveur des morts un grand miracle. Cette expression donc: «
Ferez-vous des miracles parmi les morts », désigne ces hommes dont le coeur est
tellement mort, que les miracles surprenants du Christ ne pouvaient les
rappeler à la vie de la foi. Le Prophète ne dit point que Dieu ne fera point de
merveilles parmi eux, en ce sens qu’ils ne les verront pas, mais en ce sens
qu’ils n’en profiteront point. De même en effet qu’il dit: « Tout le jour j’ai
élevé mes mains vers vous »; parce qu’il n’avait dans ses actions d’autre but
que la volonté de son Père, et qu’il assurait souvent qu’il était venu pour
accomplir cette volonté suprême 3: ainsi parce que ces oeuvres étaient
accomplies sous les yeux d’un peuple infidèle, un autre Prophète a dit: « J’ai étendu
les mains pendant tout le jour vers un peuple incrédule, et qui me contredit 4
». Tels sont les morts pour qui Dieu n’a point opéré ses merveilles; non qu’ils
ne les aient point vues, mais parce qu’ils ne sont point ressuscités. Voici la
suite: « Les médecins rappelleront-ils à la vie, afin que l’on bénisse votre
nom?» C’est-à-dire, les médecins rendront-ils la vie aux hommes qui vous
1. Ps. LXXXVII, 11. — 2.Mat. XXVII, 12.— 3.
Jean, VI, 38. — 4. Is. LXV, 2.
béniront ensuite? On prétend qu’il en est autrement
dans l’hébreu, et qu’au lieu de médecins il y a les géants. Mais les Septante,
dont l’autorité est si grande, que ce n’est pas sans raison que l’on croit leur
version dictée par l’Esprit d’en haut, à cause de leur accord admirable, ne se
sont point trompés ici. lis ont saisi l’occasion de la ressemblance qui existe
entre les mots hébreux, dont l’un signifie médecins, et l’autre géants, qui ont
presque la même consonnance, et n’ont qu’une différence très légère, pour nous
montrer comment nous devons entendre les géants. Si cette expression désigne,
en effet, ces orgueilleux dont l’Apôtre a dit: u Où est « le sage? Où est le
scribe? Où est le savant « de ce monde 1?» on a pu avec raison les appeler
médecins, comme promettant de guérir les âmes par l’art de leur propre sagesse.
C’est contre cette prétention que le Prophète a dit: « Le salut vient du
Seigneur 2 ». Si nous prenons le mot de géant dans un sens favorable, comme il
est appliqué au Seigneur lui-même: « Il a bondi semblable à un géant pour parcourir
sa carrière 3 »: en sorte qu’il soit lui-même le géant des géants, le tort
d’entre les forts et les grands qui s’élèvent dans son Eglise par une force
toute spirituelle; de même qu’il est la montagne des montagnes, puisqu’il est
écrit de lui: « Voilà que dans les derniers jours la montagne du Seigneur
apparaîtra, et s’élèvera sur le sommet des montagnes »; comme il est encore
appelé le Saint des saints: alors il n’y a rien d’étonnant que ces grands et
ces forts soient aussi appelés des médecins. De là ce mot de l’Apôtre saint
Paul: « Je tâche de stimuler ma chair ou les Juifs, afin de sauver quelques-uns
d’entre eux 4 ». Quoique ces médecins ne guérissent point les âmes par
eux-mêmes, non plus que les médecins du corps ne le font d’eux seuls; cependant,
par leur fidélité dans leur ministère, ils peuvent aider au salut, soulager les
vivants, muais non ressusciter les morts, dont le psaume a dit: «Ferez-vous des
merveilles parmi les morts? » La grâce de Dieu qui fait revivre les âmes des
hommes, est trop intérieure, pour qu’elles puissent recevoir de quelques-uns de
ses ministres des ordres de salut. Telle est la grâce qui nous est signalée
dans l’Evangile, en ces termes:
1. I
Cor. I, 20. — 2. Ps. III, 9.— 3. Id. XVIII, 6.— 4. Isa. II, 2. — 5. Rom. XI, 14.
«Nul ne peut venir à moi, si mon Père, qui
m’a envoyé, ne l’attire »; et un peu après, il reprend avec plus de clarté: «
Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie; mais il en est d’entre
vous qui ne croient point ». C’est après quoi l’Evangéliste ajoute: « Jésus
savait dès le commencement quels seraient ceux qui ne croiraient point en lui,
et celui qui le trahirait ». Et voilà que cet Evangéliste poursuit en citant
les paroles du Sauveur: «Et il leur disait: C’est pourquoi je vous l’ai dit, nul
ne peut venir à moi, si ce pouvoir ne lui a été donné de mon Père 1 ». Il avait
dit plus haut: « Il en est d’entre vous qui ne croient point ». Et comme pour
en marquer la cause, il ajoute: « C’est pourquoi je vous ai dit que nul ne peut
venir à moi, s’il ne lui a été donné de mon Père», afin de montrer que c’est de
Dieu que nous vient cette loi par laquelle on croit, et on fait reprendre au
coeur mort une vie nouvelle. Ainsi, quoi que fassent auprès des hommes ces
prédicateurs éminents de la parole, ces grands esprits qui vont jusqu’à opérer
des miracles pour persuader la vérité, bien qu’on puisse les considérer comme
d’habiles médecins; si les hommes sont morts, et que votre grâce ne les
ressuscite pas, « ferez-vous des miracles en faveur des morts, et les médecins
ressusciteront-ils », et ceux qu’ils ressusciteront, vous confesseront-ils? »
Car cette confession est un signe de vie, ainsi qu’il est écrit ailleurs: «La
confession d’un mort est comme celle d’un homme qui n’existe plus 2 ».
11. « Quelqu’un dira-t-il votre miséricorde
dans le tombeau, et dans la perdition votre vérité 3? » On sous-entend le verbe
qui précède, comme s’il y avait dans ce verset: Quelqu’un dira-t-il votre
vérité dans la perdition? Car l’Ecriture, surtout dans les psaumes, aime à joindre
la vérité à la miséricorde. Mais « dans la perdition » est la répétition de ce
qui a été dit plus haut: « Dans le sépulcre ». Or, dire: « Dans le sépulcre »,
était dire tous ceux qui sont dans le sépulcre, saque désignait plus haut le
nom de morts, ainsi qu’il est écrit: « Ferez-vous des miracles parmi les morts?
» Pour une âme qui est morte, le corps est en effet un tombeau. Aussi le
Seigneur a-t-il dit à ces hommes dans l’Evangile: « Vous ressemblez à des
sépulcres blanchis, qui à l’extérieur paraissent beaux,
1. Jean. VI, 44, 64-66. — 2. Eccli. XVII, 26.
— 3. Ps. LXXXVII, 12.
et qui au dedans sont remplis d’ossements de
morts et de corruption: de même au dehors vous paraissez justes aux hommes; mais
au dedans vous êtes remplis d’hypocrisie et d’iniquité 1 ».
12. « Les ténèbres connaîtront-elles vos
merveilles, et votre justice paraîtra-t-elle dans la terre de l’oubli 2? » Ce
qui est « dans les ténèbres », est aussi « dans la terre de l’oubli ». Or, ces
ténèbres signifient les infidèles, selon cette parole de l’Apôtre: « Autrefois
en effet vous étiez ténèbres 3 ». Ainsi la terre de l’oubli n’est que l’homme
oublié de Dieu. Car l’âme infidèle peut arriver à des ténèbres si profondes,
que l’insensé dise dans son coeur: « Il n’y a pas de Dieu 4 ». Voici donc la
suite de tout ce qui est dit dans ces versets: « J’ai crié vers vous » au
milieu des douleurs; « j’ai élevé mes mains, pendant tout le jour »,
c’est-à-dire je n’ai cessé d’étendre mes oeuvres, afin de vous glorifier, ô mon
Dieu. Pourquoi cette fureur des impies contre moi, sinon parce que vous ne
ferez point de merveilles parmi les morts? c’est-à-dire, parce qu’ils ne sont
point touchés par la foi, que les médecins ne les ressusciteront point, et
n’amèneront point à vous louer ceux en qui votre grâce n’agira point
invisiblement, pour les entraîner à la foi; car nul ne vient à moi, à moins que
vous ne l’attiriez. « Qui en effet racontera votre miséricorde dans le
sépulcre? » c’est-à-dire, en parlera à cette âme sans vie, qui gît sous le
poids du corps? « Qui dira votre vérité dans la perdition? » c’est-à-dire dans
cette mort incapable de rien voir et de rien sentir? Est-ce en effet dans les
ténèbres de cette mort, ou dans cet homme, qui a perdu en vous oubliant la
lumière de la vie, « que l’on pourra connaître vos merveilles et votre justice?
»
13. Toutefois on pouvait demander à quoi
servent ces morts, et quel usage Dieu en tire pôur le corps du Christ, qui est
l’Eglise. C’est pour montrer par là l’effet de la grâce de Dieu dans les
prédestinés, qui sont appelés par le décret de la prédestination. Aussi tout le
corps des élus dit-il dans un autre psaume: « Il est mon Dieu: sa miséricorde
nie préviendra: mon Dieu me le fera voir, dans le sort de mes ennemis 5».Aussi
le Prophète continue, en disant: « Et moi j’ai crié vers vous, ô mon
1. Matth. XXIII, 27, 28. — 2. Ps. LXXXVII,
13.— 3. Ephés. V, 8. — 4. Ps. XIII, 1. — 5. Id. LVIII, 11, 12.
Dieu 1 ». Et ici nous devons entendre le
Christ, qui parle au nom de son Eglise, ou de son corps mystique. Qu’est-ce à
dire en effet « et moi », sinon que nous avons été, nous aussi, par nature, des
enfants de colère, ainsi que les autres 2? Mais « j’ai crié vers vous », afin
de recevoir le salut. Qui en effet met une différence entre moi et les enfants
de colère, quand j’entends ce reproche terrible de l’Apôtre à tous les ingrats:
« Qui est-ce qui met de la différence entre vous? Qu’avez-vous que vous n’ayez
pas reçu? Et si vous avez reçu, pourquoi vous glorifier comme si vous n’aviez
point reçu 3? » Le salut vient du Seigneur 4. Le géant ne se sauvera point par
sa grande force 5; et comme il est écrit « Quiconque invoquera le nom du
Seigneur sera sauvé 6. Mais comment l’invoquer, s’ils ne croient point en lui?
Comment croire en lui, s’ils n’en ont entendu parler? Comment en entendre
parler, si nul ne leur prêche? Et comment prêcher, si l’on n’est envoyé 7?
Ainsi qu’il est écrit: Qu’ils sont beaux les pieds de ceux qui évangélisent la
paix, qui prêchent les biens 8 ! » Tels sont les médecins qui guérissent le
malheureux, blessé par les voleurs; mais c’est le Seigneur qui l’a conduit dans
l’hôtellerie 9: car ils ne travaillent que dans le champ du Seigneur. Mais ni
celui qui plante n’est rien, non plus que celui qui arrose, c’est Dieu qui
dorme l’accroissement 10. C’est pour cela que j’ai crié vers le Seigneur, ou
que j’ai demandé au Seigneur le salut. Et comment l’invoquer, si je n’eusse cru
en lui? Comment croire en lui, si je n’eusse entendu sa parole? Mais afin que
je crusse à ses paroles, il m’a lui-même attiré car ce n’est point un médecin
quelconque, mais lui-même, qui m’a délivré secrètement de la mort de mon âme.
Beaucoup ont entendu en effet, puisque le bruit de leurs paroles a retenti dans
tout l’univers, et que leurs prédications ont gagné les derniers rivages 11.
Mais tous n’ont la la foi 12 et le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent
13. De là vient que je n’eusse point cru moi-même, si Dieu ne m’eût prévenu
dans sa miséricorde 14, et s’il ne m’eût appelé intérieurement, s’il ne m’eût
ressuscité, s’il ne m’eût attiré à lui, en me tirant de mes ténèbres pour
m’amener
1.
Ps. LXXX, 11, 14. — 2. Ephés. II, 3. — 3. I Cor. IV, 7. — 4. Ps. III, 9. — 5. Id. XXXII, 16. — 6. Joel, II, 32— 7. Rom. X, 13-15. — 8. Isa. LII, 7.—
9. Luc, X, 34. — 10. I Cor. III, 7.— 11. Ps.
XVIII, 5.— 12. II Thess. III, 2.— 13. II Tim, II, 19. — 14. I Cor, I, 28.
à la lumière de la foi, comme il ressuscite
les morts, comme il appelle ce qui n’est pas aussi bien que ce qui est. C’est
pourquoi il dit ensuite: « Et au matin ma prière vous préviendra». Au matin,
quand la nuit sera dissipée, ainsi que les ténèbres de l’infidélité. Mais pour
que j’arrive à ce matin, c’est votre miséricorde qui m’a prévenu: or, il me
reste une dernière lumière, qui doit illuminer les ténèbres les plus profondes,
manifester les pensées des coeurs, afin que chacun reçoive de vous la louange,
ô mou Dieu 1: maintenant dans cette vie, dans ce pèlerinage, dans cette lumière
de la foi, qui est un jour en comparaison des ténèbres de l’infidélité, mais
qui n’est que la nuit en comparaison de ce jour où nous vous verrons face à
face; maintenant « ma prière vous préviendra».
14. Mais afin que cette prière soit fervente
et de plus en plus vive, ce qui nous est utile, selon moi, au-delà de tout ce
que l’on peut dire: Dieu diffère le bien qu’il doit nous donner pour
l’éternité, et laisse nos voeux se multiplier. Aussi le psaume dit-il aussitôt:
« Pourquoi, Seigneur, repousser ma prière 2? » C’est ce qui est déjà dit
ailleurs: «O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné 3? » Il demande
seulement à connaître cette raison, sans accuser la divine sagesse d’agir sans
motif: de même ici: « Pourquoi, ô Dieu, avez-vous repoussé ma prière? » Et
cependant, avec un peu d’attention, nous trouvons que cette cause est indiquée
dans ce qui précède. Car Dieu ne diffère d’exaucer les prières des saints, en
éloignant d’eux le bien qu’ils désirent, et en les éprouvant par la
tribulation, que pour attiser cette prière, comme on attise le feu sous le
souffle qui résiste.
15. L’interlocuteur parcourt brièvement les
douleurs qu’endure ici-bas le corps du Christ. Car ce n’est point le chef seul
qui souffert, puisqu’il a dit à Saul: « Pourquoi me persécutez-vous 4? » et que
Paul, déjà choisi et placé parmi les membres du même corps, s’écrie: « Qu’il
achève en son corps ce qui manque à la passion du Christ 5. Pourquoi donc, ô
mon Dieu,avez-vous rejeté ma prière, et détourné de moi votre visage? Je suis
pauvre et dans le travail depuis ma
1. I Cor. IV,
5.— 2. Ps. LXXXVII, 15 — 3. Id. XXI, 2.— 4. Act. IX, 4. — 5. Coloss. I, 24.
jeunesse.
Je n’ai
été élevé que pour tomber dans l’humiliation et dans le trouble. Sur moi ont
passé vos colères, et vos terreurs m’ont accablé. Elles m’ont environné tout le
jour comme l’eau, elles m’ont environné toutes ensemble. La misère dont vous
m’avez frappé, a éloigné de moi mes amis et mes proches 1 ». Tout cela est
arrivé, tout cela arrive encore aux membres du corps mystique de Jésus-Christ.
Dieu a détourné d’eux sa face, en ne les exauçant point dans ce qu’ils
désiraient, quand ils ne savaient point ce qui leur était utile. Toute l’Eglise
est pauvre; elle a faim, et dans son exil elle soupire après ce qui peut la
rassasier dans la patrie, Elle est dans les travaux depuis sa jeunesse, car
c’est le corps du Christ qui s’écrie dans un autre psaume: « Ils m’ont souvent
attaqué dès ma jeunesse 2 ». Et si quelques-uns de ses membres sont élevés dès
cette vie, c’est afin qu’ils en deviennent plus humbles. La colère de Dieu a
passé aussi dans tout le corps du Christ, c’est-à-dire dans l’unité des saints
et des fidèles, qui ont le Christ pour chef, mais elle n’y demeure point. Car
ce n’est point du fidèle, mais de l’infidèle, qu’il est dit: « La colère de
Dieu demeure sur lui ». Les terreurs de Dieu épouvantent les chrétiens failles;
car il est sage de craindre ce qui peut arriver, quand même il n’arriverait pas
effectivement, Ces terreurs néanmoins troublent quelquefois l’esprit qui voit
les maux dont il est menacé, au point que ses maux paraissent l’environner de
toutes parts et le cerner comme une inondation. Et commue ces afflictions ne
manquent jamais à l’Eghise exilée en
1. Ps. LXXXVII, 16-19. — 2. Id. CXXVIII, 1. —
3. Jean, III, 36.
en ce monde, puisqu’ils assiégent tantôt l’un et tantôt l’autre de ses
membres; le Prophète a dit: « Tout le jour», pour désigner une douleur
continuelle, et qui durera jusqu’à la fin des siècles, Souvent encore tes amis
et les proches, frappés de terreur à la vue de tant de tribulations dont ils sont
menacés, abandonnent les saints; c’est d’eux que saint Paul a dit: « Tous m’ont
abandonné, que Dieu ne le leur impute point 1 ». Mais à quoi bon tout cela,
sinon pour que la prière de ce saint corps s’élève devant Dieu dès le matin,
c’est-à-dire après la nuit de l’infidélité, jusqu’à ce que vienne enfin ce
salut dont l’espérance fait que nous sommes déjà sauvés, et que nous en
attendions la réalité avec patience 2? C’est là que Dieu ne repoussera point
notre prière, parce que nous n’aurons rien à demander, mais que nous
obtiendrons tout ce qui a été demandé; là qu’il ne détournera point de nous sa
face, puisque nous le verrons tel qu’il est 3; là qu’il n’y aura aucune
pauvreté, puisque Dieu sera notre abondance, et tout à tous 4: là qu’il n’y
aura plus aucune fatigue, parce qu’il n’y aura point d’infirmité; là qu’il n’y
aura ni trouble, ni abaissement, parce qu’il n’y aura aucune adversité; là que
nous ne subirons plus le passage des colères de Dieu, parce que nous
demeurerons affermis dans sa bonté; là que nulle terreur ne viendra nous
troubler, parce que l’accomplissement des promesses nous établira dans la
félicité; là que nul ami, nul de nos proches ne nous délaissera dans sa
frayeur, parce que nous n’aurons à craindre aucun ennemi.
1.
II Tim. IV, 16. — 2. Rom. VIII, 24, 25. — 3. I Jean, III, 2. — 4. I Cor. XV, 28.
PSAUME LXXXVIII. PREMIÈRE PARTIE
DU PSAUME.
LES PROMESSES DE DIEU.
DEUXIÈME PSAUME
LXXXVIII.DEUXIÈME PARTIE DU PSAUME. SUITE DU SUJET.
PREMIÈRE PARTIE DU PSAUME.
Toute
force nous vient de la miséricorde de Dieu, qui détruit nos erreurs pour nous
réédifier dans la vérité, Miséricorde et vérité sont inséparables; Dieu nous
remet nos péchés par la première pour nous établir dans la seconde, comme ils
confirme cette seconde parmi les Juifs et fait éclater la première chez les
Gentils. La vérité est dans les cieux ou dans les Apôtres, issus d’Israël, et
dont la voix se fait entendre partout. Le Seigneur a promis à David comme à
Abraham sans postérité éternelle qui est le Christ, et ceux qui croient en lui,
le corps et la tête ne peuvent être séparés. Le Christ a dont son trône en nous
qu’il conduit, et il règnera éternellement dans les saints; ses merveilles
éclateront dans la conversion des pécheurs, dans le conseil des saints qui
prêcheront l’incarnation du Fils de Dieu. Ce Fils est grand parmi ceux qui
l’environnent ou parmi les nations auxquelles il a envoyé ses nuées ou Apôtres,
et qui l’ont vu ainsi venant sur les nuées. Mais quand le Seigneur se chercha
ainsi une Epouse, le monde lui barra le passage, comme le lion à Samson il
égorgea ses martyrs dont le sang a fait naître l’Eglise. Cette mer du monde a
vu humilier les superbes et le dragon, à qui ont échappé par l’humilité ceux
qu’il dominait. Au Seigneur donc, et les cieux qui prêchent, et la terre qui
reçoit la vérité, et l’Aquilon où Satan a été humilié, et la mer qu’il apaise;
de lui vient la Thabor et la lumière, et l’Hermon ou l’anathème à Satan. Il
régnera par le jugement, comme il règne aujourd’hui par la miséricorde. Notre
joie donc pour être vraie doit venir de Dise, et non de nos mérites. Lui seul
nous soutient, il parle à ses Prophètes, il a choisi son élu ou le Christ,
contre qui ne prévaudront point ses ennemis, qui seront taillés en pièces, afin
que la miséricorde et la vérité règnent sur la terre, et que lui-même soit
élevé au-dessus des rois. Les martyrs ont cru à cette élévation sans la voir;
croyons au reste les promesses.
1. Le psaume que nous voulons vous expliquer
avec le secours de Dieu,vous apprendra, mes frères, ce que nous devons espérer
de Jésus-Christ Notre Seigneur; élevez donc vos coeurs, puisque Dieu qui vous n
tait ces promesses, les accomplira, comme il en a accompli tant d’autres. Ce
qui doit affermir en effet notre confiance en lui, c’est sa miséricorde et non
notre mérite. Telle est, si je ne me trompe, « l’intelligence d’Ethan israélite
2», qui fait le titre du psaume. Peu importe l’homme qui ait jadis porté le nom
d’Ethan: ce nom n’en signifie pas moins un homme robuste. Or, nul homme en
cette vie n’est fort que sur l’espérance que donne la promesse de Dieu. Au
point de vue de nos mérites nous sommes très-faibles, mais nous sommes forts au
point de vue de la miséricorde divine. Aussi cet homme, faible par lui-même,
fort de la miséricorde de Dieu, commence ainsi:
2. « Je chanterai éternellement les
miséricordes
1. Premier sermon, prêché à l’office des
Matines de quelques Martyrs. — 2. Dans le texte de la vulgate, il y a Exzahitae et non Israelitae. Ce mot Ezrahitae
serait peut-être pour Zarahitae, car
au livre 1er des Paralipomènes, II, 6, Aethan et Aeman sont comptés parmi les
fila de Zara. Au livre III des Rois, IV, 31, Salomon est proclamé plus sage que
Ethan Ezrahite. Les Septante ont
traduit Zaritem.
du Seigneur: de génération en génération, ma
bouche publiera votre vérité 1 ». Que mes membres, dit l’interlocuteur, soient
soumis au Seigneur mon Dieu; je parle, mais je dis ce que vous m’inspirez: « Ma
bouche annoncera votre vérité ». Si je n’obéis point, je ne suis point
serviteur;si je parle de moi-même, je suis menteur, Pour parler, et parler de
vous, il me faut dent choses, l’une de vous, l’autre de moi: votre vérité et ma
bouche. Ecoutons donc la vérité que va prêcher le Prophète, et les miséricordes
qu’il va chanter.
3. « Car vous l’avez dit: La miséricorde sera
éternellement édifiée ». Voilà ce que je publie, voilà votre vérité; c’est à la
publier que ma bouche est consacrée: « Car vous l’avez dit: la miséricorde sera
édifiée à jamais ». Je construis en effet, dites-vous, mais sans rien détruire;
de même que vous en détruisez quelques-uns pour ne point les rebâtir, vous en
détruisez d’autres pour les rétablir de nouveau. Si Dieu ne devait pas
réédifier quelques-uns qu’il détruit, il ne dirait point par Jérémie: « Voilà
que je
1. Ps. LXXXVIII, 2 — 3. Id. 3.
t’ai établi pour détruire et pour édifier 1
». Evidemment ceux qui se prosternaient devant les idoles, qui adoraient la
pierre, n’eussent jamais été édifiés dans le Christ, s’ils n’eussent essuyé la
ruine de leurs antiques erreurs. De même s’il n’y en avait que Dieu détruisît
pour ne point les reconstruire, il ne serait point dit: « Vous les détruirez et
ne les rebâtirez point 2». C’est donc pour ceux que Dieu détruit afin de les
édifier ensuite, c’est pour les empêcher de croire que l’édifice dans lequel
ils sont entrés n’est que pour un temps, comme l’a été la ruine par laquelle
ils ont passé, que le Prophète s’est tenu ferme dans la vérité de Dieu à
laquelle il prête sa bouche, par l’amour de cette même vérité. Je prêcherai,
dit-il, je parlerai, « parce que vous avez parlé ». L’homme parie avec
assurance, quand il parle après Dieu. Si mes paroles était flottantes, la vôtre
les affermirait, « car vous avez parlé». Qu’avez-vous dit? « Que la miséricorde
sera établie éternellement, que la vérité sera préparée dans les cieux». Il
avait dit plus haut: « Je chanterai éternellement les miséricordes du Seigneur;
j’annoncerai par ma bouche votre vérité de génération en génération », joignant
ainsi la miséricorde à la vérité; il les joint ici une seconde fois: « Car vous
l’avez dit: votre miséricorde sera édifiée pour l’éternité, votre vérité sera
affermie dans le ciel ». Ici encore il répète la miséricorde et la vérité:
Toutes les voies du Seigneur ne sont que miséricorde et vérité 3. Dieu ne
montrerait point sa vérité en accomplissant ses promesses, si d’abord il ne
nous avait remis nos péchés dans sa miséricorde. Mais comme d’une part il avait
fait par ses Prophètes beaucoup de promesses au peuple d’Israël, issu d’Abraham
selon la chair, et que ce peuple s’est multiplié afin que s’accomplissent en
lui les promesses de Dieu; comme d’autre part, Dieu ne fermait point les
sources de sa bonté aux nations étrangères qu’il avait placées sous la garde
des anges, quand il choisissait Israël pour son héritage, voilà que l’Apôtre
distingue la divine miséricorde pour les uns, et la divine vérité pour les
autres. Car il nous dit que « le Christ a été ministre pour le peuple
circoncis, afin de vérifier la parole de Dieu et de confirmer les promesses
faites à nos pères 4». Voilà bien le Dieu qui n’a
1. Jér. 1, 10.— 2. Ps. XXVII, 5.— 3. Id.
XXIV, 10.— 4. Rom. XV, 20.
point trompé, voilà qu’il n’a point rejeté le
peuple qu’il avait élu dans sa prescience. Quand il s’agit en effet de la chute
des Juifs, de peur que l’on ne crût que Dieu les avait réprouvés, de telle
sorte qu’après cette ventilation, il ne mît aucun bon grain dans sou grenier,
l’Apôtre s’écrie: « Dieu n’a point réprouvé le peuple qu’il a élu dans sa
prescience, car moi-même je suis israélite 1». S’il n’y a que des épines dans
tout ce peuple, comment serai-je un bon grain, moi qui vous parle? Donc la
vérité de Dieu s’est accomplie dans ceux d’Israël qui ont embrassé la foi, et
voilà qu’une muraille est venue du côté de la circoncision pour s’appuyer sur
la pierre angulaire 2. Mais cette pierre ne formerait point un angle, si une
autre muraille ne venait de la gentilité. La première muraille appartient donc
proprement à la vérité, et la seconde à la miséricorde. « Je dis en effet »,
poursuit l’Apôtre, « que le Christ a été le ministre de la circoncision pour
vérifier la parole de Dieu, et confirmer les promesses faites à nos pères; et
que les Gentils doivent glorifier Dieu de sa miséricorde 3». Il est donc vrai
que « votre vérité est établie dans les cieux ». Car tous ces Israélites
appelés à l’apostolat sont devenus des cieux qui racontent la gloire de Dieu.
C’est d’eux que le Prophète a dit: « Les cieux annoncent la gloire de Dieu, et
le firmament l’oeuvre de ses mains 4». Et pour vous montrer clairement que
l’Apôtre parle de ces cieux, le Prophète continue: « Il n’y a ni langage ni
contrée qui n’ait entendu leurs voix 5 ». Cherchez quelles voix, vous ne trouverez
plus haut que les cieux. Si donc c’est la voix des Apôtres que l’on a entendue
en toutes les langues, c’est d’eux encore qu’il est dit que « leur bruit s’est
répandu dans toute la terre, et leurs paroles jusqu’aux confins du monde 6 »;
et en effet, bien que Dieu les ait retirés de cette vie avant que l’Eglise fût
répandue dans tout l’univers, leurs voix sont néanmoins parvenues jusqu’aux
confins de la terre: il est juste de voir accomplir en eux cette prédiction: «
Votre vérité sera établie dans les cieux ».
4. « J’ai fait une alliance avec mes élus 7».
Tout ceci est votre parole, Seigneur, et vous le comprenez, mes frères, vous
avez dit à Dieu: « J’ai préparé une alliance avec mes
1.
Rom. XI, 1, 2. — 2. Ephés. II, 20.— 3. Rom. XV, 8, 9.— 4. Ps. 2.— 5. Id. 4.— 6. Id. 5. — 7. Id.
LXXXVIII, 4.
élus ». Quelle alliance, sinon la nouvelle?
Quelle alliance, sinon celle qui nous renouvelle pour un nouvel héritage?
Quelle alliance, sinon cette alliance dont l’amour et l’ardent désir nous fait
chanter à Dieu un cantique nouveau? « J’ai préparé », dit le Seigneur, « une
alliance pour mes élus, j’ai fait un serment à David mon serviteur ». Avec
quelle assurance parle cet homme qui a reçu l’intelligence, qui prête sa bouche
à la vérité? Parce que vous avez parlé, je parle avec assurance; si votre
parole m’est une garantie, que sera-ce de votre serment? Car jurer, de la part
de Dieu, c’est confirmer sa promesse. C’est avec raison qu’il est d fendu à
l’homme de jurer 1, de peur que l’habitude ne le jette dans le parjure, parce
qu’il est homme et sujet à l’erreur. Mais Dieu jure en toute sûreté, puisqu’il
ne peut se tromper.
5. Voyons donc ce que Dieu a juré. « J’ai
juré ceci », dit-il, « à David mon serviteur: Je te préparerai une race pour
l’éternité 2». Qu’est-ce que la race de David, sinon la race d’Abraham 3?
Quelle est la race d’Abraham? « Et à votre postérité, qui est le Christ », dit
saint Paul. Mais peut-être que ce Christ, qui est la tête de l’Eglise 3, le
sauveur de son corps, est fils d’Abraham, et par conséquent de David; tandis
que nous, cette race nous est étrangère? Nous en sommes cependant, comme l’a
dit l’Apôtre: « Si vous êtes du Christ, vous êtes les fils d’Abraham, et les
héritiers selon la promesse 5 ». C’est en ce sens qu’il nous faut entendre cette
parole: « Je te préparerai une race selon l’éternité »; ce qui s’étend, non
seulement à cette chair du Christ, qui est née de la vierge Marie, mais aussi à
nous tous qui croyons au Christ. Car nous sommes les membres de ce chef
auguste. Ce corps ne peut être décapité: si le chef demeure éternellement, les
membres doivent demeurer éternellement, en sorte que Je Christ subsiste tout
entier dans l’éternité. « Je vous préparerai une race pour tous les siècles, et
je t’établirai un trône qui durera de génération en génération ». Pensez-vous
que dire « éternellement », soit dire « de génération en génération », comme il
avait dit plus haut: « De génération en génération, « ma bouche publiera votre
vérité? » Qu’est-ce à dire « de génération en génération? »
1. Matth. V, 34. — 2. Ps. LXXXVIII, 5. — 3.
Gal. III, 16. — 4. Ephés. V, 23. — 5. Gal. III, 29.
Dans toute génération. Car cette parole ne
doit pas être répétée chaque fois qu’une génération apparaît pour disparaître
bientôt. Cette répétition nous signale donc l’ensemble des générations. Ou bien
faut-il voir ici deux générations, comme vous le savez, et comme on vous l’a
déjà fait entendre? Car il y a aujourd’hui une génération du sang et de la
chair, et il y aura aussi une génération par la résurrection des morts. De même
que Jésus-Christ est prêché à l’une, il sera prêché à l’autre; mais ici-bas la
prédication mène à la foi en lui, là elle nous le fera voir. «J’établirai votre
trône de génération en génération ». Maintenant le Christ a son trône en
nous-mêmes; c’est en nous que son trône est affermi. S’il ne siégeait en nous,
il ne nous conduirait pas; et s’il ne nous conduisait pas, nous nous
précipiterions nous-mêmes. ils donc en nous son trône, en nous il règne;il a
son trône aussi dans cette génération qui doit renaître à la résurrection des
morts. Car le Christ régnera éternellement dans ses saints. Telle est la
promesse de Dieu, la parole de Dieu; et si c’est encore trop peu, le serment de
Dieu. Dès lorsque cette promesse est affermie; non point sur nos mérites, mais
bien sur sa miséricorde, nul ne peut hésiter à prêcher ce dont il ne peut
douter. Qu’elle se produise donc dans nos coeurs, cette force qui a fait ainsi
nommer Ethan, robuste de coeur; prêchons la vérité de Dieu, la parole de Dieu,
la promesse de Dieu, le serment de Dieu; ainsi appuyés de toutes parts,
prêchons et devenons des cieux en portant Dieu.
6. « Les cieux, ô mon Dieu, publieront vos
merveilles 1 ». Ce ne sont point leurs propres mérites que les cieux doivent
publier, mais « les cieux, Seigneur, publieront vos merveilles ». Dans la
miséricorde envers les pécheurs, dans la justification de l’impie, que
chantons-nous, sinon les merveilles de Dieu? Tu chantes le Seigneur qui
ressuscite les morts, tu le chantes bien davantage quand il rachète les
pécheurs. Quelle est cette grâce, sinon la miséricorde oie Dieu? Cet homme que
tu voyais hier plongé dans les excès de l’ivrognerie, aujourd’hui modèle de
sobriété hier tu voyais cet autre dans les orgies de la luxure, il est
aujourd’hui un modèle de tempérance; celui-ci blasphémait hier contre Dieu,
aujourd’hui il chante ses louanges;
1. Ps. LXXXVIII, 6.
celui-là s’agenouillait hier devant les
créatures, il adore aujourd’hui le Créateur. C’est ainsi que tous ces hommes
sortent de leur état désespéré; qu’ils ne regardent point leurs mérites, mais
qu’ils deviennent des cieux; et que les cieux publient les merveilles de celui
qui les a faits des cieux. « Car je verrai les cieux », dit le Prophète
d’ouvrage de vos mains 1 ». Et afin que vous sachiez quels sont les cieux qui
publieront ces merveilles, voyez où ils doivent les publier, Ecoutez la suite:
« Et votre vérité dans l’assemblée de vos saints ». Il n’y a plus aucun doute,
ces cieux sont bien les prédicateurs de la parole de vérité. Et où donc les cieux
publieront-ils vos merveilles et votre vérité? « Et votre vérité dans
l’assemblée des saints». Que l’Eglise reçoive la rosée des cieux; que les cieux
répandent la pluie sur la terre altérée, et qu’en recevant cette pluie elle
fasse germer le bien, les bonnes oeuvres; qu’en retour d’une pluie féconde,
elle ne produise pas des épines, de peur d’aller au feu plutôt que dans les
greniers du Père céleste. « Les cieux publieront vos merveilles. ô mon Dieu, et
votre vérité dans l’assemblée des saints ». Les cieux donc annonceront vos
merveilles et votre vérité; tout ce que prêchent les cieux leur vient de vous,
ne concerne que vous; et dès lors ils prêchent en sûreté; car ils connaissent
celui qu’ils prêchent, et n’ont point à rougir de lui.
7. Que prêchent donc les cieux? Que
doivent-ils publier dans l’assemblée des saints? « Car dans les nuées, qui peut
être égal au Seigneur? » Est-ce là ce qu’ils doivent publier, la rosée qu’ils
doivent donner? Quoi? « Dans les nuées qui sera égal au Seigneur?» Voilà donc la
sécurité de ceux qui prêchent, c’est que nul dans les nuées n’est égal au
Seigneur. C’est là, mes frères, ce qui vous paraît une grande louange, que nul
dans les nuées ne soit égal au Créateur; et cependant, si l’on prend cette
expression à la lettre et sans mystère, ce n’est pas beaucoup louer le Seigneur
que dire que les nuées ne lui sont point égales. Eh quoi donc! les étoiles qui
sont au-dessus des nuées sont-elles égales au Seigneur? Que sont le soleil, la
lune, les anges, les cieux, si on les compare à Dieu? Pourquoi donc le Prophète
nous dit-il avec emphase: « Qui dans les nuages est égal au Seigneur?»
1. Ps. VIII, 4.
Nous donnons, mes frères, à ces nuées le même
sens qu’aux cieux: ce sont les prédicateurs de la vérité, les Prophètes, les
Apôtres, les hérauts du Verbe de Dieu. Que ces différents prédicateurs soient
en effet appelés des nuées, nous le savons par cette parole prophétique, que
Dieu irrité adresse à sa vigne: « Je défendrai à mes nuées de laisser tomber la
pluie sur elle ». Puis le Prophète nous montre avec clarté et précision quelle
est cette vigne, quand il dit: « La vigne du Dieu des armées, c’est la maison
d’Israël 1 »; de peur qu’à ce mot de vigne, tu n’oublies les hommes qu’elle
désigne pour chercher sur la terre: « La vigne du Seigneur des armées, c’est la
maison d’Israël ». Que la maison d’Israël ne cherche donc point ailleurs,
qu’elle comprenne qu’elle est ma vigne, qu’elle comprenne bien que ce n’est
point du vin, mais des épines qu’elle a produit pour moi. Qu’elle reconnaisse
toute son ingratitude envers celui qui l’a plantée, qui l’a cultivée, qui l’a
arrosée. Si donc c’est la maison d’Israël qui est cette vigne, que lui dit le
Seigneur dans sa colère? « Je défendrai à mes nuées de laisser tomber la pluie
sur elle ». Or, cette menace n été réalisée. Les Apôtres ont été envoyés comme
des nuées pour pleuvoir sur les Juifs, et voilà qu’ils ont repoussé la parole
de Dieu, qu’ils ont produit des épines, et non du raisin; alors les Apôtres
leur dirent: « Nous étions envoyés vers vous; mais puisque vous « repoussez la
parole de Dieu, nous allons chez les nations 2 ». Depuis ce temps, les nuées
commencèrent à ne plus donner à cette vigne aucune rosée. Si donc les nuées
désignent les prédicateurs de la vérité, voyons pourquoi le Prophète les
appelle des nuées. Car ils sont tantôt des nuées et tantôt des cieux; des nuées
à cause de l’obscurité de la chair, des cieux à cause de l’éclat de la vérité;
effectivement toutes les nuées sont ténébreuses et désignent la mortalité du
corps; elles viennent et passent. Or, c’est à cause du sombre voile de la
chair, ou de l’obscurité des nuées, que l’Apôtre a dit: « Gardez-vous de juger
avant le temps, jus« qu’à ce que le Seigneur vienne, et illumine « l’obscurité
des ténèbres 3 ». Qu’un homme parle, tu entends, mais tu ne vois point ce qu’il
cache dans son coeur; tu vois ce qui sort de la nuée, mais non ce qui est caché
dans la nuée. Quel est l’homme dont l’oeil pénètre un
1. Isa. V, 6, 7.— 2. Act. XIII, 46. — 3. I Cor. IV, 5.
nuage?
Donc
les nuées sont des prédicateurs de la vérité, mais sous le voile de la chair.
Or, le Créateur du monde est venu lui-même dans sa chair. Mais, « qui dans les
nuages sera égal à Dieu? Qui donc dans les nuées sera comparable à Dieu? qui
parmi les enfants de Dieu sera semblable au Seigneur? » Donc, parmi les fils de
Dieu, nul ne sera égal au Fils de Dieu. Et pourtant il est appelé Fils de Dieu,
comme nous sommes appelés fils de Dieu. Mais « parmi les fils de Dieu, qui sera
semblable au Seigneur? » Il est unique, nous sommes plusieurs; il est un, nous
sommes un en lui; il est tel par naissance, nous, par adoption; lui est
engendré par nature, et de toute éternité, nous sommes devenus tels, dans le
temps, par la grâce; il est sans aucun péché, nous sommes par lui délivrés du
péché. « Qui donc dans les nuées sera égal à Dieu, ou qui sera semblable au
Seigneur a parmi les enfants de Dieu? » Nous sommes appelés des nuées à cause
de notre chair, et nous sommes les prédicateurs de la vérité, à cause de la
pluie qui tombe des nuées: mais notre chair nous vient bien autrement que sa
chair lui est venue. Nous sommes appelés fils de Dieu, mais il est autrement
appelé Fils de Dieu. Pour lui, la nuée est venue d’une vierge; et de toute
éternité il est Fils de Dieu égal au Père. « Qui donc parmi les nuées sera égal
au Seigneur, ou qui sera semblable au Seigneur, parmi les enfants de Dieu? »
Que le Seigneur nous dise lui-même s’il a un égal. « Parmi les hommes, qui
dit-on que je suis, moi Fils de l’homme 1?» Voilà en effet que l’on peut me
voir, me regarder, que je marche parmi vous, et que ma présence m’a peut-être
fait moins estimer; dites-moi: « Parmi les hommes, qui dit-on que je sois, moi
Fils de l’homme? » Certes, voir le Fils de l’homme, c’est voir une nuée. Qu’ils
disent, ou dites vous-mêmes « ce que les hommes disent que je suis ». Et les
Apôtres lui rapportèrent les conjectures des hommes: « Les uns disent que vous
êtes Jérémie, d’autres Elie, d’autres Jean-Baptiste, ou l’un des Prophètes 2 ».
Voilà qu’ils nomment plusieurs nuées, plusieurs fils de Dieu. Dès lors en effet
qu’ils sont justes et saints, ils sont aussi fils de Dieu: Jérémie, Elie et
Jean sont fils de Dieu, et ils sont des nuées parce qu’ils sont les héros de
Dieu. Vous avez dit quelles nuées me croient les
1. Matth. XVI, 13. — 2. Ibid.
hommes, et parmi quels enfants de Dieu ils me
placent; à votre tour, dites « ce que vous croyez que je suis ». Pierre prenant
la pirole au nom de tous, et seul pour marquer l’unité: « Vous êtes », lui
répondit-il, «le Christ, Fils du Dieu vivant 1. Qui en effet parmi les nuées
sera égal au Seigneur, ou qui pourra être semblable au Seigneur parmi les fils
de Dieu? » Vous êtes le Christ Fils du Dieu vivant, non plus comme les autres
enfants de Dieu, qui ne sont point égaux à vous. Vous êtes venu dans la chair,
non comme les nuées que l’on ne peut vous comparer.
8. Qui êtes-vous, en effet, pour que l’on
vous réponde: « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant »; vous que les
hommes, non plus les justes et les saints, ont pris pour l’un des Prophètes, ou
pour Elie, ou pour Jérémie, ou pour Jean-Baptiste, qui donc êtes-vous? Ecoute
ce qui suit: « Le Dieu qui doit être glorifié dans le conseil des saints. Qui
donc parmi les nuées sera égal au Seigneur, ou qui sera semblable au Seigneur
parmi les enfants de Dieu, quand ce Dieu doit être glorifié dans le conseil des
justes? » Puisqu’ils ne peuvent être égaux à lui, qu’ils prennent le dessein de
croire en lui. Puisque les nuées et les fils de Dieu ne peuvent être égaux à
lui, voici le conseil qui reste à la fragilité humaine: c’est que celui qui se
glorifie, ne se glorifie que dans le Seigneur 2. « C’est vous, ô Dieu, qui
serez glorifié dans le conseil des saints: il est grand et terrible envers ceux
qui l’environnent 3 ». Dieu est partout. Qui peut environner celui qui est
partout? S’il a quelqu’un autour de lui, il est alors borné de toutes parts.
Or, s’il est vrai de dire à Dieu et de Dieu que « sa grandeur n’a point de
bornes 4», où trouver quelqu’un qui l’environne, sinon quand celui qui est
partout a voulu naître dans sa chair en un lieu particulier, vivre au milieu
d’un peuple, être crucifié en un lieu, ressusciter d’un endroit de la terre, et
d’un lieu s’élever au ciel? Or, dans le lieu où il a fait tout cela, il est
environné des nations. S’il demeurait dans le lieu où il a fait tout cela, il
ne serait pas « grand et terrible envers tous ceux qui l’environnent ». Mais
parce qu’il a prêché en ce lieu de manière à envoyer de là, par toute la terre
1.
Matth. XVI, 16.— 2. I Cor. X, 31.— 3. Ps. LXXXVIII, 8.— 4. Id. CXLIV, 3.
et parmi les Gentils, les prédicateurs de sa
parole, il est devenu « grand et terrible envers tous ceux qui sont autour de
lui ».
9. « Seigneur, Dieu des vertus, qui est
semblable à vous? Vous êtes puissant, ô Dieu, et votre vérité vous environne
1». Votre puissance est grande; vous avez fait le ciel et la terre et tout ce
qui est en eux; mais votre miséricorde est plus grande; elle fait paraître
votre vérité autour de vous: si vous n’étiez prêché que dans ces lieux où vous
avez voulu naître, et souffrir, et ressusciter, et d’où vous êtes monté au
ciel, la promesse divine serait justifiée dans le sens de « la confirmation des
promesses faites à nos pères »; mais non « en ce que les Gentils doivent
glorifier Dieu de sa miséricorde 2 »: il fallait pour cela que votre vérité se
répandit, et du lieu où vous avez voulu paraître, s’étendît autour de vous.
C’est dans ce lieu que vous avez lancé vos tonnerres de votre propre nuée, mais
vous avez envoyé d’autres nuées afin d’arroser les nations qui vous
environnaient. Dans votre puissance vous avez accompli ce que vous avez prédit:
« Je vous de déclare, vous verrez le Fils de l’Homme venant sur les nuées du
ciel 3. Vous êtes puissant, Seigneur, et votre vérité vous environne ».
10. Mais dès que l’on eut prêché la vérité
autour de vous: « Les nations frémirent, les peuples méditèrent de vains
complots; les rois de la terre se levèrent, les princes s’assemblèrent contre
le Seigneur et contre son Christ 4 ». Et en effet, Seigneur, dès que l’on a
commencé à prêcher votre vérité autour de vous, comme si vous veniez chercher
une épouse parmi les étrangers, un lion frémissant vous a barré le passage, et
vous l’avez étranglé. C’est ce que figurait Samson 5, et vous n’applaudiriez
point mes paroles, si vous n’eussiez compris mon allusion avant que j’eusse
nommé ce personnage: car vous l’avez compris en chrétiens accoutumés à recevoir
la rosée des nuées divines. Donc « votre vérité est autour de vous ». Mais y
est-elle jamais ans persécution, jamais sans contradiction, quand il est dit
que le Christ est né pour être insigne auquel on contredira 6? Donc parce que
cette nation, dans laquelle vous avez voulu naître pour converser avec les
hommes, était
1.
Ps. LXXVIII, 9. — 2. Rom. XV, 8,9. — 3. Matth. XXVI,
64. — 4. Ps. II, 1,2.— 5. Juges, XIV, 5,6.— 6. Luc, II, 34.
comme une terre séparée des flots des autres
nations afin de paraître comme une terre sèche qui devait être arrosée, et que
les autres nations étaient un océan d’eau amère et stérile; que font vos
prédicateurs qui laissent tomber autour de vous la pluie de la vérité, en face
des flots écumeux de la mer? Que font-ils? « C’est vous qui dominez les
puissances de la mer 1 ». Qu’a fait cette mer dans ses fureurs, sinon le jour
que nous célébrons? Elle a égorgé les martyrs, répandu leur sang comme une
semence, d’où est sortie cette riche moisson de l’Eglise. Que ces nuées
marchent donc sans crainte, qu’elles répandent la vérité autour de vous, sans
redouter le courroux des flots. « C’est vous qui dominez les puissances de la
mer ». La mer se soulève, elle contredit, elle gronde; mais Dieu est fidèle, et
ne vous laissera point tenter au-dessus de vos forces 2. Si donc Dieu est
fidèle et ne nous laisse point tenter au-dessus de nos forces: « C’est bien
vous, Seigneur, qui calmez la fureur des flots? »
11. Enfin pour apaiser la mer, et même pour
faire tomber sa rage, qu’avez-vous fait dans la mer elle-même? « Vous avez
humilié le superbe comme un homme blessé à mort 3 » Il y a dans cette mer un
dragon orgueilleux, dont l’Ecriture a dit ailleurs « Je commanderai au dragon
de le mordre 4 »; il y a un dragon dont il est dit: « Ce dragon que vous avez
formé pour vous en jouer 5» dont vous brisez la tête sur les eaux. « Vous avez
humilié le superbe comme un homme blessé à mort ». Vous vous êtes humilié, et
de là l’humiliation du superbe. Car c’était par l’orgueil que cet orgueilleux
tenait sous sa puissance d’autres orgueilleux: or, celui qui était grand s’est
humilié, et celui qui a cru en lui est devenu petit et quand celui qui est
petit se nourrit de l’exemple du Tout-Puissant devenu petit, le diable a perdu
ce qu’il possédait; car il ne tenait que des orgueilleux sous sa puissance
orgueilleuse. A la vue, d’un si grand modèle d’humilité, les hommes ont appris
à condamner leur orgueil, et à imiter les abaissements d’un Dieu. Ainsi donc,
en perdant ceux qu’il tenait sous sa puissance, le diable a été humilié, non
point corrigé, mais confondu. « Vous avez humilié le superbe comme un homme
blessé à
1. Ps. LXXXVIII,
10. — 2. I Cor. X, 13. — 3. Ps. LXXXVIII, 11. — 4. Amos, IX, 3. — 5. Ps. CIII,
26.
un mort ». Vous vous êtes humilié pour
l’humilier, vous avez été blessé afin de le blesser. Car il ne pouvait qu’être
blessé par ce sang que vous avez répandu, pour effacer la cédule de nos péchés.
D’où lui venait sou orgueil, sinon de cette caution qu’il tenait contre nous?
Telle est la caution, telle est la cédule que vous avez effacée par votre sang
1. C’était donc le blesser que lui enlever tant de dépouilles. Comprenons en
effet, par ces blessures du démon, non point des plaies dans une chair qu’il
n’a point, mais un coeur blessé dans son orgueil. « La force de votre bras a
dissipé vos ennemis».
12. « A vous sont les cieux, comme à vous est
la terre 2 ». De vous vient la pluie qu’ils répandent, et à vous est la terre
qu’ils arrosent. « A vous sont les cieux », par qui votre vérité est prêchée
autour de vous: « à vous est la terre », qui a reçu autour de vous la vérité.
Enfin quel a été l’effet de cette pluie? « Vous avez affermi l’univers, et tout
ce qu’il renferme; c’est vous qui avez créé l’Aquilon et les mers ». Car il n’a
aucune puissance contre vous, contre son Créateur. Il est vrai que par sa
propre malice, par sa volonté perverse, le monde peut s’emporter à la violence;
mais peut-il donc franchir les bornes que lui a marquées le Créateur de toutes
choses? Pourquoi donc redouter l’Aquilon? Pourquoi redouter les mers? Il est
vrai que dans l’Aquilon est le diable qui a dit: « J’établirai mon trône dans
l’Aquilon, je serai semblable au Très-Haut ». Mais vous, Seigneur, vous avez
humilié le superbe, comme un homme blessé à mort. Donc ce que vous avez fait en
eux, a plus de force pour exercer votre empire, que leur volonté pour exercer
leur malice. « Vous avez créé l’Aquilon et les mers ».
13. « En votre nom vont tressaillir le Thabor
et l’Hermon ». Ces noms désignent des montagnes, mais ont un sens figuré. « En
votre nom vont tressaillir le Thabor et l’Hermon ». Thabor en hébreu signifie
lumière qui vient. Mais d’où vient cette lumière, dont il est dit: « Vous êtes
la lumière du monde 5 », sinon de celui dont il est dit aussi: «Celui-là était
la véritable lumière qui éclaire tout homme un venant en ce monde 6? » Donc
cette lumière qui est la lumière du monde, vient de cette
1. Coloss.
II, 14. — 2. Ps. LXXXVIII, 12.— 3. Id.13.— 4. Isa. XIV, 13, 14. — 5.
Matth. V, 14. — 6. Jean, I, 9.
lumière que l’on n’allume point, et dont on
ne doit pas craindre l’extinction. C’est donc de là que vient la lumière, de là
que vient ce flambeau qu’on ne met point sous le boisseau mais sur le
chandelier, le Thabor, ou la lumière qui se lève. Quant à Hermon, il signifie
son anathème. C’est avec raison qu’à l’arrivée de la lumière, elle a été pour
lui un anathème. Pour qui, sinon pour le diable, cet orgueilleux blessé à mort?
C’est donc de vous que nous vient notre lumière, et c’est par vous encore qu’il
est un anathème pour nous, celui qui nous retenait dans ses engins d’erreur et
d’orgueil. Donc « le Thabor et l’Hermon vont tressaillir à votre nom »: non
point dans leurs mérites, mais « en votre nom ». Car ils vont dire: « Non point
à nous, Seigneur, non point à nous, mais c’est à votre nom qu’il faut donner la
gloire »: à cause de cette mer en courroux: « De peur que les nations ne
disent: Où est leur Dieu 1? »
14. « Votre bras est armé de puissance ». Que
nul ne s’attribue rien: « Votre bras est
un armé de Puissance »: c’est vous qui nous
avez créés, vous qui nous défendez. « Votre bras est armé de puissance, que
votre main s’affermisse et que votre droite s’élève 2 ».
15. « La justice et le jugement vous
préparent un trône 3 ». A la fin des temps voire justice et votre jugement se
feront connaître; ils se dérobent aujourd’hui. C’est de votre jugement qu’il
est dit dans un autre psaume: « Pour les mystères du fils 4 ». Mais alors votre
justice et votre jugement se manifesteront les uns seront placés à votre
droite, les autres à votre gauche; et les incrédules seront frappés de stupeur,
quand ils verront ce qu’ils ont raillé dans leur infidélité: tandis que les
justes seront dans la joie, en voyant alors ce qu’ils croient sans le voir. «
La justice et le jugement vous préparent un trône », assurément pour le
jugement. Et aujourd’hui: « La miséricorde et la vérité marchent devant votre
face ». La préparation d’un trône, voire justice, et le jugement à venir
m’inspireraient de la crainte, si votre miséricorde et voire vérité ne les
précédaient. A quoi bon craindre vos jugements pour la fin, quand votre
miséricorde qui les précède efface mes péchés et accomplit vos promesses en me
montrant la vérité? « La miséricorde, et la vérité marchent
1. Ps. CXIII, 1, 2.— 2. Id. LXXXVIII, 14.— 3. Id. 15.— 4. Id, IX, 1 — 5. Matth. XXV, 33.
devant votre face ». Toutes les voies du
Seigneur sont miséricorde et vérité 1.
16. Mais alors n’y aura-t-il aucune joie pour
nous? ne jouirons-nous point de l’objet de notre joie? Les paroles
suffiront-elles à notre joie? notre langue la pourra-t-elle exprimer? Si donc
nulle parole n’y suffisait: « Bienheureux le peuple qui sait se réjouir 2». O
bienheureux peuple, penses-tu bien comprendre cette joie? Tu n’es point heureux
toutefois sans la comprendre. Qu’est-ce à dire comprendre la joie? c’est
connaître le sujet de cette joie que des paroles ne peuvent exprimer. Car ta
joie ne vient point de toi: que celui qui se glorifie, ne se glorifie que dans
le Seigneur 3. Ne te réjouis donc point dans ton orgueil, mais dans la grâce de
Dieu; vois que cette grâce est telle que la langue ne peut l’exprimer, et tu
comprendras la joie.
17. Enfin si tu as compris que la jubilation
est dans la grâce, écoute maintenant l’éloge de cette grâce. « Bienheureux le
peuple qui connaît la jubilation ». Quelle jubilation? Vois si elle ne vient
pas de la grâce, vois si elle ne vient pas de Dieu, et nullement de toi. «
Seigneur, ils marcheront à la lumière de votre face 4». Ce Thabor, cette
lumière naissante, sera bientôt une lampe éteinte par le vent de l’orgueil, si
elle ne marche à la lumière de votre face. « Seigneur, ils marcheront à la
lumière de votre face, et tout le jour ils tressailliront en votre nom ».
Thabor et Hermon « se réjouiront donc en votre nom»; s’ils veulent se réjouir «
tout le jour », c’est en votre nom qu’ils doivent le faire; et s’ils se
réjouissent en leur nom, ils ne le feront point tout le jour. Car la joie qui
leur viendra d’eux-mêmes, ne sera point une joie durable, mais ils tomberont à
cause de leur orgueil. Donc pour se réjouir tout le jour, ils doivent use
réjouir en votre nom, et tressaillir dans notre justice »; non pas dans leur propre
justice, mais dans la vôtre, de peur qu’ils n’aient à la vérité le zèle de
Dieu, mais non selon la science. Car l’Apôtre a dit de certains, qu’ils ont, il
est vrai, le zèle de Dieu, mais non un zèle selon la science, puisque « dans
leur ignorance de la justice de Dieu, dans leur volonté d’établir leur propre
justice, nu lieu de se réjouir dans votre lumière, ils n’ont pas été soumis à
la divine justice 5 ».
1.
Ps. XXIV, 10. — 2. Id. LXXXVIII, 16.— 3. I Cor. I, 31.— 4. Ps. LXXXVIII,17.— 5.
Rom. X, 2,3.
Mais pourquoi? « Parce qu’ils ont le zèle de
Dieu, et non selon la science ». Quant au peuple qui connaît la jubilation (car
ceux-ci ne la comprennent pas, mais bienheureux le peuple qui ne l’ignore point
et qui la connaît), quelle doit être la cause de sa joie, la cause de son
tressaillement, si ce n’est dans votre nom et dans sa marche à la lumière de
votre face? Il méritera d’être élevé sans doute, mais dans votre justice. Qu’il
regrette sa justice propre et qu’il s’humilie, et alors viendra la justice de
Dieu qui lui donnera la vraie joie: « Ils tressailliront dans votre justice ».
18. « Car vous êtes la gloire de leur force,
un et notre élévation viendra de votre volonté »; parce qu’il vous plaira
ainsi, et non parce que nous l’aurons mérité.
19. « Car c’est le Seigneur qui me soutient
». On m’a poussé pour me faire tomber comme un amas de sable, et je serais
tombé en effet si Dieu ne m’eût soutenu, « Le Seigneur est mon soutien, il est
le saint d’Israël, et notre roi 2 ». C’est lui qui est ton soutien, lui ton
flambeau; c’est à sa lumière que tu es en sûreté, à sa lumière que tu
marches,par sa justice que tu es élevé en gloire. C’est lui qui t’a protégé,
qui est le gardien de ta faiblesse, lui qui te rend fort et non toi-même.
20. « Alors vous avez parlé en vision à vos
fils, et vous avez dit 3». « Vous avez parlé en vision », voilà ce que vous
avez révélé à vos Prophètes. Vous leur avez parlé en aspect, c’est-à-dire en
vous faisant voir à eux, d’où est venu aux Prophètes le nom de Voyants 4. Ils
ont vu intérieurement ce qu’ils devaient dire au dehors: ils ont entendu dans
le secret ce qu’ils ont prêché ouvertement. « Alors vous avez parlé en vision à
vos fils, et vous avez dit: J’ai unis dans l’homme puissant mon secours ». Vous
comprenez quel est cet homme puissant. « J’ai élevé celui que j’ai choisi parmi
mon peuple ». Vous connaissez cet élu, et son élévation fait votre joie.
21. « J’ai trouvé David mon serviteur 5 »: ce
David qui est de la race de David. « Je l’ai oint de mon huile sainte ». C’est
de lui qu’il est dit: « Votre Dieu, ô Dieu, vous a oint d’une huile de joie,
plus que tous ceux qui participent à votre gloire 6 ».
1.
Ps. LXXXVIII, 18.— 2. Id. 19.— 3. Id. 20.— 4. I Rois, IX, 9.— 5. Ps. LXXXVIII, 21.
— 6. Id. XIV, 8.
22. « Ma main le secourra, et mon bras le
fortifiera 1»: ce qu’il faut entendre de Jésus-Christ qui a revêtu l’humanité,
dont la chair a été formée dans le sein d’une vierge 2, et qui étant Dieu par
nature, égal au Père, a pris la forme de l’esclave, est devenu obéissant jusqu’à
la mort, et la mort de la croix 3.
23. « L’ennemi ne prévaudra point contre lui
». L’ennemi s’irrite contre lui, mais vaine fureur! il a coutume de nuire, il
ne nuira point. A quoi bon ses violences, qui Pourront l’exercer, mais jamais
lui nuire? Ses fureurs mêmes sont utiles, car ceux qu’il attaquera seront
couronnés à cause de leur victoire sur lui. Que Pourrions-nous vaincre, si nul
ne nous attaquait? Coma ment Dieu nous soutiendrait-il, si nous n’avions à
combattre? L’ennemi fera donc ce qu’il doit faire, mais « l’ennemi ne prévaudra
point contre lui; et le fils de l’iniquité ne pourra lui nuire 4 ».
24. « Et sous ses yeux; je taillerai ses
ennemis en pièces 5 ». Ceux qui conspiraient sont taillés en pièces, et taillés
en pièces en embrassant la foi. Peu à peu ils croient en Dieu, et la tête du
veau d’or est brisée pour devenir le breuvage du peuple de Dieu. Moïse en effet
mit en poudre la tête du veau d’or, la jeta dans l’eau, et la donna à boire aux
enfants d’Israël 6. Ainsi les infidèles sont brisés, ils arrivent peu à peu à
la foi, sont absorbés par le peuple, et passent ainsi dans le corps du Christ.
« Et sous ses yeux, je taillerai ses ennemis en pièces, et mettrai en fuite
ceux qui le haïssent », afin qu’ils ne lui fassent aucun mal. Mais peut-être quelques-uns
de ceux qui sont mis en fuite diront-ils: « Où irai-je pour me dérober à votre
esprit, et où m’enfuir pour éviter votre face 7? »Voyant alors qu’ils ne
peuvent se dérober au Tout-Puissant, ils se tournent vers le Tout-Puissant. «
Je mettrai en fuite ceux qui vous haïssent ».
25. « Et ma vérité, et ma miséricorde sont
avec lui 8». Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité ».
Souvenez-vous, autant qu’il vous est possible, combien ces deux vertus
reviennent souvent dans les saintes Ecritures, afin que nous en fassions
hommage aussi à Dieu. De même, en effet, qu’il nous a fait voir sa miséricorde
en effaçant
1.
Ps. LXXXVIII, 22.— 2. Luc, I, 31. — 3. Philipp. II, 6-8. — 4. Ps. LXXXVIII,
23.— 5. Id. 24.— 6. Exod. XXXII, 20.— 7. Ps. CXXXVIII, 7. — 8. Id. LXXVIII,
25. — 9. Id. XXIV, 10.
nos péchés, et sa vérité en accomplissant ses
promesses; de même, en marchant dans ses voies, nous devons lui rendre la
miséricorde et la vérité; la miséricorde en prenant pitié des misérables, la
vérité en jugeant avec justice. Que la vérité ne s’oppose point en vous à la
miséricorde, non plus que la miséricorde à la vérité. Si la pitié vous porte à
juger contre la vérité, ou si la vérité trop sévère vous fait oublier la
miséricorde, alors vous ne marchez plus dans cette voie de Dieu où la
miséricorde et la vérité se sont rencontrées 1. « C’est en mon nom que
s’élèvera sa puissance ». Pourquoi nous arrêter ici? vous êtes chrétiens,
reconnaissez le Christ.
26. « J’étendrai sa main sur la mer »;
c’est-à-dire qu’il dominera sur les Gentils. « Et sa droite sur les fleuves 2
», Les fleuves s’écoulent dans la mer; les hommes avec leurs convoitises
s’écoulent dans les eaux amères du monde: et néanmoins, tout cela sera soumis
au Christ.
27. « Il m’invoquera en disant: Vous êtes mon
père, mon Dieu, l’appui de mon salut. Et moi, je l’établirai mon premier-né,
bien supérieur aux rois de la terre 3 ». Nos martyrs, dont nous célébrons la
fête, ont répandu leur sang pour ces vérités qu’ils croyaient sans les voir.
Combien nous devons être plus courageux encore, nous qui voyons ce qu’ils
croyaient ! Ils ne voyaient point encore le Christ élevé au-dessus des rois de
la terre; car alors les princes unissaient encore leurs forces contre le
Seigneur et contre son Christ, Alors n’était pas encore accompli ce qui est
écrit dans le même psaume: « Et maintenant, ô rois, comprenez, instruisez-vous,
ô vous qui jugez la terre 4 ». Le Christ est donc maintenant élevé au-dessus de
tous les rois de la terre.
28. « Je lui conserverai éternellement ma
miséricorde, et mon alliance avec lui est immuable 5 ». C’est à cause de lui
que ce Testament est fidèle: c’est en lui qu’il a été négocié; il est lui-même
le médiateur de ce Testament, le signataire du Testament, le garant du
Testament, le témoin du Testament, l’héritier du Testament et le cohéritier de
ce Testament.
29. « J’établirai sa race de siècle en siècle
6 ». Non seulement dans ce siècle, mais «dans le
1.
Ps. LXXXIV, 11. — 2. Id. LXXXVIII, 26. — 3. Id, 27, 28.— 4. Id. II, 2, 10.— 5. Id.
LXXXVIII, 29.— 6. Id. 30.
siècle du siècle » que traversera cette
postérité qui est son héritage, race d’Abraham, qui est le Christ. Si donc vous
êtes du Christ, vous êtes de la race d’Abraham 1. Et si vous devez recevoir
l’héritage pour l’éternité, « Dieu établira sa race de siècle en siècle, et son
trône sera comme les jours du ciel ». Pour les rois de la terre, les trônes
sont comme les jours de la terre. Autres sont en effet les jours du ciel, et
autres les jours de la terre. Ou appelle jours du ciel, ceux dont il est dit: «
Vous, Seigneur, vous êtes le même, et vos années ne diminuent point 2». Pour
les jours de la terre, ils sont pressés par d’autres qui leur succèdent, les
précédents ne sont plus, ceux qui succèdent ne demeurent point, ils ne viennent
que pour s’en aller, et s’en vont presque avant d’être arrivés. Voilà les jours
de la terre. Quant aux jours du ciel et à ces années qui ne diminuent point,
ils n’ont ni commencement ni fin; et nul autre n’est resserré entre celui d’hier
et celui de demain. Nul n’y attend l’avenir, nul n’y voit s’écouler le passé:
mais les jours du ciel sont toujours présents, et c’est là que sera pour
l’éternité le trône du Christ. Réservons, s’il vous plaît, le reste du psaume:
il est long, et nous aurons encore à traiter ensemble aujourd’hui, au nom du
Christ. Réparez donc vos forces, non point les forces du coeur, car je vous
vois insensibles à la fatigue; mais reposez-vous quelque peu, à cause de vos
corps qui sont les serviteurs de l’âme, et quand vous l’aurez fait, revenez
prendre la nourriture spirituelle.
1. Gal. III, 16, 29. — 2. Ps. CI, 28.
Si les
fils de David abandonnent le Seigneur, il ne leur retirera, point sa miséricorde,
il les châtiera pour les ramener, lui qui a laissé flageller son Fils. Non
seulement il ne retirera point sa miséricorde de ce Fils, mais non plus des
membres de ce Fils ou les chrétiens; eux-mêmes peuvent la repousser en
repoussant le châtiment. En dépit des pécheurs, Dieu ne profanera point son
alliance, et il y aura des justes, parce qu’il connaît ceux qu’il a
prédestinés. La race du Seigneur subsistera donc éternellement sur son trône,
ou sur les membres qui portent la tête, laquelle brillera comme le soleil, ou
comme une lune sans déclin, c’est-à-dire que notre chair doit briller après la
résurrection; elle montrera ainsi l’accomplissement des promesses divines,
comme Jésus-Christ a ressuscité sa chair pour répondre aux incrédules. Si Dieu a
détruit tout ce qui concernait David selon la chair, s’il a permis la chute de
Salomon, c’était pour nous faire espérer au véritable David. Ce Christ est donc
retardé, et Dieu par ces ruines nous fait dire: S’il n’a point épargné tout
cela, nous épargnera-t-il? Les Juifs sont devenus la proie des Gentils; Dieu en
les châtiant ne les a point retenus, afin de les empêcher de fuir le châtiment;
ils se sont ainsi éloignés de la foi qui purifie. Toutefois il se souvient de
ta substance de David dont il a formé Marie, d’où est né le Christ, le saint,
l’admirable eu qui les hommes sont purifiés; lui qui s’est délivré de la mort,
qui a été persécuté dans les martyrs, qui s’est souvenu de leur opprobre, en
les faisant triompher du monde, lui à qui on a reproché la mort, parce qu’on ne
veut pas mourir au vieil homme. Béni soit-il, et rassemblons-nous sous ses
ailes.
1. Prêtez, mes frères, votre attention au
reste du psaume dont nous avons parlé ce matin, exigez de moi cette pieuse
dette, et celui qui est votre Créateur et le mien s’en acquittera par mon
ministère. C’est le Christ Notre Seigneur que nous annonçait dans ses promesses
prophétiques la première partie du psaume; c’est encore de lui qu’il est
question dans le reste que nous allons exposer. C’est lui que regardaient en
effet ces paroles entre autres: « Je l’établirai mon premier-né, bien
1. Prêchée le même jour que la première
partie.
supérieur aux rois de la terre. Eternellement
je lui garderai ma miséricorde, et mon alliance faite avec lui sera irrévocable;
j’établirai sa race de siècle en siècle, et son trône durera comme les jours du
ciel ». Nous vous avons exposé ces versets, et ceux qui les précèdent depuis le
commencement autant qu’il nous a été possible.
2. Voici la suite: « Si ses fils abandonnent
ma loi, et ne marchent point dans mes
1. Ps. LXXXVIII, 28-30.
préceptes; s’ils profanent ma justice et
transgressent mes commandements: la verge à la main, je visiterai leurs
iniquités, je frapperai leurs péchés, mais je ne retirerai point de lui
totalement ma miséricorde, je ne profanerai point mon alliance, et ne rendrai
point vaine la parole sortie de mes lèvres ». Dieu nous donne là de solides
garanties de ses promesses. Or, les fils de ce David sont les fils de l’Epoux;
tous les chrétiens sont donc ses enfants. Cette promesse que Dieu fait ici est
donc considérable: que « si les chrétiens », c’est-à-dire ses fils, «
abandonnent ma loi», dit-il, « s’ils ne marchent point dans mes préceptes,
s’ils profanent ma justice et transgressent mes commandements 1 »: je ne les
traiterai point avec dédain, et ne les abandonnerai point à la perdition: mais
que ferai-je alors? « La verge à la main je visiterai leurs iniquités, je
frapperai leurs péchés ». Dieu donc met sa miséricorde, non seulement à nous
appeler, mais encore à nous frapper, à nous châtier. Que sa main paternelle
soit donc sur toi, et si tu es un bon fils, ne rejette point la discipline.
Quel est l’enfant que son père ne châtie point? Qu’il frappe donc, mais qu’il
ne nous refuse pas sa miséricorde, qu’il réduise nos rébellions, pourvu qu’il
nous admette à son héritage. Pour toi, si tu comprends bien la promesse de ton
Père, ne crains point d’être châtié, mais d’être exclu de l’héritage. Car le
Seigneur corrige celui qu’il aime; il châtie celui qu’il reçoit au nombre de
ses enfants 2. Un fils pécheur refuserait-il d’être châtié quand il voit
flageller le Fils unique et sans péché? « La verge à la main», dit donc le
Seigneur, «je visiterai vos iniquités».Telle est encore la menace de saint
Paul: « Que voulez-vous? Dois-je venir la verge à la main 3? » A Dieu ne plaise
que des fils dévoués répondent: Si vous devez venir la verge à la main, ne
venez point! Il vaut mieux s’instruire par la main d’un père qui châtie, que
d’être la proie d’un séducteur qui vous flatte.
3. « La verge à la main »,dit le Seigneur,
«je visiterai leurs iniquités, et je frapperai leurs péchés, mais je ne
retirerai point de lui totalement ma miséricorde 4». De qui? De ce même David à
qui j’ai fait de telles promesses, que j’ai oint de mon huile sainte plus que
tous ceux qui partagent sa gloire 5.
1.
Ps. LXXXVII, 31, 32. — 2. Hébr. III, 5-7. — 3. I Cor. IV, 21. — 4. Ps.
LXXXVIII, 33, 34 — 5. Id. XLIV, 8.
Connaissez-vous celui à qui Dieu ne retirera
point sa miséricorde? Que nul dans sa crainte aie vienne dire: Puisque c’est du
Christ que le Seigneur promet de ne point retirer sa miséricorde, que.
deviendront les pécheurs? Le Seigneur a-t-il donc promis qu’il ne leur
retirerait point sa miséricorde? « La verge à la main », dit-il, «je visiterai
leurs iniquités, et je frapperai leurs péchés ». Tu attendais, pour te
rassurer, qu’il dit: « Mais je ne leur retirerai point ma miséricorde ». Il est
vrai qu’on le trouve dans quelques exemplaires, mais non dans les plus
corrects: et même quand on le trouve, le sens n’en est pas changé. Comment
est-ce en effet que Dieu ne retire point sa miséricorde à son Christ? Ce
Sauveur de tout son corps a-t-il commis quelque faute dans le ciel ou sur la
terre, lui qui est assis à la droite de Dieu, intercédant pour nous 1? Et
pourtant c’est du Christ qu’il ne la retire point, mais du Christ dans ses
membres et dans son corps, qui est l’Eglise. Le Prophète nous donne en effet
comme importante la promesse de ne point retirer de lui sa miséricorde, comme
si nous ne connaissions point le Fils unique qui est dans le sein de son Père:
car ce n’est point comme un homme qu’il nous faut le regarder ici, mais il
n’est qu’une seule personne, qui est l’Homme-Dieu. Il ne retire donc point de
lui sa miséricorde, puisqu’il ne ta retire point de son corps ni de ses
membres; qu’il souffre en eux persécution sur la terre, quoiqu’il soit dans le
ciel. C’était du ciel qu’il criait: « Saul, Saul », non point: Pourquoi
persécuter mes serviteurs; non: Pourquoi persécuter mes saints; non: Pourquoi
persécuter mes disciples; mais: « Pourquoi me persécuter 2? » Comme donc, étant
assis dans le ciel où nul sans doute ne le persécute, il s’écria: « Pourquoi me
persécuter? » parce que la tête alors ne désavouait point ses membres, et que
la charité ne séparait point la tête du reste du corps: ainsi ne point retirer
de lui sa miséricorde, c’est ne point la retirer de nous qui sommes son corps
et ses membres. Toutefois il ne faut pas nous en prévaloir, pour pécher sans
crainte, et pour nous promettre témérairement de ne point périr, quoi que nous
fassions. Il est en effet certains péchés, certaines iniquités, au sujet
desquels il nous est impossible de rien dire, de rien affirmer; et la chose
fût-elle possible,
1. Rom. VIII, 34. — 2. Act. IX, 4.
il serait trop long d’en parler. Nul en effet
ne saurait dire qu’il est sans péché; l’affirmer, ce serait mentir. « Dire que
nous sommes exempts de péché, c’est nous tromper nous-mêmes, c’est n’avoir
point en nous la vérité 1». Chacun donc est nécessairement châtié pour ses
péchés: mais Dieu ne lui retire point sa miséricorde, s’il est chrétien.
Evidemment si tu descends à de tels excès, que tu repousses loin de toi la
verge qui te frappe, si tu rejettes la main qui te châtie, si la punition de
Dieu te porte au murmure, si tu fuis un Père qui use de sévérité, si tu renies
ton Père parce qu’il ne t’épargne point dans tes égarements; toi-même tu
t’éloignes dé l’héritage, et ce n’est point lui qui te rejette situ demeurais
quand il te châtie, tu ne serais pas à jamais déshérité. « Quant à ma
miséricorde, je ne la retirerai point de lui, je ne démentirai point ma
vérité». Dieu donc ne retire point sa miséricorde qui délivre, afin que sa
vérité ne nuise point, quand il châtie.
4. «Je ne profanerai point mon Testament, tel
ne rendrai point vaine la parole sortie de sa bouche 2». Que ses fils
deviennent pécheurs, je ne suis point parjure pour cela: je l’ai promis, je le
tiendrai. Supposez que ses enfants s’abandonnent au péché avec la frénésie du
désespoir, qu’ils se traînent dans l’iniquité, au point de blesser
continuellement l’oeil de leur père, et de mériter d’en être déshérités; mais
n’est il pas ce Dieu dont il est dit: « Dieu pourra de ces pierres mêmes
susciter des enfants d’Abraham 3 » C’est pourquoi, je vous le dis, mes frères,
beaucoup de chrétiens commettent de ces fautes supportables, beaucoup sont
corrigés du péché par le châtiment, ils s’amendent, ils se guérissent.
D’autres, en grand nombre, se détournent de Dieu, opposent une tête inflexible
à leur Père qui les châtie, refusent aussi d’avoir Dieu pour Père, et quoique
marqués du signe de Jésus-Christ, ils s’adonnent au péché, de manière à faire
dire contre eux: « Que ceux qui commettent ces fautes, n’obtiendront point le
royaume de Dieu 4». Et pour cela néanmoins le Christ ne demeurera point sans
héritage; le froment ne périra point à cause de la paille 5: les mauvais
poissons n’empêcheront point que l’on en prenne d’autres dans le filet pour les
mettre dans des vaisseaux 6.
1. I
Jean, I, 8. — 2. Ps. LXXXVIII, 35. — 3. Matth. III, 9. — 4. Gal. V, 21. — 5.
Matth. III,
12. — 6. Id. XIII, 47, 48.
Le Seigneur en effet connaît ceux qui sont à
lui 1, et il nous a promis avec assurance, lui qui nous a prédestinés avant que
nous fussions. « Or, ceux qu’il a destinés, il les a appelés; ceux qu’il a
appelés, il les a justifiés; et ceux qu’il a justifiés, il les a glorifiés ».
Que ceux qui désespèrent s’abandonnent au péché: pour les membres du Christ,
ils répondront: « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous 2? » Dieu donc ne
blessera point sa vérité, il ne profanera point son alliance. Son Testament
demeure immuable, parce que dans sa prescience il a prédestiné ses héritiers.
Il ne faussera point la parole qui sort de ses lèvres.
5. Ecoute, ô chrétien, écoute ce qui peut
t’affermir, te mettre en sécurité, si tu te reconnais parmi les membres du
Christ: « Je l’ai juré une fois dans ma sainteté, si je mentais à David 3».
Veux-tu donc un second serment de la part de Dieu? Combien devra-t-il jurer,
s’il manque une fois à son serment? Il a juré une fois de nous donner la vie,
lui qui a envoyé son Fils unique à la mort pour nous. « Je l’ai juré une fois
dans la sainteté, si je mentais à David: sa postérité demeurera éternellement 4
». La race du Christ subsiste donc éternellement, parce que le Seigneur connaît
ceux qui sont à lui 5. « Son trône sera comme le soleil en ma présence, comme
la lune éternellement dans son plein, il m’est au ciel un témoin fidèle 6 ».
Son trône est formé de ceux qu’il domine, en qui il s’assied, en qui il règne.
Ils sont ses membres comme son trône, car les membres servent de siége à notre
tête. Voyez comme notre tête est portée par tous nos membres, sans que la tête
porte rien au-dessus d’elle; mais elle est portée par tous nos autres membres,
comme si tout le corps de l’homme servait de trône à la tête. Ainsi tous ceux
en qui Dieu règne forment son trône, et ils seront, dit-il, comme le soleil en
ma présence, parce qu’ils resplendiront comme le soleil dans le royaume de mon
Père 7. Ce qu’il faut entendre d’un soleil spirituel, et non de ce soleil
visible qui brille dans les cieux, et que Dieu fait lever sur les lions comme
sur les méchants 7. Enfin ce soleil est en présence, non des hommes seulement,
mais aussi des
1.
II Tim. II, 19. — 2. Rom. VIII, 29-30 — 3. Ps. CXXXVIII, 36. — 4. Id. 37 — 5.
II Tim, II, 19. — 6. Ps. CXXXVIII, 38. — 7. Matth. XIII, 43. — 8. Id. V, 45.
animaux et des plus petits insectes. Lequel
d’entre ces animaux ne voit point le soleil qui nous éclaire? Mais que dit le
Prophète à propos de cet autre soleil: « Il sera comme un soleil en ma
présence? » Non plus en présence. des hommes, en présence des yeux de la chair,
en présence des animaux sujets à la mort, mais en ma présence, et comme la lune
». Quelle lune? « la lune éternellement dans son plein ». Cette lune, en effet,
que nous voyons, est à peine arrivée à son plein qu’elle commence le lendemain
à décroître. « Comme la lune », dit le Prophète, « qui est éternellement dans
son plein ». Son trône sera donc parfait comme la lune, mais comme la lune
toujours pleine. Si c’est comme le soleil, pourquoi comme la lune? Par cette
lune qui. croît et qui décroît, dont l’image passe rapidement, l’Ecriture
désigne ordinairement notre chair mortelle. Enfin Jéricho signifie la lune, et
voilà pourquoi cet homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho, tomba entre les
mains des voleurs 1, car d’immortel il descendait à la mortalité: notre chair a
donc de la ressemblance avec la lune, qui chaque mois croît et décroît, mais à
la résurrection cette chair sera parfaite, et « deviendra au ciel un témoin
fidèle ». Si donc il n’y avait que notre esprit pour recevoir sa perfection,
nous serions seulement comparés au soleil; et au contraire si notre corps seul
devait être amené à la perfection, nous ne serions comparés qu’à la lune; mais
comme Dieu doit amener à la perfection elle corps et l’âme, le Prophète a dit:
« Comme le soleil, en ma présence », car Dieu seul voit notre âme; «et comme la
lune», voici notre chair; « éternellement en son plein »: à la résurrection des
morts; « elle sera au ciel un témoin fidèle », en montrant la vérité de tout ce
qui est dit au sujet de la résurrection. Je vous en supplie, écoutez cette même
vérité plus clairement encore, et gravez-la dans votre souvenir. Je sais que
plusieurs d’entre vous ont compris mes paroles, que d’autres les cherchent
peut-être encore, car aucun, point de la foi chrétienne n’est plus en butte à
la contradiction, que la résurrection de la chair. Enfin celui qui venait pour
être un signe de contradiction 2,a ressuscité sa chair pour s’opposer à ces
contradictions: et lui qui pouvait guérir ses membres, de manière, qu’il n’y
1. Luc, X, 30. — 2. Id. II, 34.
restât aucune trace de ses blessures, a
conservé des cicatrices sur son corps, afin de guérir dans nos coeurs la
blessure du doute. Il n’y a donc dans la foi chrétienne aucun point que l’on
révoque en doute avec autant de violence ou tant d’obstination, autant
d’efforts et d’instances que la résurrection de la chair. Quant à l’immortalité
de l’âme, en effet, beaucoup de philosophes païens en ont écrit, et ont trouvé
dans un grand nombre de livres que l’âme humaine est immortelle. Mais en vient
on à la résurrection de la chair, ils n’hésitent point, ils contredisent
clairement, et dans leur contradiction ils vont jusqu’à dire qu’il est
impossible que cette chair terrestre puisse monter au ciel. Donc cette lune
toujours dans son plein est dans le ciel un témoin fidèle contre ces
contradicteurs.
6. Voyez combien sont certaines, sont
affermies, sont claires et indubitables ces promesses au sujet de Jésus-Christ.
Bien que plusieurs soient cachées sous des figures, il en est d’autres
néanmoins assez évidentes pour nous faire découvrir facilement ce qu’il y a
d’obscur. D’après cela voyez ce qui suit: « Cependant, Seigneur, vous avez
repoussé, anéanti, éloigné votre Christ. Vous avez renversé son Testament: son
sanctuaire est profané dans la poussière. Vous avez détruit toutes ses
murailles, ses remparts sont un objet de terreur. Tous les passants l’ont
pillé, il est devenu un sujet d’opprobre pour ses voisins. Vous avez élevé le
bras de ses ennemis, et réjoui tous ceux qui le haïssent. Vous lui avez ravi le
secours de son glaive, et ne l’avez point aidé dans la guerre. Vous l’avez
détruit pur ne point le purifier, vous avez brisé son trône contre terre. Vous
avez abrégé le nombre de ses jours, et l’avez couvert de confusion 1». Qu’est
ce à dire, ô mon Dieu? Telles étaient vos promesses, et vous les avez ainsi
contredites. Où sont ces promesses qui faisaient naguère notre joie, dont nous
nous applaudissions avec tant d’allégresse, et qui nous berçaient d’une telle
sécurité? Que dirait que c’est un autre qui les a faites, et un autre qui les a
détruites. Et ce qu’il y a de plus étonnant, ce n’est point un autre, mais bien
vous, qui nous faisiez ces promesses magnifiques, vous qui les confirmiez, vous
qui les confirmiez par serment à cause des hésitations des hommes: c’est
1. Ps. CXXXVIII, 39-46,
vous qui avez fait ces promesses, et vous qui
avez appelé ces désastres. Comment croire à votre serment, où retrouver vos
promesses? Que signifie tout cela, mes frères? La promesse de Dieu serait-elle
fausse, et son serment un parjure? Pourquoi ces promesses pompeuses et ces
malheurs qui les suivent? Et moi, je soutiens que ces malheurs confirment sa
prouesse. Mais qui suis-je pour parler ainsi? Voyons si la vérité parle de la
sorte, et alors je n’aurai pas vainement parlé. David était l’homme à qui Dieu
faisait toutes ces promesses qui devaient avoir leur accomplissement dans le Christ.
Or, les hommes attendaient en David l’accomplissement des promesses faites à
David. Et de peur que parmi les chrétiens, l’un ne vînt dire: Ceci regarde le
Christ l’autre: Non, mais David, et qu’on ne tombât dans l’erreur en voyant ces
promesses s’accomplir eu David; voilà que Dieu a détruit toutes ces promesses
en David même, afin qu’en voyant qu’elles ne sont point accomplies en lui, tu
cherches en quel autre on les voit s’accomplir. Il en est de même en Esaü et en
Jacob, dont le second se prosterna devant l’aîné, bien qu’il fût écrit: «
L’aîné sera soumis au plus jeune 1»; ne voyant point cette prophétie accomplie
dans les deux frères, tu dois jeter les yeux sur deux peuples, en qui
s’accomplit la promesse de Dieu, qui ne peut être mensongère. Il dit donc à
David: « Je mettrai sur ton trône quelqu’un de tes enfants 2 ». Il lui promit
quelque chose d’éternel dans sa race; et voilà que Salomon vint au monde, et
fut doué d’une telle sagesse, que l’on pensait qu’en lui s’accomplissait la
promesse de Dieu sur sa postérité; mais Salomon tomba 3, et nous fit ainsi
espérer le Christ car le Seigneur, qui ne peut ni se tromper, ni tromper,
n’ayant point pris pour objet de ses promesses un homme dont il prévoyait la
chute, tu as dû, après cette chute, lever les yeux vers Dieu et solliciter
l’accomplissement des promesses. Votre parole, ô Dieu, est donc mensongère? Ne
tiendrez-vous point à ce que vous avez promis? Votre serment est-il un parjure?
Mais ici Dieu pourrait vous répondre: J’ai juré, j’ai promis, mais il n’a pas
voulu persévérer. Eh quoi donc! ô vous, Seigneur mon Dieu, ne saviez-vous point
qu’il n’aurait point la persévérance? Vous le saviez assurément. Pourquoi donc
me promettre
1. Gen. XXV, 23.— 2. Ps. CXXXI, 11.— 3. III
Rois, XI, 1.
quelque chose d’éternel dans un homme qui ne
devait point persévérer? N’est-ce point vous qui avez dit: « S’ils abandonnent
ma loi, s’ils ne marchent point dans ma justice, s’ils méprisent mes préceptes
et profanent mon Testament »; ma promesse n’en sera pas moins immuable, mon
serment s’accomplira? « Je l’ai juré une fois dans ma sainteté », dans ce
secret intérieur, dans cette source où les Prophètes ont puisé ce qu’il nous
ont prêché extérieurement: « Je l’ai juré une fois, et je ne mentirai point à
David ». Montrez donc, Seigneur, ce que vous avez juré, accomplissez votre
serment: de tout cela David est privé, afin que l’on n’en espère point
l’accomplissement dans ce David. Attendez donc l’effet de mes promesses.
7. David au reste le fait lui-même. Vois ce qu’il
a dit: «Néanmoins, Seigneur, vous avez rejeté, anéanti tout cela». Où donc est
votre promesse? « Vous avez éloigné votre Christ ». Bien qu’il énumère des
désastres, il nous console néanmoins par cette dernière parole. Ce que vous
avez promis, ô mon Dieu, subsiste donc toujours, car vous n’avez point dérobé
votre Christ pour toujours, vous l’avez seulement éloigné. Voyez donc ce qui
est arrivé à ce David, en qui leur ignorance leur faisait croire que Dieu
accomplirait ses promesses, afin que ces mêmes promesses fussent accomplies
dans un autre en qui l’on espère avec plus de certitude: « Vous avez éloigné
votre Christ, vous avez rompu l’alliance avec votre serviteur ». Où est en
effet l’alliance antique avec les Juifs? Où est cette terre promise qu’ils ont
habitée pour commettre tant de fautes, que Dieu a détruite pour les en chasser?
Cherche le royaume des Juifs, dl n’est plus; l’autel des Juifs, il n’est plus;
le sacrifice des Juifs, il n’est plus; le sacerdoce des Juifs, il n’est plus: «
Vous avez rompu l’alliance avec votre serviteur; son sanctuaire est profané
dans la poussière ».Vous avez montré la poussière dans ce qu’il avait de plus
saint. « Vous avez détruit toutes ces murailles », dont vous l’aviez environné.
Comment l’eût-on pillé, si ses murailles n’eussent été détruites? « Ses
remparts sont un objet de terreur». Qu’est-ce à dire un objet de crainte? ils
font dire au pécheur: « Si Dieu n’a point épargné les branches naturelles, il
ne te pardonnera point non plus 1. Tous ceux qui passaient par
1. Rom. XI,21.
le chemin l’ont pillé »; c’est-à-dire tous
les Gentils, qui passaient par le chemin, ou par cette vie, ont pillé Israël,
ou David. Voyez en en effet les lambeaux de ce peuple chez les Gentils: c’est
d’eux qu’il est dit: « Ils seront la proie des renards 1 ». Car l’Ecriture
donne le nom de renards à ces rois impies, fourbes et timides qu’effraie la
vertu des autres. C’est pourquoi le Sauveur, parlant d’Hérode qui lui faisait
des menaces, a dit: « Répondez à ce renard 2 » Un roi qui ne redoute aucun
autre homme n’est point un renard; il est ce lion de la tribu de Juda, à qui il
est dit: « Tu es monté pour reposer, tu as dormi comme un lion 3 ». Tu es monté
dans ta puissance, et dans ta puissance tu as dormi tu as dormi, parce que tu
l’as voulu. Aussi est-il dit dans un autre psaume: « Pour moi, j’ai dormi ». Ne
suffisait-il pas de dire: « J’ai dormi, j’ai pris mon sommeil, et je me suis
levé, parce que le Seigneur est mon appui 4? » A quoi bon « pour moi? » Pesons
bien attentivement cette parole: « Pour moi, c’est moi qui me suis endormi ». A
eux la colère, la persécution; mais si je ne l’eusse voulu, je n’eusse jamais
dormi. « Pour moi j’ai dormi». Tout à l’heure donc, on disait d’eux: « Ils
seront la proie des renards », et l’on dit maintenant: « Tous ceux qui
passaient par le chemin ont pillé votre héritage, il est devenu pour les
voisins un objet d’opprobre. Vous avez élevé la main, de ses ennemis, vous avez
donné à ses adversaires l’ivresse de la joie ». Voyez les Juifs et voyez
l’accom plissement de celte prophétie. « Vous avez détourné le secours de leur
glaive». Ils avaient coutume de combattre en petit nombre, de renverser de
grandes armées; et voilà que « vous avez détourné l’appui de leur glaive, et ne
les avez point soutenus dans les combats». Le voilà donc à bon droit vaincu, à
bon droit captif, à bon droit privé du royaume, à bon droit dispersé ! Car il a
perdu cette terre pour laquelle il a mis à mort le Sauveur. « Vous avez
détourné l’appui de son glaive, et ne l’avez point secouru dans la guerre, vous
l’avez délié pour qu’il ne se corrige point ». Qu’est-ce à dire? Dans tous ces
malheurs, rien n’est plus formidable. Quelle que soit la sévérité de Dieu,
quelle que soit sa colère, qu’il nous frappe, qu’il nous châtie à son gré, mais
du moins qu’il nous lie
1. Ps. LXII, 11. — 2. Luc, XIII, 32.— 3. Gen.
XLIX, 9.— 4. Ps. III, 6.
quand il nous frappe, afin de nous purifier:
mais qu’il ne nous délie point afin de nous éloigner de ce qui nous purifie.
S’il nous laisse dans la dissolution, il n’a plus à nous purifier, mais bien à
nous rejeter. De quoi donc le juif est-il délié, lui qui ne peut se purifier?
de la foi. C’est la foi qui nous donne la vie 1; et c’est de la foi qu’il est
dit: « Par la foi Dieu purifie leurs coeurs 2». Et comme c’est la foi au Christ
qui seule nous purifie, en ne croyant point au Christ, ils se sont déliés, mis
en dehors de tout ce qui purifie. « Vous l’avez délié de tout ce qui purifie,
vous avez jeté son trône à terre »; et c’est justement que vous l’avez brisé. «
Vous avez abrégé les jours de son trône », car ils croyaient devoir régner dans
l’éternité. « Vous l’avez couvert de confusion ». Or, tout cela est arrivé aux
Juifs, non parce que le Christ leur était refusé, mais simplement différé.
8. Voyons donc si Dieu remplit ses promesses.
Après de si grands désastres sur ce peuple, et sur ce royaume, le Prophète
craint que l’on n’en vienne à croire que Dieu n’a point accompli ses promesses,
et qu’il ne donnera point au Christ cet empire qui n’aura point de fin; il s’adresse
donc au Seigneur, et s’écrie: « Jusques à quand, Seigneur, vous
détournerez-vous en ce qui concerne la fin 3? » Peut-être n’est-ce point de la
fin, mais des Juifs que vous vous détournez; car l’aveuglement est tombé sur
une partie d’Israël, jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât, et
qu’ainsi tout Israël fût sauvé 4. En attendant toutefois: « Votre colère va
s’attiser comme une flamme».
9. « Souvenez-vous quelle est ma substance 5
». Ceci est le langage de David, qui vivait dans sa chair. parmi les Juifs, et
dans le Christ par ses espérances: « Souvenez-vous quelle est ma substance».
Car si la Judée tout entière a dû périr, ma substance n’a point péri. C’est de
ce peuple qu’est venue la vierge Marie, et par la vierge Marie, la chair du
Christ; et cette chair n’était point une chair de péché, puisqu’elle purifiait
du péché. C’est là, dit-il, qu’est ma substance. « Rappelez-vous quelle est ma
substance». Car la racine n’a point péri entièrement: il en viendra un jour, ce
fils à qui l’on a fait les promesses, et que les anges préparent par
1.
Gal. III, 11. — 2. Act. XV, 9. — 3. Ps. LXXXVIII, 47. — 4. Rom. III, 25. — 5.
Ps. CXXXVIII, 48.
l’entremise d’un médiateur 1. « Rappelez-vous
quelle est ma substance. Car ce n’est pas en vain que vous avez créé tous les
enfants des hommes ». Voilà que tous les hommes sont tombés dans la vanité, et
cependant ce n’est point pour la vanité que vous les avez créés. Et quand ceux
que vous n’avez pas créés en vain tombent ainsi dans la vanité, ne vous
êtes-vous donc rien réservé pour les en purifier? Ce que vous vous êtes réservé
pour purifier les hommes de la vanité, ce saint qui est le vôtre, c’est en lui
qu’est ma substance. C’est en lui que sont purifiés de leur propre vanité tous
ceux que vous n’avez pas créés en vain, eux à qui il est dit: « Enfants des
hommes, jusques à quand vos coeurs seront-ils appesantis? pourquoi aimer la
vanité et rechercher le mensonge 2? » Peut-être que, devenus soucieux, ils se
détourneraient de la vanité; et, s’en voyant souillés, ils chercheraient à s’en
purifier. Venez à leur secours, et rassurez-les. «Et sachez que le Seigneur a
glorifié son saint 3». Il a rendu son saint admirable, et par lui, il a purifié
les hommes de leur vanité. C’est là qu’est ma substance, dit le Prophète, souvenez-vous
de lui. « Ce n’est donc pas en vain que vous avez établi les enfants des hommes
». Vous avez conservé de quoi les purifier. Quel est celui que vous avez
conservé? « Quel est l’homme qui vivra sans voir la mort 4? » Donc cet homme
qui vivra, et qui ne verra pas la mort, c’est lui qui nous purifie de la
vanité. Car ce n’est pas inutilement que Dieu a établi les enfants des hommes;
et celui qui les a faits ne saurait les mépriser au point de ne pas les
convertir en les guérissant.
10. « Quel est l’homme qui vivra, et ne verra
point la mort? » Car, en se levant d’entre les morts, il ne meurt plus, la mort
n’a plus d’empire sur lui 5. Enfin, comme il est écrit dans un autre psaume: «
Vous ne laisserez point mon âme dans l’enfer, et vous n’abandonnerez point
votre saint à la corruption 6 » voilà que les Apôtres s’emparent de ce
témoignage, pour s’en servir dans les actes contre les infidèles, en disant: «
Mes frères, nous savons que le patriarche David est mort, et que sa chair a
éprouvé la corruption ». Ce n’est donc point de lui
1. Gal. III, 19 — 2. Ps. IV, 3.— 3. Id. 4. — 4. Id. LXXXVIII, 49. — 5. Rom. VI, 9.— 6. Ps. XV, 10.
qu’il est dit: « Vous n’abandonnerez point
votre saint à la corruption 1». Si donc cette parole ne le concerne point, de
quel homme est-il dit: « Quel est l’homme qui vivra et ne verra point la mort?
» Peut-être n’y a-t-il personne. Cette parole, au contraire, « quel est l’homme
», n’est que pour vous le faire chercher, et non pour faire désespérer d’en
trouver un. Mais peut-être est-il un homme « qui vivra, et ne verra point la
mort »; et toutefois cela ne s’applique point au Christ, qui est mort. Il est
certain, au contraire, que « nul homme ne vivra sans voir la mort », sinon
celui qui est mort pour les mortels. Et afin de voir que cette parole
s’applique à lui, vois la suite: « Quel homme vivra sans voir la mort? » Jamais
donc il n’a vu la mort? Il l’a vue. Comment donc vivra-t-il sans voir la mort?
Il délivrera son âme de la puissance de l’enfer. C’est vraiment lui seul, et
seul sans exception, qui « vivra et ne verra point la mort, qui délivrera son
âme de la puissance de l’enfer »; car si tous les fidèles se lèvent d’entre les
morts, s’ils vivent aussi dans l’éternité et ne voient plus la mort; ils ne
peuvent toutefois délivrer leurs âmes de la puissance de l’enfer. Celui-là qui
délivre son âme des puissances de l’enfer, en délivre aussi les âmes de ses
fidèles, car ils ne peuvent se délivrer eux-mêmes. Montrez, diras-tu, qu’il a
délivré son âme. « J’ai le pouvoir », dit-il, « de donner mon âme et aussi le
pouvoir de la reprendre; nul ne peut me l’ôter, car c’est moi qui ai dormi 2, «
c’est donc moi qui donne ma vie, et moi qui la reprends 3»; ainsi c’est lui qui
a délivré son âme de la puissance de l’enfer.
11. Cette foi en Jésus-Christ, néanmoins, a
subi de longues persécutions, et longtemps les nations ont dit: « Quand
mourra-t-il, quand son nom périra-t-il 4? » C’est donc pour ceux qui croiront
en Jésus-Christ, mais qui doivent souffrir pendant quelque temps, que le psaume
a dit: « Où sont, ô mon Dieu, vos anciennes miséricordes 5?» Déjà nous savons
que le Christ nous purifie, nous possédons celui en qui vous accomplissez vos
promesses: donnez-nous en lui ce que vous avez promis. C’est lui qui vivra et
ne verra point la mort; lui qui a délivré son âme des puissances de l’enfer; et
pourtant nous sommes
1. Act. II, 27- 31.— 2. Ps. III, 6.— 3. Jean,
X, 17, 18.— 4. Ps. XL, 6.— 5. Id. LXXXVIII, 50.
encore dans la douleur. Ainsi disaient les
martyrs dont nous célébrons la fête. Il vivra, il ne verra point la mort, il a
délivré son âme des puissances de l’enfer; et néanmoins on nous égorge à cause
de vous; tout le jour, nous ressemblons aux brebis qu’on destine à la boucherie
1. « Où sont donc vos antiques miséricordes, ô mon Dieu, celles que vous avez
jurées à David par votre vérité? »
12. « Souvenez-vous de l’opprobre de vos
serviteurs 2 ». A peine le Christ était-il ressuscité, à peine était-il assis à
la droite de Dieu son Père, qu’on jetait l’opprobre à la face des chrétiens: on
leur fit longtemps un crime du nom même du Christ. Cette veuve qui enfante, et
qui a des enfants plus nombreux que celle qui a un époux 3, a entendu des
paroles d’ignominie, des paroles d’opprobre. Mais dès que l’Eglise se
multiplie, qu’elle s’étend à droite et à gauche, elle ne se souvient plus de
l’ignominie de son veuvage. « Souvenez-vous, Seigneur », vous dans le souvenir
duquel on goûte une abondance de douceur; « Souvenez-vous », n’oubliez point.
De quoi vous souviendrez-vous? « Souvenez-vous de l’opprobre de vos serviteurs,
de cet opprobre que je cache dans mon sein, et qui leur vient de tant de
nations ». J’allais prêcher votre saint nom, et je recueillais des opprobres,
et je les cachais en mon sein, afin d’accomplir cette parole: « On nous jette
le blasphème et nous prions, nous sommes devenus les rebuts du monde, la
balayure de tous 4 ». Longtemps les chrétiens cachèrent ces opprobres dans leur
sein, dans leurs coeurs; ils n’osaient répondre aux injures: auparavant c’était
un crime de répondre à un païen, et aujourd’hui c’est un crime de demeurer dans
le paganisme. Grâces au Seigneur, qui s’est souvenu de nos opprobres; il a
élevé la puissance de son Christ, et l’a signalé à l’admiration des rois de la
terre. Nul aujourd’hui n’insulte aux chrétiens; ou si quelqu’un leur insulte,
ce n’est point en public: et en le faisant, il craint plus qu’on ne l’entende,
qu’il ne désire qu’on le croie. « Opprobre qui vient de tant de nations, et que
je cache en mon sein ».
13. « Vos ennemis nous ont fait un reproche,
ô mon Dieu 5». Juifs et païens « nous ont fait un reproche »; qu’ont-ils
reproché?
1.
Ps. XLIII, 22.— 2. Id. LXXXVIII, 51.— 3. Isa. LIV, 1; Gal. IV, 21. — 4. I Cor. IV, 13. — Ps.
LXXXXVIII, 52.
« Le changement de votre Christ ». Oui, « le
changement de votre Christ», voilà ce qu’ils nous ont reproché. Ils nous ont
objecté que votre Christ est mort, que votre Christ a été crucifié. Insensés,
que nous objectez-vous? Aujourd’hui, il est vrai, nul ne fait cette objection,
et pourtant s’il en restait quelques-uns, pourquoi nous objecter que le Christ
est mort? Ce n’était point une mort, ce n’était qu’un changement, ce n’était
que trois jours de mort. Voilà ce que vous ont reproché vos ennemis; ce n’était
ni la mort, ni l’anéantissement, mais bien « le changement de votre Christ». Il
a changé une vie temporelle en une vie sans fin; il a changé, en passant des
Juifs aux Gentils; il a changé la terre pour le ciel. Que vos ennemis s’en
viennent donc vous reprocher sans raison « le changement de votre Christ ».
Puissent-ils changer eux-mêmes! ils ne nous reprocheraient plus le changement
de votre Christ. Mais ce changement leur déplaît, parce qu’ils ne veulent point
changer eux-mêmes. Car il n’y a point de changement pour eux, et ils n’ont
aucune crainte du Seigneur 1. « Vos ennemis, ô Dieu, vous ont reproché le
changement de votre Christ».
14. Ils vous ont donc reproché ce changement:
mais vous, Seigneur? « Que le Seigneur soit béni éternellement, qu’il en soit
ainsi! qu’il en soit ainsi 2 ! » Rendons grâces à sa miséricorde, grâces à sa
grâce. Pour nous, en rendant grâces à Dieu, nous ne lui donnons rien, nous ne
lui rendons rien, nous ne rapportons rien, nous ne payons rien, nous lui
rendons grâces en paroles, nous retenons en effet sa grâce. C’est lui qui nous
a sauvés gratuitement, sans considérer nos impiétés; lui qui nous a cherchés
quand nous ne le cherchions pas, qui nous a trouvés, qui nous a rachetés, qui
nous a délivrés du joug du diable, et de l’esclavage des démons: il nous a liés
afin de nous purifier par la foi, tandis qu’il a délié ces ennemis, qui ne
croient point, et dès lors ne peuvent arriver à se purifier. Que ceux qui
demeurent encore éloignés disent chaque jour ce qu’ils voudront, leur nombre ne
diminuera pas moins chaque jour: qu’ils se répandent en injures, en raillerie,
qu’ils nous reprochent, non la mort, mais « les changements du Christ ». Ne
voient-il pas qu’en parlant ainsi, ils diminuent
1. Ps. LIV, 20. — 2. Id. LXXXVIII, 53.
soit en embrassant la foi, soit en mourant?
Leur malédiction n’aura donc qu’un temps, mais « le Seigneur sera béni dans
l’éternité ». Il pour confirmer cette bénédiction, et bannir toute crainte, le
Prophète ajoute: « Ainsi-soit-il! Ainsi-soit-il! » Cette fin est comme le sceau
de Dieu. Pleins de sécurité sur ses promesses, croyons le passé, connaissons le
présent, voyons à l’avenir Que l’ennemi ne nous détourne point de la véritable
voie, afin que celui qui nous rassemble sous ses ailes, comme une poule
rassemble ses poussins, nous réchauffe, que nous ne sortions point de dessous
ses ailes, et que l’épervier ne nous enlève point comme des poussins sans
plumes encore. Un chrétien ne doit point placer sa confiance en lui-même: s’il
veut se fortifier, qu’il grandisse par la chaleur de sa mère. Elle est pour lui
cette poule qui rassemble ses poussins, et dont Jérusalem, cette ville
infidèle, essuyait les reproche: « Combien de fois ai-je voulu rassembler tes
enfants, comme la poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et tu ne l’as
pas voulu? Voilà que vos maisons seront désertes 1 ». Aussi est-il dit: « Vous
avez fait de ses remparts un objet d’effroi ». Comme donc les Juifs n’ont pas
voulu se mettre à couvert sous les ailes de cette poule, et que leur exemple a
dû nous faire craindre ces esprits impurs qui volent autour de nous, cherchant
ce qu’ils pourront enlever; entrons sous les ailes de cette poule, de cette
Sagesse divine qui a voulu subir la mort pour ses poussins. Aimons le Seigneur
notre Dieu, aimons son Eglise: Lui comme un père, Elle comme une mère; Lui
comme un maître, Elle comme sa servante, puisque nous sommes
1. Matth XXIII, 37, 38.
les enfants de sa servante. Mais le lien de
ce mariage est une grande charité. Nul ne peut offenser l’un et bien mériter de
l’autre. Que nul ne dise: Je vais aux idoles, je consulte les augures et les
sortilèges. mais je n’abandonne point pour cela l’Eglise; je suis catholique.
Tu tiens à ta mère, il est vrai, mais en offensant ton Père. Un autre viendra
me dire:
Loin de moi de consulter les sorts, de rechercher les devins, de
recourir à des pratiques sacrilèges, d’aller adorer les démons, de me
prosterner devant des pierres: mais je suis de la secte de Donat. De quoi te
sert-il de n’offenser point un père qui vengera l’outrage que tu fais à ta
mère? A quoi bon confesser le Seigneur, honorer Dieu, le prêcher, reconnaître
son Fils, proclamer qu’il est assis à la droite de son Père, et blasphémer son
Eglise? Ce que tu vois chaque jour dans les mariages humains, ne te
corrigera-t-il point? Si tu avais un patron à qui tu allasses chaque jour rendre
hommage, dont tu ne franchisses le seuil que pour te mettre à son service, pour
qui tu eusses, non seulement des hommages, mais des adorations, lui rendant
fidèlement toutes sortes de bons offices; remettrais-tu le pied dans sa maison
après avoir proféré contre son épouse une parole blessante? Tenez donc, mes
très chers frères, tenez fermes et dans l’esprit d’union, Dieu pour votre père,
et la sainte Eglise pour votre mère. Célébrez dans une sage sobriété les fêtes
des saints martyrs, afin que nous imitions ceux qui nous ont précédés, et
qu’eux-mêmes s’applaudissent de vous en priant pour vous: afin que « la
bénédiction du Seigneur demeure éternellement sur vous: ainsi soit-il, ainsi
soit-il! »
Moïse
n’est pas l’auteur du psaume, comme le titre semble le dire; son nom est
emprunté pour montrer que sa législation renfermait des figures de ce
qu’annonce ici le Psalmiste. Dieu est avant les montagnes ou les anges, avant
la terre ou l’homme; en lui il n’y a que le présent, il est; et c’est son
éternité qui est notre refuge contre la mobilité du temps. Qu’il nous soutienne
donc. Pour Dieu mille années ne sont qu’un serai jour, de là cette assertion
ridicule que la durée du monde sera de six mille ans à cause des six jours,
mais en Dieu il n’y a pas de jours; Dieu donc demeure, et les biens du temps ne
sont rien devant lui. Notre vie d’ailleurs est bornée à soixante-dix années,
pour la plupart, à quatre-vingts pour les plus robustes; or, soixante-dix et
quatre-vingt nous donnent cent cinquante, et nous y trouvons quinze nombres
sacrés, d’où les quinze cantiques des degrés. Le nombre soixante-dix marquerait
alors les promesses de l’Ancien Testament, et quatre-vingt les promesses du
Nouveau. Le surplus est fatigue, c’est-à-dire qu’il est dangereux d’aller
au-delà des promesses de la foi; elle Seigneur dans sa mansuétude nous corrige
pour nous sauver. Nous épargner, et nous laisser dans une vaine félicité, c’est
souvent un effet de sa colère. Qu’il nous fasse connaître son Christ, en nous
montrant que les biens terrestres ne sont rien, que les biens éternels seuls
sont désirables; qu’il frappe de la gauche pour nous amener à la droite, que
nos pieds soient retenus par la sagesse, et que nous rendions témoignage contre
la vanité des biens d’ici-bas. Que Dieu donc se laisse fléchir, qu’il nous
éclaire un jour de la lumière de sa foi comme il éclairait le peuple ancien par
la prophétie; qu’il dirige nos oeuvres, afin qu’elles soient dignes de lui.
1. « Prière de Moïse, l’homme de Dieu 1» tel
est, nies frères, le titre du psaume; c’est par cet homme de sa droite, que
Dieu donna la toi à son peuple, par ce même homme qu’il l’a délivré de la
maison de servitude, pour le conduire pendant quarante ans à travers le désert.
Moïse fut donc tout à la fois le ministre de l’Ancien Testament et le Prophète
du Nouveau Testament. « Car tout leur arrivait en figure », comme l’a dit
l’Apôtre: « et tout cela est écrit pour nous instruire, nous qui nous trouvons
à la fin des temps 2». Il faut donc envisager ce psaume dans le sens de cette
législation de Moïse, qui lui a donné son titre.
2. « Seigneur », dit-il, « vous êtes pour «
nous un refuge de génération en génération 3»: soit dans toute génération, soit
dans deux générations, l’antique et la nouvelle; comme nous l’avons dit en
effet, Moïse fut le ministre de l’Ancien Testament, qui appartenait à
l’ancienne génération, et le Prophète du Nouveau Testament qui concernait la
génération nouvelle. Aussi Jésus-Christ, qui a garanti l’Ancien Testament, qui
a contracté l’alliance nouvelle avec la nouvelle génération, et qui en est
devenu l’époux, disait-il: « Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez ci aussi,
car c’est de moi qu’il a écrit 4 ».
1.
Ps. LXXXIX, 1. — 2. I Cor. X, 11. — 3. Ps. LXXXIX, 2.— 4. Jean, V, 16.
Sans doute, il ne faut point croire que ce
psaume ait été écrit par Moïse, puisqu’il n’est écrit dans aucun des livres qui
renferment ses cantiques; mais on a emprunté le nom d’un aussi grand serviteur
de Dieu, pour élever jusqu’à Dieu l’attention du lecteur ou de l’auditeur. «
Pour nous donc, ô mon Dieu, vous êtes un refuge de génération en génération ».
3. Le Prophète nous montre au verset suivant
quel refuge a été pour nous le Seigneur, qui auparavant n’était point pour nous
un refuge, bien qu’il existât. « Vous êtes », lui dit le Prophète, « bien avant
que soient les montagnes, avant la création de la terre et du monde; vous êtes
de l’éternité à l’éternité 1 » Vous donc qui êtes et avant que nous soyons et
avant que le monde soit, vont êtes devenu notre refuge, depuis que nous nous
sommes tournés vers vous. Toutefois, je ne crois point que l’on doive entendre
d’une manière telle quelle, ce que dit le Prophète: « Avant que se dressent les
montagnes, et avant que la terre soit créée », ou blet comme on lit en d’autres
exemplaires: « Avant que la terre ait une figure ». Car les montagnes sont les
parties les plus élevées de la terre. Et assurément, si Dieu existe avant que
la terre soit créée, lui qui est le Créateur, pourquoi parler spécialement des
montagnes,
1. Ps. LXXXIX, 2.
ou des autres parties de la terre, puisque
Dieu existe non seulement avant la terre, mais avant le ciel et la terre, et
avant toute créature matérielle ou spirituelle? Mais peut-être a-t-on voulu par
cette distinction mettre une différence entre les créatures raisonnables, et
appeler montagnes les anges, et terre les hommes qui sont moins élevés. Aussi,
bien que tout soit créé, et que les expressions formé ou fait se puissent
employer indistinctement: s’il y a pourtant quelque différence entre ces deux
mots, les anges auraient été faits, puisqu’ils sont classés dans les oeuvres du
ciel, et que le dénombrement se termine ainsi: « Il dit, et tout fût fait: il
commanda et tout fut créé 1». Mais une forme fut donnée à la terre afin qu’en
fût tiré le corps de l’homme. Telle est en effet l’expression dont se sert
l’Ecriture: « Dieu figura ou forma l’homme du limon de la terre 2». Ainsi donc,
ô mon Dieu, vous êtes, et avant que tout ce qu’il y a de grand et de relevé fût
fait: qu’y a-t-il en effet de plus grand qu’une créature céleste et
raisonnable? et avant que la terre fût formée, de manière qu’il y eût sur la
terre quelqu’un qui pût vous connaître et vous louer; c’est peu encore, car
tout a commencé, soit dans le temps, soit avec le temps, mais « vous êtes
depuis le siècle jusqu’au siècle», ou mieux, de l’éternité à l’éternité. Car
Dieu n’est pas depuis le siècle, lui qui est avant tous les siècles; ni
jusqu’au siècle qui est borné, tandis que Dieu n’a pas de bornes. Mais à cause
de l’ambiguïté de l’expression grecque, il arrive souvent que dans les
Ecritures la traduction latine mette le siècle pour l’éternité, et l’éternité
pour le siècle. Elle a raison de ne point dire: Vous avez été depuis le siècle,
et vous serez jusqu’au siècle: mais elle a employé le temps présent, pour nous
exprimer en Dieu une substance immuable, et dans lui il n’y a ni fut ni sera,
mais seulement: est. Aussi est-il dit: « Je suis Celui qui suis »; et: « Celui
qui est, m’a envoyé vers vous 3»; et encore: « Vous les changerez, et ils
seront changés, mais vous êtes le même, et vos années ne passeront point 4».
Telle est l’éternité qui est devenue pour nous an refuge, afin que nous ayons
recours à elle dans cette mobilité du temps et que nous y demeurions à jamais.
1.
Ps. CXLVIII, 5.— 2. Gen. II, 7. — 3. Exod. III, 14.— 4. Ps. CI, 27, 28.
4. Mais parce que durant notre séjour ici-bas
nous sommes environnés de tentations nombreuses et dangereuses, et que nous
avons à redouter qu’elles ne nous éloignent de ce refuge, voyons ce que l’homme
de Dieu lui demande ensuite dans sa prière. « Ne jetez pas l’homme dans la
bassesse 1 ». C’est-à-dire, qu’il ne se détourne pas de vos biens sublimes et
éternels que sous lui promettez, pour désirer les biens temporels et céder à
des goûts terrestres. Dès lors il demande à Dieu ce que Dieu veut qu’on lui
demande. Car c’est ainsi que notas disons dans notre prière: « Ne nous induisez
point dans la tentation 2» Enfin il ajoute: « Et vous avez dit: Convertissez-vous,
enfants des hommes ». Comme s’il disait: Je vous demande ce que vous avez
ordonné: il rend gloire à sa grâce, « afin que tout homme qui se glorifie se
glorifie en Dieu 3 », sans le secours duquel nous ne pouvons par le seul
arbitre de notre volonté surmonter les tentations de cette vie. « Ne poussez
pas l’homme dans la bassesse», dit le Prophète, et pourtant vous avez dit,
Seigneur: « Convertissez-vous, enfants des hommes ». Mais donnez-nous ce que
vous avez commandé, en écoutant ma prière, et en soutenant la toi de celui qui
veut agir.
5. «Mille ans devant vos yeux, en effet, sont
comme le jour d’hier qui s’est écoulé 4 ». Il faut dorme nous détourner de tout
ce qui passe et qui s’écoule, pour nous tourner vers votre asile, où vous êtes
saros aucun changement; quelque longue en effet que l’on souhaite une vie: «
Mille ans devant vos yeux sont comme le jour d’hier, qui s’est écoulé »; pas
même commue le jour de demain qui est à venir tant il est vrai que l’on doit
regarder comme écoulé ce qui finit avec le temps! De là vient pour tout cela le
mépris de saint Paul qui oubliait tout ce qui est en arrière, c’est-à-dire les
choses temporelles, pour s’élancer vers l’avertir 5, ou vers les choses de
l’éternité. Et de peur qu’on ne vienne à s’imaginer que mille années sont en
Dieu comptées pour un jour, comme si Dieu avait des jours si longs, tandis
qu’il n’y a dans cette expression qu’un mépris du temps, quelque prolongé qu’il
soit, le Psalmiste ajoute: « Et comme une veille pendant la nuit». Or, une veille
ne se prolonge pas au-delà de trois heures. Et toutefois les
1. Ps. LXXXIX, 3. — 2. Matth. VI, 13. — 3. I
Cor. I, 31. — 4. Ps. LXXXIX, 4. — 5. Philipp. III, 13.
hommes ont osé se promettre la science des
temps, et le Seigneur répondait à un tel désir de ses disciples: « Ce n’est
point à vous de connaître les temps que le Père a mis en sa puissance 1 »; ils
ont même osé décider que le monde pourrait finir dans l’espace de six mille
ans, qui seraient comme six jours. Ils n’ont pas remarqué ce mot du Prophète: «
Comme un jour qui est écoulé ». Quand il parlait ainsi, en effet, il ne s’était
pas écoulé un millier d’années seulement: et cette autre parole qu’il ajoutait,
« comme une veille pendant la nuit », aurait dû les avertir de ne point se
laisser égarer dans cette incertitude au sujet du temps. S’ils peuvent en effet
donner une certaine vraisemblance à leurs six jours, à cause des six jours que
Dieu mit à faire tous ses ouvrages 2, ils ne peuvent pas adapter à leur système
six veilles, c’est-à-dire, dix-huit heures.
6. Ensuite, cet homme de Dieu, ou plutôt
l’esprit prophétique, semble en quelque sorte réciter une loi de Dieu écrite
dans les secrets de sa sagesse, laquelle a prescrit à la vie pécheresse des
hommes la manière dont elle s’écoulerait et la peine de la mort, quand il
s’écrie: « Leurs années ressembleront à ce que l’on compte pour rien. Au matin
leur vie passera comme l’herbe; elle fleurira et passera; au soir elle tombera,
s’endurcira, se desséchera 3». Cette félicité donc qu’attendaient comme un
grand bien du Dieu qu’ils servaient les héritiers de l’Ancien Testament, a
mérité cette loi écrite dans les secrets de sa Providence, et que semble ici
réciter Moïse: « Ils auront pour années ce que l’on compte pour rien ». Car on
doit compter pour rien ce qui n’est rien, avant qu’il arrive, et qui à peine
arrivé ne sera plus; qui même arrive, non pas tant pour être que pour n’être
plus. « Au matin », c’est-à-dire tout d’abord, « elle passera comme l’herbe, au
matin elle fleurira et passera: au soir », c’est-à-dire ensuite, « elle
tombera, s’endurcira, et se desséchera ». « Elle tombera », en mourant, «
s’endurcira», en devenant un cadavre, « se desséchera » dans la poussière. Qui,
sinon notre chair, où siège cette convoitise charnelle, que Dieu a condamnée?
Car toute chair est une herbe, et toute la gloire d’un homme n’est que la fleur
de l’herbe. L’herbe s’est desséchée, la fleur est tombée: mais
1. Act. I, 7.— 2. Gen. I,
31. — 3. Ps. LXXXIX, 5, 6.
la parole de Dieu demeure éternellement 1.
7. Sans dissimuler que c’est du péché que
nous vient cette peine, le Prophète ajoute aussitôt: « Car votre colère nous a
consumés, et votre indignation nous a troublés 2». «Consumés » par la langueur,
« troublés» parla crainte de la mort. Nous sommes faibles en effet, et nous
redoutons de sortir de notre faiblesse. « Un autre te ceindra », dit le
Sauveur, « et te conduira où tu ne voudras point 3»; quoique le martyre doive
être pour toi, non point un châtiment, mais un triomphe. Et l’âme du Sauveur, à
-son tour, afin de nous personnifier en elle, était triste jusqu’à la mort 4:
car le Seigneur lui-même n’est sorti de ce monde que par la mort.
8. « Vous avez mis nos iniquités sous vos
yeux »; c’est-à-dire, vous ne les avez point dissimulées. « Et notre vie à la
splendeur de votre visage 5 ». Sous-entendez: « Vous avez placé». Ici «la
splendeur de votre visage », est une répétition de « sous vos yeux », et «
notre vie », une répétition de « nos iniquités ».
9. « Car tous nos jours se sont écoulés, et
nous avons défailli dans votre colère 6». Ce verset nous montre assez que notre
mortalité est une peine. Le Prophète dit que ses jours se sont écoulés, soit
que les hommes se consument à aimer ce qui passe, ou qu’ils soient réduits à
peu de jours, ce qu’il paraît exprimer dans les versets suivants: « Nos années
s’épuisent comme l’araignée, nos jours sont bornés à soixante et dix ans, à
quatre-vingts ans dans les plus forts, et au delà ce n’est que misère et
douleur 7». Ces paroles semblent exprimer la brièveté et la misère de cette
vie, où l’on appelle avancés en âge ceux qui ont vécu septante années. D’autres
paraissent conserver leurs forces jusqu’à quatre-vingts ans; mais vivre au
delà, c’est vivre dans la douleur et un surcroît de travail. La plupart, à
soixante et dix ans, n’ont plus qu’une vieillesse cassée et pleine de misères,
et souvent toutefois on a vu des vieillards conserver leur vigueur au-delà de
quatre-vingts ans. Il est donc mieux de donner à ces nombres un sens spirituel.
Car ce n’est point un effet de la colère de Dieu sur les enfants d’Adam, ce
seul homme par qui la mort est entrée dans le monde, et avec la mort le péché,
qui a
1. Isa. XI., 6,8.— 2. Ps. LXXXIX, 7.— 3.
Jean, XXI, 18.— 4. Matth. XXVI, 38. — 5. Ps. LXVII, 21. — 6.
Ps. LXXXIX, 8. — 7. Id. 9.
ainsi passé dans tous les hommes 1; non ce
n’est point parce qu’il est plus irrité, qu’ils vivent moins longtemps que
leurs ancêtres puisque le Prophète vient de rire de cette longue vie en la
comparant au jour d’hier qui est passé, et à l’espace de trois heures. Au
surplus leur vie était longue, quand ils irritèrent le Seigneur jusqu’à être
engloutis par le déluge.
10. Or, septante et quatre-vingts ans font
cent cinquante ans: et ce livre des psaumes nous montre que c’est un nombre
sacré. Car il a la même signification que le nombre quinze, qui est formé de
sept et de huit réunis; or, le premier, à cause du sabbat au septième jour,
figure l’Ancien Testament tandis que le second figure le Nouveau Testament, à
cause de la résurrection du Seigneur. De là ces quinze degrés du temple, et de
là encore dans les psaumes ces quinze cantiques des degrés, de là ces quinze
coudées dont l’eau du déluge surpassa les plus hautes montagnes 2, et en
plusieurs autres endroits on peut voir que ce nombre est sacré. « Nos années
donc s’épuisaient comme l’araignée ». Nous n’étions occupés que de travaux
futiles, nous ne tissions que des ouvrages périssables, qui ne pouvaient nous
couvrir, dit le prophète Isaïe 3. « Le cours de nos années en elles-mêmes est
de septante ans, et pour les plus robustes, de quatre-vingts». Or, «en
elles-mêmes », est différent de « chez les robustes ». « En elles-mêmes »,
signifie dans ces jours ou dans ces années, ce qui nous offre un sens
spirituel: aussi le nombre septante marque les choses temporelles promises dans
l’Ancien Testament. S’il s’agit, non plus des années, mais des hommes robustes,
c’est-à-dire non plus des choses temporelles, mais des choses éternelles, nous
avons quatre-vingt, parce que le Nouveau Testament nous donne l’espérance d’un
renouvellement et d’une résurrection pour l’éternité: « et le surplus est
fatigue et douleur»; c’est-à-dire, quiconque veut aller au-delà de cette foi,
et cherche quelque chose de plus, ne trouvera que fatigue et misères. On peut
encore comprendre ainsi: bien que nous soyons établis dans la nouvelle
alliance, désignée par le nombre quatre-vingt, notre vie a de plus le labeur et
la misère, puisque nous gémissons en nous-mêmes, attendant notre adoption et la
rédemption de notre
1.
Rom, V, 12. — 2. Gen. VII, 20.— 3. Matth. LIX, 6.
corps.
Nous
sommes en effet sauvés par l’espérance, et ce que nous ne voyons pas encore,
nous t’attendons avec patience 1. Et c’est là un effet de la divine
miséricorde; de là vient que le Prophète nous dit ensuite: « Mais enfin
survient la mansuétude, et nous serons châtiés ». Or, le Seigneur châtie celui
qu’il reçoit au nombre de ses enfants, il corrige celui qu’il aime 2; il donne
quelquefois aux plus parfaits l’aiguillon de la chair, qui les soufflète, afin
qu’ils ne s’élèvent point à cause de la grandeur de leurs révélations, et que
leur vertu se perfectionne dans la faiblesse 3. Dans quelques exemplaires on
lit, non point, « nous serons corrigés»; mais, « nous serons instruits »: ce
qui se rapporte néanmoins à la mansuétude. Car nul ne peut s’instruire que par
le labeur et la fatigue, parce que la vertu se perfectionne dans la faiblesse,
11. « Qui connaît la puissance de votre
colère, et quelle terreur pourra mesurer votre courroux 4? » Peu d’hommes, dit
le Prophète, peuvent connaître votre colère pour le plus grand nombre, en
effet, les épargner est un effet de votre colère; c’est à votre bonté plutôt
qu’à votre colère qu’il faut attribuer cette peine, ce labeur, au moyen
desquels vous châtiez ceux que vous aimez, afin de leur épargner les flammes
éternelles. C’est ainsi qu’on lit dans un autre psaume, que ci le pécheur a
irrité le Seigneur, qui, dans « l’excès de sa colère, ne prendra plus soin de
lui 5. Qui donc connaît votre colère, c’est-à-dire, combien en est-il, et dans
sa terreur, mesurer votre indignation? » Ici on sous-entend, qui saura. Combien
il est difficile de trouver un homme qui, dans sa frayeur, sache mesurer votre
indignation, de manière à comprendre que c’est l’homme contre lequel vous êtes
le plus irrité, que vous semblez épargner, afin que le pécheur soit heureux
dans ses voies, et soit plus châtié au dernier jour? Qu’un homme, dans sa
fureur, ait tué le corps, il ne saurait aller plus loin; mais Dieu a le pouvoir
de nous châtier ici-bas et, après la mort du corps, de nous jeter dans les
flammes 6. Or, peu d’hommes sont assez instruits pour comprendre que l’effet de
sa plus grande colère est cette vaine et séduisante félicité des méchants. Il
ne le serait point celui dont les pieds faillirent être ébranlés, parce
1.
Rom. VIII, 23-25.— 2. Hébr. XII, 6.— 3. II Cor, XII, 7, 9.— 4. Ps. LXXXIX,
11,12.— 5. Id. X, 4.— 6. Matth. X, 28.
qu’il avait porté envie aux pécheurs, en
voyant la paix dont ils jouissent; mais il l’apprit, lorsqu’il entra dans te
sanctuaire de Dieu, pour considérer quelle serait leur fin 1. Il en est peu
pour aller jusque-là, afin de mesurer dans leur effroi la colère de Dieu, et de
mettre au nombre des châtiments cette prospérité des méchants sur la terre.
12. « Faites ainsi connaître votre droite».
Voilà ce que portent surtout les exemplaires grecs; non plus comme dans
plusieurs exemplaires latins: « Faites-moi connaître votre droite ». Qu’est-ce
à dire: « Faites ainsi connaître votre droite »; si ce n’est votre Christ dont
il est dit: « A qui le bras du Seigneur a-t-il été montré 2? » Faites-le
connaître de telle sorte que ses fidèles apprennent en lui à vous demander et à
espérer de vous ces récompenses de la foi, qui n’apparaissent point dans
l’Ancien Testament, mais qui sont révélées dans le Nouveau; de telle sorte
qu’ils ne s’imaginent point qu’il y a quelque chose de grand, d’estimable ou de
désirable dans cette félicité que Procurent les biens terrestres, et que leurs
pieds ne soient point ébranlés, quand ils verront que ceux qui ne vous adorent
point en jouissent; de telle sorte que leurs pieds ne soient point chancelants,
puisqu’ils ne peuvent mesurer votre colère. Enfin, selon la prière de son
serviteur, Dieu a fait connaître son Christ de manière à montrer par sa passion
que les biens qu’il nous faut désirer, ne sont point ceux qui paraissent avec
éclat dans l’Ancien Testament, où sont les ombres de l’avenir, mais bien les
richesses éternelles. On peut encore entendre la droite de Dieu dans le sens de
la séparation des justes et des impies, car elle se fait heureusement connaître
alors que Dieu châtie tout homme qu’il reçoit parmi ses enfants 3, et qu’il ne
permet point par un effet de sa colère, qu’il demeure plus longtemps dans le
péché, mais que dans sa bonté il le frappe de la gauche pour l’amener à sa
droite en le corrigeant 4. Et cette phrase qu’on lit dans plusieurs
exemplaires: « Faites-moi connaître votre droite », peut s’entendre dans les
deux sens, ou du Christ, ou de l’éternelle félicité. Car en Dieu il n’y a point
de droite, comme s’il y avait une forme corporelle, non plus qu’une colère
agitée de troubles.
1.
Ps. LXXII, 2,3, 17.— 2. Is. LIII, 1.— 3. Hébr. XII, 6.— 4. Matth. XXV, 32, 33.
13. Ici le Prophète ajoute: « Et des hommes
dont le coeur est lié parla sagesse»; nous lisons dans d’autres versions, non
plus « liés », mais « instruits ». Car le mot grec peut être pris dans les deux
significations, à cause de la légère différence d’une seule syllabe. Mais
puisque ceux qui sont instruits par la Sagesse, « jettent leurs pieds dans ses
chaînes», ainsi qu’il est écrit 1, non le pied du corps, mais bien le pied du
coeur, et que retentis dans ses liens d’or, ils ne se détournent point de la
voie de Dieu, et ne le fuient point: on peut prendre l’un ou l’autre sens, et
demeurer dans la vérité. Dieu a rendu célèbres dans le Nouveau Testament ceux
dont le coeur est garrotté ou instruit par la Sagesse. Aussi sait-on qu’ils ont
tout abandonné pour embrasser une foi que Juifs et Gentils repoussaient avec
une égale impiété, et qu’ils ont enduré la privation de tous ces biens promis
dans l’Ancien Testament, et qui paraissent considérables à ceux qui jugent
selon la chair.
14. Or, comme ils se faisaient connaître par
leur mépris pour ces biens, et par le témoignage que rendaient leurs souffrances
aux biens éternels, seuls désirables, témoignage qui leur a valu le nom de
témoins, en grec martyrs, ils ont dû endurer dans le temps de nombreuses et
d’atroces persécutions voilà ce que voyait l’homme de Dieu, ou mieux l’esprit
prophétique figuré par le nom de Moïse, et qui dit: « Revenez-nous, Seigneur;
jusques à quand? et laissez-vous fléchir par vos serviteurs 2». Telle est la
prière que font ou que l’on fait pour ceux qui ont beaucoup à souffrir des
grandes persécutions du monde, qui montrent que leur coeur est enchaîné par la
sagesse, de sorte que tant de maux ne les détournent point de Dieu, pour courir
après les biens de ce monde. Or, selon ce qui est écrit ailleurs ci Jusques à
quand votre visage se détournera-t-il de moi 3? » il est dit ici: «
Revenez-nous, Seigneur; jusques à quand? » Et afin que les hommes trop
charnels, qui donnent à Dieu la forme d’un corps humain, sachent bien que ce
n’est point par des mouvements semblables aux nôtres que Dieu détourne ou
retourne sa faces qu’ils voient dans le même psaume les versets qui précèdent:
« Vous avez mis nos iniquités devant vos yeux, et notre vie à la lumière de
votre face ».
1. Eccli. VI, 25. — 2. Ps. LXXXIX, 13.— 3.
Id. XII, 1.
Comment dit-il ici: « Tournez-vous vers nous
», pour le rendre favorable, comme si sa colère l’en avait détourné, puisqu’il
nous le montre dans une irritation telle, qu’il ne détourne point son visage
des iniquités et de la vie de ceux contre lesquels il est irrité, mais qu’il
les met plutôt en sa présence et à la lumière de sa face? Mais cette parole, «
jusques à quand», est la prière d’un juste, et non d’un impatient qui s’irrite.
Quant à cette expression: Deprecabilis
esto, laissez-vous fléchir, quelques-uns l’ont traduite mot pour mot, deprecare; mais avec deprecabilis esto, on évite l’ambiguïté,
car deprecari est un verbe à double
sens, puisque deprecatur désigne
celui qui prie, et celui que l’on invoque: on dit deprecor te, je te supplie, et deprecor
a te je suis supplié par toi.
15. Quant aux biens à venir, le Prophète les
prévenant par l’espérance, et les regardant comme présents: « Nous sommes
comblés au matin de votre miséricorde 1 », s’écrie-t-il. C’est donc au milieu
des travaux et des misères de cette nuit, que le flambeau de la prophétie est
allumé pour nous, comme une lampe dans un lieu obscur, jusqu’à ce que le jour
paraisse, et que l’étoile du matin se lève pour nous 2. Bienheureux en effet
les coeurs purs, car ils verront Dieu 3. Alors les justes seront comblés de ce
bien dont ils ont faim et soif, quand, marchant par la foi, ils sont éloignés
du Seigneur 4. De là cette autre parole: « Votre face me comblera de joie 5 ».
Au matin donc, ils verront et ils contempleront 6. Et comme l’ont dit d’autres
traducteurs: «Nous sommes rassasiés au matin de votre miséricorde », c’est
alors qu’ils seront rassasiés. Ainsi est-il dit ailleurs: « Je serai rassasié à
quand se manifestera votre gloire ». De là ce mot de l’Evangile: « Montrez-nous
le Père, et cela nous suffit ». Et le Seigneur a dit lui-même: « Je me manifesterai
à lui 8 ». Jusqu’à ce que ce bien se réalise, aucun bien ne nous suffit, et ne
doit nous suffire, de peur qu’il ne s’arrête en chemin, ce désir que nous
devons toujours pousser en avant tant qu’il n’est pas au but. « Nous sommes
remplis de notre miséricorde: nous avons tressailli, mous avons été pleins de
joie tous les jours de notre vie ». Ce jour est un jour sans fin,
1. Ps. LXXXIX, 14.— 2. II Pierre, I, 19.— 3. Matth. V, 6,8.— 4. II Cor. 1,6. — 5. Ps. XV, 11. — 6. Id. V, 5. — 7. Id.
XVI, 15. — 8. Jean XIV, 8,21.
et tous ces jours font un même jour: de là
vient qu’ils rassasient. Ils ne cèlent point la place à leurs successeurs, car
il n’y a rien là qui doive y venir, comme s’il n’y était pas, ou qui n’y soit
plus parce qu’il est passé. Tous ces jours sont ensemble, parce qu’ils ne font
qu’un seul jour qui demeure et ne passe point: c’est l‘éternité. Tels sont les
jours dont il est dit: « Quel est l’homme qui veut la vie, et qui désire de
voir les jours de bonheur 1? » Ces jours sont appelés des années, quand le
Psalmiste dit à Dieu: « Pour vous, Seigneur, vous êtes le même, et vos années
ne déclinent point 2». Car ce ne sont point des années que l’on compte pour
rien, ou des jours qui déclinent comme l’ombre 3. Ce sont des jours qui
subsistent, et dont voulait connaître le nombre, celui qui disait: « Seigneur,
faites-moi connaître ma fin », où j’arriverai pour y demeurer, où je n’aurai
plus rien à désirer, « et le nombre de mes jours qui subsiste 4 », qui est
réellement, et non celui qui n’est pas. Ces jours, en effet, dont le Prophète a
dit: « Voici que vous avez fait vieillir mes jours 5», ne sont proprement pas,
puisqu’ils ne subsistent point, ne demeurent point et s’écoulent avec tant de
rapidité: on ne trouve pas en eux une seule heure dans laquelle nous puissions
demeurer, dont une partie ne soit écoulée déjà, dont l’autre ne soit à venir,
et dont nulle ne subsiste réellement. Or, ces années et ces jours ne passeront
point, nous n’y passerons point nous-mêmes, nous y serons rassasiés sans aucune
défaillance. Que le désir de ces jours enflamme donc notre âme, qu’elle en ait
une soif ardente, inextinguible, afin que là haut nous soyons comblés, nous
soyons rassasiés, nous disions en réalité ce que nous disons ici par avance: «
Au matin nous sommes rassasiés de votre miséricorde, nous avons tressailli,
nous nous sommes réjouis dans tous nos jours, la joie nous a fait oublier les
jours d’humiliation, les années de nos douleurs 6 »
16. Maintenant que nous sommes encore dans
les jours mauvais, disons ce qui suit ci Jetez les yeux sur vos serviteurs et
sur vos « oeuvres 7 ». Car vos serviteurs sont votre ouvrage, non seulement
parce qu’ils sont des hommes, mais aussi parce qu’ils sont vos
1. Ps. XXXIII, 13.— 2. Id. CI, 28.— 3. Id.
12.— 4. Id. XXXVIII, 5. — 5. Id. 6.— 6. Ps. LXXXIX, 15.— 7.
Id. 16.
serviteurs, et qu’ils obéissent à vos
préceptes. Car nous sommes non seulement l’oeuvre de Dieu en Adam, mais aussi
créés en Jésus-Christ dans les bonnes oeuvres que Dieu a préparées, afin que
nous y marchions 1. Car c’est Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire,
ainsi qu’il lui plaît 2. « Et redressez leurs enfants »: afin qu’ils aient ce
coeur droit que le Seigneur comble de biens. Le Dieu d’Israël est bon pour ceux
qui ont le coeur droit, et non pour ceux dont les pieds chancellent, parce que
Dieu commençait à leur déplaire, lorsqu’ils voyaient la paix des pécheurs,
comme si Dieu eût ignoré ces choses, comme s’il n’en eût aucun soin, comme s’il
eût négligé de gouverner le genre humain 3.
17. « Et que la splendeur du Seigneur notre
Dieu éclate sur nous 4». De là vient qu’il est dit: « Seigneur, en nous est
marquée la lumière de votre face 5. Et redressez en nous les ouvrages de vos
mains », afin que nous n’agissions point en vue d’une récompense terrestre: car
alors nos oeuvres seraient tortueuses, et non pas droites. Le psaume finit ici
dans plusieurs exemplaires; mais dans plusieurs autres on lit ce dernier
verset: « Et redressez l’oeuvre de nos mains ». Les savants dans leur
exactitude marquent ce verset d’une étoile appelée astérisque, et dont on se
sert pour marquer ce qui est dans l’hébreu et dans les traductions grecques,
mais non dans la version des Septante. Si néanmoins nous voulons exposer ce
verset, il nous marque, ce semble, que toutes nos bonnes oeuvres se réduisent à
l’oeuvre unique de la charité. Car la charité est le parfait accomplissement de
la loi 6. Après avoir dit, en effet, au verset précédent: « Redressez en nous
les ouvrages de
1. Ephés. II, 10. — 2. Philipp. II, 13. — 3.
Ps. LXXII, 1-14. — 4. Id. LXXXIX. 17. — 5. Id. IV, 7. — 6. Rom. XIII, 19.
nos mains », le Prophète nous dit dans celui-ci « l’oeuvre », et non
les oeuvres, « redressez l’oeuvre de nos mains», comme s’il voulait dans ce
dernier verset nous montrer que nos oeuvres n’en forment qu’une seule,
c’est-à-dire les ramener à une seule oeuvre. Car nos oeuvres sont droites
lorsqu’elles sont dirigées vers une fin unique. La fin d’un précepte est la
charité qui naît d’un coeur pur, d’une conscience droite et d’une foi sincère
1. Il n’y a dès lors qu’une seule oeuvre qui renferme toutes les autres, c’est
la foi qui agit par la charité 2. De là cette parole du Seigneur dans
l’Evangile: « L’oeuvre de Dieu est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé 3
». Ce psaume a donc exposé clairement et distinctement, et la vie du vieil
homme, et la vie de l’homme nouveau; la vie qui périt, et la vie qui subsiste;
les aminées comptées pour rien, et les jours pleins de miséricorde et d’une
joie véritable, c’est-à-dire le châtiment du premier homme et le règne du
second; et je crois que si l’on a mis en titre le nomma de Moïse l’homme de
Dieu, c’était pour insinuer à ceux qui sondent les Ecritures avec piété et
bonne foi, que même la loi de Dieu donnée par le ministère de Moïse, et dans
laquelle Dieu semble ne promettre à nos bonnes oeuvres d’autre récompense que
celle des biens temporels, renferme indubitablement sous ses voiles quelque
chose de semblable à ce que nous montre le Prophète. Mais quand chacun de nous
sera retourné au Christ, le voile sera ôté 4, et nos yeux seront ouverts, afin
que nous considérions ce qu’il y a de merveilleux dans la loi de Dieu, par la
lumière de celui à qui nous disons: « Ouvrez mes yeux, et je considérerai les
merveilles de votre loi 5 ».
1. I
Tim, I, 5 — 2. Gal. V, 6 — 3. Jean VI, 9 — 4. II Cor. III, 16 — 5.
Ps. 118, 18
En Jésus-Christ il y a la tête ou l’homme parfait né de Marie, et le corps ou l’Eglise, qui commence en Abel pour embrasser dans son unité tous ceux qui croiront au Christ. Le roi de cette Eglise s’est fait notre voie, afin que nous marchions en lui. C’est pour cela qu’une prophétie passe souvent, sans transition, du Christ à l’Eglise, de la tête au corps. Résumons ce que nous avons dit hier, et parlons de ce refuge placé bien haut, et que le mal n’atteindra point, c’est-à-dire du Seigneur qui est ressuscité pour ne plus mourir, et afin de nous prêcher la résurrection. Le mal ne t’atteint pas dans son tabernacle ou dans sa chair, puisqu’il a combattu pour nous en cette chair; une fois ressuscité il n’est plus assujetti à la douleur, ni à la sort. Si donc il voulut être baptisé, s’il jeûna, c’est pour nous qui sommes ses membres. Il pouvait faire ce que lui proposa le démon, changer les pierres en pain, lui qui multiplia les pains au désert, et qui avec des pierres fait des enfants d’Abraham. D’une part donc il nous instruit par la tentation qu’il subit, et d’autre part il réserve à notre fidélité une récompense. Le diable te dira Si tu étais chrétien, Dieu ne te laisserait point si pauvre. — J’ai pour pain la parole de Dieu. — Tu ferais des miracles; ce fut le piège de Simon. Arrière l’orgueil et l’hypocrisie, le Christ n’y repose point sa tête. Soyons humbles d’abord et souffrons ensuite avec patience. Les Anges portèrent le Seigneur à l’ascension; il envoya ensuite l’Esprit-Saint qui abrogea la loi gravée sur la pierre, alla que les pieds du Sauveur ou ses Apôtres ne heurtassent contre celte pierre en allant prêcher aux nations. Trois fois le Christ demanda une protestation d’amour au disciple qui l’avait renié par crainte. Le diable est tantôt lion, quand il sévit contre les martyrs; tantôt dragon, quand il séduit par l’hérésie. Cherchons en Dieu un refuge, et nous marcherons sur l’un et sur l’autre. Et il nous donnera de longs jours, ou la vie éternelle, si nous mettions en lui nos coeurs.
1. Vous vous souvenez, je n’en doute nullement, mes frères, qui assistiez au sermon d’hier, que le temps trop court nous empêcha de terminer le psaume dont nous avions commencé l’explication, et que le reste fut remis pour aujourd’hui. Voilà ce que vous savez, vous qui assistiez hier; et ce qu’il vous faut apprendre, vous qui n’y assistiez pas. C’est dans ce dessein que nous avons fait lire le passage de l’Evangile qui rapporte la tentation du Sauveur, et les paroles du psaume que vous avez entendues 1. Le Christ a donc passé par la tentation, afin que le chrétien ne fût point vaincu par le tentateur. Lui, notre maître, a voulu passer par toutes les tentations auxquelles nous sommes assujettis; comme il a voulu mourir parce que nous sommes tributaires de la mort, et ressusciter, parce que nous devons ressusciter,Car, tout ce qu’a montré dans son humanité celui qui étant ce même Dieu par qui nous avons été faits, est devenu homme à cause de nous, il l’a fait pour nous instruire. Souvent je l’ai dit à votre charité, et je ne rougis point de vous le répéter, afin qu’un si grand nombre d’entre vous, qui ne peuvent lire, ou qui n’en ont pas le loisir, suppléent à leur impuissance en nous écoutant,
1. Matth. IV, 6.
et n’oublient point la foi qui doit les sauver. Que plusieurs se fatiguent de nos répétitions, pourvu que les autres en soient édifiés. Il en est beaucoup, nous le savons, qui, doués d’une heureuse mémoire, et lecteurs assidus des saintes Ecritures, savent ce que nous allons dire, et peut-être exigent-ils de nous ce qu’ils ne savent point encore. En dépit de leur promptitude, ils doivent se souvenir que la marche des autres est plus lente. Quand deux voyageurs marchent ensemble, et que l’un d’eux est plus prompt, l’autre plus lent, c’est le plus prompt qui doit s’accommoder à l’autre, et non le plus lent; car si le plus léger déployait toute son agilité, l’autre ne saurait le suivre. C’est donc au plus prompt à ralentir sa marche, afin de ne laisser point son compagnon en arrière. Voilà, dis-je, ce que je vous ai répété souvent; et je vous le répète encore: comme l’a dit saint Paul: « Vous écrire les mêmes choses n’est point pénible pour moi, mais avantageux pour vous 1 ». Or, en Notre Seigneur, il y a l’homme parfait, la tête et le corps. La tête est cet homme qui est né de la vierge Marie, qui a souffert sous Ponce-Pilate, a été enseveli, est ressuscité, est monté aux cieux pour
1. Philipp. III, 1.
s’asseoir à la droite du Père, d’où nous l’attendons comme juge des vivants et des morts: voilà le chef de l’Eglise 1. Cette tête a pour corps l’Eglise, non celle qui est en ces lieux, mais bien celle qui est en ces lieux et dans l’univers entier: non celle qui existe maintenant, mais celle qui commence en Abel pour aller jusqu’à la fin des siècles, et embrasser tous ceux qui croiront au Christ, pour n’en former qu’un seul peuple, appartenant à une seule cité, laquelle cité est le corps du Christ, et dont le Christ est la tête. Là sont les anges, nos concitoyens. Pour nous, qui sommes étrangers, nous sommes dans la souffrance; et pour eux ils attendent dans la cité bienheureuse notre arrivée. Mais de cette cité d’où nous sommes exilés, des lettres nous sontvenues, ce sont les saintes Ecritures, qui nous engagent à vivre saintement. Que dis-je, il nous est venu des lettres? Le roi lui-même est descendu, il s’est fait notre voie dans notre pèlerinage, afin que marchant dans cette voie nous ne puissions nous égarer, ni manquer de force, ni tomber entre les mains des voleurs, ou dans les pièges qui bordent les chemins. Connaissons donc le Christ tel qu’il est tout entier avec l’Eglise; lui seul né d’une vierge, chef de l’Eglise, médiateur entre Dieu et les hommes 2, Jésus-Christ est médiateur pour réconcilier en lui tous ceux qui se sont éloignés; car il n’y a de médiateur que entre deux. Nous nous étions éloignés de la majesté de Dieu, en l’offensant par nos crimes; et le Fils a été envoyé, afin d’effacer par son sang nos péchés qui nous séparaient de lui, et de nous rendre à Dieu en s’interposant, et nous réconciliant à son Père, dont nos péchés et nos désordres nous tenaient éloignés. C’est donc lui qui est notre chef, lui Dieu égal au Père, Verbe de Dieu par qui tout a été fait 3: qui, Dieu a tout créé, homme a tout restau ré; Dieu afin de tout faire, homme afin de refaire. Voilà ce qu’il nous faut considérer en lisant le psaume. Que votre charité soit attentive. C’est un point des plus importants que nous ayons à étudier, non seulement pour comprendre notre psaume, mais pour en comprendre beaucoup d’autres, si vous vous attachez à cette règle. Quelquefois un psaume, et non seulement un psaume, mais une prophétie quelconque parle du Christ seulement comme chef, et quelquefois passe du chef au
1. Ephés. V, 23. — 2. I Tim. II, 5.— 3.
Jean, I, 3.
corps ou à l’Eglise, sans qu’il paraisse avoir changé de personne; car la tête ne se sépare point du corps, mais il en est parlé comme d’un seul homme. Que votre charité fasse donc attention à mes paroles. Chacun en effet connaît ce psaume relatif à la passion du Sauveur, et où il est dit: « Ils ont percé mes mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os: ils se sont partagé mes vêtements, et ont jeté le sort sur ma robe 1». Voilà ce que les Juifs ne peuvent entendre sans rougir; et il est de la dernière évidence que c’est là une prophétie de la passion de Notre Seigneur Jésus-Christ. Or, Notre Seigneur Jésus-Christ n’avait point de péchés, et néanmoins il commence le psaume en s’écriant: « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné? Les cris de mes péchés éloignent de moi tout salut 2 ». Vous le voyez donc, il y a des paroles qui se disent du chef, et d’autres qui se disent du corps. Pécher, voilà ce qui est notre apanage; mais souffrir pour nous, voilà ce qui appartient à notre chef: or, comme il a souffert pour nous, il a effacé les dettes que nous devions acquitter pour nos péchés. Ainsi en est-il dans notre psaume.
2. Hier déjà nous avons expliqué ces versets: n’en disons qu’un mot aujourd’hui. « Celui qui habite sous l’appui du Tout-Puissant, demeure sous la protection du Dieu du ciel 3». A propos de ces versets, nous l’avons dit à votre charité, ne mettons point notre confiance en nous-mêmes, mais bien en celui qui est pour nous toute la force, La victoire nous vient en effet de son secours, et non de notre présomption. Le Dieu du ciel nous protégera donc si nous lui disons ce qui suit: « Il dira au Seigneur: Vous êtes mon appui, mon refuge et mon Dieu; en lui je veux espérer. Car c’est lui qui me délivrera des pièges des chasseurs, et de la parole amère 4 ». Nous avons dit que la crainte des paroles amères en fait tomber un grand nombre dans Je filet des chasseurs. On insulte un homme parce qu’il est chrétien; et il se repent de s’être fait chrétien, et la parole amère le fait tomber dans le piége du diable, en sorte qu’il ne demeure point comme le froment dans la grange, mais qu’il s’envole avec la paille. Quant à celui qui espère en Dieu, il échappe au piège des chasseurs et à la parole amère. Mais quelle est
1. Ps. XXI, 17, 18, 19. — 2. Id. 2. — 3. Id. XC, 1. — 4. Id. 23.
alors la protection de Dieu? « Il te fera un ombrage de ses épaules 1 »; c’est-à-dire qu’il te placera sur son coeur, afin de te couvrir de ses ailes: pourvu que tu reconnaisses ta faiblesse, et que, semblable au faible poussin, lu veuilles échapper au vautour en cherchant un refuge sous les ailes de ta mère. Ces vautours sont les puissances de l’air, le diable et ses anges, qui cherchent à profiter de notre faiblesse. Fuyons sous les ailes de la sagesse notre mère, car la sagesse est devenue faiblesse à cause de nous, quand le Verbe s’est fait chair 2. Comme une poule devient faible avec ses poussins 3, afin de les couvrir de ses ailes; ainsi Notre Seigneur Jésus-Christ, qui, ayant la nature de Dieu, n’a point cru que ce fût une usurpation de s’éga1er à Dieu, afin de participer à nos faiblesses, et de nous protéger sous ses ailes, s’est anéanti jusqu’à prendre la forme de l’esclave, en se rendant semblable aux hommes, et reconnu pour homme par tout ce qui a paru en lui 4. « Et vous espérerez sous ses ailes. Sa vérité vous couvrira d’un bouclier, et vous ne craindrez point la frayeur de la nuit 5 ». Les tentations de l’ignorance sont les craintes nocturnes, et les péchés commis sciemment, la flèche qui vole pendant le jour. Car la nuit est l’image de l’ignorance, comme le jour le symbole de la manifestation. Or, les uns pèchent dans l’ignorance, et les autres sciemment. Pécher dans l’ignorance, c’est être supplanté par la frayeur de la nuit; pécher sciemment, c’est être percé par la flèche qui noie en plein jour. Or, quand ces chutes ont lieu dans de grandes persécutions, qui sont comme le grand jour, celui qui succombe alors, tombe sous le démon de midi. Plusieurs sont tombés sous la violence de ces feux, comme nous le disions hier, parce que dans ces persécutions cruelles, il était dit que les chrétiens seraient tourmentés jusqu’à ce qu’ils eussent abjuré le christianisme. Tandis qu’auparavant on les frappait à cause de leurs aveux, on les tourmenta ensuite jusqu’à l’abjuration. Pour un criminel, on le torture tant qu’il nie; pour les chrétiens, c’était l’aveu qu’on torturait, la négation qu’on renvoyait libre. La persécution était donc comme une fournaise ardente, et alors quiconque succombait, était la proie du démon de midi. Or, combien
1. Ps. XC, 4. — 2. Jean, I, 14. — 3. Matth. XXIII, 37. — 4. Philipp. II, 6,
7. — 5. Ps. XC, 5.
succombèrent? Beaucoup qui espéraient s’asseoir parmi les juges auprès du Christ, tombèrent à côté, ainsi que beaucoup d’autres qui comptaient sur une place à sa droite, comme ces fournisseurs de la sainte milice qui préparent des vivres, et à qui on doit dire: « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger 1 »; car il y en aura beaucoup à la droite; ceux-là ont vu leur espérance trompée; et comme ils sont là en grand nombre, c’est de là que le plus grand nombre est tombé; ceux, en effet, qui doivent siéger avec le Seigneur pour le jugement, sont moins nombreux que ceux qui se tiendront devant lui, mais dont la condition sera bien différente. Les uns seront à gauche, les autres à droite: les uns devront régner, les autres subir le châtiment; les uns entendre: « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume »; les autres: « Allez au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses anges». Donc « le démon de midi en fera tomber mille à côté de vous, et dix mille à votre droite; mais le mal n’approchera point de vous 2 ». Qu’est-ce à dire? Le démon du midi ne vous renversera point. Quelle merveille, qu’il ne renverse pas le chef? Mais il ne renverse pas non plus ceux qui adhèrent au chef, ainsi que l’a dit l’Apôtre: « Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui » ». Il en est que Dieu a prédestinés de telle sorte qu’il connaît qu’ils appartiennent à son corps; et dès lors que la tentation ne les approche point de manière à les faire tomber, on comprend que c’est d’eux qu’il est dit: « Le mal n’approchera point de vous ». Mais de peur que les faibles ne viennent à considérer les pécheurs, à qui Dieu a laissé une telle puissance contre les chrétiens, et qu’ils ne disent: Telle est la volonté de Dieu qui laisse aux impies et aux scélérats un tel empire sur les serviteurs de Dieu; considère quelque peu de tes yeux, des yeux de la foi, et tu verras ce qui est réservé pour le dernier jour à ces impies, qui ont tant de pouvoir pour te mettre à l’épreuve. Voici la suite en effet: « Toutefois tu considéreras de tes yeux, et tu verras le sort des pécheurs 4 ».
3. « Car c’est vous, Seigneur, qui êtes mon espérance, vous avez élevé bien haut votre asile, et le trial n’approchera point de vous ». C’est au Seigneur que le Prophète adresse ces
1. Matth. XXV, 35.—
2. Ps. XC, 7.
— 3. II Tim. II, 19.— 4. Ps. XC, 8.
paroles: « C’est vous, Seigneur, qui êtes mon espérance; vous avez placé bien haut votre asile; le mal n’approchera point de vous, et le fléau n’abordera point votre tente ». Viennent ensuite ces paroles que cita le démon, comme vous l’avez entendu 1: « Car le Seigneur a ordonné à ses anges de prendre soin de vous et de vous garder dans toutes vos démarches. Ils vous porteront dans leurs mains, de peur que vous ne heurtiez votre pied contre la pierre 2 ». A qui parle-t-il ainsi? A celui à qui il a dit: « C’est vous, Seigneur, qui êtes mon espérance ». Il n’est pas nécessaire d’expliquer à des chrétiens quel est ce Seigneur. Si leur pensée se porte sur Dieu le Père, comment les anges le prendront-ils dans leurs mains, de peur que son pied ne heurte contre la pierre? Vous le voyez donc, le Christ Notre Seigneur, parlant au nom de son corps, parle tout à coup de la tête. Car c’est à votre tête que s’adresse cette parole: « C’est vous, Seigneur, qui êtes mon espérance, et vous avez placé bien haut votre asile.— Et vous avez placé bien haut votre asile, parce que vous êtes mon espérance ». Qu’est-ce à dire? Que votre charité veuille bien écouter: « Car c’est vous, Seigneur, qui êtes mon espérance: vous avez placé bien haut votre refuge ». Ne nous étonnons point alors des paroles qui suivent: « Le mal n’approchera point de vous, puisque vous avez élevé bien haut votre asile; et parce que cet asile est placé bien haut, le fléau non plus ne l’atteindra point ». Mais nulle part, dans l’Evangile, nous ne lisons que les anges aient porté le Seigneur, de peur que son pied ne heurtât contre la pierre. Et toutefois, c’est de lui que nous entendons ces paroles, qui sont accomplies et que le Prophète n’eût pas jetées en avant si elles n’eussent dû s’accomplir. Nous ne pouvons dire non plus que le Christ viendra de nouveau, de manière que son pied ne heurte point contre la pierre; car il viendra pour juger. Où donc cette parole s’est-elle accomplie? Que votre charité veuille bien écouter.
4. Entendons d’abord ces versets: « C’est vous, Seigneur, qui êtes mon refuge, vous avez élevé bien haut votre asile ». Le genre humain savait que l’homme mourrait, mais non qu’il ressusciterait; il savait ce qu’il
1. Matth. IV, 12. — 2. Ps. XC, 9-12.
fallait craindre, et non ce qu’il fallait espérer. Celui dès lors qui nous avait infligé un châtiment dans la crainte de la mort, voulut nous donner ensuite l’espérance de la résurrection comme un gage de la vie éternelle, et Notre Seigneur Jésus-Christ ressuscita le premier. Il mourut après beaucoup d’autres, et ressuscita avant tous. Il souffrit en mourant ce que beaucoup d’autres avaient souffert; et il fit en ressuscitant ce que nul n’avait fait avant lui. Quand est-ce en effet que l’Eglise recevra cette grâce, sinon à la fin? Le chef a fait voir ce que doivent espérer les membres: et votre charité comprend ce qu’ils se disent mutuellement. Que 1’Eglise donc dise à Jésus-Christ son Seigneur, qu’elle dise alors à la tête: « Parce que j’ai mis en vous mon espérance, ô mon Dieu, vous avez placé bien haut votre asile »: c’est-à-dire, vous êtes ressuscité, vous êtes monté au ciel, afin d’élever bien haut votre refuge, et de devenir ainsi mon espérance, quand je n’espérais que dans la terre et ne croyais point à ma résurrection: je crois maintenant que ma tête est montée au ciel, et que les membres doivent la suivre un jour. Il me semble que la lumière se fait dans ces paroles: « Parce que vous êtes mon espérance, ô mon Dieu, vous avez élevé bien haut votre refuge». Plus clairement encore: Afin de me donner à la résurrection une espérance que je n’avais pas, vous êtes ressuscité le premier, pour me faire espérer de vous suivre où vous m’avez précédé. C’est le langage de l’Eglise à son Seigneur, la voix du corps à la tête.
5. Ne nous étonnons donc point que «les maux n’approchent point de vous, que les fléaux n’arrivent point à votre tente ». La tente du Christ est sa chair. Le Verbe a habité dans la chair 1, et la chair est devenue une tente pour Dieu. C’est dans ce tabernacle que notre Chef a combattu pour nous; dans ce tabernacle qu’il a subi la tentation de l’ennemi, afin de raffermir le soldat. Et comme il a rendu sa chair visible pour nos yeux, puisque nos yeux se plaisent à voir le jour, et qu’ils trouvent leur joie dans cette lumière sensible, comme il a mis sa chair en évidence, de manière que chacun pût la voir; voilà que le Psalmiste s’écrie: « Il a placé son tabernacle dans le soleil ». Qu’est-ce à dire « dans le soleil? » Il l’a manifestée; il l’a mise
1. Jean, I, 14.
en évidence, et dans cette lumière terrestre, dans cette lumière qui du ciel se répand sur la terre; c’est là qu’il a placé son tabernacle. Mais comment y mettrait-il sa tente, s’il ne sortait comme le jeune époux de son lit nuptial? Car voilà ce qui vient après ces paroles: « Il a placé son tabernacle dans le soleil ». Et comme si on lui demandait comment? « Semblable au jeune époux », répond-il, « qui sort du lit nuptial, il a bondi comme un géant pour parcourir sa carrière 1». Le tabernacle est donc le même que l’épouse. Le Verbe est l’Epoux, la chair l’Epouse, et le lit nuptial est le sein de la Vierge. Et que dit l’Apôtre? « Ils seront deux dans une même chair: c’est là un grand sacrement, ce que j’entends du Christ et de l’Eglise 2». Que dit lui-même le Seigneur dans l’Evangile? « Ils ne sont donc plus deux, mais une seule chair 3»: de deux choses une seule, du Verbe et de la chair, un seul homme, un seul Dieu. Sur la terre les fléaux se sont approchés de ce tabernacle, car il est évident que le Seigneur fut flagellé 4. Mais a-t-il subi la flagellation dans le ciel? Pourquoi non? Parce qu’il a placé bien haut son refuge, afin d’être notre espérance; et le mal n’approchera point de lui, et le fléau n’abordera point son tabernacle. Il est bien haut dans les cieux, mais il a les pieds sur la terre. La tête est dans les cieux, le corps ici-bas. Or, quand Saul foulait et meurtrissait les pieds, la tête cria: « Saul, Saul, pourquoi me persécuter 5? » Voilà que nul ne persécute la tête, que la tête est dans le ciel: « et le Christ, une fois ressuscité ne meurt plus, la mort n’aura plus d’empire sur lui 6: le mal n’approchera plus de vous, le fléau n’atteindra point votre tente ». Mais gardons-nous de croire que la tête est séparée du corps; séparée quant aux lieux, ils sont unis par la charité: et c’est la tendresse de cette charité qui cria du ciel: « Saul, Saul, pourquoi me persécuter? » Sa voix tonnante renversa le persécuteur que relevait une main miséricordieuse. Et alors le persécuteur du Christ devint membre du Christ, afin d’endurer ce qu’il faisait souffrir.
6. Quoi donc! mes frères, qu’est-il dit de notre chef? « C’est vous, Seigneur, qui êtes mon espérance, vous avez placé bien haut votre asile. Le mal n’approchera point de
1. Ps. XVIII, 6.— 2. Ephés. V,31, 32.— 3. Matth. XIX, 6.— 4. Id. XXVII, 26.— 5. Act, IX, 4.
— 6. Rom. VI, 9.
vous, et le fléau n’abordera point votre tabernacle ». Voilà ce qui est dit: « Car Dieu a commandé à ses anges de prendre soin de vous, de vous garder dans toutes vos voies ». Vous l’avez entendu à la lecture de l’Evangile 1; écoutez encore: Notre Seigneur fut baptisé, et il jeûna. Pourquoi baptisé? Afin que nous ne pussions dédaigner le baptême. Quand Jean lui-même disait au Seigneur: « Vous venez à moi pour être baptisé, et c’est moi qui dois être baptisé par vous»; et que le Seigneur lui répondait: « Laissez-moi, car il nous faut accomplir toute justice 2»; il voulait donc passer par l’humilité, être purifié de souillures qu’il n’avait point. Pourquoi? pour confondre l’orgueil de ceux qui devaient venir. On trouve quelquefois, en effet, un catéchumène plus instruit et plus vertueux que beaucoup de fidèles; il voit beaucoup de baptisés qui sont ignorants, qui ne vivent pas aussi bien que lui, avec moins de continence et moins de chasteté; il voit que lui-même renonce au mariage, quand quelque fidèle use du mariage avec intempérance, s’il ne devient fornicateur: il peut alors lever la tête avec orgueil, et dire. Qu’ai-je besoin d’être baptisé, d’avoir ce qu’a ce fidèle, bien moins avancé que moi en science et en vertu? Le Seigneur lui répond: En quoi le devances-tu? de combien le devances-tu? Autant que moi même je suis au-dessus de toi? « Le serviteur n’est point au-dessus de son Seigneur, ni le disciple au-dessus de son maître; qu’il suffise au serviteur d’être comme son Seigneur, et au disciple comme son maître 3 ». Ne t’élève pas au point de dédaigner le baptême. Tu recevras le baptême de ton maître, et moi j’ai recherché le baptême du serviteur. Le Seigneur fut donc baptisé, puis tenté après son baptême, et il jeûna pendant ces quarante jours mystérieux dont je vous ai parlé souvent. On ne saurait tout dire en une seule fois, et user ainsi un temps nécessaire. Après quarante jours il eut faim, lui qui pouvait n’avoir jamais faim; mais comment eût-il pu être tenté? Et s’il n’eût pas triomphé du tentateur, comment apprendrais-tu à le combattre? Il eut donc faim, et alors le tentateur: « Dis que ces pierres deviennent du pain, si tu es Fils de Dieu 4 ». Etait-il si difficile à Notre Seigneur Jésus-Christ de changer des pierres en
1. Matth. IV, 1-11.— 2. Id. 10, 14, 15.— 3. Id. X, 24,
25.— 4. Id.IV, 3.
pain, lui qui rassasia tant de milliers de personnes avec cinq pains seulement 1? Ce pain, il le fit de rien. D’où vint en effet celte nourriture qui suffit à soutenir tant de milliers de personnes? Le Seigneur avait dans ses mains une source de pain, et il n’y a là rien d’étonnant; car celui qui, avec cinq pains, put nourrir tant de milliers d’hommes, est aussi celui qui, avec quelques grains, fait naître chaque jour d’abondantes moissons. Ce sont là les miracles du Seigneur, que l’on ne considère point parce qu’ils sont ordinaires. Comment donc, mes frères, eût-il été impossible au Seigneur de faire du pain avec des pierres, quand avec des pierres il fait des hommes? Jean-Baptiste l’a dit: « Dieu peut de ces pierres mêmes susciter des enfants d’Abraham ». Pourquoi donc ne le fit-il pas alors? Afin de t’apprendre à riposter au tentateur, lorsque dans certaines angoisses, il te fait des suggestions: situ étais chrétien, si tu étais vraiment l’homme du Christ, t’abandonnerait-il en cette occasion? Ne t’enverrait-il pas du secours? Médecin il tranche, puis il délaisse, mais ce n’est point là uni abandon. De même il n’exauce point Paul lui-même, parce qu’il l’exauçait alors. Car Paul nous dit qu’il ne fut point exaucé, au sujet de cet aiguillon de la chair, de cet ange de Satan qui le souffletait: « J’ai prié trois fois le Seigneur », nous dit-il, « afin qu’il l’éloignât de moi; et il m’a répondu: Ma grâce te suffit, car c’est dans l’infirmité que la vertu se fortifie 3 ». C’est connue si l’on disait à un médecin qui vient de nous appliquer un remède violent: cet emplâtre me gêne, ôtez-le, s’il vous plaît. Non, dit le médecin, il doit demeurer là longtemps, autrement point de guérison pour vous. Le médecin n’agit point selon la volonté du malade, mais dans le sens de sa guérison. Courage donc, mes frères! surtout quand le Seigneur vous éprouve par la pauvreté, afin de vous affliger et de vous instruire, pendant qu’il vous prépare et vous réserve l’héritage éternel; ne laissez point alors le diable vous faire ces suggestions: Si tu étais juste, ne t’enverrait-il point comme à Eue du pain par un corbeau 4? Où est la vérité de cette parole:
« Je n’ai jamais vu le juste abandonné, ni ses enfants mendier leur pain 5? » Réponds à
1. Matth. XIV, 17-21.— 2. Id. III, 9.— 3. II Cor. XII, 7-9.— 4. III Rois,
XVII, 6 — 5. Ps. XXXVI, 25.
Satan: L’Ecriture a dit vrai: « Je n’ai jamais vu le juste abandonné, ni ses enfants mendier leur pain »; j’ai mon pain que tu ne connais pas. Quel pain? Ecoute le Seigneur: « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole de Dieu 1». Penses-tu que la parole de Dieu n’est pas un pain? Si ce Verbe de Dieu, par qui tout a été fait, n’était pas un pain, il ne dirait pas: « Je suis le pain vivant descendu du ciel 2 ». Tu sais donc maintenant ce que tu répondras au tentateur dans l’épreuve de la faim.
7. Mais s’il te suggère une autre tentation, et te dit: Si tu étais chrétien, tu ferais des miracles comme en ont fait d’autres chrétiens; que feras-tu? Sous l’empire de cette pensée, tu en viendrais à tenter le Seigneur ton Dieu, et à dire à ce Dieu Notre Seigneur: Si je suis chrétien, et si je suis agréable à vos yeux, si vous daigniez me compter au nombre de vos serviteurs, que je fasse donc quelque miracle comme vos saints en ont tant fait si souvent? C’est là tenter Dieu, comme si tu n’étais chrétien qu’à la condition de faire des prodiges. Ce désir en a fait tomber beaucoup d’autres: c’est là ce que Simon demandait aux Apôtres, quand il voulait à prix d’argent acheter le Saint-Esprit 3. Il fut ambitieux de cette puissance des prodiges, mais non ambitieux de marcher dans leur humilité. De là vient qu’un des disciples, ou un homme de la foule voulant suivre le Sauveur, à la suite des miracles qu’il opérait, le Sauveur vit que cet orgueilleux recherchait le faste de l’orgueil, plutôt que la voie de l’humilité, et lui répondit: « Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids; mais le Fils de l’homme n’a point où reposer sa tête ». C’est en vous que les oiseaux du ciel ont des nids, en vous encore que les renards ont des tanières. Car si les oiseaux s’élèvent dans les airs, ainsi font les orgueilleux; si les renards creusent des cavernes trompeuses, ainsi font les hypocrites. Que répond donc le Seigneur? L’orgueil et l’hypocrisie peuvent trouver place chez vous, mais le Christ ne saurait habiter en vous, ni même y reposer sa tête. Car reposer sa tête est une marque d’humilité. Les disciples avaient de semblables désirs, ils convoitaient une place dans son royaume avant d’avoir pris le chemin de l’humilité, quand la mère de
1. Matth. IV, 4; Deut. VIII, 3. — 2. Jean, VI, 41. — 3. Art. VIII,
18, 19. — 4. Matth. VIII.
20.
ces disciples lui disait: « Commandez que l’un d’eux soit assis à votre droite et l’autre à votre gauche 1 »; ils aspiraient à la puissance, mais c’est par les souffrances de l’humilité que l’on arrive à la gloire du royaume. « Pouvez-vous», leur dit le Seigneur, « boire le calice que je boirai 2? » Pourquoi aspirer aux grandeurs de mon royaume, et n’imiter point mon humilité? Que faut-il donc répondre au démon, s’il te dit pour te tenter: Fais des miracles? Que dois-tu répondre, afin de ne point tenter Dieu à ton tour? Ce que répondit le Seigneur. Le diable lui dit: « Jetez-vous en bas, car il est écrit: Dieu a fait à votre sujet des prescriptions à ses anges; ils vous porteront dans leurs mains de peur que vous ne heurtiez votre pied contre la pierre 3». Si vous vous précipitez en bas, les anges vous recevront. Il eût pu arriver, nies frères, que si le Seigneur se fût précipité, les anges eussent porté le corps du Seigneur. Mais que répondit-il? «Il est écrit aussi: Tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu 4». Tu me crois un homme. Le diable en effet ne s’était approché que pour découvrir s’il était le Fils de Dieu. Il voyait une chair, il est vrai, mais sa majesté se reflétait dans ses oeuvres, et les anges lui avaient rendu témoignage. Le diable donc ne voyait en lui qu’un homme mortel à tenter; et le Christ voulait être tenté pour instruire ses disciples. Qu’est-ce donc qui est écrit? « Tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu ». Ainsi ne tentons point le Seigneur, et ne lui disons point: Si nous vous appartenons, faites-nous taire un miracle.
8. Revenons aux paroles du psaume. « Il a fait à ses anges des prescriptions à votre sujet, afin qu’ils vous gardent dans vos démarches. Ils vous porteront dans leurs mains, de peur que vous ne heurtiez votre pied contre la pierre ». Le Christ fut porté dans les mains des anges, quand il monta au ciel 5: non point qu’il dût tomber si les anges ne l’eussent porté; mais parce qu’ils rendaient ce devoir à leur Souverain. Et gardez vous de dire: Ceux qui portaient étaient supérieurs à celui qui était porté. Les chevaux ont-ils une supériorité sur les hommes? Bien qu’ils subviennent à notre faiblesse, il ne nous est pas permis de l’affirmer; bien aussi qu’il
1. Matth. XX, 21. — 2. Id. 22.— 3. Id. IV, 6.— 4.
Deut. VI, 16.— 5.
Marc, XVI, 9; Act. 1,2, 9.
nous faille tomber, s’ils parviennent à se soustraire au cavalier. Mais comment nous faudra-t-il parler? Car il est dit aussi de Dieu: « Le ciel est mon trône1 ». Parce que c’est le ciel qui porte, et Dieu qui est assis, le ciel est-il supérieur à Dieu? Ainsi pouvons-nous comprendre le bon office des anges dans notre psaume: ils ne voulaient point subvenir à sa faiblesse, mais lui donner une marque de leur respect et de leur obéissance. Or, Notre Seigneur Jésus-Christ est ressuscité: pourquoi? Ecoutez l’Apôtre: « Il est mort à cause de nos péchés, il est ressuscité pour notre justification 2 ». L’Evangile a dit de même du Saint-Esprit: « L’Esprit n’était pas encore donné, parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié 3 ». Quelle est cette glorification de Jésus? Il est ressuscité et il est monté au ciel. Dieu l’a glorifié en le faisant monter au ciel, et il a envoyé son Esprit-Saint le jour de la Pentecôte. Or, dans la loi de Moïse, dans le livre de l’Exode, on compte cinquante jours depuis que l’on avait immolé et mangé l’agneau, jusqu’au jour où fut donnée la loi écrite par le doigt de Dieu sur des tables de pierre 4. Or, qu’est-ce que le doigt de Dieu? L’Evangile nous répond que le doigt de Dieu c’est l’Esprit-Saint. Comment le prouver? Le Seigneur répondant à ceux qui l’accusaient de chasser le démon au nom de Béelzébub, leur dit: « Si je chasse les démons par l’Esprit de Dieu 5 ». Or, un autre Evangéliste, dans la même narration, a dit: « Si je chasse les démons par le doigt de Dieu 6 ». Ce que l’un dit clairement, l’autre l’a dit d’une manière plus obscure. Tu ne comprenais pas ce qu’est le doigt de Dieu, et un autre Evangéliste nous l’apprend en disant que c’est l’Esprit de Dieu. Donc la loi écrite par Je doigt de Dieu fut donnée le cinquantième jour après l’immolation de l’agneau, et le Saint-Esprit est descendu le cinquantième jour après la passion de Notre Seigneur Jésus-Christ. L’agneau fut donc immolé, on fit la pâque, et après cinquante jours la loi fut donnée. Mais c’était une loi de crainte et non une loi d’amour; or, pour changer cette crainte en amour, le juste a été réellement mis à mort, et l’agneau immolé par les Juifs en était la figure. Il est ressuscité, et de la pâque du Seigneur, comme de la pâque de l’agneau immolé, on compte
1. Isa. LXVI, 1; Act. VII, 49.— 2. Rom. IV,
25.— 3. Jean, VII,
39.— 4. Exod. XII, 19. — 5. Matth. XII, 28. — 6. Luc, XI, 20.
cinquante jours, jusqu’à la descente du Saint-Esprit 1, qui est venu dans la plénitude de l’amour, et non dans la crainte des menaces. Pourquoi m’étendre à ce sujet? C’est pour nous envoyer l’Esprit-Saint que le Seigneur est ressuscité et a été glorifié. Je vous l’ai déjà dit, la tête est dans le ciel, et les pieds sont sur la terre. Si la tête est dans le ciel, et les pieds sur la terre, quels sont ces pieds du Seigneur sur la terre? Les saints du Seigneur qui sont ici-bas. Quels sont les pieds du Seigneur? Les Apôtres envoyés dans l’univers entier. Quels sont les pieds du Seigneur? Tous les évangélistes, par qui Notre Seigneur parcourt les nations, il était à craindre que les Evangélistes ne heurtassent contre la pierre. Dès lors que la tête est dans les cieux, les pieds qui sont ici-bas dans le labeur pouvaient aisément heurter la pierre. Quelle pierre? La loi donnée sur des tables de pierre. Donc afin qu’ils ne fussent point coupables envers la loi, avant d’avoir reçu la grâce, et qu’ils rie fussent point astreints à la loi, car alors la violer eût été un crime; le Seigneur rendit libres ceux que la loi tenait dans l’esclavage, afin qu’ils ne pussent se heurter contre cette loi. La tête pour empêcher les pieds de violer cette loi en la heurtant, envoya l’Esprit-Saint, afin de bannir la crainte et de donner l’amour. La crainte n’accomplissait point la loi, l’amour l’a accomplie. Sous le poids de la crainte, les hommes n’ont rien accompli; embrasés d’amour, ils ont tout accompli. Comment n’ont-ils rien accompli avec la crainte, et ont-ils tout accompli avec l’amour? Sous l’empire de la crainte, ils dérobaient le bien des autres; sous l’empire de l’amour, ils ont donné leur bien propre. Il ne faut donc pas s’étonner que le Seigneur ait été porté au ciel sur les mains des anges, de peur qu’il ne heurtât son pied contre la pierre: et afin que les membres de son corps qui travaillaient ici-bas, qui parcouraient l’univers entier, ne devinssent point coupables d’infractions à la loi, il leur ôta la crainte et les remplit d’amour. Trois fois sous le coup de la crainte, Pierre avait renié son maître 2: il n’avait point encore reçu le Saint-Esprit. Mais quand il l’eut reçu, il prêcha sous le fouet des princes celui qu’il avait renié 3. Il n’y a là rien d’étonnant, puisque le Seigneur avait banni sa triple crainte par un
1. Act. II, 1-4. — 2. Matth. XXVI, 69-75.— 3. Act. II;
V, 29.
triple amour. Après sa résurrection, en effet, « Pierre, m’aimez-vous? » lui dit-il. Non pas:
Me craignez-vous? La crainte chez lui laisserait heurter encore son pied contre la pierre. « M’aimez-vous? » lui dit-il. Et Pierre: «Je vous aime ». Une fois suffisait. Une seule fois me suffirait, à moi qui ne vois point le coeur; à combien plus forte raison devait. elle suffire au Seigneur, qui voyait combien c’était du fond de ses entrailles que Pierre lui disait: « Je vous aime? » Et pourtant il ne se contente point qu’il lui réponde une fois; il l’interroge une seconde fois, et Pierre répond encore: «Je vous aime». Il l’interroge une troisième fois, et Pierre attristé de ce que le Seigneur semblait mettre en doute son amour, « Seigneur », lui dit-il, « vous savez que je vous aime ».Le Seigneur en agit avec lui, comme pour lui dire: Trois fois tu m’as renié par crainte, et trois fois tu me contes. ses par amour. C’est de cet amour et de cette charité que le Seigneur remplit ses disciples. Pourquoi? Parce qu’il a porté son asile dans un lieu élevé, qu’après avoir été glorifié, il a envoyé son Esprit-Saint, et qu’il a délivré de la violation de la loi ceux qui croyaient en lui, afin que leur pied ne heurtât point contre la pierre.
9. Le reste du psaume devient facile, mes frères, et je vous en ai parlé souvent. « Vous marcherez sur l’aspic et le basilic; et vous foulerez le lion et le dragon 2 ». Vous connaissez le serpent, et comment il est foulé sous le pied de cette Eglise, qui est invincible, parce qu’elle déjoue ses ruses. Votre charité, je pense, n’ignore pas comment il est tantôt lion et tantôt dragon. Lion, il attaque à force ouverte; dragon, il dresse des embûches. C’est là pour le diable une double force, une double puissance. Quand on égorgeait les martyrs, c’était le lion qui sévissait, et le dragon se glissait sans bruit, quand les hérétiques dressaient des embûches. Tu as vaincu le lion, il faut vaincre aussi le dragon: le lion ne t’a pas abattu, que le dragon ne te surprenne point. Montrons qu’il était un lion quand il sévissait ouvertement. Pierre exhortant les martyrs,leur dit: « Ne savez-vous point que le diable, votre adversaire, rôde autour de vous comme un lion qui cherche sa proie 3? » Le lion qui sévissait ouvertement cherchait donc quelqu’un à dévorer: comment le dragon dresse-t-il
1. Jean, XXI, 15-17. — 2. Ps. XC, 13. — 3. I Pierre, V, 8.
des embûches? Au moyen des hérétiques. C’étaient eux que redoutait saint Paul, lorsqu’il craignait de voir quelque tache dans la pureté de cette foi que l’Eglise porte en son coeur, et qu’il disait: « Je vous ai fiancés à cet unique époux Jésus-Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge pure; mais je crains que comme Eve fut séduite par les artifices du serpent, vos esprits ne se corrompent et ne dégénèrent de la chasteté qui est dans le Chris 1 ». C’est le petit nombre des femmes, dans 1’Eglise, qui garde ta virginité de corps; mais la pureté du coeur est l’apanage de tous les fidèles. C’était au sujet de la toi que l’Apôtre craignait des taches sur la pureté du coeur, car avec une foi altérée la pureté de la chair ne sert de rien. Quand le coeur est corrompu, quelle peut être la pureté de la chair? C’est à ce point qu’une femme catholique est supérieure à une vierge hérétique. L’une, il est vrai, n’est plus vierge de corps, l’autre est femme par le coeur, et femme qui n’a point conçu de Dieu, son époux légitime, mais du serpent adultère. Or, que dit l’Eglise? « Tu marcheras sur l’aspic et sur le basilic ». Le basilic est le roi des serpents, comme le diable est le roi des démons. « Et tu fouleras au pied le lion et le dragon».
10. Ecoutons les paroles de Dieu à son Eglise: « Parce qu’il a espéré en moi, je le délivrerai 2». Non seulement alors il a délivré le chef qui est maintenant assis dans les cieux, où il a placé bien haut son asile, où les maux n’approchent point de lui; et où le fléau n’aborde point sa tente: mais nous qui travaillons sur la terre, qui vivons encore au milieu des tentations, qui avons à craindre pour nos pieds de tomber dans les embûches, écoutons la voix du Seigneur notre Dieu qui nous console, et qui nous dit: « Parce qu’il a espéré en moi je le délivrerai: je le protègerai parce qu’il a connu mon nom ».
11. « Il m’invoquera, et je l’exaucerai; je suis avec lui dans la tribulation 3».Ne crains donc point quand tu es affligé, comme si Dieu n’était point avec toi. Que la foi soit avec toi, et Dieu sera avec toi dans l’affliction. La mer soulève ses flots, et tu es troublé dans ton navire 4, parce que le Christ est endormi. Le Christ aussi dormait sur la barque, et les hommes périssaient. Si la foi dort dans ton
1. II Cor. XI, 2, 3.— 2. Ps. XC, 14.— 3. Id.
15.— 4. Matth. VIII, 24, 25.
coeur, c’est le Christ qui dort dans ta barque: puisque le Christ habite en toi par la foi. Si donc tu ressens quelque agitation, réveille le Christ endormi, stimule ta foi, et tu sauras qu’il ne t’a point abandonné. Mais tu te crois abandonné, parce qu’il ne te délivre point aussitôt que tu le voudrais. Il délivra de la fournaise les trois jeunes hébreux 1. Lui qui avait délivré ces trois enfants abandonna-t-il les Macchabées 2? Loin delà. Il délivra les uns et les autres; les uns d’une manière corporelle, afin de confondre les incroyants; les autres d’une manière spirituelle, afin de les donner aux fidèles pour exemple. « Je suis avec lui dans la tribulation; je le délivrerai et le glorifierai».
12. « Je le rassasierai de la longueur des jours 3». Quels sont ces longs jours.? La vie éternelle. Ne vous imaginez point, mes frères, qu’il soit ici question de jours d’une certaine durée, comme on dit qu’ils sont plus courts en hiver, plus longs en été. Dieu vous promettait-il de ces jours? Non, cette longueur est celle qui n’a point de fin; ces jours sont la vie éternelle. Et comme nous serons alors satisfaits, ce n’est pas sans raison que le Prophète nous dit: « Je le rassasierai ». Quelque longueur que l’on donne au temps, rien ne suffit dès qu’il y aune fin, et par conséquent ne saurait s’appeler longueur. Si nous sommes avares, nous devons être avares de la vie éternelle: désirons cette vie qui n’a point de fin. Voilà pour notre avarice de quoi se dilater. Veux-tu des richesses sans fin? Désires plutôt une vie sans fin. Tu veux des possessions sans bornes? Cherche la vie éternelle. « Je le rassasierai de la longueur des jours ».
13. « Et je lui montrerai mon salut ». Ne passons point légèrement sur ces paroles: « Je lui montrerai mon salut »; c’est-à-dire, je lui montrerai le Christ lui-même. Pourquoi? N’a-t-il pas été vu sur la terre? Que veut nous montrer de si grand le Seigneur? Nul n’a vu le Seigneur comme nous le verrons. Comme il s’est montré, ceux qui l’ont vu, l’ont crucifié. Ceux donc qui l’ont vu l’ont crucifié, et nous, nous croyons en lui sans l’avoir vu. Avaient-ils donc des yeux que nous n’avons point? Nous avons, nous, les yeux du coeur; mais nous voyons par la foi, et non par la claire vue. Quand viendra la claire vue? « Quand nous le verrons face à face 4 »,
1. Dan, III, 49, 50. — 2. II Macch. VII, 12, etc. — 3.
Ps. XC, 16. — 4. I
Cor. XIII, 12.
ainsi que dit l’Apôtre: c’est ce que Dieu nous promet comme la grande récompense de tous nos labeurs. Tout ce que tu endures ici-bas, tu l’endures afin de voir. Nous verrons je ne sais quoi de grand, puisque c’est la grande récompense qui nous est promise, et cette grande vision sera la vision de Jésus-Christ même. Celui que l’on a vu dans son humilité sera vu dans sa grandeur, et il sera notre joie, comme il est aujourd’hui la joie des anges. « Au commencement était la Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu 1». Celui qui nous a fait cette promesse, remarquez-le bien, c’est Notre Seigneur qui nous dit dans l’Evangile: « Celui qui m’aime, sera aimé de mon Père, et moi aussi je l’aimerai ». Et comme si on lui demandait: Que lui donnerez-vous? « Je me montrerai à lui 2 », répond-il: désirons-le, aimons-le, brûlons d’amour, si nous sommes l’épouse. L’époux est absent, attendons-le: il viendra enfin, celui que nous désirons. Il nous a donné de tels gages, que l’Epouse ne doit pas craindre d’être abandonnée de son Epoux: il n’abandonnera point ses gages. Quels gages a-t-il donnés? Il a répandu son sang. Quels gages a-t-il donnés? Il a envoyé l’Esprit-Saint. Et l’Epoux abandonnerait de tels gages? Les eût-il donnés, s’il ne nous aimait point? Il nous aime donc. Oh ! si nous l’aimions de cet amour. Nul ne peut aimer davantage, que de mourir pour ceux qu’il aime. Mais nous, comment pouvons-nous mourir pour lui? De quoi lui servirait notre mort, depuis qu’il a mis si haut son asile, et que le fléau ne saurait atteindre son tabernacle? Que dit pourtant saint Jean? « Si le Christ a donné sa vie pour nous, nous devons à son exemple donner notre vie pour
1. Jean, I, 1.— 2. Id. XIV, 21.— 3. Id. XV,
13.
nos frères 1 ». Quiconque dès lors meurt pour ses frères, meurt pour le Christ; de même que nourrir un frère, c’est nourrir le Christ: « Ce que vous avez fait au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez fait 2 ». Aimons le Christ, mes frères, imitons son amour, courons après ses parfums, comme il est dit dans le Cantique des cantiques: « Nous courrons à l’odeur de vos parfums 3 ». Il est venu, il a exhalé ses baumes, et cette odeur s’est répandue par le monde, D’où cette odeur? Du ciel. Suis-le donc jusqu’au ciel, si toutefois tu ne réponds point en parjure quand on dit: En haut les coeurs, en haut les pensées, en haut l’amour, en haut l’espérance, qui se corromprait sur la terre, Tu n’oses mettre ton blé dans un endroit humide; tu crains la pourriture pour ce froment que tu as cultivé, que tu as moissonné, que tuas battu, que tu as vanné. Tu veux un lieu convenable pour ton blé, et tu n’en cherches pas un à ton coeur? tu ne cherches point pour ton trésor un lieu de sûreté? Fais donc sur la terre ce qui est en ton pouvoir; donne, et tu ne perdras rien, tu mettras en dépôt. Et qui donc gardera ce dépôt? Le Christ qui te garde toi-même. Il sait te garder, et il ne saurait garder ton trésor? Pourquoi te demander de changer ton trésor, sinon afin que tu changes ton coeur? Nul en effet ne s’occupe que de son trésor. Combien en est-il qui m’écoutent maintenant, et qui n’ont le coeur que dans leur coffre-fort? Vous êtes sur la terre, parce que l’objet de votre amour est sur la terre: envoyez-le dans le ciel, et votre coeur sera dans le ciel. Où sera votre trésor, là aussi sera votre coeur 4.
1. I Jean, III, 16.
— 2. Matth.
XXV, 40. — 3. Cant. I, 3. — 4. Matth.VI, 21.
dans l’éternité. Cette félicité qui paraît
maintenant au dehors, n’est point réelle; ils n’ont point la paix du coeur, eux
qu’aiguillonne une mauvaise conscience. Pour toi, demeure en paix, comptant sur
les promesses de ton Dieu. Qu’auras-tu à prêcher dans le calme? «Que le
Seigneur est droit, qu’il n’y a en lui aucune iniquité ». Voyez, mes
frères, si vous voulez être plantés dans la maison du Seigneur, si vous voulez
fleurir comme le palmier, vous multiplier comme le cèdre du Liban, afin de ne
point vous dessécher sous les feux du soleil, comme ceux qui périssent avec
éclat quand le soleil est loin de nous. Si donc vous ne voulez point être une
herbe, mais bien des palmiers et des cèdres, qu’annoncerez-vous? « Que le
Seigneur Dieu est juste; et qu’en lui il n’y a point d’iniquité». Comment n’y
a-t-il en lui aucune iniquité? Voilà un homme si criminel, et pourtant il a ta
santé, il a des enfants, il a la gloire, il a des honneurs, il se venge de ses
ennemis, il commet toutes sortes de crimes: cet autre au contraire est intègre
dans ses affaires; il ne ravit point le bien d’autrui, il n’agit contre
personne, il souffre dans les chaînes, dans les prisons, il souffre et soupire
dans la misère. Comment donc n’y a-t-il en Dieu aucune injustice? Du calme, et
tu le comprendras. Car tu es dans le trouble, et tu obscurcis la lumière dans
ton intérieur. Dieu, qui est éternel, veut laisser tomber sur toi ses rayons;
garde-toi de les obscurcir par aucun trouble; demeure dans le calme, et écoute
ma parole. Parce que Dieu est éternel et qu’il pardonne aux méchants pour les
amener à la pénitence, parce qu’il flagelle les bons, pour les amener au
royaume des cieux, « il n’y a point en lui d’injustice », sois sans crainte.
Mais, diras-tu, j’ai subi tant de châtiments, chacun le sait, je suis pécheur,
je l’avoue, je suis loin de me croire juste. Voilà ce que disent la plu part
des hommes. Qu’un homme soit dans l’affliction, dans la douleur, tu vas le
consoler, et il te répond: J’ai péché, je l’avoue, mes fautes sont grandes, je
le reconnais; mais suis-je aussi coupable que cet autre? Je sais ce qu’il a
fait, je connais ses fautes: j’ai péché, j’en conviens devant Dieu; mais je
suis moins coupable que cet autre qui souffre moins que moi. Sois sans trouble
et dans le calme, afin de savoir « que le Seigneur est juste, et qu’en lui il
n’y a point d’iniquité ». Que dirais-tu, (379) s’il ne te flagellait
ici-bas que pour t’épargner les flammes éternelles? s’il n’épargnait cet autre
ici-bas, qu’afin de lui dire: « Va au feu éternel?» Mais quand, me diras-tu?
Quand tu seras placé à la droite, et que l’on dira à ceux de gauche: « Allez au
feu éternel, préparé au diable et à ses anges ». Sois donc sans trouble
dans tout cela, sois calme, garde le repos, et prêche « que le Seigneur est
droit, qu’il n’y a en lui aucune injustice ».
SERMON AU PEUPLE.
Ici-bas nous sommes dans l’attente des promesses divines, nous avons la foi et l’espérance qui se transformeront un jour en charité; aimons donc le Seigneur, soit qu’il nous châtie, soit qu’il nous console. Le sabbat, qui est pour nous la cessation de bat péché, tel est le titre du psaume. Le méchant n’a pas ce sabbat qui est la joie dans la paix, le repos dans les promesses de Dieu, et que trouble ce que l’on voit parmi les hommes. Si nous faisons le bien, nous en sommes redevables à Dieu; si nous faisons le mal, il ne faut s’en prendre ni à Satan qui ne peut nous forcer, ni an destin comme s’il était quelque chose en dehors de Dieu; nos fautes viennent de nous seulement, nos bonnes actions viennent de Dieu; cherchons sou nom ou sa gloire dans la prospérité, ou dans l’adversité que nous attirons par nos crimes. Chanter sur le psaltérion, c’est faire le bien ordonné par le Décalogue; et cela vient de Dieu, puisque par nature nous sommes menteurs en paroles et en actions. Si l’impie est dans la prospérité ici-bas, souvenons-nous que le Christ a souffert sur la terre; l’impie alors est un poisson qui avale avec sa proie l’hameçon qui le perdra. Dieu est patient parce qu’il est éternel, tandis que l‘impie se fanera comme l’herbe. Dieu corrige celui à qui il destine son héritage. Or, les méchants qu’il laisse en paix, n’ont rien à attendre de lui, taudis que le juste sera comme le palmier ou le cèdre que le soleil ne dessèche point. Ayons donc le véritable amour de Dieu, et nous ne l’accuserons plus, puisqu’il a l’éternité.
1. Ecoutons ce psaume avec attention: que lieu nous donne de découvrir les mystères qu’il renferme, puisque c’est pour éviter à notre esprit tout dégoût que les mêmes enseignements nous sont donnés sous des formes différentes. Toutes les instructions en effet’ que Dieu nous donne, se réduisent à la foi, à l’espérance, à la charité: afin que notre foi s’affermisse en lui, tant que nous ne le voyons pas encore; qu’après avoir cru en lui sans le voir nous nous réjouissions quand nous le perrons, et qu’à notre foi succède la vision, alors qu’on ne nous dira plus: Croyez ce que tous ne voyez point; mais bien: Jouissez de ce que vous voyez; afin que notre espérance soit immuable, et que, fixée en Dieu, elle ne subisse ni changement, ni fluctuation, ni agitation, comme Dieu qui en est la base, n’est assujetti à aucun ébranlement. C’est maintenant une espérance, mais à l’espérance un jour succédera la réalité. Elle porte en effet le nom d’espérance tant que nous ne voyons pas ce qui en est l’objet, comme l’a dit l’Apôtre: « L’espérance qui verrait se serait plus une espérance: comment espérer ce que l’on voit déjà? Si donc nous ne voyons pas ce que nous espérons, nous l’attendons par la patience 1». Il nous faut donc la patience, jusqu’à ce que vienne ce qui nous est promis. Mais la patience n’existe point quand on est
1. Rom,
VIII, 24, 25.
heureux, et l’on ne demande la patience qu’à l’homme qui souffre: on lui dit: De la patience, souffrez, endurez; c’est une peine dans laquelle Dieu vous demande le courage, la force, la résignation, la patience. Mais vous fait-on des promesses mensongères? Un médecin prépare son fer pour tailler des blessures, et il dit à celui qu’il va tailler: De la patience, de la force, de la constance. Il demande la patience pendant la douleur, et après la douleur il promet la guérison. Si le malade qui gémit sous le fer du médecin ne se proposait la santé qu’il n’a pas, il se laisserait abattre par la douleur qu’il endure. Il est donc beaucoup de douleurs à supporter en cette vie; au dedans, au dehors, partout et sans cesse des scandales: et nul n’en est touché, comme celui qui marche dans la voie de Dieu. A chaque page la sainte Ecriture lui prêche la patience: dans les maux présents, l’espérance; dans l’avenir, l’amour de Celui qu’il ne voit pas, afin de l’embrasser quand il le verra. Car la charité, cette troisième vertu, que l’on joint à la foi et à l’espérance, est plus grande que l’une et l’autre 1: la foi ayant pour objet les choses que l’on ne voit point, ne sera plus quand viendra la vision. De même l’espérance a pour objet ce que l’on ne possède point encore, et n’existera plus lorsque nous jouirons de cet objet: ce ne
1. I
Cor. XIII, 13.
372
sera plus une espérance alors, mais une possession. Or, si nous aimons ce que nous ne voyons point encore, que sera-ce quand nous le verrons? Que notre désir s’accroisse dès lors. Nous ne sommes chrétiens que pour la vie future: que nul ne se promette le bien de cette vie et la félicité du monde, parce qu’il est chrétien; qu’il use de la félicité d’ici-bas, comme il pourra, quand il pourra, et autant qu’il pourra. Quand il la possède, qu’il remercie Dieu qui le console; quand il en est privé, qu’il rende grâces à sa justice. Qu’il soit toujours reconnaissant, jamais ingrat; qu’il reçoive avec gratitude les faveurs d’un Père qui le console, et qu’il reçoive avec la même gratitude les châtiments d’un Père qui le soumet au joug de la discipline: car c’est toujours par amour que Dieu nous prodigue ses faveurs ou ses menaces, et que le chrétien rejette cette parole du Psalmiste: « Il est bon de bénir le Seigneur, et de chanter des hymnes en votre nom, ô Dieu Très-Haut 1».
2. Voici le titre du psaume: « Psaume du cantique pour le jour du sabbat 2». Aujourd’hui est un jour de sabbat, de ce sabbat que les Juifs honorent maintenant par un repos extérieur, une oisiveté molle et luxurieuse, car ils s’adonnent alors à des bagatelles, et ce sabbat qu’a prescrit le Seigneur 3, ils le passent à des occupations qu’il a défendues. Le sabbat, pour nous, c’est l’abstention de toute oeuvre mauvaise, et pour eux, de toutes bonnes oeuvres. Car labourer la terre serait mieux que danser. Pour eux, ils s’abstiennent de toute bonne oeuvre, mais non de toute oeuvre puérile, Dieu nous a donc prescrit un repos: quel repos? Voyez d’abord où est ce repos. Pour plusieurs le repos est dans les membres, tandis que la conscience est dans un trouble tumultueux. Quiconque est méchant ne saurait avoir ce sabbat: car sa conscience n’est en repos nulle part; il vit nécessairement dans l’agitation. La bonne conscience, au contraire, est toujours tranquille; et cette paix est le sabbat du coeur Il se repose dans les promesses du Seigneur, et s’il éprouve quelque fatigue en cette vie, il s’élève jusqu’à l’espérance de l’avenir, et alors se dissipe tout nuage de tristesse; comme le dit l’Apôtre: « Il jouit par l’espérance 4 ». Or; cette joie pacifique dans l’espérance est notre sabbat.
1. Ps. XCI, 2.— 2. Id. 1.— 3.
Exod. XX, 8.— 4. Rom, XII, 12,
Voilà ce que chante, ce que préconise notre psaume; il apprend au chrétien à demeurer dans le sabbat de son coeur, c’est-à-dire dans le calme et dans la tranquillité, dans la sérénité d’une conscience sans trouble. De là vient qu’il nous parle de ce qui est communément pour les hommes un sujet de trouble, afin de nous apprendre à célébrer le sabbat dans notre coeur.
3. Tout d’abord, si tu as fait quelques progrès dans la piété, tu dois confesser à Dieu que ces progrès viennent de sa grâce et non de tes mérites. C’est ainsi qu’il faut commencer à célébrer ton sabbat; et ne t’attribue point ce qui te vient de Dieu, comme si tu ne l’avais point reçu 1; ne t’excuse point non plus du mal que tu as fait, car il est véritable. nient de toi. Des hommes pervers et dans le trouble, qui ne célèbrent point le sabbat, rejettent sur Dieu le mal qu’ils font, et s’attribuent le bien. Celui-ci fait-il une bonne action? C’est moi qui l’ai faite, s’écrie-t-il. Fait-il du mal? Il cherche à qui l’attribuer, pour ne point le confesser à Dieu. Qu’est-ce à dire qu’il cherche à qui l’attribuer? S’il n’est pas tout à fait impie, il a sous la main le diable qu’il accuse: c’est le diable qui en est l’auteur, le conseiller, l’instigateur, comme si Satan avait le pouvoir de te forcer. Il a le pouvoir de te solliciter au mal; que si Satan venait à parler, et Dieu à garder le silence, tu pourrais encore t’excuser; mais maintenant tu es entre Dieu qui t’avertit, elle diable qui te pousse au mal. Pourquoi incliner l’oreille de l’un à l’autre? Satan ne cesse de te pousser au mal, Dieu ne cesse de te porter au bien. Satan ne saurait te forcer; tu as toujours le Pouvoir de consentir ou de résister. Si tu agis mal à son instigation, laisse là le diable, n’accuse que toi-même, afin que ton aveu te mérite le pardon de la part de Dieu. A quoi bon accuser celui qui ne peut obtenir son pardon? C’est toi qu’il faut accuser, et tu obtiendras ton pardon. D’autres, sans accuser le diable, accusent le destin. C’est le destin, dit l’un, qui m’a poussé. Qu’as-tu fait? diras-tu à l’un, pourquoi un tel crime? C’est mon malheureux destin, répond-il. Pour ne point dire: Voilà ce que j’ai fait, il lève les mains contre Dieu, et sa langue profère des blasphèmes. Il ne le fait pas ouvertement, mais vois s’il ne le dit pas en effet. Demande-lui ce qu’est le destin, et il dira: Sa mauvaise
1. I Cor. IV, 7.
étoile. Demande-lui qui a fait les étoiles, qui en a réglé le cours: à bout de réponses, il dira que c’est Dieu. Il n’a donc plus de ressource que d’accuser Dieu, soit directement, soit indirectement, soit sans aucun détour; et bien que Dieu punisse les fautes, il attribue néanmoins ses fautes à Dieu. Mais Dieu ne saurait punir ce qu’il a fait. Il châtie ce que tu fais, min de délivrer ce qu’il a fait. Souvent encore ces pécheurs, sans aucun subterfuge, s’en prennent à Dieu même; et quand ils deviennent coupables, ils s’écrient: C’est Dieu qui l’a moulu; si Dieu ne l’eût point voulu, je n’eusse point péché. Il t’avertit, et non content de mépriser cette bonté au point de l’offenser, faut-il encore l’accuser de ta faute? Que nous apprend donc ce psaume? « Il est bon de confesser au Seigneur. Qu’est-ce à dire confesser au Seigneur?» Il faut également confesser au Seigneur, et que la faute vient de toi, et que tes bonnes actions viennent de lui. Alors « tu chanteras un psaume au nom du Très-Haut », cherchant la gloire de Dieu et non la tienne, bénissant son nom et pas le tien. Si tu cherches le nom du Seigneur, il cherche aussi le tien: si au contraire tu négliges la gloire de Dieu, il effacera aussi ton nom. Comment ai-je pu dire qu’il cherche ton nom? Comme il le fit à l’égard de ses disciples, qui revenaient de prêcher l’Evangile où il les avait envoyés. ils avaient fait beaucoup de miracles, chassé les démons au nom du Christ, et ils revenaient en disant: « Seigneur, voilà que les démons nous sont soumis. » Sans doute ils avaient dit: « en votre nom », mais il vit qu’ils se réjouissaient de cette gloire, qu’ils tendaient quelque peu à l’orgueil, parce qu’ils avaient pu chasser les démons. Il vit qu’ils cherchaient leur propre gloire, et il leur dit, cherchant à son tour ou plutôt conservant leurs noms en lui-même: « Ne vous réjouissez point de cela, mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans le ciel 1». C’est là qu’est ton nom, si tu ne négliges point le nom du Seigneur. Chante alors sur la harpe le nom du Seigneur, afin que ton nom soit affermi en Dieu. Qu’est-ce, mes frères, que chanter sur la harpe? La harpe est un instrument de musique pourvu de cordes, Nos oeuvres, voilà donc notre harpe. C’est chanter le Seigneur que mettre la main aux bonnes oeuvres. Chante-le
1.
Luc, X, 17, 20.
de la voix, chante-lui par les oeuvres.
4. « Pour annoncer au matin votre miséricorde, et votre vérité pendant la nuit 1». Que veut dire le Prophète, qu’au matin la miséricorde de Dieu sera annoncée, et sa vérité pendant la nuit? Le matin est pour nous le moment de la prospérité, et la nuit le moment de la tribulation. Que veut dire en nia mot le Prophète? Dans la prospérité, réjouis-toi dans le Seigneur, parce qu’elle est un bienfait de Dieu. Mais, diras-tu; si je me réjouis en Dieu dans la prospérité, parce qu’elle est un bienfait de sa miséricorde, que ferai-je dans l’adversité? Si le bonheur vient de sa miséricorde, le malheur viendrait-il de sa cruauté? Si, dans la prospérité, je chante sa miséricorde, l’accuserai-je de cruauté dans le malheur? Non, sans doute. Mais dans la prospérité chante sa miséricorde, et dans le malheur chante sa vérité: châtier les péchés. ce n’est pas être injuste. Daniel était dans la nuit, quand il priait. C’était en effet quand Jérusalem était dans la captivité et sous la puissance de ses ennemis. Les saints alors étaient dans de grandes souffrances; Daniel était jeté dans la fosse aux lions, et les trois enfants précipités dans la fournaise 2. Voilà ce qu’endurait le peuple d’Israël dans sa captivité, c’était alors la nuit. Or, pendant la nuit, Daniel chantait la vérité de Dieu, et disait dans sa prière: « Nous avons péché, nous avons été impies, nous avons commis l’iniquité. A vous, Seigneur, la gloire; à nous, la confusion du visage 3». Il chante la vérité de Dieu pendant la nuit. Qu’est-ce que prêcher la vérité de Dieu pendant la nuit? C’est n’accuser point Dieu du mal dont tu souffres mais en attribuer la cause à tes péchés qu’il veut châtier: « Pour annoncer votre miséricorde, et votre vérité pendant la nuit». Annoncer donc cette miséricorde le matin, et sa vérité pendant la nuit, c’est louer Dieu toujours, confesser Dieu, et chanter son nom.
5. « Sur l’instrument à dix cordes, et avec des chants sur le luth 4 ». Ce n’est point d’aujourd’hui que vous entendez cet instrument à dix cordes. Ces dix cordes du psaltérion désignent les dix commandements de la loi. Mais il ne faut pas seulement le porter, il faut s’en servir pour chanter. Les Juifs ont la loi, ils la portent, mais ne chantent point
1.
Ps.XCI, 3. — 2. Dan. VI, III.— 3. Id. IX, 5,7. — 4. Ps. XCI, 4.
sur cet instrument. Qu’est-ce que ne point chanter? Ne point opérer de bonnes oeuvres. Cela ne suffit point; agir avec tristesse n’est point chanter encore. Quand est-ce que l’on chante? Quand on fait le bien avec allégresse. Car l’allégresse est dans le chant. Que dit en effet l’Apôtre? « Que Dieu aime celui qui donne avec joie 1». Quoi que tu fasses, fais-le avec joie, ton action alors sera bonne et bien faite: une oeuvre faite avec tristesse vient de toi; mais tu ne la fais point; tu portes le psaltérion plutôt que tu ne chantes. « Sur le psaltérion à dix cordes, avec des chants sur le luth »; c’est-à-dire, dans tes paroles et dans tes actions. « Avec des chants », c’est la parole; « sur le luth »,c’est l’action. Te contenter du chant, c’est la parole mais sans luth; agir sans chanter, c’est n’avoir que la guitare. Donc et parle bien, et agis bien, si tu veux avoir des chants avec le luth.
6. « Vous m’avez comblé de joie, Seigneur, à la vue de vos merveilles; l’oeuvre de vos mains m’a fait tressaillir 2 », Vous comprenez ce que dit le Prophète. Si je mène une vie pure, c’est à vous que je le dois, c’est vous qui m’avez formé: si je fais quelque bonne action, l’oeuvre de vos mains me fera tressaillir. Ainsi l’a dit l’Apôtre: « Nous sommes son ouvrage, créés dans les bonnes oeuvres 3 ». Si Dieu ne te formait au bien, tu ne connaîtrais que le mal dans tes oeuvres. « Dire le mensonge, en effet, c’est parler de soi-même 4 ». Ainsi dit l’Evangile. Or, tout péché est un mensonge, car nous appelons mensonge tout ce qui est contre la loi et contre la vérité. Que dit donc l’Evangéliste? « Quiconque dit le mensonge, dit ce qui lui est propre », c’est-à-dire que le péché est l’oeuvre qui vient de nous. Ecoutez maintenant le contraire de cette parole. Si l’homme qui dit le mensonge parle de lui-même, il suit de là que celui qui dit la vérité la dit par l’esprit de Dieu. Aussi est-il écrit ailleurs
« Dieu seul est véridique, et tout homme est faillible ». Toutefois ce passage ne veut point dire: Va, mens à loisir, parce que tu es un homme; cela signifie au contraire: Comprends que tu es homme et sujet à l’erreur: pour être véridique, bois la vérité au sein de Dieu, afin de la répandre au dehors, et d’être véridique toi-même. Comme tu ne saurais
1.
II. Cor. IX, 7. — 3. Ps. XCI, 5. — 4. Ephés. II, 10. — 5. Jean, VIII, 4, — 6.
Rom. III, 4.
avoir la vérité de toi-même, il te faut la boire à sa source. T’éloigner de la lumière, c’est te jeter dans les ténèbres: il en est de même de la pierre qui n’a en elle-même aucune chaleur, qui la tire du soleil ou du feu, et qui se refroidit quand on l’en éloigne; ce qui prouve qu’elle n’a aucune chaleur naturelle, qu’elle empruntait sa chaleur au soleil ou au feu: de même t’éloigner de Dieu, c’est le froid pour toi, comme t’approcher de Dieu c’est la ferveur: ainsi dit l’Apôtre: « Soyez fervents en esprit 1 ». Que dit-il encore, à propos de la lumière? Si tu approches de Dieu, tu seras dans la lumière. aussi le Psalmiste a-t-il dit: « Approchez de lui, et vous serez dans la lumière, et votre face n’aura point à rougir 2». Comme donc tu ne saurais faire aucun bien sans la lumière de Dieu, et la ferveur de l’Esprit-Saint, lorsque ta vie est régulière, bénis le Seigneur, et afin de ne point t’enorgueillir, tiens en toi le langage de l’Apôtre: « Qu’as-tu que tu n’aies reçu; et si tu as reçu, pourquoi te glorifier comme si tu n’avais point reçu 3? » Ainsi donc le Prophète nous apprend à faire au Seigneur une confession digne, quand il nous dit: « Seigneur, vous m’avez rempli de joie dans vos créatures, et l’oeuvre de vos mains me fait tressaillir».
7. Que dire de ceux qui vivent dans l’impiété et qui sont florissants? Ces pensées troublent l’esprit d’un homme qui perd le repos. Il voit qu’il a passé tous les jours de sa vie dans les bonnes oeuvres, et que néanmoins il est dans la misère, qu’il est dans la pauvreté, que peut-être il a faim, il a soif, il est dans la nudité, peut-être en prison, nonobstant le bien qu’il fait, tandis que celui qui l’a condamné à la prison est un homme d’iniquité, et néanmoins dans la joie; alors dans son coeur se glisse une pensée détestable contre Dieu; et il dit: O Dieu, à quoi bon vous servir, à quoi bon obéir à vos paroles? Je n’ai point ravi le bien d’autrui, je n’ai commis ni larcin ni homicide, je n’ai convoité le bien de personne, je n’ai porté aucun faux témoignage, je n’ai outragé ni mon père ni nia mère; jamais je n’ai adoré les idoles, ni pris en vain le nom du Seigneur, mon Dieu; je me suis abstenu de tout péché. Il énumère ainsi les dix codes, ou les dix commandements de la loi 4; il sonde sa conscience
1.
Rom. XII, 11.— 2. Ps. XXXIII, 5.— 3. I Cor. IV, 7.— 4.
Exod. XX, 1-17.
sur chacun d’eux, et il voit qu’il n’en a point violé, pas même un seul, et il s’attriste de passer par tant d’afflictions. Quant à d’autres cependant, je ne dis point qu’ils touchent à quelques-unes de ces cordes; ils ne touchent pas même le psaltérion: ils ne font aucune bonne oeuvre, ils consultent les idoles; ils paraissent être bons chrétiens, parce que leur maison ne souffre aucun dommage; leur survient-il quelque affliction, ils ont recours aux pythonisses, aux magiciens, aux sortilèges. On leur parle du nom du Christ, ils s’en raillent, ils grimacent. On leur dit Vous avez la foi, et vous consultez les sorts? Arrière, vous disent-ils; ce sont eux qui m’ont conservé mon bien, sans eux je perdais tout; je serais demeuré dans l’affliction. Homme naïf, ne marques-tu pas ton front du signe du Christ? Et sa loi vous défend tout cela. Tu te réjouis de tes biens que tu as conservés, et tu n’es pas triste d’être perdu toi-même? Combien vaudrait-il mieux avoir perdu ton vêtement, qu’avoir perdu ton âme? Néanmoins il se rit de tout; il outrage ses parents, il hait ses ennemis, les poursuit à mort; il dérobe, s’il en trouve l’occasion; il n’évite point le faux témoignage; il tend des pièges au mariage des autres; il convoite le bien d’autrui; il fait tout cela: et néanmoins il est dans l’abondance, dans les honneurs, dans les dignités du siècle. Ainsi le voit ce pauvre qui fait le bien, qtai souffre, et qui dès lors se trouble en disant: O Dieu, les méchants sans doute vous plaisent, et vous haïssez les bons, pour aimer ainsi les hommes d’iniquité. S’il oient à se troubler et à se laisser entraîner à cette pensée, il bannira la paix de son coeur. Dès lors, il ne comprend plus ces beaux cantiques, il s’en éloigne, et il répète sans sujet: « Il est bon de chanter le Seigneur, et de chanter des hymnes à votre nom, ô Très-Haut ». Et cet homme n’ayant plus le sabbat intérieur, ni le coeur en repos, et bannissant de son coeur toute bonne pensée, cherche à imiter celui qu’il voit fleurir au milieu des désordres, et il se laisse aller aux désordres qu’il voit commettre. Mais Dieu est patient parce qu’il est éternel, et il connaît le jour du jugement où il examinera toutes choses.
8. Comment le Prophète nous apprend-il ces vérités? « Combien, Seigneur, vos oeuvres minuit admirables, et combien sont profondes vos pensées 1 ! » A la vérité, mes frères, nulle mer n’est aussi profonde que cette pensée de Dieu, qui laisse fleurir les méchants, et qui laisse les bons dans la douleur. Rien n’est plus profond que cet abîme; c’est dans ce gouffre, dans cette profondeur que tout infidèle fait naufrage. Veux-tu franchir cet abîme? Attache-toi au bois du Christ, et pour ne pas sombrer, tiens fortement au Christ. Qu’ai-je dit: Tiens-toi au Christ? C’est pour cela qu’il a voulu souffrir sur la terre. Vous l’avez entendu à la lecture de cette prophétie: il ne détournait ni ses épaules du fouet, ni son visage des crachats de la soldatesque, ni sa joue de leurs soufflets 2. Pourquoi donc vouloir souffrir ainsi, sinon pour consoler ceux qui souffrent? Il pouvait ne ressusciter sa chair qu’à la fin des temps: mais toi qui n’aurais rien vu, quelle espérance aurais-tu pu concevoir? Il n’a donc point différé sa résurrection, afin d’écarter de toi tous tes doutes, C’est dans l’espoir de cette résurrection qu’il te faut endurer ici-bas les tribulations que le Christ a su endurer: sans t’émouvoir de ceux qui font le mal, et qui jouissent néanmoins ici-bas du bonheur. « Que vos pensées sont profondes, ô mon Dieu ! » Où est la pensée de Dieu? Attacher à présent les rênes qu’il doit resserrer ensuite. Loin de toi cette joie du poisson qui tressaille en dévorant l’amorce; le pécheur n’a pas encore retiré l’hameçon qui est dans la gorge de cet infortuné. Ce qui te paraît long est de courte durée, et tout cela passe rapidement. En face de l’éternité de Dieu, qu’est donc la plus longue vie humaine? Veux-tu être patient? envisage l’éternité de Dieu. Tu vois les jours peu nombreux, et dans ces jours tu veux que Dieu accomplisse tout. Qu’est-ce à dire tout? Qu’il damne les impies et couronne les justes. Voilà ce que tu voudrais voir en tes jours. Dieu l’accomplira en son temps. Pourquoi t’ennuyer et ennuyer les autres? Dieu est éternel; il diffère, il est patient, et tu viens dire: Je ne puis attendre, je ne suis que pour un temps. Cela dépend de toi; unis ton coeur au Dieu qui est éternel, et tu seras éternel avec lui. Qu’a dit le Prophète à propos de ce qui passe avec le temps? « Toute chair est une herbe, et toute gloire de la chair est la fleur d’une herbe; l’herbe s’est desséchée et la fleur est
1.
Ps. XCI, 6. — 2. Ps. L, 6.
tombée 1». Tout se dessèche donc, et tout s’éteint, mais non la parole de Dieu: « Cette parole demeure éternellement ». L’herbe passe, la fleur de l’herbe passe; mais il te reste un appui, c’est « la parole de Dieu qui demeure éternellement ». Dis-lui donc alors: « Que vos pensées sont insondables, ô mon Dieu ! » C’est alors qu’en tenant le bois de la croix, tu peux traverser cet abîme. Y vois-tu quelque chose? Y comprends-tu quelque chose? J’entends, me réponds-tu. Si tu es chrétien, si tu es instruit à l’école du Christ, tu réponds que Dieu réserve tout à son jugement. Les bons souffrent, parce que Dieu les flagelle comme des enfants; les méchants sont dans la joie, parce qu’ils sont damnés comme des étrangers. Un homme a deux fils, il corrige l’un, et abandonne l’autre, l’un fait mal, et n’est aucunement réprimé par son père, l’autre au moindre mouvement est souffleté, châtié. Pourquoi l’un est-il négligé, l’autre frappé, sinon parce que l’on réserve l’héritage à ce dernier, et que l’autre est abandonné comme l’enfant que l’on déshérite? On ne voit aucune espérance en lui, et on le laisse vivre à son gré. Mais si l’enfant que l’on corrige n’était point sage, s’il était assez imprudent pour envier le sort de son frère que l’on ne corrige point; s’il gémit intérieurement, s’il dit en son coeur: Mon frère fait tous les crimes, il s’affranchit des ordres de mon père, et il ne reçoit aucune réprimande, tandis qu’à la moindre faute, je suis châtié sans pitié; il serait alors un insensé, un imprudent s’arrêtant à ce qu’il souffre, et non à ce qu’on lui réserve.
9. Aussi après avoir dit: « Combien profondes sont vos pensées», le Prophète ajoute:
« L’homme imprudent ne les connaîtra point, l’insensé ne les comprendra point 2 ». Qu’est-ce que l’insensé ne comprendra pas, que l’imprudent ne connaîtra pas? « Que les pécheurs se lèvent comme l’herbe 3». Qu’est-ce à dire « comme l’herbe? » Qu’ils sont verdoyants en hiver, et se dessèchent pendant l’été. Vois la fleur de l’herbe. Y a-t-il rien pour passer plus vite? Quoi de plus brillant? quoi de plus vert? sans t’arrêter à cet éclat, redoute le desséchement. Tu as entendu que « les pécheurs sèchent comme l’herbe »; écoute les justes. « Car voici ». En attendant, vois les méchants qui s’épanouissent
1.
Isa. XL, 6-8. — 2. Ps. XCI, 7. — 3. Id. 8.
comme la fleur: c’est bien; mais que sont ceux qui ne comprennent point ce mystère? des insensés, des imprudents. « Quand « les pécheurs viennent à paraître comme « l’herbe, et qu’ils regardent tous ceux qui « commettent l’iniquité», Tous ceux qui ont dans le coeur une fausse idée de Dieu, ont regardé les pécheurs qui sont comme l’herbe, c’est-à-dire qui fleurissent pour un temps. Pourquoi les regarder? « Afin de mourir pour le siècle du siècle ». En considérant cet éclat passager, ils les imitent, et dans leur volonté de fleurir avec eux pour un temps, ils périssent pour l’éternité: voilà ce que signifie: « Ils périssent pour le siècle du siècle ».
10. « Mais vous, Seigneur, vous êtes le Très-Haut pour l’éternité 1 ». Des hauteurs du ciel et de votre éternité, vous attendez que le temps des méchants s’écoule, et que vienne le temps des justes. « Car voici». Redoublez d’attention, mes frères, puisque Celui qui parle ici déjà s’est uni à l’éternité de Dieu, et il parle en notre nom, au nom du corps du Christ, et le Christ parle au nom de son corps ou de son Eglise. Ainsi que je vous le disais tout à l’heure, Dieu a la longanimité, la patience; il tolère tous ces maux qu’il voit commettre aux méchants. Pourquoi? Parce qu’il est éternel, et qu’il voit ce qu’il leur réserve. A ton tour, veux-tu être patient? Unis-toi à l’éternité de Dieu, et attends avec lui ce qui est au-dessous de toi: et dès lors que ton coeur sera uni au Très-Haut, tu seras au-dessus de tout ce qui est mortel; et tu diras alors: « Voila que vos ennemis périront 2 ». Ils fleurissent aujourd’hui, ils périront demain. Quels sont les ennemis de Dieu? Mes frères, peut-être ne regardez-vous comme ennemis de Dieu que les blasphémateurs de son nom? Ils le sont en effet, et des ennemis outrageux, puisque ni leurs langues, ni leurs pensées n’épargnent à Dieu aucune injure. Mais que peuvent-ils faire à ce Dieu très-haut et éternel? Frappe du poing une colonne, tu te blesseras. Et tu crois qu’en frappant Dieu de tes blasphèmes, ce n’est point toi qui es meurtri? Car Dieu n’est pas atteint. Mais les blasphémateurs sont ouvertement ennemis de Dieu, et chaque jour on trouve des ennemis cachés. Craignez d’être de ce nombre. L’Ecriture nous montre
1.
Ps. XCI, 9. — 2. Id. 10.
quelques-uns de ces ennemis, afin que tu les con naisses du moins par l’Esprit de Dieu puisque tu ne peux les connaître par toi-même, et que tu craignes d’être de leur nombre. Saint Jacques dit clairement dans son épître: « Ne savez-vous pas que l’ami du monde est devenu l’ennemi de Dieu 1?» Tu l’entends. Veux-tu n’être pas ennemi de Dieu? Ne sois point l’ami du monde. Car, être l’ami du monde, c’est être l’ennemi de Dieu. De même qu’une épouse ne saurait devenu adultère qu’elle ne soit en inimitié avec son mari; ainsi toute âme qui est adultère par amour des choses du monde, ne peut être que l’ennemie de Dieu. Elle craint, mais elle n’aime pas. Elle craint la peine, elle n’aime pas la justice. Ils sont donc ennemis de Dieu, tous ceux qui aiment le monde, tous ceux qui recherchent ses vanités, tous ceux qui consultent les sorts, les astrologues et les devins. Qu’ils entrent ou non dans les églises, ils sont ennemis de Dieu. Ils peuvent, comme l’herbe, fleurir pour un temps; mais ils périront lorsque Dieu jettera les yeux sur eux, et qu’il entrera en jugement avec toute chair. joins ta voix à celle des Ecritures, et dis avec le Psalmiste: « Voilà que vos ennemis périront». Qu’on ne te trouve point où ils périront. « Et alors seront dispersés tous ceux qui font l’iniquité ».
11. Mais si les ennemis de Dieu doivent périr,si tous ceux qui opèrent l’iniquité doivent être dissipés, que deviendras-tu, toi qui gémis aujourd’hui, qui es dans l’affliction, qui as à endurer les scandales et les iniquités du monde, qui souffres dans ta chair, mais qui as la joie dans le coeur, que deviendras-tu? Quelle est ton espérance, ô corps du Christ? O Christ, qui êtes assis dans les cieux à la droite de votre Père, et dont les pieds et les membres sont meurtris ici-bas, vous qui dites: « Saul, pourquoi me persécuter 1? » quelle sera votre espérance, si les ennemis de Dieu doivent périr, si tous ceux qui font l’iniquité doivent être dispersés? Que deviendrez-vous? «Ma corne s’élèvera comme celle de la licorne 2 ». Pourquoi « comme celle de la licorne?» Quelquefois la licorne signifie l’orgueil, quelquefois elle désigne l’élévation de l’unité. Elever l’unité en gloire, c’est tuer les hérésies avec les ennemis de Dieu. « Ma corne sera élevée comme celle de la licorne».
1. Act. IX, 4.— 2. Ps. XCI, II.
Quand cela doit-il arriver? « Ma vieillesse sera dans une miséricorde abondante».Comment dit-il « ma vieillesse?»Mes derniers moments, de même que dans nos âges différents la vieillesse est le dernier: ainsi tout ce qu’endure aujourd’hui le corps du Christ, dans les travaux, dans les veilles, dans la faim, dans la soif, dans les scandales, dans les iniquités, dans les angoisses, c’est le temps de sa jeunesse: sa vieillesse ou ses derniers moments seront dans la joie. Que votre charité veuille bien entendre qu’il a dit vieillesse, et ne vous figurez pas la mort; l’homme ne vieillit que pour mourir. Or, pour l’Eglise, sa vieillesse sera blanche par ses actions saintes, mais elle ne verra point ha corruption de la mort. Telle on voit la tête d’un vieillard, telles seront nos oeuvres. Vous voyez la tête grisonner d’abord, puis blanchir totalement, à mesure qu’elle avance en âge. Qu’un homme vieillisse en son temps, et vous chercherez sur sa tête un cheveu noir sans pouvoir le trouver: ainsi quand notre vie sera telle que l’on cherchera en vain chez nous quelque noirceur du péché, cette vieillesse sera une véritable jeunesse, une vieillesse pleine de sève et qui doit fleurir à jamais. Vous avez entendu l’herbe fleurie des pécheurs, écoutez la vieillesse des justes: « Ma vieillesse sera dans une miséricorde abondante ».
12. « Mes yeux ont fixé mes ennemis ». Qui appelle-t-il ennemis? Tous ceux qui commettent l’iniquité. Ne t’arrête pas à considérer que tu as pour ami un homme injuste; vienne une affaire, et tu le connaîtras. Dès que tu seras un obstacle à ses injustices, tu pourras voir qu’il était ton ennemi, quand il te flattait: c’est qu’alors tu n’avais pas encore frappé, non pour faire entrer dans son coeur ce qui n’y était pas, mais pour en expulser ce qui y était. « Et mon oeil s’est fixé sur mes ennemis; et mon oreille entendra les malédictions de mes ennemis contre moi 1». Quand? dans ma vieillesse. Qu’est-ce à dire ma vieillesse? mes derniers moments. Et qu’entendra notre oreille? De notre place, à la droite, nous entendrons ce qui sera dit à ceux de gauche. « Allez, maudits, au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses anges 2». Cette parole terrible n’aura rien d’effrayant pour le juste. Vous savez ce qui est dit dans un psaume. « La mémoire du juste sera
1.
Ps. XCI, 12. — 2. Matth. XXV, 41.
éternelle, il ne craindra point la parole fâcheuse 1 ». Quelle parole fâcheuse? Allez au feu éternel qui a été préparé au diable et à ses anges. « Et mon oreille entendra les malédictions de ceux qui s’élèvent contre moi ».
13. L’herbe passe; la fleur des pécheurs passe aussi. Que deviendront les justes? « Le juste fleurira comme le palmier ». Les premiers s’élèvent comme l’herbe; « le juste fleurira comme le palmier ». Le palmier marque l’élévation. Peut-être le Prophète at-il voulu nous parler du sommet du palmier qui est très-beau; à partir de la terre, sa fin sera son sommet, où est toute sa beauté; sa racine est âpre sur la terre, mais sa tête est belle dans les cieux. Telle sera donc ta beauté à la fin du monde. Que ta racine soit fortement fixée. Mais pour nous, la racine est en haut, car cette racine est le Christ qui est monté aux cieux. Il a été humilié, et il est élevé. « Il se multipliera comme le cèdre sur le Liban ». Voyez quels arbres choisit le Prophète: « C’est le juste qui fleurit comme le palmier, qui se multiplie comme le cèdre sur le Liban 2». Le palmier sèche-t-il sous les feux du soleil? Le cèdre sèche-t-il? Et pourtant les ardeurs du soleil font sécher l’herbe. Viendra donc le jugement, qui fera sécher les pécheurs, et verdir les fidèles. « Il se multipliera comme le cèdre sur le Liban ».
14. « Plantés dans la maison du Seigneur, ils fleuriront à l’entrée de la demeure de Dieu. Ils se multiplieront dans une féconde vieillesse, et ils seront tranquilles pour annoncer ». Tel est le sabbat dont nous avons parlé tout à l’heure, et qui fait le titre du psaume. « Ils seront tranquilles pour annoncer». Pourquoi ce calme en annonçant? L’herbe des pécheurs ne pourra les ébranler. Ni le cèdre ni le palmier, ne se courbent dans la tempête. Qu’ils soient donc tranquilles pour annoncer; puisqu’il faut Prêcher au milieu du persiflage des hommes. Infortunés, qui êtes épris du monde, les justes plantés dans la maison du Seigneur, vous prêchent la vérité; eux qui confessent le Seigneur dans leurs cantiques et sur la harpe, dans la parole et dans les oeuvres, vous prêchent et vous disent: Ne vous laissez point séduire par la félicité des méchants, ne vous arrêtez point à la fleur d’une herbe; ne portez pas envie à ces heureux d’un moment, qui seront malheureux
1.
Ps. CXI, 7. — 2. Id. 13.— 3. Id. 14 - 16.
dans l’éternité. Cette félicité qui paraît maintenant au dehors, n’est point réelle; ils n’ont point la paix du coeur, eux qu’aiguillonne une mauvaise conscience. Pour toi, demeure en paix, comptant sur les promesses de ton Dieu. Qu’auras-tu à prêcher dans le calme? «Que le Seigneur est droit, qu’il n’y a en lui aucune iniquité ». Voyez, mes frères, si vous voulez être plantés dans la maison du Seigneur, si vous voulez fleurir comme le palmier, vous multiplier comme le cèdre du Liban, afin de ne point vous dessécher sous les feux du soleil, comme ceux qui périssent avec éclat quand le soleil est loin de nous. Si donc vous ne voulez point être une herbe, mais bien des palmiers et des cèdres, qu’annoncerez-vous? « Que le Seigneur Dieu est juste; et qu’en lui il n’y a point d’iniquité». Comment n’y a-t-il en lui aucune iniquité? Voilà un homme si criminel, et pourtant il a ta santé, il a des enfants, il a la gloire, il a des honneurs, il se venge de ses ennemis, il commet toutes sortes de crimes: cet autre au contraire est intègre dans ses affaires; il ne ravit point le bien d’autrui, il n’agit contre personne, il souffre dans les chaînes, dans les prisons, il souffre et soupire dans la misère. Comment donc n’y a-t-il en Dieu aucune injustice? Du calme, et tu le comprendras. Car tu es dans le trouble, et tu obscurcis la lumière dans ton intérieur. Dieu, qui est éternel, veut laisser tomber sur toi ses rayons; garde-toi de les obscurcir par aucun trouble; demeure dans le calme, et écoute ma parole. Parce que Dieu est éternel et qu’il pardonne aux méchants pour les amener à la pénitence, parce qu’il flagelle les bons, pour les amener au royaume des cieux, « il n’y a point en lui d’injustice », sois sans crainte. Mais, diras-tu, j’ai subi tant de châtiments, chacun le sait, je suis pécheur, je l’avoue, je suis loin de me croire juste. Voilà ce que disent la plu part des hommes. Qu’un homme soit dans l’affliction, dans la douleur, tu vas le consoler, et il te répond: J’ai péché, je l’avoue, mes fautes sont grandes, je le reconnais; mais suis-je aussi coupable que cet autre? Je sais ce qu’il a fait, je connais ses fautes: j’ai péché, j’en conviens devant Dieu; mais je suis moins coupable que cet autre qui souffre moins que moi. Sois sans trouble et dans le calme, afin de savoir « que le Seigneur est juste, et qu’en lui il n’y a point d’iniquité ». Que dirais-tu, (379) s’il ne te flagellait ici-bas que pour t’épargner les flammes éternelles? s’il n’épargnait cet autre ici-bas, qu’afin de lui dire: « Va au feu éternel?» Mais quand, me diras-tu? Quand tu seras placé à la droite, et que l’on dira à ceux de gauche: « Allez au feu éternel, préparé au diable et à ses anges ». Sois donc sans trouble dans tout cela, sois calme, garde le repos, et prêche « que le Seigneur est droit, qu’il n’y a en lui aucune injustice ».
SERMON AU PEUPLE
Le titre porte le sixième jour avant le sabbat, ou le jour de la création de l’homme, que Jésus-Christ est venu reformer au sixième âge du monde, de manière à nous conduire au véritable sabbat qui est le ciel. Il a consolidé la terre, ou les hommes dans la foi, et pour la consolider il s’est revêtu de beauté pour ses admirateurs, de force pour ses contradicteurs, de manière à prémunir les fidèles Contre les contradictions des hommes. Il s’est ceint par devant, c’est-à-dire qu’il a été humble, comme hie fit en se ceignant d’un linge pour laver les pieds à ses Apôtres. L’humilité est la pierre, d’autant plus solide qu’elle est plus abaissée. Mettre une ceinture devant nous, c’est résister à ceux qui nous insultent face à face, comme on disait à Jésus: Descends de la croix; car le courage est plus nécessaire. L’univers qui ne sera point ébranlé, c’est le froment que le van me chasse point de l’aire; l’autre, c’est la paille qui s’envole. Si donc nous ne pouvons nous séparer des injustes, séparons nous de leurs injustices. C’est là préparer un trône à Dieu, qui s’assied dans les saints ou les humbles, bien qu’il ait un trône éternel. Les fleuves ou les Apôtres ont élevé la voix quand l’Esprit-Saint a soufflé sur eux; la mer s’est soulevée contre eux, mais le Christ l’a calmée par sa victoire sur le monde: qu’il en soit béni à jamais.
1. A la lecture du psaume, nous en avons entendu le titre; et d’après les saintes Ecritures, c’est-à-dire le livre de la Genèse, il n’est pas difficile d’en connaître la signification. Un titre est en effet comme l’inscription placée sur le seuil d’une maison: il nous indique ce qui est â l’intérieur. Voici donc cette inscription: « Louange du cantique à David, pour le jour qui précéda le sabbat, quand la terre fut fondée ». Or, en considérant ce que Dieu fit chaque jour, quand il créa et disposa toutes choses, du premier au sixième jour (car il sanctifia le septième jour et le consacra par le repos, après toutes ses oeuvres, qui étaient excellentes), nous voyons qu’au sixième jour (et c’est bien celui de notre psaume, puisqu’il est marqué, la veille du sabbat), Dieu créa tous les animaux sur la terre. Puis le même jour, il créa l’homme à son image et à sa ressemblance. Or, cette disposition des six jours n’est pas sans raison, puisqu’elle annonce que les siècles doivent s’écouler, avant que nous nous reposions en Dieu. Et c’est nous reposer que faire des bonnes oeuvres. C’est pour cela qu’il est écrit que Dieu se reposa le septième jour, après avoir tait des oeuvres excellentes 1. Car la fatigue ne lui faisait point prendre son repos, et maintenant il n’est pas inactif, puisque Notre Seigneur Jésus-Christ nous dit « Mon Père agit sans cesse 2 ». Ainsi parlait-il aux Juifs, qui avaient au sujet de Dieu des pensées charnelles, qui ne comprenaient point que Dieu agit, bien qu’il se repose, qu’il agit toujours, bien qu’il se repose toujours. Donc nous aussi, que le Seigneur a voulu personnifier en lui-même, nous aurons le repos après les bonnes oeuvres. Il est vrai, mes frères, que les oeuvres que nous faisons ici-bas avant le repos, sont des oeuvres laborieuses en quelque sorte, et que Le repos dont il s’agit n’est qu’en espérance, et pas encore en réalité; et sans cette espérance nous succomberions au travail. Mais toutes ces bonnes oeuvres laborieuses passeront un jour. Quoi de meilleur que donner du pain à celui qui a faim? Et, comme nous l’entendions tout à l’heure à la lecture de l’Evangile, quoi de plus saint que ce conseil général: « Que tout homme qui a deux tuniques en donne une à celui qui n’en a point, et que celui qui a de quoi manger
1.
Gen. I et II, l-3. — 2. Jean, V, 17.
en donne à celui qui a faim 1? » Vêtir celui qui est nu, c’est une bonne oeuvre, mais cette bonne oeuvre subsistera-t-elle toujours? Elle est quelque peu pénible; mais elle nous console, par l’espérance du repos à venir. Et pourtant quelle peine y a-t-il à vêtir un pauvre? Une bonne oeuvre est presque sans peine, le mal est plus laborieux. Vêtir un pauvre quand on peut le faire, n’est guère pénible; si on ne le peut: « Gloire à Dieu au plus « haut des cieux, et paix sur la terre aux a hommes de bonne volonté 2 ». Nais dépouiller celui qui est vêtu, qui pourra nous en dire la peine? Et pourtant tout cela doit passer quand nous arriverons à ce repos, où il n’y aura ni affamé à nourrir, ni pauvre à revêtir. Toutes ces bonnes oeuvres passeront donc, et ce sixième jour pendant lequel on fait ces oeuvres excellentes, a un soir. Or, au jour du repos, il n’y aura aucun soir, puisque notre repos sera sans fin. Comme donc ce fut au sixième jour que Dieu fit l’homme à son image 3; ainsi trouvons-nous que ce fut au sixième âge que Notre Seigneur Jésus-Christ vint reformer l’homme à l’image de Dieu. Le premier âge, en effet, marqué par le premier jour, serait depuis Adam jusqu’à Noé; le second âge, qui serait comme un second jour, depuis Noé jusqu’à Abraham; le troisième âge, ou troisième jour, depuis Abraham jusqu’à David; le quatrième âge, ou quatrième jour, depuis David jusqu’à la transmigration à Babylone; le cinquième âge, ou cinquième jour, depuis la transmigration à Babylone jusqu’à la prédication de Jean-Baptiste; et le sixième jour, depuis la prédication de Jean-Baptiste jusqu’à la fin, et à la fin du sixième jour arrivera le repos. Nous sommes donc maintenant dans ce sixième jour. Si nous sommes dans ce sixième jour, voyez le titre du psaume: « Pour le jour qui précéda le sabbat, quand la terre fut fondée ». Examinons le psaume lui-même, et voyons quand la terre fut fondée, car elle ne le fut point peut-être ce jour-là. Ce n’est point en effet ce que nous lisons dans la Genèse. Quand donc la terre fut-elle fondée? Quand, sinon, comme nous l’avons lu tout à l’heure dans l’Apôtre: « Si vous demeurez dans la foi, fermes et inébranlables 4 ». Lorsque dans toute la terre, tous les fidèles sont inébranlables dans la foi, c’est
1.
Luc, III, 11. — 2. Id. II, 14. — 3. Gen. I, 26. — 4. I Cor. XV,
58.
alors que la terre est fondée, que l’homme est fait à l’image de Dieu 1; ce que nous figurait le sixième jour de la Genèse. Mais comment Dieu a-t-il fait cette oeuvre, comment a-t-il fondé la terre? Le Christ est venu afin de fonder la terre. « Car nul ne saurait poser un fondement autre que celui qui a été posé, qui est le Christ Jésus 2». C’est donc de Jésus-Christ que le psaume va parler.
2. « Le Seigneur a régné, il s’est couvert de gloire; le Seigneur s’est revêtu de force, et il s’est ceint 3 ». Il a donc pris pour double vêtement la gloire et la force. Pourquoi s’en revêtir pour fonder la terre? Car le Psalmiste continue: « Il a consolidé la terre qui ne sera point ébranlée ». Comment l’a-t-il consolidée? En se revêtant de gloire. Mais il ne la consoliderait point s’il ne s’était revêtu de force en même temps que de gloire. Pourquoi donc la gloire, et pourquoi la force? Car le Prophète a précisé l’un et l’autre: « Le Seigneur a régné, il s’est revêtu de gloire; le Seigneur s’est revêtu de force et a ceint ses reins ».Vous le savez, mes frères, Notre Seigneur, venant dans sa chair et prêchant l’Evangile du royaume, plaisait aux uns, déplaisait aux autres. Car les Juifs étaient partagés à son sujet: « Les uns disaient: Il est bon; les autres: Non, il séduit la foule 4 ». Les uns parlaient donc de lui en bien, les autres en parlaient mal, le déchiraient, le mordaient, le noircissaient de leurs outrages. Il était donc revêtu de beauté pour ceux auxquels il plaisait, et de force pour ceux auxquels il ne plaisait point. Prends donc, toi aussi, le Seigneur pour modèle, afin que tu deviennes pour lui un vêtement. Sois revêtu de beauté pour ceux auxquels plairont tes bonnes oeuvres, et sois fort contre tes détracteurs. Ecoute comment Paul, cet imitateur du Christ, eut de la beauté, comment de la force: « Nous « sommes», dit-il, «la bonne odeur du Christ, en tout lieu, et pour ceux qui font leur salut et pour ceux qui périssent 5? » Ceux qui goûtent le bien, se sauvent; les détracteurs du bien doivent périr. Autant qu’il était en lui, Paul était le parfum du bien, il était même la bonne odeur. Malheur à ces misérables que la bonne odeur fait mourir. Car l’Apôtre n’a point dit: Nous sommes une bonne odeur pour les uns, une mauvaise odeur pour les
1.
Gen. I, 26.— 2. I Cor. III, 11.— 3. Ps. XCII, 1. — 4. Jean, VI, 12.— 5. II Cor, II, 15.
autres; mais bien: « Nous sommes la bonne odeur du Christ, en tout lieu, et pour ceux qui se sauvent, et pour ceux qui périssent ». Et il ajoute aussitôt: « Aux uns nous sommes une odeur de vie pour la vie, aux autres une odeur de mort pour la mort 1». Il était donc revêtu de beauté pour ceux auxquels il était une odeur de vie, et de force pour ceux auxquels il était une odeur de mort. Si tu te réjouis quand les hommes te louent, quand ils prennent goût à tes oeuvres; si leur blâme te fait manquer de courage, et ralentit tes bonnes oeuvres, comme si tu en avais perdu le fruit en trouvant des détracteurs; tu n’es pas immobile encore, et tu n’appartiens pas encore à « cette terre ferme qui ne sera point ébranlée, pour laquelle le Seigneur s’est préparé en se revêtant de sa force ». Saint Paul touche, à un autre endroit, cette force et cette beauté: « Par les armes de la justice, à droite et à gauche ». Vois où il place la beauté, où il place la force: « Par la gloire et par l’ignominie 2 ». Il est beau dans la gloire, il est courageux dans l’ignominie. Chez les uns on relevait en gloire, chez les autres on le méprisait. Il apportait donc la beauté aux premiers, et la force à ceux auxquels il ne plaisait point. C’est en ce sens qu’au même endroit il énumère tous ces contrastes jusqu’à cette parole: « Comme n’ayant rien et possédant tout 3». Posséder tout, c’est la beauté; n’avoir rien, c’est la force. Ne nous étonnons donc point si le Prophète a dit: « Il a consolidé la terre qui ne sera point ébranlée». Comment l’univers entier ne sera-t-il point ébranlé? C’est parce que les fidèles du Christ sont partout et prêts à tout: à se réjouir avec ceux qui louent, à s’armer contre ceux qui blâment; à ne s’amollir point devant la louange, âne point se laisser abattre par le blâme.
3. Peut-être demanderons-nous aussi le sens de cette parole: « Il est ceint ». Se ceindre désigne le travail, et un homme ceint ses reins quand il va travailler. Comment toutefois le Prophète, au lieu de dire: Il est ceint, a-t-il dit: « Ceint par devant», praecinctus? Dans un autre psaume il est dit: « Ceignez vos reins de votre épée, ô Tout- Puissant, et les peuples tomberont sous vos coups 1 ». Ici, il n’est point dit simplement, ceignez-vous, cingere, ni ceignez-vous par devant, praecingere, mais accingere gladium
1.
II Cor. II, 16.— 2. II Cor. VI, 8.— 3. Id.
10.— 4. Ps. XCIV, 4, 6.
tuum, ceignez votre épée; et accingere se dit lorsque la ceinture porte quelque chose aux flancs. Il a donc dit: Ceignez votre épée, accingere. Or, le glaive du Seigneur, qui a vaincu l’univers entier, c’est l’Esprit de Dieu dans la vérité de sa parole. Pourquoi ceindre ce glaive autoùr des reins? il est vrai, mes frères, que ce verset vient d’un autre psaume, et que nous avons expliqué la ceinture autrement; mais continuons puisqu’il se représente ici. Qu’est-ce que porter son épée à ses reins? Les reins ont le sens de la chair. Car le Seigneur n’aurait point soumis l’univers entier, si le glaive de la vérité n’était venu dans la chair. Mais pourquoi dans notre psaume le mot praecingere, qui s’emploie quand on met quelque chose devant soi? De là vient qu’il est dit que Jésus « mit devant lui un linge, praecinxit, et lava les pieds de ses disciples ». Il fut humble alors, ayant mis devant lui un linge pour laver leurs pieds. Or, toute force est dans l’humilité, puisque tout orgueil n’est que faiblesse. A propos de la force, le Prophète s’est servi du mot praecinctus, ceint par devant, afin de te rappeler que ce même Dieu assez humble pour laver les pieds des disciples était aussi praecinctus. Or, Pierre saisi de frayeur en voyant à ses pieds son Seigneur, son Maître (et dire son maître, c’est moins dire que son Seigneur), voyant son Seigneur se courber à ses pieds, pour les laver, fut dans la stupeur et s’écria: « Seigneur, vous ne me laverez point les pieds ». Mais le Sauveur:
« Ce que je fais, tu ne le comprends point maintenant, tu le sauras plus tard ». Et Pierre: « Jamais vous ne me laverez les pieds ». Et Jésus: « Si je ne te purifie, tu n’auras aucune part avec moi ». Mais Pierre qui avait frissonné en voyant son Maître lui laver les pieds, frissonna plus encore à cette parole: « Tu n’auras point de part avec moi ». Tant que le Seigneur n’agissait point sans motif, et qu’il y avait là quelque mystère, il s’écria: « Seigneur, non seulement les pieds, mais les mains et la tête et tout le corps ». Et Jésus: « Celui qui a été lavé n’a plus besoin de se laver une seconde fois, mais il est complètement pur». Si donc il leur lavait les pieds, ce n’était pas tant pour les purifier que pour leur donner un exemple d’humilité. Car il leur avait dit: « Ce que je fais, tu ne le comprends pas maintenant, tu le sauras (382 ) plus tard ». Voyons si plus tard ils ont compris, si plus tard il leur a exposé ce qu’il faisait alors, afin de voir le Seigneur ceint de sa force, car toute sa force était dans son humilité. Quand il leur eut lavé les pieds, il s’assit de nouveau, et leur dit: « Vous m’appelez Maître, et vous dites vrai; je le suis en effet: vous m’appelez Seigneur, et vous dites vrai, car je le suis. Si donc moi, votre Maître et votre Seigneur, j’ai lavé vos pieds, comment devez-vous agir les uns envers les autres 1? » Si donc c’est dans l’humilité qu’est la force, ne craignez pas les orgueilleux. Les humbles sont comme la pierre; elle paraît abaissée, mais elle est solide. Que sont les orgueilleux? Semblables à la fumée, ils ne s’élèvent que pour s’évanouir. Donc il nous faut rapporter à l’humilité du Seigneur cette ceinture dont nous parle l’Evangile, et qu’il mit devant lui, pour laver les pieds à ses Apôtres.
4. On pourrait encore donner un autre sens à cette parole. Nous avons dit que praecingere c’est mettre une ceinture, mais devant soi. Or, nos détracteurs parlent quelquefois en mal de nous, mais en notre absence, et comme derrière nous; d’autres le font en face, comme au Seigneur à la croix: « S’il est le Fils de Dieu, qu’il descende de la croix 2 ». Or, nous n’avons pas réellement besoin de courage quand on ne médit de nous qu’en notre absence; car nous n’entendons pas, nous ne sentons rien; mais quand on nous outrage en notre présence, il nous faut alors du courage. Qu’est-ce à dire du courage? Oui, pour supporter; car n’allez pas croire qu’il y a du courage à vous laisser vaincre par l’outrage que vous entendez, et à frapper le coupable. Frapper un insolent, ce n’est pas être courageux, c’est être vaincu par la colère. Or, il y a folie à donner le nom de fort à un homme vaincu; quand l‘Ecriture dit que « l’homme qui dompte sa colère, est plus fort que celui qui prend les villes 3 ». Un preneur de villes est donc inférieur à l’homme qui surmonte sa colère. Tu as dans toi-même un rude adversaire. Quand l’outrage soulève en toi la colère, et te pousse à rendre le mal pour le mal, souviens-toi de cette parole de l’Apôtre: « Ne rendez à personne le mal pour le mal, ni l’outrage pour l’outrage 4 ». Ces paroles
1.
Jean, XIII, 4-15. — 2. Matth. XXVII, 40. — 3. Prot. XVI, 32. — 4. I
Pierre, III, 9.
étoufferont ta colère et te fortifieront: et comme ces paroles te sont dites en face, et non par derrière, elles seront une ceinture devant toi.
5. Allons plus loin, le psaume est court. « Il a consolidé la terre qui ne sera point ébranlée 1 ». Vous le voyez, mes frères, beaucoup ont embrassé la foi de Jésus, c’est le grand nombre: et pourtant dans ce grand nombre, l’Evangile qu’on a lu vous le disait tout à l’heure, le Seigneur viendra le van à la main, et il purgera son aire, serrant le froment dans son grenier, et jetant les pailles au feu inextinguible 2. Il y a donc sur toute la terre des bons et des méchants, des bons qui sont le grain, des méchants qui sont la paille. Le fléau dans l’aire brise la paille qui tombe et nettoie le froment. Qu’est-ce donc que cet univers qui ne sera point ébranlé? Le Prophète ne tiendrait point ce langage s’il n’y avait aussi un univers qui s’ébranlera. Il y a donc un univers qui demeurera ferme, tandis qu’un autre univers doit chanceler. On appelle univers, en effet, les bons qui demeurent fermes dans la foi: et qu’on ne dise point qu’ils sont en un endroit, ils sont partout; de même que les méchants, qui doivent abandonner la foi au souffle de la moindre tribulation, sont aussi partout, Il y a donc un univers mobile et un univers immobile, dont parle saint Paul. Vois cet univers mobile: « De ce nombre sont Hyménée et Philète, qui se sont écartés de la vérité, en disant que la résurrection est déjà faite, et qui bouleversent la foi de quelques-uns 3»: je vous le demande, quels sont ces hommes dont parle saint Paul? Appartenaient-ils à cet univers qui est inébranlable? Ils étaient la paille: et ils bouleversent la foi, dit l’Apôtre. Il ne dit point la foi de tous: et s’il disait de tous, nous devrions comprendre de tous ceux qui appartiennent à la cité de Babylone, qui doit être damnée avec le diable. Néanmoins il dit la foi de quelques-uns. Et comme si l’on demandait: Qui pourra leur résister? il ajoute aussitôt « Mais le solide fondement de Dieu subsiste 4», Voilà que tu connais l’univers qui sera inébranlable. « Voici quel en est le signe ». Quel est le signe de ce fondement solide? « Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui ». Tel est l’univers qui ne chancellera point: « Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui ». Et
1. Ps. CXII, 1 — 2. Matth. XII,
12.— 3. II Tim. II, 17, 18.— 4. Id, 19.
qu’a-t-il pour signe? « Que celui qui invoque le nom du Seigneur, s’éloigne de l’iniquité». Qu’il s’éloigne maintenant de l’iniquité, puisqu’il ne peut se séparer des injustes, à cause du mélange de la paille et du froment, jusqu’au vannage. Que dis-je, mes frères? Chose étonnante de la part du froment dans l’aire ! il se sépare de la paille quand on l’en dépouille, mais lorsqu’on le bat, il ne s’en va point de la grange. Quand se séparera-t-il tout à fait? Quand viendra le vanneur 1. L’univers entier est donc une aire: il faut, quelque bon que tu sois, que tu vives parmi les méchants; mais si tu ne peux te séparer des hommes injustes, sépare-toi de l’injustice. «Que tout homme qui invoque le nom du « Seigneur se sépare de l’iniquité », et il sera dans cet univers qui est inébranlable.
6. «C’est de là, ô mon Dieu, qu’un trône vous ma été préparé 2 ». « De là », qu’est-ce à dire? De ce moment: comme si le Prophète nous disait: Qu’est-ce que le trône de Dieu? où s’assied-il? En ses saints. Veux-tu être pour Dieu un trône? Prépare-lui dans ton coeur un lieu où il s’asseye. Quel est en effet le siège de Dieu, sinon l’endroit qu’habite le Seigneur? Et où habite le Seigneur, sinon dans son temple? Et quel est ce temple? se compose-t il de murailles? Loin de nous cette pensée Son temple est peut-être ce monde, qui est vaste et digne de la grandeur de Dieu. il ne saurait contenir celui qui l’a fait, Où donc Dieu se repose-t-il? L’âme calme, l’âme juste, voilà celle qui porte Dieu. Chose étrange, mes frères ! Dieu est infiniment grand, il pèse à ceux qui sont forts, il est pour les faibles un léger fardeau. Quels sont ces forts du Prophète? Les orgueilleux qui ont confiance dans leurs forces. Et cette faiblesse, qui consiste dans l’humilité, est une force plus grande. Ecoute ce que dit l’Apôtre: « Quand «je suis faible, c’est alors que je suis fort 3» Voilà ce que je vous ai prêché, que le Seigneur s’est revêtu de force, quand il a enseigné l’humilité. Tel est donc ce siège de Dieu dont un Prophète nous a dit ailleurs: « En qui reposera mon esprit? » C’est-à-dire, où mon esprit pourra-t-il reposer, sinon sur le trône de Dieu? Ecoute la description qu’il fait de ce trône. Tu t’imaginais peut-être un palais de marbre, d’amples parvis, une hauteur démesurée, des toits étincelants. Ecoute
1.
Matth. III, 12. — 2. Ps. XCII, 2. — 3. II Cor. XII, 10.
ce que le Seigneur se prépare: « Sur qui reposera mon esprit? Sur l’homme humble et calme, sur l’homme qui redoute ma parole 1». Es-tu humble? Es-tu tranquille? voilà que Dieu repose en toi. Mais Dieu, qui est élevé, n’habitera pas en toi si tu veux t’élever. Tu veux être grand afin qu’il habite en toi; sois humble, redoute sa parole, c’est là qu’il habite. Il ne craint point une demeure tremblante, parce que lui-même la consolide. « C’est depuis lors, ô Dieu, qu’un trône vous est préparé ». « Depuis lors », c’est-à-dire depuis ce moment, ce qui semble préciser un temps particulier. Depuis ce temps, quel temps? Peut-être le jour qui précéda le sabbat. Dès lors, le titre nous dirait alors quel jour. Ce serait le sixième jour, ou le sixième âge du monde, alors que le Seigneur vint en sa chair. C’est de ce jour, oui de ce jour, qu’il s’est fait homme, et qu’il est sorti du sein virginal. Que lisons-nous dans un autre psaume? « Vous êtes dans la splendeur des saints, dès les entrailles maternelles ». « Dans la splendeur des saints», c’est-à-dire que vous éclairez les saints afin qu’ils voient Dieu en sa chair, et que leur coeur se purifie afin qu’ils le voient dans sa divinité. « Dans la splendeur des saints, dès les entrailles maternelles ». Mais que dit ensuite le Prophète? Afin que l’on ne s’imagine point que le Christ n’a commencé son existence qu’au sortir du sein virginal, il ajoute: « Je t’ai engendré avant l’étoile du matin 2 ». Ainsi, après avoir dit: « Dans la splendeur des saints, dès les entrailles maternelles », le Prophète craint que l’on ne vienne à penser que le Christ a commencé au moment de sa naissance, comme Adam, comme Abraham, comme David, et il ajoute: « Avant l’étoile du matin, je t’ai engendré »; avant tout ce qui est éclairé. L’étoile du matin, en effet, signifie toutes les étoiles, et par les étoiles tous les temps, puisque Dieu a fait les astres pour marquer les temps 3, en sorte que Jésus-Christ serait né avant tous les temps: or, celui qui est né avant tous les temps ne peut être regardé comme un homme né dans les temps, puisque le temps est la créature de Dieu, Car si tout a été fait par lui 4, le temps aussi est son ouvrage. Peut-être encore: « avant l’étoile du matin», signifierait-il aussi, avant tout esprit qu’éclaire la sagesse de Dieu. Que votre charité
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Isa. LXVI, 2. — 2. Ps. CIX, 3. — 3. Gen. I, 14. — 4. Jean, I, 3.
redouble d’attention. De même que le Prophète, après avoir dit: « Au sortir du sein virginal », craint pour notre foi que nous ne venions à croire que le Christ a commencé à dater de sa naissance du sein de la Vierge, et qu’il ajoute aussitôt: « Je t’ai engendré avant l’étoile du matin»; de même ici, après avoir dit: « Depuis lors », c’est-à-dire depuis un certain temps, depuis le jour qui précède le sabbat, depuis le sixième âge du monde, quand le Christ Notre Seigneur vint en sa chair, parce qu’il voulut bien se faire homme pour nous, lui qui est Dieu, non seulement avant Abraham, mais avant le ciel et la terre, lui qui a dit: « Je suis avant qu’Abraham fût 1», et non seulement avant Abraham, mais avant Adam; et non seulement avant Adam, mais avant les anges, avant le ciel et la terre, puisque toute chose a été faite par lui: le Prophète craint que ce jour de la naissance du Sauveur dans le temps, ne te fasse croire que c’est alors seulement qu’il commença son existence, et il ajoute: « Un trône vous a été préparé, ô Dieu ». Mais quel Dieu? « Vous êtes de tout siècle », ou de toute éternité, apo aionos: ainsi porte le grec qui se sert de aion, tantôt pour désigner le siècle, tantôt pour désigner l’éternité. O vous donc que l’on croirait né de ce moment, vous êtes de toute éternité. Ne nous arrêtons pas àune naissance humaine, élevons-nous à l’éternité divine. Sa vie du temps a donc commencé à sa naissance: il a crû en âge, vous l’avez entendu dans l’Evangile; il a choisi ses disciples, les a remplis de l’Esprit-Saint, et ils ont commencé à prêcher. C’est là peut-être ce qui est dit ensuite.
7. « Les fleuves ont élevé leur voix 2 ». Quels sont ces fleuves qui ont élevé leur voix? Rien ne l’indique: à la naissance du Sauveur, nous ne voyons pas que les fleuves aient parlé, non plus qu’à son baptême et à sa passion, nous n’entendons pas la voix des fleuves. Lisez l’Evangile, vous ne verrez point que les fleuves aient parlé. C’est peu de parler, « ils ont élevé leur voix » Non seulement ils ont parlé, mais avec force, mais avec fracas. Quels sont ces fleuves qui ont parlé? L’Evangile n’en fait pas mention, disons-nous, cherchons-y néanmoins. Car où le trouver, sinon dans l’Evangile? Je pourrais peut-être inventer, mais au lieu d’être un
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Jean, VIII, 58. — 2. Ps. XCII, 3.
fidèle dispensateur, je ne serais plus qu’un fabuliste. Cherchons dans l’Evangile, cherchons ensemble quels sont ces fleuves qui élevèrent la voix. « Jésus se tenait debout et criait », lisons-nous dans l’Evangile. Que criait-il? Voilà déjà la tête de tous les fleuves qui crie; lui, la source d’où les autres fleuves doivent prendre leur écoulement, élève la voix le premier. Et que disait Jésus en se tenant debout? « Celui qui croit, comme le dit l’Ecriture, des fleuves d’eau vive couleront de son sein ». Et l’Evangéliste continue: « Il parlait ainsi à cause de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croyaient en lui. Mais le Saint-Esprit n’était pas encore donné, car Jésus n’était pas encore glorifié 1». Or, après que Jésus fut glorifié par la résurrection et par l’ascension, comme vous le savez, mes frères, et que furent écoulés dix jours qui étaient figuratifs, il envoya l’Esprit-Saint, qui remplit les disciples 2. Cet Esprit-Saint est donc le grand fleuve qui remplit beaucoup d’autres fleuves. C’est de ce fleuve que le Psalmiste a dit ailleurs: « Un fleuve impétueux porte la joie dans la cité de Dieu 3 ». Des fleuves s’échappèrent donc du sein des disciples, quand ils reçurent le Saint-Esprit. Ils devinrent des fleuves d’Esprit-Saint. Comment ces fleuves élevèrent-ils la voix? et pourquoi? D’abord parce qu’ils avaient craint. Pierre n’était pas encore un fleuve quand la question d’une servante lui fit renier le Christ jusqu’à trois fois: « Je ne connais point cet homme 4 ». La crainte le fait mentir; il n’élève pas encore la voix, il n’est pas encore un fleuve. Mais lorsqu’ils furent tous pleins du Saint- Esprit, et que les Juifs les firent comparaître pour leur défendre de parler aucunement de Jésus et d’enseigner en son nom, Pierre et Jean leur dirent: « Jugez s’il est juste devant Dieu, de vous obéir plutôt qu’à Dieu; car nous ne pouvons pas taire les choses que nous avons vues et entendues. Ces fleuves élevèrent la voix, et répondirent à la voix des grandes eaux ». C’est à cette voix qui s’élève que revient ce qui est écrit: « Pierre se tenant debout avec les « onze, et élevant la voix, s’écria: Hommes de Judée 5»; et le reste qu’il ajouta en leur prêchant Jésus-Christ sans crainte et avec une grande confiance. « Les fleuves ont élevé la
1. Jean, VII, 37-30. — 2.
Act. II, 4. — 3. Ps. XLV, 5. — 4. Matth. XXVI, 69-74. — Act. II, 14.
voix, pour provoquer la voix des grandes eaux »; car les Apôtres étant sortis du conseil des Juifs, ils vinrent trouver leurs frères, et racontèrent ce que leur avaient dit les prêtres et les sénateurs. A ces paroles, tous élevèrent une même voix vers le Seigneur, et dirent: « C’est vous qui avez fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qui est en eux 1 »; et tout ce que dirent ces fleuves en élevant la voix. « Les élévations de la mer sont admirables». Comme ces disciples élevaient la voix, plusieurs embrassèrent la foi et reçurent le Saint-Esprit, et ces fleuves peu nombreux commencèrent à se multiplier et à élever la voix. Aussi est- il dit: « A la voix des grandes eaux, combien sont admirables les soulèvements de la mer», ou de ce siècle. Lorsque tant de bouches prêchèrent le Christ, la mer aussitôt s’irrita, et les persécutions se multiplièrent, Ainsi donc, lorsque « les fleuves élevèrent la voix,à la voix des grandes eaux répondirent les suspensions de la mer».Ces suspensions sont des soulèvements, car le courroux de la mer fait soulever les flots. Mais que ces flots se soulèvent à leur gré, que la mer frémisse dans la rage; « ses soulèvements sont admirables»,sans doute: effroyables menaces, effroyables persécutions, mais vois ce qui suit: « Le Seigneur est admirable dans les cieux ». Que la mer donc s’apaise, qu’elle rentre dans le calme, et que l’on donne la paix aux chrétiens. La mer se soulevait jadis, la barque était agitée; cette barque c’est l’Eglise, et la mer c’est le monde. Le Seigneur vint, il marcha sur la mer, foula aux pieds ses flots 2. Comment le Seigneur marcha-t-il sur la mer? En marchant sur la tête de ces grandes ondées écumantes. Les puissants et les rois ont cru et reçu le joug du Christ. Ne craignons donc point. Si « la mer a de terribles soulèvements, plus terrible encore est le Seigneur dans les cieux ».
8. « Vos témoignages sont devenus tout à fait croyables 3 », Car, si les soulèvements de la mer étaient effrayants, plus grand encore était le Seigneur dans les cieux. « Vos témoignages sont devenus tout à fait croyables ».
1. Act. IV, 18-24. — 2. Matth. XIV,
24, 25. — 3. Ps. XCII, 5.
Ce sont vos témoignages, car vous aviez dit auparavant: « Je vous dis ces choses, afin que vous ayez la paix en moi. « Vous aurez de grandes tribulations dans le monde 1». Je vous en avertis donc, le monde se soulèvera contre vous. Or, ils furent persécutés, et ces persécutions confirmèrent en eux la parole de Dieu et affermirent leur courage; car en voyant s’accomplir la promesse des persécutions, ils espéraient que s’accomplirait aussi la promesse des couronnes. Dès lors, « effrayants étaient les soulèvements de la mer, et plus grand encore était le Seigneur dans les cieux. Vous aurez la paix avec moi, mais des persécutions dans le monde ». Que faisons-nous donc? La mer est en courroux, les flots se soulèvent avec fureur, nous sommes dans la persécution, allons-nous défaillir? Loin de là. « Le Seigneur est admirable dans les cieux ». Aussi quand il disait à ses Apôtres: « Vous aurez la paix avec moi, mais le monde vous persécutera »; comme s’ils lui eussent demandé: Pensez-vous qu’en nous foulant aux pieds, le monde ne nous exterminera pas? Il ajouta aussitôt: « Mais réjouissez-vous, j’ai vaincu le monde ». Si donc il dit: « J’ai vaincu le monde», attachez-vous à celui qui a vaincu le monde, qui a calmé la mer. Réjouissez-vous en lui, parce que le Seigneur est grand dans les cieux, et que « ses témoignages sont devenus tout à fait croyables ». Et qu’est il arrivé de tout cela? « La sainteté, Seigneur, convient à votre maison». A votre maison, à toute votre maison. Non point ici, non point là, non point ailleurs; mais dans toute votre maison, dans l’univers entier. Pourquoi dans l’univers entier? « Parce qu’il a redressé l’univers entier qui ne sera point ébranlé 2 ». La maison du Seigneur sera solidifiée dans le monde entier; beaucoup tomberont, niais la maison demeure; beaucoup seront dans le trouble, mais la maison sera inébranlable. « La sainteté, Seigneur, convient à votre maison ». Est-ce pour un peu de temps? Non, mais « pour de longs jours ».
1.
Jean, XVI, 33, — 2. Ps. XCV, 10.
La prospérité du méchant est ici-bas un scandale pour les faibles, qui sont portés à imiter ceux qu’ils croient heureux, oui n’éviter le mal que par la crainte. Dieu découvre le mal qu’ils feraient sans cette crainte, et dans l’occasion ils montrent leur méchanceté. Ainsi naguère une famille attirait ses victimes à imiter ses forfaits. Le lion bravait les gardiens, que redoute le loup non moins coupable. Dieu veut nous faire pratiquer la justice par amour pour cette justice. Ce psaume tend à guérir nos pensées; il est pour le quatrième jour, ou celui de la création des astres, parce que les saints doivent briller comme des astres, mais sans qu’on doive les adorer ils brillent en effet et poursuivent leur carrière sans s’arrêter aux crimes dont ils sont les témoins muets. Ils doivent supporter les injustes afin de ne point tomber du ciel ou de la loi, que nous devons lire ici-bas afin que rien ne nous ébranle. Dieu se vengera de ceux qui murmurent contre sa providence, de sème qu’il n’épargnait personne ici-bas, quand il encourageait les justes par la promesse du ciel. Il les épargnera moins encore maintenant qu’ils l’ont crucifié, à moins qu’en s’humiliant ils ne méritent de faire des miracles, comme quelques-uns de ses bourreaux. Ils croient ou que Dieu ignore leurs crimes, ou que ces crimes lui plaisent. Mais d’abord le juste doit savoir que c’est ici-bas le lieu de souffrir, que la patience fait partie du labeur, ensuite que Dieu qui a planté l’oeil et l’oreille eus voir et entendre; que le péché devient la fosse du pécheur, de l’orgueilleux, qui s’arroge le bien qu’il trouve en lui, ou qui se préfère aux autres, que Jésus-Christ nous apprend l’humilité, en prenant notre chair, en mourant sur la croix, et que relit humilité fait descendre Dieu vers nous; que s’il corrige le juste ici-bas, c’est pour l’épargner dans l’éternité; que nous devons adapter notre volonté à celle de Dieu; qu’il a pris nos sentiments humains afin de les redresser, de les sanctifier; qu’il nous donnera la force de surmonter nos tentations, nous amènera à confesser nos faiblesses, car il aime l’aveu, et il tendit la main à Pierre sur le point d’être submergé; que nul homme injuste ne pourra s’asseoir auprès de celui qui fait de la douceur un précepte; que s’il soumet à la douleur ceux qui lui appartiennent, que ne réserve-t-il pas aux pécheurs? Que s’il s’est donné à nous ici-bas, que nous réserve-t-il dans l’éternité? Il veut nous rendre le repos, un repos éternel, au prix d’un travail pendant notre vie. L’affection réveille notre foi comme la tempête réveilla les Apôtres. Aux menaces des méchouis opposons les menaces de Dieu, qui a le droit du potier, de faire des vases à sa volonté, qui se sert des méchants pour nous exercer, sauf à les traiter selon l’intention qui les guide. Que notre foi nous soutienne ici-bas par des actes de charité.
1. Nous avons écouté avec beaucoup d’attention la lecture du psaume, écoutons aussi ce qu’il plaît à Dieu de nous révéler des mystères qu’il y a cachés. Si Dieu en effet a jeté le voile du mystère sur quelques passages des Ecritures, c’est moins pour nous les dérober, que pour nous forcer à frapper à la porte pour en obtenir l’entrée. Si donc vous frappez avec une tendre piété et une charité sincère, Dieu vous ouvrira m, lui qui voit ce qui vous excite à frapper. Chacun de nous sait qu’il y eut autrefois beaucoup de murmurateurs contre la patience de Dieu (et puissions-nous n’être point de ce nombre), des hommes qui s’affligeaient de voir les méchants et les impies vivre sur la terre, et même y obtenir de la puissance; et ce qui est plus impénétrable encore, de leur voir contre les bons assez de puissance pour les opprimer; de voir enfin les méchants dans la joie, les bons dans l’affliction; les méchants dans la gloire, les justes dans l’humiliation. A la vue de ces désordres, et ils sont nombreux dans le genre humain,
1.
Sermon donné probablement dans un autre diocèse, à la prière de quelques
évêques. — 2. Matth. VII, 7.
des hommes d’un esprit faible et impatient se persuadent que c’est en vain qu’ils sont vertueux, puisque Dieu détourne, ou semble détourner les yeux des bonnes oeuvres que font les hommes pieux et fidèles, et augmenter encore les jouissances des méchants. Asses faibles dès lors pour se persuader que c’est sans profit qu’ils lâchent de vivre saintement; ou bien ils sont portés à imiter les désordres de ceux qu’ils voient en quelque sorte fleurir ici-bas; ou bien, si quelque faiblesse de caractère ou de conscience les fait reculer devant le mal, ils sont retenus plutôt par la crainte des lois humaines, que par l’amour de la justice, ou plus clairement, ils craignent d’encourir parmi les hommes la réprobation des hommes, et ils évitent les actions condamnables, sans toutefois éviter les pensées honteuses. Et parai toutes ces pensées iniques, celle qui en est la source est cette impiété qui leur persuade que Dieu néglige la conduite de ce monde, et n’en prend aucun soin; qu’il ne met aucune différence entre les bons et les méchants, ou, ce qui est plus horrible encore; qu’i1 favorise les méchants et persécute les bons. Tout homme (387) qui a ces pensées est impie envers lui-même, et se nuit quand même il ne nuirait à personne. Il n’atteint pas Dieu, il est vrai, mais il est son propre meurtrier, Dominés par ces pensées et par la crainte, ils peuvent bien ne pas nuire aux hommes, mais Dieu découvre et punit dans leurs pensées leurs homicides, leurs adultères, leurs fraudes et leurs rapines. Car il voit leurs désirs, lui dont l’oeil n’est point arrêté par ce voile charnel, et peut pénétrer leur volonté. Que l’occasion se présente, et ces hommes ne deviennent plus méchants, ils montrent qu’ils le sont: ce n’est pas ce qui vient de naître qu’ils mettent en évidence, mais bien ce qui était caché dans leurs coeurs. Il n’y a que peu d’années, c’est hier en quelque sorte que l’on a vu ce que j’énonce, et les esprits les plus lents ont pu le comprendre; il y avait ici une famille très-puissante, dont Dieu s’était fait un fléau contre le genre humain; et le genre humain se fût corrigé à cette occasion, s’il eût reconnu là une main paternelle, et redouté la sentence du juge. Pendant que cette famille exerçait en cette ville sa grande puissance, beaucoup gémissaient sous sa tyrannie, murmuraient, blâmaient, maudissaient, blasphémaient. Mais combien les hommes se nuisent à eux-mêmes, et combien sont abandonnés par un juste jugement de Dieu aux désirs de leur coeur 1? Puis subitement les murmurateurs devenaient membres de cette famille, et faisaient endurer aux autres les maux dont ils murmuraient un peu auparavant. Un homme est donc véritablement bon quand il ne fait point le mal qu’il pourrait faire; c’est de lui qu’il est dit: « Il a pu violer la loi, et ne l’a point violée, faire le mal, et il ne l’a point fait. Quel est-il, et nous le comblerons de louanges? car il a fait des merveilles en sa vie 2 ». Ainsi dit l’Ecriture au sujet des hommes puissants qui demeurent inoffensifs. Un loup a la volonté de nuire autant qu’un lion. Le mal est inégal, mais non la volonté. Car un lion, non seulement dédaigne les aboiements du chien, mais il le met en fuite, puis s’élance dans l’étable, et enlève ce qu’il lui plaît, sans que le chien ose souffler: tandis qu’un loup n’ose le faire quand le chien aboie. Mais en est-il plus innocent quand il se retire sans rien prendre, effrayé qu’il est par les aboiements du chien?
1.
Rom. II, 24. — 2. Eccli. XXXI, 9, 10.
Dieu nous apprend donc à pratiquer l’innocence, non par la crainte du châtiment, mais par l’amour de la justice. C’est alors que l’innocence est libre, et véritablement innocence. L’homme, innocent par crainte, n’est pas vraiment innocent, bien qu’il ne fasse point le mal qu’il voudrait bien faire. Il ne nuit point par une action coupable; mais il se nuit beaucoup à lui-même, par son coupable désir. Vois dans l’Ecriture comment il se nuit: « Quiconque aime l’iniquité, hait son âme 1 ». C’est donc nous tromper gravement que prétendre tourner contre les autres nos injustices, et non contre nous-mêmes. C’est contre les autres que l’on veut être injuste, on veut les blesser, détruire leurs biens, envahir leurs campagnes, enlever leurs esclaves, dérober leur or, leur argent, tout ce qu’ils peuvent posséder. Ce n’est guère qu’en ces manières qu’un autre est victime de nos injustices. En ce cas, ton iniquité pourrait donc nuire au corps de ton prochain, et pas à ton âme?
2. Une doctrine si simple, si vraie, qui apprend aux hommes de bien à aimer la justice elle-même, à chercher par elle à plaire à Dieu, à reconnaître qu’il répand dans nos âmes une lumière invisible qui nous prépare aux bonnes oeuvres, et à préférer, à tous les biens qui nous captivent ici- bas, cette lumière de la sagesse, un tel enseignement provoque les murmures des hommes; et s’ils ne s’exhalent de leurs bouches, ils rongent du moins leurs coeurs. Que disent-ils donc? Est-il vrai que je plaise à Dieu par la justice? Que les justes lui plaisent, quand sa providence laisse fleurir ainsi les méchants? Ils sont si criminels, et ne sont point châtiés. Et s’il leur arrive quelque mal, que vont-ils nous répondre, si nous leur disons: Voyez quelle vengeance Dieu a tirée des crimes de cet homme? quelle fin malheureuse ! Ils vous énumèrent tous les justes qui ont essuyé quelque malheur, et nous les opposent en disant: si cet homme a essuyé des malheurs à cause de sa méchanceté, pourquoi donc a-t-il été traité de la sorte, ce juste qui a vécu si saintement, qui a fait tant d’aumônes, tant de bonnes oeuvres dans l’Eglise, pourquoi une fin si tragique? Pourquoi cette ressemblance entre sa mort et la mort de cet homme si coupable? Ce langage fait voir que s’ils ne commettent point le mal, c’est qu’ils ne peuvent,
1.
Ps. X, 6.
ou qu’ils n’osent. Car la langue rend ici témoignage des volontés du coeur. Mais leur langue demeurât-elle muette et perdue par la crainte, que Dieu verrait encore intérieurement les pensées des hommes, qu’un autre homme ne saurait découvrir. Ce sont donc les pensées des hommes, pensées secrètes, ou qui se manifestent par des actes ou des paroles, que notre psaume veut guérir: si les malades veulent être guéris, qu’ils écoutent, et qu’ils se guérissent. Dieu veuille que dans cette foule rassemblée dans l’enceinte de cette église, et qui entend par ma bouche la parole de Dieu, il n’y ait personne à guérir de cette maladie. Oui, qu’il n’y ait personne. Et quand bien même il n’y aurait ici aucune de ces blessures, il n’est pas inutile d’en parler. Il faut apprendre à vos coeurs à guérir ceux qui tiendront de semblables discours. Tout chrétien, je me le persuade facilement, s’il est fidèle, s’il se confie en Dieu, s’il met son espérance dans l’avenir, et non sur cette terre, et en cette vie, s’il n’entend pas inutilement ces paroles: Vos coeurs en haut, méprise ces récriminations s’il les entend, plaint ceux qui profèrent de semblables murmures, et se dit en lui-même: Dieu sait ce qu’il fait, et nous ne pouvons pénétrer ses conseils, ni comprendre pourquoi il pardonne aux méchants pour un temps, et pourquoi il afflige dans le temps ceux qui le servent. Il me suffit que l’affliction du juste doive passer, comme le bonheur des méchants. Celui qui en est là est donc en sûreté, et supporte facilement le bonheur des impies; il supporte également, il tolère l’affliction des bons, jusqu’à la fin du siècle, jusqu’à ce que l’iniquité soit passée. Il jouit déjà du bonheur, Dieu l’a déjà instruit de sa loi, lui a quelque peu adouci la rigueur des mauvais jours, jusqu’à ce que l’on creuse une fosse aux pécheurs. Que celui qui n’en est point encore là nous écoute, et reçoive de notre bouche ce qu’il plaît au Seigneur; ou plutôt, que Dieu parle à son coeur, lui qui voit mieux que nous ce qu’il y doit guérir.
3. Voici le titre ou l’inscription du psaume: « Psaume de David pour le quatrième jour du sabbat ». Ce psaume doit enseigner la patience à tous les justes qui sont dans l’affliction. Il affermit notre patience, et nous apprend à voir sans aigreur le bonheur des méchants. Voilà ce qu’il contient d’un bout à l’autre. Pourquoi donc est-il intitulé: Pour le quatrième jour de la semaine? Le premier jour de la semaine est le dimanche. Le second est la seconde férie, que le monde appelle jour de la Lune ou lundi; le troisième jour est la troisième férie, appelé jour de Mars ou mardi. Le quatrième jour du sabbat est donc la quatrième férie, appelée jour de Mercure, ou mercredi par les païens et beaucoup de chrétiens. Nous voudrions qu’ils s’en corrigeassent, et ne parlassent plus ainsi; car ils ont leur langage dont ils doivent se servir. Ces noms en effet ne sont point les mêmes chez tous les peuples, et les uns ont tel nom, les autres tel autre. Il serait donc mieux qu’un chrétien se servît du langage de l’Eglise. Toutefois si quelqu’un se laisse entraîner à la coutume, et se sert d’un langage qu’il condamne au fond de son coeur, qu’il reconnaisse du moins que ceux dont on adonné les noms aux astres sont des hommes, et que les astres n’ont point commencé avec ces hommes, qu’ils étaient dans les cieux avant que ces hommes fussent sur la terre. Mais que ces hommes puissants et éminents ici-bas, s’étant rendus chers à leurs semblables, à cause de certains bienfaits périssables, et qui ne regardaient point la vie éternelle, mais bien cette vie présente, ont reçu des mortels les honneurs divins. En effet les anciens du monde, trompés eux-mêmes et trompant les autres adulateurs envers ceux qui leur procuraient quelque bonheur en cette vie, montraient dans les cieux les constellations, et assuraient que c’était ici l’étoile d’un tel et là l’étoile de tel autre. Car des hommes qui n’avaient rien examiné auparavant, qui n’avaient point vu que ces étoiles occupaient celte place même avant leur naissance, crurent qu’elles commençaient à luire. Ainsi s’accrédita une opinion mensongère; opinion que le diable confirmée, que le Christa détruite. Dans votre langage donc, le quatrième jour de la semaine est le quatrième, en commençant au dimanche, Que votre charité examine le sens du titre, II y a là un grand mystère, mais très-caché. Le reste du psaume sera clair, les mouvements en sont de toute évidence et se comprennent facilement mais il faut l’avouer, le titre n’est pas d’une faible obscurité. Toutefois, avec le secours de Dieu, le nuage se dissipera, vous comprendrez le psaume, et dès l’entrée vous en saisirez le sens. Car c’est au début que nous lisons: « Psaume pour David ou (389) quatrième jour du sabbat ». Voilà ce qui est écrit au frontispice, gravé sur le portail. Un homme veut lire l’enseigne avant d’entrer dans la maison. Rappelons-nous alors les oeuvres que dans la Genèse l’Ecriture sainte assigne au premier jour; nous trouvons qu’alors fut créée la lumière: ce qui fut lait le second jour; et notas trouvons le firmament appelé le ciel: ce qui fut fait le troisième jour; et nous trouvons la terre qui prend une forme, ainsi que la mer, et leur séparation de manière que l’on appela mer le vaste réservoir des eaux, et terre tout ce qui était aride. Le quatrième jour Dieu fit les deux grands flambeaux des cieux 1: le soleil pour luire pendant le jour, et la lune et les étoiles pour briller pendant la nuit 2, Voilà l’oeuvre du quatrième jour. Mais pourquoi ce titre de quatrième jour donné à notre psaume? C’est qu’il nous apprend à supporter avec patience la félicité des méchants, l’affliction des bons. Souvenons-nous de cette parole de saint Paul aux fidèles et aux saints affermis dans le Christ: « Accomplissez toutes choses sans murmure et sans contestation, afin que vous soyez sans reproche, simples et sans tache comme des enfants de Dieu, au milieu d’une nation perverse et corrompue, où vous brillerez comme des astres dans le monde, portant en vous la parole de la vie 3». Saint Paul compare les saints à des astres, afin qu’ils soient sans murmure dans le monde, qui est tortueux et dépravé.
4. Mais, pour qu’on ne s’imagine point que l’on doive adorer les flambeaux des cieux, parce que l’Apôtre s’en sert comme d’un point de comparaison pour désigner les saints, montrons tout d’abord au nom du Christ qu’il ne suit pas de là qu’il faille adorer le soleil, ou la lune, ou les étoiles, ou le ciel, bien que l’Apôtre se serve de cette comparaison pour nous parler des saints. Il est en effet dans la nature bien d’autres objets auxquels on a comparé les saints et que l’on n’adore point. S’il fallait adorer tout ce qui a servi de comparaison pour les saints, il faudrait adorer les montagnes et les collines, puisqu’il est dit: « Les montagnes bondirent comme des béliers, et les collines comme les agneaux 4». Ce que tu dis des saints, je le dis du Christ. Il faut adorer les lions, puisqu’il est dit: « Il
1. Gen. I, 3-19. — 2. Ps. CXXXV,
8, 9. — 3. Philipp. II, 14, 11. — 4. Ps. CXIII, 4.
a vaincu, ce Lion de la tribu de Juda 1». Il faut adorer la pierre, puisqu’il est dit: « Et la pierre était le Christ 2 ». Mais si tu n’adores pas ces choses terrestres, nonobstant les comparaisons que l’on en a tirées; de même quand on prend quelques autres points de comparaison pour désigner les saints, tu dois comprendre que la créature n’est ici qu’une figure, et adorer l’auteur de toute créature. Notre Seigneur Jésus-Christ a été appelé soleil 3: mais est-il ce soleil que voient comme nous les plus chétifs animaux? De qui donc est-il dit: « Il était la lumière véritable qui illumine tout homme venant en ce monde 4? » Car cette lumière que l’on voit n’éclaire pas seulement les hommes, mais les bêtes de somme, les troupeaux et tous les animaux. Mais celle qui éclaire les hommes, leur donne la lumière du coeur où est seulement l’intelligence.
5. Que votre charité veuille comprendre à qui l’Apôtre a dit: « Vous serez au milieu d’une nation tortueuse et perverse», c’est-à-dire au milieu des méchants, « et vous y brillerez comme des astres dans le monde, ayant la parole de vie 5 »: nous donnant par là le moyen de comprendre le psaume, et d’en connaître le titre. Du haut de leur conversation dans le ciel, des saints qui ont en eux la parole de vie, méprisent toutes les iniquités que l’on commet sur la terre: comme les astres pendant le jour aussi bien que pendant la nuit, marchent dans les cieux, poursuivent leur carrière par des mouvements réglés; tous les crimes qui se commettent sur la terre, ne les font point dévier de la route fixée: ils gardent exactement dans la vaste étendue des cieux le sentier que leur a tracé le Créateur: ainsi doit-il en être des saints, si toutefois leurs coeurs sont fixés dans le ciel, si ce n’est pas en vain qu’ils nous entendent, et qu’ils répondent que leurs coeurs sont en haut, s’ils imitent Celui qui a dit « Notre conversation est dans les cieux 6 ». Dès qu’ils sont dans les cieux, et que leurs pensées sont occupées à des choses du ciel, ainsi qu’il est dit: « Où est votre trésor, là aussi est votre coeur 7 »; les pensées des choses d’en haut leur donnent la patience, les rendent peu soucieux aux événements du monde, jusqu’à ce qu’ils achèvent leur pèlerinage en cette vie, de même que les astres,
1.
Apoc. V, 5 — 2. I Cor. X, 4 — 3. Sag. V, 6. — 4. Jean, 1,
9. — 5. Philipp. II, 15, 16.— 6. Id. III, 20. — 7. Matth. VI, 21.
dans les cieux, n’ont d’autre souci que de continuer leur course le jour et la nuit, quels que soient les crimes que l’on commette sur la terre. Mais il est peut-être facile aux justes de supporter les iniquités que les méchants ne commettent point contre eux: ils doivent supporter aussi celles dont ils sont victimes, comme ils supportent celles que l’on commet contre les autres. Ce n’est point en effet parce qu’elles se commettent contre les autres, qu’ils doivent les supporter: mais fussent-elles commises contre eux, ils ne doivent jamais perdre la patience. Perdre la patience, c’est tomber du ciel; mais pour l’homme dont le coeur est fixé dans le ciel, c’est la terre qui souffre sur la terre. Combien de fables inventées par les hommes au sujet des astres, et que ces astres souffrent patiemment? Ainsi les justes doivent supporter avec patience toutes les calomnies dont on les noircit, Dire par exemple que cette étoile est de Mercure, comme nous le disions tout à l’heure, que cette autre est de Saturne, telle autre de Jupiter, c’est là calomnier les étoiles. En entendant ces blasphèmes, ces étoiles sont-elles émues, en continuent-elles moins leur course? Ainsi l’homme qui a la parole de Dieu au milieu d’une nation tortueuse et perverse, ressemble à l’astre qui brille dans les cieux. Combien paraissent honorer le soleil, et le chargent de mensonges? Dire que le Christ est le soleil, c’est outrager le soleil qui sait bien que le Christ est son Créateur. Et s’il était capable d’indignation, il en ressentirait contre les faux honneurs qu’on lui rend, plus encore que contre les calomnies dont on le charge. Pour un fidèle serviteur, l’injure qu’il ressent le plus est celle de son maître. Combien de faussetés débitées contre les astres, qui les supportent, qui les tolèrent, qui ne s’en émeuvent point! Pourquoi? parce qu’ils sont dans le ciel, Qu’est-ce donc que le ciel? Mentionnons encore ceci: que de fables débitent les hommes, quand ils voient la lune s’obscurcir, quand ils disent que les magiciens la font descendre ! Tandis que c’est par l’ordre de Dieu qu’elle a ses éclipses à des temps marqués. Mais parce que cet astre est dans les cieux, il se rit des fables des hommes. Qu’est ce à dire, qu’elle est dans les cieux? Elle est solide au firmament. Ainsi l’homme, dont le coeur est dans le firmament du livre de Dieu, se rit des paroles des hommes.
6. Par le ciel, en effet, ou par le firmament, on entend d’ordinaire le livre de la loi. Aussi est-il dit en certain endroit: « Dieu déroula le ciel comme une peau 1 ». Si le ciel s’étend comme une peau, il s’étend comme un livre afin qu’on y lise, car une fois le temps passé on n’y lira plus. Si nous lisons encore la loi, c’est que nous ne sommes point encore parvenus à cette sagesse qui remplit les coeurs et les esprits de ceux qui la contemplent; et alors il ne sera plus nécessaire pour nous de la lire. Dans une lecture, en effet, les syllabes résonnent et passent l’une après l’autre; pour la lumière de la vérité, elle ne passe point, mais elle demeure fixe et enivre les coeurs de ceux qui la voient; ainsi que l’a dit le Prophète: « Ils seront enivrés de l’abondance de votre maison, ils boiront au torrent de vos voluptés, parce que la source de la vie est en vous, ô mon Dieu. Et voyez quelle est cette source: « C’est à votre flambeau que nous verrons la lumière 2 ». La lecture nous est donc nécessaire ici-bas, tant que « nous ne voyons qu’en partie, que nous ne prophétisons qu’en partie », comme l’a dit l’Apôtre: « mais quand nous arriverons à l’état complet, tout ce qui n’est qu’en partie disparaîtra 3 ». Dans cette cité de Jérusalem, en effet, où vivent les anges, d’où nous sommes aujourd’hui bannis par un exil qui nous fait gémir, si nous comprenons bien que nous sommes des exilés; car c’est haïr sa patrie que se plaire en exil: dans cette cité qu’habitent les anges, lit-on l’Evangile, où les écrits de l’Apôtre? On s’y nourrit du Verbe de Dieu, et ce Verbe de Dieu pour se faire entendre à nous dans le temps, «a été fait chair pour habiter parmi nous 4». La loi écrite est toutefois un firmament pour nous, et si votre coeur s’y repose, il n’est point ébranlé par les iniquités des hommes. «Le Seigneur donc», est-il dit, «étend les cieux comme une peau»; mais quand sera écoulé le temps où les livres sont nécessaires, qu’est-il dit alors? « Le ciel sera replié comme un livre 5 ». Celui-là, dès lors, dont le coeur est en haut, a un coeur lumineux, qui brille dans le ciel, et que n’obscurcissent point les ténèbres. Car les ténèbres sont au dessous, les ténèbres sont l’iniquité, et les ténèbres ne sont point immuables. Déjà nous l’avons dit hier, et ceux
1.
Ps. CIII, 2.— 2. Id. XXXV, 9, 10.— 3. I
Cor. XIII, 9, 10.— 4. Jean, I, 14. — 5. Isa.
XXXIV, 4.
qui sont ténèbres aujourd’hui, avec la bonne volonté seront demain la lumière; ceux qui étaient ténèbres en entrant ici, peuvent être lanière dès maintenant. Car l’Apôtre, afin que nul ne croie que les ténèbres nous sont naturelles, et qu’on ne saurait les changer, nous dit clairement: « Vous étiez ténèbres autrefois, et maintenant que vous êtes lumière dans le Seigneur, marchez comme des enfants de la lumière 1». Vous êtes lumière, mais dans le Seigneur, nous dit l’Apôtre, et non en vous-mêmes. Que votre coeur soit donc dans ce livre: et votre coeur dans ce livre sera dans le firmament du ciel. Si votre coeur est là, qu’il tire de là sa lumière, elles iniquités d’au-dessous de lui ne l’ébranleront point: non qu’il soit au ciel selon la chair, mais il y sera par sa conversation, comme l’a dit saint Paul: « Notre conversation est dans le ciel 2 ». Tu ne saurais avoir une idée de cette cité que tu n’as point vue encore; mais veux-tu penser au ciel? Pense su livre de Dieu. Ecoute ce que dit le psaume: « Le jour et la nuit il méditera sa loi». Et le même psaume appelle « bienheureux celui qui n’est pas allé dans le conseil des impies, qui ne s’est pas arrêté dans la voie des pécheurs, qui ne s’est point assis dans la chaire de pestilence; mais qui a mis sa volonté dans la loi du Seigneur 3». Vois cet astre dans le firmament: « Il méditera jour et nuit la loi du Seigneur ». Veut-il endurer tout avec patience? Qu’il ne descende point du ciel, qu’il y médite nuit et jour la loi de Dieu. Que son coeur soit donc dans le ciel, et si son coeur est dans le ciel, toutes les iniquités qui se commettent pour un temps sur la terre, toute la félicité des méchants, toutes les vexations des justes ne sont rien pour celui qui médite jour et nuit la loi de Dieu; il endure tout, et il est heureux dans la lumière de Dieu. Comment donc est-il dans le firmament des cieux? C’est que la loi est ce firmament. « Bienheureux, Seigneur, l’homme que vous aurez instruit vous-même l’homme à qui vous aurez enseigné votre loi. Afin que vous adoucissiez en sa faveur les jours mauvais, jusqu’à ce que l’on creuse une fosse au pécheur 4». Voyez donc ces astres réglés dans leur cours; ils marchent, ils se couchent, ils reviennent, ils poursuivent
1.
Ephés. V, 8. — 2. Phïlipp. III, 20. — 3. Ps. I, 1, 2. — 4. Id, XCIII, 12, 13.
leur carrière, ils distinguent le jour de la nuit, ils mesurent les temps et les années, et malgré les maux qui se commettent sur la terre, ne perdent rien de la paix qu’ils ont dans les cieux. Qu’est-ce donc que Dieu nous enseigne? Ecoutons le psaume.
7. « Le Dieu des vengeances, le Seigneur, le Dieu des vengeances agit dans sa liberté 1». Oses-tu bien croire qu’il ne se venge point? Il se venge assurément, puisqu’il est le Dieu des vengeances. Qu’est-ce à dire le Dieu des vengeances? Le Dieu qui se venge. Ce qui soulève tes murmures, c’est qu’il ne se venge point sur les méchants. Garde-toi de murmurer, afin de n’être point de ceux dont il tire vengeance. Tel commet un larcin, et vit néanmoins, et tu murmures contre Dieu parce qu’il ne fait point mourir celui qui est voleur à ton préjudice; mais à ton tour, vois si tu n’es point voleur; et situ ne l’es plus, vois situ ne l’as pas été. Si tu es au jour, souviens-toi de ta nuit, et situ es fixé au ciel, souviens-toi d’avoir été sur la terre. Tu trouveras peut-être qu’un jour tu fus voleur, et qu’un autre s’en prit à Dieu de ce que tu survivais à ton vol, et de ce qu’il ne te faisait point mourir. Mais de même que dans ta faute le Seigneur t’a épargné, t’a laissé vivre afin qu’à l’avenir tu ne fusses plus voleur; ne cherche point après ton passage à détruire le pont de la divine miséricorde. Ne sais-tu pas que beaucoup doivent passer par où tu as passé toi-même? Existerais-tu maintenant pour murmurer, s’il eût écouté ceux qui murmuraient jadis contre toi? Et néanmoins tu veux que Dieu se venge des méchants, qu’il punisse un voleur; et tu murmures contre Dieu, parce que ce voleur n’est point mis à mort. Pèse dans la balance de l’équité le vol et le blasphème; tu n’es pas voleur, dis-tu, mais tes murmures contre Dieu te rendent blasphémateur. Tel profite du sommeil des autres pour commettre le vol; et toi tu accuses Dieu de dormir et de ne pas voir les hommes. Si donc tu veux que la main du voleur se redresse, commence par redresser ta langue: tu veux que celui-là cesse d’être injuste envers les hommes, cesse de l’être envers Dieu, de peur que cette vengeance divine que tu appelles ne tombe d’abord sur toi. Dieu viendra, en effet, il viendra et jugera tous ceux qui persévèrent dans l’injustice, qui auront été peu reconnaissants de ses
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Ps. XCIII, 1.
grâces, qui auront méprisé sa patience, qui auront amassé un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses oeuvres 1, car ce le Seigneur est le « Dieu des vengeances, et le Dieu des vengeances agira en toute confiance ». Il n’épargnait personne quand il parlait ici-bas; car, si le Seigneur vivait dans l’infirniité de la chair, il avait néanmoins la force de la parole. Il n’eut aucun égard pour les princes des Juifs. Que ne dit-il point contre eux, et comme l’a dit le Prophète, avec une pleine assurance? Car c’est de lui qu’il est dit dans le psaume: « A cause de la misère des pauvres et des gémissements des misérables, je me lèverai, dit le Seigneur 2». Quels sont ces pauvres? ces indigents? Ceux qui n’ont d’espoir qu’en lui, qui seul ne trompe point. Voyez, mes frères, qu’ils sont pauvres et indigents. Car ces pauvres, dont l’Ecriture parle avec éloge, ne paraissent point être ces pauvres qui n’ont rien. On voit quelquefois un pauvre qui, recevant une injure, a recours aussitôt à son patron chez qui il demeure, dont il est le locataire, le fermier, le client; il affirme hautement qu’on le traite avec injustice, parce qu’il appartient à un tel homme. Il a mis son coeur dans cet homme, son espérance dans cet homme, sa cendre dans cette cendre. D’autres sont riches des biens du monde et jouissent des honneurs mondains, et pourtant ne mettent point leur espérance dans cet argent, ni dans leurs terres, ni dans leurs enfants, ni dans l’éclat d’une dignité passagère; mais ils fondent leur espérance dans celui à qui nul ne succède, qui ne peut mourir, non plus que se tromper ou tromper ceux-ci, bien qu’ils paraissent avoir de grands biens aux yeux du monde, sont néanmoins au nombre des pauvres de Dieu, parce qu’ils dispensent leurs biens avec sagesse et pour les besoins des pauvres. Ils comprennent les dangers qui les environnent en cette vie, ils s’y trouvent étrangers: ils se conduisent au milieu de leurs grands biens comme le voyageur qui passe par une hôtellerie, mais sans y rien posséder. Que fera donc le Seigneur? « A cause de la misère des pauvres, et des gémissements, des misérables, je me lèverai, dit le Seigneur. Je les mettrai dans le salut ». Or, le salut du Seigneur, C’est notre Sauveur,
1. Rom, II, 4-6. — 2. Ps. XI, 6.
C’est en lui que le Prophète a voulu placer l’espérance du pauvre et du misérable. Et que dit-il? « J’agirai en lui avec confiance 1 ». Qu’est-ce à dire, «j’agirai avec confiance? » Il ne craindra point, il n’épargnera point les vices des hommes, ni leurs convoitises. C’est donc un médecin fidèle, muni du fer salutaire de sa parole, et qui a tranché dans nos plaies. Ainsi les Prophètes l’avaient annoncé d’avance, ainsi les hommes l’ont vu. Il prêchait sur la montagne, quand il dit: « Bienheureux les pauvres de gré, parce que le royaume des cieux leur appartient». Il déclare même « bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice », et dans le même discours il ajoute que « le royaume des cieux leur appartient ». Et pour les faire briller comme des astres, c’est-à-dire pour les rendre patients dans toutes ces persécutions passagères, il leur dit: « Vous serez heureux quand ils vous persécuteront, quand ils diront toute sorte de mal contre vous; réjouissez-vous alors et tressaillez, parce que votre récompense est grande dans les cieux 2 ». Dans la suite de ce discours, bien qu’environné de la foule, il tient à ses disciples qu’il instruit un langage qui frappait en face les Pharisiens et les Juifs, lesquels étaient en quelque sorte les maîtres dans l’exposition des saintes Ecritures, croyaient être justes et passer pour tels, et enfin voyaient le peuple soumis à leur autorité, il ne les épargne pas, et s’écrie: « Quand vous priez, ne soyez point comme les hypocrites, qui aiment à prier debout dans les synagogues et dans les coins des rues, afin d’être vus par les hommes 3 »; et d’autres enseignements semblables. Il les attaqua tous, sans redouter personne. Et après ce discours, voici la conclusion qu’en tire l’Historien évangélique:
« Il arriva que Jésus ayant terminé son discours, la foule était dans l’admiration au sujet de sa doctrine. Car il enseignait comme un homme qui a l’autorité, et non à la manière des Scribes et des Pharisiens 4». Combien de fois donc Celui dont il est dit: « Il leur enseignait comme un homme qui a l’autorité », combien de fois leur dit-il: « Malheur à vous, Scribes et Pharisiens hypocrites 5 ! » Combien de fois leur parla-t-il ainsi et en face ! Il ne redouta personne. Pourquoi? Parce qu’il est le Dieu des vengeances.
1.
Ps. XI, 6.— 2. Matth. V, 3, 10—12. — 3. Id. VI, 5.— 4. Id.
VII, 28, 29. — 5. Id. XXIII, 13.
Il ne les épargnait point en paroles, afin de pouvoir un jour les épargner au jugement refuser en effet cette médecine amère de la parole, c’était encourir la condamnation du jugement à venir, Pourquoi? Parce que « le Seigneur est le Dieu des vengeances, et que le Dieu des vengeances agit avec liberté», c’est-à-dire n’épargne personne. Or, celui dont les paroles ne ménagent personne, quand il vient pour souffrir, ménagera-t-il quand il viendra pour juger? Lui qui ne redoute personne quand il vient dans son humilité, redoutera-t-il quand il viendra dans sa gloire? Ce qu’il a fait avec tant de confiance te donne à juger de ce qu’il fera à la fin des temps. Garde-toi donc de, murmurer contre Dieu, qui semble épargner les méchants; mais sois de ces bons qu’il n’épargne pas dans cette vie peut-être, afin de les épargner au jugement. « Le Dieu des vengeances est le Seigneur, le Dieu des vengeances agit avec liberté ».
8. Mais cette liberté dans ses actions, ils n’ont pu la souffrir. Et comme il était venu humble, comme il avait pris une chair mortelle et venait pour mourir; non pour agir comme les pécheurs, mais pour souffrir de leur part; comme il était venu pour agir en toute liberté, et que ces Pharisiens ne pouvaient supporter la franchise de ses invectives, que firent-ils? Ils le saisirent, le flagellèrent, se moquèrent de lui, le souffletèrent, lui crachèrent au visage, le couronnèrent d’épines, l’attachèrent à la croix, et enfin le firent mourir. Mais que dit le Prophète de cette active confiance? « Elevez-vous, ô vous qui jugez la terre 1 ». Ils l’ont saisi dans son humilité, le saisiront-ils dans sa gloire? Eux qui ont jugé un homme mortel, ne seront ils pas jugés par lui devenu immortel? Que dit donc le Prophète? Elevez-vous, ô vous qui avez agi avec liberté, vous dont les invectives hardies leur étaient insupportables, vous que dans leur malice ils ont cru faire beaucoup de saisir et de crucifier: au lieu de vous saisir pour croire en vous, ils vous ont saisi pour vous persécuter; ô vous donc, qui avez agi avec tant de confiance parmi les méchants, qui n’avez redouté personne, et qui avez souffert, « élevez-vous », c’est-à-dire ressuscitez pour aller au ciel, et que l’Eglise endure avec patience ce que le chef de l’Eglise a si patiemment enduré; « élevez-vous,
1.
Ps. XCIII, 2.
ô vous qui jugez la terre, rendez leur salaire aux superbes ». Il le rendra, mes frères. Qu’est-ce en effet qu’il est dit ici: « Elevez-vous, ô vous qui jugez la terre, et rendez le salaire aux superbes? » C’est une parole prophétique, et non un commandement téméraire. Ce n’est point parce que le Prophète a dit: « Elevez-vous, ô vous qui jugez la terre », que le Christ a obéi à son Prophète en ressuscitant pour monter au ciel; mais c’est parce que le Christ devait le faire que le Prophète l’a prédit. Car le Christ ne l’a point fait parce que le Prophète l’avait prédit, mais le Prophète l’a prédit parce que le Christ devait le faire. Il voit en esprit le Christ humilié, mais humilié sans redouter personne, sans ménager personne de sa parole, et il dit qu’ « il agit avec liberté». Il le voit agir avec cette confiance, il le voit saisi, il le voit crucifié, humilié, puis il le voit ressuscitant et montant au ciel, d’où il viendra pour juger ceux-là mêmes entre les mains desquels il a souffert tant de maux. « Elevez-vous», lui dit alors le Prophète, « ô vous qui jugez la terre, et rendez le salaire aux superbes ». Il le rendra aux méchants, et non aux humbles, Quels sont les superbes? Ceux qui, non contents de mal faire, veulent encore défendre leurs péchés. Quelques-uns, en effet, de ceux qui ont crucifié le Christ, ont réellement opéré des miracles, quand ils se sont séparés des Juifs pour embrasser la foi, et Dieu leur a pardonné le sang du Christ. Ce sang du juste rougissait encore leurs mains, et déjà ce juste lavait son sang versé. Ceux qui avaient meurtri son corps mortel qu’ils voyaient, se sont unis à son corps spirituel ou à l’Eglise. Ils avaient répandu ce sang qui devait être leur rançon, alla de boire cette même rançon. Plusieurs, en effet, se convertirent ensuite aux miracles que faisaient les Apôtres, plusieurs milliers embrassèrent la foi en un même jour 1; et ils se trouvèrent si étroitement unis au Christ, qu’ils vendaient tout leur bien pour en apporter le prix aux pieds des Apôtres, et on le distribuait à celui qui en avait besoin; et ils n’avaient en Dieu qu’un même coeur et qu’une même âme, eux dont plusieurs avaient crucifié le Sauveur. Mais pourquoi Dieu ne s’en est-il pas vengé? Parce qu’il est dit: « Rendez le salaire aux superbes», et que ceux-ci ne voulurent pas être orgueilleux
1.
Act. IV, 4.
En voyant les miracles qui s’opéraient au nom de ce Jésus qu’ils croyaient avoir mis à mort, ils furent émus de ces miracles, et prêtèrent l’oreille à Pierre, qui leur déclara au nom de qui ils s’opéraient. Serviteurs fidèles, ces hommes ne voulurent point s’arroger la puissance de leur maître et dire qu’ils opéraient eux-mêmes ce que leur maître opérait par leurs mains. Les serviteurs rendirent donc au maître la gloire qui lui était due; ils dirent que ces merveilles que l’on admirait s’accomplissaient au nom de celui que les Juifs avaient crucifié. Et ces juifs s’humilièrent, et touchés au fond du coeur, troublés, ils confessèrent leur péché 1; puis demandèrent conseil, en disant: « Que ferons-nous? » Loin de désespérer de leur salut, ils cherchent le médecin. Alors Pierre leur dit: « Faites pénitence, et que chacun d’entre vous soit baptisé au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ 2 ».En faisant pénitence, ils devinrent humbles, et Dieu ne leur rendit point ce qu’ils avaient mérité. Voici en effet ce que dit notre psaume: « Elevez-vous, ô vous qui ce jugez la terre, et rendez le salaire aux superbes ». Or, ceux-ci n’étaient plus de ce nombre: en eux s’était accomplie cette parole du Sauveur à la croix: «Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font 3 ». « Elevez-vous, ô vous qui jugez la terre, et rendez le salaire aux superbes ». Il doit donc rendre aux hommes ce qu’ils méritent? Oui, mais aux superbes.
9. Mais quand? oui, quand le rendra-t-il? Parfois les méchants triomphent, les méchants tressaillent, ils blasphèment, ils font toutes sortes de maux. En es-tu étonné? Cherche avec piété plutôt que de blâmer avec orgueil. En es-tu étonné? Le Psalmiste est dans la même peine et il cherche avec toi non point qu’il en ignore la cause, mais il cherche ce qu’il sait bien, afin que tu trouves en lui ce que tu ne sais pas encore. Quand un homme veut consoler un autre homme, il ne le relève point sans pleurer d’abord avec lui. Il pleure donc avec lui, d’abord, puis il lui donne des paroles consolantes. Mais s’il entrait chez lui en se raillant de sa tristesse, il n’agirait point comme nous l’avons lu tout à l’heure dans l’Apôtre: « Réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent, et pleurez avec ceux ce qui pleurent 4 ». Tu pleures donc avec lui,
1. Act. II, 37.— 2. Id. II, 4.—
3. Luc, XXIII, 34. — 4. Rom. XII, 15.
d’abord, afin qu’ensuite il entre dans ta joie; tu entres dans sa douleur afin de le relever:
c’est ainsi que le psaume, de même que l’Esprit de Dieu qui sait tout, cherche avec toi, et s’empare en quelque sorte de tes paroles: « Jusques à quand, Seigneur, jusques à quand les pécheurs seront-ils dans la joie?jusques à quand répondront-ils et diront-ils l’iniquité? jusques à quand élèveront-ils la voix, ceux qui commettent l’iniquité 1?» N’est-ce point parler contre Dieu, que de dire: De quoi nous sert de vivre de la sorte? Que dira-t-il? Que font à Dieu les actions des hommes? Parce qu’ils vivent, ils s’imaginent que Dieu ne sait ce qu’ils font. Vois quel est leur malheur: l’homme du poste qui les verrait les arrêterait, aussi cherchent-ils à éviter tout poste, dans la crainte d’être arrêtés; mais nul ne peut échapper à l’oeil de Dieu, qui voit non seulement dans la chambre la plus secrète, mais dans le secret de notre coeur. Eux aussi croient que l’on ne peut rien déclarer à Dieu, et parce qu’ils ont la conscience du crime qu’ils commettent, qu’ils se trouvent en vie bien que Dieu connaisse leurs crimes, ils se disent: Tout cela plaît donc à Dieu, car si nos actions déplaisaient à Dieu comme elles déplaisent aux juges, comme elles déplaisaient aux rois, aux empereurs, à ceux qui sont chargés d’en connaître, pourrions-nous échapper à l’oeil de Dieu, comme nous échappons à l’oeil des hommes? Nos oeuvres plaisent donc à Dieu? Aussi Dieu dans un autre psaume fait-il ce reproche à l’impie: « Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu: tu as soupçonné l’iniquité, tu as pensé que je ce serais semblable à toi 2 ». Qu’est-ce à dire: « Je serais semblable à toi? Que je me plairais dans tes crimes comme tu t’y plais. Puis vient la menace de l’avenir: « Je te convaincrai ». Il ne se tait donc point celui qui a dit: « Je me suis tu ». Bien qu’il ait dit: « Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu, et tu as soupçonné l’iniquité en croyant que je serais ce semblable à toi »: néanmoins il n’avait point gardé le silence. Lorsque nous parlons, il ne se tait point; quand le lecteur lit, Dieu ne se tait point; quand le Psalmiste chante, Dieu ne se tait point. Or, toutes ces voix de Dieu se dispersent dans l’univers entier, Comment donc Dieu peut-il se taire et ne point se taire? Sa parole ne se tait point, mais
1.
Ps. XCIII, 3, 4. — 2. Id. XLIX, 21.
sa vengeance se tait. Qu’est-ce à dire alors: « Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu? »Voilà ce que tu as fait, et je n’en ai point tiré vengeance. « Dès lors tu as soupçonné que je serais mauvais et semblable à toi». Dieu parle ailleurs de ce silence à l’égard de la punition, ou plutôt du châtiment différé: « Je me suis tu, me tairai-je donc toujours 1? ». « Jusques à quand, Seigneur, jusques à quand les pécheurs se glorifieront-ils, jusques à quand répondront-ils pour dire l’iniquité, et devront-ils parler ceux qui commettent l’injustice?» Il énumère toutes leurs oeuvres: « Ils répondront, ils diront d’iniquité ». Qu’est-ce à dire: « Ils répondront?»Ils trouvent une réponse qui déroute le juste. Un homme de bien vient et leur dit:
Loin de toi l’iniquité. Pourquoi? De peur de mourir. Voilà que je l’ai commise, pourquoi donc ne suis-je point mort? Un tel a fait des oeuvres de justice et il est mort: pourquoi? Moi, j’ai commis l’iniquité: pourquoi Dieu ne m’a-t-il pas ôté la vie? Pourquoi donc a-t-il tiré vengeance de celui qui a fait les oeuvres de la justice? Pourquoi tel autre est-il dans la misère, vous diront-ils? Voilà ce que David appelle répondre. Ils ont de quoi vous répliquer: ils trouvent de quoi répondre dans la patience de Dieu à qui les épargne. Dieu les épargne dans un motif, et ils répondent par un autre motif, c’est qu’ils vivent. L’Apôtre, en effet, nous dit pourquoi Dieu les épargne et nous explique le dessein de Dieu dans cette patience. « Penses-tu donc en agissant de la sorte que tu éviteras le jugement de Dieu? Oses-tu mépriser les richesses de sa bonté, de sa patience? Ignores-tu que la patience de Dieu t’invite à la pénitence? Quant à toi », c’est-à-dire à celui qui répond et qui dit: Si je déplaisais à Dieu, Dieu ne m’épargnerait pas ainsi; vois le tort que tu te fais à toi-même, écoute l’Apôtre: « Pour toi, par la dureté, par l’impénitence de ton coeur, tu amasses coutre toi un trésor de colère, pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses oeuvres 2 ». Dieu donc prolonge sa bonté, lorsque tu prolonges ton iniquité. Il aura un trésor d’éternelle miséricorde pour ceux qui n’auront point méprisé sa miséricorde; mais toi, ton trésor sera dans la colère: ce que tu amasses chaque jour
1. Isa. XLII, 14. — 2. Rom. II, 3-6.
peu à peu deviendra une masse accablante, tu la grossis insensiblement, et tu arriveras au comble. Ne compte point chaque jour sur la légèreté des fautes; les moindres gouttes forment de grands fleuves,
10. Mais que font ceux qui répondent si insolemment à Dieu, que font-ils pour qu’il les épargne? « Seigneur, ils ont humilié votre peuple »; c’est-à-dire, tous ceux qui veulent vivre dans la justice, c’est contre eux que les méchants exercent leur insolence. « Seigneur, ils ont humilié votre peuple, ils ont opprimé votre héritage, ils ont tué la ce veuve et l’orphelin, ils ont mis à mort le prosélyte 1 », c’est-à-dire l’étranger, l’hôte, le nouveau venu, voilà ce qu’il appelle le prosélyte. Tout cela est clair, et nous n’avons pas à nous y arrêter.
11. « Et ils ont dit: Le Seigneur ne le verra point 2 ». Il n’a de tout cela ni soin ni souci; d’autres pensées l’occupent, il ne s’arrête point à cela. Voilà, mes frères, les deux excuses des méchants: l’une que nous avons exposée: « Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu; alors tu m’as soupçonné d’iniquité, et de ressemblance avec toi 3 ». Qu’est-ce à dire « que j’aurai de la ressemblance avec ce toi? que je vois tes oeuvres et qu’elles me sont agréables, dès lors que je n’en tire point vengeance. L’autre excuse est celle-ci, que Dieu ne considère point les oeuvres des hommes, qu’il se met peu en peine de notre vie, qu’il ne prend de nous aucun souci. Est-il croyable que Dieu s’arrête à me regarder? qu’il nie compte pour quelque chose? qu’il énumère les actions des hommes? Misérable créature ! Dieu, qui a pris soin de te créer, n’aurait aucun souci de te faire marcher dans le bien? Tel est donc le langage des méchants. « Ils ont dit: Le Seigneur ne le ce verra point, le Dieu de Jacob ne le cornu prendra point ».
12. « O vous, plus insensés que la populace, comprenez enfin, ayez enfin de la sagesse, ô hommes sans intelligence 4 ». Dieu instruit son peuple, dont les pieds pourraient chanceler à la vue de la prospérité des méchants. Voilà un homme qui vit parmi les saints de Dieu, ou les enfants de l’Eglise; il voit les méchants dans la prospérité, eux qui commettent le crime, et alors il en est jaloux et se sent porté à les imiter dans leurs oeuvres; il voit encore
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Ps. XCIII, 5, 6.— 2. Id. 7.— 3. Id. XLIX, 21.— 4. Id. XCIII, 8.
que sa piété, que son humilité ne lui servent de rien sur la terre, où il attendait sa récompense. S’il ne l’attendait que dans le ciel, il ne la croirait point perdue, puisque le temps de la recevoir n’est point venu pour lui. Tu es à travailler dans une vigne, fais ton oeuvre, et tu recevras ta récompense. Tu ne la demandes point au père de famille, avant de l’avoir gagnée, et tu l’exiges de Dieu avant tout travail? Cette patience même fait partie de ton travail qui sera récompensé. C’est diminuer le travail dans la vigne, que ne vouloir pas attendre, car cette patience qui se résigne fait partie de l’oeuvre qui doit être salariée. Mais si tu es fourbe, prends garde, non seulement de te priver de toute récompense, mais encore d’être châtié comme un ouvrier infidèle. Quand un ouvrier infidèle commence à mal faire, il fixe les yeux du père de famille, il examine celui qui l’a engagé pour travailler à sa vigne, afin de ralentir son travail, de muai faire s’il détourne les yeux, d’agir bien tant qu’il le voit. Mais Dieu, qui t’a engagé, ne détourne jamais les yeux; tu ne saurais donc jamais mal faire, le père de famille a toujours les yeux sur toi; cherche comment tu pourras le tromper, et tu cesseras alors d’agir. Si donc vous commenciez à vous ébranler en voyant la prospérité des méchants, si vos pensées faisaient chanceler vos pas dans la voie de Dieu, c’est à vous que s’adresse le Psalmiste; mais si nul d’entre vous n’en est là, c’est aux autres qu’il s’adresse, mais par vous-mêmes, lorsqu’il dit: « Comprenez maintenant». Ils ont dit: « Dieu ne verra point, le Dieu de Jacob ne comprendra point ». « Comprenez », s’écrie le Prophète, « vous qui êtes insensés parmi la populace, devenez enfin sages, vous qui êtes sans jugement».
13. « N’entendra-t-il pas, Celui qui a planté l’oreille?» Ne peut-il entendre, Celui qui t’a donné le pouvoir d’entendre? « N’entendra-t-il pas, Celui qui a planté l’oreille? Celui qui a fait l’oeil, ne voit-il point? Celui qui instruit les nations, ne reprendra-t- il point 1? » Considérez avec attention, mes frères: «Celui qui instruit les nations, ne reprendra-t-il point? » Voilà ce que Dieu fait maintenant, il instruit les nations: c’est pour cela qu’il a envoyé aux hommes son Verbe, dans toutes les contrées de la terre: il l’a envoyé par les anges, par
1.
Ps. XCIII, 9, 10.
les patriarches, par les Prophètes, par ses serviteurs, tout autant de hérauts qui ont précédé le souverain Juge. Enfin, il a envoyé son Verbe lui-même, il a envoyé son Fils unique; il a envoyé les serviteurs de son Fils, et parmi ses serviteurs, son Fils lui-même. Cette parole de Dieu est prêchée dans l’univers entier. Où n’est-il point dit aux hommes: Laissez vos iniquités passées et tournez-vous vers la voie droite? Il vous épargne donc, afin que vous vous corrigiez; il ne s’est point vengé hier, afin que vous viviez aujourd’hui plus saintement. Il instruit donc les nations, mais ne les reprendra-t-il point? N’entendra-t-il point ceux qu’il instruit? Ne jugera-t-il point ceux auxquels il a jeté sa parole comme une semence? Dans une école recevrais-tu toujours sans rien répéter jamais? C’est s’instruire que recevoir du maître, il te confie les leçons qu’il te donne, mais n’exige-t-il pas quelquefois que tu les répètes? Et en commençant cette répétition, ne crains-tu pas le châtiment? Nous recevons donc aujourd’hui les leçons, plus tard nous paraîtrons devant le juge, afin de rendre compte de tout notre passé; c’est-à-dire afin de lui donner raison de toutes les faveurs dont nous sommes comblés maintenant. Ecoute cette parole de l’Apôtre: « Nous comparaîtrons tous au tribunal du Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû à ses bonnes ou à ses mauvaises actions, pendant qu’il était revêtu de son corps 1. Celui qui instruit les nations, ne les reprendra-t-il pas; celui qui donne à l’homme la science?» Peut-il ignorer ce qu’il t’a fait savoir, « Lui qui donne à l’homme la science? ».
14. « Le Seigneur connaît les pensées des hommes, il voit qu’elles sont vaines 2 ». Tu peux bien ne pas comprendre combien sont justes les pensées de Dieu; mais lui « sait combien sont vaines les pensées des hommes ». Des hommes, il est vrai, ont connu les pensées de Dieu; mais il ne découvre ses secrets qu’à ses amis. Quant à vous, mes frères, ne vous méprisez pas vous-mêmes: c’est entendre les pensées de Dieu que d’approcher du Seigneur avec foi: voilà ce que vous apprenez maintenant, ce que nous vous disons, en vous découvrant pourquoi Dieu pardonne ici-bas aux méchants, afin que vous ne murmuriez point contre le Seigneur « qui donne à
1. Rom. XIV, 10; II Cor. V, 10. — 2. Ps. XCIII, 11.
l’homme la Science. Le Seigneur connaît combien sont vaines les pensées des hommes». Laissez donc ces pensées des hommes qui sont vaines, et comprenez toute la sagesse des pensées de Dieu. Mais qui comprend les pensées de Dieu? Celui qui est fixé dans le firmament du ciel. Voilà ce que nous avons chanté, ce que nous avons exposé.
15. « Heureux l’homme que vous enseignerez, Seigneur, et que vous instruirez de votre loi; afin de lui adoucir les jours mauvais, jusqu’à ce que la fosse soit creusée pour le pécheur ». Tel est le secret du conseil divin, voilà pourquoi il épargne les pécheurs: c’est qu’une fosse est creusée au méchant. Tu veux déjà l’ensevelir, mais on creuse encore sa fosse, ne te hâte point de l’y jeter. Qu’est-ce à dire, «jusqu’à ce que la fosse soit creusée au pécheur? » Ou bien, quel est ce pécheur? Est-ce un seul homme? Non: qu’est-ce donc? Tous ceux du genre humain qui sont impies, tout le corps des superbes; car il a dit auparavant:
« Rendez aux superbes ce qui leur est dû ». Il était pécheur en effet, ce publicain, qui se tenait les yeux baissés vers la terre, et se frappait la poitrine en disant: « Seigneur, ayez pitié de moi qui suis un pécheur 2». Mais parce qu’il n’était point superbe, et que c’est aux superbes que Dieu rend le salaire, ce n’est point à lui, mais à ceux-ci, que l’on creuse une fosse, jusqu’à ce que Dieu rende à leur orgueil ce qu’il mérite. Ainsi donc dans cette parole: «Jusqu’à ce que la fosse soit creusée pour le pécheur», il faut entendre pour le superbe. Mais quel est le superbe? Celui dont la pénitence ne va point jusqu’à la confession des péchés, afin d’être guéri par l’humilité. Quel est l’homme superbe? Celui qui s’arroge le peu de bien qui peut paraître en lui, et l’enlève à la divine miséricorde. Quel est l’homme superbe? Celui qui, tout en attribuant à Dieu le bien qu’il fait, insulte néanmoins à ceux qui ne le font point, et s’élève au-dessus d’eux. Ce Pharisien, en effet, disait: «Je vous rends grâces». Il ne disait point: C’est moi qui agis, mais il rendait grâces à Dieu du bien qu’il faisait. Il reconnaissait donc qu’il faisait le bien, et qu’il le faisait par le secours de Dieu. Pourquoi donc est-il réprouvé? Parce qu’il insultait au publicain. Ecoutez donc, afin de devenir parfaits. Tout homme ou toute femme doit commencer par l’aveu de
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Ps. XCIII, 12, 13. — 2. Luc, XVIII, 13.
ses fautes, par une pénitence salutaire, qui témoigne qu’il se corrige et non qu’il se rit de Dieu. Après cette pénitence, quand il commencera à s’affermir dans le bien, il doit encore veiller sur lui, afin de ne point s’attribuer le bien qu’il fait, mais d’en rendre grâces à Celui par la bonté duquel il est entré dans le bien. Car c’est Dieu qui l’a appelé, Dieu qui l’a éclairé. Le voilà donc déjà parfait? Point du tout. Il lui manque une chose encore. Que lui manque-t-il? De ne point s’élever au-dessus de ceux qui ne vivent point encore comme il vit. Quiconque en est là est en sûreté; ce n’est point à lui que l’on rendra le salaire dont il est dit: « Rendez aux superbes ce qu’ils méritent»; il n’est point parmi ceux à qui l’on creuse une fosse. Voyez en effet celui qui disait: «Je vous rends grâces de ce que je ne ressemble point aux autres hommes, qui sont injustes, voleurs, adultères, ni même comme ce Publicain ». Combien s’élève-t-il dans cette parole « Je ne suis point comme ce Publicain? » Mais celui-ci, la tête baissée, se frappait la poitrine en disant: « Mon Dieu, soyez-moi propice, parce que je suis un lécheur». L’un était orgueilleux de ses bonnes actions, l’autre s’humiliait de ses fautes. Voyez, mes frères, combien l’humilité dans les fautes est plus agréable à Dieu que l’orgueil dans les bonnes actions, tant Dieu déteste l’orgueil. C’est pourquoi le Sauveur conclut ainsi: « Je vous déclare que le Publicain sortit justifié beaucoup plus que le Pharisien ». Et il en donne le motif: «C’est ce que tout homme qui s’élève sera humilié, ce tout homme qui s’humilie sera élevé ». Mes frères, pour nous montrer que Jésus-Christ nous apprend l’humilité, il n’est besoin que d’un seul fait: c’est qu’un Dieu s’est fait homme. Voilà cette humilité qui déplaît tant aux païens, et d’où ils nous adressent cette injure: Quel est votre Dieu? un homme qui est né pauvre. Quel est votre Dieu? un crucifié. L’humilité du Christ déplaît donc aux superbes; mais toi, chrétien, imite-la si elle te plaît. Dès qu’on l’imite, il n’est plus rien de pénible, car le Sauveur a dit: « Venez à moi, ô vous qui souffrez et qui êtes chargés, et apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur 2 », Tel est donc l’enseignement chrétien, que nul ne fait bien que par la grâce de Dieu Le mal que fait l’homme vient de
1.
Luc, XVIII, 10-14. — 2. Matth. XI, 28, 29
l’homme, le bien qu’il fait vient de la faveur divine: s’il commence à faire le bien, qu’il ne se l’attribue point; et s’il ne se l’attribue point, qu’il en rende grâces à celui dont il l’a reçu; quand il fait le bien, qu’il n’insulte point à celui qui ne le fait point, et ne s’élève point au-dessus de lui. Ce n’est point à lui que se termine la grâce de Dieu de manière à ne point couler sur les autres.
16. « Afin que vous adoucissiez pour lui les jours mauvais, jusqu’à ce que la fosse soit creusée au pécheur 1». O toi, qui es chrétien, sois doux pendant les jours mauvais. Or, ils sont mauvais, ces jours pendant lesquels on voit fleurir le pécheur et souffrir le juste: mais la douleur du juste n’est que le châtiment d’un Père, et la félicité des pécheurs est la fosse qu’on leur creuse. Mais parce que Dieu nous mûrit pendant les jours mauvais, pendant que l’on creuse la fosse aux pécheurs, ne vous imaginez point que les anges sont quelque part avec des hoyaux, creusant une fosse immense pour contenir toute la race des méchants Et quand vous les voyez en si grand nombre, ne dites point dans un sens grossier: Quelle tosse pourra vraiment contenir une si grande foule de méchants? Quel temps faudrait-il pour creuser une fosse aussi profonde? Dieu devra donc leur pardonner. Loin de nous ces pensées. La fosse des pécheurs est leur félicité, ils y tombent comme dans une fosse. Pesez bien ceci, car il est assez étrange d’appeler fosse le bonheur lui-même: « Tant ce que l’on creuse une fosse au pécheur ». C’est par une secrète justice que Dieu épargne l’homme dont il reconnaît les fautes et l’impiété, et cette patience même de Dieu lui donne occasion de s’élever à cause de l’impunité. Il se croit élevé et il tombe, et sa chute vient de ce qu’il se croit élevé. Ce qu’il appelle marcher dans sa grandeur, Dieu l’appelle une fosse; car une fosse descend vers l’abîme, et ne va point vers le ciel: or, les pécheurs et les orgueilleux semblent monter vers les cieux, tandis qu’ils se plongent dans l’abîme. Les humbles au contraire paraissent descendre vers la terre, et ils montent jusqu’au ciel. Humilie-toi donc, ô toi, qui que tu sois, situ es instruit dans la loi de Dieu, afin que ton coeur soit un astre dans le ciel. Car c’est au quatrième jour, appelé le quatrième du sabbat, et d’où notre psaume emprunte
1. Ps. XCIII, 13.
son titre, que Dieu a formé les astres. De même que tu vois ces astres suivre avec patience le cours qui leur est tracé, peu soucieux de ce que les hommes disent contre eux; dédaigne à ton tour les attaques d’une chair fragile. Car tout homme n’est que de la chair et du sang, et tu n’es point vil en comparaison de cette autre chair qui paraît t’opprimer. C’est le même Dieu qui s’est revêtu d’une chair et qui a répandu son sang pour toi comme pour lui, et qui vous conduira l’un et l’autre à son tribunal. Et s’il t’a fait cette grâce, lorsque tu étais dans l’impiété, que ne réserve-t-il pas à ta fidélité? Que cette pensée te rende humble. Comment devenir humble? En te disant: Les méchants ne sont dans le bonheur que par la volonté de Dieu, il veut les épargner afin de les amener à la pénitence; et s’ils ne se convertissent point, il sait comment il les jugera. Or, l’homme n’est point humble, quand il veut s’opposer à cette bonté de Dieu, à cette patience, à ce pouvoir, à cette justice du juste. Dans son orgueil il s’élève contre Dieu, et Dieu le rabaisse, et cette humiliation est dans l’acte même qui s’élève contre Dieu. Car il est dit dans un autre psaume: « Vous les avez précipités alors qu’ils ce s’élevaient 1». Il n’est point dit: Vous les avez précipités parce qu’ils s’élevaient, afin de séparer le temps de l’élévation du temps de la chute; mais, pour eux, s’élever, c’était parti même tomber. Plus en effet le coeur de l’homme est orgueilleux, et plus il est éloigné de Dieu, et s’éloigner de Dieu c’est tomber dans l’abîme. Un coeur humble au contraire fait descendre du ciel Dieu lui-même qui veut s’en rapprocher. Dieu est élevé, Dieu est au-dessus des cieux, il domine les anges: combien ne faut-il pas t’élever pour atteindre ces hauteurs? Mais ne te mets pas en danger de te rompre à force de t’élever: je veux te donner un conseil, de peur que dans cette élévation l’orgueil n’en vienne à te rompre. Oui, Dieu est élevé: humilie-toi profondément et il descendra jusqu’à toi.
17. Nous comprenons donc pourquoi Dieu pardonne aux méchants; leur félicité est leur fosse. Dieu nous dit que ce n’est point à nous de connaître comment ni pourquoi cette fosse leur est creusée, mais à nous de comprendre dans sa loi que nous devons être patients jusqu’à ce que la fosse soit creusée au pécheur.
1.
Ps. LXXII, 18.
Mais moi, diras-tu, moi qui souffre au milieu des pécheurs, que m’arrivera-t-il? La réponse qui va suivre te dira que « Dieu ne repoussera point son peuple 1 ».Il le tient en haleine, mais ne le repousse point. Que nous dit en effet l’Ecriture à un autre endroit? « Que Dieu châtie celui qu’il aime; qu’il frappe celui «qu’il admet parmi ses enfants 2». Il reçoit celui qu’il châtie, et tu dis qu’il le repousse? Voilà ce que des hommes font à leurs enfants sous nos yeux; ils corrigent ceux qui leur donnent de l’espérance, mais ils abandonnent à leur vie de liberté, ces âmes indomptables qui ne laissent aucune espérance de bien. Or, il n’a point l’intention d’admettre à son héritage celui qu’il abandonne à sa liberté: et quand il corrige un enfant, c’est qu’il lui réserve son héritage. Que le fils que Dieu corrige, s’avance sous la main qui le frappe; puisque le frapper c’est le préparer à l’héritage. Dieu donc n’éloigne pas de l’héritage le fils qu’il corrige, mais il ne le corrige que pour l’y admettre. Que ce fils toutefois ne pousse point la jalousie enfantine, jusqu’à dire: Mon frère est plus aimé que moi de mon père, qui le laisse vivre en liberté, et moi, au moindre mouvement contre sa défense, le fouet est là. Réjouis-toi sous le fouet du châtiment, puisque l’héritage t’est réservé, et que « Le Seigneur ne rejettera point son peuple ». Il corrige dans le temps, mais il ne damne point pour l’éternité. A ceux au contraire qu’il épargne dans le temps, malédiction sans fin. Choisis donc: veux-tu un labeur qui passera, ou une félicité éternelle? Une félicité d’un moment, ou bien une vie éternelle? De quoi vous menace le Seigneur? d’une peine sans fin. Que vous promet-il? un bonheur sans fin. Les châtiments qui pèsent sur les bons ne sont que passagers, l’exemption des méchants n’est que passagère non plus, car « le Seigneur ne «rejettera point son peuple, et n’abandonnera point son héritage».
18. « Jusqu’à ce que la justice devienne un jugement, et qu’on voie auprès d’elle ceux qui ont le coeur droit 3 ». Travaille donc maintenant à posséder la justice, puisque tu ne peux encore avoir le jugement. Il faut la justice tout d’abord, mais le jugement affirmera cette justice. Ici-bas les Apôtres avaient la justice, ils supportaient les hommes d’iniquité, mais que leur est-il promis? « Vous
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Ps. XCIII, 14. — 2. Hébr. XII, 6. — 3. Ps. XCIII, 15.
serez assis sur douze trônes, jugeant les douze tribus d’Israël 1 ». Donc leur justice se convertira en jugement. Quiconque est en effet juste ici-bas, n’est tel que pour endurer et supporter le malheur. Qu’il souffre dans le temps des souffrances; viendra le temps de juger. Mais que dirai-je des serviteurs de Dieu? Le Seigneur, qui est juge des vivants et des morts, a voulu d’abord être jugé, puis juge ensuite. « Jusqu’à ce que la justice devienne un jugement, et ceux qui ont cette justice ont tous le coeur droit ». Avoir ici-bas la justice, ce n’est point juger encore. Il faut d’abord avoir la justice afin de juger ensuite; souffrir d’abord les méchants, puis ensuite juger les méchants. Ayons premièrement cette justice, qui sera plus tard changée en jugement. Le juste subira les méchants autant qu’il plaît à Dieu, autant que son Eglise les souffrira, afin que leur malice lui serve d’instruction. Toutefois Dieu ne repoussera point son peuple, «jusqu’à ce que la justice devienne un jugement; et ceux qui la possèdent, sont des hommes au coeur droit ». Quels sont les hommes au coeur droit? Ceux qui veulent ce que Dieu veut. Dieu épargne les pécheurs, tu veux qu’il les damne dès ici-bas. Ton coeur est tortueux, ta volonté perverse; car tu veux une chose, et Dieu en veut une autre. Dieu veut épargner les méchants, toi tu ne veux aucun ménagement; Dieu est patient pour les pécheurs, tu n’as pour eux aucune patience. Tu veux donc une chose, et Dieu une autre chose; redresse alors ton coeur, et tourne-le vers Dieu, parce que Dieu a pris en pitié les faibles. Il a vu que dans son corps, qui est son Eglise, il y a des infirmes qui cherchent à suivre leur volonté tout d’abord, mais qui redresseront leur coeur pour vouloir ce que Dieu veut, en voyant que Dieu veut autre chose Ne cherche donc point à rendre tortueuse la volonté de Dieu, mais redresse la tienne sur celle de Dieu. La volonté de Dieu est pour nous comme une règle: si tu viens à fausser la règle, sur quoi la redresser? Mais cette règle demeure toujours droite; elle est immuable. Tant que la règle subsiste, tu peux te redresser, et ce qu’il y a de tortueux en toi. Que désirent les hommes? C’est peu, pour eux, d’avoir une volonté tortueuse; ils veulent faire obliquer la volonté de Dieu, la former sur leur coeur, afin que Dieu fasse
1.
Matth. XIX, 28.
leur volonté quand ils doivent eux-mêmes faire ce que Dieu veut.
19. Comment le Seigneur, de deux volontés qui étaient en lui, a-t-il suivi celle qui s’était formée dans l’homme qu’il portait en lui? Il a voulu montrer en son corps ou dans son Eglise ceux qui, dans l’avenir, voudront d’abord agir selon leur volonté, puis embrasseront la volonté de Dieu; car il prévoyait qu’il y aurait des faibles parmi les siens, et il voulait qu’ils fussent personnifiés en lui-même. C’est pour cela qu’une sueur de sang couvrit son corps 1, parce que dans son Eglise, qui est son corps, le sang des martyrs devait couler de toutes parts. Le sang couvrit donc tout son corps: ainsi le sang des martyrs a coulé dans tout le corps de l’Eglise. Mais pour personnifier en lui-même ou dans son corps ceux qui sont faibles, il dit en leur nom et par pitié pour eux: « Mon Père, s’il est possible, éloignez de moi ce calice ». Il montre ainsi la volonté de l’homme, et s’il persévérait dans cette volonté, il ne nous montrerait plus un coeur droit. Mais s’il t’a pris en pitié, il t’a aussi guéri en lui. Suis-le donc, lorsqu’il dit ensuite: « Toutefois, non pas ma volonté, mais la vôtre, ô mon Père 2». Quand la volonté humaine vient te suggérer: Oh ! si le Seigneur donnait la mort à cet ennemi, qui ne m’opprimerait plus? Oh! si je pouvais moins souffrir de sa part! Si tu persistes dans cette volonté, situ y goûtes quelque plaisir, bien que tu saches que Dieu le défend, ton coeur est corrompu, tu n’as point cette justice qui doit devenir un jugement; car «tous ceux qui ont cette justice ont le coeur droit». Et quels sont « les coeurs droits? » Ceux qui disent avec Job: « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté: comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait; que son nom soit béni 3 ». C’est là un coeur droit. De même quand il est couvert de plaies, que dit-il à son épouse, que le démon lui avait laissée et n’avait pas mise à mort, afin de s’en faire une aide, et non une consolatrice de son mari? Satan se souvenait que c’était par Eve qu’Adam avait été trompé 4, et il pensait que cette nouvelle Eve lui devenait un instrument nécessaire. Mais Adam vainqueur sur son fumier, fut bien supérieur à Adam vaincu dans le paradis. Que répondit Job à cette femme? Vois un coeur tout prêt, un
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Luc, XXII, 44.— 2. Matth. XXVI, 39.— 3. Job, I, 21.— 4. Gen. III,
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coeur droit, N’endurait-il pas alors une persécution, et une persécution bien cruelle? Les chrétiens en souffrent aussi; et quand les hommes se lassent de sévir, le diable sévit à son tour, Et si les empereurs sont devenus chrétiens, le diable est-il aussi devenu chrétien, lui? Voyez, mes frères, ce qu’est un coeur droit. Sa femme s’approche et lui dit: « Parle contre Dieu, et meurs ». Elle énumère les maux qu’il endure ou qu’elle endure elle-même, puis elle ajoute: « Parle contre Dieu et meurs ». Mais Job reconnut Eve, et voulant retourner au point d’où il était tombé, le coeur fixé en Dieu, comme un astre dans le firmament du ciel, demeurant du coeur dans le livre de Dieu: « Tu as parlé», lui répond-il, « comme une femme insensée; si nous avons reçu les biens de la main de Dieu, pourquoi n’en pas recevoir aussi les maux 1? » Son coeur était fixé en Dieu, et dès lors jutait droit. Fixe donc ton coeur en Dieu, afin qu’il ait toujours la droiture. Mais il se glisse parfois une certaine volonté humaine, et je ne sais quelle mollesse charnelle s’empare de ton esprit; alors garde-toi de désespérer. C’est toi, et non lui-même, que le Seigneur figurait autrefois dans sa faiblesse: car il ne craignait point de mourir, lui qui devait ressusciter le troisième jour. Quand même il n’eût souffert que comme un homme, et non comme un Dieu qui venait souffrir, comment eût-il craint de mourir, sachant qu’il ressusciterait le troisième jour, tandis que saint Paul n’avait pas cette crainte, lui qui ne devait ressusciter qu’à la fin des siècles? « Car ce je me sens pressé de deux côtés », nous dit l’Apôtre; « j’ai d’une part un ardent désir d’être dégagé des liens du corps, et d’être avec Jésus-Christ, ce qui est de beaucoup le meilleur; mais de l’autre il est plus avantageux pour vous que je reste en cette vie 2». La vie lui était donc à charge, et un double désir partageait son âme; mourir pour être avec le Christ lui paraissait préférable de beaucoup. Aussi, quels tressaillements, quand vint le temps de souffrir ! quelle sainte joie! « J’ai combattu un bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi; il ne me reste plus qu’à recevoir la couronne de justice, que le Seigneur en ce grand jour m’accordera comme un juste juge 3». L’un tressaille parce qu’il sera couronné, et celui
1. Job,
II, 9, 10. — 2. Philipp. I, 23,
24. — 3. II Tim. IV, 7, 8.
qui doit le couronner est triste ! L’Apôtre est dans la joie, et Notre Seigneur dit: « Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi 1» Il a pris nos tristesses comme il pris notre chair. Ne croyez point que le Seigneur n’ait tuas été triste; ce n’est point là ce que nous disons, et si nous parlions de la sorte en présence de cette affirmation de l’Evangile: « Mon âme est triste jusqu’à la mort 2», on pourrait dire aussi que Jésus ne dormit point, quand l’Evangile assure qu’il dormit 3; qu’il ne mangea point, quand l’Evangile affirme qu’il mangea 4: un ver de corruption se glisserait dans la foi, et n’y laisserait rien de sain; on pourrait dire encore qu’il n’avait pas un corps véritable, ni une chair véritable. Tout ce qui est écrit de lui, unes frères, s’est fait réellement, tout est vrai. II fut donc triste? Oui, triste en réalité, mais d’une tristesse qui fut volontaire, comme il avait pris volontairement notre chair; et comme il avait pris volontairement une chair réelle,il prit volontairement une tristesse réelle. Il voulut montrer en lui-même cette tristesse, afin que, s’il venait à s’insinuer dans notre âme quelque faiblesse humaine, qui opposât notre volonté à la volonté de Dieu, nous pussions voir que nous sommes en dehors de la règle, rattacher notre coeur à cette règle, et redresser en Dieu ce même coeur qui perdait de sa droiture en l’homme. C’est donc ta faiblesse que Jésus montrait en lui, quand il disait: «Mon âme est triste jusqu’à la mort ». C’est en elle qu’il dit aussi: « Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi ». Néanmoins, fais aussitôt ce qu’il fit ensuite, afin de t’instruire: « Toutefois, non pas ma volonté, mais la vôtre, ô mon Père 5 ». Si vous agissez de la sorte, vous aurez la justice; et avoir la justice, c’est avoir le coeur droit; et si le coeur est droit, cette justice qui souffre maintenant sera changée en jugement, et quand le Seigneur viendra juger, tu ne craindras aucun châtiment, mais tu te réjouiras de porter la couronne. Tu verras alors à quoi sera venue aboutir la patience de Dieu, ou à châtier les autres, ou à te couronner. Maintenant tu ne vois pas, il est vrai; mais crois ce que tu ne vois pas encore, afin de ne point rougir quand tu verras. « Jusqu’à ce que la justice devienne un jugement, et tous
1.
Matth. XXVI, 39.— 2. Id. 38.— 3. Id.
VIII, 28.— 4. Luc, XIV, 1. — 5. Matth. XXVI, 37, 38.
ceux qui ont cette justice ont le coeur droit».
20. « Qui s’élèvera pour moi contre les méchants, ou qui prendra mon parti contre les artisans d’iniquité 1? ». De toutes parts on te porte au mal, et le serpent ne cesse de te suggérer l’iniquité. Quelque part que l’on se tourne, dès que l’on a fait quelque progrès dans la piété, on cherche un émule de vie chrétienne, et à peine peut-on le trouver: tu es environné de méchants, comme un peu de bon grain au milieu de beaucoup de paille. Il y a des grains dans l’aire, mais encore sous le fléau. Une fois qu’ils seront séparés de la paille, ils seront en grand nombre. Peu nombreux en comparaison de la paille, ils sont nombreux en eux-mêmes. Ainsi donc, lorsque les méchants murmurent de toutes parts, et te disent: Pourquoi vivre ainsi? Es-tu seul chrétien? Pourquoi ne point imiter les autres? Pourquoi n’aller point aux spectacles comme les autres hommes? Pourquoi n’avoir point leurs remèdes, leurs ligatures? Pourquoi ne point consulter les augures et l’astrologie, comme le font les autres? Tu fais alors le signe de la croix, tu dis: Je suis chrétien, pour repousser ce langage empoisonné, Mais l’ennemi te presse et va plus loin; ce qui est pire encore, il veut étouffer le chrétien par l’exemple des chrétiens. L’âme est alors dans le trouble, dans l’angoisse. Elle peut vaincre néanmoins, niais est-ce par ses propres forces? Aussi écoutez sa réponse De quoi nie servirait d’employer ces remèdes pour ajouter peu de jours à ma vie? Voilà que je vais sortir de ce monde pour paraître devant mon Dieu, et il me jettera dans l’enfer, parce que j’aurai préféré quelques jours à la vie éternelle. Quel enfer? Le supplice de l’éternel jugement de Dieu. Vraiment, tu crois donc que Dieu prend soin de la vie des hommes? Peut-être n’est-ce point un ami qui vous parle ainsi sur la place publique, mais quelquefois une épouse au foyer domestique, ou un mari qui veut séduire une sainte et fidèle épouse. Si c’est la femme au mari, elle est une Eve pour lui; si c’est le mari à l’épouse, il est Satan pour elle. Ou Eve pour le mari, ou le serpent pour la femme. Parfois un père qui veut former son fils, le trouve corrompu, perdu de débauches. Il a du zèle, puis il est irrésolu, il cherche comment vaincre, il est
1.
Ps. XCIII, 16.
presque absorbé à son tour, presque de connivence; que Dieu le protège. Ecoutez donc le psaume: « Qui s’élèvera pour moi contre les méchants? » Ils sont en si grand nombre! quelque part que je regarde, je les vois. Qui tiendra tête au prince du mal, au diable et à ses anges, aux hommes qu’il a séduits?
21. « Si le Seigneur ne m’eût secouru, mon âme eût habité les enfers 2 ». Elle serait descendue dans la fosse préparée aux pécheurs. Voilà ce que signifie: « Peu s’en faut que mon âme n’eût habité dans l’enfer » Notre interlocuteur, se voyant ébranlé, près de consentir au mal, a jeté les yeux sur le Seigneur. Des railleries peut-être l’amenaient à l’iniquité. Souvent les méchants se rassemblent pour insulter aux gens de bien, surtout quand ils sont en plus grand nombre et qu’ils environnent un homme isolé, comme la paille dans l’aire environne le bon grain. (Mais ils ne seront plus ensemble quand cette masse aura été vannée). Cet homme de bien se trouve donc environné de méchants, qui le persiflent, qui le circonviennent, qui s’efforcent de s’imposer à lui, qui le harcèlent parce qu’il est juste, qui font de sa justice un sujet de sarcasmes: Vous êtes, lui disent-ils, un grand Apôtre; vous avez été ravi au ciel comme Elle. Ainsi parlent ces hommes, afin que, fatigué de ces traits envenimés, le juste rougisse enfin au milieu d’eux, Qu’il résiste donc à ces méchants, et que pour leur résister il ne compte point sur ses forces, de peur qu’il ne devienne orgueilleux en voulant fuir les orgueilleux et n’aille augmenter leur nombre. Que dire alors? « Qui s’élèvera pour ce moi contre les méchants, ou qui voudra s’unir à moi contre ceux qui font le mal? Si Dieu ne m’était venu en aide, peu s’en ce faudrait que mon âme ne fût dans l’enfer».
22. « Si je disais mon pied est ébranlé; votre miséricorde, ô mon Dieu, me soutenait 2 ». Vois combien l’aveu est précieux devant Dieu. Ton pied chancelle, et tu ne dis point: Mon pied chancelle; mais tu affirmes que tu es ferme lorsque déjà tu es abattu. Au contraire, lorsque tu te sens ébranler, lorsque tu chancelles, confesse ton ébranlement pour n’avoir pas à pleurer ta chute; afin que Dieu te tende la main et que ton âme n’aille point dans les enfers. Dieu veut la confession, il aime l’humilité. Tu es
1.
Ps. XCIII, 17. — Id. 18.
ébranlé parce que tu es homme, il te soutient parce qu’il est Dieu. Dis-lui donc ce Mon pied est ébranlé ». Pourquoi dire: Je tiens ferme, lorsque ton pied s’ébranle? « Si je disais: Mon pied chancelle, votre miséricorde me soutenait, ô mon Dieu ». C’est ainsi que Pierre ne mit point sa confiance en lui-même. On vit un jour le Seigneur marchant sur la mer, foulant aux pieds toutes les têtes orgueilleuses de ce monde. Et il a montré qu’il foulait aux pieds les têtes orgueilleuses, quand il marcha sur les flots en courroux. Ainsi en est-il de l’Eglise, car c’est l’Eglise qui est Pierre. Et toutefois Pierre n’osa de lui-même marcher sur la mer: mais que dit-il? « Seigneur, si c’est vous, ordonnez que j’aille à vous sur les eaux ». Jésus marche par sa puissance, Pierre par l’ordre de Jésus. « Ordonnez que j’aille à vous », dit-il. Et Jésus répondit: « Viens 1». L’Eglise donc marche sur la tête des superbes: mais comme elle est l’Eglise, comme elle a sa part des infirmités humaines, afin d’accomplir cette parole: « Si je disais: Mon pied est chancelant », Pierre chancela sur la mer, et s’écria: « Seigneur, je péris ». Ainsi donc, ce qui est écrit ici: « Si je disais: Mon pied a chancelé », se traduit dans l’Evangile par: « Seigneur, je péris 2 ». Et cette autre parole: « Votre miséricorde me soutenait », s’accomplit ici: « Jésus tendit la main en disant: Homme de peu de foi, ce pourquoi douter 3? » Dieu est admirable dans les épreuves qu’il envoie aux hommes; et nos propres dangers nous rendent plus cher le libérateur. Voyez en effet ce qui suit. Le Prophète a écrit: « Si je disais: Mon pied a chancelé: votre miséricorde venait à mon secours, ô mon Dieu ». Le Seigneur qui l’a tiré du danger lui est devenu plus cher; et en exposant cette bonté du Seigneur, il s’écrie: « Seigneur, vos paroles ont versé dans mon âme une joie proportionnée à mes douleurs 4 ». Ces douleurs étaient grandes, et grandes aussi vos consolations; la blessure était cuisante, mais le remède en est doux.
23. « Y aurait-il près de vous un siège d’iniquité, ô vous qui imposez la douleur comme un précepte 5? » C’est-à-dire: Tout homme injuste ne pourra s’asseoir avec vous, et vous n’aurez point vous-même un siège d’iniquité.
1.
I Matth. XIV, 28. — 2. Id. 30. — 3. Id. 31, 32.— 4. Ps. XCIII,
19. — 5. Id. 20.
Et comme pour en donner la raison, il ajoute: « Vous formez la douleur comme un précepte ». Ce qui me fait comprendre qu’il n’y a près de vous aucun trône d’iniquité, c’est que vous ne nous épargnez point. Nous lisons dans l’épître de saint Pierre un passage qu’il emprunte aux saintes Ecritures, et qui est une preuve de ceci: « Voici le moment », dit-il, « où le jugement va commencer par la maison du Seigneur 1 »; c’est-à-dire, le moment où vont être jugés ceux qui appartiennent à la maison du Seigneur. Si les enfants sont châtiés, que ne doivent pas attendre les serviteurs infidèles? Puis saint Pierre ajoute: « Si le Seigneur commence ainsi par nous, que peuvent attendre ceux qui ne croient point à l’Evangile? » Ce qu’il appuie de ce témoignage: « Et si le juste est à peine sauvé, que deviendront le pécheur et l’impie 2? » Comment les impies seraient-ils avec vous, puisque vous n’épargnez pas vos fidèles serviteurs, que vous exercez et que vous châtiez? Mais comme c’est pour nous instruire qu’il ne nous épargne point, le Psalmiste a dit: « Vous formez la douleur comme un précepte ». Vous la formez, c’est-à-dire vous la faites, vous la créez, vous la pétrissez: Fingis; vous lui donnez une forme; de là vient que l’ouvrier d’argile se nomma Fingulus, et le vase qu’il forme fictile, car le mot fictum ne signifie pas toujours mensonge, mais ce que l’on prépare en lui donnant une forme, ce qui a donc une certaine forme, ainsi que le Psalmiste l’a dit: Celui qui a formé l’oeil ne verra-t-il point? Qui finxit oculum, et cette expression finxit ne désigne aucune feinte, mais elle signifie donner une forme à l’oeil, faire l’oeil. Dieu ne ressemble-t-il pas à l’ouvrier d’argile, figulus, quand il fait l’homme si fragile, si faible, si terrestre? Ecoute cette parole de l’Apôtre: « Nous avons ce trésor dans des vases de terre 3 ». Mais peut-être ces vases de terre nous viennent-ils d’un autre? Ecoute sa réponse: « O homme, qui es-tu pour oser répondre à Dieu? Le vase d’argile a-t-il droit de dire à celui qui l’a fait: Pourquoi m’avez-vous fait ainsi? Le potier n’a-t-il pas le droit de former avec la même masse d’argile ou un vase d’honneur, ou un vase d’ignominie 4?»Vois dans l’Evangile que le
1.
I Pierre, IV, 17. — 2. Id. 18; Prov. XI, 31. — 3. II Cor. IV, 7. — 4. Rom. IX,
20, 21.
Christ Notre Seigneur se compare à l’ouvrier d’argile; car s’il a fait l’homme avec de la boue 1, ce fut aussi de la boue qu’il mit sur les yeux de celui dont il n’avait formé les yeux que d’une manière imparfaite au sein de sa mère 2. Donc cette parole: « Y aura-t-il près de vous un siège pour l’iniquité, quand vous préparez la douleur comme un précepte? » nous devons l’entendre comme s’il disait: Y aura-t-il près de vous un siége pour l’iniquité, vous qui formez la douleur comme un précepte? Qui formez la douleur comme un précepte, qui nous faites un précepte de la douleur, en sorte qu’elle nous soit imposée. Comment la douleur est-elle un précepte pour nous? C’est quand celui qui est mort pour toi te flagelle, sans te promettre le bonheur en cette vie, lui qui ne peut tromper, et qui ne te donne point ici-bas ce que tu cherches. Quel bien donnera-t-il? Où le donnera-t-il? Combien donnera-t-il, lui qui ne donne rien en cette vie, qui châtie en cette vie, qui fait de la douleur un précepte? C’est maintenant le temps du travail, le repos nous est promis pour la suite. Tu considères le labeur qui t’échoit en cette vie, mais considère le repos que Dieu te promet. Peux-tu seulement te le figurer? Si tu le pouvais, tu comprendrais que ton travail ne saurait lui être comparé. Ecoute celui qui voyait ces biens en partie, qui s’écriait: « Je connais ce maintenant en partie seulement 3 »; que nous dit l’Apôtre? « Nos tribulations actuelles qui doivent passer, et qui sont légères, préparent en nous, d’une manière incroyable et incomparable, un poids éternel de gloire ». Qu’est-ce à dire « un poids éternel de gloire? » Pour qui cette gloire? « Pour ceux qui ne s’arrêtent point à ce qu’on voit, mais à ce qui est invisible. Car ce que l’on ce voit n’est que pour un temps, ce que l’on ce ne voit pas est éternel 4». Ne t’amollis point dans un travail qui passe rapidement, et tu jouiras d’un bonheur sans fin. Dieu te donnera la vie éternelle; juge de quel travail tu la dois acheter.
24. Ecoutez, bien, mes frères, voici un marché. Tout ce que j’ai est à vendre, dit le Seigneur, achète-le. Qu’a-t-il à vendre? Il a un repos à vendre, achète-le par le travail. Ecoutez afin que nous soyons au nom du
1. Gen. II, 7. — 2. Jean, IX, 1-6. — 3. I Cor. XIII, 12. — 4. II Cor. IV, 17, 18.
Christ des chrétiens courageux; il ne nous reste que très-peu de notre psaume, ne nous fatiguons point. Comment pourrait-il être courageux pour agir, celui qui s’attiédit à écouter? Dieu m’aidera à vous expliquer le reste du psaume. Ecoutez comment Dieu a mis à l’encan le royaume des cieux. Combien vaut-il, lui diras-tu? On l’achète par le travail: s’il te répondait qu’on l’achète avec de l’or, cela ne suffirait point: tu demanderais aussi combien d’or; car il y a le grain d’or, l’once d’or, la livre d’or, et tout autre poids. Il te dit donc le prix, afin de t’épargner la fatigue de le chercher. Le prix de ce royaume, c’est le travail. Quel est ce travail? Demande combien il te faut travailler; car tu ne sais pas encore quel est ce travail, et combien tu dois travailler: Dieu te dit simplement: Je te fais voir quel est ce repos, juge de quel travail tu dois l’acheter. Que Dieu nous dise alors quel sera le repos. « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous béniront ce dans les siècles des siècles 1». Tel est donc le repos éternel; ce sera un repos sans fin, un bonheur sans fin, une allégresse sans fin, une incorruptibilité sans fin. De quel travail peut-on acheter un bonheur qui est sans fin? Si tu veux être juste dans la comparaison, si tu veux juger dans la vérité, un repos éternel doit être acheté par un travail éternel. Cela est vrai, mais ne crains point, Dieu est miséricordieux. Mais avec un travail éternel, tu n’arriverais jamais au repos éternel. Si tu travaillais sans fin, comment pourrais-tu arriver à ce repos éternel, qui mériterait qu’on l’achetât par un travail sans fin? Pèse bien les valeurs: un repos éternel vaut un travail éternel. Mais travailler toujours, c’est n’arriver jamais au repos. Si donc tu veux arriver à ce que tu achètes, il faut que ton travail ait une fin, non que le repos ne vaille pas un tel prix, mais afin que tu puisses posséder ce que tu as acheté. Un travail éternel devrait en être le prix; mais on ne saurait l’acheter que d’un travail passager. Assurément il fut bien un travail éternel pour un repos éternel. Qu’est-ce qu’un mil lion d’années dans le travail? Un million d’années passera; mais ce que je donnerai, dit le Seigneur, n’aura point de fin. Combien est grande la divine miséricorde! Elle ne dit pas mille années de travail; elle ne dit point cinq
1.
Ps. LXXXIII, 5.
cents ans de travail, mais bien: travaille tant que tu vivras, peu d’années, et tu auras le repos, et le repos sans fin. Ecoute encore la suite: « Dans les maux sans nombre qui affligeaient mon coeur, vos paroles ont versé la consolation dans mon âme ».Tu travailles peu d’années, et ce labeur est entrecoupé par la joie, car il y a des consolations en cette vie, Toutefois ne mets point ta joie dans ce monde, réjouis-toi dans le Christ, réjouis-toi dans sa parole, réjouis-toi dans ses préceptes. Ces entretiens avec vous, cette parole que vous entendez, font partie de votre joie. Combien de consolations dès lors dans un travail si court! Elle est donc vraie, cette parole de l’Apôtre: « Nos tribulations actuelles, qui doivent ce passer et qui sont légères, préparent en nous, d’une manière incroyable et incomparable, un poids de gloire éternelle ». Voilà donc le prix que nous donnons à Dieu ! Quelques légumes grossiers pour des trésors éternels; les légumes du travail, pour un repos indicible d’après cette parole: « Voilà ce qui nous prépare d’une manière incomparable un poids de gloire éternelle ». Tu te réjouis dans le temps, mais n’y mets point la confiance: la vie a ses tristesses, ne désespère point. Ne te laisse ni corrompre par la prospérité, ni abattre par l’adversité: ne dis pas en toi-même: il est impossible que Dieu admette auprès de lui les méchants, quand il châtie les justes eux-mêmes afin de les sauver: puisqu’il ne châtie que pour redresser. « Si le juste à peine est sauvé, qu’arrivera-t-il à l’impie et au pécheur 1? Y aura-t-il auprès « de vous un siège d’iniquité? » C’est-à-dire, les impies s’assiéront-ils auprès de vous, quand vous faites de la douleur un précepte, quand vous voulez exercer vos enfants par la douleur; afin de les instruire quand vous avez voulu leur donner des préceptes pour qu’ils ne fussent point sans crainte, qu’ils ne vinssent à aimer autre chose, et à vouloir vous oublier. Vous, leur véritable bien? Dieu est bon; et si, dans sa miséricorde, il ne mêlait quelque amertume aux félicités de cette vie, nous en arriverions à l’oublier.
25. Mais quand les peines et les afflictions viennent foudre sur nous, notre foi qui sommeillait sort de son assoupissement. La mer était calme, quand Jésus dormait: c’est pendant son sommeil que s’éleva la tempête, et
1.
Prov. XI, 31; I Pierre, IV, 18.
qu’ils furent en péril. Le coeur du chrétien sera donc dans la paix et dans la tranquillité, nais seulement quand notre foi sera en éveil; qu’elle s’endorme et nous sommes en danger. Le sommeil du Christ nous apprenait alors que ceux-là sont en danger qui laissent dormir leur foi. Mais comme dans les secousses du navire les disciples réveillèrent leur maître, en s’écriant: « Seigneur, nous périssons », comme il se leva, commanda à la tempête, commanda aux flots, lit cesser la tempête et rétablit le calme 1; ainsi le trouble des passions mauvaises, les instigations du démon, sont comme des flots qui doivent s’apaiser. Le découragement s’empare-t-il de toi, et penses-tu n’appartenir plus à Dieu? réveille ta foi; fais lever le Christ dans ton coeur; et ta foi s’éveillant te montrera où tu es: et si les flots des convoitises se soulèvent, regarde les promesses de Dieu; et ces ineffables promesses te feront mépriser les délices de ce monde: et si les méchants te menacent de leur puissance, au point de te forcer à renoncer à la justice, écoute les menaces de Dieu: « Allez au feu éternel qui a été préparé au diable et à ses anges 2», et tu n’abandonneras point la justice. Tu craindras les feux éternels, et tu mépriseras les douleurs du temps; à la vue des promesses de Dieu, tu mépriseras les félicités passagères. Il t’a promis le repos, endure les angoisses; il te menace des flammes éternelles, méprise une douleur d’un jour: et au réveil du Christ ton coeur sera dans le calme, et tu arriveras au port. Celui qui t’offre une barque ne peut que te préparer un port de salut. « L’iniquité s’assiérait-elle près de vous, quand vous faites de la douleur un précepte? » Dieu se sert des méchants pour nous exercer, et de leurs persécutions pour nous châtier. La malice du méchant sert à frapper le juste, et l’esclave à corriger le fils: ainsi la douleur devient un précepte. Les méchants font ce que Dieu leur permet, dans le temps qu’il les épargne.
26. Qu’ajoute le Prophète? « Ils tendront des pièges à l’âme du juste 3 ». Pourquoi tendre des pièges? parce qu’ils ne trouvent aucune faute réelle à lui reprocher. Pourquoi tendre des piéges au Seigneur? Impuissant à lui trouver des crimes réels, ils en ont inventé de fictifs 4. « Et ils condamneront le sang
1. Matth. VIII, 23-26.— 2. Id.
XXV, 41.— 3. Ps. XCIII, 21.— 4. Matth. XXVI, 59.
Innocent ». Le Prophète va nous dire pourquoi tout cela.
27. « Et le Seigneur », dit-il, « est devenu pour moi un refuge 1».Tu ne chercherais pas un tel refuge si tu n’étais dans le danger: mais tu n’as été dans le danger qu’afin de le chercher; car c’est Dieu qui fait de la douleur un précepte. Il se sert de la malice des méchants pour nous affliger; sous l’aiguillon de la douleur, je cherche un refuge que je n’avais point cherché dans les délices du monde. Où est l’homme qui se tourne aisément du côté de Dieu, s’il est toujours heureux et content des espérances terrestres? Que ces espérances mondaines disparaissent, et livrons-nous à l’espérance de Dieu, afin de pouvoir dire: « Le Seigneur est devenu pour moi un refuge ». Je consens à souffrir, pour que le Seigneur soit mon asile: « Et mon Dieu s’est fait le protecteur de mon espérance ». Ici-bas Dieu est pour nous en espérance; tant que nous sommes sur la terre, nous n’avons que l’espérance, et non point la réalité. Mais de peur que nous ne perdions courage, Dieu qui nous a fait des promesses, nous relève et adoucit les maux que nous souffrons. Car ce n’est pas en vain qu’il est écrit: « Dieu est fidèle, et ne vous laissera point tenter au-dessus de vos forces, mais il ouvrira une issue à l’épreuve, afin que vous puissiez ce persévérer 2»: qu’il nous jette dans la fournaise de la tribulation, de manière à cuire le vase et non à le briser. « Et le Seigneur est ce devenu un refuge pour moi, Dieu a soutenu ce mon espérance ». Pourquoi donc voyais-tu une injustice en Dieu qui épargne les méchants? Vois comment le psaume se corrige, et corrige-toi avec lui; car c’est pour cela que le psaume parlait ton langage. Quel langage? «Jusques à quand, Seigneur, jusques à quand ce les pécheurs se glorifieront-ils? » Le psaume parlait donc tout à l’heure comme toi, parle maintenant comme le psaume. Que dit le psaume? « Le Seigneur est devenu mon refuge, et mon Dieu est l’appui de mon espérance ».
28. « Le Seigneur leur rendra selon leurs oeuvres, le Seigneur notre Dieu les détruira ce selon leur malice 3 ». Ce n’est pas sans raison que le Prophète dit: « Selon leur malice». Ils me font un grand bien, et néanmoins ils sont méchants et nullement bienfaiteurs. Dieu
1. Ps. XCIII, 22. — 2. I Cor. X,
13, — 3. Ps. XCIII, 23,
se sert visiblement des méchants pour nous exercer, pour nous affliger. Pourquoi nous châtier? Assurément pour le royaume des cieux. « Il flagelle tous ceux qu’il reçoit au nombre de ses enfants. Et quel est le fils à qui son ce père ne donne point la discipline 1? » Quand le Seigneur en agit ainsi, il nous dresse pour l’héritage éternel, et souvent il le fait par les méchants, exerçant et perfectionnant notre charité qu’il nous ordonne d’étendre jusqu’à nos ennemis, car il n’y a de parfaite charité dans le chrétien, qu’à la condition d’accomplir ce précepte du Christ: « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous persécutent 2». C’est ainsi que l’on triomphe du diable, et que l’on remporte la couronne de la victoire. Tel est le bien que Dieu nous procure au moyen des méchants: et pourtant il doit les traiter, non selon le bien dont ils ont été pour nous les instruments, mais selon leur malice. Voyez ce qu’il nous a procuré au moyen de l’infâme trahison de Judas. Car Judas livre le Fils de Dieu pour être crucifié, et c’est par la croix du Fils de Dieu que tous les peuples ont été rachetés pour le ciel; et néanmoins Dieu n’a point récompensé Judas de la rédemption de tous les peuples, mais il l’a châtié selon son crime. Si l’on considère seulement en Judas qu’il a livré Jésus-Christ, sans regarder avec quel esprit il l’a fait, Judas a fait ce que Dieu le Père a fait, puisqu’il est écrit qu’ « il n’a pas épargné son propre Fils, mais l’a livré à la mort pour nous tous 3». Judas a fait ce qu’a fait Notre Seigneur Jésus-Christ, puisqu’il est dit qu’ « il s’est livré à ce Dieu pour nous, comme une offrande et une hostie d’agréable odeur »; puis encore qu’ « il a aimé son Eglise, et s’est livré à la mort pour elle 4». Cependant nous rendons grâces à Dieu, qui n’a pas épargné son Fils, qui l’a livré pour nous, de même que nous rendons grâces au Fils qui s’est livré pour nous, accomplissant ainsi la volonté de son Père; et nous détestons Judas, dont le crime a servi à Dieu pour nous procurer un si grand bien, et nous disons avec raison: Dieu lui a rendu selon son iniquité, et l’a perdu selon sa malice. Ce n’est point pour nous en effet que Judas a livré le Christ, mais pour posséder l’argent de son crime: quoique le
1.
Prov. III, 12; Hébr. XII, 6, 7.— 2. Matth. V, 44.— 3. Rom. VIII, 32. — 4. Ephés. V, 2, 25,
Christ ainsi livré soit demeuré notre salut, et que ce marché nous ait délivrés. Ainsi encore ceux qui persécutaient les martyrs ne les torturaient sur la terre qu’en les envoyant au ciel; ils leur ôtaient sciemment la vie présente, pour leur faire gagner, sans le savoir, la vie future. Mais quand ces persécuteurs se sont obstinés dans leur injuste haine contre les saints, Dieu les a traités selon leurs iniquités, et les a perdus selon leur malice. De même en effet que la bonté des justes nuit aux méchants, de même l’iniquité des méchants est avantageuse aux bons. Car le Seigneur a dit: « Je suis venu afin que ceux qui ne voient pas voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles ! », Et l’Apôtre: « Aux uns nous sommes une odeur de mort pour la mort, aux autres une odeur de vie pour la vie 2 ». La malice des méchants est pour les justes l’arme de gauche, ainsi que l’a dit le même Apôtre: « Par les armes de la justice, à droite et à gauche, c’est-à-dire par la gloire et par l’ignominie 3 »: et il continue à énumérer les armes de la droite, la gloire de Dieu, la bonne renommée, la vérité qui leur faisait connaître qu’ils vivaient, qu’ils n’étaient point morts; qu’ils devaient se réjouir, qu’ils enrichissaient les autres, et qu’ils possédaient toutes choses: les armes de la gauche, qui étaient pour eux l’ignominie, subir la diffamation, passer pour séducteurs, être ignorés, mis à mort, emprisonnés, subir tous les maux, être méprisés comme des pauvres et des indigents. Et qu’y a-t-il d’étonnant que des soldats du Christ combattent le Christ par ces différentes armes, à droite et à gauche? Mais comme la paix est aux hommes de bonne volonté 4, même quand ils sont pour les autres une odeur de mort pour la mort; de même la mort est pour les hommes de mauvaise volonté, même quand ils sont pour les justes des armes de gauche pour le salut, Dieu donc leur rendra, non point selon qu’ils nous auront été utiles, mais selon l’iniquité qu’ils aimaient en haïssant leurs âmes: il ne les glorifiera point selon ce qu’il nous procure par leur malice, lui qui tire un sage parti de leur malice: « Mais le Seigneur notre Dieu les perdra selon leur malice ».
29. Que le juste donc supporte l’injuste; que pendant son labeur passager, le juste supporte
1. Jean, IX, 39. — 2. II Cor. II,
16. — 3. Id. VI, 7, 8. — 4. Luc, II, 14.
l’impunité passagère des méchants, puisque le juste vit de la foi 1. Il n’y a d’autre justice pour l’homme en cette vie, que de vivre selon la foi qui agit par la charité 2. Or, si le juste vit de la foi, qu’il croie, qu’après cette vie de labeur, il jouira du repos éternel, comme le méchant, après la joie d’ici-bas, souffrira des tourments sans fin. Or, si la foi agit par la charité, qu’il aime jusqu’à ses ennemis 3, et autant qu’il est en lui, qu’il cherche à leur être utile: par là, malgré leur volonté, ils ne pourront lui nuire aucunement. Et quand parfois Dieu leur aura donné la puissance de nuire et de dominer qu’il élève son coeur en haut, où nul ne peut nuire; qu’il s’instruise et se nourrisse de la toi de Dieu, afin que ses jours soient adoucis jusqu’à ce qu’une fosse soit creusée au pécheur. Si sa volonté est dans la loi de Dieu, s’il médite cette loi jour et nuit 4, si sa conversation est dans le ciel 5, du haut du firmament il brillera sur la terre, selon le titre du psaume, à propos du quatrième jour, où fument créés les astres 6: en sorte qu’il fera tout sans murmure, gardant la parole de Dieu, au milieu d’une nation tortueuse et perverse 7. De même que la nuit n’éteint pas dans les cieux la lumière des astres: ainsi l’iniquité n’abattra point les âmes des fidèles fixées dans le firmament des Ecritures divines. Cette puissance que Dieu abandonne
1. Rom. I, 17. — 2. Gal. V, 6.—
3. Matth. IV, 44.— 4. Ps. I,
2. — 5. Philipp. III, 20.— 6. Gen. I, 14.— 7. Philipp.
II, 14-16.
quelquefois aux méchants, sur nos biens terrestres, non seulement sert à nous instruire, à nous faire chercher en Dieu notre refuge, dans le Seigneur l’appui de notre espérance; mais elle sert encore à creuser une fosse au pécheur, dont il est dit dans un autre psaume: « Il chancellera et tombera, quand il aura dominé le pauvre 1».
30. Un si long discours vous a fatigués sans doute: quoique votre ferveur m’ait empêché de le voir, pardonnez-moi néanmoins s’il en est ainsi; d’abord, je ne l’ai fait que pour obéir; car le Seigneur me l’a commandé par la bouche de ces frères en qui il habite; Dieu en effet ne commande que de son trône. Ensuite votre avidité à m’écouter, je l’avoue, m’a donné l’avidité de vous parler. Que le Seigneur bénisse donc mon travail, et que cette sueur de mon visage soit pour vous un gage de salut, et non de condamnation; c’est-à-dire, mes frères, que mes paroles vous stimulent dans la vertu; que vous les méditiez en. vous-mêmes, que vous n’en perdiez pas le souvenir, et qu’elles se gravent, non seulement dans votre esprit, mais aussi dans vos pratiques journalières. Une vie sainte, réglée sur les préceptes de Dieu, est comme le stylet qui grave dans le coeur ce que l’on entend au dehors. Gravez-le sur la cire, il s’effacera bientôt: écrivez-le dans vos coeurs, dans vos saintes pratiques, et il ne s’effacera jamais.
1. Ps. IX, 10.
La joie est légitime quand elle est selon Dieu. Le Prophète nous appelle auprès de Dieu afin de la goûter. On est près de Dieu quand on porte son image dans une vie pure, loin de lui quand on aime l’impiété. Dieu cherche son image en nous comme César son effigie sur sa monnaie. Il appelle donc auprès de Dieu ceux qu’une vie dissolue en éloignait. Que votre joie soit inexprimable, qu’elle éclate par l’aveu de nos fautes et par la Louange du Dieu qui les pardonne, du médecin qui guérit nos plaies. Chantons donc le Seigneur parce qu’il est au-dessus des simulacres des nations, au-dessus des dieux qui sont tels par la participation à sa grâce, parce qu’il ne repoussera point son peuple, ce peuple issu d’Abraham, dont plusieurs furent retranchés à cause de leur infidélité, mais dont le reste fut sauvé avec les Apôtres et avec les membres de la primitive Eglise, parce que les confins de la terre sont à lui, qu’il est La pierre angulaire, unissant la synagogue à l’Eglise des Gentils, qu’il a renversé les hauteurs de la terre qui le persécutaient, parce que sont à lui et la mer ou le monde avec ses scandales, où il proportionnera nos forces à l’épreuve, et la terre qu’il abreuve de ses grâces; parce que nous sommes ses créatures, ses brebis accomplissant ses lois, et qu’il aura pour nous la bonté. Donc n’endurcissons pas nos coeurs comme les Juifs au désert, ils seront nos pères si nous les imitons; s’il doit toujours y avoir des méchants pour irriter Dieu, prenons part au repos qu’il nous promet, comme il menace de la damnation les rebelles.
1. J’aimerais bien mieux, mes frères, que nous pussions écouter notre Père commun mais obéir à un Père est aussi une bonne oeuvre. Donc, puisque nous en avons reçu l’ordre de celui qui daigne prier pour nous, j’exposerai à voire charité ce qu’il plaira à Dieu de m’inspirer au sujet de ce psaume. Il a pour titre: « Louange du cantique pour David lui-même ». Or, « louange du cantique » désigne la joie, parce que c’est un chant, et la piété parce qu’il y a une louange. Quel objet plus digne l’homme peut-il assigner à ses chants que ce qui lui plaît sans pouvoir jamais lui déplaire? On peut donc louer sans crainte, quand on loue le Seigneur; et celui qui chante une louange est en pleine sécurité quand il n’a point à rougir de celui qu’il chante. Louons donc le Seigneur, louons-le par nos chants, c’est-à-dire avec joie et allégresse. Le psaume nous indique dans les versets suivants, ce qu’il nous faut chanter.
2. « Accourez, chantons au Seigneur ». Il nous invite au grand festin de l’allégresse, non point à nous réjouir selon le monde, mais selon Dieu. S’il n’y avait point dans le monde une allégresse condamnable, qu’il faut distinguer de la sainte allégresse, il suffirait de dire « Accourez, et chantons». Mais un seul mot marque la distinction. Qu’est-ce
1.
Sermon prêché sur l’invitation d’Aurélien, de Carthage, ou plutôt de Valère,
évêque d’Hippone, soit peu après, soit peu avant la promotion d’Augustin à
l’épiscopat.
qu’une joie sainte? Celle que l’on prend en Dieu. La joie est donc mauvaise quand elle est selon le monde, légitime quand elle est selon Dieu. Il te faut goûter en Dieu une sainte joie, situ veux sans crainte mépriser le siècle. Mais pourquoi dire: «Venez?» D’où vient qu’il appelle, qu’il fait venir ceux avec lesquels il veut se réjouir dans le Seigneur, sinon parce qu’ils sont loin encore de venir et de s’approcher, loin de s’approcher et d’arriver, loin d’arriver et de se réjouir? Comment sont-ils loin? Y a-t-il une distance locale entre l’homme et celui qui est présent partout? Veux-tu t’éloigner de Dieu? Où iras-tu pour en être loin? Un homme encore pécheur, il est vrai, mais déjà pénitent, s’affligeant de ses péchés, espérant son salut, craignant la colère de Dieu et voulant l’apaiser, parle ainsi dans un autre psaume: « Où me dérober à votre esprit? Où fuir votre face? Si je monte au ciel, vous y êtes 1». Que faire donc? Puisque, s’il monte au ciel, il y trouve Dieu; où aller pour fuir loin de Dieu? Vois ce qu’il dit: « Si je descends dans l’abîme, vous y êtes encore 2 ». Si donc en s’élevant au ciel, il y trouve Dieu, s’il n’évite pas Dieu quand il descend dans l’abîme, où irait-il pour éviter sa colère, sinon à ce même Dieu apaisé? Et toutefois, bien qu’on ne puisse s’éloigner d’un Dieu qui est partout, s’il n’y avait des hommes éloignés de Dieu, l’Ecriture ne dirait point: « Ce peuple m’honore
1.
Ps. CXXXVIII, 7. — 2. Id. 8.
des lèvres, mais leur coeur est loin de moi 1». Ce n’est donc point par la distance des lieux qu’on s’éloigne de Dieu, mais pas la dissemblance. Qu’est-ce à dire, dissemblance? Une vie mauvaise, des moeurs dépravées. Si une vie pure nous rapproche de Dieu, une vie désordonnée nous en éloigne. Ainsi donc le même homme qui est par la présence corporelle dans un même lieu, se rapproche de Dieu par l’amour qu’il a pour lui, s’en éloigne par l’amour de l’iniquité: il s’approche donc ou s’éloigne sans mouvoir les pieds. Car dans cette voie, nos pieds sont nos affections. Selon, la direction que prend notre coeur, la direction de notre amour, nous nous approchons de Dieu, ou nous nous en éloignons. Ne disons-nous pas bien souvent, en parlant d’objets dissemblables, que l’un est bien loin de l’autre? Si nous venons à comparer deux hommes, deux chevaux, deux vêtements, et que l’on nous dise: Voilà un vêtement qui ressemble bien à tel autre, un homme, qui ressemble à un tel, que dit-on, si l’on veut nous contredire? Point du tout, il en est ben loin. Qu’est-ce à dire, il en est bien loin? Il est bien dissemblable. Ces deux hommes sont juxtaposés, et néanmoins l’un est bien loin de l’autre. De même voilà deux impies qui se ressemblent par leur vie et par leurs crimes, fussent-ils l’un à l’orient, l’autre à l’occident, ils sont rapprochés l’un de l’autre. Mettez encore un juste à l’orient, un autre à l’occident, ils sont rapprochés parce qu’ils sont en Dieu. Au contraire, qu’un juste et un impie soient rivés à la même chaîne, ils sont fort éloignés. Donc si la dissemblance nous éloigne de Dieu, la ressemblance nous en rapproche. Quelle ressemblance? C’est à cette ressemblance que nous avons été faits: le pêché l’a détériorée en nous, nous la recouvrons par la rémission des péchés, elle se renouvelle au dedans de nous, comme l’empreinte qui reparaît sur une pièce de monnaie, c’est-à-dire l’image de Dieu qui reparaît en notre âme, afin que nous revenions dans ses trésors. Comment en effet, mes frères, Jésus-Christ se servit-il d’une pièce de monnaie pour faire comprendre aux Juifs qui le tentaient ce que Dieu exige de nous? Lorsqu’ils voulurent l’accuser à l’occasion du tribut de César, qu’ils consultèrent le maître de ta vérité, et qu’ils demandèrent, pour le tenter,
1.
Isa. XXIX, 13; Matth. XV, 8.
s’il était permis ou non de payer le tribut à César, que leur répondit-il? « Pourquoi me « tenter, hypocrites? » Il commanda qu’on lui apportât une pièce de monnaie, et on l’apporta. « De qui est cette image, leur dit-il? Ils répondirent: De César; et Jésus: Rendez donc à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui est à Dieu 1». Si César cherche son effigie sur la monnaie, Dieu ne cherche-t-il point son image dans l’homme. C’est à cette ressemblance avec Dieu que nous invite Jésus-Christ Notre Seigneur, quand il nous ordonne d’aimer nos ennemis, et qu’il nous donne pour modèle Dieu lui-même: « A l’exemple de votre Père», nous dit-il, «qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes comme sur les injustes. Soyez donc parfaits, comme votre Père 1 ». C’est nous inviter à lui ressembler, que nous dire: « Soyez parfaits comme lui-même est parfait». Mais nous inviter à la ressemblance, c’est constater que nous étions dissemblables eu nous séparant de lui, que la ressemblance nous en rapproche, afin que s’accomplisse en nous ce qui est écrit: « Approchez de Dieu, et recevez la lumière 3 ». C’est donc à ceux qu’une vie dissolue éloignait de Dieu, que notre psaume vient dire: « Venez et chantons au Seigneur». Où allez-vous? Pourquoi vous écarter? vous éloigner? Où fuyez-vous en prenant part aux joies du siècle? « Venez, réjouissons-nous dans le Seigneur ». Pourquoi ces joies qui feront votre perte? Venez, réjouissons-nous dans celui qui nous a faits. « Venez, tressaillons dans le Seigneur».
3. « Faisons éclater nos jubilations devant « le Dieu qui est notre salut ». Qu’est-ce à dire, nos jubilations? Cette joie que ne peuvent exprimer nos paroles, qui s’échappe de nos coeurs par des voix confuses, et non point par une parole articulée, telle est la jubilation. Que votre charité veuille bien considérer ceux qui se livrent à la jubilation par certains refrains, et qui se livrent à l’envi l’un de l’autre aux joies mondaines; vous les voyez entrecouper leurs refrains d’une joie qui les transporte, et que la parole ne saurait ex primer; des tressaillements qui sont la voix de l’âme, impuissante à rendre en paroles ce que ressent leur coeur. Si une joie terrestre leur donne des jubilations, nous, à notre
1.
Matth. XXII, 15-21. — 2. Id. V, 45, 48. — 3. Ps. XXXIII, 5.
tour, ne devons-nous pas ressentir cette joie du ciel qui laisse bien loin les paroles humaines?
4. « Prévenons sa présence par une confession ». Ce mot de confession a deux sens dams les saintes Ecritures. Il y a une confession qui loue, et une confession qui gémit. La confession qui loue est en l’honneur de Dieu qui est loué: et la confession qui gémit est une pénitence pour celui qui la fait. Il y a donc confession dans l’homme qui loue Dieu, et confession chez celui qui avoue ses fautes; la langue n’a rien de plus digne. Ce sont là, je le crois, ces voeux dont le Prophète a dit dans un autre psaume: « Je vous rendrai les voeux que mes lèvres ont discernés 1 ». Rien de plus relevé que cette distinction, rien de plus nécessaire que de la comprendre et de la pratiquer. Comment donc discerner les voeux que tu fais à Dieu? En le louant et en t’accusant toi-même; car la rémission de nos péchés est un effet de sa miséricorde. S’il voulait nous traiter selon nos mérites, il ne trouverait qu’à nous condamner. Venez donc, dit le Prophète, éloignons-nous de nos péchés, afin que le Seigneur ne nous demande pas compte du passé, mais qu’en venant à nouveau compter avec nous, il brûle toutes les obligations de nos dettes précédentes. Confessons donc sa louange, confessons sa miséricorde en chantant sa louange. Si la confession était toujours l’expression de la pénitence, l’Evangile ne nous dirait pas du Sauveur lui-même « En cette heure Jésus se réjouit dans l’Esprit-Saint, et dit: Père, Seigneur du ciel et de la terre, je vous confesse, parce que vous avez dérobé ces choses aux sages et aux prudents, pour les révéler aux petits 2»: cette confession faisait-elle de Jésus-Christ un pénitent? Il ne pouvait se repentir de rien, puisqu’il n’était coupable d’aucune faute: c’était une confession à la gloire de son Père. Et comme dans notre psaume il est question de jubilations, il nous faut sans doute par confession entendre celle qui est en l’honneur de Dieu; et dès lors, louange du cantique, ne sera point la confession du repentir, mais la confession de la louange. Mais pourquoi le Prophète nous parle-t-il aussitôt d’une certaine confession en disant: « Prévenons sa face par la confession?» Qu’est-ce à dire: « Prévenons sa face par
1.
Ps. LXV, 13, 14. — 2. Luc, X, 21.
la confession? » Dieu viendra; auparavant « prévenons sa face par la confession »: avant qu’il arrive, condamnons par un humble aveu ce que nous avons fait, afin qu’il ne trouve plus rien à condamner, mais de quoi couronner. Mais confesser tes péchés, n’est-ce point rendre gloire à Dieu? C’est assurément le plus grand honneur qu’on puisse lui rendre. Pourquoi le plus grand honneur? Parce que le médecin est d’autant plus digne de louanges qu’on désespérait plus du malade. Confesse donc tes péchés d’autant plus que tu désespérais de toi-même à cause de tes iniquités. Plus ta confession grossira tes fautes, plus tu relèveras là gloire de celui qui les pardonne. Ne croyons donc point nous écarter de la louange du cantique, en prenant la confession dans le sens de l’aveu des péchés. Car il y a dans cette confession louange de Dieu, puisque, reconnaître nos péchés, c’est signaler la gloire à Dieu. « Prévenons sa présence par la confession ».
5. « Chantons avec allégresse des psaumes en son honneur 1». Déjà nous avons dit ce qu’est l’allégresse ou la jubilation. Le Prophète la ramène encore afin de nous exhorter à la ressentir. La répétition est une exhortation, car nous n’avions pas oublié ce qui est dit pour avoir besoin d’être avertis de nouveau d’entrer en jubilation: mais souvent dans les transports de l’âme on répète une parole déjà émise, non pour la faire connaître encore, mais pour exhorter plus vivement; cette répétition nous fait comprendre l’allégresse du Prophète. De là vient cette locution de Notre Seigneur: « En vérité, en vérité, je vous le dis 2 ». Il suffisait de dire: « En vérité», une seule fois; pourquoi dire: « En vérité, en vérité », sinon parce que la répétition est une confirmation? « Chantons des psaumes avec allégresse en son honneur », dit le Prophète. Et que dirons-nous, ou plutôt que ressentirons-nous dans cette allégresse? Quels sont ces sujets do louanges? Ecoutez: « C’est que Dieu, le Seigneur, est grand, c’est qu’il est un roi plus grand que tous les dieux »: voilà pourquoi doit éclater notre allégresse. « C’est parce qu’il ne rejettera pas son peuple », qu’il mérite nos jubilations. « C’est parce que tous les confins de la terre sont en sa main, et que les plus hautes montagnes sont à lui »: c’est
1.
Ps. XCIV, 2. — 2. Jean, I, 51.
pour tout cela que nous devons tressaillir en sa présence. « C’est parce que la mer est à lui, et qu’il l’a faite, et que ses mains ont formé la terre 1 », qu’il mérite nos transports. Mais pour discuter convenablement le sens de ces paroles, le temps nous manquerait; et néanmoins, si nous gardons un silence absolu, nous vous serons redevables. Ecoutez donc le peu que m’en laissera dire la brièveté du temps, puisqu’un peu de semence peut, dans une bonne terre, produire une grande moisson.
6. Tout d’abord le psaume nous expose pourquoi nos transports, pourquoi nos louanges: « C’est que Dieu le Seigneur est grand, c’est qu’il est un roi plus grand que tous les dieux ». Il est en effet des dieux bien inférieurs à ce grand Dieu qui est le nôtre, dont nous chantons les louanges dans nos cantiques, avec joie, avec transport; il en est, mais non pour nous. L’Apôtre dit à ce propos: « S’il est des êtres appelés dieux, soit dans le ciel, soit sur la terre, et qu’ainsi il y ait plusieurs dieux et plusieurs seigneurs, néanmoins il n’y a pour nous qu’un seul Dieu, de qui vient toute chose, et qui nous a faits pour lui; il n’y a qu’un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui toutes choses ont été faites, set nous sommes en lui 2». Si donc ces êtres ne sont point dieux pour nous, pour qui sont-ils dieux? Ecoutez un autre psaume: « Les dieux des nations sont les démons, mais le Seigneur a fait les cieux 3». Le Saint-Esprit ne pouvait, par son Prophète, vous marquer, avec plus de brièveté et de magnificence quel est votre Dieu. C’était peu que Dieu fût terrible par-dessus tous les démons; quelle grandeur d’être supérieur aux démons? « Car les dieux des nations sont des démons». Où est donc ton Dieu? « Mon Dieu a fait le ciel». Ton Dieu a fait cette demeure inaccessible aux démons, puisqu’ils en ont été chassés. Les cieux sont supérieurs aux démons, elle Seigneur aux cieux, car les cieux sont l’oeuvre de ton Seigneur. Combien donc est Supérieur aux démons, à ces dieux des peuples, celui qui est supérieur aux cieux, d’où sont tombés les anges pour devenir des démons? Et néanmoins les démons régnaient sur tous les peuples, on leur élevait des temples, on leur offrait des sacrifices, les démons avaient leurs prêtres, leurs autels, et pour
1. Ps. XCIV, 3. — 2. I Cor. VIII, 5, 6. — 3. Ps. XCV, 5.
prophètes les plus démoniaques. Voilà le culte que les peuples ont rendu au démon, culte véritable qui n’est dû qu’au seul Dieu véritablement grand. Les peuples ont élevé des temples aux démons, et Dieu aussi a son temple, il a ses prêtres, comme les démons eurent leurs prêtres, et son sacrifice comme ils eurent leurs sacrifices. Car les démons, voulant passer pour des dieux, n’eussent point exigé ce culte de ceux qu’ils trompaient, s’ils n’eussent compris qu’il était dû au Dieu véritable. D’ordinaire, en effet, le faux dieu exige qu’on lui rende les honneurs dus au vrai Dieu. Nous connaissons donc le véritable temple de Dieu. « Car le temple de Dieu est saint», est-il dit, « et vous êtes ce temple 1». Si donc nous sommes le temple de Dieu, notre âme est son autel. Le sacrifice de Dieu, quel est-il? C’est peut-être ce que nous faisons maintenant, car c’est offrir un sacrifice sur l’autel de Dieu, que chanter ses louanges: puisque le Psalmiste nous dit: « Le sacrifice de louanges est un culte qui m’honore, et telle est la voie par laquelle je lui montrerai le salut de Dieu 2». Mais si tu en cherches le prêtre, il est élevé par-dessus tous les cieux; c’est là qu’il intercède pour toi, lui qui est mort pour toi sur la terre 3. Donc « Dieu le Seigneur est grand, c’est un roi qui domine les autres dieux »; Nous entendons ici les hommes divins: car le Seigneur n’est point le roi des démons. L’Ecriture nous donne encore ce témoignage: « Dieu s’est assis dans l’assemblée des dieux; au milieu des dieux pour les juger 4 ». Ces dieux le sont par la participation, et nous par la nature; par cette grâce qui veut faire des dieux. Combien est grand ce Dieu qui fait des dieux! Ou quels sont les dieux que fait un homme? A la grandeur de Celui qui fait les dieux répond le néant de ces dieux que font les hommes. Le vrai Dieu fait dieux ceux qui croient en lui et auxquels il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu 5. De là vient qu’il est le vrai Dieu, parce qu’il n’a pas été fait: mais nous, qui avons été faits, nous ne sommes point véritablement dieux, quoique supérieurs aux dieux que font les hommes. « Car les idoles des nations sont de l’or et de l’argent, l’oeuvre de la main des hommes: ils ont une bouche, et ne parlent point; des yeux, et ne voient
1.
I Cor. III, 17.— 2. Ps. XLIX, 23. — 3. Rom. VIII, 31. — 4. Ps. LXXXI, 1.— 5.
Jean, I, 12.
point 1 ». Mais à nous, Dieu a donné des yeux pour voir. Néanmoins, pour avoir des yeux qui voient, nous ne sommes cependant pas des dieux, car il en a fait de même aux bêtes; mais il a fait de nous des dieux, quand il a éclairé nos yeux intérieurs. Donc, louange à Dieu, confession à Dieu, jubilation à Dieu: « Car le Seigneur est grand, il est roi par-dessus tous les dieux ».
7. « Comme il ne repoussera point son peuple »: louange à lui, jubilation à lui. Quel peuple ne repoussera-t-il point? Il ne nous est point permis de donner un sens par nous-mêmes: saint Paul a éclairci ce passage, et nous apprend pourquoi cette parole 2. Il y avait jadis un peuple juif, peuple des Prophètes, peuple des Patriarches, peuple issu d’Abraham selon la chair; peuple qui figura toutes les promesses du Sauveur; peuple où Dieu avait un temple, l’onction, le sacerdoce figuratif, afin qu’à la disparition des figures, arrivât la véritable lumière: c’était donc là le peuple de Dieu: c’est à ce peuple que furent envoyés les Prophètes, et au milieu de ce peuple que sont nés ceux qui lui furent envoyés; c’est à lui que furent livrées et confiées les paroles de Dieu. Quoi donc? Tout ce peuple est-il condamné? Loin de là. Saint Paul le compare à l’olivier, dont la tige a commencé à pousser par les Patriarches, mais dont plusieurs branches se sont desséchées, parce qu’elles se sont élevées trop haut par l’orgueil; ils ont donc été retranchés à cause de leur stérilité, et l’humilité y a fait insérer l’olivier sauvage. Néanmoins, mes bien aimés, pour détourner de l’orgueil l’olivier sauvage greffé sur l’olivier franc, que dit l’Apôtre? « Si tu as été retranché de l’olivier sauvage, ta tige naturelle, et inséré contre nature sur l’olivier franc, à combien plus forte raison les branches de l’olivier même seront-elles entées sur leur propre tronc 3 ». De même, en effet, qu’en abandonnant l’infidélité, tu as mérité d’être inséré sur l’olivier franc, quand tu étais l’olivier sauvage; ainsi les branches corrigées seront plus facilement greffées sur l’olivier franc, leur tige naturelle: telle est la parole de l’Apôtre à leur sujet. Tel est donc l’arbre: et si quelques rameaux en sont retranchés, tous ne le sont point. Si tous les rameaux en étaient retranchés, d’où viendraient Pierre, et Jean, et Thomas, et Matthieu, et André, et tous
1.
Ps. CXIII, 4, 5. — 2. Rom. XI, 1. — 3. Id. 16-2.1.
les autres Apôtres? D’où viendrait l’apôtre saint Paul lui-même, qui nous parle ainsi, et qui par le fruit qu’il portait rendait témoignage à l’olivier? Tons n’ont-ils point là leur tige? D’où viennent ces cinq cents frères auxquels le Seigneur apparut après sa résurrection? Et ces autres, par milliers, qui se convertirent à la voix de Pierre, alors que les Apôtres pleins du Saint-Esprit parlaient toutes les langues, qui furent si prompts à bénir Dieu, et à s’accuser, eux qui avaient répandu cruellement le sang du Seigneur, et qui le burent par la foi? Ces milliers d’hommes étaient tellement convertis, qu’ils vendaient leurs biens pour en apporter le prix aux pieds des Apôtres 2. Ce qu’un riche n’avait point fait sur la parole du Sauveur, de qui il s’éloigna avec tristesse 3, voilà ce qu’accomplirent tant de milliers d’hommes qui avaient de leurs mains crucifié le Christ. Plus était grande la blessure de leurs coeurs, plus avidement ils cherchaient le médecin. Si donc de là sortirent tous ces hommes, c’est d’eux que le Psalmiste a dit, que « Dieu ne repoussera point son peuple ». C’est ce témoignage du psaume qu’a emprunté saint Paul, quand il a dit: « Que répondre, mes frères? Dieu a-t-il donc repoussé le peuple élu dans sa prescience? Loin de là; car moi aussi je suis Israélite, de la race d’Abraham, de la tribu de Benjamin. Le Seigneur n’a point repoussé le peuple élu dans sa prescience 4».Si Dieu avait repoussé son peuple, saint Paul n’en eût pas été tiré; son origine est aussi celle des autres. Ce sont eux, et non tous les Juifs, qui forment le peuple de Dieu, ainsi qu’il est écrit: « Les restes seront sauvés 5 ». Tous ne forment donc point le peuple de Dieu: mais l’aire a été vannée; la masse du froment est dans le grenier, et la paille au dehors 6. Dans tous les Juifs que vous voyez réprouvés, vous voyez la paille. Mais de cette paille que vous voyez est sorti le grain mis en dépôt dans les greniers célestes. Voyons ces deux destinées, pour cri faire le discernement.
8. Qu’ajoute le Psalmiste? « Parce que dans sa main sont tous les confins de la terre». Reconnaissons la pierre angulaire; cette pierre est le Christ. Or, il n’y a d’angle, qu’à la condition d’unir l’une à l’autre deux murailles, qui viennent de directions différentes, mais
1.
I Cor. XV, 6. — 2. Act. II, IV. — 3. Matth. XIX, 21, 22.— 4. Rom. XIX,
XI, 1, 2. — 5. Isa. X, 22; Rom. IX, 27. — 6. Matth. III, 1, 2.
qui mie sont point opposées dans l’angle qui les réunit. Or, vint d’une part la circoncision, de l’autre la gentilité; deux peuples qui s’unirent dans le Christ, parce qu’il est la pierre dont il est écrit: « La pierre, qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient, est devenue la pierre angulaire 1 ». Si donc le Christ est ta tête de l’angle, n’envisageons plus la différence de ceux qui viennent de loin, mais bien leur rapprochement dans le Christ qui les unit. C’est là que s’accomplit cette parole, que « le Seigneur ne repoussera point son peuple». C’est là le premier côté de l’angle,dans lequel, avons-nous dit, « Dieu n’a point repoussé son peuple ». De là sont venus les Apôtres, de litons les Israélites qui ont embrassé la foi, pour apporter aux pieds des Apôtres le prix de leurs biens vendus 2; pauvres de volonté riches de Dieu. Nous connaissons donc une muraille, envers laquelle s’est accomplie cette promesse que « Dieu ne rejettera point son peuple »; voyons l’autre muraille. « Il tient dans sa main tous les confins de la terre ». Telle est l’autre muraille qui vient des Gentils: «Dans sa main, tous les confins de la terre ». Toutes les nations du inonde sont venues à cette pierre angulaire, où elles ont reçu le baiser de paix en celui-là seul qui, de deux peuples, en a fait un seul; non point à la manière des hérétiques, qui d’un seul ont fait deux. Voici ce que nous a dit l’Apôtre, du Christ Notre Seigneur: « C’est lui », dit-il, « qui est notre paix, qui de deux peuples n’en a fait qu’un 3 ». Bénissons-le dans nos transports. Pourquoi? « Parce que le Seigneur ne rejettera point son peuple ». Pourquoi encore? « Parce que tous les confins de la terre sont en sa main, et que les sommets des montagnes sont à lui ». Les sommets des montagnes sont les hauteurs de la terre. Autrefois ces hauteurs, c’est-à-dire ces puissances terrestres, se sont révoltées contre l’Eglise, ont promulgué des lois contre l’Eglise, ont tenté d’effacer de la terre le nom de chrétien; mais depuis l’accomplissement de cette prophétie: « Tous les rois de la terre l’adoreront 4 », cette autre prophétie, à son tour, s’est accomplie: « Les sommets des montagnes sont à lui ».
9. Mais tu crains peut-être les tentations, et à la hauteur de ces grâces de la divine promesse,
1.
Ps. CXVII, 22.— 2. Act. IV, 34, 35.— 3. Ephés. II, 14.— Ps. LXXI, 11.
tu redoutes les scandales du monde? Or, ces scandales ne te nuiront point, Dieu en a posé les bornes: « Car la mer est à lui ». Ce monde effectivement est une mer, et Dieu a fait la mer. Les flots ne peuvent pousser leur violence que jusqu’au rivage, où il leur a mis un terme. Viennent donc les tentations, viennent les tribulations, q u’elles consomment ta vertu sans te consumer. Vois si les tentations ne sont point utiles. Ecoute l’Apôtre « Dieu est fidèle, et ne vous laissera point tenter au-dessus de vos forces; mais il vous rendra la tentation avantageuse, afin que vous puissiez persévérer 1». Il ne dit point: Il vous délivrera de toute tentation; car, refuser la tentation, c’est refuser la perfection. Dieu donc nous réforme par là; et s’il nous réforme, nous sommes entre les mains de l’ouvrier. Il retranche en nous, il redresse, il aplanit, il purifie; il agit en nous comme avec le fer; il y a des scandales ici-bas, mais toi, ne redoute que de tomber des mains du Créateur. Nulle tentation ne sera au-dessus de tes forces. Dieu le permet pour ton avantage, afin de stimuler tes progrès. Ecoute l’Apôtre, qui ajoute: « Dieu vous rendra la tentation avantageuse, afin que vous puissiez persévérer ». Craindrais-tu donc encore la mer? Sois sans crainte: « Puisque la mer est à Dieu, et qu’il en est le créateur ». Craindrais-tu les scandales des Gentils? C’est Dieu aussi qui a fait les Gentils, et il ne leur permettra point de sévir plus que vos progrès rie le demandent. N’est-il pas dit dans un autre psaume: « Toutes « les nations que vous avez faites, viendront, « et se prosterneront devant vous, ô mon Dieu 2? » Si toutes les nations que vous avez faites viendront, il est clair que toutes sont vos créatures. « La mer est à lui, puisqu’il l’a faite, et ses mains ont formé la terre qui est aride ». Sois une terre aride, aie soif de la grâce de Dieu, afin qu’une douce rosée descende en toi, et que Dieu y trouve des fruits. Il ne permettra point que les flots recouvrent ce qu’il a semé: « Et ses mains ont formé la terre, qui est aride ». Pour cela aussi offrons-lui des cantiques de joie
10. Puisqu’il en est ainsi, puisqu’à tous ces points de vue Dieu est si digne de louanges, retournez aux premiers sentiments qui commencent le psaume: « Venez, adorons le Seigneur, prosternons- nous devant lui;
1.
I Cor. X, 13. — 2. Ps. LXXXV, 9.
pleurons devant le Seigneur qui nous a créés 1». Maintenant que je vous ai dit les merveilles du Seigneur, ne soyez point lents, rie vous attardez ni dans votre vie, ni dans vos moeurs: « Venez, adorons, et prosternons-nous devant lui ». Peut-être vos péchés qui vous tiennent loin de Dieu ne vous laissent-ils pas sans inquiétude: faisons ce qui est dit ensuite: « Pleurons nos péchés devant le Seigneur qui nous a créés ». Si tu ressens dans ta conscience l’embrasement des fautes, éteins les flammes du péché dans tes larmes, et pleure devant le Seigneur: pleure en sûreté devant le Seigneur qui t’a créé, car il ne méprisera point l’oeuvre de ses mains. Loin de toi de croire que tu pourras te guérir toi-même celui qui t’a fait peut seul te refaire. « Pleurons devant le Seigneur qui nous a faits » oui, pleure devant lui, confesse tes fautes, préviens sa face par un humble aveu. O toi qui pleures, et qui confesses ta faute, qui es-tu, sinon sa créature? L’ouvrage a toujours plus de confiance en l’ouvrier, surtout quand il n’est point une oeuvre vulgaire, mais une oeuvre faite à son image et à sa ressemblance. « Venez, adorons le Seigneur, prosternons-nous devant lui, pleurons devant le Seigneur qui nous a faits ».
11. « Car c’est lui qui est le Seigneur notre Dieu 2 ». Mais qui sommes-nous, pour nous prosterner et pour pleurer devant Dieu en toute sécurité? « Nous sommes le peuple de son pâturage, les brebis de ses mains ». Vois comme le Prophète a sagement changé l’ordre des mots; il néglige leur acception propre, afin de nous faire comprendre que ces mêmes brebis sont des peuples. Il n’a point dit: Les brebis de son pâturage, et les peuples de ses mains, ce qui paraîtrait plus naturel, puisque les brebis sont en rapport avec les pâturages; mais il dit: « Le Peuple de son pâturage ». Donc ce peuple désigne des brebis, puisqu’il est dit: « Le peuple de son pâturage », et ce peuple sont ses brebis. Mais parce que les brebis que nous avons, sont les brebis que nous achetons, et non les brebis que nous avons faites, et que le Prophète avait dit plus haut: « Prosternons-nous devant Celui qui nous a faits »; il a raison de dire ensuite: « Les brebis de ses mains ». Nul homme ne se fait des brebis:
1.
Ps. XCIV, 6.— 2. Id. 7.
il peut en acheter, en recevoir, en trouver, en rassembler, et même en voler; il ne saurait en faire. Quant à notre Dieu, c’est lui qui nous a faits; aussi sont-ils « le peuple de son pâturage, et les brebis de ses mains », ceux qu’il a formés pour lui par sa grâce. Telles sont les brebis qu’il célèbre dans le Cantique des cantiques, en appelant les plus parfaites dans son Eglise, les dents de cette sainte épouse: « Vos dents sont un troupeau de brebis, nouvellement tondues, remontant du lavoir, portant un double fruit, sans que nulle soit stérile 1 ». Qu’est-ce à dire: « Vos dents? » Ceux par qui vous parlez: les dents de l’Eglise ou ceux qui portent sa parole. A quoi ressemblent ces dents? « A un troupeau de brebis tondues». Pourquoi « tondues? » Parce qu’elles ont déposé le fardeau du siècle. N’étaient-ils pas des brebis tondues, ces hommes dont je parlais tout à l’heure, et qu’avait dépouillés cette parole de Dieu: « Allez, vendez tous vos biens, donnez-les aux pauvres, et vous aurez un trésor dans les cieux; puis venez, et suivez-moi 2 ». Ils ont accompli ce précepte, et sont venus sans toison. Et comme ils reçurent le baptême et crurent en Jésus-Christ, qu’est-il dit? « Qu’ils remontaient du lavoir », c’est-à-dire du bain qui les avait purifiés. « Toutes ont un double fruit ». Quel double fruit? Ces deux préceptes qui renferment la loi et les Prophètes: « Nous sommes donc le peuple de son pâturage, et les brebis de sa main ».
12. Donc: « Aujourd’hui, si vous entendez sa voix 3 »; ô mon peuple, ô peuple de Dieu. C’est Dieu qui s’adresse à son peuple, non seulement à ce peuple qu’il ne repoussera point, mais aussi à tout son peuple. Car il parle de l’angle à chacune des murailles 4, c’est-à-dire que dans le Christ la prophétie s’adresse au peuple Juif et au peuple des Gentils. « Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos coeurs». Vous avez entendu sa voix par Moïse, et vous avez endurci vos coeurs; il parle maintenant par lui-même, que vos coeurs s’attendrissent. Lui qui envoyait jadis des hérauts, daigne venir lui-même; il vous parle de sa bouche sacrée, lui qui parlait par la bouche des Prophètes. « Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos coeurs ».
1. Cant. IV 2; VI, 5.— 2. Matth.
XIX, 21.— 3. Ps. XCIV, 8. — 4. Ephés. II, 20.
13. Pourquoi dire: « N’endurcissez pas vos coeurs? » Parce qu’il vous souvient de ce que faisaient vos pères. « N’endurcissez pas vos coeurs, comme ils le firent dans leur murmure, au jour de la tentation au désert 1 ». Vous le savez, mes frères, ce peuple tenta Dieu 2, il en fut châtié, et il fut conduit au désert par un excellent cavalier, au moyen du frein des lois et du frein des préceptes, Dieu n’abandonna point ce peuple indomptable, et ne cessa non seulement de l’attirer par des bienfaits, mais de le corriger par le malheur. « N’endurcissez donc point vos coeurs, comme ils firent par leurs murmures, le jour de la tentation au désert ». Que ces hommes ne soient point vos pères; gardez-vous de les imiter. Ils étaient vos pères; mais si vous ne les imitez point, ils ne le seront plus; et pourtant ils étaient vos pères, puisque c’est d’eux que vous êtes issus. Et si les nations viennent des extrémités de la terre, comme le dit Jérémie: « Les nations viendront vers vous des extrémités de la terre, en disant: Nos pères n’ont adoré que le mensonge, et des idoles qui ne servent de rien 3 »; si les nations ont quitté leurs idoles pour venir au Dieu d’Israël; ceux que le Dieu d’Israël a tirés de 1’Egypte, en leur faisant passer la mer Rouge, dont les flots engloutirent leurs ennemis 4, ceux qu’il a nourris de la manne 5, sans détourner d’eux ni la verge de la discipline, ni les bienfaits de sa miséricorde, doivent-ils quitter leur Dieu quand les nations viendront l’adorer? « Vos pères m’ont tenté; ils ont éprouvé, ils ont vu mes oeuvres ». Pendant quarante ans, ils ont vu mes oeuvres, et pendant quarante ans, ils ont irrité ma colère. Sous leurs yeux, je faisais des miracles par la main de Moïse, et leurs coeurs n’en allaient que plus à l’endurcissement.
14. « Pendant quarante ans, j’ai été près de ce peuple». Qu’est-ce à dire, « j’ai été proche? » J’ai signalé ma présence au milieu de ce peuple par des signes et des prodiges, non pas un jour, ni deux jours, mais c’est « pendant quarante années, que j’ai été près de cette génération, et que j’ai dit: Leurs coeurs sont toujours égarés 6 ». Le Prophète explique par le mot toujours, ce qu’il a dit par l’expression quarante années, car ce nombre quarante
1. Ps. XCIV, 9.— 2. Exod. XVI, 2,
3; XVII, 2-7.— 3. Jérém. XVI, 19.
— 4. Exod. XIV, 21- 31.— 5. Id. XVI, 13-35.— 6. Ps. XCIV, 10.
indique l’accomplissement des siècles, comme si ce nombre en était le couronnement. C’est pourquoi Jésus-Christ jeûna quarante jours, fut tenté Pendant quarante jours au désert 1, et demeura pendant quarante jours avec ses disciples après la résurrection 2. Dans la première quarantaine, il nous désigne les tentations, et dans la seconde quarantaine la consolation, car dans les épreuves la consolation nous soutient. Son corps ou l’Eglise doit souffrir ici-bas: mais le divin consolateur ne lui fait pas défaut, lui qui a dit « Voilà que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles 3». « Et j’ai dit: Leurs coeurs sont toujours égarés ». J’ai voulu demeurer auprès d’eux, pour figurer en eux cette race d’hommes qui doit m’irriter jusqu’à la fin des siècles; c’est donc tous les siècles qu’il a voulu désigner par ces quarante années.
15. Quoi donc? D’autres ne doivent-ils pas, à leur place, entrer dans le repos de Dieu? Dieu les a réprouvés, parce qu’ils ont méprisé sa miséricorde, qu’ils n’ont opposé au Seigneur qu’un coeur endurci: mais Dieu qui les a rejetés perdra-t-il tout son peuple? Ne sera-t-elle pas vraie, cette parole: « Dieu peut de ces pierres susciter des enfants d’Abraham 4? » Il est donc vrai que leurs coeurs sont toujours égarés; ils n’ont point connu mes voies, et je leur ai juré dans ma colère qu’ils n’entreront point dans mon repos 5». Terribles paroles que celles-ci: je leur ai juré dans ma colère qu’ils n’entreront point dans mon repos ! Ce psaume qui a commencé par la jubilation se termine par une grande terreur: « J’ai juré dans ma colère qu’ils n’entreront point dans mon repos ». C’est beaucoup que Dieu parle; mais qu’est-ce, quand il jure? Craignons, quand un homme jure, qu’il n’accomplisse son serment même contre sa volonté; mais combien ne faut-il pas craindre le Seigneur, dont nul serinent n’est téméraire? Il a voulu confirmer sa parole par un serment; et par qui Dieu peut-il jurer? Par lui-même. Nul n’est au-dessus de lui, par qui il puisse jurer 6. C’est par lui-même qu’il confirme ses promesses, par lui-même ses menaces. Que nul ne dise en son coeur: Sa promesse est vraie, sa menace est fausse. Tu dois être aussi certain de parvenir à son repos, à sa félicité,
1. Matth. IV, 1-11.— 2. Act. I, 3.— 3. Matth. XXVIII,
20.— 4. Id. III, 9. — 5. Ps. XCIV, 11.— 6. Hébr. VI, 13.
à son éternité, à son immortalité, si tu accomplis ses préceptes, que certain de la mort, des flammes éternelles, de la damnation avec le diable, si tu les méprises. Il leur jura donc dans sa colère qu’ils n’entreraient point dans son repos; et pourtant il faut que plusieurs entrent dans ce repos; car il y en aura qui le posséderont. C’est donc nous qui prendrons la place des Juifs réprouvés; car si plusieurs branches ont été retranchées à cause de leur dissemblance et de leur infidélité, notre foi et notre humilité nous feront insérer 1. Entrons donc dans ce repos. Qu’est-ce qui a procuré à ceux qui y sont entrés, le bonheur d’y entrer, d’être élus, de n’avoir pas un coeur obstiné? C’est qu’il est vrai que « Dieu n’a pas rejeté son peuple ».
1. Rom. XI, 19, 20.
Cette maison, dont il est parlé dans le titre, c’est l’Eglise de Dieu, ou son temple, dont nous devons être les pierres, et qui embrassera l’univers entier; le cantique nouveau, c’est le cantique de la charité de l’Evangile qui régnera aussi partout. Le temple de Jérusalem a disparu; c’était le vieux temple; le nouveau, c’est la charité qui unit les chrétiens. Et tous croiront, car le Saint-Esprit s’est montré sous la forme de langues de feu, pour montrer qu’il doit se répandre dans tous leu peuples. Quiconque bâtit pour sa propre gloire, n’élève qu’une simple muraille blanchie, mais pas une maison; cette muraille nous laisse toujours dehors, tandis que nous devons être abrités dans la maison de Dieu. Ou fait partie de ce temple et ou le construit quand on comprend les abaissements de Jésus-Christ, il se bâtit dans les forêts, c’est-à-dire dans les nations idolâtres et dès lors esclaves des démons, esclavage dont nous sommes tous rachetés par le sang du Christ, assez précieux pour ne pas se borner au rachat de la seule Afrique. Pour délivrer les hommes, on leur prêche Celui qui a fait les cieux, ou les Apôtres, et les saints. On devient saint en se purifiant par la confession, afin de se dépouiller du péché, de s’en humilier. Apportons, pour offrandes, l’humilité afin d’entrer dans son parvis. Toute la terre, et non pas une seule partie, s’est ébranlée ou soulevée contre le Christ qui l’a calmée, qui l’a raffermie ou soumise par le bois. Alors se réjouiront et les campagnes ou les justes, et les forêts ou les païens convertis, qui profiteront du premier avènement du Christ pour n’avoir plus à redouter le second. Détachons-nous de tout ce qui passe pour attendre son équité et sa vérité.
1. Sévère, mon vénérable seigneur et frère 2, diffère encore notre joie au sujet du discours dont il nous est redevable, car il reconnaît lui-même qu’il nous le doit. Dans toutes les Eglises qu’il a visitées sur son passage, Dieu a répandu la joie par sa bouche. Celte Eglise a bien plus de droit à cette joie, puisque c’est d’elle que Dieu l’a tiré pour le rendre si utile aux autres. Que faire de mieux, que nous soumettre, à sa volonté? Toutefois, mes frères, je vous l’ai dit, il ne nous prive pas, il diffère seulement. C’est à vous à forcer ce débiteur, à ne point le laisser partir qu’il ne se soit acquitté. Que votre charité veuille bien écouter; j’exposerai ce qu’il plaira au Seigneur de m’inspirer sur notre psaume; vous le savez déjà, mais on se rappelle volontiers la vérité. Peut-être l’énoncé du titre a-t-il été
1. Sermon prêché probablement l’an 405, durant les fureurs des
Circoncellions. — 2. Evêque de Milève.
pour plusieurs un sujet d’étonnement. Voici en effet le titre du psaume: « Quand on bâtissait la maison après la captivité». A l’énoncé de ce titre, vous cherchiez peut-être, dans le texte du psaume, quelles pierres on allait tailler des montagnes, quelles masses on allait traîner, quels fondements seraient jetés, quelles poutres préparées, quelles colonnes élevées, Or, le psaume n’en dit rien: et néanmoins, s’il parle d’un autre sujet, faudra-t-il croire ou qu’il n’est pas d’accord avec son litre, et qu’il annonce un sujet pour en chanter un autre? Et pourtant le sujet est le même, seulement il faut le comprendre. Il nous parle de la construction de l’édifice. Que toutes les pierres de cet édifice comprennent ce qu’elles ont chanté, car Dieu se bâtit un temple, mais non sur l’emplacement du temple de Salomon. Ce roi bâtit un temple au Seigneur 1, et vous savez
1. III Rois, VI, 1.
ce que le Seigneur disait naguère de ce temple, quand ses disciples, qui en admiraient les pierres et les grandes proportions, lui en témoignaient leur étonnement et leur stupeur:
« Je vous le dis, en vérité, s’écria le Sauveur, su ne restera pas une pierre sur une pierre qui ne soit détruite 1 ». Telle n’est point la maison qui s’élève aujourd’hui: car voyez qu’elle ne s’élève point en un endroit particulier, ni dans une partie du monde. C’est ainsi que commence le psaume
2. « Chantez au Seigneur un cantique nouveau, que toute la terre chante au Seigneur 2 ». Si toute la terre chante un cantique nouveau, c’est par ces chants que s’élève l’édifice: chanter le Seigneur, mais non chanter le vieil homme, c’est le bâtir. Le chant vieilli, c’est l’appétit de la chair; le chant nouveau, c’est l’amour de Dieu. Toute parole de convoitise est chant vieilli; et quand même résonnerait dans votre bouche la parole d’un cantique nouveau, la louange ne peut être agréable dans la bouche du pécheur 3. Mieux vaut être l’homme nouveau et se taire, que le vieil homme et chanter: si tu es homme nouveau gardant le silence, il n’y a que l’oreille de l’homme qui soit privée, puisque ton coeur chante un cantique nouveau, et ce cantique arrive aux oreilles de Dieu, qui t’a fait homme nouveau. Tu aimes, et en silence: l’amour est la voix qui arrive à Dieu, et l’amour est un cantique nouveau. Ecoute bien qu’il est un cantique nouveau. Le Seigneur a dit: « Je vous donne un précepte nouveau, de vous aimer les uns les autres 4 ». Donc toute la terre chante un cantique nouveau, telle est la maison que l’on bâtit au Seigneur. Toute la terre est cette maison de Dieu. Si toute la terre est la maison de Dieu, quiconque n’est pas uni.à la terre n’est qu’une ruine, et non un palais: et cette ruine est ancienne, elle était figurée par le temple ancien. Car on détruisait là ce qui était vieux, pour édifier ce qui est nouveau. Et comment détruire ce qui est vieux? « En vérité, je vous le déclare », dit le Sauveur, «il ne restera pas pierre sur pierre qui ne soit détruite 5». Le Christ est pierre; et l’Apôtre a dit: « Vous tous qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous avez revêtu le Christ 6». Si tout homme baptisé dans le Christ a revêtu le
1. Matth. XXIV,
1,2.— 2. Paralip. XVI, 23; Ps. XCV, 1.— 3. Eccli, XV, 9. — 4. Jean, XIII, 34. — 5.
Matth. XXIV, 2. — 6. Gal. III, 27.
Christ, qui posera pierre sur pierre, sinon celui qui ajoute baptême à baptême? Mais soyez sans crainte; « on ne laissera pas une pierre sur une pierre sans la détruire ». Quant aux pierres qui doivent servir à l’édifice nouveau, après la captivité, on les choisit de telle sorte, et la charité sait tellement les assembler dans l’unité, qu’il n’y a pas pierre sur pierre, mais que toutes les pierres ne forment qu’une seule pierre. N’en soyez pas étonnés: tel est l’effet du cantique nouveau, c’est-à-dire l’effet de la charité. C’est dans cet édifice que l’Apôtre veut nous faire entrer, et nous relier à cette grande unité, en disant: « Supportez-vous mutuellement dans la charité, travaillant à garder l’unité de l’esprit dans le lien de la paix 1 ». Où est l’unité de l’esprit, là est l’unité de la pierre; mais cette pierre unique est formée de plusieurs pierres. Comment est-elle formée de plusieurs? C’est que les chrétiens se supportent mutuellement dans la charité. Donc la maison du Seigneur notre Dieu se construit: on la fait, on la bâtit, c’est elle que construisent nos paroles, nos lectures, et l’Evangile que l’on prêche dans le monde entier; elle se construit encore. Cet édifice a pris de l’accroissement, a renfermé bien des nations dans son enceinte; il ne renferme pas encore toutes les nations, malgré ses accroissements, et toutefois il doit les enfermer toutes. Ceux qui se glorifient de l’habiter s’opposent à sa construction,et l’on dit qu’il commence à décroître. Il s’accroît au contraire; il est bien des peuples qui ne croient pas encore en Jésus-Christ, et qui croiront en lui. Qu’on ne nous dise point: Tel peuple croira-t-il en lui? Les barbares croiront-ils? Et pourquoi le Saint-Esprit apparaissait-il en forme de langues de feu 2, sinon parce qu’il n’est aucune langue, dont la dureté ne doive se dissoudre dans ce feu divin? Nous ne sommes pas en effet sans avoir vu des nations barbares. Le Christ a poussé plus loin que les Romains les limites de son empire: des barrières que le fer n’a point rompues, le sont aujourd’hui par le bois de la croix, car le Seigneur a régné par le bois. Quel est celui qui combat avec le bois? Le Christ. Avec sa croix il a vaincu les rois, et a mis le sceau de sa croix sur le front des vaincus; et ils se glorifient de cette croix, en laquelle est leur salut. Voilà ce qui se fait: ainsi s’accroît la
1. Ephés. IV, 2,3. — 2. Act. II, 3.
maison, se construit l’édifice; et pour bien le comprendre, écoutez ce que dit ensuite le psaume; voyez les ouvriers qui construisent l’édifice. « Chantez au Seigneur un cantique nouveau, que la terre entière chante au Seigneur».
3. « Chantez au Seigneur; bénissez son nom, annoncez de jour en jour son salut 1 ». Comment s’accroît l’édifice? « Annoncez», dit le Prophète, « annoncez de jour en jour son salut ». Qu’on prêche de jour en jour; que l’on construise de jour en jour; que ma maison croisse de jour en jour, dit le Seigneur. Et comme si les ouvriers lui demandaient; Où voulez-vous qu’on la construise? où votre maison doit-elle s’accroître? choisissez-nous un lieu bien uni, bien spacieux, si vous voulez qu’on vous construise une vaste maison. Où voulez-vous que nous prêchions de jour en jour? Le Seigneur vous montre le lieu: « Prêchez sa gloire chez les nations. Oui, sa gloire, prêchez-la chez tous les peuples ». Sa gloire, et non la nôtre. Ouvriers du Seigneur, prêchez sa gloire chez les nations. Si vous prétendez prêcher votre gloire, vous tomberez: si vous prêchez la sienne, vous entrerez vous-mêmes dans l’édifice que vous construirez. De là vient que vouloir prêcher sa propre gloire, c’est renoncer à faire partie de cet édifice, et dès lors ne point chanter un cantique nouveau dans toute la terre; car c’est n’être plus en communion avec l’univers entier. De là vient qu’ils ne bâtissent point une maison, qu’ils élèvent seulement une muraille blanchie, Or, combien de menaces contre cette muraille? Les Prophètes fulminent contre cette muraille des malédictions sans nombre 3. Qu’est-ce qu’un mur blanchi, sinon l’hypocrisie, la dissimulation? De l’éclat au dehors, de la boue à l’intérieur. Ce que je dirai, a été dit cent fois; ruais puisque le Seigneur l’a fait dire par le même Esprit-Saint, qui nous le suggère, nous le disons encore, et tout ce que nous disons dans le même esprit, nos devanciers l’ont dit également. Ne le passons donc point sous silence, mais disons ce qui nous vient par un don de Dieu. En parlant de cette muraille blanchie, quelqu’un a dit: « De même que dans une muraille qui n’est jointe à aucune autre, mais qui s’élève solitaire, si vous faites une porte, quiconque y entrera se trouvera
1. Ps. XCV, 2. —
2. Id. 3. — 3. Ezéch. XXIII.
néanmoins dehors: ainsi dans la secte qui n’a pas voulu chanter avec la maison le cantique nouveau, mais élever une muraille, et une muraille blanchie et sans solidité, que pourrait faire une porte? Y entrer, c’est toujours être dehors ». Eux-mêmes, en effet, ne sont pas entrés par la porte, et voilà que leur porte n’introduit personne. Le Seigneur n’a-t-il pas dit: « Je suis la porte; c’est par moi que l’on entre 1?» Qui donc entre par la porte? Celui qui cherche la gloire du Seigneur, et non sa propre gloire. Qui entre par la porte? Celui qui fait ce qui est dit: « Annoncez sa gloire parmi les nations. Celui qui entre par la porte est le pasteur du troupeau », dit le Seigneur; « mais celui qui escalade par un autre endroit, est un voleur, un larron 2 ». C’est l’humble qui entre par la porte, c’est l’orgueilleux qui escalade par un autre endroit. Aussi est-il dit de l’un qu’il entre, de l’autre qu’il escalade, Mais celui qui entre est reçu, celui qui escalade est précipité. «Annoncez sa gloire parmi les nations». Qu’est-ce à dire « les nations? » Ces nations ne sont peut-être qu’en petit nombre, et la secte qui élève une muraille blanchie, pourra peut-être nous faire cette objection: Pourquoi la Gélulie, la Mauritanie, la Byzacène, la Numidie ne sont-elles point les nations? Ce sont des provinces, et dès lors des nations. Que la parole de Dieu, qui se bâtit une maison dans l’univers entier, enlève tout subterfuge à l’hypocrisie, à ce mur blanchi. C’est peu d’avoir dit: « Prêchez sa gloire parmi les nations »; afin que l’on ne croie point qu’il y a ici quelque nation exceptée, le Prophète ajoute: « Et ses merveilles chez tous les peuples ».
4. « Car le Seigneur est grand, et infiniment digne de louanges 3». Quel est ce « Seigneur qui est grand et digne de nos louanges », sinon Jésus-Christ? Il s’est montré dans son humanité, vous le savez; il a été Conçu dans les entrailles d’une femme, vous le savez encore; vous savez qu’il est né du sein de Marie, qu’il en a sucé les mamelles, qu’elle l’a porté dans ses bras, qu’il a été circoncis, qu’on offrit une victime pour lui, et qu’il grandit: enfin, vous savez qu’on lui donna des soufflets, qu’on lui cracha au visage, qu’il fut couronné d’épines, cloué à la croix, qu’il mourut, et que son flanc fut ouvert par une
1.
Jean, X, 7.— 2. Id. 1, 2.— 3. Ps. XCV, 4.
lance. Vous savez qu’il à souffert tout cela, et néanmoins « il est grand, il est digne de vos louanges ». Ne méprisez pas ses abaissements, mais comprenez sa grandeur. Il s’est fait petit, parce que vous étiez petits; comprenez sa grandeur, et vous serez grands en lui. C’est ainsi qu’on lui construit un édifice, ainsi que cet édifice prend d’immenses proportions, et que les pierres que l’on amène à cet édifice vont toujours en croissant. Croissez donc, vous aussi, et comprenez la grandeur du Christ: dans ses abaissements, il est grand, infiniment grand. L’expression manque au Prophète; il voulait nous parler de la grandeur de Dieu, mais dût-il répéter tout un jour: Grand, grand, que dirait-il encore? Après l’avoir dit tout un jour, il finirait puisque le jour finit; or, cette grandeur est avant tous les jours, au-delà de tous les jours, en un mot, sans jour. Que dira donc le Prophète? « Que le Seigneur est au-dessus de toute louange». Que peut une faible langue pour louer un Dieu si grand? En disant: au-dessus, nimis, il a trouvé une expression qui donne à la pensée ce qu’elle peut comprendre; comme s’il disait: Cherche dans ta pensée ce qu’il ne m’est pas donné d’exprimer, et tout ce que tu auras pu penser sera peu de chose encore. Comment la langue dirait-elle ce que la pensée ne peut exprimer? « Le Seigneur est grand, s’il est au-dessus de toute louange ». Qu’on le bénisse, qu’on le prêche, que sa gloire soit annoncée, ainsi se construit l’édifice.
5. « Il est terrible par-dessus tous les dieux». Y a-t-il en effet des dieux, à qui ce Dieu soit redoutable? Voyons ceux que le Prophète appelle dieux, et nous comprendrons ses paroles. Mais auparavant, remarquez, mes frères, que celui qui paraît effrayé parmi les hommes, est à son tour « terrible par-dessus tous les dieux ». Les nations n’ont-elles point frémi? Les peuples n’ont-ils pas médité de vains complots contre le Seigneur et contre son Christ 1? Des taureaux gras lie l’ont-ils point environné? Le lion rugissant n’avait-il pas frémi contre lui 2, et n’était-il point entré dans le coeur des bourreaux qui criaient: «Crucifiez- le, crucifiez-le 3? » comme si ce rugissement devait effrayer celui qui « est terrible», non seulement au-dessus des hommes, mais encore « au-dessus des dieux? » Le lieu en effet choisi pour y construire l’édifice
1. Ps. II,1.— 2. Id. XXI, 13, 14.— 3. Matth. XXVII, 23.
est un lieu boisé; de là vient cette expression d’hier: « Nous l’avons trouvée dans les campagnes des forêts 1 ». Or, David cherchait la maison de Dieu, quand il parlait de ces campagnes boisées. Pourquoi ce lieu est-il boisé? Les hommes adoraient des idoles, ce qui n’a rien d’étonnant, puisqu’ils taisaient paître des pourceaux. ils étaient cet enfant qui fuit la maison de son père, pour aller vivre dans la débauche et dissiper son bien avec des femmes perdues, qui fit paître des pourceaux 2, c’est-à-dire qui adorait les démons: la superstition des idolâtres avait fait de la terre entière une immense forêt. Mais celui qui bâtit la maison arrache la forêt; et de là vient ce titre: « Quand ou bâtissait l’édifice, après la captivité ». Car les hommes, dans l’esclavage du diable, offraient des sacrifices à tous les démons; mais ils sont rachetés de cet esclavage. Ils avaient bien pu se vendre, mais ils n’ont pu se racheter. Le Sauveur est donc venu, a payé leur rançon; il a répandu son sang pour racheter l’univers entier. Cherchez-vous ce qu’il a racheté? Voyez ce qu’il a donné, et comprenez ce qu’il a racheté. C’est le sang du Christ qui est le prix, Que peut-on acheter à un tel prix? Quoi, sinon l’univers entier? Quoi, sinon tous les peuples? Il faut être bien peu reconnaissants d’une telle rançon, ou bien orgueilleux, pour en diminuer la valeur au point de dire que les Africains seuls sont rachetés, ou pour se croire importants au point de dire que seuls on vaut un tel prix. Qu’ils ne s’élèvent point, qu’ils ne se glorifient point; c’est pour tous que le Christ a payé une telle rançon. li sait ce qu’il a acheté, parce qu’il sait à quel prix. C’est donc parce que nous sommes rachetés, que l’édifice se construit après la captivité. Mais qui nous tenait dans la captivité? Car c’est aux arracheurs de la forêt qu’il est dit « Annoncez»; qu’ils arrachent donc les broussailles, qu’ils nous délivrent de la captivité, qu’ils construisent, qu’ils édifient, en prêchant partout la grandeur de la maison du Seigneur. Comment détruire cette forêt pleine de démons, sinon en prêchant celui qui les domine? Donc tous les peuples n’avaient d’autres dieux que les démons; c’étaient les démons qu’ils appelaient leurs dieux, selon ce mot si clair de l’Apôtre: « Ce que les païens immolent, c’est aux démons qu’ils
1.
Ps. CXXXI, 7. — 2. Luc, XV, 12-15.
l’immolent, et non à Dieu 1 ». C’est donc parce qu’ils sacrifiaient aux démons qu’ils étaient en captivité, et par cela même la terre était couverte de broussailles; que l’on précise aujourd’hui: « Celui qui est grand, et au-dessus de toute louange ».
6. Comment le Prophète nous montre-t-il sa grandeur, afin d’extirper ces superstitions qui tenaient dans la captivité ce peuple qu’était venu racheter le Dieu « terrible par-dessus tous les dieux? » Comme si on lui objectait: Pourquoi dire: «Au-dessus de tous les dieux? » Sont-ils bien des dieux? Le Prophète continue en disant: « Tous les dieux des nations sont des démons 2 ». Que votre charité me suive. Il disait tout à l’heure un grand mot: « Le Seigneur est grand »; et dans son impuissance de le louer, il s’écriait: « Le Seigneur est au-dessus de toute louange ». Ne vous ai-je point dit qu’il vous laisse penser ce qu’il ne saurait exprimer? Or, quand il expose en paroles ce qu’il a dit de grand au sujet de Jésus-Christ, que m’apprend-il? Qu’il est au-dessus des démons? Car, quand il dit qu’ « il est terrible au-dessus de tous les dieux », il ajoute que « tous les dieux des nations sont des démons».C’est peu d’être au-dessus des démons; toi aussi tu seras au-dessus d’eux, situ le veux, mais en croyant au Christ. Or, est-ce bien à cela que se réduit cette grande parole: « Dieu est grand, et par-dessus toute louange?» Voulant exprimer sa pensée autant que le peut une langue humaine, et quoique le Saint-Esprit touche admirablement les instruments dont il se sert, puisqu’il ne nous fait Parvenir que le son des syllabes, à cause des voies étroites de l’esprit humain, et que ces syllabes forment des pensées en nous, voulant donc s’exprimer en langage humain, que nous dit-il? « Le Seigneur est grand, et au-dessus de toute louange». Dites-nous, ô Prophète, dites-nous combien il est louable. « Il est terrible»,dit-il, «par-dessus tous les dieux ». Pourquoi par-dessus tous les dieux? « Parce que les dieux des nations sont des démons ». Est-ce donc là toute la gloire de Celui qui est par-dessus toute louange, de surpasser les démons qui sont les dieux des nations? Attendez, écoutez ce qui suit: « Quant au Seigneur, il a fait les cieux ». Déjà il n’est plus seulement au-dessus des démons, mais encore au-dessus des
1.
I Cor. X, 20. — 2. Ps. XCV, 5.
cieux qu’il a faits. S’il avait dit: « Par-dessus tous les dieux, parce que les dieux des nations sont les démons », et qu’il eût borné là toute la louange du Seigneur, il serait demeuré en arrière de nos pensées au sujet du Christ; mais quand il dit: « Le Seigneur a fait les cieux »; voyez quelle différence entre le ciel et les démons, et de plus la différence entre le ciel et le créateur du ciel: telle est la grandeur de notre Dieu. Il ne dit point que le Seigneur est assis au-dessus des cieux; on pourrait croire alors qu’un autre a fait ces cieux sur lesquels il s’assied; mais il s’écrie: «Le Seigneur a fait les cieux». S’il a fait les cieux, il a fait aussi les anges; et celui qui a fait les anges a fait les Apôtres. Aux Apôtres les démons étaient soumis, et les Apôtres étaient des cieux qui portaient le Seigneur. Et quel Seigneur portaient-ils? Celui qui les avait faits. Ecoute bien qu’ils sont des cieux « Les cieux annoncent la gloire de Dieu 1». C’est à ces mêmes cieux qu’il est dit « Annoncez sa gloire aux nations, et ses merveilles parmi tous les peuples. Car le Seigneur est grand et au-dessus de toute louange; il est terrible par-dessus tous les autres dieux ». Quels dieux? « Tous les dieux des nations sont des démons». Et celui qui est terrible par-dessus tous les dieux, est « le Seigneur qui a fait les cieux ». O cieux qu’il a faits, publiez sa gloire dans tous les peuples! Que sa maison se construise dans toute la terre, et que toute la terre chante un cantique nouveau.
7. « La confession et la beauté sont en présence 2 ». Aimes-tu la beauté? Veux-tu la posséder? Confesse-toi. Le Prophète ne dit point la beauté et la confession, mais « la confession et la beauté ». Tu étais souillé, confesse-toi afin d’être beau; tu étais pécheur, confesse-toi afin d’être juste. Tu as bien pu te souiller, mais tu ne peux pas toi-même recouvrer la beauté. Qui est donc semblable à cet époux divin, qui a aimé une épouse difforme, afin de la rendre belle? Comment, a dit quelqu’un, a-t-il pu l’aimer difforme? « Je ne suis point venu », répond-il, « pour appeler les justes, mais les pécheurs 3 ». Mais appelez-vous les pécheurs pour qu’ils restent dans le péché? Non, répond-il. Et comment ne seront-ils plus pécheurs? « La confession et la beauté sont en sa présence ». Ils confessent leurs
1.
Ps. XVIII, 2. — 2. Id. XCV, 6.— 3. Matth. IX, 13.
fautes, ils rejettent le poison qu’ils avaient avalé trop avidement, et ne reviennent plus à ce qu’ils ont vomi, comme le chien immonde 1; et alors la confession devient une beauté. Aimons cette beauté, mais choisissons d’abord la confession,afin que la beauté vienne ensuite. Un autre aime la puissance, il aime la magnificence; il veut être grand comme les anges. Car il y a de la magnificence chez les anges, et une puissance telle, que s’ils la déployaient, nul ne pourrait résister. Tout homme aspire à la puissance des anges, mais n’aime pas pour cela la pureté des anges. Aime d’abord la justice, et la puissance viendra ensuite. Que dit en effet le Prophète? « La sainteté et la magnificence sont dans son sanctuaire». Tu aspires à la magnificence, cherche d’abord la sainteté; et avec la sainteté tu auras cette magnificence. Mais si tu renverses l’ordre, jusqu’à vouloir tout d’abord la magnificence, tu tomberas avant de te relever; car ce n’est point te relever, c’est t’élever par orgueil. Tu te relèverais plus sûrement, si celui-là t’élevait qui ne tombe jamais. Lui qui ne pouvait tomber, est descendu pour toi: tu étais tombé, et il est descendu pour te tendre la main; tu ne saurais te relever par tes propres forces, embrasse les mains de Celui qui descend vers toi, et que sa force te relève.
8. Quoi donc? Si « la confession et la beauté sont en sa présence, si la sainteté et la magnificence sont dans son sanctuaire » (car voilà ce que nous annonçons en bâtissant la maison du Seigneur, et cela est prêché aux nations); que doivent faire les nations, auxquelles ceux qui ont défriché la forêt ont prêché le Seigneur? Voici ce que dit le Prophète à ces nations: « Familles des Gentils, «apportez au Seigneur, apportez au Seigneur l’honneur et la gloire 2 »; non pas à vous, car ceux qui ont prêché n’ont point cherché leur propre gloire, mais la gloire de Dieu. Et vous aussi, « apportez au Seigneur l’honneur et la gloire »; et dites: « Non pour nous, Seigneur. non point pour nous, mais pour votre nom, faites éclater votre gloire 3». Ne mettez votre espérance dans aucun homme. Si quelqu’un de vous reçoit le baptême, qu’il dise Celui-là me baptise, dont l’ami de l’époux a dit: « C’est lui qui baptise 4». Parler ainsi, c’est rendre au Seigneur l’honneur
1. II Pierre, II, 22.— 2. Ps.
XCV, 7.— 3. Id. CXIII, 1. — 4. Jean,
I, 33.
et la gloire. « Rendez à Dieu gloire et honneur ».
9. « Rendez au Seigneur la gloire due à son nom ». Ce n’est ni le nom des hommes, ni votre nom, mais le nom du Seigneur qu’il faut glorifier. «Apportez des offrandes, entrez dans son parvis 1 ». « Apportez des offrandes »: quelles offrandes pour entrer dans son parvis? Voilà que la maison prend de grandes proportions, elle a des parvis: que ceux qui apportent des hosties, entrent dans ces parvis. Devons-vous amener des taureaux, des boucs ou des brebis? Loin de là. « Si vous aviez voulu un sacrifice, je vous l’eusse offert 2», dit le Prophète, qui nous marque la victime qu’il nous faut offrir. Voyez si elle ne serait point celle dont nous avons déjà parlé: « La confession et la beauté sont en sa présence ». La confession est une hostie agréable à Dieu. Vous donc, ô nations, si vous voulez entrer dans les parvis du Seigneur, n’y venez pas les mains vides. « Apportez des offrandes ». Quelles offrandes porter avec nous? « Le sacrifice que demande le Seigneur est une âme brisée, et Dieu ne rejette point un coeur contrit et humilié 3 ». Entrer dans la maison de Dieu avec l’humilité du coeur, c’est y entrer avec une offrande. Y entrer avec orgueil, c’est y entrer les mains vides. D’où viendrait ton orgueil, si tu n’étais vide et frivole? Un homme rassasié n’a point d’enflure. Comment seras-tu rassasié? Si tu apportes une hostie que tu puisses introduire dans la maison du Seigneur. Sans nous arrêter plus longtemps, passons rapidement sur le reste. Voyez la maison qui s’accroît, l’édifice qui s’étend par toute la terre. Réjouissez-vous d’être entrés dans les parvis, réjouissez-vous de faire partie du temple du Seigneur. Car y entrer, c’est faire partie de l’édifice qui est la maison du Seigneur, et qu’habite ce Dieu à qui l’on élève dans l’univers entier un palais, et après la captivité: « Apportez des hosties, et entrez dans les parvis ».
10. « Adorez le Seigneur dans la splendeur de son sanctuaire »; c’est-à-dire dans son Eglise catholique, car tel est son sanctuaire. Que nul ne dise: « Le Christ est ici, ou il est là 5, car alors il s’élèvera de faux prophètes ». Répondez-leur: « On ne laissera pas une pierre sur une pierre qui ne soit détruite ».
1.
Ps. XCV, 8.— 2. Id. L, 18.— 3. Id. 19.— 4. Id. XCV, 9.— 5. Matth. XXIV 2, 23, 24.
Vous m’appelez à une muraille blanchie, et moi j’adore mon Dieu dans son temple saint.
11. « Que toute la terre soit ébranlée devant sa face: dites aux nations: Le Seigneur a régné par le bois, car il a raffermi la terre qui ne sera point ébranlée 1 ». Combien de preuves que la maison de Dieu s’élève? Les nuées du ciel nous crient de toutes parts que la maison de Dieu se construit dans l’univers entier: et les grenouilles des marais osent nous dire: Nous sommes les seuls chrétiens. Quels témoignages avancer? Ceux du psaume; ceux que tu chantes sans les entendre: ouvre les oreilles, tu chantes ces témoignages, tu les chantes avec moi, mais en désaccord avec moi: ta langue rend le même son que la mienne, et ton coeur est en désaccord avec mon coeur. N’as-tu pas chanté ces paroles? Vois que c’est bien le témoignage de l’univers entier: « Que toute la terre s’ébranle devant sa face ». Et tu soutiens qu’elle n’est pas ébranlée? « Et aux nations: Le Seigneur a régné par le bois ». Prendront-ils ces paroles à leur avantage, et diront-ils qu’ils règnent par le bois, parce qu’ils règnent par les bâtons des circoncellions? Règne par la croix du Christ, si tu veux régner par le bois. Ce bois dont tu es armé, te fait bois toi-même, tandis que le bois du Christ te fait traverser la mer. Ecoute le psaume qui nous dit: « Il a raffermi la terre, qui ne sera point ébranlée »: et tu dis qu’après avoir été affermie, non seulement elle est ébranlée, mais même diminuée. Est-ce toi qui dis vrai, ou le Psalmiste qui ment? Les faux prophètes qui nous disent: « Le Christ est ici, ou il est là 2», ont dit vrai, et le vrai Prophète est menteur? Quelle que soit la clarté de ces paroles, vous ne laissez pas d’entendre ce murmure au coin des rues: Tel ou tel a livré les livres saints. Que dis-tu? Est-ce ta voix ou celle de Dieu qu’il faut entendre? « Il a affermi la terre qui ne sera point ébranlée». Et moi je te montre l’univers entier devenu le temple de Dieu; apporte une hostie, entre dans le parvis du Seigneur. Mais parce que tu n’as pas d’hostie, tu ne veux pas entrer. Qu’est-ce à dire? Si Dieu te commandait de lui offrir un taureau, un bouc, un bélier, tu trouverais ces victimes: il te demande un coeur humble, et tu ne veux pas entrer. Tu ne saurais en
1.
Ps. XCV, 10. — 2. Matth. XXIV, 23.
effet le trouver en toi, puisque tu es rempli d’orgueil. « Dieu a raffermi la terre qui ne sera point ébranlée. Il jugera les peuples dans l’équité ». Alors ceux qui n’aiment point l’équité en cette vie, pleureront leur misère.
12. « Que les cieux se réjouissent et que la terre tressaille 1 ». Qu’ils soient dans la joie, ces cieux qui annoncent la gloire de Dieu; qu’ils soient dans la joie, ces cieux qu’a faits le Seigneur; qu’elle tressaille, cette terre qu’arrosent les cieux. Car les cieux sont les prédicateurs, et la terre ceux qui les écoutent. « Que la mer soit ébranlée, et tout ce qu’elle contient ». Qu’est-ce que la mer? le monde. La mer a été ébranlée, et tout ce qu’elle contient: le monde entier s’est soulevé contre l’Eglise, quand elle se répandait et se construisait dans tout l’univers. Ce soulèvement, vous l’avez entendu dans l’Evangile: « Ils vous traîneront devant les tribunaux 2 ». La mer s’est donc soulevée; mais comment vaincre Celui qui a fait les cieux?
13. « Les campagnes se réjouiront, et tout ce qu’elles renferment ». Les hommes doux, les humbles, les justes, sont les campagnes de Dieu. « Alors tressailliront les bois des forêts 3». Ces bois des forêts sont les païens. Pourquoi seront-ils dans la joie? Parce qu’ils ont été retranchés de l’olivier sauvage pour être entés sur l’olivier franc 4. « Alors tous les arbres des forêts seront dans la joie », parce qu’on y a coupé de grands arbres, des cèdres, des cyprès, d’autres bois incorruptibles pour les faire entrer dans l’édifice de l’Eglise 5; bois des forêts avant d’entrer dans l’édifice, bois des forêts, mais avant de porter l’olive.
14. « Alors tressailliront les bois des forêts devant la face du Seigneur, parce qu’il vient, parce qu’il vient pour juger la terre 6 ». Il est venu une fois, et il doit revenir une seconde fois. Il est venu dans son Eglise, porté sur les nuées. Quelles sont les nuées qui l’ont porté? Les Apôtres qui l’ont annoncé, comme vous l’entendiez par la lecture de saint Paul: « Nous sommes les ambassadeurs du Christ», nous dit-il, « vous conjurant en sort nom de nous réconcilier à Dieu 7». Telles sont les nuées sur lesquelles est venu le Christ, mais il doit venir
1.
Ps. XCV, 11.— 2. Marc, XIII, 9.— 3. Ps. XCV, 12.— 4. Rom. XI, 17. — 5.
III Rois, V, 6. — 6. Ps. XCV, 13.— 7. II Cor. V, 20.
une seconde fois pour juger les vivants et les morts. Il est donc venu une première fois sur les nuées. C’est de ce premier avènement que Jésus a dit dans l’Evangile: « Désormais vous verrez le Fils de l’homme venant sur les nuées 1 ». Qu’est-ce à dire « désormais? » Le Seigneur ne viendra-t-il point lorsque toutes les tribus de la terre seront dans les pleurs? Il est venu dans ceux qui le prêchent, et il a rempli toute la terre. Ne résistons pas au premier avènement, afin de ne point redouter le second. Vous avez encore entendu dans l’Evangile: « Malheur aux femmes enceintes ou nourrices; soyez sur vos gardes, parce que vous ne savez quand viendra cette heure 2 ». Tout cela est dit en figures. Quelles sont les femmes enceintes et les nourrices? Les femmes enceintes sont les âmes qui ont mis leur espérance dans cette vie; et celles qui ont déjà ce qu’elles espéraient sont désignées par les nourrices. Ainsi, tel homme veut acheter une maison de campagne; il ressemble à une femme enceinte; rien n’est fait encore, mais l’espérance est dans son sein; il l’achète, et le voilà qui a enfanté, qui allaite ce qu’il a acheté. « Malheur aux femmes enceintes ou qui allaitent »: malheur à ceux qui mettent leur espérance dans cette vie, malheur à ceux qui s’attachent aux biens qu’ils ont acquis par leur espérance mondaine! Que doit donc faire un chrétien? User du monde, mais non servir le monde. Qu’est-ce à dire? C’est avoir comme s’il n’avait pas. Voici ce que dit saint Paul, ses exhortations à celui qu’il ne veut point laisser surprendre, comme les femmes enceintes ou nourrices, pour ce jour redoutable: « Du reste, mes frères, le temps est court, aussi faut-il que ceux qui ont des femmes soient comme s’ils n’en avaient point; ceux qui pleurent, comme s’ils ne pleuraient point; ceux qui se réjouissent, comme s’ils ne se réjouissaient pas; ceux qui achètent, comme s’ils ne possédaient pas; ceux qui usent des choses de ce monde, comme s’ils n’en usaient pas. Car la figure du monde passe; et je veux que vous soyez sans inquiétude ». L’homme sans inquiétude attend avec calme l’avènement de son Seigneur. Car, est-ce bien aimer Dieu, que craindre qu’il vienne? N’est-ce point une honte pour nous, mes frères? Nous l’aimons et nous
1.
Marc, XIII, 26. — 2. Id. 17, 33. — 3. I Cor. VII, 29-32.
craignons qu’il ne vienne? En vérité, l’aimons-nous? Ne lui préférons-nous pas nos péchés? Haïssons donc le péché, aimons Celui qui viendra les punir. Il viendra, bon gré, mal gré. Qu’il ne soit point venu encore, ce n’est pas une raison pour qu’il ne vienne point. Il viendra, et à l’heure que tu ignores; et s’il te trouve prêt, cette ignorance ne te nuira point. « Alors tressailliront tous les arbres des forêts devant la face du Seigneur, parce qu’il est déjà venu ». Et ensuite? « Parce qu’il vient pour juger la terre; tous les arbres des forêts seront dans l’allégresse ». Il est venu une fois, il viendra une seconde fois juger la terre, et il trouvera dans la joie ceux qui auront cru à soin premier avènement, « parce qu’il est venu ».
15. « Car il viendra juger dans l’équité l’univers entier »: non une partie, car il n’a pas racheté une partie. Il jugera le monde entier, parce qu’il a payé la rançon de tout le monde. Vous avez entendu l’Evangile dit qu’à son avènement, il rassemblera les élus « des quatre vents du monde 1». Or, rassembler ses élus des quatre vents, c’est bien les rassembler du monde entier. Et en effet, Adam, je l’ai dit déjà, signifie en grec tout l’univers. Il est composé de quatre lettres, A, D, A, et M. Or, dans le langage des Grecs, ces quatre lettres sont les initiales des quatre parties du monde. Ils nomment l’Orient Anatole, l’Occident Dusin, le Nord Arkton, le Midi Mesebian. Dans ces initiales nous trouvons Adam, qui est ainsi répandu dans le inonde entier’. Il n’était jadis qu’en un lieu, d’où il est tombé, et il a été réduit en poudre pour être jeté dans tout l’univers: mais la divine miséricorde a rassemblé de toutes parts ces débris, les a fondus au feu de la charité, et a réuni ce qui était brisé. Ce grand artiste a su réparer sou ouvrage; ne désespérons point. La tâche est difficile, mais pensez quel est l’architecte. Celui-là nous a rétablis, qui nous avait déjà faits; celui qui nous a formés, nous reformera. « Il jugera l’univers entier dans l’équité, et les peuples dans la vérité ». Quelle équité, quelle vérité? Il rassemblera ses élus pour juger avec lui, et séparera les autres. Il placera les uns à droite, les autres à gauche. Quoi de plus conforme à ta vérité, à la justice, que de réduire à n’attendre du souverain aucune miséricorde, ceux qui n’ont voulu
1.
Marc, XIII, 27. — 2. Gen. III, 6.
faire aucune miséricorde avant son avènement? Mais ceux qui auront voulu faire miséricorde, seront jugés avec miséricorde. Il sera dit à ceux de droite: « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde 1 ». Et le Sauveur énumère les oeuvres de miséricorde: « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire 2»; et le reste. Que doit-il reprocher à ceux de gauche? De n’avoir point voulu faire miséricorde. Et où vont-ils? « Allez au feu éternel 3». Cette parole sévère produira un immense gémissement. Mais que nous dit un autre psaume? « La mémoire du juste ne périra point, et il ne craindra point la parole terrible 4 ». Quelle est cette parole terrible? « Allez au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses anges 5». Or, celui qui se réjouira d’entendre la parole de bénédiction, n’aura pas à craindre la parole
1. Matth. XXV, 34. — 2. Id. 30. — 3. Id. 41. — 4. Ps.
CXI, 7. — 5. Matth. XXV, 41.
terrible. Comment se réjouiront-ils de la parole de bénédiction? « Venez, bénis de mon Père ». Quelle parole ne craindront-ils point? « Allez au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses anges ». Voilà la justice, voilà la vérité. « Il jugera l’univers entier dans la justice, et les peuples dans la vérité ». Parce que tu es injuste, le juge ne sera-t-il pas juste? Parce que tu es menteur, la vérité cessera-t-elle d’être vraie? Si tu veux obtenir miséricorde, sois miséricordieux avant son avènement; pardonne si l’on t’a offensé, donne de ton abondance. Et de qui viennent les dons, sinon de lui? Donner ton bien serait une largesse; donner du sien est une restitution. « Qu’as-tu donc que tu n’aies pas reçu 1?» Ainsi voilà les hosties agréables à Dieu, la miséricorde, l’humilité, la confession, la paix, la charité. Voilà ce que nous apportons, afin d’attendre en sécurité l’avènement du souverain juge, « qui jugera l’univers entier dans l’équité, et les peuples dans sa vérité ».
1. I Cor, IV,7.
SERMON AU PEUPLE.
Ce que les saints personnages ont désiré voir, c’est le salut de Dieu chez les nations.: ce salut est Jésus-Christ, auquel nous devons rapporter tout notre psaume, si nous voulons le comprendre. Il a pour titre: « Pour David », ou pour le Christ fils de David. « Quand sa terre fut rétablie », c’est-à-dire quand les Juifs égarés jusqu’à mettre à mort le Christ, se convertirent en grand nombre à la Pentecôte. De là les Apôtres passèrent chez les Gentils, et le Christ fut la pierre angulaire unissant la circoncision à la gentilité. Ainsi sa terre fut établie; ce que l’on peut encore entendre de la résurrection. Le Seigneur a donc régné par sa parole prêchée sur les continents et dans les îles; ces îles que battent les flots sais les submerger peuvent aussi désigner les Eglises persécutées et non détruites. Ces ténèbres d’une part, la justice et l’équité d’autre part, caractérisent ceux qui entendent la prédication, nuageuse pour les orgueilleux, pleine de lumière pour les humbles qui forment son trône. Le feu qui marche devant le Seigneur, n’est point le feu de l’enfer, mais c’est le feu de la persécution qui a consumé les persécuteurs mêmes, ou le feu de la charité qui a embrasé le monde, et dévoré les ennemis de Dieu, en jetant les incrédules dans la réprobation, et -en ramenant à lui les hommes de bonne foi. Les Apôtres fuient comme des nuées d’où jaillirent ces éclairs de miracles et de prédications qui émurent la terre, qui fondirent les montagnes ou les orgueilleux. Honte à ceux qui adorent des pierres; pour nous, notre pierre est vivante ! Ils adorent l’idole ou le démon, qui se repaît de nos malheurs: un bon esprit refuserait tout culte. Sion a entendu le baptême de Corneille, et l’appel fait aux Gentils, elle a tressailli de joie. Ainsi le Seigneur s’est montré supérieur aux démons et aux anges Nous qui aimons le Seigneur, haïssons le mal, au risque d’être persécutés; car la persécution ne peut nous ôter ni le ciel, ni la vie de l’âme, ni la lumière d’est haut. N’ayons de joie que dans le Seigneur; puisqu’il n’y a pas de joie pour l’impie, la nôtre est pour l’autre vie, selon la promesse de l’Evangile.
1. Dieu donne au coeur chrétien de grands spectacles, et que rien ne surpasse en douceur, si toutefois nous avons le palais de la foi qui goûte le miel de Dieu. Vous tous, qui avez la foi en Jésus-Christ, vous avez en vous, je le crois, l’Esprit-Saint, qui vous donne une sainte joie quand vous entendez lire les prophéties, émanées depuis tant de (425) siècles de la bouche de saints personnages, et qui s’accomplissent après tant d’années dans la conversion des Gentils. Ces saints prophètes ressentaient une grande joie de ce qu’ils voyaient, non pas accompli, mais dans l’avenir. Oui, c’était là une grande joie pour eux; et même telle était la charité dont ils étaient embrasés pour nous, pour nous qu’ils ne voyaient point encore, et qu’ils enfantaient par l’esprit, qu’ils eussent voulu vivre de notre temps et avec nous, s’il leur eût été possible, et voir s’accomplir ce qu’ils prédisaient en esprit. De là cette parole du Sauveur aux disciples qui commençaient à voir cet accomplissement: « Beaucoup de justes et de Prophètes ont voulu voir ce que vous voyez, et ne l’ont point vu; et entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu 1 ». Bien qu’ils vissent tout cela en esprit, ils ne le voyaient néanmoins que dans un lointain avenir; tandis que les Apôtres l’avaient sous les yeux. C’est pourquoi le saint vieillard Siméon fut transporté d’une grande joie, quand il vit l’enfant Jésus, en découvrant sa grandeur dans un tel abaissement, et dans une faible chair, le Créateur du ciel et de la terre. Grande fut sa joie, parce qu’il avait reçu la promesse qu’il ne sortirait point de cette vie, sans voir le salut de Dieu. Il le reconnut donc, en conçut une grande joie, et s’écria dans un saint ravissement: «Seigneur, vous laisserez maintenant mourir en paix votre serviteur; car mes yeux ont vu votre salut 2 ». Voilà une grande joie, et que produit la charité. Le chant du psaume vous a donné une sainte soie; quelques passages étaient clairs pour tous; d’autres, autant que j’en puis juger, ne l’étaient que pour un petit nombre, mais non pour tous assurément. Considérons-le donc tous ensemble, dans ce discours dont je vous suis redevable; et voyons avec quelle bonté Dieu nous ménage le bonheur de voir ses promesses et de nous en montrer la vérité par leur accomplissement.
2. Voici le titre du psaume: « Pour David, lorsque sa terre a été rétablie 3 ». Il faut rapporter le tout au Christ, si nous voulons saisir le véritable sens; ne nous écartons point de la pierre angulaire 4, de peur que notre intelligence ne tombe en ruine; qu’en lui se consolide tout ce qui est mobile et
1.
Matth. XIII, 17.— 2. Luc, II, 25-20.— 3. Ps. XCVI, 1.— 4. Ephés. II, 20.
chancelant, qu’en lui s’affermisse tout ce qui est incertain. Quelque doute que fassent naître dans notre esprit les saintes Ecritures, que l’homme ne s’éloigne pas du Christ, et s’il le découvre dans ses lectures, qu’il soit certain de les avoir comprises, et qu’il ne se persuade point qu’il les comprend, tant qu’il n’y rencontre pas le Christ, « qui est la fin de la loi pour justifier ceux qui croiront en lui 1». Qu’est-ce à dire, et comment appliquer au Christ cette parole: « Quand sa terre fut rétablie? » On comprend aisément que David ici désigne le Christ, puisque le Christ est né de Marie dans la famille de David, et coin me il devait naître dans la postérité de David, ce nom servait à le désigner en figure. Ainsi donc David c’est le Christ, et David signifie la main puissante; or, quelle main est plus puissante que celle qui, de la croix, vainquit le monde? Car après la résurrection et l’Ascension du Sauveur, quand les Apôtres reçurent le Saint-Esprit et parlèrent diverses langues 2, ceux qui avaient crucifié le Sauveur s’émurent, et demandèrent un conseil de salut, qu’ils reçurent, et embrassèrent la foi. Et Dieu leur pardonna le sang de son Christ qu’ils avaient répandu, et ils burent ce sang du Christ; de persécuteurs, ils devinrent ses fidèles; ils crurent en celui qu’ils avaient crucifié, et voulurent avoir pour chef, pour tête, celui devant qui ils avaient branlé la tête 3 avec tant d’insolence. C’est ainsi que « sa terre fut rétablie», selon le titre du psaume. Cette terre était la Judée; or, la Judée avait péri entièrement quand les Juifs crucifièrent leur Seigneur; frénétiques ignorants, ils sévirent contre le médecin, repoussant follement leur salut. La Judée avait donc péri totalement comment totalement? Les Apôtres eux-mêmes furent ébranlés; Pierre qui suivait son maître avec un amour audacieux, le renia trois fois avec une crainte excessive 4. Après sa résurrection, Notre Seigneur Jésus-Christ trouve quelques-uns d’entre eux qui parlent de lui en voyageant, et quand il leur demande le sujet de leur entretien, ils vont jusqu’à lui dire: « Etes-vous donc le seul étranger à Jérusalem pour ignorer ce qui vient de s’y passer en ces jours? Et il leur dit: Quoi donc? Touchant Jésus de Nazareth, ce prophète puissant en oeuvres
1.
Rom. X, 4. — 2. Act. II, 4, 37. — 3. Matth. XXVII, 39. —
4. Id. XXVI, 70.
et en
paroles devant Dieu et devant tout le peuple; et comme les princes des prêtres
et nos magistrats l’ont livré pour être condamné à la mort et l’ont crucifié.
Or, nous espérions qu’il délivrerait Israël 1».
Ils n’avaient déjà plus d’espérance en lui; ils ne disent point: Nous espérons
qu’il rachètera Israël; mais: « Nous espérions qu’il rachèterait Israël ». Il
était avec eux, mais eux n’espéraient pas en lui. Il se montre à eux, il se
fait voir aux autres disciples; on le voit, on le touche, ceux qui le croyaient
mort le rencontrent; la foi de ceux qui étaient tombés se releva, « et sa terre
fut rétablie ». Après avoir passé quarante jours avec eus, il s’élève au ciel 2; et, comme je l’ai dit tout à l’heure, il
envoie le Saint-Esprit à ses disciples, qui naguère ignorants, parlent
maintenant toutes les langues. Alors tous ceux pour qui le Christ n’avait pas
dit inutilement: « Mon Père, pardonnez-leur, ils ne savent ce qu’ils font 3 », furent touchés, disions-nous encore, et
demandèrent le salut, et on leur conseilla de croire en lui. Trois mille
embrassèrent la foi en un seul jour, et cinq mille en un autre 4. Alors le Christ vit surgir une Eglise
fervente, dans ces mêmes lieux où l’effervescence l’avait couvert d’opprobre, «
et sa terre fut restituée». Mais comme il avait dit: « J’ai d’autres brebis,
qui ne sont point de ce bercail, et il me faut les appeler, afin qu’il n’y ait
qu’un seul bercail et un seul pasteur 5»;
il envoya ses Apôtres chez les Gentils auxquels il n’avait pas envoyé les Prophètes.
Ils allèrent chercher ceux qui ne cherchaient point, et trouvèrent ceux qui
n’espéraient rien. Ils n’avaient aucune promesse, et ils trouvèrent un Dieu
Sauveur. Quant aux Juifs, ils avaient les promesses de Dieu, par les Prophètes,
qui leur avaient annoncé le Christ, prêché le Christ, et sous leurs yeux ne le
reconnurent point. Aux Gentils, au contraire, nulle promesse n’avait été faite:
mais les Prophètes avaient parlé de conversion. Nulle parole ne leur avait été
adressée, mais ou avait parlé d’eux. Les Apôtres leur furent envoyés, et vous
avez entendu ce que Dieu fit pour eux; la lecture des Actes des Apôtres vous a
fait connaître comment le centenier Corneille embrassa la foi. Ce centenier
n’était point juif de nation. Il priait, il jeûnait, il faisait des aumônes. Dieu ne
1.
Luc, XXIV, 18-21. — 2. Act. I, 3,9. — 3. Luc, XXIII, 31. — 4. Act. II, 4,1; IV,
4. — 5. Jean, X, 16.
l’abandonna point, bien qu’il appartint aux peuples idolâtres; mais un ange lui fut envoyé pour lui annoncer que ses aumônes et ses oraisons étaient agréables à Dieu. Il crut, après avoir appelé Pierre chez lui 1. L’ange ne pouvait-il pas l’instruire? Pierre lui fut envoyé, afin qu’un homme fît naître en lui une foi plus parfaite, et lui montrât que Dieu a daigné visiter les hommes, et qu’il daigne bien nous instruire par les hommes, lui qui a bien voulu se faire homme. C’est ainsi que « sa terre a été rétablie », quand une muraille est venue des Juifs, et une autre muraille des Gentils: et qu’il a été lui-même la pierre angulaire reliant ces murailles qui venaient de directions différentes 2.
3. Comment pouvons-nous encore entendre: «Quand sa terre fut rétablie? » Quand il ressuscita dans la chair. Car cet autre sens, qui ne s’éloigne pas du Christ, peut encore se soutenir: sa terre rétablie, c’est sa chair ressuscitée. C’est après sa résurrection que s’accomplirent toutes les merveilles que chante notre psaume. Ecoutons donc ce chant joyeux sur le rétablissement de la terre. Que le Seigneur notre Dieu veuille bien exciter en nous une attente et une joie qui réponde à la grandeur de ces mystères; qu’il me donne une parole qui aille à vos coeurs, et que la joie que la vue de ces spectacles fait naître en mon âme vienne sur ma langue pour passer de là dans vos coeurs, puis dans vos actes.
4. « Le Seigneur a régné ». Celui qui a comparu devant un juge, qui a reçu des soufflets, qui a été flagellé, qui a été conspué, lui a été couronné d’épines, dont le visage a été meurtri par les coups, qui a été suspendu au gibet, qui a été insulté sur la croix, qui est mort sur cette même croix, qui a été percé d’une lance, qui a été enseveli, et qui est ressuscité, « le Seigneur a régné». Qu’ils sévissent de toute leur puissance dans ces royaumes de la terre, que feront-ils au roi des rois, au Seigneur de tous les potentats, au créateur de tous les siècles? Est-il donc méprisable, pour avoir paru sur la terre si soumis, si humilié? C’est là un acte de miséricorde, et non d’impuissance. S’il apparaît humble, c’est afin d’être à. notre portée. Mais voyons ces paroles: « Le Seigneur a régné: que la terre en tressaille, que les îles en soient dans la joie ». Car la parole de Dieu n’a pas été seulement prêchée sur les continents,
1.
Act. X. — 2. Ephés. II, 20.
mais encore dans les îles qui sont au milieu des mers; et voilà qu’elles sont pleines de chrétiens, pleines de serviteurs de Dieu. Car l’Océan n’est pas une barrière pour celui qui u fait la nier. Où les navires peuvent aborder, la parole de Dieu ne le pourrait? Oui, les îles sont pleines de cette parole. Toutefois ces îles peuvent être une expression figurée pour les Eglises. Pourquoi des îles? Parce qu’elles sont entourées des flots des tentations. De même toutefois qu’une île environnée de flots écumeux, peut bien être battue, mais non brisée par ces flots, comme elle les brise au contraire, bien plus qu’elle n’en est brisée; ainsi les Eglises de Dieu, répandues en tout lieu dans le monde, sont en butte à la persécution de la part des infidèles qui frémissent de toutes parts, et résistent marne les îles, et la mer est apaisée. « Que les îles soient dans la joie ».
5. « Les nuées et les ténèbres l’environnent, la justice et l’équité sont la base de son trône 1 ». Pour qui « Dieu est-il entouré de muées et d’obscurité? » Pour qui « la justice et l’équité sont-elles la base de son trône?» Il n’y a de nuages et d’obscurité que pour les impies qui ne l’ont point compris. La justice et le jugement sont pour les fidèles qui ont cru en lui. L’orgueil a obscurci les yeux des uns, l’humilité a mérité aux autres d’être affermis. Ecoute d’une part les nuées et l’obscurité, d’autre part la justice elle jugement. Le Sauveur adit lui-même mie suis venu eu ce monde pour le jugement, main que ceux qui ne voient point voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles 2». Qu’est-ce à dire, « que ceux qui voient deviennent aveugles?» Que ceux-là ne comprennent point et deviennent aveugles, qu’ils croient voir, qui pensent être sages, qui se persuadent qu’ils n’ont pas besoin du médecin. Et « que ceux qui ne voient pas voient », c’est-à-dire, afin qu’ils méritent d’être éclairés, ceux qui confessent leur aveuglement. Qu’il y ait donc « autour de lui un nuage et des ténèbres». pour ceux qui ne l’ont point connu; mais pour ceux qui confessent leurs fautes et qui s’en humilient, « la justice et l’équité sont la base de son trône »; car ce sont eux qui forment son trône, puisque la sagesse habite eu eux. Car le Fils de Dieu est la sagesse de Dieu 3. Un autre passage de l’Ecriture nous
1. Ps. XCVI, 2. — 2. Jean, IX,
39. — 3. I Cor. I, 24.
met en pleine lumière cette pensée: « L’âme du juste est le siège de la sagesse ». Donc, parce qu’ils sont devenus justes en croyant en lui, parce qu’ils sont justifiés par leur foi, ils deviennent son trône: c’est en eux qu’il siége, en eux qu’il juge, eux qu’il redresse. Pourquoi? Parce qu’il les trouve doux comme des animaux dociles, qui ne savent point regimber, ni se cabrer sous le fouet, ni secouer leur tête orgueilleuse pour rejeter le joug ce sont des animaux doux et souples qui méritent cet éloge du psaume: « Il conduira dans la justice ceux qui sont doux, et dirigera les humbles dans ses voies 1». Pour ceux donc qui ne sont point droits, il y a « nuages et ténèbres »; mais ceux qui sont humbles, sont dans « la justice et dans l’affermissement de son trône ».
6. « Le feu marchera en sa présence, et embrasera ses ennemis autour de lui 2 ». Quel est ce feu, mes frères, dont il est dit qu’ « il marchera devant lui, et dévorera ses ennemis autour de lui? » Je ne pense pas qu’il s’agisse du feu dans lequel on jettera les irai pies au jour du jugement, lesquels seront placés à gauche ainsi qu’il vous souvient de l’avoir lu dans l’Evangile, et auxquels on dira: « Allez au feu éternel, préparé au diable et à ses anges 3 »; tel n’est point ce feu, selon moi. Et d’où me vient cette opinion? Parce qu’il est question d’un feu qui marchera devant le Christ, avant qu’il vienne pour le jugement. Il est dit, en effet, que ce feu le précédera, et qu’il embrasera ses ennemis autour de lui, c’est-à-dire dans toute la terce. Le feu de l’enfer ne sera qu’après son avènement; celui dont il est question doit le précéder. Quel est doue ce feu? Nous pouvons l’entendre de la peine des méchants, et du salut de la rédemption. En quel sens de la peine des méchants? Parce qu’ils ont soulevé une persécution contre le Christ que l’on prêchait parmi les nations: or, cette colère a été un feu qui a dévoré les persécuteurs plutôt que ceux qui étaient persécutés. Quand nous voyous deux hommes, dont l’un se met en colère, dont l’autre souffre avec patience, jugez par vous-mêmes qui de ces deux est en feu. Vous pouvez chaque jour vous donner ce spectacle parmi les hommes. Représentez-vous un homme injuste, à l’âme emportée, au visage menaçant, aux regards enflammés, aux paroles
1.
Ps. XXIV, 9. — 2. Id. XCVI, 3. — 3. Matth. XXV, 41.
étincelantes, se ruer sur un autre pour le tuer, pour le dépouiller, pour l’outrager, pour l’injurier, un homme hors de lui-même, incapable de se contenir, l’autre qui souffre en paix ces outrages, ces violences, tout ce qu’on veut lui faire, qui tend l’autre joue quand on le frappe sur une joue: or, en voyant d’une part la fureur, d’autre part le calme; ici la colère, et là la patience; ici l’emportement, et là la paix, peut-on hésiter à se prononcer sur celui des deux qui est consumé et qui souffre la peine des flammes? Est-ce celui dont le corps est meurtri, ou celui dont l’âme est embrasée? Aussi le prophète Isaïe a-t-il dit: « Et maintenant le feu dévorera ses ennemis 1». Qu’est-ce à dire: « Et maintenant? » Avant que vienne le grand jour du jugement, ils sont consumés par leur propre fureur, ceux qui doivent endurer ensuite la flamme éternelle. Pourriez-vous, en effet, mes frères, vous imaginer que l’injustice que commet un homme en voulant nuire à un autre, nuise à celui qu’elle attaque sans nuire à son propre auteur? Comment cela serait-il possible? Quelquefois on applique une torche ardente à un tison humide et vert; ce tison ne brûle point, mais la torche continue à se consumer: ainsi en est-il de votre ennemi. Qu’un homme d’iniquité vienne à te tendre des embûches, ou à te ménager quelque peine, c’est là une injustice: mais si tu es un bois vert, c’est-à-dire plein d’un suc spirituel et vivace, qui résiste à la flamme de la haine; situ pries pour celui qui te nuit, son injustice ne te nuira point, mais à lui-même; c’est lui qui brûle, et toi tu es intact. A moins peut-être que tu ne prennes pour une offense le mal corporel que l’on pourrait te faire, alors que ton âme pure et sans tache méritera de Dieu une couronne, en suivant l’exemple du divin maître qui a voulu souffrir de la part des Juifs, qui pouvait ne point mourir et qui est mort, qui a voulu naître, quoiqu’il eût pu nie point naître. Naître, c’est pour toi ta condition; pour lui, c’est sa volonté; mourir est dans ta condition; pour lui, c’est un acte de miséricorde. De même alors que les Juifs ne lui ont point nui, ainsi nulle persécution ne pourra t’atteindre, situ veux être membre de ce chef auguste.
7. C’est ainsi que nous entendons le feu qui marche devant lui, c’est-à-dire un feu qui,
1.
Isa. XXVI, 11.
dès ici-bas même, est un châtiment pour les infidèles et pour les hommes injustes. Cherchons un autre feu qui soit le salut de la rédemption, comme nous nous l’étions proposé. Car le même Seigneur a dit: « Je suis venu jeter le feu sur la terre 1 ». Il parle ici du feu comme du glaive, car au même endroit il dit qu’il n’est point venu apporter la paix, mais le glaive 2; le glaive pour diviser, le feu pour brûler: mais l’un et l’autre sont nécessaires, car le glaive de sa parole nous a heureusement séparés de nos habitudes mauvaises. Il a donc apporté le glaive pour séparer chaque fidèle, ou d’un père qui ne croit point au Christ, ou d’une mère également infidèle, ou du moins de ses aïeux, s’il est né de parents fidèles. Il n’est, en effet personne d’entre nous qui n’ait son aïeul, ou son bisaïeul, ou quelqu’un de ses ancêtres engagé dans le paganisme et plongé dans cette infidélité dont Dieu avait horreur: nous sommes donc séparés de ce que nous étions: l’épée est venue, non pas nous donner la mort, niais nous diviser. Ainsi en est-il de ce feu: « Je suis venu jeter le feu sur la terre». Les hommes qui ont cru en lui, se sont enflammés, puis ont reçu l’embrasement de la charité: c’est pour cela que le Saint-Esprit, envoyé aux Apôtres, apparaît sous la forme du feu: « Ils virent comme des langues de feu qui se partagèrent et se reposèrent sur chacun d’eux 3 ». Touchés de cette. flamme sacrée, ils se répandirent dans le monde pour y porter cette flamme et en incendier les ennemis qui l’environnent. Quels ennemis? Ceux qui ont abandonné le vrai Dieu qui les a créés, pour adorer les idoles qu’ils ont faites. S’ils étaient mauvais, cette flamme les consumait; s’ils étaient bons, elle les perfectionnait. Atteint par ce feu de la parole de Dieu, ou bien l’incrédule résistait à la foi, et alors devenant pire, il était consumé, dévoré par le feu de sa propre envie. S’il se convertissait, ce feu n’en avait pas moins agi en lui. Le foin brûlait afin que l’or en devînt plus pur. Cet or, c’est la foi; le foin, c’est la convoitise charnelle. « Toute chair est un foin », dit Isaïe, « et tout honneur de la chair tombera comme l’herbe 4 ». Tout ce qu’il y a dans l’homme charnel, convoitant ce qui est frivole et passager, n’est qu’une herbe. Combien, peut-être même d’entre nos frères, sont allés au théâtre?
1.
Luc, XII, 49.— 2. Matth. X, 31. — 3. Act. II, 3.— 4. Isa. XL, 6.
L’herbe les entraînait. Ne faut-il pas désirer que ce feu dévore le foin, afin que l’or soit purifié? Toute la foi qui Peut être en eux est étouffée par l’herbe. Il est donc bon pour eux d’être embrasés d’un feu divin, afin que l’herbe étant consumée, on voie éclater cet or précieux racheté par le Christ. Donc « le feu marchera devant lui, pour dévorer les ennemis qui l’environnent ». Il en est qu’il a consumés pour leur bonheur, et qui sont fidèles aujourd’hui; d’ennemis qu’ils étaient, les voilà fidèles; tu cherches des ennemis, il n’en est plus; tout est brûlé, tout est consumé: la charité a consumé en eux ce qui persécutait le Christ, et purifié en eux ce qui croyait au Christ. « Il a dévoré les ennemis qui l’environnent ».
8. « Ses éclairs brillent dans l’univers entier 1 ». Quelle allégresse ! n’est-ce point ce que nous voyons? ce qui est évident? Ses éclairs ont brillé dans le monde entier: voilà ses ennemis embrasés, ses ennemis consumés. Tout ce qui contredisait a été consumé, et l’univers enliera vu ses éclairs». Pourquoi ces éclairs? Pour donner la foi. D’où venaient ces éclairs? Des nuées. Quelles sont ces nuées du Seigneur? Les prédicateurs de la vérité. Vois-tu dans le ciel cette nuée? Elle est ténébreuse, obscure; elle recèle je ne sais quoi qu’un éclair s’échappe de la nuée, tu en vois l’éclat; et ce que tu méprisais a fait jaillir ce qui t’effraie. Notre Seigneur Jésus-Christ u envoyé ses apôtres, ses prédicateurs comme des nuées. On ne voyait en eux que des hommes, et on les méprisait, comme on méprise les nuées qu’on voit avant qu’elles n’aient produit ce qui doit nous surprendre. Ils n’étaient tout d’abord que des hommes revêtus d’une chair, fragile; ensuite des hommes sans lettres, ignorants, méprisables. Mais il y avait en eux cette foudre qui devait et tonner et briller. Pierre, cet humble pêcheur, venait, priait, et les morts ressuscitaient 2. La forme humaine montrait une nuée, mais le miracle était l’éclair. Ainsi dans leurs paroles, dans leurs actes, quand ils disent des merveilles, et accomplissent des merveilles, « ses éclairs brillent dans l’univers entier. La terre les a vus et s’en est émue ». Voyez si cela n’est point vrai, si la terre entière, devenue chrétienne, ne répond point amen, bouleversée par les éclairs qui sortent de ces
1.
Ps. XCVI, 4.— 2. Act. IX, 40.
nuées. La terre les a vus et s’en est émue».
9. « Les montagnes se sont fondues comme la cire devant la face du Seigneur 1». Quelles sont ces montagnes? Les orgueilleux. Toute hauteur qui s’élève contre Dieu, a tremblé, a succombé devant les actes du Christ et des chrétiens, et l’on ne saurait trouver une expression plus juste que celle du Prophète, se fondre. « Les montagnes se sont fondues devant la face du Seigneur». Où est cette hauteur des puissances? Où est l’endurcissement des infidèles? « Les montagnes se sont fondues comme la cire devant la face du Seigneur ». Le Seigneur a été pour elles un feu, et elles ont fondu en sa présence comme la cire, qui n’est dure que jusqu’aux approches du feu. Toute hauteur est aplanie aujourd’hui et n’ose plus blasphémer le Christ. Le païen qui ne croit point en lui s’abstient de tout blasphème; s’il n’est pas encore devenu une pierre vivante, il n’est déjà plus une montagne endurcie. « Les montagnes ont fondu comme la cire devant la face du Seigneur, en présence du Seigneur de la terre entière »: non seulement des Juifs, mais encore des Gentils, comme a dit l’Apôtre 2: ce n’est pas le Dieu des Juifs seulement, mais le Dieu des nations. Donc le Seigneur de toute la terre, le Seigneur Jésus-Christ, né en Judée, n’est pas né seulement pour les Juifs; car avant de naître il a tout fait; et ayant tout fait, il a tout restauré. « Devant la face du Dieu de la terre entière ».
10. « Les cieux ont annoncé sa justice, tous les peuples ont vu sa gloire 3». Quels cieux l’ont annoncé? « Les cieux qui racontent la gloire de Dieu 4». Quels cieux? Ceux qui lui servent de trône. De même que le Seigneur a pour trône les cieux, il a pour trônes les Apôtres, et les prédicateurs de l’Evangile. Toi aussi tu seras le ciel, si tu le veux. Veux-tu être le ciel? Purifie ton coeur de ce qu’il a de terrestre. Si tu n’as plus de convoitises terrestres, si tu ne mens point en répondant que ton coeur est en haut; tu es un ciel. « Si vous êtes ressuscités avec le Christ » (et l’Apôtre s’adresse aux fidèles), « cherchez ce qui est en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu; goûtez les choses d’en haut, et non celles d’ici-bas 5 ». En commençant à goûter les choses d’en haut, et non les choses de la
1.
Ps. XCVI, 5. — 2. Rom. III, 29.— 3. Ps. CXVI, 6.— 4. Id. XVIII, 2. — 5. Colos. III, 1, 2.
terre, n’es-tu pas devenu un ciel? Tu as encore une chair, et ton coeur est un ciel; car fa conversation est dans les cieux 1. C’est alors que toi aussi tu annonces le Christ. Quel fidèle pourrait s’en taire? Que votre charité redouble d’attention; croyez-vous que nous qui prêchons ici soyons seuls à prêcher le Christ, et que vous ne le prêchiez point? D’où vient alors que des hommes que nous n’avons jamais vus, jamais connus, jamais exhortés, viennent à nous pour devenir chrétiens? Ont-ils cru sans qu’on leur ait annoncé la foi? L’Apôtre dit cependant: « Comment croire à celui dont on n’entend point parier? Et comment en entendre parler,si on ne le prêche 2?» Donc toute l’Eglise prêche le Christ, et les cieux prêchent sa justice: parce que tous les fidèles qui ont à coeur de gagner à Dieu ceux qui ne croient pas encore, et qui le font par charité, sont des cieux. C’est par eux que Dieu fait éclater le tonnerre de ses jugements: et l’infidèle tremble, et la crainte l’amène à la foi. Montrez aux hommes ce qu’a pu le Christ dans l’univers entier, en leur parlant et en les amenant à l’amour du Christ. Combien en est-il aujourd’hui qui ont entraîné leurs amis pour voir un comédien, un joueur de flûte? Pourquoi, sinon par amour pour ces histrions? Vous aussi, aimez le Christ. Aimez celui qui a donné de si grands spectacles, où l’on ne peut trouver rien à reprendre, et qui a vaincu le siècle. Quelquefois, en s’attachant à un personnage de théâtre, on est vaincu avec lui. Mais nul n’est vaincu avec le Christ, nul n’a motif d’en rougir. Saisissez donc, amenez-nous, entraînez ceux que vous pourrez ne craignez rien, c’est les amener à celui qui ne saurait déplaire à quiconque le verra: priez-le qu’il les éclaire, afin qu’ils le considèrent bien. « Les cieux ont annoncé sa justice, et les peuples ont vu sa gloire».
11. «Qu’ils soient confondus, ceux qui adorent des idoles 3». Tout cela n’est-il point arrivé? N’ont-ils pas été dans la confusion? N’y vont-ils pas chaque jour? Ces idoles sont en effet des statues faites par la main des hommes. Pourquoi ceux qui adorent les idoles sont-ils confondus tous? Parce que tous lus peu pies ont vu la gloire du Christ. Déjà tous les peuples chantent cette gloire: qu’ils rougissent, les adorateurs de la pierre. Car ces pierres sont mortes, et nous avons trouvé la
1.
Philipp. III, 20. — 2. Rom. X, 14.— 3. Ps. XCVI, 7.
pierre vivante. Et même ces pierres n’ont jamais vécu pour être appelées des pierres mortes: tandis que notre pierre est vivante, qu’elle a toujours vécu en son Père, qu’elle est morte pour nous, puis ressuscitée, qu’elle vit maintenant, et qu’elle n’est plus soumise à l’empire de la mort 1. Telle est la gloire que les peuples ont connue pour déserter les temples et accourir dans nos églises. « Qu’ils soient confondus, tous ceux « qui adorent des idoles». Veulent-ils encore adorer ces idoles? Ils ne veulent pas abandonner ces dieux, et ces dieux les abandonneront. « Qu’ils soient confondus, tous ceux qui adorent des idoles, qui se glorifient dans leurs simulacres ». Mais quelque raisonneur, qui se croit savant, viendra me dire: Ce n’est point la pierre que j’adore, non plus que le simulacre insensible. Votre prophète n’a pu voir qu’il a des yeux et ne voit pas 2, sans que je sache, moi aussi, que cette idole n’a point d’âme, qu’elle ne voit point de ses yeux, n’entend point de ses oreilles; ce n’est point là ce que j’adore, mais en adorant ce qui est visible, je sers ce qui est indivisible. Qui donc alors? Une divinité qui préside à cette statue. Ils se croient habiles, en exposant ainsi le culte des idoles, et en nous disant qu’ils n’adorent point la statue, mais qu’ils adorent les démons. Car l’Apôtre l’a dit: « Les sacrifices des Gentils sont offerts aux démons, et non à Dieu. Je ne veux point»,dit-il encore, « que vous ayez part avec les démons 3 »: car l’idole n’est rien, nous le savons 4; et l’Apôtre nous dit: « Nous savons que l’idole n’est rien, « mais que les offrandes des Gentils sont faites aux démons,et non à Dieu ». C’est lui qui dit encore: « Je ne veux point que vous ayez part avec les démons ». Qu’ils ne viennent donc plus nous dire qu’ils ne rendent pas un culte à des idoles inanimées: ils n’en sont que mieux sous le joug des dénions, ce qui est plus dangereux. S’ils n’adoraient que des idoles, ces pierres ne pourraient les aider en rien, leur nuire en rien; mais adorer et servir les démons, c’est les avoir pour maîtres. Et quels seront tes maîtres? Ceux qui sont jaloux de ton bonheur, qui ne peuvent que t’envier ta liberté, qui voudraient te posséder toujours, et te rendre tels, qu’ils te puissent toujours entraîner. Il est en effet dans ces esprits une malice qui leur est naturelle, une volonté de nuire: le mal
1.
Rom. VI, 9.— 2. Ps. CXIII, 5.— 3. I Cor. X, 19, 20.— 4. Id. VIII, 4.
des hommes fait leur joie, ils se repaissent de nos erreurs, quand ils peuvent nous tromper. Et que cherchent-ils? Non pas des hommes qu’ils puissent dominer éternellement, mais qui soient avec eux sous le poids d’une éternelle damnation, comme le voleur jaloux qui se plaît à accuser l’innocent. Qu’il soit brûlé vif, en souffrira-t-il moins si un autre brûle avec lui? En mourra-t-il moins pour mourir avec un autre? Sa peine est égale, mais sa méchanceté se rassasie. Qu’il meure avec moi, dit-il, non pour en mourir moins, mais pour se consoler par le malheur d’un autre. Telle est la malice du diable, qui veut séduire afin qu’on partage son supplice. Mais comme une peut tromper la justice de Dieu (car il n’excuse pas les innocents à son tribunal) il les pousse au péché afin d’avoir de véritables crimes à reprocher. Voilà les maîtres que se créent ceux qui adorent les idoles et les démons. « Les sacrifices des païens sont offerts aux démons, et non à Dieu: je ne veux point que vous ayez part avec les démons. »
12. Mais nous, quel est notre Dieu? Ecoutez la suite. Après avoir dit: « Qu’ils soient confondus, tous ceux qui adorent des sculptures, qui se glorifient dans les simulacres », il prévoit qu’on viendra donner raison de ces idoles et nous dire: Ce n’est point la pierre que j’adore, niais la puissance divine. Quelle puissance? Dis-moi, est-ce aux démons que lu rends un culte, ou bien aux bons esprits, tels que sont les anges? Car il y a les saints anges, et les esprits mauvais. Pour moi, j’affirme que dans vos temples on n’adore que les mauvais esprits: ceux qui sont assez orgueilleux pour exiger des sacrifices, qui veulent être adorés comme des dieux, sont des méchants et des superbes. Tels sont aussi les hommes peu soumis à Dieu, qui recherchent leur propre gloire, et méprisent celle de Dieu. Mais voyez les hommes vraiment saints et qui ressemblent aux anges. Qu’on veuille rendre un culte à un homme saint, au véritable serviteur de Dieu, qu’on le veuille adorer comme un Dieu, il vous empêche à l’instant; loin de s’arroger les honneurs divins, de se poser comme un Dieu à tes yeux, il adore Dieu avec toi. Voilà ce que tirent les saints apôtres Paul et Barnabé, quand ils prêchaient la parole de Dieu en Lycaonie. Pleins d’admiration pour les merveilles qu’ils avaient accomplies dans ces contrées, les Lycaoniens amenèrent des victimes et voulaient leur offrir des sacrifices, en donnant à Barnabé le nom de Jupiter, et à Paul celui de Mercure; ceux-ci les rejetèrent avec horreur. Mais la cause de cette horreur était-elle parce qu’on les comparait aux démons? Non, mais bien parce qu’ils avaient en abomination un culte divin rendu à des hommes. Leurs paroles sont claires, et je ne fais point de conjectures. Voici la lecture de ce passage, qui indique leur indignation: « Alors Paul et Barnabé déchirèrent leurs vêtements, et s’écrièrent: Mes frères, que faites-vous? Nous sommes, comme vous, des hommes mortels 1». Remarquez bien ceci, De même que les hommes vraiment bons arrêtent ceux qui les veulent adorer comme des dieux, et ne veulent que pour Dieu seul le culte divin, pour Dieu seul les honneurs divins, pour Dieu seul le sacrifice, et non pour eux-mêmes; ainsi les saints anges cherchent la gloire de celui qu’ils aiment; ils brûlent du désir d’attirer à lui ceux qu’ils aiment, de leur inspirer une sainte ardeur pour lui rendre un culte, pour l’adorer, pour le contempler; c’est lui qu’ils annoncent, et non pas eux-mêmes, parce qu’ils sont des anges: et comme ils sont aussi ses soldats, ils ne savent que chercher la gloire de leur général; sitôt qu’ils chercheraient leur gloire, ils seraient condamnés comme des usurpateurs. Tel est le diable avec ses démons, c’est-à-dire avec ses anges. Il usurpa les honneurs divins pour lui et pour tous ses sectateurs; il remplit les temples des païens, il leur persuada de lui élever des idoles, de lui offrir des sacrifices. Ne serait-il pas mieux d’adorer les bons anges, que d’adorer les démons? Ils nous répondent: Nous n’adorons pas les anges mauvais. Nous adorons ces esprits que vous appelez des anges, et qui sont les puissances du Dieu souverain, les ministres du grand Dieu. Fasse le ciel que vous les adoriez, ils vous apprendraient bientôt à ne plus les adorer. Ecoutez un ange qui nous instruit. Il faisait une révélation à un disciple du Christ, et lui montrait ces nombreuses merveilles consignées dans l’Apocalypse de saint Jean. A la vue de ces merveilles que l’ange lui découvrait, Jean est ravi et se jette à ses pieds; mais l’ange, qui ne cherchait que la gloire de son Seigneur, lui dit: « Levez-vous, que faites-vous? adorez le Seigneur,
1.
Act. XIV, 13, 14.
car moi, je suis serviteur comme vous et comme vos frères 1 ». Qu’on ne dise point: Je crains que l’ange ne s’irrite contre moi, si je ne t’adore point comme un dieu; il s’irrite au contraire quand tu lui rends les honneurs divins, car il est bon et il aime Dieu. De même que les démons s’irritent quand on ne les adore point; de même les bons anges s’irritent quand on les adore comme des dieux. Mais qu’une âme faible et timide ne vienne point nous dire: Si les démons s’irritent quand on ne les adore point, je crains de les offenser. Que pourra donc te faire le diable qui est leur chef? S’il avait quelque puissance, nul de nous ne resterait debout. Ne savons-nous point combien les chrétiens le maudissent chaque jour, et pourtant les chrétiens se multiplient? Si tu es en colère contre ton serviteur, tu lui donnes son nom, tu l’appelles diable, tu l’appelles Satan. Tu es dans l’erreur en appelant ainsi un homme; c’est la colère qui te porte à cet outrage envers l’image de Dieu: tu choisis, pour la lui dire, une injure qui te fait horreur. Si le démon avait quelque puissance, ne se vengerait-il point? Mais Dieu ne le lui permet point, et il ne peut rien que dans la mesure que Dieu permet. Il voulut mettre Job à l’épreuve, et il en demanda simplement la permission 2, sans laquelle il n’avait aucun pouvoir. Pourquoi donc ne pas adorer Dieu sans crainte, puisque sans son ordre nul ne peut te nuire, et qu’il ne le permet que pour te corriger, et non pour te nuire? S’il plaît au Seigneur ton Dieu de permettre qu’un homme te nuise, ou même un esprit, il te corrige alors, pour te faire dire avec David: « Le Seigneur m’a châtié, mais ne m’a point livré à la mort 3». Donc « qu’ils soient confondus, tous ceux qui adorent des idoles, qui se glorifient dans des simulacres, Adorez-le, vous tous qui êtes ses anges ».Que les païens apprennent ici à servir Dieu. Ils veulent adorer les anges, qu’ils imitent les anges, et qu’ils adorent celui que les anges adorent. « Adorez-le, vous qui êtes. ses anges». Qu’il l’adore, cet ange qui fut envoyé à Corneille, car c’est en adorant Dieu qu’il envoya Corneille à Pierre: qu’il adore le Christ, Seigneur de Pierre, lui qui est serviteur comme Pierre. « Adorez-le, vous tous qui êtes ses anges ».
1.
Apoc. XIX, 10.— 2.
Job, I, 11.— 3. Ps. CXVII, 18.— 4. Act. X,
3.
13. « Sion n entendu et a tressailli 1 ».Qu’a donc entendu Sion? Que tous ses anges l’adorent. Qu’a entendu Sion? Voici ce qu’elle a entendu: « Les cieux ont annoncé sa justice, et les peuples ont vu sa gloire: qu’ils soient confondus, tous ceux qui adorent des idoles, qui se glorifient dans leurs simulacres ». L’Église, en effet, n’était point répandue encore parmi les nations.; quelques Juifs croyaient en Judée, et ces Juifs croyaient que le Christ n’était que pour eux seuls: les Apôtres furent envoyés aux Gentils, ils prêchèrent à Corneille, et Corneille embrassa la foi, fut baptisé, et tous ceux qui étaient avec lui furent baptisés. Mais vous savez ce que Dieu fit pour les amener au baptême: il est vrai que le lecteur n’a pas été jusque-là aujourd’hui, plusieurs s’en souviennent, mais que ceux qui ne s’en souviennent plus, m’écoutent quelque peu. L’ange fut envoyé à Corneille, il envoya Corneille à Pierre, et Pierre vint à Corneille. Et comme Corneille était païen, comme ceux de sa suite, ils n’étaient point circoncis; afin qu’il n’y eût aucune hésitation à prêcher l’Evangile à des Gentils incirconcis, avant que Corneille fût baptisé avec sa suite, le Saint-Esprit vint, les remplit, et ils parlèrent diverses langues. Le Saint-Esprit jusqu’alors n’était tombé que sur des baptisés, mais il descendit sur ces derniers avant le baptême. Pierre aurait pu hésiter à donner le baptême à des incirconcis, mais le Saint-Esprit descendit, et ils parlèrent diverses langues, ils reçurent un don invisible, qui leva toute hésitation à propos du sacrement visible; et tous furent baptisés. Il est écrit au même endroit: « Or, les Apôtres, et les frères qui étaient en Judée, apprirent que les Gentils avaient reçu la parole de Dieu, et bénissaient le Seigneur 3 ». Voilà ce qu’annonce le Prophète: « Sion a entendu et a tressailli; les filles de Juda ont été dans l’allégresse ». Qu’est-ce que Sion a entendu, pour être dans la joie? « Que les Gentils ont reçu la parole de Dieu ». Une muraille s’était élevée, mais l’angle n’existait pas. Sion est proprement l’Eglise qui était en Judée et qui a reçu cette dénomination. « Sion a entendu et a tressailli; les filles de Juda ont été dans l’allégresse». C’est ce qui est écrit: « Les Apôtres, et les frères qui étaient dans la Judée entendirent ». Voyez si « les filles
1. Ps. XCVI, 8. — 2. Act. XI, 1.
de Juda n’ont point tressailli ». Qu’entendirent les frères? « Que les Gentils ont reçu la parole de Dieu ». Que dit à ce propos notre psaume? « Les cieux ont annoncé sa justice, et les peuples ont vu sa gloire ». Et comme les Gentils, adorateurs des idoles, embrassaient la foi, le psaume continue: « Qu’ils soient confondus, tous ceux qui adorent des idoles, qui se glorifient dans leurs simulacres. Sion a entendu et a tressailli; les filles de Juda ont été dans l’allégresse ». Plus tard quelques circoncis voulurent reprocher à Pierre sa conduite, en disant: « Pourquoi êtes-vous entré chez les hommes incirconcis,et avez-vous mangé avec eux 1?» Pierre se justifia, et dit que dans son oraison un linceul, qui avait apparu, appendu au ciel par ses quatre coins, et que ce linceul, qui contenait toutes sortes d’animaux, désignait tous les Gentils. Il était suspendu aux quatre coins, parce que la terre qui renferme tous les peuples a quatre parties: et qu’on prêche les quatre Evangiles du Christ pour montrer que sa grâce doit se répandre dans les quatre parties du monde. Saint Pierre partit de cette vision qui lui était apparue, pour dire aux disciples tout ce qui s’était passé, et comment Corneille avait embrassé la foi, parce qu’avant de recevoir le baptême l’Esprit-Saint était descendu sur lui. Cet exposé fit taire les reproches et tous bénirent le Seigneur en disant: « Dieu a donc donné la pénitence aux Gentils pour les conduire à la vie 2 ». Voilà ce « qu’entendit la fille de Sion qui fut dans l’allégresse; et les filles de Juda tressaillirent, à cause de vos jugements, ô mon Dieu». Quels jugements? C’est que Dieu ne fait acception de personne. C’est le mot de Pierre lui-même, quand, voyant que le Saint-Esprit avait rempli Corneille et ceux de sa suite, il s’écria: « En vérité, j’ai reconnu que Dieu ne fait acception de personne ». Donc « les filles de Juda ont tressailli à cause de vos jugements, ô mon Dieu ».Qu’est-ce à dire « à cause de vos jugements? » C’est que « dans toute nation, dans tout peuple, quiconque veut le servir lui est agréable 3 », et qu’il n’est pas seulement le Dieu des Juifs, mais encore le Dieu des Gentils 4.
14. Voyez si ce n’est point pour cela qu’ont tressailli les filles de Sion. « Et les filles de
1. Act. XI, 3. — 2. Id. 18. — 3.
Id. 34, 35. — 4. Rom. III, 29.
Juda omit tressailli d’allégresse à cause de vos jugements, ô mon Dieu, parce que vous êtes le seul Dieu très-haut, au-dessus de toute la terre 1». Non sur la Judée seule, non sur Jérusalem seule, non sur Sion seulement, mais « sur toute la terre ». C’est dans l’univers entier que les jugements de Dieu sont en vigueur, afin de rassembler tous les peuples des extrémités du monde. Ceux qui se sont retranchés ne communiquent plus à ces peuples; ils n’écoutent point cette prédiction, ne la voient point s’accomplir. « C’est que vous êtes le Dieu très-haut, au-dessus de toute la terre; bien supérieur à tous les dieux». Qu’est-ce à dire, « bien supérieur? » Le Prophète parle du Christ. Et que veut-il dire par cette expression « bien supérieurs, sinon nous faire comprendre qu’il est égal à son Père? Qu’est-ce à dire encore supérieur à tous les dieux?» Quels dieux? Les idoles n’ont point de sens, n’ont point de vie: les démons ont le sentiment et la vie, mais sont mauvais, Quelle gloire donnons-nous au Sauveur en l’élevant au-dessus des idoles? Il est bien supérieur aux démons, mais ce n’est point là une grandeur. Les démons sont les dieux des nations 2, mais pour lui il est élevé au-dessus de tous les dieux. Des hommes aussi ont été appelés des dieux: « Je l’ai dit: Vous êtes des dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut ». Il est encore écrit: « Dieu a pris séance dans l’assemblée des dieux, pour juger les dieux au milieu d’eux 3». Notre Seigneur Jésus-Christ est bien supérieur à tous, non seulement aux idoles, non seulement aux démons, mais encore aux hommes justes; c’est peu encore, il est supérieur à tous les anges. Pourquoi en effet ce précepte: « Adorez-le, vous qui êtes ses anges », sinon parce qu’ « il est bien supérieur à tous les dieux? »
15. Mais nous tous qui sommes assemblés auprès de celui qui est élevé bien au-dessus de tous les dieux, que devons-nous faire? Il nous le dit en un seul mot: « Vous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal 4 ». Il est honteux d’aimer en même temps le Christ et l’avarice. Si tu l’aimes, tu dois haïr ce qu’il hait. Un homme est ton ennemi, mais il est ce que tu es; vous êtes l’oeuvre du même créateur, et dans la même condition: et néanmoins, si ton fils parle à ton ennemi, entre dans la maison de ton ennemi, a de fréquents entretiens avec
1.
Ps. XCVI, 9.— 2. Id. XCV, 5.— 3. Id. LXXXI,
1, 6. — 4. Id. XCVI, 10.
ton ennemi, tu veux le déshériter, parce qu’il parle à ton ennemi. Et comment? Parce que tu trouves cette raison juste: Tu es l’ami de mon ennemi et tu veux une part de mon bien! Un peu d’attention. Tu aimes le Christ, et l’avarice est l’ennemie du Christ; pourquoi t’entretenir avec elle? C’est peu dire, tu t’entretiens avec elle; pourquoi être son esclave? Le Christ commande bien souvent, tu n’obéis point; l’avarice commande, à l’instant tu obéis. Le Christ ordonne de vêtir celui qui est nu, et tu ne le fais point; l’avarice commande la fraude, et tu la fais à l’instant. S’il en est ainsi, si telle est ta conduite, garde-toi d’espérer une belle part dans l’héritage du Christ. J’aime le Christ, me diras-tu. « O vous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal ». La preuve que tu aimes le bien, est dans la haine que tu montreras pour le mal. « Haïssez le mal, ô vous qui aimez le Seigneur ».
16. Mais dès que nous commençons à haïr le mal, voici bientôt la persécution. Nous haïssons le mal; et voilà qu’un persécuteur vient nous dire: Commets telle fraude; vient nous dire: Adore cette idole; vient nous dire: Offre de l’encens aux dénions; mais nous l’avons entendu: « Vous tous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal ». Nous l’avons entendu, il est vrai, mais si nous n’obéissons, il sévira contre nous. Jusqu’où sévira-t-il? Que nous enlèvera-t-il? Réponds-moi, pourquoi es-tu chrétien? Est-ce pour acquérir l’héritage éternel, ou une félicité terrestre? Interroge ta foi, traduis ton âme au tribunal de la conscience, tourmente-la par la crainte du jugement, dis-moi en qui as-tu mis ta foi, et pourquoi cette foi? Mais, dis-tu, j’ai cru au Christ. Que t’a promis le Christ, sinon ce qu’il nous montre en lui? Que montre-t-il en lui? Il est mort, il est ressuscité, il est monté aux cieux. Veux-tu l’y suivre? Imite ses souffrances et attends ses promesses. Que peut t’enlever un persécuteur, quand tu commenceras à haïr le mal par amour pour le Seigneur? Que t’enlever?Ton patrimoine? Est-ce le ciel? Qu’il t’enlève, s’il veut, ce que Dieu t’a donné: (il ne peut même l’enlever, si Dieu ne le veut point; mais, quand Dieu le permet, il te ravit ce que Dieu t’a donné, de peur que Dieu lui-même ne se dérobe à toi). Mais pour Dieu, nul ne peut te l’enlever; toi seul, en fuyant Dieu, tu peux te le ravir.
17. Peu m’importe mon patrimoine, me diras-tu peut-être. « Dieu me l’a donné, Dieu me l’a ôté ». Puis-je dire avec Job: « et comme il a plu au Seigneur, il a été fait 1 ». Mais je crains que mon ennemi ne me tue, C’est là toute ma crainte. Ecoute alors la consolation du Psalmiste: « Le Seigneur garde les âmes de ses serviteurs». De même qu’il avait dit plus haut: « Vous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal »: pour te délivrer de la crainte de ne haïr le mal, que par la peur que tu aurais d’être tué par le méchant, le Psalmiste ajoute aussitôt: « Le Seigneur garde les âmes de ses serviteurs ».Apprends dans 1’Evangile qu’il garde les âmes de ses serviteurs: « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, mais qui ne peuvent tuer l’âme 2». Il tue le corps, ce persécuteur, c’est l’apogée de sa puissance; mais que t’a-t-il fait?Ce qu’il a fait au Seigneur ton Dieu. Pourquoi vouloir posséder ce que possède le Christ, quand tu crains de souffrir ce qu’il a souffert?il est venu pour se revêtir d’une vie temporelle, infirme, assujettie à la mort. Crains de mourir, j’y consens, si tu peux ne point mourir. Pourquoi ne point embrasser par la foi ce que tu ne peux éviter par ta nature? Que cet ennemi si redoutable par ses menaces t’enlève cette vie, Dieu te donnera une autre vie; car c’est lui qui t’a donné celle-ci, et s’il ne le voulait-on ne te l’enlèverait point: mais s’il lui plaît qu’on te l’enlève, il a de quoi faire un échange, ne crains point d’être dépouillé pour lui. Crains-tu de perdre un vêtement en lambeaux? Il te donnera la robe de la gloire. De quelle robe me parlez-vous? « Il faut que, corruptible, ce corps soit revêtu d’incorruptibilité, et mortel, d’immortalité 3». Cette chair même ne périra point. Notre ennemi peut sévir jusqu’à la mort: mais au delà il n’a de pouvoir ni sur l’âme, ni sur la chair; en dispersant ta chair, il n’empêcherait pas la résurrection. Les hommes craignaient pour leur âme, et que leur dit Jésus-Christ? « Les cheveux de votre tête sont tous comptés 4 ». Craindras-tu de perdre ton âme, lorsque tu ne perds pas un cheveu? Dieu en sait le nombre, il rétablira tout, lui qui a tout créé. Il les a créés quand ils n’étaient point, et quand ils existent, une saurait les réparer? Croyez donc de tout votre coeur, mes frères, et « vous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal ». Soyez forts, non seulement dans votre amour pour
1. Job, I, 21.— 2. Matth. X, 28.— 3. I Cor. XV, 53. — 4. Matth. X, 3O.
Dieu, mais aussi dans votre haine pour le mal. Que nul ne vous effraie: celui qui vous a appelés est plus puissant encore, il est le tout-puissant. Il est plus fort que toute force, plus élevé que toute élévation. Le fils de Dieu est mort pour nous; sois assuré de recevoir sa vie, toi qui as pour gage de cette vie sa mort même. Pour qui est-il mort? Est-ce pour les justes? écoute saint Paul: « Le Christ est mort pour les impies 1 ». Tu étais impie, et il est mort pour toi: et quand tu es justifié, il t’abandonnerait? Lui qui a justifié l’impie, pourrait-il abandonner l’homme juste? «Vous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal», Que nul ne craigne, puisque « le Seigneur garde les âmes de ses serviteurs, et les tirera des mains du pécheur ».
18. Mais, diras-tu, je perds néanmoins cette lumière. « La lumière s’est levée pour le juste ». Quelle lumière crains-tu de perdre? Crains-tu d’être dans les ténèbres? Ne crains pas de perdre la lumière, ou plutôt prends garde qu’en craignant de perd me cette lumière tu ne perdes la vie éternelle. Mais voyons en effet à qui est donnée celle que tu crains de perdre, et avec qui elle vous est commune. N’y a-t-il que les bons pour voir le soleil, quand Dieu fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes 2? Cette lumière est commune avec les méchants, commune avec les voleurs, commune avec les impudiques, commune avec les bêtes, avec les mouches, avec les vermisseaux. Quelle lumière ne ménage-t-il point au juste, celui qui en donna une semblable à de pareils êtres? C’est la lumière que les martyrs ont vue avec justice dans la vivacité de leur foi; eux qui méprisaient cette lumière terrestre, en voyaient une autre après laquelle ils soupiraient, en dédaignant celle-ci. « La lumière s’est levée pour le juste, et la joie tour les coeurs droits 3 ». N’allez pas croire qu’ils étaient véritablement à plaindre, quand ils étaient chargés de chaînes. La prison était large pour les fidèles, et les chaînes légères pour les confesseurs. Ils paraissaient avec joie devant les tribunaux, eux qui prêchaient le Christ dans les tourments. « La lumière s’est levée pour le juste ». Quelle lumière s’est levée? Celle qui ne se lève point pour l’injuste; non point, cette lumière que Dieu fait lever sur les bons comme
1.
Rom. V, 6. — 2. Matth. V, 45. — 3. Ps. XCVI, 11.
sur les méchants, Il est une autre lumière qui se lève pour le juste, lumière qui ne se lève point pour les hommes d’iniquité, et qui leur fera dire au dernier jour: « Nous avons erré loin du sentier de la vérité: la lumière de la justice ne s’est point levée pour nous, son soleil n’a point paru à nos yeux 1 ». Ils ont aimé ce soleil terrestre et sont tombés dans les ténèbres du coeur. Que leur sert d’avoir vu l’un des yeux du corps, quand ils ne verront point l’autre des yeux de l’esprit? Tobie était aveugle et il enseignait à son fils la voie de Dieu. Vous savez qu’il lui donnait des conseils et lui disait: « Mon fils, fais l’aumône, parce que l’aumône ne te laissera point aller dans les ténèbres 2 ». Il était plongé lui-même dans les ténèbres en parlant de la sorte. Voyez-vous dès lors qu’il y a une autre lumière qui s’élève pour le juste, une autre joie pour ceux qui ont le coeur droit? Il était aveugle, et disait néanmoins à son fils: « Fais l’aumône, parce que l’aumône ne te laissera point aller dans les ténèbres». Il ne craignit point que son fils lui dît en son coeur: Vous donc, n’avez-vous pas fait l’aumône? Pourquoi parier ainsi quand on est aveugle? Voilà que vos aumônes vous ont fait devenir aveugle, et comment me dites-vous que « les aumônes m’empêcheront de tomber dans l’aveuglement? » Pourquoi ce père parlait-il avec confiance,sinon parce qu’il voyait une autre lumière? Le fils tendait la main au père pour diriger sa marche; mais le père montrait au fils le chemin de la vie. Il est donc une autre lumière qui se lève pour le juste. « La lumière se lève pour le juste, et la joie pour ceux qui ont le coeur droit ». Veux-tu la connaître? Aie le coeur droit. Qu’est-ce à dire: Aie le coeur droit? Prends garde d’aller à Dieu avec un coeur replié, en résistant â sa volonté et en cherchant à la courber vers toi au lieu de te redresser sur elle, et tu ressentiras la joie, la joie que goûtent tous ceux qui ont le coeur droit. « La lumière s’est levée pour le juste, et la joie pour ceux qui ont le coeur droit. »
19. « Tressaillez, vous qui êtes justes ». Peut-être que des fidèles qui entendent cette parole: « Tressaillez », rêvent des festins, préparent des coupes, attendent la saison des roses, parce que l’on dit; « Tressaillez, ô justes ». Ecoutez le mot suivant: « Dans le Seigneur. «Vous qui êtes justes, tressaillez dans le Seigneur ».
1.
Sag. V, 6.— 2. Tob. IV, 7, 11.
Tu attends la belle saison afin de te réjouir. Si le Seigneur est ta joie, il est toujours avec toi; il n’y a point de saison pour lui: tu l’auras la nuit, comme tu l’auras le jour. Aie la droiture de coeur, et il sera toujours ta joie, car la vraie joie n’est pas toujours celle qui vient du monde. Ecoute en effet le prophète Isaïe: « Il n’y a point de joie pour l’impie, dit le Seigneur 1 ».Ce que les impies appellent joie, n’est pas vraiment joie. Quelle joie connaissait donc celui qui condamnait cette joie? Croyons, mes frères, ce qu’il nous en dit. Il était homme, et connaissait deux joies bien différentes. Homme, il connaissait la joie du vin, la joie de la table, la joie molle d’un lit, il connaissait toutes ces joies mondaines et luxurieuses. Et néanmoins connaissant toutes ces joies, il dit hardiment: « Il n’y a pas de joie pour l’impie, dit le Seigneur ».Ce n’était point l’homme qui parlait, mais bien « le Seigneur ». Donc, dans la vérité du Seigneur, « il n’y a point de joie pour les impies ». Ils paraissent avoir de la joie, mais « il n’est point de joie pour l’impie », telle est la parole non pas d’un homme, mais la parole « du Seigneur ». De là vient qu’à la vue de cette joie, un autre a dit: « Je n’ai point désiré le jour des hommes, vous le savez, Seigneur 2». O vous qui me montrez un autre jour, qui m’enseignez une autre lumière, qui répandez une autre joie dans mon coeur, qui me faites goûter intérieurement d’autres délices, vous m’amenez à ne point désirer le jour des hommes. Isaïe voyait sans doute les hommes plongés dans l’ivresse, dans la luxure, dans les spectacles; il voyait le monde entier s’éprendre de toutes les bagatelles et néanmoins il s’écriait: « Il n’est point de joie pour les impies, dit le Seigneur ». Si là n’est point la joie, quelle joie voyait donc le Prophète, en comparaison de laquelle cette joie d’ici-bas n’est rien? Qu’un homme admire la lumière d’une lanterne, toi qui connais le soleil, tu lui diras: Cette lumière n’est rien. Pourquoi n’est-elle rien? Lui la prend pour quelque chose, il s’en réjouit; et toi, tu dis que cette lumière n’est rien. Qu’un homme encore admire un singe, tu diras: telle n’est point la beauté: et s’il s’attache à considérer cet animal, à admirer l’agencement de ses membres, et leur proportion; toi qui connais la beauté, tu nierais celle du singe, et tu dirais: Ce n’est point la
1.
Isa. XLVIII, 22; LVII, 21. — 2. Jérém. XVII, 16.
beauté. Pourquoi? Parce que tu en connais une autre. Mais, diras-tu: Je ne vois point la beauté que voyait Isaïe. Crois, et tu la verras. Tu n’as peut-être pas ce qu’il faut pour la découvrir; car il est un oeil qui voit la beauté. De même que l’oeil corporel voit cette lumière, c’est l’oeil du coeur qui voit la beauté. Cet oeil, chez toi, est peut-être blessé, obscurci, troublé par la colère, par l’avarice, par la convoitise, par le délire des passions; oui, ton oeil est troublé, et tu ne saurais voir cette lumière. Crois avant de voir, et tu seras guéri, et tu verras. « La lumière s’est levée pour le juste, et la joie pour les coeurs droits».
20. « Justes, réjouissez-vous dans le Seigneur, et rendez hommage à la mémoire de sa sainteté 1». Dans cette joie du Seigneur, dans les délices que vous goûterez, rendez-lui témoignage, car ce n’est que par sa volonté que nous goûtons en lui cette joie. Car le Seigneur a dit lui-même: « Je vous ai parlé de ces choses, afin que vous ayez la paix en moi; vous aurez des afflictions dans le monde 2». Si vous êtes chrétiens, espérez ici-bas la tribulation; n’espérez pas des temps meilleurs et plus calmes; ce serait vous tromper, mes frères; ne vous promettez point ce que l’Evangile ne vous promet point. Vous savez ce qu’il vous prédit; nous parlons à des chrétiens, ne soyons pas des prévaricateurs de la foi. L’Evangile dit que dans les derniers temps, il s’élèvera beaucoup de calamités, beaucoup de scandales, beaucoup d’afflictions, beaucoup d’iniquités: mais que celui qui persévérera sera sauvé, « La charité de plusieurs se refroidira 3 », est-il dit encore. Celui donc qui persévérera dans l’esprit de ferveur, selon ce mot de l’Apôtre: « Soyez -fervents en esprit 4»; celui-là ne verra point sa foi se refroidir: « Car l’amour de Dieu est répandu dans nos coeurs par l’Esprit-Saint, qui nous a été donné 5 ». Que personne donc ne se promette ce que l’Evangile ne promet point. Des temps plus heureux viendront, et je ferai ceci, j’achèterai cela. Il vous est bon de vous en tenir à celui qui ne se trompe point, qui ne trompe personne, qui vous a promis la joie, non pas d’ici-bas, mais en lui-même; afin qu’après cette vie vous espériez de régner avec lui éternellement. Si tu veux régner sur la terre, tu ne trouveras de joie, ni en cette vie, ni dans l’autre vie.
1. Ps. XCVI, 12. — 2. Jean, XVI, 33. — 3. Matth. XXIV, 3, 13. — 4. Rom.
XII, 11.— 5. Id. V, 5.
SERMON AU PEUPLE.
Ce cantique nouveau est celui de l’homme, renouvelé en Jésus-Christ,qui chante les merveilles de Dieu. Or, ces merveilles sont celles que Dieu a faites pour sa gloire, c’est-à-dire en attirant à son service ceux qu’il guérit et qu’il sauve par le Christ. Ainsi s’accomplit sa promesse envers Jacob, sa vérité envers Israël. Car il a promis à Jacob, et il s’acquitte envers Israël ou envers le voyant de Dieu, en se manifestant à lui tel qu’il est. Or, cet Israël qui doit voir le Seigneur, vient de toutes les nations; non d’une partie, comme le prétendent les Donatistes, mais de toute la terre. Chantons le Seigneur, avec la trompette d’airain, ou par les oeuvres de la patience, et avec la trompette de corne, ou par des oeuvres supérieures de l’humanité. C’est alors que les montagnes applaudiront des mains ou des oeuvres saintes, et applaudiront en appelant le règne de Dieu.
1. « Chantez au Seigneur un nouveau cantique 1». L’homme nouveau connaît ce cantique, le vieil homme ne le connaît pas. Le vieil homme, c’est la vieille vie, l’homme nouveau, c’est la vie nouvelle: cette vieille vie nous vient d’Adam, la vie nouvelle est formée en nous par Jésus-Christ. C’est la terre entière que notre psaume invite à chanter un cantique nouveau. Car il dit plus clairement encore dans un autre passage: « Chantez au Seigneur un nouveau cantique, que la terre entière chante au Seigneur 2 ». Que les hommes séparés de la communion du monde entier comprennent enfin qu’ils ne peuvent chanter un cantique nouveau, parce que le cantique nouveau se chante dans le monde enlier, et non dans une partie. Or, remarquez et voyez que tel est le sens de notre psaume, et qu’en invitant l’univers entier à chanter un nouveau cantique, on signifie que c’est la paix qui entonne ce chant nouveau; « Chantez au Seigneur un cantique nouveau, parce que le Seigneur a fait des merveilles». Quelles merveilles? Tout à l’heure, à la lecture de l’Evangile, nous avons entendu les merveilles du Seigneur. On portait un mort, fils unique de sa mère, et celle-ci était veuve: le Seigneur touché de pitié fit arrêter le convoi; et quand il fut arrêté, il dit: « Jeune homme, je te le commande, lève-toi. Et celui qui était mort s’assit, et commença à parler, et Jésus le rendit à sa mère 3 ». Voilà les merveilles du Seigneur. Mais il y a une merveille bien plus grande à tirer de la
1.
Ps. XCVII, 1.— 2. Id. XCV, 1. — 3. Luc, VII, 12-15.
mort éternelle l’univers entier, qu’à ressusciter le fils unique d’une veuve. « Chantez donc au Seigneur un nouveau cantique, parce que le Seigneur a fait des merveilles». Quelles merveilles? Ecoute encore: « Sa droite et la sainteté de son bras ont fait pour lui d’admirables guérisons ». Quel est ce bras saint du Seigneur? C’est Notre Seigneur Jésus-Christ. Ecoute lsaïe: « Qui croira à notre parole, et à qui le Seigneur a-t-il montré son bras 1? » Il est donc tout à la fois son bras saint et sa droite. Jésus-Christ donc est le bras de Dieu et la droite de Dieu: c’est pour cela qu’ « elle a guéri pour lui ». Il n’est pas dit seulement que sa droite a guéri l’univers entier, mais qu’ « elle l’a guéri pour lui». Beaucoup en effet sont guéris pour eux, et non pour lui. Combien désirent la santé du corps, la reçoivent de sa miséricorde, et dès lors sont guéris par lui, et non pour lui? Comment sont-ils guéris par lui, et non pour lui? C’est qu’ayant recouvré la santé, ils se livrent au péché; malades, ils étaient chastes; guéris, ils deviennent adultères: pendant leur maladie, ils ne blessaient personne; une fois en santé ils subjuguent et oppriment l’innocence. Ils sont guéris, mais non pour lui. Qui est guéri pour lui? Celui qui est guéri intérieurement, Qui est guéri intérieurement? Celui qui croit en Jésus-Christ, en sorte que, une fois qu’il est guéri intérieurement, et reformé sur l’homme nouveau, cette langueur même d’une chair mortelle qui est passagère, recouvre enfin sa santé la plus parfaite. Guérissons-nous donc
1. Isa. LIII, 1.
pour Dieu; et afin de nous guérir pour Dieu, croyons en sa droite: « Parce que sa droite et la sainteté de son bras ont fait pour lui des guérisons ».
2. « Le Seigneur a fait connaître son salut 1». Sa droite, son bras, son salut, c’est Notre Seigneur.Jésus-Christ, dont il est dit: « Et toute chair verra le salut de Dieu 2 ». C’est encore de ce salut que le saint vieillard Siméon a dit en prenant l’enfant dans ses bras: « C’est maintenant, Seigneur, que vous laissez aller en paix votre serviteur, selon votre parole, car mes yeux ont vu votre salut 3. Le Seigneur a fait connaître son salut». A qui l’a-t-il fait connaître? A une partie du monde ou du monde entier? Ce n’est point à une partie seulement. Que nul ne nous trompe, que nul ne nous séduise en disant: « Le Christ est ici, ou il est là 4 ». Dire qu’ « il est ici ou là», c’est ne montrer que des parties du monde. Or, « à qui le Seigneur a-t-il révélé son salut? » Ecoute la suite « Devant toutes les nations, il a dévoilé sa justice ». La droite de Dieu, le bras de Dieu, le salut de Dieu et la justice de Dieu, c’est notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ.
3. « Il s’est souvenu de sa miséricorde envers Jacob, et de sa vérité envers la maison d’Israël 5». Qu’est-ce à dire qu’ « il s’est souvenu de sa miséricorde et de sa vérité? » Promettre était un acte de miséricorde: promettre et accomplir sa miséricorde, c’était manifester sa vérité. La miséricorde a donc fait la promesse, et la promesse accomplie a montré la vérité. « Il s’est souvenu de sa miséricorde envers Jacob, et de sa vérité envers Israël ». Quoi donc? Est-ce seulement de Jacob, seulement d’Israël? Cette race des Juifs, cette postérité d’Abraham selon la chair, s’appelle ordinairement maison d’Israël; or, cet Israël était Jacob, car Jacob était fils d’Isaac, et Isaac fils d’Abraham. Jacob était donc petit-fils d’Abraham; il eut douze fils, et de ces douze fils est issue toute la nation Juive. Est-ce à eux seulement que le Christ était promis? Si l’on examine ce qu’est Israël, c’est à Israël qu’a été promis le Christ. Israël signifie qui voit Dieu: or, nous verrons Dieu face à face, si nous le voyons d’abord par la foi. Que notre foi ait des yeux, et la vérité de notre foi se manifestera: croyons en celui que nous
1.
Ps. XCVII, 2. — 2. Luc, III, 6. — 3. Id. II, 28-30. — 4. Matth. XXIV, 23. — 5. Ps. XCVII, 3.
ne voyons point, et nous verrons avec joie; désirons celui que nous ne voyons point, pour jouir de lui quand nous le verrons. Nous sommes donc ici-bas Israël par la foi, un jour nous serons Israël,en voyant Dieu face à face; non plus en énigme et dans un miroir 1, mais, comme l’a dit saint Jean: « Mes bien-aimés, nous sommes les enfants de Dieu; mais ce que nous serons un jour n’apparaît point encore. Nous savons que quand il viendra nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est 2 ». Préparez vos coeurs pour cette vision, vos âmes à cette grande joie: pour te montrer son soleil, Dieu te demanderait seulement de préparer les yeux du corps; mais comme il daigne nous montrer la beauté de sa sagesse, préparez les yeux de votre coeur: Bienheureux ceux dont le coeur est pur, parce qu’ils verront Dieu 3. « Le Seigneur s’est souvenu de sa miséricorde envers Jacob, et de sa vérité envers Israël ». Quel est cet Israël? De peur que ta pensée ne s’arrête que sur la nation des Juifs, écoute ce qui suit: « Toutes les extrémités de la terre ont vu le salut de notre Dieu ». Il n’est pas dit: Toute la terre; mais: « Tous les confins de la terre »; comme on dit d’un bout à l’autre. Que nul ne déchire, que nul ne sépare le Christ: il est dans une puissante unité, Il n’a donné un si grand prix que pour acheter le monde entier. « Tous les confins de la terre ont vu le salut de notre Dieu ».
4. Donc, parce qu’ils l’ont vu, « que la terre entière jubile au nom du Seigneur ». Déjà vous savez ce qu’est la jubilation, réjouissez. vous et pariez. Si la parole ne peut exprimer votre joie, soyez dans la jubilation, que cette jubilation exprime ce que la parole ne saurait exprimer. Que cette joie cependant ne soit point muette, que le coeur ne se taise ni sur Dieu, ni sur ses dons. Si tu pat les pour toi, tu es guéri pour toi: si la droite de Dieu t’a guéri pour lui, chante celui pour qui ta es guéri. « Tous les confins de la terre ont vu le salut de Dieu. Que la terre entière jubile au nom du Seigneur. Chantez, poussez des cris de joie, chantez des psaumes».
5. «Chantez vos hymnes à notre Dieu sur la harpe, sur la harpe et sur le psaltérion 5 ». Chantez, non seulement de la voix; joignez-y vos oeuvres, afin de ne pas chanter seulement,
1.
I Cor, XIII, 12. — 2. I Jean, III, 2. — 3. Matth. V, 8. — 4. Ps. XCVII, 4. — 5.
Id. 5.
mais d’agir. Chanter et agir, c’est chanter sur la harpe et sur le psaltérion.
6. Vois quels instruments servent ici de comparaison: « Chantez sur les trompettes ductiles, et sur les trompettes de corne». Que signifient ces trompettes ductiles, ces trompettes de corne? Les trompettes ductiles sont d’airain, et faites au marteau. Si c’est au marteau, c’est donc à force de coups. Vous serez alors des trompettes ductiles, battus pour la louange de Dieu, si vous avancez dans la piété au milieu des tribulations. Car la tribulation est le coup de marteau, et vos progrès seront l’extension de la trompette. Job était une trompette ductile, quand soudain, frappé de tant de malheurs, privé de ses enfants, il devint sous les coups si multipliés de la tribulation une trompette ductile, et jeta ce son harmonieux: « Dieu l’a donné, Dieu l’a ôté; comme il a plu au Seigneur, il a été fait; que de nom du Seigneur soit béni 1 ». O son délicieux ! Agréable harmonie ! On frappe une seconde fois cette trompette ductile; Job est livré au pouvoir de Satan, afin d’être frappé dans sa chair; et sa chair est frappée, tombe en pourriture, devient la proie des vers: son épouse, nouvelle Eve, dont Satan veut se servir non pour le consoler, mais pour le séduire, lui suggère le blasphème; mais Job résiste. Adam céda aux suggestions d’Eve dans le paradis 2; Adam sur son fumier repousse la nouvelle Eve. Car Job était assis sur le fumier quand le pus et les vers tombaient de ses plaies. Or Job, en pourriture sur son fumier, est plus fort qu’Adam plein de santé dans le paradis. Cette épouse était encore Eve, mais Job n’était plus Adam. Il a une réponse pour celte Eve qui doit être pour lui la séduction, les embûches, et il s’écrie (voyez comme ce clairon est bien frappé. Satan l’a couvert d’une plaie effrayante; des pieds à la tête, en pourriture, en proie aux vers, il est assis sur un fumier. Après avoir vu comment il a été frappé, écoutons ce son qu’il rend; écoutons, s’il vous plaît, l’harmonie de cette trompette ductile); « Vous avez parlé », dit-il à sa femme, «comme une femme des plus insensées. Si nous avons reçu les biens de la main de Dieu, pourquoi n’en pas recevoir les maux 3? »Eclatante harmonie, suave harmonie ! Qui ne tirerait-elle point du sommeil? Qui ne serait point porté à se confier en Dieu pour
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Job, I, 21.— 2. Gen. III, 6. — 3. Job, I, 11.
marcher en sécurité contre le diable, comptant sur les forces de celui qui nous éprouve, et non sur ses propres forces? C’est Dieu même qui nous frappe aussi; car le marteau ne peut rien de lui-même. Et le Prophète, parlant de la peine que Satan subira dans l’avenir, s’écrie que « le marteau de toute la terre a été brisé à son tour 1 ». Par ce marteau de la terre, il entend le diable. C’est ce marteau qui est en la main de Dieu, ou plutôt en la puissance de Dieu, et qui frappe les trompettes ductiles pour en tirer les louanges de Dieu. Voyez aussi comment (j’oserai bien vous le dire, mes frères), ce marteau frappait aussi saint Paul: « De peur que la grandeur de ces révélations ne me donne de l’orgueil, un aiguillon a été mis en ma chair, ange de Satan, pour me souffleter ». Le voilà martelé, voyons les sons qu’il va rendre. « C’est pourquoi », poursuit-il, « j’ai prié trois fois le Seigneur de l’éloigner de moi; et il m’a répondu: Ma grâce te suffit, car la vertu se perfectionne dans la faiblesse ». Je veux, dit ce divin ouvrier, perfectionner une telle trompette, et je ne le puis que par le marteau. « La vertu s’affermit dans la faiblesse ». Ecoutez maintenant la parfaite harmonie de cette trompette. « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort 3». L’Apôtre lui-même, s’attachant comme Apôtre au Christ, s’attachant à cette droite qui tient le marteau pour en frapper le clairon, placé dans cette même droite, se sert aussi du marteau; car il dit de quelques-uns: « Je les ai livrés à Satan, afin qu’ils apprennent à ne plus blasphémer ». Il les a livrés au marteau qui doit les frapper. Ces trompettes sonnaient faux avant d’être battues; et peut-être que devenues ductiles sous le marteau, elles ont oublié le blasphème pour chanter les louanges de Dieu. Voilà ces trompettes ductiles.
7. Qu’est-ce que la trompette faite avec la corne? La corne est au-dessus de la chair. Or, en s’élevant au-dessus de la chair elle doit nécessairement se durcir, et ainsi durer longtemps et rendre un son. Mais pourquoi cela? parce quelle est au-dessus de la chair. Pour être donc une trompette en corne, il faut s’élever au-dessus de la chair? Qu’est-ce à dire au-dessus de la chair? S’élever au-dessus des affections charnelles, vaincre les passions de la chair. Ecoute ces trompettes de corne.
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Jérém. I, 23.— 2. II Cor. XII, 7-10. — 3. I Tim. I, 20.
« Si vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ»,dit l’Apôtre, « cherchez ce qui est en haut, où est le Christ assis à la droite de Dieu; goûtez ce qui est en haut, et non ce qui est terrestre 1».Qu’est-ce à dire, «cherchez ce qui est en haut? » C’est-à-dire, tout ce qui s’élève au-dessus de la chair, que vos pensées ne soient point charnelles. Ils n’étaient point encore trompettes de corne, ces hommes à qui l’on disait: « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais seulement comme à des hommes charnels. Comme à des enfants en Jésus-Christ, je vous ai donné du lait, et non des viandes; vous ne pouviez pas les supporter encore: vous ne le pouvez même pas maintenant, car vous êtes encore charnels 2 ». Ne s’élevant point au-dessus de la chair, ils n’étaient donc pas encore des trompettes de corne. La corne tient à la chair, il est vrai, mais surmonte la chair. Si donc d’homme charnel, tu es devenu spirituel, ta chair est encore sur la terre, mais l’esprit est au ciel. « Quoique nous vivions dans la chair», dit l’Apôtre, « ne combattons pas selon la chair 3». Et n’oublions pas, mes frères, à quels hommes l’Apôtre parlait. Que leur dit-il, pour leur montrer qu’ils sont encore charnels, avec des goûts charnels, et qu’ils ne sont point encore des trompettes de corne? « Quand chez vous l’un dit: Je suis à Paul; l’autre, moi à Apollo; celui-ci, moi à Céphas: n’êtes-vous point des hommes charnels, et ne vous conduisez-vous point selon l’homme? Qu’est-ce que Apollo? Qu’est-ce que Paul? Les ministres du Dieu par lesquels vous avez cru. J’ai planté, Apollo a arrosé, mais Dieu adonné l’accroissement 4». Il veut, de cette espérance qu’ils avaient mise en un homme, les élever jusqu’au niveau des choses spirituelles du Christ; afin qu’en s’élevant au-dessus de la chair, ils puissent être des trompettes de corne. N’insultez point, mes frères, à ceux que la divine miséricorde n’a pas encore convertis. Sachez que tant que vous le faites, vous avez des goûts charnels. Le son d’une telle trompette n’est point harmonieux aux oreilles de Dieu: une trompette insolente ne soulève qu’une guerre inutile. Qu’une trompette de corne vous anime contre le démon, et non une trompette de chair contre vos frères. « Chantez devant le Seigneur
1. Coloss. III, 1, 2.— 2. I Cor.
III, 1, 2.— 3. II Cor. X, 3.— 4. I Cor. 1, 12; III, 1-6.
qui est roi, chantez au son de la trompette ductile, ou au son de la trompette de corne».
8. Et quand vous aurez jubilé, tressailli au son de la trompette ductile, au son de la trompette de corne, qu’arrivera-t-il? « Que la mer soit émue, et tout ce qu’elle contient 1 ». Mes frères, quand les Apôtres prêchèrent la vérité, avec des clairons et des trompettes de corne, la mer se troubla, ses flots se soulevèrent, les tempêtes grandirent, et l’Eglise fut persécutée. D’où venait ce trouble de la mer? Les jubilations, les cris d’allégresse en l’honneur de Dieu, étaient une harmonie qui charmait les oreilles de Dieu, et qui soulevait la mer. « Que la morse trouble, et tout ce qu’elle contient; que la terre en soit émue, et tous ceux qui l’habitent». Que la mer se soulève pour la persécution. « Les fleuves battront des mains pour lui applaudir 2 ». Que la mer soit émue, que les fleuves battent des mains: et les persécutions s’élèvent, et les saints s’en applaudissent en Dieu. Pourquoi les fleuves battront-ils des mains? Qu’est-ce qu’applaudir des mains? C’est témoigner sa joie par des oeuvres. L’applaudissement marque la joie, et les mains les oeuvres. Quels sont ces fleuves? Ceux dont Dieu a fait des fleuves, en faisant couler sur eux le Saint-Esprit comme une eau vive. « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne et qu’il boive », dit le Sauveur. « Celui qui croit en moi, des fleuves d’eau vive sortiront de son sein 3». Tels sont les fleuves qui applaudissaient des mains, les fleuves qui témoignaient leur joie par des oeuvres, et qui bénissaient Dieu.
9. « Les montagnes tressailliront devant la face du Seigneur, parce qu’il est venu, parce qu’il est venu juger la terre 4». Heureuses « montagnes».Le Seigneur vient juger la terre, et elles sont dans la joie. D’autres montagnes doivent trembler, quand le Seigneur viendra juger la terre. Il y a donc de bonnes montagnes, et de méchantes montagnes; bonnes à cause de l’éminence spirituelle, mauvaises à cause de l’enflure de l’orgueil. « Les montagnes tressailliront en face du Seigneur, parce qu’il est venu juger la terre ». Pourquoi viendra-t-il, comment viendra-t-il? « Il viendra pour juger la terre. Il jugera l’univers dans la justice, et les peuples dans l’équité ». Que les montagnes donc se réjouissent, car il ne jugera point injustement,
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Ps. XCVII, 7.— 2. Id. 8.— 3. Jean, VII, 37-39.— 4. Ps. XCVII, 9.
Quand un homme doit venir pour juger, comme il ne voit point le fond des consciences, que les hommes tremblent, fussent-ils innocents, si c’est de lui qu’ils attendent la louange, ou qu’ils craignent le supplice: mais quand viendra celui qui ne peut errer, que les montagnes se réjouissent, et soient en sûreté: elles recevront de lui la lumière, au lieu de subir la condamnation. Qu’elles se réjouissent, parce que le Seigneur viendra juger la terre dans l’équité. Mais si les montagnes justes se réjouissent, que les injustes soient dans la crainte. Ce juge cependant n’est point encore venu, à quoi bon trembler? Qu’elles se corrigent et se réjouissent. Elle dépend de toi, cette manière dont tu attendras le Christ. S’il diffère de venir, c’est afin (le ne point te damner. Voilà qu’il n’est point venu encore, il est au ciel, et toi sur la terre; s’il diffère son avènement, ne diffère pas ton choix. Son avènement sera dur pour les coeurs endurcis, et doux pour les coeurs doux. Vois ce que tu es maintenant: si tu es endurci, tu peux t’adoucir; si tu es doux, réjouis-toi de son avènement: car tu es chrétien. Oui, me dis-tu. Je crois donc que tu pries, et que tu dis: « Que votre règne arrive 1 ». Tu désires qu’il vienne, et tu crains qu’il vienne. Corrige-toi, afin de ne pas prier contre toi.
1. Matth. VI, 10.
SERMON AU PEUPLE.
Le Christ annoncé dès le commencement par les Prophètes a régné quand on a commencé à le prêcher après sa résurrection. Le monde alors prit parti pour l’idole, il tua dans les martyrs cette chair qui doit ressusciter, mais non l’âme qui est couronnée, tandis que l’idole a disparu. Le Seigneur s’est donc fait homme et il a régné, il s’assied sur les chérubins ou sur la plénitude de ta science, et en toi, si lu as la science de la loi par la charité. Or, ces peuples frémissants ont été vaincus par la prière de l’Eglise qui les a absorbés; prions pour ceux qui sont demeurés dans l’aveuglement, afin qu’ils se tournent enfin vers Dieu, qui est mort pour eux, qui leur prêche dans sa miséricorde, qui oublie nos fautes, mais qui enfin nous jugera. C’est lui qui forme eu nous la justice, car si nous pouvons par nous-mêmes devenir malades, il faut le secours du médecin pour nous guérir. Il produit donc en nous le jugement qui nous rat discerner ce qui est bien, et la justice qui l’accomplit. Adorons l’escabeau de ses pieds ou cette chair en laquelle il s’est montré, qui fit éloigner les disciples quand il leur proposa de la manger, lui dont Moïse, Aaron et Samuel étaient les serviteurs, et à qui il parlait d’une manière figurée, corrigeant leurs affections, ou ce qui était imparfait. Car nous ne voyons en eux aucun châtiment extérieur, mais leur peine était de vivre avec les imparfaits. A mesure que nous avançons dans la piété, nous voyons l’ivraie autour de nous, mais ne l’arrachons pas. De même saint Paul souffre davantage à mesure qu’il avance dans la perfection. Adorons le Seigneur qui nous éprouve, adorons-le sur la montagne sainte, et dans cette pierre qui grandit et remplit toute la terre. Que nos paroles soient pour vous la pluie du Seigneur.
1. Votre charité, mes frères, ne peut ignorer, car vous êtes enfants de l’Eglise, instruits à l’école de Jésus-Christ, et dans les écrits de nos pères de l’Ancien Testament, qui ont consigné les paroles de Dieu, les merveilles de Dieu, que leur but était de nous instruire, nous qui devions vivre en ces temps et croire en Jésus-Christ. Il est venu à nous d’abord dans son humilité au temps précis, il viendra ensuite dans sa splendeur. Il est venu une première fois, pour comparaître devant un juge; il viendra une seconde fois, pour s’asseoir sur son tribunal, afin que tous les membres du genre humain comparaissent devant lui chacun selon ses mérites. Il s’est fait précéder de plusieurs hérauts, qui l’ont annoncé comme un grand juge, et aussi comme un homme qui viendra dans son humilité. Beaucoup également l’ont annoncé comme devant naître d’une vierge, sucer la mamelle comme un nouveau-né, puis devenir enfant, lui le Verbe de Dieu par qui tout a été fait; plusieurs hérauts t’ont précédé pour prédire ces merveilles et les temps où nous sommes. Toutefois, en les prédisant, ils cachaient leurs pensées sous des figures, jusqu’à ce que le voile (442) qui couvrait la vérité dans les livres anciens, fût enfin déchiré, et que la vérité sortit de la terre. Il est dit en effet dans un psaume: « La vérité s’est levée de la terre, et la justice a regardé du ciel 1 ». Tout notre but maintenant, quand nous lisons les psaumes, les prophètes, la loi, livres tous écrits avant la naissance de Jésus-Christ Notre Seigneur, est donc d’y retrouver le Christ, d’y comprendre le Christ. Que votre charité donc examine ce psaume, afin d’y chercher le Christ: assurément il apparaîtra à ceux qui le cherchent, lui qui s’est montré à ceux qui ne le cherchaient point; il n’abandonnera point ceux qui soupirent après lui, quand il a racheté ceux qui le dédaignaient. C’est par lui que commence le psaume, quand il dit:
2. « Le Seigneur a régné, que les peuples frémissent 2 ». Notre Seigneur a commencé son règne, on a commencé à le prêcher quand il est ressuscité des morts pour monter aux cieux, quand il a rempli ses disciples d’une sainte confiance dans l’Esprit-Saint, afin qu’ils n’eussent plus à craindre la mort qu’il avait tuée en lui-même. Or, il a commencé d’être annoncé aux hommes, afin que ceux qui voudraient être sauvés crussent en lui; et alors les peuples qui adoraient des idoles ont frémi de colère. Ils frémissaient quand on leur prêchait tin Dieu qui les avait faits, ces hommes qui adoraient ce qu’ils avaient fait. Il se faisait annoncer par ses disciples, lui qui voulait ramener les hommes au Dieu qui les a créés, et les détourner des idoles qu’ils avaient faites. En faveur de l’idole, ils s’emportaient contre leur Seigneur, eux qui en faveur de leur idole ne pouvaient s’emporter contre leur esclave sans encourir la damnation. Car l’esclave valait bien mieux que l’idole, puisque c’est Dieu qui a créé l’esclave, tandis qu’un simple ouvrier a fait l’idole. Tel était leur zèle pour l’idole, qu’ils ne craignaient point de s’emporter coutre Dieu. Cette colère était prédite, mais non commandée; David l’a dit en effet: « Le Seigneur a régné, que les peuples s’irritent ». Cette colère des peuples peut aboutir; ils se fâcheront, et les martyrs seront couronnés par cette même colère. Qu’ont fait ces peuples aux prédicateurs de la vérité, aux nuées du Christ qui environnaient la terre, et qui arrosaient le champ du Christ? Que leur ont-ils fait dans leur colère, sinon
1.
Ps. LXXXLV, 12. — 2. Id. XCVIII, 1.
de tourmenter la chair qui était entre leurs mains, et de faire couronner l’âme qui était entre les mains de Jésus-Christ? Et toutefois cette chair qu’ont pu tuer les persécuteurs, n’a pas été tellement morte, qu’elle eût péri éternellement: elle aura son temps pour ressusciter à son tour, puisque le Seigneur nous a déjà montré par lui-même que la chair doit ressusciter. Il a voulu se revêtir de notre chair, afin que nous ne pussions en désespérer. Donc, mes frères, la chair de ces serviteurs, que les idolâtres ont mis à mort, ressuscitera dans son temps: mais l’idole brisée par le Christ ne sera point rétablie par l’ouvrier. Tout à l’heure, quand on lisait Jérémie avant de lire les Apôtres, vous avez entendu, pour peu d’attention que vous ayez apportée, que les temps où nous vivons sont annoncés. Car il dit « Qu’ils périssent de la terre et de dessous le ciel, ces dieux qui n’ont fait ni le ciel ni la terre 1». Il ne dit point: Qu’ils disparaissent du ciel et de la terre, puisqu’ils n’ont jamais été au ciel. Mais que dit-il? « Que les dieux qui n’ont pas fait le ciel et la terre disparaissent de la terre». Comme s’il répondait au sujet de la terre, et n’avait rien à répondre à propos du ciel, puisque ces dieux n’ont jamais été dans le ciel: il nomme la terre deux fois, puisqu’elle est sous le ciel. « Qu’ils périssent de la terre, et de dessous le ciel », ou de leurs temples. Voyez si cet oracle ne s’accomplit point, s’il ne l’est même en grande partie. Que reste-t-il, combien en reste-t-il? Ces idoles subsistent bien plus dans le coeur des païens, que dans leurs temples.
3. Donc « le Seigneur a régné, que les peuples s’irritent. Lui qui s’assied sur les chérubins », sous-entendu « a régné. Que la terre soit en émoi ». Ces derniers mots sont une répétition de ces autres: « Que les peuples s’irritent ». Car cette expression: «Seigneur », est répétée dans: « Celui qui s’assied sur les chérubins ». Il a régné », du premier verset, est sous-entendu dans le second, et: « Que les peuples s’irritent », est répété dans: « Que la terre soit en émoi ». Que sont en effet les peuples, sinon la terre? Que la terre se soulève tant qu’elle voudra contre celui qui est assis dans le ciel. Le Seigneur en effet fut autrefois sur la terre, et il se fit de cette terre une chair afin d’habiter sur la terre. lise revêtit de notre chair, et voulut être la première
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Jérém. X, 11.
victime des emportements populaires. Pour affermir ses serviteurs contre cette colère, il voulut la subir le premier: et comme cette colère des peuples était nécessaire à ses serviteurs, pour les guérir de leurs péchés au moyen de la tribulation, le médecin but le premier ce breuvage amer, afin que le malade ne craignît plus de le boire. Donc « le Seigneur a régné, que les peuples s’irritent »: que les peuples se soulèvent, puisque leur colère sert à Dieu pour opérer de si grands biens. Les peuples s’irritent et les serviteurs de Dieu sont purifiés; et parce qu’ils sont tourmentés, ils sont couronnés. « Que les peuples se soulèvent. Celui qui s’assied sur des chérubins » a régné: « Que la terre soit en émoi ». Le chérubin est le trône de Dieu, comme nous l’enseigne l’Ecriture, un trône sublime dans les cieux, et que nous ne voyons pas; mais le Verbe le connaît, et le connaît comme son trône; et ce même Verbe de Dieu et l’Esprit de Dieu ont enseigné aux serviteurs de Dieu le trône du Seigneur. Non point que le Seigneur s’asseye à la manière d’un homme; mais si tu veux que Dieu s’asseye en toi, si tu es juste, tu seras le trône de Dieu, car il est écrit que « l’âme du juste est le siége de la « sagesse ». Le mot trône, se dit en latin sedes ou siège. Ceux qui connaissent la langue hébraïque ont cherché ce que le mot chérubin signifie en latin, car chérubin est un mot hébreu, et ils ont dit qu’il signifie plénitude de la science. Donc parce que le Seigneur surpasse toute science, il est dit qu’il s’assied sur la plénitude de la science. Sois donc aussi plein de science, et le Seigneur s’assiéra en loi. Mais, diras-tu: Comment pourrai je avoir la plénitude de la science? Qui peut s’élever à cette hauteur pour avoir pleinement la science? Crois-tu que pour trouver en nous la plénitude de la science, Dieu exige que nous sachions le nombre des étoiles, ou des grains, je ne dirai pas de sable, mais de froment, ou combien de fruits pendent sur les arbres? Dieu connaît tout, il est vrai, puisqu’il a compté tous nos cheveux 1. Mais il est une plénitude de science qu’il veut trouver en l’homme. La science que Dieu veut trouver en toi, consiste dans la loi de Dieu. Mais, diras-tu encore, qui peut connaître si parfaitement la loi pour avoir en lui la plénitude de la science, et devenir ainsi le trône de Dieu?
1.
Matth. X, 30.
Point d’effroi, voilà qu’on te dit en deux mots ce que tu dois avoir, situ veux posséder la plénitude de la science et devenir le trône de Dieu. « La charité », nous dit l’Apôtre, « c’est la plénitude de la loi 1». Quoi donc? Tu as perdu toute excuse. Interroge ton coeur, vois s’il a de la charité. S’il a de la charité, il a aussi la plénitude de la loi, et Dieu dès lors habite en toi, et tu es le trône de Dieu. « Que les peuples s’irritent ». Que feront-ils à celui qui est le trône de Dieu? Tu considères ceux qui peuvent te nuire, et tu ne considères pas celui qui est en toi. Tu es devenu le ciel, et tu crains la terre? Car l’Ecriture fait dire ailleurs au Seigneur notre Dieu: « Le ciel est mon trône 2 ». Si donc tu es le siège de Dieu, parce que tu as la plénitude de la science, ainsi que la charité, tu es aussi le ciel, car aux yeux de Dieu ce n’est point ce ciel que nous voyons des yeux, qui a quelque prix: le ciel pour Dieu, ce sont les âmes saintes; le ciel de Dieu, ce sont les esprits des anges, tous les esprits de ses serviteurs. Donc « que les peuples s’irritent, que la terre soit en émoi ». Que feront les peuples, que fera la terre à celui qui est le trône de Dieu, le ciel sur lequel il s’assied?
4. « Le Seigneur est grand dans Sion, il est élevé au-dessus de tous les peuples 3». Oui, le Seigneur est grand dans Sion, il est souverainement élevé. Si donc il te restait quelque chose d’obscur sur cette parole: « Dieu est assis sur des chérubins »; si tu te figurais un trône céleste éclatant de pierreries, fantôme grossier, voltigeant çà et là, et que tu appelais chérubin, tu as entendu que le chérubin c’est la plénitude de la science; que cette science n’est pas une science quelconque, mais la pleine science de la loi, science utile aux hommes: et de peur que tu ne désespères d’arriver à cette science de la loi, on t’a dit que la plénitude de la loi est la charité». Aie donc l’amour de Dieu et du prochain, et tu seras le siège de Dieu, tu seras un chérubin. Et si maintenant tu ne comprends pas encore, écoute ce qui suit: « Le Seigneur est grand dans Sion ». Celui qui s’assied sur les chérubins, celui-là est grand en Sion. Cherche maintenant ce qu’est Sion. Sion, nous le savons, est la cité de Dieu. Sion est la même ville que Jérusalem, et en interprétant le nom hébreu, Sion signifie observation, ou vision
1. Rom. XIII, 10. — 2. Isa. LXVI,
1. — 3. Ps. XCVIII, 2.
et contemplation. Car observer signifie regarder, ou plutôt apercevoir, ou faire des efforts pour voir. Or, Sion est toute âme qui s’applique à découvrir la lumière qu’elle doit voir. Contempler sa propre lumière, c’est s’aveugler. Mais l’âme s’éclaire en contemplant celle de Dieu. Comme il est néanmoins évident que Sion est la cité de Dieu; quelle est cette cité de Dieu, sinon l’Eglise? Les hommes, en s’aimant d’une charité mutuelle, en aimant Dieu qui habite en eux, font à Dieu une cité. Or, comme toute cité a des lois, leur loi est la charité, et la charité c’est Dieu. Car il est dit clairement: « Dieu est charité 1 ». Etre plein de charité, c’est donc être plein de Dieu; et quand plusieurs sont pleins de charité, ils forment une cité à Dieu. Cette cité de Dieu s’appelle Sion, et dès lors Sion c’est l’Eglise. C’est en elle que Dieu est grand. Sois dans Sion et Dieu ne sera point en dehors de toi. Et quand Dieu sera eu toi, parce que tu feras partie de Sion, tu seras un membre de Sion, un citoyen de Sion, uni à la société du peuple de Dieu, alors Dieu sera en toi plus élevé que tous les peuples, dominant ceux qui frémissent ou ceux qui frémissaient autrefois. Pensez-vous en effet que ces peuples qui s’irritaient jadis ne s’irritent plus aujourd’hui? Ils s’irritaient alors, et comme ils étaient nombreux, ils le faisaient au grand jour; maintenant qu’ils sont en petit nombre, leur colère est secrète. Dieu qui a jusque-là brisé leur audace, étouffera enfin leur colère.
5. Croyez-vous en effet qu’ils ne frémissent point contre nos jeûnes, ceux qui faisaient retentir hier leurs instruments de musique? Pour nous, sans nous irriter contre eux, jeûnons pour eux. Ainsi l’a dit le Seigneur notre Dieu, il nous a ordonné de prier pour nos ennemis, de prier pour nos persécuteurs 2; voilà ce qu’a fait l’Eglise pour mettre fin aux persécutions. Elle a été exaucée quand elle a pratiqué ce précepte, Dieu l’exauce chaque jour quand elle le pratique; ses ennemis prévalaient sur elle pour leur malheur; et pour leur bonheur, ils sont dissipés. Voulez-vous savoir quelle a été leur fin? L’Eglise les a absorbés. Vous les cherchez en eux-mêmes, et vous ne les trouvez point cherche-les dans celle qui les a absorbés, et tu les trouveras dans ses entrailles. Dans les entrailles de l’Eglise, en effet, ils sont devenus
1.
Jean, IV, 8. — Matth. V, 44.
chrétiens: ils ont péri comme persécuteurs, grandi comme prédicateurs. Aussi quand nous voyons dans leurs fêtes ceux qui sont demeurés païens, se livrer à leurs folies voluptueuses et condamnables, nous prions Dieu pour eux, afin qu’au lieu d’écouter avec plaisir le son des harpes, ils écoutent mieux encore la voix de Dieu. Si une harmonie sans raison flatte notre oreille, la parole de Dieu doit plaire à notre coeur. Mais ce que nous demandons pour eux, quand nous jeûnons aux jours de leurs fêtes, c’est qu’ils soient à eux-mêmes leurs spectacles. Ils ne pourront se voir sans se déplaire, et s’ils ne se déplaisent point, c’est qu’ils ne se considèrent point. Un homme dans l’ivresse ne se déplaît point, mais il déplaît à l’homme sobre. Donne-moi un homme qui trouve son plaisir en Dieu, il mène une vie sérieuse, il soupire après la paix éternelle que Dieu lui a promise: or, qu’il rencontre un homme qui danse au son des instruments, et vois s’il ne plaindrait pas plus cette folie, que le délire d’un frénétique. Donc si nous connaissons leur malheur, plaignons-les, puisque Dieu nous en a délivrés, et si nous les plaignons, prions pour eux, et afin d’être exaucés, jeûnons pour eux. Car ce n’est point pour célébrer leurs solennités que nous jeûnons; nous avons en effet d’autres jeûnes que nous célébrons dans les jours qui précèdent Pâques, et en d’autres jours solennels dans l’Eglise; mais nous jeûnons aux fêtes des païens, afin de gémir quand ils s’élèvent à une joie insensée. Leur joie est un avertissement pour notre douleur, et ils nous font souvenir de ce que nous étions. Mais comme plusieurs sont délivrés de ces folies dans lesquelles nous avons été plongés, nous ne devons point désespérer d’eux-mêmes. S’ils frémissent encore de colère, prions. Si cette partie de la terre qui demeure infidèle est en émoi, pour nous persévérons dans nos gémissements, afin que Dieu leur donne l’intelligence, et qu’ils entendent comme nous ces paroles qui font notre joie: « Le Seigneur est grand dans Sion, il est élevé au-dessus de tous les peuples ».
6. « Qu’ils rendent gloire à votre grand nom 1». Que tous ces Peuples que domine le Dieu qui est grand en Sion, « rendent gloire à son nom si grand ». Votre nom était faible,
1.
Ps. XCVIII, 3.
ô mon Dieu, quand ils frémissaient de colère: maintenant qu’il est grand, puissent-ils le bénir. Comment disons-nous que le nom du Christ était faible avant qu’il se répandît avec tant d’éclat? C’est que le nom se prend ici pour la renommée; c’est pourquoi il était faible alors et maintenant il est grand. Quelle nation n’a pas entendu le nom du Christ? Que les peuples donc rendent témoignage à la grandeur de votre nom, eux qui frémissaient quand il était faible. « Qu’ils confessent la grandeur de votre nom ». Pourquoi la confesser? « C’est qu’il est terrible et qu’il est saint». Votre nom, ô mon Dieu, est un nom saint et terrible. Ainsi on prêche la mort de Jésus à la croix, on prêche ses humiliations, on prêche le jugement qu’il a subi, mais en prêchant son avènement dans sa gloire, en prêchant qu’il est vivant, en prêchant qu’il viendra pour juger. Maintenant il épargne les peuples blasphémateurs, parce que le baptême de Dieu amène à la pénitence 1. Car, celui qui épargne maintenant, épargnera-t-il toujours? et si maintenant on le prêche pour le faire craindre, ne doit-il point venir juger? Il viendra donc, mes frères, il viendra; craignons-le, et vivons de manière à être placés à sa droite. Car il viendra pour juger, et il placera les uns à sa droite, les autres à sa gauche 2. Et toutefois il ne fait point ce discernement de manière à se tromper, à mettre à gauche celui qui doit être placé à droite, ou à placer à droite celui qui doit être placé à gauche. Dieu ne saurait se tromper, ni mettre dès lors le méchant à la place du bon, non plus que le bon à la place du méchant. Mais s’il ne saurait se tromper, c’est nous tromper beaucoup, que ne pas craindre; et si nous craignons maintenant, nous n’aurons plus rien à craindre alors. « Son nom est terrible et saint: l’honneur du roi aime l’équité ». Que les peuples donc le craignent et se craignent: qu’ils ne présument point de sa miséricorde au point de s’oublier et de vivre dans le désordre; car s’il aime la miséricorde, il aime aussi la justice. Où est sa miséricorde? A vous prêcher la vérité, à prendre sa grande voix pour vous amener à la conversion. Est-ce donc peu pour sa miséricorde, de ne pas t’avoir retranché de la terre au milieu de tes crimes, alors que tu vivais dans le désordre, et de t’avoir pardonné
1.
Rom. II, 4. — 2. Matth. XXV, 31-33.
tes fautes, en considération de ta foi? Est-ce peu pour sa miséricorde, et penses-tu qu’il sera toujours miséricordieux, au point de ne jamais punir? Garde-t-en bien. Son nom est terrible et saint, « et l’honneur du roi aime l’équité». Il y aurait injustice dans le jugement, ou plutôt ce ne serait point un jugement, si chacun n’était traité selon ses mérites, selon le bien ou le mal qu’il a fait pendant qu’il était sur la terre 1. « L’honneur du roi aime le jugement ». Craignons donc alors, pratiquons la justice, et suivons l’équité.
7. Mais qui suit l’équité? qui pratique la justice? Est-ce l’homme pécheur, l’homme d’iniquité: l’homme pervers, et qui se détourne de la lumière de la vérité? Que doit faire l’homme? Simplement se convertir à Dieu, qui formera en lui cette justice que lui-même, loin de former, ne fait que défigurer. L’homme qui peut si facilement se blesser, peut-il donc se guérir? Il est malade quand il le veut, triais ne se lève point quand il veut. Il n’a qu’à le vouloir, à s’exposer à l’excès du froid ou de la chaleur; il sera malade au jour qu’il voudra: mais lorsqu’il est malade volontairement par ses propres excès, qu’il se lève quand il le voudra; il s’est alité à son gré, qu’il se lève à son gré, s’il le peut. Pour être malade, il ne lui fallait que son intempérance; mais pour sa guérison, il lui faut le secours du médecin, il en est ainsi du péché; l’homme se suffit à lui-même pour pécher; mais s’agit-il de la justification, il ne peut être justifié que par celui qui est le juste par excellence. Afin d’engager les hommes à se livrer à lui pour être formés à la justice, voilà qu’après avoir effrayé les peuples, et dit: « Qu’ils confessent la grandeur de votre nom, parce qu’il est terrible et saint, et l’honneur du roi aime la justice », le Prophète semble répondre aux hommes effrayés, qui lui demandent comment il leur faut vivre dans la justice; puisqu’ils n’ont pas la justice en eux-mêmes, il leur signale celui qui peut former en eux cette justice: «C’est vous», dit-il, « qui avez préparé la justice; vous avez fait en Jacob la justice et le jugement 2 ». Car nous aussi, nous devons avoir le jugement, nous aussi avoir la justice. Mais celui qui a fait la justice et le jugement est aussi celui qui nous a faits afin de les former en nous.
1.
II Cor. V, 10. — 2. Ps. XCVIII, 4.
Comment donc, nous aussi, aurons-nous la justice et le jugement? Le jugement chez toi, c’est le discernement du bien et du mal; la justice, de faire le bien et éviter le mal. Discerner le bien, c’est le jugement; le faire, c’est la justice. « Evite le mal », dit le Prophète, « et fais le bien; cherche la paix et poursuis-la 1 ». Ainsi donc, le jugement d’abord, et ensuite la justice. En quoi consiste le jugement? A discerner ce qui est bien et ce qui est mal. En quoi la justice? A se détourner du mal pour s’attacher au bien. Mais cela ne vient pas de toi: vois en effet ce que dit le Prophète: « C’est vous qui avez fait en Jacob le jugement et la justice».
8. « Exaltez le Seigneur notre Dieu ». Oui, exaltez-le, relevez ses bienfaits. Louons-le, exaltons-le, puisqu’il a fait la justice que nous avons, et l’a faite en nous. Qui a créé en nous la justice, sinon celui qui nous a justifiés? Or, il est dit du Christ, qu’ « il a justifié l’impie 2 ». Nous sommes les impies, c’est lui qui nous rend justes, quand il établit en nous cette justice par laquelle nous pouvons lui plaire et mériter d’être placés, non point à sa gauche, mais à sa droite, lorsqu’il dira à ceux de droite: « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui a été préparé pour vous dès l’origine du monde »; afin qu’il ne nous place point à la gauche avec ceux auxquels il doit dire: « Allez au feu éternel qui a été préparé au diable et à ses anges 3». Combien ne devons-nous point exalter celui qui doit couronner en nous, non point nos mérites, mais ses dons? « Exaltez le Seigneur notre Dieu ».
9. « Prosternez-vous devant l’escabeau de « ses pieds, car il est saint 4 ». Que devons-nous adorer? « L’escabeau de ses pieds ». On appelle escabeau ce que l’on met sous les pieds. Les Grecs l’appellent upopodion, les Latins scabellum, d’autres l’ont appelé suppedaneum. Voyez, mes frères, ce que le Psalmiste nous ordonne ici d’adorer. Dans un autre endroit de l’Ecriture il est dit: « Le ciel est mon trône, et la terre l’escabeau de mes pieds 5». Est-ce donc la terre qu’il nous faut adorer, puisqu’il dit ailleurs que c’est l’escabeau de ses pieds? Comment adorer la terre, quand l’Ecriture nous dit clairement: « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu 6? » Cependant l’Ecriture
1.
Ps. XXXIII, 15. — 2. Rom. IV, 5. — 3. Matth. XXV, 34, 41. — 6. Ps. XCVIII, 5.— 7. Isa. LXVI, 1.— 8. Deut. VI, 13; Matth. IV,
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nous dit: « Adorez l’escabeau de ses pieds »; et comme pour nous expliquer ce qu’elle entend par cet escabeau, elle dit ailleurs: «La terre est l’escabeau de ses pieds». Me voilà dans l’embarras: je crains d’adorer la terre, de peur d’être condamné par celui qui a créé le ciel et la terre; et je crains encore de n’adorer point l’escabeau des pieds de mon Dieu, quand le Psalmiste me dit: « Adorez l’escabeau de ses pieds ». Je cherche quel est cet escabeau, et l’Ecriture me répond: « La terre est l’escabeau de ses pieds». Dans mon anxiété, je me tourne vers le Christ, car c’est lui que je cherche ici, et je trouve comment l’on peut sans impiété adorer la terre, sans impiété adorer l’escabeau de ses pieds. Car c’est de la terre qu’il a reçu une terre, puisque la chair est une terre, et qu’il a pris sa chair de la chair de Marie. Et parce qu’il s’est montré sur la terre avec cette chair, que pour notre salut il nous a donné cette chair à manger, nul ne mange cette chair sans l’adorer d’abord. Et voilà que nous avons trouvé comment nous pouvons adorer cet escabeau de ses pieds, en sorte qu’on peut l’adorer sans pécher, et que ne point l’adorer au contraire, ce serait pécher. Mais est-ce la chair qui nous donne la vie? Jésus-Christ lui-même, en nous signalant cette terre qu’il portait, nous dit: «C’est l’Esprit qui vivifie,la chair ne sert de rien 1».C’est pour cela qu’en t’inclinant devant une terre quelconque, en l’adorant, tu ne fais aucune attention à la terre, mais à ce saint, dont la terre que tu adores est le marchepied, car c’est à cause de lui que tu l’adores: aussi le Prophète a-t-il ajouté: « Adorez l’escabeau de ses pieds, parce que lui est saint ». Qui est saint? Celui en l’honneur de qui tu adores l’escabeau de ses pieds. Et quand tu l’adores, que ta pensée ne demeure point dans la chair, de peur que tu ne sois privé de la vie de l’Esprit: « C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien », dit le Sauveur. Quand le Seigneur faisait cette recommandation, il avait parlé de sa chair, et il avait dit: « Si vous ne mangez ma chair, vous n’aurez pas la vie en vous 2».Quelques disciples, au nombre de septante environ, en furent scandalisés, et s’écrièrent: « Cette parole est dure, et qui e pourrait l’entendre? » Ils se séparèrent et ne le suivirent plus 3. Cette parole leur
1.
Jean, VI, 64. — 2. Id. 54. — 3. Id, 61-67.
paraissait dure: « Si vous ne mangez ma chair, vous n’aurez pas la vie éternelle ». Ils l’entendirent d’une manière stupide; leur pensée était charnelle: ils crurent que le Seigneur allait couper quelques morceaux de sa chair et les leur présenter, et ils s’écrièrent: « Cette parole est dure ». C’étaient eux qui étaient durs, et non la parole. S’ils eussent été humbles, et non pas durs, ils se seraient dit: Ce n’est pas sans raison que le Seigneur parle ainsi, il y a là quelque mystère caché. Dans leur soumission ils seraient demeurés avec Jésus-Christ, et ne seraient point partis avec dureté; alors ils eussent appris de lui ce que les autres apprirent après leur départ. Car les douze qui demeurèrent après le départ des autres, affligés de leur mort spi rituelle, avertirent le Sauveur du scandale des autres et de leur départ. C’est alors qu’il leur dit pour leur instruction: « C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien; les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie ». Donnez à mes paroles un sens spirituel: ce n’est point ce corps tel que vous le voyez que vous devez manger, ni boire mon sang tel que le répandront ceux qui doivent me crucifier. C’est un mystère que je vous ai prêché, et si vous l’entendez d’une manière spirituelle, il vous donnera la vie. S’il faut le célébrer d’une manière visible, il faut néanmoins le concevoir d’une manière invisible. « Exaltez le Seigneur notre Dieu, et adorez l’escabeau ide ses pieds, car lui est saint ».
10. « Moïse et Aaron étaient ses prêtres, Samuel était de ceux qui invoquent son nom. Ils invoquaient le Seigneur, et il les exauçait, il leur parlait dans la cotonne de nuée 1». Des hommes, tels que Moïse, Aaron et Samuel, ont servi le Seigneur, et ont un grand nom parmi les anciens. Vous savez que Moïse fit éclater la puissance de Dieu en tirant le peuple de l’Egypte, et en le conduisant à travers la mer Rouge, et dans le désert. Dieu fit par Moïse beaucoup de merveilles que connaissent tous ceux qui écoutent lire volontiers les Ecritures dans l’Eglise, ou qui les lisent eux-mêmes,ou qui les ont apprises de quelque manière. Aaron était frère de Moïse, et il l’ordonna grand prêtre. On ne voit pas qu’il y eût alors d’autre prêtre que Aaron, que les saintes lettres nomment expressément le prêtre de Dieu 2. Il n’est point dit que Moïse fût prêtre. Mais
1.
Ps. XCVIII, 6,7.— 2. Exod. XXVIII, 1.
alors qu’était-il, sinon prêtre? Pouvait-il être supérieur au grand prêtre? Notre psaume nous dit ici qu’il était prêtre: « Moïse et Aaron étaient parmi ses prêtres ». Ces deux grands hommes étaient alors prêtres du Seigneur, et plus tard on trouve le nom de Samuel dans le livre des rois. C’est le même Samuel qui vécut du temps de David, et qui lui donna l’onction royale 1. Samuel, dès sa plus tendre enfance, grandit dans le temple du Seigneur. Sa mère était stérile, et dans son désir d’avoir un fils, elle pria le Seigneur avec grands gémissements de lui donner un fils, montrant qu’elle ne voulait point une consolation charnelle, puisqu’après sa naissance elle le donna à celui qui l’avait fait naître. Elle avait fait un voeu au Seigneur en disant: « Si j’obtiens un fils, il vous servira dans le temple»; et elle tint parole. Samuel, après sa naissance, demeura auprès de sa mère, tant qu’il fut à la mamelle; et quand il fut sevré, on l’amena dans le temple pour y grandir, y fortifier son esprit et y servir le Seigneur. Il fut de son temps le grand, le saint prêtre 2. Le psaume nomme ces saints personnages, et par eux comprend tous les autres saints. Pourquoi nommer ceux-ci? Parce que le Psalmiste veut mous montrer en eux le Christ. Que votre sainteté redouble d’attention. Il a dit tout à l’heure, « Exaltez le Seigneur notre Dieu, et adorez l’escabeau de ses pieds, car lui est saint 3». Nous désignons ainsi quelqu’un ou notre Seigneur Jésus-Christ, dont nous devons adorer l’escabeau, parce qu’il a pris une chair pour être visible aux hommes; et pour nous montrer que c’est lui qu’ont figuré nos pères dans l’antiquité, que c’est ce même Jésus-Christ qui est le roi-prêtre, le psaume désigne ces personnages, parce que c’est à eux que Dieu parlait dans la colonne. Qu’est-ce à dire « dans la colonne? » Il leur parlait en figure. Si Dieu leur parlait en effet sous des ombres, ces paroles voilées désignaient alors un personnage inconnu. Mais ce personnage inconnu n’est plus inconnu; car nous savons que c’est notre Seigneur Jésus-Christ. «Moïse et Aaron étaient au nombre de ses prêtres, et Samuel parmi ceux qui invoquent son nom. Ils invoquaient le Seigneur et îles écoutait, il leur parlait dans la nuée ». Celui qui parlait d’abord dans la nuée, nous a parlé ensuite dans
1.
I Rois, XVI, 13.— 2. Id. I, 11. — 3. Ps.
XCVIII, 5.
l’escabeau de ses pieds, c’est-à-dire dans la terre ou dans la chair qu’il avait prise; de là vient que nous adorons l’escabeau de ses pieds, car lui est saint. Il leur parlait de la nuée un langage alors inconnu: il a parlé de l’escabeau de ses pieds, et nous a fait comprendre les paroles de cette nuée. « Il leur parlait dans une cotonne de nuée ».
11. Redoublons d’attention, mes frères, et voyez quels saints le Prophète nous désigne, et quelle est leur sainteté. « Ils gardaient ses témoignages, et les préceptes qu’il leur a donnés ». Assurément ils gardaient ces préceptes, comprenez-le bien. « Ils gardaient ses témoignages, et les préceptes qu’il leur a donnés ». Voilà ce que dit le Prophète, et ce qu’on ne peut nier. Mais n’avaient-ils aucun péché? Comment cela? Puisqu’ils gardaient ses préceptes, ils gardaient aussi ses témoignages. Voyez quelle disposition exige de nous le Prophète, afin que nous ne présumions point que notre justice est parfaite. Voilà Moïse et Aaron parmi ses prêtres, Samuel parmi ceux qui invoquent son nom. C’est à eux qu’il parlait de cette colonne de nuée, c’est d’eux qu’il exauçait la prière, parce qu’ils gardaient ses témoignages, et les préceptes qu’il leur avait donnés. « Seigneur», dit ensuite le Prophète, « Seigneur, notre Dieu, vous les avez exaucés. O Dieu, vous leur avez été propice ». Or, on ne dit point de Dieu qu’il soit propice, sinon quand il s’agit de péchés; en accorder le pardon, voilà ce qu’on appelle être propice. Mais que pouvait. il trouver à venger en eux, pour se montrer propice en le leur pardonnant? Dieu leur était propice par le pardon, et propice encore par le châtiment. Que dit en effet la suite? « Vous leur avez été propice, même en tirant vengeance de leur affection ». Jusqu’à cette vengeance leur était propice: c’était bonté de votre part, non seulement de leur pardonner leurs fautes, mais encore de les châtier. Voyez, mes frères, ce que veut dire ici le Prophète; remarquez bien. C’est le propre de la colère de Dieu de ne point châtier le pécheur. Pour l’homme, en effet, qui jouit de ses faveurs, non seulement il lui pardonne ses fautes qui lui seraient nuisibles pour la vie éternelle, mais il l’en châtie de peur qu’il ne mette à jamais son bonheur dans le péché.
12. Courage donc, mes frères, et si nous cherchons comment leurs fautes furent châtiées, Dieu m’aidera à vous le dire. Cherchons comment Dieu châtia les fautes de ces trois personnages, Moïse, Aaron et Samuel, puisque le Psalmiste nous dit: « Il tira vengeance de leurs affections », parlant sans doute de ces affections que Dieu voyait dans leurs coeurs, mais inconnues aux hommes. Car, aux yeux des hommes, ces saints étaient irréprochables au milieu du peuple de Dieu. Mais que dis-je? Moïse ne fut-il pas coupable, dans les commencements de sa vie? Car il s’enfuit de l’Egypte après avoir tué un homme 1. Au début de sa vie encore Aaron déplut à Dieu. Lorsque le peuple, en effet, dans sa fureur et son délire voulut une idole, il le permit, et le peuple de Dieu se prosterna devant l’idole 2. Mais que fit Samuel qui entra tout enfant dans le temple? Depuis ses jeunes années, sa vie s’écoula dans les rites sacrés, au service du Seigneur 3. Aucun reproche ne tomba sur Samuel, aucun de la part des hommes. Mais Dieu voyait sans doute en lui quelque chose à purifier. Car ce qui semble parfait aux hommes, est souvent bien imparfait devant la perfection. Nous voyons tous les jours des ouvriers, qui exposent leurs ouvrages aux yeux des ignorants; et quand les ignorants regardent ces oeuvres comme parfaites, l’artiste qui connaît leur imperfection les polit toujours, et force les hommes à l’admiration devant ce fini d’une oeuvre qu’ils avaient d’abord jugée parfaite. Voilà ce qui arrive dans l’architecture, dans la peinture, dans les vêtements et dans presque tous les arts. Les hommes, tout d’abord, jugent parfait ce qu’on leur montre: leurs yeux ne désirent rien de plus, mais l’oeil expérimenté en juge autrement, ainsi que les règles d’un art. C’est ainsi que ces mêmes saints, qui marchaient sous l’oeil de Dieu, pouvaient paraître sans faute, comme des hommes parfaits, des anges;mais Dieu, qui châtiait leurs affections, connaissait ce qui leur manquait. Il les châtiait sans colère, mais par bonté; il les châtiait, non point pour punir leur faute, mais afin de perfectionner son oeuvre. Dieu donc châtiait en eux leurs affections. Quel châtiment a-t-il exercé contre Samuel? Où est la vengeance qu’il en a tirée? Je parle ainsi afin que les chrétiens, qui ont déjà connu le Christ, qui est venu en eux dans l’escabeau de ses pieds,
1.
Exod. II, 12, 15. — 2. Id. XXXII, 1-4. — 3. I Rois, I, 24
qui les a aimés jusqu’à répandre son sang pour eux, sachent comment ils seront flagellés quand ils seront avancés dans la piété. Cherchons un châtiment dans Moïse, et nous ne voyons presque rien dans l’Ecriture, sinon qu’à la fin de sa vie Dieu lui dit: « Va sur la montagne, pour y mourir ». Or, il était vieux, quand Dieu lui dit: « Meurs»; il avait eu de longues années, ne devait-il donc point mourir? Où est le châtiment? Prendrez-vous pour châtiment cette parole: « Tu n’entreras pas dans la terre promise 1», où le peuple devait entrer? Moïse était en cela une figure de plusieurs. Pour celui qui entrait dans le royaume des cieux, était-ce une grande peine de n’entrer point dans cette terre, promise pour un temps, ombre de l’avenir qui devait passer à son tour? Beaucoup d’infidèles ne furent-ils pas admis dans cette terre? Leur vie n’y fut-elle pas un désordre, un outrage contre Dieu? Ne s’adonnèrent-ils pas à l’idolâtrie dans cette même terre? Qu’était-ce pour Moïse de n’y pas entrer? Moïse voulut être ici la figure de ceux qui étaient sous cette loi. Car ce fut Moïse qui donna la loi 2, et ce fut par là qu’il enseigna qu’ils n’entreraient point dans la terre promise, ces hommes qui s’obstineraient à demeurer sous la loi, refusant d’être sous la grâce. Cette parole donc adressée à Moise était une figure, et non un châtiment. Quelle peine que la moi-t pour un vieillard? Quelle peine que n’entrer point dans cette terre où entrèrent des indignes? Qu’est-il dit à propos d’Aaron? Il mourut chargé d’années, et ses fils lui succédèrent dans le sacerdoce son fils devint grand prêtre après lui 3. Où est le châtiment d’Aaron? Samuel mourut aussi après une longue vieillesse, et laissa des enfants tour lui succéder 4. Je cherche quelle vengeance fut exercée contre eux, et humainement parlant, je n’en trouve point; mais à en juger sur la connaissance que j’ai de ce qu’endurent les serviteurs de Dieu, le Seigneur les affligeait chaque jour. Lisez ces afflictions, voyez-les, et vous, qui avancez dans la piété, profitez de ces afflictions. Chaque jour ils enduraient les contradictions du peuple, chaque jour encore l’iniquité des méchants ils étaient forcés de vivre avec ceux dont ils reprenaient tes désordres. Telle fut leur peine; quiconque la trouve légère, n’a fait encore
1.
Deut. XXXII, 49, 52. — 2. Jean, I, 17. — 3. Nomb. XX, 24-28; XXXIII, 38. — 4. I Rois, VIII, 1; XXV, 1.
aucun progrès. Car tu souffres les injustices des autres à proportion que tu t’es purifié de la tienne. Quand, en effet, tu seras un bon grain, c’est-à-dire une bonne herbe qui croit d’une bonne semence, un fils du royaume commençant à donner du fruit, alors tu verras l’ivraie: « Quand l’herbe eut poussé et produit son fruit, l’ivraie parut aussi 1». A l’apparition de l’ivraie, tu verras que tu vis parmi les méchants. Tu voudrais en quelque sorte éloigner de toi les méchants, et séparer tout méchant de l’Eglise. Mais voici le Seigneur qui te répond « Laissez grandir l’un et l’autre jusqu’à la moisson, de peur qu’en voulant arracher l’ivraie, vous n’arrachiez aussi le froment 2». Ainsi donc, d’après l’arrêt de Dieu, il faut laisser croître l’ivraie, et d’après sa condition, le serviteur doit vivre parmi l’ivraie: tu ne saurais faire une séparation, il faut nécessairement la supporter. Vois combien de plaies dans ton coeur, quand tu es sain de corps au milieu des méchants. Vous me comprendriez quand vous aurez fait des progrès, et vous qui en avez fait vous me comprenez. Ce sont donc des maux qu’il faut tolérer; et c’est peut-être à cela que l’on doit rapporter cette parole: « Le serviteur qui connaît la volonté de son maître, et qui ne l’exécute point, sera frappé de plusieurs coups 3». Bien souvent, en effet, plus nous connaissons la volonté de Dieu, et plus nos fautes nous apparaissent; et plus ces fautes apparaissent, plus aussi nous nous abandonnons aux pleurs et aux sanglots. Nous comprenons combien il est juste que Dieu nous frappe, et quelle est notre imperfection, et alors s’accomplit en nous cette parole: « Multiplier la science, c’est multiplier la douleur 4 ». Plus tu auras de charité, et plus le péché t’affligera; plus la charité grandira, plus la malice du méchant te sera à charge: non point à cause de la colère qu’il t’inspirera, mais à cause de ta compassion pour lui.
13. Vois ce que souffrait saint Paul, et ce qu’il souffrait chaque jour. « Outre les occupations extérieures » (il avait énuméré ce qu’il avait souffert, et il passe aux douleurs intérieures, en outre de ce qu’il souffrait au dehors de la part des méchants qui persécutaient le Christ), « j’ai les assauts de chaque jour, et la sollicitude de toutes
1.
Matth. XIII, 26. — 2. Id. 30. — 3. Luc, XII, 47, 48. — 4. Ecclés. I,
18.
les Eglises 1 ». Et vois quelle sollicitude, comme elle est paternelle, maternelle même: vois quelles étaient ses douleurs, comment Dieu châtiait toutes ses affections; énumérons ces affections secrètes que Dieu châtiait: « Qui est faible », dit-il, « sans que je sois faible avec lui? qui est scandalisé, sans que je sois brûlé 2? » Plus sa charité grandit, plus vives sont les douleurs qu’il ressent des péchés des autres. Il ressentait aussi l’aiguillon de la chair, l’ange de Satan qui le souffletait. Voilà comment Dieu se montre propice en tirant vengeance de ses affections. Or, de quelles affections tirait-il ainsi vengeance? Il nous les expose lui-même dans ces paroles: « De peur que la grandeur de mes révélations ne me donne de l’orgueil, il m’a été donné un aiguillon de la chair, un ange de Salan, pour me souffleter 3 ». Telle était sa perfection, que néanmoins l’enflure était encore à craindre; car Dieu n’apporterait aucun remède, s’il n’y avait aucune blessure. Il demande qu’il lui soit ôté; ce malade veut éloigner le remède: « C’est pourquoi »,dit-il, « j’ai demandé au Seigneur de m’en délivrer », c’est-à-dire de me délivrer de cet aiguillon de la chair qui me donne des soufflets, c’est-à-dire quelque douteur corporelle. « J’ai demandé au Seigneur de m’en délivrer, et il m’a répondu: Ma grâce te suffit, car la force se perfectionne dans la faiblesse 4 ». Je connais celui qu’il faut guérir, que le malade ne me donne pas de conseil. Le remède est cuisant, mais il te guérit. Paul supplie le médecin d’ôter ce remède, et le médecin ne l’ôte pas avant la guérison de cette plaie sur laquelle on l’a placé. « C’est dans l’infirmité que se perfectionne la force ». Nous donc, mes frères, qui avançons dans le Christ, n’espérons pas vivre sans épreuve douloureuse; quels que soient nos progrès, en effet, Dieu connaît nos fautes, quelquefois il lui plaît de nous les montrer, et alors nous voyons nous-mêmes nos péchés. Et quand nous nous trouvons au milieu d’hommes tels qu’ils ne nous reprochent plus nos péchés, Dieu trouve encore de quoi nous reprocher, et tire vengeance de nos affections, par bonté pour nous. S’il nous abandonnait, sans daigner nous châtier, nous péririons. « O Dieu, vous leur avez été favorable, en châtiant toutes leurs affections ».
14. « Exaltez le Seigneur notre Dieu ». Encore
1. II Cor. XI, 28. — 2. II Cor.
XI, 29. — 3. Id. XII, 7. — 4. Id. 8, 9.
une fois, chantons le Seigneur mais comment louer, comment exalter celui qui est bon, même quand il frappe?Ce que tu fais à l’égard de ton fils, Dieu ne peut-il donc le faire pour toi? Ne crois point que ce soit être bon que flatter ton fils, et méchant que le corriger. Tu es père dans tes caresses, et bon encore dans tes châtiments: tes caresses le garantissent du découragement, tes châtiments du désordre. « Chantez le Seigneur notre Dieu, et adorez-le sur sa montagne sainte, parce que le Seigneur notre Dieu est saint 1». De même que le Prophète a dit tout à l’heure: « Chantez le Seigneur notre Dieu, et adorez l’escabeau de ses pieds»; or, nous avons compris ce que désigne cet escabeau; de même, après nous avoir invités à touer le Seigneur Dieu, il nous signale sa montagne, de peur qu’on ne le chante ailleurs que sur sa montagne. Or, quelle est sa montagne? Nous lisons ailleurs, à propos de cette montagne, qu’une pierre détachée de la montagne, sans la main d’aucun homme, brisa tous les royaumes de la terre, et que cette pierre grandit. C’est la vision de Daniel que je vous rapporte. « Elle s’accrut donc cette pierre détachée de la montagne, sans la main d’aucun homme; elle devint une grande montagne », dit le Prophète, « au point de remplir, toute la terre 2». Telle est la montagne sur laquelle nous devons adorer Dieu, si nous voulons qu’il nous exauce. Les hérétiques ne l’adorent point sur cette montagne; car elle a rempli la terre entière; et eux, en s’attachant à une partie, ont perdu la totalité. S’ils reconnaissent l’Église catholique, ils adoreront Dieu avec nous sur cette montagne. Car nous voyons combien a grandi cette pierre détachée de la montagne, sans la main d’un homme, combien de contrées elle occupe, et à quelles nations elle est arrivée. Quelle est cette montagne d’où s’est détachée la pierre, sans la main des hommes? C’est le royaume des Juifs, qui adoraient un seul Dieu. C’est de là que s’est détachée cette pierre, qui est Notre Seigneur Jésus-Christ. C’est lui qui est appelé « la pierre réprouvée par les architectes et devenue la pierre de l’angle 3». Cette pierre détachée de la montagne, sans la main d’un homme, a broyé tous les royaumes de la terre: nous voyons tous les empires du monde écrasés aujourd’hui par la pierre. Quels étaient ces
1.
Ps. XCVIII, 9.— 2. Dan. II, 34, 35.— 3. Ps. CXVII, 22; Act. IV, 11.
royaumes de la terre? Les royaumes de l’idolâtrie, empires du démon qui sont brisés. Saturne régnait sur un grand nombre d’hommes: où est son royaume? Mercure avait beaucoup d’hommes sous son empire: où est cet empire? Il est brisé, et les peuples qu’il dominait ont passé sous l’empire du Christ. Combien était puissant à Carthage l’empire de Vénus! Où est maintenant Vénus, où est son empire? Cette pierre détachée de la montagne, sans le secours d’aucun homme, a broyé tous les empires. Qu’est-ce à dire détachée de la montagne sans la main d’un homme? Que sans l’opération d’aucun homme, le Christ est né parmi les Juifs. Tous les hommes qui naissent, ne peuvent naître que par l’oeuvre maritale; mais le Christ est né de la Vierge sans la main d’un homme; or, la main signifie ici l’oeuvre d’un homme, puisque nul homme n’a pris part à sa naissance, et qu’il s’est formé sans aucun acte conjugal. Cette pierre est donc née de la montagne, et sans la main d’un homme; elle a grandi, et en grandissant a broyé tous les royaumes du monde. Il est devenu une grande montagne couvrant la surface de la terre. C’est là l’Eglise catholique, dont vous devez vous réjouir d’être les enfants. Quant à ceux qui ne lui appartiennent point, comme ils n’adorent point Dieu, ne le louent point sur la montagne, ils ne sont point exaucés pour la vie éternelle; bien que Dieu les exauce quelquefois dans ce qui est du temps. Qu’ils ne se flattent point, dès lors, de ce que Dieu les écoute parfois, car il écoute aussi quelques voeux des païens. Dieu n’accorde-t-il pas la pluie aux prières des idolâtres? Pourquoi? Parce qu’ « il fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes 1». Ne te glorifie donc pas, ô idolâtre, de ce que tes prières obtiennent la pluie de Celui qui fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. Il t’exauce pour ce qui est du temps; mais il ne t’exauce pour ce qui est de la vie éternelle, que si tu l’adores sur sa montagne sainte. « Adorez le Seigneur sur sa montagne sainte, parce que le Seigneur notre Dieu est saint ».
15. Que cette explication du psaume suffise à votre charité: nous avons dit ce qu’il a plu au Seigneur de nous inspirer. Et tout ce que nous disons au nom du Seigneur, est une pluie de Dieu, puisqu’il lui plaît de parler par notre bouche; voyez quelle terre vous êtes à votre tour. Quand la pluie descend sur la terre, si la terre est bonne, elle produit de bons fruits; si elle est mauvaise, elle ne produit que des épines: la pluie est toujours douce, aux bous fruits comme aux épines. Celui qui aura entendu nos paroles pour tomber dans un état pire, et à qui cette pluie aura fait produire des épines, ne peut espérer que le feu sans accuser la pluie; mais celui qui en sera devenu meilleur, qui aura produit les fruits d’une bonne terre, doit espérer les greniers célestes et bénir la pluie. Que sont en effet les nuées, ou qu’est-ce que la pluie, sinon la miséricorde de Dieu, qui fait tout en ceux qu’il aime et à qui il a donné de l’aimer?
1. Matth. V, 45.
SERMON AU PEUPLE.
Que la terre entière soit dans la jubilation et confesse le Seigneur. Cette jubilation est l’expression inarticulée d’une joie excessive, à la vue des grandeurs de la création; mais le coeur pur comprend seul ces grandeurs, le coeur impur ne désire même pas la lumière; pour voir il faut S’approcher, et l’on s’approche de Dieu par la ressemblance avec lui. Tout est également présent pour l’homme qui voit et pour l’aveugle, mais le résultat est bien différent. Approcher de Dieu, c’est te voir autant qu’il est possible en cette vie mortelle, c’est a source de la jubilation. Le joug du Seigneur est doux, et nous devons le servir par amour, afin d’être ainsi esclaves et libres. Servons le avec allégresse, mais ici-bas la jubilation n’est pas entière, nous sommes daims la tribulation, comme le lis au milieu des épines. Le chrétien doit-il donc se séparer des méchants pour vivre dans la solitude? Mais d’abord ses exemples de vertu seront perdus, et puis la solitude a ses tentations, ses faux frères, ses combats, et notre paix ici-bas n’est que dans la foi aux promesses divises Ce qui nous trompe, c’est que nos voyons uniquement ou les avantages ou les inconvénients d’un genre de vie; on loue l’Eglise sans dire quelle renferme aussi des méchants; on blâme les mauvais chrétiens salis faire attention aux bons. Il en est de même des clercs, de même des solitaires. Le Seigneur a donc raison de nous dire, que deux travailleront dans le champ du Seigneur, et que le bon seul sera admis, de même des deux à la meule, ou qui travaillent en apparence à leur salut. Sachons donc nous soumettre à Dieu, confessons nos fautes avant d’entrer dans ce bercail, où se continuera notre confession, mais confession de louanges en l’honneur de Dieu.
1. Vous avez, mes frères, entendu le psaume quand on l’a chanté; il est court et n’a rien d’obscur: je vous donne cette garantie, afin que vous n’ayez pas à craindre la fatigue. Appliquons néanmoins notre attention, et d’autant plus volontiers que nous en avons plus le temps, à pénétrer le sens de ces paroles déjà si claires, afin d’en trouver la signification spirituelle autant que nous le pourrons. Quel que soit l’organe que prenne la voix de Dieu, c’est toujours la voix de Dieu; il n’y a que sa parole qui plaise à ses oreilles; et quand nous parlons, nous ne lui plaisons qu’à la condition qu’il parlera lui-même par notre bouche.
2. « Psaume pour la confession »: telle est l’inscription, tel est son titre: « Psaume pour la confession 1 ». Il contient peu de paroles, mais qui sont pleines d’un grand sens; puissent-elles jeter la bonne semence dans vos âmes, afin que l’on prépare le grenier céleste pour la moisson du Seigneur. Poussons des cris de joie au Seigneur, c’est là ce que veut ce psaume de la confession, c’est à quoi il nous exhorte. Or, cette exhortation ne s’adresse point à un coin de la terre, ni à quelque lieu séparé, ou à quelque réunion d’hommes; mais comme Dieu sait qu’il a
1.
Ps. XCLX, 1
répandu ses bénédictions sur toute la terre, il exige de toute la terre la jubilation.
3. « Vous tous, habitants de la terre, acclamez le Seigneur 1». Est-ce que la terre entière peut entendre ma voix? Cependant la terre entière a entendu la voix du psaume. Déjà la terre entière acclame le Seigneur, et celle qui ne l’acclame point encore, l’acclamera bientôt. Car la bénédiction qui est partie de Jérusalem avec l’Eglise naissante, se répand dans toutes les nations 2, renverse partout l’impiété pour établir la piété en tout lieu: les bons sont mélangés aux méchants, et comme les méchants sont par toute la terre, les bons aussi sont par toute la terre. Toute la terre murmure avec les méchants, comme toute la terre pousse avec les bons des cris de jubilation. Qu’est-ce que la jubilation? Car le titre de « psaume pour la confession », appelle notre attention sur cette expression du psaume. Qu’est-ce que jubiler dans la confession? Il est une autre parole du psaume ainsi conçue: « Bienheureux le peuple qui connaît la jubilation 3». Sans doute c’est quelque chose de grand, puisqu’on est heureux de te comprendre. Que le Seigneur donc, que notre Dieu, qui donne aux hommes le bonheur, me donne de comprendre ce que je dois dire, et
1. Ps. XCIX, 2.— 2. Luc, XXIV, 47.— 3. Ps. LXXXVIII, 16.
à vous de comprendre ce que vous entendrez: « Bienheureux le peuple qui comprend la jubilation ». Courons à cette félicité, comprenons la jubilation, ne la répandons point sans la comprendre. A quoi bon jubiler, et obéir aux invitations de ce psaume: « Terre entière, jubilez au Seigneur », si l’on ne comprend la jubilation, si cette jubilation n’est que dans notre voix et nota dans notre coeur? Car le son du coeur, c’est l’intelligence.
4. Vous savez ce que je vais dire. Jubiler, ce n’est point parler, c’est exhaler sans paroles un cri de joie: c’est la voix d’une âme dont la joie est au comble, qui exhale autant que possible ce qu’elle ressent, mais ne comprenant point ce qu’elle dit dans les transports de son allégresse, l’homme après des paroles indicibles et inintelligibles exhale sa joie en cris inarticulés: en sorte que l’on comprend à la vérité sa joie dans ses cris, mais qu’il ne saurait exprimer en paroles cette joie excessive. Voilà ce que l’on remarque dans ceux qui chantent même sans pudeur. Sans doute notre jubilation ne ressemble point à leur jubilation, puisque notre allégresse n’a pour bot que la justice, tandis qu’ils ne jubilent que dans le crime: notre allégresse est dans la confession, la leur dans la confusion. Toutefois, afin de mieux comprendre mes paroles, et même de vous rappeler ce que vous savez, ceux qui jubilent sont principalement les ouvriers des champs. L’abondance des récoltes met en joie les moisson fleurs, les vendangeurs, et tous ceux qui recueillent des fruits; cette fécondité, cette richesse de la terre leur donne des chants d’allégresse; et dans ces chants, ils mêlent aux paroles des ions confus qui témoignent de leur joie, voilà ce qu’on appelle jubilation. Si quelqu’un ne comprend point mes paroles, parce qu’il n’y a point fait attention, qu’il le remarque à l’avenir; puisse-t-il cependant ne trouver personne à remarquer, de peur que Dieu ne trouve quelqu’un à renverser. Mais puisque les épines renaissent sans relâche, signalons, dans ceux qui exhalent une joie profane, la jubilation que Dieu réprouve, afin de lui offrir la jubilation qu’il couronne.
5. Quand est-ce que nous jubilons? Quand nous chantons ce qui est inexprimable. Nous dons les yeux sur la terre, les mers, les cieux, et tout ce qu’ils renferment. Nous voyons que toutes les créatures ont leurs principes et leurs raisons, une force reproductive, un ordre de naissance, une manière de subsister, un dépérissement et une disparition, nous les voyons suivre sans aucune perturbation le cours des siècles, les astres couler en quelque sorte d’Orient en Occident, marquer la suite des années, la longueur des mois, l’étendue des heures; et dans tout cela, je ne sais quoi d’invisible, que l’on appelle âme ou esprit, qui est dans tous les êtres animés, qui cherche le bonheur et redoute la gêne, afin de conserver sa vitalité; des traits dans l’homme qui lui sont communs avec les anges de Dieu, et non avec les animaux, comme la vie, l’ouïe, la vue et le reste. Ainsi il connaît Dieu, ce qui est le propre de l’esprit, qui discerne le bien du mal, comme l’oeil discerne le blanc du noir. Que l’âme, en considérant toutes ces créatures que nous avons pu nommer et parcourir, se demande: Qui a fait tout cela? Qui a créé toutes ces choses? Qui t’a créée toi-même parmi elles? Que sont toutes ces choses que tu considères? Qu’es tu toi-même qui les considères? Qui a fait, et ces créatures à considérer, et l’âme qui les considère? Quel est ce Créateur? Nomme-le: et pour le nommer, réfléchis. Ta pensée peut voir ce que ta parole ne saurait peut-être dire, mais jamais tu ne pourras dire ce que tu n’auras pu penser. Pense donc à ce Créateur avant de le nommer, et pour penser à lui, il faut s’en approcher. Quand tu veux bien voir, afin de pouvoir parler, tu t’approches pour mieux regarder, afin de n’être point trompé par l’éloignement. Mais de même que les yeux dis corps perçoivent tous ces objets, de même c’est l’esprit qui voit Dieu, c’est le coeur qui le considère et le contemple. Et quel doit être le coeur pour contempler Dieu? « Bienheureux », est-il dit, « ceux dont le coeur est pur, parce qu’ils verront Dieu 1». J’entends, je crois, je comprends, comme je puis, que c’est le coeur qui voit Dieu, et que Dieu ne se découvre qu’aux coeurs purs: mais j’entends un autre passage de l’Ecriture: « Qui se glorifiera d’avoir un coeur chaste? Ou qui se glorifiera d’être exempt de toute faute 2? » J’ai considéré, autant que je l’ai pu, toutes les créatures; j’ai vu, dans le ciel et sur la terre, celles qui
1.
Matth. V, 8. — 2. Prov. XX, 9.
ont un corps, et une créature spirituelle en moi qui parle, qui fait agir mes membres, entendre ma voix, mouvoir ma langue, qui prononce des paroles, qui en discerne le sens. Mais quand est-ce que je me comprends en moi-même? et d’où pourrais-je comprendre ce qui est au-dessus de moi? Et toutefois l’Ecriture promet à l’homme qu’il verra Dieu, et lui indique la manière de purifier son coeur; voici son conseil: Prépare-toi, de manière à voir Dieu que tu aimes, avant de le voir. Quand on parle de Dieu et de son saint nom, qui ne se réjouit d’entendre, sinon l’impie séparé de Dieu, rejeté au loin? « Ceux qui s’éloignent de vous périront », dit le Prophète; et il ajoute: « Vous avez perdu ceux qui sont adultères loin de vous ». Mais à nous qu’arrivera-t-il? Car ceux-là sont loin de vous, et dès lors dans les ténèbres, et leurs yeux sont tellement obscurcis par les ténèbres, que non seulement ils ne désirent point la lumière, mais qu’ils en ont horreur; pour nous, qui ne sommes point éloignés, que nous est-il promis? « Approchez de lui et soyez dans la lumière 1 ». Mais pour approcher de lui et en recevoir la lumière, il faut que les ténèbres te déplaisent; condamne ce que tu es, afin de mériter d’être ce que tu n’es pas. Tu es injuste et tu dois être juste; tu n’arriveras jamais à la justice, si l’iniquité a de l’attrait pour toi. Brise-la dans ton coeur, et purifie-toi; chasse-la de ton coeur où veut habiter Celui que tu veux voir. Voilà donc l’âme qui s’approche de Dieu, l’homme intérieur restauré à l’image de Dieu, parce qu’il avait été créé à l’image de Dieu, et qui en était d’autant plus éloigné, qu’il lui était devenu plus dissemblable. Car ce n’est point par la distance des lieux qu’on s’approche de Dieu ou qu’on s’en éloigne. Tu es loin de lui, quand tu es dissemblable à lui; tu es près de lui, situ es à son image. Vois comment le Seigneur veut que nous approchions de Dieu, puisqu’il commence par nous rendre semblables à lui, afin que cette ressemblance nous rapproche. « Soyez », dit-il, « comme votre Père qui est dans les cieux, qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes comme sur les injustes 3». Apprends à aimer un ennemi, si tu veux éviter un ennemi. A mesure que la charité grandit en toi, qu’elle te reforme, et
1.
Ps. LXXII, 27. — 2. Id. XXXIII, 6. — 3. Matth. V, 45.
ravive en toi l’image de Dieu, elle s’étend à tes ennemis, afin que tu deviennes semblable à Celui qui fait luire son soleil, non seulement sur les bons, mais aussi sur les méchants; et pleuvoir, non seulement sur les justes, mais sur les justes et suries injustes. Plus la ressemblance est vive, et plus tu avances dans la charité, plus aussi tu commences à goûter Dieu. Et quel est celui que tu goûtes? Celui qui vient à toi, ou Celui à qui tu reviens? Car ce n’est point lui qui s’est éloigné de toi; s’il est loin de toi, c’est que tu t’éloignes de lui. Tout est également présent et aux aveugles, et à ceux qui voient; qu’un aveugle et qu’un voyant soient dans un même lieu, ils sont environnés des mêmes images: pour l’un ces images sont présentes, mais absentes pour l’autre: ainsi donc, voilà deux hommes en un même lieu, l’un est présent, l’autre absent; non que les objets se rapprochent de l’un, s’éloignent de l’autre, mais cela tient à la différence des yeux. On dit de l’un qu’il est aveugle, parce qu’il est inutilement en présence des objets qu’il ne voit pas, puisqu’en lui est éteint l’organe qui nous met en rapport avec la lumière, qui donne une forme à tout; et même on peut dire qu’il est plus absent que présent: partout en effet où il n’a pas un sens, on dit avec raison qu’il est absent; car l’absence n’est qu’un défaut de sens. C’est ainsi que l’on dit que Dieu est en tout lieu, tout entier partout. Sa sagesse atteint d’une extrémité à l’autre avec force, et dispose toutes choses avec douceur 1. Or, ce qu’est Dieu le Père, son Verbe, sa Sagesse l’est aussi, lui qui est Dieu de Dieu, et lumière de lumière. Que veux-tu donc voir? Ce que tu veux voir n’est pas loin de toi. L’Apôtre nous dit en effet qu’il est placé non loin de chacun de nous, puisque « nous avons en lui la vie, le mouvement et l’être 2 ». Quelle misère donc d’être loin de celui qui est partout!
6. Sois donc semblable à Dieu par la piété, l’aimant par la pensée: car les perfections invisibles de Dieu, sont devenues visibles par les oeuvres visibles qu’il a opérées 3. Envisage donc ces oeuvres, admire-les, cherches en l’auteur. Si tu es dissemblable, il te repoussera; si tu lui es semblable, tu seras dans la joie. Or, dès que tu t’approcheras de Dieu par la ressemblance, et que tu sentiras
1.
Sag. VIII, 1. — 2. Act. XVII, 27, 28.— 3. Rom. I, 20.
Dieu, à mesure que grandira ta charité, comme « Dieu est charité 1», tu ressentiras quelque chose que tu disais sans le dire toutefois. Avant de le sentir, tu disais: C’est Dieu; mais après l’avoir goûté, tu comprends qu’il est impossible d’exprimer tes sentiments. Or, après que tu auras compris ton impuissance à dire ce que tu sens, faudra-t-il te taire, ou chanter des louanges? Faudra-t-il donc taire la louange de Dieu, et ne point rendre grâces à celui qui a voulu se révéler à toi? Tu le bénissais eu le cherchant, tairas-tu ta louange après l’avoir trouvé? Nullement, tu ne seras pas ingrat. A lui appartiennent et l’honneur, elle respect, et toutes les louanges. Vois ce que tu es, terre et cendre; vois celui qui a mérité de voir, et de voir quoi? Qui? Quoi?C’est un homme qui voit Dieu. Je reconnais, non point le mérite chez l’homme, mais la miséricorde en Dieu. Bénis donc cette miséricorde. Comment la bénirai-je, me diras-tu? à peine puis-je exprimer le peu que je sens, en partie, en énigme, à travers un miroir 2. Ecoute le psaume: « Terre entière, jubilez au Seigneur ». Si ta joie est dans le Seigneur, tu comprends déjà la jubilation de la terre entière en l’honneur de Dieu. Que ta joie soit donc pour le Seigneur; et ne la divise point entre telles et telles créatures. Tout le reste se peut dire en quelque manière; celui-là seul est ineffable qui a dit, et tout a été fait. la dit, et nous avons été faits; mais nous ne pouvons le nommer 3. Le Verbe qui nous a dit d’être, est son Fils; et pour que nous puissions la nommer en quelque façon, nous si infirmes, lest devenu infirme. Au lieu de verbe, nous pouvons jeter un cri confus, mais nulle parole ne peut exprimer le Verbe. « O terre entière, jubilez au Seigneur».
7. « Servez le Seigneur dans l’allégresse ». Toute servitude est pleine d’amertume; tous ceux qui sont sous le joug de la servitude, ne servent qu’avec murmure. Ne redoutez point le joug du Seigneur: il n’y a là ni gémissement, ni murmure, ni indignation; nul ne cherche à s’en affranchir, on goûte le bonheur d’être racheté. Il y n donc, nies frères, un grand bonheur d’être dans cette maison, bien qu’il y ait des entraves. Ne redoute point ces entraves, heureux serviteur, mais confesse-toi mu Seigneur; n’attribue ces entraves qu’à tes mérites; rends gloire à Dieu dans ces chaînes,
1.
Jean, IV, 8. — 2. I Cor. XIII, 12. — 3. Ps. XXXII, 9.
si tu veux qu’elles soient pour loi un ornement. Ce n’est pas en vain, ni sans avoir été exaucé, que le Prophète a dit: « Que les cris des captifs montent jusqu’à vous, ô mon Dieu 1. Servez le Seigneur dans l’allégresse», C’est être libre que servir le Seigneur, c’est être libre, puisqu’on le sert, non par contrainte, mais par amour. « Pour vous»,dit saint Paul, « vous êtes appelés à la liberté, mes frères: seulement que cette liberté ne soit point une occasion de vivre dans la chair; mais assujettissez-vous les uns aux autres par l’esprit de charité 2» Que la charité te rende esclave, puisque tu es l’affranchi de la vérité. « Si vous demeurez fermes dans ma parole », dit le Sauveur, « vous êtes véritablement mes disciples, et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous affranchira 3 ». Te voilà donc esclave, esclave et libre; esclave parce que tu as été créé; libre parce que tu es aimé de Dieu ton créateur: ou plutôt libre, parce que tu aimes celui qui t’a créé. Ne le sers donc point avec murmure; tes murmures ne te dispenseront point de le servir, seulement ils feront de toi un mauvais serviteur. Tu es le serviteur du Seigneur, l’affranchi du Seigneur; ne désire point la liberté au point d’être mis hors de la maison de Celui qui t’affranchit.
8. « Servez le Seigneur avec allégresse ». Cette allégresse sera pleine et entière, quand notre corps corruptible sera revêtu d’incorruptibilité, et que notre mortalité aura revêtu l’immortalité 4: c’est alors que la joie sera pleine, l’allégresse parfaite, la louange sans défaut, l’amour sans scandale, la jouissance sans crainte, et la vie sans trépas. Mais ici-bas? N’y aura-t-il donc nulle joie? S’il n’y a aucune joie, aucune jubilation, pourquoi dire: « Terre entière, soyez dans l’allégresse, au nom du Seigneur? » Il est assurément une joie ici-bas; l’espérance de la vie future nous rassasie par avance. Mais il faut que le bon grain souffre, mélangé à l’ivraie: il est environné de paille 5; c’est un lis au milieu des épines. Qu’est-il dit de l’Eglise? « Comme un lis au milieu des épines, ainsi est ma bien-aimée au milieu des filles 6 ». Il n’est pas dit, au milieu, des filles étrangères, mais «au milieu des filles ». Quelle consolation pour nous, ô mon Dieu! Comme vous nous fortifiez! Comme vous nous effrayez ! Que dites-vous en effet?
1.
Ps. LXXVIII, 11.— 2. Gal. V, 13.— 3. Jean, VIII, 31, 32.— 4. I Cor. XV, 54. — 5. Matth. III, 12; XIII, 30.— 6. Cant. II, 2.
« Comme le lis est au milieu de quelques épines, ainsi est ma bien-aimée au milieu de quelles filles? » Quelles sont ces filles que vous appelez des épines? Elles sont pour moi des épines à cause de leurs moeurs, et des filles a cause de mes sacrements. Plût à Dieu que l’on n’eût à gémir que parmi les étrangers! on en gémirait moins. Mais combien est plus amer ce gémissement: « Si un ennemi m’eût outragé, je l’eusse supporté; si un homme irrité se fût élevé contre moi, je me serais dérobé à ses poursuites ». Ainsi dit le psaume; celui qui connaît les saintes lettres peut suivre; que celui qui les ignore, les apprenne et suive: « Si l’homme qui me haïssait eût répandu la malédiction sur moi, je me serais dérobé à lui; mais toi, qui n’étais qu’un avec moi, toi, mon guide, mon ami, qui prenais avec moi la douce nourriture 1 ». Quelle douce nourriture prennent-ils donc avec nous, ceux qui n’y doivent pas être éternellement? Quelle douce nourriture, sinon: « Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux 2? » C’est au milieu d’eux que nous devons gémir.
9. Mais comment le chrétien pourrait-il se séparer, pour ne pas vivre parmi les faux frères? Où ira-t-il? Que fera-t il? Dans la solitude? Les scandales l’y suivront. Celui qui avance dans la vertu, doit-il se séparer de manière à ne plus supporter les hommes? Et qu’arriverait-il, si nul ne le supportait lui-même avant ses progrès? Si donc les progrès qu il fait l’empêchent de supporter personne, par là même qu’il ne veut point souffrir les autres, il est convaincu de n’avoir fait aucun progrès. Que votre charité veuille bien écouter. «Supportez-vous mutuellement », dit l’Apôtre, « dans la charité, vous efforçant de conserver l’union des coeurs dans les liens de la paix 3». « Supportez-vous mutuellement » n’as-tu donc rien qu’un autre doive supporter? Tu m’étonnerais, si tu n’avais rien; mais admettons qu’il n’y ait rien en toi, tu es d’autant plus fort pour supporter les autres, que les autres n’ont rien à supporter de ta part. Si tu ne fais rien supporter, supporte les autres. Je ne saurais, diras-tu. Donc tu as en toi quelque chose que l’on doit supporter. « Supportez-vous mutuellement dans la charité ». Tu abandonnes le genre humain, tu te sépares afin que nul ne te voie; à qui seras-tu utile? En serais-tu arrivé là, si
1.
Ps. LIV, 13-15. — 2. Id. XXXIII, 8 — 3. Ephés. IV, 2, 3.
nul ne t’avait aidé? Parce que tu crois avoir le pied assez agile pour passer le fleuve, vas-tu couper le pont? C’est vous tous que j’exhorte, mes frères, c’est la voix de Dieu qui vous exhorte: « Supportez-vous mutuellement dans la charité ».
10. Je me serai, dit un autre, je me séparerai avec quelques gens de bien, et j’aurai la paix avec eux. Car il y a impiété, cruauté même à n’être utile à personne. Telles ne sont point les leçons du Seigneur mon Dieu, qui condamne un serviteur, non pour avoir usé de l’argent qu’il avait reçu, mais pour n’en avoir tiré aucun profit. Mesurons la peine du voleur à la peine du paresseux: « Serviteur méchant et paresseux », dit le maître en le condamnant. Il ne dit point: Tu as tourné à ton profit mon argent; il ne dit point: Je t’ai confié, et tu ne m’as point remis le dépôt entier; mais parce que ce dépôt ne s’est point accru, parce que tu ne l’as point mis à la banque, je punirai ton indolence 1. Le Seigneur en effet est avare de notre salut. Je me séparerai donc, dit cet homme, avec quelques hommes choisis: qu’ai-je à faire avec la foule? C’est bien: mais ces quelques bons, de quelle foule ont-ils été tirés? Si toutefois ce petit. nombre est tout à fait bon, c’est une pensée humaine, mais une pensée bonne et louable de vivre avec ceux qui ont choisi une vie paisible, de vous retirer loin du. bruit populaire, des fou les tumultueuses, et ne chercher comme dans un port un abri contre ces grands flots du monde. Mais est-ce bien là qu’on trouve cette joie pleine? Est-ce bien là cette jubilation qu’on se promettait? Pas encore; mais on y gémit encore, on y éprouve encore des tentations. Ce port a quelque part une entrée; puisque s’il était fermé de toutes parts on n’y pourrait pénétrer: il est donc ouvert quelque part; mais par cette ouverture le vent s’engouffre quelquefois, et les vaisseaux qui ne craignent rien des rochers, se brisent les uns contre les autres. Où sera donc la sûreté, si elle n’est dans le port? Et néanmoins on est plus heureux dans le port qu’en pleine mer, il faut l’avouer, je l’accorde, c’est la vérité. Que ces vaisseaux dans le port s’aiment donc mutuellement, qu’ils se tiennent unis étroitement, et ne se heurtent point: qu’ils gardent l’égalité, l’uniformité, une charité constante; et quand par
1.
Matth. XXV, 14-30.
hasard le vent viendra s’y engouffrer par l’ouverture, que le gouvernail soit dirigé sagement.
11. Mais que me dira celui qui, dans ces lieux paisibles, est préposé à ses frères ou plutôt est leur serviteur, dans cet asile appelé monastère? Que me dira-t-il? Je me tiendrai sur mes gardes, je n’admettrai aucun méchant, Comment n’admettre aucun méchant? Je n’admettrai aucun homme d’humeur fâcheuse, aucun frère méchant qui voudrait y montrer; je me bornerai à quelques bons. Comment connaître celui que tu devras exclure? On ne peut connaître sa méchanceté qu’après des épreuves dans le monastère. Or, comment exclure celui qui veut entrer, que tu dois éprouver ensuite, et que tu ne saurais éprouver s’il n’est entré? Repousseras-tu donc tous les méchants? car tu le promets, et tu as le coup d’oeil juste. Ils viennent tous à toi le coeur sur la main? Mais ceux qui veulent titrer ne se connaissent point, comment les connaîtrais-tu? Plusieurs avaient promis de mener cette vie sainte, qui met tout en commun, où nul ne revendique de propriété, où tous n’ont qu’un coeur et qu’une âme 1; une fois dans la fournaise, ces vases ont crevé. Comment connaître celui qui ne se connaît point lui-même? Excluras-tu les faux frères le la société des bons? Mais toi qui parles de la sorte, bannis de ton esprit, si tu le peux, toutes les pensées mauvaises; ne laisse entrer dans ton coeur aucune suggestion fâcheuse. Je n’y consens point, dis-tu. Cette suggestion n’est pas moins entrée, car nous voulons tous que nos coeurs soient sur leur garde, au point de ne laisser entrer aucune suggestion. Qui peut même savoir par où elle entrera? Chaque jour notre coeur seul nous livre des combats, et un seul homme trouve dans son coeur une foule d’ennemis. Suggestions de l’avarice, suggestions de la luxure, suggestions de l’intempérance, suggestions las joies du siècle, suggestions de toutes parts. Attaqué partout, il résiste partout, s’abstient de tout; mais il est bien difficile de n’être point blessé parfois. Où trouver la sécurité? nulle part en cette vie, sinon dans l’espérance des promesses de Dieu. C’est dans l’accomplissement de ces promesses que nous louerons la parfaite sécurité, alors que se fermeront les portes de la Jérusalem céleste,
1.
Act. IV, 32, 35.
dont les serrures sont inébranlables 1; là notre jubilation sera pleine, et notre bonheur ineffable. Mais aujourd’hui ne louez pas sans crainte une vie quelconque, ne chantez pas un homme avant sa mort 2.
12. Ce qui trompe les hommes, ce qui les détourne d’une profession sainte, ou les y engage témérairement, c’est que dans leurs louanges, quand ils veulent en donner, ils n’expriment point les inconvénients de certain genre de vie, et que dans leurs blâmes, ils font entrer la jalousie et le venin, au point de fermer les yeux sur ce qu’il y a de bien, et de se borner à exagérer le mal réel ou supposé qu’on y trouve. Il arrive de là que ces professions mal exposées, ou exposées sans précaution, attirent par ces applaudissements des hommes qui s’étonnent d’y rencontrer ensuite ceux qu’ils étaient loin d’y soupçonner: offusqués alors d’y trouver des méchants, ils se séparent même des bons. Mes frères, que cette leçon vous serve à régler votre vie, écoutez pour vivre pieusement. Pour, parler en général, c’est l’Eglise qu’on loue: les chrétiens, dit-on, sont de grands hommes, il n’y a qu’eux de grands. Vive l’Eglise catholique; tous ses membres s’aiment, se font tout le bien qu’ils peuvent; dans toute la terre, ils s’adonnent à la prière, au jeûne, à la louange de Dieu, et s’unissent dans un concert de paix pour louer le Seigneur. Un homme qui entend ce langage, qui ne sait pas ce qu’on ne lui dit point, que les méchants y sont mêlés aux bons, vient à l’Eglise attiré par ces louanges; il y trouve des méchants dont la présence ne lui était pas signalée, et l’aversion que lui inspirent ces faix chrétiens, l’éloigne même des chrétiens véritables. Des hommes haineux, au contraire, des hommes envenimés se répandent en injures: Quelles gens que ces chrétiens ! Que sont-ils? des avares, des usuriers. Ne les voit-on pas aussi dans les jours de fêtes et de spectacles, remplir les théâtres et les amphithéâtres, puis aller dans leurs églises aux jours de fêtes? Ils sont ivrognes, gourmands, envieux, se déchirent mutuellement. Il y en a de semblables, il est vrai, mais ils ne sont pas les seuls. Ce censeur est aveugle et ne dit rien des bons, et ce panégyriste est imprévoyant et ne dit rien des méchants. Si l’on veut chanter maintenant l’Eglise de Dieu comme la chantent les saintes
1.
Ps. CXLVII, 13. — 2. Eccli. XI, 30.
Ecritures, voici comme il faut dire: « Ma bien-aimée est au milieu des filles,comme le lis au milieu des épines 1». Un homme nous entend, il considère, le lis lui plaît, il entre, il s’attache au lis, et tolère les épines: il mérite ainsi l’éloge et fixe les regards de l’époux, qui dit: « Ma bien-aimée est au milieu des filles, comme le lis est au milieu des épines ». Ainsi en est-il des clercs. Leurs panégyristes considèrent parmi eux les ministres excellents, les fidèles dispensateurs, ceux qui supportent tout le monde, qui donneraient jusqu’à leurs entrailles pour ceux dont ils souhaitent les progrès, qui ne cherchent pas leurs propres intérêts, mais ceux de Jésus-Christ 2. Voilà ce qu’on loue, et l’on oublie que les méchants y sont mélangés. De même ceux qui blâment l’avarice des clercs, la rapacité des clercs, les procès des clercs, les représentent comme avides du bien d’autrui, comme des ivrognes, des gourmands. C’est là blâmer avec jalousie, c’est louer étourdiment. Toi qui loues, dis qu’il y a là des méchants; et toi qui blâmes, regarde les bons. Ainsi en est-il de cette vie commune que des frères mènent dans les monastères. Ce sont là des hommes admirables, des hommes saints, qui sont chaque jour dans les hymnes, dans la prière, dans la louange de Dieu, qui en vivent et qui s’occupent de saintes lectures; le travail des mains pourvoit à leur subsistance; ils vivent sans avarice, ne demandent rien, et tout ce qu’ils reçoivent de là piété de leurs frères, ils en usent avec charité, et selon leur besoin; nul ne s’arroge une chose qu’un autre n’ait pas; ils s’aiment tous, et se supportent mutuellement. Mais tu as loué cette vie, tu l’as louée; et celui qui n’en connaît point l’intérieur, qui ne sait point que le vent pénètre parfois dans le port, et que les vaisseaux s’entrechoquent, entre dans ces maisons, espérant y trouver le calme, et n’avoir plus personne à supporter; il y trouve de faux frères, dont on ne pouvait connaître la méchanceté, qu’après les avoir admis: (il faut d’abord les tolérer dans l’espoir qu’ils se corrigeront; il est difficile de les exclure sans les avoir quelque peu supportés). Cet homme alors devient à son tour d’une impatience insupportable. Qui m’appelait ici, s’écrie-t-il? Je croyais ici rencontrer la charité. Irrité alors par ce qu’il y
1.
Cant. II, 2. — 2. Philipp. II, 21.
a d’agaçant chez quelques hommes, et n’ayant point le courage d’accomplir son dessein, il abandonne son projet de sainteté, et apostasie ses voeux. Mais au sortir de là, il blâme, il maudit à son tour, il ne dit que les choses qu’il n’a pu supporter, et qui sont souvent vraies; mais il faut supporter les défauts des méchants, si l’on veut jouir de la société des bons. « Malheur à ceux qui ne savent rien supporter », dit l’Ecriture. Ce qui est pire encore, cet homme, dans son indignation, répand pour ainsi dire l’odeur infecte de ces lieux, et en détourne ceux qui voudraient entrer, parce qu’il n’a pu y demeurer après y être lui-même entré. Qu’est. ce que ces gens? des jaloux, des querelleurs, qui ne peuvent souffrir personne. Celui-ci y a fait tel crime, celui-là tel autre crime. Au méchant, pourquoi ne rien dire des bons? Tu blâmes ceux que tu n’as pu supporter, sans rien dire de ceux qui ont supporté tes défauts.
13. Qu’elle est juste, mes frères, qu’elle est admirable cette parole de l’Evangile, émanée de la bouche de Notre Seigneur: « Deux hommes seront dans un champ, l’un sera pris, l’autre sera laissé: deux femmes seront à moudre, l’une sera prise, l’autre sera laissée; deux dans un lit, on prendra l’un, on laissera l’autre 2 ». Qui, ces « deux dans un champ?» Ceux dont saint Paul a dit: « J’ai planté, Apollo a arrosé, Dieu a donné l’accroissement. Vous êtes le champ du Seigneur ». Nous travaillons dans ce champ. « Deux sont dans ton champ », ce sont les clercs: « l’un sera pris, l’autre laissé»; On prendra le bon, on laissera le mauvais.
« Deux seront à moudre », dit le Sauveur, en revenant au peuple. Pourquoi à « la meule?» Parce que les liens du siècle les tiennent attachés au cercle des choses temporelles. « L’un de ces esclaves sera choisi, l’autre dédaigné ». Lequel sera choisi? Celui qui fait des bonnes oeuvres, qui prend en pitié l’indigence des serviteurs de Dieu, qui est fidèle à confesser Dieu, qui met sa joie dans une espérance certaine, qui est attentif à Dieu, qui ne veut de mal à personne, qui aime autant qu’il peut, non seulement ses amis, mais encore ses ennemis, l’homme qui ne connaît d’autre femme que la sienne, l’épouse
1.
Eccli. II, 16. — 2. Matth. XXIV, 40, 41; Luc, XVII, 34, 35 — 3. I Cor. III,
6, 9.
qui ne connaît que son époux, voilà celui que l’on prendra à la meule; on laissera quiconque vit d’une autre manière. D’autres vous disent: Nous voulons le repos, t’avoir à souffrir de personne, nous retirer de la foule, vivre en paix dans quelque lieu retiré. Chercher le repos, c’est chercher un lit, où l’on fait trève à toute inquiétude. Mais là encore « on prendra l’un, et on laissera l’autre ». Ne vous laissez point illusionner, mes frères; si vous ne voulez vous tromper, si vous aimez vos frères, sachez que dans l’Eglise toute profession a ses faux frères. Je ne dis point que tout homme soit faux, mais il y a des faux dans toute profession: il y a de mauvais chrétiens, mais il y a aussi de bons chrétiens. Tu ne vois en quelque sorte que des mauvais, qui sont comme la paille, et qui ne te laissent pas approcher du bon grain 1; mais il y a aussi du bon grain, approche, vois, secoue, juges-en par ta bouche. Tu trouveras des vierges déréglées; faut-il pour cela blâmer la virginité? Il en est beaucoup qui ne s’enferment point dans leurs maisons, qui courent les maisons des autres, qui sont curieuses, parlent sans discrétion, orgueilleuses, causeuses 2, s’adonnent au vin: bien qu’elles soient vierges, qu’est-ce que cette pureté du corps avec une âme corrompue? Le mariage, dans l’humilité, est préférable à une virginité orgueilleuse; le mariage lui donnerait un frein pour la retenir et lui enlèverait ce nom qui l’enorgueillit. Mais pour des vierges indignes, faut-il condamner celles dont la chair est pure et l’âme sainte 3? ou pour celles qui sont louables, faudra-t-il doue louer celles qui sont condamnables? Partout on prendra l’un, on laissera l’autre.
14. Finissons, mes frères, notre psaume, qui est clair dans tout le reste. « Servez le Seigneur avec joie 4 ». C’est à vous que s’adresse le Psalmiste, ô vous qui souffrez tout dans la charité, et vous réjouissez dans l’espérance. « Servez le Seigneur », non dans l’amertume de vos murmures, mais bien « dans la joie » de la charité. « Entrez en sa présence, dans l’allégresse ». Il est facile de se réjouir dans les choses du dehors; tressaille en la présence de Dieu. Que cette allégresse ne soit point en paroles, que la conscience soit dans l’allégresse. « Entrez en sa présence, et dans l’allégresse ».
1.
Matth. III, 12.— 2. I Tim. V, 13.— 3. I Cor.
VII, 34.— 4. Ps. XCIX, 2.
15. « Sachez que le Seigneur est lui-même votre Dieu 1». Qui ne sait que le Seigneur est Dieu? Mais le Psalmiste parle de ce Seigneur que les hommes ne croyaient pas un Dieu: « Sachez que le Seigneur est lui-même Dieu ». Que ce Seigneur ne soit point méprisable à vos yeux. Vous l’avez crucifié, flagellé, couvert de crachats, couronné d’épines, revêtu d’un manteau d’ignominie, suspendu à la croix, percé de clous, frappé d’une lance, fait garder dans son sépulcre, et il est Dieu. « Sachez que le Seigneur est Dieu lui-même. C’est lui qui nous a faits, et non point nous-mêmes ». « C’est lui qui nous a faits », puisque tout a été fait par lui, et rien sans lui 2. Pourquoi vos transports, pourquoi votre orgueil? Un autre vous a faits, et celui qui vous a faits vous l’avez fait souffrir. Mais vous, votre jactance, votre orgueil, votre enflure, feraient croire que vous vous êtes faits vous-mêmes. Il est avantageux pour vous que celui qui vous a faits, vous perfectionne. « C’est lui qui nous a faits, et non pas nous-mêmes ». Loin de nous tout orgueil; tout le bien qui est en nous, nous vient du Créateur; tout ce qui est notre oeuvre aboutit à notre condamnation, et tout ce qu’il a mis en nous, à notre couronnement. « C’est lui qui nous a faits, et non pas nous-mêmes. Nous sommes son peuple, et les brebis de son bercail ». Les brebis et la brebis, tous ses brebis, et une seule brebis. Et quel amour a pour nous notre pasteur ! Il abandonne les quatre-vingt-dix-neuf brebis, pour en chercher une seule, qu’il a rachetée de son sang et qu’il rapporte sur ses épaules 3; pasteur qui est mort sans hésiter pour sa brebis, et qui possède sa brebis en ressuscitant. « Nous sommes son peuple, et les brebis de son bercail».
16. « Entrez dans ses portes par la confession 4». La porte marque l’entrée; commencez par la confession. C’est là le titre du psaume, « la confession », ou les transports. Confessez que vous ne vous êtes pas faits vous-mêmes, louez Celui par qui vous avez été faits. Que de lui vienne tout ton bien, puisque tout ton mal est de t’être séparé de lui. « Entrez dans ses portes par la confession 4». Que le troupeau entre par la porte, sans rester dehors, exposé aux loups. Et comment entrer? « Par la confession ». Que
1.
Ps. XCIX, 3.— 2. Jean, I, 3.— 3. Luc, XV, 4, 5.— 4. Ps. XCIX, 4.
la porte ou l’entrée soit pour toi la confession, d’où cette parole d’un autre psaume « Commencez avec le Seigneur par la confession 1», où le mot « commencez » répond à « la porte » de notre psaume: « Entrez dans ses portes par la confession ». Et quoi donc! n’aurons-nous rien à confesser quand nous serons entrés? Confesse toujours, parce que tu as toujours de quoi confesser. Il est difficile ici-bas qu’un bornoie change au point de n’avoir plus rien de répréhensible. Accuse-toi donc toi-même, de peur d’être accusé par celui qui te damnera. Donc en entrant fais une confession. Quand ne sera-ce plus celle des péchés? Dans ce repos où notas ressemblerons aux anges. Mais comprenez mes paroles: il n’y aura plus de confession des péchés; je n’ai point dit qu’il n’y aura plus de confession, car alors il y aura la confession de la louange. Toujours tu confesseras qu’il est ton Dieu, que tu es sa créature, qu’il est le protecteur et toile pupille. Tu seras en quelque sorte caché en lui, ainsi qu’il est dit: « Vous le cacherez, Seigneur, dans le secret de votre face ». Dans son parvis « chantez des hymnes à sa gloire ». Chantez sur ses portes, et quand vous serez dans son parvis, chantez encore des hymnes à sa « gloire ». Les hymnes sont des louanges. En entrant, accuse-toi; et quand tu seras entré, chante à sa gloire. « Ouvrez pour moi les portes de la justice », dit un autre psaume, « et en entrant, je me confesserai au Seigneur» 3. Mais dit-il: Quand j’y serai entré,
1. Ps. CXLVI, 7. — 2. Id. XXX,
21. — 3. Id. CXVII, 19.
je n’aurai plus de confession à faire au Seigneur? Même après l’entrée il y aura confession. Etait-ce donc des péchés que Notre Seigneur accusait à son Père, quand il disait: « Je vous confesse, ô mon Père, Dieu du ciel et de la terre 1? » Cette confession était un cantique à Dieu, et non une accusation de lui-même.
17. « Louez son nom, car le Seigneur est doux». Ne craignez point de vous lasser en le bénissant; cette louange sera pour vous une nourriture; plus vous chanterez, plus vous aurez de forces, et plus vous sera doux l’objet de vos louanges. « Louez son nom, parce que le Seigneur est doux, sa miséricorde éternelle ». Sa miséricorde, en effet, ne s’arrêtera point à la délivrance, et il y va de cette miséricorde, de te protéger dans la vie éternelle. « Sa miséricorde est éternelle, et sa vérité s’étend de génération en génération ». Cette expression, « de génération en génération », doit s’entendre de toute génération, ou de deux générations, l’une terrestre et l’autre céleste; une génération qui enfante les hommes à une vie mortelle, et une génération qui les engendre à la vie éternelle. Dans l’une et dans l’autre est sa vérité; et garde-toi de croire que sa vérité ne soit point ici-bas. Si sa vérité n’était point ici-bas, un autre psaume ne dirait point: «La vérité s’est levée de la terre 2 »; et la vérité elle-même ne dirait point: « Voilà que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles 3 ».
1. Matth. XI, 25. — 2. Ps. LXXIV, 12. — 3. Matth. XXVIII,
20.
SERMON AU PEUPLE.
Que nul ne compte sur l’impunité à cause de la divine miséricorde, car le Psalmiste qui chante cette miséricorde tout d’abord, y joint le jugement ou la justice. Souvent chez les hommes la miséricorde a nui à la justice, et la justice à la miséricorde; mais Dieu tout d’abord miséricordieux ne tolère les méchants que pour les juger ensuite, après les avoir amenés à la pénitence. Saint Paul qui proclame la miséricorde de Dieu pour lui-même, n’en menace pas moins du jugement de Dieu, ceux qui se rassurent à cause de l’impunité de cette vie. Outre la crainte, ce jugement doit nous inspirer l’amour, puisque nous serons couronnés. Sans la divine miséricorde, Paul n’était qu’un blasphémateur; mais la grâce de Dieu lui fait espérer la couronne de Justice qui lui est due; il est ici le type des pécheurs. Mais Dieu ne nous épargne que pour nous amener à la pénitence, autrement il serait notre complice. Il nous mettra en face de nous-mêmes pour nous convaincre. C’est donc là le chant du Christ, chef de l’Eglise, en qui nous sommes Christ. Mais pour chanter avec lui, il faut ne pas nuire aux autres, ni à soi-même. Autrement notre conscience perverse ne nous permettrait pas d’habiter ni dans le Christ, ni dans notre intérieur. Répudions les prévaricateurs pour nous unir à Dieu, bien qu’il ne nous exauce pas toujours. Malgré sa tristesse en face de la mort, le Sauveur s’unit à la volonté de son père. Dans le malheur nous accusons parfois Dieu qui désapprouve le pécheur. Rapprochons-nous le Dieu et fuyons la table des méchants: désapprouvons ce qu’ils aiment, comme Jésus à la table de Sinon était loin de son orgueil. Asseyons-nous avec les fidèles, afin de juger avec eux. Nous sommes donc ici-bas au temps de la nuit, ou de la miséricorde de Dieu qui nous éprouve comme il éprouva Job et les Apôtres. Extermination réservée à ceux qui ne se tourneront point vers lui.
1. Le premier verset de ce psaume centième contient tout ce que nous devons chercher dans tous les autres: « Je chanterai, le Seigneur, votre miséricorde et votre jugement ». Que nul ne compte sur la divine miséricorde, pour se promettre l’impunité; car il y a aussi le jugement: et que nul pécheur converti ne redoute le jugement; car il y a aussi la miséricorde. Quand les hommes jugent, ils se laissent parfois dominer par la miséricorde, et ils prononcent contre la justice: et alors ils ont, du moins en apparence, la miséricorde et non la justice; souvent aussi, pour être trop sévères dans leurs jugements, ils perdent la miséricorde. Quant à Dieu, l’effusion de sa miséricorde ne lui fait point perdre la sévérité du jugement, et dans la sévérité du jugement il n’oublie point sa bonté miséricordieuse. Si nous remarquons bien l’ordre de ces deux expressions: miséricorde et justice, nous trouverons que ce n’est point sans raison qu’elles sont ainsi placées de manière à ne point dire justice et miséricorde, mais bien, « miséricorde et justice »: et au point de vue du temps, nous verrons que c’est aujourd’hui le temps de la miséricorde, et dans l’avenir le temps du jugement. Comment la miséricorde vient-elle tout d’abord? Considère tout d’abord en Dieu les dons que tu as reçus, afin d’imiter ton Père céleste. Car il n’y a point arrogance de notre part à dire que nous devons imiter notre Père; puisque Notre Seigneur, le Fils unique de Dieu, nous y exhorte en disant: « Soyez semblables à votre Père céleste ». Après avoir dit dans l’Evangile: « Aimez vos ennemis; priez pour ceux qui vous persécutent»; il ajoute: « Afin que,vous soyez semblables à votre Père qui est dans le ciel, qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes 1». Telle est la miséricorde. Quand tu vois les justes et les injustes contempler le même soleil, jouir de la même lumière, boire aux mêmes fontaines, s’enrichir aux mêmes pluies, récolter en abondance les mêmes fruits de la terre, respirer le même air, se partager aussi les nièmes biens de cette vie, garde-toi d’accuser d’injustice ce même Dieu qui donne également ces biens aux justes et aux injustes. C’est maintenant le temps de la miséricorde, et non celui de la justice. Si lotit d’abord il ne mous pardonnait dans sa miséricorde, il ne trouverait personne qu’il pût couronner dans son jugement. Il y a donc un temps de miséricorde, alors que le Seigneur amène les pécheurs à la pénitence par la patience.
2. Ecoute l’Apôtre qui distingue ces deux
1.
Matth. V, 48, 44, 45.
temps, et distingue-les avec lui: « Toi donc, ô homme, qui condamnes ceux qui commettent ces fautes, et qui les commets toi-même, penses-tu éviter le jugement de Dieu 1? » Redoublez d’attention. Il se voyait lui-même, cet homme à qui s’adresse l’Apôtre, qui ne parle pas à un homme seulement, mais au genre humain qui est tel, il se voyait tomber chaque jour dans beaucoup de fautes, bien qu’il ne laissât pas de vivre, et qu’il ne lui arrivât aucun mal; et alors il s’imaginait ou que Dieu dort, ou qu’il n’a aucun souci des choses humaines, ou bien qu’il prend plaisir au mal que font les hommes. Saint Paul détruit celte pensée dans leurs coeurs, pourvu néanmoins qu’ils le comprennent. Que dit-il donc? « O homme qui juges ceux qui commettent ces fautes, et qui les fais toi-même, crois-tu donc échapper au jugement de Dieu? » Et comme si on lui répondait: Tant de fois chaque jour je me rends coupable, pourquoi donc ne m’arrive-t-il aucun mal? voilà que l’Apôtre continue en lui montrant que nous sommes au temps de la miséricorde: « Méprises-tu », lui dit-il, « les trésors de sa bonté, de sa patience, de sa longanimité 1? » Il les méprisait, en effet, mais l’Apôtre lui suggère l’inquiétude. «Ignores-tu », lui dit-il, « que la bonté de Dieu t’invite à la patience? » Voilà le temps de la miséricorde. Mais pour l’empêcher de croire que ce temps durera toujours, comment lui inspire-t-il de l’effroi? « Quant à toi » (écoute le jour du jugement après avoir entendu le jour de la miséricorde, puisqu’il est dit: « Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre jugement): quant à toi, par la dureté de ton coeur, et par ton impénitence, tu te grossis un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses oeuvres 2 ». Voilà: « Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre jugement». Mais saint Paul nous menace du jugement de Dieu: ce jugement ne doit-il donc nous inspirer que la crainte, et non l’amour? Les méchants doivent le craindre à cause du châtiment, et les bons l’aimer à cause de la couronne qu’ils doivent recevoir. Mais puisque l’Apôtre a effrayé les méchants, dans le passage que j’ai cité, écoute l’espérance qu’il donne aux bons à propos même du jugement;
1.
Rom. II, 4.— 2. Id. 5.
il se met en avant et montre par lui-même que c’est maintenant le temps de la divine miséricorde. Car s’il n’eût lui-même rencontré la miséricorde, qu’eût trouvé en lui le jugement? le blasphème, la persécution, l’outrage. Voilà ce qu’il avoue lui-même en nous signalant ce temps de miséricorde qui est le nôtre: « Tout d’abord », nous dit-il, « j’ai été un blasphémateur, un persécuteur, un insolent; mais j’ai obtenu miséricorde 1 ». Peut-être est-il le seul pour avoir obtenu miséricorde? Ecoute comment il nous relève: « Jésus-Christ », nous dit-il, « a voulu montrer en moi sa longanimité pour l’instruction de ceux qui croiront en lui 2». Qu’est-ce à dire, « a voulu montrer en moi sa longanimité? » C’est-à-dire que tout pécheur, tout criminel comprenant que Paul a obtenu son pardon, ne doit point s’abandonner au désespoir. Le voilà qui se montre afin de relever les autres. Où? Dans le temps de la miséricorde. Ecoute ce qu’il dit aux bons à propos du jugement, en parlant de lui et des autres. D’abord il a obtenu miséricorde; et comment? Parce qu’il a blasphémé, persécuté, outragé. Le Seigneur est donc venu pour pardonner à Paul, non pour le récompenser. S’il eût voulu lui rendre selon ses oeuvres, qu’eût-il trouvé pour Paul, sinon le châtiment et le supplice? Il n’a point voulu le châtier, il lui a fait don de la grâce. Ecoute bien comment celui qui a reçu cette grâce, ne voit plus dans le Seigneur qu’un débiteur. Il a trouvé en lui un donateur au temps de la miséricorde, il compte sur lui comme sur un débiteur au temps du jugement. Ecoutez ce qu’il dit à ce propos: « Je touche déjà à l’immolation, et le temps de ma mort approché. J’ai combattu un bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi ». Voilà pour le temps de la miséricorde; écoute pour celui du jugement: « Il ne me reste qu’à lui tendre la couronne de justice que le Seigneur, juste juge, me rendra au grand jour 3». Il ne dit pas: Me donne; mais, « me rendra ». Donner, c’était la miséricorde; rendre, ce sera la justice; car « Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre justice ». En lui pardonnant ses péchés, il s’engageait à le couronner. C’est là que « j’ai reçu miséricorde ». Le Seigneur est donc tout d’abord miséricordieux; c’est lui qui « me rendra » la
1.
I Tim. I, 15. — 2. Id. 16. — 3. II Tim. IV,
6-8.
couronne « de justice ». Pourquoi la rendre? Parce qu’ « il est un juste juge ». Pourquoi est-il alors un juste juge? C’est que «j’ai combattu un bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé ma foi n. Voilà ce que la justice ne peut se dispenser de couronner. Car elle a trouvé de quoi couronner; mais auparavant qu’avait-elle trouvé? « Un blasphémateur, un persécuteur ». Il a pardonné ces derniers actes, il couronnera les seconds; il a pardonné les uns au temps de la miséricorde, il couronnera les autres au temps du jugement, car « c’est votre miséricorde et ensuite votre jugement que je veux chanter, ô mon Dieu ». Mais Paul est-il donc le seul pour avoir mérité celte grâce? Car je vous l’ai dit, comme il nous effraie dans un de ses témoignages, ainsi il nous console dans l’autre. Après avoir dit: « Le Seigneur, qui est un juste juge, me rendra en ce grand jour »; il ajoute: « Et non seulement à moi, mais à tous ceux qui aiment sa manifestation et son royaume 1».
3. Donc, mes frères, tant que nous sommes dans le temps de la miséricorde, ne nous flattons point, ne nous négligeons point, ne disons point que Dieu pardonne toujours. J’ai péché hier, Dieu m’a pardonné; je pèche aujourd’hui, Dieu pardonne encore; donc je pécherai encore demain, puisque Dieu veut bien pardonner. Tu ne vois que la miséricorde, et tu ne crains pas le jugement. Si tu veux chanter la miséricorde et le jugement, comprends bien que s’il te pardonne, c’est afin que tu te corriges, et non afin que tu demeures dans ton péché. Ne te grossis pas un trésor de colère pour le jour de la colère et de la juste révélation du jugement de Dieu 2. En ce qui regarde le temps de la miséricorde, il est dit dans un autre psaume: « Dieu a dit au pécheur: Pourquoi parler de ma justice, et mettre dans ta bouche mon alliance? Tu hais l’ordre, et tu as rejeté ma parole bien loin derrière toi: si tu voyais un voleur, tu courrais à lui, tu partagerais l’héritage des adultères; tu t’asseyais pour parler contre ton frère, tu mettais le scandale devant le fils de ta mère. Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu 3». Voilà le temps de la miséricorde. Qu’est-ce à dire, «je me suis tu? » Est-ce à dire que je n’ai point réprimandé? Non, mais je n’ai point jugé. De quel silence accuser celui qui parle chaque jour, dans les saintes Ecritures, dans les Evangiles,
1.
II Tim. IV, 8. — 2. Rom. II, 5.— 3.
Ps. XLIX, 16-21.
Dans ses prédicateurs? C’est le supplice, et non la parole, qui a été en demeure. « Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu ». Et parce que Dieu s’est tu ou n’a point tiré vengeance, qu’a dit le pécheur dans le secret de son âme? Ecoute: « Tu m’as soupçonné d’iniquité », dit le Seigneur, « de ressemblance avec toi ». C’est-à-dire, c’est peu pour toi d’être ainsi, tu m’as cru semblable. Après avoir montré le temps de la miséricorde, le Seigneur nous effraie au sujet du jugement. « Je te convaincrai»,dit-il au même endroit, « je te mettrai en face de toi-même 1 ».Tu te places par derrière, mais je te placerai en face de toi-même. Quiconque, en effet, ne veut point voir ses fautes, se place derrière lui-même, relève exactement celles des autres, non par une sainte vigilance, mais par envie: sans vouloir guérir, il veut accuser, et s’oublie lui-même. C’est à ces hommes que le Seigneur a dit: « Tu vois la paille dans l’oeil de ton frère, et non la poutre qui est dans ton oeil 2 ». Puis donc que le Prophète chante pour nous la miséricorde et la justice, faisons la justice, et nous attendrons le jugement dans la sécurité: soyons dans son corps mystique, afin de les chanter aussi. Car c’est le chant du Christ: mais si le chef le chantait seul, ce serait le cantique du Seigneur, et non le nôtre. Or, si c’est tout le Christ qui le chante, c’est-à-dire la tête et les membres, attache-toi à lui par la foi, par l’espérance et par la charité, et tu chanteras en lui, tu tressailliras en lui; comme lui-même souffre en toi, endure en toi la faim, la soif, la tribulation. Il meurt en toi encore aujourd’hui, et toi tu es déjà ressuscité en lui. S’il ne mourait en toi, il ne demanderait pas de répit à celui qui te persécute, et ne dirait point: « Saul, Saul, pourquoi me persécuter 3?» Donc, mes frères, c’est le Christ qui chante, mais en la manière que vous connaissez: car nous vous avons souvent parlé du Christ, et je sais qu’il n’y a point en vous d’ignorance. Notre Seigneur Jésus-Christ est le Verbe de Dieu par qui tout a été fait. C’est ce Verbe qui s’est fait chair pour nous racheter, et qui a habité parmi nous 4: il s’est fait homme, lui qui était Dieu par-dessus tout, Fils de Dieu égal à son Père; il s’est fait homme, afin d’être Dieu, médiateur entre Dieu et les hommes, afin de réconcilier ceux qui étaient éloignés, de réunir ceux qui étaient séparés, de rappeler
1.
Ps. XLIX, 21.— 2. Matth. VII, 3.— 3. Act. IX,
4.— 4. Jean, 1, 3, 14.
ceux qui étaient étrangers, de ramener. les bannis; voilà pourquoi il s’est fait homme. Il est donc devenu la tête de l’Eglise, ayant un corps et des membres. Parce que ses membres gémissent sur la terre dans l’univers entier, au dernier jour ils seront dans la joie, quand ils recevront. cette couronne de justice dont saint Paul a dit, que « le Seigneur, dans la justice de son jugement, doit nous la rendre alors 1 ». Et maintenant unissons-nous en un même corps et chantons en espérance. Car après avoir revêtu le Christ, nous ne sommes qu’un même Christ avec notre chef, puisque nous sommes assurément de la race d’Abraham. C’est le langage de l’Apôtre. Et si j’ai dit que nous sommes le Christ, l’Apôtre a dit: « Vous êtes donc la race d’Abraham, les héritiers selon la promesse ». Vous êtes de la race d’Abraham: or, voyons si le Christ est la race d’Abraham: « En ta race les nations seront bénies. Il ne dit pas: Dans tes descendants, comme s’ils étaient plusieurs; mais bien comme d’un seul: Et en celui qui naîtra de toi, et. qui est le Christ 2 ». A nous aussi il est dit: « Donc vous êtes la race d’Abraham ». Il est donc évident que nous appartenons au Christ, et que nous sommes ses membres, sou corps ne formant avec notre chef qu’un seul homme. Ainsi répétons, nous aussi: « Seigneur, je chanterai votre miséricorde et votre justice ».
4. « Je chanterai votre gloire, et je connaîtrai les voies de l’innocence, quand vous viendrez à moi 3».Tu ne saurais chanter et comprendre que dans les voies de l’innocence. Si tu veux comprendre, chante dans la voie pure, c’est-à-dire travaille avec joie pour le Seigneur. Quelle est cette voie pure? Ecoute la suite: « Je marchais dans l’innocence de mon coeur, au milieu de ma maison ». Cette voie pure commence par l’innocence, et arrive encore au terme par l’innocence. A quoi bon chercher tant de paroles? Sois pur, et toute justice est accomplie. Mais en quoi consiste l’innocence? Un homme peut nuire en deux manières à un autre homme, ou en, le rendant misérable, autant qu’il est en lui, ou en l’abandonnant dans la misère; car tu ne veux point qu’un autre te plonge dans la misère, ni qu’il t’abandonne, si tu es misérable. Quel est celui qui fait la misère des autres? Celui qui use de violences ou
1.
II Tim. IV, 8. — 2. Gal, III, 8,16,
29; Gen. XII, 3. — 3. Ps. C, 2.
d’embûches, qui ravit le bien d’autrui, qui opprime les pauvres, qui se livre au vol, qui recherche l’adultère, qui calomnie, qui fait gémir les autres, pour le bonheur de nuire, Quel est celui qui abandonne les misérables? C’est celui qui voit un pauvre dénué de tout secours, et qui néglige de le soutenir comme il le pourrait, qui le dédaigne, qui lui ferme son coeur. Quand même on serait homme à n’avoir jamais besoin de miséricorde, il y aurait encore de l’orgueil, dans l’abandon d’un misérable: mais lorsqu’on est dans la tribulation de la chair, qu’on ne sait ce qui peut arriver demain, et qu’on méprise les larmes d’un malheureux, on n’est plus innocent. Mais alors qui est innocent? Celui qui ne nuit point aux autres ni à lui-même. Car se nuire à soi-même, ce n’est plus être innocent, Je n’ai rien dérobé à personne, me dira quelqu’un, ni fait violence à personne; c’est avec mon bien, avec le juste fruit de mon travail que je prends mes ébats, que je veux avoir une table bien servie, dépenser autant qu’il me plaira et boire avec mes amis, autant qu’il me plaira; à qui ai-je fait tort? A qui ai-je fait violence? Qui se plaint de moi? Il paraît innocent. Mais s’il se pervertit, s’il détruit en lui-même le temple de Dieu, comment espérer qu’il sera miséricordieux pour les autres, qu’il prendra en pitié les malheureux? Pourrait-il avoir de la pitié pour les autres, quand il est si cruel envers lui-même? Toute la justice se résume ainsi dans ce mot d’innocence. — « Aimer l’iniquité, c’est haïr son âme 1». Lorsqu’il aimait l’iniquité, il croyait nuire aux autres; mais vois s’il nuisait aux autres. « Aimer l’iniquité», dit le Psalmiste, « c’est haïr son âme ». C’est donc à lui-même qu’on nuit tout d’abord, quand on veut nuire aux autres: on ne se met point au large, l’espace manque: toute malice est toujours à l’étroit; il n’y a que l’innocence pour être au large et se promener à l’aise. « Je me promenais dans l’innocence de mon coeur, au milieu de ma maison». Par ce milieu de la maison, il entend ou l’Eglise elle-même dans laquelle se promène le Christ, ou notre coeur qui est une maison intérieure; alors, au milieu de ma maison, serait une répétition de ce qu’il a dit plus haut: « Dans l’innocence de mon coeur». Quiconque tient cette maison en mauvais état,
1.
Ps. X, 6.
en est chassé; quiconque en effet est harcelé par une mauvaise conscience, ressemble à un homme qui demeure sous un toit d’où l’eau tombe de toutes parts, ou qui sort pour éviter la fumée, qui ne saurait demeurer chez lui tel est l’homme dont le coeur n’est point tranquille, et qui ne saurait y habiter à l’aise. La distraction de leur esprit jette ces hommes au dehors d’eux-mêmes, et leur fait chercher le plaisir dans les choses corporelles, demander le calme aux bagatelles, aux spectacles, à la luxure, à toutes sortes de crimes. Pourquoi chercher leurs délices au dehors, sinon en ce qu’ils ne peuvent à 1’intérieur goûter la paix de la conscience? Aussi le Seigneur, après avoir guéri le paralytique, lui dit-il: « Enlevez votre grabat et allez en votre maison 1 ». Voilà ce que doit faire une âme qui est comme amollie par la paralysie qu’elle se raffermisse dans les bonnes oeuvres de ses membres, qu’elle fasse le bien, qu’elle emporte son grabat, qu’elle soumette le corps; puis, qu’elle aille dans sa maison ou sa conscience, et qu’elle la trouve assez large pour s’y promener, y chanter, y avoir l’intelligence.
5. « Je ne mettais sous mes yeux rien d’injuste 2».Qu’est-ce à dire que « Je ne mettais sous mes yeux aucune injustice? » Je n’y attachais point mon coeur, car, vous le savez, on dit d’un homme qui en aime un autre qu’il l’a sous les yeux, Et un homme que l’on méprise se plaint en disant: Je ne suis rien à ses yeux. Ainsi donc, avoir une chose sous ses yeux, c’est l’aimer; qu’est-ce que ne pas l’aimer? Ne pas y être de coeur. Le Prophète nous dit donc: « Je ne mettais sous mes yeux rien d’injuste »: je ne m’attachais pas au mal; et il nous dit ce qu’est le mal: « Je haïssais quiconque violait la loi ». Ecoutez bien, mes frères, si vous marchez avec le Christ au milieu de sa maison, c’est-à-dire si vous goûtez dans votre coeur un saint repos, ou si dans l’Eglise vous prenez le bon chemin qu’a suivi votre chef, vous ne devez pas seulement haïr les prévaricateurs que vous rencontrez au dehors, mais encore tous ceux de l’intérieur. Quels sont les prévaricateurs? Ceux qui haïssent la loi de Dieu; ceux qui l’entendent sans la pratiquer, voilà les prévaricateurs. Poursuis de ta haine les prévaricateurs, écarte-les de toi. Mais c’est le prévaricateur,
1. Matth, IX, 6.— 2. Ps. C, 2.
et non l’homme, que tu dois haïr. Le même homme qui devient prévaricateur a deux dénominations; il est homme, puis prévaricateur: aime alors ce que Dieu a fait en lui, mais poursuis ce qu’il a fait lui-même. Poursuivre la prévarication, c’est tuer ce qu’a fait l’homme, pour délivrer ce qu’a fait Dieu. « J’ai haï ceux qui commettent le péché ».
6. « Le coeur méchant n’a pas eu d’accès auprès de moi 1». Qu’est-ce à dire un coeur méchant? Un coeur tortueux. Qu’est-ce que le coeur tortueux? Le coeur qui n’est pas droit. Quand est-ce que le coeur n’est pas droit? Vois d’abord ce qu’est le coeur droit, tu sauras ce que peut être un coeur qui ne l’est pas. On appelle droit le coeur d’un homme qui ne repousse rien de ce que Dieu veut. Redoublez d’attention. Un homme demande à Dieu que je ne sais quoi ne lui arrive point, mais sa prière ne l’a point détourné. Qu’il redouble ses prières de tout son pouvoir; ce qu’il veut éviter lui arrive contre sa volonté: qu’il se soumette alors à la volonté de Dieu, et ne résiste point à cette volonté si grande. C’est ce que nous apprend l’exemple du Sauveur lui-même, qui veut personnifier eu lui notre infirmité, et quai s’écrie, au moment de souffrir: « Mon âme est triste jusqu’à la mort 2». Et pourtant il ne craignait pas la mort, lui qui avait le pouvoir de donner sa vie, et aussi le pouvoir de la reprendre 3. Et Paul, ce soldat et serviteur du Christ, s’écrie: « J’ai combattu un bon combat, j’ai gardé ma foi, j’ai achevé ma course; il ne me reste qu’à attendre la couronne de justice, que me rendra en ce jour le Seigneur qui est juste juge 4». Il tressaille parce qu’il va mourir; et son Seigneur, son chef est triste devant la mort! Le serviteur vaut donc mieux que le chef? Alors que devient cette parole du divin Maître: « Il doit suffire au serviteur d’être comme son Seigneur, et au disciple d’être comme son maître 5?, Voilà que Paul est brave en face de la mort, et que le Seigneur est triste. « Je désirais », dit-il, « ma dissolution, afin d’être avec le Christ 6». Paul est dans la joie en face de la dissolution, afin d’être avec le Christ, et le Christ sera dans la tristesse, lui avec qui Paul se réjouit d’être un jour? Qu’est-ce que cette parole, sinon Le cri de notre infirmité? Beaucoup d’hommes faibles sont encore attristés
1. Ps.
C, 4.— 2. Matth. XXVI, 38.— 3. Jean, X, 18.— 4. II Tim. IV, 7. — 5. Matth. X,
25.— 6. Philipp. I, 23.
en face de la mort; mais qu’ils aient le coeur droit, qu’ils évitent la mort autant qu’ils le pourront; et s’ils ne le peuvent, qu’ils disent ce que le Seigneur a dit, non pour lui, mais pour nous. Qu’a-t-il dit? « Mon Père, s’il est «possible, que ce calice s’éloigne de moi». Telle est bien l’expression de la volonté humaine: vois que déjà le coeur est droit: « Néanmoins, ô mon Père, que votre volonté se fasse, et non la mienne 1 ». Si donc le coeur droit suit le Seigneur, le coeur dépravé lui résiste. Qu’il lui arrive quelque chose de fâcheux, et il s’écrie: O Dieu, que vous ai-je fait? Quel est mon crime? Quelle faute ai-je commise? Il veut être juste, et que Dieu soit injuste. Quel manque de droiture! C’est peu d’être tortueux, on veut encore que la règle soit faussée. Corrige-toi d’abord, et alors te paraîtra droit celui dont tu t’es éloigné. Ses actes sont justes, les tiens injustes; et tu es dépravé, parce que tu donnes le nom de juste à l’homme, à Dieu celui d’injuste. Quel homme appelles-tu juste? Toi-même. Dire en effet: Que vous ai-je fait? c’est te croire juste. Mais que Dieu te réponde: li est vrai que tu ne m’as rien fait, tu as toujours agi pour toi. Car en agissant pour moi, tu eusses fait le bien. Tout le bien que l’on fait, c’est pour moi qu’on le fait, puisque c’est pour obéir à mon précepte. Tout le mal que tu commets, tu le fais pour toi, et non pour moi; car le méchant, dans ce qu’il fait, n’agit que pour lui, puisque je ne lui commande Point ces actes. Mes frères, quand vous rencontrerez ces hommes, avertissez-les, reprenez-les, corrigez-les: et si vous ne pouvez les reprendre ou les corriger, ne vous attachez point à eux, afin de pouvoir dire: « Le coeur pervers n’a eu nul accès auprès de moi ».
7. « Comme le méchant s’éloignait de moi, je ne le connaissais pas ». Qu’est-ce à dire:
« Je ne le connaissais pas? » Je ne l’approuvais point, ne l’applaudissais point, il me déplaisait, Nous voyons, en effet, que l’Ecriture domine souvent au mot connaître, le sens de plaire. Que peut-on cacher à Dieu, mes frères? Verra-t-il donc les justes sans voir les injustes? Quelle est ta pensée qu’il ne connaisse point? Je ne dis pas quel acte, mais quelle pensée peux-tu lui dérober? Je ne dis pas seulement quelle pensée actuelle, mais quelle pensée à venir n’a-t-il pas vue avant
1.
Matth. XXVI, 38, 39.
toi? Dieu connaît donc tout, et néanmoins, à la fin, c’est-à-dire au jour du jugement, qui suivra sa miséricorde, il dit de quelques-uns: « En ce jour, beaucoup viendront, et diront: Seigneur, Seigneur, n’avons-nous pas chassé les démons en votre nom, fait beaucoup de prodiges en votre nom, mangé et bu en votre nom? et je leur dirai: Retirez-vous de moi, artisans d’iniquité, je ne vous connais point 1 ». Y a-t-il donc quelqu’un que Dieu ne connaisse pas? Mais que signifie: « Je ne vous connais pas? » Je ne vous trouve point conformes à ma règle. Car je connais la règle de ma justice, et vous n’y êtes point conformes, vous vous en êtes écartés, vous êtes tortueux. C’est en ce sens qu’il est dit ici: « Je ne connaissais point. Comme le méchant s’éloignait de moi, je ne le connaissais pas ». Qu’est-ce à dire: « Je ne le connaissais pas? » Serait-ce parce qu’un méchant, rencontrant un juste dans tin chemin étroit, se dit cette parole de Salomon au livre de la Sagesse: « Il m’est odieux, même de le voir 2 »; et qu’alors il se détourne du chemin pour ne point le voir? Mais combien de méchants voyons-nous, et combien nous voient, qui loin de se détourner de nous, accourent au contraire auprès de nous, et voudraient faire de nous les complices de leurs iniquités? Nous le voyons souvent. Comment donc se détournent-ils? Quiconque n’est pas semblable à toi, s’éloigne de toi. Qu’est-ce à dire qu’il s’éloigne? Qu’il ne te suit pas. Qu’est-ce à dire, qu’il ne te suit pas? Qu’il n’imite pas tes exemples. Donc, « comme le méchant s’éloignait de moi », c’est-à-dire comme le méchant ne me ressemblait point, ne voulait point marcher sur mes traces, ni suivre l’exemple que je lui donnais; «je ne le connaissais point ». Qu’est-ce à dire: « Je ne le connaissais point? » non pas que je le méconnaissais, mais que je ne l’approuvais point.
8. « Celui qui parle en secret contre son prochain, je le poursuivais 3». C’est là une
salutaire persécution, non contre l’homme, mais contre le péché. « Je ne m’asseyais à table, ni avec l’homme à l’oeil superbe, ni avec l’homme d’un coeur insatiable ». Qu’est-ce à dire: « Je ne m’asseyais point à leur table? » Que votre charité fasse attention; nous entendrons quelque chose d’admirable.
1.
Matth. VII, 22, 23 — 2. Sag. II, 15. — 3. Ps. C, 5.
S’il ne s’asseyait pas à table avec eux, il ne mangeait point; s’asseoir à table, c’est manger; pourquoi donc voyons-nous que le Seigneur a mangé avec les orgueilleux? Non point avec ces publicains et avec ces pécheurs, car ils étaient humbles, ils connaissaient leur maladie et cherchaient un médecin; mais c’est avec les orgueilleux pharisiens que nous lisons qu’il mangea. Un de ces orgueilleux l’avait invité; c’est à lui que déplut cette femme pécheresse, fameuse dans sa ville natale, et qui vint se jeter aux pieds du Sauveur; c’est à ce pharisien qui disait en son coeur (et la pureté des pharisiens allait jusqu’à ne point se laisser toucher par des hommes impurs; pour peu que les touchât un homme impur, ils étaient saisis d’horreur, et craignaient de devenir impurs par l’attouchement d’un homme impur): « Si cet homme était un prophète, il saurait quelle femme vient à ses pieds 1». Comment savait-il que Jésus ne connaissait point cette lemme? C’est qu’il le soupçonnait parce qu’il ne la repoussait point? Lui, Simon, l’eût repoussée bien loin. Or, le Seigneur, non seulement connaissait cette femme, mais il voyait encore les blessures incurables faites à l’orgueil de Simon. A la vue de ses pensées, et pour lui montrer son propre orgueil: « Simon », lui dit-il, « j’ai quelque chose à te dire: un créancier avait deux débiteurs, dont l’un lui devait cinquante deniers, et l’autre cinq cents: comme ils ne pouvaient s’acquitter, il leur remit leur dette à tous deux: qui des deux l’aima le plus? » Et celui-ci prononça contre lui-même cette sentence que la vérité lui arrachait: « Je crois, Seigneur, que c’est celui à qui il a le plus remis. Alors se tournant vers la pécheresse: Vois-tu cette femme, dit-il à Simon? Je suis entré dans ta maison, et tu ne m’as point donné d’eau pour laver mes pieds; mais celle-ci m’a lavé les pieds avec ses larmes 2 », et le reste que vous savez. il n’est pas nécessaire de nous arrêter plus longtemps sur les détails de ce passage que nous citons. Ce pharisien donc était orgueilleux, et le Seigneur mangeait avec lui; pourquoi David nous dit-il: « Je ne prenais mes repas ni avec l’homme au regard orgueilleux, ni avec l’homme au coeur insatiable? » Qu’est-ce à dire: « Je ne prenais point
1.
Luc, VII, 39. — 2. Id. 36-44.
mes repas? » Je ne mangeais pas avec lui. Comment nous propose-t-il ce qu’il ne fait point? Il nous engage à l’imiter: or, nous le voyons dans un festin avec les orgueilleux, comment nous défendra-t-il de manger avec eux? Pour nous, mes frères, nous nous séparons quelquefois de nos frères, nous nous abstenons de manger avec eux, afin qu’ils se corrigent. Nous acceptons plus volontiers avec les étrangers, avec les païens, qu’avec ceux de nos proches que nous voyons plongés dans une vie de désordres, afin qu’ils en rougissent et s’en corrigent; ainsi que l’a dit l’Apôtre: « Si quelqu’un n’obéit pas à ce que nous ordonnons par notre lettre, notez-le, et n’ayez point de commerce avec lui, ne le regardez pas néanmoins comme un ennemi, mais reprenez-le comme un frère 1 ». C’est ce que nous faisons souvent avec nos frères pour les guérir; et pourtant nous mangeons souvent avec des étrangers et avec des impies.
9. Que signifie cette parole: « Je ne prenais point mes repas avec l’homme au regard orgueilleux, au coeur insatiable? » Un coeur pieux a sa nourriture, et un coeur orgueilleux sa nourriture aussi. C’est en vue de cette nourriture du coeur superbe, que le Prophète a dit: « L’homme au coeur insatiable ». Quelle est la nourriture du coeur superbe? S’il y a orgueil, il y a envie, il n’en peut être autrement. L’orgueil est père de l’envie, il ne peut engendrer que l’envie, et qu’être toujours avec elle. Tout orgueilleux est envieux, et il se repaît du mal d’autrui. De là cette parole de l’Apôtre: « Si vous vous déchirez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde de vous détruire mutuellement 2 ». Voyez donc de quoi ils se nourrissent, et ne mangez point avec eux, fuyez un tel festin. Mais la joie du mal d’autrui ne les rassasie point, car ils sont insatiables. Garde-toi de tomber de leurs festins dans les filets de Satan. Tel était le festin des Juifs quand ils crucifièrent le Seigneur, ils se repaissaient en quelque sorte ries souffrances du Sauveur; ce qui est bien différent de nous qui nous repaissons de sa croix, parce que nous mangeons sa chair. Ils lui disaient, en le voyant suspend à la croix et en lui insultant, car leur coeur était insatiable, ils disaient donc: « S’il est le Fils de Dieu, qu’il
1.
II Thess. III, 11, 15. — 2. Gal. V, 15.
descende de la croix; il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même 1». Ils se repaissaient de leur cruauté, et pour lui, sa nourriture était sa miséricorde. « Mon Père », dit-il, « pardonnez-leur, parce qu’ils ne savent ce qu’ils font 2 ». Ils avaient donc leur nourriture, et lui sa nourriture. Mais écoutez ce qui est dit de la table des orgueilleux: « Que leur table soit pour eux un piège, une vengeance, un scandale 3 ». Ils s’en sont repus et ont été pris; de même que les oiseaux se font prendre en mangeant l’appât du piège, et les poissons en mordant à l’hameçon Les impies ont donc leurs festins, et les hommes pieux leurs festins. Ecoutez,voici le festin des bons: « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés 4 ». Si donc l’homme pieux se rassasie de justice et l’impie d’orgueil; il n’est pas étonnant que celui-ci ait le coeur insatiable, car il a pour nourriture l’iniquité; loin de toi ce pain de l’iniquité; et l’homme à l’oeil superbe, au coeur insatiable ne mangera point avec toi.
10. Mais toi, ô Prophète, où était ta nourriture? A quelle table te plaisais-tu, quand
l’impie ne mangeait pas avec toi? « Mes yeux », répond-il, «étaient sur les fidèles de la terre, afin qu’ils soient établis avec moi 5 ». Le Seigneur nous dit: «Mes yeux sont sur les fidèles de la terre, afin qu’ils demeurent avec moi »: c’est-à-dire qu’ils y soient assis. Comment être assis? « Vous serez assis sur douze trônes, pour juger les douze tribus d’Israël 6 ». Les fidèles de la terre seront donc juges, et c’est à eux que saint Paul a dit: «Ne savez-vous point que nous jugerons les anges 7? Mes yeux sont sur les fidèles de la terre, afin qu’ils soient établis avec moi. Celui qui marchait dans la soie pure, était celui qui me servait ». « Moi», et non pas lui. Beaucoup en effet sont ministres de l’Evangile, mais ministres pour eux, cherchant leurs intérêts et non ceux du Christ 8. Qu’est-ce que servir le Christ? Chercher ce qui est des intérêts de Jésus-Christ. Or, que les méchants annoncent l’Evangile, ils sauvent 1es autres, en se perdant eux-mêmes. Car il est écrit: « Faites ce qu’ils vous disent, mais ne faites pas ce qu’ils font 9». Tu n’as donc rien à craindre quand
1. Matth. XXVII, 40, 42. — 2.
Luc, XXIII, 34. — 3. Ps. LXVIII, 23.—
4. Matth. V, 6 — 5. Ps. C, 6. — 6. Matth. XIX, 28.— 7. I Cor. VI, 3.
— 8. Philipp. II, 21, — 9. Matth. XXXI, 3.
c’est un méchant qui t’annonce l’Evangile. Malheur à celui qui se sert lui-même, c’est-à-dire qui cherche ses intérêts: toi, cherche ceux du Christ. « Celui qui marchait dans la voie droite, celui-là me servait ».
11. « Celui qui se comporte avec orgueil, n’habitera point l’intérieur de ma maison ». Reportez-vous à la maison indiquée plus haut, c’est-à-dire au coeur. Nul homme aux acres orgueilleux n’habitait dans mon coeur, nul homme semblable n’y demeurait, il en sortait à l’instant. Nul ne demeure dans mon coeur, s’il n’est doux et paisible: l’orgueilleux n’y habitait point, car l’injuste n’habite point le coeur du juste. Qu’un homme juste soit séparé de toi par des distances en des contrées; vous habitez ensemble, si vous avez un même coeur. « L’homme qui se comporte avec orgueil n’a point habité dans mon coeur, l’homme aux paroles d’iniquité, ne marchera point d’un pas ferme en ma présence ». Telle est la voie sans tache, qui nous donne l’intelligence, quand le Seigneur vient à nous.
12. « Dès le matin j’exterminais tous les pécheurs de la terre 2 ». Ce passage est obscur; écoutons bien, je vous prie, le psaume touche à sa fin. « Au matin j’exterminais tous les pécheurs de la terre ». Pourquoi? « Afin de bannir de la cité du Seigneur tous ceux qui commettent l’iniquité ». Il en est donc dans la cité du Seigneur qui commettent l’iniquité, et ils sont épargnés aujourd’hui. Pourquoi? Parce que nous sommes dans le temps de la miséricorde, et qu’après viendra celui du jugement. «Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre jugement ». Il nous a dit plus haut que les bons seuls s’attachent à lui, qu’il ne s’est pas attaché aux méchants, qu’il ne se plaît point dans le festin d’iniquité de ces hommes qui ne servent qu’eux-mêmes, et non le Seigneur, c’est-à-dire qui cherchent leurs propres intérêts. Et comme si nous lui demandions: Pourquoi donc avoir toléré si longtemps ces hommes dans votre cité? C’était le temps de la miséricorde, nous dit-il. Mais qu’est-ce que le temps de la miséricorde? C’est-à-dire que le jugement n’est pas encore dévoilé: c’est la nuit, viendra le jour, et le jugement apparaîtra. Ecoute l’Apôtre: « Gardez-vous de juger quelqu’un avant le
1.
Ps. C, 7. — 2. Id. 8.
temps ». Qu’est-ce à dire « avant le temps? » Avant le jour. Vois qu’il s’agit ici du jour: « Jusqu’à ce que vienne le Seigneur, qui doit éclairer les secrets des ténèbres, manifester les pensées des coeurs, et alors chacun recevra sa louange de Dieu 1». Maintenant en effet que vous ne voyez point mon coeur et que je ne vois point le vôtre, c’est la nuit. Tu demandes à un homme je ne sais quoi qu’il te refuse, et tu te crois méprisé; or, peut-être n’es-tu pas méprisé. Car tu ne vois point le mur, et à l’instant tu murmures, il faut te pardonner comme à un homme qui erre pendant la nuit. Tu es aimé d’un homme, et tu crois qu’il te hait; ou bien il te hait quand tu crois en être aimé: l’une et l’autre erreur est l’effet de la nuit. Sois donc sans crainte, mets ta confiance dans le Christ, et tu auras la lumière en lui: n’appréhende aucun mal de sa part, car nous sommes en sûreté, ayant la certitude qu’on ne peut le tromper et qu’il nous aime. Mais nous n’avons point cette certitude à l’égard de nous-mêmes. Dieu connaît notre amour mutuel, mais nous, bien que nous nous aimions, qui connaît notre intention alors? Pourquoi le coeur se dérobe-t-il à tous? Parce que nous sommes dans la nuit. Or, dans cette nuit les tentations abondent. C’est de cette nuit que le psaume a dit: « Vous avez amené les ténèbres, et voilà la nuit; alors les bêtes de la forêt glissent dans l’ombre: les lionceaux rugissent après leur proie, et demandent à Dieu leur pâture 2 ». C’est pendant la nuit que les lionceaux cherchent la nourriture. Quels mont ces lionceaux? Les princes et les puissances de l’air, le démon et ses anges 3. Comment cherchent-ils leur nourriture? En nous suggérant la tentation. Mais comme ils ne peuvent nous approcher si Dieu ne leur en donne le pouvoir, le Psalmiste ajoute qu’ « ils demandent leur proie au Seigneur ». Le démon demande de tenter Job. Quelle était cette proie? Une proie riche, opulente, le juste de Dieu, à qui le Seigneur lui-même avait rendu témoignage en l’appelant « homme irréprochable, et véritable serviteur de Dieu ». Demander de le tenter, c’était demander à Dieu sa proie, et il reçut le pouvoir, non de l’accabler, mais de le tenter 4; de le purifier, non de le perdre. Néanmoins il arrive que d’autres sont livrés au tentateur pour l’avoir
1.
I Cor. XV, 5.— 2. Ps. CIII, 20,21.— 3. Ephés. II, 2.— 4. Job, I, 8-12.
mérité, parce qu’ils se sont livrés eux-mêmes à leurs concupiscences. Le diable en effet ne nuit à personne s’il n’en a reçu de Dieu le pouvoir. Mais quand? pendant la nuit. Qu’est-ce à dire pendant la nuit? En cette vie. Mais quand à la nuit succédera le jour, les méchants seront précipités avec le diable dans le feu éternel, et les justes auront une vie sans fin 1. Là plus de tentateur, parce qu’il n’y aura plus de lionceaux, la nuit sera passée. Aussi le Seigneur dit-il à ses disciples: « Cette nuit Satan a demandé de vous cribler comme le froment; mais, Pierre, j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne vienne pas à faiblir 2». Qu’est-ce à dire, « vous cribler à comme le froment?» De même que l’homme ne mange le froment qu’après l’avoir brisé pour en faire du pain, de même nul ne devient en quelque sorte la proie de Satan, qu’après avoir été brisé sous la meule de l’affliction. Il nous brise donc pour nous manger; mais toi, si dans l’affliction tu demeures un véritable grain, tu ne seras point broyé, et il ne t’arrivera aucun mal. Quand les boeufs foulent le grain, n’ont-ils d’action que sur le grain seulement? Ne les chasse-t-on point sur la paille dans la grange? Mais est-ce le froment qui doit craindre? Nullement. La paille seule est brisée, le froment est dépouillé du superflu, et alors viendra le van, qui fera du froment une masse pure. Le grain que l’on trouve alors est mis en réserve dans les greniers, et le monceau de paille jeté au feu inextinguible 3.
13. A quoi bon ce langage? Parce que nous espérons voir le jour, Ce jour pour nous doit être dans le Christ, et pendant que nous sommes daims la tentation, c’est la nuit. Pendant la nuit, Dieu épargne les pécheurs, et ne les extermine point; il leur inflige des épreuves douloureuses, afin de les corriger, il les tolère dans sa cité. Mais croyons-nous qu’il les souffrira toujours? Si Dieu usait toujours de miséricorde, il n’y aurait point de jugement. Mais si le psaume a dit vrai « Seigneur, je chanterai votre miséricorde et votre jugement »; il n’épargne aujourd’hui que pour juger plus tard. Or, quand jugera-t-il? Quand la nuit sera passée. De là cette parole: « Au matin j’exterminais tous les pécheurs de la terre ». Qu’est-ce à dire, «au matin? » Au point du jour, quand la
1.
Matth. XXV, 46. — 2. Luc, XXII, 31, 32. — 3. Matth. III, 2.
nuit sera passée. « Au matin j’exterminais tous les pécheurs de la terre »: pourquoi les avoir épargnés jusqu’au matin? Parce que c’était la nuit. Qu’est-ce à dire, c’était la nuit? C’était le moment de l’indulgence; car Dieu pardonnait, quand le coeur des hommes était dans les ténèbres. Tu vois un homme vivant dans le désordre; tu as pour lui de la tolérance; comme il est dans la nuit, tu ne sais ce qu’il deviendra, si vivant aujourd’hui dans le désordre, il ne sera pas demain plus régulier; et si l’homme régulier d’aujourd’hui ne sera pas demain l’homme du désordre. Nous sommes dans la nuit, et Dieu tolère les pécheurs dans sa longanimité. Il les tolère afin qu’ils se retournent vers lui. Mais ceux qui ne se convertiront point ici-bas seront exterminés. Pourquoi exterminés? Afin qu’ils soient bannis de la cité de Dieu, de la société de Jérusalem, de la société des saints, de la société de l’Eglise. Quand seront-ils exterminés? « Au matin ». Qu’est-ce à dire « au matin? » Quand la nuit sera passée. Pourquoi les épargner aujourd’hui? Parce que c’est le temps de la miséricorde. Pourquoi n’épargner pas toujours? Parce que « je chanterai, Seigneur, votre miséricorde, et ensuite votre jugement ». Mes frères, que nul ne se fasse illusion. Tous ceux qui commettent l’iniquité seront exterminés: le Christ les exterminera au matin, et les bannira de sa cité. Mais aujourd’hui que nous sommes dans le temps de la miséricorde, que les pécheurs l’écoutent. Partout il nous prêche, et dans sa loi, et dans les Prophètes, et dans les psaumes, et dans les Epîtres et dans l’Evangile. Reconnaissez qu’il ne se tait point, qu’il épargne, qu’il use même de miséricorde; mais veillez sur vous, car voici le jugement.
C’est un pauvre qui parle, et ce pauvre est Jésus-Christ, lequel a fait les richesses matérielles, les richesses de l’intelligence, les richesses de la vertu. S’il est pauvre, c’est qu’il s’est fait chair, et dès lors, revêtu de notre pauvreté; c’est donc nous qui parlons en lui dans notre psaume; et dans le chef on doit reconnaître les membres. Que Dieu soutienne toujours ses membres, puisqu’il en est qui sont toujours dans l’angoisse. Mes jours se sont évanouis, parce que dans mon orgueil j’ai oublié de manger mon pain, ce pain du juste descendit du ciel. Mais par compassion les os, dans l’Eglise, s’attachent à la chair, ou les forts s’inclinent vers les faibles. La prédication de la vérité se fait parfois chez un peuple où le Christ est inconnu, c’est le pélican au désert; ou chez un peuple qui est retombé, c’est le hibou, dans les ténèbres et les masures; ou chez de vrais chrétiens, c’est le passereau sur le toit: ou bien encore le Christ serait le pélican qui rend, dit-on, la vie à ses petits qu’il arrose de son sang, et dans la solitude, parce que seul le Christ est né d’une vierge; il serait le hibou par sa passion, qui eut lieu dans les ténèbres des Juifs, et le passereau sur le toit par sa résurrection. On reproche au Christ de manger avec les pécheurs, comme aux chrétiens d’encourager le vice par la promesse du pardon: comme si le désespoir n’était pas plus corrupteur encore, et comme si l’incertitude de la mort n’était pas un contre-poids. Dieu punit en effet l’homme pécheur, et non la créature qu’il n’a point faite à son image, qui ne craint rien, n’espère rien. Le Seigneur n’oublie rien, et de la poussière de Sion il fait sortir l’Eglise primitive. Hâtons-nous d’entrer dans la construction de Sion; quand elle sera achevée, il sera trop tard.
1. Voici un pauvre qui prie, et qui ne prie pas en silence. On peut donc entendre ce qu’il dit, et voir qui il est. C’est peut-être de ce pauvre que saint Paul dit: «Il s’est fait pauvre
1. Premier
sermon prêché après les lois portées contra les Donatistes, en l’année 405.
« pour nous, lui qui était riche, afin de nous enrichir par sa pauvreté ».Mais si c’est lui,
comment est-il pauvre? Car sa richesse, qui ne la voit point? Qu’est-ce qui fait la richesse des hommes? L’or, l’argent, de nom
2.
II Cor. VIII, 9.
nombreux domestiques, de grandes terres: mais stout cela est fait par lui 1». Or, quoi de plus riche que celui qui a fait les richesses, et même celles qui ne sont point de véritables richesses? C’est de lui, en effet, que nous viennent ces richesses intérieures, le génie, la mémoire, la conduite, la santé, la vivacité des sens, la conformation des membres. Avec ces biens un homme est déjà riche, fût-il pauvre d’ailleurs. C’est de Dieu encore que viennent les richesses bien plus précieuses, comme la foi, la piété, la justice, la charité, la chasteté, les moeurs pures. Car nul ne peut les tenir que de celui qui justifie l’impie 2. Incalculables richesses ! Quel est en effet le plus riche, ou l’homme qui a ce qu’il désire, par celui qui a tout fait, ou celui qui fait ce qu’il veut, pour en laisser le bénéfice à un autre? Assurément le plus riche est celui qui a fait ce que tu possèdes, puisqu’il a aussi ce que tu n’as pas. Quelles richesses encore une fois ! Et dans celui qui est si riche comment retrouver cette parole: « Je mangeais la cendre comme du pain, et je mêlais mes larmes à mon breuvage 3?» Est-ce là que se bornent tant de richesses? Quelle élévation d’une part ! quel abaissement d’autre part ! Que faire? Comment allier tant de grandeur avec tant de bassesse? Quelle distance de l’une à l’autre! Je ne reconnais point ce pauvre; sans doute c’est un autre, cherchons encore. Ce qui nous fait croire que ce n’est point lui, c’est que nous ne pouvons l’interroger, sans nous extasier devant ses richesses: « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était sen Dieu, et le Verbe était Dieu. Voilà ce qui était en Dieu au commencement. Tout a été fait par lui, et sans lui rien n’a été fait 4». Celui qui a parlé de la sorte, était riche déjà pour tenir ce langage, et combien l’était davantage Celui dont il disait: « Au commencement était le Verbe », non point un Verbe quelconque, mais « le Verbe Dieu »; non point quelque part, mais en Dieu»; non point oisif, mais: « Toutes choses ont été faites par lui». A-t-il donc mangé son pain comme la cendre, mêlé ses larmes à son breuvage? Craignons que notre pauvreté ne fasse injure à tant de richesses. Cherche cependant s’il ne serait point lui-même ce pauvre, « lui qui s’est fait chair pour habiter parmi nous 5 ». Ecoute
1.
Jean, I, 3. — 2. Rom. IV, 5, — 3. Ps. CI, 10.— 4. Jean, II, 1-3.— 5. Id. 14.
cette parole: « C’est moi votre serviteur, elle fils de votre servante 1». Souvenez-vous de cette chaste servante, vierge et mère tout ensemble, C’est en elle qu’il s’est revêtu de notre pauvreté, qu’il a revêtu la forme de l’esclave, en s’anéantissant lui-même, de peur que sa richesse ne t’effrayât et ne t’empêchât de t’approcher de lui à cause de ton extrême pauvreté. C’est là, dis-je, qu’il a pris la forme de l’esclave, là qu’il s’est revêtu de notre pauvreté, qu’il s’est fait pauvre, là qu’il nous n enrichis. Nous commençons donc à comprendre qu’il s’agit de lui dans ce passage; toutefois ne nous prononçons pas avec témérité c’est le fruit d’une vierge, c’est la pierre détachée de la montagne, sans le secours d’aucun homme 2, nul homme n’a eu part dans cette oeuvre, nulle transfusion de concupiscence, mais la foi s’alluma et la chair du Verbe fut conçue. Il sortit du sein virginal; les cieux chantèrent sa gloire, les anges l’annoncèrent aux bergers 3, l’étoile attira les mages, qui adorèrent ce nouveau roi 4. Siméon, plein de l’Esprit-Saint, reconnut l’Enfant-Dieu dans les bras de sa mère. L’âge fit grandir, non sa divinité, mais son corps, et d’ineptes vieillards admirent avec stupéfaction la sagesse d’un enfant de douze ans 5. Et quand même ces vieillards eussent été habiles qu’est-ce que cette habileté auprès du Verbe de Dieu? Qu’est-ce que cette habileté auprès de la Sagesse de Dieu? Les habiles eux-mêmes ne seraient-ils pas réduits au néant, si le Verbe ne les soutenait? Son corps grandit encore, et il vient au fleuve pour être baptisé; celui qui le baptise le reconnaît pour Dieu, et se proclame indigne de délier les cordons de ses souliers 6. Dès lors la lumière est rendue aux aveugles, l’oreille des sourds est ouverte, les muets parlent, les lépreux sont guéris, les paralytiques affermis, les malades recouvrent la santé, les morts ressuscitent 6.
2. A la vérité, en comparant tout cela aux richesses de ce Verbe, je n’y vois que pauvreté: mais combien est-ce encore loin de la cendre et du breuvage mêlé aux larmes! Je n’ose encore dire: C’est lui, et néanmoins je le voudrais. Il y a ici des choses qui me forcent à le dire, et d’autres qui me forcent à craindre. C’est lui, et ce n’est pas lui. Déjà il a la forme
1.
Ps. CXV, 16. — 2. Dan, II, 31. — 3. Luc,
II, 7—14. — 4. Matth. II, 1, 2.—
5. Luc, II, 25-47. — 6. Marc, I, 7. — 8. Marc,
I, 11. — 9. Matth. XI, 5.
de l’esclave, il porte une chair fragile et mortelle, il vient pour mourir, et néanmoins on ne le comprend pas encore dans cette pauvreté: « Je mangeais la cendre comme le pain, et je mêlais mes pleurs à mon breuvage ». Qu’il ajoute alors pauvreté à pauvreté, qu’il identifie à lui-même le corps de notre humilité 1: qu’il soit notre chef, que nous soyons ses membres, soyons deux dans une même chair. D’abord pour être pauvre, il a pris la forme de l’esclave 2, et a quitté son Père: après avoir pris naissance d’une vierge, qu’il abandonne aussi sa mère, et qu’ils soient deux dans une même chair 3; ils n’auront plus alors qu’une même voix, et dans cette voix unique, nous ne serons plus surpris de retrouver la nôtre: « Je mangeais la cendre comme du pain, et mêlais mes pleurs à mon breuvage ». Il a donc daigné nous agréer pour ses membres. Or, dans ses membres, il y a des pénitents, car ils ne sont pas exclus ni séparés du corps de son Eglise; et il ne peut se joindre à cette épouse que par ces paroles: « Faites pénitence, parce que le royaume des cieux approche 4 ». Ecoutons ce que demandent ici la tête 5 et le corps, l’Epoux et l’Epouse 6, le Christ et l’Eglise, dans l’ineffable unité: mais le Verbe et la chair ne sont pas un, tandis que le Père et le Verbe sont un: le Christ et l’Eglise sont un, un homme parfait, clans sa forme la plus complète: « Jusqu’à ce que nous parvenions tous, dans l’unité de foi, dans la connaissance du Fils de Dieu, à l’état de l’homme parfait, à la mesure de l’âge de la plénitude du Christ 7». Mais jusqu’à ce que nous arrivions, nous rencontrons ici-bas notre pauvreté, nous rencontrons le labeur et le gémissement. Grâces soient rendues à sa miséricorde. D’où viendrait le labeur et le gémissement au Verbe par qui tout a été fait? S’il a daigné prendre sur lui notre mort, ne nous donnera-t-il pas la vie? Il nousa donné une grande espérance, et c’est dans cette espérance que nous gémissons. Car il y a un gémissement de tristesse, et un gémissement qui a bien sa joie. Il me semble que Sara, longtemps stérile, eut un gémissement de joie quand elle devint mère. Et nous aussi, Seigneur, c’est avec votre crainte que nous avons enfanté l’esprit de salut 8, Ecoutons donc le
1.
Philip. III, 21.— 2. Id. II, 7.— 3. Ephés. V, 31,32.— 4. Matt. III, 2.— 5.
Ephés. IV, 15.— 6. Jean, III, 29.— 7. Ephés, IV, 13.— 8. Isa. XXVI,
18.
Christ pauvre en nous et avec nous, et pour nous. Car le titre nous indique ici un pauvre. Si vous croyez, mes frères, que de moi-même j’ai soupçonné quel est ce pauvre, écoutons sa prière et connaissons enfin sa personne; ne te laisse point surprendre, si tu entends une parole qui ne puisse s’adapter à ce chef auguste: j’ai jeté ces préliminaires, afin que si tu rencontres quelque chose de semblable, tu te souviennes que c’est le corps qui parle dans son infirmité, et que tu reconnaisses dans le chef la voix des membres. « Prière du pauvre », tel est le titre. « Quand il était dans l’angoisse, il répandait sa prière, en présence de Dieu 1 ». Tel est le pauvre qui dit ailleurs: « Des confins de la terre, j’ai crié vers vous, quand mon âme était dans l’angoisse 2 ». Tel est notre pauvre, parce que c’est lui qui est le Christ, lui qui, chez les Prophètes, s’est appelé époux et épouse. « Il m’a mis une couronne », dit-il, « comme au jeune époux; et il m’a ornée comme une jeune épouse 3 ». C’est à lui-même qu’il donne le nom d’Epoux et aussi bien celui d’Epouse; pourquoi, sinon parce que le chef alors serait l’époux, et le corps l’Epouse? Ecoutons ses paroles, ou plutôt écoutons les nôtres, et si nous nous trouvons en dehors, travaillons à entrer bientôt.
3. « Seigneur, écoutez ma prière, et que mes cris viennent jusqu’à vous 4 ». Or, « Seigneur, exaucez ma prière », revient à dire: « Que mes cris arrivent jusqu’à vous ». Ce redoublement est une véhémence de sentiment dans la prière. « Ne détournez point de moi votre face 5 ». Quand est-ce que Dieu détourna sa face de son Fils? Le Père de son Christ? Mais à cause de la pauvreté des membres: « Ne détournez point de moi votre face, au jour de mes tribulations; inclinez vers moi votre oreille ». C’est ici-bas que je suis dans l’angoisse, et vous, Seigneur,vous êtes en haut des cieux. Si je m’élève, vous êtes loin de moi; si je m’abaisse, vous inclinez votre oreille vers moi. Mais qu’est-ce à dire, « au jour de mes tribulations? » N’ est-il point maintenant dans l’angoisse? Et parlerait-il de la sorte, s’il n’était dans l’épreuve? Il aurait donc suffi de dire: Inclinez votre oreille vers moi, parce que je suis dans l’angoisse. « En quelque jour que je sois dans l’angoisse, inclinez votre oreille vers moi ». Telle est ta
1.
Ps. CI, 1. — 2. Id. IX, 3. — 3. Isa. LXI, 10. — 4. Ps. CI, 2. — 5. Id.3.
prière de tout le corps, et si un membre souffre, tous les membres souffrent aussi 1. Tu es donc aujourd’hui dans l’affliction, j’y suis avec toi. Un autre y sera demain, j’y serai avec lui; et après cette génération, ceux qui succéderont à nos descendants, y seront aussi, j’y serai avec eux; quiconque de mes membres peut être dans la tribulation, jusqu’à la fin des siècles, j’y suis avec lui. « En quelque jour que je sois dans la tribulation, inclinez votre oreille vers moi; en quelque jour que je vous invoque, exaucez-moi sans retard ». Ce qui est la même pensée. Maintenant donc je vous invoque: mais « au jour où je vous invoquerai, hâtez-vous de me secourir ». Pierre a prié, Paul a prié, les autres Apôtres ont prié; dans ces mêmes temps les fidèles ont prié, les fidèles ont prié dans les temps qui ont suivi, les fidèles ont prié au temps des martyrs, les fidèles prient dans les temps où nous sommes, les fidèles prieront encore dans l’avenir: « En quelque jour que je vous invoque, hâtez-vous de me secourir ». « Hâtez-vous de me secourir »; car je demande ce que vous voulez accorder. Ce n’est point l’homme terrestre désirant les biens de la terre; mais racheté de la captivité primitive, j’espère au royaume des cieux. « Exaucez-moi sans délai »; car ce n’est qu’à ceux qui ont de semblables désirs, que vous avez dit: « Tu parleras encore, quand je répondrai: Me voici 2. En quelque jour que je vous invoque, exaucez-moi sans retard ». D’où vient ton invocation? De quelle tribulation? De quelle pauvreté? O pauvre, couché devant la porte d’un Dieu si riche, quel désir te fait mendier? Quel besoin te fait crier vers lui? Quelle indigence te fait frapper et demander que l’on ouvre? Parle, afin que nous entendions ta pauvreté, que nous nous y reconnaissions nous-mêmes, et que nous sollicitions avec toi. Ecoute et reconnais-toi, situ le peux.
4. « Car mes jours se sont évanouis comme la fumée 3». O jours! s’ils sont bien des jours; car nommer le jour est dire lumière. Mais « voilà que mes jours se sont évanouis comme la fumée ». « Mes jours » ou le temps de ma vie: pourquoi « comme la fumée », sinon à cause de l’orgueil qui s’élève? Tels furent les jours que mérita l’orgueilleux Adam, d’où Jésus-Christ a tiré sa chair. Donc le Christ était en Adam, et Adam aussi dans
1. I
Cor, XII, 26. — 2. Isa. LVIII, 9. — 3. Ps. CI, 4.
le Christ. Assurément il nous a délivrés de ces jours de fumée, Celui qui a daigné prendre la voix de ces jours qui s’évanouissent comme la fumée. « Voilà que mes jours disparaissent comme la fumée ». Voyez cette fumée si semblable à l’orgueil, elle s’élève, grossit, et puis disparaît; elle s’évapore donc et ne demeure point. « Voilà que mes jours se sont évanouis comme la fumée; mes os se sont desséchés comme la pierre du foyer ». Mes os, qui sont ma force, ne sont point sans tribulation, sans brûlure. Dans le corps du Christ, les os sont la force, et quelle force est supérieure à celle des Apôtres? Et néanmoins, vois comme ces os se dessèchent. « Qui est scandalisé sans que je brûle », dit saint Paul 1 les forts, ce sont les fidèles qui comprennent et qui prêchent la parole de Dieu, qui mettent leur vie d’accord avec leurs paroles, et leurs paroles avec ce qu’ils entendent: assurément ils sont forts, mais tous ceux qui souffrent le scandale sont pour eux un foyer brûlant. Car c’est en eux qu’est la charité, principalement dans les os. Ils sont plus intérieurs que la chair, et en deviennent les soutiens. Mais si quelqu’un souffre scandale, si son âme est en péril; les os en sont desséchés à proportion de leur charité. Que la charité manque, et nul os ne dessèche; mais s’il y a charité, si un membre compatit quand un membre souffre, combien seront desséchés ceux qui supportent tous les membres 2? « Mes os se sont desséchés comme la pierre du foyer ».
5. « Mon coeur a été frappé comme l’herbe, et s’est desséché 3». Vois en Adam, tige du genre humain. Quel autre que lui est la source de nos misères? De quel autre que lui nous est venue cette pauvreté héréditaire? Maintenant donc qu’il est incorporé au Christ, qu’il dise avec espérance, lui qui, en se regardant lui-même, ne pouvait que désespérer « Mon coeur a été frappé comme l’herbe, et s’est desséché ». Et cela bien justement, car toute chair est une herbe 4. Et toutefois d’où te vient cet état? « C’est que j’ai oublié de manger mon pain ». Car Dieu lui avait donné le pain d’un précepte. Qu’est-ce eu effet que le pain de l’âme, sinon la parole de Dieu? Or, à la suggestion du serpent, et devant la prévarication de la femme, il toucha au fruit défendu 5, et oublia le précepte. Ce fut donc
1.
II Cor. XI, 29. — 2. Id. XII, 20.— 3. Ps. CI, 5. — 4. Isa. XL, 6.— 5.
Gen. III, 6.
justement que son coeur fut frappé comme l’herbe, et se dessécha, parce qu’il avait oublié de manger son pain. Oubliant de manger ce pain, il avala ce poison; et son coeur fut frappé et se dessécha comme le foin. C’est de cet homme frappé que Dieu parle en Isaïe, et à qui il dit: « Je ne serai pas irrité éternellement: c’est de moi que vient l’esprit, c’est moi qui ai créé tout ce qui respire. A cause de son péché, je l’ai quelque peu contristé et frappé, j’ai détourné de lui mon visage». C’est donc avec raison que cet homme dit ici: « Ne détournez pas de moi votre visage », de cet homme frappé, dont vous avez dit: « Je l’ai frappé »; dont vous avez dit aussi: « J’ai vu ses voies, et je l’ai guéri 1. Mon coeur a été frappé comme l’herbe, et s’est desséché, parce que j’ai oublié de manger mon pain ». Mange maintenant ce pain oublié. Ce pain est venu lui-même; et, incorporé à lui, tu peux te souvenir de cette parole de l’oubli, crier dans ta pauvreté, afin de recevoir ses richesses. Mange, maintenant que tu es incorporé à celui qui a dit: « Je suis le pain de vie descendu du ciel 2 ».Tu avais oublié de manger ton pain, mais depuis qu’il est cloué à la croix, tous les confins de la terre se souviendront du Seigneur, et se convertiront à lui 3. Qu’après l’oubli vienne enfin le souvenir; que l’on mange ce pain du ciel, et que l’on vive; qu’on mange, non point la manne, comme ceux qui en mangèrent et qui moururent 4, mais ce pain dont il est dit: « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice 5».
6. « A la voix de mes gémissements, ma chair s’est attachée à mes os 6 ». A cette voix que je comprends, à cette voix que je connais: « A la voix de mon gémissement », non pas aux gémissements de ceux qui ont ma compassion. Beaucoup gémissent en effet, et moi-même je gémis, et je gémis parce qu’ils ne savent gémir. Tel a perdu de l’argent, et il gémit; il a perdu la foi et n’en gémit pas. Je pèse l’argent et la foi, et je trouve que j’ai bien plus à gémir de ceux qui ne savent gémir, ou qui ne gémissent point du tout. On a fait un larcin, et on en tressaille. Quel gain d’une part, quelle perte de l’autre! Acquérir de l’argent et perdre la justice! Voilà ce qui fait gémir celui qui sait gémir,
1.
Isa. LVII, 16-18. — 2. Jean, VI, 41.— 3. Ps. XXI, 28.— 4. Jean, VI, 49.— 5.
Matth. V, 6. — 6. Ps, CI, 6.
celui qui est uni à son chef, qui est incorporé étroitement au corps du Christ. Mais l’homme charnel, au lieu d’en gémir, fait gémir sur lui-même, parce qu’il n’en gémit point: et néanmoins, bien qu’ils ne sachent point comme il faut gémir, ou ne gémissent point du tout, nous ne pouvons les mépriser. Nous voulons en effet les corriger, nous voulons les redresser, nous voulons les guérir: et quand cela nous est impossible, nous gémissons, et en gémissant sur eux, nous sommes loin de nous en séparer. « A la voix de mes gémissements, mes os se sont attachés à ma chair ». Les forts se sont attachés aux faibles, et les valides aux infirmes. Comment s’y sont-ils attachés? Par la force de leurs propres gémissements, et non par la force des gémissements des faibles. En s’y attachant, ils ont cédé à la loi; à quelle loi, sinon à celle qui a fait dire: « Nous qui sommes forts, nous devons supporter la faiblesse des faibles 1? « Mes os se sont attachés à ma chair ».
7. « Je suis devenu comme le pélican, qui habite la solitude, comme le hibou dans les masures. J’ai veillé et je suis comme le passereau sur un toit ». Voilà trois oiseaux, et trois habitations: puisse le Seigneur m’aider à en expliquer le sens, et vous, à entendre, pour votre profit, ce que l’on vous dit pour votre salut. Quel est le sens de ces trois oiseaux, et des trois habitations? Quels oiseaux d’abord? Le pélican, le hibou, le passereau; les trois habitations sont la solitude, le creux d’un mur et un toit. Le pélican est dans la solitude, le hibou dans les masures, le passereau sur un toit. Exposons d’abord ce qu’est le pélican, car les contrées qu’il habite ne nous permettent pas de le connaître. li nait dans les déserts, principalement dans ceux du Nil, en Egypte. Quel que soit cet oiseau, voyons ce que le Prophète a voulu nous en dire. « Il habite la solitude », nous dit-il. A quoi bon nous enquérir de sa forme, de ses membres, de sa voix, de ses moeurs? Ce que te Prophète nous en dit, c’est qu’il habite la solitude. Le hibou est un oiseau qui aime la nuit. On appelle masures ce que nous appelons vulgairement ruines, des murailles sans toiture, sans habitants: c’est la demeure du hibou. Vomis connaissez le passereau et le toit. Je me figure donc un homme incorporé à Jésus-Christ, qui prêche sa parole, qui
1.
Rom. XV, 1.
compatit aux faibles, qui cherche les intérêts du Christ, qui se souvient que son maître doit venir, et qui craint qu’on ne lui dise: « Méchant et lâche serviteur, que n’as-tu mis mon argent chez les banquiers 1?» Cherchons trois choses dans l’oeuvre de ce dispensateur. Qu’il vienne dans un lieu où il n’y n nul chrétien, ce sera le pélican dans la solitude; qu’il vienne chez ceux qui ont été chrétiens, et ne le sont plus, c’est le hibou dans les masures, car il n’abandonne pas les ténèbres de ceux qui habitent la nuit, et s’applique à les gagner; qu’il vienne chez des chrétiens qui habitent dans la maison, qui ne sont point de ceux qui n’ont jamais embrassé la loi, ou ne l’ont point gardée après l’avoir embrassée, mais qui rie font qu’avec tiédeur les oeuvres de la foi: c’est un passereau qui leur crie, non point de la solitude, puisqu’ils sont chrétiens, non point des masures, puisqu’ils ne sont point tombés, mais sont sur le toit, ou plutôt sous le toit, puisqu’ils sont sous la chair. Ce passereau se fait entendre au-dessus de la chair, puisqu’il ne garde point le silence sur les préceptes de Dieu, qu’il ne devient point charnel, et qu’il n’est point sous le toit. « Que celui qui est sur le toit n’en descende pas pour prendre quelque chose dans sa maison 2 »; et: « Ce que vous entendez de l’oreille, prêchez le sur le toit 3». Voilà donc trois oiseaux et trois habitations. Un seul homme peut faire ce que figurent ces trois oiseaux, de même que trois hommes peuvent le faire aussi: et ces trois lieux différents, sont trois genres d’auditeurs; car cette solitude, cette masure, ce toit, ne peuvent figurer que trois sortes d’hommes.
8. Mais pourquoi nous étendre à ce sujet? Jetons les yeux sur le maître, et voyons si ce n’est pas lui, s’il ne nous apparaîtra pas mieux dans le pélican au désert, le hibou dans les masures, le passereau solitaire sur un toit. Qu’il nous parle, ce pauvre qui est notre chef; que ce pauvre de gré parle aux pauvres de nécessité. Disons tout ce que l’on a dit ou dont au sujet de cet oiseau, c’est-à-dire du pélican; n’affirmons rien avec témérité, mais n’omettons rien de ce qu’ont voulu dire et faire lire ceux qui en ont écrit. Pour vous, écoutez de manière à vous y arrêter, si cela est vrai; à le laisser, s’il est faux. On dit que ces oiseaux frappent leurs petits à coups de
1.
Matth. XXV, 26, 27. — 2. Id. XXIV, 17. — 3. Id. X, 27.
bec, et après es avoir tués, les pleurent dans leur nid pendant trois jours, que la mère se fait une large blessure, et arrose ses petits de son sang qui les rend à la vie. Est-ce vrai, est-ce faux? Si cela est vrai, voyons le rapport de celte figure avec ce qu’a fait pour nous Celui qui nous n rendu la vie par son sang. Ce rapport consiste en ce que c’est la mère qui donna la vie à ses petits par son sang. Cela est évident; et lui-même s’est comparé à une poule qui échauffe ses poussins « Jérusalem, Jérusalem, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et tu ne l’as point voulu 1? » Le Christ en effet a toute l’autorité d’un père, et toute la tendresse d’une mère; de même que Paul il est père, il est mère; non par lui-même sans doute, mais par l’Evangile: père, quand il nous dit: « Eussiez-vous dix mille maîtres en Jésus-Christ, vous n’avez pas néanmoins beaucoup de pères, c’est moi qui vous ai engendrés à Jésus-Christ par l’Evangile 2 »; mère, quand il dit: « Mes petits enfants, que j’enfante de nouveau, jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous 3 ». Si donc ce que l’on dit du pélican est véritable, il a une grande ressemblance avec la chair du Christ, dont le sang nous a donné la vie. Mais quelle ressemblance y a-t-il avec Jésus-Christ, à tuer ses enfants? Pourtant cela n’est-il pas d’accord avec cette parole: « Je donnerai la mort, et je donnerai la vie; je frapperai et je guérirai 4? » Saul le persécuteur fût-il mort, s’il n’eût été frappé du haut du ciel 5; et se serait-il relevé prédicateur, s’il n’eût été vivifié par le sang du Christ? Toutefois c’est l’affaire de ceux qui ont écrit ces choses, et nous ne devons pas baser nos interprétations sur l’incertitude. Voyons plutôt cet oiseau dans la solitude: c’est là que notre psaume l’a placé: « Le pélican dans la solitude ». Je crois qu’il nous désigne ici le Christ né d’une vierge. Il est en effet le seul de là vient la solitude; il est né dans la solitude, parce que seul il est né de cette manière. Après sa naissance vient sa passion. Qui l’a crucifié? Ceux qui se tenaient debout? Ceux qui pleuraient? On peut donc dire que ce fut pendant la nuit de l’ignorance, et comme dans les masures de leurs propres ruines.
1.
Matth. XXIII, 57. — 2. I Cor. IV, 15. — 3. Gal. IV, 19. — 4. Deut. XXXII, 39. —
5. Act. IX, 4.
C’est là le hibou qui habite les masures, qui aime la nuit. S’il ne les aimait, comment dirait-il: « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font 1? » Né dans la solitude, parce que seul il est né de cette manière, il a souffert de la part des Juifs, dans leurs ténèbres, c’était la nuit; dans leur prévarication, c’était leur ruine. Qu’est-il arrivé ensuite? « Je me suis éveillé ». Vous aviez donc dormi dans les murailles, et vous aviez dit: « J’ai dormi ». Qu’est-ce à dire « j’ai dormi? » J’ai dormi parce que je l’ai voulu; j’ai dormi parce que j’aimais la nuit mais il dit aussitôt: « Et je me suis levé 2 ». Donc là aussi « j’ai veillé ». Mais après avoir veillé, qu’a-t-il fait? Il est monté aux cieux, et dans son vol ou dans son ascension, il a été « semblable au passereau, seul sur un toit», c’est-à-dire dans le ciel. Il est donc le pélican dans sa naissance, le hibou dans sa mort, le passereau dans sa résurrection: dans l’une il est solitaire, puisqu’il est unique; dans l’autre il est dans les ruines, puisqu’il est mis à mort par ceux qui ne pouvaient se tenir debout; enfin dans la dernière il s’éveille, prend son vol par-dessus les toits, et intercède pour nous 3. Ce passereau est notre chef, la tourterelle est son corps. « Car le passereau a trouvé une demeure pour lui ». Quelle demeure? Il est dans le ciel, intercédant pour nous. « La tourterelle qui se trouve un nid où reposer ses petits 4 », c’est l’Eglise qui se compose des bois de la croix un nid pour ses enfants. « Je me suis éveillé, et j’étais comme le passereau solitaire sur un toit ».
9. « Pendant tout le jour, mes ennemis me couvraient d’opprobre, ceux qui me louaient faisaient des voeux contre moi 5». Leur bouche me louait, leur coeur me préparait des embûches. Ecoute leurs louanges: « Maître, nous savons que vous enseignez la voie de Dieu dans la vérité, et ne faites acception de personne: est-il permis de payer le tribut à César 6? » C’est louer celui qu’on veut faire tomber. Pourquoi? sinon parce que « ceux qui me louaient faisaient des voeux contre moi? » D’où me vient cet opprobre, sinon de ce que je suis venu m’incorporer les pécheurs, afin que devenus mes membres, ils fissent pénitence? De là cette ignominie, de là ces persécutions: « Pourquoi votre maître
1.
Luc, XXIII, 34.— 2. Ps. III, 6.— 3. Rom. VIII, 34.— 4. Ps. LXXXIII, 4. — 5. Id.
CX, 9.— 6. Matth. XXXI, 16, 17.
mange-t-il avec les pécheurs et les publicains? Parce que le malade seul a besoin du médecin, et non celui qui se porte bien 1 » Plût à Dieu que vous connussiez combien vous êtes malades, et que vous eussiez recours au médecin! vous ne le tueriez point, dans votre orgueil, en vous croyant follement la santé.
10. D’où vient que « mes ennemis me couvraient d’opprobre pendant tout le jour? » D’où vient que « ceux qui me louaient formaient des voeux contre moi?» « C’est que je mangeais la cendre comme le pain, et que je mêlais mes pleurs à mon breuvage 2 ». Parce qu’il a voulu mettre ces hommes parmi ses membres, afin de les guérir et de les délivrer, telle est la cause de l’opprobre. Aujourd’hui, quelles sont les injures que nous prodiguent les païens? Que croyez-vous qu’ils disent, de nous? Vous pervertissez les hommes, nous disent-ils, vous corrompez les moeurs dans le genre humain. Dis-moi, accusateur, quelle preuve en as-tu? Qu’avons-nous fait? Vous offrez aux hommes le remède de la pénitence, vous leur promettez l’impunité de tous les crimes; et les hommes s’enhardissent au mal, parce qu’ils sont assurés qu’au jour où ils se convertiront, tout leur sera pardonné. Voilà le sujet des opprobres: « Parce que je mangeais la cendre comme un pain, et je mêlais mes pleurs à mon breuvage ». O toi, qui insultes, c’est à ce pain que je te convie. Tu n’oserais point dire que tu n’es point pécheur. Examine ta conscience; monte sur le tribunal de ta conscience, discute sans ménagement, laisse parler la moelle de ton coeur, et vois si tu oseras bien te dire innocent. Un tel homme, en s’examinant, sera troublé; et s’il ne se flatte point, il avouera ses fautes. Que feras-tu donc, misérable pécheur, s’il n’y a pas un port où tu puisses trouver l’impunité? Si tu n’as que la liberté de pécher, sans espoir de pardon, que deviendras-tu? où iras-tu? C’est assurément pour toi que ce pauvre a mangé la cendre comme son pain, et mêlé ses pleurs à son breuvage. Un tel festin n’aura-t-il donc pour toi aucun attrait? Mais, répond-il, l’espérance du pardon augmente le nombre des fautes. Il s’augmente. rait bien davantage par le désespoir du pardon. Ne vois-tu pas combien est licencieuse la vie des gladiateurs? Pourquoi cette licence,
1. Matth. IX, II, 12. — 2. Ps.
CI, 10.
sinon parce que, destinés au glaive comme des victimes, ils veulent assouvir leurs convoitises tmvant de répandre leur sang. Et toi, ne diras-tu pas à ton tour: Me voilà pécheur, injuste, sous le coup de la damnation, sans espoir de pardon, pourquoi donc ne point faire ce qu’il nie plaît, en dépit de la défense? Pourquoi ne pas satisfaire mes appétits, autant que je le puis, si je ne puis au-delà de cette vie attendre que des tourments? Ne tiendrais-tu pas ce langage, et le désespoir ne te jetterait-il point dans la dépravation? C’est donc pour te redresser qu’on te promet le pardon, et qu’on te dit: « Prévaricateurs, rentrez en vous-mêmes 1. Je ne veux point la mort de l’impie, mais qu’il se corrige et qu’il vive 2». A la vue de ce port, l’iniquité baisse les voiles, tu retournes la proue du vaisseau, tu vogues sers la justice; et dans l’espoir de trouver la vie, tu ne négliges point le remède. Dès lors m’accuse plus le Seigneur de donner la sécurité aux pécheurs, en leur promettant le pardon. De peur que le désespoir ne les déprave encore, il leur ouvre le port de l’indulgence; et de peur que l’espérance du pardon ne les entretienne dans le péché, il veut que le jour de leur mort soit incertain: accordant avec sagesse, et la bonté qui accueille ceux qui reviennent à lui, et la menace qui effraie les retardataires. Mange donc la cendre comme un pain, et mêle tes pleurs à ton breuvage: ce festin te conduira à la table du Seigneur. Loin de toi tout désespoir, le pardon t’est promis. Dieu soit béni de cette promesse, me dira-t-on, je la tiens enfin. Oui, mais commence à bien vivre. Demain, dit-on, je le ferai. Dieu t’a promis le pardon, sans doute, mais nul ne t’a promis un lendemain. Si jusqu’ici tu as mal vécu, commence à bien vivre dès aujourd’hui. « Cette nuit même, ô insensé, mon va te redemander ton âme ». Je ne dis point: « A qui appartiendra ce que tu as amassé 3? » mais bien: Où te conduira la vie que tu as menée? Corrige-toi donc, entre dans le corps du Christ, afin de dire ce que tu entends volontiers, si je ne me trompe: « Je u mangeais la cendre comme un pain, et je mêlais mes pleurs à mon breuvage ».
11. « A cause de votre colère et de votre indignation, après m’avoir élevé, vous m’avez précipité 4 ». Telle fut, ô mon Dieu,
1.
Isa. XLVI, 8.— 2. Ezéch. XXXIII, 11.— 3. Luc, XXI, 20.— 4. Ps CI,11.
votre colère en Adam; votre colère dans laquelle nous sommes nés, qui nous a enveloppés à notre naissance, votre colère contre la transfusion de l’iniquité, contre la masse du péché; selon cette parole de l’Apôtre: « Nous avons été, nous aussi, enfants de colère, comme le reste des hommes 1 »; et cette autre du Sauveur: « La colère de Dieu pèse sur quiconque ne croit pas au Fils unique de Dieu 2 ». Il ne dit pas: La colère de Dieu viendra sur lui;mais bien: « pèse sur lui », parce qu’elle ne lui a pas été enlevée depuis sa naissance. Pourquoi donc cette parole et que veut-elle dire: « Après m’avoir élevé, vous m’avez précipité? » Il n’est point dit: Parce que vous m’avez élevé et précipité; mais bien: « Parce que vous m’avez élevé, vous m’avez précipité ». Mon élévation a été la cause de ma ruine. Comment cela? L’homme, étant en honneur, a été fait à l’image de Dieu. Elevé à cet honneur, tiré de la poussière, tiré de la terre, il a reçu une âme raisonnable; la lumière de sa raison lui a fait donner le sceptre sur les animaux, sur le bétail, sur les oiseaux, sur les poissons 3. Qu’y a-t-il en eux qui ait la lumière de la raison? Nul d’entre eux n’a été fait à l’image de Dieu. Mais comme nul n’a cet honneur, nul aussi ne ressent notre misère. Quel animal pleure son péché? Quel oiseau craint la violence des flammes éternelles? Comme il n’a nulle part à la vie éternelle, il ne ressent point l’aiguillon de nos misères. Mais l’homme qui est fait pour la vie bienheureuse, s’il vit saintement, n’aura qu’une vie de misères, si sa vie est dépravée. Donc, « parce que vous m’aviez élevé, vous m’avez précipité »; et je suis en butte à la peine, parce que vous m’avez donné le libre arbitre. Car si vous ne m’aviez donné ni le libre arbitre, ni cette raison qui me rend supérieur aux animaux, mon péché ne serait point suivi d’une juste condamnation. Donc vous m’avez élevé par le libre arbitre, et précipité par le jugement de votre justice.
12. « Mes jours ont décliné comme l’ombre 4». Tes jours auraient pu ne point décliner, si toi-même tu n’eusses décliné du jour véritable tu t’en es détourné, et tes jours ont décliné. Qu’y aurait-il d’étonnant que tes jours fussent semblables à toi-même? Ce sont des jours qui déclinent, comme tu as décliné; des jours de fumée, parce que tu t’es
1.
Ephés. XI, 3.— 2. Jean, III, 86.— 3. Gen. I, 26.— 4. Ps. CI, 12.
élevé. Le Prophète avait dit plus haut: « Mes jours se sont évanouis comme la fumée »; et maintenant il dit: « Mes jours ont décliné comme l’ombre», il nous faut dans cette ombre connaître le jour, et dans cette ombre voir la lumière, de peur qu’une pénitence tardive et sans fruit ne nous fasse dire: « De quoi nous a servi notre orgueil? Que nous a rapporté l’ostentation de nos richesses? Tout cela a passé comme l’ombre 1 ». Dès maintenant, tout cela passera comme l’ombre, mais toi, ne passe point comme cette ombre. « Mes jours ont décliné comme l’ombre, et moi je me suis desséché comme le foin ». Il avait dit plus haut: « Mon coeur a été frappé comme l’herbe et il s’est desséché ». Mais arrosé par le sang du
Sauveur, le foin reverdira. « Pour moi, je me suis desséché comme le foin ». Moi, homme,
ô mon Dieu, après cette grande prévarication, j’ai ressenti votre juste jugement: mais vous,
Seigneur?
13. « Mais vous, Seigneur, vous demeurez éternellement 2 ». Mes jours ont décliné comme l’ombre, tandis que vous demeurez éternellement: que celui qui est éternel, sauve l’homme de quelques jours. Ce n’est point parce que je décline que vous vieillirez aussi; car votre force doit me délivrer, comme votre force m’a humilié. « Mais vous, Seigneur, vous demeurez éternellement, et votre mémoire passe de race en race ». «Votre mémoire», car il n’y a rien d’oublié, « de race en race », et non dans une foule, mais « de génération en génération ». Nous avons la promesse de la vie présente et de la vie à venir 3.
14. « Vous vous lèverez pour prendre en pitié Sion, car il est temps d’en avoir pitié 4 ».
Quel temps? « Lorsque le temps fut accompli, Dieu envoya son Fils, formé d’une femme et assujetti à la loi ». Où est Sion? « Afin de racheter ceux qui étaient sous la loi 5 ». Les Juifs donc tout d’abord; de là vinrent les Apôtres, de là plus de cinq cents frères 6; de là cette multitude qui n’avait plus en Dieu qu’un coeur et qu’une âme 7. Donc « vous vous lèverez, et vous prendrez Sion en pitié; il est venu, le temps de la clémence; il est venu, « le temps marqué ». Quel temps? «Voici maintenant le temps propice, voici les jours de salut 8 ». Qui parle ainsi? Le serviteur
1.
Sag. V, 8, 9.— 2. Ps. CI, 13.— 3. Tim. IV, 8.— 4. Ps. CI, 14.— 5. Gal. IV, 4,
5.— 6. I Cor, XV, 6.— 7. Act. IV, 32.— 8. II
Cor. VI, 2.
travaillant à l’édifice de Dieu, et qui disait: « Vous êtes l’édifice du Seigneur »; qui disait encore: « Comme un architecte sage: j’ai posé le fondement»; et: «Nul ne posa une base autre que celle qui est posée, et qui est le Christ Jésus 1. »
15. Que dit ensuite le psaume? « Vos serviteurs en ont aimé les pierres 2». Les pierres de quoi? Les pierres de Sion; mais il en est là aussi qui ne sont point des pierres. Des pierres de quoi? Ecoutons ce qui suit: «Ils prendront en pitié sa poussière».Reconnaissons-le donc, il y a en Sion des pierres, et en Sion de la poussière. Le Prophète ne dit point qu’on aura pitié des pierres; mais que dit-il? « Vos serviteurs en ont aimé les pierres, et ils prendront sa poussière en pitié ». L’amour pour les pierres, la pitié pour la poussière. Par les pierres de Sion, j’entends tous les Prophètes: c’est là que la parole des prédicateurs a retenti d’abord, de là que furent tirés les ouvriers évangéliques, et par leur prédication le Christ fut connu. Donc vos serviteurs ont fait leurs délices des pierres de Sion; mais les prévaricateurs, qui se sont retirés de Dieu, qui ont irrité le Créateur par leurs actions détestables, sont retournés dans la terre d’où ils avaient été tirés. ils sont devenus poussière, et sont tombés dans l’impiété. C’est d’eux qu’il est dit: « Il n’en est pas ainsi, non pas ainsi de l’impie; il est comme la poussière que le vent chasse de la surface de la terre 3 ». Mais, Seigneur, attendez, attendez, ô mon Dieu, prenez patience; défendez au vent de souffler, et d’emporter l’impie de la surface de la terre. Qu’ils viennent, vos serviteurs, qu’ils viennent et qu’ils reconnaissent dans vos pierres votre parole, qu’ils prennent en pitié la poussière de Sion, qu’ils reforment l’homme à votre image 4: que la poussière dise, afin de ne point périr: « Souvenez-vous que nous sommes poussière, et ils auront pitié de sa poussière »: voilà ce qui regarde Sion. N’étaient-ils point poussière, ceux qui ont crucifié le Seigneur? Et même plus, une poussière sortie des débris d’une masure. C’était donc une poussière, et néanmoins ce n’était pas en vain qu’il était dit, à propos de cette poussière: « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font 6». C’est de cette poussière qu’est sortie cette muraille de tant
1. I
Cor. III, 9-11. — 2. Ps. CI, 15. —
3. Id. I, 4.— 4. Gen. I, 28.— 5. Ps. CII, 14. — 6. Luc,
XXXII, 31.
de milliers de croyants, qui apportaient aux pieds des Apôtres le prix de leurs biens. C’est donc de cette poussière qu’est sortie l’humanité réformée et embellie. Qui a fait rien de semblable parmi les Gentils? Combien peu en trouvons-nous, si nous les comparons à tant de milliers de Juifs? Trois mille d’abord, puis cinq mille, et tous vivent comme un seul, et tous viennent apporter aux pieds des Apôtres le prix de leurs biens, afin qu’il fût distribué à chacun selon ses besoins, et ils n’avaient tous en Dieu qu’un coeur et qu’une âme 1. Qui a pu tirer ce parti de cette poussière, sinon celui qui a fait Adam de la poussière 2? Ceci donc regarde Sion, mais ne s’est pas accompli seulement en Sion.
16. Que dit en effet le Prophète? « Et toutes les nations redouteront votre nom, ô mon Dieu, et les rois de la terre votre gloire 3 ». Puisque déjà vous avez eu pitié de Sion, que vos serviteurs ont mis leurs délices dans ses pierres, en y retrouvant le fondement des Apôtres et des Prophètes; puisqu’ils ont pris en pitié sa poussière, en formant, ou plutôt en reformant de cette poussière l’homme plein de vie; puisque c’est de là que la prédication des Gentils a pris de l’accroissement; que les Gentils alors craignent votre nom, et tous les rois de la terre votre gloire; qu’il vienne du côté des Gentils une autre muraille; qu’on reconnaisse la pierre angulaire 4; que là s’unissent les deux murailles, venant de différentes directions, mais n’ayant plus des sentiments opposés.
17. « Car c’est le Seigneur qui a bâti Sion 5 ». C’est l’oeuvre d’aujourd’hui. Accourez, ô pierres vivantes, venez former l’édifice, et non le détruire. On bâtit Sion, prenez garde aux masures; éditions une tour, éditons une arche, évitons le déluge. Travaillez maintenant, « parce que le Seigneur construira Sion ». Mais quand Sion sera bâtie, qu’arrivera-t-il? « Alors on le verra dans sa gloire ». Pour bâtir Sion, pour être le fondement de Sion, le Christ s’est montré à Sion, mais non dans sa gloire. « Et nous l’avons vu, et il n’avait ni apparence ni beauté 6». Mais quand, avec ses anges, il viendra pour juger, quand les nations seront toutes rassemblées devant lui, quand les brebis seront placées à sa droite et les boucs à sa gauche 7,
1.
Act. XI, 41; IV, 4, 32.— 2. Gen. II, 7— 3. Ps. CI, 16.—
4. Ephés. — 5. Ps. CI, 17. — 6.
Isa. LIII, 2. — 7. Matth. XXV, 31-33.
ne verront-ils point Celui qu’ils ont percé 1? Alors une confusion tardive couvrira ceux qui auront repoussé une prompte et salutaire pénitence. « Le Seigneur bâtira Sion, et sera vu dans sa gloire »; lui qui s’est montré tout d’abord dans son infirmité.
18. « Il a entendu favorablement la prière des humbles, et n’a point dédaigné leurs soupirs 2 ». Voilà ce qui se passe aujourd’hui dans la construction de Sion; ceux qui la construisent gémissent et prient; ce pauvre unique personnifie mille pauvres, comme ces milliers de toutes les nations ne forment qu’un seul homme, dans l’unité de la paix de 1’Eglise. Cet homme est un et multiple; un à cause de la charité, multiple à cause de l’étendue. C’est donc maintenant que l’on prie, maintenant que l’on court; quiconque a vécu d’autre manière, a nourri d’autres sentiments, doit maintenant manger la cendre comme un pain, et mêler ses pleurs à son breuvage. C’est le moment de le faire, quand on bâtit Sion; c’est maintenant que les pierres entrent dans l’édifice; une fois l’édifice achevé et la maison dédiée, à quoi bon courir, pour arriver trop tard, supplier en vain, frapper sans résultat, et demeurer dehors avec tes cinq vierges folles 3? Cours donc maintenant. « Le Seigneur a écouté la prière des humbles, et n’a point dédaigné leurs soupirs ».
19. « Que ceci soit écrit pour la génération qui doit venir 4 ». Quand le Prophète écrivait ces choses, elles étaient moins utiles à ceux parmi lesquels il les écrivait; car Dieu les faisait consigner pour prophétiser la nouvelle alliance parmi ces mêmes hommes, qui vivaient selon l’ancienne. C’était Dieu néanmoins qui avait donné cette alliance, et qui avait placé son peuple dans la terre promise. Mais « parce que votre souvenir passe de race en race », non chez les impies, mais chez les justes; la première génération appartient à l’ancienne alliance, et la seconde génération à la nouvelle. Ceci donc était une prophétie, et le Psalmiste y prédit le Nouveau Testament: «Que ceci soit écrit pour la génération suivante; et le peuple qui sera créé louera le Seigneur »: non point le peuple qui a été créé, mais « le peuple qui sera créé ». Quoi de plus évident, mes frères? Voilà qu’est prédite cette créature dont saint Paul a dit: «Si donc nous sommes dans le Christ une créature
1.
Zach. XII, 10.— 2. Ps. CI, 18.— 3. Matth. XXV, 12. — 4. Ps. CI, 19.
nouvelle, le passé n’est plus, tout a été renouvelé et tout vient de Dieu 1». Qu’est-ce
à dire: « Tout vient de Dieu? » Et ce qui est ancien et ce qui est nouveau, car votre souvenir passe de génération en génération. « Et
1.
II Cor. V, 17, 18.
le peuple qui sera créé bénira le Seigneur. « Car il a regardé du haut de son sanctuaire 1».
Il a regardé d’en haut, afin de venir vers les humbles; d’élevé qu’il était, il s’est fait
humble, afin d’élever les humbles.
1.
Ps. CI, 20.
Ceux qui ont les fers aux pieds, sont ceux que retient la crainte du Seigneur; or, le Seigneur écoute leurs gémissements; il délivre par sa grâce les fils des martyrs. Alors le nom du Seigneur fut annoncé en Sion; l’homme comprit son avenir, tons les peuples bénirent le vrai Dieu; la vie pure des hommes, la sainteté en Jérusalem a été le fruit de cette prédication. C’est par là que l’Eglise n répondu au Christ dans sa force, ou après la résurrection, et en rassemblant tes peuples dans l’unité. L’Eglise, nous dit l’hérésie, n’est plus celle de toutes les nations, cette Eglise a péri. Pourtant Jésus-Christ devait être avec elle jusqu’à la consommation des siècles; et si cette Eglise demande aujourd’hui de connaître ses jours peu nombreux, c’est que ces jours qui doivent se prolonger jusqu’à la fin des siècles, alors que l’Evangile sera prêché à tous les peuples, ne sont rien en comparaison de l’éternité, de ces années de Dieu, sans passé, sans avenir, qui ne s’écoulent point, car elles sont elles-mêmes Celui qui est. Ces années de Dieu passent de génération en génération, c’est-à-dire qu’elles sont le partage des saints de chaque génération, en Adam d’abord, puis chez les patriarches, puis chez les nations chrétien. nes, tandis que la terre doit finir ainsi que les cieux. Déjà ont péri par le déluge les cieux inférieurs; les cieux supérieurs ou les saints périront d’une manière corporelle, pour être revêtus d’immortalité, tandis que Dieu ne passera point. Ces cieux donc habiteront avec Dieu, et ces fils de ses serviteurs, sont nos bonnes oeuvres qui doivent nous préparer la véritable vie.
1. Hier, nous avons entendu un pauvre prier et gémir; nous avons reconnu en lui celui qui étant riche’ est devenu pauvre, ainsi que les membres qui lui sont unis et qui parlent en la personne de leur chef. Car nous sommes là aussi, nous l’avons vu, si toutefois, par sa grâce, nous sommes quelque chose. Or, les paroles de gémissements cessaient pour faire place aux paroles de consolation, mais il nous était impossible hier de vous les exposer plus longuement. Ecoutons dans ce qui nous reste à traiter, non plus le pauvre qui gémit, mais le pauvre qui tressaille, et qui tressaille parce qu’il espère, et qui espère parce qu’il ne présume point de lui-même. Il avait annoncé dans les divines Ecritures le bonheur dont peuvent jouir les hommes, et il ajoute: « Que ceci soit écrit pour la génération à venir, et le peuple qui croira, bénira le Seigneur, parce qu’il a regardé du
1.
II Cor. VIII, 9.
haut de son sanctuaire 1 ». C’est jusque-là que se prolongea hier notre discours, voyons la suite.
2. « Des hauteurs du ciel le Seigneur a jeté les yeux sur la terre pour écouter les gémissements de ceux qui ont les fers aux pieds, et délivrer les enfants de ceux qu’on a égorgés 2». Nous trouvons dans un autre psaume « Que les gémissements de ceux qui ont les fers aux pieds s’élèvent jusqu’à vous 3 »; et le psaume qui parle ainsi s’entend des martyrs. Comment les martyrs ont-ils les fers aux pieds? Leurs membres n’étaient-ils pas chargés de chaînes, plutôt que leurs pieds entravés? Nous lisons en effet qu’on enchaînait les saints martyrs de Dieu, et qu’on les traînait derrière des juges de province en province, nous ne lisons pas qu’ils avaient les fers aux pieds. Nous connaissons aussi les entraves de la discipline et de la crainte de Dieu,
1.
Ps. CI, 19, 20.— 2. Id. 21.— 3. Id. LXXVIII, 11.
dont il est dit: « La crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse 1 ». C’est à cause de cette crainte que les serviteurs de Dieu n’ont point redouté ceux qui tuent le corps, mais qui ne peuvent tuer l’âme: ils craignaient alors celui qui a le pouvoir de jeter le corps et l’âme au feu éternel 2. Si les martyrs, en effet, n’eussent eu les pieds retenus par les entraves de cette crainte, comment eussent-ils pu endurer de la part de leurs persécuteurs des tourments si rigoureux quand ils étaient libres de faire ce qu’on les contraignait de faire, et d’échapper aux tortures qu’ils enduraient? Mais Dieu leur avait mis ces entraves salutaires, entraves dures et pénibles pour un temps, à la vérité, mais supportables en vue des promesses de Celui à qui il est dit: « A cause des paroles de vos lèvres, j’ai marché dans la voie douloureuse 3». On doit gémir dans ces entraves, sans doute, afin d’obtenir la divine miséricorde; aussi les martyrs ont-ils dit dans un autre psaume: « Que le gémissement de ceux qui ont les entraves aux pieds s’élève jusqu’à vous »; mais il ne faut point éviter ces entraves, pour convoiter une liberté pernicieuse, pour rechercher la douceur si courte d’une vie passagère, qui serait suivie d’une amertume sans fin. Aussi, de peur que nous ne repoussions les entraves de la sagesse, l’Ecriture nous en parle-t-elle ainsi: « Ecoute, mon fils, reçois ma pensée, et ne rejette point mon conseil. Mets tes pieds dans ses entraves, engage ton cou dans ses chaînes: baisse ton épaule et porte-la; ne te fatigue point de ses liens. Approche-toi d’elle de tout ton coeur, et garde ses voies de toutes tes forces: cherche-la, mets-toi en peine de la trouver, et elle te sera manifestée; une fois que tu l’auras embrassée, ne la quitte point. Car au dernier jour c’est en elle que tu trouveras le repos, et elle se changera pour toi en délices, et ses fers deviendront pour toi une protection, et ses chaînes un vêtement de gloire. Car elle a la beauté de l’or, et ses liens sont des fils d’hyacinthe tu te revêtiras d’elle comme d’une robe de gloire, tu la mettras sur ta tête comme une couronne de joie 4 ». Qu’ils crient donc tandis qu’ils ont les entraves aux pieds, tandis qu’ils sont enchaînés par la discipline du Seigneur qui a exercé les martyrs, et leurs fers
1.
Eccli. II, 16 — 2. Matth. X, 28.— 3. Ps. XVI, 4.— 4. Eccli. VI, 24-32.
seront brisés, et ils s’envoleront, et ces fers eux-mêmes deviendront leur ornement et leur gloire. Voilà ce qui est arrivé aux martyrs. Qu’ont fait leurs persécuteurs en les égorgeant, sinon briser leurs chaînes, qui se sont changées en couronnes?
3. « Le Seigneur a donc regardé du haut du ciel, afin d’entendre les gémissements de ceux qui ont les fers aux pieds, et de délivrer les fils de ceux qu’on a égorgés ». Ce sont les martyrs que l’on a fait mourir; mais quels sont les fils de ceux que l’on a fait mourir, sinon nous-mêmes? Or, comment nous délier, sinon en disant à Dieu: « Seigneur, vous avez brisé mes liens; je vous offrirai un sacrifice de louange 1? » Car chaque fidèle est délivré soit des chaînes de ses appétits déréglés, soit des liens du péché. Lui remettre son péché, c’est en effet le délier. Qu’aurait servi à Lazare de sortir vivant du tombeau, sans cette parole: « Déliez-le, et laissez-le aller 2? » A la vérité, le Christ le fit sortir à sa voix du sépulcre, lui rendit la vie par son cri puissant, put vaincre ce monceau de terre dont il était couvert, et Lazare sortit encore tout garrotté; il ne sortit donc point par la force de ses pieds, mais par la force de celui qui le ressuscitait. Voilà ce qui s’opère dans le coeur d’un pénitent. Ecoute un homme qui se repent de ses fautes, il est ressuscité; écoute-le découvrir sa conscience par la confession, il est déjà sorti du tombeau, mais pas encore délié. Quand le sera-t-il? Par qui le sera-t-il? « Tout ce que vous délierez sur la terre », dit le Sauveur, « sera délié aussi dans le ciel 3 ». C’est avec raison que nos péchés sont déliés par l’Eglise: mais un mort ne peut ressusciter que par le cri intérieur de Jésus-Christ: c’est Dieu qui agit ainsi au dedans de nous. Nous vous parlons à l’oreille, mais comment savoir ce qui se passe dans vos coeurs? Or, ce qui se passe intérieurement est l’oeuvre de Dieu, et non la nôtre.
4. Dieu donc « a jeté les yeux pour délier les fils de ceux qu’on a égorgés». Vous connaissez maintenant ces hommes égorgés, vous connaissez leurs enfants. Quelle est la suite? « Afin que le nom du Seigneur soit annoncé dans Sion ». L’Eglise était d’abord opprimée, quand ou égorgeait ceux qui avaient les entraves aux pieds: et après ces persécutions, le
1.
Ps. CXV, 16, 17. — 2. Jean, XI, 44. — 3. Matth. XVI, 19.
nom du Seigneur est prêché dans Sion avec une grande liberté, c’est-à-dire dans l’Eglise même qui est Sion, non point ce lieu de la terre si orgueilleux d’abord et réduit ensuite à l’esclavage; mais dans cette Sion dont l’ancienne était une figure,et qui signifie spéculation. Placés en effet dans la chair, nous voyons ce qui devant nous en nous étendant, non plus vers ce qui est du présent, mais vers les choses de l’avenir. De là cette spéculation. Quiconque est en spéculation ou au guet étend sa vue au loin; et l’on appelle guet l’endroit où l’on pose des gardes. Or, on établit un guet sur des rochers, sur des montagnes, sur des arbres, afin que de cette hauteur on puisse voir de plus loin. Sion est donc un guet, et l’Eglise est un guet. Pourquoi un guet? Etre au guet, c’est voir de loin. « Il n’y a devant moi que labeur, jusqu’à ce que j’entre dans le sanctuaire de Dieu, et que je comprenne la fin des méchants 1 ». Qu’est-ce que voir, comprendre la fin? Traverser la mer eu voyant, non plus en naviguant, et habiter les bords de la mer 2, c’est-à-dire mettre son espérance dans ce qui doit durer après l’écoulement des temps. Si donc l’Eglise est un guet, c’est là qu’on annonce désormais le nom du Seigneur. Et non seulement le nom du Seigneur est annoncé dans cette Sion, mais « sa louange», dit le Prophète, « est publiée dans Jérusalem ».
5. Comment publiée? « Alors que les peuples et les royaumes se réuniront, pour servir le Seigneur 3». D’où vient cette merveille, sinon du sang de ceux qu’on a mis à mort? D’où vient cette merveille, sinon des gémissements de ceux qui ont les entraves aux pieds? Dieu donc les a écoutés, sous le pressoir et dans l’humiliation, afin qu’en un jour l’Eglise fût élevée à cet éclat de gloire que nous voyons, et que les puissances qui persécutaient alors servissent maintenant le Seigneur.
6. « Elle lui a répondu dans la voie de sa force 4». A qui a-t-elle répondu, sinon au Seigneur? Qui a répondu? Voyons ce qui précède. « Et sa louange », dit-il, « sera chantée en Jérusalem, quand les peuples et les rois s’uniront pour servir le Seigneur. Elle lui a répondu dans la voie de sa force ». Quelle est celle ou quel est celui qui a répondu dans la voie de sa force? Cherchons tout d’abord celui qui a répondu, et nous saurons par là
1.
Ps. LXXII, 16, 17.— 2. Id. CXXXVIII, 9.— 3. Id. CI, 23.— 4. Id. 24.
quel est le chemin de sa force. D’après les paroles précédentes, on pourrait croire que c’est la gloire de Dieu ou Jérusalem qui lui a répondu; car le Prophète avait dit plus haut: « Et sa louange sera en Jérusalem; quand se réuniront les peuples et les royaumes pour servir le Seigneur». «Elle lui a répondus, nous ne pouvons point parler ainsi des royaumes, car alors le Prophète eût dit: Ils lui ont répondu. « Elle lui a répondu», ne peut avoir pour sujet les peuples, car le Prophète eût dit encore: Ils lui ont répondu. Donc puisque répondre est au singulier, nous ne pouvons lui trouver dans ce qui précède, d’autre sujet que la louange du Seigneur, et Jérusalem. Et comme il est douteux si c’est la louange de Dieu ou Jérusalem, exposons l’un et l’autre sens. Comment sa louange lui a-t-elle répondu? Quand ceux que Dieu daigne appeler lui rendent grâces. Car c’est Dieu qui nous appelle, et nous lui répondons, non par la voix, mais bien par la foi; non par la langue, mais par la vie. Si Dieu en effet t’appelle, et t’ordonne de mener une vie pure, tu ne réponds point à son appel par une vie de désordre, il ne vient de toi aucune louange qui lui réponde; car ta vie est plutôt un blasphème contre lui qu’une louange en son honneur. Mais quand nous vivons de manière à faire louer le Seigneur, sa louange alors lui répond. Jérusalem lui a aussi répondu dans la personne des saints que Dieu appelait. Car Jérusalem fut appelée, et tout d’abord Jérusalem refusa d’écouter, et il lui fut dit: «Voilà que vos maisons seront désertes. Jérusalem, Jérusalem », (il crie alors et l’on ne répond point), « combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme la poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et tu ne l’as point voulu 1 ». Nulle réponse alors: nouvelle pluie et pour tout fruit des épines. Mais quant à la Jérusalem dont il est dit: « Réjouis-toi, stérile, qui n’enfantes pas: chante des cantiques de louanges, et pousse des cris de joie, toi qui n’avais pas d’enfants: l’épouse abandonnée est devenue plus féconde que celle qui a un époux; celle-ci lui a répondu». Qu’est-ce à dire qu’elle a répondu?» Elle n’a pas méprisé celui qui l’appelait. Qu’est-ce à dire qu’ « elle a répondu? » il l’a arrosée, et elle a donné du fruit.
7. « Elle lui a donc répondu », mais où?
1.
Matth. XXIII, 37, 38.— 2. Isa. LIV, 1; Gal. IV, 27.
« Dans le chemin de sa force ». Cette force vient-elle d’elle-même? Que serait-elle en elle-même, quelle voix aurait-elle en elle-même et d’elle-même, autre que la voix du péché, que la voix de l’iniquité? Examinez cette voix, qu’y trouverez-vous? Tout au plus cette réponse: « J’ai dit, Seigneur, ayez pitié de moi, guérissez mon âme parce que j’ai péché contre vous 1». Si Dieu l’a justifiée, « elle lui a répondu», non par ses propres mérites,mais par des oeuvres qui viennent de lui. Où? « Dans la voie de sa force ». C’est là le Christ, lui qui a dit: « Je suis la voie, la vérité, la vie 2». Mais avant la résurrection, le peuple ne le connaissait point; ce fut principalement lors de sa mort sur la croix, que son infirmité cacha ce qu’il était 3, jusqu’à ce qu’il parut dans sa force par sa résurrection. Donc l’Eglise n’a point répondu au Fils de Dieu dans le chemin de son infirmité, mais bien quand il a fait éclater sa force clans sa résurrection. L’Eglise ne lui a point répondu quand il était dans la vie de son infirmité, mais bien quand il était « dans la voie de sa force »: car ce fut après sa résurrection qu’il appela son Eglise de tous les confins de la terre, non plus dans l’infirmité de la croix, mais dans toute la force du ciel. La gloire du chrétien, en effet, n’est pas de croire à la mort du Christ, mais bien plutôt à la résurrection du Christ. Car le païen croit qu’il est mort; et s’il te fait un reproche, c’est de croire à un mort. Où donc est ta gloire? C’est de croire à la résurrection du Christ, et d’espérer que tu ressusciteras par le Christ: telle est la gloire de ta foi. « Si tu crois en ton coeur que Jésus est le Seigneur, et si ta bouche confesse que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, tu seras sauvé 4». L’Apôtre ne dit point: Si tu confesses que Dieu l’a livré à la mort; mais: « Si tu confesses que Dieu l’a ressuscité des morts, tu seras sauve; car, c’est par le coeur que l’on croit pour devenir juste, et l’on confesse de bouche pour obtenir le salut 5». Pourquoi donc croire à sa mort? Parce que nous ne pouvons croire àsa résurrection sans croire à sa mort. Qui peut ressusciter, si d’abord il ne meurt? Qui se réveille sans avoir dormi? « Mais celui qui a dormi,ne s’éveillera-t-il donc point 6? » Telle est la foi des chrétiens. Telle est la toi qui a uni l’Eglise, et dans laquelle « cette Epouse
1.
Ps. XI, 5.— 2. Jean, XIV, 6.— 3. II Cor. XIII, 4.— 4. Rom. X, 9. — 5. Id.10.—
6. Ps. XI,9.
abandonnée a plus d’enfants que celle qui a un mari 1; et lui répond », en lui chantant
des louanges selon ses préceptes; « dans la voie de sa force », et non dans la voie de son infirmité.
8. Déjà nous avons entendu cette réponse: « C’est en rassemblant les peuples et les royaumes dans l’unité, afin qu’ils servent le Seigneur 2». Telle est donc sa réponse, l’unité, et quiconque n’est pas dans l’unité, ne lui répond point. Car le Christ est un, l’Eglise est unité. L’unité seule répond à Celui qui est un. Mais il en est qui disent: Voilà ce qui est fait: l’Eglise des quatre coins du monde a répondu au Christ, en lui donnant plus de fils que celle qui avait un époux; « elle lui a répondu dans la voie de sa force »; elle a cru que le Christ est ressuscité; toutes les nations ont cru en lui. Mais cette Eglise, qui fut l’Eglise de toutes les nations, ne l’est déjà plus; elle a péri. Telle est le langage de ceux qui n’en sont pas. O insolence! Elle n’est pas l’Eglise, parce que tu n’en es pas? Prends garde de n’être plus par cela même; car elle subsistera, bien que tu n’en sois point. Celte voix abominable, détestable, pleine de présomption et de fausseté, qui n’a pour base aucune vérité, qui n’est éclairée par aucune sagesse, ni pondérée par aucune prudence, qui est vaine, qui est téméraire, qui est précipitée, qui est pernicieuse, a été prévue par l’Esprit de Dieu, et il semble la combattre en prédisant l’unité contre ses adeptes: « En rassemblant dans l’unité les peuples et les rois, afin qu’ils servent le Seigneur ». Et quand l’Apôtre ajoute, qu’elle lui a répondue, c’est sa louange, c’est la Jérusalem notre mère, qui sera enfin rappelée de son exil, elle qui est féconde, et qui a plus d’enfants que celle qui avait un époux; elle dont les adversaires devaient dire: Elle a été, mais elle n’est plus. « Faites-moi connaître l’exiguïté de mes jours 3 ». Quels sont ces murmures que j’ignore, et que profèrent contre moi ceux qui s’en éloignent? Comment des hommes perdus soutiennent-ils que je suis perdue? Ils publient hardiment que je ne suis plus, et que j’ai été: « Faites-moi connaître le nombre restreint de mes jours ». Je ne vous demande point des jours éternels: ceux-là sont sans fin, et je les obtiendrai; je ne vous les demande point; je m’enquiers des jours du temps,
1.
Gal. IV, 27. — 2. Ps. CI, 23. — 3. Id. 24.
indiquez-moi les jours du temps: « Faites-moi connaître l’exiguïté », et non l’éternité « de mes jours ». Indiquez-moi le temps que je dois passer en cette vie, à cause de ceux qui disent: Elle était, elle n’est plus; à cause de ceux qui disent: Voilà que les Ecritures sont accomplies, les nations ont embrassé la foi, mais l’Eglise est tombée dans l’apostasie, elle a disparu du milieu des nations. Qu’est-ce à dire: « Annoncez-moi l’exiguïté de mes jours? » Dieu la lui a fait connaître, et cette prière n’est pas vaine. Qui donc me l’a dit, sinon Celui qui est la vie? Commuent l’a- t-il dit? « Voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles 1».
9. Mais ils sont ici, et ils disent: « Je suis avec vous», dit le Sauveur, « jusqu’à la consommation des siècles »; parce qu’il nous avait en vue, et qu’il savait que le parti de
Donat serait un jour sur la terre. Est-ce bien ce parti qui a dit: « Faites-moi connaître l’exiguïté de mes jours? » Où n’est-ce point plutôt cette Eglise qui parlait plus haut et
qui disait: « Je rassemblerai les peuples et les rois, qui doivent servir le Seigneur? »
Pourquoi voire coeur est-il affligé? Parce que les empereurs proposent des lois contre les hérétiques, et justifient l’oracle, que « les rois s’uniront pour servir le Seigneur? » Ce n’est point vous en effet qui êtes les fils de ces hommes égorgés, dont le Seigneur a exaucé la voix, quand ils étaient dans les entraves. Loin de là. Vos actions ne le disent point, votre vanité, votre orgueil ne vous rendent point ce témoignage: Vous n’avez point la sagesse, et vous êtes au dehors; vous êtes un sel affadi, et foulé aux pieds par les hommes 2. Ecoutez donc ce que dit l’Eglise, et quelle Eglise? Celle qui a rassemblé les « peuples dans l’unité». Quelle Eglise? Celle qui a rassemblé « les rois, afin qu’ils servent le Seigneur ». Ebranlée par vos cris et vos erreurs, elle demande à Dieu qu’il lui. fasse connaître l’exiguïté de ses jours, et elle entend cette parole du Seigneur: « Je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles ». A ce propos, c’est de vous qu’il parle, dites-vous, c’est nous qui sommes, et qui serons jusqu’à la consommation des siècles. Qu’on interroge le Christ, à qui il est dit: « Montrez-moi le petit nombre de mes jours. Cet Evangile », nous répond-il, « sera prêché dans l’univers entier, en témoignage
1.
Matth. XXVIII, 20. — 2. Id. V, 13.
à toutes les nations, et alors viendra la fin 1 ». Où est maintenant votre allégation: L’Eglise était, elle n’est plus? Ecoute le Seigneur, qui annonce cette exiguïté de jours. « Cet Evangile. sera prêché », dit-il. Où? « Dans l’univers entier». A qui? « En témoignage à toutes les nations ». Qu’arrivera-t-il ensuite? « Ensuite viendra la fin ». Ne vois-tu pas qu’il y a beaucoup de nations encore qui n’ont pas entendu l’Evangile? Donc, puisqu’il faut que soit accomplie la parole du Seigneur, prédisant à l’Eglise la brièveté de ses jours, puisqu’il faut que l’Evangile soit prêché dans toutes les nations, avant la fin; pourquoi dire que l’Eglise a disparu du milieu des nations auxquelles on prêche cet Evangile, afin qu’elle étende son empire sur tous les peuples? Donc, jusqu’à la fin des siècles, l’Eglise subsistera parmi les nations; et si ses jours sont peu nombreux, c’est qu’il y a brièveté dans tout ce qui a une fin, et qu’à cette brièveté doit succéder l’éternité. Que les hérétiques périssent, qu’ils péris. sent dans ce qu’ils sont, afin qu’ils deviennent ce qu’ils ne sont point. Cette brièveté des jours s’étendra jusqu’à la fin des siècles; et si elle s’appelle brièveté, c’est que tout le temps, je ne dis pas depuis ce jour jusqu’à la fin des siècles, mais tout le temps qui s’écoulera depuis Adam jusqu’à. la. fin des siècles, n’est qu’une goutte d’eau en comparaison de l’éternité.
10. Les hérétiques n’ont donc point à s’applaudir contre moi, parce que j’ai parlé de « la brièveté de mes jours », comme si je ne devais point subsister jusqu’à la fin des siècles. Qu’ajoute le Prophète? « Ne me rappelez point au milieu de mes jours 2 ». N’agissez point avec moi, selon les prétentions des hérétiques. Conduisez-moi, non point au milieu de mes jours, mais jusqu’à la fin des siècles, dispensez-moi ces jours rapides, mais de manière à me donner ensuite les jours éternels. Pourquoi donc cette inquiétude au sujet des jours si rapides? Pourquoi? veux-tu l’entendre? « Vos années sont de génération en génération ». Si je vous supplie au sujet de mes jours si restreints, c’est que ces jours, bien. qu’ils doivent durer jusqu’à la fin des siècles, ne sont rien en comparaison de vos jours: « Vos années sont de génération en génération ». Pourquoi ne dit-il pas: Vos années remplissent les siècles des siècles, puisque
1.
Matth. XXIV, 14.— 2. Ps. CI, 25.
telle est la manière de désigner l’éternité dans les saintes Ecritures; pourquoi dire: « Vos années sont de génération en génération? » Mais quelles sont « vos années», ô mon Dieu? Oui, quelles sont vos années, sinon celles qui ne viennent point, qui ne passent point? Quelles années, sinon celles qui ne viennent point, afin précisément de ne point passer? Tout jour de cette vie ne vient que pour n’être plus; ainsi des heures, ainsi des mois, ainsi des années,rien ne demeure;avant qu’il soit venu, chaque moment n’était pas; est-il une fois venu qu’il n’est déjà plus. Vos années, Seigneur, sont donc des années éternelles, des années qui ne changent point, mais qui seront « de génération en génération ». Il y a une certaine génération des générations, c’est en elle que seront vos années. Quelle est-elle? Elle existe, et si nous la connaissons bien, c’est en elle que nous devons être, et les années de Dieu seront en nous. Comment seront-elles en nous? Comme Dieu lui-même sera en nous selon cette parole: « Afin que Dieu soit tout en tous ». Car les années de Dieu ne sont autres que lui-même: or, ces années sont l’éternité de Dieu; et l’éternité de Dieu, c’est la substance de Dieu jui n’a rien de changeant; en lui il n’y a rien de ce passé qui ne serait déjà pins, ni de cet avenir qui ne serait point encore, il n’y a en lui rien autre que Il est; il n’y a ni Il fut, ni Il sera; car ce qui fut n’est plus, ce qui sera n’est point encore: mais en Dieu tout Est. C’est avec raison qu’il envoya autrefois son serviteur Moïse avec cette parole. Moïse demanda le nom de celui qui l’envoyait; il le demanda et l’entendit, car le Seigneur ne frustra point ce désir pieux, qui ne venait point d’une curieuse présomption, mais de la nécessité d’accomplir un ministère. «Que répondrai-je», dit-il, «aux fils d’Israël, s’ils me disent: Qui t’a envoyé vers nous 2? » Et alors s’inclinant vers sa créature, lui Créateur, lui Dieu vers l’homme, lui immortel vers celui qui est mortel, lui éternel vers celui qui est du temps: « Je suis», dit-il, « celui qui suis 3 ». Pour toi, tu dirais C’est moi. Qui? Gaïus; un autre: Lucius; un autre: Marc. Pourrais-tu dire autre chose que ton nom? Voilà ce que Moïse attendait de Dieu, ce qu’il lui avait demandé. Quel est votre nom? Que répondre à ceux qui me demanderont par qui je suis envoyé? « Je suis».
1. I Cor. XV, 28. — 2. Exod. III,
13. — 3. Id. 14.
Qui? « Celui qui suis ». Est-ce donc là votre nom? Est-ce là tout? Et serait-ce là bien votre nom, si tout ce qui existe n’est véritablement pas dès qu’on le compare à vous? Ceci est votre nom, exprimez-le mieux encore: « Allez», dit le Seigneur, « et dites aux enfants d’Israël: Celui qui est m’a envoyé vers vous. Je suis celui qui suis; celui qui est m’a envoyé vers vous». « Etre», grandeur ! « Etre », sublime expression! Après cela, qu’est-ce que l’homme? En face de ce grand « Etre », qu’est-ce que l’homme dans tout son être? Qui comprendra cet «Etre» sublime? Qui pourra y avoir part? Qui pourra le désirer? y aspirer? Qui pourra se promettre d’y arriver un jour? Ne désespère point, ô homme, ô faible créature. « Je suis »,dit-il, «le Dieu d’Abraham, et le Dieu d’Isaac, et le Dieu de Jacob 1 ». Tu as entendu ce que je suis en moi-même, écoute ce que je suis pour toi. Telle est donc l’éternité qui vous appelle, et le Verbe est sorti de l’éternité. Voilà déjà l’éternité, voilà déjà le Verbe, et le temps n’est-il point encore? Pourquoi le temps n’est-il pas? Parce que le temps même a été fait. Comment le temps a-t-il été fait? « Tout a été fait par lui, et sans lui rien n’a été fait 2 » O Verbe, avant le temps ! Verbe, par qui les temps ont été faits! Verbe, qui êtes la vie éternelle, qui appelez à vous les hommes du temps pour leur donner l’éternité ! Telle est la génération des générations: une génération s’en va, une autre génération vient 3. Il en est des hommes comme des feuilles d’un arbre, feuilles de l’olivier, du laurier, ou de tout arbre qui conserve toujours son manteau de verdure. Ainsi la terre porte les hommes, comme un de ces arbres porte des feuilles; elle est couverte d’hommes dont les uns meurent, dont les autres naissent pour leur succéder. L’arbre a toujours sa robe éclatante de verdure; mais vois au-dessous combien de feuilles sèches tu foules aux pieds.
11. Il y eut donc une génération pour Adam, et elle a passé. De là sortirent quelques hommes qui durent avoir part à l’éternité de Dieu, même en ce temps-là. De là sortirent Abel, et Seth, et Enoch 4. Cette génération n passé, puis est tenu le déluge, n’épargnant qu’une famille. Cette génération nouvelle en donna quelques-uns à son tour, comme Noé, ses trois fils et ses trois brus, et dans cette
1.
Exod. III, 15.— 2. Jean, I, 3.— 3. Eccl. I, 4.— 4. Gen. VI,
17, 18.
famille, composée de huit personnes, il n’y eut qu’un seul pécheur 1: elle s’ajouta à la génération précédente. Des trois fils de Noé, comme des trois mesures de froment de l’Evangile, toute la terre fut ensuite peuplée. Dieu se choisit Abraham, Isaac et Jacob, saints personnages, illustres patriarches, qui plurent au Seigneur. Cette génération en produisit d’autres, qui en donnèrent d’autres à leur tour, les saints Prophètes, les hérauts de Dieu. Est venu enfin Notre Seigneur Jésus-Christ lui-même, qui a jeté le levain dans ces trois mesures de farine, jusqu’à ce que le tout fût fermenté 2. Lorsqu’il était encore ici- bas, dans sa chair, il y eut des Apôtres, il y eut des saints, et après eux, d’autres saints; et c’est au nom du Christ qu’il y a maintenant des saints, qu’il y en aura après nous, et de même jusqu’à la fin des siècles. Dans tant de générations, vous choisirez, Seigneur, tous les saints de chaque génération, pour en faire une génération unique, Et c’est dans cette génération des générations que subsisteront vos années, c’est-à-dire que votre éternité sera dans cette génération tirée de toutes les autres, et réunie en une seule; celle-là donc participera à votre éternité. Les autres générations ne sont que pour remplir le temps qui enfante cette génération destinée à l’éternité; vous la changerez, Seigneur, et elle aura une vie nouvelle; elle sera capable de vous porter, parce que vous lui en donnerez les forces. « Vos années sont dans la génération des générations ».
12. « Au commencement, Seigneur, vous avez fondé la terre ». Je sais que vous
êtes éternel, et dès lors avant toutes choses: « Au commencement, Seigneur, vous avez fondé la terre, et les cieux sont l’ouvrage de vos mains. Ils périront, mais vous demeurez: tous vieillissent comme un vêtement; vous les changerez comme on change un manteau, et ils seront changés. Mais vous, Seigneur, vous êtes le même 3». Qui êtes-vous? « Celui qui êtes le même », vous qui avez dit: « Je suis celui qui suis, vous êtes le même ». Et bien que les créatures ne puissent exister que de vous, que par vous, et qu’en vous, elles ne sont pas néanmoins ce que vous êtes. « Vous êtes en effet le même, et vos années ne passeront point ». Non, elles ne passeront point, ces années qui vous sont propres,
1.
Gen. IX, 22. — 2. Matth. XIII, 33. — 3. Ps. CI, 26-28.
ces années qui doivent subsister dans la génération des générations. Dans cette conviction, vous demanderais-je quelle est la brièveté de mes jours, si je ne savais que tous les jours d’ici-bas sont courts quand on les compare à votre éternité? Je sais donc ce que je vous demande. Que les hérétiques ne s’élèvent point, comme si l’Eglise, répandue dans l’univers entier, n’avait que peu de jours à vivre. Bien que ces jours doivent se prolonger jusqu’à la fin du monde, ils sont courts néanmoins. Comment courts? Oui, puisqu’ils doivent finir. Quant aux années qui subsisteront « de génération en génération », voilà celles qu’il faut aimer, qu’il faut désirer après lesquelles nous devons soupirer; c’est en vue de ces années que nous devons demeurer dans l’unité, pour les acquérir qu’il faut éviter ce qu’il y a de contagieux dans les hérétiques, pour les posséder qu’il faut répondre à ces pervers, qu’il faut gagner ceux qui sont égarés et rappeler à la vie ceux qui ont péri. Voilà ce qu’il faut désirer. Toutefois, ô mon Dieu, afin que je puisse répondre à ces discoureurs, à ces parleurs impudents, à ces calomniateurs, à ces murmurateurs, à ces détracteurs: « Faites-moi connaître le petit nombre de mes jours »; et « ne me rappelez point au milieu de mes années ». Ne me retirez point de la terre avant que l’Evangile soit prêché dans le monde entier, selon cette promesse du Sauveur: « Il faut que l’Evangile soit prêché dans tout l’univers, afin de servir de témoignage à tous les peuples, et alors viendra la fin 1». Que dirons-nous ici, mes frères?Tout cela est clair, évident. Dieu a fondé la terre, nous le savons, les cieux sont l’oeuvre de ses mains. Ne croyez point toutefois qu’il y ait une différence entre l’oeuvre de ses mains et l’oeuvre de sa parole: celui qui a dit: « Je suis celui qui suis », n’a point de membres corporels, et son Verbe est sa main, car sa main est bien sa force. Parce qu’il est écrit: « Que le firmament soit fait », et il fut fait; nous comprenons que Dieu le fit par son Verbe; mais quand il dit: « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance 2 », il nous semble qu’il le fit de sa main. Ecoute alors: « Les oeuvres de vos « mains sont les cieux e. Voilà qu’il fait par sa parole ce qu’il fait aussi par ses mains, puisqu’il l’a fait par sa puissance, par sa
1.
Matth. XXIV, 14. — 2. Gen. I, 6, 26.
force. Vois donc ce qu’il a fait, et ne t’enquiers ! point de la manière dont il l’a fait. C’est trop pour toi de vouloir comprendre comment il l’a fait, puisqu’il t’a fait de telle sorte que tu sois d’abord son serviteur, afin de pouvoir être ensuite son ami intelligent. « Donc les cieux sont l’oeuvre de vos mains».
13. « Ils périront, mais vous demeurez 1 ». L’apôtre saint Pierre nous dit clairement:
« Les cieux furent d’abord tirés de l’eau et appuyés sur l’eau, par le Verbe de Dieu; c’est lui qui a créé ce monde qui périt par le déluge; mais les cieux et la terre qui subsistent maintenant, sont réservés au feu e par ce même Verbe 2 ». Il nous enseigne donc que les cieux ont péri par le déluge; ils périrent dans l’étendue et l’espace de cet air que nous respirons. L’eau s’accrut, et remplit tout l’espace d’air où voltigent les oiseaux; ainsi périrent les cieux rapprochés de la terre, et dont on dit les oiseaux du ciel. Mais il y a des cieux bien supérieurs dans le firmament: périront-ils par le feu, ou bien n’y aura t-il que ces mêmes cieux qui ont déjà péri par le déluge? C’est là une question épineuse parmi les savants, et qu’il n’est pas facile de trancher dans le peu de temps qui nous reste. Laissons-la donc, ou du moins différons-la pour un autre moment, mais sachons que tout cela périra, et que Dieu demeure. Si quelques-unes des créatures du Seigneur doivent demeurer avec lui, ce n’est point en elles-mêmes qu’elles peuvent demeurer, mais bien en Dieu, en ne se retirant point de Dieu. Quoi donc, mes frères? Dirons-nous que les anges doivent périr par le feu qui consumera le monde? nullement. Quoi donc? que Dieu n’a pas fait les anges? Loin de nous. Que dire alors? D’où viendraient-ils, s’ils n’eussent été faits par lui? « Il a dit, et j tout a été fait; il a commandé, et tout a été créé 3 ». Ainsi dit le Prophète à propos des oeuvres de Dieu, parmi lesquelles sont comptés les anges. Les anges donc seront avec Dieu lorsque le monde sera réduit par le feu:
et le monde passera par un embrasement qui n’atteindra point les saints de Dieu. Ce que fut la fournaise pour les trois jeunes hébreux 4, voilà ce que sera l’embrasement du monde pour les justes marqués au sceau de la Trinité.
14. Ce n’est point nous tromper peut-être
1.
Ps. CI, 27.— 2. II Pier. III, 5-7.— 3. Ps. XXXII, 9.— 4. Dan, III, 21.
que d’entendre par les cieux les justes eux-mêmes, les saints de Dieu, qu’il choisit pour sa demeure, afin de faire gronder le tonnerre de ses préceptes, et briller l’éclair de ses miracles et pleuvoir la sagesse de sa vérité; Les cieux en effet ont raconté la gloire de Dieu 1. Mais ces cieux périront-ils? Ou doivent-ils périr en quelque sens? En quelle manière doivent-ils périr? A la manière d’un vêtement. Qu’est-ce à dire, à la manière d’un vêtement? Dans ce qu’ils ont de corporel; car le corps est le vêtement de l’âme, comme il résulte de l’expression de Jésus-Christ, quand il dit: « L’âme n’est-elle point plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement 2? » Comment donc périt un vêtement? « Quoique l’homme extérieur doive se corrompre en nous, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour 3». Ils périront donc, mais seulement selon le corps: « pour vous, Seigneur, vous demeurez ». Si donc ils doivent périr selon le corps, où est la résurrection de la chair? Que deviendra pour les membres l’exemple donné par le chef? Où sera-t-il? Veux-tu l’entendre? La chair sera changée; elle ne demeurera point ce qu’elle était. Ecoute un mot de l’Apôtre: « Les morts ressusciteront dans l’incorruptibilité, et nous serons changés ». Comment serons-nous changés? « On sème un corps animal, et il ressuscitera corps spirituel 4». Donc ce que l’on sème de mortel, ressuscitera immortel; ce que l’on sème de corruptible, ressuscitera incorruptible. Attendons ainsi ce changement: les cieux alors doivent périr, les cieux doivent être changés. Mais peut-être n’est-il pas juste d’appeler cieux les corps des saints? S’ils ne portent pas Dieu, qu’ils ne soient point appelés des cieux. Mais, dira-t-on, comment prouver qu’ils doivent porter Dieu? As-tu donc oublié ce mot de saint Paul: « Glorifiez Dieu, et portez-le dans votre corps 5? » Ces cieux donc doivent périr, mais non éternellement, périr afin d’être changés. N’est-ce point là ce que dit le psaume? Lis la suite: « Et tous vieilliront comme un vêtement, vous les changerez comme un manteau, et ils seront changés pour vous, vous êtes le même, et vos années ne périront point 6 ». Entends-tu ce vêtement, entends-tu ce manteau, qui ne
1. Ps. XVIII, 2.— 2. Matth. VI, 25.— 3. II Cor, IV, 16.— 4. I
Cor. XV, 4, 52. — 5. Id, VI, 20.— 6. Ps. CI, 27, 28.
signifie rien autre que le corps? Espérons donc le changement de notre corps, mais ne l’espérons que de Celui qui était avant nous, qui demeure après nous; de qui nous tenons ce que nous sommes, et à qui nous devons revenir après notre changement; qui change tout sans subir de changement, qui crée et qui est incréé; qui donne le mouvement et qui demeure; qui dit autant que la chair et le sang peuvent le comprendre: « Je suis celui qui suis 1. Vous êtes le même Seigneur, et vos années ne périront point». Mais en face de ces années immuables, qui sommes-nous avec des années en lambeaux? Et toutefois ne désespérons point. Déjà dans cette hauteur, dans cette suréminence de la sagesse. Il avait dit: « Je suis celui qui suis», et néanmoins, pour nous consoler, il ajoute: « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob », et nous sommes de la race d’Abraham 2; quelle que soit notre objection, quoi que nous soyons cendre et poussière, nous espérons en lui. Nous sommes esclaves, il est vrai; mais pour nous, le Seigneur a pris la forme de l’esclave 3 pour nous, chétifs mortels, l’immortel a voulu mourir, pour nous il a donné en lui-même un témoignage de notre résurrection. Espérons dès lors que nous arriverons à ces aunées qui demeurent, et dont le soleil ne mesure point les jours, mais où demeure stable tout ce qui est, parce qu’il n’y a que cela qui soit véritablement.
15. Mais dites-nous, ô Prophète, si nous pouvons espérer d’y être un jour. Ecoute, et vois s’il te faut désespérer; écoute ces paroles: « C’est là qu’habiteront les fils de vos serviteurs ». Où, sinon dans les années qui n’ont point de fin? « C’est là qu’habiteront les fils de vos serviteurs, et leur postérité sera dirigée vers le siècle 4 »: oui, vers le siècle du siècle, vers le siècle sans fin, vers le siècle qui demeure stable. Mais, c’est le sort « des fils de vos serviteurs », dit le Prophète, et dès lors nous faudra-t-il redouter qu’après avoir servi le Seigneur, nous n’habitions point ces années éternelles, et qu’il n’y ait que nos enfants? Ou si nous sommes les fils des serviteurs de Dieu, parce que nous sommes les fils des Apôtres, que dire? Des enfants nouvellement nés, naguère admis dans une succession qui les honore, auraient-ils donc
1.
Exod III, 14 — 2. Gal. III, 29 — 3. Philipp. II, 7 — 4. Ps. CI, 29
la scandaleuse audace de dire: C’est nous qui devons y être, les Apôtres n’y seront point? Dieu préserve de ce malheur, et la piété des fils, et la foi des enfants, et l’intelligence des plus grands. Là aussi seront les Apôtres; les béliers ouvriront la marche, puis viendront les agneaux. Pourquoi dire alors: « Le fils de vos serviteurs »,et ne pas dire aussitôt,vos serviteurs? Car eux aussi sont vos serviteurs, et leurs fils vos serviteurs; et les fils de leurs enfants, que seront-ils, sinon encore des serviteurs? On comprendrait tout cela en un seul mot, si le Psalmiste nous disait: C’est là qu’habiteront vos serviteurs: on comprendrait en un seul mot» Voyons ce que figure son langage; dans les premiers siècles il y a des faits. Pendant quarante années, les enfants d’Israël furent brisés dans le désert nul n’entra dans la terre promise à l’exception de leurs enfants. Deux seulement, sue ne me trompe, entrèrent dans cette terre, pas plus 1. De tant de milliers d’hommes, deux seulement purent y entrer. C’était pour eux seuls que Dieu avait pris tant de peine, quoique pour Dieu il n’y ait aucune peine, seulement la peine est pour ses serviteurs. Combien souffrit Moïse pour ces hommes; combien il entendit menacer de n’entrer point dans la terre des promesses! Ce furent leurs enfants qui y entrèrent. Quel est le sens de cette figure? Ce furent les hommes nouveaux qui y entrèrent, non ceux qui tenaient du vieil homme. Toutefois deux y entrèrent, un et l’unité, la tête et le corps, le Christ et l’Eglise, avec toute cette jeunesse renouvelée, ou leurs enfants. Donc, c’est là qu’ « habiteront les fils de tes serviteurs ». Et ces fils de tes serviteurs sans les oeuvres de tes serviteurs, car nul ne peut y résider que par ses oeuvres. Qu’est-ce à dire, les fils l’habiteront? Que nul ne se flatte d’y habiter, s’il se dit seulement serviteur, sans en faire seulement les oeuvres; car il n’y aura que les fils pour y habiter? Qu’est-ce à dire, « les fils de vos serviteurs y habiteront? » Vos serviteurs y habiteront par leurs bonnes oeuvres, y habiteront par leurs enfants. Ne sois donc point stérile, situ veux habiter les années éternelles; envoie devant toi tes enfants, afin de les suivre; envoyez-les-y, ne les en faites pas sortir. Que tes enfants te conduisent à la terre des promesses, à la terre des vivants, et non à la terre des mourants. Pendant que tu
1. Nomb. XIV, 29, 30.
accomplis ton pèlerinage, qu’ils te précèdent pour te recevoir. C’était pour préparer à son père la nourriture du corps que le fils de Jacob le précéda en Egypte, et qu’il dit à son père et à ses frères: « Je suis venu avant vous pour vous préparer des vivres 1». Que tes enfants donc, ou plutôt que tes bonnes oeuvres te précèdent; tels vous aurez envoyé ces enfants, tels vous les suivrez.
1. Gen. XLV, 7.
SERMON POUR UNE FÊTE DES MARTYRS.
En nous appelant à bénir le Seigneur, le Prophète s’adresse à ce qu’il y a d’intérieur en nous, ou à notre âme, qui a toujours quelqu’un qui l’écoute et qui doit chanter intérieurement, au souvenir de nos péchés pour les désavouer, au souvenir des bienfaits de Dieu, lequel stimulait dans les martyrs l’espérance de retrouver dans le ciel la vie qu’ils donnaient pour Dieu. Ils ne lui reportaient que ses dons, il est vrai, et ne pas oublier ses dons, c’est lui en rendre grâce; s’il nous demande un culte, c’est pour nous attirer à lui. De nous-mêmes nous n’avons que le péché; de lui nous vient le calice du salut, ou la douleur qu’il faut subir en invoquant son nom. N’oublions, donc jamais: — Qu’il nous remet nos fautes, mais en nous imposant des peines qui nous ramènent à lui; — Qu’il guérit nos langueurs, pourvu que nous soyons patients dans nos peines dont il nous guérira certainement, comme le malade se laisse opérer par le médecin qui n’est pas sûr de le guérir; — Qu’il nous délivrera ainsi de la corruption en nous donnant te christ par qui nous sommes incorruptibles. —— Qu’il nous couronnera dans sa miséricorde, car la lutte qui nous donnera la couronne viendra de la grâce; — Qu’il nous rassasiera de bonheur, en nous donnant Dieu lui-même, dont nous ne sentons point ici-bas l’ineffable douceur, parce que notre corps est appesanti; — Qu’il renouvellera ce corps quand l’aigle sent son bec trop allongé par les années, pour laisser passage à la nourriture, il l’use sur la pierre et reprend par la nourriture de nouvelles forces; ainsi Dieu usera notre corps sur la pierre qui est le Christ et le revêtira de. jeunesse en le rassasiant des trois pains de l’Evangile ou de Dieu en trois personnes; — Qu’il fait miséricorde à ceux qui sont miséricordieux, et quand on lui amène la femme adultère, il écrit la loi sur la terre, pour marquer les vertus chrétiennes, et nous apprendre à chercher si nous ne sommes point coupables. Pour le juste nous n’avons que la miséricorde corporelle; à l’injuste pourtant nous devons faire aussi miséricorde, non parce qu’il est injuste, mais parce qu’il est homme, comice au juste, parce qu’il est juste. La vengeance n’est permise que quand elle est une juste correction infligée à ceux qui nous sont soumis; s’agit-il des puissants, endurons persécution. Dieu a montré à Moïse qu’il donnait la loi, afin que l’homme vit le nombre de ses fautes, et eût recours à l’aveu et à la grâce. Toutefois Dieu est lent à punir, parce qu’il nous invite à la pénitence, et pourtant nous remettons cette pénitence indéfiniment; et Dieu ne nous traite point selon nos offenses; chaque jour il nous protège comme le ciel protége la terre. Il met nos péchés au couchant pour n’y plus revenir, et sa grâce à un orient sans occident, Il sait que nous sommes faibles, que nos jours sont courts, que tout passe vite ici-bas, qu’il récompensera non ceux qui connaissent la loi, mais ceux qui en font les oeuvres, non point, seulement à l’extérieur, mais aussi de coeur.
1. Dans tous les dons qui nous viennent du Seigneur notre Dieu, dans les consolations qu’il nous envoie, comme dans les châtiments qu’il nous inflige, dans les grâces qu’il a daigné nous faire, comme dans cette miséricorde qui iie nous traite point dans la rigueur de sa justice, enfin dans toutes ses oeuvres, que notre âme bénisse le Seigneur. Voilà ce que nous avons chanté; c’est ainsi que commence le psaume que nous allons expliquer avec le secours de ce Dieu que notre âme bénit à jamais. Que chacun de nous donc exhorte sou âme, et se stimule en disant: « O mon âme, bénis e le Seigneur». Que tous ensemble, que tous les frères en Jésus-Christ répandus partout et ne formant qu’un seul homme, dont la tête est déjà dans le ciel, que cet homme unique exhorte aussi son âme, et lui dise: « O mon âme, bénis le Seigneur ». Cette âme écoute, elle obéit, elle fait ce qu’on la presse de faire, elle cède à une persuasion qui ne vient pas de nous, mais de ce Dieu qu’elle bénit. Le Prophète en effet entreprend de nous montrer pourquoi notre âme doit bénir le Seigneur, comme si notre âme lui répondait: Pourquoi m’engager à bénir Dieu? Ecoutons donc, et que notre âme écoute, qu’elle considère tout ce qui peut la stimuler, afin de n’être point lâche à bénir Dieu, et de voir s’il est bien juste de lui dire: « Mon âme, bénis le
Seigneur »; qu’elle considère si elle doit en bénir un antre que lui. « Bénis le Seigneur, ô mon âme », dit le Prophète.
2. Notre interlocuteur répète ce qu’il vient de dire en termes bien plus expressifs. « Mon âme, bénis le Seigneur, et que tout ce qui est en moi bénisse son saint nom 1». Je crois qu’il ne s’adresse ici à rien de corporel, et qu’il ne veut point exhorter nos poumons, notre foie, et ce qu’il y a de charnel dans nos entrailles à éclater en cris de joie pour bénir le Seigneur. Sans doute notre poumon est comme un soufflet qui, tour à tour, aspire l’air et l’expulse, et ce souffle d’air expulsé forme, quand nous parlons, le son, la voix; et nul son de voix ne peut sortir de notre bouche, s’il n’est émis par notre poumon. Mais il ne s’agit point de cela qui est seulement pour l’oreille des hommes. Dieu aussi a ses oreilles, comme le coeur a sa voix. C’est tout ce qui est en lui que le Prophète exhorte à bénir le Seigneur, quand il dit: «Que tout ce que j’ai d’intérieur bénisse son saint nom». Qu’ai-je d’intérieur, diras-tu? Ton âme elle-même. Et dès lors: « Mon âme, bénis le Seigneur»,est identique à cette autre parole: « Et tout ce que j’ai d’intérieur, son saint nom », en sous-entendant bénisse. Que ta voix s’élève, si c’est un homme qui doit entendre, qu’elle se taise, si nul n’est là pour entendre; mais ton coeur a toujours quelqu’un qui l’écoute. Notre bouche a donc fait retentir cette bénédiction, quand nous avons chanté ces paroles: « Bénis le Seigneur, ô mon âme, et tout ce que j’ai d’intérieur, son saint nom». Nous y avons mis le temps qu’il fallait, puis nous avons gardé le silence; mais dans notre coeur, la louange de Dieu doit-elle donc se taire? Que le son de fois à autre se fasse entendre, mais que la voix intérieure soit sans fin. Quand tu es venu à l’église réciter une hymne, ta voix a lait retentir la louange de Dieu: tu as parlé selon ton pouvoir, et tu t’es ensuite retiré: mais que ton âme chante sans cesse la louange de Dieu. Es-tu occupé d’une affaire? que ton âme bénisse le Seigneur. Prends-tu de la nourriture? écoute cette parole de saint Paul: « Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, faites tout pour la gloire du Seigneur 2». J’oserai même dire: Es-tu dans le sommeil? que ton âme bénisse le Seigneur. Que la pensée du crime, que le dessein d’un vol, que le rendez-vous de L’infamie
1.
Ps. CII, 1.— 2. ICor. X, 31.
ne t’éveille jamais. Pendant le sommeil, ton innocence doit être la voix de ton âme, et
dire: « Bénis le Seigneur, ô mon âme, que tout ce qui est en moi bénisse son saint nom ».
3. « Bénis le Seigneur, ô mon âme, et n’oublie pas tous ses bienfaits 1 ». « Bénis le Seigneur, ô mon âme », dit le Prophète. Qu’est-ce donc que ton âme? Tout ce qui est intérieur en toi. « Bénis le Seigneur, ô mon âme », répétition qui nous presse de plus en plus. Mais pour bénir sans cesse le Seigneur, « n’oublie pas ses bienfaits ». Les oublier, c’est te taire. Or, tu ne peux avoir devant les yeux les bienfaits de Dieu, sans avoir aussi devant les yeux tes péchés. Toutefois, que ton péché soit devant tes yeux, non pour te plaisir qu’il t’a causé, mais pour la damnation qu’il t’a méritée. La damnation, voilà ton oeuvre; la rémission est l’oeuvre de Dieu. Tel est le bienfait qui nous force à dire: « Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens qu’il m’a faits 2? » Voila ce que considéraient les martyrs dont nous célébrons aujourd’hui la mémoire, tous les saints qui n’ont eu que du mépris pour cette vie, et, comme vous l’avez entendu dans l’épître de saint Jean, qui ont donné leur vie pour leurs frères 3, ce qui est la perfection de la charité, comme l’a dit le Sauveur: « Nul ne peut pousser la charité plus loin qu’en donnant sa vie pour ses amis 4 ». Telle était la considération qui portait les martyrs à mépriser ici-bas leur vie, afin de la retrouver dans le ciel, fidèles qu’ils étaient à cette parole du Seigneur: « Celui qui aime sa vie la perdra, et quiconque perdra sa vie à cause de moi, la retrouvera dans l’éternité 5 ». Ils ont voulu rendre à Dieu. Qui étaient-ils? que rendre? et à qui? Des hommes voulaient à leur tour rendre service à Dieu, jusqu’à la mort. Que pouvaient. ils donner, que lui-même ne nous ait point donné? Qu’ont-ils donné qu’ils n’aient point reçu? C’est donc Celui qui donna qui a véritablement rendu. Mais il ne nous a point rendu ce que méritaient nos péchés; car autre était ce que nous méritions, et autre ce que Dieu nous a rendu. « N’oubliez point», dit le Prophète, « les saintes rétributions du Seigneur», non pas les dons, mais bien « les rétributions». Nous avions mérité, et ce qui nous a été
1.
Ps. CII, 2.— 2. Id. CXV, 12.— 3. I Jean, III, 16.— 4. Jean, XV, 13 — 5.
Id. XII, 25.
rendu n’est point ce qui était dû. De là cette parole: « Que rendrai-je au Seigneur pour tout ce qu’il m’a rendu 1? » Le Prophète ne dit point, pour les dons qu’il m’a faits; mais, pour tout ce qu’il m’a rendu. Toi, tu as rendu le mal pour le bien, et le Seigneur le bien pour le mal. Comment donc toi, ô homme, as-tu rendu à Dieu des maux pour des biens? Parce que tu étais un blasphémateur, un persécuteur, un insulteur 2, tu as rendu des blasphèmes. En retour de quels biens? D’abord de l’existence; mais la pierre existe aussi; ensuite de la vie, mais la brute vit aussi. Que rendras-tu au Seigneur pour t’avoir élevé au-dessus des brutes, au-dessus des oiseaux, en te créant à son image et à sa ressemblance 3? Ne cherche point ce que tu lui rendras: rends-lui son image vivante en toi, c’est là ce qu’il demande; il veut la pièce de monnaie à son effigie 4. Et toi, au lieu de ces actions de grâces, de cette humilité, de cette obéissance, de ce culte religieux, en un mot de toutes ces actions saintes que tu devais à Dieu, en retour de ces bienfaits que tu as reçus de lui, tu lui as rendu le blasphème. Que dit le Seigneur? Confesse-toi, et je te pardonne. Moi aussi, je te rendrai, mais non ce que tu m’as rendu: tu m’as rendu le mal pour le bien, moi je te rendrai le bien pour le mal.
4. Pense donc, ô mon âme, à tous les bienfaits de Dieu, sans oublier tes offenses envers lui. Plus tes offenses sont nombreuses, et plus nombreux sont ses bienfaits. Or, quels présents pourras-tu lui faire? Quels dons? Quels sacrifices? Ne pas oublier ses saintes rétributions, c’est là un sacrifice qui lui est agréable. « Bénis le Seigneur, ô mon âme. C’est le sacrifice de louanges qui m’est agréable. Immole à Dieu une hostie de louanges, et rends tes voeux au Très-Haut ». Dieu veut que tu le bénisses, et cela pour ton avantage, et non pour les intérêts de sa gloire. Tu ne saurais lui rien offrir en échange de ses dons, et ce qu’il exige, c’est pour toi et non pour lui; c’est pour ton bien, tu en retireras le fruit. Ce qu’il aime de toi, n’est point l’accroissement de sa gloire, mais ce qui peut te conduire à lui. Aussi les martyrs cherchaient-ils ce qu’ils devaient rendre à Dieu, et dans leur dépit de ne rien trouver, ils s’écriaient:
1.
Ps. XCV, 12. — 2. I Tim. I, 13. — 3. Gen. I, 26.— 4. Matth. XXII, 21. — 5. Ps.
XLIX, 14, 23.
« Que rendrai-je au Seigneur pour tout le bien qu’il m’a fait? » et ils ne trouvaient rien à lui rendre, sinon: « Je prendrai le calice du salut, et j’invoquerai le nom du Seigneur 1». Que rendras-tu au Seigneur? Tu cherchais sans pouvoir trouver cette parole: « Je prendrai le calice du salut ». Quoi donc? Ce calice du salut n’est-il pas un don de Dieu? Donne a Dieu, si tu le peux, quelque chose de toi. Ou plutôt ne le fais point, ne lui donne point ce qui vient de toi; Dieu ne veut rien de ce qui est à toi, car de toi-même tu ne peux lui offrir que le péché. Tout ce que tu as de bon, te vient de Dieu, le péché seul t’appartient. Dieu donc ne veut point que tu lui offres ce qui vient de toi, mais bien ce qui vient de lui. Si d’un champ qu’il a semé, tu apportes au maître quelques gerbes, c’est là le fruit qui lui appartient; lui offrir des épines, voilà ce qui vient de toi. Rends à Dieu la vérité, bénis-le dans la vérité. Le louer de toi-même, c’est mentir. « Celui qui profère le mensonge, dit ce qui lui est propre 2 ». Dire ce qui vient de nous-mêmes, c’est donc mentir; dire ce qui vient de Dieu, c’est dire la vérité. Mais prendre le calice du salut, qu’est-ce autre chose que souffrir à l’exemple du Sauveur? Voilà ce qu’ont fait les martyrs. Voilà ce qu’a enseigné le Sauveur à ceux qui recherchaient les premières places, qui fuyaient la vallée des larmes, qui voulaient s’asseoir l’un à sa droite, l’autre à sa gauche. Que leur dit-il en effet? « Pouvez-vous boire le calice que je boirai 3? » Et le martyr, sur le point de s’immoler à Dieu comme une victime sainte, s’écrie: « Je prendrai le calice du salut ». Je prendrai le calice du Christ, je boirai à la coupe des douleurs de mon Dieu. Garde-toi de faillir. Oui, « j’invoquerai le nom du Seigneur ». Ceux donc qui ont failli, n’ont pas invoqué le nom du Seigneur, ils ont compté sur leur propre courage. Pour toi, rends à Dieu, sans oublier que tu as reçu de lui ce que tu lui offres. Que ton âme bénisse donc le Seigneur, de manière à n’oublier jamais ses dons.
5. Ecoutez quels sont ses dons: « C’est lui qui te pardonne toutes tes iniquités, qui guérit toutes tes langueurs, qui rachète ta vie de la corruption, qui te couronne de miséricorde et d’amour, qui rassasie de bonheur tes désirs, qui renouvelle ta jeunesse comme
1.
Ps. CXV, 12, 13. — 2. Jean, VIII, 44. — 3. Matth. XX, 22.
« celle de l’aigle 1». Voilà ses bienfaits. Que devait-il au pécheur autre chose que le supplice? Que devait-il au blasphémateur, sinon la flamme de l’enfer? Ce n’est point là ce qu’il nous a rendu. Ne tremble point, ne t’effraie point, que ta crainte ne soit point sans amour. Garde-toi d’oublier les rétributions de sa bonté, change de vie, si tu ne veux éprouver ses rétributions, comment dirai-je? Mauvaises? mais si elles sont justes elles ne sont point mauvaises. Elles ne sont donc mauvaises que de ta part; mais du côté de Dieu, ces maux que tu endures ne sont point des maux, car s’ils sont justes, ils sont des biens; ils ne sont des maux que pour toi qui les endures. Veux-tu que la justice de Dieu ne devienne point un mal pour toi? Que ton iniquité ne soit plus un mal devant Dieu. Jamais, en effet, il n’a cessé d’appeler, ni d’instruire ceux qu’il appelait, ni de perfectionner ceux qu’il avait instruits, ni de couronner ceux qu’il avait perfectionnés. Que répondre? Que tu es pécheur? Tourne-toi vers Dieu, et reçois ses grâces: « Il te pardonne toutes tes iniquités ». Mais après cette rémission de tes fautes, il te reste un corps infirme, et qui est nécessairement aiguillonné par les désirs de la chair, par les convoitises illicites. Ta chair est donc faible encore, la mort n’est pas encore absorbée par la victoire, et ce que tu as de corruptible, n’est point revêtu encore d’incorruptibilité',et même après la rémission des fautes, ne laisse pas d’être assujetti à bien des troubles: elle est exposée au péril des tentations: parfois elle trouve un plaisir dans les suggestions, et parfois elle les rejette, et quand elle y trouve un plaisir, souvent elle s’y laisse aller et succombe. C’est une langueur, et Dieu «guérit toutes nos langueurs ». Toutes tes langueurs seront guéries, sois donc sans crainte. Ces langueurs sont grandes, me diras-tu; le médecin est plus grand encore. Pour un médecin tout-puissant, il n’est point de langueur incurable; laisse-toi seulement guérir, ne repousse pas sa main, il sait ce qu’il doit faire. Qu’il te plaise, non seulement quand il adoucit ta douleur, mais aussi quand il y porte le fer; souffre un médicament douloureux, en vue de la santé qui doit suivre. Voyez, mes frères, dans les maladies du corps, ce qu’endurent les hommes, afin de mourir encore après avoir vécu peu de jours, et encore peu
1.
Ps. CII, 3-5. — 2. I Cor. XV, 53, 54.
de jours incertains. Beaucoup, après avoir cruellement souffert dans les incisions qu’on leur faisait, ou mouraient entre les mains du médecin, ou, après leur guérison, succombaient à une autre maladie. S’ils eussent cru leur mort si proche, eussent-ils enduré ces douleurs? Mais toi, tu souffres sans incertitude: et celui qui t’a promis la guérison ne saurait se tromper. Un médecin se trompe quelquefois, et néanmoins il promet de guérir un corps humain. D’où vient qu’il se trompe? C’est qu’il ne soigne point ce qu’il a fait. C’est Dieu qui a fait ton corps, Dieu qui a fait ton âme: il sait comment refaire ce qu’il a créé; comment rétablir ce qu’il a formé. Pour toi, laisse agir la main du médecin; il hait ceux qui la repoussent. Il n’en est pas ainsi de la main du médecin qui est tin homme. Car les hommes se laissent garrotter, trancher même; ils sont tout prêts à endurer une douleur certaine pour une santé douteuse, et à bien payer le médecin. Quant au Dieu qui t’a fait, il te guérira certainement et gratuitement. Supporte donc sa main, ô toi, mon âme qui le bénis, n’oublie jamais ses bienfaits, puisqu’ « il guérit toutes tes langueurs».
6. « C’est lui qui délivre ta vie de toute corruption ». Guérir tes langueurs, c’est là racheter ta vie de toute corruption. « Car le corps corruptible appesantit l’âme 1 ». Dans ce corps de corruption l’âme a donc une vie. Quelle vie? Elle est sous le fardeau, elle en soutient le poids. Qu’un homme veuille penser à Dieu, comme il doit le faire, combien d’obstacles va-t-il rencontrer, et qui semblent venir de cette corruption de la chair ! Combien d’empêchements viennent le distraire, le détourner de cette application sainte ! Combien de dissipations! Quelle foule de fantômes! Quelles suggestions innombrables! Tout cela sort du coeur de l’homme, comme des vers d’un cadavre en pourriture. Nous avons dépeint la maladie, bénissons le médecin. Ne peut-il donc te guérir, celui qui t’a fait tel, qu’en gardant avec fidélité les lois de santé qu’il t’avait données, tu n’eusses point connu la maladie? Ne t’avait-il point prescrit par un précepte ce qu’il fallait toucher ou respecter, pour avoir la santé durable 2? Indocile à écouter ce qu’il fallait faire pour la conserver, écoute au moins ce qui peut la recouvrer. Ta
1.
Sag. IX, 15.— 2. Gen. II, 16, 17.
maladie t’a montré toute la vérité du précepte, Que l’expérience apprenne enfin à l’homme à écouter les avis qu’il a négligés. Quel endurcissement ne céderait à l’expérience? Ne pourra-t-il donc te guérir, celui qui t’a fait tel, que tu n’eusses jamais éprouvé de maladie, si tu avais voulu suivre ses préceptes’? Ne pourra-t-il te guérir, celui qui a fait les anges, qui en te réformant te fera l’égal des anges? Ne pourra-t-il guérir l’homme fait à son image, celui qui a fait le ciel et la terre? Il te guérira, mais à la condition que tu voudras être guéri. Il guérit tout malade, mais non malgré le malade. Quel bonheur est-plus grand que le tien, puisque tu as en quelque sorte sous la main et à ton gré la guérison complète? Si tu ambitionnais quelque poste d’honneur ici-bas, un commandement, un consulat, une préfecture, prétendrais-tu les obtenir aussitôt que tu le voudrais? Ce pouvoir suivrait-il aussitôt ta volonté? Beaucoup y aspirèrent sans pouvoir y arriver: et quand- même ils y seraient arrivés, qu’est-ce que l’honneur pour des malades? Qui n’est point malade en cette vie? Qui n’y traîne une vie de langueur? Naître dans un corps mortel, c’est commencer une maladie. Nos nécessités journalières ont besoin de secours journaliers, et ce qui répare chaque jour nos forces, ne paraît être qu’un médicament de chaque jour. La faim ne t’emporterait-elle point, si tu n’y apportais le remède qui la guérit? N’en serait-il pas de même de la soif, situ ne buvais, non pour l’étancher complètement, mais pour la proroger? Après un adoucissement, elle reviendra. Ces remèdes adoucissent donc ce qu’il y a d’accablant dans nos misères. Etre debout vous lasse, vous asseoir vous délasse: vous asseoir est donc un remède à votre lassitude; mais ce remède vous fatigue à son tour, car vous ne pouvez tenir continuellement assis. Donc tout remède à une fatigue devient un commencement de fatigue. Pourquoi donc, ô malade, convoiter ces honneurs? Pense d’abord à ta santé. Qu’un homme souffre chez lui, sur son lit, d’une maladie que tout le monde connaît; il est vrai que celles dont nous parlons, sont connues, bien que les hommes ne les veuillent point voir de près; qu’un homme, dis-je, souffre d’une maladie qui fait recourir aux médecins, le voilà chez lui, brûlé de fièvre dans son lit. Qu’il veuille s’occuper de ses affaires domestiques, donner des ordres dans sa maison, dans ses terres, y mettre de l’ordre, aussitôt un murmure d’inquiétude s’élève et court parmi les siens, on le détourne de toute occupation; laissez là tous ces soins, lui dit-on, pensez à votre santé. Tel est le langage que l’on te tient, ô homme: si tu n’es point malade, pense à autre chose; si tu es malade, pense à ta santé; mais la santé, c’est le Christ, pense donc au Christ. Prends le calice du salut, de « Celui qui guérit tes langueurs ». Telle est la santé que tu obtiendras à ton gré. En vain tu convoiteras les honneurs et les richesses, tu ne les posséderas point aussitôt que tu les auras désirés; mais cette santé qui est plus précieuse suivra tes désirs. « C’est lui qui guérit toutes tes blessures, qui épargne à ta vie la corruption ». Ta langueur sera guérie quand cette chair corruptible sera revêtue d’incorruption. Notre vie, en effet, est rachetée d’e la corruption; Sois dès lors en toute sécurité: le contrat est fait de bonne foi; on ne saurait ni tromper, ni circonvenir celui qui t’a racheté, ni peser sur lui. Il a passé le contrat, il en a versé le prix avec son sang. Oui, dis-je, le Fils de Dieu a versé son sang pour nous: ô mon âme, sois-en fière, voilà ton prix. « Il a racheté ta vie de la corruption ». Il a montré dans son exemple ce qu’il t’a promis en récompense. Il est mort à cause de nos péchés, il est ressuscité pour notre justification. Que les membres espèrent- pour eux ce qu’ils ont vu dans leur chef. Bien n’aura-t-il pas soin des membres, quand il élève la tête jusqu’au ciel? Donc, « il a racheté notre vie de la corruption ».
7. « C’est lui qui nous couronne dans sa miséricorde et son amour». A ce mot de « couronner», tu ressentais peut-être quelque folle arrogance; me voilà grand, disais-tu; j’ai donc lutté. Avec quelles forces? Avec les tiennes, mais qu’il t’a données. Tu combats, cela est évident; et ta victoire sera couronnée: mais vois qui a vaincu le premier, vois qui te fera vaincre ensuite. « Réjouissez-vous », nous dit-il, « car j’ai vaincu le monde 2 ». Pourquoi nous réjouir de sa victoire sur le monde? cette victoire est--elle donc notre victoire? Oui, réjouissons-nous, car nous sommes vainqueurs. Vaincus par notre fait, nous sommes vainqueurs en Jésus-Christ. Il te couronne donc, parce qu’il couronne en toi ses dons,
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Rom. IV, 25. — 2. Jean, XVI, 33.
et non tes mérites. « J’ai travaillé plus que tous les autres », dit saint Paul; mais voyez ce qu’il ajoute « Non pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi 1 ». Et après tous ses labeurs, il attend aussi la couronne, quand il nous dit: « J’ai combattu un bon combat, j’ai fourni ma course, j’ai gardé ma foi: il ne me reste plus qu’à recevoir la couronne de justice, que me rendra en ce jour le Seigneur qui est un juste juge 2». Pourquoi? parce que «j’ai combattu ». Pourquoi? parce que « j’ai fourni ma course ». Pourquoi? parce que « j’ai gardé ma foi ». Mais d’où avez-vous pu, ô saint Apôtre, et combattre et garder votre foi? « Ce n’est point moi, mais la grâce de Dieu avec moi 3 ». Donc la couronne que vous recevrez sera la couronne de sa miséricorde. Ne sois donc jamais orgueilleux, bénis le Seigneur, sans oublier ses dons. Etre appelé du sein du péché et de l’impiété pour être justifié, c’est un don. Etre élevé et dirigé pour ne point tomber, c’est un don. Recevoir des forces pour persévérer jusqu’à la fin, c’est un don. Tirer de la mort cette chair qui pèse sur toi, de manière qu’il ne périsse pas un cheveu de ta tête, c’est un don. Te couronner après la résurrection, c’est un don. Te faire chanter éternellement et sans lassitude les louanges de Dieu, c’est un don. N’oublie dès lors aucun de ses dons, si tu veux que ton âme bénisse le Seigneur, « qui te couronne avec miséricorde et amour ».
8. Et que ferai-je, quand je serai couronné? J’étais soutenu pendant la lutte, après la lutte je serai couronné; je n’aurai plus ni suggestion de l’ennemi, ni corruption à combattre. En cette vie nous avons toujours à lutter contre notre corruption; mais qu’est-il écrit? « La mort, notre dernière ennemie, sera détruite ». La destruction de la mort ne laissera aucun ennemi à redouter: « La mort sera absorbée dans la victoire 4 ». Ce sera donc alors le temps de la victoire, le temps de la couronne. C’est donc après le combat que je serai couronné; u rie fois couronné, que ferai-je? « C’est Dieu qui rassasie de bonheur tes désirs 5». A ce mot de bonheur tu soupires; on te parte de bien, et tu gémis: peut-être même chez toi le péché n’est-il qu’une erreur dans le choix de ce bien dont tu es affamé; et n’es-tu coupable qu’en dédaignant
1.
I Cor. XV, 10.— 2. II Tim. IV, 7, 8.— 3. I Cor. XV, 10. — 4. Id. 26, 54.— 5. Ps. CII,
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le conseil de Dieu, lequel t’indique ce qu’il te faut mépriser ou choisir, ou qu’en négligeant de voir ce qui a déjà égaré ton choix. Dans tout péché tu cherches quelque bien apparent, quelque soulagement. Tout objet de tes désirs est bon, mais il devient mauvais pour toi, dès que tu abandonnes Celui qui a fait les biens. Cherche ton vrai bien, ô mon âme. Tout autre a son bien propre, et toutes les créatures ont un bien qui les complète, qui donne à leur nature sa perfection. Le point capital pour ce qui est imparfait, est de savoir ce qui doit lui donner la perfection: cherche donc ton bien. « Or, nul n’est bien, si ce n’est Dieu seul 1». Ton bien propre, c’est le souverain bien. Que peut donc manquer àcelui dont le bien propre est le souverain bien? Il y a des biens inférieurs qui sont des biens pour les autres créatures. Que veut la bête, sinon rassasier ses entrailles, ne point sentir la disette, dormir, se jouer, vivre, se bien porter, engendrer? Voilà son bien, que le créateur de toutes choses ou Dieu, lui accorde à sa manière et dans sa mesure. Est-ce là le bien que tu cherches? C’est Dieu qui l’accorde, il est vrai; mais ne borne pas là tes désirs. Cohéritier du Christ, pourquoi te réjouir de partager avec la bête? Elève ton espérance jusqu’à ce bien de tous les biens. Celui-là seul sera ton bien, qui t’a fait bon dans ton genre, comme il a fait toute créature bonne aussi en son genre: « Car Dieu fit toutes les choses, et elles étaient très-bonnes 2 ». Si donc nous disons de ce bien qui est Dieu, qu’il est très-bon, comme il est dit des créatures, que Dieu les créa très-bonnes, que sera-ce de ce bien dont il est dit: « Nul n’est bien, si ce n’est Dieu? » Dirons-nous qu’il est très-bon? Il nous souvient qu’il est dit de toutes les créatures que « Dieu « les créa très-bonnes ». Que dire alors? La parole nous manque, mais non le sentiment. Ayons recours à ce que nous disions naguère en exposant un psaume; l’expression nous manque; jubilons alors. Donc, si l’expression vient à manquer, et que néanmoins nous ne puissions nous taire; ne disons rien, et pour. tant ne nous taisons point. Que faire alois pour ne point nous taire et ne point parler? Jubilons. « Tressaillez d’allégresse, en présence du Seigneur notre Dieu; que toute la terre jubile dans le Seigneur 3 ». Qu’est-ce à dire,
1. Matth. XIX, 17. — 2. Gen. I,
31. — 3. Ps. XCIX, 1.
« jubilez? » Poussez dans votre joie des cris inarticulés; que votre joie se répande au dehors. Quand nous serons pleinement rassasiés de cette joie sainte, quels ne seront point nos cris, si dès ici-bas tes miettes qu’en reçoit notre âme lui donnent de tels transports? Que sera-ce quand nous serons rachetés de toute corruption, alors que s’accomplira ce que dit le Prophète: « Lui qui rassasie de tous biens vos désirs? »
9. Et comme si tu demandais: Quand nous veut-il rassasier? maintenant je ne suis point rassasié; quelque part que se tournent mes désirs, je n’éprouve que dégoût pour ce que j’obtiens, quelque vif qu’en ait été le désir quel bien pourra combler mes désirs, quand je convoite ce que je n’ai point, et quand je ne puis l’obtenir sans le mépriser? La louange de Dieu. Mais ici-bas que « le corps corruptible appesantit l’âme, et que ce séjour terrestre abat l’esprit malgré la vivacité de ses pensées », ce n’est point la louange de Dieu qui rassasie mon âme, qui lui donne la félicité. Cette corruption qui a d’autres besoins me donne d’autres plaisirs, qui me détournent de Dieu, Quand mon désir sera-t-il saturé de bonheur? Quand? me dis-tu. Ecoute: « Il renouvellera ta jeunesse comme celle de l’aigle ». Tu veux savoir quand sera-ce que ton âme sera rassasiée de bonheur? Quand tu recouvreras ta jeunesse. Le Prophète ajoute: « Comme celle de l’aigle ». Il y a ici quelque mystère; et toutefois ce qu’on dit de l’aigle, je ne le passerai point sous silence, parce qu’il n’est pas inutile de comprendre ce passage. Soyons seulement persuadés que ce n’est pas sans raison que l’Esprit-Saint a dit: « Tu as jeunesse sera renouvelée comme celle de l’aigle, et qu’il nous marque là une certaine résurrection. L’aigle renouvelle en effet sa jeunesse, mais non pour devenir immortel. Le Prophète emprunte aux choses mortelles une image telle qu’il peut la trouver, non pour nous démontrer, mais pour nous désigner seulement l’immortalité. On dit que l’aigle, quand son corps est accablé de vieillesse, ne peut plus se nourrir, à cause de la grandeur de son bec, croissant avec l’âge. La partie supérieure du bec, qui vient se courber sur la partie inférieure, excède de beaucoup avec les années, en sorte que cet accroissement ne lui permet plus d’ouvrir le bec, et ne laisse aucun intervalle entre la
partie inférieure et le crochet supérieur. Or, sans intervalle entre ces deux parties, le bec ne peut imiter le jeu des ciseaux, ni mettre en pièces ce qu’il veut avaler. La vieillesse donc, faisant croître et courber cette partie supérieure, l’empêche d’ouvrir le bec et de prendre sa nourriture. Le voilà sous le poids de la vieillesse, et de l’impuissance de manger, ce qui le jette dans la double langueur et des années et de la faim. Alors, par un instinct naturel, il recouvre jusqu’à un certain point sa jeunesse, dit-on, en heurtant contre la pierre cette espèce de lèvre supérieure dont l’accroissement démesuré lui ferme le bec; et en la frappant ainsi contre la pierre, il se débarrasse d’un fardeau incommode, qui fermait le passage à la nourriture; il reprend cette nourriture, et ses forces reviennent: il est dans sa vieillesse, comme le jeune aigle; ses membres ont de la vigueur, ses plumes de l’éclat, ses ailes sont libres, son vol aussi haut qu’auparavant; il s’opère en lui une certaine résurrection. Tel est le but de la comparaison; c’est dans le même sens que l’on se sert quelquefois de la lune qui diminue, qui se dérobe en quelque sorte, pour reparaître ensuite et arriver à son plein; ce qui nous représente la résurrection: mais elle ne demeure pas dans ce plein; elle diminue ensuite, pour être toujours une image. Ainsi en est-il de l’aigle: s’il rajeunit comme nous l’avons dit, ce n’est point pour devenir immortel, tandis que nous c’est pour une vie sans tin: on emploie toutefois cette comparaison pour nous avertir de briser contre la pierre tout ce qui est pour nous un obstacle. Ne présume donc point de tes forces, puisque c’est la solidité de la pierre qui te fait secouer ta vieillesse. «Or, cette pierre est le Christ 1 ». C’est donc -par le Christ que ta jeunesse sera renouvelée comme celle de l’aigle. Nous avons en effet vieilli parmi nos ennemis, selon cette parole si connue du psaume: « J’ai vieilli au milieu de tous mes ennemis 2 ». Qu’est-ce qui nous a fait vieillir? Notre chair mortelle, notre chair qui est une herbe; aussi: « Mon coeur a-t-il été frappé comme « l’herbe, s’est-il desséché, parce que j’ai oublié de manger mon pain 1 ». J’ai oublié de « manger mon pain », dit le Prophète. La vieillesse est venue me fermer cette bouche qu’il faut briser contre la pierre.
1.
I Cor. X, 4. — 2. Ps. VI, 8. — 3. Id. CI, 5.
10. Voilà donc pourquoi dans le psaume qui nous occupe, quand le Prophète a dit qu’ « il rassasie de bonheur tous nos désirs», l’âme semble lui répondre Rien de mortel, rien de périssable ne saurait me rassasier que Dieu me donne quelque chose d’éternel, quelque chose qui dure toujours; qu’il m’accorde sa sagesse, qu’il me donne son Verbe qui est Dieu en Dieu; qu’il se donne à moi, lui, Dieu le Père, et Dieu le Fils, et Dieu le Saint-Esprit. Je suis un mendiant couché àsa porte, mais celui que j’invoque n’est pas endormi; qu’il me donne trois pains. Vous vous souvenez de l’Evangile, tel est l’avantage de connaître les saintes lettres; on est plus touché à la lecture que l’on entend. Vous vous souvenez en effet d’un homme qui vint chez son ami lui demander trois pains. Et cet ami, dit l’Evangéliste, lui répondait en dormant: « Voilà que je repose, et mes enfants dorment avec moi ». Mais l’autre continue à frapper, et obtient pur son importunité ce qui n’eût pas été accordé à son mérite 1. Quant à Dieu, il veut nous donner, mais il ne donne qu’à celui qui demande, afin de n’éprouver aucun refus. Il n’a pas besoin d’être éveillé par l’importunité. Prier en effet, ce n’est point l’importuner comme s’il dormait: « Car il ne dormira point, il ne sommeillera point, celui qui garde Israël 2 ». Le Christ a dormi une fois, afin que son épouse fût tirée de son flanc 3. Il dormit sur la croix, nous le savons; et cette mort lui a fait dire: « J’ai dormi, j’ai pris mon sommeil 4. Mais celui qui dort ne s’éveillera-t-il donc point 5? » Aussi le psaume dit-il aussitôt: « Et je me suis éveillé, parce que le Seigneur m’a pris sous sa garde ». Que dit maintenant l’Apôtre? « Le Christ ressuscitant d’entre les morts ne meurt plus, la mort n’aura plus d’empire sur lui 6 ». Ce n’est donc point le Christ qui dort, c’est à toi de craindre que ta foi ne s’endorme. Que l’âme donc, prise du désir d’avoir à satiété un bien sublime, un bien ineffable, qui stimule nos transports, et pour lequel ou tressaille bien mieux qu’on ne l’exprime; que l’âme qui aspire à ce bien, qui le sent déjà en partie, mais qui se trouve arrêtée par la pesanteur du corps, qui ne saurait s’en rassasier en cette vie, réponde enfin et s’écrie: Pourquoi me dire que mes désirs seront au
1.
Luc, XI, 5-8.— 2. Ps. CXX, 4.— 3. Gen. II, 21. — 4. Ps. XL, 9.— 5. Id. III, 6.— 6. Rom. VI, 9.
comble du bonheur? Je connais le bien que je dois désirer, je sais ce qui doit me suffire, et Philippe me l’apprend: « Seigneur», dit-il, « montrez-nous le Père, et cela nous suffit ». Il ne voulait que le Père seul, et le Seigneur lui montra les trois pains qu’il devait désirer; celui qui est un de ces pains lui dit: « Voilà si longtemps que je suis avec vous, et vous ne connaissez pas mon Père? Philippe, quiconque me voit, voit aussi mon Père». Il promet encore le Saint-Esprit: «Que mon Père », leur dit-il, « vous enverra en mon nom »; et ailleurs: « Que je vous enverrai au nom de mon Père 1 », promettant un don égal à lui-même. Je sais donc ce que je désire, dira cette âme; mais quand serai-je ainsi comblée? Je pense aujourd’hui à la Trinité, j’y pense en quelque manière; c’est à peine si j’ose en comprendre quelque chose comme en énigme, comme dans un miroir, et encore en partie; mais quand serai-je rassasiée? « Votre jeunesse sera renouvelée comme celle de l’aigle ». Aujourd’hui tu n’es point rassasié, parce que ton âme n’est point encore capable de cette nourriture solide et ineffable; c’est le bec de l’aigle fermé par la vieillesse qui le rend incapable. Mais on t’offre la pierre, afin que ta vieillesse y soit brisée, que ta jeunesse se renouvelle coin-me celle de l’aigle, et que dès lors tu puisses manger ton pain, ce pain qui a dit: «Je suis le pain de vie, descendu du ciel 3. Ta jeunesse sera renouvelée comme celle de l’aigle »: alors tu seras comblé de biens.
14. « C’est le Seigneur qui fait miséricorde, qui rend justice à ceux qu’on opprime 4 ». Dès maintenant, mes frères, Dieu fait miséricorde, avant que nous soyons arrivés au renouvellement de l’aigle, avant que nous soyons rassasiés de biens. Que nous fait le Seigneur ici-bas, en ce pèlerinage, en cette vie? Nous abandonne-t-il? Loin de là. « Le Seigneur fait miséricorde ». Et voyez comme il fait miséricorde, comme il ne nous abandonne point dans le désert; comme il a pitié de nous dans cette solitude, jusqu’à ce que nous arrivions à la patrie. « Il fait donc miséricorde », mais à qui? « Bienheureux les miséricordieux, parce qu’ils obtiendront miséricorde 5». Vous l’avez entendu tout à l’heure à la lecture de l’Evangile. Que nul
1. Jean, XIV, 8, 9, 26.— 2. Id.
XV, 26.— 3. Id. VI, 41. — 4. Ps. CII, 6. — 5. Matth.
V, 7.
donc ne compte à l’avenir sur la miséricorde de Dieu, si lui-même a été sans miséricorde Mais écoute quelle doit être la mesure de la miséricorde: ne crois pas qu’elle soit pour les amis, et non pour les ennemis. Il est dit: « Aimez vos ennemis 1 ». Tu veux être rassasié des biens de Dieu; que la miséricorde soit rassasiée en toi. Une miséricorde pleine une miséricorde parfaite, est celle qui aime ses ennemis, qui a de la tendresse pour ceux qui nous haïssent. Que faire? me diras-tu. Si je témoigne de l’amour à mon ennemi, j’en recevrai des injures; et faudra-t-il supporter ces injures sans en tirer vengeance, quand les lois sont pour moi? Ta vengeance est juste, on te l’accorde, parce qu’elle est juste; mais vois d’abord si l’on n’a pas de vengeance à tirer de toi-même, et alors venge-toi sans crainte. Mais, diras-tu, pourrais-je donc ne point venger mon honneur? Comme si Dieu voulait s’opposer à ce que la vengeance a de juste, et non point à l’orgueil de celui qui se venge! La femme adultère qu’on lui présentait, ne méritait-elle donc point d’être lapidée? Etait-ce une injustice de la lapider? S’il y avait injustice, le précepte était injuste: or, la loi l’ordonnait, Dieu l’ordonnait; mais vous, vengeurs du crime, voyez si vous n’êtes point pécheurs. On amène donc cette femme que la loi condamnait à être lapidée, mais on l’amène au législateur. Tu es en fureur, ô toi qui l’amènes; vois de qui vient cette fureur, et contre qui elle s’exerce: si tu es pécheur, laisse là ta colère contre une pécheresse, et confesse ton péché. Si tu es pécheur, adoucis ta fureur envers une pécheresse. Dieu sait que penser d’elle, comment la juger, comment lui pardonner, comment la guérir. Ta sévérité vient-elle de la loi? L’auteur de cette loi qui stimule ton indignation, sait mieux que toi ce qu’il doit faire. Or, le Seigneur, quand on lui présentait cette femme, s’inclinait pour écrire sur la terre. Ce fut quand il s’inclina vers la terre, qu’il écrivit sur la terre: avant qu’il s’inclinât vers la terre, il avait écrit cette loi, non sur la terre, mais sur la pierre. La terre alors fécondée par cette écriture du Sauveur devait porter un fruit. Ecrite sur la pierre, cette loi marquait la dureté des Juifs 2: écrite sur la terre, elle marquait le fruit des vertus chrétiennes. Les voici donc amenant cette femme adultère, comme
1. Matth,
V, 44. — 2. Exod. XXIV, 12.
des flots qui se ruent contre un rocher; mais sa réponse brisa leur fureur. « Que celui d’entre vous qui est sans péché », leur dit-il, « lui jette la première pierre 1 ». Et il s’incline de nouveau pour écrire sur la terre. Et chacun ayant discuté sa conscience, nul ne parut plus. Ce qui les repoussa, ce ne fut point une femme tombée, mais leur conscience adultère. lis voulaient une vengeance, ils brûlaient de juger: ils vinrent donc à la pierre, et ces juges furent brisés contre cette pierre 2.
12. « Le Seigneur fait miséricorde n mais à qui? « Bienheureux ceux qui sont miséricordieux, parce qu’ils recevront miséricorde 3 ». Fais miséricorde à tous. Mais quelle miséricorde pourras-tu faire au juste? Dans ses besoins corporels seulement, et si tu n’y subviens point, Dieu y subviendra. Le bien que tu feras alors est donc avantageux à toi-même. Tu donnes à un mendiant qui passe et te tend la main; mais tu cherches le juste pour lui donner, afin qu’il te reçoive dans les tabernacles éternels: « Car celui qui reçoit le juste comme juste, recevra la récompense du juste 4». Le mendiant te recherche mais toi, recherche le juste. Pour l’un, il est écrit: « Donne à quiconque te demande 5»; et pour l’autre: « Que ton aumône sue dans ta main, jusqu’à ce que tu trouves un juste à qui la donner ». Si tu es longtemps à le trouver, cherche longtemps, et tu le trouveras enfin. Mais que donneras-tu? N’est-ce point toi qui recevras davantage? « Si nous avons semé parmi vous des biens spirituels, est-ce donc une grande chose de recueillir de vos biens corporels 6? » Tel est le sens de cette parole que nous vous avons expliquée avec le secours de Dieu, savoir, que la terre produit du foin pour les animaux 7, c’est-à-dire des biens corporels pour ceux qui battent le grain: car « vous ne tiendrez point la bouche liée au boeuf qui foule les grains 8 ». Ce qui nous donna lieu de vous exhorter à donner à ce devoir vos soins, votre attention, votre circonspection. Regardez vos bonnes oeuvres comme vos trésors. Est-ce à dire pour cela, mes frères, que vous deviez en user de la sorte à notre égard? Grâces à Dieu, je crois que malgré mon imperfection, je puis vous tenir le langage de saint Paul, et vous le tenir parce
1.
Jean, VIII, 3-9.— 2. Ps. CXI, 6.— 3. Matth. V,
7.— 4. Id. X, 41.— 5. Luc, VI, 30.— 6. I Cor. IX, 11.— 7. Ps. CIII, 14.— 8. I Cor. IX, 9.
qu’il vous est avantageux: « Ce n’est point le don que je cherche, mais le fruit qui vous en revient 1 ». Quelle aumône feras-tu donc au juste? Celui qu’une veuve ne nourrissait point était nourri par un corbeau 2, ou plutôt par celui qui a fait le corbeau; je parle d’Elie. Dieu ne manque pas de moyens de nourrir ses serviteurs. Pour toi, vois ce que tu dois acheter, quand l’acheter, combien l’acheter. Tu achètes en effet le royaume des cieux, et tu ne saurais l’acheter qu’en cette vie; et vois combien peu tu l’achètes, car il t’en coûtera seulement ce que tu peux avoir.
13. Fais miséricorde à l’injuste, non parce qu’il est injuste; car, à le considérer comme tel, ne le reçois point chez toi: c’est-à-dire, ne le reçois point comme situ aimais son injustice. Car Dieu défend de donner au pécheur, de recevoir les pécheurs chez soi 3. Comment alors comprendre cette parole « Donne à quiconque te demande 4?» et cette autre: « Si ton ennemi a faim, nourris-le 4? » Ces préceptes nous paraissent en contradiction; mais quand on frappe au nom de Jésus-Christ, ils deviennent intelligibles. « Ne donne rien au pécheur», non: «Ne reçois pas le pécheur chez loi », non: et cependant « donne à quiconque te demande». Mais c’est un pécheur qui tue demande. Donne-lui, mais non comme à un pécheur. Quand lui donnes-tu comme à un pécheur? Quand tu te plais à lui donner par cela même qu’il est pécheur. Que votre charité veuille bien attendre que j’aie éclairci par des exemples un point qu’il est important de comprendre. Il est dit: Quand un homme a faim, donne-lui, si tu as de quoi lui donner; donne-lui, si tu vois qu’il ait besoin de ton secours. Que les entrailles de ta miséricorde ne se ralentissent point, parce que c’est un pécheur qui te demande. Car c’eit un pécheur en effet qui se présente à toi. Mais en disant un homme pécheur, je dis deux choses bien distinctes, deux noms qui ne sont point superflus: il y a là deux noms, l’homme et Je pécheur: l’homme est l’oeuvre de Dieu, mais le pécheur est l’oeuvre de l’homme. Donne alors à l’oeuvre de Dieu, mais non à l’oeuvre de l’homme. Mais, diras-tu, comment défendre de donner à l’oeuvre de l’homme? Qu’est-ce que donner à l’oeuvre de l’homme? C’est donner au pécheur à cause
1.
Philipp. IV, 17.— 2. III Rois, XVII, 6, 12. — 3. Eccli. XII, 4-6. —
4. Luc, VI, 30. — 5. Rom. XII, 20.
de son péché, mettre en lui ta complaisance à cause du péché. Qui peut agir ainsi, diras-tu? Qui fera cela? Plût à Dieu qu’il n’y ait personne pour le faire, qu’il n’y en ait que peu, qu’on ne le fasse point publiquement. Ceux qui donnent aux gladiateurs de l’amphithéâtre, pourquoi donnent-ils, qu’ils le disent? Pourquoi donner à un gladiateur? Parce qu’on aime en lui ce qui le rend infâme; voilà ce qu’on nourrit en lui, ce qu’on habille en lui, cette iniquité qu’il étale aux yeux du public. Ceux qui donnent aux histrions, qui donnent aux cochers, qui donnent aux femmes perdues, pourquoi donnent-ils? En leur donnant, ne donnent-ils pas à des hommes? Toutefois ils ne considèrent point en eux l’oeuvre de Dieu, mais bien l’infamie de l’oeuvre humaine. Veux-tu voir ce que tu honores dans un comédien en le revêtant? Que l’on te dise: Fais comme lui; tu l’aimes, et te réjouit; tu voudrais en quelque façon te dépouiller, pour le revêtir: ne t’offense pas comme d’une injure, si l’on te dit: Ainsi soient tes enfants. C’est là un outrage, diras-tu, Pourquoi un outrage, sinon parce que cette profession est infâme? Les dons que tu fais ne sont donc point faits au courage, mais à l’infamie. De même que donner au gladiateur, ce n’est point donner à l’homme, mais bien à un art coupable (s’il n’était en effet qu’un homme, et non point un gladiateur, tu ne lui donnerais point; et dès lors c’est le vice que tu honores en lui,et non sa qualité d’homme): de même, au contraire, donner au juste, donner au Prophète, donner au disciple du Christ ce dont il a besoin, et ne point penser à sa qualité de disciple du Christ, de ministre du Christ, de dispensateur de Dieu; niais n’avoir dans l’esprit qu’un avantage temporel, qu’une faveur que l’on en peut attendre, c’est ne voir qu’un homme vendu et acheté par le don qu’on lui a fait. Donner ainsi n’est pas plus donner au juste, que cet autre n’a’ donné à l’homme en donnant au gladiateur. Cette vérité est donc claire, mes frères, et je pense que si elle avait d’abord quelque chose d’obscur, elle devient évidente, C’est là ce que le Seigneur enseignait par cette parole: « Quiconque aura reçu un juste 1 », laquelle aurait suffi. Mais comme en recevant un juste, on peut avoir une autre intention, espérer de lui quelque avantage temporel, l’assouvissement d’une passion, son secours pour
1.
Matth. X, 41.
tromper un homme, pour l’opprimer; dès que tu ne le reçois que par espérance d’un semblable avantage, voilà pourquoi Jésus-Christ te refuse la récompense du juste, si tu n’y mets cette condition ainsi exprimée: « Celui qui aura reçu le juste au nom du juste », c’est-à-dire qui l’aura reçu par cela même qu’il est juste. « Et celui qui reçoit le Prophète », non seulement qui reçoit le Prophète, mais qui le reçoit « au nom du Prophète », honorant en lui cette qualité; et enfin: « Celui qui aura donné un verre d’eau froide à un de ces petits, en sa qualité de mon disciple », c’est-à-dire, parce qu’il est le disciple du Christ, le dispensateur de ses sacrements: «En vérité, je vous le dis, il ne perdra point sa récompense 1 ». Ainsi, comme nous comprenons que, «Celui qui aura reçu le juste au nom du juste, recevra sa récompense », il nous faut comprendre que celui qui recevra le pécheur comme pécheur, perdra la sienne.
14. Donc, mes frères, exercez la miséricorde. Il n’y a point d’autre lien de charité, il n’y a point d’autre moyen pour aller de cette vie à la patrie céleste; étendez votre charité jusqu’à vos ennemis: soyez en sûreté, C’est pour cela que le Christ est venu au monde, lui à qui le Prophète a dit longtemps auparavant: « C’est de la bouche des enfants nouveau-nés et à la mamelle que vous avez tiré la louange la plus parfaite, afin de détruire l’ennemi et le vindicatif 2 ». D’autres manuscrits ont écrit « le défenseur »; mais « le vindicatif » est plus vrai. C’est lui en effet que le Seigneur a voulu détruire, c’est-à-dire l’homme qui poursuit sa vengeance au point que ses péchés ne lui soient point remis. Quoi donc? diras-tu. Laissera-t-on dormir tout châtiment? N’y aura-t-il plus de réprimande? Loin de là. Que ferais-tu alors de ce fils débauché? N’y aura-t-il pour lui ni frein, ni répression? Et ton esclave, si tu lui vois une conduite déréglée, n’aurais-tu pour lui ni frein, ni châtiment? Agissez alors, agissez; Dieu vous le permet; il vous menace, au contraire, si vous ne le faites point; mais faites-le dans un esprit de charité, et non dans un esprit de vengeance. Que si tu as à souffrir tes outrages de plus puissants que toi, et que tu ne puisses ni infliger un châtiment, ni même avertir ou commander, tu dois alors souffrir, et souffrir avec sécurité. Ecoute
1.
Matth. X, 42,— 2. Ps. VIII, 3
l’Evangile qu’on lisait tout à l’heure: « Vous serez heureux quand les hommes vous persécuteront, et diront hautement contre vous toute sorte de mal à cause de moi 1». Le Seigneur prend soin de nous indiquer le motif, de peur que ces injures ne nous viennent plutôt par nos mérites, que pour la cause des saintes justices de Dieu Recevoir des injures, ce n’est point pour cela être juste. Mais celui qui est juste et que l’on outrage injustement, recevra sa récompense pour l’injustice qu’il'endure. Sois donc en assurance, quand tu fais miséricorde, étends ta charité jusqu’à tes ennemis; et pour ceux que tu dois surveiller, corrige-les, châtie-les avec amour, avec charité, ayant eu vue le salut éternel. Fais cela: mais tu en trouveras beaucoup sur qui tu ne pourras exercer aucune autorité, qui ne soit point soumis à la discipline; alors souffre leurs injures, et sois sans inquiétude. « Car le Seigneur fera miséricorde, et rendra justice à tous ceux qu’on opprime». Il te fera miséricorde, si tu es miséricordieux: et tu seras miséricordieux, sans toutefois que celui qui t’outrage demeure impuni. « La vengeance m’appartient », dit le Seigneur, « c’est moi qui dois l’infliger 2 ».
15. « Il a fait connaître ses voies à Moïse 3 ». Quelles voies Moïse a-t-il connues? Pourquoi choisir Moïse? Par Moïse, comprenez tous les justes, tous les saints; un seul doit rappeler tous les autres. Toutefois c’est par Moïse que la loi fut donnée, et la prescription même dans cette loi a quelque chose d’obscur. Elle fut donnée afin que le malade, convaincu de sa maladie, eût recours au médecin. Telle est la voie secrète de Dieu. Déjà tu as entendu que « Dieu guérit nos langueurs ». Or, comme ces langueurs étaient cachées pour les malades, Dieu donna les cinq livres de Moïse; et la piscine de l’Evangile eut cinq galeries; la loi montra les malades que l’on étendait dans ces galeries, non pour être guéris, mais pour être en évidence. Ces galeries aussi manifestaient les malades, sans les guérir: la piscine en guérissait un seul, quand elle était troublée 4; trouble qui figurait la passion du Sauveur. Car il est venu et a été méconnu au point que les uns disaient: C’est le Christ; les autres: Ce n’est pas le Christ; c’est un juste, c’est un pécheur; c’est le Maître, c’est un
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Matth. V, 11. — 2. Deut. XXXI, 35.— 3. Ps. CII, 7.— 4. Jean, V, 2-1.
séducteur; il troublait l’eau, c’est-à-dire qu’il'troubla le peuple; et dans ce trouble de l’eau, un seul était guéri, parce que l’unité seulement est guérie par la passion du Sauveur. Quiconque est en dehors de l’unité, fût-il dans les galeries, ne peut être guéri; fût-il attaché à la loi, il n’arrivera pas au salut. C’est donc à cause de ce mystère que le Prophète nous enseigne que la loi fut donnée pour convaincre les pécheurs, et les exciter à recourir au médecin pour en recevoir la santé. De là vient qu’il est pleinement convaincu, cet homme que l’Apôtre personnifie en lui-même, quand il dit: « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort? » La loi en effet lui avait découvert en lui-même un combat, qui lui faisait dire: « Je ressens dans mes membres une loi qui répugne à la loi de l’esprit, et qui me captive sous la loi du péché, laquelle est dans mes membres ». Il s’est retrouvé dans la misère, dans les gémissements, dans la guerre, dans les combats, en désaccord avec lui-même, divisé, opposé à lui-même. Et que dit-il, en demandant la paix, la vraie paix, la paix éternelle? « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort? La grâce de Dieu par Notre Seigneur Jésus-Christ 1. Où le péché a abondé, a surabondé la grâce ». Où donc le péché a-t-il abondé? « La loi est entrée, en sorte que le péché a surabondé 2 ». Comment le péché a-t-il abondé à l’entrée de la loi? Parce que les hommes ne voulaient point se reconnaître coupables, et que la loi est venue leur montrer leurs prévarications. Car il n’y a de prévarication que quand la loi est violée. Tel est le langage de l’Apôtre « Où n’est pas la loi, il n’y a pas de prévarication 3 ». Le péché a donc abondé, et la grâce a surabondé. Tel est donc, ainsi que je le disais, le profond mystère de la loi, c’est qu’elle a été donnée, afin que l’accroissement des fautes humiliât les superbes; qu’en les humiliant elle leur fît avouer leurs fautes, et les guérit par cet aveu; telles sont les voies secrètes que Dieu fit connaître à Moïse, en donnant par lui cette loi, qui a fait abonder le péché et surabonder la grâce. Dieu ne l’a point fait dans un dessein de sévérité, mais dans le dessein de nous guérir. Souvent, en effet, un homme se croit en bonne santé, tandis qu’il est malade; et parce qu’il est malade
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Rom. VII, 23-25. — 2. Id. V, 20. — 3. Id. IV, 15.
sans le comprendre, il ne cherche point de médecin. La maladie s’accroît, ses maux deviennent cuisants; il cherche le médecin, et se retrouve en pleine santé: « Dieu a fait connaître ses voies à Moïse, et ses volontés aux enfants d’Israël ». Est-ce à tous les enfants d’Israël? Non, mais aux vrais enfants d’Israël; ou plutôt à tous les enfants d’Israël. Car les hommes fourbes, trompeurs, hypocrites, ne sont point enfants d’Israël. Quels sont donc les enfants d’Israël? « Voilà un véritable Israélite, sans déguisement 1». « Et aux enfants d’Israël, ses volontés ».
16. « Le Seigneur est plein de bonté, de clémence; il est lent à punir et prodigue de miséricorde 2 ». Quelle patience est plus longue que la sienne? Qui est plus riche en miséricorde? Un homme pèche, et il vit; il augmente ses fautes, et Dieu ses années. Chaque jour on blasphème contre lui, et il fait luire son soleil sur les bons comme sur les méchants 3. De toutes parts il nous invite à nous corriger; de toutes parts il nous convie à la pénitence: il nous appelle par les biens qu’il nous crée, il nous appelle en nous donnant le temps de vivre; il nous appelle par une lecture, par l’explication d’un passage, par une pensée intime, par le fouet de ses châtiments, par sa consolante miséricorde, « car il est lent à punir, et riche en miséricorde »; mais prends garde que le mauvais usage de sa miséricorde ne t’amasse, comme dit l’Apôtre, un trésor de colère pour le jour de ses vengeances. « Mépriseras-tu donc», dit cet Apôtre, « les trésors de sa bonté, de sa longanimité? Ignores-tu que cette patience de Dieu te convie à la pénitence 4?» T’imagines-tu lui plaire, parce qu’il t’épargne? « Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu; et tu m’as soupçonné d’iniquité, d’être semblable à toi 5 ». Tes fautes me déplaisent, et ma lenteur attend des actes de vertu. Punir à l’instant les péchés, c’est rejeter l’aveu des fautes. Ainsi donc la lenteur de Dieu qui t’épargne, te conduit à la pénitence; mais toi, tu dis chaque jour: Voici un jour écoulé, demain il en sera comme aujourd’hui, car demain ne sera pas mon dernier jour; il eu sera de même après-demain: et voilà que sa colère éclate soudain. O mon frère, ne tarde point à revenir à Dieu 6. Il en est qui préparent
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Jean, I, 47. — 2. Ps. CII, 8.— 3. Matth. V, 45 — 4. Rom. II, 4, 5. — 5. Ps.
XLIX, 21. — 6. Eccli. V, 8.
leur conversion, mais qui diffèrent de l’accomplir, ils disent alors comme le corbeau, cras, cras, demain, demain. Mais le corbeau une fois sorti de l’arche, n’y revint plus 1. Dieu n’aime point ces retards qu’exprime le cri du corbeau, il veut la confession avec le gémissement de la colombe. La colombe fut envoyée et revint. Jusques à quand dirons-nous: Cras, cras, demain, demain? Attention au dernier cras, et comme tu ne sais quand arrivera ce dernier cras, qu’il te suffise d’avoir été pécheur jusqu’aujourd’hui. Tu entends nos avertissements, tu les entends souvent, tu les entends aujourd’hui encore, et de même que tu les entends tous les jours, tu remets tous les jours à te corriger. « Par la dureté de ton coeur,par ton impénitence, tu amasses un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon n ses oeuvres 2 ». Que la miséricorde en Dieu ne te fasse pas oublier qu’il est juste. « Le Seigneur est plein de miséricorde et d’amour ». Je l’entends, je m’en réjouis, dis-tu; écoute encore et réjouis-toi, le Prophète ajoute: « Il a une longue patience, il est riche en miséricorde», et enfin « il est véridique». Si les premières paroles te réjouissent, que la dernière te fasse trembler. Dieu, il est vrai, a de la patience, de la miséricorde, mais il est véridique. Et lorsque tu auras amassé un trésor de colère, pour le jour de la vengeance, ne sentiras-tu point sa justice après avoir méprisé sa bonté?
17. « Il n’est point irrité pour toujours; son indignation ne sera pas éternelle 5 ». Ces châtiments que nous endurons dans la corruption d’une chair mortelle, sont l’effet de son indignation: c’est la peine du premier péché. Mes frères, il nous faut penser, non plus seulement à éviter ses menaces pour l’avenir, mais encore sa colère d’aujourd’hui. Car c’est à lui la colère dont saint Paul a dit que lui et nous sommes les enfants. « Nous avons été, nous autres », dit-il, « par notre nature, des enfants de colère, ainsi que les autres 6 ». C’est donc un effet de sa colère, que l’homme soit ici-bas en exil, soumis au travail. N’est-ce point, mes frères, un effet de sa colère, que cet arrêt « Tu mangeras ton pain dans la sueur et dans le travail, et la terre produira pour toi des
1.
Gen. VIII, 7.— 2. Rom. II, 5, 6.— 3. Ps. CII, 9.— 4. Ephés. II, 3.
épines et des chardons 1? » Ainsi fut-il dit à notre premier père. Ou si notre vie est autre chose, cherche un plaisir qui soit exempt d’épines. Choisis comme il te plaira, sois avare et voluptueux pour n’indiquer que ces deux passions, sois même ambitieux, c’est la troisième, et dis-moi combien d’épines dans la recherche des honneurs! combien d’épines dans les voluptés ! combien d’épines dans les convoitises de l’avarice! combien d’épines dans les amours déréglées! combien, en un mot, de sollicitudes en celte vie! Je ne parle point de l’enfer, mais prends garde d’être à loi. même ton enfer. Tout cela donc, mes frères, est l’effet de la colère divine; et en te tournant vers Dieu, pour faire le bien, tu ne pourras que souffrir sur la terre, et la douleur ne doit finir qu’avec notre vie. Il nous faut donc souffrir pendant l’exil, afin de nous réjouir dans la patrie. Les consolations divines viennent adoucir notre labeur, nos sueurs, nos chagrins, et Dieu te promet qu’ « il ne sera point toujours irrité, que son indignation ne sera pas éternelle ».
18. « Il ne nous a point traités selon nos offenses » Grâces à Dieu qui l’a voulu ainsi, qui ne nous a point traités comme nous le méritions: « Il ne nous a point traités selon nos offenses, ne nous a point rendu selon nos iniquités. Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant sa miséricorde s’élève et s’affermit sur ceux qui le craignent. Dieu affermit sa miséricorde sur ceux qui le craignent 2 ». Dans quelle mesure? « Autant que le ciel s’élève au-dessus de la terre ». Que dit ici le Prophète? Si jamais le ciel peut cesser de couvrir et de protéger la terre, Dieu alors pourra cesser de protéger ceux qui le craignent. Vois le ciel: partout, de tous côtés, il couvre la terre; il n’est aucune partie de la terre que le ciel ne couvre point. Or, les hommes pèchent sous le ciel; ils font sous le ciel toutes sortes de maux, et néanmoins le ciel les protége. C’est du ciel que la lumière vient à nos yeux, que nous vient l’air que nous respirons, et la pluie qui féconde la terre, du ciel enfin que nous viennent tous les bien 3. Otez à la terre le secours du ciel, ce ne sera bientôt qu’un néant. Comme donc le ciel protége incessamment la terre, ainsi Dieu protége incessamment ceux qui le craignent. Crains-tu Dieu? Sa protection
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Gen, III, 18, 19.— 2. Ps. CII, 10, 11.
est sur toi. Mais peut-être es-tu châtié et penses-tu que Dieu t’a abandonné? Oui, si les
cieux cessaient de protéger la terre, car: « Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant la miséricorde de Dieu est affermie sur ceux qui le craignent ».
19. Mais qu’a fait Dieu, puisqu’il ne nous a point traités selon nos offenses? « Autant l’Orient est éloigné du couchant, autant il a éloigné de nous nos péchés ». Autant le ciel couvre la terre, autant Dieu a confirmé sa miséricorde sur nous. Nous avons expliqué ce passage dans le sens d’une protection. Comment maintenant « a-t-il éloigné de nous nos péchés, autant que l’Orient est éloigné du Couchant? » Ils le savent, ceux qui connaissent les sacrements; j’en dirai néanmoins ce que chacun peut entendre. La rémission des péchés, c’est pour ces péchés l’Occident, et l’Orient pour la grâce. Tes péchés sont en quelque sorte à leur couchant, quand la grâce qui te délivre est à son lever. « La vérité s’est levée de la terre 2 ». Qu’est-ce à dire que « la vérité s’est levée de la terre? » Que la grâce est née en toi, que tes péchés meurent, et que tu es en quelque sorte renouvelé. Tu dois donc tourner tes regards vers l’Orient, et les détourner du Couchant. Détourne-les du péché, et tourne-les vers la grâce de Dieu; car leur mort est pour toi une résurrection et un progrès. Mais cette partie du ciel qui se lève, ira aussi vers son couchant. Aussi les comparaisons ne peuvent-elles être bustes dans tous les sens, ni embrasser trait pour trait ce qu’on veut représenter. Il en est ici comme de l’aigle et de la lune dont nous avons parlé. Une partie du ciel se couche, l’autre partie se lève: mais la partie qui se lève devra se coucher à son tour après douze heures. Il n’en est pas ainsi de la grâce qui se lève pour nous, non plus que de nos péchés qui se couchent pour jamais, tandis que la grâce demeure à jamais aussi.
20. Mais pourquoi « Dieu a-t-il éloigné de nous nos péchés de toute la distance de l’Orient à l’Occident », en sorte que nos péchés meurent et que sa grâce s’élève? Quelle raison en voyez-vous? « Comme un père a pitié de ses fils, ainsi Dieu a pitié de ses enfants; Dieu a pitié de ceux qui le craignent 3». Quelle que soit sa sévérité, il est toujours père. Mais voilà qu’il nous châtie, qu’il nous afflige, qu’il nous brise: il est père encore. Mon fils,
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Ps. CII, 12. — 2. Id. LXXXIV, 12. — 3. Id. CII, 13.
si tu pleures, pleure sous la main d’un père; pleure sans t’indigner, sans te laisser aller au dépit et à l’orgueil. Ce que tu endures, ce qui t’arrache des pleurs, est un remède, et non une peine; c’est un redressement plutôt qu’une condamnation. Ne rejette point le fouet, situ ne veux à ton tour être rejeté de l’héritage. Ne t’arrête pas à la douleur du châtiment, mais à ta place dans le testament. « Comme un père a pitié de ses enfants, Dieu a pitié de ceux qui le craignent ».
21. « Car il connaît bien notre argile 1», c’est-à-dire notre faiblesse; il connaît ce qu’il a formé, comment cet ouvrage est déclin, comment il doit le reformer, comment l’adopter et comment l’enrichir. C’est de boue que nous sommes pétris: « Le premier homme est terrestre, formé de la terre, le second est céleste, venu du ciel 2 ». Dieu a envoyé son Fils qui est devenu le second homme, et qui était Dieu avant toutes choses. Il est le second dans son avènement, le premier dans le retour. Il est mort après un grand nombre, et ressuscité avant tous. « Dieu connaît bien notre argile ». Quel argile? Nous-mêmes Pourquoi dire qu’il le connaît? Parce qu’il en a pitié. « Souvenez-vous que nous sommes poussière ». Le Prophète se tourne vers Dieu, et lui dit: « Souvenez-vous », comme si Dieu oubliait: mais il voit, il connaît de manière à ne rien oublier. Pourquoi dire alors: « Souvenez-vous? » Que votre miséricorde persévère à tomber sur nous. Vous connaissez d’une certaine manière notre argile; n’oubliez pas cet argile, de pour que nous n’oubliions votre grâce: « Souvenez-vous que nous sommes poussière ».
22. « Les jours de l’homme sont comme l’herbe 3 ». Que l’homme voie ce qu’il est, et qu’il ne s’enorgueillisse point: « Ses jours sont comme l’herbe ». Comment s’enorgueillirait une herbe qui fleurit aujourd’hui, pour sécher peu après? Comment s’enorgueillir quand elle n’est verte qu’un moment, et un moment bien court, jusqu’à ce que le soleil arrive à son midi? Il nous est donc avantageux que sa miséricorde soit sur nous, et change cette herbe en or. Car « les jours de l’homme sont comme l’herbe; il s’épanouira comme la fleur des champs ». Toute la gloire du genre humain, les honneurs, la puissance, les richesses, l’orgueil et les
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Ps. CII, 14. — 2. I Cor. XV, 47. — 2. Ps. CII, 15.
menaces, tout cela n’est que la fleur de l’herbe, Voilà une maison florissante, nous dit-on, une grande maison; voilà une famille florissante: combien y sont en honneur, ou combien d’années dure cette pompe ! Beaucoup d’années pour toi ne sont pour Dieu qu’un temps bien court. Dieu ne compte point le temps comme tu peux le compter. Tout ce qu’il y a d’éclatant dans une maison florissante n’est qu’une fleur des champs, en comparaison de ces siècles qui vivent et qui durent toujours. Toute la beauté d’une fleur dure à peine une année. Tout ce qu’il y a de vif, tout ce qu’il y a d’agréable, tout ce qu’il y a d’éblouissant ne dépasse pas une année entière, et même c’est à peine si cela dure une année entière. Combien rapidement passent les fleurs, et cependant c’est l’ornement de la terre. Ce qui a le plus d’éclat passe aussi le plus vite. « Toute chair est comme l’herbe, et la gloire de l’homme est comme la fleur de l’herbe: l’herbe se fane, la fleur tombe, mais le Verbe du Seigneur demeure éternellement 1». Comme donc notre Père connaît notre argile, et sait que nous sommes une herbe, que nous ne pouvons fleurir que pour un temps, il nous a envoyé son Verbe, et ce Verbe, qui demeure éternellement, il l’a fait frère de cette herbe qui passe avec rapidité: ce fils unique dans sa, nature, seul né de sa substance, est le frère de tant de frères d’adoption. Ne t’étonne point de participer un jour à l’éternité de celui qui a pris part le premier à l’herbe dont tu es formé. Refusera-t-il; de t’élever au-dessus de toi-même, celui qui s’est revêtu d’une humilité qui venait de toi? Donc « l’homme » quant à ce qui est de l’homme, « n’est qu’une herbe, et ne doit fleurir que comme l’herbe des champs ».
23. « Un souffle passera en lui, et il ne sera plus, et ne connaîtra, plus sa place 2 ». Il sera comme exterminé, comme anéanti. C’est là qu’aboutit toute enflure, tout orgueil, toute élévation: « Un souffle passera en lui, et il ne sera plus, et ne connaîtra plus sa place ». Voyez tous les fours ceux qui meurent. C’est là que tout aboutit, c’est l,a fin de tous les hommes. Ce n’est point du Verbe que parle ici le prophète, mais de ce qui a déterminé le Verbe à devenir une herbe qui passe. Tu es homme, en effet, et c’est pourquoi le Verbe s’est fait homme. Tu es chair, et c’est
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Isa. XI, 6-8. — 2. Ps. CII, 16.
pourquoi le Verbe s’est fait chair, « Or, toute chair est une herbe, et le Verbe s’est fait chair 1» Quelle espérance, pour cette herbe, que le Verbe se soit fait chair? Ce Verbe qui demeure éternellement n’a pas dédaigné de se faire herbe, pour que l’herbe ne désespérât point d’elle-même.
24. En jetant donc les yeux sur toi, considère ta bassesse, considère ta poussière, et ne t’élève point; tout ce que tu seras de plus, tu l’obtiendras de sa grâce et de sa miséricorde. Ecoute en effet ce qui suit: « Mais la miséricorde du Seigneur s’étend de siècle en siècle sur ceux qui le craignent 2 ». Vous qui ne le craignez point, vous ne serez que foin, que dans le foin, et jeté au feu avec le foin. Car la chair ressuscitera, mais pour les tourments. Qu’ils se réjouissent donc, ceux qui craignent le Seigneur, parce qu’ils seront sous les abris de sa miséricorde.
25. « Et sa justice protége les enfants de leurs enfants 3 ». Ce qui rejaillit ici sur les « enfants des enfants » est une récompense. Combien de serviteurs de Dieu n’ont point d’enfants, combien plus encore n’ont point de petits enfants? Mais le Prophète appelle enfants, nos oeuvres: et « les fils de nos enfants », la récompense de nos oeuvres. « Sa justice protége les enfants de leurs enfants, en faveur de ceux qui gardent son alliance ». Que tous ne s’imaginent point que ces promesses les regardent, mais qu’ils choisissent quand il en est temps. « En faveur de ceux », dit le Prophète, « qui gardent son testament, qui retiennent ses commandements dans leur mémoire, afin de les accomplir ». Déjà tu te disposais à te lever, à me réciter le psautier, mieux que je ne saurais le faire, ou à me réciter de mémoire toute la loi. Ta mémoire est meilleure que la mienne, meilleure que celle de tout juste, car nul juste ne peut réciter toute la loi: mais prends garde à retenir les préceptes. Comment les retenir? Non point dans la mémoire, mais dans la pratique. « Qui retiennent dans leur mémoire ses commandements », non pour les réciter, mais « pour les pratiquer ». Ceci trouble peut-être quelque conscience. Q ui retient tous les commandements de Dieu? qui peut se souvenir de toute la loi.? Voilà que je veux, non seulement la retenir de mémoire, niais l’accomplir par mes oeuvres; mais qui la retient de mémoire?
1.
Jean, I, 14. — 2. Ps. CII, 17. — 3. Id. 18.
Ne crains rien, cette loi ne te surchargera point. « Deux commandements renferment toute la loi et les Prophètes 1». Mais je veux tenir toute la loi. Retiens-la, si tu le peux, quand tu le peux, comme tu le peux. Quelque page que tu interroges, elle te répondra: Tiens bien ce que tu tiens; conserve la charité. « La fin de la loi est la charité 2 ». Ne t’arrête pas au grand nombre des branches, tiens la racine, et tu seras maître de l’arbre. « Ils retiennent dans leur mémoire ses commandements afin de les pratiquer ».
26. « Le Seigneur a préparé son trône dans le ciel 3 ». Qui a préparé son trône dans le ciel, sinon le Christ? Lui qui est descendu pour y remonter, qui est mort et qui est ressuscité, qui s’est revêtu de l’homme pour l’élever jusqu’au ciel, c’est lui qui a préparé son trône dans le ciel. Ce trône est le siège du juge; ô vous qui écoutez, songez bien que c’est dans le ciel qu’il a établi son trône. Que chacun vive comme il lui plaira sur la terre; le péché ne sera pas sans châtiment, ni la justice sans récompense: car le Seigneur, qui a été tourné en dérision au tribunal d’un homme, a préparé son tribunal dans le ciel. « Le Seigneur a préparé son trône dans le ciel, et son empire domine tous les hommes. Au Seigneur appartient l’empire, et il dominera les nations 4. Et son royaume s’étend sur tous les hommes ».
27. « Bénissez le Seigneur, vous qui êtes ses anges, qui êtes revêtus de force, qui accomplissez sa volonté ». La parole de Dieu ne te rendra donc point juste ou fidèle, si tu ne la pratiques. « Vous qui avez la puissance, qui exécutez ses ordres, afin que l’on obéisse à ses préceptes 5».
28. « Bénissez le Seigneur, vous qui êtes sa milice, ses ministres, qui accomplissez sa volonté ». Vous tous qui êtes ses anges, si grands en force, qui faites sa volonté, vous sa milice, vous tous qui êtes ses ministres accomplissant sa volonté, vous tous, bénissez le Seigneur. Pour ceux qui vivent dans le désordre, quand même leur langue se tairait, leur vie est une malédiction contre Dieu. A quoi bon chanter de la langue des hymnes à Dieu, quand la vie n’est qu’une exhalaison sacrilège? Or, une vie désordonnée fait éclater en blasphèmes un infinité de
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Matth. XXII, 40.— 2. I Tim. I, 5.— 3. Ps. CIX, 19.— 4. Id. XXX, 29. — 5.
Id. CXI, 20. — 6. Id. 21.
langues. Ta langue s’occupe d’un psaume, et les langues de ceux qui te regardent s’occupent de blasphèmes. Si donc tu veux bénir le Seigneur, accomplis sa parole, accomplis sa volonté. Edifie sur la pierre, et non sur le sable. Ecouter sans pratiquer, c’est bâtir sur le sable; écouter et pratiquer, c’est bâtir sur la pierre. Ne rien écouter, ne rien pratiquer, c’est ne rien bâtir. Bâtir sur le sable, c’est élever une ruine. Ne rien bâtir, c’est s’exposer à la pluie, aux vents, aux fleuves; on est emporté avant de résister 1. Donc sans nous ralentir, hâtons-nous de construire: mais ne construisons point de manière à n’élever qu’une ruine; bâtissons sur la pierre, afin de ne point nous écrouler au souffle de la tentation. S’il en est ainsi, bénis le Seigneur: s’il n’en est pas ainsi, ne te rassure point sur ce que dit ta langue; mais interroge ta vie, elle te répondra. Si tu trouves en toi quelque mal, gémis, confesse-toi: ta confession bénira le Seigneur, mais ta conversion sera une bénédiction persévérante.
29. « Bénissez le Seigneur, ô vous qui êtes ses oeuvres, dans toute l’étendue de sa domination 2 ». Donc en tout lieu. Qu’on ne le bénisse point où il n’est pas le maître. « Dans l’étendue de sa domination ». Qu’on ne dise point: Je ne puis bénir le Seigneur en Orient, puisqu’il est parti pour l’Occident: ou, je ne puis le bénir en Occident, puisqu’il est en Orient, « Ce n’est en effet, ni de l’Orient, ni de l’Occident, ni du désert, que Dieu vient, parce qu’il est le juge ». Il est partout, afin qu’on le bénisse partout; il vient de toutes parts, afin que de toutes parts on pousse des cris d’allégresse. On le bénit partout, quand partout on mène une vie pure. « Bénissez le Seigneur, ô vous qui êtes ses oeuvres ». Lorsque par une vie pure tu auras commencé à bénir le Seigneur, ce seront tes oeuvres, et non tes mérites, qui le béniront. Car c’est lui qui fait le bien par toi et en toi, comme le dit l’Apôtre: « Travaillez à vous sauver avec crainte et tremblement: car c’est Dieu qui opère en vous 4 ». De peur qu’en pratiquant sa parole, en accomplissant sa volonté, tu ne viennes à t’élever, il a voulu t’humilier en te montrant la grâce qui te fait agir ainsi. « Dans toute l’étendue de sa domination, ô mon âme, bénis le Seigneur ».
1. Matth. VII, 24-27.— 2. Ps. CII, 22.— 3. Id. LXXXV, 7, 8. — 4. Philipp. II, 12, 13.
Le dernier verset ressemble au premier: une bénédiction commence et une bénédiction finit; nous avons commencé par bénir Dieu, terminons en le bénissant, afin que nous puissions régner dans les bénédictions.
Les oeuvres visibles du Seigneur ont un sens que nous devons chercher dons ce psaume. « Vous êtes infiniment grandi par moi ». Cette parole doit s’entendre comme cette autre: Que votre nom soit sanctifié; ce nom toujours saint est sanctifié quand les hommes deviennent assez droits pour que Dieu leur plaise. Alors le nom du Seigneur est grandi quand nous le connaissons assez pour comprendre cette grandeur, et cette connaissance nous grandit à notre tour. Dieu s’est revêtu de confession et de beauté, parce que l’Eglise, non pins que l’âme, ne peut s’approcher de Dieu, qu’en avouant une laideur qui vient à l’une du péché, à l’autre de l’idolâtrie. Toutefois le Christ; en mourant pour les impies, nous aimait malgré notre laideur; il s’abaissait pour nous, et n’avait ni éclat ni beauté, afin de nous en donner, Il a fait les cieux, comme on déploie une peau, et cette peau signifie la mortalité, car elle fut donnée aux premiers coupables, devenus mortels par le péché. C’est encore l’Evangile prêché par des hommes mortels et qui couvre la terre. La hauteur des cieux que Dieu couvre d’eau, c’est la sainte Ecriture, et au-delà cette charité qu’il répand dans nos coeurs, et qui est bien supérieure à tous les autres dons. Les nuées sont une échelle pour lui, c’est-à-dire que par les prédicateurs il conduit au ciel des Ecritures ceux qui écoutent avec docilité; malheur à ceux qui ne montent pas, et qui sont ou branches stériles, ou produisant des épines. Il est porté sur les ailes des vents ou des âmes qui sont un souffle de vie, et dont les ailes sont des vertus, La charité en Dieu ou la croix, a sa largeur dans les bonnes oeuvres, sa longueur dans la persévérance finale, sa hauteur dans l’espérance des biens de l’autre vie, sa profondeur dans les sacrements. Les esprits deviennent ses anges, quand ils portent ses messages: quelquefois il se sert du feu, comme il se sert de l’homme spirituel pour la prédication. L’Eglise est solidement fondée sur le Christ. Ecoutons la parole de Dieu de manière à porter pour fruit principal le pardon des offenses.
1. Avant-hier, autant que vous daignez vous en souvenir, nous vous avons largement rassasiés. Mais comme après un long discours, vous ne laissiez pas de témoigner une grande avidité, nous n’avons pas voulu aujourd’hui refuser l’acquittement de notre dette, afin de joindre à cet acquittement le gain que nous espérons en tirer. Le psaume qu’on vient de lire est plein de figures et de mystères, et demande non seulement de notre part, mais aussi de la vôtre, une attention soutenue. A la rigueur, cependant, on pourrait donner à ce qu’il contient un sens littéral et religieux à la fois. On y retrouve en effet, sinon toutes les merveilles du Seigneur, du moins ces oeuvres connues de tous ceux qui les voient, et qui, dans ces merveilles qu’il a faites, merveilles visibles, savent lire ses merveilles invisibles 2. Nous y voyons un grand ouvrage, la création du ciel et de la
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Prêché à Carthage dans la vieillesse de saint Augustin. — 2. Rom. I, 20.
terre, et de tout ce qu’ils renferment; et la grandeur et la beauté de cette création nous font sinon voir l’ineffable grandeur, l’ineffable beauté du Créateur, du moins l’aimer. Ce divin ouvrier, que notre coeur n’est pas encore assez pur pour contempler, ne cesse de remettre ses oeuvres devant nos yeux, et par ces merveilles que nous pouvons découvrir, de stimuler notre amour envers celui que nous ne pouvons voir, afin que nous méritions de le voir un jour. Toutefois, dans tout ce que nous lisons, il faut chercher un sens spirituel, et avec le secours de Jésus-Christ, vos désirs m’aideront à sonder ces mystères, et seront comme autant de mains invisibles, frappant à la porte invisible aussi, afin qu’elle s’ouvre invisiblement, que vous y entriez invisiblement, et que vous soyez invisiblement guéris.
2. Disons donc tous: « Bénis le Seigneur, ô mon âme 1». Adressons-nous tous à notre âme, car nous tous, nous n’avons par la foi
1. Ps. CIII, 1.qu’une seule âme, de même que nous tous, qui croyons en Jésus-Christ, ne formons, par notre union corporelle avec lui, qu’un seul et même homme. Que notre âme bénisse donc le Seigneur pour tant de bienfaits, pour les dons si grands et si nombreux de ses grâces. Nous retrouvons ces dons dans le psaume, avec un peu d’attention, en secouant le nuage des pensées charnelles, en élevant notre esprit autant qu’il nous est possible, en stimulant son attention autant que nous pourrons, en purifiant l’oeil de notre coeur autant qu’il est en nous, autant que le permettent les occupations de cette vie, autant que nous ne sommes point aveuglés par les plaisirs du siècle. Elevons-nous donc pour entendre les dons si grands, si admirables, si désirables, si pleins d’allégresse et de joies saintes, que voyait en esprit celui qui a chanté notre psaume, quand il exhalait son allégresse, en s’écriant: « Bénis le Seigneur, ô mon âme ».
3. « Seigneur, mon Dieu, votre grandeur a e été trop relevée ». Voyez quelles magnificences va chanter le Prophète, et néanmoins dans ces magnificences, il ne faut bénir que l’auteur de ces grandes oeuvres. « Vous vous êtes revêtu de: gloire et de beauté ». O Seigneur mon Dieu, dont la grandeur est infinie, d’où vient qu’on chante cette grandeur? N’ôtes-vous point toujours grand? toujours magnifique? N’êtes-vous point parfait, et pouvez-vous croître encore? Y a-t-il chez vous déchéance ou diminution? Mais vous êtes ce que vous êtes, et vous êtes véritablement, c’est vous qui vous êtes ainsi nommé à Moïse votre serviteur « Je suis celui qui suis 1 »; vous êtes grand dès lors, et vôtre grandeur est éternelle; elle n’a ni commencement ni fin; elle n’a point commencé avec lé temps, elle ne s’écoule point vers la 6n du temps, ne souffre point diminution au milieu des temps; c’est une grandeur immuable. Comment donc votre grandeur fi-t-elle été trop relevée? Un autre prophète nous avertit ce disant: « Votre science est devenue admirable par moi 2». Or, si l’on peut dire avec vérité: «Votre science est devenue admirable par moi »; on peut dire aussi: « Vous êtes infiniment grandi par moi, Seigneur mon Dieu ». Mais on peut demander encore: Est-ce moi qui puis relever Dieu? moi qui
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Exod. III, 14. — 2. Ps. CXXXVIII, 6.
puis le grandir? La prière que nous offrons chaque jour à Dieu pour notre salut, nous enseigne quelque chose de semblable: « Que votre nom soit sanctifié », disons-nous; c’est là ce que nous demandons chaque jour, Si quelqu’un nous interrogeait: Comment demandez-vous que le nom du Seigneur soit sanctifié? Y a-t-il un moment où il ne soit pas saint, pour demander qu’il soit sanctifié? Et pourtant, si nous ne désirions pas qu’il en fût ainsi, nous ne le demanderions point. Car autre est la congratulation, et autre la prière; noue félicitons de ce qui est, nous demandons ce qui n’est pas encore. Quel est donc le sens de cette parole: « Que votre nom soit sanctifié? » Il nous aidera à comprendre cette autre: « Seigneur mon Dieu, vous êtes grandi à l’excès ». Or, « Que votre nom soit sanctifié », signifie: Que votre nom soit saint parmi les hommes. Sans doute, Seigneur, votre nom est toujours saint, mais il n’est pas encore saint pour les âmes impures. Car l’Apôtre l’a dit: « Tout est pur pour ceux qui sont purs, niais rien n’est pur pour les coeurs immondes et infidèles 2 ». Si rien n’est pur pour les coeurs infidèles et immondes, j’en demande la cause, et l’Apôtre me répond que « leur raison et leur conscience sont souillées». Or, si pour eux rien n’est pur, Dieu lui-même ne l’est pas; à moins de croire peut-être qu’ils le regardent comme pur, tout en le blasphémant. S’il est pur, qu’il leur plaise donc; et s’il leur plaît, qu’ils le bénissent. Mais s’ils le blasphèment, c’est qu’il leur déplaît; et s’il leur déplaît, comment peut être pur celui qui déplaît? Que demandons-nous alors par cette parole: « Que votre nom soit sanctifié? » Nous demandons que le nom du Seigneur soit saint dans ces hommes, pour qui il ne l’est pas à cause de leur infidélité, dans ceux pour qui n’est pas encore Saint, celui qui est saint en lui-même, par lui-même, et dans ses saints. Nous prions donc pour le genre humain, nous prions pour l’univers entier, pour tous les Gentils, pour tous ceux qui passent les journées à raisonner et à nous dire que Dieu n’est point juste, que ses jugements ne sont point justes, afin qu’ils se corrigent enfin eux-mêmes, et qu’ils redressent leur coeur sur sa droiture, qu’ils s’attachent à lui; devenus droits, selon la règle même, qu’ils ne blâment plus l’équité de Dieu,
1. Matth, VI, 9.— 2. Tit. I, 15.mais que le Seigneur, toujours droit, plaise à ceux qui seront droits eux-mêmes. Car le Seigneur, « le Dieu d’Israël est bon », mais « à ceux qui ont le coeur droit 1 ». Alors celui qui chante ainsi, c’est-à-dire nous-mêmes, qui formons le corps du Christ, nous membres du Christ, à la vue des biens qu’a prodigués le Seigneur au genre humain, pour qui naguère Dieu n’était pas, ou n’était qu’un faux Dieu, ou du moins un Dieu moins grand, cet homme, dis-je, en voyant Dicta dans ses oeuvres, s’écrie: « Seigneur mon Dieu, vous êtes grandi à l’infini », c’est-à-dire, naguère je ne vous connaissais point, et je comprends que vous êtes grand. Vous êtes toujours grand, même quand vous êtes caché; mais Vous êtes devenu grand pour moi en m’apparaissant. Vous êtes donc grandi de ma part; de même que j’ai contribué à rendre votre science admirable 2, quand elle est devenue admirable pour moi. Je l’admire quand je reviens à elle; mais quand je n’y reviendrais pas, et quand, après y être revenu, je m’en détournerais, votre sagesse n’en demeure pas moins dans son intégrité. Mais quand par elle je deviens grand, que de petit elle me rend parfait, j’admire ce que je ne connaissais pas, non que mon admiration le grandisse, mais arriver à le connaître, de ma part, c’est grandir. Ecoute alors où Dieu me paraît grandi à l’excès, lui qui est toujours grand; c’est dans ses oeuvres qu’il nous a paru démesurément grand.
4. « Vous vous êtes revêtu de confession et de beauté ». Le Prophète place avant la beauté la confession, qui est la beauté dans la beauté même. Tu veux la beauté, ô mon âme, et tu as raison. Mais pourquoi chercher la beauté? Afin d’être aimée de l’époux dans ta laideur tu ne peux que ici déplaire. Qu’est-i1 en effet lui-même? « Il surpasse en n beauté les enfants des hommes ». Dans ta laideur, veux-tu donc embrasser un époux si beau? Mais tu ne considères point que tu es couverte d’iniquité, « tandis que la grâce est s répandue sur ses lèvres ». Car c’est de lui qu’il est dit: « Il surpasse en beauté les enfants des hommes, la grâce est répandue sur mes lèvres: et pour cela les jeunes filles l’ont aimé 3 ». Cet époux est donc beau, il est plus beau que « les enfants des hommes», et quoique fils de l’homme, il surpasse « les enfants
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Ps. LXXII, 1. — 2. Id. CXXVIII, 6. — 3. Id. XLIV, 3.
des hommes». Est-ce à lui que tu veux plaire, ô âme humaine, ô unique. Choisie entre tant d’autres? ici entendons l’Eglise dont les membres n’ont en Dieu qu’un coeur et qu’une âme 1; c’est à elle que s’adresse le Prophète. Veux-tu plaire à cet époux? Tu ne le peux dans ta laideur, que feras-tu peut être belle? D’abord prends à dégoût la laideur, et embellie par celui-là même à qui tu veux plaire, tu mériteras alors la beauté e celui qui te reformera, est celui-là même qui t’a formée. Vois donc tout d’abord ce que tu es, afin de n’aller point dans la laideur t’offrir aux baisers d’un époux si ravissant. Mais où pourrai-je me contempler, me diras-tu? Il t’a donné pour miroir ses saintes Ecritures; c’est là qu’il est dit: « Bienheureux ceux dont le coeur est pur, parce qu’ils verront Dieu 2 ». Cette parole même est un miroir, vois si tu es ce que dit cette Ecriture; et si tu ne l’es pointe gémis afin de le devenir. Le miroir te remettra devant les yeux ton propre visage; et comme il ne te flattera point, ne te flatte point toi-même. Sa pureté te montrera ce que tu es; et si tu te déplais à toi-même, travaille à n’être plus telle. Te déplaire dans ta laideur, c’est déjà plaire à celui qui est parfaitement beau. Quoi donc? Te déplaire dans la laideur, c’est déjà commencer un aveu; comme il est dit ailleurs: « Commencez par confesser au Seigneur 3 ». Accuse d’abord ta laideur; car cette laideur de ton âme vient de tes péchés, de tes iniquités. Commence à confesser ta laideur, et cette confession deviendra pour toi un commencement de beauté; et qui te donnera cette beauté, sinon celui qui surpasse en beauté les enfants des hommes?
5. Mais pour t’embellir, j’ose le déclarer, il t’a aimée dans ta laideur. Qu’est-ce à dite qu’il t’a aimée dans ta laideur? «Le Christ, en effet, est mort pour les impies 4 ». Quelle vie ne te réserve pas, quand tu seras justifiée, celui qui est mort même pour les impies? Le voilà donc beau, « le plus beau des enfants des hommes », celui qui était le plus juste des hommes, et qui, venant trouver une épouse difforme, je le dirai, puisque je lé trouve consigné dans les Ecritures, est devenu lui-même difforme. Ce n’est point moi qu’il faut écouter ici, de peur que je n’aie avancé trop légèrement cette parole. Mais en disant que Jésus-
1.
Act. IV, 32. — 2. Matth V, 8.— 3. Ps. CXLVI, 7.— 4. Rom. V, 6.
Christ a aimé son Epouse lorsqu’elle était difforme encore, de peur de parler d’une manière inexacte pour ceux qui aiment le Christ, je me suis appuyé d’un témoignage, et j’ai dit ce qu’a dit l’Apôtre: veux-tu savoir comment il a aimé celle qui était laide encore? « Le Christ est mort pour les impies », De même, comment prouver que le Christ, en venant trouver cette épouse difforme, est devenu lui-même difforme afin de l’embellir: comment le prouver, si 1’Ecriture elle-même ne venait à mon aide, en disant tout d’abord qu’ « il est supérieur en beauté aux enfants des hommes? » Et c’est encore dans l’Ecriture que je lis: « Nous l’avons vu et il n’avait ni apparence, ni beauté 1 ». D’une part, « c’est le plus beau des enfants des hommes»; d’autre part, « nous l’avons vu, et il n’a ni apparence, ni beauté ». Le Prophète ne dit point: Nous ne l’avons pas vu, et dès lors, nous ne savons s’il avait apparence ou beauté; mais « nous l’avons vu», dit-il, « et voilà qu’il n’avait ni apparence ni beauté ». Où donc l’a vu le Prophète qui nous dit: « Il surpasse en beauté tous les enfants des hommes? » Et où l’a vu celui qui dit: « Il n’avait ni apparence ni beauté? » Ecoutez où l’a vu celui qui le proclame « le plus beau des enfants des hommes: étant Dieu par nature, il n’a pas craint de se dire égal à Dieu 2 ». Il est donc bien supérieur aux hommes, puisqu’il est égal à Dieu. Je le comprends donc, je sais où l’a vu celui qui a dit: « Il surpasse en beauté tous les enfants des hommes ». Où l’ai-je vu, me dit le Prophète? Mais « dans la forme de Dieu ». Où donc l’as-tu vu, ô Prophète, dans la forme de Dieu? Comment le voir en la forme de Dieu? « Les perfections invisibles deviennent compréhensibles par tout ce qui est visible 3 ». Tout cela est fort bien, je comprends maintenant, et celui que tu as vu, et sous quel aspect tu l’as vu, et où tu l’as vu, et par où tu l’as vu. Qui as-tu vu? Notre Epoux. Sous quel aspect l’as-tu vu? « Supérieur en beauté aux enfants des hommes ».Où l’as-tu vu? « En la forme de Dieu». Par où l’as-tu vu? « Par ses ouvrages visibles que l’on comprend». Voyons maintenant ce que dit de lui l’autre Prophète, mais non pas un autre esprit; car ils ne sont pas en désaccord. L’un nous a montré celui qui est supérieur en beauté aux enfants des hommes, que l’autre
1.
Isa. LIII, 2. — 2. Philipp. II, 6. — 3. Rom. I, 20.
nous montre ce que signifie: « Nous l’avons vu, et il n’avait ni apparence ni beauté». Un seul apôtre vient mettre en accord ces deux Prophètes; le résumé de saint Paul rend témoignage à chacun des deux Prophètes. D’une part, il est supérieur en beauté aux enfants des hommes, « Celui qui, étant Dieu par nature, n’a pas cru qu’il y eût usurpation à s’égaler à Dieu 1». C’est que je retrouve encore ce qu’a dit l’autre Prophète, qu’il n’a ni apparence ni beauté: « Il s’est anéanti et a pris la forme de l’esclave; il a paru un homme, semblable aux autres hommes, par tout ce qui a été vu de lui; il s’est humilié, se rendant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix 2». C’est donc avec raison qu’on l’a vu sans apparence ni beauté. C’est avec raison, qu’en face de la croix, ils branlaient la tète,en disant: Est-ce à quoi est réduit ce Fils de Dieu? « S’il est Fils de Dieu, qu’il descende de la croix 3 ». Mais il n’avait alors ni éclat ni beauté. Or, je vous adjure, ô vous à qui déplaît ce Christ, n’a-t-il donc ni éclat ni beauté? O vous, qui branliez la tête devant la croix, qui ne l’affermissiez point dans ce Chef qui y était suspendu? N’est-il pas juste qu’elle soit branlante, la tête de ceux qui lui insultent, jusqu’à ce qu’il soit la tête des insulteurs, lui que l’on insultait alors? Mais voilà qu’il reprend sa beauté, et une beauté incomparable. Tes défis sont bien au-dessous de ce qu’il a fait. « S’il est Fils de Dieu », dis-tu, « qu’il descende de la croix ». Il n’est point descendu de la croix, mais il est sorti du sépulcre.
6. Donc, ô mon âme, tu ne peux être belle, qu’en faisant l’aveu de ta laideur à celui qui est toujours beau, et qui, pour un temps, ne l’a pas été pour toi; qui ne l’était point quand il avait la forme de l’esclave, et qui était beau néanmoins dans la forme de Dieu. Tu es donc belle, ô sainte Eglise, et c’est toi que le Cantique des cantiques proclame «la plus belle des femmes 4 ». C’est de toi qu’il est dit: « Quelle est celle-ci qui s’élève dans cette blancheur 5? » Qu’est-ce à dire e dans cette e blancheur? » Dans cette lumière, car cette blancheur n’est pas le fard dont se servent les femmes qui veulent paraître ce qu’elles ne sont point; elle n’est point blanche à la manière d’une muraille blanchie 6? car toute
1.
Philipp. II, 6.— 2. Id. 7, 8.— 3. Matth. XXVII, 40.— 4. CIII, V, 9 — 5. Id. VIII, 5, suiv. les Septante. —
6. Act. XVIII, 13.
muraille blanchie sera détruite 1, a dit l’Apôtre, c’est-à-dire l’hypocrisie et la dissimulation. Une muraille blanchie n’est un toit qu’au dehors, une boue au dedans. Ce n’est point ainsi que l’Eglise est blanchie; elle est blanchie parce qu’elle est illuminée, car elle n’est point blanche d’elle-même. « J’ai été tout d’abord un blasphémateur 2», dit saint Paul; et encore: « Nous avons été nous-mêmes, par nature, enfants de colère, ainsi que les autres 3 ». La grâce est donc venue nous éclairer et nous blanchir: ainsi donc, ô sainte Eglise, vous avez été noire, et la grâce vous a blanchie: « Vous étiez autrefois ténèbres, et maintenant vous êtes lumière en Jésus-Christ 4 ». C’est donc de vous qu’il est dit: «Quelle est celle-ci qui s’élève dans sa blancheur? » La voilà dans sa beauté, on peut à peine la contempler. Aussi l’on dit avec admiration: « Quelle est celle-ci qui s’élève dans sa blancheur»; avec tant de beauté, tant de lumière, sans ride et sans tache 5? N’est-ce point celle qui gisait dans le bourbier de l’iniquité? N’est-ce point celle qui gisait dans la fange de l’idolâtrie? N’est-ce point celle qui était souillée par toutes les convoitises, tous les désirs charnels? « Quelle est donc celle-ci qui s’élève dans sa blancheur?» Vois celui qui pour elle est devenu sans apparence, sans beauté, et tu comprendras qu’elle ait tant d’éclat. Si tu es surpris de l’humiliation à laquelle son Epoux s’est réduit pour elle, ne le sois point de la gloire où elle est élevée à cause de lui. Quel n’est point le bonheur de cette Epouse éclatante de blancheur, puisque tendant qu’elle était noire, elle a pu enfanter l’Epoux éclatant de beauté qui est mort pour les impies? Donc, le Seigneur notre Dieu s’est revêtu de confession et de beauté, en se revêtant de l’Eglise: car l’Eglise est confession et beauté. Confession d’abord, beauté ensuite; confession des fautes, beauté dans les bonnes oeuvres, « Vous vous êtes revêtu de confession et de beauté ».
7. « Il se revêt de lumière, comme d’un vêtement 6». Tel est le vêtement de celle dont nous avons dit, qu’« elle n’a ni tache, ni ride». On l’appelle lumière, d’après ces autres paroles: « Vous fûtes autrefois ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur ». Ce n’est donc point en vous, car en vous-mêmes,
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Act. XXIII,3. — 2. I Tim, I, 13. — 3. Ephés. II, 3. — 4. Id. V, 8. — 5. Id. 27. — 6. Ps. CIII, 2.
vous êtes ténèbres, mais c’est dans le Seigneur que vous êtes lumière. Dieu donc « s’est revêtu de la lumière comme d’un vêtement, en étendant le ciel comme une peau ». Le Prophète use de plusieurs figures pour nous montrer comment le Christ s’est revêtu, comme d’un vêtement, de cette Eglise qui est la lumière, comment elle est devenue lumière, comment sans ridé et sans tache, comment elle est devenue belle, comment éclatante pour être le vêtement de son Epoux, en lui demeurant unie étroitement; voilà ce qu’il nous faut écouter. « Il étend les cieux comme une peau ». Je le vois de mes yeux. Qui donc a déployé ce pavillon des cieux que voient nos yeux charnels, si ce n’est Dieu? « Il a étendu les cieux comme une peau », ou à la lettre, avec facilité. Comme on ne saurait faire la moindre voûte sans un grand travail, sans de grandes machines, sans s’appliquer longtemps à vaincre les difficultés, l’Ecriture semble craindre que la vue de ce grand ouvrage de la création ne nous fasse croire à un semblable travail de la part de Dieu. Elle nous donne un exemple de cette facilité, que nous pouvons Plus aisément comprendre, et ne veut point nous laisser croire qu’il a bâti les cieux comme nous bâtissons le toit d’une maison, niais qu’il a étendu les cieux avec la même facilité qu’on déroule une peau. Admirable facilité! et cependant le langage de l’Esprit-Saint est trop lent encore, oui trop lent, dis-je, car Dieu n’a pas étendu les cieux comme tu étends une peau; qu’on mette en effet devant toi une peau avec des rides et des plis; commande-lui de s’étendre, étends-la de ta parole. Je ne puis, me réponds-tu; donc, pour étendre cette peau, tu es loin de cette facilité qui est en Dieu: « Car il a dit, et tout a été fait 1 »; il a dit: « Qu’il y ait un firmament entre les eaux et les eaux, et il en a été ainsi 2 ». Mais pour marquer la facilité de Dieu, dans ses ouvrages, on te donne cette comparaison, à la portée de ton esprit.
8. Toutefois si nous regardons cette expression comme le voile de quelque mystère, si nous frappons contre cette porte fermée, nous trouvons que Dieu étend le ciel comme une peau, pour nous désigner, par le ciel, la sainte Ecriture. Dieu lui a donné tout d’abord une grande autorité dans son Eglise,
1. Ps. CXLVIII, 5 — 2. Gen. I, 6.puis il a fait le reste. Il plaça donc le ciel, et l’étendit comme une peau, et « comme une peau » n’est pas inutile. Il étendit comme une peau la renommée des prédicateurs; ce mot de peau désigne la mortalité; de là vient que les deux premiers hommes, nos deux premiers parents, les premiers auteurs du péché parmi les hommes, Adam et Eve ayant méprisé dans le paradis, et, à la persuasion du serpent, violé le précepte de Dieu, furent assujétis à la mort et chassés du paradis; or, pour leur faire comprendre cet assujétissement à la mort, Dieu les revêtit de tuniques de peau. Ils reçurent donc ces tuniques faites avec des peaux 1. Or, ce n’est qu’aux animaux morts que l’on enlève la peau, qui dès lors figura la mortalité, Mais si le mot de peau signifie ici l’Ecriture, comment Dieu de cette peau a-t-il fait un ciel? « Il étendit le ciel comme une peau ». C’est que les hommes qui nous ont prêché l’Ecriture étaient mortels. Quant au Verbe de Dieu, il est toujours le même, toujours immuable, toujours éternel. Voilà qu’ « au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». L’était-il donc alors, sans l’être iriaintenérit? il l’est, et lè sera toujours. Si donc le Verbe de Dieu est Dieu en Dieu, lis ce Verbe, situ le peux. Diras-tu qu’il est trop relevé, et que tu ne saurais le lire? Le Verbe de Dieu est partout; il atteint avec force, d’une extrémité à l’autre, et s’étend partout à cause de sa pureté 3. « Il était dans ce monde, et le monde a été fait par lui 4». Et en venant dans ce monde, il y était déjà. Car il y est venu dans sa chair, mais sa divinité n’a point cessé d’y être. Pourquoi donc ne saurais-tu lire le Verbe? « C’est que le monde par sa sagesse n’a pu reconnaître Dieu dans les oeuvrés de sa sagesse », bien qu’il fût constitué dans cette même sagesse; car c’est en elle que tout réside, et ce qui s’y soustrait n’est rien; et toi, au milieu de ces oeuvres, tu ne pouvais connaître Dieu par la sagesse humaine. Il fallait donc nécessairement, comme le dit ensuite saint Paul « qu’il plût à Dieu de sauver par la folie de la prédication ceux qui croiront en lui 5». Mais si c’est par la folie de la prédication que doivent être sauvés ceux qui croient, Dieu a donc choisi un moyen mortel; il a mis en
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Gen, III, 21.— 2. Jean, I, 1.— 3. Sag. VIII, 1; VII, 24. — 4. Jean, 1,10.— 5. I Co, 1,
21.
oeuvre des hommes mortels, des hommes qui doivent mourir, il a employé des langues mortelles, à donner des sons mortels; se servant donc d’instruments mortels pour un ministère mortel, il en a fait un ciel pour toi, afin de te montrer dans des choses périssables ce Verbe qui né meurt point, et de te rendre participant de cette immortalité. Moïse vécut, et il mourut. Dieu lui dit: « Va sur la montagne pour y mourir 1 ». Jérémie est mort, et tous les Prophètes sont morts; et les paroles de ces morts, paroles qui étaient moins les leurs que de Celui qui parlait en eux, et qui « étend les cieux comme une peau », ont subsisté jusqu’à nous. Le voilà délivré de cette vie, cet Apôtre qui disait: « Etre délivré et avec le Christ, est pour moi plus avantageux 2 »; il vit maintenant avec le Christ aussi bien que tous les autres Prophètes. Mais par quel moyen nous a-t-il laissé ce que nous lisons de ses écrits? Par ce qu’il y avait de mortel en lui, sa bouche, sa langue, ses dents, ses mains; voilà ce qui a servi à Paul d’instruments pour nous laisser ce que nous lisons: le corps obéissait à l’âme, et l’âme à Dieu; le ciel fut donc étendu comme une peau. Nous qui sommes sous le ciel comme sous la tenture des saintes lettres, nous lisons tant que Dieu la déploie. « Car elle doit être ensuite repliée comme un livre 3 ». Ce n’est point sans raison que l’on compare ici l’Ecriture à un livre, là à une peau. Il y a là pour nous une figure. Quant aux saintes Ecritures, c’est la parole des morts qui s’étend; elle s’étend dès lors comme une peau, et d’autant plus qu’ils sont morts. Car ce n’est qu’après leur mort, que les Prophètes et les Apôtres furent connus. Vivants ils étaient ignorés, ces Prophètes connus pendant leur vie en Judée seulement, et après leur mort dans toutes les nations. La tenture n’était donc point déroulée pendant leur vie; le ciel n’était pas encore étendu de manière à couvrir l’univers entier. « Dieu a déployé le ciel comme une tenture ».
9. « Il couvre d’eau ses parties les plus hautes 4 ». Voilà ce que nous lisons, et ce que l’on peut très-bien prendre à la lettre, Quand Dieu voulut établir le firmament entre les eaux et les eaux, il en fut ainsi1, et il y eut des eaux inférieures pour arroser la terre,
1. Deut. XXXII, 49. — 2. Philipp. I, 23. — 3. Isa. XXXIV, 4.— 4. Ps. CIII, 3.— 5. Gen, I, 6.et des eaux supérieures loin de nos regards mais qui sont un objet de notre foi. « Et que les eaux », dit le Prophète, « qui sont au-dessus des cieux, bénissent le nom du Seigneur car il a dit, et tout a été fait; il a ordonné, et tout a été créé 1 ». Voilà donc le sens littéral de ces paroles, que « Dieu couvre d’eau le plus haut des cieux ». Quel est le sens figuratif? Car nous avons montré que le mot de peau figurait l’Ecriture sainte, l’autorité du Verbe divin, dispersée par des hommes mortels dont la renommée s’est étendue après leur mort. Que signifie donc: «Il couvre d’eau ses «parties les plus hautes?» Quelles hauteurs? Du ciel. Et qu’est-ce que le ciel? La sainte Ecriture. Quels sont les endroits supérieurs de la sainte Ecriture? Que trouvons-nous de plus élevé dans les saintes lettres? Interroge saint Paul: « Je vous montre, dit-il, une voie bien supérieure encore 2». Que peut-il appeler une voie bien supérieure? « Quand je parlerais les langues des hommes et celles des anges, sans avoir la charité, je ne suis qu’un airain sonore, une cymbale retentissante 3 ». Si donc on ne saurait trouver dans les saintes Ecritures rien de supérieur à la charité, comment couvrir d’eau les hauteurs des cieux, si les préceptes supérieurs des saintes Ecritures sont la charité? Ecoute comment: « L’amour de Dieu », dit l’Apôtre, « est répandu dans nos coeurs, par d’Esprit-Saint qui nous a été donné 4 ». Ce mot seul de répandre marque les saintes eaux dans la charité de l’Esprit-Saint. Telles sont les eaux dont il est dit quelque part: « Que vos eaux coulent dans vos rues, et que nul étranger n’y ait part 5». Ces étrangers sont tous les hommes en dehors du sentier de la vérité, soit païens, soit Juifs, soit hérétiques, soit même mauvais chrétiens; ils peuvent avoir des dons nombreux, mais non la charité. Et quel est ce don, mes frères? Ne parlons point des dons du dehors, que partagent les autres hommes, puisque Dieu fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants 6; de ces dons qui viennent de Dieu, à la vérité, biens communs non seulement aux bons et aux méchants, mais encore aux animaux, aux bêtes de somme. Etre, vivre, voir, sentir, écouter, jouir des bienfaits des autres sens, voilà des dons qui viennent de Dieu: mais
1.
Ps. CXLVIII, 4, 5. — 2. I Cor. XII, 31.— 3. Id. XIII, 1.— 4. Rom. V, 5.
— 5. Prov. V, 16, 17. — 6. Matth. V, 45.
voyez avec combien de créatures, et quelles créatures nous les partageons, et auxquelles nous ne voudrions pas ressembler. Les hommes les plus méchants ont aussi l’esprit vif et pénétrant; de vils comédiens ont l’adresse et la souplesse; des voleurs ont de grandes richesses, des méchants ont une femme et des enfants. Ces dons excellents viennent de Dieu, nul n’en doute; mais voyez avec qui tout cela nous est commun. Maintenant jette les yeux sur les dons de l’Eglise. Quelles richesses dans le baptême, dans l’Eucharistie et dans les autres sacrements ! Et néanmoins, Simon le magicien y prit part 1. Quels dons chez les Prophètes ! Et néanmoins Saül, ce roi réprouvé, prophétisa, et il prophétisa quand il persécutait David qui était saint. Il envoie des archers prendre David, et David était alors au milieu des Prophètes, du nombre desquels se trouvait Samuel, ce saint personnage tous furent saisis de l’esprit de prophétie, et prophétisèrent. Mais peut-être est-ce parce qu’ils étaient venus avec de bonnes intentions, par la seule nécessité de leur charge, ou sans vouloir obéir à l’ordre qu’ils avaient reçu. Saül en envoya d’autres qui firent comme les premiers; et si nous leur prêtons les mêmes intentions, voilà que Saül, parce qu’ils tardaient à revenir, y alla lui-même dans sa fureur, ne respirant que le meurtre, et tout altéré d’un sang innocent, qu’il payait d’ingratitude: ce fut alors qu’il fut saisi de l’esprit de prophétie, et qu’il prophétisa 2. Ils n’ont donc point à se vanter, ceux qui ont reçu de Dieu quelques dons, comme le baptême, sans avoir la charité; mais bien, qu’ils pèsent le compte qu’ils doivent rendre à Dieu, puisqu’ils n’usent pas saintement des choses saintes. C’est parmi eux que l’on dira: «Nous avons prophétisé en votre nom ». On ne répondra point: Vous mentez; mais on leur dira: « Je ne vous connais point, retirez-vous de moi, ouvriers d’iniquité 3. Car j’aurais en vain l’esprit de prophétie, je ne suis rien si je n’ai l’esprit de charité 4». Saül prophétisa, et il était un ouvrier d’iniquité. Or, qui fait l’iniquité, sinon celui qui n’a point la charité? « Car la charité est la plénitude de la loi 5 ». Que signifie dès lors: « Il couvre d’eau ses hauteurs? » C’est que, dans toutes les Ecritures, c’est la charité qui est la voie
1. Act. VIII, 13, 18.— 2. I Rois, XIX, 18-24.— 3. Matth. VII, 22, 23, — 4. I Cor. XIII, 2.— 5. Rom. XIII,10.la plus élevée, qui obtient le plus haut rang; qu’il n’y a que les bons pour y arriver; que les méchants n’y ont aucune part; qu’ils peuvent avoir part au baptême, avoir part aux autres sacrements, avoir part aux prières publiques, être dans les murailles de l’Eglise, et dans l’unité extérieure, mais qu’ils n’ont point de part avec nous dans la charité. Telle est la source de tous les biens, la source propre aux saints, et dont il est dit: « Que nul étranger n’ait part avec toi 1». Quels sont les étrangers? tous ceux qui entendent: « Je ne vous connais point ». Puisqu’on ne les connaît point, puisqu’on leur dit: « Je ne sais qui vous êtes », ils sont bien des étrangers. La voie suréminente de la charité est donc proprement pour ceux qui appartiennent au royaume des cieux. Donc le précepte de la charité domine les cieux, domine tous les livres; puisque les livres lui sont subordonnés, puisque c’est pour elle que combat toute langue des saints, tout mouvement des dispensateurs de Dieu, soit de l’intérieur, soit de l’extérieur. C’est donc là une voie suréminente, et c’est avec raison que Dieu couvre d’eau les hauteurs du ciel; car, dans les livres saints, on ne trouve rien de supérieur à la charité.
10. Mais écoute plus clairement encore ce qu’est l’eau. Nous avons dit que la charité est répandue dans nos coeurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné 2. Nous avons dit encore: «Que les eaux coulent dans nos rues 3». Mais, me dira quelqu’un, rien ne dit qu’il faut entendre par là la charité: et s’il plaisait à un autre d’y assigner un autre sens? Souviens-toi seulement de cette parole de l’Apôtre. « La charité est répandue dans nos coeurs ». Comment? « Par l’Esprit-Saint, qui nous a été donné ». Ecoute maintenant le Maître des Apôtres: « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne et qu’il boive ». Qu’il poursuive encore: « Si quelqu’un croit en moi, des fleuves d’eau vive jailliront de ses entrailles ». Qu’est-ce à dire? Que l’Evangéliste nous l’explique « Or, il parlait ainsi de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui: car l’Esprit-Saint n’était pas encore envoyé, parce que Jésus n’était pas encore glorifié ». Donc, mes frères, si l’Esprit-Saint n’était pas encore envoyé, après qu’il fut glorifié par son ascension au ciel, le Saint-Esprit fut envoyé 4, et
1.
Prov. VI, 7. — 2. Rom. V, 5. — 3. Prov. V,
16. — 4. Jean, VII, 37- 39.
les Apôtres furent remplis de cette charité 1, qui fut répandue dans leurs coeurs par l’Esprit- Saint qui leur était donné, parce que les hauteurs des cieux sont couvertes d’eau. Et cela est marqué par l’ascension du Sauveur, qui dut dominer les cieux, et de là répandre la charité. Pour Dieu, en effet, couvrir n’est pas être soutenu par ce qu’il couvre; il soutient lui-même ce qu’il couvre sans le surcharger: si donc il couvre d’eau les cieux, c’est plutôt de manière qu’ils soient soutenus par l’Esprit-Saint. Ce qui soutient est en haut, ce qui est soutenu est en bas; l’un suspend, l’autre est suspendu. Si donc l’un suspend, si l’autre est suspendu, écoute bien que le ciel des Ecritures est suspendu à la charité. Il y a en effet deux préceptes de la charité qui sont très-connus: « A ces deux préceptes sont suspendus la loi et les Prophètes 2. Or, le Seigneur couvre d’eau ses hauteurs ».
11. « Il se fait des nuées une échelle ». On peut très-bien l’entendre à la lettre. Le Seigneur est monté visiblement au ciel. Comment les nuées lui ont-elles servi d’échelle? « Quand il parlait ainsi, une nuée le reçut 3». C’est encore ce qui doit arriver à notre résurrection: « Et ceux », dit l’Apôtre, « qui sont morts en Jésus-Christ ressusciteront les premiers; ensuite nous qui sommes en vie, nous u serons enlevés avec eux sur les nuées, pour aller dans les airs au-devant du Christ; et ainsi nous serons éternellement avec lui 4 ». Voyez les nuées qui sont l’échelle du ciel: je vais vous montrer aussi dans ces nuées l’échelle de cet autre ciel, ou des saintes Ecritures. Qu’est-ce à dire, mes frères? Puisse le Seigneur mon Dieu me mettre au nombre de ces nuées, quelles qu’elles soient. Il sait que je suis une nuée ténébreuse; et cependant regardez comme des nuées tous les prédicateurs de la vérité. Quiconque est assez infirme pour ne point monter à ce ciel, c’est-à-dire à l’intelligence des saintes Ecritures, doit y monter par ces nuées. C’est peut-être ce qui nous arrive à ce moment; si je dis quelque chose d’utile, si mon travail n’est point inutile pour vous, vous montez au ciel des divines Ecritures, ou plutôt vous arrivez à les comprendre, au moyen de ma prédication. Combien était haut le ciel de
1. Act. II, 4. — 2. Matth. XXII, 40. — 3. Act. I, 9. — 4. I Thess. IV, 15, 16.notre psaume ! Nul d’entre vous ne voyait ce qu’il figurait: « Alors celui qui couvre d’eau ses hauteurs, a étendu le ciel comme une tenture ». Cette expression même qu’ « il se fait des nuées une échelle », voilà que notre parole vous l’a fait comprendre autant que Dieu nous en a fait la grâce; car ce n’est point par elles-mêmes que les nuées répandent la pluie. Montez donc, mes frères, montez par l’intelligence, et que cette intelligence porte en vous ses fruits; ne soyez point comme cette vigne dont le Prophète a dit: « Je commanderai aux nuées de ne point pleuvoir sur elle 1». Dieu accusait cette vigne de lui donner des épines au lieu de raisins, et de ne point lui rendre un fruit proportionné à ses pluies douces. Car entendre le bien, et faire le mal, c’est recevoir une pluie douce, pour produire des épines. Ne nous imaginons pas; mes frères, que Dieu parle ici d’une vigne terrestre et visible. Pour empêcher en effet que l’obscurité de cette comparaison ne serve de voile à l’iniquité, le Seigneur a exposé par la bouche de son Prophète ce qu’il entendait par cette vigne, et il a dit: « Cette vigne du Seigneur des armées, c’est la maison d’Israël ». Pourquoi, hommes d’iniquité, jeter vos coeurs sur les montagnes et les coteaux des vignerons? Je sais, dit le Seigneur, de quelle ville je veux parler; je sais où je cherchais des raisins, et n’ai rencontré que des épines. Il est inutile de porter ailleurs vos pensées et vos opinions, sans vouloir comprendre, afin de ne point faire le bien. Car il est écrit aussi: « Il n’a point voulu comprendre, de peur de faire le bien 2». Bannissez donc de vos esprits toutes ces conjectures. « La vigne du Seigneur des armées, c’est la maison d’Israël; et l’homme de Juda, c’est le plan choisi 3»; plan choisi quand il fut planté, plan réprouvé quand il a produit des épines. Direz-vous donc, mes frères, que la maison d’Israël fut la vigne, et que nous ne sommes point la vigne? Ecoutons en tremblant ce qui est dit aux Juifs. Voyez comment l’Apôtre porte l’effroi parmi les branches insérées à propos des branches retranchées 4, et comment, par ces branches retranchées, il nous fait craindre la sévérité, tout en nous signalant la bonté dans les branches insérées. Ne sois donc pas sans fruit au temps de la bonté, afin de ne pas éprouver le châtiment
1.
Isa. V, 6.— 2. Ps. XXXV, 4.— 3. Isa. V, 1-7. — 4. Rom, XI, 20-22.
de l’arbre stérile. Mais je ne suis pas une vigne, me diras-tu. Que devient alors cette parole du Seigneur: « Je suis la vigne, et vous êtes les sarments, mon Père est le vigneron 1? » Que devient ce qu’a dit saint Paul? « Qui plante une vigne sans en recueillir le fruit 2?» Tu es donc une vigne, ô sainte Eglise, et tu as Dieu pour vigneron. Nul vigneron ne peut lui-même arroser sa vigne. Vous donc, mes frères bien-aimés, vous, les entrailles de l’Eglise, les objets de sa tendresse, les enfants. de notre céleste mère, écoutez quand il en est temps. Dieu a menacé cette vigne de la plus terrible vengeance. « Je commanderai aux nuages», dit-il, «de ne point pleuvoir sur elle». Et il en fut ainsi. Les Apôtres vinrent aux Juifs qui les méprisèrent, et ils répondirent: « Nous étions envoyés vers vous, mais comme vous repoussez la parole de Dieu, nous allons chez les nations. 3» Voyez comment le même esprit de Dieu, qui habite au fond de leur coeur et leur enjoint ce qu’il lui plaît, commande ici aux nuées du Seigneur de ne point pleuvoir sur sa vigne, parce qu’elle a donné des épines 4, au lieu des raisins qu’il attendait. C’est pour cela qu’il s’est fait des nuées une échelle, et qu’il a déployé le ciel comme une tenture. Ne cherchons pas davantage: l’autorité des Ecritures englobe toute la terre, les nuées ne cessent de verset’ leurs eaux, on prêche la parole de la vérité, on éclaircit tout ce qui est obscur, afin que vos coeurs se fassent des nuées une échelle. Voyez comment vous devez croire, voyez comment vous devez recevoir cette parole. Après la prédication viendra le juge, après les semailles viendra celui qui doit recueillir. « Il se fait des nuées une échelle ».
12. « Il marche sur les ailes des vents». Il est difficile de prendre ceci à la lettre, Quelles sont ces ailes des vents? Allons-nous, comme dans les peintures, nous représenter les vents qui volent, qui ont des ailes? Il n’y a d’autres vents, mes frères, que ceux que nous sentons, un mouvement, une agitation de l’air, qui pousse avec effort ce qu’il rencontre. Quelles sont les ailes des vents? Quelles sont même les ailes de Dieu? Et néanmoins, il est dit: « Ils espéreront à l’ombre de vos ailes 5 ». Essayons donc de prendre ces paroles à la lettre, comme un fait particulier à cette créature.
1. Jean, XV, 1, 5.— 2. I Cor. IX, 7.— 3. Act. XIII, 46.— 4. Isa. V, 4 — 5. Ps. XXXV, 8.L’Ecriture a signalé quelque part la rapidité de la parole, rapidité dont nous avons déjà parlé dans un autre psaume, où il est écrit « Sa parole court avec rapidité 1 ». Or, chacun le sait, rien n’est plus rapide que le vent. De même alors que la tenture nous marquait tout à l’heure la facilité de Dieu dans ses oeuvres; car rien n’est plus facile pour l’homme que de déployer une tenture: de même ici, pour nous marquer que Dieu ou son Verbe est présent partout, et que la rapidité de ses mouvements ne lui fait rien abandonner, car nous ne connaissons rien de plus rapide que le vent, le Prophète nous dit: « Il marche sur les ailes des vents », c’est-à-dire que sa rapidité l’emporte sur la rapidité des vents: en sorte que nous devons comprendre par les ailes des vents leur rapidité, que surpasse de beaucoup la parole de Dieu. Voilà le sens qui se présente tout d’abord: mais frappons à la porte intérieure, et voyons ce que veut dire le Prophète sous cette figure.
13. Il n’est pas absurde, par les vents, d’entendre les âmes; non que l’âme soit un souffle, mais parce que le vent est invisible, bien qu’il soit corporel et qu’il renverse les corps; néanmoins il se dérobe à la perspicacité de l’oeil humain; notre âme aussi, étant invisible, nous pouvons, sous le nom des vents, comprendre les âmes. De là cette expression, que Dieu souffla l’esprit de vie dans l’homme qu’il venait de former, et que « l’homme eut une âme vivante 2». Le vent peut donc très-bien désigner les âmes dans le sens allégorique. Et toutefois n’allez point croire que ce mot d’allégorie je l’emprunte aux pantomimes certains mots, en effet, parce qu’ils sont des mots, et que la langue les prononce, nous sont communs avec les jeux du théâtre qui n’ont rien d’honnête; mais ces expressions ont un sens dans l’Eglise, et encore un sens au théâtre. Je n’ai rien dit ici que l’Apôtre n’ait dit lui-même, quand, à propos des enfants d’Abraham, il s’écrie: « Tout ceci est une allégorie 3 ». Il y a allégorie quand les paroles semblent nous indiquer un sens, et que l’intelligence en voit un autre. Ainsi, dire que le Christ est l’agneau 4, est-ce dire pour cela qu’il est réellement un agneau? Dire qu’il est le lion 5, est-ce dire qu’il est animal? Dire qu’il est la pierre 6, est-ce dire qu’il en a la
1.
Ps. CXLVII, 15.— 2. Gen. II, 7.— 3. Gal. IV,
24.— 4. Jean, I, 29. — 5. Apoc. V, 5.— 6. I Cor. X, 4.
dureté? Dire qu’il est la montagne 1, est-ce dire qu’il est un monceau de terre? C’est ainsi que beaucoup d’expressions semblent désigner un objet, et en désignent un autre en réalité: telle est l’allégorie. Si l’on croit que j'ai emprunté au théâtre le mot d’allégorie, on peut croire également que le Seigneur a aussi pris au théâtre celui de parabole. Voyez à quoi néus oblige une ville qui a tant de spectacles; je parlerais plus librement à la campagne; et mes auditeurs n’auraient sans doute connu que par les saintes Ecritures le mot d’allégorie, Si donc nous disons que l’allégorie est une figure, il y a allégorie chaque fois qu’un mystère est figuré. Que faut-il dès lors comprendre ici: « Il marche sur l’aile des vents? » Nous avons dit que les vents peuvent très-bien figurer les âmes. Quelles sont les ailes des vents ou des âmes, sinon ce qui leur sert pour s’élever en haut? Or, les ailes des âmes sont les vertus, les bonnes oeuvres, les actions droites. Toutes les plumes forment deux ailes, comme tous les préceptes se résument en deux préceptes. Quiconque aime Dieu et son prochain, a une âme pourvue d’ailes, d’ailes très-libres, et il s’élève par l’amour vers le Seigneur. Quiconque s’embarrasse dans un amour charnel, n’a que des ailes pleines de glu. Si l’âme n’avait des plumes et des ailes, comment dirait-elle en gémissant dans ses tribulations: « Qui me donnera des ailes comme à la colombe? » et encore: « Je volerai, puis me reposerai 2 ». Ailleurs encore: « Où irai-je, pour fuir votre esprit? où fuir devant votre face? Si je monte au ciel, vous y êtes; si je descends au fond des enfers, vous voilà. Si je prends des ailes comme la colombe, je volerai jusqu’aux extrémités de la mer 3». Comme s’il disait: Je ne puis éviter votre colère qu’en prenant les ailes de la colombe, pour voler jusqu’à l’extrémité des mers. Et s’envoler à l’extrémité des mers, c’est étendre ses espérances jusqu’à la fin des siècles, comme l’a dit encore le Psalmiste: « Tout est labeur devant moi, jusqu’à ce que j’entre dans le sanctuaire du Seigneur, et que je comprenne la fin des méchants 4 ». Comment est-il parvenu aux extrémités de la mer, même avec des ailes? « C’est là », répond-il, « que votre main me conduira, que votre droite me fera parvenir 5.
1. Dan. II, 35.— 2. Ps. LIV, 7.— 3. Id. CXXXVIII, 7 -10.— 4. Id, LXIII, 16, 17.— 5. Id. CXXXVII, 10.Même avec mes ailes, je tomberai, si vous ne me soutenez. Les ailes solides, libres. et dégagées de toute glu, sont donc pour les âmes qui observent les préceptes de Dieu, qui ont la charité dans une conscience pure, et une foi sans feinte 1. Mais quels que soient les feux de leur charité, qu’est-ce que cela, en le comparant à cet amour que Dieu avait pour elles, même quand elles étaient embarrassées par la glu? L’amour de Dieu pour nous, surpasse donc le nôtre pour lui. Nos ailes sont notre amour; mais lui « marche sur les ailes des vents».
14. L’Apôtre disait aussi à quelques-uns: « Je fléchis le genou pour vous devant le Père, afin que selon l’homme intérieur, il fasse habiter le Christ en vos coeurs par la foi, afin que vous soyez enracinés et fondés dans la charité ». Il leur donne déjà la charité, il leur donne déjà des plumes et des ailes. «Afin que vous puissiez comprendre», nous dit-il, « quelle est la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur 2 ». Peut-être désigne-t-il ici la croix du Seigneur. C’était une largeur sur laquelle furent étendues ses mains sacrées une longueur qui s’élevait de la terre et où était fixé son corps; une hauteur qui dépassait le bois transversal; une profondeur sur laquelle était affermie la croix, et qui est toute l’espérance de notre salut. Largeur, en effet, signifie bonnes oeuvres; longueur, la persévérance finale; hauteur, l’élévation du coeur, afin que toutes les bonnes oeuvres, par lesquelles nous persévérons jusqu’à la fin, n’aient d’autre motif que l’espérance des récompenses du ciel, et nous donnent ainsi l’ampleur du bien, et la longueur par la persévérance finale. Il y a hauteur en effet à ne point chercher ici-bas sa récompense, mais en haut: de peur qu’on ne nous dise: « En vérité, je vous le déclare, ils ont reçu leur récompense 3». Enfin ce que j’ai appelé profondeur était cette partie de la croix qu’on ne voyait pas, et d’où s’élevait ce que l’on en voyait. Or, qu’y a-t-il dans l’Eglise de caché, et qu’on ne voit point? Les sacrements du baptême et de l’eucharistie. Car les païens voient nos bonnes oeuvres, mais les sacrements leur sont cachés; et toutefois ce qui est visible s’élève sur ce qui ne paraît point, comme c’est de la profondeur de la croix cachée en terre que s’élève cette croix que l’on voit, qui frappe nos regards. Que dit ensuite l’Apôtre?
1. I
Tim. I, 5. — 2. Ephés. III, 14-18, — 3. Matth. VI, 2.
Après avoir ainsi parlé, l’Apôtre ajoute: « Afin que vous connaissiez l’amour de Jésus-Christ qui surpasse toute connaissance 1 ». Et déjà il avait dit: « Afin que vous soyez enracinés et affermis dans la charité de Jésus-Christ ».Vous aimez en effet le Christ, et dès lors vous travaillez en sa croix. Mais l’aimez-vous autant qu’il vous a aimés? Toutefois en l’aimant comme vous l’aimez, vous volez à lui, afin de connaître combien il vous a aimés, c’est-à-dire afin de comprendre l’amour du Christ qui dépasse toute science. Vous l’aimez donc autant qu’il vous est possible, et vous volez autant que vous le pouvez; mais « celui qui marche sur les ailes des vents » s’élève bien au-dessus de ces mêmes ailes.
15. « Il fait des esprits ses messagers, et de ses ministres des feux ardents 2 ». Et cela, bien que nous ne voyions pas les anges: leur présence est dérobée à nos yeux; ils sont les citoyens de cette grande république dont Dieu est le chef. Toutefois nous savons par la foi qu’il y a des anges, et par l’Ecriture qu’ils ont apparu à plusieurs. Nous en sommes certains, et le doute ne nous est pas permis. Or, les anges sont des esprits; mais ils ne sont point des anges par cela même qu’ils sont des esprits; ils ne le deviennent que quand ils sont envoyés; car le nom d’ange désigne un ministère, et non une nature. Tu cherches le nom de cette nature, c’est celui d’esprits; le nom de leur ministère, c’est celui d’anges. Exister, pour eux, c’est être esprits; agir, c’est devenir anges. Voyez en effet dans ce genre humain: homme est le nom de la nature; soldat un nom d’office: homme est le nom qui convient à la nature; héraut celui qui convient à son ministère: c’est-à-dire que celui qui est homme, devient un héraut, mais de héraut on ne devient pas homme. Il en est de même de ces esprits que Dieu créa dès le commencement du monde; il en fait des anges en les envoyant porter ses ordres, et ses ministres sont des feux ardents. Nous lisons en effet qu’il apparut dans un buisson ardent 3, et nous lisons encore qu’il fit tomber du ciel un feu qui exécuta ses volontés. Il fut donc sou ministre en accomplissant ses ordres. Etre feu, c’était là sa nature, accomplir des ordres, c’était pour lui un ministère. On peut donc à la lettre entendre ces paroles des créatures.
1. Ephés. III, 14-19. — 2. Ps. CIII, 4. — 3. Exod. III, 2.15. Mais quel sens leur donnerons-nous dans l’Eglise? Dans quel sens dirons-nous que « Dieu prend des esprits pour ses messagers, et des feux ardents pour ses ministres?» Par ces esprits il faut entendre ceux qui sont spirituels. Or, Dieu se sert de ceux qui sont spirituels, pour en faire ses messagers. « Car l’homme spirituel juge de tout, et ne subit « le jugement de personne 1». Voyez l’homme spirituel devenu ange de Dieu. « Je n’ai pu parler comme à des hommes spirituels, mais bien comme à des hommes charnels 2 ». Il descend de sa hauteur spirituelle pour aller à des hommes charnels, comme un ange du ciel qui vient sur la terre. Quel sens donner à ces ministres qui sont un feu ardent, sinon celui que saint Paul exprime: « Ayez la ferveur de l’Esprit 3?» En sorte que tout homme à l’âme fervente, sera le feu ardent ministre du Seigneur. N’était-ce donc pas un feu ardent que saint Etienne? Quel feu le brûlait? Quel était ce feu qui le portait à prier quand on le lapidait, et pour ceux qui le lapidaient? Dire qu’un serviteur de Dieu est une flamme, est-ce dire qu’il va tout brûler? Qu’il brûle sans doute, mais qu’il, brûle ce qui est paille chez toi, c’est-à-dire que le ministre de Dieu brûle tous tes désirs charnels, en prêchant la parole de Dieu. Ecoute celui-ci: « Que l’homme nous regarde comme les ministres du Christ, et les dispensateurs des mystères de Dieu 4». De quelle flamme n’était-il pas embrasé, quand il disait: « Notre bouche vous est ouverte, ô Corinthiens, notre coeur s’élargit 5 ». Il était alors tout ardent, tout brûlant de charité, et il leur portait cette flamme sacrée. Tel est le feu que le Seigneur promettait d’envoyer sur la terre, quand il disait: « Je suis venu apporter le feu sur la terre 6 ». Il parle du feu comme du glaive 7. Le glaive tranche les affections charnelles, le feu les consume. L’un et l’autre doivent s’entendre de la parole de Dieu, se reconnaître dans son esprit. Laisse-toi brûler par cette parole que tu entends, et vois ce qu’aura lait en loi le ministre de Dieu, « qui fait des esprits ses messagers, et du feu dévorant son ministre ».
17. « Il a fondé la terre sur sa propre base, elle ne sera pas ébranlée de siècle en
1.
I Cor. II, 15.— 2. Id. III, 1.— 3. Rom. XII, 11.— 4. Act. VII, 59. — 5. II Cor.
IV, 1. — 6. II Cor. VI,
11.— 7. Luc, XII, 49.— 8. Matth. X, 34.
siècle 1». Je ne sais s’il serait possible d’adapter ces paroles à notre terre, et si l’on pourrait dire: « Elle ne sera pas ébranlée de siècle en siècle »; puisqu’il est dit d’elle:: « Le ciel et la terre passeront 2 ». Il est difficile d’assigner ici un sens littéral. Cette expression, en effet: « Il a fondé la terre sur sa propre solidité », pourrait nous faire croire à une solidité inconnue qui soutient la terre. Aussi le Prophète a-t-il dit: « Il a fondés, sur quoi? sur la solidité de la terre même, appuyée à son tour sur une base qui nous est peut-être inconnue. Que la création nous dérobe des mystères, cette obscurité, chez les créatures, ne nous dérobera point le créateur; voyons ce qu’il nous est possible, et par ce que nous voyons, aimons et bénissons le Seigneur. Efforçons-nous de chercher ici ce qui est caché sous cette figure. « Il a fondé la terre », et par là j’entends l’Eglise. « La terre est au Seigneur, et tout ce qu’elle renferme »; et par cette terre nous comprenons l’Eglise. Telle est la terre qui a soif, et qui dit dans les psaumes, car une seule parle pour toutes: « Mon âme est sans vous comme une terre sans eau 4». Qu’est-ce à dire, « sans eau? » Une terre qui a soif. Mon âme a donc soif de vous, comme une terre sans eau; car si elle n’est altérée, elle ne peut être bien arrosée. Pour une âme abreuvée, la pluie est un déluge, il faut qu’elle ait soif. « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice 5 ». Qu’elle dise: « Mon âme est sans vous comme une terre sans eau »; comme elle dit ailleurs: « Mon âme a eu soif du Dieu vivant 6 ». Cette terre est donc l’Eglise. Quelle est cette solidité sur laquelle elle est basée, sinon son fondement? Est-ce déroger que d’entendre par cette solidité sur laquelle la terre est basée, ce fondement qui est l’appui de l’Eglise? Quel est ce fondement? « Nul »,dit l’Apôtre, «ne saurait poser un fondement autre que celui qui est posé, et qui est Jésus-Christ ». Voilà donc ce qui nous affermit. Aussi, affermis de la sorte, ne serons-nous pas ébranlés de siècle en siècle; rien n’est plus inébranlable que ce fondement. Tu étais infirme, mais un fondement aussi solide te rassure. Appuyé sur toi-même, tu ne pouvais être solide, mais tu seras toujours ferme, si tu ne t’écartes jamais
1. Ps. CIII, 5.— 2. Matth. XXIV, 35.— 3. Ps. XXIII, 1.— 4. Id. CXLII, 6. — 5. Matth. V, 6. — 6. Ps, XLI, 3. — 7. I Cor, III, 11.de ce fondement. « Il ne sera pas ébranlé de siècle en siècle ». L’Eglise, en effet, est destinée à servir de colonne et de fondement à la vérité 1.
18. « L’abîme est pour lui comme un vêtement; ses eaux dépassent les montagnes. Elles fuiront à votre menace, et seront ébranlées à la voix de votre tonnerre. Les montagnes s’élèvent et les campagnes s’abaissent au lieu que vous leur assignez. Vous leur avez fixé des bornes qu’elles ne dépasseront point, elles ne reviendront point couvrir la terre. Vous envoyez les fontaines dans les vallons; leurs eaux coulent à travers les montagnes. C’est là que s’abreuvent les animaux des champs, l’onagre y étanchera sa soif. Les oiseaux du ciel habiteront leurs bords, et feront entendre leur voix du milieu des rochers. Vous arrosez les montagnes des pluies du ciel, la terre sera rassasiée des fruits que répandent vos mains. Vous produisez le foin pour les animaux, et les plantes pour le service de l’homme. Afin de tirer de la terre le pain, et le vin qui réjouit le coeur de l’homme, les parfums qui embellissent sa face, et le pain qui affermit ses forces. Les arbres des campagnes seront abreuvés, et les cèdres du Liban plantés par le Seigneur. C’est là que les oiseaux font leur nid, le nid des foulques est à leur tête 2». Voilà le ciel étendu; vous voulez, je le crois, y monter par la pensée; et je crois encore que vous en mesurez la hauteur. J’ai voulu, en effet, vous citer plusieurs versets, afin que vous compreniez mieux à quelle hauteur Dieu élève ses mystères. On dédaigne ce que
l’on découvre, quand il est facile de le trouver: aussi la recherche de ces vérités nous est-elle pénible, afin que la découverte en soit plus agréable. Dans tout ce que je viens de dire, mes frères, et que l’on peut prendre à la lettre, peut-on aussi prendre à la lettre cette parole: « C’est là que les oiseaux feront leurs nids, le nid des foulques est à leur tête? » La famille de la cigogne est-elle à la tête des oiseaux? ou bien serait-elle à la tête des cèdres? Car il y a dans le texte: « Et les cèdres du Liban qu’il a plantés, c’est là que les oiseaux feront leur nid, et le nid des foulques est à leur tête ». Toutefois le latin ne nous permet pas de traduire comme s’il
1.
I Tim. III, 15. — 2. Ps. CIII, 6-17.
y avait « de ces cèdres »; puisque dans cette langue « ces » est masculin, tandis que « cèdres » est féminin. Comment alors la famille des foulques est-elle à la tête des passereaux? Cela ne peut se dire de l’oiseau que nous avons sous les yeux. Le mot « foulques »ou fulicae désigne des oiseaux de la mer ou des étangs. Prenons pour la maison des foulques, domus fulicae, leur nid: comment le nid des foulques est-il un guide pour les oiseaux? Pourquoi l’Esprit-Saint mêle-t-il aux choses -visibles des choses qui paraissent absurdes, sinon pour nous forcer à chercher un sens spirituel, quand nous ne pouvons accepter le sens littéral?
19. Si donc vous voulez par l’intelligence vous élever jusqu’au ciel, à ce pavillon que Dieu a déployé, si Dieu fait monter cette intelligence au-dessus des nuées; cette nuée qui vous parle est impuissante à vous expliquer aujourd’hui tant de choses. Epargnez sinon votre faiblesse, du moins la mienne. L’avidité que vous témoignez me fait croire que vous seriez toujours prêts; mais il est ici deux points que nous ne saurions dédaigner, notre faiblesse corporelle, et le souvenir de ce que nous expliquons, voilà ce qui est à considérer. En attendant, réfléchissez à ce que vous avez entendu. Qu’ai-je dit? Digérez votre nourriture, et vous serez ainsi des animaux purs, propres aux festins du Seigneur. Remarquez par vos oeuvres le fruit que vous recueillez; car c’est mal digérer que bien entendre, et ne pas bien faire; et Dieu ne cesse de nous donner une nourriture solide. Or, chacun sait que nous rendrons compte du pair! que nous avons reçu, et que nous distribuons. Votre charité le sait très-bien, l’Ecriture n’est pas sans nous en avertir, et Dieu ne nous flatte point. Voyez avec quelle liberté nous vous parlons, du lieu où nous sommes: et quand moi-même, quand ceux qui vous parlent de ce lieu serions moins libres, la parole de Dieu ne redoute personne. Pour nous, que nous soyons sous le coup de la crainte, ou en pleine liberté, nous devons prêcher Celui qui ne craint personne. C’est une grâce qui vous vient de Dieu et non des hommes, que vous entendiez cette parole si libre par la bouche d’hommes qui sont timides. Au jugement de Dieu, vous n’aurez aucune excuse, si vous ne vous appliquez à l’exercice des bonnes oeuvres, et ne portez unfruit proportionné aux paroles que nous répandons sur vous comme une pluie céleste. Ce fruit proportionné consiste dans les bonnes oeuvres: ce fruit proportionné est un amour sincère non seulement de vos frères, mais aussi de vos ennemis. Ne méprise aucun suppliant; et si tu ne peux lui donner ce qu’il te demande, au moins, ne le méprise pas. Si tu peux le lui donner, donne-le; situ ne le peux, sois du moins affable. Dieu couronne la volonté intérieure, quand il ne voit pas en nous le pouvoir. Que nul ne dise: je n’ai rien. Ce n’est point d’un coffre que la charité tire ce qu’elle donne: mais tout ce que nous disons, tout ce que nous avons dit, tout ce que nous pouvons dire encore, ou nous, ou ceux qui viendront après nous, ou ceux qui nous ont précédé, tout cela n’a d’autre but que la charité car la fin de la loi c’est la charité émanant d’un coeur pur, d’une conscience irréprochable, d’une foi sans feinte 1. En priant Dieu, interrogez vos coeurs, et voyez comment vous récitez ce verset: « Pardonnez-nous nos
1. I
Tim. I, 5.
offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés 1». On ne prie point, si l’on ne fait cette prière; Dieu n’exauce point, si l’on récite une autre prière, parce qu’elle ne nous a pas été enseignée par le jurisconsulte qu’il nous a envoyé. Il faut donc nécessairement que toutes les paroles que nous ajoutons, soient réglées sur cette prière, et qu’en récitant les paroles, nous comprenions ce que nous disons, parce que Dieu a voulu la rendre claire. Si donc vous ne priez point, vous n’avez point l’espérance; si vous priez autrement que le maître a enseigné, vous ne serez point exaucés; et si vous mentez en priant, vous n’obtiendrez point. Il faut donc prier, et en priant dire vrai, et prier comme Dieu nous a enseigné. Bon gré, malgré, il te faut dire tous les jours: « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ». Et veux-tu le dire en toute sûreté? Crois alors ce que tu dis.
1.
Matth. VI, 12.
Dieu nous dérobe quelque peu ses enseignements, afin de nous stimuler à les chercher. Cette lumière dont il est revêtu, c’est l’Eglise; l’eau qui couvre les hauteurs du ciel, c’est la charité; la terre fondée sur la solidité de Dieu, c’est l’Eglise fondée sur le Christ, inébranlable comme lui. C’est encore l’Eglise qui n pour vêtement l’abîme ou les eaux de la persécution qui couvrirent jusqu’aux plus hautes montagnes, c’est-à-dire Jusqu’aux Apôtres qui devenaient invisibles, mais demeuraient inébranlables. Mais la menace de Dieu a dissipé ces eaux de la persécution, et les empereurs sont devenus chrétiens. Dieu qui fait les montagnes et les vallées, a renversé l’orgueil des persécuteurs qui ne prévaudront plus. Alors les eaux de la doctrine couleront du milieu des montagnes, c’est-à-dire que les docteurs auront une doctrine commune, et n’enseigneront rien qui leur soit propre. Quiconque parle de lui-même aboutit au mensonge.
1. Je sais que vous me regardez comme votre débiteur, non par nécessité, mais ce qui est bien plus fort, par la charité. Je suis donc redevable tout d’abord au Seigneur notre Dieu, qui habite en vous, et qui exige de moi cet acquittement; ensuite à mon seigneur et Père qui est présent, qui m’ordonne de parler, et qui prie pour moi: enfin à la sainte violence qui vous porte à me faire parler, dans mon état de faiblesse. Néanmoins autant que me le permettra le Seigneur, qui daignera me donner des forces, selon la prière que vous lui en faites, puisque nous avons expliqué l’autre jour la première partie de ce psaume, j’entreprends de vous expliquer la suite, et d’en finir avec la grâce de celui au nom de qui j’ai commencé. Vous, qui étiez présents, j’avais averti votre charité, des (519) figures mystérieuses qui composent le psaume tout entier, parce que le plaisir de trouver est proportionné a la peine de chercher. Dieu ne veut point nous les dérober par l’obscurité, mais les assaisonner par la difficulté; afin, comme nous l’avons dit plusieurs fois, d’ouvrir à ceux qui demandent, de faire trouver à ceux qui cherchent, et entrer ceux qui frappent 1. Mais nous avons besoin de votre part d’un silence plus profond, d’une plus grande patience, afin que le peu que nous avons à dire ne nous prenne plus de temps à cause du bruit. Notre temps est restreint, et nous devons nous borner, votre charité sait bien qu’il nous faut assister aux obsèques d’un fidèle. Ne nous forcez donc point de répéter ce qui est dit, d’expliquer de nouveau les premiers versets. Si quelques-uns y ont manqué, je n’y puis rien. Peut-être leur sera-t-il bon de ne pas bien comprendre ce que comprendront facilement ceux qui m’ont entendu, afin qu’ils apprennent à se trouver à nos assemblées. Parcourons donc le psaume.
2. « Bénis le Seigneur, ô mon âme 2 ». Que l’âme de chacun de nous, devenue une seule âme dans le Christ, répète aussi: « Seigneur, mon Dieu, vous avez été grandi à l’excès ». Comment grandi? Parce que « vous vous êtes revêtu de confession et de beauté».Offrez donc à Dieu cette confession, afin d’être embellie, afin qu’il vous revête « celui qui s’environne de lumière comme d’un vêtement 3 », qui s’est revêtu de son Eglise, et lui a donné La splendeur de la lumière, à elle qui par elle-même était ténèbres, selon cette parole de l’Apôtre: « Autrefois vous étiez ténèbres, aujourd’hui vous êtes lumière en Jésus-Christ 4. C’est lui qui étend le ciel comme un pavillon ». C’est-à-dire, dans le sens littéral, aussi facilement que tu étends une peau; ou bien par cette peau qui figure la mortalité, nous pouvons entendre l’autorité des Ecritures qui couvre le monde entier; et cette autorité des Ecritures nous est venue par des hommes mortels dont la renommée s’étend après leur mort.
3. « Lui qui couvre d’eau ses hauteurs 5». Les hauteurs de quoi? du ciel. Qu’est-ce que le ciel? Nous avons dit qu’en figure c’est l’Ecriture sainte. Quelle est la partie supérieure des saintes Ecritures? Le précepte de
1.
Matth. VII, 7, 8. — 2. Ps. CIII, 1. — 3. Id. 2.— 4. Ephés. V, 8.— 5. Ps. CIII, 3.
la charité qui domine tout. Pourquoi comparer la charité à des eaux? « Parce que l’amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné 1». Comment le Saint-Esprit est-il désigné par l’eau? Parce que « Jésus était là criant et disant: Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive. Celui qui croit en moi verra des fleuves d’eau vive sortir de ses entrailles ». Comment prouver que cela s’applique au Saint-Esprit? Que l’Evangéliste nous le dise lui-même, lui qui ajoute: « Or, il parlait ainsi de l’Esprit-Saint que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui 2». « Il marche sur les ailes des vents», c’est-à-dire sur les vertus des saintes âmes. Qu’est-ce que la vertu de l’âme? La charité. Or, comment Dieu marche-t-il sur la charité? Parce que la charité de Dieu pour nous, est bien supérieure à la nôtre pour lui.
4. « Il prend des esprits pour ses anges, et la flamme ardente pour ministre 3 »; c’est-à-dire qu’il se fait des messagers, de ces hommes qui sont des esprits, qui sont spirituels et non plus charnels, en les envoyant prêcher son Evangile. « Et la flamme ardente est son ministre». Car si le prédicateur ne brûle du feu sacré, il ne peut l’allumer chez les autres.
5. « Il a fondé la terre sur sa propre solidité 4 ». II a affermi !‘Eglise sur la solidité de l’Eglise. Qu’est-ce que la solidité de l’Eglise, sinon la base de l’Eglise? Et quelle est la base de l’Eglise, sinon celle dont parle l’Apôtre: « Nul ne peut poser un fondement autre que celui qui a été posé, et qui est le Christ Jésus 5? » Dès lors, appuyée sur une semblable base, qu’a-t-elle mérité d’entendre? « Elle ne sera point ébranlée dans la suite des siècles: il a fondé la terre sur sa propre solidité », c’est-à-dire affermi l’Eglise sur le Christ qui en est le fondement. L’Eglise sera ébranlée, si ce fondement est ébranlé: mais comment serait ébranlé ce Christ qui, avant de venir à nous et de prendre notre chair, « avait tout fait, et rien n’avait été fait sans lui 6», qui embrasse tout dans sa majesté, et nous dans sa bonté? Mais le Christ est immuable, et dès lors l’Eglise « ne sera point ébranlée de siècle en siècle». Où sont-ils, ces hommes qui nous disent qu’elle a disparu du monde, cette Eglise qui ne peut même pas être ébranlée?
1. Rom. V, 5.— 2. Jean, VII, 37-39.— 3. Ps. CII, 4. — 4. Id. 5.— 5. I Cor. III, 11. — 6. Jean, I, 3.6. Mais d’où le Seigneur a-t-il commencé à parler de cette Eglise, à en jeter les bases, à la révéler, à la manifester, à la répandre? D’où a-t-il commencé cet ouvrage? Qu’y avait-il auparavant? « Car il a fondé la terre sur sa stabilité, et de siècle en siècle elle ne sera point ébranlée. L’abîme est comme son vêtement 1 ». De qui? de Dieu peut-être? Mais déjà le Psalmiste a dit, à propos de ce vêtement: « Il est revêtu de lumière comme d’un manteau ». J’entends par là que Dieu est revêtu de lumière, et cette lumière c’est nous, si nous le voulons, Qu’est-ce à dire, si nous le voulons? Si déjà nous ne sommes plus ténèbres. Si donc Dieu est revêtu de lumière, à qui l’abîme servira-t-il de vêtement? On appelle abîme l’immense quantité des eaux: toutes les eaux, tout l’humide élément, toute la substance répandue dans les mers, dans les fleuves, dans les réservoirs cachés, prennent le nom générique d’abîme. Nous comprenons de quelle terre le Prophète a dit: « Il a fondé la terre sur sa propre solidité; elle ne sera point ébranlée de siècle en siècle ». C’est d’elle qu’il dit aussi: « L’abîme l’environne comme son vêtement ». Car l’eau est pour la terre comme un vêtement qui l’environne et qui la couvre. Mais il est arrivé pendant le déluge que ce vêtement de la terre s’est élevé jusqu’à la couvrir entièrement, jusqu’à surpasser les plus hautes montagnes de quinze coudées 2, au témoignage de l’Ecriture. C’est peut-être ce temps du déluge qu’avait en vue le Prophète, lorsqu’il dit: « L’abîme est pour elle comme un vêtement ».
7. « Les eaux s’élèveront au-dessus des montagnes »: c’est-à-dire ce vêtement de la terre, qui est l’abîme, s’est élevé au point que les eaux couvraient les montagnes. Nous l’avons lu, dis-je, à l’occasion du déluge. Est-ce là ce que dit le Prophète? Parle-t-il du passé, ou annonce-t-il l’avenir? S’il parlait du passé, il ne dirait pas: « Les eaux s’élèveront sur les montagnes »; mais bien, les eaux se sont élevées. Nous voyons que l’Ecriture emploie souvent le passé pour le futur, puisque l’Esprit de Dieu voit l’avenir comme s’il était présent. De là vient que, dans un autre psaume, nous lisons comme un récit de l’Evangile: « Ils ont percé mes mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os, et ont jeté le sort sur mes vêtements 3». Tout cela, que
1.
Ps. CIII, 6 — 2. Gen, VII, 20. — 3. Ps. XXI, 17-19.
l’on prévoyait pour l’avenir, est consigné comme un fait accompli. Mais, hélas! que peuvent nos faibles efforts? Où peut aboutir notre travail? Et quand pouvons-nous examiner suffisamment, pour affirmer que tel est le sens du Prophète? Nous voyons donc souvent les Prophètes employer le temps passé pour annoncer l’avenir; mais je rencontre difficilement dans mes lectures le futur au lieu du passé. Je n’ose pas affirmer que cela n’est point; j’indique seulement aux hommes, qui aiment les saintes Ecritures, un point à rechercher. S’ils en trouvent des exemples, qu’ils me les apportent; et dans une vieillesse surchargée d’occupations, nous applaudirons à la jeunesse qui voudra bien employer ainsi ses loisirs, et nous profiterons de leurs travaux. Nous ne témoignerons aucun dédain, puisque le Christ se sert de tous pour nous instruire. Le Prophète s’écrie donc: « Les eaux s’élèveront au-dessus des montagnes», pour nous annoncer l’avenir, et non pour raconter le passé, et il parle ainsi pour nous désigner l’Eglise, qui doit être sous le glaive des persécutions. Il fut un temps, en effet, où les eaux de la persécution couvrirent la terre de Dieu, l’Eglise de Dieu, et la couvrirent au point que les grands eux-mêmes, ou les montagnes, n’apparaissaient point, Quant ils fuyaient çà et là, coin. ment eussent-ils pu paraître? C’est peut-être à propos de ces eaux qu’il est dit: « Sauvez-moi, mon Dieu, parce que les eaux ont pénétré jusqu’à mon âme 1 ». Ces grandes eaux, qui forment la mer, sont turbulentes et stériles, et quelle que soit la terre qu’elles viennent à couvrir, elles y causent la stérilité plutôt que l’abondance. Les montagnes donc étaient sous les eaux, puisque les eaux dépassaient les montagnes: les peuples dans leur résistance dominaient l’autorité de ceux qui prêchaient la parole de Dieu avec courage. Les eaux les couvraient, les eaux s’élevaient bien au-dessus d’eux et disaient: Frappez, frappez; et on les opprimait: Eteignez-les, qu’ils dis. paraissent. lis parlaient ainsi et prévalaient sur les martyrs, et les chrétiens fuyaient de toutes parts, et cette fuite rendait les Apôtres invisibles. Comment cette fuite les rendait-elle invisibles? Parce que les eaux s’élevaient au-dessus des montagnes. Les eaux avaient alors une grande puissance. Mais combien dura-t-elle? Ecoute ce qui suit.
1. Ps. LXVIII, 2.8. « Elles fuiront devant vos menaces 1 ». Voilà, mes frères, ce qui est arrivé: les eaux ont fui devant la menace du Seigneur, c’est-à-dire qu’elles ont cessé de couvrir les montagnes. Voilà que Pierre et Paul sont debout; quelle majesté dans ces montagnes ! Vexés jadis par les persécuteurs, ils reçoivent aujourd’hui l’hommage des empereurs. Les eaux ont fui devant la menace de Dieu, car c’est dans la main de Dieu qu’est le coeur des rois, qu’il tourne comme il lui plaît 2; il lui a plu de donner par eux la paix aux chrétiens, et alors s’est élevée dans son éclat l’autorité des Apôtres. Ces montagnes, toutefois, en étaient-elles moins grandes, pour être couvertes d’eau? Cependant, comme Dieu voulut montrer à tous leur grande élévation, afin qu’ils pussent procurer le salut au genre humain; car: «J’ai levé les yeux vers les montagnes, d’où me viendra le secours 3 »: voilà que Dieu par sa menace a mis les eaux en fuite. « Elles trembleront au bruit de votre tonnerre ». Qui ne tremble maintenant à la voix de Dieu qui retentit par les Apôtres, à la voix de Dieu dans les saintes Ecritures, dans ses nuées? La mer s’est calmée, les eaux ont tremblé, les montagnes se sont dépouillées, l’empereur a fait des lois. Mais les eût-il faites, si Dieu n’eût fait entendre son tonnerre? Dieu l’a donc voulu, les princes ont fait des lois, elle calme s’est produit dans l’Eglise. Que nul d’entre les hommes ne s’attribue rien ici; les eaux ont tremblé, mais, « Seigneur, c’est au bruit de votre tonnerre ». Aussitôt qu’il a plu à Dieu, les eaux ont fui, pour ne plus couvrir les montagnes; avant cela, néanmoins, les montagnes étaient sous les eaux, mais inébranlables.
9. « Les montagnes s’élèvent, les campagnes s’abaissent, au lieu que vous leur assignez 4». Le Prophète parle encore des eaux. Nous ne devons point voir ici des montagnes terrestres, ni des campagnes terrestres; mais bien des flots si grands qu’on peut les comparer à des montagnes. La mer fut autrefois agitée, ses flots s’élevèrent comme des montagnes qui couvrirent d’autres montagnes ou les Apôtres. « Mais jusques à quand ces montagnes ont-elles pu s’élever, ces campagnes s’abaisser? » Leur fureur a monté, puis s’est calmée. Dans leur fureur, c’étaient des montagnes; dans le calme, des plaines; Dieu leur a assigné leur
1.
Ps. CIII, 7.— 2. Prov. XXI, 1.— 3. Ps. CXX, 1. — 4. Id CIII, 8.
place. Il est en effet un certain réservoir, où s’en vont, en quelque sorte, tous les coeurs des hommes avec, leur furie. Combien sont aujourd’hui remplis d’eau salée et amère, et néanmoins demeurent calmes? Combien en est-il qui ne veulent point s’adoucir? Quels sont ceux qui ne veulent point s’adoucir? Ceux qui refusent encore de croire au Christ. Mais quel qu’en soit le nombre, quel mal font-ils à l’Eglise? Montagnes autrefois, aujourd’hui ce sont des plaines unies; et pourtant, mes frères, la mer, quel que soit son calme, n’en est pas moins la mer. Pourquoi n’ont-ils maintenant aucune fureur? Pourquoi ne sont-ils plus en délire? Pourquoi renoncer, sinon à détruire notre terre, du moins à la couvrir d’eau? Pourquoi? Ecoutez: « Vous leur avez assigné un terme qu’elles ne dépasseront point; elles ne reviendront point pour couvrir la terre 1 ».
10. Mais depuis que ces flots si amers sont devenus tels que nous pouvons prêcher librement ces vérités, parce qu’il leur a été donné des bornes convenables et qu’ils ne dépasseront point ces bornes, pour venir de nouveau submerger la terre, que se passe-t-il sur la terre? Qu’y fait-on depuis que la mer l’a mise à découvert? Bien que de légères vagues bruissent encore sur la plage, bien que les païens murmurent, j’entends le bruit du rivage, sans redouter le déluge. Que fait-on dès lors, que fait-on sur la terre? « Vous faites couler des ruisseaux dans les vallées».Telle est la réponse du Prophète: Vous faites jaillir « des ruisseaux dans les vallées 2 ».Vous connaissez les vallées, des lieux abaissés dans les terres; aux collines et aux montagnes, on oppose ici, en figures, les vallons et les vallées. Les collines et les montagnes sont les gonflements de la terre; les vallons et les vallées sont les lieux les plus bas. Ne méprisez point les lieux abaissés, car de là jaillissent les fontaines: « Vous faites jaillir les ruisseaux dans les vallons ». Ecoute une montagne: « J’ai travaillé plus que tous les autres», dit saint Paul. On voit là une certaine hauteur: et toutefois, afin de faire jaillir les eaux, il s’abaisse comme une vallée: « Non pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi 3 ». Il ne répugne point à ces montagnes de devenir des vallées; de même que leur hauteur spirituelle les faisait appeler montagnes, de même
1.
Ps. CIII, 9. — 2. Id. 10. — 3. I Cor. XV, 10.
aussi leur spirituel abaissement les fait appeler des vallées. « Non pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi». « Non pas moi », voilà bien le vallon, mais « la grâce de Dieu avec moi», voilà bien la source. « Vous faites jaillir des sources dans les vallons ». C’est de l’Esprit-Saint qu’est dit ce que je citais tout à l’heure: « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive: celui qui croit en moi verra jaillir de ses entrailles des sources d’eau vive. Car il parlait ainsi à cause du Saint-Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui 1». Voyons maintenant s’il y a des vallons, afin que la source jaillisse dans ce vallon. Ecoute le Prophète: « Sur qui reposera mon Esprit, sinon sur l’homme humble, sur l’homme calme, sur l’homme qui craint mes paroles? » Qu’est-ce à dire: « Sur qui reposera mon Esprit, sur l’homme humble et calme? » Où coulera mon eau vive? Dans le vallon.
11. « Les eaux passeront au milieu des montagnes ». C’est jusque-là que le lecteur a parcouru notre psaume, que cela suffise à votre charité. Voilà ce que nous expliquerons, puis nous terminerons au nom du Seigneur. Qu’est-ce à dire: « Que les eaux passeront par le milieu des montagnes? » Nous avons déjà vu que par montagnes on entend ces grands prédicateurs de la parole de Dieu, anges sublimes du Seigneur, quoique revêtus encore d’une chair mortelle, élevés non par leur propre vertu, mais par sa grâce; mais autant qu’il est en eux, ce sont des valions, d’où jaillissent humblement les eaux. « Et ces eaux », dit le Prophète, « passeront au milieu des montagnes»; comme s’il disait que par l’intermédiaire des Apôtres nous viendra la prédication de la parole de vérité. Qu’est-ce à dire, par l’intermédiaire des Apôtres? Une chose intermédiaire est une chose commune, et une chose commune est une chose dont tout le monde vit également, elle est en quelque sorte au milieu, et ne m’appartient pas; elle n’est ni à toi ni à moi, Aussi disons-nous de quelques hommes: La paix règne entre eux, la bonne foi règne entre eux, la charité règne entre eux. Ainsi disons-nous. Qu’est-ce à dire entre eux? Au milieu d’eux. Que signifie au milieu d’eux? Elle leur est commune. Ecoute maintenant le sens de ces eaux au milieu des montagnes.
1.
Isa. LXVI, 2.
La foi leur était commune, et nul n’avait des eaux qui lui fussent propres. Des eaux qui ne sont point au milieu, sont des eaux particulières, qui ne coulent point publiquement; j’aurai la mienne, un autre la sienne; ce que j’ai, ce qu’a cet autre, n’est plus dans le milieu. Il n’en est pas ainsi de la prédication pacifique de la vérité. Mais pour que ces eaux coulent par le milieu des montagnes, écoute le mot d’une montagne: « Que le Dieu de la paix vous donne d’être toujours unis de sentiments 1 ». Et ensuite: « Afin que vous ayez tous un même langage, et qu’il n’y ait aucun schisme parmi vous 2 ». Mes sentiments sont-ils vos sentiments? L’eau coule entre nous. Je n’ai rien à moi, toi rien à toi, Que la vérité ne soit ni à moi seul, ni à toi seul, qu’elle soit à toi et à moi. « Les eaux couleront au milieu des montagnes». Ecoute encore, d’après l’une de ces montagnes, que, « Les eaux doivent couler au milieu des montagnes. Que ce soit moi, que ce soit d’autres, voilà ce que nous prêchons, et ce que vous avez cru 3». C’est avec sécurité qu’il nous tient ce langage: « Soit moi, soit d’autres, voilà ce que nous prêchons, et ce que vous avez cru ». Les eaux coulaient alors au milieu des montagnes, nulles discordes parmi les montagnes au sujet des eaux, tout y était dans l’accord, et dans l’union de la charité. Si quelqu’un prêchait autrement, c’était une eau privée, et non plus une eau du milieu des montagnes. Voyez encore ce qu’a dit celui qui a fait couler les eaux dans les vallons: « Celui qui dit le mensonge, dit ce qui lui est propre 4». Aussi, de peur que l’on ne mette sa confiance dans quelque montagne qui donnerait ses eaux non du milieu, mais d’elle-même, l’Apôtre nous dit: « Quiconque annoncera un Evangile autre que celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème ». Voyez comme il craint que l’on ne mette sa confiance dans la montagne, de peur que cette montagne, se séparant des eaux qui coulent dans le milieu, ne vienne à donner une eau qui lui serait propre: « Quand même ce serait moi ». Quelle montagne peut tenir ce langage? Quelles eaux abondantes coulaient dans ces vallons? mais il voulait que cette eau coulât entre les montagnes, et que les fidèles trouvassent une toi certaine, dans la doctrine que les Apôtres tenaient commune
1. Rom. XV, 5.— 2. I Cor. I, 10.— 3. Id. XV, 11.— 4. Jean, VIII, 44.entre eux. « Quand même ce serait moi », dit-il. O vous, Paul, pourriez-vous prêcher autrement? C’est de Paul qu’il s’agit. « Quand même ce serait moi, ou quand un ange venu du ciel vous annoncerait un Evangile autre que celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème 1». Anathème à toute montagne, anathème à tout ange qui vous prêcherait une autre doctrine. D’où vient cela? Parce qu’il veut couler de lui-même, et non au milieu. Un homme qui a sa chair comme un voile, séparé de la source commune, et réduit au mensonge qui lui est propre, tomberait peut-être ainsi, mais un ange? Un ange, en vérité, le pourrait-il? Si l’on avait écouté dans le paradis terrestre un ange distillant une eau qui lui était propre, nous ne serions point précipités dans la mort. Le précepte de Dieu était une eau coulant pour les hommes au milieu du jardin. C’était une eau dii milieu, une eau en quelque sorte publique, qui s’entretenait sans ruse, ainsi que nous l’avons dit à votre charité, qui coulait limpide, et sans aucune boue. Boire
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Gal. I, 8, 9.
toujours de cette eau, c’était vivre toujours. Survint alors un ange tombé du ciel et devenu serpent, et qui voulait répandre astucieusement ses poisons. Il lança donc son venin, et parla de lui-même, de ce qui lui était propre; car, « c’est parler de son propre, que dire le mensonge »; et nos misérables parents l’écoutèrent pour laisser l’eau commune qui faisait leur félicité. Réduits à ce qui leur était propre, et voulant, dans leur extravagance, devenir semblables à Dieu, (car on leur avait dit « Goûtez du fruit et vous serez comme des dieux 1 »), ils perdirent ce qu’ils avaient reçu, en voulant être ce qu’ils n’étaient point. Puisse, mes frères, ce que nous vous avons dit au sujet de ces eaux, les faire couler de vous-mêmes. Soyez des vallées, communiquez à tous ce que vous avez reçu de Dieu. Que les eaux coulent au milieu, ne les enviez à personne. Buvez, rassasiez-vous, et une fois rassasiés, faites couler. Que la gloire de Dieu soit répandue partout par l’eau qui est commune, et non par le mensonge de quelque particulier.
1.
Gen. III, 5.
Les bêtes des forêts, qui boivent l’eau des vallées, sont les nations qui entrent dans 1’Eglise pour être purifiées par les sacrements, ainsi que nous le montrent et l’arche de Noé qui renfermait des animaux purs et des animaux impurs, et le linceul de saint Pierre renfermant aussi des animaux impurs et tenant au ciel par les extrémités. Elles boiront les eaux qui passent ers cette vie, en attendant que le Verbe leur soit donné. L’onagre y vient comme le lièvre, c’est-à-dire les grands esprits comme les faibles, parce qu’il y a des préceptes à la portée de tous. Les oiseaux qui habitent sur les montagnes sont les âmes tout àfait spirituelles, qui se nourrissent de la doctrine des Prophètes et des Apôtres. Elles ne se divisent point non plus que les oiseaux dans le sacrifice d’Abraham, tandis que les animaux étaient divisés, c’est là le symbole du schisme et de l’hérésie, la fournaise du jugement met les uns à droite, les autres à gauche. Pour l’éviter, ressemblons aux oiseaux qui habitent les montagnes, les rochers, ou le Christ; c’est de là qu’ils prêchent. Dieu donne la rosée de sa parole, ils la répandent en se proportionnant aux simples; delà cette terre arrosée de la grâce de Dieu. C’est lui encore qui produit le foin pour les animaux, et par là le salaire pour les ouvriers évangéliques, l’herbe pour la servitude de l’homme ou la substance pour ceux qui ne font serviteurs de tous par la charité et l’humilité, que ne connaissaient point d’abord ni Pierre ni les fils de Zébédée. Donnons la subsistance aux prédicateurs: le Seigneur eut une bourse pour recueillir et pour donner, se proportionnant à ceux qui devaient demander, comme il pâlit devant la mort pour se mettre au niveau de nos craintes. Dieu tire de la terre ou des ouvriers évangéliques, ta pain et le vin ou le Christ, et la grâce qui donne l’éclat des vertus. Les cèdres du Liban sont les grands du monde, et ils sont plantés par le Seigneur, quand ils deviennent chrétiens parfaits. Ces passereaux sont les lares ferventes qui abandonnent leurs biens si elles possèdent, leurs espérances et leurs désirs du l’être s’ils sont certaine Pierre et André. Ces âmes font leurs nids sur les cèdres, c’est-à-dire dans les monastères ou dans les Eglises que bâtissent les riches du monde. La foulque les guide, elle qui établit sur les rochers des mers, ou sur le Christ, un nid bas et solide. C’est encore au Christ que s’attachent les passereaux. Les cerfs des montagnes sont les plus élevés dans la spiritualité; mais il y a aussi le hérisson couvert d’épines ou de péchés légers, qui trouve son asile dans la pierre, qui devient ainsi avantageux pour tous. La lune est l’image de l’Eglise, qui semble croître et renaître comme les générations. Le soleil c’est le Christ qui se lève pour ceux qui comprennent la charité, mais non pour l’impie; il connaît son couchant, c’est-à-dire qu’il a bien voulu mourir. La nuit alors se ferma sur les Apôtres, et les lionceaux demandèrent leur proie, c’est-à-dire que le diable demanda de les cribler, comme il demanda de tourmenter Job. Mais il doit demander, car tout pouvoir vient de Dieu. Mais à mesure que le jour se fait, les lions s’étendent dans leurs tanières, ou cessent de persécuter l’Eglise; l’homme ou le chrétien fait son oeuvre, et la terre est remplie des créatures de Dieu par son Christ, ou d’hommes renouvelés par la grâce.
1. Votre charité n’a point oublié que nous vous sommes redevables de ce qui reste du psaume; je n’ai donc besoin d’aucun exorde pour stimuler votre attention. Je vous vois tous en suspens, dans le désir de comprendre les mystères qu’il renferme, et il n’est aucunement nécessaire de faire naître chez vous une attention que le Saint-Esprit a fait naître lui-même. Allons donc à ce qui nous presse. Nous avons déjà parlé des ruisseaux qui coulent dans les vallées, et des eaux qui coulent au milieu des montagnes: c’est là que j’en suis demeuré, là qu’il nous faut reprendre.
2. Voici ce qui suit: « Les bêtes de la forêt boiront 1». Que boiront-elles? Les eaux qui coulent au milieu des montagnes. Que boiront-elles? Ces eaux qui coulent dans les vallées. Qui boira? Les bêtes de la forêt. Cela se voit à la lettre dans les créatures; les bêtes de la forêt boivent aux fontaines et aux ruisseaux
1.
Ps. CIII, 11
qui coulent entre les montagnes; mais comme il a plu à Dieu de nous présenter sous des figures les secrets de sa sagesse, non pour les dérober à une sainte curiosité, mais pour fermer aux paresseux une entrée qu’il ouvre seulement à ceux qui frappent; il a plu à ce même Dieu de vous exhorter par notre bouche à chercher dans ces créatures corporelles et visibles, dont il est ici question, le sens spirituel qui s’y cache, et dont la découverte fera notre joie. Par les bêtes de la forêt, nous entendons les nations, et l’Ecriture en donne plusieurs témoignages. Deux passages surtout nous paraissent très-évidents. Dans l’arche de Noé, qui est sans aucun doute la figure de l’Eglise, Dieu n’aurait pas fait enfermer toutes sortes d’animaux 1, s’il n’eût voulu marquer que tous les peuples seraient ralliés dans cette admirable unité; à moins peut-être que nous ne venions à croire que si
1. Gen. VII, 2, 14tous ces animaux étaient détruits par le déluge, Dieu ne pût ordonner à la terre de les reproduire, comme elle en avait produit tout d’abord à sa parole 1. Ce n’est donc pas en vain, ce n’est pas sans raison, ce n’est par aucun besoin, ni par impuissance que Dieu fit enfermer les animaux dans l’arche. Au temps marqué, en effet (car il faut bien produire l’autre témoignage de l’Ecriture, qui a aussi son évidence), au temps marqué, afin d’accomplir dans l’Eglise ce qui était figuré dans l’arche, comme l’apôtre saint Pierre hésitait à livrer aux incirconcis de la gentililé les mystères de l’Evangile, et même comme, sans hésiter, il ne croyait devoir le faire aucunement; un jour qu’il avait faim, et qu’il voulait manger, il monta pour prier. Voilà ce que comprennent ceux qui lisent l’Ecriture, et qui savent nous écouter. Or, pendant qu’il priait, il eut un ravissement d’esprit, appelé extase chez les Grecs; c’est-à-dire que son âme fit taire tout ce qui est corporel, et loin des choses présentes, s’adonna à contempler ce qu’elle voyait. Ce fut alors qu’il vit un certain vase, semblable à un linceul, suspendu par ses quatre coins, qui descendait du ciel en terre, et qui renfermait des animaux de toutes les espèces; et une voix se fit entendre: « Pierre, tue et mange». Mais Pierre, instruit dans la loi, et qui avait grandi dans les coutumes des Juifs, qui observait les préceptes de Moïse, sans les avoir jamais enfreints, répondit: « Loin de moi, Seigneur, car jamais rien de commun n’est entré dans ma bouche ». Ceux qui connaissent les saintes Ecritures, savent que commun, pour les Juifs, signifie impur. Or, la voix lui répondit: « N’appelle point impur ce que Dieu a purifié». Cela se répéta trois fois, et le linceul, qui paraissait descendre du ciel, disparut 2. Ce linceul tenait au ciel par les quatre coins, et signifiait les quatre Parties du monde, l’Orient, l’Occident, le Nord, le Midi; et parce que l’univers entier était appelé par l’Evangile, Dieu a suscité quatre évangélistes. Or, ce linceul qui descend trois fois du ciel marque celte parole adressée aux Apôtres: « Allez, baptisez les nations, au nom du Père s et du Fils, et du Saint-Esprit 3» De là aussi ce nombre douze qui fut celui des Apôtres. Car ce n’est pas sans raison que le Christ et voulut avoir douze; et ce nombre était
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Gen. II, 24. — 2. Act. X, 9 -16. — 3. Matth. XXVIII, 19.
tellement sacré, qu’à la place de celui qui était tombé, on ne pouvait se dispenser d’en ordonner un autre. Pourquoi donc douze Apôtres? Parce qu’il y a quatre parties du monde, et que le monde entier est appelé à l’Evangile, de là quatre évangélistes, et tout l’univers appelé au nom de la Trinité à former l’Eglise: or, trois répété quatre fois forme douze. Ne nous étonnons donc plus que toutes les bêtes des forêts viennent boire aux eaux qui coulent au milieu des montagnes, ou à cette doctrine des Apôtres qui coule au milieu de 1’Eglise, par une harmonieuse communion. Toutes étaient en effet dans l’arche, toutes dans le linceul; Pierre a dû les tuer toutes, les manger toutes, parce que Pierre est la pierre, et que la pierre est l’Eglise. Mais qu’est-ce à dire, tuer et manger? Tuer ce qu’elles étaient, les faire passer dans ses entrailles. Détourner le païen du sacrilège, c’est tuer ce qu’il est; l’incorporer à l’Eglise en lui donnant les sacrements du Christ, c’est le manger.
3. Ces bêtes des forêts boivent de ces eaux, mais des eaux qui passent; car toute doctrine que l’on prêche aux hommes est passagère comme cette vie. De là cette parole de l’Apôtre: « La prophétie passera, la science sera abolie ». Pourquoi passeront-elles? « Nous ne voyons qu’en partie, nous ne prophétisons qu’en partie, mais quand sera venu ce qui est parfait, tout ce qui est imparfait disparaîtra 1». Car vous ne croyez pas sans doute que, dans cette ville à laquelle on chante: « Chante le Seigneur, ô Jérusalem bénis ton Dieu, ô Sion; parce qu’il a consolidé les serrures de tes portes 2»; alors que les portes seront fermées et les serrures consolidées, ainsi que nous l’avons dit 3, alors que nul ami ne veut sortir, que nul ennemi ne saurait entrer, vous ne croyez point qu’on y lise des livres, ou qu’on y fasse des discours, comme nous en faisons maintenant. Nous expliquons ici-bas, afin que vous possédiez là haut; ici-bas nous divisons le verbe en syllabes, afin que là haut vous puissiez le contempler dans son intégrité. Sans doute la parole de Dieu ne vous manquera pas; mais elle ne vous arrivera ni par des sons, ni par des lèvres, ni par la lecture, ni par la prédication. Comment donc? Comme le dit l’Evangile.
1. I Cor. XIII, 8-10.— 2. Ps. CXLVII, 12, 13.— 3. Voyez D c. sur le Ps. LXXXIV, n. 10.« Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Car il n’est point venu à nous de manière à quitter le ciel, mais: « Il était dans le monde, et le monde a été fait par lui 1». Tel est le Verbe que nous devons contempler. « Le Dieu des dieux apparaîtra en Sion 2 ». Mais quand? Après l’exil de cette vie; si toutefois, après cette vie, nous ne sommes point livrés au juge, et si le juge ne nous jette point en prison. Mais si, après cette vie, nous arrivons à la patrie bienheureuse, comme nous en avons et l’espoir, et le désir, et l’impatience, nous contemplerons alors ce que nous bénirons. Présent à notre amour, il ne voudra point s’y soustraire, non plus que nous en finir; festin sacré, il n’inspirera aucune lassitude, et ne manquera jamais à notre avidité. Ce sera une sainte et ravissante contemplation. Et qui peut en parler dignement ici-bas, quand les eaux coulent au milieu des montagnes? Qu’elles coulent alors, ces eaux, qu’elles coulent au milieu des montagnes; pendant qu’elles s’écoulent, on peut boire dans cet exil, afin de ne point mourir de soif en chemin. « Les bêtes de la forêt en boiront». C’est de là que vous venez, c’est de la forêt que vous avez été recueillis. Et de quelle forêt ! Nul homme ne la traversait, parce que nul prophète n’y avait été envoyé. Mais pour construire l’arche, on a coupé des bois dans la forêt; de là sont venus les bois, de là les bêtes, de là nous tous. Buvez donc, buvez. « Toutes les bêtes des forêts en boiront ».
4. « L’onagre y viendra étancher sa soif ». Par l’onagre le Prophète veut désigner les grands animaux. Qui ne sait pas que l’âne sauvage s’appelle onagre? Il entend par là ceux qui sont grands et insoumis. Les Gentils n’étaient point assujettis au joug de la loi beaucoup de peuples vivaient à leur manière, promenant ça et là leur orgueil audacieux, comme dans un désert. Il est vrai que tous les animaux sauvages vivent de la sorte, mais l’onagre désigne ici quelque chose de grand. Ils viendront donc étancher leur soif, et les eaux couleront pour eux. C’est là que s’abreuve le lièvre, et que s’abreuve l’onagre le lièvre est petit, l’onagre bien plus grand le lièvre est timide, l’onagre féroce; tous deux viennent y boire, mais chacun selon sa
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Jean, I, 1, 10.— 2. Ps. LXXXIII, 8.
soif. L’eau ne dit point: Je suffis au lièvre, pour rejeter l’onagre; elle ne dit pas non plus: Que l’onagre s’approche, mais si le lièvre vient, il sera emporté. Cette eau inspire tant de confiance, coule avec tant de modération, qu’elle abreuve l’âne sans effrayer le lièvre. Voilà qu’on entend la voix sonore de Cicéron, je lis un de ses livres, un de ses dialogues, ou de Platon, ou de quelque autre philosophe. Des ignorants le comprennent-ils? des hommes d’une médiocre intelligence?qui oserait porter si haut ses prétentions? C’est le bruit d’une eau, d’une eau quelque peu trouble, et.qui coule avec tant de rapidité, qu’un animal timide comme le lièvre n’ose y monter pour y boire. Qui, au contraire, a entendu: « Au commencement Dieu fit le ciel et la terre 1, » et n’a osé s’approcher pour boire? Qui entend un psaume, et répond C’est trop élevé pour moi? A la vérité le psaume que nous expliquons est chargé de symboles, et cependant les'enfants mêmes prennent plaisir à l’entendre, Les ignorants s’en approchent pour boire, et nous donner dans leurs chants l’exubérance de cette joie qui les rassasie. Les petits animaux viennent donc à cette eau, comme les grands; mais les grands y puisent davantage, car: «L’onagre y étanchera sa soif ». Que les petits y viennent puiser ce précepte: « Epoux, aimez vos épouses comme le Christ a aimé son Eglise. « Que les femmes soient soumises à leurs maris 2 ». Voilà pour les petits. On dit un jour au Sauveur: « Est-il permis de renvoyer sa femme, pour tout sujet 3? » Le Seigneur le défendit, et dit qu’il n’était point permis. « Ne savez-vous pas », ajouta-t-il, «que Dieu, dès le commencement, fit un homme et une femme? Que l’homme donc ne sépare point ce que Dieu a joint ». Puis il dit encore: « Quiconque renvoie sa femme, si ce n’est pour cause de fornication, la rend adultère, et celui qui épouse la femme renvoyée commet l’adultère 4 ». Il resserre le noeud du mariage, ce qui convient à celui qui en est lié: que ne prenait-il garde avant de se lier? « Etes-vous lié avec une femme? Ne cherchez point à vous en délier. N’avez-vous point de femme? ne cherchez point à vous marier 5 ». Si tu n’es pas encore l’onagre, si tu es dégagé de toute femme, tu
1. Gen. I, 1. — 2. Ephés. V, 24, 25. — 3. Matth. XIX, 3.9. — 4. Id. V, 32. — 5. I Cor. VII, 27.peux boire ici comme le lièvre: et toutefois tu n’as point péché en prenant une épouse. Les disciples, entendant dire au Sauveur, qu’il n’était permis de dissoudre le mariage, que pour le seul cas de fornication, lui demandèrent: « S’il en est ainsi de l’homme à l’égard de la femme, il n’est pas avantageux de se marier ». Et le Seigneur: « Tous ne comprennent point cette parole 1». Il est vrai en effet qu’il n’est pas avantageux de se marier, si telle est la condition de l’homme avec la femme; et pourtant, n’y aurait-il que l’onagre pour boire de ces eaux? Tous rie comprenant point cette parole, ce n’est pas le grand nombre qui la comprend. Qui donc la comprend? « L’onagre y viendra étancher sa soif». Qu’est-ce à dire: « L’onagre y viendra étancher sa soif? » « Que celui qui peut entendre, entende 2 ».
5. Voici comment continue le texte du psaume: « Les oiseaux du ciel habiteront au dessus 3 ». Au-dessus de quoi? des onagres ou plutôt des montagnes? Voici en effet d’où nous devons chercher un sens: « Les eaux couleront au milieu des montagnes; tous les animaux des forêts viendront s’y abreuver; les onagres y boiront à leur soif; et les oiseaux du ciel habiteront au-dessus ». Il paraît plus convenable, d’entendre par là les montagnes, puisque nous voyons en effet cela dans la création. Les oiseaux du ciel habitent sur les montagnes, et non sur les onagres voilà le sens que nous prendrions, si nous y étions contraints. Nous voyons beaucoup d’oiseaux habiter les montagnes, mais il en est beaucoup aussi pour demeurer dans les plaines, beaucoup dans les vallées, beaucoup dans les bois, beaucoup dans les jardins, tous ne sont point sur les montagnes. Toutefois, il y a des oiseaux qui n’habitent que les montagnes seulement. Cette dénomination désigne quelques âmes tout à fait spirituelles. Ces oiseaux désignent ces âmes élevées, qui volent librement en plein air. La joie de ces oiseaux, c’est la sérénité de l’air, et pourtant ils paissent sur les montagnes; c’est là qu’ils habitent, Vous connaissez les montagnes, déjà nous en avons parlé. Les Prophètes sont des montagnes, les Apôtres des montagnes, les prédicateurs de la vérité des montagnes. C’est là que doit habiter quiconque veut être spirituel; qu’il ne s’égare point dans les pensées
1.
Matth, XIX, 10 -12. — 2. Id. 12. — 3. Ps. CIII, 12.
de son coeur; qu’il y habite, qu’il s’y élève par ses efforts. Il y a des oiseaux qui ont une signification symbolique. Ce n’est pas en effet sans raison qu’il est dit: « Votre jeunesse sera renouvelée comme celle de l’aigle 1 ». Ce n’est pas en vain qu’il est dit d’Abraham qu’ « il ne divisa point les oiseaux 2 ». Dans ce sacrifice tout à fait mystérieux, Abraham prit trois sortes d’animaux, un bélier de trois ans, une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans, une tourterelle et une colombe. Il partagea le bélier, et en mit les parties vis-à-vis l’une de l’autre. Il partagea la chèvre, et en mit les parties, l’une vis-à-vis de l’autre; il partagea la génisse, dont il mit les parts dans le même ordre, et l’Ecriture ajoute qu’ « il ne divisa point les oiseaux 2». On remarque aussi que le bélier avait trois ans, la génisse trois ans, la chèvre trois ans: il n’est rien dit de l’âge des oiseaux. Pourquoi, je vous le demande, sinon parce que les oiseaux désignent ces hommes spirituels, qui ne comptent point les années des temps, occupés qu’ils sont des années de l’éternité, et qui s’élèvent au-dessus des choses de cette vie, par la charité, par l’élan de l’esprit? Tels sont les hommes spirituels qui jugent de tout et ne sont jugés par personne 3: de là vient qu’ils ne forment aucune secte ni par le schisme, ni par l’hérésie. Le bélier désigne dans l’Eglise les pasteurs qui conduisent le troupeau. La génisse désigne le peuple juif, qui a porté le joug de la loi, qui lui était pénible. Quant à la chèvre, elle marque l’Eglise venue de la gentilité, qui bondissait en toute liberté dans ses forêts, et s’y nourrissait de bourgeons amers et sauvages. Les trois années de ces animaux, désignent le troisième âge, ou l’âge de la révélation de la grâce. Le premier âge devança la loi, le second suivit la publication de la loi, et le troisième est l’âge actuel, depuis qué l’on nous prêche le royaume des cieux. Eh quoi donc? disons-nous que le bélier ne fut point divisé? Ne s’est-il point trouvé d’évêques fauteurs de schismes et d’hérésies? Si leurs peuples ne s’étaient point divisés, si la génisse, si la chèvre n’eussent pas été divisées, peut-être eussent-ils rougi de leurs divisions, et fussent-ils rentrés dans le bercail. Les chefs se divisent donc, les peuples se divisent, l’aveugle suit l’aveugle, et tous deux tombent dans la fosse 4. Ils sont en face l’un
1. Ps. CII, 5.— 2. Gen. XV, 10.— 3. I Cor. II, 15.— 4. Matth. XV, 14.de l’autre. « Mais les oiseaux ne sont point divisés ». Car les hommes spirituels ne connaissent ni schismes ni divisions. La paix est en eux-mêmes, ils la gardent chez les autres autant qu’ils le peuvent, et quand elle vient à défaillir chez les autres, ils la gardent en eux-mêmes. « S’il y a là un fils de la paix, votre faix reposera sur lui, sinon elle retournera vers vous 1». Cet homme n’est-il pas un enfant de la paix? A-t-il voulu être divisé? Votre paix retournera sur vous, car Abraham ne divisa point les oiseaux. Viendra la fournaise, car Abraham se tint là jusqu’au soir, et alors il éprouva l’invincible terreur du jugement. Car ce soir est la fin du monde, et cette fournaise le jour du jugement à venir. La fournaise divisa aussi ce qui était divisé 2. En passant par le milieu elle voit des parties à droite et d’autres à gauche. Il y a donc des hommes charnels, qui sont néanmoins dans le giron de l’Eglise, d’autres qui vivent d’une certaine manière choisie par eux, et nous font craindre pour eux la séduction des hérétiques. Tant qu’ils sont charnels, ils sont divisibles, « Abraham ne divisa point les oiseaux », mais on divise les hommes charnels. « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais bien comme à des hommes charnels». Et comment leur prouve-t-il que les hommes charnels se divisent? Ecoutez ce qu’il ajoute: « Quand chacun de vous dit: Moi je suis à Paul, moi je suis à Apollo, moi à Céphas, n’êtes-vous point charnels, et ne marchez-vous pas à la manière de l’homme 3? » Je vous en supplie, mes frères, écoutez, et mettez à profit: secouez tout ce qu’il y a de charnel en vous, passez à l’état de colombe et de tourterelle. Car les oiseaux ne furent point divisés. Mais quiconque demeurera charnel, quiconque vivra d’une manière qui convient aux personnes charnelles, sans toutefois se retirer du giron de l’Eglise, ni céder aux séductions de l’hérésie pour passer au parti contraire, la fournaise viendra pour lui, et sans la fournaise il ne peut être mis à droite. S’il ne veut passer par la fournaise, qu’il devienne tourterelle ou colombe. Que celui qui peut comprendre comprenne. S’il n’en est pas ainsi, et « qu’il bâtisse sur le fondement avec du bois, du foin, de la paille »; s’il élève sur le fondement de la foi, l’édifice des convoitises charnelles, mais en conservant le
1.
Luc, X, 6. — 2. Gen. XV, 9-17. — 3. I Cor. I, 12, 13;
III, 1-15.
Christ à sa base, en lui donnant dans le coeur la première place, en ne lui préférant rien autre chose; on supporte ces sortes de personnes, on les tolère: viendra la fournaise qui brûlera 1e bois, le foin et la paille: « Mais lui, sera sauvé, et néanmoins comme en passant par le feu 1». Tel sera l’effet de la fournaise, de mettre les uns à gauche, et ceux qu’elle aura épurés à la droite. « Abraham ne divisa point les oiseaux ». C’est aux oiseaux à voir s’ils sont des oiseaux, à demeurer sur les montagnes. Ils ne doivent point suivre leurs pensées altières comme ceux dont il est dit: « Ils ont ouvert leur bouche contre le ciel 2 ». Qu’ils reposent sur les montagnes pour n’être pas emportés par les vents. Ils ont l’autorité des saints: qu’ils reposent sur les montagnes, sur les Apôtres, sur les Prophètes. C’est là que doivent habiter de tels oiseaux, qui trouvent sur les montagnes des rochers, ou la solidité des préceptes divins, De même en effet que cette pierre unique est le Christ, le Verbe de Dieu, de même plusieurs verbes ou paroles de Dieu, sont plusieurs pierres, et ces pierres sont des montagnes. Vois les oiseaux qui habitent ces lieux: « Les oiseaux du ciel y habiteront».
6. Ne va point t’imaginer, toutefois, que ces oiseaux du ciel suivent leur propre sentiment; vois ce que dit le psaume: « Leurs voix retentiront du milieu des pierres 3». Si je vous disais maintenant: Croyez, voilà ce que dit Cicéron, ce que dit Platon, ce que dit Pythagore, qui d’entre vous ne rirait de moi? Je serais alors un oiseau dont la voix ne retentirait point de la pierre. Que devrait me dire chacun d’entre vous? Que devrait me dire quiconque a entendu cette parole: « Anathème à quiconque vous annonce un évangile autre que celui que vous avez reçu 4?» A quoi bon me parler de Platon, de Cicéron, de Virgile? Tu as devant toi les pierres des montagnes, fais entendre la voix du milieu de ces pierres. « Leurs voix retentiront du milieu des pierres ». Qu’on écoute ceux qui écoutent la pierre; qu’on les écoute, parce que dans toutes ces pierres, c’est la pierre que l’on écoute: « La pierre était en effet le Christ 4 ». Qu’on écoute avec empressement ceux qui font entendre leur voix du milieu des pierres, rien n’est plus mélodieux que
1. I Cor, I, 12, 13; III, 1-15. — 2. Ps. LXXII, 9.— 3. Gal. 1, 9.— 4. I Cor. X, 4.la voix de ces oiseaux. Ils chantent, et les pierres en retentissent: ils chantent, les hommes spirituels ont des colloques spirituels; les pierres en retentissent, l’Ecriture leur rend témoignage. C’est ainsi que les oiseaux font entendre leurs voix du milieu des pierres, et habitent les montagnes.
7. Mais à ces montagnes et à ces pierres d’où vient la voix? Pour avoir la rosée des saintes Ecritures, nous avons recours à l’apôtre saint Paul. Mais à lui d’où vient cette rosée? Nous recourons à Isaïe. Mais où Isaïe va-t-il la puiser? Ecoute: « De ses hauteurs Dieu arrose les montagnes 1». Qu’un homme, un païen, un incirconcis vienne à nous, pour embrasser la foi du Christ, nous lui donnons le baptême, sans le ramener aux oeuvres de la loi. Qu’un juif nous demande pourquoi nous en agissons de la sorte, nous faisons retentir la pierre, et nous disons: Voilà ce qu’a fait Pierre, ce qu’a fait Paul, nous faisons retentir nos voix du milieu des pierres. Mais cette pierre, ou plutôt Pierre, la grande montagne, quand il priait et avait sa vision, recevait la rosée d’en haut. L’apôtre saint Paul dit aux Gentils: « Si vous recevez la circoncision, le Christ ne vous servira de rien 2 ». Ainsi dit Paul, cette montagne élevée: voilà ce que nous disons après lui, et parlant du milieu de la pierre. Que Dieu arrose d’en haut cette pierre. Car elle était encore dans la rudesse de l’infidélité, lorsque le Seigneur, pour l’arroser de ses hauteurs, afin qu’il en coulât des eaux dans les vallées, lui cria: « Saul, Saul, pourquoi
me persécutes-tu 3? » Il ne lui lit point un Prophète, il ne lui cite point un Apôtre, une montagne aussi élevée eût dédaigné tout cela; Dieu donc l’arrosa de ses hauteurs, et aussitôt qu’il fut arrosé, il voulut couler: « Seigneur »,dit-il, « que faut-il que je fasse 4? » Prenez cette montagne, prenez cette pierre, d’où vous pouvez faire éclater votre voix, prenez-la, et voyez comme elle est arrosée d’en haut, comme l’eau en jaillit dans les parties basses. Vois ces deux vérités dans un même passage: « Que nous soyons hors de nous-mêmes, c’est pour Dieu; que nous soyons calmes, c’est pour vous 4 ». Ce qu’il dit ici: « Nous sommes ravis en esprit », c’est là que vous ne pouvez atteindre. Nous nous
1. Ps. CIII, 13. — 2. Gal. V, 2. —
3. Act. IX, 4. — 4. Id. 6.— 5. II Cor, V, 13.
élevons bien au-dessus de tout ce qui est charnel, tandis que vous êtes charnels encore. C’est donc pour Dieu que nous sommes ravis en esprit, et ce que nous voyons dans ces ravissements, nous ne pouvons le redire. « C’est là que nous avons entendu de ces ineffables paroles, qu’un homme ne peut répéter 1». Quoi donc, diront ces hommes charnels, ces lièvres, ne serons-nous donc point arrosés, nous aussi? rien ne nous arrivera-t-il? Comment alors Dieu fait-il jaillir ses fontaines dans les vallées? Comment ces eaux passeront-elles au milieu des montagnes? C’est à quoi répond saint Paul: « Soit que nous soyons calmes, c’est pour vous ». Pourquoi? Qui voulons-nous imiter en cela? « C’est la charité de Jésus-Christ qui nous presse », dit l’Apôtre. O toi, qui es participant du Verbe, toi spirituel aujourd’hui, hier encore charnel, dédaignerais-tu de te rabaisser jusqu’au niveau des hommes charnels, quand le Christ s’est fait chair pour habiter parmi nous 3?
8. Bénissons donc le Seigneur, et chantons celui qui de ses hauteurs arrose les montagnes. Cette rosée descendra de là sur la terre, et ce qu’il y a de plus bas sera rassasié; car le Prophète ajoute: « La terre sera u rassasiée du fruit de vos oeuvres ». Qu’est-ce à dire, « du fruit de vos oeuvres? » «Que nul ne se glorifie dans ses oeuvres, mais que celui qui se glorifie le fasse dans le Seigneur 4». Si elle est rassasiée, c’est par votre grâce; et qu’elle ne dise point que la grâce lui a été donnée à cause de ses mérites. Si c’est une grâce, elle est donnée gratuitement; si Dieu la donnait en échange des oeuvres, elle serait une récompense 5. Reçois donc gratuitement, puisque d’impie tu es devenu juste. « La terre sera rassasiée du fruit de vos oeuvres ».
9. « Il produit du foin pour les animaux, et des plantes pour le
service de l’homme 6». Cela est
vrai, je le vois, je reconnais la création; la terre produit du foin pour les
animaux, et des plantes pour le service de l’homme. Mais le Seigneur a d’autres
animaux désignés par cette parole: « Vous ne lierez point la bouche au boeuf
qui foule le grain ». Un de ces boeufs mystérieux s’écrie: « Dieu se
met-il donc en peine des boeufs? » C’est pour
1. II Cor. XII, 4.— 2. Id. V, 13, 14.— 3. Jean, I, 14.— 4. I Cor, I, 31. — 5. Rom. IV, 4, 5.— 6. Ps. CIII, 14.
nous que l’Ecriture tient ce langage. Comment donc la terre produit-elle du foin pour les bêtes de somme? « C’est que Dieu a réglé que ceux qui prêchent l’Evangile, doivent vivre de l’Evangile ». Il a envoyé des prédicateurs, et leur a dit: « Mangez tout ce que l’on vous présentera, car l’ouvrier est digne de son salaire 1 ». Après leur avoir dit: « Mangez ce que l’on mettra devant vous »; de peur qu’ils ne répondent: Irons-nous donc, lorsque nous aurons faim, nous présenter à la table des hommes, nous commandez-vous cette effronterie? Non, dit le Sauveur, ce n’est point un don qui vous sera fait, mais une récompense que vous recevrez. Une récompense de quoi? Que donnent-ils? Que reçoivent-ils? Ils donnent le spirituel, ils reçoivent le temporel. Ils donnent de l’or et reçoivent du foin. « Car toute chair n’est que foin, tout éclat de la chair n’est que la fleur d’une herbe 2 ». Tous ces biens temporels, qui sont chez toi abondants et superflus, ne sont que le foin des animaux. Pourquoi? Parce que ce sont des biens charnels. Ecoute à quels animaux ils servent de nourriture: «Si nous avons semé des biens spirituels, est-ce beaucoup de recueillir quelque peu, de vos biens du temps?» Voilà ce que disait l’Apôtre, ce prédicateur si laborieux, si courageux, si infatigable, qui rendait même à la terre son foin. « Pour moi, dit-il, je n’ai fait aucun usage de tout cela ». Il montre ce qu’on lui doit, sans l’accepter néanmoins, mais sans condamner ceux qui recevaient ce qui leur était dû. Ils eussent été condamnables d’accepter ce qui n’était point dû, mais non d’accepter leur récompense: bien que pour lui, il abandonne cette récompense. Qu’un homme te remette ce que tu dois, tu n’en es pas moins débiteur envers un autre; en ce cas, tu ne serais plus une terre arrosée, et produisant du foin pour les animaux. « La terre sera rassasiée de tes fruits; elle produira du foin pour les bêtes de somme ». Quant à toi, ne sois point stérile, produis du foin pour les bêtes de somme; si elles ne veulent pas de ton foin, ne sois pas stérile pour cela. Tu reçois des biens spirituels, donne dès biens temporels: on doit la solde au milicien, donne-lui sa solde, tu es l’intendant du Christ. « Qui marche à la guerre à ses propres dépens? Qui plante une vigne sans en goûter le
1.
Luc, X, 7,8.— 2. Isa. XL, 6.
fruit? Qui fait paître le troupeau, sans avoir « quelque part à son lait? » Je ne vous tiens pas ce langage pour que vous en agissiez de la sorte à mon égard. S’il se trouve un milicien pour remettre sa solde à l’intendant, que l’intendant paie toujours la solde. Et pour parler avec David, ce sont des bêtes de somme; or: « Ne liez pas la bouche au boeuf qui foule le grain 1. La terre produit du foin pour les bêtes de somme »; et comme pour expliquer cette parole, il ajoute: « Et des plantes pour le service des hommes ». De peur que tu ne comprennes point ces paroles: que « la terre produit du foin pour les bêtes de somme». Il les explique en répétant ce qu’il a dit d’abord. Ce qu’il avait appelé « foin», il l’appelle ensuite « une herbe», et ce qu’il appelait « bêtes de somme », il l’appelle «service de l’homme ». C’est donc pour la servitude, et non pour la liberté. Que devient cette parole: « Vous êtes appelés à la liberté 2? » Mais écoute le même Apôtre: « Libre à l’égard de tous, je me suis fait le serviteur de tous, pour les gagner en plus grand nombre 3 ». A qui dit-il: «Vous êtes appelés à la liberté?» Que dit-il ensuite? « Gardez-vous seulement d’abuser de cette liberté pour vivre selon la chair? Mais assujettissez-vous les uns aux autres par la charité 4 ». Le voilà qui asservit ceux qu’il appelait tout à l’heure à la'liberté; toutefois ils ne sont point assujettis par condition, mais par la rédemption du Christ, non par la nécessité, mais par la charité, «Assujettissez-vous les uns aux autres par la charité », dit saint Paul. Nous sommes serviteurs du Christ, me répondra quelqu’un, mais non de la populace, non des hommes charnels, non des faibles, Tu n’es vraiment serviteur du Christ, qu’en servant ceux dont le Christ a été serviteur. N’est-il pas dit de lui, qu’ « il a été le serviteur de plusieurs? » Le Prophète l’a dit, et on ne peut l’entendre que du Christ. Ecoutons cependant ce qu’il dit lui-même dans l’Evangile: « Quiconque veut être le plus grand, sera votre serviteur 5». Il te fait donc mon serviteur, celui qui t’a fait libre par son sang. Parlez-nous de la sorte, et vous direz vrai. Ecoute un autre passage: « Nous sommes vos serviteurs par Jésus-Christ 6 ». Aimez donc vos serviteurs, mais serviteurs dans le Christ. Qu’il nous donne
1. Deut. XXIV, 4. — 2. Gal. V, 13. — 3. I Cor. IX, 7-19. — 4. Gal, V, 13. — 5. Matth. XX, 16. — 6. II Cor. IV, 5.d’être de bons serviteurs. Car, de gré ou de force, il nous faut servir: et si nous servons volontairement, nous servons par charité, non par nécessité. Car cet orgueil des serviteurs se soulevait en quelque sorte à cette parole du Seigneur: « Quiconque voudra être le plus grand parmi vous sera votre serviteur ». Déjà les fils de Zébédée lui avaient demandé les premières places: l’un voulait s’asseoir à sa droite et l’autre à sa gauche, et ils faisaient demander par leur mère ce qu’ils désiraient. Sans leur refuser ces places, le Seigneur leur montra cette vallée de larmes, comme pour leur dire: Voulez-vous venir où je suis moi-même? venez par le même chemin. Qu’est-ce à dire, par le même chemin? Par l’humilité. Je suis venu d’en haut, et c’est de si bas que je remonte: je vous ai trouvés sur la terre, et vous prétendez voler avant d’avoir pris des forces: nourrissez-vous d’abord, fortifiez-vous, et supportez votre nid. Que dit-il? Comment rappeler à l’humilité ces disciples qui recherchent déjà la grandeur? « Pouvez-vous boire le calice que je « boirai moi-même? » Et eux, orgueilleux jusque dans la réponse: « Nous le pouvons », dirent-ils; de même que Pierre dira plus tard: « Je vous suivrai jusqu’à la mort». Il montre du courage, mais jusqu’à ce qu’une femme dise: « Celui-ci était aussi avec eux 1 ». «Nous le pouvons », disent les deux frères. «Pouvez-vous? Nous pouvons». Quant au Christ: «Vous boirez à la vérité mon calice », bien que vous ne le puissiez maintenant: « Vous le boirez » néanmoins: comme le Sauveur avait dit à Pierre: « Tu ne saurais me suivre » aujourd’hui; tu me suivras plus tard 2. Vous boirez à la vérité mon calice; mais quant à vous asseoir à ma droite ou à ma gauche, il ne m’appartient pas de vous le donner 3 ». Qu’est-ce à dire: « Il ne m’apparu tient pas de vous le donner? » Il ne m’appartient pas de le donner à des orgueilleux. Or, vous êtes orgueilleux, vous à qui je m’adresse; et dès lors: « Il ne m’appartient pas de vous le donner». Mais, diront-ils, nous deviendrons humbles. Vous ne serez donc plus ce que vous êtes, et c’est à vous tels que vous êtes que j’ai parlé. Je n’ai point dit que je ne le donnerai pas aux humbles, mais bien: Je ne le donnerai pas aux superbes. Or, que l’orgueilleux devienne humble, il n’est plus ce qu’il était,
1.
Matth. XXVI, 35, 69.— 2. Jean, XIII, 36. — 3. Matth. XX, 20-27.
10. Donc les prédicateurs du Verbe sont tout à la fois, selon les Ecritures, bêtes de somme, et esclaves. Dès qu’elle est arrosée, que la terre produise, « du foin pour les bêtes de somme, et des plantes pour le service des hommes ». Car le fruit désiré, c’est que l’on, puisse faire ce qui est prescrit dans 1’Evangile: « Afin qu’ils puissent vous recevoir dans les tabernacles éternels ». Vois ce que tu peux faire du foin, acheter à un prix aussi vil. « Afin qu’ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels ». Afin qu’ils vous reçoivent où ils seront eux-mêmes. Pourquoi? « Parce que recevoir un juste, au nom du juste, c’est recevoir la récompense du juste; et recevoir un Prophète, au nom du Prophète, c’est recevoir la récompense du Prophète; et quiconque donnera un verre d’eau froide au nom d’un disciple et au moindre d’entre les miens, je vous le déclare, celui-là ne perdra point sa récompense 2». Quelle récompense ne perdra-t-il point? Ils vous recevront dans les tabernacles éternels. Qui, dès lors, ne se hâterait point? qui ne courrait avec ardeur à ces récompenses? Si vous êtes une terre, soyez arrosés du fruit des oeuvres de Dieu, et ne dites point: Il n’y a personne envers qui nous puissions agir en charité; nos prédicateurs, ces boeufs mystérieux qui foulent le grain, ces hommes qui nous servent, n’ont aucun besoin de nous. Cherche néanmoins, de peur qu’un seul n’en ait besoin; et qu’enfin; celui qui n’a aucun besoin, trouve en toi de quoi refuser. Car il accueillera toujours ta bonne volonté quand tu recevras sa paix. Car s’il ne cherche point le don,, il cherche néanmoins le fruit 3. Cherche donc, de peur que quelqu’un ne se trouve dans le besoin; et ne dis point: Je donnerai, s’il me demande. Tu attends qu’il te demande? Peux-tu traiter le boeuf du Seigneur, comme le mendiant qui passe à ta porte? Tu donnes à ce dernier quand il te demande, ainsi qu’il est écrit: « Donne à quiconque te demande 4 ». Mais qu’est-il écrit de tout autre? « Bienheureux celui qui comprend le pauvre et l’indigent 5 ». Cherche à qui donner: « Bienheureux celui qui a l’intelligence du pauvre et de l’indigent », qui devance la prière du mendiant. Ainsi il est parmi vous des soldate du Christ, pressés par le besoin au
1. Luc, XVI, 9. — 2. Matth. XVI, 41, 42. — 3. Philipp. IV, 17. — 4. Luc, VI, 30. — 5. Ps. XL, 2.point de mendier. Prenez garde qu’ils ne vous jugent, avant de vous solliciter. Comment, dites-vous, m’en informer? Soyez curieux, ayez de la prévoyance; voyez, examinez la vie de chacun, comment il subsiste, quel est son revenu: c’est là une curiosité qui n’est point répréhensible. Tu seras alors une terre, « qui produira du foin pour les bêtes de somme, et des plantes pour le service des hommes ». Sois curieux, et comprends les besoins du pauvre et de l’indigent. Voici que l’un vient à toi pour demander; préviens l’autre, afin qu’il ne demande point. De même qu’il est dit de l’un: «Donne à quiconque te demande»; il est dit de l’autre: « Que ton aumône sue dans ta main, jusqu’à ce que tu rencontres un juste pour la lui donner ». Il faut donner, il est vrai, aux pauvres qui vous demandent, puisque Dieu ne détourne point de ces mendiants nos aumônes, et que le Christ nous dit: « Si vous faites un festin, appelez-y les aveugles, les boiteux, les malades, ceux qui n’ont point de quoi vous rendre, et Dieu vous le rendra à la résurrection des justes 1 ». Invite-les donc, nourris-les: mange, quand ils mangent; réjouis-toi quand ils sont rassasiés, car ils se rassasient de ton pain, et toi de la justice de Dieu, Qu’on ne vienne point me dire, que le Christ a commandé de donner au serviteur de Dieu, mais pas au mendiant. Loin de là; cette maxime est impie. Donne à l’un, mais encore plus à l’autre. L’un demande, et dans la prière de celui qui demande, vous savez à qui donner; quant àl’autre, moins il demande, et plus tu dois veiller à prévenir sa demande: peut-être même, sans rien te demander aujourd’hui, te condamnera-t-il un jour. Ayez donc, mes frères, une sainte curiosité pour toutes ces indigences, et vous trouverez dans l’indigence bien des serviteurs de Dieu; il s’agit seulement de vouloir les trouver. Mais vous aimez l’excuse; comme vous êtes bien aises de dire: Nous ne savions pas; voilà pourquoi vous ne trouvez point.
11. Le Seigneur avait lui-même une bourse 2, où l’on mettait ce qui était nécessaire pour subsister; et l’on gardait de l’argent pour son usage et l’usage de ceux qui le suivaient; et il n’est pas faux de dire de lui avec l’Evangile: « Il eut faim 3 ». C’est pour toi qu’il voulut
1.
Luc, XIV, 13, 14.— 2. Jean, XIII, 29.— 3. Matth. XV, 2; XXI, 18.
avoir faim, de peur que tu ne sois réduit à la faim en celui qui est devenu pauvre, de riche qu’il était, afin que nous fussions enrichis de sa pauvreté 1. Il avait donc une bourse, et il est dit de quelques saintes femmes, qu’elles le suivaient dans ses courses évangéliques, et qu’elles l’entretenaient de leur bien propre. Ces femmes sont nommées dans l’Evangile, et il y avait avec elles l’épouse d’un certain Chuza, intendant de la maison d’Hérode 2. Vois ce qui se passait alors. Paul devait venir, ne demandant rien de semblable, et remettant toute paie aux intendants. Mais comme un grand nombre d’infirmes devaient exiger cette solde, voilà que le Christ personnifie en lui les infirmes. Paul agit-il plus généreusement que le Christ? Le Christ est plus généreux, parce qu’il est plus miséricordieux. Il voyait que Paul refuserait un jour ces soulagements, mais il ne voulut pas condamner ceux qui les exigeraient, et il donna l’exemple aux plus faibles. De même, prévoyant que plusieurs accepteraient les douleurs et iraient avec joie au martyre, qu’ils tressailliraient dans les souffrances, qu’ils seraient forts et produiraient cent pour un dans les greniers du Père céleste, mais prévoyant aussi que bien des faibles se troubleraient aux approches de la passion, il voulut, dans sa propre passion, se les identifier à lui-même, afin qu’ils ne fussent point abattus, mais qu’ils conformassent leur volonté à la volonté de Dieu; aussi dit-il: « Mon âme est triste jusqu’à la mort»; et ensuite: « Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi ». Il parle d’abord comme l’infirme, afin de montrer à l’infirme ce qu’il doit faire: « Toutefois, ô mon père, non point ce que je veux, mais ce que vous voulez 3 ». Ainsi donc, de même que dans sa passion, le Christ a voulu se revêtir de la personne des faibles, qui ne laissent point d’être ses membres; et qu’il n’a pas été dit en vain: « Vos yeux ont vu toute mes imperfections, leur nombre est consigné dans votre livre 4»; de même il est revêtu de la personne des pauvres, quand il a tenu une bourse, et a en quelque sorte exigé la solde qu’il ne demandait point, mais qu’on avait soin de lui donner. Zachée le reçoit, et en tressaille de joie 5. A qui doit profiter cette réception? Au Christ ou à Zachée? En vérité, si Zachée ne
1. II Cor. VIII, 9.— 2. Luc, VIII, 3.— 3. Matth. XXVI, 38, 39.— 4. Ps. CXXXVIII, 18. — 5. Luc, XIX, 6.le recevait point, le Créateur du monde n’aurait-il donc point où demeurer? Ou si Zachée ne lui donnait point à manger, serait-il dans l’indigence, celui qui avec cinq pains nourrit tant de milliers d’hommes? Recevoir donc un saint, c’est un avantage pour celui qui reçoit, et non pour celui qui est reçu. Pendant une famine Elie n’était-il pas nourri? Un corbeau ne lui apportait-il point du pain et de la viande, la créature servant ainsi le serviteur de Dieu 1? Et pourtant ce Prophète fut envoyé chez une veuve, non pour que le soldat, mais pour que l’intendant reçût une solde.
l2. Nous le disions donc, mes frères, le Seigneur avait une bourse d’où l’on tirait pour nourrir les pauvres, et néanmoins quand il dit à Judas, qui devait le trahir: « Fais promptement ce que tu fais »; les autres, ne comprenant point ce qu’il disait, crurent qu’il lui ordonnait de préparer au pauvre quelque aumône. Car Judas tenait l’argent, au témoignage de l’Evangile 2.Cette pensée eût-elle pu venir aux disciples, si le Seigneur n’eût eu cette coutume? Sur ces deniers qu’on lui donnait et que l’on mettait en bourse, il y avait une part pour les pauvres, que Dieu nous apprend à ne point mépriser. Mais si tu ne méprises point ce pauvre, combien moins dois-tu mépriser ce boeuf mystérieux qui foule dans l’aire de l’Eglise? Combien moins son serviteur? S’il n’a pas besoin de nourriture, il lui faut peut-être un vêtement. S’il n’a pas besoin de vêtement, il lui faut peut-être un abri, peut-être construit-il une Eglise, ou fait-il dans la maison de Dieu quelque réparation urgente. Il attend que tu le comprennes, que tu aies l’intelligence du pauvre et de l’indigent. Mais toi, comme une terre dure, pierreuse, sans rosée, ou arrosée vainement, tu te réserves cette excuse: Je ne savais rien de cela, je l’ignorais complètement, nul ne m’en a parlé. Nul ne te l’a dit? Mais Jésus-Christ ne cesse de dire, mais le Prophète ne cesse de dire: « Bienheureux celui qui a l’intelligence du pauvre et de l’indigent 3 ». Tu ne vois point si la caisse de ton pasteur est vide? Mais tu vois du moins cette église qui s’élève, et où tu dois aller prier. Ne frappe-t-elle pas tes regards? A moins peut-être, mes frères, que vous ne croyiez que vos pasteurs thésaurisent: et moi, j’en connais un bon nombre qui, loin de thésauriser, n’ont pas de
1.
III Rois, XVII, 6. — 2. Jean, XIII, 27-29. — 3. Ps. XL, 2.
quoi vivre tous les jours, et dont on ne soupçonne pas le besoin: et vous les trouveriez, si vous le vouliez, si vous y apportiez quelque attention, quelque vigilance, afin de donner du fruit, comme une bonne terre. J’ai dit à ce sujet tout ce que j’ai pu, et autant que j’ai pu. Je me persuade que je suis assez connu de vous, comme dit saint Paul, et que vous ne croyez point que j’aie parlé de la sorte pour attirer sur moi vos largesses. Dieu veuille que, je n’aie point parlé en vain; Dieu veuille que vous soyez une terre bien arrosée, et non une terre pierreuse comme les Juifs, qui méritèrent de recevoir la loi sur des tables de pierre; mais une terre fertile, une terre arrosée qui produit pour le laboureur. Ils donnaient la dîme, ces hommes au coeur de pierre, comme le marquaient leurs tables de pierre. Vous soupirez, et cependant rien ne sort. Si vous gémissez, soyez en travail, et si vous êtes en travail, enfantez. Pourquoi ces vains gémissements, ces gémissements stériles? Vos entrailles se déchirent, et ce qui est à l’intérieur ne paraîtra-t-il point? « Dieu, de ses hauteurs, arrose les montagnes, et la terre sera rassasiée du fruit de ses oeuvres ». Bienheureux ceux qui écoutent ces vérités, bienheureux ceux qui les écoutent avec fruit, bienheureux ceux qui ne chantent pas en vain: « La terre sera rassasiée du fruit de vos oeuvres: c’est vous qui produisez le foin pour les bêtes de somme, et les plantes pour le service des hommes ». Pourquoi? « Afin de tirer le pain de la terre ». Quel pain? le Christ. De quelle terre? de Pierre, de Pan!, des autres dispensateurs de la vérité. Ecoute que c’est bien une terre: « Nous avons ce trésor », dit saint Paul, « dans des vases d’argile, afin qu’on reconnaisse l’éminence de la force de Dieu 1 ». « Il est le pain descendu du ciel 2», afin d’être tiré de la terre, quand il est annoncé par la voix de ses serviteurs. La terre produit du foin, afin de tirer le pain de la terre. Quelle terre produit du foin? Les peuples pieux, les peuples fidèles. De quelle terre doit-on tirer le pain? Ce pain est le Verbe qui doit nous venir par les Apôtres, par les dispensateurs des sacrements de Dieu, pendant qu’ils vivent sur la terre, et qu’ils ont un coeur terrestre.
13. « Et le vin qui réjouit le coeur de l’homme 3 ». Que nul ici ne se promette
1. II Cor. IV, 7.— 2. Jean, VI, 41.— 3. Ps. CIII, 15.l’ivresse, ou plutôt que tout homme se prépare à l’ivresse. « Quelle splendeur dans votre coupe enivrante 1 ! » Nous ne disons point: Que nul ne s’enivre. Au contraire, enivrez-vous, mais voyez à quel calice. Si vous vous enivrez au splendide calice du Seigneur, cette ivresse paraîtra dans vos oeuvres, elle paraîtra dans l’amour sacré de la justice, elle paraîtra dans le ravissement de votre esprit, transporté de la terre au ciel. « Et l’huile qui parfume son visage». Je vois quel fruit produit la terre, puisqu’elle produit du foin pour les bêtes de somme. Ils ne vendent point ce qu’ils donnent, car ils ne vendent point l‘Evangile: ils donnent gratuitement ce qu’ils ont reçu gratuitement. Ils se réjouissent de vos bonnes oeuvres, parce qu’elles vous sont utiles: car ils ne recherchent point ce que vous leur donnez, mais le fruit que vous en tirez. Qu’est-ce en effet que la face embellie par l’huile? C’est la grâce de Dieu, un certain éclat qui rejaillit au dehors, comme l’a dit l’Apôtre: « L’esprit est donné à chacun pour la manifestation 2 ». Une certaine grâce qui se transmet d’un homme à un autre, et leur concilie un saint amour, prend le nom d’huile à cause de son éclat divin: et comme elle a paru dans le Christ d’une manière suréminente, tout l’univers l’embrasse d’un saint amour. Autrefois méprisé sur la terre, il est aujourd’hui adoré dans le monde entier: « Car à lui appartient l’empire, et il dominera les nations 3 ». Telle est aujourd’hui l’effusion de sa grâce, que beaucoup qui ne croient pas en lui, le bénissent, et s’excusent de ne point croire en lui, parce qu’il commande ce que l’on ne peut accomplir. Les louanges les retiennent, eux qui sévissaient avec outrage. Il a néanmoins l’amour de tous, la bénédiction de tous, parce qu’il est le Christ, ou l’oint par excellence. Car Christ signifie oint; du chrême divin est venu le nom de Christ Messie, en hébreu, signifie Christ en grec, et oint en latin. Mais le Christ oint tout son corps. Tous ceux qui viennent à lui reçoivent sa grâce, et l’huile embellit leur face.
14. « Et que le pain fortifie le coeur de l’homme 4 ». Le Prophète nous force en quelque sorte à comprendre quel est ce pain. Ce pain visible que nous mangeons ne fortifie que l’estomac, que les entrailles; il est un autre pain qui fortifie le coeur, parce qu’il
1.
Ps. XXII, 5.— 2. I Cor. XII, 7.— 3. Ps. XXI, 29.— 4. Id.
CIII, 16.
est le pain du coeur. Déjà plus haut, le Prophète avait dit, en parlant du pain: « Afin de tirer le pain de la terre », mais il n’avait point dit quel était ce pain. « Et le vin réjouit le coeur de l’homme ». Il semble parler ici d’un vin spirituel; car tel est le vin qui réjouit le coeur de l’homme. On pouvait croire toutefois qu’il n’est question que d’un vin ordinaire, car ceux qui en sont enivrés paraissent avoir la joie au coeur. Puissent-ils avoir une joie véritable, et non une joie querelleuse! Mais, diras-tu, quoi de plus joyeux qu’un homme ivre? Et aussi quoi de plus insensé? Quoi de plus irascible? Il est donc un vin qui réjouit le coeur de l’homme, et qui n’a pas d’autre effet, Mais ne t’imagine pas que l’on peut parler ainsi d’un vin spirituel, et non d’un pain, car le Psalmiste nous montre aussi que ce pain est spirituel encore, quand il nous dit: « Et que le pain fortifie le coeur de l’homme ». Il faut donc l’entendre du pain aussi bien que du vin, en avoir une faim intérieure, comme une soif intérieure. « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés 1 ». Ce pain c’est la justice, ce vin c’est la justice: c’est la vérité, et la vérité c’est le Christ 2. « Je suis», dit-il, « le pain de la vie, descendu du ciel 3 » Et encore: « Je suis la vigne, vous les sarments 4. Et que le pain affermisse le coeur de l’homme ».
15. « Les arbres des campagnes seront rassasiés »: de cette même grâce tirée de la terre. « Les arbres des campagnes » sont la populace chez les peuples. « Et les cèdres du Liban qu’il a plantés 5 ». Les cèdres du Liban désignent les puissants du siècle, qui seront aussi rassasiés. Le pain, le vin, l’huile du Christ sont parvenus aux hommes puissants, aux nobles, aux rois; les arbres des champs sont rassasiés. Les humbles furent tout d’abord rassasiés, ensuite les cèdres du Liban, mais les cèdres que Dieu lui-même a plantés: les cèdres pieux, les âmes fidèles et religieuses, voilà ceux qu’il a plantés. Quant aux impies, ce sont aussi des cèdres du Liban; car « le Seigneur brisera ces cèdres du Liban 6 ». Le Liban est une montagne, et ces arbres sont, à la lettre, des arbres très élevés et qui vivent bien longtemps. Or, Liban veut dire blancheur, comme nous le
1.
Matth. V, 6. — 2. Jean. XXV, 6. — 3. Id. VI, 41. — 4. Id. XV, 5.— 5. Ps. CIII, 56. — 6. Id. XXVIII, 5.
disent ceux qui ont parlé des étymologies. Liban signifie donc blancheur: et aujourd’hui tout paraît d’une blancheur éclatante, tout est brillant de pompes et de magnificence. Mais il y a là des cèdres du Liban que le Seigneur a plantés, et ces mêmes cèdres seront rassasiés. « Car tout arbre», dit le Sauveur, «que mon Père céleste n’a point planté, sera arraché 1. Et les cèdres du Liban qu’il a plantés».
16. « C’est là que les oiseaux font leurs nids. La maison des foulques leur sert de guide ». Où les oiseaux feront ils leurs nids? Dans les cèdres du Liban. Déjà nous savons ce que signifient les cèdres du Liban, ceux qui tiennent dans le monde un rang distingué par la noblesse de leur origine, par leurs dignités, par leurs richesses, De tels cèdres sont aussi rassasiés, ceux-là que le Seigneur a lui-même plantés. C’est dans leurs branches que les passereaux font leurs nids. Quels passereaux? Tous les oiseaux qui volent dans les airs sont des passereaux, mais ce nom désigne plus spécialement de petits oiseaux. Il est donc des hommes spirituels qui font leurs nids sur les cèdres du Liban; c’est-à-dire qu’il y a quelques serviteurs de Dieu qui comprennent cette parole de l’Evangile: « Laisse-là tous tes biens»; ou: « Vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel, puis viens et suis-moi 5 ». Ce ne sont pas les grands seulement qui ont entendu cette parole, mais les petits aussi l’ont entendue, les petits ont voulu l’accomplir et devenir spirituels, renoncer au mariage, n’être point distraits par les soins des enfants, n’être assujettis à aucune demeure particulière, mais embrasser une certaine vie commune. Dès lors, qu’ont-ils abandonné, ces passereaux? Car les petits dans le monde ressemblent à des passereaux. Qu’ont-ils abandonné? Quel sacrifice considérable ont-ils pu faire? Celui-ci se donne àDieu, et laisse la chétive maison paternelle, à peine un lit et un coffre. Il se donne à Dieu néanmoins et devient passereau, il s’éprend des biens spirituels. Cela est bien, fort bien; loin de nous tout sarcasme, ne lui disons pas: Tu n’as rien laissé. Mais que celui qui laisse beaucoup ne s’enorgueillisse point, Quand Pierre suivit le Sauveur, que put-il abandonner, lui, simple pêcheur, nous le savons? Que purent quitter et André son frère, et les deux
1. Matth. XV, 13. — 2. Ps. CIII, 17. — 3. Matth. XIX, 21.
fils de Zébédée, Jacques et Jean, pêcheurs aussi 1? Et pourtant que dirent-ils? « Voilà que nous avons tout quitté pour vous suivre 2 ». Or, le Seigneur ne lui dit point: As-tu donc oublié, ô Pierre, combien tu étais pauvre; et qu’as-tu abandonné, pour recevoir le monde entier en échange? Il quitta beaucoup, mes frères, oui beaucoup, parce qu’il ne quitta pas seulement ce qu’il avait, mais ce qu’il désirait avoir. Quel pauvre ne s’élève point par les espérances de cette vie? Qui ne cherche à grossir chaque jour ce qu’il possède? Tel est le désir qu’on sacrifie: le borner quand il s’étend à l’infini, n’est-ce donc rien quitter? Pierre a ainsi abandonné le monde entier pour recevoir le inonde entier. Ne possédant rien et néanmoins possédant tout 3, dit saint Paul. Voilà ce que font beaucoup d’autres; ce que font ceux qui ont peu, qui viennent à nous et sont des passereaux utiles. Ils paraissent peu, parce qu’ils n’ont rien de l’élévation du monde. Ils font leur nid sur les cèdres du Liban. Les cèdres du Liban sont les grands, les riches, les puissants du siècle, qui n’entendent qu’en tremblant cette parole: «Bienheureux celui qui a l’intelligence du pauvre et de l’indigent 4», qui ne voient qu’avec mépris leurs richesses, leurs maisons de campagne, ces biens superflus, vaines pompes du monde, et qui les donnent aux serviteurs de Dieu, qui donnent leurs champs, leurs jardins, qui bâtissent des églises, des monastères, y rassemblent des passereaux, lesquels peuvent ainsi construire leurs nids sur les cèdres du Liban. Qu’ils soient donc rassasiés, « ces cèdres du Liban, que le Seigneur a plantés, et où les passereaux doivent faire leurs nids». Voyez s’il n’en est pas ainsi dans tout l’univers; ce n’est point de le croire que je parle ainsi, mais bien de le voir, et déjà l’expérience m’a donné l’intelligence. Interrogez les terres les plus lointaines, vous qui tes connaissez, et voyez sur combien de cèdres du Liban les passereaux dont je vous ai parlé ont fait leur nid.
17. Toutefois, mes frères, ces passereaux, dès lors qu’ils sont devenus spirituels, ne doivent en rien envier les cèdres du Liban, quoiqu’ils fassent des nids sur leurs branches, ni croire que les cèdres aient un avantage sur eux, parce qu’ils en tirent ce qui est nécessaire à la
1.
Matth. XV, 18, 21.— 2. Id. XIX, 27.— 3. II Cor. VI, 10.—
4. Ps. XI, 2.
vie. Les uns sont des passereaux, les autres des cèdres du Liban. Donc « la maison des foulques servira de guide aux passereaux ». Bien que les passereaux fassent leurs nids sur les cèdres du Liban, ces cèdres toutefois ne servent point de guide aux passereaux. Voilà que vont être rassasiés les arbres des campagnes, que seront également rassasiés les cèdres du Liban que le Seigneur a plantés, tous grands du monde, fidèles élevés en gloire. Là, c’est-à-dire parmi les cèdres du Liban, les passereaux feront leurs nids, c’est-à-dire que les cèdres étendront les branches de leurs richesses, pour recueillir les humbles, devenus spirituels. Telles sont les ressources que nous fournissent les cèdres du Liban plantés par le Seigneur; ils le font, et le font avec joie, la foi leur fait comprendre ce qu’ils font. Mais quoique les passereaux fassent leurs nids sur les cèdres du Liban, « la maison des foulques est leur guide ». Qu’est-ce que la maison des foulques? La foulque, ainsi que nous le savons tous, est un oiseau marin, qui vit sur la mer ou dans les étangs: difficilement ou presque jamais, elle ne fait sa demeure sur le rivage; elle recherche un lieu au milieu des eaux, la plupart du temps un rocher battu par les flots de toutes parts. Le rocher est donc l’emplacement qui convient au nid de la foulque; nulle part elle n’est plus en sûreté, plus solidement établie, que sur un rocher. Sur quel rocher? Sur celui que la mer environne. Battu par les flots, il les brise et n’en est point brisé: tel est l’avantage des rochers en pleine mer. Combien de flots ont battu le Christ Notre Seigneur, qui est notre rocher! Les Juifs se sont rués sur lui, ils s’y sont brisés, sans le briser lui-même. Quiconque veut imiter le Christ, doit être dans le siècle, ou plutôt dans cette mer, où il n’est point possible que la tempête ne s’agite point, de manière à ne céder à aucune bourrasque, à aucune tempête, mais à recevoir un choc, et à résister toujours. La maison de la foulque est donc tout à la fois, et basse et solide. La foulque n’habite point les lieux élevés: rien de plus solide, comme rien de plus humble que son habitation. Les passereaux font leurs nids sur les cèdres à cause des besoins de la vie: mais ils ont pour guide cette pierre battue par les flots, sans en être brisée; car ils imitent l’humilité du Christ. Que les cèdres du Liban se soulèvent dans leur colère, qu’ils causent du scandale (536) aux serviteurs de Dieu, qu’ils les secouent dans leurs branches; ceux-ci prendront leur essor: mais malheur au cèdre qui n’abrite point quelques passereaux. Ces passereaux ne feront pas naufrage, ils ne périront point; car « le nid des foulques est leur guide ».
18. Que trouvons-nous ensuite? « Les hautes montagnes sont pour les cerfs 1 ». Ces grands cerfs désignent les hommes spirituels, qui franchissent dans leur course les épines et les broussailles des forêts. « C’est Dieu», dit le Prophète, « qui a rendu mes pieds légers comme ceux du cerf, qui m’a établi sur les hauts lieux 2 ». Qu’ils se tiennent sur les montagnes escarpées, sur les préceptes les plus relevés du Seigneur, qu’ils en méditent les profondeurs, qu’ils se tiennent sur les hauteurs des saintes Ecritures, qu’ils acquièrent la perfection dans ses cimes audacieuses; les hauteurs sont pour les cerfs. Mais que deviendront les animaux inférieurs? les lièvres, les hérissons? Le lièvre est un animal petit et faible, le hérisson est couvert d’épines: l’un est donc un animal timide, l’autre un animal épineux. Que signifient les épines, sinon le péché? Quiconque tombe chaque jour dans le péché, ces péchés fussent-ils très-légers, est dès lors couvert de petites épines. S’il craint, c’est un lièvre; s’il est couvert de péchés légers, c’est un hérisson; et dès lors il ne peut se tenir ferme dans les préceptes d’une sublime perfection. Car ces hauteurs sont pour les cerfs. Ces faibles périssent-ils pour cela? Non; voici ce qui suit: « La pierre est le refuge des hérissons et des lièvres ». Car le Seigneur est un refuge pour le pauvre 3. Mettez ce rocher sur la terre, il sera le refuge des hérissons et des lièvres: mettez-le dans la mer, il sera l’asile de la foulque. Il est donc partout avantageux; il est utile sur les montagnes, qui tomberaient dans l’abîme si elles n’étaient soutenues par les rochers qui en sont la base. N’est-il pas dit à propos des montagnes: « C’est là qu’habiteront les oiseaux du ciel, qui feront entendre leurs voix du milieu des pierres 4? » Partout donc la pierre est pour nous un refuge, qu’on la mette soit sur les montagnes, soit dans la mer où elle est battue, mais non brisée par les flots, soit sur la terre qu’elle affermit: elle est l’asile des cerfs, l’asile des foulques, l’asile des lièvres et des hérissons. Que les lièvres se battent la poitrine,
1. Ps. CIII, 18.— 2. Id. XVII, 34.— 3. Id. IX, 10.— 4. Id. CIII, 12.que les hérissons confessent leurs péchés: bien qu’ils se recouvrent chaque jour de fautes légères, la pierre ne leur manquera point pour leur apprendre à dire: « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent 1. Le rocher est le refuge des hérissons et des lièvres ».
19. « Il a fait la lune pour marquer les temps 2». La lune est l’image de l’Eglise qui, faible d’abord, grandit ensuite, puis à cause de cette vie mortelle, paraît vieillir, mais pour se rapprocher du soleil. Car il n’est point ici question de la lune qui apparaît à nos yeux, mais bien de l’Eglise, appelée ici du nom de lune; or, quand cette Eglise était obscure, quand elle n’apparaissait point encore, et n’avait aucun éclat, les hommes tombaient facilement dans la séduction; et l’on disait: Voilà l’Eglise, le Christ est là, « afin de percer de flèches les coeurs droits pendant l’obscurité de la lune 3 ». Combien est aveugle aujourd’hui, celui qui s’égare en pleine lune. « Il a fait la lune pour marquer les temps». Car l’Eglise est ici-bas dans un lieu de passage, assujettie au temps. Mais cette loi de la mort n’existera point toujours; croître et décroître passeront, la lune est faite pour marquer le temps. « Le soleil connaît son couchant », et quel est ce soleil, sinon le soleil de justice qui fera regretter aux impies, au jour du jugement, qu’il ne se soit point levé pour eux? Ils diront alors: « Nous avons donc erré loin du chemin de la vérité; la lumière de la justice n’a pas lui à nos yeux, son soleil ne s’est point levé pour nous 4». Ce soleil se lève pour quiconque comprend le Christ. Mais le Christ se dérobe à l’intelligence de celui qui se fâche contre son frère jusqu’à la haine. « Fâchez-vous donc, mais ne péchez point 5». Car la colère de la charité, qui tend à corriger, n’est pas un péché, parce qu’elle n’est pas invétérée jusqu’à la haine. Mais si la colère se changeait en haine, le soleil alors se coucherait sur votre colère. « Or, que le soleil ne se couche point sur votre colère », a dit saint Paul 6.
20. Ne vous imaginez pas cependant, mes frères, qu’il nous faille adorer le soleil, parce que dans les saintes Ecritures, le soleil est pris quelquefois pour l’emblème du Christ. Telle a été la folie de certains hommes, qu’ils ont cru qu’en disant que le soleil est la figure du
1.
Matth. VI, 12.— 2. Ps. CIII, 19.— 3. Id. X, 3.— 4. Sag. V, 6. — 5. Ps. IV, 5. — 6. Ephés. IV, 26.
Christ, on nous demandait un acte d’adoration. Adorez donc aussi la pierre qui est un emblème du Christ 1. «Il a été conduit à la mort comme une brebis 2»; adorez donc aussi la brebis. « Il a vaincu, ce lion de la tribu de Juda 3»; adorez donc le lion qui est l’emblème du Christ. Voyez combien sont nombreux les symboles du Christ. Tout cela c’est le Christ en figure, mais non dans le sens propre. Qu’est donc le Christ à proprement parler? «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu ». Voilà ce qu’était le Christ à proprement parler, et par qui tu as été fait. Veux-tu savoir ce qu’était en propre le Christ par qui tu as été refait? « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous 4 ». Tout le reste n’est que figures. Comprends donc, sois à la hauteur des Ecritures, et quand l’on met sous tes yeux quelques figures, que ton intelligence s’élève plus haut.
21. Mais ce soleil, disons-le en toute sécurité, ce soleil de justice ne se lève point pour les impies, et ce n’est pas sans raison, quand même ils le voudraient. Car la Sagesse a dit: « Les méchants me chercheront et ne me trouveront point». Ils la chercheront donc, mais sans la trouver, et pourquoi? « Parce qu’ils haïssent la sagesse ». C’est la Sagesse elle-même qui nous parle et qui nous dit: « Les méchants me chercheront et ne me trouveront point, parce qu’ils haïssent la sagesse 5». Pourquoi la chercher, s’ils la haïssent? Ils la cherchent, non pour lui obéir, mais pour s’en prévaloir; ils la cherchent eu paroles, et la fuient dans leurs moeurs. « Car l’Esprit-Saint qui donne la science, fuit le déguisement, et se retire des pensées qui « sont sans intelligence 6 ». Ce soleil se lève donc sur les bons, mais non suries méchants. Qu’est-il dit au contraire du soleil qui luit à nos yeux? « Que Dieu le fait lever sur les bons comme sur les méchants 7 ». Notre psaume dès lors nous donne je ne sais quel sens mystérieux, à propos du soleil de justice, car nous voyons aussi bien dans toutes les créatures s’accomplir même visiblement, ce qui nous est dit ici: « Le soleil connaît son coucher ». Qu’est-ce à dire qu’ « il connaît son coucher? » Le Christ connaît ce qu’il doit souffrir, car son coucher c’est sa passion. Mais ce soleil se couche-t-il donc pour ne plus se lever? « Celui qui
1. I Cor. X, 4. — 2. Isa. LIII, 7.— 3. Apoc. V, 5. — 4. Jean, I, 1, 14. — 5. Prov. I, 28, 29. — 6. Sag. I, 5. — 7. Matth. V, 45.
dort ne doit-il donc point s’éveiller 1? » Ne dit il pas lui-même qu’ « il a dormi tout troublé? » Et qu’est-il dit de lui? « O Dieu, élevez-vous par-dessus les cieux 2 ». Donc « le soleil a connu son coucher ». Mais qu’est-ce à dire, « l’a connu? » Il lui a plu, il lui a été agréable. Comment prouver qu’il a connu ce coucher, et qu’il lui a plu? Qu’y a-t-il que Dieu ne connaisse? Et pourtant, au dernier jour, il doit dire à quelques-uns: « Je ne vous connais point 3 ». De même alors que dans ce dernier cas: «Je ne vous connais point», signifie vous ne me plaisez point, et non, vous m’êtes inconnus; de même ici, «connaître son coucher », c’est y mettre ses complaisances; s’il n’eût en effet agréé sa passion, comment eût-il pu l’endurer? Un homme n’est point ce divin soleil, et voilà pourquoi il souffre, quand même il ne voudrait pas souffrir. Mais le Christ ne souffrirait point, s’il ne lui plaisait de souffrir, c’est-à-dire qu’il ne se fût point couché, s’il n’eût d’abord connu son couchant. C’est ce qu’il dit lui-même: « J’ai le pouvoir de donner ma vie, et le pouvoir de la reprendre; nul ne m’ôte la vie, mais je la donne de moi-même 4 ». Le soleil donc « connaît son coucher ».
22. Et après le coucher du soleil, après la passion du Seigneur, qu’est-il arrivé? Je ne sais quelles ténèbres couvrirent les Apôtres, leur espérance vint à faillir, eux qui avaient vu tout d’abord en lui un grand personnage, le Rédempteur des hommes. Pourquoi? Parce que « Nous avez répandu les ténèbres 5, et la nuit s’est faite; c’est là que passeront toutes les bêtes des forêts. Les lionceaux rugissent après leur proie, ils demandent à Dieu leur nourriture 6». Que devons-nous comprendre par ces lionceaux, sinon les esprits de malice 7? Que faut-il comprendre, sinon les mauvais esprits, ces esprits qui se repaissent des erreurs des hommes? Car il y a parmi les démons des princes, et d’autres qui sont méprisables. Ces démons cherchent à séduire les âmes, mais là seulement où le soleil ne s’est point levé, où règnent encore les ténèbres. Et c’est dans ces ténèbres que les lionceaux cherchent des proies à dévorer. Or, qu’est-il dit à propos du premier de ces lions, du chef de ces lionceaux? « Ne savez-vous pas que le diable votre ennemi tourne autour de vous,
1.
Ps. XL, 9.— 2. Id. LVI, 5, 6.— 3. Matth. VII,
23.— 4. Jean, X, 18. — 5. Ces verset, sont expliqués dans le discours sur le
Ps. C, n. 12, 13. — 6. Ps. CIII, 20, 21 — 7. Ephés. VI, 12.
comme le lion qui rugit et cherche quelqu’un à dévorer 1?» C’est donc à Dieu qu’ils demandent leur proie, car nul ne peut être tenté par le diable, sans la permission de Dieu. Job, dans sa sainteté, était en présence du diable, et néanmoins il en était bien éloigné; il était présent aux yeux du démon, mais bien éloigné de sa puissance. Or, comment eût-il osé le tenter dans sa chair, ou dans ses biens, s’il n’en eût reçu le pouvoir? Pourquoi ce pouvoir lui est-il donné? Pour la condamnation des méchants, et pour l’épreuve des justes. En tout cela Dieu agit avec justice: et le diable n’a de pouvoir ni sur un homme, ni sur rien de ce qui lui appartient, s’il ne lui est accordé par celui qui a le grand, le souverain pouvoir. C’est ainsi que ni le diable, ni aucun homme n’ont de pouvoir sur un autre, s’il ne leur vient d’en haut. Le juge des vivants et des morts comparaissait devant un homme qui le jugeait; et cet homme voyant le Christ à son tribunal, s’en enorgueillit, et lui dit: « Ne savez-vous donc pas que j’ai le pouvoir de vous faire mourir ou de vous renvoyer? » Mais le Christ venant pour instruire celui-là même qui le jugeait, lui répondit: « Vous n’auriez sur moi aucun pouvoir, s’il ne vous était donné d’en haut 2 ». Ni l’homme donc, ni le diable, ni aucun démon, ne peuvent nous nuire s’ils n’en ont le pouvoir: mais ils ne nuisent point à ceux qui s’avancent dans la piété. Ils sont donc pour les méchants, ce que la flamme est pour le foin, et pour les bons, ce que le feu est pour l’or. Judas fut consumé comme le foin, Job éprouvé comme l’or. « Vous avez répandu les ténèbres, et la nuit s’est formée; c’est là que passeront les bêtes de la forêt». Ici nous donnons aux bêtes de la forêt un sens différent de celui que nous avons donné; c’est que l’on donne aux mêmes noms des significations différentes; de même que le Seigneur est tout à la fois un agneau et un lion. Et pourtant quelle différence entre le lion et l’agneau ! Mais quel agneau? Un agneau qui triomphe du loup, qui triomphe du lion. C’est lui qui est la pierre, lui le pasteur, lui la porte. Le pasteur entre par la porte, et dit: « Je suis le bon pasteur »; et encore: « Je suis la porte 3 ». Or, cette dénomination de lion, désigne Notre Seigneur, car: « Le lion de la tribu de Juda a vaincu 4 », et aussi le
1. I
Pierre, V 8. — 2. Jean, XIX, 10, 11. — 3. Id. X, 7, 11. — 4. Apoc. V, 5.
diable; car: « Tu marcheras sur le lion et sur le dragon 1 ». Apprenez donc, mes frères, comment il faut entendre ces expressions figuratives, et toutefois ne vous imaginez pas que quand vous entendez que la pierre signifie le Christ 2, toute pierre doit s’entendre du Christ. Elle a tantôt un sens, tantôt un autre sens il en est de ceci comme d’une lettre, la place qu’elle occupe nous en indique la force. En voyant la première lettre dans l’expression Dieu, situ crois q u’elle ne peut avoir que cette signification, il faudra donc l’effacer de l’expression diable; car c’est la même lettre qui commence le nom de diable, et celui de Dieu; et toutefois rien n’est plus opposé que Dieu et diable. Comprend dès lors combien il serait étranger aux usages divins et humains, celui qui dirait que le signe D ne doit point commencer le mot diable. Pourquoi? lui direz-vous: parce que j’ai vu cette lettre dans le mot Dieu, vous répondra-t-il. Un tel homme vous ferait- sourire, mais vous dédaigneriez de lui rendre aucunement raison. Gardez-vous donc de tout sentiment puéril, quand il s’agit de choses divines, et parce que j’ai entendu par les bêtes des forêts, les Gentils, que j’entends maintenant les démons, les anges prévaricateurs, qu’on ne s’imagine pas que je sois en contradiction avec moi-même. Ce sont là des figures, que l’on explique selon les circonstances, et selon la place qu’elles occupent. « C’est là que passeront les bêtes des forêts ». Où? Dans cette nuit que le Seigneur a répandue, parce que « le soleil a connu son coucher. Les lionceaux rugissent après leur proie, demandant à Dieu leur nourriture ». C’est donc avec raison que le Seigneur, touchant à sa dernière heure, ce même soleil de justice qui connaissait son couchant, dit à ses disciples, aux approches des ténèbres, et quand le lion allait rôder autour d’eux, cherchant à en dévorer quelques-uns, mais sans pouvoir dévorer personne qu’il ne l’ait demandé: « Cette nuit, Satan a demandé à vous cribler comme le froment, et moi, Pierre, j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne connaisse point la défaillance 3». Or, quand Pierre jusqu’à trois fois reniait son maître 4, n’était-il point déjà entre les dents de ce lion? « Les lionceaux rugissent après leur proie, demandant à Dieu leur nourriture ».
1.
Ps. XC, 13. — 2. I Cor. X, 4. — 3. Luc, XXII, 31, 32. — 4. Matth. XXVI, 70 - 74.
23. « Le soleil s’est levé 1 ».Celui qui a dit: « J’ai le pouvoir de donner ma vie, et le pouvoir encore de la reprendre, a connu son couchant 2 », et a donné sa vie: « Le soleil s’est levé », et il l’a reprise. « Le soleil s’est levé», parce que le soleil s’était couché, mais le soleil ne s’est pas éteint. La nuit dure encore pour ceux qui ne connaissent pas le Christ; le soleil n’est pas encore levé pour eux. Qu’ils se pressent, qu’ils comprennent, afin de n’être point la proie du lion rugissant. Car les lionceaux n’attaquent point ceux qui ont reçu la lumière de ce soleil Aussi nous lisons ensuite: « Le soleil s’est levé, et ils se sont rassemblés, et ils s’étendront dans leurs tanières ». A mesure que le soleil se lève pour se manifester au monde entier, et faire glorifier le Christ dans l’univers, on voit que les lionceaux se rassemblent, que ces démons cessent de persécuter l’Eglise, eux qui agissaient dans les enfants de l’infidélité, les stimulant à persécuter la maison de Dieu. Car il est dit que «le prince des puissances de « l’air agit maintenant suries enfants de l’incrédulité 3». Aujourd’hui que nul d’entre eux n’ose persécuter l’Eglise, « le soleil s’est couché, et ils se sont rassemblés». Où sont-ils? « Ils s’étendront dans leurs tanières»; leurs tanières sont les coeurs des infidèles. Combien en est-il qui portent ces lions couchés dans leurs âmes ! Ils n’en sortent plus, ils ne se ruent plus sur cette Jérusalem dans son pèlerinage terrestre. Pourquoi ne le font-ils plus? C’est que « le soleil s’est levé », et qu’il brille dans l’univers entier.
24. Vois donc ce qui suit: « Depuis que le soleil s’est levé, que les lions sont rassemblés, qu’ils sont étendus dans leurs tanières », que fais-tu, ô homme de Dieu? Que fais-tu, ô Eglise de Dieu? Que fais-tu, ô corps du Christ, dont la tête est au ciel? Que fais-tu, ô homme, ô unité du Christ? « L’homme sort pour son travail 4 ». Que cet homme donc s’applique aux bonnes oeuvres dans la paix, dans la sécurité de l’Eglise, qu’il s’y applique jusqu’à la fin. Il se fera parfois un certain obscurcissement, il y aura certains chocs, mais au soir, c’est-à-dire à la fin des temps: mais aujourd’hui l’Eglise travaille dans la paix et dans la tranquillité, parce que « l’homme s’en ira à son travail, et à son labeur jusqu’au soir ».
1.
Ps. CIII, 22. — 2. Jean, X, 18.— 3. Ephés, II, 2.— 4. Ps. CIII, 23.
25. « Combien sont grandes vos oeuvres, ô mon Dieu 1 ». Oui vraiment grandes, vraiment élevées. Où donc vos oeuvres sont-elles devenues si grandes? Où Dieu s’est-il arrêté, s’est-il assis, pour accomplir ses oeuvres? En quel lieu les a-t-il faites? D’où sont émanées tout d’abord de si grandes merveilles? A prendre ces paroles à la lettre, d’où vient toute créature réglée, toute créature qui marche dans l’ordre, qui a sa beauté dans l’ordre, se lève dans l’ordre, se couche dans l’ordre, mesure le temps avec ordre? Quant à l’Eglise, d’où viennent ses agrandissements, ses progrès, sa perfection? Quelle immortalité Dieu lui a-t-il réservée? Par quels éloges peut-on la relever? par quels mystères la signaler? Sous quels symboles la voiler? Par quelle prédication la révéler? Où Dieu a-t-il fait toutes ces merveilles? Oui, je vois de grandes oeuvres. « Que vos oeuvres sont admirables, Seigneur mon Dieu ! » Je cherche en quel lieu Dieu les a faites, et je n’aperçois aucun lieu. Mais j’écoute ce qui suit: « Vous avez tout fait dans la sagesse ». Donc vous avez tout fait dans le Christ. Ce Christ méprisé, souffleté, couvert de crachats; ce Christ couronné d’épines, ce crucifié, c’est en lui que vous avez tout fait. J’entends, Seigneur, je comprends ce que vous avez fait annoncer aux hommes par votre infatigable soldat, ce que vous avez fait prêcher aux Gentils par votre saint prédicateur, que le Christ est la vertu de Dieu, la sagesse de Dieu. Que les Juifs se raillent d’un Christ crucifié, qui est pour eux un scandale; que les païens se moquent d’un Christ crucifié, qui est pour eux une folie: « Pour nous, nous prêchons Jésus-Christ crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les Gentils, mais la force de Dieu, la sagesse de Dieu pour
1.
Ps. CIII, 21.
ceux qui sont appelés, qu’ils soient Juifs ou Gentils 1. Vous avez fait tout dans votre sagesse »
26. « La terre a été remplie de vos créatures ». C’est des créatures du Christ que la terre est remplie. Et comment? Comme nous le voyons. Quelle créature ne vient pas du Père par son Fils? Tout ce qui marche ou qui rampe sur la terre, tout ce qui nage dans les eaux, tout ce qui vole dans l’air, tout ce qui tourne dans le ciel, et à plus forte raison sur la terre, le monde entier est créature de Dieu. Mais le Prophète semble parler ici de je ne sais quelle créature nouvelle, dont l’Apôtre a dit: « Si donc quelqu’un est à Jésus-Christ, c’est une nouvelle créature, le passé n’est plus; tout est devenu nouveau, et tout vient de Dieu 2 ». Quiconque a embrassé la foi du Christ, et s’est dépouillé du vieil homme, pour revêtir l’homme nouveau, celui-là est une créature nouvelle 3. « Vos créatures couvrent la terre ». Le Christ n’a été crucifié qu’en un seul lieu du monde, ce grain de froment n’est tombé que dans un petit coin de la terre pour y mourir; mais il a porté un grand fruit. Vous étiez seul, Seigneur Jésus, quand vous passiez ici-bas; j’entends dans un autre psaume votre voix qui s’écrie: « Me voilà seul, jusqu’à ce que je sois passé 4 »; vous étiez donc seul, quand vous connaissiez votre couchant; mais du couchant'vous avez passé au levant. Oui, vous vous êtes levé, vous avez resplendi, vous avez été élevé en gloire, en vous élevant au ciel, et voilà que « la terre est remplie de vos créatures ». Notre psaume n’est point terminé, mes frères, nous en réservons quelque peu pour dimanche, au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ.
1.
I Cor. I, 23, 24. — 2. II Cor. V, 17, 18. — 3. Ephés. IV, 22, 21. — 4. Ps. CXL, 10.
Dieu a tout fait avec une sagesse que plusieurs créatures ne peuvent comprendre, que nous ne pouvons méconnaître sans crime et qui serait notre flambeau si nous la cherchions sincèrement; cette sagesse est le Verbe de Dieu. Dans ces créatures qui remplissent la terre, arrêtons-nous à l’homme nouveau, qui renonce au passé pour s’occuper uniquement de l’avenir mais pour arriver à cet avenir, il faut passer la mer dont l’eau stérile et amère renferme des reptiles grands et petits; et nous la passerons dans les vaisseaux ou les Eglises que dirige le Christ. Il y a toutefois dans cette mer le dragon qui a empoisonné le genre humain à sa source, et don-t nous devons observer la tête ou repousser les premières suggestions, ce que nous ne pouvons faire que par Jésus-Christ notre vraie lumière. Job en observant cette tête, lui ferma son coeur et ne pécha point en paroles: s’il désire un arbitre, c’est la médiation du Christ. Le pouvoir du dragon est grand, mais il est le jouet des anges qui nous protégent contre lui; il est tombé et ne peut rien que Dieu ne permette. Prenons alors Jésus-Christ pour chef. Dieu donne le pain à toute créature; notre pain c’est le Christ; celui du dragon, c’est nous, si nous sommes éloignés du Christ., si nous devenons terre par nos goûts terrestres. Mais cette nourriture, Dieu doit la donner aux animaux, et au démon qui ne peut toucher à personne, si Dieu ne l’autorise. Cette main que Dieu ouvre pour nous rassasier de ses dons, c’est le Christ; qu’il se détourne et nous sommes dans le. trouble; et il se détourne quand nous présumons de nous-mêmes. Il nous retire notre esprit ou nos pensées humaines, et nous envoie le sien qui fait de nous des créatures nouvelles. Alors il se complaît dans ses oeuvres et nous fait travailler avec crainte; les coeurs les plus impies s’embrasent d’amour quand il les touche. Cette discussion dont il est parlé à la fin, c’est la discussion de notre conscience, et dès lors notre confession. Alors les pécheurs disparaîtront de la terre, c‘est-à-dire que les hommes cesseront d’être pécheurs.
1. Votre charité ne l’a point oublié: sans doute il n’y a qu’une seule parole de Dieu répandue dans toutes les Ecritures, et dans toutes les bouches des saints, qu’un seul Verbe qui retentit. Ce Verbe étant au commencement en Dieu 1, n’a là aucune syllabe, puisqu’il n’est point soumis au temps; mais il n’y a rien d’étonnant que pour se proportionner à notre faiblesse, il s’abaisse jusqu’à nos particules et nos syllabes, puisqu’il s’est abaissé jusqu’à se revêtir de notre chair si fragile. Déjà nous avons fait sur notre psaume plusieurs discours, et pour apercevoir les figures qui n’y sont voilées que pour se découvrir àceux qui frappent, il nous a fallu pendant quelques jours des heures assez longues pour les lire, les signaler, en expliquer les symboles, les exposer, les développer, les montrer en un mot. Votre charité, dis-je, n’a point oublié qu’hier nous n’avons pu terminer notre psaume, et que nous l’avons remis pour aujourd’hui. Dieu nous a donné du temps pour acquitter notre dette: il m’a donné le moyen d’y satisfaire, à moi qui suis débiteur, et de vous mettre en repos, vous qui êtes mes créanciers: puisse-t-il nous suggérer le bien
1.
Jean, I, 1.
que nous vous devons rendre, lui qui ne nous a pas rendu le mal que nous méritions!
2. Il vous souvient sans doute, mes frères, et c’est un doux souvenir pour vous, que toutes les fibres de notre coeur ont chanté avec le psaume: « Combien vos oeuvres sont admirables, ô mon Dieu! Vous avez tout fait dans votre sagesse; la terre est remplie de vos créatures ». Tout ce que Dieu a fait, est fait avec sagesse, fait dans la sagesse. Tout ce qui connaît la sagesse, et tout ce qui ne la connaît point, et qui est néanmoins créé par Dieu, est tait dans la sagesse, fait par la sagesse. Connaître la sagesse, c’est avoir la sagesse pour flambeau; ne pas la connaître, c’est avoir la sagesse pour créatrice, et demeurer dans la folie: et avoir la sagesse pour lumière, c’est l’avoir encore pour créatrice, mais elle peut être notre créatrice, et non pas notre lumière. Il en est beaucoup parmi les hommes qui ont part à la sagesse, et que l’on nomme sages, comme il en est beaucoup qui l’ignorent, qu’on appelle insensés. Ce nom de fous est une marque de mépris, parce que s’ils étudiaient la sagesse, s’ils la demandaient, s’ils la cherchaient, s’ils frappaient à la porte,
1. Ps. CIII, 24.ils pourraient avoir part à ses lumières, qui se dérobent à la négligence, et non à la nature. Il est d’autres créatures que la sagesse ne saurait éclairer, telles que les bêtes et les animaux, les arbres, qui n’ont pas même le sentiment. Mais pour être privées des lumières de la sagesse, en sont-elles moins créées dans la sagesse, et par la sagesse? Dieu donc n’attend aucune intelligence du cheval et du mulet mais il dit aux hommes: « Ne soyez point comme le cheval et le mulet, qui n’ont point d’intelligence 1». Ce qui est naturel dans le cheval devient criminel dans l’homme. Voici donc ce que dit le Seigneur: Je n’exige point la lumière de ma sagesse dans les créatures que je n’ai point faites à mon image; mais je l’exige dans celles que j’ai faites ainsi, et leur demande l’usage des dons que j’ai départis. Donc en rendant à Dieu ce qui est de Dieu, et à César ce qui est de César 2; c’est-à-dire en reportant à César sa monnaie, et à Dieu ce qui est à Dieu, les hommes élèvent leur esprit, non point jusqu’à eux-mêmes, mais jusqu’à Dieu leur créateur, jusqu’à cette lumière d’où ils viennent, jusqu’à ce foyer spirituel qui les embrase, loin duquel ils sont glacés, loin duquel encore ils ne sont que ténèbres, où ils retrouvent la lumière dès qu’ils s’en approchent; et comme ils ont dit pieusement: « C’est vous, Seigneur, qui faites luire mon flambeau, vous dissiperez mes ténèbres, ô mon Dieu 3 »; les ténèbres de leur folie terrestre se dissipent, et voilà qu’ils ouvrent la bouche, qu’ils respirent, et qu’ils élèvent avec confiance les yeux du coeur, que la pensée leur découvre le monde entier, la terre, la mer et le ciel, qu’ils voient dans toutes ces créatures une admirable disposition, un cours parfaitement régulier, chaque créature distincte dans son genre, se reproduire par ses germes, renaître successivement, durer un temps marqué, et alors ils admirent dans ses oeuvres le divin ouvrier, de manière que l’artiste divin les voit eux-mêmes avec complaisance au milieu de ses oeuvres. Alors sous le poids de leur joie, de cette joie incomparable, ils s’écrient: «Que vos oeuvres sont admirables, ô mon Dieu! Vous avez fait tout avec sagesse ». Où est cette sagesse dans laquelle vous avez tout fait? Par quel sens l’atteindre? par quel oeil la découvrir? Avec quel empressement la chercher?
1.
Ps. XXXI, 9. — 2. Matth. XXII, 21. — 3. Ps.XVII, 29.
Par quel mérite la posséder? Quel autre croyez-vous, sinon la grâce? Celui qui nous a fait don de l’existence, nous a aussi fait don de la bonté. Il donne aux uns de se convertir, car avant leur conversion, quand ils marchaient encore dans les chemins de l’erreur, ne les a-t-il point cherché? N’est-il point descendu? Le Verbe ne s’est-il pas fait chair, afin d’habiter parmi nous 1? N’a-t-il pas allumé la lampe de sa chair, lorsqu’il était à la croix, pour chercher la dragme perdue 2? Il l’a cherchée, et l’a retrouvée au milieu des applaudissements de ses voisins, c’est-à-dire de toute créature spirituelle qui s’approche de Dieu. La dragme a été retrouvée aux applaudissements des voisins, et l’âme humaine rachetée aux applaudissements des anges. Qu’elle tressaille donc, cette âme retrouvée, et qu’elle dise: « Combien vos oeuvres sont admirables, ô mon Dieu! vous avez tout fait dans votre sagesse ».
3. « La terre est remplie de vos créatures ». De quelles créatures est remplie la terre? Les arbres et les arbrisseaux, les troupeaux et les bêtes sauvages, le genre humain tout entier, voilà ce qui remplit la terre, créature de Dieu elle-même. Nous le voyons, nous le savons, nous le lisons, nous le reconnaissons, nous en louons Dieu, nous prêchons sa gloire, et nos louanges sont bien en arrière des jubilations de nos coeurs, à la vue de ces merveilles. Mais arrêtons-nous de préférence à cette créature, dont l’Apôtre a dit: « Si quelqu’un est à Jésus-Christ, c’est une nouvelle créature; le passé n’est plus, tout est devenu nouveau 3 ». Quel est ce passé qui n’est plus? Chez les Gentils toute idolâtrie, chez les Juifs tout asservissement à la loi, les anciens sacrifices, ombres du sacrifice nouveau. Le vieil homme abondait, alors est venu celui qui devait renouveler son oeuvre, il est venu jeter son argent à la refonte, y graver son effigie, et nous voyons la terre remplie de chrétiens qui croient en Dieu, qui ont en horreur leurs anciennes impuretés, leur idolâtrie, qui renoncent aux espérances du passé pour espérer une vie à venir; ces biens ne se réalisent point encore, nous les tenons néanmoins en espérance, et cette espérance nous fait chanter et dire: « La terre est remplie de vos créatures ». Ce n’est point encore là le chant de la patrie, ni de ce
1. Jean, I, 14. — 2. Luc, XV, 8. — 3. II Cor. V, 17.repos qui nous est promis alors que seront affermies les portes de Jérusalem 1. Mais dans notre pèlerinage, à la vue de ce monde entier, de ces hommes qui de toutes parts accourent embrasser la foi, qui craignent l’enfer, qui méprisent la mort, qui aspirent à la vie éternelle, qui dédaignent celle-ci, transportés de joie à la vue d’un tel spectacle, nous chantons: « O Dieu, la terre est remplie de vos créatures ».
4. Cette vie, toutefois, est encore battue par les flots des tentations, elle est troublée par les tempêtes et par les orages de la tribulation et de l’orgueil; telle est néanmoins la voie. Que la mer nous menace, que ses flots s’amoncèlent, que ses tempêtes grondent, c’est là qu’il faut aller; nous avons pour naviguer le bois sacré: « La terre est remplie de vos créatures ». Nous ne sommes point encore, il est vrai, à la terre des vivants, celle-ci est encore la terre où l’on meurt; mais nous crions et nous disons: « Vous êtes mon espérance, vous êtes mon héritage dans la terre des vivants 2 ». Mon espérance dans la terre de la mort, mon héritage dans la terre des vivants. Telle est la terre remplie de la créature de Dieu. Celui-ci qui est sur la terre de la mort, et pas encore dans la terre des vivants, par où va-t-il passer? Ecoute ce qui suit: « Voilà la grande mer qui s’étend au loin, là se meuvent des reptiles sans nombre, des animaux grands et petits 3 ». La mer a un son effrayant: « Là se meuvent des reptiles innombrables ». Les piéges se glissent de toutes parts ici-bas, les imprudents y sont pris. Qui peut énumérer toutes les tentations qui se glissent partout? Elles se glissent; mais veille à n’être pas enlacé. Veillons sur le bois sacré, et alors nous sommes en sûreté, et sur les ondes et au milieu des flots: que le Christ ne dorme point, que notre foi ne dorme point; si le Christ dort, éveillons-le, et il commandera aux vents, et la mer s’apaisera 4; cette voie aura un terme qui nous donnera la joie de la patrie. « Là se meuvent des reptiles sans nombre, grands et petits ». Sur cette mer si formidable, je vois encore des incrédules; je les trouve dans les eaux stériles et amères, les uns grands, les autres petits. Nous voyons cela. Il est encore dans cette vie bien des petits qui n’ont
1.
Ps. CXLVII, 13. — 2. Id. CXLI, 6. — 3. Id. CIII, 25. — 4. Matth. VIII,
24-26.
pas encore embrassé la foi, beaucoup de grands du monde ne croient point encore; il y a dans cette mer « de grands et de petits animaux »: ils haïssent l’Eglise, le nom de Jésus-Christ leur pèse; ils ne nous outragent point, parce que la loi ne le permet pas; leur cruauté, n’osant éclater, se renferme dans leurs coeurs. Tous ceux, en effet, petits ou grands, qui voient avec douleur les temples fermés, les autels renversés, les idoles brisées, les lois qui défendent comme un crime capital de sacrifier aux idoles, tous ceux qui en sont affligés sont encore dans la mer. Mais nous, par où donc pourrons-nous aller à la patrie? En traversant la mer, mais appuyés sur le bois. Ne crains aucun danger, le bois qui te porte soutient le monde entier. Redoublez donc d’attention: « Cette mer est vaste et s’étend au loin, là se meuvent des reptiles sans nombre, grands et petits ». Mais rassure-toi, bannis toute crainte, soupire après la patrie, et sache que tu es dans l’exil.
5. « C’est là que passeront les navires 1». Voyez, sur cette mer effrayante, des vaisseaux qui se promènent sans être submergés. Dans ces vaisseaux, nous voyons les Eglises. Elles traversent et les tempêtes et les orages des tentations, et les flots du monde, au milieu des petits et des grands animaux. Le Christ est là pour les diriger avec le bois de sa croix. « C’est là que passeront les navires ». Que ces navires ne craignent point, qu’ils ne considèrent point la mer qu’ils traversent, mais le pilote qui les conduit. « C’est là que passeront les navires ». Or, quelle traversée peut être fâcheuse, quand on sent que le Christ est le pilote? Ils passeront donc en sécurité, ils passeront avec persévérance, ils arriveront au port, et seront conduits sur la terre du repos.
6. Mais il y a dans cette mer quelque chose de plus redoutable que ces animaux grands
et petits. Qu’est-ce donc? Ecoutons le psaume: « Là est ce dragon que vous avez formé, pour être un jouet 2 ». Il y a donc là des reptiles sans nombre, des animaux grands et petits, des navires qui passent et qui ne craindront ni les reptiles sans nombre, ni les animaux grands et petits, ni même le dragon qui est là, et « que Dieu a formé pour être un jouet ». Il y a ici un grand mystère, et néanmoins vous
1. Ps. CIII, 26.— 2. Ibid.connaissez ce que je vais vous en dire. Vous connaissez ce dragon ennemi de l’Eglise; sans l’avoir vu des yeux de la chair, vous l’avez vu des yeux de la foi. C’est lui qui est encore appelé lion, et dont 1 Ecriture nous a dit: «Vous foulerez aux pieds le lion et le dragon 1». Sois toi-même soumis à ta tête, et tiens ton corps en servitude, que les membres se tiennent unis à leur chef, afin d’en être véritablement les membres. Il est dit d’Eve, la première femme, que ce dragon la séduisit, en lui donnant un conseil de mort, en se glissant comme un serpent dans son coeur, par ses persuasions malignes. Alors arriva ce que nous savons, ce que nous fîmes là nous-mêmes, ce que nous déplorons. Dans ces deux premières tiges était le genre humain tout entier, De là vient cette source de mort; de là ces dettes, ces fautes chez les enfants. « Qui donc est pur en votre présence », dit l’Ecriture? « pas même l’enfant qui n’a vécu sur la terre qu’un seul jour 2 ». De ce premier péché vient la transmission du péché, la transmission de la mort. Car vous savez ce qui a été dit à la femme, ou mieux au serpent, lorsque Dieu entendit le péché du premier homme. « Elle observera ta tête et tu « observeras son talon 3 ». Il y a ici un grand mystère, une figure de l’Eglise à venir, tirée du flanc de son époux, et de son époux endormi. Car Adam était la figure de l’Adam futur, ainsi que l’a dit l’Apôtre: « Cet Adam figurait l’Adam à venir 4». En lui, nous voyons une image de ce qui devait arriver, puisque l’Eglise a été formée du côté du Christ qui dormait sur la croix. C’est du flanc du crucifié, ouvert par une lance 5, qu’ont découlé les sacrements de l’Eglise. Qu’est-il donc dit à l’Eglise? Ecoutez bien, mes frères, comprenez, et tenez-vous en garde: « Elle observera ta tête, et tu observeras son talon ». O Eglise, observe donc la tête du serpent. Qu’est-ce que la tête du serpent? La première suggestion du péché. Te vient-il à l’esprit quelque désir du mal? N’y arrête point ta pensée, n’y consens point. Une telle suggestion est la tête du serpent; brise cette tête, et tu échapperas aux autres mouvements. Qu’est-ce à dire, brise la tête? Dédaigne ses suggestions. Mais c’est un gain qu’il me suggère, il y a là beaucoup à gagner,
1.
Ps. XC, 13.— 2. Job, XIV, 4, 5.— 3. Gen III, 15.— 4. Rom. V, 14. — 5. Jean, XIX, 34.
beaucoup d’or; telle fraude t’enrichira. C’est la tête du serpent, brise-la. Qu’est-ce à dire, brise-la? Dédaigne ce qu’il te suggère. Mais il me propose un grand trésor. Et que sert à l’homme de gagner le monde entier, s’il vient à perdre son âme 1. Périsse le gain du monde, plutôt que mon âme. Parler ainsi, c’est observer la tête du serpent, et l’écraser. Mais le diable observe aussi ton talon. Qu’est-ce à dire qu’il observe ton talon? Quand tu abandonnes le chemin de Dieu. Le quitter, c’est tomber; tomber, c’est être au pouvoir du diable. Pour ne point tomber, n’abandonne pas le chemin. Dieu t’a ouvert un sentier étroit, tout ce qui l’environne est glissant. Aussi le Christ est ta lumière, comme le Christ est ta voie. « Il y avait », dit l’Evangile, « une lumière véritable, éclairant tout homme qui venait en ce monde 2 ». Et encore: «Je suis la voie, la vérité et la vie 3 ». Venir par moi, c’est venir à moi. Si donc il est notre lumière, il est aussi notre voie; et nous éloigner de lui, c’est n’être ni dans la voie, ni dans la lumière, Que doit-il t’arriver ensuite? Ce que dit le Prophète, dans un autre psaume: « Que leur voie soit ténébreuse et glissante 4».
7. Donc ce dragon, cet antique ennemi, écumant de rage, si astucieux dans ses embûches, habite cette vaste mer. « Ce dragon que vous avez fait pour être un jouet». Fais de lui un jouet, car c’est pour cela qu’il est devenu dragon, Son péché l’a fait tomber du haut du ciel; d’ange qu’il était, devenu démon, il s’est choisi pour habitation cette mer si vaste et si spacieuse. Ce que tu prends pour son royaume est une prison. Beaucoup nous disent:
Pourquoi tant de pouvoir au diable, qui domine ainsi le monde, qui a tant de force, tant d’autorité? Quelle est cette puissance, cette autorité? Il ne peut rien qu’on ne lui permette, Agis de façon qu’il ne lui soit rien permis sur toi; ou s’il lui est permis de te mettre à l’épreuve, qu’il soit vaincu et se retire sans avoir rien gagné. Dieu lui a permis de tenter quelques saints serviteurs de Dieu; ils l’ont vaincu, parce qu’ils ne se sont pas éloignés de la véritable voie, et ils ne sont point tombés, quoique ce dragon observât leurs pieds. Job, cet homme si saint, était assis sur un fumier, et courait néanmoins dans cette voie de Dieu. Voyez comment il observait la tête
1. Matth. XVI, 26.— 2. Jean, I, 9.— 3. Id. XIV, 6.— 4. Ps.XXXIV, 6. du serpent, et comment le serpent observait son talon. L’un repoussait la suggestion l’autre comptait sur la chute: il s’empara même de sa femme, qui était si faible; il ôta tous les biens à Job, et ne lui laissa que celle dont il devait se faire une aide, non pour consoler son mari, mais pour lui tendre des embûches; il s’empara d’elle, parce qu’elle n’observait point sa tête. C’était une nouvelle Eve, mais Job n’était plus Adam. Privé de tout bien, Job demeura avec son épouse, qui devait le tenter, et avec Dieu qui devait le diriger. Quelle pauvreté plus grande et plus subite que la sienne, si l’on considère sa maison? Quelle plus grande richesse, si l’on considère son coeur? Vois le dénuement de sa maison. Tout en a disparu. Vois les richesses de son coeur: « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté; ainsi qu’il a plu au Seigneur, il a été fait; que le nom du Seigneur soit béni ». « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté 1 »; il savait qui le conduisait, qui le tentait, qui avait donné ce pouvoir à son tentateur. Que le diable, dit-il, ne s’attribue rien; il a bien la volonté de nuire, mais il n’en aurait pas le pouvoir, s’il ne l’avait reçu; je ne souffre qu’autant qu’il en a reçu la puissance; ce n’est point de sa part que je soufire, mais de la part de celui qui lui a donné ce pouvoir: méprisons l’orgueil du tentateur, respectons les châtiments d’un père. Le tentateur fut repoussé, sa tête était observée, elle ne put entrer dans le coeur. Il assiégea extérieurement une ville bien fortifiée, et ne put l’emporter. Nouvelle épreuve. Dieu donna au diable un pouvoir sur son corps, et Job fut frappé d’un ulcère effroyable, de la tête aux pieds; il tombait en pourriture, les vers sortaient de son corps, et n’ayant plus de maison, il s’asseyait sur un fumier. Là, Eve séduite, que le diable avait laissée à ce nouvel Adam, non pour le soutenir, mais pour le faire tomber, lui suggère le blasphème contre Dieu. Dans le paradis, il poussa au mépris de Dieu; ici, il pousse au blasphème. Dans le paradis, il vainquit l’homme qui était sain de corps; ici, il est vaincu par un homme en pourriture; il renversa l’homme dans le paradis, et fut renversé par l’homme du fumier. Or, ce dragon épiait si Job ne pécherait point par la langue. Pour tout homme, en effet, l’action est une démarche; et agir, c’est aller au but, et en
1. Job, I, 21.
quelque sorte avoir des pieds. Or, Job parlait beaucoup; ceux qui lisent l’Ecriture le savent bien; et dans toutes ses paroles, le serpent observait son talon, afin de voir s’il ne tomberait point. Mais Job observait à son tour. la tête du serpent, et repoussa toute suggestion. Il répondit à sa femme, comme il fallait répondre à une femme: « Vous avez parlé comme une femme insensée; si nous avons reçu les biens de la main de Dieu, pourquoi n’en recevrions-nous pas les maux? En toutes ces choses, Job ne pécha point par la langue 1 ». Plusieurs néanmoins, ne comprenant pas bien les paroles de Job, y voient des expressions quelque peu dures contre le Seigneur.
8. Dans cette colère contre Dieu, que lui prêtent ceux qui ne le comprennent point, il dit ceci, entre autres, s’adressant à Dieu, alors qu’il était la grande personnification d’une grande prophétie: Puisse-t-il y avoir un « arbitre entre vous et moi 2 ! » Qu’est-ce à dire, «un arbitre 3?» Un homme jugeant entre nous, et dont le jugement ferait triompher ma cause. Tel est le premier sens qui s’offre d’abord: mais examine, afin d’éviter une erreur; car le serpent a toujours l’oeil sur ton talon 4.Quel paraît être le sens de cette parole; « Puisse-t-il y avoir un arbitre entre vous et moi ! » c’est-à-dire un médiateur capable de juger entre vous et moi. Ce langage d’un homme à Dieu, d’un homme sur un fumier, un ange dans le ciel le tiendrait-il à Dieu: Puisse-t-il y avoir un arbitre entre nous! Mais que prévoyait Job, que désirait-il? « Beaucoup de justes et de Prophètes ont voulu voir », dit le Sauveur, « ce que vous voyez et ne l’ont point vu ». Il souhaitait donc un arbitre; et qu’est-ce qu’un arbitre? Un médiateur qui accommode un différend. N’étions-nous donc pas ennemis de Dieu, et notre cause contre lui n’était-elle point désespérée? Or, qui pouvait terminer ce malheureux différend, sinon cet arbitre médiateur, sans l’avènement duquel toute voie miséricordieuse nous était fermée? C’est de lui que l’Apôtre a dit: « Il n’y a qu’un Dieu, et qu’un médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme 6». S’il n’était homme, il ne serait point médiateur; comme Dieu, en effet,il est égal à son Père. Il est dit ailleurs: « Un médiateur ne
1. Job, II, 10. — 2. Id. IX, 33, suiv. les Septante. — 3. O mesites emon. — 4. Gen. III, 15. — 5. Matth. XIII, 17. — 6. I Tim. II, 5.l’est pas d’un seul, et il n’est qu’un seul a Dieu 1 ». On n’est médiateur qu’entre deux; le Christ est donc médiateur entre l’homme et Dieu, Non parce qu’il est Dieu, mais parce qu’il est homme: comme Dieu, il est égal à son Père; mais dans cette égalité il n’est point médiateur, Pour être médiateur, il doit descendre entre le supérieur et l’inférieur, et dès lors n’être plus égal au Père; il doit faire ce qu’a dit l’Apôtre: « Il s’est anéanti en prenant la forme de l’esclave, en se faisant semblable aux hommes et reconnaître homme par tout ce qui a paru en lui 2 ». Qu’il répande son sang, effaçant ainsi notre condamnation 3; qu’il apaise le différend qui est entre nous, en redressant notre volonté selon la justice, et en inclinant sa sentence vers la miséricorde. C’est ainsi que nous expliquons avec le secours de Dieu, et selon qu’il nous est possible, une expression qui nous paraît dure dans Job; de même il y a manière d’entendre les autres expressions qui semblent dures et blasphématoires. Nous pourrions penser le contraire, si Dieu n’eût rendu témoignage à son serviteur et avant qu’il eût parlé, et après qu’il eût achevé de parler. Car Dieu lui rendit tout d’abord témoignage, en l’appelant: « Un homme irréprochable, un véritable adorateur de Dieu 4 ». Ainsi dit le Seigneur, ainsi dit-il avant la tentation. Mais afin qu’on ne pût se scandaliser en interprétant mal ces paroles, et en s’imaginant que Job fût juste à la vérité avant l’épreuve, mais qu’une épreuve si rude le fit tomber, et même tomber dans le sacrilège et le blasphème, voilà qu’après tous les discours et de Job et des amis qui étaient venus pour le consoler, le Seigneur déclare que ces amis n’ont point parlé selon la vérité comme avait fait son serviteur Job. « Vous n’avez dit en ma présence aucune vérité, comme Job mon serviteur 5». Puis il ordonne à Job d’offrir pour eux un sacrifice, afin que leurs péchés soient effacés.
9. Courage donc, mes frères, que celui qui veut observer la tête du serpent, et passer en toute sécurité la mer de cette vie, prenne garde au serpent dont elle est la demeure, et comme je le disais, le diable tombé du ciel, occupe maintenant cette place; qu’il observe sa tête, loin de toute crainte et de tout désir du siècle. Car ses suggestions aboutissent à la
1.
Ga. III, 20. — 2. Philipp. II, 7.— 3.
Colos, II, 14.— 4. Job, I, 8. — 5. Id. XLII, 7, 8.
crainte ou au désir; c’est ton amour ou ta crainte qu’il s’applique à sonder, Toi donc, si tu crains l’enfer, si tu désires le ciel, tu observeras sa tête; en évitant sa tête, tu es en assurance; il ne te verra point tomber, et n’aura point de ta ruine une joie féroce. Que personne donc, je le répète, ne nous dise qu’il a un grand pouvoir. Les hommes semblent ne voir que la puissance qu’il a reçue, sans voir ce qu’il a perdu. Mais Job, ce saint personnage, dans un langage figuré et d’une haute profondeur, nous parle de ce pouvoir que l’on attribue au diable, et le décrivant sous un grand nombre de formes et de figures, nous dit ce qu’est ce diable: « Rien de semblable ne s’est fait sur la terre, afin que mes anges se jouent de lui ». C’est Dieu qui parle ainsi dans le livre de Job: « Rien de semblable ne s’est fait sur la terre, afin que mes anges se jouent de lui. Il voit tout ce qui est élevé; il est le roi de tout ce qui est dans les eaux 1». Ces paroles sont d’accord avec celles de notre psaume. Car en parlant de cette mer vaste et spacieuse, où se meuvent des animaux grands et petits, des reptiles sans nombre, où passent les navires que sauvegarde le bois, il s’écrie: « Là est ce dragon que vous avez formé pour être un jouet ». Si donc il est un jouet, comment Dieu se jouet-il de lui? Ou bien Dieu l’a-t-il livré à d’autres comme un jouet, c’est-à-dire afin qu’on lui insulte? Nous croirions que c’est de Dieu qu’il est le jouet, si le livre de Job ne tranchait la difficulté; car il nous dit: « Pour être le jouet de mes anges ». Veux-tu que le diable soit ton jouet? Sois un ange de Dieu. Mais tu n’es pas encore un ange du Seigneur. Jusqu’à ce que tu le deviennes, si tu prends le moyen de le devenir, il est d’autres anges qui peuvent se jouer du dragon, l’empêcher de te nuire. Car ces anges du ciel sont établis sur les puissances de l’air, c’est par eux que vient toute parole qui s’accomplit ici-bas. Ils contemplent cette loi immuable, éternelle, qui commande sans écriture, sans syllabe, sans aucun son, toujours fixe, toujours la même; les anges la contemplent d’un coeur pur, et selon ses préceptes, ils font tout ce qui s’accomplit ici-bas; et depuis la plus haute puissance jusqu’à la dernière, tout est réglé par cette loi. Or, si les hautes puissances des cieux sont gouvernées par la parole de Dieu, combien
1.
Job, XLI, 24, 25, suiv. les Septante.
plus les puissances inférieures et terrestres? Il ne reste donc aux méchants que la volonté de nuire. C’est ce désir de nuire que l’homme a en propre, et désir qui le perd. Mais qu’il ne se glorifie point d’avoir pu nuire à quelqu’un: ce n’est pas lui qui a nui, c’est Dieu qui lui en a donné le pouvoir. C’est un arrêt prononcé, une sentence irrévocable: « Il n’y a point de puissance qui ne vienne de Dieu 1 ». Que crains-tu donc? Que le dragon soit dans les eaux, qu’il soit dans la mer, tu passeras. Il est destiné à être un jouet, c’est le rang qu’on lui a donné, la demeure qui lui est assignée. Si tu regardes comme grandes encore ces demeures, c’est que tu ne connais point les demeures des anges d’où i1 est tombé; ce que tu vois comme une gloire, est une damnation.
10. Ecoutez une simple comparaison; car c’est un grand point que connaître et comprendre tout ceci. Imaginez-vous que toute ces créatures ainsi coordonnées forment une vaste maison; or, dans cette maison est un souverain maître qui a des serviteurs, et parmi ces serviteurs quelques-uns l’approchent de plus près, ont des emplois plus nobles, comme la garde des vestiaires, des trésors, des greniers, des grands fermages; il a aussi des serviteurs pour des emplois inférieurs, toujours soumis à ce maître, qui en a même destiné aux cloaques; voyez combien sont nombreux les degrés entre les premiers officiers et ces derniers. Mais qu’un des premiers vienne à offenser son maître qui l’envoie comme portier, par exemple, en quelque lieu écarté; qu’en exerçant le pouvoir qui lui est assigné, il maltraite ceux qui voudront entrer ou sortir, selon le pouvoir qu’il a reçu du maître, et que ceux-ci ne sachent point qu’il occupa jadis un rang très-élevé, ils lui croiraient une grande puissance, parce qu’ils ne connaîtraient point de quel rang il est tombé. Et pourtant, mes frères, ce portier dont je vous parle, dans cette comparaison d’une grande maison de la terre, pourrait agir encore à l’insu de son maître, et maltraiter quelqu’un sans son ordre. Mais le diable n’est pas même placé à cette porte par laquelle nous allons à Dieu. Car cette porte c’est le Christ, et c’est par le Christ que nous entrons dans la vie éternelle 2. Mais il est une autre porte par laquelle on entre dans le monde, c’est la porte de la mortalité; il est
1.
Rom. XIII, 1.— 2. Jean, X, 9.
comme portier à cette porte où notre chair infirme se détruit et se refait: il a le pouvoir sur cette mer que traversent les vaisseaux, mais pas un pouvoir tel qu’il agisse à l’insu ou contre la volonté du maître. Qu’on ne dise point: Il a perdu la puissance qu’il avait dans les grands emplois; mais moi je suis dans les plus basses régions, il peut avoir un pouvoir sur moi, et je devrais le servir. Ici point d’illusion; ton Naître te connaît, et il te connaît au point de savoir le nombre de tes cheveux 1. Que crains-tu donc? Le démon t’aiguillonnera peut-être dans ta chair: mais c’est là le fouet de ton maître, et non le pouvoir du tentateur. Il voudrait nuire au salut qui t’est promis, mais il en est empêché; afin qu’on nele lui permette point, prends Jésus-Christ pour chef; repousse la tête du dragon, éloigne ses suggestions, et ne t’éloigne point de ta voie. « Là est le dragon que vous avez fait pour servir de jouet».
11. Veux-tu voir qu’il ne peut te nuire, si Dieu ne le permet? « Toutes les créatures attendent de vous la nourriture au temps marqué 2 ». Ce dragon voudrait manger aussi, mais il ne dévore point celui qu’il voudrait. « Toutes les créatures attendent de vous la nourriture au temps marqué » « Toutes», et celles qui rampent, qui sont sans nombre, et les grands animaux et les petits, et ce dragon, et toutes les créatures dont vous avez rempli la terre: « Toutes attendent de vous la nourriture au temps marqué »; à chacun la nourriture qui lui est propre. Tu as ta nourriture, le dragon aussi a la sienne. Si la vie est chrétienne, tu as pour nourriture le Christ; en t’éloignant du Christ, tu seras la nourriture du dragon. « Toutes les, créatures attendent de vous-leur nourriture au temps marqué » Qu’est-il dit au dragon? « Tu mangeras la terre ». Dieu dit donc au dragon: « Tu mangeras la terre, tous les jours de ta vie. » Voilà quelle est la nourriture du dragon. Tu ne veux pas que Dieu te donne en pâture à ce dragon? Eh bien! non, ne sois pas la pâture du dragon, c’est-à-dire, n’abandonne pas les préceptes de Dieu. A cet endroit même où Dieu dit au dragon: «Tu mangeras la terre», il est dit à l’homme prévaricateur: «Tu es terre, et tu retourneras dans la terre 3 ». Veux-tu n’être point la proie du serpent? Ne sois point terre. Mais, diras-tu, comment n’être pas une terre? Arrière les goûts terrestres. Ecoute saint
1.
Matth. X, 30. — 2. Ps. CIII, 27. — 3. Gen. III, 14, 19.
Paul, afin de n’être pas une terre. Ton corps est une terre à la vérité, mais toi ne sois pas terrestre. Qu’est-ce à dire? « Si vous êtes ressuscités avec le Christ, cherchez ce qui est en haut, où est le Christ assis à la droite de Dieu; ayez des goûts d’en haut, et non des goûts de la terre 1». Ne pas goûter la terre, c’est n’être point terrestre: et si tu n’es pas une terre, tu ne seras point la pâture du serpent, qui a la terre pour nourriture. Dieu donne au serpent sa nourriture, quand il veut, et comme il veut; niais il fait un discernement exact, et ne saurait se tromper, il ne lui donnera point de l’or pour de la terre. « Toutes les créatures, Seigneur, attendent de vous la nourriture au temps marqué; vous donnez, elles recueillent 1 ». Cette nourriture est en leur présence; mais si vous ne donnez, elles ne recueillent point. Job était en présence du diable; et le démon n’en fit point sa proie, n’osa même l’attaquer, que sur la permission de Dieu 3. «Elles l’attendent de vous; quand vous donnez, elles recueillent»: elles ne recueillent point, si vous ne donnez.
12. Et nous, mes frères, quelle est notre nourriture? Voici ce que dit notre psaume: « Vous ouvrez la main, elles sont rassasiées de vos dons ». Que signifie cette parole, ô mon Dieu, vous ouvrez votre main? Votre main, c’est le Christ. « A qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé 4? » Révéler ici, c’est ouvrir; car une révélation est une manifestation. « Or, vous ouvrez la main, et elles sont rassasiées de vos dons ». Quand vous révélez votre Christ, « tout est comblé de vos bontés ». Ces créatures n’ont point par elles-mêmes ces richesses; et souvent vous le leur faites sentir: « Car vous détournez votre face, et elles sont dans le trouble 5 ». Plusieurs au comble des biens se sont attribué ce qu’ils avaient, et ont voulu s’en glorifier comme d’un fruit de leur propre justice, et se sont dit: Me voilà juste, me voilà grand: ils ont mis en eux-mêmes leur complaisance. Et l’Apôtre leur dit: « Qu’avez-vous, que vous n’ayez reçu 6?» Or, Dieu voulant nous prouver que c’est de lui que nous tenons tout, et nous faire unir l’humilité aux dons de sa bonté, nous jette parfois dans, la confusion. Il détourne de nous son visage, et nous tombons dans l’épreuve; nous montre que notre justice, que notre
1.
Coloss. III, 1, 2.— 2. Ps. CIII, 28.— 3. Job, I, 12.— 4. Isa, LIII, 1. — 5.
Isa. CIII, 29.— 6. I Cor. IV, 7,
vie régulière ne nous venaient que de sa direction. « Vous détournez votre face, et ils sont dans le trouble ». Voyez ce qui est dit dans un autre psaume: « J’ai dit dans mon abondance: Je ne serai point ébranlé éternellement 1». Comblé de richesses, il a présumé de lui-même, il a cru que ses richesses venaient de lui-même, et il a dit dans son coeur: « Je ne serai point ébranlé éternellement». Mais bientôt l’expérience lui ayant appris qu’il a reçu de Dieu la grâce, il remercie le Seigneur: « C’est dans votre bonté, Seigneur, que vous m’avez donné la beauté et la force 2 ». De même ici: « Vous ouvrez votre main, vous ouvrirez donc votre main, la vôtre et non la leur, et toutes les créatures seront comblées de vos bontés. Elles seront dans le trouble quand vous détournerez votre face ».
13. Mais pourquoi en agir ainsi? Pourquoi les jeter dans le trouble en détournant votre
face? « Vous retirez leur esprit, et ils meurent ». Leur esprit, c’est leur orgueil. Ils se glorifient donc, s’attribuent à eux-mêmes ce qu’ils sont, et se croient justes par eux-mêmes. Détournez donc votre face, afin qu’ils soient dans le trouble; retirez leur esprit,afin qu’ils tombent, qu’ils crient vers vous en disant: « Exaucez-moi, ou plutôt, Seigneur, mon esprit est en défaillance; ne détournez point de moi votre face 3. Vous retirez leur esprit et ils succomberont, et rentreront dans leur poussière ». L’homme qui se relient de son péché reconnaît qu’il n’a en lui-même aucune force, il confesse à Dieu qu’il n’est que cendre et poussière. O homme superbe, te voilà donc rentré dans la poussière: ton esprit n’est plus en toi; tu n’as plus de jactance, plus d’orgueil, plus de confiance dans ta justice; tu vois que tu viens de la poussière, et que le Seigneur,: en détournant sa face, te fait rentrer dans ta poussière. Implore donc sa démence, en confessant que tu es poussière et faiblesse.
14. Voyons la suite: « Vous enverrez votre esprit, et ils seront créés 4». Vous retirerez d’eux leur esprit pour leur envoyer le vôtre: « vous retirerez donc leur esprit » et ils n’auront plus leur esprit propre; Sont-ils alors dénués complètement? « Bienheureux ceux qui sont pauvres d’esprit »; mais ils ne sont point dans le dénuement, puisque: « Le royaume des
1. Ps. XXIX, 7.— 2. Id. 8.— 3. Id. CXLII, 7. — 4. Id. CIII, 30.cieux leur appartient 1 ». En renonçant à leur propre esprit, ils auront l’esprit de Dieu. Voici ce qu’il dit aux martyrs futurs: « Quand ils vous auront saisis, et qu’ils vous emmèneront, ne vous inquiétez pas comment vous parlerez, ni de ce que vous direz; car ce n’est point vous qui parlez, mais bien l’Esprit de votre Père qui parle en vous 2 ». Ne vous attribuez point votre force, car si elle venait de vous et non de moi, ce serait une dureté plutôt qu’une force. « Vous retirerez leur esprit et ils tomberont et retourneront dans leur poussière; vous enverrez votre esprit, et ils seront créés. Car nous sommes l’oeuvre de Dieu», nous dit l’Apôtre, «créés dans les bonnes oeuvres 3 ». De son esprit nous vient la grâce qui nous fait vivre dans la justice; car
c’est lui qui justifie l’impie 4. « Vous retirerez leur esprit et ils tomberont; vous enverrez votre esprit et ils seront créés, et vous renouvellerez la face de la terre»: c’est-à-dire, vous y mettrez des hommes nouveaux, qui confesseront que leur justice ne vient pas d’eux-mêmes, afin que votre grâce soit en eux. Voyez quels sont les hommes par qui la face de la terre a été renouvelée. Saint Paul nous répond: « J’ai travaillé plus que tous les autres ». Qu’est-ce à dire, ô Paul? Voyez bien si c’est,vous, si c’est votre esprit. « Non pas moi », dit-il, « mais la grâce de Dieu avec moi 5 ».
15. Qu’arrivera~t-il donc lorsque Dieu aura enlevé notre esprit, et que nous serons dans notre poussière, considérant pour notre bien quelle est notre infirmité, afin qu’en recevant l’esprit de Dieu nous soyons renouvelés? Vois la suite: « Que la gloire de Dieu subsiste à jamais 6 ». Non ta gloire, non la mienne, non celle de celui-ci ou de celui-là, mais « la gloire de Dieu »; qu’elle subsiste non pour un temps, mais « à jamais 6». « Le Seigneur se complaira dans ses oeuvres ». Non point dans les tiennes comme venant de toi; car si tes oeuvres sont mauvaises, c’est à cause de l’iniquité qui vient de toi; si elles sont bonnes, c’est par la grâce de Dieu. « Le Seigneur se complaira dans ses oeuvres ».
16. « C’est lui qui regarde ta terre, et elle tremble; il touche les montagnes, et elles s’embrasent 7 ». O terre, tu t’applaudissais dans ta bonté, tu t’arrogeais tes forces, ton
1.
Matth. V, 3.— 2. Id. X, 19, 20.— 3. Ephés. II, 10.— 4. Rom. IV, 5. — 5. I Cor. XV, 10. — 6.
Ps. CIII, 31. — 7. Id. 32.
opulence, et voilà qu’un regard du Seigneur te fait trembler. Ah ! qu’il te regarde, et que son oeil te fasse trembler; mieux vaut l’humilité qui tremble, que l’orgueil qui s’applaudit. Voyez comment Dieu regarde la terre et la fait trembler. Voilà que l’Apôtre, s’adressant à une terre qui s’applaudit, qui a confiance en elle-même, lui dit: « Travaillez à vous sauver, avec crainte et tremblement; car c’est Dieu qui opère en vous 1». Voici donc vos paroles, ô bienheureux Apôtre: « Travaillez », c’est le travail qui nous est commandé; pourquoi « avec tremblement?» «C’est que Dieu », dit l’Apôtre, « opère en vous ». Ainsi donc c’est parce que « Dieu opère » que nous devons travailler « avec crainte ». Parce que c’est lui qui nous donne, que ce qui est en nous ne vient pas de,nous, il nous faut travailler avec crainte et avec tremblement; si nous n’avons aucune crainte, il nous ôtera ce qu’il nous a donné. Travaille donc avec crainte; vois dans un autre psaume: « Servez le Seigneur avec crainte, et tressaillez devant lui avec tremblement 2». Si donc notre allégresse doit être mêlée de crainte, Dieu regarde la terre, et elle tremble: que son regard fasse trembler nos coeurs; et alors Dieu y prendra son repos. Ecoute aussi un autre passage: « Sur qui reposera mon esprit? Sur l’homme humble et calme, sur l’homme qui tremble à ma parole 3. Lui qui regarde la terre et elle tremble; qui touche les montagnes « et elles s’embrasent u. Ces montagnes, c’étaient les superbes, qui s’applaudissaient, et que Dieu n’avait pas encore touchés; il les touche, et les voilà qui s’embrasent. Qu’est-ce que s’embraser pour des montagnes? Offrir à Dieu leur prière. Voilà donc ces montagnes grandes, superbes, gigantesques, et qui n’invoquent point le Seigneur: elles voulaient être invoquées, sans invoquer aucun supérieur. Quel est sur la terre l’homme puissant, élevé, orgueilleux, qui daigne s’humilier devant Dieu pour prier? Je parle ici des impies, et non des cèdres du Liban que le Seigneur a plantés. Tous ces impies, toutes ces âmes infortunées, ne savent invoquer le Seigneur, et veulent recevoir les hommages des hommes. Telle est la montagne qui a besoin d’être touchée par le Seigneur, pour s’enflammer; mais dès qu’elle sera embrasée, sa prière montera vers Dieu comme le sacrifice
1. Philipp. II, 12, 13. — 2. Ps. II, 11. — 3. Isa. LXVI, 2.du coeur. Ce n’est d’abord qu’une fumée légère, puis on se frappe la poitrine, puis on répand des larmes, car la fumée provoque les larmes. « Il touche les montagnes, et elles s’embrasent ».
17. « Je chanterai au Seigneur durant ma vie ». Que doit-il chanter? Il chantera tout ce qu’il est. Chantons au Seigneur dans notre vie. Maintenant la vie est pour nous une espérance, elle sera ensuite une éternité. La vie d’une vie mortelle est l’espérance d’une vie immortelle, « Je chanterai durant ma vie au Seigneur; je chanterai mon Dieu sur la harpe tant que je subsisterai 1 ». Puisque je dois être en lui sans fin, je chanterai mon Dieu tant que je subsisterai. N’allons pas nous imaginer qu’après avoir commencé à chanter Dieu dans la céleste Jérusalem, nous puissions faire autre chose; toute notre vie sera de chanter Dieu. Si Dieu pouvait nous fatiguer, nos louanges à sa gloire le pourraient aussi: mais l’aimer toujours, c’est le louer toujours. « Je chanterai mon Dieu, tant que je vivrai ».
18. « Que mon entretien soit agréable à son coeur; pour moi, je n’aurai de joie que dans mon Dieu ». « Que mon entretien lui soit agréable 2». Quel entretien peut avoir un homme avec Dieu, qui ne soit une confession de ses péchés? Avouer à Dieu ce que tu es, c’est avoir un entretien avec lui. Dispute avec lui, fais de bonnes oeuvres, et compte avec Dieu. « Lavez-vous, purifiez-vous », dit lsaïe, « effacez de devant mes yeux la malice de vos pensées; cessez de commettre l’injustice, apprenez à faire le bien, relevez l’orphelin, défendez la veuve, puis venez, disputons ensemble, dit le Seigneur 3 ». Qu’est-ce que disputer avec Dieu? Fais-toi connaître à celui qui te connaît déjà, et il se fera connaître à toi qui l’ignores. « Que ma dispute lui soit agréable ». Voilà donc ce qui plaît au Seigneur, ta discussion, le sacrifice de ton humilité, l’affliction de ton coeur, l’holocauste de ta vie, voilà ce qui est agréable au Seigneur. Pour toi, où trouves-tu quelque douceur? « Pour moi, je mettrai ma joie dans le Seigneur ». Tel est l’entretien: dont je parlais. Fais-toi connaître à celui qui te connaît, et il se fera connaître à toi, qui ne le
1.
Ps. CIII, 33. — 2. Id. 34. — 3. Isa. I, 16 -18.
connais pas. Ta confession lui est agréable, et sa grâce est pour toi une douceur. Car il s’est dit à toi. Comment se dire à toi? Par son Verbe. Quel Verbe? Le Christ, lite parle, et il se dit. Envoyer son Christ, c’était se dire. Ecoutons donc, mes frères, écoutons le Verbe lui-même: « Celui qui me voit, voit aussi mon Père 1. Pour moi, je mettrai ma joie dans le Seigneur ».
19. « Que les pécheurs soient effacés de la terre 2». On dirait une colère du Prophète. O bénie soit l’âme dont c’est là l’hymne et le gémissement! Plaise à Dieu que votre âme soit avec cette âme, qu’elle y soit unie, liée, attachée! Elle verrait alors la douceur de cette colère. Qui peut comprendre ceci, s’il n’est rempli de charité? « Que les pécheurs soient effacés de la terre ». Tu trembles devant cette malédiction, et de qui vient-elle? D’un saint. Assurément il sera exaucé. Mais il est dit aux saints: « Bénissez, et ne maudissez, point 3 ». Que signifie donc: « Que les pécheurs disparaissent de la terre?» Oui, qu’ils disparaissent; que leur esprit leur soit retiré, et qu’ils s’affaissent, afin que Dieu envoie son esprit qui les créera de nouveau. « Que les pécheurs disparaissent de la terre, ainsi que les méchants, en sorte qu’ils ne soient plus ». Qu’est-ce qu’ils ne seront plus, sinon qu’ils ne seront plus méchants? Mais pour n’être plus méchants, ils deviendront donc justes. Voilà ce que veut le Prophète, et il en est au comble de la joie, et il en revient au premier verset du psaume. « O mon âme, bénis le Seigneur ». Oui, mes frères, que notre âme bénisse le Seigneur, qui a daigné nous donner, à moi des forces et des paroles, à vous l’attention et la bonne volonté. Que chacun se souvienne de ce qu’il a entendu; qu’il s’en entretienne intérieurement, qu’il rumine la nourriture qu’il a prise, et ne la perde point dans les entrailles de l’oubli. Que ce précieux trésor repose dans votre bouche 4. Il en a coûté un grand travail, pour étudier et pénétrer ces symboles, un grand travail encore pour les prêcher et les élucider: que cette fatigue vous soit profitable, et que notre âme bénisse le Seigneur.
1. Jean, XIV, 9.— 2. Ps. CIII, 35. — 3. Rom. XIX, 14. — 4. Prov. XXI, 20.
Le titre indique le sujet du psaume, ou l’ordre prophétique intimé aux Evangélistes d’annoncer l’Evangile aux peuples de 1a terre. Le Prophète nous exhorte à louer Dieu par la parole et par les bonnes oeuvres, à nous tenir en sa présence, à te chercher toute notre vie, même après l’avoir trouvé, c’est-à-dire à nous attacher à lui par l’amour; en un mot, à le prendre pour notre héritage, à le servir pour lui-même ou par une charité parfaite. Voilà pour les chrétiens plus parfaits. Aux faibles il offre pour exemple la foi des patriarches et l’accomplissement des promesses qui leur étaient faites. Or, la foi fait de nous des enfants d’Abraham; ce qui regarde le Nouveau Testament, ou héritage de la foi qui en est le précepte et le nerf. Le Prophète nous dit que ces promesses étaient pour mille générations, ce qui s’entend de la durée du monde, or, ces générations doivent avoir une fin; mais eu outre de la terre de Chanaan, il y a la terre du ciel qui est la récompense éternelle comme le Testament. Le Prophète nous raconte les bienfaits de Dieu envers ses élus qui vont de nation en nation, et en faveur desquels il châtie les rois de Gérare et d’Egypte; il les appelle Christs, parce qu’ils étaient chrétiens par avance, et Prophètes parce qu’ils étaient des images du Christ. Il envoie Joseph en Egypte, pour y souffrir, et y enseigner la vraie sagesse. Il fit éclater en faveur de son peuple une protection qui stimula l’envie des Egyptiens, puis envoya Moïse et Aaron pour les délivrer par des prodiges tels que les ténèbres, les eaux changées en sang, les moucherons, la grêle qui brisa lea arbres, les sauterelles qui dévorèrent tout; tandis que les Hébreux s’enrichirent aux dépens de l’Egypte qui se réjouit de leur départ, quand elle vit les prodiges du Seigneur. Dieu les couvrit d’une nuée, leur envoya des viandes, fit jaillir l’eau du rocher, leur donna ainsi les biens du temps, afin qu’ils n’eussent d’autre soin que d’acquérir ceux de l’éternité. Cependant ce n’est point en vue de ces récompenses terrestres, mais bien par amour, que nous devons servir Dieu.
1. Le psaume cent quatrième est le premier de ceux qui portent l’inscription: «Alleluia». Ce mot, ou plutôt ces deux mots signifient louange à Dieu. Aussi le psaume commence-t-il ainsi: « Confessez Jéhovah, invoquez son nom 1 ». Or, le mot « confessez» doit s’entendre d’une confession de louanges, comme cette parole du Christ: « Je vous confesse, Dieu du ciel et de la terre 2». Après la louange vient en effet l’invocation, renfermant tous les désirs de celui qui prie. De là vient que l’oraison dominicale commence par une très-courte louange, qui est celle-ci: « Notre Père, qui êtes aux cieux 3 ». Viennent ensuite les demandes. De là vient que nous lisons dans un autre psaume: « Nous vous confesserons, Seigneur, nous vous confesserons, et nous invoquerons votre nom 4 ». Voilà ce qui est marqué plus clairement ailleurs: « En louant le Seigneur, je l’invoquerai, et je serai délivré de mes ennemis 5». De même ici « Confessez le Seigneur, invoquez son nom »; ce qui revient à dire: Louez-le Seigneur, et invoquez son nom. Le Seigneur exauce en effet celai qui invoque, si cette invocation est une louange, et c’est une louange, quand il voit que c’est un acte d’amour. Et en quoi le Seigneur exige-t-il
1.
Ps. CIV, I. — 2. Matth.
XI, 25. — 3. Id. VI, 9. — 4. Ps. LXXIV, 2. — 5. Id. XVII, 4.
qu’un bon serviteur lui témoigne de l’amour, sinon dans cette recommandation: « Paissez mes brebis 1? » C’est pourquoi le psaume ajoute: « Annoncez ses oeuvres parmi les « nations»; ou plutôt, selon la force du grec, conservée dans quelques traductions: « Evangélisez mes oeuvres parmi les nations ». A qui peuvent s’adresser ces paroles, sinon aux évangélistes, d’une manière prophétique?
2. « Célébrez-le dans vos chants et sur le psaltérion 2»; c’est-à-dire dans vos paroles et dans vos oeuvres. Le chant vient de la voix, c’est la main qui touche du psaltérion. « Racontez toutes ses merveilles, glorifiez-vous dans son saint nom 3 ». Ces deux derniers versets peuvent très-bien être la répétition des versets supérieurs: « Racontez toutes ses merveilles », se rapporterait à cette autre parole: « Louez-le dans vos chants »; et « Glorifiez son saint nom», à: « Louez-le sur le psaltérion ». La première partie désigne cette louange qu’on chante en l’honneur de Dieu, en racontant ses merveilles; la seconde, ces bonnes oeuvres faites en l’honneur de Dieu, sans vouloir tirer d’une bonne oeuvre la moindre louange pour sa propre vertu. Aussi, après avoir dit: « Glorifiez-vous », ce que l’on peut faire pat- de bonnes oeuvres; le Prophète ajoute: « Dans son saint nom, afin
1. Jean, XXX, 17. — 2. Ps. CIV, 2. — 3. Id. 3.
que celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur 1». Que ceux donc qui prennent le psaltérion, non point pour eux, mais en son honneur, n’affectent point de faire leurs bonnes oeuvres devant les hommes, afin d’en être vus; autrement ils ne recevraient aucune récompense de notre Père qui est dans le ciel 2; mais que leurs bonnes oeuvres éclatent devant les hommes, non point afin qu’ils vous voient vous-mêmes, mais afin qu’à la vue de vos bonnes oeuvres, ils glorifient leur Père qui est dans le ciel 3. Voilà ce que le Prophète appelle se glorifier en son nom. De là cette parole d’un autre psaume: « Mon âme se glorifiera dans le Seigneur; que ceux qui ont le coeur doux m’entendent, et partagent mon allégresse 4 ». Ce qui revient presque à cette parole: « Qu’il soit dans la joie, le coeur de ceux qui cherchent le Seigneur 5 ». En sorte qu’ils sont dans la joie, ces coeurs doux qui n’ont point une arrière jalousie contre ceux qui font le bien.
3. « Cherchez le Seigneur, et reprenez courage 6, « confortamini ». Cette expression rend mieux la force du grec, bien qu’elle semble moins latine. Aussi trouvons-nous dans certains exemplaires: Confirmamini, soyez plus fermes; dans d’autres: Corroboramini, soyez plus forts. C’est -à Dieu que l’on dit en effet: « Vous êtes ma force 7 »; et encore: « C’est pour vous que je garderai ma force « »; afin qu’en le cherchant, et qu’en nous approchant de lui, nous soyons éclairés et raffermis: de peur que l’aveuglement ne nous empêche de voir ce qu’il faut faire, et la faiblesse de faire ce que nous pourrions voir. Donc, afin que nous puissions voir, on nous dit: « Approchez, et soyez dans la lumière 9»; et afin que nous puissions agir: « Cherchez le Seigneur, et acquérez la force. Cherchez toujours sa face». Qu’est-ce que la face du Seigneur, sinon la présence de Dieu? Il en est de même de la face du vent, et de la face du feu; il est dit en effet: « Comme le vent chasse la paille devant sa face 10 »; et encore: « Comme la cire coule en face du feu 11», et bien d’autres passages de 1’Ecrilure, où la face ne signifie rien autre chose que la présence. Mais que signifie: «Cherchez toujours sa face? » Je sais que le souverain bonheur
1.
I Cor. I, 31.— 2. Matth. VI, 1.— 3. Id. V, 16.— 4. Ps. XXXIII, 2, 3. — 5.
Id. CV, 3.— 6. Id, 4. — 7. Id. XVII, 2. — 8. Id. LVIII, 10. — 9.
Id. XXXIII, 5.— 10. Id. LXXXII, 14.— 11. Id. LXVII, 3.
pour moi est de m’attacher à Dieu 1. Mais si je cherche Dieu toujours, quand le trouverai-je? Ou bien « toujours », signifierait-il pendant toute cette vie que nous passons ici-bas, depuis que nous avons connu que nous devions le faire, puisque après l’avoir trouvé, il faut le chercher encore? La foi l’a trouvé en effet, mais l’espérance le cherche encore. La charité l’a trouvé par la foi, mais elle cherche à le posséder par la claire vue; c’est alors que nous le trouverons de manière qu’il nous suffira, et que nous ne devrons plus le chercher. Si la foi ne le trouvait en cette vie, l’Ecriture ne nous dirait point: « Cherchez le Seigneurs; et quand vous l’aurez trouvé, que l’impie abandonne ses voies, et l’homme d’iniquité ses pensées 2 ». De même, si l’on ne devait point le chercher encore après l’avoir trouvé, elle ne dirait point: « Si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons par la patience 3»; ni avec saint Jean: « Nous savons que quand il apparaîtra, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est 4 ». Et quand nous l’aurons vu face à face, et tel qu’il est, ne faudra-t-il point le chercher encore, et le chercher sans fin, puis. qu’il faut l’aimer sans fin? A un homme pré. sent, nous disons en effet: Je ne te recherche point, pour lui dire, je ne t’aime point. D’où il suit que l’on recherche celui que l’on aime, alors même qu’il est présent, et qu’un amour continuel s’efforce de ne s’en éloigner jamais. L’amour, loin de se fatiguer de la vue de son objet, le veut toujours sous ses yeux, le cherche même présent. Tel est le sens de cette parole: « Cherchez toujours sa face »; en sorte que cette recherche qui signifie l’amour, ne finit point lorsque l’on trouve; mais à mesure que l’amour s’enflamme, on recherche encore celui qu’on avait trouvé.
4. Mais ce Prophète qui loue, Dieu avec une ardeur si vive, tempère sa flamme et se met à notre niveau pour nous parler; afin d’allaiter notre amour encore faible, il nous raconte les merveilles de Dieu: « Souvenez-vous des merveilles qu’il a faites, des prodiges de sa puissance, et des oracles de sa bouche 5». Parole qui parait assez semblable à cette réponse faite à Moïse qui demandait à Dieu qui il était: après lui avoir répondu: « Je suis celui qui suis», Dieu ajoute: « Tu diras aux
1.
Ps. LXXII, 28. — 2. Isa. LV, 6, 7. — 3. Rom. VIII, 25. — 4. Jean, III, 2. — 4.
Ps. CXV, 5.
enfants d’Israël: Celui qui est m’a envoyé vers vous ». Il faut être une montagne pour comprendre Dieu dans une définition si courte; puis Dieu, pour expliquer son nom, voulut bien s’abaisser jusqu’à notre proportion, en disant: « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob; c’est là mon nom pour l’éternité 1 ». Il voulut nous faire comprendre que ceux dont il se dit Dieu, vivent avec lui éternellement; et il disait ainsi ce que les plus faibles pouvaient comprendre, afin que cette autre parole: « Je suis celui qui suis», fût comprise autant que possible par ceux dont la charité est assez robuste pour chercher toujours sa face. Si donc c’est beaucoup pour vous de voir ou de chercher ce qu’il est: « Souvenez-vous de ses merveilles, de ses prodiges et de ses jugements ».
5. Et à qui s’adresse le Prophète? « Postérité d’Abraham son serviteur, fils de Jacob son élu 2 ». Vous, enfants d’Abraham, vous, fils de Jacob, « Souvenez-vous des merveilles qu’il a opérées, de ses prodiges, de ses jugements ». Et de peur qu’on n’attribue ces paroles à la seule nation des Israélites selon la chair, et que par cette race d’Abraham on ne comprenne les enfants selon la chair, plutôt que les enfants de la promesse, auxquels saint Paul a dit en parlant aux Gentils: « Vous êtes la race d’Abraham, les héritiers selon la promesse 3», voilà que le Prophète nous dit ensuite: « C’est le Seigneur qui est notre Dieu, ses jugements remplissent la terre 4 ». Voici ce que dit Isaïe à cette Jérusalem libre qui est notre mère: « Celui qui t’a délivrée, c’est ton Dieu, qui sera nommé le Dieu de la terre 5». Est-ce seulement le Dieu des Juifs? Loin de là 6: « C’est le Seigneur qui est notre Dieu, et ses jugements remplissent toute la terre ». Car l’Eglise est partout, et c’est l’Eglise qui prêche ses jugements. Pourquoi donc un autre psaume nous dit-il: « Il annonce sa parole à Jacob, sa justice et ses jugements à Israël; mais il n’a pas traité ainsi les autres peuples, et ne leur a pas découvert ses jugements 7? » Le Prophète a voulu nous dire par là qu’il n’y a qu’un seul peuple qui soit la postérité d’Abraham, et que ce peuple est formé de tous les autres, en sorte qu’il n’y a qu’un seul peuple appelé à l’adoption. En dehors de cette nation, Dieu
1. Exod III, 13, 14.— 2. Ps. CIV,
6.— 3. Gal. III, 29.— 4. Ps. CIV, 7. — 5. Isa. LIV, 5. — 6. Rom. III,29.
— 6. Ps. CXLVII, 19, 20.
n’a pas manifesté ses jugements; car ils ne sont point compris de ceux qui ne croient point, quoiqu’ils soient annoncés; ne pas croire, c’est ne pas comprendre.
6. « Il s’est souvenu de son alliance dans la suite des siècles 1». D’autres exemplaires portent, non plus, in saeculum, mais in aeternum, dans l’éternité; ambiguïté qui vient du grec. S’il faut coin prendre ici in aeternum, éternellement, et non in saeculum, dans la suite des siècles, comment alors expliquerons-nous ce qui suit: « De ce Verbe qu’il étend à mille générations? » car ici il y a une fin; mais il dit ensuite: «Que Dieu disposa de cette parole en faveur d’Abraham, d’un serment en faveur d’Isaac; qu’il l’affermit en Jacob comme un précepte, et en Israël comme un testament éternel 2». Ici, nulle ambiguïté: le grec porte aionion, que l’on n’a jamais traduit en latin que par aeternum; à peine quelques-uns l’ont-ils traduit par aeternale. A moins, cependant, qu’on ne traduise plus familièrement aiona par « un siècle », et aionion par « non éternel », mais une durée séculaire; je ne connais personne qui ait hasardé cette traduction. S’il vous faut comprendre ici l’Ancien Testament à cause de la terre de Chanaan; car voici le texte: « Il l’a donné à Jacob comme une lois, et à lui encore, à Israël comme un testament éternel, en disant: « Je te donnerai la terre de Chanaan, partagée entre vous comme un héritage 3». Comment alors entendre l’expression « éternel », puisque cette terre ne peut demeurer éternellement en héritage? Et s’il y a un Ancien Testament, c’est qu’il a été aboli par le Nouveau. Mais « mille générations » ne paraissent rien désigner d’éternel, car elles ont une fin, et sont bien nombreuses pour des années temporelles. Bien qu’une génération, en grec, genean ne contienne pas beaucoup d’années, puisque l’on a borné la moindre à quinze années, âge où un homme peut engendrer, quelles sont ces mille générations, à partir non seulement d’Abraham à qui Dieu fit ces promesses, jusqu’au nouveau Testament, mais même à partir d’Adam jusqu’à la fin du monde? Qui oserait assurer au monde une durée de quinze mille années?
7. Il me semble donc que l’on ne doit pas appliquer ces paroles du Prophète à l’Ancien Testament qui devait remplacer le Nouveau;
1.
Ps. CIV, 8.— 2. Id. 9, 10.— 3. Id, 11.
puisqu’un autre Prophète nous dit: « Voici que viennent des jours, dit le Seigneur, et j’affermirai avec Jacob une alliance nouvelle, mais peu semblable à celle que j’ai établie avec leurs pères, quand je les ai tirés de l’Egypte 1»; c’est l’alliance de la foi, que relève saint Paul, quand il nous recommande Abraham pour modèle, et condamne ceux qui se glorifiaient des oeuvres de la loi, par l’exemple de ce patriarche qui crut à Dieu avant la circoncision, et à qui sa foi fut imputée à justice 2. Enfin après avoir dit que Dieu « s’est souvenu de son Testament dans la suite des siècles », ce qu’il faut entendre de l’éternité, car c’est là le Testament de la justification, et de l’héritage éternel, que Dieu promit à la foi: « De cette parole qu’il enjoignit pour mille générations ». Qu’est-ce à dire qu’ « il enjoignit? » Dire: « Je te donnerai la terre de Chanaan », ce n’est point là une injonction, mais une promesse. Une injonction nous dit ce qu’il faut faire, une promesse ce qu’il faut recevoir. La foi est donc un précepte, en sorte que le juste vit de la foi 3, et qu’à cette foi Dieu promet un héritage éternel. Ces « mille générations», sont un nombre parfait qui les désigne toutes, c’est-à-dire qu’il nous est enjoint de vivre selon la foi, tant qu’une génération succède à une génération. Tel est le commandement que pratique le peuple de Dieu, ou ces fils de la promesse, qui arrivent pal- la naissance, qui s’en vont par la mort, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de génération; voilà ce que signifie le nombre mille, car le nombre dix, élevé au carré, est dix fois dix, et en le multipliant par dix, nous arrivons à mille. « Il en disposa en faveur d’Abraham, il en fit le e serment à Isaac, il le confirma à Jacob », c’est-à-dire à Jacob lui-même, « comme une loi ». Tels sont les trois patriarches dont le Seigneur s’appelle le Dieu d’une manière spéciale, et qu’il désigne dans le Nouveau Testament, quand il dit: « Beaucoup viendront d’Orient et d’Occident, et reposeront avec Abraham, Isaac et Jacob, dans le royaume des cieux 4». Voilà l’héritage éternel. Car en disant ici qu’ « il l’affermit en précepte pour Jacob », le Prophète montre bien que la foi est un précepte, puisqu’une promesse ne prendrait pas le nom de précepte.
1.
Jérém. XXXI, 31, 32.— 2. Gal, III, 5, 6.— 3. Rom. I, 17.— 4. Matth. VIII, 11.
Le précepte renferme une oeuvre, la promesse une récompense. « L’oeuvre de Dieu», dit le Seigneur, « c’est que vous croyiez en celui qui m’a envoyé 1». Telle est la parole dont il a fait un précepte: « Il s’est souvenu de son alliance dans le cours des siècles »; parole de foi que nous prêchons 2: « Dieu l’a e établie comme un précepte en Jacob lui-même, et à lui, Israël, comme un testament éternel », c’est-à-dire qu’il donnera une récompense éternelle à l’accomplissement de cette parole, de ce précepte. « En disant: Je te donnerai la terre de Chanaan, comme le cordeau de ton héritage ». Comment cela serait-il éternel, si cette terre ne nous marquait rien d’éternel? Elle est appelée terre promise, terre où coulent et le lait et le miel 3, ce qui nous marque la gloire de Dieu, grâce qui nous fait goûter combien le Seigneur est doux 4, et qui n’est point le partage de tous les hommes. Car la foi n’est point commune à tous Aussi le Prophète a-t-il ajouté: « C’est le cordeau de votre héritage ». De là cette parole que profère, dans un autre psaume, le Christ ou la race d’Abraham: « Le cordeau a mesuré ma part dans un lieu ravissant, et la portion de mon héritage est illustre à mes yeux 6 ». Pourquoi dès lors l’appeler terre de Chanaan? c’est ce que nous indique la signification de ce nom; Chanaan signifie en effet humble. Si on l’entend au point de vue de Noé qui prédit que Chanaan sera le serviteur de ses frères 7, nous y retrouvons la crainte servile: « Or, le serviteur ne demeure pas éternellement dans la maison, mais le fils y demeure éternellement 8». On chasse donc Chanaan, pour donner la terre des promesses aux enfants d’Abraham; car la charité parfaite bannit toute crainte 9, en sorte que le fils demeure en la maison éternellement. De là vient qu’il est dit: « Et à Israël lui-même, pour une alliance éternelle ».
8. Le Prophète parcourt ensuite l’histoire si connue et si vraie des Livres saints. « Ils étaient en petit nombre alors, faibles et voyageurs sur cette terre 10 ». C’est-à-dire, cette terre de Chanaan. Quand elle était habitée parleurs pères, Abraham, Isaac et Jacob, avant qu’ils l’eussent reçue en héritage, ils n’y étaient alors qu’en petit nombre et comme
1.
Jean, VI, 29.— 2. Rom. X, 8.— 3. Exod. III, 8,17,— 4. Ps. XXXIII, 8.— 5.
II Thess. III, 2.— 6. Ps. XV, 6. — 7. Gen. IX,
25.— 8. Jean, VIII, 35. — 9. I Jean, IV, 18. — 10. Ps. CIV, 12.
étrangers. Dans certains exemplaires, on trouve, non plus: Paucissimi et incolae, mais:
Paucissimos et incolas. Ce qui prouve que les traducteurs ont suivi la version grecque, version que l’on ne peut rendre en latin, sans une absurdité absolument intolérable. Pour traduire exactement, il nous faudra dire: In eo esse illos numero brevi, paucissimos et incolas in ea 1. Mais ce que le grec exprime par: In eo esse illos, se traduit en latin par: cum essent, et ce verbe ne veut point d’accusatif, mais le nominatif. Qui dirait en effet: Cum essent paucissimos? Mais on dit: Cum essent paucissimi, comme dans notre version.
9. « Comme ils étaient donc peu nombreux, ou en très-petit nombre, et étrangers en cette terre, ils passèrent de nation en nation, de royaume en royaume». Il y a ici répétition de ces expressions: « De nation en nation ». « Il ne laissa personne leur nuire », c’est-à-dire, il ne le permit point. Le grec porte « les nuire», le latin « leur nuire». « Il châtia les rois à cause d’eux. Ne touchez point à mes « Christs», leur dit-il, «ne faites aucun mal à mes Prophètes 2». Ainsi parlait le Seigneur aux rois qu’il châtiait, qu’il reprenait, afin de les empêcher de nuire aux saints patriarches, lorsqu’ils étaient en petit nombre et étrangers dans le pays de Chanaan. Bien qu’on ne lise point ces paroles dans l’histoire, il nous faut néanmoins comprendre que Dieu tint ce langage ou secrètement, commue le Seigneur parle au coeur des hommes, par des visions réelles et néanmoins occultes, ou qu’il le fit par le moyen des anges. Les rois de Gérare et d’Egypte furent avertis de ne point nuire à Abraham 3; un autre roi de ne point nuire à Isaac 4, d’autres de ne point nuire à Jacob 5; alors qu’ils étaient en petit nombre et étrangers, et avant que Jacob s’en allât en Egypte pour y habiter. C’est ce qui est marqué dans cette parole du Prophète: « Ils passèrent de nation en nation, et de royaume en royaume ». Mais comme nous pourrions chercher comment, en si petit nombre, et étrangers avant d’entrer en Egypte et de s’y multiplier, ils ont pu subsister dans la terre étrangère, le Prophète ajoute: « Il ne permit à aucun homme de leur nuire, il menaça les rois en leur faveur.
1. En
to einai autous arithmon brakeis, oligostous kai paroikous en aute. — 2. Ps. CIV, 13-15. — 3. Gen. XII, 17- 20; XX, 3.— 4.
Id. XXVI, 8-11, — 5. Id. XXXI-XXXIII.
Ne touchez pas à mes Christs, et ne « faites aucun mal à mes Prophètes ».
10. On peut s’étonner qu’ils soient appelés des Christs, avant qu’il y eût une onction qui fit donner ce nom aux rois: onction que Saül reçut le premier, lui à qui David succéda comme roi; puis les rois de Juda et d’Israël continuèrent de recevoir l’onction sainte qui figurait le seul et véritable Christ, à qui il a été dit: « Votre Dieu, ô Dieu, vous a oint d’une huile de joie, qui vous élève bien au-dessus de tous ceux qui doivent la partager 1 ». Comment donc ces anciens étaient-ils appelés des Christs? Car nous lisons d’Abraham qu’ils étaient Prophètes, et ce qui est dit clairement de lui, doit s’entendre aussi des autres. Seraient-ils des Christs parce qu’ils étaient déjà chrétiens, quoique d’une manière invisible? C’est d’eux, il est vrai, qu’est né le Christ selon la chair, mais le Christ était avant eux, ainsi qu’il le dit aux Juifs: « Je suis avant qu’Abraham fût 2 ». Comment eussent-ils pu ne point le connaître, ou ne pas croire en lui, quand ils sont appelés prophètes parce qu’ils annonçaient le Christ quoique d’une manière figurée? De là cette parole si claire du Sauveur: « Abraham a désiré voir mon jour, il l’a vu et s’en est réjoui 3». Car sans la foi au Christ, nul n’a été réconcilié à Dieu, soit avant, soit après l’incarnation et l’Apôtre l’a défini selon la vérité. « Il n’y a qu’un seul Dieu, qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes, c’est Jésus-Christ homme 4 ».
11. Le Prophète nous raconte ensuite comment ils ont passé de nation en nation, de royaume en royaume. « Le Seigneur appela la e famine sur la terre, et brisa toute la force que donne le pain. Il envoya devant eux un homme; Joseph fut vendu comme esclave ». Ce fut ainsi qu’ils passèrent « de nation en nation, et de royaume en royaume ». Mais ne passons point légèrement sur les expressions des saintes Ecritures. « Il appela», dit 1e Prophète, « la famine sur la terre 5 »: comme si la famine était un personnage, ou quelque chose, ou quelque esprit qui dût venir à un appel: tandis que la faim n’est qu’un mal qui vient de la disette, et qu’elle est comme une maladie pour ceux qui l’endurent; et comme bien souvent on ne fait cesser la maladie qu’avec des remèdes, on guérit aussi la faim
1.
Ps. XLIV, 8.— 2. Jean, VIII, 58.— 3. Id. 56.— 4. I Tim. II, 5.— 5. Ps. CIV, 16.
par la nourriture, Que signifie dès lors: « Il appela la faim? » Ces maux qu’endurent les hommes, seraient-ils soumis à de mauvais anges? (car il est dit dans un autre psaume, que Dieu, par un juste jugement, affligea les hommes en leur envoyant des plaies par les mauvais anges 1), alors appeler la faim, ce serait appeler l’ange de la faim, en lui donnant le nom du fléau qu’il dirige. De là viendrait que les anciens Romains s’étaient fait de semblables divinités, comme la Fièvre, la Pâleur. Ou bien ne vaudrait-il pas mieux dire que, pour Dieu, appeler la faim, c’est ordonner qu’il y ait une famine, én sorte que appeler, ce serait faire venir; faire venir, serait dire, et dire ordonner? Ce même Dieu qui appela la faim, « appelle ce qui n’est pas comme ce qui est 2 ». L’Apôtre ne dit point que Dieu appelle ce qui n’est pas, afin de lui donner l’existence, « mais comme s’il était ». Car, aux yeux de Dieu, ce qu’il doit faire dans sa sagesse est déjà fait; c’est de lui qu’il est dit ailleurs qu’ « il a fait ce qui est à faire 3 ». Et quand arriva la famine, il est dit qu’elle fut appelée, qu’elle devait arriver, puisqu’elle entrait dans les secrètes dispositions de la divine sagesse. Le Prophète nous dit ensuite comment le Seigneur appela la famine: « Il brisa toute la force du pain ». « Il brisa », est une expression inusitée en ce sens, et veut dire « anéantit ».
12. « Il envoya devant eux un homme». Quel homme? Joseph. Comment l’envoya-t-il? « Joseph fut vendu pour être esclave 4 ». Cette action était bien coupable, de la part de ses frères, et cependant c’est Dieu qui envoyait Joseph en Egypte. Il est donc bien juste et nécessaire d’admirer comment Dieu tourne en bien les mauvais desseins des hommes, tandis que les hommes font un mauvais usage des biens de Dieu.
13. Le Prophète reprend ici sa narration, pour nous dire ce que souffrit Joseph dans ses humiliations, et comment il fut élevé en gloire. « Ses pieds furent resserrés dans les entraves, le fer traversa son âme jusqu’à ce que sa parole fût accomplie 5 », L’histoire ne nous dit point que Joseph ait eu les entraves aux pieds; et toutefois nous n’en pouvons douter. Car l’histoire peut omettre quelques détails, connus de l’Esprit-Saint qui parle dans
1. Ps. LXXVII, 49. — 2. Rom. IV,
17. — 3. Isa. XLV, 11, suiv. les Septante. — 4. Ps. CIV, 17 — 5.
Id.18,19.
notre psaume. Quant au fer qui traversa son âme, nous l’entendons d’une affliction très-poignante; puisque le psaume ne parle point du corps, mais de l’âme. C’est d’une expression semblable que s’est servi l’Evangé1iste, quand Siméon dit à Marie: « Cet enfant est pour la ruine et pour la résurrection de plusieurs en Israël, et comme un signe de contradiction, et votre âme sera percée d’un glaive, afin que les pensées de plusieurs coeurs soient révélées ». Car la passion du Sauveur fut pour plusieurs un sujet de ruine, qui révéla les secrets de bien des coeurs, dévoila ce qu’ils pensaient du Seigneur, et fut assurément pour sa mère qu’elle privait de son fils, un coup douloureux. Telle fut l’affliction de Joseph, « jusqu’à ce que s’accomplît la prédiction qu’il fit en interprétant les songes du roi selon la vérité: ce fut alors qu’on le signala au roi, et qu’il lui découvrit ce qu’il y avait de prophétique dans ses songes 2 ». Mais comme il est dit: «jusqu’à l’accomplissement de sa paroles, le Prophète craint que l’on n’attribue à un homme une si grande puissance, et il ajoute aussitôt: « La parole du Seigneur l’enflamma », ou même, selon le grec en certains exemplaires, « le brûla», an point qu’on le mit au nombre de ceux dont il est dit: « Glorifiez-vous en son saint nom. La parole du Seigneur le mit en feu ». Aussi, quand le Fils de Dieu envoya l’Esprit-Saint, virent-ils comme des langues de feu qui se divisaient 3. Et l’Apôtre a dit: « Ayez la ferveur de l’esprit 4 ». Telle est la ferveur qui manque à ceux dont il est dit, que « la charité de plusieurs se refroidira 5 ».
14. Le Prophète continue: « Le roi envoya le délivrer; le prince des peuples lui donna la liberté ». Ce roi, qui est aussi le prince des peuples, « délia » Joseph « enchaîné », rendit
la liberté « au prisonnier». « Il l’établit chef de toute sa maison, prince de tous ses états, afin qu’il instruisît les princes comme lui-même, et qu’il enseignât la prudence à ses vieillards 6 » On lit dans le grec: « Qu’il enseignât la sagesse à ses vieillards »; ce que l’on peut rigoureusement traduire ainsi: « Afin qu’il instruisît, les princes comme lui-même, et qu’il donnât la sagesse aux vieillards »: car le grec porte presbuterous, que nous
1.
Luc, IUI, 34, 35. — 2. Gen.XLI, 25.— 3. Act. II, 3. — 4. Rom. XII, 11. — 5.
Matth. XXIV, 12. — 6. Ps. CIV, 20-22.
traduisons par les plus anciens, seniores; il ne porte pas gerontas, c’est-à-dire, senes, les vieillards: quant à sophisai, on ne peut le rendre en latin par une seule expression, il vient de sagesse, en grec sophia, et non de prudence, en grec phronesis. Nous ne voyons pas toutefois que Joseph s’y soit appliqué pendant son élévation, pas plus que nous ne lisons, que dans ses malheurs il ait eu les fers aux pieds. Mais comment se pourrait-il qu’un si grand homme, adorateur du seul Dieu véritable, fût préposé aux subsistances corporelles, sans chercher à prendre soin de l’âme, à rendre ces peuples meilleurs? L’historien sacré, inspiré par l’Esprit-Saint, a consigné dans l’histoire ce qui suffisait dans sa narration pour prédire l’avenir.
15. « Israël entra ainsi en Egypte, et Jacob fut étranger dans la terre de Cham 1 » Israël est ici le même que Jacob, et l’Egypte que la terre de Cham. Ici nous voyons clairement que la nation égyptienne tire son origine de Cham, fils de Noé, dont Chanaan était le fils aîné. Ainsi il faut corriger te mot de Chanaan dans les exemplaires où il se trouve. Il est mieux de traduire: « Il fut étranger», accola, que de traduire: « Il habita », comme on lit dans certains exemplaires; on aurait pu mettre « exilé », incola, tout aussi bien, car il ne signifie rien autre chose. On trouve en effet à cet endroit du grec le même verbe que plus haut, où il est dit: « Ils étaient peu nombreux et étrangers sur cette terre ». Or, incolatus ou accolatus, ne désigne pas un indigène, mais un étranger. Voilà comment « ils ont passé de nation en nation, de royaume en royaume ». Le Prophète explique un peu plus au long ce qu’il n’avait dit qu’en un mot. liais on pourrait demander de quel royaume ils passèrent chez un autre peuple. Car ils ne régnaient pas encore dans la terre de Chanaan; le peuple d’Israël n’y avait pas été établi en royaume. Comment donc faut-il le comprendre, sinon par anticipation, parce que c’était là que devait régner leur postérité?
16. Le Prophète nous dit ensuite ce qui se lit en Egypte, « Dieu y multiplia son peuple d’une manière prodigieuse, et le rendit plus s fort que ses ennemis 2». Le Prophète ne dit ici qu’un seul, mot, afin de nous raconter plus bas ce qui eut lieu. Car le peuple de Dieu n’était pas plus fort que les Egyptiens, alors
1.
Ps. CIV, 23. — 2. Id. 24.
que l’on tuait ses enfants mâles, quand on les forçait à faire des briques; mais bien quand, avec une force divine, avec des prodiges et des miracles, le Seigneur leur Dieu les rendit redoutables et dignes de considération jusqu’à ce qu’enfin l’obstination du roi fût vaincue, et qu’en les poursuivant il allât s’engloutir dans la mer Rouge.
17. Ce qui est donc dit en un mot: « Il le rendit plus fort que ses ennemis », le Prophète va nous le raconter d’une manière précise, comme si nous lui demandions comment cela arriva. « Il tourna leurs coeurs jusqu’à la haine contre son peuple, jusqu’à employer tous les artifices contre ses serviteurs 1 ». Faut-il entendre ou croire que Dieu tourne le coeur de l’homme pour commettre le péché? N’y a-t-il aucun péché, ou même qu’un péché léger à haïr le peuple de Dieu et à user d’arti fice envers ses serviteurs? Qui osera le dire? Or, Dieu serait-il l’auteur des péchés si graves, lui qu’il ne faut croire auteur d’aucune faute, même la plus légère? Où est l’homme sage, et il comprendra ces choses 2? Car la bonté de Dieu est admirable en ce qu’il fait agir pour le bien les méchants eux-mêmes, tant les hommes que les anges. C’est par leur corruption qu’ils sont méchants, et lui tire le bien de leur malice même. Avant de haïr son peuple, ils n’étaient pas au nombre des bons; mais ils étaient méchants et impies, enclins à envier le bonheur de leurs hôtes. Car l’envie, c’est la haine du bonheur des autres. Dieu donc tourna leur coeur, c’est-à-dire que l’envie leur fit haïr son peuple et tendre des embûches à ses serviteurs. Ce ne fut donc point en rendant leur coeur méchant, mais en faisant du bien à son peuple, qu’il tourna àla haine leur coeur spontanément mauvais. Ainsi ce n’est point leur coeur droit que Dieu tourne au mal, mais il tourne à la, haine de son peuple, un coeur spontanément pervers, pour tirer de ce mal un bien véritable, non pas en rendant mauvais les Egyptiens, mais en faisant aux enfants d’Israël des faveurs qui pouvaient facilement exciter leur envie. La suite nous montre le parti que Dieu tira de cette haine, pour exercer son peuple et glorifier son nom, gloire qui nous est utile, et que l’on relève surtout dans ces psaumes intitulés: Alleluia.
18. « Il envoya Moïse son serviteur, et Aaron lui-même, qu’il avait élu 3 ». Il suffirait de
1. Ps. CIV, 25. — 2. Id. CVI, 43.
— 3. Id. CIV, 26.
dire « qu’il avait élu », mais ne cherchons aucun sens dans celui même qu’ajoute le Prophète. C’est une locution des saintes Ecritures, comme celle-ci: « Dans laquelle ils habiteront en elle 1 », expressions fréquentes dans les saintes Ecritures,
19. « Il mit en eux les paroles de ses signes et des prodiges dans la terre de Cham 2 ». Il ne faut pas entendre ici « ces paroles de signes et de prodiges », comme des paroles au moyen desquelles on fait des signes et des prodiges. Bien des miracles ont été opérés sans aucune parole, mais au moyen d’une houlette, en étendant la main, en jetant de la poussière en l’air. Mais parce que ces miracles opérés n’étaient point dénués de signification, non plus que les paroles que nous proférons on les appelle des paroles, non point à cause de la voix et des sons, mais à cause des signes et des prodiges. « Il mit », c’est-à-dire, il fit par eux.
20. « Il envoya les ténèbres, et tendit la nuit 3 ». Voilà ce qui est écrit dans les plaies dont l’Egypte fut frappée; l’hémistiche suivant se lit d’une manière diverse dans les différents exemplaires. Les uns portent: « Et ils aigrirent ses paroles »; les autres: « Et ils n’aigrirent pas ses paroles ». La première version se lit en beaucoup d’endroits; et c’est à peine si j’ai vu deux exemplaires avec la particule négative. Mais peut-être que le sens qui paraissait alors plus clair a fait glisser une faute, Qu’y a-t-il de plus clair en effet que cette parole: « Et ils aigrirent ses paroles », pour marquer leurs contradictions opiniâtres? Nous nous sommes efforcé d’expliquer aussi cette autre proposition dans un sens orthodoxe, et voici ce qui s’est présenté: « Ils n’ont pas aigri ses paroles», ce qui doit s’entendre de Moïse et d’Aaron, qui endurèrent les vexations les plus cruelles, jusqu’à ce que Dieu eût accompli ce qu’il voulait faire par leur ministère.
21. « il changea leurs eaux en sang, et tua leurs poissons. Il forma leur terre en grenouilles, jusque dans le palais des rois eux-mêmes 4 »; comme s’il disait: Il changea leurs terres en grenouilles. Telle était en effet la multitude des grenouilles, qu’on pouvait l’appeler en grec uperbolen.
22. « Il dit, et alors naquirent les mouches
1.
Nomb. XIII, 20, Lévit. XVIII, 3, suiv. les Septante. — 2. Ps. CIV, 27. — 3. Id.
28. — 4. Id. 29, 30.
et les moucherons, dans toutes leurs contrées 1». Si l’on demande à quel moment Dieu fit ce commandement, il était dans se parole avant d’être fait; bien que par le ministère des anges, et par ses serviteurs Moïse et Aaron, il ait commandé de le faire quand cela devait arriver.
23. « Il plaça leurs pluies en grêle 2». C’est une manière de parler comme celle-ci: « Il forma leurs terres en grenouilles »; avec cette différence que toute la terre ne fut pas changée en grenouilles, tandis que toute la pluie fut changée en grêle. « Un feu brûlant dans leur terre », sous-entendu: « Il plaça ».
24. « Il frappa leurs vignes, leurs figuiers, il brisa tous les arbres de leur pays », par la violence de la grêle et de la foudre: de là vient l’expression de feu brûlant.
25. « Il dit, et alors vint la sauterelle et la chenille 4 ». Sauterelles et chenilles ne sont qu’une même plaie, l’une suit l’autre.
26. « Ils mangèrent tout le foin dans leurs terres, et dévorèrent tous les fruits de leurs champs 5 ». Le foin est aussi un fruit, dans le langage de l’Ecriture, qui appelle foin même les moissons de blé: mais le Prophète a marqué deux expressions différentes à cause des deux insectes, de la sauterelle et de la chenille qu’il venait de nommer. Tout ceci a pour but de varier l’expression, afin d’éviter l’ennui, non pour varier la pensée.
27. « Il frappa tout premier-né sur leur terre, les prémices de leurs travaux 6 ». Ce fut la dernière plaie d’Egypte, excepté la mort dans la mer Rouge. Quant à ces prémices des travaux, cela signifie, sans doute, les premiers-nés dans les troupeaux. Or, ces plaies au nombre de dix, ne sont pas toutes énumérées, ni rapportées dans l’ordre de leur arrivée. Quand on loue Dieu, on peut s’affranchir des lois rigoureuses de l’exactitude historique. Or, l’auteur de ces louanges, c’est le Saint-Esprit lui-même par la bouche de son Prophète; la mème autorité qui lui a fait dicter cette histoire par son serviteur Moïse, lui fait citer ici ces faits qui ne sont point dans l’histoire et omettre d’autres faits qu’elle a rappelés.
28. Le Prophète ajoute aux louanges de Dieu, qu’il a tiré de l’Egypte les Israélites chargés d’argent et d’or; tel était en effet l’état des Hébreux qu’ils ne pouvaient, même
1.
Ps. CIV, 31. — 2. Id. 32. — 3. Id. 33. — 4. Id. 34. — 5. Id. 35. — 6.
Id. 36.
au point de vue temporel, négliger la récompense justement due à leurs travaux; et si les Israélites trompèrent les Egyptiens en leur demandant à emprunter de l’argent ou de l’or, il ne faut pas croire que Dieu ordonne ces larcins aux hommes qui ont le coeur droit, ou qu’il les approuve quand ils les accomplissent. Ces paroles font plutôt voir que Dieu qui voyait leur coeur, qui examinait le fond de leurs passions, permit qu’ils en agissent ainsi plutôt qu’il ne l’ordonna: et pourtant les âmes charnelles peuvent encore s’édifier, puisque les Egyptiens avaient mérité ce qu’on leur fit, et que si les Hébreux usèrent de ruse, ils ne prirent à des hommes injustes que leur juste salaire. Et comme Dieu s’était servi de l’iniquité des Egyptiens, il fit servir l’infirmité des Hébreux, pour donner dans ces actions des symboles prophétiques. « Il les fit sortir en argent et en or ». C’est une locution des saintes Ecritures: et «les faire sortir en argent et en or», signifie avec de l’argent et de l’or. « Et dans leurs « tribus il n’y avait nulle faiblesse 1 »; de corps seulement, mais non d’esprit. Ce fut un grand bienfait de Dieu de n’avoir aucun malade dans cette nécessité de changer de pays.
29. « Les Egyptiens les virent partir avec joie, parce qu’ils étaient frappés de terreur à leur sujet 2». Frayeur que les Hébreux inspiraient aux Egyptiens. « Cette frayeur à leur sujet », les Hébreux ne la ressentaient point, mais on la ressentait à leur sujet. Mais, dira-t-on, comment les Egyptiens s’opposaient-ils à leur départ? Pourquoi n’autoriser leur départ que comme s’ils devaient revenir? Si « l’Egypte se réjouit de leur départ», pourquoi sur leur demande leur prêter de l’argent et de l’or, comme s’ils devaient revenir et le rendre? Mais il faut comprendre qu’après la dernière plaie d’Egypte, ou la mort de ses premiers-nés, après cette grande catastrophe qu’essuya dans la mer Rouge l’armée qui les poursuivait, les Egyptiens qui survivaient craignirent que les Hébreux ne revinssent, pour exterminer facilement ce qui restait en Egypte. Alors s’accomplit celte parole du Prophète, quand après avoir dit: « Il augmenta son peuple d’une manière merveilleuse », il ajoute: « Et le rendit plus fort que ses ennemis ». Pour nous développer cette pensée renfermée dans un seul verset,
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Ps. CIV, 37. — 2. Id. 38.
et nous montrer comment cela s’accomplit, le Prophète ajoute ce qu’il nous n dit des plaies d’Egypte dans son cantique, jusqu’à cet endroit: « L’Egypte se réjouit de leur départ, parce que ce peuple la frappait de terreur »; comme pour nous prouver ce qu’il avait avancé, que Dieu rendit son peuple supérieur à ses ennemis.
30. Alors il nous expose les bienfaits divins qu’ils recueillirent pendant qu’ils traversaient le désert. « Il étendit une nuée pour les couvrir, et leur alluma un flambeau pendant la nuit 1 ». Tout cela est évident et connu.
31. « Ils demandèrent, et des cailles vinrent en abondance 2». Ils ne demandaient point de cailles, mais de la viande. Mais comme la chair est une viande, et que dans ce psaume il n’est pas question de leurs murmures qui déplurent au Seigneur, mais seulement de cette foi des élus qui sont la véritable postérité d’Abraham 3, il faut sous-entendre ici que les élus demandèrent à Dieu ces viandes pour arrêter le murmure des rebelles. Dans le verset suivant: « Il les nourrit du pain du ciel »; bien que le Prophète ne nomme pas la manne, ce passage n’est obscur pour aucun lecteur des saintes Ecritures.
32. « Il rompit la pierre, et en fit jaillir l’eau; des fleuves coulèrent dans le désert 4 ». Il suffit de lire ces paroles pour les comprendre.
33. Dans toutes ces faveurs qu’il fit à son peuple, Dieu veut nous signaler en Abraham le mérite de la foi. Voici en effet ce qu’ajoute le Prophète « Il se souvint de la parole sacrée qu’il avait donnée à son serviteur Abraham. Il tira son peuple dans la joie, et ses élus dans l’allégresse ». Ce qu’il appelle « son peuple », est répété dans « ses élus », et « sa joie », est répétée « dans l’allégresse ». « Et il leur donna les terres des nations, et les mit en possession des labeurs des peuples 5 ». Cette expression, « les terres des nations », a le même sens que cette autre, « les travaux des peuples », et « leur donna », le sens de « mit en possession ».
34. Comme si nous demandions au Prophète, pourquoi Dieu comblait son peuple de tant de faveurs, et de peur que l’on ne s’imagine que ces faveurs temporelles sont la souveraine félicité, le Prophète nous montre que
1.
Ps. CIV, 39. — 2. Id. 40. — 3. I Cor X, 5. — 4. Ps. CIV, 41.
— 5. Id. 42-44.
c’est ailleurs qu’il nous faut chercher le souverain bien. « Afin», dit-il, « qu’ils gardent ses ordonnances, et qu’ils observent ses lois 1 ». D’où il nous taut comprendre que les serviteurs de Dieu, les élus, les enfants selon la promesse, la véritable postérité d’Abraham, qui imitent la foi d’Abraham, reçoivent de Dieu ces biens terrestres, non pour se répandre dans le luxe ou pour s’endormir dans une fausse sécurité, mais afin qu’étant mis par la divine miséricorde en possession de ces biens dont l’acquisition leur eût coûté des travaux très-compliqués, ils n’eussent plus à s’occuper que de s’enrichir des biens éternels, c’est-à-dire: « Afin qu’ils gardent ses ordonnances et qu’ils observent ses lois ». Enfin, comme le Prophète veut désigner par la postérité d’Abraham les hommes qui sont la véritable postérité, tels qu’il y en eut assurément chez ce peuple, ainsi que nous le montre suffisamment l’Apôtre: « Mais tous ne furent « point agréables à Dieu » (si tous ne le furent point, il y en eut assurément qui le furent); comme c’est de ces justes que le Prophète nous parle, il ne fait aucune mention de leurs fautes, de leurs murmures, de leurs révoltes, qui déplurent au Seigneur. Toutefois, parce que Dieu fit éclater sur les impies eux-mêmes, non seulement les effets de sa justice, mais aussi les effets de sa miséricorde et de sa clémence; le psaume suivant nous en parlera dans ses louanges au Seigneur. Néanmoins les uns et les autres étaient dans le même peuple, et la contagieuse iniquité des uns ne souillait pas les autres, « Car le Seigneur connaît ceux qui sont à lui ». Et si dans ce monde nous ne pouvons nous séparer des méchants, « quiconque invoque le nom de Jésus-Christ, qu’il renonce à la malice 2 ».
35. Si nous voulons découvrir l’âme qui s’enveloppe en quelque sorte dans le corps du psaume, ou le sens intime caché sous les paroles extérieures, il me semble que c’est un avertissement pour les enfants d’Abraham, qui sont les vrais fils de la promesse, appartenant à l’héritage du testament éternel, de se choisir pour héritage le Seigneur lui-même, de le servir gratuitement, c’est-à-dire pour lui-même, et non pour aucune autre récompense que lui. Ainsi doivent-ils agir, en louant Dieu, en l’invoquant, en le prêchant,
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Ps. CIV, 45. — 2. II Tim. II, 19.
en agissant par la foi, non pour leur propre gloire, mais pour la gloire de Dieu, en se réjouissant dans l’espérance, et dans la ferveur de la charité 1. Voilà ce qui est renfermé dans ces versets: « Confessez le Seigneur, invoquez son nom, annoncez sa gloire au milieu des peuples. Bénissez-le dans vos chants et sur le psaltérion. Chantez son nom, que la joie règne dans le coeur de celui qui cherche le Seigneur. Cherchez-le, et reprenez courage, cherchez toujours sa face 2 ».
36. Ensuite, pour nourrir les petits, pour raffermir leurs coeurs dans la foi, le Prophète propose à notre foi l’exemple des patriarches et des promesses de Dieu, afin qu’en imitant l’une, qu’en espérant dans les autres, nous entrions dans leur postérité, non seulement ceux qui viennent des Hébreux, mais tous ceux qui ont part à cette grâce dans toute la terre. C’est ce que contiennent les versets suivants: « Gardez la mémoire des merveilles qu’il a opérées, de ses prodiges, des oracles de sa bouche; vous qui êtes la race d’Abraham son serviteur, les fils de Jacob son élu. C’est lui qui est le Seigneur notre Dieu, ses jugements sont dans toute la terre. Il s’est souvenu dans les siècles de son testament et de la parole qu’il avait donnée pour mille générations; de cette parole donnée à Abraham, renouvelée à Isaac avec serment. Il en a fait une loi pour ce même Jacob, un testament éternel pour Israël, en disant: Je te donnerai la terre de Chanaan, pour la part de ton héritage 3». Tout cela, je vous l’ai exposé selon mes pouvoirs.
37. Ici se présentait une objection pour un esprit peu croyant. S’il faut adorer Dieu gratuitement, s’il faut le demander à lui-même, comme l’héritage du testament éternel; n’oublie-t-il pas la vie passagère de ceux qui le cherchent, et va-t-il multiplier sa miséricorde jusqu’à l’étendre à leurs besoins temporels? Or, voyez ce qu’il a fait pour nos pères, soit dans ceux qu’il nous propose comme des modèles de foi, soit dans ceux qui sont nés de leur chair, et qui ont imité leur piété. « Alors qu’ils étaient en petit nombre et étrangers en cette terre »,la terre de Chanaan, « ils passèrent de nation en nation, et de royaume en royaume. Il ne permit à aucun homme de leur nuire, et il
1.
Rom. XII, 11, 12.— 2. Ps. CIV, 1-4. — 3. Id. 5-11.
menaça les rois à cause d’eux. Ne touchez pas à mes Christs, et ne faites aucun mal à mes Prophètes 1».
38. Si vous demandez comment ils passèrent de nation en nation et de peuple à
peuple, écoutez: « Il appela la famine sur la terre, il détruisit toute la force du pain, il envoya devant eux un homme; Joseph fut vendu comme esclave. Ils humilièrent ses pieds dans les entraves, le fer traversa son âme, jusqu’à ce que sa parole s’accomplit. La parole du Seigneur le mit en feu; le roi envoya, et le délia; le prince des peuples lui donna la liberté, afin qu’il instruisît ses princes comme lui-même, et qu’il apprît la prudence aux plus anciens. Israël entra en Egypte, et Jacob fut étranger sur la terre de Cham 2 ». Voilà comment « ils passèrent de nation en nation, et de royaume en royaume ».
39. « Il multiplia son peuple avec une grande force, et le rendit supérieur à ses ennemis ». Or, si vous voulez écouter comment il le rendit supérieur à ses ennemis, écoutez: « Il tourna leur coeur de manière qu’ils haïrent son peuple, et qu’ils opprimèrent ses serviteurs par de malicieux artifices. Il envoya Moïse son serviteur, et Aaron lui-même qu’il avait choisi, il mit en eux les paroles de ses signes, et de ses prodiges sur la terre de Cham. Il déploya les ténèbres et les couvrit de la nuit, et ils aigrirent ses paroles. Il changea leurs eaux en sang, et tua leurs poissons. Il donna leur terre en grenouilles, jusque dans le palais des rois. Il dit, et vint la mouche avec les insectes dans toutes leurs campagnes. Il changea leurs pluies en grêle, et un feu dévorant dans leurs terres. Il frappa leurs vignes et leurs figuiers, il brisa les arbres dans tous leurs confins. Il dit et vinrent la sauterelle et la chenille, en multitude innombrable. Il frappa tout premier-né dans leur terre, les prémices de tous leurs travaux. Il les fit sortir en or et en argent, et il n’y avait dans leurs tribus aucun malade. L’Egypte se réjouit de leur départ, dans la terreur qu’ils lui inspiraient 3 ». Voilà comment il rendit son peuple supérieur à ses ennemis.
40. Mais quand sa justice a infligé tous ces maux à leurs ennemis, écoutez quelles grâces
1. Ps. CIV,
12-15. — 2. Id. 16-23. — 3. Id. 24-38.
temporelles eux reçoivent de sa miséricorde: « Il étendit la nuée pour les protéger, et un feu dut les éclairer pendant la nuit. Ils prièrent, et des cailles vinrent en abondance; il les rassasia d’un pain du ciel. Il ouvrit la pierre, et il en jaillit de l’eau, un fleuve coula dans le désert. Car il se souvint de la parole sainte qu’il avait donnée à son serviteur Abraham. Il emmena son peuple dans la joie, et ses élus dans l’allégresse. Il leur donna les contrées des nations, ils s’emparèrent des travaux des peuples 1 ». Non point afin que les Juifs le servissent en vue de ces biens, mais afin que ce peuple usât de ces biens pour acquérir les biens éternels, c’est-à-dire «afin qu’ils gardent ses ordonnances, et qu’ils observent ses lois 2 ». Quels que soient donc les autres bienfaits de Dieu, il faut les rapporter au culte gratuit que nous lui devons, et ce culte ne doit pas être motivé sur les autres dons qu’il nous fait; c’est alors seulement qu’il sera gratuit. C’est à ce combat que nous provoque le démon, quand il dit à Job: « Est-ce gratuitement que Job sert le Seigneur 3? » Si Joseph fut vendu en esclavage, puis humilié, puis élevé en gloire, ouvrant ainsi au peuple de Dieu la carrière des récompenses terrestres, qui le rendirent supérieur à ses frères; combien plus Jésus vendu et humilié par ses frères, selon la chair, puis élevé jusqu’aux cieux, doit-il ouvrir la carrière des biens éternels à ce peuple de Dieu qui triomphe du diable et de ses anges. Ecoute alors, ô race d’Abraham, non pour te glorifier d’être à lui, selon la chair, mais pour imiter sa foi; écoutez, ô serviteurs de Dieu, élus de Dieu, qui avez les promesses de la vie présente et de la vie future 4. Si les épreuves de la vie sont pesantes pour vous, souvenez-vous de Joseph dans sa prison, de Jésus sur la croix. Si vous êtes heureux selon le temps, ne servez pas Dieu en vue de ce bonheur, mais servez-vous de ce bonheur, afin de mieux servir Dieu. Ne vous persuadez pas que les vrais adorateurs lui rendent leur culte pour en obtenir ce qui est nécessaire à la vie, puisqu’il donne cela aux blasphémateurs de son nom; mais: « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît 5».
1. Ps. CIV, 39-44. — 2. Id. 45. — 3. Job, I, 9.
— 3. I Tim. IV, 8. — 4. Matth. VI, 33.
Ce psaume est la suite du précédent, en sorte que le premier nous montrerait la bonté de Dieu dans notre vocation à la grâce et à la gloire; celui-ci, sa bonté dans le pardon de nos fautes. Le Prophète commence par ces mots Confessez au Seigneur, etc., ce qui s’entend d’une confession des péchés, quoique cette confession, à cause de l’espérance du pardon, soit aussi une confession de louanges. Dieu fera donc miséricorde, mais en cette vie et non dans l’autre, puisque le mauvais riche n’obtint pas une goutte d’eau. Il se demande qui publiera tes louanges de Dieu, ou qui fera connaître l’action de Dieu donnant aux fidèles le pouvoir d’accomplir la loi. « Le jugement à garder, la justice à pratiquer », doivent s’entendre dans, le sens de l’orthodoxie de la foi, et des actions de justice, alors la justice deviendra jugement, ou les oeuvres seront conformes à la foi, ce qui nous montre que l’on doit garder la justice en tout temps. Ce salut dans lequel Dieu nous visite, c’est le Christ qui doit nous manifester la bonté de Dieu pour ses élus, et nous associer nous-mêmes à cet héritage. Le Prophète. confesse ensuite es prévarications des Juifs Nous avons péché comme nos pères, qui ne comprirent point que vos prodiges les appelaient à des biens éternels, et qui oublièrent vos bienfaits. Dieu ne les traita pas selon leur infidélité. Il les fit passer à travers la mer Rouge, figure de la rédemption par le baptême. Il engloutit les Egyptiens, et alors les Hébreux crurent en lui. Mais loin d’attendre un bonheur spirituel, ils voulurent un bonheur temporel, et Dieu leur donna ce qu’ils désiraient. Alors éclata le schisme de Dathan et d’Abiron, que Dieu brûla avec leurs sectateurs. Ils firent un veau d’or et oublièrent dans les châtiments des Egyptiens ce qu’ils avaient à craindre. Dieu voulait les exterminer quand Moïse apaisa sa colère, puis ils méprisèrent, dans la terre qu’il leur donnait, le symbole du ciel; ils s’initièrent à l’idolâtrie et Dieu ne fut apaisé que par le coup dont Phinéès frappa deux coupables. Cet acte d’amour pour le peuple devint louable. Nouveaux murmures qui amenèrent le doute et le châtiment de Moïse. Au lieu de détruire les nations de Chanaan ils se mêlèrent à elles, prirent leurs coutumes idolâtriques, firent des sacrifices humains, aigrissant ainsi le Seigneur, qui consentit encore à les sauver en vue de l’alliance éternelle jurée à Abraham. Il leur fit donc trouver grâce devant ceux qui les tenaient captifs. Or, c’est le diable qui nous tient en captivité. Jésus le chasse de nos coeurs afin que s’édifie le temple ou l’Eglise de Dieu, dont le Christ est la pierre angulaire, appelant dans un même bercail ceux de la Circoncision et ceux de la Gentilité. Les Juifs qui l’ont repoussé accepteront l’Antéchrist, mais les vrais fidèles seront sauvés par le Christ, notre Seigneur.
1. Le psaume cent cinquième a aussi pour titre « Alleluia »; et même deux fois Alleluia. Quelques-uns cependant prétendent que le premier Alleluia termine le psaume précédent, et le second alors commencerait celui-ci. Et ce qui les fait parler de la sorte, c’est que tous les psaumes où l’on voit Alleluia, l’ont tous à la fin, mais pas tous au commencement: alors tout psaume qui ne finit point par un Alleluia ne doit pas, à leur avis, en avoir un au commencement; et celui qui semble s’y trouver appartient à la fin du précédent. Quant à nous, jusqu’à ce que l’on nous prouve cette assertion par des raisons certaines, nous suivrons la coutume commune qui regarde l’Alleluia comme titre du psaume, dès qu’il est marqué au commencement. Il n’y a en effet que très-peu d’exemplaires (et je ne l’ai trouvé dans aucun des grecs que j’ai pu lire) qui aient Alleluia, à la fin du psaume cent-cinquantième, lequel est le dernier inséré dans le canon. Mais quand il en serait encore ainsi, ce ne pourrait être une prescription contre la coutume. Il pourrait se faire que le livre tout entier des psaumes, composé de cinq livres dont chacun se termine par fiat, fiat! fût clos lui-même par Alleluia; or, que le Psaume cent cinquantième se termine par Alleluia, ce n’est point une raison pour que les psaumes qui commencent par Alleluia, finissent encore par Alleluia. Si donc l’inscription d’un psaume porte un double Alleluia, je ne vois point ce qui nous empêcherait de l’écrire tantôt une fois, tantôt deux fois, quand Notre Seigneur dit tantôt une fois Amen, et tantôt deux fois. Surtout quand chaque Alleluia est placé après le chiffre qui assigne au psaume son rang, comme au psaume cent cinquième par exemple. Or, si le premier Alleluia appartient au psaume précédent, il eût fallu l’écrire avant le chiffre indicateur, et après ce chiffre 1’Alleluia du psaume. Peut-être encore a-t-on suivi une coutume peu fondée, et peut-on nous donner une raison encore inconnue, qui nous montre à suivre le jugement de la vérité plutôt que le préjugé de la coutume. En attendant de plus amples lumières, chaque fois qu’après le chiffre du psaume, nous trouvons pour inscription, une fois Alleluia, ou deux fois, (563) fidèles à la coutume si connue de l’Eglise, nous attribuons le tout au psaume qui porte cette inscription: du reste nous avouons qu’il y a, selon nous, dans les titres de tous les psaumes, dans l’ordre qu’ils occupent, de grands mystères que nous n’avons pu encore étudier selon nos désirs.
2. Or, je vois entre le cent quatrième et le cent cinquième une liaison telle que le premier serait l’éloge du peuple de Dieu dans ses élus, dont il ne fait aucune plainte, ce qui me fait croire qu’il est question de ceux qui furent agréables à Dieu 1; dans le suivant qui est le nôtre, il est question de ceux qui aigrirent le Seigneur, sans que Dieu néanmoins cessât de leur faire miséricorde. L’interlocuteur parle au nom de ceux qui se convertissent et implorent leur pardon, et nous donne pour exemple ceux qui furent grands pécheurs, et qui s’enrichirent néanmoins de la divine miséricorde. Notre psaume commence donc comme le précédent: « Confessez au Seigneur »; mais dans le précédent le Prophète ajoute: « Invoquez son nom ». Dans celui-ci: « Parce qu’il est bon, parce que sa e miséricorde est éternelle 2». Le mot confession peut donc s’entendre d’une confession des péchés; car après quelques versets il est dit: « Nous avons péché avec nos pères, nous avons commis l’injustice; nous nous sommes livrés à l’iniquité 3 »; mais quand il dit: « Parce qu’il est bon, parce que sa miséricorde est éternelle », c’est une louange à Dieu, et dans cette louange une confession. Et toutefois, dès qu’un homme confesse à Dieu ses péchés, il doit le faire en louant Dieu; et nulle confession n’est pieuse, si elle ne vient sans aucun désespoir implorer la divine miséricorde. Elle est donc toujours une louange du Seigneur, soit en paroles, quand elle publie sa miséricorde et sa bonté, soit par le sentiment, quand elle est un acte de foi en cette miséricorde. Voyez le publicain; on ne rapporte de lui que ces paroles: «Seigneur, soyez-moi propice, à moi, qui suis pécheur 4 ». Il n’ajoute point, il est vrai, parce que vous êtes bon et miséricordieux, ou quelque chose de semblable, mais s’il ne le croyait, il ne parlerait point de la sorte; car il a prié avec espérance, et l’espérance ne peut exister sans la foi. On peut donc louer Dieu d’une manière vraie et pieuse, sans accuser
1.
I Cor. X, 5. — 2. Ps. CV, 1. — 3. Id. 6. — 4. Luc, XVIII,
13.
ses péchés; et cette louange prend souvent dans 1’Ecriture le nom de confession; mais on ne peut avouer ses fautes d’une manière utile et pieuse sans louer Dieu, ou de coeur, ou de bouche et en paroles. Dans quelques manuscrits on lit: « Parce qu’il est bon »; en d’autres: « Parce qu’il est doux ». L’expression grecque Xrestos, a donné lieu à cette double traduction. De même ici: e Parce « que sa miséricorde est dans le siècle », in saeculum; nous lisons dans le grec eis ton aiona, que l’on peut traduire par éternellement, in aeternum. Si donc il s’agit de cette miséricorde par laquelle on ne saurait être heureux sans Dieu, il vaut mieux dire éternellement, in aeternum; mais si l’on entend cette miséricorde qui s’incline vers les malheureux, pour les soulager dans leur misère ou les en délivrer, il est mieux de traduire in saeculum, dans le siècle, c’est-à-dire jusqu’à la fin des temps, qui aura toujours des malheureux àqui Dieu fera miséricorde. A moins d’aller jusqu’à dire que la divine miséricorde ne fera point défaut même à ceux qui seront damnés avec le diable et les anges, non que Dieu les délivre de cette condamnation, mais parce qu’il y apportera quelque soulagement: et dans ce sens Dieu aurait pour leur misère éternelle une miséricorde éternelle. Nous lisons, il est vrai, que pour plusieurs le châtiment sera moindre en le comparant au châtiment des autres; mais que la peine d’un damné soit adoucie, ou qu’il y ait à quelques intervalles une pause dans ses douleurs, qui oserait l’affirmer, quand le mauvais riche n’obtint pas une goutte d’eau 1? Mais il faudrait à loisir traiter une matière si importante: ce que nous en avons dit, doit suffire pour l’explication de notre psaume.
3. « Qui racontera la puissance du Seigneur? » Emerveillé, en considérant les oeuvres divines, le Prophète, qui implore la miséricorde, s’écrie: « Qui racontera les oeuvres puissantes du Seigneur, et publiera toutes ses louanges 2? » Pour compléter cette pensée, il faut sous-entendre ce qui précède, Qui « publiera toutes ses louanges? » C’est-à-dire, qui pourra suffire pour publier toutes ses louanges? Le Prophète a dit: Auditas faciet, « fera entendues », c’est-à-dire fera en sorte qu’elles soient entendues; nous montrant ainsi qu’il faut publier la puissance et
1.
Luc, XVI, 24-26. — 2. Ps. CV, 2.
les louanges du Seigneur, de manière qu’on les prêche à ceux qui écoutent. Mais qui les prêchera toutes? A moins peut-être que ces paroles qui suivent: « Bienheureux ceux qui gardent l’équité, et qui gardent la justice en tout temps 1», ne signifient que ses louanges doivent s’entendre des oeuvres qui lui appartiennent dans l’accomplissement de ses préceptes. Car, « c’est Dieu », dit saint Paul, « qui agit en vous 2». Et il est dit à la race d’Abraham: « Chantez en son honneur, toue chez de la harpe en son honneur 3»; ce que nous avons expliqué par: Dites le bien et faites le bien à la gloire de son nom. Deux paroles, chantez et jouez de la harpe, sont exprimées dans les deux versets suivants; en sorte que: « Racontez ses merveilles », soit identique à: « Chantez au Seigneur »; et ces autres paroles: « Glorifiez-vous dans son saint nom 4 », soient identiques à: « Chantez-le sur la harpe». C’est en effet à cette race que le Seigneur a dit: « Que vos oeuvres soient visibles devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes actions, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans le ciel 5 ». Le Prophète, considérant dès lors les préceptes de Dieu, préceptes dont l’accomplissement tourne à la gloire de Dieu qui opère dans ses serviteurs, parle ainsi « Qui racontera la puissance du Seigneur? » puisqu’il opère ces oeuvres d’une manière ineffable. Qui, « entendues, fera toutes ses louanges? » C’est-à-dire, qui fera entendre ses louanges après les avoir entendues? c’est-à-dire l’accomplissement de ses préceptes. Qui pourra les raconter autant qu’ils s’accomplissent, et quand même on n’accomplirait point ce que l’on entend, Dieu n’en est pas moins à louer. « Lui qui opère en nous le vouloir et le faire, selon qu’il lui plaît 6 ». Le Prophète pouvait dire: Tous ses commandements, ou toutes les oeuvres qu’il commande; mais il a préféré dire: « Ses louanges»; car, nous l’avons dit, c’est à Dieu qu’il faut rendre gloire de l’accomplissement de ses préceptes. Ces louanges, toutefois, qui peut les faire entendre, ou qui est capable de les raconter toutes, après les avoir entendues?
4. « Heureux ceux qui gardent le jugement, et observent la justice en tout temps 7»; c’est-à-dire, depuis qu’ils commencent à vivre selon le temps. « Car, celui-là seul sera sauvé, qui
1.
Ps. CV, 3. — 2. Philipp. II, 3. — 3. Ps.
CIV, 2.— 4. Id. 3. — 5. Matth. V,
16.— 6. Philipp. II, 13. — 7. Ps. CV, 3.
aura persévéré jusqu’à la fin 1». On peut néanmoins voir ici une répétition, en sorte que « observer la justice », reviendrait à « garder le jugement »; et alors dans le verset précédent, on devrait sous-entendre: « En tout temps », comme dans le suivant on sous-entend: « Bienheureux »; ainsi en exprimant ce qui est sous-entendu; on aurait: « Bienheureux ceux qui gardent le jugement en tout temps, bienheureux ceux qui pratiquent la justice en tout temps ». Mais s’il n’y avait une différence entre la justice et le jugement, le Prophète ne dirait point dans un autre psaume: « Jusqu’à ce que la justice devienne un jugement 2». L’Ecriture aime à joindre ces deux attributs, comme dans ce verset: « La justice et le jugement sont la base de son trône 3»; et cet autre: « Il fera éclater votre justice comme une lumière, et votre jugement comme le soleil de midi 4»; quoique cela ne paraisse qu’une répétition de pensée. Et même le rapprochement des deux sens pourrait nous faire confondre l’un avec l’autre, ou la justice avec le jugement, ou le jugement avec la justice; et toutefois, Je ne doute pas qu’en les prenant dans leur acception respective, il n’y ait entre ces expressions une différence, en sorte que garder le Jugement ce serait juger avec droiture, et fane la justice, agir selon le bien. Et je ne crois pas que l’on soit dans l’erreur d’après l’explication de ces paroles: « Jusqu’à ce que la justice devienne le jugement», en appelant bienheureux ceux qui gardent le jugement dans leur foi, et qui pratiquent la justice dans leurs oeuvres. Un temps viendra où ce jugement, que l’on garde aujourd’hui dans la foi, s’exercera dans les oeuvres, alors que la justice sera devenue le jugement, c’est-à-dire quand les justes auront reçu le pouvoir de juger selon l’équité ceux que l’on juge avec injustice. C’est donc à tout le corps du Christ que l’on doit attribuer cette parole d’un autre psaume: « Quand le temps me sera donné, je jugerai les justices elles-mêmes 5»; parole que l’on pourrait traduire plus fidèlement encore par: Je jugerai les équités. Mais le Prophète ne dit point: Quand le temps me sera donné,je pratiquerai la justice, car il faut toujours la pratiquer, ainsi que le Prophète l’a dit ici: « Qui font la justice en tout temps»,
1.
Matth. X, 22. — 2. Ps. XCIII, 15.— 3. Id. XCVI, 2.— 4. Id. XXXVI,
6.— 5. Id. LXXIV, 5.
5. Mais comme c’est Dieu qui justifie, c’est-à-dire qui fait les justes, en les guérissant de leurs iniquités, le Psalmiste fait cette prière: « Souvenez-vous de nous, Seigneur, dans votre amour pour votre peuple 1»; c’est-à-dire, mettez-nous au nombre de ceux que vous aimez; car tous ces Juifs ne furent point agréables à Dieu. «Visitez-nous dans votre salut ». Or, celui-là est le Sauveur qui remet les péchés, qui guérit les âmes, afin qu’elles puissent garder le jugement et pratiquer la justice; ceux qui parlent ainsi, comprenant combien ces âmes sont heureuses, demandent pour eux la même grâce. C’est de ce salut qu’il est dit ailleurs: « Afin que nous connaissions votre voie sur la terre 2 ». Et comme si nous demandions sur quelle terre, il continue: « Dans toutes les nations ». Puis, comme si nous demandions quelle voie, il ajoute: « Votre salut ». Car c’est de lui que le vieillard Siméon a dit: « Parce que mes yeux ont vu votre saint 3». Et ce Sauveur adit de lui-même: «Je suis la voie 4 ». «Visitez-nous dans votre salut », c’est-à-dire dans votre Christ, « afin que nous voyions votre bonté pour vos élus, et que nous nous réjouissions dans la joie de votre peuple ». C’est-à-dire, que le but de votre visite dans votre Sauveur, soit de nous montrer votre boulé dans vos élus, et de nous donner la joie de votre peuple. Ce que nous exprimons ici par « bonté », est rendu en d’autres exemplaires par « douceur », de même qu’au lieu de « parce qu’il est bon », on dit aussi « parce « qu’il est doux ». Il y a dans le grec le même verbe que nous lisons ailleurs: « Le Seigneur répandra sa douceur 5 »; ce que les uns traduisent par sa bonté, les autres par sa bénignité. Mais que signifie: « Visitez-nous, afin que nous voyions dans la bonté de vos élus », ou dans cette bonté que vous avez pour vos élus, sinon afin que nous ne demeurions pas aveugles comme ceux à qui le Seigneur a dit: « Maintenant que vous dites: Nous voyons, votre péché subsiste 6». «Le Seigneur donne la vue aux aveugles 7»,non par leur propre mérite, mais « dans sa bonté pour ses élus », c’est-à-dire qu’il témoigne ou qu’il prodigue à ses élus: comme « le salut de ma face » ne vient pas de moi, mais c’est vous, « mon Dieu 8 ». Nous disons encore:
1.
Ps. CV, 4.— 2. Id. LXVII, 3. — 3. Luc, II, 30. — 4. Jean,
XIV, 6.— 5. Ps. LXXXIV, 13. — 6.
Jean, IX, 41.— 7. Ps. CXLV, 8.— 8. Id. XLII, 5.
« Notre pain de chaque jour», et pourtant nous ajoutons: « Donnez-nous». « Visitez-nous donc dans votre salut, pour voir », c’est-à-dire afin que nous voyions « dans votre bonté pour vos élus; pour nous réjouir », ou afin que nous nous réjouissions « dans la joie de votre peuple ». Par ce peuple de Dieu, nous devons entendre seulement la postérité d’Abraham, postérité selon la promesse, et non selon la chair. Nos interlocuteurs aspirent donc à la joie de cette nation. Et quelle est la joie de cette nation, sinon son Dieu? C’est à lui qu’il est dit: « Vous qui êtes mon allégresse, rachetez-moi 1». Et encore: « La lumière de votre face est empreinte sur moi, Seigneur, vous avez donné la joie à mon coeur 2 »; en le remplissant du souverain bien, du bien véritable, du bien immuable et qui produit le bonheur, bien qui est Dieu lui-même. « Afin qu’on vous loue dans votre héritage ». Je m’étonne que l’on ait ainsi traduit ce verset dans beaucoup d’exemplaires, quand l’expression grecque est la même dans ces trois versets, en sorte que s’il est bien de dire: « Afin qu’on vous loue dans votre héritage », on peut dire aussi: «Afin que vous voyiez dans votre bonté pour vos élus, que vous vous réjouissiez dans l’allégresse de votre nation, et qu’on vous loue dans votre héritage ». Mais de même que nous avons dit: « Visitez-nous, afin que nous voyions dans votre bonté pour vos élus, que nous nous réjouissions dans l’allégresse de votre nation »; il est conséquent de dire: « Afin que nous à soyons glorifiés dans votre héritage »; et à cet héritage il est dit: « Glorifiez-vous dans son saint nom 3 ». Mais comme l’expression paraît offrir une ambiguïté, si le véritable sens est celui qu’ont préféré beaucoup de traducteurs: « Afin qu’on vous loue », il faut donner le même sens aux deux autres versets; car, nous l’avons dit, dans le grec l’expression est la même pour les trois versets. En sorte qu’il nous faut entendre le tout comme il suit: « Visitez-nous dans votre salut, afin que vous voyiez dans votre bonté pour vos élus »; c’est-à-dire, visitez-nous, afin de nous mettre de leur nombre, et de nous voir avec eux: « afin que vous vous réjouissiez de l’allégresse de votre nation», c’est-à-dire en ce sens que l’on vous attribue à vous-même la joie,
1.
Ps. XXXI, 7.— 2. Id. IV, 7. — 3. Id. CIV, 3.
puisque vos élus se réjouissent en vous: « Afin qu’on vous loue dans votre héritage », c’est-à-dire que la louange de votre héritage retombe sur vous, car c’est uniquement à cause de vous qu’on le bénit. De quelque manière que l’on entende ces paroles: « Pour voir, pour se réjouir, pour bénir», les élus soupirent après la visite du salut de Dieu, ou de son Christ, afin de n’être point étrangers à son peuple, à ceux qui furent agréables au Seigneur.
6. Ecoutons ensuite leurs aveux: « Nous avons péché avec nos pères, nous avons commis l’injustice, nous sommes souillés d’iniquité 1». Qu’est-ce à dire: « Avec nos pères? » De même que dans l’épître aux Hébreux, il est dit que Lévi paya la dîme avec Abraham, parce qu’il était en Abraham quand celui-ci paya la dîme au grand prêtre Melchisédech 2; faut-il entendre que ceux-ci péchèrent dans leurs pères, parce qu’ils étaient en eux, quand ces pères étaient en Egypte? Car ceux qui existaient quand le psaume fut écrit, et plus encore leurs descendants, puisque le psaume pouvait s’appliquer à ceux qui vivaient alors, ou à leur postérité, d’une manière prophétique; ceux-là, dis-je, étaient bien éloignés par le temps des Juifs qui péchèrent en Egypte, et qui ne comprirent point les merveilles du Seigneur. Car c’est là ce que le psaume ajoute, en expliquant de quelle manière ils péchèrent avec leurs aïeux: « Nos pères», dit le Prophète, « n’ont pas compris vos merveilles en Egypte 3», et toutes les fautes nombreuses qu’il signale. Ne serait-il pas mieux d’entendre cette parole: « Nous avons péché avec nos pères », comme si le Prophète nous disait: Nous avons péché comme nos pères, c’est-à-dire imité leurs fautes? S’il en était ainsi, il serait bon d’autoriser cette interprétation par quelques exemples; j’en cherche maintenant, et aucun ne me revient, pour montrer que tomber dans la faute d’un autre, même longtemps après, peut se dire pécher avec quelqu’un, ou agir avec lui.
7. Que signifie donc: « Nos pères n’ont s point compris vos merveilles»; sinon qu’ils n’ont point compris ce que vous faisiez en leur faveur par ces merveilles? Et qu’est-ce, sinon la vie éternelle, et non un bien temporel, mais le bien immuable que l’on attend
1.
Ps. CV, 6. — 2. Hébr. VII, 1-10.— 3. Ps. CV, 7.
par la patience? Aussi, dans leur impatience, ils se jetèrent dans le murmure, dans les paroles amères, et voulurent placer leur félicité dans les biens présents, biens frivoles et trompeurs. « Ils ne se souvinrent point de « toutes vos miséricordes ». Le Prophète accuse leur intelligence et leur mémoire. Il leur fallait l’intelligence pour comprendre à quels biens éternels Dieu les appelait par ces biens temporels; et la mémoire pour ne point oublier du moins les prodiges temporels, et pour en conclure, avec une ferme confiance, que Dieu les délivrerait de la servitude de leurs ennemis, par cette même puissance qu’ils avaient éprouvée tant de fois: or, ils oublièrent les prodiges si grands que Dieu avait opérés en leur faveur pour écraser leurs ennemis. « ils se révoltèrent en montant les bords de la mer, de cette mer Rouge 1». Ainsi portait le manuscrit que j’examinais; et à ces deux derniers mots, il y avait une étoile, destinée à marquer ce qui est dans l’hébreu, mais n’est point dans les Septante. Les nombreux manuscrits que j’ai pu voir, tant grecs que latins, portent: « Ils irritèrent », ou ce qui est plus expressif dans le grec, « ils dirent des paroles amères, en sortant de la mer Rouge ». Quiconque parcourt l’histoire de la sortie d’Egypte et du passage de la mer Rouge, déplore l’infidélité des Juifs, leur crainte, leur désespoir, après des miracles si récents et si nombreux, accomplis en Egypte, innombrables prodiges de miséricorde que le Prophète les accuse d’avoir oubliés. « Ils montèrent», dit le Prophète, parce que d’après la situation des lieux, on descend de la terre de Chanaan dans l’Egypte, et de l’Egypte on monte en Chanaan. Remarquez ici combien l’Ecriture condamne ceux qui ne comprennent point ce qu’il faut comprendre, qui oublient ce qu’il faut retenir: les hommes toutefois ne veulent point qu’on leur impute ces fautes, et n’ont en cela d’autre motif que de moins prier, d’être moins humbles devant Dieu, au lieu de confesser devant lui ce qu’ils sont, pour devenir par son secours ce qu’ils ne sont point. Accuser les péchés d’ignorance et de négligence, afin de les effacer, vaut mieux que les excuser, et les faire subsister; il est plus avantageux de les effacer en invoquant Dieu, que de les confirmer en l’irritant.
1.
Ps. CV, 7.
8. Toutefois, le Prophète ajoute que Dieu ne les traita point selon leur infidélité. « Il les sauva», dit-il, « à cause de son nom, afin de faire éclater sa puissance 1»; et non à cause de leurs mérites.
9. « Il menaça la mer Rouge qui se dessécha 2 ». Nous ne voyons point que Dieu ait lancé du ciel une seule parole pour menacer la mer; mais le Prophète appelle menace la puissance divine qui opéra ces merveilles: à moins de dire que cette menace fut tellement secrète que la mer put l’entendre, et non les hommes. Elle est en effet bien cachée, bien invisible, cette force de Dieu sur les éléments même insensibles, puisqu’il les contraint d’obéir à l’instant à sa volonté. « Et il les conduisit à travers les abîmes, comme dans un lieu désert ». Le Prophète appelle abîmes, la masse des eaux. Plusieurs interprètes, en effet, ont traduit ainsi ce verset: « Il les conduisit à travers les grandes eaux». Pourquoi dire que Dieu les fit passer « dans les abîmes comme dans un désert», sinon parce que le lit que recouvraient les grandes eaux devint sec comme le désert?
10. « Et il les sauva de la main de leurs ennemis ». D’autres ont traduit ce verset en prenant une circonlocution, pour éviter des expressions peu latines: « Il les sauva de la main de ceux qui le haïssaient. Et il les racheta de la main de l’ennemi 3 ». Quel fut le prix de ce rachat? N’est-ce point là une figure prophétique de ce qui a lieu dans le baptême, où nous sommes véritablement rachetés de la puissance du démon par une grande rançon, qui est le sang du Christ? De là vient qu’il est figuré, non point par toute mer indifféremment, mais par la mer Rouge, qui a la couleur du sang.
11. « Il couvrit d’eau ceux qui les poursuivaient, pas un d’eux n’échappa 4 »; ce qui ne s’entend pas de tous les Egyptiens, mais de ceux qui poursuivaient les Hébreux après leur départ, qui tentaient de les atteindre et de les tuer.
12. « Et ils crurent en ses paroles »; en latin: Crediderunt in verbis ejus; expression peu latine; il vaudrait mieux dire: verbis ejus, ou in verba ejus; mais in verbis ejus se rencontre fréquemment dans les saintes Ecritures. « Et ils louèrent ses louanges 5 »; c’est là une locution du genre de celle-ci: Il servit
1.
Ps. CV, 8.— 2. Id, 9.— 3. Id.10 — 4. Id.11.— 5. Id, 12.
dans cette servitude, il vécut de cette vie. Par louanges de Dieu, le Prophète entend ce célèbre cantique en l’honneur de Dieu. « Chantons au Seigneur, qui a fait éclater sa gloire, qui a jeté à la mer le cheval et le cavalier 1 ».
13. « Mais ils firent vite et oublièrent ses oeuvres ». D’autres exemplaires disent plus clairement: « ils se hâtèrent d’oublier ses oeuvres, et n’attendirent pas l’accomplissement de ses desseins 2 ». Ils devaient comprendre que ce n’était pas sans raison que Dieu opérait en leur faveur de si grandes merveilles, qu’il les appelait à quelque bonheur sans fin, que l’on doit attendre par la patience; mais ils se bâtèrent d’être heureux par les biens du temps, qui ne peuvent procurer à personne la vraie félicité, puisqu’ils n’en éteignent pas l’insatiable désir. « Quiconque boira de cette eau », dit le Sauveur, « aura encore soif 3 ».
14. Enfin: « Ils convoitèrent la convoitise dans le désert, et tentèrent Dieu dans les lieux sans eau 4 »; c’est-à-dire « au désert », car il y a ici une répétition, « un lieu aride »est un lieu sans eau; de même que «convoiter la convoitise », c’est « tenter Dieu »; et cette locution: « Convoiter la convoitise», équivaut à cette autre: « Louer la louange », que nous avons signalée tout à l’heure.
15. « Et il leur donna leur demande», c’est-à-dire ce qu’ils demandaient par leurs cris.
« Il envoya à leurs âmes de quoi les rassasier 5». Mais il ne les rendit point heureux pour cela; cette satiété en effet n’est point celle dont il est dit: « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés 6 ». De là vient que le mot d’âme en cet endroit ne s’entend point de l’âme raisonnable, mais de ce qui donne la vie au corps animal, pour le soutien duquel on a besoin de manger et de boire, d’après cette parole de l’Evangile: « L’âme n’est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement 7?» Comme si l’âme avait besoin de nourriture, et le corps de vêtement. C’est en ce sens qu’Isaïe disait: « Pourquoi avons-nous jeûné, et ne l’avez-vous point vu; avons-nous privé nos âmes, et ne l’avez-vous point su 8? »
16. « La jalousie éclata dans le camp contre
1.
Exod. XV, 1.— 2. Ps. CV, 13.— 3. Jean, IV, 13.— 4. Ps. CV, 14.— 5. Id. 35.— 6. Matth. V, 6.— 7. Id. VI, 25.— 8. Isa. LVIII, 3.
Moïse, et contre Aaron, le saint du Seigneur 1». La suite nous fait voir de quelle jalousie le Prophète veut parler, ou plutôt de quelles paroles amères, comme d’autres ont traduit.
17. «La terre s’ouvrit», dit le Prophète, « et engloutit Dathan, elle se referma sur la troupe d’Abiron 2». « Engloutir» et « se refermer sur », sont deux expressions identiques.
Ces deux hommes, Dathan etAbiron, périrent pour la même cause, un schisme orgueilleux
et sacrilège.
18. « Un feu s’alluma dans leur synagogue; la flamme consuma les pécheurs 3 ». Dans les Ecritures, ce mot de pécheur ne s’emploie point pour désigner ceux qui, vivant d’une manière juste et louable, ne sont pas toutefois exempts de toute faute. De même qu’il y a une différence entre le railleur, le murmurateur, l’écrivain de profession, et le reste, et l’homme qui ne raille qu’une fois, qui ne murmure qu’une fois, qui n’écrit qu’une fois; ainsi l’Ecriture donne ordinairement le nom de pécheurs à ceux qui sont chargés d’iniquités.
19. « Ils firent un voeu en Horeb, et adorèrent l’ouvrage de leurs mains; ils changèrent leur gloire en la ressemblance de l’animal qui se nourrit d’herbe 3». Pour désigner la ressemblance, le Prophète n’a point dit: in similitudinem; mais, in similitudine, comme tout à l’heure il a dit: « Ils crurent en ses paroles », in verbis ejus. Par élégance il ne dit point qu’ils changèrent la gloire de Dieu, bien qu’ils l’aient fait, réellement, comme ceux dont l’Apôtre dit: « Ils changèrent la gloire du Dieu incorruptible en la ressemblance de l’homme corruptible 5»: mais il dit: « leur gloire ». Car Dieu eût été leur gloire s’ils eussent attendu ses desseins, et n’eussent point agi avec une telle précipitation; c’est à Dieu en effet que l’on dit: « Vous êtes ma gloire, vous élevez ma tête 6». Cette « gloire donc», ou Dieu, «ils l’ont transformée en la figure d’un veau qui mange du foin», afin de devenir eux-mêmes la proie de celui qui dévore ceux qui ont des sentiments charnels: « Toute chair en effet n’est qu’un foin 7 ».
20. « Ils oublièrent le Dieu qui les avait délivrés 8 ». Comment les délivra-t-il? « En
1.
Ps. CV, 16.— 2. Id. 17.— 3. Id. 18.— 4. Id. 19, 20.— 5. Rom, I, 23. — 6. Ps.
III, 4. — 7. III. XL, 6. — 8. Ps CV, 21.
faisant des prodiges en Egypte, des miracles dans la terre de Cham, de terribles merveilles dans la mer Rouge 1». Quels sont ces prodiges, et ces merveilles effrayantes? car l’admiration n’est jamais sans une certaine crainte; bien qu’on puisse les appeler terribles, parce qu’en frappant les ennemis des Juifs, ils montraient à ceux-ci ce qu’ils avaient à craindre.
21. « Dieu dit alors qu’il les perdrait ». Ayant oublié celui qui les avait délivrés, par tant de merveilles, et s’étant fait un veau qu’ils adorèrent, ils s’étaient rendus par un crime si monstrueux, une si incroyable impiété, dignes d’être exterminés. « Dieu résolut donc de les perdre: mais Moïse, son élu, se tint en sa présence pour briser 2». Le Prophète ne dit point que Moïse se tint devant Dieu pour briser sa colère, mais ce mot briser s’applique au châtiment dont ils allaient être frappés, si Moïse ne se fût offert pour eux, en disant: « S’il vous plaît de leur pardonner ce crime, pardonnez; sinon effacez-moi de votre livre 3 ». Ce qui nous montre combien est puissante auprès de Dieu l’intercession des saints en faveur des autres. Moïse, connaissant la justice de Dieu, et sachant qu’il ne pouvait l’effacer de son livre, obtint miséricorde pour ceux que Dieu pouvait effacer avec justice. C’est ainsi qu’ « il se présenta devant Dieu pour briser, pour détourner sa colère, et l’empêcher de les exterminer».
22. « Ils regardèrent comme rien cette terre si estimable 4». L’avaient-ils déjà vue? Comment donc n’avoir aucune estime pour cet héritage qu’ils n’avaient pas vu, sinon comme il est dit ensuite, parce qu’ « ils n’avaient point cru en ses paroles?» Assurément, si Dieu n’eût fait un grand symbole de cette terre d’où s’épanchaient le lait et le miel 5, sacrement visible qui conduisait à la grâce invisible ou au royaume des cieux ceux qui comprenaient ces merveilles, le Prophète ne ferait pas un crime aux autres d’avoir méprisé cette terre, puisque nous regardons comme un néant tout royaume temporel, afin de reporter notre amour vers notre mère, la Jérusalem libre, qui est dans les cieux 6. Ce que le Prophète blâme ici, c’est donc l’incrédulité des Juifs, parce que mépriser une
1.
Ps. CV, 22. — 2. Id. 23. — 3. Exod. XXXII, 31, 32.— 4. Ps. CV,
24. — 5. Exod. III, 8.— 6. Gal. IV, 26.
terre si désirable, c’était manquer de foi à la parole de Dieu, qui veut, par des moyens petits en quelque sorte, nous élever à de grandes choses; dans leur impatience d’être heureux par les jouissances temporelles, qu’ils convoitaient d’une manière charnelle, « ils n’attendirent point », comme il est dit plus haut, « que les desseins de Dieu fussent accomplis sur eux 1».
23. « Ils murmurèrent sous leurs tentes, et n’écoutèrent point la voix de Dieu 2 », qui leur défendait sévèrement le murmure.
24. « Il leva sa main sur eux, pour les exterminer au désert; pour abattre leur race devant les nations, et les disperser parmi les peuples 3 ».
25. Ici, avant de dire qu’un homme s’interposa entre eux et cette souveraine indignation de Dieu, qu’il apaisa en quelque sorte, le Prophète poursuit: « Ils s’initièrent à Béelphégor 4 »; c’est-à-dire qu’ils se consacrèrent à l’idole des nations. « Ils mangèrent des victimes immolées aux morts. Ils irritèrent le Seigneur par leurs inventions, et la ruine se multiplia sur eux 5 ». Comme si Dieu n’avait différé de lever la main sur eux pour les exterminer au désert, pour faire disparaître leur postérité du nombre des nations, et les disperser Parmi les peuples, que pour les livrer au sens réprouvé, afin qu’ils commissent des crimes capables de faire éclater la justice de Dieu dans leur châtiment. C’est ainsi que l’Apôtre a dit: « Comme ils ont refusé de connaître Dieu, Dieu les a livrés au sens réprouvé, afin qu’ils commettent des crimes indignes 6 ».
26. Enfin, tel fut leur crime en se consacrant aux idoles, et en mangeant les sacrifices des morts (c’est-à-dire ces sacrifices que les Gentils offraient à des hommes morts comme à des dieux), que Dieu ne voulut être apaisé qu’en la manière dont l’apaisa le prêtre Phinéès, qui tua d’un même coup l’homme et la femme qu’il surprit dans un embrassement adultère 7. S’il eût agi de la sorte par un motif de haine, et non par amour, par ce zèle dont il- brûlait pour la maison de Dieu, cette action ne lui eût pas été imputée à justice. Ce meurtre fut comme un châtiment, dont Dieu frappa, comme un seul homme à l’âme duquel il veut épargner la mort, ce
1.
Ps, CV, 13. — 2. Id. 25. — 3. Id. 26, 27.— 4. Id, 28. — 5. Id. 29. — 6. Rom. I,
28.— 7. Nomb. XXXV, 8.
peuple dont il allait faire un si grand carnage. Il est vrai que, dans le Nouveau Testament, Notre Seigneur Jésus-Christ nous traite avec pins de douceur; mais les menaces de l’enfer, que nous ne lisons point dans toutes ces menaces de maux temporels, sont bien plus terribles. « La ruine se multiplia donc chez eux », quand l’énormité de leurs crimes leur attira des châtiments proportionnels. « Et Phinéès se leva et apaisa Dieu, et le fléau cessa 1 ». Le Prophète ne fait qu’effleurer cette histoire, parce qu’il n’instruit point ici les ignorants; il rappelle ce que chacun sait. Ce qui est exprimé ici par fléau, l’était plus haut par le mot briser; dans le grec, c’est la même expression.
27. « Cela lui fut imputé à justice de génération en génération, jusqu’à l’éternité 2 ». Dieu imputa à justice cette action de son prêtre, non seulement pour la durée d’une génération, mais « jusqu’à l’éternité »; lui qui sonde les coeurs, et qui sait mesurer quel amour du peuple animait alors son serviteur.
28. « Ils irritèrent encore le Seigneur aux eaux de la contradiction, et Moïse fut châtié à cause d’eux, parce qu’ils avaient aigri son esprit; et la distinction fut sur ses lèvres 3 ». Qu’est-ce à dire, « la distinction? » Il douta que ce même Dieu, qui avait déjà fait tant de prodiges, pût faire couler l’eau d’un rocher. Car ce ne fut qu’avec hésitation qu’il frappa la pierre avec sa houlette; de là vient qu’il fit une distinction entre ce miracle et les autres dans lesquels il n’avait nullement hésité; de là sa faute, et de là vient aussi qu’il mérita d’entendre qu’il mourrait avant d’entrer clans la terre promise 4. Troublé par le murmure d’un peuple infidèle, il ne demeura point aussi ferme qu’il devait l’être. Et toutefois, même après sa mort, Dieu lui rendit un témoignage favorable comme à son élu, afin de nous montrer que cette hésitation de sa foi n’eut d’autre châtiment que cette peine temporelle, de ne pas entrer dans la terre où il conduisait son peuple. Mais gardons-nous de croire qu’il fut banni du royaume de la grâce divine, dont nous avons une figure dans cette terre, où selon l’Ecriture, coulaient le lait et le miel 5. Car telle est, à proprement parler, l’alliance éternelle conclue avec Abraham
1.
Ps. CV, 30.— 2. Id. 31.— 3. Id. 32, 33.— 4. Deut. XXXII, 49-52.— 5. Exod.
III, 8.
notre père, non selon la chair, mais selon la foi.
29. Quant à ceux dont le Psalmiste nous raconte les iniquités, lorsqu’ils entrèrent
dans la terre promise: « Ils ne détruisirent point les nations que le Seigneur leur avait désignées. Ils se mêlèrent à ces nations, apprirent leurs oeuvres, servirent leurs idoles, ce qui fut pour eux un scandale 1 ». Ce qui les fit tomber, ce fut d’épargner ces nations, et de se mêler à elles.
30. « Ils immolèrent aux démons leurs fils et leurs filles; répandirent le sang innocent, le sang de leurs fils et de leurs filles qu’ils avaient immolés aux idoles de Chanaan 2 ». L’histoire ne dit point qu’ils aient immolé aux démons et aux idoles leurs fils et leurs tilles, mais ce psaume ne saurait mentir, non plus que les Prophètes qui répètent souvent ce reproche dans leurs imprécations. Quant aux Gentils, leur histoire n’a pas manqué de consigner cette coutume parmi eux.
31. Mais que dit ensuite le Prophète? « Et la terre fut tuée dans le sang ». Il nous semblerait que le copiste a commis une erreur, et qu’au lieu de infecta, souillée, il a écrit interfecta, tuée, si Dieu dans sa miséricorde n’eût voulu que son Ecriture fût en plusieurs langues; et la traduction grecque nous montre qu’il faut vraiment écrire: « La terre fut tuée dans le sang » Inter fecta est terra. Que signifie donc: « La terre fut tuée », s’il n’y a là une manière de parler, une figure désignant les hommes qui habitent la terre, et employant ce qui contient pour ce qui est contenu; de même que nous appelons mauvaise maison, une maison habitée par les méchants, et bonne maison, celle qu’habitent les gens de bien? ils donnaient en effet la mort à leurs âmes, en immolant leurs fils, en répandant le sang de jeunes enfants assurément fort étrangers à ces crimes. De là cette parole: « Ils répandirent le sang innocent ». Donc « la terre fut tuée dans le sang et souillée par leurs oeuvres », puisqu’ils étaient tués dans l’âme et souillés dans leurs actions. « Ils se prostituèrent dans leurs inventions ». Le Psalmiste appelle ici inventions, ce que les Grecs nommeraient epitedeumata. C’est en effet cette même expression que l’on trouve dans les manuscrits grecs, et ici et à cet autre endroit où il est dit, qu’ « ils irritèrent le Seigneur
1.
Ps. CV, 34-30. — 2. Id. 37-39.
par leur inventions », appelant en ces deux endroits « inventions », ce qu’ils firent à l’imitation des autres peuples. Ne prenons donc point le mot « invention » en ce sens qu’ils auraient établi des cérémonies dont on ne leur aurait donné nul exemple. Aussi plusieurs traducteurs, au lieu d’inventions, ont-ils dit, studia, attachements; d’autres, affections, ou violents désirs; d’autres enfin, voluptés: et eux-mêmes qui ont traduit par adinventiones, inventions, ont dit ailleurs studia, attachements. J’ai fait cette réflexion, afin qu’on ne s’étonnât point de trouver le mot « inventions» pour désigner un culte dont ils ne furent point les inventeurs, mais simplement les imitateurs.
32. « La fureur de Jéhovah s’alluma contre son peuple 1». Nos traducteurs n’ont pas voulu traduire par ira, colère, ce que le grec désigne par tumos: quelques-uns pourtant l’ont mis; d’autres ont traduit par indignation; d’autres par animation, Quelle que soit l’expression, le trouble ne retombe point sur Dieu: mais l’usage a fait donner ce nom à son pouvoir de vengeance.
33. « Il eut horreur de son héritage, et le livra aux mains des Gentils, qui les haïssaient et qui en devinrent les maîtres: leurs ennemis les opprimèrent, et ils furent humiliés sous leur puissance 2 ». Quand le Prophète désigne ici l’héritage de Dieu, il est évident que sa colère ne voulait point les perdre, mais seulement les corriger, en les livrant à leurs ennemis. Aussi dit-il ensuite que « souvent il les délivra ».
34. « Mais eux l’aigrirent dans leurs desseins 3 ». C’est ce qui a été dit plus haut. «
Ils n’attendirent point l’accomplissement de son dessein ». Or, le dessein
d’un homme est pernicieux pour cet homme, quand il ne cherche pas la gloire de
Dieu, mais son propre intérêt 4. Mais
dans cet héritage, qui est lui-même,quand il daignera se donner à nous, pour
que nous jouissions de lui, nous ne serons point à l’étroit dans la société des
saints, comme il nous arrive dans nos affections privées. Quand cette cité
glorieuse possédera l’héritage qui lui est promis, et où il n’y aura ni trépas,
ni naissance, il n’y aura plus de citoyens pour avoir une affection privée,
parce que Dieu sera tout en tous 5. Or,
1.
Ps. CV, 40.— 2. Id. 41, 42.— 3. Id. 43.— 4. Philipp. II, 21, — 5. I Cor. XV,
28.
quiconque ici-bas aspire à cet héritage par la foi et par l’amour, s’habitue à préférer à son bien propre le bonheur de tous, en ne cherchant point ses intérêts, mais la gloire de Jésus-Christ; de peur que, sage pour lui-même, occupé de lui-même, il n’en vienne à irriter le Seigneur par ses propres desseins. Mais dans l’espérance de ce qu’il ne voit pas encore, sans se hâter à jouir des choses visibles, dans la patiente expectative des biens invisibles, qu’il s’en rapporte en fait de promesses aux volontés de Celui dont il implore le secours dans ses tentations. Telle doit être son humilité dans ses aveux, afin de ne point ressembler à ceux dont il est dit: « Ils furent humiliés dans leurs iniquités ».
35. Toutefois Dieu, qui est plein de miséricorde, ne les a point négligés: « Il les regarda dans leurs angoisses, quand il entendit leurs cris. Il se souvint de son alliance, et se repentit de toute l’étendue de sa miséricorde 1 ». «Il se repentit»,est-il dit, parce qu’il changea le dessein qu’il paraissait avoir pris de les perdre. Or, en Dieu tout est fixe et immuable, et l’on ne trouve en lui nulle résolution subite, comme s’il n’avait point prévu de toute éternité ce qu’il ferait: mais dans tout ce qui a lieu ici-bas au sujet des créatures, qu’il gouverne avec une sagesse admirable, on dirait qu’il fait par une volonté subite, ce qui était résolu dans ses desseins immuables et cachés, desseins qui lui découvrent toutes choses ers leur temps, et d’après lesquels il fait ce qui s’opère actuellement, et a déjà fait ce qui doit être un jour. « Et qui, mieux que lui, peut le faire 2? » Ecoutons donc 1’Ecriture qui dit simplement les choses les plus sublimes, qui donne aux petits une nourriture proportionnée, et aux plus grands des vérités qu’ils doivent approfondir. « Dieu les vit dans leurs angoisses, quand il entendit leurs prières, et il se souvint de son alliance »: c’est-à-dire de son alliance éternelle, « qu’il avait jurée à Abraham », non de l’ancienne qui est abolie, mais de la nouvelle qui est voilée dans l’ancienne. « Et il se repentit selon l’étendue de sa miséricorde». Il a donc fait ce qu’il avait résolu, mais il avait prévu qu’il accorderait cette grâce à leurs coeurs contrits et suppliants: parce que leur prière qui n’était pas encore, mais qui devait être un jour, n’était point ignorée du Seigneur.
1. Ps. CV, 44, 45. — II Cor, II,
16.
36. « Et il leur fit trouver miséricorde 1 ». C’est-à-dire qu’il en fit des vases de miséricorde et non des vases de colère 2. Le latin a mis, au pluriel, « ces miséricordes », qu’il leur fit trouver, parce que chacun a de Dieu un don qui lui est propre, l’un d’une manière, l’autre de l’autre 3. « Il leur fit donc trouver miséricorde en présence de tous ceux qui les tenaient captifs». Courage donc, ô toi qui lis ces paroles, toi qui reconnais, en lisant les lettres de l’Apôtre, la grâce du Dieu qui nous rachète pour la vie éternelle, par Jésus-Christ Notre Seigneur, toi qui approfondis les écrits des Prophètes pour y découvrir l’Ancien Testament révélé dans le Nouveau, et le Nouveau sous les voiles de l’Ancien, souviens-toi quel est celui que saint Paul appelle prince des puissances de l’air, « qui agit sur les enfants de l’incrédulité 4 », et ce qu’il dit encore à propos de quelques-uns, qu’ « ils doivent sortir des pièges du démon qui les tient captifs pour en faire ce qui lui plaît 5 » souviens. toi des paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ quand, chassant le démon des coeurs des fidèles, il s’écriait: « Désormais le prince de ce monde est chassé dehors 6»; et de ces autres paroles de l’Apôtre: « Dieu nous a arrachés à la puissance des ténèbres, et nous a transportés dans le royaume de son Fils bien-aimé 7 ». En réfléchissant sur ces divers passages, applique ton attention sur les écritures de l’Ancien Testament, et vois ce que l’on chante dans ce psaume qui a pour titre: « Lorsque la maison fut rebâtie après la captivité ». C’est là qu’il est dit: « Chantez au Seigneur un cantique nouveau ». Et pour qu’on ne vienne pas à croire que ces paroles ne s’adressent qu’aux Juifs: « Chantez», dit le Prophète; « que toute la terre chante au Seigneur; chantez au Seigneur, bénissez son nom, annoncez », ou plutôt, « donnez la bonne nouvelle »; et même, pour traduire l’expression grecque: « Evangélisez de jour en jour son salut ». De là est venu le nom d’Evangile, qui prêche de jour en jour Jésus. Christ, lumière de lumière, Fils engendré du Père. C’est lui en effet qui est le salut de Dieu, car le salut de Dieu est le Christ, comme nous l’avons démontré plus haut. « Annoncez donc sa gloire parmi les nations, et ses merveilles dans tous les peuples. Car c’est le Seigneur
1.
Ps. CV, 46.— 2. Rom. IX, 22, 23.— 3. I Cor. VII, 7.— 4. Ephés. II 2. — 5. II Tim. II, 26. — 6. Jean, XII, 31.
— 7. Coloss. I, 13.
qui est grand et digne de toute louange, il est terrible par-dessus tous les dieux. Car les dieux des nations sont des démons 1 ».Ces ennemis donc, avec le diable qui est leur roi, tenaient captif le Peuple de Dieu. Or, à mesure que nous sommes délivrés de cette captivité, et que le prince de ce monde est chassé dehors, le temple de Dieu se construit après la captivité; c’est de ce temple que te Christ est la pierre angulaire, lui qui a formé en lui-même un seul homme nouveau de ces deux peuples, établissant cette paix, que le jour venant du jour, annonce à ceux qui étaient proches, et â ceux qui sont éloignés pour n’en faire qu’un seul peuple 2; et amenant les autres brebis qui n’étaient point de ce bercail, afin d’en faire un seul troupeau sous un seul pasteur 3. Ainsi Dieu « fit trouver des miséricordes », à ceux qu’il avait prédestinés; car cela ne dépend ni de celui qui veut, « ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde 4; en présence de ceux qui les tenaient en captivité ». Ces ennemis donc, le diable et ses anges,avaient réduit en captivité ceux que Dieu a prédestinés à son royaume et à sa gloire; mais le Rédempteur ayant chassé dehors ceux qui dominaient les infidèles à l’intérieur, ils ne les attaquent plus qu’à l’extérieur. Or, leurs attaques ne sont point victorieuses contre ceux qui se retirent dans une tour et se dérobent à l’ennemi 5. S’ils nous attaquent, c’est qu’ils sentent qu’il y a chez nous quelques restes d’infirmité qui nous font dire à Dieu: « Remettez-nous nos dettes »; et encore: « Ne nous induisez pas en tentation, mais délivrez-nous du mal 6 ». Après avoir donc chassé tous ces ennemis, Notre Seigneur Jésus-Christ a perfectionné les guérisons dans son corps, lui qui en est la tête et le Sauveur 7, afin d’être dans ce même corps consommé le troisième jour. Voici ce qu’il dit en effet: « Je chasse les démons, je rends la santé aujourd’hui et demain, et le troisième jour je serai consommé 8»; c’est-à-dire je serai parfait, lorsque nous nous rencontrerons tous à l’état de l’homme parfait, à la mesure de l’âge de la plénitude du Christ 9.
37. Après avoir donc chassé les démons qui nous tenaient captifs, le Christ achève de nous guérir. C’est pourquoi, après avoir dit:
1.
Ps. XCV, 1-5, — 2. Ephés. II, 13-22. — 3. Jean, X, 16. — 4. Rom. II, 16.— 5. Ps. IX, 4.— 6. Matth. VI, 12, 13.— 7. Ephés. V, 23.— 8. Luc, XIII, 32. — 9.
Ephés. IV, 13.
« Il leur fit trouver miséricorde auprès de ceux qui les avaient gardés en captivité »; maintenant que les démons qui nous tenaient captifs sont bannis, le Prophète prie Dieu de nous guérir: « Sauvez-nous, Seigneur notre Dieu, rassemblez-nous du milieu des nations 1 »; ou, comme l’on trouve dans certains exemplaires, « des Gentils; afin que nous confessions votre saint nom, et que nous mettions notre gloire à vous louer ». Le Prophète nous marque ensuite cette louange en un mot: « Béni soit le Seigneur Dieu d’Israël, de siècle en siècle 2»: ce que nous entendons ici, depuis, l’éternité jusqu’à l’éternité; car Dieu sera loué sans fin par ceux dont il est dit: « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous loueront de siècle en siècle 3 ». Ce sera la troisième consommation du corps de Jésus: les démons seront chassés, les guérisons achevées, puisque le corps aura même l’immortalité; ce sera le règne éternel de ceux qui béniront parfaitement le Seigneur, parce que leur amour sera parfait, et
qu’ils le contempleront face à face. Alors s’accomplira cette prière qui est au commencement du psaume: « Souvenez-vous de nous, Seigneur, selon votre amour pour votre peuple; visitez-nous pour nous sauver, afin de nous montrer votre bonté pour vos élus, de nous donner une part à la joie de votre peuple, et de faire chanter vos louanges par votre héritage ». Car ce n’est point seulement les brebis qui sont perdues de la maison d’Israël 4 qu’il rassemble parmi les nations, mais encore celles qui n’appartiennent point à ce troupeau, afin, comme il est dit, qu’il n’y ait plus qu’un seul bercail et un seul pasteur 5. Mais les Juifs, s’imaginant que cette prophétie a pour objet leur royaume visible, car ils n’ont point su goûter par l’espérance
la joie des biens invisibles, doivent tomber dans les embûches de celui dont le Seigneur a dit: « Je suis venu au nom de mon Père, et vous ne m’avez point reçu; un autre viendra en mon nom, et vous le recevrez 6 ». C’est de lui que saint Paul a dit: « Alors apparaîtra l’homme de péché, ce fils de la mort, qui s’oppose à Dieu, s’élève au-dessus de tout ce qu’on appelle Dieu, ou que l’on adore comme Dieu, de manière à s’asseoir dans le temple de Dieu, à s’y montrer comme
1.
Ps. CV, 47. — 2. Id. 48. — 3. Id. LXXXIII,5. — 4. Matth. XV,
24.— 5. Jean, X, 16. — 6. Id. V, 43.
Dieu ». Et un peu après: « Alors apparaîtra d’impie, que le Seigneur Jésus tuera du souffle de sa bouche, et qu’il perdra par d’éclat de sa présence: cet homme qui se montrera pour agir comme Satan, environné de puissance avec des signes menteurs, et avec toutes les séductions de l’iniquité sur ceux qui périront, pour n’avoir pas reçu et aimé la vérité, afin d’être sauvés. C’est pourquoi Dieu leur enverra une opération de l’erreur, de manière qu’ils croiront au mensonge; afin que tous ceux qui n’ont point cru à la vérité, et qui ont consenti à l’erreur, soient condamnés 1 ». Ce sera donc, ce me semble, parce perfide, par cet impie qui s’élèvera au-dessus de tout ce qui est Dieu ou que l’on adore comme Dieu, que les Israélites charnels croiront que va s’accomplir cette prophétie qui s’exprime ainsi: « Sauvez-nous, Seigneur notre Dieu, et rassemblez-nous de toutes les nations comme si ce chef devait les élever dans une gloire visible, en présence de ces ennemis visibles, qui les avaient réduits à une visible captivité. Alors ils croiront au mensonge, parce qu’ils n’ont point reçu la vérité avec amour, de manière à désirer, non plus les biens charnels, mais les biens spirituels. Ainsi déjà trompés parle diable ils allèrent jusqu’à donner la mort au Christ en disant: « Si nous le laissons aller de la sorte, tous croiront en lui, et les Romains viendront s’emparer de la ville et de la nation »; quand
1. II Thess. II, 3 - 11.
« Caïphe, l’un d’entre eux, pontife cette année-là, leur dit: Vous n’y comprenez rien, et ne voyez pas qu’il est avantageux qu’un seul homme meure pour le peuple, au lieu de faire périr toute la nation. Or », selon l’Evangéliste, « il ne parlait point de lui-même; mais, grand prêtre cette année-là, il prophétisa que Jésus devait mourir pour la nation, et non seulement pour la nation », c’est-à-dire pour les brebis qui avaient péri de la maison d’Israël, « mais aussi rassembler en un même bercail les enfants de Dieu dispersés par tous les peuples 1 ». Car il avait d’autres brebis qui n’étaient point de ce bercail. Et toutes les brebis et d’Israël et des nations, étaient dans la servitude du démon et de ses anges. Or, quand elles ont secoué le joug du démon, en présence de ces esprits méchants qui les avaient réduites en captivité, afin d’acquérir le salut et la perfection éternelle, voilà que le Prophète leur fait dire: « Sauvez-nous, Seigneur notre Dieu, et rassemblez-nous de toutes les nations »; non plus par l’Antéchrist, comme les Juifs espèrent que s’accompliront ces paroles, mais par Jésus-Christ Notre Seigneur qui viendra au nom de son Père, « lui qui est le jour venant du jour, et qui est le salut», dont il est dit ici: « Visitez-nous dans votre salut. Alors tout le peuple dira »: c’est-à-dire, ce peuple de prédestinés qui viennent de la circoncision et de la gentilité, cette nation sainte, ce peuple d’adoption, chantera: « Amen, Amen ».
1. Jean, XI, 48-52.
Le titre du psaume Alleluia doit être toujours soit en notre bouche soit en notre coeur, et la confession qui en est le refrain doit avoir pour objet la divine miséricorde qui nous donne la vie durable des anges. Le peuple d’Israël ne doit point seul chanter ce cantique; il est le chant de tous ceux que Dieu a rachetés de la puissance de leurs ennemis, et qu’il a rassemblés de toutes les nations en les faisant passer par la mer Rouge du baptême, qui engloutit nos péchés. Quatre fois en effet nous y trouvons la recommandation de confesser la louange de Dieu, ce qui désigne les quatre étapes de l’âme se dirigeant vers le Seigneur, et dès lors les quatre épreuves. La première est celle de l’erreur et de la faim; l’homme ne sait où il doit aller, et il est affamé de vérité. La seconde est la difficulté de faire le bien, et Dieu nous en délivre en brisant les chaînes de nos passions. La troisième est celle de l’ennui ou du dégoût de la parole de Dieu. La quatrième est celle du gouvernement des âmes; épreuve des princes de l’Eglise, tandis que les autres Sont communes aux fidèles. — Ainsi, dans la première épreuve, les Hébreux, qui figuraient les chrétiens, furent affamés, errants dans le désert; ils invoquèrent le Seigneur qui les délivra, les mit sur le chemin droit. Mais sur ce chemin du bien l’âme éprouve la difficulté de le faire, car la connaissance du précepte multiplie le péché; qu’elle crie vers le Seigneur qui brisera ses fers. Vient alors le dégoût dont le Seigneur guérit son peuple en lui envoyant son Verbe, et ils publièrent ses oeuvres dans une sainte joie. La quatrième est un danger pour ceux qui sont dans la barque, trafiquant sur les grandes eaux, et pour ceux qui la conduisent. Tous doivent en appeler au Seigneur. Mais la tempête durera jusqu’à la fin des siècles. Combats au dehors, craintes an dedans, voilà le chrétien. Le Seigneur seul peut commander à l’orage; et dès lors ne mettons point notre confiance eu nous-mêmes. Le peuple Juif fut arrogant et Dieu lui retira la prophétie, le sacerdoce, etc. Ainsi en est-il des hérétiques se séparant de l’unité; leurs princes sont frappés d’anathème, tandis que leurs questions insidieuses servent à manifester la vérité. Le vrai sage comprendra tout cela, mettra sa confiance dans le Seigneur et non dans ses propres mérites.
1. Ce psaume nous met en relief les divines miséricordes que nous avons éprouvées, et que dès lors cette expérience nous a rendues plus chères. Je m’étonnerais même, s’il pouvait plaire à d’autres qu’à ceux qui ont éprouvé ce que le Prophète y raconte. Toutefois, il n’est écrit ni pour un homme, ni pour deux hommes, mais pour tout le peuple de Dieu, qui doit s’y contempler comme dans un miroir. Nous n’avons pas à traiter ici du titre qui est Alleluia, et encore une fois Alleluia. C’est notre cantique habituel, en certains jours de nos solennités, selon l’antique usage de l’Eglise, et ce n’est pas sans mystère que nous le chantons en certaines occasions. Il est en effet des jours où nous chantons Alleluia, mais nous y pensons tous les jours de notre vie. Ce mot veut dire, en effet, louange à Dieu, et s’il n’est toujours dans la bouche du corps, il est au moins dans la bouche du coeur: « Toujours sa louange est en ma bouche 1 ». La répétition de l’Alleluia, dans le titre, n’est point particulière à ce psaume; nous la trouvons aussi dans le psaume précédent. Et autant que l’on peut en juger par le texte, l’un est le chant du peuple d’Israël, et l’autre est le chant de
1.
Ps. XXXIII, 2.
toute l’Eglise de Dieu répandue dans toute la terre. Car ce n’est probablement pas sans raison qu’il y a ici un double Alleluia, de même que nous disons: «Abba, Pater», quand Abba n’a d’autre sens que Pater, et pourtant ce n’est pas en vain que l’Apôtre a dit: « C’est en lui que nous crions: Abba, Pater; Père, « Père 1 »; c’est peut-être parce que l’une des murailles qui vient à la pierre angulaire crie: Abba, et que l’autre, qui vient d’une direction différente, crie: Pater, et c’est en cette pierre angulaire, qui est notre paix, que Dieu n’a fait qu’un seul peuple 2. Voyons donc les avis que l’on nous donne ici, et nos motifs de joie, et nos motifs de gémissements, et nos motifs d’implorer du secours, ce qui porte Dieu à nous abandonner, et ce qui le porte à nous secourir, ce que nous sommes par nous-mêmes, ce que nous sommes par la divine miséricorde, et comment notre orgueil peut être dompté, afin qu’ensuite la grâce nous glorifie. Que chacun cherche en lui-même, s’il est possible, ce que je vais dire, car je parle à des hommes qui marchent dans la voie de Dieu, et qui sont avancés dans la voie spirituelle. Si donc il en est qui, pour ce motif, comprennent peu mes paroles,
1.
Rom. VIII, 5. — Ephés. II, 14, 20.
qu’ils reconnaissent leur faiblesse, et se hâtent d’arriver à me comprendre. J’espère néanmoins que Dieu soutiendra mes efforts, de manière que mes paroles deviennent intelligibles pour tous, tant pour ceux qui ont l’expérience que pour ceux qui ne l’ont point, de sorte que je stimulerai l’approbation des premiers, le désir des seconds, et que tous suivront avec intérêt mon discours. Tout d’abord, si je suis dans le vrai, ce discours sera agréable au Seigneur; et je dirai vrai, si je parle de lui-même, et non de moi. Ainsi commence le psaume.
2. « Confessez au Seigneur qu’il est doux, et que sa miséricorde est éternelle 1 ». Voilà ce qu’il faut confesser, c’est que le Seigneur est doux: confessez-le, si vous l’avez goûté. Mais quiconque n’a point voulu l’éprouver ne saurait le confesser. Comment appeler doux ce que l’on ne connaît pas? Mais vous, si vous avez goûté combien le Seigneur est doux 2, « Confessez au Seigneur qu’il est doux ». Si vous l’avez goûté avidement, que cette confession soit comme une exhalaison dans votre bouche. « Sa miséricorde est pour le siècle », c’est-à-dire éternelle. Cette expression, en effet: In saeculum, est mise ici, parce que dans l’Ecriture: In saeculum, en grec eis aiona, signifie éternellement. Car la divine miséricorde n’est pas pour un temps, mais pour l’éternité; cette miséricorde ne se répand sur les hommes qu’afin de leur donner la vie éternelle des anges.
3. « Qu’ils parlent, ceux qu’a rachetés le Seigneur 3 ». On peut croire, il est vrai, que le peuple d’Israël a été racheté de l’Egypte, de la puissance de l’esclavage, des travaux inutiles pour lui, travaux de briques; voyons néanmoins si c’est l’Israël délivré de l’Egypte par le Seigneur, qui doit chanter ce cantique. Il n’en est pas ainsi. Qui donc doit le chanter? « ceux que Dieu a rachetés de la main des ennemis ». A la rigueur on pourrait encore les considérer comme rachetés de la puissance de leurs ennemis, ou des Egyptiens. Que le psaume nous marque lui-même avec précision à qui appartient ce cantique. « Il les a rassemblés de toutes les régions ». On peut encore dire des régions de l’Egypte, car il y avait plusieurs régions dans une seule province. Que le Psalmiste nous dise alors plus clairement: « De l’Orient et de l’Occident, de
1.
Ps. CVI, 1. — 2. I Pierre, II, 3.— 3. Ps. CVI, 2.
l’Aquilon et de la mer 1». Nous comprenons déjà que ces peuples délivrés subsistent dans l’univers entier. Tel est vraiment le peuple de Dieu délivré des vastes régions de l’Egypte, et conduit comme à travers la mer Rouge 2, pour mettre fin à ses ennemis dans le baptême. Car la mer Rouge n’est qu’une figure, et nos péchés, qui nous poursuivent comme les Egyptiens, sont noyés dans le baptême que consacre le sang du Christ; et au sortir de ces eaux nul des ennemis qui t’opprimaient ne demeure en vie. Que ceux-là donc chantent notre psaume: et pour nous, mes frères, puisque tel est le peuple de Dieu que l’on conduit, écoutons ce que l’on fait dans cette assemblée rachetée par le Christ. Toutefois ce que l’on chante ici n’arrive pas en même temps dans tous ceux qui croient, mais simplement dans chaque particulier: mais il en était autrement du peuple d’autrefois. Ce peuple, en effet, cette nation tout entière, issue d’Abraham selon la chair, toute cette nombreuse maison d’Israël fut tirée de l’Egypte une fois, conduite une fois à travers la mer Rouge, et mise une fois en possession de la terre promise; car ils étaient tous ensemble au milieu de ces événements: « Or, ces événements étaient pour eux des figures, ils ont été consignés pour nous servir d’instructions à nous qui vivons à la fin des temps 3». Pour nous, ce n’est point tous ensemble, mais peu à peu et chacun en particulier, que la foi nous réunit en une même cité, en un même peuple de Dieu. Et toutefois ce qui est marqué dans ce psaume arrive en chacun de nous, et en même temps dans le peuple, car le peuple est composé des particuliers, et non les particuliers formés du peuple. Un homme est-il, en effet, composé d’un peuple? tandis qu’un peuple se compose d’hommes en particulier. O toi donc, qui que tu sois, qui reconnais en toi ce que je vais dire, qui l’as éprouvé, ne demeure pas en toi-même et ne t’imagine pas être le seul pour éprouver tout cela, mais sois convaincu qu’il en est de même pour tous, ou du moins peu s’en faut, pour tous ceux qui viennent s’unir à ce peuple, et qui sont rachetés des mains de leurs ennemis, par le sang précieux du Christ.
4. Ce psaume en effet va répéter continuellement ce que nous avons chanté tout à l’heure: « Qu’ils confessent au Seigneur ses
1.
Ps. CVI, 3. — 2. Exod. XIV, 12.— 3. I Cor. X, 11.
miséricordes, et ses merveilles pour les enfants des hommes». Autant que j’ai pu le voir, et que vous le pouvez vous-mêmes, ces versets sont répétés quatre fois, et ce nombre, autant que Dieu me l’a fait comprendre, désigne quatre tentations, dont nous sommes délivrés par celui que chantent ses miséricordes. Donnez-moi, en effet, un homme tout d’abord peu soucieux de rien, vivant selon le vieil homme dans une sécurité trompeuse, persuadé qu’il n’y a plus rien après cette vie qui doit finir, un homme négligent et paresseux, dont le coeur est absorbé dans les délices du monde et dans l’assoupissement, dans les plaisirs empoisonnés: pour que cet houa me se réveille et devienne soucieux de la grâce de Dieu, afin qu’il sorte de son assoupissement, ne faut-il pas que la main de Dieu vienne le secouer? Toutefois il ne sait encore qui l’a réveillé. Mais il commence à être à Dieu, dès qu’il connaît la foi véritable. Néanmoins, avant de la connaître, il déplore son erreur. Il reconnaît ses égarements, il veut connaître la vérité, il frappe où il peut, tente ce qu’il peut, erre où il peut, pressé qu’il est par la faim de la vérité. La première épreuve de l’homme est donc celle de l’erreur et de la faim. Lorsque fatigué de cette épreuve il crie vers Dieu, il est conduit à la voie de la vérité, d’où il peut arriver à la cité du repos, il est donc amené au Christ, qui a dit: « Je suis la voie 1 ».
5. Quand l’homme en est là, quand il sait déjà ce qu’il doit observer dans sa conduite, parfois il compte beaucoup sur lui-même, et, présumant de ses forces, il se prend à vouloir combattre ses péchés, et son orgueil entraîne sa défaite. Il se trouve donc lié par les chaînes de ses passions, qui entravent sa marche et l’arrêtent dans la voie: il se sent resserré par ses propres vices; l’impossibilité le retient comme une muraille dont toute issue est close, et d’où il ne peut s’échapper pour vivre saintement. Il sait comment il doit vivre: car il était naguère dans l’erreur ayant faim de la vérité: le pain de la vérité il l’a reçu, et il a été placé sur la voie; il entend: Vis bien à l’avenir, comme tu le fais, car auparavant tu ne connaissais pas la vie sainte; agis maintenant que lu l’as apprise. Il essaie, niais vains efforts ! Il se sent garrotté, et pousse des cris vers le Seigneur. La seconde épreuve lui vient
1.
Jean, XIV, 6.
donc de la difficulté de faire le bien, comme la première est celle de l’erreur et de la faim. Ici encore l’âme pousse des cris vers le Seigneur, et le Seigneur la délivre de ses entraves; il brise les liens qui la retiennent, il la met en état de faire le bien. Ce qui lui était difficile auparavant, lui devient facile: s’abstenir du mal, éviter l’adultère, ne commettre ni vol, ni homicide, ni sacrilège, ne désirer plus le bien d’autrui, toutes choses autrefois difficiles, sont faciles aujourd’hui. Dieu pouvait nous faire arriver là sans peine, mais si nous y étions arrivés sans peine, nous n’aurions point de reconnaissance pour l’auteur d’un si grand don. Si l’homme se trouvait en cet état dès son premier désir, s’il ne sentait la révolte des passions, si l’âme n’était brisée sous le poids de ses chaînes; il en viendrait à n’attribuer qu’à ses propres forces le bien dont il se croirait capable, et ne confesserait point devant le Seigneur ses miséricordes.
6. Après ces deux épreuves, l’une de l’erreur et de la disette de la vérité, l’autre de la difficulté de faire le bien, il en survient pour l’homme une troisième: je m’adresse à celui qui a déjà surmonté les deux premières, lesquelles sont,je l’avoue,communes à beaucoup. Qui ne sait qu’il a passé de l’ignorance à la connaissance de la vérité, de l’erreur à la bonne voie, de la faim de la sagesse à la parole de la foi? De même, il en est beaucoup qui sont aux prises avec les difficultés de leurs vices, qui sont garrottés par les habitudes, et gémissent dans leurs entraves comme dans les fers. Ils connaissent donc cette épreuve, bien qu’ils disent déjà, si tant est qu’ils le disent: « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort 1? » Vois en effet ces liens si resserrés: « La chair », dit l’Apôtre, « conspire contre l’esprit, et l’esprit contre la chair, de sorte que vous ne faites point ce que vous voulez 2». Celui-là dès lors qui est soutenu par l’esprit ail point de n’être plus adultère parce, qu’il n’a point voulu l’être, ni voleur, parce qu’il n’a point voulu l’être, et ainsi des autres vices que les hommes voudraient surmonter, et qui les surmontent bien souvent, de manière que les hommes crient vers le Seigneur, le supplient de les délivrer des angoisses où ils se trouvent, en sorte qu’une fois délivrés, ils confessent au Seigneur ses miséricordes; quiconque, dis-je,
1.
Rom. VII, 24. — 2. Gal. V, 17.
est parvenu à vaincre ces difficultés, et à vivre parmi les hommes d’une manière irréprochable, celui-là arrive à la troisième épreuve, qui est l’ennui de demeurer longtemps en cette vie, de manière à ne goûter aucun plaisir, pas même dans la prière. Cette troisième épreuve est donc contraire à la première: dans l’une, c’était la faim; dans l’autre, c’est le dégoût. D’où vient ce dégoût, sinon d’une certaine langueur de l’âme? Sans avoir de l’inclination pour l’adultère, on ne trouve aucun goût dans la parole de Dieu. Après avoir échappé au danger de l’ignorance et de la convoitise, garde-toi de la plaie de l’ennui et du dégoût. Ce n’est point là une légère épreuve: sache te reconnaître dans ce danger, et crier vers le Seigneur, afin qu’il te délivre de tous tes dangers;et une fois que tu seras sorti de ces entraves, que ses miséricordes le confessent à jamais.
7. Une fois délivré de l’erreur, délivré de la difficulté de faire le bien, délivré de l’ennui et du dégoût de la parole de Dieu, peut-être alors seras-tu digne aux yeux de Dieu, qui voudra bien te confier son peuple, te placer au gouvernail de sa barque, et te donner la conduite d’une Eglise. Telle est la quatrième épreuve. Les flots de la mer, qui viennent battre l’Eglise, bouleversent le pilote. Tout homme pieux dans le peuple de Dieu peut subir les trois autres épreuves: la quatrième est plus spécialement la nôtre, Plus nous sommes en honneur, plus nous sommes en péril, On peut craindre pour chacun de vous que l’erreur ne le détourne de la vérité; on peut craindre qu’il ne succombe à ses passions, et qu’il ne préfère leur obéir plulôt que d’en appeler au Seigneur dans ses dangers; on peut craindre qu’il ne prenne à dégoût la parole de Dieu, et que ce dégoût ne lui donne la mort: mais l’épreuve du gouvernement est une épreuve dangereuse dans la direction d’une Eglise, et qui nous regarde principalement. Et vous, comment seriez-vous étrangers au péril qui menacerait l’Eglise? Je fais cette question afin que dans cette quatrième tentation, qui semble nous être plus particulière, et qui demande néanmoins de continuelles prières de votre part, puisque vous seriez les premiers exposés au naufrage, vous ne soyez point sans inquiétudes, et que vous ne ralentissiez point vos prières pour nous. Pour n’être point assis avec nous au gouvernail, en êtes-vous moins dans le même navire?
8. Après ces quatre épreuves, après ces quatre cris vers Dieu, après ces quatre délivrances, après ces quatre confessions des divines miséricordes, le psaume traite en général de l’Eglise dans la suite des siècles, afin de vous faire comprendre de quelle Eglise il parlait au commencement. Le Prophète en parle de manière à nous révéler partout la miséricorde de Dieu, « qui résiste aux superbes et donne la grâce aux humbles 1»; parce qu’il est venu précisément « afin que ceux qui ne voient point voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles 2; car tonte vallée sera comblée, toute montagne et toute colline sera abaissée 3 ». Après avoir parlé de l’Eglise, le Prophète nous tient un langage que l’on peut appliquer même aux hérétiques, qui font à cette Eglise comme une guerre civile, Ainsi finit le psaume que j’ai exposé d’une manière plus courte sars doute que vous ne l’attendiez. Et il me semble que je l’ai tellement expliqué, nonobstant sa longueur, que si vous retenez ce que j’ai dit, mon rôle sera plutôt celui de lecteur que celui de commentateur. Vous avez sans doute mes paroles devant les yeux, mais reprenons-les succinctement afin de les mieux graver. La première épreuve est celle de l’erreur, d,e la faim de la vérité; la seconde est la difficulté de vaincre ses passions; la troisième celle de l’ennui et du dégoût; la quatrième est la tempête qui menace du périt ceux qu gouvernent l’Eglise: et dans toutes ces épreuves, on crie vers Dieu, Dieu délivre, et l’on chante ses miséricordes. A la fin, le Prophète nous parle de l’Eglise, qui est sauvée par la grâce de notre Dieu, et non par ses propres mérites; il nous montre ses ennemis châtiés de leur orgueil, et l’Eglise s’élevant sur leurs ruines; il signale chez les hérétiques les piéges qui nous enlèvent quelques fidèles, et nous font essuyer des pertes en quelque sorte domestiques, les biens que Dieu en a tirés en faveur de son Eglise; puis vient la conclusion du psaume. Ecoutez-en la lecture plutôt que l’explication.
9. « Qu’ils parlent, ceux que le Seigneur a rachetés, qu’il a délivrés de la puissance de leurs ennemis, qu’il a rassemblés des pays lointains, de l’Orient et de l’Occident, de
1.
Jacques, IV, 6. — 2. Jean, IX, 32. — 3. Isa. XL, 4.
l’Aquilon et de la mer ». Que tel soit donc le cantique des chrétiens, rassemblés de l’univers entier, « Ils ont erré dans le désert, dans les lieux arides, sans trouver le chemin d’une habitation ». Telle est l’épreuve d’un douloureux égarement: que va-t-il dire de l’indigence? « Ils souffrirent de la faim et de la soif, leur âme est tombée en défaillance 1». Mais d’où vient cette défaillance? Quel bien Dieu voulait-il en tirer? Car Dieu n’est point cruel; mais il se montre, ce qui est un bien pour nous, afin que nous l’invoquions dans nos défaillances, et que nous l’aimions quand il nous soutient. De là vient, qu’après ces égarements, après cette faim et cette soif, « les Hébreux crièrent vers le Seigneur dans leurs tribulations, et il les délivra de leurs misères ». Que fit-il en faveur de ceux qui étaient égarés? « Il les conduisit dans la voie droite ». Ils ne trouvaient le chemin d’aucune ville qu’ils pussent habiter, haletants de faim et de soif, ils tombaient en défaillance alors « il les conduisit dans la voie droite, afin qu’ils arrivassent à la ville qu’ils devaient habiter ». Le Prophète ne dit pas encore comment Dieu subvint à leur faim et à leur soif, mais attendez quelque peu. «Qu’ils confessent au Seigneur ses miséricordes, et ses merveilles envers les enfants des hommes ». Vous qui avez éprouvé ses bontés, dites-les à ceux qui ne les ont pas éprouvées. Vous qui êtes sur la voie, qui vous dirigez vers la cité que vous devez habiter, vous qui avez échappé à la faim et à la soif, confessez « que le Seigneur a rassasié l’âme affaiblie, qu’il e a rempli de biens l’âme affamée 2 ».
10. Que ta vie soit donc sainte, maintenant que tu es sur la voie, que tu as entendu ce qu’il te faut faire et espérer. Où peuvent aboutir vos efforts toujours vaincus? « Ils étaient assis dans les ténèbres et à l’ombre de la mort, accablés de chaînes et de misères 3 ». Pourquoi cette misère, sinon parce que tu t’attribuais tes mérites sans reconnaître la grâce de Dieu, parce que tu rejetais ses desseins sur toi? Vois en effet ce qu’ajoute le Prophète: « Parce qu’ils aigrirent la parole du Seigneur ». Parce que, dans leur orgueil et dans leur ignorance de la justice de Dieu., ils s’efforcèrent d’établir la leur 4; « Ils méprisèrent le conseil du Tout-Puissant, et leur coeur fut abattu dans leurs travaux 5 ». Et
1.
Ps. CIV, 4, 5.— 2. Id. 6-9.— 3. Id. 10.— 4. Rom. X, 3.— 5. Ps. CVI, 11, 12.
maintenant livre bataille à tes convoitises. Sans le secours de Dieu, tu pourras faire des efforts, tu ne saurais vaincre. Et quand tu gémiras sous le poids de tes habitudes dépravées, ton coeur sera humilié dans le labeur; en sorte que dans cette humiliation de coeur tu apprendras à crier: « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort 1? Leur coeur dès lors a été humilié dans les travaux; ils se sont affaiblis et nul ne les secourait ». Que faire alors, sinon ce qui eut lieu? « Si la loi, qui fut donnée, eût pu nous communiquer la vie, assurément la justice viendrait de la loi. Mais l’Ecriture a tout renfermé sous le péché, afin que la promesse du Seigneur s’accomplît par la foi en Jésus-Christ, à l’égard de ceux qui croiront 2. Mais « la loi est entrée, en sorte que le péché s’est multiplié 3». Tu as donc reçu la parole divine, tu as reçu le précepte, et tu ne cesses point de commettre le mai que tu faisais auparavant; la connaissance du précepte multiplie chez toi le péché par la prévarication. Orgueilleux, si tu t’ignorais alors, maintenant que tu es humilié, apprends à te connaître; tu crieras vers Dieu, et il te délivrera de ta détresse, et une fois délivré, tu confesseras ses miséricordes. « Au fort de leur affliction, ils crièrent vers le Seigneur, qui les délivra de leurs peines 4 ». Les voilà donc délivrés de la seconde épreuve, et il reste celle de l’ennui et du dégoût. Mais d’abord, voyons ce qu’il fit pour ces âmes qu’il avait délivrées: « Il les fit sortir des ténèbres et de l’ombre de la mort, et brisa leurs chaînes. Qu’ils confessent au Seigneur ses miséricordes,et ses merveilles envers les enfants des hommes». Pourquoi? Quelles difficultés a-t-il surmontées? « Il a rompu les portes d’airain, il a brisé les barres de fer. Il les a recueillis de la voie de leurs iniquités, car leurs iniquités les ont fait humilier 5 ». Ils s’attribuaient leurs bonnes oeuvres, et non à Dieu; dans leur ignorance de la justice de Dieu, ils établissaient leur propre justice 6, et ils furent humiliés. Après avoir présumé de
leurs propres forces, ils comprirent qu’ils ne pouvaient rien sans le secours du Seigneur.
11. Mais quelle autre épreuve nous reste? « Leur âme eut horreur de toute nourriture ». Voilà maintenant le dégoût; dégoût
1. Rom. VII, 24.— 2. Gal. III,
21, 22.— 3. Rom. V, 20.— 4. Ps.
CVI, 13. — 5. Id. 14 - 17. — 6. Rom. X, 3.
qui les fait languir, dégoût qui les met en danger, à moins d’imaginer que la faim peut faire mourir, et non le dégoût. Ecoute ce qu’ajoute le Prophète après qu’il a dit: « Leur âme eut horreur de toute nourriture »; de peur qu’on ne vienne à croire qu’une fois rassasiés ils étaient clans la sécurité, au lieu de voir que le dégoût les conduisait à la mort: « Et ils arrivèrent aux portes de la mort 1 », dit le Prophète. Que reste-t-il donc à faire? A ne pas t’attribuer à toi-même le goût que tu peux avoir pour la parole de Dieu, à n’en concevoir aucune arrogance, et dans ton avidité pour la sainte nourriture, ne va point t’élancer au-dessus de quiconque est mis en danger par le dégoût. Comprends bien aussi que cette disposition est un don, et qu’elle ne vient pas de toi. « Qu’as-tu, que tu n’aies point reçu 2? » Comprends donc ceci, et quand cette faiblesse, cette langueur te mettra en péril, accomplis ce qui suit: « Dans leur tribulation ils en appelèrent au Seigneur, qui les délivra de leurs misères ». Et comme l’effet de cette langueur était de ne goûter aucune joie: « Dieu envoya son Verbe qui les guérit 3 ». Mesure le mal causé par le dégoût; vois de quel abîme les délivre Celui que l’on invoque dans cet ennui. «Il envoya son Verbe qui les guérit, qui les délivra ». De quoi? non plus de l’erreur, non plus de la faim, non plus de la difficulté de vaincre leurs péchés, mais « de leur corruption ». I! y a corruption de l’âme, à repousser ce qui est doux. Donc, à propos de ce bienfait,comme à propos des autres: « Qu’ils confessent au Seigneur ses miséricordes et ses merveilles envers les enfants des hommes. Qu’ils offrent un sacrifice de louanges 4 ». Déjà le Seigneur leur paraît doux et louable. « Qu’ils publient ses oeuvres avec joie e: non point avec ennui, non point avec chagrin, non plus avec inquiétude, non plus avec dégoût, mais avec joie».
12. Il reste la quatrième épreuve qui nous met tous en péril. Car nous sommes tous dans le vaisseau, les uns pour y travailler, les autres pour y être portés; et tous néanmoins trouvent un danger dans la tempête, et le salut au port. Voici en effet ce que dit le Prophète après tout cela: « Ceux qui descendent la mer sur des navires, qui trafiquent sur les grandes eaux 5 »: c’est-à-dire, parmi les
1.
Ps. CVI, 18. — 2. I Cor. IV, 7. — 3. Ps. CVI, 19, 20. — 4. Id. 21-22. —
5 Ps. CVI, 23.
peuples nombreux. Car les eaux se prennent souvent pour les peuples: ainsi dans l’Apocalypse, quand saint Jean demande ce que signifient ces eaux, il lui est répondu: « Ce sont les peuples 1 ». Ceux donc qui font le trafic sur les grandes eaux, « ont vu les oeuvres du Seigneur, et ses prodiges au fond des abîmes 2 ». Quel abîme plus profond que le coeur humain? De là s’échappent incessamment des souffles violents, des tempêtes séditieuses qui agitent le vaisseau. Et quel est le dessein de Dieu? Dieu veut que tous crient vers lui, et ceux qui gouvernent le vaisseau, et ceux qui y trouvent un abri, « Il dit, et alors se maintint l’esprit des tempêtes ». Qu’est-ce à dire, « se maintint? » Il demeura, il dura; aujourd’hui encore il sévit, il soulève la tempête; il n’a point cessé de battre le navire. « Car Dieu a parlé, et l’esprit des tempêtes s’est maintenu ». Et où donc aboutissent tous ses efforts? « Alors les flots se soulevèrent, ils s’élevèrent jusqu’au ciel », par leur audace: « ils descendirent jusque dans les abîmes », par la crainte. « Ils s’élèvent jusqu’au ciel, ils descendent jusque dans l’abîme ». Au dehors le combat, au dedans la crainte. « Le coeur des nautoniers a défailli devant le danger. Ils se troublent, ils chancellent comme un homme « ivre ». Ceux qui sont assis au gouvernail, ceux qui ont un amour fidèle pour le navire, comprennent mes paroles: « Ils se troublent, ils chancellent comme un homme ivre 3 ». Qu’ils prennent la parole, qu’ils lisent, qu’ils discutent, on les croira sages; mais malheur à cause de la tempête. « Et toute leur sagesse », dit le Prophète, « s’est évanouie ». Parfois, tout conseil humain vient à manquer: quelque part que l’on se réfugie, les flots sont écumeux, la tempête grondante, les bras défaillants; le pilote ne voit plus où la proue va se heurter, par quel flanc du navire pénètrent les eaux, ni sur quel rivage le pousse la tempête, ni de quels récifs il faut l’arracher. Que faire alors, sinon ce que dit le Prophète? « Dans leurs tribulations, ils en appelèrent au Seigneur qui les sauva de leur misère. Et il commanda à l’orage, qui se maintint comme un veut léger 4 ». Non plus comme une tempête, mais « comme un vent léger. Et ses flots s’apaisèrent ». Ecoutez, à
1. Apoc. XVII, 15. — 2. Ps. CVI,
24. — 3. Id. 25-27. — 4. Id. 28, 29.
cette occasion, la voix d’un pilote en danger, puis humilié, puis délivré: « Je ne veux point, mes frères, que vous ignoriez l’affliction que nous avons dû subir en Asie, parce qu’elle a dépassé nos forces, dépassé toute borne » (sa sagesse même était absorbée,on le voit), « au point que la vie m’était à charge 1 ». Quoi donc, Dieu abandonnerait-il ainsi l’homme en danger? Cette défaillance, au contraire, ne devait-elle pas faire éclater en lui sa propre gloire? Que dit ensuite l’Apôtre? « Mais nous avons reçu en nous une réponse de mort, afin que nous ne missions pas notre confiance en nous, mais en Dieu qui ressuscite les morts 2. Et il commanda à l’orage, qui devint un vent léger ». Déjà, ils avaient reçu eu eux une réponse de mort, ces hommes dont toute la sagesse était absorbée. « Et les flots de la mer devinrent calmes; et ils se réjouirent de ce calme, et il les conduisit au port selon leur volonté. Qu’ils confessent au Seigneur ses miséricordes 3». Oui, qu’ils annoncent partout, qu’ils publient de toutes parts, qu’ils publient à la gloire du Seigneur, non point nos mérites, non point notre puissance, non point notre sagesse, mais les divines miséricordes, Que notre délivrance nous fasse aimer celui que nous avons invoqué dans toutes nos afflictions. « Qu’ils confessent au Seigneur ses miséricordes, et ses merveilles envers les enfants des hommes ».
13. Voyez ce qui fait parler le Prophète, pourquoi ce prélude, pourquoi cette énumération, et où s’accomplit tout ce qu’il a dit. « Qu’ils chantent le Seigneur dans l’assemblée du peuple, qu’ils le bénissent dans la chaire des vieillards 4». Chanter le Seigneur, c’est publier ses louanges, comme publier ses louanges, c’est le chanter. Qu’il soit béni par les peuples, par les vieillards, iar ceux qui trafiquent, par ceux qui gouvernent le navire. Qu’a tait Dieu pour cette assemblée? Qu’a-t-i1 établi? D’où l’a-t-il délivrée? Quel don lui a-t-il fait? De même qu’il a résisté aux superbes, il a donné la grâce aux humbles 5; et ces superbes étaient tout d’abord le peuple juif, peuple arrogant, qui se glorifiait d’être de la race d’Abraham, et de ce que les oracles du Seigneur avaient été confiés à cette nation 6; faveurs qui ne servaient point à la
1.
II Cor. I, 8. — 2. II Cor. I, 9. — 3. Ps. CVI, 30, 31. — 4. Id. 32. — 5.
Jacques, IV, 6. — 7. Rom. III, 2.
guérison, mais seulement à l’enflure de leurs coeurs, à les enorgueillir plutôt qu’à les grandir. Que fit donc le Seigneur, pour résister aux orgueilleux et donner la grâce aux humbles, en retranchant les branches naturelles à cause de leur orgueil, et en insérant l’olivier sauvage à cause de son humilité 1? Que fit Dieu? Ecoutez ces deux faits, et comment Dieu résiste aux superbes, et comment il favorise les humbles: « Il changea les fleuves en désert ». Les eaux couraient chez les Juifs, les paroles prophétiques y coulaient. Cherche maintenant un seul prophète chez les Juifs, et tu n’en trouveras point: « Car il a changé les fleuves en désert, et les courants d’eau en une terre altérée. Les fleuves sont changés en désert 2 ». Qu’ils le disent: « Déjà il n’est plus de prophète, et Dieu ne nous connaît plus 3. Il a changé les fleuves en désert, les courants d’eau en une terre altérée, un champ fertile en une saline 4 ». Cherche parmi eux la foi au Christ, et tu ne la trouves point; un prophète, ils n’en ont plus; un prêtre, ils n’en ont plus; un sacrifice, ils n’en ont plus; un temple, et ils n’en ont plus. Pourquoi? « Parce que Dieu a changé les fleuves en désert, les courants d’eau en une terre sèche, et le champ fertile en saline ». D’où vient ce châtiment? Quel crime l’a mérité? « La malice des habitants de cette malheureuse terre ». C’est ainsi que Dieu résiste aux superbes. Ecoute comme il donne la grâce aux humbles: « Il a fait du désert un étang plein d’eau, et des sables du désert des fontaines jaillissantes. Là il a fait habiter ceux qui avaient faim 5 ». Car c’est au Christ qu’il a été dit: « Tu es prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech. 6» Tu cherches un sacrifice chez les Juifs, tu n’en trouves pas même selon l’ordre d’Aaron, parce que Dieu a fait son désert à la place des fleuves. Tu le cherches selon l’ordre de Melchisédech, et tu ne le trouves point chez eux, tandis que l’Eglise l’offre solennellement dans l’univers entier. « Depuis l’Orient jusqu’au Couchant, le nom du Seigneur est béni 7 ». Et le Seigneur dit à ceux dont il a changé les fleuves en un désert: « Ma volonté n’est plus en vous, dit le Seigneur, et je ne recevrai aucun sacrifice de vos mains, car de l’Orient jusqu’au couchant on offre un sacrifice en
1.
Rom. XI, 17-24. — 2. Ps. CVI, 33.— 3. Id. LXXIII,9. —
4. Id. CVI, 34.— 5. Id.35, 36.— 6. Id. CIX, 4.— 7. Id. CXII, 3.
mon honneur 1». Où l’on ne voyait jadis que d’immondes sacrifices, quand les nations n’étaient qu’un désert, quand elles étaient souillées, quand partout ce n’était qu’une terre déserte, là aujourd’hui coulent des fontaines, des fleuves; là sont des réservoirs, là sont les eaux courantes, « Dieu a donc résisté aux superbes, et accordé aux humbles ses faveurs. C’est là qu’il a fait habiter ceux qui avaient faim », parce que: « Les pauvres mangeront et seront rassasiés 2 ».— « Et ils ont construit une ville pour y habiter »; y habiter d’abord en espérance, car: « Celui qui m’écoute habitera dans l’espérance 3 », est-il dit. « Et ils ont construit une ville pour y habiter; et ils ont semé leurs champs, planté leurs vignes, et récolté le fruit de leur froment 4 »; fruit dont se réjouit cet ouvrier qui a dit: « Ce n’est point que je désire vos dons, mais je désire le fruit que vous en retirez 5. Et Dieu les bénit et ils se multiplièrent, et leurs troupeaux ne diminuèrent point 6». Voilà ce qui dure encore. « Le solide fondement de Dieu demeure ferme, car Dieu connaît ceux qui sont à lui 7». On donne le nom de troupeau, de bercail, à ceux qui vivent simplement dans l’Eglise, mais qui sont utiles, qui sont peu savants, mais pleins de foi. Donc, et les hommes spirituels, et ceux qui étaient charnels encore, « Dieu les bénit et ils se multiplièrent, et leurs troupeaux ne diminuèrent point».
14. « Les voilà réduits à un petit nombre, accablés de maux 8 »• D’où ces maux? du dehors? Non, mais de l’intérieur. Pour les réduire à un petit nombre, cette parole s’accomplit alors: « Ils sont sortis de nous, mais ils n’étaient pas des nôtres 9 ». Si le Prophète parle encore de ceux-ci comme il en parlait auparavant, c’est afin que nous les distinguions seulement par la pensée; puisqu’il parle d’eux comme s’ils étaient les mêmes, à cause des sacrements qui leur sont communs avec nous. Ces hommes, en effet, appartiennent au peuple de Dieu, sinon par la vertu, du moins par les dehors de la piété. C’est d’eux que nous avons entendu dire à saint Paul: « Dans les derniers temps, il viendra des jours fâcheux, et les hommes s’aimeront eux-mêmes ». Premier malheur;
1.
Malach. I, 10, 11.— 2. Ps. XXI, 27.— 3. Prov. I, 33, suiv. les Septante. — 4. Ps. CVI, 37. — 5. Phi1ipp. IV, 17.— 6. Ps. CVI, 38. —
7. II Tim. II, 19.— 8. Ps. CVI, 39.— 9. II Tim. III, 2.
« ils s’aimeront eux-mêmes », et mettront en eux-mêmes leur propre complaisance. Puissent-ils se déplaire, car alors ils plairaient à Dieu ! puissent-ils en appeler à lui dans leurs difficultés, car alors ils seraient délivrés! Mais leur confiance en eux-mêmes « les a réduits à un petit nombre ». Cela est évident, mes frères; tous ceux qui se séparent de l’unité deviennent le petit nombre. Ils sont en grand nombre, mais dans l’unité, et tant qu’ils ne se séparent point de l’unité. Dès lors, en effet, qu’ils n’appartiennent plus à l’unité qui est nombreuse, le schisme et l’hérésie les réduisent au petit nombre. « Et ils devinrent peu nombreux et furent accablés du poids des maux et de la douleur. Le mépris se répandit sur leurs princes ». Ils furent rejetés de l’Eglise de Dieu; et plus ils ont voulu être princes, plus ils sont couverts de mépris, et deviennent un sel affadi que l’on jette dehors, et que les hommes foulent aux pieds 1. « Le mépris se répandit donc sur les princes; ils furent séduits dans la voie de l’erreur, et non dans la bonne voie 2 ». Tout à l’heure, ils étaient dans la voie, ils étaient conduits à la cité, ils étaient conduits, et non séduits; ceux-ci, les voilà séduits hors de la voie. Qu’est-ce à dire, « séduits? ». « Dieu les a livrés aux convoitises de leurs coeurs 3 ». Tel est, en effet, le sens de séduire, se conduire soi-même. Car, à proprement parler, ce sont eux qui se séduisent. « Quiconque se croit quelque chose, se trompe u lui-même, attendu qu’il n’est rien 4 ». Qu’est-ce à dire, dès lors que Dieu les séduisit? Il les laissa aller « dans une terre sans chemin, et non dans la voie ». Comment, en effet, seraient-ils dans la voie, ces hommes qui s’attachent à une partie et qui laissent le tout? Comment seraient-ils dans la voie? Qu’est-ce donc que la voie, et où peut-on reconnaître la voie? « Que Dieu », dit le Prophète, « nous prenne en pitié, qu’il nous bénisse, qu’il fasse rejaillir sur nous la lumière de sa face, afin que nous connaissions votre voie sur la terre ». Sur quelle terre? « Votre salut est dans tous les peuples 5». C’est de là que sortent ces hommes qui sont ensuite réduits en petit nombre, et diminués en quelque sorte; ils sont sortis de cette multitude qui forme l’unité, selon cette
1.
Matth. V, 13. — 2. Ps, CVI, 40.— 3. Rom. I, 21. — 4. Gal, VI, 3.— 5. Ps. LXVI,
2, 3.
parole que je viens de rapporter à leur sujet: « Ils sont sortis d’entre nous, mais ils n’étaient point des nôtres; s’ils eussent été des nôtres, ils fussent assurément demeurés avec nous 1». Mais s’ils sont des nôtres dans le secret de la prescience divine, il faudra qu’ils reviennent. Combien qui ne sont point des nôtres, et qui paraissent en être, et combien des nôtres, qui semblent néanmoins être dehors! « Le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent 2 ». Ceux qui ne sont point des nôtres, bien qu’ils soient avec nous, s’en vont à la première occasion, et les nôtres qui sont dehors, reviennent quand l’occasion se présente. Ecoutez donc ce que voulait alors le Seigneur dans le sens de ces paroles: « Il les a séduits dans une terre sans chemin, et non dans la voie ». Qu’en a fait le Seigneur? Ce que j’avais dit tout d’abord, ce que vous devez écouter avec attention. Il pouvait les laisser avec nous jusqu’à la fin, mais alors ils n’eussent été pour nous d’aucun profit: or, dès qu’ils sont séparés de nous, et qu’ils nous troublent par des questions artificieuses, alors ils deviennent pour nous un aiguillon dans la recherche de la vérité, et un exemple de ce qu’il nous faut craindre. Chacun tremble quand il voit un homme tomber dans le schisme, car une telle chute semble lui dire: « Que celui qui se croit debout prenne garde à sa chute 3 ». Ceux qui se séparent dc nous ont donc leur utilité; car s’ils demeuraient avec nous, et avec cette malice, ils ne nous serviraient de rien. Aussi, qu’est-il dit à leur sujet dans un autre psaume? « C’est une assemblée de taureaux», ou d’hommes à la tête haute, d’hommes orgueilleux; « une assemblée de taureaux parmi les vaches des peuples ». Par ces vaches des peuples, il faut entendre des âmes faciles à séduire, qui se laissent gagner par la séduction des taureaux. Mais pourquoi en est-il ainsi? « Afin que l’on sépare ceux qui ont été éprouvés par l’argent ». Qu’est-ce.à dite « que l’on sépare? » Afin qu’ils apparaissent, qu’ils soient en relief, ceux qui sont à l’épreuve de la parole de Dieu. Quand, en effet, la nécessité force de répondre aux hérétiques, il en résulte une utilité pour l’édification des catholiques. Telle est la pensée exprimée par saint Paul: « Il faute, dit-il, « des hérésies, afin que les hommes d’une vertu
1.
I Jean, II, 19,— 2. II Tim. II, 19.— 3. I Cor. X,12.— 4. Ps.
LXVII, 31.
éprouvée soient mis en évidence 1 ». Il faut donc qu’il y ait des taureaux séducteurs, « afin que ceux qui sont éprouvés par l’argent » soient mis en évidence, c’est-à-dire, « soient exclus», ou hors ligne. Qu’est-ce à dire, «ceux qui sont éprouvés par l’argent?» « Les paroles du Seigneur sont des paroles chastes; c’est un argent que le feu a séparé de la terre, a purifié sept fois 2». Quiconque dès lors est éprouvé par cet argent, c’est-à-dire par cette parole du Seigneur, ne peut briller de l’éclat de cet argent, qu’à la condition d’être harcelé par les questions des hérétiques. Et ici, redoublez d’attention, car le Prophète ne l’a point omis. « Voilà que la honte se répandit sur les princes », ou sur ces taureaux. D’où leur venait cette honte? De ce qu’ils annonçaient un autre évangile. Qu’est-ce à dire, couverts de honte? Frappés d’anathème. « Quiconque vous annoncera un évangile autre que celui que nous avons annoncé, qu’il soit anathème 3 ». Quoi de plus méprisé qu’un sel affadi 4, que l’on jette au dehors et que l’on foule aux pieds? Et voyez s’ils ne sont pas réellement des princes, écoutez l’Apôtre lui-même. « Quand nous vous annoncerions, ou qu’un ange venu du ciel vous annoncerait un évangile autre que celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème ». Ce sont des princes, diras-tu, des savants, des grands, des pierres précieuses. Que vas-tu ajouter encore? Sont-ils des anges? Et pourtant, « quand même un ange vous annoncerait un évangile autre que celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème ». Car le diable est tombé du ciel, tout ange qu’il était. « Le mépris s’est répandu sur les princes, et Dieu a secouru le pauvre dans son indigence 5». Qu’est-ce à dire, mes frères, que les princes ont été couverts de mépris et les pauvres secourus? Les orgueilleux sont tombés dans l’abjection et les humbles élevés en gloire. Telle est l’oeuvre de Dieu; et, en agissant ainsi, « il a secouru le pauvre dans son indigence ». Car celui-ci est un mendiant qui ne s’attribue rien à lui-même, qui espère tout de la miséricorde divine, qui crie devant la porte de son Seigneur, qui est nu et tremblant, demandant à être vêtu, qui tient les yeux baissés vers la terre, battant sa poitrine. C’est ce
1. I Cor. XI,19.— 2. Ps. XI, 7.—
3. Gal. 1,9. — 4. Matth. V,13. — 5.
Ps. CVI, 41.
mendiant, ce pauvre, cet homme humble, que Dieu a principalement soutenu, même par la séparation des hérétiques, lesquels ont été diminués, accablés de vexations, séduits dans des terres sans chemin, et non dans la bonne voie. Mais après que ces hommes ont été retranchés, séduits, amoindris, qu’est-il arrivé au pauvre que Dieu secourait? « Il a multiplié leurs familles comme des troupeaux ». Parce que le Psalmiste disait: « Il a secouru le pauvre dans son indigence »; tu comprenais qu’il n’y avait qu’un seul pauvre, qu’un seul mendiant; et voilà que ce pauvre devient plusieurs familles, devient plusieurs peuples; et toutefois, plusieurs églises ne forment qu’une Eglise, qu’un seul peuple, qu’une seule famille, qu’un seul bercail. « Il a multiplié leurs familles comme des troupeaux ». Ces mystères sont grands, mes frères, ces sacrements sont grands quelle profondeur, quelles vérités cachées! Quelle joie de les découvrir, parce qu’elles ont été longtemps cachées! Donc: « Les hommes droits verront et seront dans la joie, et toute iniquité fermera la bouche 1 ». Cette iniquité qui ose railler l’unité, qui nous contraint à publier la vérité, sera enfin convaincue et réduite au silence.
15. « Quel est l’homme sage, qui observera ces merveilles, et qui comprendra les miséricordes du Seigneur 2? » Voyez cette fin du psaume: « Où est le sage? Il observera ces merveilles ». Et qu’observera cet homme
1. Ps. CVI, 42. — 2. Id. 43.
sage? C’est-à-dire qu’il l’observe, s’il est vraiment pauvre; oui, s’il n’est point riche, ou plutôt s’il n’est point orgueilleux-, s’il n’est point enflé de vanité, il observe ces merveilles. Pourquoi les observera-t-il? « Parce qu’il u comprendra les divines miséricordes »; non point ses propres mérites, non point ses propres forces, non point sa propre puissance; mais « les miséricordes du Seigneur », qui a remis dans la voie droite et nourri celui qui errait, et qui avait faim; qui a délié et délivré celui qui luttait contre les assauts du péché, et qu’enchaînaient les liens de ses habitudes; qui a envoyé son Verbe comme un remède salutaire pour guérir celui à qui le Verbe de Dieu n’inspirait que du dégoût, et qui mourait en quelque sorte d’ennui; qui a calmé le flot et conduit au port celui que menaçaient les tempêtes et les coups des orages; qui l’a établi au milieu de son peuple, où il donne la grâce aux humbles, et non point où il résiste aux superbes; qui a fait qu’il fût à lui, afin qu’il se multipliât cri demeurant à l’intérieur, et non point qu’il sortît dehors pour être réduit à rien. Voilà ce que découvrent les justes, et ce qui les comble de joie. « Toute iniquité fermera la bouche », et tout homme « sage observera ces merveilles ». Comment les observer? Par l’humilité qui fera comprendre les merveilles du Seigneur: partout, en effets nous avons répété: « Qu’ils confessent au Seigneur ses miséricordes, et ses merveilles envers les enfants des hommes ».
Ce psaume a été expliqué dans les psaumes cinquante-sixième et cinquante-neuvième, qui lui fournissent chacun sa dernière partie. Les titres sont bien différents, et tous deux néanmoins célèbrent David, ou plutôt le Christ dans son humilité, qui est la base de sa vaillance.
1. Je n’ai point cru, mes frères, qu’il fallût vous expliquer le psaume cent septième, car nous l’avons fait déjà dans le psaume cinquante-sixième et dans le psaume cinquante-neuvième, dont les dernières parties forment celui-ci. En effet, la dernière partie du cinquante-sixième 1 fournit à celui-ci sa première
1.
Ps, LVI, 12.
584
partie, jusqu’au verset où il est dit: « Et que votre gloire soit étendue sur toute la terre 1»; depuis là jusqu’à la fin, c’est la seconde partie du cinquante-neuvième; de même que la dernière partie du cent trente-quatrième est la même que celle du cent treizième, depuis le verset où il est dit: « Les idoles des nations sont de l’or et de l’argent 2 »; de même encore que le treizème et le cinquante-deuxième, sauf quelques médiantes changées, ont les mêmes paroles depuis le commencement jusqu’à la fin. Dès lors, tout ce qui, dans le psaume cent septième, paraît quelque peu différer de ces deux autres psaumes, dont il est composé, n’est point difficile à comprendre. Ainsi dans le psaume cinquante-sixième, il est dit: « Je chanterai, je jouerai de la harpe; lève-toi, ô ma gloire 3»; et dans celui-ci: « Je chanterai, je jouerai de la harpe dans ma gloire 4 »; car le met « lève-toi» ne s’adresse à sa gloire qu’afin que l’on chante, et que l’on joue de la harpe à cette même gloire. De même encore: « Parce que votre miséricorde s’est agrandie jusqu’aux cieux 5 », ou comme d’autres ont traduit: « s’est élevée »; et ici: « Parce que votre miséricorde est grande par-dessus les cieux ». Or, elle n’a grandi jusqu’aux cieux que pour être grande dans les cieux. Voilà le sens de cette expression: Super caelos, par-dessus les cieux. De même dans le cinquante-neuvième: « Je serai dans la joie, et je partagerai Sichem 7»; et ici: « Je serai élevé, et je partagerai Sichem 8». D’où l’on peut voir que ce partage de Sichem est une figure prophétique de ce qui doit s’accomplir après que le Seigneur aura été élevé en gloire, et la joie dont il est parlé tient à cette élévation; en sorte qu’il y a joie parce qu’il y a gloire. Aussi est-il dit ailleurs: « Vous avez converti mon deuil en joie, vous avez brisé mon cilice, et m’avez fait une ceinture de joie 9». De même encore: « Ephraïm est la force de mon chef 10»; et ici: « Ephraïm est celui qui reçoit mon chef 11». Car nous prendre sous sa garde, c’est nous fortifier; c’est-à-dire qu’en nous adoptant il nous rend forts, parce qu’il
1.
Ps. CVII, 6. — 2. Id. CXIII, CXXXIV, 15.— 3. Id. LVI, 8. — 4. Id. CVII, 2.— 5.
Id. LVI, 11. — 6. Id. CVII, 5. — 7. Id. LIX, 8. — 8. Id. CVII, 8. — 9.
Id. XXIX, 12. — 10. Id. LIX, 9.— 11. Id. CVII, 9.
fructifie en nous. Ephraïm en effet signifie fructifier. Quant à suscipere, recevoir, il peut se rapporter à l’un ou à l’autre, soit que nous recevions le Christ, soit que lui-même nous reçoive, lui qui est le chef de l’Eglise. Ceux qui sont appelés dans un psaume, « nos persécuteurs 1», sont appelés dans l’autre, « nos ennemis 2 », et sont dès lors les mêmes individus.
2. Ce psaume nous montre que les titres empruntés à l’histoire peuvent très-bien s’entendre dans le sens prophétique, selon le motif que nous découvrons dans la composition du psaume. Quoi de plus opposé, d’après l’histoire, que ce titre du psaume cinquante-sixième: « Pour la fin, n’altérez rien; à David, pour l’inscription du titre, alors qu’il fuyait devant Saül dans la caverne »; et ce titre du cinquante-neuvième: « Pour la fin, à ceux qui seront changés, pour l’inscription du titre, à David, pour être une leçon, alors qu’il incendia la Mésopotamie, la Syrie, la Syrie Sobal, et que Jacob se retourna, et frappa douze mille hommes dans la vallée des salines ». A l’exception de ces mots: « Pour l’inscription du titre, à David lui-même, et pour la fin », tout le reste est bien différent, puisque l’un chante l’humilité de David, l’autre sa vaillance; l’un sa fuite, l’autre ses victoires. Et toutefois les deux dernières parties de ces psaumes, dont les titres sont si différents, ont servi à composer celui-ci, ce qui prouve que les deux psaumes n’ont qu’un même but, non pas à s’en tenir à la superficie de l’histoire, mais en s’élevant à la hauteur de la prophétie, en faisant converger la fin de l’un et la fin de l’autre vers un seul chant, dont le titre serait: «Chant du psaume, pour David lui-même 3 », titre qui n’a rien de semblable aux deux autres, sauf ce seul mot: « A David lui-même ». Car Dieu a parlé jadis à nos pères, par le moyen des Prophètes, en beaucoup de manières et en beaucoup de circonstances 4, ainsi que l’a dit l’Epître aux Hébreux. Et toutefois il a toujours annoncé Celui qu’il a envoyé depuis afin d’accomplir les oracles des Prophètes: «Toutes les promesses de Dieu ont en lui leur vérité 5 ».
1.
Ps. LIX, 14. — 2. Id. CVII, 14. — 3. Id. 7. — 4. Hébr. I, 1. — 5. II Cor.
I, 20.
Prêcher le Christ tel qu’il est, c’est publier sa louange; or, on ne le regardait point comme Fils de Dieu quand la langue des méchants parla contre lui et lui rendit la calomnie au lieu de l’amour. A ce sujet distinguons six degrés différents. D’abord rendre le bien pour le mal, puis s’abstenir de rendre le mal pour le mal, c’est l’apanage des bons, et le Sauveur prie pour ses bourreaux ainsi que saint Etienne; et l’Evangile nous défend de rendre le mal pour le niai. Ensuite ne pas rendre le bien pour le bien comme les neuf lépreux qui ne remercient point le Sauveur, puis rendre le mal pour le bien comme il est dit dans notre psaume. Enfin rendre le bien pour le bien ne suffit point selon l’Evangile; et rendre le mal pour le mal, ce peut être une justice qui était dans les permissions de la loi, mais qui pouvait engendrer te désir de la vengeance. Donc le Christ a reçu la calomnie en échange de ses bienfaits, et il priait pour ses calomniateurs, comme pour ses disciples, nous donnant l’exemple du pardon. Il était descendu pour les Juifs qui ont opposé la haine à son amour. Le Prophète, en forme de souhaits, prononce ici la sentence des coupables. — 1. Le diable est à la droite de Judas, qui en a fait le choix. — 2. Il sera condamné parce qu’il ne prie pas avec le Christ, et ne se repent point. — 3. Son épiscopat passa à un autre. — 4. Ses enfants orphelins, sa femme veuve, tous bannis et mendiants. — 5. L’iniquité de ses pères qu’il a imités retombe sur lui. Ces maux furent un châtiment pour Judas, même après sa mort, si les morts voient les choses de cette vie.
On peut appliquer ces châtiments au peuple Juif qui a repoussé le Christ pour être assujetti à Satan, peuple dont le royaume a perduré, dont l’épiscopat ou le Christ a passé aux nations, dont le royaume perdu devient comme un veuvage, dont les enfants sont bannis, dont les fautes ne sont point remises, dont les travaux sont dissipés parce qu’il ne travaille point pour le Christ, qui périt dans nue seule génération parce qu’il ne connaît point la régénération, dont la mémoire disparaît de là terre du Seigneur, qui oublie la miséricorde eu persécutant les membres du Christ, qui a choisi la malédiction en appelant sur lui et sur ses enfants le sang du Christ, et cette malédiction l’environne de toutes parts.
Le Prophète alors ou le Christ eu appelle à son Père pour les oeuvres de sa puissance, et alors lui tout à l’heure troublé, mis à mort, persécuté dans ses membres, insulté dans sa mort, se raffermit sous la main de Dieu qui le bénit, et chante sa résurrection dans cette Eglise qui bénit Dieu parmi les peuples.
1. Que ce psaume contienne une prophétie du Christ, c’est ce que reconnaît facilement tout homme qui lit avec foi les Actes des Apôtres; car en voyant Matthias ordonné à la place de Judas qui trahit le Christ, et incorporé au collège apostolique 1, il devient évident que c’est Judas que désignait le Prophète, quand il disait: « Que ses jours soient s abrégés, et qu’un autre reçoive son épiscopat 2». Mais si nous ne faisons retomber que sur un seul homme les malédictions contenues dans ce cantique, l’application pourra bien manquer de justesse, ou du moins paraître forcée; tandis que tout devient clair, si ces anathèmes sont dirigés contre toute une race d’hommes, c’est-à-dire contre les Juifs ingrats et ennemis du Christ. Et de même que plusieurs passages à l’adresse de l’apôtre saint Pierre ne reçoivent leur force et leur éclat, que quand nous les entendons de l’Eglise, dont Pierre était la personnification à cause de la primauté qu’il eut sur les disciples, en vertu de ces paroles: « Je te donnerai les clés du royaume des cieux 3 », et autres semblables: ainsi Judas est en-
1.
Act. I, 15-26. — 2. Ps. CVIII, 8.— 3. Matth. XVI, 19.
quelque sorte la personnification des Juifs, qui haïssaient le Christ, et qui par une succession d’impiété qui se perpétue dans leur race, le haïssent encore aujourd’hui. C’est à ces hommes et à ce peuple que nous pouvons, sans aucune erreur, appliquer non seulement les passages du psaume qui les concernent indubitablement, mais encore ce qui est dit expressément de Judas lui-même: comme le verset que j’ai rapporté: « Que ses jours e soient abrégés, qu’un autre reçoive son épiscopat ». C’est ce qui s’aplanira avec le secours de Dieu, lorsque nous exposerons par ordre chacun des versets.
2. Le psaume commence donc ainsi: « O Dieu, ne taisez point ma louange parce que la bouche du pécheur, et la bouche de l’homme fourbe se sont ouvertes contre moi 1 ». Ce qui nous montre qu’il y a mensonge dans tout blâme que ne taisent point le pécheur et l’homme fourbe, comme il y a vérité dans toute louange que ne tait point le Seigneur. Car « Dieu est véritable, et tout homme est menteur 2 »: puisque nul homme ne dit la vérité, si Dieu ne parle en lui. Or, la
1. Ps. CVIII, 2. — 2. Rom, III, 4.
plus grande gloire du Fils unique de Dieu, c’est qu’on le prêche tel qu’il est, Fils unique de Dieu. C’est ce qu’on ne voyait point quand il était caché par nos infirmités apparentes, alors que s’ouvrit contre lui la bouche du pécheur, la bouche de l’homme fourbe. Aussi est-il dit: « La bouche de l’imposteur s’est ouverte », parce qu’il a fait éclater au dehors cette haine qu’il cachait frauduleusement. Voilà ce qui deviendra plus clair dans les versets qui suivront.
3. « Ils ont parlé contre moi avec une langue trompeuse 1»: surtout quand sous le voile d’une captieuse adulation ils l’appelaient bon maître. De là vient qu’il est dit ailleurs « Et ceux qui me louaient faisaient serment contre moi 2 ». Et comme leur haine s’échappait par ces cris: « Crucifiez-le, crucifiez-le 3 », notre psaume ajoute: « Ils m’ont poursuivi avec des paroles de haine »; ceux dont la langue trompeuse versait, non plus des paroles de haine en apparence, mais des paroles d’autour; aussi le Prophète a-t-il dit: « Contre moi », parce qu’ils en agissaient ainsi pour tendre des pièges; ensuite: « ils m’ont environné de paroles haineuses », non plus d’un amour faux et trompeur, mais « d’une haine » ouverte, « et m’ont attaqué sans sujet». De même que l’amour des bons pour le Christ est gratuit, de même est gratuite la haine des méchants; les bons en effet cherchent la vérité sans autre avantage qu’elle-même, et de même les méchants à l‘égard de l’iniquité. De là vient que des auteurs profanes ont dit, d’un homme très-méchant: « Sa malice et sa cruauté étaient absolument gratuites 4 ».
4. « Au lieu de m’aimer », dit le Prophète, ils me déchiraient 5 ». Il y a dans l’amour et la haine six degrés qu’il suffit d’énoncer pour les Faire comprendre facilement: rendre le bien pour le mal, ne point rendre le mal pour le mal; rendre le bien pour le bien, rendre le mal pour le mal; ne point rendre le bien pour le bien, et rendre le mal pour le bien. Les deux premiers sont l’apanage des bons, et de ces deux le premier est préférable; les deux derniers sont l’apanage des méchants, et le dernier est le pire des deux. Les deux autres tiennent en quelque sorte le milieu, mais le premier touche aux bons, le second touche aux méchants. Voilà ce qu’il nous fait
1.
Ps. CVIII, 3.— 2. Id. CI, 9.— 3. Jean, IX, 6 — 4. Sallust. de bello Catil. — 5.
Ps. CVIII, 4.
voir dans les saintes Ecritures. Dieu rend le bien pour le mal, quand « il justifie l’impie 1», et quand il était suspendu à la croix, il dit: « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font 2 ». A son exemple, saint Etienne mit le genou en terre et pria pour ceux qui le lapidaient, en s’écriant: « Seigneur, ne leur imputez pas ce péché 3». C’est à quoi nous oblige le précepte: « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous persécutent 4». L’apôtre saint Paul nous engage à ne point rendre le mal pour le mal: « Ne rendez à personne le mal pour le mal 5», nous dit-il. Et saint Pierre: « Ne rendez point le mal pour le mal, ni la malédiction pour la malédiction 6 ». De là cette parole qu’on lit dans les psaumes: « Si j’ai rendu le mal à ceux qui me maltraitaient 7 »; vous le savez. Quant aux deux derniers degrés, celui qui est le moins coupable se voit chez les neuf lépreux que guérit le Seigneur, et qui ne l’en remercièrent point 8, Et le dernier, qui est le pire de tous, est le propre de ceux dont le psaume a dit: « Au lieu de m’aimer, ils me déchiraient ». Tant de bienfaits du Seigneur sollicitaient leur amour, et non seulement ils étaient loin de le lui rendre, mais au lieu du bien ils rendirent le mal. Les deux degrés intermédiaires, que nous avons assignés aussi à des hommes pour ainsi dire du milieu, sont de telle nature que le premier, qui consiste à rendre le bien pour le bien, soit le propre des bons, et de ceux qui n’ont qu’une bonté médiocre, et de ceux qui n’ont qu’une médiocre méchanceté. De là vient que Jésus-Christ, sans les blâmer, ne veut point que ses disciples s’en tiennent a ces venus médiocres, mais il veut les élever plus haut, quand il leur dit: « Si vous aimez ceux qui vous aiment », c’est-à-dire, si vous rendez le bien pour le bien, « quelle récompense méritez-vous », c’est-à-dire, quel grand bien faites-vous? « Les Publicains ne le font-ils pas aussi 9? » Ce qu’il désire, c’est que ses disciples en agissent ainsi tout d’abord, et même beaucoup mieux, c’est-à-dire qu’ils ai ment non seulement leurs amis, mais aussi leurs ennemis. Pour l’autre degré, qui consiste à rendre le mal pour le mal, qu’il soit la part des méchants, de ceux
1.
Rom. IV, 5. — 2. Luc, XXIII, 34. — 3. Act. VII, 59. — 4. Math. V, 44. — 5. Rom.
XII, 17. — 6. I Pierre, III, 9. — 7. Ps. VII, 5.— 8. Luc, XVII, 12, 18.— 9. Matth. V,
46.
qui n’ont qu’une méchanceté médiocre, ou qu’une médiocre bonté; car la loi leur prescrit la manière de se venger: « Oeil pour oeil, et dent pour dent 1 »: on pourrait appeler cela justice des injustes. Non qu’il soit injuste qu’un homme soit traité comme il a traité les autres; car alors la loi ne l’aurait point statué; mais parce que le désir de se venger est un vice, et qu’il est mieux pour un juge de l’ordonner à l’égard des autres, que pour un homme de bien de le désirer pour lui-même. Aussi une fois tombé de cette hauteur de la vertu, où l’on rend le bien pour le mal, à quel profond abîme de malice n’arrive point l’impie, qui rend le mal pour le bien? Quelle chute lui a fait parcourir tous les degrés? Et nous ne devons pas regarder comme sans importance, que le Prophète ne dit point t Au lieu de l’amour ils me donnaient la mort; mais, « ils me calomniaient». Car ils ne l’ont mis à mort que par leurs calomnies, en niant qu’il fût Fils de Dieu, et en l’accusant « de chasser les démons au nom du prince des démons 2 », et en disant: « C’est un possédé du démon, c’est un fou, pourquoi l’écouter 3? » et autres blasphèmes. Or, ces calomnies détournaient de lui ceux qu’il cherchait à convertir. Il a donc choisi ce langage pour montrer que ceux-là qui calomnient le Christ, et tuent ainsi les âmes, sont plus coupables que ceux qui ont tué dans leur fureur sa chair mortelle, surtout qu’elle devait ressusciter bientôt.
5. Mais après avoir dit: « Au lieu de m’aimer, ils me calomniaient », qu’est-ce que le Prophète ajoute? « Et moi, je priais 4». Il n’indique point l’objet de sa prière; mais quel objet plus digne pouvons-nous assigner, sinon qu’il priait pour eux? Ils calomniaient surtout le crucifié, quand ils l’accablaient d’outrages comme un homme qu’ils eussent vaincu; et c’est du haut de cette croix qu’il dit: « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font 5», En sorte que, des profondeurs de la malice, ils lui rendaient le mal pour le bien; et lui, au comble de la bonté, leur rendait le bien pour le mal. On pourrait entendre aussi qu’il priait pour ses disciples, ce qu’il dit avoir fait avant sa passion, afin que leur foi ne vînt pas à défaillir 6, quand, sur la croix, il nous donnait un modèle de patience,
1.
Deut. XIX, 21. — 2. Luc, XI, 15. — 3. Jean, X, 20. — 4. Ps. CVIII, 15. — 6. Luc,
XXIII, 34.— 7. Id. XXII, 32.
et ne montrait point son pouvoir au milieu des outrages de ceux qu’il pouvait anéantir dans sa souveraine puissance. Mais, nous donner l’exemple de la patience, était plus utile pour nous, que de perdre à l’instant ces ennemis, et nous porter à nous venger sans délai le ceux qui nous nuisent; car il est écrit: « L’homme patient est préférable à l’homme courageux 1». L’Ecriture donc, et l’exemple de Jésus-Christ qui nous dit: « Au lieu de m’aimer, ils me calomniaient; et moi, je priais », nous enseignent à prier, quand nous rencontrons des ingrats, non seulement qui ne rendent pas le bien, mais qui rendent le mal pour le bien. Car il a lui-même prié pour ceux qui le tourmentaient, pour ceux qui pleuraient sur lui, et qui chancelaient dans la foi; mais nous, prions d’abord pour nous, afin que par la miséricorde et le secours de Dieu, nous puissions vaincre notre caractère qui nous porte au désir de la vengeance, quand on nous calomnie, soit devant nous, soit en notre absence. Dès que la patience du Christ nous revient en mémoire, on dirait que c’est lui qui s’éveille, comme il arriva quand il dormait dans le vaisseau 2; qui apaise le trouble et l’orage de notre coeur, afin que notre âme étant rétablie dans le calme et dans la paix, nous puissions prier pour nos détracteurs, et dire en toute sécurité: u Pardonnez-nous comme nous pardonnons 3 ». Mais lui, qui pardonnait, n’avait aucune faute, dont il dût obtenir le pardon.
6. Le Prophète ajoute: « Ils m’ont rendu le mal pour le bien 4 ». Et comme si nous demandions quel mal, pour quel bien? le Prophète répond: « Et la haine au lieu de l’amour ». Voilà tout leur crime, leur grand crime. Quel mal ces persécuteurs pouvaient-ils faire à Celui qui mourait, non par nécessité, mais volontairement? Mais la haine était un grand crime pour les persécuteurs, quoique la peine de la victime fût pleinement volontaire. C’est expliquer suffisamment dans quel sens il disait plus haut: « Au lieu de m’aimer »; car ils devaient l’aimer, non point comme tout autre, mais à cause de son amour; car il ajoute: « A cause de mon amour pour eux ». C’est de cet amour qu’il est fait mention dans l’Evangile, quand le
1.
Prov. XVI, 32. — 2. Matth. VIII, 24, 25. — 3. Id. VI, 12. — 4. Ps. CVIII, 5.
Sauveur s’écrie: « Jérusalem, Jérusalem, combien de fois j’ai voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et tu ne l’as pas voulu 1».
7. Le Prophète nous prédit ensuite quel sera le salaire de cette impiété; et il l’annonce comme si la soif de la vengeance le portait à souhaiter ces malheurs, tandis qu’il les prédit avec la plus grande certitude et comme l’effet bien mérité de la justice de Dieu. Quelques-uns, néanmoins, ne comprenant pas cette manière de prédire, se sont imaginé que le Prophète souhaitait ces malheurs, et appelait la haine contre la haine, le mal contre le mal. Il est vrai qu’il n’appartient qu’au petit nombre de faire la différence entre la satisfaction que le châtiment d’un coupable procure ou bien à un accusateur qui veut assouvir sa haine, ou bien à un juge qui ne punit la faute qu’avec une volonté droite. Le premier rend le mal pour le mal; mais le second, dans la vengeance qu’il poursuit, ne rend point le mal pour le mal, en infligeant un châtiment juste à l’homme injuste. Tout ce qui est juste est bien assurément. Il châtie donc, non pour le plaisir que lui procure le malheur des autres, ce qui est rendre le mal pour le mal; niais par amour de la justice, ce qui est le bien pour le mal. Que les aveugles ne calomnient donc point la sainte lumière des Ecritures, en s’imaginant que Dieu ne punit point les fautes; et que les injustes ne se flattent point, en l’accusant de rendre le mal pour le mal. Ecoutons donc ce que nous enseigne cette parole divine; et dans ces paroles qui semblent souhaiter le mal, ne voyons que la prédiction du Prophète: élevons nos âmes jusqu’à la loi éternelle, et voyons comment Dieu accomplit toute justice.
8. «Etablissez contre lui le pécheur, et que Satan marche à sa droite 2 ». Tout à l’heure la plainte était au pluriel, maintenant le Prophète ne parle que d’un seul. Tout à l’heure il disait: « Ils ont parlé de moi, avec des langues menteuses, ils m’ont environné de paroles de haine, et m’ont attaqué gratuitement; au lieu de m’aimer, ils me calomniaient, et moi je priais: ils m’ont rendu le mal pour le bien, et la haine en échange de mon amour ». Tout cela est au
1.
Matth. XXIII, 27. — 2. Ps. CVIII, 6.
pluriel. Maintenant que le Prophète annonce les châtiments que méritent leurs iniquités, et ce que la divine justice leur tient en réserve, il s’écrie: « Etablissez sur lui le pécheur », comme s’il n’avait en vue que celui qui s’est livré à ces ennemis qu’il vient de nous dépeindre. L’Ecriture, nous faisant donc voir par les Actes des Apôtres que c’est le juste châtiment de Judas 1 que nous annonce ici le Prophète, que signifie: « Etablissez le pécheur contre lui », sinon ce qu’indique le verset suivant: « Et que le diable se tienne à sa droite? » Il a donc mérité d’avoir au-dessus de lui le diable, c’est-à-dire d’être soumis au diable, lui qui n’a pas voulu être soumis au Christ. « Qu’il se tienne à sa droite », est-il dit, parce qu’il a préféré les oeuvres du diable aux oeuvres de Dieu, Car ce n’est pas sans raison qu’on assigne la droite à ce que l’on préfère, puisque la droite a la préférence sur la gauche. C’est pourquoi, à propos de ceux qui ont préféré à Dieu les joies du monde, et ont appelé heureux le peuple qui les possède, l’Ecriture dit avec raison que: « Leur droite est la droite de l’iniquité 2 ». Aussi en appelant bienheureux le peuple qui possède ces biens, leur bouche a parlé vainement, ainsi que l’a dit le Prophète. Mais au contraire, l’homme dont la bouche dit la vérité, qui ne veut point que l’on appelle heureux, comme le font ceux-ci, le peuple qui possède ces biens, doit à son tour répéter cette parole du même psaume: « Bienheureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu 3 ». Ce n’est point Satan qui est à sa droite, mais bien le Seigneur, ainsi qu’il est dit ailleurs: « J’avais toujours le Seigneur en ma présence, parce qu’il est toujours à ma droite, pour m’empêcher de chanceler 4 ». Donc le diable se tint à la droite de Judas, quand il préféra l’avarice à la sagesse, l’argent à son salut, au point de livrer celui qui devait le posséder, de peur qu’il ne tombât au pouvoir de celui dont le Christ a détruit les ouvrages, ce Christ qu’il renia pour maître.
9. « Quand il sera mis en jugement, qu’il en sorte condamné 5». Car il n’a point voulu être de ceux à qui l’on dit: « Entrez dans la joie de votre maître »; mais bien de ceux qui entendent: « Jetez-le dans les
1.
Act. I, 20. — 2. Ps. CXLIII, 11. — 3. Id. 15. — 4. Id. XV, 8. —
5. Id. CVIII, 7.
ténèbres extérieures 1. » « Et que sa prière lui devienne un crime». Nulle prière, en effet, n’est juste que dans le Christ qu’il vendit par le plus grand des crimes. Or, la prière qu’on ne fait point au nom du Christ, non seulement ne peut effacer le péché, mais devient elle-même un péché. On peut demander: Quand Judas a-t-il pu prier de telle manière que sa prière devint un péché? C’est, je pense, avant de livrer le Seigneur, alors qu’il pensait à le trahir; car il ne pouvait déjà plus prier au nom du Christ. Car après l’avoir trahi, quand il se repentit de son crime, s’il eût prié au nom de Jésus-Christ, il eût demandé son pardon: or, demander son pardon, c’est avoir l’espérance; avoir l’espérance, c’est croire en la miséricorde; et s’il eût cru à la miséricorde, le désespoir ne lui eût point mis la corde au cou. Aussi, quand le Prophète a dit: « Lorsqu’il sera mis en jugement, qu’il en sorte condamné »; de peur qu’on ne vienne à croire qu’il eût pu se délivrer par cette prière qu’il avait apprise de son maître avec les autres disciples, et où l’on trouve cette parole: « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à nos débiteurs 2; que sa prière », dit le Prophète, « lui devienne un crime »; parce qu’elle n’est point faite au nom du Christ, qu’il n’a pas voulu suivre, mais poursuivre.
10. « Que ses jours soient peu nombreux 3». «Ses jours », dit le Prophète, les jours de son apostolat, qui furent peu nombreux, puisque, même avant la mort du Sauveur, ils se terminèrent par son crime et par sa mort. Et comme si l’on demandait ce que va devenir alors le nombre douze, qui est sacré, et que le Seigneur n’avait pas adopté sans raison pour ses premiers Apôtres, le Prophète ajoute aussitôt: « Qu’un autre prenne sa place dans l’épiscopat ». Comme s’il disait: Qu’il soit puni comme il le mérite, et que ce nombre demeure parfait. Quiconque désire connaître comment cela s’accomplit, peut lire les Actes des Apôtres.
11. « Que ses fils soient orphelins, et sa femme veuve 4 ». Assurément, sa mort fait de ses enfants des orphelins, de sa femme une veuve.
12. « Que ses enfants soient chancelants et « emmenés, qu’ils soient mendiants 5 », Le
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Matth. XXV, 21, 30. — 2. Id. VI, 12.— 3. Ps. CVIII, 8. —
4. Id. 9. — 5. Id. 10.
mot chancelants, mutantes, signifie incertains de la route, privés de tout secours. « Qu’ils soient chassés de leurs habitations ». Le Prophète explique cette autre expression: « Qu’ils soient emmenés ». Les versets suivants nous disent comment ces malédictions sont tombées sur les fils et sur l’épouse de Judas.
13. « Que l’usurier dévore toute sa substance, et que son travail soit la proie de l’étranger. Que nul ne lui soit en aide », pour conserver sa postérité; car le Prophète ajoute: « Que nul n’ait pitié de ses enfants orphelins 1 ».
14. Mais comme ses enfants sans secours et sans tuteur pourraient encore grandir au milieu de la misère et de l’indigence, et conserver ainsi leur race, le Psalmiste continue en disant: « Que sa lignée soit dévouée à la mort, et que son nom s’éteigne dans une seule génération 2 »; c’est-à-dire, que tout ce qui est né de lui ne se régénère pas, et périsse rapidement.
15. Mais quel est le sens des paroles suivantes: « Que l’iniquité de ses pères revienne continuellement à la mémoire du Seigneur, et que le péché de sa mère ne soit point effacé 3?» Faut-il comprendre que les péchés de ses pères doivent retomber sur sa tête? Ce qui n’arrive point à celui qui a été changé en Jésus-Christ, et qui commence à n’être plus le fils des pécheurs, en n’imitant plus leurs moeurs; car cette parole est très-véritable: « Je ferai retomber sur les fils les péchés des pères 4»; et cette autre, par l’organe du Prophète: « L’âme du père m’appartient, l’âme du fils m’appartient, l’âme qui aura péché mourra 5». Cela est dit de ceux qui se tournent vers Dieu, sans imiter les désordres de leurs pères; c’est ce que le Prophète nous montre avec évidence, car il dit que les iniquités des pères ne nuisent pas à ceux qui accomplissent la justice, et ne leur ressemblent point 6. Mais quand on lit: « Je ferai retomber les péchés des pères sur les fils », il faut ajouter « qui me haïssent 7 » c’est-à-dire, comme leurs pères me haïssaient; de même qu’en imitant les hommes de bien, on obtient la rémission de ses propres péchés, de même, en imitant les méchants, on devient coupable, non seulement
1.
Ps. CVIII, 11,12.— 2. Id. 13.— 3. Id. 14,— 4. Exod. XX, 5.— 5. Ezéch. XVIII, 4 — 6. Id. 20.— 7. Exod. XX, 5.
de ses propres fautes, mais de celles qu’ont pu commettre ceux dont on suit les traces. Si donc Judas eût persévéré dans sa vocation, ni ses propres fautes, ni celles de ses pères n’eussent pu lui nuire en aucune sorte; mais comme il a renoncé à son adoption dans la famille de Dieu, et qu’il lui a préféré l’iniquité du vieil homme, alors l’iniquité de ses pères est revenue sous les yeux de Dieu, qui a dû la punir en lui-même, et le péché de sa mère n’a pas été effacé en lui.
16. « Qu’ils soient toujours en face du Seigneur 1 ». C’est-à-dire, que son père et sa mère « soient toujours à l’encontre du Seigneur », non pour résister à ses ordres, mais en ce sens que Dieu n’oublie jamais en Judas les maux qu’ils ont faits, et qu’il s’en venge sur lui. « En face du Seigneur », dit le Prophète, c’est-à-dire sous les yeux du Seigneur. Car certains interprètes ont traduit: « Qu’ils soient toujours en face du Seigneur »; d’autres: « Qu’ils soient continuellement sous les yeux du Seigneur »; de même qu’il est dit ailleurs: « Vous avez placé mes iniquités en votre présence 2 ». Le Prophète a dit « toujours», car ce crime est tel qu’il ne sera remis ni en ce monde, ni en l’autre. « Que leur mémoire s’efface de la terre »: la mémoire de son père et de sa mère. Cette mémoire est celle qui se conserve par la succession de la race. Le Prophète annonce qu’elle sera effacée de la terre, parce que Judas lui-même, et ses fils qui étaient comme la mémoire de son père et de sa mère, doivent périr dans le court espace d’une seule génération, et sans postérité, ainsi qu’il est dit plus haut.
17. Mais, dira-t-on, faut-il croire que ce fut un châtiment pour Judas, quand sa femme et ses enfants durent mendier après sa mort, qu’ils furent emmenés, chassés de leur habitation, parce que l’usurier dissipa toute la substance, que les étrangers pillèrent tous ses biens, que nul ne leur vint en aide, et n’eut pitié de ses orphelins, qui moururent bientôt sans postérité? Les morts sont-ils attristés, après le trépas, de ce qui arrive aux leurs? Faut-il croire qu’ils connaissent seulement ce qui peut les affecter ailleurs, soit en bien, soit en mal, selon leurs mérites? Il y a là, je l’avoue, une grave question, qu’on ne peut résoudre aujourd’hui. Nous serions
1.
Ps. CVIII, 15.— 2. Id. XXIX, 8.
trop longtemps à dire, si vraiment les morts connaissent ce qui se passe ici-bas, ou jusqu’à quel point, et de quelle manière. Toutefois l’on peut dire en un mot, que s’ils n’avaient aucun soin de nous, le Seigneur ne ferait pas dire à ce riche, qui était tourmenté dans l’enfer: « J’ai là-haut cinq frères, qu’ils ne viennent point à leur tour dans ce lieu de tourments 1 ». Quelque sens que donnent à ces paroles ceux qui les veulent interpréter autrement, il nous faut avouer que si les morts savent bien que les leurs sont en vie, puisqu’ils ne les voient ni dans le lieu de tourments, où se trouvait le mauvais riche, ni dans le repos des bienheureux, où ce riche, quoique de loin, reconnut Lazare au sein d’Abraham, ce n’est pas une raison pour qu’ils sachent ce qui arrive ici-bas de joyeux ou de triste à ceux qui leur sont chers. On peut dire néanmoins qu’il y a peu d’hommes qui soient de caractère, du moins pendant leur vie, ou à négliger ce qui peut arriver après leur mort, en bien ou en mal, à ceux qui leur sont chers, ou à le mépriser entièrement; qu’il en est beaucoup qui s’efforcent de procurer aux leurs le bien-être, après leur mort, et c’est ce que nous atteste le soin de prescrire leur dernière volonté, en des testaments de toutes sortes. Quant à la perpétuité de leur race, par la succession des générations, il n’y a pour en avoir une louable insouciance, que ceux qui se font eunuques en vue du royaume des cieux, qui désirent que leurs enfants le fassent aussi, qui aspirent après la couronne du martyre, en sorte que nul d’entre eux ne demeure sur la terre. Tous les autres, ou à peu près, désirent qu’après leur mort leur famille soit heureuse sur la terre, et que leur maison ne périsse point. Aussi, qu’après la funeste mort de Judas, sa femme soit demeurée veuve, ses enfants orphelins, que l’usurier ait grugé sa substance, que les étrangers aient dissipé ses biens, que ses enfants aient été chassés de leur demeure, que ces orphelins n’aient trouvé personne qui les prît en pitié, et qu’ils soient morts dans une seule génération, sans aucune postérité; si les morts voient tout cela, c’est le comble du malheur; s’ils ne le voient point, c’est là l’effroi des vivants. Si l’on s’étonne que Judas ait pu avoir une fortune que l’usurier pût lui enlever, des biens
1.
Luc, XVI, 22, 28.
que les étrangers pussent dissiper, quand il suivait déjà le Sauveur avec les onze autres; on peut croire qu’il avait abandonné ses biens à sa femme et à ses enfants, sans néanmoins avoir détaché son coeur de tout lien de cupidité, ni sincèrement, ni avec persévérance; et bien qu’il eût paru le vendre pour en distribuer le prix aux pauvres, il agissait néanmoins comme Ananie après l’ascension du Seigneur 1. Il ne pouvait craindre que le Seigneur découvrît cette fourberie par sa divinité, lui qui croyait le tromper, quand il enlevait du trésor ce qu’on y mettait 2.
18. Mais voyons, s’il nous est possible, et autant que Dieu nous en fera la grâce, comment tout cela peut convenir au peuple Juif, qui est demeuré obstiné dans sa haine contre le Christ, et dont nous avons dit que Judas étai t la figure, comme l’apôtre saint Pierre figurait l’Eglise: « Etablissez le pécheur au-dessus de lui, et que le diable se tienne à sa droite ». Ceci doit s’entendre du peuple aussi bien que de Judas; car ayant repoussé le Christ, il a été assujetti au diable, dont il a préféré les suggestions à son propre salut, afin de jouir de ses convoitises dépravées et terrestres. «Quand il sera mis en jugement, qu’il en sorte condamné »; parce qu’en demeurant dans son impiété, dans son infidélité, il s’amasse un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses oeuvres 3. « Et que sa prière devienne un péché », parce qu’elle n’est point faite au nom du médiateur de Dieu et des hommes, de Jésus-Christ, homme 4 et prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech 5. « Que ses jours soient peu nombreux ». Ceci doit s’entendre du royaume des Juifs, qui n’a pas duré bien longtemps. « Et qu’un autre soit mis en son épiscopat ». Cet épiscopat des Juifs peut fort bien s’entendre de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui est né, selon la chair, de la tribu de Juda; et l’Apôtre a dit: « Je soutiens que le Christ a été ministre de la circoncision, pour vérifier la parole de Dieu, et confirmer les promesses faites à nos pères 6». Lui-même a dit: « Je ne suis envoyé que vers les brebis perdues de la maison d’Israël 7 »; parce que c’est à eux seuls qu’il s’est montré dans sa chair. Et les Mages
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Act. V, 1, 2.— 2. Jean, XII, 6.— 3. Rom. II, 5, 6.— 4. I Tim. II, 5 — 5. Ps. CIX,
4. — 6. Rom. XV, 8. — 7. Matth. XV, 24.
de l’Orient firent cette question: « Où est le roi des Juifs qui vient de naître 1? » C’est encore ce que portait le titre apposé à la croix; et ce n’est pas sans raison que Pilate répondit à ceux qui voulaient le changer: « Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit 2 ». Donc, cet épiscopat du peuple Juif, ou plutôt le Christ Notre Seigneur, c’est un autre peuple qui le reçoit en apanage, c’est-à-dire le peuple des Gentils. « Que ses fils deviennent orphelins», eux dont il est dit: « Quant aux enfants du royaume, ils iront dans les ténèbres extérieures 3 ». Ils sont devenus orphelins, parce qu’ils ont perdu le royaume, comme s’ils eussent perdu leur parenté, bien qu’on puisse fort bien comprendre qu’ils ont perdu Dieu qui est leur père. « Car», la Vérité l’a dit: « quiconque n’a point le Fils n’a point le Père non plus 4 ». Que sa femme devienne « veuve ». Par cette épouse du royaume, on peut comprendre le peuple, sur qui les rois ont la domination, et la perte du royaume a été pour lui un veuvage. « Que ses enfants soient errants et mendiants ». Ils ont erré pour fuir le péril, ces enfants du royaume des Juifs; leurs ennemis les ont emmenés et vaincus. Qu’est-ce que mendier, sinon vivre de la pitié des hommes, comme ils vivent sous les rois de ces nations où ils sont dispersés? « Qu’ils soient chassés de leurs habitations ». C’est là ce qui est arrivé. « Que l’usurier dévore sa substance »; c’est-à-dire de ce peuple. Le sens le plus plausible à donner à ces paroles, c’est que leurs fautes ne leur soient point remises, puisqu’elles ne sont remises que dans le Christ qu’ils ont rejeté; c’est de lui que nous avons appris à dire: « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à nos débiteurs 5 ». « Toute sa substance », est-il dit, ou toute sa vie, en sorte que nulle dette, ou plutôt nulle faute, ne lui soit remise. « Et que les étrangers dissipent ses travaux»; c’est-à-dire le diable et ses anges; car ils ne thésaurisent point pour le ciel, ceux qui ne possèdent point le Christ, « Que « nul ne lui soit en aide ». Qui vient en aide à celui que n’aide pas le Christ? « Que nul ne prenne en pitié ses petits enfants » qui, après avoir perdu leur père, ou le royaume, sont demeurés orphelins, ou qui, après avoir perdu Dieu, dont ils ont haï et
1. Matth. II, 1, 2. — 2. Jean,
XIX, 19-22. — 3. Matth. VIII, 12. — 4. 1 Jean, II, 24.— 5. Matth. VI, 12.
persécuté le Fils, ne trouvent personne qui les prenne en pitié, non seulement pour leur donner la vie temporelle, ou pour les soutenir, mais pour leur donner la véritable vie, ou la vie éternelle. « Que ses enfants soient a dévoués à la mort »; oui, à la mort éternelle. « Que son nom disparaisse dans une seule génération »; car il n’y a pour eux que génération, et non pas régénération de là vient qu’ils s’éteignent dans une seule génération. Quant à l’autre, ou à la régénération, s’ils la connaissaient, ils ne disparaîtraient point. « Que l’iniquité de leurs pères revienne à la mémoire en la présence du Seigneur »; afin que le Seigneur fasse retomber sur ce peuple, qui s’obstine dans sa malice, l’iniquité de ses pères. Voici en effet ce qu’il leur dit: « Vous portez contre vous-mêmes ce témoignage que vous êtes les fils de ceux qui ont tué les Prophètes ». Et un peu après: « Voilà que va retomber sur vous le sang des justes répandu sur la terre, depuis le sang du juste Abel jusqu’au sang de Zacharie 1. Et que le péché de sa mère ne soit point effacé »; c’est-à-dire le péché de Jérusalem, qui est dans la servitude avec ses enfants, qui tue les Prophètes, et qui lapide ceux qui lui sont envoyés. « Qu’ils soient tou«jours sous les yeux du Seigneur », leurs crimes, leurs iniquités; c’est-à-dire, qu’ils ne s’effacent point de la présence du Seigneur, qu’il en tire une vengeance éternelle: « Que leur mémoire s’efface de la terre ». Cette terre de Dieu est le champ de Dieu; et le champ de Dieu, c’est l’Eglise de Dieu, et leur mémoire a disparu de cette terre, car ils étaient les rameaux naturels, et Dieu les a brisés à cause de leur infidélité 2.
19 « Parce qu’il ne s’est point souvenu de faire miséricorde », ce qui peut s’entendre de Judas, ou du peuple Juif; mais il est mieux d’appliquer au peuple Juif cette expression: « Il ne s’est pas souvenu ». Car si ce peuple a tué le Christ, il devrait en avoir un souvenir de repentir, et faire miséricorde à ses membres, qu’il a au contraire persécutés avec une persévérance obstinée. Aussi le Prophète nous dit-il: « Qu’il a persécuté l’homme pauvre et mendiant ». Cela peut s’entendre de Judas, puisque le Seigneur n’a pas dédaigné de se faire pauvre, lui qui était riche, afin de nous enrichir de sa pauvreté 3. Comment dire que
1.
Matth. XXIII, 31- 37. — 2. Rom, II, 20, 21. — 3. II Cor. VIII.
le Christ fut mendiant, sinon quand il dit à la Samaritaine: « Donnez-moi à boire 1 »; et sur la croix: « J’ai soi 2? » Mais la suite, je ne vois point comment on peut l’appliquer à notre Chef, c’est-à-dire au Sauveur de son corps, à Celui qu’a persécuté Judas. Après avoir dit en effet: « Il a persécuté l’homme pauvre et mendiant », le Prophète ajoute: « Et mis à mort l’homme touché de componction ». C’est-à-dire qu’il l’a fait mourir, car c’est ainsi que plusieurs ont traduit. Or, ce mot de componction ne s’emploie d’ordinaire que pour exprimer la douleur du repentir sous l’aiguillon des péchés. Ainsi il est dit des Juifs qui écoutèrent les Apôtres après l’ascension de ce même Sauveur qu’ils avaient nus à mort, qu’ils furent touchés de componction. Ce fut à eux que le bienheureux Pierre adressa la parole, leur disant entre autres: « Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au nom du Seigneur Jésus-Christ, et vos péchés vous seront remis 3 ». Mais comme ceux-ci devinrent à leur tour membres de Celui dont ils avaient cloué les membres à la croix, le peuple Juif ne s’est point souvenu de faire miséricorde; il a persécuté l’homme pauvre et mendiant, mais dans ses membres: c’est d’eux, qu’en parlant des oeuvres de miséricorde, le Seigneur dira: « Ce que vous n’avez point fait au moindre des miens, vous ne me l’avez point fait à moi-même 4. Ils ont mis à mort l’homme touché de componction»; oui, vraiment touché de componction, mais dans ses membres. Parmi ces persécuteurs qui voulaient donner la mort à l’homme touché de componction, se trouvait Saul, consentant à la mort d’Etienne qui était bien touché de componction 5: car Etienne était de ceux dont le coeur avait été touché. Mais Saul se souvint de faire miséricorde; et lui qui au matin enlevait les dépouilles, pour partager au soir la nourriture 6, fut aussi touché de componction, en sorte qu’en lui aussi les Juifs persécutèrent le pauvre, et voulurent donner la mort à l’homme touché de componction. Ce qu’ils haïssaient en Paul, c’était cette componction qui lui faisait prêcher Celui qu’il avait persécuté. Car, en persécutant dans ses membres le pauvre, le mendiant, l’homme au coeur contrit, il entendit cette voix du ciel: « Saul,
1.
Jean, IV, 7. — 2. Id. XIX, 26. — 3. Act. II, 37, 38. — 4. Matth. XXV, 45. — 5.
Act. Vii, 59. — 6. Gen. XLIX, 27.
«Saul, pourquoi me persécutes-tu 1?» Et tout à coup touché de componction, il endura lui-même ce qu’il faisait endurer aux coeurs contrits.
20. Le psaume continue: « Il a aimé la malédiction, elle viendra sur lui 2». Bien que Judas ait aussi choisi la malédiction, en volant les deniers, puis en vendant et en livrant son maître, néanmoins il est plus visible que t’est le peuple qui choisit la malédiction quand Il s’écria: «Que son sang retombe sur nous, et sur nos enfants 3. II n’a point la bénédiction, et voilà qu’elle s’éloignera de lui ». Judas, il est vrai, ne voulut point du Christ, en qui est la bénédiction éternelle; mais il est plus clair que le peuple Juif refusa la bénédiction quand cet homme éclairé par le Christ lui dit: « Voulez-vous donc, vous aussi, devenir ses disciples? » Il refusa la bénédiction, la regardant comme un anathème: «Toi, sois son disciple 4» Alors la bénédiction s’éloigna de lui et passa aux Gentils. « Il a revêtu la malédiction comme un manteau », soit Judas, soit le peuple Juif. « Elle est entrée comme l’eau dans ses entrailles ». C’est donc à l’extérieur, et à l’intérieur; à l’extérieur comme un vêtement, à l’intérieur comme l’eau: car il tombe sous le jugement de Celui qui peut précipiter l’âme et le corps dans l’enfer 5; le corps pour l’extérieur, l’âme pour l’intérieur. « Et comme l’huile dans ses os ». Cette expression désigne le plaisir de faire le mal, et de s’amasser la malédiction, c’est-à-dire la peine éternelle, puisque la bénédiction est l’éternelle vie. Ici-bas, en effet, le mal fait ressentir une joie, comme l’eau dans nos entrailles, comme l’huile dans les os: on l’appelle néanmoins malédiction parce que Dieu menace de tourments ceux qui goûtent cette joie. Or, la malédiction est comme une huile dans les os, parce que les hommes prennent pour une force la licence de commettre le mal, comme s’il devait être impuni.
21. «Qu’elle soit pour lui comme le vêtement dont il se couvre 6 ». Déjà il a été parlé du vêtement, pourquoi cette répétition? Est-ce que cette expression: « Il s’est couvert de la malédiction comme d’un vêtement », est bien différente de celle-ci, où l’on ne dit plus se revêtir, mais se couvrir? On se revêt d’une
1.
Act. IX, 4.— 2. Ps. CVIII, 18.— 3. Matth. XXVII, 25.— 4. Jean, IX, 27, 28. — 5.
Matth. X, 28. — 6. Ps. CVIII, 19.
tunique, on se couvre d’un manteau. Que signifie cette expression, sinon que l’on se glorifie de son iniquité en présence des hommes? « Et comme la ceinture», dit le Prophète, « qu’il a toujours sur les reins ». Or, la ceinture donne plus de liberté, pour le travail, à l’ouvrier, qu’elle ne laisse point embarrassé dans les plis de ses vêtements. Il se fait donc de la malédiction une ceinture, celui qui commet le mal, non par surprise, mais avec préméditation, et qui s’accoutume tellement au mal, qu’il y est toujours disposé. Aussi le Prophète a-t-il dit: « Comme la ceinture qu’il a toujours sur les reins ».
22. « Telle est, devant le Seigneur, l’oeuvre de ceux qui me calomnient 1 ». Le Prophète ne dit point la récompense, mais à l’oeuvre». Il est clair que par ce vêtement, ce manteau, cette eau, cette huile, cette ceinture, il marquait les oeuvres qui appellent sur nous l’éternelle malédiction. Ce n’est point de Judas seulement, mais de beaucoup d’autres qu’il est dit: « Telle est, devant le Seigneur, l’oeuvre de ceux qui me calomnient». Toutefois, on a pu mettre le pluriel pour le singulier, comme après la mort d’Hérode, l’ange dit: « Ceux qui cherchaient la vie de l’enfant sont morts 2 ». Mais quels hommes, principalement, accusent le Christ devant le Seigneur, sinon ceux qui démentent les paroles du Seigneur, en affirmant que ce n’est point lui qu’ont annoncé la loi et les Prophètes? « Ils tiennent des discours méchants contre ma vie », en niant que le Christ pût ressusciter à son gré, quand il dit lui-même: « J’ai le pouvoir de donner ma vie, et le pouvoir aussi de la reprendre 3 ».
23. « Pour vous, Seigneur, ô Seigneur, faites avec moi ». Quelques-uns ont voulu sous-entendre « miséricorde»; d’autres même l’ont ajouté: mais les exemplaires les plus corrects portent: « Et vous, Seigneur, Seigneur, faites avec moi, à cause de votre nom 4 ». Aussi ne faut-il pas oublier un sens plus relevé, dans lequel le Fils dirait à son Père: « Faites avec moi », parce que les oeuvres du Père et du Fils sont les mêmes. Quand nous comprenons encore: Faites miséricorde, (car on lit ensuite: « Parce que votre miséricorde est pleine de douceur »), comme l’interlocuteur ne dit pas:
1.
Ps. CVIII, 20. — 2. Matth, II, 20. — 3. Jean, X, 18. — 4. Ps. CVIII, 21.
Faites en moi, ou faites sur moi, ou toute autre expression; mais bien: « Faites avec moi », nous avons raison de comprendre que le Père et le Fils font ensemble miséricorde aux vases de miséricorde 1. On peut aussi comprendre: « Faites avec moi », dans le sens de aidez-moi. C’est l’expression ordinaire dont nous nous servons, à propos de quelqu’un qui est de notre parti; il fait d’avec nous. Or, le Père aide le Fils, en tant que Dieu aide l’homme, à cause de la forme de l’esclave; or, Dieu est père de cet homme, et père aussi de celui qui a la forme de l’esclave. Au point de vue de la nature divine, le Fils n’a pas besoin d’être aidé par le Père; il est tout-puissant comme le Père avec lequel il assiste l’homme. « De même que le Père ressuscite les morts et donne la vie, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il lui plaît 2 ». Le Père ne donne point la vie aux uns, et le Fils aux autres; ni le Père autrement que le Fils: les oeuvres sont les mêmes, et de la même manière. Ainsi, dans sa nature humaine, le Fils de Dieu a été ressuscité par Dieu d’entre les morts, c’est-à-dire par son Père, à qui il s’adresse dans le psaume: « Ressuscitez-moi, et je me vengerai d’eux 3». En tant qu’il est Dieu, il s’est ressuscité lui-même; aussi a-t-il dit: « Détruisez ce temple, et je le rebâtirai en trois jours 4». Nous retrouvons ici le même sens, quand on l’examine avec soin. Il nous ordonne de sonder les Ecritures, qui rendent témoignage à son sujet 5, et de ne point passer légèrement. Or, il ne dit pas seulement: « Vous, Seigneur, ô Seigneur, faites avec moi »; mais: « Vous aussi »; et qu’est-ce à dire: « Vous aussi », sinon moi déjà? Qu’il ne dise pas Seigneur une seule fois, mais qu’il le répète: « Seigneur, Seigneur »; c’est l’effet d’une ardente prière, comme: « O Dieu, mon Dieu 6 ». Après avoir dit: « Faites avec moi », qu’il ajoute: « A cause de votre nom »: c’est pour nous signaler la grâce de Dieu. Car la nature humaine n’avait dans ses oeuvres aucun mérite qui pût l’élever à ce comble de gloire, que le Verbe uni à la chair c’est-à-dire Dieu et l’homme, fût appelé Fils de Dieu. Or, voilà ce qui s’est fait, en sorte que Celui qui avait créé l’homme est venu le rechercher; ce qui n’avait point péri de l’humanité a recueilli
1.
Rom. IX, 23.— 2. Jean, V, 21. — 3. Ps. XL, 11.— 4. Jean, II,
19. — 5. Id. V, 39. — 6. Ps. XXI, 2.
ce qui avait péri. De là cette parole qui suit: « Parce que votre miséricorde est pleine de douceur ».
24. «Délivrez-moi, parce que je suis pauvre et indigent 1». Dans cette indigence et cette pauvreté, nous trouvons la faiblesse qui l’a fait clouer à la croix. « Et mon coeur s’est troublé en moi-même ».On peut rapporter ces paroles à ce que dit le Fils de Dieu aux approches de la passion: « Mon âme est triste jusqu’à la mort 2 ».
25. « J’ai passé comme l’ombre qui décline 3». Voilà ce qui indique la mort. De même que l’ombre qui s’abaisse amène la nuit, ainsi une chair mortelle arrive à la mort. « J’ai été secoué comme les sauterelles ». Il me semble que cette parole convient mieux à ses membres, c’est-à-dire aux fidèles. Et c’est pour s’exprimer avec plus de justesse que le Prophète a préféré dire « Comme les sauterelles », et non comme la sauterelle; et toutefois, avec le nombre singulier, on eût encore pu l’entendre du pluriel, comme il est dit ailleurs: « Il dit, et vint la sauterelle 4 »; mais c’eût été plus obscur. Donc ses fidèles ont été secoués, mis en fuite par les persécuteurs, dont les sauterelles nous expriment ici ou le grand nombre, ou le passage d’un lieu à un autre.
26. « Mes genoux se sont affaiblis par le jeûne 5 ». Nous lisons que: « Le Seigneur jeûna pendant quarante jours 6 »; mais ce long jeûne put-il bien affaiblir ses genoux? Ceci ne s’appliquerait-il pas mieux à ses membres, c’est-à-dire à ses saints? « Et ma chair a été changée à cause de l’huile», ou à cause de la grâce spirituelle. C’est du chrême qu’est venu le nom de Christ, et chrême signifie onction. Or, ce changement que l’huile a opéré dans ma chair ne l’a point détériorée, mais c’était une amélioration, puisque des ignominies de la mort elle s’élevait à l’immortalité glorieuse. Dès lors, après avoir dit: « Mes genoux se sont affaiblis par le jeûne », ce qui signifie que ceux de ses membres qui paraissaient forts, s’affaissèrent une fois que disparut, à la passion, ce pain qui les soutenait, ainsi qu’on le vit dans le reniement de Pierre: comme pour les fortifier contre la chute, le Prophète ajoute: « Et ma chair a été changée à cause de l’huile»,
1.
Ps. CVIII, 22.— 2. Matth. XXVI, 38. — 3. Ps. CVIII, 23. — 4. Id. CIV, 34. — 5.
Id. CVIII, 24. — 6. Matth. IV, 2.
afin que ma résurrection vînt soutenir ceux que ma mort avait ébranlés, et qu’ils reçussent l’onction de l’Esprit-Saint, qui ne serait point descendu sur eux, si je ne les avais quittés. Car il avait dit: « Cet Esprit ne peut avenir, si je ne m’en vais d’abord 1 ». Et l’Evangéliste a dit: « Le Saint-Esprit n’avait pas été envoyé, parce que Jésus n’était pas encore glorifié 2 ». La chair n’était point changée alors. Mais soit que l’on désigne l’Esprit-Saint par l’eau qui arrose, ou par l’huile qui donne la joie, ou par le feu de la charité, il n’est point différent en lui-même, quelque différents que soient les signes. La différence est grande entre le lion et l’agneau, et néanmoins l’un et l’autre figurent le Christ: le lion a certaines qualités, l’agneau d’autres qualités. Cependant le Christ est le même, bien que l’agneau n’ait pas la force, ni le lion l’innocence; mais le Christ est fort comme le lion, innocent comme l’agneau. Jésus-Christ, en effet, dit lui-même en lsaïe: « L’Esprit de Dieu est sur moi, aussi m’a-t-il oint 3 ».
27. « Je suis devenu pour eux un opprobre 4 », à cause de ma mort sur une croix. Le Christ, en effet, nous a rachetés de la malédiction de la loi, en se faisant malédiction pour nous 5. Ils m’ont vu, et ont branlé la tête». Parce qu’ils ne l’ont vu que suspendu à la croix, et non ressuscité: ils l’ont vu quand ses genoux étaient affaiblis, et ne l’ont point vu quand sa chair était changée.
28. « Secourez-moi, Seigneur mon Dieu, sauvez-moi selon votre miséricorde 6 ». Ceci peut s’appliquer au Christ tout entier, c’est-à-dire et à la tête et au corps; à la tête, à cause de la forme de l’esclave; au corps, à cause des esclaves eux-mêmes. Car c’est en eux qu’il a pu dire à Dieu: « Secourez-moi, et sauvez-moi», lui qui disait en eux aussi: « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu 7? » S’il ajoute: « Selon votre miséricorde », c’est pour nous montrer que la grâce est gratuite, et non point la récompense des oeuvres.
29. «Qu’ils sachent que c’est là votre main, et que c’est vous qui l’avez faite 8 ». Le Christ dit: « Qu’ils sachent », c’est-à-dire les bourreaux pour qui il a prié, car ceux qui n’ont vu en lui qu’un objet d’opprobre, qui ont
1.
Jean, XVI, 7. — 2. Id. VII, 39. — 3. Isa. LXI, 1. — 4. Ps. CVIII, 25. — 5. Galat. III, 13. —6. Ps. CVIII, 26.
— 7. Act. IX, 4. — 8. Ps. CVIII, 27.
branlé la tête par dérision, étaient ceux-là mêmes qui plus tard crurent en lui. Mais que ceux-là qui attribuent à Dieu la forme d’un corps humain, sachent bien comment Dieu peut avoir une main. Si ses oeuvres sont les oeuvres de sa main, est-ce encore avec la main qu’il a fait sa main? En quel sens donc est-il dit ici: « Qu’ils reconnaissent ici votre main, et que c’est vous, ô mon Dieu, qui l’avez faite? » Comprenons bien que la main de Dieu, c’est le Christ; aussi est-il dit ailleurs « A qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé 1?» Cette main était donc, et néanmoins Dieu l’a faite; et en effet: « Au commencement était le Verbe, et le Verbe s’est fait chair 2». Dans sa divinité, il est en dehors du temps; mais il lui a été fait, dans la race de David, selon la chair 3.
30. « Ils me maudiront, mais vous me bénirez 4 ». Elle est donc vaine, elle est donc fausse, la malédiction des hommes, qui aiment la vanité, qui recherchent le mensonge 5:
mais Dieu, quand il bénit, fait ce qu’il dit. « Qu’ils soient confondus, ceux qui s’élèvent contre moi ». Ils ne s’élèvent ainsi que par l’espérance d’un avantage sur moi; mais quand j’aurai été élevé par-dessus les cieux, et que ma gloire sera étendue par toute la terre, alors ils seront confondus. « Mais pour votre serviteur, il sera dans la joie »: soit à la droite du Père, soit dans ses membres qui se réjouiront eux-mêmes, et dans les tentations par l’espérance, et après les tentations, par la vie éternelle.
31. « Qu’ils soient revêtus de honte, ceux qui me calomnient ». C’est-à-dire, qu’ils rougissent de leurs calomnies contre moi. Cette parole peut aussi se prendre en bonne part, en ce sens que les calomniateurs se corrigent. « Que la confusion leur soit un double manteau 6 ». Il y a dans le latin diplois, ce qui a donné lieu à cette autre traduction: « Que la confession soit pour eux duplex pallium, un manteau double». C’est-à-dire, qu’ils soient confondus au dedans et au dehors, ou devant Dieu et devant les hommes.
32. «Ma bouche confessera le Seigneur avec excès 7 ». Il y a en latin nimis, expression que l’on emploie d’après le génie de cette langue, pour désigner un excédant; elle est contraire
à peu, parum, qui signifie moins qu’il ne
1.
Isa. LIII, 1.— 2. Jean, I, 1, 14. — 3. Rom. I, 3.— 4. Ps. CVIII, 28. — 5. Id.
IV, 3.— 6. Id. CVIII, 29.— 7. Id.
30.
faut. Mais en grec, nimis, se dit agan: or, ce n’est pas agan que l’on lit dans ce verset, mais sphodra. Nos traducteurs lui ont donné un sens qu’ils expriment tantôt par nimis, tantôt par valde, extrêmement. Mais si nimis peut avoir le sens de valde, on peut mettre nimis à propos de la louange, car cette confession du Psalmiste est une louange véritable. Le Psalmiste en effet continue ainsi: « Ma bouche le bénira au milieu d’hommes nombreux ». Dans un autre psaume, il est dit: « Je vous chanterai au milieu de l’Eglise 1 ». Mais quand c’est l’Eglise qui chante, elle qui est le corps du Christ, comment l’Eglise peut-elle chanter au milieu de l’Eglise? De même, quant à ces hommes nombreux de notre psaume, dès lors qu’ils sont les membres du Christ, si le Christ bénit le Seigneur quand ils le bénissent, comment dire qu’il le bénit au milieu d’hommes nombreux, puisque c’est lui qui bénit Dieu, quand ils bénissent Dieu? Ou bien bénit-il Dieu au milieu de beaucoup, parce qu’il est avec son Eglise jusqu’à la consommation des siècles 2; en ce sens que: « Au milieu de beaucoup », s’entendrait des honneurs qu’il reçoit de la multitude? Car on assigne la place du milieu à celui qui reçoit les principaux honneurs. Et si le coeur est comme le milieu de l’homme, on ne saurait donner à
1.
Ps. XXI, 23. — 2. Matth. XXVIII, 20.
ces paroles un sens plus plausible que celui-ci: Je le bénirai dans les coeurs de la multitude, car le Christ habite par la foi dans nos coeurs 1. Le Prophète a dit: « Ma bouche », c’est-à-dire la bouche de mon corps, qui est I’Eglise. C’est le coeur, en effet, qui croit pour être justifié, c’est la bouche qui confesse pour obtenir le salut 2.
33. « Car il s’est tenu à la droite du pauvre 3 ». Il est dit de Judas: « Que le diable se tienne à sa droite »: parce qu’il a voulu augmenter ses richesses, en vendant le Christ. Mais ici c’est le Seigneur qui « s’est tenu à la droite du pauvre », afin d’être lui-même la richesse du pauvre. « Il s’est tenu à la droite du pauvre », non point pour multiplier les années d’une vie qui doit finir un jour, non pour augmenter ses richesses, non pour lui donner la force corporelle, ou la santé pour un temps; mais afin, dit le Prophète, «de délivrer son âme des persécuteurs ». Or, l’âme est délivrée des persécuteurs, quand leurs suggestions ne la font point consentir au mal; et elle n’y consent point, quand le Seigneur se tient à la droite du pauvre, pour le soutenir contre sa pauvreté, c’est-à-dire sa faiblesse. Tel est le secours que Dieu a prêté au corps du Christ dans tous ses saints martyrs.
1.
Ephés. III, 17. — 2. Rom. X, 10.— 3. Ps. CVIII, 1.
SERMON AU PEUPLE.
L’Ancien Testament était le temps des promesses, le Nouveau est celui de l’accomplissement. Ces promesses toutefois ne sont point pour l’homme qui reste dans le péché, s’imaginant que Dieu ise prend aucun soin de nos actions, lui qui a compté nos cheveux. Le garant de ces promesses, c’est le Christ prophétisé dans notre psaume, comme Seigneur de David. Il est fils de David selon l’Evangile et selon saint Paul; et quand il passait sur le grand chemin, les aveugles, comprenant que ses actes comme fils de David sont transitoires, l’invoquèrent sous ce nom et virent la lumière. Il est Seigneur de David comme Verbe de Dieu, et Verbe fait chair pour nous donner l’espérance. Les Juifs pouvaient répondre que la Vierge doit mettre au monde Emmanuel, que cet Emmanuel est Seigneur de David, mais le fils de la vierge, fils de David. Ce Christ fils de David ayant été élevé en gloire, est devenu par là même Seigneur de David; et Dieu lui a donné nia nom au-dessus de tout nom. Voilà ce qu’il nous faut croire sans le comprendre, autrement notre foi n’aurait pas de mérite. Le principal péché des Juifs est de n’avoir point cru en lui; de là vient que leurs péchés subsistent, puisque nulle faute ne peut être effacée que par la foi au Christ; et comme l’objet de la foi doit être invisible, voilà que le Fils de Dieu s’est dérobé à nos regards par l’ascension, afin de former en nous la justice par la foi. Si nous ne voyons pas le Christ assis à la droite de son Père, nous voyons ses ennemis sous ses pieds, soit par le coup de sa justice, soit par le coup de sa miséricorde. En dépit des nations révoltées, le Seigneur les donnera à son Christ. C’est à partir de Sion que le Seigneur a commencé son règne par la prédication de l’Evangile. Il règne au milieu de ses ennemis, Juifs, infidèles, hérétiques, à qui l’on prêche la rémission des péchés, jusqu’à ce que toutes les nations soient entrées dans I’Eglise. Les disciples ont vu le Christ montant au ciel, nous le voyons régnant ssr tous les peuples. Quant à la forme de l’esclave, l’impie l’a vue, et il verra aussi celui qu’il a percé, mais non la forme divine. Alors nouas comprendrons que le principe est avec lui, Ou plutôt qu’il est en son Père, et sua Père en lui, quand les saints apparaîtront dans leur gloire pour la vie éternelle. Aujourd’hui nous croyons au Christ que Dieu engendre dans le secret de sa gloire, et avant le temps. David pouvait dire aussi: je vous ai engendré du sein de la vierge, et pendant la nuit que bénirent les bergers. Le Christ ne peut être prêtre que selon l’ordre de Melchisédech, puisque le sacerdoce d’Aaron a cessé avec le temple et l’holocauste. Le Seigneur à votre droite, et le prêtre à la droite de son Père; il doit briser sur la terre les têtes rebelles et orgueilleuses, car il est la pierre de Sion écrasant tout incrédule. Maintenant il juge, mais sans éclat; au dernier jour, il jugera ostensiblement; il ruine aujourd’hui ce qui est du vieil homme, pour le réédifier dans la gloire; et lui qui a bu l’eau du torrent par une vie rapide, relèvera la tête dans sa splendeur.
l. Autant que nous le permettra le Seigneur, qui nous a établi ministre de sa parole et de ses sacrements pour vous servir dans l’effusion de sa miséricorde; avec le secours de ce même Dieu, qui vous rend si attentifs et qui voudra bien nous en rendre capable, nous entreprenons de sonder et de vous exposer le psaume que nous venons de chanter. li contient peu de paroles, mais on y trouve de grandes pensées. Que votre âme soit donc toujours fervente et en éveil devant Dieu, qui a ses temps pour faire des promesses, et ses temps aussi pour les accomplir. Le temps des promesses était celui des Prophètes jusqu’à Jean-Baptiste; depuis Jean-Baptiste jusqu’à la fin, c’est le temps de les accomplir. C’est un Dieu fidèle qui veut bien se constituer notre débiteur, non point qu’il reçoive quelque chose de nous, mais bien parce qu’il nous tait de si grandes promesses. C’était peu pour lui que la promesse, il a voulu la faire écrire; il nous a fait en quelque sorte le billet de ses
promesses, afin que quand il viendrait à les accomplir, nous pussions voir dans ces mêmes écrits l’ordre qu’il devait garder. Le temps de la prophétie était donc, nous l’avons dit souvent, le temps des promesses. Dieu nous a promis la vie éternelle, la vie bienheureuse et sans fin avec les anges, l’héritage incorruptible, la gloire toujours durable, la douce contemplation de sa face, la demeure dans les tabernacles célestes, la résurrection d’entre les morts, sans craindre la mort désormais. Telle est, en quelque sorte, la promesse finale, où tendent nos désirs; et quand nous y serons arrivés, nous n’aurons plus rien à demander, plus rien à désirer. Mais Dieu, en faisant ces promesses, a daigné nous préciser dans quel ordre nous pourrons y arriver. Il a promis aux hommes la divinité, à de simples mortels l’immortalité, à des pécheurs la justification, et aux humiliés la gloire. Toutes ces promesses, il les a faites àdes indignes, afin ne ses promesses ne
parussent point la récompense des oeuvres, mais bien une grâce accordée gratuitement, comme l’indique son nom. Vivre en effet dans la justice, autant qu’un homme peut vivre de la sorte, ce n’est point l’effet de son mérite, mais d’un bienfait de Dieu. Car nul ne mène une vie juste, s’il n’a été justifié, c’est-à-dire fait juste; et l’homme ne peut devenir juste que par Celui qui ne peut être injuste. De même qu’une lampe ne saurait s’allumer elle-même, ainsi l’âme de l’homme ne saurait se donner la lumière; mais elle crie au Seigneur: « C’est vous, ô Dieu, qui ferez luire ma lampe 1 ».
2. Lorsqu’on promet donc le royaume des cieux aux pécheurs, ce n’est point à ceux qui demeurent dans le péché, mais à ceux qui sont délivrés du péché, pour servir dans la justice; et, pour cela, il leur faut, avons-nous dit, le secours de la grâce c’est celui qui est toujours juste qui les justifie. Il semblait néanmoins incroyable que Dieu eût tant de bonté pour les hommes, et aujourd’hui, ceux qui désespèrent de la grâce divine, ceux qui ne veulent point quitter leur vie dépravée et se tourner vers Dieu, et recevoir de lui la justification, afin que, leurs péchés une fois couverts du pardon, ils puissent commencer une vie juste en Celui qui n’a jamais vécu dans l’injustice; ceux-là, dis-je, s’entretiennent dans la corruption par cette funeste pensée qui leur fait dire que Dieu n’a aucun souci des choses humaines, et que Celui qui a créé le monde, qui le dirige, ne peut considérer quelle est ici-bas la vie d’un mortel. Ainsi l’homme fait par Dieu, s’imagine qu’il échappe à l’oeil de Dieu. S’il nous était permis de nous adresser à cet. homme; si notre parole pouvait atteindre son oreille d’abord et ensuite son coeur; si son obstination ne décourageait point celui qui le cherche, tout perdu qu’il est; s’il se laissait retrouver, nous pourrions lui dire: O homme, comment Dieu te négligerait-il, maintenant que tu es créé, lui qui a pris soin de te créer? Pourquoi t’imaginer que tu n’es point au rang des créatures? Loin de toi toute séduction t Tes cheveux sont comptés par le Créateur 2. Telle est, en effet, la parole que Jésus donnait à ses Apôtres, dans l’Evangile, les rassurant contre la crainte de la mort, et leur ôtant la pensée que rien d’eux pût périr par la mort. Ils redoutaient la
2.
Ps. XVII, 29.— 3. Matth. X, 30.
mort pour leur âme, et il les rassure à propos du moindre de leurs cheveux. L’âme, en effet, peut-elle périr, quand un cheveu ne périt point? Toutefois, mes frères, comme il paraissait incroyable que Dieu pût accomplir ce qu’il promettait aux hommes, de les tirer de cette mortalité, de cette abjecte corruption, de cette faiblesse, de la cendre et de la poussière, pour les égaler aux anges de Dieu, non seulement le Seigneur leur a donné en garantie les saintes Ecritures, mais il leur a donné, pour médiateur de sa promesse, non plus un prince quelconque, non plus un ange, ou un archange, mais son Fils unique, afin de nous montrer et de nous donner, en la personne de ce même Fils, cette voie par laquelle il doit nous conduire à la fin qu’il nous promet. C’était peu, en effet, pour Dieu, de nous donner son Fils pour guide; il en a fait la voie elle-même, afin que nous puissions aller à Celui qui nous conduit, et marcher en lui.
3. Il nous adonc promis que nous arriverions à lui, c’est-à-dire à cette ineffable immortalité, à l’égalité avec les anges: combien nous en étions éloignés! Quelle élévation en lui! quelle bassesse en nous! Quelle supériorité en lui! et, en nous, quelle abjection profonde et désespérante! Nous étions dans une langueur mortelle, sans pouvoir guérir: Dieu nous a envoyé un médecin que le malade ne connaissait point: « Car s’ils l’eussent connu, ils n’eussent jamais crucifié le Seigneur de la gloire 1». Mais ce qui a servi à la guérison, c’est que le malade ait tué son médecin. Il était venu pour visiter ce malade, on l’a fait mourir, afin qu’il donnât la guérison. Il fit comprendre à ses fidèles qu’il était Dieu et homme; Dieu par qui nous avons été formés, homme par qui nous sommes reformés. Autre était ce qui paraissait en lui, et autre ce qui était caché; et ce qui était caché était bien supérieur à ce que l’on voyait; mais ce qui était supérieur demeurait invisible. Le malade était guéri par ce qu’ily avait de visible, afin qu’il devînt capable de voir celui qui se dérobait un instant, mais qui ne devait point se refuser à jamais. Que le Fils unique de Dieu viendrait chez les hommes, qu’il prendrait notre chair, qu’il deviendrait homme par cette chair qu’il aurait prise, qu’il mourrait, qu’il ressusciterait,
1. I
Cor, II, 8.
qu’il monterait au ciel pour s’asseoir à la droite de son Père, accomplissant ainsi ses promesses à l’égard des Gentils, et qu’après l’accomplissement de ses promesses à l’égard des Gentils, il exécuterait encore ce qu’il avait dit; qu’il viendrait, et se ferait rendre compte de ses grâces, afin de faire le discernement des vases de colère, et des vases de miséricorde, pour accomplir ses menaces à l’égard de l’un pie, ses promesses à l’égard du juste voilà ce qu’il fallait prophétiser, ce qu’il fallait annoncer, l’avènement qu’on devait prêcher, afin qu’il ne causât aux hommes ni frayeur ni surprise, mais qu’il fût attendu avec foi. Parmi ces promesses, il faut compter notre psaume, qui annonce Jésus-Christ Notre Seigneur d’une manière claire et évidente; en sorte qu’il est indubitable pour nous que ce psaume est une prophétie du Christ, car nous sommes chrétiens, et nous en croyons à l’Evangile. Un jour que le Seigneur et Sauveur Jésus-Christ demandait aux Juifs de qui, selon eux, le Christ était fils, et qu’ils répondaient de David; il leur répliqua aussitôt « Comment donc David nous dit-il par l’Esprit-Saint: Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à s ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied? Si donc David, parlant par e l’Esprit-Saint, l’appelle son Seigneur, comment est-il son Fils 1?» C’est par ce verset même que commence le psaume.
4. « Le Seigneur a dit à mon Seigneur: « Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied 2 ». C’est donc par cette question que pose aux Juifs Notre Seigneur, qu’il nous faut commencer l’explication du psaume. Que l’on nous demande en effet si nous confirmons, ou si nous contredisons la réponse des Juifs; loin de nous de la contredire. Si l’on nous demande: Le Christ est-il filé de David, ou ne l’est-il point? Répondre non, c’est contredire l’Evangile; car saint Matthieu commence de cette manière le récit évangélique: « Livre de la génération de Jésus-Christ, fils de David 3 ». L’Evangéliste proclame donc qu’il écrit le livre de la génération de Jésus-Christ, fils de David, Les Juifs eurent donc raison de répondre au Christ, qui leur demandait de qui ils croyaient que le Christ était fils, que c’était de David. Cette
1.
Matth. XXII, 42-45. — 2. Ps. CIX, 1 — 3. Matth. I, 1.
réponse est d’accord avec l’Evangile. C’est ce qu’établit non seulement l’opinion des Juifs, mais la foi des chrétiens. Je trouve aussi d’autres preuves. L’Apôtre dit de Jésus-Christ qu’ « il est né, selon la chair, de la race de David 1 »; et, s’adressant à Timothée: «Souvenez-vous »,lui dit-il, « que Jésus-Christ de la race de David est ressuscité des morts, selon l’Evangile que je prêche ». Et que dit-il à propos de cet Evangile? « Pour lequel je souffre jusqu’à être chargé de chaînes, comme un malfaiteur; mais la parole de Dieu n’est point enchaînée 2 », L’Apôtre souffrait donc jusqu’à être chargé de chaînes pour son Evangile, c’est-à-dire pour la dispensation de cet Evangile qu’il prêchait aux peuples, qu’il répandait parmi les nations. Lui qui le matin avait enlevé les dépouilles, et le soir partagé le butin 3, souffrait donc jusqu’à être enchaîné pour la bonne nouvelle. Quelle bonne nouvelle? « Que le Christ, fils de « David, est ressuscité d’entre les morts ».C’est pour cette nouvelle que souffrait l’Apôtre, et néanmoins c’est à ce sujet que le Sauveur interrogeait les Juifs; et quand ils répondaient ce que prêchait l’Apôtre, il releva cette réponse comme pour la contredire: « Comment donc David, parlant dans l’Esprit de Dieu, l’appelle-t-il son Seigneur? » Et il cita en preuve cet endroit du psaume: « Le Seigneur a dit à mon Seigneur. Si donc, dans l’Esprit de Dieu, il l’appelle son Seigneur, comment est-il son fils? » Cette question imposa silence aux Juifs: ils ne trouvèrent aucune réponse, mais ils ne cherchèrent point à l’avoir pour Seigneur, parce qu’ils ne le reconnaissaient point pour le fils de David. Pour nous, mes frères, croyons et parlons: « Car c’est dans le coeur qu’est la foi qui justifie, et dans la bouche la confession qui sauve 4 ». Croyons, dis-je, et proclamons que le Christ est fils de David et Seigneur de David. N’allons point rougir du fils de David, afin de n’irriter point le Seigneur de David.
5. C’est de ce nom que l’appelèrent, quand il passait, ces aveugles qui méritèrent de recouvrer la vue. Jésus passait, et ces aveugles qui entendaient passer une troupe, connurent de l’oreille Celui qu’ils ne pouvaient voir des yeux, et poussèrent de grands cris en disant:
«
Ayez pitié de nous, fils de David 5». Or, la
1.
Rom. I, 3.— 2. II Tim. II, 8, 9.— 3. Gen,
XLIX, 27.— 4. Rom, X, 10. — 5. Matth. XX, 29-34.
foule les menaçait pour les fajre taire; et eux, néanmoins, dans leur désir de voir le jour, surmontant les contradictions de la foule, continuaient de crier; ils retinrent celui qui passait, et méritèrent qu’il les touchât et leur rendît la vue. « Ayez pitié de nous, fils de David », criaient-ils à celui qui passait, et il s’arrêta; et comme ils dominaient l’opposition du peuple: « Que voulez-vous que je vous fasse?» leur dit-il. Et eux: « Seigneur, faites que nous voyions ». Il toucha leurs yeux qu’il ouvrit, et ils virent présent celui qu’ils avaient entendu passer. Il y a donc des oeuvres que le Seigneur fait en passant, d’autres qui sont plus stables. Oui, dis-je, parmi les oeuvres du Seigneur, les unes sont transitoires, les autres stables. L’oeuvre passagère du Seigneur, est l’enfantement de la Vierge, l’incarnation du Verbe, l’accroissement des années, les miracles visibles, les souffrances de sa passion, sa mort, sa résurrection, son ascension au ciel; tout cela fut transitoire. Car aujourd’hui il n’y a plus pour le Christ, ni naissance, ni mort, ni résurrection, ni ascension au ciel. Ne comprenez-vous pas que tous ces faits sont accomplis, ont eu leur temps, et ont montré à ceux qui voyagent ici-bas, quelque chose qui s’en va, afin qu’ils ne demeurassent point en chemin, mais qu’ils courussent vers la patrie? Enfin ces aveugles étaient assis près du chemin, c’est là qu’ils entendirent le passant divin, et l’arrêtèrent par leurs cris. C’est donc dans la voie de ce siècle que le Seigneur a fait quelque chose de passager, et cet acte passager est l’oeuvre du Fils de David. De là vient qu’à son passage, ils s’écrièrent: « Ayez pitié de nous, Fils de David». Comme s’ils disaient: Nous reconnaissons dans celui qui passe le Fils de David; ce passage nous fait comprendre qu’il a été Fils de David. Reconnaissons donc, nous aussi, et proclamons qu’il est Fils de David, afin de mériter qu’il nous éclaire. Nous sentons dans Celui qui passe le Fils de David: puisse le Seigneur de David nous éclairer!
6. Voilà donc le divin Maître qui interroge les Juifs, et ils ne répondent point, parce qu’ils ne veulent pas être ses disciples; si maintenant il nous interrogeait, que répondrions-nous? Cette interrogation mit les Juifs en défaut, qu’elle profite aux chrétiens; loin de se troubler, qu’ils s’instruisent. Ce n’est point pour s’instruire que le Seigneur nous interroge, mais il interroge en docteur. Ces malheureux Juifs devaient lui répondre, c’est à vous de nous l’apprendre. Ils aimèrent mieux se taire dans un dépit orgueilleux, que s’instruire par une humble confession. Que le Maître nous parle donc, et voyons ce que nous répondrons à cette question. « Que vous semble-t-il du Christ? De qui est-il Fils? » Répondons ce que répondirent les Juifs, mais sans nous arrêter où ils s’arrêtèrent. Rappelons-nous cet Evangile que nous croyons. « Livre de la génération de Jésus-Christ, Fils de David 1 ». Que la question que l’on nous adresse ne nous fasse point oublier que le Christ est Fils de David, ainsi que nous le rappelle saint Paul. Courage donc, ô chrétien; « souviens-toi que le Christ Jésus, Fils de David, est ressuscité d’entre les morts 2 ». Que l’on nous interroge donc, et répondons. « Que vous semble-t-il du Christ? De qui est-il Fils?» Que toutes les bouches chrétiennes redisent eu plein accord: « De David ». Que le Maître continue, et nous dise: « Comment donc David, parlant par l’Esprit-Saint, l’appelle-t-il son Seigneur? Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite jusqu’à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied ».Comment pourrons-nous répondre, si vous ne nous l’apprenez? Maintenant que nous l’avons appris, nous disons: « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu; toutes choses ont été faites par vous ». Voilà le Seigneur de David. Mais à cause de l’infirmité de notre chair, parce que nous n’étions qu’une chair sans espoir: «Le Verbe s’est fait chair et a demeuré parmi nous»; voilà le Fils de David. Assurément, Seigneur, ayant la nature divine, vous n’avez pas cru qu’il y eût usurpation à vous dire semblable à Dieu; aussi êtes-vous le Seigneur de David; mais, vous vous êtes abaissé jusqu’à prendre la forme de l’esclave 3: voilà le Fils de David. Aussi, dans votre question, quand vous demandez: « Comment est-il son Fils? » vous n’avez point nié que vous fussiez son Fils, mais seulement demandé comment cela pouvait se faire. David l’appelle son Seigneur,dites-vous; de quelle manière donc est il son Fils? Sans le nier, je vous demande comment, pour eux, avec cette Ecriture qu’ils lisaient sans la comprendre, s’ils eussent voulu à cette
1.
Math. I, 1. — 2. II Tim. II, 8.— 3. Philipp. II, 7.
demande se rappeler cette manière, ils eussent répondu: Pourquoi nous interroger? « Voilà que la Vierge concevra et mettra au monde un fils, et on lui donnera le nom d’Emmanuel, ce qui signifie: Dieu avec nous 1 ». Donc, la Vierge concevra, et cette Vierge, de la race de David, mettra au monde un fils, qui sera Fils de David. Car Joseph et Marie étaient de la maison, et de la famille de David 2. Donc, cette Vierge enfanta, en sorte que son Fils est le Fils de David. Mais au Fils qu’elle a mis au monde, « on donnera le nom d’Emmanuel, ou Dieu avec nous ». Voilà comment nous avons le Seigneur de David.
7. Peut-être ce psaume lui-même nous dira-t-il en quelque manière comment le Christ est fils de David, et Seigneur de David. Ecoutons-le donc et développons-en les mystères; frappons avec piété, arrachons par la charité, David lui-même nous le dit donc, et il ne lui était pas permis de contredire son Seigneur: « David, parlant par l’Esprit-Saint, nous dit qu’il est son Seigneur ». Que dit David à propos du Christ? Car le psaume est à David lui-même. C’est là tout le titre, sans embarras de figure, sans aucune difficulté. Que dit donc David? « Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que j’aie fait de vos ennemis l’escabeau de vos pieds». Qu’est-ce à dire: «L’escabeau de vos pieds?» C’est-à-dire qu’ils seront sous vos pieds, car c’est sous les pieds que l’on met l’escabeau des pieds. « Le Seigneur », dit le Prophète, « a dit à mon Seigneur ». Voilà ce que David a entendu, et il l’a entendu en esprit. Où et quand l’a-t-il entendu, c’est ce que nous ne savons pas; mais nous le croyons quand il dit et écrit qu’il a entendu. Il l’a donc entendu certainement, il l’a entendu dans quelque sanctuaire de la vérité, dans quelque figure mystérieuse, où tous les Prophètes ont ouï dans le secret ce qu’ils ont divulgué au grand jour; c’est là que David a entendu ce qu’il proclame avec une grande confiance: « Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Asseyez- vous à ma droite jusqu’à ce que je vous fasse un marchepied de vos ennemis ». Nous savons que, après la résurrection, le Christ monta au ciel pour s’asseoir à la droite de Dieu. C’est là un fait; nous ne l’avons pas
1.
Ps. VII, 14; Matth. I, 23.— 2. Luc, II, 27, 32; II,4,5.
vu, mais nous le croyons: nous l’avons lu dans les Livres saints, nous l’avons entendu prêcher, nous y adhérons par la foi. Mais dès lors que le Christ était fils de David, il était aussi Seigneur de David. Car ce qui est né de la race de David, a été élevé en gloire au point d’être Seigneur de David. Mes paroles vous étonnent, comme si cela était sans exemple parmi les hommes. S’il arrivait que le fils d’un particulier devînt un roi, ne serait-il pas le Seigneur de son père? Chose plus étonnante encore! ne peut-il pas se faire non seulement que le fils d’un particulier devienne roi, et ainsi seigneur de son père; mais que le fils d’un laïque devienne évêque, et alors père de son père? Donc le Christ, en prenant une chair, en mourant dans cette chair, pour ressusciter également avec cette chair, puis monter aux cieux, et s’asseoir à la droite de son Père, est devenu dans cette même chair, ainsi élevée, ainsi glorifiée, ainsi transformée dans une splendeur toute céleste, et fils de David, et Seigneur de David. C’est au point de vue de ces transfigurations du Christ, que l’Apôtre a dit aussi: « C’est pourquoi Dieu l’a ressuscité des morts, et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans le ciel,sur la terre et dans les enfers 1». « Dieu », dit l’écrivain sacré, « lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom », c’est-à-dire au Christ devenu homme, au Christ qui est mort selon la chair, qui est ressuscité, monté aux cieux. « Dieu lui a donné un nom supérieur à tout nom, en sorte qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans le ciel, sur la terre et dans les enfers ». Où donc sera David, pour que le Christ ne soit point son Seigneur? Qu’il soit dans le ciel, qu’il soit sur la terre, qu’il soit dans les enfers, il aura toujours pour Seigneur celui qui est Seigneur du ciel, de la terre et des enfers. Que David se réjouisse donc avec nous, lui que relève la naissance d’un tel fils, et qui est délivré par un tel Seigneur; qu’il dise dans sa joie, et qu’on écoute avec les mêmes ravissements: « Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je vous fasse de vos ennemis un marche pied».
8. « Asseyez-vous », non seulement sur une éminence, mais aussi dans le secret: en haut
1.
Philipp. II, 9, 10.
pour la domination, dans le secret pour stimuler la foi. Quelle récompense mériterait la foi, si l’objet de la foi n’était caché? Or, la récompense de la foi sera de voir celui en qui nous avons cru avant de le voir. Mais, comme l’a dit l’Ecriture: « Le juste vit de la foi 1». Il n’y aurait donc aucune justice dans la foi, si l’objet que l’on nous prêche et que nous croyons n’était invisible, et si la foi ne nous méritait de le voir. « Quelle ineffable douceur, ô mon Dieu, vous avez cachée pour « ceux qui vous craignent! » Donc vous l’avez cachée, en sont-ils demeurés privés? Loin de là, « elle est parfaite pour ceux qui espèrent en vous 2 ». Ce mystère admirable du Christ, assis à la droite de Dieu, a donc été caché afin d’être l’objet de la foi; il nous a été dérobé afin de stimuler notre espérance. « Nous sommes, en effet, sauvés par l’espérance. Or, l’espérance que l’on voit n’est pas une espérance; comment espérer ce que l’on voit? » Ainsi, dit l’Apôtre, vous le connaissez, je vous le rappelle seulement. Que dit donc l’Apôtre? « C’est l’espérance qui nous sauve »,dit-il; «or, l’espérance qu’on verrait ne serait pas une espérance. Comment espérer ce que l’on voit déjà? Si nous espérons ce que nous n’avons pas encore, nous l’attendons par la patience 3 ». Comme donc l’espérance qu’on verrait ne serait plus espérance, «Vous avez caché votre douceur à ceux qui vous craignent. Car nous espérons ce que nous ne voyons pas, et nous l’attendons par la patience: vous l’avez rendue parfaite pour ceux qui vous craignent». Enfin, mes frères, écoutez attentivement ce que je vais vous dire: c’est que notre justice nous vient de la foi, que la foi purifie nos coeurs, afin que nous puissions voir ce que nous aurons cru. L’un et l’autre nous est enseigné: « Bienheureux les coeurs purs, parce qu’ils verront Dieu 4 »; et encore: « C’est par la foi qu’il purifie leurs coeurs 5 ». Comme donc la justice de la foi consiste à croire ce que l’on ne voit pas, afin que le mérite de la foi nous conduise à la claire vue quand le temps sera venu: le Seigneur, en promettant l’Esprit-Saint, nous dit dans l’Evangile: « Il convaincra le monde de péché, de justice et de jugement 6». De quel péché? de quelle justice? de quel jugement?
1. Rom. II, 17. — 2. Ps. XXX, 20. — 3. Rom. VII, 24,25.— 4.
Matth. V, 8.— 5. Act. XV, 9.— 6. Jean, XVI, 9.
Le Seigneur nous l’explique aussitôt, et n’admet point les conjectures des hommes. « Du péché», dit-il, « parce qu’ils n’ont point cru en moi 1 ». Combien d’autres péchés avaient encore les Juifs? Et néanmoins, comme s’ils n’avaient que celui-là, le Seigneur dit qu’«il les convaincra de péché, parce qu’ils n’ont pas cru en lui ». Tel est le péché dont il a dit ailleurs: « Si je n’étais pas venu, ils n’auraient aucune faute 2».Qu’est-ce à dire: « Si je n’étais pas venu, ils n’auraient aucune faute?» En venant donc vers les justes, ô Dieu, en avez-vous fait des pécheurs? Le Seigneur semble ici omettre tous les péchés dont on peut obtenir la rémission par la foi, et ne désigne que ce péché, sans lequel tous les autres seraient remis. «De péché », nous dit-il, « parce qu’ils n’ont pas cru en moi ». Et ailleurs: « Si je n’étais pas venu, ils n’auraient aucun péché ». Par cela même qu’il est venu, en effet, et qu’ils n’ont point cru en lui, ils sont tombés dans le péché; et s’ils n’étaient tombés dans ce péché, tous les autres eussent pu leur être pardonnés, effacés par ce pardon que leur eût obtenu la foi. « De péché donc, parce qu’ils n’ont pas cru en moi; de la justice, parce que je vais à mon Père, et que désormais vous ne me verrez plus 3 ». Telle est donc la justice, ô Dieu, que vous alliez à votre Père, et que désormais vos disciples ne vous verront plus. Telle est la justice qui vient de la foi. « Car c’est de la foi que vit le juste 4 »; et il vit de la foi, précisément quand il ne voit point ce qu’il croit. Comme donc c’est la vie de la foi qui nous justifie, et que nul ne vit de la foi que quand il ne voit point ce qu’il croit; afin de former cette justice parmi les hommes, c’est-à-dire de les porter à croire ce qu’ils ne voient point, le Saint-Esprit, dit le Sauveur, convaincra les hotu mes de la justice, « parce que je vais à mon Père, et que désormais vous ne me verrez plus ». Comme s’il disait: La justice pour vous consistera à croire en Celui que vous ne voyez point, afin que, purifiés par la foi, vous puissiez voir au jour de la résurrection celui en qui vous croyez.
9. Donc le Christ est assis à la droite de Dieu, le Fils est invisible à la droite du Père. Croyons en lui. Le Prophète nous annonce en effet deux choses, et que Dieu a dit: « Asseyez-vous à ma droite »; et qu’il ajoute: «Jusqu’à ce que
1.
Jean, XVI, 9.— 2. Id. XV, 22.— 3. Id. XVI, 8-10.— 4. Rom. I, 17.
je fasse de vos ennemis l’escabeau de vos pieds », c’est-à-dire qu’ils soient sous vos pieds. Tu ne vois pas le Christ assis à la droite du Père, mais tu peux déjà voir comment ses ennemis lui sont un marchepied. Quand un point est si visiblement accompli, crois à celui qui demeure caché. Quels ennemis sont mis sous ses pieds? Ceux qui méditaient des choses vaines, et à qui il est dit: « Pourquoi ces frémissements des nations, et ces vains complots des peuples? Les rois de la terre sont debout, les princes se sont rassemblés comme un seul homme contre le Seigneur et contre son Christ. Ils ont dit: brisons leurs chaînes et rejetons leur joug bien loin de nous 1». Qu’ils ne dominent point sur nous, qu’ils ne nous assujettissent point au joug. « Celui qui habite les cieux se rira d’eux ». Tu étais son ennemi, tu seras sous ses pieds, ou adopté, ou vaincu par lui. Vois comment tu veux être sous les pieds du Seigneur ton Dieu, car tu y seras nécessairement, soit par le coup de sa grâce, soit par le coup de sa justice. Il est donc assis à la droite de Dieu, jusqu’à ce que ses ennemis soient placés sous ses pieds comme un escabeau. Voilà ce qui se fait, ce qui s’accomplit, peu à peu à la vérité, mais sans interruption. Que les nations frémissent, que les peuples tiennent de vains complots, que les rois de la terre se soulèvent, que les chefs des nations se rassemblent contre le Seigneur et contre son Christ; est-ce donc par ces frémissements, par ces vains complots, par ces soulèvements contre le Christ qu’ils empêcheront cette parole de s’accomplir: « Je vous donnerai les nations en héritage, et pour domaine les confins de la terre? » Cette parole s’accomplira donc en dépit de leur fureur, de leurs projets impuissants: « Je vous donnerai les nations en héritage, et votre domaine embrassera les confins de la terre ». Ils sont donc vains, tous leurs complots. Quant à l’accomplissement de celte promesse: « Je vous donnerai toutes les nations en héritage, et la terre entière pour domaine »; ce n’est point un homme sans portée, mais bien le Seigneur qui me l’a faite. De même, dans notre psaume, nous pouvons raisonner ainsi: « Il a dit », non point un homme quelconque, mais « c’est le Seigneur qui a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je fasse de vos ennemis
1.
Ps. II, 1-8.
un escabeau sous vos pieds ». Qu’ils frémissent, qu’ils trament de vains complots, qu’ils se soulèvent en tumulte, empêcheront-ils cette parole de s’accomplir? « Leur mémoire a péri avec le bruit». C’est un autre psaume qui l’a dit, mais non pas un autre esprit: « Leur mémoire périt avec le bruit, et le Seigneur demeure éternellement 1 ». Celui-là donc qui demeure éternellement, quand leur mémoire périt avec le bruit, celui-là « a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite ». Et voilà qu’il est assis à la droite de son Père, jusqu’à ce qu’il mette ses ennemis comme escabeau sous ses pieds.
10. Que dit ensuite le Prophète? « Le Seigneur fera sortir de Sion le sceptre de votre puissance 2 ». Il est de toute évidence, mes frères, que le Prophète ne parle point de ce règne que le Christ partage avec son Père, Seigneur de toutes choses qu’il a créées par lui. Quand n’a-t-il point régné, ce Verbe qui est Dieu et en Dieu dès le commencement? Il est dit en effet: « Au roi des siècles, au Dieu qui est l’immortel, l’invisible, l’unique, honneur et gloire dans les siècles des siècles 4. Au roi des siècles, honneur et gloire dans tous les siècles ». Quel est « ce roi des siècles, invisible, incorruptible? » Le Christ, parce qu’il est avec son Père, invisible, incorruptible; parce qu’il est Verbe de Dieu, Vertu de Dieu, Sagesse de Dieu, parce qu’il est Dieu et en Dieu, par qui tout a été fait, est le roi des siècles: mais, à le considérer dans cette oeuvre transitoire par laquelle il a bien voulu, au moyen de sa chair, nous appeler à l’éternité, son règne commence par les chrétiens, et ce règne sera sans fin. Ses ennemis sont donc l’escabeau de ses pieds, tandis qu’il est assis à la droite de son Père; ils y sont placés comme il est dit, cela se fait et s’accomplira absolument jusqu’à la fin. Qu’on ne vienne point nous dire qu’on ne mènera point à bonne fin ce qui est commencé. Pourquoi désespérer de cet accomplissement? C’est le Tout-Puissant qui a commencé, et le Tout-Puissant a promis d’accomplir ce qu’il a commencé. Par où a-t-il commencé? «Le Seigneur fera sortir de Sion le sceptre de votre puissance ». Cette Sion, c’est Jérusalem. Ecoute le Seigneur lui-même. «Il fallait que le Christ souffrît et ressuscitât le troisième jour 5 ».
1.
Ps. IX, 7, 8,— 2. Id. CIX, 2.— 3. Jean, I, 3.— 4. I Tim. I, 17.— 5. Luc, XXIV, 46.
C’est de là, qu’après sa résurrection, il s’est assis à la droite de son Père, où il était auparavant. Mais qu’arriva-t-il depuis qu’il est assis à la droite de Dieu? Par quel moyen ses ennemis sont-ils réduits à lui servir de marchepied? Ecoutez ce qu’il nous enseigne lui-même en nous l’exposant: « On prêchera en son nom la pénitence et la rémission des péchés dans toutes les nations, en commençant par Jérusalem 1»: car « le Seigneur fera sortir de Sion le sceptre de votre puissance ». « Le sceptre de votre puissance », c’est-à-dire le règne de votre force; « car vous les gouvernerez avec un sceptre de fer 2: le Seigneur le fera sortir de Sion », car « on commencera par Jérusalem ».
11. Qu’arrivera-t-il, quand le Seigneur aura fait sortir de Sion le sceptre de votre vertu? « Vous dominerez au milieu de vos ennemis 2». Tout d’abord « vous régnerez au milieu de vos ennemis », au milieu des nations frémissantes. Quand en effet les saints seront eu possession de leur gloire,et les méchants sous le coup de leur condamnation, est-ce encore au milieu de ses ennemis que régnera le Christ? Qu’y a-t-il d’étonnant qu’il domine alors, puisque les justes régneront avec lui, et que les impies seront dans les flammes éternelles? Commuent s’étonner qu’il règne alors? Maintenant donc c’est au milieu de vos ennemis, maintenant dans le cours des siècles qui passent, dans la reproduction et la succession de l’humaine mortalité, pendant que le temps s’écoule comme un torrent, votre sceptre est sorti de Sion pour établir votre domination sur vos ennemis. Régnez donc, oui régnez sur les païens, sur les Juifs, sur les hérétiques, sur les faux frères. Régnez, régnez, fils de David, Seigneur de David, régnez au milieu des païens, au milieu des Juifs, au milieu des faux frères. « Règnez au milieu de vos ennemis ». Nous ne comprenons ce verset qu’en le voyant s’accomplir dès maintenant. Asseyez-vous donc à la droite de Dieu, tenez-vous caché, afin que l’on croie en vous, jusqu’à ce que le temps des nations soit accompli. Car voici ce qui est écrit: « Le ciel devait le recevoir jusqu’à ce que fût accompli le temps des nations 4». Vous n’êtes mort que pour ressusciter, ressuscité que pour monter au ciel, monté au ciel que pour vous asseoir à la droite de Dieu; c’est donc pour vous asseoir à la droite de
1.
Luc, XXIV, 47.— 2. Ps. II, 9.— 3. Id. CIX, 2.— 4. Act. III, 21.
votre Père que vous êtes mort. La mort amène ainsi la résurrection, le résurrection l’ascension, et l’ascension vous fait asseoir à la droite de Dieu. Tout cela commence à la mort. Cette ineffable splendeur a pour base l’humilité. C’est donc pendant que vous siégez à la droite de votre Père, que s’accomplissent les temps des nations, et que vos ennemis sont l’escabeau de vos pieds: afin qu’un si grand ouvrage s’achève, dominez d’abord au milieu de vos ennemis. C’est pour cela en effet que « le Seigneur fera sortir de Sion le sceptre de votre puissance »; puisque c’est pour amener votre mort, et par votre mort effacer la cédule de nos péchés 1, afin que la pénitence et la rémission des fautes soit prêchée dans toutes les nations 2 à partir de Jérusalem; c’est pour cela que les Juifs sont tombés dans l’aveuglement. L’aveuglement des uns devient la lumière des autres. « L’aveuglement donc est tombé sur une partie d’Israël, afin que la plénitude des nations entrât, et qu’ainsi tout Israël fût sauvé 3 ». « Cet aveuglement sur une partie d’Israël » a causé votre mort; une fois mort vous êtes ressuscité, pour laver dans votre sang les péchés des nations; assis à la droite de votre Père, vous avez recueilli de toutes parts ceux qui souffraient et cherchaient en vous un refuge. « Donc l’aveuglement est tombé sur une partie d’Israël, jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât, et qu’ainsi tout Israël fût sauvé », et que tous vos ennemis fussent l’escabeau de vos pieds. Voilà ce qui s’accomplit aujourd’hui, que sera-ce plus tard?
12. « Avec vous est le commencement au jour de votre puissance 4 ». Quel est pour le Christ ce jour de sa puissance? Quand le commencement sera-t-il avec lui? Quel commencement, ou de quelle manière le commencement sera-t-il avec lui, puisqu’il est lui-même le commencement? Que Dieu me soit en aide, afin qu’il n’y ait rien d’obscur ni pour moi qui explique, ni pour vous qui écoutez. Je vois ce qui est déjà fait, je le vois avec vous des yeux de la foi: les yeux du corps me montrent ce qui se fait maintenant, et les yeux de la foi me font espérer dans l’avenir. Qu’est-ce donc qui est déjà fait? qu’est-ce qui s’accomplit maintenant? que doit-il arriver un jour? Le Christ a souffert, il est
1.
Coloss. II, 14. — 2. Luc, XXIV, 47. — 3. Rom. XI, 25. — 4.
Ps. CIX, 3.
mort, il est ressuscité le troisième jour, il est monté aux cieux, quarante jours après, comme nous savons, et il est assis à la droite de son Père. Voilà ce qui est accompli, ce que nous n’avons pas vu, mais ce que nous croyons. Qu’est-ce qui s’accomplit aujourd’hui? II domine au milieu de ses ennemis, depuis que le sceptre de sa puissance est sorti de Sion:
voilà pour le présent. Les serviteurs du Christ qui l’ont vu présent, ont vu la forme de l’esclave; les serviteurs y croient aujourd’hui qu’elle nous est dérobée. Au sujet de cette forme de l’esclave, nous croyons ce que nous en pouvons comprendre, tant que nous sommes serviteurs nous-mêmes. C’est le lait des petits enfants, qu’il proportionne à notre faiblesse, nous faisant passer le pain solide au moyen de la chair, Car ce pain des anges était au commencement le Verbe 1; et pour que l’homme pût manger le pain des anges 2, le Créateur s’est fait homme. C’est ainsi que le Verbe incarné s’est proportionné à notre faiblesse; car nous n’aurions pu le recevoir si le Fils égal à Dieu ne se fût humilié en prenant la forme de l’esclave, pour devenir semblable aux hommes, et être reconnu homme par tout ce qui paraissait de lui 3. Afin donc que nous pussions comprendre en quelque manière Celui que des mortels ne pouvaient comprendre, l’immortel est devenu mortel; afin que par sa mort il nous rendit immortels, et nous donnât ainsi quelque chose à considérer, quelque chose à croire, quelque chose à voir un jour. Il offre à nos regards la forme de l’esclave que nous pouvons non seulement voir des yeux, mais encore toucher de nos mains. Et quand cette forme s’éleva au ciel, il nous ordonna de croire ce qu’il avait fait voir aux disciples. Mais nous aussi nous avons de quoi voir. Pour eux ils ont vu le sceptre de la puissance qui sortait de Sion, et à nous il est accordé de le voir dominer au milieu de ses ennemis. Tout cela, mes frères, tient à l’économie de la forme d’esclave, que les esclaves tolèrent aujourd’hui, et qui aiguillonne l’amour de ceux qui seront un jour délivrés. Car c’est l’immuable vérité, qui est le Verbe de Dieu, Dieu en Dieu, par qui tout a été fait, qui renouvelle toutes choses en demeurant en elle-même 4. Pour voir cette Vérité, il nous faut une grande, une parfaite pureté
1.
Jean, I, 1.— 2. Ps. LXXVII, 25.— 3. Philipp. III, 6, 7. — 4. Sag. VII, 27.
de coeur, qui nous vient parla foi. Après nous avoir montré la forme de l’esclave, le Christ a différé de nous montrer la forme divine. Car en disant, dans cette même forme d’esclave, à ses serviteurs: « Celui qui m’aime, garde mes commandements, et celui qui m’aime, sera aimé de mon Père, et moi je l’aimerai, et me montrerai à lui 1», il leur promettait de se manifester à eux. Que voyaient-ils donc? Et lui, que promettait-il? Eux voyaient la forme de l’esclave, et lui, leur promettait de leur montrer la forme de Dieu. « Je me montrerai à lui », dit-il. Telle est la lumière à laquelle doit arriver ce royaume, qui se rassemble dans le cours des siècles il aboutit à cette ineffable vision que les impies ne mériteront point de partager. Du reste, quand la forme de l’esclave était ici-bas, elle fut vue des impies: les uns la virent pour croire au Christ, les autres la virent pour le mettre à mort. La voir n’était donc point un privilège, puisque ses amis et ses ennemis la voyaient également, quelques-uns qui la voyaient l’omit fait mourir, quelques autres qui ne la voyaient pas ont cru en lui. Cette forme donc de l’esclave qu’ont vue ici-bas dans son humilité les hommes pieux et les impies, les pieux et les impies la verront au jour du jugement. En effet, comme il montait au ciel en présence de ses disciples, la voix des anges se fit entendre, et leur dit: « Hommes de Galilée, pourquoi vous tenir là debout, en regardant le ciel? Ce même Jésus viendra un jour de la même manière que vous l’avez vu montant au ciel 2 ». Il viendra donc, il viendra dans cette même forme, dont il est dit que les impies «verront Celui qu’ils auront percé 3 ». Ils verront comme juge Celui qu’ils insultèrent quand il fut jugé. Cette forme donc de l’esclave sera au jugement visible pour le juste et pour l’injuste, pour le bon et pour le méchant, pour les fidèles et pour les incrédules. Qu’est-ce donc que ne verront pas les impies? Car ceux dont il est dit: « Ils verront Celui qu’ils ont percé », sont les mêmes dont il est dit aussi: « Qu’on bannisse l’impie, et qu’il ne voie point la clarté du Seigneur 4». Qu’est-ce que tout cela, mes frères? Examinons, discutons. Voilà qu’on aiguillonne l’impie afin qu’il voie; et qu’on bannit l’impie afin qu’il ne voie point. Ce qu’il doit voir, nous l’avons
1. Jean, XIV, 21.— 2. Act. I,
11.— 3. Zach. XII, 10. — 4. Isa. XXVI, 10.
montré dans cette forme dont il est dit: « C’est ainsi qu’il viendra 1 ». Qu’est-ce donc qu’il ne doit point voir? « C’est moi-même que je lui montrerai 2 ». Qu’est-ce à dire, « moi-même?» Non plus la forme de l’esclave. Qu’est-ce donc « moi -même? » Cette forme de Dieu, dans laquelle j’ai cru, sans usurpation, être égal à Dieu 3. Qu’est-ce que « moi-même?» « Nous sommes les enfants de Dieu, mes bien-aimés, et ce que nous serons un jour ne paraît point encore: nous savons que quand il apparaîtra, nous serons semblables à lui, puisque nous le verrons tel qu’il est 4 ». C’est là cette clarté de Dieu, lumière ineffable, source de lumière qui est sans changement, vérité sans défaut, sagesse demeurant en elle-même, quand elle renouvelle toutes choses 5. Telle est la substance de Dieu. L’impie sera donc banni afin qu’il ne voie pas la gloire du Seigneur. « Bienheureux les coeurs purs, parce qu’ils verront Dieu 6 ».
13. Il me semble donc, mes frères, autant que Dieu m’a fait capable de comprendre cette expression, qu’il s’agit ici du temps, si toutefois on peut l’appeler un temps, et néanmoins c’est dans le temps que nous devons arriver à ce point que le temps ne mesure plus; c’est de ce temps, me semble-t-il, qu’il est question ici, et toutefois, je parle sans préjudice de ce qu’un autre pourra dire de mieux, de plus clair, de plus probable: voilà, ce me semble, ce que signifie « Avec vous est le commencement, au jour de votre puissance ». Il me semble enfin que le verset suivant nous donne une clarté suffisante. Il est question en effet de cette puissance, qui a imposé le joug du Christ aux nations, qui les a mises sous ses pieds, non avec le fer, mais avec le bois; et bien que cela ait lieu dans sa chair, ait lieu dans son humilité, ait lieu même dans la forme de l’esclave; on comprend néanmoins quelle était l’étendue de cette force, car ce qui est faible en Dieu, est plus fort que tous les hommes 7. Comme il est donc ici question de cette force qui nous est signaléd par ces paroles: « Le Seigneur fera sortir de Sion le sceptre de votre puissance; dominez au milieu de vos ennemis »: et quelle force en effet que celle qui domine au milieu de ces ennemis frémissants contre lui d’une
1.
Act, I, 11. — 2. Jean, XIV, 25.— 3. Philipp. III, 6, 7.— 4. I Jean, III, 2. —
5. Sag. VII, 27. — 6. Matth. V, 8. — 7. I Cor, II, 25.
rage impuissante, et disant chaque jour: « Quand son nom périra-t-il 1? » tandis que sa gloire s’étend sur tous les peuples, que toutes les nations sont soumises à son nom, qu’à cette vue le pécheur frémit, grince les dents et sèche de dépit 2, comme c’est là, dis-je, l’effet de sa puissance, et que le Prophète veut nous signaler un autre effet de sa force, et envisager le Christ comme vertu de Dieu, comme sagesse de Dieu dans les rayons de celte lumière éternelle, de cette immuable vérité; vision a laquelle nous sommes réservés, vision maintenant différée, vision pour laquelle nous sommes purifiés par la foi, vision dont l’impie est exclu, parce qu’il ne verra point la splendeur du Seigneur; voilà pour quel motif le Prophète s’écrie: « Avec vous est le commencement au jour de votre puissance ». Qu’est-ce à dire: « Avec vous est le commencement? » Entendez par là ce qu’il vous plaira. Si vous entendez le Christ, il vaudrait mieux dire C’est vous qui êtes le commencement; et non: «Avec vous est le commencement ». Répondant aux Juifs, qui lui demandaient: « Qui êtes-vous? » « Je suis », dit-il, « le commencement, et c’est pour cela que je vous parle 3 ». Car le Père, de qui est engendré le Fils unique, est aussi le commencement, et c’est dans ce commencement qu’était le Verbe, parce que le Verbe était en Dieu 4. Quoi donc! si le Père est le commencement, si le Fils est le commencement, y a-t-il deux commencements? Loin de là. Si le Père est Dieu en effet, le Fils est Dieu aussi, et le Père et le Fils ne sont point deux dieux, mais un seul Dieu: de même le Père est commencement, le Fils est commencement, et le Père et le Fils ne sont point deux commencements, mais un seul principe. « Avec vous est le commencement ». Alors on verra de quelle manière le commencement est avec vous. Ce n’est pas que le commencement ne soit point avec vous ici-bas. N’avez-vous pas dit en effet: « Voilà que vous allez chacun de votre côté, et me laissez seul; mais je ne suis point seul, car mon Père est avec moi 5? » Ici-bas, donc, « avec vous est le principe ». Vous avez dit ailleurs aussi « C’est mon Père qui demeure en moi, fait ces oeuvres qui sont les siennes 6 ». Avec
1.
Ps. XL, 3.— 2. Id. CXI, 10.— 3. Jean, VIII, 25.— 4. Id. I, 1.—
5. Id. XVI, 32. — 6. Id. XIV, 10
vous est le principe, et le Père n’a jamais été séparé de vous. Mais quand il apparaîtra que le principe est avec vous, il se manifestera à tous ceux qui seront devenus semblables à vous, puisqu’ils vous verront tel que vous êtes 1. Philippe vous voyait réellement ici-bas, et néanmoins il voulait voir le Père 2. Alors on verra ce que l’on croit maintenant. Alors le commencement sera avec vous, sous les yeux des saints,sous les yeux des justes, et les impies seront bannis, afin qu’ils ne voient point la gloire du Seigneur.
14. Croyons donc maintenant, mes frères, ce que nous verrons alors. Car il fit un reproche à Philippe, de demander à voir le Père, et de ne point reconnaître le Père dans le Fils: « Depuis si longtemps que je suis avec vous, ne me reconnaissez-vous pas encore? Philippe, quiconque m’a vu a vu aussi mon Père 3 ». Mais seulement « celui qui me voit », non celui qui voit en moi la forme de l’esclave. « Quiconque dès lors m’a vu », tel que je me suis réservé pour ceux qui nie craignent, tel que je me dois montrer à ceux qui espèrent en moi 4, « a vu mon Père ». Mais comme cette vision est pour l’avenir, que devons-nous avoir en attendant? Voyons ce qu’il dit à Philippe. Après lui avoir dit « Celui qui me voit, voit aussi mon Père », comme si Philippe eût répondu en lui-même: Comment vous verrai-je, si l’on doit vous voir autrement que dans la forme de l’esclave? ou comment verrai-je le Père, moi, homme faible, cendre et poussière? se tournant alors vers lui, différant de se montrer à lui, et lui commandant la foi, après lui avoir dit: « Quiconque me voit, voit aussi mon Père »; parce que c’était là beaucoup pour Philippe, et qu’il était loin encore de voir le Père; « Ne croyez-vous pas», lui dit Jésus, « que je suis dans mon Père, et que mon Père est en moi 5? » Ce que tu ne saurais voir encore, crois-le, et mérite ainsi de le voir. Quand donc sera venu pour nous le temps de voir, alors nous verrons que « le commencement est avec vous, au jour de votre puissance ». « De votre puissance », et non de cette puissance qui a éclaté dans votre faiblesse, car il y avait là aussi une puissance, mais « au jour de votre vertu »; les hommes ont aussi leurs vertus dans la foi, l’espérance, la charité, les
1. 1 Jean, III, 2. — 2. Id. XIV,
8. — 3. Id. 9. — 4. Ps. XXX, 20.— 5. Jean,
XIV, 10.
bonnes oeuvres; mais ils doivent aller de vertu en vertu 1. « Avec vous est le principe», on vous verra avec le Père, dans le Père, comme le Père. « Avec vous est le principe au jour de votre vertu », de cette vertu que l’impie ne saurait voir. Car ce qui est faible en vous, est plus fort que tous les hommes 2; puisqu’en vous « est le principe au jour de votre force ».
15. Marquez-nous maintenant quelle est cette force; car ici, nous l’avons déjà vu, il a été question de cette puissance, quand sortait de Sion le sceptre de votre force, pour dominer au milieu de vos ennemis. De quelle vertu parlez-vous? « Dans la splendeur des saints ». Oui, dit-il, « dans la splendeur des saints». Il parle donc de sa vertu, quand les saints seront dans la splendeur, et non point tandis qu’ils traînent encore une chair terrestre dans un corps mortel, tandis qu’ils gémissent dans une corruption qui appesantit l’âme, et que cette habitation terrestre abaisse l’esprit malgré le nombre de ses pensées 3; comme les pensées nous sont invisibles, ce n’est point encore « dans la splendeur des saints».Qu’est-ce à dire, « dans la splendeur des saints?» « Jusqu’à ce que vienne le Seigneur qui doit éclairer les ténèbres les plus cachées, mettre à nu les pensées des coeurs, et alors chacun recevra de Dieu la louange qui lui est due 4 ». Telle est « la splendeur des saints », car « alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père ». Ecoutez donc ce que signifie «dans la splendeur des saints».«Viendra la moisson», dit le Sauveur, « viendra la fin du siècle; et le Père de famille enverra ses anges, et ils arracheront de son royaume tous les scandales qu’ils jetteront dans la fournaise du feu; alors les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père 5 ». Dans quel royaume? Voyez s’il nous est réservé une autre vision que celle dont il est
dit: « Avec vous est le principe ». Dans quel royaume? Assurément dans la vie éternelle. Car voici ce qu’il doit dire à ceux qui seront à sa droite: « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde 6 ». Puis, quand les impies seront damnés, séparés de ces justes qui auront reçu des louanges,
1.
Ps. LXXXIII, 8.— 2. I Cor. II, 25.— 3. Sag. IX, 15.— 4. I Cor. IV, 5. — 6. Matth. XIII, 39-43. — 7. Id. XXV, 34.
comment nomme-t-il ensuite ce qu’il avait appelé un royaume à recevoir? « Alors les impies iront dans les flammes éternelles, et les justes dans la vie éternelle 1». Ce qui est donc appelé « royaume », se nomme ici « vie éternelle » dont ne jouiront pas les impies. Voyez encore si cette vie éternelle ne consisterait pas dans une vision. « Or, la vie éternelle est de vous connaître, vous, le seul vrai Dieu, et Jésus-Christ que vous avez envoyé 2 ». Dès lors que « le commencement est avec vous au jour de votre puissance; le commencement sera donc avec vous au jour de votre puissance dans les splendeurs des saints ».
16. Mais ce bonheur est différé, cette gloire est pour l’avenir: qu’est-ce donc maintenant? « Je vous ai engendré de mes entrailles avant l’aurore ». Qu’est-ce à dire? Si Dieu a un Fils, a-t-il encore un sein? Il n’a ni sein ni corps charnels; et toutefois il est dit: « Celui qui est dans le sein du Père nous l’a raconté lui-même 3 ». Ces entrailles ont la même signification que le sein, et sein et entrailles désignent ici un lieu secret. Qu’est-ce à dire dès lors « de mon sein? » Du secret, du mystérieux, de ma substance, de moi-même: voilà ce que signifie « de mon sein »; « qui en effet racontera sa génération 4?» C’est donc ici le Père qui ditau Fils: « Je t’ai engendré de mon sein avant l’étoile du matin ». Qu’est-ce donc « avant l’étoile du matin? » Cette étoile est prise ici pour tous les astres, comme la partie se prend, dans l’Ecriture, pour le tout, et toutes les étoiles par la plus brillante. Mais pourquoi ces astres sont-ils créés? « Pour servir de signes, pour marquer les temps, les jours, les années 5». Si donc les astres sont des signes qui marquent les temps, et si l’étoile du matin désigne ici les astres, ce qui est avant cette étoile précède aussi les astres, et ce qui est avant les astres est encore avant les temps; et ce qui est avant les temps est donc de toute éternité: ne demandez plus quand; il n’y a point de quand dans l’éternité. Quand et quelquefois sont des expressions qui désignent le temps. Or, le Père n’est point né dans le temps, lui par qui les temps ont été faits. Le Prophète, comme il y était contraint, a donc eu recours à des expressions figuratives, prophétiques, a dit le sein pour désigner une substance mystérieuse, et
1. Matth. XXV, 46.— 2. Jean,
XVII, 3.— 3. Id. I, 18.— 4. Isa.
LIII, 8. — 5. Gen. X, 14.
Lucifer au lieu des temps. Voulez-vous recourir à David lui-même, qui appelle son fils son Seigneur? Pour parler ainsi, il a entendu son Seigneur même, il a entendu Celui qui ne saurait le tromper, et il l’a appelé son Seigneur, car « c’est le Seigneur », dit-il, « qui a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite ». C’est le Prophète qui parle, c’est en quelque sorte sa parole qui est écrite. Si donc c’est lui qui parle, il a pu dire sans doute: « Je t’ai engendré de mon sein avant l’étoile du matin ». Le sein de la Vierge, « tel est le sein d’où je t’ai tiré avant l’aurore ». Si cette Vierge en effet est issue de la race de David, sortir du sein de cette Vierge, c’est en quelque sorte sortir du sein de David. « Du sein » dont nul homme n’a jamais approché; « du sein », à proprement parler, puisque le Christ est seul, pour être né uniquement du sein d’une vierge. Aussi David, qui l’appelle son Seigneur, nous dit-il: « C’est du sein que je t’ai engendré avant l’étoile du matin ». Et cette expression, « avant Lucifer », nous est donnée comme un signe, comme une expression accomplie à la lettre. Car ce fut la nuit que le Seigneur sortit du chaste sein de la Vierge Marie 1, comme on le voit par le témoignage des bergers qui veillaient sur leurs troupeaux. « Je t’ai engendré du sein avant l’étoile du matin ». O vous, Seigneur mon Dieu, qui êtes assis à la droite de mon Seigneur, comment seriez-vous mon fils, si je ne vous avais engendré du « sein avant l’étoile du matin? »
17. Mais pourquoi est-il né? « Le Seigneur l’a juré, et ne s’en repentira point: Tu es prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédech 2 ». C’est pour être prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédech, que vous êtes sorti du sein avant l’étoile du matin. Naître du sein, c’est naître de la Vierge; avant l’étoile du matin, la nuit, comme l’atteste l’Evangile; c’est là sans aucun doute qu’il est sorti du sein, avant l’étoile du matin, pour être dans l’éternité prêtre, selon l’ordre de Melchisédech. Car, en le considérant comme engendré du Père, Dieu en Dieu, coéternel à celui qui l’engendre, il n’est point prêtre; mais il est prêtre à cause de cette chair qu’il s’est appropriée, de la mort qu’il a dû subir, et qu’il a acceptée afin de l’offrir pour nous. « Le Seigneur l’a donc juré». Quel est ce serment
1.
Luc, II, 7, 8. — 2. Ps. CIX, 4.
du Seigneur? Il jure donc, lui qui défend à l’homme de jurer 1? Ou peut-être n’a-t-il défendu à l’homme de jurer que pour lui éviter le parjure. tandis que Dieu peut jurer, lui qui ne saurait être parjure? Il est bon en effet d’interdire le serment à l’homme, que l’habitude du serment peut conduire au parjure; car l’homme est d’autant plus éloigné du parjure qu’il l’est du serment. L’homme qui jure, en effet, peut assurer le faux et le vrai; mais, celui qui ne jure point du tout, n’affirme rien de faux, puisqu’il ne fait aucun serment. Pourquoi donc le Seigneur ne jurerait-il point, puisque son serment ne saurait être que l’attestation de sa promesse? Qu’il jure, alors. Et toi, homme, que fais-tu dans ton serment? Tu prends Dieu à témoin; car c’est dans l’appel au témoignage de Dieu que consiste le serment, et le fâcheux serait d’appeler Dieu en témoignage d’une fausseté. Si donc jurer, pour toi, c’est en appeler au témoignage de Dieu, pourquoi Dieu, en jurant, n’en appellerait-il pas à lui-même? « Vive moi, dit le Seigneur», tel est le serment de Dieu. Ainsi jura-t-il quant à la postérité d’Abraham. « Vive moi, dit le Seigneur, parce que tu as entendu ma parole, et que tu n’as point épargné ton fils unique à cause de moi, je te bénirai et je multiplierai ta postérité comme les étoiles du ciel et comme le sable qui est au bord de la mer, et en ta race seront bénies toutes les nations 2». Or, la postérité d’Abraham c’est le Christ, et ce rejeton d’Abraham, prenant une chair dans la lignée d’Abraham, sera prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédech. C’est donc à propos de ce sacerdoce selon l’ordre de Melchisédech que le Seigneur a fait un serment dont il ne se repentira point. Qu’adviendra-t-il du sacerdoce selon l’ordre d’Aaron? Dieu a-t-il donc du repentir à la manière des hommes? lui arrive-t-il d’agir malgré lui, ou de tomber par surprise, et d’avoir ensuite àse repentir de sa faute? Dieu connaît ce qu’il fait, il sait jusqu’à quel point il s’avance; et comme il dirige souverainement, tout changement est en son pouvoir. Mais le repentir est un signe de changement; et de même qu’en toi le repentir est la douleur d’avoir agi comme tu l’as fait, de même Dieu du qu’il se repent quand il agit contre l’attente des hommes, c’est-à-dire quand il
1.
Matth. V, 34. — 2. Gen. XXII, 16-18.
change les événements d’une autre manière qu’ils ne se promettaient. C’est ainsi qu’il se repent de nos souffrances quand nous nous repentons de notre vie désordonnée. « Le Seigneur l’a donc juré », oui juré, assuré par serment; « et il ne s’en repentira point », son dessein ne changera point. Qu’a-t-il juré? « Vous êtes prêtre pour l’éternité ». Et pour l’éternité, parce qu’il ne se repentira point. Mais prêtre en quel sens? Est-ce pour offrir ces hosties, ces victimes qu’offraient les patriarches sur des autels ensanglantés? Est-ce encore le tabernacle, et tous ces rites de l’Ancien Testament? Loin de là. Rien de tout cela n’est plus, le temple est renversé, le sacerdoce détruit, il n’y a plus pour eux ni victimes ni sacrifice. Tout a cessé chez les Juifs. ils voient que le sacerdoce, selon l’ordre d’Aaron, n’est plus, et ils ne reconnaissent point le sacerdoce selon l’ordre de Melchisédech. « Vous êtes prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech ». C’est aux fidèles que je m’adresse. Si mes paroles sont intelligibles pour les catéchumènes, qu’ils sortent de leur négligence, et se hâtent de connaître. Il n’est donc pas besoin d’exposer nos mystères; c’est à l’Ecriture de vous dire ce qu’est le sacerdoce selon l’ordre de Melchisédech.
18. « Le Seigneur est à votre droite ». Le Seigneur avait dit: « Asseyez-vous à ma droite », et maintenant ce Seigneur est à la droite, comme si les places étaient changées. Ou plutôt ces paroles: « Le Seigneur l’a juré, et il ne s’en repentira point: Vous êtes prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédech », ne s’adresseraient-elles point au Christ? « Vous êtes prêtre pour l’éternité, le Seigneur l’a juré ». Quel Seigneur? Celui qui « a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite; celui-là en a fait serment: Vous êtes pour l’éternité prêtre selon l’ordre de Melchisédech »; et à ce même Seigneur qui a juré, s’adresserait alors cette parole: « Le Seigneur est à votre droite». O Seigneur, qui avez juré et qui avez dit: Vous êtes pour l’éternité prêtre selon l’ordre de Melchisédech; ce prêtre pour l’éternité, c’est le Seigneur qui est à votre droite; oui; ce même prêtre au sujet duquel vous avez fait serment,
« est le Seigneur à votre droite »; car c’est à ce même Seigneur que vous avez dit: « Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je
fasse de vos ennemis l’escabeau de vos pieds ». C’est ce même Seigneur qui est à votre droite, et au sujet duquel vous avez juré, et à qui vous avez juré en disant: «Vous êtes pour l’éternité prêtre selon l’ordre de Melchisédech »; c’est lui qui « brisera les rois au jour de sa colère». Ce Christ donc, ce Seigneur qui est à votre droite, à qui vous avez fait un serment sans repentir, que fait-il comme prêtre éternel? Que fait-il, lui qui est à la droite de Dieu, et qui intercède pour nous 1, qui entre comme prêtre dans l’intérieur, ou dans le Saint des saints, dans le secret des cieux, lui seul qui est sans péché, et qui dès lors nous purifie facilement de nos péchés 2? Ce Christ, à votre droite, « brisera les rois au jour de sa colère ». Quels rois, me diras-tu? As-tu donc oublié que: « Les rois de la terre se sont levés, que les princes se sont rassemblés contre le Seigneur et contre son Christ 3?» Tels sont les rois qu’il a brisés sous le poids de sa gloire, que le poids de son nom a réduits à la faiblesse, en sorte qu’ils ont échoué dans leur entreprise, ils ont tenté de gigantesques efforts pour effacer de la terre le nom chrétien, sans pouvoir y parvenir: « Quiconque, en effet, heurtera cette pierre, en sera brisé 4». C’est donc en se heurtant contre cette pierre de scandale, qu’ils se sont brisés, ces rois qui disent: Qui est le Christ? Je ne sais quel juif, ou quel galiléen, un supplicié, un homme mort sur la croix. Telle est la pierre, jetée devant tes pieds, comme un objet méprisable; tu viens t’y heurter avec dédain, et ce choc te renverse, et tu es brisé dans ta chute. Si donc telle est la colère du Christ, qui se tient caché, que sera-ce quand il se manifestera pour juger? Vous avez entendu sa colère, quand il se cache, car un psaume a pour titre: « Pour les secrets du Fils »; c’est le neuvième psaume, s’il m’en souvient bien, qui est intitulé: « Pour les secrets du Fils», et qui nous montre les effets secrets d’une colère qui se dérobe. Ils ont allumé la colère de Dieu, ceux qui viennent se heurter contre cette pierre, et s’y briser. Et à quoi viennent aboutir leurs meurtrissures? Ecoutez l’Evangile sur le jugement à venir: « Celui qui se heurtera contre la pierre, en sera brisé, elle écrasera celui sur qui elle tombera 5 ». Quand on heurte cette
1. Rom. VIII, 34. — 2. Hébr. IX, 12. — 3. Ps, II, 2. — 4. Matth. XXI, 44. — 5. Luc, XX, 18.
pierre, elle est en quelque sorte couchée à terre, et c’est alors qu’elle meurtrit; mais quand elle écrasera, elle tombera d’en haut. Voyez comme ces deux paroles, meurtrir et écraser, distinguent bien les temps, l’un de l’humilité, l’autre de la splendeur du Christ, l’un d’une peine secrète, l’autre du jugement à venir; on se meurtrit d’abord, puis la pierre écrase. Elle n’écrasera point à son avènement celui qu’elle n’aura point meurtri quand elle était couchée. Et cette expression couchée, signifie ici méprisable en apparence. Car le Christ est à la droite de Dieu, et du haut du ciel il poussa ce grand cri: « Saul, Saul, pourquoi me persécutez-vous 1? » Et toutefois il ne dirait pas du haut du ciel, où l’on ne saurait l’atteindre: « Pourquoi me persécuter? » s’il n’était assis dans le ciel, à la droite de son Père, de manière néanmoins à être encore en quelque sorte caché sur la terre. « Le Seigneur à votre droite brisera les rois au jour de sa colère ».
19. « Il jugera parmi les nations ». Maintenant il juge « dans le secret », alors son jugement se fera dans l’éclat. « Il jugera parmi les nations ». Maintenant s’accomplit cette parole: « Leur mémoire périt avec le bruit 2». Ainsi dit ce psaume « pour les secrets. Leur mémoire s’est éteinte avec le bruit, et le Seigneur demeure éternellement; il a préparé son trône pour le jugement, et il jugera l’univers entier dans l’équité ». C’est encore là qu’il est dit: « Vous avez menacé les nations, et l’impie a péri, et vous avez effacé son nom pour jamais »: voilà ce qui s’accomplit secrètement. « Au jour de sa vengeance il brisera les rois, quand il jugera parmi les nations ». Comment? Ecoute ce qui suit: « Il multipliera les ruines ». Maintenant son jugement chez les nations, par les ruines; mais quand il jugera au dernier jour, il condamnera les ruines. Aujourd’hui donc « il multiplie les ruines ». Quelles ruines? Celui qui craint au sujet de son nom tombera; et quand il sera tombé, il sera détruit dans ce qu’il était, afin d’être édifié en ce qu’il n’était point. « Il jugera parmi les nations, et multipliera les ruines ». O toi, qui t’élèves contre le Christ, tu as élevé dans les airs une tour qui tombera. Il te conviendrait mieux de t’abaisser, de devenir humble, de te prosterner aux pieds de
1. Act. IX, 4. — 2. Ps. IX, 6-9.
celui qui est assis à la droite de son Père, d’être en ruine, afin que Dieu te relève. Car en persistant dans cette élévation criminelle, tu seras jeté à terre, et l’on ne bâtira rien en toi. C’est en effet de ces hommes que l’Ecriture dit ailleurs: « Détruisez-les, et vous ne les reconstruirez plus ». Assurément le Prophète ne dirait point de quelques-uns: « Détruisez-les, et vous ne les reconstruirez plus 1»; si Dieu n’en détruisait d’autres pour les reconstruire. C’est ce qui a lieu maintenant, que le Christ juge parmi les nations, de manière à multiplier les ruines. « Il brisera sur la terre les têtes de plusieurs ». C’est ici, « sur la terre», en cette vie, qu’il brisera bien des têtes. Les orgueilleux,il les rend humbles; et j’ose le dire, mes frères, il est mieux de marcher ici-bas, humblement et la tête brisée, que de lever fièrement la tête pour tomber au jugement dans la mort éternelle. Il brisera bien des têtes, en faisant des ruines, mais il comblera ces ruines en réédifiant.
20. « Il boira en chemin l’eau du torrent, et pour cela relèvera la tête 2 ». Voyons comme il boit en chemin l’eau du torrent. D’abord qu’est-ce que le torrent? L’écoulement de la mortalité humaine. Un torrent se forme par les eaux des pluies, se gonfle, mugit, se précipite, et dans son impétuosité cesse de courir, c’est-à-dire achève sa course; tel est le cours de tout ce qui est mortel. L’homme naît, vit, et meurt, et quand celui-ci meurt, celui-là vient au monde; et après celui-là
1.
Ps. XXVII, 5.— 2. Id. CIX, 7.
d’autres viendront encore. Les hommes donc se succèdent, viennent, s’en vont, et ne demeurent point. Qu’est-ce qui demeure ici-bas? Qu’est-ce qui ne s’en va point? Qu’est-ce qui ne s’en va point dans l’abîme comme l’eau des pluies? Comme le fleuve, en effet, que forment tout à coup les pluies, les gouttes de rosée, se jette dans la mer et ne reparaît plus, et ne paraissait même point avant que la pluie l’eût formé; ainsi le genre humain se forme dans le secret de Dieu, puis s’écoule, puis rentre par la mort dans l’invisible; entre ces deux invisibles, il fait quelque bruit et passe. C’est donc à ce torrent qu’a bu le Christ, à ce torrent qu’il n’a pas dédaigné de boire. Boire à ce torrent, c’était pour lui, naître et mourir. La naissance et la mort, voilà tout ce torrent. Le Christ s’y est assujetti; il est né, et il est mort; c’est ainsi qu’il a bu en chemin l’eau du torrent. Il a bondi comme le géant, pour fournir sa carrière 1. Il a donc bu en chemin l’eau du torrent, parce qu’il ne s’est pas arrêté dans le chemin des pécheurs 2. Donc parce qu’il a bu l’eau du torrent il a élevé la tête: c’est-à-dire, parce qu’il a été humilié, parce qu’ « il a été soumis jusqu’à la mort, et la mort de la croix, voilà que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, et lui a donné un nom au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans le ciel, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confesse que Notre Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de Dieu son Père 3 ».
1.
Ps. XVIII, 6. — 2. Id. I,1.— 3. Philipp. II, 8-11.
SERMON AU PEUPLE.
L’Ancien Testament était le temps des promesses, le Nouveau est celui de l’accomplissement. Ces promesses toutefois ne sont point pour l’homme qui reste dans le péché, s’imaginant que Dieu ne prend aucun soin de nos actions, lui qui a compté nos cheveux. Le garant de ces promesses, c’est le Christ prophétisé dans notre psaume, comme Seigneur de David. Il est fils de David selon l’Evangile et selon saint Paul; et quand il passait sur le grand chemin, les aveugles, comprenant que ses actes comme fils de David sont transitoires, l’invoquèrent sous ce nom et virent la lumière. Il est Seigneur de David comme Verbe de Dieu, et Verbe fait chair pour nous donner l’espérance. Les Juifs pouvaient répondre que la Vierge doit mettre au monde Emmanuel, que cet Emmanuel est Seigneur de David, mais le fils de la vierge, fils de David. Ce Christ fils de David ayant été élevé en gloire, est devenu par là même Seigneur de David; et Dieu lui a donné nia nom au-dessus de tout nom. Voilà ce qu’il nous faut croire sans le comprendre, autrement notre foi n’aurait pas de mérite. Le principal péché des Juifs est de n’avoir point cru en lui; de là vient que leurs péchés subsistent, puisque nulle faute ne peut être effacée que par la foi au Christ; et comme l’objet de la foi doit être invisible, voilà que le Fils de Dieu s’est dérobé à nos regards par l’ascension, afin de former en nous la justice par la foi. Si nous ne voyons pas le Christ assis à la droite de son Père, nous voyons ses ennemis sous ses pieds, soit par le coup de sa justice, soit par le coup de sa miséricorde. En dépit des nations révoltées, le Seigneur les donnera à son Christ. C’est à partir de Sion que le Seigneur a commencé son règne par la prédication de l’Evangile. Il règne au milieu de ses ennemis, Juifs, infidèles, hérétiques, à qui l’on prêche la rémission des péchés, jusqu’à ce que toutes les nations soient entrées dans I’Eglise. Les disciples ont vu le Christ montant au ciel, nous le voyons régnant ssr tous les peuples. Quant à la forme de l’esclave, l’impie l’a vue, et il verra aussi celui qu’il a percé, mais non la forme divine. Alors nouas comprendrons que le principe est avec lui, Ou plutôt qu’il est en son Père, et sua Père en lui, quand les saints apparaîtront dans leur gloire pour la vie éternelle. Aujourd’hui nous croyons au Christ que Dieu engendre dans le secret de sa gloire, et avant le temps. David pouvait dire aussi: je vous ai engendré du sein de la vierge, et pendant la nuit que bénirent les bergers. Le Christ ne peut être prêtre que selon l’ordre de Melchisédech, puisque le sacerdoce d’Aaron a cessé avec le temple et l’holocauste. Le Seigneur à votre droite, et le prêtre à la droite de son Père; il doit briser sur la terre les têtes rebelles et orgueilleuses, car il est la pierre de Sion écrasant tout incrédule. Maintenant il juge, mais sans éclat; au dernier jour, il jugera ostensiblement; il ruine aujourd’hui ce qui est du vieil homme, pour le réédifier dans la gloire; et lui qui a bu l’eau du torrent par une vie rapide, relèvera la tête dans sa splendeur.
l. Autant que nous le permettra le Seigneur, qui nous a établi ministre de sa parole et de ses sacrements pour vous servir dans l’effusion de sa miséricorde; avec le secours de ce même Dieu, qui vous rend si attentifs et qui voudra bien nous en rendre capable, nous entreprenons de sonder et de vous exposer le psaume que nous venons de chanter. li contient peu de paroles, mais on y trouve de grandes pensées. Que votre âme soit donc toujours fervente et en éveil devant Dieu, qui a ses temps pour faire des promesses, et ses temps aussi pour les accomplir. Le temps des promesses était celui des Prophètes jusqu’à Jean-Baptiste; depuis Jean-Baptiste jusqu’à la fin, c’est le temps de les accomplir. C’est un Dieu fidèle qui veut bien se constituer notre débiteur, non point qu’il reçoive quelque chose de nous, mais bien parce qu’il nous tait de si grandes promesses. C’était peu pour lui que la promesse, il a voulu la faire écrire; il nous a fait en quelque sorte le billet de ses
promesses, afin que quand il viendrait à les accomplir, nous pussions voir dans ces mêmes écrits l’ordre qu’il devait garder. Le temps de la prophétie était donc, nous l’avons dit souvent, le temps des promesses. Dieu nous a promis la vie éternelle, la vie bienheureuse et sans fin avec les anges, l’héritage incorruptible, la gloire toujours durable, la douce contemplation de sa face, la demeure dans les tabernacles célestes, la résurrection d’entre les morts, sans craindre la mort désormais. Telle est, en quelque sorte, la promesse finale, où tendent nos désirs; et quand nous y serons arrivés, nous n’aurons plus rien à demander, plus rien à désirer. Mais Dieu, en faisant ces promesses, a daigné nous préciser dans quel ordre nous pourrons y arriver. Il a promis aux hommes la divinité, à de simples mortels l’immortalité, à des pécheurs la justification, et aux humiliés la gloire. Toutes ces promesses, il les a faites àdes indignes, afin ne ses promesses ne
parussent point la récompense des oeuvres, mais bien une grâce accordée gratuitement, comme l’indique son nom. Vivre en effet dans la justice, autant qu’un homme peut vivre de la sorte, ce n’est point l’effet de son mérite, mais d’un bienfait de Dieu. Car nul ne mène une vie juste, s’il n’a été justifié, c’est-à-dire fait juste; et l’homme ne peut devenir juste que par Celui qui ne peut être injuste. De même qu’une lampe ne saurait s’allumer elle-même, ainsi l’âme de l’homme ne saurait se donner la lumière; mais elle crie au Seigneur: « C’est vous, ô Dieu, qui ferez luire ma lampe 1 ».
2. Lorsqu’on promet donc le royaume des cieux aux pécheurs, ce n’est point à ceux qui demeurent dans le péché, mais à ceux qui sont délivrés du péché, pour servir dans la justice; et, pour cela, il leur faut, avons-nous dit, le secours de la grâce c’est celui qui est toujours juste qui les justifie. Il semblait néanmoins incroyable que Dieu eût tant de bonté pour les hommes, et aujourd’hui, ceux qui désespèrent de la grâce divine, ceux qui ne veulent point quitter leur vie dépravée et se tourner vers Dieu, et recevoir de lui la justification, afin que, leurs péchés une fois couverts du pardon, ils puissent commencer une vie juste en Celui qui n’a jamais vécu dans l’injustice; ceux-là, dis-je, s’entretiennent dans la corruption par cette funeste pensée qui leur fait dire que Dieu n’a aucun souci des choses humaines, et que Celui qui a créé le monde, qui le dirige, ne peut considérer quelle est ici-bas la vie d’un mortel. Ainsi l’homme fait par Dieu, s’imagine qu’il échappe à l’oeil de Dieu. S’il nous était permis de nous adresser à cet. homme; si notre parole pouvait atteindre son oreille d’abord et ensuite son coeur; si son obstination ne décourageait point celui qui le cherche, tout perdu qu’il est; s’il se laissait retrouver, nous pourrions lui dire: O homme, comment Dieu te négligerait-il, maintenant que tu es créé, lui qui a pris soin de te créer? Pourquoi t’imaginer que tu n’es point au rang des créatures? Loin de toi toute séduction t Tes cheveux sont comptés par le Créateur 2. Telle est, en effet, la parole que Jésus donnait à ses Apôtres, dans l’Evangile, les rassurant contre la crainte de la mort, et leur ôtant la pensée que rien d’eux pût périr par la mort. Ils redoutaient la
2.
Ps. XVII, 29.— 3. Matth. X, 30.
mort pour leur âme, et il les rassure à propos du moindre de leurs cheveux. L’âme, en effet, peut-elle périr, quand un cheveu ne périt point? Toutefois, mes frères, comme il paraissait incroyable que Dieu pût accomplir ce qu’il promettait aux hommes, de les tirer de cette mortalité, de cette abjecte corruption, de cette faiblesse, de la cendre et de la poussière, pour les égaler aux anges de Dieu, non seulement le Seigneur leur a donné en garantie les saintes Ecritures, mais il leur a donné, pour médiateur de sa promesse, non plus un prince quelconque, non plus un ange, ou un archange, mais son Fils unique, afin de nous montrer et de nous donner, en la personne de ce même Fils, cette voie par laquelle il doit nous conduire à la fin qu’il nous promet. C’était peu, en effet, pour Dieu, de nous donner son Fils pour guide; il en a fait la voie elle-même, afin que nous puissions aller à Celui qui nous conduit, et marcher en lui.
3. Il nous adonc promis que nous arriverions à lui, c’est-à-dire à cette ineffable immortalité, à l’égalité avec les anges: combien nous en étions éloignés! Quelle élévation en lui! quelle bassesse en nous! Quelle supériorité en lui! et, en nous, quelle abjection profonde et désespérante! Nous étions dans une langueur mortelle, sans pouvoir guérir: Dieu nous a envoyé un médecin que le malade ne connaissait point: « Car s’ils l’eussent connu, ils n’eussent jamais crucifié le Seigneur de la gloire 1». Mais ce qui a servi à la guérison, c’est que le malade ait tué son médecin. Il était venu pour visiter ce malade, on l’a fait mourir, afin qu’il donnât la guérison. Il fit comprendre à ses fidèles qu’il était Dieu et homme; Dieu par qui nous avons été formés, homme par qui nous sommes reformés. Autre était ce qui paraissait en lui, et autre ce qui était caché; et ce qui était caché était bien supérieur à ce que l’on voyait; mais ce qui était supérieur demeurait invisible. Le malade était guéri par ce qu’ily avait de visible, afin qu’il devînt capable de voir celui qui se dérobait un instant, mais qui ne devait point se refuser à jamais. Que le Fils unique de Dieu viendrait chez les hommes, qu’il prendrait notre chair, qu’il deviendrait homme par cette chair qu’il aurait prise, qu’il mourrait, qu’il ressusciterait,
1. I
Cor, II, 8.
qu’il monterait au ciel pour s’asseoir à la droite de son Père, accomplissant ainsi ses promesses à l’égard des Gentils, et qu’après l’accomplissement de ses promesses à l’égard des Gentils, il exécuterait encore ce qu’il avait dit; qu’il viendrait, et se ferait rendre compte de ses grâces, afin de faire le discernement des vases de colère, et des vases de miséricorde, pour accomplir ses menaces à l’égard de l’un pie, ses promesses à l’égard du juste voilà ce qu’il fallait prophétiser, ce qu’il fallait annoncer, l’avènement qu’on devait prêcher, afin qu’il ne causât aux hommes ni frayeur ni surprise, mais qu’il fût attendu avec foi. Parmi ces promesses, il faut compter notre psaume, qui annonce Jésus-Christ Notre Seigneur d’une manière claire et évidente; en sorte qu’il est indubitable pour nous que ce psaume est une prophétie du Christ, car nous sommes chrétiens, et nous en croyons à l’Evangile. Un jour que le Seigneur et Sauveur Jésus-Christ demandait aux Juifs de qui, selon eux, le Christ était fils, et qu’ils répondaient de David; il leur répliqua aussitôt « Comment donc David nous dit-il par l’Esprit-Saint: Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à s ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied? Si donc David, parlant par e l’Esprit-Saint, l’appelle son Seigneur, comment est-il son Fils 1?» C’est par ce verset même que commence le psaume.
4. « Le Seigneur a dit à mon Seigneur: « Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied 2 ». C’est donc par cette question que pose aux Juifs Notre Seigneur, qu’il nous faut commencer l’explication du psaume. Que l’on nous demande en effet si nous confirmons, ou si nous contredisons la réponse des Juifs; loin de nous de la contredire. Si l’on nous demande: Le Christ est-il filé de David, ou ne l’est-il point? Répondre non, c’est contredire l’Evangile; car saint Matthieu commence de cette manière le récit évangélique: « Livre de la génération de Jésus-Christ, fils de David 3 ». L’Evangéliste proclame donc qu’il écrit le livre de la génération de Jésus-Christ, fils de David, Les Juifs eurent donc raison de répondre au Christ, qui leur demandait de qui ils croyaient que le Christ était fils, que c’était de David. Cette
1.
Matth. XXII, 42-45. — 2. Ps. CIX, 1 — 3. Matth. I, 1.
réponse est d’accord avec l’Evangile. C’est ce qu’établit non seulement l’opinion des Juifs, mais la foi des chrétiens. Je trouve aussi d’autres preuves. L’Apôtre dit de Jésus-Christ qu’ « il est né, selon la chair, de la race de David 1 »; et, s’adressant à Timothée: «Souvenez-vous »,lui dit-il, « que Jésus-Christ de la race de David est ressuscité des morts, selon l’Evangile que je prêche ». Et que dit-il à propos de cet Evangile? « Pour lequel je souffre jusqu’à être chargé de chaînes, comme un malfaiteur; mais la parole de Dieu n’est point enchaînée 2 », L’Apôtre souffrait donc jusqu’à être chargé de chaînes pour son Evangile, c’est-à-dire pour la dispensation de cet Evangile qu’il prêchait aux peuples, qu’il répandait parmi les nations. Lui qui le matin avait enlevé les dépouilles, et le soir partagé le butin 3, souffrait donc jusqu’à être enchaîné pour la bonne nouvelle. Quelle bonne nouvelle? « Que le Christ, fils de « David, est ressuscité d’entre les morts ».C’est pour cette nouvelle que souffrait l’Apôtre, et néanmoins c’est à ce sujet que le Sauveur interrogeait les Juifs; et quand ils répondaient ce que prêchait l’Apôtre, il releva cette réponse comme pour la contredire: « Comment donc David, parlant dans l’Esprit de Dieu, l’appelle-t-il son Seigneur? » Et il cita en preuve cet endroit du psaume: « Le Seigneur a dit à mon Seigneur. Si donc, dans l’Esprit de Dieu, il l’appelle son Seigneur, comment est-il son fils? » Cette question imposa silence aux Juifs: ils ne trouvèrent aucune réponse, mais ils ne cherchèrent point à l’avoir pour Seigneur, parce qu’ils ne le reconnaissaient point pour le fils de David. Pour nous, mes frères, croyons et parlons: « Car c’est dans le coeur qu’est la foi qui justifie, et dans la bouche la confession qui sauve 4 ». Croyons, dis-je, et proclamons que le Christ est fils de David et Seigneur de David. N’allons point rougir du fils de David, afin de n’irriter point le Seigneur de David.
5. C’est de ce nom que l’appelèrent, quand il passait, ces aveugles qui méritèrent de recouvrer la vue. Jésus passait, et ces aveugles qui entendaient passer une troupe, connurent de l’oreille Celui qu’ils ne pouvaient voir des yeux, et poussèrent de grands cris en disant:
«
Ayez pitié de nous, fils de David 5». Or, la
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Rom. I, 3.— 2. II Tim. II, 8, 9.— 3. Gen,
XLIX, 27.— 4. Rom, X, 10. — 5. Matth. XX, 29-34.
foule les menaçait pour les fajre taire; et eux, néanmoins, dans leur désir de voir le jour, surmontant les contradictions de la foule, continuaient de crier; ils retinrent celui qui passait, et méritèrent qu’il les touchât et leur rendît la vue. « Ayez pitié de nous, fils de David », criaient-ils à celui qui passait, et il s’arrêta; et comme ils dominaient l’opposition du peuple: « Que voulez-vous que je vous fasse?» leur dit-il. Et eux: « Seigneur, faites que nous voyions ». Il toucha leurs yeux qu’il ouvrit, et ils virent présent celui qu’ils avaient entendu passer. Il y a donc des oeuvres que le Seigneur fait en passant, d’autres qui sont plus stables. Oui, dis-je, parmi les oeuvres du Seigneur, les unes sont transitoires, les autres stables. L’oeuvre passagère du Seigneur, est l’enfantement de la Vierge, l’incarnation du Verbe, l’accroissement des années, les miracles visibles, les souffrances de sa passion, sa mort, sa résurrection, son ascension au ciel; tout cela fut transitoire. Car aujourd’hui il n’y a plus pour le Christ, ni naissance, ni mort, ni résurrection, ni ascension au ciel. Ne comprenez-vous pas que tous ces faits sont accomplis, ont eu leur temps, et ont montré à ceux qui voyagent ici-bas, quelque chose qui s’en va, afin qu’ils ne demeurassent point en chemin, mais qu’ils courussent vers la patrie? Enfin ces aveugles étaient assis près du chemin, c’est là qu’ils entendirent le passant divin, et l’arrêtèrent par leurs cris. C’est donc dans la voie de ce siècle que le Seigneur a fait quelque chose de passager, et cet acte passager est l’oeuvre du Fils de David. De là vient qu’à son passage, ils s’écrièrent: « Ayez pitié de nous, Fils de David». Comme s’ils disaient: Nous reconnaissons dans celui qui passe le Fils de David; ce passage nous fait comprendre qu’il a été Fils de David. Reconnaissons donc, nous aussi, et proclamons qu’il est Fils de David, afin de mériter qu’il nous éclaire. Nous sentons dans Celui qui passe le Fils de David: puisse le Seigneur de David nous éclairer!
6. Voilà donc le divin Maître qui interroge les Juifs, et ils ne répondent point, parce qu’ils ne veulent pas être ses disciples; si maintenant il nous interrogeait, que répondrions-nous? Cette interrogation mit les Juifs en défaut, qu’elle profite aux chrétiens; loin de se troubler, qu’ils s’instruisent. Ce n’est point pour s’instruire que le Seigneur nous interroge, mais il interroge en docteur. Ces malheureux Juifs devaient lui répondre, c’est à vous de nous l’apprendre. Ils aimèrent mieux se taire dans un dépit orgueilleux, que s’instruire par une humble confession. Que le Maître nous parle donc, et voyons ce que nous répondrons à cette question. « Que vous semble-t-il du Christ? De qui est-il Fils? » Répondons ce que répondirent les Juifs, mais sans nous arrêter où ils s’arrêtèrent. Rappelons-nous cet Evangile que nous croyons. « Livre de la génération de Jésus-Christ, Fils de David 1 ». Que la question que l’on nous adresse ne nous fasse point oublier que le Christ est Fils de David, ainsi que nous le rappelle saint Paul. Courage donc, ô chrétien; « souviens-toi que le Christ Jésus, Fils de David, est ressuscité d’entre les morts 2 ». Que l’on nous interroge donc, et répondons. « Que vous semble-t-il du Christ? De qui est-il Fils?» Que toutes les bouches chrétiennes redisent eu plein accord: « De David ». Que le Maître continue, et nous dise: « Comment donc David, parlant par l’Esprit-Saint, l’appelle-t-il son Seigneur? Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite jusqu’à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied ».Comment pourrons-nous répondre, si vous ne nous l’apprenez? Maintenant que nous l’avons appris, nous disons: « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu; toutes choses ont été faites par vous ». Voilà le Seigneur de David. Mais à cause de l’infirmité de notre chair, parce que nous n’étions qu’une chair sans espoir: «Le Verbe s’est fait chair et a demeuré parmi nous»; voilà le Fils de David. Assurément, Seigneur, ayant la nature divine, vous n’avez pas cru qu’il y eût usurpation à vous dire semblable à Dieu; aussi êtes-vous le Seigneur de David; mais, vous vous êtes abaissé jusqu’à prendre la forme de l’esclave 3: voilà le Fils de David. Aussi, dans votre question, quand vous demandez: « Comment est-il son Fils? » vous n’avez point nié que vous fussiez son Fils, mais seulement demandé comment cela pouvait se faire. David l’appelle son Seigneur,dites-vous; de quelle manière donc est il son Fils? Sans le nier, je vous demande comment, pour eux, avec cette Ecriture qu’ils lisaient sans la comprendre, s’ils eussent voulu à cette
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Math. I, 1. — 2. II Tim. II, 8.— 3. Philipp. II, 7.
demande se rappeler cette manière, ils eussent répondu: Pourquoi nous interroger? « Voilà que la Vierge concevra et mettra au monde un fils, et on lui donnera le nom d’Emmanuel, ce qui signifie: Dieu avec nous 1 ». Donc, la Vierge concevra, et cette Vierge, de la race de David, mettra au monde un fils, qui sera Fils de David. Car Joseph et Marie étaient de la maison, et de la famille de David 2. Donc, cette Vierge enfanta, en sorte que son Fils est le Fils de David. Mais au Fils qu’elle a mis au monde, « on donnera le nom d’Emmanuel, ou Dieu avec nous ». Voilà comment nous avons le Seigneur de David.
7. Peut-être ce psaume lui-même nous dira-t-il en quelque manière comment le Christ est fils de David, et Seigneur de David. Ecoutons-le donc et développons-en les mystères; frappons avec piété, arrachons par la charité, David lui-même nous le dit donc, et il ne lui était pas permis de contredire son Seigneur: « David, parlant par l’Esprit-Saint, nous dit qu’il est son Seigneur ». Que dit David à propos du Christ? Car le psaume est à David lui-même. C’est là tout le titre, sans embarras de figure, sans aucune difficulté. Que dit donc David? « Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que j’aie fait de vos ennemis l’escabeau de vos pieds». Qu’est-ce à dire: «L’escabeau de vos pieds?» C’est-à-dire qu’ils seront sous vos pieds, car c’est sous les pieds que l’on met l’escabeau des pieds. « Le Seigneur », dit le Prophète, « a dit à mon Seigneur ». Voilà ce que David a entendu, et il l’a entendu en esprit. Où et quand l’a-t-il entendu, c’est ce que nous ne savons pas; mais nous le croyons quand il dit et écrit qu’il a entendu. Il l’a donc entendu certainement, il l’a entendu dans quelque sanctuaire de la vérité, dans quelque figure mystérieuse, où tous les Prophètes ont ouï dans le secret ce qu’ils ont divulgué au grand jour; c’est là que David a entendu ce qu’il proclame avec une grande confiance: « Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Asseyez- vous à ma droite jusqu’à ce que je vous fasse un marchepied de vos ennemis ». Nous savons que, après la résurrection, le Christ monta au ciel pour s’asseoir à la droite de Dieu. C’est là un fait; nous ne l’avons pas
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Ps. VII, 14; Matth. I, 23.— 2. Luc, II, 27, 32; II,4,5.
vu, mais nous le croyons: nous l’avons lu dans les Livres saints, nous l’avons entendu prêcher, nous y adhérons par la foi. Mais dès lors que le Christ était fils de David, il était aussi Seigneur de David. Car ce qui est né de la race de David, a été élevé en gloire au point d’être Seigneur de David. Mes paroles vous étonnent, comme si cela était sans exemple parmi les hommes. S’il arrivait que le fils d’un particulier devînt un roi, ne serait-il pas le Seigneur de son père? Chose plus étonnante encore! ne peut-il pas se faire non seulement que le fils d’un particulier devienne roi, et ainsi seigneur de son père; mais que le fils d’un laïque devienne évêque, et alors père de son père? Donc le Christ, en prenant une chair, en mourant dans cette chair, pour ressusciter également avec cette chair, puis monter aux cieux, et s’asseoir à la droite de son Père, est devenu dans cette même chair, ainsi élevée, ainsi glorifiée, ainsi transformée dans une splendeur toute céleste, et fils de David, et Seigneur de David. C’est au point de vue de ces transfigurations du Christ, que l’Apôtre a dit aussi: « C’est pourquoi Dieu l’a ressuscité des morts, et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans le ciel,sur la terre et dans les enfers 1». « Dieu », dit l’écrivain sacré, « lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom », c’est-à-dire au Christ devenu homme, au Christ qui est mort selon la chair, qui est ressuscité, monté aux cieux. « Dieu lui a donné un nom supérieur à tout nom, en sorte qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans le ciel, sur la terre et dans les enfers ». Où donc sera David, pour que le Christ ne soit point son Seigneur? Qu’il soit dans le ciel, qu’il soit sur la terre, qu’il soit dans les enfers, il aura toujours pour Seigneur celui qui est Seigneur du ciel, de la terre et des enfers. Que David se réjouisse donc avec nous, lui que relève la naissance d’un tel fils, et qui est délivré par un tel Seigneur; qu’il dise dans sa joie, et qu’on écoute avec les mêmes ravissements: « Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je vous fasse de vos ennemis un marche pied».
8. « Asseyez-vous », non seulement sur une éminence, mais aussi dans le secret: en haut
1.
Philipp. II, 9, 10.
pour la domination, dans le secret pour stimuler la foi. Quelle récompense mériterait la foi, si l’objet de la foi n’était caché? Or, la récompense de la foi sera de voir celui en qui nous avons cru avant de le voir. Mais, comme l’a dit l’Ecriture: « Le juste vit de la foi 1». Il n’y aurait donc aucune justice dans la foi, si l’objet que l’on nous prêche et que nous croyons n’était invisible, et si la foi ne nous méritait de le voir. « Quelle ineffable douceur, ô mon Dieu, vous avez cachée pour « ceux qui vous craignent! » Donc vous l’avez cachée, en sont-ils demeurés privés? Loin de là, « elle est parfaite pour ceux qui espèrent en vous 2 ». Ce mystère admirable du Christ, assis à la droite de Dieu, a donc été caché afin d’être l’objet de la foi; il nous a été dérobé afin de stimuler notre espérance. « Nous sommes, en effet, sauvés par l’espérance. Or, l’espérance que l’on voit n’est pas une espérance; comment espérer ce que l’on voit? » Ainsi, dit l’Apôtre, vous le connaissez, je vous le rappelle seulement. Que dit donc l’Apôtre? « C’est l’espérance qui nous sauve »,dit-il; «or, l’espérance qu’on verrait ne serait pas une espérance. Comment espérer ce que l’on voit déjà? Si nous espérons ce que nous n’avons pas encore, nous l’attendons par la patience 3 ». Comme donc l’espérance qu’on verrait ne serait plus espérance, «Vous avez caché votre douceur à ceux qui vous craignent. Car nous espérons ce que nous ne voyons pas, et nous l’attendons par la patience: vous l’avez rendue parfaite pour ceux qui vous craignent». Enfin, mes frères, écoutez attentivement ce que je vais vous dire: c’est que notre justice nous vient de la foi, que la foi purifie nos coeurs, afin que nous puissions voir ce que nous aurons cru. L’un et l’autre nous est enseigné: « Bienheureux les coeurs purs, parce qu’ils verront Dieu 4 »; et encore: « C’est par la foi qu’il purifie leurs coeurs 5 ». Comme donc la justice de la foi consiste à croire ce que l’on ne voit pas, afin que le mérite de la foi nous conduise à la claire vue quand le temps sera venu: le Seigneur, en promettant l’Esprit-Saint, nous dit dans l’Evangile: « Il convaincra le monde de péché, de justice et de jugement 6». De quel péché? de quelle justice? de quel jugement?
1. Rom. II, 17. — 2. Ps. XXX, 20. — 3. Rom. VII, 24,25.— 4.
Matth. V, 8.— 5. Act. XV, 9.— 6. Jean, XVI, 9.
Le Seigneur nous l’explique aussitôt, et n’admet point les conjectures des hommes. « Du péché», dit-il, « parce qu’ils n’ont point cru en moi 1 ». Combien d’autres péchés avaient encore les Juifs? Et néanmoins, comme s’ils n’avaient que celui-là, le Seigneur dit qu’«il les convaincra de péché, parce qu’ils n’ont pas cru en lui ». Tel est le péché dont il a dit ailleurs: « Si je n’étais pas venu, ils n’auraient aucune faute 2».Qu’est-ce à dire: « Si je n’étais pas venu, ils n’auraient aucune faute?» En venant donc vers les justes, ô Dieu, en avez-vous fait des pécheurs? Le Seigneur semble ici omettre tous les péchés dont on peut obtenir la rémission par la foi, et ne désigne que ce péché, sans lequel tous les autres seraient remis. «De péché », nous dit-il, « parce qu’ils n’ont pas cru en moi ». Et ailleurs: « Si je n’étais pas venu, ils n’auraient aucun péché ». Par cela même qu’il est venu, en effet, et qu’ils n’ont point cru en lui, ils sont tombés dans le péché; et s’ils n’étaient tombés dans ce péché, tous les autres eussent pu leur être pardonnés, effacés par ce pardon que leur eût obtenu la foi. « De péché donc, parce qu’ils n’ont pas cru en moi; de la justice, parce que je vais à mon Père, et que désormais vous ne me verrez plus 3 ». Telle est donc la justice, ô Dieu, que vous alliez à votre Père, et que désormais vos disciples ne vous verront plus. Telle est la justice qui vient de la foi. « Car c’est de la foi que vit le juste 4 »; et il vit de la foi, précisément quand il ne voit point ce qu’il croit. Comme donc c’est la vie de la foi qui nous justifie, et que nul ne vit de la foi que quand il ne voit point ce qu’il croit; afin de former cette justice parmi les hommes, c’est-à-dire de les porter à croire ce qu’ils ne voient point, le Saint-Esprit, dit le Sauveur, convaincra les hotu mes de la justice, « parce que je vais à mon Père, et que désormais vous ne me verrez plus ». Comme s’il disait: La justice pour vous consistera à croire en Celui que vous ne voyez point, afin que, purifiés par la foi, vous puissiez voir au jour de la résurrection celui en qui vous croyez.
9. Donc le Christ est assis à la droite de Dieu, le Fils est invisible à la droite du Père. Croyons en lui. Le Prophète nous annonce en effet deux choses, et que Dieu a dit: « Asseyez-vous à ma droite »; et qu’il ajoute: «Jusqu’à ce que
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Jean, XVI, 9.— 2. Id. XV, 22.— 3. Id. XVI, 8-10.— 4. Rom. I, 17.
je fasse de vos ennemis l’escabeau de vos pieds », c’est-à-dire qu’ils soient sous vos pieds. Tu ne vois pas le Christ assis à la droite du Père, mais tu peux déjà voir comment ses ennemis lui sont un marchepied. Quand un point est si visiblement accompli, crois à celui qui demeure caché. Quels ennemis sont mis sous ses pieds? Ceux qui méditaient des choses vaines, et à qui il est dit: « Pourquoi ces frémissements des nations, et ces vains complots des peuples? Les rois de la terre sont debout, les princes se sont rassemblés comme un seul homme contre le Seigneur et contre son Christ. Ils ont dit: brisons leurs chaînes et rejetons leur joug bien loin de nous 1». Qu’ils ne dominent point sur nous, qu’ils ne nous assujettissent point au joug. « Celui qui habite les cieux se rira d’eux ». Tu étais son ennemi, tu seras sous ses pieds, ou adopté, ou vaincu par lui. Vois comment tu veux être sous les pieds du Seigneur ton Dieu, car tu y seras nécessairement, soit par le coup de sa grâce, soit par le coup de sa justice. Il est donc assis à la droite de Dieu, jusqu’à ce que ses ennemis soient placés sous ses pieds comme un escabeau. Voilà ce qui se fait, ce qui s’accomplit, peu à peu à la vérité, mais sans interruption. Que les nations frémissent, que les peuples tiennent de vains complots, que les rois de la terre se soulèvent, que les chefs des nations se rassemblent contre le Seigneur et contre son Christ; est-ce donc par ces frémissements, par ces vains complots, par ces soulèvements contre le Christ qu’ils empêcheront cette parole de s’accomplir: « Je vous donnerai les nations en héritage, et pour domaine les confins de la terre? » Cette parole s’accomplira donc en dépit de leur fureur, de leurs projets impuissants: « Je vous donnerai les nations en héritage, et votre domaine embrassera les confins de la terre ». Ils sont donc vains, tous leurs complots. Quant à l’accomplissement de celte promesse: « Je vous donnerai toutes les nations en héritage, et la terre entière pour domaine »; ce n’est point un homme sans portée, mais bien le Seigneur qui me l’a faite. De même, dans notre psaume, nous pouvons raisonner ainsi: « Il a dit », non point un homme quelconque, mais « c’est le Seigneur qui a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je fasse de vos ennemis
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Ps. II, 1-8.
un escabeau sous vos pieds ». Qu’ils frémissent, qu’ils trament de vains complots, qu’ils se soulèvent en tumulte, empêcheront-ils cette parole de s’accomplir? « Leur mémoire a péri avec le bruit». C’est un autre psaume qui l’a dit, mais non pas un autre esprit: « Leur mémoire périt avec le bruit, et le Seigneur demeure éternellement 1 ». Celui-là donc qui demeure éternellement, quand leur mémoire périt avec le bruit, celui-là « a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite ». Et voilà qu’il est assis à la droite de son Père, jusqu’à ce qu’il mette ses ennemis comme escabeau sous ses pieds.
10. Que dit ensuite le Prophète? « Le Seigneur fera sortir de Sion le sceptre de votre puissance 2 ». Il est de toute évidence, mes frères, que le Prophète ne parle point de ce règne que le Christ partage avec son Père, Seigneur de toutes choses qu’il a créées par lui. Quand n’a-t-il point régné, ce Verbe qui est Dieu et en Dieu dès le commencement? Il est dit en effet: « Au roi des siècles, au Dieu qui est l’immortel, l’invisible, l’unique, honneur et gloire dans les siècles des siècles 4. Au roi des siècles, honneur et gloire dans tous les siècles ». Quel est « ce roi des siècles, invisible, incorruptible? » Le Christ, parce qu’il est avec son Père, invisible, incorruptible; parce qu’il est Verbe de Dieu, Vertu de Dieu, Sagesse de Dieu, parce qu’il est Dieu et en Dieu, par qui tout a été fait, est le roi des siècles: mais, à le considérer dans cette oeuvre transitoire par laquelle il a bien voulu, au moyen de sa chair, nous appeler à l’éternité, son règne commence par les chrétiens, et ce règne sera sans fin. Ses ennemis sont donc l’escabeau de ses pieds, tandis qu’il est assis à la droite de son Père; ils y sont placés comme il est dit, cela se fait et s’accomplira absolument jusqu’à la fin. Qu’on ne vienne point nous dire qu’on ne mènera point à bonne fin ce qui est commencé. Pourquoi désespérer de cet accomplissement? C’est le Tout-Puissant qui a commencé, et le Tout-Puissant a promis d’accomplir ce qu’il a commencé. Par où a-t-il commencé? «Le Seigneur fera sortir de Sion le sceptre de votre puissance ». Cette Sion, c’est Jérusalem. Ecoute le Seigneur lui-même. «Il fallait que le Christ souffrît et ressuscitât le troisième jour 5 ».
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Ps. IX, 7, 8,— 2. Id. CIX, 2.— 3. Jean, I, 3.— 4. I Tim. I, 17.— 5. Luc, XXIV, 46.
C’est de là, qu’après sa résurrection, il s’est assis à la droite de son Père, où il était auparavant. Mais qu’arriva-t-il depuis qu’il est assis à la droite de Dieu? Par quel moyen ses ennemis sont-ils réduits à lui servir de marchepied? Ecoutez ce qu’il nous enseigne lui-même en nous l’exposant: « On prêchera en son nom la pénitence et la rémission des péchés dans toutes les nations, en commençant par Jérusalem 1»: car « le Seigneur fera sortir de Sion le sceptre de votre puissance ». « Le sceptre de votre puissance », c’est-à-dire le règne de votre force; « car vous les gouvernerez avec un sceptre de fer 2: le Seigneur le fera sortir de Sion », car « on commencera par Jérusalem ».
11. Qu’arrivera-t-il, quand le Seigneur aura fait sortir de Sion le sceptre de votre vertu? « Vous dominerez au milieu de vos ennemis 2». Tout d’abord « vous régnerez au milieu de vos ennemis », au milieu des nations frémissantes. Quand en effet les saints seront eu possession de leur gloire,et les méchants sous le coup de leur condamnation, est-ce encore au milieu de ses ennemis que régnera le Christ? Qu’y a-t-il d’étonnant qu’il domine alors, puisque les justes régneront avec lui, et que les impies seront dans les flammes éternelles? Commuent s’étonner qu’il règne alors? Maintenant donc c’est au milieu de vos ennemis, maintenant dans le cours des siècles qui passent, dans la reproduction et la succession de l’humaine mortalité, pendant que le temps s’écoule comme un torrent, votre sceptre est sorti de Sion pour établir votre domination sur vos ennemis. Régnez donc, oui régnez sur les païens, sur les Juifs, sur les hérétiques, sur les faux frères. Régnez, régnez, fils de David, Seigneur de David, régnez au milieu des païens, au milieu des Juifs, au milieu des faux frères. « Règnez au milieu de vos ennemis ». Nous ne comprenons ce verset qu’en le voyant s’accomplir dès maintenant. Asseyez-vous donc à la droite de Dieu, tenez-vous caché, afin que l’on croie en vous, jusqu’à ce que le temps des nations soit accompli. Car voici ce qui est écrit: « Le ciel devait le recevoir jusqu’à ce que fût accompli le temps des nations 4». Vous n’êtes mort que pour ressusciter, ressuscité que pour monter au ciel, monté au ciel que pour vous asseoir à la droite de Dieu; c’est donc pour vous asseoir à la droite de
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Luc, XXIV, 47.— 2. Ps. II, 9.— 3. Id. CIX, 2.— 4. Act. III, 21.
votre Père que vous êtes mort. La mort amène ainsi la résurrection, le résurrection l’ascension, et l’ascension vous fait asseoir à la droite de Dieu. Tout cela commence à la mort. Cette ineffable splendeur a pour base l’humilité. C’est donc pendant que vous siégez à la droite de votre Père, que s’accomplissent les temps des nations, et que vos ennemis sont l’escabeau de vos pieds: afin qu’un si grand ouvrage s’achève, dominez d’abord au milieu de vos ennemis. C’est pour cela en effet que « le Seigneur fera sortir de Sion le sceptre de votre puissance »; puisque c’est pour amener votre mort, et par votre mort effacer la cédule de nos péchés 1, afin que la pénitence et la rémission des fautes soit prêchée dans toutes les nations 2 à partir de Jérusalem; c’est pour cela que les Juifs sont tombés dans l’aveuglement. L’aveuglement des uns devient la lumière des autres. « L’aveuglement donc est tombé sur une partie d’Israël, afin que la plénitude des nations entrât, et qu’ainsi tout Israël fût sauvé 3 ». « Cet aveuglement sur une partie d’Israël » a causé votre mort; une fois mort vous êtes ressuscité, pour laver dans votre sang les péchés des nations; assis à la droite de votre Père, vous avez recueilli de toutes parts ceux qui souffraient et cherchaient en vous un refuge. « Donc l’aveuglement est tombé sur une partie d’Israël, jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât, et qu’ainsi tout Israël fût sauvé », et que tous vos ennemis fussent l’escabeau de vos pieds. Voilà ce qui s’accomplit aujourd’hui, que sera-ce plus tard?
12. « Avec vous est le commencement au jour de votre puissance 4 ». Quel est pour le Christ ce jour de sa puissance? Quand le commencement sera-t-il avec lui? Quel commencement, ou de quelle manière le commencement sera-t-il avec lui, puisqu’il est lui-même le commencement? Que Dieu me soit en aide, afin qu’il n’y ait rien d’obscur ni pour moi qui explique, ni pour vous qui écoutez. Je vois ce qui est déjà fait, je le vois avec vous des yeux de la foi: les yeux du corps me montrent ce qui se fait maintenant, et les yeux de la foi me font espérer dans l’avenir. Qu’est-ce donc qui est déjà fait? qu’est-ce qui s’accomplit maintenant? que doit-il arriver un jour? Le Christ a souffert, il est
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Coloss. II, 14. — 2. Luc, XXIV, 47. — 3. Rom. XI, 25. — 4. Ps.
CIX, 3.
mort, il est ressuscité le troisième jour, il est monté aux cieux, quarante jours après, comme nous savons, et il est assis à la droite de son Père. Voilà ce qui est accompli, ce que nous n’avons pas vu, mais ce que nous croyons. Qu’est-ce qui s’accomplit aujourd’hui? II domine au milieu de ses ennemis, depuis que le sceptre de sa puissance est sorti de Sion:
voilà pour le présent. Les serviteurs du Christ qui l’ont vu présent, ont vu la forme de l’esclave; les serviteurs y croient aujourd’hui qu’elle nous est dérobée. Au sujet de cette forme de l’esclave, nous croyons ce que nous en pouvons comprendre, tant que nous sommes serviteurs nous-mêmes. C’est le lait des petits enfants, qu’il proportionne à notre faiblesse, nous faisant passer le pain solide au moyen de la chair, Car ce pain des anges était au commencement le Verbe 1; et pour que l’homme pût manger le pain des anges 2, le Créateur s’est fait homme. C’est ainsi que le Verbe incarné s’est proportionné à notre faiblesse; car nous n’aurions pu le recevoir si le Fils égal à Dieu ne se fût humilié en prenant la forme de l’esclave, pour devenir semblable aux hommes, et être reconnu homme par tout ce qui paraissait de lui 3. Afin donc que nous pussions comprendre en quelque manière Celui que des mortels ne pouvaient comprendre, l’immortel est devenu mortel; afin que par sa mort il nous rendit immortels, et nous donnât ainsi quelque chose à considérer, quelque chose à croire, quelque chose à voir un jour. Il offre à nos regards la forme de l’esclave que nous pouvons non seulement voir des yeux, mais encore toucher de nos mains. Et quand cette forme s’éleva au ciel, il nous ordonna de croire ce qu’il avait fait voir aux disciples. Mais nous aussi nous avons de quoi voir. Pour eux ils ont vu le sceptre de la puissance qui sortait de Sion, et à nous il est accordé de le voir dominer au milieu de ses ennemis. Tout cela, mes frères, tient à l’économie de la forme d’esclave, que les esclaves tolèrent aujourd’hui, et qui aiguillonne l’amour de ceux qui seront un jour délivrés. Car c’est l’immuable vérité, qui est le Verbe de Dieu, Dieu en Dieu, par qui tout a été fait, qui renouvelle toutes choses en demeurant en elle-même 4. Pour voir cette Vérité, il nous faut une grande, une parfaite pureté
1.
Jean, I, 1.— 2. Ps. LXXVII, 25.— 3. Philipp. III, 6, 7. — 4. Sag. VII, 27.
de coeur, qui nous vient parla foi. Après nous avoir montré la forme de l’esclave, le Christ a différé de nous montrer la forme divine. Car en disant, dans cette même forme d’esclave, à ses serviteurs: « Celui qui m’aime, garde mes commandements, et celui qui m’aime, sera aimé de mon Père, et moi je l’aimerai, et me montrerai à lui 1», il leur promettait de se manifester à eux. Que voyaient-ils donc? Et lui, que promettait-il? Eux voyaient la forme de l’esclave, et lui, leur promettait de leur montrer la forme de Dieu. « Je me montrerai à lui », dit-il. Telle est la lumière à laquelle doit arriver ce royaume, qui se rassemble dans le cours des siècles il aboutit à cette ineffable vision que les impies ne mériteront point de partager. Du reste, quand la forme de l’esclave était ici-bas, elle fut vue des impies: les uns la virent pour croire au Christ, les autres la virent pour le mettre à mort. La voir n’était donc point un privilège, puisque ses amis et ses ennemis la voyaient également, quelques-uns qui la voyaient l’omit fait mourir, quelques autres qui ne la voyaient pas ont cru en lui. Cette forme donc de l’esclave qu’ont vue ici-bas dans son humilité les hommes pieux et les impies, les pieux et les impies la verront au jour du jugement. En effet, comme il montait au ciel en présence de ses disciples, la voix des anges se fit entendre, et leur dit: « Hommes de Galilée, pourquoi vous tenir là debout, en regardant le ciel? Ce même Jésus viendra un jour de la même manière que vous l’avez vu montant au ciel 2 ». Il viendra donc, il viendra dans cette même forme, dont il est dit que les impies «verront Celui qu’ils auront percé 3 ». Ils verront comme juge Celui qu’ils insultèrent quand il fut jugé. Cette forme donc de l’esclave sera au jugement visible pour le juste et pour l’injuste, pour le bon et pour le méchant, pour les fidèles et pour les incrédules. Qu’est-ce donc que ne verront pas les impies? Car ceux dont il est dit: « Ils verront Celui qu’ils ont percé », sont les mêmes dont il est dit aussi: « Qu’on bannisse l’impie, et qu’il ne voie point la clarté du Seigneur 4». Qu’est-ce que tout cela, mes frères? Examinons, discutons. Voilà qu’on aiguillonne l’impie afin qu’il voie; et qu’on bannit l’impie afin qu’il ne voie point. Ce qu’il doit voir, nous l’avons
1. Jean, XIV, 21.— 2. Act. I,
11.— 3. Zach. XII, 10. — 4. Isa. XXVI, 10.
montré dans cette forme dont il est dit: « C’est ainsi qu’il viendra 1 ». Qu’est-ce donc qu’il ne doit point voir? « C’est moi-même que je lui montrerai 2 ». Qu’est-ce à dire, « moi-même?» Non plus la forme de l’esclave. Qu’est-ce donc « moi -même? » Cette forme de Dieu, dans laquelle j’ai cru, sans usurpation, être égal à Dieu 3. Qu’est-ce que « moi-même?» « Nous sommes les enfants de Dieu, mes bien-aimés, et ce que nous serons un jour ne paraît point encore: nous savons que quand il apparaîtra, nous serons semblables à lui, puisque nous le verrons tel qu’il est 4 ». C’est là cette clarté de Dieu, lumière ineffable, source de lumière qui est sans changement, vérité sans défaut, sagesse demeurant en elle-même, quand elle renouvelle toutes choses 5. Telle est la substance de Dieu. L’impie sera donc banni afin qu’il ne voie pas la gloire du Seigneur. « Bienheureux les coeurs purs, parce qu’ils verront Dieu 6 ».
13. Il me semble donc, mes frères, autant que Dieu m’a fait capable de comprendre cette expression, qu’il s’agit ici du temps, si toutefois on peut l’appeler un temps, et néanmoins c’est dans le temps que nous devons arriver à ce point que le temps ne mesure plus; c’est de ce temps, me semble-t-il, qu’il est question ici, et toutefois, je parle sans préjudice de ce qu’un autre pourra dire de mieux, de plus clair, de plus probable: voilà, ce me semble, ce que signifie « Avec vous est le commencement, au jour de votre puissance ». Il me semble enfin que le verset suivant nous donne une clarté suffisante. Il est question en effet de cette puissance, qui a imposé le joug du Christ aux nations, qui les a mises sous ses pieds, non avec le fer, mais avec le bois; et bien que cela ait lieu dans sa chair, ait lieu dans son humilité, ait lieu même dans la forme de l’esclave; on comprend néanmoins quelle était l’étendue de cette force, car ce qui est faible en Dieu, est plus fort que tous les hommes 7. Comme il est donc ici question de cette force qui nous est signaléd par ces paroles: « Le Seigneur fera sortir de Sion le sceptre de votre puissance; dominez au milieu de vos ennemis »: et quelle force en effet que celle qui domine au milieu de ces ennemis frémissants contre lui d’une
1.
Act, I, 11. — 2. Jean, XIV, 25.— 3. Philipp. III, 6, 7.— 4. I Jean, III, 2. —
5. Sag. VII, 27. — 6. Matth. V, 8. — 7. I Cor, II, 25.
rage impuissante, et disant chaque jour: « Quand son nom périra-t-il 1? » tandis que sa gloire s’étend sur tous les peuples, que toutes les nations sont soumises à son nom, qu’à cette vue le pécheur frémit, grince les dents et sèche de dépit 2, comme c’est là, dis-je, l’effet de sa puissance, et que le Prophète veut nous signaler un autre effet de sa force, et envisager le Christ comme vertu de Dieu, comme sagesse de Dieu dans les rayons de celte lumière éternelle, de cette immuable vérité; vision a laquelle nous sommes réservés, vision maintenant différée, vision pour laquelle nous sommes purifiés par la foi, vision dont l’impie est exclu, parce qu’il ne verra point la splendeur du Seigneur; voilà pour quel motif le Prophète s’écrie: « Avec vous est le commencement au jour de votre puissance ». Qu’est-ce à dire: « Avec vous est le commencement? » Entendez par là ce qu’il vous plaira. Si vous entendez le Christ, il vaudrait mieux dire C’est vous qui êtes le commencement; et non: «Avec vous est le commencement ». Répondant aux Juifs, qui lui demandaient: « Qui êtes-vous? » « Je suis », dit-il, « le commencement, et c’est pour cela que je vous parle 3 ». Car le Père, de qui est engendré le Fils unique, est aussi le commencement, et c’est dans ce commencement qu’était le Verbe, parce que le Verbe était en Dieu 4. Quoi donc! si le Père est le commencement, si le Fils est le commencement, y a-t-il deux commencements? Loin de là. Si le Père est Dieu en effet, le Fils est Dieu aussi, et le Père et le Fils ne sont point deux dieux, mais un seul Dieu: de même le Père est commencement, le Fils est commencement, et le Père et le Fils ne sont point deux commencements, mais un seul principe. « Avec vous est le commencement ». Alors on verra de quelle manière le commencement est avec vous. Ce n’est pas que le commencement ne soit point avec vous ici-bas. N’avez-vous pas dit en effet: « Voilà que vous allez chacun de votre côté, et me laissez seul; mais je ne suis point seul, car mon Père est avec moi 5? » Ici-bas, donc, « avec vous est le principe ». Vous avez dit ailleurs aussi « C’est mon Père qui demeure en moi, fait ces oeuvres qui sont les siennes 6 ». Avec
1.
Ps. XL, 3.— 2. Id. CXI, 10.— 3. Jean, VIII, 25.— 4. Id. I, 1.—
5. Id. XVI, 32. — 6. Id. XIV, 10
vous est le principe, et le Père n’a jamais été séparé de vous. Mais quand il apparaîtra que le principe est avec vous, il se manifestera à tous ceux qui seront devenus semblables à vous, puisqu’ils vous verront tel que vous êtes 1. Philippe vous voyait réellement ici-bas, et néanmoins il voulait voir le Père 2. Alors on verra ce que l’on croit maintenant. Alors le commencement sera avec vous, sous les yeux des saints,sous les yeux des justes, et les impies seront bannis, afin qu’ils ne voient point la gloire du Seigneur.
14. Croyons donc maintenant, mes frères, ce que nous verrons alors. Car il fit un reproche à Philippe, de demander à voir le Père, et de ne point reconnaître le Père dans le Fils: « Depuis si longtemps que je suis avec vous, ne me reconnaissez-vous pas encore? Philippe, quiconque m’a vu a vu aussi mon Père 3 ». Mais seulement « celui qui me voit », non celui qui voit en moi la forme de l’esclave. « Quiconque dès lors m’a vu », tel que je me suis réservé pour ceux qui nie craignent, tel que je me dois montrer à ceux qui espèrent en moi 4, « a vu mon Père ». Mais comme cette vision est pour l’avenir, que devons-nous avoir en attendant? Voyons ce qu’il dit à Philippe. Après lui avoir dit « Celui qui me voit, voit aussi mon Père », comme si Philippe eût répondu en lui-même: Comment vous verrai-je, si l’on doit vous voir autrement que dans la forme de l’esclave? ou comment verrai-je le Père, moi, homme faible, cendre et poussière? se tournant alors vers lui, différant de se montrer à lui, et lui commandant la foi, après lui avoir dit: « Quiconque me voit, voit aussi mon Père »; parce que c’était là beaucoup pour Philippe, et qu’il était loin encore de voir le Père; « Ne croyez-vous pas», lui dit Jésus, « que je suis dans mon Père, et que mon Père est en moi 5? » Ce que tu ne saurais voir encore, crois-le, et mérite ainsi de le voir. Quand donc sera venu pour nous le temps de voir, alors nous verrons que « le commencement est avec vous, au jour de votre puissance ». « De votre puissance », et non de cette puissance qui a éclaté dans votre faiblesse, car il y avait là aussi une puissance, mais « au jour de votre vertu »; les hommes ont aussi leurs vertus dans la foi, l’espérance, la charité, les
1. 1 Jean, III, 2. — 2. Id. XIV,
8. — 3. Id. 9. — 4. Ps. XXX, 20.— 5. Jean,
XIV, 10.
bonnes oeuvres; mais ils doivent aller de vertu en vertu 1. « Avec vous est le principe», on vous verra avec le Père, dans le Père, comme le Père. « Avec vous est le principe au jour de votre vertu », de cette vertu que l’impie ne saurait voir. Car ce qui est faible en vous, est plus fort que tous les hommes 2; puisqu’en vous « est le principe au jour de votre force ».
15. Marquez-nous maintenant quelle est cette force; car ici, nous l’avons déjà vu, il a été question de cette puissance, quand sortait de Sion le sceptre de votre force, pour dominer au milieu de vos ennemis. De quelle vertu parlez-vous? « Dans la splendeur des saints ». Oui, dit-il, « dans la splendeur des saints». Il parle donc de sa vertu, quand les saints seront dans la splendeur, et non point tandis qu’ils traînent encore une chair terrestre dans un corps mortel, tandis qu’ils gémissent dans une corruption qui appesantit l’âme, et que cette habitation terrestre abaisse l’esprit malgré le nombre de ses pensées 3; comme les pensées nous sont invisibles, ce n’est point encore « dans la splendeur des saints».Qu’est-ce à dire, « dans la splendeur des saints?» « Jusqu’à ce que vienne le Seigneur qui doit éclairer les ténèbres les plus cachées, mettre à nu les pensées des coeurs, et alors chacun recevra de Dieu la louange qui lui est due 4 ». Telle est « la splendeur des saints », car « alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père ». Ecoutez donc ce que signifie «dans la splendeur des saints».«Viendra la moisson», dit le Sauveur, « viendra la fin du siècle; et le Père de famille enverra ses anges, et ils arracheront de son royaume tous les scandales qu’ils jetteront dans la fournaise du feu; alors les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père 5 ». Dans quel royaume? Voyez s’il nous est réservé une autre vision que celle dont il est
dit: « Avec vous est le principe ». Dans quel royaume? Assurément dans la vie éternelle. Car voici ce qu’il doit dire à ceux qui seront à sa droite: « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde 6 ». Puis, quand les impies seront damnés, séparés de ces justes qui auront reçu des louanges,
1.
Ps. LXXXIII, 8.— 2. I Cor. II, 25.— 3. Sag. IX, 15.— 4. I Cor. IV, 5. — 6. Matth. XIII, 39-43. — 7. Id. XXV, 34.
comment nomme-t-il ensuite ce qu’il avait appelé un royaume à recevoir? « Alors les impies iront dans les flammes éternelles, et les justes dans la vie éternelle 1». Ce qui est donc appelé « royaume », se nomme ici « vie éternelle » dont ne jouiront pas les impies. Voyez encore si cette vie éternelle ne consisterait pas dans une vision. « Or, la vie éternelle est de vous connaître, vous, le seul vrai Dieu, et Jésus-Christ que vous avez envoyé 2 ». Dès lors que « le commencement est avec vous au jour de votre puissance; le commencement sera donc avec vous au jour de votre puissance dans les splendeurs des saints ».
16. Mais ce bonheur est différé, cette gloire est pour l’avenir: qu’est-ce donc maintenant? « Je vous ai engendré de mes entrailles avant l’aurore ». Qu’est-ce à dire? Si Dieu a un Fils, a-t-il encore un sein? Il n’a ni sein ni corps charnels; et toutefois il est dit: « Celui qui est dans le sein du Père nous l’a raconté lui-même 3 ». Ces entrailles ont la même signification que le sein, et sein et entrailles désignent ici un lieu secret. Qu’est-ce à dire dès lors « de mon sein? » Du secret, du mystérieux, de ma substance, de moi-même: voilà ce que signifie « de mon sein »; « qui en effet racontera sa génération 4?» C’est donc ici le Père qui ditau Fils: « Je t’ai engendré de mon sein avant l’étoile du matin ». Qu’est-ce donc « avant l’étoile du matin? » Cette étoile est prise ici pour tous les astres, comme la partie se prend, dans l’Ecriture, pour le tout, et toutes les étoiles par la plus brillante. Mais pourquoi ces astres sont-ils créés? « Pour servir de signes, pour marquer les temps, les jours, les années 5». Si donc les astres sont des signes qui marquent les temps, et si l’étoile du matin désigne ici les astres, ce qui est avant cette étoile précède aussi les astres, et ce qui est avant les astres est encore avant les temps; et ce qui est avant les temps est donc de toute éternité: ne demandez plus quand; il n’y a point de quand dans l’éternité. Quand et quelquefois sont des expressions qui désignent le temps. Or, le Père n’est point né dans le temps, lui par qui les temps ont été faits. Le Prophète, comme il y était contraint, a donc eu recours à des expressions figuratives, prophétiques, a dit le sein pour désigner une substance mystérieuse, et
1. Matth. XXV, 46.— 2. Jean,
XVII, 3.— 3. Id. I, 18.— 4. Isa.
LIII, 8. — 5. Gen. X, 14.
Lucifer au lieu des temps. Voulez-vous recourir à David lui-même, qui appelle son fils son Seigneur? Pour parler ainsi, il a entendu son Seigneur même, il a entendu Celui qui ne saurait le tromper, et il l’a appelé son Seigneur, car « c’est le Seigneur », dit-il, « qui a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite ». C’est le Prophète qui parle, c’est en quelque sorte sa parole qui est écrite. Si donc c’est lui qui parle, il a pu dire sans doute: « Je t’ai engendré de mon sein avant l’étoile du matin ». Le sein de la Vierge, « tel est le sein d’où je t’ai tiré avant l’aurore ». Si cette Vierge en effet est issue de la race de David, sortir du sein de cette Vierge, c’est en quelque sorte sortir du sein de David. « Du sein » dont nul homme n’a jamais approché; « du sein », à proprement parler, puisque le Christ est seul, pour être né uniquement du sein d’une vierge. Aussi David, qui l’appelle son Seigneur, nous dit-il: « C’est du sein que je t’ai engendré avant l’étoile du matin ». Et cette expression, « avant Lucifer », nous est donnée comme un signe, comme une expression accomplie à la lettre. Car ce fut la nuit que le Seigneur sortit du chaste sein de la Vierge Marie 1, comme on le voit par le témoignage des bergers qui veillaient sur leurs troupeaux. « Je t’ai engendré du sein avant l’étoile du matin ». O vous, Seigneur mon Dieu, qui êtes assis à la droite de mon Seigneur, comment seriez-vous mon fils, si je ne vous avais engendré du « sein avant l’étoile du matin? »
17. Mais pourquoi est-il né? « Le Seigneur l’a juré, et ne s’en repentira point: Tu es prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédech 2 ». C’est pour être prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédech, que vous êtes sorti du sein avant l’étoile du matin. Naître du sein, c’est naître de la Vierge; avant l’étoile du matin, la nuit, comme l’atteste l’Evangile; c’est là sans aucun doute qu’il est sorti du sein, avant l’étoile du matin, pour être dans l’éternité prêtre, selon l’ordre de Melchisédech. Car, en le considérant comme engendré du Père, Dieu en Dieu, coéternel à celui qui l’engendre, il n’est point prêtre; mais il est prêtre à cause de cette chair qu’il s’est appropriée, de la mort qu’il a dû subir, et qu’il a acceptée afin de l’offrir pour nous. « Le Seigneur l’a donc juré». Quel est ce serment
1.
Luc, II, 7, 8. — 2. Ps. CIX, 4.
du Seigneur? Il jure donc, lui qui défend à l’homme de jurer 1? Ou peut-être n’a-t-il défendu à l’homme de jurer que pour lui éviter le parjure. tandis que Dieu peut jurer, lui qui ne saurait être parjure? Il est bon en effet d’interdire le serment à l’homme, que l’habitude du serment peut conduire au parjure; car l’homme est d’autant plus éloigné du parjure qu’il l’est du serment. L’homme qui jure, en effet, peut assurer le faux et le vrai; mais, celui qui ne jure point du tout, n’affirme rien de faux, puisqu’il ne fait aucun serment. Pourquoi donc le Seigneur ne jurerait-il point, puisque son serment ne saurait être que l’attestation de sa promesse? Qu’il jure, alors. Et toi, homme, que fais-tu dans ton serment? Tu prends Dieu à témoin; car c’est dans l’appel au témoignage de Dieu que consiste le serment, et le fâcheux serait d’appeler Dieu en témoignage d’une fausseté. Si donc jurer, pour toi, c’est en appeler au témoignage de Dieu, pourquoi Dieu, en jurant, n’en appellerait-il pas à lui-même? « Vive moi, dit le Seigneur», tel est le serment de Dieu. Ainsi jura-t-il quant à la postérité d’Abraham. « Vive moi, dit le Seigneur, parce que tu as entendu ma parole, et que tu n’as point épargné ton fils unique à cause de moi, je te bénirai et je multiplierai ta postérité comme les étoiles du ciel et comme le sable qui est au bord de la mer, et en ta race seront bénies toutes les nations 2». Or, la postérité d’Abraham c’est le Christ, et ce rejeton d’Abraham, prenant une chair dans la lignée d’Abraham, sera prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédech. C’est donc à propos de ce sacerdoce selon l’ordre de Melchisédech que le Seigneur a fait un serment dont il ne se repentira point. Qu’adviendra-t-il du sacerdoce selon l’ordre d’Aaron? Dieu a-t-il donc du repentir à la manière des hommes? lui arrive-t-il d’agir malgré lui, ou de tomber par surprise, et d’avoir ensuite àse repentir de sa faute? Dieu connaît ce qu’il fait, il sait jusqu’à quel point il s’avance; et comme il dirige souverainement, tout changement est en son pouvoir. Mais le repentir est un signe de changement; et de même qu’en toi le repentir est la douleur d’avoir agi comme tu l’as fait, de même Dieu du qu’il se repent quand il agit contre l’attente des hommes, c’est-à-dire quand il
1.
Matth. V, 34. — 2. Gen. XXII, 16-18.
change les événements d’une autre manière qu’ils ne se promettaient. C’est ainsi qu’il se repent de nos souffrances quand nous nous repentons de notre vie désordonnée. « Le Seigneur l’a donc juré », oui juré, assuré par serment; « et il ne s’en repentira point », son dessein ne changera point. Qu’a-t-il juré? « Vous êtes prêtre pour l’éternité ». Et pour l’éternité, parce qu’il ne se repentira point. Mais prêtre en quel sens? Est-ce pour offrir ces hosties, ces victimes qu’offraient les patriarches sur des autels ensanglantés? Est-ce encore le tabernacle, et tous ces rites de l’Ancien Testament? Loin de là. Rien de tout cela n’est plus, le temple est renversé, le sacerdoce détruit, il n’y a plus pour eux ni victimes ni sacrifice. Tout a cessé chez les Juifs. ils voient que le sacerdoce, selon l’ordre d’Aaron, n’est plus, et ils ne reconnaissent point le sacerdoce selon l’ordre de Melchisédech. « Vous êtes prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech ». C’est aux fidèles que je m’adresse. Si mes paroles sont intelligibles pour les catéchumènes, qu’ils sortent de leur négligence, et se hâtent de connaître. Il n’est donc pas besoin d’exposer nos mystères; c’est à l’Ecriture de vous dire ce qu’est le sacerdoce selon l’ordre de Melchisédech.
18. « Le Seigneur est à votre droite ». Le Seigneur avait dit: « Asseyez-vous à ma droite », et maintenant ce Seigneur est à la droite, comme si les places étaient changées. Ou plutôt ces paroles: « Le Seigneur l’a juré, et il ne s’en repentira point: Vous êtes prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédech », ne s’adresseraient-elles point au Christ? « Vous êtes prêtre pour l’éternité, le Seigneur l’a juré ». Quel Seigneur? Celui qui « a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite; celui-là en a fait serment: Vous êtes pour l’éternité prêtre selon l’ordre de Melchisédech »; et à ce même Seigneur qui a juré, s’adresserait alors cette parole: « Le Seigneur est à votre droite». O Seigneur, qui avez juré et qui avez dit: Vous êtes pour l’éternité prêtre selon l’ordre de Melchisédech; ce prêtre pour l’éternité, c’est le Seigneur qui est à votre droite; oui; ce même prêtre au sujet duquel vous avez fait serment,
« est le Seigneur à votre droite »; car c’est à ce même Seigneur que vous avez dit: « Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je
fasse de vos ennemis l’escabeau de vos pieds ». C’est ce même Seigneur qui est à votre droite, et au sujet duquel vous avez juré, et à qui vous avez juré en disant: «Vous êtes pour l’éternité prêtre selon l’ordre de Melchisédech »; c’est lui qui « brisera les rois au jour de sa colère». Ce Christ donc, ce Seigneur qui est à votre droite, à qui vous avez fait un serment sans repentir, que fait-il comme prêtre éternel? Que fait-il, lui qui est à la droite de Dieu, et qui intercède pour nous 1, qui entre comme prêtre dans l’intérieur, ou dans le Saint des saints, dans le secret des cieux, lui seul qui est sans péché, et qui dès lors nous purifie facilement de nos péchés 2? Ce Christ, à votre droite, « brisera les rois au jour de sa colère ». Quels rois, me diras-tu? As-tu donc oublié que: « Les rois de la terre se sont levés, que les princes se sont rassemblés contre le Seigneur et contre son Christ 3?» Tels sont les rois qu’il a brisés sous le poids de sa gloire, que le poids de son nom a réduits à la faiblesse, en sorte qu’ils ont échoué dans leur entreprise, ils ont tenté de gigantesques efforts pour effacer de la terre le nom chrétien, sans pouvoir y parvenir: « Quiconque, en effet, heurtera cette pierre, en sera brisé 4». C’est donc en se heurtant contre cette pierre de scandale, qu’ils se sont brisés, ces rois qui disent: Qui est le Christ? Je ne sais quel juif, ou quel galiléen, un supplicié, un homme mort sur la croix. Telle est la pierre, jetée devant tes pieds, comme un objet méprisable; tu viens t’y heurter avec dédain, et ce choc te renverse, et tu es brisé dans ta chute. Si donc telle est la colère du Christ, qui se tient caché, que sera-ce quand il se manifestera pour juger? Vous avez entendu sa colère, quand il se cache, car un psaume a pour titre: « Pour les secrets du Fils »; c’est le neuvième psaume, s’il m’en souvient bien, qui est intitulé: « Pour les secrets du Fils», et qui nous montre les effets secrets d’une colère qui se dérobe. Ils ont allumé la colère de Dieu, ceux qui viennent se heurter contre cette pierre, et s’y briser. Et à quoi viennent aboutir leurs meurtrissures? Ecoutez l’Evangile sur le jugement à venir: « Celui qui se heurtera contre la pierre, en sera brisé, elle écrasera celui sur qui elle tombera 5 ». Quand on heurte cette
1. Rom. VIII, 34. — 2. Hébr. IX, 12. — 3. Ps, II, 2. — 4. Matth. XXI, 44. — 5. Luc, XX, 18.
pierre, elle est en quelque sorte couchée à terre, et c’est alors qu’elle meurtrit; mais quand elle écrasera, elle tombera d’en haut. Voyez comme ces deux paroles, meurtrir et écraser, distinguent bien les temps, l’un de l’humilité, l’autre de la splendeur du Christ, l’un d’une peine secrète, l’autre du jugement à venir; on se meurtrit d’abord, puis la pierre écrase. Elle n’écrasera point à son avènement celui qu’elle n’aura point meurtri quand elle était couchée. Et cette expression couchée, signifie ici méprisable en apparence. Car le Christ est à la droite de Dieu, et du haut du ciel il poussa ce grand cri: « Saul, Saul, pourquoi me persécutez-vous 1? » Et toutefois il ne dirait pas du haut du ciel, où l’on ne saurait l’atteindre: « Pourquoi me persécuter? » s’il n’était assis dans le ciel, à la droite de son Père, de manière néanmoins à être encore en quelque sorte caché sur la terre. « Le Seigneur à votre droite brisera les rois au jour de sa colère ».
19. « Il jugera parmi les nations ». Maintenant il juge « dans le secret », alors son jugement se fera dans l’éclat. « Il jugera parmi les nations ». Maintenant s’accomplit cette parole: « Leur mémoire périt avec le bruit 2». Ainsi dit ce psaume « pour les secrets. Leur mémoire s’est éteinte avec le bruit, et le Seigneur demeure éternellement; il a préparé son trône pour le jugement, et il jugera l’univers entier dans l’équité ». C’est encore là qu’il est dit: « Vous avez menacé les nations, et l’impie a péri, et vous avez effacé son nom pour jamais »: voilà ce qui s’accomplit secrètement. « Au jour de sa vengeance il brisera les rois, quand il jugera parmi les nations ». Comment? Ecoute ce qui suit: « Il multipliera les ruines ». Maintenant son jugement chez les nations, par les ruines; mais quand il jugera au dernier jour, il condamnera les ruines. Aujourd’hui donc « il multiplie les ruines ». Quelles ruines? Celui qui craint au sujet de son nom tombera; et quand il sera tombé, il sera détruit dans ce qu’il était, afin d’être édifié en ce qu’il n’était point. « Il jugera parmi les nations, et multipliera les ruines ». O toi, qui t’élèves contre le Christ, tu as élevé dans les airs une tour qui tombera. Il te conviendrait mieux de t’abaisser, de devenir humble, de te prosterner aux pieds de
1. Act. IX, 4. — 2. Ps. IX, 6-9.
celui qui est assis à la droite de son Père, d’être en ruine, afin que Dieu te relève. Car en persistant dans cette élévation criminelle, tu seras jeté à terre, et l’on ne bâtira rien en toi. C’est en effet de ces hommes que l’Ecriture dit ailleurs: « Détruisez-les, et vous ne les reconstruirez plus ». Assurément le Prophète ne dirait point de quelques-uns: « Détruisez-les, et vous ne les reconstruirez plus 1»; si Dieu n’en détruisait d’autres pour les reconstruire. C’est ce qui a lieu maintenant, que le Christ juge parmi les nations, de manière à multiplier les ruines. « Il brisera sur la terre les têtes de plusieurs ». C’est ici, « sur la terre», en cette vie, qu’il brisera bien des têtes. Les orgueilleux,il les rend humbles; et j’ose le dire, mes frères, il est mieux de marcher ici-bas, humblement et la tête brisée, que de lever fièrement la tête pour tomber au jugement dans la mort éternelle. Il brisera bien des têtes, en faisant des ruines, mais il comblera ces ruines en réédifiant.
20. « Il boira en chemin l’eau du torrent, et pour cela relèvera la tête 2 ». Voyons comme il boit en chemin l’eau du torrent. D’abord qu’est-ce que le torrent? L’écoulement de la mortalité humaine. Un torrent se forme par les eaux des pluies, se gonfle, mugit, se précipite, et dans son impétuosité cesse de courir, c’est-à-dire achève sa course; tel est le cours de tout ce qui est mortel. L’homme naît, vit, et meurt, et quand celui-ci meurt, celui-là vient au monde; et après celui-là
1.
Ps. XXVII, 5.— 2. Id. CIX, 7.
d’autres viendront encore. Les hommes donc se succèdent, viennent, s’en vont, et ne demeurent point. Qu’est-ce qui demeure ici-bas? Qu’est-ce qui ne s’en va point? Qu’est-ce qui ne s’en va point dans l’abîme comme l’eau des pluies? Comme le fleuve, en effet, que forment tout à coup les pluies, les gouttes de rosée, se jette dans la mer et ne reparaît plus, et ne paraissait même point avant que la pluie l’eût formé; ainsi le genre humain se forme dans le secret de Dieu, puis s’écoule, puis rentre par la mort dans l’invisible; entre ces deux invisibles, il fait quelque bruit et passe. C’est donc à ce torrent qu’a bu le Christ, à ce torrent qu’il n’a pas dédaigné de boire. Boire à ce torrent, c’était pour lui, naître et mourir. La naissance et la mort, voilà tout ce torrent. Le Christ s’y est assujetti; il est né, et il est mort; c’est ainsi qu’il a bu en chemin l’eau du torrent. Il a bondi comme le géant, pour fournir sa carrière 1. Il a donc bu en chemin l’eau du torrent, parce qu’il ne s’est pas arrêté dans le chemin des pécheurs 2. Donc parce qu’il a bu l’eau du torrent il a élevé la tête: c’est-à-dire, parce qu’il a été humilié, parce qu’ « il a été soumis jusqu’à la mort, et la mort de la croix, voilà que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, et lui a donné un nom au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans le ciel, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confesse que Notre Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de Dieu son Père 3 ».
1. Ps. XVIII, 6. — 2. Id. I,1.— 3. Philipp. II, 8-11.
SERMON AU PEUPLE POUR LE JOUR DE PÂQUES.
L’Alleluia de la terre est l’image de l’Alleluia du ciel; et si les jours du Carême sont l’image des misères de la vie, auxquelles viennent succéder les jours de joie, ainsi en sera-t-il de la joie éternelle, succédant aux douleurs de la vie présente. Tant que l’on prêche les dix préceptes dans les quatre parties du monde, ce qui par la multiplication nous donne le nombre quarante, nous devons nous priver des plaisirs mondains, et si au nombre quarante on ajoute le dernier au nombre dix, nous obtenons cinquante, image de la récompense. — La confession par laquelle commence notre Psaume est une confession de louange, et le Prophète la fait dans l’assemblée des saints, alors que l’iniquité a disparu. Telle est la grande oeuvre du Seigneur, et nul ne va contre sa volonté, pas même l’impie qui doit revenir à lui ou subir le châtiment; cette grande maure est donc la justification de l’impie; oeuvre de véritable grâce, puisqu’elle ne vient point de nos mérites. Le Seigneur se réserve des temps pour ses prodiges et nous a dès ici-bas donné pour nourriture ce Verbe que nous posséderons éternellement. Il montrera aux saints la puissance de ses oeuvres ou la prédication de l’Evangile; lui seul peut nous juger, et non les hommes qui ont jugé les martyrs; lui seul donne le rédempteur qu’il a promis. Ce testament éternel est bien le Nouveau, puisque l’Ancien n’est plus. Loin de nous la Jérusalem terrestre avec ses promesses charnelles; ne cherchons que la sagesse dont le commencement est la crainte de Dieu; celui-là a l’intelligence, qui fait le bien, et sa récompense sera de siècle en siècle.
1. Voici les jours de chanter Alleluia: réveillez donc votre attention, mes frères, pour accueillir ce que Dieu nous suggère, afin de vous encourager et de nourrir cette charité qui nous fait adhérer au Seigneur pour notre bien. Réveillez votre attention, vous qui chantez si bien le Seigneur, vous enfants de la louange, et de la gloire éternelle de Dieu toujours vrai, toujours incorruptible. Soyez attentifs, ô vous, qui savez au fond de vos coeurs, et chanter au Seigneur, et jouer de la harpe: rendez-lui grâces en toutes choses 1, et louez Dieu, tel est l’Alleluia. Ces jours qui viennent passeront, il est vrai, et ils passeront pour revenir encore; mais ils nous désignent ce jour par excellence, qui ne vient point, qui ne passe point, qui n’est point annoncé par le jour d’hier, ni chassé par un lendemain. Et quand nous serons arrivés à ce jour, nous nous y attacherons pour no plus passer. Et comme en certain endroit nous chantons à Dieu: « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous loueront dans les siècles des siècles 2»; telle sera notre oeuvre dans le repos, notre travail dans l’inaction, notre occupation dans la quiétude, notre soin dans la tranquillité. De même qu’aux jours de carême, qui marquaient les afflictions de cette vie avant la résurrection du Sauveur, viennent succéder ces jours
1.
Ephés. V, 19, 20. — 2. Ps. LXXXIII, 5.
d’une joie solennelle, ainsi ce jour unique, qui sera donné après la résurrection au corps entier du Christ, c’est-à-dire à la sainte Eglise, viendra dans une joie sainte pour succéder à toutes les douleurs et à toutes les misères de cette vie. Quant à la vie présente, nous devons la passer dans la modération, en gémissant sous le poids du labeur, et dans les combats, en désirant nous revêtir de la gloire de cette maison céleste 1, et en nous abstenant des plaisirs du siècle: aussi est-elle figurée par ce nombre de quarante, qui détermine les jours de jeûne pour Moïse, pour Elie, pour le Seigneur 2. Ainsi la loi et les Prophètes, et l‘Evangile, auquel viennent rendre témoignage la loi et les Prophètes, puisque sur la montagne le Sauveur montra sa gloire au milieu de Moïse et d’Elie 3; la loi et les Prophètes, et l’Evangile nous ordonnent d’imposer en quelque sorte le jeûne de la tempérance à cette avidité pour des plaisirs mondains qui nous captivent jusqu’à nous faire oublier Dieu; et cela tout le temps que l’on prêche cette loi du décalogue dans les quatre parties du monde; en sorte que dix, multiplié par quatre, donne le nombre quarante. Quant à ces cinquante jours pendant lesquels nous chantons Alleluia, après la résurrection du
1.
II Cor. V, 2.— 2. Exod. XXXIV, 28; III Rois, XIX, 8; Matth, IV, 2. — 3. Matth. XVII, 3.
Seigneur, ils ne marquent pas un temps qui finit et qui passe, mais bien l’éternité bienheureuse; car le denier, ou nombre dix, ajouté à quarante, nous rappelle cette récompense accordée àux fidèles ouvriers pendant cette vie, et que le Père de famille octroie aux derniers comme aux premiers. Ecoutons donc ce peuple de Dieu, qui chante les louanges débordant de son coeur. Ce psaume, en effet, nous montre un homme qui bondit dans les tressaillements de sa joie; il nous montre en figure ce peuple de Dieu dont le coeur exhale des flots d’amour, ou plutôt le corps du Christ, délivré de tous maux.
2. « Seigneur, je vous confesserai dans toute l’étendue de mon coeur 1». Ce mot de confession ne marque pas toujours l’aveu des péchés, il exprime aussi la louange de Dieu confessée avec piété. L’une de ces confessions est donc dans les pleurs, l’autre dans la joie: l’une montre au médecin sa blessure, l’autre rend grâces de sa guérison. Cette confession de notre psaume nous montre un homme, non seulement délivré de tous maux, mais encore séparé de tous les méchants. Voyons dès lors en quel lieu il rend à Dieu cette confession dans toute l’étendue de son coeur. C’est, dit-il, dans le conseil, dans l’assemblée des justes; de ces justes, je crois, qui seront assis sur douze trônes pour juger les douze tribus d’Israël 2. Là, il n’y aura plus d’hommes d’iniquité: plus de Judas dont on doive tolérer les vols; plus de Simon Magicien, qui veuille être baptisé, et acheter l’Esprit-Saint dans la pensée de le revendre 3; plus d’Alexandre Chaudronnier, pour faire beaucoup de mal 4, plus de faux frère, se glissant à la faveur d’une peau de brebis, tous pécheurs que l’Eglise doit supporter en cette vie, mais qu’elle bannira de l’assemblée de tous les justes. Voilà « ces grandes oeuvres du Seigneur,accomplies selon toutes ses volontés 5», qui ne laissent sans miséricorde aucun aveu des fautes, non plus que l’iniquité sans châtiment; puisque « Le Seigneur châtie ceux qu’il reçoit au nombre de ses enfants 6 ». Et si le juste n’est sauvé qu’à peine, que deviendront le juste et l’impie 7? Que l’homme fasse donc son choix. Les ouvrages de Dieu ne sont point réglés de telle sorte que la créature, dans son libre arbitre, puisse dominer
1.
Ps. CX, 1.— 2. Matth. XIX, 28.— 3. Act. VIII,
13, 18, 19.— 4. II Tim. IV, 14.— 5. Ps. CX, 2.— 6. Hébr. XII, 6.— 7.
Pier. IV, 18.
la volonté du Créateur, bien qu’elle agisse contrairement à cette volonté. Dieu ne veut point le péché en toi; il le défend; mais si tu pèches, ne va point t’imaginer que l’homme ait fait sa volonté, et qu’il soit arrivé à Dieu ce que Dieu ne voulait pas; de même que Dieu veut que l’homme ne pèche point, il veut aussi pardonner au pécheur, afin que celui-ci revienne et qu’il vive; de même il veut punir celui qui persévère finalement dans le péché, afin que nul opiniâtre n’échappe à la puissance de sa justice. Quelque soit donc ton choix, tu ne saurais éluder la volonté du Tout-Puissant, qui s’accomplira sur toi. «Les oeuvres du Seigneur sont grandes, accomplies selon toutes ses volontés ».
3. « Ses oeuvres sont la confession et la magnificence 1». Quelle oeuvre plus admirable que la justification de l’impie? Mais on dira peut-être que l’oeuvre de l’homme est antérieure à cette magnificence de Dieu, et qu’il mérite d’être justifié quand il a confessé ses fautes: «Le publicain, en effet, sortit du temple justifié, beaucoup plus que le pharisien; car il n’osait point lever les yeux au ciel, mais il battait sa poitrine en disant: « O Dieu, ayez pitié de moi, qui suis un pécheur ». C’est donc dans la justification du pécheur que resplendit la magnificence de Dieu, dans l’élévation de quiconque s’humilie, et l’abaissement de celui qui s’élève 2. Telle est la magnificence du Seigneur, que celui à qui l’on a beaucoup remis, aime davantage 3. Telle est enfin la magnificence du Seigneur, « qu’il y ait surabondance de grâce où il y avait abondance de péché 4 ». Mais cela vient peut-être des oeuvres de l’homme. « Non, cela ne vient point des oeuvres, est-il dit, de peur qu’on ne s’enorgueillisse. Car nous sommes l’ouvrage de Dieu, créés en Jésus-Christ, par les bonnes œuvres 5 ». Or, l’homme ne saurait faire une oeuvre de justice, s’il n’est d’abord justifié. « Croire en eu celui qui justifie l’impie 6 », c’est commencer par la foi, en sorte que ses bonnes oeuvres ne démontrent point ce qu’il a mérité auparavant, mais bien ce qu’il a reçu ensuite. D’où vient donc alors cette confession? Elle n’est point encore une oeuvre de justice, mais la réprobation du mal. Quoi qu’il en soit, néanmoins, ô homme, ne te glorifie pas de cette confession;
1. Ps. CI, 3. — 2. Luc, XVIII, 13, 14. — 3. Id. VII, 42 - 48. — 4. Rom. V, 20. — 5. Ephés. II, 9, 10. — 6. Rom. IV, 5.
quiconque, en effet, « se glorifie, doit se glorifier dans le Seigneur 1. Qu’avez-vous que vous ne l’ayez reçu 2? » Ce n’est donc pas seulement la magnificence qui justifie l’impie, mais la magnificence et la confession sont l’oeuvre du Seigneur Pourquoi dire, en effet, que Dieu fait miséricorde à qui lui plaît, et qu’il laisse endurcir qui lui plaît? Y a-t-il néanmoins injustice en Dieu? Loin de là. « Sa justice demeure de siècle en siècle ». Mais toi, ô homme de ce siècle, qui es-tu pour répondre à Dieu 3?
4. « Le Seigneur a consacré la mémoire de ses merveilles », en humiliant l’un, en exaltant l’autre. « Il a consacré la mémoire de ses merveilles 4 », en se réservant pour le temps opportun des prodiges extraordinaires, dont la faiblesse humaine, éprise des nouveautés, pût conserver le souvenir, bien que ses miracles de chaque jour soient plus grands. Il crée dans toute la terre une infinité d’arbres, et nul n’y prend garde; qu’il en dessèche un seul de sa parole, voilà le coeur des hommes dans l’admiration 5; mais: « Il a consacré la mémoire de ses merveilles », et ces miracles, que l’habitude n’aura point en quelque sorte avilis à nos yeux, se graveront principalement dans les âmes attentives.
5. Mais à quoi ont servi les miracles, sinon à faire craindre le Seigneur? Et à quoi servirait la crainte, « si le Seigneur, dans sa miséricorde et dans sa bonté, ne donnait la nourriture à ceux qui le craignent 6? » Nourriture incorruptible, pain descendu du ciel 7, qu’il nous a donné sans que nous l’eussions mérité. Car le Christ est mort pour les impies 8; et nul autre que le Seigneur ne pouvait donner une semblable nourriture avec une miséricordieuse bonté. Si donc il nous a fait un tel don pour cette vie; si le pécheur, pour être justifié, a reçu le Verbe fait chair, que ne recevra-t-il point quand il sera glorifié dans le ciel? « Car il se souviendra dans tous les siècles de son alliance », et n’ayant donné qu’un gage, il n’a point tout donné.
6. « Il fera voir à son peuple la puissance de ses œuvres 9 ». Qu’ils ne s’affligent point, ces saints d’Israël, qui ont tout quitté pour le
1.
I Cor. I, 31. — 2. Id. IV, 7. — 3. Rom. IX, 14, 18, 20. — 4. Ps. CX, 4.— 5.
Matth. XXI, 29, 20. — 6. Ps. CX, 5.— 7.
Jean, VI, 27. — 8. Rom, V, 6. — 9. Ps. CX, 6.
suivre; qu’ils ne s’affligent point, en disant: « Qui donc pourra être sauvé? puisqu’il sera plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux 1». Il leur montrera la puissance de ses oeuvres; car ce « qui est difficile aux hommes, devient facile à Dieu. Il leur donnera l’héritage des nations 2 ». L’Evangile a passé aux nations, et l’on a enjoint aux riches de ce siècle de n’être point orgueilleux, de ne mettre point leur espérance dans les richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant 3, à qui devient facile ce qui est difficile aux hommes. C’est ainsi que plusieurs ont été appelés, ainsi qu’on s’est emparé de l’héritage des nations, ainsi que plusieurs, qui n’avaient pas renoncé aux biens de cette vie pour suivre Jésus-Christ, ont bien osé mépriser la vie même pour confesser son nom, et s’étant humiliés comme des chameaux sous le fardeau des afflictions, sont entrés par la voie étroite des piquantes douleurs, comme par le trou de l’aiguille. Ainsi agit celui à qui tout est possible.
7. « L’oeuvre de ses mains, c’est la vérité et le jugement». Que ceux que l’on juge en ce monde gardent bien cette vérité. On juge ici-bas les martyrs, on les conduit à ces tribunaux où non seulement ils jugeront leurs juges, mais ces anges mêmes 4 avec lesquels ils étaient en lutte, quand les hommes paraissaient les juger. Ne soyons séparés du Christ ni par la tribulation, ni par l’angoisse, ni par la faim, ni par la nudité, ni par le glaive 5, « car tous ses oracles sont fidèles ». Il ne trompe point, mais tient ce qu’il a promis. Et toutefois, ce n’est point ici-bas qu’il faut attendre ce qu’il a promis, ici-bas qu’il faut l’espérer; mais eu ses oracles sont affermis à jamais, ils sont dictés dans la justice et dans « la vérité 6». Le vrai, le juste, c’est le travail ici-bas, le repos en l’autre vie. « Parce qu’il a envoyé à son peuple un Rédempteur 7 ». Et d’où ce peuple est-il racheté, sinon de la captivité de son exil? Ne recherchons donc le repos que dans la céleste patrie.
8. Dieu a donné aux Israélites charnels, cette Jérusalem terrestre
« qui est esclave avec ses enfants 8
»; mais tel est le vieux Testament, concernant le vieil homme. Or,
1.
Matth. XIX, 24-26.— 2. Ps. CX, 7.— 3. I Tim. VI, 17.— 4. I Cor. VI, 3.— 5.
Rom. VIII, 35.— 6. Ps. CX, 8.— 7. Id.
9.— 8. Gal. IV, 25.
ceux qui ont vu en cela des figures, sont devenus héritiers du Nouveau Testament: « Parce que la Jérusalem qui est en haut est libre, et c’est elle qui est notre Mère pour l’éternité dans les cieux 1 ». Or, il est prouvé que cet Ancien Testament n’avait que des promesses transitoires: « Il a établi son Testament pour jamais ». Or, quel Testament, sinon le Nouveau? O toi, qui veux en être l’héritier, point d’illusion, ne va point te figurer une terre où coulent le lait et le miel, ni d’agréables maisons de campagne, ni des jardins avec des fruits et des massifs; loin de toi de désirer ce que peut convoiter l’oeil des avares. Comme l’avarice est la source de tous maux 2, il faut l’étouffer en ce monde, afin qu’elle y meure, et non la réserver pour l’autre vie, pour y chercher satisfaction. Commence par fuir les peines de l’autre vie, par éviter l’enfer: avant de convoiter les promesses de Dieu, garde-toi de ses menaces, « Car son nom est saint et terrible ».
9. Au lieu de toutes les délices de ce monde que vous avez goûtées, ou que votre imagination peut grossir et multiplier, ne désirez plus que la sagesse, mère des impérissables délices; et « le commencement de cette sagesse,
1.
Gal. IV, 26.— 2. I Tim. VI, 10.
c’est la crainte du Seigneur ». C’est elle qui fera vos délices, qui vous fera goûter d’ineffables joies dans les chastes et éternels embrassements de la vérité: mais avant de chercher une récompense, il faut tout d’abord que tes péchés soient remis. « Le commencement de la sagesse est donc la crainte du Seigneur 1 ». L’intelligence est bonne, qui oserait le nier? Mais il est dangereux de comprendre et de ne point agir. Alors « l’intelligence est bonne pour ceux qui agissent ». Que notre esprit ne s’enfle point d’orgueil. Car celui dont la crainte est le commencement de la sagesse, est aussi celui « dont la eu louange demeure de siècle en siècle». Telle sera la récompense et la fin; et la station, le repos éternel. C’est là qu’on trouve les oracles fidèles, confirmés de siècle en siècle; tel est l’héritage du Nouveau Testament, héritage affermi pour l’éternité. « J’ai fait au Seigneur une prière unique, et j’insisterai, c’est d’habiter dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie 2. Bienheureux ceux qui habitent la maison du Seigneur; ils le béniront dans les siècles des siècles 3, parce que sa gloire demeure dans le siècle des siècles ».
1.
Ps. CX, 10. — 2. Id. XVI, 4. — 3. Id. LXXXIII, 5.
SERMON AU PEUPLE.
L‘inscription du titre porte: Conversion d’Aggée et de Zacharie. Ces prophètes, bien postérieurs à l’époque des Psaumes, ont prédit la reconstruction du Temple après les soixante-dix années de captivité. Mais ce temple est l’Eglise, par qui l’homme est renouvelé et entre comme pierre vivante dans sa construction. Tel est le temple que prophétisaient Aggée et Zacharie, et dont le couronnement sera la sagesse qui commence par la crainte du Seigneur. C’est au Seigneur qu’il appartient de juger l’homme qui se fait un bonheur d’accomplir sa loi, dont la postérité sera puissante sur la terre, puisqu’elle pourra, par de bonnes oeuvres, acquérir la vie éternelle. Loin de nous d’agir pour un motif humain, et de perdre la gloire qui demeure de siècle en siècle. Dieu nous a tirés de la vie ténébreuse pour nous apprendre à mériter le ciel par le pardon et le bienfait. L’homme doux, du Psaume, pardonne et prête; et il y a dans le pardon une gloire plus pure que dans la vengeance, dans le bienfait une richesse plus solide que celle de la terre. La gloire donc et les richesses sont pour le coeur juste. Régler nos paroles pour le jugement, c’est aussi régler nos oeuvres qui nous défendront alors; de là cette bénédiction pour la race des justes, tandis que leurs ennemis n’ont voulu que les biens périssables, et seront loin du Verbe de Dieu.
1. Je pense, mes frères, que vous avez en tendu et fixé dans votre mémoire le titre de ce psaume: « Conversion d’Aggée et de Zacharie », est-il dit. Or, ces Prophètes n’étaient point encore, quand ce cantique fut chanté. Car, entre l’époque de David et la transmigration du (616) peuple d’Israël à Babylone, on compte quatorze générations, au témoignage des saintes Ecritures, et surtout de l’Evangéliste saint Matthieu 1. Or, selon la parole du saint prophète Jérémie, on espérait que le temple sortirait de ses ruines soixante et dix ans après celte transmigration 2. Or, à l’accomplissement de ces soixante et dix ans, sous Darius, roi de Babylone 3, ces deux saints prophètes, Aggée et Zacharie, furent aussi remplis de l’Esprit-Saint 4; et tous deux, dans l’espace d’une année, commencèrent à prédire ce qui concernait la reconstruction du temple, déjà prédite si longtemps auparavant. Mais arrêter les yeux du coeur sur des faits complètement corporels, et ne pas élever son âme jusqu’aux actes spirituels de la grâce, c’est circonscrire sa pensée dans les pierres d’un temple dont la structure visible s’élève par la main des hommes, c’est ne pas devenir soi-même une pierre vivante qui se taille et se prépare à faire partie de ce temple auquel Jésus-Christ compara son corps en disant: « Détruisez ce temple, et je le rebâtirai en trois jours 5 ». L’Eglise est d’une manière bien plus parfaite le corps de Jésus-Christ, dont la tête s’élève au ciel, et qui est par excellence la pierre vivante, la pierre angulaire dont saint Pierre a dit: « Approchez-vous de lui comme de la pierre vivante », rejetée par les hommes, choisie et honorée par Dieu; et vous-mêmes, soyez établis sur lui, comme des pierres vivantes, pour former un édifice spirituel, un sacerdoce saint, afin d’offrir à Dieu des hosties spirituelles « qui lui soient agréables par Jésus-Christ 6». L’Ecriture dit en effet: « Voici que je place en Sion une pierre angulaire, choisie, précieuse, et quiconque croira en elle ne sera point confondu 7 ». Celui donc qui veut devenir une pierre vivante, propre à entrer dans cet édifice, doit comprendre d’une manière spirituelle comment le temple se relève de cette ruine antique faite en Adam, comment se régénère le peuple nouveau, selon l’homme nouveau, l’homme céleste; afin qu’après avoir porté l’image de l’homme terrestre, nous portions aussi l’image de Celui qui est dans le ciel 8, et qu’en lui, après tous les âges de cette vie, comme après ces septante années qui figuraient mystérieusement
1.
Matth. I, 17.— 2. Jérém. XXV, 12; XXIX, 10.— 3. I Esdr. I, 1.— 4. Agg. I, 1;
Zach. I, 1, 26.— 5. Jean, II, 19.— 6. I Pierre, 11, 4-6. — 7. Isa. XXVIII, 16.
— 8. I Cor. XV, 49.
la perfection, comme après la captivité de ce long exil, nous puissions non plus être construits en un édifice qui doit crouler un jour, mais être solidement établis dans une immortalité sans fin. Ne croyez pas en effet que la Jérusalem spirituelle soit plus aux Juifs qu’à vous-mêmes. Comme l’a dit en effet l’Apôtre: « Vous n’êtes plus désormais des étrangers, des exilés; mais vous êtes les concitoyens des saints, habitants de la cité de Dieu, construits sur le fondement des Apôtres et des Prophètes, édifice dont Jésus-Christ est lui-même la principale pierre angulaire; c’est sur lui que tout l’édifice construit s’élève jusqu’à devenir un temple consacré au Seigneur; et c’est par lui que vous faites partie de la construction de cet édifice, devenant la maison de Dieu par l’Esprit-Saint ».Voilà le temple que prophétisaient en figure Aggée et Zacharié, auquel saint Paul dit encore: « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple 2 ». Quiconque dès lors veut sortir de ce monde qui tombe en ruines, pour entrer comme pierre vivante dans la construction de cet édifice, et pour espérer une part dans cette union sainte et solide, comprend le titre du psaume, il comprend la conversion d’Aggée et dé Zacharie. Qu’il chante notre psaume, non plus par la voix, mais par les oeuvres. Et le couronnement de cet édifice sera l’ineffable paix dans la sagesse, dont le commencement est la crainte du Seigneur 3: qu’il commence par cette crainte, celui qui veut par sa conversion entrer dans l’édifice spirituel.
2. « Bienheureux l’homme qui craint le Seigneur, qui se tait un bonheur d’accomplir sa loi 4 ». C’est à Dieu, qui seul juge avec miséricorde et vérité, de voir combien notre interlocuteur a marché dans ses commandements: « Car la vie de l’homme sur la terre est une épreuve sans fin 5 », a dit Job. Et il est dit encore que le corps corruptible appesantit l’âme, et que cette habitation terrestre abat l’esprit capable des plus hautes pensées 6. Or, celui qui nous juge, c’est le Seigneur, et nous ne devons pas juger avant le temps, «jusqu’à ce que le Seigneur vienne et qu’il éclaire ce qui est caché dans les ténèbres, qu’il manifeste les pensées des coeurs; et alors chacun recevra sa louange de Dieu 7 ».
1.
Ephés. II, 19-22.— 2. I Cor. III, 17.— 3. Prov. I, 7.— 4. Ps. CXI, 1. — 5. Job,
VII, 1. — 6. Sag. IX, 15. — 7. I Cor. IV,
4, 5.
Que le Seigneur voie donc les progrès de chacun dans la voie de ses commandements; et toutefois il sera plein d’ardeur, celui qui aimera la paix de ce saint édifice; et il ne doit point désespérer, puisque sa volonté est pleinement dans la loi du Seigneur, et qu’il y a paix sur la terre pour les hommes de bonne volonté 1.
3. C’est pourquoi « sa postérité sera puissante sur la terre 2 ». Cette race ou semence, qui nous prépare une moisson pour l’avenir, consiste dans les oeuvres de miséricorde, selon l’Apôtre, qui nous dit: « Ne nous lassons pas de faire le bien, puisque nous moissonnerons dans la saison 3»; et encore: « Je vous le dis, quiconque sème peu, moissonnera peu 4 ». Quelle plus grande puissance, mes frères, que celle d’acheter le royaume des cieux, non seulement avec la moitié de nos biens, comme Zachée 5 mais encore avec les deux deniers de la veuve 6, et d’y posséder tous un héritage égal? Quelle plus grande puissance que d’acquérir un royaume, et le riche par ses trésors, et le pauvre par un verre d’eau froide? Or, plusieurs font ces oeuvres, pour acquérir les biens de la terre, ou dans l’espérance d’une récompense de ha part du Seigneur, ou dans le désir de plaire aux hommes; mais le Prophète ajoute que « la race des justes sera bénie », c’est-à-dire leurs oeuvres; car « le Seigneur est bon pour ceux « qui ont le coeur droit », et la droiture du coeur consiste à ne point résister au Père qui nous châtie, et à croire à ses promesses: et nulle bénédiction pour la race de ceux dont les pieds chancellent, dont la démarche est mal assurée et finit par la chute, comme un autre psaume l’a chanté, parce qu’ils ressentent de l’envie contre les pécheurs, en voyant la paix dont ils jouissent, et qu’ils s’imaginent que leurs oeuvres ont péri, dès lors qu’ils n’en reçoivent pas une récompense périssable 7. Mais pour cet homme qui craint le Seigneur, et qui en redressant son coeur le façonne pour le royaume de Dieu, il ne cherche point la gloire humaine et ne convoite pas les richesses terrestres, et pourtant: « La gloire et la richesse sont dans sa maison ». Car sa maison, c’est son coeur, et là, fortifié par la faveur de Dieu, il est plus riche par l’espérance de la vie éternelle, qu’il ne le
1. Luc, IX, 14. — 2. Ps, CXI, 2.
— 3. Gal. VI, 9. — 4. II Cor. IX, 6. — 5. Luc,
XIX, 8. — 6. Marc, XII, 42. — 7. Ps. LXXII, 1-14.
serait, avec les flatteries des hommes, dans des palais de marbre et d’azur, avec la crainte de la mort éternelle. « Car la justice de Dieu demeure cia siècle en siècle 1 ». Telle est la vraie gloire, telles sont les véritables richesses. Quant à cet autre, sa pourpre, son fin lin, ses festins splendides 2, tout cela s’en va, même quand il en jouit; et quand tout cela sera passé, sa langue desséchée demandera à grands cris qu’une goutte d’eau tombe du doigt de Lazare.
4. «Du sein des ténèbres la lumière s’est levée pour les coeurs droits 3 ». C’est avec raison qu’ils redressent leur coeur vers Dieu, avec raison qu’ils marchent dans le chemin droit, en présence de leur Dieu, préférant toujours sa volonté, et ne présumant point de la leur. Ils se souviennent, en effet, qu’autrefois ils étaient ténèbres, et qu’ils sont maintenant lumière dans le Seigneur 4. « Car le Seigneur Dieu est clément, juste et miséricordieux ». Sa clémence et sa miséricorde nous réjouissent, mais sa justice nous effraie peut-être. Loin de toi tout désespoir et toute crainte, ô toi, homme bienheureux, qui crains le- Seigneur,qui mets ta joie dans l’accomplissement de sa volonté: sois doux, miséricordieux, et bienfaisant. Car c’est ainsi que le Seigneur Dieu est juste, au point d’exercer un jugement sans miséricorde contre celui qui n’a point fait miséricorde 5. Or, « celui-là est doux, qui fait miséricorde et qui prête 6 »; Dieu ne le rejettera point de sa bouche comme celui qui serait fade. « Remettez -les dettes »,vous est-il dit, « et l’on vous remettra; donnez, et l’on vous donnera 7». C’est faire miséricorde, que remettre les dettes, afin que les nôtres nous soient remises; c’est prêter, que donner pour que l’on nous donne. Bien qu’en général on appelle miséricorde le soulagement que l’on procure à la misère; il y a néanmoins une différence entre donner, et ces occasions où l’on ne fait aucune dépense, ni en argent, ni en assistance par un travail corporel, et où nous acquérons gratuitement le pardon de nos péchés, en pardonnant aux autres leurs offenses envers nous. Ces deux effets de la charité, de pardonner les offenses et de procurer des bienfaits, comme nous l’avons remarqué dans l’Evangile: « Remettez, et il vous sera remis; donnez, et l’on vous donnera »,
1.
Ps. CXI, 5.— 2.Luc, XVI, 19.— 3. Ps. CI, 4.— 4. Ephés. V, 8.—. Jacob, II, 13. —
Ps. CXI, 5. — 3. Luc, XI, 37, 38.
sont ainsi résumés dans notre verset: «Celui-là est l’homme doux, qui pardonne et qui prête ». Ne négligeons rien ici, mes frères; c’est chercher la gloire, que vouloir se venger; mais écoutez ce qui est écrit: « L’homme qui dompte sa colère est plus fort que celui qui prend une ville 1». C’est vouloir s’enrichir que ne rien donner aux pauvres; mais
écoutez ce qui est écrit: « Vous aurez un trésor dans le ciel 2 ». Donc, pardonner n’est
point sans gloire; car il est plus grand de triompher de sa colère: on ne s’appauvrit point en donnant, parce que le trésor du ciel est bien plus sûr. Tout cela nous était annoncé par ce verset précédent: « La gloire et les richesses sont dans sa maison ».
5. Observer ces préceptes, c’est « régler ses paroles pour le jugement ». Les actes sont des paroles qui nous défendront au jugement, et ce jugement ne sera point sans miséricorde pour l’homme qui aura lui-même fait miséricorde. « Car il ne sera point ébranlé éternellement 4 » celui qui, placé à droite, entendra ces paroles: « Venez, ô bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde 5 ». Et dans ce jugement il ne sera question que de leurs oeuvres de miséricorde. Il entendra donc: Venez, ô bénis de mon Père; parce que « la race des justes sera bénie », de même aussi « la mémoire du juste sera éternelle « et il ne craindra point cette parole sévère 6», qu’il doit entendre prononcer contre ceux qui seront à gauche: « Allez au feu éternel, préparé à Satan et à ses anges 7 ».
6. Celui donc qui n’aura point cherché ses propres intérêts, mais ceux de Jésus-Christ 8, supporte le labeur avec une grande patience, et attend avec confiance les promesses divines:
« Son coeur est tout prêt à espérer dans le Seigneur »; et nulle épreuve ne saurait le briser. « Son coeur est fortifié et ne sera point ébranlé, jusqu’à ce qu’il voie le sort de ses ennemis 9». Ses ennemis n’ont voulu voir en cette vie que des biens, et quand on leur en promettait d’invisibles, ils disaient: « Qui nous fera voir les biens 10? » Que notre coeur donc s’affermisse, et ne soyons pas ébranlés jusqu’à ce que nous voyions le sort de nos ennemis. Pour eux, ils ont voulu voir les biens
1. Pro. XVI, 32. — 2. Matth. XIX, 21. — 3. Ps. CXI, 5. — 4. Id. 6.— 5.
Matth. XXV, 34. — 6. Ps. CXI, 7. — 7. Matth. XXV, 41. — 8. Philipp. II, 21. —
9. Ps. CXI, 7, 8.— 10. Id. IV, 6.
des hommes dans la terre des mourants; et nous, nous espérons « voir les biens du Seigneur sur la terre des vivants 1 ».
7. Mais c’est un grand point, d’avoir le coeur affermi, de n’être point ébranlé, quand on voit dans la joie ceux qui aiment ce qu’ils voient, et qui prodiguent l’insulte à celui qui espère ce qu’il ne voit pas. Toutefois, celui-là ne sera point ébranlé, dit le Prophète, jusqu’à ce qu’il voie, non les choses de la terre comme ses ennemis, mais les choses d’en haut au-dessus de ses ennemis, « celles que l’oeil n’a point vues, que l’oreille n’a point entendues, qui ne sont point montées au coeur de l’homme,et que Dieu néanmoins a préparées à ceux qui le craignent ». Quel n’est point le prix de ce bien invisible, et que l’on n’acquiert qu’au prix de ce que chacun peut avoir? Aussi le Prophète a-t-il ajouté: « Il a répandu ses biens, les a donnés aux pauvres ». Il ne voyait pas, et pourtant il achetait; mais Celui qui ne dédaignait point d’avoir faim et soif dans les pauvres, lui réservait un trésor dans le ciel. Il n’est donc pas étonnant que « sa justice demeure dans les siècles des siècles », puisqu’elle est gardée par Celui qui a fondé les siècles, « Sa force sera élevée en gloire », lui dont les superbes méprisaient les saints abaissements.
8. « Le pécheur verra et frémira de colère »: donc une pénitence tardive et sans huit. Contre qui sa colère, sinon contre lui-même, quand il dira: « De quoi nous a servi notre orgueil, et que nous revient-il de l’ostentation de nos richesses? » En voyant donc la force du juste s’élever en gloire, parce qu’il a répandu ses biens en les donnant aux pauvres, « il grincera les dents et séchera de dépit »; car il y aura des pleurs et des grincements de dents. Il ne ressemblera point à cet arbre qui reverdit et se couvre de feuilles, comme il serait devenu par un repentir à temps opportun; mais son repentir viendra quand « le désir des pécheurs s’évanouira » sans être adouci par aucune consolation. Car ce désir du pécheur doit s’évanouir, lorsque tout passera comme l’ombre, et quand la fleur tombera du foin desséché. « Mais le Verbe du Seigneur, qui demeure éternellement », se rira de leur perte et de leur véritable malheur, comme on l’a tourné lui-même en dérision, dans l’enivrement d’un bonheur passager.
1.
Ps. XXVI, 13.
SERMON AU PEUPLE.
C’est l’enfance que le Prophète invite à louer le Seigneur, ou plutôt c’est nous qui sommes invilés à redevenir enfants, alors que, notre âme étant sans orgueil, notre louange soit plus pure. Les enfants n’ont point cet orgueil qui cherche sa propre gloire et non celle de Dieu. Louons-le dès cette vie quand on nous le prêche, et toujours, parce qu’il est toujours et que son nom est grand partout. C’est lui qui domine les cieux, qui regarde ce qu’il y a d’humble dans le ciel, c’est-à-dire les âmes humbles qui lui forment un trône sublime, et qu’il a grandies, et les humbles de la terre ou ceux qui, vivant ici-bas, conversent dans le ciel. Ou bien encore les cieux seraient les saints qui siégeront sur des trônes pour juger avec le Christ, et la terre désignerait ces élus qui seront à droite; car les uns et les autres ont compris qu’ils doivent tout à la grâce, et telle est l’humilité. Leur grandeur et leur justice leur viennent de ce qu’ils ont reconnu que Dieu les a tirés de la poussière et du fumier des convoitises charnelles. Mais ils sont nombreux aussi ces enfants de l’épouse jadis stérile, et qui se sont fait des amis avec la monnaie de l’iniquité. Ainsi se réalise la promesse que les enfants d’Abraham seront nombreux comme les étoiles du ciel, dans ceux qui jugeront sur les trônes, et comme le sable de la mer, dans ceux qui seront à droite.
1. Vous savez, mes frères, et vous avez entendu souvent cette parole de Notre Seigneur dans l’Evangile: « Laissez venir à moi les petits enfants, car le royaume des cieux est à ceux qui leur ressemblent 1»; et encore: « Quiconque ne recevra point le royaume de Dieu comme un enfant, n’y entrera 2 ». Et dans plusieurs endroits, le Seigneur, pour nous rappeler à l’humilité d’une manière plus particulière, condamne l’orgueil du vieil homme et lui propose la vie de l’enfant comme un modèle d’humilité. Aussi, mes frères, quand vous entendez chanter dans les psaumes: « Enfants, louez le Seigneur », n’allez point croire que cette exhortation, n’est point pour vous, parce que vous avez dépassé l’âge de l’enfance, parce que vous avez la beauté d’une florissante jeunesse ou l’honorable blancheur du vieillard; c’est à vous que l’Apôtre a dit: « Ne soyez point sans discernement comme les enfants, mais soyez comme eux, sans malice, à la condition d’avoir la prudence des hommes faits 3». Quelle est cette malice, sinon l’orgueil? C’est lui qui s’élève dans une fausse grandeur, empêche l’homme de marcher dans la voie étroite, et d’entrer par la porte étroite. Pour l’enfant, il entre facilement par la porte étroite; et c’est pourquoi nul ne peut entrer dans le royaume des cieux, s’il ne devient semblable à l’enfant. Quoi de pire que l’orgueil,
1. Matth. XIX, 14 — 2. Marc, X,
15. — 3. I Cor. XIV, 20.
qui ne veut personne pour supérieur, pas même Dieu? Car il est écrit que « le commencement de l’orgueil, c’est de se séparer de Dieu 1». Loin de vous donc cet orgueil, qui ose bien lever la tête, se dresser à l’encontre des préceptes divins et secouer le joug si doux du Seigneur. Domptez-le, brisez-le, anéantissez-le; puis: « Louez le Seigneur, ô enfants, louez le nom du Seigneur 2 ». Quand l’orgueil sera détruit, et complètement anéanti, alors Dieu tirera de la bouche des nouveau-nés et des enfants à la mamelle, une louange parfaite 3; quand il sera étouffé, détruit complètement, que nul ne se glorifiera, sinon dans le Seigneur 4. Ils ne chantent point ainsi, ces hommes qui se croient de grands personnages; ils ne chantent point de la sorte, ceux qui, ayant connu Dieu, ne l’ont point glorifié comme Dieu, ou ne lui ont point rendu grâces, qui se louent sans louer Dieu, parce qu’ils ne sont point enfants, qu’ils veulent toute la gloire pour leur nom, et non point pour le nom du Seigneur. Aussi se sont-ils évanouis dans leurs pensées, et leur coeur s’est-il obscurci dans sa folie; et en se disant sages, ils sont devenus fous 5. Ils ont voulu pour leur nom un retentissement vaste et durable, eux qui doivent être si vite mis à l’étroit, tandis que c’est Dieu seul, le Seigneur seul,
1.
Eccli. XX, 1. — 2. Ps. CXII, 1. — 3. Id. VIII, 3.— 4. I Cor. I, 31.— 5. Rom, I, 21-22.
qui doit être prêché éternellement et partout. Qu’il soit donc éternellement prêché « que le nom du Seigneur soit béni et maintenant et jusque dans les siècles». Qu’on le prêche: « Depuis l’Orient jusqu’à l’Occident, que le nom du Seigneur soit loué 1 ».
2. Qu’un de ces saints enfants qui bénissent le Seigneur, vienne me questionner et me dire: Cette expression « jusque dans les siècles », je l’entends de l’éternité; mais pourquoi: « dès maintenant », et non point avant ce temps et avant tous les siècles, « que le nom du Seigneur soit béni? » Je répondrai à l’enfant qui ne fait point cette question par obstination: C’est à vous, seigneurs et enfants, c’est à vous qu’il est dit: « Louez le nom du Seigneur: que le nom du Seigneur soit béni »; qu’il soit béni par vous, ce nom du Seigneur, dès maintenant qu’on vous en avertit. Vous commencez à louer Dieu; louez-le pour jamais. « Dès maintenant» donc, et jusque dans les siècles, louez-le sans fin. Ne dites point: Nous avons commencé à louer le Seigneur, parce que nous étions enfants; maintenant, que l’âge est venu et que nous avons grandi, c’est nous-mêmes que nous bénissons. Non, mes enfants, non; et Dieu nous dit par Isaïe: « Je suis; et quand vous aurez vieilli, je suis encore 2 ». Il est donc toujours louable, Celui qui est toujours. « Louez-le donc dès aujourd’hui, ô enfants»; louez-le quand vous aurez vieilli « et jusqu’à la fin des siècles »; et la vieillesse aura pour vous la couronne des cheveux blancs de la sagesse, et non les rides flétries de la chair. Ou plutôt, comme l’enfance désigne principalement ici l’humilité, contraire à cette vaine et fausse grandeur de l’orgueil, et dès lors, comme il n’y a que les enfants pour louer le Seigneur, puisque les superbes ne savent point le louer, ayez une vieillesse enfantine et une enfance déjà mûre; c’est-à-dire que votre sagesse ne soit point orgueilleuse, non plus que votre humilité sans sagesse: afin que vous puissiez louer le Seigneur, « dès maintenant et jusque dans les siècles ». De quelque côté que l’Eglise du Christ soit répandue dans les petits qui sont saints, «louez le nom du Seigneur »; c’est-à-dire: « De l’Orient jusqu’au Couchant, louez le nom « du Seigneur ».
3. « Le Seigneur est élevé au-dessus de
1.
Ps. CXII, 2, 3. — 2. Isa. XLVI, 4.
toutes les nations 1 ». Ces nations sont des hommes, et qu’y a-t-il d’étonnant que le Seigneur soit élevé au-dessus des hommes? Ces idolâtres, qui abandonnent le Créateur pour adorer la créature, voient de leurs yeux briller dans le ciel ce soleil, cette lune et ces étoiles qu’ils adorent. Mais non seulement le Seigneur est élevé au-dessus des nations, « sa gloire domine aussi tous les cieux ». Les cieux voient donc le Seigneur bien au-dessus d’eux; et les humbles, quoique constitués dans la chair au-dessous du ciel, ont avec eux ce même Dieu qu’ils adorent sans adorer le ciel.
4. « Qui est semblable à Dieu Notre Seigneur, lequel habite les lieux élevés, et regarde ce qui est humble 2? » On pourrait croire que, d’un point élevé des cieux, le Seigneur regarde ce qu’il y a de plus bas sur la terre; mais il regarde « ce qu’il y a de plus bas dans le ciel et sur la terre ». Quel est donc ce lieu élevé qu’habite le Seigneur pour voir ce qui est abaissé dans le ciel et sur la terre? Dans ces lieux élevés qu’il habite, verrait-il aussi les humbles qu’il regarde? Car, élever les humbles, ce n’est point les rendre orgueilleux. Il habite alors les âmes humbles qu’il a élevées; il s’en fait un ciel ou un trône: et toutefois, comme ces âmes n’ont aucun orgueil, comme elles sont soumises à Dieu, il voit dans le ciel même ce qu’il y a de plus humble, ce qui lui forme un trône élevé. L’Esprit.Saint, en effet, s’exprime ainsi par la bouche d’Isaïe: «Voici ce que dit le Très-Haut, qui habite au plus haut des cieux, dont le nom est l’Eternel: Le Seigneur Très-Haut a son repos dans les saints 3 ». Il explique lui-même cette expression, qu’il habite au plus haut des cieux, en ajoutant, d’une manière plus claire, qu’il a son repos dans les saints. Mais quels sont les saints, sinon les humbles, sinon les enfants -qui louent le Seigneur? Aussi le Prophète nous dit-il qu’il grandit les âmes pusillanimes, et qu’il donne la vie aux humbles de coeur. Ces âmes timides qu’il grandit sont donc les saints, en qui il repose; car, en leur donnant la grandeur, il les élève; puis, reposant en eux il habite les hauteurs. Et en retour, comme il donne la grandeur aux humbles, il voit l’humilité dans ces mêmes hauteurs qu’il habite. Mais, dit le Prophète, « Dieu regarde les humbles dans le ciel et sur la terre».
1. Ps. CXII, 4.
— 2. Id. 5, 6. — 3. Ibid.
5. Il nous engage ainsi à examiner si les humbles du ciel sont les humbles de la terre, ou bien s’il y a humilité dans le ciel et humilité sur la terre, pour fixer les regards du Seigneur notre Dieu. Si ces humbles sont les mêmes, je vois comment je dois les entendre d’après ces paroles de saint Paul: « Quoique nous vivions dans la chair, nous ne combattons pas selon la chair; les armes de notre milice ne sont point charnelles, mais puissantes en Dieu 1». D’où leur vient la puissance, sinon de ce qu’elles sont spirituelles? Dès lors que saint Paul, tout en vivant dans sa chair, combat d’une manière spirituelle, ne nous étonnons pas que Dieu regarde son humilité, et dans le ciel à cause de la liberté de son esprit, et sur la terre à cause de sa servitude corporelle. Car le même Apôtre dit ailleurs: « Notre conversation est dans le ciel 2»; lui qui dit encore: « Il me serait très-avantageux d’être délié pour être avec le Christ, mais il est nécessaire pour vous que je demeure en la chair 3 ». Quiconque dès lors comprend et que la conversation de l’Apôtre soit dans le ciel, et qu’il demeure néanmoins ici-bas, doit comprendre aussi que Dieu habitant dans les saints les plus élevés, voit dans ces mêmes saints des esprits qui s’humilient devant lui, et dans le ciel, puisque, ressuscités par l’espérance en Jésus-Christ’, ils goûtent les choses du ciel; et sur la terre, puisqu’ils ne sont pas délivrés des liens de la chair, et ne peuvent être complètement à Jésus-Christ. Mais si le Seigneur notre Dieu voit une autre humilité dans le ciel, et une autre humilité sur la terre, je crois alors qu’il voit dans le ciel ceux qu’il a appelés, et en qui il habite, et sur la terre ceux qu’il appelle afin d’habiter en eux. Il possède les premiers tout absorbés dans les biens célestes, et il stimule les seconds qui rêvent encore les biens de la terre.
6. Mais comme il est difficile que l’on puisse appeler humbles ceux qui n’ont point encore pieusement courbé leurs épaules sous le joug suave du Seigneur, et que dans tout le psaume les saintes lettres nous avertissent d’appliquer aux saints cette expression d’humbles, on pourrait donner un autre sens que votre charité voudra bien examiner avec moi. Il me semble que les cieux signifient ici ceux
1.
II Cor. X, 3, 4. — 2. Philipp. III,
20. — 3. Id. I, 23, 24. —4. Coloss. III, 1.
qui seront assis sur des trônes pour juger avec le Seigneur 1, et que le nom de terre désigne
ce grand nombre d’élus qui seront à droite, et applaudis à cause de leurs oeuvres de charité, et reçus dans les tabernacles éternels par les amis qu’ils se sont faits eu cette vie mortelle, avec la monnaie de l’iniquité 2. C’est à eux que l’Apôtre a dit: « Si nous avons semé parmi vous des biens spirituels, est-ce donc beaucoup de recueillir de vos biens terrestres 3? » Dieu donc regarde dans le ciel ceux qui sèment des biens spirituels, et sur la terre ceux qui rétribuent avec les biens du temps; mais c’est l’humilité chez les uns, et l’humilité chez les autres. « Dans le ciel et sur la terre il regarde les humbles » car les uns et les autres ont compris ce qu’ils étaient par leur propre malice, et ce que Dieu les a faits par sa grâce. Car ce n’est pas seulement aux fidèles que le vase d’élection a dit: « Vous étiez autrefois ténèbres, maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur 4 »; et encore: « C’est la grâce qui vous a sauvés par la foi, et cela ne vient pas de vous, c’est un don de Dieu, et qui ne vient pas des oeuvres, afin que nul ne se glorifie »; puis, s’unissant lui-même au commun des fidèles, il ajoute: « Nous sommes l’ouvrage de Dieu, créés dans les bonnes oeuvres ». Il dit encore de lui en particulier, comme des autres que Dieu regarde du haut du ciel: « Nous étions, nous aussi, par nature enfants de colère comme les autres 5 ». Et ensuite: « Nous aussi, en effet, nous étions insensés et incrédules, égarés, asservis à toutes sortes de passions et de voluptés, agissant avec malignité et envie, digues d’être haïs et nous haïssant les uns les autres. Mais depuis que la bénignité et la tendresse de Dieu notre Sauveur a paru, il nous a sauvés, non à cause des oeuvres de justice que nous avons faites, mais par sa miséricorde, en nous faisant renaître, par le baptême 6 ». Voilà ces actes d’humilité que Dieu voit du haut du ciel. Tels sont les hommes spirituels qui jugent de toutes choses 7, mais humbles toutefois, de peur que Dieu ne les abaisse et ne les
juge. Et en parlant particulièrement de lui-même, l’Apôtre ne tient-il pas le même langage? « Je ne suis pas digne d’être appelé apôtre, nous dit-il, parce que j’ai persécuté
1.
Matth. XIX, 28. — 2. Luc, XVI, 9.— 3. I Cor. IX, 11.— 4. Ephés. V, 8.— 5. Id. II, 3-10. — 6. Tit. III,
3-5. — 7. I Cor, II, 19.
l’Eglise de Dieu 1; mais j’ai obtenu miséricorde, parce que je l’ai fait dans l’ignorance et dans l’incrédulité 2».
7. Après nous avoir dit dans les versets précédents: « Qui est semblable au Seigneur notre Dieu, lequel habite les hauteurs et jette les yeux sur les humbles au ciel et en la terre? » le Saint-Esprit, voulant nous montrer pourquoi ce nom d’humble dans le ciel, tandis que les hommes ainsi désignés sont grands, sont justes et dignes de s’asseoir sur des trônes pour juger, ajoute aussitôt: « C’est lui qui relève le pauvre de sa poussière, et l’indigent de son fumier, afin de le placer avec les princes, les princes de son peuple 3». Ainsi élevés en honneur, qu’ils ne dédaignent plus d’humilier leurs têtes sous la main de Dieu. Si d’une part, en effet, le dispensateur fidèle de l’argent de son maître est placé avec les princes du peuple de Dieu, s’il doit avoir place sur les douze trônes et juger les anges mêmes 4; d’autre part, néanmoins, le pauvre est relevé de la poussière, et l’indigent de son fumier. N’a-t-il pas été relevé de son fumier, cet homme asservi aux convoitises et aux voluptés de toutes sortes? Mais peut-être qu’en parlant de la sorte, le Prophète n’était plus pauvre, n’était plus indigent. Pourquoi donc gémit-il sous son fardeau, aspirant à se revêtir de cette gloire qui est dans le ciel? Pourquoi est-il souffleté de peur qu’il ne s’élève, et soumis à l’ange de Satan par l’aiguillon de sa chair 5. Il est grand, sans doute, puisque le Seigneur habite en lui, puisqu’il possède ce même esprit qui pénètre tout, même les profondeurs de Dieu 6: il est donc dans le ciel, mais c’est dans le ciel aussi que Dieu regarde ce qui est humble,
8. Quoi donc I mes frères, si déjà nous avons entendu que ce qui est humble dans le ciel a été tiré du fumier, pour être placé avec les princes du peuple, n’est-il fait aucune mention de tout ce qui est humble, et que Dieu regarde sur la terre? Ces amis, qui doivent juger avec le Seigneur, sont moins nombreux, en effet, que ceux qu’ils recevront dans les tabernacles éternels. Quoique la masse du bon grain soit petite, en
1. I
Cor. XV, 9.— 2. I Tim. I, 13.— 3.
Ps. CXII, 7, 8.— 4. Matth. XIX, 28. — 5. I Cor. XI, 7. — 6. Id. II, 10.
comparaison de la paille qui en est séparée; considérée en elle-même, elle est néanmoins abondante. « Les enfants de l’épouse abandonnée sont plus nombreux que ceux de l’épouse qui a un mari 1». Les enfants de celle qui a enfanté par la grâce et dans sa vieillesse sont plus nombreux que les enfants de celle qui, dès son jeune âge, s’est unie à un époux par le lien de la loi. Je dis qu’elle a conçu dans sa vieillesse; puisque Sara, notre mère, est devenue, à cause du seul Isaac, mère de tous les fidèles répandus par toutes les nations. Or, voyez la femme dont parle Isaïe: on dirait qu’elle n’est point mère et qu’elle n’a point d’enfants. Et pourtant, que va-t-on lui dire: « Les enfants que tu avais perdus te diront à l’oreille: La demeure est trop étroite, faites-nous une enceinte plus vaste et que nous puissions habiter. Et toi, tu diras dans ton coeur: Qui m’a donné ces enfants, car je sais que j’étais veuve et sans enfants? Qui me les a nourris? J’étais seule, j’étais abandonnée. D’où me sont-ils venus? » Tel est en partie le langage de l’Eglise, qui paraît stérile aussi, dans ces mêmes foules qui n’ont pas encore tout abandonné pour suivre le Seigneur, et s’asseoir sur douze trônes. Mais dans ces mêmes foules, combien n’est-il pas de ces hommes qui se sont fait des amis avec la monnaie de l’iniquité, et qui siégeront à la droite à cause des oeuvres de miséricorde? Non seulement, donc, le Seigneur élève de son fumier le pauvre qui doit être placé avec les princes de son peuple; mais encore: « Il fait habiter dans la maison la femme stérile, et lui donne la joie des mères. Ce même Dieu qui habite les hauteurs, et regarde ce qu’il y a d’humble dans le ciel et sur la terre »; c’est-à-dire cette race d’Abraham, nombreuse comme les étoiles du ciel, dans ces mêmes saints qui siégent sur les trônes les plus sublimes; et comme le sable des bords de la mer, dans cette multitude sans nombre d’hommes au coeur miséricordieux, et qui doivent être séparés des flots de la gauche, flots d’amertume et d’impiété.
1.
Isa. LIV, 1.
Le but du Psaume est moins de raconter le passé que d’annoncer l’avenir. Les faits étaient prophétiques, le Psaume l’est aussi. Voilà pourquoi sa narration diffère quelque peu de l’histoire qui ne dit rien de ces tressaillements des montagnes et des collines. Par la foi nous sommes enfants d’Abraham, père de toutes les nations qui seront bénies dans le Christ. Or, l’Egypte d’où sortit Israël est la maison de l’affliction, la figure du monde oppresseur dont il faut nous séparer, et toutefois avec le secours de Dieu. Le prophète Michée nous montre aussi qu’il s’agit de nous, en nous parlant de péchés à submerger, et ces péchés sont les ennemis qui nous poursuivent quand nous abjurons le monde, La mer qui s’enfuit quand nous nous consacrons à Dieu, ce sont les obstacles qui s’aplanissent. Ce Jourdain qui retourne en arrière figure l’homme qui tournait le dos à Dieu, et qui retourne par la conversion à son créateur. Les montagnes et les collines qui bondissent sont les Apôtres et les prédicateurs qui s’applaudissent de nous avoir engendrés à Jésus-Christ; parce qu’alors la terre s’est ébranlée, en présence du Seigneur, qui nous a ouvert, dans la pierre ou dans le Christ, les sources de la grâce.
1. Nous avons lu, mes frères, et nous avons tort bien retenu, ce que nous raconte le livre de l’Exode, que le peuple d’Israël fut délivré de l’injuste domination des Egyptiens, passa la mer à pied sec 1, entre les deux murailles que formaient les flots; que le fleuve du Jourdain 2, par où il devait entrer dans la terre des promesses, s’arrêta, quand les pieds des prêtres qui portaient l’arche du Seigneur Vinrent à le toucher; que les eaux d’en haut retinrent leur cours, au lieu que celles d’en bas s’écoulèrent à la mer, tant que les prêtres se tinrent debout au milieu du fleuve desséché, et que le peuple passa. Voilà ce que nous savons; et, toutefois, ne nous imaginons pas que dans le psaume que nous chantons, en le faisant précéder et suivre de l’Alleluia, l’Esprit-Saint ne veuille que nous rappeler le passé, sans nous reporter vers l’avenir. « Toutes ces choses, nous dit l’Apôtre, n’arrivaient aux Juifs qu’en figures, et elles ont été écrites pour nous instruire, nous qui venons à la fin des siècles 3 ». Ainsi donc, lorsque nous entendons le psaume nous dire: « Quand Israël sortit de l’Egypte, et la famille de Jacob du milieu d’un peuple barbare, Judas devint pour le Seigneur un peuple saint, et Israël le siége de sa puissance; la mer le vit et s’enfuit, le Jourdain rebroussa vers sa source »; ne nous imaginons point qu’on veuille raconter le passé, c’est plutôt
1.
Exod. XIV, 22. — 2. Josué, III, 15-17. — 3. I Cor. X, 11.— 4.
Ps. CXIII, 2, 3.
l’avenir que prédit le Psalmiste; quand ces miracles s’accomplissaient chez ce même peuple, ils étaient dans le présent, mais ne laissaient pas d’avoir une signification pour l’avenir. Le Prophète, qui chantait ces merveilles prophétiques, nous montre dès lors qu’il donne à ses paroles le même sens qu’avaient les faits, puisqu’un seul et même Esprit a dirigé les faits et dicté les paroles, afin que ces actions et ces paroles fussent des avant-coureurs de ce qu’il se réservait de nous montrer à la fin des siècles. Le Prophète ne raconte point les faits tels qu’ils se sont passés, mais d’une manière quelque peu différente de celle que nous lisons, de peur qu’on ne crût qu’il racontait le passé plutôt qu’il ne prédisait l’avenir. Tout d’abord, nous ne lisons point que le Jourdain remonta vers sa source, mais qu’il s’arrêta du côté que les eaux descendaient de la source, pendant que le peuple passait. Ensuite nous ne lisons pas que les collines et les montagnes bondirent, ce que le Prophète ajoute, et qu’il répète même deux fois. Après avoir dit: « La mer le vit et s’enfuit, le Jourdain rebroussa en arrière », il ajoute: « Les montagnes bondirent comme des béliers et les collines comme des agneaux ». Puis, dans une apostrophe: « Pourquoi, mer, as-tu fui, et toi, Jourdain, pourquoi rebrousser en arrière? Pourquoi, montagnes, tressaillir comme le bélier; et vous, collines, comme des agneaux 1? »
1.
Ps. CXIII, 3 - 6.
2. Voyons donc la leçon que nous donne le Prophète; car, et ces actions étaient des symboles qui nous concernaient, et ces paroles nous engagent à nous reconnaître nous-mêmes. Si nous conservons fermement la grâce de Dieu qui nous a été donnée, nous sommes Israël et postérité d’Abraham; et c’est à nous que l’Apôtre a dit: « Vous êtes donc la postérité d’Abraham 1»; comme il le dit en effet à un autre endroit: « Ce n’est point après la circoncision, mais avant, que la foi d’Abraham lui fut imputée à justice, et ainsi il reçut la marque de la circoncision, comme le sceau de la justice qu’il avait mérité par la foi, lorsqu’il était encore incirconcis, pour être le père de ceux qui croient sans être circoncis, afin que leur foi leur soit également imputée à justice; et pour être le père des circoncis, qui non seulement ont reçu la circoncision, mais qui suivent les traces de la foi de notre père Abraham, lorsqu’il était encore incirconcis 2 ». Car il n’est pas seulement père, et selon la chair, du peu. pie circoncis, lui à qui il fut dit: « Je t’ai établi père de beaucoup de nations ». Or, de beaucoup ne signifie pas de quelques-unes, mais bien de foules, ainsi qu’il est indiqué clairement dans ces paroles: « En loi seront bénies toutes les nations 3». Que nul chrétien donc ne se croie étranger au nom d’Israël. Car nous sommes unis, par la pierre angulaire, à ceux des enfants d’Israël qui embrassèrent la foi, et dont les principaux sont les Apôtres. De là cette parole du Seigneur: « J’ai encore u d’autres brebis, qui ne sont pas de ce bercail; il me faut les amener, afin qu’il n’y ait plus qu’un seul troupeau et qu’un seul pasteur 4». C’est donc plutôt le peuple chrétien qui est Israël, c’est lui qui est principalement la maison de Jacob, car Jacob et Israël ne sont qu’un même homme. Or, cette foule de Juifs, à qui leur perfidie a valu la réprobation, qui a vendu son droit d’aînesse pour un plaisir charnel, appartient plutôt à Esaü et non à Jacob. Car, vous le savez, tel est le sens de cette parole mystérieuse: « L’aîné servira le plus jeune 5».
3. Quant à l’Egypte, qui signifie affliction, ou celui qui afflige, qui opprime, elle est souvent la figure de ce siècle, dont il faut nous séparer en esprit, pour ne point porter
1.
Gal. III, 29. — 2. Rom. IV, 10.12. — 3. Gen. XXII, 18. — 4. Jean, X, 16.—
5. Gen. XXV, 23, 33; Rom. IX, 13.
le joug avec les infidèles 1. Car on ne devient citoyen de la Jérusalem céleste qu’en renonçant tout d’abord au monde; de même que le peuple d’Israël ne put être conduit dans la terre des promesses, qu’en sortant d’abord de l’Egypte. Mais, de même qu’il n’en sortit que par le secours de Dieu, qui le délivra; de même nul coeur humain ne renonce au monde que par le secours de la divine miséricorde. Car ce qui arriva une fois en figure, arrive en cette dernière heure 2, comme l’a dit saint Jean, en chacun de ceux qui croient, et que l’Eglise enfante chaque jour. Ecoutez en effet ce que nous apprend, au sujet de ce mystère, le docteur des nations: « Je ne veux pas vous laisser ignorer, mes frères, que nos pères ont tous été sous la nuée, qu’ils ont tous passé la mer Rouge et qu’ils ont tous été baptisés sous la conduite de Moïse, dans la nuée et dans la mer; qu’ils ont tous mangé la même viande mystérieuse, et qu’ils ont tous bu le même breuvage mystérieux; car ils buvaient de la pierre mystérieuse qui les suivait; et cette pierre était le Christ. Mais la plupart d’entre eux ne furent point agréables au Seigneur, et ils périrent au désert. Or, toutes ces choses étaient des figures qui nous concernent 3 ». Que voulez-vous de plus, mes frères bien-aimés? Ce n’est point là un enseignement basé sur l’opinion humaine, mais bien sur le témoignage de l’Apôtre, c’est-à-dire sur le témoignage de Dieu même; car c’est Dieu qui parlait dans les Apôtres, lui qui faisait retentir son tonnerre par ces nuées, bien qu’elles fussent de chair. Telle est donc la grande autorité qui nous assure que toutes ces choses figuratives du passé s’accomplissent maintenant dans l’affaire de notre salut; elles étaient donc prédites avant d’être accomplies, et aujourd’hui, lire le passé, c’est connaître le présent.
4. Ecoutez quelque chose de plus admirable encore, des mystères cachés sous un
voile dans les livres anciens, et en partie révélés par ces mêmes livres. Le prophète Michée parle ainsi: « Je vous montrerai les merveilles comme au jour de votre sortie d’Egypte. Les nations verront et seront confondues de sa force; elles mettront leurs mains sur leurs bouches, et leurs oreilles
1.
II Cor. VI, 14.— 2. I Jean, II, 18.— 3. I Cor. X, 1-8.
seront assourdies; elles lécheront la poussière comme les serpents qui rampent sur la terre; elles seront troublées dans leurs demeures, et dans la stupeur en présence du Seigneur Dieu, et vous les jetterez, Seigneur, dans l’épouvante. Qui est semblable à ton Dieu, pour ôter l’iniquité, et oublier les péchés du reste de ton héritage? Il n’a point répandu sa colère comme un témoignage, parce qu’il fait ses délices de la miséricorde; mais il reviendra et aura pitié de nous, il déposera nos iniquités, il précipitera toutes vos fautes au fond de l’abîme 1 ». Vous le voyez, mes frères, Dieu nous révèle ici les mystères les plus saints. Dans ce psaume, dès lors, bien que l’Esprit-Saint nous découvre les merveilles de l’avenir, il semble néanmoins nous entretenir du passé. « Le peuple Juif», dit-il, « fut son peuple saint: la mer le vit et s’enfuit». Fut, vit, et s’enfuit, sont les expressions du passé. Le Jourdain rebroussa, les montagnes bondirent, la terre fut ébranlée, tout cela est au passé, et néanmoins nous devons l’entendre de l’avenir. Autrement, nonobstant la vérité de l’Evangile, il nous faudrait aussi voir un fait accompli, et non une prophétie de l’avenir, dans cette parole: « Ils ont partagé mes vêtements, et tiré ma robe au sort 2 ». Bien que ces paroles soient au passé, elles étaient néanmoins une prophétie de ce qui devait arriver si longtemps après, à la passion du Sauveur. Et toutefois, mes frères bien-aimés, le Prophète, que je viens de citer, a voulu ouvrir les yeux les moins clairvoyants pour les faire passer instantanément des choses passées à l’intelligence des choses futures, afin non seulement de nous faire croire, sur l’autorité des Apôtres, que nous étions figurés dans ces actes, mais de nous le montrer par les Prophètes eux-mêmes, en sorte que, après le témoignage de leurs écrits, la vérité que nous découvrons avec certitude nous remplisse de sécurité et de joie, en tirant ainsi du trésor des saintes Ecritures des choses nouvelles et anciennes, qui ont un si parfait accord. Bien que le Prophète que je viens de citer n’ait ainsi parlé que fort longtemps après la sortie de l’Egypte, et fort longtemps aussi avant les jours de l’Eglise, il assure néanmoins, à n’en pas douter, qu’il prédit l’avenir. « Je ferai des prodiges », nous dit-il,
1.
Mich. VII, 15 -19. — 2. Ps. XXI, 19.
« comme à leur sortie de l’Egypte. Les nations le verront et seront confondues ». C’est-à-dire, comme l’a précisé le psaume: « La mer le vit, et s’enfuit ». Or, si ces expressions « vit » et « s’enfuit », qui marquent le temps passé, en figurent un autre qui est à venir, devant ces autres expressions: « Ils verront et seront confondus », qui sont bien au futur, quel homme pourrait penser au passé? Un peu après le même Prophète nous montre, avec la clarté du jour, que ces ennemis, qui nous poursuivaient pour nous donner la mort, sont bien nos péchés, que le baptême efface et submerge comme la mer engloutit les Egyptiens: « Dieu », nous dit-il, « se plaît à faire miséricorde; il reviendra, et nous prendra en pitié; il submergera nos iniquités, et précipitera nos péchés dans la mer ».
5. Qu’est-ce à dire, mes chers frères? vous, qui vous reconnaissez pour les véritables enfants d’Abraham, qui êtes la maison de Jacob, les héritiers de la promesse, comprenez que vous êtes sortis de l’Egypte, puisque vous avez renoncé au monde, que vous êtes séparés du milieu d’un peuple barbare, eu abjurant par un humble aveu, les blasphèmes des nations. Ce n’est point en effet votre langue, mais la langue barbare, qui ne sait point louer ce Dieu à qui vous chantez l’Alleluia; c’est en vous que la nation juive a été consacrée à Dieu: « Car le juif n’est point celui qui l’est au dehors, et la circoncision n’est pas celle qui se faisait sur la chair; mais le juif est celui qui l’est intérieurement, et la circoncision se fait dans le coeur 1 ». Interrogez donc vos coeurs; voyez si la foi les a circoncis, et si la confession les a purifiés, alors c’est en vous que le peuple Juif est consacré à Dieu, en vous que réside son pouvoir sur Israël. Car il vous a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu 2.
6. Que chacun de vous se souvienne maintenant du moment où il a résolu d’appliquer son coeur à Dieu, de s’humilier sous son joug qui est si doux, d’abjurer toutes les convoitises du vieil homme et de l’ignorance, de soumettre à Dieu son esprit, en renonçant avec mépris à ce qu’il y a de charnel en ce monde (ce qui était pour lui un labeur sans fruit, comme s’il eût fabriqué sous le joug du démon, des briques en Egypte), alors que la voix de Dieu lui disait: « Venez à moi, vous
1.
Rom. II, 28, 29. — 2. Jean, I, 12.
tous qui souffrez, et qui êtes chargés, et je vous soulagerai 1 »; et en vous chargeant du fardeau du Christ, que chacun de vous se souvienne comment tous les obstacles du monde s’aplanirent; les voix, qui eussent voulu le dissuader, n’osèrent se faire entendre, ou rentrèrent dans le silence, en considérant le nom du Christ honoré et chanté dans toute la terre. Donc, « la mer a vu et a pris la fuite », afin de t’ouvrir un passage sans obstacle à la liberté de l’esprit.
7. Pour savoir comment rebroussa le Jourdain,je ne veux point que vous cherchiez hors de vous-mêmes, ou que vous soupçonniez quelque chose de mauvais. Le Seigneur reproche à quelques-uns de lui tourner le dos et non la face 2. Or, quiconque abandonne son principe, et se détourne de son Créateur, tombe dans les eaux amères de ce monde, comme le fleuve dans la mer. Il est donc bon pour lui qu’il remonte vers sa source; qu’il se trouve face à face avec ce Dieu, auquel il avait tourné le dos; qu’il laisse bien derrière lui cette mer de ce monde, qu’il avait placée devant lui, et où il précipitait sa chute; qu’il oublie ainsi tout ce qui est derrière lui pour s’avancer vers ce qui est devant lui 3: tel est le bien pour tout homme déjà converti. Oublier ce qui est derrière lui, avant d’être converti, ce serait oublier Dieu, puisqu’il l’a mis derrière et lui a tourné le dos; et s’avancer vers ce qui est devant lui, ce serait s’avancer vers le siècle, car c’est au siècle qu’il a tourné la face pour s’y précipiter avidement. Le Jourdain est donc la figure de ceux qui ont reçu la grâce du baptême; et le Jourdain remonte vers sa source, quand ces hommes se tournent vers Dieu, afin de ne plus l’avoir derrière eux, mais de contempler la gloire du Seigneur à visage découvert, et d’être transformés en sa ressemblance de clarté en clarté 4.
8. « Les montagnes bondirent comme des béliers »; c’est-à-dire les saints Apôtres,
fidèles dispensateurs de la parole de vérité, les saints prédicateurs de l’Evangile. « Et les collines comme des agneaux 5 » c’est-à-dire les néophytes à qui l’Apôtre a dit: « Je vous ai engendrés par l’Evangile à Jésus-Christ »; et encore: « Ce n’est point pour donner de la confusion que je vous écris,
1. Matth. XI,
28.— 2. Jérém. II, 27.— 3. Philipp. III, 13.— 4. II
Cor. III, 18. — 5. Ps. CXIII, 4.
mais pour vous avertir, comme des enfants bien-aimés 1 »; et encore: « Offrez au Seigneur les petits des béliers 2 ». Jetez les yeux sur la terre, vous qui savez admirer ces merveilles, qui en ressentez de l’allégresse et chantez des cantiques d’actions de grâces au Seigneur votre Dieu: jetez les yeux, et voyez comment s’accomplissent, parmi les nations, ces prophéties et ces actions figuratives, qui ont devancé de tant de siècles.
9. Voyez et chantez avec le Prophète: « Pourquoi t’enfuir, ô mer; et toi, Jourdain, pourquoi rebrousser en arrière; montagnes, pourquoi bondir comme des béliers; et vous, collines, comme des agneaux 3? » D’où vient, ô monde, que tes obstacles sont impuissants? et vous, fidèles, répandus par myriades sur la terre entière, comment avez-vous renoncé au monde, pour vous tourner vers Dieu? D’où vous viennent ces transports de joie, vous à qui l’on dira: « Courage, bon serviteur, parce que tu as été fidèle en peu de choses, je t’établirai sur beaucoup 4? » D’où vous vient votre joie, vous à qui l’on dira au dernier jour: « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde 5 ».
10. Tout vous répondra, et vous vous répondrez à vous-mêmes: «La terre s’est ébranlée devant la face du Dieu de Jacob 6 ». Qu’est-ce à dire: « Devant la face du Seigneur », sinon en présence de Celui qui a dit: « Voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles 7? » Car la terre s’est. ébranlée, en effet, elle qui était demeurée dans une langueur coupable, s’est ébranlée pour être solidement affermie devant la face du Seigneur.
11. « C’est lui qui a changé la pierre en un torrent, et les rochers en une source d’eau 8 ». Lui-même s’est changé en eau, et ce qui en lui était en quelque sorte solide, s’est liquéfié, afin d’arroser ses fidèles, et d’être en eux une source d’eau vive, jaillissant jusqu’à la vie éternelle 9, parce qu’il se montra, surtout d’abord, à ceux qui ne le connaissaient point. De là ce trouble de quelques-uns qui n’attendirent point que le Christ leur ouvrit les saintes eaux de l’Ecriture qui les eussent
1.
I Cor. IV, 14, 15. — 2. Ps. XXVIII, 1. — 3. Id. CXIII, 5, 8. — 4. Matth. XXV,
21.— 5. Id. 34. — 6. Ps. CXXII, 7.— 7. Matth.
XXVII, 20. — 8. Ps. CXIII, 8. — 9. Jean, IV, 14.
inondés, et qui s’écrièrent: « Ce discours est dur, et qui peut l’entendre 1?» Telle est la pierre, telle est la dureté convertie en étang d’eau, et ce rocher devint une source d’eau vive, quand,après sa résurrection, il leur montra par tous les Prophètes, à commencer par Moise, que le Christ devait souffrir de la sorte 2, et qu’il leur envoya l’Esprit-Saint, dont il est dit: « Que celui qui a soif vienne à moi, et qu’il boive 3 ».
12. « Ce n’est point à nous, Seigneur, ce n’est point à nous, mais à votre nom qu’il faut donner la gloire 4». Cette grâce, ou cette eau vive, qui s’échappe de la pierre (et la pierre était le Christ 5), n’a pas été donnée en vertu des mérites qui l’auraient précédée; nais celui qui justifie l’impie 6 l’a donnée par un acte de miséricorde. Car c’est pour les impies que le Christ est mort 7, afin que les hommes ne cherchassent point leur gloire, mais celle de Dieu.
13. « A cause de votre miséricorde et de votre vérité », ajoute le Prophète. Voyez combien souvent sont unies dans l’Ecriture, ces deux vertus, la miséricorde et la vérité. C’est dans sa miséricorde que Dieu appelle à lui les impies, et c’est dans sa vérité qu’il juge ceux qui ont refusé de venir. « Afin que les nations ne disent jamais: Où est leur Dieu 8? » Au dernier jour apparaîtront sa miséricorde et sa vérité, quand le signe du Fils de l’homme se montrera dans le ciel, et alors toutes les tribus de la terre seront dans les larmes, et ne diront point: « Où est leur Dieu? » car alors on ne leur prêchera plus
1.
Jean, VI, 61. — 2. Luc, XXIV, 26, 27. — 3. Jean, VII,
37. — 4. Ps. CXIII, 1.— 5.
I Cor. X, 4.— 6. Rom, IV, 5.— 7. Id. V, 6.— 8. Ps. CXIII, 2.
la foi en lui, mais elles le verront dans sa majesté.
14. « Notre Dieu est au plus haut des cieux ». Non point dans ces mêmes cieux où les nations voient le soleil, la lune, ces oeuvres de Dieu, qui sont leurs divinités; mais notre Dieu est par-dessus les cieux, c’est-à-dire au-dessus de tous les corps, et célestes et terrestres. Il n’habite point le ciel, de manière à craindre que le ciel se retire, et qu’il se trouve ainsi sans aucun siège. « C’est lui qui a fait tout ce qu’il lui a plu dans les cieux et sur la terre 1». Il n’a aucun besoin des ouvrages qu’il a créés, comme pour s’en faire un siége ou une demeure. Mais il subsiste dans son éternité, il y demeure pour faire ce qu’il lui plaît dans le ciel et sur la terre, Les cieux en effet ne le portaient point afin d’être faits par lui, puisque s’ils n’étaient déjà faits, ils ne pourraient le porter. C’est donc lui qui maintient comme ayant besoin de lui ces créatures dans lesquelles il est présent, et non lui qui a besoin d’être contenu en elles. Ces paroles: « Il a fait ce qu’il lui a plu dans le ciel et sur la terre », peuvent encore s’entendre en ce sens que volontairement il répand sa grâce sur ceux de son peuple qui sont élevés, et sur ceux qui sont dans les basses conditions, afin que nul ne se glorifie du mérite de ses oeuvres. Que les montagnes en effet bondissent comme des béliers, que les collines tressaillent comme des agneaux, la terre s’est ébranlée devant la face du Seigneur, afin que nul ne demeure éternellement dans les souillures d’ici-bas.
1.
Ps. CXXIX, 3.
Ces grâces du Seigneur par lesquelles finit le psaume précédent, nous viennent de la miséricorde et de la vérité que les nations verront au dernier jour, alors que Dieu fera éclater la gloire de son nom, et qu’elles ne diront plus: Oh est leur Dieu? Quant aux dieux des nations, ce sont des simulacres fabriqués par les hommes et inférieurs même aux bêtes, puisque du moins celles-ci ont un cri, inférieurs au cadavre, qui du moins a vécu. L’Ecriture en réprouvant fréquemment les idoles, combat le penchant des hommes à se laisser séduire par la forme attrayante, et à lui attribuer quelque puissance. Mais si quelque puissance habite l’idole, c’est une puissance démoniaque; et si l’on prétend adorer les mêmes éléments dans ces mêmes idoles, c’est mettre la créature à la place du Créateur; souvent encore la statue nous fait illusion au point que pour adorer la statue du soleil nous tournons souvent le dos au soleil. Pour nous, si nous avons des vases sacrés, ce sont des instruments et non les objets d’un culte. Quant à la maison d’Israël, et à la maison d’Aaron, ou des saints grands et petits; ils ont mis leur espérance dans le Créateur du ciel et de ta terre, qui a béni les uns et les autres, et à leur tour ils le béniront dans l’éternité.
1. Pour tout homme, qui examine avec attention, il y a dans tous les psaumes une liaison telle que le suivant pourrait toujours se joindre au précédent; ici, néanmoins, nous
devons envisager celui-ci comme n’en formant qu’un seul avec le précédent. C’est en effet dans ce précédent que le Prophète a dit: « Ce n’est point sur nous, Seigneur, ce n’est point sur nous, mais bien sur votre nom qu’il faut faire éclater votre gloire, à cause de votre miséricorde et de votre vérité afin que les nations ne disent plus: Où est leur Dieu 1? » Car nous adorons un Dieu invisible, que ne peut voir l’oeil du corps, et que n’aperçoit que le petit nombre dont le coeur est très-pur. Or, comme si les nations pouvaient dès lors nous dire: Où donc est leur Dieu? car elles peuvent mettre sous nos yeux leurs divinités: voilà que le Prophète nous avertit que la présence de Dieu se fait sentir par ses oeuvres, « puisqu’il est au-dessus des cieux, et qu’il fait ce qu’il lui plaît dans le ciel et sur la terre ». Et comme s’il nous disait: Que les Gentils nous montrent leurs dieux, « Les idoles des nations », s’écrie le Prophète, « sont de l’or et de l’argent, oeuvres de la main des hommes 2 ». C’est-à-dire, quoique nous ne puissions mettre sous vos yeux charnels ce Dieu que nous adorons, et que vous devez comprendre par ses oeuvres, ne vous laissez pas néanmoins séduire par la vanité des idoles, sous le prétexte que vous pouvez montrer du doigt ce que vous adorez.
1.
Ps. CXIII, 1, 2. — 2. Id. 4.
Il serait plus honorable pour vous de n’avoir aucune divinité à montrer, que de montrer par ces idoles, que vous étalez à nos yeux, jusqu’où va l’aveuglement de votre coeur. Que nous montrez-vous en effet, sinon de l’or et de l’argent? Ils en ont même d’airain, de bois, de terre cuite, et de telle ou telle autre matière. Mais l’Esprit-Saint a préféré mentionner ce qu’ils ont de plus précieux, parce que l’homme, qui aura rougi d’adorer ce qu’il y a de précieux, renoncera d’autant plus facilement au culte de ce qu’il y a de plus vil. On lit en effet dans un autre endroit des saintes Ecritures, à propos des idolâtres: « Ils disent au bois: Tu es mon père, et à la pierre: Tu m’as engendré 1 ». Mais que celui qui se croit plus sage, parce qu’il a tenu ce langage à l’or et à l’argent, non plus au bois et à la pierre, jette ici les yeux et y apporte l’oreille de son coeur: « Les simulacres des nations sont de l’or et de l’argent». Le Prophète ne désigne ici rien de vil et de méprisable; et pour l’homme, dont le coeur n’est point encore devenu terre, l’or et l’argent ne sont qu’une terre, mais plus belle, plus brillante, plus ferme, plus solide. Ne va donc point chercher la main des hommes pour faire une fausse divinité avec le métal qu’a créé le vrai Dieu, ou même pour faire un faux homme, que tu vas adorer à la place du vrai Dieu, un homme que personne, sans folie, ne voudrait pour ami. Cette ressemblance qu’on lui a formée, cette harmonie que l’on
1.
Jérém. XI, 27.
a gardée dans les membres, lui donne un certain attrait pour le coeur des hommes grossiers. Mais, de ces membres dont la beauté est si ravissante pour toi, ô vanité de l’homme, viens nous montrer les mouvements, comme tu nous en montres les proportions.
2. « Elles ont une bouche et ne parlent point; elles ont des yeux et ne voient point; elles ont des oreilles et n’entendent point; elles ont des narines et ne flairent point; elles ont des mains et ne touchent point; elles ont des pieds et ne marchent point; et leur gosier ne rend aucun son 1». Il leur est donc bien supérieur, cet ouvrier qui a pu les fabriquer par le mouvement et l’adresse de ses mains: et pourtant tu rougirais d’adorer cet ouvrier. Toi-même, qui ne les as point faites, tu es bien supérieur, puisque tu fais ce qu’elles ne font point. La bête même leur est supérieure, et c’est pourquoi le Psalmiste ajoute: « Leur gosier ne rend aucun son ». Car après avoir dit tout à l’heure: « Elles ont une bouche et ne parlent point », à quoi bon, après avoir fait l’énumération des pieds à la tête, nous parler du cri du gosier, sinon, je crois, parce que nous comprenons que tout ce qu’il avait dit des autres nombres, était commun aux bêtes et aux hommes? Car les bêtes voient, entendent, sentent, marchent, et même quelques-unes, comme les singes, se servent dès mains. Ce que le Prophète avait dit à propos de la bouche, est particulier à l’homme, puisque les bêtes ne parlent point. Mais afin qu’on ne puisse rapporter tout ce qui est dit, à l’oeuvre des membres humains, ni préférer seulement les hommes aux dieux des nations, il ajoute après tout cela: « Leur gosier ne rend aucun son »; ce qui est commun aux hommes et aux bêtes. Si, tout d’abord, quand il a énuméré les membres humains, à commencer par la bouche, il eût dit: « Elles ont une bouche, et ne crieront point », tout cela pourrait encore se rapporter à la nature humaine, et l’auditeur n’y trouverait pas aussi facilement quelque chose qui tînt de la bête. Mais quand, à propos de la bouche, il a dit ce qui est propre à l’homme, et qu’après l’énumération des différents membres du corps, qu’il semblait terminer aux pieds, le Prophète ajoute: « Leur gosier ne donne aucun cri », il stimule ainsi l’attention de l’auditeur ou du lecteur,
1.
Ps. CXIII, 5-7.
afin qu’en cherchant l’à-propos de cette parole, il comprenne que, non seulement les hommes, mais aussi les bêtes, sont préférables aux dieux des nations; et que s’il répugne à ces nations d’adorer une bête, à qui néanmoins Dieu a donné l’oeil, l’ouïe, l’odorat, le toucher, la marche, et le cri du gosier, on comprenne combien il est honteux d’adorer un simulacre muet, qui n’a ni vie, ni sentiment, et dont les membres, semblables aux nôtres, sont une amorce pour l’âme adonnée aux sens charnels, et qui s’éprend d’une idole comme si elle était vivante et animée, dès qu’elle voit en elle ces membres, qu’elle trouve animés et vivants dans le corps qu’elle habite. Combien les rats, les serpents, et autres animaux semblables, jugent-ils mieux, en quelque sorte, les idoles des nations, si l’osa peut s’exprimer ainsi, puisque, ne trouvant point en elles la vie humaine, ils se mettent peu en peine de leur ressemblance avec l’homme? Aussi l’on voit souvent qu’ils y font leur nid, et sans le bruit des hommes qui vient les effrayer, ils n’auraient point d’asile plus sûr. C’est donc l’homme qui se remue, pour effrayer une bête vivante et l’éloigner de son Dieu; et il adore comme une puissance ce Dieu sans mouvement, dont il a éloigné l’animal qui lui était supérieur! Car il a éloigné une bête qui voyait, d’un Dieu qui ne voyait pas; une bête qui entendait, d’un Dieu qui était sourd; une bête qui criait, d’un Dieu muet; une bête qui marchait, d’un Dieu un mobile; une bête qui sentait, d’un Dieu insensible; une bête vivante, d’un Dieu mort, et même pire que s’il était mort. Car, s’il est évident qu’un mort ne vit plus, il est aussi évident qu’il a vécu. Un mort est donc bien préférable à un dieu qui n’a aucune vie, qui n’a jamais vécu.
3. Qu’y a-t-il de plus évident que tout cela, mes frères bien-aimés? quoi de plus évident? Quel enfant, si on l’interroge, qui ne réponde que e les idoles des nations ont des yeux et « ne voient point, une bouche et ne parlent point », et tout le reste qu’ajoute le Psalmiste? Pourquoi donc ce soin que prend l’Esprit-Saint de nous enseigner tout cela en plusieurs endroits de l’Ecriture, comme si nous ne le savions point; sinon parce que cette figure extérieure des membres que nous sommes accoutumés de voir vivante chez les êtres animés, et de sentir vivante en nous, (630) quoique faite, comme ils l’avouent, pour servir d’idole, et posée à ce sujet avec éclat dans un lieu élevé, ne laisse pas, lorsque nous la voyons adorée avec un profond respect par la foule, de faire naître en chacun de nous une affection vile et erronée, qui nous fait croire qu’il y a là une puissance cachée, puisque l’on ne voit dans cette idole aucun signe de vie? Alors la forme séduisante, l’impression produite par l’autorité de quelques faux sages qui les ont établies, des foutes qui les ont adorées, nous fait croire qu’une statue qui ressemble si bien au corps vivant, n’est point sans un être vivant qui l’habite. C’est ce penchant des hommes qui porte les démons à s’emparer des idoles des Gentils, et sous leur influence l’erreur se multiplie à l’infini avec ses poisons mortels. C’est contre ces erreurs que les saintes lettres nous prémunissent en tant d’endroits, de peur qu’en face de ce culte dérisoire, quelqu’un ne vienne dire: Ce n’est point l’idole visible que j’adore, mais la puissance invisible qui l’habite. L’Ecriture, dans un autre endroit, condamne ainsi ces mêmes puissances: « Les dieux des nations sont des démons, mais le Seigneur a créé les cieux 1». Et l’Apôtre nous dit aussi: « Non que l’idole soit quelque chose, mais comme les sacrifices des nations s’offrent aux démons et non à Dieu, je ne veux point que vous ayez part avec les démons 2 ».
4. D’autres croient avoir un culte pins pur, parce qu’ils disent: Ce n’est ni la statue, ni le démon que j’adore, mais je vois dans cette forme corporelle le signe de l’objet que je dois adorer. Ils assignent donc une signification à chacune de leurs statues, en sorte que l’une est le symbole de la terre, de là le nom de temple de la terre, templum telluris; l’autre de la mer, comme la statue de Neptune; celle-ci de l’air, comme celle de Junon; celle-là du feu, comme celle de Vulcain; une autre de Lucifer, comme celle de Vénus; une autre du soleil, une autre de la lune, dont les statues portent les mêmes noms, comme celle de la terre; une autre de tel ou tel astre, telle ou telle créature, car nous ne pouvons tout énumérer. Mais pressez-les de nouveau, et reprochez leur d’adorer des corps, et principalement la terre, la mer, l’air, le feu, dont l’usage nous est ordinaire (car en ce qui regarde les corps célestes, comme ils sont hors de notre portée,
1.
Ps. XCV, 5.— 2. I Cor. X,19, 20.
et que nous ne pouvons les atteindre que par le rayon visuel, ils n’en rougissent pas tant), ils oseront bien vous répondre qu’ils n’adorent point des corps, mais bien les divinités qui y président. Un seul arrêt de l’Apôtre nous montre quelle sera la peine et la condamnation de tous ces hommes: « Ils ont changé », dit-il, « la vérité de Dieu en mensonge, ils ont honoré et servi la créature plutôt que le Créateur, qui est béni dans les siècles 1». Dans la première partie de cet arrêt, en effet, l’Apôtre condamne les idoles, et dans la seconde le sens qu’on leur attribue. Donner à des ouvrages qu’a travaillés l’ouvrier, les noms des choses que Dieu a faites, c’est changer en mensonge la vérité de Dieu; mais regarder ces choses comme divines et les adorer, c’est servir la créature plutôt que le Créateur qui est béni dans les siècles.
5. Mais où est l’homme qui adore ou qui invoque une idole, et qui n’est point disposé à croire qu’il en est écouté, à espérer que cette idole lui accordera ce qu’il désire? Des hommes donc, engagés dans ces sortes de superstitions, tournent souvent le dos au soleil pour prier devant une statue qu’ils appellent soleil; et quand ils entendent derrière eux le mugissement de lamer, ils s’imaginent que la statue de Neptune, qu’ils prennent pour la mer, entend leurs sanglots. Tel est l’effet produit, ou plutôt extorqué en quelque sorte par cette conformation des membres. L’esprit qui vit dans les sens du corps est plus porté à croire qu’il y a du sentiment dans un corps semblable au corps qu’il habite, que dans le soleil dont la forme est ronde, et que dans l’étendue des eaux, et dans ce qui n’est pas circonscrit dans ces lignes qu’il a coutume de voir chez les êtres vivants. C’est pour détruire ce penchant, auquel tout homme charnel se laisse prendre si facilement, que la sainte Ecriture nous dit dans ses cantiques des choses très-connues, afin de nous les rappeler et de stimuler nos esprits qui s’endorment si facilement dans la routine des corps visibles. « Les idoles des nations », dit-elle, « sont de l’argent et de l’or ». Mais c’est Dieu qui a créé l’argent et l’or. « Ce sont là des oeuvres faites de mains d’hommes ». Car ils adorent ce qu’ils ont fait eux-mêmes avec de l’or et de l’argent.
6. Il est vrai que nous-mêmes, nous avons
1.
Rom. I, 25.
des instruments, des vases du même métal qui nous servent à la célébration de nos mystères, et que l’on appelle sacrés, parce qu’ils sont employés en l’honneur de celui que nous servons dans l’intérêt de notre salut. Or, ces instruments, ces vases, que sent-ils autre chose que l’oeuvre de la main des hommes? Et toutefois ont-ils une bouche pour ne point parler? Ont-ils des yeux pour ne point voir? Leur adressons-nous des prières parce qu’ils nous servent à prier Dieu? La principale cause de cette impiété folle et sacrilège, vient de ce que la forme d’un corps, qui est semblable à un homme vivant, et qui attire les idolâtres à lui adresser des prières, a plus d’effet sur l’esprit de ces malheureux, que l’assurance que cette idole est sans vie, et n’est digue que du mépris des hommes. Ces idoles, parce qu’elles ont mine bouche, qu’elles ont des yeux, qu’elles ont des oreilles, min nez, des mains et des pieds, ont plus de force pour courber une âme vers la terre, que pour la redresser, par cela même qu’elles ne parlent point, qu’elles ne voient point, qu’elles n’entendent point, ne sentent point, ne touchent point, ne marchent point.
7. Il faut dès lors que s’accomplisse la sentence qu’ajoute le Psalmiste; c’est-à-dire, « Que ceux qui les font leur deviennent semblables, et tous ceux qui se confient en elles 1». Avec leurs yeux ouverts et impressionnés, que ces malheureux voient; et que le coeur fermé et insensible ils adorent des idoles qui ne voient point et qui ne vivent point.
8. « C’est dans le Seigneur qu’a espéré la maison d’Israël 2 ». Or, l’espérance qui voit n’est plus une espérance. Comment, en effet, espérer ce que l’on voit? Si donc nous espérons ce que nous ne voyons point, nous l’attendons par la patience 3 ». Mais afin que notre patience dure jusqu’à la fin, « le Seigneur est leur protecteur et leur appui ».Les hommes spirituels, toutefois, ceux qui instruisent les hommes charnels avec un esprit de douceur, qui prient comme des supérieurs pour des inférieurs, ne voient-ils pas déjà, et n’ont-ils pas en réalité ce que les inférieurs n’ont qu’en espérance? Nullement; car « la maison d’Aaron, elle aussi, a espéré dans le Seigneur 4 ». Donc, pour avancer avec persévérance vers ce qui est devant
1.
Ps. CXIII, 8.— 2. Id. 9.— 3. Rom. VIII, 24, 25 — 4. Ps. CXIII, 10.
eux, pour courir jusqu’à ce qu’ils aient atteint celui qui les appelle 1, et pour le connaître comme ils en sont connus 2, il faut que « Dieu soit leur aide et leur protecteur ». Les uns et les autres « craignent le Seigneur, e espèrent dans le Seigneur, et il est pour eux un aide et un appui 3».
9. Ce n’est point nous en effet, qui, par nos mérites, avons prévenu la divine miséricorde, mais bien « le Seigneur qui s’est souvenu de nous et nous a bénis: il a béni la maison d’Israël, il a béni la maison d’Aaron ». Et en bénissant les uns et les autres, « il a béni tous ceux qui craignent le Seigneur 4 ». Quels sont, me diras-tu, ces uns et ces autres? Le Psalmiste répond: « Les petits et les grands»; c’est-à-dire la maison d’Israël et la maison d’Aaron, ceux-là mêmes qui, dans cette nation, crurent au Sauveur Jésus: « puisque tous ne furent pas agréables au Seigneur 5. Mais si quelques-uns n’ont pas cru en lui, leur infidélité anéantira-t-elle donc la fidélité de Dieu? Loin de là 6; car tous ceux qui sont d’Israël ne sont point pour cela israélites; non plus que tous ceux qui sont de la race d’Abraham, ne sont fils d’Abraham »; mais selon qu’il est écrit: « les restes seront sauvés ». Car c’est au nom de ceux du peuple qui ont cru qu’il est dit: «Si le Seigneur des armées n’avait réservé quelqu’un de notre race, nous serions devenus semblables à Sodome et à Gomorrhe 7 ». Ce reste est donc appelé semence, parce qu’il a été répandu et s’est multiplié dans toute la terre.
10. Or, dans la maison d’Aaron, les grands ont dit: « Que le Seigneur vous multiplie, qu’il ajoute à vous et à vos enfants 8». C’est ce qui est arrivé. Voilà que des enfants d’Abraham, suscités d’entre les pierres 9, sont venus se joindre à eux; voilà que sont venues aussi des brebis qui n’étaient point de ce bercail, en sorte qu’il n’y a plus qu’un seul troupeau et qu’un seul pasteur 10: voilà que pour venir à eux les nations ont embrassé la foi, et que s’est accru le nombre, non seulement de sages évêques, mais aussi de peuples soumis; le Seigneur multipliant ainsi non seulement les pères qui doivent aller à lui dans le Christ, et y conduire ceux qui
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Philipp. III, 12 -14.— 2. I Cor. XXXI, 12.— 3. Ps. CXIII, 11.— 4. Id. 12, 13.—
5. I Cor. X, 5.— 6. Rom. III, 3.— 7. Id. XX, 27, 29.— 8. Ps.
CXIII, 14. — 9. Matth. III, 9. — 10. Jean, X, 16.
voudront les imiter, mais encore les fils qui marcheront sur les traces des pères. Voici, en effet, comment leur parle Celui qui les a engendrés à Jésus-Christ par l’Evangile: « Soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ ». Dieu a donc multiplié, non seulement les montagnes qui bondissent comme des béliers, mais aussi les collines qui bondissent comme des agneaux.
11. C’est donc à tous ceux-là, aux grands et aux petits, aux montagnes et aux collines, que le Prophète s’adresse quand il dit: « Soyez les bénis du Seigneur, qui a fait le ciel et la terre 2 ». Comme s’il disait: soyez les bénis du Seigneur qui a fait de vous les cieux et la terre, le ciel dans les grands, la terre dans les petits; mais non ce ciel visible, parsemé d’astres lumineux que nous voyons. « Le ciel du ciel est au Seigneur », qui a élevé l’esprit de quelques saints à de telles hauteurs que nul d’entre les hommes, mais Dieu seul, peut les instruire. Or, en comparaison de ce ciel, tout ce que l’on voit des yeux du corps ne mérite que le nom de terre, et « Dieu l’a donnée aux enfants des hommes 3 », afin qu’en la considérant, ils comprennent autant qu’ils pourront le Créateur, qu’ils ne peuvent découvrir encore que par le moyen de la créature, à cause de l’infirmité de leur coeur.
12. Ces mêmes paroles: « Le ciel des cieux est au Seigneur, et il a donné la terre aux enfants des hommes », peuvent avoir un autre sens que je ne dois point vous dissimuler. Toutefois ne perdons point de vue ce que nous avons dit. Or, les grands et les petits,
avons-nous dit, sont désignés dans ces paroles: « Soyez les bénis du Seigneur, qui a fait le
1.
I Cor. IV, 15, 16.— 2. Ps. CXIII, 15. — 3. Id. 16.
ciel et la terre ». Si donc nous désignons les grands par les cieux, et les petits par la terre, comme les petits en grandissant deviendront des cieux, et qu’on les nourrit de lait dans cette espérance; ainsi ces mêmes grands, quand ils nourrissent les petits, sont le ciel pour la terre, de manière néanmoins à comprendre qu’ils sont aussi les cieux des cieux quand ils méditent sur l’espérance dont ils nourrissent les enfants. Et toutefois, parce que ces saints personnages ne puisent plus dans un homme ni au moyen d’un homme, mais bien en Dieu, les eaux abondantes et pures de la sagesse, ils ont donné leurs soins à des enfants qui seront un jour des cieux, puisqu’ils sont eux-mêmes les cieux des cieux, et qui sont maintenant la terre à qui ils peuvent dire: « J’ai planté, Apollo a arrosé, c’est Dieu qui a donné l’accroissement 1 ». A ces enfants des hommes dont il a fait des cieux, il a donné la terre pour y travailler, ce même Dieu qui sait pourvoir à la terre au moyen du ciel. Que le ciel et la terre demeurent donc au Dieu qui les a faits; qu’ils vivent de lui, en le confessant et en le bénissant; car s’ils veulent vivre d’eux-mêmes, ils trouveront la mort ainsi qu’il est dit: « Un mort, comme ce qui n’est plus, ne confesse point le Seigneur 2 ». Mais « les morts ne vous loueront point, Seigneur », dit le Prophète, « non plus que ceux qui descendent dans l’enfer ». Et dans un autre endroit l’Ecriture vous crie: « Une fois au fond de l’abîme du mal, le pécheur n’a plus que le dédain 3; mais nous qui avons la vie, nous bénissons le Seigneur dès maintenant et jusque dans les siècles ».
1.
I Cor. III, 6. — 2. Eccli. XVII, 26. — 3. Prov.
XVIII, 3.
SERMON AU PEUPLE.
L’espérance que le Seigneur nous exaucera attise notre amour pour lui; et cette espérance est fondée sur la foi, car tout ce qu’il fait pour nous allume le flambeau de notre croyance en sa bonté. Les jours dans lesquels nous invoquons le Seigneur, sont les jours du vieil homme, et de l’éloignement du Seigneur. Mais ayant rencontré cette affliction qui vient de la considération de nos misères spirituelles, et qui est un gage de salut, j’ai invoqué le Seigneur qui est miséricordieux, puisqu’il nous appelle au salut, et qu’il ne nous châtie que pour nous pardonner si nous nous redressons. Reposons-nous dans celui qui nous a délivrés de cette mort de l’impie qui est un labeur sans fin, pour nous donner un repos accompagné de vigilance. Le Seigneur nous a donc délivrés de la mort des impies ou de la mort éternelle quand il nous a délivrés du péché; c’est au péché que notre corps doit mourir pour que nous plaisions au Seigneur.
1. « J’ai aimé le Seigneur, parce qu’il écoutera la voix de ma prière 1». Que tel soit le chant de toute âme éloignée du Seigneur, le chant de toute brebis qui s’était égarée, le chant de tout enfant qui était mort et qui est ressuscité, qui était perdu et qui est retrouvé 2; le chant de notre âme, ô frères et enfants bien-aimés. Instruisons-nous de nos devoirs avec une ferme constance et chantons avec les saints: « J’ai aimé le Seigneur, parce qu’il écoutera la voix de ma prière ». La cause de notre amour pour Dieu est-elle bien, « parce qu’il exaucera la voix de ma prière? » Ne l’aimons-nous pas plutôt parce qu’il nous a exaucés? ou l’aimons-nous afin qu’il nous exauce? Que signifie donc: « J’ai aimé parce qu’il exaucera? » Serait-ce parce que, d’ordinaire, l’amour s’enflammant par l’espérance, le Prophète nous dirait alors qu’il a aimé, parce qu’il a espéré que le Seigneur exaucerait la voix de sa prière?
2. Mais d’où lui est venue cette espérance? C’est, nous répond-il, « parce qu’il a incliné son oreille vers moi, et que je l’ai invoqué pendant les jours de ma vie 3 ». Je l’ai donc aimé parce qu’il m’exaucera, et il m’exaucera parce qu’il a incliné son oreille vers moi. Mais, ô âme de l’homme, comment sais-tu que Dieu a incliné son oreille vers toi, si tu n’as dit: J’ai cru? Voilà donc les trois vertus qui demeurent ici-bas, la foi, l’espérance et la charité 4. Parce que tu as cru, tu as espéré, et parce que tu as espéré, tu as aimé; maintenant
1.
Ps. CXXV, 1. — 2. Luc, XV, 6, 24. — 3. Ps. CXIV, 2. — 4. I Cor. XIII, 13.
si je demande comment l’âme a cru que Dieu inclinait son oreille pour l’écouter, ne peut-elle point me répondre: « C’est lui qui nous a aimés le premier, au point de ne pas épargner son propre Fils, et de le livrer pour nous tous? Comment pourront-ils l’invoquer s’ils ne croient en lui? » dit le Docteur des nations, « et comment croire en lui, s’ils n’en ont entendu parler? et comment en entendre parler, si on ne le leur prêche? et comment y aura-t-il des prédicateurs si on ne les envoie 2? » Or, à la vue de tout ce que Dieu a fait pour moi, comment ne croirais-je pas qu’il a incliné son oreille vers moi? Et il a tellement signalé son amour pour nous, que le Christ est mort pour les impies 3. C’est donc parce qu’ils m’ont apporté tant de grâces, ces hommes dont les pieds sont beaux, qui ont annoncé la paix, annoncé les biens 4, et prêché que tout homme qui aura invoqué le nom du Seigneur sera sauvé 5, c’est pour cela que j’ai cru que Dieu inclinait son oreille vers moi, et que je l’ai invoqué en mes jours.
3. Et quels sont ces jours dont tu nous dis: « En mes jours j’ai invoqué le Seigneur? » Ces jours peut-être qui ont fermé la plénitude du temps, alors que Dieu a envoyé son Fils 6, lui qui avait déjà dit: « Je t’ai exaucé au temps marqué, je t’ai aidé au jour du salut 7? » Tu as entendu de la bouche d’un prédicateur, dont les pieds étaient beaux: « Voici maintenant le temps favorable, voici les
1.
Rom. VIII, 32.— 2. Id. X, 14, 15. — 3. Id.
V, 8, 9.— 4. Isa. LII, 7. — 5. Joel, II, 32. — 4.
Gal. IV, 4. — 5. Isa. XLIX, 8.
jours du salut 1»; et alors tu as cru, et dans ces jours tu as invoqué, et tu as dit: « Seigneur, mon Dieu, délivrez mon âme 2». Cela est vrai, et pourtant je puis appeler plus justement mes jours, les jours de ma misère, les jours de ma mortalité, les jours qui me viennent d’Adam, jours pleins de labeur et de fatigue, jours du vieil homme et de la corruption. Car je suis à terre, « et plongé dans la vase de l’abîme 3»; et dans un autre Psaume je me suis écrié: « Voilà que vous avez lait vieillir mes jours 4. C’est pendant ces jours que je vous ai invoqué ». Mes jours sont donc bien différents des jours de mon Dieu. J’appelle mes jours ceux que je me suis faits à moi-même, par cette audace qui m’a porté à me séparer de lui. Et comme il règne partout, comme il est tout-puissant, tenant tout dans ses mains, j’ai mérité la prison, c’est-à-dire que j’ai dû subir les ténèbres de l’ignorance et les entraves de la mortalité. « Je vous ai donc invoqué en mes jours », parce que c’est moi qui crie dans un autre Psaume: « Délivrez mon âme de la prison 5», Et comme le Seigneur m’a secouru au jour de ce même salut qu’il m’a procuré, voilà que le gémissement des captifs a monté en sa présence 6. C’est en effet dans ces jours qui sont les miens que «les douleurs de la mort « m’ont environné, que les périls de l’enfer m’ont saisi 7 »; et ils ne me trouveraient point si je n’étais loin de vous. Ils me tiennent donc maintenant en leur pouvoir, et moi je ne les trouvais point, moi qui mettais ma joie dans les prospérités de ce monde, où les périls de l’enfer sont plus trompeurs encore.
4. Mais quand, à mon tour, « j’ai rencontré la tribulation et la douleur, j’ai invoqué le nom de mon Dieu 8 ». Je ne connaissais point cette affliction, cette douleur très-utile, affliction dont vient nous décharger celui auquel il est dit: «Donnez-nous votre secours dans l’affliction, car le salut qui vient de l’homme est trompeur 9 ». Pour moi, je croyais que ce vain salut de l’homme pourrait me procurer de la joie et de l’allégresse; mais quand j’ai entendu cette parole du Seigneur: « Bienheureux ceux qui pleurent parce qu’ils seront consolés 10 », je n’ai pas
1.
II Cor. VI, 2. — 2. Ps. CXLV, 5.— 3. Id. LVIII, 3.— 4. Id. XXXVIII, 6.— 5. Id.
CXLI, 8. — 6. Id. LXXVIII, 11. — 7. Id. CXIV, 3.— 8. Id. 4. — 9. Id. LIX, 13. —
10. Matth. V, 5.
attendu pour pleurer, la perte de ces biens temporels qui me procuraient un funeste plaisir, mais j’ai considéré cette misère qui est en moi, et qui me fait trouver la joie dans ces biens que je crains de perdre, et que je ne puis néanmoins retenir; je l’ai considérée avec attention et avec courage, et j’ai vu que non seulement j’étais tourmenté par les revers de cette vie, mais que ses prospérités elles-mêmes étaient un lourd fardeau; et ainsi: « J’ai trouvé la tribulation et la douleur » que je ne connaissais pas, « et j’ai invoqué le nom du Seigneur. O Dieu, délivrez mon âme 1. Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort, sinon la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre Seigneur 2? » Que le peuple de Dieu s’écrie dès lors: « J’ai rencontré la tribulation et la douleur, et j’ai invoqué le nom de mon Dieu ». Qu’elles nous entendent, ces nations qui sont en arrière, et qui n’invoquent point encore le nom du Seigneur; qu’elles nous entendent, qu’elles cherchent afin de rencontrer la douleur et la tribulation, et d’invoquer aussi le nom du Seigneur, et d’être sauvées. Nous ne leur parlons point de la sorte, afin qu’elles cherchent une misère qu’elles n’auraient point, ruais afin qu’elles trouvent cette misère qu’elles ont sans la connaître. Ce que nous leur souhaitons, ce n’est point qu’elles manquent de ces biens terrestres qui leur sont nécessaires pendant cette vie mortelle; mais qu’elles pleurent de ce qu’ayant perdu les biens du ciel qui les rassasiaient, elles aient mérité d’avoir besoin de ces biens de la terre qui ne procurent aucune jouissance durable, et qui n’ont d’utilité qu’en cette vie temporelle. Telle est la misère qu’ils doivent reconnaître et pleurer; et leurs larmes deviendront bienheureuses en celui qui n’a point voulu pour ces peuples un malheur éternel.
5. « Le Seigneur est plein de clémence et de justice, notre Dieu se plaît à faire miséricorde 3 ». Dieu donc est miséricordieux, il est juste, il pardonne: miséricordieux d’abord, parce qu’il a incliné son oreille vers moi; et j’ignorerais que Dieu se fût approché de moi pour entendre mes paroles, si je n’avais été excité à l’invoquer par ceux dont les pieds sont beaux. Qui donc a fait appel au Seigneur, sinon celui que le Seigneur a tout
1.
Ps. CXIV, 4.— 2. Rom. VII, 24, 25. — 3. Ps. CXIV, 5.
d’abord appelé? Voilà donc tout d’abord sa miséricorde. Il est juste, parce qu’il châtie, et il est encore miséricordieux, parce qu’il reçoit celui qu’il a châtié. « Car le Seigneur flagelle celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants 1». Et ma douleur dans le châtiment doit être moins vive pour moi que la joie de mon adoption. Commuent « le Seigneur qui garde les petits enfants 2», ne châtierait-il pas ceux qu’il fera grandir pour être ses héritiers? Quel est l’enfant que son père n’assujettit pas à la discipline 3? « Je me suis humilié, et il m’a sauvé». C’est donc à l’humilité que je dois mon salut. Que le médecin fasse une incision, ce n’est point là un châtiment, mais une douleur salutaire.
6. « O mon âme, rentre donc dans ton repos, u puisque le Seigneur t’a comblée de biens». Repose-toi, non à cause de tes mérites ou de tes propres forces; mais parce que le Seigneur t’a comblée de ses biens; car, ajoute le Prophète, « il a délivré mon âme de la mort 4 ». Il est étonnant, mes frères bien-aimés, qu’après avoir invité son âme à goûter le repos, parce qu’elle est comblée des biens du Seigneur, le Prophète ajoute: « Parce qu’il a délivré mon âme de la mort ». Son âme serait-elle donc en repos, parce qu’elle est délivrée de la mort? N’est-ce pas plutôt dans la mort que l’on croit trouver le repos? Quelle est enfin l’action de celui dont la vie est un repos, et dont la mort est un labeur? Telle doit être l’action de l’âme, qu’elle tende à une paisible sécurité, et non à l’accroissement d’un labeur incessant. Elle est en effet délivrée de la mort par la grâce de celui qui l’a prise en pitié, et qui a dit: «Venez à moi, vous tous qui êtes chargés, et je vous soulagerai. Prenez mon joug sur vous, et apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos de vos âmes; car mon joug est doux et mon fardeau léger 5». L’action de l’âme qui cherche le repos doit dorme être douce et humble, puisqu’elle suit le Christ qui est sa voie; et toutefois, elle ne doit pas être lente et paresseuse, afin qu’elle puisse achever sa course, ainsi qu’il est écrit: « Achevez vos oeuvres avec douceur 6». Achevez vos oeuvres, est-il dit, afin que la douceur ne dégénère pas en négligence. Car il n’en est pas alors comme
1.
Hébr. XII, 6. — 2. Ps. CXIV, 6. — 3. Hébr.
XII, 7 — 4. Ps. CXIV, 7, 8. — 5. Matth. XI, 28-30 — 6. Eccli. III, 19.
en cette vie, où le repos du sommeil répare nos forces pour un nouveau travail; mais la bonne action nous conduit à un repos accompagné de vigilance.
7. Or, tout cela est l’oeuvre, est le bienfait de ce Dieu dont il est dit: « Puisque le Seigneur m’a comblé de biens, puisqu’il a délivré mon âme de la mort, mes yeux des larmes, et mes pieds de la chute 1». Voilà ce que le Seigneur accomplit eu espérance dans celui qui ressent les liens de la chair, et celui-ci le chante avec joie. Car il est vrai de dire: « Je me suis humilié, et le Seigneur m’a sauvé ». Mais elle est vraie aussi cette autre parole de l’Apôtre: « Que nous sommes sauvés par l’espérance 2». Quant à cette mort dont nous sommes délivrés, il est juste de dire que cela s’est accompli, si nous l’entendons de la mort des incrédules, dont le Seigneur a dit: « Laissez les morts ensevelir leurs morts 3 »; et le Prophète dans un autre psaume: « Les morts ne vous loueront point, Seigneur, non plus que tous ceux qui descendent dans l’enfer, mais nous qui vivons, nous bénissons le Seigneur 4 ». Telle est donc la mort dont tout fidèle a raison de croire que son âme est exempte par cela même qu’elle a passé de l’incrédulité à la foi. De là cette parole du Sauveur: « Celui qui croit en moi passe de la mort à la vie 5». Le reste ne s’accomplit que par l’espérance dans ceux qui n’ont pas encore quitté cette vie. Maintenant, en effet, quand nous pensons à nos chutes si périlleuses, nos yeux ne cessent de verser des larmes; mais il éloignera les larmes de nos yeux, quand il préservera nos pieds de tout faux pas. Car nos pieds ne seront plus exposés à la chute, quand il n’y aura plus rien de glissant dans notre faible chair. Maintenant, quoique notre voie soit ferme, puisque c’est le Christ lui-même; néanmoins, parce que nous soumettons notre chair, qu’il nous est ordonné de dompter; dans ces mêmes oeuvres par lesquelles nous la châtions pour l’assujettir, c’est un bonheur de ne pas succomber; quant à ne pas glisser, qui en est capable?
8. Aussi, parce que nous sommes dans la chair, sans être néanmoins dans la chair, (nous sommes dans la chair à cause de ce lien qui n’est pas encore brisé: « qu’il serait plus
1.
Ps CXIV, 8. — 2. Rom. VIII, 21. — 3. Matth. VIII, 22. —
4. Ps. CXIII, 17, 18. — 5. Jean, V,
24.
avantageux de rompre pour être avec le Christ 1 »; mais nous ne sommes pas dans la chair en ce sens que nous avons donné à Dieu les prémices de l’esprit, si toutefois nous pouvons dire que « notre conversation est dans le ciel 2» et que nous sommes agréables à Dieu par la tête, tandis que nous sentons glisser nos pieds, qui paraissent l’extrémité de notre âme), écoute comment il y a une espérance dans ce même psaume qui paraît chanter ce qui est accompli déjà: « Il a délivré, dit le Prophète, et mes yeux de leurs larmes, et mes pieds de toute chute»; et toutefois il n’ajoute point: Je plais; mais bien: « Je plairai au Seigneur, dans la terre des vivants 3 »; montrant assez par là qu’il n’est point encore agréable au Seigneur dans cette partie de lui-même, qui est la région des morts, c’est-à-dire en sa chair mortelle. « Ceux qui sont dans la chair ne sauraient plaire à Dieu ». C’est pourquoi cette parole que l’Apôtre ajoute: « Quant à vous, vous n’êtes point dans la chair », doit s’entendre en ce sens, que « le corps est véritablement mort au péché, tandis que l’esprit est vivant à cause de la justice »; or, c’est par cet esprit qu’ils plaisaient à Dieu, puisque c’est par lui qu’ils n’étaient pas dans la chair. Qui pourrait plaire au Dieu vivant, tandis qu’il est dans un corps mort? Que dit l’Apôtre? « Si l’esprit de celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre
1.
Philipp. I, 23.— 2. Id. III, 20. — 3. Ps. CXIV, 9.
les morts habite en vous; celui qui a ressuscité le Christ d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels à cause de l’esprit qui habite en vous 1 ». C’est alors que nous serons dans la terre des vivants, que nous plairons complètement au Seigneur, et que rien de nous-mêmes ne nous tiendra éloignés. « Tant que nous sommes dans un corps, nous sommes éloignés du Seigneur 2»; et plus nous en sommes éloignés, plus nous sommes éloignés aussi de la région des vivants. « Mais nous avons la confiance, et nous pensons qu’il est avantageux pour nous d’être séparés de ce corps, afin de demeurer dans le Seigneur; c’est pourquoi nous nous efforçons de lui être agréables, soit que nous soyons éloignés, soit que nous soyons en sa présence 3 ». C’est là notre ambition pendant cette vie, parce que nous attendons la délivrance de notre corps 4; mais quand la mort aura été absorbée dans la victoire, quand ce corps corruptible aura revêtu l’incorruptibilité, quand ce corps mortel aura revêtu l’immortalité 5, alors il n’y aura ni pleurs, ni chute, et il n’y aura aucune chute, parce qu’il n’y aura aucune corruption. Dès lors nous ne chercherons plus à plaire à Dieu, mais nous lui plairons d’une manière absolue, dans la région des vivants.
1.
Rom. VIII, 8 -11. — 2. II Cor, V, 6. — 3. Id. 8, 9. — 4. Rom. VIII, 23. — 5. I
Cor. XV, 53, 54.
SERMON AU PEUPLE.
Prêcher le Christ, c’est conformer ses moeurs à la foi, autrement on aurait la vérité à la bouche, le mensonge dans le coeur; c’est encourir la réprobation. D’autres croient sans prêcher, retiennent le talent sans le faire fructifier, et sont aussi réprouvés. Le fidèle serviteur croit et prêche; sa parole lui vaut de nombreuses persécutions sans que la vérité en souffre aucune atteinte. Dans son extase il a compris qu’il ne pouvait compter sur lui-même, parce que l’homme est menteur et que Dieu seul peut donner la vérité. Mais que rendra-t-il au Seigneur en échange de cette vérité? Ce qui vient de lui, le calice du salut, ou la force de souffrir. De lui-même il n’est que l’esclave, mais en servant de bonne volonté, il devient le fils de la Jérusalem libre, ou de l’Eglise. Alors il se glorifie en Dieu qui a brisé ses tiens; il s’offre lui-même au milieu de cette Jérusalem ou de l’Eglise répandue par toute la terre, comme le prouve le psaume suivant: Peuples, célébrez tous les louanges du Seigneur, qui demeure ferme dans ses promesses comme dans ses menaces.
1. Votre sainteté, mes frères, connaît sans doute ce mot de l’Apôtre: « La foi n’est point l’apanage de tous 1 ». Et vous n’ignorez pas que le nombre des infidèles est le plus grand; aussi le Prophète s’est-il écrié « Seigneur, qui a cru à notre parole 2? » C’est parmi ces incrédules que l’on peut ranger ceux dont l’Apôtre a dit: « Tous cherchent leurs intérêts et non ceux du Christ 3 ». Et ailleurs il dit que ces hommes annoncent la parole de Dieu non par un vrai zèle, mais par occasion; non pas d’une manière chaste 4, c’est-à-dire qu’ils n’ont ni intention pure, ni charité sincère. Autres, en effet, étaient leurs sentiments, que laissaient voir leurs moeurs, et autre leur prédication, qui leur attirait l’estime des hommes par les saintes vérités qu’ils prêchaient. Aussi l’Apôtre a-t-il encore dit de ces hommes qu’ « ils ne servent point le Dieu qu’ils prêchent, mais leur ventre 5 ». Et toutefois, il leur permet de prêcher le Christ. Bien que leur foi, en effet, non plus que leurs actions, ne pût aboutir qu’à la mort, toutefois ils prêchaient des vérités qui eussent pu sauver ceux qui les eussent embrassées par la foi; car ils ne prêchaient rien qui fût en dehors des règles de la foi. Autrement ils fussent tombés sous cet anathème de l’Apôtre « Si quelqu’un », nous dit-il, « vous annonce d’autres vérités que celles que vous avez reçues, qu’il soit anathème 6 ». Or, ce n’est pas prêcher le Christ, que prêcher la fausseté,
1.
II Thess. III, 2.— 2. Isa. LIII, 1,; Rom. X, 16.— 3. Philipp. II, 21. — 4. Id.
I, 27.— 5. Rom. XVI, 18.— 6. Gal.
I, 9.
puisque le Christ est vérité 1. Et toutefois, l’Apôtre dit de ces derniers qu’ils annoncent le Christ, bien qu’ils ne le fassent point d’une manière pure, c’est-à-dire bien qu’ils n’agissent point avec un esprit simple et pur, et avec la foi sincère qui agit par la charité 2. Pleins des terrestres convoitises, ils annonçaient le royaume des cieux, et avaient ainsi la fausseté dans le coeur, la vérité sur la langue. Or, l’Apôtre, sachant bien que ceux qui avaient cru à l’Evangile, sur la prédication de Judas, étaient sauvés, donne à ceux-ci cette liberté de prêcher: « Pourvu que le Christ soit annoncé, peu importe que ce soit par occasion ou par un vrai zèle 3 ». Ils n’annoncent pas moins la vérité, bien que ce ne soit point dans la vérité, c’est-à-dire avec une intention pure. Ils prêchent ce qu’ils ne croient point, et c’est pour cela qu’ils sont réprouvés; bien qu’ils soient utiles à ceux que le Seigneur daigne avertir ainsi: « Faites ce qu’ils vous disent et non ce qu’ils font, car ce qu’ils disent, ils sont loin de le faire 4». Pourquoi, sinon parce qu’ils ne croient point l’utilité de ce qu’ils prêchent? Il en est d’autres qui croient, sans prêcher ce qu’ils croient, retenus par la tiédeur ou par la crainte. Et ce serviteur qui avait reçu un talent, ne s’entendit pas moins appeler: Méchant et lâche serviteur 5, parce qu’il ne l’avait point mis à profit. Dans un autre endroit de l’Evangile, il est dit que beaucoup
1.
Jean, XIV, 6. — 2. Gal, V, 6. — 3. Philipp. I, 18. — 4. Matth. XXIII, 3. — 4. Id. XXV, 26.
de princes des Juifs crurent en Jésus, mais qu’ils ne professaient point leur foi au dehors, de peur d’être chassés de la synagogue: ils ne laissent pas d’être désapprouvés et condamnés. Car l’Evangéliste ajoute: « Ils préféraient la gloire des hommes à la gloire de Dieu 1». Si donc une juste réprobation flétrit et ceux qui ne croient pas à la vérité qu’ils prêchent, et ceux qui ne prêchent pas la vérité qu’ils croient, à qui donnerons-nous le nom de serviteur fidèle, sinon à celui à qui le Christ adresse ces paroles: « Courage, bon serviteur, parce que tu as été fidèle en peu de choses, je t’établirai sur beaucoup, entre dans la joie de ton Seigneur 2? » Un tel serviteur ne parle donc point avant de croire, et ne se tait point dès qu’il croit, de peur, ou qu’en faisant valoir pour les autres ce qui lui est confié, il n’en garde rien pour lui, ou qu’il n’en retire aucun profit, parce qu’il ne l’aura point fait valoir. Voici, en effet, ce qui est dit: « Celui qui possède, on lui donnera; mais à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a 3.»
2. Qu’il dise alors, ce bon serviteur qui chante Alleluia, c’est-à-dire qui offre un sacrifice de louanges à ce même Dieu qui doit lui dire un jour: « Entre dans la joie de ton Seigneur »; qu’il tressaille et qu’il chante: « J’ai cru, et c’est pourquoi j’ai parlé 4».C’est-à-dire, j’ai cru d’une manière parfaite. Refuser de prêcher ce que l’on croit, ce n’est point avoir une foi parfaite. Car une des obligations de la foi, c’est de croire aussi cette parole « Celui qui me confessera devant tes hommes, « moi aussi je le confesserai devant les anges de Dieu 5». Ce fidèle serviteur n’est pas ainsi appelé, en effet, parce qu’il a reçu de son maître, mais parce qu’il a dépensé et gagné. De même dans notre psaume, il n’est pas dit: J’ai cru et j’ai parlé; mais le Prophète confesse qu’il a parlé parce qu’il a cru. Car il a cru en même temps que parler lui donnait une récompense à espérer, et que se taire lui laissait craindre un châtiment. « J’ai cru », dit-il, « et c’est pourquoi j’ai parlé pour moi, j’ai subi des humiliations à l’excès ». Il a passé par des tribulations nombreuses à cause de la parole qu’il gardait fidèlement, qu’il annonçait fidèlement; il a subi des humiliations excessives, et
1.
Jean, XII, 42, 43.— 2. Matth. XXV, 23.— 3. Id. XIII, 12; XXV, 29. — 4. Ps. CV, 1.— 5. Matth. X, 32.
c’est là ce qu’ont redouté « ceux qui ont préféré la gloire des hommes à la gloire de Dieu ». Mais pourquoi cette expression: « Quant à moi? » Il devrait dire tout simplement: j’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé, et j’ai subi des humiliations à l’excès. Pourquoi ajouter « quant à moi », sinon pour nous montrer que l’homme peut bien subir des humiliations de la part de ceux qui contredisent la vérité, mais que cette vérité qu’il croit et qu’il prêche n’en souffre aucune atteinte? De là vient que l’Apôtre disait en parlant de ses chaînes: « Mais la parole de Dieu n’est point enchaînée 1 ». De même le Psalmiste, ou plutôt en sa personne les saints témoins de Dieu, c’est-à-dire les martyrs: « J’ai cru, et c’est pourquoi j’ai parlé, quant à moi », non point la vérité que j’ai embrassée, non point la parole que j’ai portée; mais, « moi j’ai été humilié à l’excès ».
3. « J’ai dit dans mon extase: Tout homme est menteur 2 ». Le Prophète par extase entend cette frayeur qui s’empare de la faiblesse humaine, sous la menace des persécutions, ou bien en face des tourments ou de la mort. Tel est le sens que nous donnons à cette expression, parce qu’on retrouve dans le psaume le cri des martyrs. Ce mot d’extase, il est vrai, peut s’entendre aussi de cet état de l’âme hors d’elle-même, non plus sous l’impression de la peur, mais par l’effet d’une révélation sur naturelle. « Pour moi, j’ai dit dans mon extase: Tout homme est menteur ». Dans son effroi il a considéré sa faiblesse, et a vu qu’il ne devait point compter sur lui-même. Car en ce qui regarde l’homme, il est menteur; mais la grâce de Dieu l’a rétabli dans la vérité, de peur que, cédant aux persécutions de ses ennemis, il ne tût ou même n’abjurât la vérité qu’il avait embrassée; ainsi qu’il en fut de saint Pierre, qui comptait sur lui-même, et qui avait besoin d’apprendre à n’y point compter à l’avenir. Et si nul ne doit mettre sa confiance dans un homme, il ne saurait compter sur lui-même, puisqu’il est homme. Dans la crainte qui l’a saisi, le prophète a donc vu avec raison que tout homme est menteur; car ceux que la peur n’affole point de manière à céder aux persécutions par le mensonge, agissent non par leurs propres forces, mais par la grâce de Dieu. Il est donc bien vrai de dire que « tout homme est
1. II Tim. II, 9.— 2. Ps. CXV, 11.
menteur»; mais que Dieu est véridique, lui qui a dit: « Je l’ai dit: vous êtes tous des dieux, tous, les enfants du Très-Haut; et néanmoins, vous mourrez comme des hommes, vous tomberez comme un des princes 1». Dieu console ici les humbles, il les remplit non seulement de cette foi qui leur fait croire la vérité, mais de cette confiance qui la tait prêcher, s’ils persévèrent dans la soumission au Seigneur, s’ils n’imitent point l’un des princes ou le diable qui ne s’est point maintenu dans la vérité et qui est tombé. Car si tout homme est menteur, moins ils seront hommes, et moins ils seront menteurs; et alors ils seront des dieux, les fils du Très-Haut.
4. Le peuple si dévoué des martyrs considère comment le Seigneur dans sa miséricorde n’abandonne point l’infirmité humaine, dont la vue a fait dire en tremblant: « Tout homme est menteur »; comment il daigne consoler les humbles, remplir de confiance ceux qui tremblaient, en sorte que leur coeur déjà presque mort reprend une vie naturelle, et qu’ils ne mettent plus leur confiance en eux-mêmes, mais en celui qui ressuscite les morts 2, qui rend éloquentes les langues des enfants 3, qui nous dit: « Quand ils vous traduiront, ne vous mettez point en peine de ce que vous devez dire; ce qu’il vous faudra dire vous sera inspiré à l’heure même; car ce n’est point vous qui parlez, mais l’Esprit de votre Père qui parle en vous 4 ». Voilà ce que considère celui qui avait dit: « Dans mon extase, je l’ai dit: tout homme est menteur »; et voyant que, par la grâce de Dieu, lui-même est devenu véridique: « Que rendrai-je au Seigneur, s’écrie-t-il, pour tous les biens qu’il m’a rendus 5? » Il ne dit point, pour tous les biens qu’il m’a accordés, mais: « pour tout ce qu’il m’a rendu». Qu’avait donc fait l’homme auparavant, pour que les dons de Dieu ne fussent point une simple faveur, mais une rétribution? Qu’avait fait l’homme, sinon des fautes? Dieu a donc rendu le bien pour le mal; lui à qui les hommes rendent le mal pour le bien. Voilà en effet ce que lui ont rendu ceux qui ont dit: « C’est là l’héritier, venez et tuons-le 6. »
5. Mais l’interlocuteur cherche ce qu’il doit rendre au Seigneur, et il ne trouve rien,
1.
Ps. LXXXI, 6,7. — 2. II Cor. I, 9. — 3. Sag. X, 21.— 4. Matth. X, 19, 20. — 5.
Ps. CXV, 12.— 6. Matth. XXI, 38.
sinon les biens que le Seigneur lui a rendus. « Je prendrai », dit-il, « le calice du salut, et j’invoquerai le nom du Seigneur 1». O homme, que ton péché a fait menteur, que la grâce de Dieu a rendu véridique, et qui n’es plus homme dès lors, qui t’a donné ce calice du salut, que tu prendras pour invoquer le nom du Seigneur, et le remercier de tous les biens qu’il t’a rendus? Qui, sinon celui qui a dit: « Pouvez-vous boire le calice que je boirai moi-même 2? » Qui t’a donné la force de souffrir comme lui, sinon celui qui a, le premier, souffert pour toi? De là vient que « la mort de ses saints est précieuse aux yeux du Seigneur 3 ». Il l’a achetée de ce même sang qu’il avait répandu pour le salut de ses serviteurs, afin que ces serviteurs n’hésitassent point à répandre leur sang pour lui; ce qui néanmoins serait un avantage pour eux, et non pour le Seigneur.
6. Que l’esclave acheté à un si grand prix reconnaisse donc sa condition d’esclave, et qu’il dise: « Je suis votre serviteur, ô mon Dieu, et le fils de votre servante 4». Il est donc tout à la fois esclave acheté, et fils de la servante. A-t-il été aussi acheté avec sa mère? Ou bien, parce qu’il est né dans la maison de son maître, et dès lors dépouillé à cause du péché de sa fuite, est-il esclave acheté, parce qu’il a été racheté? Il est en effet le fils de la servante, en ce sens que toute créature est soumise au Créateur, et doit au véritable maître un véritable service, qui lui vaut la liberté quand elle le fait pleinement; et voilà que lui vient du Seigneur la grâce de le servir de gré et non par nécessité. Le Prophète est donc fils de cette Jérusalem céleste, qui est notre mère d’en haut, notre mère à tous, et notre mère libre 5. Libre du péché, mais esclave quant à la justice; et c’est à ses fils, pèlerins en cette vie, que l’on dit: « Vous êtes appelés à la liberté 6». Puis le même Apôtre les réduit ensuite à l’esclavage: « Assujettissez-vous les uns aux autres par la charité 7 ». Puis il leur dit encore: « Lorsque vous étiez esclaves du péché, vous vous affranchissiez de la justice; maintenant que vous êtes affranchis du péché et devenus esclaves de Dieu, le fruit que vous en tirez est votre sanctification, et la fin sera la vie éternelle 8 ». Qu’il dise donc à Dieu, cet
1. Isa. CXV, 13. — 2. Matth. XX,
22. — 3. Ps. CXV, 15. — 4.
Id. 16. — 5. Gal. XV, 26. — 6. Id. V, 13. — 7. Ibid. — 8. Rom. VI, 20, 22.
esclave: Il en est beaucoup, Seigneur, qui se disent martyrs, beaucoup qui se disent serviteurs, parce qu’ils en appellent à votre nom, sous le voile de telle hérésie, de telle erreur; mais comme ils sont en dehors de votre Eglise, ils ne sont point les fils de votre servante: « Pour moi, je suis votre serviteur et fils de votre servante ».
7. « Vous avez brisé mes liens, et je vous offrirai un sacrifice de louanges 1». Je n’ai trouvé en moi aucun mérite lorsque vous avez brisé mes liens; aussi vous dois-je un sacrifice de louanges: bien que je me glorifie d’être votre serviteur et le fils de votre servante, ce n’est point en moi, mais bien en vous, Seigneur, mon Dieu, que je me glorifie, puisque vous avez rompu mes liens, afin qu’en revenant de mes erreurs, je vous fusse attaché.
8. « J’accomplirai mes voeux au Seigneur 2». Quels voeux accompliras-tu? Quelles victimes as-tu promises? Quel encens? Quels holocaustes? N’as-tu pas en vue ce que tu disais tout à l’heure: « Je prendrai le calice du salut, et j’invoquerai le nom du Seigneur, et je « vous offrirai un sacrifice de louanges? » Et en effet, celui qui réfléchit à ce qu’il doit promettre au Seigneur, aux voeux qu’il doit lui rendre, qu’il se voue lui-même, et qu’il s’offre à Dieu. Voilà ce que le Seigneur exige, et ce qui lui est dû. « Rendez à César ce qui est à
1.
Ps. CXV, 17.— 2. Id. 18.
César, et à Dieu ce qui est à Dieu 1 », disait le Seigneur en regardant une pièce de monnaie. On rend à César l’argent frappé à son effigie: que l’on rende à Dieu son image.
9. Mais quiconque se souvient qu’il n’est pas seulement serviteur de Dieu, qu’il est encore le fils de sa servante, comprend où il doit rendre ses voeux au Seigneur, en se conformant au Christ et en prenant le calice du salut. « A l’entrée de la maison du Seigneur», dit le Prophète. Cette maison de Dieu est aussi la servante de Dieu, et quelle est la maison de Dieu, sinon son peuple? Aussi le Prophète a-t-il ajouté: « En présence de tout son peuple ». Déjà il nomme plus clairement sa mère. Qu’est-ce, en effet, que son peuple, sinon, comme il le dit ensuite: « Au milieu de vous, ô Jérusalem 3 ». C’est alors que l’offrande est agréable au Seigneur, quand elle est faite en paix et avec un esprit de paix. Or, ceux qui ne sont point fils de cette servante, ont préféré la guerre à la paix. Mais, de peur qu’on ne s’imagine que cette entrée de la maison du Seigneur et tout ce peuple désignent le peuple juif, parce que le Prophète a terminé le psaume en disant: « Au milieu de vous, ô Jérusalem », nom qui fait l’orgueil des Israélites selon la chair, écoutez le psaume suivant, composé de quatre versets.
1.
Matth. XXII, 21. — 2. Ps. CXV, 19.
« Nations, louez toutes le Seigneur; peuples, célébrez tous ses louanges 1». Telle est l’entrée de la maison du Seigneur, ou tout ce peuple qui forme la véritable Jérusalem. Qu’ils écoutent surtout, ceux qui n’ont point voulu être les fils de cette cité, qui se sont eux-mêmes retranchés de la communion de tous les peuples. « Parce que sa miséricorde s’est affermie sur nous, et que la vérité du Seigneur demeure éternellement ». La
1.
Ps. CXVI, 1 — 2. Id. 2.
miséricorde et la vérité, voilà deux attributs que je vous ai priés de retenir dans le psaume cent-treizième 1. « La miséricorde du Seigneur s’est affermie sur nous », quand la fureur des nations s’est apaisée, cédant à la sainteté de son nom, par lequel nous est venue la délivrance: « Et la vérité du Seigneur demeure éternellement », soit dans les promesses qu’il a faites aux justes, soit dans ses menaces contre les impies.
1.
Voyez Discours sur le Ps. CXIII, serm. 1, num. 13.
SERMON AU PEUPLE.
Cette confession dont le Prophète nous parle est une confession de louanges, dans le sens que lui a donné le Sauveur lui-même. Confessons donc le Seigneur parce qu’il est bon, c’est-à-dire que la bonté est son premier attribut, et parce que sa miséricorde est éternelle. Que les grands et les petits, la maison d’Aaron, la maison d’Israël, que tous ceux qui craignent le Seigneur publient la bonté du Seigneur. Avec son secours nous n’avons à craindre ni les hommes ni le démon; notre confiance sera en Dieu seul. Les nations ont environné l’Eglise, et les Juifs assailli le Christ, et l’un et l’autre ont été délivrés. Comme les abeilles environnent la ruche pour y déposer le miel, ils ont mis dans le Sauveur la douceur du miel, ils se sont enflammés comme des épines, à sa passion, et en persécutant les martyrs que soutenait le Seigneur, et dont la confiance n’a pas été ébranlée. Cette Eglise qu’ils voulaient perdre raconte les louanges du Seigneur, qui nous a guéris, qui est lui-même la santé, la pierre angulaire de l’édifice, et le jour où il est devenu cette pierre est vraiment son jour. Bénissons alors celui qui nous a éclairés, établissons une fête éternelle et un éternel alleluia.
1. Nous avons entendu, mes frères, l’Esprit-Saint qui nous avertit et nous presse d’offrir à Dieu la confession comme un sacrifice. Or, il y a confession de louanges, et confession de nos péchés. Cette confession qui nous fait avouer nos péchés à Dieu, est connue de tout le monde; et même la multitude peu instruite ne reconnaît guère que cette confession dans les saintes Ecritures: et chaque fois que l’on entend cette expression dans la bouche du lecteur, on entend aussi qu’on se frappe la poitrine. Mais il faut remarquer dans quel sens un autre psaume a dit: « Voilà que j’entrerai dans le lieu d’un admirable tabernacle; jusque dans la maison de Dieu, parmi les s cris de l’allégresse et de la confession, dans les cantiques de nos joies solennelles 1». Il devient évident que le mot de confession, non plus que son expression, ne marque point ici les douleurs de la pénitence, mais bien les joies d’une grande solennité. Si quelqu’un gardait quelque doute en présence d’un témoignage si clair, que répondrait-il devant cet autre de l’Ecclésiastique « Faites les oeuvres du Seigneur, bénissez-le, donnez à son nom la magnificence, confessez-le par les paroles de vos lèvres, par le chant de vos cantiques, par le son de vos harpes, et vous direz dans cette confession: Que toutes les oeuvres du Seigneur sont excellentes 2? » Il n’est point d’esprit si lourd qui ne puisse comprendre que la confession signifie ici la louange de
1.
Ps. XLI, 5.— 2. Eccli. XXXIX, 19-2!.
Dieu; à moins de pousser la perversité de l’esprit, jusqu’à dire que Notre Seigneur Jésus-Christ confessait aussi à son Père ses propres péchés. Qu’un impie ose nous le dire, à cause du mot de confession, il nous sera facile de le réfuter par le contexte. Voici en effet ce que dit le Sauveur: « Je vous confesse, ô mon Père, Dieu du ciel et de la terre; parce que vous avez dérobé ces mystères aux sages et aux prudents, pour les révéler aux petits. Oui, mon Père; car il vous a plu ainsi 1». Qui ne prendra point cette expression pour une louange au Père? qui ne voit que cette confession n’est point une douleur de l’âme, mais plutôt une joie; puisque l’Evangéliste a dit avant ces paroles: « A cette heure même, il fut transporté par l’Esprit-Saint et dit: Je vous confesse, ô mon Père 2? »
2. Si donc, mes bien-aimés, en face de ces témoignages de l’Ecriture, où vous pouvez vous-mêmes en puiser de semblables, il est indubitable que, dans les saintes Lettres, le mot de confession n’a pas seulement le sens d’un aveu des péchés, mais aussi d’une louange en l’honneur de Dieu; dans ce psaume qui commence par Alleluia, louez Dieu, quel sens plus naturel pouvons-nous donner à ces paroles: « Confessez le Seigneur », que celui d’une louange? On ne saurait plus abréger la louange du Seigneur, qu’en nous disant: « Parce qu’il est bon 2 ». Je ne vois rien de plus grand que cette brièveté; car la bonté est
1.
Luc, X, 21.— 2. Ibid. — 3. Ps. CXVII, 1.
tellement un attribut de Dieu, que le Fils de Dieu lui-même s’entendant appeler: « Bon maître », par un homme qui ne voyait en lui que la chair, sans comprendre la plénitude de la divinité qui était en lui, et le croyait simplement un homme, lui répondit: « Pourquoi m’appeler bon? Nul n’est bon que Dieu seul 1». Qu’est-ce dire autre chose, sinon, si tu veux m’appeler bon, comprends que je suis Dieu? Toutefois, le Psalmiste s’adresse à un peuple qui, pour nous figurer l’avenir, fut délivré de ton L labeur, de la captivité, de l’exil, et de tout mélange avec les impies, faveur qu’il obtint par la grâce de Dieu, qui non seulement ne lui rendait pas le mal pour le mal, mais lui rendait au contraire le bien pour le mal; dès lors c’est avec raison que le Prophète ajoute: « Parce que sa miséricorde est éternelle ».
3. « Que la maison d’Israël publie qu’il est bon, que sa miséricorde est éternelle. Que la maison d’Aaron publie qu’il est bon, parce que sa miséricorde est éternelle. Que tous ceux qui craignent le Seigneur publient que sa miséricorde est éternelle 2 ». Vous reconnaissez, je crois, mes frères, quelle est la maison d’Israël, la maison d’Aaron; l’une et l’autre comprennent ceux qui craignent le Seigneur. Ce sont là ces petits et ces grands que, dans un autre psaume, nous vous avons fait remarquer; or, réjouissons-nous que la grâce de celui qui est bon, et dont la miséricorde est éternelle, nous a mis de leur nombre; car ils ont été exaucés, ceux qui ont dit: « Que le Seigneur vous multiplie, vous et vos enfants 3 »; afin d’ajouter les Gentils à ceux des Israélites qui ont cru en Jésus-Christ, et d’où sont venus les Apôtres nos pères; ce qui met le comble à l’éminence des parfaits et à l’obéissance des petits. Et dès lors formant l’unité dans le Christ, devenus un seul troupeau sous un seul pasteur, et le corps de cette tête adorable, disons tous, comme un seul homme: « Dans ma tribulation j’ai invoqué le Seigneur, et il m’a exaucé en dilatant mon coeur 4 ». Cette affliction qui nous met à l’étroit prend une fin, et cette béatitude où nous passons n’a point de bornes. « Qui donc oserait accuser les élus de Dieu 5? »
4. « Le Seigneur est avec moi, je ne craindrai point les efforts d’un homme 6 ». Mais
1.
Marc, X, 17, 18.— 2. Ps. CXVII, 2-4. — 3. Id. CXIII, 12-14. — 4. Id.
CXVII, 5. — 5. Rom. VIII, 33. — 6. Ps. CXVII, 6.
l’Eglise n’a-t-elle d’ennemis que parmi les hommes? L’homme adonné à la chair et au sang est-il donc autre chose que chair et sang? Mais, dit l’Apôtre, « ce n’est point contre la chair et le sang qu’il nous faut combattre; mais contre les puissances et les princes de ce monde, et de ce siècle ténébreux 1 »: c’est-à-dire, ceux qui dirigent les méchants, les hommes épris du monde, et dès lors des ténèbres; car nous aussi nous fûmes ténèbres, et maintenant nous sommes lumière en notre Seigneur 2. « Contre les esprits de malice répandus dans les airs 3 », dit saint Paul, c’est-à-dire contre le diable et ses anges; et c’est ce même diable qu’il appelle ailleurs le prince des puissances de l’air 4. Ecoute maintenant ce qui suit; « Le Seigneur est mon soutien, et je mépriserai mes ennemis 5». De quelque nature qu’il me vienne des ennemis, soit des hommes méchants, soit des esprits de malice, appuyé sur le Seigneur, je les mépriserai, et nous confessons notre Dieu en chantant l’Alleluia en son honneur.
5. Mais quand j’aurai bravé mes ennemis de la sorte, que nul homme ne fasse valoir auprès de moi sa bonté, son amitié, pour me forcer à mettre en lui mon espérance. « Car il est meilleur pour moi de me confier en Dieu qu’en aucun homme 6 ». Que nul de ces esprits que l’on peut appeler de bons anges, ne s’impose à moi comme si je lui devais nia confiance; car nul n’est bon, si ce n’est Dieu. Et quand un homme ou un ange paraissent nous venir en aide, quand ils le font par une vraie charité, c’est Dieu qui le fait par eux, lui qui leur a donné une bonté proportionnée. « Donc il est meilleur pour nous d’espérer en Dieu, que d’espérer dans les princes 7 ». Les anges en effet sont appelés du nom de princes, ainsi que nous lisons en Daniel: « Michel votre prince 8».
6. « Toutes les nations m’ont environné, et au nom du Seigneur j’en ai tiré vengeance; elles m’ont environné de toutes parts, et au nom du Seigneur j’en ai tiré vengeance 9». Quand le Prophète nous dit que toutes les nations l’ont environné, et qu’il en a tiré vengeance, il nous montre les travaux et les victoires de l’Eglise. Mais comme si on lui demandait comment elle a pu surmonter de si
1.
Ephés. VI, 12. — 2. Id. V, 8. — 3. Id. VI, 12. — 4. Id. II, 2. — 5. Ps. CXVII, 7. — 6. Id. 8. — 9. Id. 9. — 10.
Dan. XII, 1. — 11. Ps. CXVII, 10.
grands maux, elle jette les yeux sur le divin modèle, et tout d’abord elle dit qu’elle a souffert dans son chef; puis elle ajoute: « Ils m’ont serrée de près ». Et c’est avec raison que l’on n’a point ici répété: « Toutes les nations». Car ce sont les Juifs qui ont agi de la sorte. « Et j’en ai tiré vengeance au nom du Seigneur ». Car le peuple fidèle, ou le corps du Christ, a éprouvé des persécutions de la part des Juifs, au sein desquels a pris naissance cette chair auguste qui fut clouée à la croix, et pour lesquels a été fait tout ce qu’ont opéré, en cette vie du temps, son pouvoir immortel et sa divinité cachée sous une chair visible.
7. « Ils m’ont environné, comme un essaim d’abeilles environne la ruche, ils ont pris flamme, comme le feu dans les épines, et j’en ai tiré vengeance, au nom du Seigneur 1». C’est par l’ordre des choses que l’on peut découvrir ici l’ordre des paroles. Car nous savons que le Seigneur, chef de l’Eglise, tut environné par ses persécuteurs, comme la ruche est environnée par les abeilles, et le Saint-Esprit nous montre, par cette ingénieuse expression, ce que faisaient les Juifs sans le savoir. C’est le miel que les abeilles font dans les ruches. Et les persécuteurs du Christ nous l’ont rendu plus doux par sa passion même: afin que nous puissions goûter et voir combien le Seigneur est doux 2,lui qui est mort à cause de nos péchés, et ressuscité pour notre justification 3. Mais le Prophète nous dit ensuite: « Ils se sont enflammés « comme le feu dans les épines », ce qu’il est mieux d’entendre du corps de Jésus-Christ, c’est-à-dire de son peuple répandu dans toute la terre; toutes les nations l’ont environné, puisque c’est des nations qu’il a été formé. « Elles ont pris flamme comme le feu dans les épines », quand elles soumirent au feu de la persécution cette chair pécheresse qui subit les tourments les plus atroces. « Et j’en ai tiré vengeance au nom du Seigneur», dit le Prophète; soit que cette malice qui leur faisait persécuter les bons, venant à s’éteindre, ils soient entrés dans le peuple chrétien; soit que ceux d’entre eux qui ont méprisé en cette vie la voix miséricordieuse qui les appelait, doivent à la fin éprouver la justice qui les condamnera.
8. « On m’a poussé comme un monceau de
6.
Ps. CXVII, 12.— 7. Id. XXXIII, 9. — 8. Rom. IV, 25.
sable pour me faire:tomber, et le Seigneur m’a soutenu 1». Quoique le nombre des fidèles fût grand, et que la multitude pût en être comparée au sable qui ne peut se nombrer, et fût réunie en un même corps comme en un monceau; néanmoins, qu’est-ce que l’homme, si vous, Seigneur, ne vous souveniez de lui 2? Il ne dit point: La foule des persécuteurs n’a pu l’emporter sur la foule de mes fidèles; mais: « Le Seigneur m’a soutenu ». Ces nations persécutrices n’avaient donc aucun moyen d’ébranler et de renverser la multitude des fidèles qui habitaient dans l’unité de la foi, quand ils crurent en celui qui les soutenait tous et chacun en particulier, et partout; car il n’eût pu faillir à ceux qui l’invoquaient.
9. « Le Seigneur est ma force, il est ma gloire, il est devenu mon salut 3 ». Qui sont donc ceux qui tombent quand on les pousse, sinon ceux qui veulent être à eux-mêmes leur force, à eux-mêmes leur gloire? Nul ne succombe dans un combat, sinon celui dont la force a succombé comme la louange. C’est pourquoi celui dont le Seigneur est la force et la louange, ne peut succomber non plus que Dieu lui-même. Aussi le Seigneur est-il devenu leur soutien, non qu’il soit devenu ce qu’il n’était pas auparavant; mais parce que ces fidèles, en croyant en lui, sont devenus ce qu’ils n’étaient pas; et que le Christ est devenu non pour lui, mais pour eux, un Sauveur après leur conversion, ce qu’il n’était pas quand ils le fuyaient.
10. « Les voix de l’allégresse et du salut sont dans la tente des justes 4 »: où ne supposaient que la voix des larmes et de la mort, ceux qui tourmentaient ainsi leur chair. Ils ne comprenaient pas les joies intérieures que les saints puisent dans l’espérance de l’avenir. De là cette parole de l’Apôtre: « Comme si nous étions tristes, nous qui sommes toujours dans la joie 5»; et encore: « Et même nous nous glorifions dans l’affliction 6».
11. « La droite du Seigneur a signalé sa force ». De quelle force veut parler le Psalmiste? « La droite du Seigneur m’a élevé 7 ». C’est une grande force que grandir l’humilité, déifier un mortel, que tirer la perfection de la faiblesse, la gloire de ce qui est abaissé, la victoire de la souffrance, et le
1.
Ps. CXVII, 13.— 2. Id. VIII, 5.— 3. Id. 4.— 4. Id. 15.— 5. II Cor. VI, 10.— 6.
Rom. V, 3.— 7. Ps.
CXVII, 16.
secours de l’affliction; en sorte que le vrai salut soit la part des persécutés, tandis que les persécuteurs n’auront que ce salut futile qui vient de l’homme. Tout cela est grand. Comment s’en étonner? Ecoute ce que répète le Psalmiste. Ce n’est point l’homme qui s’est élevé, ni l’homme qui s’est perfectionné, ni l’homme qui s’est élevé en gloire, ni l’homme qui a vaincu, ni l’homme qui s’est procuré le salut: « C’est la droite du Seigneur qui à signalé sa force ».
12. « Je ne mourrai point, mais je vivrai, pour raconter les oeuvres du Seigneur 1 ». Ces bourreaux accumulant les meurtres, croyaient l’Eglise du Christ exterminée; et voilà qu’elle raconte les oeuvres de Dieu, partout le Christ est la gloire des martyrs. Il a vaincu ceux qui le frappaient par la douleur, les furieux par la patience, les plus violents par la charité.
13. Toutefois, que le corps du Christ, la sainte Eglise, le peuple d’adoption nous dise pourquoi il a enduré tant d’indignes traitements. «Le Seigneur m’a châtié sévèrement, mais il ne m’a point livré à la mort 2 ». Que cette rage des impies n’attribue rien à ses forces; elle n’aurait point cette puissance, si elle ne lui était venue d’en haut. Souvent un père de famille fait châtier son enfant par des serviteurs qui sont des scélérats; et néanmoins c’est au premier qu’il destine son héritage, et des fers aux autres. Quel est cet héritage? de l’or, de l’argent, des pierres précieuses, ou bien un fonds de terre, d’agréables jardins? Vois par où l’on y entre, et comprends ce qu’il est.
14. « Ouvrez-moi », dit-il, « les portes de la justice ». Voilà que nous en connaissons les portes. Quel est l’intérieur? « En y entrant », dit le Prophète, « je confesserai le Seigneur 3 »; c’est là une confession de louanges, qui est admirable jusqu’à la maison de Dieu, dans les cris d’allégresse et de la confession, dans les harmonies d’une solennité 4. Telle est l’éternelle félicité des justes, qui constitue le bonheur de ceux qui habitent la maison du Seigneur, et qui le bénissent dans les siècles des siècles 5.
15. Mais vois comment on entre par les portes de la justice. « Ce sont les portes du Seigneur », dit le Prophète, « et c’est par elles
1.
Ps. CXVII, 17.— 2. Id. 18. — 3. Id.19. — 4. Id. XLI, 5.— 5. Id. LXXXLIII, 5
qu’entreront les justes 1 ». Du moins, que nul homme injuste ne puisse les franchir, pour entrer dans cette Jérusalem qui ne reçoit aucun incirconcis, et où l’on dit: « Loin d’ici les chiens 2 ». Qu’il me suffise, dans mon pèlerinage lointain, «d’avoir habité sous les pavillons de César, et d’avoir gardé la paix avec ceux qui n’aimaient pas la paix 3 »; d’avoir supporté jusqu’à la fin le mélange avec les méchants: mais « voici les portes du Seigneur, c’est par là qu’entreront les justes».
16. « Je vous confesserai, ô mon Dieu, parce que vous m’avez exaucé et que vous êtes devenu mon sauveur 4 ». A chaque instant on vous montre que c’est là une confession de louanges; non celle qui découvre ses plaies au médecin, mais celle qui lui rend grâce de la guérison qu’il lui doit. Et le médecin est aussi la santé.
17. Or, quel est ce médecin? C’est « la pierre qu’ont repoussée ceux qui édifiaient ». Car c’est lui qui « est devenu la pierre de l’angle 5, afin de former en lui ces deux peuples en un seul homme nouveau, d’établir la paix entre eux, les réunissant en un même corps pour les réconcilier avec Dieu 6 ». Et ces deux peuples sont ceux de la circoncision et des
Gentils.
18. «C’est le Seigneur qui lui adonné cette mission 7»; c’est-à-dire que le Seigneur l’a établi pierre angulaire. Quoique le Seigneur n’en soit arrivé là que par la souffrance, ce ne sont pas néanmoins ceux qui l’ont fait souffrir qui lui ont donné cette mission. Car ceux qui bâtissaient l’édifice l’ont repoussé; mais, dans l’édifice invisible qu’il élevait, le Seigneur a posé comme pierre angulaire celle que l’on avait repoussée. « Et c’est là une merveille pour nos yeux », c’est-à-dire les yeux de l’homme intérieur, pour les yeux de ceux qui ont la foi, qui ont l’espérance, qui ont la charité; non pour les yeux charnels de ceux qui l’ont rejeté parce qu’ils ne voyaient en lui qu’un homme.
19. « Voici le jour que le Seigneur a fait 8». Notre interlocuteur se souvient donc d’avoir dit, dans les psaumes précédents: « Le Seigneur a incliné son oreille vers moi, et je l’invoquerai en mes jours 9 »; faisant allusion
1.
Ps. CXVII, 20. — 2. Apoc. XXII, 15. — 3. Ps. CXIX, 5. — 4. Id. CXVII, 21.
— 5. Id. 22.— 6. Ephés. II, 15, 16. — 7. Ps.
CXVII, 23.— 8. Id. 24. — 9. Id. CXIV, 2.
aux jours du vieil homme. Aussi dit-il maintenant: « Voici le jour que le Seigneur a fait 1», ou le jour dans lequel il m’a sauvé. Tel est le jour dont il est dit: « Au temps favorable je t’ai exaucé, et au jour du salut je t’ai secouru 2 »: c’est-à-dire au jour où le Christ a été fait tête de l’angle. « Réjouissons-nous dès lors, et tressaillons de joie ».
20. « O mon Dieu, sauvez-moi; ô mon Dieu, tracez-moi un chemin heureux vers la vérité 3 ». Puisque viennent les jours de salut, « sauvez-moi». Puisque, au retour d’un long exil, nous nous séparons de ceux qui haïssaient la paix, avec lesquels nous étions en paix, et qui nous faisaient la guerre sans motif, quand nous leur parlions 4, « tracez pour notre retour un chemin heureux », parce que c’est vous qui vous êtes fait notre voie.
21. « Bienheureux, en effet, celui qui vient au nom du Seigneur 5 ». Maudit soit dès
lors celui qui vient en son propre nom, ainsi qu’il est dit dans l’Evangile: « Je suis venu au nom de mon Père, et vous ne m’avez point reçu; qu’un autre vienne en mon nom, vous le recevrez ». « Nous vous avons béni de la maison du Seigneur». Je crois qu’aux petits s’adressent ici les parfaits c’est-à-dire ces grands qui touchent de l’esprit, autant qu’on le peut en cette vie, le Verbe qui est Dieu et en Dieu. Et toutefois, ils abaissent leur discours au niveau de ces petits, afin de pouvoir leur dire ce que dit l’Apôtre: « Soit que nous soyons hors de nous-mêmes, c’est pour Dieu; soit que nous soyons plus calmes, c’est pour vous; puisque l’amour de Jésus-Christ nous presse 6 ». Les parfaits bénissent donc les petits, de l’intérieur de
cette maison de Dieu où la louange en son honneur s’élèvera dans les siècles des siècles; aussi voyez ce que de là ils annoncent aux hommes.
22. « C’est le Seigneur qui est Dieu, et sa lumière s’est levée sur nous 7 ». Ce Seigneur qui est venu au nom du Seigneur, que les architectes ont repoussé, et qui est devenu la tête de l’angle 8, ce médiateur de Dieu et des hommes, Jésus-Christ homme 9 qui est Dieu, qui est égal à son Père, c’est lui qui nous a éclairés, afin que nous comprenions ce que nous avons cru, et que nous vous le
1. Isa. XLIX, 8. — 2. Ps. CXVII,
25. — 3. Id. CXIX, 7. — 4. Id. CXVII, 26.— 5. Jean, V, 43. — 6. II Cor. V, 13, 14, — 7. Ps. CXVII, 27.
— 8. Matth. XXI, 9, 42. — 9. I Tim. II, 5.
prêchions, à vous qui le croyiez déjà, mais sans le comprendre. Afin donc de le comprendre vous-mêmes, « Etablissez-vous un jour de fête avec un grand concours de peuple, jusques aux cornes de l’autel»; c’est-à-dire jusqu’à l’intérieur de la maison de Dieu, de cette maison d’où nous vous avons béni, et qui renferme ce qu’il y a de plus élevé dans l’autel. « Etablissez-vous un jour de fête », non plus avec lenteur ni avec indifférence, mais avec un grand concours de peuple. Voilà ce que signifie cette voix de l’allégresse qui solennise un jour de fête, et que font retentir ceux qui marchent dans le lieu d’un tabernacle magnifique, jusqu’à la maison du Seigneur 1. S’il y a là un sacrifice spirituel, un éternel sacrifice de louanges, il y a là aussi un prêtre éternel, et pour autel éternel l’âme des justes dans une souveraine paix. Pour parler plus clairement, mes frères, quiconque veut comprendre le Verbe qui est Dieu, ne doit point se contenter de cette chair dont le Verbe s’est revêtu pour lui, afin de le nourrir de lait, ni de célébrer sur la terre cette solennité dans l’immolation de l’Agneau; mais il faut sans délai nous établir en grande foule, jusqu’à ce que nous élevions bien haut notre esprit vers le Seigneur, pour arriver jusqu’au divin tabernacle de celui qui a bien voulu nous donner pour nourriture le lait de son humanité visible.
23. Et là quelle sera notre occupation, sinon de chanter ses louanges? Que pourrons-nous dire, sinon: « C’est vous qui êtes mon Dieu, je vous confesserai; c’est vous qui êtes mon Dieu, et je publierai vos grandeurs; je vous confesserai, Seigneur, parce que vous m’avez exaucé, et que vous vous êtes fait mon Sauveur 2? » Ces paroles ne s’exhaleront point avec bruit, mais elles seront l’expression de notre amour qui s’attachera de lui-même au Seigneur; c’est l’amour qui sera notre voix. Voilà que le Prophète achève par la louange ce qu’il a commencé par la louange. « Confessez le Seigneur, parce qu’il est bon, parce que sa miséricorde est éternelle ». C’est ainsi que le Prophète a commencé, ainsi qu’il termine. Car, depuis ce commencement dont nous sommes éloignés, jusqu’à cette fin dernière où nous revenons, il n’est point de joie plus suave que la louange de Dieu, que l’éternel Alleluia.
1.
Ps. XLI, 5. — 3. Id. CXVII, 28. — 4. Id. 29.
Le psaume débute par une invitation au bonheur dont le désir nous est naturel et que nous recherchons même par le péché, quoique ce bonheur ne consiste qu’à marcher dans la voie de Dieu, à nous attacher à lui. Etudier les témoignages de Dieu pour vivre plus saintement, c’est une perfection; les étudier pour la science en elle-même, c’est nè point chercher le Seigneur de manière à devenir jusle. Toutefois le bonheur dans la recherche de Dieu, n’est ici-bas qu’une espérance, comme celui qui consiste à souffrir persécution pour la justice.
AVANT-PROPOS.
Jusqu’ici, avec le secours de Dieu, j’ai expliqué soit en parlant au peuple, soit en dictant, et autant que je l’ai pu, tous les psaumes que nous savons renfermés dans le livre des psaumes, et que l’Eglise appelle communément le psautier. Mais pour le psaume cent dix-huitième, j’en différais l’explication moins encore à cause de sa longueur, qu’à cause de sa profondeur accessible au petit nombre seulement. Mes frères, néanmoins, voyant avec peine que dans mes ouvrages et en ce qui regarde l’explication des psaumes, celui-ci manquait seul, et me pressant vivement d’acquitter ma dette, j’ai différé longtemps de me rendre à leurs prières et à leurs instances; car toutes les fois que je m’en occupais, je trouvais la tâche au-dessus de mes forces. Plus il paraît clair, en effet, et plus j’y trouvais de profondeur; au point que cette profondeur même échappait à mes démonstrations. Dans les autres qui sont difficiles à comprendre, bien que l’obscurité nous en dérobe le sens, on voit au moins qu’ils sont obscurs; mais ici l’obscurité n’est pas même apparente: à la surface il nous paraît facile au point de n’avoir aucun besoin d’interprète, mais seulement d’un lecteur et d’un auditeur. Et maintenant que j’entreprends enfin ce travail, j’ignore complètement si je pourrai l’achever; je compte néanmoins sur le secours de Dieu qui m’aidera à en expliquer quelque chose. C’est ainsi qu’il m’a aidé, quand j’ai interprété d’une manière suffisante quelques passages qui m’avaient paru d’abord difficiles et en quelque sorte impossibles à comprendre et à expliquer. J’ai résolu de traiter le psaume dans des discours prêchés au peuple, discours que les Grecs appellent homélies. C’est la manière qui me paraît la plus convenable, afin que les réunions des fidèles ne soient point privées de l’intelligence d’un psaume qu’elles entendent chanter avec joie comme tous les autres. Mais terminons ici cet avis, et parlons du psaume auquel nous avons cru devoir ces préliminaires.
1. Ce long psaume, dès le commencement, mes frères bien-aimés, nous convie au bonheur, que nul ne s’abstient de désirer. Pourrait-on, en effet, a-t-on pu, et pourra-t-on jamais rencontrer un homme qui n’aspire point au bonheur? A quoi bon, dès lors, nous stimuler pour un bien que le coeur humain convoite si naturellement? Quiconque en stimule un autre, ne se propose que d’activer sa volonté, de la pousser vers l’objet qu’il exhorte à désirer. Pourquoi donc nous engager à vouloir ce qu’il nous est impossible de ne vouloir point, sinon parce que tout homme à la vérité désire le bonheur, mais beaucoup ignorent de quelle manière on y arrive? Aussi le Psalmiste nous l’enseigne-t-il, en disant: « Heureux les hommes irréprochables dans leur voie, qui marchent dans la loi du Seigneur 1 ». Comme s’il nous disait O homme, je connais ton désir, tu cherches le bonheur: si donc tu veux être heureux, sois pur d’abord. Tous veulent du bonheur, mais peu veulent de cette pureté sans laquelle on ne saurait parvenir à ce bonheur convoité par tous. Mais où donc l’homme peut-il être sans tache, sinon dans sa voie? Et quelle est cette voie, sinon ta loi du Seigneur? Cette parole dès lors 1: « Bienheureux les hommes irréprochables dans leur voie, qui marchent dans la loi du Seigneur », n’est plus une parole
1.
Ps. 118, 1.
superflue, c’est pour nos coeurs une exhortation bien nécessaire. Elle nous montre combien est avantageux ce qui est si généralement négligé, c’est-à-dire de marcher sans reproche dans cette voie qui est la loi du Seigneur; elle proclame bienheureux ceux qui en agissent ainsi, afin que pour atteindre ce bonheur auquel tout homme aspire, nous nous déterminions à faire ce que tant d’hommes ne veulent point faire. Etre heureux, est en effet un si grand bien, que les bons et les méchants le désirent. Il n’est pas étonnant que les bons soient tels pour y arriver; mais ce qui est étrange, c’est que les méchants ne sont méchants que pour être heureux. Tout voluptueux, tout homme perdu de débauche ne s’abandonne à ces infâmes jouissances, que pour chercher le bonheur dans ces désordres, et il se croit malheureux quand il ne saurait atteindre la voluptueuse joie qu’il convoite, il vante son bonheur s’il y parvient. Quiconque est en proie aux désirs brûlants de l’avarice, n’amasse par tout moyen des richesses que pour être heureux; quiconque cherche à répandre le sang de ses ennemis, quiconque veut dominer les autres, quiconque donne en pâture à sa cruauté le malheur des autres, ne cherche que le bonheur dans tous ces crimes. Ce sont donc ces âmes égarées, qu’une véritable misère force à chercher un faux bonheur, que cette voix divine rappelle dans le chemin si l’on veut l’entendre: « Bienheureux les hommes irréprochables dans leur voie, qui marchent dans la loi du Seigneur »; comme s’il leur disait: Où allez-vous, infortunées? Vous allez à la mort sans le savoir. Ce n’est point par là que l’on peut aller où vous prétendez arriver: vous aspirez au bonheur, mais les chemins où vous vous précipitez sont pleins de misère, et conduisent à une misère plus profonde encore. Ne cherchez point un si grand bien par de si grands maux; si vous voulez y parvenir, venez par ici, suivez cette route. Quittez ces routes perverses, vous qui ne pouvez quitter le désir du bonheur. En vain vous vous épuisez pour aller où vous ne sauriez arriver sans être corrompus. Non, non, ils ne sont point heureux, ces criminels égarés qui marchent dans la corruption du siècle; mais « ceux-là sont heureux qui sont irréprochables dans leur voie, qui marchent dans la loi du Seigneur ».
2. Voyez en effet ce qu’il ajoute: « Bienheureux ceux qui étudient ses témoignages, qui le recherchent de tout leur coeur 1 ». Ces paroles ne me paraissent point désigner un genre de bonheur autre que celui dont il est question auparavant. Car approfondir les témoignages du Seigneur, et le rechercher de toute son âme, c’est être sans reproche dans la voie, marcher dans la loi du Seigneur. Enfin le Prophète continue en disant: « Ceux qui commettent l’iniquité ne marchent point dans ses voies 2». Si donc marcher dans la voie, c’est-à-dire dans la loi du Seigneur, c’est approfondir ses ordonnances et le rechercher de toute son âme, assurément commettre l’iniquité ce n’est point sonder ses ordonnances. Et toutefois, nous connaissons des artisans d’iniquité qui approfondissent les ordonnances du Seigneur parce qu’ils préfèrent la science à la justice; nous en connaissons d’autres qui étudient ces mêmes témoignages du Seigneur, non qu’ils vivent déjà saintement, mais afin d’apprendre comment ils sont obligés de vivre. Ceux-là donc ne sont pas encore sans tache dans la voie du Seigneur, et dès lors n’ont point encore le bonheur. Comment donc faut-il entendre: « Bienheureux ceux qui approfondissent ses témoignages », puisque nous voyons que des hommes qui ne sont point heureux parce qu’ils ne sont point purs encore, étudient néanmoins ces témoignages? Ces Scribes, en effet, comme ces Pharisiens qui s’asseyaient sur la chaire de Moïse, et dont le Sauveur a dit: « Faites ce qu’ils disent, mais ne faites pas ce qu’ils font; car ils disent et ne font point 3», approfondissaient les ordonnances du Seigneur, ruais avec la droiture dans leurs discours et l’iniquité dans leurs, oeuvres. Mais laissons ces hommes dont on pourrait nous dire avec raison qu’ils ne sondent point les témoignages du Seigneur, puisque en réalité ce ne sont point ces témoignages qu’ils recherchent, et qu’ils poursuivent par ces témoignages un tout autre but, c’est-à-dire la gloire aux yeux des hommes, et la richesse. Car ce n’est pas étudier les témoignages du Seigneur, que n’ai mer point ce qu’ils prescrivent et ne vouloir point arriver où ils nous conduisent, c’est-à-dire à Dieu. Si l’on veut néanmoins que ces hommes approfondissent les témoignages du Seigneur, bien qu’ils ne l’y recherchent point
1. Ps. 118, 2. — 2. Id. 3.— 3.
Matth. XXIII, 3.
lui-même, mais un tout autre but qu’ils veulent atteindre par ce moyen; assurément ils ne recherchent point Dieu de tout leur coeur, et nous voyons que cette condition qu’ajoute le Prophète n’est point superflue. L’Esprit de Dieu, qui nous parle ici, sachant qu’il en est beaucoup qui étudient les saintes Ecritures dans un autre but que celui que Dieu, nous prescrit, ne dit pas seulement: « Bienheureux ceux qui approfondissent ses témoignages »; mais il ajoute: « Qui le recherchent de tout leur coeur », comme pour nous enseigner de quelle manière, et dans quel but nous devons étudier ces témoignages du Seigneur. Ensuite, au livre de la Sagesse, voici ce que dit la Sagesse elle-même: « Les méchants me cherchent sans me trouver, car ils haïssent la Sagesse 1». Qu’est-ce à dire, sinon qu’ils me haïssent moi-même? Ceux donc qui me haïssent, dit le Seigneur, me cherchent sans me trouver. Comment peut-on dire qu’ils cherchent ce qu’ils haïssent, sinon parce que ce n’est point là ce qu’ils se proposent, mais un tout autre but? Car ce n’est point pour la gloire de Dieu qu’ils veulent être sages, mais ils veulent paraître sages pour acquérir de la gloire aux yeux des hommes. Comment ne haïraient-ils point la Sagesse qui nous enseigne à mépriser ce qu’ils aiment, et nous en fait un précepte? « Bienheureux dès lors les hommes irréprochables dans leur voie, qui marchent dans la loi du Seigneur. Bienheureux ceux qui étudient ses témoignages, qui le recherchent de tout leur coeur ». Car c’est en étudiant ses témoignages de manière à le chercher de tout leur coeur, qu’ils marchent irréprochables dans la loi du Seigneur. Et toutefois, ne sondait-il pas ses témoignages, et ne le cherchait-il pas, celui qui disait: « Bon maître, quel bien me faut-il faire pour u avoir la vie éternelle? » Mais comment aurait-il cherché Dieu de tout son coeur, cet homme qui préférait les richesses à ses conseils, et qui s’en allait tristement après l’avoir entendu 2? Le Prophète Isaïe dit à son tour: « Cherchez le Seigneur, et après l’avoir trouvé, que l’impie abandonne ses voies, et l’homme d’iniquité, ses pensées 3».
3. Donc les impies et les pécheurs cherchent Dieu, afin de n’être plus ni impies ni pécheurs après qu’ils l’auront trouvé. Comment donc
1.
Prov. I, 28, 29. — 2. Matth. XVI, 16, 22. — 3. Isa. LV, 6, 7.
sont-ils heureux parce qu’ils approfondissent les témoignages du Seigneur, et quand ils le cherchent, puisque les impies, puisque les hommes d’iniquité peuvent le faire? Quel homme serait assez impie, assez inique, pour affirmer que les impies, que les hommes d’iniquité sont heureux? Ce bonheur des justes est donc en espérance, ainsi qu’il est dit: « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice l »; heureux non pour le présent, puisqu’ils sont dans la douleur, mais pour l’avenir, puisque le royaume des cieux est à eux. Et encore: « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice 2 », non parce qu’ils ont faim, parce qu’ils ont soif, mais à cause de ce qui suit: « Parce qu’ils seront rassasiés ». Et encore: « Bienheureux ceux qui pleurent »; non parce qu’ils pleurent, mais à cause de ce qui suit: « Parce qu’ils seront dans la joie 3 ». Donc, bienheureux ceux qui étudient ses témoignages, « qui le recherchent de tout leur coeur »; non point parce qu’ils étudient et recherchent, mais parce qu’ils doivent trouver un jour ce qu’ils cherchent maintenant. Ils cherchent en effet de tout leur coeur, et non point avec négligence. Si donc ils sont heureux par l’espérance, peut-être aussi ne sont-ils purs qu’en espérance. Car en ce qui est de cette vie, bien que nous marchions dans la voie du Seigneur, bien que nous examinions ses ordonnances et que nous le cherchions de tout notre coeur, « si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est point en nous 4». Mais examinons avec plus de soin. Le Psalmiste continue en effet: « Ceux qui commettent l’iniquité ne marchent point dans ses commandements ». D’où nous pouvons voir que ceux qui marchent dans la voie du Seigneur, c’est-à-dire dans sa loi, en étudiant ses témoignages, en le recherchant de tout leur coeur, peuvent déjà être purs, c’est-à-dire exempts de péchés, à cause de ces paroles qui suivent: « Ce ne sont point en effet ceux qui commettent l’iniquité qui marchent dans ses voies. Or, celui qui commet le péché, commet l’iniquité »; dit saint Jean qui ajoute « Et le péché est l’iniquité 5». Mais il faut terminer notre discours, et nous ne pouvons restreindre une si grande question au peu de temps qui nous reste.
1.
Matth. V, 10.— 2. Id. 6.— 3. Id. 5.— 4. I Jean, 1,8.— 5. Id. III,4.
Celui qui commet l’iniquité ne marche pas dans la voie du Seigneur. Or, tout homme est pécheur et le péché c’est l’iniquité; donc nul homme ne marche dans cette voie. Croire en effet que nous sommes sans péché, c’est le comble de l’orgueil; dire que nous sommes en état de péché, sans le croire, c’est l’hypocrisie. Toutefois les saints marchent dans les voies du Seigneur, et néanmoins ils ont l’iniquité, puisque saint Paul faisait le mal qu’il ne voulait pas. Ainsi le péché habitait en lui, et néanmoins il marchait dans la voie du Seigneur.
1. Il est écrit dans notre psaume, nous le lisons, et c’est une vérité, que « ceux qui commettent l’iniquité ne marchent pas « dans les voies du Seigneur 1 ». Mais, avec le secours de Dieu, entre lés mains de qui nous sommes, ainsi que nos discours 2, faisons en sorte qu’une parole si vraie ne vienne pas à troubler le lecteur ou l’auditeur qui la comprendrait mal: Ce sont en effet tous les saints qui nous tiennent ce langage: «Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous 3 ». Il nous faut éviter dès lors, ou de les regarder comme en dehors des voies du Seigneur, parce que le péché c’est l’iniquité, et que ceux qui commettent l’iniquité ne marchent point dans ses voies, ou parce qu’il n’est pas douteux qu’ils marchent dans les voies du Seigneur, de croire qu’ils n’ont aucun péché, ce qui est faux. Ce n’est point en effet pour réprimer notre arrogance ou notre orgueil qu’il est écrit: « C’est nous séduire que dire que nous sommes sans péché ». Autrement l’Apôtre n’aurait pas ajouté: « Et la vérité n’est point en nous »; mais il dirait: « L’humilité n’est point en nous »; surtout que le texte suivant donne au sens sa plus grande clarté et vient lever toute espèce de doute. A ces paroles en effet, saint Jean ajoute: « Mais si nous confessons nos fautes, Dieu est fidèle et juste pour nous remettre nos péchés et nous purifier de toute iniquité 4 ». Que peut répondre, que peut opposer à cette parole la plus orgueilleuse impiété? Si c’est pour confondre notre orgueil, et non pour proclamer une vérité, que les saints ne se disent pas
1.
Ps. 118, 3.— 2. Sag. VII, 16.— 3. Jean, I, 8.— 4. Id. 9.
sans péché, pourquoi cette confession, afin de mériter le pardon et la justification? Est-ce encore là un moyen d’éviter l’orgueil? Comment alors une confession mensongère leur obtiendrait-elle une véritable rémission des fautes? Silence donc à cette feinte orgueilleuse, mort à cette plainte chétive qui se séduit elle-même, qui vient sous le voile de l’humilité dire à l’oreille des hommes qu’elle est en péché, tandis qu’un orgueil impie lui fait dire au fond de son âme qu’elle est sans faute. Tenir ce langage, c’est nous séduire nous-mêmes, c’est n’avoir point en nous la vérité. Parler ainsi devant les hommes, non seulement c’est nous séduire nous-mêmes, c’est encore séduire les autres en les infestant d’une doctrine si corrompue. Mais tenir ce langage dans le secret de leur coeur, c’est là se séduire soi-même, c’est n’avoir point en soi-même la vérité; c’est mettre dans son propre coeur la séduction, et dès lors c’est perdre au fond de son âme la lumière de la vérité. Dès lors, que la famille du Christ, famille sainte, qui fructifie et s’accroît dans le monde, qui est vraiment dans la vérité et vraiment dans l’humilité, que celte famille s’écrie: « Si nous disons que nous n’avons aucun péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est point en nous. Si nous allons jusqu’à confesser à Dieu nos fautes, il est juste et fidèle, au point de nous pardonner nos péchés et de nous purifier de nos fautes ». Puisse notre coeur le sentir, comme notre langue le profère. Car l’humilité n’est véritable que quand elle ne consiste pas seulement en paroles, de manière que, selon la parole de saint Paul, « sans nous élever à des pensées trop hautes, nous nous
accommodons à ce qu’il y a de plus humble 1 ». L’Apôtre ne dit point que nous parlions, il dit que nous nous accommodions, ce qui n’est point l’affaire de la langue, mais celle du coeur. Ainsi donc, ô hypocrite, dire que tu es en péché, sans le croire dans ton coeur, c’est feindre l’humilité au dehors, et à l’intérieur embrasser la vanité. C’est donc n’avoir la vérité ni dans la bouche, ni dans le coeur. De quoi te servira que tes paroles soient humbles aux yeux des hommes, si Dieu voit l’enflure dans tes pensées? Que l’oracle divin crie à ton oreille: Loin de toi toute parole orgueilleuse: tu mériterais néanmoins d’être condamné si les paroles de ta bouche étaient humbles devant les hommes, tandis que devant. Dieu les paroles de ton coeur seraient pleines d’enflure. Mais quand il dit formellement: « Au lieu de t’enorgueillir, crains plutôt 2 », il n’est point question ici de langage, mais plutôt de sentiments; pourquoi l’humilité ne serait-elle point dans le coeur, comme le sentiment est dans le coeur? L’enflure de l’âme ne couvrirait-elle donc, dans notre langage, qu’une humilité menteuse? Tu lis, ou plutôt tu entends: « Au lieu de t’enorgueillir, crains plutôt »; et tu t’élèves dans tes sentiments, au point de te croire sans péché; et pour ne point en passer par la crainte, tu n’as d’autre ressource que l’orgueil.
2. Mais, diras-tu, pourquoi donc est-il écrit: « Tous ceux en effet qui commettent l’iniquité, ne marchent pas dans ses voies? » Eh ! les saints du Seigneur ne marchent-ils pas dans les voies du Seigneur? S’ils marchent dans ses voies, ils ne commettent point d’iniquité; s’ils ne commettent point d’iniquité, ils n’ont aucun péché; car « c’est l’iniquité qui est le péché 3». Ah! levez-vous pour me secourir, Seigneur Jésus, et qu’à l’hérétique orgueilleux je puisse opposer l’humble aveu de l’Apôtre. Où est donc cet homme qui fait le vide en lui-même pour n’être plein que de vous? Ecoutons-le, saies frères, interrogeons-le sur cette question, s’il vous plaît, ou mieux, parce qu’il vous plaît. Dites-nous donc, ô bienheureux Paul, si vous marchiez dans les voies du Seigneur, lorsque vous viviez encore en cette chair? Mais, nous répond-il, pourquoi m’écriais-je alors « Toutefois, marchons dans la voie où nous
1.
Rom. VII, 16.— 2. Id. XI, 20. — 3. I Jean, III, 4.
sommes arrivés 1? » Pourquoi dire encore: « Tite vous a-t-il donc circonvenus? N’avons- nous pas marché dans le même esprit et suivi les mêmes traces 2? » Pourquoi dire: « Tant que nous habitons dans ce corps, nous sommes loin du Seigneur, car nous n’allons à lui que par la foi, et nous ne le voyons pas à découvert 3? » Quelle voie nous conduit plus sûrement au Seigneur, que la foi dont vit le juste en ce monde 4? Dans quelle autre voie pouvais-je marcher quand je disais: « En tous cas, oubliant ce qui est derrière moi, je m’avance vers ce qui est devant moi, je m’efforce d’atteindre le but, pour remporter le prix auquel Dieu m’a appelé d’en haut par Jésus-Christ 5? » Enfin, dans quelle voie pouvais-je courir quand je disais: « J’ai combattu un bon combat, j’ai achevé ma carrière 6? » Que ces citations nous suffisent pour montrer que l’apôtre saint Paul marchait dans la voie du Seigneur; mais interrogeons-le sur un autre point. Dites-nous, ô saint Apôtre, je vous en supplie, quand vous viviez dans la chair, marchant dans les voies du Seigneur, aviez-vous quelque péché, ou viviez-vous sans péché? Voyons s’il se séduira lui-même, ou bien s’il sera d’accord avec le bienheureux Jean, apôtre comme lui; car la vérité était en eux 7. Voici donc sa réponse: N’avez-vous point lu
cet aveu que j’ai fait: « Ce que je fais, ce n’est point le bien que je veux, mais le mal que je ne veux pas 8? » Voilà ce que nous entendons; mais demandons ensuite: Comment donc marchiez-vous dans les voies du Seigneur, si vous faisiez précisément le mal que vous ne vouliez pas; puisque la parole du psaume est formelle: « Ceux qui commettent l’iniquité ne marchent point dans ses voies? » Ecoutons maintenant sa réponse dans la pensée suivante: « Or, si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est plus moi qui agis de la sorte, mais le péché qui habite en moi 9 ». Voilà comment ceux qui marchent dans la voie du Seigneur ne commettent point l’iniquité, bien qu’ils ne soient point sans péché; car s’ils ne le commettent point eux-mêmes, le péché néanmoins habite en eux.
3. Mais, dira-t-on, comment, d’une part,
1.
Philipp. III, 16.— 2. II Cor, XII, 18.— 3. Id. V, 6,7.— 4. Rom. I, 17.— 5. Philipp. III, 13,
14.— 6. II Tim. IV, 7.— 7. I Jean, I, 8. — 8. Rom. VII, 15. — 9. Id. 15-17.
l’Apôtre faisait-il le mal qu’il ne voulait pas, et comment, d’autre part, n’était-ce point lui qui le commettait, mais le péché qui habitait en lui? En attendant que nous répondions, une difficulté est déjà résolue, et il devient évident par l’autorité de l’Ecriture sainte, qu’il est possible que nous marchions dans les voies du Seigneur, sans être exempts de péché, bien que nous ne le commettions point nous-mêmes. « Ceux qui commettent l’iniquité », c’est bien là le péché, puisque le péché est une iniquité, « ceux-là ne marchent point dans les voies du Seigneur ». Maintenant, comme il faut finir ce discours, réservons pour un autre à expliquer comment c’est l’homme qui commet le péché à cause de ce corps de mort soumis à la loi du péché, et comment il ne le commet point dès qu’il marche dans les voies du Seigneur.
Si saint Paul marche dans la voie du Seigneur, quoique le péché habite en lui, il suit de là que le péché stimule en nous les désirs déréglés, mais que le consentement seul nous rend coupables. Ce péché ne cessera d’habiter en nous que quand notre corps sera devenu immortel. Toutefois, ceux-là mêmes qui sont dans les voies du Seigneur, implorent la rémission de leurs dettes, c’est-à-dire des fautes de surprise, qui sont fréquentes. Les voies de Dieu se résument dans la foi: donc l’incrédulité est le péché de ceux qui ne marchent point dans ces voies. Qu’ils reviennent au Seigneur, et ils trouveront en lui miséricorde et vérité.
1. Cette parole de notre Psaume: « Ceux u qui commettent l’iniquité, ne marchent « point dans ses commandements 1 », comparée à cette autre de saint Jean, que « le péché c’est l’iniquité », a soulevé une question difficile à résoudre. Comment les saints qui sont en cette vie peuvent-ils, d’une part, n’être point sans péché, puisqu’il est vrai de dire: « Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est point en nous 2 »; et d’autre part, marcher néanmoins dans les voies du Seigneur, dans lesquelles ne marchent point ceux qui commettent l’iniquité? Telle est la question résolue par ce mot de saint Paul: « Ce n’est point moi qui agis de la sorte, mais le péché qui habite en moi 3 ». Comment peut être sans péché celui en qui habite le péché? Saint Paul est néanmoins dans la voie du Seigneur, dans laquelle ne marchent point ceux qui commettent l’iniquité; car ce n’est point lui qui commet le mal, mais le péché qui habite en lui. Toutefois, cette question n’est résolue que pour en faire
1.
Ps. 118, 3. — 2. I
Jean, I, 8. — 3. Rom. VII, 17, 20.
naître une plus grave. Comment un homme peut-il faire ce qu’il ne fait pas? Car l’Apôtre a dit l’un et l’autre: « Ce n’est point ce que je veux, que je fais »; et: « Ce n’est point moi qui le fais, mais le péché qui habite en moi 2 ». D’où il nous faut comprendre que quand le péché agit en nous, ce n’est point nous qui agissons, dès lors que notre volonté n’y donne aucun consentement, et retient même les membres de notre corps, de peur qu’ils n’obéissent à ses désirs. Que peut faire en nous le péché malgré nous, sinon stimuler seulement des désirs déréglés? mais si nous n’y donnons aucun assentiment, c’est une aspiration soulevée en nous, mais qui n’obtient aucun effet. C’est là le précepte que nous donne saint Paul: « Que le péché ne règne point en votre corps mortel, jusqu’à vous faire obéir à ses désirs déréglés, afin que vous n’abandonniez plus vos membres au péché comme des instruments d’iniquités 2». Il est en effet certains désirs du péché auxquels il nous défend d’obéir. Ces désirs opèrent donc le péché, et pour nous, y
1.
Rom VII, 16.— 2. Id. VI, 12, 13.
obéir, c’est commettre le péché; et toutefois si, conformément à l’avis de l’Apôtre, nous n’y cédons point, ce n’est point nous qui agissons 1, mais le péché qui habite en nous. Et, si nous n’éprouvions aucun de ces désirs, il ne se commettrait aucun mal en nous, ni de notre part, ni de la part du péché. Mais quand se soulèvent en nous de ces désirs illicites qui nous laissent inactifs, si nous n’y obéissons point, il est dit néanmoins que c’est nous qui agissons, parce qu’ils ne sont point l’effet d’une force étrangère, mais des faiblesses de notre nature, faiblesses dont nous serons entièrement délivrés, quand notre corps sera devenu immortel aussi bien que notre âme. Donc, d’une part, dès lors que nous marchons dans les voies du Seigneur, nous n’obéissons point aux désirs du péché, et d’autre part, comme nous ne sommes point sans péché, nous en avons les désirs. Ce n’est donc point nous qui formons ces désirs, puisque nous n’y obéissons point, mais ils sont l’oeuvre du péché qui habite en nous et qui les soulève. « Car ils ne marchent point dans les voies du Seigneur, ceux qui commettent l’iniquité », c’est-à-dire qui se laissent aller aux désirs du péché.
2. Mais, cherchons encore ce que nous demandons à Dieu de nous pardonner, quand nous disons: « Remettez-nous nos dettes 2 »; sont-ce les fautes que nous commettons en obéissant aux désirs du péché, ou bien voulons-nous qu’il nous pardonne ces désirs, qui ne viennent point de nous, mais du péché qui habite en nous? Autant que j’en puis juger, tout ce qu’il y a de coupable dans cette faiblesse qui soulève en nous ces convoitises déréglées, que saint Paul nomme péché, est effacé par le sacrement de baptême, ainsi que toutes les fautes que nous avons commises en y obéissant dans nos actes, dans nos paroles, dans nos pensées, et quoique cette faiblesse demeurât en nous, elle ne nous serait point nuisible, si nous n’obéissions jamais à ses désirs, ni en actions, ni en paroles, ni par un secret assentiment, jusqu’à ce qu’elle soit parfaitement guérie quand s’accomplira cette prière: « Que votre règne arrive »; ou bien: « Délivrez-nous du mal 3». Mais, comme la vie de l’homme sur la terre est une épreuve 4; bien que nous soyons fort éloignés du crime, nous ne manquons pas
1.
Rom. VII, 17.— 2. Matth. VI, 12.— 3. Id. 10-12.— 4. Job, VII, 1.
d’occasions néanmoins d’obéir aux désirs du péché, ou en actions, ou en paroles, ou en pensées, lorsque, prenant garde aux grandes fautes, nous sommes surpris par des fautes plus légères; et toutes ces fautes rassemblées contre nous, pourraient, sinon nous briser chacune par leur poids, du moins toutes ensemble nous accabler par leur masse. De là vient que ceux-là mêmes qui marchent dans la voie du Seigneur, disent aussi: « Remettez-nous nos dettes 1 »; car à ces voies du Seigneur appartiennent aussi la prière et la confession, quoique les péchés ne leur appartiennent pas.
3. C’est pourquoi dans ces voies du Seigneur, toutes renfermées dans la foi, par laquelle on croit en Celui qui justifie l’impie 2, et qui dit encore: « Moi je suis la voie 3 », nul ne commet le péché, mais chacun le confesse. Tout pécheur s’écarte donc de la voie, et dès lors on ne saurait attribuer à la voie le péché commis par celui qui s’en écarte; mais dans le chemin de la foi, on regarde comme ne péchant point ceux à qui Dieu n’impute aucun péché. C’est de ces hommes que saint Paul, en relevant la justice qui vient de la foi. nous montre qu’il est écrit dans le psaume: « Bienheureux ceux dont les iniquités sont remises, et dont les péchés sont couverts: bienheureux l’homme à qui le Seigneur n’impute aucun péché 4». Voilà ce que l’on rencontre dans la voie du Seigneur; et dès lors, comme « le juste vit de la foi 5 », cette iniquité qui consiste dans l’infidélité nous éloigne de la voie du Seigneur. Quiconque dès lors marche dans cette voie, c’est-à-dire dans une foi pieuse, ou ne commet aucune faute, ou s’il en commet quelqu’une en s’égarant quelque peu, elle ne lui est pas imputée à cause de cette même voie, et il est comme s’il n’en avait commis aucune. Ainsi donc, dans cet oracle du Prophète: « Ce n’est point dans ses voies qu’ils marchent, ceux qui commettent l’iniquité », on doit entendre par iniquité, ou s’écarter de la foi ou ne point s’en approcher. C’est en ce sens que le Seigneur a dit des Juifs: « Si je n’étais venu, ils n’auraient aucun péché 5 ». Et toutefois, ils n’étaient pas sans péché avant que le Christ vînt en sa chair, et ils ne sont point demeurés sans péché depuis son avènement,
1.
Matth. VI, 12. — 2. Rom. IV, 5. — 3. Jean, XIV, 6.— 4. Rom. IV, 7; Ps. XXXI, 1,
2. — 5. Rom. I, 17. — 6. Jean, XV, 22.
mais le Sauveur a voulu caractériser un péché spécial, c’est-à-dire l’infidélité, parce qu’ils n’ont pas cru en lui. De même ceux qui commettent l’iniquité, non point toute iniquité, mais celle qui consiste dans l’infidélité, ne marchent point dans ses voies; car « toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité 1 »; l’une et l’autre sont dans le Christ, et nulle part en dehors du Christ. « Or», nous dit saint Paul, «je déclare que le Christ a été ministre pour le peuple circoncis, afin de vérifier la parole de Dieu, et de confirmer les promesses faites à nos pères, que les Gentils doivent glorifier Dieu de sa miséricorde 2 ». Il y a donc miséricorde en ce qu’il nous a rachetés; il y a vérité
1. Ps. XXIV, 10. — 2. Rom. XV, 8, 9.
en ce qu’il a accompli ce qu’il a promis, et qu’il accomplira ce qu’il promet encore. « Ceux donc qui commettent l’iniquité », c’est-à-dire qui sont incrédules, « n’ont pas marché dans ses voies », puisqu’ils n’ont point cru au Christ. Donc, qu’ils se convertissent et qu’ils croient humblement en Celui qui justifie l’impie 1, et dès lors ils retrouveront en lui toutes les voies du Seigneur, c’est-à-dire la miséricorde par le pardon de leurs péchés, et la vérité par l’accomplissement des promesses divines; car, marchant dans ces voies, ils ne commettront point l’iniquité, parce qu’ils éviteront toute infidélité pour embrasser la foi qui agit par amour 2, et à laquelle Dieu n’impute aucun crime.
1.
Rom. IV, 5. — 2. Galat. V, 6.
Les Grecs ont dit avec raison « rien de trop », quand il s’agit de régler notre vie. Mais quand le Prophète veut que l’on garde les préceptes de Dieu « à l’excès», cela signifie: complètement; il implore ensuite la grâce du Seigneur afin d’obéir à ses décrets, qu’il ne lui suffit pas de connaître pour les accomplir, et qui seraient pour lui un sujet de confusion, s’il ne les accomplissait point. Les accomplir, ce sera une confession glorieuse, aussi Dieu ne l’abandonnera-t-il point complètement.
1. Quel est, mes frères, celui qui dit au Seigneur: « C’est vous qui avez ordonné que l’on gardât à l’excès vos préceptes; puissent mes voies se redresser, en sorte que j’obéisse à vos décrets; je ne serai point confondu quand j’aurai considéré vos commandements 1? » Qui donc parle de la sorte, sinon tout membre du Christ, ou plutôt le corps entier du Christ? Mais que signifie cette parole: « Vous avez ordonné que l’on gardât vos commandements à l’excès? » Cette expression à l’excès signifie-t-elle, ou que Dieu a ordonné à l’excès, ou qu’il faut les garder à l’excès? Quel que soit le sens que nous lui donnions, elle paraît contradictoire à cette fameuse et admirable maxime que les Grecs relèvent dans leurs sages avec des éloges auxquels ont applaudi les Latins: « Ne quid nimis,
1.
Ps. 118, 4-6.
Rien de trop 1». S’il est vrai en effet qu’il ne faut rien de trop, comment se vérifiera ce qui est dit ici: « Vous avez ordonné que l’on gardât vos préceptes à l’excès? » Eh! comment y aurait-il excès ou dans l’ordre de Dieu, ou dans l’accomplissement de ses commandements, si tout excès était blâmable? Nous dirions donc volontiers que les sages de la Grèce n’ont aucune autorité sur nous, en face de cette parole de l’Ecriture: « Dieu n’a-t-il pas convaincu de folie la sagesse de ce monde 2 »; et ne serions-nous pas disposés à rejeter comme faux cet adage: « Rien de trop », plutôt que cette parole sainte que nous lisons et que nous chantons: « Vous avez ordonné que l’on gardât vos commandements à l’excès »; si nous n’en étions détournés plus encore par la droite raison que
1.
Térence, Andr. Act. I, sc. 1. — 2. I Cor. I, 20.
par la futilité des Grecs? Cette expression en effet, nimis, trop, exprime tout ce qui dépasse le nécessaire. Le peu et le trop sont deux opposés. Peu est au dessous du nécessaire, et trop est au dessus. Entre ces deux extrêmes, on peut intercaler assez. Or, comme il est très-utile pour régler notre vie et nos moeurs de ne rien faire au-delà du nécessaire, nous devons adopter comme expression de la vérité cet adage: Rien de trop, et non le rejeter comme faux. Mais souvent la langue latine abuse de cette expression, et souvent, dans les saintes Ecritures, trop signifie beaucoup, et dans nos sermons nous lui donnons le même sens. Ici en effet: « Vous avez ordonné que l’on gardât vos commandements à l’excès », l’expression à l’excès ou trop, signifie complètement. Nous disons aussi: Je vous aime trop, en parlant à quelqu’un qui nous est cher, non que nous l’aimions plus qu’il ne faut, mais seulement pour exprimer une grande affection. Enfin, dans la maxime grecque, on ne lit point l’expression que nous trouvons ici; cette maxime porte agan qui signifie trop: tandis qu’il y a ici sphodra, qui signifie beaucoup. Mais, comme nous l’avons dit, on trouve l’expression nimis, trop, qui a ici le sens de valde, beaucoup, et nous la répétons en ce sens. De là'vient que plusieurs exemplaires latins, au lieu de nimis portent valde: « Vous avez ordonné que l’on gardât vos ordonnances parfaitement ». Dieu donc l’a parfaitement ordonné, et ses préceptes doivent être parfaitement accomplis.
2. Mais voyez ce qu’ajoute l’humble piété ou la pieuse humilité, et la foi qui n’est point oublieuse de ses bienfaits « Puissent mes voies se redresser, afin que j’obéisse à vos décrets 1 ». Quant à vous, Seigneur, vous avez ordonné, mais puissiez-vous m’accorder de faire ce que vous avez ordonné. Cette expression « puissent » doit te désigner un désir, et devant un désir tu dois déposer tout orgueilleuse présomption. Comment exprimer le désir de ce qui serait tellement au pouvoir de notre libre arbitre, que nous pourrions l’obtenir sans aucun secours? Si donc l’homme souhaite ce que Dieu ordonne, il doit demander à Dieu qu’il nous fasse accomplir ses préceptes. De qui pourrions-nous l’obtenir, sinon de celui qui est u le Père des lumières, de qûi nous u viennent toute grâce excellente et tout don
1.
Ps. 118, 5.
« parfait 1 », comme le dit l’Ecriture? Mais à l’encontre de ceux qui s’imaginent que le secours divin, pour accomplir toute justice, se borne à nous faire connaître les préceptes du Seigneur, en sorte que ces préceptes une fois connus, s’accomplissent, sans aucune grâce de Dieu, mais par les seules forces de notre volonté, le Prophète ne désire le redressement de ses voies pour accomplir les préceptes divins, qu’après avoir appris ces mêmes préceptes, par le divin législateur. Car c’est dans ce dessein qu’il dit tout d’abord: « C’est vous qui avez ordonné que l’on gardât vos préceptes d’une manière parfaite». Or, vos préceptes sont saints, justes et bons; mais à l’occasion de ce qui est bon, le péché me cause la mort 2, si je n’ai le secours de votre grâce: « Puissent dès lors mes voies se redresser, afin que je garde vos décrets ».
3. « Je ne serai point couvert de confusion, tant que je serai attentif à tous vos préceptes 3 ». Qu’on lise ou qu’on repasse dans sa mémoire les commandements de Dieu, il faut les regarder comme un miroir, selon cette parole de l’apôtre saint Jacques: « Si quelqu’un écoute la parole, sans l’accomplir, il ressemble à un homme qui regarde sa face dans un miroir; il s’est regardé et il s’en va, oubliant à l’heure même ce qu’il était; mais l’homme qui inédite la loi parfaite, la loi de liberté, e n’écoutant pas seulement pour oublier aussitôt, mais faisant ce qu’il écoute, celui-là sera heureux en ses oeuvres 4 ». Voilà ce que veut être notre interlocuteur, regarder les préceptes de Dieu comme dans un miroir, afin de n’être point confondu: il ne veut point seulement les entendre, mais encore les accomplir. C’est pour cela qu’il redresse ses voies, afin de garder les commandements de Dieu, Comment les redresser, sinon par la grâce de Dieu? Autrement il n’aurait point dans la loi de Dieu un sujet de joie, mais un sujet de confusion, s’il étudiait les préceptes sans les pratiquer.
4. «Je vous confesserai, ô mon Dieu,dit le Prophète, dans la droiture de mon coeur, quand j’aurai appris les jugements de votre justice 5». Ce n’est point là une confession de péché, mais une confession de louange, dans le même sens que parlait celui qui était sans péchés et qui disait: « Je vous confesse, ô mon Père,
1.
Jacques, I, 17. — 2. Rom. VII, 12, 13. — 3. Ps. 118, 6. — 4. Jacques, I,
23-25. — 5. Ps. 118, 7.
Seigneur de la terre et du ciel 1»; et comme il est écrit au livre de l’Ecclésiastique: « Vous direz dans votre confession: Toutes les oeuvres du Seigneur sont parfaitement bonnes 2. « Je vous confesserai », dit le Psalmiste, « dans la droiture de mon coeur ». Assurément, si mes voies sont redressées, je vous confesserai, parce que ce sera votre ouvrage, et qu’à vous en sera due la gloire, et non à moi. C’est alors que « je vous confesserai parce que j’aurai appris les jugements de votre justice », si mon coeur est droit, c’est-à-dire si mes voies sont redressées pour garder vos ordonnances. De quoi me servirait en effet de les avoir apprises, si mon coeur perverti me fait marcher dans les voies de l’erreur? Car elles ne feront point ma joie, mais ma condamnation.
5. Le Prophète ajoute « Je garderai vos préceptes 3». Paroles qui sont amenées par
ce qui précède: « Puissent mes voies se redresser pour garder vos préceptes: alors je ne serai point confondu tant que je serai attentif à vos commandements; je vous confesserai dans la droiture de mon coeur, et je garderai vos préceptes ». Mais que veut dire cette autre parole: « Ne m’abandonnez pas entièrement » ou « à l’excès », comme dans certains exemplaires qui ont nimis, à l’excès, au lieu de valde, totalement; car la même expression grecque, sphodra se trouve encore ici: le Prophète voudrait-il être abandonné de Dieu, mais pas « totalement? »
Loin de là. Mais comme Dieu avait abandonné te monde à cause du péché, il aurait de même abandonné « totalement »
1.
Matth. XI, 25. — 2. Eccli. XXXIX, 20, 21. — 3. Ps. 118, 8.
l’interlocuteur, s’il n’eût profité de ce remède ineffable, c’est-à-dire de la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre Seigneur. Mais maintenant, à cause de cette prière que lui fait le corps entier du Christ, Dieu ne l’a point abandonné totalement, puisque « Dieu était dans le Christ se réconciliant le monde ». On peut encore considérer ces paroles comme l’aveu d’un homme qui aurait dit dans son abondance et dans sa confiance en lui-même: « Je ne serai point ébranlé éternellement 2 » et alors, pour lui montrer que s’il est établi dans sa beauté et dans sa force, ce n’est point par son mérite, mais par un effet de la bonté divine, Dieu a détourné de lui sa face et t’a jeté dans la confusion 3. Il se reconnaît, et sans présumer de lui-même, il s’écrie: « Ne m’abandonnez point totalement». Si vous m’abandonnez de manière à laisser voir ma faiblesse, ne m’abandonnez pas complètement, de peur que je ne périsse. « C’est donc vous qui avez ordonné que l’on gardât vos préceptes parfaitement». Je ne puis me couvrir de mon ignorance. Mais comme je suis infirme: « Puissent mes voies se redresser, afin que je garde vos préceptes. Alors je ne serai point confondu, tant que je serai attentif à vos ordonnances; et je vous confesserai dans la droiture de mon coeur, quand j’aurai appris les jugements de votre justice, et alors je garderai vos ordonnances »; et si vous m’abandonnez, afin que je ne me glorifie plus en moi-même, ne m’abandonnez pas entièrement; et alors, justifié par vous, je me glorifierai en votre bonté.
1.
II Cor. V, 19; — 2. Ps. XXIX, 7.— 3. Id. 8.
Le jeune homme redresse ses voies en gardant les préceptes de Dieu. Ici homme désigne le genre humain; la jeunesse est mise en avant comme le temps le plus convenable, ou peut-être par allusion prophétique au prodigue de l’Evangile, ou parce que tout homme redressant ses voies est jeune par la grêce, qui nous est nécessaire pour observer la loi de Dieu si disproportionnée à nos forces. Aussi le Prophète supplie-t-il le Seigneur de lui enseigner ses préceptes comme les savent ceux qui les pratiquent.
1. Considérons, mes Frères, les versets suivants, et tâchons d’en pénétrer le sens autant que Dieu nous en fera la grâce: « Comment la jeunesse redressera-t-elle ses voies? En gardant vos paroles 1». Le Prophète s’interroge et se répond à lui-même: « En quoi la jeunesse corrige-t-elle ses voies? »Voilà l’interrogation. Voici la réponse « En gardant vos paroles ». Mais, ici, garder les paroles de Dieu, doit s’entendre de l’accomplissement de ses préceptes. En vain les garderait-on dans sa mémoire, si on ne les gardait aussi dans les moeurs. Il est des hommes en effet qui savent les préceptes de Dieu, et travaillent à ne point les oublier, mais ne travaillent point à vivre de manière à se corriger. Or, le Prophète ne dit point Comment la jeunesse exerce-t-elle sa mémoire? Mais « En quoi la jeunesse corrige-t- elle ses voies? » Et à cette question il répond: « En gardant vos paroles ». Or, on ne saurait dire que la voie est redressée quand la vie est perverse.
2. Mais que vient faire ici la jeunesse? Car le Prophète eût pu dire: « En quoi l’homme corrige-t-il sa voie? » et se servir du mot homo ou vir. L’Ecriture en use souvent ainsi pour désigner le genre humain par le sexe qui est le plus noble, et dans cette manière de parler, elle exprime le tout par la partie. Car on ne saurait dire qu’une femme ne soit point heureuse, dès lors qu’elle n’a point assisté au conseil des méchants; et toutefois, le Prophète a dit: « Bienheureux l’homme ». Mais ici il n’emploie ni le mot homo ni le mot vir; mais seulement le plus jeune. Faut-il donc désespérer du vieillard? Ou bien ce vieillard redresserait-il ses voies, autrement qu’en
1.
Ps. 118, 9.— 2. Id. I, 1.
gardant les préceptes du Seigneur? Ne serait-ce point là une indication du temps où ce redressement doit principalement avoir lieu, selon qu’il est écrit ailleurs « Mon fils, dès ta jeunesse reçois l’instruction, et tu obtiendras la sagesse jusqu’en tes derniers jours 1? » On peut néanmoins, dans un autre sens, reconnaître ici le plus jeune fils de l’Evangile, qui avait fui son père pour s’en aller dans une région lointaine, pour dissiper son bien en vivant avec des femmes débauchées, et qui, après avoir fait paître les pourceaux, cédant à la faim et à la misère, rentre en lui-même et dit: « Je me lèverai et j’irai à mon Père ». En quoi a-t-il redressé ses voies, sinon en gardant les préceptes du Seigneur, dont il était affamé comme du pain de la maison paternelle? Ce n’était point son frère aîné qui corrigeait ses voies, lui qui disait à son père « Voilà tant d’années que je vous sers, et je n’ai jamais violé vos préceptes ». Ce fut donc le plus jeune qui corrigea ses voies, quand il reconnut qu’il les avait détournées et perverties et qu’il dit « Je ne suis pas digne désormais d’être appelé votre fils 2 ». Il me vient encore un troisième sens, et qui, selon moi, serait préférable aux deux premiers. Par le vieillard entendons le vieil homme, et par le plus jeune, l’homme nouveau;le vieil homme porte l’image de l’homme terrestre, et le jeune homme l’image de l’homme céleste; car u le premier n’est point le spirituel, mais le « corps animal vient, et ensuite le spirituel 3 ». Qu’un homme donc soit fort avancé en âge, qu’il arrive même à la décrépitude corporelle, il est jeune devant Dieu dès que la conversion l’a renouvelé dans la grâce c’est
1.
Eccli. VI, 18. — 2. Luc, XV, 12-21. — 3. I Cor. XV, 46, 49.
en cela qu’il corrige sa voie, en gardant les préceptes du Seigneur, c’est-à-dire la parole de foi que nous prêchons 1, et telle est la foi qui agit par la charité 2.
3. Mais ce peuple qui est le plus jeune, ce fils de la grâce, cet homme nouveau qui chante un cantique nouveau, cet héritier du Nouveau Testament, ce plus jeune qui n’est point Caïn, mais Abel; non point Ismaël, mais Isaac; non point Esaü, mais Israël; non point Manassès, mais Ephraïm; non point Héli, mais Samuel; non plus Saül, mais David, écoutez ce qu’il ajoute: « Je vous ai cherché de tout mon coeur», dit-il à Dieu, « ne me repoussez point de votre loi 3 ». Le voilà qui implore du secours pour garder les paroles de Dieu qu’il nous donnait comme le moyen pour le jeune homme de corriger ses voies. Tel est en effet le sens de cette parole « Ne me rejetez point de vos préceptes ». Etre rejeté de Dieu, qu’est-ce à dire, sinon ne recevoir de lui aucun secours? La loi de Dieu si juste, si relevée, est trop disproportionnée à la faiblesse humaine, pour que nous l’observions, si Dieu dans sa bonté ne nous prévenait de son aide. Et ne point nous aider, c’est réellement nous repousser, c’est l’épée de flammes qui empêche l’homme devenu indigne de toucher à l’arbre de vie 4. Mais qui est digne d’être aidé, depuis que par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort qui a passé en tous les hommes par ce seul homme en qui tous ont péché 5? Or, cette misère qui nous est due, est guérie par la miséricorde que Dieu sie nous doit point. Car notre interlocuteur qui nous dit ici: « Je vous ai cherché de tout mon « coeur »; comment le pourrait-il, si Dieu lui-même ne l’avait appelé à lui, quand il se détournait; lui à qui le Prophète a dit: « Convertissez-nous, Seigneur, et donnez-nous la vie »; s’il ne cherchait lui-même celui qui est perdu, s’il ne rappelait celui qui s’égare, lui qui a dit: « Je rechercherai ce qui était perdu,
1.
Rom. X, 8.— 2. Gal. V, 6.— 3. Ps. CXVII, 10.— 4. Gen. III, 25. — 5. Rom. V, 12.
— 6. Ps. LXXXIV, 7.
«je rappellerai dans la voie ce qui était égaré 1».
4. C’est ainsi que notre interlocuteur redresse ses voies en gardant la parole de Dieu, sous la direction et sous l’action de Dieu; ce qu’il ne pourrait faire de lui-même; aussi Jérémie nous fait-il cet aveu: « Je sais, ô mon Dieu, que la voie de l’homme n’est point à lui, et que par lui-même il ne saurait marcher ni diriger ses pas 2». C’est là ce que demandait plu& haut celui qui s’écriait: « Puissent mes voies se redresser »; et ici encore quand il dit: « J’ai caché vos paroles dans mon coeur, afin de ne point pécher contre vous 3 »; il se hâte d’implorer le secours divin, de peur qu’il n’eût caché inutilement cette parole divine dans son coeur, si elle ne produisait des oeuvres de justice. Aussi, quand il ajoute: « Béni êtes-vous, Seigneur; enseignez-moi vos ordonnances 4»; enseignez-les moi, dit-il, comme les savent ceux qui les pratiquent, non ceux qui s’en souviennent simplement afin de pouvoir en parler, Déjà il avait dit en effet: « J’ai caché vos paroles dans mon coeur, afin de ne point pécher contre vous »; pourquoi veut-il encore apprendre ces mêmes paroles qu’il tient déjà cachées dans son coeur? Ce qu’il n’aurait pu faire si déjà il ne les eût apprises. Pourquoi donc ajouter: « Enseignez-moi vos voies », sinon parce qu’il veut les apprendre en les accomplissant, et non les retenir dans sa mémoire ou en parler? Comme donc il est dit dans un autre psaume: « Celui qui a donné la loi donnera aussi la bénédiction 5 »; le Prophète nous dit ici: « Béni êtes-vous, Seigneur, enseignez-moi vos ordonnances». Puisque j’ai caché votre parole dans mon coeur afin de ne point pécher contre vous, vous m’avez donné la loi; donnez-moi aussi la bénédiction de la grâce, afin que j’apprenne en la pratiquant ce que vous m’avez commandé en m’instruisant, Que cela vous suffise et nourrisse votre esprit sans le surcharger. La suite exige un nouveau discours.
1. Ezéch. XXXIV, 16. — 2. Jérém.
X, 23. — 3. Ps. 118, 11. — 4. Id. 12. — 5. Id. LXXXIII, 8.
Comment le Prophète a-t-il pu prononcer les jugements de Dieu qui sont insondables, et demande-t-il à Dieu de lui faire connaître les justifications qu’il faut pratiquer? Le Prophète personnifie l’Eglise qui connaît les jugements de Dieu, et qui les connaît tous en Jésus-Christ, bien que l’homme ne puisse les sonder, et les connaître que par les lumières de l’Eglise. La voie des témoignages, si délicieuse pour le Prophète, c’est Jésus-Christ, gage de l’amour de Dieu, amour que l’Eglise médite et prêche.
1. Dans le psaume que nous expliquons, nous commençons notre discours par ce verset: « Mes lèvres ont prononcé tous les jugements de votre bouche 1 ». Qu’est-ce à dire, mes bien-aimés? Que veut dire cette parole? Qui peut énoncer tous les jugements de Dieu, quand il ne saurait même les découvrir? Hésiterons-nous à nous écrier avec l’Apôtre:
« O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu! que ses jugements sont incompréhensibles, et ses voies impénétrables 2 ! » Le Seigneur dit aussi: « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne sauriez les porter maintenant 3». Et bien qu’il ait promis aux disciples de leur apprendre toute vérité par l’Esprit-Saint, le bienheureux Paul s’écrie néanmoins: « Nous ne connaissons qu’en partie »; afin de nous montrer que sans aucun doute c’est l’Esprit-Saint, dont nous avons reçu le gage, qui nous conduit à la pleine vérité; mais seulement quand nous serons dans l’autre vie, alors qu’après avoir vu ici-bas en énigme et comme dans un miroir, nous verrons Dieu face à face 4. Comment donc notre interlocuteur nous dit-il: « Mes lèvres ont prononcé tous les jugements de votre bouche? » Et il nous parle de la sorte, après avoir dit au verset précédent: « Enseignez-moi vos préceptes ». Oui, comment a-t-il pu énoncer tous les jugements de la bouche de Dieu, lui qui veut encore en étudier les préceptes? Connaissait-il déjà les jugements, et voulait-il de plus connaître les préceptes du Seigneur? Mais il devient plus étonnant qu’il ait connu ce qu’il y a d’insondable en Dieu, sans connaître ce que Dieu nous ordonne de pratiquer. Car ces
1.
Ps. 118, 13. — 2. Rom. XI, 33. — 3. Jean, XVI, 12, 13. — 4. I Cor. XIII, 9, 12.
justifications, justificationes, ou moyens de devenir justes, ne sont pas des paroles, mais des actes de justice, ce sont les oeuvres des justes commandées par Dieu. Ces oeuvres sont appelées divines, bien que nous les accomplissions, parce que sans le secours de Dieu, nous ne pourrions les faire. Mais ou appelle jugements de Dieu, ceux qu’il exerce maintenant sur le monde jusqu’à la fin des siècles. Or, comme la parole de Dieu s’entend de ses justifications et de ses jugements tout à la fois, pourquoi le Prophète veut-il étudier les justifications, puisqu’il dit qu’il a renfermé dans son coeur toutes les paroles de Dieu? Voici en effet ce qu’il dit: « J’ai caché vos paroles dans mon coeur afin de ne point pécher contre vous »; puis il ajoute: « Béni êtes-vous, mon Dieu; enseignez-moi vos justifications ». Puis ensuite: « Mes lèvres ont énoncé tous les jugements de votre bouche ». Il semble qu’il n’y ait ici rien de contradictoire, qu’il y ait même une liaison très-naturelle entre cacher les paroles de Dieu dans son coeur, et prononcer ensuite des lèvres tous les jugements de Dieu; « car c’est par le coeur que l’on croit à la justice, et par la bouche que l’on fait cette profession qui nous sauve 1 »: mais entre ces deux actes le Prophète intercale cette parole: « Béni êtes-vous, Seigneur; enseignez-moi vos justifications », et l’on ne voit point comment elle peut convenir à l’homme qui renferme dans son coeur les paroles de Dieu, qui a énoncé de ses lèvres les jugements de Dieu, et qui veut ensuite étudier la justification de Dieu, à moins de comprendre qu’il veut les apprendre en les pratiquant, et non plus en les retenant de mémoire ou en les
1.
Rom. X, 10.
énonçant; et il nous montre que nous devons demander cette grâce à Dieu sans qui nous ne pouvons rien faire. C’est là un point que nous avons traité dans le discours précédent; maintenant comment le Prophète nous dit-il qu’il a énoncé de ses lèvres tous les jugements de la bouche de Dieu, quand ils sont qualifiés d’insondables, eux dont la profondeur a fait dire ailleurs: « Vos jugements sont un profond abîme 1 »; voilà ce que nous voulons exposer avec le secours de Dieu.
2. Ecoutez donc notre pensée à ce sujet. L’Eglise ignore-t-elle les jugements de Dieu? Elle les connaît parfaitement. Car elle sait à quels hommes le juge des vivants et des morts dira un jour: « Venez, bénis de mon Père, et recevez le royaume »; et à quels autres il dira: « Allez au feu éternel 2 ». Elle sait, dis-je, que ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les autres qu’énumère saint Paul, ne posséderont le royaume de Dieu 3. Elle sait que la colère et l’indignation, la tribulation et l’angoisse deviendront le partage de tout homme qui fait le mal, du Juif d’abord, du Gentil ensuite; que la gloire, l’honneur, la paix, sont pour tout homme qui fait le bien, pour le Juif d’abord, pour le Gentil ensuite 4. Ces jugements de Dieu et d’autres encore évidemment exprimés dans l’Ecriture, l’Eglise les connaît; mais ce ne sont point là tous les jugements de Dieu, puisqu’il en est d’insondables, de profonds comme l’abîme et qui échappent à nos connaissances. Toutefois ne seraient-ils point connus des principaux membres de cet homme qui est avec son chef et Sauveur le Christ tout entier? Ils seraient alors proclamés impénétrables à l’homme, parce que ses propres forces ne lui permettent pas de les pénétrer. Mais pourquoi tout homme qui aurait reçu les lumières de l’Esprit-Saint ne le pourrait-il point? Ainsi, par exemple, il est dit que « Dieu habite une lumière inaccessible 5», et pourtant il nous est dit encore: « Approchez de lui, et vous serez éclairés 6», On répond à cette difficulté que Dieu est inaccessible à nos forces, mais que nous approchons de lui par sa grâce. A la vérité, tant que le corps corruptible appesantit l’âme 7, nul d’entre les saints ne saurait comprendre tous les jugements de Dieu, puisque nul n’a l’esprit pesant ou la marche
1.
Ps. XXXV, 7.— 2. Matth. XXV, 34, 41.— 3. I Cor. VI, 9, 10.— 4. Rom, II, 9, 10.—
5. I Tim. VI, 16.— 6. Ps. XXXIII, 5.— 7.
Sag. IX, 15.
boiteuse, sans un jugement de Dieu. Je vous cite ces exemples pour vous donner une idée de l’immensité de ces jugements: toutefois l’Eglise, ce peuple que Dieu s’est acquis, peut dire en toute vérité: « J’ai énoncé de mes lèvres tous les jugements de votre bouche », c’est-à-dire je n’ai tu aucun de ces jugements que vous m’avez fait connaître par vos paroles sacrées, mais je les ai tous énoncés de mes lèvres. Telle est l’interprétation que semble nous indiquer le Prophète, qui ne dit point tous vos jugements, mais « tous les jugements de votre bouche », c’est-à-dire tous ceux que vous m’avez fait connaître: en sorte que par le mot de bouche nous devrions entendre la parole, que Dieu nous a fait entendre dans les nombreuses révélations des saints, et dans les deux Testaments; or, ces jugements, l’Eglise ne cesse de les proclamer de ses lèvres.
3. Le Prophète ajoute: « Je trouve dans la voie de vos témoignages autant de délices que dans toutes les richesses 1». Cette voie des témoignages de Dieu, nous ne pouvons l’entendre d’une manière plus facile, plus certaine, plus courte, plus relevée que du Christ, en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse, et de la science 2. C’est pourquoi le Prophète nous dit qu’il a trouvé dans cette voie, des joies et des délices « comme dans toutes les richesses ». Car ces témoignages de Dieu sont les preuves qu’il veut bien nous donner de son amour. Or, Dieu nous signale cet amour dans « cette mort que le Christ a endurée pour nous, lorsque nous étions encore pécheurs 3 ». Donc, puisqu’il nous dit lui-même: « Je suis la voie 4 », et que les saints abaissements de sa naissance et de sa passion deviennent des témoignages évidents de son amour pour nous, nul doute que le Christ ne soit la voie des témoignages de Dieu. Ces témoignages que nous voyons accomplis en lui nous font espérer pour l’avenir l’accomplissement des promesses qu’il nous a faites, « Dès lors que Dieu n’a point épargné son Fils unique, mais qu’il l’a livré pour nous tous, que ne nous donnera-t-il point après nous l’avoir donné 5? »
4. « Je m’entretiendrai de vos préceptes », dit ensuite le Prophète, « je méditerai vos voies 6 ». Ce que les Grecs traduisent par
1.
Ps. 118, 14.— 2. Coloss. II, 3.— 3. Rom. V, 8, 9.— 4. Jean, XIV, 6. — 5. Rom. VIII,
32. — 6. Ps. 118, 15.
adolesxesen, les traducteurs latins le rendent par garriam, je gloserai, ou par exercebor, je m’appliquerai, qui paraissent avoir un sens différent; mais si l’on entend, par s’appliquer, l’attention de l’esprit, jointe à un certain plaisir de discussion, on peut accorder ces deux expressions, en les modifiant l’une par l’autre,en sorte que converser et méditer ne soient nullement disparates. On appelle causeurs ceux qui aiment à converser; or, l’Eglise s’applique àla méditation des commandements de Dieu, de manière à être causeuse dans les discussions nombreuses de ses docteurs contre les ennemis de la foi chrétienne et catholique discussions qui sont utiles à leurs auteurs, s’ils ne considèrent en cela que les voies du Seigneur, qui sont, d’après l’Ecriture: « Miséricorde et vérité », et dont la plénitude se trouve en Jésus-Christ. C’est encore dans ces suaves entretiens que s’accomplit ce qu’ajoute le Prophète: « Je méditerai sur vos ordonnances, je n’oublierai point vos paroles ». Car je les méditerai de manière à ne point les oublier. De là vient qu’au premier psaume, celui-là est appelé heureux qui médite la loi de Dieu le jour et la nuit.
5. Dans tout ce que nous venons d’exposer selon notre pouvoir, souvenons-nous, mes frères, que celui qui renferme en son coeur les paroles de Dieu, qui énonce de ses lèvres tous les jugements de la bouche du Seigneur, qui trouve dans ses témoignages autant de délices que dans toutes ses richesses, qui s’entretient et qui s’exerce dans ses commandements, qui considère ses voies, qui médite ses ordonnances de peur d’oublier ses paroles, qui témoigne par là qu’il est instruit de la loi et des enseignements de Dieu, ne laisse pas néanmoins de prier le Seigneur et de dire: « Béni êtes-vous, Seigneur, enseignez-moi vos ordonnances ». Ce qui nous donne à comprendre qu’il ne demande par là que le secours de la grâce, et veut connaître par des oeuvres ce que lui ont enseigné les paroles.
L’Eglise demande à Dieu la vie, et dès lors la vie de la foi qui agit par la charité. Or, cette foi nous vient de Dieu, qui seul donne la victoire. Mais demander la vie comme le fait le Prophète, c’est l’avoir déjà, et dès lors il demande à Dieu de la lui conserver afin qu’il comprenne les merveilles de ses préceptes ou la charité.
1.Si vous vous souvenez, mes Frères, de ce que nous avons déjà dit au sujet de ce psaume, cela doit vous aider à en comprendre la suite. Les interlocuteurs qui parlent comme parlerait un seul homme, sont les membres du Christ, qui ne forment qu’un seul corps sous un seul chef. Le Prophète dit plus haut: « En quoi le jeune homme corrige-t-il sa voie? en gardant vos paroles ». Et maintenant, peur garder cette parole il implore du secours: « Rendez à votre serviteur », dit-il; « que je vive, et je garderai vos paroles 1 ». Si c’est le bien pour le bien qu’il demande, il a donc déjà gardé la parole
1.
Ps. 118, 17.
de Dieu. Toutefois il ne dit point Rendez à votre serviteur, parce que j’ai gardé vos paroles: comme s’il demandait à Dieu que son obéissance fût récompensée; mais il dit: « Rendez à votre serviteur; que je vive, et je garderai vos paroles ». Qu’est-ce à dire, sinon que les morts ne les peuvent garder? et ces morts sont les infidèles, dont il est dit: « Laissez aux morts à ensevelir leurs morts 1». Si donc les morts sont pour nous les infidèles, et les vivants les fidèles; puisqu’il est dit « Le juste vit par la foi 2 », on ne peut garder la parole de Dieu que par cette foi qui agit au moyen de la charité 3; telle est la foi
1.
Matth. VIII, 22. — 2. Rom. I, 17. — 3. Gal. V, 6.
que le Prophète demande à Dieu en disant: « Rendez à votre serviteur; que je vive, et je garderai vos paroles». Et comme avant la foi, il n’est dû à l’homme que le mal pour le mal, et que, par une grâce tout à fait gratuite, Dieu néanmoins nous a rendu le bien pour le mal, telle est la faveur que sollicite le Prophète, quand il dit: « Rendez à votre serviteur; que je vive, et je garderai vos paroles ». Il est, en effet, quatre manières de rendre: ou bien le mal pour le mal, comme Dieu rendra aux méchants le feu éternel; ou le bien pour le bien, comme il rendra aux justes un royaume sans fin; ou le bien pour le mal, comme le Christ justifie l’impie 1 par sa grâce; ou le mal pour le bien, comme Judas et les Juifs ont dans leur malice persécuté le Sauveur. De ces quatre manières de rendre, les deux premières appartiennent àla justice, comme rendre le mal pour le mal, ou le bien pour le bien; la troisième, qui rend le bien pour le mal, est un acte de miséricorde; la quatrième est inconnue à Dieu, car il ne rend à personne le mal pour le bien. Quant à celle que nous avons mise au troisième rang, elle nous est très-nécessaire, puisque si Dieu ne rendait point le bien pour le mal, on ne trouverait personne qui rendît le bien pour le bien.
2. Ecoute à ce sujet Saul, qui devint Paul ensuite: « Ce n’est point », nous dit-il, « à cause des oeuvres de justice que nous avons faites, mais en vertu de sa miséricorde que Dieu nous a sauvés par le bain de la régénération 2 ». Et encore: « J’ai été d’abord un blasphémateur, un persécuteur, un véritable ennemi; mais Dieu m’a fait miséricorde, parce que j’ai fait tous ces maux par ignorance, n’ayant pas la foi 3 » Et encore: « Je donne ce conseil comme ayant reçu du Seigneur la grâce de la foi 4 », c’est-à-dire la grâce de vivre, puisque « le juste vit de la foi 5 ». Avant de vivre par la grâce de Dieu, il était donc mort par sa propre injustice. Et, en effet, voici comme il avoue qu’il était mort: « Le commandement étant survenu, le péché a commencé à revivre; pour moi, je suis mort, et il s’est trouvé que le précepte qui aurait dû me donner la vie, m’a donné la mort 6 ». Dieu donc lui a rendu le bien pour le mal, la vie pour la mort; Dieu l’a traité
1.
Rom. IV, 5. — 2. Tit. III, 5.— 2. I Tim I,13.— 3. I Cor. VII, 25. — 4.
Rom. I, 17. — 5. Id. VII, 9, 10.
comme le Prophète le demande ici: « Rendez à votre serviteur; que je vive, et je garderai
vos paroles ». Il a vécu, en effet, et a gardé la parole de Dieu, et dès lors s’est trouvé au
rang de ceux à qui Dieu rend le bien pour le bien; ce qui lui fait dire: « J’ai combattu un bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé ma foi; il me reste à recevoir la couronne de justice que le Seigneur, comme un juste juge, me donnera au grand jour 1». En ce cas, Dieu est juste en rendant le bien pour le bien: lui qui, d’abord miséricordieux, a rendu le bien pour le mal. Toutefois, la justice qui rend le bien pour le bien n’est pas sans miséricorde, puisqu’il est écrit: « C’est lui qui vous couronne dans sa grâce et dans sa miséricorde ». Comment celui qui a dit: « J’ai combattu un bon combat », aurait-il pu vaincre sans le secours de Celui dont il
dit: «Je rends grâces à Dieu qui nous a donné la victoire par Notre Seigneur Jésus-Christ 3? » Lui qui a achevé sa course, comment eût-il pu courir, et fût-il arrivé sans l’assistance de
Celui dont il a dit: « Ce n’est donc point l’affaire de celui qui veut ou de celui qui court, mais l’affaire de Dieu qui fait miséricorde 4? »Lui qui a conservé sa foi, comment l’eût-il conservée, si, comme il l’a dit lui-même, il n’eût reçu miséricorde afin de croire 5?
3. Que l’orgueil humain ne s’élève doncjamais: c’est aux dons de Dieu que nous devons le bénéfice de ses récompenses. Toutefois, celui qui prie dans notre psaume, et qui s’écrie: « Rendez à votre serviteur; que je vive », ne prierait point s’il était mort complètement. Mais le commencement d’un bon désir lui vient de celui à qui il demande la vie pour lui obéir. Ils avaient déjà une certaine foi, ceux qui disaient au Seigneur: « Augmentez en nous la foi 6 ». Mais il confessait son incrédulité, sans néanmoins désavouer sa foi, celui à qui le Seigneur demandait s’il croyait, et qui répondait: « Je crois Seigneur, mais aidez mon incrédulité 7 ». Il commence à vivre et supplie le Seigneur qu’il le fasse vivre, celui qui croit et qui demande l’obéissance; qui demande non point que Dieu le récompense de l’avoir conservée, mais qu’il l’aide à la conserver. Celui qui. se renouvelle chaque jour 8, vit aussi de plus en plus chaque jour, à mesure que la vie s’augmente.
1.
II Tim. IV, 7, 8.— 2. Ps. CII, 4.— 3. I Cor. XV, 57.— 4. Rom. IX, 16.— 5. I
Cor. VII, 25.— 6. Luc, XVII, 5.— 7.
Marc, IX,23.— 8. II Cor. IV, 16.
4. Mais le Prophète, sachant qu’on ne saurait garder fidèlement les paroles du Seigneur, à moins d’en avoir l’intelligence, ajoute aussitôt à sa prière: « Otez le voile de mes yeux, et je considérerai les merveilles de votre loi »; puis encore: « Je suis un locataire en cette vie »; ou, comme on lit en certains exemplaires: « Je suis un étranger en cette vie, ne me cachez pas vos commandements 1 ». Dans ces paroles: « Ne me cachez pas vos commandements», il répète ce qu’il a dit plus haut: « Otez le voile de mes
1.
Ps. 118, 18, 19.
yeux ». Et « vos commandements », c’est la répétition de ce qu’il a dit ailleurs: « Les merveilles au sujet de votre loi». Or, la plus grande merveille dans les commandements de Dieu est cette parole: « Aimez vos ennemis 1 »; c’est-à-dire, rendez le bien pour le mal. Mais ne passons pas légèrement sur ce point, que le Prophète se regarde comme un locataire ou comme un étranger ici-bas; et comme nous ne pouvons en parler dans ce discours, nous en parlerons dans un autre avec le secours de Dieu.
1.
Matth. V, 44.
Dès lors que notre âme n’est point d’ici-bas, que nous sommes bannis du paradis, et que nous cherchons une patrie meilleure, nous sommes ici des étrangers comme nos pères ou les saints. L’infidèle au contraire n’est pas étranger. Or, nous allons à la véritable patrie par les commandements de Dieu qui se réduisent à l’amour de Dieu et du prochain; ce qui est facile à comprendre, et le Prophète supplie le Seigneur de lui en donner cette connaissance qui consiste à se plaire dans l’accomplissement de ces préceptes.
1. Dans ce psaume qui est le plus long, je dois répondre à votre attente, et vous parler à partir de ce verset: « Je suis un locataire », ou, comme on trouve en d’autres manuscrits, « un étranger ici-bas, ne me dérobez pas vos e préceptes 1 ». L’expression grecque paroikos, est traduite en effet tantôt par inquilinus, locataire, tantôt par incola, étranger, souvent même par advena, nouvel arrivant. Les locataires n’ayant point une demeure en propre, habitent les maisons des autres; les étrangers, les nouveaux-venus, sont évidemment gens de passage. Alors s’élève une grave question au sujet de l’âme. Car ce n’est point de notre corps que l’on peut dire qu’il est étranger, ou nouveau-venu, ou de passage sur la terre, puisqu’il tire de la terre son origine. Mais sur une question aussi difficile, je n’oserais rien décider. Car le Prophète a pu. se dire, ou locataire, ou étranger, ou nouveau-venu, sur cette terre, soit à cause de son âme, (Dieu me préserve de la regarder comme terrestre)
1.
Ps. 118, 19.
soit dans le sens de l’homme tout entier, qui fut jadis habitant du paradis, où n’était déjà plus celui qui nous parlait de la sorte; soit même, ce qui nous parait hors de toute contestation, que tout homme ne puisse tenir ce langage, mais celui qui souscrit à la promesse d’une patrie éternelle dans les cieux. Ce qu’il y a de certain, c’est que la vie de l’homme sur la terre est une épreuve 1, et qu’un lourd fardeau pèse sur les enfants d’Adam 2. J’aime mieux entendre ces paroles en ce sens que nous sommes des locataires ou des étrangers ici-bas, parce que nous recherchons cette patrie céleste d’où nous avons reçu des gages, et où nous devons arriver pour ne plus en sortir. Car celui qui dans un autre psaume dit à Dieu: « Je ne suis à vos yeux qu’un locataire, qu’un étranger, comme tous mes ancêtres 3 »; ne dit pas: ainsi que tous les hommes; mais en disant, comme tous mes ancêtres., il veut nous faire comprendre sans aucun doute les
1.
Job, VII, 1.— 2. Eccli. XL, 1.— 3. Ps. XXXVIII,
13,
justes qui l’ont précédé par le temps, et qui dans ce pèlerinage ont gémi, ont poussé vers
la céleste patrie de pieux soupirs. C’est d’eux qu’il est dit aux Hébreux: « Tous ces saints sont morts dans la foi, n’ayant point reçu les biens que Dieu leur avait promis, mais les voyant, et comme les saluant de loin, et confessant qu’ils sont étrangers, et voyageurs sur la terre. Car parler ainsi, c’est montrer que l’on cherche une patrie. Et s’ils s’étaient souvenus de celle d’où ils étaient sortis, ils avaient certainement le temps d’y retourner. Mais ils en désiraient une meilleure, qui est le ciel. Aussi Dieu ne rougit point d’être appelé leur Dieu, car il leur a préparé une cité 1 ». Et cette parole: « Tant que nous sommes dans un corps, nous sommes éloignés du Seigneur 2 », peut aussi s’entendre des fidèles, et non de tous. « Car la foi n’est point l’apanage de tous 3 ». Remarquons en effet ce que saint Paul joint à ces paroles. Après avoir dit: « Tant que nous sommes dans un corps, nous sommes éloignés du Seigneur: c’est par la foi, reprend-il, que nous marchons, et non par la claire vue 4 »; afin de nous montrer que ceux-là seulement qui vivent dans la foi sont ici-bas en exil. Quant aux infidèles que Dieu dans sa prescience n’a point prédestinés à devenir conformes à l’image de son Fils 5, ils ne peuvent, dans la force de la vérité, se dire étrangers sur la terre, puisqu’ils sont dans le lieu où ils sont nés selon la chair; ils n’ont point de patrie ailleurs, et dès tors ils ne sont plus étrangers sur la terre, mais ils en sont les citoyens. De là vient que 1’Ecriture a dit d’un homme: « Il a placé sa maison dans la mort, et sa u demeure dans les enfers avec les habitants de la terre 6 ». Ceux-là encore sont des locataires, des étrangers non pour cette terre, mais pour le peuple de Dieu, dont ils sont séparés. De là cette parole de l’Apôtre aux fidèles qui commencent à prendre pour patrie la cité sainte qui n’est point de ce monde: « Vous n’êtes plus des étrangers ni des exilés, mais les concitoyens des saints, dans la maison de Dieu 7 ». Ceux-là donc sont citoyens de la terre, qui sont étrangers au peuple de Dieu; mais ceux qui sont citoyens du peuple de Dieu, sont étrangers à cette terre; parce que tout ce peuple, pendant
1.
Hébr. XI, 13 -16.— 2. II Cor. V, 6.— 3.
II Thess. III, 2.— 4. II Cor. V, 6,7. — 5. Rom. VIII,
29. — 6. Isa. XXVIII, 15. — 7. Ephés. II, 19.
qu’il est dans un corps, est étranger au Seigneur. Qu’il s’écrie dès lors: « Je suis un étranger sur la terre, ne me dérobez point vos commandements ».
2. Mais, quels sont donc les hommes à qui Dieu dérobe ses commandements? Dieu n’a-t-il pas voulu qu’ils fussent prêchés partout? Plût à Dieu qu’ils soient chers au grand nombre, comme ils sont clairs pour le grand nombre ! Quoi de plus clair en effet que cette parole: « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme, de tout ton esprit, et tu aimeras ton prochain comme toi-même; ces deux commandements renferment la loi et les Prophètes 1? » Quel est l’homme pour qui ces commandements soient cachés? Tout fidèle les connaît, et même la plupart des infidèles. Pourquoi donc un fidèle vient-il demander à Dieu qu’il ne lui cache point ce qu’il voit que Dieu ne cache pas aux infidèles? Parce qu’il est difficile de connaître Dieu, est-il aussi difficile de comprendre: « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu», et peut-on craindre ici d’égarer son amour? Quant au prochain, il paraît plus facile de le connaître. Car tout homme est le prochain d’un autre homme, et il est inutile de considérer l’éloignement de parenté, quand la nature est commune. Toutefois, il ne connaissait pas son prochain, celui qui disait au Seigneur: « Et qui est mon prochain 2?» Quand on lui parla d’un homme qui tomba entre les mains des voleurs, en descendant de Jérusalem à Jéricho, lui, qui faisait cette question, jugea que le prochain de cet homme n’était autre que celui qui avait usé de miséricorde envers lui; et il devint évident, que dans les actes de miséricorde, celui qui aime son prochain ne doit regarder personne comme étranger. Mais il en est beaucoup qui ne se connaissent point eux-mêmes: car il n’appartient pas à tous les hommes de se connaître, comme un homme doit se connaître. Comment donc aimer son prochain comme soi-même, quand on ne se connaît point soi-même? Ce n’est pas en vain que ce plus jeune des deux fils qui s’en était allé dans une région lointaine, dissiper son bien en vivant dans la débauche, rentra d’abord en lui-même avant de dire: « Je me lèverai, et j’irai vers mon père 3 »; il était allé si loin, qu’il était sorti de lui-même. Et
1. Matth. XXII, 37-10. — 2. Luc,
X, 29-37. — 3. Id. XV, 13-18.
toutefois, il ne fût point rentré en lui-même, s’il se fût complètement ignoré; et il n’eût point dit: « Je me lèverai, et j’irai à mon père », s’il eût complètement ignoré Dieu. Les paroles de Dieu nous sont donc connues jusqu’à un certain point, et afin de les connaître davantage, nous avons raison de demander à Dieu qu’il nous les fasse connaître. Aussi pour savoir comment nous devons aimer Dieu, il nous faut d’abord connaître Dieu; et pour que l’homme sache aimer son prochain comme lui-même, il doit d’abord s’aimer lui-même en aimant Dieu; et comment le pourrait-il s’il ne connaît ni Dieu, ni lui-même? Le Psalmiste a donc raison de dire à Dieu. « Je suis un étranger sur la terre, ne me dérobez point vos préceptes ». Il est très-juste que Dieu les cache à ceux qui ne sont pas étrangers sur la terre: car en les écoutant ils ne les goûtent point, ils n’ont goût qu’aux choses terrestres. Mais ceux dont la conversation est dans le ciel 1, ne conversent ici-bas que comme des étrangers. Qu’ils supplient donc le Seigneur de ne point leur dérober ces commandements qui les délivreraient de cet exil, parce qu’ils aimeraient Dieu avec lequel ils habiteront éternellement, et leur prochain afin qu’il soit où ils seront eux-mêmes.
3. Mais, dans notre amour, que pouvons-nous aimer, si nous n’aimons l’amour lui-même? De là vient que cet étranger sur la terre, après avoir demandé à Dieu de ne point lui dérober ses commandements, dont le but unique ou du moins le but principal est l’amour, proclame aussitôt qu’il veut aimer l’amour lui-même, et s’écrie: « Mon âme aspire continuellement à désirer vos justifications 2». C’est là un désir louable que Dieu ne condamnera point. Ce n’est point de ce désir qu’il est dit: « Tu ne convoiteras point 3 »; mais c’est du désir que la chair oppose à l’esprit 4. Quant à cette convoitise que l’esprit oppose à la chair 5, vois ce qui est écrit, et tu trouveras: « Le désir de la sagesse nous conduit au royaume 5 ». Beaucoup d’autres endroits nous montrent qu’il y a une bonne convoitise. Toutefois il y a cette différence, que l’on mentionne l’objet désiré, quand on prend la convoitise en bonne part; et que quand l’objet n’est point mentionné, quand on ne désigne que la concupiscence,
1.
Philipp. III, 19, 20. — 2. Ps. 118, 20. — 3. Exod. XX, 17. — 4. Rom.VII, 7.— 5.
Gal V, 17.— 6. Sag. VI, 21.
on ne saurait la prendre qu’en mauvaise part. Ainsi dans le passage cité plus haut: « La concupiscence de la sagesse nous conduit au royaume », si le texte n’ajoutait: de la sagesse, on ne saurait dire: La concupiscence conduit au royaume. Au contraire, quand l’Apôtre nous dit: « Je ne connaissais point la convoitise, si la loi n’eût dit: Vous ne convoiterez point 1 »; il ne désigne point l’objet de la convoitise, ou ce que l’on ne doit point convoiter; car il est certain qu’en pareil cas on ne comprend qu’une convoitise illicite. Quelle est donc chez l’interlocuteur la convoitise de son âme? « C’est », dit-il, « de désirer toujours vos justifications ». Sans doute, qu’il ne les désirait point encore, puisqu’il souhaitait de les désirer. Or, ces justifications sont des actions justes, ou des oeuvres de justice. Mais, dès lors que désirer c’est n’avoir point encore, combien en est éloigné celui qui souhaite seulement de les désirer? Et combien plus éloignés ceux qui ne forment pas même ce désir?
4. Il est étrange toutefois que nous souhaitions un désir, sans avoir en nous l’objet que nous souhaitons. Car cet objet n’est rien de corporel et de beau, comme l’or, ou comme une chair séduisante, choses que l’on peut désirer sans les avoir, puisqu’elles sont hors de nous, et non point en nous. Mais qui ne sait que la convoitise est en nous, que le désir est en nous? Pourquoi donc souhaiter de l’avoir, comme s’il était en dehors de nous?Ou même comment peut-on le convoiter sans l’avoir, puisqu’il n’est autre que la convoitise? Car désirer, c’est assurément convoiter. Quelle est donc cette langueur merveilleuse et inexplicable? Et toutefois elle existe. Qu’un malade, en effet, soit atteint du dégoût, il veut sortir de ce fâcheux état; et, pour lui, aspirer à n’avoir point ce dégoût, c’est aspirer à désirer la nourriture: mais ce dégoût, c’est une maladie du corps. La convoitise, au contraire, qui lui fait aspirer à désirer la nourriture, ou àse guérir du dégoût, est une affection de l’âme et non du corps: elle n’est dans l’agrément ni du palais, ni de l’estomac, agrément qui disparaît devant le dégoût; mais elle consiste dans sa raison de recouvrer la santé, et de se délivrer du dégoût de toute nourriture. Il n’est donc plus étonnant que l’esprit souhaite que le corps désire, puisque l’esprit désire,
1.
Rom. VII, 7.
sans que le corps désire en même temps. Mais quand il ne s’agit que de l’esprit, et quand il y a désir dans l’un et dans l’autre cas, pourquoi souhaiter le désir des justifications de Dieu? Comment dans un seul et même esprit qui est le mien, aspirer à ce désir, et n’avoir pas ce désir même? Pourquoi aspirer au désir des justifications, et ne pas aspirer à ces justifications, plutôt qu’à leur désir? Ou comment puis-je aspirer au désir de ces justifications, sans aspirer à ces justifications elles-mêmes, puisque je n’aspire à les désirer, que parce que je les désire? S’il en est ainsi, c’est donc elles-mêmes que je désire. Pourquoi donc en souhaiter le désir, puisque je l’ai, et que je sens que je l’ai? Car je ne pourrais aspirer au désir de la justice, qu’en désirant la justice. N’est-ce point là ce que j’ai dit plus haut, qu’il nous faut aimer jusqu’à cet amour par lequel on aime ce qu’il faut aimer; comme on doit haïr cet amour dont on environne ce qu’il ne faut pas aimer? Car nous haïssons cette convoitise qui est en nous, et que la chair oppose à l’esprit 1. Et qu’est-ce que cette convoitise, sinon un amour dépravé? Nous aimons aussi cette aspiration qui est en nous, et que l’esprit oppose à la chair. Or, quelle est cette aspiration, sinon un amour légitime? Mais dire que l’on doit aimer cet amour, n’est-ce point dire qu’on doit le désirer? Si donc il est bon d’aspirer aux justifications de Dieu, il est bon d’aimer l’amour de ces justifications. Ou bien la concupiscence diffère-t-elle du désir? Non que le désir ne soit une concupiscence, mais parce que toute concupiscence n’est pas un désir. La concupiscence a pour objet ce que nous possédons et ce que nous ne possédons pas; c’est par elle qu’un homme jouit de ce qu’il a: mais le désir a pour objet des choses absentes. Mais alors qu’est-ce que le désir, sinon la concupiscence de ce que nous n’avons pas? Et comment les justifications de Dieu peuvent-elles être loin de nous, sinon quand nous les ignorons? Sont-elle
1.
Gal. V, 17.
vraiment absentes, quand nous les connaissons sans les observer? Que sont en effet des justifications, sinon des oeuvres de justice, et-non de simples paroles? Il peut arriver dès lors que notre âme soit assez faible pour ne point les désirer, et qu’en même temps la raison lui en démontrant l’utilité et la sainteté, lui en fasse souhaiter lé désir. Souvent en effet, nous voyons ce qu’il faut faire, et ne le faisons pas, parce que nous n’avons point d’attrait pour le faire, et que nous voudrions y en trouver. L’esprit vole; mais notre faiblesse nous retient, notre amour languissant ne suit qu’avec lenteur, et parfois même ne suit point. Le Prophète souhaitait donc de désirer ce qu’il trouvait bien; il voulait trouver de l’attrait dans ce qu’il voyait de raisonnable.
5. Il ne dit point: Mon àme souhaite; mais: « Mon âme a souhaité désirer vos justifications ». Peut-être cet homme étranger sur la terre était-il arrivé au terme de ses souhaits, et désirait-il déjà ce qu’autrefois il aurait tant voulu désirer. Mais s’il désirait les justifications, comment ne les avait-il point? Il n’y a rien qui nous empêche d’avoir les justitications du Seigneur, comme ne pas les désirer, alors que nous ne ressentons aucun amour pour elles, bien qu’on en voie la lumière éclatante. Le Prophète ne les avait-il point déjà, ne les pratiquait-il point? Car il nous dit un peu après: « Quant à votre serviteur, il s’exerçait dans vos justifications 1 ». Mais il nous montre quels sont en quelque sorte les degrés pour y arriver. Le premier, est de voir combien elles sont avantageuses et honorables; ensuite d’en souhaiter le désir; enfin à mesure que s’augmentent en nous la lumière et la force, il faut que nous ressentions dans l’accomplissement de ces oeuvres de justice, le goût que nous inspirait la seule méditation. Mais ce discours est déjà bien long; réservons alors ce qui suit pour l’exposer plus facilement dans un autre avec le secours de Dieu.
1.
Ps. 118, 23.
C’est l’orgueil qui nous détourne de Dieu comme il en détourna le premier homme. Il tourne en dérision les enfants de Dieu qui demandent à être délivrés des opprobres, non pour eux, mais pour le préjudice que se font à eux-mêmes les insulteurs. Et ces blasphémateurs s’abstiennent comme aujourd’hui. Le Christ a prié pour ceux qui s’élevaient contre lui, et leur a ainsi communiqué la vie en échange de cette mort qu’ils donnaient à ses membres.
1. Les versets que nous allons expliquer dans notre psaume nous font souvenir de la cause de nos misères. Car le Prophète dit: « Mon âme a souhaité de désirer vos justifications en tout temps 1 »; c’est-à-dire et dans la prospérité, et dans l’adversité; puisque dans les travaux et dans les souffrances de cette vie nous devons trouver goût dans la justice; non, nous ne devons pas en faire nos délices exclusivement dans les moments paisibles, de manière à l’abandonner dans les temps de trouble; elle doit nous être chère en tout temps; maintenant il ajoute: « Vous avez châtié les superbes; maudits soient ceux qui s’écartent de vos préceptes 2 ». Ce sont les superbes qui s’écartent des préceptes de Dieu. Or, autre chose est de ne point tes accomplir à cause de notre faiblesse ou de notre ignorance, et autre chose de s’en détourner par orgueil, comme l’ont fait ceux qui nous ont engendrés pour mourir. Ils prirent goût à cette parole: «Vous serez comme des dieux 3», et dans cette pensée orgueilleuse, ils se détournèrent du précepte du Seigneur, qu’ils connaissaient formellement, et qu’ils pouvaient très-facilement accomplir, puisque nulle faiblesse ne les en détournait, n.e les empêchait, ne les retardait. Et voilà que toute cette vie si pénible, si calamiteuse de l’homme devenu mortel, est comme un châtiment héréditaire de l’orgueil. Quand le Seigneur dit à Adam: « Où es-tu? »il n’ignorait point où il était; mais il lui reprochait son orgueil: sa question ne venait point du désir de connaître où il était, c’est-à-dire dans quelle misère il était tombé, mais de l’en avertir par un reproche. Voyez comme le Prophète, après avoir dit: « Vous avez
1. Ps. 118, 20.— 2. Id. 21. — 3.
Gen. III, 5. — 4. Id. 9.
réprimandé les superbes », n’ajoute point: Malédiction à ceux qui ont abandonné vos préceptes, de peur qu’on n’arrête sa pensée uniquement sur le péché du premier homme; mais il dit: « Malédiction à ceux qui abandonnent». Car il voulait par cet exemple jeter l’effroi chez tous les hommes, leur apprendre à ne point se détourner des préceptes du Seigneur, à aimer la justice en tout temps, et à recouvrer par le travail de cette vie ce que nous avons perdu dans les délices du paradis.
2. Mais comme ces reproches si sévères ne font point courber la tête aux orgueilleux, comme le supplice de la mort et du travail qui pèse sur eux ne réprime point leur insolence, comme ils imitent le ton hautain de ceux qui tombent, et tournent en dérision l’humilité de ceux qui se relèvent, voilà que le corps du Christ intercède en leur faveur et s’écrie: « Eloignez de moi l’opprobre et le mépris, parce que j’ai recherché vos témoignages 1 ». En grec, ces testimonia, ou témoignages s’appellent martyria, expression qui a passé dans le latin. De là vient que nous ne donnons plus le nom de « témoins », comme nous pourrions dire en latin testes, mais le nom grec de martyrs à ceux qui ont enduré divers tourments pour rendre témoignage au Christ. Cette expression étant donc plus familière et plus élégante, entendons ces paroles comme si le psaume portait: « Eloignez de moi l’opprobre et le mépris, parce que j’ai recherché vos martyres ». Mais quand le corps du Christ nous tient ce langage, croirons-nous qu’il regarde comme une peine d’entendre les outrages et les insultes des impies et des superbes; quand c’est là un moyen de hâter
1.
Ps. 118, 22.
sa couronne? Pourquoi donc demander à Dieu d’en être délivré comme d’un fardeau pénible et insupportable, sinon, comme je l’ai dit, parce que le Prophète prie pour ses ennemis, en voyant combien il leur est dangereux de faire aux chrétiens un crime du nom béni de Jésus-Christ; de n’avoir comme les Juifs que des sarcasmes pour la croix, remède suprême qui produit dans les âmes l’humilité chrétienne, laquelle peut seule guérir cet orgueil dont l’enflure a produit notre chute, et que nourrissent et font croître nos chutes journalières? Que le corps de Jésus-Christ prie donc en leur faveur, lui qui déjà sait aimer ses ennemis 1; qu’il dise au Seigneur: «Eloignez de moi l’outrage et le mépris, parce que j’ai recherché vos martyres »; c’est-à-dire, délivrez-moi de ces outrages que j’entends, de ce mépris que j’endure par cet unique motif que j’ai recherché vos martyres, Car mes ennemis que vous m’ordonnez d’aimer, qui courent de plus en plus à la mort et à leur perte, en méprisant vos martyres, et en me chargeant de calomnies, revivront et reviendront de leurs égarements, s’ils révèrent en moi vos témoignages. Voilà ce qui est arrivé, ce que nous voyons. Voilà que le témoignage du Christ, loin d’être un opprobre aux yeux des hommes et du monde, est devenu un grand honneur: voilà que la mort des justes est précieuse, non seulement devant Dieu 2, mais encore devant les hommes; voilà que ses martyrs, loin d’être en butte au mépris, sont au contraire comblés d’honneur; le plus jeune des deux fils qui déchirait son héritage, dans le petit nombre des chrétiens qui le possédaient avant lui, en vue des pourceaux qu’il faisait paître, ou plutôt des démons qu’il adorait, voilà que maintenant il relève les martyrs devant ces peuples si grands et si nombreux, il prêche ce qu’il insultait, il comble d’honneurs ceux qu’il méprisait, il était mort, et le voilà ressuscité, il était perdu et le voilà retrouvé 3. Tel est le grand succès de conversion, d’amélioration et de rédemption de ses ennemis pour lequel le corps du Christ disait: « Eloignez de moi, Seigneur, l’opprobre et le mépris ». Et comme si on lui demandait pour quel motif il est outragé et méprisé, il ajoute: « Parce que j’ai recherché vos martyres ».
3. Où est donc maintenant cet opprobre?
1.
Matth. V, 44. — 2. Ps. CXV, 15. — 3. Luc, XV, 12—24.
Où est ce mépris? Tout est passé, tout s’est évanoui; et comme ceux qui étaient perdus sont retrouvés, les mépris ont disparu. Mais quand l’Eglise faisait cette prière, elle souffrait effectivement ces douleurs. « Voilà que les u princes se sont assis », dit le Prophète, « et ils ont parlé contre moi l ». La violence de la persécution venait de ce qu’elle était décrétée par des princes qui étaient assis, c’est-à-dire élevés sur les tribunaux de la justice. Applique ces paroles à notre chef, et tu trouveras que les princes des Juifs s’assirent, cherchant entre eux les moyens de perdre le Christ 2. Applique ces paroles au corps, ou à l’Eglise, et tu verras que les rois ont médité, ont ordonné la ruine des chrétiens sur la terre. « Voilà que les princes se sont assis, et ont parlé contre moi; quant à votre serviteur, il s’exerçait dans vos ordonnances 3 ». Si tu veux connaître quel était cet exercice, vois ce qu’ajoute le Prophète: « Car vos témoignages sont ma préoccupation, et vos justifications sont tout mon conseil». Souviens-toi que ces témoignages, comme nous l’avons dit, sont des martyres; souviens-toi également que dans les justifications du Seigneur, la plus admirable comme la plus difficile est d’aimer ses ennemis. Tels étaient donc les exercices du corps de Jésus, qu’il méditait son témoignage, et qu’il aimait ceux qui le poursuivaient 4 de leurs outrages, et de leurs injures à cause des témoignages qu’il rendait au Christ. Car ce n’était point pour lui qu’il suppliait, nous l’avons déjà remarqué, mais bien plutôt pour eux qu’il disait: « Eloignez de moi tout opprobre et tout mépris. Voilà que les princes se sont assis, et ils parlaient contre moi; mais votre serviteur s’exerçait dans vos justifications». En quelle manière? « Car vos témoignages sont ma préoccupation, et vos justifications sont tout mon conseil 5 ». Conseil contre conseil: le conseil des princes qui étaient assis fut de perdre les martyrs que l’on trouvait; et le conseil des martyrs, de retrouver leurs ennemis qui se perdaient. Les premiers rendaient le mal pour le bien, les seconds le bien pour le mal. Faut-il s’étonner après cela, si les uns ont succombé en donnant la mort, et les autres triomphé en mourant? Faut-il, dis-je, s’étonner que, sous le feu de la persécution païenne, les martyrs
1.
Ps. 118, 23 — 2. Matth. XXVI, 3.— 3. Ps. 118, 24.— 4. Matth. V, 44. — 5.
Ps. 118, 22.
aient souffert avec tant de patience la mort du temps, et que les païens, à la prière des martyrs, aient pu arriver à la vie éternelle? Le corps du Christ n’est-il point exercé de manière qu’il médite les témoignages du Seigneur. et qu’il appelle sur les persécuteurs des témoins, les biens du ciel, en échange de leur malice?
Comme le Prophète s’est attaché à la poussière, c’est-à-dire à la terre, ou même à ces affections du corps dont les convoitises sont contraires à celles de l’esprit, et dont il désire l’affaiblissement, il demande à Dieu, à cause de sa parole, ou de sa promesse qui fait de nous des enfants d’Abraham, de s’élever de plus en plus à la hauteur de la charité Pour n’en pas déchoir, il demande à Dieu la loi de la vie on de la foi, puis s’applaudit de ce que Dieu a dilaté son coeur pour courir dans ses commandements, c’est-à-dire lui a donné le goût des oeuvres saintes.
1. Voici ce que nous donne la suite de ce grand psaume qu’il nous faut considérer et expliquer selon qu’il plaît à Dieu: « Mon âme s’est attachée à la poussière, donnez-moi la vie selon votre parole 1 ». Qu’est-ce à dire « Mon âme s’est attachée à la poussière? » Car en disant ensuite: « Vivifiez-moi selon votre parole », le Prophète montre qu’il avait énoncé d’abord pour quel motif il demandait la vie, lorsqu’il disait: « Mon âme s’est attachée à la poussière ». Si donc il demande la vie, parce que son âme s’est attachée au sol, l’on peut prendre cette expression dans un sens favorable. Toute la pensée en effet se réduit à dire Je suis mort, donnez-moi la vie. Quel est donc ce sol, cette poussière? Si nous voulons regarder le monde entier comme un vaste palais, nous verrons que le ciel en est comme le dôme, et que le pavé sera la terre. Le Prophète alors demande a être délivré de la terre afin de dire comme saint Paul « Notre conversation est dans le ciel 2 ». Donc s’attacher aux choses terrestres, c’est la mort de l’âme, et dès lors dire: «Vivifiez-moi », c’est demander la vie contraire à cette mort.
2. Mais il faut voir si ces paroles ainsi entendues peuvent convenir à celui qui parlait tout à l’heure, de manière à se montrer plus attaché à Dieu qu’à la terre; celui-là peut-il demander que sa conversation soit moins des
1.
Ps 118, 25. — 2. Philipp. III, 20.
choses de la terre que des choses du ciel? Eh! comment comprendre qu’il se soit attaché aux choses terrestres, celui qui dit de lui-même: « Votre serviteur s’exerçait dans vos oeuvres e de justice, car vos témoignages sont l’objet « de mes méditations, et vos justifications sont « mon conseil? » Telles sont en effet les paroles qui précèdent, et auxquelles il ajoute « Mon âme s’est attachée au pavé». Nous fautil comprendre par là que tant qu’un homme ait fait de progrès dans les voies du Seigneur, il ne laisse pas d’avoir en sa chair quelques affections terrestres en quoi consiste pour lui sur la terre 1 l’épreuve de la vie humaine; et qu’à mesure qu’il avance, il passe tous les jours de la mort à la vie, par la grâce vivifiante de celui qui renouvelle chez nous, de jour en jour, l’homme intérieur 2? Et en effet, quand l’Apôtre disait: « Tant que nous habitons dans ce corps, nous marchons hors du Seigneur 3 »; il souhaitait alors d’être dégagé des liens du corps, et d’être avec le Christ 4 et son âme s’était attachée à la poussière. Donc on peut fort bien, par le pavé, entendre le corps lui-même qui est terrestre et qui appesantit l’âme parce qu’il est corruptible 5; ce qui nous rait gémir et dire à Dieu: « Mon âme s’est attachée à la poussière; donnez-moi la vie selon votre parole ». Car il n’est pas dit que ce sera dans nos corps que nous
1.
Job, VII, 1. — 2. II Cor. IV, 16. — 3. Ibid. V, 6.— 4. Philipp. I, 23. — 5.
Sag. IX, 15.
serons toujours avec le Seigneur 1; mais nous les aurons quand ils ne seront plus corruptibles, quand ils n’appesantiront plus l’âme, et, à bien prendre, quand nous ne serons point en eux, quand ils seront en nous, et nous en Dieu. De là vient qu’un autre psaume a dit: « Pour moi, mon bien est de m’attacher à Dieu 2 »; afin que nos corps vivent de nous, en s’attachant à nous, et que nous vivions de Dieu, parce qu’il est bon de nous attacher à lui. Quant à cet attachement dont il est dit: « Mon âme s’est attachée à la poussière », il ne me paraît point désigner l’union de la chair avec l’âme, bien que plusieurs l’aient compris en ce sens, mais bien plutôt cette affection de l’âme qui fait que la chair conspire contre l’esprit 3. Si tel est le vrai sens, le Prophète en disant: « Mon âme s’est attachée à la poussière, vivifiez-moi selon votre parole », ne demande point d’être délivré de ce corps de mort, par la destruction de ce même corps: ce qui aura lieu au dernier jour de notre vie, et qui ne peut tarder beaucoup, tant la vie est courte; mais le Prophète alors demanderait que les convoitises de la chair contre l’esprit s’affaiblissent en lui de plus en plus, que les aspirations de l’esprit contre la chair se fortifient, jusqu’à ce que les premières se consument en nous, et que les secondes soient consommées par l’Esprit-Saint qui nous a été donné.
3. Aussi le Prophète ne dit-il point: « Donnez-moi la vie » selon mes mérites, mais bien, donnez-moi la vie selon votre parole »: et qu’est-ce à dire, sinon selon votre promesse? Il veut être un fils de la promesse, et non un fils de l’orgueil; afin que la promesse demeure ferme selon la grâce à tout enfant d’Abraham. Voici en effet cette parole de la promesse: « C’est d’Isaac que ta postérité prendra son nom; c’est-à-dire, ce ne sont point les enfants d’Abraham selon la chair qui sont les enfants de Dieu, mais les enfants de la promesse qui sont réputés de la race d’Abraham 4». Le Prophète nous dit en effet dans le verset suivant ce qu’il était par lui-même: « Je vous ai déclaré mes voies et vous m’avez exaucé ». On trouve dans plusieurs manuscrits: « Vos voies », mais la plupart, surtout les grecs, portent « Mes voies », c’est-à-dire mes voies mauvaises. Car il me paraît
1. I
Thess. IV, 12-16.— 2. Ps. LXXII, 20. — 3. Gal. V, 17.— 4. Rom. IX, 7, 8. — 5.
Ps. 118, 26.
dire: Je vous ai confessé mes péchés, exaucez-moi, c’est-à-dire pardonnez-les. « Enseignez-moi vos oeuvres de justice ». Je vous ai confessé mes voies, vous les avez effacées enseignez-moi les vôtres. Enseignez-les-moi, de telle sorte que je les pratique; et non seulement de manière que je sache ce qu’il faut faire. De même qu’il est dit du Seigneur, qu’il ne connaissait point le péché 1, et que l’on comprend qu’il ne le commettait point de même on doit dire que celui-là connaît vraiment la justice, qui la met en pratique. Telle est donc la prière d’un homme en progrès. Car s’il n’eût point pratiqué la justice, il n’éût point dit plus haut: « Votre serviteur « s’exerçait dans les oeuvres de justice ». Ce n’est donc point celles dans lesquelles il s’exerçait qu’il veut apprendre du Seigneur; mais il veut de celles-ci s’élever à d’autres, et aller de progrès en progrès.
4. Il ajoute ensuite: « Insinuez-moi le chemin de vos justifications 2»; ou comme l’on trouve dans certains exemplaires: « Instruisez-moi de cette voie ». Le grec est plus expressif: « Faites-moi comprendre 3 ». « Elle m’exercerai dans vos merveilles ». Le Prophète appelle merveilles de Dieu ces oeuvres plus élevées auxquelles il veut atteindre dans ses progrès. Il y a donc des justifications de Dieu si admirables que l’infirmité des hommes ne croit point pouvoir les atteindre, si déjà l’on n’en a fait l’expérience. Aussi le Psalmiste, sous le poids de ce labeur, et en quelque sorte accablé par ces difficultés, nous dit-il: « Mon âme s’est assoupie d’ennui, affermissez-moi dans vos paroles 4 ». Qu’est-ce à dire « s’est « assoupie», sinon que s’est refroidie cette espérance qu’elle avait conçue de pouvoir atteindre ces hauteurs? Mais « affermissez-moi », dit-il, « dans vos paroles », de peur qu’en demeurant dans ce sommeil, je ne vienne à déchoir de la hauteur à laquelle je me sens parvenu; affermissez-moi donc dans ces mêmes paroles, auxquelles je suis arrivé par la pratique, afin que par elles je puisse monter à d’autres plus élevées.
5. Mais où est l’obstacle qui entrave notre marche dans la voie des justifications de Dieu, de manière que l’homme ne s’élève que difficilement à ces merveilles? Quel obstacle pouvons-nous croire, sinon celui dont il prie
1.
II Cor. V, 21. — 2. Ps. 118, 27. — 3. Grec, sunetison me. — 4. Ps. 118,
28.
Dieu de le délivrer dans le verset suivant: « Eloignez de moi la voie de l’iniquité 1 ». Et parce que la loi des oeuvres est survenue pour faire abonder le péché 2, le Prophète continue en disant: « Et par votre loi prenez-moi en pitié ». Par quelle loi, sinon par la loi de la foi? Ecoute l’Apôtre: « Où est donc votre glorification? Elle est anéantie. Par quelle loi? celle des oeuvres? Non, mais par la loi de la foi 3 ». C’est donc par cette loi de la foi que nous croyons, et que nous sollicitons le don de la grâce, afin de faire ce que nous ne saurions faire par nous-mêmes; de peur que méconnaissant la justice de Dieu, et voulant établir la nôtre, nous ne manquions de soumission pour la justice de Dieu 4. Ainsi donc dans la loi des oeuvres, c’est la justice de Dieu qui ordonne; et dans la loi de la foi, c’est sa miséricorde qui nous soutient.
6. Après avoir dit: « Dans votre loi, ayez pitié de moi », il semble prendre acte, si l’on
peut s’exprimer ainsi, des bienfaits du Seigneur, pour obtenir de lui d’autres grâces qu’il n’a point encore. « J’ai choisi », dit-il, « la voie de la vérité; je n’ai point oublié vos jugements. Je me suis attaché à vos témoignages, ne me couvrez point de confusion. J’ai choisi la voie de la vérité », afin d’y courir: « Je me suis attaché à vos témoignages », tandis que j’y courais: « Seigneur, ne me couvrez point de confusion 5»: que je m’avance vers mon but, que j’y arrive enfin; car le tout ne dépend ni de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu, qui fait miséricorde 6. Enfin: « J’ai couru dans la voie de vos commandements », dit le Prophète, « lorsque vous avez dilaté mon coeur 7 ». Je ne pourrais courir, si vous n’aviez dilaté mon coeur. Ce verset nous explique très-bien ce qui est dit plus haut: « J’ai choisi la voie de la vérité, je n’ai point oublié vos jugements,
1.
Ps. 118, 29. — 2. Rom. V, 20.— 3. Id. III, 27. — 4. Id. X, 3.— 5. Ps. 118,
30,31.— 6. Rom. IX, 16.— 7. Ps. 118, 32.
je me suis attaché à vos témoignages ». Telle est en effet la marche dans la voie des commandements de Dieu. Et comme l’interlocuteur fait valoir auprès de Dieu les bienfaits qu’il a reçus de lui plutôt que ses propres mérites, comme si on lui disait: Comment as-tu pu courir dans cette voie, la choisir, ne pas oublier les jugements de Dieu, et t’attacher à ses témoignages? L’as-tu pu par toi-même? Non, répond-il. Comment donc? « J’ai couru dans la voie de vos préceptes », nous dit-il, « parce que vous avez dilaté mon coeur ». Ce n’est donc point par ma propre volonté, et sans aucun besoin de votre secours; mais quand il vous a plu de « dilater mon coeur ». Cette dilatation du coeur, c’est la joie dans les oeuvres de justice; et cette joie est un don de Dieu, qui nous fait observer ses préceptes, non dans les angoisses de la crainte, mais dans le délicieux amour de la justice. Et telle est la dilatation du coeur que Dieu nous promet, quand il dit: « J’habiterai en eux, je marcherai au milieu d’eux ». Combien on doit être au large où. Dieu se promène ! C’est dans cette latitude que la charité se répand dans nos coeurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné 2. De là cette parole de l’Ecriture: « Que vos eaux coulent dans vos places publiques 3 ». Le mot place publique, ou platea, vient d’un mot grec exprimant l’étendue; car platu, en grec, signifie large. C’est au sujet de ces eaux que le Seigneur s’écrie: « Qu’il vienne à moi celui qui a soif. Si quelqu’un croit en moi, des fleuves d’eau vive jailliront de ses entrailles 4 »; et l’Evangéliste nous donne cette explication: « Il parlait ainsi à propos de l’Esprit-Saint, que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui ». On pourrait discourir longuement à propos de cette dilatation du coeur, mais je m’aperçois que ce discours est déjà bien long.
1.
II Cor, VI, 16.— 2. Rom. V, 5.— 3. Prov. V, 16.— 4.
Jean, VII, 37-39.
Le Prophète qui a déjà couru dans la voie des commandements, supplie le Seigneur de lui poser comme une loi la voie de ces mêmes commandements, ou de l’aider à y courir jusqu’à ce qu’il arrive à la palme promise, Il recherche toujours cette voie, en s’efforçant de pratiquer ces préceptes, et comme cette voie est la vérité, il la possédera à jamais. Il ne veut pas connaître la loi selon la lettre seulement, mais encore selon ta pratique; alors il supplie Dieu de le conduire en inclinant son coeur vers les préceptes, et non vers les convoitises qui firent tomber le vieil Adam.
1. Dans notre psaumes si étendu, voici ce qu’il nous faut considérer et exposer avec le
secours du Seigneur. « Faites-moi, Seigneur, une loi de la voie de vos commandements, et que je la recherche toujours 1 ». L’Apôtre nous dit: « La loi n’est pas établie pour le juste, mais pour les injustes et les rebelles », et le reste, puis il conclut ainsi: « Et pour tout ce qui est opposé à la saine doctrine, laquelle est selon l’Evangile de la gloire du Dieu de béatitude, qui m’a été confié 2 ». Or, celui qui nous dit: « Faites-moi, Seigneur, une loi », était-il de ceux pour qui saint Paul a dit que la loi était faite? Loin de là. S’il en était, il n’aurait pas dit plus haut: « J’ai couru dans la voie de vos commandements, quand vous avez dilaté mon coeur».
Pourquoi donc demander que Dieu lui impose une loi, puisqu’il n’est point de loi pour
le juste? Ou bien n’y aurait-il pas de loi pour le juste, dans le même sens qu’elle est établie
pour le peuple rebelle, sur des tables de pierre 3, et non sur des tables de chair, qui
sont les coeurs 4; selon l’Ancien Testament, du mont Sinaï qui engendre pour la servitude 5 et non selon le Testament Nouveau, dont le prophète Jérémie a dit: « Voilà que viennent les jours, dit le Seigneur, et j’établirai une nouvelle alliance avec la maison d’Israël et la maison de Juda: non pas l’alliance que j’ai formée avec leurs pères, dans les jours où je les pris par la main, pour les tirer de la terre d’Egypte et parce qu’ils ne sont pas demeurés dans cette alliance, je les ai punis, dit le Seigneur. Voici,en effet, l’alliance que j’ai faite avec la maison d’Israël: après ces jours-
1.
Ps. 118I, 33. — 2. I Tim. I, 9-11. — 3. Exod. XXXI, 18. — 4. II Cor. III, 3. —
5. Gal. IV, 24.
là, dit le Seigneur, je graverai mes lois jusque dans leurs entrailles, et je les écrirai dans leurs coeurs 1». C’est ainsi qu’il supplie le Seigneur de lui imposer une loi, non plus comme aux injustes et aux rebelles qui n’appartiennent pas au Nouveau Testament, une loi sur des tables de pierre; mais une loi qui convienne à la sainte génération de l’épouse libre, ou de la Jérusalem céleste, aux enfants de la promesse, aux fils de l’héritage éternel, dans le coeur desquels Dieu écrit sa loi, de son doigt par le Saint-Esprit; non plus pour qu’ils en conservent la mémoire pendant qu’ils la négligeront dans la pratique; mais afin qu’ils la connaissent pour la comprendre, qu’ils la pratiquent en l’aimant d’un coeur dilaté par la charité, et non resserré par la crainte. Agir, en effet, par la crainte du châtiment, et non par l’amour de la justice, c’est agir en quelque sorte malgré soi. Mais celui qui agit malgré lui, voudrait, s’il était possible, qu’il n’y eût point de commandement; et dès lors il est l’ennemi, et non point l’ami de cette loi, qu’il souhaite qu’on ne lui ait point imposée; son action, dès lors, ne saurait être pure, quand sa volonté est corrompue. On ne saurait dire alors ce que dit le Prophète dans les versets précédents: « J’ai couru dans la voie de vos commandements, quand vous avez dilaté mon coeur»; puisque cette dilatation signifie la charité, qui est, selon l’Apôtre, la plénitude de la loi 2.
2. Pourquoi donc le Prophète veut-il encore qu’on lui impose une loi, puisque si cette loi ne lui eût déjà été donnée, il n’aurait pu, dans la dilatation de son coeur, courir dans la voie des commandements de Dieu?
1.
Jérém. XXXI, 31-33. — 2. Rom. XIII, 10.
Mais comme l’interlocuteur s’avance dans la vertu, comme il sait que cet avancement il le doit à la grâce de Dieu; demander qu’une loi lui soit imposée, qu’est-ce autre chose que demander d’y faire de nouveaux progrès? Car, présentez, par exemple, une coupe toute pleine à l’homme qui a soif, il la boit et l’épuise, et en demande encore. Quant aux injustes 1, aux rebelles, qui n’ont reçu la loi que sur des tables de pierre, cette loi en a fait des prévaricateurs, et non des enfants de la promesse. Mais s’en souvenir et ne pas l’aimer, c’est être également coupable; car la mémoire est en quelque sorte une pierre écrite, et qui est plutôt un fardeau qu’un ornement: c’est un poids et non un titre d’honneur. Cette loi, le Prophète l’appelle une voie des justifications de Dieu, et elle ne diffère en rien de la voie des préceptes de Dieu, que le Prophète nous dit avoir parcourue dans la dilatation de son coeur. Il a donc couru, il court encore, jusqu’à ce qu’il atteigne cette manne céleste, à laquelle Dieu l’a appelé d’en haut. Enfin, après avoir dit: « Donnez-moi, Seigneur, pour loi, la voie de vos justifications »; le Prophète ajoute: « Et que je la recherche toujours ». Pourquoi demander ce qu’il a déjà, sinon parce qu’il possède cette loi en l’accomplissant, et qu’il en cherche les progrès?
3. Mais que signifie « toujours? » N’y aura-t-il point de fin à ses recherches? En est-il de même que dans ces paroles: « Sa louange e sera toujours en ma bouche 2 », parce qu’il n’y aura point de fin à la louange de Dieu? Car nous ne cesserons las de le louer quand nous serons parvenus au royaume éternel, puisque nous lisons: « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous loueront dans les siècles des siècles 3 ! » Ou bien « toujours » doit-il s’entendre du temps de la vie, parce que c’est alors que l’on avance dans la vertu, et qu’après cette vie, celui qui aura fait des progrès sera parfait? Cette expression reviendrait à ce que nous dit saint Paul de certaines femmes qu’ « elles apprennent toujours »; mais c’est alors en mauvaise part, puisqu’il ajoute qu’ « elles n’arrivent jamais à la science de la vérité 4 ». Celui au contraire qui va toujours en progressant arrive enfin où il s’est efforcé d’arriver, et où il n’y
1.
II Tim. I, 9. — 2. Ps. XXXIII, 2. — 3. Id. LXXXIII, 5.— 4. II Tim. III, 7.
a plus de progrès, parce qu’on demeure éternellement dans cette perfection. Toutefois en disant de ces femmes qu’ « elles apprennent toujours », saint Paul n’a point prétendu qu’après leur mort elles continueront à étudier des choses vaines et sans profit, puisqu’à ces doctrines succéderont, non plus des études, mais les supplices éternels. Rechercher donc la loi de Dieu en cette vie, c’est y faire des progrès par sa science et par l’amour; dans l’autre vie, au contraire, il n’y aura plus à chercher cette loi dans sa plénitude, mais à en jouir. Mais voici ce qui est dit encore: « Cherchez toujours sa face ». Où sera-ce « toujours », sinon en cette vie? Car en l’autre nous ne chercherons pas la face de Dieu, puisque nous le verrons face à face 2. Si néanmoins on peut dire que l’on cherche toujours une chose parce qu’on l’aime sans dégoût, et qu’on le fait pour ne point la perdre, nous rechercherons sans fin la loi de Dieu, c’est-à-dire la vérité de Dieu; car il est dit dans ce même psaume: « Et votre loi est la vérité 3 ». On la cherche maintenant pour la posséder; alors on la possédera pour ne point l’abandonner; selon qu’il est écrit de 1 Esprit de Dieu, qu’il pénètre tout, même les profondeurs de Dieu 4: non point pour apprendre ce qu’il ne connaît point, mais parce qu’il n’y a rien qu’il ne connaisse.
4. C’est donc proclamer bien haut la grâce de Dieu, que demander au Seigneur de nous poser une loi, comme le fait le Prophète qui connaissait la loi selon la lettre. Mais parce que la lettre tue, et que l’esprit vivifie 5, il demande à faire par l’esprit ce qu’il savait par la lettre, de peur que cette connaissance d’un précepte négligé ne le rende coupable d’une prévarication nouvelle. Toutefois, connaître une loi comme on doit la connaître, c’est-à-dire comprendre ce qu’elle ordonne, pourquoi elle a été donnée à ceux qui ne devaient point l’observer; quelle en était l’utilité en cela même qu’elle est survenue pour faire abonder le péché 6, c’est ce que ne saurait faire un homme, à moins que Dieu ne lui en ait donné l’intelligence. Aussi le Prophète a-t-il ajouté: « Donnez-moi l’intelligence, et je sonderai votre loi, et je la garderai de tout mon coeur 7 ». Lorsqu’en effet un homme a sondé la loi, qu’il est arrivé à ces
1.
Ps. CIV, 4. — 2. I Cor. XIII, 12. — 3. Ps. 118, 142. — 4. I Cor. II, 10. — 5.
II Cor. III, 6.— 6. Rom.
V, 20.— 7. Ps. 118, 34.
hauteurs qui en font toute l’essence, il doit alors aimer Dieu de tout son coeur, de toute son âme, de tout son esprit, et son prochain comme lui-même. Ces deux commandements renferment la loi et les Prophètes 1. Voilà ce qu’il semble promettre à Dieu, quand il dit:
« Et je la garderai de tout mon coeur ».
5. Mais comme il n’en saurait venir là par ses propres forces, et sans le secours de celui qui fait ce commandement, voilà que le Prophète supplie le Seigneur de lui faire accomplir ce qu’il ordonne: « Conduisez-moi dans les sentiers de vos commandements, car c’est là que je me plais 2 ». C’est peu de ma volonté, si vous-même ne me conduisez où je veux aller. Or, c’est bien là le sentier, la voie des commandements rie Dieu, où il avait couru, disait-il, dans la dilatation de son coeur; et s’il l’appelle un sentier, c’est qu’elle est étroite, cette voie qui conduit à la vie 3; et comme elle est étroite, on ne saurait y courir, si le coeur n’est dilaté.
6. Mais parce qu’il s’avance toujours, qu’il court toujours; et c’est ce qui lui fait implorer le secours d’en haut qui doit le faire aboutir, ce qui n’appartient ni à la course ni à la volonté, mais à la divine miséricorde 4; enfin, parce que c’est Dieu qui produit en nous le vouloir 6, et que le Seigneur même nous prépare la volonté, le Prophète continue:
« Inclinez mon coeur vers vos préceptes, et non vers l’avarice 7 ». Qu’est-ce à dire, avoir le coeur incliné vers un objet, sinon le vouloir? Il a donc voulu déjà, et il demande de vouloir encore. Il a voulu, quand il a dit: « Conduisez-moi dans le sentier de vos commandements, car c’est là que je me plais »; il demande de vouloir encore, quand il dit: « Inclinez mon coeur vers vos témoignages, et non vers l’avarice ». Ce qu’il demande alors, c’est que sa volonté soit de plus en plus forte. Or, quels sont les témoignages de Dieu, sinon ceux par lesquels il se rend témoignage à lui-même? C’est avec le témoignage que l’on fait une preuve, et dès lors, c’est par des témoignages que Dieu prouve ses oeuvres de justice et ses préceptes; par ses témoignages qu’il nous persuade ce qu’il lui plaît; et c’est vers ces témoignages que le Prophète le supplie d’incliner son coeur, et non vers l’avarice. C’est par ces
1.
Matth. XXII, 37-40. — 2. Ps. 118, 35. — 3. Matth. VII, 14. —
4. Rom. IX, 16. — 5. Philipp. II, 13, 14. — 6. Ps. 118, 36.
témoignages que Dieu nous amène à lui rendre un culte gratuit, ce que ne permettrait point l’avarice, qui est la racine de tous les maux. Il y a dans le texte grec un mot qui désigne l’avarice en général ou le désir excessif, car pleon signifie en latin plus ou davantage, et exis désigne ce que l’on possède, en latin habere. Ainsi donc, avoir plus a fait pleonexia, que plusieurs interprètes latins ont traduit ici par emolumentum, profit, d’autres par utilitas, avantage, d’autres mieux encore, par avaritia, avarice. L’Apôtre nous dit donc que u l’avarice est la racine de tous les « maux 1». Mais dans le grec, d’où ces paroles ont été traduites dans notre langue, l’Apôtre ne s’est point servi de pleonexia, que nous lisons dans notre psaume, il a employé celui de philaguria qui désigne l’amour de l’argent. Il faut voir dans cette expression l’espèce pour le genre, et dans l’amour de l’argent, cette convoitise universelle qui est véritablement la racine de tous les maux. Nos premiers parents n’eussent point été séduits et renversés par le serpent, s’ils n’avaient voulu avoir plus qu’ils n’avaient, être plus qu’ils n’étaient. C’est là en effet ce que leur avait promis le serpent: «Vous serez comme des dieux 2 », leur avait-il dit. Telle fut donc la pleonexia qui les fit succomber. Voulant avoir plus qu’ils n’avaient, ils perdirent ce qu’ils avaient reçu. Le droit civil nous montre une lueur de cette vérité répandue partout, dans cette clause qui déboute celui qui demande plus que son droit; c’est-à-dire qui fait perdre même ce que l’on doit à celui qui réclame plus qu’il ne lui est dû. Or, c’est retrancher de nous toute avarice, que rendre à Dieu un culte gratuit. C’est de là que cet ennemi tirait une accusation contre Job, dans le rude combat de l’épreuve, quand il dit « Est-ce gratuitement que Job sert le Seigneur 3? » Le diable croyait en effet que dans le culte qu’il rendait à Dieu, cet homme juste avait le coeur incliné vers l’avarice, qu’il ne servait Dieu que pour ces grands avantages des biens temporels, dont le Seigneur l’avait comblé, comme le mercenaire qui cherche une semblable récompense mais dans cette épreuve il montra qu’il servait Dieu gratuitement. Si donc notre coeur n’est point enclin à l’avarice, nous ne servons Dieu que pour Dieu, en sorte qu’il est
1.
I Tim. VI, 10.— 2. Gen. III, 5.— 3. Job, I, 9.
lui-même la récompense de notre culte. Aimons-le en lui-même, aimons-le en nous, aimons-le dans le prochain que nous aimons comme nous-mêmes, soit qu’il possède le Seigneur, soit afin qu’il le possède. Et comme c’est par sa grâce que ce bien nous arrive, le Prophète lui dit: « Inclinez mon coeur vers vos témoignages, et non vers l’avarice ». Remettons la suite à un autre discours.
Ici-bas nous sommes assujétis à la vanité, et le Psalmiste en veut détourner ses yeux, c’est-à-dire, ou qu’il veut être du nombre de ceux qui en seront délivrés, ou peut-être voudrait-il n’avoir jamais ni la vanité pour but de ses actions, c’est-à-dire la louange qui vient des hommes, ni mène le bien-être de cette vie, autrement il n’y aurait plus de martyrs. Faire cette prière, c’est reconnaître le besoin de a grâce; aussi le Prophète veut-il être affermi dans la crainte qui sanctifie.
Eloigner de lui l’opprobre du soupçon signifierait le détourner de soupçonner le mal chez les autres, ce qui est le propre de l’envie; et dès lors il veut être vivifié dans la justice de Dieu, ou dans la charité qui est le Christ.
1. Dans le psaume que nous avons entrepris d’expliquer, le Prophète continue: « Détournez mes yeux, afin qu’ils ne voient pas la vanité; vivifiez-moi dans votre voie ». Vanité et venté sont fort opposées. L’amour de ce monde est vanité, mais le Christ qui nous délivre de ce monde est vérité. Il est la voie dans laquelle notre Prophète veut être vivifié, parce qu’il est aussi la vie; il a dit en effet: « Je suis la voie. la vérité et la vie 2 ». Mais qu’est-ce à dire: « Détournez mes yeux, afin qu’ils ne voient point la vanité? » Est-ce que l’on peut dérober à nos yeux la vanité pendant notre séjour sur la terre? « Toute créature, en effet, est soumise à la vanité 3»; ce que l’on entend de la vanité qui est dans l’homme; et encore: « Tout est vanité: quel est pour l’homme le profit du labeur qu’il s’impose sous le soleil 4? » Le Prophète voudrait-il demander à Dieu que sa vie ne soit point sous le soleil, où but est vanité, mais eu celui dans lequel il veut être vivifié? Car celui-là s’est élevé non seulement au-dessus du soleil, mais « par-dessus tous les cieux, afin de remplir toutes choses 5». Et c’est plus en lui que sous le soleil que vivent ceux qui n’écoutent pas en vain cette parole de saint Paul: « Cherchez ce qui est en haut,
1.
Ps. 118, 37. — 2. Jean, XIV, 6.— 3. Rom. VIII, 20.— 4. Eccli. I, 2, 3. —
5. Ephés. IV, 10.
où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu; n’ayez du goût que pour les choses d’en haut, et non pour celles d’ici-bas, car vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ 1 ». Et dès lors, si notre vie est où est aussi la vérité, elle n’est point sous le soleil, où est la vanité. Mais nous ne possédons un si grand bien que par l’espérance, et non en réalité. Et l’Apôtre n’a tenu ce langage que selon l’espérance; car, après avoir dit de la créature qu’elle est assujettie à la vanité, il ajoute que c’est contre son gré, et à cause de celui qui l’y a soumise dans l’espérance. C’est donc dans l’espérance de demeurer un jour fixés à la contemplation de la vérité, que nous sommes en attendant soumis aux choses vaines. Car la créature spirituelle, et animale et corporelle, se trouve dans l’homme, ou plutôt est l’homme lui-même. Elle a péché de son plein gré, et dès lors est devenue ennemie de la vérité; et son juste châtiment est d’être assujettie à la vanité contre son gré. Enfin l’Apôtre ajoute un peu plus loin: « Non seulement ces créatures, mais nous aussi, qui possédons les prémices de l’Esprit 2 », c’est-à-dire nous qui sommes soumis à Dieu, et non à la vanité, non pas assurément dans tout ce que nous sommes, mais dans la supériorité que nous avons sur
1.
Coloss. III, 1-3. — 2. Rom. VIII, 20-25.
Les animaux, ou par les prémices de l’esprit: « Nous gémissons en nous-mêmes dans l’attente de l’adoption qui sera la délivrance de notre corps. Nous sommes sauvés en effet, mais par l’espérance; car l’espérance que l’on voit n’est plus une espérance; comment espérer ce qu’on voit déjà? Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons par la patience ». Aussi longtemps que nous sommes dans un corps dont nous espérons avec patience être délivrés par l’adoption divine, nous sommes assujettis à la vanité, en ce qu’il y a de nous sous le soleil. Comment donc serions-nous en état de ne point voir la vanité, à laquelle nous sommes assujettis en espérance? Pourquoi dès lors le Prophète nous dit-il: « Détournez mes yeux, afin qu’ils ne voient point la vanité?» Voudrait-il demander, non point que s’accomplisse en cette vie ce qui est l’objet de notre espérance, mais qu’il soit au nombre
de ceux en qui cette espérance pourra s’accomplir aussitôt qu’ « ils seront délivrés de la corruption » dans l’esprit, dans l’âme et dans le corps, pour être admis à la liberté et
à la gloire des enfants de Dieu, où ils ne verront plus la vanité?
2. On peut entendre ainsi ces paroles et demeurer dans les règles de la foi: mais il est un antre sens qui, je l’avoue, me sourit davantage. Le Seigneur dit dans l’Evangile: « Si votre oeil est pur, tout votre corps sera lumineux; mais si votre oeil est mauvais, tout votre corps sera ténébreux. Si donc la lumière qui est en vous est ténèbres, combien grandes seront les ténèbres elles-mêmes 1? » Dès lors ce qui devient très-important dans nos actions, c’est le motif qui nous fait agir. Car une action ne doit pas être pesée par l’action elle-même, mais par l’intention; c’est-à-dire qu’il ne faut pas considérer si elle est bonne en elle-même seulement, mais surtout si elle est bonne dans l’intention qui nous fait agir. Or, ces yeux par lesquels nous examinons ce qui nous fait agir, le Prophète demande à Dieu de les détourner afin qu’ils ne voient point la vanité; c’est-à-dire, afin qu’il ne se propose point la vanité, quand il fait une bonne action. Or, ce qui vient au premier rang dans cette vanité, c’est l’amour des louanges humaines, qui a été le mobile de tant de grandes actions
1.
Matth. VI, 22, 23.
dans ceux à qui le monde a décerné le nom de grands, et que les villes païennes ont comblés de tant de louanges. Ils cherchaient, non la gloire qui vient de Dieu, mais celle qui vient des hommes; et pour cette gloire ils vivaient dans une sorte de prudence, de courage, de tempérance, de justice; obtenir cette gloire, c’était obtenir leur récompense, vain salaire d’une vaine ambition. C’est d’une telle vanité que le Seigneur veut détourner nos yeux, quand il nous dit: « Gardez-vous de te faire votre justice devant les hommes, afin qu’ils vous voient; autrement vous n’aurez u pas de récompense de votre Père qui est dans les cieux 1». Puis énumérant quelques parties de cette justice, comme l’aumône, la prière, le jeûne, il avertit de ne faire aucune de ces oeuvres en vue d’une gloire humaine, et partout il dit que ceux qui agissent de la sorte, ont reçu leur récompense, non point cette récompense éternelle que nous réserve notre Père avec les saints, mais cette récompense temporelle qu’ils recherchent en se proposant la vanité dans les oeuvres qu’ils accomplissent. Sans doute il ne faut pas incriminer la louange humaine (qu’y a-t-il en effet de plus désirable parmi les hommes que l’agrément dans ce qu’ils doivent imiter?) niais agir en vue de cette louange, c’est envisager la vanité dans ses actions, Quelque louange que l’homme de bien reçoive de la part des hommes, elle ne doit pas être la fin de ses bonnes oeuvres, mais il doit la reporter à Dieu pour qui seul le véritable juste fait le bien, car il ne le fait point de lui-même, mais par le secours de Dieu. Aussi le Sauveur avait-il déjà dit dans le même discours: « Que votre lumière brille aux yeux des hommes, afin qu’ils voient vos bonnes oeuvres, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux ». C’est là qu’il nous donne comme fin la gloire de Dieu, que nous devons toujours nous proposer, quand nous faisons une bonne oeuvre, si nos yeux se détournent de la vanité. Dans nos bonnes oeuvres dès lors, ne nous proposons jamais les louanges des hommes, redressons au contraire ces louanges, et rapportons-les à la gloire de Dieu, qui nous donne ce que l’on peut louer en nous sans erreur. Or, s’il y a vanité à faire le bien pour en être loué par les hommes, combien sera-t-il plus frivole
1. Matth. VI, 1. — 2.
Id. V, 16.
encore de le faire pour acquérir, pour grossir, pour retenir des trésors ou tout autre bien temporel qui nous vient de l’extérieur? Car « tout est vanité, et quel avantage revient à l’homme de tout ce labeur qu’il s’impose sous le soleil 1? » Nous ne devons pas même faire nos bonnes oeuvres pour la santé de cette vie, mais bien plutôt pour le salut éternel, où nous jouirons d’un bien immuable, qui nous viendra de Dieu, ou mieux qui sera Dieu lui-même. Si, en effet. les saints n’eussent eu dans leurs bonnes oeuvres d’autre but que la santé de cette vie, jamais les martyrs n’eussent perdu cette vie pour l’oeuvre glorieuse de confesser le Christ. Mais ils ont reçu le secours au milieu de la tribulation, ils n’ont point envisagé la vanité, car le salut qui vient des hommes n’est que vanité 2; ils n’ont point désiré les jours de l’homme 3, parce que l’homme est assimilé à la vanité, et que ses jours passent comme l’ombre 4.
3. Mais demander à Dieu ce qui paraît en notre pouvoir, c’est-à-dire qu’il nous donne de détourner nos yeux de la vanité, n’est-ce pas proclamer le besoin de sa grâce? Plusieurs en effet n’ont pas détourné leurs yeux de celte vanité, ils ont cru par eux-mêmes devenir justes et bons, et ils ont préféré la gloire des hommes à celle de Dieu: car ils sont hommes aussi, et ont mis en eux-mêmes leur complaisance, et ont trop présumé des forces de leur libre arbitre. Mais là encore il y a vanité et présomption d’esprit 5. Aussi, après avoir dit: « Détournez mes yeux de peur qu’ils ne voient la vanité; donnez-moi la vie dans votre voie 7 »; comme cette voie n’est pas la vanité, mais la vérité, le Prophète ajoute: « Affermissez votre parole dans votre serviteur, afin qu’il vous craigne 8». Qu’est-ce dire autre chose que, donnez-moi d’accomplir ce que vous ordonnez? Car cette parole n’est pas affermie dans ceux qui l’ébranlent en eux-mêmes en faisant ce qui lui est contraire; mais être affermie chez un homme, c’est y être immobile. Dieu donc a affermi sa parole dans la crainte, chez tous ceux à qui il domine l’esprit de crainte. Or, telle n’est pas la crainte qui a fait dire à l’Apôtre: « Vous n’avez point reçu l’Esprit de servitude pour agir encore par la crainte 9 »; puisque cette
1.
Eccli. I, 2, 12. — 2. Ps. LIX, 13. — 3. Jérém. XVII, 16. — 4. Ps. CXLIII, 4.— 5. Jean, XII, 43.— 6.
Eccl. VI, 9.— 7. Ps. 118, 37. — 8. Id. 38. — 9. Rom. VIII, 15.
crainte est bannie par la charité 1; mais la crainte dont il est ici question est celle que le Prophète appelle Esprit de crainte de Dieu 2; crainte qui est chaste, qui demeure dans le siècle des siècles 3, crainte qui n’ose déplaire à celui qu’on aime. Autre est en effet la crainte que l’époux inspire à l’épouse adultère, autre celle de l’épouse chaste; l’une craint qu’il ne vienne, l’autre qu’il ne s’éloigne.
4. « Eloignez de moi l’opprobre que je soupçonne, parce que vos jugements sont pleins de douceur 4». Qui donc a des soupçons au sujet de son opprobre, et qui ne le connaît pas plus parfaitement que l’opprobre d’aucun autre? On peut avoir des soupçons quand il s’agit des autres, mais non quand il s’agit de soi-même; car soupçonner c’est encore ignorer. Or, on ne soupçonne point son opprobre, on en a une science certaine, puisque la conscience parle. Que signifie donc cette parole: « Mon opprobre que je soupçonne? » C’est dans les versets précédents que nous en pourrons découvrir le sens. Tant qu’un homme ne détourne point ses yeux pour qu’ils ne voient pas la vanité, il soupçonne chez les autres ce qu’il sent en lui-même; et il croit facilement que dans le culte qu’il rend à Dieu, dans les bonnes oeuvres qu’il fait, tel autre a le même but qu’il se propose lui-même. Les hommes en effet peuvent voir nos actions; mais le dessein qui nous fait agir est caché: de là le soupçon, et chez un homme l’audace de juger des secrets des autres, d’en juger souvent à faux, et toujours témérairement, quand même le soupçon toucherait à la vérité. C’est pourquoi le Seigneur, en parlant de l’intention qui doit nous faire agir dans nos bonnes oeuvres, et voulant détourner nos yeux de la vanité, nous avertit de ne pas faire le bien à cause des louanges des hommes, en disant: « Gardez-vous de faire votre justice devant les hommes afin d’en être vus 5». Il nous avertit aussi de ne les point faire par le désir de l’argent, en disant: « Ne vous amassez point des trésors sur la terre 6»; et encore «Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent 7 ». Il nous détourne encore d’agir en vue de la nourriture et du vêtement, en disant: « Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que
1. I
Jean, IV, 18. — 2. Isa. XI, 3.— 3. Ps. XVIII, 10.— 4. Id. 118, 19. — 5. VI, 1.—
6. Id. 19.— 7. Id. 24.
vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez 1». Après nous avoir donné tous ces avis, comme nous pouvons soupçonner de pareilles intentions chez ceux dont nous voyons les oeuvres de justice sans voir leurs desseins, le Sauveur ajoute: «Ne jugez point, de peur d’être jugés 2 ». C’est pourquoi, après avoir dit: « Eloignez de moi l’opprobre que je soupçonne », le Prophète ajoute: « Parce que vos jugements sont pleins de douceur »; c’est-à-dire, parce que vos jugements sont vrais. Quiconque aime la vérité, proclame la douceur de ce qui est vrai. Quant aux jugements des hommes sur les secrets des coeurs, ils ne sont point doux à cause de leur témérité. Il appelle donc son opprobre celui qu’il soupçonne dans les autres; car l’Apôtre l’a dit: « En se comparant eux-mêmes à eux-mêmes 3 », ils se jettent dans l’erreur, et l’homme en effet soupçonne facilement chez les autres ce qu’il sent en lui. C’est pourquoi le Prophète supplie le Seigneur d’éloigner de lui cet opprobre qu’il sentait en lui-même et qu’il soupçonnait chez les autres, afin de ne point ressembler au diable qui avait soupçonné les motifs cachés du saint homme Job. Il ne croyait point que Job servît Dieu gratuitement, et demanda le pouvoir de le tenter, afin de trouver en lui la faute qu’il lui reprochait 4.
5. Mais, il n’y a que l’envie qui soupçonne le mal chez les autres; dans son impuissance à dénigrer une bonne action, car ce qui est extérieur s’affirme de soi-même, elle s’en prend à l’intention qui est secrète, et ne s’affirme point; quiconque dès lors peut la soupçonner mauvaise, parce qu’il ne voit pas ce qui se dérobe, et qu’il porte envie à ce qui est évident. A cette inclination perverse, qui
1.
Matth. VI, 25.— 2. Id. VII, 1.— 3. II Cor. X, 12.— 4.
Job, I, 9-11.
nous porte à soupçonner chez les autres un mal que nous ne voyons point, il faut opposer
la charité qui n’est point jalouse 1, et que le Seigneur nous recommande si particulièrement quand il dit: « Je vous donne un commandement nouveau, c’est de vous aimer les uns les autres 2 »; et encore: « Tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres ». Et au sujet de l’amour de Dieu et du prochain, « toute la loi», nous dit-il, « est renfermée dans ces deux commandements, ainsi que les Prophètes 3 ». Aussi le Prophète, contrairement à ce soupçon, dont il veut être délivré, dit-il à Dieu: « Voilà que j’ai désiré vos commandements, vivifiez-moi dans votre justice 4 ». Voilà que j’ai désiré de vous aimer
de tout mon coeur, de toute mon âme, de tout mon esprit, et mon prochain comme moi-même; « vivifiez-moi dans votre justice », et non dans la mienne, ou plutôt comblez-moi de celte charité que j’ai désirée. Soutenez-moi dans l’accomplissement de ce que vous recommandez, donnez-moi vous-même ce que vous m’ordonnez. « Vivifiez-moi dans votre justice »; car j’ai en moi de quoi mourir, mais ce n’est qu’en vous que je trouve de quoi vivre. « Votre justice, c’est le Christ qui nous a été donné par Dieu comme notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption; afin que, selon qu’il est écrit, celui qui se glorifie ne se glorifie que dans le Seigneur 5 ». C’est en lui que je trouve votre loi que je désire, afin que vous me donniez la vie dans votre justice, ou plutôt en lui-même. Car c’est lui qui est le Verbe Dieu, et le Verbe s’est fait chair, afin d’être aussi mon prochain 6.
1.
I Cor. XIII, 4. — 2. Jean, XIII, 31, 35.— 3. Matth. XII,40.— 4. Ps. 118, 40. —
5. I Cor. I, 30, 31.— 6. Jean, I, 40.
Le Prophète supplie le Seigneur de le vivifier dans la justice ou dans le Christ, et c’est là un acte de miséricorde et de salut envers les enfants de la promesse. Alors il répondra une parole à ceux qui lui reprochent une parole. Cette parole, c’est le Christ, que nous reprochent ceux que la croix scandalise; c’est le Christ encore, que répondent les martyrs, et ceux qui après une chute Sont revenus à lui comme Pierre: cette parole n’a donc pas été pour jamais ôtée de leur bouche. C’est alors que le Prophète gardera la loi de Dieu en cette vie et en l’autre.
1. Au sermon d’hier il faut joindre celui-ci sur les versets suivants du plus long des psaumes. Voici ces versets: « Et que votre miséricorde, ô mon Dieu, vienne sur moi 1». Ces paroles semblent se rapporter aux précédentes; car le Prophète ne dit point: « Que votre miséricorde vienne sur moi »; mais: « Et que votre miséricorde ». Or, voici les paroles qui précèdent: « Voilà que j’ai désiré vos commandements; vivifiez-moi dans votre justice ». Puis il continue: « Et que votre miséricorde, ô mon Dieu, descende sur moi ». Que demande le Prophète, sinon d’accomplir par la divine miséricorde les préceptes qu’il a désirés? Il explique en quelque sorte le sens de ces paroles: « Vivifiez-moi dans votre justice », quand il ajoute: « Et que votre miséricorde, ô mon Dieu, descende sur moi, ainsi que votre salut selon votre parole »; c’est-à-dire, selon votre promesse. De là vient que saint Paul veut que nous nous regardions comme les fils de la promesse 2, afin que nous rapportions tout ce que nous sommes à la grâce de Dieu, sans nous en rien attribuer à nous-mêmes. « Car le Christ nous a été donné par Dieu, comme notre sagesse, notre justice et notre sanctification, notre rédemption, afin que, selon qu’il est écrit, celui qui se glorifie, ne se glorifie que dans le Seigneur 3». Quand donc le Prophète nous dit: « Vivifiez-moi dans votre justice », il demande la vie dans le Christ, et telle est la miséricorde qu’il supplie Dieu de faire descendre sur lui. C’est aussi le Christ qui est le « salut de Dieu »; et ce mot nous fait voir quelle miséricorde
voulait appeler sur lui le Prophète, quand il disait; « Et que votre miséricorde, ô mon Dieu,
1.
Ps. 118, 41. — 2. Rom. IX, 8. — 3. I Cor, I, 30, 31.
descende sur moi ». Si nous voulons savoir quelle est cette miséricorde, écoutons ce qui suit « Votre salut, selon votre parole u. Voilà ce qui nous est promis par Celui qui appelle ce qui n’est point encore, comme s’il était déjà 1 ». Il n’y avait personne encore à qui il pût faire des promesses, afin que nul ne se glorifiât de ses mérites. Et ceux à qui la promesse a été faite ont été promis eux-mêmes, afin que tout le corps du Christ pût dire: « Par la grâce de Dieu, je suis ce que je suis 2 ».
2. « Et je répondrai », dit le Prophète, «à ceux qui me reprochent une parole 3 ». On ne sait s’ils me reprochent une parole, ou si je répondrai une parole; mais l’un et l’autre nous désignent le Christ. C’est lui que nous reprochent ceux pour qui la croix est un scandale ou une folie 4; qui ne savent point que le Verbe s’est fait chair et a demeuré parmi nous, et que ce Verbe était au commencement en Dieu, était Dieu 5. Mais, quand même ils ne nous reprocheraient point ce Verbe qu’ils ignorent, puisqu’ils n’en reconnaissent point la divinité, eux qui ont méprisé sa faiblesse à la croix, nous leur répondons néanmoins ce Verbe, notas disons que leurs reproches ne nous inspirent ni frayeur, ni confusion. « S’ils eussent en effet con nu le Verbe, « ils n’eussent jamais crucifié le Seigneur de la gloire 6». Mais pour répondre le Verbe à ceux qui nous font des reproches, il faut que la divine miséricorde soit descendue sur nous, que son salut soit venu pour nous protéger, et non pour nous briser. Car il viendra, pour les briser, sur quelques-uns qui méprisent maintenant son humilité, et qui seront
1.
Rom. IV, 17. — 2. I Cor. XV, 10. — 3. Ps. 118, 42. — 4. I Cor. I, 23.— 5. Jean,
I, 1, 14.— 6. I Cor, II, 8.
broyés en se heurtant contre lui. Voici ce qu’il dit dans l’Evangile: « Quiconque heurtera cette pierre s’y brisera, elle écrasera celui sur qui elle tombera 1 ». Nous reprocher le Christ, c’est donc le heurter et s’y briser. Pour nous, mes frères, loin de nous heurter et de nous briser contre lui, loin de craindre leurs injures, répondons-leur une parole, « parole de la foi que nous prêchons. Car si tu crois en ton coeur que le Christ est le Seigneur, et si tu confesses de bouche que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, tu seras sauvé. Car on croit de coeur pour être juste, et l’on confesse de bouche pour être sauvé 2 ». C’est donc peu d’avoir le Christ
dans son coeur, et de ne point le confesser par crainte des injures; mais à ceux qui nous le
rejettent comme un opprobre, il faut répondre hautement le Verbe. Afin que les martyrs pussent le faire, voici ce qui leur fut promis: « Ce n’est point vous qui parlez, mais l’Esprit de votre Père qui parle en vous 3 ». Aussi, après avoir dit: « Je répondrai une parole à ceux qui m’injurient», le Prophète a-t-il ajouté: « Parce que j’ai espéré en vos paroles »; c’est-à-dire, en vos promesses.
3. Mais comme plusieurs, tout initiés qu’ils étaient au corps du Christ, qui parle ici, accablés sous le poids des persécutions, n’ont pu supporter ces opprobres, et sont tombés en reniant le Christ, le Prophète continue: « N’ôtez pas à jamais de ma bouche la parole de vérité 4 ». N’ôtez pas de ma bouche, est-il dit, car c’est l’unité de tout le corps qui parle, et l’on compte parmi ses membres ceux qui ont failli, renégats d’un instant, mais sont ressuscités par la pénitence, ou bien ont regagné, par une confession nouvelle, cette palme du martyre qu’ils avaient d’abord perdue. Ainsi ce ne fut pas « à jamais », usque valde, ou « pour toujours », usquequaque, comme on trouve en certains manuscrits, c’est-à-dire d’une manière absolue, que la parole fut retirée à saint Pierre, alors type de l’Eglise. Bien que troublé par la crainte il ait un moment renié son Dieu, il se releva par ses larmes 5, et mérita par une glorieuse confession la couronne glorieuse. C’est donc tout le corps de Jésus-Christ, l’Eglise entière, qui parle ici; et dans ce corps entier, la parole n’a pas été ôtée à jamais de sa bouche,
1.
Luc XX, 18.— 2. Rom. X, 8-10.— 3. Matth. X, 20.— 4. Ps. 118, 43. —
5. Matth. XXVI, 70-75.
soit parce que devant l’apostasie d’un grand nombre d’autres demeuraient forts, et combattaient jusqu’à la mort pour la vérité, soit parce que dans ces renégats beaucoup se relevaient. Quand nous entendons dire à Dieu: « N’ôtez pas », il nous faut comprendre:
Ne souffrez pas que l’on m’ôte; dans le même sens que nous disons dans notre prière: « Ne nous induisez pas en tentation ». Le Seigneur lui-même dit à Pierre: « J’ai prié pour toi, afin que ta foi ne vienne point à défaillir 2 »; c’est-à-dire, afin que la parole de vérité ne fasse point défaut dans ta bouche « pour toujours ». « Parce que j’ai espéré dans vos jugements », dit le Prophète; ou comme il y a plus expressément dans le grec, « j’ai surespéré 3»; expression moins usitée, mais qui répond à la nécessité d’interpréter la vérité. Il nous faut donc examiner avec attention le sens de ces paroles, afin de comprendre avec le secours de Dieu ce que signifie: « J’ai espéré dans vos paroles, j’ai surespéré dans vos jugements ». « Je répondrai»,dit le Prophète, « je répondrai à mes insulteurs une parole, parce que j’ai espéré en vos paroles»; c’est-à-dire, parce que vous m’avez fait cette promesse: « Et n’ôtez pas à jamais de ma bouche la parole de la vérité, parce que j’ai surespéré dans vos jugements »; c’est-à-dire, parce que ces jugements que vous exercez en me redressant et en me châtiant, non seulement ne m’ôtent point l’espérance, mais l’affermissent en moi; car le Seigneur corrige celui qu’il aime, et il flagelle celui qu’il reçoit parmi ses enfants. Or, voilà que les saints, les humbles de coeur, en mettant leur espoir en vous, n’ont point failli dans les persécutions: ceux mêmes qui sont tombés en s’appuyant sur eux-mêmes, et qui néanmoins appartiennent à votre corps, ont pleuré en reconnaissant leur misère, et ont retrouvé une grâce d’autant plus ferme qu’ils ont déposé leur orgueil. Donc u n’ôtez pas à jamais « de ma bouche votre parole, parce que vos jugements sont toute mon espérance».
4. « Et je garderai toujours votre loi ». C’est-à-dire, si vous n’ôtez pas de ma bouche la parole de la vérité, « je garderai votre loi, toujours, et dans les siècles des siècles ». Le Prophète nous donne ici la signification de « toujours». Souvent, en effet, « toujours »signifie pendant la vie d’ici bas; mais alors ce
1.
Matth. VI, 13.— 2. Luc, XXII, 32.— 3. Grec, epelpisa.
n’est point « dans le siècle et dans les siècles des siècles »; toutefois la traduction vaut mieux que celle de certains exemplaires qui portent: « Dans l’éternité, et dans les siècles des siècles », parce qu’ils n’ont pu dire: « Et dans l’éternité de l’éternité ». Il faut donc entendre par la loi, celle dont l’Apôtre a dit: « L’amour est la plénitude de la loi ». Telle est la loi que garderont les saints dont la bouche ne cessera de dire la vérité, c’est-à-dire l’Eglise du Christ qui la gardera non seulement dans le siècle, c’est-à-dire pendant
1.
Rom. XIII, 10.
la durée du monde, mais encore dans l’autre vie, que l’on appelle ici le « siècle du siècle». Là, en effet, nous n’aurons point à garder les préceptes de la loi, comme ici-bas, mais la plénitude de la loi, que nous garderons sans craindre de l’offenser, parce que nous aimerons Dieu plus parfaitement quand nous le verrons, ainsi que notre prochain, puisque Dieu sera tout en tous 1, et que nous n’aurons aucune occasion de soupçonner faussement le prochain, parce que nul ne sera inconnu aux autres.
1. I
Cor. XV, 28.
Après avoir prié, le Prophète raconte le bien qu’il a fait, comme pour nous dite qu’il a été exaucé. Il a marché dans la voie large par la charité, parce qu’il s’appliquait à suivre les préceptes du Seigneur avec le secours de la prière, et cette prière est avivée par l’Esprit-Saint qui demeure en nous. Ensuite il a publié sans rougir les témoignages du Seigneur, comme les martyrs, parce qu’il méditait les préceptes elles pratiquait.
1. Les versets précédents de ce long psaume contenaient une prière; ceux que nous avons à traiter maintenant sont une narration. L’homme de Dieu implorait en effet le secours
de la grâce, quand il disait: « Vivifiez-moi dans votre justice, et que votre miséricorde, ô mon Dieu, descende sur moi »; ainsi des autres versets qui précèdent ou qui suivent. Maintenant il s’écrie: « Et je marchais dans la voie spacieuse, parce que j’ai cherché vos commandements. J’annonçais vos témoignages en présence des rois, sans en rougir. Je méditais vos préceptes qui font mes délices. Et j’ai levé mes mains vers vos commandements, objet de mon amour, et je m’exerçais dans les oeuvres de votre justice 1». Ce langage est d’un homme qui raconte, et non d’un homme qui prie; il a, ce semble, obtenu de Dieu ce qu’il demandait, et reconnaît en louant Dieu ce qu’a fait de lui cette miséricorde, qu’il appelait sur lui-même. Il ne cherche pas à relier ces paroles à ce qui précède, et ne dit pas:
1.
Ps. 118, 40-48.
Et n’ôtez point à ma bouche votre parole à jamais, parce que j’ai espéré en vos jugements, et je garderai toujours votre loi dans le siècle, et dans le siècle des siècles, et je marcherai dans la voie spacieuse, parce que j’ai recherché vos commandements. Et je parlerai de vos témoignages en présence des rois, sans en rougir; et ainsi de suite: alors on eût compris qu’il rattachait ce qui suit à ce qui précède; mais il dit: « Et je marchais dans la voie spacieuse », phrase inconséquente, puisque la particule copulative: « Et » ne lie absolument rien; car il ne dit pas: « Et je marcherai », comme il disait: « Et je garderai toujours votre loi ».Ou bien, s’il est dit au mode optatif: Custodiam, « Que je garde votre loi »; il n’est pas dit: Que je marche dans la voie large, comme si le Prophète eût fait un souhait et une prière. Mais il dit: Ambulabam, « je marchais dans la voie large »; et si l’on ne voyait ici une conjonction, si la phrase sans se rattacher à ce qui précède eût été absolue: Je marchais dans la voie large; rien d’extraordinaire n’eût (681) forcé le lecteur à voir ou à chercher ici un sens caché. Il nous laisse donc à entendre ce qu’il n’a pas dit, c’est-à-dire qu’il a été exaucé: et il nous montre l’état où nous a mis la grâce de Dieu, comme s’il disait: Quand je faisais cette prière, vous m’avez exaucé: « Et je marchais dans la voie spacieuse», et le reste que nous lisons ensuite.
2. Que signifie donc: « Et je marchais dans la voie large », sinon je marchais dans
la charité, « qui a été répandue dans nos coeurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné 1? » C’est dans cette voie large que marchait celui qui disait: « O Corinthiens, ma bouche vous est ouverte, et mou coeur se dilate 2 ». Or, cette charité est renfermée complètement dans les deux préceptes de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain, qui renferment à leur tour la loi et les Prophètes 3. Aussi, après avoir dit: « Et je marchais dans la voie large, le Prophète nous en donne-t-il la raison: «C’est»,dit-il, « parce que j’ai cherché vos préceptes ». Dans plusieurs exemplaires, on voit, non point, « vos préceptes, mais, vos témoignages»: plus souvent, néanmoins, nous avons lu, « vos préceptes » surtout chez les Grecs, et qui ferait difficulté
de s’en tenir à cette traduction d’où est venu le texte latin? Si donc nous voulons savoir
comment le Prophète a cherché ces commandements, ou comment il faut les chercher,
écoutons ce que nous dit le divin maître, qui nous enseigne et nous domine ce que nous
devons demander: « Demandez et vous recevrez; cherchez et vous trouverez; frappez et l’on vous ouvrira ». Et un peu après: « Si donc vous qui êtes méchants, savez donner ce qui est bon à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux donnera-t-il ce qui est bon à ceux qui le lui demandent 4? » Par là il nous montre évidemment que ces paroles: « Demandez, cherchez, frappez », ne sont qu’une recommandation de prier avec instance. Mais un autre Evangéliste ne dit point: « Il donnera des biens à ceux qui les lui demandent », ce qui peut avoir plusieurs sens et se rapporter aux biens corporels, ou aux biens spirituels; mais il retranche tout le reste et nous montre d’une manière précise ce que le Seigneur veut que nous demandions avec ardeur et avec instance: « A
1.
Rom. V, 5. — 2. II Cor. VI, II. — 3. Matth. XXII, 40. — 4. Id. VII, 7, 51.
combien plus forte raison», dit-il, « votre Père du ciel donnera-t-il l’Esprit à ceux qui l’invoqueront 1?» C’est ce même Esprit qui répand la charité dans nos coeurs, afin que nous accomplissions les commandements par l’amour de Dieu et du prochain. C’est par ce même Esprit que nous crions: Père, Père 2. C’est lui dès lors qui nous fait demander ce que nous voulons recevoir, qui nous fait chercher ce que nous désirons trouver, qui nous fait frapper où nous essayons d’arriver. Voilà ce qu’enseigne l’Apôtre qui, après nous avoir dit que le Saint-Esprit nous fait crier: Père, Père, ajoute dans un autre endroit: « Dieu a envoyé dans nos coeurs l’Esprit de son Fils qui crie: Abba, mon Père 3 ». Comment est-ce nous qui crions, si lui-même crie en nous, sinon parce qu’il nous fait crier, quand il commence d’habiter en nous? li le fait encore dès qu’il est en nous, afin qu’en demandant, en cherchant, en frappant, on le demande, et on le reçoive plus abondamment. Soit en effet que l’on demande à Dieu une vie sainte, soit que l’on vive déjà saintement, tous ceux qui sont dirigés par l’Esprit de Dieu sont enfants de Dieu 4. Donc: « Je marchais », dit le Prophète, « dans la voie large, parce que j’ai cherché vos préceptes ». Il avait cherché et il avait trouvé, parce qu’il avait demandé et reçu l’Esprit-Saint, par lequel, devenu bon lui-même, il avait fait des bonnes oeuvres, par la foi qui opère par la charité 5.
3. « Et je parlais de vos témoignages en présence des rois, sans en rougir »; non plus que celui qui avait demandé et obtenu la faveur de répondre à ceux qui lui reprocheraient le Verbe, et à la bouche duquel ne devait pas être dérobé le Verbe de Ii vérité. Il combat donc pour elle jusqu’à la mort et ne rougit point de la proclamer en présence des rois. Ces témoignages, en effet, qu’il nous dit avoir proclamés, s’appellent en grec martyres, expression que nous avons adoptée en latin; et de là vient que nous avons appelé martyrs ceux à qui Jésus a prédit qu’ils le confesseraient en présence des rois 6.
4. « Et je méditais », dit le Prophète, « vos commandements qui font mes délices. Et j’ai levé les mains vers vos préceptes, objet de mon amour 7 ». D’autres ont traduit dilexi
valde, que j’ai aimés beaucoup, d’autres nimis,
1.
Luc, XI, 13.— 2. Rom. VII, 15.— 3. Gal. IV,
6.— 4. Rom. VIII, 14. — 5. Gal. V, 6. — Matth. X, 18. — 6. Ps. 118, 47, 48.
« à l’excès », d’autres encore vehementer, « avec violence», cherchant à rendre ainsi le grec sphodra. Il aimait donc les commandements de Dieu, dès lors qu’il marchait dans la voie large, par ce même Esprit-Saint qui a répandu dans nos coeurs la charité, et qui dilate les coeurs des fidèles 1. Or, il les a aimés en les méditant et en les pratiquant. Quant à la méditation, il nous dit: « Je réfléchissais à vos œuvres »; et quant à la pratique: « Je levais les mains vers vos préceptes ». Et à chacun de ces versets, il ajoute: quae dilexi, « que j’ai aimés ». « Or, la fin de tout précepte, c’est la charité émanant d’un coeur 2». Quand c’est dans cette fin, c’est-à-dire d’après cette considération que l’on accomplit les préceptes de Dieu, alors l’oeuvre est bonne, et on élève les mains, parce que c’est vers Dieu qu’on les élève. Aussi l’Apôtre voulant parler de la charité, nous dit-il: « Je vous indique une voie
1. Rom. V, 5 — 2. I Tim. I, 5.
bien supérieures 1»; et ailleurs, «afin», dit-il, « de connaître l’amour de Jésus Christ envers nous, lequel surpasse toute connaissance ».Car accomplir les commandements de Dieu en vue d’un bonheur terrestre, c’est abaisser les mains plutôt que les élever; puisque c’est rechercher par une semblable intention,non plus les récompenses d’en haut,mais celles d’ici-bas. A la méditation et à l’accomplissement des préceptes appartient ce qui suit: « Et je m’exerçais dans vos oeuvres de justice »: ce que plusieurs ont traduit ainsi de préférence à laetabar, « je me réjouissais », ou à garriebam, « je m’entretenais », comme l’ont fait plusieurs à cause du grec edolesxoun. Celui en effet qui aime les commandements de Dieu, et qui fait ses délices de les méditer et de les pratiquer, s’exerce dans ces coinmandements avec joie, en parle avec plaisir.
1. I Cor. XII, 31. — 2. Ephés. III, 19.
Le Prophète supplie Dieu de se souvenir de sa promesse, non que le Seigneur oublie, mais parce que lui-même désire ardemment ce qu’il demande Cette parole d’espérance l’a consolé dans les épreuves de l’humiliation, l’en a fait triompher en lui donnant la vie du bien, en le soutenant contre l’apostasie dans la persécution. Celui qui est ainsi consolé, c’est l’homme tombé du paradis et relevé par la promesse du Rédempteur. Depuis le commencement il a pu se soutenir par la méditation des Jugements de Dieu, par sa miséricorde; et dans la nuit du péché, il s’est souvenu de Dieu, ce qui l’a fortifié contre les assauts du démon.
1. Considérons, avec le secours de Dieu, et expliquons ces versets de notre psaume
« Souvenez-vous de votre parole à votre serviteur, et qui m’a donné l’espérance. Cette espérance m’a consolé dans mon humilité, car votre parole m’a donné la vie 1». Est-ce
que l’oubli est aussi citez Dieu, comme chez les hommes? Pourquoi donc le Prophète lui
dit-il: « Souvenez-vous? » Il est vrai qu’en d’autres endroits de l’Ecriture on retrouve cette
même expression: « Pourquoi m’avez-vous oublié 2? » et: « Pourquoi oublier notre misère 3? » et Dieu lui-même nous dit par son
1.
Ps. 118, 49, 50. — 2. Id. XLI, 10.— 3. Id. XLIII, 24.
Prophète: « J’oublierai toutes ses iniquités 1 » et beaucoup d’autres exemples semblables. Mais ces paroles ne doivent point s’entendre de Dieu comme on les entend des hommes. De itême en effet qu’on dit de Dieu qu’il se repent, quand contrairement à l’espérance des hommes, il change le cours des choses, sans néanmoins changer son dessein, puisque le dessein du Seigneur demeure éternellement 2; ainsi on dit qu’il oublie, quand il semble différer son secours, ou l’effet de sa promesse, ou ne peut châtier les pécheurs comme ils le méritent, ou toute autre chose semblable;
1.
Ezéch XVIII, 22, — 2. Ps. XXXII, 11.
comme si ce que l’on espère, ou que l’on redoute, avait échappé à sa mémoire parce qu’on n’en voit pas l’accomplissement. C’est une manière morale de se mettre au niveau des hommes, quoique Dieu agisse de la sorte, avec une disposition fixe, sans aucun défaut de mémoire, sans obscurcissement d’intelligence, sans changement de volonté, Dès lors, dire au Seigneur: « Souvenez-vous », c’est montrer, c’est stimuler un désir dans celui qui réclame l’effet de la promesse, mais non rappeler au Seigneur ce qu’il aurait oublié. « Souvenez-vous», dit le Prophète, « de votre parole à votre serviteur »; c’est-à-dire, accomplissez ce que vous avez promis à votre serviteur; c’est-à-dire encore, cette parole qui contenait une promesse et qui m’a fait espérer.
2. «C’est elle qui m’a consolé dans mon humilité 1 »: elle, c’est-à-dire cette espérance qui a été donnée aux humbles, comme le dit l’Ecriture: « Dieu résiste aux superbes, et donne la grâce aux humbles 2 ». De là cette maxime sortie de la bouche du Sauveur lui-même: « Quiconque s’élève sera abaissé; quiconque s’abaisse sera élevé 3 ». Et par cet abaissement nous n’entendons pas cette humilité de quiconque avoue ses péchés et ne s’arroge point la justice; mais celle d’un homme qui est tombé dans la tribulation ou dans quelque mépris dont Dieu a voulu châtier son orgueil, ou exercer sa patience et la mettre à l’épreuve Aussi le Psalmiste nous dit-il un peu plus loin: « Avant d’être humilié, j’ai commis-le péché ». Et encore au livre de la Sagesse: « Demeure en paix dans la douleur; et au temps de l’humiliation, garde la patience; car l’or et l’argent s’épurent par la flamme, mais les hommes que Dieu accepte passent par le feu 3 ». En disant que Dieu accepte ces hommes, il nous donne cette espérance qui console dans l’humilité. Et quand le Seigneur Jésus prédisait aux disciples que ces humiliations leur viendraient de la part des persécuteurs, il ne les abandonna point sans espérance, mais il leur donna celle-ci qui doit les consoler: « Vous posséderez vos âmes par votre patience ». Quant à votre corps que vos ennemis peuvent tuer,et en quelque sorte anéantir, un cheveu de votre tête ne périra point 6 », nous
1.
Ps. 118, 10.— 2. Jacques, IV, 6; I Pierre, V, 5.— 3. Luc, XIV, 11; XVIII, 14, — 4. Eccli. II, 4, 5. — 5. Luc, XXI, 19. — 6. Id. 18.
dit-il. Telle est l’espérance donnée au corps du Christ, ou à l’Eglise, pour la consoler dans son humilité. C’est à propos de cette espérance que l’apôtre saint Paul nous dit: « Si nous ne voyons pas ce que nous espérons, nous l’attendons par la patience 1». Mais cette espérance regarde les biens éternels. Or, il y a une autre espérance très-propre à nous consoler dans l’abaissement de la tribulation, et qui a été donnée aux saints dans la parole de Dieu qui leur promet la grâce, de peur qu’ils ne viennent à succomber. C’est de cette espérance que l’Apôtre nous dit: « Dieu est fidèle, et ne permettra point que vous soyez tentés au-dessus de vos forces; mais il vous fera profiter de la tentation, afin que vous puissiez persévérer 2 ». Telle est encore l’espérance que nous donnait la bouche du Sauveur: « Cette nuit Satan a demandé à vous cribler comme le froment, et j’ai prié pour toi, Pierre, afin que la foi ne t’abandonne point 3». C’est encore cette espérance qu’il nous donne dans la prière qu’il nous a enseignée. et où il nous fait dire: « Ne nous induisez pas en tentation 4 ». C’était en quelque-sorte promettre aux siens qui seraient en danger ce qu’il veut qu’ils lui demandent. C’est donc de cette espérance qu’il nous est mieux d’entendre cette parole du psaume: « C’est elle qui m’a consolé dans mon humilité, car votre parole m’a donné la vie 5 ». D’autres avec plus de fidélité ont traduit, non point Verbum ou « parole », mais Eloquium ou langage. Il y a en effet dans le grec logion ou Eloquium, tandis que c’est logos qui signifie Verbum.
3. Nous lisons ensuite: « Les superbes me provoquaient sans cesse par l’iniquité; mais je n’ai point abandonné votre loi 6». Par ces superbes, il veut nous faire entendre les persécuteurs des saints; c’est pourquoi il ajoute: « Mais je n’ai point abandonné votre loi », car c’était à une telle apostasie que tendait la persécution. C’est avec raison qu’il les accuse d’avoir sans cesse commis l’iniquité; car, non seulement ils étaient impies, mais ils poussaient les saints à l’impiété. Or, dans cette humilité, ou plutôt dans cette affliction, se trouve la consolation de l’espérance, qui nous a été donnée dans la parole de Dieu, promettant des secours aux martyrs, de peur que
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Rom VIII, 25. — 2. I Cor. X, 13. — 3. Luc, XXII, 31,32. — 4. Matth. VI, 13. —
5. Ps. 118, 50 — 6. Id. 51.
leur foi ne vienne à défaillir: on trouve aussi la présence de l’Esprit-Saint qui répare les forces de ceux qui souffrent, afin qu’ils puissent échapper au filet des chasseurs, et dire « Sans la présence du Seigneur parmi nous, ils nous auraient dévorés tout vivants 1 ».
4. Quand il dit: « Cette espérance m’a consolé dans mon humiliation », n’entendrait-il point cette humiliation de celle où tomba l’homme, quand il fut condamné à la mort à cause du péché si malencontreusement commis dans le paradis de délices 2? C’est en effet par cette humiliation que l’homme est devenu semblable à la vanité, elle qui a fait passer ses jours comme l’ombre 3; c’est elle qui a fait de nous tous des enfants de colère, et pour toujours, si ceux qui avant la création du monde 4 ont été prédestinés pour le salut éternel, ne sont réconciliés avec Dieu par le Médiateur; et c’est en ce Médiateur que les anciens justes mettaient leur espérance, quand l’esprit de prophétie le leur montrait venant en sa chair. Alors la promesse faite à nos pères au sujet d’un médiateur, pourrait être cette promesse dont il est ici question si nous leur prêtons ce langage au sujet de la même promesse: « Souvenez-vous de votre parole à votre serviteur, et dans laquelle vous m’avez donné l’espérance ». C’est elle qui m’a consolé dans mon humiliation, c’est-à-dire dans ma mortalité: « Car cette parole m’a donné une vie nouvelle»: en sorte que, destiné à la mort, j’ai néanmoins conçu l’espoir de vivre. « Quant aux superbes, ils agissaient toujours d’une manière criminelle »: car l’assujettissement à la mort n’a pas dompté leur orgueil. « Mais je n’ai point apostasié votre loi 5», comme les superbes voulaient m’y contraindre.
5. « Je me suis souvenu, Seigneur, de vos jugements, depuis le commencement, et j’ai été consolé »: ou, comme on lit en certains exemplaires, exhortatus sum, j’y ai trouvé de l’encouragement. Le verbe grec parekleten peut avoir ces deux significations, Depuis le commencement donc, à l’origine de la race humaine, « je me suis souvenu de vos jugements au sujet des vases de colère destinés a la perdition 7»; et j’ai été consolé, parce que là aussi j’ai compris les trésors de votre gloire pour les vases de votre miséricorde.
1. Ps. CXXIII, 2, 3. — 2. Gen.
III, 23.— 3. Ps. CXLIII, 4.— 4. Ephés. I, 4, 5. —
5. Ps. 118, 49-51. — 6. Id. 52. — 7. Rom. IX, 22, 23.
6. « La défaillance m’a saisi, quand j’ai vu les pécheurs abandonner votre loi. Vos oracles étaient mes cantiques dans le sein de mon exil 1 »: ou, comme d’autres ont traduit, « dans le lieu où j’étais étranger ».Telle est l’humiliation de l’homme banni du paradis, de la Jérusalem d’en haut, exilé dans ce lieu où il est mortel; c’est de Jérusalem que descendait à Jéricho cet homme qui tomba entre les mains des voleurs; mais à cause de la miséricorde que montra pour lui le samaritain 2, il chanta dans le lieu de son exil les oracles de Dieu. Et toutefois, la vue des pécheurs qui abandonnaient la loi divine, redoublait son ennui, car il lui fallait converser avec eux, au moins pour un temps, jusqu’à ce que le vent ait passé dans l’aire. On peut aussi accorder ces deux versets avec chaque partie du verset précédent; en sorte que ces paroles: « Je me suis souvenu, ô Dieu, de vos jugements depuis le commencement », peuvent se rapporter à celles-ci: « La défaillance m’a saisi à la vue des pécheurs qui abandonnent votre loi »; et ce mot: « Je me suis consolé », à ces paroles: « Dans le lieu de mon exil, je chantais vos oracles ».
7. « Pendant la nuit, je me suis souvenu de votre nom, ô mon Dieu, et j’ai gardé votre loi 3 ». Cette nuit est l’humiliation avec l’ennui de la mortalité. Il y a nuit pour ces méchants qui commettent sans cesse l’iniquité, nuit encore dans cette défaillance à la vue des pécheurs qui abandonnent la loi dc Dieu; nuit enfin dans ce lieu d’exil, jusqu’à ce que vienne le Seigneur pour éclairer ce qu’il y a de plus caché dans les ténèbres, manifester les pensées des coeurs, et alors chacun recevra de Dieu la louange 4. Dans cette nuit donc l’homme doit se souvenir du nom du Seigneur, afin que celui qui se glorifie, ne se glorifie que dans le Seigneur
aussi est-il écrit: « Ce n’est point à nous, Seigneur, ce n’est point à nous, mais à votre nom qu’il faut donner la gloire 6 ». Car ce n’est point en cherchant sa propre gloire, mais celle de Dieu, comme ce n’est point par sa propre justice, niais par celle de Dieu, celle qui est un don de Dieu, que chacun garde la loi du Seigneur, ainsi que l’a dit le Prophète: « Je me suis souvenu de votre nom, Seigneur,
1.
Ps. 118, 53, 54. — 2. Luc, X, 30, 37. — 3. Ps. 118, 55.— 4. I Cor. IV, 5.— 5.
Id. I, 31.— 6. Ps. CXIII, 1.
et j’ai gardé votre loi ». Il ne l’eût point gardée, s’il s’était appuyé sur sa propre vertu,
oubliant le nom du Seigneur. « Car c’est dans le nom du Seigneur qu’est notre secours 1 ».
8. Aussi le Prophète nous dit-il ensuite: « Elle m’est arrivée, parce que j’ai recherché vos justices 2»; oui, vos justices par lesquelles vous justifiez l’impie, et non les miennes, qui, loin de me rendre juste, me donnent de l’orgueil. Car le Prophète n’était point de ceux qui ignorent la justice venant de Dieu, et qui en voulant établir la leur, n’aboutissent qu’à se soustraire à celle de Dieu 3. Ces justices, dès lors, qui rendent justes gratuitement et par la grâce ceux qui ne peuvent le devenir par eux-mêmes, ont été nommées plus à propos justifications: car le grec ne porte point dikaiosunas, ou justices, mais dikaiomata, ou justifications. Mais que veut dire le Prophète dans ces paroles: «Elle m’est arrivée? » Qui, elle? la loi peut-être? Car il avait dit: « J’ai gardé votre loi »; et c’est à cette phrase qu’il joint cette autre: « Elle a été pour moi », comme s’il disait: Cette loi a été la mienne. Mais ne nous arrêtons point à montrer comment la loi de Dieu est devenue la sienne, car le mot grec, traduit en latin, nous indique suffisamment qu’il ne s’agit point de loi dans cette parole: « elle est devenue pour moi ». Car le mot loi est masculin dans cette langue, et c’est à propos d’un nom féminin qu’il est dit: celle-ci est devenue pour moi. Il faut donc chercher plus haut ce qui lui a été fait, puis comment « celle-ci », quelle qu’elle soit, est devenue pour lui. «Celle-ci », dit-il, « est devenue pour moi»: or, ce n’est point cette loi, sens qui est rejeté par le grec. C’est peut-être cette nuit, car dans le verset supérieur il est dit: « Toute la nuit je me suis souvenu de votre nom, ô mon Dieu, et j’ai gardé votre loi »; puis il continue: « Celle-ci est devenue pour moi »; or, si ce n’est pas la loi, c’est la nuit qui est devenue pour lui. Mais que signifie alors, cette nuit m’est arrivée parce que j’ai recherché vos justifications? C’est plutôt la lumière qui a été faite pour lui, et non la nuit, parce qu’il a recherché les justifications de Dieu. On peut aussi entendre, elle est devenue pour moi, dans le sens de elle a été faite pour moi, elle m’est devenue utile, Car si l’on entend par nuit, comme on le peut très bien, l’humiliation
1.
Ps. CXXIII, 8. — 2. Id. 118, 56. — 3. Rom. X, 3.
de cette vie mortelle, où les coeurs se dérobent mutuellement, et où ces ténèbres produisent des tentations graves et sans nombre, en sorte que pendant cette nuit passent et repassent les bêtes des forêts, les lionceaux rugissants qui demandent à Dieu leur nourriture; ce même lion rugissant et cherchant sa nourriture, et dont le Seigneur a dit ce que nous avons déjà rappelé: « Cette nuit Satan a demandé à vous cribler comme le froment 2 »; c’est-à-dire, pendant cette nuit où passent et repassent les bêtes des forêts, le lion gigantesque a demandé à Dieu sa nourriture: assurément, cette humiliation dans ce lieu d’exil, que l’on peut bien appeler nuit, devient utile à ceux qui y sont à l’épreuve, et qui apprennent à ne point s’élever par l’orgueil; crime pour lequel nous sommes plongés dans cette nuit. « Le commencement de l’orgueil chez l’homme, c’est de se séparer de Dieu 3». Mais comme il est justifié gratuitement, et afin de s’avancer dans l’humilité, dans toutes ces tentations auxquelles il est exposé pendant cette nuit, maintenant qu’il a reçu l’intelligence, qu’il répète ce verset du psaume que nous lirons bientôt: « Il m’est bon que vous m’ayez humilié, afin que j’apprenne vos oeuvres de justice 4 ». Dire en effet: « Il m’est bon que vous m’ayez humilié », qu’est-ce autre chose que dire de cette humilité, qui est appelée nuit: « Elle a été pour moi », c’est-à-dire, elle m’a été avantageuse? Mais pourquoi? parce que j’ai recherché votre justice, et non la mienne.
9. Nous pouvons encore donner un autre sens à ces mots: « Celle-ci est devenue pour moi ». Ce ne serait alors ni la loi ni la nuit que désignerait le pronom « celle-ci », mais il aurait le sens que nous avons donné à cette expression d’un autre psaume: Unam petii, sans dire ce que signifie « une», ou quelle est cette « une », dont il dit, « je la demanderai encore ». Le genre féminin est ici mis pour le neutre; car il est contre notre usage de dire: Unam petii, j’ai demandé une seule, saris marquer à quoi se rapporte cette « seule ». On dirait mieux: Unum petii. J’ai demandé cela « seulement », d’habiter dans la maison du Seigneur. Dans ces espèces d’adjectifs neutres latins, on n’exige pas le nom neutre qui demeure sous-entendu, comme un bien, un don, ou quelque chose de semblable; mais
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Ps. CIII, 21.— 2. I Pierre, V, 8.— 3. Eccli. X, 14.— 4. Ps. 118, 71.
cette expression neutre peut désigner soit un nom masculin, soit un nom féminin, soit même ce que l’on veut désigner sans distinction de genre, et dans le langage ordinaire. Le Prophète a donc pu dire en cet endroit: « Celle-ci m’est arrivée », comme il aurait dit: « Ceci m’est arrivé ». Mais si nous demandons quoi, voyons ce qui a été dit auparavant: « Je me suis souvenu pendant la nuit de votre nom, ô mon Dieu, et j’ai recherché votre loi ». Ceci m’est arrivé, c’est-à-dire de garder votre loi, non par moi-même, mais cela m’est arrivé par vous, parce que j’ai recherché vos justices, et non les miennes. « C’est Dieu, en effet », dit l’Apôtre, « qui opère en nous le vouloir et le faire selon sa bonne volonté 1 ». Et le Seigneur dit encore par son Prophète: « Et je ferai que vous marchiez dans mes justifications, et que vous observiez et pratiquiez mes jugements 2 ». Quand donc le Seigneur nous dit: « Je ferai en sorte que vous observiez et que vous pratiquiez mes jugements », le Prophète a raison de dire: Ceci m’est arrivé; et à celui qui voudrait savoir ce qui lui est arrivé, il peut répondre ce qu’il a dit plus haut: « De garder la loi de Dieu ». Mais ce sermon est déjà bien long, il est mieux, dès lors, de réserver la suite à un autre discours, avec la grâce de Dieu.
1.
Philipp. II, 13. — 2. Ezéch. XXXVI, 27.
Tout homme qui garde la loi du Seigneur, a le Seigneur en partage. Mais comme il ne saurait garder cette loi sans le secours de l’Esprit-Saint, il doit l’invoquer. Fortifié par ce secours, il se détournera de l’iniquité, ne craindra ni les embûches du démon, ni les scandales des hommes, et confessera plus hautement le Seigneur à mesure que s’élèvera la persécution. Alors le Christ s’unit à son serviteur, et par une faveur nouvelle, il en fait un serviteur par amour, et non par crainte.
1. Dans notre long psaume nous entreprenons d’expliquer, avec le secours de Dieu, les versets suivants: « Le Seigneur est ma portion », ou, comme d’autres ont traduit: « Seigneur, vous êtes mon héritage 1 ». Ces deux expressions signifient-elles que tout homme a sa part en Dieu, dès lors qu’il s’attache à lui, selon cette parole: « Il m’est bon de m’attacher au Seigneur 2? » Ce n’est point en effet parce qu’un homme existe qu’il est dieu, mais il le devient par sa participation à celui qui est seul et vrai Dieu. Ou bien le Seigneur est-il notre portion à la manière dont les hommes se choisissent ici-bas, ou obtiennent par le sort, celui-ci telle portion, celui-là telle autre qui le fait vivre; et qu’en un certain sens le partage des justes serait le Seigneur qui leur donne la vie éternelle? Ces deux sens n’ont rien d’absurde. Mais écoutons ce qui suit: « Je l’ai dit, c’est de garder
1.
Ps. 118, 57. — 2. Id. LXXII, 28.
votre loi ». Qu’est-ce à dire: « Ma portion, Seigneur, je l’ai dit, c’est de garder votre loi », sinon que le Seigneur sera notre héritage à mesure que nous garderons sa loi?
2. Mais comment la peut-il garder sans le don et le secours de l’Esprit qui vivifie, de peur que la lettre ne tue 1, et que le péché à l’occasion du précepte ne soulève dans l’homme toute concupiscence 2? Il faut donc invoquer cet Esprit, et c’est alors que la foi obtient de lui ce qu’ordonne la loi: quiconque en effet invoquera le nom du Seigneur sera sauvé 3. Aussi voyez ce qu’ajoute le Prophète: « J’ai imploré votre présence du fond de mon coeur ». Et pour montrer comment il a prié: « Ayez pitié de moi », dit-il, « selon votre parole ». Et comme il a été exaucé et secouru par celui qu’il avait invoqué: «J’ai réfléchi », nous dit-il, « à mes voies, et j’ai ramené mes pieds
1.
II Cor. III, 6. — 2. Rom. VII, 8. — 3. Joël, II, 32; Rom. X, 13.
dans le sentier de vos préceptes 1 ». Je les ai ramenés de mes voies qui m’ont déplu, et je les ai fait marcher dans vos préceptes qui seront leur sentier. Dans plusieurs exemplaires, on ne lit point: « Parce que j’ai réfléchi », comme dans quelques-uns, mais simplement: « j’ai réfléchi ». Cette phrase encore: « J’ai détourné mes pieds», se lit ailleurs: «Parce que j’ai réfléchi et que vous avez détourné mes pieds », pour attribuer plutôt à la grâce de Dieu une telle conversion, selon cette parole de l’Apôtre: « C’est Dieu qui agit en vous 2 »; c’est à lui que l’on dit: « Détournez mes yeux afin qu’ils ne voient point la vanité ». Si donc il détourne les yeux afin qu’ils ne voient point la vanité, pourquoi ne détournerait-il pas les pieds de peur qu’ils ne s’égarent? C’est encore pour cela qu’il est écrit: « Mes yeux sont toujours fixés sur le Seigneur, parce qu’il détournera tues pieds des embûches 3». Mais qu’on lise: vous avez détourné mes pieds, ou bien j’ai détourné mes pieds, nous ne pouvons le faire que par celui dont le Prophète a imploré la présence de tout son coeur, et à qui il a dit: « Ayez pitié de moi, selon votre parole », c’est-à-dire selon votre promesse. Car ce sont les fils de la promesse qui composent la postérité d’Abraham 4.
3. Enfin, après avoir obtenu ce bienfait de la grâce: « Je suis prêt », dit le Prophète, « et rien ne une trouble dans l’accomplissement de vos préceptes 5 ». Quelques-uns ont traduit: « Pour garder vos préceptes »; d’autres, « afin de garder »; d’autres encore, «à garder », d’après le grec tou phulaxastai.
4. Pour montrer combien il est prêt à garder les préceptes du Seigneur, le Prophète ajoute: « Les filets des pécheurs m’ont environné, mais je n’ai point oublié votre loi 6». Ces filets des pécheurs sont les obstacles des ennemis, soit spirituels, comme le diable et ses anges, soit charnels, comme les incrédules, en qui le démon agit comme il lui plaît 7. Car ces funes peccatorum du latin, ne signifient point filets des péchés, mais bien filets des pécheurs, comme on le voit par le grec 8. Quand par leurs menaces ils effraient les justes, et les détournent de souffrir pour la loi de Dieu, ils les environnent de leurs filets, et les retiennent, pour ainsi dire, de leurs cordes. Ils
1.
Ps. 118, 58, 59. — 2. Philipp. IX, 13 — 3. Ps. XXIV, 15. — 4. Rom. IX, 8, 9.—
5. Ps. 118, 60. — 6. Id. 61,— 7. Ephés. II, 2. — 8. Amartolon.
traînent en effet leurs péchés comme une longue chaîne 1, dont ils s’efforcent de garrotter les saints, et quelquefois Dieu le permet. Mais enlacer le corps ce n’est point enlacer l’âme, puisque notre interlocuteur n’a point oublié la loi de Dieu, et en effet la parole de Dieu n’est point enchaînée 2.
5. « Au milieu de la nuit», dit le Prophète, « je me levais pour vous rendre témoignage, à cause des jugements de votre justice 3 ». Car c’est par un jugement de la justice divine que les liens des pécheurs environnent le juste. C’est ce qui a fait dire à l’apôtre saint Pierre que voici le temps auquel « Dieu doit commencer son jugement par sa propre maison. Et s’il commence par nous», dit-il, « quelle sera la fin de ceux qui ne croient point à l’Evangile? Et si le juste à peine est sauvé, que deviendront le pécheur et l’impie 4? » Or, il parlait ainsi des persécutions qu’endurait l’Eglise, quand les filets des pécheurs l’environnaient de toutes parts. Dès lors, par milieu de la nuit, on doit entendre, je crois, le plus terrible moment de la persécution. « Je me levais », dit l’interlocuteur, parce que la persécution l’affligeait, sans l’abattre; elle l’exerçait au contraire et le faisait lever: c’est-à-dire que la tribulation lui donnait des forces pour confesser le Seigneur avec plus de courage.
6. Mais commue tout cela ne s’opère qu’au moyen de la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre Seigneur, voilà que tians cette prophétie le Sauveur va joindre sa voix à la voix de son corps mystique. Car c’est bien le chef, je crois, que nous entendons dans ces paroles: « Je u suis associé à tous ceux qui vous craignent et u qui gardent vos préceptes 5 ». Ainsi qu’il est marqué dans l’Epître aux Hébreux: « Celui qui sanctifie et ceux qui sont sanctifiés viennent tous d’un seul. C’est pourquoi il ne rougit point de les appeler ses frères ». Et un peu après: « Comme donc les enfants sont revêtus de chair et de sang, lui-même aussi en a été revêtus 6». Mais qu’est-ce dire autre chose sinon qu’il leur est associé? Nous ne pourrions en effet participer à sa divinité, si lui-même ne participait à notre nature mortelle. Dans un autre endroit de l’Evangile cette participation à la divinité est ainsi énoncée: « Il a donné le pouvoir de devenir
1.
Isa. V, 18.— 2. II Tim. II, 9.— 3. Ps. 118, 62.— 4. I
Pierre, IV, 17, 18. — 5. Ps. 118, 63. — 6. Hébr. II, 11, 14.
enfants de Dieu à ceux qui croient en son nom, qui ne sont point nés du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu 1 ». Et comme, pour nous accorder cette faveur, il a pris part à notre mortalité, l’Evangéliste continue: « Et le Verbe s’est fait chair, et a demeuré parmi nous ». Cette participation nous donne la grâce de craindre Dieu d’une crainte chaste, et d’accomplir ses commandements. C’est donc Jésus-Christ qui parle dans cette prophétie: mais certaines paroles appartiennent à ses membres dans l’unité du corps, qui ne forme qu’un seul homme répandu dans l’univers entier, et qui s’accroît avec le cours des
1.
Jean, I, 12, 13.
siècles; d’autres paroles appartiennent au chef lui-même. C’est ce qu’il nous marque dans ces mots: « Je suis associé à tous ceux qui vous craignent, et qui gardent vos préceptes ». Et comme il a pris part avec ses frères, Dieu avec les hommes, l’immortel avec les mortels, voilà que le grain est tombé en terre, afin d’y mourir et de produire ainsi beaucoup de fruits; et c’est de ces fruits qu’il nous dit aussitôt: « La terre est pleine de la miséricorde du Seigneur ». Et comment, sinon parce que l’impie est devenu juste? Et afin d’avancer rapidement dans la science de la grâce, le Prophète ajoute: « Enseignez-moi vos ordonnances ».
Le Prophète remercie le Seigneur de lui avoir donné l’amour qui bannit la crainte. Il demande au surplus la douceur ou l’attrait que l’on goûte à faire le bien, la discipline ou l’intelligence des leçons que Dieu nous donne par l’affliction, et la science qui devient utile quand elle est unie à la piété. Les deux premières s’acquièrent par l’expérience, mais la science ne s’acquiert pas sans l’intelligence qui vient de Dieu, ainsi que la force d’accomplir ce que nous savons, qui est la foi efficace. Adam devenu pécheur fut humilié, et Dieu lui donna les moyens de redevenir juste: tels sont les moyens que nous devons étudier et pratiquer en dépit des orgueilleux.
1. Les versets de notre psaume, que nous voulons exposer avec le secours de Dieu, commencent par celui-ci: « Seigneur, vous avez signalé votre bonté envers votre serviteur, selon votre parole, ou plutôt selon votre promesse 1 ». Mais l’expression grecque Chrestoteta, est tantôt traduite par « douceur », tantôt par « bonté ». Toutefois, comme il peut se trouver une douceur dans le mal, quand on met son plaisir dans ce qui est illicite et honteux; comme il peut s’en trouver dans les plaisirs charnels dont l’usage est permis, nous devons donner à cette «douceur», appelée par les grecs Chrestoteta, le sens d’une faveur spirituelle. C’est pour cela que nos interprètes ont traduit « bonté», et dès lors: « Vous avez fait un acte de douceur envers votre serviteur », n’aurait d’autre sens, à mon avis, que celui-ci: Vous m’avez fait aimer le bien. Car c’est une
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Ps. 118, 65.
grande faveur de Dieu que ce plaisir qu’on trouve dans le bien. Mais qu’une bonne oeuvre commandée par la loi ne soit faite que par la crainte du châtiment, et non par l’amour de la justice, parce que l’on craint Dieu, et non parce qu’on l’aime, c’est une oeuvre servile et non une oeuvre libre. « Or, l’esclave ne demeure pas éternellement dans la maison, mais le fils y demeure éternellement 1 », car la charité parfaite chasse la crainte 2. « Vous avez donc fait, ô mon Dieu, un acte de douceur envers votre serviteur », en faisant un fils de celui qui était esclave: « Selon votre parole », c’est-à-dire selon votre promesse, afin que pour tout enfant d’Abraham 3 votre promesse soit affermie par la foi.
2. « Enseignez-moi la douceur, la discipline, la science », dit le Prophète, « car j’ai cru à
1.
Jean, VIII, 35. — 2. I Jean, IV, 18. — 3. Rom. IV, 16.
vos commandements 1 ». Il demande alors l’accroissement et la perfection de ces dons en lui; autrement, après avoir dit: « Vous avez agi avec douceur envers votre serviteur », comment pourrait-il ajouter: « Enseignez-moi la douceur», sinon pour connaître de plus en plus la grâce divine par la douceur du bien? Ils avaient la foi, en effet, ceux qui disaient: « Seigneur, augmentez en nous la foi 2». Et tant que l’on vit en ce monde, ce doit être là le refrain de ceux qui avanceront dans la vertu. A la douceur le Prophète ajoute « et l’instruction», ou, comme on lit dans plusieurs manuscrits, « et la discipline». Mais ce mot discipline que les grecs appellent paideian, se met dans les saintes Ecritures pour exprimer une science qui s’acquiert péniblement, comme on le voit dans ces paroles: « Le Seigneur châtie celui qu’il aime, il frappe de verges tous ceux qu’il reçoit au nombre de ses enfants 3 ». Cette instruction s’exprime dans les saintes Ecritures par disciplina qui est la traduction du grec paideia. Tel est le mot que nous trouvons dans le grec de l’Epître aux Hébreux, et que le traducteur latin a exprimé par disciplina: « Toute discipline, quand on la reçoit, semble causer de la tristesse, et non de la joie; mais ensuite elle donne à ceux qui ont combattu de recueillir en paix les fruits de la justice 4 ». Celui donc sur qui Dieu verse sa douceur, c’est-à-dire celui à qui il inspire le goût du bien; et pour m’expliquer plus clairement, celui à qui Dieu donne l’amour de Dieu et du prochain à cause de Dieu, doit prier avec ferveur, afin que ce don s’accroisse en lui, et lui fasse non seulement mépriser pour lui les autres plaisirs, mais endurer pour lui toutes les douleurs. C’est pourquoi le mot discipline est convenablement uni au mot douceur. Car il faut la désirer et la demander, non seulement pour une douceur ou une bonté médiocre, laquelle serait toutefois la sainte charité; mais cette charité, fût-elle si grande que la violence du châtiment, loin de l’éteindre, ne fît que l’animer en la frappant, comme le vent anime la flamme; pour elle encore la discipline est désirable. C’était donc peu de dire: « Vous avez fait un acte de douceur envers votre serviteur », si le Prophète ne demandait à Dieu de lui enseigner la douceur, et une telle douceur qu’il pût souffrir avec patience la plus sévère
1.
Ps. 118, 66.— 2. Luc, XVII, 5.— 3. Hébr. XII, 6.— 4. Id. 11.
discipline. En troisième lieu vient la science car si la science est plus grande que la charité, loin d’édifier, elle produit l’enflure 1. C’est donc lorsque la science qui accompagne la douceur est suffisante pour résister sans s’éteindre aux afflictions qui accompagnent la discipline, c’est alors qu’elle devient utile, cri montrant à l’homme ce qu’il a mérité, les dons qu’il a reçus de Dieu, dons qui lui font comprendre qu’il peut alors ce qu’il ne croyait point pouvoir et ce qu’il ne pouvait en effet par lui-même.
3. Pourquoi, néanmoins, le Prophète ne dit-il pas: Donnez-moi; mais: « Enseignez-moi?» Comment enseigner la douceur, si elle ne se donne point? Il en est beaucoup en effet qui savent ce qui ne leur est point agréable; ils en ont la connaissance, mais n’y trouvent aucune douceur. Car on ne saurait apprendre la douceur, si l’on ne trouve de la douceur à l’apprendre. Il en est de même de la discipline, qui est une peine propre à nous corriger; elle ne s’apprend que quand on l’éprouve; c’est-à-dire que ce n’est ni l’attention, ni la lecture, ni la réflexion qui nous la donne, mais l’expérience. Pour ce qui est de la science, dont le Prophète nous parle en troisième lieu quand il dit: « Enseignez-moi », ce n’est qu’en nous instruisant que Dieu nous la donne. Qu’est-ce en effet qu’instruire, sinon donner la science? Ce sont là deux choses tellement corrélatives, que l’une ne saurait exister sans l’autre. Nul en effet n’est instruit s’il n’apprend, et nul n’apprend si on ne l’instruit. Et dès lors qu’un disciple n’est point capable de comprendre ce que son maître enseigne, le maître ne saurait dire: Je lui ai enseigné, mais il n’a rien appris; il peut dire au contraire: J’ai dit ce qu’il fallait dire, mais il n’a pas appris, parce qu’il n’a pu rien percevoir, rien saisir, rien comprendre. Car le disciple aurait appris, si le maître l’eût instruit. Aussi, quand le Seigneur veut nous instruire, il nous donne d’abord l’intelligence, sans laquelle un homme ne saurait apprendre ce qui tient à la doctrine d’en haut; c’est pour cela que le Prophète va dire à Dieu: « Donnez-moi l’intelligence, afin que j’apprenne vos commandements 2 ». Aussi bien, quand un homme en veut instruire un autre, il peut dire ce que le Sauveur après sa résurrection disait à ses disciples; mais il ne saurait faire
1.
I Cor, VIII, I.— 2. Ps. 118, 78.
ce qu’il fit: l’Evangile nous dit en effet: « Alors il leur ouvrit l’esprit afin qu’ils comprissent les Ecritures, et il leur dit 1». Nous lisons dans l’Evangile ce qu’il leur dit alors; mais s’ils comprirent ses paroles, c’est qu’il leur ouvrit l’esprit qui comprend. Dieu donc nous apprend la douceur en nous inspirant un charme secret; il nous enseigne la discipline, en nous ménageant l’affliction; il nous enseigne la science, en nous donnant la connaissance. Mais il y a des choses que nous apprenons seulement pour les connaître, d’autres pour les faire, et quand Dieu nous les enseigne, il le fait de telle sorte que nous sachions ce qu’il faut savoir, en nous découvrant la vérité, et que nous fassions ce qu’il faut faire, en nous inspirant la douceur. Car ce n’est pas en vain que le Prophète lui dit: « Enseignez-moi, afin que j’accomplisse votre volonté 2». Enseignez-moi de telle sorte que je l’accomplisse, non content de la savoir. Car cette volonté saintement accomplie, c’est le fruit que nous devons rendre au laboureur qui nous cultive. Mais 1’Ecriture nous dit ensuite: « Le Seigneur donnera la douceur, et notre terre donnera son fruit 3 ». Quelle est cette terre, sinon celle dont il est dit à celui qui donne la douceur: « Mon âme est pour vous une terre sans eau ».
4. Après avoir dit: « Enseignez-moi la douceur, la discipline et la science », le Prophète ajoute: « Parce que j’ai cru à vos commandements »; et l’on pourrait demander avec quelque raison pourquoi il ne dit point: J’ai obéi; mais: J’ai cru. Autres en effet sont les commandements, et autres les promesses. Nous recevons les commandements pour les accomplir et mériter par là de recevoir les promesses. Aux promesses donc la foi, aux préceptes l’obéissance. Que signifie dès lors, « j’ai cru à vos commandements », sinon j’ai cru que ces commandements ne viennent point d’un homme, mais de vous, bien que vous les ayez annoncés par le ministère des hommes? Donc, parce que j’ai cru que ces préceptes viennent de vous, que cette foi m’obtienne la grâce d’observer ce que vous avez commandé. Qu’un homme vienne me donner cet ordre à l’extérieur, me donnerait-il intérieurement la force de l’accomplir? Enseignez-moi donc la douceur en m’inspirant
1.
Luc, XXIV, 45, 46.— 2. Ps. CXLII, 10.— 3. Id. LXXXIV, 13.— 4. Id. CXLII, 6.
la charité; enseignez-moi la discipline en me donnant la patience; enseignez-moi la science en éclairant mon esprit. « Parce que j’ai cru à vos préceptes ». J’ai cru, ô mon Dieu, que vous-même les avez intimés, et que vous donnez à l’homme la force d’accomplir ce que vous lui commandez.
5. « J’ai péché avant d’être humilié, c’est pourquoi j’ai gardé votre parole 1», ou d’une manière plus expressive: « J’ai gardé votre promesse », afin de n’être plus humilié. Par cette humiliation il est mieux d’entendre celle que dut subir Adam, en qui toute créature humaine fut comme viciée dans sa racine, et soumise à la vanité 2, parce qu’elle ne voulut pas être soumise à la vérité. Et cette expérience a servi aux vases de miséricorde à rejeter l’orgueil, à embrasser l’obéissance, à faire disparaître pour jamais nos misères.
6. « Vous êtes doux, ô mon Dieu »; ou, comme on lit dans plusieurs exemplaires
« C’est vous qui êtes doux, ô mon Dieu 2 ». D’autres encore: « Vous êtes doux »; d’autres:
« Vous êtes bon»: dans le sens que nous avons assigné plus haut à cette expression. « Et dans votre douceur, enseignez-moi vos justifications ». C’est avoir une véritable volonté
d’accomplir les ordonnances du Seigneur, que vouloir les apprendre, dans la douceur,
de ce même Dieu à qui il dit: « C’est vous, ô mon Dieu, qui êtes doux ».
7. Enfin il poursuit: « L’iniquité des superbes s’est multipliée envers mois 4»;c’est-à-dire, l’iniquité de ceux à qui n’a servi de rien l’humiliation de l’homme après le péché. « Mais moi, je m’attacherai, de tout mon coeur, à sonder vos commandements ». Quelque nombreuse que soit l’iniquité, dit-il, la charité ne se refroidira point en moi 5. Il peut parler de la sorte, celui qui apprend les ordonnances de Dieu dans sa douceur. Plus il y a de douceur dans les préceptes de celui qui nous aide à les accomplir, et plus aussi celui qui les aime les étudie, afin de les pratiquer à mesure qu’il les connaît, et de les mieux connaître par la pratique; car les accomplir est le moyen de les mieux connaître.
8. « Leur coeur s’est épaissi comme le lait 6 ». De qui, sinon de ces orgueilleux
dont il dit que l’iniquité s’est multipliée envers lui? Par
1.
Ps. 118, 67.— 2. Rom. VIII, 20. — 3. Ps. 118, 68. — 4. Id. 69.— 5. Matth. XXIV,
12.— 6. Ps. CXVII, 70.
Dieu nous a faits de ses mains ou dans sa sagesse et dans sa puissance, mais dans un même esprit. Non seulement Adam peut parler ainsi, mais tout homme né par la génération, puisque rien n’est produit en dehors de la force active de Dieu. Le Prophète demande à Dieu l’intelligence, que nous avons en naissant, il est vrai, mais il entend par là cette foi qui purifie nos coeurs, qui nous fait comprendre la loi de Dieu d’une manière efficace, et comprendre que cette intelligence même est une faveur de Dieu; qu’elle nous vienne par un ange ou autrement, c’est Dieu qui nous la donne.
1. Quand Dieu forma l’homme de poussière et l’anima de son souffle, il n’est point marqué qu’il le forma de ses mains. Je ne vois donc point pourquoi quelques-uns ont cru que Dieu, ayant fait tout le reste de sa parole, fit de ses mains l’homme qui serait alors supérieur; à moins peut-être qu’en lisant que Dieu forma de poussière le corps humain, on ne s’imagine que cela n’est possible que par les mains. Mais c’est là oublier que cette parole de l’Evangile, à propos du Verbe de
1.
Gen. II, 7.
Dieu, que « tout a été fait par lui 1», n’est plus vraie, si le corps de l’homme n’a été aussi formé par le Verbe. Mais on s’appuie sur les paroles de notre psaume, et on nous dit: Voici l’homme qui s’écrie avec la dernière évidence: « Vos mains m’ont fait et m’ont donné la forme 2 ». Comme s’il n’était pas dit clairement encore: « Je verrai les cieux qui sont l’ouvrage de vos mains 3»; et non moins clairement: « Et l’ouvrage de vos mains, c’est le ciel 4»; et beaucoup plus clairement: « Et ses mains ont formé la terre 5 ». La main de Dieu, c’est donc la puissance de Dieu. Que si le nombre pluriel étonne, s’il n’est pas dit votre main, mais vos mains, qu’on entende par les mains de Dieu, la puissance et la sagesse de Dieu, que saint Paul a dit être Jésus-Christ seul 6, lui qui est encore le bras de Dieu dans ce passage de l’Ecriture: « Et à qui le bras du Seigneur a-t-il été montré 7? » Ou bien, qu’ils entendent par les mains de Dieu le Fils et le Saint-Esprit, puisque le Saint-Esprit agit conjointement avec le Père et le Fils. De là cette parole de l’Apôtre: « C’est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses 8». Il dit formellement que c’est un seul et un même Esprit, de peur qu’on n’imagine autant d’esprits que d’ouvrages, et non que le Saint-Esprit agit conjointement avec le Père et le Fils. Nous pouvons donc entendre comme il nous plaira ces mains de Dieu, pourvu qu’on ne refuse point au Verbe ce qu’il fait de ses mains; ou à ses mains ce qu’il fait par son Verbe; pourvu que ces mains ne fassent point croire à une forme corporelle, ou même à une droite et à une gauche; ni que le Verbe ne fasse croire à un son, ou même à un mouvement transitoire. dans les oeuvres de Dieu.
2. Il s’est rencontré des hommes qui ont établi cette distinction entre les verbes faire et former, que l’âme serait « faite » par Dieu et le corps « formé », parce que Dieu a dit de l’âme: « C’est moi qui ai fait tout souffle 9»; et qu’on lit à propos du corps: « Et Dieu forma l’homme de la terre 10 »; comme si Dieu faisait tout ce qu’il forme, sans néanmoins former tout ce qu’il fait. Alors on dirait de l’âme qu’elle est faite plutôt que formée, parce qu’elle est un esprit et non pas un
1.
Jean, I, 3.— 2. Ps. 118, 73. — 3. Id. VIII, 4.— 4. Id. CI, 26.— 5. Id. XCIV,
5.— 6. I Cor. I, 24. — 7. Isa. LIII, 1. — 8. I Cor. XII, 11. — 9. Isa,
LVII, 16. — 10. Gen. II, 7.
corps; comme s’il n’était pas dit que Dieu a formé dans l’homme l’esprit de l’homme 1. Toutefois, comme ces deux expressions sont employées à propos de l’homme dans un même endroit de l’Ecriture, et comme on ne saurait nier que chaque substance de l’homme, c’est-à-dire l’âme et le corps, ne soient l’ouvrage de Dieu, il n’est point sans élégance d’attribuer à chacune de ces substances une de ces expressions, et de dire que l’âme a été faite, que le corps a été pétri, ou formé, ou façonné. Quelques interprètes, en effet, n’ont pas voulu traduire finxerunt me, m’ont formé, et ont dit plasmaverunt me, m’ont façonné, préférant dans la langue latine s’éloigner du grec, pour ne pas employer le mot finxerunt, qui s’emploie quelquefois pour la dissimulation.
3. Mais est-ce bien en Adam que nous pouvons tenir ce langage? Et parce que tous les hommes viennent de lui, dès lors qu’il fut créé, tout homme ne peut-il pas dire qu’il a été fait à raison de son origine et de sa génération? Ou bien pouvons-nous dire: « Vos mains m’ont fait et m’ont formé », parce que nul, sans l’oeuvre de Dieu, ne saurait naître de ses parents, qui sont alors générateurs, et Dieu créateur? Otez, en effet, aux choses de ce monde la puissance active de Dieu, elles périront bien vite; et rien ne se produit soit des éléments, soit des parents, soit d’une semence quelconque, si Dieu n’opère en eux. Aussi le Seigneur dit-il au prophète Jérémie: « Je t’ai connu avant de te former au sein de ta mère 2 ». Mais Dieu a-t-il formé sans intelligence soit le premier homme, soit chacun de ceux qui naissent en cette vie, pour que le Prophète lui dise: « Vos mains m’ont fait et m’ont formé, donnez-moi l’intelligence? » L’intelligence ne fait-elle point partie de la nature humaine, pour la distinguer de la brute? Ou bien cette nature serait-elle déformée par le péché au point que Dieu doive même la réformer en cela? Et n’est-ce point pour ce motif que saint Paul disait à ceux qui ont eu part à la régénération: « Renouvelez-vous dans l’intérieur de votre âme 3 ». Or, c’est dans l’âme qu’est l’intelligence. Puis il dit de nouveau: « Qu’il y ait une transformation dans votre esprit 4 ». Quant à ceux qui n’ont aucune part à cette régénération: « Je vous avertis », leur dit-il,
1.
Zach. XII, 1.— 2. Jérém. I, 5.— 3. Ephés. IV, 23.— 4. Rom. XII, 2.
« et vous conjure par le Seigneur de ne plus marcher comme les Gentils, qui s’avancent dans la vanité de leurs pensées, qui ont l’esprit plein de ténèbres, entièrement éloignés de la voie de Dieu, par l’ignorance qui est en eux à cause de l’aveuglement de leur cœur ». C’est donc à cause de ces yeux intérieurs, dont l’aveuglement consiste à ne pas comprendre, c’est afin qu’ils soient ouverts, et qu’ils deviennent sereins de plus en plus, que nos coeurs sont purifiés par la foi 2. Il est vrai que l’homme, s’il n’a aucune intelligence, ne saurait croire en Dieu; et néanmoins la foi le guérit, et dilate son intelligence. Il est, en effet, des choses que nous ne croyons qu’à la condition de les comprendre, d’autres que nous ne comprenons qu’à la condition de tes croire. La foi vient, en effet, de ce que nous entendons, et nous entendons la prédication de la parole du Christ a, mais dès lors, pour ne rien dire de plus, comment peut croire à celui qui lui prêche la foi un homme qui n’entend pas même la langue du prédicateur? Ensuite s’il n’y avait certaines choses que nous ne pouvons comprendre avant de les croire tout d’abord, le Prophète ne nous dirait point: « Si vous n’avez la foi, vous n’aurez point l’intelligence 4 ». Ainsi donc notre intelligence doit s’accroître pour comprendre ce qu’elle croit, et notre foi pour croire les choses qu’elle doit croire: et l’âme pour le comprendre de plus en plus croit aussi en intelligence. Tout cela, néanmoins, ne s’accomplit point par nos propres forces, mais bien par la faveur et le secours de Dieu, comme c’est par l’effet de la chirurgie, et non de la nature, que l’oeil, une fois blessé, recouvre la faculté de voir. Dire à Dieu dès lors: « Donnez-moi l’intelligence, afin que j’apprenne vos préceptes », ce n’est pas être dépourvu de toute intelligence comme l’animal, ni mériter d’être mis au nombre de ceux « qui s’avancent dans la vanité de leurs pensées, qui ont l’esprit plein de ténèbres, et qui sont entièrement éloignés de la voie de Dieu 5». S’il en était ainsi, l’interlocuteur ne tiendrait pas ce langage. Car il n’appartient pas à une intelligence médiocre de savoir à qui l’on doit demander l’intelligence. Il nous reste à réfléchir sur la profondeur des commandements de Dieu, quand, pour les
1.
Ephés. IV, 17, 18, 23.— 2. Act. XV, 9.— 3. Rom. X, 17. — 4.
Isa. VII, 9, suiv. les Septante. — 5.
Ephés. IV, 17.
connaître, celui-là demande encore l’intelligence, qui a déjà une si grande pénétration, et qui nous disait tout à l’heure qu’il a gardé les paroles de Dieu.
4. Ce que nos traducteurs ont rendu par: « Donnez-moi l’intelligence », est exprimé plus succinctement en grec par sunetison me: car ce seul mot sunetison exprime ce qui en demande plusieurs en latin: comme si l’on ne pouvait dire en latin, en un seul mot, guérissez-moi, et que l’on eût recours à la circonlocution, donnez-moi la santé; ainsi le Prophète a dit ici: Donnez-moi l’intelligence, ou rendez-moi sain, comme on pourrait dire: Rendez-moi intelligent. Un ange aurait pu le faire aussi; car un ange dit à Daniel: « Je suis venu vous donner l’intelligence 1 »; et dans le grec on trouve le même verbe qui est ici, sunetisai se, comme si le latin disait rendre la santé, quand le grec porterait, te guérir. Le traducteur latin n’aurait point recours à une circonlocution, pour dire, vous donner l’intelligence; si l’on pouvait dire, vous « intelligencier », comme on dit, vous guérir. Mais si l’ange peut accorder cette grâce, pourquoi le Prophète a-t-il recours à Dieu pour obtenir cette faveur? Est-ce que Dieu avait commandé à l’ange de le faire? Oui, certainement, car on comprend que ce fut le Christ qui fit cette injonction à l’ange; et les paroles du Prophète en font foi: « Or, lorsque je voyais, moi Daniel, la vision, et que j’en cherchais l’intelligence, voilà que s’arrêta devant moi comme la ressemblance d’un homme, et j’entendis la voix d’un homme dans Ubal, et il appela, et dit: Fais-lui comprendre cette vision 2». Or, le grec a le même verbe que nous trouvons dans notre psaume, c’est-à-dire sunetison. Dieu donc, qui est la lumière, illumine par lui-même les saintes âmes 3, afin qu’elles comprennent les choses divines qu’on leur annonce ou qu’on leur montre. Mais s’il a recours pour cela au ministère d’un ange, l’ange peut agir sur l’esprit de l’homme, de manière qu’il comprenne la lumière de Dieu, et que cette lumière lui donne l’intelligence; mais on dit alors qu’il donne l’intelligence à l’homme, ou qu’il le rend intelligent, comme on dit d’un architecte qu’il éclaire une maison, ou lui donne de la lumière, quand il y ouvre une fenêtre. Ce n’est point sa propre lumière qu’il
1. Dan. X, 14. — 2. Id. VIII
15,16.— 3. Jean, I, 4, 9.
y fait entrer pour l’éclairer, il ouvre seulement une entrée à la lumière. Le soleil qui, par l’ouverture de la fenêtre, éclaire cette maison, n’a point créé la maison, non plus que l’architecte qui a ouvert la fenêtre: il n’a ni commandé de construire cette maison, ni aidé à la construire, il n’a même rien fait pour pratiquer l’ouverture afin de répandre sa lumière. Dieu, au contraire, a fait à l’homme une âme raisonnable et intelligente, capable de recevoir la lumière qui vient de lui; il a fait l’ange capable d’agir sur l’esprit de l’homme, de telle sorte que celui-ci pût recevoir la lumière; il aide notre esprit et le dispose aux opérations de l’ange; et par lui-même il éclaire l’esprit de manière non seulement à voir ce que la vérité lui montre, mais à contempler la vérité elle-même. Mais après avoir donné des éclaircissements nécessaires, autant que j’en puis juger, quoique peut-être un peu longs, finissons ce discours, et remettons à un autre jour les versets suivants de notre psaume.
C’est à Dieu, qui nous a créés, qu’il appartient de nous créer encore, en nous donnant de comprendre ses préceptes. Ceux-là craignent qui sont dans le Christ et dans l’Eglise. Or, ils verront un jour cette Eglise qui est le corps du Christ, et dont ils font partie, mais qu’ils ne voient point dans sa splendeur ici-bas, à cause de la crainte inhérente à notre situation actuelle. Le Prophète appelle sur lui les divines miséricordes et la vie, c’est-à-dire la vie heureuse, car celle d’ici-bas est plutôt une mort. Cette vie s’obtient par la méditation des préceptes, méditation qui nous met en communion avec Jésus-Christ par la pureté du coeur, qu’il nous faut demander instamment.
1. Dans ce psaume, Jésus-Christ Notre Seigneur, parlant au nom de son corps qui est l’Eglise, a demandé, comme pour lui-même, que Dieu lui donnât l’intelligence, afin de comprendre ses commandements. Car la vie de son corps, c’est-à-dire de son peuple, est cachée avec la sienne en Dieu 1, et lui-même dans ce même corps souffre de l’indigence, et demande ce qui est nécessaire à ses membres. « Vos mains », dit-il, « m’ont fait et m’ont formé, donnez-moi l’intelligence afin que j’apprenne vos commandements 2 », Puisque vous m’avez formé, dit-il, formez-moi de nouveau, afin que dans le corps de Jésus-Christ s’accomplisse la parole de saint Paul: « Qu’il se fasse en vous une transformation dans le renouvellement de votre esprit 3».
2. « Ceux qui vous craignent », dit-il, « me verront et seront dans la grâce»; ou, comme plusieurs ont traduit: « Seront dans l’allégresse, parce que j’ai espéré en votre
1.
Coloss. III, 3. — 2. Ps. 118, 73. — 3. Rom. XII, 2.
parole 1 »; c’est-à-dire, dans les serments que vous avez faits, afin de vous former ce peuple de la promesse, cette race d’Abraham, en qui seront bénies les nations 2. Or, quels sont les hommes qui craignent Dieu, et quel est celui qu’ils verront, q tu les réjouira, parce qu’il a espéré en la parole de Dieu? Si c’est le corps de Jésus-Christ ou l’Eglise qui parle ici par Jésus-Christ, ou si c’est le Christ qui parle d’elle et en elle comme de lui-même; ceux qui craignent Dieu ne sont-ils pas dans le Christ et dans l’Eglise? Qui donc verront-ils pour être dans la joie? Est-ce parce que le peuple se voit lui-même et en est dans la joie, qu’il est dit: « Ceux qui vous craignent vous verront, et seront dans la joie, parce que j’ai espéré eu vos paroles »; ou, comme d’autres ont traduit plus justement: « J’ai surespéré 3»; comme s’il disait: « Ceux qui vous craignent verront» votre Eglise « et ils seront dans la joie, parce que j’ai surespéré en vos paroles »; puisqu’ils sont eux-mêmes l’Eglise, ceux qui
1.
Ps. 118, 74.— 2. Gen. XII, 3; XXVI, 4,— 3. Grec, epelpisa.
voient l’Eglise et en sont ravis? Mais alors pourquoi ne pas dire: Ceux qui vous craignent me voient, et en sont ravis; tandis que craignent est au présent, et que verront et seront dans la joie sont des paroles au futur? Serait-ce parce que maintenant il y a crainte, tant que « la vie de l’homme est une épreuve sur la terre 1»; et que cette joie dont il est question ici ne s’épanouira que quand les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur père 2? De là vient qu’on lit encore dans un autre psaume: « Combien est grande, ô mon Dieu, la douceur que vous avez cachée à ceux qui vous craignent 3? » Tandis qu’ils craignent, ils ne voient pas encore; mais ils verront et seront dans la joie; ce qui a rapport à la parole suivante: « Vous l’avez accomplie dans ceux qui espèrent en vous »; comme il est dit ici: « Parce que j’ai espéré ou surespéré dans vos paroles». Ici le traducteur a composé son verbe, afin de nous faire mieux comprendre que « Dieu est assez puissant pour faire au-delà de ce que nous pouvons demander ou comprendre 5»; et que s’il dépasse la portée de nos prières et de notre intelligence, ce serait peu d’espérer, il nous faut un surcroît d’espérance.
3. Ainsi donc, parce que l’Eglise ici-bas est encore dans la crainte, et ne se voit point dans ce royaume où elle jouira d’une entière sécurité, mais qu’elle est au milieu des périls et des épreuves de ce monde, où elle entend cette parole: « Que celui qui se croit debout, prenne garde de tomber 6»; elle jette les yeux sur la misère de cette vie mortelle où les enfants d’Adam sentent le joug pesant qui les accable, depuis le jour qu’ils ont quitté le sein maternel, et qui s’étend sur chacun d’eux jusqu’au jour où ils retourneront au sein de la terre leur mère commune 7; elle voit que même après la régénération, la convoitise de la chair contre l’esprit 8 leur arrache des gémissements contre cette oppression; et à cette vue elle s’écrie: « J’ai connu, Seigneur, que la justice est dans vos jugements, et que c’est dans votre vérité que vous m’avez humiliée. Consolez-moi par le retour de votre miséricorde, et selon la promesse faite à votre serviteur 9 ». La miséricorde et la justice sont
1. Job, VII, 1. — 2. Matth. XIII,
48.— 3. Ps. XXX, 20.— 4. Id. 21.—
5. Ephés. III, 20.— 6. I Cor. X, 12.— 7. Eccli. XL, 1.— 8. Gal. V, 17 — 9.
Ps. 118, 75, 76.
tellement liées dans les saintes Ecritures, et particulièrement dans les psaumes, que même en certains passages on lit: « Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité 1». Dans celui qui nous occupe, nous trouvons d’abord cette vérité qui nous a humiliés jusqu’à la mort par la sentence de Celui dont les jugements sont justice: vient ensuite la miséricorde qui nous rétablit dans la vie selon la promesse de Celui dont les bienfaits constituent la grâce. Aussi est-il dit: « Selon votre parole à votre serviteur »; c’est-à-dire, selon la promesse faite à votre serviteur. Dès lors, bien que la régénération, ou si l’on veut, la foi, l’espérance et la charité, trois vertus qui s’affermissent en nous, soient un don de la divine miséricorde, elles ne sont néanmoins, dans cette vie d’orages et de misères, que le soulagement du malheur, et non le comble de la félicité. C’est pourquoi il est dit: « Que votre miséricorde s’étende sur moi pour me consoler ».
4. Mais comme c’est après ces misères, et même par ces misères que nous viendra le bonheur à venir, le Prophète poursuit « Que vos miséricordes viennent sur moi, et que je vive 2». Je vivrai en effet quand je n’aurai plus rien à craindre, pas même la mort. Ce que l’on nomme la vie sans rien ajouter, ne peut s’entendre que de la vie éternelle et bienheureuse, comme si elle seule pouvait être appelée vie, et qu’en comparaison d’elle celle d’ici-bas méritât plutôt le nom de mort que le nom de vie. C’est ainsi qu’il est dit dans l’Evangile « Si tu veux arriver à la vie,observe les commandements 3». Le Sauveur a-t-il dit vie éternelle ou vie bienheureuse? De même, en parlant de la résurrection de la chair: « Ceux qui auront fait le bien ressusciteront pour la vie 4 », il n’ajoute ni heureuse ni éternelle. De même ici le Prophète s’écrie: « Que vos miséricordes viennent, afin que je vive », sans parler de vie éternelle ni de vie heureuse comme s’il n’y avait aucune différence entre vivre, et vivre sans fin ou sans calamité. Mais comment mériter cette vie? « Parce que votre loi est le sujet de mes pensées », dit le Prophète Et si cette méditation n’était pas selon la foi qui agit par la charité 3, nul homme ne pourrait jamais arriver à cette vie. J’ai cru
1.
Ps. XXIV, 10.— 2. Id. 118, 77. — 3. Matth. XIX, 17.— 4. Jean, V, 29. — 5. Gal.
V, 6.
devoir le dire, afin que nul ne s’imagine qu’il lui suffit de confier toute la loi à sa mémoire, de s’en souvenir souvent, de la chanter, de ne pas taire ce qu’elle ordonne, sans le faire néanmoins, pour dire à bon droit: « Votre loi est l’objet de mes pensées », et croire ensuite qu’il obtiendra par là ce qui est marqué dans les versets précédents, et que le Prophète sollicitait en vertu de cette méditation, quand il disait: «Que votre miséricorde s’étende sur moi, et que je vive». Cette méditation est la pensée d’un coeur qui aime, et qui aime avec tant d’ardeur, que ce feu de méditation ne se refroidit point, quelque nombreuses que soient les iniquités qui l’environnent 1.
5. Le Prophète continue: « Confusion aux superbes, parce qu’ils m’ont injustement maltraité; pour moi, je m’exercerai dans vos commandements 2 ». Voilà ce que fait la
méditation de la loi de Dieu, ou plutôt qui est la loi.
6. « Qu’ils se tournent vers moi, ceux qui vous craignent, et qui connaissent vos oracles 3 ». Dans certains exemplaires et grecs et latins, on lit: « Qu’ils se tournent à moi », ce qui revient, ce me semble, à se tourner vers moi. Mais qui donc parle ainsi? nul homme n’oserait tenir ce langage, et l’osât-il on ne devrait point l’écouter. C’est donc celui qui, plus haut, parlait encore en son nom, quand il disait: « Je suis associé à tous ceux qui vous craignent ». Comme il a pris part à notre mortalité pour nous donner part à sa divinité, nous avons aussi part à la vie en lui seul, comme il a eu part à la mort en plusieurs. C’est en effet vers lui que se tournent tous ceux qui craignent Dieu, qui connaissent ces témoignages que les Prophètes lui ont rendus si longtemps d’avance et qu’il a vérifiés par sa présence autorisée par tant de miracles.
7. « Que mon cœur », dit-il ensuite, « soit
1. Matth. XXIV, 12. — 2. Ps. 118,
78. — 3. Id. 79.
sans tache dans vos ordonnances, afin que je ne sois pas confondu 1 ». Voici de nouveau la parole du corps mystique, ou du peuple saint, qui demande à Dieu un coeur pur, c’est-à-dire le coeur de tous ses membres; et cela par les justifications de Dieu, non par leurs propres forces. Il ne présume point de lui-même, il supplie. Ce qu’il ajoute: « Afin que je ne sois point confondu », nous l’avons déjà vu dans les premiers versets de notre psaume: « Puissent mes voies se redresser pour garder vos préceptes, alors je ne serai point confondu en méditant vos préceptes». Cet expression u puissent»,qui est un optatif, reparaît plus clairement encore dans la prière que fait le Prophète: « Que mon coeur soit sans tache ». Ni dans l’une ni dans l’autre de ces pensées, qui sont identiques au fond, nous ne trouvons la présomption du libre arbitre s’élevant contre la grâce. Cette expression: « Alors j’échapperai à la confusion », il la répète ici: « Afin que j’échappe à la confusion ». Ainsi donc, pour le corps et pour les membres du Christ, le coeur devient pur, au moyen de la grâce de Dieu, par le chef de ce corps, c’est-à-dire par Jésus-Christ Notre Seigneur, dans le bain de la régénération, où toutes nos fautes anciennes sont effacées 2; par le secours de l’Esprit qui nous donne des désirs contraires à ceux de la chair, de peur que nous ne succombions dans la lutte 3; par l’effet de la prière dominicale et où nous disons: « Remettez-nous nos dettes 4 ». Dès lors que notre âme a reçu le don de la régénération, est soutenue dans sa lutte, et répand sa prière, notre coeur devient pur, afin que nous ne soyons point confondus car c’est là un des points des ordonnances et des justifications de Dieu, puisque, parmi les préceptes, il nous dit: « Remettez et il vous sera remis, donnez et l’on vous donnera 5 ».
1. Ps. 118, 80. — 2. Tit. III, 5.— 3. Gal. V, 17.— 4.
Matth. VI, 12.— 5. Luc, VI, 37, 38.
Le roi défaillance employé par le Prophète n’est qu’une sainte impatience vers le salut. Toujours ce désir a été exhalté dans l’Eglise; sous l’ancienne loi les saints soupiraient après le Christ incarné; ils soupirent aujourd’hui après Jésus qui viendra nous juter. Telle est la langueur de l’Eglise, qui fait monter vers le ciel de brûlants soupirs; et ces soupirs éloignent les convoitises charnelles et avivent la charité. Elle demande sa délivrance, et néanmoins elle subsistera jusqu’à la fin du monde; elle répudie les fables que débitent les hérétiques ses persécuteurs, elle demande pour ses martyrs et obtient le secours du ciel qui les soutient.
1. Avec le secours de Dieu nous devons considérer et exposer cette partie de notre long psaume qui commence ainsi: « Mon « âme est en défaillance dans l’attente de votre salut; je n’espère qu’en votre parole 1 ». La défaillance n’est pas toujours une faute ou un châtiment: il est une défaillance louable et désirable. Comme ces deux termes progrès et défaillance sont opposés l’un à l’autre, il est plus ordinaire de prendre le progrès en bonne part et la défaillance en mauvaise part, quand on ne précise ou qu’on ne sous-entend pas en quoi il y a défaillance ou progrès. Mais un mot que l’on ajoute peut donner au progrès un sens défavorable, et un sens favorable à la défaillance. L’Apôtre nous dit ouvertement: « Evitez les discours nouveaux et profanes, dont les progrès sont rapides vers l’impiété 2». Et en parlant de quelques-uns: « Ils feront des progrès dans le mal 3 ». La défaillance qui va du bien au mal est donc mauvaise; elle est bonne, quand elle va du mal au bien. C’est, en effet, une louable défaillance qui a fait dire au Prophète: « Mon âme languit, elle soupire après vos tabernacles, ô mon Dieu 4 ». Aussi le Prophète ne dit-il point: Mon âme a failli à votre salut; mais bien: « Mon âme est dans la défaillance parle désir de votre salut ». Cette défaillance est donc louable; elle marque le désir d’un bien qu’on ne possède point encore, mais que néanmoins on souhaite avec un violent désir. Mais qui peut exhaler ces soupirs, sinon la race choisie, le royal sacerdoce, la nation sainte, le peuple conquis 5 et depuis l’origine du monde jusqu’à la fin, soupirant au Christ, dans ceux qui ont vécu, ceux qui
1.
Ps. 118, 81.— 2. II Tim. II, 16.— 3. Id. III, 13.— 4. Ps. LXXXIII, 3. — 5. I Pierre, II, 9.
vivent, et ceux qui vivront ici-bas au temps marqué parle Seigneur? Témoin le saint vieillard Siméon, qui s’écria en recevant dans ses bras le divin enfant: « Maintenant, Seigneur, vous laissez mourir en paix votre serviteur, selon votre promesse; car mes yeux ont vu votre salut ». Il avait reçu d’en haut l’assurance de ne point mourir avant d’avoir vu l’oint du Seigneur 1. Tel nous voyons le désir de ce saint vieillard, et tel était, nous devons le croire, le désir des saints dans les temps les plus reculés. De là cette parole du Sauveur à ses disciples: « Beaucoup de Prophètes et de rois ont voulu voir ce que vous voyez, et ne e l’ont point vu; entendre ce que vous entendez, et ne l’ont point entendu 2 »; en sorte qu’on peut aussi leur attribuer cette parole: « Mon âme languit après votre salut ». Ni alors, ni aujourd’hui ces désirs des saints n’ont cessé dans le corps du Christ, qui est l’Eglise; ils doivent durer jusqu’à la tin des siècles, jusqu’à l’avènement du Désiré des nations 3, selon la promesse du Prophète. Aussi l’Apôtre nous dit-il: « Il me reste à recevoir la couronne de justice que me rendra en ce jour le Seigneur qui est un juste juge; et non seulement à moi, mais à tous ceux qui aiment son avènement 4 ». C’est pourquoi le désir dont nous parlons vient du désir de son avènement, dont saint Paul a dit encore: « Lorsque paraîtra le Christ, qui est votre vie, vous aussi vous paraîtrez avec lui dans la gloire 5». Ainsi donc, les premiers temps de l’Eglise qui ont précédé l’enfantement de la Vierge, ont eu des saints qui soupiraient après l’incarnation; les temps qui s’écoulent
1.
Luc, II, 26.— 2. Matth. XIII, 17.— 3. Agg. II, 8.— 4. II Tim. IV, 8, — 5.
Colos, III, 4.
depuis qu’il est remonté au ciel ont leurs saints qui aspirent après sa manifestation quand il viendra juger les vivants et les morts. Depuis l’origine du monde jusqu’à la fin, ce désir n’a pas été interrompu un instant, sinon pendant le temps si court que le Christ a vécu avec ses disciples; en sorte que c’est à tout le corps du Christ qui gémit ici-bas que l’on peut attribuer ces paroles: « Mon âme languit après votre salut, et j’ai mis mon espoir dans votre parole », c’est-à-dire dans votre promesse; et cette espérance nous fait attendre avec patience ce que nous croyons sans le voir 1. Encore ici nous lisons dans le grec 2 le verbe que nos traducteurs ont rendu par « surespéré », sans doute parce que cette espérance est au-dessus de toute expression.
2. « Mes yeux ont langui après votre parole; ils ont dit: Quand me consolerez-vous 3? » Voici encore dans les yeux, mais dans les yeux intérieurs cette heureuse et louable défaillance, qui ne vient pas d’une faiblesse de coeur, mais d’un ardent désir des promesses de Dieu. Car c’est votre parole, dit le Prophète, qui les fait languir; mais comment de tels yeux peuvent-ils dire: « Quand me consolerez-vous », s’il n’y a une prière et un gémissement dans cette espérance toujours attentive? C’est la langue en effet qui parle, et non les yeux. Toutefois une prière fervente serait en quelque sorte la parole des yeux. Mais ce cri du Prophète: « Quand me consolerez-vous? » nous montre qu’il souffre de cette attente. De là encore cette autre parole: « Mais vous, Seigneur, jusques à quand 4?» Dieu use parfois de délai pour nous rendre plus douce la joie différée: on peut dire aussi que pour un coeur qui aime, le temps même le plus court est toujours bien long. « Or, le Seigneur sait quand il doit faire toute chose, lui qui règle tout avec nombre, avec poids et mesure 5».
3. Or, la ferveur de ces désirs spirituels éteint, sans aucun doute, les désirs charnels
c’est pourquoi l’interlocuteur poursuit: « Je suis devenu comme une outre exposée aux frimas, mais je n’ai point oublié vos préceptes 6 ». Par outre il entend cette chair mortelle, et par frimas cette grâce d’en haut qui refroidit et paralyse nos concupiscences.
1.
Rom. VIII, 25.— 2. Grec, epelpisa. — 3. Ps. 118, 82.— 4. Id. VI, 4. — 5. Sag. XI, 21. — 6. Ps. 118, 83.
De là vient que nous n’oublions point les commandements de Dieu, puisque nous n’avons point d’autres pensées, et que s’accomplit en nous le mot de l’Apôtre: « Ne cherchez point à contenter les désirs de la chair 1 ». Aussi, après avoir dit: « Je suis devenu comme l’outre sous les frimas », le Prophète a-t-il ajouté: « Je n’ai point oublié vos ordonnances ». C’est-à-dire, je ne les ai point oubliées, parce que j’ai été réduit en cet état. L’ardeur des désirs s’est glacée, pour donner à la mémoire la ferveur de la charité.
4. « Combien de jours doit compter encore votre serviteur; quand me ferez-vous justice de ceux qui me persécutent 2? » Tel est dans l’Apocalypse le cri des martyrs, et la patience leur est recommandée jusqu’à ce que le nombre de leurs frères soit au complet 3 ».
Le corps du Christ demande alors à Dieu combien de jours il doit passer en ce monde, Et de peur que tel homme ne vienne à s’imaginer que l’Eglise ne subsistera point jusqu’à la fin du monde, qu’il s’écoulera un certain espace de temps où l’Eglise n’existera plus sur la terre, aussitôt qu’elle s’enquiert du nombre de ses jours, le Prophète nous parle de jugement, pour nous montrer que cette Eglise demeurera sur la terre jusqu’au jugement qui la vengera de ses persécuteurs. Et si l’on s’étonne qu’elle fasse la même question que les disciples, quand le Maître leur répondit: « Il ne vous appartient pas de connaître les temps que le Père a réservés dans sa puissance 4», pourquoi ne verrions-nous pas dans cet endroit du psaume une prophétie de cette question, et ce cri de l’Eglise prophétisé si longtemps d’avance, accompli dans l’interrogation des disciples?
5. Quant à ces paroles: « Les impies m’ont raconté leurs fables, mais elles ne sont point comme votre loi, ô mon Dieu 5»; le mot grec adoleskias; ne saurait jusqu’à présent se rendre en latin par un seul mot; ceux-ci l’ont traduit par deleclationes, ceux-là par fabulationes; nous pouvons regarder cela comme des paraboles étudiées, mais qui ont certain charme dans la conversation. Or, ces jeux d’esprit nous les trouverons dans les divers genres de la littérature profane, et même dans les livres juifs que l’on nomme deuterostes, et qui, étrangers aux saintes Ecritures,
1.
Rom. XIII, 14.— 2. Ps. 118, 84.— 3. Apoc. VI, 10, 11.— 4. Act. 1, 7. — 5. Ps. 118, 83.
renferment des fables par milliers. On les trouve aussi chez les hérétiques, si féconds en vaines paroles. Ces conteurs, le Prophète les appelle des impies, et leurs contes, adoleskias, c’est-à-dire des puérilités, des jeux de mots, « mais qui ne ressemblent point, Seigneur, à votre loi », parce que dans cette loi, c’est la vérité, et non l’expression, qui a pour moi des attraits.
6. Enfin il ajoute: « Quant à vos préceptes ils sont tous vérité; aidez-moi contre leurs injustes poursuites 1». Le sens de ces paroles dépend de ces autres qui précèdent:
« Combien de jours doit compter votre serviteur; quand me ferez-vous justice de ceux qui me persécutent? » C’était me persécuter que me raconter leurs fables ineptes; mais je leur ai préféré votre loi, qui avait pour moi plus de charmes, parce que « tous vos préceptes sont la vérité », et n’ont rien de cette vanité qui règne dans leurs discours. Et « ils m’ont persécuté injustement », en ce sens qu’ils ont persécuté en moi la vérité. Donc, « secourez-moi », afin que je combatte pour la vérité jusqu’à la mort, puisque tel est votre commandement, et qu’en cela consiste la vérité.
1.
Ps. 118, 86.
7. En accomplissant ce précepte, l’Eglise endura ce que dit le Prophète: « Ils m’ont presque anéantie sur la terre 1 », en massacrant tant de martyrs qui confessaient et prêchaient la vérité. Mais comme l’Eglise n’avait pas dit en vain: « Aidez-moi », elle ajoute: « Pour moi, je n’ai pas abandonné vos préceptes ».
8. Afin de pouvoir persévérer jusqu’à la fin, « vivifiez-moi, dit-elle, selon votre miséricorde, et je garderai les témoignages de votre bouche 2 », ce que le grec appelle martyria. N’oublions pas cette remarque à la louange du mot de martyrs qui nous est si doux. Or, dans cette violence de la persécution, qui fit presque disparaître de la terre l’Eglise de Dieu, ils n’auraient pu garder les témoignages du Seigneur, si Dieu n’eût exaucé en eux cette prière: « Donnez-moi la vie selon votre miséricorde ». Dieu leur donna la vie en effet, de peur que l’amour d’une vie ne leur fît perdre la véritable vie, et qu’en reniant la vie, ils ne perdissent la vie. Par là ceux qui n’échangèrent pas la vérité contre la vie trouvèrent la vie en mourant pour la vérité.
1.
Ps. 118, 87.— 2. Id. 88.
Le Prophète aspire au ciel où demeure éternellement la parole de Dieu, puis il se rabat sur la terre où il voit passer les générations qui se transmettent sa parole. Ces deux générations sont l’Ancien et le Nouveau Testament, et ceux de l’Ancien qui se sont sanctifiés appartenaient au Nouveau, étaient fondés sur Jésus-Christ, qui est le véritable jour. Afin de ne point périr tians son abaissement, le Prophète médite la loi de Dieu; il est à Dieu, et non à lui-même; les exemples des pécheurs l’eussent perdu, s’il n’eût compris par les témoignages de Dieu qu’il vaut mieux mourir qu’abandonne cette loi.
1. Il semble que l’interlocuteur de notre psaume est pris d’ennui à cause de l’inconstance des hommes, qui nous fait de la vie une source de tentations. Environné par la tribulation qui lui fait dire: « Les injustes m’ont persécuté »; et encore: « Peu s’en faut qu’ils ne m’aient anéanti sur la terre », il s’enflamme d’up saint désir pour la Jérusalem céleste, et élevant les yeux en haut il s’écrie: « C’est pour l’éternité, Seigneur, que votre parole demeure dans les cieux 1 »; c’est-à-dire dans les saints anges qui gardent, sans la déserter jamais, la milice éternelle.
2. Après le ciel, le verset suivant nous parle de la terre, car il est encore un des huit qui appartiennent à cette lettre de l’alphabet. A chacune de ces lettres, en effet, sont joints huit
1.
Ps. 118, 69.
versets jusqu’à la fin de ce long psaume. « Votre vérité passe de génération en génération; vous avez fondé la terre qui demeure toujours ». Donc, après le ciel, il jette sur la terre un regard de foi; il y trouve des générations qui ne sont point dans le ciel, et il s’écrie: « Votre vérité passe de génération en génération ». Cette répétition peut signifier toutes les générations, tantôt plus, tantôt moins fécondes en saints, chez qui s’est trouvée la vérité de Dieu. Selon la diversité des temps passés ou à venir, le Prophète peut même avoir en vue deux générations, l’une embrassant la loi et les Prophètes, l’autre embrassant les temps de l’Evangile. Expliquant ensuite pourquoi la vérité ne manque jamais à ces deux générations, « vous avez fondé la terre », dit le Prophète, « et elle demeure »; appelons terre ceux qui habitent la terre. « Or, nul ne saurait poser un fondement autre que celui qui est posé, et qui est Jésus-Christ ». Car cette génération, qui embrasse la loi et les Prophètes, n’en avait pas moins pour fondement Jésus-Christ, à qui la loi et les Prophètes rendaient témoignage 2. Ou bien, faudrait-il ranger Moïse et les Prophètes parmi les fils de cette servante qui engendre pour l’esclavage, et non parmi les fils de l’épouse libre qui est notre mère 3, à qui un homme dit: Sion, vous êtes ma mère; et cet homme a été fait en elle, et il est lui-même le Très-Haut qui l’a fondée 4? II est en effet le Très-Haut en son Père, et à cause de nous il s’est fait très-humble en cette mère; celui qui était Dieu au-dessus d’elle, a été fait homme en elle. Tel est, Seigneur, le fondement sur lequel vous avez basé la terre, et elle demeure; car, solidifiée sur un tel fondement, elle ne sera pas ébranlée dans le siècle des siècles 5; elle demeurera dans ceux à qui vous donnerez la vie éternelle. Quant à ceux qui sont nés de la servante, qui appartiennent à l’Ancien Testament dont les ombres couvraient le Nouveau, ils n’ont eu du goût que pour les choses terrestres, et ne demeureront point, « car le serviteur ne demeure point toujours dans la maison du maître, mais le Fils y demeure éternellement 6 ».
3. « Le jour se maintient dans votre loi 7 ». Tout ce qui vient d’être marqué est un jour,
1.
I Cor. III, 11. — 2. Rom. III, 21. — 3. Gal. IV, 24,26.— 4. Ps. LXXXVI,
5.— 5. Id. CIII, 5.— 6. Jean, VIII, 35.— 7. Ps.
118, 91.
et ce jour est celui que le Seigneur a fait: soyons dans la joie, livrons-nous à l’allégresse 1, et marchons dans la décence comme au grand jour 2. « Tout vous est assujéti ». Tout, c’est-à-dire tout ce qui tient à ce jour, tout ce dont on vient de parler, tout cela vous est assujéti. Mais les impies dont il est dit: « J’ai comparé votre mère à la nuit 3 », ne servent point le Seigneur.
4. Le Prophète examine ensuite de quel état la terre sera délivrée, afin de demeurer affermie; il ajoute: « Si je n’eusse médité votre loi, j’eusse probablement péri dans mon abaissement 4 ». Cette loi est celle de la foi; non d’une foi stérile, mais d’une foi qui opère au moyen de la charité 5. C’est par elle que l’on obtient la grâce qui nous donne la force dans les tribulations du temps, de peur que nous ne périssions dans l’humiliation de cette vie mortelle.
5. « Je n’oublierai jamais », dit-il, « vos ordonnances, parce qu’en elles vous m’avez donné la vie 6 ». De là vient qu’il n’a point péri dans son humiliation. Car, si Dieu ne nous vivifiait, que serait-ce que l’homme qui peut se dérober à la vie, mais non se la donner?
6. Ensuite il ajoute: « Je suis à vous, sauvez-moi, car je recherche vos justifications 7 ». Ne passons point légèrement sur cette parole: « Pour moi, je suis à vous ». Qu’est-ce qui n’est pas à Dieu? Et parce qu’on dit que Dieu est dans le ciel, faut-il croire qu’il y ait sur la terre quelque chose qui ne soit point à lui; quand surtout nous chantons dans un autre psaume: « La terre est au Seigneur, et tout ce qu’elle contient, l’univers entier et tous ceux qui l’habitent 8? » Pourquoi donc l’interlocuteur a-t-il voulu se recommander tout particulièrement à Dieu, en disant: « Pour moi, je suis à vous, sauvez-moi », sinon afin de nous prévenir que, pour son malheur, il a voulu être à lui-même, par la désobéissance qui est le premier et le plus grand mal? Comme s’il nous eût dit: J’ai voulu être à moi, et je me suis perdu. « Je suis à vous», reprend-il, « sauvez-moi, parce que j’ai recherché vos justifications »; non plus ces volontés par lesquelles j’étais à moi, mais vos justifications, afin d’être à vous.
7. « C’est moi», dit-il, « que les pécheurs ont
1.
Ps. 118, 24.— 2. Rom. XIII, 13.— 3. Osée, IV, 5, suiv. les Septante. — 4. Ps.
118, 92. — 5. Gal. V, 6. — 6. Ps. 118, 93. — 7. Id. 94.— 8. Id. XXXIII,
1.
attendu pour me perdre; mais j’ai compris vos commandements 1 ». Qu’est-ce à dire, « ont attendu pour me perdre? » Lui auraient-ils tendu des embûches, attendant son passage pour le tuer? Craignait-il donc la mort du corps? Loin de là. Que signifient donc ces paroles: « Ils m’ont attendu », sinon qu’ils ont voulu le porter au mal? Ils l’eussent alors perdu. Or, il nous montre pourquoi il n’a point péri: « J’ai compris vos témoignages », nous dit-il. Mais l’expression grecque: « J’ai compris vos martyres », est plus familière dans l’Eglise. Et quand ils eussent puni de mort ma résistance à leurs impiétés, ce n’est point périr que vous rendre témoignage. Mais ceux qui attendaient mon assentiment pour me perdre, me tourmentaient quand je vous confessais: et toutefois il n’abandonnait point ce qu’il avait compris; il envisageait et voyait cette fin qui serait sans fin, s’il persévérait jusqu’à la fin.
8. Le Prophète continue: « J’ai vu la dernière consommation de toutes choses, votre loi est d’une étendue infinie 2 ». Il avait pénétré dans le sanctuaire de Dieu, et avait
compris la fin des choses 3. Or, par consommation, il faut, je crois, entendre ici, combattre
à mort pour la vérité 4, endurer tous les maux pour le bien le plus réel et le plus grand; et
1.
Ps. 118, 95.— 2. Id. 96.— 3. Id. LXXII, 17.— 4. Eccli. IV, 33.
la fin de cette consommation serait d’être élevé en gloire dans le royaume du Christ, qui n’a point de fin, d’y posséder, sans craindre la mort ou la douleur, une vie souverainement glorieuse, une vie acquise par la mort, par les douleurs et les opprobres de cette vie. Cette loi d’une étendue infinie, je ne saurais l’entendre que de la charité. De quoi servirait en face de la mort la plus atroce, et au milieu des plus affreux supplices, de rendre témoignage à la vérité, si la charité ne dictait cette confession? Ecoutons l’Apôtre: « Quand je livrerai mon corps pour être brûlé, si je n’ai point la charité, tout cela ne me sert de rien 1. Or, cet amour de Dieu a été répandu « dans nos coeurs, par le Saint-Esprit qui nous a été donné 2». Mais cette effusion nous met au large, et si nous sommes au large, nous parcourons sans peine la voie étroite, avec la grâce de ce même Dieu à qui nous disons: « Vous avez élargi la voie sous mes pieds, et mes démarches n’ont pas été affaiblies 3 ». Il est donc large ce commandement de la charité, et il est double, puisqu’il nous fait aimer Dieu et le prochain. Pourrait-elle être plus vaste quand elle renferme la loi et les Prophètes 4?
1.
I Cor. XIII, 3. — 2. Rom. V, 5. — 3. Ps. XVII, 37. — 4. Matth. XXII,
37.40.
C’est la foi agissant par la charité qui nous facilite l’accomplissement des préceptes divins, et cette foi vient de la grâce de Dieu qui nous éclaire, qui nous dispose à l’accomplissement de la loi or, cette loi qui se résume dans la charité durera éternellement, puisque dans le ciel nous ne cesserons d’aimer Dieu. Celui qui surpasse en intelligence les docteurs et les anciens, c’est le Christ, et tout homme qui se pénètre de l’esprit plus que de la lettre de l’Evangile. Cet homme se détourne du sentier du mal, ou plutôt résiste à ses convoitises, goûte la parole divine comme un miel exquis; et ce miel est dans l’intelligence qui lui est venue par les préceptes, ou plutôt par l’obéissance aux préceptes.
1. Nous vous l’avons dit souvent, mes frères, par cette voie large, dans laquelle on accomplit sans difficulté la loi de Dieu, il faut entendre la charité. Aussi, dans notre long psaume, après avoir dit: « Votre loi est d’une merveilleuse largeur », le Prophète nous
donne-t-il ensuite raison de cette largeur: « Combien, Seigneur, j’ai aimé voire lois 1! »
L’amour est donc l’étendue de la loi. Comment
1.
Ps. 118, 96, 97.
en effet pourrions-nous aimer le Dieu qui ordonne, sans aimer le commandement qu’il fait? Or, telle est la loi. «Tout le jour», dit le Prophète, « elle est ma méditation ». Voilà que je l’aime au point de la méditer tout le jour. Le latin dit tota die, le grec totam diem, olen ten emeran, ce qui marque une méditation continuelle; or, qui dit tout le temps, dit toujours. Cette charité détruit la concupiscence qui nous détourne souvent d’obéir à la loi, à cause des révoltes de la chair contre l’esprit; mais l’esprit à son tour se révoltant contre la chair 1, doit aimer la loi de Dieu au point de la méditer tout le jour. Or, saint Paul dit: « Où est donc votre glorification? Elle est anéantie. Et par quelle loi? Par la loi des oeuvres? Non, mais par la loi de la foi 2 ». Telle est la foi qui agit par la charité 2, parce qu’en cherchant, en demandant, en frappant, elle obtient l’Esprit-Saint 3 par lequel la charité est répandue dans nos coeurs 4. Tous ceux qui sont conduits par cet Esprit, sont fils de Dieu 5, admis pour se reposer avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux 6, d’où sera banni l’esclave qui ne demeure pas éternellement dans la maison 7; c’est-à-dire cet Israël 7, selon la chair à qui il est dit: « Vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, ainsi que tous les Prophètes dans le royaume de Dieu, et vous en serez chassés. Ils viendront de l’Orient et de l’Occident, de l’Aquilon et du Midi, pour se reposer dans le royaume de Dieu. Et voilà derniers ceux qui « étaient premiers, et premiers ceux qui étaient derniers 9». Quant aux Gentils, ainsi que l’a dit le Vase d’élection, « ceux qui ne cherchaient point la justice ont embrassé la justice, c’est-à-dire la justice qui vient de la foi; tandis qu’Israël qui recherchait la loi de la justice, n’est point parvenu à la loi de la justice. Pourquoi? Parce qu’ils ne l’ont point recherchée par la foi, mais par les oeuvres, et qu’ils ont heurté contre la pierre du scandale 10 ». Et de la sorte ils sont devenus les ennemis de Celui qui parle dans notre psaume.
2. Il ajoute: « Plus qu’à tous mes ennemis vous m’avez fait connaître votre loi, parce que je l’ai embrassée pour jamais 11». Ils ont à la vérité le zèle de Dieu, mais non selon la
1.
Gal. V, 17. — 2. Rom. III, 27.— 3. Gal, V, 6. — 4. Luc, XI, 10, 13. — 5. Rom.
V, 5. — 6. Id. VIII, 14. — 7. Matth. VIII, 11. — 8. Jean, VIII, 35. — 9. Luc, XIII, 28-30. —
10. Rom. IX, 30-32. — 11. Ps. 118, 98.
science. Ne connaissant point en effet la justice de Dieu, et s’efforçant d’établir leur propre justice, ils ne se sont point soumis à la justice de Dieu 1. Mais l’interlocuteur, devenu par la loi de Dieu plus sage que ses ennemis, veut être, ainsi que saint Paul, trouvé en Jésus-Christ, n’ayant point une justice qui lui soit propre, mais une justice qui lui vienne de Dieu par la foi 2. Ce n’est point que la loi que lisent ses ennemis ne soit aussi de Dieu, mais ils ne la goûtent point comme la goûte celui qui est plus sage que ses ennemis, qui s’attache à cette pierre contre laquelle ils se sont heurtés 3. Car le Christ est la tin de la loi pour justifier ceux qui croiront 4, afin qu’ils soient justifiés gratuitement par sa grâce 5; non point comme ceux qui s’imaginent accomplir la loi par leurs propres forces, cherchant, dans la loi de Dieu, il est vrai, mais leur propre justice: ils veulent ressembler au contraire au fils de la promesse, qui a faim et soif de cette justice 6, qui cherche, qui demande, qui frappe, qui mendie en quelque sorte auprès du Père 7, afin d’être adopté et d’obtenir par le Fils unique. Mais quand eût-il pu goûter ainsi la loi de Dieu, s’il n’eût reçu ces dispositions de Celui à qui il dit: « Vous m’avez fait goûter votre loi d’une manière bien supérieure à mes ennemis?» Or, ces ennemis, ces fils d’Agar, nés dans l’esclavage 8, n’ont cherché dans cette loi que des récompenses temporelles: de là vient qu’elle n’a pu être pour eux une loi éternelle, comme elle l’est pour celui-ci. La traduction, « pour l’éternité », est préférable en effet à celle qui a dit « pour le siècle », comme si une fois le siècle écoulé, il n’y ait plus de préceptes de la loi. Il n’y en aura plus en effet d’écrite sur les tables et les livres visibles; mais l’amour de Dieu et du prochain demeure éternellement dans le livre du coeur; et ce double précepte renferme la loi et les Prophètes 9; le législateur lui-même sera la récompense de ceux qui auront gardé ces préceptes; Dieu que nous aimons sera le prix de notre amour quand il sera tout en tous 10.
3. Mais que signifie cette parole suivante: « J’ai surpassé en intelligence tous ceux qui m’instruisaient 11? » Quel est cet homme plus intelligent que ceux qui l’instruisent?
1.
Rom. X, 2, 3.— 2. Philipp. III, 9. — 3. Rom. IX, 32.— 4. Id. X, 4. — 5. Id.
III, 24. — 6. Matth. V, 6. — 7. Id. VII, 7.— 8. Gal. IV, 24. — 9. Matth.
XXII, 37- 40. — 10. I Cor. XV, 28. — 11. 118, 99.
Quel est celui qui ose mettre son intelligence au-dessus de celle des Prophètes lesquels, non contents d’instruire par leur parole ceux qui vivaient de leur temps, enseignaient encore par leurs écrits et avec une si sainte autorité, ceux qui sont venus après eux? Salomon, sans doute, reçut de Dieu une sagesse qui le mit bien au-dessus de tous ses prédécesseurs 1; mais il n’est pas croyable que ce soit lui que David son père veuille prophétiser ici; surtout qu’on ne saurait lui appliquer cette parole de notre psaume: « J’ai défendu à mes pieds toute voie perverse ». Si donc, comme il est plus probable, David nous parle ici du Christ, qu’il prophétiserait tantôt comme chef, ou Sauveur, tantôt au nom de son corps mystique ou de l’Eglise, et néanmoins ne composant qu’un seul et même tout, à cause du grand sacrement ainsi formulé: « Ils seront deux dans une seule chair 2 »; je reconnais qu’en effet il a été plus intelligent que tous ceux qui l’instruisaient, quand, à douze ans, l’enfant Jésus demeura à Jérusalem, alors qu’après trois jours ses parents le trouvèrent dans le temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant; tandis que tous ceux qui l’entendaient étaient dans l’admiration à cause de sa sagesse et de ses réponses 3. Or, ce n’est pas sans raison, puisque longtemps auparavant il avait dit par la bouche du Prophète: « J’ai surpassé en intelligence ceux qui m’instruisaient ». Il entend par là tous les hommes, et non Dieu le Père, dont le Fils a dit: « Je parle selon que mon Père m’a enseigné». Ce qu’il est difficile d’entendre du Verbé, à moins de comprendre comme on le pourra que, pour le Fils, être Instruit par le Père, c’est être engendré. Celui, en effet, pour qui être ne diffère point d’être enseigné, mais qui est instruit par là même qu’il est, reçoit assurément l’instruction de celui qui lui donne l’être. Si nous envisageons le Christ dans son humanité et sous la forme de l’esclave, il est plus facile de comprendre qu’il a reçu de son Père ce qu’il a dit: en le voyant en effet sous cette forme d’esclave, et jeune enfant, les hommes ont pu croire que d’autres plus âgés l’instruisaient; mais celui que le Père a enseigné a mieux compris que tous ceux qui l’instruisaient. « Parce que vos témoignages », dit-il, « sont l’objet de mes méditations ». Il était donc plus
1.
III Rois, III, 12. — 2. Ephés. V, 31-32. — 3. Luc, II, 42-47.
intelligent que tous ses maîtres, parce qu’il méditait les témoignages du Seigneur, et qu’il
connaissait mieux ceux qui le concernaient que ceux à qui il disait: « Vous avez envoyé vers Jean, et il a rendu témoignage à la vérité; pour moi, je ne reçois point témoignage d’aucun homme, mais je vous parle ainsi afin de vous sauver. Il était une lampe ardente et brillante, et pour un peu de temps vous avez voulu vous réjouir à sa lumière. Mais moi j’ai un témoignage plus grand que celui de Jean ». Tels étaient les témoignages qu’il méditait, quand il surpassait en intelligence tous ceux qui l’enseignaient.
4. Il ne serait point hors de propos d’entendre par ces docteurs, ces mêmes anciens dont il nous dit ensuite: « J’ai compris mieux que les vieillards ». Et selon moi, le but de cette répétition serait de nous rappeler l’âge du Christ mentionné dans l’Evangile; enfant par l’âge, il siégeait parmi les anciens; jeune, parmi les vieillards, et son intelligence devançant celle de ses maîtres, D’ordinaire, en comparant les petits avec les grands, on dit les jeunes et les anciens, quoique souvent ni les uns ni les autres n’approchent de la vieillesse. Si néanmoins nous voulons rechercher dans l’Evangile ce nom des vieillards au-dessus desquels s’élevait son intelligence, nous le trouvons quand les scribes et les pharisiens lui dirent: « Pourquoi vos disciples sont-ils violateurs de la tradition des vieillards? car ils ne lavent point leurs mains avant de manger ». Voilà qu’on lui oppose une faute contre la tradition des vieillards. Mais écoutons la réponse de Celui qui comprenait mieux que les vieillards: « A votre tour, pourquoi transgressez-vous le précepte du Seigneur, à cause de votre tradition? » Puis un peu plus loin, afin de nous montrer que non seulement la tête, mais aussi le corps et les membres auraient une intelligence supérieure à celle des vieillards, dont on lui objectait la tradition sur la coutume de laver les mains, il assemble autour de lui la foule, et s’écrie: « Ecoutez et comprenez », comme s’il disait: Vous aussi, comprenez mieux que ces vieillards, afin qu’il devienne évident que c’est de vous aussi que le Prophète a dit: « J’ai compris mieux que les vieillards »; que ce n’est pas seulement de la tête, mais de tout le corps, et qu’ainsi elle s’applique au Christ tout entier. « L’homme
n’est point souillé par ce qui entre dans sa « bouche, mais il est souillé par ce qui sort de sa bouche ». Voilà ce que n’avaient pas compris les vieillards, qui avaient donné comme importante la prescription de se laver les mains. Les membres mêmes de ce chef divin, comprenant mieux que les vieillards, n’avaient pas encore compris ce qu’il avait dit, Aussi Pierre lui dit-il un peu après: « Expliquez-nous cette parabole ». Il prenait encore pour une parabole ce que le Seigneur avait dit sans figure. Mais le Sauveur lui dit: « Vous aussi, êtes-vous sans intelligence? Ne comprenez-vous pas que tout ce qui entre dans la bouche va dans les entrailles, et tombe dans un lieu secret? Mais ce qui sort de la bouche vient du coeur, et c’est là ce qui souille l’homme 1! » Vous aussi, seriez-vous sans intelligence, et ne comprenez-vous pas mieux que ces vieillards? Mais maintenant, après avoir entendu un tel maître qui est notre chef, chacun de nous peut dire: J’ai compris mieux que les anciens. Ce qui suit, en effet, convient aussi au corps: « Parce que j’ai recherché vos préceptes ». « Vos préceptes », et non ceux des hommes; « vos préceptes », et non ceux des anciens qui veulent être docteurs de la loi, bien qu’ils n’entendent ni ce qu’ils disent, ni ce qu’ils affirment 2. C’est à bon droit qu’à propos des préceptes divins que nous devons rechercher afin d’avoir plus d’intelligence que ces vieillards, le Sauveur répondit à ceux qui préféraient l’autorité de ces anciens à la vérité: « A votre tour, pourquoi transgressez-vous le précepte de Dieu, pour établir vos traditions?»
5. Les paroles suivantes paraissent moins convenir au chef qu’aux membres: « J’ai détourné mes pieds de tout sentier du mal, afin de garder vos paroles 3 ». Le Christ, en effet, qui est notre chef et Sauveur de son corps, n’est porté dans le sentier du mal par aucune convoitise charnelle, et n’a pas besoin de l’interdire à ses pieds, comme s’ils y allaient de leur propre mouvement, ainsi que nous le faisons quand nous interdisons la voie du mal à nos désirs dépravés, que le Sauveur n’a point ressentis. Le moyen, en effet, d’accomplir les commandements de Dieu, est de ne point suivre nos concupiscences perverses 4, de ne leur permettre
1.
Matth. XV, 1-18.— 2. I Tim. I, 7.— 3. Ps. 118, 101.— 4. Eccli. XVIII, 30.
jamais d’arriver au mal qu’elles convoitent, mais de les refréner par les désirs de l’esprit contre la chair 1, de peur qu’elles ne nous emportent, nous entraînant dans les sentiers du mal.
6. « Je ne me suis point écarté de vos jugements, parce que vous m’avez posé une loi 2 ». Le Prophète nous dit ici le sujet de ses craintes et pourquoi il détournait ses pieds de tout sentier du mal. Que signifie en effet: « Je ne me suis point écarté de vos jugements », sinon ce qu’il a dit ailleurs: « J’ai craint au sujet de vos jugements? » J’y ai cru d’une foi persévérante: « Parce que vous m’avez posé une loi ». Vous, plus intérieur que tout ce qui est intérieur en moi, c’est vous qui avez gravé dans mon coeur une loi par votre esprit comme par votre doigt, non point afin que je la craigne sans l’aimer comme l’esclave, mais afin qu’une crainte chaste me la fasse aimer, qu’un amour chaste me la fasse craindre.
7. Aussi, voyez ce qui suit: « Combien votre parole est douce à ma bouche 3 »; ou, comme dans le grec, d’une manière plus expressive: « Vos promesses ». Elles surpassent le miel et le rayon de miel. Telle est la douceur que le Seigneur fait descendre, afin que notre terre donne son fruit 4 »; c’est-à-dire, afin que nous fassions le bien d’une manière qui soit bonne; en d’autres termes, non plus par la crainte d’un mal temporel, mais par l’attrait du bien spirituel. Dans plusieurs exemplaires, on ne lit point favum, rayon de miel, mais il se trouve en d’autres. Le miel serait alors le symbole d’une doctrine sage et évidente. Le rayon de miel marquerait celle que l’on tire des mystères les plus cachés, comme d’autant de cellules de cire, que l’on nous expliquerait en les pressant de la dent. Mais cela n’est doux qu’à la bouche du coeur, et non à la bouche charnelle.
8. Mais que signifie cette parole: « Vos préceptes m’ont donné l’intelligence? » Autre est en effet: J’ai compris vos préceptes, et autre: Vos préceptes m’ont fait comprendre. Il y a donc je ne sais quelle autre chose dont il reconnaît que les préceptes de Dieu lui ont donné l’intelligence: autant que j’en puis juger, il dit qu’en pratiquant les préceptes du Seigneur il est arrivé à connaître, à comprendre ce qu’il désirait savoir. Aussi est-il
1.
Gal, V, 17.— 2. Ps. 118, 102 — 3. Id. 103.— 4. Id LXXXIV, 13.
écrit: « Si tu désires la sagesse, observe les commandements, et le Seigneur te la donnera 1 »; ce qui, chez l’homme qui n’a pas encore pratiqué l’humilité de l’obéissance, refoule toute prétention à s’élever jusqu’à la hauteur de la sagesse, à laquelle il ne saurait atteindre que par degrés. Qu’il écoute ce qui est dit ailleurs: « Ne cherche point ce qui est au-dessus de toi, n’examine point curieusement ce qui dépasse tes forces, mais que ta pensée soit toujours occupée des ordres du Seigneur 2 ». C’est ainsi que par l’obéissance aux préceptes l’homme arrive à la science des vérités les plus cachées. Après avoir dit: « Que votre pensée s’occupe des ordres du Seigneur », l’écrivain sacré
1. Eccli. I, 33. — 2. Id. III, 22.
ajoute semper, « toujours », parce qu’il faut observer l’obéissance pour garder la sagesse, et qu’après avoir acquis la sagesse il ne faut pas négliger l’obéissance. Ce sont donc les membres spirituels du Christ qui disent: « J’ai compris par vos commandements ». C’est en effet le langage que peut tenir le corps du Christ dans ceux qui ont observé les commandements de Dieu et acquis ainsi une sagesse supérieure. « C’est pourquoi j’ai eu en horreur toute voie d’iniquité », dit le Prophète; et en effet, l’amour de la justice c’est la haine de tout mal; amour qui s’accroît à mesure qu’il est enflammé par la douceur de la sagesse, et Dieu la donne à quiconque lui obéit et s’instruit par ses commandements.
On
appelle flambeau ce qui ne s’allume qu’à la véritable lumière qui est le
Christ. Cette parole qui est un flambeau, c’est la parole de l’Evangile prédite
par les Prophètes, prêchée par les Apôtres. Elle a déterminé le Prophète à
garder les décrets de la justice, par celte foi si persécutée, et pour laquelle
il demande à Dieu la vie selon sa parole, c’est-à-dire la vie de l’âme par une
pureté toujours croissante. Il veut que cette âme soit entre es mains de Dieu;
il l’offre afin qu’elle échappe aux pièges des pécheurs. Ces témoignages acquis
par héritage lui viennent de Dieu notre Père, à qui nous devons rendre
témoignage par la charité qui est éternelle.
1. Il faut avec la grâce de Dieu approfondir
et vous exposer quelques versets de notre psaume dont le premier est celui-ci:
« Votre parole est un flambeau qui guide mes pas, une lumière dans mon sentier
1 ». Le mot « flambeau » est répété dans « lumière », et « mes pas» répété «
dans mon sentier ». Que signifie cette parole ou ce Verbe? Est-ce bien ce Verbe
qui, dès le commencement, était Dieu et en Dieu, ce Verbe par qui tout a été
fait 2? Point du tout; car ce Verbe est la lumière, et non un flambeau, et tout
flambeau est créature, et non Créateur; il ne s’allume qu’au contact de
l’immuable lumière. C’est là ce qu’était Jean, dont le Verbe de Dieu a dit: «
Il était une lampe ardente et brillante 3 ». Toutefois cette lampe était aussi
lumière, et néanmoins, en comparaison du Verbe dont il
1. Ps. 118, 105.— 2. Jean, I, 1.— 3. Id. V,
35.
est dit: «Le Verbe était Dieu», il n’était
point la hum ère, mais seulement envoyé pour rendre témoignage à la lumière. La
lumière véritable n’était point celle qui reçoit la lumière d’ailleurs, à
l’imitation des hommes, mais celle qui éclaire tout homme 1. Et cependant, si
le flambeau n’était aussi lumière, le Sauveur ne dirait point aux Apôtres: «
Vous êtes la lumière du monde 2 ». Mais de peur que cette parole ne leur
persuadât qu’ils étaient lumière dans le même sens qu’il avait dit de lui: « Je
suis la lumière du monde 3», voilà qu’il leur dit d’eux-mêmes: « Une ville
placée sur une montagne ne saurait être cachée, et on n’allume point un
flambeau pour le placer sous le boisseau, mais sur un candélabre, afin qu’il
éclaire tous ceux qui sont dans la maison; ainsi que votre
1.
Jean, I, 1-9. — 2. Id. VIII, 12. — 3. Matth. V, 14.
lumière brille devant les hommes 1»; il
voulait qu’ils se considérassent comme des flambeaux allumés à cette lumière
qui ne change point. Nulle créature, en effet, pas même celle qui est
raisonnable et intelligente, ne saurait s’éclairer par elle-même; elle ne
s’allume que par la participation à la vérité éternelle, bien que souvent on
l’appelle jour: ce jour n’est point le Seigneur, mais le jour que le Seigneur a
fait. Aussi le Prophète lui dit-il: « Approchez de Dieu afin d’en être éclairés
2 ». C’est à cause de cette participation que le Médiateur est dans son
humanité appelé une lampe dans l’Apocalypse 3. Mais c’est là une prérogative
particulière, car il n’est point d’homme, quelque saint qu’il soit, dont il
soit dit d’en haut, et dont on puisse dire: « Le Verbe s’est fait chair 4 »;
c’est uniquement du Médiateur de Dieu et des hommes 5. Si donc l’on appelle
lumière ce Verbe unique égal à celui qui l’engendre; si l’on appelle lumière
cet homme éclairé par le Verbe que l’on nomme aussi flambeau, tel que Jean,
tels que les Apôtres, bien que nul d’entre eux ne soit le Verbe, et que ce
Verbe qui les éclaire ne soit point une lampe; qu’est-ce dès lors que ce Verbe
qui est tout à la fois lumière et flambeau (car « votre Verbe, nous dit le
Prophète, est un flambeau qui guide mes pas, une lumière dans mes sentiers »),
si nous n’entendons par là ce Verbe, cette parole donnée aux Prophètes, prêchée
par les Apôtres, non pas la parole qui est le Christ, mais la parole du Christ,
dont il est écrit: « La foi vient de ce qu’on entend, et on entend la parole du
Christ 6? » Saint Pierre, à son tour, comparant à une lampe la parole des
Prophètes: « Nous avons », dit-il, « une preuve plus frappante dans les oracles
des Prophètes, sur lesquels vous faites bien d’arrêter les yeux, comme sur un
flambeau qui luit dans un lieu obscur ». Alors ce que le Prophète nous dit ici:
« Votre parole est un flambeau pour mes pieds, une lumière dans mon sentier »,
s’entend de la parole contenue dans les saintes Ecritures.
2. « J’ai juré, j’ai résolu de garder les
décrets de votre justice 8 ». Cette parole est d’un homme qui suit fidèlement
cette lumière divine, et qui marche dans les droits sentiers.
1.
Matth. V, 14-16. — 2. Ps. XXXIII, 6. — 3. Apoc. XXI, 23. — 4. Jean, I, 14.— 5.
I Tim, II, 5.— 6. Rom. X, 17.— 7. II Pierre, I, 19. — 8. Ps. 118, 106.
Le second verbe explique ce qu’avait commencé
le précédent; comme si nous lui demandions ce que signifie « je l’ai juré », il
ajoute «et je l’ai résolu». Il appelle jurement ce qu’ila confirmé par un
serment; car l’âme doit être tellement déterminée à garder les jugements de la
justice divine, que sa résolution soit un véritable serment.
3. Or, c’est par la foi que l’on garde les
décrets de la justice divine; cette foi vive qui nous persuade que sous un Dieu
juste, il n’y a nulle bonne oeuvre sans récompense, ni crime sans châtiment;
mais comme cette foi a valu au corps du Christ de graves et nombreuses
persécutions, le Prophète s’écrie: « J’ai été humilié à l’excès 1». il ne dit
point: Je me suis humilié, en sorte qu’on doive entendre ces paroles de
l’humilité qui est de précepte; mais il dit: « J’ai été humilié à l’excès »,
endurant la plus affligeante persécution; parce qu’il a juré, résolu de garder
les décrets de la justice divine, Et de peur que la foi ne l’abandonne dans une
si grande humiliation, il ajoute: « Seigneur, donnez-moi la vie selon votre
parole », c’est-à-dire, selon votre promesse. Car cette parole des saintes
promesses est un flambeau pour mes pieds, une lumière pour mes sentiers. C’est
ainsi que plus haut, dans la persécution qu’il endurait, il a demandé à Dieu de
le vivifier, en disant: « Peu s’en est fallu qu’ils ne m’anéantissent sur la
terre; et pour moi je n’ai point abandonné vos préceptes; vivifiez-moi selon
votre miséricorde, et je garderai vos témoignages ou vos martyres ». Ce qui
nous fait comprendre que si Dieu ne nous vivifiait en nous dominant la
patience, selon cette parole: « Vous posséderez vos âmes dans votre patience 2
»; et c’est encore de lui qu’il est dit: « Que la patience vient de lui 3», la
persécution pourrait bien ne pas tuer le corps, mais l’âme mourrait pour
n’avoir point gardé les martyres ou les décrets de la justice divine.
4. « Agréez, Seigneur, les offrandes
volontaires de ma bouche 4 »; c’est-à-dire, puissent-elles vous plaire, ne les rejetez
point, mais approuvez-les. Or, par ces sacrifices de la bouche, peuvent
très-bien s’entendre les sacrifices de louanges qu’exhale un cri d’amour et non
la crainte d’une servile nécessité. De là cette autre
1. Ps. 118, 107. — 2. Luc, XXI, 19. — 3. Ps.
LXI, 6. — 4. Id. 118, 108.
parole: « Je vous offrirai des sacrifices
volontaires 1». Mais pourquoi ajouter: « Et enseignez-moi vos jugements? » Le
Prophète n’avait-il pas dit plus haut: « Je ne me suis point écarté de vos
jugements? » Comment l’a-t-il pu, s’il ne les connaissait point? Et s’il les
connaissait, comment dit-il ici: « Enseignez-moi vos jugements? » En est-il ici
comme de ces autres paroles: « Vous avez fait acte de douceur envers votre
serviteur », après lesquelles il dit: « Enseignez-moi votre douceur? » paroles
que nous avons expliquées comme le cri d’une âme qui progresse, et qui demande
que l’on ajoute encore à ce qu’elle a déjà reçu.
5. «Mon âme est toujours entre vos mains 2».
On lit dans plusieurs exemplaires, « entre mes mains»; mais dans le plus grand
nombre, « entre vos mains », et le sens est clair
les âmes des justes, en effet, sont entre les
mains de Dieu 3; et nous-mêmes sommes entre ces mains ainsi que nos paroles 4.
« Et je n’ai point oublié votre loi », dit le Prophète; comme si ces mains de
Dieu entre lesquelles est son âme aidaient sa mémoire à ne point oublier la loi
de Dieu. Mais je ne sais en quel sens il faudrait dire: « Mon âme est entre mes
mains ». Ce langage n’est point celui de l’injuste, mais du juste qui retourne à
son Père, et non qui s’en éloigne. On pourrait dire que le prodigue de
l’Evangile voulait avoir son âme entre ses mains, quand il disait à son Père: «
Donnez-moi la portion de bien qui doit m’échoir 5 ». Mais telle fut la cause de
sa mort, la cause de sa perdition. Ou bien cette expression: «Mon âme est entre
mes mains », signifierait-elle que le Prophète offre son âme à Dieu afin
qu’elle soit vivifiée? Elle reviendrait alors à cette autre: « J’ai levé mon
âme vers vous 6 ». Car le Prophète a dit plus haut: « Vivifiez-moi ».
6. « Les pécheurs », poursuit-il, « m’ont
tendu un piége, et je n’ai point dévié de vos préceptes 7». D’où vient cette
fidélité, sinon de ce que son âme est entre les mains de
Dieu, ou qu’il l’offre de ses mains à Dieu
afin qu’il la vivifie?
7. « J’ai acquis vos témoignages comme un
héritage éternel 8». Quelques-uns, pour
1. Ps. LII, 8. — 2. Id.
118, 109. — 3. Sag. III, 1 — 4. Id. VII, 16. — 5. Luc, XV, 12, 24. — 6. Ps.
XXIV, 1. — 7. Id. 118, 110. — 8. Id. 111.
imiter le grec, et renfermer tout en un mot,
ont traduit, haereditavi; mais cette
expression, quoique latine, semble désigner plutôt celui qui donne en héritage,
que celui qui accepte; en sorte que haereditavi,
signifierait j’ai enrichi. Le sens est donc plus exact dans ces deux expressions:
« J’ai acquis par héritage », ou « possédé par héritage »; mais « par héritage
», et, non un héritage. Et si l’on se demande ce qu’il a acquis par héritage, «
ce sont vos témoignages », répond-il. Que veut-il dire, sinon qu’il a reçu du
Père, dont il est héritier, la faveur d’être son témoin, de confesser ses
témoignages, c’est-à-dire d’être le martyr de Dieu, de le confesser comme le
font ses martyrs? Beaucoup, en effet, l’ont voulu et ne l’ont pu; mais nul ne
l’a pu s’il n’a voulu; car ils n’eussent rien pu, s’il eussent voulu renier à
Dieu son témoignage. Encore est-ce le Seigneur qui a ainsi disposé leur volonté
1. Voilà ce qu’il déclare qu’il a reçu en héritage, et cela « pour jamais »;
parce qu’on ne retrouve pas dans ces témoignages cette gloire passagère des
hommes qui recherchent la vanité, mais cette gloire éternelle qui échoit à ceux
qui souffrent un moment ici-bas, et qui doivent régner sans fin. De là ce
qu’ajoute le Prophète: « Parce qu’ils font les délices de mon coeur ». Ils peuvent
affliger le corps, mais ils sont la joie du coeur.
8. « J’ai incliné mon cœur », dit-il ensuite,
« afin d’accomplir éternellement vos préceptes, en vue de la récom pense 2 ».
Celui qui dit ici: « J’ai incliné mon cœur », avait déjà dit: « Inclinez mon coeur
vers vos témoignages », afin de nous faire comprendre que c’est là l’oeuvre de
Dieu et de notre volonté tout ensemble. Mais devons-nous accomplir
éternellement les préceptes du Seigneur? Les oeuvres par lesquelles nous
soulageons les besoins du prochain ne sauraient être éternelles, non plus que
ces besoins; mais si nous ne les faisons par charité, elles ne peuvent nous
justifier; si nous agissons par charité, comme la charité est éternelle, une
récompense éternelle lui est réservée. C’est en vue de cette récompense
éternelle qu’il a, dit-il, incliné son coeur pour accomplir les préceptes de
Dieu, afin qu’en l’aimant éternellement, il mérite de posséder éternellement
l’objet de son amour.
1. Prov. VIII, 35. — 2. Ps. 118, 112.
Haïr
les méchants ne peut, selon la charité, s’entendre que de leurs oeuvres. Le
Prophète les éloigne de lui afin d’approfondir la loi du Seigneur, dont il est
détourné par leurs affaires du temps, par leurs querelles. Il demande à Dieu ce
soutien qui est vie, c’est-à-dire vie éternelle, car Dieu réduit au néant ceux
qui s’éloignent de lui. Tous ceux qui pèchent sont-ils prévaricateurs?
1. Le passage de notre psaume, qu’il nous
faut exposer selon la volonté de Dieu, commence ainsi: « J’ai haï les méchants,
et aimé votre loi 1 ». Le Prophète ne dit point: J’ai haï les méchants, et aimé
les justes; ou bien: J’ai haï l’iniquité et aimé votre loi; mais après avoir
dit: « J’ai haï les méchants », le Prophète en donne la raison dans ce qu’il
ajoute: « Et aimé votre loi »pour nous montrer qu’il ne hait point dans les
méchants cette nature qui en fait des hommes, mais bien l’iniquité qui les rend
ennemis de cette loi qu’il aime.
2. « Vous êtes mon soutien et mon protecteur
», ajoute le Prophète. « Soutien » pour faire le bien, protecteur pour éviter
le mal. Mais ajouter: «J’ai mis tout mon espoir dans votre parole », c’est
parler en fils de la promesse.
3. Mais que signifie le verset suivant: «
Méchants, retirez-vous de moi, et j’approfondirai les commandements de Dieu 3?
» Il ne dit point: j’accomplirai; mais, j’approfondirai. C’est donc pour les
connaître plus parfaitement qu’il veut éloigner de lui les méchants, et même
qu’il les force à se retirer de lui. Car les méchants, qui nous servent à la vérité
àsuivre les préceptes de Dieu, nous empêchent de les étudier, non seulement
quand ils nous persécutent, ou qu’ils prétendent nous quereller, mais aussi
lorsqu’ils sont d’accord avec nous et nous témoignent de l’esti me, ils nous
pressent de leur donner notre temps, de les aider dans leurs affaires
temporelles, dans leurs convoitises vicieuses; ou bien ils oppriment les
faibles, qu’ils forcent de porter leurs plaintes vers nous, alors que nous
n’osons leur dire: « O homme, qui m’a établi
1. Ps. 118, 113.— 2. Id. 114.— 3. Id. 115.
entre vous juge ou arbitre 1? » L’Apôtre
lui-même a établi des ecclésiastiques pour connaître de ces causes, et défendu
aux chrétiens de plaider au forum 2. A ceux qui, sans ravir le bien d’autrui,
revendiquent le leur avec trop d’âpreté, nous ne disons pas même: Gardez-vous
de toute convoitise, en leur remettant devant les yeux cet homme à qui l’on dit
dans l’Evangile: « O insensé, cette nuit ton âme te sera ôtée, et à qui seront
ces biens que tu as amassés 3? » Car lorsque nous leur tenons ce langage, ils
ne nous quittent point, ils ne s’éloignent point; mais ils persistent, ils
pressent, supplient avec bruit, et nous forcent à nous appliquer à ce qu’ils
désirent plutôt qu’à étudier les commandements de Dieu que nous aimons. Quel profond
ennui des embarras de ce inonde, et quel désir des saintes paroles a fait dire:
« Méchants, éloignez-vous de moi, et je sonderai les préceptes de mon Dieu? »
Qu’ils me pardonnent, ces fidèles si pleins de déférence, qui nous requièrent
si rarement pour leurs affaires temporelles, qui acceptent nos jugements avec
une si grande docilité, qui nous consolent par leur obéissance, loin de nous
fatiguer de leurs procès. Mais pour ces opiniâtres, qui ont des querelles sans
fin, qui oppriment les bons en se riant de nos sentences, qui nous font perdre
uni temps que nous devrions donner aux choses divines; pour ceux-là, dis-je,
qu’il nous soit permis de nous écrier ici avec le corps du Christ: «
Retirez-vous, ô méchants, et j’approfondirai les préceptes de mon Dieu ».
4. Après que le Prophète a pour ainsi dire
chassé de ses yeux ces mouches qui l’importunaient, il revient à celui à qui
tout à
1.
Luc, XII, 14. — 2. I Cor. VI, 1-6. — 3. Luc, XII, 20.
l’heure il disait: « Vous êtes mon soutien et
mon protecteur, j’ai espéré en votre parole »; et continuant cette prière: «
Protégez-moi », dit-il, « selon votre parole, et je vivrai, et ne me confondez
point dans mon attente 1 ». Lui, qui avait dit: « Vous êtes mon soutien »,
implore de plus en plus cette protection et veut arriver à ce bien suprême pour
lequel il a tant souffert ici-bas: il est plein de la confiance d’y trouver une
vie plus réelle, qu’au milieu des fantômes d’ici- bas. Car c’est à propos de
l’avenir qu’il est dit: « Et je vivrai », comme si l’on ne vivait point dans ce
corps mortel, puisque ce corps est mort par le péché. Pleins de confiance dans
la délivrance de notre corps, nous sommes sauvés par l’espérance, et cet objet
de l’espérance que nous ne voyons pas, nous l’attendons par la patience 2. Mais
cette espérance n’est point vaine, si l’amour de Dieu est répandu dans nos
coeurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné 3. Et c’est pour le recevoir
avec plus d’abondance que le Prophète s’écrie en parlant au Père: « Ne me
confondez point dans mon attente ».
5. Et comme si ou lui eût répondu
silencieusement: Veux-tu n’être point confondu dans ton espérance? médite sans
cesse mes ordonnances, le Prophète sent que la tiédeur de l’âme est un obstacle
à cette méditation, et il s’écrie: « Soutenez-moi et je serai sauvé, et je
méditerai sans cesse vos ordonnances 4».
6. « Vous avez méprisé», ou, pour traduire le
grec plus exactement: « Vous avez réduit au néant tous ceux qui s’écartent de
vos préceptes, parce que leur pensée est injuste 5 ». Si donc il s’écrie: «
Soutenez-moi et je serai sauvé, et je méditerai vos ordonnances», c’est que
Dieu réduit au néant tous ceux qui s’éloignent de ses préceptes. D’où vient cet
éloignement? De l’injustice de leur pensée. C’est par la pensée que l’on
approche, par elle que l’on s’éloigne de Dieu. Toute action, en effet, soit
1. Ps. 118, 118.— 2. Rom. VIII, 10, 23-25. —
3. Id. V, 5.— 4. Ps. 118, 117. — 5. Id. 118
bonne, soit mauvaise, vient de la pensée;
c’est par la pensée que l’homme est innocent, comme par la pensée il est coupable.
Aussi est-il écrit: «Une sainte pensée te sauvera 1 » comme on lit ailleurs: «
Ce sont les pensées de l’impie que l’on examinera 2 ». Et l’Apôtre nous dit à
son tour que les pensées nous accusent ou nous défendent 3. Où est le bonheur
pour l’homme qui est misérable dans sa pensée, et comment ne serait point
misérable celui qui est réduit à néant? Car l’iniquité est un vide étrange; et
c’est avec raison qu’il est dit: « Qu’ils soient confondus, ces méchants qui
font des choses vaines 4 »; c’est-à-dire, qui travaillent aussi vainement que
s’ils étaient anéantis.
7. «J’ai regardé», dit ensuite le Prophète,
ou «j’ai estimé», ou «j’ai envisagé comme prévaricateurs tous les pécheurs de la
terre 5 ». On a traduit en effet de plusieurs manières ce verbe grec, elogisamen; mais la pensée est profonde,
et si Dieu nous vient en aide, nous tacherons de l’étudier avec plus de soin
dans un autre discours. Car ce que le Prophète ajoute:
« C’est pour cela que j’ai aimé vos préceptes
à jamais », lui donne encore plus de profondeur. L’Apôtre nous dit: « La loi
produit la colère »; et pour nous donner raison de cette parole, il nous dit: «
Où n’est pas la loi, il n’y a point de prévarication 6 », et nous montre ainsi
que tous ne sont point prévaricateurs, puisque tous n’ont pas reçu la loi. Or,
ce passage nous indique clairement que tous n’ont pas reçu la loi: « Ceux qui
ont péché sans la loi, périront sans la loi 7». Que signifie donc cette parole:
« J’ai regardé comme prévaricateurs tous les pécheurs de la terre?» Mais qu’il
nous suffise d’avoir posé cette question, que nous éclaircirons dans un autre
discours, de peur que celui-ci ne devienne trop long et ne nous oblige de la
resserrer trop, sans y donner la clarté suffisante.
1.
Prov. II, 11. — 2. Sag. I, 9. — 3. Rom. II, 15. — 4. Ps. XXIV, 4. — 5. Id. 118,
119. — 6. Rom. IV, 15. — 7. Id. II, 12.
Tous
les pécheurs de la terre sont prévaricateurs, dit le Prophète, non pas tous
contre la loi mosaïque, puisque tous ne l’ont pas reçue; mais comme cette loi
n’est qu’un développement ou une restauration de la loi naturelle, les Juifs
qui la violent sont plus coupables, et les Gentils, violateurs de la loi
naturelle sont coupables à leur tour. Donc tout pécheur est violateur au moins
de la loi naturelle. Quelques-uns ont voulu condamner sans remède ceux qui ont
vécu en dehors de la loi, et simplement à être jugés ceux qui ont péché sous la
loi. Erreur! Le Christ est la base de toute sanctification, et les Juifs
incrédules seront jugés plus sévèrement. Au nombre des pécheurs mettons les
enfants, puisqu’ils ont la tache originelle, et que tous dès lors ont besoin de
la grâce de Dieu ceux qui ont la raison doivent agir, non par la crainte
servile qui laisse le désir du péché, mais par la crainte de la charité, oui
redoute simplement de déplaire à Dieu.
1. Cherchons, si Dieu nous fait la grâce de
le trouver, comment il nous faut comprendre dans ce long psaume ce qui est dit
de « ceux qui ont violé», ou plutôt de ceux qui « violent la loi », car le grec
porte parabainontas, au participe
présent, et non parabatas, au passé.
Nous cherchons donc la manière de comprendre: « J’ai regardé comme prévariquant
tous les pécheurs de la terre ». L’Apôtre nous dit: « Où n’est pas la loi, il
n’y a point de prévarication ». Mais il parlait ainsi pour établir une
distinction entre la loi et les promesses. Pour rétablir en effet le sens plus
complet d’après ce qui précède: « Ce n’est point par la loi », dit-il, « mais
par la justice de la foi, que s’accomplit la promesse faite à Abraham, ou à sa
postérité, d’avoir le monde pour héritage. En effet, si ceux qui appartiennent
à la loi sont les héritiers, la foi devient vaine, et les promesses sont abolies.
Parce que la loi produit la colère, où n’est pas la loi, il n’y a point de
prévarication. Ainsi c’est par la foi que nous sommes héritiers, afin que nous
le soyons par la grâce, et que la promesse demeure ferme pour toute la
postérité d’Abraham, non seulement pour ceux qui ont reçu la loi, mais encore
pour ceux qui suivent la foi d’Abraham, le père de nous tous 1». Pourquoi ce
langage de l’Apôtre, sinon pour nous montrer que sans la promesse de la grâce,
non seulement la loi n’ôte point le péché, mais ne fait que l’augmenter? De là
cet autre mot de saint Paul: « La loi est entrée, en sorte que le péché a
abondé 2 ». Mais comme la grâce nous remet toutes nos
1. Rom. IV, 13-16. — 2. Id. V, 20.
fautes, non seulement celles que l’on a
commises sans la loi, mais aussi celles que l’on a commises avec la loi,
l’Apôtre ajoute: « Mais où le péché a abondé, a surabondé la grâce». L’Apôtre
n’appelle donc pas prévaricateurs tous les pécheurs, mais il ne donne ce nom de
prévaricateurs qu’aux violateurs de la loi. « Là où n’est pas la loi, il n’y a
point de prévarication ». D’où il suit que, d’après l’Apôtre, tout
prévaricateur est un pécheur, puisqu’il pèche contre la loi qu’il a reçue; mais
tout pécheur n’est pas prévaricateur, puisqu’il en est qui pèchent sans la loi:
« Or, où n’est pas la loi, il n’y a point de prévarication ». Mais si nul ne
péchait sans la loi, l’Apôtre ne dirait point: « Quiconque a péché sans la loi,
périra sans la loi ». Si donc, selon notre psaume, tous les pécheurs de la
terre sont prévaricateurs, il n’est aucun péché sans prévarication; or, il n’y
a point de prévarication sans la loi, donc il n’est aucun péché sans la loi.
Celui donc qui dit ici: « J’ai regardé comme prévaricateurs tous les pécheurs
de la terre », ne veut sans doute regarder comme pécheurs que ceux qui ont
transgressé la loi, et il est en désaccord avec celui qui a dit: « Ceux qui ont
péché sans la loi périront sans la loi? ». Car selon lui il en est qui sont
pécheurs sans être prévaricateurs, c’est-à dire qui ont péché sans la loi: « Où
n’est pas la loi, il n’y a point de prévarication »; et selon le Psalmiste, il
n’est aucun pécheur sans prévarication, puisqu’il regarde comme prévaricateurs
tous les pécheurs de la terre. Donc, selon lui, nul n’a péché sans la loi, car:
« Où n’est ias la loi, il n’y a point de prévarication » (710). Nous
faudra-t-il dire qu’à la vérité sans loi il n’y a pas de prévarication, mais
qu’il n’est pas vrai que plusieurs aient péché sans loi; ou bien, qu’il est
vrai que plusieurs ont péché sans loi, mais qu’il n’est pas vrai qu’il n’y ait
pas de prévarication là où n’est pas la loi? Mais l’Apôtre a dit l’un et
l’autre, donc l’un et l’autre sont vrais, puisque c’est la Vérité qui le dit
par sa bouche. Comment donc sera vrai ce que la même Vérité nous dit
indubitablement dans ce psaume: « J’ai regardé comme prévaricateurs tous les
pécheurs de la terre? ».Car on nous répondra: Quels sont donc ceux qui, selon
l’Apôtre, ont péché sans la loi? Puisque l’on ne saurait mettre aucun d’eux au
rang des prévaricateurs; car, selon le même Apôtre, il n’y a pas de
prévarication où n’est pas la loi.
2. Mais quand l’Apôtre disait: « Tous ceux
qui ont péché sans la loi périront sans la loi », il parlait de cette loi que
Dieu a donnée au peuple d’Israël par son serviteur Moïse.
Voilà ce que prouvent les paroles du
contexte. L’Apôtre parlait des Juifs, puis des Grecs ou
des Gentils qui n’appartenaient point à la
circoncision, mais qui étaient incirconcis; et il
dit que ces derniers sont sans la loi, parce
qu’ils n’avaient point reçu cette loi dont les
Juifs se glorifiaient, ainsi qu’il le leur
reproche: « Mais toi qui portes le nom de Juif, qui te reposes sur la loi, et
te glorifies en Dieu ». Voyons toutefois comment il en vient à cette
conclusion: « Tous ceux qui ont péché sans la loi périront sans la loi ». «
Colère», dit-il, «et indignation, tribulation et angoisse pour l’âme de tout
homme qui fait le mal, du Juif premièrement, puis du Gentil. Mais gloire,
honneur et paix à tout homme qui fait le bien, au Juif d’abord, puis au Gentil.
Car Dieu ne fait acception de personne ». Puis il ajoute ce qui a soulevé notre
difficulté: « Ainsi tous ceux qui ont péché sans la loi périront sans la loi,
et tous ceux qui ont péché dans la loi seront jugés dans la loi 1 ». Par les
uns il veut assurément désigner les Juifs, et par les autres les Gentils, car
c’est d’eux qu’il est question; il montre que tous sont soumis au péché, afin
qu’ils confessent les uns et les autres qu’ils ont besoin de la grâce; c’est
pourquoi il ajoute: « Il n’y a point de distinction, tous ont péché, et ont
besoin de la grâce de Dieu
1. Rom, II, 8-17.
ils sont justifiés gratuitement par sa grâce,
par la rédemption qui vient de Jésus-Christ 1 ». Mais de qui l’Apôtre dit-il
que tous ont péché, sinon des Juifs et des Gentils, et dont il avait
dit: « Il n’y a nulle différence? » Car c’est
d’eux qu’il disait un peu auparavant: « Nous avons convaincu les Juifs et les
Gentils d’être tous dans le péché 2 ». Ainsi « tous ceux qui ont péché sans la
loi », c’est-à-dire sans cette loi dont se glorifient les Juifs, « périront
sans la loi; et tous ceux qui ont péché sous la loi », c’est-à-dire les Juifs,
« seront jugés par la loi »; ce qui ne les empêchera pas de périr, s’ils ne
croient en Celui qui est venu chercher ce qui a péri 3.
3. Quelques auteurs, même catholiques, peu
attentifs aux paroles de l’Apôtre, leur ont donné un sens qu’elles ne
comportent pas, en disant que ceux-là périront qui ont péché sans la loi, et
que ceux qui ont péché sans la loi seront simplement jugés, mais ne périront
pas: comme si nous devions croire qu’ils seront purifiés par des peines
passagères, comme celui dont il est dit: « Quant à lui il sera sauvé, mais
comme par le feu 4 ». Mais il est clair que celui dont l’Apôtre parlait alors
ne devait être sauvé que par le mérite du fondement qui est le Christ: « Comme
un sage architecte, j’ai posé le fondement, un autre bâtit. Que chacun prenne
garde à ce qu’il construit. Car nul ne saurait établir u de fondement autre que
celui qui est posé, lequel est Jésus-Christ 5»; et le reste, jusqu’à cet
endroit où l’Apôtre dit qu’il sera sauvé,mais comme par le feu, celui qui aura
bâti sur ce fondement, non avec de l’or, de l’argent, ou des pierres
précieuses, mais avec du bois, du foin ou de la paille, et qui ne refuse point
de recevoir ce fondement divin, ou qui ne l’abandonne pas après l’avoir reçu;
qui le préfère à tous les plaisirs terrestres, quand se présente l’alternative
ou de les abjurer, ou d’abjurer Jésus-Christ; s’il ne préférait alors le
Christ, il n’aurait plus de fondement, car ce fondement doit toujours venir
avant toute autre partie de l’édifice. Je ne pense pas qu’ils se soient imaginé
que ceux-là ne périront point dont il est dit: « Ils seront jugés par la loi »,
à moins qu’ils n’aient le Christ pour fondement. Ils ont donc peu examiné ce
que nous venons de démontrer: et l’Ecriture elle-
1.
Rom. III, 22.— 2. Id. 9.— 3. Luc, XIX, 10.— 4. I Cor. III, 15.— 5. Id.
10, 11.
même nous dit bien clairement que l’Apôtre
parle ainsi des Juifs qui n’ont pas le Christ pour base. Or, où est le chrétien
qui ne condamnerait point à périr, mais seulement à êtrejugé, tout Juif qui ne
croit point au Christ? quand le Christ lui-même nous affirme qu’il est venu
chez ce peuple afin de sauver les brebis qui ont péri 1; et que Sodome, qui a
péché sans la loi, sera traitée avec plus de douceur au jour du jugement que
les cités juives qui n’ont pas cru en lui quand il faisait tant de miracles 2.
4. Si donc saint Paul entendait parler de la
loi que Dieu donna par Moïse au peuple d’Israël, mais non aux autres peuples,
quand il a dit que ces autres peuples étaient sans la loi 3; que devons-nous
comprendre lorsque le psaume nous dit: « J’ai regardé comme prévaricateurs tous
les pécheurs de la terre », sinon qu’il est une loi que Moïse n’a point donnée,
et d’après laquelle sont prévaricateurs tous les pécheurs des autres peuples?
Car « où n’est pas la loi, il n’y a point de prévarication ». Or, quelle est
cette loi, sinon peut-être celle dont l’Apôtre a dit: «Les Gentils qui n’ont
pas la loi font naturellement ce que la loi commande; n’ayant point de loi, ils
sont à eux-mêmes la loi 4?» Ainsi donc d’après cette parole: Ils n’ont point la
loi, ils ont péché sans la loi, et ils périront sans la loi; mais d’après cette
autre: Ils sont à eux-mêmes la loi, ce n’est point sans raison que le Prophète
regarde comme prévaricateurs tous les pécheurs de la terre. Car nul ne fait
injure à un autre sans être fâché qu’on lui fasse injure; et dès lors il est
violateur de la loi naturelle qu’il ne saurait ignorer, en faisant ce qu’il ne
veut point qu’on lui fasse. Mais cette loi naturelle n’était-elle point aussi
pour Israël? Assurément, puisque les Israélites étaient hommes. S’ils avaient
pu être en dehors du genre humain, ils n’auraient point eu cette loi naturelle.
A plus forte raison ils sont devenus prévaricateurs après avoir reçu cette loi
divine, qui rétablissait, ou développait, ou confirmait cette loi naturelle.
5. Si donc, comme il est très-possible, dans
ces pécheurs de la terre on entend aussi les enfants, à cause des liens du
péché originel, qui les atteint comme la transgression d’Adam 5, nous pouvons
dire qu’ils ont part aussi à cette
1.
Matth. XV, 24 — 2. Id. XI, 23, 24.— 3. Rom. II,14.— 4. Id. XV, 15. — 5.
Id. V, 14.
prévarication, qui fut commise contre la loi
donnée dans le paradis 1; et dès lors, sans aucune exception tous les pécheurs
de la terre peuvent être envisagés comme des prévaricateurs. « Car tous ont
péché, tous ont besoin de la gloire de Dieu 2 ». La grâce de Jésus-Christ n’a donc
trouvé sur la terre que des prévaricateurs, les uns plus, les autres moins.
Plus en effet est grande la connaissance de la loi, moins la faute est
excusable; et moins le péché est excusable, plus la prévarication est
manifeste. Nous n’avions donc nulle ressource que dans la justice, non de
chacun de nous, mais dans la justice de Dieu, et cette justice nous est donnée.
De là ce mot de l’Apôtre: « C’est par la loi que l’on connaît le péché »; non
point qu’on l’efface, mais qu’on le connaît. « Au lieu que maintenant», nous
dit-il, « la justice de Dieu nous est donnée sans la loi, affirmée par la loi
et par les Prophètes 3 ». C’est pourquoi l’interlocuteur ajoute: « Et dès lors
j’ai aimé vos témoignages». Comme s’il disait: Puisque la loi, soit intimée dans
le paradis, soit gravée naturellement dans le coeur, soit promulguée dans les
saintes Ecritures, a rendu prévaricateurs tous les pécheurs de la terre: «
c’est pour cela que j’ai aimé vos témoignages», qui sont dans votre loi et qui
concernent votre grâce; en sorte que ce n’est point ma justice, mais la vôtre
qui est en moi. Car la loi est utile en ce qu’elle nous envoie à la grâce. Non
seulement par le témoignage qu’elle rend à la manifestation future de la
justice de Dieu qui est au-dessus de la loi, mais par cela même qu’elle tait
des prévaricateurs, et que la lettre tue, elle nous frappe de crainte et nous
force à recourir à l’esprit qui vivifie 4, seul capable d’effacer nos fautes,
de nous inspirer l’amour du bien: « C’est pour cela », dit le Prophète, « que
j’ai aimé vos témoignages ». Dans certains exemplaires, on lit semper,
«toujours o; d’autres ne l’ont pas. Mais s’il faut mettre « toujours », on doit
l’entendre tant que l’on vit ici-bas. C’est ici-bas en effet que nous avons
besoin que les témoignages de la loi et des Prophètes nous viennent garantir
cette justice de Dieu qui nous justifie gratuitement; c’est ici-bas encore que
nous avons besoin de ces témoignages, pour lesquels les martyrs ont donné avec
joie la vie de ce monde.
6. Après nous avoir fait connaître la grâce
1.
Gen. III, 6.— 2. Rom. III, 13 — 3. Id. 20, 21.— 4. II Cor. III, 6.
de Dieu, qui seule nous délivre du péché où
nous fait tomber la connaissance de la loi, le Prophète continue par cette
prière: « Que votre crainte soit comme des aiguillons qui percent ma chair 1 ».
C’est ainsi qu’ont traduit les Latins, pour donner plus d’expression à ce que
les Grecs ont exprimé en un seul mot, katheloson.
D’autres l’ont rendu par confige,
percez, sans ajouter clavis, «avec
des clous»; et dès lors en voulant rendre le mot grec par un seul mot latin,
ils ont affaibli la pensée; car dans le mot confige,
les clous ne sont point rendus, tandis qu’il est impossible de séparer de ces
aiguillons le mot katheloson, que
l’on ne saurait dès lors exprimer en latin sans ces deux mots confige clavis, percez de clous.
Qu’est-ce à dire, sinon comme le demandait saint Paul: « A Dieu ne plaise que
je me glorifie, sinon en la croix de Jésus-Christ Notre Seigneur, par qui le
monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde 2? » Et encore: « Je suis »,
dit-il, « attaché à la croix avec le Christ, je vis, non pas moi, mais le
Christ vit en moi 3? » Qu’est-ce à dire encore, sinon qu’elle n’est plus en moi
cette justice qui venait de la loi, et cette loi m’a rendu prévaricateur; mais
c’est la justice de Dieu, c’est-
à-dire celle qui me vient de Dieu 4, et non
de moi? C’est ainsi que ce n’est pas moi, mais le
Christ qui vit en moi: « Lui qui nous a été donné
de Dieu, comme notre sagesse, notre justice, notre sanctification, notre
rédemption, afin que selon qu’il est écrit: Que celui qui se glorifie le fasse
dans le Seigneur 5 ». C’est lui qui dit encore: « Ceux qui sont au Christ ont
crucifié leur chair, avec ses passions et ses convoitises 6 ». Or, ici il est
dit qu’ils ont crucifié leur chair, et dans notre psaume le Prophète prie Dieu
qu’il la perce lui-même de sa crainte, comme avec des aiguillons; afin que nous
comprenions que tout le bien que nous faisons doit
être attribué à la grâce de Dieu, « qui opère
en nous le vouloir et le faire, selon sa bonne volonté 7 ».
7. Mais après avoir dit: « Que votre crainte
perce ma chair, comme des aiguillons », pourquoi ajouter: « J’ai craint vos
jugements? » Que signifie: « Pénétrez-moi de votre crainte, car j’ai craint? »
S’il avait
1. Ps. 118, 120. — 2. Gal. VI, 14. — 3. Id.
II, 19, 20. — 4. Philipp. III, 9. — 5. I Cor. I, 30, 31.— 6. Gal, V, 24. — 7.
Philipp. II, 13.
craint déjà, ou s’il craignait, pourquoi demandait-il
à Dieu de crucifier sa chair? Voulait-il que Dieu augmentât cette crainte et la
rendit si forte qu’elle fût suffisante pour crucifier sa chair, c’est-à-dire
ses convoitises avec ses affections charnelles; comme s’il eût dit:
perfectionnez en moi votre crainte, car je redoute vos jugements? Mais il est
un sens plus relevé, que l’on peut, avec le secours de Dieu, tirer des
entrailles mêmes de ce passage. « Que votre crainte pénètre ma chair, comme des
aiguillons; car j’ai craint vos commandements »; c’est-à-dire, qu’une crainte
chaste, qui demeure éternellement 1, vienne coin primer en moi les désirs
charnels; car j’ai craint vos jugements, sous la menace de cette loi qui ne
pouvait me donner la justice. Mais la charité parfaite bannit cette crainte qui
redoute seulement la peine; elle nous rend libres, non par la crainte du
châtiment, mais par l’amour de la justice. Car cette crainte qui nous fait, non
point aimer la justice, mais redouter le châtiment, est une crainte servile et
charnelle, qui ne crucifie pas la chair. Elle laisse vivre en nous la volonté
du péché, qui se manifeste quand nous comptons sur l’impunité; qui demeure
cachée, mais vivante néanmoins, quand elle compte sur la peine qui suivra. Elle
voudrait se donner, elle regrette qu’elle ne se puisse donner ce que la loi
défend; elle n’a aucun goût pour le bien que promet cette loi, mais elle craint
vivement la peine dont elle menace. La charité, au contraire, qui bannit cette
crainte, a pourtant une crainte chaste du péché; elle ne croit pas qu’une faute
soit impunie, puisque l’amour de la justice lui fait du péché même un
châtiment. Telle est la crainte qui crucifie notre chair; parce que le goût des
biens spirituels surmonte l’amour des biens charnels que la lettre de la loi
nous défend sans nous les faire éviter, et que cette victoire devenant complète
en nous, éteint ces vains plaisirs. Donc, ô mon Dieu, « que votre crainte perce
ma chair comme des aiguillons, car j’ai redouté vos jugements ». C’est-à-dire,
donnez-moi cette crainte chaste, que la crainte servile de cette loi m’a
conduit, comme un maître, à vous demander, en me remplissant de frayeur à
l’idée de vos jugements.
1. Ps. XVIII, 10.
Quand
le Prophète parle ici du jugement, ce mot doit être entendu dans un sens
favorable, dans le même sens que la justice dont l’acte produit le jugement.
Toutefois il craint que ses ennemis ou les démons ne le poussent au désordre,
et il supplie le Seigneur de l’en délivrer; loin de compter sur lui-même, il en
appelle à Dieu qui donne la force et la patience. Or, cette patience nous est
nécessaire, pour nous maintenir contre les calomnies de nos ennemis de toutes
sortes. Le Prophète veut être au service de Dieu par amour, et comme l’ancienne
loi s’est effondrée sous le grand nombre des prévarications, le Prophète
soupire après l’acte suprême de Dieu, c’est-à-dire après le Christ qui nous
justifie par la grâce, et nous redresse en nous faisant agir par la charité.
1. Nous entreprenons aujourd’hui
d’approfondir et d’exposer les versets suivants de notre long psaume « J’ai
gardé le jugement et la justice, ne me livrez point à ceux qui me nuisent 1 ».
Il n’est pas étonnant qu’il ait gardé le jugement et la justice, celui qui
avait demandé à Dieu de pénétrer ses chairs d’une crainte chaste, c’est-à-dire
de meurtrir comme d’aiguillons nos convoitises charnelles, dont l’effet
ordinaire est de nous détourner d’un jugement droit; bien que selon l’usage de
notre langue on appelle ainsi tout jugement, soit jugement droit, soit jugement
dépravé, selon cet avis que l’Evangile donne aux hommes: « Ne jugez point selon
l’apparence, mais portez un jugement droit 2 »; toutefois, dans notre passage,
le mot jugement est employé de telle sorte que, si ce jugement n’est point
droit, il ne mérite point d’être appelé jugement; autrement il ne suffirait pas
de dire: «j’ai gardé le jugement»; mais il faudrait dire: J’ai gardé le
jugement droit. C’est dans ce sens que parlait Notre Seigneur Jésus-Christ,
quand il disait: « Vous abandonnez ce qu’il y a de plus important dans la loi,
le jugement, la miséricorde et la foi ». Ici encore le mot de jugement est
employé comme s’il n’y avait point de jugement dès lors qu’il est corrompu.
Dans plusieurs endroits des saintes Ecritures, il a cette acception: ici, par
exemple: « Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre jugement 4 ». Et
dans cet autre passage d’Isaïe: « J’attendais d’Israël le jugement, et il a
fait l’iniquité 5 ». Le Seigneur ne dit point: J’attendais un jugement
1. Ps. 118, 121. — 2. Jean, VII, 34. — 3. Matth. XXIII, 23.— 4. Ps. C, 1. — 5. Isa. V, 7.
droit, et il a été perverti; mais il se sert
du mot jugement, comme s’il désignait l’équité, comme s’il n’y avait plus de
jugement dès lors qu’il y a injustice. Quant à la justice, on ne dit point une
bonne ou une mauvaise justice, comme on dit un jugement équitable ou un
jugement injuste, mais elle est bonne par là même qu’elle est justice. Ainsi
dans le langage habituel on dira un bon jugement, un mauvais jugement, comme on
dit un bon juge, et un mauvais juge; mais on ne dit pas une bonne justice, ou
une mauvaise justice, comme on ne dit pas non plus un bon juste, ou un mauvais
juste, car tout homme est bon dès lors qu’il est juste. La justice est donc une
vertu de l’âme que l’on peut appeler bonne et louable, et dont nous n’avons
plus à nous occuper; quant au jugement, dès qu’on le prend en bonne part, il
est l’acte que produit cette vertu. Car celui qui a la justice porte un
jugement droit, ou plutôt, dans le sens rigoureux, avoir la justice c’est
juger, car porter un jugement faux ce n’est point juger. Et ici, sous le nom de
justice nous n’entendons pas seulement une vertu, mais l’acte de cette vertu.
Et en effet qui produit la justice dans l’homme, sinon celui qui justifie
l’impie, c’est-à-dire qui, par sa grâce, le rend juste d’impie qu’il était? De
là ce mot de l’Apôtre: « Nous sommes justifiés gratuitement par sa grâce 1».
Celui donc qui a en lui la justice ou l’oeuvre de la grâce, fait la justice ou
l’oeuvre de la justice.
2. « J’ai fait le jugement et la justice»,
dit le Prophète, « ne me livrez pas à ceux qui me nuisent »; c’est-à-dire, j’ai
porté un jugement
1. Rom. III, 24.
juste, ne me livrez point à ceux qui me
persécutent pour ce jugement. Ou, comme on lit dans quelques exemplaires: « Ne
me livrez u point à mes persécuteurs ». L’expression grecque, en effet, tois antidikousi; se traduit par nocentibus, ceux qui me nuisent, par persequentibus, ceux qui me persécutent,
par calumniantibus, ceux qui me
calomnient; je m’étonne de n’avoir lu, dans aucun des exemplaires que j’ai pu
me procurer, adversantibus, mes
adversaires, bien que le mot grec antidikos
se traduise sans hésitation par adversarius,
adversaire. Quand le Prophète supplie le Seigneur de ne point le livrer à ses
ennemis, quel est le sens de sa prière, sinon le même que quand nous disons: «
Ne nous induisez pas en tentation 1? » Car saint Paul nous montre quel est
notre adversaire, quand il dit: « De peur que le tentateur ne vous ait tentés 2
». Dieu nous livre à lui quand Dieu nous abandonne. Car le tentateur ne saurait
tromper celui que Dieu n’abandonne pas, lui qui, dans sa bonne volonté, donne à
l’homme la beauté comme la force. Quant à celui qui a dit dans son abondance: «
Je ne serai jamais ébranlé 3 ». Dieu en détourne sa face, et lui se trouble en
se voyant tel qu’il est. Celui, dès lors, dont la chair est crucifiée par la
crainte chaste du Seigneur, et qui, pur de toute convoitise charnelle, fait le
jugement et l’oeuvre de la justice, doit demander de n’être point livré àses
adversaires, c’est-à-dire de ne point céder aux persécuteurs, et de ne faire
point le mal en craignant de souffrir un mal. Le même Dieu qui lui donne de
vaincre ses convoitises, et de ne pas céder aux voluptés, lui donne aussi la
force de la patience et le soutient contre la douleur. Celui dont il est dit: «
Le Seigneur donnera la douceur 4», est aussi celui dont il est dit encore: «
C’est de lui que vient ma patience 5».
3. Enfin: «Affermissez votre serviteur dans
le bien, que les superbes ne me calomnient pas 6 ». Ils me poussent afin de me
faire succomber au mal; pour vous, affermissez-moi dans le bien. Ceux qui ont
traduit: Non calumnientur me, au lieu
de mihi, ont suivi le mot grec, moins
usité dans la langue latine. Ou peut-être: Non
calumnientur me aurait-il la même énergie que si l’on disait: Qu’ils ne me
surprennent point par leurs calomnies?
1.
Matth. VI, 13. — 2. I Thess. III, 5.— 3. Ps. XXIX, 7,8. — 4. Id. LXXXIV, 13. —
5. Id. LII, 6. — 6. Id. 118, 122.
4. Or, les superbes peuvent jeter le mépris
sur l’humilité chrétienne par bien des calomnies; mais la plus grande est
d’entendre ces hommes superbes nous accuser d’adorer un mort. Car c’est la mort
du Christ qui nous prêche, qui relève à nos yeux l’humilité d’une manière
divine. Or, cette calomnie nous vient des deux peuples infidèles, des Juifs et
des Gentils. Les hérétiques ont aussi leurs calomnies propres à chacune des
sectes: ils ont les leurs, tous ces schismatiques séparés par leur orgueil de
l’unité des membres du Christ. Or, quelle effrayante calomnie ne lança point le
diable lui-même contre le juste, quand il s’écria: « Est-ce donc gratuitement
que Job sert le Seigneur 1 ». Mais un regard plein de vigilance et de piété sur
Jésus crucifié, dissipe ces calomnies des superbes comme la bave empoisonnée
des serpents. C’était lui que voulait figurer Moïse quand, sur l’ordre de Dieu,
il planta dans le désert la figure d’un serpent au haut d’un arbre 2, afin de
nous montrer que la ressemblance de la chair du péché, qui était dans le Christ,
serait attachée à la croix. C’est en fixant nos regards sur cette croix
salutaire que nous chassons tout le venin de nos calomniateurs; c’est elle que
le Prophète fixait en quelque sorte avec une profonde attention, quand il
disait: « Mes yeux s’affaiblissent dans l’attente de votre salut et des paroles
de votre justice 3 ». Car Dieu a revêtu son Christ d’une chair semblable à
notre chair de péché 4, et l’a fait péché pour nous, afin qu’en lui nous
fussions la justice de Dieu 5». Le Prophète nous dit donc que ses yeux se sont
affaiblis à attendre cette parole de la justice divine, lorsque sentant
jusqu’où va la faiblesse humaine, il a une soif ardente de cette divine grâce
qu’il considère dans le Christ.
5. De là cette prière du Prophète: « Agissez
avec votre serviteur selon votre miséricorde 6 », et non, selon ma justice. «Et
enseignez-moi vos justifications »; sans doute ces moyens par lesquels Dieu
fait les justes, qui ne le deviennent point par eux-mêmes.
6. « Je suis votre serviteur ». Car je ne me
suis pas bien trouvé d’être libre, et non à votre service. « Donnez-moi
l’intelligence, afin que je sache vos témoignages 7». Il ne faut jamais cesser
de faire à Dieu cette prière, car il
1.
Job, I, 9.— 2. Numb. XXI, 9; Jean, III, 14.— 3. Ps. 118, 123. — 4. Rom. VIII,
3.— 5. II Cor. V, 21.— 6. Ps. 118, 124.— 7. Id. 125.
ne suffit pas d’avoir reçu l’intelligence,
d’avoir appris les préceptes de Dieu; il faut recevoir toujours cette
intelligence, et en quelque sorte boire à la source de la lumière éternelle. Car
plus un homme a d’intelligence, et plus il connaît les témoignages du Seigneur.
7. « Quant au Seigneur, il est temps qu’il
agisse 1 ». C’est ainsi qu’on lit en plusieurs exemplaires, et non comme en
d’autres: Seigneur, il est temps d’agir. Quel est donc ce temps, ou que doit
faire le Seigneur selon le Propbète? Ce qu’il avait demandé un peu auparavant:
« Agissez envers votre serviteur, selon u votre miséricorde 2 ».Voilà ce que le
Seigneur doit faire, il en est temps. Et que désignent ces paroles, sinon la
grâce qui nous a été révélée en son temps par Jésus-Christ? Et de quel temps
parle saint Paul, ici: « Lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son
Fils 3 »; et dans un autre endroit, citant une parole des Prophètes, où Dieu
dit: « Je vous ai exaucé au temps favorable, et secouru au jour de salut?
voici, dit l’Apôtre, le temps favorable, voici les jours de salut 4 ». Mais
pourquoi le Prophète, voulant nous montrer que pour le Seigneur il était temps
d’agir, a-t-il ajouté: « Ils ont dissipé votre loi? » Comme si pour le Seigneur
le temps d’agir était celui où les orgueilleux ont dissipé sa loi, eux qui, ne
connaissant point la justice de Dieu, et voulant établir leur propre justice,
n’ont pas été soumis à celle de Dieu 5? Qu’est-ce à dire en effet: « Ils ont
dissipé votre loi», sinon que dans leurs iniques prévarications ils ne l’ont
point observée entièrement? Il fallait donc à ces âmes orgueilleuses, trop
présomptueuses de leur liberté, imposer une loi, afin qu’après avoir violé
cette loi, ceux qui s’humilieraient dans la componction eussent recours par la
foi et non par la loi, à la grâce qui s’offrait à eux. Mais la loi ayant été
anéantie, vint le temps de la divine miséricorde par le Fils unique de Dieu.
Car la loi est entrée dans le inonde pour faire abonder le péché, et le péché
ayant anéanti la loi, le Christ est venu à temps pour faire surabonder la
grâce, où le péché avait abondé 6.
8. « C’est pour cela», dit le Prophète, «que
j’ai aimé vos préceptes plus que l’or et la
topaze 7 ». La grâce nous fait accomplir par
la charité ces préceptes de Dieu que nous ne
1.
Ps. 118, 426.— 2. Id. 127.— 3. Gal. IV, 4.— 4. Isa. XLIX, 8; II Cor. VI, 2.— 5.
Rom. X,
3.— 6. Id. V, 20.— 7. Ps. 118, 127.
pouvions accomplir par la crainte. « Car c’est
par la grâce de Dieu que la charité est répandue dans nos coeurs en vertu de
l’Esprit-Saint qui nous a été donné 1». Aussi le Seigneur nous dit-il: « Je ne
suis point venu pour abolir la loi, mais pour l’accomplir 2 ». Et l’Apôtre à
son tour: « La charité est la plénitude de la loi 3 ». De là vient que le
Prophète l’aime plus que l’or et la topaze; et dans un autre psaume, plus que
l’or et les pierres les plus précieuses 4; on dit en effet que la topaze est
une pierre des plus rares. Mais les Juifs ne comprenant point cette loi cachée
dans l’Ancien Testament,et recouverte comme d’un voile, ce qui était figuré par
cette face de Moïse qu’ils ne pouvaient regarder 5, n’accomplissaient les
préceptes du Seigneur qu’en vue d’une récompense terrestre et charnelle, et dès
lors ne l’accomplissaient point; car ce n’étaient point les préceptes, mais la
récompense qu’ils aimaient. De là vient que leurs oeuvres n’étaient point des
oeuvres volontaires, mais plutôt des oeuvres forcées. Mais pour celui qui aime
les préceptes plus que l’or et les pierres les plus riches, toute récompense
terrestre devient vile auprès de ces commandements, et l’on ne saurait établir
auôune comparaison entre les autres biens de l’homme et ces biens qui le
rendent bon lui-même.
9. « C’est pour cela que je me dirigeais
selon vos préceptes 6 ». Je me redressais, parce que je les aimais; et comme
ils sont droits, je me redressais en m’y attachant par l’amour, ce qui a pour
conséquence la parole suivante: « J’ai haï», dit le Prophète, « toute voie
d’iniquité ». Comment en effet ne point haïr le chemin tortueux, dès lors qu’il
aimait le chemin droit? De même en effet que s’il avait eu la passion de l’or
et des pierres précieuses, il eût haï tout ce qui aurait pu lui faire perdre
ces biens, de même, pour lui, aimer les préceptes du Seigneur, c’était haïr la
voie de l’iniquité, comme cet impitoyable écueil que l’on rencontre dans un
voyage sur la mer, et où le naufrage nous ferait perdre des biens inestimables.
Pour éviter ce malheur, il dirige ailleurs ses voiles, ce pilote prudent qui
s’est embarqué sur le bois de la croix, avec les précieuses marchandises des
préceptes divins.
1.
Rom. V, 5. — 6. Matth. V, 17,— 7. Rom. XIII, 10.— 8. Ps. XVIII, 11. — 9. Exod.
XXXIV, 33-35; II Cor. IV, 13-16. — 10. Ps. 118, 128.
Etudier
à fond les témoignages du Seigneur, c’est là une tâche difficile à un homme, et
toutefois il est bon d’étudier ce qu’il y a d’admirable, d’étonnant dans sa
loi. Cette loi, oeuvre d’un Dieu bon, ne donnait ni la justice, ni la vie; le
Prophète en a recherché ta cause, et il a trouvé que cette loi se bornait à
indiquer le péché, afin de nous humilier, et de nous démontrer qu’il nous faut
le secours de Dieu, et de nous le faire demander. Voilà ce qu’a compris le
Prophète, et il invoque te Seigneur qui nous a aimés le premier, lui demandant
de le servir par amour, de résister aux persécutions qui le détournaient du
service de Dieu, de connaître la loi d’une manière pratique; il s’humilie à
cause de ses fautes.
1. Voici les versets du psaume que nous
allons vous exposer avec le secours de Dieu:
« Vos témoignages sont admirables, et c’est
pourquoi mon âme les a sondés 1 ». Qui peut énumérer au moins sommairement les
témoignages de Dieu? Le ciel et la terre, les oeuvres visibles, et les oeuvres
invisibles, sont en quelque manière le témoignage de sa bonté, comme de sa
grandeur; ce cours si régulier et si répété de la nature, le temps qui entraîne
dans son cours toutes sortes de créatures quoique passagères et mortelles, tout
cela que l’habitude nous rend moins sensible, n’en rend pas moins témoignage au
Créateur, quand on le considère avec une pieuse attention. Qu’y a-t-il dans ces
créatures qui ne soit point admirable, quand on en juge, non d’après l’usage,
mais d’après la raison? Et si nous embrassons comme d’un seul regard tout cet
ensemble, ne se vérifie-t-elle point cette parole du Prophète: « J’ai considéré
vos oeuvres, et j’en ai été dans l’extase 2?» Et toutefois notre interlocuteur
n’est point hors de lui-même en admirant ces ouvrages; mais il nous dit qu’il a
dû les étudier avec tant de soin parce qu’ils sont admirables. Après cette
exclamation en effet: « Combien sont admirables les témoignages du Seigneur »,
il ajoute: « C’est pour cela que mon âme les a sondés»; comme si la difficulté
de les sonder avait stimulé sa curiosité. Plus un effet est caché dans sa
cause, et plus il est admirable.
2. Qu’un homme donc s’en vienne dire qu’il
étudie les témoignages du Seigneur, parce qu’il les trouve admirables; ne
pourrions-nous pas, en voyant que toutes les créatures qui se révèlent ou qui
se dérobent à nos yeux,
1. Ps. 118, 129. — 2. Habac. III, 1.
sont pleines de ces témoignages, l’arrêter en
disant: « Ne cherche point au-dessus de toi, et ne sonde point ce qui est plus
fort que toi, mais repasse toujours en ton esprit ce que Dieu t’a commandé 1? »
Mais il nous répond en disant: Ces préceptes du Seigneur, que vous me
recommandez de méditer, sont ces mêmes témoignages que je trouve admirables,
car ils nous attestent que c’est le Seigneur qui commande, et qu’il est grand
et bon dès lors qu’il donne de semblables préceptes: oserions-nous dès lors le
détourner d’étudier ces commandements, et ne serions-nous pas les premiers à
l’exciter à s’adonner de toutes ses forces à un travail si important? Ou bien
en viendrons-nous à confesser que les préceptes du Seigneur sont des
témoignages de sa bonté, tout en niant qu’ils soient admirables? Qu’y a-t-il
d’admirable, en effet, qu’un Dieu qui est bon commande le bien? Ce qui est tout
à fait étonnant, au contraire, c’est qu’un Dieu qui est bon et qui ordonne le
bien, ait néanmoins donné une loi qui est bonne à des hommes qu’elle ne pouvait
justifier, puisque cette loi, quelque bonne qu’elle fût, ne leur donnait point
la justice? « Car si la loi qui a été donnée pouvait donner la vie, la justice
viendrait de la loi 2». Pourquoi donc en donner une qui ne pouvait ni donner la
vie, ni donner la justice? Voilà ce qui doit nous étonner, nous effrayer. Voilà
ce qu’il y a d’admirable dans les témoignages de Dieu: et l’âme du Prophète les
a sondés, parce que l’on ne saurait lui dire à ce sujet: « Ne sonde pas ce qui
est plus fort que toi, mais repasse toujours en ton esprit ce que Dieu t’a
commandé 3 »; puisque c’est cela
1. Eccli. III, 22. — 2. Gal. III, 21. — 3.
Eccli. III, 22.
même que le Seigneur a commandé, et que dès
lors on doit toujours méditer. Voyons plutôt ce qu’a trouvé l’âme du Prophète
après avoir sondé.
3. « La révélation de vos promesses répand la
lumière et donne l’intelligence aux petits 1 ». Quels sont ces petits, sinon
les humbles et les faibles? Loin de toi donc tout orgueil ! arrière toute
présomption de tes forces qui sont nulles, et tu comprendras pourquoi Dieu a
donné une loi qui était bonne, sans pouvoir néanmoins donner la vie. Car le but
de la loi était de rabattre ta grandeur pour te faire petit, de te montrer que
tu n’as pas en toi-même la force d’accomplir la loi, de te forcer dans ton
indigence et ton dénuement à recourir à la grâce et de t’écrier: « Ayez pitié
de moi, Seigneur, à cause de ma faiblesses 2». Voilà que la méditation a fait
comprendre au Prophète, qui est petit, cette vérité que nous montre celui qui
se dit le moindre des Apôtres, saint Paul, lequel se fait petit enfant,
c’est-à-dire qu’une loi impuissante à nous vivifier nous a été donnée: « Parce
que l’Ecriture a tout renfermé sous le péché, afin que la promesse faite par
Dieu fût accomplie par la foi en Jésus-Christ à l’égard de ceux qui croiront 3
». Ainsi soit-il, Seigneur! Oui, ainsi soit-il, Dieu de miséricorde! commandez
ce qu’on ne saurait accomplir, ou plutôt commandez ce qu’on ne saurait
accomplir que par votre grâce, afin que cette impuissance des hommes à rien
faire par leurs propres forces « leur ferme la bouche », et que nul ne croie
plus à sa grandeur. Que tous deviennent petits, tous coupables devant vous. «
Parce que nul homme ne sera justifié devant Dieu par les oeuvres de la loi; car
la loi ne donne que la connaissance du péché. Maintenant la justice que Dieu
donne sans la loi nous a été découverte, attestée par la loi et par les
Prophètes 4». Tels sont vos admirables témoignages qu’a sondés l’âme de cet
humble enfant, et il les a découverts, parce qu’il s’est fait humble et petit.
Qui pourrait accomplir vos préceptes comme on doit les accomplir, c’est-à-dire
par la foi qui opère dans la charité 5, si votre Esprit-Saint ne répandait
lui-même cette charité dans les coeurs 6?
4. Voilà ce que proclame cet interlocuteur
1.
Ps. 118, 130. — 2. Id. VI, 3.— 3. Gal. III, 21, 22.— 4. Rom, III, 19-21. — 5.
Gal, V, 6. — 6. Rom. V, 5.
devenu humble: « J’ai ouvert ma bouche »,
nous dit-il, « et j’ai attiré l’esprit, parce que je brûlais d’ardeur pour vos
commandements 1 ». Que désirait-il, sinon d’accomplir ces préceptes? Mais,
faible et petit, il ne pouvait accomplir des oeuvres fortes et grandes; il a
ouvert la bouche, confessant ainsi ce qu’il ne pouvait faire de lui-même, et il
a attiré la force de le faire; il a ouvert la bouche en demandant, en
cherchant, en frappant 2; dans sa soif, il a puisé l’esprit de sainteté qui lui
a fait accomplir ce qu’il ne pouvait par lui-même, c’est-à-dire une loi sainte,
et juste, et bonne 3. Si nous, en effet, quoique méchants, nous savons donner
ce qui est bon ànos enfants, à combien plus forte raison Dieu donnera-t-il du
ciel l’Esprit de sainteté à ceux qui le demandent 4? Ce ne sont point ceux qui
agissent par leur sens propre, mais tous ceux qui sont dirigés par l’Esprit de
Dieu, qui sont fils de Dieu 5; non qu’eux-mêmes ne fassent rien, mais de peur qu’ils
ne fassent rien de bon, c’est la bonté même qui les fait agir. Car chacun
devient de plus en plus enfant de Dieu, à mesure que Dieu répand plus largement
en lui l’Esprit de sainteté.
5. Enfin le Prophète continue à prier. Il a
ouvert la bouche et attiré l’Esprit, mais il frappe encore à la porte du Père
céleste; il cherche encore. Il a bu; mais plus il a goûté de délices, et plus
ardente est sa soif. Ecoutez les paroles de celui qui a soif: « Jetez les yeux
sur moi », dit-il, « et prenez-moi en pitié, selon vos décrets envers ceux qui
aiment votre nom 6 »; c’est-à-dire, selon votre décret envers ceux qui aiment
votre nom; afin qu’ils vous aiment, vous les aimez le premier. C’est ce que dit
saint Jean: « Nous aimons Dieu », dit-il; et comme si nous lui demandions le
motif de cet amour, il ajoute: « Parce qu’il nous a aimés le premier 7 ».
6. Vois encore ce que nous dit clairement le
Prophète: « Dirigez mes pas selon vos préceptes, et que l’iniquité n’exerce
point sur moi son empire 8 ». Qu’est-ce dire autre chose que: Donnez-moi la
droiture et la liberté selon votre promesse? Plus en effet l’amour de Dieu
règne dans une âme, et moins l’iniquité y domine. Quel est donc l’objet de sa
prière, sinon d’aimer Dieu par le
1.
Ps. 118, 131.— 2. Matth. VII, 7.— 3. Rom. VII, 12.— 4. Luc, XI, 10, 13.— 5.
Rom. VIII, 14. — 6. Ps. 118, 132. — 7. I Jean, IV, 19. — 8. Ps. 118, 133.
secours de Dieu? En aimant Dieu il s’aime
lui-même, afin de pouvoir saintement aimer son prochain comme lui-même, double
précepte que renferment la loi et les Prophètes 1:
sa prière ne se réduit-elle pas à demander
que Dieu lui fasse accomplir par sa grâce les préceptes qu’il lui impose?
7. Mais que signifie cette parole: «
Délivrez-moi des calomnies des hommes, afin que je garde vos commandements 2? »
Si les reproches des hommes sont vrais, il n’y a point calomnie; s’ils sont
faux, à quoi bon. demander la délivrance de ces calomnies ou de ces fausses
récriminations qui ne sauraient lui être nuisibles? Car une fausse imputation
ou une calomnie ne rend un homme coupable qu’au tribunal d’un homme; mais au
tribunal de Dieu, il n’y a pas de fausse imputation, elle serait plutôt
nuisible à l’accusateur qu’à l’accusé. N’est-ce point là par avance la prière
de l’Eglise et de tout le peuple chrétien qui a été délivré des calomnies dont
les hommes le flétrissaient de toutes parts à cause de ce nom de Chrétiens?
Mais est-ce bien à cause de cette délivrance qu’il garde les commandements de
Dieu? Ne les gardait-il pas au milieu des calomnies, et n’était-il pas plus
glorieux pour lui d’obéir aux préceptes de Dieu, en dépit des tribulations, et
de résister aux persécuteurs qui le poussaient à l’impiété? Ces paroles donc: «
Délivrez-moi des calomnies des hommes, afin que je garde vos commandements »,
signifient, répandez en mon âme votre Esprit-Saint, de peur que cédant à la
crainte et aux calomnies des hommes, je ne me détourne de leurs préceptes pour
adopter leurs vices. Si vous en agissez ainsi avec moi, c’est-à-dire si vous me
délivrez des calomnies en m’accordant la patience, afin que je ne redoute
aucunement leurs récriminations, je garderai vos préceptes au milieu même des
calomnies.
8. « Faites briller sur votre serviteur la
lumière de votre face 3». C’est-à-dire, manifestez votre présence en me
fortifiant de vos grâces, « et enseignez-moi vos préceptes », de telle
1. Matth. XXII, 37-40. — 2.
Ps. 118, 134. — 3. Id. 135.
sorte que je les pratique; ce qui est dit
plus clairement dans un autre psaume: « Enseignez-moi, Seigneur, à faire votre volon
té 1». N’allons pas croire en effet qu’ils ont appris la loi, ceux qui l’ont
entendue et retenue de mémoire, sans la pratiquer. La Vérité a dit elle-même: «
Quiconque a ouï le Père et a eu l’intelligence, vient à moi 2». Donc, il n’a
rien appris celui qui ne vient pas, c’est-à-dire qui ne pratique pas.
9. Rappelant en son âme la douloureuse
pénitence qu’il fit de son péché, le Prophète s’écrie: « Mes yeux ont versé des
torrents de larmes, parce qu’ils n’ont point gardé votre loi 3 », c’est-à-dire
mes yeux. On lit en effet dans certains exemplaires: « Parce que je n’ai point
gardé votre loi, mes yeux ont descendu des torrents de larmes ». Comme on
dirait, mes pieds ont descendu la montagne, et non à travers la montagne, ou
par la montagne, comme on dit encore descendre une échelle, et non le long
d’une échelle. On dit encore en latin, piscinam
descendit, descendre la piscine; et non descendit
in piscinam, descendre dans la piscine. Le Prophète se sert admirablement
du mot descendre, pour marquer l’humiliation dans la pénitence; ses yeux
étaient montés en effet quand un orgueil obstiné les avait dirigés en haut. Ils
se croyaient fort élevés, lorsque dans leur ignorance de la justice de Dieu,
ils prétendaient établir leur propre justice 4; mais fatigués de ces efforts et
confus des violations de la loi, ils sont descendus de ces hauteurs, et ont
versé des larmes pour obtenir la justice de Dieu par la pénitence. Dans
certains exemplaires, au lieu de descendendit,
on lit transierunt, mes yeux ont
surpassé les torrents d’eau; ce qui serait une exagération pour dire que ses
larmes ont surpassé l’eau des fontaines, et nous donnerait à comprendre par ces
torrents d’eau que ses larmes ont été plus abondantes que l’eau des fleuves.
Mais, pourquoi pleurer ainsi, parce qu’on n’a point gardé la loi, sinon afin
d’obtenir la grâce qui efface le péché de l’homme pénitent, et qui soutient la
volonté du fidèle?
1. Ps. CXLII, 10.— 2. Jean, VI, 45. — 3. Ps.
CXLII, 136.— 4. Rom. X, 3.
Le Prophète
pleure sa faute à cause de la justice de Dieu, et dans la ferveur de son amour
il veut le faire partager à ceux qui lui rendent le mal pour le bien; il veut
leur faire goûter les délices de sa pénitence. Il semble regretter que ses
ennemis plus avancés en âge, et qui sont la figure de l’ancien peuple, aient
oublié la loi de Dieu, tandis que lui, peuple nouveau, est resté fidèle à cette
loi de Dieu au milieu des persécutions. Au milieu de ses angoisses, il demande
l’intelligence, c’est-à-dire de connaître combien est méprisable ce que la
persécution peut lui enlever; alors il vivra pour rendre témoignage à Dieu.
1. Celui qui chante notre psaume avait dit
plus haut: « Mes yeux ont versé des torrents de larmes, parce que je n’ai point
gardé votre loi 1». Ce qui nous montre combien il a pleuré sa prévarication.
Puis afin de nous donner raison de cette abondance de larmes, et de cette vive
douleur due à son péché, il s’écrie: « Vous êtes juste, Seigneur, et votre
jugement est droit. Vous avez imposé des préceptes qui sont la justice, et la
plus sainte vérité 2 ». C’est donc cette justice de Dieu, qui est irréfragable
jugement et vérité, que doit craindre tout pécheur. C’est par elle que sont
damnés tous les damnés, et nul ne peut rejeter sa perte sur ce Dieu qui est
justice. Voilà ce qui légitime les larmes du pénitent car tout coeur condamné
pour son impénitence, est damné par la plus stricte justice. Le Prophète a
raison de donner à la justice de Dieu le nom de témoignage, car Dieu se montre
juste en nous imposant la justice. Il l’appelle aussi vérité, puisque Dieu se
fait connaître aux hommes par de semblables témoignages.
2. Mais que dit ensuite le Prophète? « Mon
zèle m’a consumé 3 »; ou, comme on lit en d’autres exemplaires, « votre zèle ».
Ailleurs on lit: « Le zèle de votre maison m’a dévoré 4 », et non « m’a
desséché»,ce qui est cité dans l’Evangile, comme on le sait 5. Toutefois, votre
zèle m’a desséché, ressemble assez à: votre zèle m’a dévoré. Et cette version,
« mon zèle », qu’on lit en plusieurs exemplaires, ne soulève aucune difficulté;
y a-t-il en effet rien d’étonnant qu’un homme soit desséché par zèle? Mais
cette autre version:
« Votre zèle », nous indiquerait un homme
1. Ps. 118, 136.— 2. Id. 137, 138.— 3. Id.
139.— 4. Id. LXVIII, 10. — 5. Jean, II, 17.
qui a du zèle pour Dieu et non pour lui-même.
Cependant rien n’empêche de dire, « mon zèle ». L’Apôtre ne dit-il pas en
effet: « Je vous aime de jalousie en Dieu, de tout le zèle de Dieu 1? » Dire:
Je vous aime de jalousie, qu’est-ce que cela, sinon montrer son propre zèle?
Mais quand il dit « en Dieu», il montre qu’il n’aime point pour lui, mais pour
Dieu; de là cette parole: « Du zèle de Dieu ». C’est Dieu qui, par son Esprit,
forme cette émulation dans le coeur des fidèles, émulation d’amour et non
d’envie. Quelle sollicitude, en effet, mett0it dans la bouche de l’Apôtre cette
parole? « Je vous ai fiancés », nous répond-il, « à cet unique époux,
Jésus-Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge pure. Mais je crains
que comme Eve fut séduite par les artifices du serpent, vos esprits ne se
corrompent, et ne dégénèrent de la simplicité, qui est selon Jésus-Christ 3 ».
Il était dévoré du zèle de la maison de Dieu, non pour lui, mais pour le
Christ. Car si l’époux aime l’épouse d’un amour de jalousie, l’ami de l’époux
doit aimer cette épouse non pour lui-même, mais pour l’époux. On doit donc
prendre en bonne part le zèle du Psalmiste; et il nous en indique la cause en
disant: « Parce que mes ennemis ont oublié vos paroles ». Ils lui rendaient
donc le mal pour le bien, puisqu’il les aimait en Dieu d’un zèle si saint et si
violent, que ce zèle, selon son aveu, l’avait desséché; tandis que pour ce
motif ils le poursuivaient de leurs inimitiés, car le zèle dont il les aimait
le poussait à leur faire aimer Dieu. Dans sa reconnaissance pour cette grâce
divine qui d’ennemi qu’il était, l’avait réconcilié avec Dieu, il aimait ses
ennemis, et se sentait une sainte
1. II Cor. XI, 2. — 2. Id. 3.
jalousie de les gagner à Dieu; il
s’affligeait, il séchait de dépit de leur voir oublier ses paroles.
3. Considérant ensuite cette flamme d’amour
qu’allume dans son coeur la parole de Dieu: « Votre parole est un feu ardent,
et votre serviteur l’a aimée 1 ». C’est donc avec raison que le coeur
impénitent de ses ennemis stimulait son zèle: ils avaient, eux, oublié la
parole de Dieu, et il brûlait de les amener à ce qu’il aimait lui-même avec
tant d’ardeur.
4. « Je suis plus jeune et méprisé », dit le
Prophète, « mais je n’ai point oublié vos préceptes 2 »; contrairement à mes
ennemis qui ont oublié vos paroles. Plus jeune par l’âge, et n’ayant point
oublié les préceptes de Dieu, il semble regretter que ses ennemis qui sont ses
aînés, les aient oubliés. Que signifie, en effet, «je suis plus jeune, et
toutefois je n’ai point oublié», sinon que ces anciens ont oublié? Il y a en
effet dans le Neoteros, qu’on lit
aussi dans le passage où il est dit: « En quoi le plus jeune redresse-t-il sa
voix? » Ce mot « plus jeune», est un terme de comparaison, et dès lors est
relatif aux plus âgés. Nous reconnaissons donc ici ces deux peuples qui
luttaient jadis dans les entrailles de Rébecca: « Quand sans égard pour leurs
oeuvres, mais par la volonté de celui qui appelle, il lui fut répondu: L’aîné
servira le plus jeune 3 ». Mais ici le plus jeune se dit méprisé, et c’est en
cela qu’il est devenu le plus grand; car Dieu a choisi ce qu’ il y a de plus
bas et de plus méprisable dans le monde, et même les choses qui ne sont point,
pour anéantir ce qu’il y de plus grand 4. Et voilà derniers ceux qui étainet
premiers, et premiers ceux qui étaient derniers 5.
5. Or, ce n’est pas sans raison qu’ils ont
oublié les paroles de Dieu, eux qui, dans l’ignorance
1.
Ps. 118, 140. — 2. Id. 141. — 3. Gen. XX, 22 23; Rom IX, 12, 13. — 4. I Cor. I, 28. — 5. Matth.
XX, 16.
de la justice de Dieu, ont voulu établir leur
propre justice 1; mais il ne les a point oubliées, ce plus jeune qui a voulu
avoir, non sa propre justice, mais celle de Dieu, dont il dit maintenant: «
Votre justice est justice pour, l’éternité, et votre loi est la vérité même 2».
Comment ne serait-elle point vérité, cette loi qui fait connaître le péché, et
qui rend témoignage à la justice de Dieu? Voici en effet ce que dit l’Apôtre:
«La justice de Dieu a été manifestée, affirmée par la loi et les Prophètes 3».
6. C’est pour cette loi que le plus jeune a
souffert la persécution de la part de l’aîné, en sorte que ce plus jeune a pu
dire: « La tribulation et l’angoisse ont fondu sur moi; vos préceptes sont
toujours ma méditation 4 ». Qu’ils sévissent, qu’ils persécutent, pourvu que
l’on n’abandonne point les commandements, et que selon ces commandements, on
aime jusqu’aux persécuteurs.
7. « Vos jugements sont la justice éternelle:
donnez-moi l’intelligence et je vivrai 5 ». Ce plus jeune demande l’intelligence,
et pourtant, s’il ne l’avait point, il ne comprendrait pas mieux que les
vieillards; mais il la demande au milieu des angoisses et des tribulations,
afin de comprendre combien il doit mépriser ce que peuvent lui enlever les
persécutions de ses ennemis, dont il se dit méprisé. C’est pour cela qu’il
ajoute: « Et je vie vrai », car si la tribulation et l’angoisse étaient
poussées par ses persécuteurs jusqu’à lui ôter la vie, il vivrait néanmoins
éternellement, lui qui préfère aux biens du temps, cette justice qui dure
éternellement. Or, dans la tribulation et l’angoisse, cette justice devient le
martyre de Dieu, ou le témoignage qui a valu aux martyrs la couronne glorieuse.
1.
Rom. X, 9.— 2. Ps. 118, 142.— 3. Rom. III, 20, 21.— 4. Ps. 118, 143 — 5. Id.
144.
C’est
le coeur qui doit prier: il prie par l’application de la pensée, et il est
entier à la prière quand il exclut toute autre pensée. Ainsi prie le Prophète:
Il demande à Dieu de pouvoir chercher ses ordonnances, qui forment l’essence de
la sagesse. Mais pour trouver la sagesse, il faut la vouloir d’une manière
pratique, de manière à rendre témoignage à Dieu. Stimulé par son amour, le
Prophète ou plutôt l’Eglise a devancé le temps de la prière, quand par l’organe
des Prophètes elle a poussé des cris suffisants, avant l’incarnation. Elle
implore le secours de Dieu contre la persécution qui approche, et se confie
dans les témoignages de Dieu, basés sur Jésus-Christ, et promettant la vie
éternelle.
1. Qui pourrait douter que cet appel à Dieu
que l’on fait dans la prière ne soit un son des plus vains, quand il est
simplement le retentissement de la voix, sans que le coeur soit tourné vers
Dieu? Mais, s’il vient du coeur, quand même la voix se tairait, il peut être
inconnu à l’homme, jamais à Dieu. Soit donc que la voix se fasse entendre quand
cela est nécessaire, soit que l’on prie Dieu en silence, c’est le coeur qui
doit parler dans la prière. Or, ce cri du coeur est une forte application de la
pensée; et quand cette application se trouve dans la prière, elle marque dans
celui qui prie un désir tel qu’il ne désespère point d’obtenir ce qu’il
demande. Mais on crie à Dieu de tout son coeur, quand on n’a pas d’autre
pensée. De telles prières sont rares chez beaucoup, fréquentes seulement chez
le petit nombre; et je ne sais chez qui elles sont habituelles. Telle est, au
dire de notre interlocuteur, la prière qu’il a faite: « J’ai crié de tout mon
coeur, exaucez-moi, ô mon Dieu ». Puis il nous marque aussitôt ce que produira
son cri: « Je rechercherai vos ordonnances ». Voilà donc ce qui le faisait
crier vers Dieu de tout son coeur: rechercher ses ordonnances, telle est la
grâce qu’il demandait à Dieu. Prions dès lors le Seigneur de nous faire
chercher ce qu’il nous ordonne. Mais combien est encore éloigné de la pratique,
celui qui ne fait encore que rechercher ! Trouver n’est pas toujours la
conséquence de chercher, ni pratiquer la conséquence de trouver; mais on ne
saurait pratiquer sans avoir trouvé, ni trouver sans avoir cherché. Il y a
toutefois une grande espérance dans cette parole du Seigneur Jésus: « Cherchez,
et
1. Ps. 118, 142.
vous trouverez 1 ».La sagesse, qui n’est
autre que lui-même, nous dit cependant: « Les méchants me chercheront sans me
trouver ». Ce n’est donc pas aux méchants, mais aux bons, qu’il est dit: «
Cherchez, et vous trouverez? » Il l’a dit à ceux-là mêmes à qui, un peu plus
haut,it adresse ces paroles: « Si donc vous, tout méchants que vous êtes, vous
savez donner à vos enfants ce qui est bon 2». Comment dire aux méchants: «
Cherchez et vous trouverez »; quand il dit aussi: « Les méchants me chercheront
sans me trouver?» Le Seigneur voulait-il que l’on cherchât autre chose que la
sagesse, quand il faisait à ceux qui chercheraient la promesse qu’ils
trouveraient? Car la sagesse renferme tout ce que doivent chercher ceux qui
aspirent au bonheur. Là donc se trouvent les ordonnances de Dieu. Il nous reste
dès lors à conclure que tous les méchants ne trouveraient point la sagesse
quand même ils la chercheraient; c’est-à-dire ceux qui poussent la malice
jusqu’à la haïr. Car voici cette parole de la sagesse: « Les méchants me
chercheront sans me trouver; car ils haïssent la sagesse 3 ». C’est donc leur
haine qui les empêche de la trouver. Mais avec cette haine, comment la
chercheront-ils, à moins qu’ils ne la cherchent, non pour elle, mais pour
quelque avantage précieux aux méchants, et qu’ils espèrent acquérir plus
facilement au moyen de la sagesse? Il en est beaucoup en effet qui recherchent
avec soin les paroles de la sagesse, qui la veulent montrer dans leurs
discours, mais non dans leur vie; qui ne cherchent point à parvenir à la
lumière de Dieu, qui est la véritable sagesse, en réglant leurs moeurs d’après
ses maximes,
1.
Matth. VII, 7. — 2. Id. 11. — 3. Prov. I, 28, 29.
mais qui veulent se faire applaudir par les
hommes, et telle est la vaine gloire. Ils ne cherchent donc point la sagesse
même en la recherchant, puisque ce n’est point elle qu’ils cherchent, autrement
ils en feraient la règle de leur vie; mais ils veulent être enflés de ses
paroles; et plus ils en recherchent l’enflure, plus ils s’en éloignent. Or, en
implorant de Dieu ce que Dieu lui-même nous commande, en lui demandant de faire
ce qu’il ordonne que nous fassions; car c’est Dieu qui dans sa bonté, opère en
nous le vouloir et le faire !: « J’ai crié», dit le Psalmiste, « j’ai crié de
tout mon coeur; exaucez-moi, ô mon Dieu: je chercherai vos ordonnances »;
c’est-à-dire pour les accomplir, et non seulement pour les connaître, afin de
ne point ressembler à ce serviteur endurci, qui n’obéira point même après avoir
compris 2.
2. « J’ai crié, sauvez-moi 3 »; ou, comme on
trouve dans quelques exemplaires et grecs et latins. « Je vous ai crié, sauvez-moi».
Qu’est-ce à dire, « je vous ai crié », sinon je vous ai invoqué par mes cris?
Mais après avoir dit: Sauvez-moi, qu’a-t-il ajouté? « Et je garderai vos
témoignages», de peur de vous renier par faiblesse. Car la santé de l’âme
consiste à remplir le devoir que l’on connaît, et à combattre pour la vérité
des témoignages divins, jusqu’à la mort, si la dernière tentation va jusque-là.
Si l’âme n’a point cette santé, elle succombe de faiblesse, et abandonne la
vérité.
3. Mais ce qui suit renferme une certaine
obscurité, qu’il nous faut expliquer un peu plus longuement. « J’ai devancé
dans une nuit intempestive, et j’ai crié 4 ». Dans plusieurs manuscrits on ne
trouve pas, « au milieu de la nuit », intempesta
nocte, mais immaturitate, une
nuit peu avancée. C’est à peine si l’on en trouve un seul avec la double
préposition, c’est-à-dire in immaturitate,
dans la nuit peu avancée. L’expression immaturitas
désigne ici le temps de la nuit, qui n’est point mûr encore; c’est-à-dire une
nuit qui ne permet pas encore le travail à l’homme éveillé ce que l’on appelle
vulgairement l’heure indue. Une nuit, intempesta,
se dit encore du milieu de la nuit, quand on doit se reposer, et ce nom «
d’intempestive »,lui vient assurément de ce qu’elle est peu favorable au travail.Car
les anciens appelaient tempestivum ce
qui est
1. Philipp. II, 13. — 2. Prov. XXIX, 19. — 3.
Ps. 118, 116.— 4. Id. 147.
favorable, et intempestivum ce qui est défavorable, et cette expression a pour
racine le temps, et non cette tempête qui désigne ordinairement en latin la
perturbation du ciel. Toutefois les historiens emploient volontiers cette
expression, et au lieu de eo tempore,
ils disent ea tempestate, en ce
temps; et dans ce vers d’un grand maître:
…Unde haec tam clara repente
Tempestas 1?
le mot tempestas
ne signifie point un ciel troublé par les vents et les orages, mais un ciel
tout à coup brillant et splendide. Ce que le grec a donc exprimé par en aoria, non point en un seul mot, mais
en deux, la préposition et le nom, les traducteurs l’ont rendu par une « nuit
intempestive», d’autres par immaturitate,
non point eu deux mots, mais en un seul, dont le nominatif est immaturitas; d’autres encore en deux
mots, comme dans le grec: In immaturitate;
car aoria, signifie immaturitas, et en aoria, in immaturitate,
comme pour donner à intempesta nocte
le même sens qu’avec sa double préposition, in
intempesta, en sorte que l’une de ces prépositions indique l’heure, tandis
que l’autre fait partie du nom lui-même. Toutefois peu importe, quand on
indique le chant du coq pour l’heure d’une action, que l’on dise, galli cantu, ou bien in galli cantu. De même, pour nous dire
qu’il a crié dans la nuit peu avancée, peu importe que le Psalmiste se serve de
intempesta nocte, ou de in intempesta nocte. Le grec cependant à
dit: Dans une nuit non écoulée, ce qui revient à dire une nuit peu mûre,
c’est-à-dire, dans le moment où la nuit n’est point achevée. Mais c’est assez
disputer sur une expression obscure; voyons quel en est le sens.
4. « J’ai prévenu, dans le milieu de la nuit,
et j’ai crié: j’ai mis mon espoir en vos paroles ». Si nous rapportons ces
paroles àchaque fidèle, en les prenant à la lettre, il arrive souvent qu’à ce
point de la nuit l’amour de Dieu veille, et, dans ce sentiment de ferveur pour
la prière, il ne saurait attendre le chant du coq ou l’heure de la prière, mais
il le prévient. Mais si nous appelons nuit toute la vie d’ici-bas, c’est bien
avant qu’elle soit achevée que nous crions vers Dieu, et nous en prévenons la
maturité, ou la fin, alors que
1. Virgil. AEn. IX, 19, 20. D’où vient que
tout à coup le ciel est si serein?
Dieu nous rendra ce qu’il nous a promis, coin
me on lit ailleurs: « Prévenons sa force par un humble aveu 1». Toutefois, si
parle temps non écoulé de la nuit nous entendons les siècles écoulés avant la
plénitude des temps, c’est-à-dire que la maturité serait la manifestation du
Christ en sa chair 2, l’Eglise alors n’est point demeurée en silence; mais elle
a prévenu cette maturité des temps, elle a crié par les Prophètes, elle a espéré
dans les paroles de ce Dieu assez puissant pour accomplir ses promesses, et
bénir toutes les nations dans la race d’Abraham 3.
5. C’est elle qui dit ce qui suit: « Mes yeux
ont devancé le point du jour, afin de méditer vos paroles 4 ». Appelons matin ce
moment où la lumière s’est levée pour ceux qui étaient assis à l’ombre de la
mort 5; les yeux de l’Eglise n’ont-ils pas devancé ce matin, dans la personne
des saints qui étaient auparavant sur la terre, et qui ont ainsi devancé
l’avenir en méditant les promesses que Dieu avait faites alors; et qui
annonçaient dans la loi et les Prophètes ce qui arriverait aux hommes?
6. «Exaucez ma voix, Seigneur, selon votre
miséricorde; vivifiez-moi selon votre jugement 6 ». Dieu, dans sa miséricorde,
commence par abroger la peine due aux pécheurs;
puis, quand ils sont devenus justes, il leur
donne la vie; car ce n’est pas sans raison que le
Prophète a suivi cet ordre: « Je chanterai,
Seigneur, votre miséricorde et votre jugement», bien que le temps de la
miséricorde ne soit point séparé du jugement, dont l’Apôtre a dit: « Que, si
nous-nous jugions nous-mêmes, nous ne serions point jugés par Dieu. Mais
lorsque nous sommes jugés, c’est le Seigneur qui nous reprend, afin que nous ne
soyons point condamnés avec le monde 7». Et son collègue dans l’apostolat: «
Voici le temps où Dieu va commencer son jugement par sa propre maison; et s’il
commence par nous, quelle sera la fin de ceux qui ne croient point l’Evangile
de Dieu 8?» De même le dernier jugement ne sera point sans miséricorde, « car
Dieu vous couronne », dit le Psalmiste, « dans sa miséricorde et sa bonté 9 ».
Il est vrai qu’il y aura un jugement sans miséricorde, mais seulement pour
ceux- qui
1. Ps. XCIV, 2. — 2.
Gal. IV, 4. — 3. Gen. XII, 3; XXII, 18. — 4. Ps.
118, 148. — 5. Isa. IX, 2. — 6. Ps. 118, 149. — 7. I Cor, XI, 32. — 8. I
Pierre, IV, 17. — 9. Ps. CII, 4.
seront à gauche et n’auront point fait
miséricorde 1.
7. « Ils m’ont approché, ceux qui me
persécutent par l’injustice 2», ou « injustement », comme on lit en certains
manuscrits. C’est approcher de la part des persécuteurs, que pousser la
persécution jusqu’à déchirer notre chair, lui donner la mort. De là cette
parole du psaume vingt-unième, qui est une prophétie de la passion du Christ: «
Ne vous éloignez pas, car la persécution est proche 3»; ce qui était dit non
sous la menace, mais sous le coup même de la passion. Il dit que l’affliction
qu’il souffrait dans sa chair est proche, parce que pour l’âme rien n’est plus
proche que la chair dont elle est revêtue. Donc ces persécuteurs se sont.
approchés en affligeant la chair de leurs victimes. Mais écoute la suite: « Ils
se sont éloignés de votre loi». Plus ils approchent des justes pour les
persécuter, plus ils s’éloignent de la justice. Mais quel mal ont-ils fait à
ceux dont ils s’approchaient ainsi, puisque le Seigneur, qui ne les abandonne
jamais, s’approchait d’eux intérieurement?
8. Aussi voyez la suite. « Mais vous êtes
près de moi, Seigneur, et toutes vos voies sont vérité ». Au milieu de leurs
souffrances les saints confessent ordinairement la vérité de Dieu, et
proclament qu’ils souffrent avec justice. Ainsi en fut-il de la reine Esther,
ainsi de Daniel, ainsi des trois enfants dans la fournaise, ainsi de tous leurs
émules en sainteté. Mais on peut demander comment il est dit: « Toutes vos
voies sont vérité », quand il est dit ailleurs: « Toutes les voies du Seigneur
sont miséricorde et vérité». A l’égard des saints toutes les voies du Seigneur
sont miséricorde, comme toutes les voies du Seigneur sont vérité, car il les
soutient même en les jugeant, et ainsi la miséricorde ne fait point défaut, et
dans sa miséricorde il leur donne ce qu’il a promis, de peur de manquer à sa
vérité. Quant à l’universalité des hommes, à ceux qu’il délivre, comme à ceux
qu’il condamne, toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité: et dès
que sa miséricorde est à bout, il fait voir la vérité de ses vengeances. Il en
sauve plusieurs qui ne l’ont point mérité, il n’en condamne point qui ne le
méritent.
9. « Dès le commencement », dit le Prophète,
1. Jacques, II, 13. — 2. Ps. 118, 150. — 3.
Id. XXI, 12.
« j’ai connu par vos témoignages que vous les
avez fondés pour l’éternité ». Ce que le grec a exprimé par catarxas, dès le commencement, les
nôtres l’ont traduit par initio, ou
bien par ab initio, et même par ab initiis. Mais en traduisant par le
pluriel, « dès les commencements », on rend le grec avec plus de fidélité.
Toutefois, dans la langue latine, on rencontre plus fréquemment initio, ou ab initio, ce que les Grecs expriment au pluriel, quoique d’une
manière adverbiale, par catarxas. En
latin cependant nous trouvons par exemple: Alias
hoc facio, « plus tard, voici ce que je ferai », où nous semblons employer
un pluriel féminin, et qui est simplement un adverbe, lequel signifie, dans un
autre temps. Que signifie donc cette parole: « J’ai a connu dès le commencement
», ab initio, ou bien d’une manière
adverbiale, initio, « J’ai connu dès
le commencement, à propos de vos témoignages, que vous les avez fondés? » Il
dit qu’il a connu par les témoignages du Seigneur que ces témoignages sont
fondés pour l’éternité; il affirme qu’il l’a connu dès le commencement, et
qu’il ne l’a pas connu par une autre voie que par ces mêmes témoignages. Or,
quels sont ces témoignages, sinon la promesse que Dieu a faite de donner à ses
enfants un royaume éternel? et comme il avait promis de le donner par son Fils
unique, dont il est dit que « son royaume n’aura point de fin 1», le Prophète
nous dit que ces témoignages sont fondés pour l’éternité, parce que l’objet de
la promesse divine est éternel. Car en eux-mêmes les témoignages ne seront plus
nécessaires, quand sera vu à découvert ce qui a besoin de témoignage pour
obtenir notre adhésion. Aussi le Prophète a-t-il dit avec justesse: « Vous les
avez fondés », puisque c’est en Jésus-Christ que l’on en découvre la vérité.
Or, « nul ne saurait poser un fondement autre que celui qui a été posé, et qui
est Jésus-Christ 2 ». Comment donc le Prophète a-t-il compris cela dès le commencement,
sinon parce que c’est l’Eglise qui parle ici, et que, dès l’origine du genre
humain, l’Eglise n’a pas fait défaut au monde, elle qui eut pour prémices de
sainteté Abel immolé, lui aussi 3, pour être un témoignage du sang du
Médiateur, qu’un frère impie devait répandre? C’est au commencement en effet
que fut prononcée cette parole: « ils seront deux dans une seule chair 4 » et
saint Paul a dit à ce sujet: « Ce sacrement est grand, oui, dans le Christ et
dans l’Eglise 5 ».
1.
Luc, I, 33. — 2. I Cor. III, 11. — 3. Gen. IV, 8. — 4. Id.
II, 24. — 5. Ephés. V,32.
Cette
loi que le Prophète n’a point oubliée, est celle qui élève les humbles, et
abaisse les orgueilleux; or, l’élévation des saints, c’est la vie éternelle, due
à la grâce qui nous sépare des pécheurs. Cette grâce a produit dans l’Eglise la
force en face des persécuteurs: de là tant de martyrs; et la charité qui pleure
les apostasies, en même temps qu’elle raffermit dans la parole divine.
1. Nul d’entre les membres du Christ ne
regardera comme étrangère pour lui cette parole, que répète le corps mystique
du Christ, tout entier dans l’humilité, et qui commence, dans notre psaume,
notre lecture d’aujourd’hui: « Voyez mon humiliation et délivrez-moi, car je
n’ai point oublié votre loi 1 ». Nous ne
1. Ps. 118, 153.
pouvons entendre ici nulle autre loi de Dieu
que le décret qui astreint irrévocablement à être humilié quiconque s’élève, et
quiconque s’humilie, à être élevé 1. Le superbe est donc en proie aux misères afin
d’en être humilié, et l’humble en est délivré afin d’être élevé.
1. Luc, XIV, 11; XVIII, 14.
2. «Jugez ma cause »,dit le Prophète, « et
rachetez-moi 1». C’est là une répétition de la pensée précédente. Car « voyez
mon humiliation », revient à «jugez ma cause »; et « délivrez-moi », revient à
« rachetez-moi ». Enfin cette parole qui précède: « Je n’ai point oublié votre
loi », a rapport à cette autre qui suit: « Donnez-moi la vie à cause de votre
parole ». Car cette parole est la loi de Dieu, qu’il n’a point oubliée, afin de
s’humilier pour être ensuite élevé. Or, à cette élévation revient cette parole:
« Donnez-moi la vie »; car l’élévation des saints est la vie éternelle.
3. « Loin des pécheurs est le salut, parce
qu’ils n’ont point recherché vos justifications 2 ». Qui te sépare en effet, ô
toi, qui proclames « que loin des pécheurs est le salut », qui te sépare de ces
pécheurs, de sorte que ce salut ne soit point éloigné de toi, mais avec toi? Ce
discernement vient peut-être de ce que tu as fait ce qu’ils n’ont point fait,
c’est-à-dire recherché les justifications de Dieu. « Qu’as-tu que tu n’aies pas
reçu? » N’est-ce pas toi qui disais un peu plus haut « J’ai crié de tout mon
coeur: exaucez-moi, mon Dieu, je chercherai vos ordonnances? » C’est donc de
celui à qui tu en appelais que tu as reçu de les chercher. C’est donc lui qui
t’a séparé de ceux qui sont éloignés du salut, par cela même qu’ils n’ont point
recherché les ordonnances de Dieu.
4. Voilà ce qui n’a point échappé au
Prophète. Et moi je ne le verrais point si je ne le voyais en lui, si je
n’étais en lui. Car ces paroles sont du corps de Jésus-Christ, dont nous sommes
les membres. Voilà, dis-je, ce qu’il a vu, et aussitôt il ajoute: « Seigneur,
vos miséricordes sont grandes ». Et ces recherches que nous faisons de vos
ordonnances ne sont qu’un effet de vos miséricordes. « Vivifiez-moi selon votre
jugement 4 ». Car je sais que votre jugement sur moi ne sera point sans
miséricorde.
5. « Mes persécuteurs et mes ennemis
deviennent de plus en plus nombreux, je ne me suis point détourné de vos
oracles 5 ». C’est là un fait: nous le savons, nous nous en souvenons, nous le
proclamons. Toute la terre a été rougie du sang des martyrs; les couronnes des
martyrs embellissent le ciel, les
1.
Ps. 118, 154.— 2. Id. 155.— 3. I Cor. IV, 7.— 4. Ps. 118, 156.
Eglises sont illustrées par les temples
élevés aux martyrs, les fêtes des martyrs viennent rehausser les jours de
l’année, et chaque jour on voit des guérisons par les mérites des martyrs. D’où
viennent tous ces honneurs, sinon parce que s’est accomplie à l’égard de cet
homme répandu dans l’univers entier cette prophétie: « Mes persécuteurs et mes
ennemis deviennent de plus en plus nombreux, et je ne me suis point détourné de
vos oracles?» Nous le reconnaissons et en rendons à Dieu des actions de grâces.
Car c’est bien toi, ô homme, c’est toi qui as dit dans un autre psaume: « Si le
Seigneur ne nous eût assistés, les hommes nous auraient dévorés tout vivants
1». Voilà pourquoi tu n’as point dévié de ces témoignages, et pourquoi,
environné de cette foule de persécuteurs et d’ennemis, tu as pu néanmoins
cueillir la palme céleste à laquelle Dieu t’appelait.
6. « J’ai vu les insensés, et j’ai séché de
dépit », ou comme on lit en d’autres exemplaires, et c’est la version la plus
commune « J’ai vu ceux qui n’observaient point votre pacte 2 ». Mais quels sont
les violateurs du pacte, sinon ceux qui se sont éloignés des témoignages de
Dieu, et qui n’ont pu supporter les nombreuses persécutions? Et le pacte c’est
la couronne décernée au vainqueur. Ce pacte, ils l’ont violé, ceux qui
succombant aux persécutions, se sont éloignés par l’apostasie des témoignages
du Seigneur. Voilà ceux qu’a vus le Prophète, et il en séchait de dépit parce
qu’il les aimait. Or, ce zèle est ban, il vient de l’amour et non de l’envie.
Le Prophète nous montre ensuite en quoi ces apostats ont violé le pacte du
Seigneur: « C’est », dit-il, « parce qu’ils n’ont point gardé vos paroles ».
Ils les ont reniées au milieu des souffrances.
7. Pour montrer combien il diffère de ces
apostats, le Prophète s’écrie: « Voyez, Seigneur, combien j’ai aimé vos
préceptes ». Il ne dit point: J’ai renié vos paroles ou vos témoignages, comme
on voulait y contraindre les martyrs, dont la fidélité était accablée de douleurs
si violentes, mais il nous signale tout l’avantage des souffrances: car en vain
je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité cela ne me sert
de rien 3. Telle est la charité dont il s’applaudit: « Voyez, Seigneur, combien
j’ai aimé vos préceptes ».
1.
Ps. CXIII, 2. — 2. Id. 118, 158. — 3. I Cor. XIII, 3.
Puis il demande sa récompense: « Seigneur,
donnez-moi la vie dans votre miséricorde». Ceux-là me donnent la mort, vous,
donnez-moi la vie. Mais s’il demande à la miséricorde le prix que lui doit la
justice, combien plus doit-il à cette miséricorde cette victoire même qui
mérite une récompense !
8. « Le principe de vos paroles est la
vérité, et tous les jugements de votre justice sont éternels 1 ». C’est de la
vérité, dit-il, que découlent vos paroles, et dès lors elles sont vraies; sans
jeter personne dans l’erreur, elles assurent la vie au juste, la damnation à
l’impie. Tels sont les jugements de Dieu qui subsistent dans l’éternité.
1. Ps. 118, 160.
Rien
ne motivait les persécutions contre l’Eglise, puisque l’Evangile ordonne la
soumission aux pouvoirs terrestres, c’est à Dieu que s’est attachée l’Eglise
pour triompher et remporter les dépouilles ou convertir ses persécuteurs. De là
ce redoublement d’amour pour la loi de Dieu qu’on craint de violer, et cette
prière faite sept fois le jour, ou un nombre complet. L’amour de la loi de Dieu
nous préserve des chutes, mais le salut nous vient du Christ annoncé, parla
loi, en des témoignages qui font notre espérance. Aussi le Prophète nous dit-il
que ses voies sont en Dieu, en Dieu qui regarde les méchants, qui voit aussi
les justes, c’est-à-dire qu’il a voulu marcher selon la volonté de Dieu.
1. Nous savons quelles persécutions les rois
de la terre ont infligées au corps du Christ, c’est-à-dire à la sainte Eglise.
Reconnaissons donc ses plaintes dans les paroles suivantes: « Les princes m’ont
persécuté sans sujet, et mon coeur ne craint que votre parole 1». Qu’avaient
fait aux royaumes de la terre, ces chrétiens à qui leur roi avait promis le
royaume des cieux? En quoi ces promesses blessaient-elles des royaumes
terrestres? Ce roi qu’ils servent a-t-il défendu à ses soldats de rendre et de
payer aux rois de la terre ce qui leur est dû? Quand les Juifs le calomniaient
à ce sujet, ne dit-il point: « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce
qui est à Dieu 2?» « Ne prit-il pas, dans la gueule d’un poisson, de quoi payer
lui-même le tribut? Son précurseur dit-il aux soldats de ce royaume, qui lui
demandaient ce qu’ils devaient faire pour acquérir la vie éternelle: Quittez le
baudrier, jetez vos armes, abandonnez votre roi, afin d’entrer dans la milice
du Seigneur? Nullement, « mais gardez-vous de toute violence, de toute injure,
et que votre solde vous suffise 1 ». Un des soldats les plus affectionnés de ce
roi, son compagnon fidèle, ne dit-il pas à
1.
Ps. 118, 161. — 2. Matth. XVII, 21.— 3. Luc, III, 14.
ses frères d’armes, et en quelque sorte aux
fourriers du Christ: « Que toute âme soit soumise aux puissances supérieures? »
Et un peu plus loin: « Rendez à chacun ce qui lui est dû; le tribut à qui vous
devez le tribut, l’impôt à qui vous devez l’impôt, la crainte à qui vous devez
la crainte, l’honneur à qui l’honneur est dû. Ne soyez redevables envers
personne, sinon de l’amour qui est dû à tous 1? » N’a-t-il pas ordonné à son
Eglise de prier pour les rois? En quoi
donc les chrétiens ont-ils pu offenser ces
rois? De quel devoir sont-ils en demeure? En quoi les chrétiens ont-ils désobéi
aux rois de la terre? C’est donc réellement sans sujet que les rois de la terre
ont persécuté les chrétiens? Mais écoute la suite: « Et mon coeur a tremblé à
cause de vos paroles ». Assurément les paroles de ces hommes étaient
effrayantes; bannissement, proscription, mort, déchirer avec des ongles de fer,
brûler vif, condamner aux bêtes, déchirer les membres; mais j’ai redouté vos
paroles plus encore: « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, et ne peuvent
plus rien ensuite; mais craignez celui qui ala puissance de jeter en enfer
1. Rom. XIII, 1, 7-8.
le corps et l’âme 1». Voilà vos paroles qui
m’ont saisi de frayeur: et j’ai méprisé l’homme qui me persécutait, vaincu le
diable mon séducteur.
2. Il est dit ensuite: « Je me réjouirai de
vos oracles comme celui qui a remporté de riches dépouilles 2 ». Les paroles
qui l’ont fait craindre l’ont rendu victorieux; car c’est aux vaincus que l’on
enlève les dépouilles; et voilà qu’il a été dépouillé comme un vaincu, celui
dont il est dit dans l’Evangile: « Nul n’entre dans la maison du fort, pour
enlever ce qui lui appartient, si tout d’abord il n’enchaîne ce fort 3 ». Mais
il se trouva beaucoup de dépouilles, quand, pris d’admiration pour les martyrs,
les persécuteurs eux-mêmes embrassèrent la foi; quand ceux qui voulaient détruire
notre roi en égorgeant ses soldats, vinrent eux-mêmes grossir ses rangs. Tout
homme dès lors qui cède à la parole de Dieu, et craint d’être vaincu dans le
combat, tressaille dans ces paroles qui l’ont rendu victorieux.
3. Mais de peur que nous n’en venions à
croire que cette crainte a jeté dans son âme quelque haine contre la parole de
Dieu, le Prophète qui avait déjà dit: « Vos paroles m’ont fait tressaillir »,
langage qu’il n’eût pu tenir, s’il eût eu de la haine, ajoute néanmoins: « J’ai
eu l’injustice en horreur, en abomination; mais j’ai aimé votre loi 4 ». Ainsi,
cette crainte qu’il ressentait pour la parole de Dieu, loin de lui en inspirer
la haine, la lui a fait au. contraire aimer plus parfaitement, car il n’y a
point de différence entre la loi et les paroles de Dieu. A Dieu ne plaise que
la crainte bannisse l’amour, quand cette crainte est chaste ! Un fils pieux a
pour son père de la crainte et de l’amour; une chaste épouse craint son époux,
de peur d’en être abandonnée; elle l’aime, afin de le posséder. Si donc l’on
doit craindre et aimer ùn père qui est un homme, un époux qui est un homme,
combien plutôt doit-on craindre et aimer notre Père qui est dans les cieux 5;
cet Epoux plus beau que les enfants des hommes, non d’une beauté corporelle,
mais d’une beauté spirituelle ! Eh ! qui aime la loi de Dieu, sinon l’homme qui
aime Dieu? Et pour un fils bien né, qu’a de fâcheux la loi d’un père? Est ce
parce qu il
1. Matth. X, 18. — 2. Ps. CXVII, 162. — 3.
Matth. XII, 19. — 4. Ps. 118, 163. — 5. Matth. V, 9.
châtie tous ceux qu’il aime, et qu’il frappe
tout homme qu’il reçoit parmi ses enfants 1? Mépriser ces décrets de Dieu,
c’est renoncer à ses promesses. Il nous faut donc louer les jugements de Dieu
même sous son fouet, si nous voulons jouir des récompenses qu’il promet.
4. C’est là ce que fait autre interlocuteur:
« Sept fois le jour », dit-il, « je vous ai loué sur la justice de vos décrets
2». « Sept fois le jour», c’est-à-dire toujours. Ce nombre, en effet, désigne ordinairement
une totalité; c’est pourquoi, après les six jours de la création, Dieu donna le
septième au repos 3; et la révolution de sept jours forme les temps et les
siècles. Tel est encore le motif qui a fait dire: « Le juste tombera sept fois
en un jour, et se relèvera »; c’est-à-dire, le juste ne périt point, quelles
que soient ses humiliations, pourvu qu’il ne pèche point, autrement il ne
serait plus juste. Alors cette expression: il tombe sept fois, désigne ici
toutes les tribulations qui affligent le juste, et comme dans toutes ces
tribulations il trouve un accroissement de justice. Il est dit: Il se relèvera.
Les paroles suivantes nous indiquent suffisamment le sens de celles-ci; on lit
en effet: « Quant aux impies, le mal les affaiblira 4». Dès lors, pour le
juste, tomber et se relever signifie n’être point affaibli par le malheur.
C’est donc avec raison que l’Eglise a loué Dieu sept fois le jour sur les
jugements de sa justice, puisqu’au temps où Dieu commença le jugement par sa
propre maison 5, loin d’être affaiblie par les persécutions, elle fut glorifiée
par les couronnes des martyrs.
5. « Paix abondante à ceux qui aiment votre
loi; pour eux elle n’est point un scandale 6». Est-ce la loi qui n’est point
scandale à ceux qui aiment la loi, ou pour ceux qui aiment cette loi n’y a-t-il
scandale d’aucune part? Ces deux sens conviennent à ces paroles. Aimer en effet
la loi de Dieu, c’est respecter dans cette loi ce que l’on ne comprend point,
et si le juste y trouve un sens qui lui paraît absurde, il croit plutôt que son
intelligence est en défaut, et qu’il y a là un grand mystère qui lui échappé.
La loi de Dieu n’est donc point un scandale pour lui. Mais pour ne trouver
absolument aucun sujet de scandale, qu’il ne jette point les yeux sur les
hommes, quelque sainte que soit leur
1. Hébr. XII, 6 — 2. Ps. 118, 161 — 3. Gen.
II, 2. — 4. Prov. XXXV, 16. — 5. I Pierre, IV, 17. — 6. Ps. 118, 165.
profession, de peur qu’en voyant tomber ceux
dont il appréciait la vertu, il ne périsse lui-même par le scandale; h’iais
qu’il aime la loi de Dieu, et il aura une paix profonde sans aucun scandale,
car il peut l’aimer en toute sûreté, puisqu’elle ne connaît point le péché,
quelque pécheurs que soient ceux qui l’ont embrassée.
6. « J’attendais votre salut, ô mon Dieu, et
j’ai aimé vos préceptes 1 ». De quoi eût servi aux justes de l’ancienne loi
d’aimer les préceptes du Seigneur, si le Christ, qui est le soleil de Dieu, ne
les eût délivrés, lui dont l’Esprit leur donnait de pouvoir aimer la loi? Si
donc ils attendaient le salut de celui dont ils aimaient les préceptes, combien
plus était nécessaire Jésus, c’est-à-dire le salut de Dieu, pour sauver ceux
qui n’aimaient point ses préceptes? On peut, en effet, voir dans cette parole
prophétique les saints d’aujourd’hui, depuis que l’Evangile est prêché; car
ceux qui aiment les commandements attendent le Christ, afin qu’à l’apparition
du Christ, qui est notre vie, nous aussi nous apparaissions aussi dans la
gloire 2.
7. « Mon âme », dit-il, « a gardé vos
témoignages, je les ai aimés souverainement 3 »; ou comme on lit en certains
exemplaires « elle les a aimés », c’est-à-dire « mon âme » les a aimés; c’est
garder les témoignages de Dieu que ne point y renoncer. Tel est le devoir des
martyrs, puisque martyres et témoignages sont identiques. Mais comme il ne sert
de rien d’endurer les flammes pour les témoignages de Dieu, si l’on n’a point
la charité 4, le Prophète ajoute: « Je les ai aimés souverainement ».
Auparavant il avait dit: « J’ai aimé vos commandements »; puis, au verset
suivant: « J’ai gardé et aimé vos commandements »; puis ensuite, ce sont les
témoignages et les préceptes qu’il a gardés. Voici le texte: « J’ai gardé vos
préceptes et vos témoignages 5». Celui qui les aime les garde pleinement et
avec joie. Mais il arrive souvent qu’en gardant les préceptes de Dieu, nous
avons pour ennemis ceux qui ne veulent point qu’on les garde; c’est alors qu’il
faut les garder avec plus de courage, de peur que la persécution ne fasse
apostasier.
8. Après avoir proclamé ce qu’il a fait, le
Prophète l’attribue à Dieu qui lui en a donné
1.
Ps. 118, 166.— 2. Coloss. III, 4. — 3. Ps. 118, 166. — 4.Cor. XIV, 13. — 5. Ps. 118, 168.
la force, et s’écrie: « Toutes mes voies, ô
mon Dieu, sont en votre présence ». Ce qui m’a fait garder vos préceptes et
votre témoignage, c’est que toutes mes voies sont en votre présence. Comme si
le Prophète disait à Dieu: «Si vous aviez détourné de moi votre face, j’eusse
été troublé, et je n’aurais gardé ni vos témoignages ni vos préceptes. Si donc
je les ai gardés, c’est que toutes mes voies sont en votre présence ». Il veut
nous faire comprendre que Dieu regarde ses voies d’un oeil propice et
secourable; tel est le sens de cette prière: Ne détournez point de moi votre
face 1. Car si la face du Seigneur est sur tous ceux qui font le mal, c’est
afin de perdre leur mémoire 2. Ce n’est point en ce sens que notre
interlocuteur dit que Dieu regarde ses voies, mais dans le sens qu’il a dit que
Dieu connaît la voie des justes 3, et que le Seigneur dit à Moïse: « Je te
connais entre tous les autres 4». S’il ne trouvait, dans cette croyance, que le
Seigneur a les yeux sur ses voies, il ne dirait point qu’il a gardé les
préceptes et les témoignages du Seigneur, parce que toutes ses voies sont en
présence de Dieu. Il comprend cette parole: « Servez le Seigneur dans la
crainte, et réjouissez-vous en lui avec tremblement; embrassez la discipline,
de peur que la colère du Seigneur ne vous fasse dévier de la voie des justes 5
». Mais cette voie ne serait point celle de la justice, si elle n’était en
présence du Seigneur. Telle est la crainte que veut nous inculquer saint Paul,
quand il dit: « Opérez votre salut avec crainte et avec tremblement »; et pour
nous donner raison de cette recommandation, « c’est Dieu », nous dit-il, « qui
opère en nous le vouloir et le faire selon sa volonté 6 ». Ainsi les voies des
justes sont sous le regard du Seigneur, afin qu’il redresse leurs pas, et c’est
de ces voies qu’il est dit dans les Proverbes: « Ce sont les voies de droite
que connaît le Seigneur, mais les voies perverses sont à gauche 7 »; afin de
nous faire comprendre que le Seigneur ne connaît point ces dernières, puisqu’il
dira aux méchants: « Je ne vous connais point 8 ». Or, afin de nous montrer
combien il est avantageux que Dieu connaisse les voies droites, ou les voies
des justes, le Prophète ajoute: « C’est lui qui doit redresser
1.
Ps. XXVI, 9.— 2. Id. XXXIII, 17. — 3. Id. I, 16.— 4. Exod. XXXIII, 17.— 5. Ps.
II, 11, 12. — 6. Philipp. II, 12,-13.— 7. Prov. IV, 27.— 8. Matth. VII, 23.
vos pas, et conduire vos voies en paix 1 ».
C’est pourquoi le même Prophète ajoute encore: «J’ai gardé vos préceptes et vos
témoignages». Et comme si nous lui demandions comment il l’a pu: « C’est »,
répond-il, « parce que toutes mes voies sont en votre présence, ô mon Dieu ».
1 Prov. IV, 27
Elle
convient à l’Eglise cette prière qui demande le salut, qui a pour objet de
connaître les ordonnances, puis de les publier, au milieu des contradictions.
Afin de ne rien craindre, l’interlocuteur s’attache aux préceptes de Dieu qui
veut bien arracher son âme dans la personne des martyrs, vivifier l’Eglise par
cette mort. il est lui-même la brebis égarée que cherche le bon pasteur.
1. Ecoutons maintenant la voix de la prière,
car nous connaissons celui qui prie, et nous devons nous reconnaître parmi ses
membres, si nous ne sommes point réprouvés. « Que ma prière s’approche de vous,
ô mon Dieu 1». C’est-à-dire, qu’elle s’approche de vous, cette prière que je
fais en votre présence. Car le Seigneur est proche de ceux qui ont le coeur
contrit 2. « Donnez-moi l’intelligence selon « votre parole u: il demande à
Dieu l’effet de sa promesse. Car il dit, selon votre parole, comme il dirait,
selon votre promesse. Or, c’est là ce que le Seigneur a promis en disant: « Je
vous donnerai l’intelligence 3 ».
2. « Que ma prière s’élève en votre présence,
ô mon Dieu, délivrez-moi selon votre parole ». Il reprend en quelque sorte sa
prière. Car il avait dit d’abord: « Que ma prière s’approche de vous, ô mon
Dieu » supplication semblable à celle-ci: « Que ma prière, Seigneur, s’élève en
votre présence »; et cette autre partie du verset supérieur: « Donnez-moi
l’intelligence», revient à celle-ci: «Délivrez-moi selon votre parole».
Recevoir en effet l’intelligence, c’est être délivré, pour celui à qui son
ignorance est un piège.
3. « Mes lèvres », dit-il, « publieront vos
louanges, quand vous m’aurez enseigné vos ordonnances 5 ». Nous savons comment
le
1. Ps. 118, 169. — 2. Id. XXXIII, 19. — 3.
Id. XXXI, 8. — 4. Id. 118, 170. — 5. Id. 171.
Seigneur instruit ceux qui écoutent ses
leçons. Quiconque, en effet, a ouï le Père et a appris, vient à celui qui
justifie l’impie 1; afin de garder les ordonnances du Seigneur, non seulement
par la mémoire, mais aussi par la pratique. C’est ainsi que tout homme qui se
glorifie, ne se glorifie point en lui-même, mais dans le Seigneur 2, et chante
une hymne à sa louange.
4. Mais dès qu’il est instruit, et qu’il en a
béni Dieu, il veut à son tour enseigner, « Ma langue », dit-il, « publiera vos
paroles, parce que vos préceptes sont la justice 3 ». Dire qu’il publiera ces
paroles, c’est se faire ministre de la parole de Dieu. Bien que le Seigneur, en
effet, nous instruise intérieurement, la foi vient cependant de ce que l’on
entend, et comment pourrait-on entendre parler, si quelqu’un ne prêche 4?
Quoique Dieu seul donne l’accroissement 5, il ne faut point négliger de planter
et d’arroser.
5. Le Prophète sait bien, et quelles
persécutions et quelles contradictions s’élèveront contre lui quand il prêchera
la parole de Dieu; aussi a-t-il ajouté: « Que votre main s’étende pour me
sauver; car j’ai choisi vos commandements pour mon partage ». Afin, dit-il, de
ne rien craindre, et d’avoir vos paroles, non seulement dans le coeur, mais
aussi sur les lèvres: « J’ai choisi vos préceptes », et
1.
Jean, VI, 43. — 2. I Cor. I, 31. — 3. Ps. 118, 172. — 4. Rom. X, 14, 17. — 5. I
Cor, III, 7. — 6. Ps. 118, 173.
l’amour a étouffé la crainte. Que votre main
dès lors s’étende sur moi, et me sauve des mains étrangères. Or, Dieu a sauvé
les martyrs en arrachant leur âme à la mort; car sauver seulement le corps de
l’homme, est un salut futile 1. Cette parole: « Que votre main se fasse»,
pourrait encore s’entendre du Christ qui est la main de Dieu, selon cette
parole d’Isaïe: « Et à qui le bras de Dieu a-t-il été révélé 2? » Le Fils
unique de Dieu n’a pas été fait, puisque tout a été fait par lui 3; mais il a
été fait de la race de David 4,afin d’être Jésus, ou Sauveur, lui qui était
déjà créateur. Mais comme cette expression: « Que votre main se fasse», ou «la
main du Seigneur se fit», se lit souvent dans l’Ecriture, je ne sais pas si
l’on pourrait dans tous ces endroits lui assigner le sens dont nous parlons.
Assurément, quand nous entendons ce qui suit: «J’ai désiré, Seigneur, votre
salut 5», en dépit de tous nos ennemis nous devons l’entendre du Christ qui est
le salut de Dieu. C’est lui que les anciens appelaient de leurs soupirs, ils le
proclamaient sincèrement; c’est après lui que soupirait l’Eglise, quand il
devait sortir du sein de sa mère; c’est lui encore qu’elle appelle de la droite
de son Père. A cette pensée le Prophète ajoute: « Et votre loi a fait mes
délices ». Car la loi rend témoignage au Christ.
6. Mais devant cette foi, qui nous fait
croire de coeur pour la justice, et confesser de bouche pour être sauvés 6, que
les nations frémissent, que les peuples forment de vains projets, que l’on tue
le corps pendant qu’il vous prêche; du moins, « l’âme vivra, et vous louera, et
vos jugements seront mon soutien ». Ces jugements en effet devaient commencer
par la maison du Seigneur 7, le temps en était venu. Mais, dit le Prophète, ils
seront mon appui. Et quel aveugle pourrait ne point voir combien le sang de
l’Eglise a aidé l’Eglise? Quelle riche moisson une telle semence a fait germer
dans toute la terre?
7. Enfin l’interlocuteur se découvre, et nous
montre celui qui parle dans tout le psaume. « J’ai erré»,dit-il, «comme une
brebis perdue; cherchez votre serviteur, parce que je n’ai
1. Ps. LIX, 18.— 2. Isa LIII, 1.— 3. Jean, I,
3— 4. Rom. I, 3.— 5. Ps. 118, 174.— 6. Rom. X, 10 — 7. I Pierre, IV, 17.
point oublié vos préceptes 1». Dans certains
exemplaires, on trouve, non pas cherchez, mais vivifiez: ces deux expressions, en
grec, ne diffèrent que d’une syllabe, Zeson
et Zeteson; aussi trouve-t-on des
différences dans les manuscrits grecs eux-mêmes. Quoi qu’il en soit, cherchons
cette brebis égarée, qu’on donne la vie à cette brebis perdue; c’est pour la
chercher 2 que le bon pasteur abandonne les quatre-vingt-dix-neuf autres sur
les montagnes, et se fait déchirer par les épines des Juifs. Mais on la cherche
encore; oui, qu’on la cherche toujours, et après l’avoir trouvée en partie,
qu’on la recherche encore 3. Elle semble trouvée quand le Prophète nous dit: «
Je n’ai point oublié vos préceptes »; mais ceux qui ont choisi comme leur
partage les préceptes du Seigneur, qui les aiment, qui les méditent, ceux-là
cherchent toujours cette brebis, et la trouvent dans toutes les contrées de la
terre, par la vertu du sang que son pasteur a versé pour son salut.
8. Ce long psaume, je l’ai parcouru, expliqué
autant que je l’ai pu, autant que Dieu m’en n fait la grâce. D’autres plus
habiles et plus intelligents ont fait mieux, à coup sûr, ou feront mieux; mais
pour cela, je n’ai point dû me dispenser de l’entreprendre, surtout devant les
sollicitations de mes frères, à qui je suis comptable de ce ministère. Je n’ai
rien dit de l’alphabet hébreu, qui partage tout le psaume en sections de huit
versets pour chacune des lettres; et il n’y a là rien d’étonnant: c’est que
cette manière de procéder ne m’a rien suggéré, et ce psaume n’est pas le seul
dans ce genre de composition. Disons seulement à ceux qui ne trouvent point ces
caractères dans les versions grecques et latines, parce qu’on ne les y a point
conservés, que dans l’hébreu, chacun des huit versets commence par la lettre
qu’ils ont en tête, comme nous l’assurent ceux qui connaissent l’hébreu, Cela
s’est fait ici bien plus exactement, que nos auteurs, soit latins soit
puniques, ne l’ont fait dans les psaumes appelés abécédaires, Car ils ne
commencent point par la même lettre, tous les versets d’une même strophe, mais
seulement les premiers versets.
1. Ps. 118, 176. —
2. Matth. XVIII, 12. — 3. Luc, XV, 4.
Voici un cantique des degrés, et les degrés servent à s’élever et à
descendre. On s’élève de cette vie, on s’élève par le coeur, et on s’élève à la
félicité incomparable. Cette vallée est le symbole des humiliations, et de
cette vallée nous devons nous élever jusqu’au Christ ou jusqu’au Verbe de Dieu
qui est la montagne. Lui-même s’est abaissé afin de nous aider à monter, et
l’on ne monte qu’à la condition de passer par la vallée des larmes; les deux
disciples ne pourront s’asseoir à la droite et à la gauche du Sauveur, qu’en
buvant au calice de ses humiliations. Sur l’échelle de Jacob, les uns s’élèvent
et figurent ceux qui avancent dans la piété, les autres descendent, et figurent
ceux qui demeurent en arrière. Néanmoins le Christ, sans tomber comme Adam, est
descendu afin de se mettre à notre portée, comme Paul s’abaisse pour nous
parler du Christ, comme Isaïe descend de la sagesse à la crainte il s’est fait
chair, a été crucifié, afin que nous puissions le voir. Ainsi donc, dans
l’Eglise ceux qui sont avancés dans les choses spirituelles, descendent afin
d’aider à monter ceux qui étaient faibles; et ceux-là montent, qui font des
progrès en sainteté.
Mais quiconque veut s’élever a pour antagonistes les méchants qui le
dissuadent, en lui persuadant que la vie chrétienne est impossible. Or, le
Prophète a crié vers Dieu, qui l’a placé sur les degrés afin qu’il pût s’élever; qui lui a donné la flèche ou la parole du
prédicateur, et le charbon brûlant ou l’exemple de ces hommes, jadis morts pour
le bien, et qui ont aujourd’hui l’ardeur du feu, et embrasent tout ce qui est
contraire au bien. Repousser les langues trompeuses, c’est donc le premier
degré. Mais ici-bas nous avons l’exemple des méchants, le bon grain est mélangé
avec la paille. Le bon grain figure les saints qui sont dans l’Eglise, et
l’Eglise de la terre soupire après la Jérusalem du ciel. Les deux fils
d’Abraham Ismaël et Isaac, ou l’alliance terrestre et l’alliance spirituelle,
subsistent maintenant encore. Les uns veulent s’élever, les autres les
abaissent. Un jour le van passera dans l’aire. Mais en attendant, paix avec les
hérétiques, ou avec les ennemis de la paix.
1. Le psaume que nous venons d’entendre chanter et auquel nous avons
répondu, est court, mais très-utile. Il vous en
coûtera peu de l’écouter, et la peine de le pratiquer vous sera payée avec
usure. Comme l’indique son titre, c’est un cantique des degrés, en grec anabatmon. Des degrés s’élèvent ou descendent, mais des legrés, dans le langage des psaumes, désignent une
ascension. Comprenons-les afin de monter, et ne nous effrayons pas de monter
avec nos pieds et d’une manière charnelle, mais comme il est dit dans un autre
psaume: « Il a préparé des ascensions dans son coeur, dans cette vallée des
larmes, dans le lieu qu’il a marqué 1 ».
Où sont donc ces ascensions? dans le coeur. D’où
faut-il nous élever? de la vallée des pleurs. Mais,
pour désigner l’endroit où il faudra monter, la parole humaine fait défaut
1. Ps.
LXXXIII, 6, 7.
en quelque sorte; on ne saurait le dire, ni
peut-être le penser. Vous avez entendu tout à l’heure ce passage de saint Paul,
que «l’oeil n’a point vu, que l’oreille n’a pas entendu, et qu’il n’est pas
monté au coeur de l’homme 1 ». Si
cela n’est point monté au coeur de l’homme, que le coeur de l’homme s’élève
jusque-là. Donc, si « l’oeil n’a point vu, si l’oreille n’a point entendu, si
cela n’est pas monté jusqu’au coeur de l’homme », comment dire où nous
devons monter? Aussi, dans son impuissance, le Prophète nous dit-il: « Dans le
lieu marqué ». Que pourrais-je vous dire de plus, nous dit cet homme en
qui parlait le Saint-Esprit? Est-ce en tel lieu, ou en tel autre? Quelles que
soient mes expressions, vos pensées sont terrestres, se traînent sur la terre,
la chair nous pèse, car le corps corruptible appesantit l’âme, et cette
habitation terrestre abat l’esprit capable des plus hautes pensées
2. A qui le dirai-je? Qui voudra
l’entendre? Qui comprendra le lieu Où nous serons après cette vie, si l’on y
monte par le coeur? Puisque nul ne le saurait coin prendre, espère quelque
chose d’ineffable, une incomparable félicité que nous a préparée Celui qui a
disposé dans ton coeur de saintes ascensions. Mais où les a-t-il disposées?
Dans la vallée des larmes. Une vallée est le symbole de l’humilité, comme la
montagne est le symbole de l’élévation; or, la montagne qu’il nous faut gravir
est une élévation spirituelle. Mais quelle est cette
montagne qu’il nous faut gravir, sinon Jésus-Christ Notre Seigneur? C’est lui
qui, par ses souffrances, nous a tait une vallée des larmes, comme il nous a
fait par son séjour une montagne que nous devons gravir. Qu’est-ce que cette
vallée des larmes? « Le Verbe s’est fait chair et a demeuré parmi nous 3 ».Qu’est-ce que cette vallée des pleurs? Il
a présenté sa joue à ceux qui le frappaient, et a été rassasié d’opprobres 4.
Qu’est-ce encore que cette vallée des pleurs? Il a été souffleté, couvert de
crachats, couronné d’épines, cloué à la croix. C’est de cette vallée des pleurs
qu’il nous faut monter plus haut. Mais monter où? « Au commencement était
le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu 5». « C’est ce Verbe qui s’est fait chair et
qui a demeuré parmi nous ». Il est
descendu vers
1. I Cor.
II, 9. — 2. Sag. IX, 15.— 3. Jean, I, 14.— 4. Thren. III, 30. — 5. Jean, I, 1.
Toi,
de manière cependant à demeurer en lui-même: il est descendu vers toi, afin de
devenir pour toi la vallée des pleurs; il est demeuré en lui-même, afin d’être
pour toi une montagne à gravir. « Et voilà », dit Isaïe « que dans les derniers
jours se manifestera la montagne du Seigneur, dominant le sommet des montagnes 1 ». C’est là qu’il faut nous élever.
Mais parce que l’on parle des montagnes, loin de toi toute pensée terrestre, toute
hauteur visible: et quand il est question de pierre ou de rocher, ne te figure
point quelque corps dur, non plus que la férocité quand on parle de lion, ni
l’animal de l’étable quand il est question d’agneau. Le Christ en lui-même
n’est rien de tout cela, et il s’est fait tout cela pour toi, C’est d’ici-bas
qu’il faut s’élever, c’est jusque-là qu’il faut monter; de son exemple à sa
divinité. Il est devenu ton modèle dans ses abaissements; et ceux qui n’ont
point voulu s’élever de cette vallée des pleurs, ont senti le poids de son
bras. Ils voulaient s’élever à contre-temps, ils
rêvaient de grands honneurs, sans penser à la voie de l’humilité. Que votre
charité comprenne ceci, nies frères. Deux disciples du
Sauveur demandaient à s’asseoir aux côtés de Jésus, l’un à sa droite, l’autre à
sa gauche 2.
Jésus vit qu’ils renversaient l’ordre, qu’ils étaient prématurément ambitieux
des honneurs, tandis qu’il leur fallait d’abord apprendre à s’humilier avant
d’être élevés, et il leur dit « Pouvez-vous boire le calice que je boirai
moi-même 3? » Car dans cette
vallée des larmes il devait boire le calice de sa passion; mais eux, sans faire
attention à l’humilité du Christ, ne voulaient comprendre que sa grandeur. Il
les rappelle dans la voie comme des hommes qui s’égarent, non pour leur refuser
ce qu’ils désiraient, mais pour leur montrer par où ils doivent y arriver.
2. Chantons donc, mes frères, ce cantique des degrés, mais chantons-le en nous élevant par le coeur, car c’est pour nous élever que le Christ est descendu jusqu’à nous. Jacob vit une échelle, et sur cette échelle il vit les uns monter, les autres descendre: voilà ce qu’il vit. Dans ceux qui montaient nous pouvons voir à notre tour ceux qui s’avancent dans la piété; et dans ceux qui descendaient ceux qui demeurent en arrière. C’est en effet ce
1. Isa.
II 2. — 2. Matth. XX, 21. — 3. Id.
22. — 4. Gen. XXVIII,12.
que nous retrouvons dans le peuple de Dieu; les uns s’avancent, les autres demeurent en arrière. Tel est peut-être le sens des échelles, et pourtant on pourrait ne voir que des bons sur ces échelles, et ceux qui montent, et ceux qui descendent. Car ce n’est pas sans raison qu’on ne dit point qu’ils tombaient, mais qu’ils descendaient. Tomber et descendre sont bien différens. Adam tomba 1, et c’est pourquoi le Christ descendit. Le premier donc est tombé, mais le second est descendu; l’un tomba par orgueil, l’autre descendit par miséricorde. Mais ce n’est point Jésus-Christ seul qui est descendu du ciel; beaucoup d’autres saints descendent vers nous sur ses traces, et sont descendus vers nous. L’Apôtre était dans une habituelle exaltation du coeur, lui qui disait: « Soit que nous ayons des ravissements, c’est pour Dieu 2 ». Ainsi ses ravissements d’esprit étaient des ravissements en Dieu. S’élevant en effet au-dessus de toute fragilité humaine, de tous les siècles qui finissent, de tout ce qui ne vient au monde que pour s’évanouir par la mort, de tout ce qui passe, son coeur fixé en Dieu habitait autant qu’il lui était possible dans une indicible contemplation, dans laquelle « il ouït », dit-il, « des paroles ineffables, que l’homme ne saurait répéter 3 ». Mais, nonobstant l’impuissance de ses paroles, il n’en voyait pas moins en quelque manière ce qu’il ne. pouvait nous redire. Toutefois, s’il eût voulu demeurer dans ce qu’il voyait sans pouvoir le redire, il n’aurait pu s’élever à cette hauteur et te faire voir ce qu’il voyait lui-même. Qu’a-t-il donc fait? Il est descendu. Car il a dit au même endroit « Soit que nous ayons des extases, c’est pour Dieu; soit que nous soyons plus calmes, c’est pour vous ». Or, qu’est-ce à dire que nous soyons plus calmes? que nous parlions de manière à être compris par vous, Car le Christ en sa naissance et en sa passion s’est fait tel que les hommes pussent parler de lui, puisqu’un homme parle facilement d’un autre homme. Mais parler de Dieu dans son essence divine, comment un homme le pourrait-il? Un homme parle donc facilement d’un homme, et dès lors, afin que ceux qui sont élevés en grandeur pussent descendre vers les petits, sans toutefois leur rien dire que de grand, celui qui est grand par excellence s’est fait
1.
Gen. III, 5. — 2. II Cor. V, 13. — 3. Id. XII, 14.
petit, afin que les grands parlassent de lui
aux petits. Vous venez d’entendre dans la lecture de saint Paul la vérité de
cette parole; car ainsi s’exprimait l’Apôtre, si vous y avez pris garde: « Je
n’ai pu vous parler comme à des e hommes spirituels, mais seulement comme à des
hommes charnels 1 ». C’est donc
dans les hauteurs qu’il parle aux hommes spirituels, et il s’abaisse pour
parler aux hommes. Et pour vous montrer que quand il s’abaisse, il parle de
celui qui s’est abaissé, voici commue saint Jean parle du Christ demeurant en
lui-même « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le
Verbe était Dieu. Voilà ce qui était en Dieu, au commencement. Toutes choses
ont été faites par lui, et rien n’a été fait sans lui 2 ». Saisis, situ le peux; prends, c’est
là ton pain. Mais, diras-tu, c’est là un pain, je l’avoue, et cependant je ne
suis qu’un enfant qui ai besoin de lait pour devenir
capable de prendre une plus solide nourriture. Donc, parce qu’il te faut du
lait, et que le Verbe est une nourriture solide, voilà qu’au moyen de la chair
cette nourriture passe par ta bouche. De même qu’au moyen de la chair, la
nourriture d’une mère devient un lait qu’elle transmet à son enfant; de même le
Seigneur, qui est la nourriture des anges, le Verbe s’est fait chair 3 pour devenir un lait. Et l’Apôtre a dit: «
Je vous ai nourris de lait, et non de viandes solides, que vous n’eussiez pu
supporter; à présent même, vous ne le pouvez encore 4». Mais pour donner ce lait à des enfants,
l’Apôtre est descendu à leur niveau, et, en s’abaissant ainsi, il leur a donné
celui qui s’est abaissé. Car il s’écrie: « Me suis-je vanté au milieu de vous
de savoir autre chose que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié 5? » S’il eût dit simplement
Jésus-Christ, ce Jésus-Christ est aussi dans sa divinité le Verbe qui était en
Dieu, Jésus-Christ est le Fils de Dieu; mais à ce point de vue les enfants ne
sauraient l’atteindre. Comment donc pourront l’atteindre ceux qui ne sont
capables que de lait? Jésus-Christ, dit l’Apôtre, et Jésus Christ crucifié.
Sucez ce qu’il a daigné se faire pour vous, et vous croîtrez en ce qu’il est
lui-même. Dans l’Eglise donc, les uns montent, les autres descendent; et c’est
par ces échelles qu’ils montent, par elles qu’ils descendent. Qui sont-
1. I Cor
III, 1. — 2. Jean, I, 1, 2. —
3. Id. 14. — 4. I Cor. III, 2. — 5. Id. II, 2.
ils, ceux qui montent? Ceux qui font des
progrès dans l’intelligence des choses spirituelles. Et ceux qui descendent,
qui sont-ils? Ceux qui ont le goût et l’intelligence des choses spirituelles, autant
que le peuvent des hommes, et qui néanmoins s’abaissent au niveau des petits,
afin de leur tenir un langage proportionné à leur faiblesse, de les nourrir de
lait, jusqu’à ce qu’ils deviennent assez forts pour prendre une nourriture
spirituelle. Isaïe, mes frères, fut lui-même un de ceux qui s’abaissèrent à
notre niveau: on voit facilement par quels degrés il est descendu. En parlant
de l’Esprit-Saint: « Sur lui», dit-il, « reposera l’Esprit de sagesse et
d’intelligence, l’Esprit de conseil et de force, l’Esprit de science et de
piété, l’Esprit de crainte du Seigneur 1 »;
il commence par. la sagesse, et descend jusqu’à la
crainte. De même que celui qui enseigne descend de la sagesse à la crainte, toi
qu’il enseigne, élève-toi de la crainte à la sagesse. Car il est écrit que le
commencement de la sagesse est la crainte du Seigneur. Ecoutez maintenant le
psaume: représentons-nous un homme qui va monter 2. Où seront ses degrés? Dans son coeur. D’où
s’élèvera-t-il? De l’humilité ou de la vallée des pleurs. Où va-t-il s’élever?
A ce je ne sais quoi d’ineffable, que dans son impuissance le Prophète appelle
« le lieu qu’il a disposé 3 ».
3. Dès lors que l’homme a ainsi disposé son ascension, ou, plus clairement, dès lors qu’un chrétien songe sérieusement à s’avancer dans la vertu, il est en butte aux langues de ses adversaires. Quiconque n’a point encore essuyé ces attaques, n’a fait encore aucun progrès, et quiconque n’en souffre point, n’essaie point de s’avancer. Veut-il comprendre ce que nous disons? qu’il fasse l’expérience de ce que nous allons entendre. Qu’il commence à marcher, qu’il conçoive le désir de s’élever, le désir de mépriser tout ce qui est terrestre, fragile, temporel, de regarder comme rien une félicité passagère, de ne penser qu’à Dieu seul, de n’être sensible à aucun avantage, abattu par aucun revers, le désir de tout vendre pour le donner aux pauvres et suivre Jésus-Christ: voyons commuent s’élèveront contre lui les langues des méchants, quelles contradictions il va souffrir, et ce qui est plus grave, en le détournant du
1.
Isa. X, 2,2. — 2. Prov. I, 7. — Ps. LXXXIII, 7.
salut, sous prétexte de lui donner des
conseils. Qu’un homme donne des conseils, il le fait pour le bien, il le fait
pour le salut, mais ceux-ci détournent du salut. Comme donc, sous le manteau de
la bienveillance, ils cachent un venin mortel, ils sont appelés dans l’Ecriture
des langues trompeuses. Donc,avant de s’élever, le
Prophète implore le secours de Dieu contre ces langues perfides, et s’écrie: «
Seigneur, dans mes tribulations j’ai crié vers vous, et vous m’avez exaucé 1 ». Comment Dieu l’a-t-il exaucé? En le
plaçant sur les degrés pour s’élever.
4. Et comme il va monter parce qu’il est exaucé, que va-t-il demander? « Seigneur, délivrez mon âme des lèvres injustes et des langues trompeuses 2 ». Qu’est-ce qu’une langue trompeuse? Une langue fourbe, qui a l’apparence de nous conseiller, et la perfidie de nous nuire. Tels sont les hommes qui nous disent: Et toi aussi, tu feras ce que nul ne saurait faire; seul, tu seras chrétien. Que si nous leur prouvons que beaucoup d’autres avant nous ont agi de la sorte; si nous leur lisons dans l’Evangile le Précepte que nous en fait le Seigneur, ou les Actes des Apôtres, que nous répondent leurs langues fourbes, leurs lèvres trompeuses? L’entreprise est bien difficile, et tu n’en viendras pas à bout. Les uns nous détournent par leurs défenses, les autres font de leurs louanges une persécution plus violente encore. Comme cette vie chrétienne s’est répandue dans le monde entier, l’autorité du Christ y est si grande que les païens n’osent plus élever la voix contre lui. On lit cette parole de celui qu’on ne saurait contredire: « Allez, vendez tout ce que vous avez, distribuez-le aux pauvres, et suivez-moi ». On ne saurait contredire le Christ, ni contredire l’Evangile, ni blâmer ses paroles; alors la langue trompeuse élève un obstacle par ses louanges. O langue, si tu as des louanges, exhorte, du moins; pourquoi détourner par des flatteries perfides? Le blâme serait préférable à de fausses louanges. Que pourrais-tu dire dans tes invectives? Loin de nous une telle vie, elle est honteuse, elle est criminelle. Mais, comme tu sais qu’en parlant de la sorte l’autorité de 1’Evangile t’imposerait silence, tu prends d’autres détours, afin d’éloigner les hommes de la vie chrétienne, et par une fausse louange
1.
Ps. CXIX, 1.— 2.
Id. 2. — 3. Matth.
XIX, 21.
tu me ravis la véritable gloire; et en
louant Jésus-Christ, c’est de Jésus-Christ que tu m’éloignes. Qu’est-ce que
cette vie, me dis-tu? Tel en est venu à bout,mais toi,
tu ne le pourras pas. Tout en essayant de monter tu tomberas. Il semble
t’avertir, et c’est un serpent, une langue trompeuse, pleine de venin.
Défends-toi d’elle par des supplications, et dis au Seigneur: « Délivrez
mon âme, ô mon Dieu, des lèvres injustes et des langues trompeuses ».
5. Et le Seigneur te répond: « Que te donnerai-je, que mettrai-je devant toi contre la langue trompeuse »; c’est-à-dire, quelles sont tes armes contre la langue trompeuse, que peux-tu lui opposer, comment t’en défendre? « Que te donnerai-je, que mettrai-je devant toi? » Il nous interroge pour appeler notre attention, car c’est lui qui va répondre à sa question; et il le fait aussitôt, quand il ajoute: « Les flèches du puissant sont aiguës, comme des charbons dévastateurs 1», ou « désolateurs»; mais «dévastateurs» ou « désolateurs », car on trouve l’une et l’autre expression dans les différents exemplaires; elles ont le même sens. Voyez: on les appelle des charbons dévastateurs, parce qu’ils nous conduisent facilement à la désolation, en nous ravageant et en nous dévastant. Quels sont ces charbons? Que votre charité veuille comprendre d’abord quelles sont les flèches. « Ces flèches aiguës du puissant» sont les paroles de Dieu. Qu’on les lance, elles pénètrent les coeurs. Mais ces flèches, en traversant les coeurs, y allument un vif amour au lieu d’y apporter la mort. Le Seigneur sait attiser l’amour avec ces flèches,et nul ne lance une flèche d’amour mieux que celui qui lance la flèche de la parole; il perce le coeur de l’amant, afin de l’aider à aimer davantage; il le perce, afin de l’embraser d’amour. Or, ces flèches sont les paroles saintes. Mais quels sont ces charbons désolateurs? C’est peu que la parole pour agir contre les langues trompeuses, les lèvres de l’iniquité, c’est peu que la parole, il faut l’exemple. L’exemple est donc le charbon qui désole. Que votre charité veuille bien écouter pourquoi il est appelé désolateur. Voyez d’abord comment on agit par l’exemple. Leur langue trompeuse ne sait que dire, et dès lors elle en est plus trompeuse encore; prends garde qu’une telle vie ne soif
1.
Ps. CXIX, 4.
supérieure à tes forces, n’est-ce point
trop entreprendre? Mais tu connais le précepte de l’Evangile; c’est là ta
flèche, et toutefois tu n’as pas les charbons. Il est à craindre que la flèche
seule ne soit trop faible contre la langue trompeuse, prends aussi les
charbons. Voilà que le Seigneur te vient dire: Tu ne saurais faire cela?
Pourquoi donc celui-ci l’a-t-il pu? celui-là encore?
Seras-tu plus mou que ce sénateur? plus faible de
santé que cet homme, ou que cet autre? Serais-tu plus débile qu’une femme? Des
femmes l’ont pu, des hommes ne le pourront? Des pauvres ne pourraient ce qu’ont
pu des riches efféminés? C’est vrai, diras-tu, mais, pour moi, je suis un grand
coupable, j’ai beaucoup péché. On vous montre de grands pécheurs, qui ont
d’autant plus aimé qu’on leur a plus pardonné; c’est le mot de l’Evangile: «
Celui à qui on pardonne peu, aime peu ». Après cette énumération, et quand
le Seigneur a désigné par leur nom ceux qui ont triomphé, l’homme, percé au
coeur par une flèche, brûlé par ces charbons qui désolent, sent la ruine dans
ses terrestres pensées. Qu’est-ce àdire la ruine?
Qu’elles sont dévastées chez lui. Une funeste végétation s’était faite en son
âme, végétation de pensées terrestres, d’affections mondaines; voilà ce que
brûlent ces charbons dévastateurs, afin que ce champ se déblaie et se purifie,
et que Dieu puisse y construire son édifice. Où le diable n’avait fait qu’une
ruine, le Christ y bâtira une demeure solide; tant que (hure, en effet, le
séjour du démon, le Christ ne saurait être édifié. Ces charbons désolants
viennent donc détruire ce qui avait été si malencontreusement édifié, et quand
ce lieu est déblayé, s’élève alors l’édifice de l’éternelle félicité.
Voyez: pourquoi ce nom de charbons? C’est parce que, revenir au Seigneur, c’est passer de la mort à la vie. Vous allumez ces charbons; mais, avant qu’ils fussent allumés, ils étaient éteints. Mais un charbon éteint s’appelle un charbon mort; il est vif, au contraire, quand il est allumé. L’exemple de ces pécheurs nombreux, qui sont revenus au Seigneur, est appelé un charbon. Tu entends parfois des hommes dire avec surprise: J’ai connu un tel, quel ivrogne, quel scélérat! Quel homme passionné pour le cirque et l’amphithéâtre! Quel fripon ! Aujourd’hui
1.
Luc, VII, 47.
quelle ferveur dans le service de Dieu h
quel innocence dans sa vie! Qu’y a-t-il d’étonnant c’est un charbon. Tu le pleurais
éteint, et tu le vois rallumé avec plaisir. Mais en louant ce charbon vif, si
tu peux le faire sagement, mets-le près d’un charbon éteint; c’est-à-dire,
voilà un homme lent à suivre Dieu approche de lui un charbon autrefois éteint,
prends la flèche de la parole de Dieu et ni charbon désolant pour t’opposer aux
lèvre injustes et à la langue trompeuse.
6. Qu’arrive-t-il, ensuite? Cet homme reçu les flèches ardentes, qu’il reçoive encore les charbons dévastateurs. Il a repoussé la langue trompeuse, les lèvres iniques; il a fait un pas, il commence à marcher, mais il est encore au milieu des méchants, des hommes d’iniquité; le van n’a point encore passé dans l’aire: le froment est formé sans douter mais est-il dans les greniers? Il faut qu’il soit renfermé sous des monceaux de paille, el plus il avance, plus il voit de scandales dans le peuple de Dieu. Car, à moins d’avancer, il ne voit point les iniquités; à moins d’être un véritable chrétien, il ne peut remarquer ceux qui n’en ont que l’apparence. Jésus-Christ, en effet, nous l’apprend par la parabole du bon grain et de l’ivraie: « Après que l’herbe u eut poussé et produit son fruit, on découvrit aussi l’ivraie 1 »: c’est-à-dire, que nul homme ne découvre les méchants, si lui-même n’est devenu bon, puisque « l’ivraie ne parut que quand l’herbe eut poussé et produit son fruit». Notre interlocuteur s’avance donc, il voit les méchants et bien des désordres qu’il ne découvrait point auparavant, et il s’écrie vers le Seigneur: « Malheur à moi ! car mon exil a été prolongé 2 ». Je me suis beaucoup éloigné de vous, ô mon Dieu; mon séjour ici-bas est bien prolongé! Je ne suis point encore dans cette patrie où je ne verrai aucun méchant; je ne suis point encore dans cette société des anges où je ne craindrai plus de scandales. Pourquoi n’y suis-je point encore? C’est que u mon pèlerinage s’est prolongé ici-bas ». Mon séjour est un exil. Ou appelle exilé celui qui habite une terre autre que sa patrie. « Mon exil », dit le Prophète, « est devenu bien long ». Pourquoi si long? Quelquefois, mes frères, un homme, qui se trouve en pays étranger, rencontre des hommes plus dévoués qu’il n’en trouvait
1. Matth. XIII, 26.— 2. Ps. CXIX, 5.
dans sa patrie; mais il n’en est pas ainsi
quand nous sommes hors de cette Jérusalem du ciel. L’homme qui change de patrie
se trouve quelquefois mieux dans l’éloignement; il trouve au loin des amis
dévoués qu’il n’aurait pu rencontrer chez lui, Des ennemis l’ont banni de sa
patrie, et sur la terre étrangère il trouve ce qu’il n’avait point trouvé dans
sa patrie. Il n’en est pas ainsi de notre patrie, qui est Jérusalem; on n’y
rencontre que des justes; quiconque est en dehors est parmi les méchants, dont
il ne peut se séparer, qu’en rentrant dans la société des anges, qu’en
retournant au lieu qu’il avait quitté. C’est là que sont tous les justes et
tous les saints qui jouissent de la parole de Dieu; sans la lire au moyen de
caractères, fis découvrent sur la face de Dieu ce que nous trouvons sur les
pages de nos livres. Admirable patrie ! O grande patrie, combien il est
malheureux d’en être éloigné !
7. Mais ce cri du Prophète: « Bien long est mon exil ici-bas », c’est surtout le cri de l’Eglise qui souffre sur cette terre; c’est le cri de celle qui dans un autre psaume dit à Dieu:
« Des confins de la terre j’ai crié vers vous 1 ». Qui de nous pousse des cris des confins de la terre? Ce n’est ni celui-ci, ni toi, ni moi mais c’est l’Eglise entière, c’est l’héritage entier du Christ qui crie vers Dieu des confins de la terre, car l’Eglise est l’héritage du Christ, et c’est de l’Eglise qu’il est dit: « Demande-moi, et je te donnerai les nations en héritage, et les confins de la terre pour ton empire ». L’héritage du Christ embrasse les confins de la terre, et l’héritage du Christ embrasse tous les saints, et tous les saints ne forment qu’un seul homme en Jésus. Christ, puisque c’est dans Jésus-Christ que se trouve l’unité; et cet homme unique s’écrie « Des confins de la terre j’ai crié vers vous, quand mon coeur était dans l’angoisse ». Cet homme donc trouve son exil bien long parmi les méchants. Et comme si on lui demandait: Chez quels hommes demeurez-vous, pour gémir de la sorte? « Mon pèlerinage est bien long », répond-il. Mais, direz-vous, s’il est avec des bons? S’il était avec les bons, il ne dirait point: Malheur à moi ! Ce mot « hélas »,ou «malheur», désigne l’affliction, la misère; et néanmoins il n’est point sans espérance dès lors qu’il a appris à gémir.
1.
Ps. LX, 3. — 2. Id. II, 8.
Beaucoup
sont malheureux, et sans gémir ils sont en exil refusant de retourner. Mais,
dans son impatience de retourner, notre interlocuteur comprend le malheur de
son exil; et parce qu’il l’a senti, il revient; il commence à monter, parce
qu’il commence à chanter le cantique des degrés. Où donc gémit-il, au milieu de
quoi demeure-t-il? Il demeure dans les tentes de Cédar,
Mais peut. être ne comprenez-vous point cette
expression, qui vient de l’hébreu. Que signifie: «J’ai habité parmi les tentes
de Cédar? » Le mot Cédar,
autant que je me souvienne des étymologies hébraïques, signifie «
ténèbres ». On dit tenebrae, en
traduisant Cédar en latin. Or, vous connaissez les
deux fils d’Abraham, dont nous entretient saint Paul, en nous disant qu’ils
sont la figure des deux Testaments: l’un était né de la servante, et l’autre de
l’épouse libre. De la servante était né Ismaël 1, de Sara ou de la femme libre était né
Isaac, conçu par la foi contre toute espérance. Tous deux étaient issus
d’Abraham, sans être néanmoins héritiers tous deux. L’un est fils, mais non
héritier d’Abraham; l’autre fut héritier; non seulement
fils, mais héritier encore. En Ismaël sont tous ces hommes qui n’ont pour Dieu
qu’un culte charnel, et ils appartiennent à l’Ancien Testament, d’après ce mot
de saint Paul: « Vous qui voulez être « sous la loi, n’entendez-vous point la
loi? Il est écrit, en effet, qu’Abraham eut deux fils, l’un de l’esclave, et
l’autre de la femme libre, c’est là une allégorie, car ce sont les deux
alliances 2 ». Quelles sont ces
deux alliances? L’ancienne et la nouvelle. L’ancienne alliance vient de Dieu,
comme la nouvelle vient de Dieu, de même que d’Abraham étaient issus Ismaël et
Isaac. Mais Ismaël appartenait au royaume terrestre, et Isaac au royaume
céleste. De là vient que l’Ancien Testament a des promesses terrestres, une Jérusalem
de la terre, une Palestine de la terre, un royaume de la terre, un salut de la
terre, ou la victoire sur les ennemis, des familles nombreuses, des récoltes
abondantes. Mais tout cela tient aux promesses terrestres, qui étaient
néanmoins la figure des promesses spirituelles; la Jérusalem de la terre
figurait la Jérusalem du ciel, et le royaume terrestre figurait le royaume
céleste. Ismaël était l’ombre, et Isaac la lumière. Mais si Ismaël
1. Gen. VI, 5. — 2. Galat. IV,
22-24.
était l’ombre, rien d’étonnant qu’il y eût
là des ténèbres, puisque les ténèbres ne sont que l’ombre devenue plus épaisse.
Ismaël était donc dans les ténèbres, et Isaac dans la lumière. Tous ceux qui,
aujourd’hui dans l’Eglise, ne savent demander à Dieu qu’une félicité temporelle,
appartiennent à Ismaël. Ce sont eux qui s’opposent par
leurs contradictions aux hommes spirituels qui s’avancent dans la vertu, qui en
médisent, qui ont des lèvres iniques, des langues menteuses. C’est à l’encontre
de tous ces. contradicteurs que celui qui s’avance
implore le secours de Dieu, et on lui a donné des charbons désolants, et les
flèches perçantes du fort. Il vit au milieu d’eux jusqu’à ce que le van ait
passé dans l’aire, et alors il s’écrie: « J’ai habité sous les tentes de Cédar ». Car, on appelle tentes de Cédar,
les tentes d’Ismaël. C’est ainsi qu’on lit dans la Genèse que Cédar appartient à Ismaël 1. Isaac est donc avec Ismaël; c’est-à-dire
que ceux qui appartiennent à Isaac vivent au milieu de ceux qui appartiennent à
Ismaël. Les uns veulent s’élever, et les autres s’efforcent de les abaisser.
Nous lisons en effet dans saint Paul: « Et comme alors celui qui était né u
selon la chair persécutait celui qui était né « selon l’Esprit, il en est
encore de même aujourd’hui: l’homme spirituel est persécuté par l’homme
charnel». Mais que dit l’Ecriture? « Chassez l’esclave et son fils, car le fils
de l’esclave ne sera point héritier avec le fils de la femme libre, avec mon
fils Isaac 2 ». Or, ce mot,
chassez, quand sera-t-il exécuté? Quand le van passera dans l’aire. Nais
maintenant, avant qu’il soit chassé, « malheur à moi, parce que mon exil est
prolongé! c’est parmi les lentes de Cédar que je suis contraint d’habiter ». Le Prophète
nous montre ensuite ceux qui appartiennent à Cédar.
8. « Mon âme a été longtemps étrangère ». Ce n’est point là un exil corporel, puisque c’est l’âme qui est en exil. Le corps est en exil par l’éloignement des lieux, l’âme par les affections. Si tu aimes la terre, tu es éloigné de Dieu: aimer Dieu, c’est monter vers lui. Exerçons-nous dans l’amour de Dieu et du prochain, afin de revenir à l’amour. Tomber sur la terre, c’est aller au dépérissement, à la corruption. L’interlocuteur était tombé, une main est descendue jusqu’à lui, afin de le relever. En considérant le temps de son exil,
1.
Gen. XXV, 13.— 2. Id. XVI,
15; XXI, 2, 3, 10; Gal. IV, 21—30.
voilà qu’il se dit étranger parmi les
tentes de Cédar. Pourquoi? Parce que « mon âme a été
longtemps exilée ». Elle est étrangère dès qu’elle doit monter. Ce n’est
point le corps qui est en exil, puisque le corps ne monte pas. Mais où faut-il
monter? « C’est dans le coeur», dit le Prophète, « que sont les degrés ».
Si donc on s’élève par le coeur, il n’y a pour s’élever par les degrés du coeur
que l’âme exilée. Mais jusqu’à ce qu’elle arrive, « mon âme est longtemps
étrangère ». Où? parmi « les tentes de Cédar ».
9. «Avec ceux qui haïssent la paix, j’étais pacifique ». A vrai dire mes frères bien-aimés, vous ne pouvez comprendre la vérité de ce que vous chantez, si vous ne commencez à le pratiquer. Tant qu’on puisse le dire, de quelque manière qu’on l’expose, et avec quel choix d’expressions, cette parole n’entre point dans un coeur qui ne la pratique point. Commencez donc à pratiquer, puis écoutez ce que nous dirons. C’est alors que chaque parole du psaume fera couler des larmes, alors que vous le chanterez avec joie et que le coeur pratiquera ce que chante la voix. Hélas ! combien chantent de la voix quand le coeur est muet! Combien aussi de lèvres silencieuses quand le coeur pousse des cris d’amour ! Or, c’est au coeur de l’homme qu’est l’oreille de Dieu; de même que l’oreille de l’homme entend la voix du corps, l’oreille de Dieu entend la voix du coeur. Dieu en exauce beaucoup dont la bouche est fermée, et beaucoup d’autres avec leurs grands cris ne sont point exaucés. C’est donc par le coeur que nous devons prier et dire: « Mon âme a été longtemps étrangère avec ceux qui haïssent la paix, j’étais pacifique ». Que disons-nous autre chose à ces hérétiques, sinon, connaissez la paix, aimez la paix. Vous vous dites justes. Si vous l’étiez, vous gémiriez comme le bon grain mélangé à la paille. Comme il y a aussi de bons grains, de véritable froment dans l’Eglise catholique, ils tolèrent la paille jusqu’à ce que le van passe dans l’aire, et c’est parce qu’il y a de la paille, qu’ils s’écrient: « Hélas ! mon exil est bien prolongé, j’habite parmi les tabernacles de Cédar ». J’habite avec la paille, dit le Prophète; mais de même que d’un monceau de paille il sort beaucoup de fumée, il sort de Cédar d’épaisses ténèbres. « J’ai habité parmi les tabernacles de Cédar; mon âme a été longtemps étrangère». Tel est le cri du bon grain qui gémit parmi la paille. Ainsi disons-nous à ceux qui haïssent la paix, et nous leur répétons: « J’étais pacifique avec ceux qui haïssent la paix ». Qui donc hait la paix? Celui qui brise l’unité. Ils demeureraient dans l’unité, s’ils ne haïssaient point la paix. Mais c’est parce qu’ils étaient justes qu’ils ont fait schisme et afin de n’être point mêlés avec les injustes. Ou bien, c’est nous qui parlons ici par la bouche du Prophète, ou bien ce sont eux. Choisissez. L’Eglise catholique s’écrie qu’il ne faut point rompre l’unité, ni faire de schisme dans l’Eglise du Christ; que Dieu jugera plus tard les bons et les méchants; que s’il est impossible aujourd’hui de séparer les bons des méchants, il faut tolérer cela pour un temps; que les méchants peuvent bien être mélangés avec nous dans l’aire, mais qu’ils n’y seront point dans les greniers célestes; que s’ils paraissent mauvais aujourd’hui, demain peut-être ils seront bons, et que ceux qui s’enorgueillissent aujourd’hui de leur bonté peuvent demain être méchants. Quiconque dès lors supporte un moment les méchants arrivera au repos éternel. Ainsi dit l’Eglise catholique. Que disent maintenant nos adversaires, qui ne savent ni ce qu’ils disent, ni ce qu’ils affirment 1: « Ne touchez à rien d’impur 2 »; et encore: « Quiconque touchera quelque chose d’impur sera impur lui-même 3». Séparons-nous; point de mélange avec les méchants. Aimez la paix, disons-nous à notre tour, aimez l’unité. Ignorez-vous de combien de justes vous vous séparez, quand vous semblez ne vous en prendre qu’aux méchants? A cette réponse, les voilà qui s’emportent, qui bondissent de colère, qui cherchent à nous donner la mort. Souvent nous avons vu leurs violences, découvert leurs embûches. Dès lors que nous vivons au milieu de leurs piéges, et qu’ils s’irritent quand nous leur disons: Aimez la paix, nous revendiquons pour nous cette parole du Prophète: « Avec ceux qui haïssent la paix, j’étais pacifique, et quand je leur parlais, ils m’attaquaient sans motif ». Qu’est-ce à dire, mes frères, « ils m’attaquaient? » Et c’est peu encore; le Prophète ajoute « sans sujet ». Dire à ces rebelles: Aimez la paix, aimez le Christ, est-ce donc leur dire: Aimez-nous et honorez-nous? Non, mais honorez le Christ; point d’honneur pour nous, mais tout
1. Tim. I, 7. — 2. Isa LII, 11. — Lévit. XXII, 5.
honneur à Jésus-Christ. Qui sommes-nous en effet
auprès de l’apôtre saint Paul? Et que disait-il néanmoins à ces petits que des
méchants, que des maîtres perfides voulaient séparer de l’unité et jeter dans
le schisme, que leur disait-il? « Est-ce que Paul a été crucifié pour vous, ou
bien est-ce au nom de Paul que vous êtes baptisés 1? » C’est aussi ce que nous leur disons:
Aimez la paix, aimez Jésus-Christ. Car, aimer la paix, c’est aimer le Christ;
et leur dire: Aimez la paix, c’est leur dire: Aimez le Christ. Pourquoi? C’est
que l’Apôtre a dit du Christ qu’il est
1. I
Cor. I, 13.
notre paix, lui qui de deux peuples n’en a
fait qu’un seul 1. Si donc le Christ
est la paix parce qu’il a réuni deux peuples en un seul, pourquoi d’un seul
peuple en faites-vous deux? Comment seriez-vous amis de la paix, vous qui d’un
seul peuple faites deux peuples, quand Jésus-Christ de deux peuples n’en a fait
qu’un seul? Mais, tenir ce langage à ceux qui haïssent la paix, c’est être
pacifique, et pourtant, quand nous leur parlons de la sorte, ces ennemis de la
paix nous attaquent sans sujet.
1. Ephés. II, 14.
SERMON AU PEUPLE POUR LA FÊTE DE SAINTE CRISPINE, MARTYRE.
C’est de la vallée des larmes ou de l’humilité, qu’il faut nous élever, et le Christ s’est fait vallée en s’abaissant jusqu’à la mort de la croix, avant de s’élever par la résurrection. Les martyrs l’ont compris, eux qui n’ont recueilli qu’après avoir semé dans les larmes. Nous devons monter de manière à n’être point surpris par le dernier moment qui viendra comme un voleur pendant la nuit. Il n’y aura de surpris que l’orgueilleux, qui met sa confiance dans les biens de la terre, et l’homme de la nuit, ou l’infidèle. Qu’ils lèvent les yeux sur les montagnes ou qu’ils écoutent les saints prédicateurs. Le Prophète, craignant l’orgueil qui nous ébranle, demande à Dieu que son pied ne chancelle point, et Dieu ajoute: Que ton gardien ne s’endorme point. Choisis pour te garder le Christ qui garde Israël, et Israël voit Dieu. Tu seras IsraIl quand tu croiras aux gloires de son humanité, et à sa résurrection. Il couvrira la main de ta droite. La droite signifie les biens spirituels, et la gauche les biens temporels. Quiconque met sari bonheur dans les biens d’ici-bas, prend sa droite pour sa gauche. La droite c’est l’embrassement de Dieu: tes longs jours ou le bonheur éternel sont à droite, à gauche les richesses. La main signifie la puissance, et la vie et la mort sont en la main de la langue, parce que la langue nous justifie ou nous condamne. Cette main est le pouvoir de prendre place à la droite de Dieu parmi ses enfants. Mais Dieu doit nous protéger contre le scandale ou l’erreur: erreur à propos de Dieu, c’est le soleil qui brûle; erreur à propos de l’humanité du Christ ou de l’Eglise, c’est la lune qui brûle. C’est le Seigneur qui veille sur notre entrée, ou la tentation, et sur notre sortie, c’est la victoire sur la tentation. Ainsi Crispine lève la tête au-dessus des persécutions, son âme est gardée, et c’est le Seigneur qui est notre force.
1. Voici le second des psaumes intitulés « Cantiques des degrés ». Il en est plusieurs, en effet, comme vous l’avez entendu à propos du premier, qui marquent cette ascension par laquelle notre coeur s’élève à Dieu du fond de cette vallée des pleurs, c’est-à-dire des abaissements de nos misères. Nous ne pouvons en effet nous élever utilement, si d’abord nous ne sommes humiliés, afin de nous souvenir qu’il faut nous élever du fond de la vallée (or, une vallée sur la terre est un lieu bas, et ces lieux bas s’appellent vallées, au même titre que les lieux élevés s’appellent montagnes ou collines); de peur qu’en cherchant à nous élever avec précipitation et à contretemps, nous ne trouvions une chute au lieu d’une ascension. Le Seigneur en effet nous a montré qu’il faut nous élever de cette vallée des larmes, quand il a daigné s’abaisser jusqu’à souffrir pour nous la mort de la croix. Ne perdons point de vue cette leçon; les Martyrs ont compris cette vallée des larmes. Et d’où l’ont-ils comprise? D’où? parce que c’est de la vallée des larmes qu’ils se sont élevés pour être couronnés.
2. Ce psaume, ce cantique des degrés, convient (10) parfaitement à notre solennité; car c’est des Martyrs qu’il est dit ailleurs: «Ils allaient et pleuraient en répandant leurs semences 1». C’est bien ici une vallée de larmes, où l’on sème en pleurant. Quelle est cette semence? Les bonnes oeuvres que l’on fait dans les tribulations de cette vie. Quiconque fait le bien dans la vallée des pleurs, ressemble à un homme qui sème pendant l’hiver. Le froid l’empêche-t-il de travailler? Ainsi les persécutions du monde ne doivent point nous détourner des bonnes oeuvres; vois en effet ce qui suit: « Ils marchaient en pleurant», dit le Prophète, « et répandaient leurs semences ». Misérables, s’ils pleuraient toujours; misérables, si nul ne devait essuyer leurs larmes. Mais nous lisons ensuite: « Quand ils viendront, au contraire, ils viendront dans la joie, en portant leurs gerbes 2 ».
3. Ces cantiques, mes frères, ne nous apprennent donc qu’à nous élever, niais à nous élever par le coeur, par de saints désirs, par la foi, l’espérance et la charité, par le désir de l’éternité et d’une vie sans fin. C’est ainsi qu’on s’élève. Il est de notre devoir d’expliquer coin ment nous devons monter. Quelles terribles menaces ne venez-vous pas d’entendre à la lecture de l’Evangile ! Vous y voyez que le jour du Seigneur viendra, comme le voleur, pendant la nuit. « Si le père de famille », est-il dit, « savait à quel moment viendra le voleur, je vous le déclare, il ne laisserait point pénétrer dans sa maison 3». Or, vous vous dites en vous-mêmes: Comment peut-on connaître ce moment, puisqu’il viendra comme un voleur? Dans ton ignorance de l’heure, veille continuellement, afin que, nonobstant ton ignorance, ce moment te trouve prêt sans cesse. Et peut-être est-ce afin que tu sois toujours prêt que ce moment est inconnu. Cette heure surprendra le père de famille, qui est ici le type de l’orgueilleux. Ne sois donc point de ces pères de famille, et cette heure ne te surprendra point. Que faut-il être, me diras-tu? Ce que tu viens d’entendre dans le psaume: « Pour moi, je suis pauvre et affligé ». Si tu es pauvre et affligé, tu ne seras point ce père de famille que cette heure doit surprendre tout à coup, et tout à coup accabler. Ils sont pères de famille, ceux qui s’enorgueillissent en donnant un libre cours à leurs convoitises, en se plongeant
1.
Ps. CXXV, 6.— 2. Ibid. — 3. Matth. XXIV, 43.—2. Ps. LXVIII, 30.
dans les délices de cette vie; qui s’élèvent contre les humbles, jettent le mépris sur les saints qui comprennent la voie étroite 1 conduisant à la véritable vie. Ces hommes seront surpris par la dernière heure, car tels étaient ceux qui vivaient aux jours de Noé, dont l’Evangile parlait tout à l’heure, comme vous l’avez entendu 2. « Ils mangeaient, ils buvaient, les hommes mariaient leurs filles, épousaient des femmes, plantaient, bâtissaient, jusqu’à ce que Noé entra dans l’arche, et le déluge vint et les perdit tous 3 ».Quoi donc! Sont-ils condamnés à périr ceux qui en agissent ainsi, qui marient leurs filles, qui épousent des femmes, qui plantent, qui bâtissent? Non, mais ceux-là qui s’en glorifient, qui préfèrent à Dieu toutes ces occupations, qui, pour cela, sont toujours prêts à offenser Dieu. Quant à ceux qui n’en veulent point user, ou qui n’en usent que comme n’en usant pas, qui se confient en Celui qui a donné ces biens plus qu’en ces biens qui sont donnés, qui reconnaissent dans ces dons la miséricorde qui les console, qui ne se passion tient point pour ces dons, afin de ne point tomber d’auprès de Dieu, ces hommes ne seront point surpris quand le moment viendra comme le voleur. C’est à eux que l’Apôtre a dit: « Quant à vous, vous n’êtes point dans les ténèbres pour être surpris par ce jour comme par un voleur; vous êtes tous des enfants de lumière et des enfants du jours 4».Aussi le Seigneur,en nous disant de craindre cette heure, a-t-il dit qu’elle viendra la nuit, et l’Apôtre s’exprime ainsi: « Le jour du Seigneur viendra la nuit comme le voleur 5 ». Veux-tu n’être Point surpris? Ne sois pas dans la nuit. Et qu’est-ce à dire, ne sois point dans la nuit? « Vous êtes les enfants de la lumière, les enfants du jour; nous ne sommes point enfants de la nuit, « ni des ténèbres ». Or, quels sont ces enfants des ténèbres et de la nuit? Les injustes, les impies, les infidèles.
4. Mais à leur tour, avant que vienne la nuit, qu’ils écoutent et que l’Apôtre leur dise: « Vous étiez jadis ténèbres, et maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur 6 ». Qu’ils s’éveillent selon l’avis de notre psaume. Déjà les montagnes sont éclairées, pourquoi dormir encore? « Qu’ils lèvent les yeux vers a les montagnes, d’où leur viendra le se-
1. Matth. VII, 14. — 2. Id. xxiv, 37- 44. — 3. Luc, XVII, 26, 27. — 4. I Thess. V, 4. — 5. Id. 2. — 6. Ephés. V, 8.
cours 1 ». Qu’est-ce à dire que déjà les montagnes sont éclairées? Déjà s’est levé le soleil de justice, déjà les Apôtres ont prêché l’Evangile, prêché les saintes Ecritures, toutes les figures sont à découvert, le voile est déchiré 2, le secret du temple est révélé; qu’ils lèvent enfin les yeux vers les montagnes, d’où leur viendra le secours, Voilà ce que nous ordonne ce psaume, qui est le second parmi les cantiques des degrés. Mais qu’ils ne conçoivent aucune présomption au sujet de ces montagnes, car ces montagnes, loin d’être éclairées par elles-mêmes, reçoivent la lumière de Celui dont il est dit « Et celui-là était la véritable lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde 3». Par ces montagnes, on peut entendre les hommes d’une éminente piété, les hommes illustres. Et qui rut pins grand que Jean-Baptiste? Quelle montagne, que cet homme dont le Sauveur a dit: « Parmi ceux qui sont nés des femmes, nui n’est « plus grand que Jean-Baptiste 4?» Assurément tu vois cette montagne, tu en contemples la lumière; écoute ses aveux. Quels aveux? « Et nous avons tous reçu de sa plénitude 5». De celui qui adonné aux montagnes de sa plénitude, viendra aussi le secours pour toi, et non des montagnes 6. et toutefois si tu ne lèves les yeux sur ces montagnes, par le moyen des Ecritures, tu ne pourras approcher afin d’être éclairé par Celui qui les éclaire.
5. Chante alors ce qui suit Si tu veux savoir sur quels degrés tu poseras solidement ton pied, afin de monter sans fatigue et sans tomber 7, répète ce qui suit: « Ne permettez pas que mon pied soit ébranlé 8 ». Par quoi nos pieds sont-ils ébranlés? Qui ébranla le pied d’Adam, quand il était dans le paradis? Mais vois d’abord comment fut ébranlé le pied de celui qui était parmi les anges, et qui
1.
Ps. CXX, 1. — 2. Matth. XXVII, 51. — 3. Jean, I, 9. — 4. Matth. XI, 11. — 5. Jean, I, 16.
6.
D’ancienne, éditions de Venise et de Paris continuent ainsi: « c’est donc
le Christ, le Fils du souverain Père qui est notre salut
et notre secours; et avec ce mème Père. Il
est tout-puissant, et il demeure en lui, en son essence. Enfin, si tu ne lèves
les yeux sur ces montagnes, etc. »
7.
On trouve ici dans ces mêmes éditions: « Et sans tomber. Mon
secours, dit le Prophète, est
dans le Seigneur. Non point dans tout seigneur, car il est beaucoup d’hommes
ainsi appelés, et qui sont mortels, fragiles et misérables; mais dans le
Seigneur de, seigneurs, dans celui qui a fait le ciel et la terre. Voilà le
souverain Seigneur, qui est le Dieu des dieux; il est Dieu parce que tout ce
qui a été fait l’a été par lui, et c’est de lui que tout tient l’être; il est
Seigneur, parce qu’il possède au-delà de toute expression tout ce qui est. Il
est donc bon, et souverain Seigneur, et Dieu. Si, au moyen de ces montagnes, tu
lèves tes yeux vers lui, tu en obtiendras un s secours éternel. Donc, afin
qu’il soit ton secours, invoque-le, et… »
8.
Ps. CXX, 3.
tomba par cette secousse, et d’ange qu’il était devint diable: il tomba parce que son pied fut ébranlé. Cherche la cause de sa chute. Il tomba par orgueil. Il n’y a dès lors que l’orgueil pour ébranler nos pieds; que l’orgueil, pour nous faire chanceler et tomber. La charité, au contraire, nous ébranle pour marcher, pour avancer, pour monter; l’orgueil, pour nous faire tomber. Aussi qu’est-il dit dans notre psaume? « Les enfants des hommes espéreront à l’abri de vos ailes 1». S’ils sont à l’abri, ils sont toujours humbles, toujours pleins d’espérance en Dieu, toujours sans présomption d’eux-mêmes. « C’est à l’abri de vos ailes qu’ils concevront de l’espérance »; car ce n’est point en se rassasiant d’eux-mêmes qu’ils goûtent la félicité. Mais que dit ensuite le Prophète? « Ils seront enivrés de l’abondance de votre maison, et vous les abreuverez au torrent de vos délices 2 ». Les voilà qui ont soif et qui s’enivrent, qui ont soif et qui boivent; mais ils ne boivent point en eux-mêmes, car ils ne sont point des sources. Où boivent-ils alors? « C’est à l’abri de vos ailes qu’ils conçoivent l’espérance 3». S’ils sont à l’ombre de vos ailes, ils sont humbles. Pourquoi? « Parce que c’est en vous», dit le Prophète, « qu’est la source de la vie 4». Ces montagnes donc ne s’arrosent point elles-mêmes, pas plus qu’elles ne s’illuminent. Vois en effet ce qui suit: « C’est en votre lumière que nous verrons la lumière 5». Si donc c’est dans la lumière de Dieu que nous voyous la lumière; qui est privé de la lumière, sinon l’homme qui ne voit point en Dieu? Quiconque veut être sa propre lumière, se prive dès lors de la lumière qui l’éclaire. Aussi, sachant qu’il n’y a, pour être privé de la lumière, que celui-là seul qui veut s’éclairer, bien qu’il ne soit que ténèbres, le Prophète ajoute: « Que le pied de l’orgueil ne vienne point contre moi, et que la main du pécheur ne m’ébranle point »; c’est-à-dire, qu’à l’imitation des pécheurs, je ne sois point ébranlé et séparé de vous. Mais pourquoi craindre et dire: « Que le pied de l’orgueil ne vienne point sur moi? » Le Prophète répond: « C’est là que sont tombés ceux qui commettent l’iniquité 6 ». Tous ceux qui commettent maintenant l’iniquité sous tes yeux sont déjà
1.
Ps. XXXV, 8. — 2. Id. 9.— 3. Id. 8.— 4. Id. 10.— 5. Ibid. — 6.
Id. xxxv, 12, 13.
condamnés; mais, pour en arriver là, ils sont tombés où le pied de l’orgueil les a heurtés.
Il a donc raison celui qui écoute afin de monter et de ne point tomber, afin de s’élever de cette vallée de larmes, sans tomber par orgueil; il a raison de dire à Dieu: « Ne permettez point que mon pied soit ébranlé », et Dieu lui répond: « Que ton gardien ne s’endorme pas ». Ecoutez bien, mes frères. On joint ensemble ici deux interlocuteurs. L’homme qui s’élève, en chantant ce cantique, dit à Dieu: « Ne permettez point que mon pied soit ébranlé »; et Dieu parait lui répondre: Tu me dis: « Ne permettez point que mon pied soit ébranlé », ajoute alors:
« Et que ton gardien ne s’endorme pas », ton pied alors ne sera point ébranlé.
6. Peut-être va-t-il répondre: Est-il en mon pouvoir que mon gardien ne s’endorme pas? Je voudrais qu’il ne s’endormît point, qu’il ne sommeillât point. Choisis donc pour te garder celui qui ne dort, qui ne sommeille point, et ton pied ne sera point ébranlé. Or, Dieu ne dort jamais; choisis donc le Seigneur pour ton gardien, situ veux avoir un gardien vigilant. « Ne permettez point que mon pied « soit ébranlé », dis-tu: c’est bien; c’est très-bien. Mais Dieu te répond: « Et que ton gardien ne s’endorme pas ». Tu allais chercher parmi les hommes un gardien, et dire: Qui trouverai-je pour ne point dormir? Quel homme ne s’endort point? Qui trouver? Où aller? Où me tourner? Voilà que le Seigneur vient à ton aide: « Voilà qu’il ne dormira point, qu’il ne sommeillera point, celui qui garde Israël 1». Car c’est le Christ qui garde Israël. Sois donc Israël, toi-même, Qu’est-ce à dire Israël? Israël signifie voyant Dieu. Et comment voit-on Dieu? D’abord par la foi, ensuite face à face. Si tu ne peux le voir face à face, vois-le du moins par la foi. Si tu ne peux le voir face à face, parce qu’en cela consiste la claire vue, vois du moins ses gloires postérieures. C’est ce que le Seigneur dit à Moïse: « Tu ne saurais voir ma face, mais quand je serai passé, tu me verras par derrière 2 ». Tu attends qu’il passe: il est déjà passé; suis-le de vue par derrière; où est-il passé? Ecoute saint Jean: « Quand vint l’heure », nous dit-il, « où il devait passer de ce monde à son Père 3». Déjà Notre Seigneur Jésus-Christ a fait la Pâque, et Pâque
1.
Ps. CXX, 4. — 2. Exod. XXXIII, 20, 23. — 3. Jean, XIII, 1.
signifie passage, car c’est un mot hébreu, et non, comme l’ont cru plusieurs, un mot grec, ayant le sens de souffrances. D’autres, plus exacts et plus savants, ont trouvé que Pâque est un mot hébreu ayant le sens de passage, et non de douleur. C’est par les souffrances que Jésus-Christ a passé de la mort.à la vie, nous traçant ainsi la voie, à nous qui croyons en sa résurrection, afin que nous passions de la mort à la vie. C’est peu de croire que le Christ est mort: les païens,les Juifs, les impies le croient aussi. Tous croient qu’il est mort; la foi chrétienne consiste à croire en sa résurrection; croire qu’il est ressuscité, c’est donc l’important pour nous. Il a donc voulu être vu dans son passage, ou dans sa résurrection, et il a voulu que l’on crût en lui quand il passait, parce qu’il a été livré pour nos péchés, et qu’il est ressuscité pour notre justification 1. Telle est la foi en la résurrection du Christ, vivement recommandée par l’Apôtre: « Vous serez sauvés », dit-il, « si vous croyez de tout votre coeur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts 2 ». Il ne dit point: Si tu crois que le Christ est mort, ce que croient les païens, les Juifs et tous ses ennemis; mais bien: « Si tu crois de tout ton coeur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, tu seras sauvé ». Croire ainsi, c’est être Israël, c’est voir Dieu; et bien que tu le voies seulement par derrière, la foi en ses gloires postérieures te conduira à la claire vue. Qu’est-ce à dire? C’est-à-dire quand tu croiras en ce que Jésus-Christ s’est fait pour toi, dans la suite des temps, quand tu croiras en ce qu’il a pris de toi postérieurement. Car au commencement quelle est sa face? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu». Qu’est-il postérieurement? « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous ». Croire donc en ce que le Verbe s’est fait pour toi, en la résurrection de sa chair, afin de ne point désespérer de la tienne, c’est devenir Israël. Mais une fois que tu seras Israël, ton gardien ne dormira point, ne sommeillera point. Car tu es Israël, et tu as entendu le Psalmiste: « Voilà que le gardien d’Israël ne dormira point, ne sommeillera point ». Le Christ lui-même a dormi, mais il est ressuscité. Que dit-il à son tour dans un psaume? « J’ai dormi, j’ai pris mon sommeil ». Est-il
1. Rom. IV, 25. — 2. Id. X, 9. — 3. Jean, I, 14.
demeuré endormi? « Je me suis levé », dit-il. « parce que le Seigneur me protégera 1 ». Si donc il est ressuscité, il a passé; s’il a passé, regarde-le par derrière. Crois en sa résurrection. Et comme l’Apôtre a dit: « Quoiqu’il ait été crucifié selon la faiblesse de la chair, il est néanmoins vivant par la puissance de Dieu 2 »; et encore: « Le Christ, ressuscité d’entre les morts, ne meurt plus; la mort n’aura plus d’empire sur lui 3»; le Prophète a raison de chanter: « Voilà qu’il ne dormira point, qu’il ne sommeillera point, le gardien d’Israël ». Tu cherches, peut-être, dans un sens charnel, qui ne dormira point, qui ne sommeillera point? Tu le cherches parmi les hommes, mais en vain; tu ne le trouveras pas. Ne mets ta confiance dans aucun homme, puisque tout homme dort, tout homme sommeille. Quand sommeille-t-il? quand il porte ici-bas une chair fragile. Quand dormira-t-il? quand il sera mort. Ne mets donc point ta confiance dans un homme. Il peut sommeiller, puisqu’il est mortel, et il s’endort en mourant. Ne cherche point parmi les hommes.
7. Et qui donc, me diras-tu, pourra me garder sans dormir, sans sommeiller? Ecoute ce qui suit: « Le Seigneur te gardera ». Ce n’est donc point un homme qui dort ou qui sommeille, mais le Seigneur qui te garde. Comment te garde-t-il? « C’est lui qui est ta défense, qui couvre ta droite » Courage, mes frères I comprenons, avec le secours de Dieu, ce que signifie cette parole: « Le Seigneur est ta défense, il couvre ta main de droite ». Il y a, je crois, quelque raison mystérieuse qui a détourné le Prophète de dire purement et simplement: « Le Seigneur te protégera»; mais lui a fait ajouter: « Il couvre la main de ta droite ». Dieu ne garde-t-il que notre droite, et néglige-t-il notre gauche? Ne nous a-t-il pas faits entièrement? Et celui qui a fait notre droite, n’a-t-il pas fait aussi notre gauche? S’il lui a plu de ne parler que de la droite, pourquoi cette expression: la main de ta droite, et non pas simplement, la main droite? Pourquoi ce langage, s’il n’y avait pas là quelque raison mystérieuse qu’il nous dérobe, afin que nous frappions à la porte? Car il devrait dire, sans rien ajouter, ou bien: Le Seigneur te gardera; ou, s’il voulait ajouter la droite: Le Seigneur te protégera sur ta droite; ou enfin, s’il voulait ajouter la main, il dirait:
1.
Ps. III, 6. — 2. II Cor, XIII, 4, — 3. Rom. VI, 9.
Le Seigneur couvrira ta main droite, et non la main de ta droite. Je vous dirai ce que daignera me suggérer le Seigneur; lui qui veut bien habiter en vos âmes, daignera, sans doute, vous faire agréer mes paroles comme celles de la vérité. Vous ne savez encore ce que je veux dire; mais quand je vous l’aurai dit, ce n’est point moi qui vous montrerai la vérité de mes paroles, vous-mêmes en reconnaîtrez la vérité. Comment la reconnaîtrez-vous, sinon à la lumière de Celui qui habite en vous, parce que vous êtes au nombre de ceux qui disent « Ne laissez point s’ébranler mon pied »; et à qui lui-même répond: « Que ton gardien ne s’endorme pas, qu’il ne sommeille pas? » Que Jésus-Christ ne s’endorme point en vous, et alors vous comprendrez la vérité de nies paroles. Comment cela, direz-vous? Parce que, si votre foi s’endormait, le Christ dormirait en vous. Car le Christ est dans votre coeur, quand vous croyez au Christ. L’Apôtre nous dira que le Christ habite en nos coeurs par la foi 1. Que notre foi ne sommeille point, et le Christ veille en nous. Et si ta foi sommeillait, et te laissait, à l’égard du sujet qui nous occupe, dans une fluctuation semblable à celle du vaisseau que battait la tempête, et dans lequel Jésus dormait 2, éveille le Christ, et la tempête s’apaisera.
8. J’en appelle donc à votre foi, mes frères, ô vous qui êtes les fils de l’Eglise, qui vous êtes avancés dans l’Eglise, et qui vous avancerez si vous ne l’avez point fait encore, qui ferez des progrès de plus en plus rapides, et qui en avez faits déjà, j’en appelle à votre foi; comment comprenez-vous cette parole que vous entendez dans l’Evangile: « Que votre main gauche ignore ce que fait votre droite 3? » Comprendre cette parole, c’est comprendre ce qu’est la droite et ce qu’est la gauche; vous comprendrez également que c’est Dieu qui a fait l’une et l’autre, la droite et la gauche, et que néanmoins la droite ne doit point savoir ce que fait la gauche. La gauche signifie toute possession temporelle, et la droite le bien éternel et immuable que Dieu nous a promis. Or, si le même Dieu qui nous donnera la vie éternelle nous console pendant cette vie parles biens des temps, c’est lui, assurément, qui a fait la droite et la gauche. David a dit dans un psaume, à propos de quelques-uns, que « leur bouche a dit des
1.
Ephés. III, 17. — 2. Matth. VIII, 24-26. — 3. Id. VI, 3.
choses vaines, et que leur droite est la droite de l’iniquité». Donc, il en trouve, et il les en blâme, qui prennent leur véritable droite pour la gauche, et leur véritable gauche pour leur droite, et il nous montre ensuite quels sont ces hommes. Quiconque ne voit pour l’homme de félicité que dans les seuls biens et les plaisirs du temps, dans l’abondance et les richesses de ce monde, celui-là est un insensé, un pervers, il prend sa gauche pour sa droite. Tels étaient ceux dont le psaume nous dit, non point qu’ils n’avaient pas reçu de Dieu les biens qu’ils possédaient, mais qu’ils ne faisaient consister qu’en ces jouissances la vie bienheureuse, et ne recherchaient rien autre chose. Ecoutez, en effet, ce qu’il dit ensuite à leur sujet: « Leur bouche a dit des choses vaines, et leur droite est la droite de l’iniquité ». Et ensuite: « Leurs enfants sont comme de jeunes arbres, leurs filles sont ornées comme l’idole d’un temple, leurs « celliers sont remplis et regorgent deçà et delà, leurs brebis sont fécondes et s’en vont en foule de leurs étables; leurs boeufs sont gras, on ne voit dans les clôtures ni passage ni ruine, et nul cri ne s’élève de leurs places publiques 1 ». Telle est la grande félicité de quelques-uns. Toutefois cette félicité pourrait échoir à un juste, comme elle échut à Job; mais Job la regardait comme sa gauche, et non comme sa droite; car il ne comptait pour sa droite que le bonheur continuel et sans fin qu’il se promettait en Dieu. C’est pourquoi Dieu permit qu’on le frappât sur la gauche, et sa droite lui suffit. Comment la gauche fut-elle frappée? Par les tentations du démon. Le démon lui enleva soudainement ses biens, lui à qui Dieu permet d’agir, pour éprouver le juste et châtier l’impie, enleva tout à Job; mais Job savait que la gauche était la gauche, et qu’il n’y a que la droite qui soit la droite; avec quelle force admirable il s’attacha à la droite ! Il tressaillit dans le Seigneur, il se consola de ses pertes, parce qu’il ne laissa point entanier ses trésors intérieurs; son coeur était plein de Dieu. « Le Seigneur l’a donné », dit-il, « le Seigneur l’a ôté; ainsi qu’il a plu au Seigneur, il a e été fait: que le nom du Seigneur soit béni 2». Telle était sa droite, le Seigneur lui-même, la vie éternelle même, la possession de l’ineffable lumière, la source de la
1.
Ps. CXLIII, 11-15. — 2. Job, I, 21.
vie, la lumière dans la lumière. « Ils seront enivrés de l’abondance de votre maison 1». C’était là sa droite. Quant à sa gauche elle n’était qu’un secours de consolation, et non un affermissement dans la félicité. Car Dieu était pour lui le bonheur véritable et souverain. Ainsi, quand David a dit de ces hommes que « leur bouche s’épanche en vanités, que leur droite est la droite de l’injustice 2 », il ne leur fait pas un crime de posséder tous ces biens, mais de ce que leur bouche se répand en paroles vaines. En effet, que voyons-nous ensuite? Après avoir énuméré toutes leurs richesses, il s’écrie: « Ils ont appelé heureux le peuple qui possède ces biens 3 ». Telle est la vanité qu’a proférée leur bouche, c’est d’avoir proclamé heureux le peuple qui a de tels biens. Mais que direz-vous, ô Prophète, qui savez discerner quelle est votre gauche et quelle est votre droite? Il continue en disant: « Bienheureux le peuple qui a le Seigneur pour son Dieu 4».
9. Que votre charité soit donc attentive. Nous avons vu ce qu’est la gauche et vu encore ce qu’est la droite. Ecoutez dans les cantiques la confirmation de nos paroles: « Sa gauche est sous ma tête », nous dit l’Epouse en nous parlant de l’Epoux, l’Eglise en parlant du Christ dans l’embrassement d’une ineffable charité. Que dit-elle donc? «Sa gauche est sous ma tête », et il m’embrasse de sa droite 5. D’où vient que l’Epoux, afin d’embrasser I’Epouse, mettait sa gauche sous sa tête et sa droite au dessus; sa gauche pour la consoler et sa droite pour la protéger? « Sa gauche est sous ma tête », nous dit-elle. Cette gauche vient de Dieu, bien qu’elle soit appelée gauche, parce que c’est lui qui donne tous les biens temporels. Combien sont vains, sont impies ceux qui demandent ces biens aux idoles, aux démons ! Combien en est-il qui les demandent aux démons sans les obtenir; combien d’autres qui les obtiennent sans les demander aux démons, car les démons ne les donnent point. De même beaucoup les demandent au Seigneur et ne les obtiennent point. Dieu qui nous appelle à la droite sait aussi régler la gauche. Si donc elle est la gauche,qu’elle soit la gauche, mais sous notre tête, et que la tête s’élève au-dessus d’elle, ou plutôt notre foi dans laquelle habite le Christ. Loin de toi de préférer à ta
1.
Ps. XXXIII, 9.— 2. Id, CXLIII, 8. — 3. Id, 5. — 4. Ibid.
— 5. Cant. II, 6.
foi rien de temporel, et alors ta gauche ne sera pas au-dessus de ta tête; suborne à ta foi tout ce qui est du temps, et mets ta foi au-dessus de tout ce qui passe, alors la gauche sera sous ta tête, et la droite de l’Epoux t’embrassera.
10. Ecoute les Proverbes te dire encore ce qui est la droite et ce qui est la gauche. Il est dit, à propos de la Sagesse: « La longueur des jours, les années de la vie sont dans sa droite; et dans sa gauche, la gloire et les richesses 1».Cette longueur des jours marque l’éternité; c’est ainsi que l’Ecriture ne donne le nom de longueur qu’à ce qui est éternel; car, tout ce qui a une fin est court. « Je le comblerai de la longueur des jours 2 », est-il dit à un autre endroit. Autrement, y aurait-il une grande faveur à dire: « Honorez votre père et votre mère, afin de vivre longtemps sur la terre 3? » Quelle terre, sinon celle dont il est dit: « Vous êtes mon espérance, mon héritage sur la terre des vivants 4?» Qu’est-ce que vivre longtemps sur cette terre, sinon vivre éternellement? Ici-bas qu’est-ce, en effet, que vivre longtemps, sinon arriver à la vieillesse? Quelque long que cet âge nous paraisse, dès qu’on y arrive, il paraît court, parce qu’il a une fin. Beaucoup vieillissent ici-bas après avoir maudit les parents; beaucoup d’autres, après les avoir honorés, vont bientôt à Dieu. La promesse de vivre longtemps sur cette terre est-elle donc accomplie? Non, niais cette, longue vie s’entend de l’éternité. La longue vie est dans sa droite; niais dans sa gauche on trouve les richesses, la gloire, ce qui est nécessaire ici-bas et que les hommes appellent des biens. Mais un homme s’élève contre toi et veut te frapper sur la droite, c’est-à-dire te ravir ta foi tu as reçu un soufflet sur la droite, présente la gauche 5; c’est-à-dire, laisse enlever ce qui est du temps et non ce qui est éternel. Ecoutez comme l’apôtre saint Paul pratiquait cette doctrine. Les hommes persécutaient en lui le chrétien; on frappait sa droite, il présentait sa gauche: « Je suis citoyen romain», disait-il 6. lis outrageaient en lui la droite, il les effrayait de sa gauche, parce qu’ils ne pouvaient craindre en lui la droite, puisqu’ils ne croyaient pas au Christ. Si donc c’est la droite qui embrasse la gauche qui est sous la tête,
1. Prov. III, 16.— 2. Ps. XC,
16.— 3. Exod, XX, 12. — 4. Ps.
CXI, 6. — 5. Matth. V, 39. — 6. Act. XXII, 25.
que signifie cette parole: « Que votre gauche ignore ce que fait votre droite? » C’est-à-dire, quand tu fais une bonne oeuvre, fais-la en vue de la vie éternelle. Car, situ ne fais le bien sur la terre que pour posséder en abondance les biens terrestres, ta main gauche fait ce que tait ta droite; tu mets la droite avec la gauche. N’agis donc jamais que pour la vie éternelle. Oui, agis de la sorte, et tu agiras sans crainte; tel est l’ordre du Seigneur. Si tu n’agis que pour les biens de la terre et en vue de la vie présente, il n’y a que ta droite pour agir; mais situ travailles en vue de la vie éternelle, et qu’il se glisse quelque désir qui tienne à la vie du temps, de manière à travailler aussi dans cette vue et par le désir d’une récompense terrestre, c’est là mêler la main droite aux oeuvres de la main gauche; et c’est ce que Dieu défend.
11. Arrivons maintenant à cette parole du psaume « C’est le Seigneur qui couvre la main de votre droite ». La main signifie la puissance; comment le prouver? C’est que la main de Dieu est appelée la puissance de Dieu. Car le diable qui tenta Job dit à Dieu « Etendez votre main, touchez ce qui est à lui, et voyez s’il vous bénit en face 1 ». Qu’est-ce à dire: « Etendez votre main », sinon donnez-m’en le pouvoir? Mais écoute plus clairement encore, ô mon frère, afin de couper court aux pensées charnelles, et de ne point te figurer un Dieu qui a des membres; vois plus clairement que la main de Dieu est sa puissance. Il est dit quelque part dans l’Ecriture: « La mort et la vie sont dans les mains de la langue 2 ». Nous connaissons le morceau de chair appelé langue, se remuant dans la bouche, frappant le palais et les dents pour articuler les sons qui forment la parole. Montrez-moi la main de la langue. La langue n’a donc point de mains, et cependant elle a une main. Quelle est cette main de la langue? Son pouvoir. Qu’est-ce à dire que « la vie et la mort sont dans les mains de la langue? Ta bouche te justifiera et ta bouche te condamnera 3». Si donc la main est le pouvoir, quelle est la main de la droite? Je ne vois rien de plus juste, sinon de comprendre par la main de la droite le pouvoir que Dieu t’a donné de prendre place à sa droite, avec le secours de sa grâce, si tu le veux. Car tous les impies seront à sa gauche; et c’est à droite
1.
Job, I, 11. — 2. Prov. XVIII, 21.— 3. Matth. XII, 37.
que seront les fils de Dieu fidèles à sa volonté; c’est à eux qu’il dira: « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé à l’origine du monde 1 ». Tu as donc reçu le pouvoir d’être à la droite, le pouvoir de devenir enfant de Dieu. Quel pouvoir? Celui dont saint Jean nous dit: « Il leur a donné la puissance de devenir enfants de Dieu 2 ». D’où as-tu reçu cette puissance? « Elle est donnée à ceux qui croient en son nom ». Si donc tu as la foi, tu as aussi le pouvoir d’être enfant de Dieu. Or, être parmi les enfants de Dieu, c’est être à sa droite. Donc ta loi est la main de ta droite, c’est-à-dire que la main de ta droite c’est le pouvoir qui t’a été donné d’être parmi les enfants de Dieu. Mais que deviendrait cette puissance que l’homme a reçue, si Dieu ne le protégeait? Le voilà qui croit, qui marche dans la foi; il est faible, agité au milieu des tentations, des chagrins, des attraits charnels, des aiguillons de la convoitise, des artifices et des pièges de l’ennemi. De quoi lui sert de croire au Christ et d’avoir la puissance d’être parmi les enfants de Dieu? Malheur à cet homme, si Dieu ne vient au secours de sa foi; c’est-à-dire s’il n’empêche que tu sois tenté au-dessus de tes forces, comme l’a dit l’Apôtre: « Dieu est fidèle et il ne souffrira point que vous soyez tentés au-delà de ce que vous pouvez supporter 3 ». Celui donc qui ne souffre pas que nous soyons tentés au-dessus de nos forces, quoique nous ayons déjà la foi, quoique nous possédions la main de notre droite, Dieu nous protége sur la main de notre droite. Il ne nous suffirait pas d’avoir la main de notre droite, si lui-même ne couvrait de sa protection cette main de notre droite.
12. Voilà pour les tentations: écoutez ce qui suit: « Que le Seigneur te protége sur la main de ta droite ». Je vous l’ai expliqué, et, autant que je puis en juger, j’ai réveillé vos souvenirs. Si vous ne l’aviez déjà su, et su par les saintes Ecritures, vos murmures ne m’auraient point fait connaître que vous l’avez compris. Donc, mes frères, puisque vous l’avez. compris, voyez ce qui suit, pourquoi Dieu nous protége, et sur la main droite, c’est-à-dire dans cette nième toi, dans laquelle nous avons reçu le pouvoir d’être enfants de Dieu et d’être à sa droite. Pourquoi faut-il que Dieu nous protège? A cause des scandales. D’où
1. Matth. XXV, 34. — 2. Jean, I,
12. — 3. I Cor. X, 13.
viennent les scandales? Il faut les craindre sous deux points de vue, parce qu’il y a deux préceptes qui renferment toute la loi et les Prophètes, l’amour de Dieu et l’amour du prochain 1. On aime 1’Eglise à cause du prochain, et Dieu pour lui-même or, le soleil est une figure de Dieu, comme la lune est une figure de 1’Eglise. Quiconque peut être dans l’erreur au point de croire sur Dieu ce qu’il ne faut point croire, ou à ne point croire que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont une même substance, est dans l’erreur des hérétiques, principalement des Ariens. S’il croit que Je Fils ou le Saint-Esprit ont quelque chose de moins que le Père, il est tombé dans le scandale en ce qui regarde Dieu, et dès lors brûlé par le soleil. Quiconque aussi croit que l’Eglise est dans une partie du monde, et ne reconnaît point qu’elle est répandue dans le monde entier, qui croit à ceux qui lui disent: « C’est ici, c’est là qu’est le Christ 2», comme vous l’avez entendu tout à l’heure dans la lecture de l’Evangile, tandis que le Christ a racheté le monde entier pour lequel il a donné une telle rançon: celui-là est scandalisé au sujet du prochain, il est brûlé par la lune. Ainsi quiconque est dans l’erreur sur la substance même de la vérité, est brûlé par le soleil, brûlé pendant le jour, parce qu’il erre au sujet de la sagesse dont il est dit: « Le jour parle au jour ». De là cette parole de l’Apôtre: « Nous communiquons les choses spirituelles à ceux qui sont spirituels. Le jour annonce la parole au jour, en communiquant les choses de l’esprit aux hommes spirituels. Le jour annonce la parole au jour; mais nous annonçons la sagesse aux parfaits 3 ». Que signifie « et la nuit annonce la science à la nuit 4? » Aux petits on prêche l’humilité du Christ, l’incarnation du Christ, la croix du Christ; c’est le lait qui suffit aux enfants. Dès lors on n’abandonne point les enfants dans la nuit, puisque la lune éclaire dans la nuit; c’est-à-dire que par la chair du Christ on prêche l’Eglise, puisque la tête de l’Eglise c’est fe Christ eu sa chair. Quiconque n’est scandalisé ni de l’Eglise ni de la chair du Christ, celui-là n’est point brûlé par la lune. Quiconque n’est point scandalisé au sujet de la vérité immuable et inaltérable, n’est point brûlé par le soleil; non point qu’il soit épargné
1.
Matth. XXII, 37 - 10. — 2. Id. XXIV, 23 — 3. I Cor, II, 13. — 4. Ps. XVIII, 3.
par ce soleil que voient les mouches et les bestiaux; mais je parle de ce soleil qui fera dire aux impies au dernier jour: « Que nous revient-il de notre orgueil, et que nous a valu le faste de nos richesses? Tout cela est passé comme l’ombre ». Puis ils déplorent leur malheur: « Nous avons donc erré loin du sentier de la vérité, et la lumière de la justice n’a pas lui pour nous, son soleil ne s’est point levé à nos yeux 1 ». Mais le soleil vulgaire n’éclaire-t-il point les impies, par l’ordre de « Celui qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants 2? » Dieu a donc fait un soleil qui se lève sur les bons et sur les méchants et que peuvent voir les uns et les autres; mais il est un autre soleil qui n’a pas été fait, mais engendré, par qui tout a été fait, en qui est toute l’intelligence de l’immuable vérité. C’est de lui que les impies diront:
« Et le soleil ne s’est point levé pour nous ». Celui qui n’erre point sur la sagesse elle-même, n’est point brûlé par le soleil; et celui qui n’erre pas au sujet de l’Eglise, et de la chair du Christ, et de tout ce qu’il a fait pour nous dans le temps, n’est point brûlé par la lune. Mais bien qu’un homme ait cru en Jésus-Christ, il tombera dans l’erreur deçà ou delà, si cette parole ne s’accomplit en sa faveur: « C’est le Seigneur qui te couvre sur la main de ta droite. » Aussi, après avoir dit: « C’est le Seigneur qui te couvre sur la main de ta droite »; comme si on lui répondait: Voilà que j’ai la main de ma droite, j’ai choisi la foi en Jésus-Christ, j’ai reçu le pouvoir d’être parmi les enfants de Dieu, qu’ai-je encore besoin que Dieu nie protége, c’est-à-dire qu’il couvre la main de ma droite? Voilà que le Prophète continue: « Le soleil ne te brûlera point pendant le jour, ni la lune pendant la nuit 3». Ainsi donc le Seigneur couvre la main de ta droite, afin que tu ne sois brûlé ni par le soleil pendant le jour, ni par la lune pendant la nuit. Comprenez par là, mes frères, que ce langage est figuratif; car si nous arrêtons notre pensée sur le soleil visible, il brûle pendant le jour, à la vérité, mais est-ce que la lune brûle pendant la nuit? Mais qu’est-ce qu’une brûlure? Un scandale. Ecoute ce mot de l’Apôtre: « Qui est faible, sans que je sois faible avec lui? Qui est scandalisé, sans que je brûle 4? »
13. Donc « le soleil ne te brûlera pas pendant
1.
Sag, V, 6-9. — 2. Matth. V, 45.— 3. Ps. CXX,
6.— 4. II Cor. XI, 29.
le jour, ni la lune pendant la nuit ». Pourquoi? Parce que le Seigneur te préservera de tout mal ». Il te préservera, et du scandale de la part du soleil, et du scandale de la part de la nuit, en un mot de tout mal, celui qui couvre la main de ta droite, qui ne dort pas, qui ne sommeille pas. Pourquoi cette promesse? C’est que nous sommes au milieu des tentations: « Et le Seigneur te gardera de tout mal; que le Seigneur garde ton âme ». Oui, jusqu’à ton âme. « Qu’il veille sur ton entrée et ta sortie, et aujourd’hui et jusque dans les siècles ». Rien n’est demandé pour le corps, parce que c’est le corps que l’on fit mourir chez les martyrs; mais que le Seigneur garde ton âme, car chez les martyrs l’âme ne succomba point. Les bourreaux sévissaient contre Crispine, dont nous célébrons aujourd’hui la fête. Ils traitaient cruellement une femme riche et débile. Mais elle était forte, parce que le Seigneur, qui la gardait, couvrait la main de sa droite. Qui, mes frères, ne connaît Crispine dans l’Afrique tout entière? Elle était illustre, de noble origine et possédait de grands biens. Mais tout cela était la gauche, était sous sa tête. L’ennemi vint frapper la tête et on la soutint de la gauche qui était sous la tête. Mais la tête s’élevait au dessus, et la droite de Dieu l’embrassait d’en haut. Que pouvait toute la malice d’un persécuteur, contre cette femme si débile? Sans doute, il y avait chez elle, et la faiblesse du sexe, et cette langueur que produisent les richesses, et cette mollesse d’une longue habitude. Mais qu’est-ce que tout cela en comparaison des grands secours de Dieu? Qu’est-ce que tout cela quand l’époux met sa gauche sous la tête, et nous embrasse de sa droite? Quel ennemi pourrait la frapper ainsi défendue? Il frappa néanmoins, mais le corps. Or, que dit le psaume? « Que Dieu garde ton âme ». L’âme ne céda point, le corps fut frappé; encore ne fut-il frappé que pour un temps, puisqu’il doit ressusciter à la fin du monde. Celui qui a daigné se faire chef de l’Eglise, permit aux bourreaux de le frapper pour un temps; mais il ressuscita sa chair le troisième jour, et ressuscitera la nôtre à la fin du monde. La tête est ressuscitée afin de veiller sur le corps et de l’empêcher de céder. « Que le Seigneur garde ton âme ». Qu’elle ne cède point, qu’elle ne se laisse briser ni par les scandales, ni par les persécutions, ni par (18) la tribulation; que son courage ne se laisse point abattre. Le Seigneur l’a dit: « Ne craignez joint ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme, mais craignez celui qui peut précipiter l’âme et le corps dans l’enfer 1 ». Que le Seigneur dès lors garde cette âme, de peur que tu ne sois victime des séductions de l’ennemi, victime de fausses promesses, victime des menaces contre les biens du temps, et que « le Seigneur garde ton âme ».
11. Ensuite « Que le Seigneur garde ton entrée et ta sortie, et aujourd’hui et jusque dans les siècles 2 ». Réfléchis un moment sur ton entrée. « Que le Seigneur veille sur ton entrée et sur ta sortie, dès ce jour, et jusque dans les siècles ». Qu’il garde aussi ta sortie. Qu’est-ce que l’entrée? Qu’est-ce que la sortie? L’entrée pour nous, c’est la tentation; et !a victoire sur la tentation, c’est la sortie. Vois cette entrée et cette sortie dans l’Ecriture: « La fournaise éprouve les vases du potier, et la tribulation douloureuse les hommes justes 3 ». Si les hommes justes sont comme les vases du potier, il faut que ces vases soient mis dans la fournaise. Et ce. n’est point quand ils entrent que le potier se tient assuré, muais quand ils sortent. Quant au Seigneur, il ne craint point, car il connaît ceux qui lui appartiennent’; il connaît ceux qui n’éclateront point dans la fournaise. lJs n’éclatent point,ceux qui n’ont point l’orgueil. C’est donc l’humilité qui nous garde en toute tentation; car nous montons de la vallée des larmes en chantant le cantique des degrés, et le Seigneur veille sur l’entrée, afin que nous entrions en toute sûreté. Gardons une foi pure dans la tentation, et le Seigneur « gardera notre sortie dès maintenant et jusque dans les « siècles ». Quand nous serons sortis de toute épreuve, nulle tentation ne viendra nous effrayer dans l’éternité, nulle convoitise ne nous inquiétera. Ecoute l’Apôtre qui nous rappelle ce que nous disions tout à l’heure: « Dieu est fidèle, et ne permettra point que nous soyons tentés au-dessus de nos forces ». C’est ainsi que Dieu veille sur ton entrée quand il écarte de toi l’épreuve à laquelle tu ne pourrais résister, il veille sur ton entrée: voyez s’il ne garde point aussi la sortie.
1.
Matth. X, 28. — 2. Ps. CXX, 8.— 3. Eccli. XXVII,
6. — 4. II Tim. II,19.
« Mais, poursuit l’Apôtre il donnera une issue à la tentation, afin que vous la puissiez supporter 1 ». Pouvons-nous, mes frères, nous expliquer autrement que ne le fait ici l’Apôtre ! Veillez donc sur vous, mais non par votre propre vigilance, parce que c’est Dieu qui vous protége et qui vous garde, lui qui ne dort point, qui ne sommeille point. Une seule fois, il a dormi pour vous; il est ressuscité et ne dormira plus. Que nul ne compte sur soi-même. C’est de la vallée des pleurs que nous nous élevons; ne demeurons pas en chemin. Nous avons encore des degrés à monter; nous ne devons ni y demeurer par paresse, ni y tomber par orgueil. Disons à Dieu: Que notre pied ne soit point ébranlé; il ne dormira point celui qui nous garde. Cela est en notre pouvoir, si, avec le secours de Dieu, nous choisissons pour gardien celui qui ne dort pas, qui ne sommeille pas, qui garde Israël. Quel Israël, sinon celui qui voit Dieu? Ainsi le secours te viendra du Seigneur, ainsi il te protégera sur la main de ta droite, ainsi seront gardées, et ton entrée et ta sortie, dès maintenant et jusque dans les siècles. Si tu présumes de toi-même, ton pied sera ébranlé, et si ton pied est ébranlé, quand même tu te croirais sur quelque degré, tu tomberas à cause de ton orgueil; car celui qui est humble dans cette vallée des pleurs dit à Dieu: « Ne permettez point que mon pied soit ébranlé».
15. Le psaume était court, et néanmoins voila une longue explication, un long sermon. Imaginez-vous, mes frères, qu’à l’occasion de la fête de sainte Crispine, je vous ai invité à uu festin, et que je n’y ai point gardé la tempérance; je vous ai retenus trop longtemps à table. Cela ne pourrait-il poiuit vous arriver, si quelque homme du monde vous invitait et vous forçait à boire outre mesure? Qu’il nous soit permis d’en agir ainsi, à propos de la parole divine, afin qu’elle vous enivre et vous rassasie, comme cette pluie du Seigneur vient détremper les terres, et que nous allions avec plus de joie rejoindre les martyrs, comme nous l’avions promis hier. Car les martyrs sont ici-bas avec, nous, sans aucun labeur.
1. Cor. X, 13.
SERMON AU PEUPLE.
L’amour terrestre nous abaisse, l’amour nous élève dès qu’il vient du ciel. Il s’élève du milieu des scandales, du mélange des bons et des méchants, et s’élève à la Jérusalem d’en haut, où nous appellent ceux qui nous ont devancés. Figurons-nous que nous y sommes déjà, et que nous nous y tenons affermis dans la vérilé, mais non affermis par nous-mêmes, comme l’orgueil pourrait le suggérer. Cette ville n’est point la Jérusalem terrestre qu’on ne bâtissait plus quand David chantait ainsi, mais celle qui a les saints pour pierres vivantes et le Christ pour fondement; non celle que l’on devait rebâtir plus tard, celle-là était mie ville, celle-ci est comme une ville, et ceux qui la composent ont l’unité. Dieu seul est Un sans variation, il Est. Mais le Christ qui Est, puisqu’il est Dieu, a voulu devenir Fils d’Abraham, afin de nous faire participer à son être invariable, en nous délivrant des instabilités de cette vie, instabilité du coeur, des corps célestes, de l’âme occupée des pensées diverses. Pour avoir voulu être ferme par lui-même, l’ange est tombé; après lui Adam. Dans la cité du ciel sont montées les tribus d’Israël ou du voyant Dieu. Il y avait en elles mélange de bons et de méchants; ceux-là sont montés qui étaient sans déguisement ou sans orgueil, car l’orgueil veut paraître ce qu’il n’est point. Ces tribus montaient donc et confessaient le Seigneur; l’orgueilleux ne confesse rien. Là sont assis les Trônes; ils sont les trônes de Dieu, et sont assis pour juger et discerner ceux qui auront fait miséricorde, qui auront acheté des amis avec la monnaie de l’iniquité; ceux-là seront à droite, les autres à gauche. De là cette force de la charité qui nons fait aimer la perfection chez les autres, acheter la paix du ciel au prix des biens terrestres, qui détruit ce que nous sommes pour nous faire devenir ce que nous ne sommes pas encore, qui se fait tout à tous pour plaire à Jésus-Christ, qui prêche le ciel par amour pour nos frères.
1. De même que l’amour impur embrase l’âme, la Porte à désirer ces biens terrestres et périssables qui doivent la faire périr à son tour, l’entraîne dans les bas-fonds, la plonge dans l’abîme; ainsi l’amour chaste l’élève au ciel, l’embrase du désir des biens éternels, la stimule vers ces biens qui ne doivent ni passer, ni périr, et du fond de l’abîme la soulève jusqu’au ciel. Tout amour a son aiguillon; pot ut de repos pour lui; dans l’âme de l’amant, il faut qu’il entraîne. Veux-tu connaître la force de l’amour? Vois où il nous conduit. Je ne vous exhorte donc point à ne rien aimer, seulement à n’aimer point le monde, afiti d’aimer plus librement Celui qui a fait le monde. Une âme liée par un amour terrestre a comme une glu sur les ailes, et ne saurait voler. Une fois purifiée des affections grossières de ce monde, elle commence à dégager de toute entrave ses plumes et ses ailes, c’est-à-dire à voler par le double précepte de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain 1. Mais où se dirige son vol cependant, sinon vers Dieu, puisqu’elle s’élève par l’amour?
1.
Matth. XXII, 40.
Or, avant d’y arriver, elle gémit sur la terre, si elle a déjà le désir de voler; elle s’écrie: « Qui me donnera des ailes comme à la colombe, et je volerai et me reposerai 1? » D’où prendra-t-il son vol, sinon du milieu des scandales où gémissait aussi le Prophète à qui j’ai emprunté ces paroles? C’est donc du milieu des scandales, c’est du mélange des bons avec les méchants, c’est de la confusion de la paille avec le bon grain qu’il veut prendre son vol, pour aller où il n’aura plus à souffrir du mélange et de la société des méchants, mais où il vivra dans le saint commerce des Anges, citoyens de la Jérusalem éternelle.
2. Ce psaume que nous entreprenons de vous expliquer aujourd’hui, ou plutôt celui qui parle et qui monte en ce psaume, aspire àla Jérusalem céleste. C’est en effet un cantique des degrés; et, comme je vous l’ai dit souvent, ces degrés ne sont point faits pour descendre, mais pour monter. L’interlocuteur veut donc monter; et où veut-il monter, si ce n’est au ciel? Qu’est-ce à dire, au ciel? Veutil monter pour être au ciel avec le soleil, la
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Ps. LIV, 7.
lune et les étoiles? Loin de là. Mais il est au ciel une Jérusalem éternelle, où sont les anges nos concitoyens: c’est à l’égard de ces concitoyens que nous sommes étrangers sur la terre. Dans cet exil nous soupirons; dans la patrie nous aurons la joie. Or, dans cet exil nous rencontrons parfois des compagnons qui ont vu la cité sainte, et qui nous convient ày courir. C’est avec eux que se réjouit notre interlocuteur, qui s’écrie: « J’ai tressailli de cette parole qui m’a été dite: Nous irons dans la maison du Seigneur 1 ». Que votre charité, mes frères, se rappelle ce qui arrive quand on parle d’une fête des martyrs, et d’un sanctuaire où la foule se rassemble à jour fixe, pour célébrer cette solennité; ces foules s’encouragent, s’excitent mutuellement: allons, disent-elles, allons ! Et où irons-nous, disent les uns?A tel endroit, répondent les autres, à tel sanctuaire. Ils se stimulent, prennent feu, peu à peu, ne forment qu’une seule flamme, et cette flamme unique, allumée par les ardentes paroles de chacun, les enlève au sanctuaire désigné, où de saintes occupations les sanctifient. Si donc l’amour sacré peut nous jeter ainsi dans un lieu de la terre quel doit être l’amour qui porte au ciel ceux qui n’ont qu’u ri même coeur, et qui se disent: « Nous irons dans la maison du Seigneur? » Courons alors, mes frères, courons, nous irons dans la maison du Seigneur. Courons, ne nous lassons point; car nous arriverons où il n’y a plus de lassitude. Courons dans la maison du Seigneur, que notre âme se réjouisse avec ceux qui nous tiennent ce langage. Car, ceux qui nous tiennent ce langage, ont vu les premiers cette patrie, et ils crient à ceux qui les suivent: « Nous irons dans la maison du Seigneur »: Courez, hâtez-vous. Les Apôtres l’ont vue, et nous crient: Marchez, courez, suivez-nous, «nous irons dans la maison du Seigneur ». Et que répond chacun de « nous? J’ai tressailli des paroles que l’on m’a dites, nous irons dans la maison du Seigneur ». J’ai tressailli avec les Prophètes, j’ai tressailli avec les Apôtres. Car tous nous ont dit: « Nous irons dans la maison du Seigneur ».
3. « Nos pieds étaient fermes dans les parvis de Jérusalem 2 ». Tu vois maintenant quelle est la maison du Seigneur, si tu étais en peine de le savoir. C’est dans celte maison
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Ps. CXXI, 1. — 2. Ps. CXXI, 2.
du Seigneur qu’on bénit l’architecte de ce palais. Lui-même fait les délices de ceux qui habitent ce palais, lui-même est leur seule espérance, leur bien suprême. De quoi, dès lors, doivent occuper leurs pensées ceux qui courent ici-bas, sinon se figurer qu’ils y sont déjà, qu’ils y sont affermis? Car c’est beaucoup que se tenir avec les anges, sans éprouver de défaillance. Celui qui en est tombé ne s’est point tenu ferme dans la vérité. Tous ceux qui n’en sont point tombés demeurent fermes dans la vérité 1; et celui-là tient ferme qui jouit de Dieu; mais quiconque veut jouir de lui-même tombera. Quel est celui qui veut jouir de lui-même? L’orgueilleux. Aussi, celui qui voulait toujours être ferme dans les parvis de Jérusalem a-t-il dit: « C’est en votre lumière que nous verrons la lumière 2 », et non point dans la nôtre. Et encore: « C’est en vous», non pas en moi, « qu’est la source de la vie ». Qu’a-t-il ajouté? « Que le pied de l’orgueil ne vienne point à moi, et que la main des pécheurs ne m’ébranle pas ». C’est ainsi que sont tombés tous ceux qui commettent l’iniquité; ils sont bannis, ils n’ont pu demeurer fermes. Si donc ils n’ont pu demeurer fermes, à cause de leur orgueil, élève-toi humblement, afin de dire: « Nos pieds étaient fermes dans les parvis de Jérusalem ». Réfléchis à l’état où tu seras un jour dans cette bienheureuse ville, et bien que tu sois encore en chemin, figure-toi que tu y es arrivé, associe-toi à l’inaltérable joie des auges, qui accomplira en toi cette parole « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous béniront dans les siècles des siècles 3 ». Nos pieds étaient fermes dans les parvis de Jérusalem. De quelle Jérusalem? car on donne ce nom à une ville de la terre, qui est la figure de la Jérusalem du ciel. Quel avantage de se tenir ferme dans cette Jérusalem qui n’a pu se tenir elle-même, qui est tombée en ruine? Est-ce donc cet avantage que chanterait l’Esprit-Saint avec ce coeur enflammé d’amour et qui s’écrie: « Nos pieds étaient fermes dans les parvis de Jérusalem? » N’est-ce point à cette Jérusalem de la terre que le Seigneur disait: « Jérusalem, Jérusalem, qui tues les Prophètes et lapides ceux qui sont envoyés vers toi 5? » Quel si grand avantage aurait désiré le Prophète, s’il
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Jean, VIII, 44. — 2. Ps. XXXV, 10. — 3.
Id. 12. — 4. Id. LXXXIII, 5. — 5. Math. XXIII, 37.
eût voulu demeurer ferme parmi ceux qui tuaient les Prophètes et lapidaient ceux qui leur étaient envoyés? A Dieu ne plaise qu’il s’arrête à la pensée de cette Jérusalem, ce coeur si ardent, si brûlant d’amour. si impatient d’arriver à cette Jérusalem qui est notre mère, et dont l’Apôtre a dit qu’elle subsiste éternellement dans le ciel 1!
4. Ecoute enfin, au lieu de m’en croire; écoute ce qui suit, et sur quelle Jérusalem il appelle nos pensées. Après avoir dit: « Nos pieds étaient fermes dans les parvis de Jérusalem »; comme si nous lui demandions: De quelle Jérusalem nous parlez-vous, sur quelle Jérusalem appelez-vous notre attention? le Prophète ajoute aussitôt: « Cette Jérusalem que l’on bâtit comme une cité ». Mes frères, lorsque David parlait ainsi, Jérusalem était construite, on ne la bâtissait point. Il parle donc de je ne sais quelle autre ville, que l’on bâtit maintenant, et où courent avec foi ces pierres vivantes dont saint Pierre a dit: « Et vous-mêmes, soyez établis comme des pierres vivantes, pour former un édifice selon l’esprit 2»; c’est-à-dire le temple saint de Dieu. Que veut lire: « Soyez construits comme des pierres vivantes? » Tu vis, si tu as la foi. Et situ as la foi, tu deviens le temple de Dieu, car saint Pan! a dit « Vous êtes le tem ple de Dieu, oui vous êtes ce temple 3». Cette ville donc se bâtit maintenant. La main de ceux qui prêchent la vérité tire les pierres des montagnes, et les taille pour les faire entrer dans l’éternelle construction. Le divin architecte a dans les mains beaucoup de pierres encore; qu’elles ne tombent point, afin qu’elles puissent être taillées et entrer dansla construction. Telle est donc « la Jérusalem que l’on bâtit comme une cité»,et dont le fondement est le Christ. « Personne », dit l’Apôtre, « ne saurait en poser d’autre que celui qui a été posé, et ce fondement c’est le Christ 4 ». Quand on pose un fondement dans la terre, les pierres se construisent par dessus, en sorte que le poids des murailles tend vers le bas, parce que c’est en bas qu’est placé le fondement. Mais si notre fondement qst dans le ciel, c’est vers le ciel que doit s’élever notre édifice. Des forces corporelles ont élevé jadis cette construction, les murailles de cette vaste basilique; et parce qu’elles sont terrestres,
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Gal. IV, 26; II Cor. V, 1. — 2. I Pierre, II, 5. — 3. I Cor. III, 17. — 4. Id. 11.
elles ont placé les fondements en bas; mais, pour notre édifice, comme il est spirituel, le fondement est placé en haut. C’est là qu’il nous faut courir, si nous voulons entrer dans l’édifice; c’est en effet de cette Jérusalem qu’il est dit: « Nos pieds demeuraient fermes dans les parvis de Jérusalem ». De quelle Jérusalem? De la Jérusalem que l’on bâtit comme une ville. C’est trop peu nous désigner cette Jérusalem, que nous direqu’on la bâtit comme une ville, car on peut l’entendre encore d’un édifice matériel. Mais enfin, que répondre à l’homme qui nous dirait: Il est vrai qu’au temps de David, lorsqu’il chantait ainsi, la ville était complètement bâtie; mais David voyait en esprit qu’elle tomberait en ruine, et qu’on la bâtirait de nouveau. Jérusalem, en effet, fut emportée d’assaut, et son peuple fut emmené captit à Babylone, ce que l’Ecriture appelle la transmigration de Babylone. Or, le prophète Jérémie avait prédit que cette ville, détruite par ses ennemis, pourrait être rebâtie 1. C’est là peut-être, nous dira-t-on, ce que David voyait en esprit, Jérusalem détruite par ses ennemis, et devant se reconstruire soixante-dix ans plus tard; de là cette expression: « Jérusalem que l’on bâtit comme une ville »: gardons-nous de croire alors que la ville, dont il est ici question, soit cette ville dont les saints seraient comme les pierres vivantes. Que dit-il ensuite, pour lever tous nos doutes? « Nos pieds », dit-il, « se tenaient affermis dans les parvis de Jérusalem ». Mais de quelle Jérusalem est-il question?, Est-ce de cette Jérusalem que nous voyons et dont les murs sont matériels? Non; mais de la Jérusalem «que l’on construit comme une ville». Pourquoi «comme une ville», et non pas « cette ville que l’on bâtit? » Pourquoi, sinon parce que cette construction de murailles, qui formait la Jérusalem visible, était une ville dans le langage de chacun; tandis que l’autre était « comme une ville», parce que ceux qui font partie de sa construction, en sont « comme les pierres vivantes », et non des pierres en réalité. De même que ceux-ci ressemblent aux pierres, sans être des pierres, de même, c’est «comme une ville», et non pas une ville qu’ils bâtissent. Le Prophète emploie le mot édifier, d’où vient édifice, qui s’entend de la construction et de la liaison des murailles matérielles, tandis qu’une ville se prend, à proprement
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Jérém. XXIX, 4, 10.
parler, des hommes qui l’habitent. Mais l’emploi du mot « édifier » ou construire, nous montre qu’il appelle cité une véritable ville. Et comme l’édifice spirituel a quelque ressemblance avec l’édifice matériel, voilà que le Prophète nous dit: « Il se construit comme une ville».
5. Mais que le Prophète continue et nous montre sans aucun doute, qu’il ne faut pas entendre d’une ville matérielle ces paroles « Jérusalem se construit comme une ville, dont tous les habitants sont dans l’unité ». Ici, mes frères, j’exhorte quiconque a de la vivacité dans l’esprit, quiconque se débarrasse des ténèbres de la chair, quiconque purifie l’oeil de son coeur, à considérer attentivement cette unité, idipsum. Qu’est-ce à dire l’unité? Comment l’exprimer, sinon par l’unité? Comprenez, mes frères, l’unité, si vous le pouvez. Tout ce que je dirais autre chose ne serait point cette unité. Essayons, néanmoins, par quelques expressions qui en approchent, de conduire nos faibles esprits à la pensée de cette unité, idipsum. Qu’est-ce à dire: Idipsum? Ce qui est toujours de la même manière, qui n’est point aujourd’hui une chose, et demain une autre chose. Qu’est-ce donc qui est un, sinon ce qui est? Qu’est-ce ce qui est? Ce qui est éternel. Car ce qui est tantôt d’une manière et tantôt d’une autre, ne subsiste pas, puisqu’il ne demeure pas. On ne saurait dire qu’il n’est point du tout, mais il n’est pas souverainement. Et qu’est-ce qui est, sinon Celui qui disait à Moïse en l’envoyant: « Je suis celui qui suis 1? » Et quel est celui-là, sinon Celui qui ne voulut point donner une autre réponse que celle-ci: « Je « suis celui qui suis o, quand son serviteur lui disait: « Voilà que vous m’envoyez, et si votre peuple vient à me dire: Qui t’a envoyé? que répondrai-je? » Puis il ajouta aussitôt: « Tu diras donc aux enfants d’Israël: Celui « qui est m’a envoyé vers vous ». Voilà l’unité, Idipsum. « Je suis celui qui suis: Celui « qui est m’a envoyé vers vous ». Mais tu ne saurais le comprendre, cela est trop élevé pour toi, c’est insaisissable. Retiens alors ce que s’est fait pour toi Celui que tu ne saurais comprendre; retiens cette chair du Christ qui t’a soulevé dans ta faiblesse, afin de te conduire à l’hôtellerie 2, et de te guérir de tes blessures, toi que les voleurs avaient laissé à demi-
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Exod. III, 14. — 2. Luc, X, 30, 34.
mort. Courons donc à la maison du Seigneur, arrivons à cette ville où nos pieds se tiendront affermis, à cette Jérusalem « qui se construit comme une ville, et qui maintient dans l’unité ceux qui l’habitent». Que dois-tu retenir, en effet? Ce que le Christ s’est fait pour toi; car c’est là le Christ; et l’on peut dire que cette parole: « Je suis celui qui suis ».est aussi du Christ, en tant qu’il est Dieu, et qu’il n’a point cru qu’il y eût usurpation de s’égaler à Dieu 1; c’est là qu’est l’unité. Mais pour te faire participer toi-même à cette unité, il a voulu le premier avoir part à ce que tu es. Et le Verbe s’est fait chair, afin que la chair eût sa part au Verbe. Mais comme le Verbe ne s’est fait chair pour habiter parmi nous 2 qu’en devenant fils d’Abraham; comme Dieu avait promis à Abraham, à Isaac et à Jacob que dans leur postérité seraient bénies toutes les nations 3, et qu’en vertu de ces paroles nous voyons l’Eglise répandue par toute la terre, Dieu parle ainsi à des faibles. En disant « Je suis celui qui suis n, il demandait des coeurs fermes. Oui, il voulait des coeurs fermes, et une haute contemplation, quand il disait: « Celui qui est m’a envoyé vers vous». Mais situ n’as peut-être point le regard assez sûr, bannis tout découragement et tout désespoir. Celui qui est a voulu être un homme semblable à toi; et c’est pour cela qu’il dit à Moïse effrayé d’entendre son nom:quel nom? Celui qui est. Voilà, dis-je, pourquoi le Seigneur dit à Moïse: « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob, c’est là mon nom pour l’éternité 4 ». Ne te décourage point parce que je t’ai dit: « Je suis celui qui suis »; et encore: « Celui qui est m’a envoyé vers vous »: c’est que maintenant tu es poussé deçà et delà, et que l’inconstance, la mobilité des choses d’ici-bas t’empêchent de voir l’unité. Voilà que je descends, puisque tu ne saurais monter. « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob ». Fils d’Abraham, espère, afin de pouvoir te fortifier et voir celui de la race d’Abraham qui vient à toi.
6. Voilà donc cette unité toujours la même, et dont il est dit: « Vous les changerez et ils seront changés; mais pour vous, vous êtes éternellement le même, et vos années ne finiront point ».Voilà cet idipsum, toujours
1. Philipp. II, 6 — 2. Jean, I, 14. — 3. Gen. XXII, 18. — 4. Exod. III, 13 -15. — 5. Ps. CI, 27, 28.
le même, dont les années ne finront point. Hélas ! mes frères, nos années sont-elles constantes, et ne s’en vont-elles pas chaque jour? Celles du passé ne sont plus, celles de l’avenir ne sont pas encore; les unes sont écoulées, et les autres ne viendront que pour s’écouler encore. Et dans ce jour même où nous vous parlons, mes frères, nous n’avons qu’un moment: les premières heures sont déjà passées, les autres ne sont point encore, et, quand elles seront écloses, elles passeront pour ne plus subsister. Quelles sont les années qui ne passent point, sinon celles qui demeurent stables? Si donc les années du ciel demeurent stables, si elles ne sont qu’une même année, et cette seule année un seul jour, puisque ce jour n’a ni aurore ni crépuscule, ne fait point suite au jour d’hier, pour faire place à celui de demain, mais demeure toujours stable, et quelque nom que l’on donne à ce jour, qu’on l’appelle jour ou année, la pensée néanmoins se figure quelque chose qui demeure: telle est la permanence de notre Cité, dont les habitants sont dans l’unité. C’est donc avec raison qu’il veut partager cette immutabilité celui qui se hâte pour y arriver en nous disant: « Nos pieds étaient fermes dans le parvis de Jérusalem ». Car tout est ferme où rien ne passe. Veux-tu demeurer stable, sans passer jamais? Hâte-toi d’y arriver. Personne n’a de soi cette stabilité. Ecoutez bien, mes frères: tout ce qui tient au coeur n’est pas de l’unité, car il ne demeure pas en lui-même. li change avec les années, il change avec les lieux et les temps, il change avec les maladies, les affaiblissements de la chair: il n’a donc point de stabilité en lui-même. Les corps célestes non plus ne sont pas stables en eux-mêmes. lis ont leurs changements quoique secrets; ils changent de lieu certainement, ils montent de l’Orient à l’Occident, puis reviennent à l’Orient: ils ne demeurent donc point, ils ne sont point toujours les mêmes. L’âme de l’homme, à son tour, n’est point stable. A combien de changements, à combien de pensées diverses n’est-elle point assujétie? Quelles inégalités dans ses plaisirs ! Quels désirs, quels déchirements n’y causent point les passions! L’esprit de l’homme, qu’on dit raisonnable, est mobile et ne demeure point le même. Tantôt il veut, et tantôt ne veut point; tantôt il sait, et tantôt ne sait point; tantôt il se souvient, et tantôt il oublie; nul n’a donc de soi-même l’uniformité. Celui qui a voulu avoir cette uniformité, être à soi-même son unité, celui-là est tombé; ange, il est tombé, et s’est lait démon. Il a présenté à l’homme la coupe de l’orgueil, il a fait tomber par jalousie celui qui était debout 1. L’un et l’autre ont voulu être à eux-mêmes leur stabilité, être leurs maîtres, ne relever que d’eux-mêmes; ils n’ont pas voulu avoir pour maître le Seigneur, qui est véritablement idipsum, stable, et à qui le prophète a dit: « Vous les changerez, et ils seront changés; mais vous, vous demeurerez toujours le même 2». Donc après tant de langueurs, de si graves maladies, de si épineuses difficultés, de si pénibles travaux, que ton âme s’humilie devant Celui qui est le même; qu’elle entre dans cette cité bienheureuse, dont les habitants sont toujours les mêmes.
7. « C’est là que sont montés les tribus 3 ». Nous cherchions où devait monter celui qui est tombé; car, avons-nous dit, ce psaume est la voix de l’homme qui s’élève, de l’Eglise qui monte; mais où monter? Où va-t-elle? Où s’élève-t-elle? C’est là que sont montées les tribus, dit le Prophète. Où se sont-elles élevées? Dans la cité dont les citoyens sont toujours les mêmes. C’est donc là qu’on s’élève, dans la Jérusalem céleste. Or, l’homme, qui descendait de Jérusalem à Jéricho, tomba entre les mains des voleurs 4. Il n’y tomberait point, s’il ne descendait. Mais puisque en descendant il est tombé au pouvoir des voleurs, qu’il monte pour arriver jusqu’aux anges. Qu’il s’élève donc, puisque les tribus se sont élevées. Quelles tribus? Beaucoup les connaissent, mais beaucoup ne les connaissent point. Mais nous, qui les connaissons, descendons vers ceux qui ne connaissent point ces tribus, afin qu’ils s’élèvent avec nous où les tribus sont montées. On pourrait appeler ces tribus des curies, mais improprement; nul autre nom ne saurait, à proprement parler, remplacer le mot de tribu; celui de curie en approché seulement. Car, si nous parlons de curies, on ne comprendra que ces curies réparties en chacune des villes; de là les dénominations de curial ou de décurion, pour celui qui appartient à la curie ou à la décurie; et vous savez que chaque cité a ses curies. Or, il y a, ou il y avait autrefois dans ces mêmes cités les curies du peuple, et une même cité
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Gen. III, 1.— 2. Ps, CI, 27-28. — 3. Id. CXXI, 4.— 4. Luc, X, 30.
peut en avoir beaucoup; ainsi, dans Rome, la population est divisée en trente-cinq curies. Voilà ce qu’on appelle tribus, et le peuple d’Israël était partagé en douze tribus, selon le nombre des fils de Jacob.
8. Il y avait donc en Israël douze tribus, et ces tribus étaient formées de bons et de méchants, Quelle méchanceté dans ces tribus qui clouèrent le Sauveur à la croix! Quelle bonté dans celles qui le reconnurent! Les tribus qui crucifièrent le, Sauveur sont donc les tribus du diable. Aussi quand le Prophète nous dit que là montèrent les tribus, de peur qu’on n’entende par là toutes les tribus, il reprend: « Les tribus du Seigneur ». Qu’est-ce à dire, les tribus du Seigneur? Celles qui reconnurent le Seigneur. Parmi ces tribus méchantes, il y avait des bons qui venaient de ces tribus fidèles, lesquelles avaient reconnu l’architecte de la cité; ils étaient dans ces mêmes tribus, comme le bon grain mêlé à la paille. Ce ne sont donc point les tribus mêlées à la paille qui sont montées, mais bien les tribus purifiées, choisies comme tribus du Seigneur. « C’est là que sont montées les tribus du Seigneur ». Qu’est-ce à dire, tribus du Seigneur? « Le témoignage d’Israël ». Ecoutez, mes frères, ce que cela signifie: « Témoignage d’Israël », c’est-à-dire chez qui l’on reconnaît qu’est véritablement Israël. Que signifie Israël? Déjà je vous l’ai expliqué; mais il est bon de le redire, bien que nous l’ayons fait récemment; on peut l’avoir oublié. En le répétant, faisons en sorte qu’ils ne pussent l’oublier, ceux qui ne savent point ou ne veulent point lire; soyons leur livre. Israël signifie qui voit Dieu, et même, plus rigoureusement, dans la force du terme, Israël est voyant Dieu: double propriété, être et voir Dieu. L’homme, de lui-même, n’est pas; il est assujéti à divers changements, jusqu’à ce qu’il participe à celui qui est le même. Alors il est, quand il voit Dieu. Il est quand il voit celui qui est, et en voyant celui qui est, il est aussi lui-même, autant qu’il en est capable. Il devient donc Israël, et Israël est l’homme qui voit Dieu. L’orgueilleux n’est donc point Israël, puisque voulant être à lui-même sa stabilité, il n’a point de part à celui qui est le même. Vouloir être son principe, ce n’est pas être Israël. Donc, tout hypocrite n’est point Israël, puisque l’orgueilleux est nécessairement hypocrite. Oui, mes frères, je le répète, il n’est pas un orgueilleux qui ne veuille paraître ce qu’il n’est pas. Et plaise à Dieu que l’orgueilleux ne veuille paraître ce qu’il n’est point, qu’en se donnant pour musicien par exemple, quand il ne connaît aucune musique. On pourrait aussitôt le mettre à l’épreuve; on lui dirait: Chante, voyons si tu es musicien. Son impuissance le convaincrait de s’être donné pour ce qu’il n’était point. S’il se disait éloquent, on lui dirait: Parle, et nous entendrons; et en parlant, il montrerait qu’il n’est point ce qu’il se vantait d’être. Mais, ce qu’il y a de fâcheux, c’est que l’orgueilleux veut paraître juste sans l’être en réalité; et comme il est très-difficile de connaître la justice, il est très-difficile de discerner les orgueilleux. Ces orgueilleux donc veulent paraître ce qu’ils ne sont point; dès lors ils n’ont point de part à Celui qui « est lui-même »; ils n’ont point de part en Israël qui est, et qui voit Dieu. Qui donc appartient à Israël? Celui qui a pour partage Celui qui est le même. Qui a pris pour partage « Celui qui est le même? » Celui qui avoue qu’il n’est pas ce qu’est Dieu, et qu’il tient de Dieu ce qu’il peut avoir de bien; que de lui-même il n’est que péché, et que sa justice lui vient de Dieu. Tel est l’homme sans déguisement. Or, que dit le Seigneur en voyant Nathanaël? « Voilà un véritable enfant d’Israël, sans déguisement 1 ». De même alors que l’homme sans déguisement est un véritable Israélite, elles étaient aussi sans déguisement, ces tribus qui montèrent vers le Seigneur. Elles sont le témoignage d’Israël, c’est-à-dire que l’on connaît par elles qu’il y avait du bon grain mêlé à la paille, lorsque, en voyant l’aire, on eût pu croire qu’il n’y avait que la paille seule. Il y avait donc là de bons grains, et quand l’aire sera vannée, quand ils se dégageront de la paille, pour paraître au grand jour, alors ils seront le témoignage d’Israël. Tous les méchants diront: Il y avait là véritablement des bons parmi les méchants, alors que tous nous paraissaient mauvais, et que nous les jugions semblables à nous-mêmes. C’est là le témoignage d’Israël. Où montent ces tribus, et pourquoi? « Pour confesser votre nom, ô mon Dieu ». On ne saurait rien dire de plus grand. L’orgueil a la présomption, et l’humilité
1. Jean, I, 47.
l’aveu. De même qu’il y a présomption chez celui qui veut paraître ce qu’il n’est point, de même il confesse Dieu celui qui ne veut point usurper la place de Dieu, qui aime l’état où il se trouve. C’est pour celaque montent les Israélites, sans déguisement, parce qu’ils sont de véritables Israélites, et qu’en eux est le témoignage d’Israël. Ils s’élèvent « pour confesser votre nom, ô mon Dieu».
9. « C’est là que sont assis les siéges pour le jugement 1 ». Etrange énigme ! étrange question, à moins de bien comprendre. On appelle ici des sièges ce que les Grecs appelleraient des trônes, et les Grecs appellent trônes des siéges d’honneur. Rien d’étonnant que des hommes soient assis sur des siéges, sur des chaises curules; mais que les siéges eux-mêmes soient assis, comment pouvons-nous le comprendre? Comme si l’on nous disait: « Qu’on fasse asseoir ici des chaises, ici des fauteuils. On s’assied sur une chaise, on s’assied dans un fauteuil, on s’assied dans une chaire, mais les siéges ne s’assoient point. Que signifie donc: « Là sont assis les siéges pour le jugement? ». Vous entendez bien dire à Dieu: « Le ciel est mon trône, la terre l’escabeau de mes pieds 2 »; ce qui est ainsi rendu en latin par Coelum mihi sedes est: le ciel est mon siège. Quels sont ces hommes qui sont les cieux, sinon les justes? Car le ciel ou les cieux, c’est tout un, comrne1’Eglise et les églises; elles sont plusieurs, et ne sont qu’une: ainsi les justes forment le ciel de manière à être des cieux. C’est sur eux que Dieu est assis, et par eux qu’il juge. Et ce n’est pas sans raison qu’il est dit: « Les cieux racontent la gloire de Dieu 3 ». Car les Apôtres sont devenus le ciel, et ils sont devenus le ciel parce qu’ils ont été justifiés. De même qu’en devenant pécheur, il est devenu terre, celui à qui Dieu a dit: « Tu es terre, et tu retourneras dans la terre 4»; de même, ceux qui deviennent justes, deviennent des cieux. Ils ont porté Dieu, et par eux Dieu faisait briller les éclairs de ses miracles, gronder le tonnerre de ses menaces, et tomber la pluie des consolations. Oui, oh! oui, ils étaient des cieux, et ils racontaient la gloire de Dieu. Afin que vous sachiez bien que ce sont bien eux qui sont appelés le ciel, le même psaume
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Ps. CXXI, 5. — 2. Isa. LXVI, 1; Act. VII,
43 — 3. Ps. XVIII, 2. — 4. Gen. III, 19.
ajoute: « Le bruit de leur voix a retenti dans toute la terre, et leurs paroles jusqu’aux confins du monde 1». Tu cherches de qui ces voix, et tu vois que ce sont les voix des cieux. Si donc le ciel est le siège de Dieu, et si les Apôtres sont le ciel, ils sont aussi les siéges de Dieu, les trônes de Dieu. Il est dit à un autre endroit: «L’âme du juste est le trône. de la sagesse ». Quelle parole, mes frères: « L’âme du juste est le trône de la sagesse », c’est-à-dire que la sagesse repose dans l’âme du juste comme sur un siége, comme sur son trône, et que c’est là qu’elle exerce les jugements qu’elle porte. Les Apôtres étaient donc les trônes de la sagesse, et de là cette parole que leur adressait le Seigneur: « Vous serez assis sur douze trônes pour juger les douze tribus d’Israël 2 ». Ainsi ils s’assiéront sur des siéges, et seront eux-mêmes les sièges de Dieu; et c’est d’eux qu’il est dit « Là se sont assis les siéges ». Les sièges donc se sont assis. Quels sont les siéges? Ceux dont il est dit: L’âme du juste est le siège de la sagesse. Quels sont les sièges? les cieux. Quels sont les cieux? le ciel. Qu’est-ce que le ciel? Ce dont le Seigneur a dit
« Le ciel est mon siège ». Les justes sont donc les siéges, et occupent des sièges, et les siéges sont assis dans cette Jérusalem éternelle. Pourquoi? Pour le jugement. Vous serez assis sur douze trônes, ô vous qui êtes des trônes, et vous jugerez les douze tribus d’Israël 3. Jugerez qui? ceux qui sont au-dessous d’eux sur la terre. Quels seront les juges? Ceux qui sont devenus le ciel. Or, ceux qui devront être jugés seront divisés en deux parts, l’une à droite, l’autre à gauche. Les saints jugeront avec le Christ. « Il viendra pour juger avec les anciens du peuple 4 », dit Isaïe. Ainsi donc il en est qui jugeront avec le Christ; d’autres seront jugés par lui et par ceux qui jugeront avec lui. Ils seront donc divisés en deux parts: les uns à droite, et oui leur tiendra compte des aumônes qu’ils auront faites; les autres à gauche, et on leur reprochera leur cruauté, leur stérilité en bonnes oeuvres. Or, à ceux de la droite on dira: « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde ». Pourquoi? « J’ai eu faim », dira-t-il, « et vous m’avez donné à manger ». Et ceux-ci: « Quand vous avons-nous vu avoir faim?»
1.
Ps. XVIII, 2 - 5. — 2. Matth. XIX, 28. — 3. Ibid. — 4. Isa. III, 14.
Et le Sauveur: « Ce que vous avez fait au « moindre de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ». Eh quoi donc, mes frères? Ceux-là nous jugeront dont le Christ a dit qu’il faut en faire des amis avec la monnaie de l’iniquité, « afin », a-t-il ajouté, « qu’ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels 1 ». Les saints seront assis avec le Sauveur pour examiner ceux qui auront fait miséricorde; puis ils les prendront, les sépareront à droite pour le royaume des cieux; telle est, mes frères, la paix de Jérusalem. Quelle est cette paix de Jérusalem? Elle consiste à joindre les oeuvres corporelles de miséricorde aux oeuvres spirituelles de la prédication, afin d’établir la paix entre ceux qui donnent et ceux qui reçoivent. L’Apôtre qui nous dit que Dieu tiendra compte de ces aumônes que l’on donne et qu’on reçoit, ajoute ceci: « Si nous avons semé chez vous u les biens spirituels, est-ce donc trop de recevoir vos biens temporels 2?» Et ailleurs encore sur le même sujet: « Celui qui en recueillit beaucoup n’en eut pas plus que les autres, et celui qui en recueillit peu n’en eut pas moins 3». Pourquoi le premier n’en eut-il pas davantage? Parce qu’il donna au pauvre ce qu’il avait de plus. Dans quel sens celui qui recueillit peu n’en eut-il pas moins? Parce qu’il reçut de celui qui avait en abondance. « Afin », dit-il, « que tout soit dans l’égalité ». Telle est la paix dont il est dit « Que la paix s’établisse dans votre force ».
10. Après avoir dit: « C’est là que s’assiéront les sièges pour le jugement, les siéges sur la maison de David », c’est-à-dire sur la famille du Christ, qu’ils ont soutenue par l’alimentation ici-bas, aussitôt le Prophète s’écrie, comme en s’adressant à ces siéges mêmes: « Interrogez ce qui regarde la paix de Jérusalem 4 ». O vous, sièges qui êtes assis pour juger, qui êtes les trônes du souverain juge, comme ceux qui jugent interrogent, et ceux que l’on j tige sont Interrogés; eh bien ! « interrogez ce qui regarde la paix de Jérusalem ». Que trouveront-ils en interrogeant? Que les uns ont fait miséricorde, et que les autres ne l’ont point faite. Et ceux qu’ils trouveront avoir fait miséricorde, ils les appelleront à Jérusalem, car voilà ce qui produit la paix, dans la Jérusalem du ciel. L’amour est puissant, mes frères, oui, l’amour
1. Luc, XVI, 19.— 2. I Cor. IX, 11.— 3. II Cor. VIII,15.— 4. Ps. CXXI, 6.
est puissant. Voulez-vous voir combien est grande la puissance de l’amour? Quand un homme enchaîné par la nécessité ne saurait accomplir ce que Dieu lui commande, qu’il aime celui qui l’accomplit, et dès lors il l’accomplit dans cet autre. Ecoutez, mes frères; voilà un homme qui a une femme, et qu’il ne saurait quitter, puisqu’il doit obéir à ces injonctions de l’Apôtre: « Que l’homme rende à sa femme ce qu’il lui doit »; et encore: « Es-tu lié à une femme? ne cherche pas à t’en séparer ». Or, il lui vient en pensée qu’il est plus parfait de vivre comme le dit le même Apôtre: « Je voudrais que vous fussiez tous comme je suis 1». Il jette les yeux sur ceux qui ont agi de la sorte; il les aime, et accomplit en eux ce que de lui-même il ne saurait faire, tant la charité a de puissance ! C’est la charité qui est votre force; car, sans la charité, tout ce que nous pouvons avoir ne nous sert de rien. « Quand je parlerais toutes les langues des hommes et des anges », dit l’Apôtre, « si je n’ai point la charité, je suis comme un airain sonnant, une cymbale retentissante ». Il ajoute cette grave parole « Quand je distribuerais aux pauvres toutes mes richesses, que je livrerais mon corps pour être brûlé; si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien 2 ». S’il n’a que la charité sans rien pouvoir distribuer aux pauvres, qu’il aime, qu’il donne, ne serait-ce qu’un verre d’eau froide 3; il lui sera compté comme cette moitié de ses biens que Zachée donnait aux pauvres 4. Pourquoi? L’un donne si peu, l’autre de si grands biens, et tous deux seront également traités? Oui, également. Les dons sont inégaux, la charité est égale.
11. Les saints donc interrogent; pour vous, pensez à ce que vous êtes. Voilà qu’on nous l’a dit: « Nous irons dans la maison du Seigneur ». Cette parole: « Nous irons dans la maison du Seigneur », nous a fait tressaillir. Voyez si nous sommes pour y aller; car ce n’est point avec nos pieds, mais bien par nos affections que nous pouvons y aller. Voyez donc si nous sommes pour y aller; que chacun de vous examine sa conduite envers les saints qui sont pauvres, envers un frère indigent, envers un pauvre mendiant; qu’il voie si ses entrailles ne sont point resserrées. Car les trônes assis pour te juger vont te sonder;
1.
I Cor. VII, 3, 7, 27. — 2. Id. XIII, I,3. — 3. Matth. X, 42.— 4. Luc, XIX, 8.
ils doivent trouver ce qui constitue la paix de Jérusalem. Comment vont-ils interroger? En leur qualité de trônes de Dieu. C’est’ Dieu qui interroge. Si quelque chose peut échapper à Dieu,il peut échapper aussi à ces trônes qui interrogent. « Recherchez ce qui tient à la paix de Jérusalem ». Mais en quoi consiste la paix de Jérusalem? « Que l’abondance », dit le Prophète, « soit pour ceux qui vous aiment ». Il s’adresse à Jérusalem, et dit que l’abondance est le partage de ceux qui l’aiment. Cette abondance vient de la pauvreté: ici-bas la pauvreté, là-haut l’abondance; ici-bas la maladie, là haut la santé; ici-bas l’indigence, là-haut les richesses. D’où leur viendront ces richesses? De ce qu’ils auront donné ici-bas ce qu’ils n’avaient reçu de Dieu que pour un temps, et que là-haut-ils ont reçu ce que Dieu donne pour l’éternité. Ici-bas, mes frères, les riches eux-mêmes sont pauvres; il est bon que le riche connaisse sa pauvreté. S’il croit qu’il regorge, c’est de l’enflure, et non la véritable abondance. Qu’il reconnaisse que ses mains sont vides, afin que Dieu les puisse remplir. Qu’a-t-il en effet? de l’or. Que n’a-t-il pas? la vie éternelle. Qu’il jette les yeux sur ce qu’il a et sur ce qu’il n’a pas encore; et avec ce qu’il a, qu’il achète ce qu’il n’a pas. « Abondance à tous ceux qui vous aiment »;
12. « Que la paix se fasse dans ta force 1 ». O Jérusalem ! ô cité bâtie comme une ville, et dont les habitants sont toujours les mêmes, que la paix se fasse dans ta force; que la paix se fasse dans ton amour; car, ton amour: c’est ta force. Ecoute le Cantique: « L’amour est « fort comme la mort 2 ». Quelle magnifique parole, mes frères ! L’amour est fort comme la mort ! on ne pouvait avec plus de magnificence exprimer la force de l’amour, que de dire: « L’amour est fort comme la mort ». Qui peut en effet résister à la mort, mes frères? Pensez-y bien. On résiste au feu, on résiste à l’eau, on résiste au fer, on résiste aux puissances, aux rois; la mort vient seule, et qui peut lui résister? Rien n’est plus fort. C’est pour cela qu’à cette force on compare la charité, et qu’il est dit: « L’amour est fort comme la mort ». Et comme la charité détruit ce que nous étions, afin que nous devenions ce que nous n’étions pas encore, voilà que l’amour nous fait subir une certaine mort. C’est ainsi qu’était mort celui qui disait: « Le
1.
Ps. CXXI, 7.— 2. Cant. VIII, 6.
monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde 1 ». C’est par cette -mort qu’avaient passé ceux à qui il disait: « Vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ 2. L’amour est fort comme la mort ». Si donc la charité est puissante, si elle est forte et d’une grande vertu, si elle est la vertu même, si c’est par elle que les forts conduisent les faibles, que le ciel gouverne la terre, que les trônes dirigent les peuples; que la paix se fasse donc dans votre force, que la paix se fasse dans votre amour. Et par cette force, par cette charité, par cette paix, « que l’abondance règne dans vos tours »; c’est-à-dire dans ce que vous avez de plus élevé, Il y en aura peu pour s’asseoir au jugement, mais beaucoup qui seront à la droite et com poseront le peuple de cette cité. Beaucoup appartiendront à chacun de ces saints éminents, qui les recevront dans les tabernacles éternels:
et -l’abondance régnera dans vos tours. Or, le comble des délices, la suffisance des richesses, c’est Dieu, lui toujours le même, lui dont jouissent ensemble tous les habitants de la cité; telle sera votre abondance. Mais comment nous viendra-t-elle? par l’amour, ou par ia force. En quoi se trouve cette charité, mes frères? En celui qui ne recherche point ses propres intérêts en cette vie 3. Ecoute l’Apôtre tout brûlant de cette charité: « Cherchez à plaire à tous et en toutes choses », dit-il, « comme j’essaie de plaire à tous et en toutes choses 4 ». Mais que devient, ô bienheureux Apôtre, ce que vous dites ailleurs. « Si je voulais encore plaire aux hommes, je ne serais point serviteur du Christ 5?» Et maintenant vous leur plaisez, nous dites-vous, maintenant vous nous engagez à leur plaire? Mais le but qu’il se propose n’est point de plaire aux autres par rapport à soi-même; c’est de leur plaire par charité. Quiconque cherche sa gloire, ne cherche point le salut des autres. Saint Paul dit en effet: « De même que je plais à tous et en tout, sans chercher ce qui m’est avantageux, mais ce qui est avantageux à plusieurs, afin qu’ils soient sauvés 6 ».
13. C’est pourquoi le Prophète, parlant ici de la charité, s’écrie: « A cause de mes frères et de mes proches, ô Jérusalem, je parlais de votre paix 7. O sainte Jérusalem, dont les
1. Galat. VI, 14. — 2. Colos,
III, 3.— 3. Philipp. II, 4, 21.— 4. I
Cor. X, 33.— 5. Galat. I, 10. — 6. I Cor. X, 32,33.— 7. Ps. CXXI, 8.
citoyens sont unis ensemble », me voici en cette vie, et sur la terre, me voici pauvre, étranger et gémissant, loin de votre paix, et prêchant cette paix; ce n’est point pour moi que je la prêche comme les hérétiques qui recherchent leur gloire, qui disent: La paix soit avec vous, et qui n’ont point la paix qu’ils prêchent aux peuples. S’ils avaient la paix, ils ne briseraient point l’unité. Moi, dit le Prophète, « je prêchais la paix à votre sujet ». Mais dans quel but? « A cause de mes frères et de mes proches »; et non pour la gloire qui m’en reviendra, non pour les richesses, non pour ma vie; car « vivre, pour moi, c’est le Christ, et mourir est un gain ». Mais, «je parlais de la paix à votre sujet, à cause de mes frères et de mes proches». Car l’Apôtre désirait sa délivrance afin d’être avec le Christ; mais, afin de prêcher ainsi à ses proches et à ses frères, « il est nécessaire », dit-il, « que je demeure en cette chair, à cause de vous 1.
1.
Philipp. I, 21-24.
« Je parlais de votre paix à cause de mes frères et de mes proches ».
14. « A cause de la maison du Seigneur, notre Dieu, j’appelle tous les biens sur vous 1 ». Ce n’est point pour moi que je recherche des biens, autrement je les appellerais sur moi et non sur toi, et alors j’en serais privé à mon tour, parce que je ne les aurais point cherchés pour toi; mais « c’est à cause de la maison du Seigneur mon Dieu », à cause de l’Eglise, à cause des saints, à cause des étrangers, à cause des pauvres, afin qu’ils s’élèvent, puisque nous leur disons: « Nous irons dans la maison du Seigneur; c’est à cause de cette maison du Seigneur mon Dieu que j’ai appelé tous les biens sur vous ». Voilà, mes frères, des explications un peu longues, et nécessaires néanmoins: veuillez les recueillir, vous en rassasier, en étancher votre soif, afin de vous fortifier, de courir et d’arriver au terme de votre course.
1.
Ps. CXX, 9.
SERMON AU PEUPLE.
L’amour monte au ciel, ou descend dans l’abîme: il ne saurait monter au ciel que par le Christ qui, seul, en est descendu, seul y peut remonter. C’est à lui qu’il faut nous unir; et il est uni à nous sur la terre, puisque c’est lui que l’on persécute dans ses membres, nous lui sommes unis dans le ciel par la charité qui espère C’est l’héritage du Christ ou de l’Eglise qui, dans l’exil, pousse des cris et lève les yeux vers le Dieu du ciel. C’est à lui que nous montons par le coeur ou par l’amour et par la pensée; mais l’orgueilleux n’ayant d’amour que pour lui-même, ne saurait faire ses délices de Dieu, ni monter, à coins d’avoir son péché devant les yeux, et d’en détourner l’oeil de Dieu par l’aveu qu’il en fera. Le ciel ou la demeure de Dieu est formé des saints, ou qui le voient face à face, ou qui le voient par l’espérance; non que nous soutenions le Seigneur, mais c’est lui qui nous soutient. Le Prophète lève leu yeux vers celui qui est le maître, comme le serviteur sur les mains du maître, la servante sur la main de sa maîtresse, jusqu’à ce qu’il nous prenne en pitié; car nous sommes condamnés au châtiment et Adam souffre dans toute sa postérité. Tous ceux qui appartiennent à l’Eglise ou à la servante devenue épouse, sentent leurs plaies et demandent miséricorde. Ici-bas les incrédules nous méprisent, se rient de notre foi. Le riche nous insulte, lui qui ne tient que pour un moment ce qu’il possède; le pauvre nous insulte dans notre foi, lui qui se croit juste. Le riche reconnaîtra son erreur, mais trop tard. Ici-bas, tandis que nous n’avons ni la santé du corps, ni la sainteté de l’âme, aspirons à la cité du bonheur véritable.
1. J’ai entrepris, mes frères, d’exposer a votre sainteté, chacun à son rang, les cantiques des degrés, cantiques de celui qui aime et qui s’élève, qui s’élève parce qu’il aime. Tout amour monte ou descend. L’amour du bien nous élève à Dieu, comme l’amour (29) du mal nous entraîne à l’abîme. Mais comme un désir dépravé nous a déjà fait tomber il nous reste, si nous connaissons celui qui est, non point tombé, mais descendu vers nous, à nous attacher à lui pour nous relever, ce qui nous est impossible par nos propres forces. Notre Seigneur Jésus-Christ l’a dit lui-même: « Nul n’est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel 1 ». Il semble ne parler ainsi que de lui seul. Les autres sont donc demeurés ici-bas, puisque celui-là seul est remonté, qui seul était descendu. Que doivent faire les autres? S’unir à son corps, afin de ne faire qu’un même Christ, qui est descendu, puis remonté. La tête est descendue, elle remonte avec le corps; le Christ s’est revêtu de son Eglise, qu’il a rendue sans tache et sans ride 2. Seul donc il est remonté. Mais lorsque nous sommes unis àlui de manière à devenir ses membres, il n’est plus avec nous qu’un même Christ, un et toujours un. L’unité nous joint à celui qui est un. Il n’y a donc, pour ne point monter avec lui, que ceux qui n’ont point voulu s’unir à lui. Maintenant que ce chef est au ciel, qu’il est immortel après avoir ressuscité cette chair qui l’a un instant assujéti à la mort, et que dans le ciel il n’est plus en butte aux persécutions, ni aux violences, ni aux outrages, comme il a daigné s’y soumettre sur la terre, il a pris en pitié son corps militant sur la terre, et a dit « Saul, Saul, pourquoi me persécuter 3? » Nul ne le touchait, et cependant il criait du ciel qu’il souffrait persécution. Ne nous décourageons donc point, raffermissons au contraire notre confiance, puisque, s’il nous est uni sur la terre par la charité, cette même charité nous unit à lui dans le ciel. Nous avons montré comment il est avec nous sur la terre; nous avons fait retentir ce cri du ciel: « Saul, Saul, pourquoi mie persécuter? » Comment pouvons-nous montrer que nous sommes avec lui dans le ciel? Par le témoignage du même saint Paul, qui nous dit: « Si vous êtes ressuscités avec le Christ, cherchez ce qui est en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu; ayez du goût pour les choses du ciel, et non pour celles de la terre, car vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ 4». Jésus-Christ donc est encore sur la terre, et
1.
Jean, III, 13.— 2. Eph. V, 27 —3. Act.
IX, 4.— 4. Coloss. III, 1-3.
déjà nous sommes dans le ciel. Il est ici-bas par une charité compatissante, nous sommes en haut par la charité qui espère. « Car c’est l’espérance qui nous sauve ». Mais, comme notre espérance est certaine, ce qui n’est encore qu’un avenir s’affirme à notre sujet comme s’il était accompli.
2. Qu’il monte alors, celui qui chante notre psaume. Mais qu’il chante dans le coeur de chacun de vous, et que chacun de vous soit cet homme. Quand chacun de vous le récite, comme vous ne formez qu’un seul homme en Jésus-Christ, c’est un seul homme qui parle; aussi n’est-il point dit: « Seigneur, nous avons levé les yeux vers vous », mais bien: « Seigneur, j’ai levé les yeux vers vous 2». Il faut donc vous figurer que c’est chacun de vous qui parle, mais que le principal interlocuteur est cet homme répandu dans l’univers entier. C’est cet homme unique qui a dit ailleurs: « J’ai crié vers vous des confins de la terre, alors que mon coeur était dans l’angoisse 3». Qui donc pousse des cris des confins de la terre? Quel est cet homme unique répandu jusqu’aux extrémités de la terre? Chaque homme peut crier vers le Seigneur, de l’endroit où il se trouve; mais le peut-il des confins de la terre? Or, l’héritage du Christ, dont il est dit: « Je vous donnerai les nations pour héritage, et les extrémités de la terre pour votre possession 3 », cet héritage pousse maintenant des cris: « Des confins de la terre, j’ai crié vers vous, quand mon coeur était dans l’angoisse ». Que notre coeur soit donc dans l’angoisse, et qu’il pousse des cris. D’où viendra notre angoisse? Non point des maux qu’en. durent les méchants eux-mêmes, comme des pertes qui nous arrivent. Serait-il autre que la cendre, si de pareils sujets l’inquiétaient? Qu’y a-t-il de si grand que ton coeur soit dans l’angoisse, parce qu’il a plu à Dieu de t’enlever quelqu’un des tiens? Les infidèles n’éprouvent-ils pas ces sortes d’angoisses, ceux qui ne croient pas encore en Jésus-Christ? Qu’est-ce donc qui afflige un coeur chrétien? C’est de ne point vivre encore avec le Christ. Qu’est-ce qui afflige un coeur chrétien? C’est d’errer ici-bas, de soupirer après la patrie. Si c’est là pour ton coeur un sujet de tristesse, tu gémiras quand même tu serais heureux selon le monde; en vain tu posséderais tous les biens, en vain le monde aurait de toutes
1.
Rom. VIII, 24. — 2. Ps. CXXII, 1. — 3. Id. LX, 3. — 4. Id. II, 8.
parts des sourires pour toi, tu gémiras de te voir dans l’exil; tu sens que tu es heureux aux yeux des insensés, niais non selon les promesses du Christ. Tu recherches ces promesses par tes gémissements, tu les recherches par tes désirs, et tes désirs te font monter; et en montant tu chantes le cantique des degrés, et en chantant ces cantiques des degrés, tu dis: « Je lève mes yeux vers vous, ô Dieu qui « habitez le ciel ».
3. Où pouvait doue lever les yeux cet homme qui s’élève, sinon vers le lieu où il tend et où il désire arriver? Car il s’élève de la terre au ciel. Voilà ici-bas la terre que nous foulons aux pieds, voilà bien haut le ciel que nous voyons de nos yeux;et en nous élevant nous chantons: « Je lève mes yeux vers vous, ô Dieu qui habitez dans les cieux». Où sont donc les échelles? il y a de si grands intervalles entre le ciel et la terre, une telle séparation, de si vastes espaces; nous voulons y monter, et ne voyons aucune échelle. Sommes-nous dans l’erreur, en chantant ce cantique des degrés, c’est-à-dire ce cantique de l’ascension? C’est monter au ciel que penser à Dieu, qui a placé les degrés dans notre coeur. Qu’est-ce que monter par le coeur? S’avancer vers Dieu. De même que lâcher pied c’est tomber et non descendre; de même avancer c’est monter, si toutefois l’on avance sans orgueil, si l’on s’élève de manière à ne point tomber; car, s’avancer avec orgueil, c’est monter pour tomber. Mais pour ne point s’enorgueillir, que faut-il faire? Lever les yeux vers Celui qui habite dans les cieux, et non les lever sur soi-même. Tout orgueilleux se considère lui-même et se croit quelque chose de grand, dès lors qu’il est l’objet de ses complaisances. Mais, se complaire en soi-même, c’est là le délire; car il faut être fou pour mettre en soi ses complaisances. Celui qui plaît à Dieu peut seul être satisfait de soi-même. Or, qui est-ce qui plaît à Dieu? Celui dont Dieu fait les délices. Dieu ne saurait se déplaire: qu’il te plaise donc, afin que tu lui.sois agréable. Mais: Dieu ne saurait te plaire qu’à la condition que tu te déplairas à toi-même. Et si tu te déplais, détourne de toi tes regards. A quoi bon les arrêter sur toi? En te considérant bien, tu trouveras en toi quelque chose qui te déplaira, et tu diras à Dieu: « Mon péché est toujours devant mes yeux 1»,
1.
Ps. L, 5.
Que ton péché soit sous tes yeux, et non sous les yeux de Dieu; et toi, au contraire, ne sois point l’objet de tes regards, mais des regards de Dieu. De même que nous demandons à Dieu de ne détourner point de nous sa face, de même nous lui demandons de la détourner de nos péchés; car telle est la double prière qu’on lui fait dans les psaumes: « Ne détournez point de moi votre visage ». Ainsi dit le psaume, ainsi disons-nous. Et le même interlocuteur qui dit: « Ne détournez point de moi votre face », vois ce qu’il dit ailleurs: « Détournez votre face de mes péchés». Si donc tu veux qu’il détourne sa face de tes péchés, commence par détourner de toi-même ton visage, sans toutefois le détourner de tes péchés. Car, situ n’en détournes pas ta face, tu entreras en colère contre ces mêmes fautes. Mais ne pas détourner sa face de ses propres fautes, c’est les reconnaître, c’est les avouer, et alors Dieu les pardonne.
4. Cesse donc de te considérer, pour lever les yeux vers Dieu, et lui dire: « J’ai levé mes regards vers vous, ô mon Dieu, qui habitez dans les cieux ». Le ciel, mes frères, si nous l’entendons dans un sens matériel et de manière à le voir de nos propres yeux, nous tomberons dans une erreur grossière, au point de croire que nous ne saurions y monter, sans le secours d’échelles ou de machines; mais si notre avancement est spirituel, le ciel aura pour nous uti sens spirituel; et si nous montons par l’amour, le ciel est dans la justice. Qu’est-ce donc que le ciel de Dieu? Toutes les saintes âmes, toutes les âmes justes. Car les Apôtres étaient le ciel, bien que leur corps fût sur la terre; car le Seigneur siégeait en eux, afin de parcourir le monde. Dieu donc habite le ciel. Et comment? Comme il est dit dans un autre psaume: « C’est dans les saints que vous habitez, ô gloire d’Israël 1 ». Celui qui habite le ciel, habite le Saint. Or, quel est ce saint, sinon son temple? « Car le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple 2». Mais tous ceux qui sont encore faibles, et qui marchent selon la foi 3, sont par la foi le temple de Dieu: et un jour seulement ils seront son temple dans la claire vue. Combien de temps seront-ils le temple de Dieu par la foi? Aussi longtemps que par la foi le Christ habitera en eux, ainsi que l’a dit l’Apôtre: « C’est par la foi que lé Christ
1.
Ps. XXI, 4. — 2. I Cor. III, 17. — 3. II Cor. V, 7.
habite en vos coeurs 1 ». Mais il y a déjà des cieux en qui Dieu habite par la claire-vue, et qui le voient face à face; tels sont tous les Anges, toutes les saintes Vertus, les Puissances, les Trônes, les Dominations, et toute cette Jérusalem céleste, dont l’éloignement nous fait gémir, et vers laquelle tendent nos prières; c’est là qu’habite le Seigneur. C’est là que le Prophète lève les yeux, c’est là qu’il monte par l’amour, par ses brûlants désirs; et ces désirs lui font purifier son âme de toutes souillures, en laver toutes les taches, de sorte qu’elle est elle-même le ciel, élevant ses yeux vers Celui qui habite dans les cieux. Car, si nous plaçons le sanctuaire de Dieu dans ce ciel corporel que nous voyons de nos yeux, cette habitation de Dieu passera, puisque le ciel et la terre passeront 2. Et puis, avant que Dieu eût fait le ciel et la terre, où habitait-il?Mais, dira-t-on encore, où habitait-il avant qu’il eût fait les saints? Il habitait en lui-même; c’est en lui-même qu’il est Dieu. Et quand il daigne habiter dans les saints, les saints ne sont pas tellement sa demeure, qu’il doive tomber si cette même demeure venait à manquer. Nous habitons nos maisons d’une tout autre manière que Dieu habite les saints: tu habites une maison de manière à n’en plus avoir, si elle vient à manquer; mais Dieu habite les saints de telle sorte qu’eux tomberaient s’il venait à se retirer. Quiconque dès lors porte Dieu, de manière àêtrn le temple de Dieu, ne doit point s’imaginer qu’il porte Dieu de manière à lui faire peur, s’il venait à se retirer. Malheur au contraire à l’homme dont Dieu se retire li! tombe inévitablement, mais Dieu demeure toujours en lui-même. Les lieux que nous habitons nous contiennent,tandis que Dieu contient ceux qu’il habite. Voyez quelle est la différence entre la demeure de Dieu et la nôtre, et que l’âme s’écrie: « J’ai levé les yeux vers vous, ô Dieu qui habitez le ciel »;qu’elle comprenne que Dieu n’a pas besoin du ciel pour l’habiter, mais que le ciel a besoin d’être l’habitation de Dieu.
5. Que dit donc ensuite le Prophète qui a levé les yeux vers Celui qui habite le ciel? De quelle manière, ô saint roi, as-tu levé les yeux? « Comme les serviteurs tiennent les yeux attachés sur leurs maîtres, une servante sur sa maîtresse, ainsi nos regards
1. Ephés. III 17. — 2. Matth. XXIV, 35.
sont fixés sur le Seigneur notre Dieu, jusqu’à ce qu’il ait pitié de nous 1 ». Nous sommes les serviteurs, nous sommes les servantes, et Dieu est pour nous le Seigneur, la maîtresse. Que veulent dire ces paroles, mes frères, quel est le sens de ces comparaisons? Que votre charité veuille bien écouter. Rien d’étonnant que nous soyons les serviteurs, et Dieu notre maître; mais ce qui peut nous étonner, c’est que nous soyons la servante, et Dieu la maîtresse. Et toutefois, rien d’étonnant que nous soyons la servante, puisque nous sommes l’Eglise, et rien d’étonnant non plus que le Christ soit la maîtresse, puisqu’il est la sagesse et la vertu de Dieu. Ecoute ce mot de l’Apôtre: « Quant à nous, nous prêchons le Christ crucifié, qui est un scandale pour les Juifs, une folie pour les Gentils; mais pour ceux qui sont appelés des Juifs et des Gentils, le Christ est la vertu de Dieu, la sagesse de Dieu 2 », Tu l’entends, dès lors le peuple est un serviteur, l’Eglise une servante, et le Christ est la vertu et la sagesse de Dieu; tu as entendu l’un et l’autre, la vertu de Dieu, la sagesse de Dieu. A ce nom du Christ, lève les yeux sur les mains de ton Seigneur; quand on l’appelle vertu et sagesse de Dieu, lève les yeux sur les mains de ta maîtresse: car tu es tout à la fois serviteur et servante: serviteur, car tu es peuple; servante, car tu es Eglise. Or, la servante a obtenu de Dieu une éminente dignité, elle est devenue épouse. Néanmoins, jusqu’à ce qu’elle arrive aux divins embrassements, à la paisible jouissance de Celui qu’elle a aimé, quta été l’objet de ses soupirs, pendant un si long exil, elle est une fiancée qui a reçu pour gages précieux le sang de son fiancé, qu’elle appelle de ses voeux en toute confiance. On ne lui dit point: Réprimez votre amour, comme on le dit à la jeune fille, simplement fiancée et qui n’est point encore épouse. A celle-ci on dit avec raison:
Réprime ton amour; quand tu seras épouse, aime selon ton devoir: c’est un autour mal réglé, un amour précipité, un amour peu chaste, celui qu’elle accorde à l’homme qu’ elle n’est point certaine d’épouser. Il est possible en effet qu’un homme soit le fiancé, et un autre l’époux. Mais que l’Eglise aime en toute assurance, parce qu’il n’est aucun autre époux que l’on puisse préférer au Christ; qu’elle l’aime avant d’être unie a lui, qu’elle soupire
1.
Ps. CXXII, 2 - 4. — 2. I Cor. I, 23, 24,
vers lui dans ce lointain exil. Lui seul sera l’époux, parce que seul il a pu donner de tels gages. Qui peut en effet épouser, de telle sorte qu’il meure pour celle qu’il veut épouser? Car s’il veut mourir pour elle, il n’en sera point l’époux. Or, Celui-ci n’a point hésité à mourir pour celle qu’il devait épouser après sa résurrection. Toutefois, mes frères, en attendant ce moment, soyons comme les serviteurs et comme la servante. Il est dit, sans doute: « Je ne vous traiterai point en serviteurs, mais en amis 1». Mais n’était-ce peut-être qu’à ses disciples que le Seigneur parlait ainsi? Ecoutez ce que dit saint Paul: « Aucun de vous n’est donc plus esclave, mais fils; et s’il est fils, il est héritier par la grâce de Dieu 2 ». Ainsi disait-il au peuple, à tous les fidèles. Déjà rachetés au nom et par le sang du Christ, purifiés dans son bain, nous sommes ses enfants, nous sommes son fils; quoique nous soyons en effet plusieurs, nous sommes un en Jésus-Christ. D’où vient qu’après cette grâce nous parlons encore comme des serviteurs? Maintenant que d’esclaves nous sommes devenus des fils, pouvons-nous avoir dans l’Eglise un mérite égal à celui de l’apôtre saint Pan!? Et pourtant, que dit-il dans ses lettres? « Paul, serviteur de Jésus-Christ 3 ». Si ce prédicateur de l’Evangile se dit encore serviteur, combien plus nous autres devons-nous considérer notre condition, afin que la grâce augmente en nous? Il a d’abord fait des serviteurs de tous ceux qu’il a rachetés. Car son sang, qui était la rançon des esclaves, était aussi les arrhes de l‘Epouse. Convaincus de notre condition, enfants par la grâce, il est vrai, mais serviteurs comme créatures, puisque toute créature est soumise aux ordres de Dieu, disons avec le Prophète: « Comme le serviteur tient les yeux attachés sur son maître, une esclave sur sa maîtresse, ainsi mes regards sont fixés sur le Seigneur notre Dieu, jusqu’à ce qu’il ait pitié de nous ».
6. Le Prophète nous dit aussi pourquoi nos yeux sont fixés sur le Seigneur, comme les yeux du serviteur sur les mains de son maître, et de la servante sur les mains de la maîtresse; et comme si on lui demandait pourquoi? « Jusqu’à ce qu’il nous prenne en pitié », répond-il. Quels sont, mes frères, les serviteurs que nous devons comprendre
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Jean, XV, 15. — 2. Galat. IV, 7. — 3. Rom. I, 1.
ici, qui ont les yeux sur les mains de leurs maîtres; et quelles servantes ont les yeux sur les mains de leur maîtresse, jusqu’à ce que cette maîtresse les prenne en pitié? Quels sont donc ces serviteurs et ces servantes qui ont ainsi les yeux sur les mains de leurs maîtres, sinon ceux qui sont condamnés au châtiment? « Nos yeux sont tournés vers le Seigneur, jusqu’à ce qu’il nous prenne en pitié ». Comment cela? Comme les yeux de l’esclave sur les mains de son maître, et comme les yeux de la servante sur la main de sa maîtresse. Donc les uns et les autres les tiennent fixés, jusqu’à ce que le maître ou la servante les prenne en pitié. Supposons un maître qui fait fouetter un esclave; on frappe ce malheureux qui gémit sous les coups, et tend les yeux fixés sur les mains du maître, jusqu’à ce qu’il dise: C’est assez. Car la main ici a le sens de pouvoir. Que disons nous donc, mes frères? Nous sommes condamnés au châtiment par le Seigneur notre maître, par la sagesse de Dieu, notre maîtresse; et nous sommes frappés en cette vie, et toute cette vie mortelle n’est pour nous qu’une longue plaie. Ecoute la voix du psaume: « Vous instruisez l’homme par le châtiment, à cause de son iniquité, et vous faites sécher mon âme comme l’araignée 1 ». Voyez, mes frères, combien est faible une araignée; le moindre choc la brise et lui donne la mort. Et de peur que nous n’en venions à croire que cette mortelle faiblesse n’atteint que notre chair, le Prophète ne dit point: Vous m’avez desséché, de peur qu’on n’appliquât cette expression à la chair, mais: Vous avez desséché mon âme comme l’araignée. Rien de plus faible, en effet, que notre âme au milieu des tentations du monde, au milieu des gémissements, et comme des douleurs de l’enfantement; rien de plus faible qu’elle, jusqu’à ce qu’elle s’attache fortement à la solidité du ciel, qu’elle soit dans le temple de Dieu, d’où elle ne puisse tomber; car, avant d’arriver à cette faiblesse et à cette langueur, elle est devenue infirme comme l’araignée, et a été chassée du paradis. Alors l’esclave a été condamné au fouet. Voyez, mes frères, depuis quel temps nous souffrons. Adam souffre, et dans tous ceux qui sont nés à l’origine du genre humain, et dans tous ceux qui vivent aujourd’hui, et dans tous
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Ps. XXXVIII, 12.
ceux qui nous suivront. Adam, ou le genre humain, est châtié, et beaucoup sont endurcis au point de ne pas sentir leurs plaies. Mais ceux do la race humaine, qui sont devenus enfants de Dieu, ont recouvré le sentiment de la douleur; ils sentent qu’on les frappe, ils savent qui les fait frapper; ils lèvent les yeux vers lui, qui habite les cieux; ils fixent les yeux sur les mains du Seigneur, jusqu’à ce qu’il les prenne en pitié, comme Les serviteurs sur les mains de leurs maîtres, comme la servante sur les mains de sa maîtresse. Vous voyez en ce monde quelques heureux qui rient et s’applaudissent; ils ne sont point frappés, ou plutôt, ils sont châtiés plus sévèrement, et d’autant plus sévèrement qu’ils le sentent moins. Qu’ils s’éveillent, et soient frappés, qu’ils sentent qu’on les frappe, qu’ils le sachent, et qu’ils se plaignent d’être frappés. « Car, celui qui multiplie la science, multiplie la douleur 1», a dit l’Ecriture. De là cette parole du Seigneur dans l’Evangile: « Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés 2 ».
7. Ecoutons donc 1a parole d’un homme que l’on châtie, et nous-mêmes parlons par sa bouche, quand même nous serions heureux. Qui ne sent point qu’on le châtie, quand il est malade ou en prison, quand il est dans les chaînes, quand il tombe entre les mains des voleurs? Il se sent frappé quand les méchants lui suscitent quelque chagrin. C’est un grand sentiment qui nous fait comprendre que nous sommes frappés, lors même que nous sommes heureux. L’Ecriture ne dit point au livre de Job que la vie humaine est pleine de tentations, mais bien: « La vie de l’homme sur la terre n’est-elle pas une tentation 3?» C’est donc la vie tout entière qu’il appelle une tentation. Donc ta vie entière, ici-bas, ce sont là tes plaies. Pleure donc tout le temps que tu vis ici-bas, soit dans la prospérité, soit dans quelque tribulation dis alors: « J’ai levé mes yeux vers vous, ô Dieu qui habitez le ciel ». Tiens-les fixés sur cette main du Seigneur qui t’a condamné au châtiment, et à qui tu dis dans un autre psaume « Vous avez châtié l’homme u à cause de son iniquité, et vous avez fait sécher mon âme comme l’araignée 4 ». Crie vers la main qui te frappe, et dis
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Ecclés. I, 18. — 2. Matth. V, 5, —
3. Job, VII, 1. — 4. Ps. XXXVIII, 12.
« Ayez pitié de nous, Seigneur, ayez pitié de nous ». N’est-ce point là le cri de l’homme que l’on frappe: « Ayez pitié de nous, Seigneur, ayez pitié de nous?»
8. « Car depuis longtemps nous sommes sous le poids du mépris. Notre âme est étrangement accablée, insultée par le riche, regardée d’en haut par l’orgueilleux ». Or, regarder de haut, c’est mépriser. Mais tous ceux qui veulent vivre pieusement dans le Christ, doivent souffrir persécution de la part de ceux qui dédaignent de vivre dans la piété, et dont tout le bonheur est sur la terre. On sent de ceux qui appellent bonheur ce qu’ils ne sauraient voir des yeux, on leur dit: A quoi bon croire, ô insensé? As-tu vu ce que tu crois? Quelqu’un est-il revenu d’outre-tombe te dire ce qui s’y passe? Pour moi, je vois ce que j’aime, et j’en jouis. On te méprise, ô chrétien, parce que tu crois ce que tu ne vois point, et celui-là te méprise qui tient en quelque sorte ce qu’il voit. Mais écoute s’il le tient réellement: ne te trouble point, vois s’il le tient en effet; qu’il ne t’insulte pas; et de peur qu’en le croyant heureux ici-bas tu ne viennes à perdre le bonheur éternel; ne te trouble pas, vois s’il le tient. Ou ce qu’il tient lui échappe, ou il échappe à ce qu’il tient. Car il faut, de toute nécessité, ou qu’il échappe à ses biens, et qu’il passe, ou que ses biens lui échappent. A qui les biens échappent-ils? A celui quj eu est dépouillé pendant sa vie. Qui est-ce qui échappe à ses biens? Celui qui meurt au milieu des richesses; car, en mourant, il ne les emporte point avec lui au-delà du tombeau. Un homme dit fièrement: Ma maison est à moi. Quelle maison, lui dis-tu? Celle que mon père m’a laissée. Et lui, d’où avait-il cette maison? de mon aïeul qui la lui a laissée. Va jusqu’au bisaïeul, jusqu’aux ancêtres, et bientôt tu ne saurais plus dire tant de noms. N’es-tu pas effrayé de voir que cette maison a passé par tant de maîtres, et que nul ne l’a emportée avec soi dans la demeure éternelle? Ton père l’a laissée ici-bas, il a passé en elle, et toi, tu passeras de même. Ainsi donc, vous ne faites que passer par votre maison, qui est l’hôtellerie des passants, non l’habitation de ceux qui demeurent. Et cependant, parce que nous espérons ce qui est à venir, et que nous aspirons à un bonheur futur, et que ne paraît point encore ce que nous devons être un jour, bien (34) que nous soyons déjà fils de Dieu 1, car notre vie est cachée en Dieu avec le Christ 2: « Nous sommes regardés d’en haut », c’est-à-dire accablés de mépris par ceux qui cherchent où qui possèdent leur félicité ici-bas.
9. « Notre âme est étrangement accablée, en butte aux opprobres du riche, aux dédains de l’orgueilleux ». Nous cherchons quels sont les riches, et le Prophète nous l’explique en désignant les orgueilleux. Or, l’opprobre est identique au dédain, et le riche identique à l’orgueilleux. Il y a donc une répétition dans cette phrase: « l’opprobre du riche, le dédain de l’orgueilleux ». Comment les orgueilleux sont-ils riches? Parce qu’ils veulent être heureux ici-bas. Quoi donc! sont-ils riches, même dans la misère? Peut-être que dans le malheur ils ne nous insultent pas. Que votre charité veuille m’écouter. Les riches nous insultent quand ils sont heureux, quand ils étalent fastueusement leurs richesses, quand ils s’élèvent dans la vanité de leurs faux honneurs; c’est alors qu’ils nous insultent, qu’ils semblent nous dire: voilà que tout me réussit, je jouis des biens de cette vie: loin de moi quiconque me promet ce qu’il ne saurait montrer; je possède ce qui est visible, je jouis de ce que je vois, et vive le bonheur de cette vie! Pour toi, ô mon frère, tiens-toi plus assuré; car le Christ est ressuscité, et t’a enseigné ce qu’il te donnera dans l’autre vie; sois certain qu’il te le donnera. Mais celui qui Possède m’insulte, diras-tu: supporte ses railleries, et un jour tu riras, quand il gémira; car un temps viendra où ces railleurs diront à leur tour: « Ce sont donc là ceux que nous avons tournés en dérision». Ainsi est-il écrit au livre de la Sagesse, car l’Ecriture a soin de nous préciser ce que diront alors ceux qui nous raillent aujourd’hui, qui nous méprisent, ceux qui nous accablent d’opprobres et de dédain, le langage qu’ils tiendront quand la vérité les dédaignera; Ils verront en effet briller à la droite ceux qui vivaient méprisés au milieu d’eux; car alors s’accomplira cette Parole de saint Paul: « Quand le Christ, qui est votre vie, apparaîtra, alors aussi vous apparaîtrez avec lui dans la gloire 3 »; et ils diront: « Voilà donc ceux que nous avions en mépris, et qui étaient l’objet de nos outrages! Insensés que nous étions ! nous regardions
1. I Jean, III, 1. — 2. Colos. III, 3. — 3. Id. 4.
leur vie comme une folie, et leur fin un opprobre. Comment sont-ils comptés parmi les enfants de Dieu, et leur partage est-il entre les saints? » Et ils ajouteront en continuant leur plainte: « C’est donc nous qui avons erré loin de la voie de la vérité; la lumière de la justice n’a pas lui à nos yeux, et le soleil ne s’est point levé pour nous. De quoi nous a servi notre orgueil, et que nous revient-il de l’ostentation de nos richesses 1? » Là ce n’est point toi qui les méprises, mais eux-mêmes. Jusque-là, mes frères, levons les yeux vers Celui qui habite dans les cieux; ne détournons point nos regards, jusqu’à ce qu’il nous prenne en pitié et qu’il nous délivre de toute tentation, de tout opprobre, de tout dédain.
10. Ajoutez à cela que, souvent, ceux-là mêmes qui se trouvent sous le coup des maux de cette vie, veulent nous insulter. Voilà un homme jeté en prison, chargé de chaînes pour ses crimes, ou par un secret jugement de Dieu, ou par une punition visible, il ne laisse pas de nous outrager. Qu’on lui dise Pourquoi n’avoir pas été plus sage? Voilà où vous amène une vie peu réglée. Pourquoi donc, répondra-t-il, ceux qui vivent saintement subissent-ils les mêmes peines? Mais ceux-là souffrent parce que Dieu les éprouve, les exerce par la tentation, afin qu’ils marchent dans la vertu sous le fouet de ces châtiments; « car le Seigneur frappe celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants 2». Et s’il a livré à la flagellation son Fils unique, qui était sans péché, s’il l’a livré pour nous tous 3, combien est-il plus juste que nous soyons châtiés, nous qui avons mérité le châtiment? A cette réponse, ils s’élèvent de nouveau dans l’orgueil de leur malheur même affligés sans en être plus humbles, ils nous disent: Voilà les contes frivoles de ces chrétiens qui croient ce qu’ils ne voient pas. Si nous sommes insultés par ces hommes, est-ce bien là, mes frères, ce que rappelle notre psaume: « L’opprobre des riches, le dédain des orgueilleux? » Car les chrétiens sont injuriés, même par ceux qui ne sont pas dans l’abondance. mais dont la misère, mais dont le malheur ne font point cesser les insultes. Il est donc vrai que nous sommes un opprobre pour les riches; mais ne s’est-il jamais trouvé un homme sous le poids du malheur pour
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Sag. V, 3-8. — 2. Hébr. XII, 6. — 3. Rom, VIII. 32.
nous insulter? Le larron crucifié avec le Sauveur ne lui a-t-il pas insulté 1? Si donc ceux-là aussi qui ne sont point dans l’abondance ont aussi des insultes pour nous, comment le psaume nous dit-il: « Nous sommes l’opprobre de ceux qui sont dans l’abondance? » Mais, à bien prendre les choses, ils sont aussi dans l’abondance. Quelle abondance? Sans cette abondance, ils ne seraient point orgueilleux. Pour l’un, c’est l’abondance de l’argent, et de là son orgueil; pour l’autre, c’est l’abondance des honneurs, et de là son orgueil; un troisième se croit riche en justice, ce qui est pire encore, et de là son orgueil. Ceux que l’on voit dépourvus des biens de ce monde s’imaginent qu’ils ont contre Dieu des trésors de justice; et dans le malheur ils se justifient, en accusant Dieu lui-même, et en disant: Qu’ai-je fait, où est ma faute? Tu leur réponds: Examinez si vous n’avez fait aucune faute, rentrez en vous-mêmes. A ces paroles, la conscience de cet homme est émue, il rentre en lui-même, il pense aux fautes qu’il a commises; et néanmoins, après y avoir pensé, il refuse encore d’avouer qu’il a ce qu’il mérite. Sans doute, j’ai beaucoup péché, nous dit-il, mais j’en vois d’autres et en grand nombre, plus coupables que moi, et néanmoins épargnés. Le voilà juste contre Dieu il est donc dans l’abondance, son coeur est plein de sa propre justice, il s’imagine que Dieu l’afflige sans sujet, qu’il souffre injustement. Donne à cet homme un vaisseau à gouverner, il fera naufrage avec son vaisseau il veut néanmoins ôter à Dieu la direction de ce monde, gouverner lui-même la création, et distribuer à tous les joies et les douleurs, les châtiments et les récompenses. Âme infortunée ! et qu’y a-t-il d’étonnant? elle est dans l’abondance, mais abondance de malice, abondance d’iniquités; elle est plus riche en iniquités qu’elle ne se croit riche de justice.
11. Or, un chrétien ne doit pas être dans l’abondance, mais reconnaître qu’il est pauvre; et s’ila des richesses, il doit comprendre assez qu’elles ne sont point les richesses véritables, et en désirer d’autres. Car, celui qui convoite les fausses richesses, ne recherche point les véritables, et celui qui recherche les véritables est encore pauvre, et peut dire en toute vérité: « Je suis pauvre et affligé 2 ». Ensuite,
1.
Luc, XXIII, 39, 40. — 2. Ps. LXVLII, 30
comment peut-on dire qu’un homme soit dans l’abondance, quand il est pauvre et plein de malice? On le dit, parce que sa pauvreté lui déplaît, et qu’il croit son coeur plein d’une justice qu’il oppose à la justice de Dieu. Et quelle abondance de justice pouvons-nous avoir? Quelque grande que puisse être notre justice, elle n’est qu’une goutte de rosée auprès de cette inépuisable source, une miette auprès de ce rassasiement ineffable, et cette miette adoucit notre vie, nous aide à supporter le châtiment de nos fautes. Aspirons à boire aux pleines eaux de la justice; aspirons à nous rassasier de cette abondance, dont il est dit dans le psaume: « Ils seront enivrés de l’abondance de votre maison, vous les ferez boire au torrent de vos voluptés 1». Mais, tant que nous demeurons sur la terre, nous devons nous croire pauvres et dépourvus, non seulement de ces richesses qui ne sont point les richesses véritables, mais aussi de celles du salut. Et même, avec la santé, reconnaissons que nous sommes faibles. Tant que ce corps a faim et soif, tant qu’il est fatigué de veiller, fatigué d’être debout, fatigué de marcher, fatigué d’être assis, fatigué de manger, quelque part qu’il se tourne pour soulager une fatigue, il rencontre une fatigue nouvelle: l’homme n’a donc point ici-bas une santé parfaite, pas même en son corps. Il n’a donc point les richesses, mais la mendicité et plus on possède ces biens, plus s’accroît en nous la pauvreté et l’avarice. Ce n’est donc point là pour le corps la santé, mais bien la langueur. Chaque jour nous viennent de Dieu des remèdes adoucissants, puisque nous buvons et que nous mangeons; ce sont là des remèdes que nous prépare sa bonté. Et si vous voulez, mes frères, connaître l’intensité de notre maladie, qu’un homme demeure àjeun pendant sept jours, et la faim le tuera. Cette faim est donc en nous, et nous ne la sentons point, parce que nous y apportons chaque jour le remède: notre santé n’est donc point parfaite.
12. Que votre charité veuille bien écouter comment nous devons entendre notre pauvreté, de manière à lever nos regards vers Celui qui habite les cieux. Les richesses de la terre ne sont point de véritables richesses, puisqu’elles augmentent les désirs chez ceux qui les possèdent. La santé du corps n’est
1.
Ps. XXXV, 9.
point une véritable santé; partout, en effet, nous portons une infirmité toujours prête à défaillir, et qui nous trahit partout. Nul secours ne nous rend plus fermes; on se lasse debout, on veut s’asseoir, mais peut-on demeurer toujours assis? Ce que l’on choisit pour soulager une fatigue devient fatigue à son tour. Las de veiller, on vent dormir; mais dormir ne deviendra-t-il pas une fatigue? Fatigué de jeûner, on veut manger; mais l’excès dans un repas nous rend plus malades. Notre faiblesse ne saurait persévérer dans aucune position. Qu’est-ce que la justice? Quelle justice pouvons-nous avoir au milieu des tentations? Nous pouvons éviter l’homicide, l’adultère, le larcin, le parjure, la fraude; mais pouvons-nous éviter les pensées dépravées? Pouvons-nous éviter les suggestions des abjectes convoitises? A quoi donc se réduit notre justice? Ayons donc toujours faim, ayons toujours soif, et des véritables richesses, et de la véritable santé, et de la véritable justice. Quelles sont les véritables richesses? La demeure dans la céleste Jérusalem. Quel est l’homme que l’on appelle riche sur la terre? Que dit-on d’un homme riche qu’on veut louer? Il est bien riche, rien ne lui manque. C’est une louange véritable pour celui qui loue; mais elle est fausse quand on dit que rien ne manque. Voyez en effet si rien ne manque à cet homme riche. S’il ne désire plus rien, il ne manque de rien; mais, s’il désire de plus grands biens qu’il n’en possède, ses richesses n’ont grandi que pour grandir sa pauvreté. Or, dans cette cité bienheureuse, nous aurons les richesses véritables, puisque nous ne manquerons de rien; aucune jouissance ne nous fera défaut, et notre santé sera parfaite. Quelle est la véritable santé? « Quand la mort sera absorbée dans sa victoire, quand ce corps corruptible sera revêtu d’incorruption, et ce corps mortel revêtu d’immortalité 1 », alors notre santé sera véritable, notre justice véritable et parfaite, nous serons dans l’impossibilité, non seulement de faire le mal, mais encore d’en avoir la pensée. Maintenant que nous sommes nécessiteux, pauvres, indigents, nous soupirons dans nos douleurs, nous gémissons, nous prions, nous levons les yeux vers le Seigneur: puisque les heureux de ce monde n’ont pour nous que le dédain, ils sont en effet dans l’abondance; et que ceux qui sont dans le malheur en cette vie nous méprisent encore, eux aussi sont dans l’abondance, leur coeur est plein de justice, mais d’une fausse justice et comme ils sont enfles de cette fausse justice, ils n’arriveront point à la véritable. Mais toi, sois pauvre et mendiant à l’égard de la justice, afin d’arriver à la justice véritable écoute l’Evangile: « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés 2. »
1.
I Cor. XV, 53-54. — 2. Matth. V, 6.
SERMON AU PEUPLE.
L’Eglise chante sa délivrance, ou des persécutions par la bouche des martyrs, ou des dangers de la vie présente par la bouche de tout chrétien qui meurt en Dieu. Elle a ses espérances du ciel lesquelles sont la vérité ou le Verbe en Dieu, ici-bas la voie qui y conduit ou le Verbe fait homme. En jetant un coup d’oeil sur les obstacles, ces bienheureux s’écrient: Si le Seigneur n’eût été avec nous Combien de difficultés de la part des hommes, et ces hommes ont succombé; mais si Dieu n’eût été avec nous, ils nous eussent dévorés tout vivants. L’Eglise, pour nous absorber, tue en nous les inclinations mondaines, afin de nous faire ce que nous n’étions pas, et nous sommes mangés par la foi en Dieu. Etre dévoré tout vivant, c’est connaître la vanité de l’idolâtrie, et néanmoins offrir de l’encens aux idoles; ou nous laisser détourner de Dieu par les langues trompeuses. La victoire nous vient par celui qui a vaincu le monde. Par lui nous traversons les eaux qui nous eussent absorbés. Les eaux sont celles du torrent, ou de la persécution qui ne doit durer qu’un moment. C’est là qu’a bu notre Chef qui est dans le ciel. Il est à peine croyable que nous ayons pu franchir cette eau, appelée eau sans substance, parce qu’elle est l’eau du péché; et par le péché nous dissipons notre substance comme le prodigue. Elle est sans substance encore, parce qu’elle nous dépouille des biens réels. Le Seigneur seul est la véritable substance; seul il nous fait échapper aux amorces de la vie, comme l’oiseau aux pièges du chasseur.
1. Vous savez, mes frères bien-aimés, qu’un cantique des degrés n’est autre que le cantique de noire ascension, et que cette ascension ne se fait point avec nos pieds, tamis par les élans du coeur. Nous vous l’avons dit souvent, et nous n’en parlerons plus, afin de nous occuper de ce qui n’a pas encore été dit. Donc, le psaume que vous venez d’entendre est intitulé « Cantique des degrés». Tel est son titre, et il est chanté par ceux qui montent, lesquels chantent souvent comme chanterait un seul, et souvent comme plusieurs; car plusieurs ne font qu’un, puisqu’il n’y a qu’un seul Christ, et que tous les membres ne font en Jésus-Christ et avec Jésus-Christ qu’un même corps, et de tous ces membres, la tête est au ciel. Le corps souffre encore sur la terre, et n’est pas néanmoins séparé de la tête, qui veille d’en haut sur le corps et le préserve. S’il ne veillait sur ce corps, il n’eût point crié à Saut qui le persécutait, et n’était point encore Paul: « Saul, Saul, pourquoi me persécuter 1? » Vous savez tout cela, on vous en a souvent parlé. Et toutefois, que le souvenir de ces paroles ne fatigue point ceux qui ne les ont point oubliées, afin que, grâce à leur patience, elles puissent revenir à la mémoire de ceux qui les avaient perdues. Ce sont des paroles salutaires, et qu’il faut souvent répéter. Qu’il n’y ait donc en notre psaume qu’un
1. Act. IX, 4.
seul interlocuteur, ou qu’il y en ait beaucoup; plusieurs ensemble ne forment qu’un seul homme, et se rangent dans l’unité, et le Christ n’est qu’un, avons-nous dit, et tous les chrétiens sont les membres du Christ.
2. Dès lors, que chantent ceux-ci? Que chantent ces membres du Christ? Car ils aiment, et c’est par amour qu’ils chantent, c’est l’amour qui chante en leurs transports. Parfois, la douleur les fait chanter, et parfois l’allégresse, quand ils chantent leurs espérances. Car nos tribulations ne sont que pour cette vie, et notre espérance est pour le siècle à venir; et si l’espérance du siècle futur ne nous soutenait dans les maux de cette vie, nous péririons sans ressource. Donc, mes frères, notre joie n’est point réelle encore, mais elle entre déjà en espérance; or, cette espérance est aussi certaine que si nous jouissions déjà de la réalité. Nous n’avons, en effet, rien à craindre quand c’est la vérité qui nous fait des promesses. Car la vérité ne peut ni se tromper, ni tromper les autres; il nous est bon de nous y attacher, puisqu’elle nous délivre si nous demeurons fermes dans sa parole. Nous croyons maintenant, nous verrons alors; avec la foi, notre espérance est en ce bas monde; avec la claire vue, nous aurons la réalité dans le siècle à venir. « Nous verrons Dieu face à face 1». Et nous le verrons face
1.
Cor. XIII, 12.
à face quand nos coeurs seront purifiés. « Bienheureux ceux dont le coeur est pur, parce qu’ils verront Dieu 1 ». Or, comment nos coeurs seront-ils purifiés, sinon par la foi, selon cette parole de saint Pierre dans les Actes des Apôtres: « C’est par la foi qu’il purifie leurs coeurs 2 ». Et la foi purifie nos coeurs afin de les disposer à la claire vue. Car nous vivons dans la foi, et non dans la claire vue, comme dit l’Apôtre: « Tant que nous sommes dans un corps, nous sommes éloignés du Seigneur». Qu’est-ce à dire, « nous sommes éloignés?» « Car nous marchons dans la foi», ajoute le même Apôtre, et non dans la claire vue 3 ». Donc, celui qui est dans l’exil, qui marche dans la foi, n’est point encore dans sa patrie, il est seulement dans la voie qui y conduit; tandis que l’homme qui n’a pas la foi n’est ni dans la patrie, ni dans la voie pour y arriver. Marchons, dès lors, comme si nous étions dans la voie, parce que le roi de cette patrie en est lui-même devenu la voie. Le roi de notre patrie est Notre Seigneur Jésus-Christ. C’est là qu’est la vérité, ici-bas est la voie. Où allons-nous? A la vérité. Par où y aller? Par la foi. Où allons-nous? Au Christ. Par où y aller? Par le Christ qui, lui-même, nous a dit: « Je suis la voie, la vérité et la vie 4 ». Or, auparavant, il avait dit à ceux qui croyaient en lui: « Si vous demeurez en ma parole, vous serez véritablement nies disciples, et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous délivrera 5». Vous connaîtrez la vérité, nous dit le Sauveur, mais à la condition de demeurer dans ma parole. Dans quelle parole? « Dans la parole de foi que nous prêchons 6 », a dit l’Apôtre. Tout d’abord donc, c’est la parole de la foi, et si nous y demeurons, nous connaîtrons la vérité, et la vérité nous délivrera. La vérité est immortelle, la vérité est immuable, la vérité, c’est le Verbe dont il est dit: « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Et qui peut voir cela, sinon l’homme au coeur pur? Qu’est-ce qui purifie nos coeurs? « Et le Verbe s’est fait chair, et il a demeuré parmi nous 7 ». Le Verbe donc, demeurant en soi, est la vérité vers laquelle nous nous dirigeons; mais ce Verbe de la foi que l’on prêche, et dans lequel Dieu nous ordonne de demeurer,
1.
Matth. V, 8. — 2. Act. XV, 9. — 3. II Cor. V, 6. 7. — 4. Jean, XIV, 6. — 5. Id. VIII, 31, 32. — 6. Rom,
X, 8. — 7. Jean, I, 1, 14.
afin de connaître la vérité, c’est le Verbe fait chair et qui a demeuré parmi nous. Tu crois d’abord au Christ né dans sa chair, et tu arriveras au Christ né de Dieu, et Dieu en Dieu.
3. C’est donc avec transport que se chantent les psaumes que nous lisons; les membres du Christ chantent notre psaume dans leur allégresse. Mais qui peut se réjouir sinon dans l’espérance, comme nous l’avons dit? Que notre espérance soit donc ferme, et chantons avec joie. Car tous ceux qui chantent ne nous sont point étrangers, autrement ce psaume ne serait point le cri de notre âme. Ecoutez donc, comme si vous vous entendiez vous-mêmes; écoutez comme si vous vous regardiez dans le miroir des Ecritures. Quand vous prenez le miroir des Ecritures, votre face en devient plus sereine; et quand la joie de l’espérance te montrera que tu ressembles à plusieurs membres du Christ qui ont chanté ce psaume, toi-même tu seras parmi ces membres, et tu le chanteras à ton tour. Pourquoi donc ceux qui chantent le font-ils avec joie? Parce qu’ils ont échappé au péril. Donc, l’espérance les fait chanter. Tant que nous sommes ici-bas, et comme étrangers, nous ne sommes pas délivrés. Sans doute, quelques membres de ce corps auquel nous appartenons nous ont précédés, et peuvent chanter en toute vérité. Les martyrs ont chanté ce cantique, ils sont délivrés et tressaillent avec le Christ, qui leur redonnera incorruptibles ces mêmes corps qu’ils ont eu dans la corruption, et dans lesquels ils ont tant souffert: ils seront pour eux des ornements de justice. Soit donc que les martyrs chantent ce cantique dans la réalité de leur bonheur, soit que nous le chantions par l’espérance, et que nous unissions nos transports à leurs couronnes, en soupirant après cette vie que nous n’avons pas et que nous ne pourrons avoir, si nous ne l’avons désirée ici-bas, chantons avec eux et disons: « Si le Seigneur n’eût pas été avec nous 1 ». Voilà qu’ils ont jeté les yeux sur les quelques tribulations qu’ils ont endurées, et du lieu de bonheur et de sûreté où ils sont établis, ils regardent par où ils ont passé, et où ils sont arrivés; et comme il était difficile d’échapper à tant de maux sans la main du libérateur, ils redisent avec joie: « Si le Seigneur n’eût été
1.
Ps. CXXIII, 1.
avec nous ». Tel est le commencement de leur cantique; ils n’ont point dit encore d’où
ils sont délivrés, tant est grande leur joie: « Si le Seigneur n’eût été avec nous ».
4. « Qu’Israël dise maintenant: Si le Seigneur n’eût été avec nous 1 ». Qu’il le dise, maintenant qu’il est délivré. Le Psalmiste, en effet, nous met sous les yeux ceux qui se délivrent, ou plutôt ceux qui sont délivrés. Que notre coeur nous les montre comme triomphants, et nous-mêmes avec eux, ainsi qu’il est dit dans le psaume précédent: « Nos pieds étaient affermis dans les parvis de Jérusalem ».Ils n’y étaient point encore arrivés, mais ils étaient sur la voie; et telle était leur joie et leur précipitation, telle était leur espérance d’arriver, que même en chemin et sous le poids du labeur, ils s’y croyaient déjà établis. De même représentons-nous ce futur triomphe du siècle à venir, lorsque nous insulterons à la mort déjà vaincue, déjà détruite, et que nous lui dirons: « Où donc, mort, est ton empire? Où donc, mort, est ton aiguillon 3? » alors que nous serons unis aux anges, et que nous triompherons avec notre roi, qui a voulu ressusciter le premier, quoiqu’il ne soit point mort le premier de tous. Car beaucoup sont morts avant lui, et toutefois, nul avant lui n’est ressuscité pour la vie éternelle. En triomphant donc avec lui, établis avec lui de coeur et d’espérance, parce que nous sommes délivrés, pensons à cette délivrance, aux scandales, aux tribulations du monde, aux persécutions si nombreuses des païens, aux fourberies des hérétiques, aux suggestions du diable, au combat si opiniâtre des passions. Qui pourrait échapper à tout cela, « si le Seigneur n’eût été avec nous? Qu’Israël dise maintenant»; car Israël peut le dire en sûreté: « Si le Seigneur n’eût été avec nous ». Quand? « Lorsque les hommes s’élevaient contre nous». Ces hommes ont été vaincus; ne t’en étonne pas, ô chrétien, ils étaient des hommes; mais ce n’était pas un homme qui était avec nous, c’était le Seigneur; et des hommes s’élevaient contre nous. Toutefois, des hommes pourraient opprimer d’autres hommes, si ces hommes qu l’on n’a pu opprimer n’eussent eu avec eux non pas un homme, mais le Seigneur même
5. Donc, « si le Seigneur n’eût été avec nous, quand les hommes s’élevaient contre
1.
Ps. CXXIII, 2. — 2. Id. CXXI, 2. — 3. I Cor. XV, 55.
Nous ». Qu’eussent pu faire contre vous les hommes, quand vous chantiez avec allégresse, et que vous aviez l’assurance de la vie éternelle? Que vous eussent fait les hommes en s’élevant contre vous, si le Seigneur n’eût été avec vous? « Peut-être nous eussent-ils dévorés tout vivants 1» Dévorés tout vivants! sans même vous tuer pour vous dévorer ensuite! O cruauté! ô barbarie! Ce n’est pas ainsi qu’en use l’Eglise; il fut dit à Pierre: « Tue et mange 2»; mais non: Dévore-les tout vivants. Comment donc Pierre ou l’Eglise peut-il tuer et manger? Et comment ceux qui se sont élevés contre nous nous eussent-ils dévorés tout vivants, si le Seigneur n’eût été avec nous? Parce que nul n’entre dans le corps de l’Eglise sans mourir tout d’abord. Il meurt à ce qu’il était,,afin d’être ce qu’il n’était pas. Autrement l’homme qui ne meurt point, qui n’est point ainsi mangé par l’Eglise, peut bien faire partie de ce peuple que l’on voit des yeux, mais faire partie de ce peuple qui est connu de Dieu, et dont l’Apôtre a dit: « Le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent 3»; il ne le peut s’il n’est mangé, et il ne saurait être mangé si tout d’abord il n’est tué. Voilà un païen qui vit encore dans l’idolâtrie, et qui veut être admis parmi les membres du Christ. Pour y entrer, il doit être mangé; mais s’il n’est tué d’abord, l’Eglise ne saurait le manger. Pour lui, renoncer au siècle, c’est mourir; et croire en Dieu, c’est être mangé. Comment donc nos adversaires nous eussent-ils dévorés tout vivants, si le Seigneur n’eût été avec nous? Il s’éleva jadis contre l’Eglise de nombreux persécuteurs, et il n’en manque pas aujourd’hui encore. Ils s’élèvent les uns après les autres, et souvent ils absorbent tout vivants ceux-là toutefois qui n’ont point le Seigneur avec eux. C’est pourquoi nos interlocuteurs ont dit avant tout: « Si le Seigneur n’eût été avec nous»; car il en est beaucoup qui sont dévorés, parce qu’ils n’ont point le Seigneur avec eux. Voilà ceux qui sont absorbés tout vivants, qui connaissent le mal, et y consentent par leur langage. Il s’est donc élevé certains persécuteurs, qui ont dit aux hommes Offrez de l’encens aux idoles, ou bien la mort. Ceux-ci, aimant la vie, cédèrent aux douceurs qu’ils y trouvaient, et ne mirent pas les promesses de Dieu au-dessus de tout ce qu’ils goûtaient sur la terre. On leur ordonnait de
1.
Ps. CXXIII, 3. — 2. Act. X, 13. — II Tim. II, 19.
croire en ce qu’ils ne voyaient pas encore, taudis qu’ils voyaient ce qu’ils aimaient. Alors, s’attachant davantage à ce qu’ils voyaient, ils ont banni Dieu de leurs coeurs; et comme le Seigneur n’était point en eux, ils ont été dévorés tout vivants. Qu’est-ce à dire, dévorés tout vivants? En offrant de l’encens à des idoles, quand ils savaient que l’idole n’est rien. Car, s’ils eussent cru que l’idole fût quelque chose, ils eussent été morts avant d’être absorbés; mais croire que l’idole n’est rien, que le culte des Gentils n’est qu’une folie, c’est vivre; et quand néanmoins ils obéissent aux injonctions des persécuteurs, ils sont absorbés tout vivants. Mais ils sont absorbés tout vivants, précisément parce que le Seigneur n’était pas avec eux. Ceux en qui habite le Seigneur peuvent bien être tués, mais ne meurent point. Ceux qui, après avoir consenti à ces sacrilèges, vivent encore, sont absorbés tout vivants, et, une fois absorbés, ils meurent. Ceux, au contraire, qui souffrent sans succomber à la violence, tressaillent et disent: « Qu’Israël chante maintenant », qu’il chante dans sa joie, qu’il chante avec sécurité: « Si le Seigneur n’eût été avec nous, quand les hommes se soulevaient contre nous, peut-être nous eussent-ils dévorés tout vivants ».
6. « Quand leur fureur s’allumait contre nous ». Vous savez, mes frères, que dans un des psaumes précédents, à l’entrée même de ces cantiques des degrés, un homme, qui commençait à monter, demandait du secours contre la langue trompeuse, et s’écriait: « Seigneur, délivrez mon âme des lèvres injustes et de la langue trompeuse 1 ». Quand un homme, en effet, commence à s’élever et à faire des progrès, au premier pas il rencontre les langues trompeuses, caressantes pour le perdre, caressantes pour lui persuader le mal:
Que fais-tu, lui dit-on? Pourquoi vivre de la sorte? Ne peut-on vivre autrement? Ne peut-on autrement servir Dieu? Tu es le seul pour vouloir être ce que les autres ne sont point. Mais si tu en trouves pour vivre comme toi, que dit alors cette langue flatteuse et fourbe? Ceux-là ont pu, il est vrai; mais toi, pourras-tu? Tu entreprends pour abandonner ensuite; mieux vaudrait ne rien entreprendre, que perdre courage après avoir commencé. Langue trompeuse, et flatteuse jusque-là. Mais si la fermeté vient à déjouer ses flatteries
1.
Ps. CXIX, 2-4.
artificieuses, elle prend le ton de la violence ouverte: elle te flattait pour te séduire, elle va menacer pour t’entraver. Mais site Seigneur est en toi, si dans ton coeur tu n’as pas abandonné le Christ, de même que tu as vaincu les langues trompeuses,avec tes flèches aiguës, tes charbons dévorants, c’est-à-dire par les paroles de Dieu qui avaient transpercé lori coeur, par les exemples des justes qui, de la mort sont revenus à la vie, du péché à la justice, comme des charbons éteints qui se rallument: de même qu’au moyen de flèches et de charbons dévorants tu as pu vaincre ces trompeurs séduisants, ces flatteurs artificieux, de même tu vaincras ces hommes violents, qui ont recours à la menace après avoir échoué dans les séductions. Vaincus dans leurs flatteries, qu’ils soient aussi vaincus dans leurs menaces. Mais comment les vaincre, « si le Seigneur n’est avec nous?» Evidemment ce n’est point toi qui peux vaincre, mais Celui qui est en toi. Tu portes dans ton cœur un tel capitaine, et tu serais vaincu? N’est-ce point Celui qui est en toi qui a dit: « J’ai vaincu le monde 1? » N’a-t-il pas le premier vaincu le diable en mourant, parce qu’il était toujours supérieur à toute créature, puisque le Verbe est Dieu en Dieu? Pourquoi cette victoire, sinon pour t’apprendre à combattre le diable? Et néanmoins, bien que tu saches déjà, tu seras vaincu si tu n’as en toi Celui qui le premier a vaincu pour toi. « Si le Seigneur n’eût,été avec nous, quand les hommes se soulevaient contre nous, peut-être nous eussent-ils dévorés tout vivants. Quand leur colère s’allumait contre nous »; voilà des colères, des violences ouvertes. « Peut-être l’eau nous eût-elle submergés 2 ». Cette eau désigne les peuples pécheurs; la suite va nous montrer quelles sont ces eaux, car elles eussent englouti quiconque aurait consenti aux suggestions des hommes. Il fût mort comme les Egyptiens sans pouvoir traverser comme les Israélites. Vous savez, mes frères, que le peuple d’Israël traversa les eaux, et que ces mêmes eaux engloutirent le peuple égyptien 3. «L’eau nous eût engloutis », dit le Prophète.
7. Mais quelle est- cette eau? C’est un torrent qui s’élance avec impétuosité, mais qui passera. On appelle torrents ces courants que grossissent tout à coup les pluies de l’hiver,
1.
Jean, XVI, 33. — 2. Ps. CXXIII, 4. — 3. Exod. XIV, 22-29.
qui s’élancent avec fracas, entraînent celui qu’ils rencontrent, mais en qui n’est pas le Seigneur; pour l’homme, en effet, qui a en lui le Seigneur, son âme traverse le torrent. Ce torrent coule encore, mais l’âme des martyrs l’a déjà traversé. Ce torrent est toujours torrent, tant qu’il roule des hommes par la naissance et par la mort: de ce torrent viennent les persécutions. C’est là qu’a bu, le premier, notre chef dont il est dit dans un psaume: « Il boira, en chemin, de l’eau du torrent 1».C’est des eaux de ce torrent, qui désigne le peuple persécuteur, qu’a -bu celui qui dit à ses disciples: « Pouvez-vous boire du calice que je boirai moi-même 2? Il « boira en chemin de l’eau du torrent ». Qu’est-ce à dire, « boire en chemin? » Boire en passant, et sans s’arrêter. Il a bu en chemin, sans doute, parce qu’il est dit de lui: « Il ne s’est point arrêté dans la voie des pécheurs 3 ». Il a bu en passant. Que dit ensuite le Prophète? « C’est pour cela qu’il élèvera la tête. Il a bu en chemin de l’eau du torrent, aussi élèvera-t-il la tête ». Déjà notre chef est élevé, parce qu’il a bu en chemin de l’eau du torrent; car Notre Seigneur a souffert. Si donc la tête est dans les cieux, comment le corps peut-il redouter le torrent? Parce que la tête est élevée, le corps dit sans hésitation: « Notre âme a franchi le torrent; notre âme aurait-elle peut-être franchi des eaux sans substance 4?» Telle est l’eau dont le Prophète a dit: « Les eaux nous eussent peut-être submergés». Mais qu’est-ce que cette eau sans substance? Que signifie « sans substance? »
8. Et d’abord, pourquoi ce « peut-être? »« Notre âme aurait-elle peut-être franchi des eaux sans substance? » Les latins ont rendu comme ils ont pu, par forsitan, le mot ara des Grecs. On trouve, en effet, dans les exemplaires grecs, l’expression ara, qui marque un doute, et que l’on a voulu rendre par fortasse, qui ne la rend point complètement. Nous pouvons l’exprimer par un mot qui n’est pas latin, mais qui peut aider vos intelligences. Ce que les Carthaginois expriment par jar, non pour signifier le bois, mais le doute, les Grecs l’expriment ara, et les Latins par Putas, penses tu; ainsi: Penses-tu que j’aie franchi? Mais en disant: Forsitan evasi, peut-être ai-je franchi, on n’exprime pas le même sens; et toutefois le putas qui est familier, n’est point
1.
Ps. CIX, 9.— 2. Matth. XX, 22.— 3. Ps. I,
1.— 4. Id. CXXIII, 5.
latin. J’ai pu, néanmoins, l’employer en vous parlant; car souvent j’emploie des termes qui ne sont pas latins, afin d’aider votre intelligence. Ou n’a pu mettre cette expression dans l’Ecriture, parce qu’elle n’est pas latine, et le latin se trouvant en défaut, on a pris une expression qui n’avait pas le même sens. Voici donc comme il faut comprendre: Notre âme aurait-elle bien pu franchir une eau sans-substance? Pourquoi ce putas douteux? Parce que la grandeur du péril rend ce passage à peine croyable. Ils ont enduré de grands tourments, fait face à d’effroyables périls. Ilsont été pressés de telle sorte, que peu s’en est fallu qu’ils ne succombassent pendant leur vie, qu’ils ne fussent absorbés tout vivants. Mais quand enfin ils sont échappés-, quand ils sont en sûreté, ils disent au souvenir de ces dangers:
«Notre âme a-t-elle bien pu traverser cet abîme sans fond? »
9. Quelle est cette eau sans substance, sinon l’eau sans substance des péchés? Car les péchés n’ont aucune substance. Ils ont la pauvreté, mais aucune richesse, aucune substance; l’indigence, mais aucune substance. C’est dans cette eau sans substance que le plus jeune des deux fils dissipa tout son bien. Car-, vous le savez, il s’en alla et dit àson père: « Donnez-moi la portion de la substance qui me revient ». Pourquoi demander? Elle est mieux conservée entre les mains de ton père; elle est à toi, et tu veux la dissiper, tu veux t’en aller au loin. «Donnez-moi», oui, «donnez-moi ». Et le père la lui donna. Puis il s’en alla dans un pays lointain et prodigua toute sa substance en vivant avec des prostituées; puis il demeura pauvre, fit paître les pourceaux, et dans son indigence se ressouvint des richesses de son père 1. Sans l’indigence qui le saisit, il n’eût pas désiré d’être rassasié de ces biens. Que tous donc considèrent leurs péchés, et voient si ces péchés ont une véritable substance. Pourquoi le pécheur a-t-il irrité Dieu 2? Si tu ne vois ta faute avant de la commettre, vois-la du moins quand elle est commise. La douceur de cette vie a maintenant quelque attrait, et plus tard elle se changera en une grande amertume. Voilà que tu as commis une faute, et cette faute a produit un gain. Qu’est-ce que ce gain que tu as fait? Pour faire un gain, tu as offensé Dieu. Pour accroître tes
1. Luc, XV, 2-17. — 2. Ps.
IX, 13.
possessions, ta foi était en baisse, et ton or en hausse. Qu’as-tu perdu, et qu’as-tu gagné? Ce que tu as gagné s’appelle de l’or, ce que tu as perdu s’appelle la foi: compare ta foi à l’or; si la foi se vendait sur les marchés, quel prix la ferait-on? Ta pensée est occupée de tes gains, et non de tes pertes? Ton coffre te réjouit, ton coeur ne s’afflige point? Tu vois je ne sais quoi de plus dans ton coffre, mais vois quelle diminution dans ton coeur. En ouvrant ton coffre, tu y trouves un argent qui n’y était pas. C’est bien, tu te réjouis d’y voir ce qui n’y était point. Mais ouvre le coffre de ton coeur, la foi y était, elle n’y est plus. Si tu te réjouis d’une part, pourquoi ne pas pleurer d’autre part? Tu as perdu beaucoup plus que tu n’as gagné. Veux-tu voir ce que tu as perdu? le naufrage même n’eût pu te l’enlever; car plusieurs ont perdu leur fortune dans la mer et en sont sortis dépouillés. Beaucoup firent naufrage avec Paul 1:ceux qui aimaient le monde firent naufrage, et tout fut perdu pour eux; ils perdirent ce qu’ils avaient d’extérieur, et ils trouvèrent vide jusqu’au tabernacle de leur coeur. Mais Paul portait dans son coeur l’héritage de sa foi que nul flot, nulle tempête ne pouvait lui enlever; il s’en alla dépouillé, et néanmoins il s’en allait riche. Telles sont les richesses qu’il nous faut chercher. Mais je ne les vois point, me dis-tu. Ame en délire, tu ne les vois point des yeux de la chair, mais aie l’oeil du coeur et tu les verras. Tu ne vois point la foi, dis-tu? Pourquoi donc la vois-tu dans un autre? Pourquoi donc pousser des cris quand on te manque de foi, si tu ne vois pas la foi? Qu’on te manque de foi, tu cries. Si donc tu l’exiges des autres, tu as des yeux pour la voir, tu n’en a plus dès qu’on l’exige de Loi? Oui, si tu te récries, quand un homme est parjure à ton égard, pleure aussi d’être parjure à l’égard d’un autre. Comprends alors que la faute quetu commets est aussi sans substance. Car il n’y a nulle substance dans tout ce que l’on acquiert par le péché, et cela même ne s’acquiert pas. Celui-là a de l’or, qui sait en user; mais l’homme qui ne sait point en user, est plus tenu qu’il ne tient, plus possédé qu’il ne possède. Soyez maîtres, et non esclaves de votre or; car, Dieu qui a fait l’or, t’a fait aussi supérieur à l’or; il a fait l’or pour tes besoins, et toi à son image. Vois ce
1.
Act. XXVII, 41.
qui est au-dessus de toi, afin de fouler aux pieds ce qui est au dessous. Où est donc ton acquisition? Veux-tu voir que c’est une eau sans substance? Emporte avec toi dans la tombe ce que tu as acquis. Que vas-tu faire? Tu as acquis de l’or et perdu la foi; dans peu de jours tu sortiras de cette vie, et tu ne saurais emporter avec toi cet or acquis au détriment de ta foi; ton coeur sans foi s’en va au supplice, lui qui, plein de foi, s’en irait au triomphe. Ce que tu as fait n’est donc rien, et pour ce rien tu as offensé Dieu. Elle est donc sans substance, l’eau qui t’a submergé. Que revient-il au pécheur d’avoir irrité Dieu? Qu’ils soient confondus ceux qui commettent vainement l’injustice 1. Car nul ne commet l’injustice sans la commettre en vain; et nul n’y pense.
10. Cependant les hommes s’en vont, ils écoutent ce proverbe vulgaire, tandis que les proverbes de Dieu les endorment. Quel est ce proverbe qu’ils écoutent? Mieux vaut tiens, que tu l’auras. Insensé, que tiens-tu donc? Mieux vaut tenir, dis-tu; tiens donc, mais de manière à ne point perdre; et dis alors Mieux vaut tenir. Nais situ ne tiens pas de la sorte, pourquoi ne pas tenir ce que tu ne saurais perdre? Que tiens-tu? De l’or. Tiens-le donc bien, et qu’on ne te l’enlève pas malgré toi. Mais si ton or t’entraîne où tu ne veux pas aller, et qu’alors un larron plus fort en cherche un moins fort que lui, te voilà sous la griffe de l’aigle, parce que tu as tout d’abord pris un lièvre; tu as fait ta proie d’un moins fort, et tu deviens la proie d’un idus fort, Voilà ce que ne voient point les hom mes, tant la cupidité les aveugle. Chose étonnante, mes frères, que ne voient q u’avec horreu r ceux qui la considèrent ! Le plus fort cherche le plus faible, et n’a d’autre raison de l’opprimer que le bien qu’il peut lui enlever; il voit dans quelles tortures il le met, sans autre motif que les richesses que celui-ci possède, et il s’approprie ce bien qu’il voit être pour l’autre la cause de ses douleurs. Il ne considérait rien de tout cela pendant qu’il le persécutait. Cet homme s’enfuyait, il était dans l’angoisse, il était dans la crainte, il ne savait où se cacher; et pourquoi endurait-il ces maux, sinon parce qu’il avait des richesses? Qu’il t’apprenne du moitis ce que tu dois faire; car ce bien qui a été son tourment, et
1.
Ps. XXIV, 4.
pour lequel tu l’as persécuté, va te tourmenter aussi, par la crainte qu’un autre persécuteur ne le ravisse. Tu considères combien cet homme est riche; mais si tu le poursuis parce qu’il est riche, crains à Ion tour de t’enrichir, de peur d’être la proie d’un autre. Tout cela est donc vain. Cherches-en la fin, tu ne verras que ténèbres; cherche la cause, et tu ne trouveras rien.
11. Que ceux-là donc se réjouissent, qu’ils tressaillent dans le Seigneur, ceux qui disent: « Notre âme a traversé une eau sans substance», et qu’ils recouvrent leur substance. Ils l’ont perdue en vivant dans la profusion, mais leur père en est-il appauvri? Qu’ils reviennent, et ils retrouveront près de lui ces richesses qu’ils ont dissipées au loin avec les prostituées; qu’ils échappent à l’eau sans substance et qu’ils disent: « Béni soit le Seigneur qui ne nous a pas livrés à leurs dents comme une proie 1». Nos persécuteurs étaient des chasseurs qui avaient couvert leurs piéges d’un appât. De quel appât? Des plaisirs de cette vie, afin que ces plaisirs nous fissent donner tête baissée dans l’iniquité, et prendre aux pièges. Mais ce ne sont point ces hommes, en qui était le Seigneur, ceux qui disaient: « Si le Seigneur n’eût été avec nous», qui sont pris aux piéges. Que le Seigneur soit avec toi, et toi non plus tu ne seras point pris dans ces filets; crie bien haut: « Béni soit le Seigneur qui ne nous a point livrés à leurs dents comme une proie ».
12. « Notre âme, semblable au passereau, s’est échappée du piège des chasseurs 2». Car en cette âme était le Seigneur, et dès lors, semblable au passereau, elle a pu s’arracher au piége. Pourquoi comme le passereau? Avec l’imprudence du passereau elle était tombée dans les rêts, et dès lors elle pouvait dire: Que Dieu veuille me pardonner. Oiseau inconstant, repose ton pied sur la pierre, ne va pas au piége tendu. Te voilà pris, épuisé, broyé. Que le Seigneur te soit en aide, et il te délivrera de menaces plus effrayantes, du piège des chasseurs. On voit quelquefois l’imprudent oiseau se poser sur le piège, alors on fait du bruit pour l’en chasser; ainsi en était-il des martyrs, dont quelques-uns penchaient vers les douceurs de la vie; le Seigneur, qui était en eux, faisait retentir le bruit de l’enfer, et le passereau s’échappait du piège des
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Ps. CXXIII, 6. — 2. Id. 7.
chasseurs: « Notre âme, semblable au passereau, s’échappait du piège des chasseurs ». Eh quoi donc! Ce filet doit-il demeurer éternellement? Ce piège était la douceur de cette vie: sans se laisser prendre au piège, ils ont enduré la mort; et cette mort a brisé le piège; et la vie n’a plus eu pour les prendre aucun attrait qui pût les charmer: le piège était brisé; mais l’oiseau l’était-il aussi? Point du tout, car il n’était plus dans le filet: « Le piège a été rompu et nous avons été délivrés ».
13. Qu’ils chantent maintenant leur délivrance, qu’ils volent vers Dieu, qu’ils triomphent dans ce même Dieu qui les a délivrés; car le Seigneur était en eux pour les délivrer du piége. Pourquoi le lac est-il rompu, et sommes-nous délivrés? Veux-tu savoir pourquoi? C’est que « notre secours est dans le nom du Seigneur qui a fait le ciel et la terre 1 ». Si notre secours n’était en lui, le filet n’eût point duré toujours sans doute, niais le passereau une fois pris eût été broyé. Car cette vie doit passer, et tous ceux qui se seront laissé prendre à ses attraits, et qui dès lors auront péché contre Dieu, passeront avec cette vie: ce piège sera donc brisé, soyez-en certains, toute la douceur de cette vie disparaîtra, quand finira le temps marqué pour sa durée: ayez donc soin de ne point vous y attacher maintenant, afin qu’à la rupture du filet vous puissiez chanter avec joie: « Le lac est rompu et nous voilà délivrés ». Mais ne t’imagine pas que tu le puisses par les forces; vois plutôt de qui tu as besoin pour être délivré (car l’orgueil te jettera dans le piège), et dis alors: « Notre secours est dans le nom du Seigneur, qui a fait le ciel et la terre ».
11. Notre psaume est terminé, et autant que le Seigneur a daigné m’aider, il est expliqué. Mais demain nous devons prêcher encore, votre charité le sait très-bien; revenez donc, et soutenez-moi de vos prières. Vous vous souvenez en effet de ma promesse, et je ne vous dirais point d’avance le sujet de mon discours, si je n’avais besoin du secours de votre foi et de vos prières. Je vous ai promis, il vous en souvient, de vous expliquer ces paroles de l’Evangile: « La loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ 2 ». Les hérétiques, et surtout les Manichéens, jettent le blâme sur la loi,
1. Ps. CXXIII, 8.— 2. Jean, I, 17.
et nous disent que Dieu ne l’a point donnée. Il nous faut donc expliquer ce passage, afin que l’on sache bien que Dieu a donné la loi, et que cette loi a été promulguée par Moïse, mais non pour sauver, et cela pour des raisons particulières. La loi ne sauvait point, afin que l’on désirât le législateur, le chef, qui pardonnât aux pécheurs; et qu’ainsi la loi fût donnée par Moïse, la grâce et la vérité par Jésus-Christ. Voilà le sujet que je propose à votre attention. Dieu me soutiendra de sa grâce, non point à cause de mues mérites, mais par le mérite de vos désirs; non point que je le puisse de moi-même, tout viendra de l’abondance de ses dons. Ce point de doctrine, fort nécessaire aux hommes qui vivent dans le Nouveau Testament, sera exposé de manière à déloger l’ennemi de toutes ces obscurités où il se cache pour tromper les fidèles.
SERMON AU PEUPLE.
Le Prophète veut nous détourner des prospérités d’ici-bas qui produisent l’enflure chez les uns, et découragent les autres qui se croient frustrés de toute récompense; puis il attire notre attention sur l’homme au coeur droit, qui n’a d’autre volonté que celle de Dieu, ne critique point les desseins de Dieu sur le pauvre et sur le riche, met sa confiance en Dieu, et ne sera point ébranlé parce qu’il habite Jérusalem on la cité de Dieu. Cette cité est environnée de montagnes ou des hommes de Dieu, prophètes, apôtres, évangélistes, d’où nous vient le secours qu’elles-mêmes reçoivent de Dieu. Il est aussi d’autres montagnes qui ne sont que des écueils, qui ont en elles-mêmes une confiance précomptueuse et nous demandent la nôtre, tandis que les montagnes véritables déclinent cette confiance pour elles-mêmes, pour la reporter à Dieu, d’où leur vient la lumière et la rosée. Ces montagnes diront que le sceptre de l’impie ne sera point toujours sur l’héritage du juste, qu’il faut obéir à nos maîtres ici-bas comme le Christ s’est assujetti à ses ennemis, comme le médecin se fait le serviteur du malade. Tout cela passera, afin de ne point décourager les hommes au coeur droit. Quant à l’homme aux voies tortueuses, Dieu l’unit aux méchants, et ne donne qu’à Israël ou à celui qui voit Dieu cette paix qui est Dieu même.
1. Compté au nombre des cantiques des degrés (et afin de ne pas vous embarrasser l’esprit plus que je ne vous instruirais, je ne reviendrai pas sur ce titre, suffisamment expliqué), ce psaume nous apprend à monter, à élever nos âmes vers Dieu notre Seigneur, par l’élan de la charité et de la piété, à détourner nos regards de ces hommes qui jouissent ici-bas d’une félicité vaine qui les enfle et qui les séduit, qui n’entretient en eux que l’orgueil, qui glace leur coeur à l’égard de Dieu, l’endurcit à la rosée de la grâce et le rend stérile. La confiance avec laquelle ils trouvent auprès d’eux ce qui parait nécessaire à la vie, et même au-delà du nécessaire, les élève, et bien qu’ils soient à cause de leurs iniquités bien inférieurs aux autres hommes, ils se croient supérieurs à tous. Encore s’ils croyaient être comme les autres hommes ! Or, en considérant ces hommes, en s’arrêtant trop à les envisager, ceux mêmes qui servent le Seigneur sont dans le trouble et l’anxiété; on dirait qu’ils ont perdu le prix du culte qu’ils rendent au Seigneur, quand ils se voient dans le labeur, dans l’indigence, dans les chagrins, dans la maladie, dans la souffrance, dans quelque nécessité, tandis qu’ils voient dans la force de la santé du corps, dans l’abondance des biens du temps, dans la prospérité de leurs proches, dans l’éclat de tous les honneurs, ceux qui non seulement ne servent point Dieu, mais sont en guerre avec le reste des hommes. Voilà ce qu’ils considèrent, ce qui les trouble, ce qui leur suggère en eux-mêmes ce qui est dit ouvertement dans un autre psaume: « Comment « Dieu le sait-il, et le Très-Haut en a-t-il connaissance? Voilà que les pécheurs et les méchants ont obtenu les richesses ». Et il continue: « C’est donc en vain que j’ai purifié
mon coeur, et lavé mes mains avec les innocents 1 ». Est-ce donc en vain que j’ai voulu mettre la justice dans mon coeur, vivre innocent au milieu des hommes, quand j’en vois d’autres, peu soucieux de l’innocence, jouir d’une telle prospérité, insulter aux hommes justes et accroître leur bonheur par de nouvelles iniquités?
2. Mais qui donc parlait ainsi dans le psaume? L’homme dont le coeur n’était point encore droit. Car c’est ainsi que commence le psaume auquel j’ai emprunté cette citation, et non celui que j’entreprends de vous exposer aujourd’hui, mais celui où il est dit « Comment Dieu le sait-il, et le Très-Haut en a-t-il connaissance? Voilà que les pécheurs et les méchants du monde ont obtenu des richesses. Est-ce donc en vain que j’ai mis la u justice dans mon coeur, et que j’ai lavé mes « mains parmi les innocents? » Ce psaume donc où vous voyez l’âme en péril, où vous la voyez chancelante, commence ainsi: « Combien est bon le Dieu d’Israël pour les hommes qui ont le coeur droit ! Pour moi, mes pieds se sont presque égarés, mes pas ont presque chancelé ». Pourquoi? « Parce que j’ai été pris de jalousie contre les pécheurs, en voyant la paix dont ils jouissent 2 ». Le Prophète nous dit donc que ses pieds ont été ébranlés, que sa marche chancelante a presque abouti à une chute qui l’eût séparé de Dieu, parce qu’il s’est arrêté à considérer la prospérité des méchants, qu’il les a vus dans la paix, et lui dans la misère. Mais quand il parle ainsi, il a déjà échappé au péril, déjà son coeur s’est redressé pour s’attacher à Dieu, il nous parle d’un danger qu’il a couru. Donc « il est bon le Dieu d’Israël ». Mais pour qui? « Pour les hommes au coeur droit ». Quels sont les hommes au coeur droit? Les hommes qui ne critiquent point le Seigneur. Quels sont les hommes au coeur droit? Ceux qui règlent leur volonté sur celle de Dieu, et ne forcent point celle de Dieu à se courber sous la leur. C’est pour l’homme un précepte bien court, que redresser son coeur. Veux-tu avoir le coeur droit? Fais ce que Dieu veut, sans désirer que Dieu fasse ce que tu voudrais. C’est donc avoir le coeur tortueux, c’est-à-dire ne l’avoir point droit, que disputer sur ce que Dieu aurait dû faire, sans louer et même cii critiquant ses actes. C’est peu de ne pas
1.
Ps. LXXII, 1-13. — 2. Id. I, 2.
vouloir qu’il nous redresse, on veut le redresser lui-même, et l’on dit: Dieu n’aurait dû faire aucun pauvre, on ne devrait voir que des riches: eux seuls devraient vivre. A quoi bon le pauvre? Que fait-il ici-bas? Voilà le blâme contre le Dieu des pauvres. Il ferait bien mieux, cet homme, d’être le pauvre de Dieu, afin d’être riche de Dieu; c’est-à-dire de suivre la volonté de Dieu, et il comprendrait alors que sa pauvreté n’est que d’un moment, qu’elle passera, qu’ensuite il jouira de richesses spirituelles qui ne passeront point, et qu’à défaut d’or dans son coffre, il aura dans son coeur le trésor de la foi ! Avec de l’or dans son coffre, il craindrait les voleurs, et malgré lui il pourrait perdre cet or; mais la foi qui serait dans son coeur, il ne pourrait la perdre, à moins de l’en chasser lui-même. Mais il est une réponse facile, mes frères. Dieu a fait le pauvre pour éprouver l’homme, et il a fait le riche afin de l’éprouver par le pauvre. Et tout ce qu’a fait Dieu est bien, Et si nous ne pouvons pénétrer ses conseils, pourquoi il a fait ceci d’une manière, et cela d’une autre manière, il nous est bon néanmoins de nous soumettre à sa sagesse, de croire qu’il a bien fait, quand nous n’en pouvons comprendre la raison notre cœur alors sera droit, nous mettrons en Dieu notre confiance la plus entière, et nos pieds ne seront point ébranlés, et en montant vers Dieu nous serons dans l’état que décrit le Psalmiste: « Ceux qui mettent leur confiance dans le Seigneur ressemblent à la montagne de Sion, ils ne seront point ébranlés de l’éternité 1».
3. Quels sont ces hommes? « Ceux qui habitent Jérusalem. Ils ne seront point ébranlés de l’éternité, ceux qui habitent Jérusalem 2 ». Si nous entendons ici la Jérusalem de la terre, tous ceux qui l’habitaient en ont été chassés par la guerre et par la ruine de cette ville; tu cherches maintenant un juif dans Jérusalem et tu n’en trouves point. Pourquoi donc ceux qui habitent Jérusalem ne seront-ils point ébranlés de l’éternité, sinon parce qu’il s’agit de cette autre Jérusalem dont on vous parle si souvent? C’est elle qui est notre mère, c’est après elle que nous soupirons en gémissant dans cet exil; c’est là que nous voulons retourner. Nous nous sommes éloignés d’elle, et nous en
1. Ps. CXX, V, 1. — 2. Id. 2.
avions perdu le chemin. Le roi de cette ville est venu lui-même, il s’est fait notre voie, afin que nous pussions y retourner. C’est dans les parvis de cette Jérusalem que nos pieds étaient fermés 1, ainsi que vous l’avez entendu, dans un psaume des degrés que nous vous avons expliqué récemment, à vous du moins qui y assistiez; c’est vers cette Jérusalem que soupirait celui qui chantait: « Jérusalem, qui est bâtie comme une cité, et dont les habitants sont unis ensemble 2 ». Ceux donc qui habitent cette ville ne seront pas ébranlés à jamais; tandis que ceux qui ont habité la cité terrestre ont été ébranlés, par le coeur d’abord, ensuite par l’exil. Leur coeur s’est ébranlé, et ils sont tombés quand ils ont crucifié le roi de la.Jérusalem céleste. Mais ils en étaient dehors déjà par le coeur, et ils en avaient chassé le roi; car ils le firent sortir de leur cité, et le crucifièrent au dehors. A son tour il les a bannis de sa cité, c’est-à-dire de la Jérusalem éternelle qui est dans le ciel, et notre mère à tous.
4. Comment donc est cette ville? Le Prophète nous la décrit en un mot. « Des montagnes l’environnent ». Est-ce un grand avantage jour nous d’être dans une ville environnée de montagnes? Est-ce bien à être dans une ville environnée de montagnes que consistera notre félicité? Ne connaissons-nous point les montagnes, et sont-elles autre chose que des éminences de terre? Il est donc d’autres montagnes aimables, montagnes élevées qui sont les prédicateurs de la vérité, comme les anges, les Apôtres, les Prophètes. Ceux-là environnent Jérusalem, ils sont à l’entour et lui servent de murailles. C’est de ces montagnes aimables et délicieuses que nous parle souvent l’Ecriture. Observez, quand vous la lisez ou l’entendez, combien on parle de ces montagnes; il m’est impossible d’en énumérer tous les endroits, et néanmoins je me plais à m’étendre sur un tel sujet, autant que Dieu m’en fait la grâce, et à vous citer les passages des Ecritures qui reviennent à ma mémoire. Ces montagnes sont éclairées par Dieu; sur elles d’abord il épanche sa lumière, afin que de là elle passe aux vallées, ou même aux collines qui sont moins élevées que les montagnes. C’est par elles que nous sont venues les saintes Ecritures, prophéties, écrits des Apôtres,
1.
Ps. CXXI, 2. — 2. Id. 3.— 3. Jean, XIX, 17, 18.
Evangiles. C’est de ces montagnes que nous chantons: « J’ai levé les yeux vers les montagnes d’où me viendra le secours », car c’est des saintes Ecritures que nous vient le secours en cette vie. Mais comme ces montagnes ne se protégent point elles-mêmes, et ne tirent point d’elles-mêmes le secours qu’elles nous donnent, ce n’est point en elles qu’il faut mettre nos espérances, de peur que nous ne soyons maudits pour avoir mis notre confiance dans un homme 1. Après que le Prophète a dit: « J’ai levé les yeux vers les montagnes, d’où me viendra le secours », il ajoute: « Le secours me viendra du Seigneur qui a fait le ciel et la terre 2 ». C’est encore de ces montagnes que le même Prophète a dit: « Que les montagnes reçoivent la paix pour le peuple, et les collines la justice 3 ». Les montagnes, ce sont les grands, les collines ceux qui sont moindres. Ce sont les montagnes qui voient, les collines qui croient. Ceux qui voient ont reçu la paix et L’ont apportée à ceux qui croient. Ceux qui croient ont reçu la justice, car le juste vit de la foi 4. Les anges voient, ils prêchent ce qu’ils voient, et nous croyons. Quand saint Jean disait: « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu 5 »; il voyait, et nous prêchait afin de nous amener à la foi. Et par les montagnes qui reçoivent la paix, les collines reçoivent la justice; que dit en effet le Prophète à propos des montagnes? Il ne dit point que d’elles-mêmes elles aient la paix, ou établissent la paix, ou qu’elles engendrent la paix, mais qu’elles reçoivent la paix. Or, c’est du Seigneur qu’elles reçoivent la paix. Lève donc en vue de la paix les yeux vers les montagnes, afin que le secours te vienne du Seigneur qui a fait le ciel et la terre. Parlant ailleurs de ces montagnes, le Saint-Esprit a dit: « Des montagnes éternelles vous faites descendre sur nous une lumière admirable ». Il ne dit point que ces montagnes éclairent, mais que Dieu donne la lumière au moyen de ces montagnes éternelles. En prêchant l’Evangile par ces montagnes que vous avez rendues éternelles, c’est vous qui éclairez, et non point les montagnes. Telles sont les montagnes qui environnent Jérusalem.
5. Pour mieux vous faire comprendre quelles
1.
Jérém. XVII, 5. — 2. Ps. CXX, 1, 2. — 3. Id. LXXI, 3.— 4. Rom. I, 17. — 5. Jean, I,1. — 6. Ps. LXXI, 5.
sont ces montagnes environnantes, quand l’Ecriture a parlé des montagnes dans un sens favorable, il arrive bien rarement, et peut-être n’arrive-t-il jamais qu’elle ne parle aussitôt du Seigneur, ou qu’elle ne reporte notre attention jusqu’à lui, de peur que notre espérance ne s’arrête à ces montagnes. Voyez dans les passages que j’ai cités: « J’ai levé les yeux vers les montagnes, d’où mue viendra u mon secours ». De peur que tu n’en restes là. « Mon secours », dit-il, « est dans le Seigneur, qui a fait le ciel et la terre ». Ensuite: « Que les montagnes reçoivent la paix pour le peuple ». Dire qu’elles reçoivent, c’est montrer assez que la source d’où elles la recevront est ailleurs. « Et puis des montagnes descend la lumière ». Mais c’est vous, dit le Prophète, « vous qui des montagnes éternelles faites descendre une lumière admirable».Quand il dit ailleurs: « Les montagnes l’environnent »,de peur que ta pensée ne s’arrête aux montagnes, il ajoute aussitôt: « Et le Seigneur est autour de son peuple », afin que ton espérance, loin de s’arrêter aux montagnes, soit dans celui qui les éclaire. Car en habitant dans les montagnes ou dans les saints, il est autour de son peuple; il a fait à ce peuple une muraille spirituelle, afin qu’il ne soit point ébranlé de l’éternité. Mais quand il est question de montagnes dans un sens défavorable, l’Ecriture n’ajoute pas le Seigneur. Ainsi ces montagnes, avons-nous dit, désignent les grandes âmes, il est vrai, mais tournées au mal. Ne vous imaginez pas en effet, mes frères, qu’un esprit médiocre ait pu susciter des hérésies. Il faut de grands hommes pour faire des hérésiarques, des montagnes d’autant plus nuisibles, qu’elles sont plus élevées. Ces montagnes n’étaient point au nombre de celles qui reçoivent la paix, afin que les collines reçoivent la justice; mais elles ont reçu du démon, qui est leur père, l’esprit de division. C’étaient donc des montagnes, mais garde-toi de chercher un refuge auprès d’elles. Des hommes viendront et te diront: C’est un grand homme, c’est là un illustre personnage. Quel homme que Donat ! quel homme que Maximien! Quel homme encore que ce Photin ! et Arius n’était-il pas un grand homme? Ce sont là des montagnes, ai-je dit, mais des montagnes à naufrages. Tu vois dans leurs discours quelques jets de lumière, ils peuvent communiquer une certaine flamme. Mais si tu navigues sur une barque, et que tu sois surpris par la nuit ou par les ténèbres de cette vie, ne te laisse point prendre à ces lueurs, et n’y dirige point ton esquif, il y a là des rochers féconds en naufrages. Donc, lorsqu’on te parlera de la hauteur de ces montagnes, et qu’on t’invitera à venir à ces montagnes chercher du secours et le repos, tu répondras: «Ma confiance est dans le Seigneur; comment dites-vous, ô mon âme: Retire-toi comme un oiseau sur les montagnes 1?» Il est bon pour toi, je l’avoue, de lever les yeux vers ces montagnes d’où peut te venir le secours de la part du Seigneur, afin d’échapper comme le passereau au lac des chasseurs, mais non afin de t’en aller vers les montagnes. Le passereau est léger, toujours dans l’agitation, volant deçà et delà. Mais toi, mets ta confiance dans le Seigneur, et tu seras comme la montagne de Sion, tu ne seras pas ébranlé éternellement, tu ne prendras point ton vol comme l’oiseau vers la montagne. Lorsque le Prophète parle de ces montagnes, parle-t-il aussi de Dieu?
6. Mais tu dois aimer les montagnes en qui est le Seigneur; et ces montagnes elles-mêmes t’aimeront, si tu ne mets point en elles ton espérance. Voyez, mes frères, quelles sont les montagnes de Dieu. Car c’est ainsi qu’on les nomme dans un autre endroit des psaumes « Votre justice est comme les montagnes de Dieu 2 ». Non point leur justice, mais votre justice. Ecoute saint Paul, l’une de ces montagnes: « Afin », dit-il, « que je sois trouvé en lui, non pas avec ma propre justice qui vient de la loi, mais avec celle qui vient de la foi en Jésus-Christ 3». Quant à ceux qui ont voulu être des montagnes par leur propre justice, comme certains Juifs, et principalement comme les Pharisiens, voici le reproche qu’on leur fait: « Ignorant la justice qui vient de Dieu, et voulant établir leur propre justice, ils n’ont pas été soumis à la justice de Dieu 4 ». Ceux qui ont bien voulu s’y assujétir, ont été grands, de manière néanmoins à demeurer humbles. Et comme ils sont grands, ils sont des montagnes, et leur soumission à la volonté de Dieu en fait des vallées. Comme ils ont un réservoir de piété, ils reçoivent l’abondance de la paix, dont ils inondent les collines. Pour toi,
1. Ps.
X, 2.— 2. Id. XXXV, 7.— 3. Philipp. III, 9.— 4. Rom. X, 3.
examine bien quelles montagnes ont ton amour. Pour être aimé des saintes montagnes, ne mets point ton espérance en elles, quelque saintes qu’elles soient. Quelle montagne était saint Paul? Quand s’en trouvera -t-il une semblable? Je ne parle ici que d’une grandeur humaine. Et toutefois, il craignait que le moindre passereau ne mît en lui sa confiance. Que dit-il alors? « Est-ce donc Paul qui a été crucifié pour vous 1? » Mais levez les yeux vers les montagnes d’où vous viendra le secours: Car, « moi j’ai planté, Apollo a arrosé ». Mais votre secours est dans le Seigneur, qui a fait le ciel et la terre; car « c’est Dieu qui a donné l’accroissement 2 ». Donc « les montagnes environnent la cité »; mais comme « les montagnes environnent la cité, le Seigneur environne son peuple, dès maintenant et jusqu’à la fin des siècles ». Si donc les montagnes environnent la cité, comme le Seigneur environne son peuple, voilà que le Seigneur unit son peuple par le lien de la charité et de la paix, afin que ceux qui mettent leur confiance dans le Seigneur, comme la montagne de Sion, ne soient point ébranlés éternellement. Voilà ce que signifie, « dès maintenant et jusque dans le siècle ».
7. « Car le Seigneur ne laissera point le sceptre des impies sur l’héritage des justes, de peur que les justes ne portent leurs mains à l’iniquité ». Ici-bas, les justes rencontrent parfois l’affliction, et ici-bas encore, l’injuste a la domination sur le juste. Comment cela? Souvent les injustes parviennent aux honneurs, et quand ils sont devenus ou juges, ou rois, ce que le Seigneur permet quelquefois pour châtier son peuple, pour châtier la nation qu’il s’est choisie, on ne peut leur refuser l’honneur qui est dû aux puissances. Car tel est l’ordre établi par Dieu dans l’Eglise, que toutes les puissances du siècle doivent y être honorées, même par ceux qui les surpassent en vertus. Je n’éclaircirai ma pensée que par un seul exemple; vous en tirerez les conjectures pour les autres degrés de puissance. La première puissance, la puissance quotidienne de l’homme sur l’homme, est celle du maître sur le serviteur. Dans toutes les niaisons il y a de ces puissances. Il y a des maîtres, il y a des serviteurs, ce sont deux noms différents mais
1.
I Cor. I, 13. — 2. Id. III, 6.
des hommes et des hommes, voilà des noms semblables. Or, que nous dit l’Apôtre, pour enseigner aux serviteurs la soumission envers leurs maîtres? « Serviteurs, obéissez à vos maîtres selon la chair »; car il est un autre maître selon l’esprit. Celui-là est le véritable et l’éternel maître, tandis que les autres ne le sont que pour un temps. Mais le Christ ne veut point que tu sois orgueilleux quand tu marches dans sa voie, quand tu vis de sa vie. Te voilà chrétien, ayant un homme pour maître; mais tu n’es pas chrétien pour dédaigner de servir. Quand, par la volonté du Christ, tu as un homme pour maître, ce n’est point cet homme que tu sers, mais le Christ qui l’a voulu. Aussi saint Paul a-t-il dit: « Obéissez à vos maîtres selon la chair, avec crainte et respect, dans la simplicité du coeur, ne les servant point quand ils ont l’oeil sur vous, comme si vous ne cherchiez à plaire qu’à des hommes; mais faites de coeur et spontanément la volonté de Dieu, comme des serviteurs du Christ 1». Voilà que l’Apôtre n’affranchit point les serviteurs, mais il fait qu’ils deviennent bons, de méchants qu’ils étaient. Que ne doivent point à Jésus-Christ ces riches dont il règle ainsi la maison? Qu’il y ait chiez eux un serviteur infidèle, Jésus-Christ le convertit, mais sans lui dire: quittez votre maître, maintenant que vous connaissez le véritable maître; c’est un impie, un homme d’iniquité, tandis que vous êtes juste et fidèle; il serait indigne qu’un homme juste, qu’un fidèle, servît un homme infidèle et injuste. Ce n’est point là ce que lui dit Jésus-Christ; mais bien: Servez votre maître. Et, pour encourager ce serviteur: Sers à mon exemple, lui dit-il, car je me suis assujéti aux méchants. Quand le Seigneur eut tant à souffrir dans sa passion, de qui eût-il à souffrir, sinon de ses serviteurs? Et de quels serviteurs, sinon des méchants? Car de bons serviteurs eussent honoré le souverain maître. Mais eux l’outragèrent parce qu’ils étaient mauvais. Que fit le Seigneur au contraire? Il leur rendit l’amour pour la haine, car il s’écria: u Mon « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font 2 ». Si le Seigneur du ciel et de la terre, par qui tout a été fait, s’assujétit à des indignes, pria pour ceux qui le traitaient avec tant de cruauté, et vint en ce monde
1.
Ephés. VI, 5, 6. — 2. Luc, XXIII, 34.
comme un médecin; car les médecins, ayant par l’âge et la santé l’avantage sur un malade, ne laissent pas de s’assujétir à lui; combien moins doit-il répugner à un homme de s’assujétir à un maître quoique méchant, et de le servir de toute son âme, de toute sa bonne volonté, de toute sa charité? Un homme vertueux en sert donc un inférieur, mais pour un temps. Appliquez aux puissances, aux dignitaires de ce monde, ce que j’ai dit du maître et du serviteur. Parfois, en effet, les dignitaires sont bons et craignent Dieu, et parfois ne le craignent point. Julien était un empereur infidèle, un apostat, un criminel idolâtre: des soldats chrétiens obéissaient àcet empereur infidèle; mais quand il s’agissait des intérêts du Christ, ils ne reconnaissaient que le maître du ciel. Quand on leur disait d’adorer les idoles, de leur offrir de l’encens, ils préféraient obéir au Seigneur; mais leur disait-on: Marchez en bataille contre tel peuple, ils obéissaient aussitôt. Ils distinguaient entre le maître éternel et le maître temporel; et néanmoins ils obéissaient au maître temporel à cause du maître éternel.
8. Mais sera-ce éternellement que les méchants domineront les justes? Non, sans doute. Voyez,en effet, ce que dit le psaume: « Le Seigneur ne laissera pas toujours le sceptre des méchants sur l’héritage des justes ». Cette verge des méchants se fait sentir pour un temps, sur l’héritage des justes, mais on ne l’y laissera point, et ce n’est point pour toujours. Un temps viendra où l’on ne connaîtra qu’un seul Dieu; un temps viendra où le Christ, paraissant dans l’éclat de sa gloire, appellera devant lui les nations pour les séparer, comme un berger sépare les boucs d’avec ses brebis, et mettra les brebis à la droite, et les boucs à la gauche 1. Or, tu. verras parmi les brebis beaucoup de serviteurs, comme beaucoup de maîtres parmi les boucs; comme aussi beaucoup de maîtres parmi les brebis, et parmi les boucs bien des serviteurs. Car si nous consolons ainsi les serviteurs, ce n’est pas que tous àoient bons, de même que tous les miraîtres ne sont point mauvais, parce que nous avons dû réprimer leur orgueil. Il est des maîtres bons et fidèles, comme il en est de mauvais; et il y a des serviteurs mauvais, comme il y en a de bons et de fidèles.
1.
Matth. XXV, 32, 33.
Mais tant que les bons serviteurs ont des maîtres méchants, qu’ils les supportent pour un temps: « car le Seigneur ne laissera point le fouet des méchants sur l’héritage des justes ». Pourquoi? « De peur que les justes u n’étendent leurs mains vers l’iniquité »; afin que les justes supportent pour un moment la domination des méchants, qu’ils comprennent que cette domination n’est que passagère, et qu’ils se préparent à posséder l’héritage éternel. Quel héritage? Celui où tout pouvoir sera détruit ainsi que toute puissance, afin que Dieu soit tout en tous 1. Quand ils se réservent pour ces temps heureux, quand ils envisagent de l’œil du coeur ce qu’ils ne tiennent que par la foi, muais qu’ils verront s’ils persistent; alors « ils n’étendent point leurs mains vers l’iniquité ». S’ils voyaient le sceptre des pécheurs peser toujours sur l’héritage des justes, ils penseraient et diraient en eux-mêmes: De quoi me sert ma justice? serai-je donc toujours assujéti à l’injuste, et toujours serviteur? Et moi aussi je commettrai l’iniquité, puisqu’il ne sert de rien de garder la justice. Pour le détourner de ces pensées, on lui dit par la foi que le sceptre des méchants n’est que momentanément sur l’héritage des bons. «Le Seigneur ne le laissera point à jamais sur cet héritage, afin que les justes ne se laissent pas aller à l’iniquité »; mais qu’ils en détournent leurs mains, qu’ils la supportent sans la commettre; car il vaut mieux supporter l’injustice que la commettre. Pourquoi donc n’en serat-il pas ainsi? « C’est que le Seigneur ne laissera point le sceptre des pécheurs sur l’héritage des justes ».
9. Telles sont les pensées des hommes au coeur droit, dont nous disions tout à l’heure qu’ils suivaient la volonté de Dieu et non leur propre volonté. Mais ceux qui veulent suivre la volonté de Dieu, le mettent le premier, et viennent après lui: ils ne se mettent point en avant, afin que Dieu les suive: ils approuvent ses desseins; qu’il les corrige, qu’il les console, qu’il les exerce, qu’il les couronne, qu’il les éclaire, comme l’a dit l’Apôtre; « Nous savons que, pour ceux qui aiment Dieu, tout contribue à leur bien 2 ». De là cette parole du prophète: « Faites du bien, Seigneur, à ceux qui sont bons et dont le coeur est droit 3».
10. De même que l’homme au coeur droit
1.
I Cor. XV, 28. — 2. Rom VIII, 28. — 3. Ps. CXXIV, 4.
évite le mal et fait le bien 1, parce qu’il ne porte aucune envie aux pécheurs, en voyant la paix dont ils jouissent 2; de même l’homme au coeur dépravé, que scandalisent les desseins de Dieu, s’éloigne du Seigneur, fait le mal et se laisse prendre aux charmes de cette vie, et, une fois pris, il en supporte les peines cuisantes. Dès qu’il s’éloigne du Seigneur, dont il ne veut point supporter la discipline, alors la fausse félicité des méchants devient pour eux un piège par un juste jugement de Dieu. C’est pourquoi le Prophète ajoute: « Pour ceux qui s’engagent dans des voies tortueuses, Dieu les unira aux hommes qui commettent l’iniquité 3 », c’est-à-dire à ceux dont ils imitent les actions; parce qu’ils ont aimé comme eux les joies de cette vie, et n’ont point cru aux supplices éternels. Quel sera donc le partage des hommes au coeur droit qui ne se détournent point de Dieu? Mais voyons quel sera cet héritage mes frères, puisque nous sommes les enfants. Que posséderons-nous? Quel est notre héritage? quelle est notre patrie? quel est son nom? La paix. C’est par la paix que nous vous saluons, c’est la paix que nous vous prêchons, la paix que reçoivent les montagnes, et les collines la justice 4. Cette paix est le Christ. « Car il est notre paix, lui qui de deux peuples n’en a fait qu’un, en détruisant le mur de séparation 5 ». Parce que nous sommes les enfants, nous aurons l’héritage. Et commirent appeler cet héritage, sinon la paix? Et voyez comme sont déshérités ceux qui n’aiment point la paix. Or, ceux-là n’aiment point la paix qui divisent l’unité. La paix est le partage des justes, le partage des héritiers. Et quels sont les héritiers? Les enfants. Ecoutez l’Evangile: « Bienheureux ceux
1.
Ps. XXXVI, 27. — 2. Id. LXXII, 3.— 3. Id. CXXIV, 5.— 4.
Id. XVII, 3. — 5.
Ephés. II, 14.
qui aiment la paix, parce qu’ils seront appelés enfants de Dieu 1 ». Ecoutez la conclusion du psaume: « Paix sur Israël ». Israël signifie qui voit Dieu, et Jérusalem vision de la paix. Oui, que votre charité le retienne bien, Israël signifie qui voit Dieu, et Jérusalem vision de la paix. « Quels hommes ne seront point ébranlés de l’éternité? ceux qui habitent Jérusalem ». Ils ne seront point ébranlés à tout jamais, ceux qui habitent la vision de la paix, et cette « paix est sur Israël ». Donc, Israël qui voit Dieu, voit aussi la paix; il est Israël et Jérusalem; puisque le peuple de Dieu est en même temps la cité de Dieu. Si donc voir la paix, c’est voir Dieu, assurément c’est Dieu qui est la paix. C’est donc parce que le Christ Fils de Dieu est la paix, qu’il est venu pour nous rassembler et nous séparer des impies. De quels impies? De ceux qui haïssent Jérusalem, qui haïssent la paix, qui veulent nous séparer de l’unité, qui ne croient pas à la paix, qui annoncent au peuple une fausse paix, qui n’ont point eux-mêmes la paix. Quand ils disent au peuple: Que la paix soit avec vous, et qu’il leur répond: Et avec votre esprit, ils disent une fausseté et n’entendent qu’une fausseté. A qui disent-ils: Que la paix soit avec vous? A ceux qu’ils séparent de la paix du reste de la terre. Et à quels hommes dit-on: Et avec votre esprit? A ceux qui saisissent toutes les occasions du schisme, qui haïssent la paix. Car si la paix était dans leur esprit, ne renonceraient-ils point aux divisions pour embrasser l’unité? C’est donc une fausseté qu’ils disent, une fausseté qu’ils entendent. Pour nous, mes frères, disons vrai et entendons vrai. Soyons Israël, embrassons la paix; puisque Jérusalem est la vision de la paix, et que nous sommes Israël, que la paix soit sur Israël.
1. Matth. V, 9.
SERMON AU PEUPLE.
Notre Dieu est venu sur la terre pour nous racheter au prix de son sang, parce que nous étions dans l’esclavage, nous et ceux nième qui ont les prémices de l’esprit, ou la foi. Nous attendons par l’espérance la rédemption de notre chair, dont Jésus-Christ nous a donné le modèle par sa résurrection. Maïs jusque-là nous gémissons. Déjà la chair que le Sauveur a prise dans l’humanité, est sauvée: or, il nous dit qu’il est avec nous jusqu’à la fin des siècles. Mais nous sommes dans l’esclavage, parce que nous sommes rendus au péché, et le persécuteur nous a lui-même sauvés en répandant le sang du juste. Notre joie a été grande quand Dieu a délivré la Jérusalem du ciel. Elle est du ciel à cause des anges, et captive à cause de nous. Elle était figurée par cette Sion des Juifs, captive à Babylone, pendant 70 années. Ce nombre signifie le temps qui s’écoule par sept Jours; et après les temps écoulés nous retournerons à la patrie. Babylone est la confusion ou le monde. Or, la délivrance nous a consolés, c’est-à-dire que Jésus nous a fait espérer à cause de sa résurrection. Alors notre bouche a été pleine de joie, c’est-à-dire la bouche de notre coeur dans laquelle s’élaborent toutes nos actions, ainsi que l’a dit le Sauveur. Ce n’est donc ni ce qui entre dans notre bouche, ni ce qui en sort qui souille l’homme, mais ce qui est résolu dans notre coeur Car Dieu y voit tout mal et tout bien. Le Seigneur a manifesté sa gloire en établissant l’Eglise, en nous délivrant des étreintes du péché, comme le vent tiède fait fondre les glaçons et amène les torrents. Semons dans les larmes, semons l’aumône, des biens, des services, des conseils, de la bonne volonté, nous récolterons au ciel. Le Samaritain de l’Evangile, c’est Jésus qui nous porte dans son Eglise, où se cicatrisent les blessures que le démon nous a faites sur le grand chemin du monde.
1. En suivant l’ordre, il nous faut expliquer, vous le savez, le psaume cent vingt-cinquième, qui compte parmi les psaumes intitulés cantiques des degrés, et qui est, vous le savez aussi, le chant de ceux qui s’élèvent; et où s’élèvent-ils, sinon à cette Jérusalem du ciel qui est notre mère à tous 1? Comme elle est du ciel, elle est éternelle. Quant à celle qui fut sur la terre, elle en était seulement l’image. Aussi est-elle tombée, tandis que l’autre subsiste. L’une a subsisté pendant qu’elle devait prophétiser l’avenir, l’autre possède l’éternité de notre réparation. Bannis pendant cette vie de cette cité bienheureuse, nous soupirons pour y retourner; le labeur et la misère seront pour nous jusqu’à ce que nous y soyons rentrés. Toutefois, les anges, nos concitoyens, ne nous ont point abandonnés dans cet exil, mais ils nous ont annoncé que notre roi viendrait à nous. Et il est venu et a d’abord été méprisé par nous, puis avec nous. Il nous a enseigné à supporter ce qu’il a supporté, à souffrir comme il a souffert; il nous a promis de ressusciter comme il est ressuscité, nous montrant en lui.mênie ce qu’il nous fallait espérer. Si donc, mes frères, avant l’avènement de Jésus-Christ en sa chair, avant sa mort, sa résurrection, son ascension
1.
Gal. IV, 26.
au ciel, les Prophètes, qui sont nos aïeux, soupiraient après cette cité bienheureuse, quel doit être notre désir d’aller où il nous a précédés, et d’où il ne s’est jamais retiré? Pour venir à nous, en effet, le Christ n’a point abandonné les anges. Il est demeuré toujours avec eux, et néanmoins est venu à nous; il est demeuré avec eux dans sa majesté, il est venu à nous dans,sa chair. Mais, hélas! où étions-nous? S’il est appelé notre Rédempteur, nous étions captifs. Où donc étions-nous captifs, pour qu’il vînt nous racheter? Où étions-nous retenus? Chez les barbares? Le diable, avec ses anges, sont pires que les barbares. C’est en leur pouvoir qu’était le genre humain; c’est de leurs mains qu’il nous a rachetés, sans donner ni or, ni argent, mais son sang précieux.
2. Demandons à saint Paul comment l’homme était tombé dans cette captivité. Car il est un de ceux qui gémissent le plus dans cette captivité, qui soupirent après la Jérusalem éternelle, et il nous a enseigné à gémir par ce même esprit dont il était comblé quand il gémissait lui-même. « Toute créature gémit», nous dit-il, « jusqu’à présent, et souffre les douleurs de l’enfantement ». Et encore: « La créature est assujétie à la vanité, non « pas volontairement, mais à cause de celui (52) qui l’y a assujétie dans l’espérance ». Il dit que toute créature soupire et gémit dans le travail, chez ces hommes qui ne croient point, et qui néanmoins doivent croire. Ne gémit-elle que dans ceux qui n’ont 1oint encore la foi? La créature ne gémit-elle plus, n’endure-t-elle plus les douleurs de l’enfantement dans ceux qui croient? « Et non seulement elle », dit saint Paul, « mais nous qui avons les prémices de l’esprit »; c’est-à-dire, qui déjà servons Dieu en esprit, dont l’âme a cru en Dieu, et qui, dans cette foi, avons donné à Dieu des prémices, afin que nous suivions ces prémices qui viennent de nous. « Nous donc, nous gémissons en nous-mêmes, attendant l’effet de l’adoption qui sera la rédemption de notre corps ». Saint Paul donc gémissait, et tous les fidèles gémissent, attendant la rédemption, la délivrance de leur corps. Où gémissent-ils? Dans cette vie mortelle. Quelle est la rédemption qu’ils attendent? La rédemption de leur corps, qui a paru d’abord en Notre Seigneur quand il est ressuscité d’entre les morts et monté aux cieux. Mais avant qu’elle nous soit appliquée, nous devons gémir, quelle que soit notre fidélité, quelle que soit notre espérance. Aussi l’Apôtre, après avoir dit que nous gémissons en nous-mêmes dans l’attente de notre adoption, qui sera la rédemption de notre corps, prévoyant qu’on lui objecterait: De quoi nous sert le Christ, si nous gémissons encore, et comment ce Sauveur nous a-t-il sauve? car celui qui gémit est en souffrance; l’Apôtre, dis-je, ajoute aussitôt: « C’est par l’espérance que nous sommes sauvés; or, l’espérance qui est visible n’est plus l’espérance; comment, en effet, espérer ce que l’on voit? Si donc nous espérons ce que nous ne voyons point, nous l’attendons par la patience 1».
Voilà pourquoi nous gémissons, et comment nous gémissons, c’est que nous ne possédons pas, tuais nous attendons l’objet de nos espérances, et jusqu’a ce que nous le possédions, nous soupirons en cette vie, parce que nous désirons ce que nous ne possédons point. Pourquoi? Parce que « c’est par l’espérance que nous sommes sauvés ». Dès à présent, cette chair qui est la nôtre, et dont le Sauveur s’est revêtu, est sauvée, non par l’espérance, mais en réalité, puisqu’elle est ressuscitée, qu’elle est montée au ciel, déjà sauvée
1.
Rom. VIII, 20-25.
dans notre chef, mais à sauver dans ses membres. Que les membres se réjouissent en sûreté, parce que le Chef ne les a point abandonnés. Car il a dit à ses membres qui souffrent: « Voilà que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles 1». C’est ce qui nous a portés à nous tourner vers Dieu. Nous n’avions d’espérance que pour cette vie; de là notre esclavage, de là notre misère, et une double misère, puisque n’ayant d’espérance que dans cette vie, et n’ayant devant les yeux que le monde, nous tournons le dos à Dieu. Mais lorsque Dieu nous convertit, que nous commençons à jeter nos yeux sur lui, et à tourner le dos au monde, nous qui sommes encore ici-bas dans la voie, nous regardons néanmoins notre patrie, et quand il nous arrive quelque affliction, nous demeurons fermes dans la voie, nous attachant au bois qui nous porte. Le vent est violent sans doute, mais le vent est favorable; il n’est pas sans fatigue, mais il nous pousse avec rapidité, et nous arriverons plus tôt. Nous gémissons de notre captivité, et ils gémissent aussi, ceux qui ont embrassé la foi; mais parce que nous avons oublié de quelle manière nous sommes tombés dans l’esclavage, et que l’Ecriture nous le rappelle, interrogeons l’Apôtre saint Paul lui-même: « Nous savons», dit-il, « que la loi est spirituelle, et moi je suis charnel et vendu au péché 2 ». Voilà notre captivité; C’est l’assujétissement au péché. Qui nous a vendus? Nous mêmes, en nous laissant séduire. Nous avons bien im nous vendre, mais nous ne saurions nous racheter. Nous sommes vendus en consentant au péché, et nous sommes rachetés en croyant à la justice. Le sang innocent a été versé pour nous, afin de nous racheter. Quel sang a répandu l’ennemi, quand il a versé le sang des justes qu’il persécutait? Il est vrai que c’était le sang des justes, le sang des Prophètes, qui sont nos pères, le sang des justes encore dans les martyrs; tous néanmoins venaient de la tige empoisonnée du péché. Mais il a aussi répandu le sang d’un seul, qui n’a pas été justifié, mais qui est né dans la justice, et ce sang répandu lui a fait perdre ceux qu’il tenait sous sa puissance. Ils ont été en effet délivrés, ceux pour qui ce sang a été versé, et délivrés de leur captivité, ils chantent le psaume que nous allons expliquer.
1. Matth.
XXVIII, 20. — 2. Rom. VII, 14.
3. « Quand le Seigneur a délivré Sion de la captivité, nous avons été comme consolés 1». Nous avons été dans la joie, a voulu dire le Prophète. Quand nous est venue cette joie? Quand le Seigneur rappelait Sion de sa captivité. Quelle Sion? La céleste Jérusalem, l’éternelle Sion. Comment Sion est-elle éternelle, et comment Sion est-elle captive? Elle est éternelle du côté des anges, et captive du côté des hommes. Car tous les citoyens de cette cité ne sont point captifs; mais ceux-là sont captifs qui ers sont bannis. L’homme fut citoyen de Jérusalem, mais une fois vendu au péché, il en fut banni. De lui sont venus tous les hommes, et la captivité de Sion a rempli toute la terre. Mais cette captivité de Sion, comment peut-elle être figurée par Jérusalem? Comment peut-elle être figurée dans cette Sion que Dieu donna aux Juifs, qui demeura captive à Babylone, et dont le peuple, après soixante et dix années, retourna dans son pays 2? Septante années marquent le temps qui s’écoule de sept jours. Or, quand le temps sera complètement écoulé, nous retournerons dans notre patrie, comme le peuple juif, après soixante et dix ans, revint de la captivité de Babylone. Car Babylone est ce bas monde, puisque Babylone signifie confusion. Voyez si toute la vie de l’homme n’est point une con fusion. L’homme ne rougit-il pas de ce qu’il a fait dans une si vaine espérance, quand il reconnaît la vanité de ses oeuvres? Pourquoi sou travail, et pour qui? Pour mes enfants, répond-il. Et ces enfants? Pour nos enfants, diront-ils encore. Et ces derniers? Encore pour nos enfants. Nul donc ne travaille pour soi-même. C’est de cette confusion qu’étaient délivrés ceux à qui l’Apôtre écrivait: « Quelle gloire avez-vous retirée de ces oeuvres qui maintenant vous font rougir 3? » Ainsi, toutes les affaires de la vie qui ne regardent point le Seigneur ne sont qu’une confusion. C’est dans cette confusion, dans cette Babylone que Sien est retenue captive. Mais « le Seigneur délivre Sion de sa captivité ».
4. « Et nous avons été comme ceux que l’on console »; c’est-à-dire, nous avons tressailli de joie, comme ceux qui reçoivent une consolation. On ne console que les malheureux, on ne console que ceux qui gémissent et qui pleurent. Pourquoi sommes-nous « comme
1.
Ps. CXXV, 1.— 2. Jérém. XXIX, 10; I Esdras, 1. — 3. Rom. V.,21.
ceux que l’on console»,sinon parce que nous gémissons encore? Nous gémissons en réalité, nous sommes consolés en espérance: quand la réalité passera, le gémissement nous vaudra une joie éternelle, et alors nous n’aurons plus besoin de consolation, parce que nous ne souffrirons plus d’aucune misère. Pourquoi cette expression: « Comme ceux que l’on console», et n’est-il pas dit que nous sommes consolés? Cette expression: sicut, ou comme, ne marque pas toujours une comparaison. Quelquefois elle désigne une qualité, et quelquefois une comparaison: ici, elle désigne une qualité. Mais nous devons donner des exemples tirés du langage ordinaire, afin de nous faire mieux comprendre. Quand nous disons
comme a vécu le père, ainsi a vécu le fils, nous faisons une comparaison; et dire
l’homaime meurt comme l’animal, c’est encore une comparaison. Mais dire: Il a agi comme un homme de bien, est-ce dire que cet homme n’e~t pas un homme de bien, qu’il n’en a que l’apparence? Il a agi comme un homme juste; ce « comme », loin de nier la justice de cet homme, l’affirme au contraire. Vous avez agi comme un magistrat; donc je ne suis pas magistrat, pourrait-on répondre. Au contraire, c’est parce que vous êtes magistrat que vous avez agi en magistrat, parce que vous êtes juste que vous avez agi en homme juste, parce que vous êtes homme de bien que vous avez agi en homme de bien. Ceux-ci donc, parce qu’ils étaient véritablement consolés, s’abandonnent à la joie comme des hommes que l’on a consolés; c’est-à-dire que leur joie était grande comme la joie de ceux que l’on console, Dieu qui est mort pour nous, versant des consolations dans ceux qui doivent mourir. Car la mort nous arrache à tous des gémissements; mais celui qui est mort nous a consolés pour nous délivrer de la crainte de la mort. Il est ressuscité le premier afin de fonder notre espérance. Nous espérons donc parce qu’il est ressuscité le premier, et. cette espérance nous console dans nos misères, de là notre allégresse. Et le Seigneur nous a délivrés de notre captivité, afin que nous reprenions le chemin du retour vers la patrie. Maintenant que nous sommes rachetés, ne craignons plus nos ennemis qui dressent des piéges sur notre chemin. Car le Christ nous a rachetés afin que l’ennemi n’ose plus nous tendre des embûches, si nous n’abandonnons pas la voie; et (54) c’est lui-même qui est notre voie. Veux-tu ne rien craindre des voleurs? Voilà, dit-il, que je t’ai ouvert la voie vers ta patrie, ne t’en écarte point. J’ai fortifié cette voie, afin que le voleur ne puisse t’y attaquer. Ne t’en écarte point, et le voleur n’osera t’assaillir. Marche donc dans le Christ, et chante les saintes joies, chante les saintes consolations; car il y a marché le premier, celui qui t’a commandé de le suivre.
5. « Alors notre bouche a été remplie de joie et notre langue d’allégresse 1 ». Comment, mes frères, la bouche de notre corps peut-elle être remplie de joie? on n’y met ordinairement que de la nourriture, du breuvage, ou toute autre chose semblable. Quelquefois notre bouche est pleine, et pour tout dire à votre sainteté, quand notre bouche est pleine, alors nous ne saurions parler. Mais nous avons une bouche intérieure, ou dans notre coeur, et tout ce qui en sort, nous souille s’il est mauvais, nous purifie s’il est bon. C’est de cette bouche qu’il était question dans l’Evangile qu’on vient de lire. Les Juifs reprochaient au Sauveur, que ses disciples ne lavaient point leurs mains avant de manger. ils faisaient des reproches, ces hommes qui avaient une pureté tout extérieure, et qui au dedans étaient pleins de souillures; ils faisaient des reproches, ces hommes qui n’avaient de justice que devant les hommes. Or, le Seigneur cherchait surtout notre pureté intérieure, qui rejaillit nécessairement sur l’extérieure dès lors qu’elle existe: « Purifiez l’intérieur », leur dit-il, « et ce qui est au dehors sera pur aussi 2 », Le Seigneur dit encore àun autre endroit: « Faites l’aumône, et tout sera pur en vous 3 ». Or, d’où vient l’aumône? du coeur. Tendre la main n’est rien, si le coeur n’est touché. Mais si le coeur est touché de compassion, Dieu accepte notre aumône, quand même la main n’aurait rien à donner. Ces hommes d’iniquité ne s’attachaient qu’à la pureté extérieure. C’est de ce nombre qu’était ce pharisien qui avait invité Notre Seigneur, quand une femme pécheresse, fameuse dans toute la ville, vint le trouver, arrosa ses pieds de ses larmes, les essuya de ses cheveux, et les oignit de parfums. Ce pharisien donc qui avait invité le Seigneur 4, qui n’avait qu’une pureté extérieure,
1.
Ps. CXXV, 2. — 2. Matth. XXIII, 26. — 3. Luc, XI, 41. — 4. Id. VII, 36.
et dont le coeur était plein de rapines et d’iniquités, dit en lui-même: « Si cet homme était le Prophète, il saurait quelle femme est à ses pieds 1 ». Comment pouvait-il savoir si le Sauveur connaissait cette femme, ou ne la connaissait point? Ce qui fit croire qu’il ne la connaissait point, c’est qu’il ne la repoussa point. Qu’une telle femme se fût approchée de ce pharisien, qui n’avait en quelque sorte de pureté que dans la chair, il eût tressailli, il l’eût repoussée et chassée, de peur que cette femme impure ne le touchât, et ne souillât sa pureté. Et parce que Ïe Seigneur n’en agit pas de la sorte, ce pharisien s’imagine qu’il ne sait point quelle femme est à ses pieds. Néanmoins le Seigneur la connaissait, mais il connaissait même ses pensées: et en effet, ô impur pharisien, s’il y a dans le contact une puissance, est-ce la chair du Sauveur qui pouvait devenir impure au contact de cette femme, ou cette femme devenir pure au contact du Sauveur? Le médecin permettait à cette malade de toucher le remède, et cette femme qui venait connaissait le médecin, elle qui avait eu l’effronterie de ses dérèglements, eut plus d’effronterie encore pour son salut. Elle entre dans cette maison où elle n’est pas invitée, mais elle avait des plaies, et venait où reposait le médecin. Celui qui avait invité le médecin se croyait en santé, et dès lors il n’est point guéri. Vous savez ce que rapporte ensuite l’Evangile, et comment le Sauveur confondit le pharisien, en lui montrant qu’il connaissait cette femme, et pénétrait ses pensées.
6. Mais revenons à ce passage de l’Evangile qu’on vient de lire et qui se rapporte au verset que nous expliquons: « Notre bouche u a été remplie de joie, et notre langue d’allégresse »; nous cherchons quelle est cette bouche, quelle est cette langue. Que votre charité veuille bien écouter. On reprochait au Sauveur que ses disciples mangeaient sans avoir lavé leurs mains. Le Sauveur fit une réponse péremptoire, et, appelant la foule « Ecoutez », leur dit-il, « et comprenez que ce n’est point ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme, mais bien ce qui en sort 2». Qu’est-ce à dire? Quand le Sauveur dit: « Ce qui entre dans la bouche »; il ne parle que de la bouche du corps. C’est par là qu’entre la nourriture, et la nourriture ne souille
1.
Luc, VII, 39. — 2. Matth. XV, II.
point l’homme car « tout est pur pour les hommes purs 1»; et « toute créature de Dieu est bonne, et il ne faut rien rejeter de ce que l’on reçoit avec actions de grâces 2». C’était une figure chez les Juifs, que cette impureté de certaines créatures 3. Mais quand la lumière est venue, les ombres disparaissent, nous ne sommes plus enchaînés par la lettre, mais vivifiés par l’Esprit; et les chrétiens n’ont pas été assujétis au joug des observances légales qui pesaient sur les Juifs, puisque le Seigneur a dit: « Mon joug est doux, mon fardeau est léger 4 ». « Tout est pur pour ceux qui sont purs », dit encore l’Apôtre; « quant aux hommes impurs et aux infidèles, « pour eux rien n’est pur, mais leur raison et leur conscience sont impures et souillées 5 ». Qu’entend par là saint Paul? Pour l’homme qui est pur, le pain et la chair de pourceau sont purs; mais pour l’homme qui ne l’est point, ni le pain ni la chair de pourceau ne le sont non plus. « Rien n’est pur pour l’homme impur et infidèle ». Pourquoi rien n’est-il pur? « C’est que leur pensée et leur conscience sont souillées »; et si rien n’est pur à l’intérieur, rien ne saurait l’être à l’extérieur. Dès que rien ne saurait être pur au dehors pour les hommes dont l’intérieur est impur, purifie en toi l’intérieur, si tu veux que l’extérieur soit pur. Là est cette bouche qui sera remplie de joie même pendant son silence. Car si tu es dans la joie même en silence, ta bouche crie vers le Seigneur. Mais examine d’où vient la joie. Si elle te vient du monde, tu ne jetteras devant Dieu que les cris d’une joie impure; si ta joie vient de la rédemption, ainsi qu’il est dit dans le psaume: « Quand le Seigneur a délivré Sion de la captivité, nous avons été comme ceux que l’on a consolés », alors ta bouche est pleine de joie, et ta langue d’allégresse; ta joie est évidemment une joie d’espérance, une joie agréable à Dieu. C’est par cette joie, c’est par cette bouche intérieure que notre coeur se nourrit et s’abreuve: elle est pour l’entretien du coeur, comme la bouche extérieure pour l’entretien du corps. C’est de là en effet qu’il est dit: « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés 6 ».
7. S’il n’y a pour nous souiller que ce qui
1.
Tit. I, 15. — 2. I Tim. VI, 4. — 3. Lévit. XI. — 4. Matth. XI,
30. — 5. Tit. I, 15. — 6. Matth. V,
6.
sort de notre bouche, et si dans cette parole de l’Evangile nous ne comprenons que la bouche de notre corps, il serait absurde néanmoins et ridicule de croire que l’homme ne saurait être souillé quand il mange, et qu’il le deviendrait par le vomissement. Le Seigneur dit en effet: « Ce n’est point ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme, mais ce qui en sort 1». Quoi donc? Manger ne te souillera pas, et vomir te souillera? Boire ne te souillera pas, et cracher te souillera? Cracher, c’est en effet rejeter quelque chose de ta bouche, et boire c’est y faire entrer quelque chose. Que veut dire cette parole du Seigneur: « Ce n’est point ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme, mais ce qui en sort? » Dans un autre Evangile, il continue en expliquant ce qui sort de la bouche: afin de te montrer qu’il ne parle plus de la bouche du corps, mais de la bouche du coeur. Il dit en effet: « C’est du coeur que sortent les pensées mauvaises, les fornications, les homicides, les blasphèmes: voilà ce qui souille l’homme; mais manger sans s’être lavé les mains, ne souille pas l’homme 2». Comment donc, mes frères, ces crimes peuvent-ils sortir de notre bouche, sinon parce qu’ils sortent de notre coeur, comme le dit le Seigneur lui-même?Ce n’est point quand nous en prononçons les noms qu’ils nous souillent. Que nul ne dise: C’est quand nous parlons de ces péchés qu’ils sortent de notre bouche, puisque de notre bouche sortent des sons etdes paroles, et quand nous disons ce qui est mauvais nous sommes impurs. Qu’un homme, sans parler, arrête sa pensée au mal, est-il donc pur, parce que rien n’est sorti de la bouche de son corps? Mais Dieu a déjà entendu ce qui sortait de la bouche de son coeur. Comprenez donc ceci, mes frères: Je prononce le mot larcin; mais pour avoir prononcé ce mot de larcin,le larcin m’a-t-il souillé? Le mot est sorti de ma bouche, mais sans m’avoir rendu impur. Un voleur se lève la nuit, sa bouche est silencieuse, mais l’action le rend impur. Non seulement il ne parle point de son crime, mais il affecte le plus grand silence, et il craint tellement que sa voix ne soit entendue, qu’il redoute jusqu’au bruit de ses pas: est-il donc pur dès lors qu’il garde un tel silence? Je vais plus loin, mes frères. Le voilà qui est
1. Matth. XV, II. — 2. Id. 19,20; Marc, VII, 5-23.
encore dans son lit. il n’en est point sorti pour commettre son vol; il veille, il attend que les hommes soient endormis; mais il parle déjà devant Dieu, il est déjà voleur, il est déjà impur; son crime est déjà sorti de sa bouche intérieure. Quand est-ce, en effet, que le crime sort de la bouche? Quand le dessein de le commettre est arrêté. Dès que tu as résolu de le faire, tu l’as dit, tu l’as fait. Si le vol n’est pas accompli extérieurement, c’est peut être que celui que tu voulais dépouiller ne méritait pas de perdre son bien. Il n’a rien perdu, et tu seras néanmoins traité comme un voleur. Tu as arrêté le dessein de tuer un homme; tu t’as dit dans ton coeur, ta bouche intérieure a crié homicide cet homme vit encore, et tu seras châtié de ton homicide. Car on demandera ce que tu es devant Dieu, et non ce que tu parais aux yeux des hommes.
8. Nous voyons donc et nous devons comprendre, et bien retenir, que le coeur a sa bonche, que le cœur a sa langue.C’estla bouche qui est remplie de joie;c’est par cette bouche intérieure que nous prions Dieu,quand nos lèvres sont closes et la conscience ouverte. Le silence règne, et le coeur pousse des cris; mais aux oreilles de qui? Non point de l’homme, mais de Dieu. Sois donc en assurance,il t’entend celui qui te prend en pitié. Mus au contraire, quand nul homme n’entendrait le mal sortir de ta bouche, dès qu’il en sort, ne sois plus en assurance, car il écoute celui qui peut te damner. Les juges d’iniquité n’entendaient point Suzanne qui priait en silence. L’homme n’entendait point sa voix, mais son coeur poussait des cris vers Dieu 1. Et parce que sa voix ne sortait point des paroles de son coeur, n’a-t-elle point mérité d’être écoutée de Dieu? Il l’écouta, sans doute, et nul homme n’entendit sa prière. Donc, mes frères, voyez ce que nous avons dans la bouche intérieure. Prenez garde que, sans faire le mal au dehors, vous ne le disiez intérieurement. L’homme ne fait au dehors que les actions qu’il a dites à l’intérieur. Eloigne tout mal de la bouche de ton coeur, et tu seras innocent, la langue de ton corps sera innocente, et tes mains seront innocentes; tes pieds aussi seront innocents, tes yeux innocents, tes oreilles innocentes, tous tes membres comiibattront pour la justice, parce qu’un maître juste sera en possession de ton coeur.
1.
Dan. XIII, 35, etc.
9. « Alors on dira parmi les nations: Le Seigneur a manifesté sa gloire dans ce qu’il a fait en leur faveur. Le Seigneur a manifesté sa gloire, en agissant pour nous; il nous a comblés de joie 1 ». Voyez, mes frères, si ce n’est point là ce que Sion chante aujourd’hui parmi les peuples, dans l’univers entier: voyez si de toutes parts on ne vient point dans l’Eglise. Dans l’univers entier, on reçoit le prix de notre rançon, et l’on répond: Amen. Ils chantent, parmi les nations, ces captifs de Jérusalem, ces enfants de Jérusalem qui doivent y retourner un jour, qui sont en exil et qui soupirent après la patrie. Que disent-ils? « Le Seigneur a manifesté sa gloire dans ce qu’il a fait pour nous, et nous sommes comblés de joie ». Ont-ils eux-mêmes agi en leur faveur? Ils n’ont pu que se nuire, parce qu’ils se sont vendus par le péché. Le
Rédempteur est venu, et a fait en leur faveur de grandes choses: « Il a manifesté sa gloire dans ce qu’il a fait pour eux. Il a manifesté sa gloire dans ce qu’il a fait pour nous, et nous sommes comblés de joie ».
10. « Seigneur, ramenez-nous de notre captivité, comme le vent du Midi ramène le torrent ». Que votre charité écoute bien ces paroles. Déjà il est dit: « Quand le Seigneur délivrait Sion de la captivité »; et ce langage est au passé. Mais les Prophètes se servent souvent du passé pour prédire l’avenir. Car c’était au passé qu’il disait dans un autre psaume: « Ils ont percé mes mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os ». Il ne dit point: Ils perceront mes pieds; ni: Ils compteront mes os; ni: Ils partageront mes vêtements; il ne dit point: Ils tireront ma robe au sort; tout cela est pour l’avenir, et le Prophète en parle comme d’un passé. Car tout ce qui doit être, est, en Dieu, comme s’il était accompli. Quand donc le Prophète nous dit: « Lorsque le Seigneur délivrait Sion de la captivité, nous avons été comme ceux que l’on console; alors notre bouche a été pleine de joie et notre langue d’allégresse », il nous montre que sous la figure du passé il annonce l’avenir, puisqu’il ajoute: « Alors on dira parmi les nations ». « On dira » est au futur. « Le Seigneur a manifesté sa gloire dans ce qu’il a fait pour nous: nous avons été comblés de joie». Quand on chantait ces cantiques, tout cela devait
1.
Ps. CXXV, 3.
arriver, et maintenant nous le voyons s’accomplir. Le Prophète prie comme pour l’avenir, lui qui, tout à l’heure, annonçait l’avenir sous la forme du passé: « Seigneur, mettez fin à notre captivité ». La captivité n’était donc point terminée encore, puisque le Rédempteur n’était point encore arrivé. Cette prière que l’on faisait à Dieu quand on chantait ces psaumes est donc maintenant accomplie: « Seigneur, ramenez-nous de notre captivité, comme le vent du Midi ramène le torrent». De même que le vent du Midi fait couler les torrents, faites cesser notre captivité. Vous cherchez ce que cela signifie, vous le saurez bientôt, avec le secours de Dieu et par vos prières. Dans un endroit de l’Ecriture, qui nous conseille et nous commande les bonnes oeuvres, il est dit: « Vos péchés seront dissous, comme la glace sous un ciel serein 1». Donc nos péchés nous resserraient. Comment? Comme la glace resserre l’eau et l’empêche de couler. Le froid de nos péchés nous a gelés sous ses étreintes. Mais le vent du Midi est très-chaud: quand il souffle, il dissout les glaces, et les torrents se remplissent. On appelle torrents ces fleuves de l’hiver grossis tout à coup par les eaux et qui coulent avec fracas. La captivité nous avait donc gelés, nos péchés nous tenaient enchaînés; niais le vent du Midi ou l’Esprit-Saint a soufflé; nos péchés nous ont été remis et nous avons été dégagés du froid de l’iniquité, nos péchés ont fondu comme la glace au vent du Midi. Courons donc vers notre patrie comme les torrents au souffle du midi. Le bien nous a valu des tribulations, il nous en amène encore. Car la vie humaine, dans laquelle nous sommes entrés, est un tissu de misères, de travaux, de douleurs, de périls, d’afflictions, de tentations. Ne vous laissez point séduire par les vaines joies du monde, et voyez dans les choses d’ici-bas ce qu’il faut pleurer. L’enfant qui vient de naître pouvait rire tout d’abord; pourquoi commence-t-il sa vie en pleurant? Pourquoi sait-il déjà pleurer, quand il ne sait point rire encore? C’est parce qu’il est entré dans cette vie. S’il est au nombre de nos captifs, il gémit, il pleure; mais la joie viendra un jour.
11. Car, notre psaume l’a dit: « Ceux qui sèment dans les larmes moissonneront dans la joie 2». Semons en cette vie qui est pleine de larmes. Que sèmerons-nous? Des bonnes
1.
Eccl, III, 17. — 2. Ps. CXXV, 5.
oeuvres. Les oeuvres de miséricorde, voilà ce que nous semons, et à ce propos saint Paul vous dit: « Ne nous lassons pas de faire le bien, si nous ne perdons pas courage, nous moissonnerons dans le temps. C’est pourquoi pendant que nous en avons le temps, faisons du bien à tous, mais principalement aux serviteurs de la foi 1». Et que dit-il en parlant de l’aumône? « Or, je vous le dis: Celui qui sème peu, moissonne peu 2 ». Donc celui qui sème beaucoup, moissonnera beaucoup: « Celui qui sème peu, moissonnera peu »; et celui qui ne sème peu, ne moissonnera rien. Pourquoi convoiter de vastes campagnes pour y semer beaucoup de grain? Vous ne sauriez trouver, pour jeter vos semences, un plus vaste champ que le Christ qui a voulu qu’on semât en lui. Votre terre est l’Eglise, semez-y autant que vous pourrez. Mais tu n’as que peu à semer, diras-tu. As- tu du moins la volonté? Comme, sans elle, tout ce que tu pourrais avoir ne serait rien; de nième, avec elle, ne t’afflige pas de ne rien avoir. Que sèmes-tu en effet? La miséricorde. Que moissonneras-tu? La paix. Or, les anges ont-ils dit: Paix sur la terre aux hommes riches; et n’est-ce point: « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté 3?» Zachée avait beaucoup de volonté, une grande charité. Il reçut chez lui le Seigneur, le reçut avec joie, promit de donner aux pauvres la moitié de son bien, et de rendre au quadruple ce qu’il pouvait avoir pris 4; afin de te montrer que s’il retenait la moitié de son bien, c’était moins pour le plaisir de le posséder, que pour avoir de quoi restituer. C’est là une grande volonté, c’est là donner beaucoup, semer beaucoup. Mais cette veuve qui ne donna que deux petites pièces, aurait-elle donc peu semé? Autant que Zachée. Ses biens étaient moindres, sa volonté était égale 5. Elle donna deux pièces de monnaie avec autant de bonne volonté, que Zachée la moitié de ses biens. A considérer le don, il est différent; mais à considérer la volonté, elle est semblable. La femme donna ce qu’elle avait, comme Zachée donna ce qu’il avait.
12. Supposons un homme qui n’ait pas même les deux pièces de cette veuve; y a-t-il quelque chose de moindre prix que nous puissions semer pour recueillir une telle moisson? Oui. « Quiconque aura donné à
1.
Gal. VI, 8 -10. — 2. II Cor. IX, 6.— 3. Luc, II, 14. — 4. Id. XIX, 6-8. — 5. Id. XXI,
1-4.
mon disciple un verre d’eau froide, ne u perdra point sa récompense 1 ». Un verre d’eau froide ne coûte pas deux pièces de monnaie, on le donne pour rien; et toutefois, quoiqu’il ne coûte rien, tel homme peut l’avoir, tel autre non; si donc celui qui l’a le donne à celui qui ne l’a point, il donne autant, si le don qu’il fait vient d’une charité parfaite; il donne autant que cette femme avec ses pièces de monnaie, que Zachée avec la moitié de ses biens. Car, ce n’est point sans sujet que le Fils de Dieu ajoute le mot froide, afin de montrer qu’elle vient du pauvre. Il a dit «un verre d’eau froide », afin que nul ne pût s’excuser en disant qu’il n’a point de bois pour la chauffer. « Quiconque donnera à mes disciples un verre d’eau froide, ne perdra point sa récompense ». Mais s’il n’a pas même ce verre d’eau? Qu’il soit hors de crainte quand il ne l’a pas même: « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté »; qu’il craigne seulement de pouvoir faire le bien, et de ne point le faire. Car s’il peut, sans le faire, il est gelé intérieurement: ses péchés ne sont point dissous, comme la glace du torrent au souffle du midi, son coeur est demeuré froid. Que valent ces grands biens que nous possédons? Voilà un homme au coeur fervent, qu’a fondu la chaleur du midi; et n’eût-il rien, Dieu lui tient compte de tout. Voyez les services que se rendent les mendiants. Que votre charité comprenne comment on fait l’aumône. C’est aux mendiants sans doute que tu fais l’aumône, ce sont les mendiants qui ont faim. Vous jetez donc les yeux sur vos frères, vous voyez leurs besoins, et si le Christ est en vous, vous secourez même les étrangers. Mais ces pauvres mêmes dont le métier est de mendier, ont dans leur misère de quoi se secourir mutuellement. Dieu leur a donné le moyen de montrer s’ils aiment à donner l’aumône. Celui-ci ne saurait marcher, celui-là qui le peut, prête au boiteux le secours de ses pieds; celui qui voit prête ses yeux à l’aveugle; celui qui est jeune et vigoureux prête ses forces au vieillard, au malade, il le porte: l’un donc est pauvre, et l’autre est riche à son égard.
13. Il arrive quelquefois que le riche soit pauvre, et que le pauvre lui rende service. Voilà, près d’un fleuve, un homme aussi frêle qu’il est riche, il ne saurait le traverser; en
1.
Matth. X, 42; Marc, IX, 40.
découvrant ses membres, il se refroidirait, deviendrait malade, et mourrait; il arrive là un pauvre plus robuste de corps, qui porte le riche sur l’autre rive, et qui fait ainsi l’aumône au riche. Donc ne regardez point comme pauvre ceux-là seulement qui n’ont point d’argent. Voyez en quoi chaque homme est pauvre, car vous êtes riches peut-être dans ce qui lui manque, et vous avez de quoi l’assister. Lui prêter le secours de tes membres, c’est plus peut-être que lui prêter de l’argent. Il a besoin de conseils, et tu es homme de bons conseils; sous ce rapport il est pauvre et tu es riche. Voilà que sans fatigue, sans perte aucune, tu donnes un simple conseil et tu fais l’aumône. Maintenant, mes frères, que nous vous parlons, vous êtes comme des pauvres pour nous, et nous vous assignons une part dans les dons qu’il a plu à Dieu de nous faire. Car nous recevons tous de lui,qui seul est souverainement riche. Ainsi donc se maintient le corps du Christ; les membres sont unis entre eux et rattachés par les liens de la charité et de la paix, chacun dans ce qu’il possède fait une part à celui qui n’a rien; il est riche dans celui qui possède. et pauvre dans celui qui ne possède point. Aimez-vous ainsi, mes frères, ayez une mutuelle charité. Ne soyez pas uniquement occupés de vous-mêmes, voyez autour de vous ceux qui ont besoin. Ne vous laissez point décourager par ce qu’il y a de pénible et de fatigant dans ces aumônes. Vous semez dans les larmes, vous moissonnerez dans la joie. Eh quoi! mes frères. Quand le laboureur s’en va, portant derrière sa charrue le grain qu’il veut semer, n’est-il pas souvent accueilli par un vent trop froid, ou détourné par la pluie? Il regarde le ciel, il le voit sombre, il tremble de froid, et pourtant il marche, il sème. Il craint qu’en s’arrêtant à un ciel trop sombre, pour attendre un jour plus beau, il ne perde l’occasion de semer, et ne trouve rien à moissonner. Ne différez donc point, mes frères, semez pendant l’hiver, semez des bonnes oeuvres, même dans les larmes; car « ceux qui sèment dans les larmes, moissonneront dans la joie ». Ils jettent en terre leur semence, leur bonne volonté et leurs bonnes oeuvres.
14. « Ils allaient et pleuraient en répandant leurs semences 1». Parce qu’ils étaient parmi
1.
Ps. CXXV, 6.
les malheureux, et malheureux eux-mêmes. Qu’il n’y eût plus de misérables, voilà ce qui vaudrait encore mieux que vos miséricordes. Souhaiter qu’il y ait des misérables afin de les soulager, c’est une miséricorde cruelle. Cela reviendrait au médecin qui voudrait voir beaucoup de malades afin d’exercer son art, et alors art bien cruel ! La santé pour tous est bien préférable à l’exercice de l’art médical. Que tous règnent dans la céleste patrie, voilà ce qu’il faut désirer plutôt que de rencontrer des malheureux à qui nous fassions miséricorde. Et toutefois, tant qu’il est des hommes à qui nous pouvons faire du bien, ne nous lassons pas de semer dans les peines. Bien que nous semions dans les larmes, nous moissonnerons dans la joie. Car à la résurrection des morts, chacun recueillera ses gerbes, c’est-à-dire le fruit des semences qu’il aura répandues, la couronne de la joie et de l’allégresse. Alors, nous triompherons dans notre joie, et nous insulterons à la mort qui nous arrachait des gémissements. Alors nous dirons à la mort: « O mort, où est ta victoire? ô mort, où est ton aiguillon 1? » Mais d’où viendra cette joie? C’est qu’ « alors nous porterons nos gerbes ». Car « ils allaient et pleuraient en répandant leurs semence ». Pourquoi « répandant leurs semences? » Parce que « ceux qui sèment dans les larmes, moissonneront dans la joie».
15. Que le fruit de cette exhortation, mes frères, soit de vous exciter à la miséricorde, car c’est elle qui nous élève à Dieu. Et vous voyez qu’il s’élève, celui qui chante le cantique des degrés. Souvenez-vous-en, mes frères. N’aimez point à descendre au lieu de monter, mais songez toujours à vous élever; car l’homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho tomba entre les mains des voleurs 2. S’il ne fût descendu, les voleurs ne l’eussent
1. I Cor. XV, 55. — 2. Luc, X,
30.
point rencontré. Adam déjà était descendu et tombé aui mains des voleurs, et nous sommes tous en Adam. Mais le prêtre passa, et le vit avec indifférence, le lévite passa et fut aussi indifférent, car la loi ne pouvait guérir. Un samaritain vint à passer, ou Jésus-Christ Notre Seigneur; car c’est à lui que l’on disait: « N’avons-nous pas raison de dire que vous êtes un samaritain et un possédé du démon? » Pour lui, il ne dit point: Je ne suis pas un samaritain; il dit seulement: « Je ne suis point possédé du démon 1 ». Samaritain signifie en effet gardien. Si donc il eût répondu: Je ne suis pas samaritain, il eût dit: Je ne suis pas gardien; et dès lors quel autre nous garderait? Achevant alors sa parabole: « Un samaritain passa », dit le Sauveur, « et lui fit miséricorde 2 »; vous savez le reste. Cet homme était donc blessé sur le grand chemin parce qu’il était descendu; et le samaritain qui passait ne nous méprisa point en lui: il prit soin de nous, il nous mit sur son cheval, ou sur sa chair; il nous conduisit àla grande hôtellerie de son Eglise; il nous recommanda à l’hôtelier, ou à son apôtre; il donna deux deniers pour nous soigner, c’est-à-dire le double précepte de la charité, de Dieu et du prochain; et « ce double précepte renferme la loi et les Prophètes 3». Or, il dit au maître de l’hôtellerie: « Ce que vous dépenserez en plus, je vous le remettrai à mon retour 4 ». En effet, l’Apôtre a dépensé davantage. Car tous les Apôtres avaient le droit, comme soldats du Christ, de recevoir une solde des fournisseurs du Christ, et celui-ci a travaillé de ses mains, et fait don de sa solde aux fournisseurs 5. Tout cela s’est fait ainsi; si nous avons été blessés parce que nous sommes descendus, montons aujourd’hui, chantons notre triomphe, et avançons afin d’arriver un jour.
1. Jean, VIII, 48, 49.
— 2. Luc, X, 33.— 3. Matth. XXIX, 37- 40. — 4. Luc, X, 30-37.— 5. I
Cor. IV, 12; I Thess. II, 7, 9; II Thess. III,
8,9.
SERMON AU PEUPLE.
Ce psaume convient à ceux qui marchent dans la vertu par la charité. Il est attribué par le titre à Salomon, qui fut Prophète et tomba néanmoins dans l’idolâtrie, parce que Salomon, qui signifie pacifique et qui bâtit un temple au Seigneur, est la figure du Christ qui est notre paix. et qui a réuni en lui-même, pierre angulaire, les deux murailles venant, l’une de la circoncision, l’autre de la gentilité; il forme ainsi la cité de Dieu ou l’Eglise, que nul autre que Dieu ne saurait bâtir; qui a des gardiens dans les évêques, et qui est surtout gardée par Dieu, gardien d’Israël. Si nous voulons qu’il nous garde, comptons sur lui et non sur nous-mêmes, ce serait nous lever avant la lumière. Or, comme le disciple est moindre que le Maître, et que le Maître s’est assis ou abaissé, nous ne pouvons nous élever avec lui qu’après nous être assis dans la douleur, l’humilité par la mort, comme le Sauveur. Il dormit sur la croix, et de son côté entr’ouvert fut tirée l’Eglise, comme Eve du côté d’Adam. Nous ressusciterons tous, mais ceux-là ressusciteront avec lui qui sont ses amis, qui sont enfantés par l’Eglise au nombre des saints; car il y a deux peuples dans l’Eglise, comme il y avait dans le sein de Rébecca deux jumeaux, dont l’un seulement était aimé de Dieu. Les fils de ceux qu’on a secoués sont ou les fils des Apôtres qui ont secoué leurs pareils, ou les Apôtres eux-mêmes issus des Prophètes que l’on a secoués pour en montrer les enseignements. Ils sont allés comme des flèches lancées par le Seigneur. L’homme qui les aime parlera sur la porte qui est Jésus-Christ, dont il cherche la gloire.
1. Parmi tous les psaumes qui ont pour titre: Cantique des degrés, celui-ci porte en plus: « de Salomon ». Il est en effet intitulé « Cantique des degrés de Salomon ». Ce titre, moins commun que les autres doit nous exciter à chercher pourquoi l’on ajoute « de Salomon ». Il n’est point nécessaire de répéter ce que signifie « cantique des degrés », nous l’avons dit plusieurs fois. C’est un homme qui monte, et dont la voix sur les ailes de la piété et de l’amour, s’élève à cette Jérusalem d’en haut, vers laquelle nous soupirons dans notre exil, et où nous retrouverons la joie quand, après cet exil, nous y serons retournés. C’est là que s’élève quiconque fait des progrès dans la vertu, de là que descendent ceux qui s’attiédissent. Renonce donc à y monter, à en descendre avec tes pieds; aimer Dieu, c’est monter; aimer le monde, c’est descendre. Ce sont donc là les chants de ceux qu’embrase l’amour, qu’embrasent les saints désirs. Ils brûlent d’amour ceux qui les chantent du coeur, et l’on retrouve cette flamme du coeur dans leurs moeurs, dans la sainteté de leur vie, dans leurs oeuvres conformes aux préceptes du Seigneur, dans le mépris des biens temporels, dans l’amour des biens éternels. Mais pourquoi ajouter « de Salomon? » c’est ce que je dois dire à votre charité, autant que le Seigneur m’en donnera la grâce.
2. Salomon était, selon le temps, fils de David: c’était un grand roi, et le Saint-Esprit se servit de lui pour donner de saints préceptes, de salutaires conseils, et beaucoup de ces figures mystérieuses, que renferment les saintes Ecritures. Car, ce même Salomon eut pour les femmes une passion déréglée, et fut réprouvé de Dieu; et il fut tellement victime de cette passion, que ces femmes l’amenèrent à sacrifier aux idoles, comme nous l’atteste l’Ecriture 1. Mais si sa chute effaçait tout ce qui a été dit par lui, on croirait que c’est lui qui l’a dit, et non point que Dieu l’a dicté par sa bouche. C’est donc par une sage inspiration de la divine miséricorde et de l’Esprit-Saint, que l’on attribue à Dieu tout ce qui a été dit de bien par Salomon, et à l’homme, le péché de l’homme. Pourquoi s’étonner que Salomon soit tombé au sein du peuple de Dieu? Adam n’est-il point tombé dans le paradis? L’ange qui s’est fait diable n’est-il point tombé du ciel? Ces exemples nous apprennent à ne mettre en aucun homme notre espérance, puisque ce même Salomon avait bâti au Seigneur un temple 2, qui nous montrait par avance, comme dans
1.
III Rois, XI, 1.— 2. Id. VI, 1.
un type, la figure de l’Eglise et le corps de Jésus-Christ. De là cette parole de l’Evangile: « Détruisez ce temple de Dieu, et je le rebâtirai en trois jours 1». Comme donc Salomon avait bâti un temple, voilà que se bâtit à lui-même un temple ce même Jésus-Christ, véritable Salomon, véritable roi de paix. Le nom de Salomon signifie en effet pacifique: or, celui-là est véritablement pacifique, dont l’Apôtre a dit: « C’est lui qui est notre paix, qui de deux peuples en a fait un ». Il est le véritable pacifique, celui qui a réuni en lui-même, comme en une pierre angulaire, les deux murailles venant de côté opposé, et le Peuple croyant qui venait de la circoncision, et le peuple croyant aussi qui venait des hommes incirconcis: c’est de ces deux peuples qu’il a fait une seule Eglise, dont il est la pierre angulaire 2, et dès lors le véritable pacifique. C’est lui qui est le vrai Salomon; et cet autre Salomon, fils de David et de Bethsabée 3, ce roi d’Israël, n’était que la figure du véritable pacifique, lorsqu’il bâtissait un temple au Seigneur. Et pour que ta pensée ne s’arrête point sur le Salomon qui éleva un temple, voilà que l’Ecriture te désigne un autre Salomon en commençant ainsi notre psaume: « Si le Seigneur ne bâtit lui-même une maison, c’est en vain que travaillent ceux qui la bâtissent ». C’est donc le Seigneur qui élève la maison, c’est Jésus-Christ Notre Seigneur qui construit lui-même son temple. Beaucoup se fatiguent à bâtir, mais si le Seigneur ne construit, c’est en vain que travaillent ceux qui construisent. Quels sont ces travailleurs? Ceux qui prêchent dans l’Eglise la parole de Dieu, qui administrent les sacrements. Nous courons tous maintenant, nous travaillons tous, nous édifions tous: d’autres, avant nous, ont couru, ont travaillé, ont édifié; mais, « si le Seigneur n’élève une maison, c’est en vain que travaillent ceux qui la construisent ». C’est pourquoi, à la vue des fidèles qui tombent, les Apôtres leur disent et surtout saint Paul e Vous observez les jours et les années, les mois et les temps; je crains fort que je « n’aie travaillé en vain parmi vous 4». Comme il savait par expérience que c’est le Seigneur qui édifie à l’intérieur, il pleurait ces fidèles parce qu’il avait en vain travaillé
1.
Jean, II, 19. — 2. Ephés. II, 14 - 22. — 3. II Rois, XII, 21. — 4. Gal. IV, 10,
11.
parmi eux. C’est donc nous qui parlons au dehors, c’est Dieu qui édifie au dedans. Nous voyons comme vous écoutez, mais Dieu qui seul voit les coeurs, connaît vos pensées. C’est lui qui édifie, lui qui avertit, lui qui effraie lui qui ouvre l’intelligence, lui qui applique notre esprit aux vérités de la foi; et toutefois nous travaillons comme ouvriers; mais « si le Seigneurs, ne construit une maison, c’est en vain que travaillent ceux qui la bâtissent».
3. Cette maison de Dieu est aussi sa cité, car la maison de Dieu, c’est le peuple de Dieu; la maison de Dieu, c’est le temple de Dieu, Et que dit l’Apôtre? « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple 1 ». Tous les fidèles composent donc cette maison de Dieu, et non seulement ceux qui sont aujourd’hui, mais ceux qui ont existé avant nous et qui sont morts, ceux qui viendront après nous, et qui doivent naître parmi les hommes jusqu’à la fin du monde: tous ces fidèles qui forment une multitude innombrable, et que Dieu seul peut compter, selon cette parole de l’Apôtre: « Le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent 2 »; tous ces grains qui gémissent parmi la paille, et qui ne formeront qu’une seule masse, quand l’aire sera vannée 3; tous ces fidèles sanctifiés qui doivent échanger leur humanité pour devenir les égaux des anges, avec ces anges eux-mêmes, qui ne sont point exilés maintenant, mais qui attendent que nous revenions de notre exil, tous ensemble composent une seule maison de Dieu, une seule cité qui est Jérusalem. Elle a des gardiens: de même qu’elle a des hommes qui la bâtissent, qui s’efforcent de la construire, elle en a pour la garder. C’est en veillant sur elle que l’Apôtre a dit: « Je crains que, comme Eve fut séduite par les artifices du serpent, vos esprits de même ne se corrompent et ne dégénèrent de la chasteté qui est dans le Christ 4». Voilà un gardien qui veillait; il veillait de tout son pouvoir sur ceux qui lui étaient confiés. Voilà ce que font les évêques, et c’est pour cela qu’ils occupent un lieu plus élevé, afin qu’ils aient l’intendance et comme la garde de leur peuple. Car ce que l’on appelle évêque, en grec, se traduit en latin par sentinelle, parce qu’il veille d’en haut. Il voit d’un
1. I Cor. III, 17. — 2. II Tim. II, 19. — 3. Matth. III, 12. — 4. II Cor. XI, 3.
lieu élevé. De même que le vigneron se bâtit un lieu élevé pour garder sa vigne, ainsi en est-il des évêques. Ils ont un lieu plus élevé, et c’est de cette élévation que nous aurons àrendre un compte sévère, si nous n’y sommes dans la disposition de nous abaisser à vos pieds par l’humilité, et de prier pour vous, afin que Dieu qui connaît vos esprits veuille bien vous garder lui-même. Car nous pouvons bien vous voir entrer et vous voir sortir, mais voir vos pensées nous est si peu possible que nous ne pouvons pas même voir ce que vous faites en vos maisons. Comment dônc sommes-nous vos gardiens? Autant que le peuvent être des hommes, autant que Dieu nous en a rendus capables. Mais parce que l’humaine faiblesse nous empêche de vous garder complètement, serez-vous donc sans gardiens? Loin de là; car où est Celui dont il est dit: « Si le Seigneur ne garde la cité, inutilement veille celui qui la garde? » Nous nous fatiguons à veiller, et notre travail est vain, si celui qui voit vos pensées ne vous gerde lui-même. C’est lui qui vous garde pendant votre veille, lui qui vous garde encore pendant votre sommeil; lui qui dormit une fois sur la croix, et qui est ressuscité pour ne plus dormir. Soyez donc Israël; puisqu’il ne dort point, qu’il ne sommeille point, celui qui garde Israël 1, Allons, mes frères! soyons Israël si nous voulons être gardés à l’ombre des ailes de Dieu. Nous vous gardons par le devoir de notre charge, mais nous voulons être gardés avec vous. Nous sommes pasteurs à votre égard, mais brebis avec vous sous le Pasteur suprême. De ce lieu élevé, nous sommes des maîtres à votre égard, mais des disciples avec vous à l’école de ce Maître unique et suprême.
4. Si nous voulons être sous la protection de celui qui s’est humilié pour nous, et qui a été élevé afin de veiller sur nous, soyons humbles à notre tour. Que nul n’ait de présomption, car nul n’a rien de bon qu’il ne l’ait reçu de celui qui seul est bon. Quiconque s’attribue à soi-même la sagesse, est un insensé. Qu’il s’humilie, afin que la sagesse vienne en lui et l’éclaire. Mais s’il se croit sage avant que la sagesse vienne en lui, il se lève avant la lumière et marche dans les ténèbres. Or, que lui dit-on dans notre psaume? « En vain vous vous levez avant l’aurore 2 ».
1.
Ps. CXX, 4. — 2. Id. CXXV, 2.
Qu’est-ce à dire: « C’est chose vaine pour vous que vous lever avant l’aurore? » Vous lever avant que la lumière soit levée, c’est vous mettre dans la nécessité de demeurer dans la vanité, puisque vous serez dans les ténèbres. Voilà que s’est levé le Christ notre lumière et il vous est bon de vous lever avec le Christ, mais non avant le Christ. Quand se lève-t-on avant le Christ, sinon quand on veut se préférer au Christ? Et qui veut se préférer au Christ, sinon l’homme qui veut s’élever quand le Christ s’est humilié? Qu’ils s’humilient donc maintenant, s’ils veulent s’élever où le Christ s’est élevé? Car c’est ainsi qu’il parle à propos de ceux qui se sont attachés à lui par la foi, et dès lors à propos de nous, si nous croyons en lui avec un coeur pur: « Mon Père, je veux que ceux que vous m’avez donnés, soient avec moi où je suis moi-même 1 ». O don prodigieux ! grâce admirable ! inestimable promesse, mes frères ! Qui donc ne voudrait être avec le Christ, où est le Christ? Mais il est dans la gloire, et veux-tu donc être dans la gloire avec lui? Sois humble où il fut humble lui-même. C’est pour cela que la Lumière dit à ses disciples: « Le disciple n’est pas au-dessus du maître, ni le serviteur au-dessus de son seigneur 2». Ceux de ses disciples qui voulaient être plus que le maître des serviteurs, qui voulaient être plus que le seigneur, voulaient alors se lever avant la lumière. C’est pour eux que notre psaume a dit: « En vain vous lèverez-vous avant la lumière ». Tels étaient les fils de Zébédée qui, avant de s’humilier comme le Seigneur dans sa passion, choisissaient des places pour s’asseoir l’un à droite, l’autre à gauche. Ils voulaient s’élever avant la lumière, aussi marchaient-ils en vain. Le Seigneur, en les entendant, les rappela dans la voie de l’humilité, et leur dit: « Pouvez-vous boire le calice que je boirai 3? » Je suis venu pour m’humilier, voulez-vous être élevés avant moi? Suivez-moi par où je marche le premier. Car, si vous voulez marcher par une autre voie que la mienne, « c’est en vain que vous vous levez avant la lumière ». Pierre aussi se levait avant la lumière quand il voulait dissuader le Sauveur de souffrir pour nous. Il avait parlé de sa passion qui devait nous sauver, de son humiliation; car c’est dans son humilité qu’il souffrit; lorsqu’il
1.
Jean, XVII, 24. — 2. Matth. X, 24. — 3. Id. XX, 21, 22.
annonça ce qui allait arriver dans sa passion, Pierre tout effrayé, lui qui venait de l’appeler Fils de Dieu, craignit qu’il ne mourût et lui dit: « A Dieu ne plaise, Seigneur, il ne vous arrivera rien de semblable 1». Il voulait se lever avant la lumière, et donner des conseils à la lumière. Mais que fit le Seigneur? Il le contraignit à ne se lever qu’après la lumière: « Retire-toi; arrière, Satan 2». Tu es Satan, parce que tu veux marcher devant moi; « retourne; arrière», c’est à moi de marcher le premier, et à toi de suivre. A toi d’aller où je vais, et non pas à toi de me faire aller où tu voudrais.
5. C’est donc à ceux qui voulaient se lever avant la lumière que notre psaume dit: « Inutile de vous lever avant la lumière ». Quand nous lèverons-nous? Quand vous aurez été humiliés. « Levez-vous après avoir été assis ». Se lever marque l’élévation, s’asseoir l’abaissement. Quelquefois s’asseoir signifie prendre une place d’honneur pour juger, et quelquefois s’humilier. Comment désigne-t-il une place d’honneur pour juger? « Vous serez assis sur douze trônes », dit le Sauveur, « pour juger les douze tribus d’Israël 3 ». Comment s’asseoir est-il un signe d’humilité? « A la sixième heure le Seigneur s’assit sur le puits 4». La fatigue chez le Seigneur était une faiblesse, la faiblesse de la force, la faiblesse de la sagesse; mais la faiblesse est l’humilité. Donc s’asseoir par faiblesse est pour lui un signe d’humilité. C’est parce qu’il s’est assis qu’il a été humble et qu’il nous a sauvés. Car « ce qui est faible en Dieu est plus fort que les hommes 5 ». De là cette parole d’un psaume: « Seigneur, vous savez quand je me suis assis et me suis relevé 6» C’est-à-dire, vous connaissez mon abaissement et mon exaltation. Pourquoi donc, ô fils de Zébédée, vouloir vous lever avant la lumière? Parlons ainsi et appelons-les par leur nom, ils ne s’en offenseront point. Car cette particularité de leur vie a été marquée, afin que les autres évitassent l’orgueil qui les gagnait quelque peu. Pourquoi donc vouloir vous lever avant la lumière? « C’est chose vaine pour vous ». Vous voulez être élevés avant d’avoir été humiliés? Mais votre Seigneur lui-même, qui est votre lumière, ne s’est élevé à la gloire que par les abaissements,
1.
Matth. XV, 22.— 2. Id. XV, 23.— 3. Id. XIX, 28.— 4. Jean, IV,6.— 5.
I Cor. I, 25.— 6. Ps. CXXXVIII, 2.
Ecoutez saint Paul qui nous dit: « Etant dans la nature de Dieu, il n’a pas cru qu’il y avait usurpation à se dire égal à Dieu ».
Pourquoi n’y avait-il point usurpation pour lui? Parce qu’il l’était par nature, et que sa naissance le faisait égal à celui qui l’engendrait. Mais qu’a-t-il fait? « Il s’est anéanti lui-même à cause de nous, prenant la forme de l’esclave, se rendant semblable aux hommes, et reconnu homme par tout ce qui a paru de lui». Il s’est donc humilié en se rendant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. Voilà comme il s’est assis. Ecoute comme il s’élève: « C’est pourquoi Dieu l’a élevé, et lui a donné un nom au-dessus de tout nom ». Déjà vous vous hâtez d’accourir à ce nom glorieux. « Levez-vous » donc, mais
« quand vous vous serez assis ». Vous voulez vous lever, commencez par vous asseoir; et c’est en vous relevant de votre humiliation que vous arriverez au royaume. Ravir tout d’abord le royaume, c’est tomber avant le lever. « Pouvez vous boire le calice que je boirai moi-même », dit le Sauveur? « Nous le pouvons », répondent les disciples. Et le Sauveur: «Vous boirez à la vérité mon calice, mais une place à ma droite ou à ma gauche, il n’est pas en mon pouvoir de vous la donner, elle appartient à ceux à qui mon Père l’a préparée 2 ». Qu’est-ce à dire: « Il n’est pas en mon pouvoir de vous la donner? » Il ne m’appartient pas de la donner à des orgueilleux; car voilà ce qu’ils étaient encore. Mais si vous voulez recevoir, ne soyez plus ce que vous êtes. « Elle est préparée pour d’autres »; soyez autres, et elle sera préparée pour vous. Comment: Soyez
autres? Commencez par vous humilier, vous qui voulez être élevés. Ils comprirent que l’humilité leur serait avantageuse, et ils se corrigèrent. Ecoutons donc à notre tour ce que nous dit le psaume: « Levez-vous après vous être assis ».
6. Pour nous empêcher de croire que « s’asseoir » est pris ici dans un sens d’honneur, et nous persuader que cette expression n’a ici d’autre signification que l’abaissement; pour nous convaincre que ce n’est péint là une injonction de s’asseoir pour juger, ou pour être à table et se réjouir, ce qui fournirait une occasion d’orgueil, le Prophète nous montre qu’il s’agit d’humilité, quand il dit:
1.
Philipp. II, 8-9. — 2. Matth. XX, 22, 23.
« Vous qui mangez un pain de douleur». Mais ceux-là mangent un pain de douleur, qui gémissent dans cet exil, qui sont dans la vallée des pleurs. Or, Dieu a fait des ascensions dans notre coeur. Où a-t-il disposé ses ascensions? « Dans notre cœur1 », dit le Psalmiste? Qui les a disposées? Dieu. C’est pourquoi ceux-là chantent les cantiques des degrés, qui ont des ascensions dans le coeur. Humilions-nous en cette vie et montons. Comment monter? Par le coeur. C’est le coeur qui monte, qui s’élève de la vallée des larmes. Oui, de la vallée des larmes, est-il dit. De même que les montagnes s’élèvent, les vallées s’abaissent; car ou appelle vallées les lieux bas de la terre, les collines sont des lieux plus élevés, moins toutefois que les montagnes, car on appelle ainsi les points les plus élevés de la terre. C’est peu encore; le Prophète ne dit point: Elevez-vous d’une colline; ni: Elevez-vous d’une campagne; mais bien, du fond d’une vallée, pour exprimer quelque chose de plus bas encore qu’une campagne, Si donc c’est dans la vallée des larmes que tu manges un pain de douleur en disant: « Mes larmes sont pour moi un pain le jour et la nuit, pendant qu’on me dit tous les jours: Où est ton Dieu 2? » tu as raison de te lever, puisque tu as été assis.
7. Et comme si nous demandions: Quand nous lèverons nous? on nous commande maintenant de nous asseoir; car la résurrection sera pour nous comme elle a été pour le Seigneur. Quand vint celle du Seigneur? Regarde bien celui qui t’a précédé. Car si tu n’as les yeux sur lui,c’est en vainque tu te lèves avant la lumière. Quand donc a-t-il été élevé? Après sa mort. De même donc, n’espère ton élévation qu’après ta mort, ne mets ton espérance qu’après la résurrection des morts, puisque le Christ est ressuscité et monté au ciel. Mais où donc a-t-il dormi? Sur la croix. Quand il dormait sur la croix, il était une figure, ou plutôt il accomplissait ce qui avait été figuré en Adam. Car ce fut quand Adam dormait que Dieu lui tira une côte dont il fit Eve 3 de même, pendant que le Seigneur dormait sur la croix, une lance lui ouvrit le côté 4, et il en découla les sacrements dont l‘Eglise est formée, Car l’Eglise est pour le Seigneur une épouse tirée de son côté, comme Eve fut tirée du côté d’Adam. Mais de même que la première ne
1.
Ps. LXXXIII, 6,7.— 2. Id. XLI, 4. — 3. Gen. II, 21,22.— 4. Jean, XIX, 31.
fut tirée d’Adam que pendant son sommeil, la seconde ne fut tirée du flanc du Christ qu’après sa mort. Si donc il ne peut ressusciter sans avoir passé par la mort, voudrais-tu donc être élevé en gloire sinon après cette vie? Que ce psaume donc te donne une leçon, et comme si tu demandais: Quand ressusciterai-je? Sera ce avant de m’être assis? « Ce sera», nous dit-il, «quand il aura envoyé le sommeil â ses bien-aimés ». Dieu nous fera donc cette faveur quand ses bien-aimés, ou ceux du Christ, ressusciteront. Tous se lèveront en effet, mais tous ne se lèveront pas comme ses bien-aimés. Tous doivent ressusciter; maisque vous dit l’Apôtre? « Nous ressusciterons tous à la vérité, mais nous ne serons pas tous changés 1 ». Les uns ressuscitent pour le supplice, tandis que nous ressuscitons comme Notre Seigneur est ressuscité, afin de suivre notre chef si nous sommes véritablement ses membres. Mais si nous sommes ses membres,nous sommes alors ses bien aimés, et alors nous aurons part à cette résurrection qui a d’abord paru dans le Fils de Dieu. La lumière s’est levée avant nous, et nous nous lèverons après elle; car c’est vainement que nous nous lèverions avant le jour, que nous chercherions la grandeur avant la mort. puisque le Christ, notre lumière, n’a été qu’après sa mort glorifié dans sa chair. Etant donc devenus ses membres, et parmi ses membres, ceux qu’il aime, quand nous aurons pris notre sommeil, alors nous nous lèverons par la résurrection des morts. Lui seul est ressuscité pour ne plus mourir. Lazare ressuscita 2, mais pour mourir de nouveau; la fille du chef de la synagogue ressuscita 3, mais pour mourir; le fils de la veuve ressuscita 4, mais Polir mourir; le Christ est ressuscité pour ne plus mourir. Ecoute l’Apôtre: « Jésus-Christ ressuscitant d’entre les morts ne meurt plus, la mort n’a plus d’empire sur lui 5». Espère une semblable résurrection, et sois chrétien dans ce seul but, mais non pour le bonheur de cette vie. Car si tu es chrétien seulement pour le bonheur de cette vie, tandis que delui qui est ta lumière n’a point cherché ce bonheur, tu prétends te lever avant la lumière, et tu demeureras nécessairement dans les ténèbres. Change donc tes pensées, suis ta lumière; lève-toi, parce qu’elle s’est levée;
1.
I Cor. XV, 51.— 2. Jean, XI, 41. — 3. Matth. IX, 25. — 4. Luc, VII, 15. — 5. Rom. VI, 19.
mais assieds-toi d’abord, tu te lèveras ensuite, « quand le Seigneur aura donné le sommeil à ses bien-aimés ».
8. Comme si tu demandais à quel bien-aimé? « voilà », dit le Prophète, « que des enfants sont l’héritage du Seigneur, le fruit des entrailles aura sa récompense 1 ». Quand il dit « Le fruit des entrailles », il entend des fils enfantés avec douleur. Il est une femme en qui s’accomplit spirituellement ce qui est dit à Eve: « Tu enfanteras dans les gémissements 2 ». L’Eglise, qui est l’épouse du Christ, lui donne des enfants, et pour elle, enfanter, c’est enfanter dans la douleur. C’est pour cela que Eve a reçu le nom figuratif de « mère des vivants 3», Il était parmi les membres de celle qui enfante, celui qui disait « Mes petits enfants, que je mets au monde une seconde fois, jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous 4 ». Mais ce n’est point en vain qu’elle enfante et qu’elle souffre, elle verra la lignée des saints à la résurrection, elle verra les justes répandus aujourd’hui dans l’univers entier. Elle les forme par ces gémissements, les enfante par ses douleurs; mais à la résurrection des morts on verra ces enfantements de l’Eglise, et il n’y aura plus ni douleurs ni gémissements. Et que dira-t-on alors? « Des enfants, tel est l’héritage du Seigneur, et la récompense sera pour le fruit des entrailles ». C’est le fruit qui aura la récompense, et non pas qui sera la récompense 5. Quelle est cette récompense? De ressusciter d’entre les morts. Quelle est cette récompense? De se lever après s’être assis. Quelle est cette récompense? De goûter la joie après avoir mangé le pain de la douleur. Le fruit de quelles entrailles? De l’Eglise; c’est dans ces entrailles de l’Eglise que l’on voit ce qui arriva jadis en figure à Rébecca, deux jumeaux ou deux peuples en lutte 6. Le sein d’une seule mère renfermait deux frères qui se faisaient la guerre avant de naître: ils agitaient par leurs discordes imitestines les entrailles maternelles; et leur mère gémissait et souffrait violence; mais en les mettant au monde, elle fit un discernement entre les jumeaux qu’elle avait portés. Ainsi, mes frères, en est-il aujourd’hui de l’Eglise qui est dans les gémissements pendant qu’elle enfante; elle porte dans son sein les bons et
1.
Ps. CXXVI, 3.— 2. Gen. III, 16.— 3. Id. 20. — 4. Gal. IV, 19.— 5. Grec, tou
karpou. — 6. Gen, XXV, 22, 23.
les méchants. Le fruit des entrailles, pour Rébecca, fut Jacob qu’elle aima. « J’ai aimé Jacob », dit le Seigneur, « et haï Esaü 1»
Tous deux étaient sortis du même sein: l’un mérite d’être aimé, l’autre d’être rejeté. C’est ainsi que le fruit sera pour les bien-aimés; que la récompense sera pour le fruit des entrailles.
9. « Comme les flèches dans la main d’un homme puissant, ainsi seront les enfants de Dieu qu’on aura secoués 2 ». D’où est venu en effet, mes frères, ce grand héritage? D’où est venue cette postérité si nombreuse, dont le psaume vient de nous dire: « Des enfants, c’est un héritage qui vient du Seigneur; la récompense sera pour le fruit des entrailles? »
Comme on lance des flèches, le Seigneur a lancé quelques hommes de sa main puissante, et ils sont allés au loin, et ont rempli toute la terre, où germent les saints en grand nombre. Tel est en effet l’héritage dont il est dit: « Demande-moi, et je te donnerai les nations de la terre pour ton héritage, et les confins de la terre pour ton empire 3 ».
Comment cette possession peut-elle s’étendre et s’accroître jusqu’aux confins de la terre? C’est que, « comme sont les flèches dans la main d’un puissant, tels sont les fils de ceux qu’on a lancés ». On lance des flèches avec un arc; plus est grande la force qui lance, et plus la flèche va loin. Or, quelle force est plus grande que celle de Dieu, lequel lance les flèches? C’est de son arc qu’il lance les Apôtres et il n’est pas demeuré un coin de terre où n’ait pénétré la flèche lancée par un tel bras, elle est arrivée aux derniers confins du monde. Elle n’a pas été plus avant, parce que l’homme n’était point au delà. Telle est en effet la force de Dieu, que s’il y avait au-delà du monde quelque endroit où sa flèche pût pénétrer, il y jetterait une flèche. Or, les fils de ceux qu’il a lancés ressemblent à leurs pères. Quelques auteurs qui ont expliqué les psaumes avant nous, se sont demandé, à propos de cette expression: Pourquoi dire les fils de ceux qu’on a lancés, ou que doit-on entendre par ces fils de ceux qu’on a lancés; et plusieurs ont vu dans les fils de ceux qu’on a lances les fils des Apôtres, comme je viens de le dire.
10. Que votre charité veuille bien m’écouter encore un peu. On a demandé comment
1. Malach. I, 2, 3; Rom. IX, 13.— 2. Ps. CXXVI, 4.—. 3. Id. II, 8.
les Apôtres sont des hommes secoués, et quelques-uns répondent qu’ils sont ainsi appelés, parce que le Seigneur leur fit cette injonction: « Si vous sortez d’une ville qui ne vous aura point écoutés, secouez la poussière de vos pieds 1 ». Mais, dit un autre, on aurait dû les appeler fils de ceux qui secouent, et non fils de ceux qui sont secoués. Car en leur disant: Secouez la poussière de vos pieds, le Seigneur nous montre que les Apôtres secouaient plus qu’ils n’étaient secoués. Celui qui a traité ce passage et parlé de la sorte, a mis trop de subtilité à le mettre en contradiction avec le mot de l’Evangile. Pour nous, en examinant, autant que le Seigneur nous en a donné la force, comment l’on peut dire qu’ils sont secoués ces hommes à qui le Seigneur a dit: « Secouez la poussière de vos pieds »; nous croyons qu’on peut le faire sans absurdité. Bien qu’ils secouassent leurs pieds, ils se secouaient eux-mêmes. Voyez en effet: celui qui secoue, se secoue lui-même, ou bien secoue autre chose; s’il secoue autre chose, il fait l’action de secouer sans être lui-même secoué; qu’un autre le secoue, il est secoué sans secouer; mais qu’il vienne à se secouer lui-même, il secoue, puisqu’il en fait l’action sur lui-même; il est secoué, puisque lui-même se secoue. Mais qui donc, dira-t-on, a été secoué par les Apôtres? Eux-mêmes; puisqu’ils ont secoué la poussière de leurs pieds. Mais ce n’est point eux-mêmes qu’ils ont secoués, c’est la poussière, dira-t-on. C’est là une supercherie, Secouer quelque chose se dit en effet de deux manières: ou de l’objet secoué, ou de ce que l’on en a fait sortir. On dit en effet, secouer la poussière, et secouer un manteau. Voilà un homme qui tient son manteau, qui le secoue, et il en sort une poussière qu’il contenait. Que diras-tu de cette poussière? qu’on l’a secouée. Que diras-tu du manteau? qu’on l’a secoué. Si donc l’on désigne par l’expression secoué, et ce que l’on fait sortir d’un manteau en le secouant, et ce manteau d’où on le fait sortir, alors la poussière a été secouée, et les Apôtres ont été secoués. Pourquoi donc les fils des Apôtres ne s’appelleraient ils pas les fils de ceux qu’on a secoués?
11. Mais il est un autre sens que je ne dois point passer sous silence. Dieu a permis des passages obscurs, afin qu’ils donnent lieu à
1.
Matth. X, 14.
plusieurs explications, afin que les hommes en soient plus instruits, puisqu’ils trouvent expliqué en plusieurs manières un passage obscur, qui ne l’eût été que d’une seule, s’il eût été clair. Nous disons que l’on secoue une chose pour en faire sortir ce qui
pourrait y être caché. Il y a une différence entre secouer une robe, afin d’en faire sortir la poussière, et secouer un sac pour en faire sortir ce qu’il renferme. Autant que je le puis, j’entends donc par les fils de ceux qui ont été secoués, les Apôtres eux-mêmes, qui sont les fils des Prophètes. Car les Prophètes tenaient renfermés bien des mystères, et ils ont été secoués, afin que tout ce qui était caché dans leurs écrits fût mis au grand jour. Ainsi, par exemple, voilà un Prophète qui a dit: « Le boeuf connaît son maître, l’âne l’étable de son Seigneur, et Israël ne m’a point connu 1 ». Je cite cette parole du Prophète, parce qu’elle me vient maintenant à l’esprit; il m’en viendrait une autre, que je la citerais également. Qu’un homme, entendant cette parole, arrête sa pensée sur l’âne, sur le boeuf, sur les animaux qu’il a sous les yeux; le voilà qui touche au dehors une écorce renfermant quelque mystère, tuais il ne sait ce qu’elle contient. L’âne et le boeuf ont un sens caché. Que dit-on à celui qui se prononcerait d’une manière trop hâtive? Attends, il y a là quelque mystère, secoue l’enveloppe; le Prophète s’en est servi pour voiler sa pensée; et il veut parler de tout autre âne, de tout autre boeuf. En effet, l’âne est ici la figure du peuple de Dieu, de la monture du Seigneur, portant ce Dieu qui le guide, afin qu’il ne s’égare pas en chemin; et le boeuf est celui dont l’Apôtre a dit: « Tu ne lieras point la bouche au boeuf qui foule le grain ». Dieu se met-il en peine des boeufs 2? a dit le même Apôtre. C’est pour nous que l’Ecriture parle ainsi. Quiconque, en effet, prêche la parole de Dieu, avertit, effraie, stimule; c’est là fouler le grain, faire dans l’Eglise comme le boeuf dans l’aire. Le boeuf venait du peuple juif, d’où sont sortis les Apôtres qui ont prêché l’Evangile: l’âne, du peuple incirconcis, ou des Gentils. Car il est venu pour porter le Seigneur; et si le Seigneur a voulu s’asseoir sur un âne qui n’avait porté nul autre homme, c’est parce que ni la loi ni les Prophètes n’avaient été envoyés aux Gentils. Donc parce
1. Isa, I, 3. — 2. I Cor. IX, 9,
10.
que Notre Seigneur Jésus-Christ a voulu être pour nous une nourriture, et qu’à sa naissance il fut mis dans une crèche: « Le boeuf connaît son maître, et l’âne l’étable de son possesseur ». Mais comment trouver un tel sens, sinon en secouant l’enveloppe? Si l’on n’agitait avec soin ces prophéties, pourrait-on en découvrir les mystères? Le Seigneur est donc venu pour secouer ces énigmes, pour nous en montrer le sens; il a secoué les Prophètes qui ont engendré les Apôtres; et parce que les Apôtres sont issus des Prophètes qui étaient secoués, oit les appelle fils de ceux que l’on a secoués. Placés comme des flèches dans la main d’un homme puissant, ils sont arrivés jusqu’aux confins de la terre. De là cette Parole à la fin des temps: « Des enfants, voilà l’héritage du Seigneur, la récompense sera pour le fruit des entrailles». Et comme cet héritage est recueilli de tous les confins de la terre, comme les enfants de ceux que l’on a secoués ressemblent à des flèches dans la main d’un homme puissant, les fils des Prophètes, ou les Apôtres, ont été comme des flèches dans la main de Dieu. S’il est puissant, il secoue avec force; s’il secoue avec force, il envoie jusqu’aux confins de la terre ceux qu’il lui plaît de lancer.
12. « Bienheureux l’homme qui, par eux, remplit ses désirs 1 ». Quel est, mes frères, cet homme qui remplit ainsi ses désirs? Celui qui n’alune point le monde. Quiconque est absorbé par l’amour du monde, ne trouve aucune place pour la parole de ces prédicateurs. Répands ce qui t’absorbe, et tu deviendras capable de recevoir ce qui te manque. C’est-à-dire, est-ce la richesse que tu convoites? Tu ne pourras, par eux, remplir tes désirs. Tu veux les honneurs sur la terre, tu veux même ce que Dieu a donné aux bestiaux, c’est-à-dire le plaisir qui passe, la santé du corps, et autres biens semblables; par eux tu ne combleras point tes désirs. Mais situ as des désirs, comme ceux du cerf altéré qui brame après l’eau des fontaines 2; si tu dis, toi aussi: « Mon âme aspire après les parvis du Seigneur, elle languit de désir 3»; ton désir sera comblé, non que ces mêmes saints puissent dès aujourd’hui rassasier ta soif, mais en suivant leurs traces, tu arriveras à celui qui a comblé leurs désirs.
13. « Il ne sera point confondu quand il
1.
Ps. CXXVI, 5. — 2. Id. LI, 2. — 3. Id. LXXXIII, 3.
parlera à ses ennemis à la porte 1 ». Mes frères, parlons à la porte, c’est-à-dire, que tous comprennent nos paroles. Quiconque ne veut point parler à la porte, veut cacher sa parole, et souvent la veut cacher parce qu’elle est mauvaise. S’il a confiance dans ce qu’il dit, qu’il le dise à la porte; ainsi qu’il est écrit de la Sagesse: « Elle parle hardiment aux portes de la cité 2». Tant que des hommes innocents conservent la justice, ils ne craignent point de parler; c’est là parler à la porte, publiquement. Or, qui est-ce qui prêche à la porte? Celui qui prêche en Jésus-Christ, puisque le Christ est la porte par laquelle nous entrons dans la cité. Qu’on m’accuse de mensonge, s’il n’a pas dit: « Je suis l’entrée 3 ». Si donc il est l’entrée, il est la porte. Car l’entrée se dit d’une maison, et l’entrée d’une cité en est la porte, comme l’entrée d’une maison en est la porte. A moins peut-être que le mot porte ne soit impropre, et que l’on ne puisse pas appeler ville ce qui est appelé aussi une maison. Mais nous avons employé ces deux termes tout à l’heure: « Si le Seigneur ne construit une maison, c’est en vain que travaillent ceux qui la construisent »; et pour que tu ne regardes pas cette maison comme peu importante, le Prophète ajoute: « Si le Seigneur ne garde une cité, c’est en vain que veilleront ses gardiens ». Donc la maison est encore la cité. Comme maison elle a donc une entrée; et une porte comme cité. Celui-là dès lors est la porte de la cité, qui est l’entrée de la maison. Donc, si le Christ est la porte de la cité, celui qui demeure ferme en Jésus-Christ, et qui ensuite parle aux hommes, n’a point à rougir; quant à l’homme qui parle contre le Christ, la porte lui est fermée. Quels sont les hommes qui prêchent contre le Christ? Ceux qui nient que le Tout-Puissant ait lancé ses flèches, et qu’elles soient arrivées jusqu’aux confins de la terre; et que l’héritage du Seigneur soit celui dont il est dit: « Demande-moi et je te donnerai les nations pour héritage, et les confins de la terre pour ta possession 4 ». Voilà ce qui a été prêché, entendu avant l’événement, et quand il est accompli on ne veut point le reconnaître. Ceux qui disputent contre le Christ sont hors de la porte, parce qu’ils recherchent les honneurs pour eux, non pour le Christ. Mais l’homme qui prêche à la porte
1. Ps. CXXVI, 5. — 2. Prov. VIII, 3. — 3. Jean, X, 9. — 4. Ps. II,
8.
cherche la gloire du Christ, et non sa propre gloire; aussi celui qui prêche à la porte dit-il: Gardez-vous de compter sur moi, car ce n’est point par moi, mais par la porte qu’il vous faut entrer. Quant à ceux qui veulent s’attirer la confiance des hommes, ils ne veulent point entrer par la porte, et rien d’étonnant dès lors que cette porte leur soit fermée, et qu’ils frappent en vain pour se la faire ouvrir. Renouvelez donc votre ferveur, mes frères, pour entendre demain le discours que je vous ai promis avec le secours de Dieu au sujet de l’Evangile qui parle de la colombe. Celui au nom duquel je vous l’ai promis, m’assistera de sa grâce, afin que je puisse m’acquitter. Mais. pour que je dégage ma parole d’une manière utile, et que je n’aie pas été téméraire, priez pour moi.
SERMON AU PEUPLE, PRÊCHÉ LE JOUR DE SAINT FÉLIX,
MARTYRISÉ A TUNIS, NON LOIN D’HIPPONE.
Les biens que promet notre psaume paraissent des biens temporels, et sont souvent le partage des impies. Toutefois, si ces biens étaient véritablement temporels et qu’on les prêchât comme la récompense du fidèle, ils nous feraient perdre l’amour des biens éternels. Ce psaume est donc une allégorie. L’homme béni, c’est le Christ dont nous sommes les membres; ces biens sont ceux de la Jérusalem céleste, réservés à ceux qui sont au Christ. Le bonheur de cette vie n’est donc point un bonheur véritable, de même que les douleurs des martyrs n’étaient point sans espérance, et ils ne méprisaient le présent qu’en vue de l’avenir.
Ecoutons donc le psaume avec une crainte chaste, c’est-à-dire avec cette crainte peu soucieuse du mal temporel, mais qui commence par redouter les châtiments éternels, s’habitue à éviter le péché et à pratiquer le bien par amour pour l’éternité; c’est la crainte de l’épouse chaste qui craint que l’époux ne vienne point, opposée à la crainte de l’épouse adultère qui craint d’être surprise. Or l’époux, qui est beau seulement aux yeux du coeur, est absent, et si nous désirons qu’il vienne pour nous juger, notre crainte est chaste. Que Dieu nous assure le bonheur temporel à condition que nous ne verrons point sa face, si nous tremblons, notre crainte est déjà chaste.
Bienheureux ceux qui craignent le Seigneur, ou le Christ dont nous sommes les membres. Nous mangerons les travaux de nos fruits; c’est-à-dire, en travaillant pour recueillir le fruit qui est la vie éternelle, nous trouverons une nourriture dans l’espérance. C’est un pain de douleur, mais qui n’est pas sans délices. L’épouse féconde c’est l’Eglise, et les parois de la maison ceux qui s’attachent au Christ. Ce fut du côté d’Adam, que fut tirée Eve, comme l’Eglise du côté du Christ. Elle est féconde dans ceux qui s’attachent au Christ, et qui sont comme sou épouse, comme sa mère, tandis qu’il a, dans ceux que l’Eglise enfante, comme des frères et des soeurs Ces fils seront comme des oliviers, ou pacifiques. Voilà les bénédictions, mais de Sion; quant aux biens temporels, Dieu les donne aussi aux animaux ces biens ne sont pas en quelque sorte, puisqu’ils ne demeurent point. Nous les verrons de l’oeil de l’âme, qui voit même séparée du corps. Ces biens s’acquièrent par la patience dans la persécution, et se résument dans la paix de la véritable Jérusalem.
1. Voici, mes bien-aimés, une parole de l’Apôtre: « Nous communiquons les biens spirituels aux hommes qui vivent selon l’Esprit; mais l’homme animal ne comprend point les choses qui sont selon l’esprit de Dieu 1 »; cette parole nous fait craindre que ceux qu’il appelle ainsi, et qui ne comprennent point ce qui vient de l’esprit de Dieu, ne soient scandalisés plutôt qu’édifiés par notre psaume. Quoique nous l’ayons déjà entendu quand on le chantait, je veux néanmoins, comme il est court, le lire en courant et sans
1. I
Cor. II, 13, 14.
m’y arrêter pour l’expliquer. Voyez bien ce qu’il contient. Si un homme souhaitait comme un grand bonheur les biens dont il est parlé dans ce psaume, et que le Seigneur les lui refusât, non par abandon, mais par un plus grand amour pour lui; et ces mérites biens que notre psaume promet comme la récompense de ceux qui aiment le Seigneur, s’il les voyait en abondance entre les mains de ceux qui ne le craignent pas, ses pieds alors chancelleraient, sa marche serait peu assurée, et il dirait dans son âme qu’en vain il a craint le Seigneur, puisqu’il n’a pas mérité d’obtenir (69) ces biens promis à ceux qui le craignent; tandis que ceux-là les obtiennent, qui non seulement ne le craignent point, mais le déshonorent par leurs blasphèmes. Ecoutez ce que dit le psaume « Bienheureux ceux qui craignent le Seigneur, qui marchent dans sa voie: tu mangeras les travaux de tes fruits, tu seras heureux et comblé de tous biens 1 ». Quoique nous soyons charnels, nous pouvons encore ne voir dans ces paroles que des biens célestes; mais voyons la suite: « Ta femme sera dans ta maison comme une vigne féconde, tes enfants comme de jeunes oliviers environnant ta table. Ainsi sera béni l’homme qui craint le Seigneur 2 ». Comment sera-t-il béni? Parce que sa femme sera dans sa maison comme une vigne féconde, et que ses enfants seront autour de sa table comme des oliviers nouvellement plantés. Mais perdront-ils donc leur récompense, ceux qui ont renoncé aux épousailles à cause de Dieu? Un homme qui a renoncé au mariage s’est dit: Dieu aura pour moi d’autres bénédictions. Point du tout, ou bien il le bénira comme le dit notre psaume, ou ne te bénira aucunement; car la décision est formelle: « C’est ainsi que sera béni l’homme qui craint le Seigneur ».
2. Quel est donc, mes frères, le sens de ces promesses? de peur qu’en recherchant un bonheur temporel et terrestre, nous ne perdions celui du ciel. Le Prophète recouvre sa pensée d’un voile, et ce voile renferme je ne sais quoi. Or, votre charité se souvient qu’en exposant le psaume qui précède immédiatement celui-ci, nous avons rencontré un verset où il est dit: « Comme des flèches dans la main d’un puissant, ainsi les enfants de ceux qu’on a secoués 3»,et qu’en cherchant quels pouvaient être ces enfants des secoués, il nous a paru, d’après l’inspiration de Dieu, je le crois, que ces fils des secoués étaient les Apôtres fils des Prophètes. Ces prophètes en effet nous ont parlé en énigmes, et ont voilé leurs pensées de figures mystérieuses, qui en sont comme l’enveloppe; et les hommes n’en peuvent pénétrer le sens à moins de secouer ces voiles; de là vient que ce nom « fils des secoués », a été donné aux Apôtres, qui ont tiré leur avantage des Prophètes qu’ils secouaient. Donc nous aussi, secouons notre psaume, de peur que, trompés par les
1.
Ps. CXXVII, 1, 2.— 2. Id. 3, 4.— 3. Id. CXXVI, 4.
apparences, et en touchant sans le voir ce qu’elles recouvrent, nous ne prenions du bois pour de l’or, ou un vase de terre pnur de l’argent. Secouons donc, s’il plaît à votre charité; Dieu nous viendra en aide, nous découvrira ce qui est à l’intérieur; faisons-le d’atitant plus, mes frères, que nous célébrons une fête des martyrs. Quelles n’ont pas été les douleurs des martyrs, leurs tourments, leurs afflictions; quelles prisons infectes, quelles chaînes pesantes; combien de bêtes féroces, de flammes ardentes, d’atroces injures! Eussent-ils enduré tout cela, s’ils n’eussent vu ce je ne sais quel but où ils tendaient, et qui n’a rien de commun avec la félicité d’ici-bas? Or, il serait honteux pour nous de célébrer la fête des martyrs, de ces serviteurs de Dieu qui ont méprisé ce bas monde pour le bonheur éternel, et de prendre dans le sens d’une félicité temporelle ce que dit notre psaume, et de dire en voyant un fidèle serviteur de Dieu, un citoyen de la Jérusalem céleste engagé dans le mariage, mais sans avoir d’enfants: C’est là un homme qui ne craint pas le Seigneur, car s’il craignait Dieu, son épouse serait dans sa maison comme une vigne féconde, elle ne serait point stérile au point de n’en avoir aucun; si cet homme craignait Dieu, ses enfants environneraient sa table comme de jeunes oliviers. Tenir ce langage, ce serait être charnel, et ne pas comprendre ce qui vient de l’Esprit de Dieu; secouons donc à notre tour, afin de devenir les enfants de ceux que l’en a secoués. Si nous y arrivons, nous serons comme des flèches dans la main d’un puissant; et par ses préceptes il nous lancera dans le coeur des hommes qui ne l’aiment point encore, afin que, blessés de la parole de Dieu, ils commencent à l’aimer. Car si nous en venions àleur prêcher: Mes frères, mes enfants, craignez le Seigneur, afin d’avoir des fils et des petits-fils, et de mettre ainsi la joie dans vos maisons, nos flèches ne les blesseraient point de l’amour de la Jérusalem éternelle; ils demeureraient dans l’attachement aux biens terrestres, et à la vue de l’abondance des impies, ils nous diraient, sinon ouvertement, du moins dans leur intérieur: Pourquoi donc la maison de l’homme qui ne craint pas le Seigneur, est-elle pleine d’enfants? Quelqu’un lui dira peut-être: Tu ne sais pas encore ce qui peut lui arriver; que dirais-tu,
s’il les perdait l’un après l’autre, parce qu’il ne craint pas le Seigneur, et s’il n’avait un si grand nombre d’enfants que pour ressentir de leur perte une douleur plus vive? Mais à ce propos, il pourrait répliquer: Je connais un homme impie, un païen, un sacrilège, un idolâtre (et peut-être qu’il dirait vrai, qu’il n’en connaît pas un, mais deux, mais trois), et cet homme est mort dans une grande vieillesse, dans la décrépitude, et dans son lit, et une foule d’enfants et de petits-enfants le conduisaient au tombeau. Voilà un homme qui ne craignait point le Seigneur, et une postérité nombreuse lui fermait les yeux. Que répondre à cela? Il ne peut plus arriver aucun malheur à cet homme, il ne saurait vivre et conduire ses enfants au tombeau, puisqu’il est mort, et que ses enfants lui ont fait de glorieuses funérailles.
3. Secouons donc, secouons encore, si nous voulons être les fils de ceux qu’on a secoués. Qu’il sorte quelque chose de ces voiles. Il est en effet un homme béni, comme le dit le Prophète; et nul ne craint le Seigneur s’il n’est membre de cet homme; et ce sont plusieurs hommes qui n’en forment qu’un seul, comme il y a plusieurs chrétiens en un seul Christ. Or, les chrétiens avec leur chef qui est monté aux cieux, ne forment qu’un seul Christ. Il n’est point seul, et nous plusieurs; mais quoique plusieurs, nous sommes un en lui seul. Jésus-Christ donc n’est qu’un seul homme comprenant la tête et les membres. Qu’est-ce que son corps? Son Eglise, d’après cette parole de l’Apôtre « Nous sommes les membres de son corps 1»; et aussi: « Vous êtes le corps de Jésus Christ, ainsi que ses membres 2 ». Comprenons donc ici la voix de cet homme, dans le corps duquel nous sommes un seul homme, et nous y verrons les biens de la Jérusalem céleste, comme il est dit à ta fin du psaume « Puisses-tu voir les biens de Jérusalem ! » Car si nous regardons ces biens d’un oeil terrestre, comme le grand nombre des enfants et des petits-enfants, la fécondité d’une épouse, tels ne sont pas les biens de cette Jérusalem; ces biens sont dans la terre des mourants, tandis que l’autre terre est celte des vivants. Ce n’est donc pas un bien pour toi, d’avoir des fils qui doivent mourir, sinon avant toi, certainement après toi. Veux-tu avoir des
1. Ephés. V, 30. — 2. I Cor. XII,
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enfants qui ne mourront point, qui vivront toujours avec toi? Sois dans le corps de celui dont il est dit: « Vous êtes le corps du Christ et ses propres membres.
4. C’est pour cela que notre psaume, d’ailleurs si obscur qu’il faut heurter à la porte, si voilé qu’il faut le secouer, commence au pluriel: « Bienheureux ceux qui craignent le Seigneur, qui marchent dans ses voies 1 ». Il parle tout d’abord à plusieurs; mais parce qu’ils ne sont qu’un en Jésus-Christ, il continue au singulier: « Tu mangeras les travaux de tes fruits ». Il avait dit plus haut: « Bienheureux ceux qui craignent le Seigneur, qui marchent dans ses voies »; maintenant, pourquoi dit-il: « Tu mangeras les travaux de tes fruits », et non, vous mangerez? Et pourquoi « les travaux de tes fruits », et non, les travaux de vos fruits?A-t-il donc sitôt oublié qu’il vient de parler au pluriel? Mais si tu as secoué celte écorce, que répond le Prophète? Quand je nomme plusieurs chrétiens, je n’entends qu’un seul homme en Jésus-Christ. Vous êtes donc plusieurs, et vous n’êtes qu’un seul. Comment sommes-nous plusieurs, et néanmoins un seul? Parce que nous sommes unis à Celui dont nous sommes les membres, et que notre tête est dans le ciel, afin que ses membres suivent.
5. Que le Prophète nous décrive donc maintenant, puisque nous connaissons celui qu’il va décrire. Tout le reste s’éclaircira: seulement craignez le Seigneur et marchez dans ses voies; ne soyez point jaloux de tout homme qui, sans marcher dans les mêmes voies, jouit d’une félicité malheureuse. Car les hommes du monde sont heureux pour leur malheur; tandis que les martyrs souffraient pour leur bonheur. Leur douleur n’était que pour un temps, leur bonheur pour l’éternité, et lors même qu’ils étaient malheureux pour un temps, on les croyait plus malheureux encore qu’ils ne l’étaient réellement. Que dit en effet l’Apôtre? « Nous paraissons tristes, et nous sommes toujours dans la joie 2 ». Pourquoi « toujours? » En cette vie et en l’autre; oui, en cette vie et eu l’autre. D’où vient en effet notre joie ici-bas? de l’espérance. D’où nous viendra-t-elle en l’autre vie? de la réalité. C’est une grande joie que l’espérance d’un homme qui est dans la joie. Mais si e nous nous réjouissons dans
1.
Ps. CXXVII, 1. — 2. II Cor, VI, 10.
la joie », voyez ce qui suit: « Patients dans la tribulation 1 ». Les martyrs étaient donc dans la tribulation, parce qu’ils se réjouissaient dans l’espérance. Mais parce que la promesse n’était lias encore réalisée, que dit l’Apôtre? «L’espérance que l’on voit, n’est pas une espérance: si donc nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons par la patience 2 ». Voilà ce qui a aidé les martyrs à endurer tant de maux, c’est qu’ils attendaient par la patience ce qu’ils ne voyaient pas encore. Pour leurs bourreaux, ils aimaient ce qu’ils voyaient; mais les victimes aspiraient à ce qu’elles ne voyaient point encore, elles se hâtaient d’atteindre les biens invisibles. Le retard de la mort était à leurs yeux un délai préjudiciable.
6. Il a donc méprisé le monde, ce Félix dont nous célébrons la fête aujourd’hui, qui a dans son nom et dans sa couronne la véritable félicité. Mais cette félicité lui vint-elle de sa crainte pour Dieu, et fut-il heureux, parce que son épouse fut ici-bas comme une vigne féconde, parce que ses enfants environnaient sa table? Sans doute il a tous ces biens, mais dans le corps mystique de Celui qui est décrit en notre psaume. Et comme il l’a compris de la sorte, il méprise le présent, afin de posséder l’avenir. Mais vous devez savoir qu’il ne souffrit point la mort comme les autres martyrs. Car, après qu’il eut confessé Jésus-Christ, on différa son supplice, et le lendemain on le trouva mort. On avait fermé la porte sur lui, mais pour son corps seulement, non pour son âme. Quand ils se préparaient à le tourmenter, les bourreaux ne le trouvèrent plus, et perdirent toute occasion de sévir. Il était sans vie, privé de sentiment pour toute douleur, mais non point devant Dieu qui le couronnait. Mais s’il aima les biens de cette vie, comment donc, rues frères, est-il feux, ou a-t-il la félicité dans son nom et dans la récompense de la vie éternelle?
7. Ecoutons donc ce psaume, en l’appliquant au Christ, et nous tous qui sommes unis au corps du Christ, et devenus ses membres, marchons dans les voies du Seigneur; ayons pour le Seigneur une crainte chaste, une crainte qui demeure dans le siècle des siècles. Car il y a une autre crainte que bannit la charité, comme le dit saint Jean: « La crainte n’est pas dans la charité, mais la
1.
Rom. XII, 12 — 2. Id. VIII, 21, 25.
charité qui est parfaite, bannit la crainte 1». Il ne dit pas que la charité bannit toute crainte, puisque nous lisons dans un psaume:
« La crainte du Seigneur, quand elle est chaste,subsiste dans les siècles des siècles 2». Donc il est une crainte qui subsiste, et une crainte qui est bannie. Celle qui est bannie n’est point chaste, celle qui demeure est chaste. Quelle est la crainte qui est bannie? Daignez écouter. Les uns craignent uniquement de souffrir quelqu’accident en cette vie, de tomber malades, de subir quelque dommage, de voir mourir un enfant ou un ami, d’encourir l’exil, la condamnation, la prison ou toute autre peine. Voilà ce qui les fait craindre et trembler; mais cette crainte n’est point encore chaste. Allons plus loin. Un autre ne redoute point les maux d’ici-bas, mais il craint cet enfer dont le Seigneur nous menace, comme vous l’avez entendu dans l’Evangile; et « où le ver qui les ronge ne meurt point, où la flamme qui les brûle, ne s’éteindra point 3 ».. Voilà ce qu’entendent les hommes; et comme ces maux arriveront véritablement aux impies, ils craignent, ils s’abstiennent du péché. Ils ont donc la crainte, et cette crainte leur fait évite, le péché. Et cette crainte néanmoins ne leur donne point l’amour de la justice. Toutefois, cette crainte qui les détourne du péché,les habitue û la justice, ils commencent à aimer ce qu’ils trouvaient dur, et Dieu devient doux pour eux: et dès lors l’homme commence à vivre dans la justice, non parce qu’il craint la peine, mais parce qu’il aime l’éternité. La charité donc a banni cette crainte, qui a fait place à une crainte chaste.
8. Quelle est cette crainte chaste? C’est, mes frères, la crainte que l’on nous désigne dans ces paroles: «Bienheureux ceux qui craignent le Seigneur, qui marchent dans ses voies ». Si le Seigneur me fait la grâce de parler dignement de cette crainte chaste, plusieurs d’entre vous pourront bien passer de la crainte chaste aux flammes du chaste amour; et peut-être ne saurais-je me faire comprendre sans une comparaison. Voilà une épouse chaste qui craint son mari, et une épouse adultère qui craint son mari également. L’épouse chaste craint que son mari ne s’éloigne; l’épouse adultère craint qu’il ne vienne. Que le mari de l’une et de l’autre soit absent: l’une craint qu’il ne vienne, l’autre qu’il ne tarde à venir. Or,
1. I
Jean, IV, 18. — 2. Ps. XVIII, 10. — 3. Marc, IX, 43.
Epoux auquel nous avons été fiancés, est ahmt en quelque sorte, il est absent Celui qui eus a donné l’Esprit-Saint pour gage de sa fidélité, absent Celui qui nous a rachetés au prix de son sang; cet Epoux que rien n’égale en beauté, et qui a néanmoins paru souillé entre les mains des persécuteurs, comme le disait tout à l’heure Isaïe: «Nous l’avons vu, et il n’avait ni apparence ni beauté 1». Est-il donc difforme cet Epoux? Point du tout. Comment alors pourraient l’aimer ces vierges qui ont renoncé à tout autre époux sur la terre? Il ne fut donc difforme que pour ses persécuteurs, et s’ils ne l’eussent en effet trouvé difforme, il ne l’eussent point assailli, ni flagellé, ni couronné d’épines, ni déshonoré de crachats; mais comme il avait de la laideur à leurs yeux, ils le traitèrent de la sorte, car leurs yeux n’étaient point capables de voir la beauté du Christ. Pour quels yeux le Christ a-t-il donc une beauté? Quels yeux lui-même recherchait-il, quand il disait à Philippe « Voilà si longtemps que je suis avec vous, et vous ne m’avez point encore vu 2? » Ces yeux doivent être purifiés, afin de voir cette lumière: qu’un faible rayon les touche quelque peu, et pris d’amour pour cette lumière, ils veulent être guéris afin de pouvoir la contempler. Et pour vous montrer qu’il y a une beauté qui nous fait aimer le Christ, le Prophète a dit: « Il surpasse en beauté les enfants des hommes 3 ». Sa beauté éclipse toute beauté humaine. Qu’est-ce que nous aimons dans le Christ? Ses membres cloués à la croix, son côté entr’ouvert, ou son amour pour nous? Quand on nous dit qu’il est mort pour nous, qu’est-ce que nous aimons? Son amour. Il nous a aimés afin que nous lui rendions son amour; et afin que nous puissions le lui rendre, il nous a visités par son Esprit-Saint, Il est donc beau, mais il est absent. Que l’épouse s’interroge et voie si elle est chaste. Nous sommes tous dans son corps, mes frères, tous nous sommes ses membres, et dès lors nous ne formons qu’un seul homme. Que chacun voie de quelle crainte il est animé; de la crainte que bannit l’amour, ou de la crainte chaste qui demeure dans le siècle des siècles. Il l’a vu déjà, et j’ajoute qu’il va le voir encore. L’époux donc est absent, interroge ta conscience. Veux-tu qu’il vienne, ou veux-tu qu’il retarde? Voyez, mes frères, voilà que je
1. Isa. LIII, 2. — 2. Jean, XIV, 9. — 3. Ps. XLIV, 3.
frappe à la porte de vos coeurs; mais c’est lui qui entend votre réponse. Quelle que soit en chacun de vous la réponse de votre conscience, elle ne peut arriver jusqu’à moi, car je suis un homme; mais il l’a entendue, celui qui est absent, il est vrai, puisque nOUS ne le voyons point corporellement, et qui est présent néanmoins par la puissance de sa majesté. Que l’on dise: Voici le Christ, à demain le jugement; hélas! combien peu diraient: Qu’il vienne au plus vite! C’est le langage des coeurs pleins d’amour. Qu’on leur dise au contraire: Il est loin encore, ilt craignent tout délai, parce que leur crainte est chaste. Comme ils craignent maintenant qu’ils ne tarde trop, dès qu’il seravenu, ils craindront qu’il ne s’éloigne. Mais cette crainte sera chaste encore, parce qu’elle sera tranquille et pleine de confiance. Car cet Epoux ne nous abandonne pas aussitôt après nous avoir trouvés, lui qui nous cherchait, avant que nous eussions la pensée de le chercher. Voilà donc, mes frères, le propre de la crainte chaste, elle vient de l’amour. Mais la crainte qui n’est point encore chaste, redoute la présence et les peines. Celui qui en est là, fait par crainte le bien qu’il fait; sans redouter de perdre le souverain bien, il craint de subir le souverain mal. li ne craint point de perdre les saints embrassements de l’Epoux le plus beau, mais il craint d’être jeté dans l’enter. Cette crainte est bonne, sans doute, elle est utile, mais elle ne subsistera point dans les siècles des siècles; elle n’est point encore la crainte chaste qui doit subsister toujours.
9. En quoi donc est-elle chaste? Je vous fais une question qui vous donnera le moyen de vous interroger vous-mêmes. Si Dieu venait nous interroger de sa propre bouche, quoiqu’il ne cesse de nous parler dans les saintes Ecritures, s’il disait à l’homme: Tu veux pécher, pèche à ton gré, fais ce qu’il te plaît; que tout ce que tu aimes sur la terre soit à toi; que l’ennemi que tu veux perdre soit exterminé; que ceux que tu voudras dépouiller soient dépouillés; qu’ils soient frappés ceux que tu voudras frapper, condamnés ceux que tu voudras condamner; à toi, ceux que tu veux avoir; que nul ne te résiste et ne te dise: Que fais-tu? nul: Pourquoi agir de la sorte? nul: Pourquoi as-tu fait cela? Que tous les biens terrestres tarit désirés soient en abondance chez toi, vis paisiblement au (73) milieu d’eux, non pour un temps, mais pour toujours; seulement tu ne verras jamais nia face. D’où vient, mes frères, que cette parole vous fait gémir, sinon parce que vous avez déjà cette crainte qui subsiste éternellement? D’où vint que votre coeur a été frappé à cette parole: Tu ne verras point ma face; voilà que tu posséderas toute félicité terrestre louis les biens; tu seras comblé de toutes les prospérités, sans rien perdre, sans que rien t’échappe; que veux-tu de plus? La crainte chaste répandrait des larmes, et gémirait en disant: Plutôt perdre tous ces biens et voir votre face. La crainte chaste s’écrierait avec le psaume: « Dieu des vertus, tournez-vous vers nous, montrez-nous votre face et nous serons sauvé 1». La crainte chaste dirait encore avec un autre psaume: « Je n’ai fait au Seigneur qu’une seule demande ». Vois quels sont les transports de cet amour chaste, amour véritable, amour sincère: « Je n’ai fait qu’une demande au Seigneur 2». Qu’ai-je demandé? «D’habiter dans la maison du Seigneur, tous les jours de ma vie ». Mais serait-ce en vue d’un bonheur temporel? Ecoute ce qui suit: « Afin de contempler les délices du Seigneur, et d’être protégé comme son temple divin 3 »; c’est-à-dire d’être son temple et d’être protégé par lui. C’est l’unique demande que j’ai faite au Seigneur. Si vous n’exercez votre coeur qu’à cette unique demande, si vous ne craignez de perdre que ce seul bien, vous ne porterez point envie aux prospérités d’ici-bas et vous mettrez votre espérance dans ce bonheur qui est le véritable, et vous serez membres de celui à qui l’on chante: « Bienheureux ceux qui craignent le Seigneur, qui marchent dans ses voies ».
10. « Tu mangeras les travaux de tes fruits ». O vous, ô toi, ô vous tous qui n’êtes qu’un seul, tu mangeras les travaux de tes « fruits ». Les ignorants sont tentés ici d’accuser le Prophète, qui aurait dû dire, selon eux: « Tu mangeras le fruit de tes travaux ». Beaucoup en effet mangent le fruit de leurs travaux. Qu’ils travaillent à la vigne, ils ne m:ngent point leur travail, mais ils mangent ce que leur travail produit. Qu’ils travaillent à des arbres fruitiers, qui mange leurs travaux? Mais le fruit que ces arbres ont produit, voilà ce qui réjouit le vigneron. Que
1. Ps. LXXIX, 8. — 2.Id. XXVI, 4. — 3. Ibid.
signifie donc: « Vous mangerez les travaux de vos fruits? » C’est maintenant le temps du travail, celui des fruits ne vient qu’après. Mais c’est que le travail n’est pas sans joie à cause de l’espérance dont nous avons dit tout à l’heure: « Pleins de joie dans l’espérance, patients dans la tribulation 1 »; et que maintenant ce travail nous console et nous réjouit par l’espérance. Que sera-ce que manger le fruit de ce travail? C’étaient leurs travaux que mangeaient « ceux qui marchaient en pleurant et en répandant sur la terre leurs semences 2 ». Avec combien plus de joie mangeront le fruit de leurs travaux « ceux qui viendront en portant leurs gerbes avec allégresse? » Et pour mieux voir que l’on mange ce travail, mes frères, vous avez entendu qu’à ces hommes du psaume précédent qui voulaient, dans leur orgueil, se lever avant la lumière ou avant le Christ, mais non passer par cette humilité qui le fit ressusciter, il a été dit: « Levez-vous après vous être assis 3 »; c’est-à-dire, abaissez-vous d’abord, et ensuite vous vous élèverez, puisque celui qui est venu pour s’humilier a été élevé à cause de vous. Et que dit notre psaume? « Vous qui mangez le pain de la douleur ». Ce pain de douleur est le travail de vos fruits. Si l’on ne le mangeait, on ne l’appellerait pas du nom de pain; et toutefois si ce pain n’avait quelque saveur, nul ne le mangerait. Avec quelle douceur pleure et gémit celui qui prie ! Les larmes de la prière sont plus délicieuses que les joies du théâtre. Ecoute jusqu’où va l’ardeur du désir avec lequel on mange ce pain dont il est dit: « Vous qui mangez un pain de douleur »cet amour, dont nous entendons souvent la voix dans les psaumes, nous dit ailleurs « Mes larmes sont devenues pour moi un pain, le jour et la nuit ». Pourquoi ses larmes sont-elles un pain pour lui? C’est qu’on me dit chaque jour: « Où est ton Dieu? » Avant que nous puissions voir celui qui nous a aimés, qui nous a donné des gages de son amour, et à qui nous avons été fiancés, les païens nous disent avec ironie: Où est le Dieu des chrétiens? Qu’ils nous montrent ce Dieu qu’ils adorent. Nous leur montrons nos divinités; qu’ils nous montrent leur Dieu. Quand un païen te parle ainsi, tu n’as rien à lui montrer, parce qu’il ne peut
1.
Rom. XII, 12.— 2. Ps CXXV, 6.— 3. Id. CXXVI, 2— 4. Id XLI, 4.
rien voir. Tu te replies sur toi-même et tu pleures devant Dieu; tu soupires vers lui, avant de le voir, et tu gémis dans tes désirs; et comiule ce désir t’arrache des larmes, tés larmes te sont douces, elles sont ta nourriture, parce qu’elles sont devenues ton pain le jour et la nuit, quand chaque jour on te dit: « Où est ton Dieu? » Mais ton Dieu viendra, ce Dieu dont il est dit: Où est-il? et il essuiera tes larmes, et au lieu de ce pain des larmes, il sera lui-même ton pain, et il te rassasiera éternellement, parce que nous aurons avec nous ce Verbe de Dieu qui est le pain des anges. Nous n’avons donc ici-bas que les travaux de nos fruits, nous aurons ensuite le fruit de nos travaux. « Tu mangeras les travaux de tes fruits; tu es heureux et tu seras comblé de biens ». Tu es heureux, voilà pour le présent; tu seras comblé de biens, c’est l’avenir. Tu es heureux en mangeant les travaux de tes fruits, mais tu seras comblé de biens, quand tu mangeras les fruits de tes travaux; Que veut dire le Prophète? Car si tu es comblé de biens, tu seras heureux assurément; etsi tues heureux, tu seras comblé de biens. Mais il y a une différence entre l’espérance et la réalité; si l’espérance est si douce, combien plus douce encore sera la réalité!
11. Arrivons maintenant à ce verset: « Votre épouse ». C’est au Christ que s’adresse cette parole. Donc cette épouse du Christ est son Eglise, et cette Eglise qui est son épouse, c’est nous-mêmes. « Votre épouse sera comme une vigne féconde». Mais en qui cette vigne est-elle féconde? Nous voyons entrer dans ces murailles de nos temples bien des hommes stériles; car nous y voyons entrer beaucoup d’ivrognes, d’usuriers, de marchands d’esclaves, d’hommes qui cherchent des sortilèges, qui ont recours à des magiciens et à des magiciennes pour un mal de tête. Est-ce là cette fécondité de la vigne? Cette fécondité de l’épouse? Nullement. Ce sont là des épines, mais la vigne n’est pas épineuse partout. Elle a une certaine fécondité, c’est une vigne fertile; mais en qui est cette fertilité? « Dans les flancs de votre maison ». Or, tous ne sont point les parois de cette maison. Je cherche quelles en sont les parois, et que dirai-je? Que ce sont les murailles du bâtiment, les pierres qui le soutiennent? Si je parlais de ce bâtiment matériel, peut-être en appellerais-je ainsi les parois. Mais nous appelons les côtés de la maison spirituelle, ceux qui demeurent étroitement attachés au Christ. Car ce n’est- pas sans raison que, dans le discours familier, nous disons de quelqu’un qui agit mal d’après le conseil de perfides amis Ses côtes sont mauvais. Qu’est-ce à dire, ses côtés sont mauvais? Les gens qui l’assiègent sont pervers. Dès lors, celui dont les côtés sont bons vit de bons conseils. Qu’est-ce àdire? Il est dirigé par des conseils salutaires. Les côtés de la maison sont donc les hommes attachés au Christ, et ce n’est pas sans raison que l’épouse a été formée du côté de l’époux. Adam dormait quand Eve fut formée 1, comme l’Eglise fut formée à la mort du Christ: la première prit naissance du flanc de son époux, à qui Dieu avait enlevé une côte, et la seconde du flanc de son époux, ouvert par un coup de lance, et d’où coulèrent les sacrements 2. Donc ton épouse est comme une vigne féconde; mais dans qui? « Dans les parois de ta maison ». Elle est stérile dans ceux qui ne s’attachent point au Christ. Aussi ne les compterai-je point dans cette vigne.
12. « Vos fils ». L’épouse et les fils ne sont qu’un. Dans les épousailles charnelles, autre est l’épouse et autres sont les enfants. Dans l’Eglise les enfants ne diffèrent point de l’épouse, Car les Apôtres appartenaient à l’Eglise, ils en étaient les membres. Donc ils étaient dans l’Epouse du Christ, et ils étaient cette même épouse selon la place qu’ils avaient parmi ses membres. Pourquoi donc le Sauveur dit-il à leur occasion: « Quand l’Epoux les aura quittés, alors les fils de l’Epoux jeûneront 3? » L’Eglise est donc l’Epouse, et eux sont les enfants. Chose étonnante, lues frères! Dans les paroles du Sauveur, nous voyons que l’Eglise est en même temps les frères du Seigneur, et ses soeurs, et sa mère. Ou vient en effet lui dire que sa mère et ses frères sont dehors 4. Comme ils étaient au dehors, il y avait là une figure. Que figurait sa mère? La synagogue. Et que figuraient ses frères, selon la chair? Les Juifs qui étaient dehors. La synagogue aussi se tenait dehors. Car en ce qui regarde Marie, elle est dans les parois de la maison; de même que ses proches du côté de la Vierge Marie, et qui croyaient en lui, étaient aussi dans l’intérieur,
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Gen. II. 21, 22. — 2. Jean, XIX, 31. — 3. Matth. IX, 15. — 4. Id. XII, 46.
non point à cause des liens du sang, mais parce qu’ils écoutaient la parole de Dieu et la mettaient en pratique. Telle fut en effet la réponse du Sauveur: « Quelle est ma mère », dit-il, « et qui sont mes frères 1? »C’est ce passage qui a fait dire à quelques-uns que le Christ n’avait point de mère, puisqu’il dit: « Quelle est rua mère? » Pourquoi cette conclusion? Donc, ni Pierre, ni Jean, ni Jacques, ni les autres Apôtres n’ont point eu de père ici-bas? Il leur dit en effet: « N’appelez personne votre père sur la terre, car vous n’avez qu’un seul Père qui est dans les cieux 2 », Il nous montrait donc à l’égard de sa mère ce qu’il apprenait à ses disciples à dire à l’égard du père. Il veut que nous préférions Dieu à toutes les parentés charnelles. Honneur à ton père, parce qu’il est ton père; honneur à Dieu, parce qu’il est Dieu. Ton père dans la génération n’a été qu’un instrument charnel, c’est Dieu qui t’a créé par l’effet de sa puissance. Que le père ne se blesse point quand on lui préfère Dieu; qu’il se réjouisse au contraire, qu’on l’honore au point de ne lui préférer que Dieu seul. Que dirai-je donc? Que dit le Seigneur? « Quelle est ma mère, et quels sont mes frères? Et, étendant la main sur les disciples, voilà », dit-il, « ma mère et mes frères 3 ». Ils étaient ses frères, mais comment étaient-ils sa mère? Le Sauveur ajoute: « Et quiconque fait la volonté de mon Père, celui-là est mon frère, et ma soeur et ma mère ». Il est son frère à cause des hommes qui sont dans l’Eglise, sa soeur à cause des saintes femmes qui sont membres du Christ. Et comment sa mère, sinon parce que le Christ est dans les chrétiens que l’Eglise engendre chaque jour par le baptême? Ceux donc qui forment l’Epouse du Christ sont aussi sa mère et ses fils.
13. Disons maintenant ce que doivent être ces fils, Oui, que seront-ils? Pacifiques. Pourquoi pacifiques? Parce que, « Bienheureux les pacifiques, puisqu’ils seront appelés enfants de Dieu 4 ». Comme donc l’olive est le fruit de la paix, car l’huile, symbole de charité, est aussi symbole de paix; il n’y a aucune paix sans la charité. Or, ils n’ont évidemment pas la charité, ceux qui ont rompu la paix. Aussi ai-je expliqué déjà à votre charité pourquoi la colombe apporta dans l’arche des feuilles
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Matth, XII, 48.— 2. Id. XXIII, 9.— 3. Id. XIII, 48, 49.— 4. Id. V, 19.
avec du fruit de l’olivier 1. Elle enseignait ainsi que ceux qui ont été baptisés au dehors, comme ces branches avaient été baptisées hors de l’arche, s’ils ne se contentent pas des feuilles ou des paroles, et qu’ils aient encore le fruit qui est la charité, sont ramenés dans l’arche par la colombe, et reviennent ainsi à l’unité. Tels doivent être les enfants autour de la table du Seigneur, comme des Plans d’olivier. Tel est donc le grand bonheur, le bonheur parfait; qui voudrait n’y avoir aucune part? Si donc tu vois un blasphémateur ayant une épouse, des fils, des petits-fils, pendant que toi-même tu n’auras aucun de ces biens, n’en sois point jaloux; vois que tu as tous ces biens, mais d’une manière spirituelle. Ne serais-tu point parmi les membres du Christ? Si tu n’en es pas, pleure d’être dénué ici et là. Mais situ en es, demeure en sûreté: riche avec lui et non ici-bas, il est mieux pour toi de l’être avec lui que selon le monde.
14. Si donc nous avons ces biens, pourquoi les avons-nous? Parce que nous craignons le Seigneur. « Telle est la bénédiction réservée à l’homme qui craint Dieu 2 ». Cet homme signifie tous les hommes, et tous les hommes ne sont qu’un seul homme, car plusieurs ne font qu’un et il n’y a qu’un seul Jésus-Christ.
15. « Que le Seigneur te bénisse de Sion 3». Tu viens d’entendre: « Telle est la bénédiction réservée à l’homme qui craint le Seigneur ». Déjà tes yeux se tournaient vers ceux qui ne craignent point le Seigneur, et tu leur voyais des épouses fécondes, des enfants nombreux environnant la table de leur père. Tu te laissais emporter à je ne sais quelles pensées. « Que le Seigneur te bénisse », dit le psaume; mais « de Sion ». Ne cherche point de ces bénédictions qui ne viennent point de Sion. Mais le Seigneur n’a-t-il point réellement béni ces hommes, mes frères? Il est vrai que cette bénédiction vient du Seigneur; si elle n’était point du Seigneur, qui pourrait épouser une femme contre la volonté de Dieu? Qui peut avoir la santé contre la volonté de Dieu, la richesse contre la volonté de Dieu? C’est Dieu qui donne ces biens. Mais ne vois-tu pas qu’il les donne aussi aux animaux? Cette bénédiction n’est donc point de Sion. « Que le Seigneur » te bénisse de Sion,et puisses-tu voir les biens
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Gen. VIII, 11. — 2. Ps. CXXVII, 4 — 3. Id. 5.
« de Jérusalem ». Car ces biens en question ne sont pas ceux de Jérusalem; veux-tu le comprendre? Il a été dit, même aux oiseaux: « Croissez et multipliez 1». Serait-ce donc un grand bonheur pour toi qu’un bonheur donné aux oiseaux? C’est la voix de Dieu qui le leur a donné, qui en doute? Use de ces biens, si Dieu te les donne; et pense à bien élever ceux qui sont nés plus encore que ceux qui doivent naître. Le vrai bonheur n’est pas d’avoir des enfants, mais d’en avoir de bons. Si donc tu en as. aie soin dé les bien élever; si tu n’en as point, bénis le Seigneur. Tes inquiétudes en seront moindres,et toi, fils d’une telle mère, tu ne seras point stérile. Peut-être donneras-tu à cette mère des enfants spirituels qui seront comme de jeunes oliviers autour de la table du Seigneur. Que le Seigneur donc te console et te montre les biens de Jérusalem. On peut dire en effet de ces biens qu’ils sont. Pourquoi sont-ils? parce qu’ils sont éternels. Pourquoi sont-ils? parce que voici le Roi. « Je suis celui qui suis 2». Quant aux biens de la terre, ils sont, et ne sont point; car ils ne demeurent point, ils passent et s’écoulent. Tu as des petits enfants, tu leur fais des caresses qu’ils te rendent bientôt; or, demeurent-ils en cet état? Mais tu veux les voir grandir et avancer en âge. Mais qu’un nouvel âge arrive, et le précédent n’existe plus. L’enfance disparaît quand vient la jeunesse; la jeunesse disparaît quand vient l’âge viril; l’âge viril disparaît quand arrive la vieillesse, et tout âge disparaît quand vient la mort. Autant d’âges tu souhaiteras dans tes enfants, et autant de morts tu appelles pour les âges qui suivront. Tout cela n’existe donc point. De plus, tes enfants sont-ils nés pour vivre avec toi sur la terre, et non pas plutôt pour prendre ta place et te succéder? Et tu te réjouis de voir naître ceux qui te chasseront bientôt? Dès qu’ils sont nés, ces enfants semblent dire à leurs parents: Songez à vous retirer, c’est à nous maintenant de jouer notre rôle. Car cette vie humaine, pleine de tentations, n’est qu’un rôle, puisque « tout homme vivant sur la terre n’est que vanité 3 ». Si l’on se réjouit d’avoir des enfants qui nous succéderont, combien plus faudra-t-il nous réjouir de ces enfants avec qui nous devons demeurer toujours, et de ce Père dont nous sommes
1.
Gen. X, 22, — 2.Exod. III, 14. — 3. Ps. XXXVIII, 6.
les enfants, et qui ne doit point mourir, mais avec qui nous vivrons à jamais! Voilà les biens de Jérusalem, qui sont réellement. « Que le Seigneur donc te bénisse de Sion, et puisses-tu voir les biens de Jérusalem ». Car ces biens sensibles, tu ne les vois pas quand tu es aveugle. Puisses-tu voir les biens que voit le coeur! Et combien de temps verrai-je les biens de Jérusalem? « Tous les jours de ta vie ». Donc si ta vie est éternelle, tu verras éternellement les biens de Jérusalem. Quant aux biens d’ici-bas, mes frères, s’ils sont réellement des biens, vous ne sauriez les voir toute votre vie, car vous ne mourez point, lorsque l’âme se retire du corps. Vous vivez encore, et si le corps est mort, l’âme ne cesse de vivre. Les yeux ne voient plus, parce que l’âme qui voyait par ces yeux s’est retirée; mais quelque part que soit cette âme qui voyait par les yeux, elle voit quelque chose. Cet homme riche, qui se revêtait en cette vie de pourpre et de fin lin, n’était point mort au-delà de cette vie, autrement il n’eût pas été tourmenté dans l’enfer 1. Peut-être la mort eût-elle été à désirer pour lui, mais il vivait dans l’enfer pour son propre malheur. Car il était tourmenté et ne voyait pas les biens qu’il avait quittés sur la terre; telle était alors sa vie qu’il ne les voyait plus. Toi donc, désire des biens que tu puisses voir « tous les jours de ta vie », c’est-à-dire avec lesquels tu puisses vivre éternellement.
16. Ecoutez donc, mes frères, quels sont ces véritables biens, Peut-on dire de ces biens: C’est de l’or, c’est de l’argent, c’est une campagne agréable, ce sont des murailles de marbre, des lambris dorés? Point du tout. Les pauvres ont mieux que cela en cette vie. Car le ciel semé d’étoiles est plus beau pour le pauvre, que pour le riche son toit doré. Quel est donc, mes frères, ce bien qui embrase nos désirs, après lequel nous soupirons avec tant d’ardeur; pour la vue, pour la jouissance duquel nous endurons tant de travaux? car vous venez d’entendre de saint Paul, que, « tous ceux qui veulent vivre pieusement en Jésus-Christ souffriront persécution 2 » Si le diable ne sévit plus contre nous au moyen des rois, les chrétiens n’en sont pas moins persécutés. Les persécutions ne doivent cesser qu’à la condition que le diable cessera lui-
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Luc, XVI, 19, 23. — 2.II Tim. III, 12.
même: si donc cet infatigable ennemi est immortel, d’où ne prendrait-il pas occasion de nous tenter, de nous torturer, de nous exposer aux menaces et aux scandales? Oh! si tu commençais à vivre dans la piété de Jésus-Christ, tu comprendrais quelles persécutions doit endurer celui qui vit de la sorte. Pourquoi donc souffrons-nous de si grandes persécutions? « Si nous bornons à cette vie nos espérances », nous dit l’Apôtre, « nous sommes les plus malheureux des hommes 1». Pour quel bien les martyrs furent-ils condamnés aux bêtes? Quel est ce bien, et peut-on le nommer? Quelle langue pourrait le dire, quelles oreilles pourraient l’entendre? « L’oreille de l’homme, en effet, ne l’a pas entendu, et son coeur n’a pu le comprendre 2». Aimons un si grand bien, avançons dans La vertu pour l’acquérir. Vous voyez que les combats ne nous manquent point, et nous avons à combattre nos convoitises. Nous combattons au dehors les hommes infidèles et rebelles à Dieu, au dedans nos tentations et les troubles de la chair. Partout des combats, « parce que le corps qui se corrompt appesantit l’âme 3 ». Nous combattons encore, parce que si l’esprit est vie, le corps néanmoins est mort à cause du péché. Mais qu’arrivera-t-il? «Si l’esprit de Jésus-Christ habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts vivifiera vos corps mortels, à cause de l’esprit qui habite en vous 4». Ainsi donc, quand les membres de notre corps auront reçu la vie, rien ne résistera à notre esprit. La faim ne sera plus, la soif ne sera plus, parce que tout cela vient de la corruption du corps. Tu as besoin de réparer, parce qu’il y a en toi dépérissement. Or, les convoitises charnelles et les plaisirs combattent contre nous; et nous portons la mort dans l’infirmité de notre corps; mais quand la mort elle-même sera changée en ce qui est immuable, quand ce qui est corruptible sera revêtu d’incorruption, et ce qui est mortel revêtu d’immortalité, que dirons-nous à cette mort?: « O mort, où est ta victoire? O mort, où est ton aiguillon 5? » Mais peut-être qu’après la mort on nous dira: Il reste encore des ennemis? Non, mes frères, la mort sera le « dernier ennemi à détruire », nous dit saint
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I Cor. XV, 19. — 2. Id. II,9. — 3. Sag. IX,15. — 4. Rom. VIII, 10, 11. — 5. I
Cor. XV, 53, 54, 55. — 4. Id. 26.
Paul. Et quand la mort sera détruite, nous jouirons de l’immortalité. S’il n’y a plus aucun ennemi à détruire, la mort sera donc la dernière et ce bien après lequel nous soupirons sera la paix. Le bien, mes frères, est donc la paix, bien d’un grand prix. Vous vous demandiez si ce bien s’appelait de l’or, de l’argent, une belle terre, un riche manteau. Non, c’est la paix. Non point la paix comme elle existe entre les hommes, paix infidèle, incertaine, changeante; non point la paix telle qu’un homme peut l’avoir avec lui-même. Car, nous l’avons dit, l’homme est en guerre contre son propre coeur; il a toujours à se combattre, toujours à vaincre ses passions. Quelle est donc cette paix? « Celle que l’oeil n’a point vue, que l’oreille na pas entendue 1».Quelle est cette paix? Celle qui vient de Jérusalem. Car Jérusalem signifie vision de la paix. « Que le Seigneur donc te bénisse de Sion, en sorte que tu voies les biens de Jérusalem » et que tu les voies tous les jours de ta vie. « Et que tu voies », non seulement tes enfants, « mais les enfants de tes enfants 2». Qu’est-ce à dire, tes enfants? Les bonnes oeuvres que tu fais. Et les enfants de tes enfants? Les fruits de tes oeuvres. Tu fais des aumônes, voilà tes enfants; et par tes aumônes tu acquiers la vie éternelle, voilà les enfants de tes enfants. « Puisses-tu donc voir les enfants de tes enfants », et alors s’accomplira cette parole qui termine le psaume: « Paix sur Israël ! » Telle est la paix que nous prêchons, la paix que nous aimons, la paix que nous cherchons à vous faire aimer. C’est là que parviennent ceux qui ont été pacifiques ici bas. Et ceux qui aiment la paix ici-bas l’aiment aussi dans le ciel, et ils entourent la table du Seigneur comme une plantation de jeunes oliviers, en sorte qu’il n’est aucun arbre stérile, coin me ce figuier où le Sauveur ayant faim ne trouva aucun fruit. Voyez ce qui lui arriva. Il n’avait que des feuilles; mais de fruits, aucun 3. C’est l’état des hommes qui n’ont que des paroles, et non des oeuvres. Le Seigneur n’y trouva rien qu’il pût manger dans sa faim; car le Seigneur a faim de notre foi. il a faim de nos bonnes oeuvres. Donnons-lui pour nourriture une vie sainte, et il nous donnera pour aliment la vie éternelle.
1.
I Cor, II, 9. — 2. Ps. CXXVII, 6. — 3. Matth. XXI, 18, 19.
SERMON AU PEUPLE.
Dans l’Eglise de Dieu on trouve des hommes qui reçoivent la parole de Dieu, comme le grand chemin, ou comme les terrains pierreux, ou même comme les terrains épineux; mais d’autres, semblables à la bonne terre, produisent du fruit et font leurs oeuvres à l’unisson de la parole divine. Ainsi en a-t-il été toujours; l’Eglise a été attaquée dès sa jeunesse elle existait en Abel, tué par Caïn, en Enoch, en Noé, en Abraham, en Loth à Sodome, en Israël dans l’Egypte, en Moïse et dans les saints, en Israël. — Le psalmiste semble répondre à ceux qui méditent sur les douleurs de l’Eglise. Ils m’ont attaquée souvent depuis ma jeunesse, et néanmoins je suis arrivée à la vieillesse. Les attaques ne l’ont point mise en connivence avec le mal. Toutefois l’homme résiste souvent à la parole évangélique, il obéit à l’avancé, plus exigeante que le Seigneur, il s’en prend à ceux qui prêchent et calomnie leurs moeurs; il s’en prend même à Dieu, créateur de tout bien, et que les créatures bénissent. Quel que soit l’homme qui nous parle, obéissons, entrons dans l’Eglise de Dieu. Elle supporte ces plaintes, ces murmures qui ne doivent point durer, et qui n’existent que jusqu’à la moisson. Il y a donc mélange, mais le juste si près qu’il soit de l’impie, en est éloigné, l’assentiment seul fait le rapprochement. Un jour le Seigneur brisera le con des méchants, frappons alors notre poitrine. Tout orgueilleux qui commet le mal, et, au lieu de le reconnaître, se retranche dans son orgueil, comme sous un bouclier, sera frappé. Il hait l’Eglise et ressemble à l’herbe des toits qui se fane avant la récolte, et n’entre point dans le grenier céleste. Les passants qui nous bénissent sont les Prophètes, les Apôtres nos ancêtres dans la foi.
1. Le psaume que nous venons de chanter est court; mais l’Evangile nous dit de Zachée qu’il était court de taille et grand en oeuvres 1; ainsi encore la veuve ne mit dans le trésor du temple que deux pièces de monnaie 2, c’était peu d’argent et beaucoup de charité 3. De même, si l’on compte les paroles de notre psaume, il est court; mais il est grand si l’on en pèse le sens. Il ne pourra donc nous causer aucun ennui par sa longueur. Pourquoi? Que votre charité veuille bien écouter, et nous prêter une attention religieuse. Que la parole de Dieu se fasse entendre, bon gré, mal gré, à temps et à contre-temps. Cette parole se fait faire une place, elle a trouvé des coeurs où elle se peut reposer, une terre où elle peut germer et porter du fruit. Sans doute il est évident que jusqu’à la fin il y aura dans le giron de l’Eglise beaucoup de méchants et d’injustes; c’est pour ces hommes que la parole de Dieu est superflue, et dès lors elle tombe sur eux, ou comme le bon grain sur le grand chemin, et qui est mangé par les oiseaux du ciel 4; ou comme celui qui tombe dans les endroits pierreux, et qui n’ayant pas beaucoup de terre, germe d’abord, puis se dessèche sous les rayons du soleil, parce qu’il n’a point de racine; ou comme celui qui tombe parmi les épines, qui germe et fait des efforts pour
1.
Luc, XIV, 2-9.— 2. Marc, XII, 12-41.— 3. Luc, XI, 2.— 4. Matth. XIII, 4.
s’élever en haut, mais qui est étouffé par le grand nombre d’épines. Ceux qui méprisent la parole de Dieu ressemblent donc, ou bien au grand chemin; ou bien à ceux qui se réjouissent d’abord, pour se dessécher bientôt quand vient la persécution comme les feux du soleil; ou bien à ceux dont les pensées, les soins, les inquiétudes de cette vie, semblables aux épines de l’avarice, étouffent la bonne semence qui avait commencé à germer en eux. Mais il y a aussi la bonne terre, qui reçoit la semence et rapporte du fruit, chacun des grains produisant trente, ou soixante, ou même cent autres 1. Or, soit peu, soit beau. coup, tous sont dans le grenier céleste. Il est en effet de ces âmes, et c’est pour elles que nous parlons maintenant. C’est pour elles que l’Ecriture a parlé, pour elles que l’Evangile se fait entendre. Qu’elles écoutent néanmoins, afin de n’être point telles aujourd’hui et autres demain; et de peur qu’elles ne dégénèrent en écoutant, qu’elles labourent le chemin, qu’elles ôtent les pierres, qu’elles arrachent les épines. Que l’Esprit de Dieu nous parle, qu’il prêche pour nous, qu’il nous fasse entendre ses chants; soit que nous voulions ou non danser avec David, qu’il soit lui. même notre musicien. Un danseur, en effet, donne à ses membres un mouvement cadencé
1.
Matth. XIII, 3-23.
selon le chant du musicien, de même ceux qui dansent sur le précepte de Dieu adaptent leurs oeuvres à ses paroles. Quel reproche en effet le Sauveur adresse-t-il, dans l’Evangile, à ceux qui n’ont point voulu le faire? « Nous avons chanté pour vous, et vous n’avez point dansé; nous avons pleuré, et vous n’avez point gémi 1 ». Que le Seigneur veuille donc chanter pour nous; nous croyons que par la divine miséricorde il yen aura qui voudront bien nous consoler. Quant aux obstinés qui persévèrent dans leur malice, bien qu’ils entendent la parole de Dieu, ils troublent néanmoins l’Egiise par leurs scandales. C’est de ces hommes que le psaume nous dit:
2. «Ils m’ont souvent attaquée dès ma jeunesse 2». L’Eglise parle ici de ceux qu’elle tolère, et comme si l’on demandait: Est-ce maintenant seulement? Depuis longtemps l’Eglise existe, elle est sur la terre depuis qu’il a plu à Dieu d’appeler des saints. Jadis l’Eglise n’existait que dans le seul Abel, qui fut attaqué par son frère impie, Caïn, l’homme de perdition 3. Jadis l’Eglise ne compta que le seul Enoch, qui fut enlevé du milieu des méchants 4. Jadis l’Eglise encore ne compta que la seule famille de Noé, et eut à supporter tous ceux qui périrent par le déluge, et l’arche seule s’éleva au-dessus des flots et se reposa sur un lieu sec 5. Jadis l’Eglise ne comptait que le seul Abraham, et nous savons ce qu’il souffrit de la part des impies. A Sodome, l’Eglise ne comptait que Luth, fils de son frère, qui endura les injures et l’abomination de Sodome 6, jusqu’à ce que Dieu le délivra du milieu d’eux. L’Eglise fut ensuite en Israël, et souffrit de la part des Egyptiens et de Pharaon. Alors dans cette Eglise, ou dans ce peuple d’Israël, s’élevèrent des saints, tels que Moïse et les autres saints personnages, qui souffrirent persécution de la part des Juifs pervers et du peuple d’Israël. Nous arrivons à Notre Seigneur Jésus-Christ, qui prêche son Evangile, et qui a dit dans le psaume: « J’ai annoncé, j’ai parlé; ils se sont multipliés au-delà du nombre 7». Qu’est-ce à dire, « au-delà du nombre? » Non seulement ceux que l’on met au nombre des saints ont embrassé la foi, mais il en est entré dans l’Eglise bien au-delà du nombre; il y a beaucoup de justes, tuais plus encore de pécheurs, et ces
1.
Matth. XI, 17.— 2. Ps. CXXVII, 1.— 3. Gen. IV, 8.— 4. Id. V, 21. — 5. Id.
VI-VIII. — 6. Id. XII, 20. — 7. Ps. XXXIX, 6.
pécheurs, les justes ont dû les supporter. Quand? Dans l’Eglise. Mais est-ce maintenant seulement, depuis qu’elle compte ses persécutions et qu’elle s’en plaint? De peur que l’Eglise ne s’étonne aujourd’hui, ou pour éviter toute surprise à quiconque veut devenir un véritable membre de l’Eglise, qu’il entende l’Eglise elle-même, l’Eglise sa mère, qui s’écrie: Mon fils, ne soyez pas effrayé de ces maux; « ils m’ont souvent attaquée depuis ma jeunesse».
3. Il y a une grande amertume dans ce commencement du psaume: « Ils m’ont souvent attaquée depuis ma jeunesse ». On dirait que le Psalmiste a déjà parlé, qu’il ne commence point, mais qu’il répond. Sans doute, il répond; mais à qui? A ceux qui pensent en eux-mêmes, et qui disent: Combien sont grandes nos douleurs, combien les scandales se multiplient chaque jour, parce que les méchants entrent dans l’Eglise, et qu’il nous faut les supporter! Que l’Eglise alors, par la bouche de quelques-uns, c’est-à-dire par la bouche des plus forts, réponde aux plaintes des faibles, que les forts soutiennent les infirmes, que les grands raffermissent les petits, et que l’Eglise répète: « Ils m’ont souvent attaquée depuis ma jeunesse ». Qu’Israël dise maintenant: « Ils m’ont souvent attaqué depuis ma jeunesse ». Qu’Israël parle de ces attaques et ne les redoute point. Dans quel but, après avoir dit: « Leurs attaques se sont multipliées », le Prophète a-t-il ajouté: « Depuis ma jeunesse? » On attaque aujourd’hui l’Eglise dans sa vieillesse, mais qu’elle ne craigne point et qu’elle dise: « Bien souvent ils m’ont attaquée dans ma jeunesse». Parce qu’ils n’ont cessé de l’attaquer, en est-elle donc moins parvenue à la vieillesse? Ont-ils pu la détruire? Qu’Israël donc chante aujourd’hui, qu’Israël se console; que l’Eglise elle-même se console en jetant un regard sur le passé, et qu’elle dise: « Ils m’ont attaquée bien souvent depuis ma jeunesse ».
4. A quoi bon m’attaquer? « Car ils n’ont rien pu contre moi. Voilà que les pécheurs ont forgé sur mon dos, ils ont éloigné leurs iniquités 1». Pourquoi ces fréquentes attaques? « Parce qu’ils n’ont rien pu contre moi ». Qu’est-ce à dire qu’ « ils n’ont rien pu? » Rien pu forger. Qu’est-ce à dire encore qu’ils n’ont rien pu contre moi? Que je n’ai point consenti à
1. Ps. CXXVIII, 3.
leur iniquité. Car tout méchant persécute l’homme de bien, par impuissance de l’amener au mal. Qu’un homme commette le mal, et que son évêque ne l’en reprenne point, c’est le meilleur évêque; s’il l’en reprend, c’est un évêque méchant. Qu’un homme à qui l’on enlève son bien garde le silence, il est honnête homme; qu’il parle, qu’il blâme, c’est un méchant homme, quand même il ne revendiquerait pas ce qui lui est pris. Un homme qui réprime un voleur est donc un scélérat, le voleur est honnête homme! Qu’on chante le refrain: « Mangeons et buvons, car nous mourrons demain 1»; refrain que réfute saint Paul: « Ne vous laissez pas séduire, les mauvais entretiens corrompent les bonnes moeurs 2. Soyez donc sobres, ô justes, et ne péchez point ». La parole sainte retentit on entend cette parole qui proscrit la passion; mais épris de son intempérance, et haïssant tout ce qui peut contredire cette bien-aimée, l’homme déteste et combat la parole de Dieu. C’est l’avarice que l’on aime, et Dieu que l’on hait. Dieu proscrit l’avarice, il nous défend de rien posséder par avarice. C’est moi que tu dois posséder, nous dit-il, pourquoi veux-tu être possédé par l’avarice? Ses exigences sont dures, les miennes sont douces; son fardeau est lourd, le mien est léger; son joug est pénible et le mien attrayant 3. Ne te laisse point absorber par l’avarice. L’avarice t’ordonne de passer les mers et tu obéis; elle t’ordonne d’affronter les vents et les tempêtes, et moi je t’ordonne de donner au pauvre qui est à ta porte quelque peu de ce que tu possèdes, et tu ne fais que lentement une bonne oeuvre qui est devant toi, tandis que tu es infatigable pour passer la mer. L’avarice commande et tu obéis; Dieu commande et tu hais ses préceptes. Quoi encore? Dès qu’un homme cède à la haine, il cherche à incriminer ceux qui lui irêchent les préceptes du bien; il se met à soupçonner des crimes chez les serviteurs de Dieu. Ils nous donnent ces préceptes, dit-on, mais ne les pratiquent point eux-mêmes. Qu’ils fassent le mal ou ne le fassent point, on les accuse, on jette le blâme sur le bien qu’ils font, et nos souffrances mêmes donnent lieu à la calomnie. Que pouvons-nous répondre? Ecoutez, non pas moi, mais la parole de Dieu; c’est lui qui vous parle par toutes sortes de personnes, et c’est à lui que s’attaque votre
1.
Isa. XII, 13. — 2. I Cor. XV, 32 - 34, — 3. Matth. XI,
30.
haine. Soyez d’accord avec votre adversaire pendant que vous êtes en chemin avec lui 1; et vous avez pris pour adversaire la parole de Dieu. Ne considérez point si c’est tel ou tel qui vous parle: c’est un méchant peut-être qui vous parle au nom du Seigneur; mais la parole que Dieu vous adresse par cet homme n’est point mauvaise. Accusez le Seigneur, accusez-le si vous le pouvez.
5. Croiriez-vous, mes frères, que ceux dont il est dit: « Souvent ils m’ont attaquée depuis ma jeunesse », ont eu l’audace d’accuser Dieu lui-même? Blâme un avare, et à son tour il blâme Dieu qui a fait l’or. Ne sois point avare, lui dit-on, et il répond: Que Dieu ne fasse point d’or. Parce que tu ne saurais mettre un frein à tes oeuvres perverses, tu accuseras les oeuvres de Dieu qui sont excellentes? Tu prends à partie Celui qui a créé et formé le monde? Il n’aurait lias dû créer le soleil, parce que des hommes se traînent devant les tribunaux, pour des fenêtres, des vues de leurs appartements? Oh ! si nous pouvions réprimer nos vices ! nous verrions que les oeuvres de Dieu sont bonnes, que Dieu créateur de toutes choses est bon, que ses oeuvres le louent, parce qu’en les considérant on voit qu’elles sont bonnes, dès qu’on les considère avec un esprit de sagesse, un esprit de piété. De toutes parts Dieu est loué dans ses oeuvres. Comme ses oeuvres chantent ses louanges dans la bouche des trois enfants ! Qu’y a-t-il d’oublié? Bénédiction des cieux, bénédiction des anges, bénédiction des astres, bénédiction du soleil et de la lune, bénédiction du jour et de la nuit, bénédiction de tout ce qui germe sur la terre, bénédiction de tout ce qui nage dans les mers, bénédiction de tout ce qui voltige dans les airs, bénédiction des montagnes et des collines, bénédiction de la chaleur et du froid, bénédiction de tout ce qu’a fait le Seigneur 2. Vous le voyez, toutes les oeuvres de Dieu le bénissent; mais avez-vous entendu que Dieu soit béni par l’avarice ou par la luxure? Tout cela ne bénit point Dieu, parce que Dieu ne l’a point fait. Les hommes le bénissent dans ce même cantique, parce que Dieu a fait l’homme. L’avarice est l’oeuvre de l’homme devenu méchant, mais l’homme est l’oeuvre de Dieu. Or, que veut le Seigneur? Détruire en toi ce qui est ton oeuvre, sauver ce qui est la sienne.
1.
Matth. V, 25.— 2. Dan. III, 57-90.
6. Ne prête point à usure. Tu incrimines l’Ecriture qui dit, à propos du juste, qu’ « il n’a point donné son argent à usure 1 ». Ce n’est point moi qui ai écrit cette parole, ni qui l’ai dite le premier. Ecoute le Seigneur. Mais alors, me dis-tu, que les clercs rie soient point usuriers. Peut-être celui qui te parle ne l’est-il point; mais s’il l’est, oui, admettons qu’il le soit, le Dieu qui te parle par sa bouche l’est-il? Si ce prêtre pratique ce qu’il te prêche, et toi non, tu vas donc au feu éternel, et lui au royaume sans fin. S’il ne fait point ce qu’il dit, s’il fait le mal que tu fais toi-même, s’il prêche le bien saris le pratiquer, il va comme toi au feu éternel. « Toute la paille brûlera, mais la parole de Dieu demeurera éternellement 2 ». Brûlera-t-elle donc cette Parole qui s’est adressée à toi par sa bouche? Ou bien c’est Moïse qui te parle, c’est-à-dire un juste et fidèle serviteur de Dieu; ou même un Pharisien assis dans la chaire de Moïse. Tu as entendu à ce propos cette parole: « Faites ce qu’ils disent, ne faites point ce qu’ils font 3». Tu n’as plus d’excuses, puisque c’est la parole de Dieu que tu entends. Mais comme tu ne saurais tuer la parole de Dieu, tu cherches à incriminer ceux qui te l’annoncent. Cherche à ton gré, parle à ton gré, blasphème à ton gré. « Bien des fois ils m’ont attaquée depuis ma jeunesse; qu’Israël dise maintenant: Bien des fois ils m’ont attaqué dès nia jeunesse». Les usuriers osent bien dire: Je n’ai pas d’autre moyen de vivre. Ainsi dirait un voleur pris sur le fait; ainsi le brigand que l’on saisirait près du mur d’autrui; ainsi le corrupteur qui achète les jeunes filles pour la prostitution ainsi le magicien qui fait du mal un trafic, de l’iniquité un commerce. Quelle que soit la profession infamante que nous cherchions à réprimer, on nous répondra toujours que l’on n’a pas d’autre nioyen de vivre, pas d’autre gagne-pain; comme si l’on n’était pas d’autant plus coupable, par cela même que l’on a choisi pour vivre un métier criminel, et que l’on veut tirer sa subsistance de ce qui outrage celui qui fait subsister toutes les créatures.
7. Mais que l’on prêche de la sorte, que l’on tienne ce langage, les voilà qui répondent: S’il en est ainsi, nous ne marchons point; s’il en est ainsi, nous n’entrons point dans l’Eglise. Qu’ils viennent donc, qu’ils
1.
Ps. XIV, 3. — 2. Isa. XL, 8. — 3. Luc, VIII, 15.
entrent, qu’ils entendent: « Bien des fois ils m’ont attaquée dès ma jeunesse. Mais ils n’ont rien pu contre moi; les pécheurs ont forgé sur mon dos»; c’est-à-dire, ils n’ont pu m’amener à leurs desseins; ils ont pesé sur moi, C’est là, mes frères, une parole admirable, et très significative: « Ils n’ont rien pu contre moi, les pécheurs ont forgé sur mon dos ». Ils essaient d’abord de nous amener à leurs desseins pervers; et s’ils ne peuvent nous y amener, supportez-nous du moins, nous disent-ils. Ainsi donc, parce que tu n’as rien pu sur moi, monte sur mon dos, je dois te supporter jusqu’à ce que vienne la fin. Tel est le précepte, afin que je produise du fruit par la patience. Si je ne puis te corriger, du moins je te supporte, peut-être que si je te supporte, toi-même tu te corrigeras. Si tu es incorrigible jusqu’à la fin, je te supporterai jusqu’à la fin: jusqu’à la fin tu seras sur mon dos, mais pour un temps. Car pèseras-tu sur moi éternellement?Non, il viendra Celui qui doit te secouer. Viendra le temps de la moisson, la fin du siècle, et Dieu enverra ses moissonneurs; et ces moissonneurs sont les anges qui sépareront les bons du milieu des méchants, comme on sépare l’ivraie du milieu du bon grain; qui mettront le bon grain dans les greniers, et jetteront la paille au feu qui ne s’éteindra jamais 1.Je vous ai porté autant que je l’ai pu, je passe maintenant avec joie dans les greniers de Dieu, et je chante avec assurance: « Bien des fois ils m’ont attaquée dès ma jeunesse ».
8. Qu’ont-ils pu me faire en m’attaquant dès ma jeunesse? Ils m’ont éprouvé, mais sans m’accabler. ils ont été pour moi comme le feu pour l’or, mais non comme le feu pour la paille. Mettez l’or au feu, il en sort des scories; mettez-y la paille, elle est réduite en cendres. « Ils n’ont rien pu sur moi»; parce qu’ils n’ont pu m’amener à leurs desseins, ni me faire ce qu’ils sont eux-mêmes. « Les pécheurs ont forgé sur mon dos, ils ont éloigné leur injustice ». Ils ont fait ce que j’ai dû supporter, et non ce qui eût mérité mon assentiment. Ainsi leur injustice est déjà loin de moi. Les méchants sont mêlés aux bons, non seulement dans ce monde, mais jusque dans l’Eglise, ils sont mêlés aux bons. Vous le savez, et vous en faites l’expérience; et vous en ferez encore plus l’expérience à
1.
Matth. XIII, 27-43.
mesure que vous deviendrez bons. Car ce fut quand l’herbe eut grandi et produit du fruit que l’ivraie se montra aussi 1. Dans l’Eglise, il n’y a que l’homme juste qui découvre les méchants. Il y a donc un mélange, vous le savez, et l’Ecriture nous dit à chaque page que la séparation n’aura lieu qu’à la fin des siècles. Mais nonobstant ce mélange, il y a néanmoins une distinction, De peur toutefois que ce mélange des bons et des méchants ne donne lieu de croire que la justice touche de près à l’injustice: a Ils n’ont rien pu sur u moi s, dit le Psalmiste; c’est-à-dire, ils ont dit, mais dit en insensés: « Mangeons et buvons, nous mourrons demain 2 ». Leurs discours pervers n’ont point corrompu en moi les moeurs pures; je n’ai point écouté, d’une part, la parole de Dieu, pour céder d’autre part aux discours des méchants. Les oeuvres des méchants, je les ai supportées sans y consentir, et leur iniquité est loin de moi. Quoi de plus rapproché que deux bornoies dans l’Eglise? Quoi de plus éloigné que la justice et l’injustice? Mais l’assentiment fait le rapprochement. On lie ensemble deux hommes, que l’on mène devant le juge. L’un est un voleur, un scélérat, l’autre un innocent: une même chaîne les retient, et néanmoins ils sont éloignés l’un de l’autre. De quelle distance sont-ils éloignés? de toute la distance qui sépare le crime de l’innocence. Ils sont donc fort éloignés l’un de l’autre. Mais ce voleur qui fait le mal en Espagne, est tout près de celui qui le fait en Afrique. De combien en est-il proche? Comme le crime l’est du crime, le brigandage du brigandage. Que nul dès lors ne redoute le mélange corporel des méchants. Qu’il s’en éloigne de coeur; et il supporte avec assurance ce qu’il n’a point à craindre: « Leur injustice est loin de moi ».
9. Mais qu’arrive-t-il? Voilà que ceux qui règnent dans l’injustice sont florissants dans le inonde: et pour parler comme le vulgaire, voilà que les méchants tonnent, qu’ils s’élèvent avec orgueil, qu’ils répandent la calomnie. Est-ce donc là ce qui durera toujours? Nullement; écoute la suite: « Le Seigneur qui est juste brisera la tête des pécheurs ». Que votre charité soit attentive. « Le Seigneur dans sa justice brisera la tête des pécheurs ». Qui ne tremblerait à cette parole? Car où est
1. Matth. XIII, 26. — 2. Isa. XXIII, 13; I Cor. XV, 32.
l’homme sans péché? « Le Seigneur dans sa justice brisera la tête des pécheurs ». Quiconque entend ces paroles est saisi de crainte, s’il croit aux divines Ecritures. Si, en effet, l’on n’a aucun motif de se frapper la poitrine et qu’on le fasse quand on est juste, c’est mentir; mais mentir à Dieu c’est devenir pécheur. Si donc on a raison de se frapper la poitrine, on est pécheur. Et qui d’entre nous ne se frappe la poitrine? Qui d’entre nous ne tient ses regards fixés à terre comme le publicain, pour dire: « Seigneur, ayez pitié de moi qui suis pécheur 1? » Si donc tous sont pécheurs, et si nul n’est sans péché, tous doivent craindre ce glaive qui menace leur tête: car « le Seigneur dans sa justice brisera les têtes des pécheurs ». Toutefois, mes frères, je ne crois point qu’il s’agisse ici de tous les pécheurs; mais l’endroit qu’il frappe nous désigne quels pécheurs seront frappés. Car il n’est point dit: Le Seigneur qui est juste brisera la main des pécheurs, ou même leur brisera les pieds; mais le Prophète voulait désigner entre les pécheurs ceux qui sont orgueilleux, et les pécheurs orgueilleux lèvent la tête, non seulement parce qu’ils commettent le mal, mais parce qu’ils ne veulent point le reconnaître, et qu’ils se justifient dès qu’on le leur reproche. Voilà, leur dit-on, que tu es coupable, reconnais ta faute; le Seigneur hait le pécheur, hais-le à ton tour; sois uni au Seigneur, afin de poursuivre ton péché avec lui. Point du tout, répond-il, j’ai fait le bien, c’est Dieu qui a fait le mal. Je m’explique, mes frères. Je n’ai fait aucun mal, nous dit ce pécheur. C’est Saturne qui l’a fait, c’est Mars, c’est Vénus: pour moi, je n’ai rien fait, mon étoile a tout fait. Tu le justifies, en accusant le Seigneur qui a fait les étoiles pour en orner les cieux. Tu excuses donc ton péché, en t’élevant contre Je Seigneur; car tu te dis innocent et Dieu coupable, et tu lèves dès lors un cou inflexible pour t’élancer contre Dieu, ainsi qu’il est dit au livre de Job à propos du pécheur obstiné: « Il s’est élancé contre Dieu, élevant comme un bouclier son cou gonflé d’orgueil 2 ».
Comme le Psalmiste, Job a nommé le cou. Tu t’élèves donc au lieu de fixer tes regards sur la terre, de frapper ta poitrine, et de dire au Seigneur: « Ayez pitié de moi qui suis un pécheur »; te voilà vantant tes mérites,
1.
Luc, XVIII, 13. — 2. Job, XV, 26.
et même, dit le Seigneur, disputant avec moi, entrant en jugement avec moi 1, au lieu de chercher à satisfaire à Dieu pour tes
fautes, et de pousser vers lui ces cris d’un autre psaume: « Si vous vous souvenez des iniquités, Seigneur, qui pourra subsister devant vous, ô mon Dieu 2? » Et ces autres cris d’un autre psaume encore: « Je l’ai dit, ô mon Dieu, ayez pitié de moi, guérissez mon âme, parce que j’ai péché contre vous 3 ». Parce que tu rejettes ces prières, prétendant te justifier contre la parole du Seigneur lui-même, voilà que retombe sur toi cette parole de l’Ecriture: « Le Seigneur brise le cou des pécheurs4 ».
10. « Qu’ils soient confondus et rejetés en arrière, tous ceux qui détestent Sion ». Haïr Sion, c’est haïr l’Eglise; car Sion c’est l’Eglise; et c’est haïr l’Eglise que d’y entrer avec dissimulation. C’est haïr l’Eglise encore que ne point pratiquer la parole de Dieu. « Les pécheurs ont pesé sur mon dos ». Que fera l’Eglise, sinon de les tolérer jusqu’à la fin?
11. Mais que dit le Prophète? « Qu’ils soient», dit-il, « comme l’herbe des toits, qui se dessèche avant qu’on l’arrache ». Cette herbe des toits est une herbe qui croit sur les toits, sur les plates-formes. Elle s’élève bien haut, mais n’a point de racines. Quel avantage n’aurait-elle point de naître en des lieux plus bas, et de demeurer verte plus longtemps? Mais ce n’est que pour sécher bientôt qu’elle vient sur les hauteurs. On ne l’arrache point encore et la voilà desséchée: et nos impies, avant d’être frappés au jugement de Dieu, n’ont déjà plus de sève. Examinez leurs oeuvres, et voyez qu’ils sont vraiment desséchés. Ils vivent néanmoins, ils sont ici-bas, ils ne sont point arrachés, et avant d’être arrachés les voilà desséchés. Ils sont devenus « comme l’herbe des toits qui se fane même avant qu’on l’arrache ».
12. Les moissonneurs viendront, mais n’en recueilleront pas les gerbes. Ils viendront en effet, ils ramasseront le froment pour les greniers célestes, et lieront l’ivraie en gerbes qu’ils jetteront au feu. Ainsi est traitée l’herbe des toits, on jette au feu ce qu’on en arrache, parce qu’elle est desséchée même sur pied. Le moissonneur n’en remplit pas sa main, comme le dit le psaume: « Elle ne remplit
1.
Jérém. II, 29. — 2. Ps. CXXIX, 3.— 3. Id. XII 5.— 4. Id. CXXVIII, 5.— 5. Id. 6.
pas la main du moissonneur, ni le sein de celui qui récolte les gerbes 1. Or, ces moissonneurs ce sont les anges 2 », dit le Seigneur.
13. « Et les passants n’ont point dit: Que le Seigneur vous bénisse; nous vous bénissons au nom du Seigneur 3». Vous le savez, mes frères, lorsqu’on passe devant les travailleurs, c’est la coutume de leur dire: « Que Dieu vous bénisse! » Et cette coutume se pratiquait avec plus de soin encore parmi les Juifs. Nul ne passait auprès d’un travailleur dans les champs, dans la vigne, à la moisson, ou quelque part, sans appeler la bénédiction de Dieu sur lui. Autre est celui qui récolte ses gerbes, et autre celui qui passe par la voie. Ceux qui récoltent les gerbes ne remplissent pas leurs mains de cette herbe des toits, que l’on ne récolte pas pour le grenier céleste. Qui donc recueille des gerbes? Le moissonneur. Quels sont les moissonneurs? Le Seigneur l’a dit: « Ces moissonneurs ce sont les anges ».Quels sont les passants? Ceux qui ont déjà passé par cette voie, c’est-à-dire, ceux qui par une vie sainte ont passé de ce monde à la céleste patrie. C’est par cette même voie qu’ont passé les Apôtres, qu’ont passé les Prophètes. Quels travailleurs les Apôtres et les Prophètes ont-ils bénis? Ceux en qui ils voyaient la racine de la charité. Quant à ceux qu’ils ont trouvés sur leurs toits, relevant leur cou gonflé d’orgueil, comme un bouclier, ils leur ont prédit ce qu’ils deviendraient, mais sans les bénir. Ainsi donc tous ces méchants que supporte l’Eglise, vous qui lisez les saintes Ecritures, vous les voyez maudits, mis à part comme l’héritage de l’Antéchrist, ou dit diable, ils sont la paille, ils sont l’ivraie. Ils sont désignés par des comparaisons sans nombre. « Tous ceux qui me disent: Seigneur, Seigneur, n’entreront point pour cela dans le royaume des cieux 4 ». Tu ne trouveras aucun endroit de l’Ecriture pour en parler favorablement, parce que ceux qui passaient sur la voie ne les omit point bénis, David que nous avons en nos mains, a passé de même sur la voie; et vous avez entendu ses paroles: « Le Seigneur dans sa justice brisera le cou des pécheurs. Qu’ils soient confondus, refoulés en arrière, ceux qui haïssent Sion. Qu’ils soient comme l’herbe des toits, qui se fane avant qu’on l’arrache.
1.
Ps CXXVIII, 7. — 2. Matth. XIII, 39. — 3. Ps. CXXVIII, 8. — 4. Matth. VII, 21.
Elle n’emplit pas la main du moissonneur, ni le sein de celui qui récolte ses gerbes ». C’est ainsi qu’il en parle. Ainsi David, passant auprès de ces hommes, ne les a point bénis, accomplissant lui-même sa prophétie: « Et ceux qui passeront par la voie, n’ont point dit: Nous vous bénissons au nom du Seigneur ». Et toutefois ces passants, Prophètes, Patriarches, Apôtres, tous ceux qui ont passé, nous ont bénis, mes frères, « au nom du Seigneur », si nous vivons saintement. Comment, diras-tu, Paul m’a-t-il béni? Comment Pierre m’a-t-il béni? Ecoute les saintes Ecritures, vois si tu vis saintement, et tu verras qu’ils t’ont béni. Ils ont béni tous ceux qui ont vécu saintement. Et comment nous ont-ils bénis? « Au nom du Seigneur », et non pas en leur propre nom, comme les hérétiques. Ceux qui sien viennent dire: Ce que nous donnons, voilà ce qui est saint, prétendent bénir en leur propre nom, et pas au nom du Seigneur. Mais ceux qui disent que nul ne peut rendre saint, sinon le Seigneur, que nul n’est bon que par la grâce de Dieu, ceux-là bénissent au nom du Seigneur, et pas en leur propre nom; ils sont les amis de l’Epoux, et répudient tout adultère avec l’Epouse 1.
1.
Jean, III, 19.
Du
fond de l’abîme le Prophète a crié vers le Seigneur. Cet abîme est celui du
péché, et l’homme qui a pu y tomber ne saurait s’en relever par lui-même. Crier
c’est déjà en sortir; compter sur soi-même, ou s’abandonner au mal par
désespoir, c’est dédaigner le secours divin, et Jésus-Christ est venu nous
soulever afin de nous faire crier. C’est donc le pécheur qui crie, et il crie
par espérance, et cette espérance lui vient de Jésus-Christ, dont la loi nous
apprend à supporter les pécheurs sans donner à leurs fautes aucun assentiment.
Comme nos fautes, quoique légères, sont nombreuses néanmoins, crions vers le
Seigneur, et attendons de lui la vie éternelle qui commencera par notre
résurrection, basée sur celle de Jésus-Christ qui a pris notre chair, pour
mourir et ressusciter à la vigile du matin; espérons jusqu’à la nuit, ou jusqu’à la mort. Lui seul est ressuscité
pour ne plus mourir, et nous faire espérer une semblable résurrection.
L’espérance est la garantie de la vertu, mais n’espérons pas les biens de cette
vie, que n’ont recherchés ni les martyrs ni le Divin Maître. En résumé,
espérons dans la miséricorde de celui qui veut nous racheter, qui le peut seul
parce que seul il est sans péché.
1. Nous présumons, mes frères, que vous
veillez non seulement des yeux du corps, mais aussi des yeux de l’âme, et dès
lors nous devons chanter avec intelligence: « Du fond de l’abîme, Seigneur,
j’ai crié vers vous; Seigneur, exaucez ma voix 1 ». Ces paroles sont d’une âme
qui s’élève, et dès lors appartiennent aux cantiques des degrés. Chacun de nous
doit donc examiner dans quel abîme il est descendu, et d’où il doit crier vers
le Seigneur. Jonas cria du fond de l’abîme, du sein de la baleine 2. Non
seulement il était sous les flots, mais dans les entrailles d’un monstre marin:
et ni ces abîmes, ni ces entrailles, n’empêchèrent sa prière de s’élever
jusqu’à Dieu, et le ventre de la baleine ne ferma point le passage à sa voix
suppliante. Sa prière pénétra tout, brisa tout, et arriva aux oreilles de Dieu,
si l’on peut dire, néanmoins, qu’elle brisa tout pour arriver aux oreilles de
Dieu, quand le Seigneur avait les oreilles dans le coeur du Prophète suppliant.
Où, en effet, Dieu n’est-il point présent pour le fidèle qui l’invoque?
Toutefois considérons aussi de quel abîme nous crions vers le Seigneur. L’abîme
pour nous est cette vie mortelle. Tout homme qui comprend cet abîme, crie,
gémit, soupire, jusqu’à ce qu’il sorte des profondeurs, et s’élève jusqu’à
Celui qui est assis au-dessus des
1. Ps. CXXIX, 1, 2.— 2. Jonas, II, 2.abîmes
et des Chérubins, au-dessus de toutes les créatures, et corporelles et
spirituelles, qui sont ses oeuvres; jusqu’à ce que l’âme arrive à lui, et que
soit délivrée par lui son image qui est l’homme, et qui, à force d’être
tourmentée dans ce gouffre et agitée par les flots, a été défigurée; image
toujours dans l’abîme si elle n’est renouvelée et restaurée par le même Dieu qui
l’a imprimée en l’homme; car l’homme qui a bien pu tomber par lui-même, est
impuissant à se relever; oui, dis-je, image qui demeure dans l’abîme, si Dieu
ne l’en retire. Mais crier du fond de l’abîme, c’est sortir de l’abîme, et ce
cri même empêche qu’on soit longtemps dans ces profondeurs. Ils sont bien dans
les derniers abîmes, ceux qui ne crient pas même vers le Seigneur. « Quand le
pécheur est descendu dans les profondeurs du mal, il méprise 1». Voyez, mes
frères, s’il est un abîme plus profond que le mépris de Dieu. Quand un homme se
voit chaque jour accablé de péchés, brisé en quelque sorte sous le poids, sous
la Montagne de ses iniquités; dites-lui de prier Dieu, il vous oppose le
sarcasme. Comment cela? Si mes péchés déplaisaient à Dieu, serais-je encore en
vie? Si Dieu prenait soin des choses d’ici-bas, après tant de crimes que j’ai
commis, non seulement serais-je en vie, mais se pourrait-il que je fusse
heureux? Voilà en det ce qui arrive d’ordinaire à ceux qui s’engloutissent dans
l’abîme, et qui sont heureux dans leur désordre; plus ils semblent heureux,
plus profond est leur abîme. Car un faux bonheur n’est qu’un surcroît de
malheur. On dit encore: Puisque j’ai commis tant de fautes, et que ma damnation
est proche, c’est perdre pour moi que ne point faire ce que je puis;dès lors
que je suis toujours perdu, pourquoi ne pas agir à mon gré? C’est le langage
des brigands les plus désespérés: Si le juge doit m’envoyer à la mort pour dix
homicides, comme pour quinze, comme pour un seul, pourquoi ne point faire tout
ce qu’il me vient à la pensée? Tel est le sens de cette parois: « Quand le
pécheur est arrivé au fond de l’abîme, il dédaigne ». Mais Notre Seigneur
Jésus-Christ, qui n’a point méprisé nos abîmes, qui a daigné descendre jusqu’à
cette misérable vie, en nous promettant la rémission de nos péchés, a soulevé
l’homme du fond de cet abîme, l’a forcé de crier sous le poids de
1. Prov. XVIII, 3.
ses fautes, afin que la voix de ce pécheur
pût arriver jusqu’à Dieu. D’où pouvait-il crier, si ce n’est du fond des
malheurs?
2. Or, voyez que c’est de l’abîme que s’élève
cette voix du pécheur: « Du fond de l’abîme, Seigneur, je crie vers vous;
Seigneur,exaucez ma prière. Que vos oreilles soient attentives à la voix de mes
supplications ». D’où vient ce cri? du fond des abîmes. Quel est l’homme qui
crie? le pécheur. Quelle espérance le fait crier? l’espérance qu’a donnée au
pécheur descendu dans l’abîme Celui qui est venu nous délivrer de nos péchés.
Aussi qu’est-il dit après ces paroles? « Seigneur, si vous examinez nos péchés,
qui pourra subsister, ô mon Dieu? » Voilà que le Prophète nous montre de quel
abîme il pousse des cris. Il s’écrie sous les montagnes, sous les flots de ses
péchés. Il s’est regardé, il a regardé sa vie, il n’a vu de toutes parts que les
souillures des vices et du crime: nulle part il n’a vu le bien, ni pu découvrir
un rayon de justice. A la vue de ses péchés si graves et si nombreux, à la vue
de tant de crimes, il s’écrie dans sa stupeur: « Hélas! Seigneur, si vous
examinez les iniquités, qui pourra subsister devant vous, ô mon Dieu? » Il ne
dit point: Je ne pourrai soutenir votre présence; mais: « Qui pourra la
soutenir? » Il voit que la vie humaine est un long aboiement du péché, que
toutes les, consciences sont condamnées par leurs propres pensées, et qu’il
n’est pas un coeur assez chaste pour présumer de sa justice. Si donc il n’est
pas un coeur assez chaste pour avoir confiance en sa propre justice, que le
coeur de tous les hommes se confie en la divine miséricorde, et s’écrie: « Seigneur,
si vous examinez les iniquités, qui pourra subsister, ô mon Dieu? »
3. Or, d’où vient l’espérance? « Mais en vous
il y a propitiation 1 ». Qu’est-ce que la propitiation, sinon le sacrifice?
Qu’est-ce que le sacrifice, sinon l’offrande que l’on a faite pour nous? Un
sang innocent a été répandu pour laver les péchés des coupables; et une telle
rançon a racheté tous les captifs de la puissance de l’ennemi qui s’en était
rendu maître. Il y a donc en vous propitiation. Si vous n’étiez enclin à
pardonner, si vous ne vouliez être qu’un juge sans miséricorde, examiner,
rechercher toutes les iniquités, qui pourrait subsister? qui pourrait se tenir
en
1. Ps. CXXIX, 4.votre présence, et vous dire:
Je suis innocent? Qui pourrait soutenir l’éclat de votre jugement? Il ne nous
reste donc pour unique espérance « que la propitiation qui est en vous. Et je
vous ai attendu, Seigneur, à cause de votre loi ». Quelle loi? Celle qui fait
les coupables? Or, Dieu a donné aux Juifs une loi sainte, juste 1, bonne, mais
qui n’a pu que faire des pécheurs. Elle n’était point de nature à donner la vie
2, mais à montrer au pécheur ses fautes. Le pécheur en effet s’était oublié, il
ne se voyait point, et la loi lui fut donnée afin qu’il se vît. La loi donc a
rendu l’homme coupable, mais le législateur l’a délivré: ce législateur est le
souverain Maître. La loi donc a été donnée pour effrayer, pour tenir le pécheur
dans des liens; elle ne délivre donc pas des péchés, mais elle montre le péché.
Peut-être que l‘interlocuteur, placé sous la loi, a reconnu dans l’abîme tous
les crimes qu’il a commis contre la loi, et alors il s’est écrié: « Si vous
examinez les iniquités, qui donc pourra subsister, ô mon Dieu? » Il y a donc en
Dieu une loi de propitiation, une loi de miséricorde. Celle qui fut donnée
était une loi de crainte, mais il est une autre loi d’amour. Cette loi d’amour
donne le pardon des péchés, elle efface les fautes passées, avertit au sujet de
l’avenir: elle n’abandonne pas en chemin celui qu’elle accompagne, elle est
elle-même la compagne de celui qu’elle guide en chemin. Mais il faut t’accorder
avec ton adversaire 3, pendant que tu es en route avec lui. Et cet adversaire
pour toi, c’est la parole de Dieu, si tu n’es pas en harmonie avec elle. Cette
harmonie s’établit dès lors que tu trouves ton plaisir à faire ce que t’ordonne
la parole de Dieu. L’adversaire devient ami, et au bout de la route il n’y aura
personne pour te livrer au juge. Donc «je vous ai attendu, Seigneur, à cause de
votre loi ». Parce que vous avez daigné m’apporter une loi de miséricorde, me
pardonner toutes mes fautes et me donner de sages conseils pour l’avenir, afin
que je ne vous offense plus et quand mes pieds chancelleront en suivant vos
conseils, vous m’avez donné un remède, en mettant dans ma bouche cette prière:
« Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent 4».
Telle est votre loi, qu’il me sera remis comme j’aurai remis à mon frère. «
J’ai attendu,
1. Rom. VII, 12.— 2. Gal. III, 21.— 3. Matth.
V, 25.— 4. Id. VI, 12.
« Seigneur, à cause de votre loi ». J’ai
attendu quand il vous plairait de venir et de me délivrer de toutes mes
misères, parce que dans ces misères vous n’avez point délaissé la loi de la
miséricorde.
4. Ecoute de quelle loi il s’agit, situ n’as
compris encore qu’il est question de la loi de charité: «Portez mutuellement
vos fardeaux », dit l’Apôtre, « et de la sorte vous accomplirez la loi du
Christ 1». Quels hommes portent mutuellement leurs fardeaux, sinon ceux qui ont
la charité? Ceux qui n’ont point la charité sont à charge à eux-mêmes, tandis
que les hommes charitables se supportent mutuellement. Un homme te blesse et te
demande pardon; lui refuser ce pardon, c’est ne point porter le fardeau de ton
frère; lui pardonner, c’est le porter dans son infirmité. Et toi, qui es homme,
situ viens à tomber dans quelque faiblesse, il doit à son tour te supporter
comme tu l’as supporté. Ecoute ce qu’avait dit saint Paul auparavant: « Mes
frères», dit-il, « si un homme est surpris dans quelque péché, vous qui êtes
spirituels, instruisez-le dans l’esprit de douceur 2». Et de peur qu’ils ne se
crussent en sûreté parce qu’il lés avait appelés spirituels, il ajoute
aussitôt: « En réfléchissant sur toi-même, et craignant d’être tenté aussi ».
Puis il ajoute ce que je viens de citer: « Portez mutuellement vos fardeaux et
vous accomplirez ainsi la loi du Christ »; ce qui a fait dire an Prophète «
J’ai attendu, Seigneur, à cause de votre loi ». On dit que les cerfs, quand ils
passent quelque détroit pour aller chercher des pâturages dans les îles
voisines, posent la tête l’un sur l’autre; le premier seulement soutient sa
tête sans l’appuyer sur aucun. Mais quand il est fatigué, il quitte la tête de
colonne pour revenir en arrière et se reposer sur un autre. C’est ainsi que
tous portent mutuellement leurs fardeaux, et arrivent au lieu recherché; ils ne
font pas naufrage, la charité est pour eux comme un vaisseau, C’est donc la
charité qui porte les fardeaux, mais qu’elle ne craigne point de succomber sous
leur poids; chacun ne doit redouter que le poids de ses propres fautes.
Supporter la faiblesse de son frère, ce n’est point te charger de ses péchés;
mais y consentir, c’est te charger des tiens, et non des siens: quiconque en
effet adhère aux désirs du pécheur, n’est point chargé par les fautes
1. Gal. VI, 2. — 2. Id. 1.d’autrui, mais bien
par les siennes. Consentir en effet au péché d’un autre, c’est pécher toi-même;
et dès lors tu n’as plus àte plaindre d’être accablé par les péchés d’autrui.
On te répondra qu’en effet tu es accablé, mais par les tiens. Tu as vu un
voleur et tu as couru avec lui 1, dit l’Ecriture. Qu’est-ce à dire? Que tes
pieds ont marché pour commettre le vol? Point du tout; niais que ton intention
était unie à celle du voleur. Ce qui n’était une faute que pour lui, est devenu
faute pour toi, par ton assentiment. Mais au contraire, si son péché t’a déplu,
et que tu aies prié pour lui, situ lui as pardonné sur ses instances, de sorte
que tu puisses prononcer sans trembler cette parole enseignée par le Souverain
Législateur: « Remettez-nous nos dettes comme nous remettons à ceux qui nous
doivent 2 », tu as appris à porter les fardeaux de ton frère, afin qu’un autre
porte aussi ceux que tu pourras avoir, et que s’accomplisse entre vous ce mot
de l’Apôtre: « Portez mutuellement vos fardeaux et vous accomplirez ainsi la
loi du Christ 3 ». Ainsi tu chanteras avec assurance: « Seigneur, je vous ai
attendu à cause de votre loi ».
5. Quiconque n’observe point cette loi,
n’attend point le Seigneur; et quand même il l’attendrait, s’il ne l’attend à
cause de cette loi, son attente est vaine; le Seigneur viendra sans doute, et
trouvera tes péchés. Tu crois avoir vécu dans une justice parfaite, et dès lors
il ne trouvera point l’homicide en toi. C’est un grand crime, en effet, un crime
énorme. Il ne trouvera point l’adultère; il ne trouvera point le vol, il ne
trouvera point la rapine, il ne trouvera point l’idolâtrie; voilà ce qu’il ne
trouvera point: n’est-il donc rien qu’il puisse trouver? Ecoute la parole de
l’Evangile: «Quiconque dira à son frère: Tu es un fou ». Qui donc est exempt de
ces fautes légères de la langue? Elles sont légères, diras-tu. « Celui-là »,
dit le Sauveur, « sera condamné au feu de l’enfer 4 ». Si, dire àton frère: Tu
es un fou, te paraissait une faute légère, que du moins le feu de l’enfer soit
pour toi quelque chose dc grand. Si tu dédaignais une faute légère, que la
gravité du châtiment t’effraie du moins. Mais, diras-tu encore, ce sont là des
fautes légères, des minuties dont la vie ne saurait être exempte. Réunis ces
minuties, elles seront des montagnes.
1. Ps. XLIX, 18.— 2. Matth. VI, 12.— 3.Gal.
VI, 2.— 4. Matth. V, 22.
Des grains de blé sont petits, et forment
néanmoins une grande masse; des gouttes d’eau sont petites, et néanmoins elles
formeDt des fleuves qui entraînent les chaussées. L’interlocuteur, considérant
combien sont nombreuses les fautes légères que l’homme commet chaque jour,
sinon autrement, dii moins par la pensée et par la langue, considérant que si
elles ne sont point graves séparément, du moins, réunies, elles forment une
grande masse, effrayé plus encore de la fragilité humaine que de ses fautes
passées, «Seigneur», dit-il, « du fond de l’abîme j’ai crié vers vous;
Seigneur, écoutez ma voix. Que vos oreilles soient attentives à la voix de ma «
prière, Si vous tenez un compte exact des iniquités, qui pourra subsister, ô
mon Dieu? » Je puis éviter les homicides, les adultères, les rapines, les
parjures, les maléfices, l’idolâtrie. Mais les péchés de la langue? Mais les
péchés du coeur? Il est écrit que « le péché c’est l’iniquité 1; qui donc
pourra subsister, si vous tenez un compte exact des iniquités? » Si vous voulez
être pour nous un juge sévère, non un père miséricordieux, qui pourra soutenir
votre présence? mais « en vous il y a propitiation, et je vous ai attendu à
cause de votre loi ». Quelle est cette loi? « Portez mutuellement vos fardeaux,
et ainsi vous accomplirez la loi du Christ 2 ». Quels hommes portent
mutuellement leurs fardeaux? Ceux qui disent à Dieu en toute fidélité: « Remettez-nous
nos dettes, comme « nous remettons à ceux qui nous doivent 3».
6. « Mon âme a attendu à cause de votre
parole ». Nul n’attend, sinon celui qui n’a point reçu encore ce qu’on lui avait
promis. Qu’attendrait celui qui a déjà reçu? Nous avons reçu la rémission des
péchés, mais Dieu nous a promis en outre le royaume des cieux. Nos péchés sont
effacés, mais la récompense est encore à venir le pardon est accordé, mais nous
ne possédons point encore la vie éternelle. Or, celui qui nous a pardonné est
le même qui nous a promis la vie sans fin. Si c’était une promesse humaine, il
y aurait à craindre; mais c’est la promesse de Dieu qui est infaillible. Nous
attendons dès lors en toute sécurité sa parole qui ne saurait nous tromper. «
Mon âme a espéré dans le Seigneur, depuis la veille du matin jusqu’à la nuit ».
Que signifie cette parole?
1. I Jean, III, 4.— 2. Gal. VI, 2.— 3. Matth.
VI, 12.— 4. Ps. CXXIX, 5,6.Le Prophète a-t-il espéré un jour seulement dans le
Seigneur, et son espérance a-t-elle cessé? Il a espéré dans le Seigneur depuis
la vigile du matin jusqu’à la nuit. La vigile du matin, c’est la fin de la
nuit; de là jusqu’à l’autre nuit, il a espéré dans le Seigneur. Entendons bien
ces paroles, et n’allons pas croire que nous ne devons espérer dans le Seigneur
que pendant un jour seulement. « Depuis la vigile du matin jusqu’à la nuit ».
Que pensez-vous donc, mes frères? Il est dit: « Depuis la vigile du matin
jusqu’à la nuit, mon âme a espéré dans le Seigneur »: parce que le Seigneur,
par qui nos péchés nous sont pardonnés, est ressuscité d’entre les morts à la
vigile du matin, afin que nous concevions pour nous l’espérance de ce qui a été
d’abord accompli en Notre Seigneur. Nos péchés sont remis à la vérité, niais
nous ne sommes point ressuscités encore. Si donc nous ne sommes point
ressuscités encore, ce qui s’est accompli en notre chef n’est point accompli en
nous. Qu’a-t-il paru d’abord dans notre chef? Que la chair de ce chef est ressuscitée;
niais l’esprit de ce chef était-il donc mort? Ce qui était donc mort en lui est
ressuscité, et il est ressuscité le troisième jour; et le Seigneur nous a dit
en quelque sorte: Espérez pour vous ce qui s’est accompli en moi, c’est-à-dire
que vous ressusciterez parce que moi-même je suis ressuscité.
7. Mais il en est qui disent: Voilà que le
Seigneur est ressuscité; puis-je donc espérer que je ressusciterai de même?
Oui, par la même raison. Car le Seigneur est ressuscité dans ce qu’il avait
pris de toi. Il ne serait point ressuscité en effet, s’il n’eût passé par la
mort, et il n’eût point passé par la mort s’il n’eût porté une chair. Qu’a reçu
de toi le Seigneur? La chair. Qu’était-il quand il est venu? Le Verbe de Dieu,
lequel était avant toutes choses, et par qui tout a été fait. Mais parce qu’il
voulait prendre quelque chose de toi, « le Verbe a été fait chair et a demeuré
parmi nous 1». Il a donc reçu de toi ce qu’il devait offrir pour toi; de même
que le prêtre reçoit de tes mains ce qu’il doit offrir pour toi, quand tu veux
apaiser Dieu sur tes péchés. Voilà ce qui s’est tait, et cela s’est fait ainsi.
Notre souverain Prêtre a reçu de nous ce qu’il devait offrir pour nous. Il a
pris de nous une chair, et dans cette chair il est devenu notre
1. Jean, I, 1, 3, 14.
victime, notre holocauste, notre sacrifice.
Il est devenu notre sacrifice dans sa passion; dans sa résurrection, il a
renouvelé ce qui en lui avait reçu la mort, et l’a offert à Dieu comme
prémices, et il t’a dit: Tout ce que j’avais de toi est maintenant consacré à
Dieu; j’ai offert à Dieu des prémices qui viennent de toi: espère dès lors
qu’en toi s’accomplira ce qui s’est accompli tout d’abord dans ces mêmes
prémices.
8. Comme donc c’est à la vigile du matin que
le Christ a commencé à ressusciter; c’est alors que notre âme a commencé à
espérer. Et jusqu’à quel moment? « Jusqu’à la nuit », jusqu’à notre mort;
puisque la mort de notre chair n’est en quelque sorte qu’un sommeil. C’est à la
résurrection du Sauveur qu’a commencé ton espérance, qu’elle ne finisse qu’à ta
sortie de ce monde. Si tu n’espères en effet jusqu’à la nuit, ton espérance
passée est perdue. Il est en effet des hommes qui commencent à espérer, mais
qui ne persévèrent pas jusqu’à la nuit. Les voilà dans les afflictions, les
voilà dans la tentation, ils voient les méchants, les impies dans une félicité
temporelle; et comme ils attendaient de Dieu quelque bonheur ici-bas, ils
voient que ce bonheur qu’ils convoitent est le partage d’hommes criminels: et
les voilà chancelants, perdant toute espérance. Pourquoi? parce que leur
espérance n’a point commencé à la vigile du matin. Qu’est-ce à dire? Parce
qu’ils n’ont point commencé par espérer du Seigneur, ce qu’ils ont vu tout
d’abord dans ce même Seigneur, à la vigile du matin; mais ils espéraient qu’en
devenant chrétiens, ils auraient des maisons regorgeant de froment, de vin,
d’huile, d’argent, d’or; que nul d’entre eux ne mourrait prématurément; s’ils
n’avaient point d’enfants, qu’ils en auraient en devenant chrétiens; s’ils n’étaient
mariés, qu’ils trouveraient une épouse; que leurs épouses, non seulement, mais
leurs bestiaux, ne seraient point stériles; que leurs vins ne s’aigriraient
Plus; que la grêle n’atteindrait point leurs vignes. Après avoir espéré ces
biens de la part du Seigneur, on voit que ceux qui ne servent point Dieu,
possèdent cependant toutes ces richesses, et l’on chancelle, et l’on n’espère
plus jusqu’à la nuit, parce que l’on n’a point commencé à espérer à la vigile
du matin.
9. Quel est donc l’homme qui commence à (89)
espérer à la vigile du matin? Celui qui attend du Seigneur ce que le Seigneur
nous a montré à la vigile du matin, c’est-à-dire la résurrection. Avant lui nul
n’était ressuscité pour ne plus mourir. Que votre charité veuille bien
m’écouter, Quelques morts sont ressuscités avant Jésus-Christ; car Elie
ressuscita un mort, Elisée également 1; mais ces morts ne ressuscitèrent que
pour mourir de nouveau. Ceux mêmes que le Christ ressuscita, ne ressuscitèrent
que pour mourir encore, soit le fils de la veuve, soit cette enfant de douze
ans, fille du chef de la synagogue, roit Lazare 2; ils ressuscitèrent de
différentes manières, mais pour mourir une seconde fois pour eux une seule
naissance et une double mort. Nul autre que le Seigneur n’était ressuscité pour
ne plus mourir. Mais quand est-il ressuscité pour ne plus mourir? « A la vigile
du matin ». Espère donc du Seigneur que tu ressusciteras, non comme Lazare est
ressuscité, non comme le fils de la veuve, ou la fille du chef de la synagogue,
non comme ceux que ressuscitèrent les anciens Prophètes; mais espère que tu
ressusciteras comme le Seigneur lui-même, en sorte qu’après cette résurrection
tu n’auras plus à craindre la mort; voilà espérer dès la vigile du matin.
10. Espère jusqu’à la nuit, jusqu’à la fin de
cette vie, jusqu’à ce qu’une nuit générale enveloppe le genre humain à la fin
du monde. Pourquoi jusque-là? C’est qu’après cette nuit, il n’y aura plus
d’espérance, mais bien la réalité. L’espérance en effet n’est plus une
espérance dès qu’on la voit; et l’Apôtre a dit: « Comment espérer ce que l’on
voit? Or, si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons par la
patience 3 ». Si donc nous devons attendre patiemment ce que nous ne voyons
point, espérons jusqu’à la nuit, c’est-à-dire jusqu’à la fin de notre vie, ou
du monde. Mais quand cette vie sera écoulée, alors viendra ce que nous avons
espéré, et alors sans être dans le désespoir, nous n’aurons plus d’espérance.
Le désespoir en effet est blâmable, et dans nos imprécations contre un homme,
nous disons: Il n’a aucune espérance. Et toutefois, être sans espérance n’est
pas toujours un mal. C’est un mal, sans doute, de n’en point avoir en cette
vie; car celui qui n’a point l’espérance en cette vie, n’aura
1. III Rois, XVII, 22; IV Rois, IV, 35. — 2.
Luc; VII, 15; VIII, 55; Jean, XI, 44. — 3. Rom. VIII, 24, 25.
point la réalité dans l’autre vie. Donc il
nous faut espérer maintenant; mais, quand nous posséderons la réalité, que
deviendra l’espérance? Comment espérer ce que l’on voit? Le Seigneur notre Dieu
viendra et montrera au genre humain cette bruie dans laquelle il a été crucifié
et il est ressuscité, et s’y fera voir aux bons et aux méchants; les uns le
verront pour se féliciter de trouver en lui ce qu’ils avaient cru avant de
voir; les autres le verront afin de rougir de n’avoir point cru ce qu’ils
verront alors. Ceux qui rougiront seront condamnés, ceux qui se féliciteront
seront couronnés. A ceux qui seront confus on dira: « Allez au feu éternel, qui
a été préparé au diable et à ses anges »; et à ceux qui seront dans la joie on
dira: « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès
l’origine du monde 1». Lorsqu’ils le posséderont, il n’y aura plus d’espérance,
mais bien la réalité. L’espérance finissant, la nuit finira aussi; mais jusqu’à
ce moment, que notre âme espère dans le Seigneur, depuis la vigile du matin.
14. Le Prophète revient sur cette même
parole: « Qu’Israël espère dans le Seigneur depuis la vigile du matin. Depuis
la vigile du matin jusqu’à la nuit, mon âme a espéré dans le Seigneur ». Mais
qu’a-t-il espéré? « Qu’Israël espère dans le Seigneur, depuis la vigile du
matin ». Non seulement qu’Israël espère dans le Seigneur, mais qu’il espère
depuis la vigile du matin. Donc je condamne l’espérance des biens de ce inonde,
quand on les attend de Dieu? Point du tout; mais il est une autre espérance
propre à Israël. Qu’il n’espère, comme le bien suprême pour lui, ni les
richesses, ni la santé du corps, ni l’abondance des biens terrestres. Il
trouvera même l’affliction ici-bas, et peut-être sera-il engagé dans quelques
persécutions pour la vérité. Les martyrs n’espéraient-ils pas en Dieu? Et
néanmoins ils ont souffert comme auraient pu souffrir des voleurs, des hommes
d’iniquité: condamnés aux bêtes, exposés au feu, frappés du glaive, déchirés
par des crocs, chargés de chaînes, étouffés dans les prisons, n’espéraient-ils
donc pas en Dieu pour souffrir tant de maux? Ou le but de leur espérance
était-il d’échapper à ces tourments pour jouir de la vie? Nullement, ils
espéraient dès la vigile du matin. Qu’est-ce
1. Matth. XXV, 11, 31.
à dire? Ils considéraient dans cette vigile
du matin la résurrection de leur Maître, qui a dû souffrir ce qu’ils
souffraient eux-mêmes, avant de ressusciter, et ils ne perdaient point la
confiance de passer de ces tourments à la résurrection pour la vie
bienheureuse. « Israël a espéré dans le Seigneur depuis la vigile « du matin
jusqu’à la nuit ».
12. « Car dans le Seigneur est la
miséricorde, et une abondante rédemption 1». Sublime expression ! On ne pouvait
rien dire de plus juste après ces paroles: « Dès la vigile du matin qu’Israël
espère dans le Seigneur ». Pourquoi? Parce que c’est à la vigile du matin que
le Seigneur est ressuscité, et que le corps doit espérer ce qui s’est réalisé dans
la tête. Mais tu pourrais avoir cette pensée: Si le chef est ressuscité parce
qu’il n’était point chargé d’iniquités, et parce qu’il n’avait en lui aucun
péché, nous autres que pourrons-nous devenir? Pouvons-nous espérer une
résurrection semblable à celle de Notre Seigneur, accablés de péchés comme nous
le sommes? Pour l’écarter, vois ce qui suit: « Car dans le Seigneur est la
miséricorde et une abondante rédemption. Et il rachètera Israël de toutes ses
iniquités ». Si donc Israël se trouvait accablé, voici la divine miséricorde.
Celui qui était sans péché a marché le premier, afin d’effacer les péchés de
ceux qui le suivraient. N’ayez en vous aucune présomption, et n’espérez que dès
la vigile du matin. Voyez notre Seigneur qui ressuscite et qui monte au ciel,
Il n’y avait en lui aucun péché, mais en lui vos fautes seront effacées. « Il
rachètera Israël de toutes ses iniquités ». Israël a bien pu se vendre, et de
la sorte être
1. Ps. CXXLX, 7.
vendu par le péché, mais il ne pouvait se racheter de ses iniquités.
Celui-là seul peut le racheter, qui n’a point pu se vendre. Celui qui n’a point
commis le péché peut nous racheter du péché. « C’est lui qui rachètera Israël
». De quoi le rachètera-t-il? De telle iniquité ou de telle autre? « De toutes
ses iniquités». Qu’il ne craigne dès lors aucune de ces iniquités, celui qui
veut approcher de Dieu; qu’il s’en approche seulement dans toute ha plénitude
de son coeur, qu’il cesse de faire ce qu’il faisait auparavant, et qu’il ne
dise point: C’est là une iniquité qui ne sera jamais remise. Tenir ce langage
c’est ne point se convertir, du moins quant à cette iniquité dont il n’espère
point le pardon, et dès lors qu’il en commet d’autres, il ne recevra pas même
he pardon de celui dont il ne craignait rien. J’ai commis un grand crime,
dit-il, et Dieu ne saurait me le pardonner: j’en commettrai d’autres, et
m’abstenir serait temps perdu pour moi. Ne crains rien tu es au fond de
l’abîme, ne dédaigne pas du fond de cet abîme de crier vers le Seigneur et de
dire: « Si vous examinez les iniquités, qui pourra subsister, ô mon Dieu? »
Observe le Seigneur, arrête sur lui tes regards, et attends-le à cause de sa
loi. Quelle prescription t’a-t-il faite? « Remettez-nous nos dettes, comme nous
remettons à ceux qui nous doivent ». Espère que tu ressusciteras, et qu’alors
tu seras sans péché, puisque le premier qui a été sans péché est ressuscité.
Espère depuis la vigile du matin. Ne va point dire: J’en suis indigne à cause
de mes péchés. Tu n’en es pas digne, à la vérité; mais « il est en lui une
abondante miséricorde, et c’est lui qui rachètera Israël de toutes ses
iniquités ».
La foi unit en Jésus-Christ
tous les fidèles qui sont les pierres vivantes de son temple; et c’est dans ce
temple seulement que nous sommes exaucés quant à la vie éternelle. Quand Jésus
chassait les vendeurs du temple, il faisait un acte symbolique. Ce temple est
la figure de l’Eglise, dans laquelle nous voyons des acheteurs et des vendeurs,
ou des chrétiens qui cherchent leurs intérêts; ils en seront chassés avec un
fouet de cordes, ou le fouet de leurs péchés. Les vendeurs ne renversèrent
point le temple, ni les pécheurs ne renverseront l’Eglise, maison de notre
prière. C’est donc l’Eglise qui chante ce psaume, et sous pouvons juger que
nous sommes de l’Eglise, si nous le chantons en vérité. L’interlocuteur ne
s’est point enorgueilli, et dès lors il a offert le sacrifice qui plaît à Dieu,
celui de l’humilité. Mais Simon le magicien, sans vouloir de l’humilité comme
les Apôtres, voulait faire descendre l’Esprit-Saint, trafiquer de la colombe,
et Pierre le chassa. Si tous ne font pas des miracles, ils n’en sont pas moins
à Dieu; l’oeil n’est pas la main, et tous les membres cependant se prêtent un
mutuel secours; de même dans l’Eglise ceux qui font des miracles prêtent leur
autorité aux autres. Les dons de Dieu pourraient nous enorgueillir; saint Paul,
qui avait d’abord été persécuteur, a plus travaillé que les antres, mais pour
contre-poids il fut souffleté par Satan, qui sévit aussi contre Job, contre
Jésus-Christ, et qui perdit ainsi ceux que le sang du Calvaire a rachetés. Ne
cherchons dans l’Eglise que l’inscription de notre nom au ciel.
Le Prophète, s’il n’est humble,
fait des imprécations contre lui-même, et veut être comme l’enfant que l’on
sèvre dans les bras de sa mère. A sa naissance, il lui faut le lait de sa mère,
et non du pain. De même le chrétien peu instruit ne saurait contempler le Verbe
qui est le pain des auges il doit grandir par la foi au Verbe fait homme,
crucifié, ressuscité, monté an cieL C’est le lait que Dieu nous a préparé.
Prétendre raisonner, c’est imiter les hérétiques qui ont vu l’inégalité dans
les personnes, et ont été sevrés die lait de 1’Eglise leur mère. — D’autres ont
dit que tout orgueil déplaît à Dieu sans doute, mais que l’homme néanmoins doit
s’élever par la méditation, afin de passer du lait de l’enfance ta la
nourriture de l’homme fait. Cette explication a l’inconvénient de ne point
rendre l’imprécation du Prophète qui ne voit dans le sevrage de l’enfant trop
jeune qu’un châtiment de son orgueil: car le sevrer quand il est trop jeune ou
faible encore, c’est lui donner la mort. Qu’il grandisse donc par le lait de sa
mère, par l’humilité de la foi; qu’il cherche, et vous aussi, ce qui est devant
nous, en se reposant sur le Seigneur.
1. Ce psaume nous recommande l’humilité du
fidèle serviteur de Dieu, qui le chante, et qui est le corps entier du Christ.
Souvent, en effet, j’ai fait remarquer à votre charité que ce n’est point un
seul homme qui parle, mais tous ceux qui forment le corps du Christ. Et comme
ils sont tous réunis dans ce même corps, ce n’est en quelque sorte qu’un seul
homme qui parle, et ce seul homme est en même temps plusieurs; car, quoique
plusieurs en eux-mêmes, ils sont un en celui qui est un. Or, c’est lui qui est
ce temple de Dieu, dont l’Apôtre a dit: « Le temple de Dieu est saint, et vous
êtes ce temple 1 » c’est-à-dire tous ceux qui croient en Jésus-Christ, et qui
croient en lui de manière à l’aimer. Car croire au Christ, c’est aimer le
Christ: non comme les démons croyaient 2, mais sans l’aimer; et cette foi
néanmoins ne les empêchait point de dire « Qu’y a-t-il entre « vous et nous, ô
Fils de Dieu 3? » Pour nous, que notre foi soit de nature à croire en lui, à
l’aimer, sans dire « Qu’y a-t-il entre vous et
1. I Cor. III, 17. — 2. Jacques, II, 19. — 3.
Matth. VIII 29.
« nous, ô Fils de Dieu? » mais de manière à
dire: Nous sommes à vous, qui nous avez rachetés. Tous ceux qui ont cette foi
sont comme des pierres vivantes, qui forment le temple de Dieu 1; comme ces
bois incorruptibles dont fut façonnée cette arche que ne purent submerger les
eaux du déluge 2. C’est dans ce temple, c’est-à-dire dans ces hommes, que l’on
offre à Dieu des prières qu’il exauce. Quiconque prie le Seigneur hors de son
temple, n’est point exaucé en ce qui regarde la paix de la Jérusalem d’en haut,
bien qu’il soit exaucé quelquefois quant aux biens temporels, que Dieu donne
même aux païens. Les dénions aussi furent exaucés, et purent entrer dans les
pourceaux 3. Mais être exaucé quant à la vie éternelle est bien différent, et
Dieu n’accorde cette faveur qu’à ceux qui prient dans le temple de Dieu. Or,
celui-là prie dans le temple de Dieu, qui prie dans la paix de l’Eglise, dans
l’unité du corps du Christ, et ce corps du Christ est formé de tous ceux qui
ont la foi sur toute la surface de la terre; et
1. I Pierre, II, 5. — 2. Gen. VI, 11. — 3.
Matth. VIII, 31, 32.il est exaucé précisément parce qu’il prie dans son temple.
Car il prie en esprit et en vérité, puisqu’il prie dans la paix de l’Eglise 1,
et non dans un temple matériel qui n’en est que la figure.
2. Il y avait une figure, en effet, quand le
Seigneur chassa du temple ces hommes qui cherchaient leurs intérêts, et n’y
entraient que pour vendre et acheter 2. Or, si ce temple était une figure, il
devient évident que le corps de Jésus-Christ, qui est le véritable temple, et
dont cet autre n’était que la figure, renferme aussi des vendeurs et des
acheteurs, ou des hommes qui recherchent leurs intérêts, et non pas ceux de
Jésus-Christ 3. Mais un fouet de cordes va les en chasser. La corde en effet
signifie les péchés, comme il est dit par un Prophète: « Malheur à ceux qui
traînent leurs péchés, comme une longue chaîne 4 ». Or, c’est traîner ses
péchés comme une longue chaîne qu’ajouter péchés sur péchés; que recouvrir un
péché que l’on vient de commettre par un autre que l’on commet ensuite. De même
en effet, que pour faire une corde on joint filasse à filasse, et qu’on la tord
au lieu de la tirer en droite ligne, de même, ajouter l’une à l’autre des
actions perverses et qui sont des péchés, aller de faute en faute et enrouler
péché sur péché, c’est en composer une longue chaîne. « Leurs voies sont
contournées, leurs démarches tortueuses 5». Mais à quoi servira cette corde,
sinon à leur lier les pieds et les mains pour les jeter dans les ténèbres
extérieures? Vous savez ce que dit l’Evangile à propos de certain pécheur: «
Liez-lui les pieds et les mains, et jetez-le dans les ténèbres extérieures;
c’est là qu’il y aura pleur et grincement de dents 6 ». Il n’y aurait pas moyen
de lui lier les pieds et les mains, si lui-même ne s’était fait une corde. De
là ce mot si clair d’un autre endroit: « Chacun est garrotté par les liens de
ses péchés 7 ». C’est donc parce que les hommes sont frappés par les cordes de
leurs péchés que le Seigneur se fit un fouet avec des cordes, et qu’il chassa
du temple ceux qui cherchaient leurs intérêts, et non ceux du Christ 8.
3. Tel est donc le temple qui parle dans
notre psaume. C’est dans ce temple, ai-je dit,
1. Jean, IV, 21-24.— 2. Id. II, 15.— 3.
Philipp. II, 21. — 4. Isa. V, 18. — 5. Job, VI, 18. — 6.
Matth.
XXII, 13. — 7. Prov. V, 22. — 8. Jean, II, 15; Philipp. II, 21.
que l’on prie le Seigneur; c’est là, et non
dans le temple matériel, qu’il nous exauce en esprit et en vérité. Car le
temple de Jérusalem n’était qu’une figure qui annonçait l’avenir; et voilà pourquoi
il est tombé; mais la maison de notre prière est-elle tombée? Loin de là; car
ce n’est point ce temple qui est tombé que l’on pouvait appeler maison du
Seigneur, et dont il est dit « Ma maison sera appelée chez tous les peuples une
maison de prière ». Vous entendez en effet cette parole de Notre Seigneur
Jésus-Christ: « Il est écrit », nous dit-il, « que ma maison sera appelée chez
tous les peuples une maison de prière, et vous en avez fait une caverne de
voleurs 1». Mais ceux qui ont pu faire de la maison de Dieu une caverne de
voleurs, ont-ils bien pu détruire ce même temple 2 7 De même ceux qui dans
l’Eglise catholique ont unie vie déréglée, font de la maison de Dieu une
caverne de voleurs, autant qu’il est en eux; mais ils n’en renversent point le
temple. Un temps viendra qu’ils en seront chassés par le fouet de leurs
iniquités. Or, ce temple de Dieu, ce corps du Christ, cette assemblée des
fidèles n’a qu’une même voix, et chante notre psaume comme un seul homme. Déjà
nous avons entendu sa voix dans bien des psaumes, écoutons-la encore dans
celui-ci. C’est notre voix, si nous le voulons; si nous le voulons encore,
écoutons de l’oreille et chantons du coeur, Si nous refusons, au contraire,
nous serons dans ce temple comme des vendeurs et des acheteurs, c’est-à-dire,
cherchant nos propres intérêts. Nous entrerons dans l’Eglise, non pour y
chercher ce qui est agréable aux yeux de Dieu. Que chacun de vous, dès lors,
examine sa manière d’écouter, s’il écoute pour tourner en dérision, s’il écoute
pour négliger ce qu’il entend, s’il écoute pour correspondre, c’est-à-dire,
s’il reconnaît sa propre voix et s’il joint la voix de son coeur à la voix
qu’il entend. Notre psaume néanmoins ne laisse point de chanter: que ceux-là
s’en instruisent qui le peuvent, et même qui le veulent; pour ceux qui ne le
veulent point, qu’ils ne soient un obstacle pour personne. Que l’on nous prêche
l’humilité; c’est ainsi qu’il commence
4. « Seigneur, mon coeur ne s’est point élevé
». L’interlocuteur a offert un sacrifice. Comment prouver qu’il a offert un
sacrifice? C’est qu’il y a sacrifice dans l’humilité du
1. Matth. XXI, 12, 13. — 2. Jean, II,
19.coeur. Il est dit dans un autre psaume: « Si vous eussiez voulu un
sacrifice, je vous l’eusse offert 1». Le Prophète voulait alors satisfaire à
Dieu pour ses péchés, l’apaiser et en recevoir le pardon de ses fautes. Et
comme s’il se fût demandé comment il l’apaiserait: «Si vous eussiez voulu un
sacrifice», dit-il, «je vous l’eusse offert; mais les holocaustes ne vous
seront point agréables ». C’est donc en vain qu’il cherchait, pour apaiser le
Seigneur, des béliers, des taureaux, ou toute antre victime. Quoi donc! parce
que le Seigneur n’agrée pas les holocaustes, ne recevra-t-il point le
sacrifice, et sans sacrifice pourra-t-on l’apaiser? S’il n’y avait aucun
sacrifice, il n’y aurait aucun prêtre. Et toutefois, nous avons un prêtre qui
intercède pour nous auprès de son Père 2. Car il est entré dans le Saint des
Saints, dans l’intérieur du voile, où le grand prêtre entrait en figure une fois
l’année seulement, comme Notre Seigneur n’a été offert qu’une fois dans le
cours des temps. C’est lui-même qui s’est offert, lui le prêtre, lui la
victime, qui est entré une fois dans le Saint des Saints, qui ne meurt plus; la
mort n’aura plus d’empire sur lui 3. Nous sommes donc en sûreté, puisque nous
avons ce grand prêtre dans le ciel; offrons aussi une victime. Et toutefois,
voyons quel sacrifice nous devons offrir: car notre Dieu n’aime point les
holocaustes, comme il est dit dans le psaume, lequel néanmoins nous désigne
aussitôt le sacrifice que nous devons offrir: « Le sacrifice agréable à Dieu
est une âme brisée de douleur; vous ne rejetterez pas, ô Dieu, un coeur contrit
et humilié 4 ». Si donc le coeur humilié est un sacrifice à Dieu, il a offert
ce sacrifice celui qui a dit: « Seigneur, mon coeur ne s’est point élevé ».Vois
encore ailleurs qu’il offre un sacrifice, quand il dit à Dieu: « Voyez mon
humiliation et mon labeur, et pardonnez-moi tous mes péchés 5».
5. « Seigneur, mon coeur ne s’est point
enorgueilli, mes yeux ne se sont point élevés en haut, je n’ai point marché sur
les hauteurs, ni sondé les merveilles qui me surpassent ». Expliquons plus
clairement, et que l’on comprenne. Je n’ai pas été superbe, ni cherché à me
faire connaître des hommes par des merveilles, ni rien affecté qui surpassait
mes forces pour me faire valoir auprès
1. Jean, L, 18.— 2. Hébr. IX, 12. — 3. Rom.
VI, 9. — 4. Ps. L, 19. — 5. Id. XXIV, 18.
des ignorants. Que votre charité redouble
d’attention, la question est importante. Vous savez comment Simon le Magicien
voulait marcher dans des merveilles bien supérieures à lui 1: ce qui le
flattait, c’était la puissance des Apôtres, bien plus que la justice des
chrétiens. Mais il dit que par l’imposition des mains des Apôtres, et à leurs
prières, Dieu envoyait l’Esprit-Saint sur les fidèles, et que cet avènement de
l’Esprit-Saint se manifestait par des merveilles, comme de parler des langues
que n’avaient nullement apprises ceux en qui l’Esprit-Saint était descendu.
N’en concluons pas toutefois que l’on ne reçoit pas l’Esprit-Saint aujourd’hui,
parce que les fidèles ne parlent plus diverses langues. Ils devaient alors
parler diverses langues, afin de montrer que toutes les langues devaient croire
au Christ. Or, à cette vue, Simon voulut faire de semblables merveilles, mais
non ressembler aux Apôtres 2. Il voulut même, comme vous savez, acheter
l’Esprit-Saint à prix d’argent. Il était donc du nombre de ces hommes qui
entraient dans le temple pour vendre et acheter; il voulut acheter ce qu’il
pensait revendre. Simon donc était réellement dans ces dispositions, et il les
apportait en se joignant aux Apôtres. Or, le Seigneur chassa du temple ceux qui
vendaient des colombes 3, et la colombe est le symbole de l’Esprit-Saint; Simon
donc voulut acheter la colombe, et revendre ensuite la colombe et Jésus, qui
habitait en Pierre, vint, le fouet à la main, et chassa de son temple ce
vendeur impie 4.
6. Il est donc des hommes qui veulent faire
des miracles, et qui exigent des miracles de ceux qui se perfectionnent dans
l’Eglise; et ceux qui s’imaginent avoir fait quelques progrès, prétendent faire
des miracles semblables et ne croient appartenir à Dieu qu’à la condition d’en
faire. Or, le Seigneur notre Dieu, qui sait donner à chacun ce qu’il doit, afin
de conserver la paix et l’union dans son Eglise, leur tient ce langage par son
Apôtre: « L’oeil ne saurait dire à la main: Je n’ai pas besoin de vous; non
plus que la tête aux pieds Vous ne m’êtes point nécessaires; si tout le corps
était oeil, où serait l’ouïe? et s’il était tout ouïe, où serait l’odorat 6?»
Il est donc visible que dans le corps humain chaque membre a sa fonction
particulière.
1.
Act. VIII, 18.— 2. Ibid. — 3. Matth. XXI, 12. — 4. Act. VIII, 18.— 5. Jean, II,
15, 16.— 6. I Cor. XII, 17 - 21.L’oeil voit, mais n’entend point, l’oreille entend et ne
voit point; la main agit, sans voir ni entendre; le pied marche, sans entendre,
sans voir, sans agir comme la main. Mais quand le corps est en santé, les
membres n’ont aucun litige l’un contre l’autre: l’oreille voit au moyen de
l’oeil, et l’oeil entend au moyen de l’oreille: et l’on ne saurait reprocher à
l’oreille de ne point voir, ni lui dire Tu n’as rien, tu es en défaut:
pourrais-tu voir et discerner les couleurs comme le fait l’oeil? Pour se
maintenir en paix dans le corps, l’oreille doit répondre et dire: Je suis où
est l’oeil, dans le même corps. Par moi je ne vois point, niais je vois par
celui qui m’accompagne. De même que l’oreille dit: L’oeil voit pour moi, l’oeil
peut dire: L’oreille entend pour moi, et tous deux, l’oeil et l’oreille,
diront: La main agit pour nous; et les mains diront: Les yeux et les oreilles
entendent et voient pour nous; et les yeux, les oreilles, et les mains diront:
Les pieds marchent pour nous; et lorsque tout agit dans le corps, s’il y a dans
les membres union et santé, tous se réjouissent et se communiquent leur joie1.
Et si quelque membre vient à souffrir, les autres, loin de l’abandonner,
souffrent avec lui. Bien que dans le corps le pied soit très-éloigné de l’oeil
(car l’un est tout en haut, et l’autre tout en bas), l’oeil abandonne-t-il le
pied? quand on marche sur une épine, ne voyons-nous pas tout le corps se
courber, l’homme s’asseoir, et s’incliner afin de chercher cette épine, qui
s’est enfoncée à la plante du pied? Tous les membres s’efforcent de tirer cette
épine du lieu le plus bas et le moindre de tout le corps. Ainsi donc, mes
frères, quiconque, dans le corps mystique du Christ, ne peut ressusciter un
mort, ne doit point chercher à le faire, mais seulement à se mettre en harmonie
avec tout le corps. Ainsi l’oreille qui voudrait voir, serait un désaccord. Car
elle ne saurait faire ce qui n’est point dans ses fonctions. Mais que l’on
vienne vous dire: Si vous étiez juste, vous ressusciteriez les morts, comme l’a
fait saint Pierre; répondez que les Apôtres paraissent avoir fait au nom du
Christ des miracles Plus grands que ceux de Jésus-Christ lui-même 2. Mais dans
quel but? Etait-ce donc pour donner aux branches la prépondérance sur la racine?
Comment donc Paraissent-ils avoir fait
1. I Cor. XII, 26. — 2. Jean, XIV, 12.
des miracles supérieurs à ceux du Christ lui.
même? Ce fut la voix du maître qui ressuscita les morts, tandis que Pierre
ressuscita les morts de son ombre seulement 1. L’un semble plus grand que
l’autre. Seulement le Christ pouvait opérer sans Pierre, mais non Pierre sans
Jésus-Christ: « Car sans moi vous ne pouvez rien faire 2 ». Aussi, qu’un homme
qui avance dans la piété entende cette abjecte calomnie dans la bouche de quelques
païens, d’hommes qui ne savent ce qu’ils disent; qu’il réponde, en se tenant
dans l’union du Christ: Toi, qui me dis: Tu n’es pas juste, puisque tu ne fais
aucun miracle; pourrais-tu dire à l’oreille: Tu n’es pas dans le corps humain;
puisque tu ne vois pas? Fais des miracles, me dis-tu, comme saint Pierre en
faisait; mais c’est pour moi que Pierre opérait ces miracles, puisque je suis
dans ce même corps d’où Pierre les faisait. Je puis en lui ce qu’il pouvait,
puisque je ne suis point séparé de lui: si je puis moins, il compatit à ma
faiblesse; s’il peut davantage, j’en partage la joie 3. Le Christ au nom de
tout son corps n’a-t-il pas crié du haut des cieux: « Saul, Saul, pourquoi me
persécuter 4? » Et pourtant, nul ne le touchait; mais la tête criait d’en haut
pour le corps qui souffrait sur la terre.
7. Si donc, mes frères, chacun fait avec
justice tout ce qu’il peut, s’il ne porte aucune envie à celui qui peut
davantage, s’il lui en témoigne de la joie, parce qu’il est avec lui dans un
même corps; il chante avec le psaume: « Seigneur, mon coeur ne s’est point
enorgueilli, mes yeux ne se sont point élevés, je n’ai point marché sur les
hauteurs, ni sondé les merveilles qui me surpassent ». Ce qui est au-dessus de
mes forces, dit le Prophète, je ne l’ai point cherché: je ne m’y suis point
avancé, je n’y ai point cherché nia gloire. Rien, en effet, n’est à craindre
comme cette élévation du coeur, qui provient des dons de la grâce: que nul donc
ne s’enorgueillisse des dons du Seigneur, mais que chacun se maintienne dans
l’humilité, qu’il suive ce précepte de l’Ecriture: « Plus tu es grand, plus il
faut t’humilier en tout, afin de trouver grâce devant le Seigneur 5 ». Il faut
donc de plus en plus insister auprès de votre charité, pour lui montrer combien
est à craindre l’orgueil qui vient des dons du
1.
Act. V, 15.— 2. Jean, XV, 5.— 3. I Cor. XII, 15, 16.— 4. Act. IX, 4. — 5.
Eccli. III, 20.Seigneur; je le fais d’autant plus volontiers que ce psaume très-court
nous permet de nous étendre. Bien que l’apôtre saint Paul ait été persécuteur
avant d’être prédicateur, Dieu bénit ses travaux apostoliques beaucoup plus que
ceux des autres Apôtres; afin de montrer que ce don vient de Dieu, et non de
l’homme. De même que c’est sur des malades désespérés que les médecins peuvent
montrer la puissance de leur art; de même Notre Seigneur Jésus-Christ, notre
Sauveur et Médecin, fit éclater dans un homme désespéré, dans un persécuteur de
son Eglise, la puissance de son art, puisqu’il en fit non seulement un
chrétien, mais un Apôtre, et non seulement un Apôtre, nnais un Apôtre qui a
travaillé plus que tous les autres, comme il l’a consigné lui-même. Il avait
donc reçu une grâce par excellence. Aussi vous voyez, mis frères, la faveur
dont jouissent dans l’Eglise les Epîtres de saint Paul 1, bien plus que celles
des autres Apôtres. Les uns n’ont point écrit, mais seulement prêché dans
1’Eglise. Car les écrits que les hérétiques publient sous leur nom, ne sont
point à eux; l’Eglise les désapprouve et les rejette. Pour les autres qui ont
écrit,ils ne l’ont fait ni autant, ni avec tant de grâce. Comme donc il avait
reçu une telle grâce, et mérité de Dieu des dons si extraordinaires, que dit-il
dans un certain endroit? « De peur que la grandeur de mes révélations une
m’élève ». Ecoutes, mes frères, voici de quoi nous faire trembler. « De peur
que la grandeur de mes révélations ne me donne de l’orgueil, nous dit-il, il
m’a été donné un aiguillon de la chair, un ange de Satan, pour me souffleter 2
». Qu’est-ce à dire, mes frères? De peur que cet Apôtre ne s’élève comme un
jeune homme, on le soufflette comme un enfant. Qui le soufflette? Un ange de
Satan. Qu’est-ce à dire? Que l’Apôtre sentait en son corps une douleur
violente; or, les douleurs corporelles nous viennent presque toujours par les
anges de Satan; mais ils ne peuvent rien sans la permission de Dieu. C’est à
cette épreuve que fut mis Job, tout saint qu’il était 3. Il fut permis à Satan
de l’éprouver; et il le frappa d’une telle plaie que son corps s’en allait en
pourriture avec les vers. L’esprit impur avait ce pouvoir afin d’éprouver cette
âme sainte. Le diable ne sait point quels grands biens il fait, même dans ses
fureurs.
1. I
Cor. XV, 10. — 2. II Cor. XII, 7. — 3. Job, II, 6, 7.
Ce fut dans sa fureur qu’il pénétra dans le
coeur de Judas, dans sa fureur qu’il livra le Christ 1, dans sa fureur qu’il le
mit en croix; et ce fut par la croix que Jésus racheta le monde. C’est ainsi
que la fureur du démon nuisit au démon et devint utile pour nous. Et cette
fureur lui a fait perdre ceux qu’il tenait sous sa puissance, et qui ont été
rachetés par ce sang du Seigneur, que sa rage lui a fait répandre. S’il eût
connu la perte qu’il allait faire, il n’eût point répandu sur la terre ce prix
infini qui a racheté le monde. C’est ainsi encore qu’il fut permis à l’ange de
Satan de souffleter saint Paul. Mais comme ce remède appliqué parle Médecin,
était insupportable au malade, celui-ci pria le Médecin de l’enlever.
Quelquefois un médecin applique., sur les entrailles d’un malade, un remède
cuisant et insupportable, et qui doit cependant guérir ces entrailles gonflées:
brûlé bientôt par ce remède, le malade prie le médecin de l’enlever; mais voilà
que le médecin console son malade, l’encourage à la patience parce qu’il
connaît l’utilité de son remède. C’est ce que saint Paul nous fait voir dans la
suite. Après avoir dit: « Il m’a été donné un aiguillon de la chair, un ange de
Satan pour me souffleter »; il en montre la cause: « De peur », dit-il, « que
la grandeur des révélations ne vînt à m’enorgueillir, il m’a été donné un
aiguillon de la chair, un ange de Satan pour me souffleter. Trois fois», dit-il
encore, «j’ai prié le Seigneur de m’en délivrer 2 ». C’est bien là dire: J’ai
prié le médecin de me délivrer de
ce remède fâcheux qu’il m’avait appliqué.
Mais écoute la réponse du médecin: « Et le Seigneur m’a dit: Ma grâce te
suffit; car la vertu se perfectionne dans l’infirmité ». Je connais le remède
appliqué, je connais la cause du mal, je sais ce qui te guérira.
8. Ainsi, mes bien-aimés, la grandeur des
révélations eût pu enorgueillir saint Paul, s’il n’eût eu un ange de Satan pour
lui donner des soufflets; dès lors, qui peut être en sûreté sur son propre
compte? Il semble que celui qui a moins reçu marche avec plus d’assurance,
pourvu que, dans sa folie, il ne cherche point ce que Dieu lui a refusé dans sa
sagesse. Qu’il cherche ce qui lui est nécessaire pour être dans le corps du
Christ, et sans quoi il ne saurait y être que mal. Un doigt qui est sain est
Plus en sûreté dans le corps de
1. Jean, XIII, 27. — 2. II Cor. XII, 7 et
seq.l’homme, que ne pourrait être un oeil malade. Un doigt n’est qu’une faible
partie, mais l’oeil est bien plus considérable: et pourtant, il vaut mieux
n’être qu’un doigt dans le corps, et en santé, que d’être l’oeil, mais malade,
chassieux, ténébreux. Nous n’avons donc à rechercher dans le corps du Christ
que la santé; qu’à proportion de la santé vienne la foi, que la foi purifie le
coeur, et le coeur une fois purifié verra cette face dont il est dit: «
Bienheureux ceux dont le coeur est. pur, parce qu’ils verront Dieu 1». Et celui
qui a fait des miracles dans le corps du Christ, comme celui qui n’en a pas
fait, ne doit se réjouir que de la face de Dieu. Envoyés par le Seigneur, les
Apôtres revenaient en lui disant « Voilà qu’en vôtre nom les démons eux-mêmes
nous sont soumis 2 ». Le Seigneur vit que la puissance d’opérer des miracles
leur donnait une tentation d’orgueil, et ce médecin qui était venu pour guérir
nos enflures, et porter nos infirmités, répondit aussitôt: « Ne vous réjouissez
point de ce que les démons vous soient soumis, mais réjouissez vous de ce que
vos noms sont écrits dans le ciel 3 ». Tous les fidèles qui sont saints, ne
chassent point pour cela les démons: et leurs noms toutefois sont écrits dans
les cieux. Il voulut qu’ils missent leur joie, non dans ce qui leur était
propre, mais dans le salut qui leur était commun avec les autres; et dès lors
il ne voulut chez les Apôtres d’autre joie que la sienne. Que votre charité
veuille bien écouter. Aucun fidèle n’espère, si son nom n’est écrit dans le
ciel. Les noms de lobs les fidèles qui aiment le Christ, qui marchent
humblement dans les voies de l’humilité que lui-même nous a enseignées, sont
écrits dans le ciel. Quelque méprisable que soit un homme dans l’Eglise, dès
lors qu’il croit au Christ, qu’il aime le Christ, qu’il aime la paix du Christ,
son nom est écrit dans le ciel, quel que soit ton mépris pour lui. Et néanmoins
qu’a-t-il de comparable avec les Apôtres, qui ont opéré tant de miracles? Et
toutefois les Apôtres sont réprimandés de ce qu’ils se réjouissent d’un bien
qui leur esi propre, et le Seigneur leur enjoint de n’avoir d’autre joie que la
joie de cet homme que tu méprises.
9. Le Psalmiste, mes frères, a donc raison de
dire avec cette humilité: « Seigneur, moi
1.
Matth. V, 8. — 2. Luc, X, 17. — 3. Id. 20.
coeur ne s’est point enorgueilli, mes yeux ne
se sont point élevés, je n’ai point marché dans les hauteurs, ni dans ces
merveilles qui me surpassent. Si je n’ai point eu des sentiments d’humilité, si
j’ai laissé mon âme s’enorgueillir, que mon âme soit traitée comme l’enfant que
l’on sèvre dans les bras de sa mère 1». Il semble se lier par des imprécations.
De même qu’il est dit dans
un autre psaume: « Seigneur mon Dieu, si j’ai
agi de la sorte, si l’iniquité est dans mes mains, si j’ai rendu le mal pour le
mal, que je succombe avec justice devant mes ennemis 2»,et le reste;ainsi
semble-t-il dire maintenant: « Si je n’ai point eu de sentiments d’humilité, et
si j’ai laissé mon âme s’enorgueillir »; comme s’il devait ajouter: Que tel
châtiment tombe sur moi.
Là il est dit encore: « Si j’ai rendu le mal
pour le mal », que ce malheur m’arrive. Quel malheur? « Que je succombe en face
de mes ennemis »; ainsi est-il dit dans notre psaume: « Si je n’ai point eu des
sentiments d’humilité, si j’ai au contraire élevé mon âme, que celte âme soit
châtiée, comme l’enfant que l’on sèvre dans les bras de sa mère ». Ecoutez
ceci, mes frères. Vous savez à quels infirmes s’adresse la parole de l’Apôtre.
« Je vous ai donné du lait, et non une nourriture solide; car vous ne pouviez
la supporter, et maintenant même, vous ne le pouvez pas 3 ». II y a des
faibles, qui ne sont point capables d’une solide nourriture, et qui néanmoins
veulent arriver à ce qui dépasse leurs forces. S’ils parviennent à saisir
quelque chose, ou même s’ils se persuadent qu’ils ont saisi ce qu’ils n’ont pu
atteindre, les voilà qui s’élèvent, qui s’enorgueillissent, qui se croient
pleins de sagesse. C’est là ce qui est arrivé à tous les hérétiques; en eux
l’homme animal et charnel a défendu des opinions perverses dont ils ne
pouvaient voir la fausseté; et ils ont été chassés de l’Eglise catholique. Je
m’en expliquerai autant que possible avec votre charité. Vous savez que Notre
Seigneur Jésus-Christ est le Verbe de Dieu, selon cette parole de saint Jean: «
Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était
Dieu. Voilà ce qui était en Dieu au commencement. Tout a été fait par lui, et
rien n’a été fait sans lui 4 ». C’est donc là le
1. Ps. CXXX, 1, 2.— 2. Id. VII, 4,5.— 3. 1
Cor. III, 2.— 4. Jean, I, 1-3.pain solide, le pain des anges. Voilà le pair
préparé pour toi; mais prends de l’accroisse ment avec du lait, afin d’arriver
à ce pair solide. Et comment, diras-tu, le lait va-t-il me donner de
l’accroissement? Commence par croire ce que Jésus-Christ s’est fait afin de
s’accommoder à ta faiblesse, et tiens-y fermement. Considère une mère voyant
son fils peu capable d’une nourriture solide, elle lui donne cette nourriture à
la vérité, mais en la faisant passer par sa propre chair: car le pain qui
nourrit l’enfant est celui-là même qui a nourri la mère; mais l’enfant,
incapable de manger à table, peut se nourrir à la mamelle; le pain donc passe
par les mamelles de la mère, et devient ainsi l’alimentation de l’enfant. Ainsi
a fait Notre Seigneur Jésus-Christ, Verbe en son Père, lui par qui tout n été
fait, lui qui, ayant la nature de Dieu, n’a point cru que ce fût pour lui une
usurpation de se dire égal à Dieu 1, et, comme tel, nourriture des anges,
autant qu’ils en sont capables, aliment des Vertus, des Puissances, des Esprits
bienheureux. Mais l’homme était infirme, enveloppé dans la chair et gisant sur
la terre, et la nourriture céleste ne pouvait descendre jusqu’à lui. Dès lors,
afin que l’homme pût manger le pain des anges, et que la manne descendît chez
un peuple qui est véritablement Israël 2, voilà que, « le Verbe s’est fait
chair et a habité parmi nous 3 ».
10. C’est pourquoi, voici le langage de
l’apôtre saint Paul aux faibles, dont il est dit qu’ils vivent de la vie
charnelle et animale: « Ai-je donc fait profession de savoir parmi vous autre
chose que Jésus, et Jésus crucifié 4? » Car c’était le Christ, mais non
crucifié, qui « au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et
le Verbe était Dieu ». Et comme ce Verbe a été fait chair, ce Verbe aussi a été
crucifié, mais sans être changé en homme; c’est l’homme au contraire qui a été
changé dans lui. L’homme donc aété changé en lui, afin dc devenir meilleur
qu’il n’était, et non pour être changé dans la substance même du Verbe. Dieu
est donc mort en ce qu’il y avait d’humain en lui; et l’homme est ressuscité
dans ce qu’il tenait de Dieu, il est ressuscité et monté au ciel. Tout ce qu’a
souffert l’homme, on ne saurait dire que Dieu ne l’ait pas souffert, parce
qu’il était Dieu en prenant la nature humaine; de même
1.
Philipp. II, 6.— 2. Exod. XVI, 14.— 3. Jean, I, 14.— 4. I Cor. II, 2.
que tu ne saurais dire que tu n’as pas
souffert un outrage, dès qu’on déchire ton manteau. Et quand tu t’en plains à
tes amis ou devant un juge, tu dis: il m’a déchiré. Tu ne dis point: Il a
déchiré mon manteau; mais: Il m’a déchiré. Si donc on peut appeler toi, ce qui
n’est que ton vêtement, combien n’est-il pas plus juste de dire, à propos de la
chair du Christ, de ce temple du Verbe uni au Verbe, que tout ce qu’il
souffrait en sa chair, c’était Dieu qui le souffrait? Et toutefois le Verbe ne
pouvait passer ni par la mort, ni par la corruption, ni par le changement, ni
même être tué; mais tout ce qu’il a souffert de semblable, il l’a souffert en
sa chair. Et ne vous étonnez pas que le Verbe n’ait rien souffert; car si vous
tuez la chair, l’âme dès lors ne saurait rien souffrir, ainsi que l’a dit le
Sauveur: « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, et qui ne sauraient tuer
l’âme 1 ». Si donc on ne saurait tuer l’âme, comment tuer le Verbe de Dieu? Et
pourtant, que dit cette âme? Il m’a flagellée, souffletée, frappée, déchirée;
rien de cela ne se fait dans l’âme; et néanmoins elle dit toujours moi, à cause
de son union avec le corps.
11. Notre Seigneur Jésus-Christ donc, qui est
notre pain, s’est fait un lait pour nous en s’incarnant et en se montrant
mortel, afin que la mort finît en lui, et que nous pussions, sans nous éloigner
du Verbe, croire en cette chair que le Verbe a prise. C’est en cela qu’il nous
faut croître, c’est ce lait qui doit être notre nourriture; et avant que nous
soyons capables de nous alimenter du Verbe lui-même, ne nous séparons point de
cette foi qui est notre lait. Quant aux hérétiques, en voulant disputer au
sujet de ce qu’ils ne pouvaient comprendre, ils ont dit que le Fils est
inférieur au Père, et que le Saint-Esprit est inférieur au Fils; et en graduant
ainsi, ils ont introduit trois dieux dans l’Eglise. Ils ne peuvent nier en
effet ni que le Père soit Dieu, ni que le Fils soit Dieu, ni que le
Saint-Esprit soit Dieu. Mais si le Père qui est Dieu, le le Fils qui est Dieu,
le Saint-Esprit qui est Dieu, sont inégaux, ils ne sont point de même
substance, et dès lors il n’y a point un seul Dieu, mais trois dieux. En
raisonnant sur ce qu’ils ne pouvaient saisir, ils se sont élevés dans leur
orgueil, et il est arrivé pour eux ce qui est dit dans notre psaume: « Si je
n’ai
1. Matth. X, 28.
point eu des sentiments d’humilité, et si
j’ai élevé mon âme; que cette âme soit châtiée comme l’enfant que l’on sèvre
dans les bras de sa mère ». Notre mère, c’est l’Eglise dont ils se sont
séparés: c’est là qu’ils devaient être nourris et allaités, afin
qu’ils pussent croître et comprendre ce Verbe
de Dieu qui est en Dieu, et qui dans sa nature est égal au Père.
12. Ceux qui ont expliqué ce psaume avant
nous ont donné un autre sens à ces paroles et ont émis une pensée que je ne
veux point soustraire à votre charité. Tout orgueil déplaît à Dieu, ont-ils
dit, et l’âme humaine se doit humilier pour ne point déplaire à Dieu, et
s’appliquer à considérer cette parole: « Plus tu es élevé, plus tu dois
t’humilier en tout, et tu trouveras grâce devant Dieu 1 ». Mais il est aussi
des hommes qui, entendant qu’ils doivent être humbles, se découragent, ne
veulent rien savoir, se persuadent qu’ils ne peuvent apprendre sans être
orgueilleux; ils demeurent toujours au lait de l’enfance. L’Ecriture les
réprimande en disant: « Vous voilà tels que vous avez encore besoin de lait, et
non d’une solide nourriture 2». Dieu veut donc que nous prenions du lait, non
pas afin de demeurer toujours en cet état, mais afin que nous prenions de
l’accroissement pour arriver à la solide nourriture. L’homme donc, sans élever
son âme jusqu’à l’orgueil, doit l’élever dans la connaissance de la parole de
Dieu. Si son âme ne devait point s’élever, le Prophète ne dirait point dans un
autre psaume: « Seigneur, j’ai élevé mon âme vers vous 3 ». Et si son âme ne se
répandait point au-dessus d’elle-même, elle n’arriverait point à la vision de
Dieu, à la connaissance de son immuable substance. Maintenant qu’il est encore
dans la chair, on lui dit: « Où est ton Dieu 4? » Mais Dieu est à l’intérieur,
et cet intérieur est spirituel, comme son élévation est spirituelle; on ne la
mesure point par la distance des lieux, comme cette distance mesure les
élévations terrestres. S’il était question d’une telle hauteur, les oiseaux
seraient plus près de Dieu que nous autres. Dieu donc est élevé, mais cette
élévation est spirituelle; et l’âme ne saurait l’atteindre qu’en s’élevant
au-dessus d’elle-même. L’idée que vous donneraient de Dieu les sens ne serait
qu’une erreur. Tu n’es
1. Eccli. III, 20.— 2. Hébr. V, 12.— 3. Ps.
XXIV, 1.— 4. Id. XLI, 4.
qu’un enfant, si tu attribues à Dieu ce qui
tient à l’âme de l’homme, comme l’oubli, le goût ou le dégoût, le repentir de
ses actions; car si l’Ecriture emploie ces locutions, c’est pour nous parler de
Dieu comme à des enfants qu’on allaite, et non pour nous faire prendre à la
lettre que Dieu a du repentir, qu’il apprend ce qu’il ne connaissait pas
encore, qu’il comprend ce qu’il n’avait pas compris, qu’il se ressouvient de ce
qu’il avait oublié. Tout cela est propre à l’âme, et non à Dieu. Si donc
l’homme ne s’élève au-dessus de son âme, il ne verra pas que Dieu est ce qu’il
est; comme il l’a dit: « Je suis celui qui suis 1 ». Que répond dès lors celui
à qui l’on disait: « Où est ton Dieu? » « Mes larmes ont été mon pain le jour
et la nuit, pendant «qu’on me dit tous les jours: Où est ton Dieu?» Qu’a-t-il
fait pour retrouver son Dieu? « Voilà », dit-il, « ce que j’ai médité; j’ai
répandu mon âme au-dessus de moi 2 ». Afin de trouver Dieu, il a répandu son
âme au-dessus de lui-même. Te dire: Sois humble, ce n’est donc point
t’interdire la science. Sois humble à cause de l’orgueil, mais sois élevé en
sagesse. Ecoute une parole bien claire à ce sujet: « Ne soyez point enfants
selon l’esprit, mais soyez enfants par la malice, afin d’être parfaits selon
l’esprit 3». Il ne pouvait mieux nous expliquer en quoi Dieu veut que nous
soyons humbles, et en quoi il nous veut élevés; humbles, afin d’éviter
l’orgueil; élevés, afin d’atteindre la sagesse. Prends donc du lait pour te
nourrir; nourris-toi afin de croître, et crois afin d’arriver à une solide
nourriture. Dès que tu commenceras à manger du pain, tu seras sevré,
c’est-à-dire que tu n’auras plus besoin de lait, mais d’une forte nourriture.
Voilà ce que paraît dire le Prophète: « Si je n’ai pas eu des sentiments
humbles, et si j’ai élevé mon âme »; c’est-à-dire, si j’ai été un enfant, non
par l’esprit, mais par la malice. Et pour le marquer plus clairement, il avait
dit: « Seigneur, mon coeur ne s’est pas enorgueilli, mes yeux ne se sont point
élevés, je n’ai point marché sur les hauteurs, ni prétendu aux merveilles qui
me surpassent ». Me voilà un enfant par la malice. Mais parce que je n’ai pas
été un enfant par l’esprit, j’ajoute: « Si je n’ai point eu des sentiments
d’humilité, et si j’ai élevé mon âme au-dessus de moi », qu’il me soit
1.
Exod. III, 14. — 2. Ps. XLI, 4, 5. — 3. I Cor. XIV, 20.fait comme à
l’enfant qu’on sèvre entre les bras de sa mère, afin que je puisse manger du
pain.
13. C’est là, mes frères, un sens que je ne
désapprouve point, car il n’est pas contre la foi. Un point cependant me
tourmente, c’est qu’il n’est pas seulement dit: « Que mon âme soit traitée
comme l’enfant que l’on sèvre »; mais le Prophète ajoute: « Que l’on sèvre
entre les bras de sa mère ». Et je ne sais pourquoi je vois là une malédiction.
Car ce n’est pas le petit enfant que l’on sèvre, mais un enfant déjà grandelet.
Quant à l’enfant qui est faible en naissant, ce qui est la véritable enfance,
il est dans les bras de sa mère, et, le sevrer, c’est lui donner la mort. Ce
n’est donc pas sans raison que le Prophète ajoute: « Dans les bras de sa mère
n. A la rigueur, on sèvre tout enfant qui grandit. C’est un bien pour celui qui
a pris de l’accroissement, mais un danger pour celui qui est dans les bras de sa
mère. Il faut donc éviter, mes frères, il faut craindre de sevrer personne
avant le temps; car on sèvre tout enfant qui est déjà fort. Mais qu’on ne le
sèvre point tandis qu’il est encore dans les bras de sa mère. Cet enfant,
qu’une mère porte dans ses bras, elle l’a porté d’abord dans ses entrailles
(car elle l’a porté dans son sein pour le faire naître, et le porte dans ses
bras pour le faire grandir); le voilà qui a besoin de lait, et il est « sur sa
mère », comme dit le Prophète. Qu’il ne cherche donc point à élever son âme,
puisqu’il n’est point capable d’une solide nourriture, mais qu’il accomplisse
les préceptes de l’humilité. Il a de quoi s’exercer. Qu’il croie d’abord au
Christ, afin de pouvoir comprendre le Christ. Il ne saurait voir le Verbe, ni
comprendre que le Verbe est égal au Père, que le Saint-Esprit est égal au Père
et au Fils; qu’il le croie donc et suce la mamelle. Il n’a rien à craindre;
quand il aura grandi, il mangera ce qui lui était impossible avant qu’il se fût
fortifié par le lait: et alors il pourra prendre ses ébats. « Ne cherche u
point ce qui est au-dessus de toi, ne sonde point ce qui dépasse tes forces »;
c’est-à-dire, ce que tu es incapable de comprendre. Mais que ferai-je,
diras-tu? Faudra-t-il demeurer en cet état? « Repasse toujours ce que Dieu t’a
commandé 1». Qu’est-ce que Dieu t’a commandé? Fais miséricorde, ne te
1. Eccli. III, 22.
sépare point de la paix de l’Eglise, ne mets
point ton espérance dans un homme, et garde-toi de tenter Dieu en désirant des
miracles. Si déjà tu as produit quelques fruits, tu sais que tu dois tolérer
l’ivraie avec le bon grain jusqu’à la moisson 1, car tu peux être un temps avec
les méchants, mais non pendant l’éternité. Tu es avec la paille dans l’aire en
cette vie, mais elle ne sera point avec toi dans le grenier céleste. « Voilà ce
que t’a commandé le Seigneur, et qu’il faut toujours avoir à la pensée ». Tu ne
seras point sevré, tant que tu seras sur les bras de ta mère de peur que tu ne
meures de faim, avant de pouvoir manger. Prends de l’accroissement, tes forces
grandiront; et tu verras ce que tu ne pouvais voir, tu comprendras ce que tu ne
pouvais comprendre.
14. Quoi donc? serai-je en sûreté, quand je
verrai ce que je ne pouvais voir? Serai-je parfait? Non, tant que durera cette
vie. Notre perfection ici-bas, c’est l’humilité. Vous avez entendu la fin de la
lecture de l’Apôtre, si vous l’avez imprimée dans votre mémoire; et comment il
recevait des soufflets, de peur que ses révélations ne lui donnassent de
l’orgueil (et quelles révélations !); l’importance même de ces révélations
pouvait lui donner de l’orgueil, si l’ange de Satan ne l’eût souffleté; et
pourtant, que nous dit cet homme à qui Dieu révélait de si grandes choses? «
Mes frères, je ne crois pas avoir atteint le but de ma course ». Voilà saint
Paul qui nous dit qu’il ne croit point être arrivé au but, lui qui est
souffleté par l’ange de Satan de peur que l’importance de ses révélations ne
lui donne de l’orgueil. Qui osera dire qu’il est parvenu à son but? Voilà que
Paul n’y est point arrivé, et qu’il s’écrie « Je ne crois pas avoir atteint le
but de ma course ». Que dites-vous, ô bienheureux Paul? «Je cours», nous
répond-il, « afin d’arriver ». Voilà que Paul est encore en chemin, et tu
prétends être dans la patrie? « Tout ce que je sais », dit-il, « c’est que
j’oublie ce qui est en arrière ». Fais de même et oublie ta vie passée qui
était mauvaise. Si la vanité a eu pour toi des charmes, qu’elle te déplaise
maintenant. « J’oublie ce qui est en arrière pour m’avancer vers ce qui est en
avant; je m’efforce de remporter le prix, auquel Dieu m’a appelé d’en haut par
Jésus-Christ 2 ». J’entends d’en haut
1. Matth. XIII, 30. — 2. Philipp. III, 12 -
15.
l’appel de Dieu et je cours pour y arriver.
Car ce n’est point pour que j’y demeure qu’il m’a laissé en chemin, et il ne
cesse de me stimuler. Donc, mes frères, Dieu ne cesse de nous parler. S’il
cessait de le faire, que deviendrions-nous? Que feraient les divines 1cc turcs,
les saints cantiques? Oubliez donc ce qui est en arrière, et avancez-vous vers
ce qui est en avant. Sucez le lait afin de croître et de devenir capables d’
une solide nourriture. Vous goûterez la joie, quand vous serez dans la patrie.
Ecoutez encore l’Apôtre, qui s’avance vers la palme d’en haut. « Nous qui
voulons être parfaits », nous dit-il, « soyons dans ce sentiment ». Je ne parle
pas aux imparfaits, je ne pourrais leur parler de la sagesse; ils ont encore
besoin de lait, et ne peuvent prendre une forte nourriture; mais je m’adresse à
vous, qui vous nourrissez plus solidement. Ils semblent parfaits parce qu’ils
connaissent l’égalité du Père avec le Verbe mais ils ne voient pas encore face
à face, comme ils verront un jour; ils ne voient qu’en partie et en énigme 2.
Qu’ils courent dès lors, puisqu’à la fin de notre carrière nous retournons dans
la patrie. Qu’ils courent; qu’ils s’avancent. « Nous qui voulons être parfaits,
soyons dans ce sentiment; et si vous avez d’autres pensées, Dieu vous éclairera
». Si vous êtes dans l’erreur en quelque point de foi, pourquoi ne point
retourner au lait de votre mère? Car si vous ne vous élevez point, si votre
coeur ne cède point à l’orgueil, si vous
1.
Philipp. III, 15. — 2. I Cor. XIII, 12.
ne prétendez point aux merveilles qui vous surpassent, si vous gardez
l’humilité, Dieu vous révélera ce que vous croyez de contraire à la vérité.
Mais si vous voulez défendre ce qui est peu con forme à la foi, si, dans votre
obstination, vous prétendez l’établir contre la paix de l’Eglise; alors vous
tombez sous la malédiction du Prophète, vous êtes sur les bras de votre mère,
et, déjà sevrés et en dehors de ses entrailles, vous mourrez de faim. Mais si
vous persévérez dans la paix de l’Eglise catholique, Dieu vous instruira à
cause de votre humilité, quand vous auriez des sentiments contraires à la
vérité de la foi. Pourquoi? « Parce que Dieu résiste aux superbes et accorde sa
faveur aux humbles 1 ».
15. C’est pourquoi notre psaume finit ainsi:
« Qu’Israël espère dans le Seigneur, dès maintenant, et jusque dans les siècles
». Cette expression du grec: apo tou nun
kai eos tou aionos, est traduite par: Ex hoc nunc et usque in saeculum: Dès
maintenant et dans la suite des siècles. Mais ce mot de siècle ne veut pas
toujours dire ce siècle; quelquefois il signifie l’éternité; car éternel
s’entend de deux manières. Jusque dans l’éternité signifie, ou bien sans fin,
ou bien jusqu’à ce que nous arrivions à l’éternité. Comment faut-il l’entendre
ici? Espérons dans le Seigneur notre Dieu,jusqu’à ce que nous arrivions à
l’éternité; car, aussitôt que nous y serons arrivés, il n’y aura plus pour nous
d’espérance, mais la réalité.
1. Jacques, IV, 6; I Pierre, V, 5.
SERMON AU PEUPLE, EN PRÉSENCE DE SÉVÈRE, ÉVÊQUE
DE MILÈVE.
David
porta ta douceur au point d’épargner Saül qui cherchait à le tuer. Ce nom, qui
signifie la main forte, fut porté par un guerrier qui détruisit ses ennemis, et
qui fut la figure du Christ vainqueur du diable et de ses anges. L’Eglise qui
est le corps, le temple du Christ, combat pour lui; elle a fait voeu d’être sa
cité, d’être habitée par lui. Comme David ne voulait aucun repos avant d’avoir
trouvé un lieu pour le Seigneur, et comme s’il cherchait ce lieu en lui-même,
ainsi fait tout homme qui enseigne le bien et le pratique. Ainsi en fait-il de
tous ceux qui embrassèrent la foi et n’eurent plus qu’un coeur et qu’une âme,
tandis que ceux qui cherchent leurs propres intérêts, rencontrent souvent le
trouble et les procès. Abstenons-nous donc, sinon de toute possession, du moins
de tout attachement aux possessions, de l’amour de nous-mêmes. Tous les biens
de cette vie ne sont que te rêve d’un homme qui ne trouve plus rien à sou
réveil. Le Prophète appelle tabernacle dia Seigneur l’Eglise militante, et sa
maison la Jérusalem du ciel. Cette maison ou l’Eglise est en Ephrata on
prophétisée, et drus les lieux incultes, chez les Gentils. Nous entrerons chez
le Dieu de Jacob afin qu’il nous possède, et non afin de posséder notre
héritage que nous dissiperions comme le prodigue. Nous adorerons le lieu où il
a reposé ses pieds, c’est-à-dire dans l’humilité, sans croire qu’il nous
suffise d’être enfants d’Abraham selon la chair; car il faut en faire les
oeuvres, oeuvres surtout de charité; que nos pieds soient affermie par
l’humilité.
C’est
au Christ de s’élever le premier, et à prendre son repos; l’Eglise viendra
ensuite, elle qui est l’arche de sa sanctification. Que les prêtres aient la
justice, les saints la joie, mais ne détournez pas la face de vôtre Christ,
c’est-à-dire ne laissez psiut périr tout Israël, prière qui fut exaucée dans
les apôtres, et dans les juifs qui se convertirent à la Pentecôte. Dieu change
parfois ses oeuvres extérieures, mais jamais ses desseins. Or, son dessein est
de mettre sûr le trône de David le Christ qui sortira de lui sans la participation
d’aucun homme. Par les enfants des enfants de David, il faut entendre les
bennes oeuvres de ces enfants, et s’ils sont réellement des hommes, ils ne
pourront siéger sur te trône qu’à la condition de garder t’alliance de Dieu. Ce
trône sera le nôtre, à la même condition. C’est en Sion que nous reposerons
avec Dieu. Les vesves qu’il veut bénir sont les âmes qui ne comptent que sur
lui, et t’Egtise est une veuve que Dieu écoute, mieux que le juge inique de
l’Evangile; les pauvres cernant rassasiés, s’ils ont faim et soif de ta
justice; les riches également, s’ils sont panures dans le même sens. Les
prêtres seront revêtus du Christ, tes saints revêtus de joie, tous affermis
dans le Christ qui sens sauve et nous gouverne.
1. Il eût été juste, mes bien-aimés, que
notre frère, notre collègue dans l’épiscopat, lui que nous voyons au milieu de
nous tous, nous fil entendre sa parole. C’est une faveur qu’il ne nous a point
refusée cependant, et qu’il n’a fait que différer. J’en donne avis à votre
charité, afin que vous soyez avec moi témoins de sa promesse. Mais il n’était
point hors de propos que je me soumisse le premier à son injonction. Il m’a
arraché, en effet, mon consentement, et a voulu être aujourd’hui mon auditeur,
à la condition que je serais ensuite le sien; car unis par les lirns de la
charité, nous sommes tous les auditeurs du Maître unique, dont la chaire est
dans les cieux 1. Ecoutez donc avec attention le psaume que nous apporte
aujourd’hui l’ordre suivi dans nos explications. Il a aussi pour titre « Cantique
des degrés », et il est un peu plus long que les autres. Nous nous arrêterons
donc seulement quand nous y serons forcé, afin que, si Dieu nous en fait la
grâce, nous
1. Matth, XXIII, 10.
puissions l’expliquer tout entier. Or, comme
vous n’êtes plus ignorants au point que nous devions tout éclaircir, c’est à
vous de nous aider, en vous rappelant nos entretiens passés, afin que je ne
sois pas forcé de vous expliquer tout, comme si vous l’ignoriez encore. Sans
doute, nous devons être toujours nouveaux, parce que le vieil homme ne doit
point se glisser en nous; mais il faut croître, il faut progresser. A propos du
progrès, l’Apôtre nous dit: « Bien que l’homme extérieur se détériore en nous,
l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour 1». Que le progrès en nous ne
consiste pas à passer de l’homme nouveau au vieil homme, que la nouveauté, au
contraire, aille en croissant.
2. « Seigneur, souvenez-vous de David et de
toute sa douceur, souvenez-vous du serment qu’il fit au Seigneur, du voeu qu’il
fit au Dieu de Jacob 2 ». David, ainsi que nous l’apprend l’histoire, était
homme, roi d’Israël, fils de Jessé. Il était doux, selon la remarque
1. II Cor. IV, 16. — 2. Ps. CXXXI, I, 2.
de l’Ecriture qui relève en lui cette vertu,
et sa douceur fut portée au point qu’il rendit le bien pour le mal à Saül qui
le persécutait 1. Il pratiqua envers lui l’humilité, jusqu’à l’appeler roi, et
se dire lui-même un chien. Et quoique devant Dieu il fût plus grand que ce roi,
il n’eut pour lui ni fierté, ni hauteur; mais il cherchait plutôt à l’apaiser
par son humilité, qu’à l’irriter par son orgueil. Il eut même Saül en sa
disposition, et Dieu le lui livra, afin qu’il en fît ce qu’il voulait. Mais
parce qu’il n’avait point reçu l’ordre de le faire mourir, que Saül était seulement
en son pouvoir, et un homme cependant peut user de sa puissance, il aima mieux
user en douceur du pouvoir que Dieu lui avait donné. En lui donnant la mort, il
se serait délivré d’un violent ennemi, mais eût-il pu dire: « Remettez-nous nos
dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent 2?» Saül entra dans une
caverne où était David, sans savoir que David y fût 3; il y venait pour se
reposer. Or, David se leva doucement derrière lui et sans être aperçu, puis il
coupa un morceau de son vêtement, afin de le lui montrer ensuite, et de lui
faire comprendre que, l’ayant eu entre les mains, c’était volontairement et non
par nécessité qu’il l’avait épargné et ne lui avait point donné la mort. C’est
peut-être cet acte de douceur qu’il fait valoir maintenant quand il dit: «
Seigneur, souvenez-vous de David et de toute sa mansuétude ». Ce que je vous en
dis, mes frères, c’est ce qui est consigné dans les saintes Ecritures.
Toutefois, dans les psaumes comme dans toute prophétie, il est de coutume de ne
point s’arrêter à la lettre, mais de chercher les figures, au moyen du sens
littéral. Et votre charité sait bien que dans tous les psaumes, c’est un homme
que nous entendons parler, et que cet homme unique a une tête et un corps la
tête est dans les cieux, le corps est sur la terre; mais où est la tête, le
corps doit aller à son tour. Je n’indique point ici quelle est la tête, ou quel
est le corps, je parle à des chrétiens instruits.
3. C’est donc l’humilité de David, la douceur
de David que notre psaume chante ici
en disant à Dieu: «Seigneur, souvenez-vous de
David et de toute sa mansuétude ». Dans
quelle fin, « Seigneur, vous souviendrez-vous
de David? Souvenez-vous qu’il jura devant
1. I Rois, XIV, 4, etc. — 2. Matth. VI, 12. —
I Rois, XXIV, 4.
le Seigneur, qu’il fit un voeu, au Dieu de
Jacob ». Souvenez-vous-en, Seigneur, afin qu’il accomplisse la promesse qu’il à
faite. David fait une promesse qu’il peut accomplir, et néanmoins il supplie le
Seigneur d’accomplir le voeu qu’il a fait. Il y a de la ferveur dans son voeu,
mais de l’humilité dans sa prière. Que nul ne compte sur ses forces pour
accomplir ce qu’il a promis. Dieu qui l’engage à faire des voeux, l’aide aussi
à les accomplir. Voyons donc ce qu’il a promis par son voeu, et nous
comprendrons comment nous devons voir en David une figure. Le nom de David
signifie, qui est fort de la main. Or, David était un grand guerrier. Plein de
confiance dans le Seigneur son Dieu, il termina heureusement toutes ses
guerres, et détruisit tous ses ennemis. Dieu le protégea selon qu’il était
nécessaire pour le bien de ses Etats; et nous montrait, sous la figure de ce
roi, celui dont la main forte devait terrasser dans ses ennemis, le diable et
ses anges. Car tels sont les ennemis que renverse l’Eglise. Et par quel moyen?
Par sa douceur; et ce fut par sa douceur que notre roi put vaincre le diable.
Celui-ci s’emportait, celui-là supportait. Celui qui s’emportait fut vaincu,
celui qui supportait fut vainqueur. C’est par la même douceur que l’Eglise, qui
est le corps du Christ, triomphe de ses ennemis. Que sa main soit forte,
qu’elle triomphe en agissant. Mais comme elle est le corps du Christ, elle est
aussi un temple, une maison, une cité et celui qui est la tête de ce corps,
habite aussi cette maison, sanctifie ce temple, règne dans la cité. Voilà tout
ce qu’est l’Eglise, et ce qu’est aussi le Christ. Quel voeu donc avons-nous
fait à Dieu, sinon d’être son temple? Nous ne pouvons rien lui offrir de plus
agréable, que de dire avec le prophète Isaïe 1: « Possédez-nous ». En fait de
biens terrestres, c’est faire une faveur à un père de famille que lui donner
quelques terres à posséder: il n’en est pas de même dans l’Eglise: c’est à
l’héritage même qu’il est avantageux d’être possédé par Dieu.
4. Que signifie donc cette parole: « Il a
juré devant le Seigneur, il a fait un voeu au Dieu de Jacob? » Voyons quel est
ce voeu. Jurer, c’est donner plus de force à une promesse. Considérez le voeu
de David, avec quelle ardeur, quel transport d’amour, quel
1. Isa. XXVI, 13.
brûlant désir, il l’avait fait, et cependant
il implore le secours du Seigneur afin de l’accomplir: « Seigneur,
souvenez-vous de David et de toute sa douceur ». C’est dans cette mansuétude
qu’il a fait un voeu à Dieu, afin d’être son temple. « Je n’entrerai pas dans
mon palais, je ne monterai point sur mon lit de repos; je ne donnerai pas le
sommeil à mes yeux». C’est peu selon lui de refuser le sommeil à ses yeux, et
il ajoute: «Ni l’assoupissement à mes paupières, ni le repos à mes tempes,
jusqu’à ce que j’aie trouvé une demeure au Seigneur, un tabernacle au Dieu de
Jacob 1 ». Où cherchait-il un lieu pour le Seigneur? S’il avait la douceur,
c’était en lui qu’il le cherchait. Comment pouvait-il être un lieu pour le
Seigneur? Ecoute le Prophète: « Sur qui reposera mon Esprit? Sur celui qui est
humble et tranquille, et redoutant ma parole 2». Veux-tu être une demeure pour
le Seigneur? Sois humble, calme, redoutant sa parole, et tu seras ce que tu
cherches, Si ce que tu cherches ne s’effectue en toi-même, de quoi te servira
qu’il s’effectue en un autre? Quelquefois, il est vrai, Dieu se sert d’un
prédicateur pour opérer le salut d’un autre, et de cet autre seulement, si ce
prédicateur se contente de dire sans pratiquer; et ainsi sa langue prépare à
Dieu une demeure chez un autre, mais lui-même n’est point cette demeure. Mais
l’homme qui pratique le bien qu’il enseigne, et qui l’enseigne en le
pratiquant, devient lui-même la demeure de Dieu, de même que l’homme qu’il
enseigne; car tous ceux qui croient ne font qu’une seule demeure pour Dieu. Car
Dieu habite le coeur, et tous ceux qui sont unis par la charité n’ont qu’un
même coeur.
5. Combien de milliers d’hommes embrassèrent
la foi, mes frères, quand ils apportaient aux pieds des Apôtres les biens
qu’ils avaient vendus 3! Mais que dit l’Ecriture à leur sujet? Ils devinrent
sans aucun doute le temple de Dieu; et non seulement chacun d’eux était le
temple du Seigneur, mais ils l’étaient tous ensemble. Ils étaient donc la
demeure du Seigneur. Et pour vous montrer qu’ils ne formaient tous ensemble
qu’un seul temple de Dieu, voilà que l’Ecriture nous dit: « Ils n’avaient tous
en Dieu qu’un seul « coeur et qu’une seule âme 4». Mais
1. Ps. CXXXI, 3-5.— 2. Isa. LXVI, 2.— 3. Act.
IV, 35.— Id. 13. 32.
plusieurs ne préparent point en eux une demeure
pour Dieu, parce qu’ils recherchent leurs propres intérêts, aiment ce qui leur
appartient, se réjouissent d’être puissants, n’aspirent qu’à leur bien propre.
Mais l’homme qui veut préparer en lui une demeure à Dieu, doit se réjouir du
bien de tous, et non de son propre bien. C’est ce que firent les premiers
fidèles à l’égard de leurs biens, ils en firent les biens de tous. Mais
était-ce là perdre ce qui était à eux? S’ils eussent possédé seuls, et que
chacun eût possédé son bien propre, il n’eût possédé que sa seule propriété;
mais en rendant commun ce qui lui appartenait en propre, il faisait que tout ce
qui appartenait aux autres était aussi à lui. Que votre charité veuille bien
écouter. C’est des biens que nous possédons en propre que naissent les procès,
les inimitiés, les discordes, les guerres entre les hommes, les tumultes, les
dissensions, les scandales, les injustices, les homicides. De quels biens? Des
biens que nous possédons en propre. Est-ce pour les biens que nous avons en
commun qu’il y a des procès? L’air, nous le possédons en commun; le soleil,
nous le voyons en commun. Bienheureux ceux qui préparent une demeure à Dieu, de
manière à ne point jouir de leur bien propre. Tel est donc l’état que décrivait
le Prophète en disant: « Je n’entrerai point dans le tabernacle de ma maison ».
C’était là un bien particulier, et il savait que ce bien particulier
l’empêchait de préparer en lui-même une demeure à Dieu, et il énumère tout ce
qui lui est propre: « Je n’entrerai point dans le tabernacle de ma maison
jusqu’à ce que j’aie trouvé ». Et quand vous aurez trouvé une demeure pour
Dieu, ô Prophète, entrerez-vous donc dans votre maison? Ou bien ne ferez-vous
pas votre maison de ce lieu où vous aurez trouvé une demeure pour Dieu?
Pourquoi? Parce que vous serez vous-même la demeure du Seigneur, et que vous
serez dans l’unité avec ceux qui sont sa demeure.
6. Abstenons-nous donc, mes frères, de toute
possession privée, ou du moins de tout attachement, sinon de toute possession,
et nous préparons une demeure à Dieu. C’est beaucoup pour moi, dit quelqu’un.
Or, vois qui tu es pour préparer une demeure à Dieu. Mais si quelque sénateur,
ou même, sans être sénateur, si l’intendant de quelque puissant du siècle
voulait demeurer chez toi et te (104) disait: Voilà tel objet qui me blesse;
quand même cet objet te plairait, tu l’enlèverais afin de ne point blesser un
homme dont tu brigues l’amitié. Or, de quoi peut te servir l’amitié d’un homme?
Peut-être n’y a-t-il aucune protection à espérer, et qu’un danger à courir.
Plusieurs en effet ne couraient aucun danger avant d’être liés avec des grands,
et n’ont trouvé que de plus grands périls dans ces liaisons tant ambitionnées,
Mais désire en toute sécurité l’amitié du Christ. Il veut loger chez toi;
fais-lui une place. Qu’est-ce à dire: Fais-lui une place? Aime-le sans t’aimer
toi-même. T’aimer toi-même, c’est lui fermer la porte. L’aimer, c’est au
contraire la lui ouvrir. Si tu lui ouvres, et qu’il entre, tu ne périras pas en
t’aimant, puisque tu seras avec celui qui t’aime.
7. « Je n’entrerai point dans ma maison, je
ne monterai point sur mon lit de repos». Un bien privé, quand un homme y trouve
son repos, donne de l’orgueil; aussi le Prophète nous dit-il: « Je ne monterai
point ». Qu’un homme, en effet, possède un bien propre, il en devient
nécessairement orgueilleux. Il veut s’en prévaloir contre un autre, et tous
deux ne sont que chair. Hélas ! mes frères, qu’est-ce que l’homme? Un peu de
chair, Et qu’est-ce que l’autre homme? Encore un peu de chair. Et toutefois la
chair d’un riche s’élève contre la chair d’un pauvre, comme si cette chair
avait apporté quelque chose en naissant, ou devait emporter quelque chose à la
mort. Tout son avantage n’est qu’une plus grande enflure. Mais celui qui veut
trouver une demeure pour le Seigneur lui dit: « Je ne monterai point sur la
couche de mon repos».
8. « Je ne donnerai point de sommeil à mes
yeux». Il en est beaucoup qui dorment sans
préparer un lieu au Seigneur. Et voilà que
l’Apôtre les réveille: « Levez-vous, ô vous qui dormez, sortez d’entre les
morts, et le Christ vous illuminera 1 ». Et dans un autre endroit: « Nous qui
sommes enfants de la lumière, veillons et soyons sobres: car ceux qui dorment,
dorment la nuit, et ceux qui s’enivrent, s’enivrent la nuit 2 ». Il entend par
la nuit, l’iniquité dans laquelle s’endorment ceux qui désirent les biens
terrestres. Or, toutes ces félicités qui brillent en ce monde ressemblent aux
songes d’hommes
1.
Ephés. V, 1.4. — 2. I Thess. V, 5.7
endormis. Et de même qui voit en songe un
trésor, est riche durant son sommeil; mais à peine est-il éveillé qu’il
redevient pauvre: de même toute la joie que donnent les biens de ce monde n’est
que la joie d’un songe; ces hommes endormis s’éveilleront contre leur gré s’ils
ne savent point s’éveiller quand il en est temps, et ils verront que tout cela
n’était qu’un songe qui s’est évanoui, selon le mot de l’Ecriture: « Comme le
songe d’un homme qui s’éveille 1 ». Et ailleurs: « Ces hommes ont dormi leur
sommeil, et n’ont o plus rien trouvé dans leurs mains de toutes leurs richesses
2. Ils ont dormi leur sommeil», le sommeil est passé, «et ils n’ont plus rien
trouvé dans leurs mains », parce que dans leur sommeil ils ne voyaient que des
richesses passagères. Ainsi donc doit parler celui qui veut trouver en lui une
place pour le Seigneur: « Je ne donnerai aucun sommeil à mes yeux ». Or, il en
est qui ne dorment pas, mais qui sommeillent. Ils se désaffectionnent quelque
peu des choses temporelles, puis s’en rapprochent bientôt; ils laissent aller
leur tête comme dans l’assoupissement. Eveille-toi, dissipe ton sommeil; car ce
sommeil amènera ta chute. Le Psalmiste veut refuser le sommeil à ses yeux,
l’assoupissement à ses paupières, afin de trouver une place au Seigneur.
9. « Ni repos à mes tempes », dit encore le
psaume. C’est du repos. des tempes que le sommeil vient aux yeux; car les
tempes environnent les yeux. Quand le sommeil arrive, il appesantit les tempes;
et c’est dans les tempes que l’on sent une pesanteur quand l’on va dormir; et
quand cette pesanteur devient sensible, le sommeil est bien proche; et y
laisser aller ses yeux, c’est donner du repos aux tempes, et le sommeil vient;
tandis que refuser aux tempes ce même repos, c’est chasser le sommeil. Dès lors
qu’un objet temporel te devient agréable et te porte au péché, voilà que tes
tempes s’alourdissent. Veux-tu t’éveiller, ne point dormir, pas même
sommeiller? Ne te livre point à ce plaisir, car tu y trouveras plus d’amertume
que de charmes. Avec ces pensées, tu frottes pour ainsi dire ton front, dissipant
ton sommeil et préparant une place au Seigneur.
10. « Jusqu’à ce que je trouve un lieu au
Seigneur, un tabernacle au Dieu de Jacob».
1.
Ps. LXX, I, 20. — 2. Id. LXXV, 6.
Il est vrai qu’on appelle quelquefois
tabernacle de Dieu la maison de Dieu, et maison de Dieu le tabernacle de Dieu;
cependant, mes frères, à proprement parler, le tabernacle de Dieu serait
l’Eglise en cette vie, et la maison de Dieu la céleste Jérusalem, où nous irons
un jour. Car, le mot de tabernacle ou de tente rappelle des soldats en
campagne, en guerre; les soldats ont des tentes quand ils font des sièges, des
expéditions; de là ce mot de contubernales,
donné aux soldats qui habitent sous la même tente. Tant que nous avons un
ennemi à combattre, nous sommes sous la tente avec Dieu. Mais quand le temps du
combat sera passé, quand sera venue cette paix qui est au-dessus de tout ce que
nous pouvons comprendre, selon le mot de saint Paul: « La paix de Dieu qui est
au-dessus de toute intelligence 1»; quelque effort, en effet, que fasse notre
pensée, elle ne saurait comprendre cette paix, tant que notre esprit est sous
le poids de notre corps: quand donc sera venue cette paix, nous serons alors
dans la maison, et comme nul adversaire ne nous attaquera, nous n’aurons plus
besoin de tente. Nous ne marcherons plus au combat, nous demeurerons pour louer
Dieu. Qu’est-il dit, en effet, à propos de cette maison? « Bienheureux ceux qui
habitent votre maison, ils vous loueront dans les siècles des siècles 2 ». Nous
gémissons sous la tente, nous bénirons Dieu dans la maison. Pourquoi? Parce que
c’est le propre des exilés de gémir, le propre de ceux qui sont dans la patrie
de louer Dieu. liais d’abord, cherchons ici-bas une tente au Dieu de Jacob.
11. «On nous a dit qu’elle était en Ephrata».
Qui « Elle? » La demeure de Dieu. « On nous a dit qu’elle était en Ephrata;
nous l’avons trouvée dans les campagnes boisées 3 ». L’a-t-il trouvée à
l’endroit qu’on lui avait indiqué; ou bien a-t-il entendu un endroit, et
l’a-t-il trouvée dans un autre? D’abord, cherchons ce que signifie Ephrata
qu’on lui a indiqué, puis nous chercherons ces campagnes des forêts où il a
trouvé la demeure de Dieu. Ephrata est un mot hébreu qui signifie miroir, si
nous en croyons à ceux qui nous ont laissé l’interprétation des mots hébreux
pour nous en donner l’intelligence; car ils ont d’abord traduit l’hébreu en
grec, puis le grec a été traduit en latin. Plusieurs,
1. Philipp. IV, 7. — 2. Ps. LXXXIII, 5. — 3.
Id. CXXXI, 6.
en effet, se sont appliqués à l’étude
approfondie des Ecritures. Si donc Ephrata signifie miroir, c’est dans un
miroir que l’on a entendu parler de cette habitation trouvée dans les campagnes
boisées. Or, le miroir reflète une image. Et toute prophétie est une image de
l’avenir. Cette maison future de Dieu nous a donc été prédite sous une image
prophétique. Car, on nous en a parlé dans un miroir, c’est-à-dire, « nous en
avons ouï parler en Ephrata. Nous l’avons trouvée dans les campagnes boisées ».
Quelles sont ces campagnes boisées? des champs pleins de bois; non point de ces
bois dont on dit: cette forêt a tant d’arpents. Mais un lieu boisé est un lieu
inculte et sauvage. On trouve, dans certains exemplaires, des lieux sauvages.
Quelles étaient donc ces campagnes boisées, sinon les nations incultes? Quelles
étaient ces campagnes boisées, sinon ces campagnes couvertes des broussailles
de l’idolâtrie? Et néanmoins, dans ces broussailles de l’idolâtrie, nous avons
trouvé un lieu pour le Seigneur, une tente pour le Dieu de Jacob. « Ce que nous
avons entendu dans Ephrata, nous l’avons trouvé dans les campagnes boisées »;
ce qui a été prêché en figure aux Juifs a été manifesté aux Gentils par la foi.
12. « Nous entrerons dans ses tabernacles 1
». Dans les tabernacles du Dieu de Jacob. Ceux qui entrent pour habiter sont
aussi ceux qui entrent pour être habités eux-mêmes. Tu entres dans ta maison
pour l’habiter, dans celle de Dieu pour être habité. Dieu vaut mieux qu’une
maison, et quand il aura commencé à habiter en toi, il te donnera le bonheur.
Et s’il n’habite en toi, tu seras malheureux. Il voulut s’appartenir, ce fils
qui dit dans l’Evangile: « Donnez-moi la portion de l’héritage qui doit
m’échoir 2». Cette part se pouvait conserver entre les mains de son père, et
n’eût pas été dissipée avec les femmes de mauvaise vie. Il reçut donc cette
part qui fut mise en son pouvoir; et il s’en alla dans un pays lointain la
dissiper avec des prostituées. Puis il souffrit la faim, se souvint de son
père, retourna vers lui afin de se rassasier de son pain. Entre donc dans cette
maison afin d’être habité, de n’être point à toi, mais à Dieu. « Nous entrerons
dans ses tabernacles».
13. «Nous adorerons dans le lieu où ses pieds
1. Ps. CXXXI, 7.— 2. Luc, XV 12.
se sont reposés ». Les pieds de qui? Du
Seigneur, ou de la maison du Seigneur? Car le lieu où le Prophète nous dit
qu’il faut l’adorer, c’est la maison du Seigneur. « Nous adorerons dans le lieu
où ses pieds se sont reposés ». Ce n’est que dans sa maison que le Seigneur
nous exauce pour la vie éternelle. Or, celui-là fait partie de la maison du
Seigneur, qui est lié par la charité aux pierres vivantes qui la composent.
Mais celui-là tombe, qui n’a point la charité, et la maison n’en demeure pas
moins après sa chute. Que nul n’ose menacer cette maison, quand il commence à
en devenir une pierre en quelque sorte, et qu’il veut tomber, comme si l’on
pouvait nuire à cette maison. Tel fut l’orgueil qui s’empara du premier peuple
juif, et lui fit dire que le Seigneur, qui avait fait à Abraham son père de si
magnifiques promesses relativement à sa postérité, ne saurait y manquer; et
tranquilles sur cette promesse de Dieu, ils commettaient toutes sortes de
désordres, dans la persuasion qu’il leur pardonnerait leurs péchés, non point
en considération des mérites de ces criminels, mais en considération des
mérites d’Abraham, dont tous les enfants, quelle que soit leur dépravation,
seraient néanmoins rassemblés pour lui former une maison d’éternelle durée.
Mais que dit Jean? « Race de vipères 1 ». Ces enfants d’Abraham venaient à lui
pour recevoir le baptême de la pénitence, et il ne leur dit point: race
d’Abraham, mais race de vipères. Car ils ressemblaient à ceux qu’ils imitaient.
Dès lors, ils n’étaient plus enfants d’Abraham, mais enfants des Amorrhéens,
des Chananéens, des Gergéséens, dès Jébuséens, et de tous ceux qui péchaient
contre Dieu. Ils en étaient les fils, puisqu’ils en imitaient les actions. «
Race de vipères donc, qui vous a enseigné à fuir la colère à venir? Faites de
dignes fruits de pénitence, et ne dites point: Nous avons Abraham pour père;
car Dieu peut, de ces pierres, susciter des enfants d’Abraham 2». En parlant de
la sorte, Jean voyait sans doute quelques pierres dans les campagnes boisées,
et desquelles surgirent des enfants d’Abraham. Car ces fils d’Abraham sont bien
plus ceux qui ont imité ses vertus, que ceux qui sont nés de sa chair. Que
personne dès lors ne menace la maison de Dieu, en disant: Je me retire et la
maison tombera.
1. Matth. III, 7. — 2. Id. 8, 9.
Il lui est avantageux d’entrer dans le, corps
de l’édifice et d’avoir la charité; car s’il tombe, la maison n’en subsistera
pas moins. C’est pourquoi, mes frères, la maison de Dieu subsiste dans ceux
qu’il a prédestinés, et dont il a prévu la persévérance. C’est d’eux qu’il est
dit: « Où ses pieds se sont reposés ». Il en est, en effet, qui ne persévèrent
point, et en qui ne reposent point ses pieds. Ils ne sont donc point de
l’Eglise, et n’appartiennent point à ce qui est aujourd’hui le tabernacle, et
plus tard le palais. Mais où se sont reposés les pieds du Seigneur? « Parce que
l’iniquité abonde », nous dit le Sauveur, « la charité de plusieurs se
refroidira1». Or, ses pieds ne se reposent point en ceux dont la charité se
refroidit. Mais que dit ensuite le Sauveur? « Celui qui persévérera jusqu’à la fin
sera sauvé 2 ». C’est en ceux-là que se reposent ses pieds: c’est là que tu
dois adorer, c’est-à-dire, sois de ceux en qui se reposent les pieds du
Seigneur.
14. Mais si dans cette parole: « Où se sont
arrêtés ses pieds », tu veux voir les pieds de la maison elle-même: que tes
pieds demeurent fermes dans le Christ; et tes pieds seront
fermes dans le Christ, si tu persévères en
lui. Qu’est-il dit, en effet, du diable? « Celui-là est homicide dès le
commencement, et il n’est point demeuré ferme dans la vérité 3». Ses pieds donc
ne se sont point arrêtés. De même il est dit des orgueilleux: « Que le pied de
l’orgueil ne me heurte point, que la main des pécheurs ne m’ébranle point. Là
sont tombés ceux qui commettent l’iniquité, ils ont été repoussés, et n’ont pu
demeurer fermes 4 ». Ils forment donc la maison de Dieu, ceux dont les pieds
sont fermes. Aussi, que dit Jean dans ses transports de
joie: « L’époux est celui à qui est l’épouse;
mais l’ami de l’époux est celui qui se tient debout et qui écoute ». S’il ne
demeure ferme, il ne l’écoute pas. « Cet ami est plein de joie à la voix de
l’époux 5». C’est avec raison qu’il demeure ferme, puisqu’il se réjouit à la
voix de l’époux; car il tomberait bientôt s’il se réjouissait de sa propre
voix. Vous comprenez dès lors pourquoi sont tombés ceux qui ont mis leur joie
dans leur propre parole.
Cet ami de l’époux disait: « C’est là celui
qui baptise ». Il en est qui disent: C’est nous
1. Matth. XXIV, 12. — 2. Id. 13. — 3. Jean,
VIII, 44. — 4. Ps. XXXV, 12, 13 — 5. Jean, III, 29. — 6. Id. I, 33.
qui baptisons. Mais dans l’enivrement de leur
parole ils n’ont pu tenir fermes; et dès lors ils n’appartiennent pas à cette
maison dont il est dit: « Là se sont reposés ses pieds ».
15. « Levez-vous, Seigneur, entrez dans votre
repos 1 ». C’est au Christ endormi que l’on dit: « Levez-vous ». Car vous savez
qui n dormi, et qui s’est levé ensuite. C’est lui qui dit en certain endroit
des psaumes: « J’ai dormi tout agité 2 ». C’est donc avec raison qu’on lui dit:
« Levez-vous, Seigneur, pour votre repos ». Vous ne serez plus agité: « Car le
Christ ressuscitant d’entre les morts, ne meurt plus, la mort n’aura plus
aucune puissance sur lui 3 ». C’est lui qui dit encore dans un autre psaume: «
J’ai dormi, j’ai sommeillé, et je me suis levé, parce que le Seigneur m’a pris
sous sa garde 4 ». C’est donc à celui qui a dormi, que l’on dit ici: «
Levez-vous, Seigneur, entrez dans votre repos, vous et l’arche de votre
sainteté ». C’est-à-dire: Levez-vous afin que se lève aussi l’arche de sainteté,
que vous avez sanctifiée. Il est notre chef, son arche est son Eglise: il s’est
levé le premier, et l’Eglise se lèvera ensuite. Or, le corps n’oserait se
promettre de ressusciter si la tête ne l’avait fait la première. « Levez-vous,
Seigneur, pour votre repos, vous et l’arche de votre sanctification ».
Quelques-uns ont prétendu que cette arche de la sanctification désignait le
corps du Christ né de la Vierge Marie; en sorte que cette invitation: «
Levez-vous, Seigneur, vous et l’arche que vous avez sanctifiée », signifierait:
Levez-vous avec votre corps, afin que les incrédules puissent le toucher. «
Levez-vous, Seigneur, pour votre repos, vous et l’arche de votre sainteté ».
16. « Que vos prêtres soient revêtus de
justice, et vos saints dans la joie 5 ». Quand vous vous lèverez d’entre les
morts, pour aller à votre Père, que ce sacerdoce royal soit revêtu de foi, car
« c’est de la foi que vit le juste 6»; et qu’après avoir reçu le gage de
l’Esprit-Saint, les membres se réjouissent dans l’espérance de la résurrection,
qui a précédé dans le chef; puisque c’est à eux que l’Apôtre a dit: «
Réjouissez-vous dans l’espérance ».
17. « A cause de David votre serviteur, ne
détournez point les regards de votre
1.
Ps. CXXXI, 8.— 2. Id. LVI, 5. — 3. Rom. VII, 9. — 4. Ps. III, 6. — 5. Id.
CXXXI, 9. — 6. Rom. I, 17. — 7. Id. XII, 12,
Christ 1». C’est au Père que l’on dit: « Ne
détournez point la face de votre Christ, en considération de David votre
serviteur ». Car le Seigneur a été crucifié en Judée, et crucifié par les Juifs;
c’est pendant qu’ils le troublaient qu’il a dormi. Après avoir dormi entre les
mains de ces furieux, il s’est levé pour les juger; et il a dit en quelque
endroit:
« Ressuscitez-moi, et je me vengerai d’eux 2
». Il s’est vengé déjà, et doit se venger encore. Les Juifs savent bien ce
qu’ils ont souffert après avoir fait mourir le Seigneur. lis ont été bannis
complètement de cette ville où ils l’avaient mis à mort. Mais quoi! tous ceux
de la race de David, de la tribu de Juda, ont-ils donc péri? Non, car plusieurs
d’entre eux embrassèrent la foi, c’est de là que sortirent ces milliers
d’hommes qui crurent en Jésus-Christ après sa résurrection. Ils s’emportèrent
jusqu’à le crucifier, et quand ils virent les miracles qui s’opéraient au nom
du crucifié, ils n’en furent saisis que d’une plus grande. frayeur, en voyant
éclater la puissance de celui qui avait paru si faible entre leurs mains: et
alors touchés de componction, ils crurent que la divinité était vraiment cachée
dans cet homme 3 qu’ils avaient regardé comme un autre homme, puis ils
demandèrent conseil aux Apôtres. « Faites pénitence, leur fut-il répondu, et
que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ notre Seigneur 4 ».
C’est donc parce que le Christ est ressuscité pour juger ceux qui l’ont
crucifié, et qu’il a détourné son visage des Juifs, pour le tourner vers les
Gentils, que le Prophète paraît le supplier en faveur des restes d’Israël, en
disant: « A cause de David votre serviteur, ne détournez point la face de votre
Christ ». Si la paille est condamnée, que le bon grain soit recueilli. Que les
restes soient sauvés 5, comme le dit Isaïe. Or, ces restes ont été sauvés,
puisque c’est de là que vinrent les douze Apôtres, et ces frères au nombre de
plus de cinq cents à qui le Seigneur se montra après sa résurrection 6; de là
ces milliers d’hommes qui se firent baptiser et apportèrent aux pieds des
Apôtres le prix de leurs biens 7. Ainsi donc fut accomplie cette prière que le
Prophète adresse au Seigneur: « A cause de David votre serviteur ne détournez
point la face de votre Christ ».
1.
Ps. CXXXI, 10. — 2. Id. XI, 11. — 3. Act. II, 37. — 4. Id. 38. — 5. Isa. X,
21.— 6. Rom. IX, 27; I Cor. XV, 6.— 7. Act. II, 41; XV, 34.
18. « Le Seigneur a juré à David dans sa
vérité, et il ne s’en repentira point 1 ». Qu’est-ce à dire: « Il a juré? » Il
a confirmé sa promesse par lui-même. Qu’est-ce à dire: « Il ne s’en repentira
point? » Il ne changera point. Car Dieu n’est touché d’aucune douleur de
repentir, et il ne se trompe en rien, pour avoir besoin de corriger ses actes.
Mais de même que chez l’homme le repentir lui fait changer ses actes, de même
quand on dit que Dieu se repent, on doit attendre quelque changement. Mais ce
changement se fait autrement en Dieu, bien qu’il conserve le nom de repentir, et
autrement en toi. Tu le fais, toi, parce que tu t’es trompé; mais Dieu le fait,
parce qu’il veut châtier ou délivrer. Quand il se repentit d’avoir élevé Saül à
la royauté, il le changea, ainsi, qu’il est écrit. Et dans le même endroit
l’Ecriture dit: « Il se repentit »; et néanmoins un peu après elle ajoute que «
Dieu n’est point semblable à l’homme pour se repentir 2 ». Dès lors quand, par
le conseil de son immuable sagesse, il vient à changer ses oeuvres, ce
changement non dans ses desseins, mais dans ses oeuvres, se nomme repentir.
Mais la promesse faite à David ne doit point être changée. De même qu’il est
dit encore: « Le Seigneur l’a juré, et ne s’en repentira point: tu es prêtre
pour l’éternité selon l’ordre de Meichisédech 3 ». De même, comme la promesse
qu’il a faite est sans changement, et doit nécessairement subsister à jamais,
le Prophète a dit: « Le Seigneur a juré à David dans sa vérité et il ne s’en
repentira point; je mettrai sur ton trône le fruit de tes entrailles 4 ». Le
Prophète pouvait dire tout aussi bien: Le fruit de tes reins; pourquoi dès lors
a-t-il voulu dire, « le fruit de tes entrailles? ». En parlant ainsi il eût dit
vrai; mais il a préféré dire « le fruit de vos entrailles », afin de nous mieux
préciser que le Christ est né d’une femme sans la participation d’aucun homme.
19. Pourquoi donc? « Le Seigneur a juré à
David dans sa vérité: Je placerai sur ton trône le fruit de tes entrailles; si
tes enfants gardent mon alliance, et mes témoignages que je leur enseignerai,
leurs enfants seront à jamais assis sur ton trône ». Si tes enfants sont
fidèles à mon alliance, leurs enfants seront osais à jamais. Les pères méritent
pour
1. Ps. CXXXI, 11. — 2. I Rois, XV, 11, 29. —
3. Ps. CLX, 4. — Id. CXXXI, 12.
les enfants. Mais qu’arriverait-il, si les
fils de David gardaient l’alliance, et non les petits-fils? Pourquoi le bonheur
des enfants est-il dû aux mérites des pères? Que dit en effet le Prophète? « Si
tes enfants gardent mes témoignages, leurs enfants seront assis pour l’éternité
». Il ne dit point: Si tes enfants gardent mon alliance, ils s’assiéront sur
ton trône; et si leurs enfants la gardent à leur tour, ils seront de même assis
sur ton trône; mais il dit: « Si tes enfants gardent mon alliance, leurs
enfants seront assis sur ton trône ». A moins que le Prophète, par leurs
enfants, n’entende leurs oeuvres. « Si tes enfants », est-il dit, « gardent ma
loi, et les préceptes que je leur enseignerai, leurs enfants seront assis sur
ton trône »; c’est-à-dire, le fruit de leurs oeuvres sera de s’asseoir sur ton
trône. Maintenant, en effet, mes frères, nous tous qui travaillons dans le
Christ, nous tous qui tremblons à sa parole, qui nous efforçons par tous les
moyens d’accomplir sa volonté, qui gémissons en lui demandant de nous aider à
pratiquer ce qu’il commande, sommes-nous donc assis déjà sur ces trônes de
félicité qui nous sont promis? Nullement; mais dans l’espérance de cet avenir
nous observons les préceptes. C’est à cette espérance que l’on donne le nom de
fils, puisque pour l’homme qui vit ici-bas, l’espérance est dans les enfants,
le fruit dans les enfants encore. Aussi pour abriter leur avarice, les hommes
disent-ils qu’ils font des économies pour leurs enfants: leur refus à quelque
pauvre est couvert du voile de la piété, car leurs enfants sont leur espérance.
Car tous les hommes qui vivent selon l’esprit du monde, ont l’espoir,
disent-ils, d’avoir des enfants, de les laisser après eux. C’est dans ce sens
que le Prophète donnerait le nom de fils à leur espérance, quand il dit: « Si vos
enfants gardent mon alliance et les préceptes que je leur enseignerai, leurs
fils seront assis éternellement sur votre trône »; c’est-à-dire que leur
fidélité portera des fruits tels que leur espérance ne sera point illusoire, et
qu’ils arriveront où ils espèrent arriver. Donc ici-bas les hommes qui ont de
l’espérance dans l’avenir, sont en quelque sorte des pères; et ils sont comme
des enfants quand ils ont acquis ce qu’ils espéraient, et ont en quelque sorte
enfanté, engendré par leurs oeuvres ce qu’ils possèdent. C’est là ce qui (109)
leur est réservé pour après eux,
puisque le nom de postérité, ou ceux d’après, désigne ordinairement les
enfants.
20. Mais si par enfants vous voulez entendre
des hommes, il faut leur appliquer aussi ces paroles: « Si tes enfants gardent
mon alliance et les préceptes que je leur enseignerai », en sorte que tel
serait le sens: « Si tes enfants gardent mon alliance et les préceptes que je
leur enseignerai, ainsi que leurs enfants», s’ils les gardent également; en
sorte qu’il y aurait une distinction, et que la promesse de s’asseoir sur le
trône serait pour les enfants de David, et les enfants de ces enfants, mais à
la condition que tous garderont ces préceptes. Qu’arrivera-t-il donc, s’ils ne
les gardent point? La promesse de Dieu sera-t-elle donc nulle? Point du tout.
Le Prophète n’a parlé de la sorte, n’a fait cette promesse, que dans la
prévision de Dieu; et qu’est-ce qu’a prévu Dieu, sinon qu’ils croiront? Et afin
que nul ne crût qu’il pouvait se soulever contre les promesses de Dieu, comme
s’il dépendait de lui que cette promesse divine fût accomplie ou non, voilà que
le Prophète nous dit que Dieu a promis avec serment, ce qui montre que
l’accomplissement est infaillible. Pourquoi néanmoins dire: « S’ils gardent? »
Afin que la promesse de Dieu ne te donne aucune présomption, et ne te porte à
négliger son alliance. La garder, c’est être fils de David; la négliger, c’est
n’être plus fils de David; et Dieu n’a rien promis qu’aux fils de David. Tu ne
saurais dire: Je suis fils de David, situ es dégénéré. Les Juifs ne sauraient
s’appeler ainsi, quoique nés de sa race. Ils le font, il est vrai, mais c’est
une folie. Car le Seigneur leur a porté ce défi: « Si vous êtes les enfants
d’Abraham, faites les oeuvres d’Abraham 1 ». Il leur en refusait le nom, parce
qu’ils n’en imitaient pas les oeuvres. Comment nous appeler fils de David, nous
qui ne sommes point de sa lignée selon la chair? Nous ne pouvons être ses fils
qu’en imitant sa foi, qu’en servant Dieu comme il l’a servi. Si donc tu ne veux
acquérir par de saintes actions ce que tu ne saurais espérer par la naissance,
comment s’accomplira pour toi la promesse de t’asseoir sur le trône de David?
Et si elle n’est accomplie en toi, crois-tu qu’elle sera sans effet? Comment
Dieu trouvera-t-il sa demeure
1. Jean, VIII, 39.
dans les campagnes boisées? Comment ses pieds
pourront-ils demeurer fermes? Quel que tu sois, cette maison subsistera.
21. « Car le Seigneur a choisi Sion, il l’a
choisie pour en faire son habitation 1 ». Sion, c’est l’Eglise, c’est la
Jérusalem d’en haut, la cité de la paix, à laquelle nous nous hâtons d’arriver,
qui est encore dans l’exil, non pas dans les anges, mais en nous, et dont la
partie meilleure attend l’arrivée de l’autre, De là nous sont venues les saintes
lettres qu’on lit chaque jour. Telle est la cité, telle est Sion que le
Seigneur a choisie.
22. « C’est le lieu de mon repos dans les
siècles des siècles2 ». C’est Dieu qui parle et qui dit: C’est mon repos, c’est
là que je me repose. Quel amour de Dieu pour nous, mes frères lit repose,
dit-il, quand nous reposons. Dieu n’est jamais dans l’agitation, et n’a pas
besoin de reposer comme nous, mais il dit qu’il se repose, parce que nous
trouvons en lui notre repos. « C’est là que j’habiterai, parce que je l’ai
choisie ».
23. « Je comblerai ses veuves de
bénédictions, et ses pauvres je les rassasierai de pain 3 ». Toute âme est
veuve dès qu’elle se voit dénuée de tout secours autre que celui de Dieu.
Quelle peinture, en effet, l’Apôtre nous fait-il de la veuve? « Celle qui est
vraiment veuve et désolée», nous dit-il, « a mis sa confiance dans le Seigneur
». Or, il parlait de ces veuves que nous appelons tous ainsi dans l’Eglise. Car
il avait dit: « Celle qui vit dans les délices est morte, quelque vivante qu’elle
soit », et il ne la compte pas au nombre des veuves. Mais que dit-il à propos
des veuves saintes? « Celle qui est vraiment veuve et désolée a mis son
espérance dans le Seigneur, et persévère nuit et jour dans les prières et les
saintes supplications ». Puis il ajoute « Pour celle qui vit dans les délices,
elle est morte, quelque vivante qu’elle soit 4 ». Pourquoi donc l’autre
est-elle veuve? Parce qu’elle n’a d’autre secours que celui de Dieu. Des femmes
qui ont leurs maris, tirent des secours de ces maris une certaine vanité; une
femme veuve paraît abandonnée, et son appui n’en est que plus solide. Toute
l’Eglise n’est donc qu’une seule veuve. Elle est veuve dans les hommes, veuve
dans les femmes, veuve dans les personnes mariées, veuve dans les femmes qui
ont un
1.
Ps. CXXXI, 13, — 2. Id. 14. — 3. Id. 13, — 4. I Tim. V, 5, 6.
époux, veuve dans les jeunes gens, veuve dans
les vieillards, veuve dans les vierges. Toute l’Eglise ne forme qu’une seule
veuve, et une veuve abandonnée en ce monde; si elle comprend son état, si elle
est persuadée de sa viduité, elle trouve près d’elle un fort appui. Ne
reconnaissez-vous pas, mes frères, cette veuve dans l’Evangile, quand le
Seigneur nous dit qu’il faut toujours prier, et ne jamais cesser de prier? « Il
y avait », dit-il, « dans une ville, un juge qui ne craignait pas Dieu, et ne
s’inquiétait point des hommes; et chaque jour une veuve s’en venait le trouver
en disant: Faites-moi justice de mon adversaire ». Or, à force de l’importuner,
elle le fatigua enfin. « Car ce juge qui ne craignait pas Dieu, et qui n’avait
aucun souci des hommes, se dit en lui-même: Quoique je n’aie nulle crainte de
Dieu, nul souci des hommes, je lui rendrai néanmoins justice, à cause de son
importunité 1 ». Si ce juge corrompu entendit cette veuve, de peur qu’elle ne
l’importunât davantage, Dieu pourrait-il ne pas exaucer son Eglise, qu’il
exhorte lui-même à la prière?
24. De même: « Ses pauvres, je les
rassasierai de pains». Qu’est-ce à dire, mes frères? Soyons pauvres, et nous
serons rassasiés. Il est des hommes enflés des honneurs du monde, des hommes
orgueilleux, qui sont chrétiens; ils adorent Jésus-Christ, mais ne sont pas
rassasiés; ils ne sont rassasiés que de leur orgueil, qu’ils ont en abondance.
C’est d’eux que le psaume a dit: « Nous sommes un sujet d’opprobre pour ceux
qui sont dans l’abondance, et de mépris pour les superbes 2 ». ils sont dans
l’abondance, et mangent sans être rassasiés. Or, qu’a dit le Psalmiste à leur
sujet? « Tous les riches de la terre ont mangé 3 ». Ils adorent le Christ, ils
ont pour le Christ de la vénération, ils invoquent le Christ, mais ils ne sont
point rassasiés de sa sagesse et de sa justice. Pourquoi? Parce qu’ils ne sont
point pauvres. Quant aux pauvres, c’est-à-dire aux humbles de coeur, plus ils
ont faim et plus ils mangent, et ils ont d’autant plus faim qu’ils sont plus
détachés du monde. Un homme rassasié dédaigne tout ce que tu peux lui offrir;
il n’a pas faim. Mais donne-moi un affamé, donne-moi ceux dont il est dit: «
Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront
1. Luc, XVIII, 1-8. — 2. Ps. CXXII, 4. — 3.
Id. XXI, 30.
rassasiés 1 », et ils seront ces pauvres dont
il est dit ici: « Quant à ses pauvres, je les rassasierai de pains ». Aussi
dans ce même psaume où il est dit: « Tous les riches de la terre ont mangé et
ont adoré », il est dit encore, à propos des pauvres et dans le sens de notre
psaume: « Que les pauvres mangent, et ils seront rassasiés, et ils loueront le
Seigneur, ceux qui le recherchent ». Au même endroit où l’on dit que « les
riches ont mangé et ont adoré», on dit encore, à propos des pauvres: «Qu’ils
mangent et ils seront rassasiés». Pourquoi, en parlant des riches qui ont
adoré, n’est-il pas dit qu’ils sont rassasiés, et pourquoi, en parlant des
pauvres, est-il dit qu’ils sont rassasiés? De quoi sont-ils rassasiés? Quelle
est, mes frères, cette satiété? C’est Dieu lui-même qui est leur pain. Or, afin
que ce pain fut un lait pour nous, il est descendu sur la terre, et il a dit à
ses disciples: « Je suis le pain vivant descendu du ciel 3 ». Aussi le psaume
que je viens de citer a-t-il dit: « Que les pauvres mangent, et ils seront
rassasiés ». De quoi seront-ils rassasiés? Ecoute la suite: « Et ceux qui
recherchent le Seigneur le loueront ».
25. Soyez donc pauvres, soyez parmi les
membres de cette veuve, n’ayez de secours qu’en Dieu seul. Votre argent n’est
rien, il ne vous sera d’aucun secours. Beaucoup sont tombés à cause de leur
argent, l’argent a causé leur perte: beaucoup ont été recherchés des voleurs à
cause de leur argent; ils eussent été en sûreté, s’ils n’eussent possédé ce qui
les a fait rechercher. Beaucoup ont compté sur la puissance de leurs amis: ces
puissants sur lesquels ils comptaient sont tombés et ont entraîné dans leur chute
ceux qui comptaient sur eux. Voyez ce que le genre humain nous offre chaque
jour. Que voyez-vous d’extraordinaire dans mes paroles? Ce n’est pas seulement
l’Ecriture qui nous l’apprend, vous le pouvez lire dans toute la terre.
Apprenez donc à ne point compter ni sur l’argent, ni sur l’amitié des hommes,
ni sur les honneurs et les vanités du siècle. Méprise tout cela, et si tu le
possèdes et que tu le méprises, remercie Dieu. Mais situ en es enflé, ne
considère pas quand est-ce que tu deviendras la proie des hommes, tu es déjà la
proie du diable. Or, si tout cela ne te donne point de présomption, tu seras
parmi les
1. Matth. V, 6. — 2. Ps. XXI, 27. — 3. Jean,
VI, 41.
membres de cette veuve qui est 1’Eglise, et
dont il est dit: « Je comblerai sa veuve de mes bénédictions »; tu seras ce
pauvre dont il est dit: « Quant à ses pauvres, je les rassasierai de pains ».
26. Toutefois, mes frères, il est bon de vous
le dire, on rencontre l’orgueil chez un pauvre, et l’humilité chez un riche:
nous en voyons chaque jour. Quelquefois tu entends un pauvre qui gémit sous
l’oppression d’un riche, et quand ce riche puissant l’opprime, le pauvre est
humble; quelquefois il ne l’est pas même à ce moment, il est encore
orgueilleux; ce qui nous montre comme il serait, s’il avait quelque bien. C’est
donc par le coeur, et non par la bourse qu’on est pauvre selon Dieu. On
rencontre parfois un homme dont la maison est bien remplie, qui a de vastes
domaines, de riches maisons de campagne, beaucoup d’or et d’argent, et qui sait
qu’il n’y doit point mettre sa confiance, qui s’humilie devant Dieu, et emploie
ses richesses en bonnes oeuvres; son coeur s’élève tellement en Dieu, qu’il
comprend, non seulement que ses richesses ne servent de rien, mais qu’elles
entravent sa marche, si Dieu ne le conduit, et ne vient à son secours; et le
voilà au nombre des pauvres qui sont rassasiés de pains. On en voit un autre
qui mendie et qui est orgueilleux, ou s’il n’est orgueilleux, c’est qu’il n’a
rien, mais qui voudrait avoir de quoi s’enorgueillir. Or, Dieu n’a aucun égard
au bien que l’on possède, mais au bien que l’on voudrait posséder;et il juge
selon ce désir, qui nous fait aspirer aux biens temporels, mais non sur ces
biens que nous n’avons pu acquérir. De là cette parole de l’Apôtre à l’égard des
riches: « Ordonnez aux riches de ce monde de n’être point orgueilleux, de ne
point mettre leur confiance dans des richesses incertaines, mais dans le Dieu
vivant, qui nous donne en abondance tout ce qui est nécessaire à la vie ». Que
feront-ils donc de leurs richesses? Le même Apôtre continue en disant: « Qu’ils
soient riches en bonnes oeuvres; qu’ils donnent facilement, et fassent part de
leurs biens». Et vois que dans ce cas ils sont pauvres en cette vie: « Qu’ils
se fassent un trésor et un fondement solide pour l’avenir, afin qu’ils
embrassent la vie éternelle 1 ». Quand ils la posséderont, c’est alors
seulement
1. I Tim. VI, 17-19.
qu’ils seront riches; mais, qu’ils se
reconnaissent pauvres, jusqu’à ce qu’ils la possèdent. C’est ainsi que Dieu
compte parmi ses pauvres qu’il rassasie de pains, ceux qui sont humbles de
coeur, qui sont affermis dans la double charité, quels que soient d’ailleurs
les biens qu’ils possèdent.
27. « Je revêtirai ses prêtres du salut, et
ses saints tressailliront d’allégresse 1 ». Nous voici à la fin du psaume, que
votre charité veuille bien écouter quelque peu: « Je revêtirai ses prêtres du
salut, et ses saints tressailliront d’allégresse ». Quel est notre salut, sinon
le Christ Notre Seigneur? Qu’est-ce à dire dès lors: « Je revêtirai ses prêtres
du salut? Vous tous», dit saint Paul, « qui êtes baptisés en Jésus-Christ, vous
avez revêtu le Christ 2. Et ses saints tressailliront d’allégresse ». D’où leur
viendra cette allégresse? De ce qu’ils sont revêtus du salut, non par eux-mêmes;
car « ils sont lumière », il est vrai, mais « dans le Seigneur 3 »; auparavant
ils étaient ténèbres. De là vient que le psaume ajoute: « C’est là que
j’établirai la force de David 4»; afin que l’on se confie dans le Christ qui
sera la grandeur de David. Le mot corne, du Prophète, signifie grandeur. Or,
quelle sera cette grandeur? Non pas une grandeur charnelle, car tous les os
sont enveloppés de chair, mais la corne s’élève au-dessus de la chair. Cette
corne est donc une grandeur spirituelle. Or, en quoi consiste l’élévation
spirituelle, sinon à mettre sa confiance dans le Christ; à ne pas dire: C’est
moi qui agis, moi qui baptise; mais bien: « C’est le Christ qui baptise? »
C’est là qu’est la grandeur de David. Et afin que vous sachiez que telle est la
grandeur de David, écoutez ce que dit ensuite le Prophète: « J’ai préparé une
lampe à mon Christ». Quelle est cette lampe? Vous le savez déjà par les paroles
de Jean: « Il était une lampe ardente et brûlante 5 ». Et que dit encore Jean?
« C’est lui qui baptise ». C’est donc en lui que tressailliront les saints, que
tressailliront les prêtres:
car tout le bien qui est en eux, ne vient
point d’eux, mais de Celui qui a le pouvoir de baptiser. Quiconque dès lors est
baptisé vient en son temple avec sécurité; parce que le baptême ne vient point
d’un homme, mais de celui en qui Dieu a établi la puissance de David.
1.
Ps. CXXXI, 16. — 2. Gal. III, 27. — 3. Eph. V, 8.— 4. Ps. CXXXI, 17 — 5. Jean,
V, 35.
28. « En lui fleurira ma sainteté 1» En qui?
En mon Christ. Car cette expression: A mon Christ, est la parole du Père, qui
dit: « Je comblerai sa veuve de bénédiction, et ses pauvres, je les rassasierai
de pains. Ses prêtres, je les revêtirai du salut, et ses saints tressailliront
d’allégresse ». Celui qui a dit: « C’est là que j’établirai la force de David
»,
c’est Dieu le Père; lui qui dit encore: «
J’ai préparé une lampe à mon Christ », car le Christ est tout à la fois notre
Christ, et le Christ du Père. Il est notre Christ, puisqu’il nous sauve et nous
gouverne, de même qu’il est notre Seigneur, et le Fils du Père; mais il est
Christ, et pour nous et pour son Père. S’il n’était point le Christ, du Père,
il ne serait point dit plus haut: « A cause de David votre serviteur, ne
détournez point la face de votre Christ, Sur lui s’épanouira la fleur de ma
sainteté ». C’est dans le Christ qu’elle
1. Ps. CXXXI, 18.
fleurit. Que nul d’entre les hommes n’ose se l’attribuer, puisque c’est
le Christ qui sanctifie; autrement cette parole ne serait point vraie: « C’est
en lui que s’épanouira la fleur de ma sanctification ». La gloire de ma
sanctification s’épanouira. La sanctification du Christ est donc dans le
Christ, et c’est dans le Christ que réside le pouvoir de Dieu dans la
sanctification. « Elle fleurira », dit le Prophète, ce qui signifie la gloire.
C’est quand les arbres fleurissent qu’ils sont dans leur beauté. Donc la
sanctification est dans le baptême, qui lui donne sa fleur et sa gloire.
Comment le monde entier s’est-il incliné devant cette beauté? Parce que c’est
la beauté du Christ, Mettez-la au pouvoir des hommes, comment fleurira-t-elle,
puisque toute chair n’est que du foin, et toute la beauté de la chair n’est que
la beauté d’une herbe 1?
1. Isa. XL, 6.
SERMON AU PEUPLE, EN FAVEUR DES MOINES ET CONTRE
LES DONATISTES.
C’est
le bonheur pour des frères de demeurer dans l’unité qui a enfanté leu
monastères. Ceux qui le comprirent les premiers furent les Apôtres, puis les
disciples qui n’avaient qu’un seul coeur. Comparez le moine catholique, humble
et sobre, avec le Circoncellion ivrogne et furieux. Qu’il y ait de faux moines,
cela tient à l’humanité, puisque ni parmi ceux qui gouvernent l’Eglise, ni
parmi ceux qui servent Dieu dans le calme, ni parmi les gens du monde, tous ne
seront point sauvés. Les hérétiques donnent à leurs solitaires le nom
d’Agonistiques, du mot agon, combat;
puissent-ils justifier ce nom en combattant pour le Seigneur! Les catholiques
les appellent moines, de monos, seul,
ou plusieurs en un seul par l’âme. Ils peuvent bien nous reprocher le nom de
moines, eux qui ne reconnaissent l’unité ni dans l’Eglise ni dans les âmes.
Cette
unité ressemble au parfum sur la tète d’Aaron, on du souverain prêtre, lequel
descend sur sa barbe, ou sur le signe de sa force, comme les Apôtres, comme
Etienne le premier martyr, qui triomphe par la charité. Le parfum descend sur
le bord du vêtement ou sur l’Eglise, qui est sans tache, puisqu’elle est
purifiée dans le sang du Christ, sans ride puisqu’elle est étendue sur la croix.
Ce bord est celui d’en haut qui donne passage à la tête, parce que le Christ
entre chez nous par la charité fraternelle. Comme la rosée d’Hermon;
c’est-à-dire que tout cela s’accomplit en nous par la grâce de Dieu. Hermon
signifie lumière d’eu haut, et désigne le Christ, qui donne le calme et la
paix, et dès lors l’unité des âmes. C’est dans celte paix que nous devons louer
le Seigneur; et si nous ne pouvons le trouver sur la terre, habitons dans le
ciel par l’âme.
1. Notre psaume est court, mais célèbre et
fort connu. « Qu’il est bon, qu’il est agréable pour des frères d’habiter
ensemble 1 ». Il y a tant de douceur dans ce verset qu’on le
chante quand même on ne connaîtrait point le
Psautier. Il est doux comme est douce la charité qui réunit les frères dans une
même demeure. Qu’il soit bon, qu’il soit agréable pour des frères d’habiter
ensemble, c’est là ce qui n’a besoin ni d’explication ni de commentaire. Mais
dans a suite il faut frapper, afin que la porte s’ouvre. Néanmoins, afin que ce
premier verset nous donne
1. Ps. CXXXII, 1.
le sens de tout le psaume, considérons si ce
n’est point de tous les chrétiens qu’il est dit: « Combien il est bon, combien
il est agréable pour des frères d’habiter ensemble », ou s’il n’y en a pas
quelques-uns des plus parfaits qui demeurent ensemble, et sur qui tomberait
cette bénédiction qui ne serait point dès lors pour tous, mais pour
quelques-uns seulement, d’où elle se répandrait sur les autres.
2. Cette parole du psaume, ce chant suave,
cette ravissante mélodie que l’on trouve dans le cantique même et dans le sens
a enfanté les monastères. Tel est le chant qui a excité les frères à demeurer
ensemble; ce verset a été pour eux une trompette éclatante: elle a retenti dans
l’univers entier, et ceux qui étaient divisés se sont réunis. Ce cri de Dieu,
ce cri du Saint-Esprit, ce cri prophétique n’était pas entendu dans la Judée,
et toutes les contrées de la terre l’ont entendu. Ceux qui l’entendaient
chanter demeuraient sourds à cette parole du psaume, et il s’est trouvé que ceux-là
ont prêté l’oreille dont il est dit: « Voilà qu’ils le verront, ceux qui n’ont
pas entendu parler de lui, et ceux qui une l’ont pas entendu comprendront 1 ».
Toutefois, mes bien-aimés, à bien considérer, c’est dans la muraille de la
circoncision que cette bénédiction a pris sa source. Tous les Juifs, en effet,
ont-ils péri? Et d’où viennent les Apôtres, fils des Prophètes, fils de ceux
que l’on a secoués 2? expression que vous comprenez. D’où viennent encore ces
cinq cents disciples, qui virent le Seigneur après sa résurrection, et que
mentionne saint Paul 3? D’où encore ces cent vingt qui étaient réunis dans un
même lieu, après la résurrection et l’ascension du Seigneur, et sur lesquels
descendit en ce lieu le Saint-Esprit, le jour de la Pentecôte, envoyé selon la
promesse du Sauveur? Tous venaient du peuple juif, et ont les premiers habité
ensemble; ils vendaient leurs biens, et en apportaient le prix aux pieds des
Apôtres, comme nous lisons dans les Actes des Apôtres; « et on le distribuait à
ceux qui avaient besoin, et nul ne revendiquait rien en propre, mais toutes
choses leur étaient communes ». Que signifie « ensemble », ou « en un », in unum? L’Ecriture nous répond: « Ils
n’avaient qu’une même âme, et un même coeur en
1.
Isa. LII, 15. — 2. Ps. CXXVI, 4. — 3. I Cor. XV, 6.
Dieu 1». Voilà ceux qui ont compris les
premiers: « Combien il est bon, combien il est agréable pour des frères
d’habiter dans l’unité», Ils sont les premiers pour l’avoir entendu, mais ne
sont point les seuls, car cet amour, cette union des frères ne s’est point
arrêté en eux. Cette allégresse de la charité, ce voeu que l’on fait à Dieu,
ont passé à ceux qui les suivaient. Il y a là, en effet, un voeu fait à Dieu,
et il est dit « Promettez à votre Dieu, et tenez à votre promesse ». Toutefois,
il est mieux de ne faire aucun voeu, que d’en faire un sans le tenir 3. Mais
notre âme doit être fervente à faire des voeux et à les acquitter, de peur
qu’en se croyant trop faible pour les acquitter, elle ne soit tiède à les
faire. Mais jamais elle ne s’acquittera si elle compte le faire par elle-même.
3. C’est d’un mot de notre psaume qu’est venu
le nom de moines, et je vous en fais la remarque afin qu’on ne prenne pas un
tel nom pour une injure aux catholiques. Quand vous reprochez aux hérétiques
les désordres des Circoncellions, afin qu’ils en rougissent pour leur salut,
ils vous objectent les moines. Voyez d’abord s’il est possible de les comparer;
vous seriez embarrassés d’exprimer votre pensée. Mais vous n’avez besoin que
d’inviter chacun à regarder les uns et les autres; oui, qu’on regarde seulement
et qu’on compare. Qu’avez-vous besoin de parler? Que l’on compare des ivrognes
avec des hommes sobres, des hommes sans frein avec des hommes mesurés, des
furieux avec des hommes simples, des vagabonds avec des hommes qui vivent
enfermés ensemble. Mais, nous disent-ils, que signifie ce nom de moines? Avec
combien plus de raison leur dirons-nous: Que signifie le nom de Circellions?
Mais, disent-ils, Circellions n’est point leur nom. Peut-être les appelons-nous
d’un nom qui est altéré. Vous dirons-nous leur nom tout entier? On les nomme
peut-être Circoncellions, et non Circellions. Si tel est leur nom, qu’ils nous
en donnent le sens. Car on les nomme Circoncellions parce qu’ils errent en
vagabonds autour des cellules. Ils vont çàet là, sans avoir de demeures fixes;
ils font ce que vous savez, ce que les hérétiques, bon gré, mal gré, ne peuvent
ignorer.
4. Toutefois, mes bien-aimés, il y a aussi de
faux moines et nous en connaissons; mais
1. Act.
I, II, IV. — 2. Ps. LXXV, 12. — 3. Eccl. V, 4.
la sainte fraternité n’a point péri, parce
que des hommes se donnent pour ce qu’ils ne sont point. Il y a de faux moines,
comme il y a de faux clercs et de faux fidèles. Tous les états de vie, mes
frères, les trois dont je vous ai quelquefois parlé, et même souvent, si je ne
me trompe, renferment des bons et des méchants. C’est de ces trois genres de
vie qu’il est dit « Deux hommes seront dans les champs, l’un sera pris, l’autre
sera laissé 1; «deux seront dans un lit, l’un sera pris, l’autre laissé; deux
femmes à la meule, l’une sera prise, l’autre laissée 2 ». Ceux-là sont dans un
champ, qui gouvernent l’Eglise. De là ce mot de l’Apôtre, et voyez s’il n’était
pas dans un champ: « J’ai planté, Apollo a arrosé, mais Dieu a donné
l’accroissement 3 ». Par ceux qui sont dans un lit, l’Evangile entend ceux qui
aiment le repos, car le symbole du repos c’est un lit; ceux qui ne se mêlent
point à la foule ni au tumulte du monde, qui servent Dieu dans la tranquillité:
et pourtant l’un sera pris et l’autre sera laissé. Il y a des bons comme il y a
là des méchants. Ne vous étonnez pas que l’on trouve là des réprouvés, il y en
a quelquefois de cachés qu’on ne découvrira qu’à la fin. Deux sont à la meule,
et il désigne ici des femmes, parce qu’il a voulu indiquer les gens du monde.
Pourquoi à la meule? Parce qu’ils sont dans le monde comme dans un moulin. Le
monde, en effet, tourne comme une meule; malheur à ceux qu’elle brise. Les bons
d’entre les fidèles y sont de telle sorte, que l’un périt et l’autre se sauve.
Il en est qui imitent le monde par amour pour le monde, et deviennent trompeurs
et dissimulés. D’autres y sont, comme le dit l’Apôtre: « Usant du monde comme
s’ils n’en usaient pas, car la figure du monde passe, et je veux que vous soyez
sans inquiétude 4 ». Tu entends celle qui sera prise à la meule. Il est
constant que les riches sont exposés à un plus grand nombre de péchés. Engagés
dans plus d’affaires, administrant de plus grands biens, ayant de plus hauts emplois,
il est difficile pour eux de ne point commettre plus de fautes; et c’est d’eux
qu’il est dit « Qu’un chameau passera plus facilement dans le trou d’une
aiguille qu’un riche n’entrera dans le royaume des cieux 5 ». Et comme
1. Matth. XXIV, 40.— 2. Luc, XVII, 34, 35. —
3. I Cor. III, 6. — Id. VII, 31, 32. — Matth. XIX, 24.
les Apôtres s’affligeaient au sujet de ceux
dont ils désespéraient, le Seigneur leur dit pour les consoler: « Ce qui est
impossible à l’homme est facile à Dieu 1». Comment Dieu nous rend-il cela
facile? Ecoute l’Apôtre, et ne néglige pas ses préceptes: « Ordonnez aux riches
du siècle », dit-il, « de n’être point orgueilleux 2 ».Car on trouve souvent un
pauvre qui est orgueilleux, un riche qui est humble, un chrétien qui considère
avec raison que toutes les choses d’ici-bas passent et s’écoulent, qu’il n’a
rien apporté en ce monde, qu’il n’en saurait rien emporter; qui médite sur le
riche de l’Evangile, brûlant dans les flammes de l’enfer, et demandant qu’une
goutte d’eau tombât du doigt de celui qui désirait autrefois les miettes qui
tombaient de sa table 3. Ceux qui méditent ces vérités suivent l’avis de
l’Apôtre: « De ne mettre point leur espérance dans les richesses qui u sont
incertaines, mais dans le Dieu vivant qui nous donne avec abondance ce qui est
nécessaire à la vie. Qu’ils soient riches en bonnes oeuvres, qu’ils donnent
facilement, et s’amassent ainsi un trésor ». Et quel bien leur en
reviendra-t-il? « Qu’ils s’amassent un trésor et un bon fondement pour
l’avenir, afin d’embrasser la vie véritable 4 ». Voilà celle qui sera prise à
la meule. Mais tout homme qui sera semblable à ce riche qui était revêtu de
pourpre et de du lin, qui faisait chaque jour bonne chère et qui méprisait le
pauvre couché à sa porte, celui-là sera laissé. Car l’une sera prise à la meule
et l’autre sera laissée.
5. Ezéchiel, à son tour, parle de trois
personnes qui désignent bien ces trois catégories: « Quand le Seigneur jettera
son glaive sur la terre, dût-on trouver parmi eux Noé, Daniel et Job, ils ne délivreront
pas leurs fils et leurs filles, mais ils seront seuls sauvés 5». Ces justes
étaient déjà délivrés, mais ces trois noms étaient trois types. Noé désigne
ceux qui gouvernent l’Eglise, parce qu’il gouverna l’arche au temps du déluge
6. Daniel choisit la vie paisible, et servit Dieu dans le célibat, c’est-à-dire
sans rechercher le mariage. C’était un homme saint, dont la vie s’écoulait en
de saints désirs 7, qui passa par beaucoup d’épreuves, et qui fut trouvé comme
l’or le plus pur. Quel n’était pas son calme,
1. Matth. XXX, 26. — 2. I Tim. VI, 17.— 3. Luc, XVI, 24.— 4. I Tim XV, 19. — 5. Ezéch. XIV, 13-16. — 6. Gen.
VII, 14. — 7. Dan. X, 11.
puisqu’il fut trouvé tranquille au milieu des
lions? Dès lors, le nom de Daniel, qui fut appelé un homme de désirs 1, mais
des chastes et saints désirs, indique les serviteurs de Dieu dont il est dit:
«Combien il est bon, combien il est agréable, pour des frères, d’habiter
ensemble ». Job désigne cette femme qui sera prise à la meule. Il avait une
épouse, il avait des enfants, il avait de grandes richesses 2, et tels étaient
ses grands biens en cette vie, que le diable lui reprochait de ne point servir
Dieu gratuitement, mais pour les biens qu’il avait reçus de lui. Tel fut le
reproche de l’ennemi à ce saint homme, et dans ses épreuves Job montra qu’il
servait Dieu gratuitement, non pour ce qu’il avait reçu, niais bien pour celui
qui avait donné. Quand une ruine soudaine, une triste épreuve lui eut tout
enlevé, enlevé son héritage, enlevé ses héritiers, pour ne lui laisser que sa
femme, encore n’était-ce point pour consolation, mais pour le comble de
l’épreuve, il dit ces paroles que vous connaissez: « Le Seigneur a donné, le
Seigneur a ôté; il est arrivé ce qu’il a plu au Seigneur, que le nom du
Seigneur soit béni ». Alors s’accomplit en lui ce que nous chantons, si tant
est que nous le chantions par nos mœurs: «Je bénirai le Seigneur en tout temps
sa louange sera toujours en ma bouche ». Ces trois hommes sont donc trois types
humains, que nous avons retrouvés dans les trois états de l’Evangile.
6. Que nous disent maintenant ceux qui nous
reprochent avec insolence le nom de moines? Ils diront peut-être: Nous
n’appelons point les nôtres Circoncellions; c’est vous autres qui leur donnez
ce nom par mépris, car nous ne les appelons pas ainsi. Qu’ils nous disent alors
comment ils les nomment, et vous entendrez. Ils les appellent Agonistiques.
C’est là un beau nom, il faut l’avouer, si la réalité y répondait. Mais que
votre charité voie avec nous; que ceux qui nous disent: Montrez-nous où est
écrit ce nom de moines, veuillent bien nous montrer où est écrit celui
d’Agonistiques. Nous les appelons ainsi, disent-ils, à cause de leurs combats.
Car ils combattent, et saint Paul dit de lui-même « qu’il a bien combattu 4 ».
Il en est qui combattent contre le démon, et qui remportent la victoire;
soldats de Jésus-Christ, ils se nomment
1.
Dan X, 11.— 2. Job, I, 23.— 3. Ps. XXXIII, 2.— 4. II Tim. IV, 7
Agonistiques ou combattants. Plût à Dieu
qu’ils fussent les soldats du Christ, et non les soldats du diable, eux dont le
mot, louange de Dieu 1, est plus à
craindre que le rugissement du lion, ils osent bien nous reprocher que nos
frères saluent les hommes qu’ils rencontrent par cette parole: Grâces à Dieu 2.
Que signifie, nous disent-ils: Grâces à Dieu? Es-tu donc sourd au point de ne
pas comprendre ce que signifie: Grâces à Dieu? Parler ainsi, c’est remercier
Dieu. Or, vois si un frère ne doit pas rendre grâce à Dieu quand il rencontre
un frère. Quand ceux qui demeurent en Jésus-Christ se voient mutuellement, n’y
a-t-il pas lieu de se féliciter? Et pourtant vous riez de notre grâce à Dieu, tandis que les hommes
pleurent votre louange à Dieu. Mais
puisque vous nous avez expliqué votre nom d’Agonistiques, puissent-ils
justifier cette appellation, puissent-ils être combattants, nous y
applaudissons. Que Dieu leur donne de combattre le diable, et non le Christ
dont ils persécutent l’Eglise. Puisque vous les appelez Agonistiques ou
combattants, et que vous trouvez une raison de ce nom dans le mot dc saint
Paul: « J’ai combattu un bon combat 3 »; pourquoi ne pourrions-nous pas nous
servir du nom de moines, quand le psaume nous dit: « Combien il est bon,
combien il est agréable pour des frères d’habiter ensemble » ou en un. Or, monos signifie un, et non
pas un indifféremment: en effet, un se trouve dans une foule, mais une foule
composée de plusieurs ne saurait se dire un, monos, c’est-à-dire seul: car monos
signifie un seul. Donc ceux qui vivent en commun, de manière à ne former qu’un
seul homme, et à réaliser en eux cette parole de l’Ecriture, « un coeur et une
âme 4 », peuvent être plusieurs corporellement, mais non plusieurs âmes;
plusieurs corps, niais non plusieurs coeurs. Voilà bien monos, c’est-à-dire un seul. De là ce seul malade qui était guéri à
la piscine. Qu’ils nous répondent ceux qui nous rejettent le nom de moines
comme une insulte; qu’ils nous disent pourquoi cet homme paralytique depuis
trente- huit années répondit au Seigneur: « Aussitôt que l’eau est troublée, je
n’ai personne pour m’y jeter, et un autre descend avant moi 5 ». Un malade
était descendu, un autre n’y descendait plus:
1. Salut des Circoncellions — 2. Salut des
Moines. — 3. II Tim. IV, 7. — 4. Act. IV, 32.— 5. Jean, V, 5, 7.
un seul était guéri, et nous figurait l’unité
de l’Eglise. Il est vrai qu’ils ont raison d’insulter à l’unité, ceux qui se
sont séparés de l’unité. C’est justement que le nom de moines leur déplaît, eux
qui ne veulent pas demeurer dans l’unité avec leurs frères, qui ont abandonné
le Christ afin de suivre Donat. Votre charité vient d’entendre la
recommandation de l’unité d’un seul; réjouissons-nous donc avec le Psalmiste et
voyons ce qui suit. Le psaume est court, nous pouvons avec la grâce de Dieu le
parcourir rapidement. Ce que nous avons dit déjà, nous éclairera sans doute
pour la suite, bien qu’on y trouve des obscurités.
7. « Voilà combien il est bon, combien il est
agréable pour des frères d’habiter ensemble ». Dire voilà, c’est montrer. Pour nous, mes frères, nous le voyons et nous
en bénissons le Seigneur; nous le prions de pouvoir dire à notre tour: Voilà.
Mais à quoi va-t-il comparer ces frères? Que le Prophète nous le dise: « Comme
un parfum répandu sur la tête d’Aaron, qui descend le long de sa barbe, et
jusque sur le bord de son vêtement 1 ». Qu’était-ce que Aaron? Le grand prêtre.
Quel est le véritable prêtre, sinon celui qui est entré seul dans le Saint des
saints? Quel est ce prêtre, sinon celui qui a été victime et prêtre? sinon
celui qui, ne trouvant dans le monde rien que d’immonde à offrir à Dieu,
s’offrit lui-même? Sur sa tête est le parfum, parce que le Christ tout entier
comprend l’Eglise. Mais c’est de la tête que descend le parfum. Notre tête,
c’est le Christ crucifié et enseveli, et qui est ressuscité pour monter au
ciel. Telle est la tête qui a envoyé l’Esprit-Saint; où? Sur sa barbe. Car la
barbe est le symbole de la force, elle est le propre d’une jeunesse vigoureuse,
alerte et robuste. De là vient qu’en parlant de ces sortes d’hommes, nous
disons: c’est un barbu. Ce fut donc sur les Apôtres que ce parfum descendit
tout d’abord; il descendit sut ceux qui soutinrent les premiers chocs du inonde
ce fut sur eux que descendit l’Esprit-Saint. Et eux aussi qui avaient commencé
à demeurer ensemble, in unum,
souffrirent persécution; mais comme le parfum était descendu sur la barbe, ils
la souffrirent sans être vaincus. Déjà la tête avait précédé, et avait fait
couler le parfum, et après un si grand exemple, qui
1. Ps. CXXXIX, 2.
eût pu vaincre la barbe qui en était
pénétrée?
8. C’est dans cette barbe qu’était le
bienheureux Etienne. Et n’être pas vaincu, cela consiste à ne pas laisser
vaincre notre charité par nos ennemis. Ceux qui ont persécuté les saints ont
cru avoir vaincu; les premiers frappaient, les seconds étaient frappés; les
premiers égorgeaient, les seconds étaient égorgés. Qui n’aurait cru que les uns
étaient vainqueurs, les autres vaincus? Mais parce que la charité n’a pas été
vaincue, voilà que le parfum est descendu sut sa barbe. Ecoutez Etienne. La
charité fut violente en lui; il était violent pour eux quand ils l’écoutaient,
et il pria pour eux quand ils le lapidaient. Quel était son langage quand ils
l’écoutaient? « Têtes dures, hommes incirconcis du coeur et des oreilles, vous
avez toujours résisté à l’Esprit-Saint 1 ». Voilà la barbe. Est-il flatteur?
Est-il timide? En entendant ces reproches qui les flétrissaient (car
l’emportement d’Etienne n’était que l’emportement des paroles, mais son coeur
était plein de charité pour eux, et en lui la charité ne fut pas vaincue);
ceux-ci donc n’eurent que de la haine contre ses paroles, ils étaient ténèbres
et fuyaient la lumière, elles voilà qui prennent des pierres pour lapider
Etienne. Les paroles d’Etienne les avaient frappés comme des pierres, et leurs
pierres frappèrent Etienne Est-ce pendant qu’on le lapidait, ou pendant qu’on
l’écoutait que notre Saint avait plus raison de s’emporter? Toutefois il était
doux quand on le lapidait, emporté quand on l’écoulait. Pourquoi ce transport
quand on l’écoulait? Parce qu’il voulait changer ses auditeurs. Mais les
pierres qui tombaient sur lui ne purent vaincre sa charité: parce que le parfum
divin était descendu de la tête sur la barbe, et la tête lui avait dit: « Aimez
vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent 2». Il avait ouï de cette
tête clouée à la croix cette parole: « Mon Père, pardonnez-leur, parce qu’ils
ne savent ce qu’ils font 3 ». C’est ainsi que de la tête le parfum était
descendu sur la barbe, et quand on lapidait ce fervent disciple, il mit le
genou en terre en s’écriant: « Seigneur, ne leur imputez pas ce péché 4».
9. Ces saints étaient commue la barbe. Car
beaucoup étaient courageux et enduraient de
1.
Act. VI, 51. — 2. Matth. V, 41. — 3. Luc, XXIII, 34. — 4. Act. VII, 59.
grandes persécutions. Mais si de la barbe ce
parfum n’était descendu plus bas encore, nous n’aurions point aujourd’hui de
monastères, Nous en avons, parce qu’il est descendu sur le bord du vêtement:
car c’est ainsi que dit le psaume: « Qui est descendu sur le bord de son
vêtement ». Voilà que l’Eglise a suivi, et du vêtement du Seigneur a fait
éclore des monastères. Car le vêtement sacerdotal est le symbole de l’Eglise.
Telle est la robe dont l’Apôtre a dit que le Christ a voulu « faire paraître
devant lui une Eglise pleine de gloire, sans tache et sans ride 1». Elle est
purifiée, afin de n’avoir aucune tache; elle est étendue, afin de n’avoir
aucune ride. Où donc ce divin foulon l’a-t-il étendue, sinon sur la croix? Nous
voyons chaque jour les foulons qui mettent les manteaux en croix, en quelque
sorte, afin qu’étendus sur des croix, ils n’aient aucune ride, Qu’est-ce donc
que le bord du vêtement? Oui mes frères, que faut-il comprendre par les bords
du vêtement? Le bord, c’est la fin du vêtement. Or, que faut-il comprendre par
cette fin? Que l’Eglise, à la fin des temps, aura des frères qui habiteront
ensemble ou en un? Ou bien ce bord ne désignerait-il pas la perfection, car
c’est le bord qui achève le vêtement, et alors ceux-là seraient parfaits parce
qu’ils sauraient habiter en un? Mais ceux-là sont parfaits qui accomplissent la
loi. Or, comment la loi du Christ est-elle accomplie en ces frères qui
demeurent ensemble? Ecoute l’Apôtre: « Portez mutuellement vos fardeaux, et
ainsi vous accomplirez la loi du Christ 2 ». Tel est le bord du vêtement.
Toutefois, mes frères, comment pouvons-nous comprendre que tel est le bord du
vêtement, dont parle notre psaume, et où descend le parfum? Je ne crois pas
qu’il soit ici question des bords qui forment les côtés du vêtement. Il y a des
bords en effet sur les côtés. Mais de la barbe, le par. fum a pu descendre sur
le bord qui est près de la tête, et où s’ouvre le passage de la tête. C’est
l’état de ceux qui demeurent ensemble: en sorte que de même que c’est par ces
bords que passe la tête de l’homme qui veut se vêtit, de même le Christ qui est
notre tête, entre chez nous par la concorde fraternelle, afin que nous nous
revêtions de lui, et que son Eglise lui demeure unie.
1. Ephés. V, 27. — 2. Gal. VI, 2.
10. Que dit encore le Prophète? « Comme la
rosée d’Hermon qui descend sur les montagnes de Sion 1 ». Dans ces paroles, mes
frères, le Prophète veut nous marquer que la grâce de Dieu est parmi les frères
qui demeurent en un: que ce n’est point un effet de leurs forces, ni de leurs
mérites, niais que c’est par un don de Dieu, une de ses grâces, comme la rosée
qui nous vient du ciel. Car ce n’est point la terre qui peut se la donner, et
tout ce qu’elle produit sécherait bientôt, si la pluie ne venait d’en haut. Il
est dit quelque part dans un psaume: « Vous ménagez, ô Dieu, une pluie
volontaire à votre héritage 2». Pourquoi dire volontaire? C’est qu’elle n’est
point due à nos mérites, et qu’elle nous vient de sa bienveillance. Quel bien
avons-nous pu mériter, nous qui sommes pécheurs? Quel bien avons-nous pu mériter,
au milieu de nos iniquités? Adam vient d’Adam, et sur cet Adam beaucoup de
péchés. Qu’un homme vienne au monde, c’est Adam qui vient au monde, un damné
qui vient d’un damné, et qui surcharge Adam par les péchés de sa vie. Or, quel
bien a mérité Adam? Et toutefois Dieu dans sa miséricorde a aimé, 1’Epoux a
aimé cette épouse, qui n’était point belle, mais qu’il voulait embellir. C’est
donc la grâce de Dieu que le Prophète appelle la rosée d’Hermon,
11. Mais vous devez savoir ce qu’est Hermon.
C’est une montagne assez éloignée de Jérusalem ou de Sion. Dès lors il y a de
quoi nous surprendre dans cette parole du Prophète: « Comme la rosée d’Hermon
qui descend sur les montagnes de Sion », puisque la montagne d’Hermon est
éloignée de Jérusalem, et qu’elle est, dit-on, au-delà du Jourdain. Cherchons
donc un sens dans la signification d’Hermon. C’est un nom hébreu, dont le sens
nous est donné par ceux qui savent cette langue. Or, Hermon signifie lumière élevée. Du Christ nous vient la rosée,
puisque nul autre que le Christ n’est une lumière élevée. Comment dès lors
est-il- une lumière élevée? D’abord sur la croix, ensuite dans le ciel. Il a
été élevé sur la croix quand il s’est humilié; mais son humiliation n’a pu être
que relevée. Ce qu’il y avait de l’homme diminuait de plus en plus, comme il
est arrivé à Jean; mais ce qui était de Dieu devait croître eu Jésus-Christ
Notre Seigneur: c’est encore
1. Ps. CXXXII, 3. — 2. Id. LXVII, 10.
ce qui est marqué par leur naissance. Car
selon la tradition de l’Eglise, Jean est né le huit des kalendes de juillet,
quand les jours commencent à diminuer, et Notre Seigneur, le huit des kalendes
de janvier, quand les jours commencent à croître. Ecoute Jean qui nous dit: «
Quant à lui, il doit croître, et moi diminuer 1 ». Or, voilà ce que marque leur
genre de mort. Le Seigneur fut élevé en croix, et Jean diminué de la tête. Le
Christ est donc une lumière élevée; et de là vient la rosée d’Hermon. Mais vous
qui voulez habiter ensemble, soupirez après cette rosée, soyez-en trempés. Sans
cela vous ne pourrez posséder ce dont vous faites profession, comme vous ne
pourrez avoir le courage de le professer, si le Christ ne vous fait entendre
son tonnerre dans votre coeur. Vous ne pourrez persévérer, s’il cesse de rassasier
vos âmes, parce que cet aliment sacré descend sur les montagnes de Sion.
12. Déjà, nous le savons, « les montagnes de
Sion » sont grandes en Sion. Qu’est-ce que Sion? L’Eglise. Et quelles sont les
montagnes dans l’Eglise? Les grands. Ceux qui sont les montagnes sont aussi
désignés par la barbe, et par le bord du vêtement. Car la barbe n’a d’autre
sens que la perfection. Il n’y a donc pour habiter ensemble que ceux qui ont la
charité parfaite. Car ceux qui n’ont point la charité parfaite en Jésus-Christ,
lors même qu’ils demeurent ensemble deviennent odieux, imposteurs, troublent
les autres par leur turbulence, et cherchent à les critiquer; de même que dans
un attelage, un cheval fougueux non seulement ne tire point, mais par ses
ruades brise tout l’attelage. Mais quiconque a reçu cette rosée d’Hermon, qui
descend sur les montagnes de Sion, il est tranquille, calme, humble, tolérant,
et la prière coule sur ses lèvres au lieu du murmure. Dans un endroit dc
l’Ecriture on lit cette belle description des murmurateurs: « Le coeur u de
l’insensé est comme la roue d’un chariot 2 ». Pourquoi comparer au chariot le
coeur de l’insensé? Il porte du foin et crie. Car la roue d’un char ne peut
qu’elle ne crie. Ainsi en est-il de beaucoup de frères; ils demeurent ensemble,
mais de corps seulement. Quels sont donc ceux qui habitent véritable-
1. Jean, III, 30. — 2. Eccl. XXXIII, 5.
ment ensemble? Ceux dont il est dit: « Ils
n’avaient tous qu’un même coeur et une même âme en Dieu: nul ne considérait
comme à lui lien de ce qu’il possédait, mais tous leurs biens étaient en commun
1». Les voilà donc désignés et caractérisés ceux qui sont figurés par la barbe,
figurés par le bord du vêtement, et qui sont au nombre des montagnes de Sion.
S’il y a parmi eux des murmurateurs, qu’ils se souviennent de cette parole du
Seigneur: « L’un sera pris, l’autre laissé 2 ».
13. « Car c’est là que le Seigneur veut qu’on le bénisse 3 ». Où
veut-il qu’on le bénisse? Parmi les frères qui demeurent en un. C’est là qu’il
veut être béni, là que bénissent ceux qui demeurent ensemble dans la concorde.
Car on ne saurait le bénir dans la division: et c’est en vain que tu diras que
ta langue bénit le Seigneur, si ton coeur est muet; car alors la bouche bénit
et le coeur maudit. « Ils bénissaient de la bouche et maudissaient dans le
coeur 4 ». Est-ce moi qui tiens ce langage? Le Prophète a voulu désigner
quelqu’un par ces paroles. C’est bénir Dieu que prier, et en continuant ta
prière, tu maudis ton ennemi. Est-ce là ce que tu as appris du Seigneur, qui
dit « Aimez vos ennemis? Matth V, 44.» Si tu pratiques ce commandement, si tu
pries pour ton ennemi, c’est « là que le Seigneur a commandé qu’on « le bénisse
»; c’est là que tu auras « la vie dans le siècle », c’est-à-dire dans
l’éternité. Chez beaucoup l’amour de cette vie leur fit maudire leurs ennemis:
et pourquoi, sinon à cause de cette vie et de certains avantages mondains? Où
donc ton ennemi t’a-t-il fait souffrir pour te forcer à le maudire de la sorte?
Est-ce sur la terre que tu as souffert? Abandonne la terre et monte au ciel.
Mais, diras-tu, comment puis-je habiter le ciel, moi qui suis revêtu de chair,
absorbé par la chair? Elève ton coeur, où ton corps doit aller ensuite. Ne
ferme pas l’oreille quand on dit: Les coeurs en haut. Oui, que ton coeur soit
en haut, et nul ne l’y fera souffrir. C’est ce que nous voyons très-bien dans
le psaume suivant.
1.
Act. IV, 32. — 2. Matth XXIV, 40. — 3. Ps. CXXXII, 3. — 4. Id. LXI, 5
Bénir le
Seigneur dans ses parvis, c’est se mettre au large par la charité; le bénir
pendant la nuit, c’est le bénir pendant la tribulation; se tenir debout, c’est
persévérer: bénissons-le de la voix, et surtout des oeuvres. Ainsi Job le bénit
dans la nuit de ses épreuves, et fut victorieux sur son fumier. Il était trempé
de la grâce d’Hermon. Le Prophète, après avoir exhorté au pluriel, appelle la
bénédiction sur un seul, parce que plusieurs ne font qu’un par la charité: et
la charité seule mérite la bénédiction.
1. « Voici le moment, bénissez le Seigneur, ô
vous tous qui servez le Seigneur, vous qui vous tenez dans la maison du
Seigneur, dans le parvis de la maison de notre Dieu 1 ». Pourquoi ajouter «
dans le parvis? » Le parvis, c’est l’endroit le plus vaste de la maison. Se
tenir dans le parvis, c’est n’être point à l’étroit, mais au large en quelque
sorte. Demeure au large, et tu pourras aimer ton ennemi, car tu n’aimeras plus
ces biens dans lesquels ton ennemi peut te resserrer. Comment sauras-tu que tu
es dans le parvis? Demeure dans la charité et tu es dans le parvis. La charité
est toujours au large, la haine toujours à l’étroit. Ecoute l’Apôtre: « Haine
et indignation, tribulation et détresse dans toute âme de l’homme qui fait le
mal 2». Que dit-il au contraire de l’ampleur de la charité? « La charité de
Dieu est répandue dans vos coeurs par le Saint-Esprit, qui nous a été donné 3».
Quand vous écoutez l’effusion, comprenez l’ampleur; et quand vous entendez
l’ampleur, comprenez les parvis du Seigneur et vous aurez une véritable
bénédiction du Seigneur, si vous ne maudissez point vos ennemis. Car l’Esprit
de Dieu s’adresse à ceux qui souffrent la tribulation, afin qu’ils se
glorifient dans ces mêmes tribulations, et leur dit: « Voici le moment,
bénissez le Seigneur, vous tous qui servez le Seigneur ». Qu’est-ce à dire, «
voici le moment? » En cette vie. Dès que les tribulations seront passées, il
est évident que nous n’aurons qu’à bénir Dieu, comme il est dit: « Bienheureux
ceux qui habitent dans votre maison, ils vous loueront dans les siècles des
siècles 4 ». Ceux qui doivent bénir Dieu incessamment,
1. Ps. CXXXIII, 1. — 2. Rom. II,8, 9. — 3.
Id. V, 3. — 4. Ps. LXXXIII, 5.
commencent ici-bas à bénir le Seigneur; ils
commencent au milieu des tribulations, des épreuves, des angoisses, au milieu
des adversités du monde, au milieu des embûches de l’ennemi, des fraudes et des
assauts du diable. Voilà ce que signifie: « Dès maintenant bénissez le
Seigneur, vous qui êtes serviteurs du Seigneur, qui vous tenez debout dans les
parvis de la maison du Seigneur ». Qu’est-ce à dire « qui vous tenez debout? »
Qui persévérez. Car il est dit de celui qui fut Archange, qu’ « il ne se tint
pas debout dans la vérité 1 ». Il est dit au contraire de l’ami de l’Epoux: «
Cet ami de l’Epoux se tient debout et l’écoute, et il tressaille de joie à la
voix de l’épouse 2. »
2. Donc « ô vous, qui vous tenez dans la
maison du Seigneur, dans les parvis de la maison du Seigneur, pendant la nuit
élevez vos mains vers son sanctuaire, et bénissez le Seigneur 3 ». Il est
facile de bénir Dieu pendant le jour, c’est-à-dire, dans la prospérité; mais la
nuit est triste, et le jour est joyeux. Quand tout est bien pour toi, tu bénis
le Seigneur. Quand vient au monde le fils que tu as désiré, tu bénis le Seigneur.
Quand ton épouse est délivrée du danger de l’enfantement, tu bénis le Seigneur.
Quand ton fils qui était malade est guéri, tu bénis le Seigneur. Mais si la
maladie de ton fils t’a fait recourir aux devins et aux sortilèges, alors si ce
n’est de la langue, c’est du moins par tes moeurs que tu as maudit le Seigneur,
tu l’as maudit par tes moeurs et par ta vie. Ne le glorifie pas de bénir Dieu
de la langue, si ta vie est une malédiction contre lui. Comment, diras-tu, ma
vie est-elle une malédiction? Parce que l’on jette les yeux sur ta vie, et
1. Jean, VIII, 44. — 2. Id. III, 29. — 3.Ps.
CXXXIII, 2.
l’on dit: Voilà un chrétien, voilà ce que
sont les chrétiens. C’est à cause de toi qu’on blasphème le Christ. Et lorsque
ta vie est une malédiction, à quoi reviennent les bénédictions de ta langue?
Bénissez donc le Seigneur, quand? Pendant la nuit. Quand Job l’a-t-il béni?
Dans la nuit la plus triste. Il avait perdu tous ses biens, perdu ses enfants,
à qui il les réservait. Quelle triste nuit, mes frères ! Mais voyons s’il ne
bénit pas Dieu pendant cette nuit: « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté,
comme il a plu au Seigneur il a été fait, que le nom du Seigneur soit béni 1».
Qu’elle était noire, cette nuit! Frappé d’un ulcère de la tête aux pieds, il se
dissolvait et s’en allait en pourriture. C’est alors qu’Eve osa bien le tenter:
« Parle contre ton Dieu et meurs ». Ecoute comme il bénit Dieu pendant la nuit:
« Vous avez parlé», lui dit-il, « comme une femme insensée. Si nous avons reçu
les biens de la main de Dieu, pourquoi n’en pas recevoir les maux 2? » Voilà ce
que dit le psaume: « Pendant les nuits, élevez vos mains vers le sanctuaire, et
bénissez le Seigneur ». Que dit Job? « Vous avez parlé comme une femme insensée
». Adam est en pourriture et il
1. Job, I, 14 -21.— 2. Id. II, 7 - 10.
repousse Eve comme pour lui dire: Qu’il te suffise d’avoir fait de moi
un mortel; tu as prévalu dans le paradis, tu seras vaincue sur le fumier. C’est
là, mes frères, le don précieux de Dieu. Mais d’où nous vient cette grâce,
sinon de ce que la rosée de 1’Hermon avait trempé cette âme, de ce que le
Seigneur avait donné la suavité afin que la terre produisît son fruit 1? «
Pendant la nuit élevez vos mains vers le sanctuaire, et bénissez le Seigneur».
3. « Que le Seigneur vous bénisse de Sion,
lui qui a fait le ciel et la terre 2». C’est au pluriel que le Prophète exhorte
d’abord à bénir le Seigneur, puis-il n’en bénit qu’un seul parce qu’il a réuni
plusieurs en un seul, et qu’ « il est bon que les frères demeurent ensemble 3»,
Les frères sont au pluriel; mais demeurer en un, c’est là le singulier. « Que
le Seigneur donc vous bénisse de u Sion, lui qui a fait le ciel et la terre s.
Que nul d’entre vous ne dise: Cette bénédiction n’est point venue sur moi. De
qui penses-tu qu’il soit dit: « Que le Seigneur te bénisse de Sion?» Il bénit
l’unité: sois donc l’unité, et tu auras part à cette bénédiction.
1.
Ps. LXXXIV, 13. — 2. Id. CXXXIII, 3. — 3. Id. CXXXII, 1.
Bénir
ou blasphémer le Seigneur, ce n’est point l’agrandir, ni l’amoindrir, c’est
pour nous que nous faisons l’un ou l’autre. Mais pour le bénir, il faut avoir
le coeur pur, être debout dans sa maison, et non tombé dans le péché. Nous ne
pouvons de nous-mêmes que le bénir. Le Seigneur est bon, non comme les
créatures qui tirent de lui leur bonté; il est la bonté même, et en comparaison
de lui, nulle créature ne saurait dire complètement: Je suis. Impuissants à le contempler en lui-même,
bénissons-le dans ses oeuvres. Il nous a donné le pain des anges, en se faisant
homme, afin que l’homme pût manger ce pain dès cette vie, et s’élever jusqu’à
lui. Son nom: Je suis celui qui suis, paraît trop relevé, et il se proportionne
à notre faiblesse, en prenant celui de Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob. Il
est tel, non seulement pour les Juifs, mais aussi pour les Gentils qui ont part
à l’héritage par la foi, tandis que les enfants du royaume sont bannis. Tandis
qu’il a livré aux anges les autres nations, il a choisi spécialement Jacob, non
par son propre mérite, mais bien par sa grâce. Ainsi a-t-il greffé l’olivier
sauvage sur l’olivier franc. Le Prophète qui est entré dans le sanctuaire de
Dieu, nous dit du Seigneur qu’il surpasse tous les dieux, qu’il fait sa
volonté, et que louer le Seigneur est le seul acte que nous ne fassions point
par quelque contrainte, et que Dieu plaît au juste même dans l’épreuve, et non
par l’appât de la récompense. Tel est le sacrifice de louanges, toujours
agréable à Dieu, toujours en notre pouvoir. Quant à nous, la loi du péché est
un obstacle à notre volonté, en nous-mêmes. Mais Dieu fait sa volonté: dans son
Eglise, c’est-à-dire dans le ciel, symbole des hommes spirituels; sur terre,
symbole des hommes charnels qui doivent obéir; dans la mer ou chez les
infidèles, dans les abîmes ou dans le secret des coeurs. Il fait venir les
nuées ou les prédicateurs, des confins de la terre où ils prêchent l’Evangile,
et résout les tonnerres en pluie, changeant sa colère en miséricorde, il tire
de ses trésors es vente, ou les prédicateurs de sa grâce.
Les
châtiments des princes et des pays sont des symboles. Tuer les premiers-nés de
l’Egypte, c’est donner la mort à la foi, dans l’Egypte ou dans la persécution,
chez les hommes ou chez les hérésiarques, et chez les bêtes, ou le vulgaire qui
les imite. Pharaon ou dispersion est le symbole du schisme, Selon la tentation
des yeux, les Amorrhéens ceux qui ont le coeur plein de fiel. Og est la
fermeture, barre le chemin qui conduit à Dieu, de là Basan ou confusion.
Chanaan est celui qui sera humilié par le jugement.— Dieu exerce encore ces
châtiments d’une manière spirituelle. Il a jugé son peuple en séparant les bons
des méchants; en délaissant les Juifs, il s’est fait une maison d’Israël dans
les Gentils qui fléchissent le genou et méprisent leurs idoles. Les obstinés
d’entre les idolâtres ont égorgé les chrétiens, mais Dieu prévaut coutre eux
par sa grâce, et chaque jour ils embrassent la foi.
1. C’est un devoir bien doux, mes frères, que
le devoir auquel nous exhorte ce psaume, et nous devons nous réjouir d’y
trouver tant de douceur. « Louez le nom du Seigneur 1 », nous dit-il. Et
aussitôt il ajoute, pour nous montrer combien il est juste de louer le
Seigneur: « Louez-le, vous qui êtes ses serviteurs ». Quoi de plus juste? Quoi
de plus digne? Quoi de plus agréable? Ne pas louer Dieu, c’est pour ses
serviteurs l’orgueil, l’ingratitude, l’impiété. Et ne pas louer Dieu, qu’est-ce
autre chose qu’éprouver sa sévérité? Quelle que soit l’ingratitude chez un
serviteur, et quoiqu’il s’abstienne de louer son maître, il n’en est pas moins
son serviteur. Loue, ne loue pas, tu es toujours serviteur: louer le Seigneur,
c’est le rendre propice; ne point le louer, c’est l’offenser. L’exhortation du
psaume est donc bonne, elle est utile, et dès lors il vaut mieux chercher le
vrai moyen de louer Dieu, que mettre en doute s’il faut
1. Ps. CXXXIV, 1.
le louer. « Louez donc le nom du Seigneur ».
C’est le psaume qui nous engage, le Prophète qui nous engage, l’Esprit de Dieu
qui nous engage, le Seigneur lui-même qui nous engage à louer le Seigneur. Ce
n’est point lui, mais nous que grandissent les louanges que nous lui donnons;
tes louanges n’élèvent point le Seigneur, tes blasphèmes ne l’abaissent point.
Mais toi, en louant sa bonté, tu en deviens meilleur, et pire en le
blasphémant. Pour lui, il demeure ce qu’il est dans sa bonté. Si Dieu lui-même
apprend à ceux qui ont bien mérité de lui, précisé sa parole, gouverné son
Eglise, béni son nom, obéi à ses préceptes, s’il leur apprend à garder dans le
secret d’une bonne conscience la joie d’une sainte vie, à ne pas se laisser
corrompre par les louanges, ni abattre par les outrages des hommes; à combien
plus forte raison Dieu lui-même qui nous donne ces leçons, qui est
essentiellement immuable, ne sera ni agrandi par tes louanges, ni amoindri par
tes outrages! (122) Mais comme c’est à nous que revient l’avantage de louer le
Seigneur, c’est par un effet de ses miséricordes, et non de ses exigences qu’il
nons ordonne de le faire. Ecoutons donc ce qu’il nous dit: « Louez le nom du
Seigneur, louez-le, vous qui le servez ». Rien n’est plus juste pour des
serviteurs que de louer leur maître. Quand vous seriez destinés à servir à
jamais, vous devriez toujours bénir Je souverain maître; à combien plus forte
raison devez-vous le bénir tant que vous êtes serviteurs, afin de mériter
d’être ses enfants!
2. Mais il est écrit dans un autre psaume: «
C’est aux coeurs droits que convient la louange 1 »; puis dans un autre
endroit: « Ce n’est point à la bouche du pécheur qu’il sied de louer Dieu 2 »;
et ailleurs encore: « Je trouve mon honneur dans le sacrifice de louange, et
telle est la voie dans laquelle je lui montrerai le salut de Dieu 3 » Et un peu
après: « Dieu a dit au pécheur: Pourquoi raconter mes justices, et faire passer
mon alliance par ta bouche? Toi qui as pris en haine mes lois, et rejeté loin
de toi mes discours 4 ». Or, de peur que cette parole: « Louez le Seigneur,
vous qui le servez », ne fasse croire à quelque mauvais serviteur qui pourrait
se trouver dans cette grande famille, qu’il lui est avantageux de louer le
Seigneur, voilà que le Psalmiste ajoute pour caractériser ceux qui doivent
louer le Seigneur: « Vous tous qui vous tenez debout dans la maison du
Seigneur, dans le parvis de la maison de notre Dieu 5 ». « Qui vous tenez
debout», non pas qui tombez. Or, on dit de
ceux-là qu’ils se tiennent debout qui
persévèrent dans la pratique des commandements, qui servent Dieu avec une foi
sans déguisement, une espérance ferme, une charité sincère, qui honorent
l’Eglise, sans donner par une vie honteuse aucun scandale à ceux qui veulent y
venir et qui se heurtent souvent en chemin contre la pierre d’achoppement.
Donc, « ô vous qui vous tenez debout dans la maison du Seigneur, louez le nom
du Seigneur ». Témoignez votre reconnaissance, car vous étiez dehors, vous
voilà debout dans l’intérieur. Donc, puisque vous voilà debout, est-ce peu pour
vous que l’objet de vos louanges vous ait relevés quand vous étiez couchés,
vous ait fait tenir debout dans sa
1. Ps. XXXII, 1.— 2. Eccli. XV, 9.— 3. Ps.
XLIX, 23.— 4. LI. 16, 17.— 5. Id. CXXXIV, 2.
maison, qu’il vous alt donné de le connaître,
de le louer? Est-ce donc pour nous un chétif bienfait que d’être fermes dans la
maison du Seigneur? Ne devons-nous pas reconnaître la bonté de Dieu qui nous a
placés ici pendant notre exil, dans cette maison qui est le tabernacle de
l’exil, et où nous sommes debout? Ne devons-nous point penser d’où nous vient
cette fermeté? Ne faut-il point comprendre que tous les impies ne cherchent
point le Seigneur, et qu’il a trouvé lui-même ceux qui ne le cherchaient point,
qu’en les trouvant il les a relevés, qu’en les relevant il les a appelés, qu’en
les appelant il les a introduits, et les a fait tenir fermes dans sa maison?
Quiconque médite ces pensées, et n’est point ingrat, se méprise par amour pour
Dieu qui lui a fait tant de grâces. Et comme il n’a rien à rendre au Seigneur
pour de tels bienfaits, que lui reste-t-il, sinon de rendre grâces, sans
pouvoir s’acquitter? Or, l’action de grâce consiste à prendre le calice du
Seigneur et à bénir son nom. Que peut donner un serviteur à son maître en
échange des biens qu’il en a reçus 1? Donc, « ô vous qui êtes fermes dans la
maison du Seigneur, dans les parvis de la maison de notre Dieu, bénissez le
Seigneur 2 ».
3. Mais que vous dirai-je pour vous inviter à
louer le Seigneur? « Que le Seigneur est bon ». Un seul mot renferme toute la
louange du Seigneur: « Le Seigneur est bon ». Mais bon, non point de cette
bonté que l’on retrouve dans ses créatures. Car le Seigneur a fait très-bonnes
toutes ses oeuvres 3; non seulement bonnes, mais très-bonnes. Le ciel, la terre
et tout ce qu’ils renferment, voilà des oeuvres bonnes, et même très-bonnes.
Mais si toutes ces oeuvres de Dieu sont bonnes, quelle doit être la bonté de
celui qui les a faites? Et toutefois, quelle que soit la bonté des créatures,
bien que la bonté du Créateur soit incomparablement plus grande, on ne trouve à
dire de lui rien de mieux, sinon que « le Seigneur est bon », pourvu que l’on
comprenne que de cette bonté vient tout ce qui est bon. Car c’est lui qui a
lait tout ce qui est bon; tandis que sa bonté ne lui vient de personne. Il est
bon par sa bonté même, et n’emprunte nullement la bonté d’ailleurs; il est bon
par lui-même, et non en demeurant attaché à quelque autre bien. « Pour moi, il
1. Ps. CXV, 12, 13.— 2. Id. CXXXIV, 3. — 3.
Gen. I, 31.
m’est bon de m’attacher à Dieu 1» qui, pour
être bon, n’a pas besoin d’un autre, tandis que toutes les créatures ont besoin
de lui pour être bonnes. Voulez-vous entendre comment sa bonté lui est propre?
Comme on interrogeait le Seigneur, il répondit:
« Nul n’est bon si ce n’est Dieu seul 2 ».
Telle est cette bonté particulière à Dieu, sur laquelle je ne veux point passer
légèrement, et que je ne puis néanmoins suffisamment vous expliquer. Je crains
d’être condamné comme ingrat, si je ne fais que l’effleurer: et je crains aussi
de succomber sous le poids des louanges de Dieu, si j’entreprends de
l’expliquer. Ecoutez néanmoins, mes frères, et les louanges que je lui donne,
et l’aveu de mon insuffisance, de sorte que mes louanges, fussent-elles
incomplètes, ma bonne volonté du moins lui soit agréable. Qu’il accepte ma
bonne volonté, et pardonne à mon impuissance.
4. Je me sens pénétré d’une indicible douceur
quand j’entends dire: « Le Seigneur est bon »; et après avoir considéré et
parcouru des yeux toutes les créatures extérieures, après avoir compris que
toutes viennent de Dieu, quelque plaisir qu’elles me causent, je reviens à Dieu
qui en est l’auteur, afin de comprendre « combien le Seigneur est bon ». Mais
dès que je pénètre en lui-même, autant qu’il m’est possible, je trouve qu’il
m’est plus intérieur que moi-même, et bien supérieur à moi-même, puisqu’il est
tellement bon qu’il n’a besoin de rien pour être bon. Sans lui, je ne saurais
louer les créatures; mais sans les créatures, je trouve qu’il est parfait,
qu’il n’a besoin de rien, qu’il est immuable, qu’il n’a recours au bien de
personne pour devenir meilleur, qu’il rie redoute aucun mal qui pourrait
l’amoindrir. Et que dirai-je encore? Parmi les créatures, je trouve que le ciel
est bon, que le soleil est bon, que la lune est bonne, que les étoiles sont
bonnes, que la terre est bonne, que tout ce qu’elle produit et soutient par les
racines est bon; que tout ce qui marche et se meut est bon, que tout ce qui
vole dans les airs, ou nage dans les eaux est bon. J’ajoute même que l’homme
est bon: car «du bon trésor de son coeur, l’homme bon tire de bonnes choses 3
». Je dis que l’ange est bon, non point cet ange qui est tombé par orgueil, et
qui s’est fait diable; mais celui qui
1.
Ps. LXXII, 28. — 2. Matth. XIX, 17. — 3. Id. XII, 35.
adhère à son Créateur par l’obéissance. Je
dis que toutes ces créatures sont bonnes, mais j’y joins en même temps leurs
noms; le ciel est bon, l’ange est bon, l’homme est bon: quant à Dieu, je ne
saurais mieux l’appeler que le bien. Notre Seigneur Jésus-Christ lui-même a
dit: « L’homme est bon 1»; et aussi: «Nul n’est bon, si ce n’est Dieu seul 2».
N’était-ce point nous stimuler à chercher et à distinguer entre le bien qui est
tel par un autre bien, et le bien par lui-même? Combien donc est bon celui qui
donne la bonté à tout ce qui est bon ! Tu ne saurais trouver aucun bien qui ne
tire de lui sa bonté. Comme ce bien qui donne la bonté, existe par lui-même, il
a aussi sa bonté par lui-même. On ne saurait dire des oeuvres qu’il a faites,
qu’elles n’existent point; et on ne lui,fait pas injure en disant des oeuvres
qu’il a faites qu’elles ne sont point. Pourquoi les eût-il faites si elles
n’existent point? ou qu’aurait-il fait, si ce qu’il a fait n’est point? Tout ce
qu’il a fait existe donc; mais comparant à Dieu même ce qui est son oeuvre,
Dieu a dit de lui comme si lui seul existait: « Je suis celui qui suis»; et
encore: «Tu diras aux enfants d’Israël: Celui « qui est m’a envoyé vers vous 3
». Il ne dit point: C’est le Seigneur tout-puissant, miséricordieux, juste. En
le disant, il dirait vrai mais il retranche tous ces attributs par lesquels on
pourrait le désigner et le dire Dieu, pour affirmer qu’il s’appelle celui qui
est; et comme si tel était son nom, « voici », dit-il, « ce que tu diras aux
enfants d’Israël: Celui qui est m’a envoyé vers vous ». Dieu est, en effet, de
telle sorte que toutes ses créatures comparées à lui ne sont point. hors de là,
elles sont, puisqu’il les a faites. Mais comparées à lui, elles ne sont point:
car être véritablement, être sans changement, il n’y a que Dieu qui soit ainsi.
Il est, en effet, celui qui est, comme le bien des biens est le bien.
Considérez et voyez que dans tout ce que vous louez en dehors de lui, c’est la
bonté que vous louez. Louer ce qui n’est pas bon est une folie. Louer unhomme
injuste à cause de son injustice, n’est-ce pas être injuste? Louer un voleur à cause
de ses larcins, n’est-ce pas y prendre part? De même que louer un juste à cause
de sa justice, c’est s’associer à lui, du moins par la louange? Car tu ne
louerais pas l’homme juste, si tu ne l’aimais;
1.
Matth. XIX, 35. — 2. Marc, X, 18. — 3. Exod. III, 14.
et tu ne l’aimerais pas, si tu n’avais en toi
quelque justice. Si donc tout ce que nous louons n’obtient nos éloges que par
la bonté, tu ne saurais avoir pour louer Dieu un motif plus grand et plus
solide que sa bonté. Donc, « louez le Seigneur parce qu’il est bon ».
5. Jusques à quand parlerons-nous de sa
bonté? Qui peut concevoir en son coeur, ou mesurer combien le Seigneur est bon?
Mais rentrons en nous- mêmes, reconnaissons Dieu en nous, et bénissons
l’ouvrier dans ses oeuvres, puisque nous sommes impuissants à le contempler en
lui-même. Il est vrai que nous le pourrons un jour, quand notre coeur sera
purifié par la foi, de manière à trouver sa joie dans la vérité: mais
maintenant, comme nous ne saurions le voir, considérons ses oeuvres, afin de ne
point demeurer sans le bénir. « Louez donc le Seigneur», ai-je dit, « parce
qu’il est bon; chantez son nom parce qu’il est doux ». Dieu pourrait être bon,
sans être doux, s’il ne te donnait à goûter cette douceur; mais il s’est montré
bon pour les hommes, au point de leur envoyer un pain du ciel, de livrer pour
qu’il devînt un homme et mourût pour les hommes, son propre Fils qui est égal à
lui-même, qui est tout ce qu’il est; et ainsi ce que tu es peut te faire goûter
ce qui n’est pas encore. Goûter la douceur de Dieu surpassait tes forces; d’une
part elle était trop éloignée, trop relevée, et d’autre part, tu étais trop
abaissé, trop plongé dans la boue. A cette effroyable distance, il t’a envoyé
un médiateur. Homme, tu ne pouvais aller à Dieu, et Dieu s’est fait homme, afin
que toi qui es homme, et qui ne saurais t’approcher de Dieu, mais de l’homme,
tu pusses par l’homme arriver à Dieu; et que Jésus-Christ homme fût médiateur
entre Dieu et les hommes 1. S’il n’eût été qu’un homme, en suivant ce que tu es
toi-même, tu n’aurais pas poussé plus avant; s’il n’eût été qu’un Dieu,
impuissant à comprendre Dieu, tu n’eusses pu arriver jusqu’à lui or, Dieu s’est
fait homme, afin qu’en suivant cet homme, ce qui est possible pour toi, tu
pusses parvenir à Dieu, ce que tu ne pouvais faire. C’est donc lui qui est
médiateur, et qui est ainsi devenu doux pour nous. Quoi de plus suave que le
pain des anges? Comment Dieu aie serait-il pas doux, quand l’homme a mangé le
pain des anges 2? Car l’ange n’a point une
1. I Tim. II, 5. — 2. Ps. LXXVII, 25.
nourriture, et l’homme une nourriture. Cette
nourriture, c’est la vérité, c’est la sagesse, c’est la force de Dieu; mais tu
ne saurais en jouir, à la manière des anges. Comment les anges peuvent-ils
jouir de lui? Tel qu’il est: « Au commencement était le Verbe, et le Verbe
était en Dieu, et le Verbe était Dieu; c’est par lui que tout a été fait 1».
Mais toi, comment peux-tu l’atteindre? Parce que «le Verbe s’est fait chair et
a habité parmi nous 2». Afin que l’homme pût manger le pain des anges, le
Créateur des anges s’est fait homme: « Chantez donc son nom parce qu’il est
doux ». Si vous l’avez goûté, chantez-le; chantez le Seigneur, si vous avez
goûté combien il est doux; si vous goûtez quelque part une douceur,
bénissez-le. Quel est l’homme si ingrat envers son cuisinier ou son panetier,
qui ne le remercie point par une louange, quand il a trouvé quelques délices
dans un ragoût? Si nous ne gardons point le silence dans ces sortes de bien, le
garderons-nous pour l’auteur de tous ces biens? « Chantez son nom parce qu’il
est doux ».
6. Et maintenant voyez ses oeuvres. Il vous
fallait peut-être des efforts pour voir le bien de tous les biens, le bien sans
lequel rien n’est bien, le bien qui, sans tout le reste, est le souverain bien;
vous faisiez des efforts pour le voir, et peut-être qu’une telle tension
d’esprit demeurait sans succès. Je juge de vous par moi-même, c’est là que j’en
suis. Mais s’il est un homme, comme cela est fort possible, qui ait l’esprit
plus pénétrant que moi, et qui tienne le regard de son âme longtemps fixé sur
ce qui est; que cet homme loue Dieu comme il le peut, et beaucoup mieux que
nous ne pouvons nous-mêmes. Toutefois remercions le Seigneur qui, dans notre
psaume, a tellement conditionné sa louange, que les forts et les faibles
puissent la chanter. Quand il envoyait son serviteur Moïse et lui disait: « Je
suis celui qui suis »; et encore: « Tu diras aux enfants d’Israël: Celui qui
est m’a envoyé vers vous 3»; comme cet Etre par soi-même était difficile à saisir
pour l’esprit humain, et comme c’était un homme envoyé vers des hommes,
quoiqu’il ne fût point envoyé par un homme, le Seigneur tempéra sa louange, et
dit de lui-même ce que l’on pouvait comprendre, même avec douceur, et sans
s’arrêter à un honneur auquel ne pouvait
1.
Jean, I, 1. — 2. Ibid. 14. — 3. Exod. III, 14.
atteindre celui qui l’honorait. « Va »,
dit-il, « et dis aux enfants d’Israël: Le Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac et Dieu
de Jacob m’a envoyé vers vous; c’est là mon nom pour l’éternité 1 ». Assurément,
Seigneur, votre nom est bien tel que vous l’avez dit: « Je suis: Celui qui est
m’a envoyé vers vous ». Pourquoi changer votre nom, et vous appeler, « Dieu
d’Abraham, Dieu d’Isaac, et Dieu de Jacob? » Ne te semble-t-il pas que sa
raison suprême te répond: dire: « Je suis celui qui suis», est vrai, mais tu ne
saurais comprendre. Dire: «Je suis le Dieu d’Abraham,le Dieu d’Isaac, le Dieu
de Jacob », c’est vrai aussi, et tu comprends? « Je suis celui qui suis »,
c’est un langage qui m’est propre; dire: « Je « suis le Dieu d’Abraham, le Dieu
d’isaac, le « Dieu de Jacob », c’est un langage à ta portée. Et situ te perds
dans ce que je suis en moi-même, comprends ce que je suis pour toi. Mais de
peur qu’on ne vînt à croire que ce nom u Je suis celui qui suis o; et encore: «
Celui qui est m’a envoyé vers vous», c’est là son seul nom dans l’éternité;
tandis que: « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob »,
serait un nom temporel: le Seigneur après avoir dit: «Je suis celui qui suis»;
et encore: « Celui qui est m’a envoyé vers vous», n’a pris aucun soin de dire
que ce nom lui fût éternel; car on le comprend, bien qu’il ne le dise point. Il
est en effet, et il est véritablement, et dès lors qu’il est dans la force du
terme, il n’a ni commencement ni fin. Quant à ce qu’il est à cause des hommes:
« Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob », de peur qu’il
ne s’élève, dans notre âme certaine inquiétude, parce que c’est là un nom
temporel et non pas un nom éternel, Dieu nous rassure, et nous fait passer du
temps à la vie éternelle. « C’est là », dit-il, « mon nom pour l’éternité »,
non pas qu’Abraham soit éternel, ni Isaac éternel, ou Jacob éternel, mais parce
que Dieu les rend éternels ensuite et sans fin. Ils n’auront pas de fin, bien
qu’ils aient eu un commencement.
7. Dans Abraham, Isaac et Jacob, voyez, mes
frères, toute l’Eglise, voyez toute la postérité d’Israël, et non seulement la
postérité selon la chair, mais aussi la postérité selon la foi. C’est aux
Gentils que s’adressait l’Apôtre quand il disait: « Si donc vous êtes du
Christ, vous êtes la postérité d’Abraham,
1. Exod. III, 15.
les héritiers selon la promesse 1 ». Nous
avons donc reçu tous la bénédiction de Dieu en Abraham, en Isaac, et en Jacob.
Car Dieu a béni un certain arbre, il en a fait un olivier, comme l’a dit
l’Apôtre, cet arbre des saints Patriarches, dont la fleur a été le peuple de
Dieu. Or, cet olivier a été taillé et non arraché, les branches orgueilleuses
en ont été retranchées; c’est-à-dire les blasphémateurs, les impies du peuple
Juif. Il est resté des branches bonnes et utiles; puisque c’est de là que sont
venus les Apôtres; et comme ces branches utiles étaient demeurées, la divine
miséricorde y a greffé cet olivier sauvage des Gentils à qui l’Apôtre a dit: «
Pour toi qui u n’étais qu’un olivier sauvage, tu as été inséré sur l’olivier
franc, et tu as part à la séve de l’olive. Ne t’élève point contre les
branches. Si tu te glorifies, ce n’est point toi qui portes la racine, mais la
racine qui te porte 2 ». Tel est l’arbre unique appartenant à Abraham, à Isaac,
à Jacob, et je dirai même que l’olivier sauvage qui a été greffé, tient plus
d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, que les branches retranchées. Une fois rompues,
ces branches ne sont plus de l’arbre, tandis que l’olivier sauvage, qui n’en
était pas, en est maintenant; les unes, par leur orgueil, ont mérité d’être
retranchées, tandis que l’autre par son humilité a mérité d’être inséré: les
unes sont séparées de la racine, l’autre s’y tient attaché. Dès lors, quand
vous entendez nommer l’Israël de Dieu, Israël qui appartient à Dieu, ne vous
regardez point comme étrangers. Vous étiez, il est vrai, l’olivier sauvage,
maintenant vous êtes l’olivier franc, ayant part à la sève de l’olivier.
Voulez-vous voir comment l’olivier sauvage a été inséré en Abraham, en Isaac,
et en Jacob, afin de ne point croire que vous n’appartenez point à cet arbre,
parce que vous n’êtes point de la postérité d’Abraham selon la chair? Quand le
Sauveur admira la foi de ce Centenier, qui n’appartenait point au peuple
d’Israël, mais au peuple des Gentils, il s’écria: « C’est pourquoi, je vous le
dis, beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident ». Voilà bien le sauvageon
dans la main de celui qui va le greffer: « Beaucoup viendront de l’Orient et de
l’Occident ». Nous voyons ce qu’il va greffer, mais voyons où il va le greffer:
« Et ils reposeront», dit-il, « avec Abraham, Isaac
1. Gal. III, 29. — 2. Rom. XX, 17, 18.
et Jacob, dans le royaume des cieux ». Voilà
donc ce qu’il doit greffer, et où il doit l’insérer. Que dit-il à propos des
branches naturelles? « Quant aux enfants du royaume, ils seront jetés dans les
ténèbres extérieures; c’est là qu’il y aura des pleurs et des grincements de
dents 1». Voilà ce qui est prédit, ce qui est accompli.
8. Donc « chantez au Seigneur, parce qu’il
est doux ». Et voyez ce qu’il fait pour nous. « Parce que le Seigneur a choisi
Jacob, il s’est fait d’Israël un héritage 2». Louez-le, bénissez-le puisqu’il
nous a fait une telle grâce. Je ne vous énumère que des bienfaits que vous ne
puissiez comprendre. Il a subordonné aux anges les autres nations; quant à
Jacob, il l’a choisi pour lui, il s’est fait un héritage d’Israël. Il s’est
fait de son peuple un champ qu’il cultive, qu’il ensemence lui-même. Bien qu’il
ait créé toutes les nations, il a subordonné les autres aux anges, il s’est
réservé celle-ci pour la posséder, la conserver; c’est ce peuple de Jacob qu’il
a choisi. Est-ce à cause de son mérite ou bien par sa grâce? Avant qu’ils
fussent nés, dit l’Apôtre, Dieu avait prononcé que « l’aîné servirait le plus
jeune ». Or, quel mérite pouvaient-ils avoir avant leur naissance, avant de
pouvoir penser au bien ou au mal? Que Jacob ne s’élève donc point, qu’il ne se
glorifie point, qu’il n’attribue rien à ses mérites; car avant tout mérite, il
a été connu, prédestiné, choisi; il ne doit donc point son élection à ses
mérites, mais à la grâce de Dieu qui l’a choisi et vivifié 3. Il en est de même
de toutes les nations; pour être greffé sur l’olivier franc, qu’avait mérité
l’olivier sauvage, avec ses fruits amers, et sa stérilité? C’était un arbre des
forêts, et non du champ du Seigneur; et toutefois, le Seigneur par sa
miséricorde l’a inséré sur l’olivier franc. Mais il n’était pas encore inséré
quand le Seigneur « se choisit Jacob, et fit d’Israël sa possession ».
9. Que dit ensuite le Prophète? « Parce que
je connais moi-même combien le Seigneur est grand ». Son âme s’est élevée dans
les régions supérieures, au-dessus de la chair et des créatures, et a reconnu
que le Seigneur est grand. Tous ne peuvent le voir et le connaître; qu’ils
bénissent ses oeuvres: « Il est doux; le Seigneur a choisi pour lui Jacob,
1.
Matth. VIII, 11, 12.— 2. Ps. CXXXIV, 4.— 3. Rom., IX, 11-13.— 4. Ps. CXXXIV, 5.
il a fait d’Israël son héritage ». Bénis-le
de cette grâce. Car « pour moi, j’ai connu que le Seigneur est grand ». C’est
le Prophète qui nous parle ainsi; lui qui est entré dans le sanctuaire du
Seigneur, et qui a peut-être « entendu de ces choses ineffables, qu’il n’est
point au pouvoir de l’homme de redire 1 »; qui a dit aux hommes ce qu’il
pouvait en dire, et retenu pour lui ce qu’il y avait d’indicible. Ecoutons-le
donc en ce que nous pouvons comprendre, et croyons-le dans ce qui est
incompréhensible. Ecoutons cette parole facile pour tous: « Le Seigneur a
choisi Jacob, il s’est fait d’Israël un héritage »; croyons ce que nous ne
pouvons comprendre, car il a connu que le Seigneur est grand ». Si nous lui
disions: Expliquez-
nous sa grandeur, nous vous en supplions; ne
nous répondrait-il pas: Celui dont je vois la grandeur ne serait pas grand, si
je la pouvais expliquer? Qu’il en revienne donc aux ouvrages de Dieu, pour nous
en parler. Qu’il ait dans sa conscience cette grandeur de Dieu, qu’il a vue,
qu’il propose à notre foi, et où il ne saurait diriger nos regards; mais qu’il
nous énumère quelques-unes des oeuvres de Dieu. Si nous ne pouvons en voir,
comme lui, la grandeur, que du moins sa bonté nous
apparaisse dans des oeuvres que nous
puissions comprendre. « Pour moi», nous dit-il, « j’ai compris combien le
Seigneur est grand, et de combien notre Dieu surpasse tous les autres dieux ».
Quels dieux? « Bien qu’il y en ait», nous dit l’Apôtre, « qui soient appelés
dieux dans le ciel et sur la terre, et qu’il y ait ainsi plusieurs dieux et
plusieurs seigneurs, il n’y a néanmoins qu’un seul Dieu, qui est le Père, d’où
procèdent toutes choses, et qui nous a faits pour lui, et un seul Seigneur
Jésus-Christ par qui toutes choses ont été faites, et nous sommes par lui 2 ».
Que les hommes soient donc appelés dieux; puisqu’il est dit: « Le Seigneur
s’est assis dans la synagogue des dieux »; et encore: « J’ai dit: Vous êtes des
dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut 3 », Dieu n’est-il point au-dessus
des hommes? Mais est-ce beaucoup que Dieu soit élevé au-dessus des hommes? Dieu
est supérieur aux anges, puisque les anges n’ont pas créé Dieu, mais Dieu a
créé les anges; et le Créateur est nécessairement supérieur à ses
1.
II Cor. XIX, 4. — 2. I Cor. VIII, 5, 6. — 3. Ps. LXXXI, I, 6.
oeuvres. Or, le Prophète connaissant la
grandeur de Dieu, et voyant sa supériorité sur toute créature, non seulement
corporelle, niais spirituelle, s’écrie qu’il est « le grand roi, sur tous les
dieux ». C’est lui le Dieu souverain, qui n’a aucun Dieu au-dessus de lui-même.
Qu’il nous raconte ses oeuvres, qui sont à notre portée.
10. « Le Seigneur a fait selon sa volonté,
dans le ciel, sur la terre, dans la mer et dans tous les abîmes 1 » Qui peut
comprendre ces choses? qui peut énumérer les oeuvres du Seigneur dans le ciel,
sur la terre, dans la mer et dans tous les abîmes? Et toutefois si nous ne
pouvions tout comprendre, au moins devons-nous croire fermement que dans le
ciel, sur la terre, dans la mer et dans tous les abîmes, tout ce qu’il y a de
créatures vient de Dieu: parce que c’est lui qui a tout fait dans le ciel et
sur la terre, dans la mer et dans tous les abîmes, ainsi que nous l’avons dit.
Il n’a fait par contrainte aucune de ses oeuvres, mais « il a fait tout ce
qu’il lui a plu de faire ». Sa volonté seule a été la cause de toutes ses
oeuvres. Voilà que tu bâtis une maison; mais si tu n’en voulais point bâtir, tu
demeurerais sans abri; c’est donc la nécessité qui te force de bâtir cette
maison, et non pas une volonté libre. Tu fais un vêtement; mais si tu ne le
faisais, tu marcherais tout nu. C’est donc la nécessité, et non pas une volonté
libre, qui t’amène à faire ce vêtement. Il en est de même quand nous plantons
une vigne sur des coteaux, quand nous jetons une semence en terre; si nous ne
le faisions, nous manquerions de nourriture: tout cela est l’oeuvre de la
nécessité. Dieu agit par bonté et n’a besoin d’aucune de ses oeuvres. « Il a
donc fait ce qu’il a voulu ».
11. Est-il une oeuvre que nous fassions par
une volonté libre? Car tout ce que nous avons énuméré est l’oeuvre de la
nécessité si nous ne l’eussions fait, il nous eût fallu demeurer dans la
pauvreté, dans l’indigence. Trouverons-nous quelque chose qui soit l’oeuvre de
notre volonté libre? Oui, assurément, c’est quand nous louons Dieu par amour.
Car tu fais cela d’une volonté libre, quand tu aimes ce que tu loues; ce n’est
point l’effet de la nécessité, mais du plaisir que tu y trouves. De là vient
que les justes et les saints ont trouvé de la douceur en Dieu, même
1. Ps. CXXXIV, 8.
quand il les châtiait; il leur plaisait même
dans ce qui inspire à l’injuste de la répulsion et sous le fléau de Dieu, dans
l’affliction, dans les peines, dans les plaies, dans la pauvreté, ils
bénissaient Dieu; sa conduite même sévère ne leur a point déplu. C’est là aimer
gratuitement, et non par l’appât d’une récompense; car Dieu que nous aimons
gratuitement sera lui-même notre suprême récompense: et tu dois l’aimer de
manière à ne pas cesser de le désirer pour récompense, puisque lui seul peut te
rassasier; c’est ce que Philippe désirait quand il disait: « Montrez-nous le
Père et cela nous suffit 1 ». Et c’est avec raison, puisque nous le faisons par
une volonté libre, et que nous devons le faire librement; puisque nous le
faisons par attrait, nous le faisons avec amour: et quand même il nous
châtierait, il ne doit pas nous déplaire, puisqu’il est toujours juste. C’est
là ce que nous dit le Prophète en chantant ses louanges: « Seigneur, les voeux
que je vous offrirai sont dans mon coeur, et les louanges que je dois vous
rendre 2 ». Et ailleurs: « Je vous offrirai des sacrifices volontaires 3 ».
Qu’est-ce à dire, « je vous offrirai des sacrifices volontaires? » Je vous
bénirai de bonne volonté. Car « c’est le sacrifice de louanges, dit le
Seigneur, qui me glorifiera ». Si l’on te forçait d’offrir à ton Dieu un
sacrifice qui lui fût agréable et selon la loi, comme l’on offrait autrefois
des sacrifices qui figuraient l’avenir, tu ne saurais peut-être trouver dans
tes troupeaux un taureau convenable, et parmi tes chèvres un bouc qui fût digne
de l’autel du Seigneur, ni dans tes étables un bélier qui pût être offert en
sacrifice; et dans ton impuissance à trouver ce que tu dois faire, tu dirais
peut-être à Dieu: J’ai voulu, mais je n’ai pu. Mais en fait de louanges,
oseras-tu dire: J’ai voulu, et je n’ai pu? Vouloir, c’est une louange. Car Dieu
ne demande point tes paroles, mais ton coeur. Car enfin, tu pourrais dire: Je
n’ai point de langue. Qu’un homme devienne muet par quelque maladie, il n’a
point de langue et n’en loue pas moins le Seigneur. Si le Seigneur avait des
oreilles de chair, s’il avait besoin que la voix résonnât pour l’entendre,
n’avoir plus de langue, ce serait n’avoir plus de louanges à lui offrir; mais
comme c’est le coeur qu’il cherche et le coeur qu’il regarde,
1. Jean, XXV, 8.— 2. Ps. LV, 12.— 3. Id.
LIII, 8.— 4. Id. XLIX, 23.
il est témoin de ce qui se lasse à
l’intérieur, il est juge, il t’approuve, il t’aide, il te couronne 1; il lui
suffit de ta volonté. Si tu le peux, confesse-le de bouche pour être sauvé; si
tu ne saurais, crois dans ton coeur pour être juste. C’est ton coeur qui loue,
ton coeur qui bénit, ton coeur qui offre de saintes victimes sur l’autel de ta
conscience; et l’on te répond: « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté
2 ».
12. Dieu donc, dans sa toute-puissance, « a
fait selon sa volonté toutes ses oeuvres dans le ciel et sur la terre »; mais
toi, dans ta maison, tu ne fais point ce que tu voudrais. Pour lui, u il a fait
tout ce qu’il a voulu, dans « le ciel et sur la terre »; toi, fais ce que tu
voudras, même dans ton champ. Tu veux bien souvent, et tu ne saurais faire ta
volonté dans ta maison. Une épouse te contredit, des enfants te contredisent,
un domestique a souvent l’audace de te contredire, et tu ne fais point ce que
tu voudrais. Mais, diras-tu, je fais ma volonté, et je sais châtier quiconque
ose désobéir ou contredire. Tu ne fais pas même cela toutes les fois que tu le
voudrais souvent tu veux châtier sans le pouvoir faire; tu menaces quelquefois,
et tu es surpris par la mort avant d’avoir mis tes menaces à exécution. Et
jusque dans toi-même, fais-tu ce que tu veux? Mets-tu un frein à tes passions?
Admettons ce frein, empêche-t-il tes liassions de se soulever? Tu voudrais, je
le crois, ne ressentir aucun chatouillement de tes passions; et néanmoins: « La
chair se soulève contre l’esprit, et l’esprit contre la chair, de manière que
vous ne faites point ce que vous voulez 3». Tu me fais donc pas en toi-même ce
que tu voudrais: « Mais Dieu a fait tout ce qu’il a voulu dans le ciel et sur
la terre». Puisse-t-il te donner la grâce de faire en toi-même ce que tu
voudras! si lui-même ne te soutient, tu ne feras pas en toi-même ta volonté. Il
ne faisait point en lui-même sa volonté non plus, celui qui disait: « La chair se
soulève contre l’esprit, et l’esprit se soulève contre la chair, en sorte que
vous ne faites point votre volonté »: et en gémissant sur lui-même, il ajoute:
« Selon l’homme intérieur, je trouve du plaisir dans la loi de Dieu, muais je
sens dans mes membres une autre loi qui combat contre la loi de mon esprit, et
qui me tient captif sous la loi du
1.
Rom. I, 10.— 2. Luc, II, 14.— 3. Gal. V, 27.
péché qui est dans mes membres 1 »; et comme,
non seulement dans sa maison, non seulement dans son champ, mais pas même dans
sa chair et dans son esprit, il n’accomplissait sa volonté, il poussait des
cris vers Dieu qui « a fait tout ce qu’il a voulu dans le ciel et sur la terre
»; qui a dit: « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera e du corps de
cette mort 2? » et à qui Dieu dans sa bonté, dans sa douceur, suggéra comme une
réponse: « La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre Seigneur 3 ». Telle est, mes
frères, la douceur qu’il faut aimer, la douceur qu’il faut louer. Comprenez que
Dieu qui « a fait tout ce qu’il a voulu, dans le ciel et sur la terre », fera
aussi en vous ce que vous voulez, et qu’avec son secours vous accomplirez votre
volonté. Mais, tant que vous êtes impuissants, confessez votre faiblesse, et
quand vous pourrez, criez vers lui; de la terre où vous êtes abattus,
rendez-lui grâces; une fois debout, nie vous enorgueillissez point. C’est donc
le Seigneur qui « a fait sa volonté dans le ciel, sur la terre, dans la mer et
dans tous les abîmes ».
13. « Lui qui fait venir les nuées des
extrémités de la terre 4 ». Nous voyons ces oeuvres du Seigneur dans ce qu’il a
créé. Des extrémités de la terre, les nuées viennent au milieu, et répandent la
pluie: tu ne sais d’où elles sont venues. Donc ce mot du Prophète, « des
extrémités de la terre », ou du fond de la terre, ou des alentours de la terre,
nous indique de quel endroit Dieu tire les nuées, mais toujours de la terre. «
Il résout les tonnerres en pluie ». Sans pluie les tonnerres seraient
effrayants, mais ne donneraient rien. « Dieu résout les tonnerres en pluie ».
Il tonne et tu trembles; il pleut, et tu te réjouis. « Dieu donc résout les
tonnerres en pluie »: celui qui t’a effrayé, te donne de la joie. « C’est lui
qui tire les vents de ses trésors»: c’est-à-dire d’une cause que tu ignores: et
toutefois tu dois à Dieu d’être assez pieux pour croire que le vent mie
soufflerait point si celui qui l’a fait ne lui en avait donné l’ordre, si le
Créateur ne l’avait produit.
14. Voilà donc ce que nous voyons dans la
création, et nous en louons Dieu, maous l’ad. mirons, nous le bénissons: voyons
ce qu’il fait parmi les hommes en faveur de son
1. Rom. VII, 22, 23.— 2. Id. 24.— 3. Id. 25.—
4. Ps. CXXIV, 7.
peuple. « C’est lui qui a frappé les
premiers-nés de l’Egypte 1». Tout cela est écrit de Dieu afin de te le faire
aimer, et non écrit pour te le faire craindre. Mais vois que dans sa colère il
fait aussi sa volonté. « Il a frappé les premiers-nés de l’Egypte, depuis
l’homme jusqu’à la bête. Il a envoyé ses signes et ses prodiges au milieu de
toi, ô Egypte 2 ». Vous connaissez tout cela; vous avez lu tout ce que la
puissance du Seigneur a opéré en Egypte par Moïse, pour effrayer, pour frapper,
pour humilier les Egyptiens orgueilleux. « Contre Pharaon, et contre tous ses
serviteurs». C’est peu de ce qui arriva en Egypte; qu’a-t-il fait pour son
peuple après l’en avoir tiré? « Il a frappé plusieurs nations », qui
possédaient cette terre que Dieu voulait donner à son peuple. « Il a tué de
puissants rois: Seon, roi des Amorrhéens, et Og, roi de Basan, et tous les royaumes
de Chanaan 3». Tous ces faits que le Psalmiste, ne fait qu’effleurer sont
racontés dans les autres livres sacrés, et le Seigneur signala sa puissance. A
la vue de ses vengeances contre les impies, crains pour toi-même. Car Dieu ne
les a exercées que pour te les faire éviter, te détourner de leurs voies, et
t’exempter de sa colère. Considère néanmoins que la vengeance du Seigneur est
sur toute chair. Ne t’imagine point qu’il ne voie point tes fautes, ou qu’il te
méprise, ou qu’il dorme: vois dans tes lectures les preuves de ses bienfaits,
et crains à la lecture de ses vengeances. Il est tout-puissant, et pour
consoler, et pour châtier. De là vient l’utilité de ces lectures. Or, quand un
homme de bien voit ce qu’a souffert un méchant, il se purifie de toute malice,
de peur de tomber dans une telle épreuve, un tel châtiment. Ces lectures donc
vous sont très-utiles. Qu’a fait ensuite le Seigneur? Il a chassé les impies, «
et a donné leur terre en héritage, pour être l’héritage d’Israël son serviteur
4 ».
15. Voici maintenant les transports de la
louange: « Seigneur, votre nom subsistera éternellement 5» après tout ce que
vous avez fait. Que vois-je en effet dans vos oeuvres? J’élève mes regards sur
votre création dans le ciel, je considère cette partie la plus basse que nous
habitons, et j’y vois vos bienfaits dans les nuées, dans les vents, et dans les
pluies. Je considère votre peuple: vous l’avez
1. Ps. CXXXIV, 8.— 2. Id. 9.— 3. Id. 10, 11.
— 4. Id. 12. — 5. Id. 17.
tiré de la maison de la servitude, vous avez
fait éclater vos merveilles au milieu de ses ennemis, vous l’avez vengé de ceux
qui le persécutaient, vous avez chassé les impies de leur terre, vous avez tué
leurs rois et donné leur terre à votre peuple:voilà ce que j’ai vu, et, plein
de vos louanges, j’ai dit: « Seigneur, votre nom subsistera éternellement».
16. Nous voyons à la lettre ce que le
Prophète vient de marquer, nous le savons, nous en louons Dieu. Mais s’il y a
dans tout cela des symboles, ne vous impatientez point quand je vous les
explique de mon mieux. Voilà que l’on peut appliquer aux hommes ce que le
Prophète a dit de Dieu qu’ « il a fait dans le ciel: et la terre tout ce qu’il
a voulu ». La voûte céleste désigne les hommes spirituels, et la terre les
hommes charnels: ces deux catégories forment l’Eglise de Dieu, comme le ciel et
la terre, et aux spirituels appartient la prédication, comme l’obéissance aux
hommes charnels. Car « les cieux aussi annoncent la gloire de Dieu, et le
firmament publie l’oeuvre de ses mains 1 ».Car si la terre de Dieu ne désignait
pas son peuple, l’Apôtre ne dirait point: « Vous êtes l’édifice de Dieu, vous
êtes le champ qu’il cultive; comme un sage architecte, j’ai posé le fondement,
mais un autre bâtit dessus 2 ». Nous sommes donc l’édifice du Seigneur, le champ
du Seigneur. « Quel est l’homme», dit-il, « qui plante une vigne, et qui n’en
récolte pas le fruit? Moi j’ai planté, Apollo a arrosé, mais c’est Dieu qui
donne l’accroissement 3». Doive, aussi bien que dans le ciel et sur la terre,
le Seigneur a fait tout ce qu’il a voulu dans son Eglise, et dans ses
prédicateurs, et dans ses peuples. C’est peu que Dieu l’ait fait dans ceux-là,
« il a fait dans la mer et dans tous les abîmes, selon ses volontés ». La mer
désigne tous les infidèles qui n’ont pas encore la foi; et Dieu a fait en eux
selon sa volonté. Les infidèles ne sévissent que par la permission de Dieu, et
quand ils sont dépravés, on ne tiré d’eux aucune vengeance que ne la permette
celui qui a fait toutes les nations. Parce que la nier est la mer, et non la
terre, peut-elle donc pour cela se soustraire à la puissance de Dieu? « Il a
fait selon sa volonté et dans la mer et dans tous les abîmes». Quels sont les
abîmes? Le secret des coeurs chez les mortels, les profondes
1.
Ps. XVIII, 2.— 2. I Cor III, 9,10. — 3. Id, IX,7; III, 6.
pensées des hommes. Comment Dieu y agit-il
selon sa volonté? « Parce que le Seigneur interroge le juste et l’impie; mais
celui qui aime l’iniquité hait son âme 1 » Où le Seigneur peut-il le sonder? Il
est écrit ailleurs: « C’est dans les pensées de l’impie que Dieu l’interroge 2.
Le Seigneur fait donc selon sa volonté dans tous les abîmes ». Le coeur qui est
bon est caché, le coeur qui est méchant nous est caché aussi, le coeur qui est
bon est un abîme, comme le méchant est un abîme; mais tout cela est à découvert
pour Dieu à qui
rien n’échappe. Il est la consolation du
coeur qui est bon, le tourment d’un coeur pervers.
Donc « il a fait selon sa volonté dans le
ciel, sur la terre, dans la mer, et dans tous les abîmes».
17. « Il fait venir les nuées des extrémités
de la terre 3 ». Quelles nuées? Les prédicateurs de sa vérité: c’est à propos
de ces nuées que dans sa colère contre sa vigne il a dit « Je donnerai ordre à
mes nuées de ne répandre aucune pluie sur elle 4 ». C’est peu d’avoir fait
venir de Jérusalem ou d’Israël ces nuées qu’il envoya prêcher son Evangile dans
l’univers entier, selon ce qui est prédit de ces nuées: « Leur voix a retenti
sur toute la terre, et le bruit de leurs paroles jusqu’aux confins du monde 5».
Cela est peu; mais comme le Seigneur a dit lui-même: « Cet Evangile du royaume
sera prêché dans tout le monde pour servir de témoignage à toutes les nations 6
», il fait venir les nuées des confins de la terre. Car à mesure que s’étendra
la prédication de l’Evangile, comment les prédicateurs de cet Evangile
seraient-ils des confins de la terre, si le Seigneur n’y suscitait des nuées?
Or, que fait-il au sujet de ces nuages? « Il résout les tonnerres en pluie».
Ses menaces se changent en miséricorde, ses tonnerres deviennent la pluie.
Comment ses terreurs se changent-elles en rosée? Quand le Seigneur te menace
par ses Prophètes, ou par ses Apôtres,et que tu es dans la crainte, n’est-ce
pas un tonnerre qui t’effraie? Mais quand la pénitence te corrige, que tu vois
en cela un acte de miséricorde, l’éclat du tonnerre se change en pluie. « C’est
lui qui tire les vents de ses trésors ». Je crois que ces mêmes prédicateurs
sont tout à la fois des vents et des nuées; nuées à cause de la chair, vents à
1.
Ps. X, 6. — 2. Sag. I, 9. — 3. Ps. CXXXIV, 7. — 4. Isa. V, 6. — 5. Ps. XVIII,
5. — 6. Matth XXIV, 14
cause de l’esprit. On voit les nuées, on sent
les vents qu’on ne voit point. Enfin, parce que nous voyons que la chair vient
de la terre, le Prophète nous dit que Dieu « les fait sortir des extrémités de
la terre ». Il nous avait marqué d’où le Seigneur fait venir les nuées: et
quant aux vents, comme on ne sait d’où vient l’esprit de l’homme 1, il nous dit
que « Dieu tire les vents de ses trésors ». Un peu d’attention, mes frères, et
voyons le reste.
18. « C’est lui qui a frappé les premiers-nés
de l’Egypte, depuis les hommes jusqu’aux bêtes 2 ». Que Dieu par sa miséricorde
conserve nos premiers-nés, puisqu’ils nous viennent de sa faveur. C’est un
pénible châtiment, c’est une plaie bien cruelle que la mort des premiers-nés.
Quels sont les premiers-nés pour nous? Nos premiers-nés sont les oeuvres par
lesquelles nous servons Dieu. Car nous avons pour prémices la foi; c’est par là
que nous commençons. Il a été dit à l’Eglise: «Tu viendras et tu passeras
outre, en commençant par la foi 3 ». Or, nul ne commence une vie sainte, sinon
par la foi. C’est donc la foi qui est notre premier-né. Conservons bien la foi,
et le reste Peut suivre. Ce qui fait que les hommes deviennent de plus en plus
purs, qu’ils font des progrès dans la vertu, qu’ils mènent une vie plus sainte,
et que l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour, selon cette parole de
l’Apôtre « Bien que l’homme extérieur s’en aille en corruption, l’homme
intérieur néanmoins se renouvelle de jour en jour 4 »; c’est la foi qui vit en
nous dans sa pureté primitive; et c’est de cette foi première que l’Apôtre a
dit: « Non seulement les autres créatures, mais nous-mêmes qui avons les
prémices de l’Esprit»; c’est-à-dire, nous qui donnons à Dieu les prémices de
notre esprit, ou notre foi qui est comme notre premier-né; « néanmoins nous
gémissons en nous-mêmes, dans l’attente de l’adoption, qui sera la délivrance
de notre corps 5 ». Si donc c’est une grande faveur de Dieu que la conservation
de notre foi, c’est un grand châtiment que la mort de nos premiers-nés, lorsque
les hommes en viennent à perdre la foi dans les persécutions de l’Eglise. Car
on n’afflige l’Eglise que pour détruire la foi, et l’Egypte signifie
affliction. Quiconque dès lors afflige l’Eglise, quiconque
1. Jean, III,8. — 2. Ps. CXXXIV, 8. — 3.
Cant. IV, 8, suiv. les Sept. — 4. II Cor. IV, 16. — 5. Rom. VIII, 23. 1
jette le scandale dans l’Eglise, eût-il le
nom de chrétien, celui-là perd son premier-né. Il ne sera plus qu’un infidèle,
un homme vide, n’ayant que le nom et le signe; mais son premier-né est enseveli
dans son coeur. C’est au point que si vous lui parlez d’une vie sainte, des
espérances de la vie éternelle, de la crainte des flammes inextinguibles, il
ricane en lui-même, et, s’il en a l’audace en votre présence, il vous dira
d’une lèvre grimaçante: Quel est celui qui en est revenu? Les hommes parlent
comme il leur plaît. Et pourtant il est chrétien; mais comme il afflige
l’Eglise, son premier-né est mort, sa foi est morte: et cela « depuis l’homme
jusqu’à la bête ». Je vous dirai toute ma pensée, mes frères. Le mot d’homme
signifie pour moi, dans le sens spirituel, les savants, à cause de l’âme qui
est raisonnable, et qui fait l’homme proprement dit; par la bête, j’entends les
ignorants, et qui ont la foi néanmoins, autrement ils n’auraient pas de
premiers-nés. Il y a des savants qui affligent l’Eglise, en faisant des
schismes et des hérésies. On ne saurait dès lors trouver en eux la foi,
puisqu’ils sont devenus l’Egypte, ou l’affliction pour le peuple de Dieu. Leurs
Premiers-nés sont frappés de mort: ils entraînent après eux des troupes
ignorantes, et telle est la bête du psaunïe. C’est donc par l’effort de leur
persécution contre l’Eglise que meurt la foi chez les persécuteurs. Les
premiers-nés meurent donc et chez les savants et chez les ignorants; parce que
Dieu a frappé de mort les premiers-nés des Egyptiens, « depuis l’homme jusqu’à
la bête».
19. « Il a envoyé des signes et des prodiges
contre toi, ô Egypte, contre Pharaon, et contre tous ses serviteurs 1 ». Ce
Pharaon était roi d’Egypte. Ecoutez ce nom, et voyez comment le Seigneur en
agit ainsi. Dans toute nation le roi est le premier; or, l’Egypte signifie
l’affliction, et Pharaon, la dispersion. L’affliction a donc pour roi la
dispersion; parce que tout homme qui afflige l’Eglise ne le fait qu’en se
dispersant. lis sont dispersés afin de l’affliger; car le roi ouvre la marche,
elle peuple suit; la dispersion d’abord, l’affliction ensuite, Ecoutez, écoutez
bien ces noms, qui sont mystérieux et pleins de sagesse. Pas un seul de ces
noms qui ont servi aux vengeances du Seigneur, ne saurait s’entendre en bien.
1. Ps. CXXXIV, 9.
20. « Il a frappé plusieurs nations, il a tué
des rois puissants ». Quels rois et quelles nations? « Seon, roi des Amorrhéens
1 ». Ecoutez ces noms pleins de mystères. Le Seigneur, est-il dit, tua Seon,
roi des Amorrhéens. Il le tua sans aucun doute, et puisse-t-il le tuer dans le
coeur de tous ses serviteurs, dans toutes les épreuves de l’Eglise ! Puisse sa
main ne cesser de donner la mort à de tels rois et à de tels peuples ! car Seon
signifie tentation des yeux, et ces Amorrhéens signifient les coeurs pleins
d’amertume. Voyez maintenant si nous pouvons comprendre que les coeurs pleins
d’amertume aient pour roi la tentation des yeux. La tentation des yeux n’est
autre que le mensonge, qui a une couleur, mais nulle solidité. Mais comment
s’étonner que les gens pleins d’amertume aient un roi, et pour roi le mensonge?
Si tout d’abord il y avait dans l’Eglise du mensonge et de la dissimulation, il
n’y aurait point de coeurs amers. Il y a de l’amertume parce qu’il y a de
l’hypocrisie. La tentation des yeux vient tout d’abord, l’amertume ensuite; et
c’est dans le démon qu’elle a marché tout d’abord. Car n’est-ce point déjà une
tentation des yeux « qu’il se transforme en ange de lumière 2? » Que la main du
Seigneur tue l’un et les autres; l’un, afin qu’il ne séduise plus; les autres,
afin qu’ils se corrigent. Car ce roi est mis à mort chez tout homme qui
condamne l’hypocrisie, et qui aime la vérité. La main de Dieu ne cesse de faire
ces sortes de meurtres. Il le fit à la lettre contre ce prince; il le fait
d’une manière spirituelle et accomplit ce qu’il ne montrait alors qu’en figure.
Il mit aussi à mort un autre roi et un autre peuple: « Et Og, roi de Basan ».
Quelle impiété chez celui-ci ! Og désigne la fermeture, et Basan la confusion.
Un roi qui ferme le chemin vers Dieu est un roi méchant. Voilà ce que fait le
diable, qui nous oppose toujours ses inventions, ses idoles, qui se pose
lui-même comme nécessaire, au moyen de ses magiciens sacrilèges, de ses
augures, de ses aruspices, de ses devins, de son culte démoniaque, et ferme le
chemin qui conduit à Dieu. De même que le Christ nous ouvre la voie qui avait
été fermée, selon cette parole d’un de ceux qu’il a rachetés: « Grâce à mon
Dieu, je traverserai la muraille 3 »; de même le diable
1.
Ps. CXXXIV, 10, 11. — 2. I Cor. XI, 14. — 3. Ps. XVII, 30.
ne cherche qu’à fermer la voie, pour nous empêcher
de croire en Dieu. C’est en effet la croyance en Dieu qui nous ouvre le chemin
1. Mais si la voie nous est fermée par l’incrédulité, que reste-t-il aux
incrédules, sinon la confusion, quand viendra celui qu’a repoussé leur
incrédulité? Pourquoi? Parce que la fermeture vient d’abord, et ensuite la
confusion. La fermeture marche en avant comme roi, la confusion vient ensuite
comme peuple. Ceux que le démon enferme afin qu’ils ne croient point au Christ,
seront confondus quand le Christ apparaîtra, et leurs iniquités s’élèveront
contre eux-mêmes. Alors les impies diront dans leur confusion: De quoi nous a
servi notre orgueil 2? Voilà, mes frères, de grands mystères. La dispersion est
le roi de l’affliction, et les peuples ne sont désunis que pour être affligés.
Oui, voilà de grands mystères. La tentation des yeux, ou la fausseté, est le
roi des coeurs amers; ils trompent afin de répandre leur amertume. La fermeture
est le roi de la confusion; car on ferme d’abord tout chemin à la foi, et il ne
reste que la confusion pour le moment où viendra celui en qui l’on n’a point
voulu croire. Dieu tua aussi tous les « royaumes de Chanaan ». Ce nom de
Chanaan signifie prêt à l’humiliation. Or, l’humiliation désignerait un certain
bien, pourvu qu’elle fût utile; mais quand elle est dure pour l’homme humilié,
elle devient une peine. S’il n’y avait une peine dans l’humiliation, l’Evangile
ne dirait point: « Quiconque s’élève sera humilié 3». Un châtiment qui doit
mous humilier n’est donc pas un bienfait. Chanaan dès lors est ici un
orgueilleux. Tout impie, tout infidèle élève son coeur; il refuse de croire en
Dieu. Mais cet orgueil est destiné à l’humiliation pour le jour du jugement:
c’est alors qu’il sera humilié contre son gré. Car il y a des vases de colère,
qui ne sont faits que pour la perdition 4. ici-bas qu’ils s’élèvent, qu’ils
raillent, qu’ils prennent le pas sur les fidèles, décochent sur eux leurs
sarcasmes, et leurs blasphèmes sur les chrétiens. Qu’ils traitent de fable ce
que nous disons du jugement; cet échafaudage d’orgueil est destiné à
l’humiliation. Quand viendra ce juge dont l’annonce provoque leur dérision,
alors sera humilié
1. Jean, XIV, 6. — 2. Sag. V, 8. — 3. Luc,
XIV, 11; XVIII, 14. — 4. Rom. IX, 22.
non pour son salut, mais pour son supplice,
celui qui s’élève maintenant avec orgueil. Maintenant il n’est pas humilié;
niais il est destiné à l’humiliation, c’est-à-dire destiné à la damnation,
destiné à l’expiation.
21. Voilà donc tout ce que Dieu détruit; il
le détruisit autrefois visiblement, quand nos pères sortirent de la terre
d’Egypte; aujourd’hui il le détruit d’une manière spirituelle, et sa main ne
cessera de le faire jusqu’à la fin des siècles. Et pour nous empêcher de croire
que Dieu ait alors épuisé sa puissance, le Prophète ajoute: « Votre nom,
Seigneur, est pour toujours »; c’est-à-dire, voire miséricorde, votre main
puissante ne cesse, dans le cours des siècles, de faire ce que vous faisiez
alors en figure: « Car tout ce qui arrivait alors aux Juifs était figuratif; on
l’a consigné, afin de nous en instruire, nous qui venons à la fin des temps.
Seigneur, votre mémoire s’étend de génération en génération 1». Or, il y a
génération et génération; il est une génération qui nous met au nombre des
fidèles, en nous faisant renaître par le baptême, et une génération qui nous
fait ressusciter d’entre les morts, et nous met au nombre des anges pour la vie
éternelle. Mais votre mémoire, ô mon Dieu, est au-dessus de l’une et de l’autre
de ces générations, parce que le Seigneur n’a point oublié de nous appeler dès
aujourd’hui, et qu’il n’oubliera point alors de nous couronner. « Votre
mémoire, Seigneur, passera de génération en génération ».
22. « Car le Seigneur a jugé son peuple 2».
Tout cela s’est accompli dans le peuple juif. Mais a-t-il cessé d’agir, après
avoir introduit son peuple dans la terre promise? Il le jugera sans doute: «Le
Seigneur a jugé son peuple, et il se laissera fléchir par ses serviteurs. »
Déjà il a jugé son peuple, et sans parler du jugement à venir, il a fait
éclater ses jugements sur le peuple juif. Qu’est-ce à dire que ce peuple est
jugé? Que les justes en sont séparés, qu’il n’y demeure que les injustes. Si je
nie trompe, ou si l’on m’accuse d’erreur, parce que j’ai dit que ce peuple a
déjà subi son jugement, écoutons cette parole du Seigneur: « Je suis venu dans
ce monde pour juger, afin que ceux qui ne voient pas voient, et que ceux qui
voient deviennent aveugles 3 ». Les orgueilleux sont devenus
1. I Cor. X, 11. — 2. Ps. CXXXIV, 14. — 3.
Jean, IX, 39.
aveugles, et les humbles ont été éclairés. «
Le Seigneur a donc jugé son peuple ». Isaïe a parlé de ce jugement: « Et
maintenant, ô toi, maison de Jacob, marchons dans la lumière du Seigneur ».
C’est peu encore, qu’est-il dit ensuite? Car Dieu a abandonné son peuple, la
maison d’Israël. La maison de Jacob est en effet la maison d’Israël, et dire
Jacob c’est dire Israël. Vous connaissez les saintes Ecritures, et il me semble
qu’il vous revient à l’esprit que Jaeob, voyant un ange qui luttait contre lui,
reçut alors le nom d’Israël 2. Jacob est donc le même homme, la même personne
qu’Israël; et dès lors la maison de Jacob ou la maison d’Israël, c’est une même
nation, un même peuple. Et voilà que Dieu appelle l’un et rejette l’autre. Et
maintenant tu ne saurais le désavouer, ô maison de Jacob, tu as tué le Christ,
tu as branlé la tête devant la croix, tu as raillé celui qui y était pendu, tu
as dit: « S’il est le Fils de Dieu, qu’il descende de la croix 3 ». Le Médecin
a prié pour ces frénétiques: « Mon Père, pardonnez-leur, ils ne savent ce
qu’ils font ». Voilà tout ce que tu as fait. Et maintenant, crois en celui que
tu as mis à mort, et bois le sang que tu as répandu. Toi donc, ô maison de
Jacob, je veux t’exposer par le témoignage d’Isaïe ces paroles du Psalmiste: «
Le Seigneur a jugé son peuple, et il se laissera fléchir par ses serviteurs ».
Il faut comprendre que Dieu a jugé son peuple, lorsque dans ce même peuple il a
séparé les bons des méchants, les fidèles des infidèles, les Apôtres des Juifs
menteurs. Voilà, comme j’avais commencé à vous le dire, ce que le Seigneur nous
annonçait par son Prophète: « Après ces malheurs que tu as endurés, ô maison de
Jacob, venez, marchons à la lumière du Seigneur». Pourquoi, vous dis-je, «
venez et « marchons à la lumière du Seigneur? » De peur qu’en demeurant dans le
judaïsme, vous n’arriviez pas au Christ. Pourquoi en effet? Le Christ n’a-t-il
pas été toujours prophétisé dans ce même peuple? Il est vrai; mais maintenant
il a délaissé son peuple, qui est la maison d’Israël. Viens donc, ô maison de
Jacob, puisque le Seigneur a délaissé son peuple qui est la maison de Jacob;
viens, ô maison d’Israël, puisque le Seigneur a délaissé son peuple la maison
d’Israël. Pourquoi celle-ci
1. Isa, II, 5, 6. — 2. Gen. XXXII, 28. — 3.
Matth. XXVII, 39-13. — 4. Luc, XXIII, 34, 35.
vient-elle et l’autre est-elle délaissée,
sinon parce que tel est le jugement du Seigneur « Que ceux qui ne voient point
verront, et que ceux qui voient seront aveugles 1? » Et le Seigneur l’a exercé
sur son peuple. Il a donc fait la séparation; mais n’y trouvera-t-il personne à
rétablir dans son royaume? Assurément il trouvera quelqu’un. « Mais il se
laissera fléchir par ses serviteurs. Il n’a point repoussé », dit l’Apôtre, «
ce peuple qu’il s’était choisi 2». Et quelle preuve en donne-t-il? « Car, moi
aussi, je suis Israélite ». Donc le Seigneur a jugé son peuple, « en séparant
les bons des méchants »; c’est-à-dire « en se laissant fléchir par ses
serviteurs ». Par qui? Par les Gentils. Combien de Gentils sont venus à lui par
la foi ! Combien de campagnes, combien de déserts viennent à lui maintenant !
Ils viennent de là en troupes sans nombre, ils veulent croire et nous leur
disons: Que voulez-vous? Connaître la gloire de Dieu. Croyez, mes frères, que
cette réponse dans les campagnes nous jette dans l’admiration et dans la joie.
Ils viennent je ne sais d’où, stimulés par je ne sais qui. Que dis-je, je ne
sais par qui? Je le sais bien au contraire; puisque « personne», dit le
Seigneur, « ne vient à moi, si mon Père ne l’attire 3 ». Ils viennent à
l’Eglise, et des forêts, et du désert, et des montagnes les plus éloignées et
les plus abruptes, et tous ou presque tous nous tiennent le même langage, én
sorte que nous reconnaissons que c’est Dieu qui les instruit. Ainsi s’accomplit
celle parole prophétique: «Ils seront tous instruits par Dieu 4». Nous leur
demandons: Que désirez-vous? Et ils nous répondent: Voir la gloire de Dieu. «
Car tous ont péché, et tous ont besoin de la gloire du Seigneur 5». Ils
croient, ils sont consacrés à Dieu, ils veulent qu’on leur donne un clergé.
N’est-ce point ainsi que s’accomplit cette parole: « II se laissera fléchir par
ses serviteurs? »
23. Après avoir ainsi tout disposé dans un
ordre sacré, l’Esprit de Dieu jette aux idoles des nations que méprisent leurs
adorateurs, cette suprême ironie: « Les idoles des nations ne sont que de l’or
et de l’argent ». Lorsque Dieu fait ainsi sa volonté dans le ciel et sur la
terre, quand il a jugé son peuple, et s’est laissé fléchir par les
supplications
1.
Jean, IX, 39.— 2. Rom. XI, I, 2.— 3. Jean, VI, 1, 2. — 4. Isa. LIV, 13; Jean, VI, 45.
— 5. Rom. III, 23.
de ses serviteurs, que peut-on dire d’une
idole, sinon qu’elle est méprisable et non adorable? Pour nous porter à couvrir
d’un souverain mépris toutes ces idoles des nations, peut-être croirons-nous
que le Prophète aurait dû dire: Les idoles des nations sont du bois et de la
terre, du gypse? Je ne parle point ainsi, nous dit le Prophète, ces matières
sont trop viles; mais je désigne ce qui est pour les hommes un objet d’amour,
ce qu’ils regardent comme précieux, et je dis: « Les idoles des nations sont de
l’or et de l’argent 1». C’est bien de l’or, c’est bien de l’argent. Mais parce
qu’il y a du brillant dans l’argent, du brillant dans l’or, ont-ils vraiment
des yeux pour voir? Comme c’est de l’or, comme c’est de l’argent, cela peut
être utile à un avare, mais non à l’homme religieux, ou plutôt cela n’est pas
utile même à l’avare, seulement à l’homme qui sait s’en servir, qui sait le
donner pour acquérir le trésor du ciel; mais enfin, puisque l’or et l’argent
sont inanimés, pourquoi donc, ô hommes, en faire des dieux? Ne voyez-vous pas
que ces dieux que vous fabriquez ne voient point? « Ils ont des yeux et ne
verront pas; ils ont des oreilles, et n’entendront pas; ils ont des narines, et
ne sentiront pas; ils ont une bouche, et ne parleront point; ils ont des mains,
et n’en feront rien; ils ont des pieds, et ne marcheront point 2 ». Un artisan
peut faire tout cela, un argentier, un orfèvre a pu faire des yeux, des oreilles,
des narines, une bouche, des mains et des pieds; mais ce qu’il n’a pu donner,
c’est la lumière aux yeux, ni l’ouïe aux oreilles, ni la voix à la bouche, ni
l’odorat aux narines, ni la marche aux pieds.
24. O homme, tu ris de ton ouvrage, situ
connais celui qui t’a fait, Mais qu’est-il dit de ceux qui ne le connaissent
pas? « Que tous ceux qui les font leur deviennent semblables, et tous ceux qui
y mettent leur confiance 3». On croirait, mes frères, qu’il se forme dans ces
hommes une certaine ressemblance avec les idoles, non point dans leur chair,
sans doute, mais dans l’homme intérieur. Car ils ont des oreilles et
n’entendent point, car c’est pour eux que Dieu crie: « Que celui-là entende,
qui a des oreilles pour entendre 4. Ils ont des yeux et ne voient point »; car
ils ont assurément les yeux du corps, mais non les yeux de la foi.
1.
Ps. CXXXIV, 15.— 2. Id. 16, 17.— 3. Id. 18.— 4. Matth. XI, 15.
Enfin on voit celte prophétie accomplie dans
toute la terre. Voyez en effet ce qu’a dit le Prophète; il n’y a rien
d’allégorique, rien de figuratif. Ecoutez une prophétie dans le sens propre,
très-simple et très-clair, et voyez comme elle s’est accomplie. « Le Seigneur
», dit le Prophète, « a prévalu contre eux 1»; ainsi dit Sophonias. C’est
contre ceux qui lui résistaient, qui s’obstinaient, qui égorgeaient les
fidèles, et faisaient des martyrs sans le savoir, que « le Seigneur a prévalu
». Et comment a-t-il prévalu? C’est dans son Eglise que nous voyons à quel
point il a prévalu contre eux. Ils voulaient faire disparaître les chrétiens
peu nombreux, les tuer; ils ont répandu leur sang, et le sang de ces hommes
égorgés a produit une telle moisson de chrétiens, que les martyrs sont devenus
supérieurs à leurs bourreaux. Ils ont d’abord tué les chrétiens pour soutenir
leurs idoles, et ces idoles, ils cherchent maintenant un lieu pour les abriter.
Le Seigneur n’a-t-il donc point prévalu contre eux? Vois si Dieu ne fait point
ce qui vient après cette parole: « Le Seigneur a prévalu contre eux? »
Qu’a-t-il fait selon le Prophète? « Il a exterminé tous les dieux des nations
de la terre; chacun l’adorera dans les lieux où il se trouve, toutes les îles
des nations l’adoreront 2 ». Qu’est-ce que tout cela, mes frères? Cela n’est-il
pas prédit? Cela n’est-il pas accompli? Nos yeux ne le voient-ils pas comme ils
le lisent? Quant à ceux qui sont demeurés dans l’idolâtrie, ils ont des yeux
pour ne point voir, des oreilles pour ne pas entendre. Ils ne sentent point
cette odeur dont l’Apôtre a dit: « Nous sommes en tout lieu la bonne odeur du
Christ 3 ». Que leur sert d’avoir des narines, et de ne point sentir l’odeur du
Christ, odeur si suave? C’est bien en eux que s’accomplit, et pour eux qu’est
dite cette parole: «Que tous ceux qui les font leur deviennent semblables, et u
tous ceux qui y mettent leur confiance ».
25. Mais chaque jour les miracles de Notre
Seigneur Jésus-Christ leur font embrasser la foi; chaque jour s’ouvrent les
yeux des aveugles et les oreilles des sourds; chaque jour revient l’odorat à
ceux qui n’en avaient point, la langue des muets se délie, les mamns des
paralytiques reprennent le mouvement, les pieds des boiteux se redressent, et
de ces pierres sortent les enfants d’Abraham, à qui
1.
Sophon. II, 11. — 2. Ibid. — 3. II Cor. II, 15.
l’on dit maintenant: « Bénissez le Seigneur,
maison de Jacob », vous tous qui êtes les enfants d’Abraham. Bien que les
enfants d’Abraham soient venus de la pierre 1, il est évident qu’ils sont
plutôt la maison d’Israël, qu’ils appartiennent à la maison d’Israël,
puisqu’ils sont la postérité d’Abraham, non point selon la chair, mais selon la
foi. « Maison d’Israël, bénissez le Seigneur». Mais prenons l’expression à la
lettre en l’appliquant au peuple d’Israël; c’est de là que vinrent les Apôtres
qui embrassèrent la foi, avec des milliers de circoncis. « Maison d’Israël,
bénissez le Seigneur; maison d’Aaron, bénissez le Seigneur; maison de Lévi,
bénissez le Seigneur 2 ». Peuples, bénissez le Seigneur, c’est-à-dire, en
général, « maison d’Israël »: bénissez-le, vous qui êtes les chefs, c’est-à-dire
« maison d’Aaron »; bénissez-le, vous qui êtes ses ministres, c’est-à-dire «
maison de Lévi ». Qu’est-il dit des autres nations? « Bénissez le Seigneur,
vous tous qui craignez le Seigneur ».
26. Chantons donc tous d’une voix unanime les
paroles suivantes: « Bénissez le
1. Matth. III, 9. — 2. Ps. CXXXIV, 20.
Seigneur en Sion, lui qui demeure en Jérusalem 1». Donc Sion est dans
Jérusalem. Sion signifie regard, et Jérusalem vision de la paix. Dans quelle
Jérusalem dois-tu habiter? Dans celle qui est tombée? Non, mais dans celle qui
est notre mère, qui vient du ciel et dont il est dit: « Celle qui était
délaissée a plus d’enfants que celle qui a un époux 2 ». Maintenant donc le
Seigneur est en Sion, puisque nous sommes en sentinelle jusqu’à ce qu’il vienne.
Dès maintenant toutefois nous sommes en Sion, tant que nous vivons d’espérance.
Une lois notre course achevée, nous habiterons cette cité qui ne sera jamais en
ruine, puisque le Seigneur habite en elle et s’en est constitué le gardien;
c’est l’éternelle Jérusalem, la vision de la paix; de cette paix, mes frères,
que nulle bouche ne saurait assez louer, de cette paix où nous n’aurons aucun
ennemi ni dans l’Eglise, ni au dehors de l’Eglise ni dans notre chair, ni dans
notre pensée. La mort sera absorbée dans sa victoire 3, et, devenus citoyens de
Jérusalem, de la cité de Dieu, nous verrons Dieu dans la joie d’une paix
éternelle.
1. Ps. CXXXIV, 21.— 2. Isa, LIV, 1; Galat.,
IV, 26,27.— 3. I Cor. XV, 51.
Dieu
exerce envers ceux qu’il a délivrés une miséricorde éternelle, non qu’il reste
quelque misère dont il les délivre continuellement, mais la félicité, dont il
les a mis en possession, sera sans fin. Bénissons le Seigneur sans attendre de
lui rien de temporel, puisque les bienfaits de sa miséricorde sont sans fin.
Ces dieux et ces seigneurs que surpasse le véritable Dieu sont les hommes à qui
la parole de Dieu a été adressée, et les démons qui sont les dieux des nations.
Les anges ne sont point appelés dieux, afin de nous détourner de leur rendre un
culte. — Parmi les oeuvres de Dieu, ce qui appartient à sa miséricorde, c’est
notre délivrance; les autres oeuvres de la création appartiennent à sa bonté.
Seul il fait les oeuvres merveilleuses, comme les astres et les cieux, avec
intelligence, c’est-à-dire avec son Verbe. Il affermit la terre au-dessus des
eaux qui l’environnent. Ces cieux avec l’intelligence peuvent désigner les
saints qui s’élèvent bien haut par la spiritualité, les astres marqueraient les
différents dons chez les saints, et la terre, la foi solide. Il a détruit
Pharaon, ou nos péchés, en nous faisant traverser ta mer Rouge du baptême; pour
nous encore il renverse les puissances diaboliques, Seon, roi des Amorrhéens,
ou la tentation et le murmure; Og, roi de Basan, ou la confusion des damnés; il
nous introduit dans l’héritage du Christ, qui nous donne sa chair comme une
nourriture.
1. « Rendez grâces au Seigneur, parce qu’il
est bon, parce que sa miséricorde est éternelle 1». Ce psaume est une hymne de
louanges, et un même refrain termine chaque
verset. Quoique l’on accumule tous les motifs
de bénédictions, c’est toujours la miséricorde de Dieu qui est relevée
particulièrement, et à laquelle a voulu rendre un solennel hommage en terminant
chaque verset, celui qui a
1. Ps. CXXXV, 1.
été l’organe de l’Esprit-Saint, dans la
composition du psaume. Or, il me souvient que dans le psaume cent quinzième,,
qui commence comme celui-ci, comme l’exemplaire que j’avais sous les veux ne
porte pas que sa miséricorde est éternelle, mais qu’elle est dans les siècles,
j’ai demandé ce qu’il nous fallait entendre de préférence. Le grec pprte en
effet eis ton aiona, que l’on peut
traduire par dans le siècle, ou par éternellement. Mais il serait long de
répéter ici ce que je vous ai dit alors selon mon pouvoir. Dans ce psaume, au
contraire, au lieu de porter dans le
siècle, comme beaucoup d’autres, mon manuscrit porte, sa miséricorde est dans l’éternité. Sans doute après le jugement
que Dieu exercera à la fin des siècles suries vivants et sur les morts, qui
mettra les justes en possession de la vie éternelle et assignera la flamme
éternelle aux méchants, il n’y aura plus personne à qui Dieu fasse:
miséricorde; et néanmoins on peut comprendre comme éternelle celte miséricorde
que Dieu fait à ses saints et à ses fidèles: non point qu’ils soient ta proie
d’une misère éternelle, et qu’ils aient éternellement besoin de miséricorde,
mais parce que la félicité que Dieu dans sa miséricorde départit aux
malheureux, afin de mettre un terme à leur misère,et commencer ainsi leur
bonheur, sera sans fin; et dès lors sa miséricorde sera éternelle. Qu’en nous
la justice vienne succéder à l’iniquité, la santé à la maladie, le bonheur à la
misère, la vie à la mon, l’immortalité à la mortalité, c’est là un effet de sa
miséricorde. Or, comme l’état où nous devons arriver sera éternel, sa
miséricorde sera donc éternelle aussi. Dès lors, « confessez au Seigneur»,
c’est-à-dire, louez le Seigneur en confessant « qu’il est bon ». Et de cette
confession n’attendez rien de temporel; car « sa miséricorde est éternelle »,
c’est-à-dire que le bienfait qu’il vous accordera dans sa miséricorde sera sans
fin. Quant à cette bonté dont parle notre psaume: Quoniam bonus, on lit agathos
dans le grec, au lieu que dans le psaume cent quinzième, ce qui est exprimé par
bonus, l’est en grec par Xrestos. C’est pourquoi quelques-uns
l’ont traduit, parce qu’il est doux.
Toutefois agathos ne veut pas dire
une bonté quelconque, mais la bonté par excellence.
2. Le Psalmiste continue: « Confessez au Dieu
des dieux que sa miséricorde est éternelle. Confessez au Seigneur des seigneurs
que sa miséricorde est éternelle 1 ». Quels
sont ces dieux et ces seigneurs, qui ont pour
Dieu et pour Seigneur celui qui est le vrai
Dieu, voilà ce qu’il convient de rechercher.
L’Ecriture nous montre dans un autre psaume
que des hommes sont appelés dieux, ainsi: «
Dieu s’est assis dans l’assemblée des dieux, et du milieu il juge les dieux »;
et un peu après: « J’ai dit: Vous êtes des dieux, vous êtes tous les fils du
Très-Haut, et toutefois vous mourrez de même que les hommes, vous tomberez
comme un des princes 2 ».Tel est,le passage que le Seigneur nous cite dans
l’Evangile quand il dit: « N’est-il pas écrit dans votre loi: J’ai dit, vous
êtes des dieux? Si elle a nommé dieux ceux à qui la parole du Seigneur fut
adressée, et l’Ecriture ne saurait être vaine, comment moi que le Père a
sanctifié, et envoyé au monde, m’accusez-vous de blasphème, parce que j'ai dit:
Je suis le Fils de Dieu 3? » Si donc ils sont appelés des dieux, ce n’est point
que tous soient bons, c’est que la parole de Dieu leur a été adressée. S’ils
étaient ainsi nommés à cause de leur bonté, Dieu ne les jugerait pas ainsi. Car
aussitôt qu’il a dit: « Dieu a pris séance dans l’assemblée des dieux », le
Psalmiste ne dit point: Du milieu d’eux il discerne les hommes des dieux, comme
pour assigner une différence entre Dieu et l’ homme; mais il dit: « Au milieu
il juge les dieux ». Puis il ajoute: « Jusques à quand vos jugements seront-ils
injustes 4? » et le reste: ce qui évidemment, ne s’adresse pas à tous, mais à
quelques-uns, puisqu’il ne parle que d’après son discernement; et pourtant
c’est au milieu des dieux qu’il fait ce discernement.
3. Mais, dira-t-on, si l’on appelle dieux ces
hommes à qui la parole de Dieu a été adressée, faut-il appeler de ce même nom
les anges, puisque l’égalité avec les anges est la plus grande récompense que
l’on ait promise aux justes et aux saints? Je ne sais pas si dans toutes les
Ecritures on pourrait trouver ou du moins trouver facilement un passage qui
nomme clairement dieux les anges; mais quand il est dit du Seigneur Dieu, qu’il
est «terrible sur tous les autres dieux 5», le Psalmiste semble vouloir
justifier cette expression
1. Ps. CXXXV, 2, 3. — 2. Id. LXXXI, 1, 6, 7.—
3. Jean, X, 31-36.— 4. Ps. LXXXI, 12.— 5. Id. XCV, 4.
en ajoutant: « C’est que les dieux des
nations sont des démons ». C’est à propos de ces dieux que le Psalmiste a dit
que Dieu est terrible dans ses saints, dont il a fait des dieux, et qui doivent
effrayer les démons. C’est en effet ce qu’on lit ensuite: « Quant au Seigneur,
il a fait les cieux ». Ils ne sont donc point appelés des dieux, sans aucune
addition; mais les dieux des nations: toutefois le Prophète a dit plus haut: «
Il est terrible par-dessus tous les dieux », et non par-dessus tous les dieux
des nations, bien qu’il l’ait voulu faire entendre, en, disant aussitôt: « Car
tous les dieux des nations ». On dit, il est vrai, que l’hébreu ne l’exprime
point ainsi, mais qu’il est dit: « Les dieux des nations sont des simulacres ».
En ce cas, mieux vaut en croire les Septante, qui ont traduit avec l’assistance
de ce même Esprit qui avait dit d’abord ce qui est dans le texte hébreu. C’est
en effet sous l’action du même Esprit-Saint qu’il a fallu traduire ainsi cette
parole: « Les dieux des nations sont des démons », afin de nous faire mieux
comprendre ce qui est dans l’hébreu: « Les dieux des nations sont des
simulacres», et de nous montrer qu’il n’y a dans les idoles rien que des
démons. Le simulacre, en effet, qui s’appelle en grec, idole, et dont le nom a
passé dans le latin, a des yeux, mais ne voit point, et tout ce qu’énumère le
psaume au sujet de ces idoles privées, de tout sens; d’où vient, qu’on ne
saurait les effrayer, puisque l’effroi n’est que pour les êtres sensibles.
Comment donc est-il dit à propos du Seigneur: « Il est terrible sur tous les
autres dieux, car les dieux des nations sont des idoles »; si ce n’est que, par
idoles, il faut comprendre les démons que l’on peut effrayer? De là cette
parole de saint Paul: « Nous savons que l’idole n’est rien 1»: restreignant
l’idole à la matière qui est privée de sens. Et comme on aurait pu se persuader
que nulle nature vivante et sensible ne fait ses délices des sacrifices des
païens, l’Apôtre ajoute: «Mais les sacrifices des païens sont offerts aux
démons et non à Dieu. Or, je ne veux point que vous ayez part aux sacrifices
des démons ». Si donc nul endroit des saintes Ecritures ne nous prouve que les
anges ont été appelés des dieux, la raison qui m’en vient présentement à
l’esprit, c’est afin que
1. I
Cor. VIII, 4. — 2. Id. X, 20.
ce nom ne puisse porter les hommes à rendre
aux anges te culte souverain, qu’on nomme en grec liturgie ou latrie. Aussi
eux-mêmes ont-ils soin d’en détourner les hommes, puisque cet honneur n’est dû
qu’à celui qui est leur Dieu et le Dieu des hommes. Le nom d’anges, en latin
messagers, leur convient donc beaucoup mieux, ce nom qui a plus d’analogie à
leur emploi qu’à leur nature, et nous fait comprendre qu’ils dirigent notre
culte vers le Dieu dont ils sont les ambassadeurs. Ainsi l’Apôtre a tranché en,
quelques mots la question qui nous occupe, quand il a dit: « S’il est en effet
des êtres appelés dieux dans le ciel et sur la terre, de manière à constituer
plusieurs dieux et plusieurs seigneurs, pour nous néanmoins il n’est qu’un seul
Dieu, Père d’où procèdent toutes choses, qui nous a faits pour lui, et un seul
Seigneur Jésus-Christ, par qui tout a été fait, et nous sommes par lui 1».
4. Confessons donc au Dieu des dieux, et au
Seigneur des seigneurs, que sa miséricorde est éternelle; « à lui seul qui fait
les grands miracles 2». De même que tout verset se clôt par ces mots: « Parce
que sa miséricorde est éternelle », de même à la tête de chacun, bien qu’on ne
l’ait point mis, il faut sous-entendre: «Confessez au Seigneur»; ce que le
texte grec nous fait voir clairement, Le latin nous le montrerait également si
nos traducteurs avaient pu rendre la même expression. Ils l’auraient fait dans
ce verset, en disant: « A celui qui fait des miracles 3». Car si nous disons: «
Celui qui fait des miracles », on lit dans le grec: « A celui qui fait des
miracles»; ce qui nous force à sous-entendre: « Confessez ». S’ils ajoutaient
seulement le pronom et nous disaient: « A celui qui fait des miracles », ou «
qui a fait», ou qui a « affermi », on comprendrait facilement qu’il faut
sous-entendre: « Confessez ». Mais le texte est devenu tellement obscur que
celui qui ne saurait examiner le texte grec, ou qui néglige de te faire, est
porté à penser, qu’il y a dans le texte: « Qui a fait les cieux, qui a affermi
la terre, qui a fait les grands flambeaux, parce que sa miséricorde est
éternelle »; en ce sens que Dieu aurait fait ces oeuvres précisément par un effet
de cette éternelle miséricorde, tandis qu’il n’y a pour appartenir à sa
miséricorde que ceux qu’il
1. I
Cor. VIII, 4-6. — 2. Ps. CXXXV, 4. — 3. To
poiesanti.
délivre de la misère; et que la création du
ciel, de la terre, et des astres 1, loin d’être une oeuvre de miséricorde, est
une oeuvre de bonté pour celui dont toutes les créatures sont excellentes.
Créer, en effet, c’était donner la vie à toutes choses; mais l’oeuvre de sa
miséricorde est de nous purifier de nos péchés, et de nous délivrer d’une misère
éternelle. C’est donc à nous que s’adresse le Psalmiste quand il dit: «
Confessez au Dieu des dieux, confessez au Seigneur des seigneurs ». Confessez «
à celui qui seul fait de grandes merveilles »; confessez « à celui qui a fait
le ciel par son intelligence »; confessez « à celui qui a affermi la terre sur
les eaux »; confessez « à celui qui seul fait les grands flambeaux »; et à la
fin de chaque verset, il nous dit pourquoi nous devons le confesser, « c’est
que sa miséricorde est éternelle ».
5. Mais pourquoi dire qu’ « il a fait seul de
grandes merveilles? » Est-ce parce qu’il a fait de nombreux prodiges par le
moyen des hommes et des anges? Il y a certaines merveilles que Dieu fait lui
seul, et que nous énumère le Psalmiste en disant: « Qui a fait le ciel par son
intelligence, qui a affermi la terre sur les eaux, qui a fait seul de grands
corps de lumière 2». Le Psalmiste a mis ici le mot seul, parce que Dieu a fait les autres oeuvres par l’intermédiaire
des hommes. Après avoir dit que Dieu a fait seul les grands corps de lumière,
il nous les énumère en disant: « Le soleil pour présider au jour, la lune et
les étoiles pour présider à la nuit». Ensuite il commence l’énumération des
oeuvres que Dieu a faites par les anges, ou par les hommes. « Il a frappé
l’Egypte avec ses premiers-nés 3 », et le reste. Dieu donc a fait toutes les
créatures, non par l’intermédiaire d’une autre créature; mais lui seul. Le
Prophète rapporte seulement ici quelques-unes des créatures les plus
excellentes, les cieux spirituels, la terre visible, pour nous faire juger du
reste. Or, comme il y a aussi des cieux visibles, après avoir spécifié les
flambeaux, il nous avertit de regarder comme l’oeuvre de Dieu tout ce qu’il y a
de corporel dans le ciel.
6. Toutefois cette expression: « Il a fait
les cieux dans la raison », ou comme d’autres ont traduit, «dans l’intelligence
», a fait
1. Ps. CXXXV, 5. — 2. Id. 3-7. — 3. Id. 8-10.
demander si le Prophète voulait dire que Dieu
a fait les cieux intelligibles, ou s’il les a faits dans sa raison ou son
intelligence, c’est-à-dire dans sa sagesse, ainsi qu’il est dit ailleurs: «
Vous avez tout fait dans votre sagesse 1», nous insinuant que c’est par le
Verbe, son fils unique. Mais s’il en est ainsi, s’il nous faut comprendre que
Dieu a tout fait dans son intelligence, pourquoi le Prophète ne parle-t-il
ainsi que du ciel, taudis que Dieu a tout fait dans sa sagesse? Ou bien le
Prophète ne voulait-il l’exprimer ici seulement, que pour nous faire comprendre
qu’il est sous-entendu ailleurs; en sorte que le sens serait: « Il a fait les
cieux avec intelligence, il a affermi la terre sur les eaux », en
sous-entendant aussi, «avec intelligence». « Lui qui a fait seul les grands
corps de lumière, le soleil pour présider au jour, la lune et les étoiles pour
présider à la nuit »; encore « avec intelligence », Mais alors pourquoi dire
seul, si c’est avec la raison ou l’intelligence, c’est-à-dire dans la sagesse
qui est le Verbe unique? Ne serait-ce point parce que la Trinité, au lieu
d’être trois dieux, n’est qu’un seul Dieu, et qu’alors, dire que Dieu a fait
seul toutes ces choses, signifierait que Dieu les a faites sans le secours
d’aucune créature?
7. Mais que signifie: « Il a affermi la terre
sur les eaux? » Voilà qui est obscur; car la terre a plus de poids que l’eau,
en sorte que l’on peut croire qu’au lieu d’être portée par les eaux, c’est elle
au contraire qui les porte. Mais, sans vouloir minutieusement défendre nos
Saintes Ecritures contre ceux qui s’imaginent avoir trouvé sur ce point des
raisons péremptoires, quoi qu’il en soit, nous avons toujours sous la main ce
sens facile à comprendre, que la terre habitée par les hommes, qui contient les
animaux terrestres, et que l’Ecriture appelle aussi l’aride, ainsi qu’il est
écrit: « Que l’aride paraisse, et Dieu appela l’aride du nom de terre 2 », que
cette terre est fondée sur les eaux, en ce sens qu’elle domine les eaux qui lui
forment une ceinture. Quand on dit, en effet, d’une ville maritime, qu’elle est
bâtie sur la mer, on n’entend point dire par là qu’elle est sur la mer comme la
voûte d’un pont est au-dessus des eaux, ou comme le vaisseau qui court sur les
flots; mais on dit qu’elle est sur la mer,
1. Ps. CIII, 24. — 2. Gen. I, 9, 10.
parce qu’elle domine la mer qui est moins
élevée. C’est ainsi qu’il est dit que Pharaon s’élança « sur les eaux 1 »; tel
est le texte grec traduit par les latins, « vers les eaux »; ainsi encore il
est dit que le Seigneur « était assis sur le puits 2», parce que l’un et
l’autre dominaient le puits et le fleuve, l’un près du fleuve, l’autre près du
puits.
8. Si cette expression du Prophète: « Dieu
fit les cieux par son intelligence », peut avoir un sens qui nous regarde plus
spécialement, comme si les cieux étaient les saints de Dieu, parvenus à cette
spiritualité qui n’est plus seulement la foi aux choses divines, mais
l’intelligence même; ceux qui ne peuvent s’élever jusque-là, et qui s’en
tiennent lune foi très-ferme, auraient pour symbole cette terre qui est
inférieure aux cieux. Et comme ils demeurent inébranlables dans cette foi
qu’ils ont reçue au baptême, il est dit: « Il a affermi la terre sur les eaux».
De même il est écrit qu’en Jésus-Christ Notre Seigneur sont cachés tous les
trésors de la sagesse et de la science 3. Or, qu’il y ait une différence entre
la sagesse et la science, nous en avons d’autres preuves dans les saintes
Ecritures, et surtout dans les saintes paroles de Job, qui nous définit en
quelque sorte l’une et l’autre: voici en effet ces paroles: « Il dit à l’homme:
La sagesse consiste dans la piété, et la science à s’abstenir du mal 4 ». Nous
sommes autorisés, dès lors, à faire consister la sagesse dans la connaissance
et dans l’amour de celui qui subsiste toujours, qui est toujours immuable,
c’est-à-dire Dieu, Cette piété, en effet, en laquelle consiste la sagesse, se
nomme en grec Theosebeia, que l’on
pourrait traduire en latin par culte de Dieu. Et cette science qui consiste à
s’abstenir du mal 5, qu’est-ce autre chose que vivre avec précaution et
prudence, au milieu d’une nation dépravée et corrompue, et comme dans les
ténèbres de ce monde, afin que tout fidèle, s’abstenant de l’iniquité, ne soit
point confondu dans les ténèbres, mais qu’il s’en éloigne par sa propre
lumière? Saint Paul, afin de faire ressortir quelque part l’harmonie qui se trouve
entre les différents dons que Dieu fait aux hommes, met ceux-ci en avant: «
L’un reçoit de l’Esprit-Saint le discours de la sagesse »; c’est là, je crois,
« Le soleil pour présider au jour:
1. Exod. VIII, 15.— 2. Jean, IV, 6.— 3.
Colos, II, 3.— 4. Job, XXVIII, 28.— 5. Philipp. II, 15.
« l’autre, du même Esprit, le discours de la
science», ce qui marque la lune. Les étoiles
aussi pourraient être désignées dans ces
paroles: « Un autre reçoit le don de foi, par le même Esprit, un autre reçoit
le don de guérir les malades, un autre le don des miracles, un autre le don de
prophétie, un autre le don de parler diverses langues, un autre le don de les
interpréter, un autre le discernement des esprits 1 ». Il n’y a en effet aucun
de ces dons qui ne soit nécessaire, dans cette nuit du monde; une fois qu’elle
sera écoulée, ils ne seront d’aucune utilité; de là vient l’expression « pour
éclairer la nuit ». Le texte porte in
potestatem, et dit « au pouvoir de la nuit », ou « du jour », c’est-à-dire
la puissance d’éclairer le jour ou la nuit; ce qui convient parfaitement aux
dons spirituels, puisque Dieu a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu 2.
« Il a frappé l’Egypte avec ses premiers-nés»; il a frappé le monde avec tout
ce qui paraît éclatant dans le monde.
9. « Il a tiré Israël du milieu de I’Egypte
». Il a tiré du milieu des méchants ses saints et ses fidèles. « Avec une main
puissante, et un bras élevé 3 ». Quel bras plus puissant et plus élevé que
celui dont il est dit: « A qui le bras du Seigneur a-t-il été montré 4? Lui qui
a séparé la mer Rouge en deux parts ». Il fait encore aujourd’hui cette
division, puisque le même baptême donne aux uns la vie, aux autres la mort. «
Il a conduit Israël par le milieu de cette mer». Il conduit aussi à travers le
bain de la régénération son peuple renouvelé. « Il a renversé Pharaon et toute
sa puissance dans la mer Rouge ». Par le baptême, il donne la mort au péché de
ses serviteurs, et à toutes ses traces. « Il a conduit son peuple par le désert
». Il nous fait aussi traverser le désert et les aridités de cette vie, de peur
que nous n’y périssions, « Il a frappé de grands rois et mis à mort des rois
puissants ». Il frappe, il met à mort par nous les puissances diaboliques, les
esprits de malice. « Seon, roi des Amorrhéens »; c’est-à-dire, ce germe
inutile, ce foyer de tentation, que signifie Seon, le roi des Amorrhéens ou de
l’amertume « Et Og, roi de Basan ». Og, ou celui qui amasse, roi de Basan ou de
la confusion. Que peut amasser le diable, sinon la
1. I Cor. XII, 8-l0. — 2. Jean, I, 12. — 3.
Ps. CXXXV, 11-12. — 4. Isa. LIII, 1.
confusion? « Il a donné leur terre en héritage, en héritage à Israël
son serviteur ». Ceux que le démon possédait, Dieu les donne en héritage à la
race d’Abraham qui est le Christ. « Il s’est souvenu de nous dans notre
humiliation, et nous a rachetés de nos ennemis 1 », par le sang de son Fils
unique. « Il donne la nourriture à toute chair »; c’est-à-dire à tout le genre
humain, non seulement aux Israélites, mais encore aux Gentils; et c’est de cet
aliment qu’il est dit: « Ma chair est vraiment une nourriture 2. Confessez au
Dieu du ciel que sa miséricorde est éternelle. Confessez au Seigneur des
seigneurs que sa miséricorde est éternelle 2». Cette
expression, « ami Dieu du ciel », me paraît
en
1. Ps. CXXXV, 13-24—24. — 2. Jean, VI, 56. —
3. Ps. CXXXV, 26.
d’autres termes la répétition de cette autre,
« au Dieu des dieux », car le Prophète ajoute ici précisément ce que déjà il
avait ajouté plus haut: «Confessez au Seigneur des seigneurs ».
Quels que soient ceux que l’on nomme « dieux
», confessez au Seigneur des seigneurs; car «s’il est des êtres appelés dieux,
soit dans le ciel, soit sur la terre, et qu’ainsi il y ait plusieurs dieux et
plusieurs seigneurs, néanmoins il n’y a pour nous qu’un seul Dieu, le Père d’où
procèdent toutes choses, et qui nous a faits pour lui; et un seul Seigneur
Jésus-Christ, par qui toutes choses ont été faites, et nous sommes par lui »:
et auquel nous confessons que « sa miséricorde est éternelle ».
1. I Cor. VIII, 5, 6.
SERMON AU PEUPLE.
Babylone
et Jérusalem sont confondues ici-bas, et seront séparées au dernier jour.
Cependant nous ne pouvons louer le Seigneur qu’en Sion dont le souvenir fait
couler nos larmes sur les fleuves de Babylone, ou sur tout ce qui est passager
comme le fleuve, gloire, éclat, richesses. Asseyons-nous; c’est-à-dire,
humilions-nous, sans nous confier au courant, et fussions-nous heureux selon
Babylone, aspirons à Sion, où notre joie sera éternelle.
Nos
harpes sont les saintes Ecritures; le saule est un arbre stérile, comme ces
mondains à qui nous ne saurions parler de religion; y suspendre nos harpes,
c’est garder le silence avec eux. Mais Babylone c’est la captivité, et le
Christ nous rachetés, comme le Samaritain soulagea cet homme que des voleurs
avaient laissé à demi mort sur le chemin de Jéricho. Ces voleurs sont le diable
et ses anges, lui qui entra dans le coeur de Judas, comme il entre en ceux qui
lui ouvrent leur coeur par les désirs de la chair, qui ne vient le bonheur que
dans la satisfaction des sens, mais ne comprennent point renoncement
volontaire, ne le voient point pratiquer chez les chrétiens. Ils nous
interrogent sur notre religion, mais sans vouloir l’embrasser; il faut alors
suspendre nos harpes; comment chanter sur la terre étrangère, ou à des hommes
incapables de nous comprendre? Tel était le riche qui interrogeait le Sauveur
dans l’Evangile: Que ferai-je pour avoir la vie éternelle? Vendez vos biens,
donnez-en le prix aux pauvres. C’est là le cantique des riches; celui des
pauvres, c’est d’éviter les désirs insatiables.
Ces
arbres pourront cesser d’être stériles; alors nous parlerons. Cette main droite
qui doit s’oublier, c’est la main des bonnes oeuvres, qui tarissent quand nous
oublions Jérusalem; la gauche est celle des oeuvres temporelles, et quand à nos
aspirations vers le ciel se mêlent des aspirations terrestres, notre main
gauche connaît les oeuvres de la main droite. D’autres, donnant la préférence
aux biens temporels, font de la droite la gauche, et deviennent étrangers à
Jérusalem. Pour habiter, cette ville, ayons soif de la justice; que notre
langue soit muette si nous ne chantons ce qui est de Sion, si notre joie n’est
plus la jouissance de Dieu. Quant aux fils d’Edom qui ont vendu leur droit
d’aînesse, qui sont l’homme charnel, ils ne posséderont point le royaume de
Dieu devenu le partage de Jacob. qui donna la préférence aux biens spirituels,
ils ont voulu nous détruire, Dieu les a soumis à l’esclavage. La fille de
Babylone nous a persécutés par ses scandales; bienheureux qui brisera les
passions qu’elle a fait naître en nous contre la pierre qui est le Christ.
1. Vous n’avez pas oublié, sans doute, ce que
je vous ai dit plusieurs fois, ou plutôt ce que j’ai rappelé à votre souvenir,
que tout homme instruit dans l’Eglise doit savoir de
quelle patrie nous sommes citoyens, quel est
le lieu de notre exil, que le péché est la cause de cet exil, et que la grâce
qui nous fait retourner dans la patrie, c’est la rémission du (141) péché, la
justification qui nous vient de la bonté de Dieu. Vous avez entendu aussi, vous
savez que deux grandes sociétés confondues de corps, mais séparées par le
coeur, traversent les siècles jusqu’à la fin du monde; l’une qui a pour fin la
paix éternelle, et qui est Jérusalem, l’autre qui trouve sa joie dans la paix
du temps, et qu’on appelle Babylone. Si je ne me trompe, vous connaissez aussi
le sens de ces noms; vous savez que Jérusalem signifie vision de la paix, et
Babylone confusion. Jérusalem était retenue captive à Babylone, mais pas
totalement, puisqu’elle a aussi pour citoyens les anges; mais en ce qui regarde
seulement les hommes prédestinés à la gloire de Dieu, qui doivent être par
l’adoption les cohéritiers de Jésus-Christ, et qu’il a rachetés de la captivité
au prix de son sang. Quant à cette partie de Jérusalem qui demeure en captivité
à Babylone, à cause de ses péchés, elle commence d’en sortir dès ici-bas par le
coeur, au moyen de la confession des péchés et de l’amour de la justice; mais à
la fin des siècles elle en sera séparée, même corporellement. Ainsi
l’avons-nous annoncé dans ce psaume, que nous avons expliqué à votre charité,
et qui commence de la sorte « C’est dans Sion qu’il faut vous louer, ô mon
Dieu, et en Jérusalem qu’on doit vous rendre ses vœux 1». Or, aujourd’hui nous
avons chanté: «Assis à Babylone, sur le bord des fleuves, nous avons pleuré au
souvenir de Sion 2». Remarquez-le, dans l’un il est dit que « c’est dans Sion
qu’il faut chanter des hymnes à Dieu»; et dans l’autre: « Assis à Babylone sur
le bord des fleuves, nous avons pleuré au souvenir de Sion », de cette Sion où
il convient de chanter des hymnes à Dieu.
2. Quels sont donc les fleuves de Babylone,
et qu’est-ce pour nous de nous asseoir et de pleurer au souvenir de Sion? Si
nous en sommes en effet les citoyens, non contents de chanter ainsi, nous
pleurons réellement. Si nous sommes citoyens de Jérusalem ou de Sion, et si au
lieu de nous regarder comme des citoyens, nous nous tenons pour captifs dans cette
Babylone, ou dans cette confusion du monde, il nous faut non seulement chanter
ces paroles, mais en reproduire les sentiments dans nos coeurs, et soupirer
avec une pieuse ardeur après la cité éternelle. Dans cette cité appelée
Babylone, il y a des citoyens qui
1. Ps. LXIV, 2. — 2. Id. CXXXVI, 1.
l’aiment et qui y cherchent la paix du temps,
bornant à cette paix leur espérance, y fixant toute leur joie, y trouvant leur
fin, et nous les voyons se fatiguer beaucoup pour les intérêts d’ici-bas. Qu’un
homme néanmoins s’y acquitte fidèlement de ses emplois, sans y chercher ni
l’orgueil, ni l’éclat passager d’une gloire périssable, d’une haïssable
arrogance, mais agissant’ avec droiture, autant que possible, aussi longtemps
que possible, envers tous s’il est possible, autant qu’il peut voir que tout
cela est terrestre, et envisager la beauté de la cité céleste, Dieu ne le
laissera point à Babylone; il l’a prédestiné à être citoyen de Jérusalem. Dieu
comprend qu’il se regarde comme captif et lui montre cette autre cité à
laquelle il doit aspirer, pour laquelle il doit tenter les plus grands efforts,
en exhortant de tout son pouvoir ses compagnons d’exil à y arriver un jour.
Aussi, notre Seigneur Jésus-Christ dit-il: « Celui qui est fidèle dans les
moindres choses l’est aussi dans les grandes »; et plus loin: « Si vous n’avez
pas été fidèles dans ce qui n’est point à vous, qui vous donnera ce qui vous
appartenait 1? »
3. Toutefois, mes bien-aimés, écoutez quels
sont les fictives de Babylone. On entend par fleuves de Babylone tout ce que
l’on aime ici-bas et qui est passager. Voilà un homme qui s’est adonné à
l’agriculture, par exemple, qui cherche à s’enrichir par ce moyen, y applique
son intelligence, y met son plaisir. Qu’il en considère la fin, et qu’il voie que
l’objet de son amour n’est point un fondement de Jérusalem, mais un fleuve de
Babylone. Un autre nous dit: C’est un noble emploi que celui des armes: tout
laboureur craint le soldat, lui obéit, tremble devant lui; si je suis
laboureur, je craindrai le soldat; si je suis soldat, le laboureur me craindra.
O insensé, tu te jettes à corps perdu dans un autre fleuve de Babylone, et
fleuve plus turbulent, plus rapide encore que le premier. Tu veux qu’on te
craigne au-dessous de toi, crains ceux d’au dessus: celui qui te craint peut
tout à coup te devenir supérieur, mais celui que tu dois craindre ne te sera
jamais inférieur. Le barreau, dit celui-ci, est une noble carrière, l’éloquence
est une grande puissance; en toute occasion des clients sont suspendus en quelque
sorte à la langue d’un
1. Luc, XVI, 10,12.
patron qui parle bien, et de ses lèvres
attendent la perte ou le gain d’une affaire, la mort ou la vie, la ruine ou le
salut. Mais tu ne sais où tu vas. Voilà un autre fleuve de Babylone, un fleuve
bruyant dont le flot bondit contre les rochers qu’il frappe. Mais vois au moins
que ce flot passe, vois qu’il s’écoule, et situ vois qu’il passe et qu’il
s’écoule, prends garde qu’il ne t’entraîne. Il est beau, dit un autre, de
naviguer et dc négocier, de connaître beaucoup de provinces, de faire du gain
partout, de n’être attaché à aucune ville sous la dépendance de quelque
puissant, de voyager toujours, d’absorber son esprit par des affaires
multipliées, des pays divers, et de retourner enfin avec des richesses considérables.
C’est encore là un fleuve de Babylone; quand consolideras-tu ces richesses?
Quand sauras-tu compter sur ces gains, et te reposer en sûreté? Plus tu es
riche, et plus tu es craintif. Un naufrage peut te mettre à nu, et c’est avec
raison que tu pleureras dans le fleuve de Babylone, parce que tu n’auras voulu
ni t’asseoir, ni pleurer sur ses bords.
4. Donc les autres citoyens de la sainte
Jérusalem, comprenant qu’ils sont en captivité, méditent sur les désirs
humains, sur ces diverses passions qui entraînent avec violence, qui poussent
et précipitent dans la mer; voilà ce qu’ils voient, et au lieu de se jeter dans
les fleuves de Babylone, ils se tiennent assis sur les fleuves de Babylone,
pour pleurer, ou sur les mondains qu’entraînent ces fleuves, ou sur eux-mêmes
qui ont mérité d’être à Babylone, bien qu’ils y soient assis, c’est-à-dire
humiliés. Donc, « sur les fleuves de Babylone, nous avons pleuré au souvenir de
Sion ». O sainte Sion, où tout demeure et rien ne s’écoule ! qui nous a
précipités dans ces flots rapides? Pourquoi nous sommes-nous séparés de ton
divin Architecte, et de ta société sainte? Nous voici au milieu des flots qui
nous poussent tumultueusement et qui nous entraînent; c’est à peine si
quelqu’un peut s’échapper en saisissant les saules du rivage. Dans notre
captivité, asseyons-nous humblement sur les fleuves de Babylone sans être assez
audacieux pour nous précipiter dans les flots, ni assez orgueilleux pour lever
la tête, au milieu de nos amertumes et de nos malheurs; niais asseyons-nous et
pleurons. Asseyons-nous sur les fleuves de Babylone, et non sous les fleuves;
que notre humilité n’aille point jusqu’à nous y plonger Assieds-toi sur le
fleuve, non dans le fleuve, non sous le fleuve: assieds-toi humblement, parle,
mais non comme à Jérusalem. C’est là que tu seras debout, selon cette espérance
que chante un autre psaume: « Nos pieds se tenaient debout dans les parvis de
Jérusalem 1». C’est là que tu seras élevé en gloire, si tu veux ici-bas
t’humilier dans la pénitence et dans la confession. C’est donc dans les parvis
de Jérusalem que nos pieds se tenaient debout. « Mais sur les fleuves de
Babylone nous étions assis, pleurant au souvenir de Sion ». C’est donc le
souvenir de Sion qui doit faire couler nos larmes.
5. Beaucoup en effet répandent les larmes de
Babylone, parce qu’ils goûtent les joies de Babylone. La joie d’un gain, la
douleur d’une perte, sont également de Babylone. Tu dois donc pleurer, mais au
souvenir de Sion. Si le souvenir de Sion t’arrache des larmes, tu dois aussi
pleurer, quand même selon Babylone tu serais heureux. Aussi est-il dit dans un
psaume: « J’ai trouvé la tribulation et la douleur, et j’ai invoqué le Seigneur
2 ». Que signifie, « j’ai trouvé? » Il y avait je ne sais quelle affliction à
chercher, et qu’il a trouvée, ce semble, après l’avoir cherchée. Et qu’a-t-il
gagné en la trouvant? Il a invoqué le nom du Seigneur. Que tu rencontres
l’affliction, ou que l’affliction te rencontre, sont choses bien différentes.
Car le Prophète nous dit ailleurs: « Les douleurs de l’enfer m’ont trouvé 3 ».
Que signifient ces paroles: « Les douleurs de l’enfer m’ont rencontré? »
Qu’est-ce à dire encore: « J’ai rencontré la douleur et la tribulation? » Quand
l’affliction vient tout à coup fondre sur toi, et bouleverser toutes les
affaires temporelles qui faisaient tes délices; quand une douleur vient
inopinément t’assaillir, d’où tu étais loin de l’attendre, alors te voilà
triste, et la douleur d’en bas t’a rencontré. Tu te croyais en haut et tu étais
à terre, en proie à cette affliction de l’enfer, tu t’es trouvé en bas,lorsque
tu te croyais bien supérieur. Tu t’es trouvé dans un profond abattement,
accablé d’un ami auquel tu avais bien compté échapper; c’est la douleur d’en
bas qui t’a rencontré. Lorsque tu es heureux, au contraire, que tout te sourit
dans le monde, que la mort a épargné les tiens, que dans tes vignes rien n’est
desséché,
1.
Ps CXXI, 2. — 2. Id. CXIV, 3, 4. — 3. Id. XVII,
rien n’est endommagé par la grêle, rien n’est
stérile, rien ne s’aigrit dans tes vins, rien n’avorte dans les troupeaux, rien
ne te fait déchoir des dignités que tu occupes dans le monde, lorsque tes amis
vivent, et te gardent leur amitié, que tes clients sont nombreux, tes enfants
soumis, tes serviteurs respectueux, ton épouse dans un parfait accord; c’est
là, dit-on, une maison heureuse; trouve alors une douleur, si tu le peux, et
ensuite invoque le Seigneur. Elle te paraît contradictoire, cette parole de
Dieu qui nous dit de pleurer dans la joie, de nous réjouir dans la douleur.
Ecoute celui qui se réjouit dans l’affliction « Nous nous glorifions », dit
l’Apôtre, « au milieu de la tristesse 1 ». Quand l’homme pleure dans sa joie,
vois s’il n’a pas trouvé l’affliction. Que chacun examine la joie qui a fait
tressaillir son âme, qui l’a enflée d’un certain orgueil, qui t’a élevée et lui
a fait dire r Je suis heureuse. Qu’il voie si ce n’est point une félicité qui
s’écoule, et s’il peut s’assurer qu’elle sera éternelle. S’il n’en a point la
certitude, s’il voit que tout ce qui constitue son bonheur n’est que d’un
moment, c’est là le fleuve de Babylone, qu’il s’asseye au dessus et qu’il
pleure. Or, il s’assiéra et pleurera s’il se ressouvient de Sion. O
bienheureuse paix que nous contemplerons en Dieu ! Sainte égalité dont nous
jouirons avec les anges! Sainte vision, spectacle incomparable ! Il est vrai
qu’il y a des charmes aussi qui vous retiennent à Babylone; loin de vous tous
ces liens, loin de vous leur séduction ! Autres sont les consolations de la captivité,
autres les joies de la liberté. « Assis sur les fleuves de Babylone, nous avons
pleuré au souvenir de Sion ».
6. « Aux saules de ses rivages nous
suspendîmes nos cithares 2 ». Ils ont leurs harpes, les habitants de Jérusalem;
ils ont les saintes Ecritures, les préceptes; les promesses de Dieu, les
pensées de l’autre vie; mais quand ils se trouvent au milieu de Babylone, ils
suspendent ces harpes aux saules du rivage. Le saule est un arbre stérile, et
dont le nom ici ne signifie rien de bon, bien qu’ailleurs il puisse avoir un
autre sens. Mais ici, ne voyons sur les fleuves de Babylone que des arbres
stériles. Les fleuves de Babylone les arrosent, et néanmoins ils ne produisent
aucun fruit. De même qu’il est des hommes cupides, avares, stériles en bonnes
oeuvres,
1. Roi, V, 3. — Ps. CXXXVI, 2.
ainsi en est-il des citoyens de Babylone, qui
ressemblent aux arbres de ces contrées, s’abreuvent de toutes les voluptés
passagères, comme des eaux des fleuves de Babylone. Tu y cherches du fruit sans
en trouver jamais. Quand nous rencontrons ces hommes, nous nous trouvons avec
ceux qui sont au milieu de Babylone. Il est en effet une différence bien grande
entre le milieu de Babylone et l’extérieur. Il en est qui ne sont pas au
milieu, qui ne sont point si profondément plongés dans les convoitises et les
voluptés mondaines. Mais ceux qui sont complètement adonnés à la malice, pour
parler ouvertement, sont au milieu de Babylone, bois stériles, comme les saules
de Babylone. Lorsque nous les rencontrons, et que nous les voyons tellement
stériles, qu’on trouve à peine en eux rien qui les puisse ramener à la vraie
foi, ou aux bonnes oeuvres, ou à l’espérance de la vie éternelle, ou au désir
d’être délivrés de cette mortalité qui les tient en servitude, nous savons les Ecritures,
nous pourrions leur en parler; mais ne trouvant en eux aucun fruit, par où nous
puissions commencer, nous nous détournons en disant: Ils ne goûtent point
encore ces vérités, ils ne les comprennent point. Quoi que nous puissions dire,
ils ne l’accueilleront qu’avec défaveur, avec répugnance. Mais nous abstenir
des saintes Ecritures, c’est suspendre nos harpes aux saules du rivage, et ces
saules ne sont que des arbres stériles saturés de voluptés passagères, comme
des fleuves de Babylone.
7. Et voyez si ce n’est point là ce que nous
donne la suite du psaume « Aux saules qui couvraient ces eaux, nous suspendîmes
nos cithares. Là, ceux qui nous avaient emmenés captifs nous demandèrent des
cantiques, et ceux qui nous avaient arrachés à la patrie, des hymnes»,
sous-entendez « nous demandaient ». Ils exigeaient de nous des cantiques et des
hymnes, ceux qui nous ont emmenés captifs. Quels sont, mes frères, ceux qui
nous ont emmenés en captivité? Quels hommes nous ont imposé le joug de la
servitude? Jérusalem subit autrefois le joug des Perses, des Babyloniens, des
Chaldéens, et des rois de ces contrées, et cela depuis la composition des
psaumes, et non lorsque David les chantait. Mais, nous vous l’avons déjà dit,
ce qui arrivait littéralement en cette ville était la figure de ce qui devait
nous (144) arriver, et il est facile de nous montrer que nous sommes en
captivité. Nous ne respirons
point encore l’atmosphère de cette liberté
que nous espérons; nous ne jouissons pas de la pure vérité ni de cette sagesse
immuable, qui néanmoins renouvelle toutes choses 1. Les terrestres voluptés ont
pour nous des charmes, et chaque jour il nous faut combattre les suggestions
des coupables convoitises: à peine pouvons-nous respirer, même pendant la
prière: c’est alors que nous sentons notre captivité. Mais qui nous a réduit à
cet esclavage? Quels hommes? quelle nation? quel roi? Si nous sommes rachetés,
nous étions donc captifs. Qui nous a rachetés? le Christ. Des mains de qui nous
a-t-il rachetés? du diable. Le diable donc et ses anges nous ont emmenés en
captivité, et n’eussent pu nous emmener sans notre consentement. C’est donc
nous qui sommes emmenés captifs, et je vous ai dit par qui; c’est par ces mêmes
voleurs qui blessèrent cet homme de l’Evangile qui descendait de Jérusalem à
Jéricho, et qu’ils laissèrent à demi mort 2. C’est lui que rencontra notre
gardien, c’est-à-dire le samaritain, car samaritain signifie gardien, et à qui
les Juifs faisaient ce reproche: « N’avons-nous pas raison de dire que vous
êtes un samaritain et un possédé du démon 3? »Pour lui, repoussant l’un de ces
outrages, il accepta l’autre: « Je ne suis point possédé du démon »,
répondit-il, mais il n’ajouta pas, ni samaritain; et, en effet, si ce divin
Samaritain ne veille sur nous, c’en est fait de nous. Donc ce samaritain
passant près de cet homme abandonné par les voleurs, vit ses blessures, et le
recueillit comme vous savez. De même qu’on appelle voleurs ceux qui nous ont
infligé les plaies du péché, on les regarde aussi comme des vainqueurs qui nous
emmènent en captivité, à cause de l’assentiment que nous donnons à notre
servitude.
8. Ces vainqueurs donc qui nous ont emmenés,
le diable et ses anges, quand nous ont-ils parlé et demandé les cantiques de
Sion? Que faut-il comprendre par là, sinon que c’est le diable qui parle et qui
agit en ceux qui nous font les mêmes questions? « Pour vous », dit l’Apôtre, «
qui étiez morts par vos péchés et par vos crimes, qui marchiez autrefois selon
l’esprit de ce monde, selon le principe des puissances de l’air, cet esprit qui
agit maintenant
1. Sag. VII, 27.— 2. Luc, X, 30 et seqq. — 3.
Jean, VIII, 48
sur les enfants de la rébellion, parmi
lesquels nous avons été tous autrefois 1». Saint Paul nous fait voir qu’il a été
racheté, et qu’il sort déjà de Babylone. Et toutefois, que dit-il encore? Qu’il
nous reste à combattre nos ennemis. Et pour nous détourner de haïr ces hommes
qui nous persécutent, l’Apôtre éloigne de notre pensée toute animosité contre
les hommes, en nous signalant cette lutte avec ces esprits invisibles, contre
lesquels nous devons combattre. « Ce n’est point», nous dit-il en effet, «
contre la chair et le sang que vous avez à combattre »,
c’est-à-dire contre les hommes que vous
voyez, qui paraissent vous faire souffrir et vous persécuter; car il vous est
ordonné de prier pour eux. « Ce n’est donc point contre la chair et le sang que
nous avons à combattre », c’est-à-dire contre les hommes, «mais bien contre les
principautés, contre les puissances, contre les princes de ce monde ténébreux 2
». Que veut-il dire par ce monde? Les amateurs du monde. Ce sont eux qu’il
appelle ténèbres, c’est-à-dire les hommes injustes, les scélérats, les
infidèles, les pécheurs: ces hommes qu’il félicite quand
ils reviennent à la foi, en leur disant: «
Vous étiez autrefois ténèbres, aujourd’hui vous êtes la lumière dans le
Seigneur 3». Il nous met donc en lutte avec ces principautés qui nous ont
emmenés captifs.
9. De même que le diable entra jadis dans
Judas et lui fit trahir son Seigneur 4, ce qu’il n’eût point fait si Judas ne
lui eût ouvert son coeur; de même, au milieu de Babylone, un grand nombre de
méchants, par des convoitises charnelles et coupables, ouvrent leurs coeurs au
diable et à ses anges, qui agissent en eux et par eux, quand ils nous
questionnent et nous disent: Exposez-nous vos raisons. Les païens pour la
plupart nous viennent dire: Expliquez-nous pourquoi l’avènement du Christ, de
quoi sert le Christ au genre humain? Depuis cet avènement le monde n’est-il pas
dans un état pire qu’auparavant, et les hommes d’alors n’étaient-ils pas plus
heureux que maintenant? Que les Chrétiens nous disent le bien que nous a fait
le Christ; en quoi l’avènement du Christ a-t-il amélioré la condition des
hommes? Tu le vois, si les théâtres, si les amphithéâtres, si les cirques
subsistaient dans leur entier, si rien
1. Ephés II, 1-3.— 2. Id. VI, 12. — 3. Id. V,
8.— 4. Jean, XIII, 27
ne dépérissait à Babylone, si les hommes se
plongeaient dans toutes sortes de plaisirs, chantant et dansant au son
d’abominables refrains, s’ils jouissaient en paix et en toute sécurité des
compagnes de leurs débauches, s’ils ne craignaient point la faim dans leur
maison, ceux qui applaudissent aux bouffons; si toutes ces voluptés coulaient
sans ruine et sans trouble, si l’on pouvait s’y plonger sans crainte, les temps
seraient heureux, et le Christ aurait apporté sur la terre une grande félicité.
Mais parce que Dieu châtie l’iniquité, parce qu’il arrache des coeurs les
convoitises de la terre, afin d’y planter l’amour de Jérusalem; parce que cette
vie est mêlée d’amertume, afin que nous désirions la vie éternelle; parce que
Dieu instruit les hommes par le châtiment, les redresse par une correction
paternelle afin de leur taire éviter la damnation, le Christ n’a apporté aucun
bien, le Christ n’a apporté que des maux! En vain tu énumères à cet homme les
biens dont nous sommes redevables à Jésus-Christ, il n’y comprend rien. Tu lui
parles de ceux qui suivent à la lettre ce que nous venons d’entendre dans l’Evangile;
« qui vendent leurs biens « pour en donner le prix aux pauvres, afin d’avoir un
trésor dans le ciel, et de suivre le Sauveur 1 ». Tu lui dis: Voilà les biens
apportés par le Christ. Combien distribuent leurs biens aux pauvres, et se font
pauvres eux-mêmes, non par nécessité, mais volontairement, et suivent Dieu dans
l’espérance du royaume des cieux ! Ils se rient de ces pauvres comme
d’insensés: Et voilà, disent-ils, les biens du Christ, perdre ses possessions,
et s’appauvrir pour donner aux pauvres? Que répondre à un tel homme? Tu ne
comprends pas, lui diras-tu, les biens du Christ; tu es absorbé par un autre,
qui est l’adversaire du Christ, et à qui tu as ouvert ton coeur. Tu jettes les
yeux sur les temps anciens, et ces temps te paraissent plus heureux; comme des
olives pendantes à l’arbre, au souffle des vents, ainsi les hommes
s’imaginaient jouir d’un certain air de liberté, en promenant çà et là leurs
vagues désirs. Mais voici que l’on jette l’olive sous le pressoir; car elle ne
pouvait demeurer toujours sur l’arbre, et l’année touchait à sa fin, Ce n’est
pas sans raison que plusieurs de nos psaumes sont intitulés: « Pour les
pressoirs 2 ». Liberté sur l’arbre,
1. Matth. XIX, 21. — 2. Ps. VIII, LXXX,
LXXXIII
écrasement au pressoir. Tu as remarqué, en
effet, que l’avarice augmente à mesure que les biens du monde sont broyés et
pressurés; vois aussi que la continence augmente à son tour. D’où vient cet
aveuglement qui ne te laisse voir que le marc coulant dans les rues, et te
dérobe l’huile pure qui coule dans les vases? Et cela n’est pas sans figure.
L’homme qui fait le mal est connu publiquement: mais l’homme qui se convertit à
Dieu, qui se purifie des souillures de ses coupables désirs, celui-là demeure
caché; car le mare coule visiblement au pressoir, ou plutôt du pressoir, tandis
que l’huile coule secrètement dans les réservoirs.
10. Vous applaudissez à mes paroles, vous en
tressaillez; parce que déjà vous pouvez vous asseoir sur les fleuves de
Babylone et y pleurer. Quant à ceux qui nous ont emmenés captifs, dès qu’ils
sont entrés dans le coeur des hommes, dès qu’ils en ont pris possession, et
qu’ils nous interrogent par leur organe, en nous disant: « Chantez-nous les
paroles de vos cantiques »; expliquez-nous pourquoi est venu le Christ, et qu’est-ce
que l’autre vie? Je veux croire, mais donnez-moi la raison qui m’oblige à
croire: ô homme ! lui dirai-je, comment ne pas t’obliger à croire? Tu es
absorbé dans tes coupables désirs, et si je te parle des biens de la Jérusalem
d’en haut, tu ne les comprendras point: il faut chasser de ton coeur ce qui le
remplit, afin d’y mettre ce qui n’y est point. Ne t’engage donc point aisément
à parler à cet homme; c’est un saule, un bois stérile. Ne touche point ta
harpe, n’en tire aucun son, mieux vaut la suspendre. Mais il insistera: chantez
vos cantiques, dira-t-il, dites-moi les raisons de votre toi; ne voulez-vous
donc pas m’instruire? Ton dessein d’écouter n’est pas sincère, et ce n’est
point pour mériter qu’elle s’ouvre que tu frappes à la porte; tu es plein de
celui qui m’a fait captif, c’est lui qui m’interroge par ta bouche. Il est
astucieux, il est fourbe dans ses questions: il ne cherche point à s’instruire,
mais à reprendre. Je me tais donc et je suspends ma harpe.
11. Mais que dira-t-il encore? «Chantez-nous
vos hymnes, donnez-nous vos concerts, chantez-nous les cantiques de Sion ». Que
répondre? Tu es de Babylone, lui dirons-nous, tu fais partie de Babylone, c’est
Babylone qui te nourrit, Babylone qui parle par ta (146) bouche; tu ne saisis
que le reflet d’un moment, tu ne sais point méditer ce qui est éternel, tu ne
comprends pas même tes questions. « Comment chanter les cantiques du Seigneur
sur la terre étrangère 1? » C’est bien cela, mes frères. Parlez de nos vérités,
quelque peu que vous les connaissiez, et voyez combien de railleries vous devez
essuyer de la part de ces chercheurs de vérités, qui sont pleins de fausseté.
Répondez à ces hommes qui vous demandent ce qu’ils ne peuvent comprendre, et
dites-leur avec la hardiesse de notre saint cantique: « Comment chanter les
cantiques du Seigneur dans la terre étrangère? »
12. Mais, ô peuple de Dieu, ô corps du
Christ, nobles exilés, car vous êtes d’ailleurs, et non d’ici, comprenez que
vous êtes entre leurs mains; et quand ils vous disent: « Chantez-nous vos
hymnes, faites retentir vos concerts, chantez-nous les cantiques de Sion »,
gardez-vous de vous attacher à eux, de rechercher leur amitié, de craindre de
leur déplaire, de trouver du goût à Babylone et d’oublier Jérusalem. Voyez ce
que cette crainte suggère au Prophète, écoutez la suite. Car il a souffert
celui qui a chanté ces paroles, et cet homme, c’est nous si nous voulons; il a
subi toutes ces questions que lui adressaient, de toutes parts, des hommes aux
paroles flatteuses, mais à la critique amère, aux louanges trompeuses, qui
demandent ce qu’ils ne sauraient comprendre, et ne veulent point rejeter ce qui
remplit leur coeur. Or, au milieu de ces foules importunes, le Prophète se
trouvant en péril a relevé bien haut son âme au souvenir de Sion, et a même
voulu s’astreindre par une espèce de serment: « Sainte Jérusalem, si jamais je
t’oublie 2 ». Ainsi dit-il au milieu des discours de ceux qui le retiennent
captif, au milieu des paroles mensongères, des paroles insidieuses de ces
hommes demandant toujours sans vouloir comprendre.
13. De ces hommes était ce riche qui
interrogeait le Sauveur: « Maître, que ferai-je, pour avoir la vie éternelle 4?
» Questionner au sujet de la vie éternelle, n’était-ce point
demander un cantique de Sion? « Observez les
commandements », lui dit le Sauveur. Et ce
fastueux de répondre: « Je les ai tous
accomplis dès mon enfance». Le Seigneur lui
1. Ps. CXXXVI, 4 — 2. Id. 5. — 3. Matth. XIX,
6.
parle donc des cantiques de Sion,bien qu’il
sût qu’il ne comprendrait point; mais il voulait nous donner un exemple des
conseils que plusieurs semblent nous demander, au sujet de la vie éternelle, et
qui nous comblent d’éloges, jusqu’à ce que nous répondions à leurs demandes. A
propos de ce jeune homme, il nous apprend à répondre à ces questionneurs
insidieux: « Comment chanter les cantiques du Seigneur sur la terre étrangère?
» Voici sa réponse: « Voulez-vous être parfait? Allez, vendez ce que vous
possédez, et donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel, puis
venez et suivez-moi ». Afin d’apprendre les cantiques de Sion, qu’il se dégage
de tout empêchement, qu’il marche librement et sans aucun fardeau; alors il
comprendra quelque peu les cantiques de Sien. Ce jeune homme s’en alla triste.
Disons derrière lui: « Comment chanter les cantiques de Sion dans la terre
étrangère? » Il s’en alla, il est vrai, mais le Seigneur ne laissa point les
riches sans espérance. Car les Apôtres disaient: « Qui donc pourra être sauvé?
» Et le Sauveur répondit: « Ce qui est impossible aux hommes est facile à Dieu
». Les riches ont leur règle; ils ont pour eux un cantique en Sion, cantique
dont l’Apôtre a dit: « Ordonnez aux riches de ce monde de n’être point
orgueilleux, de ne point mettre leur confiance « dans les richesses
incertaines, mais dans le Dieu vivant, qui nous donne avec abondance ce qui est
nécessaire à la vie». Précisant ensuite ce qu’ils ont à faire, l’Apôtre enfin
touche de la harpe, et ne la suspend point:
« Qu’ils soient riches en bonnes œuvres »,
dit-il, « qu’ils donnent de bon coeur, qu’ils fassent part de leurs biens,
qu’ils s’amassent un trésor et un fondement solide pour l’avenir, afin
d’embrasser la vie éternelle 1 ». Tel est pour les riches le cantique de Sion,
d’abord de ne point s’enorgueillir. Car les richesses élèvent le coeur, et le
fleuve entraîne ceux qui s’élèvent. Que leur est-il donc recommandé? Avant tout
de ne point s’enorgueillir. Qu’ils évitent dans les richesses l’effet des
richesses mêmes, qu’ils évitent l’orgueil; car c’est le mal que produisent naturellement
les richesses dans les hommes peu défiants. L’or n’est pas mauvais sans doute,
puisque Dieu l’a créé; mais l’avare devient mauvais, quand il délaisse le
Créateur pour
1. I Tim. VI, 17-19.
s’attacher à la créature. Qu’il se prémunisse
dès lors contre l’orgueil, et s’assoie sur le fleuve de Babylone. Car lui
recommander de ne point s’enorgueillir, c’est lui dire de s’asseoir. Qu’il ne
se confie point dans les richesses qui sont incertaines, et qu’il se tienne
assis sur les fleuves de Babylone. Mettre sa confiance en des biens
inconstants, c’est se laisser entraîner par le fleuve; mais s’humilier, éviter
l’orgueil, se délier des richesses incertaines, c’est se tenir assis sur le
fleuve de Babylone et soupirer vers la Jérusalem éternelle au souvenir de Sion,
et, pour parvenir à Sion, donner son bien aux pauvres. Tel est pour les riches
le cantique qui leur vient de Sion. Qu’ils travaillent dès lors, qu’ils
touchent la harpe, et sans perdre un instant, quand ils rencontreront un homme
qui leur dira: Que fais-tu? c’est perdre tes biens que faire autant d’aumônes:
amasse pour tes enfants. Quand, dis-je, ils rencontreront de ces hommes
incapables de comprendre nos oeuvres, et qu’ils trouveront en eux le saule
stérile, qu’ils ne s’arrêtent pas à rendre raison de leurs oeuvres, à les faire
connaître, qu’ils suspendent leurs harpes aux saules de Babylone. Mais en
dehors de ces saules, qu’ils chantent, qu’ils travaillent sans relâche. Ce
n’est point perdre que faire l’aumône. Confié à ton esclave, ton dépôt serait
en sûreté; confié au Christ, sera-t-il en
péril?
14. Vous venez d’entendre le cantique de Sion
pour les riches, écoutez celui des pauvres, C’est toujours saint Paul qui
parle: «Nous n’avons rien apporté en ce monde, et sans aucun doute nous n’en
pouvons rien emporter; ayant de quoi vivre, de quoi nous vêtir, nous devons
être contents. Quant à ceux qui veulent s’enrichir, ils tombent dans la
tentation et en des désirs sans nombre, insensés et nuisibles, qui plongent
l’homme dans la mort et dans la perdition 1», Voilà les fleuves de Babylone.
«Or, l’avarice est la racine de tous les maux; quelques-uns de ceux qui en sont
possédés, se sont égarés de la foi, et se sont jetés dans de grandes douleurs 2
».Ces deux hymnes sont-ils donc en contradiction? Voyez ce que l’on dit aux
riches, « de ne point s’enfler d’orgueil, ni se confier dans les richesses qui
sont incertaines 3 », de faire des bonnes oeuvres, des aumônes, de s’amasser
pour l’avenir un trésor et un fondement
1. I
Tim. VI, 7-9. — 2. Id 10. — 3. Id. 17, 19.
solide. Aux pauvres, qu’est-il dit? « Ceux
qui veulent s’enrichir, tombent dans la tentation ». On ne dit point: Ceux qui
sont riches; mais « ceux qui veulent s’enrichir ». Autrement, s’ils étaient
déjà riches, l’autre cantique serait pour eux. On dit aux riches de donner, aux
pauvres de ne point désirer.
15. Mais quand vous vous trouvez avec ces
hommes qui ne comprennent point les cantiques de Sion, suspendez, vous ai-je
dit, vos harpes aux saules du rivage: différez ce que vous devez dire. Ces
arbres peuvent cesser d’être stériles, changer de nature et porter de bons
fruits: c’est alors que nous pourrons chanter et qu’ils nous comprendront. Mais
avec ceux qui contredisent toutes nos paroles, qui font des questions
insidieuses, et s’obstinent contre les vérités qu’ils entendent, ne cherchez
jamais à leur plaire, craignez d’oublier Jérusalem; que cette Jérusalem de la
terre n’ayant qu’une même âme, parce que la paix du Christ a réuni toutes les
âmes en une seule, que cette captive s’écrie: « Si jamais je t’oublie, ô sainte
Jérusalem, que ma main droite s’oublie elle-même 1». Quelle imprécation, mes
frères! « Que ma main droite s’oublie elle-même ». Quel effroyable serment!
Notre main droite, c’est la vie éternelle; notre gauche, la vie d’ici-bas,
Toute oeuvre pour la vie éternelle est l’oeuvre de la droite. Si, dans tes
actions, au désir de la vie éternelle se trouve mêlé quelque amour de la vie
temporelle, ou d’une louange humaine, ou de quelque avantage mondain, ta main
gauche connaît alors ce que fait ta main droite. Or, vous connaissez le
précepte de l’Evangile: « Que votre main gauche ignore ce que fait votre main
droite 2. Si donc je t’oublie, ô Jérusalem, que ma main droite s’oublie
elle-même ». Et c’est ce qui est arrivé; la parole du Prophète est plus une
prédiction qu’un souhait. Car, à tout homme qui oublie Jérusalem, il arrive que
sa droite elle-même s’oublie. Car la vie éternelle subsiste en- elle-même; pour
eux, ils demeurent dans les plaisirs du temps, et se font une droite de ce qui
est la gauche.
16. Soyez attentifs à mes paroles, mes
frères, et je veux vous parler autant que Dieu m’en fera la grâce pour le salut
de tous. Il vous souvient peut-être que je vous ai entretenus de certains
hommes, qui se font une
1. Ps. CXXXVI, 5. — 2. Matth. VI, 3.
droite de ce qui est la gauche; c’est-à-dire
qui donnent la préférence aux biens temporels, qui y placent leur bonheur, dans
leur ignorance du vrai bonheur, de la véritable droite 1. L’Ecriture les nomme
étrangers, comme n’appartenant pas à Jérusalem, mais à Babylone: c’est d’eux
qu’il est dit en quelque endroit des psaumes: « Délivrez-moi, Seigneur, de la
main des enfants étrangers, dont la bouche dit le mensonge, et dont la droite
est une droite d’injustice». Et le Psalmiste continue en disant: « Leurs fils
sont comme de nouveaux plants d’oliviers; leurs filles sont parées comme des
temples; leurs celliers sont pleins, s’épanchant de l’un dans l’autre; leurs
brebis sont fécondes, et s’en vont en foule de l’étable; leurs vaches sont
grasses, leurs clôtures ne sont point en ruine, et nul bruit sur leurs places
publiques2 ». Jouir de ce bonheur, est-ce donc être coupable?Non, sans doute;
mais d’en faire la droite, Puisque telle est la gauche. Aussi, que dit le
Prophète? « Ils ont appelé heureux le peuple qui possède ces biens ». Or, c’est
parce qu’ils l’ont proclamé heureux que leur bouche a dit des vanités. Mais
toi, ô Prophète, tu es citoyen de Jérusalem, puisque tu n’oublies pas
Jérusalem, de peur que ta droite ne s’oublie; voilà que ces hommes ont dit la
vanité en chantant le bonheur d’un peuple qui possède ces richesses: pour toi,
chante-nous les hymnes de Sion. « Bienheureux », nous dit-il, « le peuple dont
le Seigneur est le Dieu 3 ». Sondez vos coeurs, mes frères, voyez si vous avez
soif des biens de Dieu, si vous soupirez après la cité de Dieu, la sainte
Jérusalem, si vous désirez la vie éternelle. Que tout bonheur terrestre soit la
gauche pour vous, et qu’il soit votre droite, celui que vous posséderez
toujours. Si vous avez la gauche, n’y mettez point votre confiance; ne
reprenez-vous pas ceux qui veulent manger de la gauche? Si vous croyez votre
table déshonorée, parce qu’on y mange de la sorte, quelle injure n’est-ce point
pour celle du Seigneur, que prendre pour la gauche ce qui est la droite, et pour
la droite ce qui est la gauche? Que faire alors? « O Jérusalem, si jamais je
t’oublie, que ma main droite s’oublie elle-même ».
17. « Que ma langue s’attache à mon palais,
1. Voir discours sur le Ps. CXX, n. 8. — 2. Ps. CXLIII, 7, 8. — 3. Id. 15.
si je ne me souviens de toi 1 ».
C’est-à-dire, que je demeure muet si ton souvenir s’efface de ma mémoire. Que
dire, en effet; de quoi parler, si l’on ne parle des cantiques de Sion? Notre
langue est elle-même le cantique de Jérusalem. Chanter notre amour pour ce bas
monde, c’est une langue étrangère, une langue barbare, et que nous avons
apprise dans notre captivité. Il sera donc muet pour Dieu, celui qui aura
oublié Jérusalem. Mais c’est peu de s’en souvenir; ils s’en souviennent aussi,
ses ennemis qui la veulent détruire. Quelle est, disent-ils, cette cité? Quels
sont ces chrétiens? Quelle est leur vie? Encore s’ils n’étaient plus! Voilà que
la nation captive a vaincu ceux qui la tenaient en captivité, et toutefois ils
murmurent, ils frémissent, ils veulent détruire la cité sainte étrangère parmi
eux, comme autrefois Pharaon voulut détruire le peuple de Dieu, quand il
faisait mettre à mort tout enfant mâle, et ne réservait que les filles: il
étouffait la force et nourrissait la convoitise. C’est donc peu de s’en
souvenir, vois quel souvenir tu en as. Il est des souvenirs de haine et des
souvenirs d’amour. Aussi après avoir dit: « Si jamais je t’oublie, ô sainte
Jérusalem, que ma main droite s’oublie elle-même. Que ma langue s’attache à mon
palais, situ ne vis dans ma mémoire », le Prophète ajoute: « Si Jérusalem n’est
pas toujours la première de mes joies ». Car, la joie suprême pour nous, c’est
de jouir de Dieu, c’est de goûter en toute sécurité le bonheur d’une société
paisible, et de l’union fraternelle. Là, nulle tentation violente, nul attrait
dangereux ne pourra nous atteindre, le bien seul aura pour nous des charmes.
Toute nécessité disparaîtra et fera place au bonheur suprême. « Si Jérusalem
n’est point la première de mes joies».
18 Le Prophète en appelle au Seigneur, contre
les ennemis de la cité: « Souvenez-vous, Seigneur, des fils d’Edom 2». Or, Edom
est ici le même qu’Esaü, et vous avez entendu tout à l’heure à la lecture de
l’Apôtre: « J’ai aimé Jacob, et haï Esaü 3 ». C’étaient deux frères dans un
même sein, deux jumeaux dans les entrailles de Rébecca, deux fils d’Isaac,
petits-fils d’Abraham. Néanmoins ils naquirent, l’un pour être admis à
l’héritage, l’autre pour en être exclu. Or, cet
1. Ps. CXXXVI, 6. — 2. Id. 7. — 3. Gen. XXV,
30.
Esaü fut l’ennemi de son frère, parce que ce
frère qui était le plus jeune lui ravit la bénédiction paternelle, et qu’ainsi
s’accomplit cet oracle: « L’aîné servira le plus jeune 1». Or, nous commençons
à comprendre quel est l’aîné, quel est le plus jeune, et quel est cet aîné
assujetti au plus jeune. Le peuple juif paraissait l’aîné, et le peuple
chrétien le plus jeune selon le temps. Et voyez comme l’aîné est assujetti au
plus jeune. Ils sont les colporteurs de nos livres, car c’est de leurs livres
que nous vient la vie. Mais pour donner à ces qualifications d’aîné et de plus
jeune tin sens plus général, l’aîné, c’est l’homme charnel, et le plus jeune,
l’homme spirituel; car l’homme charnel est le premier, l’homme spirituel vient
ensuite. C’est l’Apôtre qui nous le dit clairement: « Le premier homme est
l’homme terrestre formé de la terre; le second est l’homme céleste qui vient du
ciel: comme le premier est terrestre, ses enfants sont terrestres, et comme le
second est céleste, ses enfants sont célestes. Comme donc nous avons porté
l’image de l’homme e terrestre, portons aussi l’image de l’homme céleste». Un
peu auparavant havait dit: « Ce n’est point le corps spirituel qui a été formé
le premier; c’est le corps animal, et ensuite le spirituel 2». L’expression
animal a le même sens que charnel. A sa naissance l’homme est d’abord animal,
homme charnel. S’il sort de la captivité de Babylone, pour retourner à
Jérusalem, il est renouvelé, il se fait en lui une régénération selon l’homme
nouveau et intérieur; il est le plus jeune par le temps, et l’aîné par la
puissance. Esaü est donc le type de tous les hommes charnels, et Jacob le type
de tous les hommes spirituels; ces derniers sont élus, les premiers sont
réprouvés. L’aîné veut-il être élu? qu’il devienne le plus jeune. Il est appelé
Edom, à cause de ce mets de lentilles qui est roux, c’est-à-dire, qui a une
couleur rougeâtre. Ces lentilles étaient cuites et préparées, Esaü les demanda
à Jacob son frère, il poussa l’envie de manger ces lentilles jusqu’à céder son
droit d’aînesse, dignité que son frère acquit en échange du mets si convoité;
et, par cette convention, l’un devenant le plus jeune l’autre l’aîné, cet aîné
fut assujetti au plus jeune, et fut surnommé Edom 3. Or,
selon le
1.
Rom. IX, 13; Gen. XXV, 23. — 2. I Cor. XV, 46-49 — 3. Gen. XXV, 29-31; XXVII,
36, 87.
témoignage des hommes instruits dans cette
langue, Edom veut dire sang, signification qu’il a aussi dans notre langue
punique. Ne vous en étonnez point, c’est au sang qu’appartiennent toutes les
personnes charnelles. « Or, ni la chair ni le sang ne posséderont le royaume de
Dieu 1 ». Edom n’a aucune part à ce royaume, tandis qu’il est le partage de
Jacob, qui se priva d’un mets charnel, pour un honneur spirituel. Mais il eut
pour ennemi Esaü, car tous les hommes charnels sont ennemis des hommes
spirituels: quiconque ne recherche que le présent, persécute ceux qu’il voit
occupés des biens éternels. Or, que dit contre ces hommes le Prophète qui ne
perd point de vue Jérusalem, et qui demande à Dieu d’être délivré de sa
captivité? « Souvenez-vous, Seigneur, des fils d’Edom ». Délivrez-nous des
hommes charnels, qui suivent cet Edom, qui sont nos frères aînés, mais qui sont
aussi nos ennemis. Ils sont nés les premiers, mais ceux qui sont nés ensuite
les ont devancés; car la convoitise charnelle a humilié les uns, et le mépris
de cette convoitise élève les autres. Ils vivent, mais pour nous porter envie
et nous persécuter.
19. « Souvenez-vous, Seigneur, des enfants
d’Edom au jour de Jérusalem ». Ce jour de Jérusalem est-il bien le jour de la
douleur, le jour de la captivité pour Jérusalem, ou le jour de son bonheur, le
jour de sa délivrance, le terme de sa course qui sera l’éternité? « Seigneur »,
dit le Prophète, « n’oubliez pas les enfants d’Edom ». Desquels? « De ceux qui
disent: Détruisez, détruisez Jérusalem jusqu’en ses fondements ». Donc,
souvenez-vous du jour où ils voulaient détruire Jérusalem. Combien de
persécutions 1’Eglise n’a-t-elle pas endurées? Avec quelle fureur les fils
d’Edom, ou les hommes charnels, soumis au diable et à ses anges, qui adorent
les pierres et le bois, qui obéissent aux convoitises de la chair, avec quelle
fureur ne criaient-ils point Mort aux chrétiens, mort aux chrétiens: que pas un
seul n’échappe détruisez jusqu’aux fondements? N’est-ce point là leur cri? Et,
dans ce langage atroce, les persécuteurs n’ont-ils pas été rejetés de Dieu, et
les martyrs couronnés? «Détruisez », disent-ils, « détruisez jusqu’aux
fondements». Ainsi disent les enfants d’Edom: « Détruisez,
1. I Cor. XV, 50.
détruisez », et Dieu crie à son tour: « Soyez
assujettis 1 ». Laquelle de ces paroles sera victorieuse, sinon la parole de
Dieu qui a dit: « L’aîné sera assujetti au plus jeune 2? Détruisez, détruisez
jusqu’en ses fondements».
20. Puis s’adressant à Babylone: « O fille de
Babylone», s’écrie le Prophète, «malheur à toi 3 ». Malheur à toi dans ton
allégresse, malheur dans ta confiance, malheur dans tes inimitiés. «Malheur à
toi, fille de Babylone ». Cette même cité est nommée Babylone et fille de
Babylone; comme on dit Jérusalem et fille de Jérusalem, Sion et fille de Sion,
l’Eglise et la fille de l’Eglise. Le nom de fille s’entend de la succession, le
nom de mère désigne sa supériorité. Tout d’abord il y eut une ville de
Babylone; mais des habitants ont-ils subsisté jusqu’aujourd’hui? Par la
succession des temps elle est devenue fille de Babylone. « Malheur à toi donc,
ô fille de Babylone, bienheureux celui qui te rendra les maux que tu nous a
faits 4». Malheur à toi, honneur à lui.
24. Qu’as-tu fait, et que faut-il te rendre?
Ecoute bien. « Heureux celui qui te rendra tous les maux que tu nous a faits ».
De quels maux veut-il parler? C’est là ce qui termine le psaume: « Bienheureux
celui qui saisira tes enfants et les brisera contre la pierre 5 ». Tel est son
malheur, et bienheureux celui qui la traitera comme elle nous a traités. Or, si
nous cherchions quel est ce traitement: « Bienheureux », dit le Prophète, «
celui qui saisira tes enfants et les brisera contre la muraille ». Tel est ce
traitement. Que nous a fait cette Babylone? Nous l’avons chanté dans un autre
psaume: « Les paroles des méchants ont prévalu contre nous 6». A notre
naissance, Babylone ou la confusion du siècle nous a enveloppés, et dans notre
enfance nous a en quelque sorte suffoqués dans ses erreurs si diverses et si
multipliées. Voilà un nouveau-né qui sera un jour citoyen de la Jérusalem d’en
haut, qui l’est déjà par la prédestination de Dieu, mais qui est encore pour un
temps dans la captivité. Comment saura-t-il aimer, sinon ce que lui inspirent
son père et sa mère? Or, les voilà qui l’instruisent, qui le forment à
l’avarice, à la rapine, aux mensonges de chaque jour, à l’idolâtrie et au culte
des démons, aux coupables pratiques
1.
Gen. XXV, 23.— 2. Rom. IX, 13. — 3. Ps. CXXXVI, 8. — 4. Id. 9. — 5. Ibid.— 6. Id.
LXIV, 4.
des enchantements et des ligatures. Que fera
cet enfant, dans un âge si tendre, qui n’a des yeux que pour voir ce que font
ses aînés; que peut-il faire, sinon de suivre leur exemple? C’est donc ainsi
que Babylone nous a persécutés dans notre enfance: mais, à mesure que nous
avons grandi, Dieu nous a fait la grâce de le connaître et de nous détourner
des errements de nos pères. C’est la prédiction que je vous ai signalée dans
l’explication du même psaume 1: « Les nations viendront à vous des extrémités
de la terre et diront: Véritablement nos pères ont adoré le mensonge et la
vanité qui ne leur ont servi de rien 2 ». C’est le langage que tiennent des
hommes dans leur force: on les avait mis à mort dans leur jeune âge, en leur faisant
suivre ces vanités; qu’ils repoussent bien loin ces vanités, qu’ils reprennent
une vie nouvelle en Dieu, en s’avançant dans la vertu et se vengeant de
Babylone. Or, que peuvent-ils lui rendre? Ce qu’elle nous a fait. Que ses
enfants soient étouffés: ou plutôt, qu’on les brise contre la muraille et
qu’ils meurent. Mais quels sont ces enfants de Babylone? Les convoitises
coupables qui naissent en nous. Il en est qui ont à livrer de rudes combats
contre leurs passions invétérées. Qu’une passion vienne à poindre dans ton
coeur, avant qu’elle ne se fortifie contre toi par l’habitude, quand ce n’est
qu’une passion nouvellement formée, ne lui laisse pas le temps de grandir par
l’habitude, mais étouffe-la dès sa naissance. Et si tu crains qu’elle ne meure
pas même en l’étouffant, brise-la contre la pierre. « Or, cette pierre c’est le
Christ 3 ».
22. Que vos harpes, mes frères, ne cessent de retentir par vos bonnes
oeuvres; chantez-vous mutuellement les cantiques de Sion. Autant vous aimez
d’écouter, autant il faut aimer de pratiquer; si vous ne voulez être à
Babylone, abreuvés de l’eau de ses fleuves, mais ne rapportant aucun fruit.
Mais soupirez après la Jérusalem éternelle: c’est là que l’espérance nous a
devancés, que nos oeuvres nous y suivent; c’est là que nous serons avec le
Christ. Maintenant notre chef c’est le Christ, lui qui nous gouverne d’en haut:
c’est dans cette cité bienheureuse que nous jouirons de ses embrassements, et
que nous serons égaux avec les anges. C’est là ce que de nous-mêmes
1. Voir discours sur le Ps. LXIV, n. 6. — 2. Jérém. XVI, 19. — 3. I Cor. X, 4.
nous n’oserions même soupçonner sans les
promesses de l’infaillible vérité. Portez donc là vos désirs, mes frères, que
ce soit jour et nuit l’objet de vos pensées. Quelque bonheur qui vous sourie
dans le monde, ne vous en élevez point; ne raisonnez point avec vos
convoitises. Votre ennemi est-il grand? tuez-le contre la pierre; est-il petit?
brisez-le contre la pierre; grands ou petits, tuez-les, brisez-les contre la
pierre. Que la pierre triomphe; bâtissez sur la pierre, si vous ne voulez être
emportés ou par le fleuve, ou par l’ouragan, ou par les pluies. Afin de vous
armer contre les séductions du monde, faites croître et grandir dans vos coeurs
le désir de la Jérusalem éternelle. A la captivité qui passera, succédera le
bonheur, le dernier ennemi sera vaincu, et, affranchis de la mort, nous
triompherons avec notre roi.
SERMON AU PEUPLE EN LÀ FÊTE DE SAINTE CRISPINE.
Le psaume est une confession, non des péchés, mais des louanges, comme celle de Jésus-Christ dans l’Evangile; et confesser Dieu de tout son coeur, c’est lui offrir un holocauste de louanges, ou le sacrifice parfait, qui est le chant avec les anges, ou du ce bonheur spirituel que l’on peut goûter ici-bas, même au milieu des tourments, qui est offert à Dieu dans son temple ou dans l’âme, et dans les biens qu’il nous a procurés. Nous confesserons la miséricorde qui prend le pécheur en pitié, et nous incline vers les pauvres, et la vérité par laquelle Dieu accomplit ses promesses, et que nous devons exercer dans nos jugements. Dieu a glorifié son saint nom en choisissant la race d’Abraham, d’où est issu le Christ qui a envoyé les apôtres prêcher l’Evangile. Hâtez-vous de m’exaucer, dit le Prophète qui sait ce qu’il doit demander à Dieu, qui demande, comme Crispine, les biens éternels. Il demande en effet la multiplication, non de la famille, ni des richesses, mais de son âme. Les vices sont dans l’âme, et le Prophète veut être multiplié en vertu. — Rois de la terre, confessez Dieu: c’est ce qu’ils font chaque jour; qu’ils s’humilient parce qu’ils ont entendu les oracles des Ecritures, aujourd’hui prêchées sur toute la terre, comme le figurait à Gédéon l’aire trempée de rosée. Qu’ils chantent, non leur gloire, mais celle de Dieu; qu’ils soient humbles, parce que Dieu regarde favorablement les humbles, et ne voit les orgueilleux que de loin ou en s’éloignant d’eux. Marcher dans la tribulation, c’est marcher en cette vie qui est pleine de tribulations, et la vie éternelle est au prix de notre patience. La main de Dieu ou bien s’appesantit sur nous à cause du péché, ou bien nous venge de ceux qui nous insultaient et dont plusieurs ont embrassé la foi; sa droite nous sauve, parce que sa droite est la place des bonnes oeuvres, tandis que la gauche est celle des biens d’ici-bas que Dieu n’accorde pas toujours à ses élus. Seigneur, vous rendrez pour moi, c’est-à-dire vous me vengerez de mes ennemis, ou vous payerez ma dette envers le Seigneur, car le Christ qui ne devait rien à payé pour nous. La miséricorde du Seigneur est pour l’éternité et non pour un temps: puisse-t-il ne pas mépriser l’ouvrage de ses mains!
1. Le titre de notre psaume est court et simple: il ne nous arrêtera point, car nous connaissons celui que figurait David, et même nous nous reconnaissons en lui, puisque nous sommes les membres de son corps. Reconnaissons donc ici la voix de l’Eglise et réjouissons-nous d’être les enfants de celle que nous avons entendu chanter. Tout le titre du psaume est dans ces mots: « A David lui-même ». Voyons ce qui est dit à David.
2. « Je vous confesserai, Seigneur, dans toute l’effusion de mon âme 1». Le titre d’un psaume nous en indique ordinairement le sens intime: mais ici, comme il se borne à nous dire que c’est un chant pour David, c’est le premier verset qui nous indique le sujet de tout le psaume. « Je vous confesserai, Seigneur, dans toute l’effusion de mon âme ». Ecoutons donc cette confession. Mais auparavant je vous rappelle que dans les saintes Ecritures, cette expression, confesser au Seigneur, s’entend de deux manières, d’une confession des péchés, et d’une confession de louanges. Chacun connaît la confession des péchés, mais il en est peu pour connaître la confession de louanges. La première est tellement connue que quand nous rencontrons
1.
Ps. CXXXVII, 1.
dans les Ecritures ces paroles: « Je vous confesserai, Seigneur», ou « nous vous confesserons », la coutume de l’entendre ainsi fait que nos mains cherchent à frapper nos poitrines, tant les hommes sont habitués àne voir dans la confession que celle des péchés. Mais Notre Seigneur Jésus-Christ était- il un pécheur, lui qui dit dans l’Evangile: « Je vous confesse, ô mon Père, Seigneur du ciel et de la terre?» La suite nous montre ce qu’il confessera; et nous indique une confession de louanges, et non l’aveu des péchés. « Je vous confesse», dit-il, «ô mon Père, Dieu du ciel et de la terre, parce que vous avez dérobé ces choses aux sages et aux prudents, pour les révéler aux petits 1». Il a donc loué son Père, il a loué Dieu, qui ne méprise point les humbles, mais les superbes; et la confession que nous allons entendre dans notre psaume est une confession de louanges et d’actions de grâces. « Seigneur », dit-il, «je vous confesserai de tout mon coeur ». C’est donc mon coeur tout entier que je mets sur l’autel de votre confession, c’est un holocauste de louanges que je viens vous offrir. Car on appelle holocauste ce sacrifice où tout est consumé; puisque olon, en grec, se traduit en latin par totum, tout entier. Or, vois comment il offre un holocauste spirituel celui qui dit: « Seigneur, je vous confesserai de tout mon coeur». Oui, que la flamme de votre amour embrase entièrement mon coeur; que rien de ce qui est à moi ne m’appartienne plus, ni ne me fasse replier sur moi-même; que tous mes désirs soient pour vous, toute mon ardeur pour vous, tout mon amour pour vous, que je sois embrasé de vous-même. « Seigneur, je vous confesserai de tout mon coeur, parce que vous avez entendu les paroles de ma bouche ». De quelle bouche, sinon de la bouche de mon coeur? Nos coeurs aussi ont une voix que Dieu entend, bien qu’elle n’arrive pas à l’oreille de l’homme. Ils criaient sans doute, les accusateurs de Suzanne, mais ils ne levaient pas les yeux au ciel: tandis que Suzanne silencieuse criait de tout son coeur. De là vient qu’elle mérita d’être exaucée, eux d’être châtiés 2. Nous avons donc une bouche intérieure; c’est là que nous prions, et de là encore que nous prions. Et si nous avons préparé à Dieu un logis, une demeure, c’est là que nous lui parlons, là
1.
Matth. XI, 23. — 2. Dan. XIII, 34.
que nous sommes exaucés: car il n’est pas éloigné de chacun de nous: « c’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être 1 ». Il n’y a que le péché qui nous éloigne de Dieu. Renverse la muraille du péché qui s’élève entre toi et Dieu, et tu seras avec celui que tu implores. « Vous avez entendu les paroles de ma bouche», dit le Prophète, «et je vous confesserai ».
3. « Je vous chanterai des hymnes en présence des anges ». Ce n’est point en présence des hommes, c’est en présence des anges que je vous chanterai des hymnes. Mon psaltérion, c’est ma joie. La joie qui nie vient des choses d’ici-bas est avec les hommes, celle qui me vient des choses d’en-haut est avec les anges. Car l’impie ne connaît point la joie du juste. «Il n’y a point, en effet, de joie pour l’impie, a dit le Seigneur 2 ». L’impie trouve sa joie dans la taverne, le martyr dans sa chaîne. Quelle n’était pas la joie de cette Crispine dont nous célébrons aujourd’hui la fête? Sa joie était d’être livrée aux persécuteurs, d’être traînée devant les tribunaux, d’être enfermée dans les cachots, d’être exposée avec ses chaînes, d’être élevée sur le chevalet, d’être écoutée, d’être condamnée: tout cela lui donnait de la joie, et quand ces misérables croyaient à sa misère, elle était dans la joie aux yeux des anges.
4. « Je vous adorerai dans votre saint temple 3 ». Quel est ce saint temple? Celui où nous devons habiter, où flous devons adorer. Car nous courons pour adorer Dieu. Notre coeur gonflé veut enfanter, et cherche où il pourra le faire. Or, quel est ce lieu où il faut adorer Dieu? Quel est ce monde? Quel est cet édifice? Quel est son trône dans le ciel, au milieu des étoiles? Nous le cherchons dans les saintes Ecritures et nous le trouvons dans la Sagesse: « Pour moi», dit-elle, « j’étais avec lui, et chaque jour je faisais ses délices ». Puis elle chante les oeuvres de Dieu et nous indique son trône. Quel est-il? « Quand Dieu », dit-elle, « affermissait les nuées en haut, quand il établissait son trône au-dessus des vents 4 ». Mais son trône est aussi son temple. Où donc irons-nous? Est-ce pardessus les vents qu’il nous faudra l’adorer? S’il faut l’adorer par-dessus les vents, les oiseaux l’emportent sur nous. Mais si nous
1.
Act. XVII, 27, 28.— 2. Isa. XLVIII, 22; LVII, 21.— 3. Ps. CXXXVII, 2.
— 4. Prov. VIII, 27-30.
appelons âmes les mêmes vents, c’est-à-dire, si les vents sont une figure symbolique des âmes, selon cette expression d’un autre psaume: « Il a volé sur les ailes des vents 1 »c’est-à-dire sur les vertus des âmes, ce qui fait qu’un souffle de Dieu prend le nom de vent ou d’âme; non point qu’il nous faille entendre par là ce vent qui pousse notre corps et qui est sensible, mais quelque chose d’invisible qui échappe à la perspicacité de nos yeux, à la sensibilité de nos oreilles, au discernement de l’odorat, à la perception du goût, au toucher des mains: mais une certaine vie, qui nous anime et que l’on appelle âme; si, dis-je, nous entendons ainsi les vents, il n’est pas nécessaire de chercher des ailes visibles, pour voler avec les oiseaux et adorer Dieu dans son temple; mais nous trouverons que Dieu est assis au-dessus de nous-mêmes, si nous voulons lui être fidèles. Voyez si tel n’est point le sens de ces paroles de l’Apôtre: « Le temple de Dieu est saint et vous êtes ce temple 2 ». Il est certain néanmoins, il est évitent que Dieu habite dans les anges. Donc lorsque dans la joie qui nous vient des biens spirituels, et non des biens terrestres, nous chantons des hymnes à Dieu en présence des anges, cette congrégation des anges devient le temple de Dieu, et nous adorons le Seigneur dans son temple. Quant à l’Eglise de Dieu, elle est sur la terre et dans le ciel; l’Eglise de la terre se compose de tous les fidèles, l’Eglise du ciel de tous les anges. Mais le Seigneur des anges est descendu vers l’Eglise d’ici-bas, et ses anges le servaient, lui qui était venu pour nous servir 3. «Car», nous dit-il, «ce n’est point pour être servi, mais pour servir, que je suis venu 4 ». Que nous a-t-il servi, sinon ce qui fait aujourd’hui notre nourriture et notre breuvage? Si donc le Maître des anges a bien voulu nous servir, ne désespérons pas d’être un jour les égaux des anges. Celui qui est plus grand que les anges s’est donc abaissé jusqu’à l’homme, le Créateur des anges s’est revêtu de l’homme, le Maître des anges est mort pour l’homme. « Je vous adorerai dans votre saint temple »: c’est-à-dire, dans ce temple qui n’est pas fait de la main des hommes 5, mais que vous avez fait.
5. « Je confesserai votre nom dans votre
1.
Ps. XVII, 11. — 2. I Cor. III, 17. — 3. Matth. IV, 11. — 4. Id. XX, 28. — 5.
Act. XVII, 24.
miséricorde et votre vérité ». Tels sont les deux attributs que nous voulons chanter, comme il est dit dans un autre psaume « Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité 1 ». Tels sont, ô mon Dieu, les deux attributs que nous confessons. Votre miséricorde et votre vérité; c’est par la miséricorde que vous jetez sur le pécheur un regard favorable, et par la vérité que vous tenez à vos promesses. « Je vous confesserai dans votre miséricorde et dans votre vérité ». Et c’est là ce que je veux vous rendre selon les forces que je tiens de vous, en exerçant la miséricorde et la vérité; la miséricorde par l’aumône, la vérité dans mes jugements. C’est en cela que Dieu nous aide, en cela que nous méritons Dieu; et dès lors, toutes les voies du Seigneur sont la miséricorde et la vérité; il ne vient à nous par aucune autre voie, et nous n’avons aucune autre voie pour aller à lui.
6. « Car vous avez glorifié par-dessus tout votre saint nom ». Que signifie cette louange, mes frères? Dieu glorifia son saint nom sur Abraham: « Car Abraham crut en Dieu, et sa foi lui fut imputée à justice 2». Les autres nations sacrifiaient aux idoles, et servaient les démons. D’Abraham naquit Isaac, et Dieu fut glorifié en cette maison vint ensuite Jacob, et Dieu fut encore glorifié, et il nous dit: « Je suis le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob 3 ». De là naquirent les douze patriarches et le peuple d’Israël que Dieu délivra de l’Egypte, le conduisant à travers la mer Rouge, l’exerçant dans le désert, l’établissant dans la terre promise après en avoir chassé les nations. Le nom du Seigneur fut donc glorifié en Israël. C’est de ce peuple encore que sortit la Vierge Marie; de là le Christ notre Seigneur, qui est mort pour nos péchés, qui est ressuscité pour notre justification 4, remplissant les fidèles du Saint-Esprit, et les envoyant prêcher à tous les peuples: « Faites pénitence, car le royaume des u cieux approche 5 ». C’est ainsi que Dieu glorifie son nom sur toutes choses.
7. « Au jour où je vous invoquerai, hâtez-vous de m’exaucer 6 ». Pourquoi « hâtez-vous?» C’est que vous-même l’avez dit: « Tu parleras encore, quand je dirai: Me voici 7 ».
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Ps. XXIV, 10. — 2. Gen. XV, 6; Rom.
IV, 3.— 3. Exod. III, 6. — 4. Rom. IV, 25. — 5. Matth. III, 2. — 6. Ps. CXXXVII, 3. — 7. Isa. LVIII, 9.
Pourquoi « hâtez-vous?» Parce que je ne demande plus une félicité terrestre; mais le nouveau Testament m’apprend à former de saints désirs. Je ne demande ni la terre, ni une fécondité charnelle, ni la santé passagère, ni l’humiliation de mes ennemis, ni les richesses, ni les honneurs; je ne veux rien de cela: « hâtez-vous donc de me secourir. » Donnez-moi ce que je demande, puisque vous m’avez appris ce que je dois demander. Disons au Prophète: Est-ce là ce que vous demandez? Ecoutons à notre tour, qu’il dise de quoi son coeur est gros, et voyons ce qu’il demande apprenons de lui à demander, pour mériter de recevoir. Tu es venu à l’église aujourd’hui faire je ne sais quelle demande; de bonne foi, qu’es-tu venu demander? Tu avais dans le coeur je ne sais quel désir: puisse-t-il être innocent, bien que charnel ! Mais arrière ce qui est injuste, arrière ce qui est charnel! Apprends ce qu’il faut demander, ce que tu célèbres aujourd’hui. Tu célèbres la mémoire d’une sainte et bienheureuse femme, et tu aspires peut-être à une félicité terrestre. Embrasée du désir de la sainteté, elle renonça au bonheur qu’elle avait ici-bas: elle abandonna ses enfants qui pleuraient leur mère et l’accusaient de cruauté, parce que, dans son impatience de recevoir la couronne céleste, elle s’était dépouillée en quelque sorte de toute pitié humaine. Or, ne savait-elle point ce qu’elle désirait, ce qu’elle foulait aux pieds? Loin de là, elle savait chanter devant les anges de Dieu, aspirer à leur société, à leur amitié chaste et pure, où elle ne connaîtrait plus la mort, mais le juge qui ne saurait être surpris par aucun mensonge. Une telle vie est-elle donc dénuée de tout bien? Au contraire, c’est là qu’est le seul bien, le bien qui n’est mélangé d’aucun mal, dont on jouit en toute sécurité, avec une entière avidité, sans que nul nous dise: Modérez-vous. Ici-bas il est fâcheux, il est même très-dangereux de nous réjouir de nos biens terrestres, de peur que cette complaisance ne devienne de l’attachement, que cette joie immodérée ne soit notre perte. Pourquoi, en effet, Dieu prend-il soin de mêler aux joies de cette vie quelques tribulations, sinon afin que ces tribulations et ces amertumes nous apprennent à n’aspirer qu’aux délices éternelles?
8. Voyons donc ce que demande le Prophète, ce qui lui fait dire avec raison: « Hâtez-vous de m’exaucer ». Que demandez-vous, ô Prophète, pour que Dieu vous exauce promptement? « Vous me multiplierez ». Cette multiplication peut s’entendre en bien des sens. Il y a multiplication dans la génération terrestre, selon cette première bénédiction donnée à notre nature, et que nous avons entendue: « Croissez et multipliez, emplissez la terre, et soumettez-la 1». Est-ce bien cette multiplication que voulait David quand il disait: «Hâtez-vous de m’exaucer? » Il est vrai que cette multiplication a son avantage, et ne vient que de la bénédiction du Seigneur. Que dirai-je des autres sens de multiplier? Chez l’un, c’est l’or qui se multiplie; chez l’autre, c’est l’argent; ici c’est le bétail, et là c’est la famille; celui-ci voit ses terres se multiplier, celui-là tous ces biens à la fois. Il est plusieurs manières de se multiplier sur la terre; la plus heureuse est de voir ses enfants se multiplier: et toutefois, pour l’homme avare, cette fécondité même devient incommode; il redoute la pauvreté pour ceux qui naissent en grand nombre. Cette sollicitude en a poussé beaucoup à l’impiété: oubliant qu’ils étaient pères, ils se sont dépouillés de tout sentiment d’humanité, jusqu’à exposer leurs enfants, et en faire des étrangers; une mère rejette son fils que recueille celle qui n’est pas mère, l’une affectant le mépris, l’autre l’amour; l’une vainement mère selon la chair, l’autre plus véritablement mère par la charité. Si donc il y a tant de multiplications, tant de manières de multiplier, quelle est cette multiplication qui fait dire au Prophète: « Hâtez-vous de m’exaucer? — Vous « me multiplierez »,dit-il. Nous sommes impatients de savoir en quoi. Ecoutons alors: « Dans mon âme », dit-il. Non pas dans ma chair, mais dans mon âme: « c’est dans l’âme que je serai multiplié ». Peut-on rien ajouter, et la multiplication à l’égard de l’âme serait-elle bien un bonheur sans retard? C’est dans l’âme, en effet, que les soins se multiplient pour l’homme, et l’on pourrait le croire encore multiplié dans son âme quand les vices y sont nombreux, Celui-ci n’est qu’avare, celui-là qu’orgueilleux, cet autre que libertin; mais tel autre est tout à la fois avare, et orgueilleux, et libertin; il y a donc multiplication dans son âme, et pour son malheur. Cette multiplication est plutôt la
1.
Gen. I, 28
pauvreté que l’abondance. Vous donc, ô saint Prophète, qui avez dit: « Hâtez-vous de me secourir », qui éloignez de vous tout ce qui est charnel, tout ce qui est terrestre, tout désir mondain, que voulez-vous dire à Dieu «Vous me multiplierez dans mon âme? » Expliquez-nous votre désir. « Vous me multiplierez dans mon âme », dit-il, « par la vertu». Voilà clairement ce qu’il souhaite, voilà son désir sans aucune confusion. S’il disait simplement: « Vous me multiplierez », on pourrait s’arrêter à quelque chose de terrestre; il ajoute « dans mon âme »; et, pour éloigner toute pensée du vice dans l’âme, il ajoute encore, « par la vertu ». Vous n’avez plus rien à désirer, si vous voulez dire à Dieu avec une sainte franchise: « Hâtez-vous de me secourir ».
9. « Que tous les rois de la terre vous confessent, ô mon Dieu ». Ainsi en sera-t-il, mes frères, ainsi en est-il, et en est-il tous les jours; c’est ce qui nous montre que cette parole n’est pas vaine, et que le Prophète lisait dans l’avenir. « Que tous les rois de la terre vous confessent, ô mon Dieu 1 ». Mais que ces rois eux-mêmes, quand ils vous confessent, quand ils vous louent, ne vous demandent rien de terrestre. Que peuvent, en effet, désirer les rois de la terre? N’ont-ils pas le souverain pouvoir? Quelle que soit l’ambition d’un homme sur la terre, elle ne dépasse point le pouvoir suprême. Coin ment s’élever plus haut? Il faut sans doute un pouvoir suprême, et néanmoins plus elle est élevée, plus elle est dangereuse. Et dès lors, plus les rois sont élevés en dignité sur la terre, plus ils doivent s’humilier devant Dieu. Pourquoi en agissent-ils de la sorte? « Parce qu’ils ont entendu toutes les paroles de votre bouche». O mon Dieu, « toutes les paroles de votre bouche ! » La loi et les Prophètes étaient ensevelis chez je ne sais quelle nation, c’étaient là «toutes les paroles de votre bouche»; mais on ne trouvait que chez le peuple juif «toutes ces paroles de votre bouche ». C’est en l’honneur de cette nation que l’Apôtre a dit: «Quel est donc l’avantage des Juifs? ou de quoi sert la circoncision? L’avantage des Juifs est grand de toute manière, d’abord parce que c’est à eux que les oracles de Dieu ont été confiés 2 ». C’est là qu’étaient les paroles de Dieu. Mais voici Gédéon, saint
1. Ps. CXXXVII, 4. — 2. Rom. III,
1, 2.
personnage, au temps des Juges: voyez quel signe il demande au Seigneur: « Je mettrai une toison dans l’aire», dit-il: « que la toison soit baignée, et que l’aire demeure sèche 1». Ce qui fut accompli: l’aire demeura sèche, et la toison fut baignée. Puis il demanda un second signe, « que l’aire soit baignée complètement, et que la toison demeure sèche ». Ce qui fut accompli, l’aire fut trempée et la toison demeura sèche. D’abord la toison fut baignée, tandis que l’aire demeurait sèche, puis la toison demeura sèche, tandis que l’aire était baignée. Mais celte aire, que figurait-elle selon vous? N’est-ce pas l’univers entier? Que signifie la toison? La nation juive au milieu de l’univers; elle ales sources de la grâce, non point en évidence, mais sous le voile du mystère, la tenant cachée sous les symboles, comme la pluie dans la toison. Mais le temps vint où la pluie devait être visible dans l’aire; elle y est manifestée sans aucun voile. Ainsi donc s’est accomplie cette parole: « Seigneur, que tous les rois de la terre vous confessent ». Pourquoi, Israël, cacher cette précieuse rosée? combien de temps la voulais-tu cacher? La toison est enfin pressée, et de toi est sortie la pluie. Il n’y a que le Christ pour donner à la pluie sa douceur, et il n’y a que le Christ que tu ne voies pas clans les Ecritures, quand les Ecritures sont faites pour lui seul. Mais, « que tous les rois de la terre vous confessent, ô mon Dieu, puisqu’ils ont entendu toutes les paroles de votre bouche ».
10. « Qu’ils chantent dans les voies du Seigneur, parce que la gloire du Seigneur est grande 2 ». Que les rois de la terre chantent dans les voies du Seigneur. Dans quelles voies? Dans celles dont il est dit plus haut: « Dans votre miséricorde et dans votre vérité parce que toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité 3 ». Que les rois ne soient donc point orgueilleux, mais humbles; qu’ils chantent dans les voies du Seigneur, s’ils ont l’humilité; qu’ils aiment et ils chanteront. Nous voyons des voyageurs chanter; ils chantent et se hâtent d’arriver. Il est des chants criminels, cornue les chants du vieil homme; mais à l’homme nouveau appartient le chant nouveau. Que les rois de la terre marchent donc aussi dans vos voies, oui, dans vos voies, qu’ils marchent
1. Juges, VI, 36-40. — 2. Ps CXXXVII, 5. — 3. Id. XXIV, 10.
et qu’ils chantent. Que doivent-ils chanter? Que c’est la gloire du Seigneur qui est grande, et non celle des rois.
11. Considère de quelle manière le Prophète veut que tous les rois chantent dans les voies du Seigneur, en portant le Seigneur avec humilité, et sans s’élever contre lui. Qu’arriverait-il, en effet, s’ils s’élevaient? « Car le Seigneur est le Très-Haut, et regarde les humbles 1 ». Les rois veulent-ils que Dieu les regarde? Qu’ils soient humbles. Mais en s’élevant dans leur orgueil pourraient-ils échapper à ses regards? Bien que le Prophète ait dit que Dieu regarde les humbles, garde-toi de l’orgueil, et ne dis point dans ton âme: Si Dieu regarde les humbles, voilà qu’il ne me verra point, et je ferai ce qui me plaira. Qui pourrait me voir? Ce ne sont point les hommes, et Dieu ne veut point me voir parce que je ne suis pas humble, et qu’il n’a des regards que pour l’humilité; je puis agir à mon gré. O insensé, tiendrais-tu ce langage si tu savais ce qu’il t’est bon d’aimer? Si Dieu ne veut point te voir, n’y a-t-il pas de quoi trembler dans le dédain qu’il a pour toi? Si cet homme haut placé, ce grand du monde ne prend pas garde à ton salut, dans son attention pour un autre, quelle peine dans ton âme ! Et quand le Seigneur te dédaigne, tu te crois en sûreté? Si le Sauveur ne te voit point, le voleur t’observe. Et néanmoins le Seigneur te voit aussi. Ne t’imagine pas qu’il ne te voit point, prie, au contraire, afin de mériter d’être vu par celui qui te voit. Car il est dit que « les yeux du Seigneur sont sur les justes». Mais écoutons encore: « Et ses oreilles attentives à leurs prières 2 ». Or, les hommes d’iniquité qui se croient en sûreté, parce que les yeux du Seigneur ne sont point sur eux, ne doivent-ils pas trembler quand le Seigneur n’a point d’oreilles pour leurs prières? N’est-il pas plus avantageux que ses yeux soient sur nous et ses oreilles attentives à nos prières? Mais dès lors que tu fais ce que tu ne voudrais pas que Dieu embrassât de ses regards, tu ne mérites pas qu’il prête l’oreille à tes prières et toutefois, en commettant le mal, tu ne détournes pas de toiles regards du Seigneur, Voyons en effet la suite du psaume: « Les yeux du Seigneur, sont sur ceux qui font le mal ». Pourquoi? « Afin d’effacer de la terre jusqu’à leur mémoire ». Tu vois bien que
1. Ps. CXXXVII, 5. — 2. Id.
XXXIII, 16.
Dieu te voit, et tu ne saurais lui échapper. Si donc le Seigneur voit tes actions, pourquoi ne pas faire ce qui mériterait ses faveurs? Mais que dit encore le Prophète? « Parce que la gloire du Seigneur est grande, parce que le Seigneur est le Très-Haut, et qu’il regarde les humbles ». Il semble ne pas regarder ce qui est élevé. « Il regarde ce qui est en bas», dit le Prophète. Et « ce qui est élevé? Il le regarde de loin ». Que nous reviendra-t-il dès lors de notre orgueil? D’être vus de loin, mais non de n’être point vus. Or, ne te rassure point, en pensant que le regard de Dieu est moins perçant, parce qu’il te voit de loin. Pour toi, sans doute, l’oeil est moins perspicace, quand tu vois de loin: mais Dieu te voit parfaitement, quoique de loin, et sans être avec toi, Tout se résume donc, non pas à être vu moins parfaitement, mais à n’être point avec celui qui te voit, Que nous rapportera l’humilité, au contraire? « Le Seigneur est près de ceux qui ont le coeur contrit 1». Que l’orgueilleux s’élève tant qu’il voudra: Dieu habite les hauteurs, Dieu habite les cieux. Veux-tu qu’il s’approche de toi? Abaisse-toi. Car plus tu t’élèveras, plus il sera au-dessus de toi. « Il regarde de loin ce qui est élevé ».
12. « Si je marche au milieu de la tribulation, vous me donnerez la vie ». Cela est vrai, mes frères: quelles que soient vos tribulations, confessez le Seigneur, invoquez sa bonté, et il vous délivrera et vous donnera la vie. Toutefois il nous faut entendre ici quelque chose de plus intime qui nous rattache à Dieu et nous fasse dire: « Hâtez-vous de me secourir ». Le Prophète avait dit: « Il voit de loin ce qui est élevé »: or, ces hauteurs orgueilleuses ne connaissent point la tribulation. Non, dis-je, elles ne connaissent point cette affliction dont il est dit ailleurs: «J’ai rencontré la tribulation et la douleur, et j’ai invoqué le nom du Seigneur 2 ». Est-il extraordinaire que la tribulation te vienne heurter? Si tu as quelque pouvoir, trouve toi-même la tribulation. Mais, diras-tu, où est l’homme qui trouve la tribulation? Où est même celui qui la cherche? Tu es au milieu de la tribulation, et tu ne le sais pas? Cette vie est-elle donc une légère affliction? Si ce n’est pas une tribulation, ce n’est pas un exil; mais si c’est un exil, ou tu n’aimes point la
1.
Ps. XXXIII, 15 -18. — 2. Id. CXIV, 3.
patrie, ou tu es dans l’affliction. Où est l’homme sans affliction, et qui ne désire être avec ce qu’il aime? Mais d’où vient que tu ne trouves point là une affliction? C’est que tu es sans amour. Aime l’autre vie, et tu verras que celle-ci n’est que tribulation: quel qu’en soit l’éclat, de quelques délices qu’elle nous rassasie et nous fasse regorger; tant que nous ne goûterons pas cette joie qui n’est mêlée d’aucune tentation et que Dieu nous réserve pour la fin, nous sommes dans la tribulation. Comprenons donc, mes frères, la douleur qui fait dire: e Si je marche au milieu de la tribulation, vous me donnerez la vie. Son langage ne signifie point r S’il m’arrivait quelque tribulation, vous m’en délivreriez. Que veut-il dire alors? « Si je marche au milieu de la tribulation, vous me donnerez la vie »: c’est-à-dire, vous ne me donnerez la vie qu’à la condition que je marcherai au milieu de la tribulation. « Si je marche au milieu de la tribulation, vous me donnerez la vie. Malheur à celui qui rit, bienheureux ceux qui pleurent 1. Si je marche au milieu de la tribulation, vous me donnerez la vie ».
13. « Vous avez étendu votre main plus que mes ennemis furieux, et votre droite m’a sauvé ». Que ces ennemis frémissent de rage, que peuvent-ils contre moi? Me voler, me dépouiller, me proscrire, m’envoyer en exil, me faire passer par les tourments et par la douleur; et enfin, s’il leur est permis, me donner la mort. Peuvent-ils aller plus loin? Mais vous, Seigneur, « vous avez étendu votre main contre ces ennemis furieux »: cette main, vous l’avez étendue au-delà de tout ce qu’ils peuvent me faire. Ils ne peuvent en effet me séparer de vous; mais votre vengeance va plus loin, puisque vous me tenez encore éloigné: « Vous avez étendu votre main contre mes ennemis furieux». Que mon ennemi s’arme de fureur, il ne me sépare point de mon Dieu. Mais vous, Seigneur,vous tardez encore de m’unir à vous; dans l’exil, vous me châtiez encore, vous me sevrez encore de vos joies et de vos douceurs; vous ne m’enivrez pas encore de l’abondance de votre maison, et ne m’abreuvez pas au torrent de vos délices. « C’est en vous qu’est la source de la vie, et c’est à votre lumière que nous verrons la lumière 1». Mais voici que je vous ai consacré les prémices de mon esprit,
1.
Luc, VI, 21, 21.— 2. Ps. XXXV, 9, 10.
je crois en vous, et suis soumis par l’esprit à la loi de Dieu 1: cependant nous gémissons encore intérieurement, dans l’attente de l’adoption qui sera la délivrance de notre corps 2. A nous pécheurs, Dieu a donné cette vie dans laquelle Adam doit être accablé, travailler à la sueur de son front, tandis que la terre ne produit que des chardons et des épines 3. Quel ennemi eût pu nous accabler davantage? « Votre main, ô mon Dieu, s’est donc étendue sur moi, plus encore que la colère de mes ennemis », non toutefois jusqu’à me pousser au désespoir, car nous lisons ensuite: « Et votre droite m’a sauvé ».
14. On pourrait comprendre toutefois: « Vous avez étendu votre main sur la colère de mes ennemis », en ce sens que mes ennemis s’irritaient, et que votre main m’a vengé de leur colère. « Le pécheur verra et frémira, il grincera des dents et sèchera de dépit 4». Où sont-ils ceux qui criaient: Plus de chrétiens sur la terre, périsse leur nom ! Ils sont morts ou convertis. Donc, « vous avez u étendu votre main contre la colère de mes ennemis», pendant que, selon la parole du Psalmiste, « ces ennemis m’accablaient d’outrages. Quand mourra-t-il? Quand périra « son nom 5? » Quand le nom chrétien disparaîtra-t-il de la terre? Ainsi disaient-ils, et déjà une partie a embrassé la foi, une partie a disparu; le peu qui reste est dans la crainte. Quelle n’était point la colère de nos ennemis quand le sang des martyrs coulait de toutes parts? Comme ils se promettaient alors d’exterminer de la terre jusqu’au nom des chrétiens ! « Vous avez étendu votre main contre la colère de mes ennemis, et votre droite m’a sauvé ». Voilà que les persécuteurs des martyrs s’enquièrent aujourd’hui des fêtes des martyrs, ou pour y adorer Dieu, ou pour s’y enivrer; mais ils les recherchent. « Vous avez étendu la main contre la colère de mes ennemis, et votre droite m’a sauvé». Elle m’a procuré le salut que je désirais. Il y a un salut qui appartient à la droite du Seigneur, comme il y a un salut qui appartient à la gauche. C’est dans la gauche qu’est le salut temporel et charnel, et dans la droite le salut éternel avec les anges: aussi est-il dit que le Christ est assis à la droite de Dieu 6, maintenant qu’il est immortel. Sans doute il
1.
Rom. VII, 25. — 2. Id. VIII, 23. — 3. Gen. III, 18, 19. — 4. Ps. CXI,
10. — 5. Id. XL, 6. — 6. Marc, XVI, 19.
n’y a en Dieu ni droite ni gauche; mais la droite de Dieu s’entend de ce bonheur suprême, ainsi nommé parce qu’on ne saurait le montrer aux yeux. Telle est la droite qui m’a donné le salut, mais non un salut temporel. Crispine fut mise à mort, mais Dieu l’avait-il donc abandonnée? Il ne la sauva point de sa gauche, ruais il la sauva de sa droite. Quels ne furent point les tourments des Machabées 1 ! Les trois enfants au contraire bénissaient Dieu en marchant au milieu des flammes 2. Aux uns le salut vint de la droite de Dieu, aux autres de la gauche. Quelquefois donc il n’accorde pas à ses saints le salut de la gauche, mais toujours celui de la droite; quant aux impies, il leur accorde parfois le salut de la gauche, mais non celui de la droite. Les bourreaux de Crispine avaient la santé du corps; elle mourut et ils vivent. A eux le salut de la gauche, à Crispine le salut de la droite. « Et votre droite m’a sauvé».
15. « Seigneur, vous rendrez, et non moi 3 ». Ce n’est point moi qui rendrai, mais vous. Que mes ennemis se livrent à leur fureur, vous leur rendrez ce que je ne puis leur rendre. « C’est vous, Seigneur, qui rendrez pour moi ». Jetez les yeux sur notre chef, qui nous a donné l’exemple afin que nous suivions ses traces. « Lui qui n’a point commis le péché, et dans la bouche de qui ne s’est point trouvé le mensonge: quand on le maudissait, il ne répondait point par la malédiction, il disait: Seigneur, vous leur rendrez pour moi; quand on le jugeait, il ne menaçait point, mais il s’abandonnait à celui qui le jugeait avec injustice 4». Que signifie: « Seigneur, vous leur rendrez pour moi? Pour moi », répond-il, « je ne cherche point ma gloire, il est quelqu’un qui la cherche et qui juge 5. Mes bien-aimés», dit l’Apôtre, « ne cherchez point à vous venger, mais laissez passer la colère; car il est écrit: La vengeance est à moi, c’est moi qui la ferai, dit le Seigneur 6.Seigneur, vous me vengerez, et non pas moi ».
16. Il est un autre sens qu’il ne faut pas négliger, qui est peut-être même préférable:
« Seigneur Jésus-Christ, vous rendrez, et non pas moi ». Car si je rends, j’ai pris; mais
vous, Seigneur, vous avez payé sans avoir pris. « Seigneur, vous rendrez à ma place ».
1. II Macch. VII, 3 et seq. — 2.
Dan. III, 24. — 3. Ps. CXXXVII, 8. — 4. I
Pierre, II, 21-23.— 5. Jean, VIII, 50. — 6. Rom. XII, 19.
Voyez comme il rend pour nous; on vient réclamer le tribut, et on exigeait le didrachme, ou deux drachmes pour tout homme; on vient donc réclamer le tribut au Sauveur, ou plutôt, non point à lui, mais à ses disciples, et on leur dit: « Votre maître ne paye-t-il point le tribut? » Ils l’allèrent dire au Sauveur; et celui-ci: « De qui les rois de la terre exigent-ils le tribut? de leurs enfants ou des étrangers? Des étrangers », répondirent-ils. « Donc les enfants sont libres », dit le Sauveur. « Toutefois, afin de ne point les scandaliser, allez », dit-il à Pierre, « et jetez votre hameçon à la mer, et au premier poisson qui sortira de l’eau ouvrez la bouche, vous y trouverez un statère » c’est-à-dire deux didrachmes; car le statère est une pièce de monnaie qui vaut quatre drachmes. « Vous le trouverez là et vous le donnerez pour moi et pour vous 1. Seigneur vous rendrez à ma place ». Il est donc heureux pour nous d’avoir le premier poisson pris à l’hameçon, saisi à l’hameçon, le premier sorti de la mer, le premier-né d’entre les morts. C’est dans sa bouche que nous trouvons deux didrachmes, ou quatre drachmes, c’est-à-dire que dans sa bouche nous trouvons les quatre Evangiles. Or, ces quatre drachmes nous délivrent de toute exaction de la part du monde: car au moyen des quatre Evangiles nous ne sommes plus en dette, puisque tous nos péchés nous sont remis. Le Christ a donc payé pour nous; rendons grâces à sa miséricorde. Il ne devait rien, et dès lors il n’a point payé pour lui, mais pour nous. « Voilà», dit-il, « que vient le prince du monde, et il ne trouvera rien en moi ».Qu’est-ce à dire, « il ne trouvera rien en moi?»Il ne trouvera en moi aucun péché, il n’a aucun motif de m’envoyer à la mort. Mais afin », dit-il, « que tous comprennent que je fais la volonté de mon Père, levez-vous, sortons d’ici 2». En quel sens, « levez-vous, sortons d’ici?» c’est-à-dire, ce n’est point par nécessité, mais volontairement que je souffre, rendant ce que je ne dois point. « Seigneur, vous rendrez pour moi ».
17. « Seigneur, votre miséricorde est pour l’éternité ». Que désirer? Non pas le jour
de l’homme. « Je n’ai éprouvé aucune peine à vous suivre, Seigneur, et je n’ai point désiré le jour de l’homme, vous le savez 3». Si la bienheureuse Crispine, votre témoin,
1.
Matth. XVII, 23-26. — 2. Jean, XIV, 30, 31. — 3. Jérém. XVII, 16.
avait désiré le jour de l’homme, elle eût renié le Christ; elle eût vécu plus longtemps ici-bas, mais elle ne vivrait point éternellement. Elle a préféré la vie éternelle à une vie quelque peu prolongée sur la terre. Enfin « votre miséricorde, Seigneur, est pour l’éternité », et je rie veux pas être délivrée pour un temps. « Elle est éternelle, cette miséricorde qui vous a fait délivrer les martyrs, en les retirant promptement de cette vie. « Seigneur, votre miséricorde est éternelle».
18. « Ne méprisez pas les oeuvres de vos mains ». Je ne vous demande point, Seigneur, de ne pas mépriser l’oeuvre de mes mains; ces oeuvres ne me donnent point d’orgueil. « Sans doute mes mains ont cherché le Seigneur pendant la nuit et je n’ai
pas été trompé 1 »; et toutefois, je ne vante pas l’oeuvre de mes mains; je crains qu’en
1.
Ps. LXXVI, 3.
les examinant, vous n’y trouviez plus de fautes que d’oeuvres méritoires. « Ne méprisez donc pas l’oeuvre de vos mains », voyez en moi votre ouvrage et non le mien; voir le mien, c’est le condamner, le vôtre, c’est le couronner. Tout ce qu’il y a de bien en moi me vient de vous, et dès lors vous appartient plus qu’à moi. J’entends en effet l’Apôtre: « C’est par la grâce que vous êtes sauvés au moyen de la foi; et cela ne vient pas de vous, c’est un don de Dieu: cela ne vient point de vos oeuvres, afin que nul ne se glorifie. Car nous sommes son ouvrage, créés en Jésus-Christ, dans les bonnes œuvres 1 ». Soit donc, ô mon Dieu, que vous nous regardiez comme des hommes, soit que vous nous considériez comme sortis de l’impiété pour devenir des justes, « ne méprisez pas, ô mon Dieu, l’ouvrage de vos mains ».
1.
Ephés. II, 8 -10.
SERMON AU PEUPLE EN LÀ FÊTE DE SAINTE CRISPINE.
Le
psaume est une confession, non des péchés, mais des louanges, comme celle de
Jésus-Christ dans l’Evangile; et confesser Dieu de tout son coeur, c’est lui
offrir un holocauste de louanges, ou le sacrifice parfait, qui est le chant
avec les anges, ou du ce bonheur spirituel que l’on peut goûter ici-bas, même
au milieu des tourments, qui est offert à Dieu dans son temple ou dans l’âme,
et dans les biens qu’il nous a procurés. Nous confesserons la miséricorde qui
prend le pécheur en pitié, et nous incline vers les pauvres, et la vérité par
laquelle Dieu accomplit ses promesses, et que nous devons exercer dans nos
jugements. Dieu a glorifié son saint nom en choisissant la race d’Abraham, d’où
est issu le Christ qui a envoyé les apôtres prêcher l’Evangile. Hâtez-vous de
m’exaucer, dit le Prophète qui sait ce qu’il doit demander à Dieu, qui demande,
comme Crispine, les biens éternels. Il demande en effet la multiplication, non
de la famille, ni des richesses, mais de son âme. Les vices sont dans l’âme, et
le Prophète veut être multiplié en vertu. — Rois de la terre, confessez Dieu:
c’est ce qu’ils font chaque jour; qu’ils s’humilient parce qu’ils ont entendu
les oracles des Ecritures, aujourd’hui prêchées sur toute la terre, comme le
figurait à Gédéon l’aire trempée de rosée. Qu’ils chantent, non leur gloire,
mais celle de Dieu; qu’ils soient humbles, parce que Dieu regarde favorablement
les humbles, et ne voit les orgueilleux que de loin ou en s’éloignant d’eux.
Marcher dans la tribulation, c’est marcher en cette vie qui est pleine de
tribulations, et la vie éternelle est au prix de notre patience. La main de
Dieu ou bien s’appesantit sur nous à cause du péché, ou bien nous venge de ceux
qui nous insultaient et dont plusieurs ont embrassé la foi; sa droite nous
sauve, parce que sa droite est la place des bonnes oeuvres, tandis que la
gauche est celle des biens d’ici-bas que Dieu n’accorde pas toujours à ses
élus. Seigneur, vous rendrez pour moi, c’est-à-dire vous me vengerez de mes
ennemis, ou vous payerez ma dette envers le Seigneur, car le Christ qui ne
devait rien à payé pour nous. La miséricorde du Seigneur est pour l’éternité et
non pour un temps: puisse-t-il ne pas mépriser l’ouvrage de ses mains!
1. Le titre de notre psaume est court et
simple: il ne nous arrêtera point, car nous connaissons celui que figurait
David, et même nous nous reconnaissons en lui, puisque nous sommes les membres
de son corps. Reconnaissons donc ici la voix de l’Eglise et réjouissons-nous
d’être les enfants de celle que nous avons entendu chanter. Tout le titre du psaume
est dans ces mots: « A David lui-même ». Voyons ce qui est dit à David.
2. « Je vous confesserai, Seigneur, dans
toute l’effusion de mon âme 1». Le titre d’un psaume nous en indique
ordinairement le sens intime: mais ici, comme il se borne à nous dire que c’est
un chant pour David, c’est le premier verset qui nous indique le sujet de tout
le psaume. « Je vous confesserai, Seigneur, dans toute l’effusion de mon âme ».
Ecoutons donc cette confession. Mais auparavant je vous rappelle que dans les
saintes Ecritures, cette expression, confesser au Seigneur, s’entend de deux
manières, d’une confession des péchés, et d’une confession de louanges. Chacun
connaît la confession des péchés, mais il en est peu pour connaître la
confession de louanges. La première est tellement connue que quand nous
rencontrons
1. Ps. CXXXVII, 1.
dans les Ecritures ces paroles: « Je vous
confesserai, Seigneur», ou « nous vous confesserons », la coutume de l’entendre
ainsi fait que nos mains cherchent à frapper nos poitrines, tant les hommes
sont habitués àne voir dans la confession que celle des péchés. Mais Notre
Seigneur Jésus-Christ était- il un pécheur, lui qui dit dans l’Evangile: « Je
vous confesse, ô mon Père, Seigneur du ciel et de la terre?» La suite nous
montre ce qu’il confessera; et nous indique une confession de louanges, et non
l’aveu des péchés. « Je vous confesse», dit-il, «ô mon Père, Dieu du ciel et de
la terre, parce que vous avez dérobé ces choses aux sages et aux prudents, pour
les révéler aux petits 1». Il a donc loué son Père, il a loué Dieu, qui ne
méprise point les humbles, mais les superbes; et la confession que nous allons
entendre dans notre psaume est une confession de louanges et d’actions de
grâces. « Seigneur », dit-il, «je vous confesserai de tout mon coeur ». C’est
donc mon coeur tout entier que je mets sur l’autel de votre confession, c’est
un holocauste de louanges que je viens vous offrir. Car on appelle holocauste
ce sacrifice où tout est consumé; puisque olon,
en grec, se traduit en latin par totum,
tout entier. Or, vois comment il offre un holocauste spirituel celui qui dit: «
Seigneur, je vous confesserai de tout mon coeur». Oui, que la flamme de votre
amour embrase entièrement mon coeur; que rien de ce qui est à moi ne
m’appartienne plus, ni ne me fasse replier sur moi-même; que tous mes désirs
soient pour vous, toute mon ardeur pour vous, tout mon amour pour vous, que je
sois embrasé de vous-même. « Seigneur, je vous confesserai de tout mon coeur,
parce que vous avez entendu les paroles de ma bouche ». De quelle bouche, sinon
de la bouche de mon coeur? Nos coeurs aussi ont une voix que Dieu entend, bien
qu’elle n’arrive pas à l’oreille de l’homme. Ils criaient sans doute, les
accusateurs de Suzanne, mais ils ne levaient pas les yeux au ciel: tandis que
Suzanne silencieuse criait de tout son coeur. De là vient qu’elle mérita d’être
exaucée, eux d’être châtiés 2. Nous avons donc une bouche intérieure; c’est là
que nous prions, et de là encore que nous prions. Et si nous avons préparé à
Dieu un logis, une demeure, c’est là que nous lui parlons, là
1. Matth. XI, 23. — 2. Dan. XIII, 34.
que nous sommes exaucés: car il n’est pas
éloigné de chacun de nous: « c’est en lui que nous avons la vie, le mouvement
et l’être 1 ». Il n’y a que le péché qui nous éloigne de Dieu. Renverse la
muraille du péché qui s’élève entre toi et Dieu, et tu seras avec celui que tu
implores. « Vous avez entendu les paroles de ma bouche», dit le Prophète, «et
je vous confesserai ».
3. « Je vous chanterai des hymnes en présence
des anges ». Ce n’est point en présence des hommes, c’est en présence des anges
que je vous chanterai des hymnes. Mon psaltérion, c’est ma joie. La joie qui
nie vient des choses d’ici-bas est avec les hommes, celle qui me vient des
choses d’en-haut est avec les anges. Car l’impie ne connaît point la joie du
juste. «Il n’y a point, en effet, de joie pour l’impie, a dit le Seigneur 2 ».
L’impie trouve sa joie dans la taverne, le martyr dans sa chaîne. Quelle
n’était pas la joie de cette Crispine dont nous célébrons aujourd’hui la fête?
Sa joie était d’être livrée aux persécuteurs, d’être traînée devant les
tribunaux, d’être enfermée dans les cachots, d’être exposée avec ses chaînes,
d’être élevée sur le chevalet, d’être écoutée, d’être condamnée: tout cela lui
donnait de la joie, et quand ces misérables croyaient à sa misère, elle était
dans la joie aux yeux des anges.
4. « Je vous adorerai dans votre saint temple
3 ». Quel est ce saint temple? Celui où nous devons habiter, où flous devons
adorer. Car nous courons pour adorer Dieu. Notre coeur gonflé veut enfanter, et
cherche où il pourra le faire. Or, quel est ce lieu où il faut adorer Dieu?
Quel est ce monde? Quel est cet édifice? Quel est son trône dans le ciel, au
milieu des étoiles? Nous le cherchons dans les saintes Ecritures et nous le
trouvons dans la Sagesse: « Pour moi», dit-elle, « j’étais avec lui, et chaque
jour je faisais ses délices ». Puis elle chante les oeuvres de Dieu et nous
indique son trône. Quel est-il? « Quand Dieu », dit-elle, « affermissait les
nuées en haut, quand il établissait son trône au-dessus des vents 4 ». Mais son
trône est aussi son temple. Où donc irons-nous? Est-ce pardessus les vents
qu’il nous faudra l’adorer? S’il faut l’adorer par-dessus les vents, les
oiseaux l’emportent sur nous. Mais si nous
1. Act. XVII, 27, 28.— 2. Isa. XLVIII, 22;
LVII, 21.— 3. Ps. CXXXVII, 2. — 4. Prov. VIII, 27-30.
appelons âmes les mêmes vents, c’est-à-dire,
si les vents sont une figure symbolique des âmes, selon cette expression d’un
autre psaume: « Il a volé sur les ailes des vents 1 »c’est-à-dire sur les
vertus des âmes, ce qui fait qu’un souffle de Dieu prend le nom de vent ou
d’âme; non point qu’il nous faille entendre par là ce vent qui pousse notre
corps et qui est sensible, mais quelque chose d’invisible qui échappe à la
perspicacité de nos yeux, à la sensibilité de nos oreilles, au discernement de
l’odorat, à la perception du goût, au toucher des mains: mais une certaine vie,
qui nous anime et que l’on appelle âme; si, dis-je, nous entendons ainsi les
vents, il n’est pas nécessaire de chercher des ailes visibles, pour voler avec
les oiseaux et adorer Dieu dans son temple; mais nous trouverons que Dieu est
assis au-dessus de nous-mêmes, si nous voulons lui être fidèles. Voyez si tel
n’est point le sens de ces paroles de l’Apôtre: « Le temple de Dieu est saint
et vous êtes ce temple 2 ». Il est certain néanmoins, il est évitent que Dieu
habite dans les anges. Donc lorsque dans la joie qui nous vient des biens
spirituels, et non des biens terrestres, nous chantons des hymnes à Dieu en
présence des anges, cette congrégation des anges devient le temple de Dieu, et
nous adorons le Seigneur dans son temple. Quant à l’Eglise de Dieu, elle est
sur la terre et dans le ciel; l’Eglise de la terre se compose de tous les
fidèles, l’Eglise du ciel de tous les anges. Mais le Seigneur des anges est
descendu vers l’Eglise d’ici-bas, et ses anges le servaient, lui qui était venu
pour nous servir 3. «Car», nous dit-il, «ce n’est point pour être servi, mais
pour servir, que je suis venu 4 ». Que nous a-t-il servi, sinon ce qui fait
aujourd’hui notre nourriture et notre breuvage? Si donc le Maître des anges a
bien voulu nous servir, ne désespérons pas d’être un jour les égaux des anges.
Celui qui est plus grand que les anges s’est donc abaissé jusqu’à l’homme, le
Créateur des anges s’est revêtu de l’homme, le Maître des anges est mort pour
l’homme. « Je vous adorerai dans votre saint temple »: c’est-à-dire, dans ce
temple qui n’est pas fait de la main des hommes 5, mais que vous avez fait.
5. « Je confesserai votre nom dans votre
1.
Ps. XVII, 11. — 2. I Cor. III, 17. — 3. Matth. IV, 11. — 4. Id. XX, 28. — 5.
Act. XVII, 24.
miséricorde et votre vérité ». Tels sont les deux
attributs que nous voulons chanter, comme il est dit dans un autre psaume «
Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité 1 ». Tels sont, ô mon
Dieu, les deux attributs que nous confessons. Votre miséricorde et votre
vérité; c’est par la miséricorde que vous jetez sur le pécheur un regard
favorable, et par la vérité que vous tenez à vos promesses. « Je vous
confesserai dans votre miséricorde et dans votre vérité ». Et c’est là ce que
je veux vous rendre selon les forces que je tiens de vous, en exerçant la
miséricorde et la vérité; la miséricorde par l’aumône, la vérité dans mes
jugements. C’est en cela que Dieu nous aide, en cela que nous méritons Dieu; et
dès lors, toutes les voies du Seigneur sont la miséricorde et la vérité; il ne
vient à nous par aucune autre voie, et nous n’avons aucune autre voie pour
aller à lui.
6. « Car vous avez glorifié par-dessus tout
votre saint nom ». Que signifie cette louange, mes frères? Dieu glorifia son
saint nom sur Abraham: « Car Abraham crut en Dieu, et sa foi lui fut imputée à
justice 2». Les autres nations sacrifiaient aux idoles, et servaient les
démons. D’Abraham naquit Isaac, et Dieu fut glorifié en cette maison vint
ensuite Jacob, et Dieu fut encore glorifié, et il nous dit: « Je suis le Dieu
d’Abraham, d’Isaac et de Jacob 3 ». De là naquirent les douze patriarches et le
peuple d’Israël que Dieu délivra de l’Egypte, le conduisant à travers la mer
Rouge, l’exerçant dans le désert, l’établissant dans la terre promise après en
avoir chassé les nations. Le nom du Seigneur fut donc glorifié en Israël. C’est
de ce peuple encore que sortit la Vierge Marie; de là le Christ notre Seigneur,
qui est mort pour nos péchés, qui est ressuscité pour notre justification 4,
remplissant les fidèles du Saint-Esprit, et les envoyant prêcher à tous les
peuples: « Faites pénitence, car le royaume des u cieux approche 5 ». C’est
ainsi que Dieu glorifie son nom sur toutes choses.
7. « Au jour où je vous invoquerai,
hâtez-vous de m’exaucer 6 ». Pourquoi « hâtez-vous?» C’est que vous-même l’avez
dit: « Tu parleras encore, quand je dirai: Me voici 7 ».
1.
Ps. XXIV, 10. — 2. Gen. XV, 6; Rom. IV, 3.— 3. Exod. III, 6. — 4. Rom. IV, 25.
— 5. Matth.
III, 2. — 6. Ps. CXXXVII, 3. — 7. Isa. LVIII, 9.
Pourquoi « hâtez-vous?» Parce que je ne
demande plus une félicité terrestre; mais le nouveau Testament m’apprend à
former de saints désirs. Je ne demande ni la terre, ni une fécondité charnelle,
ni la santé passagère, ni l’humiliation de mes ennemis, ni les richesses, ni
les honneurs; je ne veux rien de cela: « hâtez-vous donc de me secourir. »
Donnez-moi ce que je demande, puisque vous m’avez appris ce que je dois
demander. Disons au Prophète: Est-ce là ce que vous demandez? Ecoutons à notre
tour, qu’il dise de quoi son coeur est gros, et voyons ce qu’il demande
apprenons de lui à demander, pour mériter de recevoir. Tu es venu à l’église
aujourd’hui faire je ne sais quelle demande; de bonne foi, qu’es-tu venu
demander? Tu avais dans le coeur je ne sais quel désir: puisse-t-il être
innocent, bien que charnel ! Mais arrière ce qui est injuste, arrière ce qui
est charnel! Apprends ce qu’il faut demander, ce que tu célèbres aujourd’hui.
Tu célèbres la mémoire d’une sainte et bienheureuse femme, et tu aspires
peut-être à une félicité terrestre. Embrasée du désir de la sainteté, elle
renonça au bonheur qu’elle avait ici-bas: elle abandonna ses enfants qui
pleuraient leur mère et l’accusaient de cruauté, parce que, dans son impatience
de recevoir la couronne céleste, elle s’était dépouillée en quelque sorte de
toute pitié humaine. Or, ne savait-elle point ce qu’elle désirait, ce qu’elle
foulait aux pieds? Loin de là, elle savait chanter devant les anges de Dieu,
aspirer à leur société, à leur amitié chaste et pure, où elle ne connaîtrait
plus la mort, mais le juge qui ne saurait être surpris par aucun mensonge. Une
telle vie est-elle donc dénuée de tout bien? Au contraire, c’est là qu’est le
seul bien, le bien qui n’est mélangé d’aucun mal, dont on jouit en toute
sécurité, avec une entière avidité, sans que nul nous dise: Modérez-vous.
Ici-bas il est fâcheux, il est même très-dangereux de nous réjouir de nos biens
terrestres, de peur que cette complaisance ne devienne de l’attachement, que
cette joie immodérée ne soit notre perte. Pourquoi, en effet, Dieu prend-il
soin de mêler aux joies de cette vie quelques tribulations, sinon afin que ces
tribulations et ces amertumes nous apprennent à n’aspirer qu’aux délices
éternelles?
8. Voyons donc ce que demande le Prophète, ce
qui lui fait dire avec raison: « Hâtez-vous de m’exaucer ». Que demandez-vous,
ô Prophète, pour que Dieu vous exauce promptement? « Vous me multiplierez ».
Cette multiplication peut s’entendre en bien des sens. Il y a multiplication
dans la génération terrestre, selon cette première bénédiction donnée à notre
nature, et que nous avons entendue: « Croissez et multipliez, emplissez la
terre, et soumettez-la 1». Est-ce bien cette multiplication que voulait David
quand il disait: «Hâtez-vous de m’exaucer? » Il est vrai que cette
multiplication a son avantage, et ne vient que de la bénédiction du Seigneur.
Que dirai-je des autres sens de multiplier? Chez l’un, c’est l’or qui se
multiplie; chez l’autre, c’est l’argent; ici c’est le bétail, et là c’est la
famille; celui-ci voit ses terres se multiplier, celui-là tous ces biens à la
fois. Il est plusieurs manières de se multiplier sur la terre; la plus heureuse
est de voir ses enfants se multiplier: et toutefois, pour l’homme avare, cette
fécondité même devient incommode; il redoute la pauvreté pour ceux qui naissent
en grand nombre. Cette sollicitude en a poussé beaucoup à l’impiété: oubliant
qu’ils étaient pères, ils se sont dépouillés de tout sentiment d’humanité,
jusqu’à exposer leurs enfants, et en faire des étrangers; une mère rejette son
fils que recueille celle qui n’est pas mère, l’une affectant le mépris, l’autre
l’amour; l’une vainement mère selon la chair, l’autre plus véritablement mère
par la charité. Si donc il y a tant de multiplications, tant de manières de
multiplier, quelle est cette multiplication qui fait dire au Prophète: «
Hâtez-vous de m’exaucer? — Vous « me multiplierez »,dit-il. Nous sommes
impatients de savoir en quoi. Ecoutons alors: « Dans mon âme », dit-il. Non pas
dans ma chair, mais dans mon âme: « c’est dans l’âme que je serai multiplié ».
Peut-on rien ajouter, et la multiplication à l’égard de l’âme serait-elle bien
un bonheur sans retard? C’est dans l’âme, en effet, que les soins se
multiplient pour l’homme, et l’on pourrait le croire encore multiplié dans son
âme quand les vices y sont nombreux, Celui-ci n’est qu’avare, celui-là
qu’orgueilleux, cet autre que libertin; mais tel autre est tout à la fois
avare, et orgueilleux, et libertin; il y a donc multiplication dans son âme, et
pour son malheur. Cette multiplication est plutôt la
1. Gen. I, 28
pauvreté que l’abondance. Vous donc, ô saint
Prophète, qui avez dit: « Hâtez-vous de me secourir », qui éloignez de vous
tout ce qui est charnel, tout ce qui est terrestre, tout désir mondain, que
voulez-vous dire à Dieu «Vous me multiplierez dans mon âme? » Expliquez-nous
votre désir. « Vous me multiplierez dans mon âme », dit-il, « par la vertu».
Voilà clairement ce qu’il souhaite, voilà son désir sans aucune confusion. S’il
disait simplement: « Vous me multiplierez », on pourrait s’arrêter à quelque
chose de terrestre; il ajoute « dans mon âme »; et, pour éloigner toute pensée
du vice dans l’âme, il ajoute encore, « par la vertu ». Vous n’avez plus rien à
désirer, si vous voulez dire à Dieu avec une sainte franchise: « Hâtez-vous de
me secourir ».
9. « Que tous les rois de la terre vous
confessent, ô mon Dieu ». Ainsi en sera-t-il, mes frères, ainsi en est-il, et
en est-il tous les jours; c’est ce qui nous montre que cette parole n’est pas
vaine, et que le Prophète lisait dans l’avenir. « Que tous les rois de la terre
vous confessent, ô mon Dieu 1 ». Mais que ces rois eux-mêmes, quand ils vous
confessent, quand ils vous louent, ne vous demandent rien de terrestre. Que
peuvent, en effet, désirer les rois de la terre? N’ont-ils pas le souverain
pouvoir? Quelle que soit l’ambition d’un homme sur la terre, elle ne dépasse
point le pouvoir suprême. Coin ment s’élever plus haut? Il faut sans doute un
pouvoir suprême, et néanmoins plus elle est élevée, plus elle est dangereuse.
Et dès lors, plus les rois sont élevés en dignité sur la terre, plus ils
doivent s’humilier devant Dieu. Pourquoi en agissent-ils de la sorte? « Parce
qu’ils ont entendu toutes les paroles de votre bouche». O mon Dieu, « toutes
les paroles de votre bouche ! » La loi et les Prophètes étaient ensevelis chez
je ne sais quelle nation, c’étaient là «toutes les paroles de votre bouche»;
mais on ne trouvait que chez le peuple juif «toutes ces paroles de votre bouche
». C’est en l’honneur de cette nation que l’Apôtre a dit: «Quel est donc
l’avantage des Juifs? ou de quoi sert la circoncision? L’avantage des Juifs est
grand de toute manière, d’abord parce que c’est à eux que les oracles de Dieu
ont été confiés 2 ». C’est là qu’étaient les paroles de Dieu. Mais voici
Gédéon, saint
1. Ps. CXXXVII, 4. — 2. Rom. III, 1, 2.
personnage, au temps des Juges: voyez quel
signe il demande au Seigneur: « Je mettrai une toison dans l’aire», dit-il: «
que la toison soit baignée, et que l’aire demeure sèche 1». Ce qui fut
accompli: l’aire demeura sèche, et la toison fut baignée. Puis il demanda un
second signe, « que l’aire soit baignée complètement, et que la toison demeure
sèche ». Ce qui fut accompli, l’aire fut trempée et la toison demeura sèche.
D’abord la toison fut baignée, tandis que l’aire demeurait sèche, puis la
toison demeura sèche, tandis que l’aire était baignée. Mais celte aire, que
figurait-elle selon vous? N’est-ce pas l’univers entier? Que signifie la
toison? La nation juive au milieu de l’univers; elle ales sources de la grâce, non
point en évidence, mais sous le voile du mystère, la tenant cachée sous les
symboles, comme la pluie dans la toison. Mais le temps vint où la pluie devait
être visible dans l’aire; elle y est manifestée sans aucun voile. Ainsi donc
s’est accomplie cette parole: « Seigneur, que tous les rois de la terre vous
confessent ». Pourquoi, Israël, cacher cette précieuse rosée? combien de temps
la voulais-tu cacher? La toison est enfin pressée, et de toi est sortie la
pluie. Il n’y a que le Christ pour donner à la pluie sa douceur, et il n’y a
que le Christ que tu ne voies pas clans les Ecritures, quand les Ecritures sont
faites pour lui seul. Mais, « que tous les rois de la terre vous confessent, ô
mon Dieu, puisqu’ils ont entendu toutes les paroles de votre bouche ».
10. « Qu’ils chantent dans les voies du
Seigneur, parce que la gloire du Seigneur est grande 2 ». Que les rois de la
terre chantent dans les voies du Seigneur. Dans quelles voies? Dans celles dont
il est dit plus haut: « Dans votre miséricorde et dans votre vérité parce que
toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité 3 ». Que les rois ne
soient donc point orgueilleux, mais humbles; qu’ils chantent dans les voies du
Seigneur, s’ils ont l’humilité; qu’ils aiment et ils chanteront. Nous voyons
des voyageurs chanter; ils chantent et se hâtent d’arriver. Il est des chants
criminels, cornue les chants du vieil homme; mais à l’homme nouveau appartient
le chant nouveau. Que les rois de la terre marchent donc aussi dans vos voies,
oui, dans vos voies, qu’ils marchent
1. Juges, VI, 36-40. — 2. Ps CXXXVII, 5. — 3.
Id. XXIV, 10.
et qu’ils chantent. Que doivent-ils chanter?
Que c’est la gloire du Seigneur qui est grande, et non celle des rois.
11. Considère de quelle manière le Prophète
veut que tous les rois chantent dans les voies du Seigneur, en portant le
Seigneur avec humilité, et sans s’élever contre lui. Qu’arriverait-il, en
effet, s’ils s’élevaient? « Car le Seigneur est le Très-Haut, et regarde les
humbles 1 ». Les rois veulent-ils que Dieu les regarde? Qu’ils soient humbles.
Mais en s’élevant dans leur orgueil pourraient-ils échapper à ses regards? Bien
que le Prophète ait dit que Dieu regarde les humbles, garde-toi de l’orgueil,
et ne dis point dans ton âme: Si Dieu regarde les humbles, voilà qu’il ne me
verra point, et je ferai ce qui me plaira. Qui pourrait me voir? Ce ne sont
point les hommes, et Dieu ne veut point me voir parce que je ne suis pas
humble, et qu’il n’a des regards que pour l’humilité; je puis agir à mon gré. O
insensé, tiendrais-tu ce langage si tu savais ce qu’il t’est bon d’aimer? Si
Dieu ne veut point te voir, n’y a-t-il pas de quoi trembler dans le dédain
qu’il a pour toi? Si cet homme haut placé, ce grand du monde ne prend pas garde
à ton salut, dans son attention pour un autre, quelle peine dans ton âme ! Et
quand le Seigneur te dédaigne, tu te crois en sûreté? Si le Sauveur ne te voit
point, le voleur t’observe. Et néanmoins le Seigneur te voit aussi. Ne
t’imagine pas qu’il ne te voit point, prie, au contraire, afin de mériter
d’être vu par celui qui te voit. Car il est dit que « les yeux du Seigneur sont
sur les justes». Mais écoutons encore: « Et ses oreilles attentives à leurs
prières 2 ». Or, les hommes d’iniquité qui se croient en sûreté, parce que les
yeux du Seigneur ne sont point sur eux, ne doivent-ils pas trembler quand le
Seigneur n’a point d’oreilles pour leurs prières? N’est-il pas plus avantageux
que ses yeux soient sur nous et ses oreilles attentives à nos prières? Mais dès
lors que tu fais ce que tu ne voudrais pas que Dieu embrassât de ses regards,
tu ne mérites pas qu’il prête l’oreille à tes prières et toutefois, en
commettant le mal, tu ne détournes pas de toiles regards du Seigneur, Voyons en
effet la suite du psaume: « Les yeux du Seigneur, sont sur ceux qui font le mal
». Pourquoi? « Afin d’effacer de la terre jusqu’à leur mémoire ». Tu vois bien
que
1. Ps. CXXXVII, 5. — 2. Id. XXXIII, 16.
Dieu te voit, et tu ne saurais lui échapper.
Si donc le Seigneur voit tes actions, pourquoi ne pas faire ce qui mériterait
ses faveurs? Mais que dit encore le Prophète? « Parce que la gloire du Seigneur
est grande, parce que le Seigneur est le Très-Haut, et qu’il regarde les
humbles ». Il semble ne pas regarder ce qui est élevé. « Il regarde ce qui est
en bas», dit le Prophète. Et « ce qui est élevé? Il le regarde de loin ». Que
nous reviendra-t-il dès lors de notre orgueil? D’être vus de loin, mais non de
n’être point vus. Or, ne te rassure point, en pensant que le regard de Dieu est
moins perçant, parce qu’il te voit de loin. Pour toi, sans doute, l’oeil est
moins perspicace, quand tu vois de loin: mais Dieu te voit parfaitement,
quoique de loin, et sans être avec toi, Tout se résume donc, non pas à être vu
moins parfaitement, mais à n’être point avec celui qui te voit, Que nous
rapportera l’humilité, au contraire? « Le Seigneur est près de ceux qui ont le
coeur contrit 1». Que l’orgueilleux s’élève tant qu’il voudra: Dieu habite les
hauteurs, Dieu habite les cieux. Veux-tu qu’il s’approche de toi? Abaisse-toi.
Car plus tu t’élèveras, plus il sera au-dessus de toi. « Il regarde de loin ce
qui est élevé ».
12. « Si je marche au milieu de la
tribulation, vous me donnerez la vie ». Cela est vrai, mes frères: quelles que
soient vos tribulations, confessez le Seigneur, invoquez sa bonté, et il vous
délivrera et vous donnera la vie. Toutefois il nous faut entendre ici quelque
chose de plus intime qui nous rattache à Dieu et nous fasse dire: « Hâtez-vous
de me secourir ». Le Prophète avait dit: « Il voit de loin ce qui est élevé »:
or, ces hauteurs orgueilleuses ne connaissent point la tribulation. Non,
dis-je, elles ne connaissent point cette affliction dont il est dit ailleurs:
«J’ai rencontré la tribulation et la douleur, et j’ai invoqué le nom du
Seigneur 2 ». Est-il extraordinaire que la tribulation te vienne heurter? Si tu
as quelque pouvoir, trouve toi-même la tribulation. Mais, diras-tu, où est
l’homme qui trouve la tribulation? Où est même celui qui la cherche? Tu es au
milieu de la tribulation, et tu ne le sais pas? Cette vie est-elle donc une
légère affliction? Si ce n’est pas une tribulation, ce n’est pas un exil; mais
si c’est un exil, ou tu n’aimes point la
1. Ps. XXXIII, 15 -18. — 2. Id. CXIV, 3.
patrie, ou tu es dans l’affliction. Où est
l’homme sans affliction, et qui ne désire être avec ce qu’il aime? Mais d’où
vient que tu ne trouves point là une affliction? C’est que tu es sans amour.
Aime l’autre vie, et tu verras que celle-ci n’est que tribulation: quel qu’en
soit l’éclat, de quelques délices qu’elle nous rassasie et nous fasse regorger;
tant que nous ne goûterons pas cette joie qui n’est mêlée d’aucune tentation et
que Dieu nous réserve pour la fin, nous sommes dans la tribulation. Comprenons
donc, mes frères, la douleur qui fait dire: e Si je marche au milieu de la
tribulation, vous me donnerez la vie. Son langage ne signifie point r S’il
m’arrivait quelque tribulation, vous m’en délivreriez. Que veut-il dire alors?
« Si je marche au milieu de la tribulation, vous me donnerez la vie »:
c’est-à-dire, vous ne me donnerez la vie qu’à la condition que je marcherai au
milieu de la tribulation. « Si je marche au milieu de la tribulation, vous me
donnerez la vie. Malheur à celui qui rit, bienheureux ceux qui pleurent 1. Si
je marche au milieu de la tribulation, vous me donnerez la vie ».
13. « Vous avez étendu votre main plus que
mes ennemis furieux, et votre droite m’a sauvé ». Que ces ennemis frémissent de
rage, que peuvent-ils contre moi? Me voler, me dépouiller, me proscrire,
m’envoyer en exil, me faire passer par les tourments et par la douleur; et
enfin, s’il leur est permis, me donner la mort. Peuvent-ils aller plus loin?
Mais vous, Seigneur, « vous avez étendu votre main contre ces ennemis furieux
»: cette main, vous l’avez étendue au-delà de tout ce qu’ils peuvent me faire.
Ils ne peuvent en effet me séparer de vous; mais votre vengeance va plus loin,
puisque vous me tenez encore éloigné: « Vous avez étendu votre main contre mes
ennemis furieux». Que mon ennemi s’arme de fureur, il ne me sépare point de mon
Dieu. Mais vous, Seigneur,vous tardez encore de m’unir à vous; dans l’exil,
vous me châtiez encore, vous me sevrez encore de vos joies et de vos douceurs;
vous ne m’enivrez pas encore de l’abondance de votre maison, et ne m’abreuvez
pas au torrent de vos délices. « C’est en vous qu’est la source de la vie, et
c’est à votre lumière que nous verrons la lumière 1». Mais voici que je vous ai
consacré les prémices de mon esprit,
1. Luc, VI, 21, 21.— 2. Ps. XXXV, 9, 10.
je crois en vous, et suis soumis par l’esprit
à la loi de Dieu 1: cependant nous gémissons encore intérieurement, dans
l’attente de l’adoption qui sera la délivrance de notre corps 2. A nous
pécheurs, Dieu a donné cette vie dans laquelle Adam doit être accablé,
travailler à la sueur de son front, tandis que la terre ne produit que des
chardons et des épines 3. Quel ennemi eût pu nous accabler davantage? « Votre
main, ô mon Dieu, s’est donc étendue sur moi, plus encore que la colère de mes
ennemis », non toutefois jusqu’à me pousser au désespoir, car nous lisons
ensuite: « Et votre droite m’a sauvé ».
14. On pourrait comprendre toutefois: « Vous
avez étendu votre main sur la colère de mes ennemis », en ce sens que mes
ennemis s’irritaient, et que votre main m’a vengé de leur colère. « Le pécheur
verra et frémira, il grincera des dents et sèchera de dépit 4». Où sont-ils
ceux qui criaient: Plus de chrétiens sur la terre, périsse leur nom ! Ils sont
morts ou convertis. Donc, « vous avez u étendu votre main contre la colère de
mes ennemis», pendant que, selon la parole du Psalmiste, « ces ennemis
m’accablaient d’outrages. Quand mourra-t-il? Quand périra « son nom 5? » Quand
le nom chrétien disparaîtra-t-il de la terre? Ainsi disaient-ils, et déjà une
partie a embrassé la foi, une partie a disparu; le peu qui reste est dans la
crainte. Quelle n’était point la colère de nos ennemis quand le sang des
martyrs coulait de toutes parts? Comme ils se promettaient alors d’exterminer
de la terre jusqu’au nom des chrétiens ! « Vous avez étendu votre main contre
la colère de mes ennemis, et votre droite m’a sauvé ». Voilà que les
persécuteurs des martyrs s’enquièrent aujourd’hui des fêtes des martyrs, ou
pour y adorer Dieu, ou pour s’y enivrer; mais ils les recherchent. « Vous avez
étendu la main contre la colère de mes ennemis, et votre droite m’a sauvé».
Elle m’a procuré le salut que je désirais. Il y a un salut qui appartient à la
droite du Seigneur, comme il y a un salut qui appartient à la gauche. C’est
dans la gauche qu’est le salut temporel et charnel, et dans la droite le salut
éternel avec les anges: aussi est-il dit que le Christ est assis à la droite de
Dieu 6, maintenant qu’il est immortel. Sans doute il
1. Rom. VII, 25. — 2. Id. VIII, 23. — 3. Gen.
III, 18, 19. — 4. Ps. CXI, 10. — 5. Id. XL, 6. — 6. Marc, XVI, 19.
n’y a en Dieu ni droite ni gauche; mais la
droite de Dieu s’entend de ce bonheur suprême, ainsi nommé parce qu’on ne
saurait le montrer aux yeux. Telle est la droite qui m’a donné le salut, mais
non un salut temporel. Crispine fut mise à mort, mais Dieu l’avait-il donc
abandonnée? Il ne la sauva point de sa gauche, ruais il la sauva de sa droite.
Quels ne furent point les tourments des Machabées 1 ! Les trois enfants au
contraire bénissaient Dieu en marchant au milieu des flammes 2. Aux uns le
salut vint de la droite de Dieu, aux autres de la gauche. Quelquefois donc il
n’accorde pas à ses saints le salut de la gauche, mais toujours celui de la
droite; quant aux impies, il leur accorde parfois le salut de la gauche, mais
non celui de la droite. Les bourreaux de Crispine avaient la santé du corps;
elle mourut et ils vivent. A eux le salut de la gauche, à Crispine le salut de
la droite. « Et votre droite m’a sauvé».
15. « Seigneur, vous rendrez, et non moi 3 ».
Ce n’est point moi qui rendrai, mais vous. Que mes ennemis se livrent à leur
fureur, vous leur rendrez ce que je ne puis leur rendre. « C’est vous,
Seigneur, qui rendrez pour moi ». Jetez les yeux sur notre chef, qui nous a
donné l’exemple afin que nous suivions ses traces. « Lui qui n’a point commis le
péché, et dans la bouche de qui ne s’est point trouvé le mensonge: quand on le
maudissait, il ne répondait point par la malédiction, il disait: Seigneur, vous
leur rendrez pour moi; quand on le jugeait, il ne menaçait point, mais il
s’abandonnait à celui qui le jugeait avec injustice 4». Que signifie: «
Seigneur, vous leur rendrez pour moi? Pour moi », répond-il, « je ne cherche
point ma gloire, il est quelqu’un qui la cherche et qui juge 5. Mes
bien-aimés», dit l’Apôtre, « ne cherchez point à vous venger, mais laissez
passer la colère; car il est écrit: La vengeance est à moi, c’est moi qui la
ferai, dit le Seigneur 6.Seigneur, vous me vengerez, et non pas moi ».
16. Il est un autre sens qu’il ne faut pas
négliger, qui est peut-être même préférable:
« Seigneur Jésus-Christ, vous rendrez, et non
pas moi ». Car si je rends, j’ai pris; mais
vous, Seigneur, vous avez payé sans avoir
pris. « Seigneur, vous rendrez à ma place ».
1. II Macch. VII, 3 et seq. — 2. Dan. III, 24.
— 3. Ps. CXXXVII, 8. — 4. I Pierre, II, 21-23.— 5. Jean, VIII, 50. — 6. Rom.
XII, 19.
Voyez comme il rend pour nous; on vient
réclamer le tribut, et on exigeait le didrachme, ou deux drachmes pour tout
homme; on vient donc réclamer le tribut au Sauveur, ou plutôt, non point à lui,
mais à ses disciples, et on leur dit: « Votre maître ne paye-t-il point le
tribut? » Ils l’allèrent dire au Sauveur; et celui-ci: « De qui les rois de la
terre exigent-ils le tribut? de leurs enfants ou des étrangers? Des étrangers
», répondirent-ils. « Donc les enfants sont libres », dit le Sauveur. «
Toutefois, afin de ne point les scandaliser, allez », dit-il à Pierre, « et
jetez votre hameçon à la mer, et au premier poisson qui sortira de l’eau ouvrez
la bouche, vous y trouverez un statère » c’est-à-dire deux didrachmes; car le
statère est une pièce de monnaie qui vaut quatre drachmes. « Vous le trouverez
là et vous le donnerez pour moi et pour vous 1. Seigneur vous rendrez à ma
place ». Il est donc heureux pour nous d’avoir le premier poisson pris à
l’hameçon, saisi à l’hameçon, le premier sorti de la mer, le premier-né d’entre
les morts. C’est dans sa bouche que nous trouvons deux didrachmes, ou quatre
drachmes, c’est-à-dire que dans sa bouche nous trouvons les quatre Evangiles.
Or, ces quatre drachmes nous délivrent de toute exaction de la part du monde:
car au moyen des quatre Evangiles nous ne sommes plus en dette, puisque tous
nos péchés nous sont remis. Le Christ a donc payé pour nous; rendons grâces à
sa miséricorde. Il ne devait rien, et dès lors il n’a point payé pour lui, mais
pour nous. « Voilà», dit-il, « que vient le prince du monde, et il ne trouvera
rien en moi ».Qu’est-ce à dire, « il ne trouvera rien en moi?»Il ne trouvera en
moi aucun péché, il n’a aucun motif de m’envoyer à la mort. Mais afin »,
dit-il, « que tous comprennent que je fais la volonté de mon Père, levez-vous,
sortons d’ici 2». En quel sens, « levez-vous, sortons d’ici?» c’est-à-dire, ce
n’est point par nécessité, mais volontairement que je souffre, rendant ce que
je ne dois point. « Seigneur, vous rendrez pour moi ».
17. « Seigneur, votre miséricorde est pour
l’éternité ». Que désirer? Non pas le jour
de l’homme. « Je n’ai éprouvé aucune peine à
vous suivre, Seigneur, et je n’ai point désiré le jour de l’homme, vous le
savez 3». Si la bienheureuse Crispine, votre témoin,
1. Matth. XVII, 23-26. — 2. Jean, XIV, 30,
31. — 3. Jérém. XVII, 16.
avait désiré le jour de l’homme, elle eût
renié le Christ; elle eût vécu plus longtemps ici-bas, mais elle ne vivrait
point éternellement. Elle a préféré la vie éternelle à une vie quelque peu
prolongée sur la terre. Enfin « votre miséricorde, Seigneur, est pour
l’éternité », et je rie veux pas être délivrée pour un temps. « Elle est
éternelle, cette miséricorde qui vous a fait délivrer les martyrs, en les
retirant promptement de cette vie. « Seigneur, votre miséricorde est
éternelle».
18. « Ne méprisez pas les oeuvres de vos
mains ». Je ne vous demande point, Seigneur, de ne pas mépriser l’oeuvre de mes
mains; ces oeuvres ne me donnent point d’orgueil. « Sans doute mes mains ont
cherché le Seigneur pendant la nuit et je n’ai
pas été trompé 1 »; et toutefois, je ne vante pas l’oeuvre de mes
mains; je crains qu’en
1. Ps. LXXVI, 3.
les examinant, vous n’y trouviez plus de
fautes que d’oeuvres méritoires. « Ne méprisez donc pas l’oeuvre de vos mains
», voyez en moi votre ouvrage et non le mien; voir le mien, c’est le condamner,
le vôtre, c’est le couronner. Tout ce qu’il y a de bien en moi me vient de
vous, et dès lors vous appartient plus qu’à moi. J’entends en effet l’Apôtre: «
C’est par la grâce que vous êtes sauvés au moyen de la foi; et cela ne vient
pas de vous, c’est un don de Dieu: cela ne vient point de vos oeuvres, afin que
nul ne se glorifie. Car nous sommes son ouvrage, créés en Jésus-Christ, dans
les bonnes œuvres 1 ». Soit donc, ô mon Dieu, que vous nous regardiez comme des
hommes, soit que vous nous considériez comme sortis de l’impiété pour devenir
des justes, « ne méprisez pas, ô mon Dieu, l’ouvrage de vos mains ».
1. Ephés. II, 8 -10.
SERMON AU PEUPLE.
Le
pain que nous devons manger à la sueur de notre front, c’est le Christ, chef de
l’Eglise tirée de sou coeur comme Eve du côté d’Adam. De là vient que dans
notre psaume et dans beaucoup d’autres, c’est le Christ qui parle, tantôt comme
chef, tantôt au nom des membres. S’il appelle Dieu Seigneur, c’est dans son
humanité. Le Seigneur donc l’a connu quand il s’est assis et quand il s’est
levé, c’est-à-dire dans sa passion et dans sa résurrection, ou dans l’homme qui
s’abaisse par l’aveu, et s’élève par l’espérance. Dieu voit de loin nos
pensées, quand nous sommes éloignés de lui par le péché, comme le prodigue loin
de son père; il voit nos sentiers et le terme de nos égarements, aussi nous
afflige-t-il alla de nous rappeler à lui. Nous ne saurions le voir tel qu’il
est; il prenait une forme créée afin de parler à Moïse, qui le vit, mais
seulement quand il lut passé, c’est-à-dire en sa passion, comme tes Juifs, qui
le virent sans reconnaître qu’il était Dieu. Seulement après qu’il fut passé, à la Pentecôte, Pierre leur dit ce qu’ils
devaient faire. Telle est la science de Dieu qu’il faut qu’il nous donne. En
vain nous voulons le fuir, il est dans le ciel où nous nous élevons par la
vertu, et dans l’abîme pour nous châtier, si nous y descendons par le péché.
Allons aux extrémités de la mer, ou à la fin des siècles, avec les voiles de la
charité, et Dieu nous conduira, autrement la fatigue nous ferait tomber dans la
mer. Au milieu des scandales de cette vie, qui est la nuit, le Christ sera
notre lumière; nous retomberons dans les ténèbres par le péché, et en tes
défendant nos ténèbres s’obscurciront; le Seigneur les éclaire par le
châtiment, et quand nous reconnaissons que ce châtiment vient de Dieu. Job
était dans la lumière du monde, ou dans la prospérité; c’était une lumière dans
la nuit, et alors il regarda les ténèbres ou le malheur du même oeil que la
lumière ou la prospérité, parce que Dieu, sa lumière intérieure, était le
maître de ses affections, et l’avait reçu dès le sein de sa mère ou de Babylone
qui met sa joie dans les prospérités temporelles, comme la synagogue dégénérée,
figuier sans fruit. Pour nous, le mal c’est le péché. La majesté de Dieu est
terrible; il nous a formé un os intérieur ou donné cette force de souffrir, et
avec joie, que n’avaient point les Apôtres avant la passion. Nonobstant leur
imperfection le Seigneur les maintint dans son livre; ils s’égarèrent pendant
que le Sauveur était avec eux, puis revinrent à lui, s’affermirent, et se
multiplièrent. Alors les méchants suscitèrent des schismes en disant à
d’autres: Eloignez-vous de moi; ou plutôt, ils s’éloignèrent de l’Eglise, sous
prétexte qu’il y a des méchants. Mais être avec des méchants, ce n’est point
approuver leurs oeuvres; je les hais d’une haine parfaite, réprouvant les
oeuvres, aimant les hommes, de même que Moïse frappait les coupables et priait
pour eux. Que le Seigneur nous éprouve, et nous conduise dans la voie éternelle
qui est le Christ.
1. Nous avions préparé un psaume assez que
méprise lui a fait prendre l’un pour court, que nous avions recommandé au 1cc-
l’autre. Et toutefois, nous aimons mieux, Leur de chanter; mais, au moment
venu, quel. dans cette méprise du lecteur, suivre la (160) volonté de Dieu, que
la nôtre en reprenant notre dessein. Ne vous en prenez donc pas àmoi, si la
longueur de celui-ci me force à vous retenir un peu plus longtemps; croyez
plutôt que Dieu n’a pas voulu nous imposer tan travail inutile. Ce n’est point
sans raison que, pour châtiment de notre premier péché, nous devons manger
notre pain à la sueur de notre front 1. Voyez seulement s’il y a ici quelque
pain. Or, il y a du pain, s’il y a le Christ; car il a dit: « Je suis le pain
vivant descendu du ciel 2 ». Cherchons aussi dans les Prophètes ce pain qui
s’est montré dans les Evangiles. Ils ne l’y trouvent point, ceux qui ont encore
un voile sur le coeur 3, comme l’a compris hier votre charité. Mais nous, pour
qui le sacrifice du soir, offert sur la croix par le Seigneur, a déchiré ce
voile 4, afin de nous découvrir les secrets du temple; tant qu’on nous prêche
le Christ, ce ne peut être que dans le travail et dans les sueurs que nous
mangerons notre pain.
2. Or, dans les Prophètes, Notre Seigneur
Jésus-Christ parle quelquefois comme notre tête, car il est le Christ notre
Sauveur, assis à la droite de son Père. C’est pour nous qu’il est né de la
Vierge, et qu’il a souffert tout ce que vous savez sous Ponce-Pilate; son sang
innocent est notre rançon; il l’a répandu pour nous racheter de l’esclavage où
le diable nous retenait, en nous remettant nos péchés, et en effaçant de son
sang la cédule qui nous retenait dans nos dettes 5. C’est lui qui est le guide,
l’époux, le rédempteur de son Eglise, qui est notre tête. S’il est tête, il a
un corps: et ce corps c’est la sainte Eglise, qui est aussi son épouse, et à
laquelle saint Paul dit: « Vous êtes le corps du Christ et ses membres 6 ». Le
Christ tout entier est donc formé de la tête et du corps, aussi bien que
l’homme dans sou intégrité: car c’est de l’homme et pour être à l’homme que la
femme a été formée; et il est dit à propos du premier mariage: « Ils seront
deux dans une seule chair 7 ». Et saint Paul dit que cette parole n’a pas été
dite sans un grand mystère à propos du premier homme et de la première femme,
qui figuraient le Christ et l’Eglise. Voici en effet l’explication de l’Apôtre:
« Ils seront deux dans une même chair », nous dit-il: « ce sacrement est grand,
je l’entends
1. Gen. III, 19. — 2. Jean, VI, 41. — 3. II
Cor. III, 14. — 4. Matth. XXVII, 51.— 5. Coloss. II, 13,
14. — 6. I
Cor. XII, 27.— 7. Gen. II, 24.
« du Christ et de l’Eglise 1». « Adam », nous
dit-il, « est la figure de l’Adam à venir 2 ». Si donc Adam est un symbole de
l’Adam futur, comme Eve fut tirée du flanc d’Adam pendant son sommeil, ainsi du
flanc du Christ pendant son sommeil, c’est-à-dire, pendant qu’il mourait sur la
croix, et ouvert par un coup de lance, découlèrent les sacrements dont l’Eglise
est formée. Aussi, dans un autre psaume, nous parle-t-il ainsi de sa passion: «
Pour moi, j’ai dormi, j’ai pris mon sommeil, et je me suis éveillé, parce que
le Seigneur m’a soutenu 3 ». Ce sommeil s’entend donc de sa passion, et dès
lors Eve formée du côté d’Adam qui sommeille, c’est l’Eglise tirée du flanc du
Christ souffrant. C’est donc parfois en son nom et parfois en notre nom que
Jésus-Christ parle dans les saintes Ecritures, car il s’identifie avec nous,
selon cette parole: « ils seront deux dans une même chair ». C’est pourquoi
dans l’Evangile, à propos du mariage, il ajoute: « Ils ne sont donc plus deux,
mais une même chair 4 ». Une même chair, parce qu’il a emprunté sa chair à
notre nature mortelle; mais il ne dit point une même divinité, puisqu’il est
créateur, tandis que nous sommes créatures. Dès lors tout ce que dit le Sauveur
au nom de cette humanité appartient à cette tête qui est remontée dans les
cieux, et à ces membres qui souffrent sur la terre dans l’exil: et ce fut au
nom de ces membres souffrants que Saul persécutait, qu’il s’écria du haut du
ciel: « Saul, Saul, pourquoi me persécuter 5? » Ecoutons donc le Seigneur Jésus
qui parle dans cette prophétie. Car si les psaumes ont été chantés avant que le
Seigneur naquit de la Vierge Marie, ils ne l’ont pas été avant qu’il fût le
souverain Seigneur. Le Créateur du monde a toujours été, mais, dans le temps,
il est né d’une créature. Croyons à sa divinité, et autant qu’il est en nous,
croyons qu’il est égal à son Père; mais cette divinité égale au Père a pris
part à notre mortalité, non pa notre nature, mais en se revêtant de la nôtre,
mais qu’à notre tour nous pussions participer à sa divinité, non par notre
nature, mais par la sienne.
3. « Seigneur, vous m’avez éprouvé et m’avez
connu 6 ». Que Notre Seigneur Jésus-Christ tienne ce langage, qu’il dise
lui-même
1.
Ephés. V, 31, 32. — 2. Rom. V, 14. — 3. Ps. III,6. — 4. Matth. XIX, 6. — 5. Act.
IX, 4. — 7. Ps. CXXXVIII, 1.
« Seigneur », s’adressant au Père. Son Père
toutefois n’est son Seigneur que parce qu’il a daigné naître selon la chair;
Père de Dieu, Seigneur de l’homme. Veux-tu savoir de qui il est Père? D’un Fils
égal à lui. « Etant de la nature de Dieu », a dit saint Paul, « il n’a pas cru
qu’il y eût usurpation pour lui de s’égaler à Dieu ». C’est de cette nature que
Dieu est Père, de celui qui lui est égal en nature, qui est son Fils unique, né
de sa substance. Mais par bonté pour nous, afin de nous rétablir, de nous faire
participants de sa divinité, de nous remettre sur le chemin de la vie
éternelle, en prenant part à notre nature, avons-nous dit, qu’a-t-il fait selon
l’Apôtre, et qu’est-ce qu’il ajoute à ces paroles: « Lui qui avait la nature de
Dieu, n’a pas cru qu’il y eût usurpation à se dire égal à Dieu? Mais il s’est
anéanti »,dit le même Apôtre, « en revêtant la forme de l’esclave, en se
rendant semblable à l’homme, et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de
lui 1».Egal au Père dans sa nature divine, il a pris la forme de l’esclave,
devenant ainsi moindre que son Père. Lui-même nous dit l’un et l’autre dans
l’Evangile. Ici: « Mon Père et moi sommes un 2 »; là: «Mon Père est plus grand
que moi 3 ». « Mon Père et moi sommes un »; selon la nature divine; « Mon Père
est plus grand que moi », selon la forme de l’esclave. Dès lors que le Père est
en même temps Seigneur, Père selon la nature divine, et Seigneur selon la forme
de l’esclave, que son Fils unique s’écrie, sans aucun étonnement ni scandale de
notre part: «Seigneur, vous m’avez éprouvé et m’avez connu». « Eprouvé et connu
»,est-il dit, non point que Dieu ne l’ait point connu d’abord, mais en ce sens
qu’il l’a fait connaître aux autres. « Vous m’avez éprouvé et m’avez connu ».
4. « Vous m’avez connu quand je me suis
assis, et quand je me suis levé 4 ». Que veut dire ici s’asseoir? que veut dire
se lever? S’asseoir, c’est s’abaisser. Le Seigneur s’est donc abaissé dans sa
passion, il s’est levé dans sa résurrection. « Vous avez connu cela »,
est-il dit, c’est-à-dire, vous l’avez voulu,
vous avez approuvé, cela s’est fait selon votre volonté. Si nous voulons
entendre la voix de notre chef, dans la personne des membres, disons
1. Philipp. II, 6, 7. — 2. Jean, X, 30. — 3.
Id. XIV, 28.— 4. Ps. CXXXVIII, 2.
à notre tour: « Vous m’avez connu quand je me
suis assis, et quand je me suis levé ». L’homme s’assied, quand il s’humilie
par la pénitence; il se lève quand, après la rémission des péchés, il se
redresse par l’espérance de la vie éternelle. Aussi est-il dit dans un autre
psaume: « Levez-vous après vous être assis, vous qui mangez un pain de douleur
1 ». Les pénitents mangent un pain de douleur, eux qui disent dans un autre
psaume encore: « Mes larmes sont devenues pour moi un pain, le jour et la nuit
2 ». Qu’est-ce à dire: « Levez-vous après vous être assis? » Ne vous élevez
qu’après vous être humiliés. Beaucoup en effet veulent se lever avant de s’être
assis, et paraître justes avant de s’être avoués pécheurs. Si donc nous
appliquons ces paroles à notre chef: « Vous e m’avez connu quand je me suis
assis, et quand je me suis levé », elles doivent s’entendre de sa passion et de
sa résurrection; si nous entendons ces paroles des membres: « Vous m’avez connu
quand je me suis assis et quand je me suis levé », signifiera, j’ai confessé
devant vous mes péchés, et j’ai été justifié par votre grâce.
5. « Vous avez compris de loin mes pensées;
vous avez recherché ma route et mon gîte, et prévu toutes mes voies 3. Que veut
dire de loin? Quand je suis encore
dans mon exil, avant que je sois arrivé à cette patrie bienheureuse, vous avez
connu mes pensées. Vois ce plus jeune fils dans l’Evangile: c’est lui qui est
devenu le corps de Jésus-Christ, puisque l’Eglise est venue de la gentilité.
C’est ce plus jeune fils qui s’en était allé au loin. Le père de famille avait
en elfet deux fils; l’aîné ne s’était pas éloigné, mais il travaillait dans les
champs: il est la figure de ces saints personnages de la loi qui
accomplissaient les préceptes et les oeuvres de la loi. Quant au reste des
hommes, ils s’en étaient allés bien loin, se plongeant dans l’idolâtrie. Quoi
de plus éloigné de celui qui t’a fait, que l’image que tu viens de faire? Le
plus jeune des fils s’en alla donc, emportant son bien, comme nous l’apprend
l’Evangile, et le dissipant en profusions avec des femmes débauchées: pressé
par la faim, il s’attache à un prince de ces contrées; et celui-ci l’envoya
paître les pourceaux auxquels il enviait leur nourriture, sans pouvoir s’en
rassasier.
1.
Ps. CXXVI, 2. — 2. Id. XLI, 4. — 3. Id. CXXXVIII, 3, 4.
Accablé par le labeur, la misère, la
tribulation, l’indigence, il se souvint de son père, et voulut revenir à lui;
et il se dit: « Je me lèverai, et j’irai à mon Père». « Je me lèverai», dit-il,
car il s’était assis. Reconnais-le donc, c’est lui qui dit ici: « Vous avez
connu quand je me suis assis, et quand je me suis levé ». Je me suis assis dans
l’indigence, et je me suis levé en désirant votre pain. « Vous avez compris de
loin mes pensées ». Car je m’étais éloigné de vous, mais où n’est point celui
que j’avais abandonné? « Vous avez compris de loin mes pensées ». Aussi le
Seigneur dit-il dans l’Evangile, que son Père alla au-devant de lui quand il
revenait 1; parce qu’il avait parfaitement compris de loin ses pensées. « Vous
avez recherché ma route et mon gîte ». « Ma route », dit le Prophète: quelle
route, sinon cette route funeste qu’il avait suivie pour s’éloigner de son
père, comme s’il eût pu se cacher et se dérober àsa vengeance? Aurait-il été
réduit à cette misère, en serait-il venu à garder les pourceaux, si son père
n’eût voulu le châtier de loin, afin de le recevoir et l’embrasser de tout
près? C’est donc un fugitif qui parle ici, un fugitif pris au fait, et
poursuivi par la juste vengeance d’un Dieu qui châtie nos affections secrètes,
quelque part que nous allions, quelque lointaine que soit notre fuite; c’est,
dis-je, un fugitif pris au fait qui s’écrie: « Vous avez connu ma route et mon
joint d’arrêt ». Qu’est-ce à dire, mon sentier? le sentier de mes égarements.
Qu’est-ce à dire, mon point d’arrêt? jusqu’où je me suis avancé. « Vous avez
connu mon sentier et mes bornes ». Ce point d’arrêt, tout éloigné qu’il fût,
n’était pas loin de vos yeux. Je m’étais écarté bien loin et néanmoins vous
étiez là. « Vous avez recherché mon sentier, et mon point d’arrêt».
6. « Vous avez prévu toutes mes voies 2 ». Le
Prophète ne dit point vu, mais prévu.
Avant mon départ, avant que j’eusse parcouru ces voies, vous les aviez prévues,
et vous m’avez laissé les parcourir dans l’affliction, afin que, fatigué de
l’affliction, je revinsse à vos sentiers. « Car il n’y a point de déguisement
sous ma langue ». Pourquoi parler ainsi? Je vous en fais l’aveu, j’ai marché
dans mes voies, je me suis éloigné de vous; je me suis séparé de vous qui étiez
mon bien et, heureusement
1. Luc, XV, 11-20. — 2. Ps. CXXXVIII, 4.
pour moi, j’ai rencontré le malheur loin de
vous; heureux loin de vous, je ne fusse point revenu vers vous. C’est donc en
confessant ses péchés, en proclamant qu’il est justifié, non par ses propres
mérites, mais par la grâce, que le corps de Jésus-Christ a raison de dire: « Ma
langue ne cache point la ruse ».
7. « Voilà que vous, Seigneur, connaissez ce
qui est récent et ce qui est ancien 1 ». Ce qui est récent, ou mon dernier état
quand je gardais les pourceaux; ce qui est ancien, ou mon premier état quand je
vous ai demandé la part de ma substance. Mon premier état n’était qu’un prélude
à mes malheurs plus récents. Notre premier péché, c’est notre chute en Adam,
notre dernier châtiment est dans cette vie mortelle pleine de douleurs et de
périls. Et puisse-t-il être notre dernier ! Il le sera sans doute si nous
voulons revenir à Dieu; car il y aura pour les impies un autre dernier
châtiment quand on leur dira: « Aller au feu éternel qui a été préparé au
diable et à ses anges 2 ». Pour nous, mes frères, qui jusqu’à présent avons
abandonné Dieu, qu’il nous suffise d’un labeur qui doit subsister durant cette
vie mortelle. Souvenons-nous du pain de notre Père, du bonheur que nous
goûtions près de lui: qu’elles n’aient aucun attrait pour nous les gousses des
pourceaux, les doctrines des démons. « Voilà, Seigneur, que vous avez connu mon
état récent, et mon état ancien »; l’état récent, l’abîme où je suis tombé; mon
état ancien, ou quand je vous ai offensé. « C’est vous qui m’avez formé, et qui
avez posé votre mais sur moi ». « Vous m’avez formé »: où? Dans cette
mortalité, afin d’y endurer les peiner pour lesquelles nous sommes nés. Nul en
effet ne saurait naître, si Dieu ne l’a formé dans le sein de sa mère, et il
n’est aucune créature dont Dieu ne soit l’artisan. Mais « vous m’avez formé »
dans cette vie de douleurs, « et vous avez posé sur moi votre main »
vengeresse, qui abat l’orgueilleux; car Dieu ne terrasse l’orgueilleux que pour
son bien, et le relever, s’il devient humble: « Vous m’avez formé, et vous avez
posé votre main sur moi ».
8. « Votre science de moi est admirable; elle
s’élève, et je ne saurais l’atteindre ». Ecoutez attentivement quelque chose
d’obscur,
1. Ps. CXXXVIII, 5. — 2. Matth. XV, 41.
sans doute, mais que l’on ne saurait
comprendre sans un extrême plaisir. Moïse était pour Dieu un serviteur fidèle,
et Dieu conversait avec lui dans la nuée, en lui tenant un langage sensible: il
lui parlait par l’entremise de quelque créature, c’est-à-dire qu’il ne lui
parlait point par sa propre substance, mais en prenant une figure corporelle
qui formait des sons, et des sons capables d’arriver à l’oreille d’un homme.
Car c’est ainsi que Dieu lui parlait, et non comme il le fait dans sa
substance. Comment parle-t-il dans sa substance? La parole de Dieu est le Verbe
de Dieu, et le Verbe de Dieu, c’est le Christ ce Verbe n’est point sonore et
passager, mais il demeure d’une manière immuable, ce Verbe par qui tout a été
fait 1. C’est à ce Verbe, qui est aussi la sagesse de Dieu,qu’il est dit: «
Vous les changerez, et ils seront changés, mais pour vous, vous demeurez le
même 2 ». Et dans un autre endroit, l’Ecriture a dit de la Sagesse: « Immuable
en elle-même, elle renouvelle toutes choses 3 ». Cette Sagesse donc, toujours
stable, si l’on peut parler ainsi, ce que l’on fait parce qu’elle ne change
pas, et non qu’elle soit immobile; cette Sagesse qui est toujours dans le même
état, qui ne varie ni selon les temps ni selon les lieux; qui n’est point ici
d’une manière, et là d’une autre manière, ni maintenant autre qu’auparavant, c’est
la parole de Dieu. Lis cette parole qu’entendait Moïse arrivait à l’homme par
le moyen des syllabes et des sons passagers; et cela n’aurait point lieu si
Dieu ne prenait quelque forme créée pour émettre ces paroles. Moïse donc savait
que celte parole de Dieu lui arrivait par des créatures intermédiaires et
corporelles: or, il désira de voir la face même de Dieu, et il dit à Dieu qui
parlait avec lui: « Si j’ai trouvé grâce devant vous, montrez-vous à moi ». Son
désir était violent, et à la faveur de cette familiarité dont Dieu l’honorait,
si l’on peut ainsi parler, il voulait lui arracher cette grâce de voir sa
majesté, sa face, autant que l’on peut dire face en parlant de Dieu. Mais le
Seigneur lui répondit: « Tu ne saurais voir ma face; car l’homme ne me verra
point sans mourir, mais je te placerai dans le creux d’un rocher, et je
passerai, et te couvrirai de ma main: quand je serai passé, tu me verras par
derrière 4 ». Ces paroles toutefois
1. Jean, I,3.— 2. Ps. CI, 27.— 3. Sag. VII,
27.— 4. Exod. XXXIII, 9-23.
ont donné lieu à une autre énigme, ou
obscurité: « Quand je serai passé, tu me verras par derrière », dit le
Seigneur, comme s’il avait d’une part une face, et d’autre part un dos. Loin de
nous de concevoir de telles pensées d’une si incomparable majesté. Pour un
homme qui aurait de telles pensées, qu’importe que les temples soient fermés?
il se formerait une idole dans son coeur. Il y a donc dans ces paroles un grand
symbole. Le Seigneur parlait à son, serviteur, avons-nous dit, par l’intermédiaire
de telle forme créée qu’il lui plaisait, et dans laquelle nous entrevoyons la
personne de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui, dans sa nature divine, est égal
au Père, invisible comme le Père aux yeux des hommes. Car si la sagesse des
hommes est invisible aux yeux de la chair, comment pourraient-ils voir la
Sagesse de Dieu? Mais comme au temps marqué le Seigneur devait prendre notre
chair, et se rendre visible aux yeux de la chair, afin de guérir intérieurement
notre esprit quand il faudrait nous apparaître de la sorte, voilà qu’il prédit
ceci à Moïse d’une manière figurée, en disant: « Tu ne saurais voir ma face,
mais quand je serai passé tu me verras par derrière ». Je te couvrirai de ma
main afin que tu ne puisses voir ma face. Mais, pour le Seigneur, quel est le
sens de passer, sinon ce que nous dit l’Evangéliste: « Quand vint l’heure pour
Jésus de passer de ce monde à son Père 1?» Pâques, en effet, signifie passage.
Car Pâques, en hébreu, se traduit en latin par transitus ou passage. Que signifie néanmoins: « Tu ne verras pas ma
face, mais tu me verras par derrière?» Qui donc figurait Moïse, quand il lui
dit: « Tu ne verras pas ma face, mais tu me verras par derrière, et cela quand
je passerai; et de peur que tu ne voies ma face, je mettrai ana main sur toi? »
Il appelle sa face ce qui a d’abord paru de lui, et le voir par derrière c’est
voir son passage de ce monde à l’heure de sa passion. Il apparut aux Juifs, et
ils ne le connurent point. Ce sont eux que figurait Moïse quand on lui disait:
« Tu ne saurais voir ma face ». Mais pourquoi ne l’ont-ils pas connu dans sa
chair? Parce que la main de Dieu s’était appesantie sur eux. Le prophète Isaïe
avait dit en effet « Appesantis le coeur de ce peuple, et obscurcis ses yeux 2
». Et ce sont eux qui ont
1. Jean, XIII, 1.— 2. Isa. VI, 10.
dit dans le psaume: « Votre main s’est
appesantie sur nous 1». Donc, afin qu’ils ne connussent point la divinité du
Christ, (car s’ils l’eussent connu, ils n’eussent jamais crucifié le Seigneur
de la gloire 2, et, s’il n’eût été crucifié, son sang n’eût point racheté le
monde), que fait le Seigneur, sinon ce que dit saint Paul des richesses de la
sagesse et de la science de Dieu, quand il s’écrie: « O profondeur des trésors
de la sagesse et de la science de Dieu, que ses jugements sont
incompréhensibles, et ses voies insondables! Qui a connu les desseins de Dieu,
ou est entré dans ses conseils? Qui lui adonné le premier pour en attendre une
récompense? Tout est de lui, par lui, en lui. A lui seul gloire et honneur dans
les siècles des siècles ». L’Apôtre s’exprime ainsi parce qu’il avait dit plus
haut: « L’aveuglement est tombé sur une partie d’Israël, jusqu’à ce que la
plénitude des nations entrât, et que de cette manière tout Israël fût sauvé 3
». Les juifs donc sont tombés en partie dans l’aveuglement, à cause de leur
orgueil, parce qu’ils se disaient justes, et dans leur aveuglement ils ont
crucifié le Seigneur. Il les a couverts de sa main, afin qu’ils ne pussent le
voir durant son passage de ce monde à son Père. Examinons s’ils l’ont vu par
derrière après son passage. Le Seigneur ressuscite; il apparaît aux disciples
4, et à tous ceux qui avaient cru en lui non point à ceux qui l’avaient
crucifié, parce que sa main était sur eux jusqu’à ce qu’il fût passé. Il monte
au ciel après avoir vécu quarante jours avec ses disciples, et, le jour de la
Pentecôte, il leur envoie le Saint-Esprit. Remplis de l’Esprit-Saint, ils
commencent à parler diverses langues, eux qui étaient nés dans une seule, n’en
avaient appris qu’une seule. A la vue d’un tel miracle, grand effroi chez tous
les bourreaux du Seigneur; des milliers d’entre eux, touchés jusqu’au fond du
coeur, demandèrent aux Apôtres ce qu’ils devaient faire, quand on leur eut
prêché le Christ, et dans la surprise où ils étaient que des hommes sans
lettres pussent parler diverses langues. L’apôtre saint Pierre alors leur parle
du Christ qu’ils avaient insulté à la croix, qu’ils avaient raillé comme uni
honime assujéti à la mort, qu’ils défiaient surtout parce qu’il ne
1.
Ps. XXXI, 4. — 2. I Cor. II, 8. — 3. Rom. XI, 25, 26, 33-36. — 4. Jean, XX, 14;
XXI, I, et seq.
descendait pas de la croix, quoique sortir du
tombeau fût un miracle bien plus grand que descendre du gibet. Et quand on leur
eut annoncé le Christ, « que faut-il donc faire? » demandèrent-ils. Eux qui
avaient si cruellement traité le Seigneur qu’ils voyaient, demandent ce qui
pourra les sauver; et on leur répond: « Faites pénitence, que chacun de vous
soit baptisé au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, et vos péchés vous seront remis
1». Ce fut alors qu’ils virent par derrière celui dont ils n’avaient pu voir la
face. Sa main était sur leurs yeux, non pour toujours, mais tant qu’il
passerait. Après son passage, il ôta sa main de leurs yeux. Quand cette main
fut ôtée, ils dirent aux disciples: « Que ferons-nous? » D’abord pleins de
fureur, ils sont pleins de piété; à la colère succède la timidité, à la dureté
la souplesse,à l’aveuglement la lumière.
9. Il me semble entendre dans ce psaume la
voix des Gentils qui se souviennent à leur
tour de leur incrédulité. « Car le Seigneur a
renfermé tous les hommes dans l’incrédulité, afin de les prendre tous en pitié
2. Vous m’avez formé, vous avez mis votre main sur moi. Votre science de moi
est admirable, elle s’élève et je ne saurais l’atteindre ». C’est-à-dire: vous
avez mis votre main sur moi, vous m’avez paru admirable, et quoique je fusse
avec vous, je ne vous comprenais pas. Qu’il m’était facile de voir le visage de
mon père, quand je lui disais:
« Donnez-moi le bien qui me doit échoir».
Mais depuis que je suis dans cette région lointaine, et que je meurs de faim 3,
que la douleur est devant moi, je ne puis recouvrer ce que j’ai perdu. « Votre
science de moi est infiniment admirable ». A cause de mon péché, cette science
est pour moi un mystère, elle est incompréhensible. Quand l’orgueil ne m’avait
point éloigné de vous, je pouvais vous contempler. « Votre science de moi est
admirable, elle s’élève, et je ne pourrai l’atteindre ». Sous-entendez, par
moi-même. « Je ne pourrai l’atteindre par mes forces »; et quand je le pourrai
ce sera par vous.
10. Vous le voyez, ce fugitif ne saurait fuir
assez loin pour se dérober aux regards de celui qu’il veut fuir. Où pourra-t-il
fuir, lui dont la fuite est mesurée? Voyez ce qu’il dit:
1. Act. II, 38. — 2. Rom. XI, 32. — 3. Luc,
XXXV, 12—17.
« Où me dérober à votre Esprit? L’Esprit du
Seigneur a rempli l’univers entier 1». En quel lieu du monde échapper à cet
esprit dont le monde est plein? « Où me cacher à cet esprit, me dérober à votre
face? » il cherche un lieu pour échapper à la colère du Seigneur. Où
pourra-t-il s’en aller, celui qui veut fuir le Seigneur? Quand on recueille un
fugitif, on lui demande quel maître il fuit, et si l’on reconnaît que c’est
l’esclave d’un homme peu puissant, on Je reçoit sans crainte; on se dit alors:
le maître de cet esclave ne saurait me rechercher. Mais si l’on reconnaît qu’il
appartient à quelque maître puissant, on ne le reçoit point, ou du moins on ne
le fait qu’avec crainte. Car un homme, fût-il puissant, peut encore être
trompé. Mais où donc n’est pas Dieu? Qui peut tromper Dieu? qui peut se dérober
à Dieu? A qui Dieu ne pourra-t-il point reprendre son serviteur fugitif? Où
donc ira-t-il, ce fugitif, pour se dérober à la face de Dieu? Il se tourne et
se retourne, pour chercher où fuir.
11. « Si je monte vers les cieux, vous y
êtes, si je descends dans l’abîme, vous voilà 2». Infortuné fugitif, tu le
reconnais donc, tu ne saurais fuir bien loin de celui que tu veux fuir. Voilà
qu’il est partout; et toi, où iras-tu? Mais dans son malheur, il lui vient une
pensée, que lui inspire celui qui veut le rappeler dans sa bonté. « Si je monte
vers le ciel, vous y êtes; si je descends dans l’abîme, vous voilà ». Si je
m’élève, je vous rencontre pour m’humilier; si je nie dérobe, je vous trouve
pour me rechercher, et non seulement pour me rechercher, mais pour suivre mes
pas. Si je m’élève dans ma justice, je vous rencontre, ô vous la justice
véritable. Si le péché me plonge dans les profonds abîmes, dédaignant l’aveu de
mes fautes jusqu’à dire: « Qui m’a vu? Car dans l’enfer qui vous confesse son
péché 4? » voilà que je vous y rencontre comme vengeur. Où donc puis-je aller
pour me soustraire à vos regards, c’est-à-dire pour ne point sentir votre
colère?
12. Voici donc le remède qu’il a trouvé
Ainsi, dit-il, je fuirai votre face, ainsi je fuirai
votre Esprit: j’éviterai la vengeance de
votre Esprit, la vengeance de votre face, par quel moyen? « Si je prends mes
ailes pour voler directement et habiter aux extrémités de
1.
Sag. I, 7. — 2. Ps. CXXXVIII, 8. — 3. Prov. XVIII, 3. — 4. Ps. XI, 6.
la mer 1 ». C’est ainsi que je puis échapper
à votre face. Mais est-ce bien aux extrémités de la mer qu’il faut aller pour
éviter celui dont il est dit: « Si je descends dans l’abîme, vous voilà? »
Comment ne serait-il point aux extrémités des mers, celui qui est présent
jusque dans les abîmes? Mais je sais, dit-il, comment échapper à votre colère.
Je prendrai mes ailes, non pour un vol oblique, mais pour un vol direct, de
manière à ne point m’élever par un orgueil présomptueux, ni me plonger dans
l’abîme du désespoir. Quelles sont dès lors les ailes qu’il veut prendre, sinon
les deux ailes, les deux préceptes de la charité qui renferment la loi et les
Prophètes »? Si je reprends, dit-il, ces ailes, pour m’enfuir aux extrémités
des mers, je fuirai de votre face à votre face, de votre face irritée à votre
face bénigne. Qu’est-ce, en effet, que l’extrémité des mers, sinon la fin des
siècles? C’est là qu’il faut diriger notre vol par l’espérance et le désir,
avec les deux ailes de la charité. Point de repos pour nous que nous ne soyons
aux extrémités de la mer. Nous reposer ailleurs, c’est tomber dans ses abîmes.
Prenons notre essor jusqu’aux extrémités de la mer, suspendons-nous aux deux
ailes de la charité:
élevons-nous jusqu’à Dieu par l’espérance, et
avec une espérance nourrie par la foi prévoyons cette extrémité de la mer.
13. Mais voyez, nies frères, celui qui nous
conduira; c’est celui-là même dont nous voulons fuir le visage irrité. Que dit
en effet le Prophète? « Si je descends au fond de l’abîme, vous voilà. Si je
reprends mes ailes pour un vol direct ». « Si je reprends », dit-il: donc il
avait perdu ces ailes. « Si je reprends mes ailes pour un vol direct, si
j’habite aux extrémités de la mer, c’est votre main qui va m’y conduire, votre
droite m’y amener 3». Méditons ces paroles, mes frères bien-aimés; qu’elles
soient notre espérance, notre consolation. Reprenons par la charité ces ailes
que la convoitise nous a fait perdre. La convoitise est pour nos ailes une glu
qui nous a privés de liberté dans notre essor, c’est-à-dire privés de ces
souffles de liberté que donne l’Esprit de Dieu. Arrachés à ces courants, nous
avons perdu nos ailes pour tomber en quelque sorte sous la puissance de
l’oiseleur. Or, c’est de là que nous a rachetés par son sang celui que nous
avons fui pour être
1. Ps. CXXXVIII, 9. — 2.
Mach. XXII, 40. — 3. Ps. CXXXVIII, 10.
pris. Il nourrit nos ailes par ses préceptes nous
les étendons, maintenant qu’elles ne sont plus engluées. N’aimons point la mer,
volons aux extrémités de la mer. Arrière toute crainte, arrière aussi toute
présomption au sujet de nos ailes; car, en dépit de ces ailes, si Dieu ne nous
élève, si Dieu ne nous conduit, de lassitude et de fatigue nous tomberons dans
les gouffres de la mer, parceque nous aurons trop présumé de nos forces. Il
nous faut donc des ailes, et il faut que Dieu nous conduise; car il est notre
soutien. Nous avons sans doute notre libre arbitre, mais avec ce même libre
arbitre, que pouvons-nous sans le secours de celui qui nous commande? « C’est
là que me conduira votre main, que m’amènera votre droite ».
14. Mais que dit-il en lui-même, en
considérant la longueur du chemin? Et j’ai dit: « Peut-être les ténèbres
vont-elles me couvrir 1 ». Voilà que je crois au Christ, voilà que je m’élève
sur les deux ailes de la charité, et néanmoins l’iniquité se multiplie dans le
monde, et parce que l’iniquité se multiplie, la charité de plusieurs se
refroidit. Ainsi l’a dit le Seigneur: « Comme l’iniquité abondera, la charité
de plusieurs se refroidira 2 ». Que faire, dira-t-on, parmi tant de scandales,
tant de péchés, tant de tentations qui nous jettent chaque jour dans le
trouble, tant de suggestions criminelles qui nous assiégent sans relâche?
Comment arriver à l’extrémité de la mer? J’entends dans la bouche de Dieu cette
parole terrible: « Parce que l’iniquité se multipliera, la charité de plusieurs
se refroidira ». Puis il ajoute « Celui-là sera sauvé qui aura persévéré
jusqu’à la fin 3 ». Or, à la vue d’un chemin si long, je me suis dit: «
Peut-être les ténèbres vont-elles me couvrir, et la nuit sera ma lumière dans
mes délices » La nuit est devenue ma lumière, parce que dans la nuit j’avais désespéré
de pouvoir franchir une si vaste mer, de fournir une si longue route, et
d’arriver à l’extrémité en persévérant jusqu’à la fin. Grâces à celui qui m’a
recherché dans ma fuite, qui a meurtri mes épaules de son fouet, qui, en
m’appelant à lui, m’a rappelé de la mort, qui a fait de ma nuit même une
lumière. Car la nuit c’est notre vie entière comment cette nuit est-elle
éclairée? C’est que le Christ est descendu dans cette nuit.
1. Ps. CXXXVIII, 11.— 2. Matth. XXIV, 12. —
3. Id. 13.
Il a pris une chair de ce siècle ténébreux,
et a éclairé la nuit pour nous. La femme qui avait perdu une drachme alluma un
flambeau 1. La sagesse de Dieu avait perdu une drachme; et qu’est-ce qu’une
drachme? Une pièce de monnaie qui porte l’image de notre chef. L’homme a été créé
à l’image de Dieu 2, puis il s’est perdu. Or, que fait la femme dans sa
sagesse? Elle allume une lampe. Cette lampe est un vase de terre, mais elle
contient une lumière qui fait retrouver la drachme. La lampe de la sagesse, la
chair du Christ, est donc faite en terre; mais elle brille par son Verbe et
retrouve ceux qui étaient perdus. « Et la nuit est devenue une lumière dans mes
délices ». La nuit a eu des délices pour moi. C’est le Christ qui fait nos
délices. Voyez quelle est maintenant la joie qu’il nous cause. D’où viennent
ces acclamations, ces trépignements de joie, sinon de vos délices? Et d’où
viennent ces délices, sinon de la lumière qui a éclairé notre nuit, sinon de ce
que l’on nous prêche le Christ notre Seigneur? Il vous a cherchés avant que
vous l’eussiez cherché, et il vous a trouvés afin que vous pussiez le trouver.
« Et la nuit m’a éclairé dans mes délices ».
15. « Devant vous les ténèbres n’ont point
d’obscurité 3 ». Toi donc, n’obscurcis pas tes ténèbres; car Dieu ne les
obscurcit point; mais plutôt il les éclaire, et c’est à lui que le Psalmiste a
dit ailleurs: « C’est vous qui allumerez mon flambeau, Seigneur mon Dieu, vous
illuminerez mes ténèbres 4 ». Or, quels sont les hommes qui obscurcissent leurs
ténèbres que le Seigneur n’obscurcit point? Les méchants, les pervers, les
pécheurs sont ténèbres; tantqu’ils ne confessent point les fautes qu’ils ont
commises, mais cherchent même à les défendre, ils obscurcissent leurs ténèbres.
Donc, avoir péché, c’est être déjà dans les ténèbres; mais confesser humblement
tes ténèbres, c’est mériter qu’elles soient éclairées; les défendre, c’esties
épaissir davantage. Or, comment échapper à ces doubles ténèbres, lorsque de
simples ténèbres étaient si accablantes? Mais quand est-ce que le Seigneur n’obscurcit
point nos ténèbres? Quand il ne laisse point nos fautes impunies; quand il nous
châtie et nous redresse par les tribulations de cette vie. Sachez-
1. Luc, XV, 8. — 2. Gen. I, 27. — 3. Ps.
CXXXVIII, 12. — 4. Id. XVII, 29.
le bien, mes frères, cette misère dans
laquelle nous voyons gémir le genre humain n’est qu’une douleur qui nous
guérit, et non un arrêt qui nous châtie. Partout vous voyez la douleur, partout
la crainte, partout l’augoisse, partout le travail pénible. C’est un trésor qui
grossit, mais par nos misères. Si donc le Seigneur nous avertit, par tarit de
plaies, de ne point obscurcir encore nos ténèbres, reconnaissons sa main qui
nous afflige et bénissons Dieu qui mêle aux douceurs de cette vie de saintes
amertumes, de peur que dans l’aveuglement des terrestres délices nous ne
désirions point les biens éternels, que nous ne souhaitions que la mer n’ait
aucune borne, pour n’habiter jamais les confins de la mer. Que les flots de la
mer se soulèvent donc; plus ils s’agiteront dans leur fureur, et plus la
colombe s’élèvera sur ses ailes. Ce n’est donc point le Seigneur qui obscurcit
nos ténèbres, puisqu’à nos péchés, il entremêle des châtiments, et des
amertumes à nos plaisirs corrupteurs. Mais nous, n’obscurcissons pas nos
ténèbres, en défendant nos péchés, et la nuit aura une lumière dans nos
délices, « parce que ce n’est point vous qui obscurcirez nos ténèbres ».
16. « Et la nuit est lumineuse comme le jour
». « La nuit ressemble au jour », est-il dit; le jour, c’est la félicité du
siècle; et la nuit, c’est l’adversité; mais si nous reconnaissons que nos
péchés ont mérité les maux que nous souffrons, si nous trouvons des douceurs
dans les châtiments d’un père, évitant ainsi l’arrêt sévère du juge, les
ténèbres de cette nuit deviendront pour nous une lumière dans cette nuit. Mais
si elle est nuit, quelle peut en être la lumière? Elle est nuit, parce que le
genre humain y est dans l’égarement. C’est la nuit, parce que nous ne sommes
point encore arrivés à ce jour qui n’est point resserré entre celui d’hier et
celui de demain, qui est l’éternel aujourd’hui, sans matin ni soir. Nous sommes
donc ici-bas dans la nuit; et toutefois cette nuit a sa lumière et ses
ténèbres. Nous en avons dit en général pourquoi elle est nuit: quelle est la
lumière de cette nuit? La prospérité, le bonheur de ce monde, les joies
passagères, les honneurs temporels, sont comme une lumière pour cette nuit;
tandis que le malheur, les tribulations amères, les ignominies en sont comme
les ténèbres. Dans cette nuit, dans cette mortalité de la vie humaine, les
hommes ont leur lumière, et i!s ont leurs ténèbres; la lumière, c’est la
prospérité, les ténèbres l’adversité. Mais dès que le Christ habite une âme par
la foi, dès qu’il promet une autre lumière, qu’il inspire et donne la patience,
qu’il avertit l’homme de ne mettre point sa complaisance dans les prospérités
du monde, pour n’être point abattu par l’adversité; le fidèle commence à
concevoir de l’indifférence pour ce monde, à ne s’élever point dans la
prospérité, à ne point se laisser abattre par le malheur. Mais il bénit Dieu en
toutes choses, non seulement dans l’abondance, mais aussi dans la disette; non
seulement dans la santé, mais aussi dans la maladie. Il justifie alors cette
parole du psaume: « Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sera
toujours en ma bouche 1». Si c’est toujours, ce sera dès lors, et quand la nuit
éclaire et quand la nuit est obscure; et quand la prospérité te sourit, et
quand l’adversité te vient attrister, que sa louange soit toujours en ta bouche;
et alors se réalisera ce que dit le psaume: « Les ténèbres et la lumière sont
une même chose pour lui ». Ses ténèbres ne m’accablent point, parce que sa
lumière ne m’élève point.
17. Job était dans cette lumière; il avait
tout en abondance. Nous parler de ses grands biens, c’est nous décrire tout
d’abord la lumière de sa nuit; car c’était une lumière dans sa nuit que les
biens et les richesses qu’il possédait. Or, l’ennemi crut qu’un si saint homme
servait Dieu seulement à cause des grands biens dont il l’avait comblé, et il
demanda qu’ils lui fussent enlevés. Alors sa nuit qui avait eu sa lumière fut
changée en ténèbres. Job savait néanmoins que, soit lumière, soit ténèbres,
c’est toujours la nuit quand nous sommes éloignés de Dicta; et il avait pour
lumière intérieure Dieu lui-même, lumière intérieure qui le rendait indifférent
à la clarté ou aux ténèbres de cette autre nuit. C’est pourquoi, comme il
servait Dieu fidèlement dans la lumière de cette nuit, c’est-à-dire dans
l’abondance, que dit-il quand il eut tout perdu et que les ténèbres le
couvrirent? « Dieu a donné, Dieu a ôté comme il a plu au Seigneur, il a été
fait; que le nom du Seigneur soit béni 1 ». Je suis dans la nuit de cette vie.
Le Seigneur qui habite mon âme, avait éclairé cette nuit de
1. Ps. XXXIII, 2. — 2. Job, I.
quelques consolations, en me donnant des
biens temporels; voilà qu’il éteint cette lumière temporelle, et la nuit
devient pour moi ténébreuse. Mais « parce que ses ténèbres sont pour moi comme
sa lumière le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté; comme il a plu au Seigneur
il a été fait: que le nom du Seigneur soit béni ». Cette nuit ne m’attriste
point; car ses ténèbres sont pour moi comme sa lumière. L’une et l’autre
passent, afin que ceux qui sont dans la
joie soient comme n’y étant pas, et ceux qui
pleurent comme ne pleurant point. « Car les ténèbres du Seigneur sont pour nous
comme sa lumière ».
18. « Parce que c’est vous, Seigneur, qui
êtes le maître de mes reins ». Ce n’est point sans raison que ses ténèbres sont
comme sa lumière ». Le Seigneur me possède intérieurement, il est le maître non
seulement de mon coeur, mais aussi de mes reins; non seulement de mes pensées,
mais aussi de mes affections. C’est donc lui qui possède ce qui pourrait me
donner quelque jouissance dans la lumière de cette nuit, lui qui possède mes
reins, et je ne puis trouver de plaisir que damas la lumière intérieure de sa
sagesse. Quoi donc? La prospérité d’ici-bas, le bonheur de cette vie, les
honneurs, les richesses, la famille, n’ont-ils donc pour toi aucun charme?
Aucun, et pourquoi? Parce que « ses ténèbres et sa lumière sont une même chose
pour moi ». D’où te vient cette indifférence, que les lumières et les ténèbres
de cette vie soient une même chose pour toi? « C’est que vous êtes, Seigneur, le
maître de mes reins; vous m’avez reçu dès le sein de ma mère ». Mais dans le
sein de ma mère je n’étais indifférent ni aux ténèbres de cette nuit, ni à ses
lumières; car ce sein de ma mère, c’est la coutume de ma cité. Et quelle est ma
cité? celle qui m’a enfanté dans l’esclavage. Or, nous connaissons cette
Babylone dont nous avons parlé hier, et qu’abandonnent tous ceux qui embrassent
la foi, qui soupirent après la lumière de la Jérusalem céleste. Voici donc mon
langage: dès le sein de ma mère, le Seigneur m’a reçu; de là mon indifférence
pour les ténèbres de cette nuit comme pour sa lumière. Mais quiconque est
encore dans les entrailles de Babylone sa mère, se réjouit des prospérités de
ce monde, se laisse abattre par les misères de cette vie, ne connaît de joie
que celle d’un bonheur temporel, ni de douleur que celle des maux temporels.
Sors donc des entrailles de Babylone, commence à chanter un hymne au Seigneur;
sors, oui sors de ses entrailles, elle Seigneur te recevra dès le sein de ta
mère, Quel Dieu? le Dieu de l’apôtre saint Paul qui a dit: « Quand il a plu à
Dieu qui m’a appelé dès le sein de ma mère, de me faire « connaître son Fils 1
». Quelle était cette mère de Paul? la synagogue. Qu’avait-il appris dans la
synagogue, sinon ce que savaient, ce qu’apprenaient les Juifs et tout le
peuple? Il ne restait plus chez cette nation que le nom du culte de Dieu, on
n’y voyait plus les oeuvres: ils avaient la parole de Dieu comme un arbre porte
des feuilles, mais sans aucun fruit. C’est ce figuier que le Seigneur fit si.
cher en le maudissant, comme vous le savez 2. Il y avait trouvé des feuilles,
mais de fruit, aucun; il nous montrait là le symbole d’un autre arbre. On
n’était pas, en effet, au moment des figues 3; or, le Créateur du ciel et de la
terre pouvait-il ignorer ce que chacun savait? Celui-là donc qui appela Paul
dès le sein de sa mère est aussi celui qui nous a choisis dès le sein de la
nôtre. Quelle est notre mère? Babylone. Une fois sortis de ses entrailles,
concevons une autre espérance, Dieu, mes frères, nous a promis d’autres joies;
qu’une nouvelle espérance nous fasse porter des fruits. Il n’y a désormais
d’autre mal pour nous que d’offenser Dieu et de n’arriver pas aux biens qu’il
nous a promis; il n’y a d’autre bien que de mériter Dieu et d’arriver à ses
divines promesses. Que sont les biens de cette vie, comme les maux de cette
vie? N’ayons pour eux que de l’indifférence; puisque nous voyant reçus par Dieu
dès le sein de notre mère, nous disons: « Les ténèbres de « cette vie sont pour
nous comme ses lumières ». Le bonheur de ce monde ne sera point notre bonheur,
ni ses misères notre malheur, Il nous faut pratiquer la justice, aimer la foi,
espérer en Dieu, aimer Dieu, aimer aussi noIre prochain. Aux travaux de cette
vie succédera une lumière inextinguible, un jour sans fin tout ce qui est
lucide ou ténébreux en cette vie, ne dure qu’un moment «Vous êtes, Seigneur, le
maître de mes reins, vous m’avez reçu dès le sein de nia mère ».
19. « Je vous confesserai, Seigneur, à cause
1.
Gal. I, 15, 16. — 2. Matth. XXI, 19. — 3. Marc, XI, 13.
«de l’éclat terrible de votre magnificence ».
«Votre magnificence est terrible »u, Seigneur, puisque nous en admirons
l’éclat, et que notre joie est mêlée de crainte. Nous craignons en effet qu’en
nous élevant de vos dons, nous ne méritions de perdre ce que nous avions obtenu
par l’humilité. « Je vous n confesserai, parce que l’éclat de votre
magnificence est terrible; vos oeuvres sont admirables, et mon âme le sait ».
Mon âme le sait très-bien depuis que vous m’avez reçu dès le sein de ma mère;
mais auparavant votre science était trop élevée au-dessus de moi, je n’y
pouvais atteindre. Elle me surpassait, et me laissait dans l’impuissance. D’où
vient que maintenant cette âme connaît vos oeuvres, sinon parce que la nuit a
pour moi une lumière dans mes délices? sinon parce que vous êtes maître de mes
reins? sinon parce que vous m’avez reçu dès le sein de ma mère?
20. « Mes ossements que vous avez formés n en
secret ne vous sont point cachés 1 ». Le mot latin os veut dire ici ossement,
c’est ce que nous indique le grec 2; autrement, en effet, on pourrait croire
qu’il fait ora au pluriel, et le
traduire par bouche, et non os qui
fait ossa. « Mes ossements donc »,
dit le Prophète, « que vous avez faits en secret, ne vous sont point inconnus
». J’ai donc certains ossements secrets; parlons plutôt ainsi, et disons ossum: il vaut mieux être fautif en
grammaire que inintelligible pour le peuple. Donc, dit le Prophète, j’ai un
ossement secret, c’est vous qui avez fait cet ossement secret, et qui n’est
point secret pour vous. Vous l’avez caché, mais l’avez-vous caché pour
vous-même? Cet os que vous m’avez fait en secret, les hommes ne le voient pas,
ne le connaissent pas; mais vous le connaissez, vous qui l’avez fait. De quel
ossement veut-il parler, mes frères? Cherchons-le, il est dans le secret. Mais
comme nous parlons en chrétiens, et à des chrétiens, nous trouverons bientôt de
quel os il est question. C’est la force intérieure; car la solidité, la force,
est désignée par les ossements, Il y a donc une force intérieure de l’âme, dès
qu’on ne se laisse point abattre. Que les tourments, que les tribulations, que
les difficultés du siècle viennent à sévir, la force invisible qui nous vient
de Dieu ne saurait être abattue, et ne cède point.
1. Ps. CXXXVIII, 15. — 2. Ostoun.
C’est de Dieu que nous vient cette force de
patience, dont il est dit dans un autre psaume:
« Toutefois, mon âme sera soumise à Dieu, car
c’est de lui que me vient la patience 1 ». Ecoute aussi l’apôtre saint Paul,
qui a bien cette force: « Comme tristes, et néanmoins toujours dans la joie 2
». D’où vient la tristesse? Des injures, des opprobres, des fléaux, des plaies,
des lapidations, des emprisonnements et des chaînes. Or, les persécuteurs
eux-mêmes ne les persécuteraient point s’ils n’espéraient les affliger. Eux qui
n’avaient point une force intérieure, jugeaient les autres d’après leur propre
faiblesse; mais les persécutés qui avaient cette force, paraissaient tristes à
l’extérieur, et se réjouissaient en Dieu à qui n’échappait point cet ossement
secret que lui-même avait fait en eux. Cet ossement secret que Dieu nous a
fait, saint Paul nous en parle clairement dans ces paroles: « Non seulement
nous sommes dans la joie, mais nous nous réjouissons dans les tribulations ».
C’est peu de n’être point triste, tu vas jusqu’à te glorifier? Qu’il te suffise
de n’être point triste. C’est peu pour des chrétiens, dit l’Apôtre, mais tels
sont les ossements que Dieu m’a faits dans le secret, que si je ne me glorifie,
c’est peu de n’être point abattu. De quoi nous glorifier? des tribulations; car
nous savons que la tribulation engendre la patience. Vois comment cette force a
été consolidée dans notre coeur: « Nous savons que la tribulation engendre la
patience, la patience la pureté, la pureté, l’espérance; or, l’espérance n’est
pas vaine, car l’amour de Dieu est répandu dans nos coeurs par le Saint-Esprit
qui nous a été donné 3 », Ainsi a été formé cet ossement secret, qui est solide
jusqu’à nous faire un titre de gloire de nos tribulations. Mais les hommes nous
croient malheureux, parce qu’ils ne connaissent point notre force intérieure. «
L’ossement que vous m’avez fait cri secret n’est point secret pour vous, et ma
substance est dans les entrailles de la terre ». Ma substance donc est dans ma
chair, ma substance est dans les entrailles de la terre et toutefois j’ai au
dedans de moi un os que vous avez formé, qui m’empêchera de céder aux
persécutions de ce bas monde, où est aussi ma substance. Qu’y a-t-il d’étonnant
que l’ange ait de la force? Ce qui est surprenant,
1. Ps. LXI, 6. — 2. II Cor. VI, 10. — 3. Rom.
V, 3-5.
c’est que la chair ait de la force. Or, d’où
vient la force de la chair, la force d’un vase d’argile, sinon de cet os que
Dieu y a mis secrètement? « Et ma substance est dans les entrailles de la terre
».
21. Que dira le Prophète de ceux qui sont
moins forts? Nous l’avons dit en effet, c’est le Christ qui nous parle en ce
psaume. Mais en beaucoup d’endroits, comme il a parlé au nom du corps, voyons
ce qu’il dit au nom du chef, sans qu’il paraisse néanmoins distinguer s’il
donne la parole à l’un ou à l’autre. Car distinguer, ce serait diviser, et ils
ne seraient plus deux dans une seule chair 1. Mais s’ils sont deux dans une
seule chair, rien d’étonnant qu’ils soient aussi deux dans une même voix. Quand
Notre Seigneur Jésus-Christ mourut sur la croix, les disciples n’avaient point
encore cet ossement intérieur, ils n’étaient point encore affermis dans la
patience; ils ne se connaissaient point, ils ignoraient leurs forces. Pierre
osa promettre qu’il souffrirait et mourrait avec son maître, pauvre malade qui
ne connaissait point son mal, et que connaissait le médecin suprême. Mais
qu’arriva-t-il? J’irai avec vous jusqu’à la mort, avait-il dit. « Je vous dis
en vérité qu’avant le chant du coq vous me renoncerez trois fois 2 ». Or, la
prédiction du médecin se trouva plus vraie que la présomptueuse parole du
malade, Dès lors, en nous disant: « Un ossement que vous m’avez fait en secret
n’est point caché pour vous », le Prophète parle au nom de ceux qui ont cet os
intérieur, cette force que montra dans sa passion notre Seigneur et Sauveur
Jésus-Christ, qui s’est assis quand il lui a plu, levé quand il lui a plu,
endormi quand il lui a plu, éveillé quand il lui a plu car, nous dit-il, « j’ai
le pouvoir de donner ma vie, et le pouvoir aussi de la reprendre 3». Mais
qu’est-il dit de ceux en qui cette force n’était ni formée, ni affermie? Qu’en
dit le Sauveur? Vois ce qu’il en dit à son Père
« Vos yeux ont vu mon imperfection 4 ». Mon
imperfection dans ce même Pierre qui promettait pour ne pas tenir, qui comptait
sur lui-même pour tomber: vos yeux l’ont vue; car il est écrit que le Seigneur
regarda Pierre qui, après son triple renoncement, se ressouvint de la
prédiction du Sauveur; puis sortit dehors et pleura amèrement 5.Ce fut le
1. Ephés. V, 34, 32 — 2. Matth. XXVI, 34, 35;
Luc, XXII, 33, 34. — 3. Jean, X, 18. — 4. Ps. CXXXVIII, 16.— 5. Luc, XXII, 61,
62.
regard de Dieu qui fit couler ces larmes, «
parce que vos yeux », dit le Prophète, « ont vu mon imperfection ». Cette
imperfection qui le fait chanceler pendant la passion du Sauveur, le conduirait
infailliblement à la mort; mais voilà que vos yeux l’ont vu, et non seulement
lui, mais tous ceux qui furent tremblants jusqu’à ce que la résurrection du
Sauveur les raffermît. Il fut évident pour leurs yeux que la mort n’avait point
détruit dans le Sauveur ce qu’elle avait frappé, et alors se forma en eux cet
ossement secret qui les empêcha de craindre la mort. « Vos yeux ont vu mon imperfection;
tous seront écrits dans votre livre »; non seulement les hommes parfaits, mais
aussi les hommes imparfaits. Que les imparfaits ne craignent point, mais qu’ils
s’avancent. Qu’ils ne craignent pas, dis-je, et néanmoins qu’ils n’aiment pas
leur imperfection, qu’ils ne de. meurent point où ils ont été trouvés.
Seulement, qu’ils s’avancent autant qu’il est en eux; chaque jour un pas,
chaque jour un progrès: toutefois sans s’éloigner du corps du Seigneur, afin
que dans cette unité de corps qui unit ensemble tous les membres, ils méritent
que le Sauveur ait dit en leur nom: « Vos yeux ont vu mon imperfection; et tous
seront écrits dans votre livre ».
22. « Ils s’égareront pendant le jour, et
personne parmi eux ». Le jour, c’était encore Notre Seigneur Jésus-Christ. De
là cette parole: « Marchez tant que vous avez la lumière 1». Mais ceux qui
doivent errer pendant le jour, ce sont les imparfaits qui sont en lui. Eux
encore n’ont vu qu’un homme dans Notre Seigneur Jésus-Christ; ils ont cru que
la divinité n’était point cachée en lui, et que loin d’être un Dieu caché, il
était simple. ment ce qu’il paraissait; voilà ce qu’ils ont cru. Pierre, en
effet, et nous parlons de lui surtout parce que nous trouvons en lui un exemple
de cette faiblesse qui ne doit point nous faire désespérer, Pierre, quand Jésus
demanda ce que les hommes disaient de lui, répondit: « Vous êtes le Christ, le
Fils du Dieu vivant ». Et le Seigneur ajouta: « Tu es heureux, Simon fils de
Jona, car ni la chair ni le sang ne t’ont révélé ceci, mais mon Père qui est
dans les cieux ». Pourquoi heureux? Parce que Pierre l’a proclamé fils de Dieu.
Mais au même endroit, et dans la suite du discours, le Seigneur vint à parler
de sa passion qui
1. Jean, XXII, 35.
approchait. Or, le même Pierre qui l’avait
proclamé Fils de Dieu, craignit qu’il ne mourût comme fils de l’homme. Car le
Christ était Fils de Dieu et fils de l’homme tout ensemble:
Fils de Dieu par cette nature divine qui le
rendait égal à Dieu; fils de l’homme par cette forme de l’esclave 1 qui le
rendait inférieur à son Père 2. Il devait bientôt souffrir dans cette forme de
l’esclave. Pourquoi donc Pierre craignait-il que la nature de Dieu ne pérît
avec la nature de l’esclave, et n’espérait-il pas au contraire que la nature de
l’esclave ressusciterait avec la nature divine? A « Dieu ne plaise», lui
dit-il, « Seigneur, veillez sur nous ». Et le Seigneur, de cette même voix dont
il l’avait appelé bienheureux: «Arrière, Satan », lui dit-il, « tu ne comprends
pas ce qui est de Dieu, mais ce qui est des hommes 3 ». Parce qu’il avait dit
«Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant»,
il entendit cette réponse: « Ni le sang ni la chair ne te l’ont révélé, mais
mon Père qui est dans le ciel »; c’est par là que tu es Pierre, que tu es
bienheureux. Maintenant que sa réponse ne venait point de la révélation du
Père, mais de la faiblesse de la chair, il est appelé Satan. « Tu ne comprends
pas ce qui est de Dieu, mais ce qui est des hommes ». Ainsi dit le Christ, mes
frères; il avait vécu au milieu d’eux, il avait commandé aux vents 4, il avait
devant eux marché sur les flots 5, sous leurs yeux encore il avait ressuscité
un mort de quatre jours 6, sous leurs yeux il avait opéré de si grandes
merveilles, et néanmoins ils furent saisis de crainte au moment de sa passion,
comme s’ils eussent perdu celui en qui ils auraient mis une vaine confiance.
Mais « c’est pendant le jour qu’ils doivent s’égarer, et personne parmi eux ».
Personne, pas même celui quia dit: « Avec vous jusqu’à la mort». Le Christ
avait dit en effet: « Voici l’heure que vous me laisserez seul, et que chacun
ira de son côté. Mais je ne suis point seul, car mon Père est avec moi 7 ». Son
Père était avec lui, et il était avec son Père; comme son Père était en lui, et
lui en son Père; et son Père et lui ne sont qu’un 8; et ses disciples craignent
à sa mort. Pourquoi, sinon parce qu’ils ont erré pendant le jour, et que nul
1. Philipp. II, 6, 7. — 2. Jean, XIV, 28. —
3. Matth. XVI, 13-23. — 4. Id. VIII, 26.— 5. Id. XIV, 25.— 6. Jean, XI, 39-44 —
7. XVI, 32. — 8. Id. X, 30, 38.
n’est en eux? « Ils s’égareront pendant le
jour, et nul n’est en eux ».
23. Mais que signifie: « Ils s’égareront
pendant le jour? » Est-ce à dire qu’ils périront? Que deviendrait alors: « Vos
yeux ont vu mon imperfection, et tous seront écrits dans votre livre? » Quand
donc se sont-ils égarés pendant le jour? Quand ils n’ont pas connu le Sauveur
qui était avec eux. Qu’est-il dit ensuite? « Grande est à mes yeux la gloire de
ceux qui vous aiment, ô mon Dieu ». Ceux-là mêmes qui se sont égarés pendant le
jour, sans que personne fût en eux, sont devenus vos amis, et jouissent à mes
yeux d’une gloire éclatante. Après la résurrection de leur maître, ils ont
acquis cet ossement secret, et eux qui avaient tremblé lors de sa passion,
eurent la force de mourir pour lui. « Grande est à mes yeux la gloire de ceux
qui vous aiment, ô mon Dieu, et leurs principautés sont devenues inébranlables
». Ils sont devenus Apôtres, chefs de l’Eglise, conduisant les béliers du
troupeau: « Et leurs principautés sont affermies d’une manière inébranlable ».
24. « Je les compterai, et ils seront plus
nombreux que le sable des mers 2». De ces hommes qui ont erré pendant le jour,
n’ayant personne avec eux, est née une si grande multitude,que, comme le sable
de la mer, elle ne peut être comptée que par Dieu. Le Prophète a dit en effet:
« Ils sont plus nombreux que le sable des mers », et néanmoins il venait de
dire: « Je les compterai ». Et ceux qui sont comptés seront plus nombreux que
le sable des mers; or, il peut compter le sable de la mer, celui qui a compté
les cheveux de notre tête 3. « Je les compterai, et ils seront plus nombreux
que le sable des mers ».
25. « Je me réveille, et je suis encore avec
vous ». Qu’est-ce à dire, je me lève, et me voilà encore avec vous? Voilà que
je suis mort, que j’ai été enseveli, et bien que je sois ressuscité, ils ne
comprennent pas encore que je sois avec eux. « Je suis encore avec vous»,
c’est-à-dire, pas encore avec eux, puisqu’ils ne me connaissent point encore.
Il est dit en effet dans l’Evangile qu’après la résurrection du Sauveur, les
disciples ne le reconnurent point aussitôt quand il leur apparut. On peut
encore donner un autre sens. « Je me suis levé et je suis encore avec vous »,
désignerait
1.
Ps. CXXXVIII, 17.— 2. Id. 18. — 3. Matth. X, 30.
le temps pendant lequel Jésus-Christ demeure
caché à la droite de son Père, avant qu’il se manifeste dans cette gloire dont
il doit briller en venant juger les vivants et les morts.
26. Il va nous dire ensuite ce que le mélange
des pécheurs, et le schisme de l’hérésie doit lui faire endurer dans son corps
qui est l’Eglise, pendant cet intervalle de temps, qui s’écoule depuis sa
résurrection, alors qu’il est à la droite de son Père. Voici ce qu’il dit en
effet: « Si vous mettez à mort l’impie, ô mon Dieu, hommes de sang retirez-vous
de moi; car tu diras en toi-même: c’est en vain qu’ils prendront leurs villes
1». Il semble qu’on doive construire ainsi la phrase: « Si vous donnez la mort
au pécheur, c’est en vain qu’ils prendront leurs villes ». Car le Prophète
regarde comme frappés de mort les hommes à qui l’enflure de l’orgueil fait
perdre ta grâce qui est la vie. « L’Esprit-Saint en effet évite le déguisement
dans la discipline, et se dérobe aux esprits sans intelligence 2 ». La mort des
pécheurs vient donc de ce que leur intelligence, obscurcie par les ténèbres,
les éloigne de la vie de Dieu, L’orgueil étouffe en eux la confession de leurs
fautes; ils meurent, et voilà que se réalise en eux cette parole: « Pas plus
dans un mort que dans un homme qui n’existe point, il n’y a de confession 3 ».
C’est là prendre en vain leurs villes, c’est-à-dire leurs peuples vains, qui
s’attachent à leurs vaines pratiques. Orgueilleux de leur renommée de justice,
ils entraînent le peuple à rompre le lien de l’unité, et se font suivre comme
plus justes par des aveugles et des ignorants. Or, comme ils prennent souvent
occasion de se séparer de l’unité du Christ en blâmant les méchants, avec
lesquels ils feignent de ne point vouloir de communion; comme il peut se faire
qu’ils ne flétrissent pas seulement les coupables dont ils semblent vouloir
éviter la malice, mais qu’ils disent encore le mal véritable de ceux qui leur
ressemblent, et parmi lesquels gémit le froment du Christ, tout en gardant le
lien de l’unité 4, voilà que le Prophète s’interrompt pour s’écrier: « Loin de
moi, hommes de sang; car tu diras dans ta pensée: C’est en vain qu’ils
s’empareront de leurs villes »;
1.
Ps. CXXXVIII, 19, 20. — 2. Sag. I, 5. — 3. Eccli. XVII, 26. — 4. Matth. III,
22.
c’est-à-dire, ce qui sera cause qu’ils
séduiront leurs peuples pour les porter au schisme, et les corrompre par leurs
propres vanités, « c’est que tu diras dans ta pensée: Hommes de sang,
éloignez-vous de moi ». C’est-à-dire qu’en punition de leur orgueil, l’âme de
ces pécheurs sera mise à mort, et dès lors c’est en vain qu’ils s’empareront de
leurs cités, ou de leurs peuples, en les retranchant de l’Eglise, pour les
entraîner dans la vanité de leurs erreurs; et ainsi choqués par le mélange des
pailles, ils brisent l’unité et se séparent du bon grain. Le Prophète avertit
donc le bon grain, ou les véritables fidèles, de ne point se séparer
ouvertement des méchants avant que l’aire soit vannée, de peur d’abandonner les
bons qui sont encore parmi eux, mais de dire en quelque sorte tacitement, par
une vie pure et une conduite bien différente: « Loin de moi, hommes de sang ».
C’est en effet le langage que tient le bon grain par la voix de Dieu, voix qui
est dans notre pensée, comme Dieu le tient dans la pensée de son peuple saint.
Mais quels sont, mes frères, les hommes de sang, sinon les hommes de haine?
Selon cette parole de saint Jean: « Celui qui hait son frère est homicide 1».
Ces pécheurs donc, mis à mort, ne pouvant comprendre comment, dans la pensée
des bons, Dieu dit aux méchants: « Hommes de sang, éloignez-vous de moi », leur
font un crime de leur communion avec les méchants, et en se séparant d’eux à
cause de ces calomnies, « ils prennent en vain leurs cités». Cette parole que
les bons ne disent aux méchants que dans leur pensée, se fera entendre
ouvertement dans ce dernier jour, quand notre chef élevant la voix: « Je ne
vous ai jamais connus », leur dira-t-il, « éloignez-vous de moi, vous tous
ouvriers d’iniquité 2 ».
27. Et maintenant, dit le corps du Christ, ou
l’Eglise, pourquoi ces calomnies des superbes, comme si les péchés des autres
pouvaient me souiller? pourquoi se séparer de moi « afin de prendre en vain
leurs cités? N’ai-je point haï, ô mon Dieu, ceux qui vous haïssaient 3?»
Pourquoi ces hommes plus méchants veulent-ils me forcer à une séparation
corporelle des méchants, me faire arracher le bon grain avec l’ivraie, avant le
temps de la moisson 4; me détourner de supporter la paille
1. I
Jean, III, 15. — 2. Matth. VII, 23. — 3. Ps. CXXXVIII, 21. — 4. Matth. XIII, 30.
avant que l’aire soit vannée 1; me porter à
déchirer le filet de l’unité, avant que tous les poissons soient parvenus à la
fin des siècles, comme sur le rivage où l’on fait le discernement 2? Ces sacrements
que je reçois sont-ils des méchants? Tolérer leur vie et leurs moeurs, est-ce
donc communiquer avec eux? «N’ai-je donc point haï, ô mon Dieu, ceux qui vous
haïssaient? N’ai-je point séché de dépit à la vue de vos ennemis? » Quand le
zèle de votre maison me dévorait 3, n’est-ce point avec dégoût que je voyais
les insensés? Un profond ennui ne s’emparait-il pas de moi, à la vue de ceux
qui délaissaient votre loi 4? Quels sont, en effet, vos ennemis, sinon les
hommes qui témoignent par leur vie qu’ils haïssent vos préceptes? Et puisque je
les hais, pourquoi ceux qui s’emparent en vain de leurs villes s’en
viennent-ils me calomnier, et rejeter sur moi les péchés de ceux que je
déteste, et au sujet desquels m’enflammait de dépit mon zèle pour la maison de
Dieu? Mais alors, que devient ce précepte «Aimez vos ennemis?» Sont-ce vos
ennemis qu’il faut aimer, et non ceux de Dieu? « Faites du bien », est-il dit,
« à ceux qui vous haïssent 5 ». Il n’est point dit: A ceux qui haïssent Dieu.
De là cette parole de l’interlocuteur: « N’ai-je point haï, Seigneur, ceux qui
vous haïssaient?» Il ne dit point: Ceux qui me haïssent. Et encore. « La vue de
vos ennemis m’irritait», et non des miens. Mais ceux qui nous haïssent, qui
sont nos ennemis, précisément parce que nous servons Dieu, ne haïssent-ils pas
le Seigneur, ne sont-ils pas ses ennemis? De tels ennemis, ne devons-nous donc
pas les aimer? N’est-ce point au nom du Seigneur qu’ils souffrent persécution,
ceux à qui il est dit: Priez pour ceux qui vous persécutent? Ecoute ce qui
suit.
28. «Je les poursuis d’une haine parfaite».
Que signifie une haine parfaite? Je haïssais en eux l’iniquité, j’aimais ce que
vous y aviez fait. Poursuivre d’une haine parfaite, c’est ne point haïr les
hommes à cause de leurs vices, ne point aimer les vices à cause des hommes.
Vois, en effet, ce qu’ajoute le Prophète « Ils sont devenus mes ennemis ». Ils
ne sont plus ennemis de Dieu seulement, ils sont ses ennemis. Comment donc
accomplir à leur égard ce qu’il a dit lui-même: « Je les
1.
Matth. XXI, 12.— 2. Id, XIII, 47.— 3. Ps. LXVIII, 10. — 4. Id. 118, 53.— 5.
Matth. V, 44.
poursuivais d’une haine parfaite »; et ce
précepte du Seigneur: « Aimez vos ennemis? » Comment accomplir ces
prescriptions, sinon au moyen de cette haine parfaite qui porte à les haïr
parce qu’ils sont injustes, à les aimer, parce qu’ils sont hommes? Dans
l’Ancien Testament, quand le peuple charnel était retenu dans le devoir par les
châtiments visibles, comment haïssait les pécheurs cet homme qui appartenait
par l’esprit au Nouveau Testament, ce Moïse, fidèle serviteur de Dieu, qui
priait pour eux, et comment ne les haïssait-il point, lui qui leur donnait la
mort, sinon qu’il les haïssait d’une haine parfaite? Il avait pour l’iniquité
qu’il châtiait une haine si parfaite, qu’il aimait en même temps le coupable
jusqu’à prier pour lui.
29. Maintenant donc que le corps du Christ
gémit pour un temps parmi les pécheurs dont il sera séparé au dernier jour:
maintenant que ces pécheurs sans vie, calomniant les bons au sujet de leur
mélange avec les méchants, et se séparant eux-mêmes des bons et des innocents,
bien plus encore que des méchants, prennent en vain leurs villes, au point
qu’il reste néanmoins beaucoup de méchants qui ne les suivent point dans leur
schisme, qui demeurent dans cette confusion, pour exercer la patience des bons,
que fera dans cet état de choses le corps du Christ, qui produit par la
patience 1 trente, soixante, et jusqu’à cent pour un? Que fait cette épouse du
Christ au milieu des filles, comme le lis au milieu des épines? Que dit-elle?
Quelle est sa pensée? Quelle est la beauté intérieure de cette fille du roi 2?
Ecoute sa prière: «Eprouvez-moi, ô Dieu,et connaissez mon coeur 3». Eprouvez
vous-même, ô mon Dieu, et connaissez; que ce ne soit point l’homme, ni
l’hérétique: ils ne sauraient m’éprouver, ni connaître mon coeur où pénètrent
vos regards, ce qui vous montre que je ne donne aucun assentiment aux actes des
pécheurs, tandis qu’ils s’imaginent que les péchés des autres peuvent me
souiller. Voyez encore lorsque, dans mon exil si lointain, je gémis avec le
Prophète dans un autre psaume, c’est-à-dire que je garde la paix avec ceux qui
la haïssent 4, jusqu’à ce que je parvienne à la vision de la paix, ou à cette
Jérusalem qui est notre mère, l’éternelle cité des cieux, les voilà
1.
Matth. XIII, 23; Luc, VIII, 15.— 2. Ps. XLIV, 14.— 3. Id. CXXXVIII, 23. — 4. Id.
CXIX, 7.
qui pointillent, qui calomnient, qui se
séparent, qui « reçoivent leurs villes », non pour l’éternité, mais pour la
vanité. « Eprouvez-moi donc, ô Dieu, et connaissez mon coeur; sondez-moi, et
connaissez mes sentiers ». Que veut dire le Prophète? Ecoutons la suite.
30. « Et voyez s’il y a en moi quelque trace
d’iniquité; conduisez-moi dans la voie éternelle 1 ». « Sondez mes sentiers»,
dit le Prophète, c’est-à-dire mes desseins et mes pensées: « Et voyez s’il y a
en moi quelque trace de l’iniquité», soit que je l’aie commise, soit que j’y
aie consenti: « Et conduisez-moi dans la voie éternelle » Qu’est-ce à dire,
sinon conduisez-moi dans le Christ? Qui est, en effet, la voie éternelle, sinon
celui qui est aussi la vie éternelle? Or, celui-là est éternel qui a dit: « Je
suis la voie, la vérité et la vie 2 ». Si donc vous trouvez dans mes voies
quelque chose qui déplaise à vos yeux, parce que ma voie est mortelle; pour
vous, « conduisez-moi dans la voie éternelle », où l’on ne voit nulle
injustice: « Si quelqu’un, en effet, vient à pécher, nous avons pour avocat
auprès du Père, Jésus-Christ qui est juste. C’est lui qui intercède pour nos
péchés 3 »; c’est lui qui est la voie éternelle
1. Ps. CXXXVIII, 24. — 2. Jean, XIV, 6. — 3.
I Jean, II, 1.
sans aucune faute, et la vie éternelle sans
châtiment.
31. Il y a là une grande figure, mes frères. De quelle manière l’Esprit
parle-t-il avec nous? Comment fait-il nos délices dans l’obscurité de cette
nuit? Pourquoi, mes frères, je vous le demande, ces vérités ont-elles plus de
douceurs à proportion de leur obscurité? Dieu, par d’ineffables secrets, nous
prépare un breuvage d’amour. Il donne un tour admirable à ses paroles, en sorte
que, dussions-nous dire ce que vous savez déjà, la connaissance vous en paraît
nouvelle, parce qu’on le tire de passages qui vous paraissaient obscurs, Ne
saviez-vous point, en effet, mes frères, qu’il nous faut tolérer les méchants
dans l’Eglise de Dieu, sans y faire aucun schisme? Ne saviez-vous point déjà
que dans ce filet, qui contient de bons et de mauvais poissons, il faut
demeurer jusqu’à ce que le filet soit amené sur le rivage, et qu’il ne faut
point le déchirer; que sur le rivage seulement on fera la séparation, afin de
mettre les bons poissons dans des vaisseaux, et de jeter les mauvais? Voilà ce
que vous saviez, sans toutefois comprendre ces versets de notre psaume: je vous
ai expliqué ce que vous ne compreniez pas, et vous y avez trouvé ce que vous
saviez.
SERMON PRÊCHÉ AU PEUPLE DANS UNE ASSEMBLÉE
D’ÉVÊQUES.
Quiconque
appartient au Christ doit soupirer après la justice, mais non se séparer des méchants
dont le discernement n’appartient qu’à Dieu. Aimons dans les méchants ce que
Dieu a fait, haïssons ce qu’ils font.
« Pour
la fin », ou pour le Christ fin de la loi, « à David », ou au Christ, fils de
David selon la chair. L’homme méchant dont l’interlocuteur veut être délivré,
c’est le diable, appelé aussi l’homme ennemi; c’est encore l’homme vicieux qui
se nuit à lui-même et aux autres par l’exemple, homme que nous devons essayer
de corriger. Il médite le crime, et m’oppose la guerre ou des projets que je
dois combattre, il aiguise sa langue et a le venin du serpent dans ses paroles
hypocrites; il cherche à supplanter mes démarches, c’est-à-dire ou à m’arrêter
dans la voie de Dieu, ou à m’en faire sortir. Leur opposer la prière. Les
superbes ou suppôts de Satan cachent leurs pièges contre le juste, s’efforçant
de l’entraîner, comme Satan entraîna l’homme. Au lieu de porter envie au juste,
soyez justes, la volonté suffit. Ce piège de cordes tendu par les méchants,
c’est le péché ajouté à lui-même, fil par fil, non fil droit mais tordu; piège
tendu, e long des préceptes; suivons ceux-ci, nous éviterons l’autre. Le
Prophète veut que le Seigneur écoute la voix, ou la vie de sa prière, et non un
vain son. Il en appelle à Dieu contre les scandales, demande la véritable force
qui le fera persévérer, lui donnera la résistance des martyrs, lui fera voir le
piége. Ceux qui sont pris dans le cercle de l’erreur tourneront sans fin,
s’épuiseront à mentir, seront exposés aux charbons ardents, qui consumeront les
uns, rallumeront les autres.
Ce grand parleur qui ne peut subsister, c’est l’homme qui se
jette au dehors, qui cherche l’occasion de paraître; aimons l’intérieur,
n’instruisons que par nécessité. Le mal qui s’attaque à l’homme d’iniquité lui donne
la mort, au juste il meurtrit la chair sans atteindre l’âme. Le pauvre auquel
Dieu fera justice est celui qui a faim et soif de la justice, et qui obtiendra
l’objet de ses désirs; les justes confesseront le nom du Seigneur, c’est-à-dire
qu’ils n’attribueront rien à leur propre justice, mais tout à la divine
miséricorde, et à cause de leur justice, ils verront Dieu.
1. Mes seigneurs et frères 1 m’ont ordonné,
et par eux le Seigneur de tous, de vous exposer ce psaume autant qu’il m’en
donnera la force. Puisse-t-il exaucer vos prières, et mettre dans ma bouche ce
que je dois dire, ce que vous devez entendre, et qu’ainsi la parole de Dieu
nous soit avantageuse à tous. Si elle ne l’est pas quelquefois pour tous, c’est
que tous n’ont pas la foi 2. Or, cette foi est dans l’âme comme une racine
vivace qui permet à la pluie d’aboutir au fruit; tandis que l’infidélité, les
erreurs du diable, et les mauvais désirs qui sont la racine de tous les maux 3,
ressemblent aux racines de l’épine qui changent en pointes aigués la
bienfaisante rosée.
2. Vous avez remarqué, je crois, ce que
contient le psaume, quand on le chantait c’est une plainte, un gémissement,
c’est une prière qu’adresse à Dieu le corps du Christ confondu avec les
méchants. C’est toujours lui qui parle dans ces sortes de prophéties c’est lui
qui est pauvre, qui n’est point rassasié, qui a pour la justice 4 cette faim et
cette soif que Dieu promet de rassasier un jour. Mais, jusqu’à ce moment, qu’il
ait faim,
1. Des évêques, sans doute, réunis alors. —
2. II Thess. III, 2. — 3. I Tim. VI, 10 — 4. Matth. V, 6.
qu’il ait soif ici-bas, qu’il gémisse, qu’il
frappe et qu’il cherche. Qu’il résiste aux charmes de l’exil, ne regarde point
comme sa patrie ce siècle dont le Christ est venu nous délivrer. Car le Christ
a voulu devenir notre tête, la tête d’un certain corps; puisqu’on ne saurait
donner le nom de tête à ce qui n’a point un corps dont il soit le chef. Donc,
si le Christ est la tête, c’est qu’il y a un corps dont il est la tête. Or, la
sainte Eglise est le corps de ce chef auguste, et nous en sommes les membres,
si nous aimons notre chef. Ecoutons donc les paroles de ce corps, c’est-à-dire
les nôtres, si nous sommes dans le corps du Christ; quiconque n’en est point,
fait nombre avec ceux au milieu desquels il gémit. Dès lors, ou bien tu feras
partie du corps, tu gémiras au milieu des méchants, ou bien tu ne seras point
de ce corps mystique, et alors tu feras partie des méchants parmi lesquels ce
corps gémit aujourd’hui; tu seras donc ou membre dans le corps du Christ, ou
ennemi du corps du Christ. Or, ces ennemis du corps du Christ, ou ses
adversaires, ne doivent pas s’entendre dans un même sens, et n’agissent point
de la même manière. Celui qui règne en eux, qui s’en fait (176) des
instruments, est plein d’astuce. Toutefois, le Christ en délivre beaucoup de sa
tyrannie. et ils se rangent parmi ses membres; il n’appartient qu’à celui qui
les a rachetés de son sang et à leur insu, de les connaître et d’en connaître
le nombre. D’autres, sans appartenir au corps du Christ, persévèrent dans leur
malice et sont connus de celui à qui rien n’est inconnu. Mais en attendant,
comme ceux qui ont leur place parmi ses membres, sans être arrivés à la
résurrection future, laquelle mettra fin à tout gémissement et fera place à la
louange, de laquelle toute affliction disparaîtra, pour être remplacée par une
éternelle allégresse; comme ceux-là ne possèdent point ce bonheur en réalité,
mais seulement en espérance, ils gémissent dans leur impatience, ils supplient
Dieu de les délivrer des méchants, parmi lesquels sont forcés de vivre les bons
eux-mêmes. Chacun, en effet, n’est pas libre de s’en séparer en toute sûreté;
celui-là seul qui ne peut se tromper doit en faire le discernement. Qu’est-ce à
dire, qui ne peut se tromper? Qui ne saurait mettre le méchant à gauche, et le
bon à droite. Pour nous, tant que nous sommes en cette vie, il nous est
difficile de nous connaître nous-mêmes; combien serions-nous téméraires de nous
prononcer au sujet des autres? Tel est méchant aujourd’hui, et nous ne savons
ce qu’il sera demain; tel que nous haïssons est peut-être notre frère, et nous
ne le savons pas. Nous pouvons donc en sûreté haïr dans les méchants leur
malice, et aimer la créature de manière à aimer l’oeuvre de Dieu, à haïr
l’oeuvre de l’homme; car c’est Dieu qui a fait l’homme, et c’est l’homme qui a
fait le péché; aime alors ce que Dieu a fait, et hais ce qu’a fait l’homme; et
tu poursuivras ainsi l’oeuvre de l’homme, en dégageant l’oeuvre de Dieu.
3. « Pour la fin, psaume à David 1 ». Ne
cherchons d’autre fin que la fin marquée par saint Paul: « Le Christ est la fin
de la loi, pour justifier ceux qui croiront 2 ». Donc, lorsque le psaume nous
dit: « Pour la fin », que vos coeurs se tournent vers le Christ. Le titre d’un
psaume est comme un héraut qui nous crie: Il viendra, c’est de lui que je
parle, c’est le Christ que je vais chanter. Et par ces mots: «A David lui-même
»,je n’entends que celui qui viendra dans la lignée de David selon la chair 3.
Car le nom rappelle
1. Ps. CXXXIX, 1.— 2. Rom. X, 4.— 3. Id. I,
3.
ici la race, race de David selon la chair,
race bien supérieure à David selon l’esprit; race antérieure non plus à David,
mais à Abraham 1; non plus à Abraham, mais à Adam; non plus à Adam, mais au
ciel, à la terre,à tous les anges, à toutes les Puissances, à toutes les
Vertus, aux choses visibles et aux choses invisibles. Pourquoi? C’est que pour
exister, « toutes choses ont été faites par lui, sans qui rien n’a été fait 2
». C’est donc parce qu’il est de la lignée de David, non point en sa divinité,
puisqu’en elle il est le créateur de David; mais seulement selon la chair,
qu’il a daigné prendre le nom de David dans les prophéties; envisageons la fin,
puis. que c’est à « David lui-même » que l’on chante notre psaume; écoutons la
voix de son corps, et soyons membres de ce même corps. Que la voix que nous
avons entendue soit notre voix; prions et disons ce qui suit.
4. « Arrachez-moi, Seigneur, au pouvoir de
l’homme méchant 3»; non pas d’un seul, mais de toute la race; non pas de ses
instruments seulement, mais du prince même, c’est-à-dire du diable. Mais
pourquoi dit-il de l’homme, si c’est du diable? C’est que lui-même est appelé
homme d’une manière figurée: « L’homme ennemi vint et sema de l’ivraie par
dessus »; et quand les serviteurs viennent demander au Père de famille: «
N’avez-vous pas semé de bon grain? d’où « vient qu’il y a de l’ivraie? » il
répond: « C’est l’homme ennemi qui a fait cela 4». C’est donc de cet homme
méchant que tu dois de tout ton pouvoir demander à Dieu ta
délivrance; « car tu n’as pas à lutter contre
la chair et le sang, mais contre les Principautés et contre les Puissances,
contre les princes des ténèbres de ce monde, c’est-à-dire contre les princes
des pécheurs 5 ». C’est ce que nous avons été nous-mêmes; écoutons en effet ce
que dit l’Apôtre: « Autrefois vous étiez ténèbres, vous êtes maintenant lumière
dans le Seigneur 6». Devenus lumière, non pas en nous, mais dans le Seigneur,
prions non seulement contre les ténèbres, c’est-à-dire contre les pécheurs qui
sont encore au pouvoir du diable; mais contre
le diable qui est leur prince, et qui agit
dans les enfants de l’incrédulité 7. « Délivrez-moi de l’homme injuste »;
c’est-à-dire du
1. Jean, VIII, 58. — 2. Id. I, 3. — 3. Ps. CXXXIX, 2.— 4. Matth. XIII, 25-28.— 5. Ephés. VI,
12. — 6. Id. V, 8.— 7. Id. II, 2.
méchant qui est aussi injuste. Il est appelé
méchant, par cela même qu’il est injuste: et ne croyons pas qu’un homme injuste
puisse être bon. Il est beaucoup d’hommes injustes qui ne paraissent nuire à
personne, qui n’ont ni cruauté, ni aigreur, qui ne persécutent, qui n’affligent
personne: et néanmoins ils sont injustes, d’une autre manière, parce qu’ils
sont adonnés à la luxure, à l’intempérance, à la débauche. Comment serait
innocent cet homme qui se nuit à lui-même? Car être innocent, c’est ne pas
nuire; on ne l’est plus dès qu’on se nuit. Et comment un homme qui se nuit
peut-il ne pas te nuire?Mais, diras-tu, en quoi me nuit-il? Il n’en veut pas à
mon bien, il n’attente pas à ma vie; il se repaît de ses débauches, met sa joie
dans ses voluptés; mais s’il a de honteux plaisirs, ils ne flétrissent que
lui-même; que m’importe, dès lors qu’il ne m’offense point? Il t’offense du
moins par son exemple, car il vit près de toi et t’invite à faire ce qu’il fait.
Quand tu le vois prospérer malgré ses dérèglements, n’es-tu point porté à aimer
ses actes? Si tu ne cèdes point à ses désirs, il te donne au moins occasion de
résister. Comment donc cet homme ne te nuisait-il en rien, puisque tu ne
surmontes qu’avec peine l’impression qu’il a faite en ton coeur? Tout homme
injuste est donc un méchant, il faut qu’il nuise, ou par ses flatteries, ou par
ses violences. Quiconque le rencontrera, quiconque tombera dans ses piéges,
éprouvera combien est dangereux ce qu’il croyait innocent. Les épines, mes
frères, ne blessent point dans leur racine; arrache-les de terre, touche cette
racine, et vois si tu ressens aucune douleur; et néanmoins ce qui te meurtrit à
la surface, vient de cette racine. Ne vous laissez donc point surprendre par
ces hommes flatteurs et inoffensifs en apparence, mais adonnés aux plaisirs de
la chair, esclaves de leurs honteuses convoitises; ne vous laissez point
surprendre. Quelle que soit leur douceur en apparence, ils sont des épines par
la racine. Souvent ils consomment dans la débauche tout ce qu’ils possèdent, et
quelle fureur ensuite à recouvrer ce qu’ils ont dissipé ! Vont- ils reculer
devant la rapine, devant les projets de fraudes, les machinations de
friponnerie? Tu vois déjà la méchanceté de cet homme, que tu croyais
inoffensif. Tu voyais en lui un ivrogne, et il te paraissait homme de bien; tu
le vois voleur, tu crains d’être volé; les épines sont sorties de la racine.
Lorsque les racines te paraissaient douces, tu devais les brûler, si tu le pouvais,
il n’en serait point sorti de quoi te meurtrir aujourd’hui. Vous donc, mes
frères, qui êtes le corps du Christ et ses membres, qui gémissez au milieu des.
méchants, quand vous rencontrerez de ces hommes qui se laissent entraîner à des
passions criminelles, à de pernicieuses voluptés, n’épargnez ni le blâme, ni le
châtiment, ni le feu. Brûlez la racine, afin qu’il n’en sorte aucun aiguillon.
Si vous ne le pouvez, soyez assurés qu’ils seront un jour vos ennemis. Ils
peuvent garder le silence, ils peuvent dissimuler leurs iniquités, ils ne
sauraient vous aimer. Et dès lors qu’ils ne sauraient vous aimer que par haine
pour vous, ils doivent chercher à vous nuire; votre langue et votre coeur
doivent dire à Dieu: « Délivrez-moi, Seigneur, de l’homme du mal, délivrez-moi
de l’homme injuste ».
5. « Ils ont médité le crime dans leur cœur
1». Que vous importe que leur langue n’ose point dire au dehors, si la haine
est dans leur coeur? Le Prophète nous tient ce langage à cause de ceux qui
n’ont sur les lèvres que des paroles de douceur. Ils ont la parole du juste,
mais non le coeur du juste. Pourquoi, en effet, le Prophète ajouterait-il «
Dans leur coeur ils ont médité le crime? »Délivrez-moi de ces hommes, signalez
votre puissance en m’arrachant à leurs mains. Il est aisé de se défendre contre
des inimitiés déclarées, il est aisé de se soustraire à un ennemi évident et
manifeste, qui montre son iniquité sur ses lèvres; mais celui-ci est dangereux,
parce qu’il est caché; il est difficile à éviter, parce que la douceur est sur
ses lèvres et le mal dans son coeur. « Dans leur coeur ils ont médité le crime:
tout le jour ils « projetaient des guerres contre moi». Qu’est-ce à dire, « des
guerres?» Ils m’opposaient chaque jour des choses que je devais combattre. Car
c’est du coeur dc ces hommes que sort tout ce que doit combattre un chrétien.
Sédition, schisme, hérésie, trouble, contradiction, tout cela ne sort que des
pensées que l’on tenait secrètes, alors que le bien était sur les lèvres. «
Tout le jour ils m’opposaient des guerres ». Tu entends des paroles de paix,
mais le dessein belliqueux n’abandonne point
1. Ps. CXXXIX, 3.
leurs coeurs. Car « tout le jour » signifie
sans interruption, ou tout le temps.
6. « Ils ont aiguisé leur langue comme celle
du serpent 1 ». Vous cherchez encore l’homme en eux, mais voyez à quoi ils
ressemblent. Le serpent a le plus de ruse, le plus d’habileté pour nuire; c’est
pour cela qu’il se glisse. Il n’a pas même de pieds qui vous laissent entendre
sa marche. Sa route est marquée d’une traînée qui paraît douce, mais qui n’est
pas droite. Il se coule doucement, il rampe afin de nuire; ainsi ces hommes
renferment un venin caché sous une douceur apparente. De là cette parole du
Prophète: « Ils ont sous les lèvres le venin de l’aspic ». Le Prophète nous dit
ici sous les lèvres, afin de nous montrer que sous les lèvres et sur les lèvres
sont bien différents. Il stigmatise ouvertement ces hommes, quand il dit
ailleurs: « Ils ont des paroles de paix avec leur prochain, et le mal est dans
leurs coeurs 2 ».
7. « O Dieu, défendez-moi contre la main des
pécheurs, délivrez-moi des hommes injustes 3 ». Ceux-ci sont connus, ils sont
visibles; il n’est point nécessaire ici de comprendre, mais d’agir, il faut
prier sans demander qui ils sont. Mais le Psalmiste nous montre dans la suite
comment nous devons prier contre ces hommes. Il en est qui prient contre les
méchants d’une manière imparfaite. « Ils ont résolu de me faire tomber », dit
le Prophète. Cela peut s’entendre encore d’une manière charnelle. Chacun a son
ennemi, qui cherche à le tromper dans une affaire, à s’emparer de son argent,
quand ils ont commerce ensemble; chacun ason ennemi dans son voisin, qui
cherche à lui nuire dans sa maison, à lui causer quelque dommage, qui médite la
ruse, qui a recours àla fraude, qui cherche à nuire par toutes les machinations
que lui suggère le diable» cela est hors de doute. Ce n’est point contre ces
maux qu’il faut nous mettre en garde, mais contre leurs embûches pour nous
attirer à eux, c’est-à-dire pour nous séparer du corps de Jésus-Christ et nous
faire entrer dans leur corps. De même, en effet, que le Christ est le chef des
bons, de même le diable est le chef des méchants. « Ils ont résolu de
supplanter mes démarches». Qu’est-ce à dire, « supplanter mes démarches? » Ce
n’est point pour te
1. Ps. CXXXIX, 4. — 2. Id. XXVII, 8. — 3. Id.
CXXXIX, 5.
tromper dans une affaire que tu as avec lui,
ni pour te tendre quelque piége dans un procès que tu soutiens coutre lui. Mais
il a supplanté tes démarches, s’il t’a empêché de marcher dans la voie de Dieu,
s’il t’a fait chanceler quand tu marchais droit, s’il t’a fait tomber dans la
voie, ou jeté hors de la voie, ou retardé dans la voie, ou fait reculer dans la
voie. Agir ainsi contre toi, c’est te supplanter, te tromper. Arme-toi de la
prière contre de semblables piéges, afin de ne point perdre le patrimoine du
ciel, ni ton héritage avec le Christ; car tu dois vivre éternellement avec
Celui qui t’a fait son cohéritier, Tu n’es pas, en effet, l’héritier d’un homme
à qui tu doives succéder à la mort, mais de celui avec qui tu dois vivre dans
l’éternité.
8. « Les superbes ont caché les piéges qu’ils
me dressent 1 ». Le Prophète comprend eu un seul mot le corps du diable, quand
il dit « les superbes ». De là vient que souvent ils se disent justes, en dépit
de leurs iniquités. Delà rien de plus pénible pour eux que l’aveu de leurs
fautes. Dans la fausseté de leur justice ils doivent nécessairement porter
envie aux vrais justes. Car nul ne porte envie à un autre dans ce qu’il ne'veut
pas être en effet, ou du moins paraître. L’un porte envie à tes richesses, ou
bien parce qu’il désire ces richesses qu’il t’envie, Ou bien parce qu’il veut
paraître riche; un autre porte envie à ton illustration, à ta noblesse, ou bien
lui-même aspire à un rang distingué, ou veut que l’on croie à sa distinction.
Il en est ainsi de tous les biens, ou du moins de tout ce que le monde regarde
comme des biens; un homme envie chez toi ce qu’il voudrait, ou posséder, ou
même posséder à un degré supérieur, ou dont il veut se donner les apparences.
Or, ceux qui n’ont qu’une fausse justice veulent se donner les apparences de la
justice véritable; et dès lors s’ils rencontrent un juste, ils doivent lui
porter envie et s’efforcer de lui faire perdre ce dont ils se glorifient. De là
viennent toutes les séductions, toutes les trahisons. Tel fut tout d’abord le
dessein du diable qui, après sa chute, fut jaloux de l’homme demeuré fermé: et
comme il a perdu le royaume des cieux 2, il ne voulut point que l’homme y parvînt,
il ne le veut point encore; tous ses efforts sont d’empêcher l’homme d’arriver
au ciel d’où lui-même
1. Ps. CXXXIX, 6. — 2. Gen. III, 1.
est tombé. Comme donc il est orgueilleux, et
dès lors comme il est envieux à cause de son orgueil, tous les membres dont il
est la tête sont orgueilleux et jaloux. Armons-nous de la prière contre lui qui
ne saurait se convertir, mais en faveur de ceux qui le peuvent encore, et
disons à l’homme injuste: Pourquoi, dans ton injustice, porter envie à l’homme
juste? Afin de te donner à toi-même l’apparence de la justice? Prends la voie
la plus courte, fais le bien, et tu paraîtras facilement ce que tu seras en
effet. Sois juste, et tu aimeras celui dont tu étais jaloux; tu seras toi-même
ce qu’il t’est pénible de voir en lui, tu t’aimeras en lui, et lui en toi. Ni
ton envie contre le riche ne te donnera le pouvoir d’être riche, ni ton envie
contre un homme illustre, un noble sénateur, ne te donnera l’illustration et la
dignité, ni ton envie contre un homme doué de beauté, ne t’embellira toi-même,
ni ton envie contre un homme courageux ne te donnera du courage; mais si tu
portes envie au juste, il ne tient qu’à toi, sois ce qu’il t’est pénible de
voir dans un autre. Ce que tu n’es point, et ce qu’est un autre, ne s’achète
point, cela se donne gratuitement et promptement: « Paix sur la terre aux
hommes de bonne volonté 1».
9. Ces hommes superbes m’ont donc caché un
piège; ils ont cherché à supplanter mes démarches, et qu’ont-ils fait? « Ils
ont tendu devant mes pieds des filets de cordes ». Quelles cordes? Ç’est là une
expression des saintes Ecritures, et nous en trouvons le sens quelque part. Ce
fut avec des cordes que Jésus fat un fouet pour chasser du temple ceux qui le
profanaient par le trafic 2, nous montrant ainsi ce que signifient les cordes
car chacun est lié par les cordes de ses péchés 3 », dit ailleurs l’Ecriture.
Et Isaïe nous dit clairement: « Malheur à ceux qui traînent leurs péchés comme
une longue chaîne 4 ». Pourquoi les appeler une chaîne? Parce que tout pécheur qui
persévère dans le péché ajoute au péché des péchés nouveaux:
et quand il devrait se corriger par l’aveu,
il l’augmente en défendant ses fautes, ce que la confession aurait pu dissiper,
et souvent du péché qu’il commet il prétend se faire un rempart contre ceux
qu’il a commis. Tel a commis un adultère, et il médite un homicide pour n’être
point tué lui-même; au
1. Luc. II, 14. — 2. Jean, II, 15.— 3. Prov.
V, 22. — 4. Isa. V, 18.
péché il ajoute te péché. S’il a commis un
homicide, au lieu d’un crime, il craint pour deux; et quand il voit ses
craintes se multiplier, au lieu de diminuer ses crimes, il pense au contraire à
en ajouter de nouveaux; il a recours aux maléfices, et c’est son troisième
crime. Une fois qu’on arrive à ce point, où est le pécheur qui réfléchit, qui
termine la chaîne de ses péchés? Elle est donc bien une corde; et, en effet,
filer une corde c’est y ajouter des fils, et non des fils droits, mais retors.
Ainsi le crime ajouté au crime, est une corde qui se prolonge, et le pécheur ne
songe point à rompre son malheureux tissu, il n’est occupé qu’à l’augmenter, à
l’étendre, à l’allonger; en sorte qu’à la fin le voilà pieds et mains liés, et
jeté dans les ténèbres extérieures 1. Tels sont donc les péchés qu’ils tendent
comme des filets aux justes, quand ils les veulent entraîner au mal qu’ils font
eux-mêmes. De là le mot du Prophète: « Ils ont tendu devant mes pieds des
filets de cordes »; c’est-à-dire: ils me veulent faire tomber au moyen de leurs
péchés. Mais où sont tendus ces pièges? « Le long des sentiers ils ont mis des
pierres d’achoppement ». Non pas dans les sentiers, mais près des sentiers. Vos
sentiers sont les préceptes du Seigneur; or, ils ont placé des pièges le long
de ces sentiers; pour toi, ne t’en écarte pas, tu ne tomberas point dans ces
scandales, Ne viens pas dire: Si Dieu leur défendait de me tendre des pièges le
long des sentiers, ils n’en tendraient point. lia permis au contraire qu’ils
missent le long des sentiers ces pierres de scandale, pour t’empêcher de
t’écarter du sentier. « Le long des sentiers ils ont placé des pierres de
scandale ».
10. Qu’ai-je à faire? Quel remède au milieu
de tant de maux, de tant d’épreuves, de tant de périls? « J’ai dit au Seigneur.
« Vous êtes mon Dieu ». Ceux-là sont des hommes, et n’ont rien de commun avec
moi; mais vous, Seigneur, vous êtes Dieu, et mon Dieu. « J’ai dit au Seigneur:
Vous êtes mon Dieu 2 ». Sainte prière qui donne la confiance. Mais Dieu
n’est-il pas aussi leur Dieu? De qui n’est-il pas Dieu, celui qui est le Dieu
véritable? Il l’est néanmoins plus particulièrement de ceux qui jouissent de
lui, qui le servent, qui se font un bonheur de lui être soumis. Il est vrai que
les méchants lui sont soumis également, en dépit de leur orgueil. Mais les uns
1. Matth. XXII, 13. — 2. Ps. CXXXIX, 7.
appellent Dieu pour les couronner, les autres
veulent secouer son joug parce qu’il doit les condamner. Quant à l’homme
d’iniquité, qui ne veut point avoir le Seigneur pour son Dieu, où fuira-t-il le
Dieu de tous? Le bien pour lui est de se convertir au Dieu de tous, et par
cette conversion d’en faire son Dieu, et au milieu de tant de criminels, de
séducteurs, d’hypocrites, d’orgueilleux, de dire à Dieu devenu son Dieu par sa
conversion: « J’ai dit au Seigneur: Vous êtes mon Dieu, Ecoutez, e Seigneur, la
voix de mes supplications »., Ces paroles sont simples, faciles à comprendre;
et pourtant il y a un certain intérêt à se demander pourquoi le Prophète n’a
pas dit: «Ecoutez ma prière», et comment il semble donner plus d’expression au
sentiment de son coeur, quand il dit: « La voix de ma prière», ce qui donne la
vie à ma prière, ce qui l’anime, non point le son de mes paroles, mais la vie
de mes paroles. Tout autre bruit sans âme peut bien s’appeler un son; mais pas
une voix. La voix, en effet, est le propre des êtres animés, vivants. Combien
sont nombreux ceux qui prient Dieu, sans avoir le sentiment de Dieu, une pensée
digne de Dieu ! Ils peuvent avoir le son de la prière, mais non la voix de la
prière, puisque leur prière est sans vie. Elle avait donc une voix, la prière
de notre interlocuteur; car il vivait, il comprenait que Dieu était son Dieu,
il voyait qu’il le délivrerait, et il sentait de quels maux il serait délivré.
11. Pour la signaler donc à l’oreille de
Dieu, qu’il s’écrie: « Seigneur, Seigneur ». Vous Seigneur, Seigneur,
c’est-à-dire vous qui êtes véritablement Seigneur, non Seigneur à la manière
des hommes, non Seigneur comme ceux qui achètent à prix d’argent, mais Seigneur
qui nous avez rachetés de votre sang. « Seigneur, Seigneur, vous, la force de
mon salut 1 »; c’est-à-dire qui donnez la force à mon salut. Qu’est-ce à dire «
la force de mon salut? » Le Prophète se plaignait des scandales et des piéges
des pécheurs, de ces hommes pervers apostés par le diable pour aboyer autour de
lui et tendre des embûches, de ces orgueilleux jaloux des justes, au milieu
desquels nous sommes forcés de vivre tant que nous sommes ici-bas dans l’exil.
Le Sauveur lui-même nous a prédit qu’il y aura beaucoup de semblables
1. Ps. CXXXIX, 8.
scandales quand il dit: « L’iniquité doit
abonder, et parce que l’iniquité abondera, la charité se refroidira dans
plusieurs ». Mais il ajoute, pour nous consoler: « Quiconque aura persévéré
jusqu’à la fin sera sauvé 1». L’interlocuteur a donc tout considéré, et saisi
de crainte à la vue de tant d’iniquités, il se réfugie dans l’espérance; car
celui-là sera sauvé qui aura persévéré jusqu’à la fin. Il fait des efforts pour
persévérer, et voyant combien la route est longue et difficile, il invoque
celui qui lui ordonne de persévérer, afin d’obtenir la persévérance parfaite.
Je serai certainement sauvé, dit-il, si je persévère jusqu’à la fin; mais la
persévérance qui seule peut me donner le salut est une force; vous donc,
Seigneur, qui êtes la force de mon salut, c’est vous qui me faites persévérer
pour arriveras salut. « Seigneur, Seigneur, vous êtes la force de mon salut ».
Mais d’où vient que j’espère que vous êtes pour moi la force du salut? « Votre
ombre a protégé ma tête au jour du combat ». Maintenant encore je suis en
guerre; guerre au dehors contre les faux justes, guerre au dedans contre mes
convoitises: « Car je vois dans mes membres une autre loi, contraire à la loi
de l’esprit, et qui me tient captif sous la loi du péché qui est dans mes
membres. Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort?
La grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre Seigneur 2 ». Donc, fatigué de cette
guerre, il jette les yeux sur les faveurs de Dieu, et comme la chaleur du
combat épuise ses forces, il semble qu’il trouve un ombrage qui lui rend la
vie: « Votre ombre a protégé ma tête au jour du combat », c’est-à-dire dans
l’ardeur du combat, de peur que je ne fusse épuisé par la fatigue.
12. « Seigneur, en considération de mon
désir, ne m’abandonnez pas au péché 3 ». C’est le bien que doit me procurer
votre ombrage; il éteindra en moi les ardeurs qui me consumeraient. Et quelle
force aurait contre moi l’impie en dérait de ses fureurs? Les méchants ont sévi
contre les martyrs, ils les ont emmenés, chargés de chaînes, jetés en prison,
frappés du glaive, exposés aux bêtes, consumés dans les flammes. Voilà ce
qu’ils ont fait; mais Dieu ne les a point livrés aux pécheurs, parce qu’ils ne
s’y sont point livrés par leur désir. Telle est donc la grâce qu’il
1. Matth. XXIV, 12, 13.— 2. Rom. VII, 23-25.—
3. Ps. CXXXIX, 9.
faut demander à Dieu de toutes tes forces:
c’est que Dieu ne te livre point au pécheur en t’abandonnant à ton désir, car
ton désir ouvre l’entrée au diable. Le voilà qui te propose un gain et te porte
à la fraude; mais sans fraude ce gain est impossible: ce gain c’est l’appât, la
fraude c’est l’hameçon. Attention à l’appât, afin de voir l’hameçon; tu ne
saurais avoir le gain sans la fraude; mais commettre la fraude, c’est se
prendre à l’hameçon. Et toutefois je n’entends pas le mot se prendre dans ce
sens qu’on te découvrira: on peut échapper, oui échapper aux hommes; mais à
Dieu, est-ce possible? Tu seras donc pris et livré, et mis à mort; car tout
homme qui agit de la sorte est son propre bourreau. C’est là qu’est l’appât, là
qu’est l’hameçon: refrène tes désirs, tu échapperas au piége; mais te laisser
dominer par la convoitise de l’appât, c’est te mettre le cou dans le piége, et
tu seras la proie du vautour des âmes: « Ne me livrez point au pécheur, en
m’abandonnant à mon désir». C’est là l’ombrage au jour du combat. L’ardeur
produit le désir; mais ce désir est tempéré par l’ombre du Seigneur, afin que
nous puissions refréner notre fougue, et que notre ardeur ne nous entraîne
point dans le piége. « Ils ont formé des desseins contre moi: ne m’abandonnez
pas, de peur qu’ils ne s’en glorifient ». Le Psalmiste nous dit ailleurs: «
Ceux qui m’affligent seront dans l’allégresse, s’ils me voient ébranlé 1 ». Ainsi
en est-il d’eux, parce qu’il en est ainsi du diable. Qu’il séduise l’homme, le
voilà qui se réjouit, qui triomphe: il s’élève parce que l’homme est abaissé.
Mais pourquoi cet abaissement de l’homme, sinon parce qu’il a eu le tort de
s’élever? Or, celui qui triomphe de sa chute sera humilié. Tel est le sort, en
effet, de tous ceux qui mettent leur joie dans le mal on les voit pour un temps
se glorifier, s’enorgueillir, lever la tête. N’ayez aucune part dans leur joie,
ils ont l’appât dans la bouche et l’hameçon en même temps. Leurs délices feront
leur perte. « Ne m’abandonnez pas, de peur qu’ils ne s’en élèvent »,
c’est-à-dire, de peur qu’ils ne s’enorgueillissent, qu’ils ne triomphent de
moi.
13. «Le commencement de leur circuit, le
travail de leurs lèvres les couvrira 2 ». Pour moi, dit le Prophète, je serai
couvert par l’ombre de vos ailes; car vous m’avez
1. Ps. XII, 5. — 2. Id. CXXXIX, 10.
préparé un ombrage pour le jour de la guerre.
Mais eux, qui les couvrira? « La tête de leur circuit », c’est-à-dire
l’orgueil. Qu’est-ce à dire: leur circuit? C’est-à-dire qu’ils tourneront sans
fin et ne s’arrêteront jamais, qu’ils marcheront dans le cercle de l’erreur,
dont la route est sans bornes. Quiconque s’avance dans un chemin droit, a son
point de départ et son arrivée; mais dans un cercle on n’arrive jamais. Tel est
le labeur des impies, dont il est dit plus clairement dans un autre psaume: «
Les impies marchent dans un cercle 1». Mais la tête ou le commencement de leur
circuit, c’est l’orgueil. Et comment l’orgueil est-il « ce labeur de leurs
lèvres? »C’est que tout orgueilleux est dissimulé, et que tout homme dissimulé
est menteur 2. Or, mentir est un travail pour l’homme; car la vérité on la
pourrait dire très-facilement. La peine consiste à rendre un mensonge
vraisemblable. Car si l’on veut dire la vérité, c’est chose facile, puisque la
vérité se dit sans effort. C’est donc de cet homme que le Prophète a dit à Dieu
Votre ombre me protégera, Seigneur; niais pour eux, leur mensonge les couvrira,
et ce mensonge est le travail de leurs lèvres. « Voilà qu’il a mis au monde
l’injustice: il a conçu la douleur et a enfanté l’iniquité 3». Toute oeuvre
mauvaise porte sa peine, et toute oeuvre perverse que l’on médite, a pour guide
le mensonge; car la vérité ne se trouve que dans le bien. Et parce que chacun
se trouve mal à l’aise dans le mensonge, que dit la Vérité? « Venez à moi, vous
tous qui êtes dans la peine et dans l’accablement, et je vous soulagerai 4 ».
C’est la même voix qui nous dit dans un autre psaume: « Enfants des hommes,
jusques à quand serez-vous pesants de coeur? pourquoi vous éprendre de la
vanité et rechercher le mensonge 5? » Voyez plus clairement ailleurs la peine
du mensonge: « Ils ont appris à leur langue à dire le mensonge, ils se sont
fatigués à commettre l’iniquité 6 ». « Le commencement de leur détour, la peine
de leurs lèvres les couvrira».
14. « Des charbons ardents tomberont sur eux,
sur la terre, et vous les rejetterez 7».
Que veut dire sur la terre? Encore en cette
vie, ici-bas, « des charbons de feu tomberont sur eux, et vous les rejetterez
». Quels sont
1. Ps. XI, 9. — 2. Eccli. X, 15. —3. Ps. VII,
15. — 4. Matth. XI, 28. — 5. Ps. IV, 3.— 6. Jérém. IX, 5.— 7. Ps. CXXXIX, 11.
ces charbons de feu? Nous connaissons des
charbons; mais sont-ils différents de ceux dont nous allons parler? Ceux-ci me
paraissent un châtiment, tandis que ceux dont nous avons parlé sont un moyen de
salut. L’Ecriture, en effet, nous parle de charbons à propos d’un homme qui
cherche du secours contre es langues trompeuses: « Que vous donnera-t-on, ou
comment vous défendre contre une langue trompeuse? Les flèches aiguës du
Tout-Puissant avec des charbons désolateurs 1», c’est-à-dire la parole de Dieu
qui traverse les coeurs, y fait mourir le vieil homme et naître l’amour, les
exemples des hommes qui sont morts pour reprendre une vie nouvelle, qui étaient
noircis par le vice, et ont brillé par la vertu. Des charbons, en effet, sont
les ténèbres, la couleur l’indique. Mais quand la flamme de la charité en
approche, et qu’ils revivent de morts qu’ils étaient, qu’ils écoutent ce que
leur dit saint Paul: « Vous étiez autrefois ténèbres, et maintenant vous êtes
lumière dans le Seigneur 2 ». C’est sur de tels charbons, mes frères, que nous
jetons les yeux quand, blessés par les flèches du Seigneur, nous voulons
changer de vie, et que nous en sommes détournés par les langues perverses des
hommes, dont le Prophète se plaignait tout à l’heure. Ils s’efforcent de nous
éloigner de la voie de la vérité, de nous porter à préférer leurs erreurs, et
noms disent que si nous entreprenons une vie plus sainte, nous ne pourrons
achever. Nous jetons alors les yeux sur ces charbons, et voilà que celui qui
n’était hier qu’un ivrogne est sobre aujourd’hui; tel hier était adultère, qui
aujourd’hui est chaste; tel autre voleur hier est aujourd’hui bienfaisant. Ce
sont là tous des charbons de feu. Or, l’exemple de ces charbons nous fait des
blessures avec les flèches du Seigneur, et je ne crains pas de dire blessures,
quand l’Epouse des Cantiques s’écrie: « L’amour m’a blessé 3 ». Alors la paille
est incendiée, et de là vient que ces charbons sont appelés désolateurs. Ils
consument le foin, mais ils purifient l’or. L’homme alors passe de la mort à la
vie, et devient lui-même un charbon ardent, comme autrefois l’Apôtre, qui
d’abord était persécuteur, blasphémateur, véritable ennemi, un charbon noir et
éteint; mais une fois qu’il eut obtenu miséricorde 4, il fut rallumé par
1. Ps. CXIX, 3, 4.— 2. Ephés. V, 8.— 3. Cant.
II, 5,— 4. I Tim. I, 13.
le souffle du ciel; la voix du Christ lui
donna une vie nouvelle, nulle tache de noirceur ne demeura en lui, et il
embrasa les autres de la flamme qui embrasait son coeur. Est-ce donc ainsi
qu’il nous faut comprendre ces charbons de feu qui doivent tomber suries méchants,
et les renverser? Rien ne nous empêche de l’entendre ainsi. J’entrevois dans
ces paroles un sens qui est assez probable, et irrépréhensible. J’entends que
ces charbons tomberont sur eux pour les renverser, mais ils tomberont sur les
uns pour les allumer, sur les autres pour les renverser. Car ce charbon rallumé
l’a dit: « Aux uns, nous sommes une odeur de mort pour la mort; aux autres, une
odeur de vie pour la vie 1 ». Ils voient les justes au coeur enflammé, à la
lumière éclatante, et l’envie contre eux les fait tomber. Voilà ce que
signifient ces charbons de feu qui tombent sur eux sur la terre, et qui les
renversent. Qu’est-ce à dire, sur la terre? Pendant qu’ils sont encore en cette
vie; outre cette peine qui est réservée aux impies, ces charbons les
renversent, avant qu’ils encourent les flammes éternelles. « Des charbons
enflammés tomberont sur eux, ici-bas, et les renverseront. Ils ne pourront
subsister dans leurs misères ». Le malheur fondra sur eux, et ils ne pourront
le sup. porter; quant au juste, il se tient debout dans le malheur, comme se
tient debout celui qui nous dit « Nous nous glorifions dans nos tribulations,
sachant que la tribulation engendre la patience, la patience la pureté, la
pureté l’espérance; or, l’espérance n’est point confondue, parce que l’amour de
Dieu est répandu dans nos coeurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné 2 ».
Mais sur les hommes dont nous parlons, que l’affliction, que la misère tombe
sur eux, et ils ne peuvent la supporter, ils tombent, Et quand ils ne peuvent
supporter les malheurs qui viennent tondre sur eux, ils tombent dans le crime,
parce qu’ils sont livrés au pécheur, abandonnés à leurs désirs.
15. « Le grand parleur ne marchera point
droit sur la terre 3». Le grand parleur aime le mensonge. Quel est en effet son
plaisir, sinon de parler? Peu lui importe ce qu’il dise, pourvu qu’il parle.
Or, un tel homme ne saurait toujours marcher droit. Mais, comment doit être un
serviteur de Dieu enflammé
1.
II Cor. II, 16. — 2. Rom. V, 3-5. — 3. Ps. CXXXIX, 12.
de ces charbons, et devenu lui-même un
charbon salutaire? Il doit se plaire à écouter plus qu’à parler, comme il est
écrit: « Que tout homme soit prompt à écouter, lent à parler 1 ». Il doit même
désirer, s’il est possible, de n’être point obligé de parler, de répondre,
d’enseigner. Car je le dis à votre charité, mes frères, si nous vous parlons
maintenant, c’est pour vous instruire. Combien vaudrait-il mieux que nous
fussions tous instruits, que nul n’ait rien à enseigner à l’autre; qu’il n’y
eût ni l’homme qui parle ni l’homme qui écoute, mais que tous fussent occupés à
écouter celui-là seul à qui il est dit: « Vous me ferez entendre une parole de
joie et d’allégresse 2 ». Aussi Jean ne se réjouissait-il ni de ce qu’il
prêchait, ni de ce qu’il parlait, mais de ce qu’il écoutait. « L’ami de
l’Epoux, dit-il en effet, se tient debout et l’écoute, et s’il tressaille à
cette voix de l’Epoux 3 ». Je dirai en un mot, mes frères, à votre charité
comment chacun doit s’éprouver sur ce point: il ne s’agit pas de ne jamais
parler, mais de le faire quand le devoir l’exige; que l’on ait dans le coeur
l’amour du silence, et que l’on soit prêt à instruire au besoin. Or, quand
faut-il instruire? Quand on rencontre un ignorant, un homme sans instruction.
Qu’un homme se plaise à instruire, il sera toujours bien aise de rencontrer un
ignorant; mais avoir la charité, vouloir l’instruction pour tous, ce n’est plus
désirer qu’il y ait des ignorants à instruire; alors exercer la science, ou
faire preuve de science, ne sera plus une oeuvre volontaire, mais une oeuvre de
nécessité. Que ta joie soit d’écouter Dieu; que la nécessité seule t’engage à
parler; et tu ne seras point le grand parleur que l’on ne saurait diriger.
Pourquoi vouloir parler, sans vouloir écouter? Toujours être dehors, sans
jamais rentrer en toi-même? Celui qui t’instruit est dans ton coeur; mais, pour
toi, instruire c’est sortir de toi-même pour parler à ceux qui sont au dehors.
Or, c’est à l’intérieur que nous écoutons la vérité, et nous parlons à ceux qui
sont au dehors de notre coeur. Dire en effet que nous avons dans le coeur ceux
à qui nous pensons, c’est dire que nous en avons une certaine image intérieure.
Car s’ils étaient au dedans de nous, ils sauraient ce qui est dans notre coeur,
et ils n’auraient aucun besoin de notre parole. Mais si
1. Jacques, I, 19. — 2. Ps. L, 10. — 3. Jean,
III, 29.
tu aimes l’action du dehors, crains aussi
l’orgueil du dehors, crains de ne pouvoir entrer par la porte étroite, de peur
que Dieu ne puisse te dire: « Entre dans la joie de ton maître 1 »; et comme tu
as aimé ce qui était au dehors, crains au contraire qu’il ne te dise: «
Liez-lui les mains et les pieds, et jetez-le dans les ténèbres extérieures 2 »;
parole qui nous apprend que c’est un mal d’être jeté à l’extérieur, un grand
bien de rentrer à l’intérieur. Que dit-il en effet au bon serviteur? « Entre
dans la joie de ton maître ». Et au méchant serviteur? « Jetez-le dans les
ténèbres extérieures ». N’aimons donc point ce qui est au dehors, mais ce qui
est à l’intérieur. Mettons notre joie dans l’intérieur; quant à l’extérieur,
subissons-le, mais dégageons-en notre volonté. « Le grand parleur ne marchera
pas droit sur la terre».
16. « Le mal poursuivra l’homme inique pour
la mort ». Les maux fondent sur lui, et il ne saurait subsister; voilà pourquoi
le Prophète s’écrie qu’ils le poursuivront comme des chasseurs à sa mort. Le
mal est venu fondre sur beaucoup d’hommes de bien, sur beaucoup de justes; le
mal a paru les rencontrer. Au contraire, il dit ici que le mal les poursuivra,
parce que chacun cherche à se dérober au mal; mais quand il en est surpris, il
en devient comme la proie. Toutefois, n’y a-t-il que le méchant qui se dérobe
au méchant, quand il en est poursuivi? N’est-il pas dit aux bons: « S’ils vous
poursuivent dans une ville, fuyez dans une autre 3? » Donc, quand les méchants
persécutaient les bons ou les martyrs, quand ils s’en rendaient maîtres, ils
les chassaient, comme dit le Prophète, mais non pour la mort. La chair a été
meurtrie, l’âme couronnée; l’âme a été expulsée de la chair, mais la chair n’a
rien subi qui pût nuire à l’avenir. La chair a été brûlée, a été frappée, a été
déchirée; mais pour être dans les mains du persécuteur, était-elle arrachée des
mains du Créateur? Celui qui l’a créée de rien ne peut-il point lui donner un
état meilleur? Donc, en saisissant les justes, les méchants fondaient sur eux
comme des chasseurs, mais non pour leur mort. Mais pour ces hommes grands
parleurs, et qui ne marchent pas droit, le mal fondra sur eux pour les détruire
entièrement. Pourquoi?
1. Matth. XXV, 21, 23.— 2. Id. XXII, 13. — 3.
Id. X, 23.
Parce qu’ils ne subsisteront pas dans leur
misère.
17. « Je connais que le Seigneur fera justice
au pauvre 1». Ce pauvre n’est donc point grand parleur. Car le grand parleur veut
l’abondance, et ne peut souffrir la pauvreté. Ceux-là sont pauvres à qui le
Prophète a dit: « Frappez et l’on vous ouvrira, cherchez et vous trouverez,
demandez et il vous sera donné 2 ». Celui-là est pauvre, dont il est dit: «
Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront
rassasiés 3 ». Ils gémissent parmi les scandales des méchants, ils en appellent
à leur chef, afin qu’il les délivre de l’homme méchant, qu’il les arrache à
l’homme de l’iniquité, aux mains des hommes injustes. Tels sont les hommes dont
le Seigneur ne dédaignera point la cause: quelles que soient leurs afflictions
en cette vie, leur gloire doit éclater quand leur chef apparaîtra. Parce que
ces hommes sont sur la terre, saint Paul leur dit « Vous êtes morts, et votre
vie est cachée en Dieu avec le Christ 4». Nous sommes donc des pauvres, notre
vie est cachée, appelons notre pain céleste. Car il est un pain vivant qui
descend du ciel 5, et celui qui nous fortifie en chemin nous rassasiera dans la
patrie. Maintenant il rétablit nos forces afin de nous faire vivre. Mais il
nous faut endurer la faim jusqu’à ce que nous soyons rassasiés. « Je connais
que le Seigneur fera justice au pauvre et vengera l’indigent ». Il montrera aux
hommes d’iniquité comme il aime ses pauvres. Ce que le Prophète appelle riches,
ce sont les orgueilleux; ce qu’il nomme pauvres, ce sont les humbles; il
appelle riches ceux que l’abondance dispense de chercher, pauvres ceux que
leurs désirs font soupirer. Dieu leur fera justice.
18. « Toutefois les justes confesseront votre
nom 6 ». Quand vous prendrez leur cause en main, quand vous leur rendrez
justice, ils confesseront votre nom; ils n’attribueront rien à leurs mérites,
mais ils attribueront tout à votre miséricorde. «Toutefois les justes confesseront
votre nom ». Et quand ils confesseront votre nom de manière à ne rien attribuer
à leur justice, quelque grande qu’elle soit, comment se fera-t-il qu’ils
dresseront leur coeur? Tourner leur coeur vers eux-
1. Ps. CXXXIX, 13.— 2. Matth. VII, 7. — 3.
Id. V, 6.— 4. Coloss. III, 3. — Jean, VI, 41. — Ps. CXXXIX, 14.
mêmes, c’est le rendre tortueux; le
tourner vers Dieu, c’est le redresser. Dès lors, où trouveront-ils leur bien,
leur repos, leur joie, leur félicité? En eux-mêmes? Non, mais en celui qui les
a fait lumière. « Maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur 1 », dit saint
Paul. Vois ce que dit ensuite le Prophète, vois sa conclusion: « Les hommes
droits habiteront dans votre face ». Ils n’ont habité en eux-mêmes que pour
leur perte, leur félicité sera d’habiter dans votre face. Aimer leur face,
c’était manger leur pain à la sueur de leur front 2. Qu’ils reviennent,
essuyant leur sueur, mettant fin à leurs travaux et à leurs gémissements, et
votre face, ô mou Dieu, leur donnera l’abondance. Ils ne chercheront rien de
plus, parce qu’il n’est rien de meilleur, ils ne s’éloigneront plus de vous, et
vous ne les éloignerez plus. Qu’est-il dit en effet du Christ après sa
résurrection? « Vous me comblerez de joie par la lumière de votre face 3 ».
S’il ne nous montrait sa face, Dieu ne serait point notre joie. Ce qui nous
porte à purifier notre face, c’est l’espoir de jouir de la face de Dieu. « Car
nous sommes les enfants de Dieu, et ce que nous serons ne nous apparaît pas
encore; nous savons que quand il apparaîtra, nous serons semblables à lui; car
nous le verrons tel qu’il est 4. Puisque les justes habiteront dans la lumière
de son visage ». Faut-il croire que ce sera la face du Père, et non celle du
Fils? ou bien la face du Fils et non celle du Père? Doit-on admettre que le
Père, le Fils et l’Esprit-Saint n’ont en quelque sorte qu’une même face? Voyons
si le Fils ne nous aurait point promis de nous montrer sa face pour combler
notre joie. C’est Dieu lui-même qui nous a fait lire ce passage de l’Evangile,
qui est proprement la confirmation de notre psaume. Voici en effet ce que dit
le Sauveur: « Celui qui écoute mes préceptes et les met en pratique, est celui
qui m’aime; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père, et moi je l’aimerai, et
me montrerai à lui Quelle récompense nous promet-il, mes bien-aimés? Ne le
voyaient-ils donc pas, ceux à qui il promettait de se montrer? N’était-il pas
devant eux? Ne voyaient-ils pas son visage en sa chair? Comment voulait-il se
montrer à ceux qui le voyaient? Mais les
1. Ephés. V, 8. — 2. Gen. III, 19. — 3. Ps.
XV, 11.— 4. I Jean, III, 2. — 5. Jean, XIV, 21.
disciples le voyaient tel que les Juifs le
crucifièrent; or, un Dieu était caché dans cette chair et les hommes pouvaient
voir un homme, mais non un Dieu, quoiqu’il fût dans cet homme; car «
Bienheureux ceux dont le coeur est pur, parce qu’ils verront Dieu 1 ». Il
mettait donc sous les yeux des justes et des impies la nature humaine, mais il
réservait aux saints et aux hommes purs de voir la nature divine; afin d’être
notre joie et de nous réserver dans la lumière de sa face un bonheur sans fin.
1. Matth. V, 8.
SERMON AU PEUPLE.
Les
vérités du salut sont répétées sous des formes variées pour les soustraire à
l’ennui. Aimer Dieu et son prochain t rien de plus simple que ce précepte, qui
renferme néanmoins la loi et les Prophètes, qui est tout le christianisme, qui
vivifie, tandis que l’amour des méchants est une glu qui les perd.
Le
Christ est la fin de la loi, et l’objet de la loi c’est la charité émanant d’un
coeur pur, ce qui fait qu’elle n’existe point chez les méchants. Or, aimer le
prochain selon Dieu, c’est la vraie charité à laquelle se réduit tonte
l’Ecriture, c’est-à-dire au Christ qui parle dans notre psaume. S’il y a
quelque chose qui puisse paraltre indigne de lui, cela s’applique à son corps
qui lui est uni. C’est donc au nom de tous ses membres qu’il crie vers Dieu,
surtout à son agonie, et que l’Eglise crie jusqu’à la fin du monde. Cette
élévation des mains, comme le sacrifice du soir, c’est la mort de Jésus sur la
croix et vers le soir: il parlait alors au nom des hommes dont Dieu s’était
éloigné à cause de leurs péchés. Si donc il parle des péchés, parce qu’il s’en
est fait la caution, qui d’entre ses membres se croira sans péché? Il veut à sa
bouche non une barrière, mais une porte, afin de confesser ses fautes; de ne
point chercher à les défendre, comme ceux qui se justifient eux-mêmes, comme le
Pharisien, moins juste que la pécheresse. Cette malheureuse accuse ses fautes
et ne les rejette pas sur Dieu, comme tant d’autres, comme les élus des
Manichéens, qui rejettent leurs fautes sur la race ténébreuse, combinée avec la
substance divine, d’où la créature dont ils sont une portion. Dès lors le mal
en eux vient de cette race, et eux sont innocents. Ils craignent d’ouvrir la
terre au moyen de la charrue, de peur de déchirer Dieu lui-même; ils sont ainsi
les sauveurs de Dieu. Le juste me réprimera dans sa miséricorde, c’est-à-dire
par charité, et je n’écouterai point tes flatteries des pêcheurs, ma gloire
sera dans le témoignage de ma conscience. Soyons sévères contre nous, afin que
Dieu nous épargne, haïssons ce que nous avons mis en nous, et dès lors nous
serons en partie justes parce que nous goûterons la loi de Dieu, et en partie pécheurs,
parce que nous ressentirons dans nos membres la loi de la chair. Essayons de
nous réformer à l’image de Dieu; châtions notre chair qui est pour nous comme
une épouse, afin de la recevoir un jour purifiée et immortelle. Que les
louanges des pécheurs ne nous amollissent point, bientôt ils se prendront à
dire: Remettez-nous nos dettes. C’est là que tout homme doit en venir, en
évitant d’abord les fautes graves, puis les fautes journalières de la langue,
puis enfin les imperfections dans b prière. Quant aux impies, que sont leurs
sages comparés à la pierre ou au Christ, dont la parole prévaudra; parole qui
envoie les agneaux au milieu des loups, et ces agneaux sont morts à la suite de
leur maître, et leur sang que l’on méprisait a fécondé l’Eglise. Quant à ceux
qui ont manqué de courage, comme Pierre, ils en appellent à Dieu, mais ne
l’accusent point et pleurent leur faute. Le Seigneur a prédit ces défaillances
quand il a dit: Je suis seul jusqu’après mon passage, et après ce passage ou la
Pâque, j’attirerai toutes choses à moi; car le grain de froment sera tombé en
terre pour y mourir, et alors il portera son fruit.
1. Tout à l’heure, quand on lisait l’Epître,
vous avez entendu, mes frères, ce que l’Apôtre
nous conseille et nous demande: « Persévérez
», dit-il, « et veillez dans la prière, priant aussi pour nous, afin que Dieu
nous ouvre une porte à la prédication de sa parole, afin que j’annonce le
mystère de Jésus-Christ, et que je puisse le manifester comme il convient 1».
Permettez qu’à mon tour j’use de ces mêmes paroles; car il y a dans les saintes
Ecritures de profonds mystères qui sont voilés pour n’être point avilis, que
l’on recherche pour s’exercer, et que l’on nous découvre pour nous servir de
nourriture. Le psaume que nous venons de chanter est obscur en beaucoup
d’endroits. Quand nous l’examinerons avec le secours du Seigneur, pour en tirer
les vérités qu’il cache, vous reconnaîtrez dans mes paroles ce que vous
connaissez déjà, mais ce qui est répété sous bien des formes, afin que la
variété de
1. Coloss. IV, 2-4,
l’expression sauvegarde la vérité contre tout
ennui.
2. Que pouvez-vous, mes frères, apprendre et
connaître de plus grand, de plus salutaire que ceci: « Tu aimeras le Seigneur
ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de toutes tes forces et de tout
ton esprit; et tu aimeras ton prochain comme toi-même? » De peur que ces deux
préceptes ne vous paraissent peu considérables, « voilà », dit le Sauveur, «
qu’ils renferment la loi et les Prophètes 1 ». Tout ce que l’on peut dès lors, ou
concevoir d’utile dans l’esprit, ou proférer de la langue, ou tirer de quelque
page des livres sacrés, n’a d’autre but que la charité. Or, cette charité n’est
point chose commune. On dit aussi des méchants qu’ils sont liés entre eux par
l’association d’une conscience criminelle; on dit qu’ils s’aiment, qu’ils ne
peuvent se séparer, qu’ils prennent plaisir àconverser ensemble, qu’ils se
recherchent en cas d’absence, qu’ils se réjouissent dès qu’ils se retrouvent.
C’est l’amour infernal; il est comme une glu qui ne peut que nous faire tomber,
il n’a point d’ailes pour nous élever au ciel. Quelle est donc la charité que
l’on distingue et qui se détache de tout ce que l’on appelle amour? Cette
charité véritable est propre aux chrétiens, et saint Paul l’a définie, et bien
qu’elle soit divine et dès lors infinie, il la circonscrit dans des limites qui
la séparent de tout autre amour. « La fin de la loi », dit-il, « est la charité
». Il pouvait s’en tenir là, comme en d’autres endroits, parlant à des hommes
instruits, il disait: «La plénitude de la loi, c’est la charité 2». Il ne dit
point quelle charité; il n’en dit rien ici, parce qu’il l’a dit ailleurs. On ne
saurait, on ne doit pas dire tout et à toute heure. Il dit donc simplement: «
La plénitude de la loi, c’est la charité ». Qu’est-ce que la charité, diras-tu?
Quelles qualités doit-elle avoir? Ecoute un autre passage: « La fin du précepte
est la charité émanant d’un coeur pur ». Voyez maintenant si cette charité qui
émane d’un coeur pur existe parmi les voleurs. Un coeur pur dans la charité,
c’est l’amour de l’homme selon Dieu; puisque c’est ainsi que tu dois t’aimer
toi-même, afin que la règle soit juste: « Tu aimeras ton prochain comme
toi-même». Si tu n’as pour toi qu’un amour mauvais et inutile, quel avantage
reviendra-t-il à ton
1. Matth. XXII, 37-40. — 2. Rom. XIII, 10.
prochain quand tu aimeras de la sorte? Or,
comment t’aimeras-tu d’un amour mauvais? L’Ecriture nous l’insinue, elle qui ne
flatte personne, qui te convaincra que, loin de t’aimer, tu vas même jusqu’à te
haïr. «Celui- là hait son âme », dit-elle, « qui aime l’iniquité ». Crois-tu
donc qu’aimer l’iniquité, ce soit t’aimer toi-même? Illusion, mou frère. Aimer
ainsi le prochain, c’est le conduire à l’iniquité, et ton amour sera pour lui
un piège. Donc «la charité qui est selon Dieu vient d’un coeur pur,d’une bonne
conscience, d’une foi sans déguisement ». La charité ainsi définie par l’Apôtre
a deux préceptes: l’un d’aimer Dieu, l’autre d’aimer le prochain. Ne cherchez
rien autre chose dans l’Ecriture, et que nul ne vous enseigne un autre
précepte. Un passage de l’Ecriture a-t-il de l’obscurité, la charité y est
assurément recommandée: dans un passage clair, on trouve la charité clairement.
Si l’ Ecriture n’était jamais claire, elle ne serait point une pâture; si elle
n’était obscure, elle ne serait point un exercice. Cette charité crie d’un
coeur pur, d’un coeur semblable à celui qui parle dans notre psaume; et pour
vous le dire en un mot, c’est le Christ.
3. Vous entendrez néanmoins ici des paroles
qui vous paraîtront indignes de Notre Seigneur Jésus-Christ, et un homme peu
instruit nie croira téméraire d’avoir dit que c’est le Christ qui est
l’interlocuteur de notre psaume. Comment, en effet, peut-on entendre de Notre.
seigneur Jésus-Christ, de cet Agneau sans tache en qui seul on ne trouve point
de péché, qui seul a pu dire en toute vérité: « Voici le prince du monde, mais
il ne trouvera rien en moi 1»,c’est-à-dire aucune faute, aucun péché; lui qui
seul a payé ce qu’il n’avait point dérobé 2; qui seul a versé un sang innocent,
ce Fils unique de Dieu, qui s’est revêtu de notre chair non pour perdre rien de
ce qu’il était, mais pour nous enrichir; comment, dis-je, peut-on entendre de
lui ces paroles: « Mettez, Seigneur, une garde à ma bouche, et à mes lèvres une
barrière qui les environne; n’inclinez pas mon coeur vers les paroles de
malice, pour trouver des excuses dans les péchés 3 ». Paroles dont le sens est
évidemment: Seigneur, gardez ma bouche par votre loi sainte, qu’elle eu soit
comme la porte et la barrière, afin que mon coeur ne se
1. Jean, XIV, 30. — 2. Ps. LXVIII, 5. — 3. Id
CXL, 3, 4.
laisse point aller à des paroles méchantes.
Quelles paroles de malice? Celles dont on veut couvrir ses péchés; de peur, dit
le Prophète, que je ne cherche à excuser mes fautes plutôt que de les avouer.
De telles paroles ne sauraient évidemment s’appliquer à Jésus-Christ; quels
péchés a-t-il commis en effet qu’il dût confesser plutôt que défendre? Ces
paroles sont les nôtres, et néanmoins c’est bien le Christ qui parle. Mais
comment est-ce Jésus-Christ qui parle, si ces paroles sont les nôtres? Mais où
est cette charité dont je vous parlais? Ne savez-vous point que c’est elle qui
nous unit avec Jésus-Christ? Cette charité crie du fond de nos coeurs vers Jésus-Christ,
et du coeur de Jésus-Christ vers nous. Comment la charité va-t-elle de nos
coeurs au Christ? « Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé 1
».Comment, du coeur de Jésus-Christ, vient-elle jusqu’à nous? «Saul, Saul,
pourquoi me persécuter? 2» Vous êtes le corps et les membres du Christ 3, nous
dit l’Apôtre. Si donc il est la tête et nous le corps, ce n’est qu’un seul
homme qui parle; eh! soit la tête, ou les membres, ce n’est qu’un même Christ.
La tête doit parler au nom des membres; voyez ce qui se passe d’ordinaire,
d’abord comment il n’y n que notre tête qui parle au nom des membres voyez
ensuite comment elle parle au nom de tous les membres. Qu’on te marche sur le
pied, la tête crie aussitôt: Tu marches sur uni. Qu’on te blesse à la main, c’est
encore la tête qui dit: Tu me blesses. Nul n’a touché la tête, mais elle répond
en vertu de l’union des membres. La langue est dans la tête; elle prend le rôle
de tous les membres et porte la parole au nom de tous. Ecoulons donc le Christ
qui nous parle dans ce sens, et que chacun, demeurant uni intimement au corps
du Christ, reconnaisse en lui sa propre voix. Il tiendra parfois un langage où
nul d’entre nous ne pourra se reconnaître, qui ne conviendra qu’à ce Chef
auguste, et toutefois il ne se sépare point de nous pour ne parler que d’une
manière propre à lui seul; et quand il a parlé en son nom, il ne dédaigne point
de parler comme nous. C’est de lui et de l’Eglise qu’il est dit: «Ils seront
deux dans une seule chair 4 ». C’est pourquoi lui-même a dit à ce sujet dans
l’Evangile « Dès lors ils ne
1.
Joël, II, 32. — 2. Act. IX, 4.— 3.I Cor. XII, 27. — Gen.,24.
sont plus deux, mais une seule chair 1 ». Ces
vérités ne vous sont point nouvelles, et vous les avez entendues bien souvent
mais il est nécessaire d’y revenir selon les occasions, d’abord parce que les
paroles de l’Ecriture que nous expliquons sont tellement liées qu’elles sont
répétées en beaucoup d’endroits, ensuite parce que cette répétition a son
utilité. Les soins de cette vie ont leurs épines, qui étouffent la bonne
semence; et le Seigneur a dû nous répéter ce que le monde nous fait oublier.
4. « Seigneur, j’ai crié vers vous,
exaucez-moi 2 ». Nous pouvons tous parler ainsi. Ce n’est point moi qui tiens
ce langage, c’est le Christ tout entier. Toutefois ce langage convient plus
particulièrement au corps; car sur la terre, le Christ qui était en sa chair
pria son Père, au nom de tout son corps, et pendant qu’il priait des gouttes de
sang coulaient de tout son corps, comme l’affirme l’Evangile: « Pendant qu’il
redoublait ses prières, il sua du sang 3». Que figurait le sang qui coulait de
son corps, sinon les souffrances des martyrs dans toute l’Eglise? « Seigneur,
j’ai crié vers vous, exaucez-moi; soyez attentif à la voix de ma prière, quand
je crierai vers vous ». Tu pensais qu’a près avoir dit: «J’ai crié vers vous,
tu n’avais plus à crier. Tu as crié, il est vrai; mais ne te rassure pas
encore. La fin de la tribulation est la fin de tes cris mais si la tribulation
doit durer dans l’Eglise, et dans l’Eglise du Christ jusqu’à la fin du monde,
qu’elle ne dis pas seulement: « J’ai ri crié vers vous», qu’elle dise encore: «
Soyez attentif à la voix de ma prière quand je crierai vers vous »i.
5. « Que ma prière s’élève en votre présence
comme un parfum, que l’élévation de mes mains soit comme le sacrifice du soir
4». Tout chrétien reconnaît que ce passage s’applique au chef qui mourut quand
le jour inclinait vers le soir, qui donna sa vie sur la croix pour la
reprendre, et ne la perdit point contre son gré 5. Et toutefois il nous
figurait nous-mêmes dans ce sacrifice; quelle partie de lui était clouée à la
croix, sinon celle qu’il a reçue de nous? Et comment se pourrait-il faire que
Dieu abandonnât son Fils unique, qui est avec lui un seul et même Dieu? Et
néanmoins
1. Matth. XIX, 6. — 2. Ps. CXL, 1. — 3. Luc,
XXII, 44. — 4. Ps. CXL, 2. — 5. Matth. XXVII, 46, 50.
quand cette chair si faible était clouée à la
croix où notre vieil homme a été crucifié avec lui 1, dit saint Paul, ce fut dans
notre humanité qu’il s’écria: « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous
abandonné 2? » Ce sacrifice du soir est donc la passion du Christ, la croix du
Seigneur, la victime salutaire, l’holocauste agréable à Dieu. Ce sacrifice du
soir devint à la résurrection la grâce du matin. La prière qui s’élève d’un
coeur fidèle est donc le parfum qui s’élève des saints autels. Rien n’est
devant Dieu plus agréable que cette odeur: qu’elle soit l’odeur de tous les
fidèles.
6. « Notre vieil homme », dit l’Apôtre, « a été
crucifié avec le Christ, afin que le corps du péché soit détruit et que
désormais nous ne soyons plus esclaves du péché 3 ». De là vient qu’après cette
parole du psaume: « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné, loin de
mon salut », il est dit aussitôt: « Les paroles de mes péchés ». De quels
péchés, si l’on considère le chef? Et toutefois lui même nous montre que la
parole du psaume lui appartient, puisqu’il prononça ces mêmes paroles, ce même
verset. Il n’y a plus ici de conjectures humaines, et nul chrétien ne saurait
recourir à la négation. Ce que je lis dans le psaume, je l’entends dans la
bouche du Seigneur. Dans ce même psaume encore je retrouve ce que je lis dans
l’Evangile: « Ils ont percé mes mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os,
ils m’ont regardé, ils m’ont considéré attentivement, ils ont divisé mes
vêtements et tiré ma robe au sort 4 ». Tout cela était prédit, tout est
accompli. « Nous avons vu ces choses comme nous les avions entendues 5 ». Si
donc Notre Seigneur Jésus-Christ, qui nous figurait dans l’union de son corps,
et qui était sans péché, a dit: « Ce sont les paroles de mes péchés », ce qu’il
a dit au nom de son corps; qui d’entre ses membres osera dire qu’il est sans
péché, à moins d’avoir l’effronterie de se targuer d’une fausse justice, et
d’accuser le Christ de fausseté? Confesse donc, ô membre du Christ, ce que la
tête a prononcé en ton nom. Pour nous porter à faire cet aveu, et à ne point
nous croire justes en présence de celui qui est le seul juste, et qui justifie
l’impie 6, il fait aussi par1er son corps dans notre psaume: « Mettez,
1.
Rom. VI, 6.— 2. Ps. XXI, 2; Matth. XVII, 46. — 3. Rom.
VI, 6. — 4. Ps. XXI, 17-19. — 5. Id. XLVII, 9. — 6. Rom. IV, 5.
« Seigneur, une garde sûre à ma bouche, une
porte qui environne mes lèvres 1». Il ne dit pas une barrière, claustrum, mais une porte, ostium. On ouvre et on ferme une porte:
si donc c’est une porte, il faut l’ouvrir, il faut la fermer; l’ouvrir pour
avouer ses fautes: qu’on la ferme quand il s’agit de les excuser. Ce sera ainsi
une porte qui gardera, et non qui ruinera.
7. De quoi nous servira cette porte qui doit
nous maintenir? Quelle prière fait le Christ au nom de ses membres? «
N’inclinez point», dit-il, « mon coeur vers les paroles de la malice ».
Qu’est-ce à dire, « mon cœur 2?» Le coeur de l’Eglise, le coeur de mon corps.
Ecoutez ces paroles qui sont devenues une règle pour nous. « Saul, Saul,
pourquoi me persécuter 3? » et pourtant nul ne le touchait alors. « J’ai eu
faim, et vous m’avez nourri; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire », et
le reste. Mais eux: « Quand vous avons-nous vu avoir faim ou soif? » Et le
Christ: « Quand vous l’avez fait au moindre de mes frères, c’est à moi que vous
l’avez fait 4». Il n’y a rien ici d’extraordinaire pour aucun chrétien, surtout
pour ceux qui ont des règles fixes pour comprendre le reste des Ecritures; ces
expressions ne les surprendront point, ou du moins ils se corrigeront
promptement. Comme donc les justes doivent dire: Seigneur, pourquoi dites-vous:
« J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger? » Quand vous avons-nous vu avoir
faim?» et que Jésus répondra: « Le faire au moindre de mes frères, c’était me
le faire à moi-même »; de même tenons ce langage au Christ dans le plus intime
de notre homme intérieur, car c’est là qu’il daigne habiter par la foi 5. Car
il n’est absent d’aucun de nous, nous ne saurions l’en accuser, puisqu’il nous
dit lui-même: « Voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles
6». Disons-lui donc aussi nous-mêmes que c’est sa parole que nous entendons
dans ce Psaume: c’est lui en effet qui dit: « L’élévation de mes mains est le
sacrifice du soir », nul ne saurait le contredire. Dis-lui donc ce qui vient
ensuite: « Mettez une garde à ma bouche, une porte qui retienne mes lèvres; et
n’inclinez pas mon coeur vers des paroles de malice, pour chercher des excuses
dans
1.
Ps. CXI, 3. — 2. Id. 4. — 3. Act. IX, 4.— 4. Matth. XXV, 35-40.— 5. Ephés. III,
17. — 6. Matth. XXVIII, 20.
mes péchés ». Pourquoi, Seigneur, faites-vous
cette prière? Quels péchés avez-vous à
excuser? Il nous répond: Quand le moindre des
miens fait cette prière, c’est moi qui la
fais; comme il répond ailleurs: « Quand vous
l’avez fait au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez fait 1 ».
8. Mais que deviendras-tu, ô membre du
Christ, alors que ton coeur ne sera point incliné vers les paroles de malice,
pour chercher des excuses au péché, avec les hommes qui commettent l’iniquité,
et que tu n’auras point de part avec leurs élus? Car voici ce qui suit: « Et je
n’aurai aucune part avec leurs élus ». Quels sont leurs élus? Ceux qui se
justifient eux-mêmes. Quels sont leurs élus? Ceux qui se croient justes et
méprisent les autres, comme faisait dans le temple ce Pharisien qui disait: «
Seigneur, je vous rends grâces de ce que je ne suis point comme le reste des
hommes 2 ». Quels sont leurs élus? « Si cet homme était un prophète, il saurait
quelle est la femme qui est à ses pieds ». Reconnaissez-vous ici le langage
d’un autre Pharisien qui avait invité le Sauveur, quand une femme pécheresse de
cette ville vint se jeter à ses pieds? Cette femme sans pudeur, naguère
effrontée dans ses débauches, plus effrontée encore dans l’affaire de son
salut, s’en vient dans une maison étrangère; mais celui qui était à table n’était
point un étranger pour elle. Elle n’était point non plus une étrangère suivant
quelqu’un des conviés, mais une servante suivant son maître. Elle s’approcha de
ses pieds parce qu’elle voulait suivre ses traces; elle les lava de ses larmes,
les essuya de ses cheveux. Or, quels sont les pieds du Christ, sinon ces hommes
par qui il a parcouru le monde entier? « Qu’ils sont beaux les pieds de ceux
qui annoncent la paix, qui évangélisent les biens 4! » Combien ont reçu ces
pieds du Seigneur de manière à mériter la récompense du juste, parce qu’ils ont
reçu le juste; qui ont reçu le Prophète au nom du Prophète, afin de recevoir la
récompense du Prophète! « Et quiconque donnera à boire, seulement un verre
d’eau froide à l’un des plus petits en qualité de mon disciple, en vérité je
vous le déclare, il ne perdra point sa récompense 5 ». Quiconque reçoit dans
ces sentiments les pieds
1. Matth. XXV, 40.— 2. Luc, XVIII, 11.— 3. Id. VII, 39.— 4. Isa. LII, 7; Rom. X,15.— 5. Matth. X, 41,42.
du Seigneur, que donne-t-il, sinon tout ce
qu’il a de superflu dans sa maison? Ce n’était point sans quelque mystère
qu’elle essuyait les pieds du Sauveur avec ses cheveux, parce que les cheveux
sont un superflu. Tout ton superflu devient nécessaire, si tu en uses pour les
pieds. du Sauveur. Cette femme voulait donc être guérie, et connaissait ses
plaies. Mais si la plaie est grande, le médecin est-il impuissant? Les
Pharisiens ne voulaient point que des impurs approchassent d’eux, ils évitaient
le contact des pécheurs, et quand ils n’avaient pu l’éviter, ils se lavaient;
ce qu’ils faisaient presque à chaque heure, non seulement pour eux, mais pour
leurs instruments, pour leurs lits, pour leurs coupes, leurs plats, ainsi que
le Seigneur en fait mention dans l’Evangile 1. Donc ce Pharisien connaissait la
femme qui était venue aux pieds du Sauveur, et la repoussait de peur que sa
propre sainteté n’en reçût quelque atteinte; sa pureté n’était en effet
qu’extérieure, mais non dans l’âme, et comme elle n’était point dans son âme,
elle n’était que fausse à l’extérieur comme donc ce Pharisien la repoussait, et
que le Seigneur ne la repoussait point, il s’imagina que le Seigneur ne la
connaissait point, et il se dit en lui-même: « Si cet homme était un prophète,
il connaîtrait quelle est cette femme qui est à ses pieds 2 ». Il ne dit point:
il la repousserait, mais il saurait ce qu’elle est, comme si la repousser
devait être la conséquence de la connaître. Donc parce qu’il ne la repoussait
point, il en conclut à coup sûr qu’il ne la connaissait point. Mais le Seigneur
avait l’oeil sur cette femme, et l’oreille sur le coeur du Pharisien. Entendant
ce qu’il pensait, il lui proposa cette parabole que vous connaissez: « Un
créancier avait deux débiteurs: l’un devait cinq cents deniers, et l’autre
cinquante. Et comme ils n’avaient pas de quoi payer, il fit grâce à tous deux.
Or, dites lequel des deux l’aime le plus. Simon répondit: Je crois que c’est
celui à qui il a le plus remis. Jésus lui dit: Vous avez bien jugé. Et, se
tournant vers la femme, il dit à Simon: Voyez-vous cette femme? Je suis entré
en votre maison, et vous ne m’avez point donné d’eau pour laver mes pieds;
celle-ci a arrosé mes pieds de ses larmes, et elle les a essuyés avec ses
cheveux. Vous ne m’avez point
1. Matth. XXIII, 21. — 2. Luc, VII, 39.
donné de baiser; mais elle, depuis qu’elle
est entrée, n’a cessé de baiser mes pieds; vous n’avez point donné de parfum à
ma tête, elle m’a oint de parfums. C’est pourquoi je vous le déclare beaucoup
de péchés lui ont été remis, parce qu’elle a beaucoup aimé 1». Pourquoi? Parce
qu’elle a confessé ses fautes, qu’elle a pleuré, que son coeur ne s’est point
incliné vers les paroles de malice pour chercher des excuses àses péchés,
qu’elle n’a point eu de part avec leurs éluri, c’est-à-dire avec ceux qui
défendent leurs désordres.
9. Cette femme en effet ne manquerait point
d’excuses, si son coeur se tournait vers les paroles de la malice. Chaque jour,
celles qui lui ressemblent par l’infamie, des femmes débauchées, des femmes
adultères, criminelles, ne viennent-elles pas excuser leurs péchés? Qu’elles ne
soient point découvertes, elles nient; qu’elles soient surprises et
convaincues, que leur faute soit publique, elles ont des excuses. Avec quelle
facilité elles se défendent ! combien leur excuse est prompte, sacrilège, et
néanmoins ordinaire ! Si Dieu ne l’avait point voulu, je n’aurais pu le faire !
Telle est la volonté de Dieu, la volonté de la fortune, la volonté du destin.
Qu’elle est loin de dire: « Seigneur, je l’ai dit: Ayez pitié de moi »; de dire
avec cette pécheresse qui vient aux pieds du médecin: « Guérissez mon âme,
parce que j’ai péché contre vous 2», Et quels sont, mes frères, ceux qui
allèguent une pareille défense? Ce ne sont pas des ignorants, mais des savants.
Ils s’asseyent, ils supputent les astres, leurs distances, leur cours, leur
révolution, leur arrêt, leurs mouvements; ils observent, ils décrivent, ils
font des conjectures. On les dirait savants, grands personnages. Tous ces
raisonnements savants et spécieux, c’est la défense du péché. Tu seras un
adultère, parce que Vénus est pour toi; homicide parce que Mars préside à ta
naissance. C’est donc Mars qui est homicide, et non pas toi; Vénus qui est
adultère, et non pas toi; prends garde néanmoins d’être condamné au lieu de
Vénus et de Mars. Car c’est Dieu qui te condamnera, et il sait parfaitement que
c’est toi qui commets ces crimes, et qui oses dire au juge qui t’a vu ce n’est
pas moi. Quant à cet astrologue, à ce vendeur de fables qui sont autant de
1. Luc, VII, 36-47. — 2. Ps. XI, 5.
piéges, car il te fait acheter ta propre
mort, car tu achètes à l’astrologue la mort à prix d’argent, toi qui refuses la
vie gratuite offerte parle Christ; que cet astrologue voie sa femme, quelque
peu libre dans ses allures, échanger le coup d’oeil avec des étrangers,
s’asseoir souvent aux fenêtres; n’ira-t-il pas l’en arracher, la frapper, lui
donner une sévère leçon? Que cette femme lui réponde: Frappe Vénus, si tu le
peux, mais pas moi; ne lui dira-t-il pas: Insensée ! Autre est ce qui convient
à un directeur, et autre ce que l’on donne à un acheteur. Quels sont donc leurs
élus? Ce sont les élus des méchants, les élus des impies, avec lesquels nous ne
devons avoir aucune part, c’est-à-dire, avec lesquels on ne doit former aucune
société. Quels sont-ils encore? Des hommes qui se croient justes, qui méprisent
les autres comme pécheurs, ainsi que faisaient les Pharisiens 1; ou qui
atténuent, qui excusent leurs fautes, quand elles ont une certaine évidence,
une certaine publicité, de peur qu’on en rejette le blâme sur eux; et qui, pour
se disculper de toute action criminelle, osent tout rejeter sur Dieu qui a
ainsi créé l’homme, ou ainsi disposé les étoiles, ou qui est peu soucieux de
nos actions. Telles sont les offenses des élus du siècle. Mais qu’un membre du
Christ, que le corps du Christ que le Christ lui-même dise au nom de son corps:
« Ne détournez point mon coeur vers les paroles de malice, pour chercher des
excuses ou pécher avec les hommes qui commettent l’iniquité, et je n’aurai
point de part avec leurs élus ».
10. Vous le savez, mes frères, et il ne faut
point le passer sous silence, on donne le nom d’élus, chez les Manichéens, à
ceux qui paraissent avoir une justice plus éminente, être au premier degré de
la vertu. Que ceux qui le savent s’en souviennent, ceux qui l’ignoraient
l’apprendront. Les élus de Dieu, ce sont les saints, l’Ecriture nous l’enseigne
2. Mais eux ont usurpé cette qualification pour se l’approprier d’une manière
particulière, et on ne les reconnaît qu’au nom d’élus. Quels sont donc ces
élus? Des hommes tels que si tu leur dis: Tu as péché, ils ont recours à ces
excuses impies, pires que toutes les autres, et plus sacrilèges. Ce n’est pas
moi qui ai péché, mais la gent ténébreuse. Or, quelle est cette gent
ténébreuse? Celle qui a fait la guerre à
1. Luc, XVIII, 9. — 2. Matth. XXXIV, 22, 24,
31.
Dieu. C’est elle qui pèche, lorsque tu pèches
toi-même? Oui, répond-il, parce que je suis mêlé à elle. Mais qu’a donc craint
Dieu qui t’a mêlé à elle? Car ils disent que cette race ténébreuse se révolta
contre Dieu avant la création du monde, et que Dieu, craignant que son royaume
ne fût renversé par les chocs impétueux de cette race ennemie, envoya chez
elles ses membres, sa substance, ce qu’il est en un mot; s’il est de l’or, ce
fut de l’or qu’il envoya; s’il est lumière, ce fut la lumière, enfin il envoya
ce qu’il est, le mêla dans les entrailles de ce peuple ténébreux, disent-ils,
et en fabriqua ainsi le monde. Et nous, disent-ils, qui sommes des âmes, nous
sommes faits des membres de Dieu; mais nous sommes resserrés ici-bas dans les
entrailles de ce peuple ténébreux, et toutes les fautes que l’on nous attribue
sont les péchés de ce peuple. Ils paraissent en effet se laver du péché; mais
ils ne sauraient excuser ni leur Dieu de toute crainte, ni la substance même de
leur Dieu de la souillure corruptible. Car si Dieu est incorruptible, s’il est
immuable, s’il est au-dessus de tout changement et de toute souillure, enfin
s’il est impénétrable, que peut lui faire ce peuple ténébreux? Quelle que soit
l’impétuosité de ses efforts, comment porter l’effroi chez celui qui est
impénétrable, inviolable, supérieur àtoute souillure, à tout changement, à
toute corruption? Si Dieu est tel que nous le disons, il est cruel, en vous
jetant là, bien que vous soyez impuissants à lui nuire. Pourquoi vous y jeter?
Voilà que cette nation ténébreuse était dans l’impuissance de lui nuire en
aucune façon; et lui vous fait un tort très grave, il vous a été plus hostile
que cette nation, qui pouvait, il est vrai, vous nuire à son tour. Vous avez pu
être tourmentés, pu être esclaves, pu être souillés, pu être corrompus; donc
Dieu l’a pu aussi. Un morceau en quelque sorte, une faible portion de sa nature
pu vaincre la masse entière. Car ce qu’il a jeté là, et ce qui est demeuré sont
de même qualité; ils l’avouent eux-mêmes; ils reconnaissent deux substances,
une substance d’une part, et une substance d’autre part. C’est ce que disent
leurs livres; s’ils le nient, on le peut lire et les convaincre.
11. Quoi donc? pour ne rien dire de plus, mes
frères, pour ne pas entrer plus avant dans ces doctrines impies et criminelles
voyez dans ce commencement même sur quel terrain ils se placent pour combattre.
Voyez comme ils sont terrassés, et en disant que la race ténébreuse s’est heurtée
contre Dieu, eux-mêmes sont pris dans le choc de leurs paroles. Car ils n’ont
aucun moyen de répliquer ou d’échapper. Mais, ô détestable, ô faux élu, tu veux
défendre ton péché, afin de ne point paraître coupable, même après avoir commis
quelque faute; tu cherches à qui renvoyer ta faute, et tu la rejettes sur la
race ténébreuse. Vois néanmoins si ce n’est point sur Dieu que tu la fais
retomber. Car, cette nation ténébreuse que vous supposez, te dirait, si elle en
avait le pouvoir, pourquoi m’accuser? Ai-je pu, ou non, quelque chose contre
Dieu? Si, oui, je suis plus forte que lui; si, non, pourquoi me craint-il? S’il
ne me craint point, pourquoi t’envoyer ici pour te faire tant souffrir, toi un
de ses membres, toi sa substance? S’il n’a rien craint, il est donc envieux; et
s’il n’a point la crainte, c’est la cruauté qui l’a fait agir. Quelle injustice
pour lui à qui l’on ne pouvait nuire, et qui permet que l’on nuise tant à ses
membres! Ou bien pouvait-on lui nuire? il n’était donc pas incorruptible. Et
dès lors que tu veux défendre ton péché, tu ne saurais louer Dieu. La louange
de Dieu ne deviendrait point ta perte, si tu ne t’élevais de la tienne.
Commence donc par t’accuser, et alors tu loueras Dieu. Reprends les paroles des
psaumes si en horreur chez vous, et dis: « Pour moi, j’ai dit: Seigneur, ayez
pitié de moi, guérissez ri mon âme, parce que j’ai péché contre vous». J’ai
dit: C’est moi qui ai péché, ce n’est ni la fortune, ni le destin, ni la gent
ténébreuse. Si donc c’est toi qui as péché, vois comment s’élargit cette
louange de Dieu, où tu étais à l’étroit quand tu voulais défendre ton péché. Il
est mieux d’être à l’étroit dans tes péchés, et au large dans la louange de
Dieu. Vois comme la confession de ta faute relève sa gloire; car il est juste
quand il châtie ton obstination, et miséricordieux quand il te délivre en vertu
de ton aveu. « N’inclinez donc point mon coeur vers les paroles de malice, pour
chercher des excuses à mes péchés », que je n’accuse plus la race ténébreuse
d’avoir fait ce que j’ai fait moi-même.
12. « Avec les hommes qui commettent
l’iniquité».Quelle iniquité? Exposons quelqu’une de leurs doctrines
détestables. Ecoutez une (192) pratique abominable des Manichéens, qui est
publique et dont ils font l’aveu. Ils soutiennent qu’il est mieux pour un homme
d’être usurier que laboureur. Tu en demandes la raison, et ils la donnent. Vois
si cette raison ne mériterait pas mieux le nom de démence. Donner son argent à
usure, disent-ils, ce n’est point blesser la croix de la lumière (beaucoup ne
comprennent point cette expression, mais je l’expliquerai); au lieu que le
laboureur, disent-ils, blesse beaucoup la croix de la lumière. Qu’est-ce que la
croix de la lumière, diras-tu? Ils répondent que ce sont les membres de Dieu,
qui ont été pris dans ce combat, puis mêlés au monde entier; qui sont dans les
arbres, dans les plantes, dans les herbes, dans les fruits. C’est donc blesser
les membres de Dieu, que fendre la terre avec la charrue; les blesser que
arracher une herbe de la terre, les blesser que détacher un fruit d’un arbre.
Et cet homme, pour ne point commettre un homicide supposé dans un champ, commet
tin véritable homicide par l’usure. Il refuse un morceau de pain à un mendiant;
tu lui en demandes la cause: c’est de peur que ce pauvre ne prenne et ne lie
dans la chair cette vie qui est dans le pain, et qu’ils soutiennent être un
membre de Dieu, une substance divine. Mais vous donc, pourquoi mangez-vous?
N’avez-vous donc point une chair? Pour nous, disent-ils, Manichéens éclairés
par la foi, nous élus, nous purifions par nos prières et par nos psaumes cette
vie qui est dans ce pain, et nous l’envoyons dans les trésors célestes. Tels
sont en effet les élus, que loin d’avoir Dieu pour Sauveur, ce sont eux qui
sauvent Dieu. C’est là, disent-ils, le Christ crucifié dans le monde entier.
Pour moi, j’avais cru d’après l’Evangile que le Sauveur c’est le Christ; selon
vos livres, au contraire, c’est vous qui êtes les sauveurs du Christ. Voilà ce
qui fait de vous des blasphémateurs, et dès lors vous ne serez point sauvés par
le Christ. Quoi donc? vous laisserez mourir de faim un mendiant, vous lui
refuserez un morceau, de peur que le membre de Dieu qui est dans ce morceau ne
vienne à pleurer? Votre fausse pitié pour ce morceau de pain, vous fait commettre
envers uni homme un véritable meurtre. Que sont donc leurs élus? « N’inclinez
pas mon coeur vers les paroles de la malice, et je ne communiquerai pas avec
leurs élus ».
13. « Le juste me reprendra par charité, et
me fera des reproches 1 ». Voyez le pécheur qui fait des aveux; il aime qu’on
le reprenne par pitié, et non qu’on lui donne de fausses louanges. « Le juste
me reprendra par charité »; s’il est juste, s’il a de la miséricorde, il me
reprendra quand il me verra pécher. Voilà ce que disent quelques membres de
Jésus-Christ, à propos de quelques membres du Christ; et ils le disent dans un
même corps. Le Seigneur daigne parler dans la personne de celui qui reprend, il
ne méprise le rôle ni de celui qui reprend, ni de celui que l’on doit reprendre.
Tous ses membres sont en lui, et c’est lui qui dit: ri Le juste me ri reprendra
ri. Quel est le juste qui vous reprendra? La tête reprend tous les membres. «
Le juste me reprendra dans sa miséricorde, et me fera des reproches ». Il me
réprimera, mais dans sa miséricorde; il me réprimera, mais sans me haïr; et il
me réprimera d’autant plus qu’il n’a point de haine contre moi. Pourquoi donc
l’interlocuteur en rend-il des actions de grâces? Parce qu’il est écrit: «
Reprends le sage, et il t’en aimera 2». Le juste me reprendra, mais sera-ce en
me persécutant? Loin de là. Il est plutôt à réprimer lui-même, s’il réprime par
haine. Par quel motif réprime-t-il? « Par charité; et il me fera des reproches
». Par quel motif? par charité. « Le parfum du pécheur n’oindra point ma tête
». Qu’est-ce à dire: le parfum du pécheur n’oindra point ma tête? Ma tête ne
s’élèvera point par la flatterie. Une fausse louange est une flatterie, et la
fausse louange du flatteur, c’est l’huile, du pécheur. Aussi quand on s’est ri
de quelqu’un par une fausse louange, dit-on communément: Je lui ai parfumé la
tête. Aimez donc la réprimande charitable d’un juste, et non les louanges
dérisoires du flatteur. Ayez des parfums en vous-mêmes, et vous ne rechercherez
point le parfum des pécheurs. Les vierges sages de l’Evangile portaient leur
huile avec elles 2, c’est-à-dire que leur conscience leur rendait témoignage.
L’huile est le symbole de la gloire, elle brille au dehors, elle a de l’éclat.
Mais cette gloire doit être bonne, être une véritable gloire, afin qu’on la
renferme à l’intérieur et dans les vases qui lui conviennent. Ecoute ce que
signifie dans des vases: « Que l’homme s’éprouve lui-même, et alors il aura sa
gloire
1.
Ps. CXL, 5.— 2. Prov. IX, 8.— 3. Matth. XXV, 4.
en lui-même et non dans un autre 1». Qui
signifie dans ses vases? Ecoute le même Apôtre: « Notre gloire, en effet, c’est
le témoignage de notre conscience 2 ».
14. Enfin, parce que tu es dans le corps du
Christ, assujetti encore à une certaine mortalité, sois juste à tes propres
yeux, sois juste coutre toi. Tu es pécheur; venge le Seigneur contre toi,
reviens à ta conscience, inflige-toi des peines, sois ton propre bourreau. De
cette manière tu offres à Dieu un sacrifice. « Si le sacrifice avait pu vous
plaire », dit un pécheur, « je vous l’aurais offert, mais vous ne prendrez nul
plaisir à l’holocauste 3». Quoi donc? Dieu n’agrée-t-il aucun sacrifice? « Le
sacrifice agréable à Dieu est l’âme brisée de douleur; Dieu ne rejette pas un
coeur contrit et humilié 4 ». Humilie donc ton coeur, brise ton coeur, sois le
bourreau de ton coeur, et tu te réprimeras ainsi dans la miséricorde. Sévir
contre toi, ce n’est point te haïr. Tu seras alors juste dans la partie
corrigée, et pécheur dans ra partie à corriger. Tu es injuste puisque tu te
déplais à toi-même, et tu es juste, à cause du déplaisir que tu éprouves de ce
qui est injuste en toi. Veux-tu voir combien tu es juste? Tu condamnes en toi
ce que Dieu condamne; tu es uni de volonté avec Dieu, et tu hais en toi, non
point ce qu’il a fait, mais ce qu’il hait. Mais dès que tu hais en toi ce que
tu as fait, ce que Dieu hait, et qu’il n’a point fait, tu as pour toi de la
sévérité, et Dieu de la miséricorde: il t’épargnera, parce que tu ne t’es pas
épargné. Depuis que tu te vois du même oeil que Dieu, que tu prends plaisir
dans sa loi, que tu condamnes en toi ce que la loi condamne, que tu ne vois en
toi qu’avec déplaisir ce qui déplaît aux yeux de Dieu, vois combien tu es juste
en cela: toutefois, depuis que tu es tombé, tu as fait ce qui déplaît à Dieu,
la fragilité de tes humaines faiblesses te porte à le faire encore, tu es
encore sous le poids de l’infirmité de la chair, tu gémis en ton âme d’y
ressentir une révolte, et sous ce rapport tu es inique et pécheur.
15. Comment se peut-il, diras-tu, que je sois
en partie juste, et en partie pécheur? Que dis-tu là? Nous serions embarrassés,
nous croirions être en contradiction, si l’autorité de saint Paul ne nous
soutenait. Ecoute ce mot de l’Apôtre, afin de ne plus m’accuser
1. Gal. VI,
4.— 2. II Cor. I, 12.— 3. Ps. L, 18.— 4. Id. 19.
en me comprenant mal: « Je me plais »,
dit-il, « dans la loi de Dieu selon l’homme intérieur 1 ». Voilà un juste. Car
n’est-ce pas être juste que se plaire dans la loi de Dieu? Mais dès lors, de
quelle manière sera-t-il pécheur? « Je vois dans mes membres une autre loi qui
résiste à la loi de l’esprit, et qui m’enchaîne sous la loi du péché ». Je dois
encore me combattre moi-même, et je ne suis pas dans une entière conformité
avec l’image de mon Créateur; je commence à me rétablir, et ces traits que j’ai
réformés rue font haïr ce qu’il y a de difforme en moi-même. Et tant que je
suis ainsi, que puis-je espérer? « Malheureux homme que je suis, qui me
délivrera du corps de cette mort? La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre
Seigneur ». La grâce de Dieu, qui a commencé à retailler en toi quelques
traits, la grâce de Dieu répand sa douceur, afin que chez toi l’homme intérieur
se plaise dans la loi de Dieu;ce qui a déjà commencé de te guérir achèvera sa
tâche. Gémis, pendant que tu sens tes plaies, corrige-toi et sois odieux pour
toi-même.
16. « Je ne combats pas », dit saint Paul, «
comme si je frappais en l’air; mais je châtie mon corps, et je le réduis en servitude,
de peur qu’après avoir prêché aux autres je ne sois réprouvé moi-même 3 ».
Châtier son corps, est-ce le haïr? Châtier un serviteur, est-ce haïr ce
serviteur? Donner la discipline à un fils, est-ce le haie? Et, pour aller plus
loin encore: ta chair est pour toi comme une épouse. Saint Paul dit en effet: «
Nul n’a jamais haï sa propre chair; il la nourrit au contraire, et en prend
soin, comme le Christ a soin de son Eglise 4 ». La chair est donc pour nous
comme une épouse, et nul n’a de haine contre sa propre chair. Toutefois,
qu’est-il dit ailleurs? « La chair à des convoitises contraires à l’esprit, et
l’esprit des convoitises contraires à la chair ». Ta chair s’élève donc contre
toi, comme ferait une épouse;
aime-la et corrige-la, jusqu’à ce que la paix
se rétablisse entre l’âme et le corps également
réformés. Quand ce bonheur arrivera-t-il?
Pourquoi t’écrier maintenant: « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera
du corps de cette mort 5? » Ton corps sera-t-il
donc séparé de toi, afin que tu sois en
sécurité?
1.
Rom. VII, 22. — 2. Id. 25.— 3. I Cor. IX, 26, 27.— 4. Ephés. V, 29. — 5. Gal. V,
11. — 6. Rom. VII, 24.
Et que signifie: « Nous gémissons en
nous-mêmes, attendant l’adoption, qui sera la rédemption de notre corps 1?» Il
passera donc de la mortalité à l’immortalité, et alors il n’y aura plus de coin
bat, la mortalité n’opposant plus de résistance. Dès lors châtie ton corps,
réduis en servitude cette chair que ta recevras ensuite; qu’elle soit
maintenant en défaillance, afin de subsister alors. Elle ne peut être
complètement réparée ici-bas, tant que nous portons un corps mortel. Que son
poids ne te courbe point, ne te brise point: porte-la, châtie-la, corrige-la:
elle sera rétablie au dernier jour. « Et parce que nul n’a jamais haï sa chair,
ta chair ressuscitera. Mais comment? Sera-ce pour lutter encore 2? « Il faut »,
dit l’Apôtre, « que ce corps corruptible soit revêtu de l’incorruption, et que
ce corps mortel soit revêtu d’immortalité 3 ».
17. Quand donc on nous dit: « Il me reprendra,
il me corrigera », que ce juste soit ton frère, qu’il soit ton prochain, qu’il
soit ton voisin, qu’il soit toi-même, c’est dans la miséricorde qu’il faut te
reprendre et te corriger. «Le parfum du pécheur n’oindra pas ma tête ». Que
dois-je faire, me diras-tu? Je suis en butte à des flatteurs, qui m’assiégent
constamment de leurs caresses, qui louent en moi ce qui me déplaît, qui élèvent
en moi ce que je blâme, qui blâment en moi ce qui m’est cher; des adulateurs,
des trompeurs, des séducteurs. C’est un grand homme, disent-ils, que Gaïus
Seius, par exemple; c’est un grand homme, un savant, un homme sage, mais
pourquoi est-il chrétien? Il a de la science, il est lettré, il est sage. S’il
est très-sage, approuve-le d’être chrétien. S’il est savant, il a bien choisi.
Dans cet homme que tu loues, ce qui est blâmable à tes yeux, c’est ce qui plaît
aux siens. Que faire alors? Que ces louanges ne t’amollissent point, c’est le
parfum du pécheur. Mais il ne cesse de se répéter. Qu’il n’en oigne tas ta
tête, c’est-à-dire que ces louanges ne te causent point de joie, n’y mets
aucune complaisance, aucun assentiment, aucun bonheur; ce pécheur apporte le
parfum de la flatterie, mais ta tête n’en a pas été touchée, elle résiste à
toute élévation, à toute enflure. Qu’il y ait orgueil ou enflure, cela forme un
poids, et te renverse. « L’huile du pécheur n’oindra point ma tête».
1. Rom. VIII, 23. — 2. Ephés. V, 29. — 3. I
Cor. XV, 53.
18. « Encore un peu, et ma prière subsistera
dans ce qui leur fait plaisir ». Attends, dit le Christ; c’est maintenant
qu’ils me blâment. Dans les premiers temps du Christianisme, tout était blâmé
chez les chrétiens. « Attends encore, et ma prière bientôt leur fera plaisir ».
Le temps viendra où ces milliers d’hommes qui se frappent la poitrine auront
enfin le dessus, eux qui disent: « Remettez-nous nos dettes, comme nous
remettons à ceux qui nous doivent 1». Quel est le nombre de ceux qui rougissent
de frapper leur poitrine? Qu’ils nous blâment, supportons-les. Qu’ils nous
blâment qu’ils nous haïssent, qu’ils nous accusent, qu’ils nous calomnient: «
Bientôt notre prière leur fera plaisir »; le temps viendra que nos prières
feront leurs délices. Qu’ils s’élèvent dans leur propre force, comme s’ils
étaient justes, ils succomberont dans la lutte: ils seront brisés parce qu’ils
se seront élevés avec orgueil; entraînés par leurs péchés, ils se reconnaîtront
injustes, et alors s’accomplira ce qu’ont prédit les Prophètes: ils craindront
le jugement, le regard de l’âme se fixera sur une conscience coupable, et ils
prendront goût à cette prière: « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons
à ceux qui nous doivent 1». Aveugles discoureurs, qui défendez vos péchés!
voilà ce que disent aujourd’hui les peuples, et l’on entend sans cesse le brait
des poitrines que l’on meurtrit. Le tonnerre se fait entendre dans ces nuées
qu’habite le Seigneur. Où sont vos verbiages? où est cette jactance: Je suis
juste, je n’ai fait aucun mat? Après avoir considéré dans les saintes Ecritures
les règles de h justice, quelle que soit ta piété, tu trouveras toujours en toi
le péché. Tu as fait des progrès, tu adores un seul Dieu, c’est bien; tu ne
l’abandonnes point pour recourir aux idoles, aux devins, aux sortilèges, aux
aruspices, aux augures, aux maléfices: ce qui est une fornication à l’égard de
Dieu; tu fais nombre déjà parmi les membres du Christ, jette donc les yeux sur
les péchés qui se commettent parmi les hommes, Tu ne commets ni homicide, ni
adultère avec la femme de ton voisin, tu ne fais aucune injure à ton épouse en faveur
d’une autre femme, tu n’es souillé d’aucune débauche, ta main s’abstient de
tout larcin, ta langue
1. Matth. VI, 12.
de tout parjure, ton coeur de tout désir dv
bien d’autrui, déjà tu es juste. Mais prends garde au reste, et ne va point
t’enorgueillir Ta langue est-elle sans aucune faute? ne t’échappe-t-il pas
quelque parole dure? Mais qu’y a-t-il en cela d’important? Qu’y a-t-il
d’important? « Quiconque dira à son frère: Tu es un fou, sera condamné au feu
de l’enfer ! 1». Tout ton orgueil frémit à cette parole. Que cet homme n’agisse
point de manière que Dieu paraisse blasphémé par quelque impiété, qu’il ne lui
arrive de blesser personne, de faire à un autre ce qu’il ne veut point qu’on
lui fasse, j’y consens; mais sa langue? qui la domptera? Je suppose que tu l’as
domptée, et pourtant où est l’homme assez parfait pour cela? Mais enfin tu l’as
domptée; que diras-tu de tes pensées? Que lire de cette foule tumultueuse de
désirs qui se révoltent? Tes membres n’en sont-ils jamais les instruments? Je
le crois néanmoins et je le vois. Cependant les pensées t’inclinent,
t’enlèvent, même tandis que tu es à prier à genoux. Ton corps est prosterné, ta
tête inclinée, tu confesses tes péchés, tu adores Dieu; je vois où le corps est
prosterné, et je cherche où voltige l’esprit; je vois où les membres sont
étendus, voyons si l’attention est debout, si elle est fixée sur ce même Dieu
qu’elle adore; si elle n’est pas emportée par l’ouragan des pensées, comme par
un coup de vent tempétueux qui la jette çà et là. Si tu conversais avec moi, et
que tu vinsses à me quitter pour parler à ton serviteur, que lirais-je? quand
même, sans me faire aucune demande, tu me parlerais comme à ton égal, ne
verrais-je pas là une injure? Or, c’est là ce que tu fais chaque jour avec
Dieu. Et de qui parlé-je, mes frères? D’un homme qui n’adore qu’un seul Dieu,
qui confesse le Christ,
qui sait que le Père, le Fils et le
Saint-Esprit tout un seul Dieu, qui ne commet aucune fornication spirituelle en
adorant les démons, qui ne leur demande aucun secours, qui se lent uni à la
sainte Eglise catholique, dont nul ne proclame les fraudes, dont nul voisin la
trop faible ne saurait se plaindre, qui ne tend aucun piége à la femme
étrangère, et se contente de la sienne, ou même qui s’en abstient, se conduisant
en ce point selon leçons de l’Apôtre, quand il y a consentement mutuel, ou qui
n’est même pas engagé dans
1.
Matth. V, 22. — 2. I Cor. VII, 5.
le mariage. Tel est l’homme coupable encore
des fautes que j’énonce.
19. Il est donc venu le temps prédit par ces
paroles: «Attendez encore, et ma prière leur fera plaisir », soit la prière que
le Christ nous a enseignée, soit celle qu’il offre pour nous. Dans tous ces
péchés de chaque jour, quelle est donc notre espérance, sinon de dire avec une
profonde humilité de coeur cette parole de l’Oraison dominicale, qui déjà fait
nos délices, et qui, au lieu de défendre nos péchés, est le langage de l’aveu:
« Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent 1»; et
d’avoir pour avocat auprès du Père, Jésus-Christ, qui est juste et victime de
propitiation pour nos péchés 2? Qu’ils parlent maintenant, ces orgueilleux: ils
sont vaincus par le nombre, et vaincus par la multitude des peuples, toute la
terre, de l’Orient à l’Occident, bénit le Seigneur. Que peut gagner le petit
nombre dans ses disputes? Ils sont juges parmi les impies Mais qu’importe? Vois
la suite du psaume. « Auprès de la pierre, leurs juges sont engloutis 3 ».
Qu’est-ce à dire qu’ils sont engloutis près de la pierre? « Cette pierre était
le Christ 4». Ils sont engloutis auprès de la pierre. « Auprès », c’est-à-dire
si l’on compare à la pierre ces juges, ces grands, ces puissants, ces savants.
On les appelle juges, comme s’ils devaient juger des moeurs et porter des
décisions. Ainsi l’a dit Aristote. Mais comparez Aristote à la pierre, et il
disparaît. Qui est Aristote? Qu’il écoute, ainsi dit le Christ, et il tremble
dans les enfers. Ainsi parle Pythagore, ainsi dit Platon. Comparez-les à la
pierre, comparez leur autorité à l’autorité de l’Evangile, comparez ces
orgueilleux au Crucifié. Disons- leur: Vous avez gravé vos écrits dans le coeur
des superbes; lui, a planté sa croix dans le coeur des rois. Enfin il est mort,
et il est ressuscité; pour vous, vous êtes morts, et je ne veux point examiner
quelle sera votre résurrection. Donc « leurs juges sont absorbés auprès de la
pierre ». Ils semblent parler encore jusqu’à ce qu’on les compare à cette
pierre. C’est pourquoi, si nous trouvons que l’un d’entre eux a dit ce qu’a dit
le Christ, nous devons nous en réjouir, mais non le suivre. Mais il a parlé
avant le Christ. Dire la vérité, est-ce donc exister avant la vérité? O homme,
1.
Matth. VI, 12.— 2. I Jean, II, 1.— 3. Ps. CXL, 6.— 4. I Cor. X, 4.
considère le Christ, non quand il est venu à
toi, mais quand il t’a créé. Un malade aussi pourrait dire: Je suis tombé
malade avant l’arrivée du médecin. Il n’est venu qu’après, sans doute; mais il
est venu parce que tu étais venu auparavant.
20. Voyez donc la suite du psaume: « Encore
un peu, et ma prière fera partie de leurs délices ». Mais il y aura beaucoup de
contradicteurs. « Leurs juges sont engloutis auprès de la pierre ». Ma parole a
prévalu sur leurs paroles. Ils ont dit quelque chose de savant, moi j’ai dit la
vérité. Autre est de louer l’éloquence, autre de louer la vérité. « Ils
entendront mes paroles, parce qu’elles ont prévalu ». Pourquoi ont-elles
prévalu? Quel est celui de ces hommes que l’on a surpris dans un sacrifice,
aujourd’hui prohibé par les lois, qui ne l’ait nié aussitôt? Où est celui que
l’on a surpris devant une idole, et qui n’a crié aussitôt: Je ne l’ai point
fait, qui n’a craint d’être convaincu? Tels étaient les ministres du diable.
Mais comment les paroles de Dieu ont-elles pu prévaloir? «Voilà», dit-il, « que
je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. Ne craignez point ceux
qui tuent le corps, et qui ne peuvent tuer l’âme; mais craignez celui qui peut
jeter au feu de l’enfer, et l’âme et le corps 1». Il nous effraie, nous donne
l’espérance, enflamme notre charité. Ne craignez point la mort, nous dit-il. La
craignez-vous? Je meurs le premier. Craignez-vous qu’un cheveu tombe de votre
tête? Je ressuscite le premier, et tout entier. C’est donc avec raison que vous
avez entendu les paroles de votre maître qui ont prévalu, lis parlaient et on
les faisait mourir; ils tombaient et néanmoins se tenaient debout. Et qu’est-il
arrivé du meurtre de tant de martyrs, sinon que la victoire a été donnée aux
paroles du Maître, et que de cette terre comme arrosée du sang des témoins du
Christ, a germé partout la moisson de 1’Eglise? « Ils entendront mes paroles »,
dit l’interlocuteur, « parce qu’elles ont prévalu ». D’où vient qu’elles ont
prévalu? Nous l’avons dit déjà: parce qu’elles étaient prêchées par des hommes
sans peur. De quoi n’avaient-ils aucune peur? Ni de l’exil, ni de la perte des
biens, ni de la mort, ni de la croix. Non seulement ils ne craignaient pas la
mort, mais ils ne craignaient pas même la croix qui est la
1. Matth, X, 16, 8.
plus terrible mort. Le Seigneur s’y soumit,
afin que ses disciples non seulement ne
redoutassent point la mort; mais afin que nul
genre de mort ne pût les intimider. Ces paroles ont donc prévalu, parce
qu’elles ont été prêchées par des hommes sans peur.
21. Mais ces trépas de,tant de martyrs,
qu’ont-ils produit? Ecoute: « Comme la graisse de la terre est répandue sur les
guérets, ainsi nos ossements sont dispersés près du sépulcre 1 ». Les ossements
des martyrs ou des témoins du Christ sont dispersés sur le bord du sépulcre. On
a tué les martyrs, et ces hommes ont en quelque sorte Prévalu jusque dans la
mort. Les persécuteurs n’ont prévalu que pour donner la victoire ans paroles du
Christ par la prédication. Et qu’est-il arrivé de cette mort des saints? «
Comme la graisse de la terre est étendue sur les guérets, nos ossements sont
dispersés sur le bord du sépulcre ». Qu’est-ce que «la graisse de la terre
répandue sur la terre? » Nous savons que cette graisse de la terre est quelque
chose de fort méprisable; car ce qui est vil aux yeux des hommes donne à la
terre sa fécondité. Il est dit dans un autre psaume que les corps des saints
demeuraient étendus sur la terre, sans qu’il y eût personne pour les ensevelir.
Mais tous ces corps des saints sont la graisse de la terre. De même, en effet que
les guérets s’engraissent de ce qui est vil et abject, ainsi la terre a été
engraissée des que le monde a méprisé, en sorte qu’il en est résulté pour
l’Eglise une moisson plus abondante. Vous le savez, mes frères, ce qé en
graisse les guérets, c’est ce que l’on regarà comme vil, que je ne veux pas, et
qu’ils faut pas nommer; voilà ce qui féconde la terre, ce qui en est l’engrais;
les hommes la méprisent, le rejettent comme une ordure Mais qu’a fait Dieu,
pour me servir des parole d’un autre psaume? « Il a relevé le pauvre de la
poussière, et l’indigent de son fumier, afin de le placer parmi les princes,
parmi les princes de son peuple 2».On l’a donc étendu sur la terre, comme un
fumier, jeté çà et là:
ainsi était couché Lazare couvert d’ulcères,
et pourtant il fut porté par les anges au sein d’Abraham 3. « La mort de ses
élus est précieuse aux yeux du Seigneur 4 »; comme le fumier que le monde
méprise est précieux aux yeux du laboureur qui en connaît l’utilité, la
1.
Ps. CXL, 7.— 2. Id. CXII, 7,8.— 3. Luc, XVI, 20, 22.— 4. Ps. CXV, 15.
graisse qu’il doit donner à la terre; il sait
ce que préfère la terre, ce qu’elle en prendra, et quelle abondante moisson il
en résultera. Mais tout cela est méprisable aux yeux du monde. Or, ne
savez-vous point que « Dieu a choisi ce qui est méprisable, ce qui n’est rien
comme ce qui est quelque chose, afin de détruire ce qui est 1? » C’est du
fumier que furent tirés Pierre et Paul; on les méprisait en leur donnant la
mort; maintenant que la terre est engraissée, que s’élève la moisson de
l’Eglise, oie va ce qu’il y a de plus grand, ce qu’il y a de plus noble dans le
monde, où va tout d’abord l’Empereur quand il arrive à Rome? Est-ce au palais
impérial, ou bien au tombeau du pêcheur? « Comme la graisse est répandue sur
les guérets, ainsi nos ossements sont dispersés près du sépulcre ».
22. « Seigneur, mes yeux sont vers vous, en
vous est mon espoir, ne laissez point périr mon âme 2 ». Les martyrs ont subi
les tourments, beaucoup y ont cédé. Or, comme le Prophète venait de dire à
propos de la captivité pendant la persécution: « Comme la graisse de la terre
est répandue sur les guérets, ainsi nos ossements sont dispersés près du
sépulcre »: il se souvient que plusieurs ont manqué de courage, que beaucoup se
sont trouvés en danger, et alors du milieu de ces dangers de la persécution une
prière s’échappe de son âme: « C’est vers vous, Seigneur, que j’élève mes yeux
». Peu n’importent les menaces de ceux qui m’environnent: « C’est sur vous, ô
mon Dieu, que s’arrêtent mes regards ». Mes yeux s’arrêtent plus sur vos
promesses que sur leurs menaces. Je sais ce que vous avez souffert pour moi, et
ce que vous m’avez promis. « Seigneur, mes yeux sont vers vous, en vous est mon
espoir, ne laissez point périr mon âme».
23. « Préservez-moi du piége qu’ils ont aché
devant moi 3 ». Quel est ce piége? Si tu consens, je te pardonne. L’appât de ce
piége est l’amour de la vie; si l’oiseau aime cet appât, il tombe dans le
piège; mais si l’oiseau est de nature à dire: « Je n’ai point désiré les jours de
l’homme, vous le savez 4», ses yeux ne se détourneront point de Dieu, et
lui-même dégagera ses pieds du piège 5. « Préservez- moi du piège qu’ils ont
placé devant
1. I Cor. I,
28.— 2. Ps. CXL, 8. — 3. Id. 9. — 4. Jérém. XVII, 16. — 5. Ps. XXIV, 15.
moi, et des scandales de ceux qui cornu
mettent l’iniquité ». Le Prophète marque ici deux points qu’il faut distinguer
avec soin: qu’on lui a tendu un piége, et qu’il y a scandale de la part de ceux
qui ont cédé aux persécuteurs en apostasiant; il prie Dieu de le préserver de
l’un et de l’autre. D’une part les menaces des persécuteurs, d’autre part la
chute des timides; je crains que les uns ne m’effraient, que les autres ne
m’entraînent avec eux. Voilà ce qui t’arrivera si tu n’obéis promptement, me
dit celui-ci: « Préservez-moi des piéges qu’ils m’ont tendu ».Voilà que ton
frère s’est soumis, dit celui-là: « Préservez-moi des chutes de ceux qui
commettent l’iniquité » ».
24. « Des pécheurs tomberont dans ses filets 1
». Que veut dire ceci, mes frères: « Des pécheurs tomberont dans ses filets? »
Non pas tous les pécheurs, mais quelques pécheurs qui sont pécheurs au point
d’aimer cette vie, et de la préférer à la vie éternelle; ceux-là tomberont dans
ses filets. Mais que dis-je? tous ceux qui aiment la vie tombe. rosat-ils dans
ses filets? Que seraient devenus vos disciples, ô Christ? Dans le feu de la
persécution ils vous abandonnèrent, et s’en allèrent chacun de son côté: vous
l’aviez prédit, parce que vous le saviez d’avance; car cela n’arriva point
parce que vous l’aviez prédit, et ce n’est point vous qui vous êtes renié dans
aucun d’eux. Mais enfin, ceux qui vous étaient le plus attachés s’enfuirent
quand la persécution éclata contre vous, et que vos ennemis vinrent vous saisir
pour vous clouer à la croix. Et le seul qui avait osé vous promettre de vous
suivre jusqu’à la mort, apprit du médecin qu’il était malade et ce qu’il lui
arriverait. Il avait la fièvre et se croyait en santé, le médecin lui touchait
la veine du coeur. Enfin arriva la tentation, arriva l’épreuve, arriva
l’accusation. On le met à la question, et ce n’est point une grande puissance,
mais une esclave, mais unie femme, et il succombe devant la question d’une
servante. Trois fois il renie son Maître. Après la première négation il se
souvient de ce qui lui a été dit, et renie une seconde fois; à cette seconde
négation, il se souvient encore et renie une troisième fois. Le Seigneur
l’avait prédit, mais ne l’avait ni commandé, ni imposé. Et si l’on croit que
Pierre n’a pas été
1. Ps. CXL, 10.
coupable, parce que le Seigneur l’avait
prédit, Judas ne sera point coupable de l’avoir trahi, parce que le Seigneur
avait prédit qu’il le ferait. Loin de nous cette doctrine; c’est la doctrine de
ces élus qui excusent leurs péchés plutôt qu’ils ne les confessent. Jetons
plutôt les yeux sur saint Pierre lui-même. Pourquoi pleurer, s’il n’est point
pécheur? N’interrogeons chez Pierre que les larmes de Pierre: nous n’avons pas
sur lui de témoins plus fidèles. « Il pleura amèrement 1 », dit l’Evangile. Il
n’était pas encore prêt à souffrir: «Tu me suivras plus tard 2 », lui fut-il
dit. Affermi par la résurrection du Seigneur, il devait être plus constant dans
la suite.
25. Le temps n’était donc point venu de
disperser ces ossements le long du sépulcre. Voyez, en effet, combien vinrent à
faillir, sans excepter ceux qui lui étaient le plus attachés et qui
succombèrent à Leur tour. D’où vient cette faiblesse? « Je suis seul, jusqu’à
ce que j’aie passé ». C’est la suite du psaume. Le Prophète avait dit plus
haut: « Préservez-moi, Seigneur, des pièges qu’ils m’ont tendus, et des
scandales de ceux qui commettent l’iniquité». «Des piéges et des scandales »;
de ceux qui effraient et de ceux qui tombent. Mais comme dans sa passion ceux-là
succombèrent qui étaient les premiers, qui devaient être les guides et les
colonnes de l’Eglise, alors cette parole du psaume n’était pas accomplie en
eux: « J’ai affermi ses colonnes 3 ». Que dit-il ici: « Je suis seul, jusqu’à
ce que j’aie passé? » C’est le chef qui tient ce langage. «Je suis seul,
jusqu’à ce que j’aie passé». Qu’est-ce à dire seul? C’est vous seul, Seigneur, qui souffrez dans votre passion,
vous seul que vos ennemis font mourir.
« Je suis seul jusqu’à ce que j’aie passé. »
Qu’est-ce à dire, «jusqu’à ce que j’aie passé? » L’Evangile nous dit: « Quand
vint pour Jésus-Christ l’heure de passer de ce monde à son Père 4». Qu’est-ce à
dire, «jusqu’à ce que j’aie passé, sinon de ce monade à son Père? Car alors
j’ai affermi ses colonnes, c’est-à-dire les colonnes de la terre, quand ils ont
appris par ma résurrection à ne pas craindre la mort. « Jusqu’à ce que je sois
passé, je suis seul »; mais quand je serai passé je me multiplierai; beaucoup
suivront mon exemple, beaucoup souffriront pour
1. Matth. XXVI, 75.— 2. Jean, XIII, 36.— 3.
Ps. LXXIV, 4.— 4. Jean, XIII, 1.
mon nom. Je suis seul, jusqu’à ce que j’aie
passé; mais quand je serai passé, beaucoup ne seront qu’un avec moi. « Je suis
seul, jusqu’à ce que j’aie passé ». Ecoutez le mystère de cette parole. D’après
l’expression grecque, le mot Pâque semblerait avoir le sens de passion, car pasXein signifie souffrir; mais dans la
langue hébraïque, ceux qui l’ont étudiée ont traduit Pascha par passage. Car si nous interrogeons ceux qui connaissent
le grec, ils nous diront que Pascha
n’est pas un mot grec Passion se traduit en grec par pathos et non par Pascha.
Donc Pâques signifie passage, comme nous l’ont appris les savants hébreux qui
nous ont traduit ce que nous devons lire, Donc, aux approches de la passion,
l’Evangéliste se sert de cette même expression: « Quand vint l’heure », dit-il,
« où Jésus devait passer de ce monde à son Père ». C’est la même expression
employée par le Prophète: « Je suis seul jusqu’à ce que j’aie passé ». Après la
Pâque, je ne serai plus seul; après mon passage je ne serai plus seul, beaucoup
m’imiteront, beaucoup me suivront. Mais s’ils me suivent alors, que sera-ce en
attendant? « Je suis seul jusqu’à ce que j’aie passé ». Pourquoi le Seigneur
dit-il dans notre psaume: « Je suis seul jusqu’à ce que j’aie effectué mon
passage? » Qu’avons-nous expliqué? Si nous l’avons compris, écoute alors les
paroles du Sauveur dans l’Evangile: « En vérité, en vérité, je vous le déclare
», nous dit-il, « si le grain de froment ne tombe en terre pour y mourir, il
demeure seul; mais s’il meurt, il produit beaucoup de fruits ». Voilà ce qu’il
disait en ce même endroit où il dit encore: « Quand j’aurai été élevé de la
terre, j’attirerai toutes choses à moi 1. Si donc le grain de froment ne tombe
à terre pour y mourir, il demeure seul; mais qu’il vienne à mourir, et il
rapportera beaucoup de fruits ». Ce grain devait donc produire une abondante
moisson; mais attends, il faut qu’il meure; car si le grain ne tombe à terre,
et ne meurt, il est toujours seul.
26. Donc il était seul avant de passer parle mort. Aussi Pierre alors
n’avait-il pas encore assez de force; il devait avoir la force de le suivre, et
non de le précéder. Car avant le Christ, nul n’est mort pour le Christ,
c’est-à-dire pour confesser ce nom du Christ qui nous fait chrétiens. Beaucoup
sont morts, il est
1. Jean, XII, 24, 25, 32.
vrai, et sont des martyrs; beaucoup de
Prophètes sont morts de la sorte, et toutefois ils ne mouraient point parce
qu’ils annonçaient le Christ, mais parce qu’ils reprochaient aux hommes leurs
péchés, qu’ils s’opposaient à leurs désordres avec une sainte liberté. On les
regarde comme des martyrs, et avec raison; car s’ils ne sont point morts pour
confesser le nom du Christ, ils sont morts pour la vérité. Il est si vrai que
nul n’est mort pour le nom du Christ, c’est-à-dire pour confesser le nom du
Christ, avant que ce grain ne tombât sur la terre, lui qui dit ici: « Je suis
seul, jusqu’à ce que j’aie passé », que Jean lui-même, qu’on venait de mettre à
mort, et qu’un roi impie venait d’immoler à une jeune danseuse, n’est point
mort pour avoir confessé le Christ. Il pouvait être mis à mort pour ce sujet et
par plusieurs. Si un seul homme l’a fait mourir, et pour un autre motif, à
combien plus forte raison pouvait-il être mis à mort par tous ceux qui mirent à
mort le Christ? Car c’est au Christ que Jean rendait témoignage. Ceux qui
entendaient le Christ voulaient le mettre à mort, et ils n’y eussent point mis
celui qui lui rendait témoignage. Qu’on se soit soulevé contre Jean à cause du
Christ, Jean ne l’aurait point renié. Il y avait en lui de grandes forces, qui
l’ont fait appeler l’ami de l’Epoux 1; il était plein de grâces, supérieur en
vertu: « Parmi les enfants des hommes, nul n’était plus grand que Jean-Baptiste
1». L’orage se souleva donc contre celui qui n’avait point de telles forces: il
se souleva contre Pierre, et non contre Jean; Pierre ne reçut la force que plus
tard, il était faible alors. On interroge au sujet du Christ celui qui n’avait
point la force encore; et celui qui était doué de forces ne souffrit aucune
persécution au sujet du Christ, afin de ne point prévenir le Christ en mourant
pour son propre nom. Les Juifs ne firent pas mourir cet homme rendant
témoignage à ce même Christ qu’ils crucifièrent; Hérode lui donna la mort parce
qu’il lui disait: « Il ne vous est point permis d’avoir la femme de votre frère
3 », puisque ce frère n’était point mort sans postérité. Il mourait sans doute
pour la vérité, pour l’équité, pour la justice; c’est pour cela qu’il est
saint, qu’il est martyr; niais il n’est pas mort pour ce nom qui nous rend
Chrétiens. Pourquoi, sinon afin d’accomplir cet oracle: « Je suis seul, jusqu’à
ce que j’aie passé? »
1. Jean, III, 29. — 2. Matth. XI, 11.— 3. Id.
XIV, 3-11.
SERMON
AU PEUPLE.
Méditer,
c’est imiter l’animal qui rumine, et qui pour cela est nommé pur. Crier vers le Seigneur, c’est l’invoquer, et
crier de sa voix, c’est parler du
coeur répandre sa prière devant Dieu, c’est prier où lui seul peut voir, et
dans le coeur encore, et la porte close, de peur que le tentateur n’y puisse
entrer. Cette porte a deux battants: le désir et la crainte; c’est ouvrir la
porte au démon que désirer ou craindre quelque chose de terrestre; c’est l’ouvrir
è Dieu que désirer le ciel et craindre l’enfer. Les martyrs ont fermé la porte
au diable en méprisant les promesses du monde et ses menaces, et ouvert au
Christ qui promettait la vie éternelle, qui menaçait de jeter le corps et l’âme
dans le feu éternel. Ils prient, dans la crainte de s’attribuer l’honneur de la
résistance, et quand on le croit accablé, il marche dans les sentiers de la
justice inconnus au pécheur, connus de Dieu qui nous sauve; car connaître, pour
lui, c’est sauver; méconnaître, c’est damner. Ces sentiers ou voies étroites
sont au pluriel à cause de la pluralité des commandements, qui se réduisent à
la charité, ou à la voie par excellence. Le Seigneur connaît donc nos voies, et
nous conduit si nous sommes doux et humbles. Les persécuteurs ont voulu nous
tendre un piège dans notre voie, ou dans le Christ; mais comme ils sont hors du
Christ, ils ont tendu le piège le long de la voie; n’en sortons point et nous
l’évitons qu’on nous reproche le Crucifié, nous nous en glorifions. Le Prophète
voit, parce qu’il regarde à droite, où sont les élus, et nul ne les
connaissait, c’est-à-dire ne connaissait le prix de ses souffrances. La fuite
lui est fermée, quand son âme ne connais point la fuite. Le corps veut fuir,
mais l’âme ne saurait fuis, à moins d’imiter le mercenaire qui abandonne les
brebis au danger. Le Seigneur le relève, le délivre des persécuteurs
c’est-à-dire du diable dont les persécuteurs sont les instruments, de ces
princes ou amateurs du monde, appelés aussi ténèbres. On distingue le monde
fait par Dieu, en qui était le Verbe, et le monde qui ne l’a point connu; les
justes sont dans le monde, mais non du inonde. Le Prophète veut être délivré de
la prison, ou de la caverne du titre, ou du monde, ou du corps en ce sens qu’il
est corruptible, ou bien encore de ce lieu étroit, c’est-à-dire triste, et mon
âme chantera vos louanges.
1. C’est à la solennité des martyrs que vous
êtes redevables de ce surcroît de dévotion, M nous redevable de cet entretien.
Toutefois votre charité doit se souvenir du long discours d’hier. Bien que nous
ayons remarqué pendant tout ce discours une avidité spirituelle qui se
renouvelait sans cesse, nous ne saurions oublier notre commune fragilité,
d’autant plus qu’il nous faut rendre aux paroles admirables du Seigneur,
l’honneur qui leur est dû, ainsi qu’il est écrit: Les paroles du Seigneur sont
admirables de sagesse. Elles ne vous arrivent, il est vrai, que dans des vases
bien chétifs; mais si les vases sont d’argile, le pain est du ciel. L’Apôtre
nous dit en effet: « Nous portons ce trésor dans des vases fragiles, afin que
la perfection de la vertu vienne de Dieu 1 ». Or, ce trésor et ce pain sont une
même chose; s’il n’en était pas ainsi, l’Ecriture ne nous dirait pas à propos
du trésor « C’est dans la bouche de l’homme sage que repose le trésor
désirable, tandis que l’insensé le dissipe ». Aussi, mes frères,
avertissons-nous votre charité de retourner, de ramener eu quelque sorte dans
votre pensée
1. II Cor. IV, 7.
le pain que l’oreille dépose dans l’estomac
de votre mémoire. C’est ainsi « qu’un trésor précieux repose dans la bouche du
sage, tandis que l’insensé le digère aussitôt 1»; en un mot, que le sage rumine
et que l’insensé ne rumine pas. Qu’est - ce à dire, en termes plus clairs et en
latin? Le sage réfléchit sur ce qu’il a entendu, l’insensé l’oublie aussitôt.
Car ce n’est point pour un autre motif que la loi appelle animaux purs ceux qui
ruminent et impurs ceux qui ne ruminent point 2, puisque toute créature de Dieu
est pure. Devant Dieu qui les a créés, le porc est aussi pur que l’agneau; car
tout ce qu’il fit était éminemment bien 3, et « toute créature de Dieu est
bonne 4», a dit l’Apôtre, comme « tout est pur pour ceux qui sont purs ». Tout
est donc pur, dans sa nature même, et néanmoins l’agneau est le symbole de ce
qui est pur, comme le pourceau est le symbole de ce qui est impur; l’agneau
marque l’innocence du sage qui rumine, qui réfléchit; le pourceau, l’impureté
d’une folie oublieuse. Nous avons chanté un psaume analogue à la fête. Il est
1.
Prov. XXI, 20. — 2. Lévit. XII, 2-8. — 3. Gen. I, 31. — 4. I Tim. IV, 4. — 5. Tit. I,
15.
court, voyons si nous pourrons aussi
l’exposer brièvement.
2. «De ma voix, j’ai crié vers le Seigneur».
Il me suffirait de dire: « J’ai crié de la voix vers le Seigneur », et
néanmoins il n’est peut-être pas inutile d’ajouter: ma voix. Plusieurs, en
effet, crient vers le Seigneur, non de leur voix, mais de la voix de leur
corps. Quant, à l’homme intérieur en qui le Christ a commencé d’habiter par la
foi 1, il crie vers Dieu, non par le bruit des lèvres, mais par l’élan du
coeur. Car l’oreille de Dieu diffère bien de l’oreille de l’homme, qui n’entend
qu’à la condition que les poumons, la poitrine et la langue formeront un son;
tandis que pour Dieu notre cri c’est notre pensée. « De ma voix j’ai crié vers
Dieu, de ma voix j’ai invoqué le Seigneurs 2». Le Prophète nous explique le mot
crier, en ajoutant: j’ai invoqué. Blasphémer, c’est, en
effet, crier aussi vers le Seigneur. Dans la première partie du verset il
pousse un cri, et dans la seconde partie il donne l’explication de son cri,
comme si on lui demandait quel cri il a poussé vers le Seigneur: « J’ai poussé
vers le Seigneur un cri de prière ». Mon cri est une invocation, et non un
outrage, ni un murmure, ni un blasphème.
3. « Je répandrai ma prière devant lui 3».
Qu’est-ce à dire «devant lui?» En sa présence. Qu’est-ce à dire, en sa
présence? Où ses yeux voient. Mais où ne voient-ils point? Dire en effet où
Dieu voit, laisserait entendre qu’il est des lieux où ut ne voit point. Mais en
fait d’objets corporels, les hommes voient comme les animaux voient, tandis que
Dieu voit où nos regards ne sauraient pénétrer. Car nul homme ne saurait voir
tes pensées que Dieu pénètre néanmoins. Répands donc ta prière où seul peut
voir Celui qui peut seul te récompenser. Car le Seigneur Jésus-Christ l’ordonne
de prier dans le secret; mais si tu comprends l’endroit secret pour toi, situ
te purifies, c’est là que tu pries Dieu. « Quand vous priez », dit le Sauveur,
« n’imitez point les hypocrites qui aiment à prier debout, dans les synagogues
et sur les places publiques, pour être vus des hommes. Mais vous, quand vous
priez, entrez dans votre chambre, et, la porte close, priez votre Père dans le
secret; et votre Père,qui voit dans le secret, vous le rendra 4 ». Si tu
attends des hommes
1. Ephés. III, 17.— 2. Ps. CXLI, 2.— 3. Id.
3.— 4. Matth. VI, 5, 6.
ta récompense, prie devant les hommes; si
Dieu seul doit te la rendre, répands ta prière en sa présence, et la porte
close, de peur que le tentateur n’y puisse entrer. Car le tentateur ne cesse de
frapper pour entrer, et si la porte est close, il passe outre. Comme donc il
est en notre pouvoir de clore la porte, j’entends la porte de notre coeur, et
non celle de nos maisons; car c’est dans le coeur aussi qu’est la chambre
secrète; comme il est en notre pouvoir de clore cette porte: « Ne donnez aucune
entrée au diable 1 », nous dit l’Apôtre. S’il vient à pénétrer dans ton coeur,
à s’en rendre maître, tu dois reconnaître que tu as fermé la porte négligemment,
ou négligé complètement de la fermer.
4. Mais qu’est-ce à dire, fermer la porte?
Cette porte a comme deux battants: celui de la convoitise, et celui de la
crainte. Ou tu convoites quelque chose de terrestre, et le diable entre par là;
ou tu crains quelque chose de terrestre, et il entre encore. Ferme donc au
diable cette double porte de la crainte et de la convoitise, et ouvre-la au
Christ. Comment ouvrir au Christ ces deux battants? En désirant le royaume des
cieux, en craignant le feu de l’enfer. L’amour du monde ouvre l’entrée au
diable, et l’amour de la vie éternelle l’ouvre au Christ; la crainte des maux
temporels est une porte ouverte au démon, tandis que le Christ entre chez nous
par la crainte des maux éternels. Les martyrs ont fermé la porte au diable, en
l’ouvrant au Christ. Le monde leur a promis beaucoup, ils ont ri de ses
promesses et ont fermé au diable la porte de la convoitise. Voyons s’ils l’ont
ouverte au Christ: « Quiconque me confessera devant les hommes, moi aussi je le
confesserai devant mon Père qui est dans le ciel 2».Comment les
confessera-t-il? « Venez », dira-t-il, « bénis de mon Père, recevez le royaume
qui vous a été préparé dès l’origine du monde 3». Il les confessera en les
plaçant à sa droite. Voyons s’ils ont ouvert au Christ la porte de la crainte,
qu’ils avaient fermée au diable. Dans le même endroit, le Seigneur nous avertit
de la fermer au démon et de la lui ouvrir. « Ne craignez point», dit-il, « ceux
qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme ». Il nous avertit par là de
fermer au démon la porte de la crainte. N’avons-nous donc rien à craindre?
1. Ephés. IV, 27. — 2.
Matth. X, 32. — 3. Id. XXV, 34.
et ne faut-il pas ouvrir au Christ cette
porte de la crainte fermée au diable?Aussi, comme pour nous dire: fermez au
démon, mais ouvrez pour moi, le Sauveur a-t-il ajouté: « Craignez au contraire
Celui qui a le pouvoir de jeter l’âme et le corps au feu éternel 1». Si donc,
sur la foi en ces paroles, tu ouvres la porte au Christ, ferme-la au démon. Le
Christ est à l’intérieur, c’est là qu’il habite; répands ta prière devant lui,
ne cherche pas à te faire entendre de loin. Car elle n’est pas loin de vous
cette sagesse de Dieu, « qui atteint d’une extrémité à l’autre avec force, et
dispose de tout avec douceur 2 ». C’est donc dans ton âme qu’il te faut
répandre ta prière devant Dieu, c’est là que sont ses oreilles. Ce n’est, en
effet, « ni de l’Orient, ni de l’Occident, ni des lieux déserts, que le
Seigneur vous écoute; car il est juge 3 ». Or, s’il est juge, vois dans ton
coeur quelle est ta propre cause.
5. « Je répandrai ma prière devant lui,
j’annoncerai en sa présence toutes mes affiictions 4 ». Ces deux versets ne
font que répéter les deux premiers. Il y a deux pensées dont chacune est répétée
deux fois. La première est celle-ci: « De ma voix j’ai crié vers Dieu, j’ai
imploré le Seigneur de mes cris »; l’autre: « Je répandrai ma prière devant
lui, j’annoncerai en sa présence toutes mes afflictions ». Devant lui est
identique à sa présence, et répandre ma prière, est identique à proclamer
toutes mes afflictions. Quand agiras-tu ainsi? L’interlocuteur est alors dans
la tribulation: « Quand mon âme tombe en défaillance », nous dit-il. Pourquoi
donc ton âme est-elle en défaillance, ô martyr que l’on persécute? C’est de
peur que je ne fasse à moi-même l’honneur de mes forces, et afin que je sache
bien qu’un autre les produit en moi. C’est d’ailleurs l’avertissement que donne
le Seigneur à ceux dont il voulait faire ses témoins: « Quand ils, vous
traîneront devant les juges, ne vous inquiétez point de ce que vous direz; car
ce n’est point vous qui parlez, mais l’Esprit de votre Père qui parle en vous
5». Arrière donc ton esprit, et que l’Esprit de Dieu parle en toi. C’est donc
avec raison qu’il voulait en faire des pauvres d’esprit: « Bienheureux les
pauvres en esprit, car le royaume des cieux
1.
Matth. X, 28-32. — 2. Sag. VIII, 1. — 3. Ps. LXXIV, 7. — 4. Id. CXLI, 4. — 5.
Matth. X, 19, 20.
leur appartient ». Donc bienheureux ceux qui
sont pauvres de leur esprit, et riches de l’Esprit de Dieu; car tout homme qui
suit son esprit est un orgueilleux; qu’il soumette son esprit, et reçoive
l’Esprit de Dieu. Il cherchait les hauts lieux, qu’il reste dans la vallée.
S’il s’élève en haut, les eaux s’écouleront loin de lui; s’il demeure dans la
vallée, il en sera rempli, et il lui arrivera comme au sein dont il est dit: «
Des fleuves d’eau vive couleront de son sein 2 ». Donc « pendant la défaillance
de mon âme, j’ai annoncé en votre présence ma tribulation », j’étais humble, et
je confessais devant vous la défaillance de mon esprit, étant comblé de votre
Esprit-Saint.
6. Quant aux hommes, en apprenant la
défaillance de mon esprit, ils ont désespéré de moi, et ils ont dit: Nous
l’avons pris, nous l’avons accablé: « Mais vous, Seigneur, vous avez connu mes
sentiers ». Ils me croyaient abattu, vous saviez que j’étais debout. Ceux qui
me persécutaient, qui s’étaient emparés de moi, croyaient que mes pieds étaient
embarrassés; mais ce sont leurs pieds au contraire qui sont embarrassés, et ils
sont tombés: « Mais nous nous sommes levés et redressés 3. Car mes yeux sont
toujours fixés sur le Seigneur, parce que c’est lui qui dégagera mes pieds du
filet 4 ». J’ai continué ma course; « et celui-là sera sauvé qui aura persévéré
jusqu’à la fin 5 ». Ils me croyaient accablé, et moi je marchais. Où est-ce que
je marchais? Dans les sentiers que ne voyaient pas ceux qui croyaient m’avoir
pris; dans les sentiers de votre justice, dans les sentiers de vos préceptes. «
Vous connaissiez en effet mes sentiers », que ne connaissait pas le
persécuteur; autrement il ne me porterait point envie, mais il y marcherait
avec moi. Quels sont donc ces sentiers, sinon les voies dont il est dit
ailleurs: « Le Seigneur connaît la voie des justes, mais la voie des impies
périra 6? » Il ne dit point que le Seigneur ne connaît pas la voie des impies;
mais bien: « Dieu connaît la voie des justes, celle des impies périra ». Car
tout ce que Dieu ne connaît pas doit périr. Dans beaucoup d’endroits de l’Ecriture,
connaître, pour Dieu, c’est sauver. Connaître, c’est garder, comme ne pas
connaître, c’est damner. Comment, en effet, celui qui
1. Matth. V, 3. — 2. Jean, VII, 38.— 3. Ps. XIX, 9.— 4. Id. XXIV, 15. — 5. Matth. X, 12. — 6. Ps. 1, 6.
connaît tout pourrait-il dire à la fin du
monde: « Je ne vous connais pas 1? » Qu’ils ne s’applaudissent point dès lors
en disant que le juge ne les connaît point. C’est déjà un châtiment que n’être
point connu du juge. Ces voies dès lors, dont il est dit que le Seigneur les
connaît, le Prophète les appelle ici des sentiers, quand il dit: « Vous
connaissez mes sentiers ». Tout sentier, en effet, est une voie, mais toute
voie n’est pas un sentier. Pourquoi donc ces voies sont-elles appelées des
sentiers, sinon parce qu’elles sont des voies étroites? La voie large est celle
des impies, la voie étroite celle des justes.
7. Dire la voie et les voies, c’est tout un,
de même que dire l’Eglise ou les Eglises, le ciel ou les cieux. L’un est au
pluriel, l’autre au singulier. L’Eglise, à cause de son unité, n’est qu’une
Eglise: « Ma colombe est unique, l’unique de sa mère 2». Mais il ya plusieurs
Eglises, si l’on envisage les diverses assemblées des fidèles en divers
endroits: « Les Eglises de la Judée se réjouissaient dans le Christ, parce que
celui qui naguère nous persécutait, annonce maintenant la foi qu’il voulait
détruire; et ils glorifiaient Dieu à mon sujet 3». Il dit ici les Eglises, et
ailleurs il parle d’une seule Eglise: « Ne donnez aucun scandale aux Juifs, ni
aux Grecs, ni à l’Eglise de Dieu 4 ». Il en est donc de même de la voie et des
voies, du sentier et des sentiers. Pourquoi les sentiers, et pourquoi le
sentier? De même que maous avons donné la raison de l’Eglise et des Eglises,
nous devons rendre compte du sentier et des sentiers. On dit les sentiers de
Dieu, à cause de la pluralité des préceptes, et comme tous les préceptes
peuvent se réduire à un seul, comme « la plénitude de la loi est la charité 5»,
toutes ces voies divisées en plusieurs préceptes peuvent se réduire à une
seule, puisque notre voie c’est la charité. Voyons si la charité est une voie.
Ecoutons l’Apôtre: « Je vous enseigne une voie bien supérieure encore 6 ».
Quelle est cette voie, ô saint Apôtre? Ecoute bien cette voie: « Quand je
parlerais toutes les langues des hommes et des anges mêmes, si je n’ai point la
charité, je suis comme un airain sonnant et une cymbale retentissante, Quand
j’aurais le don de prophétie,
1.
Matth. VII, 23. — 2. Cant. VI, 8. — 3. Gal. I, 22, 24. — 4. I Cor. 32. — 5.
Rom. XIII, 10. — 6. I Cor. XIII, 31.
que je pénétrerais tous les mystères et us
toutes les sciences, et quand j’aurais toute la foi possible, jusqu’à
transporter les montagnes, si je n’ai point la charité, je ne suis rien. Et
quand je distribuerais toutes mes richesses aux pauvres, et que je livrerais
mon corps pour être brûlé, si je n’ai point la charité, tout cela ne sert de
rien 1 ». C’est donc la charité qu’il appelle une voie suréminente. Cette voie
si relevée, mes frères, est une voie merveilleuse. Et parce qu’elle est
très-relevée, elle est aussi de beaucoup la meilleure; car ce qui est éminent,
est élevé; or, rien de plus relevé que la voie de la charité, et il n’y a que
les humbles pour y marcher. Ces sentiers donc, la charité les appelle des
préceptes. « Vous connaissez mes sentiers », dit le Prophète; vous savez que
tout ce que j’endure, est par amour pour vous, vous savez qu’en moi la charité
souffre tout; vous savez que si je livre mon corps pour être brûlé, j’ai cette
charité sans laquelle rien ne me servirait.
8. Qui, mes frères, connaît véritablement ces
voies de l’homme, sinon celui à qui le Prophète a dit: « Vous connaissez mes
voies? » Quelles que soient les actions des hommes sous nos yeux, nous ne
savons quelle intention les a dictées. Combien est-il d’impies, qui, mesurant
les autres sur eux-mêmes, disent de nous que nous cherchons dauis 1’Eglise des
honneurs, des applaudissements, des avantages temporels? Combien m’accusent de
ne vous parler que pour me faire acclamer et applaudir par vous, et de n’avoir
d’autre but, d’autre intention dans mes discours? Comment leur montrer que
telle n’est point mon intention? Je n’ai plus qu’à dire: « Vous connaissez mes
sentiers ». Comment ces accusateurs savent-ils ce que vous-mêmes ne savez
point? Comment savent-ils ce qu’à peine je connais moi-même? Car ce n’est point
à moi de me juger: celui qui me juge, c’est le Seigneur 2, Je ne sais ce que,
dans son ignorance, Pierre présumait de lui-même, quand le médecin ne présumait
point de ses forces autant que lui. Crions donc vers Dieu avec un coeur pur et
plein de piété, car c’est un véritable cri: « Seigneur, vous conus naissez mes
voies ». Mais veux-tu que le Seigneur te conduise par ses voies? Sois doux,
sois calme, loin de toi toute obstination,
1. I Cor. XIII, I-3. — 2.
Id. IV, 3, 4.
tout orgueil, garde-toi d’élever et de
secouer la tête comme le cheval et le mulet qui n’ont point d’intelligence 1 ».
Si tu es doux, si tu es calme, tu seras une monture pour Dieu qui te conduira
par ses voies. Car il conduira les humbles dans la justice, et enseignera ses
voies aux hommes doux 2. « C’est donc vous, ô mon Dieu, qui connaissez mes
voies ».
9. « Dans cette voie où je marchais, ils
m’ont caché un piège ». Cette voie par où il marchait, c’est le Christ; et
c’est là que lui ont tendu des pièges ceux qui persécutent les chrétiens, et au
nom du Christ. « C’est donc là qu’ils m’ont caché un piège ». Pourquoi me
porter envie, pourquoi me persécuter? Parce que je suis chrétien. Si donc c’est
parce que je suis chrétien qu’ils me persécutent, « ils m’ont caché un piège
dans la voie où je marchais». Autant qu’il est en eux, ils m’ont tendu des
pièges dans la voie où je marche; autant que le peuvent leurs désirs, que le
peuvent leurs efforts, que le peuvent leurs voeux, ils ont voulu me prendre au
piège dans la voie où je marchais. « Mais le Seigneur connaît la voie des
justes 3 », et, « vous, Seigneur, connaissez mes sentiers ». Voilà ce qu’ils
ont désiré; mais comme c’est vous qui êtes ma voie, vous ne leur permettrez
point de me tendre des pièges en vous-même. C’est au nom du Christ en effet que
les hérétiques veulent nous préparer des embûches, et ils se trompent
eux-mêmes. Ce qu’ils croient mettre dans la voie, ils le placent en dehors, car
eux-mêmes sont en dehors; et ils ne peuvent tendre des pièges où ils ne sont
point. Mais le Prophète parle dans le sens de leurs désirs, de leurs voeux, de
leur intention; car il est dit formellement ailleurs: « Ils m’ont tendu un
piège près de la route 4 ». Dire « dans la voie », c’est parler dans le sens de
leurs désirs, de leurs voeux; dire « près de la route », ou « près des sentiers
», c’est parler selon la vérité. Car le piège n’est point dans le sentier,
n’est point dans la voie elle-même, qui est le Christ; mais bien près des
sentiers. Le Christ ne leur permet pas de le placer dans la voie, de peur que
nous ne puissions la suivre; il permet seulement qu’on le tende le long de la
voie, afin de nous prémunir contre tout écart. Un païen s’imagine me tendre un
piège dans la voie, quand il me
1.
Ps. XXX, 9.— 2. Id. XXIV, 9.— 3. Id. I, 6.— 4. Id. CXXXIX, 6.
dit: Tu adores un Dieu crucifié. Il s’en
prend à la croix de Jésus-Christ qu’il ne comprend point. Il croit mettre dans
le Christ ce qu’il ne met que le long du chemin. Mais que je ne sorte point du
Christ, et je ne quitterai point la voie pour tomber dans le piége. Qu’il
insulte au crucifié, comme il lui plaira, je n’en verrai pas moins la croix de
Jésus sur le front des rois. Ce qu’il raille, c’est mon salut. Rien de plus
orgueilleux que le malade qui a des sarcasmes pour le remède qui le guérit;
s’il n’en riait point, il le prendrait et serait sauvé. Cette croix est le
symbole de l’humilité, et un excès d’orgueil ne laisse point connaître à ce
malade ce qui guérirait la tumeur de son âme. Et moi, si je connais ce remède,
je marche dans la voie. Loin de rougir de la croix, je la porte non plus d’une
manière invisible, mais sur mon front. Il y a beaucoup de sacrements que nous
recevons de manières différentes:les uns, comme vous le savez, c’est notre
bouche qui les reçoit; d’autres, c’est tout notre corps; mais comme c’est notre
front qui rougit, celui qui a dit: « Si quelqu’un rougit de moi devant les us
hommes, je rougirai de lui devant mon Père qui est dans les cieux 1 », a voulu
établir sur le siège même de la pudeur ce que les païens appellent une
ignominie. Ecoute les reproches que l’on fait à un impudent: c’est un effronté,
dit-on. Qu’est-ce à dire: il n’a pas de front? C’est un impudent. Que mon front
ne soit donc point nu, qu’il soit couvert par la croix de mon Seigneur. Donc, «
ils m’ont tendu des pièges dans cette voie où je marchais »: autant qu’il était
en eux, car ils ne les ont placés en réalité que le long de la voie, et moi je
serai en sûreté, si je ne sors point de cette voie sacrée. « Tu ne, sais
point», dit l’Ecriture, « que tu marches parmi les pièges 2 ». Qu’est-ce à
dire, parmi les pièges? Dans la voie du Christ bordée de pièges de part et
d’autre: pièges à droite, et pièges à gauche; pièges de la prospérité à droite,
et pièges de l’adversité à gauche; pièges à droite, ou promesses du monde;
pièges à gauche, ou menaces du monde. Pour toi, marche au milieu des piéges,
sans t’éloigner de la voie, sans te laisser prendre aux promesses, ni abattre
par les menaces. « Dans le chemin où je marchais, ils m’ont caché leurs
embûches ».
1. Luc, IX, 26 — 2. Eccli. IX, 20.
10. « Je considérais à droite, et je voyais
1». Il voyait, parce qu’il regardait à droite; c’est s’aveugler, que regarder à
gauche. Qu’est-ce à dire: considérer à droite? Où seront ceux à qui l’on dira:
« Venez, bénis de mon Père, et possédez le royaume 2? » Mais ils seront à
gauche, ceux à qui l’ami dira: « Allez au feu éternel, préparé au diable et à
ses anges 3 ». Au milieu du monde menaçant et frémissant de rage, au milieu des
persécutions, des outrages se multipliant à chaque pas, au milieu des terreurs,
le Prophète méprisait le présent, envisageait l’avenir, et considérait à droite
où il doit être un jour; c’est là qu’il était par la pensée, là qu’il
regardait, là qu’il voyait, et dès lors, tout lui était supportable; mais ses
persécuteurs ne voyaient point. Aussi, après avoir dit: « Je considérais à
droite, et je voyais », il ajoute aussitôt: « Et nul ne me connaissait ». Quand
nous endurons tout, qui connaît notre dessein, et si nous regardons à droite ou
à gauche? Chercher dans tes souffrances l’applaudissement des hommes, c’est
regarder à gauche; mais dans tes souffrances, chercher les promesses de Dieu,
c’est regarder à droite; mais regarder à droite, c’est voir, comme regarder à
gauche, c’est demeurer aveugle; et encore, regarder à droite, c’est n’être
connu de personne. Qui te consolera en effet, sinon ce Seigneur à qui tu as
dit: « Et vous avez connu mes sentiers! Mais nul ne me connaissait?»
11. « La fuite m’est fermée ». Il se regarde
comme environné de toutes parts. « La fuite m’est fermée ». Que ses
persécuteurs disent avec outrage: Le voilà accablé, le voilà pris, enfermé,
vaincu, sa fuite n’est plus possible. La fuite est fermée à l’homme qui ne fuit
point. Mais celui qui ne fuit point, endure tout ce qu’il peut pour le Christ:
c’est-à-dire que son âme ne connaît point la fuite; car le corps peut fuir; on
nous l’accorde, on nous le permet, d’après cette parole du Sauveur: «S’ils vous
poursuivent dans une ville, fuyez dans une autre 4 ». Mais la fuite est fermée
à l’homme dont le coeur ne fuit pas. Or, il importe de savoir pourquoi il ne
fuit pas, si c’est parce qu’il est environné, ou parce qu’il est pris, ou parce
qu’il est courageux; car la fuite est fermée au captif, comme elle est fermée à
l’homme vaillant. Quelle fuite alors nous faut-il éviter? Quelle fuite nous est
1.
Ps. CXLI, 5.— 2. Matth. XXV, 34. — 3. Id. 41.— 4. Id. X, 23.
fermée? Celle dont le Seigneur a dit dans l’Evangile:
« Que le bon pasteur donne sa vie us pour ses brebis; mais que le mercenaire et
celui qui n’est point pasteur s’enfuit quand il voit venir le loup? » Pourquoi
fuir quand vient le voleur? « Parce qu’il se met peu en peine des brebis 1».
Cette fuite était fermée à notre interlocuteur, soit que nous l’entendions de
Jésus-Christ Notre Seigneur, notre chef qui est mort pour tous, soit de nos
martyrs qui sont ses membres, et qui, eux aussi, sont morts pour leurs frères.
Ecoutez ce mot de saint Jean: « De même qu’il a donné sa vie pour nous, et nous
aussi, nous devons donner notre vie pour nos frères 2 ». Mais quand ils donnent
leur vie, le Christ la donne aussi, puisqu’il s’écrie quand on les persécute:
«Saul, Saul, pourquoi me persécuter 3? » « La fuite m’est fermée, et nul ne
recherche mon âme ». Il n’est donc personne pour en vouloir à sa vie? Comment,
il voit les hommes qui ont conjuré sa mort, qui veulent répandre son sang, et
il n’est personne qui recherche son âme? Cette parole peut avoir deux sens; de
même que la fuite est fermée en deux manières, puisque ni le captif, ni l’homme
vaillant ne fuient point; de même des persécuteurs ou des amis peuvent chercher
la vie d’un homme. Ainsi donc « nul ne recherche son âme », signifie ici ils
persécutent mon âme, mais ils ne la recherchent point. S’ils cherchaient mon
âme, ils la trouveraient attachée à vous; et s’ils savaient la chercher, ils
sauraient l’imiter; et pour que vous sachiez encore que des persécuteurs
peuvent chercher l’âme d’un homme, il est dit ailleurs: « Qu’ils soient
couverts de honte et d’ignominie, ceux qui recherchent mon âme 4 ».
12. « J’ai crié vers vous, Seigneur; j’ai
dit: Vous êtes mon espérance 5». Au milieu de mes douleurs et de mes
tribulations, j’ai dit: « Vous êtes mon espérance ». Ici-bas vous êtes mon
espérance, et c’est ce qui me donne la patience. « Vous êtes mon partage », non
point ici-bas; mais « dans la terre des vivants ». Dieu donne une portion dans
la terre des vivants; mais cette portion n’est point en dehors de lui. Que
donnerait-il à celui qui l’aime, si ce n’est lui?
13. « Soyez attentif à ma prière, parce que
1. Jean, X, 11-13.— 2. I Jean, III, 16 — 3. Act. IX,4.— 4. Ps. XXXIX, 15. — 5. Id. CXLI, 6.
je suis humilié à l’excès 1». Humilié par les
persécuteurs, humilié par l’aveu. Il s’humilie d’une manière invisible, quand
ses ennemis l’humilient visiblement. Dieu donc le relève, et d’une manière
visible, et d’une manière invisible. Ce fut invisiblement qu’il releva les
martyrs; mais ils le seront d’une manière visible, quand ce corps corruptible
sera revêtu d’incorruption à la résurrection des morts, quand cette chair
contre laquelle seule pouvaient sévir les méchants, sera renouvelée. « Ne
craignez point ceux qui tuent le corps, mais qui ne peuvent tuer l’âme 1». Or,
qu’est-ce qui a péri? qu’ont-ils tué? Peuvent-ils même faire périr ce qu’ils
tuent? Non pas, Ecoute la promesse du Seigneur: « En vérité, je vous le
déclare, pas un cheveu de votre tête ne périra 3 ». A quoi bon t’inquiéter des
autres membres, quand un seul cheveu ne doit pas périr?
14. « Délivrez-moi de mes persécuteurs ». De
qui pensez-vous qu’il veuille être délivré? Des hommes qui le persécutaient?
Sont-ce bien les hommes qui sont nos ennemis? Nous avons des ennemis invisibles
qui nous persécutent bien autrement. L’homme nous poursuit pour tuer notre
corps, l’autre ennemi pour enlever notre âme. Il a donc des instruments; car il
est dit qu’ « il exerce maintenant son pouvoir sur les enfants de rébellion 4
». Au moyen de ses instruments, c’est-à-dire au moyen des hommes dont il se
sert, il persécute le corps à l’extérieur, afin de ruiner l’âme à l’intérieur;
car si l’âme demeure ferme quand le corps succombe, le piège est détruit et
nous sommes délivrés. Nous avons donc d’autres ennemis; demandons à Dieu qu’il
nous en délivre, de peur qu’ils ne nous séduisent, ou en nous accablant par les
maux de cette vie, ou en nous corrompant par ses attraits. Quels sont ces
ennemis? Voyons si quelque serviteur de Dieu, quelque soldat vaillant qui a
lutté contre eux n’en a point parlé ouvertement. Ecoute ce mot de l’Apôtre: «
Vous n’avez point à lutter contre le sang et la chair 5 ». N’allez donc point
haïr les hommes, les regarder comme vos ennemis, et croire que leurs inimitiés
pourront vous accabler: ces hommes que vous craignez ne sont que chair et que
sang; « et nous n’avons pas à combattre
1.
Ps. CXLI, 7. — 2. Matth. X, 28. — 3. Luc, XXI, 18. — 4. Ephés. II, 2. — 5. Id. VI,
12.
contre le sang et la chair», dit l’Apôtre,
voulant nous montrer son mépris pour des hommes assujétis à la mort. Contre qui
donc nous faut-il combattre? « Contre les princes, contre les puissances,
contre ceux qui dirigent ce monde ténébreux 1 ». Tu es effrayé à ce mot, de
«directeur du monde »; car s’ils sont les princes de ce monde, iras-tu donc
au-delà du monde pour en être délivré? iras-tu au-delà du monde pour échapper à
leur puissance? Par ceux qui dirigent ce monde ténébreux, tu ne dois donc pas
comprendre ceux qui dirigent le ciel et la terre, lesquels sont les ouvrages de
Dieu. Mais si l’on appelle monde le ciel et la terre, les méchants s’appellent
aussi le monde. Pourquoi le monde? parce qu’ils aiment le monde; et dès lors
ils sont ténèbres parce qu’ils sont impies. Aussi, que dit saint Paul à
plusieurs d’entre eux qui avaient embrassé la foi? « Vous étiez autrefois
ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur 2 ». Voyez donc par qui
vous étiez gouvernés avant d’être lumière, et quand vous étiez ténèbres. Par
qui sont dirigés les impies, sinon par le diable, comme les hommes de foi et de
piété sont dirigés par Jésus-Christ? C’est donc au diable et à ses anges que
saint Paul donne le nom de princes du monde, c’est-à-dire princes de ceux qui
aiment le monde, princes des pécheurs, ou des ténèbres de cette vie;tels sont
les ennemis dont nous devons prier Dieu qu’il veuille bien nous délivrer.
15. Voyez aussi deux mondes, clairement
précisés dans un endroit de l’Ecriture, dans l’Evangile; le monde que Dieu a
fait, et le monde que dirige le diable, c’est-à-dire les amis du monde. Car
Dieu qui a fait les hommes, ne les a point faits amis du monde. Aimer le monde
est un péché, et Dieu n’a point fait le péché. Ecoutez donc ce double monde que
je vous annonçais. « Il était dans ce monde », est-il dit. Mais de qui est-il
dit qu’il était dans ce monde, sinon de Jésus-Christ qui est la sagesse de
Dieu, et dont je vous ai dit tout à l’heure: « Elle atteint avec force d’une
extrémité à l’autre, et dispose tout avec douceur 4? Elle atteint partout us à
cause de sa pureté, et rien de souillé n’est en elle 5». Donc « il était dans
le monde, et le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a
1. Ephés. VI, 12. — 2. Id. V, 8. — 3. Jean,
I, 10.— 4. Sag. VIII, 1.— 5. Id. VII, 24, 25.
point connu ». Ce n’est donc point le monde fait
par Jésus qui est régi par les princes et par les puissances des ténèbres 1;
mais le monde qui n’a point connu Jésus-Christ, c’est-à-dire les amis du monde,
les pécheurs, les injustes, les orgueilleux et les infidèles. Comment les
pécheurs sont-ils le monde? Parce qu’ils aiment le monde, et qu’en l’aimant ils
habitent le monde; comme on appelle maison et la bâtisse et ceux qui
l’habitent. Dire d’une maison qu’elle est bonne, s’entend souvent de la
bâtisse, comme une bonne maison s’entend aussi de ceux qui y demeurent. Mais on
dit encore en deux manières: Gare à cette maison ! elle est mauvaise; tantôt
c’est parce qu’elle menace ruine, et que tu pourrais y être écrasé; tantôt:
Prends garde à cette maison, signifie: gare au lac des chasseurs, crains, ô pauvre,
d’y être opprimé par le riche, ou victime de quelque fraude. Comme donc il y a
maison et maison, de même il y a monde et monde. Mais pourquoi les justes, qui
sont aussi dans le monde, ne sont-ils point appelés le monde? L’Apôtre l’a dit:
« Etant dans la chair, nous ne combattons pas selon la chair 2; mais notre
conversation est dans le ciel 3». Le juste habite dans la chair; mais son coeur
est en Dieu. Lui-même est appelé monde, si c’est en vain qu’il entend: En haut
les coeurs; mais s’il ne l’entend pas en vain, qu’il habite en haut. «Vous êtes
morts », dit l’Apôtre, « et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ 4 ».
Mais ceux dont la vie est ici-bas, c’est-à-dire ceux dont les affections et les
désirs se traînent sur la terre, rétrécis et embarrassés, sont justement
appelés mondains. Car il est aussi naturel d’appeler monde ceux qui habitent le
monde, que d’appeler maison ceux qui demeurent dans une maison. Il y a donc
monde et monde; « le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a point connu ».
Voilà donc un monde fait par le Seigneur, et un monde qui n’a point connu le
Seigneur. Chante l’édifice, aime l’architecte, et sans désirer d’habiter dans
l’édifice, habite dans l’architecte lui-même.
16. « Délivrez-moi de ceux qui me
poursuivent; car ils se sont fortifiés contre moi ». De qui cette parole: « Ils
se sont fortifiés coutre moi? » C’est la plainte du corps du Christ, la plainte
de l’Eglise, la plainte des membres du Christ, qui s’écrient: Voilà que
1. Ephés. VI, 12.— 2. II Cor. X, 3.— 3. Philip.
III, 20.— 4. Colos. III, 3.
s’accroît le nombre des pécheurs. « Or, à
mesure que se multiplie l’iniquité, la charité se refroidit chez plusieurs 1.
Délivrez-moi de ceux qui me persécutent, parce qu’ils se sont fortifiés contre
moi ».
17. « Délivrez mon âme de son cachot, afin
qu’elle confesse votre nom ». Nos devanciers ont entendu ce cachot de
différentes manières, et peut-être est-ce bien ce cachot qui est désigné dans
la « caverne » du titre. Voici en effet le titre du psaume: « Prière
intelligente pour David lui-même, quand il était dans la caverne ».Cette
caverne serait alors le cachot dont nous parlons. Voici deux points à
expliquer; comprendre l’un, c’est aussi comprendre l’autre. Les mérites font le
cachot; car une même demeure peut être une prison pour l’un, une habitation
pour l’autre, Celui qui garde un captif, le gardât-il dans sa propre maison, et
celui qui est gardé, voilà deux hommes qui sont dans la prison; mais dira-t-on
du premier qu’il est en prison? C’est une même demeure pour l’un et pour
l’autre; mais la liberté en fait pour l’un une maison, la captivité une prison
pour l’autre. Quelques-uns donc ont pensé que cette caverne, ce cachot c’est le
monde, et que l’Eglise demande à Dieu d’être délivrée de cette prison,
c’est-à-dire de ce monde qui est sous le soleil, où tout est vanité, Car il est
dit: « Tout est vanité et présomption d’esprit dans toute entreprise et tout
labeur de l’homme sous le soleil 2 ». Dieu donc nous promet que hors de ce
monde nous serons dans je ne sais quel repos; et c’est peut-être ce qui nous
fait dire à propos de cette terre: « Délivrez mon âme de sa prison ». Par la
foi et par l’espérance, notre âme est en Jésus-Christ, comme nous l’avons dit
tout à l’heure: « Votre vie us est cachée en Dieu avec le Christ 3». C’est
notre corps qui est dans la prison, qui est dans le monde. Si le Prophète
disait: Tirez mon corps de la prison, nous comprendrions que la prison c’est le
monde. Et néanmoins, peut-être à cause de tout ce qui nous retient dans le
monde, de ces convoitises terrestres contre lesquelles nous avons à lutter et à
combattre; car « nous sentons dans nos membres une loi qui est contraire à la
loi de l’esprit 4», avons-nous raison de dire: Délivrez mon âme de ce monde,
c’est-à-dire des fatigues et des tribulations de cette vie.
1.
Matth. XXIV, 12.— 2. Eccles. I,2, 3.— 3. Coloss. III, 3.— 4. Rom. VII, 23.
Car ce n’est point cette chair que vous avez
faite, niais bien la corruption de la chair, les peines et les tribulations qui
sont une prison pour moi.
18. D’autres ont soutenu que cette prison,
cette caverne, c’est notre corps, et que tel est le sens de «tirez mon âme de
la prison ». Mais ce sens n’est point très-solide. Que voudrait dire, en effet:
« Tirez mon âme de la prison », ou tirez mon âme de mon corps? Est-ce que les
âmes des scélérats ne quittent point le corps pour aller dans des supplices
plus cruels qu’ils n’en ont endurés sur la terre? Quelle est donc l’importance
de cette prière: « Délivrez mon âme de la prison », puisque tôt ou tard elle
doit en sortir? Serait-ce un juste qui dirait: Que je meure maintenant;
délivrez mon âme de cette prison du corps? Trop d’empressement serait un défaut
de charité. Il doit sans doute en avoir le désir, il doit y aspirer et dire
avec l’Apôtre: « J’ai un ardent désir d’être délivré des liens du corps, et
d’être avec Jésus-Christ, ce qui est sans comparaison le meilleur 1 ». Mais où
serait la charité? Aussi dit-il ensuite: « Mais demeurer dans la chair est pour
moi une nécessité à cause de vous 2 ». Que le Seigneur dès lors nous délivre du
corps quand il lui plaira. On pourrait appeler aussi notre corps une prison,
non que Dieu ait fait cette prison, mais parce qu’il est un supplice et qu’il
est mortel. Il faut, en effet, considérer dans notre corps, et l’oeuvre de Dieu
et la peine du péché. Cette forme, ce port, cette démarche, la disposition des
membres, l’action des sens, la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût, le toucher,
toute cette construction, cette admirable architecture ne peut être que
l’oeuvre de Dieu qui a tout fait et dans le ciel et sur la terre, et ce qu’il y
a de plus élevé comme ce qui est plus infime, et ce qui est visible comme ce
qui est invisible. Où est donc le châtiment dans notre corps? C’est que la
chair est corruptible, qu’elle est fragile, qu’elle est mortelle, qu’elle est
dans l’indigence; il n’en sera plus ainsi au moment de la récompense. Nous
aurons en effet notre corps, puisque c’est le corps qui ressuscitera. Qu’est-ce
donc que nous n’aurons plus? La corruption; puisque ce corps corruptible sera
devenu incorruptible 3. Si donc la chair est une prison pour toi, ce n’est
point le corps qui est cette prison, mais
1.
Philipp. I, 23. — 2. Id. 24. — 3. I Cor. XV, 53.
la corruption du corps. Votre corps a été
fait bon par Dieu qui est bon; mais, comme il est juge et juste, il l’a
condamné à la corruption. Le corps est donc un bienfait, la corruption un
châtiment. Alors « délivrez mon âme de sa prison » pourrait bien signifier:
Tirez mon âme de la corruption. Ce sens n’est plus un blasphème, on le comprend.
19. Mais enfin, selon moi, « délivrez mon âme
de sa prison » voudrait dire, délivrez-la de ce lieu étroit. Un homme qui a de
la joie est au large même dans sa prison; un homme qui est triste est à
l’étroit dans une vaste plaine. Donc il supplie Dieu de le délivrer de
l’angoisse; bien qu’il soit en effet au large par l’espérance, le présent le
tient néanmoins à l’étroit. Ecoute les angoisses de l’Apôtre: « Je n’ai point
eu l’esprit en repos, parce que je n’ai point trouvé mon frère Tite 1».
Ailleurs: « Qui est faible sans que je sois faible avec lui? qui est scandalisé
sans que je brûle 2?» Etre faible, et brûler, n’est-ce donc pas être dans les
peines, dans la prison? Mais à ces peines la charité fait produire des
couronnes. De là cette autre parole: « Il me reste à recevoir la couronne de
justice que me rendra en ce jour le Seigneur qui est un juste juge 3». Tel est
le sens de ces paroles:
« Tirez mon âme de son cachot, afin qu’elle
confesse votre nom ». Une fois délivrée de la corruption, qu’aura-t-elle à
confesser? Il n’y a là aucun péché, mais des louanges; or, la confession
s’entend de deux manières: ou de l’aveu des péchés, ou des louanges de Dieu,
Quant à la confession des péchés, chacun la connaît, elle est tellement connue
du peuple, que si l’on vient, dans une lecture, à prononcer le nom de
confession, qu’il soit pris dans le sens d’une confession des péchés, ou dans
le sens d’une confession de louanges, chacun se frappe aussitôt la poitrine. On
connaît donc la confession des péchés, voyons maintenant si l’on connaît la
confession de louanges. Où le trouver? On lit dans les saintes Ecritures: «
Voici ce que vous direz dans votre confession: C’est que toutes les oeuvres du
Seigneur sont parfaitement bonnes 4 ». C’est donc là une confession de louanges.
Ailleurs le Seigneur s’écrie: « Je vous confesserai, ô mon Père, Seigneur du
ciel et de la terre 5 ». Que confessait-il? Ses péchés?
1. II Cor. II, 13. — 2. Id.
XI, 29.— 3. II Tim. IV,8. — 4. Eccli., XXXIX, 20, 21. —
5. Matth. XI,
25.
Non; la confession du Christ était donc une louange. Ecoute cette
louange adressée à son Père: « C’est », dit-il, « parce que vous avez dérobé
ces mystères aux sages et aux savants et que vous les avez révélés aux petits 1
». Ainsi donc, mes frères, parce que nous habiterons dans la maison du
Seigneur, après ces angoisses de la corruption, toute notre vie ne sera qu’une
louange en l’honneur de Dieu. Plusieurs fois déjà nous l’avons dit: quand il
n’y aura plus de nécessité, tout ce qui tient à la nécessité cessera aussi. Là nous
n’aurons plus rien à faire, je ne dirai pas ni le jour, ni la nuit, puisqu’il
n’y aura pas de nuit, mais un jour et un jour unique, nous n’aurons d’autre
tâche que de louer Dieu que nous aimons; car alors nous le verrons. Maintenant
nous le désirons, nous le, bénissons sans le voir; quel amour, quels chants
d’allégresse quand nous le verrons ! Ce sera la louange continuelle d’un amour
sans fin.
1. Matth. XI, 25.
Ainsi vivrons-nous alors; « délivrez donc
notre âme de ce cachot, afin qu’elle confesse votre saint nom ». « Bienheureux
ceux qui habitent dans votre maison, ils vous béniront de siècle en siècle 1 ».
La prison nous retient maintenant, parce que « la chair qui se corrompt
appesantit l’âme 2 ». Ce n’est point la chair qui appesantit l’âme, car nous
aurons alors une chair; mais « la chair qui se corrompt». Notre prison n’est
donc point notre corps, mais la corruption. «Délivrez mon âme de son cachot,
afin qu’elle confesse votre nom, ô mon Dieu ». Ce qui va suivre maintenant est
dit au nom de Jésus-Christ, notre chef, et cette parole est semblable à celle
qui terminait hier. Voici cette parole d’hier, s’il vous en souvient: « Je suis
seul jusqu’à ce que j’aie passé 3». Quelle est la dernière ici? « Les justes
m’attendent jusqu’à ce que vous m’ayez donné ma récompense ».
1. Ps. LXXXIII, 5. — 2. Sag. IX, 15. — 3. Ps.
CXL; 10.
SERMON AU PEUPLE.
David
est ici la figure du Christ, et Absalon, la figure de Judas. Le Christ est né
de la sainte Vierge ou de cette cité de Dieu que lui-même a fondée: de là cette
femme vêtue du soleil, foulant aux pieds la lune ou la mortalité. C’est le
Christ qui souffre en nous qui sommes ses membres, lui qui est un avec son
Père, et un avec nous, qui l’avons revêtu. Judas, fils de l’Epoux, persécutait
donc l’Epoux, ce qui existe encore aujourd’hui; de là ces plaintes du Christ
contre ses ennemis intérieurs. Souvenez-vous de moi dans votre justice, et non
dans celle qui me viendrait de la toi, mais dans celle de la foi; et n’entrez
pas en jugement avec votre serviteur, qui se défie de ses oeuvres, puisque
devant vous nul fils d’Adam n’est juste. Quiconque vous sert est votre ami, et
vos amis, comprenant qu’ils avaient besoin de miséricorde, disaient tomme nous:
« Remettez-nous nos dettes ». L’ennemi nous persécute, en nous détournant du
ciel, en nous jetant dans les ténèbres, comme ceux qui sont justement condamnés
à mourir; mais comme le Christ n’avait rien en lui de répréhensible, il se
plaint ici comme au jardin des Oliviers. Le Prophète médite les oeuvres de
Dieu, afin d’en admirer plus parfaitement l’ouvrier, de qui nous vient tout
bien qui est en nous; car de nous-mêmes nous n’avons que la malice, et c’est
Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire. En voyant que tout bien me vient
de Dieu, j’ai tendu mes mains vers vous; car mon Orne a soif de vous,
hâtez-vous de me donner le bonheur, car mon esprit s’est affaissé en moi. Ne
détournez pas de moi votre face, comme vous l’avez fait quand l’étais
orgueilleux, autrement je tomberais dans ces ténèbres où l’on n’a plus que le
mépris. Je veux espérer en vous par la patience, vous chercher par de bonnes
oeuvres et dans le secret. C’est dans les ténèbres que le pécheur cherche un
refuge, l’homme contrit cherche en Dieu un refuge contre les princes du monde,
qni entreraient en nous comme en Judas, recevant indignement le morceau de
pain. Apprenez-moi à faire votre volonté, parce que vous êtes mon Dieu, mon
héritage; c’est à vous de nous prescrire ce que nous devons faire, c’est vous
qui nous sauverez à cause de votre saint nom.
1. Je dirai ce que Dieu voudra bien
m’inspirer, sur le psaume que l’on vient de chanter. Hier notre psaume était
court, et le temps nous permettait de parler longuement sur quelques versets;
aujourd’hui que le psaume est plus long, nous ne pouvons nous arrêter (210)
aussi longtemps à chaque parole, de peur que Dieu ne nous permette point de
l’achever.
2. Voici le titre du psaume. « Pour David,
quand son fils le poursuivait 1 ». Or, le livre des Rois nous apprend que cela
s’est fait, qu’Absalon se déclara l’ennemi de son père 2, qu’il souleva contre
lui non seulement une guerre civile, mais une guerre domestique. Quant à David,
loin de succomber sous le poids de cette injustice, il s’humilia profondément,
accepta ce châtiment de Dieu, supporta ce remède amer, sans rendre injustice
pour injustice, mais avec un coeur toujours prêt à suivre Ja volonté de Dieu.
Ce David fut donc louable. Mais il nous faut reconnaître un autre David, qui
eut vraiment la main puissante, comme l’exprime ce mot David, et qui est Notre
Seigneur Jésus-Christ. Ces faits anciens étaient des figures de l’avenir; et je
ne veux point m’arrêter à vous expliquer ce que vous avez entendu sauvent, et
fort bien retenu. Cherchons donc dans ce psaume notre Seigneur et Sauveur
Jésus-Christ, qui s’annonce lui-même dans cette prophétie, et nous prêche dans
les faits passés ce qui doit arriver de nos jours. Car c’est lui-même qui
s’annonçait par les Prophètes, puisqu’il est le Verbe de Dieu, et que les Prophètes
ne parlaient que pleins de ce Verbe divin. Ils étaient donc pleins du Christ
pour annoncer le Christ; ils marchaient devant leur prince qui devait venir
après eux et n’abandonnaient pas ceux qui le précédaient. Reconnaissons donc
comment le Christ était poursuivi par son fils; car il avait des fils, dont il
est dit: « Les fils de l’Epoux ne jeûnent point tandis que l’Epoux est avec
eux; mais quand l’Epoux leur sera enlevé, ils jeûneront 3». Donc les fils de
l’Epoux sont les Apôtres, et parmi eux Judas le persécuteur, qui fut un démon.
C’est donc sa passion que le Christ va nous annoncer dans ce psaume. Ecoutons.
3. J’appelle aussi votre attention sur ce
point, mes frères, non pour vous apprendre ce que vous ignorez, mais pour vous
rappeler ce que vous savez déjà, c’est que notre Seigneur et Sauveur
Jésus-Christ est la tête de son corps c’est que l’unique médiateur de Dieu et
des hommes, c’est Jésus-Christ homme 4, né de h Vierge, comme dans une
solitude, ainsi qm
1. Ps. CXLII, 1.— 2. II Rois, XV, 14 et seq.
— 3. Matth. IX, 15 — 4. I Tim. II, 5.
nous l’apprenons de l’Apocalypse. Et par
cette solitude, nous devons entendre, je crois, que seul il est né de la sorte.
Cette femme a enfanté celui qui doit conduire les hommes avec une verge de fer
1; et cette femme est la cité de Dieu dont il est dit dans un psaume: « O cité
de Dieu, on dit de vous des choses merveilleuses 2»; cette cité qui eut son
commencement en Abel, comme la cité du mal en Caïn 3, l’antique cité de Dieu,
toujours tourmentée sur la terre, espérant le ciel, et dont le nom est
Jérusalem et Sion. C’est assurément d’un homme né en Sion, et fondateur de
Sion, qu’un psaume nous a dit: « Un homme dira: Sion est ma mère ». Quel est
cet homme? « Un homme qui a été fait en elle, et c’est le Très-haut qui l’a
fondée 4». C’est donc en Sion qu’il a été fait homme, mais homme humble, et
lui-même qui est le Très-Haut a fondé cette cité en laquelle il a été fait
homme. C’est pourquoi celte femme était revêtue du soleil 5, et du soleil de
justice lui-même, que les impies ne connaissent point, eux qui diront au
dernier jour: « Nous avons donc erré hors de la voie de la vérité, et la
lumière de la justice n’a pas lui à nos yeux, le soleil ne s’est point levé
pour nous 6 ». Il est donc un soleil de justice qui ne se lève point pour les
impies. Du reste, il fait lever ce soleil sur les bons et sur les méchants 7.
Cette femme était donc revêtue du soleil, et portait dans ses entrailles un fou
qu’elle devait enfanter. Le même était donc fondateur en Sion, et naissait en
Sion; et cette femme, cité de Dieu, était protégée par la lumière de celui
qu’elle portait dans ses entrailles. C’est avec raison dès lors quels lune
était sous ses pieds, parce que dansa force elle foulait aux pieds la mortalité
de cette chair qui croît et décroît. Donc notre Seigneur Jésus-Christ est tout
à la fois la tête et le corps. Lui qui a voulu mourir pour nous a daigné parler
en notre nom et faire du nous ses membres. Aussi parla-t-il quelque. fois au
nom de ses membres, et quelquefois en son propre nom, comme chef. Il peut
parler en dehors de nous, et nous jamais sans lui. L’Apôtre a dit: « Afin de
suppléer en sa chair aux douleurs du Christ 8 ». Ce qui manque, non pas à mes
douleurs, mais aux douleurs du Christ, non plus en la chair du
1. Apoc. XII, 5, 6. — 2.
Ps. LXXXVI, 3. — 3. Gen. IV, 8, 17. — 4. Ps.
LXXXVI, 5 — 5. Apoc. XII, I. — 6. Sag. V, 6. — 7. Matth. V, 45 — 8. Coloss. I, 21.
Christ, mais en la mienne. Le Christ, en
effet, souffre non pas en sa chair, puisque c’est en elle qu’il est monté au
ciel, mais en ma chair qui souffre encore sur la terre. C’est en ma chair que
Jésus-Christ souffre: « Je vis, non pas moi, mais c’est le Christ qui vit en
moi 1». Et si le Christ ne souffrait point dans ses membres, c’est-à-dire dans
les fidèles, Saul ne persécuterait point sur la terre le Christ qui est assis
dans les cieux. Enfin, dans un endroit de ses Epîtres il nous dit clairement: «
Et comme notre corps, qui est un, est néanmoins composé de plusieurs membres,
et que tous ces membres, quoique nombreux, ne sont néanmoins qu’un seul corps;
ainsi en est-il du Christ 2 ». Il ne dit point: Ainsi en est-il du Christ et de
son corps; mais bien:
« Le corps est un avec plusieurs membres; de même
en est-il du Christ ».Tout donc n’est qu’un seul Christ. Et comme tout ne forme
qu’un seul Christ, la tête s’écriait du haut du ciel: « Saul, Saul, pourquoi me
persécuter 3? » Retenez bien cela, mes frères, et qu’il demeure dans votre
mémoire, puisque vous êtes les enfants instruits de la doctrine et de la foi
catholique. Reconnaissez dans Jésus-Christ ta tête et le corps, et dans ce même
Christ le Verbe de Dieu, unique et égal au Père. Voyez de là par quelle
admirable grâce vous touchez à Dieu, au point qu’il a voulu être un avec nous,
lui qui est un avec son Père. Comment un avec son Père? « Mon Père et moi
sommes un 4 ». Comment un avec nous? « L’Ecriture ne dit point: Et ceux qui
naîtront », comme pour en marquer plusieurs; mais elle dit, comme parlant d’un
seul: « Celui qui naîtra de vous et qui est le Christ ». Mais, dira-t-on, si le
Christ est de la race d’Abraham, en sommes-nous? Souvenez-vous que le Christ
est la race d’Abraham, et que dès lors si nous sommes la race d’Abraham, nous
sommes aussi le Christ. Or, « le corps dans son unité a néanmoins plusieurs
membres, il en est de même du Christ. Et vous tous qui êtes baptisés dans le
Christ, vous avez revêtu le Christ». Toutefois le Christ est la race d’Abraham,
et l’on ne saurait contredire les paroles si claires de l’Apôtre: « Et dans ta
race, qui est le Christ ». Voyez encore ce qu’il nous dit: « Si donc vous êtes
au Christ, vous êtes de la race
1.
Gal, II, 20. — 2. I Cor. XII, 12. — 3. Act. IX, 4.— 4. Jean, X, 30. — 5. Gal. III,
16.
d’Abraham 1». De là ce grand sacrement « Ils
seront deux dans une même chair ». L’Apôtre l’a dit: « Ce sacrement est grand,
je l’entends de Jésus-Christ et de l’Eglise 3». Le Christ et l’Eglise sont deux
dans une seule chair. Deux à cause de la distance qui nous sépare de la majesté
divine, deux certainement; car nous ne sommes point le Verbe, puisque nous
n’étions au commencement ni Dieu, ni en Dieu; nous ne sommes point celui par
qui tout a été fait 4. Mais au point de vue de la chair, on trouve le Christ,
et l’on nous trouve avec lui. Ne nous étonnons donc plus du langage des
psaumes; le Prophète parle souvent au nom du chef, et souvent au nom des
membres, et il en parle comme s’ils n’étaient qu’une même personne; et il n’est
pas étonnant que deux dans une même chair n’aient qu’une même voix.
4. Judas, fils de l’Époux, persécutait donc
l’Époux. C’est ce q ni est arrivé; mais n’y avait-il point là une figure de
l’avenir? L’Église, en effet, devait avoir bien des faux frères,et maintenant
encore le fils de l’Epoux persécute l’Epoux, et le persécutera jusqu’à la fin.
«Qu’un ennemi m’ait outragé, je l’aurais supporté », dit-il ailleurs, « et si
celui qui me hait s’élevait contre moi, je me déroberais à ses poursuites 5 ».
Quel est l’ennemi? Quel est celui qui me hait? Celui-là même qui dit: Qui est
le Christ? Le Christ est un homme qui n’a pu vivre quand il voulait vivre: il
est mort malgré lui, disent-ils, mort convaincu, mort sur une croix, mort
d’après une sentence. Voilà ce que disent les ennemis. Celui-là, dit le Christ,
est un ennemi déclaré, il me hait, il me fait ouvertement la guerre: on peut
facilement le, supporter ou l’éviter. Mais que faire avec Absalon? Que faire
avec Judas?que faire avec de faux frères? que faire avec de mauvais fils, mais
fils néanmoins, qui ne se soulèvent point contre nous pour blasphémer le
Christ, mais qui adorent le Christ avec nous, et qui persécutent le Christ en
nous? C’est d’eux que le même psaume nous dit ensuite qu’il eût été facile de
tolérer un ennemi déclaré, ou de se dérober à ses embûches. C’est, en effet, se
dérober au païen que d’entrer dans l’Eglise. Mais quand c’est dans l’Eglise que
l’on trouve ce que l’on redoutait ailleurs, où chercher un refuge? Aussi le
même Apôtre, qui gémit des
1. Gal. III, 16, 27,29. — 2. Gen. II, 24. —
3. Ephés. V, 32. — 4. Jean, I, 1, 3.— 5. Ps. LIV, 13.
périls qu’il trouve chez les faux frères,
nous dit-il que ce sont « des combats au dehors, et des craintes à l’intérieur
1. Si l’homme qui « me haïssait se fût élevé contre moi, je me serais dérobé à
ses poursuites; mais toi qui n’avais avec moi qu’une même âme». Il y a ici
unité d’âme, comme unité dans le Christ. L’Eglise a donc à souffrir au dehors
et à gémir
à l’intérieur; et toutefois, qu’elle croie à
des ennemis au dehors et au dedans; ceux du
dehors plus faciles à éviter, ceux de
l’intérieur plus difficiles à tolérer.
5. Que notre Sauveur donc, que le Christ avec
nous, le Christ tout entier s’écrie: « Seigneur, exaucez ma prière, prêtez
l’oreille à mes supplications 2 ». « Exaucez » a le même sens que « prêtez
l’oreille ». C’est une répétition qui a pour but de corroborer. « Exaucez-moi
dans votre vérité, dans votre justice ». Ne passons pas légèrement sur cette
expression: « dans votre justice ». Elle nous prêche la grâce de Dieu, afin que
nul d’entre nous ne s’imagine que sa justice vient de lui-même. Car cette
justice vient bien de Dieu, et si tu l’as, c’est qu’il te l’a donnée. Que dit,
en effet, l’Apôtre de ceux qui ont voulu se glorifier de leur propre justice? «
Je leur rendrai», dit-il, « ce témoignage qu’ils ont le zèle de Dieu ». Il
parlait alors des Juifs. « Ils ont à la vérité le zèle de Dieu», nous dit-il; «
mais non selon la science 3». Qu’est-ce à dire: « non point selon la science?
»Quelle science, ô saint Apôtre, nous donnez-vous comme utile? Est-ce la
science qui enfle dès qu’elle est seule, qui n’édifie que quand elle est unie à
la charité 4? Ce n’est point cette science, assurément, mais la science qui est
la compagne de la charité, la maîtresse de l’humilité,Vois si telle est la
science dont il est dit: «Ils ont à la vérité le zèle de Dieu,mais non selon la
science ».Qu’il nous dise lui-même de quelle science il parle: «Ignorant la
justice qui vient de Dieu», nous dit-il, « et voulant établir leur propre
justice, ils n’ont pas été soumis à la justice de Dieu 5 ». Quels sont donc les
hommes qui veulent établir leur propre justice? Ceux qui s’attribuent à
eux-mêmes le bien, et à Dieu le mal qu’ils font. C’est le comble de la
perversité: ils ne seront droits qu’à la condition de se corriger. Il y a donc
perversité à rejeter sur Dieu le mal que l’on
1.
II Cor. VII, 5; Ps. LIV, 13, 14. — 2. Ps. CXLII, 1. — 3. Rom. X, 2. — 4. I Cor,
VIII, 1. — 5. Rom. X, 3.
commet, à s’arroger le bien: il n’y a de
droiture qu’à s’attribuer le mal, et à Dieu le bien que l’on fait. Car tu ne
passerais pas d’une vie impie à la vie des justes, si tu n’étais devenu juste
par celui qui justifie l’impie 1. Donc, dit le Prophète: « Exaucez-moi dans
votre justice », et non dans la mienne: afin que «je sois trouvé en Dieu, non
point avec ma propre justice qui vient de la loi, mais avec celle qui vient de
la foi 2 ». Voilà ce que signifie: « Exaucez-moi dans votre justice». Quand en
effet je me considère, je ne trouve de nioi que le péché.
6. « Et n’entrez point en jugement avec votre
serviteur 3». Quels hommes veulent entrer en jugement avec Dieu, sinon ceux qui
ignorent sa justice, et veulent établir celle qui leur est propre? Que
signifie: « Nous avons jeûné et vous ne l’avez point vu; nous nous sommes
humiliés, et vous ne l’avez point su?» C’est comme si ces interlocuteurs
disaient: Nous avons accompli vos préceptes, pourquoi ne pas accomplir vos
promesses envers nous? Et Dieu te répondra: Recevoir ce que j’ai promis, c’est
un don de ma grâce, et faire ce qui mérite cette récompense est encore un don
de cette même grâce. Enfin, voici ce que dit le Prophète à ces superbes: «
Pourquoi vouloir entrer en jugement avec moi? Vous m’avez tous abandonné, dit
le Seigneur 5». Pourquoi vouloir entrer en jugement avec moi et faire mention
de vos actes de justice? Comment approuver la justice dans un coeur où je
condamne l’orgueil? C’est donc avec raison qus notre interlocuteur, qui est
humble dans le corps du Christ, apprenant de ce chef auguste à être doux et
humble de coeur 6’, s’écrie ici: « N’entrez point en jugement avec votre
serviteur ». Ne disputons point, je ne veux aucun différend avec vous, ô mon
Dieu, ni faire valoir ma justice, pour être, par vous, convaincu d’humilité. «
N’entrez point eu jugement avec votre serviteur ». Pourquoi? Que craint-il? «
C’est que nul homme vivant ne sera trouvé juste devant vous ». Nul homme
vivant,est-il dit, nul homme vivant ici-bas, vivant dans la chair, vivant pour
mourir, nul homme né des hommes, vivant pour les hommes, né d’Adam, ou plutôt
Adam vivant; tout homme vivant de la sorte pourra sans doute paraître juste à
ses propres yeux, mais
1.
Rom. IV, 5. — 2. Philipp. III, 9. — 3. Ps. CXLII, 2. — 4. Isa. LVIII, 3. — 5.
Jérém. II, 29. — 6. Matth. XI, 29.
non à vos yeux. Comment à ses propres yeux?
Ayant pour lui-même des complaisances, et dès lors il vous déplaira: « Car
devant vous nul homme vivant ne paraîtra juste ». N’entrez donc point en
jugement avec moi, je vous en supplie, ô mon Dieu. Quelle que soit ma justice à
mes propres yeux, vous tirez de vos trésors la règle infaillible, vous
l’appliquez surmoi, et vous nue trouvez tortueux. «N’entrez point en jugement
avec votre serviteur». Oui, « avec votre serviteur». Il est indigne de vous, ô
Dieu, d’entrer en jugement avec celui qui vous sert, non plus qu’avec votre
ami. Autrement vous ne diriez point: « Je vous le déclare, à vous qui êtes mes
amis 1», si de vos serviteurs vous ne les aviez faits vos amis. Bien que vous
me donniez le nom d’ami, je confesse que je ne suis qu’un serviteur. J’ai
besoin de miséricorde, je reviens de mes égarements, implorant mon pardon, et
indigne d’être appelé votre fils 2. « N’entrez donc pas en jugement avec votre
serviteur; car nul homme vivant ne sera juste à vos yeux. Ne louez personne
avant sa mort 3 ». Nul homme donc absolument. Que dirons-nous de ces chefs du
troupeau, de ces apôtres dont il est dit: « Offrez au Seigneur les fils des
béliers 4». L’un d’eux, saint Paul, sait bien, nous dit-il, qu’il n’est point
parfait: «Non pas que j’aie déjà reçu, ou que je sois parfait 5 ». En un mot,
mes frères, ils ont appris à faire la même prière que nous, le divin
Jurisconsulte leur a prescrit la même règle de supplications. « C’est ainsi que
vous prierez 6 », leur dit-il, et après quelques articles qui précèdent il
prescrivit ce que devaient dire ces béliers, ces chefs du troupeau, c’es
principaux membres du Pasteur suprême, de celui qui rassemble toutes les brebis
en un seul troupeau; ils apprirent à dire; « Remettez-nous nos dettes, comme
nous remettons à ceux qui nous doivent 7 ». Ils ne dirent point: Nous vous
rendons grâces parce que vous nous avez remis nos dettes, comme nous remettons,
nous aussi, à ceux qui nous doivent; mais bien: remettez-nous comme nous
remettons. Déjà, sans doute, les Apôtres priaient, les fidèles priaient; car
cette prière est enseignée par le Sauveur principalement à ceux qui lui sont
fidèles; si l’on entendait par ces dettes celles qui sont remises
1.
Luc, XII, 4. — 2. Id. XV, 21.— 3. Eccli. XI, 30.— 4. Ps. XXVIII, 1. — 5. Philipp. III,
12. — 6. Matth. VI, 9. — 7. Id. 12.
au baptême, les catéchumènes principalement
devraient dire: « Remettez-nous nos dettes». Que les Apôtres donc disent
eux-mêmes: «Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous
doivent ». Et quand on leur dira: Pourquoi ce langage? quelles sont vos dettes?
qu’ils répondent: « Nul homme vivant ne sera justifié en votre présence ».
7. « Car l’ennemi a persécuté mon âme, il a
humilié ma vie sur la terre 1 ». Voyez-nous, Seigneur, voyez notre chef pour nous:
« C’est que l’ennemi a persécuté mon âme». Le diable, en effet, a persécuté
l’âme du Christ, Judas l’âme de son maître; et maintenant encore le même diable
continue à persécuter le corps du Christ; à Judas succède un autre Judas. Le
corps du Christ ne manque pas d’ennemi, et dès lors il peut dire: « Voilà que
l’ennemi a persécuté mon âme, il a humilié ma vie sur la terre ». Au lieu de
cette parole: « Il a humilié ma vie sur la terre », nous lisons ailleurs: « Ils
ont courbé mon âme 2 ». Quel est en effet le but que se propose à notre égard
son persécuteur, sinon de nous détourner de toute espérance du ciel, et de nous
inspirer le goût de la terre? C’est là ce qu’ils font eux-mêmes autant qu’il
est en eux; mais Dieu nous préserve d’un tel malheur, nous à qui il est dit: «
Si vous êtes ressuscités avec le Christ, ayez du goût pour les choses du ciel
où le Christ est assis à la droite de Dieu; cherchez ce qui est du ciel, et non
ce qui tient à la terre; car vous êtes morts 3». Nul homme vivant, en effet, ne
sera justifié devant Dieu. Ces persécuteurs donc, soit à force ouverte, soit
par de secrètes embûches, s’efforcent de nous amener à la vie terrestre. Soyons
en garde contre eux, afin de pouvoir dire: « Toute notre conversation est dans
le ciel 4. L’ennemi», dit le Prophète, «a humilié ma vie sur la terre ».
8. « Ils m’ont placé dans les ténèbres, comme
les morts du siècle ». Ces paroles conviennent mieux à notre chef, et se
comprennent mieux en lui. Il est mort en effet pour nous, mais il n’est pas un
mort du siècle. Quels sont, en effet, les morts du siècle? et comment notre
chef n’est•il pas un mort du siècle? Ceux-là sont les morts du siècle, qui sont
morts justement, qui ont reçu le châtiment
1.
Ps. CXLII, 7. — 2. Id. LVI, 7.— 3. Coloss. III, 1-3. — 4. Philipp. III,
20.
de l’iniquité, qui ont dû mourir à cause de
la transmission du péché, selon cette parole « Voilà que je suis conçu dans
l’iniquité, et ma mère m’a nourri avec le péché dans ses entrailles 1»; tandis
que le Christ est venu au sein d’une Vierge prendre une chair, mais non
l’iniquité de la chair, prendre une chair pure et purifiante. Or, ceux qui le
croyaient pécheur, le regardaient comme un mort du siècle. Mais celui qui a dit
dans un autre psaume: « Je payais ce que je n’avais point ravi 2 » qui a dit
encore dans l’Evangile: « Voici le Prince du monde », le préposé de la mort,
l’instigateur de toute oeuvre mauvaise, qui en exige le châtiment; « le voici,
mais il ne trouvera rien en moi 3 ». Qu’est-ce à dire, qu’ « il ne trouvera
rien en moi? » Aucune faute, rien qui mérite la mort. « Mais afin », dit-il, «
que tous connaissent que je fais la volonté de mon Père, levez-vous, sortons
d’ici 4 ». Mourir, nous dit-il, c’est accomplir la volonté de mon Père; mais je
n’ai rien fait qui soit digne de mort. Je n’ai rien fait qui mérite la mort,
seulement je veux mourir, afin de délivrer, par la mort d’un innocent, tous
ceux qui ont mérité de mourir. « Ils m’ont placé dans les ténèbres », comme
dans les enfers, comme dans le sépulcre, comme dans la passion même; ils ont
traité comme les morts du siècle celui qui a dit: « Je suis devenu comme un
homme sans secours, libre entre les morts 5». Qu’est-ce à dire libre? Pourquoi
libre? Parce que tout homme qui commet le péché est esclave du péché 6. Ensuite
ii ne nous délivrerait point de nos chaînes, s’il n’était lui-même libre de
toute entrave. Celui-là donc qui était libre a tué la mort, enchaîné les
chaînes, captivé la captivité, et ils l’ont placé dans les ténèbres comme un
mort du siècle.
9. « Et voilà qu’en moi l’esprit a été
accablé d’ennui 7 ». Reportez-vous à cette autre parole: « Mon âme est triste
jusqu’à la mort 8». Voyez que c’est bien la même plainte. Le passage du chef
aux membres et des membres au chef n’est-il pas visible? « En moi l’esprit a été
accablé d’ennui »; parole qui nous m’appelle: « Mon âme est triste jusqu’à la
mort ». Mais nous étions là nous-mêmes.
1. Ps. L, 7. — 2. Id. LXVIII, 5. — 3. Jean,
XIV, 30. — 4. Id. 31. — 5. Ps. LXXXVII, 5, 6. — 6. Jean, VIII, 34. — 7. Ps.
CXLII, 4. — 8. Matth. XXVI, 38.
« Car il a transfiguré en lui notre corps
misérable, en le rendant conforme à son corps glorieux 1»; et notre vieil homme
a été attaché avec lui à la croix 2. s Mon coeur s’est troublé au dedans de
moi». «Au dedans de moi», dit le Prophète, et non dans les autres. Les autres,
en effet, m’ont abandonné, et ceux qui s’étaient attachés à moi se sont
retirés; en me voyant mourir, ils m’ont cru tout autre, cédant ainsi le pas à
un voleur qui croyait en moi 3, quand eux-mêmes s’esquivaient.
10. Le Prophète passe ensuite aux membres: «
Je me suis souvenu des jours d’autrefois ». A-t-il pu se souvenir des jours
anciens, Celui pour qui tout jour a été fait? Mais c’est le corps qui parle
ici, l’interlocuteur est tout homme justifié par la grâce et attaché au chef
par les liens de la charité et d’une humble piété; c’est lui qui dit: «Je me
suis souvenu des jours anciens, j’ai médité sur toutes vos oeuvres 4». Car
toutes vos oeuvres sont parfaites, et rien n’eût été affermi, si vous ne
l’eussiez affermi vous-même. Toutes vos créatures sont pour moi un grand
spectacle: je cherche l’ouvrier dans son ouvrage, et le créateur dans la
créature. Pourquoi cela? pourquoi cette recherche, sinon afin de comprendre que
tout ce qu’il y a de bon en lui vient de Dieu, de peur que dans son ignorance
de la justice de Dieu il ne pré. tendît établir la sienne, et ne fût plus dès
lors soumis à la justice de Dieu 5? Dès lors cette parole du commencement lui
est applicable: « Dans votre vérité et dans votre justice ». Ainsi donc, dès
qu’il médite les oeuvres de Dieu, qu’il s’applique à les considérer,
l’interlocuteur nous insinue la grâce de Dieu, nous en établit l’importance, et
s’applaudit d’avoir trouvé cette grâce qui nous sauve gratuitement. Pourquoi te
glorifier dans ta justice? Pourquoi t’élever, ô toi qui ignores la justice de
Dieu? Il t’en a coûté, diras-tu, pour être sauvé; mais qu’as-tu donné pour être
homme? Considère dès lors l’auteur de ta vie, de ta substance, de ta justice,
l’auteur de ton salut. « Médite les oeuvres de ses mains », et tu comprendras
que la justice qui est en toi est une oeuvre de la main de Dieu. Ecoute une
leçon de l’Apôtre: « Cela ne vient point des oeuvres, de peur qu’on ne vienne à
s’enorgueillir 6 ». Sommes-nous donc sans bonnes
1. Philipp. III, 21. — 2. Rom. VI, 6.— 3.
Luc, XXIII, 40-42.— 4. Ps. CXLII, 5. — 5. Rom. X, 3. — 6. Ephés. II, 9.
oeuvres? Nous en avons assurément; mais vois
ce qui suit: « Nous sommes l’ouvrage de Dieu », nous dit le même Apôtre. Or, en
disant que nous sommes l’ouvrage de Dieu, l’Apôtre a-t-il voulu, par ce mot
d’ouvrage, désigner cette nature qui fait de nous des hommes? Nullement; il est
question de nos oeuvres. « Cela ne vient pas de nos oeuvres», dit-il, « afin
que nul ne s’élève». Mais, sans nous en tenir à des conjectures, écoutons-le: «
Nous sommes son ouvrage, créés en Jésus-Christ par les bonnes oeuvres ». Ne
t’imagine pas faire quelque chose, si ce n’est dans ta malice. Laisse ton
oeuvre pour n’envisager que l’oeuvre de ton créateur: c’est lui qui t’a formé d’abord,
qu’il te u’établisse dans ce qu’il t’avait fait, et que lu as détruit. Il a
fait que tu sois; et si tu es bon, c’est lui qui te fait bon. « Opérez votre
salut », nous dit-il, « avec crainte et tremblement 2». Mais si notre salut est
une oeuvre qui nous soit propre, pourquoi le faire avec crainte et tremblement,
puisque notre oeuvre dépend de nous? Ecoute bien cette crainte et ce
tremblement. « C’est Dieu qui, dans sa bonté, opère en nous le vouloir et le
faire 3 ». Donc avec crainte et tremblement, afin que ce divin ouvrier se
plaise à opérer dans les vallées; car celui qui juge les nations, qui les
couvre de ruines, agit en nous comme en s’abaissant. « J’ai médité sur l’oeuvre
de vos mains». J’ai donc vu, « j’ai considéré vos ouvrages »; car il n’est en
nous rien de bon qui ne vienne de tous qui nous avez faits.
11. Qu’ai-je fait après avoir vu que toute
grâce excellente vient de vous, que tout don partait noué vient d’en haut,
descend du Père des lumières, en qui il n’y a ni changement, ni ombre de vicissitude
4? A cette vue je me suis détourné du mal que j’avais fait en moi: «Et j’ai
tendu mes mains vers vous ». « J’ai étendu», dit le Prophète, « mes mains vers
vous, et mon âme, devant vous, est une terre sans eau 5 ». Répandez sur moi
votre rosée, afin que je porte de bons fruits. « Car c’est le Seigneur qui
répandra la douceur afin que la terre porte son fruit 6 ». « J’ai étendu mes
mains vers vous, mon âme est une terre sans eau devant vous », et non devant
moi. Je puis en effet vous témoigner ma
1. Ephés. II, 10. — 2. Philipp. II, 12. — 3.
Id. 13. — 4. Jacques, I, 17. — 5. Ps. CXLII, 6. — 6. Id. LXXXIV, 13.
soif, mais non m’abreuver moi-même. « Mon âme
est devant vous comme une terre sans eau »; car mon âme a soif du bien vivant
1. Quand viendrai-je,sinon quand Dieu lui-même viendra? Mon âme a soif du Dieu
vivant, parce que « mon âme est devant vous comme une terre sans eau ». Je vois
la mer qui regorge, elle a de grandes eaux qui s’élèvent avec fracas, mais des
eaux amères. Voilà que l’eau est séparée, et l’aride paraît 2; c’est mon âme,
arrosez-la, « car elle est devant vous comme une terre sans eau ».
11. « Hâtez-vous, Seigneur, de m’exaucer 3».
Pourquoi différer quand je suis altéré, et attiser ainsi ma soif? Mais si vous retenez
vos eaux sacrées, c’est afin que j’y puise plus avidement, que je ne les
dédaigne point quand vous les répandez. Si vous ne les retenez que dans ce
dessein, donnez-les-moi maintenant; car « mon âme est devant vous comme une
terre sans eau; hâtez-vous, Seigneur, de m’exaucer, mon esprit est en
défaillance ». Puisque mon esprit tombe en défaillance, comblez-moi de votre
esprit. Cette défaillance de mon esprit est un motif de m’exaucer plus
promptement. Me voilà pauvre d’esprit, donnez-moi le bonheur du ciel 4. Que
l’esprit vive dans l’homme, il y a orgueil, c’est par l’esprit qu’il s’élève
contre Dieu. Puisse-t-il être assez heureux pour que cette parole s’accomplisse
en lui: « Vous leur ôterez leur esprit, et ils tomberont, et ils rentreront
dans leur poussière 5 », afin qu’un humble aveu leur fasse dire: «
Souvenez-vous que nous sommes poussière 6 ». Mais après avoir dit. «
Souvenez-vous que nous sommes poussière »; qu’ils disent encore: « Mon âme est
devant vous comme une terre sans eau». Quelle terre est sans eau plus que la
poussière? Mais « hâlez-vous de m’exaucer, ô mon Dieu o, répandez sur moi votre
rosée et votre force, afin que je ne sois plus comme une poussière que le vent
soulève de la surface de la terre 7. « Hâtez-vous de me secourir, ô mon Dieu,
mon esprit a défailli ». Ne mettez aucun retard à secourir mon indigence. Vous
m’avez ôté mon esprit, afin que dans ma défaillance et en restant dans ma
poussière, je puisse dire: « Mon âme est devant vous comme une terre sans eau
»: accomplissez en moi cette autre parole du psaume: « Vous enverrez votre
1.
Ps. XLI, 3.— 2. Gen. I, 9— 3. Id. CXLII, 7.— 4. Matth. V, 3.— 5. Ps. CIII, 29.
— 6. Id. CII, 14. — 7. Id. 1, 4.
esprit, et ils seront créés; vous
renouvellerez la face de la terre 1 », Si donc quelqu’un est à Jésus-Christ,
c’est une nouvelle créature: le passé n’est plus 2. C’est leur esprit vieilli
qui n’est plus, et c’est votre esprit qui a tout renouvelé.
13. « Ne détournez point de moi votre face».
Vous l’avez détournée de mon orgueil, car autrefois j’étais dans l’abondance et
je m’élevais. « Pour moi », j’ai dit un jour, dans mon abondance: « Je ne serai
jamais ébranlé ». Je disais donc: Jamais je ne serai ébranlé, j’ignorais votre
justice, et j’établissais la mienne; mais « c’est votre bonté, Seigneur, qui
m’a consolidé dans mon état florissant». J’ai dit, dans mon abondance: « Jamais
je ne serai ébranlé »; mais c’est de vous que me venait toute cette abondance,
et pour me montrer qu’elle me venait de votre bonté, « vous avez détourné de
moi votre face, et je suis tombé dans le trouble 3 ». Après ce trouble où je
suis tombé quand vous avez détourné votre face, après cet ennui de l’esprit, ce
trouble du coeur que j’ai ressenti parce que vous avez détourné de moi votre
face, voilà que j’ai été devant vous comme une terre sans eau: « Ne détournez
point de moi votre face ». Vous l’avez détournée de mon orgueil, daignez la
rendre à mon humilité. « Ne détournez pas de moi votre face », si vous la
détournez « je serai semblable à ceux qui descendent dans l’abîme. Qu’est-ce à
dire, ceux qui descendent dans l’abîme? Quand l’impie est descendu dans les
profondeurs du mal, il méprise 4. Ceux-là descendent dans l’abîme, qui perdent
tout aveu; c’est contre ce malheur que le Prophète dit au Seigneur: « Que le gouffre
ne referme pas sa bouche sur moi 5 ». Telles sont les profondeurs que
l’Ecriture appelle souvent l’abîme, et quand le pécheur y est tombé, il n’a
plus que le mépris. Qu’est-ce à dire, le mépris? Il ne reconnaît plus aucune
Providence, ou s’il en reconnaît une, il ne croit point en être l’objet. Sans
espérance de pardon, il donne libre carrière à ses passions coupables et ne
recule devant aucun péché. Il ne dit point: Je retournerai à Dieu, afin qu’il
revienne à moi; il ne comprend point cette parole: « Convertissez-vous à moi et
je reviendrai à vous 6», parce que dans ces profondeurs il
1.
Ps. CIII, 30. — 2. I Cor. V, 17. — 3. Ps. XXIX, 7, 8. — 4. Prov. XVIII, 3. — 5. Ps.
LXVIII, 16. — 6. Malach. III, 7.
n’a plus que le dédain. « Car », dit le sage,
« un mort ne confesse pas le Seigneur non plus que s’il n’était pas 1 ». Ne
détournez donc point de moi votre face, autrement je serai semblable à ceux qui
descendent dans l’abîme».
14. « Faites-moi entendre dès le matin votre
miséricorde, parce que j’ai espéré en vous 2 ». Je sais que je suis dans la
nuit, mais j’espère en vous jusqu’à ce que l’iniquité des ténèbres soit passée
3. « Nous avons en effet », comme le dit saint Pierre, « une preuve plus
certaine chez les Prophètes, sur qui vous ferez bien d’arrêter les yeux comme
sur un flambeau qui luit dans un lieu obscur, jusqu’à ce que le jour commence à
paraître et que l’étoile du matin se lève dans vos coeurs 4 ». Il donne alors
le nom de matin à ce jour qui doit suivre la fin du monde, et qui nous montrera
ce que nous aurons cru en cette vie. « Au matin vous entendrez ma voix, au
matin je me tiendrai devant vous pour vous contempler 5». Faites-moi comprendre
au matin votre miséricorde, parce que j’ai espéré en vous. Car « si nous ne
voyons point ce que nous espérons, nous l’attendons par la patience ». La nuit
a besoin de patience, le jour nous donnera la joie. « Faites-moi entendre au
matin votre miséricorde, parce que mon espoir est en vous ».
15. Mais que faire ici-bas, en attendant que
le matin vienne? Il ne suffit pas,en effet,d’espérer, nous avons une oeuvre à
faire. Pourquoi une oeuvre à faire? C’est qu’il est dit dans un autre psaume: «
J’ai recherché Dieu au jour de ma tribulation 7»; comme j’ai recherché Dieu
dans le temps de ma nuit. Comment l’avez-vous cherché, ô Prophète? « De mes
mains, la nuit, en sa présence, et je n’ai pas été trompé ». Qu’est-ce à dire
de mes « mains?» Par de bonnes oeuvres. «En sa présence »: « En faisant
l’aumône, garde-toi de sonner de la trompette, et ton Père qui voit dans le
secret, te récompensera 8 ». Comme donc il nous faut espérer le matin, et
supporter ainsi la nuit d’ici-bas, et persévérer dans la patience jusqu’à
l’arrivée du jour, que devons. nous faire jusque-là? Ne feras-tu point quelque
chose sur toi-même, pour mériter d’arriver au matin? « Seigneur, faites-moi
connaître
1. Eccli. XVII, 26. — 2. Ps. CXLII, 8. — 3.
Id LVI, 2. — 4. II Pierre, I, 19.— 5. Ps. V, 4, 5. — 6. Rom.
VIII, 25. — 7. Ps. LXXVI, 3.— 8. Matth. VI, 2, 4.
la voie par laquelle j’entrerai ». C’es pour
cela que le Seigneur a fait briller ce flambeau prophétique, c’est pour cela
qu’il nous a envoyé son Fils dans la chair comme dans un vase d’argile, lui qui
a dit: « Ma face est desséchée comme l’argile 1 ». Marche donc à la lumière des
-Prophètes, marche au flambeau de ces prédictions de l’avenir marche à la
parole de Dieu, Tu ne vois pas encore ce Verbe qui était au commencement, ce
Dieu en Dieu 2; marche à cette lumière de la forme de l’esclave, et tu
arriveras à la forme de Dieu. « Faites-moi connaître, ô mon Dieu, par quelle
voie j’entrerai; parce que j’ai élevé mon âme vers vous ». Oui, vers vous, mais
non contre vous. C’est en vous qu’est la source de vie 3; «j’ai élevé mon âme
vers vous», comme un vase que l’on apporte à la source. Remplissez-moi,Seigneur,
« puisque c’est vers vous que j’ai élevé mon âme ».
16. « Délivrez-moi de mes ennemis, ô mon
Dieu, je me réfugie en vous 4 ». Jadis je vous ai fui, maintenant je me réfugie
en vous. Adam s’enfuit de devant la face du Seigneur, et se cacha dans les
bosquets du paradis 5, en sorte qu’on peut lui appliquer cette parole de Job «
Comme le serviteur qui fuit son maître, et qui recherche les ombres 6 ». Il
s’enfuit donc de devant la face du Seigneur, et chercha les ombres puisqu’il
s’enfuit dans les obscurs bosquets du paradis. Malheur à lui s’il demeure dans
cette ombre et s’il fait dire un jour « Tout a passé comme une ombre 7.
Délivrez-moi de mes «ennemis ». Dans ces ennemis je ne vois point des hommes. «
Car nous n’avons pas à combattre contre la chair et le sang ». Contre qui dès
lors? « Contre les princes et les puissances qui dirigent ce monde ». Quel
monde? Non point les cieux et la terre, puisqu’ils ne sauraient gouverner ce
qu’ils n’ont point fait. « Qui gouvernent le monde ». Quel monde alors? « Ces
ténèbres 8 ». Quelles ténèbres? Les méchants. « Vous étiez autrefois ténèbres,
vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur 9 ». C’est donc contre les
princes du monde, de ces ténèbres, contre les princes des méchants, que vous
avez à combattre; guerre bien nouvelle 10, d’avoir à vaincre un ennemi qu’on ne
voit point !
1.
Ps. XXI, 16. — 2. Jean, I, 1.— 3. Ps. XXIV, 10.— 4. Id. CXLII, 9. — 5. Gen.
III, 8. — 6. Job, VII, 2, suiv. les Septante. — 7. Sag. V, 9. — 8. Ephés. VI, 12.—
9. Id. V, 8.— 10. Id. VI, 14.
contre les princes du monde, les princes de
ces ténèbres, c’est-à-dire contre le diable et
ses anges, et non contre les princes de ce
monde dont il est dit: « Et le monde a été fait par lui 1»; mais de cet autre
dont il est écrit: « Et le monde ne l’a point connu. Délivrez-moi de mes
ennemis, ô mon Dieu, parce que j’ai cherché en vous un refuge». «De mes
ennemis», non de Judas, mais de celui qui remplit le coeur de Judas. Je vois
l’un et je le souffre, j’attaque l’autre sans le voir. Judas prit le morceau de
pain, et Satan entra dans son coeur 2, afin que cet autre David souffrît
persécution de la part de son fils. Combien n’est-il pas de Judas que remplit
Satan, et qui dès lors ne reçoivent le pain sacré que pour leur condamnation? «
Quiconque en effet mange et boit indignement, mange et boit sa propre
condamnation 3 ». Ce que l’on offre n’est point mauvais, mais on offre au
méchant un bien qui fera sa condamnation. Le bien suprême ne saurait profiter à
quiconque le reçoit mal. Donc, «délivrez-moi de mes ennemis, parce que j’ai
cherché un refuge vers vous ». Où fuir en effet? « Comment éviter votre esprit?
Si je monte vers le ciel, vous y êtes; si je descends dans l’abîme, vous y êtes
aussi». Quelle ressource encore? « Si je prends des ailes comme la colombe, et
que je m’envole jusqu’aux confins des mers »; pour habiter par l’espérance à la
fin des siècles: « c’est là que me conduit votre main, là que me fait arriver
votre droite 4. Délivrez-moi de mes ennemis, Seigneur, parce que c’est en vous
que je cherche un asile ».
17. « Apprenez-moi à faire votre volonté; «
parce que c’est vous qui êtes mon Dieu 5 ». Humble confession, saint
engagement! « Parce que c’est vous qui êtes mon Dieu ». J’aurais recours à un
autre, pour nie refaire, si un autre m’avait fait. Mais vous êtes mon tout, «
parce que vous êtes mon Dieu ». Chercherai-je un père pour avoir son héritage?
« Vous êtes mon Dieu »; non seulement vous me donnez un héritage, mais vous
êtes cet héritage même. « Le Seigneur est la portion de mon héritage 6 ».
Chercherai-je un Seigneur pour me racheter? « Vous êtes mon Dieu ».
Chercherai-je un homme puissant pour me délivrer? « Vous êtes mon Dieu ».
Humble
1. Jean, I, 10 — 2. Id.
XIII, 27.— 3. I Cor. XI, 29.— 4. Ps. CXXXVIII,
7-10. — 5. Id. CXLII, 10. — 6. Id. XV, 5.
créature, souhaiterai-je d’être créée de
nouveau? « Vous êtes mon Dieu », vous êtes mon Créateur; c’est vous qui m’avez
créé par votre Verbe, et créé de nouveau parce même Verbe. Vous m’avez créé par
le Verbe-Dieu qui demeure en vous, et créé de nouveau par le Verbe fait chair
pour nous. « Apprenez-moi donc à faire votre volonté, parce que vous êtes mon
Dieu ». Si vous ne m’instruisez, je ferai ma volonté, et mon Dieu
m’abandonnera. « Apprenez-moi à faire votre volonté, parce que vous êtes mon
Dieu ». « Enseignez- moi », car vous ne serez pas mon Dieu pour que je sois mon
maître. Voyez comme notre psaume prêche la grâce de Dieu. Retenez ces
instructions, abreuvez-en votre âme, et que nul ne les arrache de vos coeurs;
de peur que vous n’ayez le zèle de Dieu, mais non selon la science; de peur que
dans votre ignorance de la justice de Dieu, vous ne prétendiez établir la vôtre
1, et que dès lors vous ne soyez plus soumis à la justice de Dieu. Vous savez
que ces paroles sont de l’Apôtre; répétez dès lors avec le Prophète: «
Enseignez-moi à faire votre volonté, parce que vous êtes mon Dieu ».
18. « Votre Esprit plein de bonté », non le
mien qui est méchant: « Votre Esprit plein de bonté me conduira dans la terre
de
1. Rom. X, 2, 3.
Droiture », parce que mon esprit pervers m’a conduit dans la terre de
perversion. Qu’ai-je donc mérité, Seigneur? Quelles bonnes oeuvres ai-je pu
faire sans votre secours, pour obtenir, pour me rendre digne d’être conduit par
votre Esprit dans la terre de la justice? Quelles sont mes oeuvres, ou mes
mérites? « C’est à cause de votre nom, ô mon Dieu, que vous me donnerez la vie
». Comprenez autant qu’il est en vous cette prédication de la grâce qui vous a
sauvés gratuitement. C’est, à cause de votre nom, Seigneur, que vous me
donnerez la vie. « Ce n’est point à nous, Seigneur, qu’il faut donner la
gloire, ce n’est point à nous, mais à votre nom ». Car c’est à cause de votre
nom que vous nous donnerez la vie « dans votre justice », et non point dans la
mienne; non point à cause de mes mérites, mais à cause de votre miséricorde. Si
je prétendais m’appuyer sur mes mérites, je ne mériterais que l’enfer. Vous
avez donc détruit en moi tout mérite, pour y insérer vos dons. « C’est à cause
de votre nom, Seigneur, que vous me donnerez la vie, et dans votre justice vous
délivrez mon âme de la tribulation; et dans votre miséricorde vous perdrez mes
ennemis vous perdrez tous ceux qui affligent mon âme, parce que je suis votre
serviteur »
1. Ps. CXII, 1.
SERMON AU PEUPLE
Ce
géant, c’est le démon qu’il nous faut combattre, et David, c’est le chrétien
aimé de sa foi, ou même le Christ. Les cérémonies symboliques de la loi sont
les armes qui embarrassent David. Il les quitte pour prendre cinq pierres, qui
figurent la loi de Moïse en cinq livres; pierres du torrent ou du peuple qui
passe, et que la charité fait découvrir. Or, la charité, c’est l’effet de la
grâce, qui se donne gratuitement c’est pourquoi David mit ces pierres dans son
vase de berger destiné à recueillir le lait du troupeau. Armé de ces pierres ou
de la charité, il renverse Goliath et lui tranche la tête avec sa propre épée,
comme le Christ tourne contre Satan les hommes dont il se servait. Nos mains
dressées au combat et nos doigts à la guerre, n’ont qu’un même sens; mais les
doigts marquent la division de l’action divine qui a divers dons pour les
hommes. La guerre pour nous, c’est le combat contre ce monde qui n’a pas connu
le Sauveur; contre la chair qui a des aspirations contraires à celles de
l’esprit. Cette chair sera rebelle jusqu’à sa transformation, mais il nous faut
la soumettre en nous soumettant nous-mêmes à Dieu, autrement nous combattrons
en vain. Disons pendant le combat: Vous êtes ma miséricorde, ou plutôt vous
m’accordez d’user de miséricorde en me remettant mes dettes à condition que je
remettrai, en me donnant à la condition que je donnerai. Or, la miséricorde
éteint les feux du jugement. Le Seigneur est mon soutien, dit l’Eglise qui
jouit par avance d’une certaine paix, parce qu’elle a mis sa confiance dans le
Seigneur.
Qu’est-ce
que l’homme pour que Dieu le rachète par son Fils unique? s’il l’estime à ce
point pendant qu’il combat, que sera-ce après la victoire? Quant à l’homme
pécheur, il n’est qu’un néant: qu’il fasse des oeuvres dignes de la lumière, et
recherche Dieu en sa présence, ou Dieu qui veille sur nous. L’Eglise dit à
Dieu: Inclinez vos cieux et descendez. Ces cieux sont les Apôtres qui ont
converti le monde. Faites briller vos éclairs contre les conspirateurs.
Tendez-nous la main, afin que nous puissions surmonter les grandes eaux de la
contradiction. Le cantique nouveau du Prophète, n’est le Nouveau Testament,
celui de la grâce qui nous fait accomplir la loi par les oeuvres de la charité
Dieu a sauvé son Christ du glaive des méchants, glaive qui désigne ce que le
Prophète appelait tout à l’heure les grandes eaux, c’est-à-dire les hommes
frivoles, et la main des fils de l’étranger qui ont parlé la vanité,
c’est-à-dire ambitionné le bien terrestre. Abraham, Isaac et Jacob furent
riches, à la vérité; mais ils ne regardaient les biens de la terre que comme
des biens de la gauche, ou biens périssables, leur préférant les biens de la
droite, ou Dieu avec l’éternité. C’est là ce que signifie: Sa gauche est sous
ma tête, et sa droite m’embrasse;
c’est-à-dire, il ne m’abandonne point en cette vie, et me réserve les biens de
l’avenir. Le langage de ces hommes est donc vain, parce qu’ils ont appelé
heureux celui qui possède ces biens, tandis que celui-là seul est heureux qui a
pour Dieu le Seigneur.
1. Le titre de ce psaume ne renferme que peu
de paroles, mais beaucoup de mystères. « A David pour Goliath 1». Votre charité
se souvient que l’Ecriture nous parle de ce combat qui eut lieu au temps de nos
pères. Un peuple étranger faisait la guerre au peuple de Dieu, et Goliath
provoqua David à un combat singulier, afin que la victoire de l’un ou de
l’autre champion fit voir la décision de Dieu. Mais à quoi bon parler de la
victoire quand nous connaissons celui qui provoque et celui qui est provoqué?
C’est l’impiété qui provoque la piété, l’orgueil qui s’attaque à l’humilité, le
diable qui s’attaque au Christ. Faut-il s’étonner que le diable soit vaincu? Le
premier était d’une stature gigantesque, l’autre petit de taille, mais grand
par la foi. David, qui était saint, prit des armes guerrières pour marcher
contre Goliath. Mais son âge et sa taille trop petite l’empêchèrent de les
porter. Il jeta donc ces armes qui le
1. Ps. CXLIII, 1.
chargeaient sans l’aider, et prit au torrent
cinq pierres qu’il mit dans son vase de berger. Ainsi armé à l’extérieur, mais
armé intérieurement du nom de son Dieu, il marcha contre le géant et le
vainquit 1. Voilà ce que fit David; mais développons ces figures mystérieuses.
Le titre est court, avons-nous dit, à n’en considérer que les paroles; mais il
est très-important à cause des mystères qu’il renferme. Rappelons à notre
mémoire cette parole de saint Paul: « Tout cela se passait « pour eux en figure
2»; afin que l’on ne nous accuse pas de témérité en cherchant des mystères dans
des passages sans mystères et écrits très-simplement. Nous avons donc une
autorité qui stimule notre attention à rechercher ces mystères, notre vigilance
à les développer, notre dévotion à les écouter, notre fidélité à les croire,
notre diligence à les pratiquer. En David nous trouvons le Christ; mais comme
vous ne sauriez l’ignorer, vous
1. I
Rois, XVII. — 2. I Cor, X, 11.
tous qui êtes instruits à son école, dans le
Christ il y a la tête et le corps; n’appliquez donc pas ces paroles au Christ
de telle manière qu’il n’y ait rien pour vous qui êtes ses membres. Après avoir
posé cette base, voyons ce qui suit.
2. Vous savez que le premier peuple fut
chargé de nombreux sacrements visibles et corporels, d’une circoncision, d’un
sacerdoce laborieux, d’un temple plein de figures, d’un grand nombre
d’holocaustes et de sacrifices. Telles sont les armes plus embarrassantes que
utiles qu’a dû déposer notre David. « Car si la loi qui a été donnée avait pu
donner la vie, il serait vrai de dire que la justice vient de la loi ». A quoi
donc a servi la loi? L’Apôtre continue: « Mais l’Ecriture a tout renfermé sous
le péché, afin que la promesse de Dieu s’accomplît par la foi en Jésus-Christ,
en ceux qui croiraient 1 ». Aussi qu’a fait ce David, c’est-à-dire
Jésus-Christ, la tête et le corps, qu’a-t-il fait quand la nouvelle alliance a
été dévoilée, quand la grâce de Dieu a dû être enseignée et appréciée? Il a
quitté les armes et a pris cinq pierres 2: ces armes qui l’embarrassaient, il
les a mises de côté; il a donc rejeté les sacrements de la loi, sacrements
qu’il n’a point imposés aux Gentils, et que nous n’observons point. Vous savez
en effet combien sont nombreux ces préceptes de la loi que nous ne pratiquons
point, et qui sont néanmoins établis et mis sous nos yeux, pour en figurer
d’autres; non que nous devions rejeter la loi de Dieu, mais depuis
l’accomplissement des promesses nous n’avons plus à nous arrêter aux symboles
qui les annonçaient. Ce qu’ils nous promettaient est arrivé. La grâce du
Nouveau Testament, voilée dans la loi, nous est dévoilée dans l’Evangile. Nous
avons écarté le voile et reconnu ce qu’il nous dérobait; nous l’avons reconnu
dans la grâce de Notre Seigneur Jésus-Christ, notre chef et Sauveur, qui a été
crucifié pour nous, et à la mort de qui le voile du temple se déchira 3. Enfin
ce David quitta ces armes, ce fardeau de l’ancienne loi, pour prendre la loi
même. Car ces cinq pierres sont la figure des cinq livres de Moïse. Il prit ces
cinq pierres dans le torrent, et vous savez ce que signifie ce torrent; car
cette vie mortelle s’écoule, et tout ce qui vient au monde ne fait que passer.
Ces pierres étaient donc dans le
1. Gal. III, 21, 22.— 2. I Rois, XVII, 39,
40.— 3. Matth. XXVII, 51.
torrent, ou dans ce peuple primitif, pierres
inutiles, ne rapportant rien, ne produisant rien; le torrent passait dessus.
Que fit David pour que la loi devînt utile? Il prit la grâce. Car on ne saurait
accomplir la loi sans la grâce; puisque « la plénitude de la loi c’est la
charité 1». Mais cette charité, d’où vient-elle? Vois si elle ne vient pas de
la grâce. « L’amour de Dieu», dit l’Apôtre, «est répandu dans nos coeurs par
l’Esprit-Saint qui nous a été donné 2 », C’est donc la grâce qui nous fait
accomplir la loi, et la grâce est figurée par le lait. Rien dans la chair ne se
donne plus gratuitement que le lait, puisque la mère, loin d’attendre du
retour, ne cherche qu’à le donner; elle le donne gratuitement, elle s’attriste
quand elle ne peut le donner. Comment donc David a-t-il montré que la loi ne
peut agir sans la grâce, si ce n’est qu’en voulant joindre avec la grâce ces
cinq pierres qui désignaient la loi renfermée dans les cinq livres, il les mit
dans son vase de berger destiné à garder le lait du troupeau? Armé de ces
pierres, c’est-à-dire armé de la grâce, et dès lors loin de présumer de
lui-même, plein de confiance en Dieu, il s’avança contre l’orgueilleux Goliath,
plein de jactance et de confiance en lui-même. Il prit une de ces pierres, la
lança, en frappa le front de son adversaire, qui tomba blessé dans cette partie
du corps où n’était pas le signe du Christ, Remarquez aussi que David prit cinq
pierres et n’en jeta qu’une seule; les livres sont au nombre de cinq et n’ont
qu’un même objet: car « la plénitude de la loi c’est la charité », comme nous
l’avons dit tout à l’heure. Et l’Apôtre a dit: « Supportez-vous les uns les
autres dans la charité, vous appliquant à conserver l’unité de l’esprit dans le
lieu de la paix 3». Après avoir blessé et renversé Goliath, David lui prit son
épée et lui trancha la tête. C’est ce que fit aussi notre David, qui chassa le
démon de ceux qui lui appartenaient. C’est ce qui arrive quand les principaux
de ceux qui lui appartiennent, et qui étaient au pouvoir du diable qui s’en
servait pour lacérer d’autres âmes, quand ces hommes viennent à tourner leurs
âmes contre le diable; alors l’épée de Goliath sert à lui trancher la tête.
Voilà, en peu de mots, autant que le temps nous le permet, les figures du titre;
voyons ce que renferme le psaume.
1. Rom. XIII, 10. — 2. Id. V, 5. — 3. Ephés.
IV, 2, 8.
3. « Béni soit le Seigneur mon Dieu, qui as
instruit mes mains au combat, et mes doigts à la guerre 1». Ce cri vient de
nous, si nous appartenons au Christ. Bénissons le Seigneur notre Dieu, qui
instruit nos mains au combat, et nos doigts à la guerre. Il semble qu’il y ait
ici une répétition, et que nos mains au combat n’aient d’autre sens que mes
doigts à la guerre. Est-il une différence entre la main et les doigts? Car la
main n’agit que par les doigts. On pourrait donc sans absurdité prendre les
doigts pour la main. Et toutefois, dans les doigts nous trouvons la division de
l’action et la racine de l’unité. Vois cet effet de la grâce dans cette parole
de l’Apôtre: « L’un reçoit du Saint-Esprit le don de parler avec sagesse,
l’autre reçoit du même Esprit le don de parler selon la science; un autre
reçoit le don de la foi fans le même Esprit, un autre reçoit du même Esprit le
don de guérir les malades, un autre le don de parler diverses langues, un autre
le don de prophéties, un autre les discernement des esprits. Or, c’est un seul
et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses propres
dons, comme il lui plaît 2». Mais faire ce don à l’un, cet autre don à l’autre,
c’est là une diversité d’opérations. Toutefois, comme « c’est un seul et même
esprit qui opère toutes ces choses », nous trouvons ici la racine de l’unité.
C’est donc par ces doigts que le Christ combat, qu’il marche à l’ennemi, qu’il
s’avance en bataille.
4. Pour ce qui est de ces guerres et de ces
combats, il serait long de les exposer, et il est plus facile de les soutenir
que de les expliquer. Mais nous avons une guerre dont l’Apôtre nous dit: « Ce
n’est plus contre la chair et le sang qu’il nous faut combattre 3»,
c’est-à-dire contre les hommes qui semblent vous persécuter; ce n’est point
contre eux que vous combattez, « mais contre les princes et les puissances,
contre les directeurs du monde ». Et de peur que par le monde vous n’entendiez
le ciel et la terre, il vous montre ce qu’il entend par là: « De ces ténèbres
», nous dit-il. Ce monde n’est donc point celui qu’il a fait et dont l’Evangile
nous dit: « Et le monde a été fait par lui »; mais c’est le monde qui ne l’a
point connu, car il est dit aussi: « Et le monde ne l’a point
1.
Ps. CXLIII, I. — 2. I Cor. XII, 8. — 3. Ephés. VI, 12.
connu ». Ces ténèbres aie sont point telles
par nature, mais par volonté. L’âme ne s’éclaire point par elle-même. Quand
elle est humble, elle chante avec humilité et avec vérité: « C’est vous,
Seigneur, qui faites luire mon flambeau; ô Dieu, éclairez nies ténèbres 1». Et
encore: « C’est en vous qu’est la source de la vie; et c’est en votre lumière
que nous verrons la lumière 2». Non point cri la nôtre, niais en votre lumière.
Car on donne aux yeux le nom de lumière, et toutefois, que la lumière
extérieure vienne à manquer, fussent-ils sains et ouverts, ils demeureront dans
les ténèbres. Donc nous faisons la guerre aux princes de ces ténèbres,
c’est-à-dire aux princes des infidèles, au diable et à ses anges, qui dirigent
ce glaive dont le diable frappe les fidèles. Mais de même qu’une fois que
Goliath est renversé, on lui prend son glaive pour lui en couper la tête 3; de
même quand les fidèles embrassent la foi, on leur dit: « Vous étiez autrefois
ténèbres, et maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur 4 ». Vous avez
combattu avec la main de Goliath, maintenant avec la main du Christ, coupez la
tête à Goliath.
5. Voilà une guerre. Il en est une autre que
chacun soutient au dedans de lui-même. Tout à l’heure on nous parlait de cette
guerre dans l’Epître de saint Paul: « La chair conspire contre l’esprit, et
l’esprit contre la chair, au point que vous ne faites point ce que vous voulez
5 ». C’est là une guerre pénible, d’autant plus pénible qu’elle est intérieure.
Quiconque triomphe dans cette guerre, surmonte des ennemis qu’il ne voit pas.
Car le démon et ses anges n’attaquent chez toi que la chair qui domine. Comment
pourrions-nous, en effet, vaincre des ennemis que nous ne voyons pas, sinon
parce que nous ressentons intérieurement des mouvements charnels? Combattre ces
mouvements, c’est ruiner l’empire du diable. Dans l’amour de l’argent, c’est
l’avarice qui domine, et comme l’avarice domine en toi, le diable te propose un
gain au moyen de la fraude. Car souvent on ne saurait que par la fraude
parvenir au gain. Il propose donc au dehors à cette avarice, que tu n’as pas
vaincue intérieurement, dont tu n’es pas maître, que tu n’as pas domptée; ce
perfide juge des combats
1.
Ps. XVII, 29. — 2. Id. XXXV, 10. — 3. I Rois, XVII, 51.— 4. Ephés. V, 8. — 5. Gal. V,
17.
te propose donc, comme à son athlète, la
fraude et 1e gain, l’oeuvre et la récompense
Agis et reçois le prix. Mais sj tu es parvenu
à fouler aux pieds l’avarice, tu n’es pas intérieurement dominé par cet ennemi
que tu sens et peux vaincre; car tu ne sens point le diable qui te tend cette
embûche. Si donc tu as dompté l’avarice, tu feras attention à celui qui te
propose l’oeuvre et le prix. Qu’est-ce qu’il te propose? L’injustice et le
gain. Qu’est-ce que Dieu propose au contraire? L’innocence et la couronne. Agis
et prends, te dit l’un aussi bien que l’autre. Toi donc, athlète intérieur, si,
loin d’être vaincu par l’avarice, tu en es vainqueur, tu tiens tes regards
fixés en Dieu et tu surmontes le démon. Tu fais le discernement de l’un et de
l’autre, et tu dis: Je vois ici l’oeuvre et le prix, mais là au contraire
l’appât et l’hameçon. Car tu ne dis rien intérieurement, qui ne regarde ton
salut. Par le pécha tu es divisé contre toi-même. Tu traînes après toi une
source de concupiscence qui va te conduire à la mort; tu as devant toi un
ennemi à combattre, et en toi un ennemi à vaincre; mais tu peux recourir à
celui qui t’aidera dans le combat, qui te couronnera après la victoire, et qui
t’a fait quand tu n’étais l’as encore.
6. Comment pourrai-je vaincre, diras-tu?
Voilà que l’Apôtre me propose un combat très-difficile, et lui-même prend soin
de nie montrer combien il est difficile, sinon impossible, de vaincre, si je
n’en comprends l’importance. « La chair »,dit-il, as conspire contre
l’esprit, et l’esprit contre la chair, en
sorte « que vous ne faites point ce que vous voulez1». Comment me commander de
vaincre, quand lui-même nous dit: as En sorte que vous ne u faites point ce que
vous voulez? e Veux-tu savoir comment? Jette les yeux sur la grâce de ce vase
pastoral, mets dans ce vase de lait la pierre du fleuve, Eh bien ! je vous le
dis, ou plutôt c’est la Vérité qui vous le dit: Tu ne fais point ce que tu veux,
parce que la chair combat contre l’esprit. Dans ce combat, si tu présumes de
tes forces, je t’en avertis, ne fais pas bon marché de cette parole: «
Réjouissez-vous en Dieu notre soutien o. Si tu pouvais tout par toi-même, tu
n’aurais pas besoin de soutien; et si tu ne faisais rien par ta propre volonté,
II pue te faudrait aucun aide, car on n’a besoin d’aide que quand on
1. Gal. V, 17.— 2. Ps. LXXX, 2.
agit. Aussi, après avoir dit: « La chair
conspire contre l’esprit, l’esprit contre la chair, en sorte que vous ne faites
point ce que vous voulez », et après t’avoir mis toi-même sous tes propres
yeux, comme dépourvu de force contre toi-même, l’Apôtre te renvoie tout d’un
coup à celui qui peut t’aider: «Si vous êtes conduits par l’esprit, vous n’êtes
as plus sous la loi ». Celui qui est sous la loi, au lieu d’accomplir la loi,
se trouve sous le fardeau de la loi, comme David sous le poids de ses armes. Si
donc tu es conduit par l’esprit, vois qui est celui qui t’aidera pour accomplir
ce que tu veux; ton aide est pour toi un sauveur, une espérance, c’est lui qui
dresse tes mains au combat, tes doigts à la lutte. « Les oeuvres de la chair
sont faciles à reconnaître; ce sont la fornication, l’impureté, le luxure,
l’idolâtrie, les empoisonnements, les dissensions, les inimitiés, les
ivrogneries, les débauches, et autres crimes semblables; car je déclare, et je
l’ai déjà dit, que ceux qui les commettent ne posséderont point le royaume de
Dieu 1». Non point ceux qui combattent ces crimes, mais ceux qui les commettent.
Il est une différence, en effet, entre combattre, vaincre, et jouir de la paix
et du repos. Je vais le montrer par quelques exemples: Ecoutez. On te propose
un gain à faire, et cela te plaît; il faut user de fraude, mais le gain est
considérable; cela te plaît, et toutefois tu résistes: c’est là le combat;
niais on te persuade, on fait des instances, on délibère. Combattre, c’est donc
être en danger. Après avoir vu le combat, voyons le reste. Au mépris de la
justice, tel a commis la fraude: le voilà vaincu; mais il rejette le gain pour
demeurer juste, le voilà vainqueur Dans ces trois états je plains le vaincu, je
crains pour celui qui combat, j’applaudis au vainqueur. Mais celui là même qui
a vaincs a-t-il pu gagner sur lui de n’être point tenté par l’argent, de n’y
point goûter un certain attrait, quoiqu’il l’ait surmonté et méprisé, quoique,
loin d’y consentir, il n’ait point daigné même le combattre? Il a ressenti
néanmoins quelque vibration de plaisir, et cette vibration, cet ennemi qui déjà
ne combat plus, qui ne règne plus, persiste néanmoins en nous: il y a dans
cette chair mortelle quelque chose qui n’y sera plus un jour. Tout sera absorbé
dans une pleine victoire, mais à l’avenir;
1. Gal V, 17-19.
quant à cette vie, « le corps est mort à
cause du péché », et de là vient que le péché subsiste dans notre corps sans
toutefois y régner: « Mais l’esprit est vivant à cause de la justice. Si donc
l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus-Christ habite en vous, celui qui a
ressuscité Jésus-Christ rendra aussi la vie à vos corps mortels, à cause de son
Esprit qui habite en vous 1 ». C’est là qu’il n’y aura plus de combat, plus
même de vibration; tout sera dans une paix profonde. Ce n’est point une nature
contraire qui combattra une autre nature, mais c’est comme deux époux sous un
même toit. Qu’ils viennent à se quereller, c’est un séjour fatigant et plein de
périls; que le mari ait le dessous, la femme l’avantage, c’est une paix contre
tout ordre; que le mari domine au contraire, que la femme lui soit soumise, la
paix est dans l’ordre; et toutefois ce ne sont point deux natures différentes,
puisque la femme a été tirée de l’homme. Ta chair est pour toi une épouse, une
servante; donne-lui tel nom qu’il te plaira, il te faut la soumettre; et s’il y
a combat, que la victoire te reste. Tel est l’ordre, en effet, que l’inférieur
soit soumis au supérieur; afin que celui-là même qui veut s’assujettir ce qui
lui est inférieur soit soumis à son tour à celui qui est au-dessus de lui.
Reconnais donc l’ordre et cherche la paix toi à Dieu, et la chair à toi. Y
a-t-il rien de plus juste, rien de plus beau? Toi soumis au supérieur,
l’inférieur à toi. Sois serviteur,e celui qui t’a créé, afin d’avoir pour
serviteur ce qui a été créé pour toi. L’ordre que nous traçons et que nous
prêchons n’est point A toi la chair, et toi à Dieu; aimais bien: Toi à Dieu, et
la chair à toi; si tu dédaignes « toi à Dieu », tu n’obtiendras jamais la chair
à toi. Rebelle envers ton Seigneur, tu seras sous l’esclave de l’esclave. Si tu
n’es d’abord soumis à Dieu, et ensuite la chair soumise à toi-même, pourras-tu
dire ces paroles: « Béni soit le Seigneur mon Dieu, qui dresse mes mains au
combat et mes doigts à la guerre? » Tu veux combattre sans savoir, tu seras
vaincu et condamné. Soumets-toi donc à Dieu tout d’abord, puis avec ses leçons
et son secours tu combattras en disant: « C’est lui qui dresse mes mains au
combat, mes doigts à la guerre ».
7. Et pendant ce combat, comme il n’est
1. Rom, VIII, 10 et seq.
pas sans danger, dis alors ce qui suit dans
cette lutte périlleuse: « Vous êtes ma miséricorde 1 » Je ne serai pas vaincu
dès lors. Que veut dire « ma miséricorde? » Que vous me faites miséricorde, que
vous l’exercez envers moi, ou bien que vous m’accordez d’user de miséricorde?
Car il n’y a rien pour vaincre plus complètement notre ennemi que la
miséricorde que nous avons pour tous. Il se prépare à nous calomnier au
jugement de Dieu, mais il ne peut rien objecter de faux, il n’est point devant
celui qui écoute la fausseté. S’il plaidait contre nous au tribunal d’un homme,
il pourrait alléguer le mensonge, nous accabler de fausses récriminations; mais
comme notre procès se plaide au tribunal de ce juge que l’on ne saurait
tromper, notre ennemi cherche à nous séduire par le péché, pour avoir de véritables
crimes à nous reprocher. Et quand la fragilité humaine vient à succomber sous
ses artifices, qu’elle s’humilie par un aveu, et s’exerce par des oeuvres de
miséricorde et de piété. Tout s’efface quand, avec sincérité et une pleine
confiance, nous disons à celui qui nous voit: « Remettez-nous, comme as nous
remettons à notre tour 2 ». Dis alors de tout ton coeur, dis en toute confiance
et en toute sécurité: « Remettez-nous, comme nous remettons nous-mêmes »; ou ne
nous pardonnez point, si nous ne savons pardonner. Quand même tu ne dirais pas:
Ne nous remettez point si nous ne remettons point nous-mêmes, le Seigneur ne
nous pardonne qu’à la condition que nous pardonnions aussi. Pour te laisser
impuni dans tes crimes, il ne sera point menteur dans ses promesses. Veux-tu
ton pardon, dit-il? Pardonne toi-même. il est une autre oeuvre de miséricorde,
Veux-tu obtenir? donne toi-même. C’est ce qui est marqué au même endroit de
l’Evangile: « Remettez et il vous sera remis, donnez et l’on vous donnera 3 ».
J’ai sur toi une créance, et loi une créance sur un autre; remets-lui sa dette,
et je te remets la tienne. Tu me demandes, celui-là te demande aussi.
Donne-lui, et je te donnerai. Or, qui est-ce qui remet? Qui est-ce qui donne?
N’est-ce pas la charité? « Et d’où vient la charité, sinon par cet Esprit-Saint
qui nous a été donné 4?» Si donc c’est par les oeuvres de miséricorde que notre
ennemi peut être vaincu, si nous ne pouvons faire des oeuvres de miséricorde
1.
Ps. CXLIII, 2.— 2. Matth. VI, 12. — 3. Luc, VI, 37,38. — 4. Rom. V, 5.
sans avoir la charité, et si nous n’avons la
charité que par le Saint-Esprit: c’est lui qui dresse nos mains au combat et
nos doigts à la guerre: c’est à lui que nous disons avec justice: «ma
miséricorde », puisque c’est par lui que nous devenons miséricordieux. «
Quiconque n’aura point fait miséricorde sera jugé as sans miséricorde 1».
8. Pensez-vous que des oeuvres de miséricorde
soient peu importantes? Il est bon d’en dire quelques mots. Ecoutez d’abord
cette sentence tirée des livres saints et que j’ai citée tout à l’heure: «
Quiconque n’aura pas fait miséricorde subira un jugement sans miséricorde »; il
sera donc jugé sans miséricorde, celui qui n’aura pas fait miséricorde avant
d’être jugé. Qu’est-il dit ensuite? Que dit l’Apôtre? « La miséricorde
s’élèvera au-dessus du jugement 2 ». Qu’est-ce à dire, qu’« elle s’élèvera
au-dessus du jugement? » C’est-à-dire que Dieu lui donne la préférence sur le
jugement, et que, chez l’homme qui aura fait des oeuvres de miséricorde, l’eau
de cette miséricorde éteindra le feu du péché, quand même il aurait au jugement
des fautes à punir. « La miséricorde est au-dessus du jugement ». Quoi donc?
Dieu sera-t-il injuste à nos yeux, en venant au secours de ces âmes, en les
délivrant, en leur pardonnant? Nullement, il est juste au contraire: la
miséricorde n’efface point en lui la justice, non plus que la justice n’efface
la miséricorde. Vois si Dieu n’est point juste: Remets, et je te remettrai;
donne et je te donnerai. Vois s’il n’est point juste: « On se servira pour toi
de la mesure dont tu te seras servi 3 ». C’est la mesure elle-même, non point
une mesure du même genre, mais la même mesure; pardonne, et je te pardonne. Tu
as en toi pour mesure le pardon que tu accorderas, tu trouveras en moi cette même
mesure dans le pardon que tu recevras. Tu as en toi la mesure; c’est de donner
ce que tu as, et tu trouveras en moi cette mesure; c’est de recevoir ce que tu
n’as pas encore.
9. « Vous êtes ma miséricorde, mon refuge,
mon soutien, mon libérateur ». Voilà un athlète fort à la peine, parce que
sachair conspire contre l’esprit. Tiens ferme néanmoins, tes vœux seront
comblés quand la mort sera absorbée dans une entière victoire, quand ce corps
mortel sera ressuscité et doué de la vie
1. Jacques, II, 13. — 2. Luc, VI, 37. — 3.
Matth. VII, 2.
des anges et de qualités célestes. « Ceux qui
sont morts dans le Christ ressusciteront les premiers, ensuite nous qui vivons,
qui sommes demeurés jusqu’alors, nous serons enlevés avec eux dans les airs au-devant
du Christ, et ainsi nous serons éternellement avec le Seigneur 1». C’est là que
la mort sera absorbée dans sa victoire. C’est là que l’on dira: «O mort, où est
ton combat; ô mort, où est ton aiguillon 2? » Il n’y aura en effet de rébellion
contre Dieu, ni dans notre corps, ni dans notre âme. La victoire sera complète,
la paix complète. Telle est cette paix dont on nous dit ici-bas, au milieu de
nos combats: « Venez, mes enfants, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte
de Dieu 3 ». Vous êtes dans le combat, engagés au fort de la mêlée, et
néanmoins vous désirez un certain repos. « Quel est l’homme qui aime la vie,
qui souhaite de voir des jours heureux 4? » Qui ne répondra aussitôt: C’est
moi? La vie, les jours heureux sont dans ces lieux où la chair ne conspire plus
contre l’esprit, et où l’on ne dit plus: Combattez, mais: Réjouissez-vous. Or,
quel est l’homme qui désire ces jours? Tout homme dira certainement: C’est moi.
Ecoute ce qui suit: Je vois que tues dans la peine, dans le combat, dans les
périls, écoute ce que le psaume ajoute pour dresser tes mains au combat, tes
doigts à la guerre: « Détourne ta langue du mal, et que tes lèvres n’usent
point de fourberie; détourne-toi du mal et fais le bien 5». Comment pourrais-tu
faire le bien, sans te détourner du mal? Comment t’engager à vêtir l’homme nu,
si tu es encore spoliateur? Comment t’engager à donner, si tu es ravisseur? «
Détourne-toi donc du mal, d’abord, et fais le bien ». Que le pauvre d’abord ne
pleure point à ton sujet, si tu veux qu’un pauvre se réjouisse. « Détourne-toi
du mal et fais le bien ». Quelle sera ta récompense? Car maintenant tu es
encore dans le combat: « Cherche la paix, et poursuis-la ». Apprends à dire: «
Vous êtes ma miséricorde et mon refuge, mon soutien, mou libérateur, mon
protecteur ». « Mon appui », de peur que je ne tombe; « mon libérateur», de
peur que je ne reste dans le piège; « mon protecteur», de peur que je ne sois
blessé. « Oui, mon protecteur, en qui j’ai mis mon espoir ». Dans tous
1. I
Thess. IV, 15, 16.— 2. I Cor. XV, 51, 53.— 3. Ps. XXXIII, 12.— 4. Id. 13.— 5.
Id. 14, 15.
ces embarras, dans mes fatigues, dans mes
combats, dans toutes ces difficultés, j’ai mis en lui mon espoir. « C’est lui
qui m’assujettit mon peuple ». Ce langage est de notre chef.
10. « Seigneur qu’est-ce que l’homme, pour
vous faire connaître à lui 1? » Il est
tout ce qu’il est, précisément parce que vous
« vous êtes fait connaître à lui ». « Qu’est-ce que l’homme, pour vous révéler
à lui, ou le fils de l’homme, pour que vous songiez à lui?» Vous songez à
lui,vous l’aimez, vous lui assignez son prix, vous le mettez en son rang, vous
savez au-dessous de qui vous le placez, au-dessus de qui vous l’élevez. Car
estimer c’est assigner un prix. Quel prix a donc assigné à l’homme Celui qui a donné
pour l’homme le sang de son Fils unique? « Qu’est-ce que l’homme, pour vous
révéler à lui?» A qui vous faire connaître, et qui êtes-vous? « Qu’est-ce que
le fils de l’homme, pour l’estimer à ce prix? » Vous l’estimez, vous en faites
cas, comme s’il était d’un grand prix. Car aux yeux de Dieu l’homme n’est point
tel qu’aux yeux d’un autre homme; qu’il trouve un esclave à acheter, et il
mettra plus de prix à un cheval qu’à un homme. Vois, au contraire, combien un
Dieu t’a estimé, dès lors que tu peux dire: « Si Dieu est pour nous, qui sera
contre nous? » A quel prix t’a évalué « Celui qui n’a pas épargné son propre
Fils, mais qui l’a livré pour nous tous? Comment ne nous a-t-il pas tout donné
avec lui 2? » S’il nourrit ainsi les combattants, quel sera le prix du
vainqueur? Je suis», dit-il, «le pain vivant descendu du ciel 3 ». C’est là le
pain qu’il donne aux combattants, pain qu’il fait venir des greniers célestes,
et dont il nourrit les anges; « car l’homme a mangé le pain des anges 4». Mais
après les combats et après ce pain que donnera-t-il? Quel prix réserve-t-il aux
vainqueurs, sinon ce qui est marqué dans un autre psaume: « J’ai fait une
demande au Seigneur, et je la ferai encore: c’est d’habiter dans la maison du
Seigneur tous les jours de ma vie, afin de contempler ses délices et d’être à
l’abri dans son temple 5? Qu’est-ce que l’homme pour vous révéler à lui, ou le
fils de l’homme pour l’estimer à ce point? »
11. « L’homme est semblable au néant 6», et
néanmoins vous vous révélez à lui, vous
1. Ps. CXLIII, 3. — 2. Rom. VIII, 31, 32. —
3. Jean, VI, 41.— 4. Ps. LXXVII, 25. — 5. Id. XXVI, 4. — 6. Id.
CXLIII, 4.
l’appréciez. « L’homme est devenu semblable
au néant ». A quel néant? Au temps qui passe et qui s’écoule. Voilà ce que l’on
appelle vanité dès qu’on le compare à la vérité, qui demeure toujours, qui est
toujours stable. Toute créature visible n’est bonne qu’en son lieu. « Car c’est
Dieu », dit l’Ecriture, «qui a as rempli la terre de ses biens 1 ». Qu’est-ce à
dire de ses biens? De ceux qui lui conviennent. Mais tous ces biens terrestres,
volages, passagers, comparés à cette vérité dont il est dit: « Je suis celui
qui suis 2», tout ce bien qui passe est appelé vanité. Car il s’évanouit avec
le temps, comme la fumée dans les airs. Que dirai-je de plus fort que l’Apôtre
saint Jacques, lorsqu’il veut contraindre les superbes à s’humilier? «
Qu’est-ce que notre vie », dit-il? « Une vapeur qui apparaît un instant pour se
dissiper ensuite 3 ». Donc l’homme est semblable au néant. Le péché l’a rendu semblable
au néant, car au moment de sa création il était semblable à la vérité; mais le
péché qu’il a commis, le châtiment qui lui a été infligé, l’ont rendu semblable
au néant. « Vous avez châtié l’homme à cause de son iniquité », dit un autre
psaume, « et vous avez fait sécher son âme comme l’araignée 4». De là aussi: «
L’homme est devenu semblable à la vanité ». Qu’ajoute le Prophète dans l’autre
psaume? « Vous avez as fait vieillir mes jours 5 ». Et ici: « Ses jours passent
comme l’ombre ». Que l’homme donc veille sur lui-même dans ces jours qui
passent comme l’ombre, afin qu’en soupirant après sa lumière, il fasse des
oeuvres qui en soient dignes; et s’il est dans l’ombre de la nuit, qu’il
cherche le jour. Pour l’homme qui comprend son état, les jours de cette vanité
sont des jours de tribulation. Soit que les misères et les chagrins nous
viennent accabler, soit que les prospérités du monde nous sourient, nous n’en
devons pas moins craindre et gémir: « Parce que la vie de l’homme sur la terre
est une tentation 6». De là cette parole: « Tout le jour je marchais dans
l’affliction 7 ». Nous avons besoin de consolations, et tout ce que Dieu nous
montre en fait de prospérités n’est point pour réjouir les heureux du monde,
suais bien pour soulager les malheureux. Que l’homme donc, je le répète, dans
ces jours qui sont une ombre,
1. Eccli. XVI, 30.— 2. Exod. III, 14.— 3.
Jacques, IV, 15.— 4. Ps. XXXVIII, 12. — 5. Id. 6. — 6. Job, VII,
1 — 7. Ps.
XXXVII, 7.
fasse des oeuvres dignes de cette lumière
qu’il désire, et dans cette nuit qu’il cherche Dieu, ainsi qu’il est écrit: «
Pendant la nuit mes mains ont cherché Dieu en sa présence, et je n’ai pas été
déçu 1 ». Quel est ce jour qu’il appelle un jour de tribulation, sinon celui
qu’il appelle encore la nuit? « Je l’ai as cherché de mes mains pendant la nuit
en sa présence ». Nous sommes encore dans la nuit, et nous veillons à la
lumière de cette prophétie. Ce que l’on nous a promis, nous l’attendons encore;
mais que dit l’apôtre saint Pierre? « Nous avons d’ailleurs une preuve as plus
frappante encore dans les oracles des Prophètes, sur lesquels vous faites bien
d’arrêter vos regards comme sur un flambeau qui luit dans un lieu obscur,
jusqu’à ce que le jour commence à paraître et que l’étoile du matin se lève
dans nos cœurs 2 ». C’est là le jour, c’est là notre jour. « Au matin vous
entendrez ma voix, au matin je me tiendrai debout et je vous contemplerai ».
Donc, travaille, bien que ce soit la nuit, et cherche Dieu de tes mains, ou par
de bonnes oeuvres, avant que ce jour vienne combler ta joie, de peur qu’il n’en
vienne un autre pour t’affliger. Vois quelle sécurité dans ton labeur; vois
comment ne t’abandonne pas celui que tu cherches: « De mes mains j’ai cherché
le Seigneur pendant la nuit en sa présence ». « Afin que ton Père qui voit dans
le secret te donne ta récompense 3».De là cette expression « en sa présence ».
Que la miséricorde et la charité soient dans ton coeur, de peur que tu
n’agisses dans l’intention de plaire aux hommes. J’ai cherché Dieu de mes
mains, dit le Prophète, par mes oeuvres; le chercher dans l’ombre, ou dans
cette vie; où lui-même voit, et non où je chercherais à plaire aux hommes.
Qu’ajoute le Prophète? « Et je n’ai pas été déçu. L’homme est semblable à la
vanité, ses jours ont passé comme une ombre», et pourtant vous vous êtes fait
connaître à lui, et vous l’estimez.
12. « Seigneur, inclinez vos cieux et
descendez: touchez les montagnes, elles seront embrasées. Faites briller vos
éclairs, et dispersez-les; lancez vos flèches, et ils seront dans l’effroi.
Tendez la main d’en haut, et délivrez-moi, sauvez-moi des grandes eaux 4». Le
corps en Christ, l’humble David,
1. Ps. LXXVII, 6. — 2. II Pierre, I, 19. — 3.
Matth. VI, 4. — 4. Ps. CXLIII, 5-7.
plein de grâce et de confiance en Dieu, et
combattant ici-bas, implore le secours de Dieu. « Inclinez vos cieux et
descendez. » Quels sont les cieux à incliner? Les Apôtres dans leur humilité.
Tels sont en effet «les cieux qui annoncent la gloire de Dieu»; et de ces cieux
qui racontent la gloire de Dieu, le Prophète va nous dire: « Il n’est as point
de discours, point de langage dans lequel on n’entende cette voix; leur parole
a retenti dans toute la terre, et leur voix jusqu’aux extrémités du monde 1».
Quand la voix de ces cieux retentissait dans le monde entier, alors qu’ils
opéraient des merveilles, et que le Seigneur faisait briller en eux les éclairs
de ses miracles, et retentir le tonnerre de ses préceptes, on crut que des
dieux étaient venus du ciel vers les hommes. Quelques païens dans cette pensée leur
voulurent offrir des sacrifices. A la vue de ces honneurs qui ne leur étaient
point dus, ces hommes saisis d’effroi et d’une vive horreur, afin de ramener
ceux qui s’égaraient de la sorte, et leur montrer ce qu’ils ressentaient
intérieurement, déchirèrent leurs vêtements et s’écrièrent: « Que faites-vous?
nous sommes des mortels comme vous 2». Et ils prirent de là occasion de leur
prêcher la divinité de Notre Seigneur Jésus-Christ, s’humiliant ainsi pour
relever la gloire de Dieu: parce que les cieux s’inclinaient pour que Dieu
descendît. « Inclinez donc vos cieux, et descendez, Seigneur », dit le
Prophète; et cela s’est fait. « Touchez les montagnes, elles s’embraseront »;
les montagnes orgueilleuses, les sommités de la terre, les grandeurs qui
s’enflent; touchez-les, dit le Prophète, touchez ces montagnes, donnez-leur de
votre grâce; « elles seront embrasées» parce qu’elles confesseront leurs
fautes. La fumée de ces pécheurs avouant leurs péchés arrachera les larmes de
ces superbes humiliés. « Touchez les montagnes,et elles s’évanouiront en fumée
». Tant que vous ne les toucherez point, elles croiront à leur grandeur. Une
fois touchées, elles diront: « Vous seul êtes grand, ô mon Dieu 3 ». Voilà ce
que diront les montagnes, et encore: « Vous êtes le Très-Haut, au-dessus de
toute la terre 4».
13. Mais il est des conspirateurs; il en est
qui s’unissent contre le Seigneur et contre son Christ 5. Ils s’unissent et ils
conspirent.
1. Ps. XVIII, 2,4, 5 — 2.
Act. IV, 13.— 3. Ps. XLVII, 2.— 4. Id. LXXXII,
19.— 5. Id. II, 2; Act. IV, 26, 27.
« Faites briller vos éclairs, et
dispersez-les ». Multipliez vos miracles et leur conspiration se dissipera
comme la fumée. « Lancez vos éclairs et dispersez-les 1». Une fois effrayés par
vos miracles, ils n’oseront rien contre vous, l’effroi de vos prodiges les
arrêtera. Quel est ce Dieu dont le pouvoir est si grand? Quel est ce Dieu qui
s’élève, et dont le nom a tant de puissance? Mais dire quel il est, c’est pour
eux déjà croire; vos miracles ont brillé et dissipé leur funeste coalition. «
Lancez vos flèches, et vous les troublerez. Que les flèches acérées du puissant
2 », que vos préceptes frappent leurs cœurs. « Lancez vos flèches, et vous les
troublerez ». Ruinez leur fausse santé, afin que de bienheureuses plaies les
guérissent; et qu’ayant place dans l’Eglise et dans le corps du Christ, ils
disent enfin avec l’Eglise; « Je suis blessée par d’amour 3. Lancez vos flèches
et vous les troublerez ».
14. « Tendez la main d’en haut 4 ». Qu’en
résultera-t-il? Quelle en sera la fin? Comment le corps du Christ pourra-t-il
vaincre, sinon par le secours du ciel? « Car le Seigneur viendra lui-même, à la
voix de l’archange, descendra du ciel au son de la trompette
de Dieu 5 », lui qui est le Sauveur de son
corps et la main de Dieu. « Tendez votre main d’en haut, et délivrez-moi,
sauvez,moi des grandes eaux ». Qu’est-ce à dire, «des grandes eaux? » Des
peuples nombreux. De quels peuples? Des étrangers, des infidèles, soit qu’ils
m’attaquent au dehors, soit qu’ils me tendent des embûches à l’intérieur. «
Délivrez-moi de ces grandes eaux, dans lesquelles vous m’exerciez, et dans
lesquelles vous me plongiez pour me laver de mes souillures ». C’est encore
l’eau de la contradiction 6. « Délivrez-moi, et sauvez-moi des grandes eaux ».
15. Ecoutons encore de quelles grandes eaux
Dieu délivrera le corps du Christ, Dieu délivrera l’humilité de David.
Qu’est-ce à dire, « des grandes eaux? » Qu’avez-vous dit, ô Prophète, afin
qu’on ne leur donnât pas un autre sens, qu’avez-vous dit de ces grandes eaux? Ecoute
ce que j’en ai dit: « De la main des enfants étrangers » Ecoutez, mes frères,
au milieu de quel peuple nous vivons, et dont nous voulons être délivrés. «
Leur bouche parle la
1. Ps. CXLIII, 6.— 2. Id. CXIX, 4.— 3. Cant.
II, 5, suiv. les Sept. — 4. Ps, CXLIII, 7.— 5. I Thess. IV, 15. — 6. Nombres,
XX, 13.
vanité ». Combien de vanités
n’entendriez-vous pas aujourd’hui même, si vous n’étiez point rassemblés pour
ces divines pompes. de la parole de Dieu? « Leur bouche parle la vanité ».
Comment ces diseurs de vanités pourraient-ils vous entendre dire la vérité? «
Leur bouche parle la vanité, leur droite est la droite de l’iniquité 1».
16. Que ferais-tu parmi eux, avec ton vase
pastoral et tes cinq pierres? Dis-le-moi autrement, ô Prophète, et montre-moi d’une
autre manière la loi que tu as figurée dans tes cinq pierres. « Seigneur, je
vous as chanterai un cantique nouveau ». Ce cantique nouveau, c’est le chant de
l’action de grâces; le cantique nouveau est celui de l’homme nouveau; le
cantique nouveau, c’est le cantique du Nouveau Testament. « Je vous chanterai
», dit le Prophète, « un cantique nouveau ». Et de peur qu’on ne croie que la
grâce diffère de la loi, tandis au contraire que c’est par la grâce que la loi
s’accomplit: « Je vous chanterai », dit-il, « sur le psaltérion à dix cordes
2». «Sur le psaltérion à dix cordes », ou par les dix préceptes de la loi.
C’est ainsi que je vous chanterai: puissé-je trouver en vous ma joie, puissé-je
vous chanter dans la loi, ce nouveau cantique; « parce que la charité est la
plénitude de la loi 3 ». Du reste, quiconque n’a point la charité, peut porter
le psaltérion; mais il ne saurait chanter. Pour moi donc, dit l’interlocuteur,
au milieu des eaux de la contradiction, je vous chanterai un cantique nouveau:
et jamais le bruit des eaux de la contradiction ne fera taire mon psaltérion: «
Je vous chanterai sur le psaltérion à dix cordes ».
17. «C’est lui qui donne le salut aux rois»;
aux montagnes s’évanouissant en fumée, « Qui délivre David son serviteur ». Ce
David, vous le connaissez, soyez donc David. De quoi Dieu a-t-il délivré David
son serviteur? De quoi a-t-il délivré le Christ? De quoi le corps du Christ? «
Délivrez-moi du glaive des méchants 4 ». « Du glaive » ne suffirait pas; il
ajoute: « du méchant ». Assurément il est un glaive de faveur. Quel est ce
glaive de faveur? Celui dont le Seigneur a dit: « Je ne suis point venu
apporter la paix sur la terre, mais le glaive 5 ». Il devait alors séparer les
fidèles des infidèles, les fils des pères, il devait
1.
Ps. CXLIII, 8.— 2. Id. 9.— 3. Rom. XIII, 10.— 4. Ps. CXLIII, 10, 11. — 5.
Matth. X, 31
trancher de ce même glaive d’autres
engagements, enlever toute chair corrompue, et guérir en tranchant ainsi les
membres du Christ. Il est donc un glaive de bonté, ce glaive à deux tranchants,
puissant de part et d’autre, par l’Ancien et par le Nouveau Testament, par le
récit du passé et par les promesses de l’avenir. Tel est donc le glaive de la
bonté; l’autre est celui des méchants, et leur fait parler vanité, comme c’est
par le glaive de la faveur que Dieu nous dit la vérité. Donc « délivrez-moi du
glaive des méchants. Quant aux enfants des hommes, leurs dents sont pour eux
des armes et des flèches, leur langue est un glaive tranchant 1 ». Délivrez-moi
de ce glaive des méchants. Ce que le Prophète vient d’appeler « glaive », il
l’appelait tout à l’heure « grandes eaux ». « Délivrez-moi des grandes eaux ».
Ce que j’ai nommé grandes eaux, je l’appelle maintenant glaive des méchants.
Enfin, après avoir parlé des grandes eaux, il continue: « De la main des
étrangers, dont la bouche parle la vanité ».Et pour nous faire comprendre qu’il
parle d’eux encore, quand il dit ici: « Du glaive des méchants délivrez-moi »,
il ajoute: « Délivrez-moi de la main des fils de l’étranger, dont la bouche
parle la vanité », comme il l’avait dit plus haut. Et quand il nous dit que
leur droite est la droite de l’iniquité, il avait déjà exprimé cette pensée, en
nous parlant des grandes eaux. Et de peur que tu ne prennes ces grandes eaux
dans un sens favorable, il nous l’exprime de nouveau dans le glaive des
méchants. Qu’il vous explique maintenant cette expression: « Leur bouche parle
la vanité, leur droite est la droite de l’iniquité ». De quelle vanité a parlé
leur bouche? et comment leur droite peut-elle être la droite de l’iniquité?
18. « Leurs enfants sont dans leur jeunesse,
comme des plants nouveaux 2». Il veut montrer ici leur félicité. Ecoutez donc,
enfants de la lumière, enfants de la paix, écoutez, enfants de l’Eglise,
membres du Christ; écoutez ce que le Prophète nomme étrangers, fils de
l’étranger, eaux de contradiction, glaive du méchant. Ecoutez, je vous en
supplie vous qui, chaque jour, courez des dangers au milieu d’eux; qui, au
milieu de leurs discours, combattez contre les désirs de votre chair, qui avez
à lutter au milieu de ces langues, de
1. Ps. LVI, 5. — 2. Id. CXLIII, 12.
ces suppôts de Satan, et dont il se sert
contre vous. « Car vous ne combattez plus contre la chair et le sang, mais
contre les princes et les puissances, contre ceux qui gouvernent ce monde de
ténèbres 1 », c’est-à-dire des méchants, Ecoutez, afin de vous en séparer;
écoutez, afin de ne point regarder comme la vraie félicité celle que convoitent
les hommes faibles ou corrompus. Ce sont bien là, mes frères, les fils de
l’étranger, ce sont bien les grandes eaux, c’est bien là le glaive des
méchants. Voyez quelle est cette vanité dont ils parlent, et gardez-vous de
tenir leur langage, gardez-vous de parler comme eux, de peur de vivre comme
eux. « Leur bouche parle la vanité, leur droite est la droite de l’iniquité ».
De quelle vanité a donc parlé leur bouche, et comment leur droite peut-elle
être la droite de l’iniquité? Ecoute: « Leurs enfants sont dans la jeunesse,
comme des plants nouveaux; leurs filles sont parées, elles sont ornées comme
des temples; leurs celliers sont pleins, et regorgent deçà et delà; leurs
brebis sont fécondes, on les voit sortir en foule de leurs étables; leurs
boeufs sont gras; il n’y a ni ruine ni ouverture dans leurs clôtures, ni cri
dans leurs places publiques 2 ». N’est-ce donc point là le bonheur? J’interroge
les enfants du royaume des cieux, j’interroge cette race de ceux que Dieu
ressuscités pour l’éternité, j’interroge le corps du Christ, les membres du
Christ, le temple de Dieu, N’est-ce donc point une félicité que d’avoir des
enfants en santé, des filles bien parées, des celliers bien remplis, de
nombreux troupeaux, de n’avoir aucune ruine non seulement dans ses maisons,
mais jusque dans ses clôtures, de n’entendre dans les places publiques aucun
bruit, aucune clameur, mais le repos, la paix, l’abondance, la richesse dans
les maisons et dans lés villes? N’est-ce donc point là le bonheur? Les justes
doivent-ils le fuir? Aucun juste n’a-t-il donc possédé une maison regorgeant de
biens, comblée d’un semblable bonheur? La maison d’Abraham n’était-elle donc
point riche en or, en argent, en enfants, en domestiques, en troupeaux 1?
Jacob, ce saint Patriarche fuyant la face d’Esaü son frère, en Mésopotamie, ne
s’enrichit-il point par ses services, et en retournant dans son pays ne
rendit-il point grâces à Dieu, parce qu’ayant passé le fleuve avec son bâton,
1. Ephés. VI, 12.— 2. Ps. CXLIII, 12-14.— 3.
Gen. XII, 5; XIII, 2-6.
il revenait avec tant d’enfants, et des troupeaux
si nombreux 1? Que dirai-je encore? N’est-ce donc point là le bonheur? Soit;
mais le bonheur de la gauche. Qu’est-ce que la gauche? Ce qui est du temps,
périssable, corporel. Sans vous dire de le fuir, gardez-vous de le regarder
comme de la droite. Car les hommes du Psalmiste n’étaient point vains et
méchants, parce qu’ils les possédaient, mais parce qu’ils prenaient pour biens
de la droite, ce qui ne devait être que de la gauche. Que devaient-ils mettre à
droite? Dieu, l’éternité, les années de Dieu qui ne finiront point et dont il
est dit: « Et vos années ne passeront point 2 ». Telle est la droite où doivent
tendre nos désirs. Servons-nous de la gauche pour un temps, mais soupirons
après la droite pour l’éternité. Si les richesses coulent chiez vous en
abondance, n’y attachez point votre coeur 3. Car si vous attachez vos coeurs
aux richesses qui coulent, de -votre gauche vous ferez votre droite.
Corrigez-vous, admirez ces chastes baisers que vous donne la Sagesse
«Sa gauche est sous ma tête, et il m’embrasse
de sa droite 4 ». Voyez ces admirables chants d’amour, ces Cantiques des
cantiques, ce chant des saintes épousailles du Christ et de l’Eglise. Que dit
l’Epouse à propos de l’Epoux? « Sa gauche est sous ma tête, et il m’embrasse de
sa droite ». La gauche est sous la tête, la droite sur la tête. C’est ce que
l’on fait quand on embrasse, on met la droite sur la tête, et la gauche
au-dessous. as Sa gauche; dit l’Epouse, «est sous ma tête».Car il ne
m’abandonnera point en ce qui est nécessaire à la vie; et toutefois cette main
gauche sera sous ma tête; non point sur ma tête, mais au dessous, ahi qu’il
m’embrasse de cette même droite qui promet la vie éternelle. Car sa gauchie ne
sera sous ma tête que quand il m’embrassera de sa droite; et ainsi s’accomplira
ce que saint Paul écrit à Timothée: « Il a les promesses de la vie présente et
de la vie future 5». Qu’avons-nous dans cette vie? La gauche sous notre tête.
Qu’avons-nous pour l’avenir? Sa droite m’embrasse. Cherchez-vous ce qui est
nécessaire en cette vie? « Cherchez d’abord le royaume de Dieu», c’est-à-dire
sa droite, et tout cela vous sera donné par surcroît 6 ». Vous aurez ici-bas
les richesses et la gloire, et dans le siècle à venir la vie éternelle; ma
1. Gen. XXXI, 18; XXXII, 7- 10. — 2. Ps. CI,
28. — 3. Id. LXI, 11.— 4. Cant. II, 6. — 5. I Tim. IV, 8. — 6. Matth.
VI, 33.
gauche soutiendra votre faiblesse, et ma
droite couronnera vos vertus. Mais les Apôtres, qui avaient tout quitté et
distribué leurs biens aux pauvres, ont-ils vécu ici-bas sans aucune richesse?
Que serait alors devenue cette promesse relative à la gauche: « Il recevra sept
fois autant dans ce monde? » Le Sauveur nous promet la multiplication des
biens. Et, en effet, qu’est-ce qui manque au serviteur de Dieu? Un infidèle a une
maison, quelques maisons peut-être; « mais le fidèle a pour richesses le monde
entier 2 ». Vois comme elle est sous la tête, cette gauche pleine de tous ces
biens: « Il recevra en ce monde sept fois autant ». Vois la droite qui nous
embrasse: « Et dans le siècle à venir la vie éternelle ». C’est bien avec
raison que la Sagesse a dit ailleurs: « Les années de la vie sont dans sa
droite, et dans sa gauche les richesses et les honneurs 3 ».
19. Comment donc ces hommes disent-ils des choses vaines? comment leur
bouche a-t-elle dit la vanité? Parce que « leur droite est celle de l’iniquité
». Je ne leur fais pas un crime d’avoir des enfants qui sont dans leur jeunesse
comme des jeunes plants, ni des filles ornées comme des temples, ni des biens
en abondance et une félicité terrestre. Où est donc leur crime? « D’avoir
appelé heureux le peuple qui a de tels biens 4». O futiles discoureurs !
Appeler bienheureux un peuple qui a de tels biens! Ils ont perdu la véritable
droite, et se sont vêtus au rebours des dons de Dieu. Hommes pervers, hommes
futiles, fils de l’étranger, ils ont appelé heureux le peuple qui possède ces
biens. « Ils ont mis à droite ce qui était à gauche, et ont appelé heureux le
peuple qui possède ces biens ». Mais vous, ô David? Mais vous, ô corps du
Christ? Mais vous, ô membres du Christ? Mais vous, fils de Dieu, et non fils de
l’étranger, que dites-vous? Les hommes vains dans leurs paroles, les fils de
l’étranger ont appelé heureux le peuple qui possède ces biens. Mais vous, que
dites-vous? « Bienheureux le peuple qui a pour Dieu le Seigneur 5 ». Ayez donc
la gauche, si vous le voulez, mais dans votre main gauche; ambitionnez la
droite, afin d’être placés à la droite. C’est ainsi qu’ils ont placé à gauche
la gauche elle-même, auprès de qui le Christ a eu faim,
1. Matth. XIX, 29— 2. Prov. XVII, 6, suiv.
les Sept. — 3. Id. III, 16. — 4. Ps. CXLIII, 15. — 5. Ibid.
et ils lui ont donné à manger; a eu soif, et
ils lui ont donné à boire; a été étranger, et ils l’ont reçu; a été nu, et ils
l’ont revêtu 1. Ce sont des avantages qu’ils ont tirés de la gauche, dont ils
ont fait des oeuvres de la droite, afin d’être eux-mêmes placés à la droite.
Donc ces hommes vains, ces fils de l’étranger ont dit: « Bienheureux le peuple
qui a de tels biens »; mais vous, dites avec nous: « Bienheureux le peuple qui
a pour Dieu le Seigneur ».
1.Matth., XXV, 35, 36,
SERMON AU PEUPLE, PRÊCHÉ A UTIQUE, DANS LA BASILIQUE DE LA MASSE-BLANCHE 1.
Dieu
s’est loué pour nous apprendre à le louer. Ce David à qui s’adressent les
louanges du psaume est le Christ issu du peuple juif d’où sont venus les
Apôtres, et fils de David. — Bénissons Dieu toujours, dans la prospérité comme
dans le malheur; mais nulle prospérité n’est comparable à celle de posséder
Dieu, que nul ne saurait nous ravir, que le malheur n’enleva point à Job.
Croyons dès lors qu’il agit toujours avec miséricorde; louons sans fin sa
grandeur sans borne. Ainsi font cens qui ne passent par la mort que pour
arriver à la terre des vivants. Bénissons-le dans ses oeuvres, surtout dans
celles qui nous connaissons. Toute génération le bénira. Elles annonceront la
puissance de Dieu, en laquelle se résument toutes ses oeuvres; et tout ce que
l’on peut louer vient de celui qui a tout fait, qui gouverne tout. Louer les
oeuvres de Dieu, cet nous louer nous-mêmes, et nous louer sans orgueil. Ces
oeuvres sont pour nous des degrés pour nous élever jusqu’à lai; ses faveurs
sont accompagnées de menaces afin de nous encourager et de nous contenir. Ils
raconteront ce mémorial du Seigneur qui n’a point oublié l’homme, quand l’homme
l’oubliait. Ils tressailliront dans cette justice de Dieu qui nous refaits par
sa grâce, et sans que nous ayons rien mérité par aucune oeuvre, puisque toute
bonne oeuvre vient de lui. Il est miséricordieux envers les pécheurs, qu’il
encourage contre le désespoir, qu’il détourne d’une folle espérance. Sa bonté
s’étend sur toutes ses oeuvres, puisqu’il fait luire son soleil sur les bons et
sur les méchants, et néanmoins il donne, c’est-à-dire qu’il est sévère pour nos
oeuvres, et nous force à retrancher les mauvaises, ou les retranche lui-même.
Les
créatures intelligentes loueront le Seigneur, puisqu’elles révèlent sa
grandeur, sa puissance; elles le loueront sans voix, car on ne saurait en
considérer la beauté sans louer Dieu.
Les
saints feront connaître la beauté de Dieu, beauté supérieure à toutes les
beautés visibles, et que nous découvre la foi; sa fidélité dans ses promesses,
dont plusieurs qui sont accomplies nous font croire au reste; sa bonté à
soutenir cens qui tombent, c’est-à-dire ou ceux qui se séparent du mal, ou ceux
qui tombent de leur prospérité comme Job; sa miséricorde qui donne en temps
opportun, mais non tout ce que nous demandons, et quand nous le demandons.
Souvent il diffère, ou nous accorde ce que nous ne demandons point, mais ce qui
nous convient le mieux. Qu’il frappe ou qu’il guérisse il est toujours juste;
il est proche de ceux qui l’invoquent, mais en vérité, c’est-à-dire qui
méprisent le reste pour ne désirer que lui-même, qui ne l’en aiment pas moins
quand ii nous ôte les biens terrestres. Il fera la volonté de ceux qui le
craignent en leur accordant le salut, en perdant les pécheurs obstinés et
murmurateurs.
1. Mon désir était de louer le Seigneur avec
vous; et puisqu’il a daigné m’accorder cette faveur, je veux mettre une
certaine règle dans nos louanges en son honneur,afin de n’offenser par aucun
excès celui que nous voulons louer; nous ferons donc mieux de chercher dans
l’Ecriture un moyen plus assuré de le bénir, de peur de nous écarter un peu à
droite ou à gauche. J’ose bien le dire à votre charité, mes frères: afin que
Dieu pût être loué par l’homme, Dieu s’est loué lui-même; et parce qu’il a
daigné se louer lui-même, l’homme a trouvé moyen de le faire à son tour. On ne
saurait, en effet, dire à Dieu ce que l’on dit à l’homme: « Que votre bouche ne
se loue point 2». Se louer, de la part de l’homme c’est arrogance, de la part
de Dieu c’est miséricorde. Il nous est bon d’aimer celui que nous louons, et aimer
le bien c’est devenir meilleur. Le Seigneur donc, parce qu’il nous est
avantageux de l’aimer, nous montre en se louant combien il est aimable, et se
montrer aimable, c’est subvenir à notre faiblesse. Il engage donc notre coeur à
le louer, et c’est pour être loué par ses serviteurs qu’il les a rem plis de
son esprit; et comme c’est son esprit qui le loue dans ses serviteurs, n’est-ce
1. Voir ci-dessus, Ps. XLIX, XLIX, n° 9. — 2.
Prov. XXVII, 2.
pas lui-même qui chante ses propres louanges?
Voici donc de quelle manière commence notre psaume. « Je vous chanterai, ô mon
Dieu, ô mon Roi; je bénirai votre nom dans le siècle, et dans le siècle des
siècles ». Vous le voyez: le commencement est une louange, et cette
louange se continue jusqu’à la fin du psaume.
Enfin le titre du psaume est: « Louange à David lui-même ». Or, comme on
appelle David, celui qui est venu dans la race de David 1, qui est notre roi,
qui nous conduit èt nous introduit dans son royaume, louange à David signifie: « louange au Christ lui-même » qui
s’appelle David selon la chair, parce qu’il est fils de David; mais comme Dieu
il est le créateur de David, et le Seigneur de David. C’est par là que saint
Paul, faisant l’éloge du premier peuple de Dieu, d’où sont venus les Apôtres
qui ont cru en Jésus-Christ, et tant d’églises primitives qui ont réalisé dans
tant de milliers d’hommes ce que vous venez d’entendre dans l’Evangile à propos
de ce riche qui s’en alla tout chagrin; puisqu’ils vendaient leurs biens et en
distribuaient le prix aux pauvres, cherchant ainsi la perfection dans le
Seigneur; pour relever donc la gloire du premier peuple, l’Apôtre parlait
ainsi: « Ils ont pour pères les Patriarches, et c’est d’eux qu’est venu le
Christ, qui est par-dessus tout le Dieu béni dans tous les siècles 2 ». C’est
donc parce que le Christ est né d’eux selon la chair qu’il est appelé David;
mais comme il est aussi par excellence le Dieu béni dans tous les siècles,
voilà que « je vous louerai, ô mon Dieu, ô mon Roi; je bénirai votre nom », dit
le Prophète, « et dans le siècle, et dans les siècles des siècles». Dans le «
siècle », signifie peut-être dans le temps, et dans le siècle des siècles,
signifie « l’éternité ». Commence donc à louer Dieu dès maintenant, si tu dois le
louer dans tous les siècles. Quiconque ne veut point le louer dans ce siècle
qui passe, demeurera silencieux dans le siècle à venir. Il est ce qu’il semble
nous dire dans les versets suivants.
3. De peur, en effet, que l’on ne comprît
autrement cette parole: « Je louerai votre nom dans le siècle 3 », et qu’on ne
l’entendît d’un autre siècle: « Je vous bénirai chaque jour », dit le Prophète.
Loue donc le
1. Rom. I, 3 — 2. Id. IX, 5. — 3. Ps. CXLIV,
2.
Seigneur ton Dieu, et bénis le chaque jour,
et quand chacun de tes jours sera écoulé, quand sera venu le jour sans fin,
passe de la louange à la louange, comme on va de vertus en vertus 1. « Chaque
jour », dit-il, « je vous bénirai »; il n’y aura pas un jour que je ne vous
bénisse. Louer Dieu dans vos jours de félicité n’a rien de bien admirable. Mais
qu’il arrive des jours tristes, comme c’est l’ordinaire dans les vicissi tudes
humaines, dans ces scandales sans nombre, dans ces épreuves si multipliées,
qu’il arrive quelque chose de fâcheux, cesseras-tu de bénir Dieu? Cesseras-tu
de bénir ton Créateur? Si tu cesses, tu ne saurais dire sans mensonge: « Je
vous bénirai chaque jour, ô mon Dieu ». Si tu ne dois point cesser, quelque
chagrin qui puisse t’arriver, tu trouveras alors ton bonheur en Dieu. Car au
plus fort de ton malheur, tu pourrais être heureux; quel que soit en effet le
malheur qui t’afflige, il se trouvera aussi un bien qui te réjouira. Or, quel
plus grand bien que ton Dieu dont il estdit: « Nul n’est bon que Dieu seul 2 ».
Vois, en effet, et comprends à propos de ce bien suprême, combien on peut le
louer sûrement, combien il est stable. Qu’il t’arrive en effet quelque bien qui
te réjouisse, cela dure un jour, mais le lendemain ce bien qui faisait ta joie
est passé. Je suis heureux, dis-tu, voilà une bonne journée; tu as réalisé
quelque profit, tu as été invité ou tu as assisté à quelque festin qui a duré
longtemps: un long festin fait ton bonheur, et un autre te plaint de n’en pas
rougir. Mais enfin, quel que puisse être ce bien qui fait ta joie, c’est un
bien qui passe. Si, au contraire, tu mets en Dieu ta joie, tu entendras
l’Ecriture qui te dit « Que Dieu soit tes délices 3 ».Ta joie sera d’autant
plus solide que celui qui fait ta joie est immuable. Mets ta joie dans
l’argent, tu crains le voleur; mais que. Dieu soit ton bonheur, qu’as-tu à
craindre? Que Dieu ne te soit enlevé? Nul ne saurait te l’enlever, si tu ne
l’abandonnes le premier. Dieu, en effet, n’est point comme cette lumière qui
luit dans le ciel. Nous n’en approchons pas quand nous voulons, parce qu’elle
rie luit point partout. Notre infirmité nous fait quelquefois goûter un certain
plaisir à être en pleine lumière; tandis que maintenant, pendant l’été, vous
nous voyez chercher quelque place où il y ait moins de soleil. Mais
1. Ps. LXXXIII, 8. — 2. Luc, XVIII, 19. — 3.
Ps. XXXIV, 4.
si tu t’affermis en Dieu,si tu trouves
quelque bonheur dans la lumière de la vérité, tu ne chercheras pas un lieu pour
t’approcher de lui; c’est ta conscience qui s’en approche, et la conscience qui
s’en éloigne. Ce qu’a dit le Prophète: « Approchez, et soyez éclairés 1 »,
s’entend de l’esprit, et non de quelque véhicule; des affections, et non de nos
pieds. Affermi en lui, tu ne craindras aucun souffle brûlant; son Esprit aura
des souffles pour toi, et tu espéreras à l’abri de ses ailes 2.
4. Tu le vois donc; tu peux chaque jour
goûter des délices; car Dieu ne t’abandonnera point, quelque malheur qui puisse
t’arriver. Combien était accablant le malheur de Job! Quelle soudaineté,
combien de malheurs à la fois ! Comme Satan lui enlève tout ce qui semblait
faire sa joie, sans la faire néanmoins ! Comme la mort fauche ses enfants ! Et
les biens qu’il garde et ceux pour qui il les garde, tout lui est ravi; mais on
ne lui ravit point celui qui avait donné les uns et les autres. Ses enfants ne
lui furent enlevés, en ce monde, que pour être, dans l’autre monde, rendus à
son amour. Job, toutefois, avait eu lui une autre source de joie, qui lui
faisait dire en vérité ce que nous disions tout à l’heure: « Je vous bénirai chaque
jour ». Quoique ce jour, où tout avait péri, parut un jour triste, la lumière
intérieure en fut-elle obscurcie pour lui? Il demeura ferme dans cette lumière,
et s’écria: « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté: comme il a plu au
Seigneur, il a été fait; que le nom du Seigneur soit béni 3 ». Donc il bénit
Dieu tous les jours, lui qui le bénit même en des jours si tristes. Le plus
court moyen de louer Dieu toujours, de dire en toute vérité et sans
déguisement: « Je bénirai le Seigneur en tous temps; sa louange sera toujours
dans ma bouche »; le meilleur moyen, dis-je, c’est de reconnaître que s’il
donne, c’est par miséricorde, que s’il retire, c’est par miséricorde; c’est de
ne point croire que sa miséricorde nous délaisse, ou quand il prévient notre désespoir
en nous caressant par ses dons, ou notre mort en nous corrigeant de nos fautes.
Bénis-le donc, soit dans ses dons, soit dans ses châtiments. Louer celui qui
nous frappe, c’est nous guérir de nos plaies. « Chaque jour », dit le Prophète,
«je vous bénirai». Chaque jour donc, mes frères, bénissez Dieu; oui, bénissez
Dieu
1.
Ps. XXXIII, 6. — 2. Id. XC, 4. — 3. Job, I, 21.
quoi qu’il puisse vous arriver. C’est lui qui
détournera de vous tout ce que vous ne sauriez supporter. Si tu es heureux,
tremble, et ne t’imagine pas que tu ne rencontreras plus de tentation; sans la
tentation il n’y a point d’épreuve; or, ne vaut-il pas mieux être tenté et
approuvé de Dieu que réprouvé sans tentation? « Et je louerai votre nom dans le
siècle, et dans le siècle des siècles».
5. « Le Seigneur est grand, infiniment
louable 1». Que pouvait-il dire, en quels termes s’exprimer? Que n’a-t-il pas
renfermé dans cette parole infiniment?
Cherche dans ta pensée. Quelle idée te faire de celui qu’on ne saurait
comprendre? « Il est infiniment louable, et sa grandeur est sans borne ».Le
Prophète nous dit infiniment, et sa
grandeur, en effet, n’a point de borne: de peur qu’en cherchant à le louer, tu
ne sois tenté de croire que l’on puisse donner une louange achevée à celui dont
la grandeur est sans fin. Loin de toi de te persuader que tu puisses louer
suffisamment son infinie grandeur. Puisqu’il n’a point de fin, n’est-il pas
mieux de n’en donner aucune à sa louange? Qu’est-il dit de sa grandeur? Qu’elle
est infinie. Que dit le Prophète, à propos de votre louange, ô mon Dieu? « Je
louerai votre nom dans le siècle, et dans le siècle des siècles». Comme donc sa
grandeur est sans fin, la louange que vous lui décernerez sera aussi sans fin.
Car ce n’est point en mourant dans cette chair que tu cesseras de louer le
Seigneur. Il est dit, il est vrai: « Les morts ne vous loueront point, ô mon
Dieu 2 »; mais il s’agit de ceux dont il est dit: « Un mort ne confesse point
le Seigneur, c’est comme s’il n’était plus 3»; et non des morts dont il est dit:
« Celui qui croit en moi vivra, bien qu’il ait passé par la mort 4». Car « le
Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob, n’est point le Dieu des
morts, mais des vivants 5 ». Et si tu n’appartiens jamais qu’à lui, tu ne
cesseras de le louer. Pourrais-tu craindre qu’après n’avoir vécu que pour lui
ici-bas, tu puisses ne point lui appartenir après la mort? Ecoute l’Apôtre qui
te donne cette assurance: « Si nous vivons, c’est pour le Seigneur; si nous
mourons, c’est pour le Seigneur; soit donc que nous vivions, soit que nous
mourions, nous sommes au Seigneur 6». Comment se fait-il que tu sois à
1. Ps. CXLIV, 3. — 2. Id. CXIII, 17. — 3.
Eccli. XVII, 26, — 4. Jean, XI, 25. — 5. Matth. XXII, 32. — 6. Rom. XIV, 8.
lui, même après ta mort? C’est qu’il est mort
pour te racheter au prix de son sang. Celui dont la mort est ta rançon, peut-il
te perdre, toi son serviteur, bien que lu sois mort? Aussi, après avoir dit: «
Soit que nous vivions, soit que nous mourions, nous sommes au Seigneur »;
l’Apôtre a-t-il ajouté, pour nous montrer ce prix inestimable: « Si donc le
Christ est mort et ressuscité, c’est afin d’avoir l’empire sur les vivants et
sur les morts 1».
6. Néanmoins, comme sa grandeur est sans borne,
et que nous devons louer celui que nous ne pouvons comprendre (si nous le
comprenions, en effet, sa grandeur ne serait pas sans borne; mais si cette
grandeur est sans borne, nous pouvons la comprendre quelque peu, et non dans
son immensité), que sa bonté nous soutienne puisque sa grandeur nous dépasse;
jetons les yeux sur ses oeuvres, et bénissons l’ouvrier dans ses oeuvres,
l’auteur dans l’ouvrage, le créateur dans ses créatures. Voyons ce qu’il a fait
ici-bas, ce qui nous est connu, ce qui est visible pour nous. Combien d’autres,
que nous ne saurions connaître, sont le produit de son immense bonté, de son
infinie grandeur ! Quand notre vue pourrait pénétrer jusqu’au ciel, et que du
soleil, de la lune et des étoiles, nous la ramènerions sur la terre, car c’est
dans cet espace que nos yeux se promènent, pourrions-nous jeter au-delà des
cieux, je ne dis pas les yeux du corps, mais les yeux de l’âme? Louons donc le
Seigneur dans ses oeuvres, autant que ses oeuvres nous sont connues. « Car les
perfections invisibles de Dieu sont devenues visibles depuis la création du
monde par tout ce qui a été fait 2. Une «génération et une génération bénira
vos oeuvres 3 ». Toute génération chantera vos oeuvres. Pour marquer toute
génération, le Prophète se sert de cette manière de parler: « Une génération et
une génération ». Il ne pouvait marquer en détail toute génération, jusqu’à
l’épuisement de toutes les générations; mais cette répétition du langage
reporte la pensée dans l’infini. Cette génération, qui est maintenant dans la
chair, qui passera comme elle est venue, bénit les oeuvres de Dieu; après cette
génération une autre viendra louer les oeuvres de Dieu, et après cette autre,
une autre encore, et ainsi
1.
Rom. XIV, 9. — 2. Id. I, 20. — 3. Ps. CXLIV, 4.
combien de générations jusqu’à la fin des
siècles. Voilà ce que veut dire le Prophète « Une génération et une génération
bénira vos ouvrages ». Ou aurait-il voulu, peut-être, dans cette répétition,
préciser deux générations spéciales? Dans cette génération présente nous sommes
en effet les fils de Dieu, et dans l’autre génération nous serons les enfants
de la résurrection; et l’Ecriture, qui donne le nom de régénération à la
résurrection, nous appelle enfants de la résurrection. « A la régénération »,
est-il dit, « lorsque le Fils de l’homme s’assiéra dans sa majesté 1». De même
ailleurs: « Les femmes ne prendront point d’époux, ni les hommes d’épouses,
puisqu’ils seront les fils de la résurrection 2 ». Donc « une génération et une
génération louera vos oeuvres». Maintenant dans cette vie mortelle nous louons
les oeuvres du Seigneur; et si nous les bénissons chargés de chaînes, une fois
couronnés, comment les bénirons-nous? Considérons donc les oeuvres de Dieu,
dans cette génération présente puisque c’est en son honneur que le Prophète a
dit: « Une génération et une génération bénira vos oeuvres, parce que sa
grandeur est sans borne ». Il est bien de considérer vos oeuvres, afin de vous
bénir, vous qui en êtes l’auteur.
7. « Et ils annonceront votre puissance ».
Car ils ne béniront vos oeuvres qu’en publiant votre puissance. On propose à
des enfants, clans une école, un thème de louanges, et on ne leur propose de
louer que les oeuvres de Dieu: leur proposer de louer le soleil, de louer la
lune, la terre, et, pour descendre à de moindres objets, la rose, le laurier;
tout cela c’est l’oeuvre de Dieu que l’on donne à louer, que l’on entreprend de
louer, qu’on loue enfin; on chante les oeuvres, on ne dit rien de l’ouvrier.
C’est donc dans ses ouvrages que je veux louer le Créateur; et je n’aime point
ces ingrats panégyristes. Comment bénir les oeuvres que Dieu a faites, et ne
rien dire de celui qui a tout fait? Eh ! pourrais-tu avoir quelque chose à
louer, si Dieu n’était si grand? Que peux-tu louer dans ces créatures visibles?
Leur beauté, leur utilité, quelque force, quelque puissance que tu y découvres.
Mais si leur beauté a pour toi des attraits, quoi de plus beau que celui qui
les a faites? Si c’est leur utilité, quoi de plus utile que l’auteur
1. Matth. XIX, 28. — 2. Luc, XX, 35, 36.
de tant de choses? Si c’est leur puissance,
quoi de plus puissant que celui qui a tout créé, et qui, loin d’abandonner ses
créatures, les dirige toutes et les gouverne? Ce n’est donc ainsi, ô mon Dieu,
qu’une génération qui vous bénit dans vos serviteurs, en louant vos oeuvres;
elle ne ressemble point à ces parleurs muets, qui oublient le Créateur en
louant la créature. Comment donc vous bénit cette génération? « Ils annonceront
votre puissance ». C’est votre puissance qu’ils chanteront en chantant vos
oeuvres. Quand vos saints, vos fidèles serviteurs, ceux qui vous offrent une
véritable louange, ceux qui n’oublient point vos grâces, quand ceux-là chantent
les ouvrages de Dieu, quels qu’ils soient, dans ce qu’il y a de plus élevé,
comme dans ce qu’il y a de Plus bas, dans le ciel et sur la terre, ils se
trouvent eux-mêmes parmi les oeuvres qu’ils chantent, puisqu’ils sont au nombre
des créatures de Dieu. Car celui qui a tout fait, nous a faits nous-mêmes parmi
ses oeuvres. Si donc tu viens à louer les oeuvres de Dieu, tu te loueras
toi-même, puisque tu es l’oeuvre de Dieu; et dès lors, que devient cette
parole: « Que ta bouche ne te loue point 1?» Voilà donc une manière de te louer
sans être orgueilleux: c’est de bénir en toi Dieu, et non pas toi: non parce
que tu es tel, mais parce que c’est lui qui t’a fait; non parce que tu as de la
puissance, mais parce que Dieu peut agir en toi et par toi. C’est ainsi qu’ «
ils vous loueront, Seigneur, et qu’ils annonceront votre puissance », la vôtre
et non la leur. Apprenez donc à louer Dieu, mes frères, et en considérant les
oeuvres admirez l’ouvrier, en lui rendant grâces, et non en vous arrogeant sa
gloire. Louez Dieu de toutes ses oeuvres, de l’ordre qu’il a établi, des dons
qu’il nous a faits.
8. Enfin vois ce qui suit: « Ils chanteront
votre puissance, ils parleront de la magnificence éclatante de votre sainteté,
ils raconteront vos merveilles. Ils chanteront la terreur de vos prodiges,
feront connaître votre grandeur. Ils répandront le souvenir de votre bonté 2 »,
et de la vôtre seulement. Vois si le panégyriste des oeuvres de Dieu détourne
sa vue du Créateur ROUF sa créature; vois s’il délaisse l’ouvrier pour
s’arrêter à l’ouvrage. Il se fait des oeuvres comme des degrés pour s’élever
jusqu’à lui, et non pour en descendre.
1. Prov. XXVI, 2.— 2. Ps. CXLIV, 5-7.
Tu ne posséderas jamais l’ouvrier, si tu lui
préfères ses oeuvres. De quoi te servira d’avoir les oeuvres en abondance, si
l’ouvrier t’abandonne? Aime les oeuvres, à la bonne heure, mais aime l’ouvrier
plus encore; aime-les à cause de lui. Publie sa puissance, chante l’éclat
glorieux de sa sainteté, raconte ses merveilles, publie la terreur de ses
prodiges; car il est tout à la fois aimable et terrible. Ses faveurs ne sont
point sans menaces. Sans faveurs, il ne nous encouragerait point, et sans
menaces il ne nous redresserait point. Ceux qui vous chantent raconteront donc
votre puissance terrible; vos créatures publieront votre force qui les châtie,
qui les re• dresse par la discipline; elles la publieront et ne se tairont
point. Car elles ne parieront point du royaume éternel, sans parler du feu
également sans fin. Car la louange de Dieu te met sur le bon chemin, et doit
montrer ce qu’il faut aimer, ce qu’il faut craindre; ce qu’il faut désirer et
ce qu’il faut fuir, ce qu’il faut choisir, et ce qu’il faut rejeter. C’est
maintenant le temps de choisir, plus tard celui de recevoir. Chantons donc la
puissance de ce qu’il faut craindre. « Et ils raconteront votre grandeur », dit
le Prophète. Bien qu’elle soit infinie, bien que cette grandeur ne connaisse
point de borne, ils en parleront, ils ne s’en tairont point. Ils raconteront,
dis-je, cette grandeur dont nous disions tout à l’heure: « Et votre grandeur
qui est sans fin, « ils la raconteront». Mais comment la ra. conter si elle est
sans borne? Ils la raconteront, en la louant; et comme cette grandeur n’a point
de fin, sa louange sera également sans fin. Montrons qu’il n’y aura point de
fin à sa louange: « Bienheureux », dit le Prophète, « ceux qui habitent votre
maison, ils vous béniront dans les siècles des siècles 1. Et ils raconteront
votre gloire »; cette gloire infinie, « ils la raconteront ».
9. « De leur bouche jaillira le souvenir de
vos infinies bontés 2 ». Bienheureux festin! Que mangeront-ils pour que leur
bouche fasse de telles éruptions? « La mémoire de vos infinies bontés ».
Qu’est-ce donc que cette mémoire de vos infinies bontés? C’est que vous ne nous
avez point oubliés, Seigneur, alors que nous-mêmes ne pensions plus à vous.
Toute chair avait oublié Dieu; mais lui n’avait pas oublié son ouvrage. Tel
1. Ps. LXXXIII, 5. — 2. Id. CXLIV, 7.
est ce souvenir de nous, qui l’a empêché de
nous oublier, ce souvenir qu’il nous faut redire, qu’il nous faut chanter; et
comme il est doux, il faut t’en nourrir, puis en faire éruption. Mange-le au
point de le répandre au dehors. Reçois, afin de donner. C’est manger que
s’apprendre, c’est faire éruption qu’instruire; c’est manger que d’écouter,
c’est répandre que prêcher; et toutefois tu répands ce que tu as mangé. Enfin
cet avide mangeur, ce bienheureux Jean, qui ne se contentait point de la table
du Seigneur, s’il ne reposait sur la poitrine de son maître 1, pour y puiser
les secrets divins, que répand-il ensuite? « Au commencement était le Verbe, et
le Verbe était Dieu, et le Verbe était en Dieu 2. Ils répandront la mémoire de
votre inépuisable bonté ». Comment ne suffit-il pas au Prophète de dire: votre
mémoire, ni la mémoire de votre abondance, ni la mémoire de votre bonté; mais
il dit: « La mémoire de l’abondance de votre bonté? » A quoi servirait cette
abondance, si elle n’était douceur; et ne serait-il pas fâcheux que cette bonté
ne fût pas abondante?
10. Donc, ils répandront au dehors la
«mémoire de votre inépuisable bonté » parce que vous ne nous avez point
oubliés, et que vous souvenant de nous, vous nous avez avertis et fait souvenir
de vous. « Tous les confins de la terre se souviendront du Seigneur, et se
tourneront vers lui 3 ». Donc parce qu’ils répandront au dehors la mémoire de
votre inépuisable bonté, qu’il n’y a rien de bien qui ne vienne de vous, et
qu’ils n’ont pu se tourner vers vous sans être avertis par vous-même, qu’ils
n’auraient pu se souvenir de vous, si vous les eussiez oubliés; parce qu’ils
ont considéré ces effets de votre grâce, « ils tressailliront dans votre
justice ». Oui, c’est à la vue des effets de votre grâce qu’ils tressailliront
dans votre justice, et non dans la leur. Buvez donc la grâce, mes frères, si
vous voulez répandre la grâce. Qu’est-ce à dire: Buvez la grâce? Apprenez la
grâce, comprenez la grâce. Avant de naître, nous n’étions rien, et nous sommes
devenus des hommes quand nous étions dans le néant. Mais nous ne pouvons être
hommes qu’en tirant notre origine de l’homme pécheur et méchant; et par nature
nous sommes enfants de colère comme tous les autres 4. Reconnaissons donc
1. Jean, XIII, 23.— 2. Id. I, 1.— 3. Ps. XXI,
28.— 4. Ephés. II,3.
la grâce de Dieu qui, non seulement nous a
faits, mais nous a refaits; c’est à elle que nous devons d’exister, que nous
devons d’être justifiés. Que nul n’attribue à Dieu son existence, et à soi-même
sa justification; ce serait s’attribuer une prérogative supérieure à celle de
Dieu. Car être juste est beaucoup plus que d’être homme. Ce serait donc
attribuer à Dieu ce qui est moindre, à toi ce qui est supérieur. Donne-lui
tout, bénis-le de tout garde-toi d’échapper à la main de ton auteur. Quel est
donc l’auteur de ton être? N’est-il pas écrit que Dieu prit du limon dans la
terre, et en forma l’homme 1? Avant d’être homme, tu étais un limon; et avant
d’être limon tu n’étais rien. Mais ne remercie point ton créateur de cet
ouvrage de boue, écoute une oeuvre bien autre que ce divin potier a faite en
toi. « Cela ne vient point des oeuvres», dit saint Paul, « de peur que nul ne
s’élève ». Mais pourquoi dire: « Ce n’est point par les oeuvres, de peur que
nul ne s’élève?» Qu’avait-il dit plus haut? «C’est la grâce qui vous a sauvés
par la foi: et cela ne vient point de vous ». Ce sont les paroles de l’Apôtre
et non les miennes. « C’est la grâce qui vous a sauvés par la foi; et cela (ce
salut par la foi) ne vient pas de vous ». Il avait déjà dit la grâce, et dès
lors ce n’est point de vous mais de peur qu’on ne donnât un autre sens à ses
paroles, il s’explique d’une manière très-claire. Pour peu que l’on ait
d’intelligence, on dira: « C’est la grâce qui nous a sauvés ». Mais dire grâce,
c’est dire gratuitement. Si donc c’est gratuitement il n’y a rien de toi, aucun
mérite. Car ce que l’on donne au mérite est une récompense et non une grâce. «
Vous êtes sauvés par la foi au moyen de la grâce ». Parlez-nous plus
clairement, ô glorieux Apôtre, à cause de ces orgueilleux qui se complaisent en
eux-mêmes, et qui dans leur ignorance de la justice de Dieu veulent établir
leur propre justice 2. Ecoutez donc cette même pensée plus clairement: « Que
vous soyez sauvés par la grâce, cela ne vient point de vous, c’est un don de
Dieu 3 ». Mais peut-être avons-nous fait quelques oeuvres pour mériter les dons
de Dieu. « Cela ne vient point de nos œuvres », dit l’Apôtre, « de peur que nul
ne s’élève ». Quoi donc! ne faisons-nous aucun bien? Nous en faisons, mais
comment? En ce que Dieu
1. Gen II, 7. — 2. Rom. X,
3.— 3. Tit. III, 5.
opère en nous; et que la foi lui donne entrée
dans notre coeur, en sorte qu’en nous et par nous il y opère le bien. Vois d’où
vient le bien que tu fais: « Nous sommes son ouvrage, créés en Jésus-Christ par
les bonnes oeuvres, afin de marcher dans ces œuvres 1». Telle est la douceur de
son souvenir envers nous, C’est en la répandant que les prédicateurs
tressailliront dans sa justice, et non dans leur propre justice. Mais pour être
ce que nous sommes, pour vous louer, pour tressaillir dans votre justice, pour
répandre le mémorial de votre inépuisable bonté, qu’avons-nous reçu de vous, ô
Seigneur que nous bénissons? Publions-le, et en le publiant chantons ses
louanges.
11. « Le Seigneur est clément,
miséricordieux, il est riche de patience et de compassion. Le Seigneur est bon
pour tous, sa commisération s’étend sur toutes ses oeuvres 2 ». S’il n’en était
pas ainsi de Dieu, nous n’aurions rien à demander pour nous. Rentre dans
toi-même; que méritais-tu après le péché? Que méritait ton mépris pour Dieu?
Cherche si tu trouves autre chose que la peine, autre chose que le supplice.
Vois donc, d’une part ce que l’on te devait, et d’autre part, ce que t’a donné
celui qui t’a fait ces dons gratuitement. A toi pécheur il a donné le pardon,
l’esprit de justification, la charité, l’amour qui est la source de tout le
bien que tu fais, et par-dessus tout, il te donnera la vie éternelle, la
société des anges. Tout cela vient de sa miséricorde. Cesse de parler de tes
mérites: tes mérites eux-mêmes sont les dons de Dieu. « Ils tressailliront dans
votre justice. Vous êtes, Seigneur, clément et miséricordieux », vous qui nous
avez fait tous ces dons. Vous êtes « patient »: combien de pécheurs ne
supportez-vous pas? « Le Seigneur est clément et compatissant », en accordant
la rémission des fautes; « il est patient », pour ceux qui n’ont point reçu le
pardon; loin de les condamner, il les attend, et dans sa patience il leur crie:
« Convertissez-vous, revenez à moi afin que je revienne à vous 3»; et dans un
excès de patience: « Je ne veux pas la mort de l’impie », dit-il, « seulement
qu’il revienne et qu’il vive 4 ». Dieu donc est patient, mais toi, « dans la
dureté, dans l’impénitence de ton coeur, tu t’amasses un
1. Ephés. II, 8-10. — 2. Ps. CXLIV, 8, 9. —
3. Zach. I, 3; Malach. III, 7, — 3. Ezéch. XXXIII, 11.
trésor de colère, pour le jour de la colère
et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses
oeuvres 1 ». Car Dieu n’est point patient à supporter le pécheur, au point de
ne le frapper jamais dans sa justice. Il a ses temps: aujourd’hui il t’appelle,
aujourd’hui il t’exhorte, il attend ton repentir, et tu diffères? Sa
miséricorde est grande, nième en ce qu’il a laissé incertain le jour de ta
mort, en te laissant ignorer quand tu sortiras de ce monde, afin qu’en pensant
chaque jour que tu dois mourir, tu t’empresses de revenir à lui; c’est là une
grande miséricorde. S’il avait marqué à chacun le jour de sa mort, cette
assurance aurait multiplié les péchés des hommes. Il nous a donc fait espérer
le pardon, de peur que le désespoir ne nous rendît plus pécheurs; or, dans le
péché, nous devons redouter et l’espérance et le désespoir. Voyez d’une part ce
que le désespoir fait dire à l’homme sur des fautes à commettre, et ce que
l’espérance lui fait dire dans le même sens, et comme Dieu répond à l’un ou à
l’autre dans sa sagesse ou sa miséricorde. Ecoute le langage du désespoir
Puisque je dois être damné, pourquoi ne point faire ce qu’il me plaît? Ecoute
le langage de l’espérance. La divine miséricorde est grande; quand je me
convertirai, Dieu me pardonnera mes fautes: pourquoi ne point faire ce qu’il me
plaît? L’un désespère et pèche; l’autre espère et pèche encore. Ces deux excès
sont à craindre, tous deux sont dangereux. Malheur à l’homme qui désespère!
malheur à l’homme qui n’a qu’une fausse espérance ! Quel remède apporte donc la
divine miséricorde à ce double péril, à ce double mal? Que dis-tu, ô toi que le
désespoir excite au péché? Puisque je dois être damné, pourquoi ne pas faire
comme il use plaît? Ecoute l’Ecriture: « Je ne veux pas la mort de l’impie,
seulement qu’il revienne et qu’il vive ». Cette parole de Dieu nous ramène à
l’espérance; mais il faut craindre un autre piége qui est de trop espérer. Quel
était donc ton langage, quand l’espérance te poussait au péché? Au jour de ma
conversion Dieu me remettra tous nies péchés, je ferai donc tout ce qui me
plaira. Ecoute encore la sainte Ecriture: « Ne tarde point de te retourner vers
le Seigneur, ne diffère pas de
1. Rom. II, 5, 6.
jour en jour; car la colère de Dieu éclatera
subitement, et il te perdra au jour des vengeances 1 ». Ne dis donc plus:
Demain je me convertirai, demain je chercherai à plaire à Dieu; et tous mes
péchés d’hier et d’aujourd’hui me seront pardonnés. Il est vrai que Dieu t’a
promis le pardon au jour où tu te convertiras; mais il n’a promis aucun
lendemain à tes retards.
11. « Le Seigneur est bon pour tous, et sa
bonté s’étend sur toutes ses oeuvres 2». Pourquoi donc une damnation? Pourquoi
des châtiments? Ceux qu’il damne, ceux qu’il châtie, ne sont-ils pas son
ouvrage? Ils le sont sans doute. Veux-tu comprendre que « sa bonté s’étend sur
toutes ses oeuvres? » Elle est la source de cette clémence « qui fait luire son
soleil sur les bons et sur les méchants 3». N’est-ce pas épancher sa
miséricorde sur ses créatures, que faire pleuvoir sur les justes et sur les
injustes? N’est-ce point là épancher sa miséricorde sur toutes ses oeuvres?
Attendre avec longanimité le pécheur, en disant: «Convertissez-vous à moi, et
je me retournerai vers vous 4 », n’est-ce pas épancher sa miséricorde sur
toutes ses oeuvres? Mais dire: « Allez, maudits, au feu éternel, préparé pour
de diable et pour ses anges 5», ce n’est plus la miséricorde, c’est la
sévérité, Il y a donc miséricorde pour ses oeuvres, et sévérité, non plus pour
ses oeuvres, mais pour les tiennes. Enfin si tu viens à retrancher tes oeuvres
mauvaises, de manière qu’il n’y ait en toi que son oeuvre, sa miséricorde ne
t’abandonnera point; mais si tu ne quittes point tes oeuvres mauvaises, Dieu
déploiera sa sévérité contre tes oeuvres, non contre les siennes.
13. «Que toutes vos oeuvres vous confessent,
ô mon Dieu, et que vos saints vous bénissent 6 ». Que toutes vos oeuvres vous
bénissent. Quoi donc ! la terre n’est-elle pas son oeuvre? Le bois n’est-il pas
son oeuvre? Les troupeaux, les bestiaux, les poissons, les oiseaux, ne sont-ils
pas ses oeuvres? Assurément ce sont là ses oeuvres; mais comment toutes ses
oeuvres pourront-elles confesser le Seigneur? Je comprends que, à l’égard des
anges, les oeuvres de Dieu le confessent, car les anges sont ses oeuvres; les
hommes aussi sont ses oeuvres, et quand les hommes le confessent, ses oeuvres
le confessent; mais les bois et les
1.
Eccli. V, 8, 9.— 2. Ps. CXLIV, 9. — 3. Matth. V, 45. — 4. Malach. III, 7; Zach.
I, 3. — 5. Matth. XXV, 41. — 6. Ps. CXLIV, 10.
pierres ont-ils une voix pour le confesser?
Et, toutefois, que toutes ses oeuvres le confessent, dit le psalmiste. Comment?
Et la terre et le bois? Oui, toutes ses oeuvres; si toutes révèlent sa gloire,
pourquoi toutes ne le confesseraient-elles point? Car la confession ne s’entend
pas seulement de l’aveu des fautes, elle s’entend aussi de la louange; et ne
croyez pas que partout le mot de confession ne signifie que l’aveu du péché. On
s’est tellement pénétré de cette idée, que si l’on entend ce mot dans les
saintes Ecritures, on se frappe aussitôt la poitrine. Comprends alors qu’il y a
aussi une confession de louanges: Notre Seigneur Jésus-Christ avait-il donc des
péchés à confesser? Et cependant il dit: « Je vous confesserai, mon Père, Dieu
du ciel et de la terre 1 ». La louange est donc une confession. Dès lors,
comment faut-il entendre: « Que tous vos ouvrages vous confessent », sinon, que
tous vos ouvrages vous louent? Mais, diras-tu, la difficulté revient pour la
louange, comme pour la confession. Si la terre, les bois, les créatures sans
raison, ne sauraient confesser le Seigneur, parce qu’ils n’ont point de voix
pour faire cette confession, ils ne pourront non plus le louer, puisqu’ils
n’ont point de voix pour parler. Et toutefois ces créatures ne sont-elles point
citées par les trois enfants qui se promènent dans les flammes, assez libres
non seulement pour ne pas brûler, mais encore pour louer Dieu? A toutes les
créatures, depuis la terre jusqu’au ciel, ils disent: «Bénissez le Seigneur,
chantez-lui des hymnes, louez-le à jamais 2». Les voilà qui chantent des
hymnes. Que nul ne s’imagine, toutefois, qu’une pierre muette, qu’un animal
sans parole ait assez de raison pour connaître Dieu. C’est une grave erreur
pour ceux qui l’ont cru. Dieu a tout réglé, tout créé: à quelques créatures il
a donné le sens, l’intelligence et l’immortalité comme aux anges; à d’autres,
qui sont mortels, il a donné le sens et l’intelligence comme aux hommes: à
ceux-ci il a donné le sens corporel, mais sans intelligence et sans
immortalité, comme aux animaux; à ceux-là, il n’a donné ni le sens, ni
l’intelligence, ni l’immortalité, comme aux herbes, aux bois, aux pierres: et
toutefois nulle de ces créatures ne saurait manquer dans son genre. Dieu les a
réglées comme par degrés depuis la terre jusqu’au ciel, depuis
1. Matth, XI, 25. — 2. Dan. III, 20, 90.
les choses visibles jusqu’aux choses
invisibles, et ce qui est mortel, et ce qui est immortel. Cet enchaînement des
créatures, cet ordre admirable qui s’élève du plus bas au plus haut, pour
redescendre d’en haut jusqu’en bas, qui n’est interrompu nulle part,
admirablement pondéré par les contraires, tout cet enchaînement bénit le
Seigneur. Comment toutes ces créatures bénissent-elles le Seigneur? En ce que
tu ne saurais en considérer la beauté sans louer Dieu qui en est l’auteur. La
terre n’a qu’une voix muette, sa beauté; mais quand l’on considère sa beauté,
sa fécondité, sa vertu surprenante, cette germination des semences que l’on y
répand, et même de celle que l’on ne sème point, cette considération est une
manière de questionner, tes recherches sont des interrogations. Admirer cette
beauté, en rechercher les causes, sonder cette force, cette fécondité
surprenante, c’est comprendre bientôt que cette puissance ne lui vient point
d’elle-même; et il te vient en pensée qu’elle n’a pu exister par elle-même sans
le Créateur. Mais cette conclusion que tu as trouvée, est une confession de la
terre, une hymne en l’honneur du Créateur. Aussi, quand nous admirons en
général cette beauté du monde, n’y a-t-il pas dans cette beauté comme une voix
qui vous crie: C’est Dieu qui m’a faite, et non pas moi?
14. Donc, « que toutes vos oeuvres vous
confessent, ô mon Dieu, et que vos saints vous bénissent ». Et pour que vos
saints vous bénissent dans la confession de vos oeuvres, que ces mêmes saints
considèrent toute créature confessant vos grandeurs. Ecoute leur voix qui bénit
Dieu, et que disent les saints en vous bénissant, ô mon Dieu? « Ils publieront
la gloire de votre royaume, et chanteront votre puissance 1». Combien est
puissant le Dieu qui a fait la terre ! Combien est puissant le Dieu qui a
comblé la terre de ses biens ! Combien est puissant le Dieu qui a donné aux
animaux une vie qui leur est propre ! Combien est puissant le Dieu qui a jeté
dans les entrailles de la terre tant de semences diverses, pour donner des
fruits si variés et si beaux, des arbres si majestueux! Qu’il est grand! qu’il
est puissant ! Interroge la créature, et la créature te répond; et cette
réponse de la créature, qui est comme une
1. Ps. CXLIV, II.
confession de louanges, te porte, toi, le
saint de Dieu, à bénir le Seigneur, à publier sa puissance.
15. « Afin qu’ils fassent connaître aux fils
des hommes voire puissance, et la gloire éclatante de votre royaume 1 ».
L’oeuvre de vos saints, ô Seigneur, c’est de chanter la gloire de cette grande
beauté de votre royaume, la gloire de la grandeur de la beauté. Il est en effet
dans votre royaume une certaine grandeur de beauté; c’est-à-dire que votre
royaume a de la beauté, et une grande beauté. Quelle est cette beauté de votre
royaume? Que ce royaume ne nous effraie point, sa beauté nous ravira de joie.
Quelle est cette beauté qui fera les délices des saints? Ces bienheureux à qui
l’on dira: « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume 2 ». D’où
viendront-ils? Où iront-ils? Voyez, mes frères, et si vous le pouvez,
représentez-vous, autant que possible, cette beauté du royaume à venir, dont
nous disons dans notre prière: « Que votre règne arrive 3». Ce règne dont nous
souhaitons l’avènement, c’est ce règne à venir que chantent les saints. Voyez
ce monde, il a de la beauté. Quelle beauté dans la terre, dans la mer, dans
l’air, dans le ciel et dans les astres! Toutes ces beautés ne sont-elles pas de
nature à effrayer un observateur? Cette beauté n’est-elle pas supérieure, au
point que nulle autre ne la surpasse? Toutefois, dans cette beauté, dans cette
splendeur en quelque sorte inexprimable, il y a près de toi des vermisseaux, de
vils animaux, tout ce qui rampe sur la terre; tout cela vit dans cette
splendeur. Quelle ne sera point la beauté de cet autre royaume où tu n’auras
que les anges pour vivre avec toi? C’était donc peu pour le Prophète de nous
dire la gloire de la beauté; ce qui pouvait se dire de toute beauté de ce
monde, beauté verdoyante sur la terre,beauté resplendissante au ciel; mais en
disant: « De la grandeur de la beauté de votre royaume », le Prophète nous
révèle ce que nous ne voyons pas encore, ce que nous croyons sans le voir, ce
que nous désirons en le croyant, désir qui nous fait supporter tous nos maux.
Il y a donc une grandeur d’une certaine beauté: puissions-nous l’aimer avant de
la voir, afin d’en jouir quand nous la verrons.
16. « Votre royaume ». Qu’est-ce que votre
1. Ps. CXLIV, 12. — 2. Matth. XXV, 34. — 3.
Id. VI, 10.
royaume? « Le royaume de tous les siècles 1
». Car le royaume de ce monde a aussi sa beauté; mais il n’a pas cette grandeur
de beauté que nous verrons dans le royaume de tous les siècles. « Et votre
domination s’étend de race en race ». C’est une répétition qui comprend en
général toutes les générations, ou la génération qui doit venir après cette
génération.
17. « Dieu est fidèle dans ses paroles, et
saint dans toutes ses œuvres 2». Qu’a promis ce Dieu fidèle dans ses paroles,
qu’il n’ait point tenu? « Le Seigneur est fidèle dans ses paroles ». Il est
encore des promesses qui ne sont point accomplies, mais croyons en lui d’après
ce qu’il nous a déjà donné. « Le Seigneur est fidèle dans ses paroles ». Nous
pourrions en croire simplement à sa parole; il ne l’a pas voulu néanmoins, et
nous a donné son Ecriture comme une promesse; comme si tu disais à un homme, en
lui faisant une promesse: tu n’en crois point à ma parole, je te fais un écrit.
Comme cette génération s’en va et qu’une autre lui succède, et que les siècles
voient les hommes paraître et disparaître, l’Ecriture de Dieu, sa cédule a dû
demeurer, afin que tous les hommes la pussent lire et tenir le chemin de la
promesse. Et par quels biens Dieu n’a-t-il point dégagé sa signature? Les
hommes n’osent l’en croire à propos de la résurrection des morts et du siècle à
venir, seul point de ses promesses qui ne soit pas accompli; s’il entrait en
raisonnement avec les infidèles, quel infidèle n’aurait pas à rougir? Que Dieu
te dise: Tu as mon billet, j’ai promis qu’il y aurait un jugement, une
séparation des bons et des méchants, un règne sans fin pour les fidèles, et tu
ne veux pas m’en croire? Vois dans mon billet tout ce que j’ai écrit, entrons
en compte; certes, en voyant ce que j’ai accompli de mes promesses, tu peux
croire que je tiendrai à ce que je dois encore. Dans cet écrit j’ai promis mon
Fils, et je ne l’ai point épargné, puisque je l’ai livré pour vous 3; il faut
donc compter cela comme accompli. Lis encore mon billet: J’ai promis de donner
le Saint-Esprit par l’entremise de mon Fils. Encore accompli. J’y ai promis que
les martyrs répandraient leur sang et recevraient une couronne de gloire.
Encore accompli; cette masse blanche te prouve que j’ai tenu parole.
1.
Ps. CXLIV, 13.— 2. Ibid.— 3. Rom. VIII, 32.
Mais pour que les martyrs fussent glorifiés
comme je l’avais promis dans mon billet, qui porte: « Nous sommes, à cause de
vous, livrés à la mort pendant tout le jour 1 »; pour accomplir cette parole: «
Voilà que les nations ont frémi, les peuples ont médité de vains complots, les
rois de la terre se sont levés, les princes se sont rassemblés contre le
Seigneur et contre son Christ 2 ». Les princes ont uni leurs efforts et
conspiré contre les chrétiens. Et même dans mon billet, n’ai-je point promis que
ces princes embrasseraient la foi, et n’est-ce point ce qui est arrivé? Ecoute
en quel endroit je l’ai promis « Tous les rois de la terre l’adoreront, tous
les peuples le serviront 3 ». Ingrat! Tu lis ce que je dois, tu le vois
accompli, et tu ne crois point au reste de la promesse? Lis encore dans mon
billet. « Que les nations ont frémi de colère, que mes ennemis ont parlé contre
moi », c’est-à-dire contre mon Christ. « Quand mourra-t-il, quand son nom
disparaîtra-t-il 4? » Voilà ce qu’ils ont fait, ce qu’ils ont dit; lis
maintenant ce que j’ai promis, à quoi je me suis engagé: « Le Seigneur
l’emportera sur eux, il exterminera tous les dieux des nations de la terre, et
chacun l’adorera dans sa terre natale 5 ». Maintenant il a prévalu, il a réduit
au néant tous les dieux des nations de la terre. N’est-ce point ce qui est
accompli? sa parole n’est-elle pas dégagée? Sous les yeux de tous il nous
montre sa dette acquittée: une partie de ses promesses a été exécutée sous les
yeux de nos pères, et nous ne l’avons point vu; une autre partie sous nos yeux,
et eux ne l’ont point vu; de siècle en siècle, il tient ses promesses. Que
reste-t-il encore? Ne peut-on le croire après tout ce qui est accompli? Que
reste-t-il? Le voilà qui entre en compte; après avoir tenu tant de promesses,
pourrait-il être infidèle pour ce qui reste? Point du tout. Pourquoi? Parce que
le Seigneur est fidèle en toutes ses paroles, et saint dans toutes ses oeuvres.
18. « Le Seigneur soutient tous ceux qui
chancellent 6 ». Mais quels sont tous ceux qui chancellent et qu’il soutient?
Il soutient tous ceux qui tombent, mais ceux qui tombent d’une certaine
manière. Il en est, en effet, beaucoup qui tombent en se séparant
1.
Ps. XLIII, 22. — 2. Id. II, 1, 2. — 3. Id. LXXI, 11.— 4. Id. XL, 6.— 5. Soph.
II, 11. — 6. Ps. CXLIV, 14.
de Dieu; « beaucoup qui tombent en se
séparant de leurs pensées 1 ». Avoir une pensée funeste, et s’en séparer, c’est
tomber, et le Seigneur soutient ceux qui tombent de la sorte. Les saints qui
essuient quelques pertes ici-bas, sont en quelque sorte déshonorés en cette
vie; de riches ils deviennent pauvres, aux honneurs qu’ils recevaient, succède
le mépris; ils sont toutefois les saints de Dieu, mais les voilà comme tombés.
Or, « Dieu soutient tous ceux qui tombent. Le juste tombe sept fois et se
relève, les impies s’affaibliront dans les maux 2 ». Qu’il arrive donc à
l’impie quelque chose de fâcheux, il en est affaibli; qu’il arrive quelque
malheur au juste, « le Seigneur affermit tous ceux qui tombent ». Job était
tombé de cette ancienne splendeur où l’avaient élevé pour un temps ses grandes
possessions terrestres, il était déchu de la magnificence de sa maison.
Voulez-vous mesurer sa chute? Il était assis sur le fumier, et le Seigneur le
soutint dans sa chute. A quel point voulut-il bien le fortifier? Au point que,
malgré cette effroyable plaie qui couvrait tout son corps, il put répondre à sa
femme qui le tentait, et que le démon lui avait laissée pour unique soutien: «
Vous avec parlé comme une femme insensée: si nous avons reçu des biens de la
main de Dieu, pourquoi n’en pas supporter les maux 3? » Jusqu’à quel point Dieu
l’avait-il soutenu dans sa chute? « Le Seigneur soutient tous ceux qui tombent.
Que le juste vienne à tomber », est-il dit, «il n’en sera point troublé, parce
que le Seigneur soutient sa main 4. Il relève ceux qui sont brisés », du moins
ceux qui sont à lui; car Dieu résiste aux superbes 5.
19. « Les yeux de toutes les créatures sont
fixés sur vous, Seigneur, et vous leur donnez la nourriture au temps opportun 6
». Vous traitez donc l’homme comme un malade, ô mon Dieu? Vous lui donnez à
temps opportun, quand il a besoin; et vous lui donnez ce qui convient. Aussi
désire-t-il quelquefois sans rién recevoir de Dieu, qui connaît l’heure de
donner, et qui prend soin de lui. Pourquoi vous parler de ces choses, mes
frères, sinon de peur que vous n’ayez pas été exaucés, en demandant à Dieu ce
qui était juste? Quand on demande ce qui est
1. Ps. V, 11.— 2. Prov. XXIV, 16.— 3. Job,
II, 7-10.— 4. Ps. XXXVI, 24. — 5. Jacques, IV, 6. — 6. Ps. CXLIV, 15.
injuste, Dieu nous châtie quelquefois en nous
exauçant; mais après avoir demandé ce qui est juste, ne nous décourageons
point, ne nous rebutons point, si nous ne sommes point exaucés; que nos yeux
tournés vers le Seigneur attendent la nourriture qu’il donne à temps opportun.
S’il nous refuse parfois, c’est de peur que ses dons ne soient préjudiciables.
L’Apôtre ne faisait point une demande injuste, quand il priait Dieu de lui ôter
cet aiguillon de la chair, cet ange de Satan qui le souffletait; et pourtant il
n’obtint pas ce qu’il demandait, parce que c’était le temps d’exercer sa
faiblesse, et non de lui donner la nourriture. « Ma grâce te suffit », lui
répondit le Seigneur, « car c’est dans la faiblesse que la vertu se fortifie 1
». Le diable demanda de mettre Job à l’épreuve, et l’obtint 2. Remarquez bien
ceci, mes frères, c’est un mystère profond, qu’il nous faut étudier, reprendre
souvent, retenir de manière à ne jamais l’oublier, à cause des épreuves en si
grand nombre de cette vie. Que dirai-je? Faut-il mettre saint Paul en parallèle
avec Satan? Saint Paul prie et n’est point exaucé; le diable prie, et reçoit ce
qu’il demande. Mais saint Paul ne fut point exaucé, afin qu’il en devînt plus
parfait; le diable fut exaucé pour sa propre damnation. Job lui-même enfin
recouvra la santé en temps opportun. Dieu différa néanmoins pour le mettre à
l’épreuve: il fut longtemps affligé de sa plaie, parla beaucoup, supplia le
Seigneur de le délivrer de tant de maux, et le Seigneur ne le délivrait point.
Il accorda plus promptement au diable le pouvoir de tenter Job, qu’à Job la
délivrance qu’il sollicitait. Apprenez donc â ne point murmurer contre Dieu, et
quand vous n’êtes point exaucés, ne cessez de répéter ce que nous avons dit plus
haut: « Tous les jours je vous bénirai ». Le Fils unique de Dieu lui-même était
venu pour souffrir, pour payer ce qu’il ne devait point, pour mourir entre les
mains des pécheurs, pour effacer de son sang l’arrêt de notre mort; c’est pour
cela qu’il était venu; et néanmoins afin de te donner l’exemple de la patience,
il a pris le corps de notre faiblesse pour le transfigurer, en le rendant
conforme à son corps glorieux 3. « Mon Père », dit-il, « que ce calice
s’éloigne de moi, s’il est possible 4». Et bien qu’il ne
1. II Cor. XII, 7-9 — 2.
Job, I, 9-12; II, 4-6. — 3. Philipp. III, 21. — 4. Matth. XXVI, 39.
reçut point ce qu’il semblait demander, afin
d’accomplir cette parole du psaume: « Je vous bénirai chaque jour »; toutefois
a-t-il ajouté: « Que votre volonté s’accomplisse et non pas la mienne, ô mon
Père. Les yeux de tous espèrent en vous, et vous leur donnez la nourriture en
temps opportun».
20. « Vous ouvrez la main et vous comblez de
vos bontés tout ce qui respire 1». Si quelquefois vous ne donnez point, vous
donnez toutefois en temps opportun; vous différez sans refuser, et cela en
temps opportun.
21. «Le Seigneur est juste dans toutes ses
voies 2». Qu’il nous frappe ou qu’il nous guérisse, il n’en est pas moins
juste; il n’y a point d’injustice en lui. Aussi tomas les saints, dans
l’affliction, ont chanté sa justice et sollicité ses bienfaits. Ils ont dit
tout d’abord: Ce que vous faites est juste, Seigneur. Ainsi pria Daniel, ainsi
tous les autres saints: Vos jugements sont justes, il est bien pour nous, il
est juste de souffrir 3. Ils n’ont point cru que Dieu iût manquer de justice,
ou d’équité, ou de sagesse. Ils l’ont béni quand il les frappait, béni encore
quand il les nourrissait. «Le Seigneur est juste dans toutes ses voies». Que
nul ne regarde ses douleurs comme une injustice de la part de Dieu, qu’il
chante la justice de Dieu et n’accuse que sa propre injustice. « Le Seigneur
est juste dans toutes ses voies, il est saint dans toutes ses oeuvres ».
22. « Le Seigneur est proche de ceux qui
l’invoquent 4 ». Mais que devient cette parole: « Voilà qu’ils m’invoqueront,
et je ne les exaucerai point 5? » Vois d’abord ce qui suit: « De tous ceux qui
l’invoquent en vérité ». Car beaucoup l’invoquent, mais non point dans la
vérité; ils désirent quelque chose de lui, mais sans le chercher lui-même.
Pourquoi aimer Dieu? Parce qu’il m’a donné la santé. J’en conviens, c’est lui
qui te l’a donnée. Nul autre que lui ne saurait donner la santé. Je l’aime, dit
celui-ci, parce qu’il m’a donné une femme riche, à moi qui étais dans
l’indigence, une femme soumise. Tu as raison, c’est Dieu qui te l’a donnée. Il
m’a donné, dit celui-là, des enfants nombreux et sages, une grande famille, de
grands biens. Est-ce pour cela que tu l’aimes? Pour cela que tu n’attends plus
rien de lui? Sois encore
1. Ps. CXLIV, 16.— 2. Id. 17. — 3. Dan, III,
27-31; IX, 5-19. — 4. Ps. CXLIV, 18. — 5. Prov. I, 28.
affamé, frappe encore à la porte du Père de
famille, il a d’autres biens à te donner. Avec tout ce que tu as reçu, tu es
pauvre encore et tu ne le sais pas. Tu es encore vêtu d’une chair misérable et
mortelle, tu n’as pas reçu ce vêtement de gloire et d’immortalité, et tu es
déjà las de prier? « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce
qu’ils seront rassasiés 1». Donc, si Dieu est bon pour t’avoir donné ces biens,
quel ne sera point ton bonheur, quand il se sera lui-même donné? Tu as tant
désiré de lui; je t’en prie, désire qu’il te fasse don de lui-même. Il n’y a
pas dans ces biens plus de délices que dans lui-même, et l’on ne saurait
aucunement les lui comparer. Donc celui qui préfère Dieu lui-même, dont il a
reçu tous ces biens, à ces mêmes biens qui font sa joie, invoque Dieu en
vérité. Pour vous faire mieux comprendre mes paroles, faisons à ces hommes
cette proposition: S’il plaisait à Dieu de vous ôter tous ces biens qui font
votre joie, qu’arriverait-il? Qu’on l’aimerait moins, et que nul ne dirait: «
Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté; ainsi qu’il a plu au Seigneur il a été
fait; que le nom du Seigneur soit béni 2 ». Mais que dit cet homme à qui Dieu a
enlevé ses biens? O Dieu! que vous ai-je fait? Pourquoi m’ôter mes biens pour
les donner à d’autres? Vous les donnez à des méchants, et les enlevez à vos
serviteurs, C’est accuser Dieu d’injustice et faire valoir votre justice. Au
contraire, accuse-toi, et bénis Dieu. Tu auras le coeur droit quand tu béniras
Dieu des biens qu’il t’aura faits, sans l’aimer moins dans les maux qu’il faut
supporter. C’est là invoquer Dieu en vérité. Dieu exauce tous ceux qui l’invoquent
de la sorte:
«Il est proche», c’est-à-dire qu’il est là,
bien qu’il ne t’ait pas donné encore ce que tu désires. Un médecin met
quelquefois sur les yeux ou sur les entrailles, tel emplâtre qui ne guérit
qu’en brûlant. Que le malade le supplie de l’enlever, le médecin attendra le
moment, loin de se plier à la volonté du malade; et toutefois il ne l’abandonne
point. Il est près de lui sans lui complaire, et lui complaît d’autant moins
qu’il est plus près de le guérir. C’est pour le guérir qu’il a mis l’emplâtre,
pour le guérir encore qu’il ne fait point ce que voudrait ce malade. Dieu ne
t’exauce point dans ton désir actuel, afin de
1. Matth. V, 6. — 2. Job, I, 21.
te donner la santé pour l’avenir; et en cela
il fait aussi ta volonté. Car un malade qui ne veut rien de brûlant, veut
néanmoins la santé. « Le Seigneur est donc près de tous ceux qui l’invoquent».
Mais comment de tous? « De tous ceux qui l’invoquent dans la vérité ». Il
soutient, quand ils chancellent, « ceux qui l’invoquent dans la vérité ».
23. « Il fera la volonté de ceux qui le
craignent ». Il fera leur volonté; oui, il la fera; s’il ne la fait pas
maintenant, il la fera un jour. Si tu crains Dieu au point de faire sa volonté,
voilà qu’à son tour il devient ton serviteur, et fait ta volonté. « Il exaucera
leurs prières, et les sauvera 1». Ainsi en est-il du médecin qui exauce,
puisqu’il sauve. Quand le Seigneur en agira-t-il ainsi? Ecoute un mot de
l’Apôtre: « C’est l’espérance qui nous sauve; or, l’espérance que l’on voit
n’est plus une espérance; et si nous ne voyons point ce que nous espérons, nous
l’attendons par la patience 2 »; et ce que nous attendons, c’est le salut, qui
est sur le point d’être révélé au dernier jour, comme nous l’apprend saint
Pierre 3.
24. « Le Seigneur garde tous ceux qui
l’aiment, et il perdra les pécheurs ». Vous voyez en Dieu et une sévérité et
une douceur inexprimables. Il sauve tous ceux qui espèrent
1. Ps. CXLIV, 19. — 2. Rom. VIII, 24, 25. —
3. I Pierre, I, 5.
en lui, tous ceux qui le craignent, tous ceux qui l’invoquent dans la
vérité: « Et il perdra les pécheurs 1». Quels sont tous ces pécheurs, sinon
tous ceux qui persévèrent dans le péché, qui osent bien s’en prendre, non point
à eux-mêmes, mais à Dieu, qui disputent continuellement contre lui; qui
désespèrent du pardon de leurs fautes, qui les accumulent encore dans ce
désespoir, ou bien qui se flattent faussement dû pardon, et qui, dans cette
espérance funeste, ne quittent jamais, ni leurs péchés, ni leur impiété? Un
temps viendra où Dieu fera le discernement, où il en fera deux parts, une à sa
droite, et l’autre à sa gauche; où les justes recevront le royaume éternel, et
les méchants le feu éternel 2. « Il perdra tous les pécheurs ».
25. Puisqu’il en èst ainsi, mes frères, et que
nous venons d’entendre la bénédiction du Seigneur, les oeuvres du Seigneur, les
merveilles du Seigneur, les miséricordes du Seigneur, les sévérités du
Seigneur, sa providence dans toutes ses oeuvres, la confession glorieuse qui
monte vers lui de toutes parts; écoutez comment le Psalmiste conclut à la
g1oire de Dieu: « Ma bouche publiera les louanges du Seigneur; que toute chair
bénisse son saint nom dans les siècles, et dans les siècles des siècles 3 ».
1.
Ps. CXLIV, 20. — 2. Matth. XXV, 32, 33, 46. — 3. Ps. CXLIV, 21.
Ici-bas
notre âme s’efforce de s’élever à Dieu qui est descendu jusqu’à elle. — Bénis le Seigneur,
ô mon âme. La joie est proposée ainsi à
l’âme dans le trouble; et l’interlocuteur n’est pas le corps, qui ne saurait
donner un conseil, et qui est corruptible et inférieur à l’âme, celle-ci
fût-elle souillée, comme le plomb le plus net est inférieur à l’or le plus
maculé. C’est donc la partie supérieure, qui s’adresse à la partie inférieure,
troublée par son attachement aux créatures, tandis que l’âme a besoin de
s’attacher à Dieu afin qu’il la dirige, comme elle-même dirige le corps.
Je
bénirai le Seigneur pendant ma vie, ou dans la terre des vivants, alors que le
Seigneur sera notre héritage. Ici-bas nous passons, allant à une destination
bien différente, comme le riche et Lazare; mais dans la maison du Seigneur,
nous le bénirons éternellement. Dieu seul doit être notre appui, et non les
hommes qui ne sauraient sauver, encore moins les hérétiques se vantant de
donner le salut. L’esprit s’en ira, et ils retourneront dans la terre avec
leurs pensées. Bienheureux celui qui a pour appui le Dieu de Jacob, qui le fait
Israël; il est à nous par le culte que nous lui rendons et par te soin qu’il prend
de nous sans l’un ou sans l’autre l’homme est stérile. Mais Dieu prend-il soin
des hommes? Oui, parce qu’il est le créateur de tout, et même du moindre
insecte, et de plus qu’il sauvera les hommes et les animaux. Toutefois, selon
l’Apôtre, il n’a aucun soin des bœufs; mais c’est en ce sens qu’il ne donne pas
des préceptes qui les concernent. L’Evangile nous dit que Dieu pourvoit à la
subsistance des animaux. Nulle part on ne voit qu’il leur ait donné des
préceptes, tandis que l’on voit que le moindre passereau ne tombera pas sans la
volonté de Dieu, pas plus qu’un cheveu de notre tête.
C’est
Dieu qui garde la vérité, qui rend justice à ceux que l’on opprime,
c’est-à-dire à ceux qui souffrent pour la justice, et non à cause du mat qu’ils
ont fait. Ainsi les hérétiques se plaignent des lois portées contre eux; qu’ils
considèrent leurs oeuvres qu’ils voient si elles sont justes. L’Evangile
n’assigne pas le bonheur à ceux qui souffrent, mais à ceux qui souffrent pour
la justice. Or, l’Eglise souffre pour la justice, elle qui doit vivre parmi ces
scandales; mais il n’en est pas ainsi des hérétiques persuadant aux hommes de
nier qu’ils soient chrétiens, les conduisant à l’apostasie, et se prétendant
justes.
Dans
les ministres de l’Eglise, ne nous inquiétons pas de la sainteté de l’homme;
c’est Dieu qui donne la nourriture, et à tous ceux qui ont faim et soif de la
justice. C’est lui qui délie les captifs et non les hérétiques, lui qui donne
la sagesse aux aveugles. Cette captivité est celle du corps, dont Dieu nous
délivrera en le rendant immortel. C’est pour ceux que le péché fait tomber que
le Christ est descendu, lui qui aime les justes, les étrangers qui viennent
dans le giron de l’Eglise il soutient la veuve ou l’Eglise sans époux en cette
vie, et l’orphelin on le chrétien détaché de tout ce qui est ici-bas; il
confond la voie des impies, ou la voie large de ceux qui ne connaissent que les
jouissances terrestres, et donne aux justes le royaume éternel.
1. Les divins cantiques font les délices de
notre esprit; les larmes qu’ils font couler ne sont pas sans joie. Un chrétien
fidèle, étranger au monde, n’a pas de plus agréable souvenir quecelui de cette
cité dont il est banni; mais ce n’est ni sans douleur, ni sans soupir, que dans
l’exil on se souvient de la patrie. Toutefois, l’espoir d’y retourner nous
encourage et adoucit la douleur du bannissement. Que ces paroles divines
s’emparent de votre coeur; que celui qui vous possède s’empare de son héritage
ou de vos âmes, de peur qu’elles ne se détournent vers d’autres objets. Que
chacun de vous soit ici tout entier, et non là; c’est-à-dire tout entier dans
cette parole, qui retentit sur la terre, afin que cette parole élève notre
coeur, et qu’il ne soit plus ici-bas. Car Dieu est avec nous, afin que nous
soyons avec lui. Celui, en effet, qui est descendu jusqu’à nous, pour être avec
nous, nous élève, afin que nous demeurions avec lui. C’est pour cela qu’il n’a
point dédaigné notre exil, parce que Celui qui a tout créé n’est nulle part
étranger.
2. Vous venez d’entendre un psaume; c’est la
voix de quelqu’un, la vôtre si vous le voulez, une voix qui exhorte l’âme à
louer Dieu, et qui se dit: « Bénis le Seigneur, ô mon âme ». Souvent, en effet,
dans les peines de cette vie, dans les épreuves, votre âme se trouble en dépit de
vos efforts; et c’est à cause de ce trouble que nous lisons dans un autre
psaume « Pourquoi tant de tristesse, ô mon âme, et pourquoi me troubler? » Or,
afin de calmer ce trouble, voilà que le Prophète lui propose une joie non point
encore en réalité, mais en espérance; et à cette âme pleine de trouble,
d’anxiété, de tristesse, de chagrin, il dit: « Espérez dans le Seigneur, car je
le confesserai encore 2 ». II place dans la confession cette espérance qui le
1. Ps. CXLV, 2. — 2. Id. XLII, 5.
relève, comme si cette âme qui le troublait
par sa tristesse lui disait: Pourquoi me faire espérer dans le Seigneur? la
conscience que j’ai de mes fautes m’en détourne; je sais le mal que j’ai fait,
et tu me dis: «Espère dans le Seigneur». Tu as péché, il est vrai; sur quoi
néanmoins baser ton espérance? C’est que je « le confesserai ». De même que
Dieu hait le pécheur qui défend ses péchés, de même il aide celui qui les
confesse. C’est donc cette espérance, et elle ne saurait être sans joie, bien
que dans les difficultés de cette vie pleine d’orages et de tempêtes; c’est,
dis-je, cette espérance qui relève notre âme, et qui lui donne la joie, comme
l’a dit l’Apôtre: « Soyez pleins de joie dans l’espérance, et patients dans vos
maux ». Elle se relève donc pour louer le Seigneur, et on lui dit: « Bénis le
Seigneur, ô mon âme ».
3. Mais quel est l’interlocuteur, et à qui
s’adresse-t-il? Que dirons-nous, mes frères? Est-ce la chair qui dit: « Bénis
le Seigneur, « Ô mon âme? » La chair peut-elle donner à l’âme un conseil aussi
salutaire? Quelque soumise qu’elle soit, à quelque servitude que nous l’ayons
réduite par les forces qui nous viennent de Dieu; dût-elle nous obéir comme
l’esclave le plus docile; c’est beaucoup déjà qu’elle ne nous soit point un
obstacle. Ensuite, mes frères, on ne demande conseil qu’aux plus parfaits.
Notre âme est bonne sans doute, notre chair est bonne, puisque l’une et l’autre
sont l’ouvrage de celui qui a bien t’ait toutes choses 2. Quoique ces deux
substances soient bonnes chacune en son genre, l’Apôtre a dit néanmoins: « Le
corps est mort à cause du péché 3 ». Sans doute ce corps sera tel un jour que
Dieu nous l’a promis; mais il ne l’est pas encore, et nous nous réjouissons
dans l’espérance qu’un jour il sera racheté, selon cette parole de l’Apôtre: «
Nous gémissons en nous-mêmes, dans l’attente de l’adoption, qui sera la
délivrance de notre corps. Car nous sommes sauvés par l’espérance. Mais
l’espérance qui verrait ne serait plus l’espérance; comment espérer ce que l’on
voit? Si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons par la
patience 4». Bien que notre corps soit bon en lui-même; néanmoins, tant qu’il
est mortel à cause du péché, tant qu’il est dans l’indigence, tant qu’il est
assujetti à la corruption et au
1.
Rom. XIII, 12.— 2. Gen. I,31.— 3. Rom. VIII, 10.— 4. Id. 23-25.
changement, de manière à n’avoir en lui-même
aucune consistance, assurément nous avons lieu d’en désirer la rédemption, qui
le tirera de cette misère. Mais comment doit-il être un jour? Tel que l’Apôtre
nous l’adit quelque part: « Il faut que ce corps corruptible soit revêtu d’in
corruption, et que ce corps mortel soit revêtu d’immortalité 1». Mais notre
corps fût-il déjà un corps céleste et spirituel, un corps angélique et dans la
société des anges, il ne pourrait même, en cet état, donner des avis à notre
âme. Car le corps, dès lors qu’il est corps, est inférieur à l’âme, et l’âme la
plus vile est toujours supérieure au corps le plus excellent.
4. Ne vous étonnez point qu’une âme vile et
pécheresse soit toujours préférable au corps le plus parfait, le plus accompli;
non point par son mérite, maïs par sa nature. Sans doute l’âme pécheresse a
toujours quelque souillure par ses désirs déréglés; et néanmoins l’or, fût-il
souillé, est toujours plus précieux que le plomb le plus pur. Que votre esprit
passe en revue toutes les créatures, et vous ne trouverez pas incroyable que
l’âme la plus vile soit plus précieuse que le corps le plus excellent. L’âme et
le corps sont bien différents; j’ai un reproche pour l’âme, un éloge pour le
corps; un reproche pour l’âme qui est dans l’injustice, un éloge pour le corps
qui est vigoureux. Et toutefois, dans son genre, je puis louer ou blâmer l’âme,
comme je puis blâmer ou louer le corps. Si vous me demandez quel est le
meilleur, ou ce que j’ai blâmé, ou ce que j’ai loué, ma réponse vous étonnera.
Assurément j’ai blâmé l’un, j’ai loué l’autre; et quand on me demande quel est
le meilleur, je réponds: Ce que j’ai blâmé est préférable à ce que j’ai loué.
Si ma réponse te surprend, souviens-toi de ce que j’ai dit à propos du plomb et
de l’or. J’ai blâmé l’or il n’est pas bon, il est souillé, il n’est ni brillant
ni épuré; ce plomb est très bon, rien de plus net. J’ai blâmé l’un, j’ai loué
l’autre; je les mets sous tes yeux, blâmant l’un et louant l’autre. Mais après
ce reproche et cette louange, situ me demandes quel est le meilleur, je
répondrai l’or le moins pur est préférable au plomb le plus net. Comment
préférable? Pourquoi le blâmer dès lors? Pourquoi l’ai-je blâmé? Parce que cet
or n’est point ce qu’il peut être. Que peut-il
1. I Cor. XV, 53.
être? Epuré, bien supérieur. Je l’ai blâmé
parce qu’il n’est point encore épuré. Pourquoi ai-je loué le plomb? Parce qu’il
est épuré au point de ne pouvoir devenir meilleur. Tu dis de même d’un cheval,
qu’il est excellent, d’un homme qu’il est très-mauvais; et néanmoins tu
préfères l’homme que tu méprises au cheval que tu estimes. Qu’on vienne à te
demander quel est le meilleur des deux, tu répondras: L’homme, non par ses
mérites, mais par sa nature. Il en est de même des professions. Tu diras: un
excellent savetier, par exemple, et tu blâmeras un jurisconsulte, parce que
beaucoup de lois lui échappent; te voilà donc louant un savetier, blâmant un
légiste, et néanmoins, qu’on te demande celui qui est supérieur, tu préféreras
le légiste, tout imparfait qu’il soit, au plus habile savetier. Que votre
charité veuille bien m’écouter. Très-souvent, après avoir beaucoup Joué d’une
part, et beaucoup blâmé d’autre part, nous préférons encore ce que nous avons
blâmé à ce que nous avons loué. La nature de l’âme est bien supérieure à la
nature du corps, elle est plus excellente, elle est spirituelle, incorporelle;
elle touche à la substance de Dieu. C’est quelque chose d’invisible, qui régit
notre corps, met les membres en mouvement, applique les sens, forme les
pensées, produit les actions, reçoit une infinité d’images; et qui pourrait,
mes frères bien-aimés, louer l’âme suffisamment? Et si l’on se trouve lourd en
faisant l’éloge de l’âme, qui pourra suffire à louer l’auteur de l’âme? Telle
est néanmoins la grâce de Dieu, que notre interlocuteur s’écrie: « Bénis le
Seigneur, ô mon âme ». Qui pourrait louer Dieu? S’il disait: Chante, ô mon âme,
tes propres louanges; peut-être ne trouverait-elle pas assez de paroles. «
Bénis Dieu », lui dit-il. Cherche dans la ferveur de ta piété; lu n’auras point
assez de louanges. Mieux vaut succomber en louant Dieu, que te louer avec
avantage. Dès qu’on loue Dieu, sans expliquer ce que l’on voudrait, la pensée
s’avance toujours dans les régions intérieures, et cette ampleur de pensée te
rend plus capable de recevoir celui que tu bénis.
5. Qui donc, ainsi que j’avais commencé à le
dire, quel interlocuteur vient nous dire s Bénis le Seigneur, ô mon âme? » Ce
n’est point la chair. Car un corps, fût-il angélique, est inférieur à l’âme et
ne saurait donner des conseils à ce qui est supérieur. L’âme serait bien
malheureuse, si elle attendait un conseil du corps. La chair a raison d’obéir,
elle est pour l’âme une servante: c’est l’âme qui commande, la chair qui obéit,
l’âme qui conduit, la chair qui se laisse conduire; comment la chair
pourrait-elle donner à l’âme un conseil? Qui donc nous dit ici: « Bénis le
Seigneur, ô mon âme? » Après la chair et l’âme nous ne trouvons plus rien dans
l’homme: tout homme n’est que cela, une âme et un corps. Serait-ce l’âme qui se
tiendrait ce langage, qui se parlerait à elle-même, qui s’exhorterait et
s’exciterait de la sorte? Une partie d’elle-même était dans le trouble et dans
la fluctuation; mais l’autre partie, que l’on nomme l’âme raisonnable, qui
s’occupe de la sagesse, qui s’attache à Dieu, soupire vers lui, voyant que dans
sa partie inférieure elle est troublée par des mouvements charnels, et forcée
par les désirs terrestres de se répandre à l’extérieur, et d’abandonner Dieu
intérieurement, elle revient d’elle-même du dehors au dedans, de ce qui est
moindre à ce qui est supérieur, de ce qui est bas à ce qui est plus relevé, et
elle s’écrie: « Bénis le Seigneur, ô mon âme ». Quelles délices trouverais-tu
dans ce monde? Qu’y vois-tu de louable ou d’aimable? Que pourrais-tu y aimer?
Quelque part que se tournent les sens de ton corps, tu vois le ciel, tu vois la
terre; ce que tu aimes sur la terre est terrestre, ce que tu aimes dans le ciel
est céleste. Partout quelque chose à aimer, partout quelque chose à louer; mais
combien est plus louable encore celui qui a fait tout ce que relèvent tes
louanges! Il y a longtemps déjà que tu vis dans ces préoccupations, que ces
désirs si variés t’ont blessée, t’ont meurtrie; partagée entre lant d’amours,
tu es partout inquiète, jamais en assurance: recueille-toi en toi-même, et si
quelque chose te plaît au dehors, cherche quel en est l’auteur. Rien ne te
paraît plus beau sur la terre que l’or et l’argent, par exemple, que les
animaux, que les arbres, que les campagnes; parcours ainsi toute la terre. Mais
dans le ciel, quoi de plus beau que le soleil, la Lune, les astres? Parcours
ainsi tout le ciel: assurément tout cela est d’une beauté supérieure, car tout
ce que Dieu a fait est très-bon 1. Partout la beauté de l’oeuvre te prêche la
beauté de l’ouvrier. Tu
1. Gen. I, 31.
admires l’édifice, aimes-en l’architecte. Ne
te laisse pas absorber par l’oeuvre, au point d’en oublier l’auteur. Ce qui
t’absorbe à ce point, il l’a mis au-dessous de toi, parce que c’est
-toi qu’il a fait au-dessous de lui-même.
Nous attacher à ce qui est en liant, c’est fouler aux pieds ce qui est
inférieur; te séparer de ce qui est en haut, c’est faire de tout le reste un
supplice tour toi. C’est ce qui est arrivé, mes frères. L’homme a reçu un corps
qui devait le servir: il devait avoir Dieu pour maître, le corps pour
serviteur; au-dessus de lui le Créateur, au-dessous ce qu’il a créé; l’âme
raisonnable placée au milieu reçut pour loi de s’attacher à ce qui est en haut,
de régir ce qui est en bas. Mais elle ne saurait conduire ce qui est au-dessous
d’elle, si elle-même n’est dirigée par ce qui lui est supérieur. Qu’elle
abandonne ce qui est meilleur, et l’inférieur l’entraîne. Elle ne peut gouverner
ce qu’elle gouvernait, parce qu’elle n’a point voulu se laisser conduire par
son véritable guide. Qu’elle revienne donc et le bénisse. Eclairée par la
lumière de Dieu, dans cette partie d’elle-même qui est raisonnable, et par où
lui vient le conseil, l’âme se donne un conseil appuyé sur l’éternité de son
auteur. Elle lit en Dieu quelque chose que l’on doit et craindre, et louer, et
aimer, et désirer, et saisir, sans le tenir encore, sans l’avoir saisi; elle
est enchaînée sous le coup d’un éclair, et n’est point assez forte pour y
demeurer. Elle se recueille donc comme pour recouvrer la santé, et s’écrie: «
Bénis le Seigneur, ô mon âme».
6. Quoi donc, mes frères? ne louons-nous pas
le Seigneur? Ne lui chantons-nous pas chaque jour des hymnes? Chaque jour, autant
qu’il est en nous, les louanges de Dieu ne s’échappent-elles point de nos
bouches et de nos coeurs? Et qu’est-ce que nous louons? Ce qui est infiniment
grand, comme est bien faible tout moyen de le louer. Comment le panégyriste
peut-il atteindre dans sa hauteur celui qu’il veut chanter? Un homme s’en vient
devant Dieu, il chante longtemps, le mouvement est sur ses lèvres, mais ses
pensées voltigent de désirs en désirs Notre esprit est donc là pour louer Dieu
à sa façon, tandis que l’âme, tiraillée par une foute de désirs, de soins et
d’affaires, est dans l’agitation. L’esprit ou cette partie supérieure de l’âme,
la voit dans cette fluctuation, et pour la détourner de ces inquiétudes
fâcheuses, lui dit: « Bénis le Seigneur, ô mon âme». A quoi bon ces autres
sollicitudes? Pourquoi te laisser absorber par le soin de ces choses
terrestres? Debout avec moi, et bénis le Seigneur. Mais l’âme appesantie,
incapable d’une attitude ferme et digne, répond à l’esprit « Je louerai le
Seigneur pendant ma vie ». Qu’est-ce à dire, pendant ma vie? C’est parce que je
suis dans une véritable mort. Commence donc par exhorter ton âme: « Bénis le
Seigneur, ô mon âme ». Et ton âme te répondra: Je le fais autant que je puis,
mais faiblement, mais avec langueur, avec inconstance. Pourquoi? C’est que «
nous sommes loin du Seigneur, tant que nous sommes en cette vie 1». Pourquoi
louer ainsi Dieu, d’une manière si imparfaite, si inconstante? Interroge
l’Ecriture: « C’est que le corps corruptible appesantit l’âme, et que cette
habitation terrestre abat l’esprit capable des plus hautes pensées 2 ».
Délivrez-moi de ce corps qui appesantit l’âme, et je louerai le Seigneur;
délivrez-moi de cette habitation terrestre qui abat l’esprit capable des plus
hautes pensées, afin que de cette multitude je passe à une seule, qui sera de
louer Dieu; mais dans l’état où je suis, ma langueur m’en empêche. Quoi donc?
Te faudra-t-il garder le silence, et ne jamais louer le Seigneur parfaitement?
« Je louerai le Seigneur pendant ma vie».
7. Qu’est-ce à dire, « pendant ma vie? ».Vous
êtes ici-bas mon espérance. C’est ici que vous êtes mon espérance, disons-nous
à Dieu; quant à devenir mon héritage, ce n’est point ici-bas, mais dans la
terre des vivants; et la terre que nous habitons est la terre des mourants 3.
Nous sommes ici-bas de passage, l’in. portant c’est le terme où nous allons.
Ici-bas, en effet, le méchant est un passager, comme le juste est un passager.
Car nous ne voyons point que le juste passe, tandis que le méchant demeure, ou
que le méchant passe, tandis que le juste demeure; ils passent tous deux, mais
non pour la même destination. Ils étaient bien deux, ce pauvre, couvert
d’ulcères, couché à la porte du riche, et ce riche vêtu de pourpre et de fin
lin, qui faisait chaque jour bonne chère. Ils étaient ici-bas tous deux,
passaient tous deux par ici-bas, mais n’allaient point au même lieu; ils ont
une destination différente, où les conduisent des
1. II Cor. V, 6. — 2. Sag. IX, 15 — 3. Ps.
CXLI, 6.
mérites bien différents. Le pauvre passa de
la terre au sein d’Abraham, et le riche dans les tourments de l’enfer. Ils sont
rapprochés sur la terre, l’un dans sa maison, l’autre devant sa porte, et la
mort les a tellement séparés, qu’Abraham dit au riche: « Entre vous et nous, un
immense abîme est éternel 1». Donc, mes frères, puisque c’est l’espérance qui
est ici-bas notre nourriture, et que nous n’avons de vie parfaite que celle qui
nous est promise; ici-bas, les gémissements; ici-bas, les épreuves et les
angoisses; ici-bas, les chagrins et les dangers; notre âme louera le Seigneur
comme il doit être loué quand s’accomplira celte parole d’un autre psaume: «
Bienheureux ceux qui habitent votre mai son, ils vous loueront dans les siècles
des siècles 2 »; lorsque tout consistera pour nous à louer Dieu. Mais quand
cela s’accomplira-t-il? « Dans ma vie ». Qu’avons-nous, en effet, maintenant?
Le Prophète pourrait l’appeler ma mort. Pourquoi ta mort? Parce que je suis
éloigné du Seigneur. Si ma vie consiste à m’attacher à lui, m’en séparer c’est
la mort. Mais d’où te vient ta consolation? De l’espérance. C’est donc
l’espérance qui fait ta vie; que l’espérance te porte à louer Dieu, te porte à
le chanter. Ne chante point ce qui te fait mourir, chante ce qui te fait vivre.
La mort te vient des afflictions de ce monde, et la vie de l’espérance du
siècle futur. « Je louerai le Seigneur pendant ma vie », est-il dit.
8. Et comment loueras-tu ton Seigneur? « Je
chanterai des psaumes à Dieu, tant que je suis ». Quelle est cette louange: «
Tant que je suis je chanterai au Seigneur? »Voyez, mes frères, ce que nous
serons alors c’est être toujours, que louer toujours. Voilà que tu es
aujourd’hui; est-ce ton Dieu que tu bénis tant que tu es?Voilà que tu chantais;
mais une affaire t’a détourné, tu ne chantes plus, et tu es néanmoins; tu es
donc, mais sans chanter. Peut-être même la convoitise a-t-elle incliné ton
coeur vers quelque objet, et tu offenses l’oreille de ton Dieu, loin de chanter
ses louanges: et tu es cependant. Quelle sera donc cette louange que tu
offriras à Dieu, dès lors que tu le béniras tant que tu seras? Mais qu’est-ce à
dire: « Tant que je suis? » Est-ce qu’un jour le Prophète ne sera plus? Point
du tout; il sera dans une
1. Luc, XVI, 19-26. — 2. Ps. LXXIII, 5.
éternelle durée, et dès lors dans une durée véritable.
Une durée qui finit dans le temps, tant qu’on la prolonge, n’est pas une longue
durée. « Je chanterai mon Dieu, tant que je suis».
9. Jusque-là, c’est bien. Tu béniras le
Seigneur pendant ta vie; tant que tu es ici-bas, tu chanteras ton avenir en
Dieu. C’est bien attends de lui ce qui peut donner la confiance. Que
l’espérance ne vous abandonne point dans ce lieu d’exil et d’épreuves, dans ces
pièges et ces perfidies de notre ennemi, dans ces épreuves que le monde soulève
comme des orages, dans ces labeurs et ces amertumes qui nous environnent de
toutes parts. Que ferons-nous donc? Ecoute ce qui suit: « Ne mettez point votre
confiance dans les princes ». Voilà, mes frères, une parole importante, c’est
une parole divine, et qui vient d’en haut. Ici-bas, en effet, a’i milieu de nos
faiblesses, l’âme, en butte à la tribulation, en vient à désespérer de Dieu et
cherche à s’appuyer sur les hommes. Disons à l’homme que poursuit le malheur:
Il est un homme puissant qui pourrait vous délivrer; le voilà qui sourit, qui
tressaille, qui se. redresse. Dites-lui: Voilà que Dieu va vous délivrer; et le
voilà glacé par le désespoir. Le secours d’un mortel que l’on te promet te fait
tressaillir de joie, et le secours de l’immortel t’attristera? On te promet la
délivrance par celui qui a besoin d’être délivré, et lu en ressens de la joie
comme d’un grand secours; on te promet le secours de Celui qui est le
libérateur, qui n’a aucun besoin de délivrance, et cette promesse te parait une
fable. Malheur à ces pensées injustes, qui nous éloignent de Dieu, pensées qui
sont la désolation, la mort la plus épouvantable. Approche donc, ô mon frère,
commence à désirer, commence à chercher, commence à connaître celui qui t’a
fait. Il n’abandonnera point son oeuvre, si son oeuvre ne l’abandonne point.
Tourne- toi donc vers ce Dieu à qui tu as dit: « Je louerai le Seigneur pendant
ma vie, je chanterai le Seigneur tant que je suis». Plein de l’esprit d’en
haut, le Prophète nous avertit; et comme on ferait à des hommes éloignés, à des
hommes égarés, et qui, loin de vouloir bénir le Seigneur, ne veulent même point
espérer en lui, le Prophète nous crie: « Ne mettez point votre confiance dans
les princes, dans les enfants des hommes, en qui n’est point le (248) salut 1».
Le salut n’est que dans le Fils de l’homme, et non parce qu’il est fils de
l’homme, mais parce qu’il est le Fils de Dieu; non parce qu’il a pris de toi,
mais parce qu’il a conservé en lui-même. Nul homme donc n’a le salut, puisque
le salut est dans le fils de l’homme précisément parce qu’il est « Dieu, et
Dieu béni dans tous les siècles ».Il est dit du Christ qu’il est né d’eux selon
la chair 2. De qui? Des Juifs; c’est de nos pères que le Christ est né selon la
chair. Mais cequi est né selon la chair, est-ce là tout le Christ? Non, car ce
n’est point selon la chair qu’il est par-dessus tout le Dieu béni dans tous les
siècles. C’est pour cela qu’il est le salut, puisque le salut appartient au
Seigneur. Nous lisons, en effet, dans un autre psaume: « Le salut vient du
Seigneur, et votre bénédiction sera sur votre peuple 3 ». C’est donc vainement
que les hommes s’attribuent le pouvoir de sauver. Qu’ils se sauvent, s’ils le
peuvent. Réponds à cet orgueilleux: Dire que tu me donneras le salut, c’est te
glorifier; commence par te sauver, et vois si le salut est en toi. En
considérant avec attention ta propre faiblesse, tu vois que tu ne l’as pas
encore. Ne dis donc plus que j’aie à l’attendre de loi, mais, plutôt, attends
avec moi ce salut. « Ne mettez point votre confiance dans les princes, et dans
les fils des hommes, en qui n’est pas le salut». Voici venir, je ne sais d’où,
certains princes qui nous disent: Moi je baptise, et tout ce que je donnerai,
c’est ce qui est saint; ce que vous avez reçu d’un autre n’est rien, ce qui
vient de moi, au contraire, est quelque chose. O homme, ô prince, veux-tu être
de ces enfants des hommes, de ces princes en qui n’est pas le salut? J’ai donc
le salut, précisément parce que c’est toi qui me le donnes? Ce que tu donnes
est-il à toi? Et même est-ce bien toi qui le donnes? Peut-on même dire que tu
le donnes? Que le canal dise alors que c’est lui qui donne l’eau; que le tuyau
dise que c’est lui-même qui coule; que le héraut dise que c’est lui qui fait
grâce. Pour moi, dans l’eau j’envisage la source, et dans la voix du héraut je
reconnais le juge. Tu ne seras donc point l’auteur de mon salut. Il le sera,
celui qui me donne pleine assurance; et je ne suis point sûr de toi. Et si tu
n’es orgueilleux, je ne suis point seul pour douter de toi, tu en doutes avec
moi.
1. Ps. CXLV, 3. — 2. Rom. IX, 5. — 3. Ps.
III, 9.
Donc le salut me vient de celui qui est
pardessus tout, puisque le salut vient du Seigneur. Toi, je te rencontre parmi
les enfants des hommes, parmi les princes, et j’entends la voix du psaume: « Ne
mettez point votre confiance dans les princes, dans les fils des hommes, en qui
n’est point le salut ».
10. Qu’appelle-t-on vulgairement les enfants
des hommes? Veux-tu le savoir? « Son esprit s’en ira, et la chair retournera
dans sa terre 1 ». Voilà tout ce que dit la chair, sans savoir combien de temps
elle parlera: elle menace et ne sait combien elle vivra. Son esprit s’en ira
subitement, et élle retournera dans sa terre. Mais son esprit s’en ira-t-il
comme il le voudra? Il s’en ira, et même s’en ira quand il ne le voudra point,
et dans un temps qu’il ignore retournera dans sa terre. Quand l’âme s’en ira,
la chair retournera dans la terre. Mais parce que c’était la chair qui parlait
de la sorte (Pour dire en effet: Comptez sur moi, c’est moi qui vous donne, il
n’y a que des hommes dont il est dit: « Ils sont chair »), « voilà que l’esprit
sortira, et « elle retournera dans la poussière; en ce « jour périront toutes
ses pensées o. Qu’est devenue cette enflure? Qu’est devenu cet orgueil? Où est
cette jactance? Peut-être cet homme est-il au lieu du bonheur, avec les justes,
si tant est qu’il soit passé. Car je ne sais où sera passé celui qui parle de
la sorte. C’est l’orgueil qui parle de la sorte, et je ne sais où vont ces
hommes, à moins qu’en jetant les yeux sur un autre psaume je ne voie pour eux
un passage funeste. « J’ai vu « l’impie élevé plus haut que les cèdres du
Liban, et j’ai passé, et voilà qu’il n’était plus, et je l’ai cherché, et sa
place ne s’est e plus trouvée 2 ». Cet homme juste qui a passé, sans trouver
l’impie, est donc arrivé où l’impie n’était point. Ecoutons donc tous, mes
frères, écoutons, mes bien-aimés en Dieu. Quelles que soient nos tribulations,
quel que soit notre désir de la grâce divine, gardons-nous de mettre notre
confiance dans les princes, ou dans les fils des hommes, en qui n’est pas le
salut. Tout cela est mortel, tout cela passe et doit finir, « Son esprit s’en
ira, et il retournera dans sa terre: en ce jour périront toute ses pensées ».
11. Que faire donc, si nous ne devons espérer
ni dans les fils des hommes, ni dans
1. Ps. CXLV, 4. — 2. Id. XXXVI, 35, 36.
les princes? Que faire? « Bienheureux celui
dont le Dieu de Jacob est le soutien 1». Heureux donc, non pas tel ou tel
homme, non pas tel ou tel ange, mais celui qui a pour soutien le Dieu de Jacob:
parce qu’il soutint Jacob au point d’en faire Israël. Secours éclatant! car
Israël voit Dieu. Donc au milieu du pèlerinage de cette vie, si tu as pour
soutien le Dieu de Jacob, tu deviendras Israël et tu seras le voyant de Dieu;
alors il n’aura plus ni labeur, ni gémissement, aux cuisantes inquiétudes
succéderont les saintes louanges. « Bienheureux celui qui a pour soutien le
Dieu de Jacob », et de ce même Jacob. Pourquoi ce bonheur? Il gémit quelque
temps encore ici-bas; mais « son espérance est dans le Seigneur son Dieu ».
Celui en qui est maintenant son espérance, sera un jour pour lui son bien.
Est-ce me tromper, mes frères, que dire que Dieu sera un jour notre bien? Ne
pourrais-je pas dire qu’il sera notre héritage? « Vous êtes mon espérance, ma
portion dans la terre des vivants 2 ». Vous serez donc mon partage, Seigneur;
vous serez ma possession, et vous ne posséderez. Tu seras, ô mon frère, la
possession de Dieu, et Dieu sera la tienne. Tu semas sa portion, afin qu’il te
cultive, et il sera la portion pour le cultiver. Tu cultives le Seigneur en
effet, et il daigne te cultiver. Je rends mon culte à Dieu, disons-nous, et
l’on nous comprend. Mais comment Dieu peut-il ne cultiver? Nous lisons dans
l’Apôtre: « Vous êtes le champ que Dieu cultive, l’édifice qu’il bâtit 3 ». Et
le Seigneur: « Je suis la vigne, vous êtes les sarments, et mon Père est le
vigneron 4 ». Le Seigneur donc te cultive pour te faire porter du fruit, et tu
offres ton culte à Dieu, pour porter aussi du fruit. Que Dieu te cultive, c’est
un avantage pour toi, et que tu offres ton culte à Dieu, c’est encore un
avantage. Que Dieu cesse de cultiver l’homme, et l’homme est un champ stérile;
que l’homme cesse de cultiver Dieu, c’est encore l’homme qui est désert. Dieu
ne tire aucun accroissement de ton culte, ne perd rien de ton abandon. Il sera
donc notre possession, afin de nous alimenter; et nous serons son héritage,
afin qu’il nous gouverne.
12. « Son espérance est dans le Seigneur son
Dieu ». Qu’est-ce que ce Seigneur son
1.
Ps. CXLV, 5. — 2. Id. CXLI, 6. — 3. I Cor. III, 9. — 4. Jean, XV, I, 5
Dieu? Ecoutez, mes frères. Il en est beaucoup
qui ont plusieurs dieux, et qu’ils appellent leurs maîtres, leurs dieux. Mais,
dit l’Apôtre, « Bien qu’il y en ait beaucoup que l’on nomme dieux, soit dans le
ciel, soit sur la terre, et qu’il y ait ainsi plusieurs dieux et plusieurs
seigneurs, néanmoins il n’y a pour nous qu’un seul Dieu, le Père, d’où
procèdent toutes choses, et un seul Seigneur, qui est Jésus-Christ, par qui
tout a été fait 1 ». Que Dieu donc soit ton espérance, qu’il soit ton Dieu, que
ton espoir soit en lui. Il a mis également sa confiance dans son Seigneur et
son Dieu, celui qui adore Saturne; il a mis son espoir dans son Seigneur et son
Dieu, celui qui adore Mars, ou Neptune, ou Mercure; que dis-je? qui adore son
ventre, et dont il est dit: « Leur dieu c’est le ventre 2 ». Tel est donc le
dieu de l’un et tel le dieu de l’autre. Mais quel est le Dieu de celui que le
Prophète appelle heureux? « Celui qui a fait le ciel et la terre et e tout ce
qui est en eux 3 ». Notre Dieu est grand, mes frères! Gloire à son saint nom,
puisqu’il a daigné faire de nous son héritage. Tu ne vois pas encore le
Seigneur, et tu ne saurais aimer pleinement ce que tu ne saurais voir encore.
Tout ce que tu vois est son ouvrage. Tu admires le monde, et pourquoi point le
Créateur du monde? Tu vois le ciel, et tu es dans l’effroi; tu considères la
terre, et tu es dans la stupeur; comment embrasser par la pensée l’étendue des
mers? Considère ces étoiles innombrables; considère ces germes si nombreux, ces
animaux si divers, et ceux qui nagent dans les eaux et ceux qui rampent sur la
terre, et ceux qui volent dans les airs, et ceux qui marquent leur passage dans
les cieux, combien tout cela est grand, est admirable, est surprenant de
beauté! Et voilà qu’il est ton Dieu, celui qui a fait tout cela. Mets en lui
ton espérance, afin d’être heureux. « Son espérance est dans le Seigneur son
Dieu ». Quel Dieu? « Celui qui a fait le ciel et la terre, et tout ce qu’ils
renferment». Combien notre Dieu est grand!
13. Voyez, mes frères, combien est grand,
combien est bon le Dieu qui fait de si grandes choses. Quelle a donc été la
pensée de Dieu, (si toutefois l’on peut dire de Dieu qu’il a pensé) quand « il
a fait le ciel et la terre, et tout ce. qui est en eux? » Tout cela est grand
1. I Cor. VIII, 5, 6. — 2. Philipp. III, 19 —
3. Ps. CXLV, 6.
sans doute, me dira l’homme, je le vois: Dieu
a fait le ciel, et la terre, et les mers. Mais quand est-ce que Dieu me compte
parmi ses oeuvres? Est-il vrai qu’il prenne soin de moi, que je sois l’objet de
ses pensées, qu’il sache même que je suis en vie? Que dis-tu, ô mon frère?
ferme ton coeur à ces funestes pensées; prends place parmi ceux dont nous
disions tout à l’heure: « Je louerai le Seigneur dans ma vie, je chanterai mon
Dieu tant que je suis ». Mais c’est à des hommes tièdes que notre interlocuteur
tient ce langage, il les stimule, il semble craindre qu’ils ne désespèrent
d’eux-mêmes, dès lors que peut-être ils ne sont point dans la pensée de Dieu.
Ils sont nombreux, en effet, ceux qui pensent de la sortent. Mais ils ne
quittent le Seigneur, ils ne s’abandonnent au courant de toutes sortes de
péchés, que par cette pensée que Dieu ne prend d’eux aucun souci. Ecoute les
saintes Ecritures, et ne désespère plus de toi-même. Celui qui a pris soin de
te faire n’aura-t-il donc plus soin de te refaire? Ton Dieu n’est-il pas celui
qui a fait le ciel et la terre? Si le Prophète n’avait rien ajouté, peut-être
pourrais-tu dire: Le Dieu qui a fait le ciel et la terre est grand sans doute;
mais sa pensée descend-elle jusqu’à moi? On te répondrait: C’est lui qui t’a
fait. Comment? Est-ce donc moi qui suis le ciel, ou moi la terre, ou moi la
mer? Il est évident que je ne suis ni le ciel, ni la terre, ni la mer; mais je
suis sur la terre. Tu es donc sur la terre, tu l’accordes du moins. Ecoute
maintenant que Dieu n’a pas fait seulement le ciel, et la terre et les mers;
car « il a fait le ciel, et la terre, et la mer, et tout ce qui les occupe ».
Si donc tout ce qui les occupe est son ouvrage, toi aussi. Dire toi, ce n’est
point assez: il a fait le passereau, la sauterelle, un vermisseau; il n’est
rien de tout cela qu’il n’ait fait, rien dont il ne prenne soin. Et ce soin n’est
point éveillé par ses lois seulement, puisqu’il n’a donné des préceptes qu’à
l’homme seul. Le Psalmiste a dit en effet: « Vous sauverez, Seigneur mon Dieu,
les hommes et les animaux, selon votre grande miséricorde 1 ». C’est donc selon
votre infinie miséricorde que vous sauverez les hommes et les bêtes. Mais
l’Apôtre ajoute: « Est-ce que Dieu prend soin des boeufs 2? ». D’une part nous
lisons donc:
1. Ps. XXXV, 7. — 2. I Cor. IX, 9.
Dieu ne prend aucun soin des boeufs; d’autre
part: « Seigneur, vous sauverez les hommes et les animaux ». Est-ce là une
contradiction? Que veut dire l’Apôtre dans cette question: « Dieu prend-il soin
des boeufs? » Quand le Seigneur a dit: « Vous ne lierez point la bouche au
boeuf qui foule le grain 1 », avait-il donc en vue les boeufs? Il voulait
spécifier certains boeufs en particulier. Car le Seigneur n’entend pas
t’apprendre à soigner des boeufs; l’homme fait ici naturellement ce qu’il doit
faire. Il est ainsi fait qu’il doit prendre soin des animaux qui lui
appartiennent, Dieu ne lui a fait aucun précepte à cet égard, il lui a
seulement donné la tendance qui l’a rendu propre à le faire: voilà ce qu’a fait
Dieu. Mais un autre doit le conduire, comme lui-même conduit son bétail; et
celui qui le dirige, lui a donné des préceptes. C’est donc dans le sens d’un
précepte que Dieu se met peu en peine des boeufs; mais dans le sens de cette
providence universelle par laquelle il a créé tout, et gouverne tout, nous
devons dire: « C’est vous, Seigneur,qui « sauverez les hommes et les animaux ».
14. Que votre charité redouble d’attention.
Quelqu’un m’objectera peut-être: C’est le Nouveau Testament qui dit que Dieu ne
prend pas soin des boeufs; tandis que l’Ancien Testament nous dit: « Seigneur,
vous sauverez les hommes et les animaux ». On calomnie parfois les deux
Testaments, en disant qu’il ne sont point d’accord. Qu’un homme s’en vienne me
dire qu’il y a contradiction entre l’Ancien et le Nouveau, et me demander dans
le Nouveau un passage qui ressemble à celui-ci: « Seigneur, vous sauverez les
hommes et les animaux»; que répondrai-je?Rien de plus sommaire dans le Nouveau
Testament, que l’Evangile. Or, je trouve dans cet Evangile que Dieu prend soin
de tous les animaux, et dès lors nul ne saurait me contredire. L’Apôtre
serait-il donc en contradiction ave l’Evangile? Ecoutons le Seigneur lui-même
prince et maître des Apôtres: «Considérez », nous dit-il, « les oiseaux du
ciel, qui ne sèment point, qui ne moissonnent point, qui n’amassent point dans
les greniers, et votre Père céleste les nourrit 2 ». Donc, en dehors de
l’homme, Dieu prend soin des animaux, seulement pour les nourrir, non pour leur
donner des lois. Donc, s’il s’agit des préceptes,
1. Deut. XXV, 4. — 2. Matth. VI, 26.
Dieu n’a aucun soin des boeufs; mais quand il
s’agit de créer, de paître, de gouverner, de conduire, tout appartient à Dieu.
« Deux passereaux ne se vendent-ils pas une obole », dit Notre Seigneur
Jésus-Christ, « et l’un d’eux ne tombera pas sur la terre sans la volonté de
votre Père? N’êtes-vous pas beaucoup plus qu’eux? » Garde-toi donc de dire:
Dieu n’a de moi nul souci. Dieu prend soin de ton âme, Dieu prend soin de ton
corps, parce que Dieu a fait ton âme et a fait ton corps. Mais Dieu, diras-tu,
ne me discerne point dans une si grande foule. Voici dans l’Evangile un texte
bien surprenant: « Tous les cheveux de votre tête sont comptés » 1.
15. « Dieu donc est mon Dieu, en lui est mon
espérance; c’est lui qui a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qui les
occupe». Mais en ce qui me concerne, que fait-il pour moi? « Il conserve la
vérité pour jamais 2 ». Le Prophète nous apprend à aimer Dieu et à le craindre.
« Il garde pour toujours la vérité ». Quelle est la vérité qu’il garde pour
jamais, quelle vérité et comment la conserver? « Il rend justice à ceux que l’on
opprime». Il prend en main la défense de ceux que l’on opprime, et il leur rend
justice, mes frères. A qui? A ceux que l’on opprime, en châtiant les
oppresseurs. Si donc il favorise les opprimés et châtie les oppresseurs, vois
parmi lesquels tu veux être compté. Vois et considère si tu veux être parmi les
opprimés, ou parmi les oppresseurs. Voici une parole de saint Paul, qui
s’adresse à toi: « C’est être déjà criminel », te dit-il, «que d’avoir des
procès. Pourquoi ne pas souffrir qu’on vous fasse tort 3? » Le voilà qui blâme
les hommes de ne vouloir endurer aucun tort. Il ne l’engage pas à souffrir la
peine, mais l’injure; car toute peine n’est pas pour cela une injure. Il n’y a
d’injure qu’à souffrir contre le droit. te dis pas: Je suis au nombre de ceux
qui souffrent l’injure, car j’ai souffert à telle ou elle occasion. Vois si
c’est injustement que tu as souffert. Les voleurs souffrent souvent, nais non
l’injustice. Les hommes coupables le crimes, de maléfices, d’effractions,
d’adultères, de corruption, souffrent tous de grands maux, mais ne souffrent
pas l’injustice. Autre est endurer l’injustice, et autre subir une affliction,
une peine, une douleur, un châtiment. Considère où tu es, vois ce que tu as
1. Matth. X,
29-31. — 2. Ps. CXLV, 7. — 3. I Cor. XI, 7.
fait, la cause de ta souffrance, et tu
comprendras par là ce que tu endures; car le droit et l’injustice sont
contradictoires, puisque le droit c’est tout ce qui est juste. Mais tout ce
qu’on appelle droit, n’est pas le droit pour cela. Que sera-ce si l’on se fait
un droit injuste? On ne saurait donc appeler droit ce qui est inique. Le
véritable droit est donc bût ce qui est juste. Examine dès lors ce que lu as
fait, et non ce que tu souffres. Si tu as fait ce qui est juste, ta douleur est
injuste; mais si tu as commis l’injustice, tu souffres justement.
16. Pourquoi parler ainsi, mes frères? Afin
que les hérétiques 1 ne s’applaudissent point quand ils ont à souffrir de la
part des édits des princes d’ici-bas, afin qu’ils ne se mettent pas au nombre
de ceux qui souffrent injustement, et qu’ils ne disent point: Voici un psaume
consolant pour moi, puisque j’adore le Dieu « qui rendra justice à tous ceux
que l’on opprime ». J’ai des raisons pour te demander si c’est injustement que
tu souffres. Si tu as pratiqué ce qui est juste, on est injuste en te châtiant.
Mais est-ce une justice de se soulever contre le Christ? Est-ce une justice
d’élever autel contre autel, par une orgueilleuse rébellion? Est-ce justice de
déchirer l’Eglise, quand les bourreaux ne déchirent point la tunique du Christ
2? Si tout cela n’est point le droit, tout ce que tu endures pour l’avoir fait
est donc juste. Tu n’es donc pas au nombre de ceux qui souffrent injustement.
Je lis dans l’Evangile un passage plus clair encore: « Bienheureux », est-il
dit « ceux qui souffrent persécution ». Attends:
pourquoi te hâter? Pourquoi dire: c’est moi?
Attends, dis-je, et je te lirai tout. Tu as entendu: « Bienheureux ceux qui
souffrent u persécution »; et déjà tu commences à t’adjuger ce bonheur. Voici
tout le passage, situ le permets; vois ce qui suit: « Bienheureux ceux qui
souffrent persécution pour la justice 3 ». Dis maintenant: C’est moi. Dis:
C’est moi, si tu l’oses. Reprenons alors ce que nous avons dit plus haut, et
pour abréger, faisons une seule question: Si tu condamnais un homme sans
connaître bien sa cause, aurais-tu l’audace de prétendre garder la justice?
Appellerais-tu injustice le mal qui pourrait t’en revenir? Tu t’ériges donc
insolemment sur le tribunal de ton coeur, pour
1. Les Donatistes. — 2. Jean, XIX, 24. —
3.Matth. V, 10.
en être précipité bientôt, et tu oses bien
juger un homme dont tu ignores la cause? Traiter ainsi un seul homme, c’est
injustice, et tu te croiras juste en traitant de la sorte le monde entier? Et
qui donc, mes frères bien-aimés, qui donc endure l’injustice, sinon l’Eglise
catholique qui souffre tous ces maux? Elle gémit au milieu de tant de scandales
des hérétiques, elle voit les artifices, les insinuations perfides arracher les
faibles de son giron; elle voit les petits enfants que l’on traîne je ne sais
par quels détours, comme par autant de cavernes détestables, et que l’on
rebaptise, pour anéantir en eux Jésus-Christ, pour tuer en eux, non plus cette
chair mortelle qui en fait des hommes, mais ce qui doit les faire vivre
éternellement. On fait dire à un homme: Je ne suis point chrétien, et l’on
appelle cela juste. Tu te présenteras à l’évêque, lui dit-on, garde-toi de lui
dire que tu es chrétien. Te dire chrétien, c’est t’exposer à n’en rien
recevoir; dis que tu ne l’es pas, et tu recevras. Quel est cet avis, ô
chrétien? Que nous enseignes-tu? Tu souffres persécution, j’en conviens; mais
n’es-tu pas plus réellement un persécuteur? Quand les empereurs persécutaient
les chrétiens, ils les contraignaient par la menace, comme toi par la
persuasion. Tu fais dire à un chrétien qu’il ne l’est pas, obtenant ainsi par
la persuasion ce que les bourreaux n’obtenaient point par la mort. Tu laisses
vivre un homme qui nie être chrétien. Il est renégat, et il vit? Non, il ne vit
plus. C’est un cadavre qui te répond. Frappé par le glaive du persécuteur, le
martyr est tombé, mais il vit; celui à qui tu parles est debout, mais il est
tombé. Souffrir pour de tels crimes, est-ce donc une injustice? Point
d’illusion; si tes actes sont injustes, c’est justement que tu souffres. A qui
donc fait justice « Celui qui garde la vérité éternellement? » A ceux qui
subissent l’injustice.
17. Viens donc, et avec tes raisonnements si
sages, si ingénieux, si subtils, viens nous dire que c’est là une véritable
nourriture, dis-nous: Un affamé peut-il en nourrir un autre, c’est-à-dire un
pécheur donner la sainteté? Un homme qui meurt de faim peut-il donner à manger?
un malade peut-il guérir? un homme garrotté en délier un autre? Grandes et subtiles
raisons, dont on veut séduire les impies ! Que notre psaume leur ferme la
bouche: « Dieu qui donne la nourriture à ceux qui ont faim ». Je n’attends rien
de toi, « c’est Dieu qui donne la nourriture aux affamés ». A quels affamés? à
tous. Qu’est. ce à dire, à tous? C’est-à-dire qu’il donne la nourriture à tous
les animaux, à tous les hommes, et il ne réserverait aucune nourriture à ses
bien-aimés? S’ils ont une autre faim, ils ont aussi une autre nourriture.
Cherchons d’abord de quoi ils ont faim, et nous verrons ensuite quelle est leur
nourriture. « Bienheureux ceux qui ont faim et soit de la justice, parce qu’ils
seront rassasiés 1 ». Nous devons avoir faim de Dieu. Présentons-nous devant sa
porte, en sa présence, prions-le comme des mendiants; « c’est lui qui donne la
nourriture à ceux qui ont faim ». Pourquoi, hérétique, le vanter de délier, de
relever, d’éclairer? Diras-tu que tu es délivré, que tu es debout, que tu es
lumière? loin de là. Ecoute ce qui vient d’être dit: « Ne mettez point votre confiance
dans les princes, dans les fils des hommes, en qui n’est point le salut ». Ils
ne donnent point le salut. Arrière donc tous les hérétiques. « C’est le
Seigneur qui délie les captifs, le Seigneur qui relève ceux qui sont tombés, le
Seigneur qui donne la sagesse aux aveugles 2 », c’est-à-dire qu’il rend sages
ceux qui sont aveugles. Cette pensée nous explique parfaitement les
précédentes; cette parole: « Il délie ceux que l’on enchaîne », aurait pu nous
faire croire qu’il s’agit ici de ces serviteurs qu’un maître a mis aux fers
pour quelque faute; et celle-ci:
« Il relève ceux qui tombent », reporte notre
pensée sur l’homme qui trébuche et tombe,ou que son cheval renverse. Il est
d’autres chutes, comme il est d’autres chaînes, comme il est d’autres ténèbres
et une autre lumière. Le Prophète nous dit que le Seigneur « donne la sagesse
aux aveugles », et non qu’il éclaire les aveugles, de peur qu’on ne le
comprenne à la lettre, comme on le fait de cet aveugle à qui le Seigneur ouvrit
les yeux et qu’il sauva, en faisant de la boue avec sa salive 3. Afin que nous
n’attendions aucune de ces faveurs temporelles, le Prophète nous parle de cette
lumière de la sagesse qui éclaire les aveugles. Les captifs donc sont déliés,
les hommes tombés sont relevés, dans le même sens que les aveugles arrivent à
la lumière de la sagesse. D’où vient que nous sommes enchaînés?
1. Matth. — 2. Ps. CXLV, 8.— 3. Jean, IX, 6,
7.
quelle chute nous a brisés? Notre corps fut d’abord
pour nous un ornement; le péché en fait une lourde chaîne. Quelle est cette
chaîne que nous portons? Notre mortalité. Ecoute l’apôtre saint Paul, encore
enchaîné dans ce lieu d’exil. Quelles contrées n’a point parcourues cet
enchaîné? ses chaînes lui furent peu lourdes, puisque, nonobstant leur poids,
il prêcha l’Evangile à l’univers entier: l’esprit de charité souleva ses
chaînes, et il parcourut une infinité de régions. Que nous dit-il néanmoins? «
Mon désir est d’être délié, afin d’aller avec le Christ ». Et toutefois, sa
compassion pour les autres captifs lui fait désirer d’être lié, afin de les
servir encore: « Mais demeurer en la chair», nous dit-il, « m’est nécessaire à
cause de vous ». C’est donc « le Seigneur qui délie les captifs », c’est-à-dire
qui, de mortels, nous rend immortels. « C’est le Seigneur qui relève ceux qui
tombent ». Pourquoi tomber? parce qu’ils se sont élevés. Pourquoi sont-ils
relevés? parce qu’ils se sont humiliés, Adam tomba et fut brisé 2; il tomba,
tandis que le Christ descendit. Pourquoi descendre, lui qui n’avait fait aucune
chute, sinon afin de relever celui qui était tombé? « Le Seigneur donne aux
aveugles la sagesse; le Seigneur aime les justes ». Aussi rend-il justice à
ceux qui souffrent injustement,
18. Et quels sont ces justes? jusqu’où va
maintenant leur justice? Voilà que le Prophète ajoute: « Le Seigneur garde les
prosélytes 3 ». Ces prosélytes sont les étrangers or, toute l’Eglise de la
Gentilité est prosélyte. Etrangère, elle s’est unie à nos pères, devenant ainsi
leur fille, non par la naissance charnelle, mais par l’imitation de leur foi.
Toutefois, c’est le Seigneur, et non plus un homme qui la protège. « Il
soutiendra la meuve et l’orphelin ». Ne croyons pas qu’il doive soutenir
l’orphelin dans son héritage, ou la veuve dans je ne sais quel procès. Sans
doute le Seigneur nous soutient dans ces sortes d’affaires; c’est lui qui fait
le bien dans tous les services que les hommes se rendent mutuellement; lui qui
soutient l’orphelin, n’abandonne point la veuve; mais en un sens, nous sommes
tous orphelins, parce que notre père, sans être mort, est cependant absent.
Sans doute les hommes appellent orphelin celui dont le père est mort, et à vrai
1.
Philipp. I, 23, 24. — 2. Gen. III, 6. — 3. Ps. CXLV, 9.
dire, nos pères sont vivants, puisque l’âme
ne meurt point. Ils vivent dans les supplices s’ils ont été méchants, et dans
le repos, s’ils ont fait le bien: rien n’est perdu aux yeux du Créateur.
Toutefois, aussi longtemps que nous sommes dans ce corps mortel, et que nous
habitons un lieu d’exil, nous sommes loin de notre Père, à qui nous crions: «
Notre Père qui êtes aux cieux 1». L’Eglise est donc veuve, puisqu’elle n’a
point d’époux ici-bas, puisque son époux est absent. Il viendra, cet Epoux
invisible qui la protége, cet Epoux désiré. Nous avons pour lui de violents
désirs, nous aspirons à lui sans le voir. Un jour nous le verrons, nous
jouirons de ses embrassements, sila foi nous tient attachés à lui, maintenant
qu’il est invisible. Que veut donc nous montrer le Prophète dans cet orphelin
et cette veuve, sinon ceux que l’on abandonne sans secours? Que l’âme délaissée
ici-bas se promette le secours du Seigneur. Quelles que soient tes richesses,
ton or, y mets-tu ta confiance? Tu n’es plus un prosélyte, un orplielin, tu
n’es point compté avec les veuves, tu as un ami; si tu t’appuies sur lui,
délaissant le Seigneur, tu n’es pas sans secours. As-tu tous ces biens, sans
t’en prévaloir, sans y mettre ta confiance? Tu as pour Dieu un orphelin, pour
Dieu une veuve. Il soutient donc ceux que l’on abandonne, c’est là ce que dit
le Prophète: « il soutient la veuve, il soutient l’orphelin ».
19. « Il confondra la voie des impies ».
Quelle est cette voie des pécheurs? De rire de ce que nous disons ici. Quel est
l’orphelin, nous disent-ils? quelle est la veuve? qu’est-ce que ce royaume des
cieux, ce châtiment de l’enfer? Tout cela, fables chrétiennes! Je tiens àce que
je vois: « Mangeons et buvons, car nous mourrons demain ». Prends garde aux
paroles insidieuses de ces hommes; qu’elles ne descendent point de l’oreille
dans le coeur; qu’elles rencontrent des épines dans ton oreille, et qu’il se
retire devant leur aiguillon, celui qui essaierait d’y entrer. « Les mauvais
discours corrompent les bonnes moeurs 2 », Mais pourquoi donc ces impies
sont-ils heureux, me dira-t-on? Ils n’adorent point Dieu, ils commettent chaque
jour de grands péchés, et cependant ils ont tous ces biens que je n’ai point.
Loin de toi de rien envier aux pécheurs. Tu vois ce qu’ils reçoivent,
1.
Matth. VI, 9.— 2. I Cor. XV, 32, 33.
mais ne vois-tu pas ce que Dieu leur réserve?
Et comment voir ce qui est invisible, me diras-tu? La foi a des yeux, mes
frères, et des yeux plus grands, plus perçants, plus durables que les yeux du
corps. Ces yeux n’ont trompé personne; ah ! que ces yeux soient toujours vers
le Seigneur, afin qu’il dégage tes pieds de toute embûche 1. La voie des
pécheurs te plaît, parce qu’elle est large, et que beaucoup y sont entrés; tu
en vois la largeur, mais non la fin. Cette fin, c’est un précipice; cette fin
est un gouffre sans fond; et ceux qui marchent à l’aise et avec allégresse dans
cette voie large sont plongés dans l’abîme. Mais tes yeux ne sont point assez
perçants pour voir cette fin malheureuse: crois-en dès lors celui qui la voit.
Et quel homme la voit donc? Nul homme, sans doute; mais le Seigneur est
descendu pour te faire croire à Dieu. Or, voudrais-tu n’en pas croire le
Seigneur ton Dieu, qui te dit: « Elle est large et spacieuse, la voie qui
conduit à la perdition, et beaucoup y entrent par elle 2? » Telle est la voie
que doit confondre le Seigneur, parce qu’elle est la voie des impies.
20. Et quand cette voie sera à sa fin que
nous restera-t-il? « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a
été préparé dès l’origine du monde 3 ». C’est
1. Ps, XXIV, 15. — 2. Matth. VII, 13. — 3.
Id.XXV, 31.
par là que termine le Psalmiste: « Il confondra la voie des pécheurs ».
Et toi? « Le Seigneur régnera éternellement 1 »; réjouis-toi, parce qu’il
régnera pour toi. Réjouis-toi, parce que tu seras son royaume. Vois en effet ce
qui suit. Tu es certainement citoyen de Sion, et non de Babylone, ou de la cité
de ce monde qui doit périr; mais tu appartiens à cette Sion affligée, étrangère
pour un temps, et qui doit régner dans l’éternité. C’est donc de toi qu’il est
question dans cette fin. « Le Seigneur régnera éternellement, ce Seigneur qui
est ton Dieu, ô Sion ». Ton Dieu donc, ô Sion, doit régner éternellement; mais
ton Dieu régnerait-il sans toi? « Et de génération en génération ». Le Prophète
nomme deux générations, parce qu’il ne pouvait les nommer toutes. Mais la fin
des paroles ne peut mettre la fin de l’éternité. L’éternité n’a que quatre
syllabes, mais en soi-même elle est sans fin. On ne saurait t’en parler qu’en
disant: « Ton Dieu régnera de génération en génération ». C’est dire peu; et si
on le disait tout un jour, ce serait peu encore; et si on le répétait toute sa
vie, ne cesserait-on pas enfin de le dire? Aime l’éternité, ô mon frère: tu
régneras sans fin, si tu n’as d’autre fin que le Christ; avec lui tu régneras
dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il!
1. Ps. CXLV, 10.
SERMON AU PEUPLE, PRÊCHÉ PROBABLEMENT A CARTHAGE.
Il est
bon de chanter des psaumes au Seigneur, qui peut nous récompenser, et s’il
n’accorde pas toujours ce qu’on lui demande, c’est qu’il est père et connaît ce
qui doit nous être utile. Louer Dieu, ce n’est point simplement chanter en son
honneur: le Prophète veut ici un psaume, et le psaume s’exécute sur un
instrument de musique, ce qui exige l’action des doigts, et nous figure les
oeuvres. Une oeuvre bonne est donc une louange, et le péché devient un silence;
le tort que l’on inédite, un silence aussi. Toute action faite pour obéir à
Dieu est donc une louange; elle est un blasphème dès qu’elle est eu dehors des
bornes prescrites; car la louange n’est pas bonne dans la bouche du pécheur, la
licence est un un faux, et Dieu est attentif aux oeuvres plus qu’à la voix.
L’Apôtre nous dit que nous devons louer Dieu, parce que le Christ est mort pour
tous, et le Psalmiste, parce que Dieu bâtit Jérusalem, nous rassemble à la voix
des Apôtres, guérit les coeurs brisés par le repentir; or, ces coeurs brisés
qui. sont un sacrifice agréable à Dieu, sont les coeurs humbles, qui confessent
leurs péchés, les châtient sur eux-mêmes. C’est l’oeuvre de la rédemption. Mais
la guérison ne sera parfaite que dans l’autre vie. En attendant le Seigneur
bande nos plaies, quand il nous redresse par ses préceptes, et- nous aide par
ses sacrements, qui sont comme des appareils et qu’il lèvera dans l’autre vie.
— C’est Dieu qui compte les étoiles ou les flambeaux qui nous éclairent pour la
vie éternelle; tous ces flambeaux ne sont point marqués cependant pour la vie
éternelle, et Dieu appelle par leurs noms ceux qui auront la charité et se
tiendront unis à lui.
Dieu
est grand, on ne saurait mesurer sa sagesse, qui est le nombre même, la mesure.
Nous aurons part à cette mesure immuable, quand nous habiterons Jérusalem.
Demandons à Dieu qu’il bande nos plaies, et dans les difficultés de l’Ecriture,
frappons à la porte avec humilité. Dieu renverse tous ceux que leur orgueil
fait regimber. Les Manichéens ont regimbé contre les Ecritures, et Dieu les a
jetés à terre. Or, la terre pour eux, c’est la chair, et ils n’ont eu sur Dieu
que des pensées grossières. Pour arriver au Seigneur, accusons-nous tout
d’abord, puis faisons de bonnes oeuvres, et nous nous rapprocherons de Dieu en
reformant en nous son image que le méchant a effacée; de là. cette expression,
qu’il est loin de Dieu. C’est ce même Dieu qui couvre le ciel de nuages, ou ses
Ecritures de mystères, et prépare à la terre, les pluies de l’intelligence et
de la grâce; qui fait croître l’herbe sur les montagnes, c’est-à-dire qui amène
les grands du monde, comme Zachée, à la pratique des bonnes oeuvres, qui
prépare l’herbe pour les hommes en servitude, ou pour les ministres de l’Eglise
qui ont droit à leur nourriture. Dépensons en bonnes oeuvres, au moins la dîme
de nos revenus, car nous devons être plus parfaits que les Pharisiens.
Ces
petits des corbeaux qui invoquent le Seigneur, c’est nous les fils des Gentils,
convertis à la foi. Dieu ne met point ses complaisances dans la puissance du
cheval ou dans l’orgueilleux qui lève la tête, ni dans les tabernacles de
l’homme, c’est-à-dire dans l’hérésie, mais dans son Eglise. Espérons en lui,
non comme Judas qui douta de sa miséricorde.
1. Nous avons écouté avec attention chanter
notre psaume; mais l’entendre tous, n’était pas le comprendre bus. Quelle
attention ne devons-nous pas y apporter maintenant, si, comme je l’espère et le
désire, Dieu touché des prières de tous ces auditeurs, nous dévoile ce qu’il y
a d’obscur, de manière que votre attention à m’écouter vous soit profitable, et
que nul ne s’en retourne sans fruit? Que dit le psaume en commençant? « Louez
le Seigneur ». Voilà ce qui nous est dit, et non seu1ement à nous, mais encore
à toutes nations. Cette voix que des lecteurs font entendre çà et là, est
recueillie par des Eglises particulières; mais la grande voix de Dieu qui
domine toutes les autres, ne cesse de nous exhorter à le louer. Or, comme si
nous demandions au Seigneur pourquoi nous devons louer Dieu, voyez quelle
raison il nous donne: « Louez le Seigneur », nous dit-il, « parce qu’il est bon
de lui chanter des psaumes ». Est-ce donc là tout ce qui nous en reviendra?
Louons le Seigneur. Pourquoi? « Parce qu’il est bon de lui chanter des psaumes
». Je voudrais bien, dira-t-on, louer le Seigneur, mais s’il payait ma louange
de quelque récompense. Comment louer gratuitement, ne serait-ce qu’un homme? On
ne loue donc les hommes que dans l’espoir d’une récompense; mais quiconque loue
Dieu, ne saurait-il en attendre aucune récompense, ni demander, ni espérer? On
loue un homme faible et avec espérance; on loue le Tout-Puissant et il n’aurait
rien à donner? Serait-il impuissant à donner ce qu’on lui demande? Que peut
désirer l’homme, qui ne soit sous la main de Dieu? Quand on loue un homme, il
arrive que l’on désire ce qu’il ne saurait donner. Mais pour Dieu, tu peux le
louer en toute sécurité; nul ne saurait dire qu’il est (256) impuissant à
donner ce que l’on attend de lui. Nous devons donc louer le Seigneur en nous
proposant quelque récompense, bien qu’il ne nous accorde pas toujours ce que
nous désirons. Il est père, en effet, et ne donne point à des méchants fils ce
q u’ils désirent. Bénissons-le donc, avec espérance et même avec désir, non
point de telle ou telle faveur, mais de celle que juge à propos de nous
accorder Celui que nous louons. Et il sait ce qui nous convient, c’est à nous
d’attendre ce qui nous est utile. L’Apôtre l’a dit: « Nous ne savons ce qu’il
convient de demander 1 ». Et le même saint Paul croyait qu’il lui serait
avantageux d’être délivré de l’aiguillon de la chair, de cet ange de Satan qui
le souffletait, selon ses aveux, et il dit: « Trois fois j’ai prié le Seigneur
de m’en délivrer, et il m’a dit: « Ma grâce te suffit, car la vertu se
perfectionne dans la faiblesse 2». Il désirait donc une faveur, que Dieu ne lui
accorda point àsa volonté, afin de lui procurer la sainteté. Qu’est-ce donc que
l’on nous propose ici? « Louez le Seigneur », dit le Prophète. Pourquoi louer
le Seigneur? Parce qu’il est bon de lui chanter des hymnes. Ces hymnes sont la
louange du Seigneur. C’est dire alors: Louez le Seigneur, parce qu’il est bon
de le louer. Ne passons point légèrement sur cette parole: Louez le Seigneur.
Elle est dite, et la voilà passée; c’est fini, et nous rentrons dans le
silence; après avoir loué Dieu, nous nous sommes tus; après le chant, le repos.
Nous passons à ce qui nous reste à faire, et quand il se présente une autre
occupation, cesserons-nous pour cela de louer Dieu? Point du tout; si la
louange n’est qu’un moment sur ta langue, elle doit être continuellement dans
ta vie. De là cette excellence du psaume.
2. Le psaume est un chant, non pas un chant
quelconque, tuais un chant sur le psaltérion. Or, le psaltérion est un
instrument de musique, du genre de la lyre, de la harpe et d’autres semblables.
Chanter le psaume n’est donc pas seulement chanter de la voix, mais unir la
main à la voix sur l’instrument que l’on appelle psaltérion. Veux-tu donc
chanter un psaume? Non seulement que ta voix fasse retentir les louanges de
Dieu mais que tes oeuvres soient d’accord avec ta voix. Si tu ne chantes que de
la voix, il y aura
1.
Rom. VIII, 26. — 2. II Cor. XII, 7-9.
des silences, mais que ta vie soit une
mélodie sans silences Tu es en affaires, et tu médites la ruse; voilà un
silence dans la louange de Dieu: et ce qui est plus grave, non seulement tu cesses
de louer Dieu, mais tu tombes dans le blasphème. Quand on loue Dieu à cause du
bien que tu fais, c’est ta bonne oeuvre qui est une louange pour Dieu; mais
quand on blasphème Dieu à cause de tes oeuvres, tes oeuvres sont un blasphème.
Que ta voix dès lors se fasse entendre pour stimuler l’oreille, mais que ton
cœur ne se taise point, que ta voix ne soit jamais silencieuse. Ne méditer
aucun tort dans les affaires, c’est chanter à Dieu. Quand tu manges, quand tu
bois, chante, non point en flattant les oreilles par de suaves mélodies, mais
en buvant, en mangeant avec sobriété, avec tempérance. Car voici ce que dit
l’Apôtre: « Soit que vous buviez, soit que vous mangiez, soit que vous fassiez
toute autre chose; faites tout pour la gloire de Dieu 1 ». Si donc tu fais bien
de manger et de boire, pour soutenir ton corps et réparer tes forces, en
rendant grâces à celui qui soutient ainsi la faiblesse d’un mortel; boire et
manger sont pour toi louer Dieu. Mais si une avide intempérance te pousse
au-delà des bornes prescrites par la nature, situ vas jus. qu’à te gorger de
vin, boire et manger sont pour toi un blasphème. Après avoir bu et mangé, tu
cherches le repos et le sommeil; que ta couche n’accuse rien de honteux, rien
de ce qui dépasse les bornes tracées par Dieu; sois chaste même avec ton
épouse, et situ veux en avoir des enfants, n’obéis point à une luxure effrénée.
Jusque dans ton lit, respecte une épouse; puisque tous deux vous êtes membres
du Christ, tous deux créés parle Christ, et rachetés par le sang du Christ.
Agir ainsi, c’est louer Dieu, et rien dès lors n’interrompt ta louange. Mais
quand viendra le sommeil? Même pendant le sommeil, qu’une -conscience coupable
ne te réveille point; un sommeil innocent loue aussi le Seigneur Si donc tu
bénis Dieu, chante non seulement de la langue, mais prends aussi le psaltérion
des bonnes oeuvres; parce que ce psaltérion est bon. C’est donc louer Dieu que
travailler à ses affaires, louer Dieu que boire et manger, louer Dieu que
prendre son repas, louer Dieu que dormir; quand cesse-t-on de louer Dieu? Cette
louange sera parfaite quand nous
1. I Cor. X, 31.
arriverons à la cité des saints, quand nous
seront semblables aux anges de Dieu 1; quand il n’y aura plus à subir de
nécessité corporelle, quand nous ne sentirons ni la faim, ni la soif, ni le
poids de la chaleur, ni l’engourdissement du froid, ni les tourments de la
fièvre, ni la destruction de la mort. Exerçons-nous par avance à cette louange
parfaite, en louant Dieu par nos bonnes oeuvres.
3. Aussi, après avoir dit: « Louez le
Seigneur, parce qu’il est bon de le louer sur le psaltérion », le Prophète
ajoute: « Que votre louange soit agréable à notre Dieu ». Comment cette louange
sera-t-elle agréable à notre Dieu, sinon quand nous le bénirons par une vie
pure? Ecoute bien comment cette louange peut lui être agréable. Il est dit
ailleurs: « La louange n’est point belle dans la bouche du pécheur 2 ». Si donc
la louange n’est point belle dans la bouche du pécheur, elle n’est point
agréable; car il n’y a d’agréable que le beau. Veux-tu que ta louange soit
agréable à Dieu? Ne gâte point tes chants mélodieux parles tons faux d’une vie
licencieuse. « Que votre louange soit agréable à Dieu ». Qu’est-ce à dire?
Menez une vie pure, ô vous qui louez Dieu. La louange des méchants ne peut que
le blesser. Dieu s’arrête plus à considérer ta vie, qu’à écouter le son de ta
voix. Assurément tu veux avoir la paix avec ce Dieu que tu chantes, niais
comment l’avoir avec lui quand tu es en désaccord avec, toi-même? Quel
désaccord avec moi-même, diras-tu? C’est que ta langue rend un son, ta vie un
autre son. « Que votre louange soit agréable à Dieu». Un homme peut s’éprendre
d’une louange, quand il entend louer avec une voix mélodieuse, des périodes
arrondies et de fines pensées; mais «que votre louange soit agréable à Dieu »,
qui a l’oreille non plus à notre voix, mais à notre coeur, qui n’écoute point
l’harmonie des paroles, mais celle de nos bonnes oeuvres.
4. Qui est notre Dieu, pour que notre louange
lui soit agréable? Il veut être doux pour nous, il veut se faire aimer de nous;
rendons grâces à sa miséricorde. Il daigne s’offrir à notre amour, non qu’il
puisse recevoir quelque chose de nous, mais bien plus pour nous donner
lui-même. Comment donc Dieu veut-il se poser devant nous? Ecoutez l’apôtre
saint Paul: « Dieu fait éclater son
1. Matth. XXII, 30. — 2. Eccli. XV, 9.
amour envers vous ». Comment Dieu fait-il
éclater cet amour? Que l’Apôtre nous le dise, afin qu’on le compare avec notre
psaume « Dieu», dit-il, « fait éclater son amour envers nous ». Comment le
fait-il éclater? « C’est que nous étions pécheurs, et alors le Christ est mort
pour nous 1 ». Que réserve donc à ceux qui le bénissent un Dieu qui signale
ainsi son amour envers des pécheurs? Ainsi, voilà l’Apôtre qui nous dit que Dieu
fait éclater son amour envers nous, au point que le Christ est mort pour les
pécheurs; non pour les laisser dans leur impiété, mais afin que la mort du
juste les guérît de leur injustice; maintenant écoute notre psaume, que dit-il
après ces paroles « Que notre louange soit agréable à Dieu? » Voyons s’il nous
en donne une raison qui s’accorde avec celle de l’Apôtre: « Que le Christ est
mort pour les impies ». C’est, dit le Psalmiste, « qu’il bâtit Jérusalem et
qu’il rassemble ceux d’Israël qui sont dispersés 2 ». Voilà que le Seigneur
bâtit Jérusalem et qu’il rassemble son peuple épars. Le peuple d’Israël est, en
effet, le peuple de Jérusalem, et il y a une Jérusalem éternelle, dont les
citoyens sont les anges mêmes. Que signifie donc ici Israël? Si par Israël nous
entendons ce petit-fils d’Abraham, appelé aussi Jacob, comment ce nom d’Israël
conviendra-t-il aux anges? Mais si nous examinons le sens de ce nom, car à
Jacob le nom fut échangé contre celui d’Israël 6, ce nom d’Israël convient
mieux à cette cité bienheureuse, et puissions-nous à notre tour être ensuite
Israël. Que veut dire. Israël, en effet? Qui voit Dieu. Donc, les habitants de
cette cité des cieux voient Dieu, et ce spectacle de Dieu même fait leur joie
dans cette ville si grande et si auguste. Quant à nous, le péché nous a bannis
de cette heureuse patrie, il nous a empêchés d’y demeurer, et le poids de notre
mortalité nous empêche d’y retourner. Dieu a regardé notre exil, et lui qui
rebâtit Jérusalem, en relève la partie tombée. Comment relever cette partie
tombée? « En rassemblant ce qui est dispersé d’Israël ». Une partie d’Israël
est tombée, en effet, devenue étrangère; et cette étrangère, Dieu l’a regardée
avec miséricorde, et a recherché ceux qui ne le cherchaient point. Comment les
a-t-il cherchés? Qui a-t-il envoyé dans notre captivité? Il a envoyé un
rédempteur selon cette
1. Rom. V, 8, 9. — 2. Ps. CXLVI, 2. — 3. Gen.
XXXII, 28.
Parole de l’Apôtre: « Dieu a signalé son amour
envers nous, et quand nous étions encore dans le péché, le Christ est mort pour
nous 1 ». C’est donc son Fils qu’il a envoyé pour nous racheter de notre
captivité. Porte un sac avec toi, lui a-t-il dit, et mets-y le prix des
captifs. Il a donc revêtu notre chair mortelle, où était le sang qu’il devait
répandre pour nous racheter. Tel est le sang qui rassemble les enfants d’Israël
qui sont dispersés. Or, si jadis il rassembla ceux qui étaient dispersés,
combien faut-il s’appliquer à rassembler ceux qui le sont aujourd’hui? Si les
dispersés d~autrefois furent rassemblés afin que la main de l’Architecte les
taillât de manière à les faire entrer dans l’édifice, comment aujourd’hui
faut-il rassembler ceux que leur agitation a fait tomber des mains de l’architecte?
« C’est le Seigneur qui bâtit Jérusalem». Tel est le Dieu que nous louons, et
que nous devons louer pendant toute notre vie: « Le Seigneur qui bâtit
Jérusalem, et qui rassemble ceux d’Israël qui sont dispersés ».
5. Comment les rassembler? Que fait- il pour
cela? « C’est lui qui guérit ceux dont le coeur est brisé 2 ». C’est ainsi que
l’on rassemble ceux d’Israël qui sont dispersés, afin de guérir ceux dont le
coeur est brisé. Ceux dont le coeur n’est point brisé, ne sont point guéris.
Qu’est-ce alors que briser son coeur? Je vous le dirai, mes frères, afin que
vous puissiez être guéris. Cette expression se trouve en beaucoup d’endroits
dans l’Ecriture, et principalement dans celui où le Psalmiste disait en notre
nom: « Si vous aviez voulu un sacrifice, je vous l’eusse donné assurément mais
les holocaustes ne vous sont point agréables». Quoi donc? Nous faudra-t-il
demeurer sans sacrifice? Entends celui que Dieu veut qu’on lui offre. Le
Prophète continue en disant: « Le sacrifice agréable à Dieu est une âme
affligée, le Seigneur ne dédaignera point un coeur brisé et humilié 3. Il
guérit donc les coeurs brisés»: parce qu’il s’approche d’eux pour les guérir;
comme il est dit ailleurs: «Le Seigneur est proche de ceux qui ont brisé leur
coeur 4 ». Quels coeurs sont brisés? Les coeurs humbles, Quels coeurs ne le
sont point? Les orgueilleux. Uni coeur brisé sera guéri, un coeur élevé sera
brisé. Car il n’est brisé sans doute, que pour être guéri ensuite.
1.
Rom. V, 8. — 2. Ps. CXLVI, 3. — 3. Id. L. 18, 19. — Id. XXXIII, 19.
Que notre coeur donc, mes frères, ne s’élève
point avant d’être droit. On s’élève pour sa perte, quand on ne s’est point
redressé tout d’abord.
6. « Il guérit ceux dont le coeur est brisé,
il bande leurs plaies ». Dieu donc guérit ceux dont le coeur est brisé, et dès
lors il guérit ceux qui s’humilient, ceux qui confessent leurs fautes, ceux qui
se punissent eux-mêmes, ceux qui exercent contre eux-mêmes un jugement sévère,
afin de sentir ensuite sa miséricorde. Voilà ceux que Dieu guérit, mais leur
guérison sera parfaite seulement quand cette mortalité sera passée, quand ce
corps corruptible sera revêtu d’incorruption, ce corps mortel, d’immortalité 1;
quand la chair souillée n’aura plus pour nous aucune sollicitation, non
seulement quand nous n’y succomberons plus, mais quand elle n’aura pires même
aucune suggestion. Mainte. nant en effet, mes frères, combien d’attraits
coupables pour notre âme ! Sans doute nous y résistons, et nos membres
obéissent à la justice et non à l’iniquité; et toutefois le plaisir que nous
causent ces sollicitations, bien qu’il n’y ait aucun consentement, est loin de
la santé parfaite. Tu seras donc guéri, oui, tu seras guéri si ton coeur est
brisé. Ne rougis plus de briser ton coeur; ceux-là, Dieu les guérit. Mais que
puis-je faire maintenant, diras-tu? « Selon l’homme intérieur, en effet, je
trouve du plaisir dans la loi de Dieu; mais je sens dans mes membres une autre
loi qui combat contre la loi de mon esprit, et qui me tient captif sous la loi
du péché ». Que faire? dis-tu. Brise ton coeur, confesse tes fautes, et dis
avec l’Apôtre: « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de
cette mort? » afin qu’il te soit répondu: « La grâce de Dieu, par Jésus-Christ
Notre Seigneur 2 ». Comment nous délivrera cette grâce dont nous avons reçu
maintenant les arrhes? Ecoute le même Apôtre: « Le corps est mort sans doute à
cause du péché, mais l’esprit est vie à cause de la justice. Si donc l’esprit
de celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts habite en vous, celui
qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts rendra aussi la vie à vos corps
mortels, à cause de sou esprit qui habite en vous 3». Telles sont donc les
arrhes qu’a reçues notre esprit, afin que nous commencions par la foi à servir
1. I
Cor. XV, 53, 51. — 2. Rom, VII, 22 - 25. — 3. Id. VIII, 10, 11.
Dieu, à être appelés justes par la foi, «
puisque c’est de la foi que vit le juste 1 ». Tout ce qui nous résiste encore,
tout ce qui nous est contraire vient de la mortalité de notre chair, et sera guéri.
« Car Dieu rendra la vie à vos corps mortels, par l’esprit qui habite en vous
». C’est pour cela qu’il nous témoigne, par un gage, qu’il veut accomplir ce
qu’il nous a promis. Mais maintenant dans cette vie, où nous confessons nos
fautes, sans rien posséder encore, dans cette vie qu’arrivera-t-il? Comment
être guéri? « Le Seigneur guérit ceux dont le coeur est brisé »; mais la
guérison parfaite arrivera quand nous l’avons dit; toutefois, en cette vie
qu’arrive-t-il? « Il bande leurs plaies ». Celui-là, dit le Prophète, qui
guérit ceux dont le coeur est brisé, et dont la santé parfaite n’arrivera qu’à
la résurrection des morts, celui-là bande aujourd’hui leurs plaies.
7. Comment bander ces plaies? Comme les
médecins bandent les fractures. Souvent, en effet, que votre charité veuille
bien comprendre ce que comprennent ceux qui l’ont remarqué, ou l’ont appris des
médecins: souvent les médecins brisent de nouveau afin de mieux redresser un
membre mal replacé, ou mal affermi; ils font une blessure nouvelle, parce
qu’une guérison défectueuse devient nuisible. «Les voies du Seigneur sont
droites», a dit l’Ecriture, « mais l’homme au coeur dépravé y trouve des
scandales 2 ». Qu’est-ce que l’homme au coeur dépravé? L’homme qui a le coeur
tortueux. Un tel homme ne voit que du louche dans les paroles de Dieu, que des
défauts dans ses actes; tous les jugements de Dieu lui déplaisent, surtout ceux
qui doivent le châtier. Le voilà qui s’assied, qui montre que Dieu est en
défaut parce qu’il n’agit point selon la corruption de son mur. C’est donc peu
pour un coeur dépravé de ne point se redresser selon Dieu; il prête à Dieu sa
difformité. Que dit le Seigneur du haut du ciel? C’est toi qui es tortueux, moi
qui suis droit; si tu étais droit, tu reconnaîtrais que je le suis. Posez un
bois tortueux sur un pavé bien uni, il ne saurait s’y appliquer: il branle, il
est peu solide; et cela ne vient pas de l’inégalité du pavé, mais de la
difformité du bois. C’est ce qu’a dit l’Ecriture: « Que le Dieu d’Israël est
bon à ceux dont le coeur est droit 3! » Mais cet autre coeur est tortueux,
1. Rom. I, 17. — 2. Osée, XXV, 10. — 3. Ps.
LXXII, 1.
comment le redresser? Il est tortueux et
endurci; qu’on brise alors ce coeur tortueux et endurci, qu’on le brise et
qu’on le redresse. Tu ne saurais redresser ton coeur mais c’est à toi de le
briser, Dieu le redressera. Comment le briser, le rendre contrit? En confessant
tes péchés, en les châtiant toi-même. Que veut-on dire autre chose, en se
frappant la poitrine? A moins peut-être de croire que nous frappons nos
poitrines parce que toutes sont coupables. Mais non, c’est dire par là que nous
brisons nos coeurs afin que Dieu les redresse.
8. « Dieu donc guérit ceux dont le coeur est
brisé », contrit. Et cette guérison du coeur sera parfaite, quand notre corps
sera complètement réparé, selon la promesse que nous en avons. Que fait
cependant le médecin? Il bande tes blessures, afin que tu puisses arriver à la
santé pleine et entière, et que tout ce qui a été brisé et bandé redevienne
solide. Quelles bandes nous seront appliquées? Les sacrements de cette vie. Ces
sacrements qui nous consolent, sont autant de bandages qui guérissent nos
meurtrissures; ce que nous disons en vous parlant, ces exhortations qui
frappent vos oreilles et qui passent, tout ce que l’on fait ici-bas dans
l’Eglise, tout cela est appareil pour vos plaies. De même qu’après la parfaite
guérison le médecin enlève tout appareil, de même dans la cité de Jérusalem,
quand nous serons semblables aux anges, pensez-vous que nous recevrons encore
ce que nous recevons ici? Aurons-nous besoin de lire l’Evangile pour affermir
notre foi? Les pasteurs nous imposeront-ils les mains? Tous ces appareils de
nos meurtrissures disparaîtront, quand la santé sera parfaite; mais il n’y
aurait point de guérison sans ces appareils. « Il guérit ceux dont le coeur est
brisé, il bande leurs meurtrissures ».
9. « Il compte la multitude des étoiles, et
les appelle par leurs noms 1 ». Qu’y a-t-il de grand pour Dieu à compter les
étoiles? Les hommes ont essayé de les compter; à eux de voir s’ils ont réussi;
et toutefois ils n’en feraient point l’essai, s’ils n’espéraient y parvenir.
Laissons-les, avec tout ce qu’ils ont pu faire, et au point qu’ils ont pu
atteindre; niais pour Dieu, rien de grand à compter toutes les étoiles.
Repassera-t-il ce nombre dans sa
1. Ps. CXLVI, 4.
mémoire, de peur de l’oublier? Est-il bien
étonnant que Dieu compte les étoiles quand il compte les cheveux de notre tête
1? Il est évident, mes frères, que Dieu veut nous montrer un sens caché dans ces
paroles: « Il compte la multitude des étoiles, et les appelle par leurs noms ».
Ces étoiles sont les flambeaux de l’Eglise, qui nous consolent dans cette nuit
terrestre, et dont l’Apôtre a dit: « C’est au milieu d’eux que vous
apparaissez, comme des flambeaux dans ce monde ».. « Dans cette nation
tortueuse et perverse », nous dit-il, « vous apparaissez au milieu d’eux comme
des flambeaux dans le monde, portant en vous la parole de vie 2». Telles sont
les étoiles comptées par le Seigneur; il connaît et il compte ceux qui doivent
régner avec lui, être unis au corps de son Fils unique. Il ne compte point
celui qui en est indigne. Beaucoup ont embrassé la foi, ou plutôt beaucoup se
sont unis à son peuple avec une ombre, une apparence de foi; mais il sait ce qu’il
doit compter et ce qu’il doit vanner. L’Evangile est parvenu à un point qui
justifie cette parole: « J’ai annoncé et parlé: et ils se sont multipliés
au-delà du nombre 3 ». Il y a donc parmi les peuples, des surnuméraires en
quelque sorte. Comment surnuméraires? C’est-à-dire plus nombreux ici-bas que
dans le ciel. Le peuple qui est dans cette enceinte est plus nombreux qu’il ne
sera dans le royaume de Dieu, dans la Jérusalem du ciel; voilà les
surnuméraires. Que chacun examine s’il brille dans les ténèbres, s’il est
insensible aux séductions des ténèbres et des iniquités de ce monde: s’il n’est
ni séduit ni vaincu, il sera comme une étoile que compte le Seigneur.
10. « Il appelle toutes les étoiles par leurs
noms »; c’est là toute notre récompense. Nous avons des noms devant Dieu, et qu
Dieu connaisse ces noms, c’est ce qu’il nous faut désirer; c’est là que doivent
tendre nos actiens et nos efforts, autant qu’il nous est possible: n’ayons de
joie pour rien autre chose, pas même pour un don spirituel. Qu votre charité
veuille bien m’écouter: les dons sont nombreux dans l’Eglise, comme l’a dit
l’Apôtre: « L’un reçoit du Saint-Esprit le don de parler avec sagesse; l’autre
reçoit du même Esprit le don de parler avec science;
1.
Matth. X, 30. — 2. Philipp, II, 15, 16. — 3. Ps. XXXIX, 6.
un autre le don de la foi par le même Esprit;
un autre le don de guérir les maladies; un autre le don de discerner les
esprits », c’est-à-dire de juger entre les bons esprits et les méchants; « un
autre le don des langues, un autre le don de prophétie 1 ! » Que n’a-t-il pas
énuméré ! Combien ces dons sont nombreux! Et pourtant beaucoup qui auront fait
de ces dons un mauvais usage entendront à la fin: « Je ne vous connais pas ».
Et que répondront à la fin ceux à qui l’on dira: « Je ne vous connais pas? —
Seigneur, n’avons-nous pas prophétisé en votre nom, et en votre nom chassé les
démons, et en votre nom encore opéré de grands prodiges? »
Tout cela en votre nom. Et que leur dira le
Seigneur? « En vérité, je ne vous connais point, retirez-vous de moi, ouvriers
d’iniquité 2 ». Quel avantage donc à être une lumière du ciel, éclairant les
autres sans se laisser vaincre par la nuit? « Je vous enseigne une voie bien
supérieure encore »,dit l’Apôtre 3. « Quand je parlerais toutes les langues des
hommes et des anges, si je n’ai point la charité, je suis un airain sonnant,
une cymbale retentissante ». Quel don de parler les langues des anges et des
hommes! « Et pourtant si je n’ai pas la charité, je ne suis qu’un airain
sonore, qu’une bruyante cymbale. Quand je pénétrerais tous les mystères, toute
la science, quand j’aurais le don de prophétie et une foi capable de
transporter les montagnes » (quels dons éminents, mes frères !), « si je n’ai
la charité, je ne suis rien ». Combien grand encore le don du martyre, et de
donner son bien aux pauvres! Et toutefois « quand même», poursuit l’Apôtre, «
quand même je distribuerais mon bien aux pauvres, quand je livrerais mon corps
pour être brûlé, si je n’ai la charité, tout cela ne me sert de rien 4 ».
Quiconque, dès lors, n’a point la charité, peut bien posséder ces dons pour un
temps, mais ils lui seront ôtés; on lui ôtera ce qu’il a parce qu’il lui manque
quelque chose; et ce qui lui manque est précisément ce qui lui assurerait la
possession du reste, et l’empêcherait de périr lui-même. Que nous dit
maintenant le Seigneur? « A celui qui possède, on donnera encore; et à celui
qui n’a point, on ôtera même ce qu’il a 5». Donc, pour celui qui n’a pas, on
lui
1. I Cor. XII,
8-10. — 2. Matth. VII, 22, 23. — 3. I Cor. XII, 31, — 4. Id. XIII, 1-3. — 5.
Matth. XIII, 12.
ôtera même ce qu’il possède. Il a la grâce de
posséder quelque don, mais il n’a pas la charité qui en use. Aussi voulut-il
inculquer cette charité à ses disciples, afin de les faire marcher dans le ciel
comme des étoiles dans la voie suréminente, celui qui compte les étoiles et les
appelle par leurs noms. En effet, un jour ces disciples revinrent de la mission
qu’il leur avait confiée, et dans leur joie ils s’écriaient: « Seigneur, voilà
que les esprits immondes nous sont soumis à cause de votre nom ». « Mais celui
qui compte les étoiles, et les appelle par leurs noms », sachant bien que
plusieurs diront: N’avons-nous pas chassé les démons en votre nom? et qu’on
leur répondra au dernier jour: « Je ne vous connais point », parce qu’il ne les
avait point comptés parmi les étoiles, ni appelés par leurs noms, celui-là,
dis-je, leur répondit: « Ne vous réjouissez point de ce que les esprits vous
sont soumis, mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans le ciel
1. C’est lui qui compte les étoiles si e nombreuses et les appelle par leurs
noms.»
11. « Notre Dieu est grand ». Le Prophète est
plein de joie, il la répand d’une manière ineffable. Impuissant à parler, il
avait du moins la pensée autant qu’il en était capable. « Notre Seigneur est
grand, grande est sa puissance, et sa sagesse n’a point de nombre 2 ». On ne
saurait compter celui qui suppute le grand nombre des étoiles. «Grand est notre
Dieu, grande sa puissance, et osa sagesse n’a point de nombre ». Qui pourrait
exposer le sens de ces paroles? Qui pourrait même comprendre d’une manière
convenable cette parole.: « Et sa sagesse n’a point de nombre? » Dieu veuille
se répandre lui-même dans vos âmes, et suppléer dans sa puissance à notre faiblesse,
éclairant lui-même vos esprits, afin que vous compreniez ce que signifie « La
sagesse n’a point de nombre ». Peut-on, mes frères, compter les grains de
sable? Impossible à nous, Dieu seul le peut. Lui qui a compté les cheveux de
notre tête 3, peut aussi compter les grains de sable. Tout ce qu’il y a
d’infini dans ce monde, peut bien être infini pour les hommes, et non toutefois
pour Dieu; c’est peu dire, pour Dieu, les anges peuvent le compter: «Son
intelligence n’a point de nombre ». Au-dessus de tous les calcule
est son intelligence, et nous ne saurions la
1.
Luc, X, 17,20. — 2. Ps. CXLVI, 5. — 3. Matth. X, 30.
compter. Qui peut compter le nombre même?
C’est du nombre que l’on se sert pour compter, et quel que soit votre calcul
vous prenez le nombre; mais qui comptera le nombre même? il est tout à fait
innombrable. Qu’est-ce donc en Dieu que ce nombre, par lequel il a tout fait,
et où il a tout fait, pour qu’on lui dise: « Vous avez réglé toutes choses avec
mesure, avec nombre et avec poids 1? » Qui pourrait évaluer le nombre, supputer
la mesure, peser la pesanteur où Dieu a tout réglé? « Son intelligence donc n’a
point de nombre ». Que la voix de l’homme se taise, que sa pensée devienne
muette; que les hommes ne s’efforcent peint de comprendre ce qui est
incompréhensible; qu’ils tâchent seulement d’y avoir une part, puisque nous y
aurons part un jour. Nous ne serons point ce que nous comprenons, et nous ne
pourrons le comprendre entièrement, mais nous en ferons partie; car il est dit
de Jérusalem, dont Dieu rassemble les débris dispersés, il est dit une parole
d’un grand sens: « Jérusalem qui est construite comme une cité, et dont les
habitants participent à ce qui est le même 2 ». Or, qu’est-ce à dire, ce qui
est le même, sinon ce qui ne change point? Tout ce qui est créé peut être d’une
manière ou d’une autre; mais celui qui a tout créé ne saurait être de telle ou
telle manière. Celui-là est donc le même; aussi est-il dit: « Vous les
changerez, et ils seront changés; mais vous êtes toujours le même, et vos
années ne finiront point 3 ». Si donc Dieu est toujours le même, s’il ne peut
changer; en participant à sa divinité, nous deviendrons immortels à notre tour,
et pour la vie éternelle. Et tel est le gage qu’il nous a donné en son Fils,
comme je le disais tout à l’heure à votre sainteté, qu’avant de nous donner
part à son immortalité, il a voulu prendre part à notre mortalité. Et comme il
était mortel, non par sa propre substance, mais par la nôtre; de même nous
serons immortels, non par notre substance, ruais par la sienne. Nous aurons
donc part en Dieu; que nul n’en doute; l’Ecriture nous l’affirme. Et quelle
part aurons-nous en Dieu, comme si Dieu était en plusieurs parts indivisibles?
Qui pourra m’expliquer comment plusieurs pourront avoir part en celui qui est
un, qui est simple? N’exigez pas de moi que je vous
1 Sag. XI, 21, — 2. Ps. CXXI, 3. — 3. Id. CI,
27, 28.
explique ce qui est inexplicable, vous le
voyez; mais revenez au remède que vous offre le Sauveur; brisez vos coeurs,
brisez la dureté de l’âme, domptez ce qu’elle a d’inflexible, qu’elle confesse
le mal qu’elle a fait, et renaisse dans le bien. Lui-même nous redressera,
bandera nos blessures, affermira notre santé, et alors nous ne rencontrerons
plus d’impossibilité dans ce qui nous est impossible aujourd’hui. Il est bon,
en effet, de confesser sa faiblesse, quand on veut parvenir à la divinité. « Et
son intelligence n’a point de nombre ».
12. Aussi dans cette impossibilité de
comprendre, le Prophète vient te montrer ce que tu dois faire, et te dit: « Le
Seigneur reçoit ceux qui sont doux ». Tu ne comprends rien par exemple aux
choses de Dieu, ou tu les comprends peu, ou tu ne saurais les pénétrer; rends
honneur à son Ecriture, honneur à sa parole, fût-elle voilée; attends
pieusement que tu puisses comprendre. Loin de toi la témérité d’accuser
l’Ecriture ou d’obscurité ou de perversité. Il n’y a rien de mauvais, mais il y
a de l’obscur, non que Dieu te veuille rien refuser, mais il veut te stimuler
avant de te le donner. Si donc il y a de l’obscurité, c’est le médecin qui l’a
voulu, afin de te forcer à frapper à la porte; il l’a voulu afin de t’exercer
quand tu frappes, il l’a voulu, afin de n’ouvrir qu’à tes efforts 1. Frapper
sera pour toi un exercice, et cet exercice dilatera ton coeur, et ton coeur
dilaté sera plus capable de recevoir ses dons. Loin donc de t’irriter de ces
obscurités, sois doux, plein de mansuétude. Garde-toi de regimber contre, ces
obscurités, et de dire: Il ferait mieux de s’exprimer de la sorte. Depuis quand
peux-tu dire ou juger de quelle manière on eût dû s’exprimer? Dieu a parlé
comme il convenait de parler. Ce n’est point au malade à réformer les remèdes
qu’on lui donne, le médecin sait les tempérer; crois en à celui qui travaille à
te guérir. Aussi, que dit le Prophète? « Le Seigneur reçoit ceux qui sont doux
». Garde-toi donc de résister aux secrets de Dieu, afin qu’il te reçoive. Si tu
veux résister, écoute ce qui suit: « Il abat les pécheurs jusqu’à terre ». Il y
a des pécheurs de beaucoup de sortes; mais quels sont ces pécheurs qu’il
humilie jusqu’à terre, sinon ceux qui sont opposés aux hommes doux? Dire en
effet du
1. Matth. VII, 7.
Seigneur: « Qu’il reçoit les hommes doux et
qu’il abat jusqu’à terre les pécheurs », c’est désigner par cette douceur, de
quels pécheurs il est question. Ici nous entendons par pécheurs ceux qui
manquent de douceur et de mansuétude. Pourquoi les humilier jusqu’à terre,
sinon parce qu’en regimbant contre les choses spirituelles, ils n’auront plus
que des sentiments terrestres?
13. C’est ainsi qu’il a traité les hommes qui
voulaient se rire de la loi avant de la connaître, et qui ont manqué de
docilité. Que votre charité comprenne bien ceci. Il s’est élevé une secte
dépravée, celle des Manichéens, qui a tourné en dérision les Ecritures qu’on
lit dans l’Eglise, et dont on respecte l’autorité; qui a osé condamner ce
qu’elle n’entendait pas, et en jetant le blâme sur des questions qu’elle
soulevait sans les comprendre, elle en a pris beaucoup dans ses filets. Pour
les châtier de cette audace, Dieu les humilia jusqu’à terre; il ne leur permit
pas de comprendre les choses d’en haut, et dès lors ils n’eurent du goût que
pour les choses terrestres. On n’entend dans leurs fables que des blasphèmes,
que des imaginations de fantômes corporels: ils ont voulu connaître Dieu, et
une fois arrivés à la pensée de cette lumière visible, ils n’ont pu aller au
delà. Alors ils ont imaginé, dans le royaume de Dieu, de vastes plaines d’une
lumière semblable à celle du soleil visible, dont ils ont fait un fruit de
cette lumière. Or, tout ce que l’on touche
par la terre de cette chair, est terre aux yeux de Dieu. Nous avons des moyens
de voir, d’entendre, de flairer, de goûter, de toucher. C’est par ces messagers
appelés nos cinq sens, que cette chair peut connaître seulement ce qui est
corporel; quant aux choses intelligibles et spirituelles, nous les connaissons
par l’esprit. Comme donc ces orgueilleux ont tourné en dérision les obscurités
des saintes Ecritures, qui n’étaient pour eux une porte close qu’afin de les
exercer en frappant à cette porte, et non pour en refuser l’entrée aux humbles,
voilà qu’ils sont abattus sur la terre, au point de ne pouvoir élever leurs
pensées au-delà de ce que la terre nous fait connaître. Et que faut-il entendre
par cette terre? La chair. Pour eux, en effet, la terre est cette chair faite
de la terre. Tout ce que l’on connaît par les yeux est terrestre; tout ce que
nous rapportent les oreilles, l’odorat, le goût, le toucher, (263) tout cela
est terrestre, parce que nous ne le connaissons que par la terre. Ils n’ont
donc pu comprendre cette intelligence qui est sans nombre. C’est pourquoi ils
ont condamné les saintes Ecritures qui couvrent les vérités de certains voiles,
afin d’exercer utilement les humbles, et ce blâme les a jetés dans une
indocilité opposée à la douceur, et ils ont été humiliés jusqu’à terre, en
sorte qu’ils n’ont pu comprendre Dieu qui est incorporel, et que leurs pensées
sur Dieu n’étaient rien moins que corporelles et grossières.
14. « Dieu donc abat les pécheurs jusqu’à
terre ». Que nous faut-il faire dès lors, si nous ne voulons être humiliés
jusqu’à terre? li est difficile de s’élever aux choses qui sont purement
d’intelligence, difficile d’arriver à ce qui est spirituel, difficile d’élever
son coeur de manière à comprendre qu’il y a quelque chose qui ne s’étend point
selon les lieux, ne varie point avec le temps. Quelle idée, en effet, se
fera-t-on de la sagesse? Quelle forme lui donner? Une forme longue? une forme
carrée? une forme ronde? Est-elle tantôt ici, et tantôt là? Un homme réfléchit
sur la sagesse dans l’Orient, un autre dans l’Occident; à un tel intervalle,
elle est présente à chacun d’eux, s’ils se la représentent convenablement. Que
dis-je ici? Qui peut le comprendre? Qui peut se faire une idée de cette nature
immuable et en quelque sorte divine? Ne te hâte point trop, tu pourras la
comprendre. Ecoute ce qui suit: « Commencez devant le Seigneur par la
confession 1 ». C’est par là qu’il te faut commencer, si tu veux arriver à
connaître parfaitement la vérité; si tu veux arriver,par la foi à la claire
vue, commence par la confession. Accuse-toi tout d’abord, et après cette
accusation bénis le Seigneur. Invoque celui que tu ne connais point encore,
qu’il vienne et se fasse connaître; non point qu’il vienne lui-même sans doute,
mais qu’il te conduise jusqu’à lui. Comment vient-il là d’où il ne se retire
jamais? Telle est, en effet, la sagesse parfaite, qu’elle est partout et loin
des méchants. Oui, dis-je, elle est par tout, et néanmoins elle est loin des
méchants qui sont partout. Mais je vous le demande, comment être éloignée de
quelques-uns et néanmoins être partout? Qu’est-ce que cet éloignement, sinon
que les méchants ne ressemblent point à Dieu, et qu’ils effacent en
1. Ps. CXLVI, 7.
eux-mêmes son image? Ils se sont retirés de
Dieu parce qu’ils ont perdu la ressemblance avec lui; qu’ils se réforment afin
de se rapprocher de lui. Comment nous réformer, diront-ils, et quand nous
réformer? «Commencez devant Dieu par la confession ». Et après cette
confession? Faites des bonnes oeuvres. « Chantez à notre Dieu sur la harpe ».
Qu’est-ce à dire, sur la harpe? Je vous l’ai dit déjà chanter sur la harpe a le
même sens que chanter un psaume sur le psaltérion; c’est bénir le Seigneur non
seulement de la voix, mais aussi par les œuvres. « Chantez à notre Dieu sur la
harpe ».
15. Ainsi donc confessez vos fautes, faites
des oeuvres de miséricorde, voilà ce que veut dire: « Chantez des psaumes à
notre Dieu ». Quel est votre Dieu? « Celui qui couvre le ciel de nuages 1 ».
Qu’est-ce à dire qu’il couvre le ciel de nuées? Qui couvre ses Ecritures de
figures et de mystères. Celui qui abat les pécheurs jusqu’à terre, qui adopte
les humbles, « couvre aussi le ciel de nuages ». Et comment voir le ciel que
des nuages nous dérobent? Loin de toi toute crainte, écoute ce qui suit: «
Celui qui couvre le ciel de nuages, et qui prépare des pluies à la terre ». A
cette parole: « Qui couvre le ciel de nuages », tu as été dans la stupeur, tu
as craint de ne point voir le ciel; mais quand la pluie sera venue, tu
produiras des fruits, et tu verras le ciel serein. « C’est lui qui couvre le
ciel de nuages, qui prépare à la terre des pluies ». Voilà ce qu’a fait le
Seigneur notre Dieu. Si l’obscurité des saintes Ecritures ne nous en fournissait
l’occasion, nous ne vous dirions pas ces vérités qui vous réjouissent. C’est
peut-être cette pluie qui vous réjouit. Notre langue n’aurait pu la répandre
sur vous, si Dieu n’avait couvert le ciel des saintes Ecritures de nuages
figuratifs. Il couvre donc le ciel de nuages, afin de préparer la pluie à la
terre. Il a voulu que les prophéties fussent obscures, afin qu’en les
expliquant les serviteurs de Dieu eussent ainsi le moyen de les verser dans
l’oreille et dans le coeur des hommes qui peuvent recevoir de ces nuées la
surabondance des joies spirituelles, « C’est lui qui couvre le ciel de nuages,
qui prépare à la terre des pluies».
16. « C’est lui qui fait croître le foin sur
les montagnes, et l’herbe pour l’usage des
1. Ps. CXLVI, 8.
hommes ». C’est là le produit de la pluie. «
Il fait croître le foin sur les montagnes ». Ne croît-il pas aussi dans les
vallées? Mais ce qui est plus à remarquer, c’est sur les montages. Le Prophète
appelle montagnes les grands du monde; il te faut donc entendre par ces
montagnes ceux qui sont élevés en dignité. Et il n’y a ici rien d’étonnant. Une
veuve déposa dans le trésor deux pièces de monnaie 1; c’est la terre basse, la
terre humble qui produit du fruit; mais une montagne en produisit aussi, ce fut
Zachée, le chef des publicains 2. C’est ce qui était plus admirable, qu’une
montagne produisît du foin. Plus les hommes sont élevés en dignité, plus leur
avarice est grande, et plus ils sont grands en ce monde, plus ils aiment les
richesses. De là vient qu’il s’en alla triste, ce jeune homme qui demandait à
Jésus-Christ ce qu’il devait faire pour gagner la vie éternelle, en l’appelant
bon Maître, et en disant: « Pour avoir la vie éternelle, que ferai-je? » Et le
Sauveur: « Observe les commandements ». « Quels commandements? » Et le Sauveur:
Les commandements de la loi. « Je les ai observés dès ma jeunesse. Il te manque
un point cependant: veux-tu être parfait? Va, vends tout ce que tu possèdes,
donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel; puis viens et suis-moi
». Que dit ainsi le Sauveur? Tu es une montagne, reçois la pluie, et produis du
foin. Que pourrais-tu produire, sinon du foin? Qu’est-ce, en effet, que du
foin, que tous ces dons que font les riches aux Eglises, pour subvenir aux
besoins de ceux qui servent Dieu? Tout cela est charnel et n’apparaît que pour
un temps; mais la récompense que l’on gagne ainsi n’est point charnelle. Vois
en effet ce que tu peux acheter au prix de biens si méprisables. L’Apôtre nous
l’indique en nous montrant que tout cela n’est que du foin: « Si nous avons
semé parmi vous les biens spirituels, est-ce une grande chose « que nous
récoltions quelque peu de vos biens temporels 3? » Or, comprends que les biens
charnels ne sont que du foin. « Toute chair n’est que du foin, et toute sa
gloire tombera comme la fleur du foin 4 ». Ce jeune homme donc s’en alla
triste, et le Sauveur de s’écrier: « Combien difficilement un
1.
Marc, XII, 42. — 2. Luc, XIX, 2-8. — 3. I Cor. IX, 11. — 4. Isaïe, XL, 6.
riche entrera dans le royaume des cieux! » Ce
qui est donc admirable, c’est que Dieu fasse croître le foin sur les montagnes.
Et comment le fait-il croître, si ce riche s’en va triste, dès qu’il entend
qu’il doit donner son bien aux pauvres? Que répond le Sauveur aux Apôtres
contristés? « Ce qui est difficile pour l’homme est facile à Dieu 1 ». C’est
donc celui à qui tout est facile qui fait croître le foin sur les montagnes.
Rien n’est plus stérile, en effet, que les roches des montagnes. Mais Dieu les
arrose, lui qui « fait croître le foin sur les montagnes, et l’herbe pour les
hommes tenus à la servitude». Quelle servitude? Ecoutez saint Paul. « Nous
sommes», dit-il, « vos serviteurs à cause de Jésus-Christ 2». Voilà qu’il
s’appelle serviteur, celui qui disait: « Est-ce une grande chose, qu’après
avoir semé parmi vous les biens spirituels, nous récoltions quelque peu de vos
biens charnels? » Nous sommes en effet des serviteurs pour vous, mes frères.
Que nul d’entre nous ne se dise plus grand que vous. Nous serons plus grands si
nous sommes plus humbles. « Quiconque d’entre vous veut être le plus grand,
sera votre serviteur 3 », c’est la sentence du divin Maître. Donc, « il fait
croître le foin sur les montagnes, et l’herbe pour les hommes de service ».
L’apôtre saint Paul vivait du travail de ses mains, préférant l’indigence au
foin des montagnes; et toutefois les montagnes produisaient du foin. Mais parce
qu’il n’en voulait point recevoir, les montagnes devaient-elles n’en point
donner et demeurer stériles? Le fruit est dû après la pluie; on doit la
nourriture au serviteur, comme l’a dit le divin Maître: « Mangez de ce qui est
à eux ». Et de peur que ceux-ci ne crussent donner du leur: « Tout ouvrier »,
ajoute le Sauveur, « est digne de sa récompense
17. C’est pourquoi, mes frères, de même que
déjà nous avons saisi l’occasion de vous parler à ce sujet, nous vous en
parlons encore aujourd’hui, et d’autant plus librement, que nous ne vous
demandons rien de ce genre. Et si nous vous demandions, nous chercherions en
cela plutôt votre avantage, plutôt votre sanctification que vos richesses.
Toutefois, encore un mot, mais bien court, j’ai déjà été bien long, et il est
temps de finir;
1.
Matth. XLX, 16-26. — 2. II Cor. IV, 5. — 3. Matth. XI, 26 — 4. Luc, X,
7, 8.
Si vous ne voulez être stériles, si la pluie
a produit en vous la fécondité, si vous craignez que Dieu ne condamne en vous
la stérilité, (car Dieu menace du feu la terre stérile qui ne produit que des
épines 1, comme il prépare ses greniers pour celle qui est féconde)
efforcez-vous d’exiger de vous-mêmes ce qui est dû à Dieu; soyez pour vous de
sévères exacteurs. Le Christ l’exige en silence, et cette voix peu bruyante
n’en est que plus grande, puisqu’il nous parle dans son Evangile. Ce n’est
point se taire complètement que dire: « Faites-vous des amis avec la monnaie de
l’iniquité, afin qu’ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels 2». Il ne
garde point le silence, écoutez sa voix. Nul ne saurait vous presser à ce
sujet, à moins peut-être que ceux qui vous servent dans le ministère de l’Evangile
n’en soient réduits à vous demander, Mais si vous les forcez à vous demander,
prenez garde que vous n’obteniez point ce que vous-mêmes demandez à Dieu. Soyez
donc vos propres exacteurs, de peur que ceux qui vous servent dans l’Evangile
n’en soient réduits, je ne dis pas à demander, car ils ne demandent point,
quelque besoin qu’ils éprouvent; mais de peur que leur silence ne soit pour
vous une condamnation. De là cette parole du Prophète: « Heureux celui qui
comprend le pauvre et l’indigent 3 ». Dire qu’il comprend le pauvre et
l’indigent, c’est dire qu’il n’attend point qu’on lui demande. L’un te cherche
parce qu’il n’a rien; mais toi, tu dois chercher un autre pauvre. L’Ecriture
nous recommande l’un et l’autre, mes frères; ici: « Donne à quiconque te demande
4 », nous l’avons lu tout à l’heure; et dans un autre endroit: « Que l’aumône
sue dans ta main, jusqu’à ce que tu trouves un juste à qui la donner ».
Celui-ci te demande, mais pour l’autre tu dois le chercher. Ne renvoie pas les
mains vides celui qui te cherche: « Donne à quiconque te demande »; mais il en
est un autre que tu dois toi-même chercher: « Que ton aumône sue dans ta main,
jusqu’à ce que tu rencontres un juste, à qui tu la donneras». C’est ce que vous
ne pourrez pratiquer, si vous ne mettez en réserve quelque peu de vos revenus,
ce que chacun voudra, et selon que lui permet sa fortune, comme il ferait d’un
argent dont il serait débiteur envers le fisc. Car le Christ a aussi son
1. Héb. VI, 7, 8.— 2. Luc, XVI, 9. — 3. Ps.
XL, 2. — 4. Luc, VI, 30.
fisc, à moins qu’il
n’ait point son gouvernement. Vous savez en effet ce qu’est le fisc, ou fiscus: c’est un grand panier; de là
viennent fiscella, petit panier, et fiscina, corbeille. Ne vous imaginez pas
que ce mot fiscus soit quelque
dragon, parce qu’on n’entend parler qu’avec terreur d’un collecteur du fisc. Le
Seigneur avait aussi son fisc ou sa cassette, quand sur la terre il portait ses
deniers, et ces deniers étaient confiés à Judas 1. Le Sauveur souffrait avec
lui ce traître, ce voleur, pour nous donner en cela un modèle de patience.
Toutefois, ceux qui donnaient cet argent le donnaient pour le Sauveur; car ne
croyez pas que le Sauveur ait couru çà et là, ait mendié, ou ait été dans le
besoin, lui que servaient les anges, et qui avec cinq pains rassasia tant de
milliers d’hommes. Pourquoi donc voulut-il éprouver le besoin, sinon pour
donner l’exemple aux montagnes, qui ont dû produire du foin, et non demeurer
stériles sous l’action de la pluie? Retranchez quelque peu, jetez dans les
coffres de Jésus-Christ une somme déterminée que vous déduirez des revenus de
chaque année, ou du gain de chaque jour. Car on dirait que tu donnes de ton
fonds, et dès lors ta main tremble nécessairement quand elle s’étend à ce que
tu n’as point résolu de donner. Retranche donc une partie de tes revenus.
Est-ce la dîme? Eh bien ! donne la dîme, quoique ce soit bien peu. Car il est
marqué dans l’Evangile que les Pharisiens donnaient la dîme. « Je jeûne deux
fois la semaine »,disait l’un deux, « je donne la dîme de tout ce que je
possède 2 ». Et que dit le Seigneur: « Si votre justice ne surpasse de beaucoup
celle des Scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez point dans le royaume des
cieux 3 ». Et pourtant, cet homme que tu dois surpasser en justice donne la
dîme; et toi tu n’en donnes pas la millième partie. Comment le surpasser, quand
tu ne saurais même l’égaler? « C’est Dieu qui couvre le ciel de nuages, qui
prépare des pluies à la terre, qui fait croître le foin sur les montagnes, et
l’herbe pour ceux des hommes qui servent les autres ».
18. « Il donne aux troupeaux leur nourriture
4 ». Ces troupeaux sont les troupeaux du Seigneur, qui ne prive point son
bercail de cette nourriture que lui servent les hommes,
1. Jean, XII, 6.— 2. Luc, XVIII, 12. — 3.
Matth. V, 20. — 4. Ps. CXLVI, 9.
et à ces hommes qui servent les autres il
fait croître l’herbe. De là cette parole de l’Apôtre:
« Celui qui fait paître le troupeau, ne
mangera-t-il pas de son lait 1? C’est lui qui donne leur nourriture aux
troupeaux et aux petits des corbeaux qui l’invoquent». Allons-nous croire que
les corbeaux invoquent le Seigneur pour recevoir de lui leur nourriture?
Gardez-vous de croire qu’un animal sans raison invoque le Seigneur, il n’y a
pour l’invoquer que l’âme raisonnable. Il y a donc ici une figure, et ne croyez
pas, comme l’ont dit certains impies, que l’âme de l’homme retourne après la
mort dans les bestiaux, dans les chiens, les porcs, les corbeaux. Loin de vous,
loin de votre foi ces pensées. L’âme de l’homme est faite à l’image de Dieu 2, et
Dieu ne donnera point son image à un chien, à un pourceau. Que signifie donc: «
Et aux petits des corbeaux qui lui demandent leur nourriture? » Quels sont ces
petits des corbeaux? Les Israélites se vantaient d’être les seuls justes, parce
qu’ils avaient reçu la loi, et ils regardaient comme pécheurs les hommes des
autres nations. Et en effet toutes les autres nations étaient plongées daims le
péché, dans l’idolâtrie, dans le culte de la pierre et du bois; mais y sont-ils
demeurés? Et si nos pères, qui étaient des corbeaux, n’invoquaient pas Dieu,
nous, les fils de ces corbeaux, ne l’invoquons-nous point? « Il donne aux
troupeaux leur nourriture, et aux petits des corbeaux qui l’invoquent ». C’est
bien aux petits des corbeaux que saint Pierre a dit: « Ce n’est point par des
objets corruptibles, comme l’or et l’argent, que vous avez été rachetés de la
vie pleine de vanité que vous suiviez à l’exemple de vos pères 3». Car ces
petits des corbeaux qui semblaient adorer les idoles de leurs pères se sont
convertis à Dieu; et aujourd’hui le petit du corbeau n’invoque et n’adore qu’un
seul Dieu. Quoi donc? diras-tu à ce petit du corbeau: As-tu bien pu quitter ton
père? Oui, tout à fait; car le corbeau n’invoquait pas Dieu, et moi, le petit
du corbeau, j’invoque le Seigneur. « Et aux petits des corbeaux qui l’invoquent
».
19. « Il ne met pas sa complaisance dans la
puissance du cheval 4 ». Cette puissance du cavalier, c’est l’orgueil. On
dirait que le cheval est né afin de porter l’homme et de l’élever plus haut; de
là cette encolure qui, chez
1. I
Cor. IX, 7. — 2. Gen. I, 26. — 3. I Pierre, I, 18.— 4. Ps. CXLVI, 10.
cet animal, témoigne de sa fierté, Que les
hommes ne se glorifient point de leurs dignités, qu’ils ne se croient point
élevés par les honneurs qu’ils reçoivent, qu’ils prennent garde qu’ils n’en
soient précipités comme d’un cheval fougueux. Vois en effet ce que dit un autre
psaume: « Ceux-ci se glorifient de leurs chariots, ceux-là de leurs chevaux;
mais nous, c’est dans te nom du Seigneur notre Dieu ». C’est-à-dire, les uns se
glorifient de leurs honneurs temporels, mais nous du nom du Seigneur que nous
adorons. Aussi, que leur est-il arrivé? Voyez ce qui suit: « Leurs pieds se
sont embarrassés, et ils sont tombés; mais nous nous sommes relevés et tenus debout
1. Car le Seigneur ne met point sa complaisance, et ne met point ses délices
dans les tabernacles de l’homme». « Dans les tentes de l’homme », dit le
Psalmiste; car la tente de Dieu c’est l’Eglise répandue par toute la terre. Les
hérétiques, en se séparant des tabernacles de l’Eglise, ont élevé des tentes
pour eux-mêmes, et c’est dans ces tabernacles de l’homme que Dieu ne met point
ses complaisances. Mais écoute le petit du corbeau qui dit: « J’ai choisi
l’abjection dans la maison du Seigneur, plutôt que d’habiter dans les tentes
des pécheurs » Qu’un homme de bien, qu’un homme pieux qui connaît sa faiblesse,
que ce petit du corbeau qui invoque le Seigneur, vienne à être sans dignité
temporelle dans l’Eglise, il ne s’en sépare point pour cela, il ne se fait
point en dehors de l’Eglise une tente en laquelle Dieu ne mettrait point ses
complaisances. Mais que dit-il? « J’ai choisi l’abjection dans la maison du
Seigneur, plutôt que d’habiter dans les tabernacles des pécheurs; et Dieu ne
fera point ses délices des tabernacles de l’homme».
20. Que dit encore le Prophète? « Il mettra
ses complaisances dans ceux qui le craignent, et dans ceux qui espèrent en sa
miséricorde 3 ». Dieu se plaît dans ceux qui
le craignent. Mais craint-on Dieu comme on
craindrait un voleur? On craint en effet le voleur, on craint la bête féroce,
on craint beaucoup l’homme injuste et puissant. « Le Seigneur mettra ses
complaisances dans ceux qui le craignent ». Mais comment le craignent-ils? « En
mettant leur espérance dans sa miséricorde ». Judas qui trahit le Christ
1. Ps. XLX, 8.9. — 2. Id. LXXXIII, 11. — 3.
Id. CXLVI, 11.
craignait Dieu, mais sans espérer dans sa
miséricorde. Il se repentit d’avoir livré le Seigneur et s’écria: « J’ai péché
en livrant le sang du juste. Craindre Dieu était bien, mais il fallait espérer
dans la miséricorde de ce Dieu que tu craignais. Le désespoir l’emporta et il
alla se pendre 1. Crains donc le Seigneur, mais en espérant dans sa
miséricorde. Si tu crains un voleur, tu attends aussi du secours, mais non de
l’homme que tu crains. C’est à l’homme que tu ne crains pas que tu demandes
protection contre celui que tu crains. Si tu crains Dieu, et si tu le crains
parce que tu es pécheur, qui te protégera contre Dieu? Où aller? Que faire?
Veux-tu échapper à Dieu? Cherche en lui un refuge. Veux-tu fuir sa colère?
Cherche un refuge dans sa clémence. Tu le rendras clément si tu espères dans sa
miséricorde. Du reste, évite le péché à l’avenir, et quant aux fautes passées,
supplie le Seigneur de te les pardonner. A lui sont l’honneur et la puissance,
en union avec le Père et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles. Ainsi
soit-il !
1. Matth. XXVII, 4, 5.
SERMON AU PEUPLE.
Dimanche
dernier, le passage relatif au jugement dernier nous a empêché de nous occuper
de ce psaume, en nous jetant dans la crainte, et toutefois que pouvons-nous
craindre, puisque notre juge nous aime et sera juste? Il y a dans notre psaume
un passage relatif à la neige, au brouillard, au cristal, qui a besoin d’être
bien compris; et néanmoins, entre le psaume et l’Evangile de dimanche, une
certaine analogie; car le jugement annoncé par cet Evangile nous ouvrira la
Jérusalem du ciel dont nous parle notre psaume. La crainte que nous inspire le
jugement est salutaire, puisqu’elle nous prémunit contre l’amour de la vie et
tient en éveil la foi dans nos coeurs.
Ce
psaume fut composé pendant la captivité de Jérusalem, qui était une figure de
notre captivité, car tel est notre état ici-bas, et le nombre de 70 années, un
nombre septénaire, est la figure du temps qui s’écoule, sept jours par sept
jours. Que tous les élus bénissent donc le Seigneur, car telle sera leur
occupation, puisqu’il n’y aura plus alors besoin des oeuvres extérieures le
miséricorde; et les hommes de Jérusalem sont ceux qui ne mettent point leur
bonheur ici-bas, ou rougissent et se repentent d’avoir pris part à ses pompes.
Sion et Jérusalem signifient vision, ce qui nous montre que si les mondains ont
leurs spectacles ici-bas, nous aurons les nôtres dans les cieux. Nous louons
Dieu ici-bas au milieu des défections, là haut il n’y en aura plus, on ne
pourra sortir, Dieu a consolidé les serrures. Cherchons à y entrer comme les
vierges qui ont de l’huile dans leurs lampes. Elles sont vierges et au nombre
de cinq, symbole des cinq sens qui sont vierges s’ils sont exempts de
corruption; il en est de môme des autres qui sont vierges aussi, ou sans
corruption, mais aussi sans huile, au sans piété intérieure, et cherchant les
applaudissements du dehors. Elles allument leurs lampes, ou fout éclater lus
oeuvres, s’endorment parce que tous doivent passer par la mort. Les vierges
sages sont humbles, et craignent de n’avoir pas en suffisance l’huile de la
piété intérieure. Faisons toujours des oeuvres de miséricorde, et remettons
pour qu’il nous soit remis; la veuve achète le ciel avec deux deniers; et l’on
se servira à notre égard de la mesure que nous aurons employée. C’est Dieu qui
nous tend la main, et Dieu qui nous a donné.
C’est
Dieu qui a béni en Sion les enfants qui y demeurent dans le giron de la
charité; qui établit la paix sur ses confins, Or, cette paix n’est point pour
l’hérésie, qui condamne sans connaître, qui ne croit ni à Moïse, ni aux
Prophètes, ni ai Christ; puisqu’elle se prétend la véritable Eglise, tandis que
cette Eglise doit être universelle. La voilà incrédule couse les frères du
mauvais riche, qui n’en eussent pas cru même à celui qui serait ressuscité
d’entre les morts, puisqu’elle n’es croit point au Christ ressuscité, qui dit
que la pénitence et la rémission des péchés seront prêchées en son nom, c’est
bien là l’Epouse ou l’Eglise, et prêchées par toute la terre, c’est bien là sa
catholicité, et à partir de Jérusalem, ou de cette ville de la terre, image de
la Jérusalem du ciel. De là encore le don des largues après la descente du
Saint-Esprit, parce que l’Eglise devait être prêchée en toutes les langues; ce
don n’existe plus parce que la prophétie est réalisée, et que l’Eglise parle
toutes les langues des peuples.
Remercions
Dieu d’avoir part un jour à cette Jérusalem, où nous aurons la moelle du
froment, Dieu nous aidant à nous élever à lui en nous envoyant son Verbe qui
est rapide, qui se revêt, comme d’une laine, de cette neige qui est froide,au
de ces hommes froids d’abord et qui se convertissent, qui appellent ces hommes
à la pénitence symbolisée par la cendre en les faisant passer par le
brouillard, symbole de nos ténèbres, qui fait fondre Saul, cristal si dur, et
par lui donne aux fidèles, le lait et le pain de la doctrine. Ce Verbe de Dieu
peut donc dissoudre la glace la plus dure, son souffle en fait couler ces eaux
de la vie éternelle.
Il
enseigne sa parole à Jacob, ou ses desseins de miséricorde, en lui montrant par
la lutte que le ciel souffre violence. Il n’y a que Jacob à qui tout cela ait
été annoncé d’une manière efficace, car ceux qui le comprennent sont Jacob et
Israël, par Isaac, et par Abraham.
1. Votre charité s’en souvient, nous avons
remis à vous parler aujourd’hui du psaume que l’on vient de chanter. C’est lui,
en effet, qu’on vous a lu dimanche, et que j’avais même entrepris de vous
exposer. Mais la lecture de l’Evangile nous effraya, et cette crainte ainsi que
le bien que nous en espérions pour vous, nous forcèrent de nous arrêter sur les
paroles du Seigneur à propos du dernier jour, et sur la vigilance, sur les
précautions avec lesquelles nous devons attendre son arrivée. Il nous effrayait
par des exemples, pour ne point nous condamner en son jugement, nous disait
qu’il en serait à l’avènement du Fils de l’homme, de même qu’aux jours de Noé:
« Les hommes alors mangeaient et buvaient, ils achetaient, ils vendaient, ils
mariaient leurs filles, épousaient des femmes, jusqu’ à ce que Noé entra dans
l’arche, et que le déluge vint les perdre tous 1 ». Pris d’inquiétude et frappé
de crainte (qui peut en effet croire à ces choses sans trembler?) nous avons
appuyé sur ce sujet, autant que possible, nous avons parlé sur la pureté de vos
moeurs, sur la vie régulière, qui doit être la
1. Matth. XXIV, 37, 42,
nôtre à tous, afin que nous puissions non
seulement voir arriver sans crainte, mais encore désirer ce jour si terrible.
Car si nous aimons le Christ, nous devons appeler de nos voeux son avènement.
Craindre l’avènement de celui que nous aimons, et néanmoins lui dire dans nos
prières « Que votre règne arrive 1 », quand nous redoutons d’être exaucés,
c’est un contre-sens tel que je ne saurais y croire. Pourquoi craindre, en
effet? Parce que notre juge viendra? Mais est-il donc injuste? Est-il
malveillant? Est-il jaloux? Est-ce par autrui qu’il doit connaître ta cause, et
peux-tu redouter que celui que tu as chargé de ce soin, ou ne te trahisse dans
sa duplicité, ou ne manque d’éloquence et d’habileté pour démontrer ton
innocence? Rien de cela n’est à redouter. Qui donc viendra? Pourquoi ne point
te réjouir? Qui doit venir te juger, si mon celui qui est venu pour être jugé à
cause de toi? Ne crains pas pour accusateur celui dont le Sauveur lui-même a
dit: « Le prince de ce monde a été chassé dehors 2 ». Ne redoute pas un avocat
peu habile tu as pour avocat celui qui sera ion juge. Il n’y aura que lui, et
toi, et ta cause; le plaidoyer de ta cause sera le témoignage de ta conscience.
Si donc tu crains le juge à venir, redresse dès aujourd’hui ta conscience.
Est-ce peu pour toi qu’il ne recherche point dans le passé? Il te jugera sans
plus te laisser de temps; mais maintenant qu’il commande, quel espace de temps
ne laisse-t-il pas écouler? Alors il ne te sera plus possible de te corriger.
Mais qui t’en empêche maintenant? Toute ce que nous représentions avec tant de
terce dimanche dernier, parce que c’est une mérité, parce qu’il n’y a que cela
en quelque manière à vous représenter, un temps bien long s’écoula, et nous
dûmes remettre pour aujourd’hui le psaume que nous avions entrepris
d’expliquer. Le voici maintenant; qu’il fixe notre attention, ou plutôt
écoutons le Seigneur qui, dans sa miséricorde, a bien moulu nous faire dicter
par son Esprit ces paroles saintes, selon le besoin qu’il nous connaît dans
notre faiblesse. Quel malade, en effet, voudrait donner des conseils au
médecin?
2. A la lecture du psaume, vous avez
remarqué, je pense, que tous les versets, ou du moins un grand nombre, veulent,
pour être
1. Matth. VI, 10. — 2. Jean, XII, 31.
compris, que l’on frappe à la porte; surtout
quand il est dit que « Dieu donne la neige comme la laine, qu’il répand les
frimas comme la poussière, qu’il jette son cristal comme des morceaux de pain.
Qui pourra résister à la rigueur de son froid 1? » A ces paroles, quiconque les
entend à la lettre, porte sa pensée sur les oeuvres de Dieu. Qui donne la
neige, sice n’est Dieu? Qui répand les frimas, si ce n’est Dieu? Qui durcit le
cristal, si ce n’est lui encore? Or, ces trois phénomènes ont avec des objets
bien différents de frappantes analogies. La neige, en effet, ressemble quelque
peu à la laine, comme la poussière au frimas, comme un morceau de pain blanc à
la blancheur et à l’éclat du cristal. Car on appelle cristal une espèce de verre,
mais blanc. Ceux qui savent ces choses et du témoignage desquels nous pouvons
douter d’autant moins que l’Ecriture, qui est très-certaine, les vient appuyer,
ceux, dis-je, qui savent ces choses, nous disent que le cristal vient d’une
neige durcie pendant de longues années sans se fondre, et qui se congèle au
point qu’elle ne saurait plus se résoudre. L’été qui arrive dissout facilement
les neiges d’un hiver qui s’écoulent, parce qu’elles n’ont pas eu le temps de
se durcir. Mais que des neiges viennent s’amonceler pendant beaucoup d’années,
et que cet amas vienne à résister aux chaleurs de l’été, et non d’un seul été,
mais d’étés nombreux, surtout dans cette partie de la terre qui forme la plage
du nord, et où le soleil, même en été, n’est pas très-brûlant, cette dureté que
le temps a fortifiée produit ce que l’on appelle cristal. Que votre charité
soit attentive. Qu’est-ce donc que le cristal? Une neige que la glace a durcie
durant de longues années, de sorte que le soleil ni le feu ne peuvent la dissoudre
facilement. Nous donnons cette explication un peu longue, parce que beaucoup
l’ignorent; quant à ceux qui la savent, qu’ils écoutent sans peine ce que l’on
dit, non pour eux, mais pour ceux qui pourraient ignorer ce que nous disons.
Lors donc que le lecteur récitait ce passage, je ne doute pas que vous vous
soyez laissés aller à bien des pensées, que quelques-uns aient dit, et avec
vérité: Que les oeuvres du Seigneur sont grandes, quoique l’on n’en rapporte
ici qu’une partie, encore est-ce une partie terrestre, et que tout le monde
connaît
1. Ps. CXLVII, 16, 17.
comme la neige que Dieu fait descendre, le
frimas qu’il répand, le cristal qu’il durcit. D’autres se sont dit: Est-ce bien
sans raison que cela se trouve dans les saintes Ecritures, et le sens littéral
de ces paroles est-il bien le véritable sens? N’y a-t-il pas un sens caché sous
cette neige que l’on compare à la laine, sous ce frimas comparé à la poussière,
sous ce cristal comparé au pain? Mais pourquoi l’Ecriture a-t-elle voulu
employer ces voiles et ces comparaisons? Ne vaudrait-il pas mieux s’exprimer
plus clairement? Pourquoi faut-il chercher le sens de ces paroles, et le
chercher en hésitant? Pourquoi ne puis-je les écouter sans heurter contre des
difficultés? Pourquoi même, après avoir entendu le psaume, n’en savoir pas
davantage le puis souvent? C’est là ce que je vous disais tout à l’heure:
Laisse-toi guérir, c’est ainsi qu’il faut te soigner. Un malade est bien
orgueilleux, bien impatient quand il donne des avis au médecin, ce médecin ne fût-il
qu’un homme. Où est donc ce malade assez téméraire pour conseiller son médecin?
Quand le malade est l’homme, et Dieu le médecin, c’est une grande disposition à
la guérison, que cette piété qui nous fait croire que Dieu a dû parler de la
sorte, avant même que nous sachions ce qui est dit. Car cette piété te rendra
capable de chercher le sens des paroles, de le trouver après l’avoir cherché,
et de te réjouir de l’avoir trouvé. Que vos prières aient donc devant le
Seigneur notre Dieu ce degré de ferveur, et si ce n’est pour nous, que du
moins, en votre considération, il daigne nous découvrir ce qu’il y a de caché
sous ces voiles. Supposez donc que je vous ai assigné un jour pour vous donner
un spectacle tout divin, et qu’en prononçant ces versets sans les expliquer, je
vous ai fait entrevoir seulement quelques richesses de celui qui nous donnera
ces divins spectacles. Ces richesses nous sont montrées sous une enveloppe,
afin de nous en faire désirer la découverte; pour vous, tenez-vous prêts, non
seulement à les regarder, mais encore à vous en revêtir.
3. Nous disions dimanche, et il doit vous en
souvenir, vous qui étiez présents, que la lecture de l’Evangile, qui nous
arrêta si longtemps, au point qu’il nous fallut remettre l’explication de notre
psaume, avait beaucoup d’analogie avec le psaume lui-même. Nous l’avons dit
alors, mais sans pouvoir le démontrer, puisqu’il fallut différer l’exposition
du psaume. C’est aujourd’hui qu’il nous faut établir cette analogie. La lecture
de l’Evangile nous effraya au sujet du dernier jour; mais cette frayeur est la
mère de la sécurité, car cette frayeur nous met sur nos gardes, et la sécurité
vient de la vigilance. De même qu’une sécurité mal fondée nous jette en un plus
grand effroi, de même une crainte sage amène la sécurité. La crainte qui nous
saisit alors nous détourne de nous attacher à cette vie qui nous échappe, qui
passe et s’évanouit, de l’aimer comme s’il n’y en avait point d’autre pour
nous; car s’il n’y en a point d’autre, aimons celle-ci. S’il n’est point d’autre
vie, ceux qui ont passé la nuit à l’amphithéâtre sont plus heureux que nous.
Que dit en effet l’Apôtre: « Si notre espérance dans le Christ n’est que pour
cette vie, nous sommes les plus misérables de tous les hommes ». Il est donc
une autre vie, Que chacun dans sa foi interroge le Christ; mais la foi est
endormie. Te voilà donc justement agité par les flots, parce que le Christ est
endormi dans la barque. Car Jésus dormait dans la barque, et cette barque était
battue par les flots, et par toutes sortes de tempêtes. Notre coeur est dans
l’agitation quand le Christ dort. Et néanmoins le Christ veille toujours. Que
signifie donc le sommeil du Christ? Le sommeil de la foi. Pourquoi te laisser
encore agiter par les flots du doute? Eveille donc le Christ, éveille ta foi:
envisage des yeux de la foi cette vie future pour la. quelle tu as cru, pour
laquelle tu as été marqué du signe de celui qui est venu en cette vie tout
exprès, afin de te montrer combien est méprisable cette vie que tu aimes,
combien il faut espérer l’autre vie en laquelle tu ne croyais point. Si donc tu
éveilles ta foi, pour diriger ton regard sur tes fins dernières, sur ce siècle
futur qui doit faire notre joie après l’autre avènement du Seigneur, après
l’arrêt du jugement, après que les saints seront mis en possession du royaume
des cieux; si, dis-je, ta pensée s’arrête sur cette vie, sur le repos toujours
agissant dont nous jouirons alors, et dont nous vous avons parlé souvent, mes
bien-aimés, notre action ne sera plus agitée; ce sera une et action dans un
repos plein de douceur, une in action que ne troublera aucune peine, que
n’interrompra aucune fatigue, ni aucun (271) nuage d’ennui. Quelle sera donc
alors toute notre oeuvre? De louer Dieu, de l’aimer et de le louer; de le louer
en l’aimant, de l’aimer en le louant. « Bienheureux ceux qui habitent votre
maison, ils vous loueront dans e les siècles des siècles 1». Pourquoi, sinon
parce qu’ils vous aimeront aussi dans les siècles des siècles? Pourquoi, sinon
parce qu’ils vous verront dans les siècles des siècles? Quel spectacle pour
nous, mes frères, quel spectacle de voir Dieu! Que les hommes voient un
chasseur dans l’amphithéâtre, ils en tressaillent de joie. Malheur à ces
misérables, s’ils ne se corrigent! Ces mêmes hommes qui tressaillent de joie à
la vue d’un chasseur, pâliront de tristesse à la vue du Sauveur. Quoi de plus
misérable que ces hommes que le Sauveur ne sauvera point? Rien donc d’étonnant
qu’ils ne trouvent point leur salut dans un Dieu qui délivre, ceux qui mettent
leurs délices dans un homme qui combat. Quant à nous, mes frères, s’il nous
souvient que nous sommes ses membres, si nous l’aimions, si nous persévérons en
lui, nous le verrons et il sera notre joie. Sa cité sera pure, et dans ses
citoyens purifiés on ne trouvera mi séditieux, ni turbulent; cet ennemi qui
mous porte envie et nous barre le passage vers cette patrie bienheureuse, ne
pourra plus nous y tendre des embûches; on ne lui en permet pas même l’entrée.
Si dès ici-bas il est banni du coeur des fidèles, comment ne serait-il point
exclu de la terre des vivants? Que sera-ce, mes frères, je vous le demande, que
sera-ce d’habiter cette ville, quand en parler nous cause tant de joie?
Préparons nos coeurs pour cette vie future, et quiconque lui réserve son coeur,
dédaigne tout ce qui est ici-bas; et ce mépris lui fait attendre avec sécurité
ce grand jour, dont l’expectative nous a effrayés dans la bouche du Seigneur.
4. Dès lors que notre psaume chante cette vie
future dont il noué entretient, et que l’Evangile nous effraie au sujet de
celle-ci, le psaume nous fait aimer l’avenir et l’Evangile haïr le présent. Le
Nouveau Testament ne garde point le silence au sujet du bonheur à venir, et
nous en parle d’autant mieux qu’il nous expose sans voile ce que nous devons
comprendre; mais il nous en parle clairement, afin de nous faire comprendre ce
qui est dit ici en figures. L’Evangile donc nous disait:
1. Ps. LXXXIII, 5.
Prenez garde au dernier jour qui viendra, au
jour de l’avènement du Fils de l’Homme 1: parce qu’il surprendra dans leur
malheur ceux qui sont aujourd’hui en sécurité, et précisément parce que c’est
là une fausse sécurité, puisqu’ils se croient en sécurité dans les voluptés du
siècle, tandis que leur sécurité devrait naître du silence de leurs convoitises
du siècle. C’est à cette vie que nous prépare l’Apôtre dans ces paroles que
j’ai citées alors: « Du reste, mes frères, le temps est court, il reste donc à
ceux qui ont des femmes d’être comme s’ils n’en avaient point; à ceux qui
achètent, comme s’ils n’achetaient point; à ceux qui se réjouissent, comme
s’ils ne se réjouissaient point; à ceux qui pleurent, comme s’ils ne pleuraient
point; à ceux qui usent des choses de ce monde, comme s’ils n’en usaient point;
car la figure du monde passe, et je désire que vous soyez sans inquiétudes 1».
Quiconque a mis toute sa joie, toute sa félicité à manger, à boire, à se
marier, à acheter, à vendre, à jouir du monde, est aussi sans inquiétude; mais,
comme tel, il est hors de l’arche, et malheur à lui, à cause du déluge. Quant à
l’homme, qui mange, qui boit, qui fait toutes ses actions pour la gloire de
Dieu 3, s’il est triste pour quelque sujet du temps, il pleure, mais conserve
au dedans la joie de l’espérance; si les affaires du temps lui causent de la
joie, il se réjouit, mais son coeur nourrit une crainte spirituelle, en sorte
qu’il ne se laisse ni corrompre par la prospérité ni abattre par le malheur.
C’est là, en effet, pleurer comme si l’on ne pleurait point, et se réjouir
comme si l’on ne se réjouissait point. Quiconque a une femme, et, par
compassion pour sa faiblesse, rend le devoir sans l’exiger, ou ne cherche dans
le mariage qu’un remède à sa propre faiblesse, et pleure de n’avoir pu se
passer d’une femme, plutôt qu’il ne met en elle sa complaisance; quiconque vend
son bien, parce qu’il sait que ce bien, même en lui demeurant, ne le rendrait
pas heureux; quiconque achète et sait bien que cela passera, qui ne met point
sa confiance dans ses biens, quelle qu’en soit l’abondance, et même la
surabondance, qui du bien qu’il a, fait l’aumône à,celui qui n’a pas, afin de
recevoir ce qu’il n’a pas de celui à qui tout appartient;
1.
Matth. XIV, 41. — 2. I Cor. VII, 29-32. — 3. Id. X, 31.
quiconque en est là peut attendre avec
sécurité le dernier jour, parce qu’il n’est point hors de l’arche; mais il fait
partie de ces bois incorruptibles dont l’arche est construite 1. Qu’il ne
craigne donc point l’avènement du Sauveur, mais plutôt qu’il l’espère et le
désire; car il ne viendra point pour lui infliger un châtiment, mais pour mettre
fin à ses misères. Or, tout cela se fait par le désir que nous avons de cette
cité sainte. Les avertissements de l’Evangile se réalisent dès lors dans nos
soupirs vers cette Jérusalem que chante notre psaume, et de là vient l’accord
de l’Evangile avec ce chant du Prophète.
5. Ecoutons quelle est la cité que chante le
psaume. Ecoulons et chantons; notre joie, en l’écoutant, est elle-même un
cantique en l’honneur de notre Dieu. Car chanter n’est pas seulement répéter un
cantique avec le bruit de la voix et des lèvres; il est aussi un chant
intérieur, parce qu’un autre a l’oreille dans notre intérieur. Chantons de la
voix pour nous stimuler, chantons du coeur afin de lui plaire. Ce psaume est
intitulé: « Psaume d’Aggée et de Zacharie 2». Or, Aggée et Zacharie furent des
Prophètes, et ces Prophètes vivaient au temps de la captivité de cette
Jérusalem qui était la figure de la Jérusalem du ciel. Or, pendant la captivité
de cette ville, comme ils étaient à Babylone, ils prophétisèrent au sujet de
Jérusalem, annonçant que le peuple sortirait de la captivité 3, que sur les
ruines de l’ancienne serait bâtie une cité nouvelle. Or, nous connaissons cette
captivité, si nous connaissons véritablement la nôtre. Dans ce inonde, en
effet, dans ces tribulations du siècle, au milieu de ces scandales sans nombre,
nous sommes dans une sorte de captivité, mais nous en serons délivrés; on nous
prédit une vie nouvelle semblable à celle-ci. Après la promesse des Prophètes
s’accomplit d’une manière visible tout ce qui devait faire de cette cité une
image de la cité invisible. Jérusalem fut rebâtie après soixante et dix ans de
captivité. Ce nombre de soixante et dix était précisé par Jérémie, qui nous
montre, sous la figure du nombre septénaire, le temps présent qui s’écoule;
puisque nos jours, vous le savez, s’écoulent sept par sept, nombre qui passe
pour revenir invariablement. Or, Jérémie, en
1. Gen. VI, 14. — 2. Ps. CXLVII, 1. — 3.
Esdras, V, 1; VI, 14.
prophétisant que Jérusalem serait rebâtie
après soixante et dix ans, couvrait sous cette image une prophétie de l’avenir;
car il veut nous faire entendre qu’après l’écoulement de ces jours qui se
comptent par sept, notre ville sera construite pour l’éternité, qui n’est qu’un
aujourd’hui, puisque dans cette de. meure le temps ne passe plus, parce que ses
citoyens ne meurent point. Telle est la cité que les Prophètes voyaient en
esprit; c’est elle qu’ils voyaient quand ils parlaient de la cité d’ici-bas.
Mais ils disaient au sujet de celle d’ici-bas ce qu’ils rapportaient à celle
d’en haut: et tout ce qui se faisait dans le temps par le mouvement des corps
et par les actions des hommes, devenait autant de signes et de prédictions pour
l’avenir.
6. Ecoutons donc ce que l’on dit de cette
ville; élevons-nous jusqu’à elle. C’est elle que nous fait estimer
l’Esprit-Saint, en répandant l’amour de cette cité dans nos coeurs, afin d’y
faire monter nos soupirs, et que gémissant dans cet exil, nous ayons hâte
d’arriver en la ville sainte. Aimons-la, mes frères, l’aimer c’est y aller.
Aimons-la d’après cette bouche sacrée, cette bouche prophétique de l’Esprit de
Dieu qui nous dit: « Jérusalem loue le Seigneur 2 ». Dans cette captivité les
Prophètes voient ces troupeaux ou plutôt l’unique troupeau de tous les citoyens
rassemblés de toutes les contrées, pour former la cité sainte. Ils voient la
joie de cette masse qui ne craint plus rien, qui n’a rien à souffrir,
puisqu’elle est dans le grenier céleste après avoir été foulée et vannée; et
comme ils sont encore sur cette terre au milieu de tant d’afflictions, ils se
font précéder par la joie de l’espérance, ils soupirent après cette patrie,
s’unissant ainsi de coeur aux anges de Dieu, et à ce peuple qui doit demeurer
avec eux dans une sainte joie: « Loue le Seigneur, Jérusalem ». Quelle sera ton
occupation,ô Jérusalem? Car tout labeur, tout gémissement passera. Quelle sera
donc ton occupation? De labourer, de semer, de planter, de naviguer, de faire
le négoce? Quelle sera ton occupation? Te faudra-t-il encore t’exercer dans ces
oeuvres, quelque bonnes qu’elles soient, et qui viennent de la miséricorde?
Considère le nombre de tes enfants, vois de toutes parts ceux qui forment la
société: vois s’il en est un homme qui ait faim et à qui tu
1. Jérém. XXV, 12; XXIX, 10. — 2. Ps. CXLVII,
2.
donnes du pain, qui ait soif et à qui tu
puisses donner un verre d’eau froide; vois s’il est un étranger à qui tu
puisses donner l’hospitalité, s’il est un malade à visiter, s’il y a des
plaideurs que tu puisses concilier 1; s’il est un moribond que tu puisses
ensevelir. Que feras-tu donc? « Jérusalem, loue le Seigneur ». Voilà quelle
sera ton occupation. De même que l’on écrit sur un titre: Fais-en bon profit,
je te répéterai « Jérusalem, loue le Seigneur ».
7. Soyez tous Jérusalem; souvenez-vous de ce
qu’il est dit: « Seigneur, vous réduirez leur image au néant dans votre ville 2
». Ce sont les hommes qui maintenant font leurs délices de ces vaines pompes,
ceux qui ne sont point venus aujourd’hui parce qu’on leur fait une largesse. A
qui profite cette largesse? Qui en supporte le contre-coup? D’où vient la
libéralité? D’où vient le dommage? Ce n’est point seulement à ceux qui donnent
ces spectacles, qu’ils sont coûteux, mais ils le sont bien plus à ceux qui y
mettent leur joie. lux uns ils coûtent l’or de leurs coffres, aux autres les
richesses de justice qui ornaient leurs coeurs. Ceux qui donnent ces spectacles
pleurent bien souvent quand il faut vendre leurs terres, et combien doivent
pleurer des pécheurs qui perdent leurs âmes? Quand le Seigneur nous criait
dimanche: « Veillez », était-ce donc pour que l’on veillât ainsi aujourd’hui?
Je vous en supplie, ô vous citoyens de Jérusalem, je vous en conjure par la
voix de Jérusalem, par celui qui est le Rédempteur, l’architecte, le directeur
de Jérusalem, offrez à Dieu pour eux vos supplications. Qu’ils voient, qu’ils
comprennent la futilité de ces divertissements, et qu’après avoir été attentifs
à ces sortes de spectacles qui font leurs délices, ils soient à eux-mêmes leurs
spectacles, et spectacles de tristesse. C’est ce qui est arrivé pour beaucoup,
à notre grande joie; nous-mêmes avons jadis pris part à ces assemblées, à ces
folies, Et combien de ceux qu’on voit maintenant, seront un jour chrétiens, et
même évêques? Le passé nous est une garantie de l’avenir: et ce que Dieu a déjà
fait nous dit ce qu’il doit faire encore. Que vos prières veillent donc, mes
frères, ce n’est pas inutilement que vous gémissez. Ils sont exaucés ceux qui,
ayant échappé au péril, implorent le Seigneur en laveur de ceux qui y sont
encore
1. Matth. XXV, 35, 36. — 2. Ps. LXXII, 20.
engagés, parce qu’ils ont couru les mêmes
dangers, et Dieu tirera son peuple de la captivité de Babylone, et il le
rachètera, le sauvera, et alors sera parfait le nombre des élus qui portent son
image. Mais ils n’y seront point ceux dont le Seigneur doit mépriser et
anéantir l’image dans sa ville sainte, parce qu’eux-mêmes ont anéanti son image
dans leur cité, c’est-à-dire dans Babylone. Tel est le peuple qui louera Dieu,
le peuple qu’annonce par avance son esprit prophétique; il nous dit de
tressaillir dans l’espérance, d’aspirer à la réalité. « Loue de concert le
Seigneur, ô Jérusalem; Sion, bénis ton Dieu ». « Loue de concert», parce que tu
es formée d’un grand nombre de citoyens; « bénis », parce que tu n’es qu’une
seule ville. « Nous sommes plusieurs », dit l’Apôtre, « et néanmoins nous
sommes un en Jésus-Christ 1 ». Louons donc de concert, parce que nous sommes
plusieurs, et louons parce que nous ne sommes qu’un. Nous sommes à la fois, et
plusieurs et un seul, parce que celui en qui nous avons l’unité, est toujours
un.
8. Pourquoi, dira cette Jérusalem, louer de
concert le Seigneur, et moi Sion, pourquoi louer mon Dieu? Sion n’est qu’une
avec Jérusalem. Ces deux noms tiennent à deux causes différentes: Jérusalem
signifie vision de la paix, et Sion contemplation. Voyez si ces deux noms
désignent autre chose que des spectacles; que les païens ne s’applaudissent
point alors de leurs spectacles, comme si nous n’avions point les nôtres.
Quelquefois, quand on ferme le théâtre ou l’amphithéâtre, et qu’il sort de ces
gouffres une foule d’hommes corrompus qui ont l’esprit tout occupé de vains
fantômes, repaissant leur mémoire de souvenirs non seulement inutiles, mais
pernicieux, s’applaudissant de ces plaisirs qui ont une douceur, mais douceur
empoisonnée; ils voient, et même souvent, passer les serviteurs de Dieu qu’ils
reconnaissent ou bien à leurs vêtements, ou bien à leur maintien, ou même à
leur figure, et ils disent en eux-mêmes: Combien ces gens sont malheureux ! que
n’ont-ils pas perdu aujourd’hui! Prions Dieu, mes frères, de récompenser leur
bienveillance; car ils prennent cela pour un bien. C’est par bonté qu’ils nous
plaignent; mais celui qui aime l’iniquité, hait son âme 2. Et s’il hait
1. I Cor. X, 17. — 2. Ps. X, 6.
son âme, comment pourrait-il aimer la mienne?
Toutefois, c’est par une bienveillance et perverse, et vaine, et futile, si
l’on peut appeler cela bienveillance, qu’ils nous plaignent de perdre ce qu’ils
aiment. Prions à notre tour, afin qu’ils ne perdent point ce que nous aimons.
Voyez quelle est cette Jérusalem que le Prophète exhorte à louer Dieu, ou
plutôt dont il prédit la louange. Ce ne sera point quand nous verrons Dieu, et
quand nous l’aimerons, quand nous le louerons, que le Prophète aura besoin d’en
gager, de stimuler cette ville à louer le Seigneur; mais les Prophètes nous
parlent de la sorte, afin de nous porter à goûter, autant que possible, en
cette chair fragile, ces joies futures des bienheureux, et en jetant dans nos
oreilles le trop plein de leur âme, d’allumer en nous l’amour de cette cité
divine. Que nos désirs soient donc fervents; loin de nous tout coeur tiède.
9. Mais voyez quelle est cette Jérusalem que
le Prophète invite à louer Dieu, et pourquoi elle doit le louer. C’est parce que
son bonheur sera parfait. « Loue de concert le Seigneur, ô Jérusalem; ô Sion,
loue ton Dieu ».Et comme si Jérusalem demandait:
Comment louer Dieu avec une telle sécurité? «
C’est », dit le Prophète, « parce qu’il a fortifié les barrières de tes portes
1 ». Redoublez d’attention, mes frères. « Il a fortifié les barrières de tes
portes». On affermit les barrières non des portes ouvertes, mais des portes
closes. De là vient qu’on lit dans plusieurs exemplaires: « Il a fortifié les
serrures de tes portes ». Que votre charité comprenne ceci. Le Prophète dit que
c’est une Jérusalem bien fermée qui loue le Seigneur. « Loue de concert le
Seigneur, Ô Jérusalem; Sion, loue ton Dieu ». Nous louons maintenant le
Seigneur, nous le louons de concert, mais au milieu des scandales. Beaucoup
entrent parmi nous contre notre volonté, beaucoup s’en vont, en dépit de nos
efforts; de là tant de scandales. « Et comme l’iniquité abonde », a dit la
Vérité, « la charité refroidit chez plusieurs 2 », à cause de ceux qui entrent
et que nous ne saurions juger, et de ceux qui sortent sans que nous puissions
les retenir. Pourquoi? parce que la perfection n’est point d’ici-bas, ni le
bonheur d’ici-bas. Pourquoi encore? Parce que nous sommes dans l’aire et non
dans le grenier. Que
1. Ps. CXLVII, 13. — 2. Matth. XXIV, 12.
faire alors, sinon d’être sans crainte pour
l’avenir? « Loue de concert le Seigneur, ô Jérusalem; loue ton Dieu, ô Sion:
parce qu’il a fortifié les barrières de tes portes ».
« Il a fortifié », dit le Prophète, et non
seulement il a mis des barrières. Que nul ne sorte plus, que nul n’entre plus.
Que nul ne sorte, c’est ce qui nous réjouit; que nul n’entre plus, c’est ce
qu’il nous faut craindre. Mais sois sans crainte, on ne parlera de la sorte que
quand tu seras entré. Sois seulement au nombre de ces vierges qui prirent avec
elles de l’huile 1.
10. Ces vierges, en effet, désignent les
âmes. Elles n’étaient pas seulement au nombre de cinq, mais ces cinq marquent
des milliers. Dans ce nombre cinq sont donc renfermés des milliers non de
femmes seulement, mais d’hommes aussi; car ce mot de femme désigne les deux
sexes à cause de, l’Eglise; puisque l’Eglise, qui renferme les deux sexes, est
appelée vierge. « Je vous ai fiancée à l’unique Epoux, pour vous présenter à
Jésus-Christ comme une épouse chaste 2 ». Peu sont vierges de corps, mais tous
doivent l’être de coeur. La virginité du corps consiste dans une chair intacte,
la virginité du coeur, dans une foi pure. On dit de toute l’Eglise qu’elle est
vierge, et au masculin on la nomme peuple de Dieu: or, les deux sexes forment
le peuple de Dieu, un seul peuple, un peuple unique; de même qu’il n’y a qu’une
seule Eglise, une seule colombe; et dans cette virginité, des saints par
milliers. Ces cinq vierges dès lors désignent toutes les âmes qui doivent
entrer dans le ciel: et le nombre cinq n’est point employé sans raison, puisque
le corps est doué de cinq sens, comme chacun sait. Rien ne passe du corps dans
l’âme que par ces cinq portes, car toute convoitise mauvaise nous vient sôit des
yeux, soit de l’odorat, soit du goût, soit des oreilles, soit du tact.
Quiconque n’a point laissé entrer la corruption par ces cinq portes, est mis au
nombre des cinq vierges. Or, la corruption est la fille des dé. sirs illicites;
et l’Ecriture nous fait voir de toutes parts ce qui est permis ou ce qui ne
l’est point. Il est donc nécessaire que tu sois au nombre de ces cinq vierges,
et tu n’auras pas à craindre cette parole: Que nul n’ose entrer. C’est en effet
ce qui est écrit et ce qui sera exécuté; à ton entrée, toutefois, nul ne
1.
Matth. XXV, 4. — 2. II Cor. XI, 2.
viendra te barrer le passage; mais quand tt
seras entré, on fermera les portes de Jérusalem, et l’on en fortifiera les
barrières, si tu ne veux pas être vierge de coeur, ou si, quoique vierge, tu
prends place parmi les vierges folles, pour demeurer au dehors et frapper
vainement à la porte.
14. Quelles sont ces vierges folles? Elles
aussi sont au nombre de cinq; et quelles sont ces vierges, sinon les âmes qui
gardent la continence de la chair, afin d’éviter la corruption qui nous vient
par tous les sens que nous énumérions tout à l’heure? Elles évitent la
corruption, n’importe d’où elle vienne, sans porter dans leur conscience et
sous les yeux de Dieu seul, le bien qu’elles font; elles veulent plaire aux
hommes et s’arrêter à leur jugement. En quête des faveurs vulgaires, elles
s’avilissent en voulant plaire à ceux qui les voient; leur conscience ne leur
suffit point. C’est donc avec raison que, selon l’Evangile, elles ne portent
pas d’huile avec elles; car l’huile, à cause de son éclat, de sa netteté,
signifie la gloire. Mais que dit l’Apôtre? Vois dons sa parole ces vierges
sages qui portent l’huile avec elles. « Que chacun éprouve son oeuvre, et il
aura de quoi se glorifier en lui même et non dans un autre 1 ». Voilà les
vierges sages. Quant aux vierges folles, elles allument leurs lampes à la
vérité, leurs oeuvres paraissent avec éclat; mais elles doivent mourir et
s’éteindre, parce qu’elles ion! point d’huile intérieure. Les voilà qui s’endorment
toutes parce que l’Epoux tarde à venir; quelle que soit en effet celle de ces
deux catégories que choisissent les hommes, ils s’endorment du sommeil de la
mort; et les vierges sages et les vierges folles, en attentant l’avènement du
Seigneur, passent par cette mort du corps, mort visible, que l’Ecriture appelle
un sommeil, comme tout chrétien le sait. L’Apôtre dit en effet: « C’est
pourquoi, parmi vous, beaucoup sont infirmes, languissants, et beaucoup sont
endormis 2 »; endormis, dit-il, ou plutôt morts. Mais voilà que l’Epoux va
venir, et tous vont se lever, mais non tous entrer. Voilà que s’évanouiront les
oeuvres de ces vierges folles, qui n’ont point l’huile de la bonne conscience.
Elles ne trouveront plus, pour leur en acheter, ces flatteurs qui leur
vendaient la louange. Car il y a de l’ironie
1. Gal. VI, 4. — 2. I Cor. XI, 30.
plutôt que de la jalousie dans cette parole «
Allez en acheter ». Ces vierges folles en avaient demandé aux vierges sages, et
leur avaient dit: « Donnez-nous de votre huile, parce que nos lampes
s’éteignent ». Que répondent les vierges sages? « Non, de peur que nous n’en
ayons pas suffisamment pour vous et pour nous; allez plutôt à ceux qui en
vendent, et achetez-en pour vous ». C’était leur dire sous la forme d’un avis: De
quoi vous servent maintenant ceux dont vous achetez la louange? « Et pendant
qu’elles y allaient »,dit l’Evangile, « voilà que les autres « entrèrent, et la
porte fut close 1 ». Pendant qu’elles y vont de coeur, pendant qu’elles
s’occupent de ces pensées, qu’elles s’éloignent dans ce dessein, qu’elles se
ressouviennent de leur vie passée, elles vont en quelque sorte vers ceux qui
vendent l’huile, et ne les trouvent plus favorables; elles ne trouvent plus
d’applaudissements chéz ceux qui les flattaient, elles qui s’excitaient au
bien, non par le mouvement d’une bonne conscience, mais par le stimulant des
langues étrangères.
12. Cette réponse des vierges sages: « De
peur qu’il n’y en ait pas suffisamment pour nous», témoigne aussi d’un grand
sentiment d’humilité. Car l’huile que nous portons dans notre conscience, c’est
le jugement que nous portons sur nous-mêmes, et qui nous fait voir tels que
nous sommes; or, il est difficile de se juger, de juger parfaitement de son
état. Mes frères, quels que soient les progrès d’un homme dans la vertu; tant
qu’il se jette en avant et oublie ce qui est derrière 2; s’il se dit: c’est
bien; Dieu aussitôt tire de ses trésors la règle inflexible, et procède à un
sévère examen. Or, qui se glorifiera d’avoir un coeur pur?Qui osera dire qu’il
est sans péché 3? Mais que dit l’Ecriture? « Il y aura un jugement sans
miséricorde pour celui qui n’a pas fait miséricorde 4». Quels que soient tes
progrès, tu espéreras donc dans la miséricorde. Car si la miséricorde ne vient
tempérer la justice, tout homme se trouvera condamnable en quelque point. Or,
quel passage de l’Ecriture va nous consoler? Celui-là même qui nous exhorte à
la miséricorde, afin que nous nous appliquions à donner notre superflu. Car
nous avons beaucoup de
1. Matth. XXV, 1-13. — 2. Philipp. III, 13. —
3. Prov. XX, 9, — 4. Jacques, II, 13.
superflu, si nous nous en tenons au strict
nécessaire; mais rien ne nons suffira, si nous recherchons ce qui est futile.
Cherchez donc, mes frères, ce qui suffit à l’oeuvre de Dieu, et non ce qui
suffit à vos désirs; car votre désir n’est point l’oeuvre de Dieu; mais votre
forme, votre âme, votre corps, voilà toute l’oeuvre de Dieu. Cherche donc ce
qui suffit pour cela, et tu verras qu’il faut peu de chose. Il ne fallut à la
veuve de l’Evangile que deux deniers, pour faire une oeuvre de miséricorde 1,
deux deniers pour acheter le royaume de Dieu. Pour habiller des acteurs, quelle
dépense ne fait point un donneur de spectacles? Voyez non seulement qu’il faut
peu pour vous suffire, mais aussi combien peu vous demande le Seigneur. Cherche
avec soin ce qu’il t’a donné, prends-en ce qui te suffit; quant au reste, qui
est superflu pour toi, c’est le nécessaire des autres; le superflu du riche est
le nécessaire du pauvre. C’est posséder le bien d’autrui que posséder du
superflu.
13. C’est quand tu feras miséricorde, et
particulièrement celle ci que l’on fait gratuitement: « Remettez-nous, comme
nous remettons 2»; et où l’on ne fait d’autre dépense que celle de la charité,
laquelle s’accroît à proportion qu’on la dépense; c’est, dis-je, quand tu feras
avec ferveur des oeuvres de miséricorde, bonnes oeuvres, avons-nous dit, qui ne
seront plus nécessaires dans l’autre vie, puisqu’il n’y aura plus aucun
malheureux à qui l’on puisse faire miséricorde 3, c’est alors que tu attendras
en toute sécurité le jugement, non pas dans la sécurité de la justice, mais
dans la sécurité de la divine miséricorde, puisque toi-même auras été
miséricordieux. « Le jugement sera sans miséricorde pour celui qui n’aura point
fait miséricorde. Et la miséricorde», ajoute le même Apôtre, «l’emporte sur le
jugement 4 ». Gardez-vous de croire, mes frères, que le Seigneur n’est point
juste, ou qu’il s’écarte de la justice, quand il n’a point pitié de nous. Il
est juste quand il nous damne, et juste encore quand il nous prend en pitié.
Quoi de plus juste de faire miséricorde à celui qui l’implore? Quoi de plus
juste aussi, que d’user envers nous de la mesure dont nous nous serons servis
5? Donne à ton frère qui a faim. A quel frère? Au Christ. Si donc faire la
charité à ton frère c’est
1.
Marc, III, 42.— 2. Luc, VI, 37; Matth. VI, 12. — 3. Voir Discours sur le Ps.
LXXXIII, n.8, 11.— 4. Jacques, II, 13. — 5. Matth. VII, 2.
la faire au Christ, et si le Christ est Dieu
béni par-dessus tout dans les siècles 1, c’est un Dieu qui a voulu avoir besoin
de toi, et ta main se retire? Tu tends la main à Dieu pour lui demander: écoute
l’Ecriture: « Que ta main ne soit point ouverte pour recevoir, et fermée pour
donner 2 ». Dieu veut qu’on lui donne de ce qu’il a donné. Que pourrais-tu
donner, en effet, qu’il ne t’aie point donné? « Qu’as-tu, que tu n’aies point
reçu 3? » Et même, sans parler de Dieu, à qui pourrais-tu donner de ce qui est
à toi? Tu donnes de ce qui appartient à celui qui te commande de donner. Sois
donc véritablement dispensateur, et non usurpateur. C’est en agissant de la
sorte, et en disant avec humilité de cette huile: « De peur qu’il n’y en ait
pas suffisamment pour nous 4 », que tu entreras, et que la porte ne te sera
point fermée. Ecoute ce mot de l’Apôtre: « Peu m’importe d’être jugé par vous
5». Comment pourriez-vous, en effet, juger ma conscience? Comment verriez-vous
l’intention qui me dirige dans toutes mes actions? Quel jugement les hommes
peuvent-ils porter sur un autre homme? L’homme peut beaucoup mieux se juger,
mais Dieu peut mieux encore juger l’homme, que l’homme ne peut se juger
lui-même. Si donc tu es tel que nous disons, tu entreras, tu seras au nombre de
ces cinq vierges, et les vierges folles seront exclues. C’est ce que nous dit
l’Evangile; la porte sera fermée, elles seront là, heurtant à cette porte et
criant: « Ouvre-nous 6 »; et on ne leur ouvrira point, parce « que le Seigneur
a fortifié les barres de vos portes». Oui, dit le Prophète, il a fortifié les
barres de tes portes, sois en toute sécurité, chante avec assurance, et chante
sans fin. Tes portes sont solidement closes, nul ami ne sort, nul ennemi ne
peut entrer. « Il a consolidé les barrières de tes portes».
14. « Il a béni tes enfants en toi ». Ils ne
sont ni vagabonds au dehors, ni exilés; il s’applaudissent dans ton enceinte,
c’est là qu’ils chantent le Seigneur, là qu’ils sont bénis. ils n’endurent plus
les douleurs de l’enfantement, parce qu’ils n’ont plus à enfanter. Ils sont vos
enfants, vos saints; et ces enfants, ces saints, sont dans l’allégresse, dans
la louange; la charité à ressenti pour eux les douleurs de l’enfantement, et
les a enfantés;
1.
Rom. IX, 5. — 2. Eccli. IV, 36. — 3. I Cor. IV, 7. — 4. Matth. XXV, 9. — 5. I
Cor. IV,
2. — 6. Matth. XXV, 11.
la charité les renferme dans son giron.
Ecoute la charité qui les enfante: c’est elle qui donnait à Paul non seulement
un coeur de père, nais un coeur de mère, pour ses enfants: « Mes petits
enfants», dit-il, «que j’enfante une seconde fois 1». Or, Paul qui enfante,
c’est la charité qui enfante; et la charité qui enfante, c’est l’Esprit de Dieu
qui enfante. « La charité, en effet, est répandue dans nos coeurs par
l’Esprit-Saint qui nous a été donné 2 ». Qu’elle rassemble donc ceux qu’elle a
enfantés avec douleur, ceux qu’elle a mis au monde. Ils sont déjà dans
l’intérieur, ils sont en sûreté. Ils ont pris leur essor du nid de la crainte,
ils ont pris leur essor pour les cieux, pour les tabernacles éternels; rien de
temporel n’est à redouter pour eux.
15. « Il a béni tes fils en toi ». Qui a
béni? « Celui qui a mis la paix sur tes frontières 3». Quelle n’est point la
joie universelle à cette parole? Aimez-la, mes frères. Nous éprouvons une
grande joie quand l’amour de la paix éclate ainsi du fond de vos coeurs. Quelle
joie cette parole a suscitée ! Je n’avais rien dit encore, je n’avais rien
expliqué, je prononce le verset et vos cris partent. Qu’est-ce qui a crié en
vous? L’amour de la paix. Qu’ai-je mis sous vos yeux? Pourquoi ces cris, si
vous ne ressentez cet amour? D’où vient cet amour, si vous ne voyez rien? La
paix est invisible. Où est l’oeil qui l’a vue pour l’aimer? Et toutefois, on ne
pousserait aucun cri si on ne l’aimait. Ce sont là, mes frères, les spectacles
invisibles que Dieu nous présente. De quelle beauté l’idée seule de la paix
n’ai-elle point frappé vos coeurs? Que dire encore dola paix, et comment la
louer? Votre allégresse a dépassé toutes mes paroles. Je n’achève point, je ne
saurais, je suis trop faible. Remettons donc l’éloge de la paix, jusqu’à ce que
nous soyons dans la patrie de la paix. C’est là que nous pourrons la louer plus
pleinement, en jouir plus pleinement. Si nous l’aurions ainsi quand elle
commence, quelles louanges lui donner quand elle sera parfaite? Jugez-en vous-mêmes,
ô fils bien-aimés, fils de la paix, citoyens de Jérusalem, car Jérusalem est la
vision de la paix; et tous ceux qui aiment la paix sont bénis dans son
enceinte, ils peuvent y entrer et les portes se ferment, et les barrières sont
consolidées. Cette paix dont le nom seul fait éclater votre amour, cultivez-la,
1.
Gal. IV, 19. — 2. Rom. V, 6. — 3. Ps. CXLVII, 14.
recherchez-la sincèrement; aimez-la dans vos
maisons, aimez-la dans vos affaires, aimez-la dans vos épouses, aimez-la dans
vos enfants, aimez-la dans vos serviteurs, aimez-la dans vos amis, aimez-la
dans vos ennemis.
16. Telle est la paix que n’ont point les
hérétiques. Quelle est l’oeuvre de cette paix, dans les perplexités de ce
monde, dans l’exil de notre mortalité, où nul n’est connu d’un autre, ou nul ne
connaît le coeur de son voisin? Que fait la paix? Elle ne juge pas de ce qui
est incertain, et n’affirme rien d’inconnu. Elle est plus inclinée à croire le
bien d’un homme, qu’à en soupçonner le niai. Elle ne s’afflige point de s’être
trompée en croyant bon l’homme qui est méchant; mais elle se croit coupable
d’avoir cru au mal chez l’homme de bien. Je ne le connais point, dit-elle, que
perdrai-je à croire qu’il est bon? Si cela est incertain, il est permis d’agir
avec précaution, car peut-être n’est-ce pas vrai; mais garde-toi de condamner
comme si tu étais certain. C’est le précepte de la paix. « Cherche la paix»,
dit le Prophète, «et poursuis-la 1 ». Que dit l’hérésie au contraire? Elle
condamne sans connaître, et condamne le monde entier; tout le monde a péri, il
n’y a plus un seul chrétien, l’Afrique seule est demeurée. Bien jugé. Mais de
quel tribunal peux-tu condamner le monde entier? Sur quel forum le monde a-t-il
comparu devant toi? Que l’on aie s’en rapporte pas à moi, j’y consens; mais pas
à toi non plus. Qu’on en croie au Christ, à l’Esprit de Dieu, qui a parlé par
les Prophètes, qu’on en croie à la loi de Moïse. Qu’a dit Moïse des temps
futurs qui sont les nôtres? « En ta postérité », fut-il dit à Abraham, « toutes
les nations seront bénies 2 ». As-tu des doutes sur cette race d’Abraham? Il
n’y a plus de doute à conserver quand l’Apôtre a parlé; ou si tu n’en crois
point à l’Apôtre, pourquoi dire: La paix, la paix, quand il n’y a point de paix
3? Que dit l’Apôtre? « Les promesses de Dieu sont faites à Abraham et à sa
postérité. L’Ecriture ne dit point: « Et à ceux qui naîtront de lui, comme
s’ils eussent dû être plusieurs; mais comme en parlant d’un seul, elle dit: Et
à celui qui naîtra de toi, qui est le Christ 4 ». Il y a des milliers d’années
qu’il fut dit à Abraham: « Les nations seront bénies en ta postérité ».Or,
1. Ps. XXXIII, 12. — 2.
Gen. XXII, 18 — 3. Jérém. VI, 14. — 4. Gal. III, 16.
ce qui a été prédit il y a tant de siècles, et
ce qu’un seul a cru, nous le voyons accompli aujourd’hui. D’un côté nous lisons
la promesse, de l’autre nous voyons l’accomplissement, et tu viens à la
traverse résister à la vérité? Que vas-tu dire? Garde-toi de croire. De croire
à qui? A l’esprit de Dieu? A Dieu qui parle à Abraham? A qui croirai-je alors?
A toi? Ce n’est point là ce que je dis, répondras-tu. Tu ne le dis point?
Comment, tu ne dis pas: Crois-en plutôt à moi qu’à l’Esprit. Saint, qu’à Dieu
qui s’adresse à Abraham? Que viens-tu me dire alors? Tel a livré les livres
saints, tel autre encore les a livrés. Est-ce un passage de l’Evangile que tu
rapportes là, ou des Apôtres, ou des Prophètes? Examine toutes les Ecritures,
et lis-moi cette parole, dans ceux en qui repose ma foi; car je ne crois pas en
toi. Où donc liras-tu cela? C’est ce que m’a dit mon père, me répond-il, ce que
m’a dit mon aïeul, mon frère, mon évêque. Mais voici la parole du Seigneur à
Abraham: « Les nations seront bénies en celui qui naîtra de toi ». Un seul
homme entendit cette parole et y crut, et après de longs siècles, elle
s’accomplit dans des millions d’hommes. On croit à cette promesse, quand elle
se fait, et on en doute quand elle s’accomplit? Voilà donc ce qu’a dit Moïse;
donnons maintenant la parole aux Prophètes. Vois le prix de notre rédemption:
le Christ suspendu à la croix. Considère le prix qu’il donne, et tu comprendras
ce qu’il achète. Il veut faire un achat, et tu ne sais encore quel achat; vois
alors, vois la grandeur du prix, et tu comprendras l’importance de l’achat. Il
répand tout son sang, c’est au prix de son sang qu’il achète, du sang de
l’Agneau sans tache, du sang du Fils unique de Dieu. Que petit-on donc acheter
au prix du sang du Fils unique de Dieu? Encore une fois, considère à quel prix.
Longtemps avant l’accomplissement, le Prophète a dit: « Ils ont percé mes «
mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os ». Je vois la grandeur du prix,
ô Christ, faites que je voie aussi ce que vous avez acheté: « Toutes les
extrémités de la terre s’en souviendront, et se tourneront vers le Seigneur ».
Dans le même psaume, je vois tout ensemble et l’acheteur, et le prix, et la
possession. Cet acheteur c’est le Christ, le prix est son Sang, et la
possession, l’univers entier. Ecoutons les paroles du Prophète, qui
contredisent les chicanes des hérétiques. Voilà ce que possède mon Dieu. Je lis
son droit dans le psaume: « Ils en garderont la mémoire, et tous les confins de
la terre se tourneront vers le Seigneur, toutes les familles de la terre se
prosterneront en sa présence 1 ».
L’Acheteur est donc le Christ, et non
l’apostat Donat. « Ils l’adoreront ». Très-bien: « Toutes les familles de la
terre se prosterneront en sa présence ». Pourquoi très-bien? « Parce que
l’empire est au Seigneur, et il dominera sur toutes les nations ».Voilà ce
qu’on lit dans Moïse, dans les Prophètes, et mille autres témoignages
semblables. Qui pourrait compter les passages de l’Ecriture au sujet de
l’Eglise qui sera répandue dans toute la terre? Qui les comptera? Il y a moins
d’hérésies contre l’Eglise, que la loi n’a de témoignages en sa faveur. Quelle
page ne dit point son triomphe? Quel verset ne l’a point consigné? Tout parle
de concert en faveur de cette unité, qui est au Seigneur, parce qu’il a mis la
pain dans les confins de Jérusalem. Et c’est contre tout cela que tu viens
aboyer, ô hérétique? C’est avec raison que l’on applique à cette cité sainte ce
mot consigné dans l’Apocalypse: « Loin d’ici les chiens 2». C’est contre tout
cela que tu viens aboyer. Comme je le disais tout à l’heure, oses-tu bien
condamner le monde entier? Quel est ton tribunal, sinon la présomption de ton
coeur? Tribunal bien haut sans doute, mais ruineux. Voilà ce qu’a dit Moïse, ce
qu’ont dit les Prophètes; et des hommes qui veulent passer pour chrétiens ne le
croient pas encore.
17. Le mauvais riche était dans les tourments
de l’enfer, et l’ardeur des flammes lui
fit désirer qu’une goutte d’eau tombât du
doigt du pauvre qu’il avait autrefois méprisé
à sa porte. Comme ce rafraîchissement lui
était refusé, puisqu’on doit « juger sans miséricorde celui qui n’aura point
fait miséricorde 3 », comme donc on le lui refusait « Père Abraham »,
s’écrie-t-il, « envoyez Lazare dans la maison de mon père, où j’ai cinq autres
frères; qu’il leur dise combien je souffre, afin qu’ils ne viennent point aussi
dans ce lieu de tourments ». Que répond Abraham? « Ils ont Moïse et les
Prophètes ». Et celui-ci: « Mon père Abraham, mais si quelqu’un ressuscitait
d’entre les morts, ils le croiraient ». Et Abraham:
1. Ps. XXI, 17,18, et 28,19.— 2. Apoc. XXII,
15.— 3. Jacques, II, 13.
« S’ils n’écoutent ni Moïse, ni les Prophètes
ils ne croiront pas quand même quelqu’un ressusciterait d’entre les morts 1 ».
De qui dit-il, qu’ « ils ont Moïse et les Prophètes? » De ces frères assurément
qui vivaient encore, qui avaient pour se corriger un long espace de temps, qui
n’étaient point encore dans ces lieux de tourments. « Ils ont Moïse et les
Prophètes, qu’ils les écoutent », dit Abraham. Ils ne croient point en eux, «
mais ils croiraient si quelqu’un ressuscitait d’entre les morts. S’ils
n’écoutent ni Moïse, mi les Prophètes, ils ne croiront pas même mi celui qui
ressusciterait d’entre les morts». C’est la décision d’Abraham. En quel endroit
et de quel endroit Abraham l’a-t-il prononcée? D’un certain lieu élevé, d’un
lieu plein de repos et de joie. Que voyait en élevant les yeux cet infortuné
qui souffrait dans l’enfer? Il voyait aussi dans son sein,c’est-à-dire dans son
secret, le pauvre qui tressaillait de joie. Voilà quel est ce tribunal. C’est là
qu’habite le Seigneur, puisque Dieu habite dans les saints. Delà vient ce désir
que l’Apôtre nous exprime ainsi: « Mourir pour être avec le Christ serait de
beaucoup préférable 2 ». Il fut dit aussi au bon larron: « Aujourd’hui tu
seras.avec moi dans le paradis 3 ». C’est le Seigneur qui est avec Abraham et
en Abraham qui a porté cette sentence: « Ils ont Moïse et es Prophètes; s’ils
ne les écoutent point, ils n’écouteraient point non plus celui qui
ressusciterait d’entre les morts». O hérétiques, vous avez ici Moïse et les
Prophètes, et vous vivez encore, et vous pouvez encore écouter, et vous pouvez
encore vous corriger, dompter votre fureur, et embrasser la vérité: examinez
avec vous-mêmes s’il faut en croire Moïse et les Prophètes, qui ont rendu à leur
foi de si grands témoignages, quand nous voyons les événements du monde arriver
selon leurs prédictions. Pourquoi hésiter encore à en croire à Moïse et aux
Prophètes? Pourquoi cette hésitation? Attendriez-vous par hasard qu’un homme
ressuscité d’entre les morts s’en vienne vous parler de son Eglise? C’est ce
que voulait le mauvais riche dans l’enfer; il voulait que l’on envoyât vers ses
frères 4 quelqu’un d’entre les morts; on le reprend de cette exigence parce que
Moïse et les Prophètes devaient suffire à ses frères. Sa prière
1. Luc, XVI, 19,31. — 2. Philipp. I, 23. — 3.
Luc, XXXII, 43.— 4. Id. XVI, 27.
fut vaine, afin que cet exemple vous
profitât, et que vous ne fussiez point tourmenté comme lui, pour avoir fait
trop tard de vaines prières. Ecoutez Moïse et les Prophètes. Que dit Moïse? «
Dans ta postérité seront bénies toutes les nations 1 ». Qu’ont dit les
Prophètes? « Tous les confins de la terre se souviendront, et se tourneront
vers le Seigneur 2». Et tu viendras me dire encore qu’un homme se lève d’entre
les morts, je ne croirai que quand on viendra de là me parler ! Bénie soit
votre miséricorde, ô mon Dieu! vous avez voulu mourir, afin qu’un homme se
levât des morts, et cet homme n’est point un homme quelconque, mais c’est la
Vérité qui est sortie des enfers. Il pourrait dire la vérité sur les effets,
sans être sorti des enfers; et néanmoins, à cause de ces voix méchantes et
ignorantes, il a voulu mourir et se lever d’entre les morts. Que dis-tu, ô
hérétique, que dis-tu? J’écouterai tes raisons, tu n’a plus d’excuses; quand tu
aurais les exigences du riche dans les enfers, voilà que le Christ est
ressuscité d’entre les morts; daigneras-tu l’écouter lui-même? Tu as conçu en
ta vie le désir de ce riche après sa mort, et voilà que le Christ est revenu des
enfers; ce n’est ni ton père, ni ton aïeul, ils ne sont point ressuscités des
morts, ceux qui ont accusé je ne sais qui d’entre nous d’avoir livré les saints
livres. Mais accordons qu’ils n’aient point calomnié, qu’ils aient dit vrai.
Veux-tu savoir combien cela m’importe peu? Ecoutons ensemble ce qu’a dit celui
qui est ressuscité d’entre les morts. A quoi bon tant discourir? Ecoutons,
ouvrons l’Evangile, lisons ce qui s’est fait comme s’il s’accomplissait
maintenant: remettons sous nos yeux le passé afin de nous mettre en mesure
contre l’avenir. Voilà que le Christ ressuscité d’entre les morts se montre à
ses disciples. Voici ses noces, il est l’Epoux, l’Eglise et l’Epouse. Cet Epoux
que l’on disait mort, exterminé, anéanti, est ressuscité plein de vie, le voilà
qui se montre aux yeux des disciples, qui se laisse toucher de leurs mains, ils
touchent en effet ses plaies, ses meurtrissures qui leur avaient fait perdre
l’espérance. Il se fait voir à leurs yeux, et en le touchant des mains ils le
prennent pour un esprit car ils ont perdu tout espoir qu’il pût être sauvé. Il
les exhorte, les affermit dans la foi « Touchez et voyez, car un esprit n’a ni
chair,
1. Gen. XXII, 18. — 2. Ps. XXI, 28.
ni os, comme vous voyez que j’en ai 1 ». Ils
le touchent, ils sont dans la joie, dans l’étonnement. « Comme ils étaient
encore dans le trouble de la joie », est-il écrit dans l’Evangile. Quelquefois
on ne croit que difficilement ce qui donne de la joie, quelle qu’en soit la
certitude. Un certain doute qui nous rend tardifs à croire assaisonne le
bonheur qui nous vient alors. Plus nous avons désespéré de ce qui nous arrive,
plus notre bonheur est grand; et ce fut pour rendre leur bonheur plus doux et
plus grand que le Sauveur ne voulut pas être connu tout d’abord. Il ferma les
yeux de ces deux disciples qu’il rencontra parlant ensemble de leur peu
d’espérance et se disant: « Nous espérions qu’il serait le Rédempteur d’Israël
». Ils l’avaient pensé, et ne le pensaient déjà plus. L’espérance n’était plus
en eux, et le Christ était avec eux; mais pour se rendre à eux, et leur ramener
l’espérance. Ce fut donc seulement après, et quand ils l’eurent reconnu à la
fraction du pain, qu’il se montra aux autres disciples qui le prenaient pour un
esprit, qu’il leur dit: « Touchez et voyez, car un esprit n’a pas de chair et
d’os, comme vous voyez que j’en ai ». Et comme la joie les troublait: «
Avez-vous, ajouta-t-il, quelque chose à manger? Il prit ce qu’ils présentèrent,
le bénit, en mangea, et leur en donna ». Il parut alors qu’il avait réellement
un corps, et toute crainte d’erreur disparut aussitôt. Que fit-il ensuite? « Ne
saviez-vous donc pas qu’il fallait que s’accomplît en moi tout ce qui est écrit
à mon sujet dans la loi de Moïse, dans les Prophètes et dans les Psaumes?» Or,
comme ils croyaient aux Prophètes et à Moïse; car il est vrai de dire avec
Abraham: « S’ils n’en croient point à Moïse et aux Prophètes, ils n’en croiront
point à celui qui ressusciterait d’entre les morts »; comme ils en croyaient à
Moïse et aux Prophètes, et n’étaient point de ceux que reprend Abraham, ils
écoutèrent ce que dit le Seigneur: «Ne saviez-vous pas qu’il fallait que
s’accomplît en moi ce qui est écrit à mon sujet dans la loi de Moïse, dans les
Prophètes et dans les Psaumes? » Les voilà qui en croient à Moïse et aux
Prophètes, voyez comment sur leur témoignage ils croient à celui qui est
ressuscité d’entre les morts. « Alors il leur ouvrit l’intelligence, afin
qu’ils comprissent les Ecritures, et il leur dit: Il fallait,
1. Luc, XXIV, 19.
selon qu’il est écrit, que le Christ souffrit
et qu’il ressuscitât d’entre les morts le troisième jour ».
18. Tu vois déjà l’Epoux de l’Eglise. Ni
Moïse, ni les Prophètes, n’ont gardé le silence à propos du Christ qui devait
ressusciter le troisième jour, qui devait souffrir. On nous a décrit l’Epoux
afin de nous faire éviter toute erreur. Mais parce que nous n’avons aucune
erreur à propos de l’Epoux, il s’est trouvé certains hommes qui semblent croire
ce que nous croyons au sujet de l’Epoux, et qui nous viennent dire, pour nous
séparer de ses membres: Sans doute, le même Epoux que vous croyez est le même
que nous croyons; mais l’Epouse n’est point cette Eglise dont vous êtes les
membres. Quelle est donc cette Epouse? C’est le parti de Donat. Voilà ton
affirmation, mais est-ce bien toi qui parles, ou bien est-ce 1’Epoux? Est-ce
toi qui le dis, ou Dieu qui l’a dit par Moïse? Moïse me montre l’Eglise; car
Moïse a dit: « Toutes les nations seront bénies en ta postérité ». Est-ce toi
qui le dis, ou l’Esprit de Dieu par les Prophètes? Les Prophètes me montrent
l’Eglise, car un Prophète m’a dit: « Toutes les nations de la terre se
souviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui ». J’ai donc pour moi le
témoignage de la loi et des Prophètes; écoutons encore celui qui est ressuscité
d’entre les morts. Il montre qu’il est l’Epoux, nous en avons la certitude. Il
nous en a convaincus par des témoignages visibles. Car Moïse et les Prophètes
avaient dit que de « Christ devait souffrir, et se lever d’entre les morts
».Ces paroles nous indiquent l’Epoux à vous et à moi; et dès lors ces paroles
t’amèneront à croire à Moïse et aux Prophètes: croyons de même en celui qui est
ressuscité d’entre les morts. Qu’il continue donc et dise: Seigneur, c’en est
fait, je crois que le Christ est l’Epoux. Que nul ne me sépare des membres de
votre Epouse, car si je ne faisais partie de ses membres vous ne seriez point
ma tête, Parlez-moi aussi de votre Epouse; car je ne doute plus de l’Epoux.
Ecoute ce qui est dit de l’Eglise; voilà que 1’Epoux continue en disant que
l’on doit « prêcher en son nom la pénitence et la rémission des péchés ». Rien
de plus vrai; la pénitence et la rémission des péchés sont prêchées en son nom.
Mais où? Ici, disent les uns; là, disent les autres. Mais lui, que dit-il? « Ne
les croyez (281) point: il s’élèvera de faux Christs et de faux Prophètes, qui
diront: C’est ici, c’est là 1». Ce n’est point du chef qu’ils disent: « c’est
ici, c’est là »; on sait que le Christ est dans le ciel, mais c’est de l’Eglise
en laquelle est le Christ qui a dit: « Voilà, je suis avec vous jus-« qu’à la
consommation des siècles 2 ». Or, le Seigneur a dit: « Ne les croyez point».
Dire en effet: « C’est ici, c’est là », c’est vous montrer des parties; or,
j’ai acheté le tout. Que l’Evangile me tienne encore ce langage: Dites cela
vous-mêmes dans l’Evangile, vous Seigneur, qui êtes ressuscité d’entre les
morts, afin qu’ils croient aussi en vous, ceux qui croient à Moïse et aux
Prophètes; dites-moi cela vous-même. Je vous écoute. « Il fallait que le Christ
souffrît et ressuscitât le troisième jour, et qu’en son nom la pénitence et la
rémission des péchés fussent prêchées parmi toutes les nations, en commençant
par Jérusalem 3 ». Que vas-tu répondre, ô hérétique? Quand je citais Moïse,
quand je citais les Prophètes, tu en appelais à celui qui devait ressusciter
d’entre les morts. Voilà qu’il est ressuscité, qu’il a parlé; l’Eglise du
Christ, l’Epouse du Christ n’est pas plus douteuse que n’est douteux le corps
du Christ que voyaient, que touchaient ses disciples. Celui qui est ressuscité
d’entre les morts nous a montré l’un et l’autre; il nous a montré la tête,
montré les membres, montré l’Epoux et montré l’Epouse. Ou crois ces deux
articles avec moi, ou n’en crois qu’un seul, mais pour ta damnation. Crois-tu,
en effet, qu’il se soit levé d’entre les morts, et levé dans le même corps?
C’est bien; puisqu’il a montré ses meurtrissures, puisqu’il s’est montré tel
qu’il a été à la croix, et au sépulcre, tu as raison de croire; écoute la
parole de celui en qui tu as mis ta foi: « Il faut que la pénitence et la
rémission des péchés soient prêchées en son nom ». Où prêchées? Dans l’étendue
des terres. Si je parlais ainsi moi-même, dans ma polémique, dans ma lutte
contre les hérétiques, dans nies conflits sur une telle question, je ne
pourrais parler contre les hérétiques d’aujourd’hui avec autant de précision
que le Christ contre ceux de l’avenir. Que veux-tu de plus? Où prêche-t-on la
rémission des péchés au nom du Christ? Où? « Dans toutes les nations». A Partir
d’où? « A partir de Jérusalem ». Entre dans la
1. Matth. XXIV, 27, 24. — 2. Id. XXVIII, 20.
— 3. Luc, XXIV, 13-47.
communion de cette Eglise. Pourquoi disputer
encore? C’est dans la Jérusalem de la terre que l’Eglise a pris naissance, afin
de se réjouir en Dieu dans la Jérusalem céleste. Elle commence à l’une pour se
terminer à l’autre. Elle sera tout entière dans la Jérusalem du ciel, mais
c’est dans celle de la terre qu’elle a commencé à croire.
19. Vois dans les Actes des Apôtres, si je ne
me trompe, comment les disciples étaient assemblés à Jérusalem, quand le
Saint-Esprit descendit. Tu comprendras alors le sens de cette parole: « A
partir de Jérusalem », quand tu verras ces mêmes hommes sur qui le Saint-Esprit
est descendu 1 parlant toutes les langues. Pourquoi ne veux-tu point parler la
langue de tous les peuples? Voilà bien que toutes les langues se font entendre,
ô Jérusalem. Pourquoi celui qui reçoit maintenant le Saint-Esprit ne parle-t-il
point toutes les langues? C’était alors le signe que le Saint-Esprit
descendrait sur les hommes, et qu’ils parleraient la langue de tous. Que vas-tu
répondre, ô hérétique? Que l’on ne donne plus l’Esprit-Saint. Je ne demande pas
où on le donne, mais le donne-t-on? Si on ne le donne point, que prétendez-vous
faire, en parlant, en baptisant, en bénissant? Que faites-vous? d’inutiles
cérémonies? Diras-tu qu’on le donne? Alors pourquoi ceux qui le reçoivent ne
parlent-ils point toutes les langues? Le don de Dieu est-il en défaut, son
fruit a-t-il diminué? L’ivraie a poussé sans doute, mais aussi le froment. «
Laissez croître l’une et l’autre jusqu’à la moisson 2». Le Sauveur n’a point
dit: Que l’ivraie croisse, et que le froment diminue; ils croissent l’un et
l’autre. Pourquoi le Saint-Esprit ne se fait-il point voir dans le don des
langues? Que dis-je? il se montre maintenant dans toutes les langues; l’Eglise
alors n’était point répandue par toute la terre, de manière que ses membres
pussent parler chez tous les peuples. Dieu alors accomplissait dans un seul
homme ce qui était annoncé pour tous. Aujourd’hui le corps du Christ parle
toutes les langues, et il parlera celles qu’il ne pante pas encore; car
l’Eglise croîtra jusqu’à ce qu’elle occupe toutes les langues du monde. Quel
n’est point l’accroissement de cette Eglise que vous avez abandonnée! Possédez
avec nous ce qu’elle possède, afin d’arriver avec nous jusqu’où
1.
Act. I, 4-14, et II, 1-12. — 2. Matth. XIII, 30.
elle doit s’étendre. Je parle toutes les
langues, et j’ose bien vous dire: Je suis parmi les membres du Christ, dans
l’Eglise du Christ; si le corps de Jésus-Christ parle toutes les langues, je
suis aussi dans toutes les langues; je parle grec, je parle syriaque, je parle
hébreux, je parle la langue de tous les peuples, parce que je suis dans l’unité
de tous les peuples. -
20. L’Eglise donc, mes frères, a commencé par
Jérusalem, pour se répandre dans toutes les contrées. Qu’y a-t-il de plus clair
que ces témoignages de la loi, des Prophètes, et du Seigneur lui-même? Partout
retentissent les voix des Apôtres qui rendent témoignage à notre espérance dans
l’unité du corps de Jésus-Christ. Tressaillez d’être parmi le froment,
supportez l’ivraie, gémissez sous le fléau, aspirez au grenier. Viendra le
temps où nous nous réjouirons dans Jérusalem, dont Dieu aura fortifié les
barrières. Qu’il entre, celui qui doit y entrer. Quiconque doit y entrer au
grand jour, n’entre point ici sous un déguisement. Celui qui entre ici à la
dérobée, demeure au dehors; le voilà dehors, sans le savoir: le van le lui
montrera, les serrures le lui apprendront. Quiconque est maintenant à
l’intérieur, vraiment à l’intérieur, y sera là d’une manière inébranlable;
celui qui est ici-bas à l’intérieur, et en souffrance, y sera là dans la joie.
Car les confins de Jérusalem sont la paix, puisque Dieu u a établi la paix «
sur ses frontières ». Nous aspirons maintenant à la paix que nous ne possédons
qu’en espérance. Qu’est-ce, en effet, que cette paix que nous avons en
nous-mêmes? « La chair conspire contre l’esprit, et l’esprit contre la chair 1
». Est-il un seul homme pour jouir d’une paix parfaite? Or, quand un seul homme
aura la paix parfaite, elle sera parfaite aussi pour tous les citoyens de
Jérusalem. Or, quand sera-t-elle parfaite? Quand ce corps corruptible sera
revêtu d’incorruption, ce corps mortel, revêtu d’immortalité 2; nous aurons
alors une paix entière, une paix parfaite; rien dans l’homme ne se soulèvera
contre l’âme, ni elle-même contre elle-même, puisqu’elle ne sera plus meurtrie;
elle ne souffrira ni de la fragilité de la chair, ni des nécessités du corps,
ni de la faim, ni de la soif, ni du froid, ni de la chaleur, ni de la fatigue,
ni de l’indigence, ni d’aucune querelle,
1.
Gal. V, 17. — 2. I Cor. XV, 53.
ni même des soucieuses précautions d’éviter
un ennemi et de l’aimer. Tout cela, en effet, mes frères, conspire contre
nous-mêmes; la paix est loin d’être entière, d’être parfaite. Ces cris que vous
poussiez tout à l’heure, au nom de la paix, viennent du désir que vous en avez:
c’est le cri d’une âme qui a besoin, mais non qui est satisfaite; car la
justice ne sera parfaite qu’avec la paix parfaite. Maintenant nous avons faim
et soif de la justice « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice,
parce qu’ils seront rassasiés 1». Comment seront-ils rassasiés? Quand nous
jouirons de la paix. C’est pourquoi, après ces paroles: « Il a établi la paix
dans tes confins »; le Prophète ajoute: « Et il te rassasie de froment », parce
que nous serons rassasiés sans éprouver aucun besoin.
21. Comme cette paix dont nous parlons, mes
frères, n’est pas complètement en nous,c’est-à-dire n’est point parfaite en
chacun de nous, peut-être votre âme se plaît-elle à nous écouter encore; et
pourtant, bien que le corps ne s’y refuse point, nous finirons le psaume. Je ne
vous vois jamais fatigués, et néanmoins, Dieu le sait, je crains de vous être à
charge ou à quelques-uns de nos frères: j’en vois plusieurs d’entre vous qui
exigent de moi ce travail, et j’ai cette confiance dans le Seigneur, que nies
sueurs ne seront point sans fruit. J’éprouve une grande joie, en vous voyant
goûter dans la parole de Dieu un tel plaisir, que cette ardeur louable du bien,
et qu’enfante le bien, l’emporte sur l’ardeur des insensés qui sont dans-
l’amphithéâtre. Y pourraient-ils demeurer debout aussi longtemps? Ecoutons donc
le reste, mes frères, puisque tel est votre désir. Que le Seigneur me vienne en
aide, qu’il soutienne mon esprit et mes forces. Le Prophète, s’adressant à la
Jérusalem du ciel, lui dit: « Il a établi la paix dans tes confins, et il te
rassasie de la moelle du froment». La faim et la soif de la justice passeront,
et nous serons rassasiés. Quelle sera en effet la moelle du froment, sinon le
pain qui est descendu du ciel vers nous 2? Comment nous rassasiera-t-il dans la
patrie, celui qui nous a ainsi nourris dans notre exil?
22. Le Prophète va nous entretenir de cet
exil, d’où nous passons à cette Jérusalem, où nous chanterons le Seigneur tous
ensemble, où nous bénirons le Seigneur notre Dieu,
1. Matth. V, 6. — 2. Jean, VI, 51.
nous qui serons Jérusalem et Sion, quand les
serrures de nos portes seront consolidées. Que fait pour nous, dans cet exil,
celui qui nous rassasiera de la moelle du froment? Il fait ce qui suit: « Il
envoie son Verbe à la terre». Nous sommes ici-bas dans le labeur, en butte à la
fatigue, à la langueur, à la mollesse, à la tiédeur: quand nous serait-il
possible de nous élever, jusqu’à nous rassasier de la moelle du froment, si
Dieu n’envoyait son Verbe à cette terre,dont le poids nous accable, à cette
terre qui nous empêche de retourner à la patrie? Loin de nous abandonner au
désert, il nous a envoyé son Verbe, il a fait pleuvoir la manne du ciel. «
C’est lui qui a envoyé son Verbe à la terre ». Comment l’a-t-il envoyé? quel
est ce Verbe? « Son Verbe court jusqu’à la rapidité ». Il ne dit point que ce
Verbe est rapide, mais « qu’il court jusqu’à la vitesse même ». Comprenons, mes
frères; le Prophète ne pouvait choisir un terme plus propre. Avoir chaud, c’est
l’effet de la chaleur; avoir froid, l’effet du froid, et marcher rapidement, un
effet de la rapidité. Mais qu’y a-t-il de plus chaud que la chaleur, qui
échauffe tout ce qui est chaud, de plus froid que ce même froid que subit tout
ce qui se refroidit, de plus rapide que cette rapidité que subit tout ce qui va
rapidement? On peut dire de beaucoup de choses qu’elles vont rapidement, les
unes plus, les autres moins; et une chose est plus rapide à mesure qu’elle
participe plus à la rapidité. Plus sa part est grande, plus grande est sa
rapidité; moins sa part est grande, moins grande est sa rapidité. Dès lors,
quoi de plus rapide que la rapidité elle-même? Comment donc se répand cette
parole: « Jusqu’à la rapidité? » Renchéris autant qu’il te plaira sur la
rapidité du Verbe; dis, si tu le veux, qu’il est plus rapide que tel ou tel
objet, plus rapide que les oiseaux, que les vents, que les anges. Y a-t-il rien
qui s’élance avec rapidité, comme la rapidité elle-même? « Jusqu’à la rapidité
», dit le Prophète. Qu’est-ce, mes frères, que la vitesse? Elle est partout, et
n’est point dans quelque partie séparée. Or, c’est le propre du Verbe de Dieu,
de n’être point dans quelque partie séparée, d’être partout le Verbe et par
lui-même, d’être le vertu de Dieu et la sagesse de Dieu avant d’avoir pris
notre chair. Si nous nous représentons Dieu dans la forme
1. I Cor. I, 24.
de Dieu, le Verbe est égal au Père; il est
cette sagesse dont il est dit: « La sagesse atteint d’une extrémité à l’autre
avec force 1 ». Quelle vitesse ! « Elle atteint d’une extrémité à l’autre avec
force ». Mais c’est peut-être sans se mouvoir qu’elle y atteint. Si elle
ressemblait à un vaste bloc dc pierre qui occupe un espace, on dirait qu’elle
atteint d’une extrémité à l’autre de cet espace, et sans mouvement. Que
disons-nous donc? Ce Verbe est-il sans mouvement, et cette sagesse est-elle
stupide? Que devient alors ce qui est dit de l’Esprit de sagesse? Car au nombre
des qualités qu’on lui donne, il est écrit qu’il est « délié,mobile, certain,
incorruptible 2 ». Donc la sagesse de Dieu est mobile. Si donc elle a de la
mobilité, quand elle touche un objet, n’en touche-t-elle pas un autre? ou
abandonne-t-elle celui-là pour toucher celui-ci? Où serait alors la vitesse?
Car telle est la vitesse, qu’elle est partout en tout lieu, et renfermée nulle
part. Mais pour élever jusque-là nos pensées, nous avons trop de lenteur dans
l’esprit. Qui peut concevoir ces choses? J’en ai dit, mes frères, ce que j’ai
pu, si tant est que j’y ai pu comprendre quelque chose, et vous avez compris
comme vous l’avez pu. Mais que dit l’Apôtre? « Gloire à celui qui peut faire
au-delà de ce que nous demandons, ou de ce que nous pouvons comprendre 3 ». Que
veut-il nous montrer par là? Que toutes les fois que nous comprenons une chose,
nous ne la comprenons pas telle qu’elle est. Pourquoi? C’est que « le corps
corruptible appesantit l’âme 4 ». Donc sur la terre nous demeurons froids,
tandis que la vitesse n’est que chaleur; que tout ce qui a plus de chaleur a
plus de vitesse, comme tout ce qui est plus froid est aussi plus pesant. Nous
sommes lents, donc nous sommes froids. Quant à la sagesse, elle court jusqu’à
la rapidité. Elle est donc toute de feu, et « nul ne se dérobe à sa chaleur 5».
23. Pour nous que le froid du corps a
ralentis, qui ployons sous la chaîne de cette vie corruptible, n’avons-nous donc
nulle espérance d’avoir notre part à ce Verbe qui court jusqu’à la vitesse? Ou
même nous aurait-il délaissés, quand le poids du corps nous entraîne si bas?
N’est-ce point ce même Verbe qui nous a prédestinés avant notre naissance en un
corps lourd et mortel? C’est donc celui
1. Sag. VIII, 1. — 2. Id. VII, 22.— 3. Ephés.
III, 20.— 4. Sag. IX, 15. — 5. Ps. XVIII, 7.
qui nous a prédestinés qui a donné à la terre
la neige, ou nous-mêmes. Arrivons à ces versets obscurs du psaume; déroulons
ces voiles qui les couvrent, puisque votre avidité pour la parole de Dieu
s’accroît à mesure que nous vous parlons. Nous voici donc lents sur la terre,
et en quelque sorte gelés ici-bas. Il en est de nous comme de la neige, qui
gèle dans les hauteurs et descend en bas; de même, à mesure que la charité se
refroidit 1, la nature humaine descend sur cette terre, et sous l’enveloppe
d’un corps tardif devient semblable à la neige. Mais dans cette neige il y a
des fils prédestinés de Dieu. Car Dieu « donne la neige comme la laine».
Qu’est-ce à dire: comme la laine? C’est-à-dire qu’il doit tirer parti de cette
neige qu’il a donnée, de ces hommes froids et lents d’esprit qu’il a
prédestinés. La laine est la matière d’un vêtement; en voyant la laine on
comprend qu’elle est destinée à vêtir. Donc parce que Dieu a prédestiné ceux
qui pour un temps sont froids et rampent sur la terre, qui n’ont point encore
la ferveur de l’esprit de charité (car le Prophète encore ici parle de
prédestination), Dieu a fait de ces hommes une laine dont il se fera un
vêtement C’est donc avec raison que, sur la montagne, les vêtements du Christ
brillèrent comme la neige 2. La robe du Christ devint blanche comme la neige,
comme si déjà il se fût fait une robe de cette neige qu’il a donnée comme la
laine, ou de ceux qui languissaient encore, quoique prédestinés. Mais attendez
quelque peu; vois ce qui suit: Parce qu’il les a donnés comme la laine, il s’en
fait un vêtement. On dit en effet de l’Eglise qu’elle est la robe du Christ,
comme on dit qu’elle est le corps du Christ; de là cette parole de l’Apôtre: «
Afin de faire paraître devant lui une Eglise pleine de gloire, sans tache et
sans ride 3». Oui, qu’il montre devant lui une Eglise pleine de gloire, sans
tache et sans ride; qu’il se fasse une robe de cette laine, qu’il a prédestinée
quand elle était neige encore. De ces hommes encore incrédules, froids et
pesants, qu’il se fasse un vêtement, un vêtement de cette laine; afin qu’il en
lave les taches et la purifie par la foi; et pour en effacer les rides, qu’il l’étende
sur la croix. « Il donne la neige comme la laine ».
24. S’ils sont prédestinés, il faut qu’ils
soient appelés. « Car il a appelé ceux qu’il a
1.
Matth. XXIV, 12.— 2. Id. XVII, 2. — 3. Ephés. V, 27.
prédestinés 1». Comment sont-ils appelés, et
tirés de la langueur de ce corps dont ils font partie, pour recouvrer la santé?
Comment sont-ils appelés? Ecoute l’Evangile: « Ce ne sont point « les justes,
mais les pécheurs, que je suis venu appeler à la pénitence 2». Cette
prédestina. lion, quand il est neige encore, porte l’homme à connaître sa
torpeur, à confesser son péché; cette vocation l’amène à la pénitence. Dieu dès
lors, « qui donne la laine comme la neige », pour s’en faire un vêtement,
appelle aussi à la pénitence, et « répand les frimas comme la cendre». Qui donc
répand les frimas comme la cendre? Celui qui donne la neige comme la laine. Il
appelle à la pénitence les prédestinés, car ceux qu’il a prédestinés, dit
l’Apôtre, il les a aussi appelés. Or, la cendre est le symbole de la pénitence.
Ecoute celui qui appelle à la pénitence, dans les, reproches qu’il fait à
quelques villes: « Malheur à toi, Corozaïn ! « Malheur à toi, Bethsaïda! Car si
les prodiges accomplis au milieu de vous avaient été accomplis autrefois dans
Tyr et dans Sidon, elles auraient fait pénitence dans le cilice et dans la
cendre 3». C’est donc lui qui répand les frimas comme la cendre. Qu’est-ce à
dire, qu’il répand les frimas comme la cendre? Quand on appelle un homme à
connaître Dieu, et qu’on lui dit: Goûte la vérité, il commence à vouloir goûter
cette vérité, mais il n’y suffit point, il se voit dans une obscurité qu’il ne
remarquait point auparavant. Ce frimas ou brouillard t’apprend d’abord que tu
ne sais rien, afin de t’apprendre ce qu’il faut savoir, et de te montrer que tu
es trop faible pour comprendre ce qu’il est nécessaire de. connaître. Car si,
nonobstant ce brouillard, tu as la présomption de croire que tu sois quelque
chose, l’Apôtre te dira: « Quiconque se flatte de savoir quelque chose, ne sait
pas même comment il doit savoir 4» Tu n’as donc rien compris encore, tu es
encore dans le brouillard. Mais il ne t’abandonne pas, celui qui allume pour
toi le flambeau de sa chair. Pour ne pas errer dans le brouillard, suis-le par
la foi. Mais parce que tu essaies de voir sans en être capable encore,
repens-toi de tes péchés; voilà que le brouillard est répandu comme la cendre.
Conçois enfin un repentir de ton obstination coutre Dieu, conçois un vif regret
d’avoir suivi tes voies dépravées. Tu sens combien il est
1. Rom. VIII, 30.— 2. Matth. IX, 13.— 3. Id.
XI, 21.— 4. I Cor. VIII,2.
difficile d’arriver à la vision bienheureuse;
et il te deviendra salutaire, ce brouillard que Dieu répand comme la cendre. Tu
es encore un brouillard, mais comme la cendre; car les pénitents se roulent
dans la cendre, témoignant ainsi, mes frères, qu’ils ressemblent à cette
poussière, et disant à leur Dieu: « Je ne suis que cendre ». On lit en effet
quelque part dans l’Ecriture: « Je me suis méprisé, et j’ai rougi de moi, en me
comparant à la boue et à la cendre 1 ». Telle est l’humilité du pénitent. Quand
Abraham parle à son Dieu, et qu’il veut qu’on lui découvre l’embrasement de
Sodome: « Je ne suis », dit-il, « que terre et que cendre 2 ». N’est-ce point
toujours cette humilité que l’on retrouve dans les grandes âmes et dans les
saints? Donc le Seigneur répand le brouillard comme la cendre; pourquoi? «
Parce qu’il appelle ceux qu’il a prédestinés 3, lui qui n’est point « venu pour
appeler à la pénitence les justes, mais les pécheurs 4 ».
25. « Il envoie son cristal comme des
morceaux de pain ». Il n’est pas besoin de nous fatiguer encore à expliquer ce
qu’est le cristal. Nous en avons dit un mot, que sans doute votre charité n’a
point oublié. Que signifie donc: « Il envoie son cristal comme des morceaux de
pain 5? » De même que la neige vient de lui parce qu’elle désigne les
prédestinés; de même que le brouillard vient de lui, parce qu’il désigne ceux
qu’il appelle à la pénitence après les avoir prédestinés; ainsi le cristal lui
appartient en quelque sorte. Qu’est-ce que le cristal? Un corps très-dur,
fortement congelé, et qu’on ne saurait dissoudre facilement comme la neige.
Cette neige de plusieurs années, durcie pendant de longs siècles, prend le nom
de cristal; et voilà ce que Dieu envoie comme des morceaux de pain. Que veut
dire tout ceci? Des pécheurs très-endurcis ne sauraient plus être comparés à la
neige, mais bien au cristal; et toutefois ils sont prédestinés et appelés,
quelques-uns même l’ont été de, manière à nourrir les autres, à leur être
utiles. Et qu’est-il besoin de vous citer ici tel ou tel que nous connaissons?
Chacun de vous peut se rappeler combien étaient endurcis, et se roidissaient
contre la vérité quelques hommes qu’il a connus, et qui prêchent aujourd’hui
1.
Job, XXX, 19.— 2. Gen. XVIII, 27.— 3. Rom. VIII, 30. — 4. Matth. IX, 13. — 5.
Ps. CXLVIII, 17.
cette même vérité; les voilà devenus des
morceaux de pain. Quel est ce pain unique? « Quoique nous soyons plusieurs »,
dit l’Apôtre, « nous ne sommes qu’un en Jésus-Christ 1. Nous ne sommes tous
qu’un seul pain, un seul corps 2 ». Si donc le corps du Christ est un seul
pain, ses membres sont des morceaux de pain. Il change en ses membres quelques
coeurs endurcis, qu’il fait servir à la nourriture des autres. Pourquoi
chercher si loin des exemples? Il en est un bien connu, celui de l’apôtre saint
Paul. Rien n’est plus connu que ce grand homme, rien de plus doux, rien de plus
familier dans les saintes Ecritures. S’il en est d’autres qui soient devenus du
pain après avoir été endurcis comme lui, qu’au nom de saint Paul ils vous
reviennent à la mémoire comme des exemples, afin d’expliquer le sens de cette
parole: « Il envoie son cristal comme des morceaux de pain ». L’apôtre saint
Paul était donc un cristal, un cristal dur, rebelle à la vérité, déclamant
contre l’Evangile, comme pour s’endurcir contre le soleil. Il était dur ce
nourrisson de la loi, disciple du docteur de la loi Gamaliel 3. Il n’écoutait
ni Moïse, ni les Prophètes, qui annonçaient le Christ. Quelle dureté! Les nations,
il est vrai, n’écoutaient point les Prophètes, n’écoutaient point Moïse, elles
étaient froides, mais n’étaient pas un cristal. Il était bien plus endurci, cet
homme croyant aux paroles qui annoncent le Christ, et ne croyant point au
Christ qu’il avait devant lui. Donc, parce qu’il était un cristal, il
paraissait net et brillant, mais il était dur et fortement congelé. Comment
paraissait-il net et brillant? « Hébreu, et fils d’Hébreux, et Pharisien en ce
qui regarde la loi ». C’est l’éclat du cristal. Vois maintenant combien il est
dur « Quant au zèle pour le judaïsme, persécuteur de l’Eglise du Christ 4 ». Il
était, cet homme endurci, et plus endurci peut-être que tous les autres, il
était parmi ceux qui lapidaient le martyr saint Etienne. Il gardait les habits
de ceux qui le lapidaient, le lapidant ainsi par les mains de tous.
26. Nous comprenons donc, et la neige, et le
brouillard, et le cristal: Dieu veuille souffler et les dissoudre. S’il ne le
fait, s’il ne dissout lui-même une glace si dure, « qui pourra subsister sous
la rigueur de son froid? » En face de son froid; du froid de qui? de Dieu.
1.
Rom. XII, 5 — 2. I Cor. X, 17.— 3. Act. XXII, 3. — 4. Philipp. III, 5.
D’où vient qu’il est le froid de Dieu? Qu’il
abandonne le pécheur, qu’il ne l’appelle point, qu’il ne lui ouvre point
l’esprit, qu’il ne répande pas en lui sa grâce, que l’homme dissolve, s’il le
peut, les glaces de sa folie. Il ne le peut. Pourquoi ne le peut-il? « Qui
pourra se maintenir en présence de son froid? » Vois-le se durcir comme une
glace, et dire: « Je sens dans mes membres une autre loi qui est contraire à la
loi de l’esprit, et qui me retient captif sous la loi des péchés qui est dans
mes membres. Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette
mort? » Voilà que le froid me saisit et me glace; quelle chaleur viendra me
délier, afin de prendre ma cause? « Qui me délivrera du corps de cette mort?
Qui pourra se maintenir en présence de son froid? » Qui pourra se délivrer si
Dieu ne le délivre? D’où vient la délivrance? « De la grâce de Dieu par Notre
Seigneur Jésus-Christ 1». Ecoute la grâce de Dieu, dans notre psaume: « Il
envoie son cristal comme des morceaux de pain: qui pourra se maintenir en
présence de son froid? » Faut-il donc désespérer? Loin de là. Car le Prophète
continue: « Il enverra son Verbe, qui va les dissoudre 2». Arrière donc tout
désespoir, et pour la neige, et pour le brouillard, et pour le cristal. La
neige est en effet comme la laine dont on fait un vêtement. Le brouillard
trouve le salut dans la pénitence; puisque « Dieu appelle ceux qu’il a
prédestinés 3 ». Quel que soit l’endurcissement des prédestinés, bien que le
temps ait endurci leur glace, et les ait changés en cristal, ils ne seront
point trop durs pour la divine miséricorde. « Dieu enverra son Verbe, qui va
les dissoudre ». Qu’est-ce à dire, « les dissoudre? » Ne donnons pas à cette
expression une interprétation défavorable, elle signifie que Dieu les fondra,
les rendra liquides. C’est en effet l’orgueil qui les endurcit; et l’on donne avec
raison à l’orgueil le nom d’engourdissement; car tout ce qui est engourdi est
froid. Or, les hommes qui ont ressenti un froid vif nous disent tous les jours:
Je suis engourdi. Donc l’orgueil est un engourdissement. « Dieu enverra son
Verbe et les fera couler ». Et de fait, des amas de neige se liquéfient et
s’abaissent sous l’action de la chaleur. Le froid donc élève un monceau de
neige, et l’orgueil élève les insensés. « Dieu
1. Rom. VII, 23-25. — 2. Ps. LXLVII, 18. — 3.
Rom. VIII, 30.
enverra son Verbe, et les rendra liquides ».
Voilà donc Saul qui est un cristal endurci après la mort et la lapidation
d’Etienne; son endurcissement le rendit insensible contre le Christ, et il
vient demander aux prêtres des lettres contre les chrétiens, ne respirant que le
meurtre. Le voilà endurci, c’est un glaçon en face du feu de Dieu. Quels que
soient néanmoins son endurcissement et sa glace, voilà que celui qui envoie son
Verbe, et qui les rend liquides, s’écrie avec feu du haut du ciel: « Saul,
Saul, pourquoi me persécuter 1?» Parole unique, et néanmoins ce cristal si dur
est dissous. « Il enverra son Verbe, et les rendra liquides ». Ne désespérons
pas du cristal, encore moins de la neige, ou du brouillard, Non, que le cristal
ne nous désespère point. Ecoutez une parole de ce même cristal: « J’ai été
d’abord blasphémateur, persécuteur, insulteur ».Mais pourquoi Dieu a-t-il
liquéfié ce cristal? Pour que la neige ne désespère point d’elle-même. Car le
même cristal ajoute: « J’ai obtenu miséricorde, afin que le Christ fît éclater
en moi toute sa patience, et que je servisse d’exemple à ceux qui doivent
croire en lui pour la vie éternelle 2». Tel est donc le cri de Dieu aux
nations: J’ai fondu le cristal, venez, ô vous qui êtes la neige. «Il enverra
son Verbe, et les rendra liquides, son esprit soufflera, et les eaux couleront
». Voilà que le cristal et les neiges se dissolvent, et s’en vont en eaux;
qu’ils viennent, ceux qui ont soif, et qu’ils boivent. Saul était dur comme le
cristal, et il persécuta Etienne jusqu’à la mort; et voilà que Paul, devenu eau
vive, invite les nations aux véritables sources. « Son esprit soufflera, elles
eaux couleront. C’est un esprit de chaleur, et de là vient cette parole d’un
autre psaume: « Seigneur, changez notre captivité, comme les torrents au
souffle du Midi 3 ». Jérusalem captive à Babylone était gelée en quelque sorte
au souffle du Midi; cette glace de la captivité s’est fondue, et la ferveur de
la charité s’est élancée vers Dieu. « Son esprit soufflera et les eaux
couleront. Il se formera en eux une source d’eau qui jaillira jusqu’à la vie
éternelle 4».
27. « Il annonce sa parole à Jacob, ses
décrets et ses jugements à Israël 5». Quels décrets et quels jugements? Il
déclare que toutes les douleurs endurées par les hommes,
1.
Art. IX, 1- 4. — 2. I Tim. I, 13, 16. — 3. Ps. CXXV, 4. — 4. Jean, IV,
14. — 5. Ps. CXLVII, 19.
quand ils n’étaient que neige, ou frimas, ou
cristal, est le juste châtiment de leur orgueil et de leur révolte contre Dieu,
Remontons à l’origine de notre chute, et voyons combien le psaume a dit vrai
quand il chante: « J’ai péché avant d’être humilié 1 ». Mais celui qui dit: «
J’ai péché avant d’être humilié », dit aussi « C’est pour mon bien que vous
m’avez humilié, afin que j’apprenne les moyens de votre justice 2». Ces moyens
de justice, Dieu les a enseignés à Jacob, en mettant Jacob en lutte avec un
ange; et dans la personne de cet ange le Seigneur luttait lui-même. Jacob le
retint, lui fit violence pour le retenir, et parvint à le retenir en effet.
Dieu se laissa retenir par miséricorde, et non par faiblesse. Jacob lutta donc,
et prévalut, et retint le Seigneur: et il pria celui qu’il semblait avoir
vaincu, de le bénir 3. Quelle idée se faisait-il de cet adversaire contre qui
il luttait, et qu’il retenait? Pourquoi le retenir, et user ainsi de violence?
« C’est que le royaume des cieux souffre violence, et que les violents seuls
peuvent le ravir 4 ». Pourquoi donc lutter, sinon parce qu’il faut de grands
efforts? Pourquoi ne recouvrons-nous qu’avec peine ce que nous perdons si
facilement? C’est afin que cette peine à le recouvrer nous apprenne à ne point
le perdre. Que l’homme donc s’efforce de conserver; et il sera plus ferme à
conserver ce qu’il n’aura recouvré qu’avec peine. Donc le Seigneur manifesta
ses desseins à Jacob, à Israël; et pour parler plus clairement, c’est par un
juste décret du Seigneur que les justes doivent subir ici-bas les fatigues, les
dangers, les chagrins et les douleurs. Celui-là seul peut dire qu’il a souffert
sans sujet, bien que ce ne soit pas absolument sans sujet, puisque c’était pour
nous, qui seul peut dire aussi: « Je payais ce que je n’avais point enlevé 5»,
qui seul peut dire: «Voici venir le prince de ce monde, et il ne trouvera rien
en moi ». Comme si quelqu’un lui disait: Pourquoi donc souffrez-vous? il
ajoute: «Mais afin que tous comprennent que j’accomplis là volonté de mon Père,
levez-vous, sortons d’ici 6». Quant aux autres, qui souffrent tous pour leurs
péchés, par un juste jugement de Dieu, et quand même ils souffriraient pour la
justice, qu’ils ne s’arrogent pas l’honneur de souffrir innocemment
1.
Ps. 118, 67. — 2. Id. 71. — 3. Gen. XXXII, 24-26. — 4. Matth. XI, 12. — 5. Ps.
LXVIII, 5. — 6. Jean, XIV, 30, 31.
comme le Christ. Ecoute l’apôtre saint Pierre
« Il est temps que le jugement commence par la maison du Seigneur ». Quand il
exhorte les martyrs, les témoins de Dieu, à supporter avec patience les menaces
et les fureurs du monde, il leur dit: « Il est temps que le jugement commence
par la maison du Seigneur; si donc il commence par nous.; quelle sera la fin de
ceux qui ne croient point à l’Evangile? Si le juste est à peine sauvé, où
paraîtront le pécheur et l’impie 1? Le Seigneur annonce à Jacob sa parole, ses
décrets et ses justices à Israël ».
28. « Il n’a point traité ainsi toutes les
nations ». Que nul ne vienne vous tromper; on n’a prêché à aucun peuple ce
secret de Dieu’ qui condamne à la douleur le juste et l’injuste, ni comment
tous l’ont mérité, ni comment la grâce de Dieu délivre le juste, et non pas ses
mérites. Que faisons-nous donc, si ce décret n’a été prêché à aucun peuple,
mais seulement à Jacob, seulement à Israël? Où serons-nous? Dans Jacob, dans
Israël. « Il ne leur a point manifesté ses jugements ». A qui? A tous les
peuples. Pourquoi toutes les neiges ont-elles été appelées après que le cristal
a été fondu? Comment toutes les nations ont-elles été appelées après que Paul a
été justifié? Comment, sinon afin qu’elles fussent dans Jacob? On a coupé
l’olivier sauvage pour le greffer sur l’olivier franc 2. Ils appartiennent
maintenant à l’olivier; on ne doit plus les nommer les nations, mais une seule
nation en Jésus-Christ, la nation de Jacob, le peuple d’Israël. Pourquoi la
nation de Jacob, la nation d’Israël? Parce que Jacob est issu d’Isaac, et Isaac
d’Abraham. Or, que fui-il dit à Abraham? « En ta postérité seront bénies toutes
les nations 3 ». Cette même parole a été répétée à Isaac et à Jacob. Nous
appartenons donc à Jacob, puisque nous appartenons à Isaac, nous appartenons à
Abraham. Car la postérité d’Abraham, ce n’est ni moi qui le dis, ni aucun autre
homme, c’est saint Paul qui le dit, cette postérité c’est le Christ. Et il
ajoute: « L’Ecriture ne dit point: Et dans ceux qui naîtront de vous, comme
s’il y avait plusieurs; mais elle dit, comme en parlant d’un seul: En celui qui
naîtra de vous, et c’est le Christ 4 ». Si donc il n’y a qu’une seule
postérité, qu’un seul Jacob,
1. I Pierre, IV, 4, 17, 18. — 2. Rom. XI, 17,
— 3. Gen. XXII, 18; XXVI, 4; XXVIII, 14. — 4. Gal. III, 16.
qu’un seul Israël, tous les peuples ne sont qu’un seul peuple en
Jésus-Christ. Ce que Dieu a révélé à Jacob et à Israël appartient donc aux
nations: et l’on doit regarder comme appartenant aux autres peuples ceux-là
seulement qui refusent de croire au Christ, refusent d’abandonner l’olivier
sauvage et d’être entés sur l’olivier franc. Elles demeureront dans les forêts,
ces branches amères et stériles. Mais que Jacob soit dans la joie. Qu’est-ce
que Jacob? Le supplantateur, car Jacob supplanta son frère 1. « Une partie
d’Israël est tombée dans l’aveuglement, jusqu’à ce que soit entrée la plénitude
des nations 2 ». Jacob est donc devenu Israël. Qu’est-ce à dire Israël?
Ecoutons ceci, nous tous qui sommes Israël, écoutons; soit vous qui êtes ici
parmi les membres du Christ, soit ceux qui sont au dehors, sans être dehors
néanmoins, soit ceux qui sont parmi les peuples, partout au dehors et partout à
l’intérieur. Qu’Israël écoute lui-même ce Jacob devenu Israël, Que signifie
Israël? Qui voit Dieu. Où verra-t-il Dieu? Dans la paix. Dans quelle paix? La
paix de Jérusalem; car c’est Dieu qui a établi tes confins dans la paix. C’est
là que nous louerons le Seigneur, nous tous qui ne serons qu’un seul dans un
seul et pour un seul, puisque désormais nous ne serons plus dispersés.
1. Gen. XXVII, 36. — 2. Rom. XI, 25.
SERMON AU PEUPLE.
Le
temps, qui précède Pâques, temps de pénitence, est le symbole de la vie
terrestre, vie pénible, comme le temps qui suit Pâques, temps de joie, est le symbole
de la vie du ciel; de même qu’il y a en Jésus-Christ le temps de la passion et
celui de la gloire. Cette vie future a pour refrain l’Alléluia que les méchants
peuvent bien chanter avec nous en cette vie, mais non dans l’autre.
Louer
Dieu ne se dit pas seulement de la parole, mais aussi de l’action; et comme un
mot du Maître met en moi tout un empire, ainsi le maître qui est en nous fait
agir nos membres si c’est Dieu, l’action est bonne; elle est mauvaise, si c’est
le diable.
Tout
d’abord, le Prophète invite les créatures du ciel. Or, parmi les créatures, les
unes connaissent et aiment Dieu; d’autres, qui sont sans intelligence,
contribuent néanmoins à l’harmonie de l’univers; et comme elles font louer
Dieu, elles-mêmes louent Dieu en quelque manière. Ainsi donc, dans le ciel les
esprits, sur la terre les hommes louent Dieu directement; tandis que les
animaux et les plantes sont seulement pour nous une occasion de le louer.
Ce
psaume est d’Aggée et de Zacharie qui, pendant la captivité, annonçaient la fin
des malheurs et prophétisaient en figure la Jérusalem d’en haut, après la
captivité de cette vie pleine de misères. Qu’elles bénissent Dieu, ces
créatures du ciel où règne la paix, qui sont l’oeuvre de Dieu, qu’a faites le
Verbe, qui sont établies pour l’éternité, et qui ont pour précepte de louer
Dieu. Nous aussi nous bénirons Dieu nous en avons pour gage son amour qui l’a
conduit à la mort, sa chair qui est une portion de nous-mêmes, et qui est
glorifiée au ciel. Descendant sur la terre, le Prophète invite à louer Dieu les
abîmes ou tout ce qui fournit des eaux dans les airs, et les contient sur la
terre, ainsi que les dragons et les éléments inférieurs qui obéissent à la
parole de Dieu. Arrière celui qui attribue au hasard tous les phénomènes Dieu,
qui a créé l’homme, prend soin d’un faible insecte et donne à chaque contrée ce
qui lui convient, le chaque demeure ses habitants. De là ces harmonies qui nous
élèvent jusqu’à leur auteur.
Mais
pourquoi la foudre va-t-elle frapper les montagnes, et non les voleurs? Dieu,
qui veut la conversion de tous, peut en agir ainsi pour nous ramener par la
crainte. Qu’il frappe l’innocent, peu importe, puisque la mort est un bien pour
l’innocent. Comment sont morts les martyrs que Dieu aimait? Ne blâmons rien;
croyons que tout est bien, quoique nous n’en comprenions pas la raison.
Tout
ce qui est dans le ciel confesse Dieu, comme tout ce qui est sur la terre;
c’est-à-dire qu’à la vue des créatures ou pro. clame la gloire de Dieu qui
élève la force de son peuple, et cette force est le Christ qui n paru mortel
ici-bas, mais qui est ressuscité pour nous ressusciter avec lui. Que tous les
saints bénissent Dieu, c’est-à-dire ceux qui s’approchent de Dieu par la foi
d’Abraham.
1. Notre occupation en cette vie, mes frères,
doit être de louer Dieu car cette louange du Seigneur constituera le bonheur de
notre vie à venir; et nul ne peut avoir part à cette vie future, s’il ne s’y
exerce dès celle-ci. Maintenant donc nous prions Dieu, mais nous (289) prions
aussi. Louer Dieu est une joie, le prier c’est gémir. De grands biens nous sont
promis, et nous ne les possédons point encore; nais comme celui qui nous les a
promis est véridique, nous nous réjouissons dans l’espérance, et comme nous ne
les possédons point, nous aspirons, nous gémissons. Il nous est avantageux de
persévérer dans ce désir, jusqu’à ce que les promesses que nous attendons
soient accomplies, que notre gémissement soit passé, pour faire place
uniquement à la louange. C’est pour désigner ces deux époques, dont l’une se passe
dans les amertumes et les tribulations de cette vie, l’autre dans la sécurité,
dans l’allégresse éternelle; que nous célébrons deux temps bien différents,
l’un qui précède, l’autre qui suit la fête de Pâques. Le temps qui précède
Pâques est le symbole des tribulations actuelles; le temps où nous sommes, et
qui suit Pâques, est le symbole de cette félicité dont nous jouirons plus tard.
Nous célébrons dès lors avant Pâques notre nie actuelle; et après Pâques, nos
fêtes sont le symbole de ce bonheur qui n’est point encore le nôtre. Aussi l’un
de ces temps est-il passé dans le jeûne et la prière, et dans l’autre, nous
nous relâchons de nos jeûnes, pour chanter les louanges de Dieu; c’est ce que
nous marque le cantique Alleluia, qui
en latin signifie « louez Dieu », comme vous le savez. tun de ces temps précède
la résurrection du Seigneur; l’autre la suit et nous marque la vie future que
nous ne possédons pas encore: ce n’est en effet qu’après notre résurrection que
nous jouirons des biens figurés par le temps qui suit la résurrection du
Christ. Nous avons dans notre chef la figure de ces deux états; et la passion
du Seigneur nous montre ce qu’est pour nous la vie présente, le labeur, la
peine, et à la fin la mort; mais sa résurrection et sa gloire nous désignent
celte vie qui doit être la nôtre quand il viendra pour rendre à chacun selon
ses mérites, des biens aux bons, des châtiments aux méchants. Aujourd’hui, sans
doute, tous les méchants peuvent chanter avec nous l’Alleluia; toutefois, s’ils persévèrent dans leur malice, le
cantique de l’Alleluia pourra bien
être sur leurs lèvres, mais ils ne pourront obtenir cette vie future qui
accomplira en réalité ce que nous n’avons aujourd’hui qu’en figures, parce
qu’ils n’auront pas voulu méditer avant son avènement, et posséder par avance
ce qui était à venir.
2. Maintenant donc, mes frères, nous vous
exhortons à louer Dieu, et c’est ce que nous nous disons mutuellement dans ce
seul mot Alleluia. Louez le Seigneur,
dis-tu à l’un. Louez le Seigneur, te répondra l’autre; et s’exhorter
mutuellement, c’est faire dès lors ce que l’on s’exhorte à faire. Mais louez-le
de tout vous-mêmes; c’est-à-dire, non seulement de la langue, mais de la voix,
mais aussi de toute votre conscience, dans toute votre vie, dans tous vos actes.
Nous louons Dieu dans l’Eglise, maintenant que nous y sommes assemblés; et que
chacun se retire chez soi, il semble dès lors interrompre cette louange. Mais
qu’il ne cesse de bien vivre, et il ne cesse de louer Dieu. Cesser de louer
Dieu, c’est t’écarter de la justice, et de tout ce qui lui plaît. Si jamais tu
ne t’éloignes du bien, ta tangue peut bien se taire, mais ta vie est un chant,
et Dieu a l’oreille sur ton coeur, De même, en effet, que notre oreille entend
notre voix, l’oreille de Dieu entend nos pensées. Or, il est impossible que les
actes d’un homme soient mauvais quand il a de saintes pensées. Car l’action
vient de la pensée, et nul ne peut rien faire au dehors ni mouvoir les membres
de son corps, si la pensée ne l’a ordonné tout d’abord. Ainsi en est-il des
ordres que donne l’empereur dans l’intérieur de son palais, et qui se répandent
par tout l’empire romain, et s’accomplissent visiblement dans les provinces.
Quel mouvement ne soulève pas la seule parole du maître assis dans son palais?
Un mouvement de tes lèvres quand il parle, met en émoi toute une province pour
exécuter l’ordre donné. Ainsi chaque homme a dans soi-même un empereur qui
siège dans son coeur. S’il est bon, il ordonne le bien, et le bien se fait;
s’il est mauvais, il ordonne le mal, et c’est le mal qui se fait. Que le Christ
y siége, et alors que pourra-t-il ordonner, sinon le bien? Quand le diable en
est en possession, que peut-il commander autre que le mat? Or, Dieu a voulu
laisser à ton choix auquel des deux tu veux préparer une place dans ton coeur,
à Dieu ou au diable. Quand tu l’auras préparée, celui qui possédera ton coeur y
commandera. Donc, mes frères, ne vous en tenez pas seulement au bruit; quand
vous louez Dieu louez-le pleinement. Chantez de la voix, chantez par une vie
sainte, chantez par vos (290) actions. Et s’il est encore pour vous des
gémissements, des tribulations, des épreuves, ayez l’espérance que ces maux
passeront et que viendra le jour où nous bénirons tous le Seigneur. Ce psaume,
qui est clair et qu’il nous faut seulement parcourir, assigne un rang à toutes
les créatures qui louent le Seigneur, et les engage à le louer comme s’il les
eût trouvées muettes.
3. « Louez le Seigneur du haut des cieux 1».
Il semble que le Prophète a trouvé dans le ciel des créatures qui ne chantent
point le Seigneur, et qu’il les engage à se lever pour le bénir. Et toutefois,
le ciel n’a jamais interrompu ses louanges en l’honneur du Créateur, la terre
n’a jamais cessé de le bénir. Il est néanmoins des créatures qui ont un esprit capable
de louer Dieu, et le louent dans cet amour qui fait que Dieu leur plaît. Car
nul n’a de louanges que pour l’objet de ses complaisances. Il en est aussi
d’autres qui n’ont point cet esprit dc vie, cette intelligence capable de louer
Dieu, mais qui sont bonnes en elles-mêmes, parfaitement placées à leur rang, et
contribuent ainsi à la beauté de cet univers que le Seigneur a créé. Sans doute
par elles-mêmes elles n’ont pour louer Dieu ni la voix, ni le coeur; mais pour
l’homme intelligent qui les considère, elles deviennent un sujet de louer Dieu,
et par cela même qu’elles sont un sujet de louanges en l’honneur de Dieu,
elles-mêmes louent Dieu en quelque manière. Ainsi, par exemple, au ciel tout ce
qui a l’esprit de vie, tout ce qui jouit d’une pure intelligence, pour
contempler le Seigneur, et l’aimer sans fatigue, tous ces esprits louent le
Seigneur. Sur la terre, les hommes louent le Seigneur, eux qui ont reçu de lui
l’intelligence pour discerner le bien et le mal, pour connaître la créature et
le Créateur, la pensée pour méditer ses oeuvres, les discerner, s’y complaire
et les chanter. Telle est la puissance des hommes; mais les animaux peuvent-ils
rien de semblable? S’ils avaient une intelligence comme la nôtre, Dieu ne nous
dirait point: « Gardez-vous de ressembler au cheval et au mulet qui n’ont point
d’intelligence 2 ». Or, nous exhorter à n’être point sans intelligence comme
les animaux, c’est nous montrer qu’il en a pourvu l’homme, afin que celui-ci
loue le Seigneur. Les arbres ont-ils cette vie sensitive que nous voyons
1. Ps. CXLVII, 1. — 2. Ps. XXXI, 9.
chez les animaux? Car les bêtes, quoique
dépourvues de ce discernement intérieur, de cette âme intelligente et
raisonnable, et dès lors impuissantes à louer Dieu à la manière de l’homme, ont
néanmoins cette vie extérieure que nous connaissons tous, et qui leur fait
désirer la nourriture, choisir ce qui heur est utile, repousser ce qui leur est
nuisible. ils ont les sens pour discerner ce qui est corporel, la vue pour les
couleurs, l’ouïe pour la voix, le nez pour l’odeur, le goût pour les saveurs,
le mouvement pour ce qui leur plaît ou leur déplaît. Voilà ce que nous
comprenons, ce que nous avons sous les yeux. Elles n’ont ni la raison, ni
l’intelligence; mais elles ont un corps animé, une vie visible, vie que n’ont
point les arbres, et néanmoins toutes les créatures louent le Seigneur. Comment
louent-elles le Seigneur? C’est qu’en les voyant, nous nous reportons au
suprême ouvrier qui les a créées, et de là vient en nous la louange de Dieu;
or, quand on loue Dieu en considérant toutes les créatures, toutes les
créatures louent Dieu. C’est donc par le ciel que commence le Prophète; toutes
les créatures louent Dieu, et il leur dit: « Louez Dieu». Pourquoi dire « louez
Dieu », puisque toutes le louent en effet? Parce qu’il prend plaisir à ces
louanges, et qu’il fait ses délices d’y joindre en quelque sorte son
encouragement. De même lorsque tu arrives près de gens qui travaillent avec
allégresse, soit à la vigne, soit à la moisson, ou à d’autres travaux des
champs, leur travail a pour toi des charmes, et tu leur dis: Courage !
travaillez ! non pour les engager à commencer dans ce moment, mais parce que
c’est pour toi un plaisir de les trouver au travail, tu y joins tes
félicitations, ton encouragement. Dire, en effet: travaillez, encourager un
travailleur, c’est en quelque sorte travailler avec lui. C’est donc pour nous
exhorter que le Prophète, rempli de l’Esprit-Saint, nous dit ce qui suit.
4. Psaume d’Aggée et de Zacharie 1: tel est
le titre du psaume. Ces deux Prophètes, pendant la captivité du peuple juif à
Babylone, annonçaient la fin de la captivité, et la reconstruction de Jérusalem
2, détruite par la guerre. Ils nous donnaient ainsi un symbole de la vie future
où nous louerons Dieu après la captivité de la vie présente, quand s’effectuera
le renouvellement de cette grande
1. Ps. CXLIII, L — 2. Esdr. V, 1, 2; VI, 14.
cité d’où nous sommes bannis, maintenant que
nous soupirons dans la servitude, sous le poids et dans l’embarras d’un corps
mortel; mais ce qui nous fait soupirer dans l’exil, fera notre joie dans la
patrie. Quiconque ne gémit point dans l’exil, ne goûtera point la joie du
citoyen, parce qu’il n’en éprouve aucun désir. Ces deux saints Prophètes
apportaient donc un grand soulagement à ce peuple captif selon la chair,
c’est-à-dire tombé à Babylone sous le pouvoir de rois étrangers; car ils
annonçaient que la captivité n’aurait qu’un temps et que Jérusalem serait
reconstruite. Mais tout cela se passait pour eux en figure 1; et pour nous, c’est
une réalité: ce qui était une ombre pour les Juifs est devenu une vérité pour
nous. Maintenant donc, que nous dit l’Apôtre? « Tant que nous u sommes dans un
corps, nous sommes exilés loin du Seigneur 2 ». Nous ne sommes point encore
dans la patrie. Quand y serons-nous? Quand nous aurons remporté sur le diable
un triomphe complet; quand la mort, notre dernière ennemie, sera détruite;
alors s’accomplira cette parole des Ecritures: « La mort a été absorbée dans sa
victoire. O mort ! où est ton combat? ô mort! où est ton aiguillon 3? » Quand
donc cessera-t-elle cette guerre que nous fait la mort maintenant, qui provoque
vos gémissements sur la défaillance et l’instabilité des choses humaines, sur
la fragilité de notre chair? Chaque jour il nous faut lutter contre les
tentations, et lutter contre nos plaisirs; et s’il n’y a consentement, il y a
du moins peine et lutte; et il est à craindre que celui qui lutte ne soit
vaincu; mais si nous triomphons par le refus de consentement, il nous en coûte
néanmoins de résister à ces attraits. Or, notre ennemi ne meurt point et ne
cessera de nous faire la guerre qu’à la résurrection des morts. Mais reprenons
courage, ayons confiance, voilà qu’Aggée et Zacharie nous relèvent en chantant
notre délivrance future. Si leur prophétie au peuple juif est accoua plie,
pourquoi ce que l’on chante aujourd’hui pour le peuple chrétien ne
s’accomplirait-il point? Soyez donc pleins d’assurance; seulement dans cette
vie d’exil voyez comment vous agissez. Loin de vous tout amour de Babylone, de
peur d’oublier jamais Jérusalem. Si votre corps est retenu à Babylone, que
1. I Cor. X,
6. — 2. II Cor. V, 6. — 3. I Cor. XV, 26, 54, 55.
Jérusalem possède votre coeur par avance. Que
toute créature loue donc le Seigneur, puisque nous ferons alors ce que nous
préméditons ici-bas.
5. « Louez le Seigneur, vous qui habitez les
cieux, louez-le dans les hauteurs ». Le Prophète s’adresse aux cieux, puis il
en vient à la terre, parce qu’il bénit ce Dieu qui a créé le ciel et la terre.
Ce qui est du ciel est dans le calme, dans la paix; là règne une joie sans fin;
on n’y redoute ni la mort, ni la maladie, ni le chagrin; les bienheureux louent
Dieu sans cesse. Pour nous, à la vérité, nous sommes encore sur la terre; niais
quand nous pensons de quelle manière on loue Dieu dans le ciel, élevons-y notre
coeur, et qu’on ne nous dise point en vain: Les coeurs en haut. Levons en haut
notre coeur, de peur qu’il ne se corrompe sur la terre, puisque notre joie est
dans ce que les anges font au ciel. Soyons-y par l’espérance dès aujourd’hui,
afin d’y être un jour en réalité. « Louez donc le Seigneur, vous qui êtes des «
cieux».
6. « Louez-le tous, vous qui êtes ses anges;
chantez-le, vous qui êtes ses vertus; soleil et lune, chantez ses louanges;
vous toutes, étoiles et lumière, publiez sa gloire. « Annoncez-le, ô cieux des
cieux, et que toutes les eaux qui sont au-dessus des cieux chantent le nom du
Seigneur 1». Comment le Prophète pourrait-il inviter chacune des créatures? Il
le fait néanmoins sommairement et renferme en quelques mots toutes les
créatures du ciel qui louent leur Créateur.
7. Puis, comme si on lui demandait: Pourquoi
ces créatures bénissent-elles le Seigneur, que lui doivent-elles, que leur
a-t-il donné, pour le louer ainsi? il ajoute: « Car il a parlé, et voilà
qu’elles ont été faites; il a commandé, et elles ont été créées ». Rien
d’étonnant que l’oeuvre chante la gloire de l’ouvrier, que la créature loue le
Créateur. On vient de nommer le Christ, et il semble que nous n’ayons pas
entendu son nom. Qui est le Christ? « Au commencement était le Verbe, et le
Verbe était en Dieu, et le Verbe u était Dieu: voilà ce qui était en Dieu au u
commencement. Tout a été fait par lui, et rien n’a été fait sans lui 2». Par
qui toutes choses ont-elles été faites? Par le Verbe. Comment le Prophète nous
fait-il voir que
1. Ps. CXLVIII, 2-5. — 2. Jean, I, 1-3.
tout a été fait par le Verbe? « Il a dit, et
tout a été fait; il a commandé, et tout a été créé ». Nul ne parle, nul ne
commande que par le Verbe.
8. « Il les a établis pour toujours, et pour
les siècles des siècles 1 ». Tout ce qui est céleste, tout ce qui est d’en
haut, toutes les vertus et tous les anges, et cette cité supérieure, bonne,
sainte et heureuse d’où nous sommes bannis, ce qui fait notre malheur, où nous
devons retourner, ce qui nous fait heureux en espérance, et où nous aurons le
bonheur en réalité, après notre retour: « voilà ce que Dieu a établi dans le
siècle, et dans le siècle des siècles; il en a porté le décret, et sa paro1e ne
passera joint ». Quel est, pensez-vous, le précepte porté aux créatures
célestes et aux anges? Quel précepte le Seigneur a-t-il pu leur enjoindre? Quel
précepte, sinon de le louer? Bienheureux esprits dont toute la tâche est de
louer le Seigneur! Ils ne labourent point, ne sèment point, n’ont aucun souci
de moudre ou de faire cuire la nourriture: ce sont là des oeuvres de nécessité,
et la nécessité n’est point du ciel. Ils ne commettent ni vol, ni rapine, ni
adultère: ce sont là des oeuvres d’iniquité, et l’iniquité n’est point du ciel.
Ils ne donnent point le pain à celui qui a faim, ni le vêtement à celui qui est
nu, ne visitent point le malade, ne reçoivent point l’étranger, ne réconcilient
point les ennemis, n’ensevelissent point les morts: ce sont là des oeuvres de
miséricorde, et là, il n’y a point de misère qui ait besoin de miséricorde.
Bienheureux esprits, serons-nous donc ainsi un jour? Soupirons, mes frères, et
que nos soupirs deviennent des gémissements. Qui sommes-nous, pour être un jour
au ciel? Des mortels, abattus, humiliés, de la terre et de la cendre. Mais il
est tout-puissant, celui qui vous a fait une promesse. A nous considérer, qui
sommes-nous? Mais à considérer l’auteur de nos promesses, il est Dieu, il est
tout-puissant. Ne pourra-t-il de l’homme faire un ange, lui qui a fait l’homme
de rien? Ou bien pourrait-il mépriser l’homme, ce même Dieu qui a voulu que son
Fils unique mourût pour l’homme? Jetons, les yeux sur les signes de son amour.
Tels sont les gages qu’il nous a donnés de sa promesse: c’est la mort du Christ,
le sang du Christ que nous possédons. Qui donc est
1. Ps. CXLVIII, 6.
mort? Le Fils unique de Dieu. Pour qui est-il
mort? Plût à Dieu qu’il fût mort pour les bons, pour les justes. Mais quoi? «
Le Christ est mort pour les impies 1 », nous dit saint Paul. Lui qui a donné sa
mort pour les impies, que peut-il réserver aux justes, sinon sa vie? Que
l’homme donc se relève dans sa faiblesse, qu’il ne se détourne point de Dieu,
ne se roule point dans son désespoir et ne dise point Le bonheur n’est pas pour
moi, C’est Dieu lui-même qui lui a promis ce bonheur; il est venu afin de
promettre ce bonheur; il s’est montré aux hommes, il est venu se revêtir de
notre mort et nous promettre sa vie, Il est venu dans le lieu de notre exil
prendre ici-bas ce que l’on trouve si abondamnient ici-bas, les opprobres, les
fouets, les soufflets, les crachats, les affronts, la couronne d’épines, la
suspension sur le bois, la croix, la mort. Voilà ce qui abonde en cette vie, et
tel est le commerce qu’il est venu y faire. Qu’a-t-il donné ici-bas et qu’y
a-t-il reçu? Il a donné l’encouragement, donné la doctrine, donné la rémission
des péchés; ila reçu les outrages, la mort, la croix. Les biens, voilà ce qu’il
nous apportait du ciel; les maux, voilà ce qu’il a enduré sur la terre, Et
toutefois il nous a promis que nous serons un jour dans ce même ciel d’où il
est venu, et il a dit: « Mon Père, je veux qu’ils soient avec moi, où je suis
moi-même 2 ». Tel est l’amour dont il nous a prévenus, et parce qu’il a voulu
être avec nous où nous sommes, nous serons avec lui où il est. O homme, chétif
mortel, que t’a donc promis Dieu? Que tu vivras éternellement. Ne le peux-tu
croire? Oh ! crois hardiment. Ce qu’il a fait dépasse de beaucoup ce qu’il a
promis. Qu’a-t-il fait? Il est naort pour toi. Qu’a-t-il promis? Que tu vivras
avec lui. Que l’Eternel soit mort, c’est plus difficile à croire qu’un mortel
qui vit éternellement. Or, ce qui est le plus difficile à croire, nous en
sommes en possession, Quand un Dieu meurt pour l’homme, pourquoi l’homme ne
vivrait-il pas avec Dieu? Pourquoi ne vivrait-il pas éternellement, ce mortel
pour qui est mort celui qui vit éternellement? Mais comment Dieu est-il mort,
et d’où lui est venue la mort? Un Dieu peut-il mourir? Il a pris de toi cette
chair qui lui permettait de mourir pour toi. Il n’eût pu mourir sans cette
chair, il n’eût pu mourir
1. Rom. V, 6. — 2. Jean, XVII, 24.
sans un corps mortel, il s’est revêtu de ce
qui lui permettait de mourir pour toi, il te revêtira de ce qui te fera vivre
avec lui. Où s’est-il revêtu de la mort? Dans la virginité de sa mère. Où te
revêtira-t-il de la vie? Dans son égalité avec le Père. C’est là qu’il s’est
choisi dans la chasteté le lit nuptial où l’Epoux devait s’unir à l’Epouse. Le
Verbe s’est fait chair 1, afin d’être le chef de l’Eglise. Car le Verbe ne fait
point partie de l’Eglise; mais pour en devenir le chef, il s’est revêtu d’une
chair. Déjà est dans le ciel cette partie de nous-mêmes, ce corps qu’il a pris
ici-bas, et dans lequel il est mort, dans lequel il a été crucifié. Tes
prémices t’ont déjà devancé au ciel, et tu n’oses croire que tu suivras?
9. Que le Prophète maintenant descende vers
les créatures terrestres, après avoir invité celles du ciel. « Louez le
Seigneur, créatures de la terre 2». Où avait-il commencé plus haut? Louez le
Seigneur du haut des cieux, et alors il énumère les créatures célestes. Ecoute
maintenant celles de la terre: « Dragons et tous les abîmes ». Les abîmes sont
de grandes profondeurs d’eau: on nomme abîmes toutes les mers, et cet air où se
forment les nuages. Ce vaste champ des nuages, des vents, des tempêtes, des
pluies, des éclairs, du tonnerre, de la grêle, des neiges, et tout ce qu’il
plaît à Dieu d’envoyer sur la terre du haut de cet air ténébreux et humide,
tout cela s’appelle terre, parce qu’il est changeant et périssable. A moins que
vous ne pensiez que la pluie se forme au-dessus des étoiles. Tout cela
néanmoins se produit tout près de la terre. Il arrive quelquefois que des
hommes s’élèvent sur de hautes montagnes, et voient les nues au-dessous d’eux
et la pluie se former à leurs pieds; et quand on considère attentivement tous
ces phénomènes que produit le trouble des airs, on reconnaît que tout cela se
forme dans cette basse région du monde. Aussi ce fut à ces ténèbres, ou à ces
régions de l’air comme àune prison, que fut condamné le diable précipité des
hautes régions des anges avec tous ses complices. Voici ce que dit l’Apôtre à
son sujet: « Selon le prince des puissances de d’air, qui exerce maintenant son
pouvoir sur les enfants de rébellion 3 ». Un autre Apôtre a dit: « Si Dieu n’a
point pardonné aux anges qui ont péché, s’il les a précipités
1. Jean, I, 14. — P5, CXLVIII, 7. — Ephés.
II, 2.
dans les prisons d’un enfer ténébreux, se
réservant de les punir au dernier jugement 1 »; il nomme alors enfer la partie
inférieure de la terre. Sans nous arrêter en effet à ce qu’a reçu le diable,
voyons ce qui l’a perdu. Toutes ces choses donc que vous voyez telles qu’elles,
troublées, inconstantes, effrayantes, corruptibles, ont cependant leur place,
leur ordre dans cet univers, contribuent pour leur part à sa beauté, et dès
lors bénissent le Seigneur. C’est pourquoi le Prophète les prend à parti et les
exhorte à louer Dieu, ou plutôt c’est nous-mêmes qu’il exhorte à le bénir par
la considération de ces choses; car elles louent le Seigneur en portant à le
louer ceux qui les considèrent. « Louez Dieu, créatures de la terre », dit le
Prophète, « dragons et tous les abîmes ». Les dragons se tiennent le long des
eaux, s’élancent de leurs cavernes, rôdent dans les airs qu’agitent leurs
mouvements. Ce sont d’effroyables bêtes, la terre n’en a pas de plus grandes.
Aussi le Prophète commence par ces créatures: « Dragons et tous les abîmes ».
Il y a comme des cavernes ou amas d’eaux cachées, d’où s’élancent les fontaines
et les fleuves; les uns sortent pour couler sur terre, et d’autres coulent
invisiblement sous terre. Toutes ces eaux, tous ces éléments humides, avec les
mers et les couches inférieures de l’air, prennent le nom d’abîmes; c’est là
qu’habitent les dragons qui louent le Seigneur. Croirons-nous cependant qu’ils
forment des concerts pour louer Dieu? Loin de là. Mais vous qui considérez les
dragons et vous reportez à Celui qui les a formés, au créateur des dragons,
vous vous écriez en admirant leurs vastes proportions: Combien est grand le
Dieu qui a fait ces choses; et les dragons empruntent vos voix pour louer le
Seigneur. « Dragons et tous les abîmes ».
10. « Feu, grêle, neige, tourbillons et tempêtes,
qui obéissent à sa parole 2». Pourquoi ajouter: « qui obéissent à sa parole? »
Des hommes légers, incapables de méditer et de comprendre que toute créature,
en son lieu et en son rang, ne peut agir que sous la dépendance et par l’ordre
de Dieu qui règle ses mouvements, se sont imaginé que Dieu gouverne seulement
les créatures célestes, abandonnant avec dédain les créatures inférieures,
1. II Pierre, II, 4. — 2. Ps. CXLVIII, 8.
qu’il laisse aller au hasard comme elles
peuvent et où elles peuvent. Ils se tiennent un langage qui les persuade; mais
pour toi, ferme tes oreilles, c’est-à-dire ne te laisse point persuader par des
paroles qui sont des blasphèmes et des outrages envers Dieu. Si la pluie venait
de Dieu, nous disent-ils, tomberait-elle sur la mer? Où serait sa Providence,
de faire pleuvoir sur la mer, quand la Gétulie est desséchée? Ils se croient
habiles en parlant ainsi; et nous pouvons leur répondre: Que la Gétulie ait
soif, toi du moins tu n’as pas soif. Et néanmoins il serait bon pour toi de
dire: « Mon âme sans vous est comme une terre sans eau », ou comme il est dit
plus clairement ailleurs: « Mon âme a soif de vous, et ma chair se dessèche
dans ce désir 2 ». Et le Seigneur dans l’Evangile: « Bienheureux ceux qui ont
faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés 3 ». Or, celui qui
nous tient ce langage impie est déjà rassasié; il se croit savant, ne veut rien
apprendre et montre qu’il n’a point soif. S’il avait une véritable soif, il
chercherait à s’instruire, et comprendrait que rien ne se fait sur la terre
sans la providence de Dieu; il admirerait jusqu’à l’économie des membres d’un
puceron. Que votre charité veuille bien écouter. Qui a disposé les membres d’un
insecte et d’un moucheron, de manière à leur assigner une place, à leur donner
une vie et un mouvement propres? Prends et considère le plus chétif insecte,
aussi petit que tu le voudras; vois, situ peux le comprendre, et l’ordre qui
règne dans ses membres, et cette vie qui l’anime et le fait mouvoir; de
lui-même il évite la mort, il aime la vie, il recherche le plaisir, évite la
douleur, s’agite en différentes manières et déploie de la vigueur dans le
mouvement qui lui est propre. Qui a donné au cousin la trompe par où il suce
notre sang? Qui comprendra la délicatesse de ce canal qui le nourrit? Qui a
disposé tout cela? Qui l’a créé? Tu es effrayé de ces frêles ouvrages; loue
celui qui est grand. Demeurez donc fermes dans ces principes, mes frères: que
nul ne vous fasse dévier de la foi, de la saine doctrine. Celui qui a fait
l’ange dans le ciel, a fait aussi le vermisseau sur la terre; mais l’ange dans
le ciel pour habiter les régions célestes, et le vermisseau sur la terre pour
demeurer dans ces terrestres régions.
1.
Ps. CXLII, 6. — 2. Id. LXII, 2. — 3. Matth. V, 6.
A-t-il fait l’ange pour ramper sur la terre,
et le vermisseau pour planer dans les cieux? A chaque demeure il a assigné ses
habitants, aux créatures incorruptibles une demeure incorruptible, et aux
créatures corruptibles un lieu sujet à la corruption. Considère toutes choses,
et loue le monde• entier. Et celui qui a mis en ordre les membres d’un
vermisseau, ne gouverne point les nuées? Et pourquoi, nous dit-on, pleut-il
dans la mer? comme s’il n’y avait pas dans la mer des créatures que nourrit la
pluie, comme si Dieu n’y avait point mis des poissons, n’y avait point mis des
animaux. Voyez comme les poissons accourent à l’eau douce, Et pourquoi,
diras-tu encore, pleut-il pour le poisson, quand il ne pleut jamais pour moi?
Afin que tu comprennes que tu es dans une terre déserte, dans l’exil: afin que
l’amertume de la vie présente te fasse désirer la vie à venir ou plutôt afin
que tu sois de la sorte et flagellé, et châtié, et redressé. Comme Dieu a
assigné à chaque région des biens spéciaux! Nous avons parlé de la Gétulie; eh
bien! il pleut ici à peu près chaque année, et chaque année aussi nous avons du
blé que l’on ne saurait conserver et qui se corrompt très-rapidement, parce
qu’il en vient chaque année; tandis que là où il vient rarement, il vient en
abondance et se conserve longtemps, Mais croiras-tu que Dieu ait abandonné ces
contrées, qu’il n’y ait pas mis des joies, de manière que les habitants ne
puissent et louer et bénir le Seigneur? Va chercher un Gétule, amène-le dans
nos riants bosquets, il voudra s’enfuir et retourner dans son aride Gétule.
Ainsi Dieu a distribué dans chaque pays, dans chaque région, et dans chaque
saison, ses dons particuliers. Il serait long de considérer plus attentivement
chacune des créatures. Qui pourrait en donner le détail? Celui dont Dieu a
éclairé les yeux y découvrent des beautés dont l’aspect les ravit, et ce
ravissement les porte non point à chanter ces beautés, mais celui qui en est
l’auteur; et ainsi toutes les créatures chantent les louanges de Dieu.
11. C’est dans cette vue que, après avoir
invité à bénir le Seigneur, et le feu et la neige, et la glace, et l’esprit des
tempêtes, phénomènes qui sont aux yeux des insensés le résultat d’un trouble,
et amenés par le hasard, le Prophète ajoute: « Qui obéissent à sa (295) parole
». Loin de toi donc de croire que soient nues par le hasard ces créatures qui
obéissent à la parole de Dieu dans tous leurs mouvements. Où il plaît à Dieu,
c’est là que le feu luit, que se portent les nuées, que tombent la pluie, la
neige et la grêle. Pourquoi la foudre s’en va-t-elle frapper les sommets des
montagnes sans frapper un voleur? Je ne puis répondre à cela que selon mes
faibles lumières, et autant que Dieu me le permettra. Que de plus éclairés en
comprennent davantage, en disent davantage, et fasse le Seigneur que vous en
compreniez plus que je n’en dirai, sans orgueil toutefois et avec modération !
Tout ce que je puis dire à propos de cette difficulté, pourquoi Dieu frappe les
montagnes sans frapper les voleurs, c’est qu’il attend peut-être la conversion
de ces voleurs, et il frappe la montagne qui est sans crainte, afin de changer
l’homme par la crainte. Toi-même, quelquefois pour corriger un enfant, tu
frappes la terre pour l’épouvanter. Quelquefois néanmoins Dieu frappe l’homme
quand il le juge convenable. Mais, me diras-tu, il frappe l’innocent et épargne
le coupable. Ne t’en trouble point. Peu importe d’où vienne la mort, elle est
bonne pour l’homme juste. Mais d’où saurais-tu ce que Dieu prépare de peines à
ce scélérat, s’il ne se convertit? N’aimeraient-ils pas mieux périr d’un coup
de tonnerre, ces hommes qui s’entendront dire au dernier jour: « Allez au feu
éternel 1? » L’important pour toi, c’est l’innocence. Est-ce un mal de mourir
dans un naufrage, un bien de mourir de la fièvre? De quelque manière que meure
un homme, vois dans quel état il meurt, où il doit aller en mourant, et non par
quelle porte il sort de la vie. Peu importe de quelle façon il nous faudra
sortir du monde. Par quelle fin les martyrs ont-ils mérité de s’en aller? Sont-ils
morts de la fièvre, comme tant d’autres voudraient mourir? Pour les uns c’est
te glaive, pour d’autres c’est le feu, pour d’autres encore c’est la dent des
bêtes qui leur a donné ta mort. Les bêtes ont dévoré les corps de ces martyrs,
qui n’ont pas craint néanmoins que leurs corps périssent. Dieu, qui a compté
les cheveux de notre tête 2, saura bien un jour réunir les corps de ses saints,
quelque part qu’ils soient. Selon sa volonté, il délivra les trois enfants de
la fournaise 3.
1.
Matth. XXV, 41. — 2. Id. X, 30. — 3. Dan. III, 24, 93.
Abandonna-t-il pour cela les Macchabées dans
les flammes 1? Il délivra les uns avec éclat, et couronna les autres en secret.
Dieu sait donc ce qu’il fait. Pour toi, crains et sois bon. De quelque manière
qu’il te veuille tirer d’ici-bas, qu’il te trouve prêt. Car tu n’es ici qu’un
étranger 2, et non le possesseur de la maison. Cette maison t’a été louée; oui,
elle t’a été louée et non donnée, tu en sortiras en dépit de tes efforts: elle
ne t’est point concédée avec cette condition que tu auras un temps assuré pour
l’habiter. Que t’a dit le Seigneur? Sois prêt, quand il me plaira de te dire
Va-t’en; je te fais sortir du logement temporaire de l’étranger, mais c’est
pour t’assurer une demeure; tu es un hôte sur la terre, sois en possession du
ciel.
12. Sachons-le donc bien, tout ce qui nous
arrive contre notre volonté, ne nous arrive que par la volonté de Dieu, par la
sage disposition de la providence, par ses décrets, par ses lois; et quand même
nous ne pourrions comprendre pourquoi telle chose arrive, rendons au moins cet
hommage à la providence, que rien n’arrive sans cause, et alors nous serons
loin de tout blasphème. Quand nous commençons à raisonner sur les oeuvres de
Dieu, à dire: Pourquoi ceci? pourquoi cela? voici qui ne devrait pas être,
voilà qui est mal ordonné; où est donc la louange de Dieu? Tu as perdu
l’Alleluia. Considère toutes les créatures de manière à plaire à Dieu, et à
louer le Créateur. Si tu entrais dans l’atelier d’un forgeron, tu n’oserais blâmer,
ni soufflets, ni marteaux, ni enclumes; mais un ignorant qui n’en connaît pas
l’usage blâme tout ce qu’il rencontre. Qu’il ait, au contraire, non pas sans
doute la science de l’ouvrier, mais le bon sens ordinaire, que dira-t-il en
lui-même? Ce n’est point sans motif que les soufflets sont placés ici, le
forgeron en connaît la cause, bien que je l’ignore. Il n’osera donc rien blâmer
dans l’échoppe d’un artisan, et il ose blâmer Dieu dans la création du monde.
De même alors que « le feu, la grêle, la neige, la glace et l’esprit des
tempêtes suivent la parole de Dieu »; ainsi tout ce que de vains esprits
attribueront au hasard dans la création, ne fait que la parole de Dieu, parce
que rien n’existe que d’après son précepte,
13. Le Prophète exhorte ensuite à louer le
Seigneur, « les montagnes et les collines, les
1. II Macchab. VII, et suiv. — 2. Ps. 118,
19.
arbres à fruits et les cèdres, les bêtes
sauvages et les troupeaux, les reptiles et les oiseaux », Puis il en vient aux
hommes: « Que les rois de la terre, que tous les peuples et tous les juges de
la terre, que les adolescents et les vierges, et les enfants et les vieillards,
bénissent le nom du Seigneur 1» Il a donc chanté la gloire de Dieu dans le
ciel, la gloire de Dieu sur la terre.
14. « Parce qu’il n’y a que son nom qui soit
grand 2». Que l’homme ne cherche point à grandir son nom. Veux-tu être élevé?
Soumets-toi à celui qui ne saurait être abaissé. Il est le seul dont le nom
soit grand.
15. « Sa confession subsiste sur la terre et
dans le ciel 3». Qu’est-ce à dire que « sa confession subsiste sur la terre et
dans le ciel? » Que lui-même se confesse? Point du tout, mais que toutes les
créatures le confessent, que toutes le proclament; que leur beauté devient chez
elles une sorte de concert à la louange du Seigneur. Le ciel crie à Dieu C’est
vous qui m’avez fait, et non moi. La terre crie à Dieu: C’est vous qui m’avez
faite, et non moi. Comment ces créatures peuvent-elles crier? Lorsqu’on les
considère, et qu’on trouve qu’il en est ainsi, elles crient dans ta
considération, elles crient par ta voix. « La confession est sur la terre et
dans le ciel ». Considère le ciel, il est beau; considère la terre, elle est
belle; l’un et l’autre ont une admirable beauté. C’est lui qui lesa faits, lui
qui les conduit, qui les gouverne par sa sagesse; c’est lui qui fait que le
temps passe, que les moments se succèdent; c’est par lui que tout se répare.
Toutes les créatures le louent, soit dans le repos, soit dans le mouvement,
soit ici-bas sur la terre, soit dans les hauteurs des cieux, soit qu’elles
vieillissent ou qu’elles se renouvellent. A la vue de ces créatures, tu es
ravi, tu t’élèves jusqu’au Créateur, la vue des créatures visibles t’élève
jusqu’aux créatures invisibles 4. Alors « sa confession est sur la terre et
aussi dans le ciel », c’est-à-dire que tu chantes sa gloire dans les choses de
la terre, sa gloire encore dans les choses du ciel. Or, comme il a fait toutes
choses, et que rien ne lui est supérieur, toutes ses créatures sont au-dessous
de lui; et tout ce qui pourrait te plaire en elles est bien inférieur à
lui-même. Que ses oeuvres te plaisent donc, mais sans te séparer de lui-
1.
Ps. CXLVIII, 9-12. — 2. Id. 13. — 3. Id. 14. — 4. Rom. I, 20.
même, et si tu aimes l’oeuvre, aime bien plus
celui qui l’a faite. Si ses oeuvres sont belles, combien est plus grande la
beauté du Créateur? « On proclame sa gloire sur la terre et dans le ciel».
16. « Et il élèvera la force de son peuple».
Voilà ce que prédisaient Aggée et Zacharie. Cette force de son peuple est maintenant
abaissée par les persécutions, par les épreuves, par la componction des coeurs;
mais quand élèvera-t-il la force de son peuple? Quand viendra le Seigneur
lui-même, quand se lèvera le soleil de justice; non point ce soleil qui
apparaît à nos yeux, qui se lève sur les bons et sur les méchants 1; mais ce
soleil dont il est dit: « Pour vous qui craignez Dieu, se lèvera le soleil de
justice, et le salut sera sous ses ailes 2». C’est de lui que les orgueilleux
et les impies diront un jour: « La lumière de la justice n’a point lui pour
nous, et le soleil ne s’est point levé à nos yeux 3 ». Cette lumière sera l’été
pour nous, Maintenant, pendant l’hiver, les fruits n’apparaissent point dans la
racine, l’hiver nous fait paraître les arbres comme stériles. Quiconque ne sait
pas voir les choses pourrait croire que la vigne est morte; qu’un cep soit
réellement desséché, il ressemble en hiver absolument à son voisin; et pourtant
l’un est mort, l’autre en vie; mais la vie de l’un comme la mort de l’autre
demeurent cachées. Or, voici l’été, qui fait ressortir dans l’un, une vie
luxuriante, et dans l’autre une mort indubitable: l’un se couvre fièrement de
feuilles et de fruits abondants, il se pare au dehors de ce qui était caché
dans sa racine. Nous ressemblons donc, mes frères, au reste des hommes qui
naissent, qui mangent, qui boivent, qui se couvrent de vêtements, qui passent
ainsi cette vie; il en est de même des saints. Voilà ce qui jette souvent dans
l’erreur des hommes qui disent: Depuis qu’il s’est fait chrétien, est-il
délivré de sa migraine? Ou bien, quel avantage a-t-il sur moi depuis qu’il est
chrétien? O vigne desséchée! tu ne vois qu’avec dédain cette autre vigne que
l’hiver a dépouillée, mais non desséchée. L’été viendra, le Seigneur viendra,
lui qui est notre gloire et qui était caché dans la racine; et alors «il
élèvera la puissance de son peuple » après cette captivité, dans laquelle nous
vivons pour mourir. De là cette parole de l’Apôtre: « Ne
1. Matth. V, 45. — 2. Malach. IV, 2. — 3.
Sag. V, 6.
jugez point avant le temps, jusqu’à ce que
vienne le Seigneur, qui éclairera ce qui est caché dans les ténèbres; et alors
chacun recevra de Dieu sa louange 1». Mais, diras-tu, où donc est ma racine?où
est mon fruit? Si tu as la foi, tu sais où est la racine; car elle est où est
ta foi, où est ton espérance, où est ta charité. Ecoute l’Apôtre: « Vous êtes
morts 2 », disait-il à ceux qui paraissaient morts pendant l’hiver; apprends
néanmoins qu’ils vivent: « Et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ ».
C’est là que j’ai ma racine. Quand donc seras-tu paré de tes ornements, enrichi
de tes fruits? Ecoute saint Paul qui le dit dans la suite: « Quand apparaîtra
le Christ qui est votre vie, alors vous apparaîtrez avec lui dans la gloire 3;
et il élèvera la puissance de son peuple ».
17. « Que tous ses saints le chantent dans
leurs hymnes ». Connaissez-vous l’hymne? C’est un cantique en l’honneur de
Dieu. Louer Dieu, sans aucun chant, ce n’est point une hymne: chanter sans
louer Dieu, n’est point une hymne; louer quelque chose autre que Dieu, de
quelque chant que l’on puisse accompagner cette louange, ce n’est point une
hymne encore. Une hymne a donc ces trois conditions, qu’elle est un chant, une
louange, et louange en l’honneur de Dieu, Un cantique en l’honneur de Dieu est
donc une hymne. Or, que signifie cette parole: « Hymne à tous les saints? » Que
tous les saints du Seigneur lui chantent des hymnes, qu’ils fassent retentir
ses louanges. C’est là ce qu’ils recevront de Dieu au dernier jour, une hymne
éternelle. De là cette autre parole du psaume: « Le sacrifice de louanges est
le culte qui m’honore, telle est la voie où je lui montrerai mon salut 4 ». Et
encore « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous loueront dans les
siècles des siècles 5». Telle est l’hymne pour tous les saints. Quels sont les
saints de Dieu? « Les fils d’Israël, le peuple qui s’approche de lui ». Que nul
ne dise: Je ne suis point entant d’Israël. Ne vous imaginez point que les Juifs
seront enfants d’Israël, et non point nous. J’ose vous dire au contraire, que
nous sommes les enfants d’Israël, et non les Juifs. Ecoutez pourquoi: c’est que
l’enfant né selon l’esprit est plus grand que l’enfant né selon la chair.
1. I
Cor. IV, 5. — 2. Coloss. III, 3. — 3. Ibid. 4. — 4. Ps. XLII, 23. — 5. Id.
LXXIII, 5.
Or, d’où est issu Israël? D’Abraham. Car Isaac est né d’Abraham, et
Israël d’Isaac. Comment Abraham se rendit-il agréable à Dieu? « Abraham crut à
Dieu, et cela lui fut imputé à justice 1». Quiconque dès lors imite Abraham
dans sa foi, devient fils d’Abraham; quiconque dégénère de la foi d’Abraham,
est déchu de sa postérité. Les Juifs qui ont dégénéré de sa foi, ont perdu le
droit d’être ses enfants, et nous en imitant sa foi, nous avons acquis ce même
droit. Sache bien qu’ils l’ont perdu. Que leur répond le Sauveur quand ils
disent: « Nous sommes fils d’Abraham 2? » Ils osent bien se vanter et lever la
tête à propos de cette noble descendance d’un juste; mais que leur dit le
Seigneur: « Si vous étiez fils d’Abraham, vous en feriez les oeuvres 3». Si
donc ils ont perdu l’honneur d’être enfants d’Abraham, nous avons acquis ce
même honneur; et nous avons acquis par notre foi ce que leur incrédulité leur a
fait perdre. Parce qu’Abraham crut à Dieu, sa foi lui fut imputée à justice.
Or, la postérité d’Abraham c’est le Christ 4,et nous sommes dans le Christ;
d’Israël naquit un peuple, d’où est venue Marie, et de Marie est né le Christ,
et nous qui sommes dans le Christ, nous sommes donc fils d’Israël. Qu’ajoute le
Prophète pour nous distinguer des Juifs? « Aux fils d’Israël, au peuple qui
s’approche de Dieu ». Voyez les Juifs: s’ils s’approchent de Dieu, c’est d’eux
qu’il est question. Mais peut-être s’en approchent-ils, me dira quelqu’un; car
eux aussi chantent des psaumes, ils chantent des hymnes à Dieu. N’entendez-vous
point ce que dit le Prophète: « Voilà un peuple qui m’honore des lèvres, mais
leur coeur est loin de moi 5?» Si donc leur coeur est loin de Dieu, et si notre
coeur est près de Dieu, parce que nous croyons, parce que nous espérons, parce
que nous aimons, parce que nous sommes unis au Christ, parce que nous sommes
devenus ses membres; est-ce que les membres sont séparés du chef? S’ils étaient
éloignés, ils seraient divisés, et cette parole ne serait plus vraie: « Voilà
que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles 6 ». S’ils étaient
séparés du chef, il ne dirait point du haut du ciel: «Saul, Saul, pourquoi me
persécuter 7?» S’il n’était point en nous, il ne dirait point:
1. Rom. IV,
3.— 2. Jean, VIII, 33. — 3. Ibid. 39. — 4. Gal. III, 16. — 5. Isaï. XXIX, 13. —
6. Matth. XXVIII,
20. — 6. Act. IX, 4.
« J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger
». Et quand on lui dit: « Où donc vous avons-nous rencontré ayant faim? » il ne
répondrait pas: Quand vous l’avez fait au moindre des miens, c’est à moi que
vous l’avez fait 1». Voilà Israël, voilà le peuple qui s’approche de Dieu, qui
s’unit à lui maintenant dans l’espérance, et plus tard en réalité.
1. Matth. XXIV, 35, 37, 40.
SERMON AU PEUPLE.
Ce
cantique nouveau du psaume est le Nouveau Testament avec ses promesses
spirituelles, comme le vieux cantique est l’Ancien Testament avec ses promesses
temporelles. L’amour seul est toujours nouveau et toujours ancien, parce qu’il est
le Verbe de Dieu, qui ne vieillit point. L’homme vieillit par le pêché, la
grâce le rajeunit. Chantons ce cantique, mais par Ioule la terre; chantons, non
seulement de la voix, mais de la pensée qui se manifeste par toutes les
oeuvres, comme celle des loups revêtus de la peau des brebis. Chantons ce
cantique par tonte la terre, dont nul ne doit se séparer, autrement il ne
serait pas le froment; sortir de l’aire est le fait de la paille. C’est te
Seigneur qui sème le bon grain, l’ennemi l’ivraie; car ils doivent croître
jusqu’à la moisson. Le champ du Seigneur c’est le monde, c’est l’assemblée des
saints, autrefois prophétisée, maintenant accomplie. Israël, ou celui qui voit
Dieu, doit tressaillir dans le Seigneur, et, comme Dieu est charité, aimer Dieu
c’est le voir, c’est être Israël. Nous devons nous réjouir en Dieu, et non dans
tel ou tel homme; en notre roi qui est le Cnrist, parce qu’il a vaincu le
diable; qui est notre prêtre, puisqu’il s’est offert pour nous, qui n’avions
aucune hostie pure.
Chantons
et chantons en choeur, c’est-à-dire eu accord, et sur les tambours et sur le
psaltérion, en accompagnant la voix de la main, ou plutôt des oeuvres. Le
tambour est une peau tendue; le. psaltérion est fait de cordes tendues aussi,
ce qui désigne la mortification de la chair. Le Seigneur nous a comblés de
faveurs en nous appelant à la gloire, en nous soutenant dans le combat. Les
saints tressailliront dans leur gloire, parce qu’ils recherchent les
applaudissements de Dieu seul, et non ceux des hommes, comme ces fous qui
revêtirent un comédien et non tes pauvres de Jésus-Christ; ils tressailliront
dans leur lit de repos ou dans leur conscience, mais avec l’humilité de la
crainte. Cette framée à deux tranchants est ta parole de Dieu qui règle les
intérêts des temps et ceux de l’éternité, qui sépare te saint de l’impie,
établissant aussi deux Testaments; elle est aux mains des saints qui peuvent la
prêcher, ou la prêcher et l’écrire. Avec ce glaive les saints tuent dans
l’homme le païen pour faire le chrétien, comme Saut mourut pour foire place à
Paul. Les rois, en devenant chrétiens, on tmis leurs pieds dans les entraves
des préceptes de l’Evangile, ils se sont imposé des chaînes qui leur
défendaient de faire ce qu’ils pouvaient; chaînes de fer qui commencent par la
crainte pour nous conduire au collier d’or de la sagesse; chaînes de fer dans
l’inviolabilité du mariage. Tel est le jugement que les saints accomplissent
par leurs prédications.
1. Louons Dieu, mes frères, et par la voix,
et par l’intelligence, et par les bonnes actions; et d’après l’exhortation du
psaume, chantons-lui un cantique nouveau. Car c’est ainsi qu’il commence: «
Chantez au Seigneur un nouveau cantique 1». Le vieux cantique est celui du
vieil homme, le nouveau cantique, celui de l’homme nouveau. Au vieux Testament
le vieux cantique; au nouveau Testament le nouveau cantique; comme au vieux
Testament les promesses temporelles et terrestres. Quiconque aime les choses
d’ici-bas, aime le vieux cantique; pour chanter le cantique nouveau, il faut aimer
les choses de l’éternité. Quant à l’amour lui-même, il est
1. Ps. CXLIX, 1.
nouveau et néanmoins éternel; dès lors qu’il
ne vieillit point, il est toujours nouveau. A le bien considérer, il est
ancien, et dès lors comment peut-il être nouveau? Quoi donc, mes frères, la vie
éternelle a-t-elle commencé tout récemment? La vie éternelle, c’est le Christ,
et, comme Dieu, le Christ n’a point commencé; car, « Au commencement était le
Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu; voilà ce qui était en
Dieu au commencement. Tout a été fait par lui, et sans lui rien n’a été fait 1
». Si les choses faites var lui sont anciennes, que peut être celui qui les a
faites? Que peut-il être, sinon éternel et coéternel au Père? Mais nous qui
1. Jean, 1, 1-3.
sommes tombés dans le péché, nous tombons
aussi dans la vieillesse. Car c’est nous qui parlons dans ce même psaume, où il
est dit avec gémissement: « J’ai vieilli au milieu de mes ennemis 1 ». L’homme
est vieilli par le péché, il est rajeuni par la grâce. Qu’ils chantent dès lors
un cantique nouveau, ceux qui sont renouvelés dans le Christ, commençant ainsi
d’appartenir à la vie éternelle.
2. Et ce cantique est celui de la paix, le
cantique de l’amour. Quiconque se sépare de l’assemblée des saints, ne chante pas
le cantique nouveau. Il s’attache en effet à la haine qui est antique, et non à
l’amour qui est nouveau. Que trouvons-nous dans l’amour nouveau, sinon la paix,
le lien d’une société sainte, une union spirituelle, un édifice de pierres
vivantes? Où rencontrer cela? Non point dans un seul endroit, mais dans
l’univers entier. Ecoute à ce sujet un autre psaume: « Chantez au Seigneur un
cantique nouveau; toute la terre, chantez au Seigneur 2 ». De là nous pouvons
comprendre que celui qui ne chante pas avec toute la terre, ne chante point un
cantique nouveau, quelles que soient les paroles qui sortent de sa bouche. A
quoi bon écouter le son de la voix, quand je connais la pensée? Mais vous,
dira-t-on, connaissez-vous la pensée? Les actes me l’apprennent. Qu’un homme
soit surpris en flagrant délit de vol, d’homicide, d’adultère, sans voir ses
pensées dans son coeur, on les connaît par ses actes. Il est beaucoup de
pensées qui demeurent dans notre intérieur; mais il en est beaucoup qui passent
dans nos oeuvres, et qui deviennent évidentes pour les hommes. Pour ces hommes
qui ont brisé avec le Christ les liens de la charité, quand ils n’étaient
corrompus qu’à l’intérieur, Dieu seul les connaissait. Mais l’épreuve est
survenue, les a séparés et a montré aux hommes ce qui n’était connu que de
Dieu. Ou ne juge du fruit que par les oeuvres. De là cette parole de l’Evangile
«Vous les connaîtrez à leurs fruits 3». Ainsi disait le Seigneur, à propos de
ceux qui revêtent la peau des brebis, et qui ne sont à l’intérieur que des
loups ravissants; et de peur que l’humaine fragilité ne nous empêche de
reconnaître le loup sous la peau d’une brebis, le Sauveur ajoute: « Vous les «
connaîtrez à leurs fruits ». Nous cherchons
1. Ps. VI, 8. — 2. Id. XCV, 1. — 3. Matth.
VII, 16.
le fruit de la charité, et nous trouvons les
épines de la division. « Vous les connaîtrez à leurs fruits ». Leur cantique
est donc l’ancien, chantons le cantique nouveau. Nous vous l’avons dit déjà,
mes frères, toute la terre chante le nouveau cantique. Quiconque ne chante
point le nouveau cantique avec toute la terre, pourra chanter ce qu’il voudra,
sa langue pourra proférer l’Alleluia;
qu’il le chante, et le jour et la nuit, mes oreilles ne s’arrêteront point au
bruit de ses chants, je m’arrêterai à ses oeuvres. Que j’interroge l’un d’eux,
que je lui dise: Quel est ton chant? Alleluia,
me répond-il. Que signifie Alleluia?
Louez le Seigneur. Viens, louons le Seigneur ensemble. Si tu loues le Seigneur,
moi aussi je loue le Seigneur; pourquoi serions-nous en désaccord? La charité
loue le Seigneur, la discorde lui jette le blasphème.
3. Et voulez-vous savoir où vous devez
chanter ce nouveau cantique? Voyez où s’accomplit et comment s’accomplit ce que
va dire le Psalmiste; voyez si c’est dans toute la terre, ou seulement dans une
partie du monde, et vous jugerez mieux ensuite à qui appartient le nouveau
cantique. Vous savez déjà ce que je viens de citer d’un autre psaume: « Chantez
au Seigneur un cantique nouveau ». Et pour vous montrer qu’il y a dans ce
cantique nouveau un fruit de la charité et de l’unité, le Prophète ajoute: «
Que toute la terre chante au Seigneur». Que nul ne se sépare, que nul ne se
divise; situ es froment, supporte la paille jusqu’à ce qtl’elle soit vannée.
Pourquoi veux-tu sortir de l’aire? Fusses-tu le plus noble froment, si tu es en
dehors de l’aire, les oiseaux te trouveront et t’amasseront 1. Ajoute à cela
que sortir de l’aire et t’envoler prouve que tu n’es que paille, et à cause de
cette légèreté, le vent est venu t’enlever de dessous les pieds des boeufs.
Ceux, au contraire, qui sont le bon grain, souffrent qu’on les foule: ils se
réjouis. sent d’être le froment, gémissent parmi la paille, attendent celui qui
doit vanner, qu’ils regardent comme le Rédempteur. « Chantez au Seigneur un
nouveau cantique; sa louange est dans l’Eglise des saints ». Or, cette Eglise
des saints est l’Eglise du froment répandu dans le monde entier, et semé dans
le champ du Seigneur qui est le monde
1. Matth. III, 12.
comme nous l’expose Jésus-Christ, quand il
nous dit, à propos du semeur, « qu’un homme sema du bon grain dans son champ,
et que l’ennemi vint et y sema de l’ivraie; et les serviteurs dirent au père de
famille: N’avez-vous pas semé de bon grain dans votre champ? d’où vient donc
qu’il y a de l’ivraie? Il répondit: C’est l’ennemi qui a fait cela ». Ils
voulaient cueillir l’ivraie, mais il les en empêcha en disant: « Laissez
croître l’un et l’autre jusqu’à la moisson, et au temps de la moisson je dirai
aux moissonneurs: « Cueillez tout d’abord l’ivraie, et liez-la en bottes, pour
la brûler; quant au froment, mettez-le en réserve sur mon grenier ». Les
disciples lui demandèrent ensuite: « Exposez -nous le sens de cette parabole de
l’ivraie». Il leur en expliqua toutes les parties, afin que nul n’attribue à
ses propres lumières l’intelligence qu’il en peut avoir, mais bien à ce Maître
céleste qui l’a exposée. Que nul ne vienne dire qu’il l’a expliquée comme il
l’a voulu. Si le Seigneur eût expliqué la parabole d’un Prophète, quand
lui-même disait par leur bouche tout ce qu’ils disaient, qui oserait dire qu’il
ne devait point donner lui-même cette explication? A plus forte raison, quand
il donne le sens d’une parabole que lui-même a proposée, qui oserait contredire
une vérité aussi évidente? En expliquant cette parabole, le Sauveur nous dit
donc: « Celui qui sème le bon grain, c’est le Fils de l’Homme », se désignant
ainsi lui-même. « Le bon grain, ce sont les fils du royaume », c’est-à-dire
l’assemblée des saints; « l’ivraie, ce sont les fils de l’iniquité. Le champ,
c’est le monde 1 ». Or, voyez, mes frères, que le bon grain est semé dans le
monde entier, et que dans le monde entier il y a de l’ivraie. N’y a-t-il dans
une partie que le bon grain, et que l’ivraie dans l’autre partie? Nullement;
partout est le bon grain, et partout est le froment. Le champ du Seigneur c’est
le monde, et non l’Afrique seulement. Il n’en est point de ce champ du Seigneur
comme des autres terres, dont les unes, comme la Gétulie, rapportent soixante
et cent pour un; les autres, comme la Numidie, seulement dix pour un. Partout
Dieu récolte cent pour un, ou soixante, ou trente; vois seulement ce que tu
veux être, situ prétends être ce grain que récolte le Seigneur. Cette Assemblée
des saints
1. Matth. XIII, 21-38.
est donc I’Eglise catholique; et l’Assemblée
des saints ne saurait être l’Eglise des hérétiques. Cette Eglise des saints est
celle que Dieu a prédite avant qu’elle fût visible, et qu’il veut rendre
visible en la mettant sous nos yeux. L’Eglise des saints était jadis dans les
livres, aujourd’hui elle est dans les nations: jadis on lisait seulement que
l’Eglise des saints existerait, aujourd’hui on le lit encore, et, de plus, on
voit qu’elle existe. On croyait en elle quand elle n’existait que dans les
livres, aujourd’hui qu’on la voit, on lui résiste. « Sa louange est dans
l’assemblée des saints».
4. « Qu’Israël tressaille dans celui qui l’a
fait 1». Que veut dire Israël? Celui qui voit Dieu, c’est le sens que l’on
donne à Israël. Que celui qui voit Dieu tressaille donc dans ce Dieu qui l’a
fait. Pourquoi donc, mes frères, disons-nous que nous appartenons à l’Eglise
des saints? est-ce que nous voyons Dieu dès cette vie? Et si nous ne le voyons
pas, comment sommes-nous Israël? Il est une vue de Dieu propre à cette vie, et
une autre vue pour la vie à venir. Ici-bas nous voyons par la foi; dans la vie
future nous verrons face à face. Croire c’est voir, aimer c’est voir. Que
voyons-nous? Dieu. Où est Dieu? Interroge saint Jean: « Dieu est charités »,
nous dit-il. Bénissons dès lors son saint nom, et réjouissons-nous en Dieu, si
nous nous réjouissons dans la charité. Qu’un homme ait la charité, et dès lors
l’enverrons-nous bien loin pourvoir Dieu? Qu’il entre seulement dans sa
conscience, et il y trouve Dieu. Mais si la charité n’est point dans son coeur,
Dieu non plus n’y est pas, tandis qu’il y est si la charité s’y rencontre. Un
homme voudrait peut-être voir Dieu assis dans le ciel; qu’il ait la charité et
Dieu habitera en lui comme dans le ciel. Soyons donc Israël, et
réjouissons-nous en celui qui nous a faits. « Qu’Israël tressaille en celui qui
l’a fait ». Oui, qu’il se réjouisse dans celui qui l’a fait, et non point dans
Anus, non point dans Donat, non point dans Cécilien, non point dans Proculien,
non point dans Augustin. Qu’il tressaille dans celui qui l’a fait. Loin de
nous, mes frères, de nous faire valoir auprès de vous; c’est Dieu que nous vous
recommandons, parce que nous vous recommandons à Dieu. Comment faire valoir
Dieu auprès de vous? En vous
1. Ps. CXLIX, 2. — 3. I Jean, IV, 16.
recommandant de l’aimer pour votre propre
avantage, et non pour le sien; car ne point l’aimer serait nuisible pour vous
et non pour lui. Dieu, en effet, n’en aura pas moins la divinité, quand l’homme
n’aurait point pour lui la charité. C’est toi qui trouves ton avantage en Dieu,
et non Dieu en toi; et néanmoins le premier 1, et avant que nous l’eussions
aimé, il nous a aimés jusqu’à envoyer son Fils unique à la mort pour nous 2.
Celui qui nous a faits a voulu être fait parmi nous. Comment nous a-t-il faits?
« Tout a été fait par lui, et sans lui rien n’a été fait 3 ». Comment a-t-il
été fait parmi nous? « Et le Verbe s’est fait chair, et a demeuré parmi nous 4
». C’est donc en lui que nous devons nous réjouir. Que nul ne s’arroge ce qui
vient de Dieu seul; c’est de lui que nous vient la joie qui fait notre bonheur.
« Qu’Israël se réjouisse en celui qui l’a fait ».
5. « Et que les fils de Sion tressaillent
dans leur roi». Cet Israël, ce sont les enfants de l’Eglise. Car Sion fut en
effet une ville qui tomba: et dans ses restes habitaient quelques saints pour
un temps; mais il est une véritable Sion, une véritable Jérusalem, car Sion est
la même que cette Jérusalem qui subsistera éternellement dans le ciel, et qui
est notre mère 5. C’est elle qui nous a engendrés, elle qui est l’Eglise des
saints, en partie dans l’exil, mais en bien plus grande partie dans le ciel.
Cette partie qui est dans le ciel fait le bonheur des anges, et la partie qui
est exilée en ce bas inonde, fait l’espérance des justes. C’est de l’une qu’il
a été dit « Gloire à Dieu au plus haut des cieux»; et de l’autre: « Et paix sur
la terre aux hommes de bonne volonté 6 ». Que ceux donc qui gémissent en cette
vie, qui aspirent à cette patrie céleste, s’élancent par l’amour, et non des
pieds du corps, sans chercher des vaisseaux, qu’ils se pourvoient d’ailes, des
deux ailes de la charité. Quelles sont les deux ailes de la charité? L’amour de
Dieu et l’amour du prochain 7. Nous sommes en effet dans l’exil,dans les
soupirs, dans les gémissements. Voilà qu’il nous est venu des lettres de la
patrie, et nous vous en donnons lecture.
6. « Qu’Israël se réjouisse dans Celui qui
l’a fait, que les fils de Sion tressaillent dans leur Roi». Dire « qui l’a
fait» revient à dire leur
1. I Jean, IV, 19. — 2. Id. III,16.— 3. Id. I, 3.— 4. Id. 14.— 5. Gal. IV, 26. — 6. Luc,
II, 14. — 7. Matth. XXII, 40.
« roi »; de même que « Israël » ne dit autre
chose que « fils de Sion ». Se réjouir en celui qui l’a fait, c’est se réjouir
en son roi. C’est le Fils de Dieu qui vous a faits et qui a été fait parmi
nous. Il est le roi qui nous gouverne, parce qu’il est le créateur qui nous a
faits. Et celui par qui nous avons été faits, est aussi celui par qui nous
sommes conduits; et nous sommes chrétiens parce qu’il est Christ; or, il est
appelé Christ à cause du chrême ou de l’onction. Les rois 1 recevaient
l’onction aussi bien que les prêtres 2; et celui-ci a reçu l’onction de roi, de
prêtre; roi, il a combattu pour nous, et prêtre, il s’est offert pour nous. Eu
combattant pour nous, il a paru vaincu, bien qu’il fût vainqueur en réalité.
Car il a été cloué à la croix et de cette croix qui était son gibet, il a
vaincu le diable, et est devenu notre roi. Comment donc est-il prêtre? Parce
qu’il s’est offert pour nous. Donnez au prêtre de quoi offrir. Mais, hélas! où
l’homme trouvera-t-il une victime pure qu’il puisse offrir? Quelle victime? Que
peut offrir de pur un pécheur? Homme d’iniquité, impie, tout ce que tu offres
est impur, et il faut offrir pour toi une hostie sans tache. Cherche en toi de
quoi offrir, tu ne trouveras rien. Cherche ce que tu offrirais de toi-même: ni
béliers, ni boucs, ni taureaux ne sont agréables à Dieu. Tout lui appartient
quand même tu n’offrirais rien. Offre-lui donc une hostie pure. Mais tu es
pécheur, tu es impie, ta conscience est souillée, Peut-être qu’une fois
purifié, tu pourras offrir à Dieu une hostie pure; mais pour devenir pur, il
faut offrir une victime pour toi. Que vas-tu donc offrir, afin d’être pur? Et
situ es pur, tu pourras offrir une hostie pure. Que le prêtre sans tache
s’offre donc lui-même afin de te purifier. C’est là ce qu’a fait le Christ. Il
n’a trouvé dans les hommes rien de pur qu’il pût offrir pour les hommes, et il
s’est offert comme une victime sans tache. Bienheureuse victime, véritable
victime, victime sans tache. Ce n’est donc point ce qu’il a pris en nous qu’il
a offert, ou plutôt il a offert ce qu’il tenait de nous, mais il l’a offert
purifié. Car c’est cette même chair qu’il tenait de nous qu’il a bien voulu
offrir. Mais où l’avait-il prise? Dans le sein de la Vierge Marie, afin
d’offrir cette chair pure, pour ceux qui étaient impurs. IL est donc roi, il
est prêtre, mettons en lui notre joie.
1. I Rois, X, 1; XVI, 13. — 2. Exod. XXX, 30.
7. « Qu’ils chantent son nom en choeur 1 ».
Que signifient ces choeurs? Il en est beaucoup pour connaître ces choeurs, et
comme nous parlons dans une ville, tous les connaissent. On appelle choeur
l’accord de plusieurs voix. Si nous chantons en choeur, chantons en accord.
Dans un concert, toute voix discordante blesse l’oreille et trouble le choeur.
Mais si un ton de voix en désaccord trouble ainsi un concert, que fera
l’hérésie discordante au milieu de ceux qui louent le Seigneur? Or, le concert
du Christ, c’est le monde entier, et ce concert du Christ résonne de l’Orient
et de l’Occident. Voyons si le choeur du Christ a une telle étendue. Il est dit
dans un autre psaume: « Du lever du soleil à son coucher, louez le nom du
Seigneur 2. Qu’ils chantent son nom en chœur ».
8. « Qu’ils chantent ses louanges au son du
tambour et du psaltérion ». Pourquoi choisir ici le tambour et le psaltérion?
Afin qu’on ne loue pas Dieu de la voix seulement, mais aussi par les oeuvres.
Chanter sur le tambour ou sur le psaltérion, c’est joindre la main àla voix. De
même pour toi, lorsque tu chantes l’Alleluia, si ta main donne le pain à celui
qui a faim, revêt celui qui est nu, donne l’hospitalité à l’étranger, alors ta
voix n’est point seule pour chanter, ta main chante aussi, l’action est en
accord avec les paroles. Tu as pris la harpe en main, et les doigts et la
langue sont en harmonie. Ne passons pas sous silence la signification
mystérieuse du tambour et du psaltérion. Le tambour est formé d’une peau
tendue, le psaltérion de cordes tendues aussi. L’un et l’autre de ces
instruments désignent la chair crucifiée. Il chantait admirablement sur le
tambour et sur le psaltérion, celui qui disait: « Le monde est crucifié pour
moi, et moi pour le monde 3 ». Or, il l’engage à prendre le psaltérion et le
tambour, celui qui aime le cantique nouveau, et qui te donne cette leçon: « Si
quelqu’un veut être mon disciple, qu’il renonce à soi-même, qu’il prenne sa
croix et qu’il me suive 4 ». Qu’il ne quitte point le psaltérion, ne quitte
point le tambour, qu’il s’étende sur le bois et dessèche la convoitise de la
chair. Plus les cordes sont tendues, plus le son en est aigu. Que dit saint
Paul, afin de
1. Ps. CXLIX, 3. — 2. Id. CXII, 3. — 3. Gal.
VI, 14. — 4. Matth. XVI, 24.
rendre un son plus aigu sur le psaltérion? «
J’oublie ce qui est en arrière, je m’étends vers ce qui est devant moi,
poursuivant la palme de la vocation éternelle 1 ». L’Apôtre s’étendait pour
ainsi dire, et sous le doigt du Christ il rendait le son harmonieux de la
vérité. « Chantez ses louanges sur le psaltérion et sur le tambour ».
9. « Parce que le Seigneur a traité son
peuple favorablement ».Quel!e plus grande faveur que de mourir pour les impies?
Quelle plus grande faveur que d’effacer par un sang juste l’arrêt qui condamne
le pécheur? Quelle plus grande faveur que de dire: je ne considère plus ce que
vous avez été, soyez ce que vous n’étiez pas? « Le Seigneur a comblé de faveurs
son peuple », par la rémission des péchés, par la promesse de la vie éternelle:
il le comble de faveurs en rappelant celui qui s’éloigne, en soutenant celui
qui combat, en couronnant celui qui triomphe. « Il a comblé son peuple de
faveurs, et il glorifiera les humbles par le salut ». Il est vrai que les
orgueilleux se glorifient aussi, mais ce n’est point par le salut. Les humbles
s’élèvent donc pour le salut, les orgueilleux pour la mort, c’est-à-dire que
les orgueilleux s’élèvent et que le Seigneur les humilie, que les humbles
s’humilient et que Dieu les élève. « Il glorifie les humbles pour leur salut ».
10. « Les saints tressailliront dans la
gloire 2». Je voudrais vous dire un mot de la gloire des saints, redoublez
d’attention. Il n’est personne, en effet, qui n’aime la gloire. Cette gloire
mène des insensés, qu’on appelle gloire populaire, a ses charmes qui nous
trompent; chacun s’éprend de ces louanges futiles des hommes au point de
vouloir vivre de manière à mériter les applaudissements, peu importe d’où ils
lui viennent et de quelle manière. De là ces hommes pris de vertige, enflés
d’orgueil, vides à l’intérieur, bouffis extérieurement, qui perdent
volontairement ce qu’ils possèdent, en le donnant à des comédiens, à des
histrions, à des chasseurs, à des cochers. Quels dons! quelles dépenses!
Consumer ainsi non seulement les richesses du patrimoine, mais les richesses de
l’âme! Mais ils n’ont que du mépris pour le pauvre, parce que le peuple
n’applaudit point quand il reçoit l’aumône; tandis qu’il applaudit quand on
donne à un
1. Philipp. III, 13, 14. — 2. Ps. CXLIX, 5.
chasseur. Ils ne donneront donc rien s’ils ne
sont applaudis; que les fous applaudissent, et les voilà fous eux-mêmes; oui,
tous également fous, et celui qui se donne en spectacle, et celui qui regarde,
et celui qui donne. C’est bien cette gloire folle que condamne le Seigneur, qui
est odieuse aux yeux du Tout-Puissant. Et toutefois, mes frères, le Christ ne
laisse pas de faire aux siens ce reproche: J’ai moins reçu de vous que n’ont
reçu des chasseurs, et pour leur donner, vous avez pris ce qui m’appartenait: «
Pour moi, j’étais nu, et vous ne na’avez point revêtu ». Mais eux: « Quand,
Seigneur, vous avons nous vu sans habits, et ne vous avons-nous point revêtu 1?
» Mais lui: « Quand vous l’avez refusé au moindre des miens, c’est à moi que
vous l’avez refusé». Mais tu n’as voulu revêtir que celui qui te plaît. En quoi
donc le Christ a-t-il pu te déplaire? Tu veux revêtir un athlète, qui te fera
rougir s’il est vaincu; tandis que le Christ n’est jamais vaincu; c’est lui qui
a vaincu le diable, vaincu à la place, vaincu pour toi, vaincu en toi. Voilà le
vainqueur que tu ne veux point revêtir. Pourquoi? Parce qu’on t’applaudit
moins, parce qu’il y a moins de folles clameurs. De là vient, mes frères, que
ceux qui se repaissent d’une telle joie n’ont rien dans la conscience. Comme
ils épuisent leurs coffres, en donnant des vêtements, ils épuisent leur
conscience, de manière à n’y rien conserver de précieux.
11. Quant aux saints qui tressaillent dans la
gloire, il n’est point nécessaire que nous parlions de leur joie: écoutez
seulement le verset qui suit: « Les saints tressailliront dans la gloire, leur
allégresse éclatera dans le lieu du repos »; non point dans les théâtres ou
dans les amphithéâtres, non point dans les cirques, non point dans les folies,
non point hors d’eux-mêmes; mais dans le lieu de leur repos. Qu’est-ce à dire,
« dans le lieu de leur repos? » dans leurs coeurs. Ecoutez comme l’Apôtre se
réjouit dans le lieu de son repos: « Toute notre gloire, la voici, le
témoignage de notre conscience 2 ». Il est à craindre néanmoins que tel homme
ne muette sa confiance en lui-même, et ne s’élève avec orgueil dans sa propre
confiance. Chacun doit tressaillir avec crainte 3, parce que le don de Dieu qui
fait sa joie ne vient point de ses propres mérites. Il en est beaucoup qui se
1. Matth. XXIV, 43-45. — 2. II Cor. I, 12. —
3. Ps. II, 11.
complaisent en eux-mêmes, et se croient
justes; or, voici contre eux une autre page des Ecritures: « Qui peut se
glorifier de posséder la pureté du coeur; ou qui osera se vanter d’être exempt
de péchés 1? » Il est donc une certaine manière de nous applaudir dans notre
conscience, c’est quand tu reconnaîtras que ta joie est pure, que ton espérance
est certaine, que ta charité est sans dissimulation. Mais comme il est en nous
bien d’autres points capables d’offenser Dieu, bénis le Dieu qui t’a gratifié
de ces vertus, et qui alors perfectionnera ce qu’il a commencé. Aussi, après
avoir dit: « Ils tressailliront dans le lieu de leur repos », le Prophète
semble craindre qu’ils ne mettent leur complaisance en eux-mêmes, et il ajoute aussitôt:
« Les jubilations de Dieu seront dans leur bouche 2 ». Ils tressailliront dès
lors dans leurs lits de repos, non point de manière à s’arroger le bien qui est
en eux, mais de manière à louer celui de qui ils ont reçu d’être ce qu’ils
sont, qui les appelle à être ce qu’ils ne sont point encore, de qui seul ils
attendent la perfection, qu’ils remercient de ce qu’il a commencé en eux. « Les
jubilations de Dieu seront dans leur bouche ». Voyez maintenant les saints,
voyez leur gloire, voyez dans le monde entier, voyez que les jubilations de
Dieu sont dans leur bouche.
12. « Et dans leurs mains des framées à deux
tranchants ». On appelle framée ce que nous appelons vulgairement spatule. Il y
a, en effet, des glaives qui n’ont qu’un tranchant: tels sont les sabres. Mais
la framée, qui se nomme aussi espadon et spatule, est une épée à double
tranchant et renferme un grand mystère. « Les framées qui sont dans leurs mains
sont aiguisées des deux parts ». Par ces framées à deux tranchants nous
entendons la parole de Dieu; or, cette framée est unique, mais on la met ici au
pluriel, parce qu’il y a plusieurs langues et plusieurs bouches des saints. La
parole de Dieu est donc un glaive à deux tranchants 3. Pourquoi deux
tranchants? Parce qu’elle se prononce et sur les choses temporelles, et sur les
choses éternelles parce qu’elle montre dans les unes et dans les autres qu’elle
dit la vérité et qu’elle sépare du monde celui qu’elle frappe. N’est-ce point
là ce glaive dont le Seigneur a dit: « Je ne suis point venu apporter la paix,
mais
1. Prov. XX. 9. — 2. Ps. CXLIX, 6. — 3. Hébr.
IV, 12.
le glaive 1». Considère comme il est venu
disjoindre, comme il est venu séparer. Il sépare les saints, il sépare les
impies, il sépare de toi tout ce qui est un obstacle. Tel fils veut servir
Dieu, son père l’en empêche vient le glaive de Dieu, vient la parole de Dieu,
qui sépare le fils du père. Telle fille veut, sa mère ne veut point, le glaive
les sépare mutuellement. Telle bru veut, sa belle-mère ne veut point, apportez
le glaive à deux tranchants, qu’il vous donne des promesses pour la vie
présente, et des promesses pour la vie éternelle, le soulagement par les biens
de la terre, la jouissance des biens de l’éternité. Voilà le glaive tranchant
des deux côtés, promettant les biens du temps elles biens de l’éternité. En
quoi nous a-t-il trompés? L’Eglise de Dieu n’était-elle point jadis dans le
monde entier? Elle y est maintenant. Autrefois on la lisait dans les livres, on
ne la voyait pas: on la voit aujourd’hui, comme on la lit dans les promesses.
Tout ce qui nous est promis selon le temps regarde l’un des tranchants du
glaive; tout ce qui est de l’éternité regarde l’autre tranchant. Tu as donc
l’espérance des biens futurs, comme tu as la consolation dans les biens
présents, ne te laisse point aller à celui qui veut te retirer de Dieu; ni
père, ni mère, ni soeur, ni épouse, ni ami, que nul ne te retire de Dieu; et
alors le glaive à deux tranchants te sera avantageux. C’est pour ton bien qu’il
te sépare, et t’attacher trop serait ton mal. Notre Seigneur est donc venu avec
un glaive à double tranchant, promettant les biens éternels, accomplissant les
promesses temporelles. De là viennent en effet, ce que nous appelons les deux
Testaments. Qu’étaient donc « ces framées à deux tranchants, dans leurs mains?
» Les deux Testaments sont un glaive à double tranchant. L’Ancien promet des
biens terrestres, le Nouveau des biens éternels. Dans l’un et dans l’autre
s’est vérifiée cette parole de Dieu: « comme un glaive à double tranchant ».
Pourquoi est-il entre les mains, et non sur la langue? « Entre leurs mains »,
est-il dit, « sont des framées à double tranchant ». Entre leurs «nains
signifie en leur puissance. Ils ont donc reçu la parole de Dieu, afin de la
prêcher, et où ils voulaient, et à qui ils voulaient, sans craindre aucune
puissance, et sans mépriser la pauvreté. Ils avaient en main
1. Matth. X, 31.
ce glaive dont ils frappaient, et qu’ils
tournaient, qu’ils faisaient vibrer où ils voulaient; tout cela était au
pouvoir des prédicateurs. Si cette parole n’était en leur pouvoir, on pourrait
dire: Comment cette parole est-elle un glaive à deux tranchants, et comment se
trouve-t-il entre leurs mains? Si donc cette parole n’est point entre leurs
mains, comment est-il écrit: « Voilà que la parole de Dieu fut entre les mains
du prophète Aggée 1? »Est-ce à dire, mes frères, que Dieu écrivit sa parole sur
les doigts de ce Prophète? Que signifie dès lors entre ses mains? C’est-à-dire
que la puissance lui fut donnée de prêcher la parole de Dieu. Enfin nous
pourrions entendre encore d’une autre façon entre ses mains; car prêcher la
parole de Dieu c’est l’avoir sur la langue, et l’écrire c’est l’avoir dans ses
mains. « Et des glaives à double tranchant dans leurs mains ».
13. Vous voyez dès à présent, mes frères,
comment les saints sont armés; considérez aussi leurs exploits sacrés, leurs
glorieux combats. Car s’il y a un général, il y a des soldats; s’il y a des
soldats, il y a des ennemis; s’il y a une guerre, il faut une victoire. Or,
qu’ont fait ceux-ci avec les glaives à deux tranchants entre leurs mains?
C’était « pour tirer vengeance des nations 2 ». Voyez si les nations n’ont pas
subi cette vengeance. Elle s’exerce chaque jour; et c’est ce que nous faisons
maintenant en vous parlant. Voyez comment nous taillons en pièces les nations
de Babylone. On lui rend au double ce qu’elle a fait, selon cette parole: «
Rendez-lui le double de ses victoires 3». Comment lui rendre au double, sinon
parce que les saints tirent ces glaives à deux tranchants, et en foot des
massacres, des meurtres, des séparations, et le paganisme s’éteint, et les
idoles se brisent. Comment lui rendre au double? Pour elle, quand elle
persécutait les chrétiens, elle tuait le corps, mais ne brisait pas Dieu;
maintenant on lui rend au double, puisque les païens s’éteignent et que les
idoles sont brisées. Mais, diras-tu, comment sont tués les païens? Comment,
sinon en devenant chrétiens? Je cherche le païen, et je ne le trouve plus, il
est chrétien: donc le païen est mort en lui. S’ils ne sont tués de la sorte,
comment fut-il dit à Pierre: « Tue et mange 4?» Comment donc mourut Saul le
persécuteur, et comment se leva Paul
1.
Aggée, I, 1. — 2. Ps. CXLIX, 7. — 3. Apoc. XVIII, 6.— 4. Act. X, 13.
le prédicateur. Je cherche Saul persécuteur,
et ne le trouve plus, il est tué 1. Par quoi? Par le glaive à deux tranchants.
Mais parce qu’il a été tué en lui-même, il a été vivifié dans le Christ; aussi
dit-il avec confiance: « Je vis, non pas moi, mais c’est le Christ qui vit en
moi 2». Ce qui lui est arrivé, Dieu le fait aux autres par lui; car devenu
prédicateur, lui-même prit en main le glaive à deux tranchants pour « tirer
vengeance des nations ». Et de peur qu’on ne représente des hommes frappés par
le fer, du sang répandu, des chairs meurtries, le Prophète continue on disant:
« Et réprimer les peuples ». Qu’est-ce que réprimer? C’est corriger. Usez donc,
mes frères, de ce glaive à deux tranchants, qu’il ne demeure point oisif, Dieu
vous l’a donné pour en user à votre manière. Un homme tel que toi adore encore
les idoles? Parle ainsi à ton ami, si toutefois il en reste encore quelqu’un à
qui tu puisses adresser ce langage: Un homme tel que toi, peux-tu abandonner
Dieu qui t’a fait pour adorer une idole que tu as construite? L’ouvrier
n’est-il point préférable à son ouvrage? Or, tu rougirais d’adorer l’ouvrier,
et tu ne rougis point d’adorer ce qu’il fait? Que tôn ami rougisse, qu’il soit
touché de componction, c’est une blessure que ton glaive a faite; tu as frappé
au coeur; il mourra pour revivre. Entre leurs mains, des glaives à double
tranchant, pour se venger des nations, et «redresser les peuples».
14. « Afin de mettre leurs rois dans les
chaînes, et leurs princes dans des liens de fer, pour exercer contre eux le
jugement prescrit 3 ». Nous avons exposé sans peine commuent la framée nous
fait tomber pour nous relever, nous sépare pour nous rassembler, nous blesse
pour nous guérir, nous tue pour nous faire vivre. Mais que faire maintenant?
Comment expliquer: « Pour mettre leurs rois dans les chaînes?» Il faut donner
des entraves aux rois des nations, et des chaînes à leurs princes et même des
liens de fer. Redoublez d’attention pour savoir ce que vous savez déjà, car ces
paroles que nous expliquons sont obscures à la vérité, mais ce que nous devons
en dire n’est pas nouveau. Vous le savez déjà, et sans rien apprendre de
nouveau, vous n’avez qu’à vous souvenir. Le dessein de Dieu en rendant obscurs
quelques
1. Act. IX, 4. — 2. Gal. II, 20. — 3. Ps.
CXLIX, 8, 9.
versets, est moins dé nous en faire tirer une
leçon nouvelle, que de nous rappeler par ces obscurités ce que nous savons
déjà. Nous savons que les rois sont devenus chrétiens, que les princes des
peuples ont embrasé la foi. Il y en a aujourd’hui, il y en eut autrefois, il y
en aura encore, et les glaives à deux tranchants sont toujours dans les mains
des saints. Comment donc entendre que les rois sont chargés de chaînes, et de
liens de fer? Votre charité sait déjà, et les leçons fréquentes de l’Eglise
dont vous êtes nourris vous omit appris que « Dieu a choisi dans le monde ce
qui est faible pour confondre ce qui est fort; il a choisi ce qui est fou selon
le monde pou r confondre ce qui est fort, et ce qui n’est rien comme ce qui est
quelque chose, pour détruire ce qui est ». Voici cri effet ce que dit l’Apôtre:
« Voyez, mes frères, ceux d’entre vous qui sont appelés; il en est peu de sages
selon la chair, peu de puissants, peu de nobles; mais Dieu a choisi ce qui est
fou selon le monde, ce qui est infirme selon le monde, pour confondre ce qui est
fort; Dieu a choisi ce qui est vil et méprisable, et ce qui n’est rien comme ce
qui est quelque chose, pour détruire ce qui est 1». Jésus-Christ notre Dieu est
venu pour le bien de tous; mais il s’est servi d’un pêcheur pour le bien des
empereurs, et non d’un empereur pour le bien d’un pêcheur; et il a choisi des
hommes sans aucune importance dans le monde. Il les a remplis de
l’Esprit-Saint, leur a donné le glaive à double tranchant et leur a commandé de
parcourir l’univers entier en prêchant l’Evangile 2. A l’instant le monde
frémit de rage, le lion se leva contre l’agneau, et l’agneau fut plus fort que
le lion. Le lion sévit et fut vaincu, l’agneau souffrit et fut vainqueur.
Pénétrés de crainte, les hommes se convertirent au Christ, et les rois et les grands
du monde s’étonnèrent à la vue des miracles, se troublèrent à l’accomplissement
des prophéties, et virent avec stupeur le genre humain accourir au seul nom du
Christ. Que faire alors? Beaucoup renoncèrent à toute grandeur, laissèrent
leurs palais, et distribuèrent leurs biens aux pauvres pour courir à la
perfection. Car le Seigneur disait à l’un de ces imparfaits: « Si vous voulez
être parfait, allez vendre ce que vous possédez et en donnez le bien aux
pauvres, puis venez
1. I
Cor. I, 26-28. — 2. Matth. XXVIII, 19.
et suivez-moi, et vous aurez un trésor dans
le ciel 1 ». Voilà ce qu’ont fait plusieurs grands du monde; mais ils n’ont
abjuré toute grandeur mondaine, que pour embrasser la pauvreté d’ici-bas et la
noblesse du Christ. D’autres, et en grand nombre, conservent leur noblesse,
conservent la puissance royale, et n’en sont pas moins chrétiens. Ils sont
alors comme dans les entraves, et dans les chaînes de fer. Comment cela? Ils se
sont imposé des liens, liens de la sagesse, liens de la parole de Dieu, jour
s’interdire tout ce qui est illicite.
15. Pourquoi donc des liens de fer, non des
chaînes d’or? Tant qu’il y a crainte, ils sont de fer; qu’il y ait amour et ils
seront d’or. Que votre charité veuille bien m’écouter. Vous venez d’entendre
ces paroles de saint Jean: « La crainte n’est point dans la charité, mais la
charité parfaite bannit toute crainte, parce que la crainte contient une peine
2». Voilà le lien de fer. Et néanmoins, si l’homme ne commence à servir Dieu
par crainte, il n’arrive pas à l’amour. « Craindre Dieu est le commencement de
la sagesse 3 ». La sagesse commence donc par les liens de fer pour arriver au
collier d’or; car il est dit: « Mets ton cou dans son collier d’or 4 ». Mais tu
n’arriveras point à ce collier d’or, si tout d’abord tu ne mets tes pieds dans
ses chaînes de fer. A commencer par la crainte, on finit par la sagesse.
Combien en est-il qui n’osent faire le mal, parce qu’ils craignent l’enfer,
parce qu’ils redoutent les tourments, et non parce qu’ils aiment la justice? Qu’on
leur promette l’impunité, qu’on leur dise: Faites en pleine sécurité ce qu’il
vous plaira; et alors ils se jetteront avec frénésie dans tous les crimes. Ce
qui serait plus vrai des rois et des princes, à qui l’on ne saurait dire
facilement:
Qu’avez-vous fait? Pour l’homme pauvre, en
effet, quand même il ne craindrait pas Dieu, comme il n’a nulle force, nulle
puissance pour échapper au supplice qu’il a pu mériter, il s’abstient par la
crainte des hommes, sinon par la crainte de Dieu. Quant aux puissants du monde,
aux rois, aux grands, qu’ont-ils à craindre, s’ils ne craignent Dieu? Mais on
leur prêche, on les frappe du glaive à double tranchant; on leur dit qu’il est
un Dieu, pour mettre les uns à sa droite, les autres à sa gauche, pour dire à
ceux de gauche: « Allez
1.
Matth. XIX, 21. — 2. I Jean, IV, 18. — 3. Ps. CX, 10. — 4. Eccli. VI,
25.
au feu éternel, qui a été préparé au diable
et à ses anges 1 ». Sans aimer encore la justice, ils redoutent le châtiment,
et la crainte du châtiment devient une entrave, et ces liens de fer les
redressent. Voilà que vient à nous quelque grand du monde, qui aura reçu quel.
ques outrages de sa femme, ou qui en aura convoité une plus belle, une plus
riche; il voudrait se séparer de sa femme et n’ose le faire. Il entend un
serviteur de Dieu, il entend le Prophète, il entend l’Apôtre, et il s’abstient:
il entend celui qui tient en main le glaive à deux tranchants, qui lui dit:
Arrête, cela n’est point permis, Dieu ne te permet point de quitter ta femme,
si ce n’est pour cause d’adultère 2. Voilà ce qu’il entend, et la crainte le
retient. Son pied trop léger chancelait déjà, il est retenu par les entraves. «
Voilà une chaîne de fer, la crainte de Dieu ». On lui dit: Dieu te damnera, si
tu le fais; il est souverain juge de tous, il entend les gémissements de ton
épouse, et tu seras coupable à ses yeux. Le voilà entre l’amorce de la
convoitise, et la crainte du châtiment. Il eût -cédé à ses coupables désirs,
s’il n’eût été retenu par sa chaîne de fer. Mais plus encore, Voilà cet homme
qui nous dit: Je veux vivre dans la continence, je ne veux plus d’épouse.
Impossible. Que faire, situ le veux, quand ta femme ne le veut point? Ta
continence doit-elle donc la jeter dans l’adultère? Car elle est adultère, si
de ton vivant elle passe à un autre. Or, Dieu vomis empêche de compenser un si
grand mal par un lei gain. Rends le devoir, et si tu ne l’exiges point, tu n’es
pas moins tenu de le rendre. Dieu te tiendra compte comme d’un acte de sainteté
parfaite, situ rends à ton épouse le devoir sans l’exiger d’elle. Tu crains et
tu ne le fais pas, tu secoues tes chaînes; mais elles sont des chaînes de fer,
écoute bien: « Es-tu lié à une femme? ne cherche pas à te délier 3 ». Voilà une
chaîne dure, une chaîne de fer. Une parole du Seigneur va nous montrer aussi
que c’est un lien de fer. Ecoutez cette parole, ô jeunes gens, oui ce- sont des
liens de fer, n’y engagez pas vos pieds; si vous les y engagez, vous vous
trouverez à l’étroit dans ces entraves. Le mains de l’évêque viennent encore
les resserrer davantage. N’est-ce pas l’Eglise que fuient les prisonniers, et
dans l’Eglise ils recouvrent la liberté? On y voit venir des maris
1.Matth. XXV, 41. — 2. Id. V, 22. — 3. I Cor.
VII, 3, 27, 39.
qui voudraient laisser leurs épouses; mais on
resserre leurs chaînes, on ne les brise jamais:
« Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a joint 1 ». Mais ces chaînes
sont dures. Qui l’ignore? Les Apôtres ont déploré cette dureté en s’écriant: «
Si telle est la condition de l’homme avec sa femme, il n’est pas avantageux de
se marier 2 ». Si ces chaînes sont de fer, il n’est pas besoin d’y engager ses
pieds. Et le Seigneur: « Tous n’entendent pas cette parole; que celui qui peut
entendre, entende 3». Es-tu lié à une femme? ne cherche pas à te délier, parce
que ces liens sont de fer. N’es-tu pas lié à une femme? ne cherche pas d’épouse
4; ne t’engage pas dans des entraves de fer.
16. « Afin d’accomplir sur eux le jugement
1.
Matth. XIX, 6. — 2. Id. 10. — 3. Id. 11. — 4. I Cor, VII, 27.
prescrit». C’est là le jugement que les saints accomplissent dans
toutes les nations. Pourquoi « prescrit?» Parce que tout cela fut prédit
autrefois, et s’accomplit maintenant. On fait maintenant ce qu’on lisait jadis,
et qu’on ne sait pas. Le Prophète conclut aussi: « Telle est la gloire que Dieu
destine à tous les saints ». C’est ainsi que les saints agissent dans le monde
entier, parmi les nations, ainsi qu’ils sont élevés en gloire, ainsi qu’ils
chantent le Seigneur par leurs voix, ainsi qu’ils tressaillent dans leurs lits
de repos, ainsi qu’ils tressaillent dans leur gloire, ainsi qu’ils sont élevés
dans leur salut, ainsi qu’ils chantent le cantique nouveau, ainsi qu’ils
chantent l’alléluia, de la voix, du coeur et par leur vie. Ainsi Soit Il.
Les
psaumes sont au nombre de cent-cinquante; or, ce chiffre, dans l’ordre des
unités, donne quinze formé de sept et de huit. Sept nous rappelle la semaine
sabbatique de l’Ancien Testament, et le huitième jour est celui de la
résurrection, ou du Nouveau Testament. Cinquante se compose d’une semaine de
semaines, plus l’unité, et ce fut le cinquantième jour après la résurrection
que descendit l’Esprit-Saint, désigné par le nombre sept. Les cent
cinquante-trois poissons nous montreraient dans trois le diviseur de cinquante.
En décomposant dix-sept en autant de nombres que l’on additionne ensemble on
arrive à cent cinquante-trois. Or, dix-sept est composé de dix, le décalogue,
et de sept, la figure du Saint-Esprit. La division en cinq livres est peu fondée.
Cette parole: « Il est écrit au commencement du livre », désignerait ou le
livre des Ecritures, au commencement duquel nous lisons: « Ils seront deux dans
une même chair », mystère du Christ et de l’Eglise; ou le livre des Psaumes,
dont le premier regarde le Christ. La division en trois livres de cinquante
psaumes chacun, nous montre la pénitence dans le cinquantième psaume, la
miséricorde et la justice dans le centième, et la louange de Dieu dans ses
saints, c’est le psaume cent cinquantième. C’est la voie du ciel, puisque Dieu
nous appelle par la pénitence, nous justifie par la miséricorde, puis nous
admet dans la vie éternelle pour chanter ses louanges.
Les
saints en qui Dieu est glorifié, sont la justice, la puissance, et la grandeur
de Dieu, en ce sens qu’ils font connaître ces divins attributs. Louer Dieu avec
la flûte, c’est le louer d’une manière éclatante; sur les instruments à cordes,
par les bouses oeuvres; sur le tambour, dans la mortification de la chair; sur
les cymbales, dans les louanges des saints qui rejaillissent sur Dieu. Les
trois genres de musique se retrouvent dans les saints.
1. Bien que Dieu ne m’ait point encore fait
la grâce de me révéler tous les grands mystères que me paraît contenir l’ordre
des psaumes; bien que la faiblesse de mon esprit n’en ait point pénétré toute
la profondeur; néanmoins, comme ils sont renfermés dans le nombre de cent
cinquante, ce nombre nous insinue quelque mystère que je voudrais vous exposer
sans témérité et selon qu’il plaira à Dieu de me secourir. D’abord le nombre
quinze est multiple de cent cinquante (car dans l’ordre des unités, il est le
même que cent cinquante dans l’ordre des dizaines, puisque quinze multiplié par
dix donne cent cinquante: le même que mille cinq cents dans l’ordre des centaines,
ou quinze (308) multiplié par cent; le même que quinze mille dans l’ordre des
mille, ou quinze multiplié par mille), le nombre de quinze nous marque donc
l’accord des deux Testaments. Dans l’un, en effet, l’on observe le sabbat au
jour du repos 1; dans l’autre, le dimanche, qui signifie jour de résurrection.
Or, le sabbat est le septième jour; le dimanche qui vient après le septième
jour, que peut-il être sinon le huitième, et en même temps le premier? On
l’appelle aussi le premier jour du sabbat 2, de manière à compter ensuite le
second, le troisième, et ainsi de suite jusqu’au septième qui est le sabbat.
Mais à partir du dimanche, jusqu’au dimanche, nous nous trouvons au huitième
jour, auquel fut révélé ce Nouveau Testament qui était caché dans l‘Ancien,
sous les promesses terrestres. Or, sept et huit font quinze. Tel est le nombre
des psaumes appelés Cantiques des degrés, parce que tel était le nombre des
degrés du temple. Le nombre de cinquante renferme aussi en lui-même un grand
mystère, puisqu’il se compose d’une semaine de semaines, auxquelles on ajoute
l’unité qui serait comme le huitième et formerait cinquante; sept fois sept
font en effet quarante-neuf, et nous avons cinquante en y ajoutant l’unité. Or,
ce nombre de cinquante a une signification tellement mystérieuse, q ne ce fut
le cinquantième jour après la résurrection du Christ, que le Saint-Esprit
descendit sur les disciples assemblés en son nom 3. De plus, l’Esprit- Saint
est désigné par le nombre sept dans les Ecritures, soit dans Isaïe, soit dans
l’Apocalypse, où nous trouvons clairement les sept esprits de Dieu, à cause des
sept opérations de ce même Esprit. Le prophète lsaïe nous parle ainsi de ces
sept opérations « L’Esprit de Dieu se reposera sur lui; Esprit de sagesse et
d’intelligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de science et de piété,
Esprit de crainte du Seigneur 4 ». Et pat cette crainte, il faut entendre la
crainte chaste, qui demeure dans le siècle des siècles 5, Quant à la crainte
servile, elle est bannie par la charité parfaite 6: celle-ci nous affranchit de
manière que nous ne fassions point de ces oeuvres serviles que proscrit le
sabbat. Or, la charité est répandue dans nos coeurs par l’Esprit-Saint qui nous
a été donné 7. C’est donc l’Esprit-Saint que désigne le nombre sept.
1. Exod. XX,
10. — 2. Marc, XVI, 2. — 3. Act, II, 1 4. — 4. Isaï. XI, 2,3. — 5. Ps.
XVII, 10. — 6. I Jean, IV, 18.— 7. Rom. V, 5.
Mais le Seigneur a lui-même divisé le nombre
cinquante en quarante et en dix i; puisque c’est le quarantième jour après sa
résurrection qu’il monta au ciel 2, puis dix jours après qu’il envoya le
Saint-Esprit, désignant ainsi par le nombre quarante son passage en cette vie
temporelle. Le nombre quatre est en effet le nombre qui prévaut dans quarante;
or, il y a quatre parties dans le monde comme dans l’année, et en y ajoutant
dix comme le denier qui doit récompenser les oeuvres de la loi, nous trouvons
la figure de l’éternité. En multipliant cinquante par trois, et pour ainsi dire
par la trinité, nous arrivons à cent cinquante, nombre qui n’est point sans
raison celui de nos psaumes. Dans ce nombre de poissons pris dans les filets
des Apôtres après la résurrection, l’Evangile ajoute le nombre de trois à celui
de cent cinquante 3, pour nous montrer, ce semble, en combien de portions nous
devons partager ce nombre de manière à trouver trois fois cinquante. On
pourrait néanmoins trouver dans ce nombre une raison plus subtile et plus
agréable, c’est-à-dire que si nous décomposons dix-sept, de manière que tom les
nombres depuis un jusqu’à dix-sept soient additionnés ensemble, nous arrivons
encore à ce nombre de cent cinquante trois. Or, le nombre dix désigne la loi,
et celui de sept désigne la grâce; puisque la loi n’est accomplie que par la
charité répandue dans nos coeurs par ce même Esprit que représente le nombre
sept.
2. Quant à ceux qui ont divisé les psaumes en
cinq livres, ils ont suivi en cela l’indication des psaumes qui finissent par
ces mots: Fiat, fiat 4. Mais quand
j’ai voulu pénétrer les raisons de cette division, je n’ai pu y par. venir;
parce que ces cinq parties ne sont point égales entre elles, ni par la quantité
de la matière, ni même par le nombre des psaumes, qui serait alors de trente.
Et si chacun de ces cinq livres doit se terminer par fiat, fiat, on pourrait avec raison demander pourquoi le dernier de
tous ne finit pas de même. Pour nous, conformément à l’autorité canonique des
saintes Ecritures, où nous lisons: « Il est écrit dans le livre des Psaumes 3
», nous ne reconnaissons qu’un livre des psaumes. Je comprends que ce sentiment
soit le
1. Act. II, 3. — 2. Id. 1. — 3. Jean, XXI,
11. — 4. Ps. XL, LXXI, LXXXVIII et CV. — 5. Act. I, 20.
véritable, et comment l’autre pourrait l’être
aussi, sans qu’il y eût contradiction. D’après la coutume des Ecritures des Hébreux,
il est possible, en effet, qu’un livre divisé en plusieurs autres, ne soit
regardé que comme un seul; ainsi on ne parle que d’une Eglise, bien qu’elle
soit divisée en plusieurs Eglises, et d’un ciel unique, bien qu’il soit composé
de plusieurs. Il n’est pas à croire qu’en disant: « Mon secours vient du
Seigneur qui a fait le ciel et la terre 1», le Prophète ait voulu omettre un
des cieux. Et quand l’Ecriture nous dit: « Dieu donna au firmament le nom de
ciel 2 »; quand elle assure qu’il y a des eaux au-dessus du firmament,
c’est-à-dire du ciel, elle ne ment point, bien qu’elle dise ailleurs: « Et que
toutes les eaux qui sont par-dessus les cieux louent le Seigneur 3», sans dire
au-dessus du ciel. On dit aussi: la terre, bien qu’elle soit composée de
plusieurs, et chaque jour nous disons indifféremment orbis terrae, ou orbis terrarum, le globe de la terre, ou le globe
des terres. Quoique, dans le langage ordinaire, cette expression: « Il est
écrit dans le livre des Psaumes », semble dire qu’il n’y a qu’un seul livre,
néanmoins on peut répondre que cette manière de parler:
« dans le livre des Psaumes », signifie dans
l‘un des cinq livres. Mais cette manière de parler est tellement inusitée, ou
du moins tellement rare, que ce texte: « Comme il est écrit dans le livre des
Prophètes 4 », a fait croire que les douze Prophètes ne forment qu’un seul
livre. Il en est encore qui ne regardent que comme un livre unique tous les
livres de l’Ecriture, parce qu’ils forment une admirable et divine unité, et.
que cette parole: « Il est écrit, au commencement du u livre, que je dois faire
votre volonté », doit nous faire comprendre que le Père a créé le monde par le
Fils, puisque cette création est placée au commencement de toute Ecriture dans
le livre de la Genèse. Ou plutôt parce que cette parole paraît une prophétie,
rapportant moins les faits que prédisant l’avenir, puisqu’il n’est pas dit «
que j’aie fait », mais « afin que je fasse », ou que je fisse votre volonté »;
et dès lors cette parole devrait se rapporter à une autre parole consignée
aussi dans les premières lignes du même livre: « Ils seront deux dans la même
1.
Ps. CXX, 2.— 2. Gen. I, 7, 8. — 3. Ps. CXLVIII, 4, 5. — 4. Act. VII, 42. — 5.
Ps. XXXIX, 8.
chair 1»; profond mystère, selon l’Apôtre,
dans le Christ et dans l’Eglise 2. On pourrait
voir encore le livre des Psaumes désigné dans
cette parole: « Au commencement du livre, il est écrit de moi que je fasse
votre volonté ». Car on lit ensuite: « Mon Dieu, je l’ai voulu, votre loi est
dans le milieu de mon coeur 3 ». Or, on voit une prophétie de Jésus-Christ dans
le premier psaume placé à la tête du livre: « Bienheureux l’homme qui ne s’est
point laissé aller au conseil des impies, qui ne s’est point arrêté dans le
sentier des pécheurs, ni assis dans la chair de pestilence, mais dont la
volonté s’affermit dans la loi du Seigneur, et qui méditera cette loi le jour
et la nuit 4 ». Ce qui reviendrait à cette parole: « Mon Dieu, je l’ai voulu,
et votre loi est au milieu de mon cœur ». Quant à cette autre parole: « J’ai
annoncé votre justice dans une grande assemblée 5», elle se rapporte
naturellement à celle-ci: « Ils seront deux dans une même chair 6».
3. Que l’on prenne dans l’un ou dans l’autre
sens cette expression: « Au commencement du livre », ce livre des psaumes,
divisé en trois parties, de cinquante chacune, me paraît marquer de grands
mystères, si l’on consulte bien chaque psaume cinquantième. Je ne saurais
croire, en effet, que ce soit sans raison que le cinquantième soit tira psaume
de pénitence; le centième, de la miséricorde et de la justice; le cent
cinquantième, de la louange de Dieu dans ses saints. Tulle est ers effet la
voie que nous suivons, pour arriver à la vie éternelle et bienheureuse: d’abord
la condamnation de nos péchés, ensuite la vie pure, en sorte que nous méritions
par cette vie pure, et par la condamnation de nos fautes, la vie éternelle.
C’est en effet d’après un arrêt profond de sa justice et de sa bonté, que Dieu
a appelé ceux qu’il avait prédestinés, que ceux qu’il a appelés, il les a
justifiés, et que ceux qu’il a justifiés, il les a glorifiés 7. Il est vrai, ce
n’est point en nous-mêmes que s’est faite notre prédestination, mais eu
lui-même et dans le secret de sa prescience. Pourtant, les trois autres
faveurs, la vocation, la justification, et la vocation se font en nous. C’est
la prédication de la pénitence qui nous appelle; car c’est ainsi que le Sauveur
commence à prêcher son Evangile: « Faites
1. Gen II, 24. — 2. Ephés. V, 31, 32. — 3.
Ps. XXXIX, 8-10. — 4. Id. I, I, 2.— 5. Id. XXXIX, 8-10.— 6. Gen. II, 25.— 7.
Rom. VIII, 30.
pénitence, car le royaume des cieux est
proche 1 ». Nous sommes justifiés en invoquant la miséricorde, et en craignant
le jugement; de là cette parole: « Seigneur, sauvez-moi en votre nom, et
jugez-moi dans votre puissance 2 ». Or, il ne craint point d’être jugé, celui
qui a tout d’abord obtenu d’être sauvé. Notre vocation nous fait renoncer au
diable par la pénitence, afin de ne plus demeurer sous son joug; après la
justification, nous sommes guéris par la miséricorde, afin de ne plus craindre
le jugement; et une fois glorifiés, nous passons àla vie éternelle, pour louer
Dieu sans fin. C’est là ce que signifie, je crois, cette parole du Sauveur: «
Voilà que je chasse les démons, et fais des guérisons aujourd’hui et demain, et
au troisième jour je serai mis à mort 3»; ce qu’il figura aussi dans les trois
jours de sa passion, de son sommeil, et de son réveil. Car il fut crucifié, il
fut enseveli, il ressuscita. Il triompha sur la croix des princes et des puissances,
se reposa dans le sépulcre et s’élança à sa résurrection. De même la pénitence
nous met à la croix, la justice au repos, la vie éternelle dans la gloire. La
pénitence dit: « Ayez pitié de moi, mon Dieu, selon la grandeur de votre
miséricorde, et selon la multitude de vos bontés, effacez mes iniquités 4 ».
Elle offre pour sacrifice à Dieu une âme brisée de douleur, un coeur contrit et
humilié. C’est le Christ qui dit dans ses élus: « Seigneur, je chanterai votre
miséricorde et votre jugement, je connaîtrai les voies de l’innocence quand
vous viendrez à moi 5 ». C’est la miséricorde, en effet, qui nous aide à faire
les oeuvres de justice, afin d’arriver en toute sécurité au jugement, dans
lequel seront bannis de la cité de Dieu ceux qui commettent l’iniquité 6. Le
verset qui termine le psaume que nous allons expliquer est le cri de la vie
éternelle.
4. « Louez le Seigneur dans ses saints»; dans
ceux qu’il a glorifiés. « Louez-le dans le firmament de sa puissance »; ou,
comme d’autres ont traduit, « dans ses puissances ». « Louez-le selon ses
infinies grandeurs 7 ». Toutes ces dénominations désignent les saints
de Dieu, selon cette parole de l’Apôtre: «
Afin que nous devinssions en lui la justice de Dieu 8». Si donc ils sont la
justice que
1. Matth. III, 2; IV, 17. — 2. Ps. LIII, 3.— 3. Luc, XIII, 32 — 4. Ps. L, 3.— 5. Id. C, 1; 2.— 6. Id.
8.— 7.
Id. CL, 1, 2.— 8. II Cor. V, 21.
Dieu a opérée en eux, pourquoi ne
seraient-ils pas aussi cette puissance que Dieu a exercée en eux, pour les
ressusciter d’entre les morts? Car c’est dans la résurrection du Christ que sa
puissance paraît avec le plus d’éclat; comme sa faiblesse parut en sa passion,
ainsi que l’a dit l’Apôtre: « S’il a été crucifié selon la faiblesse de la
chair, il est néanmoins vivant par la force de Dieu 1 ». Et ailleurs: « Afin »,
dit-il, « que je connaisse Jésus-Christ, et la vertu de sa résurrection 2 ». Le
Prophète a dit admirablement: « Dans le firmament de sa puissance ». C’est en
effet le firmament de sa puissance de ne plus mourir, de n’être plus assujetti
à la mort 3. Pourquoi ne pourrait-on appeler puissance de Dieu celle qu’il a
déployée dans ses saints? Et même ce sont eux qui sont les puissances de Dieu,
ainsi qu’il est écrit: « Nous sommes en lui la justice de Dieu 4». Quelle plus
grande puissance que de régner éternellement, après avoir mis sous ses pieds
tous ses ennemis? Pourquoi ses saints ne seraient-ils point aussi son infinie
grandeur? Non point la grandeur qui le fait grand en lui-même, mais cette
grandeur qui a fait la grandeur de tant de milliers de ses élus? De même, en
effet, que l’on se fait une idée particulière de la justice 5, par laquelle
Dieu est juste, on se fait une autre idée de celle qu’il forme en nous, afin
que nous soyons sa justice.
5. Ces mêmes saints sont encore désignés dans
tous ces instruments qui servent à la louange de Dieu. Ce que le Prophète a dit
tout d’abord: « Louez le Seigneur dans ses saints », il le continue, en
marquant les saints par différentes expressions.
6. « Louez-le au son de la flûte»; ce qui
marque une louange éclatante. « Louez-le sur le psaltérion et sur la harpe 6».
Le psaltérion fait résonner la louange de Dieu, par le haut de l’instrument, et
la harpe le fait par le bas; c’est comme la louange dans les choses célestes,
la louange dans les choses terrestres, comme le Dieu qui a fait le ciel et la
terre. Déjà, en effet, dans un autre psaume, nous avons dit que le psaltérion a
par le haut cette concavité sur laquelle on ajuste les cordes afin d’en tirer
un son plus retentissant, tandis que dans la guitare cette concavité est en
bas.
1.
II Cor. XIII, 4. — 2. Philipp. III, 10. — 3. Rom. VI, 9, — 4. II Cor. V, 21.—
5. Dan. VII,
10.— 6. Ps. CL, 3.
7. « Louez-le sur le tambour et au son des
chœurs 1 ». Nous louons Dieu sur le tambour quand notre chair heureusement
changée ne ressent plus rien de la faiblesse et de la corruption de la terre.
On prend en effet pour le tambour une peau desséchée et durcie. Louer Dieu en
choeur, c’est le bénir dans une société paisible. « Louez-le sur les cordes et
sur l’orgue ». Comme nous l’avons dit plus haut, le psaltérion et la harpe sont
des instruments à cordes. Quant à l’orgue, c’est le nom générique de tous les
instruments de musique; bien que d’ordinaire on désigne plus particulièrement
ainsi des instruments à soufflets, ce que je ne crois pas que l’on ait voulu
indiquer ici. Car le mot organum
désignant en général tous les instruments à soufflets, est un mot grec, et les
Grecs avaient un autre nom pour ces instruments. Les appeler du nom d’orgues
est donc une exigence latine, une exigence de la coutume. Cette expression dès
lors: « sur les cordes et sur l’orgue», semble désigner un instrument pourvu de
cordes. Or, ce n’est pas seulement le psaltérion et la harpe qui sont pourvus
de cordes; nais de même que le psaltérion et ta harpe, qui résonnent soit d’en
haut soit d’en bas, nous ont fait découvrir quelque mystère analogue à cette
différence, de même nous devons chercher quelque analogie dans ces cordes qui
nous désignent la chair, et la chair délivrée de la corruption. Peut-être le
Prophète y joint-il ce mot d’orgue, non pour que chacune des cordes rende un
son particulier, mais pour que la diversité des sons y produise la plus suave
harmonie, comme il arrive dans l’orgue. Car les saints de Dieu auront même alors
des différences entre eux, nais des différences harmonieuses, et non
discordantes, c’est-à-dire des différences qui s’accordent sans se heurter
aucunement; de même que des sons différents, mais non discordants, forment une
heureuse harmonie. « Une étoile diffère en clarté d’une autre étoile; ainsi en
sera-t-il à la résurrection des morts 2 ».
8. « Louez-le sur des cymbales
retentissantes,
1.
Ps. CL, 4.— 2. I Cor. XV, 41, 42.
louez-te sur les cymbales de la joie 1 ». Ce n’est qu’en frappant les
cymbales que l’on produit des sons; de là vient qu’on les a parfois comparées à
nos lèvres. Mais il me semble qu’on leur donne un sens bien préférable en
disant qu’on loue Dieu sur des cymbales, quand chaque fidèle est honoré par ses
frères et non par lui-même, et que cet honneur mutuel devient pour Dieu une
louange. Aussi, de peur, je crois, que la pensée ne s’arrête sur des cymbales
qui résonnent sans âme, le Prophète ajoute: « cymbales de la jubilation »; car
la jubilation ou l’ineffable louange ne saurait venir que de l’âme. N’oublions
pas toutefois que, au dire des musiciens et comme l’expérience le démontre, il
y a trois sortes de sons, que produisent la voix, le souffle, l’impulsion; la
voix, quand un homme chante sans le secours d’aucun instrument; le souffle, qui
donne les sons de la flûte ou de quelque instrument semblable; et l’impulsion,
comme dans la harpe ou tout ce qui lui ressemble. Le Prophète n’a donc oublié
aucun son; il nous marque la voix dans les choeurs, le souffle dans la flûte,
l’impulsion dans la harpe. Ce qui nous montrerait par comparaison et non par
propriété, l’esprit, l’âme et le corps. Quand donc le Seigneur nous dit: «
Louez le Seigneur dans ses saints », à qui s’adresse-t-il, sinon à eux-mêmes?
Et en qui doivent-ils louer Dieu, sinon en eux-mêmes encore? Car vous qui êtes
ses saints, comme le dit le Prophète, vous êtes aussi sa vertu, mais la vertu
qu’il a opérée en vous; vous êtes sa puissance, comme la multitude de sa
grandeur, mais qu’il a opérée et fait paraître en vous vous êtes la trompette,
le psaltérion, la harpe, le tambour, le choeur, les cordes, l’orgue et les
cymbales de la jubilation, qui donnent des sons mélodieux ou des sons en
accord. Vous êtes tout cela; que la pensée ne s’arrête à rien de vil, à rien de
passager, à rien de futile. Et comme la sagesse de la chair est mortelle, « que
tout esprit loue le Seigneur 2».
1. Ps. CL, 5. — 2. Ps. CL, 6.