Les réalités de la vie quotidienne

dans l’oeuvre de saint Paulin de Nole

par  Dominique PILLET (- NURDIN).

Mémoire de maîtrise

préparé sous la direction de Monsieur Albert STRENNA

Chargé d’enseignement à la Faculté des lettres de DIJON

Octobre 1971.

 

Chronologie de la vie de saint Paulin, selon Fabre 1

Chronologie de l'oeuvre de Paulin, selon Fabre 2

INTRODUCTION_ 3

PREMIÈRE PARTIE: LA VIE MATÉRIELLE_ 4

CHAPITRE I: LE LOGEMENT_ 4

CHAPITRE II: LA NOURRITURE_ 7

CHAPITRE III: LE VÊTEMENT_ 11

CHAPITRE IV: LES VOYAGES_ 15

CHAPITRE V: LES BATÎMENTS RELIGIEUX_ 23

DEUXIEME PARTIE: LA VIE SOCIALE_ 28

CHAPITRE VI: LA FAMILLE_ 28

CHAPITRE VII: LA SOCIÉTÉ_ 31

CHAPITRE VIII: L’AMITIÉ ET LA CORRESPONDANCE_ 37

CHAPITRE IX: LA VIE INTELLECTUELLE_ 41

TROISIÈME PARTIE: LA VIE RELIGIEUSE_ 44

CHAPITRE X: LES PAIENS_ 44

CHAPITRE XI: LA VIE CHRETIENNE_ 47

CHAPITRE XII: STRUCTURE DE L’EGLISE_ 55

CHAPITRE XIII: LES MOINES_ 58

Index des personnages 65

Bibliographie

Je suis le texte et la datation de l’édition Migne pour les poèmes, le texte de l’édition Hartel (CSEL) pour les lettres.

Dans les références, les lettres sont désignées par des chiffres arabes, (n° de la lettre puis n° du §), et les poèmes par des chiffres romains. Les indications portées entre parenthèses à la suite sont celles de la page et de la ligne dans l’édition Hartel pour les lettres, de la colonne et du vers dans l’édition Migne.

 

Chronologie de la vie de Paulin, selon Fabre

 

355: Naissance à Bordeaux, dans une famille sénatoriale, très riche, et vraisemblablement pas encore chrétienne, de Pontius Meropius Anicius Paulinus.

Avant 365: élève d’Ausone, en privé et pendant peu d’années, mais grande influence.

378 au plus: Magistrature curule (on ne sait pas au juste laquelle).

381: Il est depuis quelque temps consularis sexfascalis Campaniae; se voue à saint Félix; travaux à Nole; depositio barbae.

384: retour à Bordeaux (après la mort de Gratien le 25 août 383) ; l’usurpateur Maxime élimine les chrétiens du pouvoir; au passage, Paulin s’arrête peut-être à Milan où il voit Ambroise;

Vers 385: épouse en Espagne Thérèse (Therasia), chrétienne et très riche;

384-389: vie mondaine; c’est peut-être à cette époque qu’il voit Ambroise à Milan, et Martin à Vienne (ainsi que Victrice).

389: Baptisé par Delphin de Bordeaux; départ en Espagne à la fin de l'été avec Thérèse;

Peu après: Mort violente de son frère et graves dangers pour lui (peut-être liée aux troubles politiques).

Vers 392: naissance et mort de Celse, en Espagne.

393: Paulin et Thérèse décident de quitter le monde et vendent leurs biens.

Noël 394: Ordination forcée à Barcelone; par l'évêque Lampius.

395: après Pâques, ils partent pour Nole (par mer?) et passent par Rome (curiosité du public et hostilité du pape Sirice). Ils arrivent à Nole en été

Début 396 : Paulin est malade.

Vers 396-397: Augustin évêque.

399: Premier des pèlerinages annuels de Paulin le 29 juin à Rome. Sévère lui envoie la Vita Martini (qui est toujours en vie; mort en  ???)

 Fin de l'année : mort de Sirice et élection d’Anastase.

400: séjour de Nicétas, puis de Mélanie.

401-403: Constructions de Nole (dédicacées en 404 par Paul de Nole).

403: Deuxième visite de Nicétas (il y est le 14 Janvier).

407: Mélanie la jeune et sa famille à Nole (fuient les Barbares).

Entre fin 408 et 413-415: Il devient évêque (Thérèse est morte peu avant ou peu après).

410: Prise de Rome; mort de Pammachius.

419: Invité à un Concile par l'Impératrice

22 juin 431: il meurt.

 

Chronologie de l'oeuvre de Paulin, selon Fabre

 

Avant 389 I, II, III.

389 VI, VII, VIII, IX

390-2 35, 36

393 X; 9 et 10 (393-394).

394 XI

395 XII; 1, 2; 4, 3

396 13 (hiver 395-6); XIII; 6 (printemps), 5 (fin été).

397 XIV; 7, 8 (fin 396 ou début 397); 1l (printemps), 12

398 XV; 17, 18 (fin été).

399 XVI, 14, 15; 22 (fin été); 38 (ou en 400).

400 XVIII; XVII, XXII, XXIV et XXIX (printemps); 25, 44 (ou 401); 25, 16 (400-2).

400+    26

401 XXIII, XXII (401-3); 21, 19, 20 (printemps); 27 (401-2); 4O et 41 (400-408);

401-402 27, 30, 25 bis, 39

402 XXVI;

403 XXVII; 31; 33et 34 (postérieures à 402); 25 (avant 408); 37 (fin 403 ou début 404); XXX (401-3); XXXV

404 32, XXVIII; 28 (402-404 fin été).

405 XIX

406 XX; 43 (été); 46 (406-407).

407 XXI

408 XXIX (ou 409); 45 (printemps), 47

409 49 (pas avant août 408).

413-415 50

423-426 51

Selon Fabre, les poèmes 4, 5, 32, 33, 36, et la Passio s. Genesii, ne sont pas de Paulin

Lettre 42 indatable, lettre 48 après 404, poème XXXI entre 393 et 408.

 

INTRODUCTION

 

Saint Paulin de Nole, sénateur de grande famille bordelaise, puis moine et évêque dans un bourg de Campanie, ne s’intéresse pas beaucoup aux réalités de la vie quotidienne. Dans ses lettres, encore plus que dans ses poèmes, on ne trouve guère que des considérations édifiantes, fort belles sans doute, mais qui pourraient avoir été écrites à n’importe quelle époque. Pourtant ces oeuvres, bien que peu étendues (51 lettres et 36 poèmes), recèlent une quantité de détails du plus haut intérêt, pour ce qu’ils nous révèlent de la société de cette époque, et de l’auteur lui-même. Parfois ce n’est qu’un mot, caché dans un coin de phrase. Parfois ce sont des anecdotes, qui peuvent être fort longues et sont souvent racontées avec beaucoup d’humour.

Paulin a traversé bien des pays et des années, connu bien des milieux, des situations, et des expériences de toute sorte. La première partie de sa vie s’est écoulée dans la riche noblesse littéraire d’Aquitaine, la deuxième dans la pauvreté et la solitude du monastère de Nole, au milieu de chrétiens et de paysans, avec parfois la visite de pèlerins ou de messagers. Il est donc un témoin de valeur certaine, pour les différents aspects de la société de cette époque, encore que les oeuvres de la première partie de sa vie soient perdues presque entièrement. Il nous donne donc peu de renseignements sur certains sujets, et spécialement sur la vie des Romains moyens: il connaît surtout les extrêmes.

Il ne faudrait pas croire pourtant que dans sa retraite de Nole, il vive entièrement hors du monde: son abondante correspondance (dont nous ne possédons qu’une partie) l’aide à garder des contacts et des échanges continuels avec des gens vivant aux quatre coins du monde romain, et Nole elle-même est un terrain d’observation passionnant. Mais ce qu’il observe ne l’intéresse pas tant en soi, que par l’enseignement qu’il en tire. Chaque détail est matière à méditation pour lui. Même quand il raconte pour le seul plaisir de raconter, même quand l’écrivain ressort sous l’ascète, il est toujours avant tout, au-delà de toute littérature, un chrétien, et c’est à travers Dieu uniquement qu’il regarde chaque parcelle de sa vie.

Nous allons passer en revue les détails qu’il nous donne, en examinant la vie quotidienne successivement sous l’angle matériel, puis social et enfin religieux.

 

 

PREMIÈRE PARTIE: LA VIE MATÉRIELLE

 

CHAPITRE I: LE LOGEMENT

 

Après avoir parlé des maisons pauvres et riches, nous dirons quelques mots de la construction en général, et enfin de l’éclairage. Paulin utilise différents termes pour désigner les maisons pauvres.

La demeure des paysans est une cabane (tugurium) (1), tigillum (2), casa (3), gurgustium (4), mapalia (5) en bois comme l’indique le terme tigillum (qui vient de tignum, poutre), et aussi la vraisemblance: les pauvres utilisent le matériau le plus économique possible qui est aussi celui qui protège le moins bien du froid. Paulin cite un paysan "tegmine aprico algidus" (6). Ailleurs il parle nommément d’une cabane de bois: "de ligno texta tigilla" (7). Une autre est couverte en chaume: "culmea tecti culmina" (8). Non seulement ces maisons ne protègent pas des intempéries, mais elles ne sont guère solides. Les deux huttes de bois, que nous venons de voir, étaient situées juste devant la basilique saint-Félix qu’elles enlaidissaient, mais leurs propriétaires refusaient énergiquement de déménager, attachés qu’ils étaient à leur infâme cahute (sua gurgustia). Or voici qu’un incendie miraculeux détruit l’une de ces cahutes, qui brûle facilement puisqu’elle est en bois, et d’autant plus facilement que "putria ligna vetusti culminis" (9), le bois de cette vieille cabane est pourri et elle s’effondre. Quant à l’autre cabane, le propriétaire dans sa fureur la détruit, ainsi il est puni de son obstination et Paulin très heureux pour l’esthétique de ses constructions (10).

Voilà donc les misérables demeures des paysans, dont Paulin sans doute exagère un peu la misère, quoique d’après un autre texte on puisse se demander si les conditions de vie n’étaient pas parfois encore pires: "illam tectisque cibisque miscuerant" (11), "elle partageait leur toit et leur nourriture". Il s’agit d’une vache... Il est vrai qu’elle est présentée comme jouissant d’une mesure de faveur par rapport au reste du troupeau, mais tout de même!

(1) 29, 13 (260, 6) et XXVIII, 67 (664, 67). Tugurium vient de tegere.

(2) XXVIII, 63 (664, 63).

(3) X, 245 (458, 245).

(4) XXVIII, 156 (666-156). Terme péjoratif qui signifie aussi gargote.

(6) XVIII, 231-232 (495, 23l): dans sa maison exposée au soleil, il gèle.

(7) XXVIII, 63 (664, 63).

(8) XVIII, 387-388 (499, 387).

(9) XXVIII, 82-83 (664, 82).

(10) XXVIII, 154-166 (666, 154).

(11) XX, 403-404 (566-403).

 

Les bestiaux ordinaires logent dans des étab1es, praesepia (1). Mais on sait que la cohabitation des hommes et des animaux existe encore de nos jours dans de nombreux pays. Autre inconvénient des cabanes de paysans: elles sont noircies par la fumée (nigrantes casas) (2), du moins chez les habitants de la Bigorre que Paulin présente comme des modèles de sauvagerie. Leurs toits sont aussi de chaume, texta mapalia culmo" (2).

Du reste, Paulin lui-même habite un tugurium (3), ce terme désignant seulement ici la petitesse et la simplicité des locaux : l’étage ajouté pour lui et sa communauté à l’hospice qu’il a construit pour le pèlerins pauvres. Le jour où l’illustre ascète Mélanie lui rend visite, il est bien embarrassé pour loger dans cette minuscule demeure la suite nombreuse et brillante qui l'accompagne (4), Les "angustae cellae" (5) sont "pour ainsi dire dilatées" par cette troupe de gens (6). Certainement Paulin exagère un peu la petitesse des lieux.

Le vieux prêtre Basile vit dans un "exiguum domicilium" (7) qui lui est volé par un riche et qu’il est tout heureux de récupérer grâce à l’intervention de Paulin, car sa pauvreté ne lui aurait pas permis d’en trouver un autre.

A l’opposé, les riches vivent dans de splendides et immenses palais. Paulin en quittant le monde a renoncé aux "veterum praecelsa domorum Culmina" (8) et aux "mira habitacula" (9), les luxueuses villas où il passait les vacances. Entre sa conversion et son départ pour Nole, Paulin passe quelques années de retraite dans ses propriétés d’Espagne, répondant à Ausone qui l’accuse de s’enterrer dans un trou désertique et sinistre: "Diversa colo, ut colui, loca juncta superbis Urbibus, et laetis hominum celeberrima cultis "(10).

(1) LVIII, 336 (498, 336).

(2) X, 245 (4 245) des huttes enfumées et des chaumières

(3) 29, 13 (260, 6): tugurium nostrum

(4) 29, 13 260, 6sqq).

(5) XXI, 483 (590 483).

(6) 29, 13 (260, 8: quasi dilatatum

(7) 14, 4 (110, 4).

(8) XXI, 482-483 (590, 482): les faîtes élevés des demeures anciennes

(9) X, 244 (458, 244): habitations magnifiques

(10) X, 216-217: J'y possède comme toujours plusieurs résidences proches de villes magnifiques, dans des pays riants, peuplés et cultivés par les hommes (Pietri).

 

Peu après il distribue tous ces biens aux pauvres. Sévère, qui a aussi quitté le monde, continue néanmoins à vivre dans une villa qu’il a gardée à Primuliac, mais sans aucun luxe: "Non tricliniis tua tecta occupas, neque supellectilis aut pecuniae molibus stipas" (1). Les termes occupare et stipare, assez péjoratifs ici, indiquent que Paulin considère tous ces accessoires comme superflus, et même nuisibles.

Les détails chez lui sont souvent utilisés comme symboles. En creusant les fondations d’une maison, dit Paulin, on trouve "aut nodamenta truncorum, aut residua ruinarum, aut pleraque noxii generis animalia" (2), voulant signifier par là les tendances mauvaises enracinées, qui se réveillent lors d’une conversion.

Il nous montre ailleurs un aqueduc "quem longa vetustas Ruperat" (3) et que des volontaires du bourg d’Abella, près de Nole, vont reconstruire.

Autres ruines: la maison où Félix poursuivi par la police impériale se réfugie. Comme il n’est protégé que par "semiruti paries malefidus fragmine muri" (4) et que cette maison en ruines ne possède ni porte (foribus nullis, v. 93), ni serrure (nullius obice claustri, v. 91), il serait rapidement pris si une araignée ne tissait aussitôt une épaisse toile. Celui qui se fie à Dieu, conclut Paulin, une toile d'araignée le protège autant qu’un mur, sinon, le mur lui-même est fragile comme une toile d’araignée (5).

Paulin lui-même effectue des constructions: il refait la route qui mène au tombeau de Félix, et construit à côté un hospice pour les pauvres, au temps de sa magistrature en Campanie (6).

A l’emplacement de la basilique qu’il bâtit de 400 à 402, "pars spatii brevis hortus erat, pars ruderis agger Quem collata manus, populo curante, removit" (7). Et Paulin se félicite que le marbre ait remplacé les "vils choux" et les ordures. Ses travaux se complètent par l’église qu’il fait édifier à Fondi vers la même époque, parce que l’ancienne était "ruinosam et parvam" (8).

 

(1) 24, 3 (204, 8 sqq): Tu n’occupes pas ta maison par des salles de festins et tu n’y entasses pas des masses de vaisselle et d’argent.

(2) 24, 20 (219, 21): Des entrelacs de troncs d’arbres, des restes de ruines, toutes sortes de bêtes nuisibles.

(3) XXI, 719-720 (600, 719): Détruit par une longue vieillesse.

(4) IVI, 94 (479, 94): la paroi peu sûre d’un mur à demi écroulé, en morceaux.

(5) XVI, 100-102 (479-100).

(6) XXI, 382-386 (587, 382).

(7) XXVIII, 270-271 (669) Une partie de l’espace était un petit jardin, le reste un tas d’ordures amassées par la main du peuple.

(8) XXII, 17; (291-17): presque en ruine et trop petite.

Il est souvent question de lampes dans les oeuvres de Paulin, surtout dans les poèmes. La lucerna ou lychnus est une lampe à huile que l’on suspend au plafond. Citons un texte où Paulin décrit dans tous les détails le fonctionnement de la lampe: "in medio tecti cameram inter humumque Nutabat solitus lychnum suspendere funis, Innectens trijugum supremo stamine ferrum, Quo vitrae inseritur penetrabilis ansa lucernae, Auritusque calix tribus undique figitur uncis. Funditus albet aqua, super undam flavet olivo (...). Mergitur in medio plumbum tripes, et cavus illo Exstat apex uncti stipatus fomite lini. Stuppa madens liquidum tenui face concipit ignem, Et circumfusum spatio stagnantis olivi, In vitreis exile vadis funale coruscat, Et tremulo vibrans a vertice lumen acutum. Leniter umbrosam jacit in penetralia lucem. Et placido densas aperit splendore tenebras" (1). Ce texte très intéressant donne un détail qu’on ne trouve pas ailleurs: l’eau qui soutient l’huile dans la lampe et le petit trépied plongé dedans qui porte la mèche à la surface. Certaines lampes étaient posées dans des niches ou sur des socles, "les lampes destinées à être suspendues étaient munies soit d’anneaux, soit, quand elles étaient en bronze, de tiges recourbées, ornées souvent avec beaucoup de soin" (2). On peut ainsi l’enlever du câble (funis) le soir quand on l’éteint, et la raccrocher le matin. Malheureusement, celui qui s’occupe de ce travail néglige parfois de le faire comme il faut: "Puer, exstincto abstulerat qui lumine lychnum Quem deponendo funem laxarat, eumdem Neglexit solito adductum restringere nodo" (3). Voilà pourquoi il peut être périlleux de marcher dans une maison la nuit (ou une église, comme ici), et voilà comment Théridius reçut dans l’oeil le crochet du câble qui se balançait trop bas, blessure dont saint Félix, heureusement, le guérit rapidement (4).

(1) XXIII, 124-129, 140-147 (610, 124): Au milieu de la pièce, entre le plafond et le sol, oscillait un câble, où était habituellement suspendue la lampe, liant ensemble à l’extrémité du fil un triple fer, où s’insère l’anse percée de la lampe de verre, et où la coupe dorée est fixée de partout par trois crochets. Au fond elle est blanche d’eau, au-dessus de l’eau elle est jaune d’huile. (...). Un trépied de plomb est plongé au milieu, et une pointe creuse s’en élève, entourée d’aliments de la mèche ointe. L’étoupe imprégnée prend feu comme une petite torche, et agite dans le fond du verre la ficelle mince, répandue autour de l’huile stagnante. Vibrant dans un tourbillon tremblant, une lumière vive jette doucement une lueur ombreuse dans le sanctuaire, et ouvre les ténèbres denses par un rayonnement paisible.

(2) Daremberg-Saglio, article Lucerna.

(3) XXIII, 151-153: le serviteur qui avait éteint la lumière et emporté la lampe qu’il avait détachée en abaissant le câble, négligea de le remonter par le noeud habituel. (611, 151).

(4) XXIII, 160-200 (611, 160).

 

Autres désagréments: la lampe qui fume (fumigans linum) (1), la lampe qui s’éteint faute d’huile, spécialement quand elle doit brûler toute la nuit dans un sanctuaire: "id quoque noverat idem Saepe solere mori, cum stuppa perarida longam Conderet in noctem consumto lumen olivo, Nec miraturum vigilem" (2). On trouve aussi la description d’une lampe en forme de croix, avec trois lumières dans des cantharuli ou scyphuli (3), et que 1'on allume en s’aidant d’une échelle ("machinulam gradibus scalas praebere paratis") (4), ainsi que la description de lustres: "Medio in spatio fixi laquearibus altis Pendebant per ahena cavi retinacula lychni, Qui specie arborea lentis quasi vitea virgis Brachia jactantes, summoque cacumine rami Vitreolos gestant tamquam sua poma caliclos, Et quasi vernantes accenso lumine florent" (5).

L’éclairage se fait aussi au moyen de torches, fax (6).

(1) 5, 7 (29, 26). Linum est une mèche de lin. Il y a aussi stuppa,, mèche d'étoupe (l'étoupe est faite avec le lin). La "mèche fumeuse » dont il est ici question désigne Paulin lui-même, à cause de son manque de lumières spirituelles.

(2) XIX, 469-472 (539, 469): Il savait aussi qu’elle mourait souvent quand la mèche complètement sèche avait donné de la lumière pendant une longue nuit et consumé l’huile, et que le veilleur ne s’en étonnerait pas.

(3) XIX, 462 et 463 (538): coupelles.

(4) XIX, 458 (538): une petite machine offre des échelons

(5) XIX, 412-417 (535, 412): Au milieu de l’espace, fixées aux hauts plafonds, étaient attachées par des câbles de bronze des lampes creuses en forme d’arbres, jetant leurs bras comme des branches souples de vigne, et au sommet de la pointe les rameaux portent leurs fruits, des coupelles de verre, et fleurissent comme au printemps, quand la lumière est allumée.

(6) XVII, 174 (487, 174); et ailleurs.

 

CHAPITRE II: LA NOURRITURE

 

Dans ce domaine nous n’avons pas beaucoup de renseignements non plus. L’idéal du père de famille et du chrétien, c’est "tenuis victus" (1) et "epulae inemptae" (2).

A un extrême on trouve les folles prodigalités des riches: "istis pretiosior fuisse arguitur unius diei mensa, quam totius sui temporis vita" (3). Paulin nous les montre en un tableau sans pitié, "mane ebrii", "hesterno inflati vino » et "de crapula libidinis dementer instabiles" (4). Il leur donne sévèrement en exemple les moines qui jeûnent.

Les pèlerinages sont pour les paysans (dont le christianisme n’est qu’un vernis) l’occasion de grandes beuveries (5), coutume païenne qui consterne Paulin, et dont il les détourne par une pieuse ruse: il fait peindre dans la basilique des scènes bibliques pour les distraire. Il se méfie du vin "malesuadus" et "vesanus" (6).

Cardamas, messager de Sévère, qui aime la bonne chère et le bon vin, se soumet pourtant d’assez bonne grâce au régime de Carême, et devient sobre, quitte à recommencer après (7).

Le vin se vend au détail dans les tavernes, "divendant vina tabernis" (8). Malgré ses critiques, Paulin boit pourtant un peu de vin puisqu’il demande à Sévère de bien vouloir lui faire envoyer "vinum vetus, quod Narbone adhuc nos habere credimus" (9). Mais cette lettre date du début de son séjour à Nole, et peut-être par la suite Paulin devint-il plus austère, ou bien il en boit très peu.

De toute façon, Paulin et sa communauté ont un régime tout à fait ascétique: un repas par jour, qui pendant le Carême n’a lieu que le soir (10). Et ce repas ne vaut guère mieux qu’un jeûne.

 

(1) V, 66 (441, 66): une nourriture frugale.

(2) IV, 15 (440, 15): des repas que l’on n’achète pas (produits par le domaine). Il y a quelque chose de paysan, de catonien, dans cet idéal d’autarcie. Les poèmes IV et V sont antérieurs à la conversion de Paulin. D’ailleurs, Fabre attribue le IV à Paulin de Pella, et le V à Ausone.

(3) 13, 17 (98, 6): ces gens-1à dépensent plus pour leur nourriture d’un seul jour que ce qui leur suffirait à subsister toute leur vie.

(4) 22, 2 (156, 5 sqq): ivres dès le matin; gonflés du vin de la veille; titubants à cause de leurs folles orgies.

(5) XXVIII 558-595 (661): (10) 15, 4 (113).

(6) VI, 67-69 (443, 67): qui donne de mauvais conseils, qui rend fou

(7) 15, 4 (113).

(8) XXVII, 571 (661): qu’on vende le vin au détail dans les tavernes.

(9) 5, 22 (39, 13): du vin vieux que je crois avoir encore à Narbonne.

 

C’est Victor, messager de Sulpice Sévère, qui apprend à Paulin des recettes de cuisine ascétique, peut-être en usage à l’armée, où il avait servi.

Il s’agit de bouillies (pultes) de diverses farines: milium le millet; panicium le panic, sorte de millet; faba, farine de fève; farina, farine qui n’est certainement pas de la meilleure qualité puisque Paulin l’oppose à siligo, fleur de farine, que Victor n’utilise pas (1). Il fait cuire ces bouillies avec "gutta olei et aquae copia" (2), et pour tout assaisonnement "eas tanto gratiae sale, tanta dulcedine caritatis condiebat" (3). Heureusement il y met tout de même "condimentum salutis" (4), des herbes (ou bien est-ce au sens figuré?) grâce auxquelles "cellulae nostrae spatium olida caligine vaporavit" (5).

Paulin déclare néanmoins que le résultat de cette cuisine est parfaitement détestable, mais nourrissant, économique, et favorable à la piété, "quo citius senatorium fastidium poneremus" (6): il a sans doute un peu de mal à vaincre la délicatesse de son goût. En tout cas, iI ne tarit pas d’éloges sur Victor, qui en plus est très habile: la farine, "quae vix ante sufficiebat panibus, nunc abundet et pultibus" (7). Paulin nous décrit 1a joie d’un vieux paysan édenté à qui ce menu convient parfaitement (8). La base de la nourriture populaire (car Paulin tend à se rapprocher le plus possible de la vie de la masse du peuple) se compose donc de bouillies à l’eau et de pain, que l’on fait soi-même, comme nous venons de voir (9). Du reste, le pain a gardé ce rôle presque jusqu’à notre époque, et la bouillie aussi dans certaine régions (les gaudes, la polenta: bouillies de maïs). La bouillie est la nourriture des Romains depuis toujours, aussi bien en 400 après J.-C. qu’en 400 avant. En Campanie on fait du pain blanc de siligo, fleur de farine; Paulin en envoie comme eulogie (pain bénit) à un de ses correspondants (10).

(1) 23, 6 et 7 (163).

(2) 23, 6 (162): une goutte d’huile et une quantité d’eau.

(3) 23, 6 (162, 24) 1 il les assaisonnait avec le sel de son humeur si agréable et la douceur de sa si grande charité.

(4) 23, 7 (163, 10): des herbes salutaires.

(5) 23, 7 (164, 6-7): Notre cellule s’est remplie d’une bonne odeur.

(6) 23, b (163, 4): Pour que je dépose plus vite mon dégoût de sénateur.

(7) 23, 8 (166, 15): La farine qui auparavant suffisait à peine pour le pain, maintenant abonde aussi pour la bouillie.

(8) 23, 9 (19 sqq).

(9) voir aussi XVI, 162-163 (480, 162). (10) 5, 21 (38).

 

Il était peut-être fait d’une manière spéciale (quelque chose comme des biscottes) ou alors il devait arriver complètement sec au bout du voyage. Même remarque pour l’histoire du naufragé qui erre sur la mer pendant des jours puis offre du pain à ses sauveteurs (1).

Les bestiaux sont quelquefois mieux traités que les humains : Paulin cite un paysan qui prive sa famille de froment pour pouvoir en nourrir ses chers boeufs (2).

Les légumes sont aussi une partie importante de l’alimentation. On trouve quelques allusions au chou (brassicum (3) ou caulis (4) ), et à la bette (beta) (5), cités comme peu intéressants, et tout à fait insipides sans sel, comme les mangent "les pauvres et les avares" (6). Ce n’est donc pas par masochisme ni pour garder la ligne que Victor ne sale pas ses bouillies: le sel est un luxe.

On trouve aussi quelques allusions à d’autres aliments: le miel (7), la moutarde (sinapi) (8), l’amande (nux) (9), le jus de raisin (10), le poisson pêché à la ligne (11), et quelques autres; ainsi qu’à la coutume des apophoreta (12), friandises ou cadeaux que l’on donne aux convives à la fin des repas (et aussi par extension au public lors des jeux).

Au temps de sa vie mondaine, Paulin envoie à son ami Gestidius, autre riche propriétaire qui vit dans une villa au bord de la mer, une fois seize huîtres (13) et une autre fois des becs-figues (14), oiseaux capturés et engraissés.

(1) (396, 20 sqq).

(2) XVIII, 232-233 (495-496).

(3) 278 (669).

(4) 39, 4 (337, 13).

(5) id.

(6) Id.

(7) XXVII, 426 (623, 426).

(8) (6, 23).

(9) XXIII, 2 83-283 (654-282).

(10) XV, 294-298 (475, 294).

(11) XIX, 393-394 (534, 393).

(12) 5, 2l (39, 4).

(13) poème II

(14) poème I

 

Il n’est pas question de viande dans les descriptions des menus de Paulin. Chez le peuple elle n’apparaît qu’aux grandes occasions, notamment au pèlerinage de saint Félix où les paysans sacrifient un animal engraissé pour la circonstance (un cochon ou une vache), le font cuire et le distribuent aux pauvres, sauf quand ils sont avares et font comme cet homme qui donne aux mendiants la tête et les entrailles du cochon, et garde le reste pour lui (1). On peut supposer qu’ils en gardaient tout de même un peu pour eux, en règle générale. Un autre paysan engraisse tellement son cochon que le malheureux animal ne peut plus marcher tant il est lourd (2). Faut-il citer pour finir l'histoire de ce fou qui mangeait des poules crues avec les plumes? (3) Ce récit nous apprend du moins que les paysans de Campanie élevaient des volailles.

La vaisselle ordinaire est en bois ou en terre. Paulin envoie à Sévère une scutellam buxeam (4): "A la façon dont il la présente il semble que cette vaisselle dont il apprécie l’austérité soit d’usage courant dans le pays. Mais au fond, Paulin préfère la vaisselle de terre, pour des raisons mystiques » (5).

Or dans le même texte Paulin demande à Sévère de lui envoyer "nigellatum… per ea vascula quae pueris tuis... demandavimus. Amamus enim vasa fictilia" (6) : ces vasa fictilia sont-ils les vascula en question, auquel cas nigellatum serait de l’huile de nielle, comme le pensent plusieurs auteurs (nous savons de plus que Paulin se faisait faire des massages à l’huile)? Ou bien les vasa fictilia que Paulin aime sont-ils le nigellatum lui-même, qui serait ainsi une porcelaine à dessins noirs? Les deux opinions se défendent et le contexte ne permet pas de décider.

La marmite où Victor fait cuire la bouillie s’appelle olla (7). Paulin emploie aussi dans le même texte le mot testa qui représente sans doute un autre récipient puisqu’ il y a deux termes (quelque chose comme une soupière ou un plat, qui ne va pas sur le feu?). De toute façon, ces deux mots n’ont rien que de très classique, de même que les plats (catina) évasés (patula) (8) c’est-à-dire des assiettes, que le pèlerin qui sacrifie son cochon et le donne aux mendiants utilise pour la distribution, après avoir fait cuire la bête dans un chaudron d’airain (ahenum) (9).

La vaisselle des riches, supellex (10), est selon le contexte et la vraisemblance, abondante et précieuse.

(1) XX, 76-80 (554, 76).

(2) XX, 321-324 (563, 321).

(3) XXVI, 308-317 (645, 308).

(4) 5, 21 (39, 3-4): une écuelle de buis.

(5) Fabre, Paulin de Nole et l’amitié chrétienne, page 41, note.

(6) 5, 21 (39, 5-6-7): dans les mêmes récipients que nous avons confiés à tes serviteurs. Car nous aimons les vases d’argile.

(7) 23, 7 (164, 13).

(8) XX 202 (558).

(9) XX, 201 (558).

(10) 24, 3 (204, 9) cf note 1, page 6.

 

CHAPITRE III: LE VÊTEMENT

 

Nous avons un peu plus de détails sur ce sujet, assez pour nous représenter en gros l'habillement des hommes de cette époque. En particulier Paulin dans l' épitalame de Julien et Ia (poème XXV) ne cesse de dire: "vous ne devez pas vous habiller comme ceci et comme cela", si bien qu'il nous donne quantité de renseignements intéressants.

Tout le monde porte la tunique, qui varie suivant le sexe et la condition sociale. C'est un vêtement long, que l'on retrousse avec une ceinture (zona) (1). Voici la description d'une tunique d'homme: "Tunica qua restricta nodarat amictum suspendens fluidam poplite vestem" (2) Les plis ainsi formés servent de poches : « Vestis in altum Succinctae sinibus clausum mandaverat aurum » (3). L’inconvénient c’est que ces poches se défont dès qu'on enlève la ceinture. L'homme en question est un voleur, que l'on capture : « Captus mutavit cingula vinclis Utque aurum sinibus discincta veste solutus Decidit » (4).

Depuis longtemps à cette époque la toge n'est plus qu’un vêtement d'apparat pour les sénateurs. Paulin la mentionne deux fois à propos de Valerius Publicola, sénateur de très antique noblesse (5) et à propos des parents et amis de l'ascète Mélanie, mère de Valerius Publicola (6).

Un autre vêtement, très répandu par contre et aux dépens de la toge, est le manteau à capuchon (cuculla) (7), d'origine gauloise. Dans le récit du naufrage de Martinien, nous voyons un moine de la communauté de Rome faire cadeau au malheureux naufragé qui gèle dans ses haillons d'une tunique et d'une cuculle, dont il est très content (8).

Le pallium, manteau d'origine grecque, est très utilisé aussi, et il demeurera comme on sait un vêtement religieux ainsi que la cuculle. Deux fois Sévère envoie à Paulin des pallia (9).

(1) 5, 18 (37, 5).

(2) XIX, 575-576: Le nœud avait resserré la tunique en laissant pendre le vêtement fluide au dessus du jarret.

(3) XIX, 569-570. Il avait enfermé l'or dans les plis de son vêtement retroussé vers le haut.

(4) XIX, 589-591. On prend sa ceinture pour le ligoter, de sorte que l'or  tombe des plis défaits de son vêtement dénoué.

(5) 45, 2.

(6) 29, 12 (259, 23-24). Illi sericati, et pro suo quisque sexu toga aut stola soliti splendere filii (Ces enfants vêtus de soie, et habituellement d’une toge ou d’une robe resplendissantes, selon leur sexe).

(7) XXIV, 390.

(8) XXIV, 387-392.

(9) 23, 3 (160, 23).

 

Quant aux autres vêtements, voici comment Paulin décrit les moines: "Nec chlamyde curtalini, sed sagulis palliati » (1), le sagulum étant un manteau de drap grossier et la chlamyde un court manteau militaire.

Autres pièces du vêtement militaire: le balteus (2) (baudrier), l'armilausa (3) casaque rouge (4) qui couvre la poitrine et les épaules, et que Paulin n'apprécie pas plus que les caligae, godillots cloutés du soldat. Les souliers ordinaires sont les calciamenta ou calceamenta que l’on nettoie tous les jours: Paulin a toutes les peines du monde à empêcher le serviable et universel Victor de se charger de ce travail: "quotidie... calceamenta..., si paterer, tergere cupiebat" (5).

Les femmes portent aussi la tunique, avec des différences de détail sans doute, dont Paulin ne parle pas. La tunique de haute couture est la tunique talaire (talaris, qui va jusqu’aux talons) à plis flottants (fluxis sinibus) (et traîne ondulante (crispo syrmate) (7), que Paulin attribue à Hérodiade et interdit à la chrétienne. Ces robes élégantes sont en soie (8), "ostro rutilas auroque crepantes" (9). Les dames nobles portent la stola (10), et Mélanie une mantille (palliolum) (11).

Ces vêtements sont faits avec toutes sortes de textiles.

La soie comme nous venons de voir, pour les riches, hommes et femmes (12).

Les tissus ordinaires sont en laine filée et tissée (13), qui est si commune, que même la soie s’appelle vellera Serum (14). Paulin nous décrit le travail de la fileuse, qui pèse la laine dans une balance (trutinare de lancibus) et file sa quenouille (nere de calathis) (15).

(1) 22, 2 (155, 13).

(2) id.

(3) 17, 1 (125, 27); 22, 1 (155, 8).

(4) 17, 1 (125, 27): "Facie non minus quam armilausa ruberet": la figure aussi rouge que sa casaque.

(5) 23, 4 (161, 20): Tous les jours il voulait nettoyer mes souliers, si je l’avais permis.

(6) XXV, 76 (635).

(7) XXV, 127 (636).

(8) XXV, 51 (634) et 74 (635).

(9) XXVI, 75 (635, 75): Rutilantes de pourpre et cliquetantes d’or.

(10) 9, 12 (259, 24): voir page 13 note 6.

(11) 29, 12 (260, 1); voir page 13 note 6.

(12) 29, 12 (260, 23).

(13) XXV, 106.

 

Mélanie fait cadeau d’une tunique en laine d’agneau à Paulin, qui à son tour l'offre à son ami Sévère, après l’avoir mise quelque temps pour l’assouplir: "Misimus tunicam quam ab usu meo (...). De tenero agnorum vellere contexta blanditur attactibus... Fateor tamen ausum me ut eam, quamvis illico ut acceperam tibi destinatam, meo tamen vestitu initiando praeterirem" (1). Cela pour le remercier de lui avoir envoyée des manteaux en poil de chameau "pallia camelorum pilis texta" (2), dont notre ascète apprécie beaucoup l’inconfort qui le porte à la piété, "dum asperitate setarum compungimur" (3). Dans le même genre voici la tunique en poil de chèvre, que Paulin appelle aussi saccus (4) un sac, ou cilicium (5), un cilice, et qui a les mêmes vertus que le poil de chameau. C’est ainsi que sont vêtus les moines de Sévère (horrentibus ciliciis humiles) (6) : Paulin apprécie beaucoup ce costume. C’est Mélanie qui lui inculque le goût de ces vêtements peu agréables, mais destinés à l’origine aux pauvres et aux marins par leur solidité et leur prix modique.

Autres vêtements d’origine animale: les peaux de bêtes des habitants de la Bigorre, que Paulin cite comme particulièrement peu civilisés (7). De même le pilote Valgius est habillé à la mode sarde, "pellibus sutis vestiebatur" (8). Quant au fameux messager Victor, il arrive un jour vêtu d’une peau de mouton (ovis pelle) (9), ce qui fait dire à Paulin qu’ainsi Victor ressemble encore plus à un mouton, comparaison appelée par la douceur de son caractère. Enfin, pour conclure sur ce sujet, ce genre de costume n’a rien de déshonorant, puisque nos premiers parents étaient vêtus de peaux de moutons! (10).

On trouve mentionnés deux textiles végétaux: la sparte (spartum), espèce de jonc, dont Mélanie utilise la fibre (elle porte une "spartei staminis tunicam") (11). Paulin n’a pas assez de superlatifs, dans ce passage, pour exprimer combien ces vêtements ont peu de valeur (12). Quant au lin, il en a beaucoup comme chacun sait, et "fila byssi fortiora et sparteis Feruntur esse funibus" (l3).Ce byssus est un lin qui sert à faire les vêtements fins (c’est à peu près la batiste).

(1) 29, 5 (251, 7): Je t’envoie une tunique que j’ai mise. Elle est en laine douce d’agneau et agréable au toucher. J’avoue que j’ai osé, bien que je te l’aie destinée dès que je l’ai reçue, l’assouplir en la mettant d’abord.

(2) 29, 1 (247, 16): des manteaux tissés en poil de chameau.

(3) 29, 1 (247, 17-18): quand la dureté des poils me pique.

(4) XXXV, 451 (685).         

(5) 22, 2 (155, 12).

(6) id.: ils se vêtent humblement de cilices hérissés.

(7) X, 246 (458): pelliti Bigerri.

(8) 49, 12 (400, 9): il était vêtu de peaux cousues.

(9) 23, 3 (160, 13).

(10) XXV, 105 (635).

(11) 29, 12 (259, 24-260, 1): tunique en fibre de sparte.

(12) pannis veteribus (vieux haillons); vilissimo habitu (habit sans aucune valeur).

(13) XXIV, 789-790 (630, 789): les fils de byssus sont encore plus solides, dit-on, que les fibres de sparte.

 

Le lin est utilisé aussi pour les tentures précieuses, "vela puro splendida lino" (1).

Quant aux couleurs des vêtements, Paulin est presque muet là-dessus. Il cite seulement les haillons noirs de Mélanie (pannis veteribus et nigris) (2), et la pourpre pour blâmer son usage: "nolo mihi Tyrio modo serica murice vestis ardeat" (3). Il veut que Ia, la jeune mariée du poème XXV, horreat inclusas auro vel murice vestes" (4). Il parle tout de même des entreprises de teinture de Canusium en Apulie (5). Mais tout cela nous renseigne peu, car la pourpre a toujours été le symbole de la richesse et du pouvoir, et il n’est pas un moraliste qui ne la blâme. Entre ces deux extrêmes, l’Italien moyen s’habille de n’importe quelle couleur, puisque "ecce vias vario plebs discolor agmine pingit" (6). Il s’agit des rues de Nole un jour de pèlerinage.

Envisageons pour finir les manières spéciales de s’habiller:

certains, comme Martinien, perdent leurs vêtements dans un naufrage, ou du moins une partie, mais ce qui reste ne vaut guère mieux. Il est qualifié de nudus (7), mais un peu plus loin il est question de ses haillons. Les moines de la communauté de Marseille, plus riches de prières que de biens matériels, ne peuvent lui donner qu’une paire de souliers (caligis vilibus donatus est), et ainsi, "panno ergo sordens, calceamento nitens" (9), il continue son voyage et reprend le bateau, "ut, nave tectus, velut expeditus navita, De nuditatis nauticae consortio Nudi pudorem evaderet" (10). Ce n’est qu’à Rome que Martinien, comme nous avons vu, trouve de quoi s’habiller.

(1) XVIII, 31 (491, 31): Rideaux de lin pur resplendissants.

(2) 29, 12 (259, 13).

(3) XXXV, 463-464 (686, 463): Je ne veux pas pour moi d’un vêtement de soie qui resplendisse de pourpre à la mode tyrienne.

(4) XXV, 43 (634, 43): qu’elle ait horreur des vêtements incrustés d’or ou teints de pourpre.

(5) XVIII, 23-24 (491, 23).

(6) XIII, 24 (464, 24): voilà qu’un peuple bariolé peint les rues en une armée multicolore.

(7) XXIV, 253 (620, 253).

(8) XXIV, 319 (621): on lui donna de méchants souliers.

(9) XXIV, 34l (621): vêtu de haillons dégoûtants et de souliers reluisants

(10) XXIV, 345-348 (621, 345): pour, protégé par le bateau, comme un marin court vêtu, échapper à la honte d’être nu par la communauté de nudité avec les marins.

 

Paulin accuse les philosophes cyniques d’ingratitude envers Dieu, parce que "nec frigora vestibus arcent" (1).

Les pauvres sont vêtus de pannis, haillons qui font horreur aux riches (2). Mélanie aussi est en haillons vieux et noirs, en "crassam tunicam" (3), avec une corde pour ceinture, costume que Paulin recommande aux moines (4). De plus, elle est pieds nus, puisque la foule qui la suit tâche de prendre en souvenir la poussière de ses pieds (5).

Ce costume sobre a un grand avantage: en voyage on a peu de bagages à porter: "non te virga, non pera, non sacculus praegravabit. Non calciamenta nec duplex vestis impediet, sed lumbis praecinctis nullo aere, gravi zona, viam tuam curres" (6).

Enfin voici l’avis de Paulin sur le genre de vêtements que l’on doit éviter: "neque mollibus vestimentis corpori blandiamur, ne carneos tactus et amplexus illicitos delicatis male palpata tegminibus membra disquatiant" (7).

Sur la coiffure masculine nous ne connaissons guère que les moeurs de Paulin lui-même et de ses moines: ils sont rasés, mode apportée vers 400 par Victor et apprise de saint Martin. L’idéal capillaire pour un moine c’est d’être "casta informitate capillum ad cutem caesi et inaequaliter semitonsi, ei destituta fronte praerasi" (8). Victor a rasé lui-même Paulin (9). Le monachisme étant encore au berceau à cette époque, la tonsure n’est pas encore fixe et partout la même. Dans celle-ci c’est l’avant de la tête qui est rasé, ce qui devait effectivement être informis. Les hommes qui vivent dans le monde sont "improba attonsi capitis fronte criniti" .(10).

(1) XXXVI, 50 (694, 50): ils ne repoussent pas le froid par des vêtements.

(2) XXXV, 499-504 (688, 499).

(3) 29, 12 (259, 13): tunique grossière

(4) 22, 2 (155, 11 sqq).

(5) 9, 12 (260, 4-5).

(6) 5, 18 (37, 2sqq): tu ne seras pas chargé d’un bâton, d’une bourse, d’un sac; tu ne seras pas embarrassé de souliers ni d’une multiplicité d’habits. Mais les reins ceints d’une dure corde, sans aucun argent, tu feras ton voyage en courant.

(7) 41, 2 (357, 9 sq: Ne flattons pas notre corps avec des vêtements moelleux, afin que les membres caressés de façons agréable ne soit pas troublés vers l'illicite.

(8) 22, 2 (155, 14-16): avec une chaste laideur, ils ont les cheveux rasés jusqu’à la peau, la barbe à moitié taillée et inégalement, et le front découvert.

(9) 23, 10 (167, 19).

(10) 22, 2 (155, 14): De longues touffes de cheveux flottent impudemment sur leur front.

Or, "feminis tantum comam apostolica reliquit auctoritas (...) indecorum viro crinem" (1). Les femmes ont en effet des cheveux, et même beaucoup puisqu’elles n’ont pas le droit de les couper (tegimentum capitis et frontis umbraculum, verecundiae decus postulat) (2). Logique masculine : elles sont obligées d’avoir des cheveux et Paulin veut leur interdire de s’en servir pour être belles: "Sint mulieribus nostris comae spiritalium acta virtutum, jejunia, misericordia, orationes" (3). Si elles le faisaient, il n’aurait pas besoin de le leur dire. Il est vrai que certaines exagèrent: elles les décolorent (flavo tincta colore comam) (4), les parfument (odoratis capillis) (5), se livrent sur eux à des exercices d’architecture (implexarum strue tormentoque comarum Turritum aedificata caput) (6). Quant à Hérodiade, Paulin l’imagine  « pone refusa comam" (7). Que faut-il donc en faire, de ces cheveux?

Paulin est aussi sévère pour les bijoux. La femme chrétienne doit "rejeter avec dégoût les colliers rehaussés de gemmes bariolées" (respuat et variis distincta monilia gemmis) (8), « ne pas désirer de pierres précieuses" (non cupiat lapidum pretium) (9), ne pas "se parer de petites pierres multicolores "(variis ornata lapillis) (10), ne pas avoir "le front brillant de gemmes" (fronte micans gemmis) (11). N’oublions pas les broderies d’or des vêtements (12).

Maquillages et parfums sont également interdits: "Non fucis male ficta cutem neque lumina nigro pulvere" (13). Rien de nouveau sous le soleil.

De plus, "neque odoratis vaga vestibus atque capillis, Naribus agnosci qua gradiare velis" (14).

Conclusion: "purum naturae decus aspernata superbo Crimine, divinum in se sibi damnat opus" (1). On croirait entendre Tertullien.

Paulin fait la même recommandation aux hommes (2): il ne faut pas s’occuper du corps mais seulement s’occuper d’embellir son âme.

En vérité, on ne peut pas lui donner tort.

(1) 23, 24 (181, 19): l’apôtre ne permet les cheveux qu’aux femmes. Les cheveux ne siéent pas à un homme.

(2) 23, 24 (17-18): la pudeur réclame que leur tête soit couverte et leur front ombragé.

(3) 23, 24 (182, 6-7): que nos femmes aient comme cheveux les oeuvres des vertus spirituelles, les jeûnes, la miséricorde, les prières.

(4) XXV, 64 (634, 64): les cheveux teints en blond.

(5) XXV, 83 (635, 83): les cheveux parfumés.

(6) XXV, 85-86 (635, 85): elle les entrelace, les amasse, les tord, et bâtit ainsi une tour sur sa tête.

(7) XXV, 128 (636, 128): les cheveux répandus en arrière.

(8) XXV, 45 (634, 45).

(9) XXV, 51 (634, 51).

(10) XXV, 109 (635, 109).

(11) XXV, 128 (636, 128).

(12) XXV, 43 (634, 43).

(13) XXV, 63-64 (634, 63): elle ne doit pas se farder la peau avec du rouge, ni les yeux avec de la poudre noire.

(14) XXV, 83-84 (635, 83): on ne te verra pas traîner par les chemins tes vêtements et tes cheveux parfumés, afin d’être reconnue à l’odorat partout où tu passeras.

(15) XXV, 65-66 (634, 65): méprisant la pure parure de la nature avec un orgueil criminel, elle condamne en elle-même l’oeuvre divine.

(16) XXV, 91-92 (635, 91).

 

CHAPITRE IV: LES VOYAGES

 

Les voyages sont un sujet que nous connaissons assez bien car Paulin en parle souvent.

On se met en route très facilement à cette époque. Ainsi Sévère se rend tous les ans de Primuliac (que l’on pense avoir été situé non loin des Pyrénées, en Bigorre) à Tours, rendre visite à saint Martin, et parfois même deux fois par an: "Gallicanas peregrinationes frequentas, et iteratis saepe intra unam aestatem excursibus Turonos et remotiora visitas" (1). Les pèlerinages sont un motif important de voyage, du moins dans le monde chrétien où vit Paulin. Nous en reparlerons en détail plus loin, mais disons seulement qu’on venait parfois de très loin pour un pèlerinage (celui de Nole attirait des fidèles de toute l’Italie du Sud et même de Rome) (2). Paulin voit même arriver deux fois Nicétas, évêque de Rémésiana en Dacie intérieure, c’est-à-dire en Serbie (3), ce qui représente une distance énorme, que peu de gens affronteraient de nos jours, avec les conditions d’alors. Le motif de ces deux voyages est aussi, bien entendu, de rendre visite à Paulin, et les pèlerinages s’accompagnent de tourisme: Paulin profite de son voyage annuel à Rome à la saints Pierre et Paul pour visiter les tombeaux des martyrs (4). Les gens du monde voyagent de l’une à l’autre de leurs villas. Ausone partage ses vacances entre ses propriétés de Marojolium (Mareuil, près de Bordeaux, station thermale), de Lucanie, ou de la fertile campagne pictave (5).

Paulin lui-même, né à Bordeaux, devient magistrat en Campanie, sénateur à Rome, puis rentre à Bordeaux, passe quelque temps en Espagne, et enfin s’établit à Nole. Théridius lui aussi abandonne sa patrie pour devenir moine: "Cognatae vincula terrae Ut tibi servirem, rupi" (6).

(1) 17, 4 (127, 5-8): Tu fais des pèlerinages en Gaule et tu fais souvent des voyages répétés en un seul été, à Tours et à des lieux encore plus éloignés.

(2) XIV, 55-78 (466, 55).

(3) XXVII (648 sqq) et XVII (483 sqq).

(4) 17, 2 (126, 3-5).

(5) X, 242 (458), 256 (459), 249 (459) dans le Poitou.

(6) XXVIII, 245-246 (668, 245): Les liens de ma terre natale, pour te servir je les ai rompus.

 

Victrice, évêque de Rouen, va évangéliser les Nerviens et les Morins (Nord) (1), soupçonné d’hérésie il est convoqué à Rome et fait le voyage depuis Rouen pour venir se justifier (2).

Dans un dessein plus profane, Hermias, père de saint Félix, émigre de Syrie pour venir s’établir à Nole (3).

Il est enfin une catégorie de voyageurs souvent évoquée par Paulin, dans presque toutes ses lettres et le poème XXIV: les messagers qui lui apportent les lettres et parfois les cadeaux de ses nombreux correspondants, et réciproquement.

L’excellent réseau de routes établi dans tout l’Empire facilite beaucoup les voyages. D’Eluso (Font d’Alzonne en Aquitaine) à Barcelone, on met huit jours à pied, ce que Paulin considère comme peu (4).

Il faut six jours de Rome à Nole, en passant par la voie Appienne, la première étape (stativa) étant Formies (6).

Les routes sont bien entretenues: Paulin au temps de sa magistrature en Campanie refait la route qui mène au tombeau de saint Félix (7).

La plupart es voyageurs vont à pied, notamment les messagers. L’un d’eux, Martinien, fatigué de marcher, rencontre un mulet "vacantem sarcina" (8) qu’il achète à vil prix. Malheureusement, il n’a sans doute pas l’habitude de ce moyen de locomotion, ou bien il n’a pas de chance car peu après "muli pavore sessor excusus procul Vectore subducto cadit "(9) au milieu des pierres et des ronces.

Mélanie arrive chez Paulin montée sur un buricus, qui n’est pas un bourricot mais un petit cheval, d’ailleurs "macer et vilior asellis" (10), c’est-à-dire quelque chose comme une rosse ou un canasson, qu’elle utilise par ascétisme.

(1) 18, 4 (131, 7 sqq).

(2) 37 (316, sqq).

(3) XV, 51-52 (469, 51), 72 (470).

(4) 1, U (10, 1-2).

(5) 29, 12 (258); XXIV, 393-394 (622, 393).

(6) 45, 1 (380, 10).

(7) XXI, 383 (587): muniri sternique viam (muniri indique les travaux de terrassement, sterni le pavage).

(8) XXIV, 405 (623, 409): sans bagages.

(9) XXIV, 409-410 (623, 409): le cavalier du mulet est avec effroi secoué et projeté par sa monture, et tombe au loin.

(10) 29, 12 (259, 5): maigre et plus misérable que le plus misérable des ânes.

 

Les sénateurs de sa suite montent des "phalerati equi" (1). L’un des pèlerins de Nole est aussi à cheval: il sacrifie son cochon, donne les bas-morceaux aux pauvres, met le reste sur son cheval, et y monte lui-même, mais presque aussitôt il tombe de cheval (lapsus equo) (2), punition qu’il reçoit de saint Félix pour son avarice.

Il y a beaucoup de sortes de voitures: la rheda (3), d’origine gauloise, lourd chariot à quatre roues tiré par huit ou dix chevaux, utilisé pour la translation des reliques de saints André et Timothée (4).

Les paysans vont en pèlerinage à Nole en plaustrum, charrette du même genre, lente et aux roues grinçantes (gementes rotas; lenti moliminis agmen) (5), auquel on attelle la vache destinée au sacrifice (plaustro subjunctam quo veherentur) (6). Apparemment cette charrette est plus petite que la rheda, car elle n’est tirée que par deux bêtes de somme (gemino bove) (7), ce que confirme un autre texte où nous voyons un paysan qui gagne sa vie en louant sa paire de boeufs pour le transport des marchandises en plaustra (8).

Autres genres de voitures: la suite de Mélanie est en "carrucis nutantibus, auratis pillentis, et carpentis pluribus, gemente Appia atque fulgente "(9): carruca est un carrosse pour les nobles, à quatre roues, ouvert, orné de clous d’or et d’argent, et tiré de deux ou quatre chevaux. Carpentum est une voiture suspendue à deux roues et capote. Pillentum ou pilentum est une voiture suspendue d’origine espagnole, pour les dames. Ces équipages sont chamarrés d’or, si bien que la voie Appienne est toute resplendissante (fulgente).

(1) 29, 12 (259, 7-8): chevaux parés de phalères, plaques de métal brillant.

(2) XX, 82-83 (554, 82).

(3) XIX, 346 (531).

(4) XII, 336-349 (531, 336): l’un de Grèce et l’autre d’Asie, jusqu’à Constantinople

(5) XL, 424, 425 (567, 424): les roues gémissantes; la marche de la lente masse.

(6) XX, 399 (566): attelée à la charrette qui les transportait.

(7) XX, 420 (566): une paire de boeufs.

(8) XVIII, 222-223 (495, 222).

(9) 29, 12 (259, 7-9): des carrosses qui se balançaient, des calèches dorées, plusieurs cabriolets, qui rendaient la voie Appienne résonnante et resplendissante.

 

Ces voitures sont nécessaires à des nobles qui emportent avec eux des quantités de bagages, tandis qu’un moine légèrement vêtu et sans bagages peut se déplacer à pied: nous avons déjà vu ce texte de la lettre 5 à Sévère, où Paulin reprend le précepte évangélique: N’emportez ni bâton ni besace. (1) Victor, par contre, emporte une fois à Sévère non seulement un paquet de lettres de Paulin, mais en plus la copie des vers et des peintures dont Paulin a orné sa basilique, et celui-ci prévoit que le serviable Victor arrivera "deficiens et curvus" (2) sous un tel fardeau.

Il y a dans les poèmes de Paulin des centaines de vers oiseux et insipides, mais on les lui pardonne volontiers en voyant une perle de ce genre: "Caelum serenis enitebat vultibus, Astris renidebat mare" (3). Ce sont les beautés de la nuit en mer, que Paulin a certainement observées lui-même. Le jour amène d’autres plaisirs, par exemple on regarde folâtrer les dauphins (4), ou bien « si aliquem in littore locum spectabilem videant, non praetervehuntur, sed contractis paululum velis, aut remigio pendente pascunt oculos intuendi mora" (5). Ou encore "navitae laeti solitum celeusma Concinent "(6), et Paulin imagine la voix de Nicétas se mêlant à celles des marins pour chanter des hymnes.

Bien entendu, les voyages par mer ne comportent pas que des plaisirs, il s’en faut de beaucoup. Mais nous nous occupons pour l’instant des conditions normales de la navigation.

La mer est fermée durant toute la mauvaise saison, de fin octobre à mars, à peu près. Paulin raconte l’histoire de l’armateur Secondinien, à la solde de l’Etat, qui reçoit l’ordre en hiver de transporter du blé de Sardaigne à Rome: "Non exspectat tempore soliti commeatus, ante aestivam temperiem onustum navigium vi publica urgente dimisit (7). Il est à peine parti qu’une tempête survient.

(1) page 17, note 6.

(2) 32, 9 (285, 10-11): fatigué et courbé.

(3) XXIV, 105 (b17): le ciel brillait d’un visage serein, la mer rayonnait d’étoiles. voir aussi XXIV, 3.3-36 (615).

(4) 29, 6 (251, 29-252, 1): quand ils voient sur le rivage un site agréable, ils abaissent leurs voiles et cessent de ramer, ils s’arrêtent, et peuvent ainsi contempler le paysage plus longtemps.

(5) XVII, 121-124 (406, 121).

(6) XVII, 109-110 (48: les marins joyeux entonneront leur habituel chant rythmé.

(7) 49, 1 (90, 22-24): sans attendre l‘époque ordinaire du départ, il appareille, avant la saison c1émente d'été, sur l’ordre pressant de l'Etat.

 

Les messagers de Sulpice Sévère doivent arriver chez Paulin "ad hiemen apud nos exigendam." (1), et être de retour à Primuliac "ad vindemiae dies" (2). Pour cela ils doivent quitter Primuliac au début du printemps, et Nole au début de l’été. Quand ils restent tout l’été à Nole, il leur faut attendre le printemps suivant avant de repartir (3). On trouve de très nombreuses mentions de cela dans les lettres de Paulin.

Les ports principaux sont Marseille (4), Narbonne (5), Centumcellae, (6) (Civita Vecchia) Pharos (7) en Etrurie, et Ostie (Romanus portus) (8), dont Valgius, sur son bateau errant, aperçoit de loin le phare. En plus des phares, les astres servent aussi à se guider: "sola cursus ordinarent sidera" (9).

Les voyages et les transports se font au moyen de diverses sortes d’embarcations: onustum navigium (10) est un vaisseau de transport. Comme petits bateaux, Paulin cite la barca (barque) (11), appelée aussi scapha (12), la cymba (13), espèce de gondole qui sert à la pêche, le lembus chaloupe de sauvetage qui suit un bateau, le lembulus (14), petite chaloupe qui sert pour le sauvetage (14) et la pêche (15). Myoparo (16) et liburna (17) sont des navires de pirates, légers, étroits et longs.

(1) 28, 3 (244, 11): pour passer l’hiver chez nous.

(2) 43, 2 (365, 1): à l’époque des vendanges.

(3) 28, 3 (244, 14-15): (4) XXIV, 306 (62l): Narbonne-Marseille, un jour ou deux de navigation.

(5) 28, 3 (244, 12); XXIV, 27, 615).

(6) XXIV, 364 (622).

(7) XXIV 366 (622).

(8) 49, (396, 20).

(9) XXIV, 35 (615): seuls les astres guidaient le trajet.

(10) 49, 1 (390, 24).

(11) XXIV, 94 (6l7).Isidore de Séville, dans le livre 19 des Origines (ch. 1) dit que la barca est un petit bateau qui fait le cabotage le long des côtes, et qui est porté sur un grand en haute mer.

(12) XXIV, 72 (6l6) et 202 (6l9): du grec skaphè, vase creux. Il y a aussi scaphula (49, l; 39l, 2): barque de sauvetage.

(13)       XXIV, 185 (618): du grec kumbos, même sens que skaphè.

(14)       49, 1        (391, 6), donné comme synonyme de scapha.

(15)       49, 8        (397, 15): appelé aussi naviculum, un petit bateau.

(16)       49, 15      (403, 21).

(17)       49, 8        (397, 6).

 

En cas de tempête, on coupe le grand mât (arborem excidere ou incidere) (1), on vide la sentine (sentinam deplere) (2), on amure l’artimon (artemonem armare) (3), on jette l’ancre (anchora) (4), et on met la chaloupe à l’eau (5). On trouve aussi le terme supparum (6), qui désigne la voile de perroquet, et contus qui est une gaffe (7).

Les inconvénients des voyages en mer sont innombrables, le moindre étant "otiosam fluctuandi nauseam" le mal de mer, et Paulin s’étonne que Martinien l'ait préféré à "pedum labori" (9).

De plus, on s’embarque parfois sur un navire en mauvais état. "Navem repente temporis longo putrem Usus vehendi deserit, Laterumque laxis solvitur compagibus, Undasque rimis accipit" (10), et c’est le naufrage. Paulin nous donne plusieurs récits de naufrages. Dans celui de Martinien c’est le bateau qui se désagrège de vieillesse. "Bibit unda navem, navis undam combibit" (11). C’est un naufrage original: "Mors navis et pax aequoris. Foris sedebat in freto tranquillitas. In nave tempestas erat. Non saxa classem, non procella fregebat: sed his vetustas fortior clavante ferro firma ligni robora Aevo terente solverat" (12).

Cris, débandade, désordre. On jette la cargaison par-dessus bord, même les provisions d’eau. Poussés par la soif les marins boivent de l’eau de mer et "tristi necantur crapula" (13). On s’empile dans les chaloupes, et l’affolement est tel qu’on oublie parfois des gens sur le bateau: c’est ainsi que Valgius, le pilote de Secondinien, est le seul rescapé du naufrage, la chaloupe ayant chaviré avec tous ses occupants, et le navire lui-même ayant continué de voguer (14). Martinien et ses compagnons ont plus de chance: tous les chrétiens sont sauvés, tous les autres sont noyés.

(1)          49, 2        (391, 21).

(2)          49, 2        (391, 29).

(3)          49, 2        (39l, 28) : Amurer signifie raidir l’amure d’une voile (amure = cordage qui retient le coin inférieur d’une voile du côté d’où vient le vent). L'artimon est le mât le plus à l’arrière.

(4)          49, 1 (390, 28

(5)          49, 1        (391, 2).

(6)          49, 3        (392, 16), ou siparum: c’est une voile haute et carrée.

(7)          id., et      XXIV      177 (6i8).

(8)          XXIV, 25               (615): l’insupportable mal de mer.

(9)          XXIV, 26               (615): la fatigue du voyage à pied.

(10) XXIV, 37-40 : soudain le navire, pourri par le temps, ne peut plus avancer, les poutres de la coque se désagrègent, l’eau entre par les fentes.

(11) XXIV, 111 (617): l’eau boit le navire, le navire boit l’eau.

(12) XXIV, 98-104: Mort du navire et paix des flots. Dehors 1a mer était calme. La tempête était dans le navire, brisé ni par des récifs ni par une tempête, mais par la vieillesse, plus puissante qu’eux. Le temps avait usé les clous qui unissaient les fortes solives de chêne.

 

Et Paulin de s’extasier sur ce miracle (1). Les rescapés sont tout heureux de sentir enfin la barque crisser sur le sable du rivage: "ut adlabantem portui sensit ratem, Stridente arena littoris" (2). Les voilà donc transis et sans bagages, dans une région étrangère.

Ici on trouve un fait extrêmement intéressant, en ce qu’il est caractéristique de cette époque: Martinien, qui a perdu ses vêtements dans le naufrage, n’ose pas continuer sa route à pied en demandant l’hospitalité, dans la crainte que "putaretur lucri Amore nudum fingere Si veste teucer pannea pervaderet Castella, vicos, oppida, qualia vagari. per mare et terras solent Avara mendicabula Qui dejerando monachos se vel naufragos, Nomen casumque venditant" (3).

Il fallait que les naufrages fussent fréquents, pour que l’on vît grâce à eux se développer une véritable profession. Le naufragé devenait un personnage de la vie courante, sens rien à quoi on puisse le comparer dans notre société, sauf peut-être les auto-stoppeurs dans un certain sens, et aussi, quant aux abus, ces escrocs qui prétendent quêter pour les aveugles ou les paralytiques.

Les naufrages sont donc le principal fléau des navigations, et Paulin parle souvent, comme tous les auteurs antiques d’ailleurs, des "mari labores" (4), des "repagula objecta" (5), des "hibernos turbines" et de l’"asperum mare" (7).

(13) XXIV, 114 (617): meurent victimes d’un triste excès.

(14) 49, 1 (391, 9-10).

(1) XXIV, 125-126 (617).

(2) XXIV, 268-269 (620): quand il sentit la barque arriver au port, et crisser le sable du rivage.

(3) XXIV, 325-332 (62l, 325): qu’en le voyant parcourir couvert de haillons les châteaux, les hameaux et les villes, on ne l’accuse de ne feindre la pauvreté que pour s’enrichir, à la façon des mendiants avares qui, se faisant passer pour moines ou naufragés, exploitent ce nom et ce malheur.

(4) XIII, 10 (464): les périls sur mer.

(5) XII, 23 (463): barrières qui font obstacle.

(6) 16 1 (115, 9): tempêtes d’hiver.

(7) XXIV, 362 (622, 362): la  mer âpre.

 

Mais il est un autre péril, moins fréquent mais aussi redoutable: les pirates. Eux aussi font partie des repagula et des labores. La peur des pirates, surtout en ces temps troublés où les Barbares grondent aux portes de l’Empire, et parfois à l’intérieur même, arrive au niveau d’une véritable obsession. Quand Valgius, après avoir erré une semaine sur son bateau de la Sardaigne aux côtes italiennes, de là aux côtes africaines, pour enfin aborder en Lucanie, quand Valgius donc arrive en vue du rivage, des pêcheurs "qui navem hanc eminus conspicati primo aspectu territi refugerunt, plenam enim armatorum, et liburnae aemulam sibi visam ipsi postea retulerunt" (1). Il faut que Valgius les appelle plusieurs fois pour qu’ils reconnaissent leur erreur. Ironie du sort: ce bateau non seulement n’est pas pirate, mais même il sera pillé une fois échoué, par un homme d’affaires sans scrupules, "sine myoparone piraticum in terra agens" (2). D’ailleurs, la piraterie est mal définie et sa frontière avec la guerre est incertaine, c’est pourquoi elle ne fait pas l’objet d’une législation spéciale. Si Paulin redoute tellement le voyage qui doit les mener, Thérèse et lui, d’Espagne à Nole (3), c’est en partie à cause de la guerre qui règne entre Théodose et Eugène (si on date avec Fabre ce voyage de 395).

De même, si la mère de Paulin est inquiète (4) lorsqu’il rentre de Campanie à Bordeaux, c’est parce qu’après la mort de Gratien (383), l’usurpateur Maxime s’est emparé de la Gaule, le pouvoir étant exercé à Rome par Justine, arienne, et le comte Bauton, païen: tous éléments qui rendent les routes extrêmement peu sûres pour un chrétien voyageant en Gaule, surtout s’il est de haut rang.

Quelques années plus tard, Paulin est angoissé à la pensée du long voyage que Nicétas doit effectuer pour lui rendre visite: de Dacie à Nole, en passent par la Scythie, la mer Egée, l’Epire, la mer Ionienne, la Calabre, l’Apulie. "Quam metui, s’écrie-t-il, ne te mediis regionibus hostis Disclusum opposita bellorum nube teneret !" (5), et il constate avec admiration que "nec te mare, nec labor ullus, Nec gothici tenuere metus, nec frigora longis Dura viis" (6).

(1) 49, 8 (397, 47): dès qu’ils aperçurent ce navire, ils s’enfuirent épouvantés, croyant le voir plein de soldats et le prenant pour un corsaire de Livourne fondant sur eux, comme ils le dirent ensuite eux-mêmes.

(2) 49, 15 (403, 21) : exerçant à terre la piraterie sans brigantin.

(3) XII (462).

(4) XXI, 398 (587): sollicitae matri sum redditus, je fus rendu aux inquiétudes de ma mère.

(5) XXVII, 355-356 (656, 355): combien j’ai craint qu’au milieu de ces pays l’ennemi ne te tînt séparé de nous, en opposant en obstacle un nuage de guerres !

(6) XXVII, 358-360 (656, 358): Ni la mer, ni aucune fatigue, ni la peur des Goths, ne t’ont retenu, ni les durs frimas sur les longues routes.

 

Quand la mer, les pirates et les Barbares se tiennent tranquilles, on redoute l’air insalubre de la Calabre "qui solet flaru gravis e palustri, Anguium tetros referens odores, Solvere in morbos tumefacta crasso Corpora vento" (1); ou bien les rhumatismes qui "per hiemem longius commoveri negant" (2); ou encore la difficulté de trouver son chemin quand on n’a pas de guide, et la facilité avec laquelle on se perd à l’étranger (3), ou bien les "dura frigora" et les"longae viae" dont nous venons de parler (4); et enfin les inconvénients multiples des voyages, "iter laboriosum" (5),"viae durae" (6), et toutes autres choses du même genre. On n’a que l’embarras du choix. Quel tableau sinistre! Eclaircissons-le en voyant maintenant ce que Paulin dit de l’hospitalité.

Les pauvres logent dans les tabernae, tavernes assez mal fréquentées et de mauvaise réputation. Paulin s’indigne que les pèlerins de la saint Félix aillent y faire des beuveries, et il leur rappelle énergiquement que ces tavernes sont la demeure du diable: "Divendant vina tabernis. Sancta precum domus est ecclesia: cede sacratis Liminibus, serpens" (7) L’hospitium, hôtel, est d’un niveau nettement supérieur, mais on peut supposer que cette qualité même le rend inaccessible aux bourses modestes. Paulin descend dans un hospitium lors de son pèlerinage annuel à Rome (8). De même les paysans qui se rendent à, Nole pour le pèlerinage: après avoir sacrifié leur cochon, "hospitium rediere suum" (9).

Ceux qui ont des amis vont loger chez eux. Nous en reparlerons ailleurs. Mais c’était sans doute assez rare.

Donc aucune de ces trois formules n’étant la bonne, il fallait en trouver une qui puisse convenir à tout le monde. Et c’est vers cette époque que commencèrent à se multiplier, avec le développement de la vie monastique, les xénodochia, monastères exerçant l’hospitalité envers les voyageurs chrétiens, et en particulier les pèlerins.

(1) XVII, 37-40 (484) : ces fortes émanations qui répandent des marécages l’odeur des reptiles qui s’y agitent, remplissent ordinairement le corps d’un air épais et le rendent malade.

(2) 13, 2 (85, 14-15): empêchent de se déplacer un peu loin en hiver.

(3) XX, 360-363 (564, 360).

(4) page 27, note 6.

(5) 19, 4 (142, 17): la fatigue du voyage.

(6) 37, 1 (317, 5): la dureté des routes.

(7) XXYII, 57l-573 (661, 571): qu’on vende, je le veux bien, le vin au détail dans les tavernes. Mais l’église es t une sainte maison de prière. Cède au seuil sacré, serpent.

(8) 17, 2 (126, 7).

(9) XX, 338 (563) ils revinrent à leur hôtel.

 

Nous avons vu que Martinien est hébergé par la communauté de Marseille (1), puis par celle de Rome (2). On le nourrit, on le réchauffe, on lui donne des vêtements et surtout beaucoup de prières et d’affection. "Exigua largue pensat affectus data" (3).

Mais le xénodochium que nous connaissons le mieux par Paulin, c’est le sien: l’hospitium qu’il a construit autour du tombeau de Félix pour les pèlerins pauvres (car bien entendu l’hospitalité est gratuite dans ces monastères, c’est pourquoi ils sont pauvres). C’est à l’époque où il était proconsul en Campanie que Paulin a édifié ce bâtiment. Plus tard il y ajoute un étage. "Cum mihi juberes (...) adtiguum tuis longo consurgere tractu Culminibus tegimen sub quo prior usus egentum Incoluit, post haec geminato tegmine crevit Structa domus, nostris quae nunc manet hospita cellis. Subdita pauperibus famulatur porticus aegris" (4).

Les bâtiments étant d’un seul tenant, on peut aller à toute heure du jour et de la nuit prier dans l’église (5).

« Paulin et ses compagnons ont élu domicile dans les cellules de l’étage, comme des hôtes de passage. Paulin décrit les nombreux pèlerins entassés sous les portiques des basiliques, et dont les yeux sont agréablement reposés et le sommeil bercé par les jets brillants et le murmure régulier des eaux bondissantes dans les vasques de marbre blanc des fontaines (6). Ces vestibules intérieurs ou arae interiores avec leurs portiques, sont une vraie ressource pour ceux (la majorité) à qui leurs moyens ne permettent pas d’aller à l’hôtel, d’ailleurs insuffisant au moment des grandes affluences; ces braves campagnards, habitués à se contenter de peu, sont bien aises, dans l’intervalle de leurs dévotions, de venir s’y reposer, à l’abri de la pluie et du soleil (7).

(1) XXIV, 309-319 (621, 309).

(2) XXIV, 371-392 (622, 371).

(3) XXIV, 315 (621, 315): la large affection compense la petitesse des dons.

(4) XXI, 382-388 (587, 382) quand tu m’ordonnas de bâtir à côté de ta demeure un long abri, sous lequel les pauvres habitèrent d’abord; puis cette maison grandit d’un étage, et maintenant héberge nos cellules. Le portique qui est dessous sert aux pauvres malades.

(5) XXVII, 449-454 (658).

(6) XXVIII, 3l-36 (663).

(7) XXYIII, 44-52 (664).

 

Parfois des personnages douteux s’y glissent pour bénéficier de l’inviolabilité dont jouissent les arae, du fait de leur destination funéraire » (1): un jour, un homme, prétendant fuir le service militaire s’y réfugie, et quelque temps après disparaît avec un objet précieux qui était dans l’église (2).

L’hospitalité est gratuite mais certains hôtes remercient par un cadeau: Mélanie offre à Paulin une tunique en laine d’agneau (3) et à Thérèse une relique de la vraie croix (4).

La communauté de Sulpice Sévère reçoit aussi des hôtes: "Domus tuae hospes es, ut sis hospitum domus (...). Nec tricliniis tua tecta occupas (...), sed peregrinis et egentibus, unius ipse metator anguli" (5).

(1) D. Gorce, Les voyages, l’hospitalité et le port des lettres dans le monde chrétien des IVè et Vè siècles, page 161.

(2) XIX, 445-482 (537, 445-539, 482).

(3) 29, 5 (251, 11).

(4) 31, 1 (268, 5 sqq).

(5) 24, 3 (204, 6 sqq): Tu n’es l’hôte de ta maison que pour être toi-même une maison pour tes hôtes. Tu ne la remplis pas de salles de festins, mais de pèlerins et de pauvres, et tu n’occupes qu’un petit coin.

 

 

 

CHAPITRE V: LES BÂTIMENTS RELIGIEUX

 

Ce sera surtout l’étude des bâtiments de Nole, sur lesquels nous sommes spécialement bien documentés, et abondamment: Paulin ne tarit pas lorsqu’il décrit à son ami Sévère tout ce qu’il a fait bâtir. Nous avons vu qu’il construit, à l’époque de son proconsulat en Campanie, un hospice pour les pauvres. De 401 à 403 il rénove les quatre petites basiliques entourant le tombeau de saint Félix, et en élève une cinquième plus grande, ainsi que tout un ensemble de constructions.

Le tombeau de saint Félix, ou memoria est situé dans une cour (aula) (1), et entouré d’une grille (cancellum). "Super ipsum Martyris abstrusi solium, claudente sepulcri Cancello latus in medio, sit pagina quaedam Marmoris, adfixo argenti vestita metallo" (2). Tout cela n’est pas d’époque, bien sûr, puisque Félix vivait en temps de persécution.

Les tombeaux des saints sont entourés d’une grande vénération et attirent beaucoup de pèlerins: Paulin lui-même va tous les 29 Juin à Rome pour se recueillir sur les "apostolorum et martyrum sacras memorias" (3).

Il bâtit aussi un baptistère près de la basilique: "Est etiam interiore sinu majoris in aulae Insita cella procul, quasi filia culminis ejus, Stellato speciosa tholo, trinoque recessu Dispositis sinuata locis; medio pietatis Fonte nitet, mireque simul novat atque novatur" (4). Ce baptistère est donc en forme de trèfle, comme une abside. Certains critiques pensent qu’il s’agit dans ce texte de l’abside de la basilique, mais le contexte indique pourtant clairement qu’il s’agit d’un baptistère. Cette disposition triple évoque la Trinité. Paulin ne dit pas si les étoiles de la coupole (tholus, grec tholos) sont peintes ou incrustées. Le baptistère est consacré en 404 par l’évêque Paul de Nole, ainsi que la basilique.

(1) passim. C’est un des mots qu’on retrouve le plus souvent dans la poésie de Paulin.

(2) XXI, 586-589 (594): Sur le sarcophage lui-même du martyr enseveli, au milieu de la grille qui ferme les côtés du tombeau, il y a une dalle de marbre revêtue d’argent incrusté

(3) 17, 2 (126, 5 sqq): les saints tombeaux des apôtres et des martyrs.

(4) XXIII, 180-184 (667, 180): Il y a aussi, à l’intérieur de la plus grande cour, une cellule située loin, qui est comme la fille de ce bâtiment, embellie par une coupole constellée d’étoiles, et rendue sinueuse par la disposition des lieux en trois recoins. La fontaine de piété brille au milieu, e-t de façon étonnante rénove et est rénovée en même temps.

 

Quant à Sévère, "tu vero etiam baptisterium basilicis duabus interpositum condidisti" (1). Ce baptistère est décoré de peintures, de sorte qu’en sortant de la fontaine consacrée (emergentes a sacro fonte) (2), les baptisés voient sur le mur le portrait de saint Martin pour les édifier, et aussi celui de Paulin que Sévère a fait peindre dans son admiration pour son ami, ce qui ne plaît pas du tout à celui-ci et révolte son humilité (3).

Venons-en maintenant à la basilique construite par Paulin, et qui constitue l’essentiel de ce chapitre.

Elle n’est pas tournée vers l’Orient, comme le voudrait la coutume (ut usitatior mos est) (4), mais vers la memoria de saint Félix. La nef est couverte d’une voûte lambrissée, soutenue par deux portiques comprenant chacun deux rangées de colonnes: "totum vero extra concham basilicae spatium, alto et lacunato culmine geminis utrimque porticibus dilatatur, quibus duplex per singulos arcus columnarum ordo dirigitur" (5). Dans chaque portique, se trouvent quatre cubicula, chapelles qui servent d’oratoires, et aussi de cimetière pour les "religiosi et familiares": donc huit chapelles en tout. Chacune est ornée, au-dessus de la porte (per liminum frontes) de deux vers, dont Paulin nous fait grâce. C’est dans une de ces chapelles que se cacha pendant toute une nuit un voleur, qui au matin, quand les portes furent ouvertes, prit la fuite avec un objet précieux (6): apparemment ces "multae cellulae appositae tectis" sont la même chose que des chapelles latérales, mais elles sont fermées.

Le choeur comporte l’extrémité une abside (apsis ou concha) qui est un hémicycle, triple ici (apsis trichora), comme nous avons vu à propos du baptistère, ce qui donne ceci: [dessin]

(1) 32, 1 (275, 16): tu as ajouté un baptistère entre tes deux basiliques.

(2) 32, 3 (277, 17).

(3) 32, 2 (276, 14): Locum sanctum etiarn vultibus iniquorum polluas, tu souilles un lieu saint par le visage d’un pécheur.

(4) 32, 13 (288, 11): comme c’est une coutume assez répandue.

(5) 32, 12 (287, 11): la nef de l’église, et tout l’espace qui est distinct du choeur, est accompagnée de deux galeries soutenues par une double rangée de colonnes qui forment de grandes arcades.

(6) XIX, 477-482 (539, 477).

 

L’autel est au milieu (le pluriel altaria (1) désigne-t-il un seul autel ou plusieurs?) Les deux absides latérales sont des pièces closes, celle de droite servant de sacristie, et celle de gauche d’oratoire, ou de bibliothèque: "In secretariis vero duobus, quae supra dixi circa aspidem esse, hi versus indicant officia singulorum. A dextra apsidis: "Hic locus est veneranda penus qua conditur, et qua Promitur alma sacri pompa ministerii". A sinistra ejusdem: "Si quem sancta tenet meditanda in lege voluntas, Hic poterit residens sacris intendere libris" (2).

L’abside centrale, qui est plus grande que les absides latérales, ou conchulae, est percée de trois larges baies qui donnent sur une galerie menant directement à la basilique où est le tombeau de Félix, que l’on voit de la basilique nouvelle: "Laetissimo vero conspectu tota simul haec basilica in basilicam memorati confessoris aperitur trinis arcubus paribus, perlucente transenna, per quam vicissim sibi tecta ac spatia basilicae utriusque junguntur" (3).

L’abside est décorée de marbre et de mosaïque. Immédiatement au-dessus des trois baies, "à la limite du mur et du plafond", un balteus (bandeau) porte une inscription de cinq distiques (4) où il est question des reliques contenues par la basilique (sous l’autel).

La voûte au-dessus du bandeau est remplie par une mosaïque représentant la Trinité: quatorze vers inscrits en demi-cercle tout autour la décrivent. On y voit le Père qui tonne, le Saint-Esprit sous forme d’une colombe, la croix entourée d’un cercle lumineux et des douze apôtres en colombes. Puis le Christ sous forme d’un agneau, debout sur le rocher de l’Eglise, d’où jaillissent quatre fleuves: les Evangélistes. Plus quelques palmiers, et aussi probablement (comme pense le DACL) (5) six agneaux de chaque côté pour signifier encore une fois les douze apôtres:

(1) 31, 6 (273, 25), et ailleurs.

(2) 32, 16 (291, 4 sqq): Dans les deux sacristies qui sont, comme j’ai dit, de chaque côté de l’abside, ces vers indiquent l’usage de chacune à droite: "C'est ici que l’on range les provisions vénérables, et d’ici que l’on sort l’appareil sacré du saint sacrifice". A gauche: " Si quelqu’un a le saint désir de méditer la loi, il pourra s’asseoir ici et se concentrer sur les livres sacrés".

(3) 32, 13 (288, 16 sqq): Avec une vue très agréable toute cette basilique s’ouvre sur la basilique du saint confesseur par trois arcs égaux, avec un grillage à jour, de sorte que l’on va à couvert d’une basilique à l’autre parce que leurs toits sont contigus à celui de la galerie.

(4) 32, 11 (286, 22);

(5) DACL, Nole, tome 2, page 1436.

 

car ces agneaux se retrouvent dans une mosaïque semblable dans la basilique que Paulin a fait bâtir à Fondi (quoiqu’elle illustre le jugement dernier, et non la Trinité comme ici) (1), et aussi à Ravenne.

Voici à peu près cette mosaïque telle qu’on peut se la représenter (d’après le DACL): [dessin]

                                                                                     main du Père

                                                                                 nuages

                                                          12 apôtres (colombes).

                                                           or

                                         Esprit

                      palmiers, fleurs

                         Christ (agneau) (sur le rocher)

                 12 apôtres (agneaux)

           4 évangélistes (fleuves)

Paulin décore l’église de peintures pour détourner les paysans en pèlerinage de leur manière trop païenne de célébrer saint Félix, par des beuveries. Détail intéressant: il nous précise que ce genre de décoration est rare (raro more) (2); mais cette coutume va se répandre vite. Ces peintures ont une autre originalité: leurs sujets sont religieux (celles d’avant représentaient n’importe quoi, des scènes de chasse par exemple (3). Paulin est donc un précurseur en ce domaine) tirés de la Bible. Dans une intention symbolique, les peintures des anciens bâtiments rénovés sont empruntées au Nouveau Testament, celles de la basilique neuve à l’Ancien (« Nova in antiquis tectis, antiqua novis lex pingitur ») (4): on y voit des scènes de la Genèse, Ruth, Esther, Judith, Job, Tobie (5).

(1) 32, 17 (292, 18 sqq).

(2) XXVII, 44 (660, 544): par une coutume rare.

(3) cf. XVIII, 45 (491).

(4) XXVIII, 173-174 (667): La nouvelle loi est peinte dans les vieux bâtiments, l’ancienne dans les nouveaux

(5) XXVII, 517-518 (660); XXVIII, 25-27 (663)

 

Les trois portes de l’abside sont surmontées d’une croix peinte en rouge (minio): "de signo Domini super ingressum picto hac specie (...). Alteri autem basilicae, qua de hortulo vel pomario quasi privatus aperitur ingressus, hi versiculi (...). Hoc idem ostium aliis versibus ab interiore sui fronte signatur" (1).

Car toutes ces peintures et mosaïques sont accompagnées d’inscriptions (tituli): n’oublions pas que c’est d’abord dans un dessein éducatif que Paulin décore son église.

Et tout cela plaît tellement à Victor le messager, qu’il n’hésite pas en emporter la copie à Sévère, quitte à surcharger considérablement ses bagages (2).

Les portes sont ornées de rideaux précieux, ce qui était d’un usage général dans l’Antiquité. Ils sont offerts par les riches: "qui pulcra tegendis Vela ferant foribus, seu puro splendida lino, Sive coloratis textum fucata figuris" (3). L’autel aussi est voilé: "velamine clausi Altaris facies" (4), pour imiter, dit Muratori en note dans l’édition Migne, le rideau du saint des saints dans le temple de Jérusalem. Sur l’autel il y a aussi une croix (5).

Les riches offrent d’autres objets précieux à la basilique. "Hi laeves titulo lento poliant argento Sanctaque praefixis obducant limina lamnis. Ast alii pictis accendant lumina ceris, Multiforesque cavis lychnos laquearibus aptent" (6) Paulin nous donne d’abondantes descriptions des lampes qui éclairent la basilique, notamment de lustres de bronze, d’une lampe d’argent à côté de l’autel et d’une précieuse croix-lampe ornée d’or et de pierres précieuses: nous avons vu tout cela au premier chapitre. Nous avons vu aussi qu’une veilleuse brûlait toute la nuit dans la basilique. Les jours de fête, toutes ces lampes sont allumées, sans compter d’innombrables cierges (pictis lumina ceris), si bien que la basilique est tout illuminée.

(1) 32, 12 (287, 24; 288, l sqq): La croix qui est peinte au-dessus de la porte...A l’autre basilique, là où s’ouvre une porte privée sur un petit jardin ou un verger, j’ai mis ces vers... Ceux-ci sont au-dessus de la même porte, à l’intérieur...

(2) 32, 9 (285, 5 sqq).

(3) XVIII, 30-32 (49l, 30): qui offrent de riches voiles pour couvrir les portes, soit resplendissants d’un lin pur, soit ornés de figures coloriées dans le tissu.

(4) XIX, 663-664 (548): la face de l’autel est fermée par un rideau.

(5) XIX, 664 (548).

(6) XVIII, 33-36 (49l): Ils peuvent graver en lettres d’argent des inscriptions bien composées, recouvrir de plaques dorées l’entrée du temple. D’autres peuvent allumer des cierges de cire colorée, et suspendre au plafond des lustres. cf aussi XIX, 405-411 (535): lampes et cierges accrochés aux colonnes.

 

Il est un autre accessoire que les riches, par contre, ne penseraient pas à offrir: le tronc (gazophylacium) (1), qui a la même destination et peut-être la même forme que les nôtres.

A l’entrée de la basilique on se lavait le visage et les mains dans une sorte de bénitier (cantharus) (2), qui est plutôt une fontaine: "cantharum ministra manibus et oribus nostris fluenta ructantem, fastigatus solido aere tholus ornat et inumbrat, non sine mystica specie quatuor coluxnnis salientes aquas ambiens" (3).

A vrai dire, le cantharus ici décrit est celui de saint-Pierre de Rome (dont Paulin nous donne une brève description), mais cette basilique devait ressembler assez à celle de Nole, sauf la porte royale: "illam venerabilem regiam cerula eminus fronte ridentem" (4), et le trône de saint Pierre (apostolicum solium) (5), un édicule entouré d’une sorte de baldaquin.

Car Paulin ne fait qu’imiter d’autres constructions, et à part les peintures à sujets bibliques il n’a rien inventé: les huit oratoires de la nef sont aussi à saint-Pierre de Rome, le système des basiliques qui communiquent se retrouve dans plusieurs basiliques romaines, et l’abside triple avec les deux sacristies fermées est fréquente aux IV° et V° siècles en Afrique et en Orient (6).

(1) 34 (303).

(2) 32, 15 (290, 3), et ailleurs.

(3 13, 13 (94, 25 sqq): un bassin orné d’un riche couronnement de bronze, qui fournit de l’eau pour que nous nous lavions le visage et les mains, et qui entoure les eaux jaillissantes par quatre colonnes, symbole mystique.

(4) 13, 11 (93, 4 sq): ce magnifique porche royal dont le fronton d’azur sombre brille de loin.

(5) 13, 13 (94, 22).

(6) DACL, article Nole, tome 12, page

 

D’ailleurs, il en est de même pour l’ensemble des bâtiments. Nous ne savons pas exactement comment ils étaient disposés (Paulin étant aussi bavard que peu clair là-dessus).

"On peut seulement se représenter, autour de l’atrium orné de mosaïques et de tituli, d’autres colonnades et d’autres arcades; en tous sens, une architecture de plein air, où les murs mêmes des édifices sont remplacés souvent par des portiques, où le soleil entre de toutes parts sous les toitures, et où cinq basiliques largement ouvertes, sont comme autant d’atria disposés autour du saint tombeau. Cette ville monastique, où le sarcophage de Félix est comme enchâssé, qui tenait d’une villa par ses colonnades et ses fontaines vives, et qui en même temps prenait avec sa vaste enceinte et ses constructions à deux étages un air de château-fort, rappellera le grand couvent syrien de Kalat Seman" (1),

et ressemble pour l’instant aux constructions de Tours, de Tébessa et de Jérusalem: Paulin a donc imité un modèle commun.

Après cette belle évocation, que nous venons de citer, des bâtiments de Nole, que peut-on ajouter ? Paulin dit la même chose, mais de façon vague et dissoute dans toute son oeuvre (2). Il est impossible de savoir comment tout cela était fait, puisqu’il n’en reste rien actuellement. On peut seulement supposer que vivre dans ce lieu était agréable.

Conclusion: Voilà donc le décor où se déroule la vie quotidienne de Paulin et de ses contemporains. Dans cette première partie nous avons envisagé l’homme dans ses rapports avec les choses. Maintenant, nous allons voir, toujours avec les yeux de Paulin, les relations vécues dans ce cadre de vie quotidienne, et d’abord les relations de l’homme avec les autres hommes.

(1) DACL, Nole, tome 12, page 1433.

(2) fontaines: XXI, 674-675 (598); XXYII, 470-476 (659) enceinte: XXVII, 488-489 (659) sur l’ensemble: XXI, 460-463 (590). Etc.

 

 

DEUXIEME PARTIE: LA VIE SOCIALE

 

CHAPITRE VI: LA FAMILLE

 

C’est peut-être au sujet de la société que nos textes nous révèlent l’évolution la plus sensible par rapport à l’antiquité païenne. Les débuts du christianisme, et notamment cette fin du IV° siècle où tant de Pères réfléchirent sur tant de problèmes divers, accusent par rapport aux siècles païens une différence considérable, en ce qui concerne les relations humaines et surtout les relations entre l’homme et la femme. En théorie, depuis l’avènement du christianisme, les femmes sont égales aux hommes, mais en fait le problème n’est guère davantage résolu de nos jours qu’à cette époque.

Paulin lui-même, qui a des idée si justes sur tant de questions, est cependant prisonnier de quelques préjugés sur ce sujet, qui tiennent peut-être d’ailleurs plus à des habitudes de langages qu’à une mentalité; par exemple les expressions "sexus infirmus" (1) et "sexus minor" (2) pour désigner les femmes. Mais n’insistons pas.

A cela près, Paulin se fait du mariage une idée très élevée: "Foederis hujus opus proprio Deus ore sacravit Divinaque manu par hominum statuit" (3). Il est vrai qu’on trouve ailleurs: "illic me thalamis humana lege jugari Passus es" (4) (il s’adresse à Félix), qui semble considérer le mariage comme un peu inférieur, encore que la formule soit vague. Peut-être n’est-ce aussi qu’une formule, et ce qui est certain c’est que Paulin tenait sa femme dans la plus haute estime, et vivait avec elle dans l’égalité. Ses lettres sont souvent signées "Paulin et Thérèse", et cette phrase qui semble déprécier le mariage est aussitôt suivie d’une autre qui déclare que Thérèse était beaucoup plus avancée que lui dans la foi.

(1) 29, 7 (253, 25).

(2) XXVIII, 26 (663).

(3) XXV, 15-16 (633): Dieu de sa propre bouche consacra l’ouvrage de cette alliance, et de sa main divine il institua le couple humain.

(4) XXI, 400-461 (588): là-bas (en Espagne) tu supportas que je m’unisse par le mariage, suivant la loi humaine.

 

Il est dommage que Paulin n’ait pas eu d’enfants, car un homme aussi sociable et aussi tendre aurait certainement été un très bon père. Il faut voir dans quels termes il parle des enfants, qu’il appelle "divinitus nobis pignora data" (1). Nous savons que la mort de son bébé fut une motivation importante de sa décision d’embrasser la vie monastique. Dans une lettre où il essaie de convaincre un militaire de quitter le monde, il dépeint la vie familiale comme pleine de soucis: quand on n’a pas d’enfants on est triste, quand on en a on a peur de les perdre (2). Paulin parle ici d’expérience, assurément. (Mais il ne faut pas oublier que dans ce texte il veut démontrer quelque chose, et que par conséquent il ne montre qu’un aspect de la question). A propos d’expérience, il est vrai que dans son oeuvre ce qui a trait à la famille est plutôt représentatif de la pensée ou de la vie de Paulin, que de son époque en général. Il est vrai aussi, d’ailleurs, que cela ne change guère et qu’une famille a toujours comporté des parents et des enfants. Mais enfin notre propos est autant de voir comment Paulin traite la vie quotidienne que d’entrevoir cette vie elle-même.

 Dans les deux Prières matinales (3), avant sa conversion, l’idéal de vie de Paulin était celui d’un paterfamilias pourvu d’une maison et d’une famille florissantes, un idéal assez patriarcal et sans rien d’extrême, plein de modération, de bon sens et de confort, et qui était vraisemblablement celui d’un bon nombre de propriétaires terriens plus ou moins chrétiens de l’époque. Un exemple: "Adsit laeta domus, epulis alludat inemptis Verna satur, fidusque comes, nitidusque minister, Morigera et conjux, caraque ex conjuge nati" (4).

(1) 25, 7 (228, 18): des cadeaux que Dieu nous fait.

C’est aussi ce qu’il explique délicatement à son ami Aper, qui se plaint que ses enfants l’empêchent de se consacrer à Dieu (39, 2; 15 sqq, p 335).

(2) 25, 7 (227, 19 sqq)

(3) poèmes IV et V (439 et 440).

(4) IV, l5-17 : Que j’aie une maison florissante, qu’aux repas produits par le domaine se réjouissent un esclave rassasié, un fidèle compagnon, un serviteur en bonne santé, une épouse vertueuse, et des enfants nés d’une chère épouse.

 

Nous avons vu combien est différente la conception de Paulin sur la famille, après sa conversion. Non seulement l’épouse chrétienne doit être morigera, mais en plus elle doit porter son mari à la vertu: rôle beaucoup moins passif et beaucoup plus intéressant (1).

Paulin la peint aussi "curas mariti sustinens, curans fidem, In castitate liberos enutriens." (2).

"Sollicitae matri sum redditus" (3), dit Paulin au sujet de son retour de Campanie en 384. Mais ce n’est pas nouveau qu’une mère s’inquiète pour son fils, même s‘il a trente ans comme ici.

Voici une autre mère: Mélanie l’ancienne, qui souhaiterait que son fils Publicola préfère "saccum togae et monasterium senatui" (4). Mais toute sa sainteté ne réussit pas à le convaincre.

Quant aux pères, Paulin nous en montre d’aussi attentionnés, et cette fois à l’autre extrémité de la société, parmi les paysans qui amènent leurs enfants malades pour que saint Félix les guérisse: "gremio sua pignora ferre paterno" (5).

Plusieurs visages d’enfants apparaissent dans l’oeuvre de Paulin: en particulier celui de son enfant, Celse, fugitive évocation. Il mourut à l’âge de huit jours et fut sans doute baptisé puisque Paulin se le représente au ciel, en train de prier pour ses parents, en compagnie d’un autre petit Celse (6), le fils de Pneumatius et de Fidélis, un petit garçon de huit ans qui travaillait très bien à l’école et qu’une maladie a emporté en quelques jours (7).

Mélanie, elle aussi, perd tous ses enfants en bas-âge, sauf un, que d’ailleurs elle abandonne (8).

Nous trouvons des images empruntées au vocabulaire de l’enfance et où Paulin se décrit lui-même comme un tout petit enfant qui commence à marcher: "Augustini doctrina, tamquam manus matris et ulna nutricis, instabilem  regat parvuluni" (9).

(1) 44, 3 (372, 16 sqq).

(2) XXIV, 693-695 (628): elle porte les soucis de son mari, elle observe la fidélité, elle élève les enfants dans la chasteté.

(3) XXI, 398 (587): je fus rendu aux inquiétudes de ma mère.

(4) 45, 2 (381, 9 sq): le cilice à la toge et le monastère au Sénat.

(5) XVIII, 200 (495): les pères qui portent leurs enfants dans leurs bras

(6) XXXV, 599 jusqu’à la fin (688).

(7) XXXV 25-38 676).

(8) 29, (254, 1 sqq).

(9) 8, 1 (46, 7 sqq): la doctrine d’Augustin, comme la main d’une mère et les bras d’une nourrice, guide le bébé qui ne tient pas encore bien sur ses jambes. Voir aussi 4, 3 (21, 8-9) et VI, 210-211 (446).

 

Paulin nous donne quelques exemples d’événements familiaux. Voici une curieuse cérémonie familiale, que la Rome chrétienne a gardée de la Rome païenne: la depositio barbae consécration de la première barbe, auparavant à un dieu, désormais à Dieu ou à un saint; Paulin consacre la sienne à saint Félix : « Tunc etiam prima libamina barbae ante tuum solium, quasi te carpente, totondi" (1). Pourtant ce n’était certainement pas sa première barbe puisqu’il avait environ 26 ans à cette époque (vers 381). Vraisemblablement il l’a laissé pousser pour la circonstance.

Le mariage est l’occasion de grandes réjouissances publiques: on décore les places de la ville, on jonche de branches d’arbres les rues et les seuils, on brûle des parfums, on offre des cadeaux, on chante, et dans ce cadre de fête s’agite une foule bruyante (2). Paulin ne décrit tout cela que pour le déconseiller, et recommander des "seria gaudia" (3). Mais apparemment toutes ces manifestations étaient d’un usage courant et général, pour que Paulin les connaisse si bien, et surtout pour qu’il éprouve le besoin de donner ces conseils de modération à des jeunes mariés qui n’ont rien de frivole certainement puisque leurs parents sont évêques, et que le jeune Julien lui-même est clerc.

Paulin fait allusion, ailleurs, à une dot que le mari donne à sa femme lors du mariage: "Non aeque ampla dote nubentem locupletaveras ut nunc ditificas quiescentem. Quantam enim tunc partem tuorum munerum cepit, cum eo solo quod poterat induere frueretur" (4) S’agit- il ici d’une dot, au sens juridique du terme (comme la Morgengabe du droit germanique, dot que le mari donnait à sa femme le lendemain du mariage), ou bien simplement d’une coutume de se faire des cadeaux quand on se marie? On ne trouve par contre aucune mention de la dot apportée par la femme.

(1) XXI, 377-378 (586): C’est alors que je tondis les prémices de ma première barbe devant ton tr6ne, comme si tu les cueillais.

(2) XXV, 31-32, 35, 39 (634).

(3) XXV, 29 (634): des joies sérieuses.

(4) 13, 28 (107, 5 sqq): la dot que tu lui as donnée en 1'épousant est moins précieuse que celle dont tu l’enrichis maintenant qu’elle repose. Quelle partie de tes cadeaux a-t-elle reçue, alors qu’elle ne jouissait que de celui seulement qu’elle pouvait porter? (c’était donc des vêtements ou des bijoux).

 

Paulin nous renseigne aussi sur les funérailles.

Le texte que nous venons de voir, où il est question d’une dot plus intéressante que celle donnée au mariage, concerne les prières et les aumônes prodiguées par le sénateur Pammachius à l’enterrement de sa femme Pauline. Le cérémonial funéraire païen comportait neuf jours de deuil puis un banquet sur la tombe en l’honneur du mort. Pammachius christianise cette coutume en offrant, dans la basilique saint-Pierre de Rome, un banquet à tous les pauvres de la ville. Cela se passe dans la basilique et non sur la tombe, pour honorer la mémoire de saint Pierre en même temps que celle de Pauline.

Paulin, dans toute la lettre 13, loue son ami de cette excellente action qui assurera certainement le ciel à la défunte, et à Pammachius aussi par la même occasion, grâce aux prières des pauvres, "patronos animarum nostrarum" (1).

C’est une habitude très répandue de se faire enterrer "ad sanctos", à proximité des tombeaux des saints. On espère ainsi bénéficier de leurs prières, ce qui peut être une mentalité d’origine païenne pour beaucoup de gens: on accorde une grande importance à la sépulture et on croit que ce voisinage des saints absout de tous les péchés. Mais on peut aussi être guidé uniquement par la piété, comme Paulin et Thérèse qui enterrent leur enfant près des saints Juste et Pastor, à Complutum (Alcalà de Henares, près de Madrid): "quem Complutensi mandavimus urbe, propinquisConjunctum tumuli foedere martyribus, Ut de vicino sanctorum sanguine ducat, Quo nostras illo purget in igne animas" (2). De même, des gens se font enterrer dans les petites chapelles latérales de la basilique saint-Félix: "(multae cellulae) quae per latera undique magnis Appositae tectis praebent secreta sepultis Hospitia" (3).

(1) 13, 11 (92, 20 sq): patrons de nos âmes.

(2) XXXV, 605-606 (689): Nous l’avons envoyé dans la ville de Complutum pour qu’il y soit associé aux martyrs par l’alliance du tombeau, afin que dans le voisinage du sang des saints, il puise cette vertu qui purifie nos âmes comme le feu.

(3) XIX, 47 (539): beaucoup de cellules, qui apposées aux c6tés des grands bâtiments offrent une hospitalité secrète aux enterrés (A moins que "magnis" se rapporte à "sepultis", auquel cas le sens serait: "aux défunts de haut rang").

 

Toutes choses qui ne sont guère réjouissantes, mais Paulin nous donne ce conseil: "Nolumus ergo, boni fratres, de pignore vestro Vos ita tristari, tamquam homines vacuos. Nam si certa fides vobis, quia Christus Jesus Mortuus est, et nunc vivit in arce Dei, Sic et eos quicumque fide vivente quiescunt, Adducet Christo cum remeante Pater" (1).

Il semble même trouver bon que Mélanie ait perdu presque tous ses enfants et son mari, "ne diu terrena diligeret." (2).

Mais il s’afflige au contraire que son frère soit mort sans penser au salut de son âme (3).

Disons en conclusion qu’au niveau de Paulin la famille est dépassée, et que suivant le précepte évangélique il a quitté la sienne, ainsi tous ses biens terrestres, afin de se consacrer uniquement au service de Dieu.

(1) XXXV, 549-554 (687): nous ne voulons pas, bons frères, que vous soyez tristes pour votre enfant, comme les gens frivoles. Car si vous avez la ferme confiance que J.-C. est mort et ressuscité, le Père amènera avec le retour du Christ tous ceux qui reposent avec une foi vivante.

(2) 29, 8 (254, 1 sqq): pour qu’elle ne s’attache pas trop longtemps aux biens de la terre.

(3) 35 (312).

 

CHAPITRE VII: LA SOCIÉTÉ

 

Paulin a quitté le monde, mais il ne saurait pourtant vivre isolé: c’est avant tout un homme sociable et qui a beaucoup de rapports avec la société.

D’abord, quels éléments nous donne-t-il de la structure de cette société?

Il n’est guère question des esclaves chez lui. Quand il vivait dans le monde il en avait, et dans les prières matinales il souhaite "verna satur nitidusque minister" (1). Il était certainement un bon maître. Il les affranchit en même temps qu’il vend ses biens (2): pourtant il a encore des domestiques puisque Julien, le messager qui porte ses lettres à Alypius, est "homo noster" (3); et puisqu’il est question d’un puer qui le ménage dans l’église. (4).

Les messagers de Sulpice Sévère (qui a lui aussi renoncé à ses biens) sont aussi des pueri (5). Quant au messager Cardamas, c’est sans doute un ancien esclave, mais qui malgré son âge et sa liberté continue volontairement son fatigant métier de messager, ce dont Paulin est grandement étonné et admiratif (6). Cardamas est aussi un ancien acteur (mimicus) (7), que le prêtre Amand de Bordeaux a ordonné exorciste (8). C’est au même Amand que Paulin recommande Cardamas (9), et une autre fois le messager Sanemarius qu’il vient d’affranchir, pour qu’Amand lui donne les ordres et une petite terre (10).

Paulin utilise en quantité les images tirées de la vie des champs: c'est que dans les Natalicia il s’adresse à un public en majorité paysan; et quand il écrit à ses amis, il est influencé par le milieu rural où il vit, et dont il juge l’observation riche d’enseignements (11).

(1) IV, 16 (440): un esclave rassasié et un serviteur florissant.

(2) 5, 22 (39, 11 sqq).

(3) 3, 1 (13, 12).

(4) XXIII, 151 (611).

(5) 5, 21 (39, 6).

(6) 21, 5 (152, 18 sqq).

(7) 19, 4 (142, 10).

(8) 21, 6 (154, 6    et 11).

(9) 15, 4 (114, 5 sqq): Paulin demande pour lui mancipiolum un petit esclave.

(10) 12, 12 (83, 15 sqq).

(11) 39, 2 (335, 24 sqq).

 

Voici la vie d’un petit paysan: "Tria macri jugera ruris, Nec proprio sub jure tenens, conducta colonus Ipse manu coluit, famulo sine, pauperis horti possessor" (1) où il récolte olus, des légumes. Il possède un seul vêtement, et souvent à peine un (saepe et vix unica). L'agriculture est un métier aléatoire: on ne sait jamais si la récolte sera bonne, "quin et saepe fefellit ager, vix commissa sibi reddens sata" (3), et pourtant, ajoute Paulin, le paysan continue toujours à espérer et à semer. Mais aussi, quelle joie quand il voit lever la moisson! "Agricolam juvat spem messis in segete mirari, dum a messe fructum laboris exspectat." (4)

Les paysans vivent aussi de l’élevage des cochons, des vaches, des chevaux: On en trouve plusieurs exemples dans les poésies de Paulin (5). Voici un paysan spécialement pauvre, qui ne possède qu’une paire de oeufs et les loue pour tirer des voitures ou des charrues (6). Comme ils constituent sa seule source de revenu, il les soigne mieux que ses propres enfants, et les aime avec passion.

Certains paysans sont donc très pauvres, mais certainement il y en a de plus aisés. De toute façon, ils sont tous de moeurs et de mentalité assez frustes, et encore bien proches du paganisme, comme nous verrons plus loin.

Il y a une troisième catégorie sociale, dont Paulin parle assez souvent, et toujours en mal: les soldats. Depuis Tertullien l’antimilitarisme se développe parmi les intellectuels chrétiens, au point qu’un jour un homme se présente à l’hospitium de Paulin "militiam simulans fugere" (7), et cela suffit pour qu’on l’accueille à bras ouverts (susceptus amice). Pourtant, depuis la fin des persécutions, l’Eglise autorisait les chrétiens à servir dans les armées impériales (on était même allé jusqu’à excommunier des déserteurs). Mais Paulin ne perd pas une occasion de déprécier ce métier, en peignant les "durae lubrica militiae" (8) et le "vanae laborem militiae sterilem" (9).

(1) XVI, 284-287 (483): Les trois arpents de mauvaise terre qui ne lui appartenaient pas en propre, il les cultiva lui-même, sans serviteur, possesseur d’un petit jardin.

(2) XVI, 291 (483).

(3) XXXV, 252-253 (681): souvent le champ est trompeur, rendant à peine les semences qu’on lui a confiées.

(4) 13, 24 (104, 20 sqq): le cultivateur a plaisir à contempler dans ses blés naissants l’espoir d’une bonne récolte, en attendant de recevoir dans la moisson le fruit de son travail.

(5) notamment les poèmes XVIII, XX.

(6) XVIII, 222-225 (495).

(7) XIX 446 ( 537) prétendant fuir le service militaire, et accueilli amicalement (le service militaire était obligatoire pour les fils des vétérans).

(8) 8, verset 12 (48) le métier militaire, séduisant mais dur.

(9) XV 19-100 (470): le labeur stérile du vain métier militaire.

 

A travers ces critiques, nous trouvons pourtant plusieurs renseignements: en entrant à l’armée on prêtait serment (sacramenta) (1).

Lorsque Victrice décide de quitter l’armée, il revêt toutes ses armes (muniminum bellicorum praecinctus ornatu), et à la stupéfaction générale il vient les jeter aux pieds du tribun militaire en renonçant au serment militaire (2).

Paulin le loue démesurément de cette action, d’autant plus courageuse qu’elle se passait sous Julien, pendant une persécution, et que Victrice faillit bien y laisser la vie. Mais ces cas sont tout de même rares, et normalement le soldat remplit son engagement: il devient alors emeritus, un vétéran (3).

L’ambition suprême du soldat, ou du moins de l’officier, c’est de devenir protector c’est-à-dire d’entrer dans la garde personnelle de l’empereur: "in hac militia soletis in votis habere hanc officii promotionem: ut protectores efficiamini" (4).

La camaraderie des soldats qui logent sous la même tente s’appelle contubernium (5). Victor a parlé à Paulin d’un officier dont il a été le "socius et secutor contubernii", et là-dessus Paulin décide de lui écrire pour le persuader d’imiter Victor et de quitter non seulement l’armée, mais aussi le monde, et de devenir moine. On ignore le résultat de cette démarche.

Quant au monde des affaires, Paulin le connaît bien, puisqu’il a été "consularis sexfascalis Campaniae", magistrature qui comporte des pouvoirs judiciaires. Et Paulin rend grâce à saint Félix parce que "te meam moderante manum, servante salutem, purus ab humani sanguinis discrimine mansi" (6): il n’a jamais eu à prononcer de condamnation à mort, loin de là il utilise sa magistrature à construire, comme nous avons vu, un hospice près du tombeau de Félix et à refaire la route qui y mène.

(1) 18, 7 (134, 8).

(2) 18, 7 (l34, 5): revêtu de l’attirail des armes défensives. (134, 8): sacramenta permutans.

(3) XVI, 22 (477).

(4) 25, 6 (229, 11 sqq): Dans l’armée d’habitude vous aspirez une promotion: devenir garde du corps.

(5) 25, 1 (223, 19).

(6) XXI, 375-376 4 (586): Grâce à toi qui modérais ma main, et assurais mon salut, je restai pur de sang humain.

 

Aper était judex, gouverneur civil d’une province, et aussi avocat: "terribilis, vel pro tribunalibus advocatus, vel in tribunalibus judex" (1). Paulin le compare à un taureau gras qui est devenu doux comme un boeuf depuis sa conversion et son ordination.

Paulin lui aussi était avocat, à Bordeaux, en compagnie de Sévère qu’il qualifie de "facundi nominis palmam tenens" (2), et lui aussi était fort éloquent, si l’on en croit ses contemporains. Il se dégoûte vite de cette vie corrompue (la corruption des juges était une plaie de la justice impériale: "corrupti muneribus reorum judices condemnantur") (3) et agitée: "postea denique, ut a calumniis et peregrinationibus requiem capere visus sum, nec rebus publicis occupatus, et a fori strepitu remotus, ruris otium, et Ecclesiae cultum placita in secretis domesticis tranquillitate celebravi" (4). Il parle aussi plus loin des "seculares turbae" qu’il a quittées, les agitations du siècle: c’est ainsi que Paulin, peu à peu, se détache du monde.

La société où il vit ne se divise pas seulement en catégories professionnelles, elle se divise aussi en catégories économiques: les riches et les pauvres. Grâce aux différents modes de vie qu’il a suivis, Paulin est spécialement bien placé pour connaître les uns et les autres. Mais tout cela ne change guère d’une époque à l’autre. On n’apprendra rien en apprenant que certains riches étaient prodigieusement dépensiers: de sorte que parfois, dit Paulin, "male prodigi egent merito" en dépensant en un seul jour de quoi manger toute leur vie (5).

(1) 38, 8 (331, 25 sqq): redoutable, soit comme avocat devant le tribunal, soit comme juge dans le tribunal.

(2) 5, 5 (28, 4 sqq): tenant la palme de la réputation d’éloquence. (3) 32, 20 (294, 23 sq): les juges qui se laissent corrompre par les présents des accusés sont condamnés.

(4) 5, 4 (27, 17 sqq): Puis enfin, lorsqu’il m’eut paru bon de me mettre à l’abri des calomnies et des voyages, sans être absorbé par les affaires publiques et en étant éloigné de l’agitation du barreau, j’ai mené la vie tranquille de la campagne et pratiqué la religion dans la retraite de ma maison en jouissant d’une douce paix.

(5) 13, 17 (98, 4): ils sont tellement prodigues qu’ensuite ils sont pauvres et c’est bien fait pour eux.

 

D’autres consacrent des sommes considérables à organiser des munera les jeux de cirque. Depuis très longtemps, il était entré dans les moeurs que les magistrats devaient donner des munera au peuple à leur entrée en charge. Et Paulin de s’écrier: "Roma (...), vere illae divitiae divites forent,(…) si quod bestiis aut gladiatoribus et comparandis male profligatur et alendis, id propriae donaretur saluti" (1).

Mais la prodigalité des riches n’a d’égale que leur dureté envers les pauvres: non seulement ils ne donnent rien aux mendiants leurs frères, non seulement ils ont horreur de voir leurs plaies ou leurs haillons (2), mais en plus ils les chassent de chez eux "saevis verberibus." D’autres vont même plus loin: ils volent la maison du pauvre vieux prêtre Basile, qui serait réduit à la mendicité si l’excellent Paulin n’intervenait pour que son bien lui soit rendu (4)

Les avares enterrent leur trésor "fosso cespite" (5).

Pourtant les mendiants t’attendent, dit Paulin, "et in adventum tuum pendent. (…)Tibi impenduntur cunctorum inopum preces et vota debilium" (6). Nous possédons un seul sermon de Paulin, et il traite précisément de l’aumône: cela prouve que le sujet l’intéressait.

Sa conception de la société est assez étrange, mais en tout cas optimiste: Dieu, dit-il, "divitem pauperi, et pauperem diviti praeparavit" (7), c’est-à-dire que le pauvre ne saurait vivre sans le secours du riche, ni le riche être sauvé sans les prières du pauvre reconnaissant.

Paulin ne conçoit pas que l’on puisse vivre sans société, sans aucune relation avec autrui. Son abondante correspondance en est une preuve. Nous allons la considérer du point de vue des relations sociales. On se parle d’une manière extrêmement cérémonieuse à cette époque, et les formules de politesse sont une accumulation de superlatifs. Il y avait certainement des formules toutes faites, car on retrouve toujours à peu près les mêmes (avec beaucoup de variantes suivant le degré d’amitié ou de respect).

(1) L3, l5 (96, 15, 22 sqq): Rome, tes richesses seraient de vraies richesses, si ce que l’on dépense pour l’entraînement et la nourriture des bêtes et des gladiateurs, était distribué pour le salut.

(2) XXXV, 499-505 (686).

(3) 13, 17 (98, 17): en les frappant sauvagement.

(4) 14, 3-4 (109) 19 sqq).

(5) XXXV, 512 (687): en creusant un trou dans leur jardin.

(6) 34, 7 (308, 30 sqq): Ils attendent ton arrivée. C’est à toi que s’adressent les prières de tous les pauvres et les demandes de tous les faibles.

(7) 32, 21 (296, 5 sqq): il a créé le riche pour le pauvre, et le pauvre pour le riche.

 

Paulin écrit aux évêques: "Beatissimo et merito venerabili patri X...",

aux prêtres (ses égaux): "Sancto et merito venerabili (ac dilectissimo) fratri X...",

aux laïcs il adresse toutes sortes d’adjectifs comprenant entre autres "praedicabili" (qui mérite d’être vanté),

aux amis intimes "fratri unanimo X..."; ou bien le nom tout seul, ou encore une cascade de superlatifs, notamment à Sévère. On trouve aussi "semper nobis desiderantissimo" (notamment à Delphin, l’évêque qui le baptisa, et parfois à Sévère), et "Domino" dans les premières lettres.

En s’adressant à saint Augustin il laisse parfois déborder son enthousiasme et sa vénération, ce qui donne une formule de ce genre: "Sancto Domini beatissimo, et unice nobis unanimo ac venerabili patri, fratri, magistro Augustino episcopo, Paulinus et Therasia peccatores" (1).

Voilà pour les en-têtes des lettres, mais il y a d’autres formules, au vocatif, lorsqu’il s’adresse aux gens directement. Pour ne pas quitter l’exemple de saint Augustin, citons la phrase finale d’une lettre que Paulin lui adresse: "Sancte Domine, beatissime frater in Domino Christo unanime, magister meus in fide veritatis, et susceptor meus in visceribus caritatis" (2). A coup sûr, cette formule n’a rien d’officiel, et nous renseigne plus sur Paulin que sur son époque: car ici il est sincère.

On rencontre souvent les expressions "sanctitas tua", "unanimitas tua": façons de parler que nous utilisons toujours pour parler aux évêques (bien qu’un peu différentes). La formule "corona tua" fait allusion, pensent certains, à la couronne de la tonsure.

Les relations sociales comportent aussi des visites. Bien entendu, à l’époque de la vie mondaine de Paulin (avant 390), elles sont plus nombreuses qu’à Nole. Pourtant il exagère lorsqu’il laisse entendre qu’il ne voit jamais personne (3).

Lors de son voyage d’Espagne à Nole, il rend visite au pape Sirice qui le reçoit avec une froideur hautaine (superba discretio) (4).

(1) 45 (379): Au très bienheureux saint du Seigneur, en union avec nous dans l’unité, et au vénérable père, frère, maître, Augustin évêque, Paulin et Thérèse pécheurs. (L’édition Hartel donne "venerabili et desiderabili", alors que "desiderabili" n’est pas dans Migne).

(2) 50 (423, 11 sqq): Saint seigneur, très bienheureux frère en union avec moi dans le Seigneur Christ, mon maître dans la foi de vérité, et mon soutien dans les entrailles de la charité.

(3) 13, 2 (85, 7 sqq).

(4) 5, 14 (33, 27).

 

Par contre, lorsqu’à la même époque il tombe malade, "nemo propemodum tota Campania episcoporum non visitare non fas existimavit sibi" (1) (et chaque bourgade, presque, a un évêque). Lors de son pèlerinage annuel à Rome le 29 Juin, il reçoit tant de visites qu’il n’a même pas le temps de lire son courrier, qui est pourtant une lettre de saint Augustin (2). Quant aux relations avec le pape, elles deviennent meilleures quelques années après, puisque le pape Anastase l’invite à son anniversaire, "nec offensus est excusatione nostra" (3).

A Nole, Paulin reçoit deux fois la visite de Nicétas, venu exprès de la Dacie (4), une autre fois de Mélanie qui revient de Jérusalem (5), et quelques années plus tard de Mélanie la jeune et de sa famille (6). Il s’attriste que Victrice, venu de Rouen à Rome, n’ait pas fait un petit détour jusqu’à Nole (7).

Quant Sévère, il promet toujours sa venue, mais elle devient de plus en plus mythique et Paulin se résigne. Il lui dépeint pourtant de façon alléchante la réception qu’il lui fera (ainsi qu’aux moines que Sévère amènera avec lui): "Cum ergo vos simul et vicissim complexus omnes, merito dicam concinentibus vobis (...). Tum ego te non in monasterio tantum vicini Martyris inquilinum, sed etiam in horto ejusdem colonum locabo (...) Jam et domestica mihi post osculum sanctum gaudia mente et cogitatione propono cum inebriante spiritu caritatis sobriam misceamus per pocula casta laetitiam" (8): baiser de paix, chants d’actions de grâces, installation des hôtes, travaux de jardinage, repas. Martinien est accueilli aussi chaleureusement par les communautés de Marseille et de Rome (9).

(1) 5, 14 (34, 6 sq): Il n’y a presque aucun évêque de toute la Campanie qui n’ait pas jugé à propos de venir me voir.

(2) 45, 1 (379, 23 sqq).

(3) 2 il ne s’est pas offensé de mon refus.

(4) XVII (483) et XXVII (648), trois ans plus tard (400-403)

(5) 29 (247).

(6) XXI (571).

(7) 37, 1 (317, 16 sqq).

(8) 5, 15-16 (34, 24 sq; 35, l sqq; 12 sqq): Après vous avoir embrassés tous ensemble et chacun en particulier, je chanterai avec vous. Ensuite je vous installerai, non seulement dans le monastère comme locataires du martyr qui est à côté, mais aussi dans son jardin pour le cultiver. Après le baiser de paix, je me représente déjà en imagination nos joies familiales lorsque enivrés par l’esprit de charité nous célébrerons notre sobre allégresse par des coupes modérées.

(9) XXVI, 305-322 (621) e 371-392 (622).

 

Mais nous dépassons ici le niveau des relations mondaines, et même des relations sociales ordinaires. La société où vit Paulin n’est pas seulement dure et frivole: elle est aussi capable d’actions généreuses, que Paulin ne se prive pas de nous vanter avec chaleur. Ainsi les habitants du bourg d’Abella (près de Nole), qui travaillent bénévolement à reconstruire un aqueduc pour amener l’eau à Nole, en plein été dans des montagnes escarpées, et avec un tel zèle que tout est fini en quelques jours (1).

Mélanie, pendant les persécutions ariennes, "per triduum quinque millia monachorum latentium panibus suis pavit" (2).

Valgius, le naufragé, n’a rien de plus pressé que de remercier ses sauveteurs en leur offrant un repas (3).

Pammachius agit de même avec tous les mendiants de Rome, le jour de l’enterrement de sa femme (4).

C’est grâce à Ausone que Paulin accède au consulat (5).

Quant à Victor, Paulin chante ses louanges à tout propos. Il sait tout faire: la cuisine (6), les massages aux rhumatismes de Paulin (7), la tonsure (8); il veut tous les jours laver les pieds et cirer les chaussures de Paulin (qui refuse) (9), il porte les lettres avec une vitesse remarquable (10), et le tout avec une amabilité extraordinaire, et une serviabilité rare.

Mais Paulin lui aussi possède ces vertus: toute la lettre 49, adressée à Macaire, préfet de Rome, n’est destinée qu’à intercéder en faveur de l’armateur Secondinien à qui on a volé son bateau, ou plutôt la cargaison de blé qu’il transportait. Il entreprend des démarches pour que Basile récupère sa maison (11). Il recommande ses messagers aux destinataires de ses lettres, pour qu’ils obtiennent ce dont ils ont besoin.

On ne saurait mieux clore ce chapitre que par une action rapportée par Grégoire le Grand (l2), au sujet de Paulin: il se serait vendu à un roi vandale pour racheter le fils unique d’une veuve, fait prisonnier lors l’une invasion. L’histoire est fausse, il s’agit d’un autre Paulin de Nole postérieur au nôtre, mais le fait qu’on la lui ait attribuée montre qu'il était capable d’une action aussi généreuse.

(1) XX1, 724-740 (600).

(2) 29, 11 (258, 10 sqq): elle nourrit et cacha 5000 moines pendant 3 jours.

(3) 49, 8 (397, 12 sqq).

(4) 13 (84 sqq).

(7) 23, 5 (162, 9) 16 sqq).

(8) 23, 10 (l67, 20

(9) 23, 4-5 (161, 19 sqq).

(10) 28, 1 (241, l sqq).

(11) 14, 3 (109, 19 sqq); l5, 2-3

(12) Grégoire le Grand, Dialogues, 3, 1.

 

 

CHAPITRE VIII: L’AMITIÉ ET LA CORRESPONDANCE

 

Nous arrivons maintenant au niveau de l’amitié, considérée non plus du point de vue social, mais du point de vue affectif. Parmi tous ses correspondants et visiteurs, il en est peu que Paulin aime véritablement. Tout cela n’est pas particulier à lui ni à son époque. Mais il est émouvant précisément de voir que cela ne change pas.

Par exemple, Nicétas à sa deuxième visite est assis à côté de lui pendant qu’il prononce son Natalicium n° 9: Paulin se demande comment il se fait qu’il parle si bien aujourd’hui, puis s’écrie que c’est la présence de son ami qui lui donne des ailes: "Sentio Nicetam, qui proximus assidet, et me Tangit, et adjuncto lateri vicinus anhelat" (1). C’est ce genre de détails qui rend le plus concrète et vivante une époque aussi ancienne.

Paulin aime et admire tant Sévère qu’il parle de lui à tout le monde: "gloria enim mihi est diligi te et amari" (2).

Paulin avait une grande vénération pour son maître Ausone, mais il rompit toute relation avec lui à sa conversion (qu’Ausone ne comprenait pas et blâmait) en lui envoyant une magnifique déclaration d’amitié: "Prius ipsa recedet Corpore vita meo, quam vester pectore vultus" (3).

Car à sa conversion Paulin renonce à tous ses amis qui ne sont pas chrétiens. C’est le sujet du beau livre de P. Pabre: Paulin de Nole et l’amitié chrétienne. L’amitié humaine est transfigurée par l’amour divin.

(1) XVII, 315 (655): Je sens Nicétas, qui est assis tout près, qui me touche, et qui respire à coté de moi.

(2) 29, 14 (261, 25 sq): C’est une gloire pour moi de voir qu’on t'aime.

(3) XI, 47 (462): La vie quittera mon corps avant que votre visage quitte mon coeur. (et toute la fin du poème). Noter le vouvoiement.

 

Mais « pour être chrétien on n’en est pas moins homme", et Paulin et ses amis souffrent de ne jamais pouvoir se voir: car ils sont dispersés aux quatre coins du monde, Paulin en Campanie, Sévère en Aquitaine, Delphin et Amand à Bordeaux, Augustin et Alypius en Afrique, Victrice à Rouen, Jérôme à Bethléem. Et même Pammachius, à Rome, est trop éloigné, puisque Paulin n’a pas pu lui porter ses condoléances, ses rhumatismes ne lui permettant de sortir qu’en été (1). A plus forte raison, il ne peut pas envisager un long voyage. D’ailleurs il n’a pas le temps de quitter Nole, Augustin non plus ne peut quitter ses ouailles: c’est ainsi qu’ils ne purent jamais se voir. "Absentia corporalis nobis invidet nostri", écrit Paulin à Augustin. Paulin et Sévère ont été très liés dans leur jeunesse (ils étaient tous deux avocats à Bordeaux) mais depuis que la vie les a séparés, ils ne se voient plus, et ne se reverront jamais, mais pendant des années Paulin espère encore: "Nos quotidiana conspectus tui exspectatione cruciasti, donec hiems intercluderet". Une fois Sévère demande à Paulin de lui envoyer son portrait: Paulin refuse, jugeant cela inutile (4).

Ils ne peuvent donc se parler que par lettres, mais elles sont rares, à cause des distances: il faut toute la belle saison pour aller de Nole en Aquitaine et l’hiver on ne peut pas voyager; Paulin et Sévère ne peuvent donc échanger qu’une seule lettre par an, à quelques exceptions près.

Comme il n’y a pas de poste publique, et que l’Etat ne se charge que de la correspondance officielle, il faut trouver soi-même des messagers, ce qui n’est pas toujours facile, surtout pour les petites gens (dont Paulin ne dit rien). Lui-même a plus de facilités: il confie ses lettres à ses serviteurs qui voyagent sans doute par deux, puisqu’il est question de pueri (5), ou à des prêtres de l’entourage (6), ou encore, dans les monastères comme ceux de Paulin et de Sévère, aux moines de la communauté ou aux disciples qui en font plus ou moins partie : ainsi Vigilantius et un catéchumène du couvent de Primuliac servent de messagers entre Paulin et Sévère (7).

(1) 13, 2 (85, 14 sqq).

(2) 6, 3 (41, 9 sq): l’absence corporelle nous prive de nous.

(3) 17, 1 (125, 12 sq, 14 sqq): tous les jours tu nous as torturés par l’attente de ta visite (...) jusqu’à l’arrivée de l’hiver.

(4) 30, 1-2 (262, 22 sqq).

(5) 5, 21 (39, 6).

(6) 12, 12 (83, t 24 sqq); l7, 3 (l26, l9 sqq) (un sous-diacre); 45, l (3 sqq) (diacre); et ailleurs.

(7) 5, 11 (32, 3 sqq).

 

Ce sont parfois des messagers d’occasion. Paulin remercie Sévère de son empressement: "neque sat habes occasionibus cunctis revisere, nisi et pueros tuos mittas, nec solum de famulis, sed et de filiis sanctis, quorum benedicta in Domino prole laetaris." (1).

Même si on réussit à trouver un messager, on n’est pas sûr que la lettre arrivera: nous avons vu. au chapitre IV les dangers des voyages. La lettre peut se perdre, le messager rencontrer des obstacles ou tomber malade (comme Vigilantius, qui arrive avec la fièvre chez Paulin, et est ainsi retardé) (2). Paulin en Espagne reste trois ans sans lettres d’Ausone à Nole une autre fois deux ans sans nouvelles de Sévère. Puis il s’en est perdu sans doute une bonne quantité de celles qu’il a écrites lui-même, en particulier toutes celles d’après 410 (les Barbares rendent les routes peu sûres), sauf une (4). Celles de Sévère à Paulin sont toutes perdues, mais elles n’ont disparu que plus tard, puisque Paulin les a reçues.

Martinien perd dans un naufrage la lettre de Cythérius à Paulin, mais lui en reconstitue de vive voix le contenu (5), ce qui semble indiquer qu’il l’avait lue très indiscrètement; à moins qu’il ait seulement donné à Paulin des nouvelles de Cythérius, qu’il connaissait bien. Et même "super haec amicum merito se jactans tuum, quo plus amaretur dabat" (6). Le messager est ainsi "un vivant trait d’union" (7) et peut donner toutes sortes de détails. On a l’illusion de voir l’ami lui-même: "quanquam ne corporaliter quidem penitus abfueris, quando in pueris tuis sancta in Domino tibi servitute connexis, corporis ad nos tui membra venerunt" (8).

Certains messagers ont des manières désagréables: Marracinus, le messager de Sabinus de Rome (9), soldat, choque tellement Paulin et sa communauté par ses vêtements voyants et son comportement vaniteux, qu’il écrit à Sévère de les sélectionner soigneusement: ils doivent être moines en apparence et en mentalité (10).

(1) 11, 4 (62, 10 sqq): tu ne te contentes pas d’examiner toutes les occasions, tu nous envoies encore des messagers choisis non seulement parmi tes serviteurs, mais aussi parmi tes fils spirituels, race bénie dont tu te réjouis dans le Seigneur.

(2) 5, 11 (32, 3 sqq).

(3) X, l-6 (453).

(4) lettre 51 à Eucher et Galla (écrite entre 423 et 426) (page 423).

(5) XXIV, 423-426 (623).

(6) XXIV, 445-446 (623): de plus il se vantait d’être ton ami, pour m’être plus cher.

(7) Gorce, Les voyages etc. page 215.

(8) 5, 1 (24, 13 sqq): tu n’as pas été tout-à-fait absent corporellement, puisque par tes messagers, unis à toi dans le saint service de Dieu, les membres de ton corps sont venus à nous.

(9) 22, 1 (155, 2 sqq). ; 17, 1 (125, 24 sqq)..

(10) 22, 2 (155, 11 sqq).

 

Plusieurs messagers plaisent à Paulin: Cardamas, ancien acteur devenu clerc, Sorianus, "spiritalis tabellarius" et surtout Victor, qui porte toutes les lettres de Paulin et de Sévère depuis la lettre 23, et dont nous avons parlé plusieurs fois. Paulin ne cesse de vanter ses innombrables qualités. En particulier c’est un remarquable messager, un "veredarius pedes aut veredus bipes" (2). Cardamas est aussi très rapide malgré son âge (3). Tous ces messagers vivent suivant le même idéal que Paulin, qui par conséquent les aime beaucoup et les retient chez lui le plus longtemps possible, ce qui est parfois difficile: car la hâte des messagers à repartir est proverbiale à l’époque. Pour les forcer à rester il diffère sa réponse (retinuimus invitos silentio) (4). Quintus, messager d’Augustin, est si pressé que Paulin n’a pas le temps de recopier sa lettre, si bien que "haec epistola lituris quam versibus crebrior loquitur" (5). Chaque fois que Victor fait mine de vouloir partir, Paulin s’aperçoit comme par hasard qu’il a encore quelque chose à écrire à son ami, ce qui force le messager à rester, et donne comme résultat une succession de petites lettres (6).

Mais cela devient une excuse commode pour justifier l’imperfection d’une lettre. Nous avons ainsi un exemple très comique d’exagération : Paulin commence sa lettre en disant qu’il se dépêche parce que "jam ad navem currente litterarum perlatore" (7), et il y en a ensuite vingt pages dans l’édition Hartel.

On n’aime pas voir partir les messagers, et par contre on aime beaucoup les voir arriver avec une lettre, "festin sur lequel le coeur affamé se précipite avidement" (8). Chaque lettre de Paulin commence par la description de la joie débordante qu’il a eue à recevoir la lettre de l’ami à qui il répond.

(1) 22, 1 (154, 20): messager spirituel.

(2) 28, 1 (241, 2): notre courrier pédestre ou notre cheval de poste à deux pieds.

(3) 21, 1 (149, 11 sqq) -2 (150, 3 sqq).

(4) 5, 11 (32, 15): je les ai retenus de force par mon silence.

(5) 45, 8 (386, 24): Cette lettre comporte plus de ratures que de lignes.

(6) 43, 1 (364, 3 sqq).

(7) 50, 1 (404, 8 sq): le porteur de cette lettre court déjà à son bateau.

(8) Gorce, Les voyages etc,  page 201.

 

Les sentiments d’amitié se manifestent aussi par les cadeaux qui accompagnent parfois les lettres: manteaux (1), tunique de laine d’agneau (2), reliques (3), pain bénit (4), vaisselle (5).

La lettre n’est pas toujours personnelle, elle est parfois destinée à toute une communauté. Paulin parle à Augustin des "filiorum qui forte de nostris in hora lectiunculae hujus circa te steterint." (6). C’est la "gazette religieuse de l’époque", comme dit Gorce (7).

De plus, on collectionne les lettres les plus intéressantes. Paulin est tout étonné de voir un jour dans une lettre de son ami Sanctus de Bordeaux une liste de lettres écrites par lui-même et qu’il avait complètement oubliées (8).

Après le transport et l’utilisation de ces lettres, examinons maintenant la manière dont on les écrit.

On utilise du papier (charta (9), chartula (16)), et de l’encre (atramentum) (11). Paulin les dicte (12).La lettre est toujours un rouleau (volumen) (13) comme aux siècles antérieurs. On garde les brouillons. Nous avons vu que Paulin se plaint une fois de n’avoir pas le temps de recopier la sienne au propre (lettre 45). Dans la lettre 50 il prie Augustin de lui envoyer le brouillon d’une ancienne lettre: "si habes relatam in schedis rogo ut mittas aut certe retexas eam mihi, quod tibi facile est. Nam etsi scripta non exstat, quia forte brevis epistola, ut tumultuaria tibi inter libros tuos haberi spreta est" (14), ce qui permet de supposer que peut-être ses propres papiers étaient en désordre.

(1) 23, 3 (160, 23); 29, l (247, l5 sqq) (2) 29, 5 (251, 6 sqq).

(3) 31, 1 (268, 5 sqq).

(4) fin des lettres 3 (18, 12 sqq), 4 (24, 5-6), 5 (3 sqq), 7 (45, 4 sqq).

(5) 5, 21 (39, 3 sqq).

(6) 50, 1 (404, 12 sqq): ceux de nos fils spirituels qui seront autour de toi à l’heure de cette lecture.

(7) paget 204.

(8) 41, 1 (356, 2 sqq).

(9) 12, 11 (83, 11).

(10) 39, 8 (339, 19).

(11) XXIV, 433 (623).

(12) In dictando, 5, 20 (38, 23); Dictationis hujus, 50, 14 (417, 9).

(13) 45, 1 (379, 23).

(14) 50, 14 (417, 12 sqq): si tu as gardé le brouillon, je te prie de me l’envoyer, ou du moins de me répéter son contenu, ce qui ne t’est pas difficile. Car même si cet écrit n’existe plus, parce que peut-être cette courte lettre, faite précipitamment, n’a pas été jugée digne d’être rangée parmi tes livres... (à vrai dire, l’idée de désordre vient de la traduction de 1703, souvent peu précise).

 

En tout cas, ceux d’Augustin étaient en ordre car il retrouva le papier demandé. On ajoute des post-scriptum au dos des lettres (in tergo epistolae adnotationem) (1) et dans les coins où il reste de la place: « Patens pagina sollicitavit linguam et manum ut occuparet vacantia, et succurrit animo esse quod scriberem" (2). Suivent 27 pages.

La lettre 24 est elle aussi un post-scriptum. Après les 44 pages de la lettre 23, Paulin dit "habeo tibi adhuc aliquid dicere" (3), et il en écrit 23 pages. C’est qu’elles sont adressées à son cher Sévère, et Paulin a tant de choses à lui dire qu’il pourrait continuer éternellement. Souvent il se rend compte qu’il est bavard, il s’en excuse, mais c’est plus fort que lui (4). C’est que la correspondance est le seul lien entre des amis éloignés. On a l’impression de parler réellement à l’absent: "in dictando enim dum te cogito, et totus in te sum; quasi apud praesentem longo intervallo loquar, obliviscor impositum finire sermonem" (5).

Les lettres de Paulin sont "un précieux modèle de ces relations étendues entre les écrivains chrétiens dispersés dans le monde. Ils échangent non seulement des compliments en vers mais des idées, des conseils sur la vie, des éclaircissements sur la religion, des livres" (6).

Mais ici nous entrons dans le domaine de la vie intellectuelle.

(1) 41, 1 (356, 2 sqq): une note au dos de la lettre.

(2) 32, 1 (275, 11 sqq): une page vide a sollicité ma langue et ma main à occuper l’espace libre, et il m’est venu à l’esprit assez de matière.

(3) 24, 1 (201, 11): j’ai encore quelque chose à te dire.

(4) 45, 2 (363, 1 sqq); 12, 11 (83, 11 sqq); 49, 12 (399, 27).

(5) 5, 20 (38, 23 sqq): en dictant cette lettre, je pense à toi et je suis tout en toi, comme si  malgré la distance tu étais présent et que je te parlais, si bien que j’oublie de finir mon discours.

(6) Fabre, page

 

 

CHAPITRE IX: LA VIE INTELLECTUELLE

 

La vie intellectuelle est très florissante dans les milieux chrétiens cultivés. Paulin devenu moine continue à écrire; tous les ans pour la fête de saint Félix il compose un Natalicium (poème d’anniversaire): "cui quotannis pensito dulcissimum voluntariae servitutis tributum" (1). Ses lettres sont parfois de véritables traités, ainsi que celles qu’il reçoit. Il traduit du grec les oeuvres du pape saint Clément (2). Les exemples ne manquent pas.

Mais le caractère le plus frappant de cette vie intellectuelle, c’est précisément qu’elle est vivante, en mouvement. Elle se manifeste par d’incessants échanges entre tous ces lettrés éparpillés aux quatre coins de la terre.

D’abord ils échangent des idées. Sévère demande à Paulin des renseignements pour écrire son Histoire, et celui-ci lui répond: "quod de me non habui, de fratris unanimi opulentiore thesauro petivi, et ipsam adnotationem quam commonitorii vice miseras litteris meis inditam, direxi ad Ruffinum presbyterum, sanctae Melani spiritali in via comitem" (3). Une autre fois, décrivant les moeurs du pélican (qui lui sert d’allégorie), il cite ses sources: "Accepi enim a quodam sancto doctissimo viro et carissimo mihi, qui non solum legendo, sed etiam peregrinando multa cognovit..." (4). En fait c’est le serpentaire qu’il décrit, ce qui prouve que sa source (Ruffin ou Jérôme?) était mal informée, ou qu’il a mal compris: car il n’a pas du tout l’esprit scientifique. De même, dans sa traduction de Clément de Rome, il a traduit, comme il l’avoue lui-même, plutôt le sens approximatif que les mots (2).

(1) 28, 6 (246, 23 sq): tous les ans je lui paie un très agréable tribut de servitude volontaire.

(2) 46, 2 (387, 24 sqq).

(3) 28, 5 (245, 27 sqq): ce que je n’ai pas moi-même, je l’ai demandé à un de nos frères dont le trésor est plus riche, et la note que tu m’avais envoyée en guise d’instructions en l’introduisant dans ma lettre je l’ai adressée au prêtre Ruffin, le compagnon de sainte Mélanie sur la voie spirituelle.

(4) 40, 6 (346, 16 sqq): j’ai appris d’un saint homme très savant, que j’aime beaucoup, et qui sait beaucoup de choses qu’il a apprises non seulement en lisant, mais aussi en voyageant…

 

Car les faits l’intéressent beaucoup moins que la signification religieuse qu’on en peut tirer. Les questions qu’il pose à ses amis, surtout à Augustin, montrent bien que c’est cela qui le préoccupe uniquement. Les explications qu’il lui demande concernent en général des passages peu clairs de l’Ecriture (1). Par exemple, que signifient "les saints qui sont sur la terre" (2), ou quelle est la différence entre "obsecrationes", "orationes", "postulationes", et "gratiarum actiones" (épître à Timothée)? (3). Et maintes questions du même genre.

Ils échangent aussi des livres: Alypius envoie à Paulin un livre d’Augustin (Contre les manichéens) (4) et en reçoit les Chroniques d’Eusèbe (5). Sévère envoie à Paulin sa Vie de saint Martin, dont celui-ci le remercie dans la lettre 23. Paulin envoie à Sévère son Panégyrique de Théodose (6), ouvrage perdu, et ses Natalicia (7); et à Ruffin sa traduction de Clément de Rome (8).

A Rome il reçoit un jour un livre, ou une brochure (libellum) (9), de saint Augustin, dont il ne nous donne pas le titre. Une autre fois Sévère lui demande des vers pour décorer la basilique et le baptistère qu’il bâtit à Primuliac (10), à quoi Paulin répond en envoyant tout un choix de vers, non sans ajouter: "credo enim vel tunc de meis ineptiis erubesces" (11).

(1) toute la lettre 50 (404 sqq).

(2) 50, 2 (404, 16 sqq).

(3) 50, 10 (412      12 sqq); psaume 15

(4) 3, 2 (14, 14      sqq).

(5) 3 (15, 11          sqa).

(6) 20, 6 (247, l     sqq) qu’il refuse de publier, par humilité.

(7) 28, 6 (246, 21 sqq).

(8) 46, 2 (387, 24 sqq).

(9) 45, 1 (379, 12).

(10) 32, 3 (277, 14 sqq).

(11) 32, 9 (284, 12 sq): je crois que tu vas rougir de mes inepties.

 

Ce va-et-vient prouve aussi la rareté des livres: ces envois ne sont pas toujours des cadeaux, mais parfois des prêts seulement, le temps de recopier. Ainsi quand Paulin envoie à Alypius le livre d’Eusèbe de Césarée: "Sed in hoc fuit obtemperandi mora, quod instructu tuo, quia ipse non haberem hunc codicem, Romae reperi apud parentem nostrum vere sanctissimum Domnionem qui proculdubio promptus mihi parait in hoc beneficio, quod tibi deferendum indicavi (...). Quod et sanctos viros Comitem et Evodium rogavimus ut exscribere ipsi curarent, ne vel parenti Domnioni diutius codex suus deforet, et tibi transmissus sine necessitate redhibendi maneret" (1). Le livre, pour ces hommes, est un luxe et en même temps un outil de travail indispensable. La littérature est une partie d’eux-mêmes, tellement intégrée à leur vie qu’ils ne peuvent pas l’en ôter: c’est qu’ils ont tous fait des études littéraires très poussées, en particulier Paulin qui a suivi dans son enfance les cours de l’illustre Ausone, qui le marquent profondément et sont cause de sa vocation poétique, et aussi de sa mauvaise connaissance du grec (2).

Licentius, le jeune destinataire de la lettre 8, est un ancien élève d’Augustin: "a parvulis primo lacte sapientiae secularis imbutum" (3).

Le petit Celse, fils de Pneumatius et de Fidélis, lorsqu’il meurt à l’âge de huit ans: "jam puerile jugum tenere cervice ferebat, Gramnatici duris subditus imperiis." Le grammaticus est l’instituteur, celui qui apprend à lire et écrire. Nous voyons que la sévérité des instituteurs était un lieu commun: les châtiments corporels en effet étaient une pratique courante, qui n’est d’ailleurs guère éloignée de nous, et qui existe même encore dans certains pays.

Mais un nouveau genre d’éducation commence à se développer: du moins nous en trouvons un exemple.

Le fils de Cythérius est élevé dans le monastère de Sévère: "in Severi jus manumque est traditus" (5), "ut a juventa singulariter sedens, Tacitaque seclusus domo, Amet quietae tecta solitudinis" (6), mode de vie que généralement la jeunesse ne recherche guère. C’est en somme l’ancêtre des écoles religieuses. Et cela est très important si on considère que l’éducation est la base d’une société, et son miroir. Pourtant le fils de Cythérius est une exception, car tous les jeunes chrétiens continuèrent, jusqu’au dernier moment, à fréquenter l’école publique, et à étudier les auteurs profanes, c’est-à-dire païens; et voici le problème des intellectuels chrétiens: l’incompatibilité entre leur culture et leur foi, et l’impossibilité de renoncer à l’une ou à l’autre.

(1) 3, 3 (15, 12 sqq): je t’obéis avec retard, parce que suivant tes instructions, comme je n’avais pas moi-même ce livre, je l’ai cherché à Rome chez mon très saint parent Domnion, qui n’a pas hésité à me rendre aussitôt ce service quand je lui ai dit que c’était pour toi. J’ai demandé aux saints hommes Côme et Evodius de prendre soin de le copier eux-mêmes, pour que mon parent Domnion ne soit pas privé trop longtemps de son livre, et que tu puisses garder la copie sans avoir besoin de la rendre.

(2) 46, 2 (387, 25 sq).

(3) 8, 1 (46, 2 sq): qu’il a nourri dès l’enfance du lait de la science profane.

(4) XXIV, 25-26 (676): Déjà il portait sur sa nuque frêle le joug des enfants, soumis aux dures lois de l’instituteur.

(5) XXIV, 715 (628): il fut remis aux lois et à la direction de Sévère.

(6) XXIV, 727-729 (629): afin qu’assis tout seul, loin de la jeunesse, et enfermé dans une maison silencieuse, il apprenne à aimer le calme et la solitude.

 

En principe, à leur conversion ils renoncent à la littérature: "negant Camoenis, ne patent Apollini, Dicata Christo pectora" (1). Paulin va même jusqu’à rompre avec de ses amis qui ne suivent pas le même chemin que lui, en particulier avec Ausone, son maître qu’il aimait tant, mais dont l’esprit superficiel était absolument fermé au mysticisme. Cette rupture représente une révolution, le passage de l’ancien monde au nouveau.

Paulin ne cite plus désormais que la Bible, qu’il étudie à fond, et quand il lui arrive de trouver sous sa plume Térence ou Virgile, il se reprend aussitôt et se blâme avec vigueur: "Sed quid de alienis loquar, cum de proprio cuncta possimus?" (2) Mais il les a cités.

Jovius, parent de Paulin et philosophe, approuve son mode de vie, mais ne se sent aucune envie de l’imiter. Il n’a pas le temps, dit-il, de lire la Bible, mais il en trouve assez pour lire ses chers auteurs païens, ce qui déplaît extrêmement à Paulin (3). Il admet tout au plus qu’on emprunte à la littérature païenne la beauté du style, comme les dépouilles d’un ennemi vaincu (4). Un ennemi... Cette littérature dont il subit si fortement l’influence (la rhétorique de son style, maintes réminiscences poétiques), qu’il aime tant et qu’il hait tant, cette littérature lui est en effet étrangère et ennemie, car elle est l’expression même de ceux qui désormais sont ses ennemis irréconciliables, à lui chrétien: les païens.

(1) X, 22-23 (453): les coeurs voués au Christ se refusent aux Muses et se ferment à Apollon, voir aussi XV, 30-32 (469).

(2) 7, 3 (45, 9 sq): mais pourquoi emprunter des paroles étrangères quand nous avons tout chez nous?

(3) 16, 6 (119, 25 sqq); XXII (603 sqq) (49 16, 11 (124, 17 sqq).

 

TROISIÈME PARTIE: LA VIE RELIGIEUSE

 

CHAPITRE X: LES PAIENS

 

Car la lutte se passe sur un plan plus profond, et plus élevé, que le plan intellectuel: le plan religieux.

Le paganisme se défend d’autant plus violemment qu’il est presque mort.

Paulin décrit à plusieurs reprises les cultes païens, spécialement dans le poème XXXVI, entièrement consacré à les réfuter. Le point de vue est donc très partial.

Paulin énumère les dieux traditionnels des Romains: Jupiter (1), Janus (2), Saturne (3), Vénus (4), Vulcain et les Vulcanales, aux cours desquelles "suspendunt Soli vestes" (5), coutume répandue dans l’Antiquité; Vesta: "quid loquar et Vestam, quam se negat ipse sacerdos Scire quid est? Imisque tamen penetralibus intus semper inextinctus servari fingitur ignis" (6). On trouve a une allusion peu claire à un repas quinquennal porté par les Vestales à un dragon (7), ce qui rappelle les Vestalia et leurs distributions de "mola salsa" au peuple.

Paulin mentionne aussi les cultes étrangers: Adonis (8), Sérapis (9), Isis (10), Sol Invictus, c’est-à-dire Mithra, et ses mystères compliqués (11), Cybèle et ses prêtres eunuques, les Galles (12). Ailleurs il décrit les sacrifices païens, en les opposant au culte chrétien: "si lapides non juro deos, (...), si te non pecudum fibris, non sanguine fuso quaero, nec arcanis numen conjecto sub extis..? » (13) et il raille le païen qui fabrique lui-même les idoles qu’il adore (14).

(1) XXXVI, 54-67 (695). Fabre démontre que ce poème n'est pas de Paulin.

(2) XXXVI, 67-76 (697).

(3) XXXVI, 95-109 (700).

(4) XXXVI, 139 (704).

(5) XXXVI, 138 (704): ils suspendent des vêtements au Soleil. Les Vulcanales, fête très ancienne et très populaire, étaient célébrées le 23 Août, époque la plus brûlante (puisque Vulcain est le dieu du feu).

(6) XXXVI, 128-129(703) : pourquoi parler aussi de Vesta, que son prêtre lui-même dit ne pas savoir ce qu’elle est? Mais au fond du sanctuaire, ils disent qu’un feu est gardé en permanence allumé.

(7) XXXVI, 142-143 (705).

(8) XXXVI, 139 (704).

(9) XXXVI, 122-126 (703).

(10) XXXVI, 116-119 (702).

(11) XXXVI, 112-115 (702).

(12) XXXVI, 79-94 (699).

 

Pour lui, à l’époque où il écrit son poème (en 395 comme on suppose), tout cela est déjà du passé, puisque le 24 Février 391 une loi de Théodose interdit les cérémonies païennes à Rome, et qu’une deuxième le 8 novembre 392 interdit tous les cultes païens, même en privé et même non sanglants ("Toute maison où s’allumera l’encens appartiendra à l’Etat", dit le décret). Quelques années avant, sous Gratien, le collège des Vestales a été supprimé. Le paganisme a donc reçu le coup mortel, il s’éteindra vite, et Paulin en 405 peut s’écrier: ‘incusso Capitolia culmine nutant. In vacuis simulacra tremunt squalentia templis" (1). Plus loin il décrit longuement toutes les religions à mystères qui ont péri, supplantées par le christianisme (2).

Et il les accable de son mépris, insistant sur leur immoralité (au sujet des cultes de Vénus, de Bacchus, et de Cybèle avec ses "semiviri" et ses "mysteria turpia" (3)), ainsi que sur leur illogisme: "Quid quod et Invictum spelaea sub atra recondunt, Quaeque tegunt tenebris, audeti hunc dicere Solem?" (4). Ils feraient mieux, ajoute-il, de cacher les rites honteux de la religion d’Isis, au lieu de les étaler au grand jour.

Il examine ainsi toutes les religions par le petit bout de la lorgnette, s’indigne qu’on appelle le Temps "Chronos" au lieu de l’appeler "le Temps" (5), et que le feu soit symbolisé par une divinité féminine (Vesta) (6).

Puis il démontre que la science païenne est dépassée, et que les miracles de la Bible sont bien au-dessus de cela: ainsi Josué a bien arrêté le cours du soleil et de la lune, sans s’occuper des lois astronomiques établies par Aratus ou Manéthon (7).

(13) V, 44-5l (441): si je ne jure pas que les pierres sont des dieux, si je ne te prie pas avec des entrailles d’animaux ou du sang versé, si je ne cherche pas ta volonté dans des viscères...

(14) XXXVI, l9-23 (692).

(1) XIX, 68-69 (5l2): les temples du Capitole chancellent, frappés à la cime. Dans les sanctuaires vides tremblent les idoles poussiéreuses.

(2) XIX, 85 sqq (515).

(3) xxXVI, 87 (699).

(4) XXXVI, 1l2-113 (702): Pourquoi enfouissent-ils l’Invaincu dans des cavernes obscures et osent-ils appeler Soleil ce qu’ils cachent dans les ténèbres?

(5) XXXVI, l02 (701).

(6) XXXVI, l30 (704).

(7) XXII (124-130) (606).

 

Il ne perd pas une occasion d’attaquer le paganisme: par exemple il commente longuement le fait que dans le naufrage de Martinien tous les chrétiens sont sauvés et tous les païens et hérétiques se noient (1).

En fait, il n’aurait pas besoin d'apologie si violentes si le paganisme était aussi oublié, et le christianisme aussi universellement triomphant qu’il veut bien le dire

Les cultes païens sont supprimés, certes, mais depuis très peu de temps, et puis on peut interdire des cérémonies mais pas une mentalité. Et bien que le christianisme soit religion d’Etat depuis un siècle, le paganisme est encore florissant, en particulier dans  l’armée et dans les milieux littéraires.

Ausone et Jovius sont deux exemples frappants de cette époque de transition entre l’ancien et le nouveau monde. Ausone est chrétien puisqu’il va à la messe et écrit des poèmes d’inspiration chrétienne. Mais c’est un christianisme très superficiel, qui ne fait pas partie de sa vie. Et Paulin renonce au monde pour se consacrer à Dieu, Ausone ne le comprend pas et ne le prend pas au sérieux. Leur correspondance de cette époque montre clairement le hiatus: les lettres d’Ausone, bien qu’exprimant une amitié sincère, ne dépassent guère le niveau du badinage et du jeu d’esprit; celles de Paulin (bien qu’écrites en vers, et même de mètres différents) sont graves et remplies de son enthousiasme nouveau. La rupture était inévitable entre ces deux hommes qui n’appartenaient plus au même univers. Pour Ausone, comme pour Jovius, la littérature passe avant tout. Jovius non plus n’aime guère les moines, et quand Pau lui écrit "si omnem scribendi tibi occasionem diligens, per viros religionis insalutatum te, tamquam a sanctis hominibus abhorrentem, praetermitterem" (2), ce n’est qu’une façon de parler, une mesure de prudence qu’il n’aurait pas besoin d’utiliser si effectivement Jovius voyait les moines d’un oeil favorable.

(1) XXIV, 125-126 sqq (617).

(2) 16, l (114, l6 sqq): si, alors que je saisis toutes les occasions de t’écrire, je négligeais de te saluer par ces religieux, comme si tu avais horreur des gens de piété...

 

Paulin évoque à plusieurs reprises l’hostilité des mondains envers les moines. Dans la lettre 1, il exhorte Sévère à ne pas se soucier de leurs attaques, "si nos interdum profana vel stulta quorundam secularium verba circumlatrent" (1).

Les moines leur inspirent même une véritable horreur: "hujusmodi hominum et vultus et habitus et odor nauseam illis facit" (2). Une grande partie de la lettre 38 est consacrée à la réprobation des mondains pour Aper qui a renoncé au monde; et Paulin l’invite à s’en réjouir comme d’un signe qu’il est sur le bon chemin: "non enim odisset hic mundus, nisi quod jam a se alienum, et sibi videret adversum" (3).

Mais cette haine ne se manifeste que par des critiques, et non plus par des persécutions comme "tempore saevo Relligio quo crimen erat" (4), puisque désormais le paganisme n’est plus qu’un état d’esprit.

(1) 1, 2 (2, 17 sq): si parfois certaines personnes du monde aboient autour de nous leurs propos profanes et stupides.

(2) 22, 2 (155, 20 sq): le visage, l’habit, l’odeur de ce genre d’hommes leur donnent mal au coeur.

(3) 38, 2 (325, 19 sq): ce monde ne hait que ce qu’il voit qui lui est déjà étranger et ennemi.

(4) XVIII, 170-17l (494): ce temps cruel où la religion était un crime.

 

CHAPITRE XI: LA VIE CHRETIENNE

 

Les cultes païens survivront encore plusieurs siècles, mais ils ne feront que survivre. Tandis que leur esprit demeure.

Les chrétiens eux-mêmes gardent encore quelques idées païennes: Pneumatius et Fidélis, les parents du petit Celse, "gaudebant trepido praesagi corde parentes Dum metuunt tanti muneris invidiam" (1). Ils redoutent la vengeance des dieux, ou du destin, parce que leur fils est trop intelligent. Mais ne disons-nous pas de même: "C’était trop beau pour durer"?

On peut aussi relever quelques termes qui n’ont rien de chrétien: Lares (2), Tartara (3), Atlas (4), Boreas (5), semideus (en parlant de saint Jean-Baptiste) (6), et quelques autres de ce genre. Mais cela ne dépasse pas le niveau du langage. Une si longue imprégnation laisse forcément des traces, et il est même extraordinaire qu’elle en laisse aussi peu, du moins chez les chrétiens les plus éclairés comme Paulin. Car en ce qui concerne les paysans, chacun sait que le mot "païen" vient de leur nom, paganus, bien qu’ils soient christianisés, en principe.

L’importance de la sépulture est une idée tout à fait païenne: on s’imaginait que l’absence de sépulture faisait tort au bonheur de l’âme; beaucoup de chrétiens de cette époque étaient encore esclaves de cette croyance, c’est pourquoi Paulin insiste tant sur la résurrection (7), en particulier dans le poème XXXV, sur la mort de Celse. Beaucoup de gens se faisaient enterrer "ad sanctos", pour bénéficier de leurs prières: autour du sanctuaire et même dedans (8), c’est pourquoi par exemple les bâtiments édifiés autour du tombeau de saint Félix sont devenus actuellement le village de Cimitile (cimetière).

(1) XXXV, 29-30 (676): ils se réjouissaient, les parents, mais un pressentiment faisait trembler leur coeur, car ils redoutaient le revers d’une si grande faveur.

(2) X, 209 (458), VI, 157 (445), X, 225 (458).

(3) VI, 246 (447), XXXV 101 (678) etc

(4) X, 228 (458).

(5) XVII, 201 (487).

(6) VI, 252 (447). Le mot est souvent chez Ovide. D’ailleurs Paulin n’emploie tous ces mots qu’en poésie.

(7) De même il justifie les translations de reliques, interdites dans le droit romain comme une violation de sépulture, qui trouble le repos de l’âme.

(8) XIX, 478-480 (539).

 

Lorsqu’un jour on craint que le cercueil de saint Félix n’ait été abîmé par des bestioles, aussitôt on entreprend d’ouvrir le tombeau, et tout le monde est soulagé de voir que tout est intact (1). C’est que ce tombeau est, de plus, celui d’un saint: on lui prête donc des vertus spéciales. On verse un parfum (c’est-à-dire une huile parfumée, les parfums alcoolisés étant inconnus de l’Antiquité), dans une cavité de la dalle, puis on le récupère et on l’utilise comme médicament: "martyris hi tumulum studeant perfundere nardo, Et medicata pio referant unguente sepulcro" (2). "Cet usage, dit Pietri, était universellement accepté dans le monde chrétien" (3), ce qui parai-t certain si on considère que le tombeau comportait des cavités spécialement prévues pour cet usage.

On emporte aussi comme reliques la poussière du tombeau (4).

Les paysans prient les saints d’une manière assez étonnante, pour nous du moins, mais toujours plus ou moins en usage en Italie actuellement Donc cela tient plus au pays qu’à l’époque, car la psychologie d'un peuple ne change pas à travers les siècles, comme l’explique si bien Boissier dans La fin du paganisme (5).

Les paysans campaniens qui viennent prier saint Félix se livrent donc à des démonstrations tout à fait étrangères à nos moeurs. Ils pleurent, ils se prosternent, ils embrassent les portes du sanctuaire et ils exposent au saint leurs revendications avec force plaintes, en l’interpellant tout haut avec la plus grande familiarité: "Sternitur ante fores, et postibus oscula figit, Et lacrymis rigat omne solum (...)miscetque precantia verba querelis" (6).

(1) XXI, 602-642 (595).

(2) XVIII, 38-39 (49l): qu’ils répandent avec zèle du nard sur le tombeau du martyr, et rapportent du pieux sépulcre l’onguent comme médicament. Voir aussi XXI, 590

(4) XXI, 599-600 (595).

(3) Extraits traduits de Paulin,  page

(5) page

(6) XVIII, 250-254 (496): il se prosterne devant la porte, la couvre de baisers, arrose entièrement le sol de larmes, et mêle les prières aux plaintes.

 

Paulin nous décrit longuement la prière d’un paysan à qui on a volé ses boeufs, et qui parle à saint Félix pendant une journée entière, si bien que le soir il faut le mettre dehors de force (1). Mais le plus typique, c’est qu’il conclut un marché avec le saint: tu me rends mes boeufs, je te laisse le voleur, allant jusqu’à l’accuser de complicité puisqu’il a laissé faire le voleur. Et, ajoute Paulin non sans humour, "audivit laetus non blando subplice martyr Et sua cum Domino ludens convitia risit" (2) et il rend ses boeufs à ce suppliant persévérant.

Cette conception commerciale de la religion est un héritage de la religion romaine, mais à vrai dire elle existe dans tous les pays et à toutes les époques, y compris chez nous.

Comme nous avons vu dans le chapitre deux, les pèlerins qui ne sont pas encore christianisés en profondeur célèbrent la saint Félix par des pervigilia, ce que nous appelons des nuits de prière ou des veillées de prière, avec la différence qu’eux soutiennent l’ardeur de leur piété par de joyeux banquets, qui ne plaisent pas du tout à Paulin: "per totam et vigiles extendunt gaudia noctem Laetitia somnos, tenebras funalibus arcent; verum utinam sanis agerent haec gaudia votis, Nec sua liminibus miscerent pocula sanctis" (3). Les pervigilia sont empruntés au paganisme, ainsi que les sacrifices d’animaux, cochons ou vaches, effectués pour remplir un voeu (votum) (4) et désormais en l’honneur des saints, qui ne sont guère qu’un nouveau nom des dieux: "paverunt in vota suem, et coepere paratum Ducere sacratam sancti Felicis ad aulam" (5).

(1) XVIII, 324-331 (497).

(2) XVIII, 3l6- le martyr écouta gaiement ce suppliant peu flatteur, et rit avec le Seigneur de ses injures.

(3) XVII, 556-559 (660) :pendant toute la nuit ils veillent et prolongent leur joie, l’allégresse les garde du sommeil et les lampes des ténèbres. Mais si seulement ils se réjouissaient de façon saine et ne préparaient pas leurs coupes dans le sanctuaire !

(4) Passim, mot extrêmement fréquent dans les Natalicia.

(5) XX, 317-320 (562): ils engraissèrent un cochon pour accomplir leur voeu,.et quand il fut prêt ils se mirent en route avec lui pour le sanctuaire de saint Félix; pour que son énorme corps une fois tué nourrisse une foule de pauvres, et que le martyr se réjouisse de voir rassasiés les misérables.

 

Rien que de païen jusqu’ici: mais ce rite a été « baptisé », « récupéré » par le christianisme, et désormais les viandes des sacrifices ne sont plus mangées par les sacrificateurs mais distribuées aux pauvres, et la phrase que nous venons de citer se continue ainsi: "corpore de magno ut multos mactatus egenos pasceret, et saturo gauderet paupere martyr" (1).

Autre rite païen baptisé, et du même genre que le précédent: le novemdialis, repas que l’on faisait sur un tombeau neuf jours après la mort (où avait lieu un repas semblable appelé silicernium), devient chez les chrétiens un repas distribué aux pauvres dans l’église même; Pammachius, qui est riche (il est sénateur), nourrit tous les pauvres de Rome à la mort de sa femme, comme nous l’avons dit ailleurs.

Ainsi ces rites anciennement païens sont devenus chrétiens, mais d’autre part ces chrétiens sont encore bien païens. Qu’est-ce qui l’emporte, du positif ou du négatif? C’est difficile à discerner.

Mais ne considérons plus maintenant que le côté positif, et occupons-nous d’une des plus importantes manifestations de la vie chrétienne: les pèlerinages.

Paulin va tous les 29 juin en pèlerinage à Rome, Sévère une ou deux fois par an à Tours, mais c’est du pèlerinage de Nole que nous allons surtout parler, car Paulin nous renseigne surabondamment à son sujet.

Le pèlerinage de Nole est très important à cette époque: c’est même le premier d’Italie après Rome: "Postque ipsam titulos Romam sortita secundos" (2). Il a lieu tous les 14 Janvier, qui est encore actuellement le jour de la saint Félix

(1) voir note 5, page précédente. Muratori, dans une note de l’édition Migne, explique que c’était un vestige des agapes qui se faisaient dans l’église, où les pauvres avaient part, et qui avaient été supprimées à cause des abus.

(2) XIII, 28 (464) et XIV, 86 (467): elle a le deuxième rang après Rome elle-même.

Les premiers Natalicia (poèmes XIII, XIV, XV, XVI, XVIII) racontent la vie de saint Félix. Les suivants racontent ses miracles.

 

Ce Félix vivait à Nole au siècle précédent, mais on ne sait pas de dates précises. Son père Hermias était un soldat d’origine syrienne, son frère nommé aussi Hermias embrassa la même profession, mais Félix préféra se consacrer à Dieu. Il entra dans les ordres et devint successivement lecteur, exorciste, prêtre. Une persécution éclata (sans doute celle de Dèce) et Félix fut arrêté et emprisonné dans un cachot, dont un ange le fit sortir pour aller sauver la vie de l’évêque Maxime, à moitié mort de froid et de faim dans la montagne où il s’était réfugié. Maxime et Félix se cachèrent chez une vieille femme jusqu’à ce que le calme revînt. Pendant la persécution de Valérien, quelques années plus tard, Félix échappa à la police et se cacha dans une citerne sèche pendant six mois. Puis il refusa l’épiscopat et le fit donner au prêtre Quintus, qui avait été ordonné huit jours avant lui. Et comme ses biens avaient été confisqués pendant la persécution et qu’il ne jugea pas à propos de les réclamer une fois la paix revenue, il vécut à la charge d’une pieuse femme nommée Archélaïs et en cultivant une petite terre, dans la pauvreté, la charité, et la vénération des habitants de Nole. Enfin, "hac vivens pietate Deo maturus, et aevi Et meriti plenis clausit sua secla diebus, Mutavitque piae, non clausit, secula vitae" (1). On l’enterra dans une petite tombe, et ce n’est que plus tard que fut construit un tombeau plus important, entouré de quatre petites basiliques. Nous avons vu que Paulin les restaura, les agrandit, en ajouta une cinquième plus grande et richement décorée, ainsi que tout un ensemble de cours, de portiques, de fontaines, bâtit un hospice pour les pauvres, qui lui servait aussi de logement, et refit la route qui menait à cet ensemble. C’est donc en partie grâce à lui, grâce à sa célébrité qui attirait les pèlerins et à ses travaux qui facilitaient leur séjour à Nole, que le pèlerinage de Nole acquit une si grande importance.

Dans les Natalicia, poèmes d’anniversaire qu’il écrit tous les ans pour la saint Félix, Paulin énumère avec enthousiasme les peuples qui viennent au pèlerinage: les habitants de la Lucanie, de l'Apulie, de la Calabre, du Latium, de la Campanie, de Capoue, de Naples, des rives du Gaurus, de l’Ufens, du Sarnus, du Galaso et du Tanagre, d’Atina, d’Aricie, d’Ardéa, de Calès, de Téanum, de Vénafre, du Samnium, de Préneste, d’Aquinum, du pays des Araunques, et même de Rome (2), qui pourtant ne manque pas de sanctuaires. A croire Paulin, Rome à ce moment de l’année "rarescere gaudet" (3) et envoie tant de milliers de pèlerins à Nole que "confertis longe latet Appia turbis" (4).

(1) XVI, 297-299 (483, fin du poème): vivant dans cette piété, mûr pour Dieu il finit sa vie par des jours pleins d’âge et de mérites, et changea, ne finit pas, sa pieuse vie.

(2) XIV, 55

(3) XIV, 66 (466): est heureuse de se raréfier.

(4) XIV, 70 (466): la voie Appienne est cachée sur une grande longueur par des troupes serrées.

 

Quant aux habitants des autres régions, ils accourent eux aussi en foules et en vraies armées, délaissant leurs villes, leurs montagnes ou leurs champs. Même en faisant la part de l’exagération, il reste certain que ce pèlerinage est l’occasion d’un concours populaire considérable, ce qui est d’autant plus extraordinaire que le 14 janvier est situé en plein hiver. Mais "vicit iter durum pietas, amor omnia Christi vincit, et alma fides" (1). Et de toute façon, "Paulin trouve toujours que le 14 Janvier il fait le plus beau temps du monde", dit à peu près le DACL: quand il fait soleil c’est saint Félix qui amène le beau temps, et quand il neige, le monde se pare d’un blanc éclatant pour faire honneur à saint Félix (3). C’est pour Paulin le plus beau jour de l’année, et il le célèbre avec des transports de joie à n’en plus finir. "Ver avibus voces aperit, mea lingua suum ver Natalem Felicis habet" (4) et il continue ainsi pendant quelques dizaines de vers: tel est le ravissant début du poème XXIII, où Paulin décrit avec tant de poésie le chant des oiseaux au printemps, et spécialement les roulades et les plaintes du rossignol (5); c’est ainsi que Paulin voudrait pouvoir chanter saint Félix.

Les pèlerins viennent avec autant d’ardeur, "sans mesure ni repos" (nec modus...nec requies), marchant jour et nuit, avec des torches la nuit, tellement ils sont pressés d’arriver (6).

Le résultat de ce zèle, c’est que la ville de Nole est remplie à craquer par tous ces habitants supplémentaires: "credas innumeris ut moenia dilatari Hospitibus" (7). C’est pourquoi Paulin a construit un xénodochium, et une grande basilique, celles qui existaient étant trop petites: "quae tamen, ampla licet, vincuntur culmina turbis" (et même "parvus erat locus ante, sacris angustus agendis, supplicibusque negans pandere posse manus" (9).

(1) XIV, 79-80 (466): la piété l’emporte sur la dureté du chemin, l’amour du Christ vainc tout, ainsi que la foi bienfaisante.

(2) page 1450, tome 12, Nole.

(3) XVIII, l6

(4) XXIII, 1-2 (608): le printemps rend la voix aux oiseaux. Moi, mon printemps c’est l’anniversaire de Félix.

(5) XXIII, 9-l5 et 29-36 (608).

(6) XIV, 49-52 (466).

(7) XIV, 84-85 (466): on croirait que les murs sont dilatés par ces hôtes innombrables.

(8) XVIII, l82 (494): ces églises, bien que grandes ne pouvaient contenir les foules.

(9) XXIX, 1-2 (671): ce lieu était petit auparavant, étroit pour célébrer, et les suppliants ne pouvaient même pas étendre les mains.

 

Nous voyons aussi les rues de Nole, remplies d’une foule bariolée (1).

Qui sont ces pèlerins? Beaucoup viennent remercier saint Félix d’une grâce obtenue, généralement un naufrage ou un incendie auxquels ils ont échappé (2), ou bien une guérison, que d’autres par contre viennent demander: "Omni namque die testes sumus, undique crebris Coetibus aut sanos gratantia reddere vota, Aut aegros varias petere ac ambire medelas" (3). On voit aussi des paysans "non solum gremio sua pignora ferre paterno, Sed pecora aegra manu saepe introducere secum, Et sancto quasi conspicuo mandare licenter" (4).

Les autres accomplissent un voeu, ou demandent une grâce, ou sont poussés par la piété, ou simplement par la curiosité et le goût des fêtes. Comme ce sont en majorité des paysans, ils ne veulent pas manquer une occasion semblable. Mais le pèlerin le plus lointain est à coup sûr Nicétas de Rémésiana, qui vient deux fois au pèlerinage, faisant cet interminable voyage exprès pour prier saint Félix et rendre visite à son ami Paulin (5). Il utilise le bateau, certainement, mais fait aussi une partie trajet à pied, comme beaucoup de pèlerins. Pourtant Paulin en cite un qui est à cheval (6), et d’autres en chariot tiré par deux boeufs (junctum gemino bove currere plaustrum) (7).

Beaucoup de pèlerins sont riches et offrent à l’occasion du pèlerinage un présent de valeur à l’église: "alii pretiosa ferant donaria meque offiicii sumtu superent, qui pulcra tegendis Vela ferant foribus, seu puro splendida lino, Sive coloratis textum fucata figuris. Hi laeves titulos lento poliant argento, Sanctaque praefixis obducant limina lamnis.

(1) XIII, 24 (464).

(2) XXVI, 385-392 (647).

(3) XXVI, 382-384 (647): Chaque jour nous en sommes témoins, de partout, en rassemblements denses des gens guéris rendent des actions de grâce et des malades demandent et implorent toutes sortes de guérisons. (Cela se passe "chaque jour" mais il y en a certainement encore beaucoup plus le 14 Janvier).

(4) XVIII, 200-202 (495): des pères qui apportent leurs enfants dans leurs bras, et qui amènent aussi avec eux leurs bêtes malades, et les recommandent au saint hardiment, comme s’ils le voyaient.

(5) XVII (483 sqq) et XXVII (648 ssq)

(6) XX, 89 (554).

(7) XX, 42O (566): le chariot court,  attelé de deux boeufs.

 

Ast alii pictis accendant lumina ceris, Multiforesque cavis lychnos laquearibus aptent, Ut vibrent tremulas funalia pendula flammas (...) fercula opima cibis, cervis aulaea ferisque larga..." (1). Quant à moi, ajoute Paulin, je n’ai rien à donner, que mes poèmes.

Dans l’église il y a surtout beaucoup de lumières: "Aurea nunc niveis ornantur limina velis, Clara coronantur densis altaria lychnis. Lumina ceratis adolentur odora papyris" (2). Toutes ces lumières (lampes et cierges) brillent jour et nuit, si bien que la nuit est plus claire que le jour, et que le jour semble encore plus lumineux. Le sol est jonché de fleurs, et les guirlandes ne manquent pas non plus: on se croirait au printemps (3). Au milieu de ce charmant décor et de "laetos tumultus" (4), les pèlerins chantent des cantiques (5), adressent leurs prières au saint, de la manière plus ou moins païenne que nous avons vue, parfois sacrifient un cochon ou une vache, qu’ils font cuire et distribuent ensuite aux pauvres: un paysan d’Abella amène à Nole son cochon engraissé, et "pingue pecus voti jugulat de more voventum. Fama suis magni per egentum accenderat acrem Ora famem et cuncti magnae spe parti hiantem Tendebant ad opima senes convivia faucem" (6). C’est un événement pour tous les mendiants de la ville. Paulin raconte, avec force détails et commentaires, plusieurs anecdotes assez comiques concernant ces sacrifices. Il les raconte d’ailleurs dans un des Natalicia qu’il lit au peuple au cours de l’office, à chaque pèlerinage et pendant au moins quinze ans, de 394 à 408, les derniers ne subsistant que sous forme de fragments. Il a probablement continué cette coutume par la suite mais nous ne les avons pas.

(1) XVIII, 29-37, 45-46 (491): d’autres peuvent dépenser plus d’argent que moi pour cette fête, apporter des rideaux magnifiques pour fermer les entrées de l'église, de splendides voiles de lin pur, des tissus ornés de figures aux riches couleurs; qu’ils gravent en lettres d’argent des inscriptions bien composées, qu’ils recouvrent de plaques dorées l’entrée du temple. D’autres peuvent allumer des cierges de cire colorée, suspendre au plafond des lustres, dont les flammes tremblent au balancement des câbles (…) des plateaux chargés de mets abondants, de larges tentures avec des cerfs et des bêtes sauvages.

(2) XIV, 98-100 (467): la voûte dorée resplendit de voiles blancs, l’autel rayonne de lumières denses, les cierges odorants brûlent avec du papier ciré. (on mettait du papier dans les lampes. La coutume des cierges est d’origine païenne).

(3) XIV, 110-111 (467).

(4) XIV, 107 (469): un joyeux tumulte.

(8) XIV, 109 (467).

(9) XX, 72-75 (554): Il égorge sa bête grasse, suivant la coutume de ceux qui font des voeux. La réputation de cet énorme cochon avait allumé dans la bouche des pauvres une faim violente, et tous les vieillards, espérant avoir une grosse part, tendaient un gosier béant vers le banquet plantureux.

 

Quand ils ont fini leurs dévotions, les pèlerins vont se reposer sous les portiques, à l’abri du soleil et de la pluie, et admirer les fontaines (1) ou bien, à partir de 403, ils restent en contemplation pendant des heures devant les peintures qui ornent la basilique, et que Paulin a fait faire pour empêcher ses ouailles mal dégrossies d’aller se soûler dans les tavernes, qui n’avaient pas manqué de s’installer dans le voisinage d’une si abondante clientèle. On peut supposer aussi que les marchands de cierges, et de toutes sortes d’objets de piété, ne manquaient pas non plus.

Notons pour finir les troupes de badauds (pèlerins et mendiants) que Paulin mentionne dans chacune de ses anecdotes, et qui n’ont rien d’autre à faire que de flâner et de regarder ce qui se passe (2).

Et on imagine très bien aussi les pèlerins qui se battent pour pouvoir approcher du saint tombeau, le toucher et "luminaque expositis et qua datur oscula membris Figere" (3). Il s’agit ici de l’enterrement de Félix, mais il en était certainement de même aux pèlerinages autour du tombeau, car Paulin ne décrirait pas si bien cette scène pittoresque s’il ne l’avait pas observée souvent.

Mais le pèlerinage n’a lieu qu’un jour par an (et si ce n’est pas le 14 Janvier c’est un autre jour) "nam quae, rogo, votis Cassa dies orietur, vel magnis rara catervis?" (4), mais on est chrétien aussi les 364 autres jours. Nous allons donc parler de la vie quotidienne des chrétiens.

Tout d’abord le pèlerinage est un événement relativement exceptionnel, ce qui se conçoit très bien. Ainsi ce paysan blessé en revenant chez lui, et que l’on reporte au sanctuaire de Félix, et qui déclare qu’il n’aurait certainement pas eu de sitôt, sans cet accident, l’occasion de revenir: et il remercie saint Félix de cette grâce (5).

Voici donc une mentalité tout à fait différente de l’esprit commercial que nous avons vu au début de ce chapitre: se réjouir d’un malheur matériel parce qu’il apporte un bien spirituel est une attitude beaucoup plus chrétienne.

 (1) XXVIII, 44-52 (664), 31.

(2) XX, 112-117 (555).

(3) XVIII, 129-l30 (493): clouer des cierges et des baisers sur les membres exposés, là où ils peuvent.

(4) XXVII, 29-30 (648-649): car je vous le demande, y a-t-il un jour qui se lève sans qu’on voie de grandes troupes de pèlerins?

(5) XX, 156-161 (557).

 

De même Paulin se réjouit d’être critiqué par les gens du monde, parce que s’il déplaît au monde c’est qu’il plaît à Dieu (voir la fin du chapitre précédent).

Une nouvelle mentalité se développe parmi les chrétiens, ou du moins Paulin s’efforce de la leur inculquer, car souvent ils reçoivent leurs malheurs avec beaucoup de plaintes, y voient une punition de leurs péchés (l’homme qui tombe de cheval, Théridius, le propriétaire la cabane brûlée) et prient pour en être délivrés.

Paulin leur propose comme modèle de vie le nageur qui traverse un fleuve: il ne suffit pas de déposer ses habits sur la rive, et l’abandon des biens qui encombrent l’âme n’est que la condition primordiale du combat. Il faut ensuite se jeter à l’eau et lutter "totius corporis nisu, omnium scita mobilitate membrorum, et propulsu pedum, et remigio brachiorum, et lateris illapsu torrentis inpetum scindat" (1): façon allégorique de dire que la vie chrétienne consiste dans un progrès continuel, et que la conversion ne constitue pas l’arrivée mais le point de départ.

Il propose aussi l’image du funambule: "quasi in fune suspenso ancipites ambulamus" (2) et il faut être très vigilant et prudent pour ne dévier ni à droite ni à gauche, le juste milieu étant un point, et non pas un vaste marécage.

(1) 24, 7 sqq: il faut que par un effort du corps tout entier, en remuant habilement les membres, en propulsant les pieds, en ramant avec les bras, en allongeant le corps, il fende l’impétuosité du torrent.

(2) 40, 11 (354, 1): nous marchons comme sur un fil, dans l’incertitude.

 

Il est regrettable que nous ne possédions qu’un sermon de Paulin.

Il traite du gazophylacium, le tronc. L’aumône aux pauvres est un sujet que Paulin aime beaucoup (nous avons vu toutes les louanges qu’il décerne à Pammachius, et la dureté de ses blâmes envers les riches égoïstes).

Dans ce sermon, peut-être prononcé en temps de Carême, Paulin se met à la portée de ses rustiques auditeurs en commençant par une image empruntée à leur vie; on met des mangeoires dans les étables, mais si on laisse ces mangeoires vides elles ne servent à rien et les animaux meurent de faim. De même, "non patiamur ergo mensam Domini, et nobis vacuam, et egentibus inanem relinqui, et visui tantum stare, non usui" (1). Pietri pense que cette "mensa Domini" désigne la table de l’autel; mais on sait aussi qu’il existait à cette époque des troncs semblables aux nôtres: mensa est donc peut-être une façon de parler, ou alors les troncs semblables aux nôtres n’étaient pas encore très répandus.

L’aumône est considérée non seulement par le chrétien moyen, mais même par des gens comme Paulin, comme un placement: "qui enim fenerat pauperes Domini, praestolatur a Domino retributionem mercedis aeternae" (2).Fenerare signifie très exactement "prêter à usure", et merces "revenu", c’est-à-dire qu’on s’attendait à recevoir en échange les prières des pauvres.

Une autre caractéristique de cette époque est le culte des reliques, c’est-à-dire aussi des lieux saints, qui ont toujours attiré énormément de pèlerins (3). Le culte des martyrs s’accompagne de celui de leurs reliques, auxquelles on attribue de grandes vertus. Nous avons vu que d’abord la mentalité encore païenne était très choquée par les translations de reliques, comme par une violation de sépulture (une des premières fut effectuée par l’empereur Constance, en 356, qui fit transporter à Constantinople les reliques de saint Timothée et de saint André: avec le frère de Pierre et le disciple de Paul, la ville égalait ainsi presque Rome) (4).

Lorsqu’on éparpillait les corps des saints, c’était encore pire: c’est pourquoi Paulin justifie si longuement cet usage, expliquant que là où on honore les saints, les idoles sont délaissées (on pourrait penser aussi que c’est le contraire).

(1) 34, 1 (304, 4 sqq): ne souffrons donc pas que la table du Seigneur soit laissée par nous vide et sans rien pour les pauvres, et qu’elle ne soit là que pour la vue, non pour qu’on s’en serve.

(2) 34, 2 (304, 21 sqq): qui prête à intérêt aux pauvres du Seigneur attend du Seigneur en récompense un revenu éternel.

(3) 49, 14 (402, 12 sqq).

(4) XIX, 321-342 (530).

 

Mais en quoi consistent ces reliques? Chez les païens, le mot reliquiae signifiait les cendres, les restes d’un mort. C’est vers la fin du IV° siècle que le mot prend son sens actuel. Il y a au moins sept autres noms pour les désigner, par exemple pignora (gages) (1), benedictio (2), et aussi memoria, nomina, sanctuaria, beneficia, eulogiae. Le mot brandea désigne un tissu mis en contact avec la tombe. Les parfums versés sur la tombe et utilisés ensuite comme médicaments peuvent être considérés comme une espèce de brandeum. On peut rapprocher aussi la coutume des phylactères, qui étaient chez les Juifs des parchemins reproduisant un passage de l’Ecriture et que l’on portait sur soi comme talisman, de l’aventure de Martinien qui attribue son salut aux épîtres de saint Paul qu’il portait sur lui dans le naufrage (3).

On ne saurait dédicacer une église sans reliques: Paulin met dans celle de Nole toutes celles qu’il peut trouver (saints André, Jean-Baptiste, Thomas, Luc, Vital, Agricola, Procul, Euphémie, Nazaire) (4), ainsi que dans celle qu’il bâtit à Fondi (saints André, Luc, Nazaire, Gervais et Protais dont lui a fait cadeau saint Ambroise) (5).

On les enchâsse dans des reliquaires d’or (tubello aureolo rem tantae benedictionis inclusimus) (6). Des inscriptions peintes dans les églises mentionnent les saints dont les reliques dont présentes (7). Dans la basilique de Nole elles sont sous l’autel, ainsi que le corps de saint Clair dans la chapelle construite par Sévère à Primuliac (8). Saint Clair ne suffit pas à Sévère, qui cherche partout des reliques pour la dédicace (9), mais Paulin estime qu’il n’en a pas trop lui-même, et ne peut envoyer à son ami, faute de mieux, qu’une relique de la vraie croix:

(1) 49, 14 (402, 11), et ailleurs

(2) Id., ligne 22; et ailleurs

(3) XXIV, 270-272 (620).

(4) XXVII, 403-439 (657).

(5) 32, 17 (292, 21 sqq).

(6) 31, 2 (269, 2 sq :  nous avons enfermé dans un petit récipient d’or  une relique si précieuse.

(7) 32, 17 (292, 7 sqq).

(9) 31, 1 (267 12 sqq); 32, 6 sqq).

 

"partem particulae de ligno divinae crucis" (1), ce qui pourtant pourrait sembler préférable à des reliques de martyrs.

Enfin la vie quotidienne des chrétiens devait ressembler assez à celle de notre époque, avec les mêmes fêtes annuelles (Paulin souligne l'importance du rythme de l’année liturgique) (2), à peu près les mêmes offices, et les mêmes préoccupations.

(1) 31, 1 (268, 5 sq): une parcelle d’un morceau du bois de la croix divine.

(2) XXVII 53 sqq (649).

 

CHAPITRE XII: STRUCTURE DE L’EGLISE

 

Dans cette ambiance, après les tâtonnements des premiers siècles, l’Eglise s’organise. Déjà elle était une puissance de l’Empire païen, mais l’Empire chrétien lui permet de se développer, au point que les églises deviennent trop petites et qu’il faut en construire de nouvelles (Langon, Primuliac, Nole, Fondi).

Elle s’enrichit en même temps des biens des riches convertis, qui lui donnent leurs terres pour les pauvres. Sévère garde même l’administration de ses anciens biens: "et quae reservasti, Ecclesia te serviente possideat" (1). Paulin demande à Amand, prêtre de Bordeaux, que son messager Sanemarius reçoive "in casa Ecclesiae terrulam" (2), une petite terre d’Eglise. Il a apparemment conservé quelque autorité sur son ancienne terre de Langon, ou du moins des rapports avec ses habitants, car il écrit à Amand dans la même lettre: "Rogo ut epistolam meam ad filium nostrum Daducium facias transmitti (...). Unum de Aligonensibus dignemini mittere" (3).

Tel est donc l’aspect économique de l’Eglise. Sur les rites Paulin nous donne peu de renseignements.

Le baptême se fait dans un baptistère, petit édifice situé à proximité d’une église. Le baptisé est plongé jusqu’à mi-corps dans la piscine (4). Parfois il change de nom au baptême: ainsi Valgius devient Victor (5). Certains ne se font baptiser qu’au dernier moment: le catéchumène Ursus tombe malade au point qu’on le baptise d’urgence, dans son lit (donc par affusion comme nous faisons actuellement), ce qui lui guérit à la fois le corps et l’âme (6). Ce baptême retardé n’est pas un signe de tiédeur religieuse, au contraire en général. Mais il semble bien que ce soit le cas pour Paulin, qui ne se fit baptiser qu’à l’âge adulte, à sa conversion, après avoir été catéchisé par le prêtre Amand (7).

(1) 24, 1 (202, 26): même ceux que tu as gardés appartiennent à l’Eglise, tandis que tu la sers comme prêtre.

(2) 12, 12 (83, 22 sq).

(3) 12, 12 (83, 23 sqq): je te prie de faire transmettre ma lettre à notre fils Daducius. Daignez utiliser comme messager un des habitants de Langon.

(4) 32, 3 (277, 17).

(5) 49, 2 (392, 1 sqq).

(6) 18, 3 (130, 14 sqq).

(7) 2, 4 (13, 2 sqq).

 

Sa famille était sans doute vaguement chrétienne, mais pas au point de penser à le faire baptiser et à lui donner une éducation chrétienne.

Voici la célébration d’un mariage: "Ipse pater vobis benedicat episcopus, ipse Praecinat hymnisonis cantica sancta choris. Duc, Memor alme, tuos Domino ante altaria natos, Comnendaque precans sanctificante manu" (1).

L’eucharistie ne nous est pas décrite de façon plus détaillée: il est question du prêtre "immolanti hostias jubilationis" (2) et "sacras primum hostias et casta libamina cum acceptissima ipsius commemoratione Deo deferens" (3).

La basilique de Nole comporte deux sacristies dont l’une sert à ranger les objets du culte et l’autre sert d’oratoire au prêtre, et à ceux qui veulent méditer, après la messe (4).

L’ordination est donnée par les évêques, comme maintenant: Paulin est ordonné prêtre par l’évêque Lampius de Barcelone. Pourtant, dans une lettre à Amand, Paulin demande que Sanemarius "ordinatur a vobis" (5) et Amand n'est que prêtre. Mais le pluriel indique qu’il s’agit vraisemblablement de l’évêque Delphin, qui lisait aussi les lettres que Paulin adressait à Amand.

Ce Sanemarius est un esclave que Paulin affranchit, et qui une fois ordonné sera attaché au service du tombeau des parents de Paulin (6).

Tout clerc doit appartenir à un diocèse: c’est ce que nous appe1ons l’incardination. Cette règle n’est sans doute pas encore impérative à l’époque de Paulin, car il n’accepte l’ordination qu’à la condition de n’être pas attaché à l’Eglise de Barcelone (ea conditione in Barcinonensi Ecclesia consecrari adductus stun, ut ipsi ecclesiae non alligarer, in sacerdotium tantum Domini, non etiam in locum ecclesiae dedicatus) (7).

(1) XXV, 198-201 (637): que l’évêque votre père vous bénisse lui-même, qu’il chante lui-même les saints cantiques, chef des choeurs hymnesonnants. Conduis, bon Mémor, tes enfants au Seigneur devant l’autel et recommande-les lui par tes prières et ta main sanctifiante.

(2) 32, 13 (288, 15): qui immole les hosties de joie;

(3) 13, 14 (95, 15 sq): qui présente d’abord à Dieu, les hosties consacrées et les saintes libations, en mémoire de ce saint

(4) 32, 16 (291, 4 sqq).

(5) 12, 12 (83, 17).

(6) id. (83, 19).

(7) 10 (9, 14 sqq): je n’ai accepté d'être consacré dans l’Eglise de Barcelone qu’à la condition de n’être pas attaché à cette Eglise, voué seulement au service de Dieu et non d’une Eglise locale.

 

Mais à Milan saint Ambroise "suo me clero vindicare voluit, ut, etsi diversis locis degam, ipsius presbyter censear" (1). Avant d’être ordonné prêtre, il faut passer par tous les ordres, mineurs et majeurs. On devient successivement portier, lecteur, exorciste, acolyte, sous-diacre, diacre, prêtre. Saint Félix suit normalement cette succession: "primis lector servivit in annis. Inde gradus cepit, cui munus voce fideli Adjurare malos et sacris pellere verbis. Quod quia perspicua meriti virtute gerebat, Jure sacerdotis veneranda insigna nanctus" (2).

On reste donc plusieurs années dans chaque ordre (primis annis). Après les ordres mineurs on devient diacre (grec diakonos, serviteur). Le diacre est chargé de la vie matérielle (le diacre Benoît veille à la nourriture de l’ermite Sébastien) (3); c’est son rôle à l’origine, mais à cette époque il a des fonctions plus spirituelles: il prêche (4), il baptise (5).

Mais Paulin est directement consacré prêtre, sans avoir servi dans aucune fonction. Saint Augustin de même. Mais ce ne sont que des exceptions.

Le prêtre s’appelle sacerdos ou presbyter. Il est parfois choisi par le peuple, et même de force comme Paulin: "Repentina, ut ipse testis est, vi multitudinis (…) correptus, et presbyteratus initiatus sum…invitus" (6). Ceci non pas tant en hommage à sa piété que dans l’espoir de profiter de son immense fortune et de sa générosité, espoir qu’il trompa en refusant d’être agrégé à l’Eglise de Barcelone.

Il existe aussi des prêtres pauvres, ainsi que le vieux et saint prêtre Basile, de l’Eglise de Capoue, à qui Paulin fit rendre sa petite maison que des riches lui avaient volée (7).

(1) 3, 4 (17, 6-7): 11 a bien voulu me réclamer dans son clergé, de sorte qu’en quelque lieu que je demeure, je suis censé être un prêtre de son Eglise.

(2) XV, 108-112 (470): les premières années il servit comme lecteur. Puis il gravit les degrés et reçut la fonction de conjurer les mauvais esprits par la voix de la foi, et de les chasser par les paroles consacrées, ce qu’il faisait avec une vertu et un mérite si évidents qu’il obtint à juste titre les vénérables insignes de la prêtrise. (Exorciste = exorcista; sous-diacre= subdiaconus).

(3) 26, 1 (235, 5 sqq).

(4) 26, 4 (237, 1 sqq) En principe, la prédication est réservée aux évêques.

(5) 18, 3 (130, 14 sqq); cf p. 128, 13-14).

(6) 1, 10 (8, 25): je fus enlevé tout à coup, comme le messager lui-même en est témoin, par la violence de la foule, et initié malgré moi à la prêtrise.

(7) 14, fin 3-4 (l09, 19 sqq).

 

Beaucoup d’hommes mariés sont ordonnés prêtres (Paulin, Aper...) mais à partir de leur ordination, ils vivent avec leur femme dans la chasteté. Paulin appelle sa femme soror, et aussi conserva (1), ce qui montre qu’elle était aussi consacrée à Dieu, puisque conservus (2) utilisé pour désigner un autre prêtre, de même que compresbyter (3).

Nous avons vu que les prêtres riches construisent des églises pour leurs fidèles, et que certains dirigent des monastères.

A part cela, les fonctions du prêtre sont les mêmes que de nos jours: il donne les sacrements, prêche (4), fait le catéchisme (5), et veille sur son troupeau: ainsi Paulin pendant la persécution "impavidus trepidum servabat pastor ovile, Exemplo Domini, promptus dare pro grege vitam" (6).

Mais c’est surtout l’évêque qui est le père de tous. Souvent, comme le prêtre, ii est choisi par le peuple. Maxime, évêque de Nole, meurt: "Felicis nomen totum balabat ovile" (7), mais il refuse. Même remarque que ci-dessus au sujet des évêques mariés, puisque les évêques sont choisis parmi les prêtres. Beaucoup d’évêques ont donc des enfants: Julien est fils de l’évêque Mémor, et sa femme Ia (ou Titia) est fils de l’évêque Emile.

Comme saint Augustin est le premier, ou un des premiers évêques coadjuteurs ("ita consecratus est ut non succederet in cathedra episcopo, sed accederet. Nam incolumi Valerio Hipponiensis Ecclesiae coepiscopus Augustinus est" (8), le fait est si nouveau qu’il n’y a pas de mot pour le désigner et que Paulin doit employer toute une périphrase.

On trouve dans ce texte le mot cathedra: c’est le siège de l’évêque, qui est assis à l’église (9).

(1) 31, 1 (268, 8).

(2) 12, 12 (83, 26) et ailleurs.

(3) 51, 1 (424, 6).

(4) 38, 11 (333, 21 sq): praedicatione Christi; XVI, 60-62 (478).

(5) Paulin est catéchisé par Amand (lettre 2, page 13).

(6) XV, 169-170 (472): berger sans peur, il gardait ses ouailles tremblantes, à l’exemple du Seigneur, prêt à donner sa vie pour son troupeau.

(7) (XVI 231 (482): tout le troupeau bêlait le nom de Félix

 (8) 7, 2 (43, sqq): il a été consacré de telle sorte qu’il ne lui succède pas sur le trône épiscopal, mais qu’il siège avec lui. Car Augustin est co-évêque avec Valère d’Hippone qui est toujours en vie (Paulin précise d’ailleurs novo more, Iigne 16).

(9) XXVII et XXV, 216 (638).

 

Certains partent évangéliser des peuples barbares: Nicétas convertit les Daces, les Gètes, les Riphées, les Scythes et les Besses (1); Victrice les Morins et les Nerviens, peuples du Nord de la Gaule (2), ainsi que le diocèse de Rouen, où il institue la vie monastique et qui de plus se développe au point que Rouen, inconnue auparavant, est désormais connue "in longinquis etiam provinciis venerabiliter" (3).

Les évêques sont beaucoup plus nombreux que de nos jours, et chaque bourg un peu important a le sien. A son arrivée à Nole, Paulin, qui est malade, reçoit la visite de presque tous les évêques de Campanie, c’est-à-dire d’innombrables visites d’après ce qu’il dit (4). Les évêques d’Afrique lui envoient des messagers à cette occasion.

Paulin, dans un fragment qui constitue la lettre 48, énumère les évêques gaulois qui sont de saints hommes (5). Mais tous ne leur ressemblent pas, et Paulin parle des "jam pene forensibus turbis aemulos ecclesiarum tumultus et concilia inquieta" (6): il s’agit de certains synodes romains; et les prélats romains, du fait de l’importance de cette ville, étaient déjà exposés à la vie mondaine. Il ne faut pas oublier d’ailleurs que Paulin a gardé un mauvais souvenir des milieux ecclésiastiques de Rome, depuis son passage en 395 et la "superba discretio" du pape Sirice. Il n’est guère question de papes dans Paulin, à part les mauvaises relations qu’il a avec Sirice et les excellentes qu’il a plus tard avec Anastase, pape qui envoie à tous les évêques d’Italie un faire-part de son élévation à l’épiscopat (8), reçoit Paulin "tam blande quam honorifice" (7), et l’invite à son anniversaire (8).

Le pape est encore supposé un évêque ordinaire, mais en fait il ne l’est plus, et on ne l’appelle pas évêque, mais "urbis papa" (9) ou "urbicus papa" (10).

(1) XVII, 197-272 (487).

(2) 18, 4-5 (130 sqq).

(3) 18, 5 (132, 4-5): honorablement dans les provinces les plus lointaines.

(4) 5, 14 (34, 1 sqa).

(5) page 389

(6) 38, 10 (333, 2 sqq): les assemblées ecclésiastiques, presque aussi tumultueuses et troublées, maintenant, que celles où se traitent les affaires du siècle.

(7) 20, 2 (145, 1): un accueil aussi amical qu’honorable.

(8) 20, 2 (144, 24 sqq-l45, 2 sqq).

(9) 20, 2 (144, 20).

(10) 5, 14 (33, 27).

 

 

 

 

CHAPITRE XIII: LES MOINES

 

Au milieu des païens hostiles et des chrétiens mondains, une seule voie demeurait possible à l’ardeur des convertis: aller directement à l’extrême, par réaction contre la tiédeur ambiante, engendrée inévitablement par les époques de paix.

Comment devient-on moine?

Paulin pendant des années reste un chrétien tiède, comme beaucoup d’autres. Puis survient la conversion, au terme d’une longue évolution (1), favorisée par le dégoût de la vie mondaine, la reconnaissance qu’il éprouve pour avoir échappé à un grave péril lié aux troubles politiques (2), l’influence de Thérèse très chrétienne, l’influence de saint Martin qu’il a rencontré à Vienne (3), et enfin la mort du petit Celse, épreuve déterminante; sans oublier le baptême reçu à Bordeaux vers 389, époque où il est déjà chrétien mais pas encore tout à fait converti. Au terme des quatre années de retraite, c’est ordination forcée, signe qui lui montre la voie: Nole, où saint Félix, quelques années auparavant, a commencé à l’amener à la foi. Voilà pour l’histoire de Paulin. Voyons maintenant comment se passe en pratique cette entrée dans la vie religieuse, puis cette vie religieuse elle-même.

Le premier pas dans la voie de la perfection, c’est la rupture avec tout ce qui auparavant constituait la vie.

Rupture avec le métier: Victor (4), Victrice (5), et peut-être Crispinien (6) quittent l’armée; Paulin (7) et Sévère (8) le barreau et les magistratures, de même qu’Aper (9).

Rupture avec les "nobili tituli et honores vani" (10), avec la célébrité: Paulin et Sévère possédaient une grande réputation d’éloquence (11)

(1) 5, 4 (27, 12 ssq).

(2) XXI, 416-420 (588).

(3) 18, 9 (136, 11).

(4) 25, 1 (223, 18 ssq).

(5) 18, 7 (133 ssq).

(6) 25 (223 ssq)

(7) 5, 4 (27, 19).

(8) 5, 5 (28, 4 ssq).

(9) 38, 8 (331, 20 ssq).

(10) XV, 13 (468): les titres de noblesse et les honneurs vains.

(11) 5, 5 (28, 4-5).

 

Rupture avec le luxe et le confort: bons repas, vêtements beaux et agréables (1), magnifiques palais (2) et villas de vacances.

Rupture avec les richesses (3), que Paulin donne aux pauvres, c’est-à-dire à l’Eglise, qui s’occupe de les distribuer aux pauvres.

Rupture avec la vie conjugale.

Rupture avec la patrie: Paulin part pour l’Espagne, puis pour Nole où il restera jusqu’à sa mort: "Cognatae vincula terrae Ut tibi servirem rupi", dit à saint Félix l’un des compagnons de Paulin (4).

Il y a des renoncements plus pénibles: le renoncement à la littérature, renoncement à la société, à sa vie, à l’information sur ce qui s’y passe (neque videre nisi raros praetereuntium possum) (5), à l’estime des personnes du monde (6), et même aux liens les plus chers, de parenté et d’amitié: "ubi enim, soupire Paulin avec mélancolie, mihi nunc consanguinea germanitas? Ubi amicitia vetus? Ubi pristina contubernia ? Evanui coram illis omnibus" (7).

Enfin et surtout, renoncement à soi-même: "ut vestem a corpore deposuimus. Nunc opus est, ut quae vere nostra sunt dependamus Deo, hoc est cor et animam" (8).

Les philosophes païens, eux aussi, renoncent à tout cela, quoique beaucoup moins absolument. Pourtant la différence est énorme: les ascètes chrétiens ont pour but Dieu et non eux-mêmes, et l’ascèse, comme son nom l’indique (grec askèsis, exercice) n’est qu’un moyen, un instrument pour atteindre Dieu, de même que les gammes et les vocalises ne servent qu’à apprendre à faire de la musique.

Car bien entendu renoncer à tous les biens implique que l’on va mener une vie ascétique.

(1) 41, 2 (357, 7 sqq).

(2) 01, 482-483 (590).

(3) 1, 1 (2, 5 sqq) et ailleurs;

(4) XXIII, 245-246 (6l3): les liens de ma terre natale, pour te servir je les ai rompus.

(5) 13, 2 (85, 7 sq): je ne peux voir que de rares passants.

(6) 1, 2 (2, 17) et ailleurs;

(7) 11, 3 (61, 24 sqq): où sont maintenant mes parents par le sang? Où sont mes anciens amis? où sont mes vieux camarades? Ils m’ont tous abandonné.

(8) 24, 5-6 (206, 2 sqq): nous les avons déposés (les biens matériels) comme on enlève ses habits. Maintenant il s’agit de donner à Dieu ce qui est vraiment à nous, à savoir notre coeur et notre âme.

 

Paulin, à Nole, n’a gardé que l’argent strictement nécessaire pour vivre, et aussi une somme qu’il consacre à édifier des bâtiments: car la renonciation à tout n’implique pas la renonciation au sens pratique. Sévère, lui, vit vraisemblablement sur un domaine qui appartient à sa belle-mère Bassula (qui vit avec lui depuis la mort de sa femme) à Eluso, puisqu’il a donné tous les siens.

Les moines ne boivent pas de vin (1), et se nourrissent très frugalement. Nous avons décrit les menus de la communauté de Nole: du pain, des légumes (2), des bouillies de céréales à l’eau et sans sel, excellentes pour la faim et le porte-monnaie, et aussi pour la piété ("voluit ergo frater Victor, ut non solum jejunio sed et cibo humiliare animam disceremus") (3). Certainement ce régime était excellent aussi pour la santé car Paulin, quoique de santé faible, vécut jusqu’à l'âge de 78 ans (ou 76, selon Fabre). D’ailleurs, précisément il existe actuellement un régime alimentaire importé du Japon qui ressemble exactement à celui-ci (uniquement des céréales et des légumes) et que l’on dit avoir de très bons résultats. Mais revenons à Nole. On prend un seul repas par jour, et même, le soir après vêpres, du moins pendant le Carême (y compris le jour de Pâques) (4) et sans doute aussi à d’autres périodes de l’année.

Paulin et ses compagnons sont vêtus d’une robe grossière, puis Mélanie et les disciples de saint Martin leur apprennent l’usage de la tunique en poil de chèvre (5) ou de chameau (6), avec une corde pour ceinture (7) et les cheveux ras (8). Ces cilices devaient ressembler à nos actuels gants de crin et avoir à peu près le même effet, mais en beaucoup plus désagréable, et bien sûr dans une intention différente.

Mélanie marche pieds nus et dort par terre, "cui habitus in panno, lectus in sagulo et centone, durus in terra fit mollis in littera" (9).

(1) 22, 2 (156, 1 sqq).

(2) 19, 4 (142, 15) et ailleurs.

(3) 23, 7 (163, 18 sq ):le frère Victor voulut nous apprendre à humilier notre âme non seulement par le jeûne mais aussi par la nourriture. (4) 15, 4 (113, 4 sqq; 16 sqq).

(5) XXXV, 451 et ailleurs.

(6) 29, 1 (247, 15 sqq).

(7) 22, 2 (155, 13 sq): reste succincti

(8) 23, 10 (167, 20 sqq).

(9) 29, 13 (260, 20 sqq): elle s’habille de haillons, elle a pour lit une grosse couverture rapiécée: lit dur par terre mais moelleux dans la lecture de l’Ecriture (qui constitue, continue Paulin, son repos et son  plaisir, voluptas).

 

Paulin admire tant cette illustre ascète (qui était de la plus haute noblesse, à l’origine) qu’il ne l’appelle jamais autrement que Melanius au lieu de Melania: une personne aussi parfaite ne peut pas être une femme…

Les moines et les moniales de Nole sont logés dans "angustis cellis" (1) sous le même toit que les pauvres et les malades de l’hospitium. Et ils préfèrent infiniment ces conditions de vie austères au luxe où ils vivaient autrefois (du moins ceux qui étaient riches): "O veneranda mihi et toto pretiosior orbe Pauperies Christi! thesauro caelite ditas quos spolias opibus" (2). Ce n’est qu’un petit extrait d’un long et enthousiaste éloge de la pauvreté. De cet extrait on peut conclure deux choses: Paulin est heureux, et ce bonheur ne lui vient pas de lui-même mais de Dieu, puisque, comme nous avons dit, Dieu est le but de la vie ascétique, ou plus exactement de la vie monastique, dont l’ascèse n’est qu’un aspect.

Jusqu’alors le moine (grec monachos, seul) et la moniale (virgo) vivaient plus ou moins selon leur inspiration et n’entraient pas dans un cadre bien défini. Certains choisissaient le cénobitisme, comme ce Sébastien qui vit tout seul au bord d’un torrent, avec pour toute société un diacre qui lui apporte à manger (3). De même chez les Besses, peuple barbare converti par Nicétas, "montes...nunc tegunt versos monachis latrones" (4).

D’autres voyagent, comme ce Posthumien globe-trotter qui sert de messager entre Paulin et Sévère. Ils sont tellement nombreux, que beaucoup de mendiants se font passer pour moines afin de recevoir l’hospitalité et la considération des populations, et aussi de l’argent (5) (ce qui prouve aussi que les moines n’étaient pas si méprisés que le dit Paulin). D’ailleurs le monachisme est très développé puisque pendant une persécution arienne Mélanie a pu cacher cinq mille moines pendant trois jours (6).

(1) XXI, 483 (590): cellules étroites.

(2) XXI, 506-508 (59l): ô chère pauvreté, plus précieuse que tout l’univers, pauvreté du Christ! Tu enrichis d’un trésor céleste ceux que tu dépouilles des biens du monde.

(3) 26, 1 (235, 2 sqq).

(4) XVII, 2l8-2l9 (488) les montagnes cachent maintenant des brigands changés en moines.

(5) XXIV, 33l (621).

(6) 29, 11 (258, 10 sq).

 

Autre forme de vie religieuse: les veuves, institution remontant au tout début du christianisme. Le terme de veuve avait un sens plus vaste que de nos jours: toute femme sans mari. Elles remplissaient une sorte de ministère, un peu comme des diaconesses, ou comme nos "religieuses dans le monde": "sanctis operibus et pio ministratu inexpugnata, noctu diuque famulantium viduarum integritas" (1).

Or, à la fin du IV° siècle, où vécurent en même temps un si grand nombre de saints et de personnes illustres, les monastères se mirent à fleurir, les précurseurs étant saint Martin à Ligugé et Marmoutier et saint Eusèbe à Verceil (je ne parle que de l’Empire d’Occident). Autour d’Augustin à Hippone, Alypius à Thagaste, Sulpice Sévère à Primuliac, Victrice à Rouen, Ambroise à Milan, des communautés religieuses se développent et s’organisent peu à peu. Thérèse à Nole fonde un monastère de moniales, car Paulin l’appelle conserva (2), sa compagne dans le service de Dieu, et ailleurs il est question du choeur des moniales qui chante dans l’église saint-Félix (3). De même à Primuliac Bassula, belle-mère de Sévère.

La grande nouveauté, c’est la vie en communauté, qui aujourd’hui nous apparaît comme inséparable de la vie monastique. En général c’est un grand propriétaire qui réunit autour de lui, dans un de ses domaines, des fils spirituels et des disciples, ainsi que ses anciens esclaves qui continuent de servir leur maître tout en appartenant à la communauté; ce sont en somme les ancêtres, si l’on peut dire, des frères convers. Tous, filii sancti et famuli, sont utilisés au besoin comme tabellarii, messagers (4).

(1) 18, 5 (132, 22 sqq): l’invincible pureté des veuves qui nuit et jour se consacrent aux oeuvres de charité et au service de Dieu.

(2) 31, 1 (268, 8).

(3) 29, 13 (260, 10-11).

(4) 11, 4 (62, 11 sqq).

 

Les monastères exercent l’hospitalité envers les pauvres, les voyageurs, les naufragés, et tous ceux en général qui en ont besoin. Nous avons parlé à plusieurs reprises de l’hospitium de Nole, et de ceux de Rome et de Marseille où Martinien le naufragé reçoit un accueil si chaleureux et si pauvre. A Nole, certains hôtes qui sont des amis appartiennent provisoirement à la communauté, ainsi Mélanie la jeune et sa famille fuyant les Barbares en 407.

Paulin chante les délices de la vie communautaire: "omnes ex nobis cytharam faciamus in unum Carmen diversis compositam fidibus... Huic cytharae plectrum Felix erit Hoc decachordam Christus ovans cytharam pectine percutiet" (1). Il faut dire que ce genre de vie convient parfaitement à un homme comme lui, si sociable et si porté à l’amitié. On a vu avec quelle allégresse il se prépare à accueillir son cher Sévère: embrassades, prières, repas, jardinage (2); car il habite au milieu d’un verger (3). On peut supposer que le jardinage faisait partie des occupations quotidiennes du monastère, où un travail physique est indispensable pour l’équilibre.

Mais cela, comme le reste, n’est pas encore bien organisé, et il faudra attendre saint Benoît au siècle suivant pour voir apparaître la deuxième grande innovation, la règle (en Occident du moins, car l’Orient était plus en avance dans ce domaine). Pour l’instant, chaque monastère suit son inspiration, et les conseils qu’il trouve ici et là. Victor (ancien disciple de saint Martin), Posthumien, et les autres moines messagers sont les « initiateurs du monachisme » en répandant à travers le monde chrétien les méthodes qu’ils ont vu utiliser quelque part et qui leur semblent bonnes: la tonsure, le cilice, les bouillies.

Ainsi peu à peu une règle s’élabore. Nous avons parlé des périodes de jeûne et de l’horaire des repas, ou plutôt du repas, repoussé jusqu’au soir en temps de jeûne, et jusqu’à 3 heures le reste du temps. La discipline est certainement très stricte et très bien observée, car lorsque le messager Cardamas, peu habitué à ce régime austère, commence vers midi à avoir faim et à réclamer à manger, on l’exhorte à élever son esprit au-dessus de ces détails, et "nemo illi vel siliquam dabat, donec ad vesperam declinaret dies" (5).

(1) 111, 328-9, 334-5 (585): Tous,  faisons de nous une cithare composée de diverses cordes mais qui produit un seul chant... Le plectre de cette cithare sera Félix, et le Christ triomphant frappera de ce plectre notre cithare à dix cordes.

(2) 5, 15 (34, 20 sqq).

(3) pornarium, 32, 12 (288, 1).

(4) 15, 4 (113, 26-114, 1): personne ne lui donnait même une cosse, jusqu’au crépuscule.

(5) DACL, article Nole, tome 12, page 1447.

 

Sans doute tous les moments de la journée sont-ils réglés par un horaire. Les principales occupations des moines sont donc le travail (physique et intellectuel: Paulin compose ses poèmes et ses abondantes lettres à ses nombreux amis), la réception des hôtes, et enfin les offices. Sur ce point aussi la communauté commence à s’organiser: "on se levait la nuit pour chanter alternativement des hymnes et des psaumes. Dès l’aurore on célébrait l’office du matin, le soir à la clarté des lampes on chantait les vêpres." (1).

La vigile de saint Félix était préparée par un jeûne: "nostis eum morem quo jejunare solemus ante diem, et sero libatis vespere sacris quisque suas remeare domos. Tunc ergo solutis Coetibus a templo Domini, postquam data fessis Corporibus requies sumta dape, coepimus hymnis Exsultare Deo, et psalmis producere noctem" (2).

Cette vigile comporte une messe, puis, après un repas et un peu de repos, des psaumes et des hymnes tout le reste de la nuit. On trouve d’autres mentions du chant des psaumes : par exemple à Rouen, les monastères fondés par Victrice pratiquent la psalmodie quotidienne (cotidiano… psallentium... concentu ovium tuarum) (3).

Au même propos Paulin parle des "venerabiles et angelici sanctorum chori" (4). Lorsque Mélanie et sa suite arrivent chez Paulin, les "puerorum et virginum chori" (5) sont en train de chanter un office dans l’église; comme tous les bâtiments communiquent, ces seigneurs et dames entendent l’office et, bien qu’ils commencent à avoir faim et qu’ils n’y connaissent rien, ils sont tout de même impressionnés et imitent "nostrae silentium disciplinae" (6), de sorte que, dit Paulin, comme ils faisaient effort pour se taire on peut dire que "etiam taciti concinebant" (7).

(1) Lagrange, I, page 222 (cf. lettre 19, 1, page 138 1.18 offices le soir, le matin et à midi).

(2) XXIII, 111-116 (610): vous savez notre coutume de jeûner la veille, et le soir après la messe de rentrer chacun chez soi. Le groupe quitte l’église, se sépare, nous prenons un repas, nous reposons nos corps fatigués, puis nous recommençons à louer Dieu par des hymnes et à prolonger la nuit par des psaumes.

(3) 1 (132, 17 sqq).

(4) 18, 4 (131, 15).

(5) 29, 13 260, 10 sqq).

(6) 29, 13 260, 14); il y avait donc des règles de silence.

(7) 29, 13 260, 18): même on se taisant ils chantaient avec les autres.

 

Les virgines dont il est ici question sont bien sûr les moniales de Thérèse; quant aux pueri ce sont peut-être de jeunes moines. L’office qu’ils chantent ici est apparemment les vêpres puisque le repas n’a pas encore eu lieu. On chante aux vêpres des hymnes (1) et des psaumes (2) à la louange de Dieu et de saint Félix, que Paulin ne juge pas d’une espèce supérieure aux autres saints: il l’aime, simplement, et il est heureux de vivre chez lui (3).

C’est ainsi qu’il y a quinze siècles commençait d’exister ce que devaient achever par la suite les siècles barbares: cette merveille qu’est la vie monastique, avec sa perle, le chef d’oeuvre de notre civilisation, le chant grégorien.

(1) 15, 4 (114, 2).

(2) 29, 13 (260, 17).

(3) on ne peut pas citer d’exemples car c’est le leitmotiv de toute son oeuvre.

 

 

 

CONCLUSION

 

 

Nous avons donc parcouru, de façon très incomplète bien sûr, à peu près tous les aspects de cette société de la fin du IVème  siècle et du début du Vème, telle qu’elle apparaît dans l’oeuvre de saint Paulin de Nole.

Nous avons vu que pour lui les réalités quotidienne ne valent que par leur signification spirituelle, mais que souvent il se laisse aller au plaisir de conter familièrement, car ce n’est pas pour lui qu’il écrit, mais toujours il s’adresse à quelqu’un: il veut se mettre au niveau de son auditoire paysan, et faire plaisir à ses amis en leur décrivant sa vie quotidienne.

Pour chercher ces réalités quotidiennes, nous avons d’abord peint l’homme tout seul, dans ses relations avec le monde matériel, par un long cheminement à travers les pièces hétéroclites dont ce monde est composé.

Puis l’homme dans ses relations avec les autres hommes, en découvrant un champ de plus en plus vaste et en suivant la croissance de l’homme depuis le sein de la famille, à travers toutes les catégories de relations humaines et sociales, jusqu’aux échanges intellectuels internationaux.

Ensuite nous sommes arrivés au monde spirituel en décrivant les relations de l’homme avec Dieu et leurs modalités, des plus communes aux plus élevées, et enfin nous avons accédé à la forme la plus parfaite de vie, la vie monastique, qui a été la fin de notre voyage, tous les chapitres précédents ne constituant qu’une préparation à celui-là.

Cette progression verticale, par décantations successives, correspond à la vision que Paulin se fait du monde. A ce niveau tout le reste devient accessoire, et le moine n’a plus que Dieu pour vie, habitation et patrie: "Tu mihi mutasti patriam meliore paratu, Te mihi pro patria reddens" (1). Pourtant même dans ce détachement, Paulin demeure toujours dans une société, où les conceptions les plus contradictoires s’affrontent, s’entrechoquent et s’entremêlent si profondément qu’il devient difficile de les distinguer, et de dire ce qui appartient à l'une et à l’autre, c’est-à-dire, essentiellement, au paganisme et au christianisme.

(1) XXI 448-449 (589): tu me changeas de patrie en me préparant un meilleur sort, puisque tu te donnas à moi en place de patrie.

 

Et de ce mélange naît une époque passionnante, une époque de contrastes violents. Mais l’âme de cette société comporte un autre élément aussi important: l’avenir n’est pas seulement le christianisme mais aussi les innombrables hordes barbares prêtes à déferler sur l'Empire. Paulin, comme les autres, sent cette menace de plus en plus imminente. Il a peur (1), mais au fond il garde confiance et sait que l’Empire n’est pas le plus important. "Cum ipse Caesar Christi servus hunc studeat esse, ut aliquarum gentium rex esse mereatur" (2). La puissance et l’étendue de l’Empire diminuent mais cela ne l’émeut guère, car pour lui et ses pareils la cité de Dieu compte plus que la cité terrestre. Ses pareils, c’est-à-dire les autres Pères de l'Eglise ses amis: Augustin,  Ambroise, Jérôme et les autres. Il n’est pas le plus grand d’entre eux, mais on ne peut s’empêcher de l’aimer car il est très sympathique et très bon.

Sans doute ne sait-il pas qu’il vit à une charnière de l’histoire, que l’Empire va bientôt être anéanti par les Barbares, et que la fusion de ces éléments: christianisme triomphant du paganisme et jeune force de la civilisation barbare, va produire une ère nouvelle, déjà en germe à cette époque. Est-ce encore l’Antiquité? Est-ce déjà le Moyen Age?

Un monde meurt, et un monde naît.

(1) Voir tout le poème 26 (638 sqq).

(2) 25, 3, (225, 15 sqq): César lui-même doit s’étudier à servir le Christ pour mériter d’être le roi de quelques nations.

 

 

 

Index des personnages

 

 

Aléthius: frère de l’évêque de Cahors (lettre 33).

Alypius: évêque de Thagaste (lettre 3), ami d’Augustin.

Amand: prêtre de Bordeaux, parrain de Paulin et celui qui le prépara au baptême (lettres 2, 9, 12, 15, 21, 36).

Ambroise: évêque de Milan, qui agrégea Paulin à son clergé

Anastase: pape avec qui Paulin est en excellents termes (élu en 399).

Aper: ami de Paulin, ancien juge et avocat devenu prêtre (lettre 38, 39, 44).

Archélaïs: riche veuve qui subvint aux besoins de saint Félix.

saint Augustin: évêque d’Hippone, ami de Paulin (lettres 4, 6, 45, 50)

Ausone: professeur de rhétorique à Bordeaux, ancien maître et ami de Paulin (poèmes 10 et 11).

Basile: prêtre de Capoue à qui Paulin rendit service.

Bassula: belle-mère de Sévère, vit avec lui.

Cardamas: messager d’Amand, ancien acteur devenu exorciste.

Celse: fils de Paulin et Thérèse, mort à huit jours en 393.

Celse: fils de Pneumatius et Fidélis, mort à huit ans.

Clair: saint, disciple de st Martin, enterré à Primuliac.

Constance: empereur qui effectua une des premières translations de reliques, en 356.

Crispinien: sous-officier, ancien camarade de Victor, que Paulin essaie de convertir au monachisme (lettre 25).

Cythérius: ami de Paulin, dont le fils est élevé chez Sévère (poème 24).

Delphin: évêque de Bordeaux qui baptisa Paulin en 379 (lettres 10, 14, 19, 26, 35).

Emile: évêque de Bénévent, père de Ia (ou Titia).

Eucher: retiré à Léro avec sa femme Galla, futur évêque de Lyon et saint (lettre 51).

saint Félix: honoré à Nole; confesseur qui vécut au IIIème siècle; pèlerinage le 14 Janvier, Paulin se consacre à lui (15 Natalicia).

Fidélis: mère de Celse, consolée par Paulin (poème 35).

Galla: femme d'Eucher, retirée avec lui à Léro (lettre 51).

Gestidius: ami de Paulin avant sa conversion (poèmes 1 et 2).

Hermias: père et frère de saint Félix, soldats.

Ia: fille d’Emile et femme de Julien d’Eclane (poème 25).

Jovius: parent de Paulin. Paulin essaie de le convertir, Jovius l’approuve, mais préfère la littérature (poème 22, lettre 16).

Julien: empereur qui persécuta les chrétiens (361-363).

Julien d'Eclane: fils de Mémor, mari de Ia, clerc (poème 25).

Julien: domestique de Paulin, messager en Afrique.

Lampius: évêque de Barcelone, ordonne Paulin en 394.

Licentius: fils de Romanien, parent d’Alypius, ancien élève d’Augustin ; Paulin essaie de le convertir (lettre 8).

Macaire: préfet de Rome (lettre 49).

Marracinus: messager de Sévère, soldat, serviteur de Sabinus de Rome, déplaît à Paulin.

saint Martin: évêque de Tours, maître de Sévère, de Clair, de Victor; Sévère écrit sa vie, ce qui rend Martin  très populaire; Paulin le rencontre à Vienne.

Martimien: messager de Cythérius, victime d’un naufrage.

Maxime: évêque de Nole au temps de saint Félix.

Maxime: usurpateur (383) qui assassine l’empereur Gratien.

Mélanie: petite-fille du consul Marcellin, veuve jeune, mère de Valérius Publicola, vit en ascète, rend visite à Paulin après un séjour de vingt ans à Jérusalem. Il parle d’elle avec la plus grande admiration.

Mélanie la jeune: petite-fille de la précédente, future sainte (ainsi que son mari Pinien); passe à Nole en 407

Mémor: évêque d’Eclane, père de Julien et ami de Paulin

Nicétas: évêque de Rémésiana en Dacie, ami de Paulin qu’il visita deux fois, auteur d’hymnes (le Te Deum), évangélisateur des Daces et des peuples environnants (poème XVII).

Pammachius: sénateur, perd sa femme en 395 et finit sa vie dans la piété (lettre 13).

Paschase: diacre, messager de Victrice.

Pauline: femme de Pammachius, fille de sainte Paule (l’amie de Jérôme).

Paul: évêque de Nole, prédécesseur de Paulin, consacre les bâtiments de Nole en 404.

Pneumatius: père de Celse, consolé par Paulin (poème XXXV).

Posthumien: prêtre, voyageur, messager de Sévère et Paulin

Publicola: père de Mélanie la jeune, fils de Mélanie l’ancienne, sénateur

Quintus: successeur de l’évêque Maxime, au temps de Félix

Romanien: parent d’Alypius, père de Licentius, ami d’Augustin et de Paulin (lettre 7).

Ruffin: prêtre savant et voyageur, ami de Paulin (lettres 46, 47).

Sanctus Endelechius: rhéteur gaulois, ami de Paulin (lettres 40, 41).

Senemarius: messager d’Amand, affranchi par Paulin

Sébastien: ermite (lettre 26).

Secondinien: armateur victime d’un naufrage, recommandé par Paulin à Macaire

Sévère: principal ami de Paulin, né vers 360, avocat, veuf de bonne heure il devient prêtre et quitte le monde. Ecrit la Vita Martini; habite Eluso puis Primuliac (Aquitaine). Ne vint jamais voir Paulin à Nole (lettres 1, 5, 11, 17, 22, 23, 24, 27, 28, 29, 30, 31, 32).

Sirice: pape mort en novembre 399 et qui aimait peu les moines

Sorianus: messager occasionnel de Sévère

Sulpice Sévère: voir Sévère (Sévère est son prénom, et c’est ainsi que Paulin l’appelle toujours).

Thérèse (Therasia): Espagnole riche et pieuse, épouse Paulin vers 385, l’influence pour sa conversion; fonde à Nole un monastère de femmes; meurt entre 408 et 415.

Théridius: ami de Paulin, s’expatrie aussi pour entrer au monastère de Nole; messager de Sévère; blessé à un oeil et guéri par Félix le 14 Janvier 400.

Ursus: catéchumène de Rouen, messager de Victrice avec Paschase ; tombe gravement malade à Nole.

Valérius Publicola, voir Publicola.

Valgius: sarde, pilote du bateau de Secondinien.

Victor: ancien soldat, moine de Sévère et son messager depuis 400 régulièrement; initie Paulin aux coutumes ascétiques de saint Martin; Paulin chante ses louanges.

Victrice: évêque de Rouen et évangélisateur du Nord de la Gaule, ancien soldat, futur saint (lettres 18, 37).

Vigilantius: messager de Paulin et Sévère.

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

Editions et traductions :

- Migne, Patrologie latine, tome 61  

- W. Hartel, Paulini Nolani epistulae, CSEL tome 29, Vienne 1894

- Lettres traduites, sans nom d’auteur, Paris 1703, Louis Guérin (traduction du genre « belle infidèle », mais surtout infidèle)

- Extraits traduits par Pietri, Namur 1964, éditions Soleil levant

 

Etudes :

A)    Dictionnaires et manuels :

Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie (DACL), Paris

Dictionnaire de théologie catholique, Paris

- Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, Daremberg-Saglio, Paris 1897 à 1919

- Realencyklopädie der klassischen Altertumswissenschaft, Pauly-Wissowa, Stuttgart

- Ampère, Histoire littéraire de la France avant Charlemagne, Paris 1867, tome 1 ch. 7

- G. Boissier, La fin du paganisme, Paris 1891, II, 57-121

- Carcopino, La vie quotidienne à Rome à l’apogée de l’Empire, Paris 1939

- Glotz

- Martin-Fliche, Histoire de l’Eglise

 

B)     Ouvrages généraux :

– Dancoisne, Paulin évêque de Nole et son temps, traduit de A. Buse, Paris-Tournai 1858

– F.A. Gervaise, La vie de st Paulin évêque de Nole, avec l’analyse de ses ouvrages et trois dissertations, Paris 1743

– M. Lafon, Paulin de Nole 354-431, Montauban 1885

– F. Lagrange, Histoire de st Paulin de Nole, Paris 1887

- Rabanis, Paulin de Nole, Bordeaux 1840 (cf actes de l’Académie royale des sciences, arts et lettres de Bordeaux, t.1, 1839)

- Souiry, Etudes historiques sur la vie et les écrits de Paulin de Nole, Bordeaux 1853-1856, 2 vol.

- Serafino Prete, Paolino di Nola e l’umanesimo cristiano, Bologne 1964

- Pierre Fabre, Paulin de Nole et l’amitié chrétienne, Paris 1949

 

C)    Etudes de détail :

- Courcelle, Revue des études latines (Paulin de Nole et st Jérôme), 1947

- P. Fabre, Essai sur la chronologie de l’œuvre de st Paulin de Nole, thèse complémentaire, Paris 1947

- Denys Gorce, Les voyages, l’hospitalité et le port des lettres dans le monde chrétien des 4ème et 5ème siècles, thèse 1925 Poitiers, monastère du Mont-Vierge, Wépio/Meuse (Belgique) et Paris (1925)

- M. Philipp, Zum Sprachgebrauch des Paulinus von Nola, dissertation, Erlangen 1904

- P. Reinelt, Studien über die Briefe des hl. Paulinus von Nola, Breslau 1904

- P.G. Walsk, Letters of st P. N., London 1967

- Labriolle, La correspondance d’Ausone et de Paulin de Nole, un épisode de la fin du paganisme, Paris 1910, Bloud-Gay, traduction et commentaire des poèmes 10 et 11 de Paulin et des lettres d’Ausone auxquelles ils répondent