TEXTE DES
DEUX PREMIÈRES DÉCRÉTALES
4° CONCILE
DU LATRAN, (12° oecuménique): 11-30 novembre 1215
Editions
Denzinger
Edition numérique https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique 2004
Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin
PREMIÈME DÉCRÉTALE: Définition sur Dieu et la Trinité contre les albigeois et les Cathares
DEUXIÈME DECRÉTALE: La fausse doctrine de Joachim de Flore.
Ces deux décrétales ouvrent la collection officielle des Décrétales, toutes également authentiques, récoltées par saint Raymond de Peñafort ; Il ne s'agit pas des Fausses Décrétales qui se trouvent dans le Décret de Gratien du XIIe siècle.
Le concile
adopta en trois sessions solennelles (11, 20, 30 novembre) des décisions
concernant la libération de la Terre sainte et la réforme de l’Église, ainsi
que des définitions contre les hérésies mentionnées dans ce qui suit.
Voir p. 800-802.
Chap. 1. "La foi catholique."
Éd. Mansi
22,981 s; HaC 7,15-17; BarAE, pour l’année 1215 n° 8-10; Grégoire IX, Décrétales,
I. I, tit. 1, c. I (Frdb 2,5 s) COeD³ 230 s.
Nous croyons fermement et confessons avec
simplicité qu’il y a un seul et unique vrai Dieu, éternel et immense, tout-
puissant, immuable, qui ne peut être ni saisi ni dit, Père et Fils et
Saint-Esprit, trois personnes, mais une seule essence, substance ou nature
absolument simple. Le Père ne vient de personne, le Fils vient du seul Père et
le Saint-Esprit également de l’un et de l’autre, toujours, sans commencement et
sans fin. Le Père engendrant, le Fils naissant et le Saint- Esprit procédant,
consubstantiels et semblablement égaux, également tout-puissants, également
éternels. Unique principe de toutes choses, créateur de toutes les choses
visibles et invisibles, spirituelles et corporelles, qui, par sa force
toute-puissante, a tout ensemble créé de rien dès le commencement du temps
l’une et l’autre créature, la spirituelle et la corporelle, c’est-à-dire les
anges et le monde, puis la créature humaine faite à la fois d’esprit et de
corps. En effet le diable et les autres démons ont été créés par Dieu bons par
nature; mais ce sont eux qui se sont rendus eux- mêmes mauvais. Quant à
l’homme, c’est à l’instigation du démon qu’il a péché.
Cette sainte Trinité, indivise selon son
essence commune et distincte selon les propriétés des personnes, a donné au
genre humain la doctrine du salut par Moïse, par les saints prophètes et par
ses autres serviteurs, selon une disposition des temps parfaitement ordonnée.
Enfin, le Fils unique de Dieu, Jésus
Christ, incarné par une oeuvre commune de toute la Trinité, conçu de Marie
toujours Vierge par la coopération du Saint-Esprit, fait homme véritable
composé d’une âme raisonnable et d’une chair humaine, une seule personne en
deux natures, a montré plus manifestement la voie de la vie. Alors que, selon
la divinité, il est immortel et incapable de souffrir, il s’est fut lui-même,
selon l’humanité, capable de souffrir et mortel; bien plus pour le salut du
genre humain, il a souffert et est monté au ciel; mais il est descendu en son
âme et ressuscité en son corps et est monté en l’une et l’autre également il
viendra à la fin des temps juger les vivants et les morts et rendre à chacun
selon ses oeuvres, aussi bien aux réprouvés qu’aux élus. Tous ressusciteront
avec leur propre corps qu’ils ont maintenant, pour recevoir, selon ce qu’ils
auront mérité en faisant le bien ou en faisant le mal, les uns un châtiment
sans fin avec le diable, les autres une gloire éternelle avec le Christ.
Il y a une seule Église universelle des
fidèles, en dehors de laquelle absolument personne n’est sauvé[1]
et dans laquelle le Christ est lui-même à la fois le prêtre et le sacrifice,
lui dont le corps et le sang, dans le sacrement de l’autel, sont vraiment
contenus sous les espèces du pain et du vin, le pain étant transsubstantié au
corps et le vin au sang par la puissance divine, afin que, pour accomplir le
mystère de l’unité, nous recevions nous-mêmes de lui ce qu’il a reçu de nous. Et
assurément ce sacrement, personne ne peut le réaliser, sinon le prêtre qui a
été légitimement ordonné selon le pouvoir des clés de l’Église que Jésus Christ
lui-même a accordé aux apôtres et à leurs successeurs.
Le sacrement du baptême qui s’effectue dans
l’eau en invoquant la Trinité indivise, c’est-à-dire le Père, le Fils et le
Saint-Esprit, légitimement conféré par qui que ce soit selon la forme de
l’Eglise aussi bien aux enfants qu’aux adultes, sert au salut.
Et si, après avoir reçu le baptême, quelqu’un
est tombé dans le péché, il peut toujours être rétabli dans son état par une
vraie pénitence. Ce ne sont pas seulement les vierges et les continents, mais
aussi les gens mariés qui, plaisant à Dieu par une foi droite et de bonnes
oeuvres, méritent de parvenir à la vie éternelle.
Dans son
ouvrage perdu De unitate Trinitatis, l’abbé cistercien Joachim de Flore
(+ 1202) avait combattu les propos de Pierre Lombard cités ci-dessous, tirés
des Sententiae, 1.1, dist. 5. Trois autres ouvrages de Joachim, Concordia
Novi et Veteris testamenti, Expositio in Apocalypsim et Psalterium decem
chordarum, qui furent publiés par ses élèves sous le titre commun
Evangelium aeternum et qui contiennent la doctrine des trois âges du Père, du
Fils et du Saint-Esprit furent décriés plus tard, après que le franciscain
Gérard de Borgo San Donnino eut écrit son Liber introductorius in Evangelium
aeternum (1254) et l’eut joint en guise de commentaire à la publication des
écrits de Joachim. Des théologiens de Paris tirèrent en 1254 de ces oeuvres
trente et une erreurs (DenCh 1,272-275). Alexandre IV se contenta de condamner
la Concordia de Joachim en même temps que le Liber introductorius (23 octobre
1255).
En outre le
concile condamna les fausses doctrines du théologien parisien Almarich ou
Amalrich de Bène (près de Chartres); une liste de ses erreurs dans DenCh 1,71 s
(n° 12); DuPIA 1/1 (1724), 126b-131b. Amalrich soutenait entre autres les
thèses suivantes
1. Que Dieu
est tout. — 2. Que tout chrétien est tenu de croire qu’il est membre du Christ,
et que personne ne peut être sauvé qui ne croit pas cela, pas plus que s’il ne
croyait pas que le Christ est né et qu’il a souffert, ou d’autres articles de
la foi. — 3. Qu’à ceux qui sont établis dans la charité aucun péché n’est
imputé.
[1. Quod
Deus est omnia — 2. Quod quilibet Christianus teneatur credere se esse
membrum Christi, nec aliquem posse salvari qui hoc non crederet, non minus quam
si non crederet Christum esse natum et passum vel alios fidei articulos. —
3. Quod in cantate constitutis nullum peccatum imputetur.]
Éd. DenCh 1,81
n° 22 1*8081 Mansi 22,982A-986D; HaC 7,17-19 Grégoire IX, Decretales, 1. I,
tit. 1, e. 2 (Frdb 2,6 s); COeD³ 231-233.
Nous condamnons donc et nous réprouvons
l’opuscule ou traité que l’abbé Joachim a publié contre maître Pierre Lombard
au sujet de l’unité ou de l’essence de la Trinité, l’appelant hérétique et
insensé à cause de ce qu’il a dit dans ses Sentences: "Il y a une réalité
suprême qui est Père et Fils et Saint-Esprit, et celle-ci n’engendre pas, n’est
pas engendrée et ne procède pas."
D’où il affirme que celui-ci a érigé en
Dieu non pas tant une Trinité qu’une quaternité, c’est-à-dire trois personnes
et en quelque sorte une quatrième qui serait cette essence commune, alors qu’il
professe manifestement qu’il n’y a aucune réalité, ni essence, ni substance, ni
nature qui soit Père et Fils et Saint-Esprit, bien qu’il concède que Père et
Fils et Saint-Esprit sont une seule essence, une seule substance et une seule
nature. Mais il reconnaît qu’une telle unité n’est ni vraie ni propre, mais en
quelque sorte collective et analogique, de la même manière qu’on dit que
beaucoup d’hommes sont un seul peuple et beaucoup de fidèles une seule Eglise,
conformément à ce qui est dit: "La multitude des croyants était un seul
coeur et une seule âme" [Ac 4,32], et: "Celui qui s’attache à
Dieu est un seul esprit" [1 Co 6,17] avec lui; et encore: "Celui
qui arrose et celui qui plante ne font qu’un" [1 Co 3,8]; et, tous "nous
sommes un seul corps dans le Christ" [Rm 12,5]; et encore, dans le
livre des Rois: "Ton peuple et mon peuple sont une même chose"
[1 R 22,5: Vulgate; voir Rt 1,16].
Mais pour fonder cette affirmation il a
surtout recours à ce que le Christ dit des fidèles dans l’Evangile: "Je
veux, Père, qu’en nous ils soient un comme nous aussi nous sommes un, afin qu’ils soient parfaitement un" [Jn 17,22 s]. En effet, dit-il, les
fidèles du Christ ne sont pas un, c’est-à-dire une seule réalité qui serait
commune à tous; ils sont seulement un, c’est-à-dire une seule Eglise, à cause
de l’unité de la foi catholique et un seul Royaume à cause de l’union dans une
charité indissoluble. De la même manière, on lit dans l’épître canonique de
Jean: "Car ils sont trois qui rendent témoignage dans le ciel, le Père
et le Verbe et le Saint-Esprit, et ces trois sont un" [1 Jn 5,7]; et
Jean ajoute aussitôt: "Et ils sont trois qui rendent témoignage sur la
terre, l’esprit, l’eau et le sang, et ces trois sont un" [1 Jn 5,8], selon
ce qu’on trouve dans certains manuscrits.
Quant à nous, avec l’approbation du saint
concile universel, nous croyons et confessons avec maître Pierre qu’il y a une
seule réalité suprême, qui ne peut être saisie ni dite, qui est véritablement
Père et Fils et Saint-Esprit, les trois personnes ensemble et chacune d’elles
en particulier. C’est pourquoi il y a en Dieu seulement Trinité et non pas
quaternité, parce que chacune des trois personnes est cette réalité,
c’est-à-dire la substance, l’essence et la nature divine. Elle seule est le
principe de toutes choses, en dehors duquel aucun autre principe ne peut être
trouvé. Et cette réalité n’engendre pas, n’est pas engendrée et ne procède pas,
mais c’est le Père qui engendre, le Fils qui est engendré et le Saint- Esprit
qui procède, en sorte qu’il y a distinction dans les personnes et unité dans la
nature.
Donc "bien que le Père soit autre,
autre le Fils, autre le Saint-Esprit, il n’a cependant pas une autre réalité[2]",
mais ce qu’est le Père, le Fils l’est et le Saint-Esprit, absolument la même
chose, en sorte que, conformément à la foi orthodoxe et catholique, nous
croyons qu’ils sont consubstantiels. En effet, le Père, en engendrant le Fils
de toute éternité, lui a donné sa substance, ce même Fils en témoigne: "Ce
que m’a donné le Père est plus grand que tout" [Jn 10,29].
Et on ne peut pas dire qu’il lui a donné
une partie de sa substance et en a retenu une partie pour lui-même, puisque la
substance du Père est indivisible, étant absolument simple. Mais on ne peut pas
dire que le Père a transféré sa substance dans le Fils en l’engendrant, comme
s’il l’avait donnée à un fils sans la retenir pour lui-même; autrement il
aurait cessé d’être substance. Il est donc clair que le Fils, en naissant, a reçu
la substance du Père sans aucune diminution de celle-ci et que, ainsi, le Père
et le Fils ont la même substance et, ainsi encore, sont une même réalité le
Père et le Fils et aussi le Saint-Esprit qui procède de l’un et de l’autre.
Donc, lorsque la Vérité prie le Père pour
ses fidèles en disant: "Je veux qu’eux-mêmes soient un en nous comme nous
sommes un" [Jn 17,22], ce mot "un" est pris pour les
fidèles en ce sens qu’il signifie l’union de la charité dans la grâce, et pour
les personnes divines en ce sens qu’est sou lignée l’unité de l’identité dans
la nature, comme le dit ail leurs la Vérité: "Soyez parfaits comme
votre Père céleste est parfait" [Mt 5,48], comme s’il était dit plus
clairement "Soyez parfaits" de la perfection de la grâce "comme
votre Père céleste est parfait" de la perfection de la nature, chacun
à sa manière. Car si grande que soit la ressemblance entre le Créateur et la
créature, on doit encore noter une plus grande dissemblance entre eux.
Si quelqu’un ose donc défendre ou
approuver sur ce point l’affirmation ou la doctrine du susdit Joachim, qu’il
soit réfuté par tous comme hérétique.
Cependant nous ne voulons en rien par cela
faire tort au monastère de Flore, qui a été institué par Joachim lui-même,
parce que l’institution en est régulière et l’observance salutaire. Et cela
d’autant plus que ce même Joachim nous a fait remettre tous ses écrits afin
qu’ils soient approuvés ou corrigés par le jugement du Siège apostolique,
dictant une lettre[3] signée de sa main, dans
laquelle il confesse fermement tenir la foi que tient l’Église romaine, mère et
maîtresse de tous les fidèles par la disposition du Seigneur.
Nous réprouvons aussi et condamnons
l’opinion extravagante de l’impie Amalric, dont le père du mensonge a tellement
aveuglé l’esprit que sa doctrine ne doit pas tant être regardée comme hérétique
que comme insensée.
[1] CYPRIEN DE
CARTHAGE, Lettre (73) à Jubaianus, chap. 21 (CSEL 3/11, 795³; PL 3,1169A) Salus
extra Ecclesiani non est "Il n’y a pas de salut hors de
l’Eglise"; voir *3866-3873)
[2] Voir
GRÉGOIRE DE NAZIANZE. Lettre (101) à Cledonius 1 20-21 (P. GALLEY, SC 208
11974], 44-46; PG 37, 180AB).
[3] La protestatio de JOACHIM DE FLORE, écrite en 1200 (DUPIA 1/I, 121ab)