COMMENTAIRE SUR LA PREMIÈRE ÉPÎTRES AUX
CORINTHIENS
Par saint Jean Chrysostome
TRADUITES POUR LA PREMIÈRE FOIS SOUS LA DIRECTION DE M. JEANNIN, licencié ès-lettres professeur de rhétorique au collège de l'Immaculée Conception de Saint-Dizier.
Bar-le-Duc, L. Guérin & Cie, éditeurs, 1864
Traduit par M. l'abbé DEVOILE.
ARGUMENT DE LA
PREMIÈRE ÉPITRE AUX CORINTHIENS_
COMMENTAIRE. —
SUR LA PREMIÈRE ÉPITRE AUX CORINTHIENS
§. I — 1° Du mérite
de ces Homélies. — 2° Du prologue de ces mêmes Homélies. — 3° Quelques savants
ne veulent pas qu'il soit de saint Chrysostome.
1° Parmi les oeuvres de saint Chrysostome les plus estimées et les
meilleures, on compte les homélies sur les deux épîtres aux Corinthiens. Ces
homélies sont au premier rang pour l'élégance de la forme aussi bien que pour
l'importance de la matière. On peut le dire surtout des homélies sur la
première épître, que l'on préfère généralement aux homélies sur,la seconde épître, à cause du style qui en est plus figuré
et plus soigné. On remarque en effet dans les premières une diction plus
abondante, un grand nombre de mots piquants et de détails intéressants. Il
serait difficile de trouver rien qui soit travaillé avec plus de soin que ces
homélies: c'est au point que plus d'un parmi lès lecteurs modernes trouvera que
l'auteur va trop loin en ce genre et qu'il excède les justes bornes. Mais en
cela le saint Docteur n'a fait que remplir le premier et principal devoir d'un
orateur qui est de connaître à fond le goût et l'esprit de son auditoire, pour
s'y conformer rigoureusement. Il ne se trompait pas puisqu'il plaisait, et il
plaisait tellement, qu'il était souvent interrompu
soit par des frémissements approbateurs, soit même par des applaudissements
bruyants qui éclataient malgré tous les efforts du prédicateur pour empêcher
ces sortes de manifestations. Les controverses fréquentes et les luttes pour
ainsi dire corps à corps avec les philosophes profanes, avec les adorateurs des
faux dieux, avec certains hérétiques, des détails concernant les moeurs du
siècle, viennent encore ajouter un nouvel intérêt à ces homélies sur la
première épître.
2° Ces homélies sont précédées d'une préface que nul ne fierait difficulté
d'attribuer à saint Chrysostome, si l'on n'y lisait le passage suivant: « Paul
a beaucoup souffert dans cette ville; le Christ s'y montra à lui et lui dit: Ne
te tais point, mais parle: parce qu'un peuple nombreux m'appartient dans cette
ville. Et il y demeura deux ans. C'est là que le démon maltraita les exorcistes
juifs, là que certaines personnes touchées de repentir brillèrent des livres de
magie, et il y en eut pour cinquante mille deniers de brûlés; là enfin que Paul
fut battu en présence de Gallion, le proconsul,
siégeant sur son tribunal ».
3° il y a tant de grosses erreurs dans ce passage, qu'il est difficile de
croire qu'un homme aussi versé dans les saintes Ecritures que l'était saint
Chrysostome, en soit l'auteur. Est-ce l'un des hommes qui a
le mieux possédé la sainte Ecriture? est-ce surtout le
commentateur des Actes, l'homme qui avait si bien étudié toutes les démarches
comme toutes les paroles de l'apôtre saint Paul? est-ce bien celui -là qui a pu
transposer d'Ephèse à Corinthe deux faits aussi importants que celui du démon
maltraitant les fils du juif Scéva qui tentaient de
l'exorciser, et que celui des livres de magie brûlés en si grande quantité?
C'est là, encore une fois, quelque chose qu'on a de la peine à croire. Ce n'est
pas non plus Paul, mais Sosthène qui fut battu. Il
est bien vrai que l'on rencontre quelques lapsus memoriae
dans saint Chrysostome; il cite quelquefois un livre de l'Ecriture pour un
autre; mais celui-ci serait bien fort. Toutefois, si l'on retranche cet
endroit, le reste de la pièce est si bien fait, si bien tourné, qu'il me semble
y reconnaître saint Chrysostome; et ce qui m'empêche surtout d'adopter
pleinement l'avis des hommes doctes qui nient l'authenticité de cette préface,
c'est qu'elle se termine de telle manière que l'auteur de la première homélie
semble prendre de là son point de départ comme s'il reprenait le fil de son
discours. Pour preuve que la mémoire fait quelquefois défaut à saint
Chrysostome, voyez le commentaire sur l'épître aux Galates, chap. I, 1, où le
saint Docteur met Milésiens au lieu d'Ephésiens.
§ II. — 1° Que les Homélies sur la première Epitre aux Corinthiens furent prononcées à Antioche, selon
le témoignage de saint Chrysostome lui-même. — 2° Qu'elles contiennent beaucoup
de choses d'un grand intérêt touchant les philosophes profanes: — 3° Touchant
les hérétiques Manichéens et Marcionites. — 4° Rite
ridicule des Marcionites. — 5° Que les moeurs des
chrétiens d'Antioche y sont censurées avec énergie. — 6° Diverses autres
observations.
1° C'est dans la vingtième homélie que saint Chrysostome nous apprend qu'il
prêchait à Antioche, et voici à quelle occasion: Il y avait dans cette ville
beaucoup de riches avares, très peu portés à la pratique de l'aumône; ils ne
savaient que repousser durement, sans leur donner môme une obole, les pauvres
qui se présentaient sur leur passage. De leur côté, les pauvres usaient des
moyens les plus barbares pour émouvoir la pitié; les uns crevaient les yeux à
leurs enfants; les autres, pour attirer l'attention de la foule, mangeaient des
cuirs de vieux souliers; ceux-ci se plantaient des clous dais la tête, ceux-là
demeuraient assis jusqu'au ventre dans de l'eau glacée; d'autres avaient
recours à des moyens encore plus singuliers et plus douloureux. La vue de ces
horreurs émouvaient ces citoyens opulents qui donnaient alors l'argent à
pleines mâtins à. ceux dont ils venaient de repousser les prières. Pour flétrir
une pareille conduite, comme c'était son devoir, le saint Docteur ne trouve pas
de termes assez forts; et afin de les corriger par un exemple, il leur rappelle
en 1a mémoire ces anciens habitants d'Antioche qui florissaient dans les temps
apostoliques, qui furent les premiers appelés chrétiens, et qui prodiguaient si
généreusement leurs biens pour subvenir aux besoins des pauvres et des églises.
Mais parce que ces riches avaient coutume de renvoyer les indigents et les
mendiants à l'église d'Antioche, qui jouissait de gros revenus, le savant
Docteur leur répond que l’aumône faite par l'Eglise ne leur conférera aucun
mérite s'ils ne donnent eux-mêmes largement pour le soulagement des pauvres.
Saint Chrysostome nous dit dans une autre homélie que l'église d'Antioche
pouvait, avec son seul revenu, pourvoir à l'entretien journalier de trois mille
veuves. et vierges. Il est donc constant, par le
témoignage de saint Chrysostome lui-même, que ces Homélies furent prononcées à
Antioche.
2° Les paroles de l'apôtre fournissent à l’orateur l'occasion de sorties fréquentes contre les philosophes profanes, contre les
adorateurs des idoles. Il rapporte (troisième homélie) une dispute d'un
platonicien avec un chrétien, dans laquelle un raisonne de part et d'autre avec
tant d'irréflexion, que les deux adversaires en viennent jusqu'à parler contre
leur: propre cause et à plaider le contre-pied sana s'en apercevoir. Il n'est
pas rare qu'il attaque Platon: il l'accuse d'avoir honoré des lieux auxquels il
ne croyait pas (Hom. 29); il parle de son voyage en
Sicile (Hom. 4); il dit que ce philosophe se fatigua
longtemps autour du point de la ligne et des angles. Il cite des~vers d'un
poète inconnu, et raconte une histoire honteuse de la Pythie (Hom. 29). Il cite l'exemple de Socrate qui supportait sans
se plaindre l'humeur fâcheuse et satirique de sa femme. A ce trait, les
auditeurs ayant poussé de bruyants éclats de rire, l'orateur les réprimanda par
ces paroles: « Vous riez aux éclats, et moi je gémis profondément lorsque je
vois des païens se montrer plus sages que mous, à qui notre loi commande
d'imiter les anges; que dis-je de chercher à ressembler à Dieu lui-même par la
mansuétude et la patience (Hom. 27) ». il parle aussi des athées Diagoras
et Théodore (Hom. 4). Il dit ça et là quelques mots
de Pythagore (Hom. 7). Il dit que c'était par vanité
que Diogène, le cynique, habitait dans un tonneau et étalait à tous les yeux
les haillons dont il était couvert (Hom. 35). Il
critique de même divers autres philosophes grecs.
3° Il combat souvent le: manichéisme (Hom. 7, 28,
29); hérésie dont le venin était répandu par tout l'Orient. Le saint Docteur
parle encore au commencement de L'homélie quarante-et-unième de certains
hérétiques qui soutenaient rué nous ressusciterions avec un autre corps que
celui avec lequel nous vivons sur cette terre. Je crois que ces hérétiques
n'étaient autres que les manichéens. En effet, comme les manichéens
attribuaient au démon la création de notre corps, et qu'ils le considéraient
comme essentiellement mauvais, l'opinion que nous ressusciterions avec un autre
corps, devait nécessairement être la leur. Cette opinion, saint, Chrysostome la
rappelle encore dans la dixième homélie sûr la seconde aux Corinthiens.
4° Ce sont encore les marcionites qui sont en
Lutte à ses attaques, particulièrement lorsqu'il en vient à ce passage
difficile à expliquer: « Autrement, que feront ceux qui sont baptisés pour les
morts? « (I Cor. XV, 29.) Voulez-vous », dit-il, « que je vous rapporte comment
les malheureux qui sont infectés du venin de l'hérétique Marcion, abusent de
cette parole? Je n'ignore pas que je vais vous exciter à rire: je parlerai
néanmoins afin de mieux vous détourner de cette peste. Lorsqu'un catéchumène
meurt parmi eux, ils font cacher sous le lit du mort un homme vivant, puis
s'approchant du mort, ils lui adressent la parole, et lui demandent s'il veut
recevoir le baptême. Le mort, bien a entendu, ne répond pas, mais la personne
qui est cachée sous le lit répond pour lui et dit qu'il veut être baptisé; et
alors on le baptise au lieu de celui qui est mort. Voilà quelle espèce de
comédie ils jouent; tel est l'empire que le diable exerce dans l’esprit des
ignorants. Et lorsqu'on leur reproche cette absurde et criminelle pratique, ils
répondent en citant cette parole de l'apôtre: ceux qui sont baptisés pour les
morts ». Saint Chrysostome combat aussi les pneumatomaques,
qui niaient la divinité du Saint Esprit, dans l'homélie vingt-neuvième. Mais il
n'insiste pas beaucoup sur ce sujet.
5° La correction des moeurs occupe aussi une large place dans ces homélies.
Les mœurs, à Antioche, étaient fort dissolues; le paganisme chassé des
doctrines s'était retranché dans les moeurs et dans les coutumes. Ainsi, la
célébration des mariages se faisait au milieu d'un grand vacarme de cymbales,
de fêtes, de danses, de chansons et de quolibets obscènes, en un mot d'un grand
déploiement de pompes diaboliques. A la tombée de la nuit, la nouvelle mariée
était conduite sur la place, au milieu d'une troupe de vauriens et d'hommes
perdus de vices qui vomissaient toutes sortes de propos déshonnêtes entendus
des jeunes filles qui faisaient partie de l'escorte. On croyait tout permis ces
jours-là. Si, plus tard, d'un tel mariage il naissait un enfant, il donnait
lieu à une multitude de pratiques superstitieuses. Par exemple, on allumait
plusieurs lampes auxquelles on appliquait des noms, et l'on donnait ensuite à
l'enfant le nom de celle dont la lumière avait duré le plus longtemps. On lui
faisait porter en guise d'amulettes, des sistres et un fil de, pourpre. Il y
avait encore beaucoup d'autres superstitions à propos des naissances, et
surtout des décès et des funérailles oie l'on voyait des troupes de pleureuses
comme chez les anciens païens.
6° Dans l'homélie dix-neuvième, saint Chrysostome, après avoir parlé de la
virginité assez au long, renvoie encore à son livre de la Virginité. Dans
l'homélie vingt-quatrième, il s'exprime si nettement, si clairement au sujet de
la présence de Jésus-Christ dans l'Eucharistie, il l'affirme si énergiquement
et tant de fois, qu'à moins d'être aveuglé par une opinion préconçue sur cette
matière, il est impossible de ne pas reconnaître que telle était la croyance de
l'Eglise dans ce siècle. Dans l'homélie quarante-troisième, il dit que nul
chrétien ne se mettait en prière avant de s'être lavé les mains, préparation extérieure
qui était le signe de la préparation intérieure que demande la prière.
§ III. — Des homélies sur la seconde aux Corinthiens.
Ces homélies n'ont pas été travaillées avec le même soin que les homélies
sur la première. Le Style en est moins abondant, moins ample; le ton en est
plus calme et se trouve du reste en rapport avec celui de cette seconde épître,
beaucoup moins véhémente que la première. En sorte que dans l'un comme dans
l'autre cas l'apôtre a, pour ainsi dire, donné le ton à son commentateur. Savile penchait à croire que les homélies sur la seconde
épître auraient été prononcées à Constantinople, mais il est réfuté par
Montfaucon, qui, d'accord avec Tillemont, se déclare pour Antioche.
L'orateur poursuit encore ici les Marcionites (Hom. 8) qui reconnaissaient la justice, mais non la bonté
du Créateur, et les Manichéens, impies qui attribuaient la création de cet
univers au démon. Il attaque encore d'autres hérétiques qui disaient que le
monde était Dieu.
Entre autres choses dignes de remarque, saint Chrysostome applique à saint
Barnabé ces paroles de saint Paul: cujus laus est in Evangelio,
opinion contraire au sentiment le plus commun qui les appliqué à saint Luc. Il rapporte
aussi (Hom. 26) qu'Alexandre-le-Grand
fut déclaré par le sénat romain le treizième grand dieu, ce que, dit,
Montfaucon, je ne me souviens pas d'avoir, tu nulle part ailleurs. Il mentionne
un rit singulier et d'un usage fréquent, c'est que
ceux qui entraient dans l'église baisaient le vestibule de l'église.
M. JEANNIN
Corinthe, qui est aujourd'hui la première ville de la Grèce, était déjà,
dans les temps antiques, comblée de tous les avantages qui font l'agrément de
la vie; elle avait surtout plus de richesses qu'aucune autre cité: aussi un
auteur profane lui a-t-il donné l'épithète d'aphneion,
c'est-à-dire riche (1). Elle est
située sur l'isthme du Péloponèse, position qui lui
assura toujours une grande prospérité commerciale. Cette ville était aussi
remplie de rhéteurs et de philosophes, et l'un des sept sages en était citoyen.
Je ne dis point ces choses par ostentation, ni pour faire montre d'érudition
(que sert-il de savoir ces choses?); je les dis parce qu'elles se rapportent à
mon sujet. Paul souffrit beaucoup dans cette ville; Jésus-Christ s'y montra à
lui, et lui dit «Ne te tais point, mais parle, parce qu'un peuple nombreux
m'appartient dans cette ville ». (Act. XVIII, 9, 10.)
L'apôtre y demeura deux ans. C'est là qu'un démon maltraita les exorcistes
juifs; c'est là que furent brûlés ces livres de magie, en si grand nombre qu'on
en évalua le prix à cinquante mille deniers. C'est là que Paul fut frappé
devant le tribunal du proconsul Gallion (3).
Lorsque le démon vit que la vérité pénétrait dans cette grande et populeuse
cité, dans cette ville également célèbre et par son opulence et par sa sagesse,
et qui était la capitale de la Grèce, depuis que la puissance de Sparte et
d'Athènes était tombée, dès que le démon; dis-je, vit que les Corinthiens
recevaient la parole de Dieu avec un grand empressement, que fit-il? Il divisa les esprits. Il n'ignorait pas qu'un
royaume, même le plus fort, ne peut se soutenir s'il est divisé contre
lui-même. Il avait pour l'aider dans ce piège qu'il s'agissait pour lui de
dresser, l'opulence et la sagesse mondaine des habitants. Ceux-ci se divisèrent
donc en factions, et quelques individus, s'érigeant eux-mêmes comme chefs, se
mirent à la tête de la multitude. Les uns se rangeaient derrière celui-ci, les
autres derrière celui-là; la fortune donnait des disciples à l'un, le savoir en
donnait à l'autre. Les nouveaux docteurs se vantaient même à leurs adeptes
d'avoir à leur enseigner quelque chose de plus que l'Apôtre. C'est à cette
prétention que l'Apôtre fait allusion, lorsqu'il dit: « Je n'ai pu vous parler
comme à des hommes spirituels ». (I Cor. III, 1.) Evidemment, si l'enseignement
n'a pas été plus complet, c'est la faute de la faiblesse des Corinthiens et non
de l'impuissance de Paul; c'est ce qu'il veut donner à entendre par cette
parole. « Vous vous êtes enrichis sans nous». (I Cor.
IV, 8.)
1 Aphneion te Korinthon, dit Homère, Iliade, B, v. 570. Et après lui
Thucydide, I, 13, remarque que Corinthe dut ce nom à
son opulence, Ce passage d'Homère est cité par Strabon, liv. VIII.
2 Périandre.
3 Voir la préface.
Ce n'était pas peu de chose que de déchirer l'Eglise; rien ne pouvait être
plus funeste. Ce n'était pas tout, un autre crime se commettait encore en cette
ville: quelqu'un d'entre les frères entretenait un commerce criminel avec sa
belle-mère, et, loin d'en être humilié par la réprobation universelle, il
faisait secte et savait inspirer à ses adeptes des sentiments d'orgueil. C'est
ce qui fait dire à l'apôtre: « Et vous êtes encore enflés d'orgueil, et vous
n'avez pas au contraire été dans les pleurs ». (I Cor. V, 2.)
Quelques-uns, et c'étaient les moins mauvais, se laissaient entraîner par
la gourmandise, jusqu'à manger des viandes offertes aux idoles, allaient
s'attabler dans les temples des faux dieux, et perdaient tout. D'autres avaient
entre eux des contestations et des querelles d'argent qu'ils portaient devant
les tribunaux du dehors. Il y en avait aussi qui se promenaient pour se faire
admirer parmi eux avec de longues chevelures: saint Paul veut qu'ils coupent
cette parure qui ne convient qu'aux femmes.
Un autre abus grave existait: dans les églises, les riches mangeaient à
part et ne partageaient point avec les pauvres. Les chrétiens de Corinthe
avaient aussi le tort de tirer vanité des grâces qu'ils recevaient du Saint
Esprit; il en résultait des jalousies très pernicieuses à la concorde de
l'Eglise.
La doctrine touchant la résurrection était parmi eux assez chancelante.
Quelques-uns ne croyaient que très faiblement à la résurrection des corps,
n'étant pas complètement affranchis de la folie hellénique. La philosophie
grecque produisait cette incrédulité ainsi que tous les autres maux. Les sectes
entre lesquelles ils se partageaient, étaient elles-mêmes un emprunt fait à la
philosophie. Car les philosophes étaient continuellement opposés,les uns aux aires; chacun d'eux, par un vain désir de
réputation et de domination, combattait les opinions des autres, et s'efforçait
d'ajouter quelque chose aux découvertes antérieures.
Tels étaient aussi les chrétiens de Corinthe, parce qu'ils voulaient tout
décider par la raison. Ils écrivirent à l'apôtre par l'intermédiaire de Fortrinat, de Stephanas et d'Achaïque, et ce fut aussi par le ministère de ceux-ci que
Paul leur adressa son épître. Il ledit expressément à la fin de cette épître, à
propos de la question du mariage et de la virginité sur laquelle il avait été
consulté par eux: « Quant aux choses dont vous m'avez écrit.. » (I Cor. VII,
1). Pour lui il ne traite pas seulement dans sa lettre les sujets sur lesquels
on lui avait écrit) mais d'autres encore qui concernaient leurs défauts dont il
était parfaitement instruit.
Il charge Timothée de porter son épître, parce qu'il sait bien que quelque
poids que sa lettre aurait, la présence de son disciple ne laisserait pas que
d'y ajouter un appoint considérable. Comme ceux qui divisaient l'Eglise avaient
honte de passer pour des gens que l'ambition faisait agir, ils imaginaient
divers prétextes pour cacher la passion qui les travaillait; ainsi ils
prétendaient que leur enseignement était plus parfait, et leur sagesse plus
relevée que celle des autres. C'est contre cette présomption que Paul s'élève
tout d'abord; il la regarde comme la racine d'où sortent les maux et les
divisions qu'il veut détruire, et il use d'une très grande franchise. Les
Corinthiens étaient ses disciples plus que tous les autres; aussi leur dit-il:
« Si je ne suis pas l'apôtre des autres, je suis du moins le vôtre; vous êtes
le sceau de mon apostolat». (I Cor. IX, 2.) Cependant ils étaient plus faibles
grue les autres. C'est pourquoi il dit: « Je ne vous ai pas parlé comme à des
hommes spirituels.. je ne vous ai nourris que de lait
et non de viandes solides, parce que vous n'en étiez pas alors capables; et à
présent même vous ne l'êtes pas encore ». (I Cor. III, 1, 2.) Il ajoutât ces
derniers mots pour qu'ils ne crussent pas que le reproche ne concernait que le
passé. Au reste, il est vraisemblable qu'ils n'étaient pas tous corrompus, et
même il y avait parmi eux des saints. Paul le dorine à entendre, en disant: «
Je me mets peu en peine d'être jugé par vous », et en ajoutant: « J'ai proposé
ces choses en ma personne ». (I Cor. IV, 3, 6.) Comme donc tout le mal venait
de l'orgueil et de la présomption de savoir plus que les autres, il commence
par couper cette racine, et débute ainsi.
ANALYSE. 1. Paul appelé par la volonté de Dieu pour être apôtre de
Jésus-Christ, et Sosthène, son frère. — De l'unité de
l'Eglise qui existe ma!gré la diversité des lieux.
2. Qu’il faut tendre à avoir la paix avec Dieu. — Qu'on ne craint rien
alors de la part des hommes. 3. De l'humilité. — Combien Moïse fut humble. — Le
vrai humble est magnanime.
1. Voyez comme, dès le début, il abat l'orgueil et détruit par la base
toute l'estime qu'ils avaient d'eux-mêmes, en se disant « appelé ». Ce que
je sais, dit-il, je ne l'ai pas inventé; je ne l'ai pas acquis par ma propre Sagesse; mais c'est quand je persécutais et
ravageais l'Èglise, que j'ai été appelé. D'où il suit
que tout appartient à l'appelant, et que l'appelé n'a
d'autre mérite, pour ainsi dire, que d'avoir obéi. « Du Christ Jésus ». Votre
maître, c'est le Christ; et vous donnez à des hommes le nom de maîtres de la
science? « Par la volonté de Dieu ». Car c'est Dieu qui a voulu que vous
fussiez ainsi sauvés. En effet, nous n'avons rien fait, nous; mais nous avons
été sauvés par la volonté de Dieu; il nous a appelés parce qu'il l'a voulu, et
non parce que nous en étions dignes.
Il. donne ensuite une nouvelle preuve de modestie, en mettant à son propre
niveau un homme qui lui est bien inférieur: car il y a une grande distance
entre Paul et Sosthène. Mais si, malgré cette grande
distance, il égale à lui Sosthène, que pourront dire
ceux qui méprisent leurs égaux? « A l'Eglise de Dieu». Non pas à l'Eglise d'un
tel ou d'un tel, mais à celle de Dieu. « Qui est à Corinthe ». Vous voyez comme
à chaque expression il abat leur enflure, en ramenant sans cesse leur pensée
vers le ciel. Il appelle l'Eglise, Eglise de Dieu, pour montrer qu'elle doit
être unie. En effet, si elle est de Dieu, elle est unie, elle est une, non seulement
à Corinthe, mais par toute la terre. Car le nom de l'Eglise n'est pas un nom de
division, mais d'union et d'harmonie. « Aux « sanctifiés dans le Christ Jésus
». Encore le nom de Jésus, nulle part celui des hommes. Mais qu'est-ce que la
sanctification? Le bain, la purification. Il leur rappelle leur propre
impureté, dont il les a délivrés, et les engage à avoir d'humbles sentiments
d'eux-mêmes; car ce n'est point par leurs propres mérites, mais par la bonté de
Dieu qu'ils ont été sanctifiés. « Qui sont appelés saints ». Etre sauvés par la
foi, leur dit-il; cela ne vient pas de vous vous n'êtes point venus les
premiers, mais vous avez. été appelés; en sorte que ce
peu même n'est point à vous tout entier. Et quand bien même vous Seriez venus,
étant sujets à d'innombrables misères, ce n'est point à vous qu'il faudrait en
attribuer le mérite, mais à Dieu.
Voilà pourquoi, écrivant aux Ephésiens, il disait: « Vous avez été sauvés
par la grâce, au « moyen de la foi, et cela ne vient pas de « vous ». (Ephés. II, 8.) Votre foi ne,vous
appartient pas tout entière; car vous n'avez point prévenu, lorsque vous avez
cru, mais vous avez été appelés et vous avez obéi. « Avec tous ceux qui
invoquent le nom de Notre Seigneur Jésus-Christ ». Non pas le nom d'un tel ou
d'un tel, mais « le nom de Jésus-Christ. En quelque lieu que ce soit, de
Jésus-Christ, leur Seigneur comme le nôtre ». En effet, bien que cette lettre
ne s'adresse qu'aux Corinthiens, il mentionne pourtant tous les fidèles qui
sont sur la terre, indiquant par là que sur toute la terre l'Eglise, quoique
séparée par les distances, doit être une; à plus forte raison celle de
Corinthe. Que si le lieu les sépare, le Seigneur, leur maître commun, les
réunit; aussi, pour exprimer cette union, ajoute-t-il: « En quelque lieu que ce
soit, et leur Seigneur comme le nôtre ». En effet, l'unité de maître est bien
plus efficace que l'unité de lieu pour faire exister l'union. Car, comme ceux
qui sont dans un même lieu sont cependant divisés, s'ils ont plusieurs maîtres
opposés entre eux, et ne gagnent rien pour la concorde à être réunis dans le
même endroit, vu que leurs maîtres leur prescrivent des choses différentes et
les attirent à eux, « vous ne pouvez », est-il dit, « servir Dieu et Mammon »;
de même ceux qui sont dans des lieux différents, s'ils n'ont pas des maîtres
différents, mais un seul et même maître, ne perdent rien pour la concorde à la
diversité des lieux, puisqu'un même maître les réunit. Je ne dis donc pas,
insinue-t-il, que, vous Corinthiens, vous ne devez être unis qu'aux
Corinthiens, mais à tous les fidèles qui sont sur toute la terre, puisque,vous
avez un maître commun. Voilà pourquoi il répète: « Notre ». Car après avoir dit:
« Le nom de Notre Seigneur Jésus-Christ »; pour ne pas avoir l'air de séparer,
aux yeux des insensés, il ajoute: « Notre maître et le leur». Et pour rendre
plus clair ce que j'avance, je lirai le texte comme le sens l'exige: Paul et Sosthène, à l'Eglise de Dieu qui est à Corinthe, et à tous
ceux qui invoquent le nom du Seigneur notre maître et le leur en tout lieu, soit
à Rome, soit partout ailleurs: « Grâce et paix soit avec « vous de la part de
Dieu notre Père et du « Seigneur Jésus-Christ ». Ou, encore une fois, comme je
crois plus exact: Paul et Sosthène à ceux qui sont
sanctifiés à Corinthe, qui sont appelés saints, avec tous ceux qui invoquent en
tout lieu le nom de Jésus-Christ Notre Seigneur d'eux et de nous. C'est-à-dire
Grâce à vous, et paix à. vous qui avez été sanctifiés et appelés à Corinthe; et
non seulement à vous, mais avec tous ceux qui en tout lieu invoquent le nom de
Jésus-Christ notre maître et le leur. Que si la paix vient de la grâce,
pourquoi vous enorgueillissez-vous? pourquoi vous
enflez-vous, puisque vous êtes sauvés par la grâce? Si vous êtes en paix avec
Dieu, pourquoi vous livrez-vous à d'autres? C'est créer la dissidence.
Qu'est-ce, en effet, d'être en paix et en grâce avec celui-ci et avec celui-là?
Moi, je demande que ces deux choses vous viennent de Dieu, et de lui et pour
lui; car elles ne seraient pas solides, si elles ne recevaient l'influence
céleste: et si elles ne sont pas pour lui, elles sont sans profit pour nous. En
effet, il ne nous sert de rien d'être en paix avec tout le mondé, si nous
sommes en guerre avec Dieu; comme nous ne souffrirons point d'avoir tout le
monde contre nous, si nous sommes en paix avec Dieu. Et encore, il ne nous
servira de rien d'être célébrés par tous les hommes, si nous offensons Dieu;
comme il sera sans danger pour nous d'être repoussés et haïs de tous, si Dieu
nous accueille et nous aime: car la vraie grâce, la vraie paix, vient de Dieu.
En effet, celui qui possède la grâce qui vient de Dieu, fût-il accablé de maux,
ne craint personne, non seulement aucun homme, mais pas même le diable; celui,
au contraire, qui offense Dieu, parût-il être en sécurité, se défie de tout le
monde. Car la nature humaine est inconstante: non seulement des amis et des
frères, mais souvent des pères, changeant de sentiments pour le plus léger
motif, ont rejeté celui qu'ils avaient engendré, qu'ils avaient procréé, et
cela plus cruellement que ne l'eut fait tout ennemi; de même des fils ont
rejeté leurs pères. Songez-y bien.
2. David trouva grâce devant Dieu, Absalon trouva grâce devant les hommes:
vous savez quelle fut la, fin de l'un et de l'autre, et lequel fut le plus
glorieux. Abraham trouva grâce devant Dieu, et Pharaon devant les hommes car
pour plaire à celui-ci, ils lui livrèrent la femme du juste. Chacun sait lequel
fut le plus illustre, lequel fut heureux. Mais pourquoi parler des justes? Les
Israélites trouvèrent grâce devant Dieu, et étaient haïs des Egyptiens; et
cependant ils triomphèrent de ceux qui les haïssaient, et cela de la manière
éclatante que fous connaissez. Portons donc tous nos soins sur ce point: que
l'esclave même désire trouver grâce devant Dieu plutôt que devant son maître;
que la femme cherche à plaire à son Sauveur plutôt qu'à son époux; que le
soldat recherche la bienveillance d'en-haut avant
celle de son roi et de son chef; c'est le moyen de devenir aimable, même aux
yeux des hommes. Mais comment trouvera-t-on grâce devant Dieu? Par quel moyen,
sinon par l'humilité? « Dieu », est-il dit, « résiste aux superbes et accorde
sa grâce aux « humbles » (Prov. III, 34); et encore: « Un esprit contrit est un
sacrifice au Seigneur, et à Dieu ne rejettera point un coeur humilié ». (Ps. L,
19.) Si l'humilité est si agréable aux yeux des hommes, beaucoup plus
l'est-elle devant Dieu. C'est par là que les gentils ont trouvé grâce, c'est
par là que les Juifs sont déchus de la grâce - « Car ils ne se sont point « soumis~à
la justice de Dieu ». (Rom. X, 3.) L'homme humble est doux et gracieux pour
tous: il vit dans une paix continuelle et n'a aucune guerre à soutenir. Qu'on
l'injurie, qu'on l'outrage, qu'on lui dise ce qu'on voudra, il se taira, il
supportera tout avec douceur, et se tiendra devant les hommes et devant Dieu
dans une paix qu'on ne saurait exprimer. Au fond, les commandements de Dieu se
résument en un seul mot: avoir la paix avec les hommes, et notre vie est réglée
si nous vivons en paix les uns avec les autres. Pour Dieu, personne ne peut lui
faire tort; sa nature est indestructible et bien au-dessus de toute atteinte.
Rien ne rend un chrétien admirable comme l'humilité. Ecoutez Abraham dire:
« Je suis terre et cendre » (Gen. XVIII, 27), et Dieu
déclare que « Moïse fut le plus doux des hommes ». En effet, rien de plus
humble que Moïse qui, placé à la tête d'un si grand peuple, après avoir
submergé dans la mer, comme un essaim de mouches, le roi et toute l'armée des
Egyptiens, après avoir fait tant de prodiges en Egypte, sur la tuer Rouge et
dans le désert, et avoir obtenu un si grand témoignage, ne se regardait
cependant que comme un homme du commun. Le gendre était plus humble que le
beau-père, et il reçut son conseil. Il ne s'offensa pas, il ne dit point: Qu'est-ce
que ceci? Après tant et de si glorieuses choses, tu viens nous donner des
conseils? Ce que font pourtant bien des gens qui dédaignent même le meilleur
avis, à raison de l'humble apparence de celui qui le donne. Ainsi n'agit point
Moïse, qui se réglait en tout par l'humilité. C'est parce qu'il était
réellement humble qu'il méprisa la cour des rois car l'humilité purifie et
élève l'âme. Quelle grandeur d'esprit et de corps ne fallait-il pas pour
mépriser le palais et la table d'un roi? Chez les Egyptiens, les rois étaient
honorés comme dès dieux, et jouissaient de trésors immenses. Et cependant
quittant tout cela, rejetant même le sceptre de l'Egypte, il court aux captifs,
aux opprimés, à ceux qui se consument dans le travail de l'argile et de la brique,
que les esclaves du roi avaient en horreur [il nous le dit lui-même: les
Egyptiens les avaient en abomination] (Exode I, 43); il accourt à eux et les
préfère à leurs maîtres. Il est donc évident que cet homme humble est grand et
magnanime. Car l'arrogance est le propre (est le produit) d'un esprit bas et
d'un coeur sans générosité, tandis que la douceur provient d'une grande
intelligence et d'une âme élevée.
3. Eclaircissons, si vous le voulez, ces deux points par dès exemples.
Dites-moi: Qui fut plus grand qu'Abraham? Et c'est cependant lui qui disait: «
Je suis terre et cendre » (Gen. XVIII, 27); c'est lui
qui disait: « Qu'il n'y ait pas de débat entre vous et moi ». (Gen. XIII, 8,) Néanmoins cet honnie si humble dédaigna le
butin fait sur les Perses et les trophées remportés sur les barbares, et cela,
par élévation et grandeur d'âme. Car l'homme sincèrement humble est seul grand,
et non le flatteur, ni celui qui parle par ironie. Autre chose est la grandeur
d'âme, autre chose l'orgueil insensé; et ceci en est la preuve.
En effet, si quelqu'un prenant l'argile pour de l'argile, la méprise; et si
un autre l'admire et l'estime comme de l'or, lequel des deux sera grand?
N'est-ce pas celui qui refuse son estime à de l'argile? Lequel sera bas et vil?
N'est-ce pas celui qui l'admire et y attache un grand prix? De là concluez que
celui qui se dit terre et poussière est grand, bien qu'il parle par humilité;
et que celui qui ne se croit pas terré et poussière, mais s'estime et a une
haute opinion de lui-même, est abject, puisqu'il attache un grand prix à des
choses viles. D'où il suit que c'était par un sentiment très élevé que le
patriarche prononçait cette parole: « Je suis terre et poussière »; par
grandeur, et non par orgueil. Car de même que pour le corps autre chose est la
santé et l'embonpoint, autre chose l'inflammation, bien que l'une et l'autre
produisent une certaine proéminence dans la chair, mais maladive dans un cas et
saine dans l'autre: ainsi autre chose est l'orgueil qui est une inflammation,
autre chose est l'élévation qui est la bonne santé.
De plus, un homme peut être grand par la taille de son corps; un autre,
petit de stature, peut se rehausser au moyen de cothurnes; dites-moi, lequel
des deux appellerons-nous grand? N'est-il pas évident que ce sera celui qui est
grand par lui-même? Car l'autre a recours à des moyens artificiels, et n'est
devenu grand qu'en montant sur des objets bas: ressource de bien des hommes,
qui se hissent sur les richesses et sur la gloire, ce qui ne fait point
l'élévation. L'homme vraiment grand est celui qui n'a pas besoin de ces choses,
mais les méprise toutes, parce qu'il a en lui-même sa propre grandeur. Soyons
donc humbles, pour devenir grands: « Car celui qui s'humilie, sera exalté ». (Matth. XXIII, 12.) Et ce ne sera pas l'orgueilleux, qui est
le plus vil des hommes; la bulle s'enfle, mais cette enflure n'a rien de
solide. Voilà pourquoi nous appelons les orgueilleux, enflés. L'homme modeste,
même au sein des grandeurs, n'a point haute opinion de lui-même, parce qu'il
connaît son néant; mais l'homme bas s'enorgueillit, même dans les petites
choses. Acquérons donc la grandeur par l'humilité; considérons la nature des
choses humaines, afin d'allumer en nous le désir des choses à venir. Car
l'humilité ne peut s'obtenir que par l'amour des choses divines et le mépris
des choses présentes. De même que celui qui doit un jour monter sur le trône,
dédaigne les lion rieurs. vulgaires
qu'on peut lui offrir en échange de la pourpre; ainsi nous devons prendre en
pitié tous les biens présents, si nous aspirons à la royauté céleste. Ne
voyez-vous pas que les enfants, quand ils jouent au soldat, quand ils se
rangent en bataille, se font précéder de héraults et
de licteurs, et que l'un d'eux, placé au centre, remplit le rôle de général? Et
tout cela ne vous semble-t-il pas bien puéril? Telles, et plus misérables
encore, sont les choses humaines, qui sont aujourd'hui et demain ne seront
plus. Elevons-nous donc au-dessus d'elles, et, non contents de ne pas les
désirer, rougissons quand on nous les offre. Ainsi, en dépouillant toute
affection terrestre, nous acquerrons l'amour divin et nous jouirons de la
gloire immortelle. Puissions-nous tous l'obtenir par la grâce et la boulé de
Notre: Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire, l'empire, l'honneur,
appartiennent au Père en union avec le Saint Esprit, maintenant et toujours, et
dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
ANALYSE.
1 Il faut rendre à Dieu des actions de grâce.
2. L'apôtre ne se lassé pas de nommer Jésus-Christ au commencement de cette
Epître pour mieux inculquer aux Corinthiens cette vérité que pour ce qui
concerne le salut et la vie éternelle tout procède de Jésus-Christ et rien des
hommes.
3. Que tes pécheurs n'ont aucune excuse devant Dieu pour pallier leurs
désordres. — Que Dieu de sa part a tout fait pour nous exciter à bien vivre. —
Réfutation des vains raisonnements des impies.
Ce qu'il engage les autres à faire, en disant « Que vos prières montent
vers Dieu en actions de grâce », il le faisait lui-même, nous apprenant à
commencer toujours par des paroles de ce genre, et à rendre grâces à Dieu avant
tout. Car rien n'est plus agréable à Dieu que de nous voir reconnaissants pour
nous-mêmes et pour les autres; Aussi est-ce la première pensée qu'il met en
tête de presque toutes ses lettres; mais ici c'était encore plus nécessaire
qu'ailleurs. En effet, celui qui remercie sent le bienfait qu'il a reçu, et
rend grâce pour grâce. Mais la grâce n'est point une dette, ni un retour, ni
une récompense: ce qu'il fallait dire partout, mais surtout aux Corinthiens,
qui s'attachaient avidement à ceux qui déchiraient l'Eglise. « A mon Dieu ».
Dans l'abondance de son amour, il s'empare, pour ainsi dire, du bien commun, et
se J'approprie: Ainsi avaient coutume de faire les prophètes: « Dieu, mon Dieu
»; et il les exhorte à adopter ce langage. En effet, celui qui le tient se
dégage de toutes les choses humaines, et va vers celui qu'il invoque avec une
grande affection: C'est proprement le langage de l'homme qui s'élève des choses
d'ici-bas vers Dieu, le préfère à tout et partout, te remercie perpétuellement non
seulement de la grâce qui lui a déjà été donnée, mais encore du bien qui a pu
s'ensuivre, et lui en rend également gloire. Voilà pourquoi il ne dit pas
simplement: « Je rends grâces », mais: « Je rends grâces toujours pour vous»,
leur apprenant par là à toujours rendre grâces, mais à Dieu seul.
« A raison de la grâce de Dieu ». Voyez-vous comme il les redresse en tout
sens? Car qui dit grâce ne parle pas d'oeuvres, et qui dit oeuvres ne parle pas
de grâce. Si donc c'est de grâce qu'il s'agit, pourquoi vous
enorgueillissez-vous? De quoi vous enflez vous? « Qui vous a été donnée ». Et
par qui?Est-ce par moi ou par un autre apôtre?
Nullement, mais par Jésus-Christ; car c'est là le sens de ces mots: « Dans le
Christ Jésus ». Voyez comme il dit trouvent « dans » au lieu de « par »; l'un
n'a donc pas moins de force que l'autre. « Parce que vous avez été enrichis en
tout ». Encore une fois, par qui? « En lui », ajoute-t-il. Et vous n'avez pas
simplement été enrichis, mais enrichis « en tout ». Si donc il y a richesse, et
richesse de Dieu, et en tout, et par le Fils unique, voyez quel ineffable
trésor! « En toute parole et en toute science »; en toute parole non du dehors,
mais de Dieu. Car il y a une science sans parole et une parole sans science;
beaucoup en effet ont la connaissance, mais n'ont point la parole, comme les
hommes sans lettres, par exemple, qui ne peuvent exprimer clairement ce qu'ils
ont dans l'esprit. Vous n'êtes point de ce nombre, dit-il, car vous pouvez
penser et parler.
« Comme le témoignage du Christ a été confirmé en vous ». Tout en ne
paraissant occupé que de louanges et d'actions de grâces, il ne laisse pas que
de leur adresser d'assez vives remontrances. Ce n'est point, leur dit-il, par
la philosophie du dehors, ni par la science du dehors, mais par la grâce de
Dieu, par ses richesses, sa science,. et la parole qui vous a été donnée de sa part, que vous avez
pu recevoir les enseignements de la vérité et être confirmés dans le témoignage
du Seigneur, c'est-à-dire, dans la prédication. Car vous avez eu beaucoup de
signes, beaucoup de miracles, une grâce ineffable pour recevoir la prédication.
Si donc vous avez été confirmés par les signes et par la grâce, pourquoi
chancelez-vous? Ce langage est tout à la fois celui du reproche et de la
prévenance. « En sorte que rien ne vous manque en aucune grâce ». Ici une grave
question se présente: A savoir comment des hommes enrichis en toute parole, en
sorte que rien ne leur manque en aucune grâce, peuvent être charnels? Car s'ils
étaient tels au commencement, ils le sont beaucoup plus maintenant. Comment
donc les appelle-t-il charnels? « Je n'ai pas pu », leur dit-il, « vous parler
comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels ». (I Cor. III,
1.) Que répondre à cela? C'est qu'ayant cru dès le commencement, et ayant reçu
des grâces de toutes sortes, pour lesquelles ils avaient d'abord un. grand
zèle, ils sont ensuite relâchés; ou, si ce n'est pas cela, il faut dire que ces
divers passages ne s'adressent pas à tous, mais qu'il y en a pour ceux qui
étaient dignes de blâme, et d'autres pour ceux qui étaient dignes de louanges.
La preuve qu'ils avaient encore des grâces, est dans ces mots: « L'un a le don
de la louange, l'autre celui de la révélation, l'autre celui des langues,
l'autre celui de l'interprétation; que tout soit pour l'édification » (I Cor.
XIV, 26); et encore: « Que deux ou trois prophètes parlent ». On peut aussi
répondre que l'apôtre a suivi l'usage commun qui consiste à donner le nom du
tout à la plus grande partie. De plus, je pense qu'il fait ici allusion à
lui-même, aux signes qu'il leur a fait voir. Selon ce qu'il leur dit dans sa
seconde épître: « Les signes de l'apôtre se sont produits au milieu de vous en
toute patience »; et encore: « Qu'avez-vous eu de moins que les autres églises?
» (II Cor. XII, 12, 13.) Ou, comme je le disais, il rappelle ses propres
actions, ou il s'adresse à ceux qui étaient encore dignes de louange. Car il y
avait encore à Corinthe beaucoup de saints qui s'étaient voués au ministère des
saints, et devinrent les premiers de l'Achaïe, comme il l'indique à la fin de
sa lettre (1).
Au reste les éloges, quand même ils ne seraient pas entièrement conformes à
la vérité, s'emploient cependant avec prudence, pour préparer la voie au
discours. Car, dire dès l'abord des choses désagréables, c'est se fermer pour
le reste l'oreille des faibles,, si en effet les auditeurs sont des égaux,.ils
s'irriteront; s'ils sont de beaucoup inférieurs, ils s'attristeront. Pour
éviter ces inconvénients, l'apôtre place -au début une sorte d'éloges. Au fond
ce n'est point leur éloge, mais celui de la grâce de Dieu; car si leurs péchés
ont été remis, s'ils ont été justifiés, c'est l'effet du don d'en-haut. C'est pourquoi il insiste sur les preuves de la
bonté de Dieu, afin de mieux guérir leur maladie.
« Attendant la révélation de Notre Seigneur Jésus-Christ ». Pourquoi
vous agiter, leur dit-il, pourquoi vous troubler, parce que Jésus-Christ n'est
pas là? Il y est, et son jour est proche. Voyez comme il est sage! Comment,
après les avoir détachés des choses humaines, il les épouvante en leur
rappelant le terrible tribunal, et en leur montrant qu'il ne suffit pas de bien
commencer, mais qu'il faut aussi bien finir. Car après tant de grâces et tant
de vertus, il est besoin de se souvenir de ce jour suprême, et pour arriver
heureusement au terme, bien des travaux sont nécessaires.
2. Il emploie le mot de révélation pour montrer que, quoique encore
invisible, elle existe pourtant, qu'elle est présente,
et qu'elle aura lieu un jour. Il faut donc de la patience; et c'est pour vous
affermir que vous avez reçu des prodiges. « Qui vous conservera fermes et
irréprochables jusques à la fin ». Ici il semble les flatter; en réalité
cependant, ce n'est point une flatterie; car il sait bien les toucher
sensiblement, comme quand il leur dit: « Quelques-uns se sont enflés, comme si
je ne devais point venir parmi vous ». Et encore, « Que voulez-vous? Que
j'aille à vous
1. Ch. XVI, 15.
avec la verge, ou
en esprit de charité et de mansuétude?» (I Cor. IV, 18-21.) Et encore «
Cherchez-vous à mettre à l'épreuve le Christ qui parle en moi?» (II Cor. XIII,
3.) Du reste, il les accuse implicitement quand il emploie ces termes: «Il vous
confirmera », et celui-ci: « Irréprochables », puisqu'il fait voir par là
qu'ils sont encore flottants et non exempts de péché. Mais considérez comme il
les rattache sans cesse au nom du Christ, ne faisant mention d'aucun homme,
d'aucun apôtre, d'aucun maître, mais toujours de ce bien-aimé, dans le but,
dirait-on; de les guérir d'une sorte d'ivresse. En effet, dans aucune autre de
ses épîtres, on ne voit tant de fois paraître le nom du Christ; ici on le lit
plusieurs fois en quelques versets, et il forme en quelque sorte tout le préambule.
Relisez en effet dès le commencement: « Paul, appelé apôtre de Jésus-Christ, c
à ceux qui sont sanctifiés en Jésus-Christ, qui invoquent le nom de Notre Seigneur
Jésus-Christ; grâce et paix à vous de la part de Dieu le Père et de Notre Seigneur
Jésus-Christ. Je remercie mon Dieu de la grâce qui vous a été accordée dans le
Christ Jésus comme le témoignage de Jésus-Christ a été confirmé en vous:
attendant la révélation de Notre Seigneur Jésus-Christ: qui vous rendra fermes
et irrépréhensibles au jour de Notre Seigneur Jésus-Christ: Il est fidèle, le
Dieu par qui vous avez été appelés en société de Jésus-Christ son Fils, Notre Seigneur.
Je vous supplie par le nom de Notre Seigneur Jésus-Christ ». Voyez-vous cette
insistance à répéter le nom de Jésus-Christ? Les moins intelligents peuvent
comprendre clairement qu'il n'agit point ici sans raison et au hasard, mais
que, par la répétition de ce beau nom, il cherche à guérir leur enflure et à
les purger du poison de la maladie.
« Il est fidèle, le Dieu par qui. vous avez été
appelés en société de son Fils ». Oh! quelle grande
chose il exprime là! Quel don magnitique! Vous avez
été appelés en société du Fils unique, et vous vous livrez à des hommes! Quelle
misère est plus grande que la vôtre! Et comment avez-vous été appelés? Par le
Père. Comme souvent, en parlant du Fils, il avait dit « par lui » et « en lui
», de peur qu'ils ne crussent que le Père lui était inférieur, c'est le Père
qu'il mentionne ici. Ce n'est point, dit-il, par un tel ou par un tel, mais par
le Père que vous avez été appelés, par lui que vous avez été enrichis. Encore
une fois, vous avez été appelés, vous n'êtes point venus de vous-mêmes. Mais
que veut dire ceci: « En société de son Fils? » Ecoutez-le s'expliquant plus
clairement ailleurs: « Si nous persévérons, nous régnerons ensemble; « si nous
mourons ensemble, nous vivrons ensemble ». (II Tim.
LXXV, 12.) Ensuite comme il a avancé une grande chose, il en donne une preuve
certaine, irréfragable, en disant: « Dieu est fidèle », c'est-à-dire vrai. Or,
si Dieu est vrai, il tiendra sa promesse, et il nous a promis de nous associer
à son Fils unique; c'est même pour cela qu'il nous a appelés; et ses dons et
ses grâces sont sans repentir, aussi bien que sa vocation. Et il place tout
cela au début de son discours, de peur que des reproches trop vifs ne les
jettent dans le désespoir. Car tout ce que Dieu a dit s'accomplira, à moins que
nous ne soyons absolument rebelles, comme les Juifs qui, étant appelés,
refusèrent les biens offerts.
Et ceci n'était point imputable à Celui qui les avait appelés, mais à leur
ingratitude: car lui voulait réellement donner; eux, en ne voulant point
accepter, se perdirent eux-mêmes. S'il les eût appelés à quelque chose de
difficile et de pénible, encore qu'ils eussent été inexcusables de s'y refuser,
du moins auraient-ils eu quelque prétexte. Mais quand ils sont appelés à la
purification, à la justice, à la sanctification, à la rédemption, à la grâce,
au don, à des biens tout prêts que l'oeil n'a pas vus, que l'oreille n'a pas
entendus, et que c'est un Dieu qui les appelle et qui les appelle par lui: Quel
pardon peuvent-ils espérer, s'ils n'accourent avec empressement? Qu'on se garde
donc d'accuser Dieu d'infidélité ne vient pas de lui, mais de ceux qui
résistent. On d ira peut-être: Il fallait les amener malgré eux. Non certes:
Dieu ne force personne, il n'impose aucune nécessité. Amène-t-on, malgré eux et
enchaînés, ceux qu'on invite aux honneurs, aux couronnes, aux festins, aux
solennités? Jamais; ce serait leur faire injure. Il envoie malgré eux les
réprouvés en enfer; il n'appelle au royaume que des hommes de bonne volonté; il
précipite dans le feu les victimes liées et hurlant de désespoir; mais il agit
autrement avec ceux qu'il appelle à ses biens infinis; car il rendrait ces
biens odieux, s'ils n'étaient de telle nature qu'on coure à eux avec un
empressement volontaire et une vive reconnaissance.
3. Mais pourquoi, direz-vous, tous ne les acceptent-ils pas? A cause de
leur infirmité propre. Mais pourquoi ne guérit-il pas cette infirmité? Eh! quel moyen fallait-il employer, dites-moi? N'a-t-il pas fait
la création pour manifester sa bouté et sa puissance? « Les cieux », est-il
dit, « racontent la gloire de Dieu ». (Ps. XVIII, 2.) N'a-t-il pas envoyé des
prophètes? N'a-t-il pas appelé, prodigué les hommes? N'a-t-il pas fait des
prodiges? N'a-t-il pas donné la loi écrite et naturelle? N'a-t-il pas envoyé
son Fils? N'a-t-il pas envoyé des apôtres? N'a-t-il pas opéré des signes?
N'a-t-il pas menacé de l'enfer? N'a-t-il pas promis son royaume? Ne fait-il pas
chaque jour lever son soleil? N'a-t-il pas rendu ses commandements si doux, si
faciles, qu'un grand nombre les dépassent par la force de leur sagesse? «
Qu'ai-je dû faire à ma vigne, que je n'aie pas fait? » (Isa.
V, 4.)
Mais pourquoi, ajoutera-t-on, ne pas nous rendre la science et la vertu
naturelles? Qui dit cela? Est-ce le grec où le chrétien? Tous les deux, mais
sans porter sur le même point: car l'un réclame pour la science; l'autre pour
la conduite de la vie. Répondons d'abord à celui qui est des nôtres: car je
m'intéresse moins à ceux du dehors qu'aux membres de notre famille. Que dit
donc le chrétien? Qu'il fallait nous donner la science de la vertu. Il nous l'a
donnée: autrement, comment connaîtrions-nous ce qu'il faut faire et ce qu'il
faut éviter? D'où viennent les lois et les tribunaux? — Mais c'est la pratique
même, et pas seulement la science, qu'il devait nous donner. — Auriez-vous
mérité une récompense, si Dieu avait tout fait? Dites-moi: si le grec et vous
commettez le même péché, serez-vous punis de la même manière? Non certainement:
Car vous avez la liberté qui procède de la science. Dites-moi. encore: Si quelqu'un vous disait que le grec et vous
recueillerez le même fruit (le votre science, ne vous fâcherez-vous pas? J'en
suis convaincu: Car vous direz que le grec pouvant trouver la science de
lui-même, ne l'a pas voulu. Et s'il s'avisait de dire que Dieu devait nous
donner la science naturellement, ne ririez-vous pas et ne lui diriez-vous pas:
Pourquoi n'as-tu pas cherché? Pourquoi n'as-tu pas fait les mêmes efforts que
moi? Plein d'une grande confiance, vous ajouteriez: Qu'il est d'une extrême
folie d'accuser Dieu de n'avoir pas rendu la science naturelle. Et vous diriez
cela, parce que chez vous la science est saine et en bon état. Si votre vie eût
été aussi bien réglée, vous n'auriez pas posé la question. Mais parce que vous
êtes sans énergie pour la vertu, vous tenez ce lamage insensé. Pourquoi
fallait-il que le bien se fit nécessairement? Les
animaux privés de raison auraient donc été nos émules en vertu? Car
quelques-uns même l'emportent sur nous en tempérance.
J'aimerais mieux, dirait-on, être bon par nécessité et ne recevoir aucune
récompense, que d'être méchant par volonté et être condamné à des châtiments et
à des supplices. — Etre, vertueux par nécessité, est chose impossible. Si vous
ignorez ce qu'il faut faire, dites-le, et nous vous répondrons ce qu'il faudra;
mais si vous savez que le libertinage est mauvais, pourquoi n'évitez-vous pas
le mal? — Je ne puis pas, dites-vous. Mais d'autres qui ont fait de bien plus
grandes choses vous accuseront, et vous réduiront au silence par la
surabondance de leur vertu. Peut-être ayant une femme, vous n'êtes pas chaste;
et d'autres n'ayant pas de femmes, gardent une chasteté parfaite. Comment vous
justifierez. vous de ne remplir point la stricte
mesure, quand d'autres s'élancent. bien au delà?-thon
tempérament n'est pas te même, direz-vous, ni ma volonté non plus. C'est parce
que vous ne le voulez pas, et non parce que vous ne le pouvez pas; car je vous
démontre que tous sont capables de vertu. En effet, ce que quelqu'un ne peut
pas faire, il ne le fera pas même sous l'influence de la nécessité; et si celui
qui n'agit pas peut agir sous la pression de la nécessité, ce n'est plus par
volonté qu'il agit. Par exemple: voler et s'élever vers le ciel est chose
absolument impossible à quiconque a un corps. Eh bien! si
un roi ordonnait de voler sous peine de mort, en disant: L'homme qui ne volera
las sera massacré, ou jeté au feu, ou subira tout autre; supplice de ce
genre;pourrait-on obéir? Evidemment non; car notre nature ne saurait s'y
prêter. Mais si le prince faisait les mêmes ordonnances à propos de la
chasteté, en décrétant, et avec justice, que tout libertin sera puni, brûlé,
flagellé, torturé de mille manières; n'y en aurait-il pas un grand nombre qui
se soumettraient à l'édit? — Non, direz-vous peut-être; car il y a déjà une loi
qui défend l'adultère, et tous ne s'y soumettent pas. Mais c'est parce qu'ils
espèrent n'être pas connus, et non parce qu'ils n'ont que de faibles raisons de
craindre; car si le législateur et le juge étaient présents au moment où ils
vont commettre le mal, la crainte pourrait bien leur en ôter jusqu'au désir.
Supposons même un châtiment moins grave, par exemple, la séparation d'une femme
aimée et la prison: le libertin saurait bien se résigner sans trop de peine.
Gardons-nous donc de dire que l'homme est bon ou mauvais par nature: Car si
cela était, le bon né pourrait jamais devenir méchant, ni le méchant devenir
bon. Et pourtant nous voyons des changements rapides, soit du bien au mal, soit
du mal au bien. Et nous ne voyons pas seulement cela dans les Ecritures où, par
exemple, les publicains deviennent apôtres et les disciples traîtres, où les
femmes publiques deviennent chastes, où les larrons se convertissent, où les
mages se prosternent en adoration, où les impies passent à des sentiments de
piété, et cela tant dans le Nouveau que dans l'Ancien Testament; mais chaque
jour de tels faits arrivent sous nos yeux. Or si tout cela était naturel, aucun
changement n'aurait lieu. Etant passibles par nature, pouvons-nous par aucun
effort devenir impassibles? Ce qui est par nature, ne cessera jamais d'être
tel. Jamais personne n'a pu passer du besoin de dormir à la faculté de ne pas
dormir, ni de la corruption à l'incorruptibilité, ni s'affranchir du besoin de
manger au point de n'avoir plus faim. Aussi ces nécessités ne sont point des
crimes, et nous ne nous les reprochons jamais. Jamais personne n'a dit, en
manière de blâme: O être passible! ô être sujet à la
corruption! Mais nous reprochons l’adultère, la fornication ou d'autres
semblables actions à ceux qui les commettent, et nous les traduisons, devant
les juges pour être accusés et punis, ou honorés pour des faits contraires.
Quand donc, d'après la conduite que nous tenons les uns envers les autres,
d'après les jugements que nous subissons, les lois que nous établissons, les
reproches que notre conscience nous adresse même quand personne ne nous accuse,
d'après ce fait que la négligence nous rend pires et la crainte meilleurs, et
que nous en voyons d'autres se corriger et parvenir au faîte de la sagesse;
quand, dis-je, d'après tout cela, il nous est démontré qu'il dépend de nous de
faire le bien, pourquoi nous tromper nous-mêmes par de vaines excuses et de
misérables prétextes, qui non seulement ne nous obtiennent pas le pardon, mais
nous préparent d'intolérables supplices, tandis que nous devrions avoir sans
cesse devant les yeux le jour terrible, pratiquer la vertu et en récompense de
légers travaux, recevoir des couronnes immortelles? Car ces raisonnements ne
nous serviront à rien; ceux de nos frères qui auront mené une conduite opposée,
condamneront tous les pécheurs: le miséricordieux, l'homme dur; le bon, le
méchant; l'humble, l'orgueilleux; le bienveillant, l'envieux; le sage,
l'ambitieux de vaine gloire; le fervent, le lâche; le chaste, le libertin.
C'est ainsi que Dieu portera son jugement et formera deux ordres, dont l'un
recevra des éloges et l'autre sera livré au supplice. Ah! qu'aucun
de ceux qui sont ici présents ne se trouve parmi ceux qu'attendent le châtiment
et l'ignominie; mais bien au nombre des couronnés, destinés au royaume céleste!
Puissions-nous tous avoir ce bonheur par la, grâce et la bonté de Notre Seigneur
Jésus-Christ, à qui appartient, en union avec le Père et le Saint Esprit, la
gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des
siècles. Ainsi soit-il.
ANALYSE.
1. Que les réprimandes doivent être préparées et amenées doucement et peu à
peu.
2. Que saint Paul ne se préfère pas à saint Pierre.
3. Baptiser n'est pas une oeuvre dont on doive s'enorgueillir puisque tout
le moule en est capable. — Prêcher est plus difficile. 4 et 5. Ne pas rougir de
l'ignorance des apôtres puisque c'est leur gloire. — De quelle manière nous
devons travailler à couver. tir les infidèles. — Zèle
pour le salut des âmes. — Quel bonheur c'est d'en convertir une seule.
1. Les
reproches, comme je vous l'ai toujours dit, doivent venir doucement, peu à peu;
et c'est ce que Paul fait ici. Sur le point d'aborder un sujet plein de périls
et capable de renverser l'Église de fond en comble, il adoucit son langage. Il
dit qu'il les supplie, mais qu'il les supplie par le Christ: comme s'il ne se
sentait pas capable de les prier et de les persuader par lui-même. Qu'est-ce
que cela: « Je vous supplie par le Christ? » Je prends le Christ pour
auxiliaire, j'invoque le secours de son nom, de ce nom injurié et déshonoré.
Paroles pleines d'à-propos, pour ne pas les pousser à l'insolence: car le péché
rend insolent. Si, en effet, vous commencez par de violents reproches, vous
ferez des rebelles et des impudents; si vous grondez doucement, vous verrez le
coupable incliner la tète. Garder le silence et baisser les yeux, c'est ce que
Paul va faire, et, en attendant, il exhorte au nom du Christ. Et à quoi
exhorte-t-il? « A avoir tous le même langage et à ne pas souffrir de schismes
parmi vous ». Le sens énergique du mot schisme et le blâme qu'implique ce
terme, étaient bien propres à les blesser au vif. Car il n'y avait pas beaucoup
de parties entières; mais l'imité même avait péri. En effet, si c'étaient des
Eglises saines et entières, il y avait au moins beaucoup d'assemblées; mais si
c'étaient des schismes, l'unité même avait disparu. Car l'unité divisée en
beaucoup de parties, non seulement ne se multiplie pas, mais est détruite
elle-même. Telle est la nature des schismes. Ensuite, après les avoir blessés
au vif par le mot de schisme, il se radoucit et mitige ainsi son langage: «
Mais d'être tous unis dans le même esprit et dans le même « sentiment ». Après
avoir dit: « D'avoir tous « le même langage », il ajoute: Ne pensez pas que je
parle seulement de l'accord du langage, je demande aussi l'accord de pensée. Et
connue il peut arriver que cet accord existe, mais non sur tous les points, il
ajoute: « Mais d'être unis d'une manière parfaite ». Car celui qui est d'accord
sur un point et en désaccord sur d'autres, n'est point uni en perfection, n'est
point parfait sous le rapport de l'union. On peut encore être uni par la pensée
et ne l'être point par le sentiment: ce qui arrive par exemple quand nous avons
la même foi et que nous ne sommes pas liés par la charité. En ce cas nous
sommes unis par la pensée (puisque nous pensons les mêmes choses), mais nous ne
le sommes point par le sentiment: ce qui avait lieu alors, où les uns
s'attachaient à un maître, les autres à un autre. C'est pourquoi il exige qu'on
soit uni d'esprit et de sentiment, Car les schismes ne provenaient pas de la
différence de foi, tuais de la diversité des sentiments, effet des rivalités
humaines.
Et comme un accusé se montre insolent, tant qu'il n'a pas de témoins contre
lui, voyez comment il en produit, pour les mettre hors d'état de nier. « J'ai
été averti sur votre compte, mes frères, par ceux de la maison de Chloé ». II
n'avait d'abord pas dit cela, mais il avait en premier lieu établi
l'accusation, ce qui prouve qu'il avait cru aux informations; sans cela il
n'eût point accusé; car Paul n'était pas homme à croire sans raison. Il n'avait
donc d'abord pas parlé de renseignements, pour ne pas paraître accuser à
l'instigation de ceux qui les lui avaient donnés; mais il ne les passe pas sous
silence, pour ne pas paraître agir de lui seul. Il leur donne encore le nom de
frères: bien que leur péché fût évident, cela n'empêchait pas de les appeler
ainsi. Et voyez sa prudence: il ne désigne point une personne en particulier,
mais toute une maison, pour ne point les irriter contre l'auteur des
révélations; par là il a mis celui-ci à couvert et a pu librement formuler son
accusation. Il ne songe pas seulement aux intérêts des uns, mais aussi à ceux
des autres. Voilà pourquoi il ne dit pas: J'ai appris de certaines personnes;
mais il indique une maison tout entière, pour ne pas avoir l'air d'inventer.
Que m'a-t-on appris? « Qu'il y a des «contestations parmi vous ». Quand il leur
adresse directement ses reproches, il leur dit. « Qu'il n'y ait pas de
schismes parmi vous »; mais quand il leur parle, d'après le témoignage des
autres, il adoucit ses termes: « On m'a a appris qu'il y a des contestations
parmi vous », afin de ménager ceux de qui il tient ses informations.
Il précise ensuite le genre de contestation: « Chacun de vous dit: Pour moi
je suis à Paul, et moi à Apollon, et moi à Céphas ».
Ce ne sont pas, dit-il, des disputes pour des intérêts privés, mais d'autres
beaucoup plus fâcheuses. « Chacun de vous dit ». Ce n'est pas une partie de
l'Eglise, mais l'Eglise entière que le fléau ravage. Pourtant on ne parlait ni
de lui, ni d'Apollon, ni de Céphas; mais il fait voir
que si l'on ne peut s'attacher à ceux-là, encore bien moins le peut-on à
d'autres. La preuve qu'on ne parlait pas d'eux, est dans ce qu'il dit plus bas:
« J'ai proposé ces choses en ma personne et en celle d'Apollon, afin que vous
appreniez, à notre exemple, à n'avoir pas a d'autres sentiments que ceux que je
vous ai marqués ». (I Cor. IV, 6.) Car si l'on ne peut se dire partisan de
Paul, d'Apollon et de Céphas, encore bien moins de
tout autre. Si l'on ne doit point s'enrôler sous le drapeau d'un docteur, du
premier des apôtres, de l'instituteur d'un si grand peuple, à plus forte raison
sous le drapeau de ceux qui ne sont rien. Désirant ardemment les guérir de leur
maladie, il met ces noms en avant; mais pour moins blesser il tait les noms de
ceux qui déchiraient l'Eglise, et les abrite en quelque sorte sous ceux des
apôtres: « Moi je suis à Paul, moi à Apollon, moi à Céphas
».
2. Ce n'est point parce qu'il se préfère à Pierre qu'il le nomme le
dernier; mais, au contraire, parce qu'il se met fort au-dessous de Pierre. Il
parle par gradation, pour ne pas avoir l'air d'agir par envie, ni de vouloir
priver ceux-ci de l'honneur qui leur est dû. Voilà pourquoi il se nomme le premier.
Car celui qui se réprouve le premier, n'agit point par le désir de l'honneur,
mais par un profond mépris pour la vaine gloire.
Il reçoit d'abord tout le premier choc, ensuite il nomme Apollon et Céphas. Il n'agit donc point par orgueil; mais, désirant
corriger une chose défectueuse, il met d'abord en avant sa propre personne.
Evidemment c'était un tort de prendre le parti d'un tel ou d'un tel; et il a
raison de le leur reprocher, en disant: Vous ne faites pas bien de dire: « Moi
je suis à Paul, moi à Apollon, moi à Céphas ». Mais
pourquoi ajoute-t-il: « Et moi au Christ? » Si c'était une faute de s'attacher
à des hommes, ce n'en était certainement pas une de tenir pour Jésus-Christ.
Aussi ne leur reproche-t-il point de le faire, mais de ne pas le faire tous. Je
pense aussi qu'il a ajouté ce nom de lui-même, afin de donner plus de poids à
l'accusation et de faire entendre que le Christ est resté le lot de
quelques-uns, mais non de tous. Que telle ait été sa pensée, la suite le fait
voir. « Le Christ est-il divisé? » C'est-à-dire, vous avez scindé le Christ et
divisé son corps. Voyez-vous le courroux, voyez-vous le reproche, voyez-vous le
langage de l'indignation? Il ne prouve pas, il interroge, supposant cette
absurdité confessée.
Quelques-uns lui prêtent une autre intention dans ces paroles: « Le Christ
est-il divisé? » Cela voudrait dire: Le Christ a disséminé et partagé son
Eglise entre les. hommes, il en a gardé une portion
pour lui et leur a distribué le reste. Absurdité qu'il détruit ensuite par ces
mots: «Paul a-t-il é!é crucifié pour vous, ou avez-vous été baptisés au nom de
Paul! » Voyez son amour pour le Christ, voyez comme il ramène tout à son propre
nom; démontrant surabondamment que cet honneur n'appartient à personne. Pour ne
pas paraître céder à un mouvement de jalousie, il se met lui-même
continuellement en scène. Mais voyez aussi sa prudence; il ne dit pas: Est-ce
que Paul a créé le monde? Est-ce que Paul vous a tirés du néant? Mais il
choisit ce qu'il y a de plias précieux aux yeux des fidèles, les preuves les
plus sensibles de la Providence, la croix et le baptême, et les biens qui en
découlent. Sans doute la création du monde prouve la bonté de Dieu, mais
l'abaissement de la croix la prouve bien davantage. Et il ne dit pas: Est-ce
que Paul est mort pour vous; mais: « Est-ce que Paul a été crucifié pour vous?
» Désignant ainsi le genre de mort. « Où est-ce que vous avez été baptisés au
nom de Paul? » Il ne dit pas: Est-ce que Paul vous a baptisés? Car il en avait
baptisé beaucoup: mais il s'agissait de savoir au nom de qui, et non par qui
ils avaient été. baptisés. Et comme c'était
précisément là l'origine du schisme, que chacun se rattachait à celui qui
l'avait baptisé, il redresse cette erreur, en disant: « Est-ce que vous avez
été baptisés au nom de Paul? » Ne me dites point par qui, mais au nom de qui,
vous avez été baptisés. Car il ne s'agit point de savoir qui baptise, mais quel
est celui dont le nom est invoqué dans le baptême puisque celui-là seul remet
les péchés. Il s'arrête là et ne va pas plus loin. Il ne dit pas Est-ce que
Paul vous a promis les biens à venir? Est-ce que Paul vous a promis le royaume
des cieux? Pourquoi n'ajoute-t-il rien de cela? Parce que autre chose est
d'annoncer le royaume, autre chose d'être crucifié; l'un est sans danger et
n'entraîne point d'ignominie, l'autre renferme tous les deux. D'ailleurs, il
conclut des uns aux autres, quand, après avoir dit: « Qui n'a pas épargné son
propre fils », il ajoute: « Comment avec lui ne nous donnera-t-il pas aussi
toutes choses! » (Rom. VIII, 32.) Et encore: « Si, quand nous étions ennemis,
nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son fils, à bien plus forte
raison, une fois réconciliés, serons-nous sauvés ». (Id. V, 10.) C'est pour
cela qu'il n'a pas parlé de ces biens; on ne jouissait point encore des uns, on
avait déjà fait l'expérience des autres; les uns n'étaient encore qu'en
promesses, les autres étaient une réalité.
« Je rends grâce à Dieu de ce que je n'ai baptisé aucun de vous, si ce
n'est Crispus et Caïus ».
Pourquoi êtes-vous si tiers de baptiser, quand je remercie Dieu de n'avoir pas
baptisé? Par ces paroles, il- guérit prudemment leur enflure, non en niant la
force du baptême (ce qu'à Dieu ne plaise), mais en réprimant l'orgueil de ceux
qui se vantaient d'avoir baptisé; et pour cela il leur fait voir d'abord que ce
don ne vient pas d'eux, et en second lieu il remercie Dieu à cette occasion.
Sans doute le baptême est une grande chose, mais à cause de Celui qu'on y
invoque, et non à causé de celui qui le donne. Baptiser n'est rien, quant à
l'effort exigé de la part de l'homme; évangéliser est beaucoup plus. Je le
répète: le baptême est une grande chose, puisque sans lui on ne peut parvenir
au royaume; mais l'homme le plus vulgaire peut le donner, tandis que prêcher
l'Evangile est une oeuvre très laborieuse.
3. Il expose fa raison pour laquelle il rend grâces à Dieu de n'avoir
baptisé personne. Quelle est-elle? « Pour que personne ne dise que vous avez
été baptisés en mon nom». Quoi donc? Parlait-on de cela? Non; mais je crains,
dit-il, que le mal n'aille jusque-là. Si, en effet, quand des hommes vils et
sans valeur baptisent, il s'élève une hérésie; si j'avais baptisé beaucoup de
monde, moi qui ai annoncé le baptême, il est vraisemblable qu'un parti se formerait,
lequel non content d'adopter mon nom, m'attribuerait aussi le baptême. Puisque
le mal partant de si bas est déjà si grand, il le serait peut-être bien plus
encore s'il avait pris sa source plus haut. Après avoir ainsi réprimandé ceux
qui étaient déjà gâtés, et avoir dit: « Moi j'ai baptisé ceux de la maison de Stéphanas », il rabat de nouveau leur orgueil, en disant: «
Du reste, je ne sais si j'en ai baptisé d'autres ». Par-là il fait voir qu'il
se soucie peu de se procurer cet honneur aux yeux du vulgaire, et qu'il n'est
point venu pour cela. Et ce n'est pas seulement par ces paroles, mais encore
par les suivantes qu'il refoule leur orgueil, quand il dit: « Le Christ ne m'a
pas envoyé baptiser, mais prêcher l'Evangile ». Oeuvre bien plus laborieuse,
qui exigeait beaucoup de sueur et une âme de fer, et qui renfermait tout; voilà
pourquoi on l'avait confiée à Paul. Et pourquoi n'étant pas envoyé pour
baptiser, baptisait-il? Ce n'était point par opposition à Celui qui l'avait
envoyé, mais par surérogation. En effet il n'a pas dit: On m'a défendu de le
faire, mais: Je n'ai pas été envoyé pour cela, mais pour une chose plus
nécessaire. Evangéliser était l'oeuvre d'un ou deux; baptiser était au pouvoir
de tout homme revêtu du sacerdoce.
En effet, baptiser un catéchumène, un Nomme convaincu, cela est donné à
tout le monde; car la volonté de celui qui approche fait tout, conjointement
avec la grâce de Dieu. Mais amener des infidèles à la foi, c'est une fonction
qui demande beaucoup de peines, beaucoup de sagesse, outre le danger qui s'y
attachait alors. Dans le baptême, tout est fait, celui qui doit être admis au
mystère est convaincu, et ce n'est pas merveille que de baptiser un homme
convaincu. Ici il faut prendre beaucoup de peines pour changer la volonté et
les dispositions, pour déraciner l'erreur et planter la vérité. Mais il ne dit
point cela de la sorte, il ne le prouve pas, il n'affirme pas qu'il n'y a point
de peine à baptiser et beaucoup à évangéliser, car il sait toujours être
modeste; mais quand il traite de la sagesse profane, il devient véhément et
emploie, dès qu'il le peut, les termes les plus violents.
Ce n'était donc
point contre l'ordre de Celui qui l'avait envoyé qu'il baptisait, mais il en
était ici comme quand les apôtres dirent à l'occasion des veuves: « Il n'est
pas juste que nous abandonnions le ministère de la parole pour le service des
tables ». (Act. VI, 2.) Il servait alors, non par
esprit d'opposition, mais par surabondance de zèle. En effet, maintenant encore
nous confions le soin de baptiser aux prêtres les moins capables, et la
prédication aux plus instruits, parce qu'ici sont les labeurs et les
difficultés. Voilà pourquoi l'apôtre dit lui-même: « Que les prêtres qui
gouvernent bien soient doublement honorés, surtout ceux qui travaillent à la
prédication de la parole et à l'instruction ». (I Tim.
V, 17.) Car comme c'est l'affaire d'un maître habile et sage de former les
athlètes qui doivent lutter clans l'arène, tandis que décerner la couronne au
vainqueur est au pouvoir de celui même qui ne sait pas combattre, bien que la
couronne fasse ressortir l'éclat de la victoire; de même, pour ce qui regarde
le baptême, quoi qu'il soit nécessaire au salut, celui qui l'administre fait
une chose toute simple, puisqu'il trouve une volonté préparée.
« Non pas dans la sagesse de la parole, pour « ne pas réduire à rien la
croix de Jésus« Christ ». Après avoir rabattu l'orgueil de ceux qui
s'estimaient pour avoir baptisé, il passe à ceux qui se glorifiaient de la
sagesse mondaine, et les attaque avec vivacité. En
effet à ceux qui s'enflaient pour avoir baptisé, il s'est contenté de dire: «
Je rends grâce à Dieu de n'avoir baptisé personne », et de ce que le Christ ne
m'a pas envoyé pour baptiser; il n'emploie point de preuves, point
d'expressions violentes, il insinue sa pensée en peu de mots et passe outre.
Mais ici tout d'abord il frappe un grand coup en disant: « Pour ne pas réduire
à rien la croix de Jésus-Christ ». Pourquoi vous glorifier d'une chose qui doit
vous couvrir de honte? Car si cette sagesse est l'ennemie de la croix et de
l'Evangile, loin de s'en vanter, il faut en rougir. Voilà pourquoi les apôtres
ne l'ont point eue, non que la grâce leur fît défaut,
mais pour ne point nuire à la prédication. Ces sages selon le monde ébranlaient
donc la doctrine, au lieu de l'affermir; et les simples la consolidaient. Voilà
de quoi confondre l'orgueil, détruire l'enflure et inspirer des sentiments de
modestie. Mais, direz-vous, s'il en était ainsi, pourquoi donner mission à
Apollon, qui était un savant? Ce n'était pas qu'ils eussent confiance dans son
talent pour la parole; mais ils l'avaient choisi parce qu'il était instruit
dans les Ecritures et qu'il confondait les Juifs. Du reste on recherchait des
hommes sans science pour occuper les premiers rangs et commencer à répandre la
semence de la parole: car il fallait une grande vertu afin de repousser
l'erreur dès l'abord; il fallait un grand courage au début de la carrière.
Si donc celui
qui, dans les commencements, n'avait pas eu besoin de savants pour repousser
l'erreur, les a ensuite admis, ce n'était pas par nécessité ni par défaut de
discernement. Comme il n'avait pas eu besoin d'eux pour exécuter sa volonté, il
ne les a cependant point rejetés quand ils se rencontrèrent plus tard.
Dites-moi un peu: Pierre et Paul étaient-ils savants? Vous ne pourriez le dire;
car ils étaient simples et sans lettres. Le Christ a agi ici, comme quand,
envoyant ses disciples par toute la terre, après leur avoir d'abord montré sa
puissance en Palestine, il leur disait: « Lorsque je vous ai envoyés sans
argent, sans provisions, sans chaussure, avez-vous manqué de rien? » (Luc,
XXII, 35.) Et qu'ensuite il leur permit d'avoir de l'argent et des provisions.
Ce dont il s'agissait, c'était que la puissance du Christ fût manifestée, et
non de repousser de la foi ceux qui venaient à cause de leur sagesse mondaine.
Quand donc les Grecs accuseront les disciples d'ignorance, accusons-les-en
aussi, et plus haut que les Grecs. Que personne ne dise que Paul était savant;
tout en exaltant ceux d'entre eux que leur science et leur éloquence ont rendus
célèbres, affirmons que les nôtres ont tous été des ignorants. Et par là nous
ne les rabaisserons nullement; car la victoire n'en sera que plus éclatante.
Je dis tout cela pour avoir entendu un chrétien disputer avec un Grec de la
manière la plus ridicule: tous les deux renversaient leur propre thèse et se
réfutaient eux-mêmes. Le Grec disait ce qu'aurait dû dire le chrétien; et le
chrétien faisait les objections qu'aurait dû faire le Grec: Il était question
de Paul et de Platon: or, le Grec s'efforçait de démontrer que Paul était un
ignorant, un homme:sans instruction; et le chrétien par trop simple cherchait à
prouver que Paul était plus savant que Platon. Si cette dernière proposition
eût triomphé, la victoire appartenait au Grec. Car si Paul était plus savant
que Platon, on aura raison de dire que, s'il l'emporta, ce fut par l'éloquence
et non par le secours de la grâce. En sorte que le chrétien parlait pour le
Grec, et le Grec pour le chrétien. Si en effet Paul, quoique ignorant, a vaincu
Platon, c'est, comme je le disais, une victoire éclatante car cet ignorant a
pris tous les disciples de Platon, les a convaincus et amenés à lui. D'où il
suit que sa prédication a triomphé par la grâce de Dieu, et non par la sagesse
humaine. Pour éviter cet inconvénient et ne pas devenir ridicules en disputant
de cette façon avec les Grecs, qui sont ici nos adversaires, accusons les
apôtres d'ignorance; car cette accusation est un éloge. Et quand les Grecs les
traiteront de gens grossiers, enchérissons, nous; et ajoutons qu'ils étaient
ignorants, sans lettres, pauvres, sans naissance, dépourvus d'intelligence et
obscurs. Ce n'est point là blasphémer les apôtres; toute leur gloire, au
contraire, est d'avoir, étant tels, triomphé du monde entier. Oui, ces hommes
simples, grossiers et ignorants, ont abattu les sages, les puissants, les
tyrans, ceux qui jouissaient et se pavanaient des richesses, de la gloire, de
tous les avantages extérieurs; ils les ont abattus comme s'ils n'eussent pas
été des hommes.
Il est donc évident que la puissance de la
croix est grande, et que rien de tout cela n'est l'effet du pouvoir humain.; car ces succès n'ont rien de naturel; tout y est
surnaturel. Or quand il se passe un événement supérieur, très supérieur à la
nature, et en même temps convenable et utile, il est manifeste qu'on doit
l'attribuer à quelque vertu, à quelque opération divine. Eh bien! voyez: le
pêcheur, le fabricant de tentes, le publicain, l'homme simple, l'homme sans
lettres., venus d'une terre lointaine, de la Palestine, ont chassé de leur
propre patrie les philosophes, les rhéteurs, tous les maîtres dans l'art de la
parole; ils les ont vaincus en un instant, à travers mille périls, malgré
l'opposition des peuples et des rois, malgré les résistances de la nature,
malgré l'ancienneté du temps, la force d'habitudes invétérées, malgré les
efforts des démons armés contre eux, et bien que le diable, debout lui-même au
centre de la bataille, mît tout en mouvement, les rois,
les princes, les peuples, les nations, les villes, les barbares, les Grecs, les
philosophes, les orateurs, les sophistes, les écrivains, les lois, les
tribunaux, les supplices les plus variés et mille et mille genres de mort. Et
tout cela a été repoussé,a cédé à la voix des pêcheurs,
absolument comme la poussière légère qui ne peut résister au souffle du vent.
Apprenons donc à disputer ainsi avec les Grecs, pour ne pas ressembler à des
animaux stupides et sans raison, mais être toujours prêts à défendre l'objet de
nos espérances. En attendant, méditons bien ce point qui n'est pas d'une
médiocre importance, et disons-leur: Comment les faibles ont-ils vaincu les
forts: douze hommes, l'univers entier, sans se servir des mêmes armes, mais en
combattant sans armes des hommes armés?
5. Dites-moi de grâce: Si douze hommes, étrangers à l'art de la guerre, non
seulement sans armes, mais même faibles de constitution, s'élançant tout à coup
sur une innombrable armée, n'en éprouvaient aucun mal, restaient sains et saufs
au milieu d'une grêle de traits, et, conservant leurs javelots suspendus à
leurs corps nus, abattaient tous leurs ennemis sans user de leurs armes, mais
en les frappant seulement de la main, tuaient les uns et faisaient les autres
prisonniers sans recevoir la moindre blessure; dites-moi, attribuerait-on cela
à la puissance humaine? Et pourtant le triomphe des apôtres est beaucoup plus
étonnant que celui-là. Car, qu'un ignorant, qu'un homme sans lettres, qu'un
pêcheur aient triomphé de tant d'éloquence, n'aient été arrêtés ni par leur
petit nombre, ni par la pauvreté, ni par les dangers, ni par la puissance de
l'habitude, ni par la sévérité des préceptes qu'ils imposaient, ni par des
morts quotidiennes, ni par la multitude de ceux qui professaient l'erreur, ni
par l'autorité de ceux qui l'enseignaient: Voilà qui est bien plus incroyable
que de voir un homme nu n'être pas blessé.
Abattons-les donc de la même manière; combattons-les ainsi, réfutons-les
par notre conduite plutôt que par notre langage. Les œuvres, voilà le vrai
combat, le raisonnement sans réplique. Quand nous argumenterions sans fin, ce
serait peine perdue si nous ne tenions une conduite meilleure que la leur. Ce
fie sont pas nos paroles, mais nos actions qu'ils étudient; ils nous disent:
Sois d'abord fidèle à ta doctrine, et prêche-la ensuite aux autres. Si tu
parles de biens infinis réservés à l'avenir, et que tu paraisses attaché aux
biens présents comme si ceux-là n'existaient pas, je crois à tes actions plutôt
qu'à tes paroles. Quand je te vois ravir le bien d'autrui, pleurer outre mesure
ceux qui ne sont plus, commettre une foule d'autres péchés, comment te
croirai-je lorsque tu parles de résurrection? S'ils ne vous disent pas cela,
ils le pensent et s'en préoccupent. Et là est l'obstacle qui empêche les
infidèles de devenir chrétiens. Convertissons-les donc par notre propre
conduite. Beaucoup d'hommes illettrés ont ainsi frappé des philosophes, en leur
montrant la vraie philosophie; la philosophie des oeuvres, et faisant entendre
par leur sage conduite une voix plus éclatante que celle de la trompette: sorte
d'éloquence bien au-dessus de celle du langage. Si je prêche l'oubli des
injures, et qu'ensuite je nuise à un. Grec en mille manières, comment mes
paroles l'attireront-elles alors que mes actions le repoussent? Prenons-les
donc dans les filets d'une bonne conduite, édifions et enrichissons l'Eglise en
lui gagnant ces âmes.
Rien, pas même le monde entier, n'égale le prix d'une âme. Donnassiez-vous
une immense fortune aux pauvres, vous avez moins fait que de convertir une
seule âme. Il est écrit «Celui qui sépare un objet précieux d'une vile matière,
sera comme ma bouche ». (Jérém. XV, 19.) Sans doute,
c'est une chose excellente d'avoir pitié des pauvres, mais rien n'est aussi
grand que d'arracher une âme à l'erreur: car c'est ressembler à Paul et à
Pierre. Il nous est donné de succéder à leur prédication, non plus pour braver
comme eux les dangers, endurer la faim, la peste et les autres maux (car nous
vivons en un temps de paix); mais pour déployer l'ardeur de notre zèle. Sans
sortir de chez nous, nous pouvons nous livrer à cette pêche. Que quiconque a un
ami, un parent, une connaissance, tienne cette conduite, adopte ce langage, et
il ressemblera à Pierre et à Paul. Que dis-je, à Pierre et à Paul? Il sera la
bouche du Christ. « Car celui qui sépare une chose précieuse d'une matière
vile, sera comme ma bouche ». Si vous ne persuadez pas aujourd'hui, vous
persuaderez demain; si vous ne persuadez jamais, vous aurez cependant toute la
récompense; si vous ne persuadez pas tout le monde, vous en sauverez au moins
quelques-uns de la foule. Les apôtres eux-mêmes n'ont pas convaincu tous les
hommes, bien qu'ils s'adressassent à tous, et ils sont récompensés comme s'ils
les avaient tous gagnés. Car Dieu a coutume de proportionner la récompense aux
intentions et non aux succès. Offrez-lui deux oboles, il les accepte; ce qu'il
a fait pour la veuve, il le fait pour ceux qui enseignent la loi. Gardez-vous
donc de dédaigner un petit nombre, parce que vous ne pouvez pas convertir le
monde entier, et ne négligez point les petits succès, parce que vous
ambitionnez les grands. Si vous ne pouvez pour cent, tâchez pour dix.; si vous ne pouvez pour dix, contentez-vous de cinq; si
cinq dépassent vos forces, ne laissez pas que de vous occuper d'un, et si cet
un même vous échappe, ne vous découragez pas pour autant, et ne suspendez pas
les efforts de votre zèle. Ne voyez-vous pas que, dans les contrats, les
marchands n'opèrent pas seulement avec de l'or, mais aussi avec de l'argent? Si
nous ne dédaignons pas les petites choses, nous atteindrons aussi les grandes;
mais si nous négligeons celles-là, nous parviendrons difficilement à celles-ci,
C'est en recueillant les unes et les autres qu'on devient riche. Que ce soit donc
là notre règle de conduite, afin qu'enrichis en tout, nous obtenions le royaume
des cieux, par la grâce et la bonté de Notre Seigneur Jésus-Christ, par qui et
avec qui, gloire, empire, honneur, appartiennent au Père en même temps qu'au Saint
Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
ANALYSE.
1. Que l'on se perd par le raisonnement, et que l'on se sauve par la foi.
2. Comment Dieu a confondu la sagesse humaine.
3. Que le Christ persuade par les contraires, et comment.
4-6. Que Socrate n'aurait pas bu la ciguë s'il n'y eût été contraint. — Le
paganisme n'a produit qu'un Socrate, et la religion de Jésus, des milliers de
martyrs, tous plus grands, plus admirables que Socrate. — Que l'établissement
de la foi est un ouvrage tout divin. — Convertir les âmes par le bon exemple.
1. Pour l'homme malade et agonisant, les mets les plus sains n'ont pas de
saveur, les amis et les proches deviennent importuns, souvent il ne les
reconnaît pas et semble incommodé de leur présence. Il en est de même de ceux
qui perdent leurs âmes: ils ignorent ce qui mène au salut, et trouvent
importuns ceux qui s'occupent d'eux. C'est là l'effet de leur maladie et non de
la nature des choses. Il en est des infidèles comme des fous, qui haïssent ceux
qui les soignent, et les accablent d'injures. Mais comme ceux-ci; à raison même
des injures qu'ils reçoivent, sentent croître leur pitié et couler leurs
larmes, parce que méconnaître ses meilleurs amis leur semble être l'indice du
paroxysme de la maladie i ainsi devons-nous faire à l'égard des Grecs, et
pleurer sur eux plus qu'on ne pleure sur une épouse, parce qu'ils ignorent le
salut offert à tous. Car un époux ne doit pas aimer son épouse autant que nous
devons aimer tous les hommes, Grecs ou autres, et les attirer au salut.
Pleurons-les donc, parce que la parole de la croix, qui est la sagesse et la
force, est pour eux une folie, suivant ce qui est écrit: « La parole de la
croix est une folie pour ceux « qui se perdent ». Et comme il était
vraisemblable que, voyant la croix tournée en dérision par les Grecs, les
Corinthiens résisteraient dans la mesure de leur propre sagesse, et se
donneraient beaucoup de trouble pour réfuter les discours des païens, Paul les
console en leur disant: Ne pensez pas que ce soit là une chose étrange et
insolite. Il en est dans la nature même des choses, que la vertu de la croix soit
méconnue de ceux qui se perdent; car ils n'ont plus le sens; ils sont fous.
Voilà pourquoi ils profèrent des injures et ne supportent pas les remèdes du
salut. O homme, que dis-tu? Pour toi le Christ a pris là forme d'un esclave, a
été crucifié et est ressuscité; ce ressuscité, il faut donc l'adorer et adorer
sa bonté, puisque ce qu'un père, un ami, un fils n'a pas fait pour toi, le
Maître de l'univers l'a fait, bien que tu l'eusses offensé et fusses devenu son
ennemi; et quand il mérite ton admiration pour de si grandes choses, tir
appelles folie le chef-d'oeuvre de sa sagesse? Mais il n'y a rien d'étonnant là
dedans; car le propre de ceux qui se perdent est de ne pas connaître ce qui
procure le salut.
Ne vous troublez donc pas: il n'y a rien d'étrange, rien de surprenant à ce
que des insensés tournent de grandes choses en dérision. Or la sagesse humaine
ne saurait changer une telle disposition; en essayant de le faire, vous
atteindriez un but opposé: car tout ce qui dépasse la raison n'a besoin- que de
la foi. Si nous tâchons de démontrer par le raisonnement et sans recourir à la
foi, comment un Dieu s'est fait homme et est entré dans le sein d'une vierge,
nous ne ferons que provoquer davantage leurs railleries. Ceux gui usent ici du
raisonnement, sont précisément ceux qui se perdent. Et pourquoi parler de Dieu?
Nous soulèverions d'immenses éclats de rire, si nous,suivions
cette méthode en ce qui concerne les créatures. Supposons, par exemple, un
homme qui veut tout apprendre par le raisonnement et vous prie de lui démontrer
comment nous voyons la lumière essayez de le faire: vous n'en viendrez pas à
bout; car si vous dites qu'il, suffit d'ouvrir l'oeil pour voir, vous exprimez
le fait, et non la raison du fait. Pourquoi, vous dira-t-il, ne voyons-nous pas
par les oreilles et n'entendons-nous pas par les veux? Pourquoi
n'entendons-nous pas parles narines et ne flairons-nous pas par les oreilles?
Si nous ne pouvons le tirer d'embarras et répondre à ses questions, et qu'il se
mette à rire, ne rirons-nous pas encore plus fort que lui? Si en effet deux
organes ont leur principe dans le même cerveau, et sont voisins l'un de
l'autre, pourquoi ne peuvent-ils pas remplir les mêmes fonctions? Nous ne
pouvons expliquer la cause ni le mode de ces opérations mystérieuses et
diverses, et nous serions ridicules de l'essayer.
Taisons-nous donc, et rendons hommage à la puissance et à la sagesse
infinie de Dieu. De même, vouloir expliquer par la sagesse humaine les choses
de Dieu, c'est provoquer des éclats de rire, non à raison de la faiblesse du
sujet, mais à cause de la folie des hommes; car aucun langage ne peut expliquer
les grandes choses. Examinez bien; quand je dis: Il a été crucifié; le Grec
demande: Comment cela s'accorde-t-il avec la raison? Il ne s'est pas aidé lui-même
quand il subissait l'épreuve et le supplice de la croix: Comment donc est-il
ensuite ressuscité et a-t-il sauvé les autres? S'il le pouvait, il aurait dû le
faire avant de mourir, ainsi que le disaient les Juifs Comment celui qui ne
s'est pas sauvé, a-t-il pu sauver les autres? C'est là, dira-t-on, une chose
que la raison ne saurait admettre. Et c'est vrai: la croix, ô homme, est une
chose au-dessus de la raison, et d'une vertu ineffable. Car subir de grands
maux, leur paraître supérieur et en sortir triomphant, c'est le propre d'une
puissance infinie. Comme il eût été moins étonnant que les trois jeunes hébreux
ne fussent pas jetés dans là fournaise que d'y être jetés et de fouler la
flamme aux pieds comme il eût été beaucoup moins merveilleux pour Jonas de
n'être pas englouti par la baleine que d'en être englouti sans en souffrir;
ainsi il est bien plus admirable dans le Christ d'avoir vaincu la mort en
mourant que de ne l'avoir pas subie. Ne dites donc point: Pourquoi ne s'est-il
pas sauvé lui-même sur la croix? Car son intention était de lutter avec la
mort. Il n'est point descendu de la croix, non parce qu'il ne le pouvait pas,
mais parce qu'il ne le voulait pas. Comment les clous de la croix auraient-ils
retenu Celui que la puissance de la mort n'a pu enchaîner?
2. Toutes ces choses nous sont connues, mais les infidèles les ignorent.
Voilà pourquoi Paul dit que la parole de la croix est une folie pour ceux qui
se perdent, mais que pour ceux qui se sauvent, c'est-à-dire pour nous, elle est
la vertu de Dieu. « Car il est écrit: Je perdrai la sagesse des sages; je
rejetterai la science des savants ». Jusqu'ici il n'a rien dit de
désagréable; il a d'abord invoqué le témoignage de l'Ecriture; puis
s'enhardissant, il emploie des termes plus violents et dit: « Dieu n'a-t-il pas
convaincu de folie la sagesse de ce monde? Que sont devenus les sages? Que sont
devenus les docteurs de la loi? Que sont devenus les esprits curieux de ce
siècle? Dieu n'a-t-il pas convaincu de folie la sagesse de ce monde? Car Dieu voyant
que le monde, aveuglé par sa propre sagesse, ne l'avait point connu dans les
oeuvres de la sagesse divine, a jugé à propos de sauver par la folie de la
prédication ceux qui croiraient en lui ». Après avoir dit qu'il est écrit: « Je
perdrai la sagesse des sages», il en donne une preuve de fait en ajoutant: «
Que sont devenus les sages? que sont devenus les
docteurs de la loi? » frappant ainsi du même coup les
Grecs et les Juifs. Car, quel philosophe; quel habile logicien, quel homme
instruit dans le judaïsme a procuré le salut et enseigné la vérité? Pas un
d'eux: les pécheurs ont tout fait. Après avoir tiré sa conclusion, abattu leur
enflure, et dit: « Dieu n'a-t-il pas convaincu de folie la sagesse de ce monde?
» il donne la raison de tout cela. Parce que, dit-il, aveuglé
par sa propre sagesse, le monde n'a pas connu Dieu dans la sagesse divine, la
croix a paru. Qu'est-ce que cela: « Dans la sagesse divine? » C'est-à-dire,
dans la sagesse qui s'est manifestée dans les oeuvres par lesquelles il a voulu
se faire connaître. Car il a produit ces oeuvres et d'autres semblables afin
que leur aspect fit admirer le Créateur; le ciel est grand, la terre est
immense; admirez donc celui qui les a faits. Et ce ciel si grand, non seulement
il l'a créé, mais il l'a créé sans peine; cette vaste
terre, il l'a produite sans effort. Voilà pourquoi il est dit de l'un: « Les
cieux sont les ouvrages de vos mains » (Ps. CI); et de l'autre: « Il a fait la
terre comme rien ». Mais comme le monde n'a pas voulu connaître Dieu au moyen
de cette sagesse, Dieu l'a convaincu par la folie apparente de la croix, non à
l'aide du raisonnement, mais de la foi. Du reste, là où est la sagesse de Dieu,
il n'y a plus besoin de celle de l'homme. Dire que le Créateur de ce monde si
grand et si vaste doit posséder une puissance ineffable et infinie, c'était là
un raisonnement de la sagesse humaine, un moyen de comprendre l'auteur par son
ouvrage; mais maintenant on n'a plus besoin que de foi, et non de
raisonnements. Car croire à un homme crucifié et enseveli, et tenir pour
certain que ce même homme est ressuscité et assis au ciel, c'est l'effet de la
foi et non du raisonnement. Ce n'est point avec la sagesse, mais avec la foi,
que les apôtres ont paru, et ils sont devenus plus
sublimes et plus sages que les sages, d'autant que la foi qui accepte les
choses de Dieu l'emporte sur l'art de raisonner; car ceci surpasse l'esprit
humain.
Comment Dieu
a-t-il perdu la sagesse? En se révélant à nous par Paul et ses semblables, il
nous a fait voir qu'elle était inutile. En effet, pour recevoir la prédication
évangélique, le sage ne tire aucun avantage de sa sagesse, ni l'ignorant ne
souffre de son ignorance. Bien plus, chose prodigieuse à dire! l'ignorance est ici une meilleure disposition que la
sagesse. Oui, le berger, le paysan, mettant de côté les raisonnements et
s'abandonnant à Dieu, recevront plutôt la prédication évangélique. Voilà
comment Dieu a perdu la sagesse. Après s'être d'abord détruite elle-même, elle
est devenue ensuite inutile. Car quand elle devait faire son oeuvre propre et
voir le Maître par ses oeuvres, elle ne l'a pas voulu; maintenant quand elle
voudrait se produire, elle ne le pourrait plus; car l'état des choses n'est
plus le même, et l'autre voie pour parvenir à la connaissance de Dieu est bien
préférable. C'est pourquoi il faut une foi simple, que nous devons chercher à
tout prix, et préférer à la sagesse du dehors, puisque l'apôtre dit: «Dieu a
convaincu de folie la sagesse ». Qu'est-ce que cela veut dire: «Il a convaincu
de folie?» Il a prouvé qu'elle est une folie quand il s'agit de parvenir à la
foi. Et comme on avait d'elle une haute estime, il s'est hâté de la confondre.
En effet, qu'est-ce que cette sagesse, qui ne peut trouver le premier des
biens? Il l'a fait paraître folle, parce qu'elle s'était d'abord démontrée
telle elle-même. Si, quand il était possible de trouver la vérité a l'aide du
raisonnement, elle n'a pu le faire, comment en sera-t-elle capable, maintenant
qu'il s'agit (le choses plus importantes, et qu'on n'a plus besoin de talent,
mais de foi? Dieu l'a donc convaincue de folie; et il a jugé à propos de sauver
le monde par la folie, non réelle, mais apparente de la croix. Et c'est là ce
qu'il y a de plus grand: que Dieu ait vaincu cette sagesse, non par une sagesse
plus excellente, mais par une sagesse qui a une apparence de folie. Il a abattu
Platon, non par un autre philosophe plus sage, mais par un pêcheur ignorant.
Ainsi la défaite est devenue plus humiliante et le triomphe plus éclatant.
Puis, démontrant la puissance de la croix, l'apôtre dit: « Les Juifs demandent
des miracles et les Grecs cherchent la sagesse; pour nous, nous prêchons le
Christ crucifié, qui est un scandale pour les Juifs, et une folie pour les
Grecs, mais qui est la force de Dieu et la sagesse de Dieu pour ceux qui sont
appelés, soit parmi les Juifs soit parmi les Grecs ».
3. Il y a un grand sens dans ces paroles car il veut dire que Dieu a vaincu
à l'aide des contraires, et que la prédication n'est pas de l'homme. Voici ce
qu'il entend: quand nous disons aux Juifs: Croyez; ils nous répondent
Ressuscitez les morts, guérissez les possédés du démon, montrez-nous des
prodiges. Et que répliquons-nous à cela? Celui que nous tous prêchons a été
crucifié, et il est mort. Cette parole est peu propre à attirer ceux qui ne
veulent pas venir, car elle devrait repousser ceux mêmes qui en seraient tentés:
et pourtant elle ne repousse pas, elle attire, elle subjugue, elle triomphe. A
leur tour, les Grecs nous demandent l'éloquence des discours, l'habileté dés sophismes;
nous leur prêchons encore la croix, et ce qui paraît faiblesse aux Juifs, les
Grecs l'appellent folie. Quand donc, bien loin de leur accorder ce qu'ils
demandent, nous leur offrons tout le contraire (car non seulement la croix
n'est point un miracle, mais, au point de vue de la raison, elle est l'opposé
du miracle; non seulement elle n'est point un signe de force, ni une preuve de
sagesse, mais plutôt un indice de faiblesse et une apparence de folie); quand,
dis-je, non seulement ils n'obtiennent ni lés miracles ni la sagesse qu'ils
demandent, mais entendent ce qu'il y a de plus opposé à leur désir, et qu'ils
s'en laissent persuader: comment ne pas voir là la puissance infinie de Celui
qui est prêché?
Comme si quelqu'un montrait à un homme battu par les flots et soupirant
après le port, non le port lui-même, mais un autre endroit de la mer encore
plus agité, et le déterminait à le suivre avec des sentiments de
reconnaissance; ou comme si un médecin promettait de guérir un blessé, non au
moyen des remèdes qu'il désire, mais en le brûlant de nouveau, et néanmoins
l'attirait à lui (ce qui serait certainement la preuve d'une grande puissance);
ainsi les apôtres ont remporté la victoire, non par un miracle, mais par la
chose qui semblait le contraire du miracle. C'est aussi ce que le Christ a fait
pour l'aveugle; car voulant le guérir de sa cécité, il a employé un moyen qui
devait l'augmenter: il l'a frotté avec de la boue. Et comme il a guéri un
aveugle avec de la boue, de même il s'est attiré le monde entier par la croix:
par la croix qui ajoutait au scandale, au lieu de le faire disparaître. Ainsi
avait-il déjà procédé dans la création, en opposant les contraires aux
contraires. Il a donné le sable pour borne à la mer, la faiblesse à la force;
il a établi la terre sur l'eau, le solide et le dense sur le mou et le liquide.
Par le moyen des prophètes, il a ramené le fer du fond de l'eau avec un peu de
bois. Ainsi il s'est attiré le monde entier à l'aide de la croix. Comme l'eau
porte la terre, la croix porte le monde. C'est la preuve d'une grande puissance
et d'une grande sagesse que de persuader par les contraires. La croix semble
être un objet de scandale, et, loin de scandaliser, elle attire.
A cette pensée, Paul émerveillé s'écrie que « ce qui paraît en Dieu une
folie est plus sage « que les hommes, et que ce qui paraît en «Dieu une
faiblesse est plus fort que les hommes ». Cette folie, cette faiblesse,
non réelle mais apparente, dont il parle ici, c'est la croix, et il répond dans
leur sens. Car ce que les philosophes n'ont pu faire avec leurs raisonnements,
cette prétendue folie l'a fait. Lequel est le plus sage de celui qui convainc
la multitude, ou de celui qui ne persuade que quelques hommes, ou plutôt
personne? de celui qui persuade sur les sujets les
plus importants, ou de celui qui persuade sur des questions inutiles? Combien
Platon ne s'est-il pas donné de peine sur la ligne, sur l'angle, sur le point,
sur les nombres pairs et impairs, sur les quantités égales et inégales, et
autres toiles d'araignées semblables (car tout cela est plus inutile pour la
vie que des toiles d'araignées)? Et il est mort sans en avoir tiré aucun
profit, ni petit ni grand. Combien n'a-t-il pas pris de peine pour prouver que
l'âme est immortelle? Et il est mort sans avoir rien dit de clair là-dessus,
sans avoir convaincu un seul de ses auditeurs! Et la croix prêchée par des
ignorants a convaincu, a attiré à elle le monde entier, non en traitant des
questions insignifiantes, mais en parlant de Dieu, de la vraie religion, de la
règle évangélique, du jugement futur; et elle a transformé en philosophes tous
les hommes, des paysans, des ignorants. Voyez donc comme ce qui paraît folie et
faiblesse en Dieu, est plus sage et plus fort que les hommes. Comment plus
fort? Parce que la croix a parcouru tout l'univers, dominé tous les hommes par
la force, et que quand des milliers s'efforçaient d'éteindre le nom du
Crucifié, c'est le contraire qui est arrivé; car ce nom a fleuri, a grandi de
plus en plus, et ses ennemis se sont perdus, ont couru à leur ruine; les
vivants combattaient le mort, et n'ont rien pu contre lui. Donc, quand le Grec
m'accuse de folie, il prouve lui-même son extrême folie; quand je passe pour un
insensé à ses yeux, je suis réellement plus sage que les sages; quand il me
reproche ma faiblesse, il fait preuve lui-même d'une plus grande faiblesse. Car
les succès qu'ont obtenu, par la grâce de Dieu, des publicains, des pêcheurs;
les philosophes, les rhéteurs, les tyrans, le monde entier, malgré des peints
infinies, n'ont pu même les rêver. Que n'a pas amené la croix? La doctrine de
l'immortalité de l'âme, de la résurrection du corps, du mépris des choses
présentes, du désir des choses à venir. Des hommes, elle a fait des anges; de
toutes parts on voit des philosophes, et qui donnent des preuves de toute
espèce de courage.
4. Mais, dira-t-on, beaucoup d'entre eux ont aussi méprisé la mort.
Lesquels? je vous prie. Est-ce celui qui a bu la ciguë?
Mais, si vous le voulez, je vous en trouverai des milliers de ce genre dans
l'Eglise. Si, au sein de la persécution, il était permis de mourir en buvant la
ciguë, tous seraient bien supérieurs à ce philosophe. Du reste, quand Socrate
but la ciguë, il n'était pas libre de la boire ou de ne la pas boire: de gré ou
de force, il devait la boire; c'était donc un acte de nécessité et non de
courage; les brigands et les assassins, condamnés par les justes, subissent de
plus grands supplices. Chez nous, c'est tout le contraire c'est de plein gré,
librement, et non par force, que gros martyrs ont souffert et, montré une vertu
à toute épreuve. Rien d'étonnant à ce que ce philosophe ait bu la ciguë, étant
forcé de la boire, et étant parvenu à l'extrême vieillesse; car il déclara
lui-même qu'il avait soixante-dix ans quand il méprisait ainsi la vie, si tant
est que ce soit là du mépris; ce que je n'admets pas, ni moi, ni personne. Mais
montrez-m'en un qui ait soutenu courageusement les tortures pour la religion,
comme je vous en montrerai des milliers sur tous les points du globe. Qui
est-ce qui a supporté généreusement de se voir arracher les ongles? fouiller les articulations? déchirer
le corps pièce à pièce? arracher les os de la tête? étendre sur le gril? jeter dans la
chaudière? Ceux-là, montrez-les-moi. Mourir par la ciguë, c'est à peu près s'endormir;
on dit même que ce genre de mort est plus doux que le sommeil. Et quand même
quelques-uns auraient subi de véritables épreuves, ils n'auraient encore aucun
droit à nos louanges, car ils sont morts pour des motifs peu honorables: les
uns pour avoir trahi des secrets, les autres pour avoir aspiré à la tyrannie,
d'autres pour avoir été surpris dans des actions honteuses; d'autres enfin, se
sont livrés d'eux-mêmes sans but, sans motif, et comme au hasard.
Il n'en est pas ainsi chez nous. Aussi garde-t-on le silence sur le compte
de ceux-là, tandis que la gloire de ceux-ci est dans tout son éclat et croît de
jour en jour. C'est à cela que pensait Paul, quand il disait: Ce qui paraît en
Dieu une faiblesse est plus fort que les hommes. Car c'est là la preuve que la
prédication est divine. Comment douze hommes ignorants, qui avaient passé leur
vie sur les étangs, sur les fleuves, dans les déserts, qui n'avaient peut-être
jamais mis les pieds dans une ville ou sur une place publique, auraient-ils osé
former une si grande entreprise? Comment leur serait venue la pensée de lutter
contre le monde entier? Car, qu'ils fussent timides et lâches, c'est leur
historien qui le dit, sans rien nier, sans chercher à dissimuler leurs défauts:
ce qui est la plus grande preuve de véracité. Que dit-il donc? Que dès que le
Christ fut pris, ils s'enfuirent, malgré les nombreux miracles dont ils avaient
été témoins, et que leur chef, qui était resté, renia son Maître. Comment donc
ceux qui, du vivant du Christ, n'avaient pu soutenir l'assaut des Juifs,
défieront-ils tout l'univers au combat, quand ce même Christ est mort, a été
enseveli, n'est point ressuscité, selon vous, ne leur a point parlé, ne leur a
point inspiré de courage? Ne se seraient-ils pas dit à eux-mêmes: Qu'est-ce que
ceci? Il n'a pu se sauver lui-même, et il nous défendrait? Vivant, il ne s'est
pas aidé; et mort, il nous tendrait la main? Vivant, il n'a pas soumis un seul
peuple, et nous, à son nom seul, nous sou. mettrions
le monde entier? Quoi de plus déraisonnable, je ne dis pas qu'une telle
entreprise, mais qu'une telle pensée? Il est donc évident que s'ils ne
l'avaient pas vu ressuscité, s'ils n'avaient pas eu la preuve la plus manifeste
de sa puissance, ils n'eussent point joué un tel jeu. A supposer qu'ils eussent
eu de nombreux amis, n'en auraient-ils pas fait aussitôt autant d'ennemis, en
attaquant les anciennes coutumes, en déplaçant les bornes antiques? Dès ce
moment, ils se seraient attiré l'inimitié de tous,
celle de leurs concitoyens comme celle des étrangers. Eussent-ils eu tous les
droits possibles au respect par les avantages extérieurs, n'auraient-ils pas
été pris en haine pour vouloir introduire de nouvelles moeurs? Et au contraire,
ils sont dénués de tout, et par cela seul, déjà exposés à la haine et au mépris
universels.
Car de qui voulez-vous parler? Des Juifs? lis en
étaient profondément haïs, à cause de ce qui s'était passé à l'égard de leur
Maître. Des Grecs? Ils n'en étaient pas moins détestés, tt les Grecs le:avent
mieux que qui que ce soit. Pour avoir voulu instituer un nouveau gouvernement,
ou plutôt réformer en quelque point celui qui existait, sans rien changer au
culte des dieux, mais en substituant certaines pratiques à d'autres, Platon fut
chassé de Sicile et courut le danger de mort. S'il a conservé la vie, il perdit
du moins la liberté. Et si un barbare ne se fût montré meilleur que le tyran de
Sicile, rien n'empêchait que le philosophe restât esclave toute sa vie sur une
terre étrangère. Et pourtant les changements qui touchent au pouvoir royal
n'ont pas l'importance de ceux qui touchent à l'ordre religieux; ceux-ci
troublent et agitent bien plus les hommes. En effet, dire qu'un tel ou un tel
épousera une telle, ou que les gardes veilleront de telle ou telle façon, il
n'y a pas là de quoi causer grande émotion, surtout quand la loi reste sur le
papier et que le législateur se met peu en peine de l'appliquer. Mais dire que
les objets du culte sont des démons et non des dieux, que le vrai Dieu c'est le
Crucifié, vous savez assez quelle fureur, quelle accusation, quelle guerre cela
a soulevées.
5. Chez les Grecs, Protagoras, pour avoir osé dire: « Je ne reconnais point
de dieux », et cela, non en parcourant et en doctrinant tout l'univers, mais
dans une seule cité, courut les plus grands dangers. Diagoras
de Milet (1) et Théodore, surnommé l'athée, avaient de nombreux amis, étaient
éloquents et admirés comme philosophes; cependant tout cela
1 ou plutôt de
Mélos, sur ces athées, voir Cicéron de natura deorum,
liv. I, chap. I et XXIII.
ne leur servit à
rien. Et le grand Socrate lui-même, qui les surpassait tous en philosophie, a
bu la ciguë parce qu'il était soupçonné d'avoir quelque peu innové en matière
de religion. Or, si un simple soupçon d'innovation a créé un tel danger à des
philosophes, à des sages, à des hommes qui jouissaient d'ailleurs de la plus
grande considération, au point que, loin de pouvoir établir leurs doctrines,
ils ont été condamnés à la mort ou à l'exil: comment ne pas être frappé
d'étonnement et d'admiration, en voyant le pêcheur opérer de tels prodiges dans
le monde entier, réaliser ses projets et triompher des barbares et de tous les
Grecs?
Mais ceux-ci, direz-vous, n'introduisaient pas, comme ceux-là, des dieux
étrangers. Et c'est précisément là le prodige à mes yeux; une double,
innovation:détruire les dieux qui existaient et prêcher le Crucifié. D'où leur
est venue l'idée d'une telle prédication? Où ont-ils puisé cette confiance dans
le succès? Quel précédent les y encourageait? Tout le monde n'adorait-il pas
les démons? N'avait-on pas divinisé les éléments? L'impiété n'avait-elle pas
introduit des moeurs bien différentes? Cependant ils ont attaqué et détruit
tout cela; en peu de temps, ils ont parcouru le monde entier, comme s'ils
eussent eu des ailes, ne tenant compte ni des périls, ni de la mort, ni de la
difficulté de l'entreprise, ni de leur petit nombre, ni de la multitude de
leurs adversaires, ni de la richesse, ni de la puissance, ni de la science de
leurs ennemis. Mais ils avaient un auxiliaire plus puissant que tout cela: la
vertu du crucifié et du ressuscité. Il eût été moins étonnant qu'ils
déclarassent au monde entier une guerre matérielle, au lieu de celle qu'ils lui
ont réellement déclarée. Car, d'après les luis de la guerre, il est permis de
se placer en face de l'ennemi, de s'emparer de ses terres, de se ranger en
bataille, de saisir l'occasion d'attaquer et d'en venir aux mains. Ici, il n'en
était pas de même: Les apôtres n'avaient point d'armée à eux; ils étaient mêlés
à leurs ennemis, et c'est ainsi qu'ils en triomphaient; c'est dans cette
situation qu'ils esquivaient leurs coups, qu'ils les domptaient et remportaient
sur eux une éclatante victoire, suivant cette parole du prophète: « Tu règneras
au milieu de tes ennemi, ». (Ps. CIX, 2.) Car c'était là le prodige: Que leurs
ennemis les tenant en leur pouvoir, et les jetant dans les prisons et dans les
fers, non seulement ne pouvaient les vaincre, mais tombaient eux-mêmes à leurs
pieds; ceux qui flagellaient devant ceux qui étaient flagellés, ceux qui enchaînaient
devant ceux qui étaient enchaînés, ceux qui persécutaient devant ceux qui
étaient persécutés. Nous disons tout cela aux Grecs et plus que cela encore:
car ici la vérité surabonde. Si tous nous suivez dans ce sujet, nous vous
apprendrons tous les détails de la lutte; mais, en attendant, tenons bien à ces
deux points capitaux: Comment les faibles ont-ils vaincu les forts? Et comment
ces faibles, étant ce qu'ils étaient, auraient-ils formé une telle entreprise,
s'ils n'avaient eu le secours divin?
6. Et maintenant, faisons ce qui dépend de nous: Que notre vie porte les
fruits qu'elle doit porter des bonnes oeuvres, et allumons autour de nous une
grande ardeur pour la vertu. Il est écrit: « Vous êtes des flambeaux « qui
brillez au milieu du monde ». (Philip. II, 15.) Et Dieu nous destine à un plus
noble usage que le soleil lui-même, que le ciel, que la terre et la mer; à un
usage d'autant plus grand que les choses spirituelles l'emportent davantage,
sur les choses sensibles. Quand donc nous considérons le globe du soleil, et
due nous admirons la beauté, le volume et l'éclat de cet, astre, pensons qu'il
y a en nous une lumière plus grande et meilleure, comme aussi de plus profondes
ténèbres, si nous n'y veillons: car toute la terre est dans fine nuit épaisse.
Dissipons donc cette nuit, et mettons-y fin. Elle règne non seulement chez les
hérétiques et chez les Grecs, mais aussi dans les croyances et dans la conduite
d'un grand nombre d'entre nous. Car beaucoup ne croient pas à la résurrection,
beaucoup s'appuient sur des horoscopes, beaucoup s'attachent à des observances
superstitieuses, à des divinations, à des augures, à des présages; d'autres
recourent aux amulettes et aux enchantements. Nous combattrons ceux-là plus
tard, quand nous en aurons fini avec les Grecs. En attendant, retenez bien ce
que je vous ai dit: Combattez avec moi, attirons-les à nous et transformons-les
par notre conduite. Je le répète toujours: Celui qui enseigne la philosophie
doit d'abord en offrir le modèle en lui-même et se faire rechercher de ses
auditeurs.
Faisons-nous donc rechercher des Grecs et concilions-nous leur
bienveillance. Et cela arrivera, si nous sommes toujours prêts, non seulement à
faire le bien, mais encore à souffrir le mal. Ne voyons-nous pas les enfants
portés sur les bras de leurs pères, les frapper à la joue, et le père se prêter
volontiers à satisfaire la colère de son fils, et se réjouir quand elle est
satisfaite? Eh bien! suivons cet exemple: parlons aux
Grecs comme des pères à leurs enfants. Et vraiment tous les Grecs sont des
enfants; quelques-uns des leurs l'ont dit Ce sont des enfants, il n'y a point
de vieillard chez les Grecs. En effet, les enfants ne supportent de s'occuper
de rien d'utile; de même les Grecs veulent toujours jouer; ils sont à terre, ils
y rampent et ne songent qu'aux choses terrestres. Quand nous parlons aux
enfants des choses nécessaires, ils ne comprennent pas notre langage et rient
toujours; ainsi les Grecs rient, quand nous leur parlons du royaume des cieux.
Et comme souvent la salive, découlant de la bouche de l'enfant, souille sa
nourriture et sa boisson; ainsi les paroles qui tombent de la bouche des Grecs
sont inutiles et impures; si vous leur présentez la nourriture qui leur est
nécessaire, ils vous accablent de malédictions; ils ont besoin qu'on les porte.
Si un enfant voit un voleur entrer et enlever ce qui est à la maison, bien loin
de le repousser, il sourit au malfaiteur; mais si vous lui prenez son petit
panier, son sistre ou tout autre joujou, il en est vivement affecté, il
s'irrite, il se déchire et frappe le sol du pied. Ainsi quand les Grecs voient
le démon piller leur patrimoine, les biens nécessaires à leur subsistance, ils
sourient et courent au-devant de lui comme au-devant d'un ami. Mais si on leur
enlève une possession, la richesse ou quelque autre futilité de ce genre, ils
se lamentent, ils se déchirent. Et comme l'enfant reste nu sans s'en douter et
sans en rougir; ainsi les Grecs se vautrant avec les fornicateurs et les
adultères, outragent les lois de la nature, entretiennent de honteux commerces
et ne songent pas à se convertir. Vous avez vivement approuvé, vous avez
applaudi; mais tout en applaudissant, prenez garde qu'on n'en dise autant de
vous. Soyez donc tous des hommes, je vous en prie; car, si nous sommes des
enfants, comment leur apprendrons-nous à devenir des hommes? Comment les
retirerons-nous de leur puérile folie? Soyons des hommes, pour parvenir à la
mesure de l'âge déterminée par le Christ et obtenir les biens à venir par la
grâce et la bonté, etc.
ANALYSE.
l. Les simples se sent convertis en plus grand
nombre que les savants.
2. Toute gloire appartient à Dieu; les hommes ne doivent donc pas se
l'attribuer.
3-6. De la difficulté que les apôtres devaient naturellement rencontrer
dans l'établissement de la foi, si Jésus-Christ ne les eût aidés. — Des
avantages d'une vie laborieuse et occupée comme celle des artisans. — Que les
militaires ne doivent point se dispenser à cause de leur profession de servir
Dieu et de s'appliquer aux lectures saintes.
1. Après avoir,
dit que ce qui paraît folie en Dieu est plus sage que les hommes, il a
démontré, par le témoignage des Ecritures et par la marche des événements, que
la sagesse humaine a été rejetée; d'après le témoignage des Ecritures, puisqu'il est dit: « Je perdrai la sagesse des sages »;
d'après la marche des événements, quand il pose cette interrogation: « Que sont
devenus les sages? Que sont devenus les docteurs de la loi? » De plus il a fait
voir que ce n'était point une chose nouvelle, mais ancienne, désignée d'avance
et prédite: « Car il est écrit: Je perdrai« la sagesse des sages ». Ensuite il
a démontré que tout cela était utile et raisonnable: « Le monde, n'ayant point
connu Dieu au moyen de la sagesse de Dieu, il a plu à Dieu de sauver par la
folie de la prédication ceux qui croiraient en. lui »;
puisque la croix est une preuve de puissance et de sagesse infinie, et que ce
qui paraît folie en Dieu surpasse de beaucoup la sagesse humaine. Il le prouve
de nouveau, non plus par les maîtres, mais par les disciples: « Considérez »,
dit-il, « qui sont ceux d'entre vous qui ont été appelés ». Car Dieu n'a pas
seulement choisi des ignorants pour maîtres, mais aussi pour disciples: « Il y
en a peu de sages selon la chair ». Il y a donc dans cette prédication plus de
force et plus de sagesse, puisqu'elle entraîne la multitude et persuade même
les ignorants. Il est en effet très difficile de convaincre un ignorant,
surtout quand il s'agit de choses importantes et nécessaires. Et cependant les
apôtres l'ont fait, et il appelle les Corinthiens eux-mêmes en témoignage: «
Considérez, mes frères, qui « sont ceux d'entre vous qui ont été appelés »;
examinez, écoutez. Car la plus grande preuve de la sagesse du maître, c'est que
des ignorants aient accepté des enseignements si sages, plus sages que tous les
autres. Que veut dire: « Selon la chair? » C'est-à-dire, d'après les
apparences, au point de vue de la vie présente et de la doctrine du dehors.
Ensuite pour ne pas se contredire lui-même (car il a convaincu le proconsul,
l'aréopagite, ainsi qu'Apollon; et nous savons que d'autres sages ont assisté à
sa prédication), il ne dit pas: Il n'y en a point de sages, mais: « Il y en a
peu de sages ». Car il n'appelait point exclusivement les ignorants et ne
renvoyait pas les sages; il admettait ceux-ci, mais en bien plus grand nombre
ceux-là. Pourquoi? — Parce que celui qui, est sage selon la chair est rempli de
beaucoup de folie, et qu'il est surtout insensé en ce qu'il ne veut pas rejeter
une doctrine corrompue.
Si un médecin voulait enseigner son art, ceux de ses auditeurs qui en
auraient déjà quelque notion fausse, contraire aux principes, et qui
tiendraient à la conserver, n'accueilleraient pas facilement ses leçons, tandis
que ceux qui ne sauraient rien les recevraient volontiers. Il en a été de même
ici: les ignorants ont été persuadés les premiers, parce qu'ils n'avaient pas
l'extrême folie de se croire sages. Car c'est le comble de la folie de chercher
par le raisonnement ce qui ne peut se découvrir que par la foi. Si un forgeron,
retirant le fer rouge du feu, s'avisait d'y employer ses mains au lieu de
tenailles, il serait certainement regardé comme un fou. Ainsi en est-il des
philosophes qui veulent découvrir ces choses par eux-mêmes, au mépris de la
foi. Aussi n'ont-ils rien trouvé de ce qu'ils cherchaient. « Peu de puissants,
peu de nobles ». Les puissants et les nobles sont remplis d'orgueil. Or, rien
n'est aussi inutile pour arriver à la connaissance de Dieu que l'arrogance et
l'attachement aux richesses. De là vient qu'on admire les choses présentes,
qu'on ne tient aucun compte des choses à venir, et que la multitude des soucis
bouche les oreilles. « Mais Dieu a choisi les moins sages selon le monde ». Car
c'est là le plus grand signe de supériorité: vaincre par des ignorants.
2. En effet, les Grecs ne rougissent pas autant d'être vaincus par des
sages; mais ce qui les couvre de honte, c'est de se voir dépassés en
philosophie par un artisan, par un homme du peuple. Aussi l'apôtre dit-il: «
Pour confondre les sages ». Et ce n'est pas en ce point seulement, mais aussi
en ce qui touche les autres avantages de la vie, que Dieu a ainsi procédé. Car
« il a choisi les faibles selon le monde, pour confondre les forts ». Ce ne
sont pas seulement des ignorants, mais des pauvres, des hommes méprisés et
obscurs, qu'il a appelés pour humilier ceux qui étaient constitués en
puissance. « Et les plus vils et les plus méprisés selon le monde, et ce qui
n'était rien pour confondre ce qui est ». Et qu'appelle-t-il ici: « ce qui
n'est rien? » Ceux qui sont considérés comme rien, parce qu'ils n'ont aucune
valeur. Dieu a fait preuve d'une grande puissance en renversant les grands par
ceux qui semblent n'être rien. C'est ce qu'il exprime ailleurs, quand il dit: «
Ma puissance éclate davantage dans la faiblesse ». (II Cor. XII, 9.) C'est en
effet une marque de grand pouvoir que des hommes sans valeur, dépourvus de
toute instruction, aient subitement appris à raisonner sur des questions plus
élevées que le ciel. Nous admirons surtout le médecin, le rhéteur, ou tout
autre maître, quand ils instruisent et forment parfaitement des ignorants. En
cela, Dieu n'a pas seulement voulu faire un miracle et prouver sa puissance,
mais réprimer la vaine gloire. Ce qui faisait dire d'abord à Paul: « Pour
confondre les sages, pour détruire ce qui est»; et ensuite: « Afin qu'aucun
homme ne se glorifie devant Dieu». Car Dieu fait tout pour réprimer l'orgueil
et la présomption, pour abattre la vaine jactance, et vous y persévérez? Il
fait tout pour que nous ne nous attribuions rien et que nous lui rapportions
tout, et vous vous êtes livrés à un tel et à un tel? Quel pardon
obtiendrez-vous? Dieu nous a prouvé, et cela dès le commencement, que nous ne
pouvons pas nous sauver par nous-mêmes. Car déjà alors les hommes ne pouvaient
pas se sauver par eux-mêmes, mais ils avaient besoin de considérer la beauté du
ciel, l'étendue de la terre et les autres corps créés, pour pouvoir s'élever
jusqu'à l'auteur de ces ouvrages. Son but était déjà de réprimer d'avance la
vaine estime de la sagesse.
De même qu'un maître qui invite un élève à le suivre, et le voit rempli de
préjugé et résolu à tout apprendre par lui-même, l'abandonne à son erreur, puis
lui prouvant qu'il ne saurait suffire à sa propre instruction, en prend
occasion de lui exposer sa doctrine: ainsi Dieu dès le commencement a invité
les hommes à le suivre par le moyen de la création; puis comme ils s'y
refusaient, il leur a d'abord prouvé qu'ils ne pouvaient pas se suffire à
eux-mêmes, et il les a appelés à lui par une autre voie. pour
livre, il leur a donné le monde. Les philosophes n'ont pas su le méditer, ils
n'ont point voulu obéir à Dieu, ni aller à lui par le chemin qu'il leur
indiquait. Il a employé un autre moyen plus clair que le premier, pour
convaincre l'homme qu'il ne peut se suffire à lui-même. Car alors il était
permis d'employer le raisonnement, de tirer parti de la sagesse extérieure en
se laissant guider par les choses créées; mais maintenant, à moins d'être fou,
c'est-à-dire, à moins de se dégager de tout raisonnement et de toute sagesse,
et de s'abandonner à la foi, il est impossible d'être sauvé. Et ce n'est pas
peu de chose d'avoir, en facilitant ainsi la voie, extirpé
l'ancienne maladie, en sorte que les hommes ne se glorifient plus et soient
sans orgueil « Afin qu'aucun homme ne se glorifie ». Car le mal venait de là:
de ce que les hommes prétendaient être plus sages que les lois de Dieu et ne
voulaient point s'instruire selon ses ordres. Aussi n'ont-ils absolument rien
appris.
Et il en a été ainsi dès le commencement. Dieu avait dit à Adam: Fais ceci,
et évite cela. Mais Adam voulant trouver quelque chose de plus, n'obéit pas et
perdit ce qu'il avait. Dieu dit ensuite aux hommes: Ne vous arrêtez pas à la
créature, mais par elle contemplez le Créateur. Et les hommes, comme s'ils
eussent trouvé quelque chose de plus sage que ce qu'on leur avait dit,
s'engagèrent dans mille labyrinthes. De là des contradictions sans fin et avec
eux-mêmes et avec les autres; et ils ne trouvèrent point Dieu, ne surent rien
de clair sur la création, n'en eurent pas même une idée raisonnable et vraie.
De nouveau pour ébranler vivement leur présomption, il suscita d'abord des
ignorants, afin de montrer que tous ont besoin de la sagesse d'en-haut. Et ce n'est pas seulement en matière de
connaissance, mais pour toute autre chose qu'il a voulu faire sentir le besoin
que les hommes et 'toutes les créatures ont de lui, afin que les liens de
l'obéissance et de la soumission étant plus forts, on ne courût point à sa
perte par la résistance. Voilà pourquoi il n'a pas voulu que les hommes se
suffisent. Car si beaucoup le dédaignent malgré le besoin qu'ils ont de lui, à
quel degré d'orgueil ne seraient-ils pas montés, s'il en eût été autrement?
Ce n'est donc point par jalousie que l'apôtre combat leur vaine
ostentation, mais pour les préserver de la ruine qu'elle engendre. « C'est de
lui que vous avez été établis en Jésus-Christ, qui nous a été donné de Dieu
pour être notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre
rédemption ». Ces mots: « De lui », ne se rapportent point ici, ce me
semble, à là production, à l'existence, mais à la foi; il veut dire que les
enfants de Dieu ne sont point formés du sang et de la volonté de la chair. Ne
pensez donc pas qu'après nous avoir guéris de la vaine gloire, il nous laisse
là: non; il nous fournit une raison plus haute de nous glorifier. Il ne faut
pas se glorifier devant lui. Vous êtes ses enfants, et vous l'êtes devenus par
le Christ. En disant: « Il a choisi les moins sages selon le monde, les plus
méprisables selon le monde », il fait voir que la plus grande. noblesse est d'avoir Dieu pour Père. Or cette noblesse, nous
ne la devons point à un tel ou à un tel, mais au Christ qui nous a rendus
sages, justes et saints: car c'est le sens de ces paroles: « Qui est devenu
notre sagesse ».
3. Qui donc est plus sage que nous. qui. possédons, non la sagesse de Platon, mais le Christ
lui-même, par la volonté de Dieu? Que veulent dire ces mots: « Qui nous a été
donné de Dieu? » Après avoir dit de grandes choses du Fils unique, il
ajoute le nom du Père, pour que personne ne pense que le Fils ne soit pas
engendré. Après avoir dit qu'il a pu de si grandes choses, et lui avoir tout
attribué en disant qu'il est devenu notre sagesse, notre justice, notre
sanctification et notre rédemption, il ramène de nouveau tout au Père par le
Fils, en disant: « Qui nous a été donné de Dieu ». Pourquoi n'a-t-il pas dit:
qui nous a rendu sages, mais « qui est devenu notre sagesse? » C'est pour nous faire sentir l'excellence du don; car c'est comme
s'il disait: Qui s'est donné lui-même à nous. Et voyez comme il procède.
D'abord le Christ nous a rendus sages en nous délivrant de l'erreur; ensuite il
nous a rendus justes et saints en nous donnant l'Esprit, et nous a délivrés de
tous les maux, de manière que nous soyons à lui, non par l'essence, mais par la
foi. En effet, ailleurs l'apôtre dit: Que nous sommes justes de la justice de
Dieu, dans ce passage: « Pour l'amour de nous il a traité celui qui ne
connaissait point le péché, comme s'il eût été le péché, afin qu'en lui nous
devinssions justes de la justice de Dieu ». (II Cor. V, 21.) Maintenant il dit
qu'il est devenu notre justice, en sorte que chacun peut à volonté y participer
abondamment. Car ce n'est pas un tel ou un tel qui nous a rendus justes, mais
le Christ. Que celui qui se glorifie se glorifie donc en lui, et non dans un
tel ou un tel. Tout est l'oeuvre du Christ. C'est pourquoi, après avoir dit: «
Qui est devenu notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre
rédemption », il ajoute: « Afin que, selon qu'il est écrit, celui qui se
glorifie se glorifie dans le Seigneur». (Jérém. IX,
23.)
Voilà pourquoi encore il se déchaîne vivement contre la sagesse des Grecs,
afin de persuader par là même aux hommes de se glorifier en Dieu, comme cela
est juste. Rien n'est plus fou, rien n'est plus faible que nous, quand nous
voulons chercher par nous-mêmes ce qui est au-dessus de nous. Nous pouvons
avoir une langue exercée, mais non des croyances solides; par eux-mêmes nos
raisonnements ressemblent à des toiles d'araignées. Quelques-uns ont poussé la
folie jusqu'à soutenir qu'il n'y a rien de vrai, et que tout est contraire aux
apparences. Ne vous attribuez donc rien, mais pour tout glorifiez-vous en Dieu;
n'attribuez jamais rien à personne. Car si l'on ne peut rien attribuer à Paul,
encore bien moins à tout autre. «J'ai planté », dit-il, «Apollon a arrosé, mais
Dieu a fait croître ». (I Cor. III, 6.) Celui qui a appris à se glorifier en Dieu,
ne s'enorgueillira jamais, mais il sera toujours modeste et reconnaissant. Tels
ne sont pas les Grecs qui s'attribuent tout à eux-mêmes. Aussi élèvent-ils les
hommes au rang des dieux, tant leur orgueil les a égarés! C'est maintenant
l'heure d'entrer en lutte avec eux. Où en sommes-nous restés hier? Nous disions
qu'humainement il n'était pas possible que des pêcheurs l'emportassent sur des
philosophes; et pourtant cela est devenu possible; donc c'est évidemment
l'effet de la grâce. Nous disions qu'il n'était pas possible qu;ils imaginassent de tels succès; et nous avons montré
qu'ils ne les ont pas seulement conçus, mais réalisés entièrement et avec une
grande facilité.
Aujourd'hui nous traiterons ce point capital de la question, à savoir: d'où
leur serait venu l'espoir de triompher du monde entier, s'ils n'avaient pas vu
le Christ ressuscité. Dans quel accès de folie auraient-ils rêvé une chose si
absurde, si téméraire? Car espérer une telle victoire sans la grâce de Dieu,
c'est assurément le comble de la démence. Et comment, dans le délire de la
folie, en seraient-ils venus à bout? Mais s'ils jouissaient de leur bon sens,
comme l'événement l'a prouvé, comment douze hommes auraient-ils osé provoquer
de tels combats, braver la terre et la mer, songer à réformer les moeurs du
monde entier, si affermies par le temps, et soutenir l'assaut avec tant de
courage, s'ils n'eussent reçu d'en-haut des gages
assurés, et n'eussent obtenu la grâce divine? Bien plus encore: comment, en
promettant le ciel et les demeures suprêmes, auraient-ils espéré convaincre
leurs auditeurs? Eussent-ils été élevés dans la gloire, dans la richesse, dans
là puissance, dans l'instruction, ils n'auraient sans doute pas osé aspirer à
une oeuvre aussi hardie; cependant leur espoir aurait eu quelque apparence de
raison. Mais ce sont des pêcheurs, des fabricants de tentes, des publicains;
tous métiers les moins propres à la philosophie, les moins capables d'inspirer
de grands projets, surtout quand il n'y a pas de précédents. Or, non seulement
ils n'avaient pas d'exemples qui leur promissent la victoire, mais il y en
avait, et de tout récents, qui leur présageaient la défaite. Plusieurs, je ne
dis pas parmi les Grecs (il ne s'agissait pas encore d'eux alors), mais parmi
les Juifs contemporains, pour avoir essayé d'innover, avaient péri; et ce
n'était pas à -la tête de douze hommes, mais avec une multitude de partisans,
qu'ils avaient mis la main à l'oeuvre. En effet, Theudas
et Judas, appuyés de nombreux partisans, avaient succombé avec eux. De tels
exemples étaient bien propres à effrayer les apôtres, s'ils n'eussent été
parfaitement convaincus qu'on ne peut triompher sans la puissance de Dieu. Et,
même avec la confiance dans la victoire, quelle espérance les eût soutenus au
milieu de tant de périls, s'ils n'avaient eu les yeux fixés sur l'avenir?
Supposons qu'ils comptaient triompher! Mais à quels profits aspiraient-ils en
menant le monde entier aux pieds d'un homme qui, selon vous, n'était point
ressuscité?
4. Si maintenant des hommes qui croient au royaume du ciel et à des biens
infinis, ont tant de peine à soutenir, les épreuves, comment les apôtres
auraient-ils supporté tant de travaux sans espoir d'en rien recueillir, sinon
des maux? Car si rien de ce qui s'était réellement passé n'avait eu lieu, si le
Christ n'était point monté au ciel, ceux qui forgeaient ces contes et
cherchaient à les persuader aux autres, offensaient Dieu et devaient s'attendre
à être mille fois frappés de la foudre. Que s'ils eussent eu un tel zèle du
vivant du Christ, ils l'eussent perdu après sa mort; car, n'étant pas
ressuscité, il n'eût plus été à leurs yeux qu'un imposteur et un fourbe. Ne
savez-vous pas qu'une armée, même faible, tient ferme tant que le général et le
prince vivent; et que, bien que forte, elle se dissout dès qu'ils sont morts?
Quels motifs plausibles, dites le moi, les auraient déterminés à
entreprendre la prédication et à parcourir le monde entier? Quels obstacles ne
les auraient pas retenus? S'ils étaient fous (je ne cesserai de le répéter),
rien, absolument rien, ne leur eût réussi: car personne ne croit à des fous.
Mais s'ils ont réussi, comme le fait l'a prouvé, c'est donc une preuve qu'ils
étaient les plus sages des hommes. Mais s'ils étaient les plus sages des
hommes, il est évident qu'ils n'avaient point entrepris la prédication au
hasard. Et s'ils n'avaient pas vu le Christ ressuscité, à quoi bon commencer
une telle guerre? Tout ne lés en eût-il pas détournés? Il leur a dit: Je
ressusciterai dans trois jours: il leur a promis le royaume des cieux; il leur
a annoncé qu'après avoir reçu le Saint Esprit ils soumettront la terre entière;
il leur a dit mille autres choses encore, infiniment élevées au-dessus de la
nature. En sorte que, si rien de cela n'était arrivé, eussent-ils cru en lui
pendant qu'il vivait, ils auraient cessé d'y croire après sa mort, s'ils ne
l'avaient vu ressuscité. Ils auraient dit: Il avait annoncé qu'il
ressusciterait après trois jours, et il n'est pas ressuscité; il avait promis
d'envoyer l'Esprit et il ne l'a pas envoyé; comment croirons-nous à ce qu'il a
dit de l'avenir, quand ce qu'il a dit du présent est convaincu de fausseté?
Comment auraient-ils prêché la résurrection d'un homme qui ne serait pas
ressuscité? Parce qu'ils l'aimaient, dira-t-on. Mais ils l'eussent dès lors
pris en haine, lui qui les avait trompés, et trahis; lui qui, par mille
menteuses promesses, les avait arrachés à leurs maisons, à leurs parents, à
tout ce qu'ils possédaient, lui qui, après avoir excité contre eux tout le
peuple juif, les avait enfin abandonnés. Il l'eût été là un simple effet de
faiblesse, ils l'eussent peut-être pardonné; mais il fallait maintenant y voir
une grande scélératesse. Car il devait dire la vérité, et ne pas promettre le
ciel, puisque, selon vous, il n'était qu'un homme. C'était donc une conduite
tout opposée qu'ils auraient dû tenir, c'est-à-dire proclamer qu'ils avaient
été trompés et le dénoncer comme un fourbe et un charlatan; par là ils eussent
échappé aux dangers et mis fin à la guerre.
Si les Juifs ont payé des soldats pour dire que le corps avait été enlevé,
quel honneur n'eussent pas obtenu les disciples s'ils avaient dit en passant:
C'est nous qui l'avons enlevé, il n'est point ressuscité? Ils pouvaient donc
recevoir des honneurs et des couronnes. Pourquoi alors auraient-ils préféré les
injures et les périls, si une force divine, plus puissante que tout le reste,
ne les y eût déterminés? Et si ce raisonnement ne vous convainc pas encore,
faites celui-ci: Si les choses n'eussent pas été ainsi, quelque décidés qu'ils
y fussent d'abord, ils ne l'auraient point pris pour sujet de leur prédication;
ils l'auraient au contraire pris en aversion: car vous savez bien que nous ne
voulons pas même entendre prononcer le nom de ceux qui nous ont ainsi trompés.
Et pourquoi l'auraient-ils prêché, ce nom? Dans l'espoir de vaincre par lui?
C'était tout le contraire qu'ils devaient attendre puisque, même après la
victoire, ils seraient morts en prêchant le nom d'un imposteur. Que s'ils
voulaient jeter un voile sur le passé, il fallait se taire: car engager le
combat, c'était donner un nouvel aliment à la guerre et au ridicule. D'où leur
serait venue la pensée de forger de telles inventions? Ils avaient perdu le
souvenir de tout ce qu'ils avaient entendu. Et si, au rapport de l'évangéliste,
ils avaient oublié bien des choses et n'en avaient pas compris d'autres, alors
même qu'ils n'avaient rien à craindre; comment tout ne leur aurait-il pas
échappé, au milieu d'un si grand, péril? Mais à quoi bon dire cela, quand leur
affection pour le maître était déjà affaiblie par la crainte de l'avenir, ainsi
qu'il le leur reprocha lui-même un jour. Car comme suspendus à sa bouche, ils
lui avaient souvent demandé auparavant: Où allez-vous? et qu'ensuite après
l'avoir entendu longuement exposer les maux qu'il devait subir dans le temps de
sa passion, ils restaient bouche béante et muette de terreur, écoutez comme il
le leur fait sentir, en disant: « Aucun de vous ne me demande: Ou allez-vous? mais parce que je vous ai dit ces choses, la tristesse a
rempli votre coeur ». (Jean, XVI, 6, 6.) Si donc ils étaient déjà tristes quand
ils s'attendaient à sa mort et à sa résurrection; comment, ne le voyant pas
ressuscité, auraient-ils pu vivre? Comment, découragés par la déception et
épouvantés des maux à venir, n'auraient-ils pas désiré rentrer dans le sein de
la terre?
5. Mais d'où leur sont venus ces dogmes sublimes? Et il leur avait annoncé
qu'ils en entendraient de plus sublimes encore. « J'ai encore bien des choses à
vous dire », leur disait-il, « mais vous ne pouvez les porter présentement ».
Ce qu'il ne disait pas était donc encore plus élevé. Mais un des disciples,
entendant parler de dangers, ne voulait pas même aller en Judée avec lui.
«Allons-y aussi nous», disait-il, «afin de mourir avec lui ». (Idem, XI, 16.)
L'attente de la mort lui était pénible. Mais si, étant avec lui, il s'attendait
à mourir et s'en effrayait pourtant, à quoi, séparé de lui et des autres
disciples, n'aurait-il pas dû s'attendre? Et t'eût été d'ailleurs une grande
preuve d'impudence. Qu'auraient-ils eu à dire? Le monde entier connaissait la
Passion; le Christ avait été suspendu au gibet en plein jour, dans une
capitale, pendant la fête principale, celle dont il était le moins permis de
s'absenter; mais aucun étranger ne connaissait la résurrection: ce qui n'était
pas un petit obstacle au succès de leur prédication. La rumeur disait partout
qu'il avait été enseveli; les soldats et tous les Juifs affirmaient que son
corps avait été enlevé par ses disciples; mais aucun étranger ne savait qu'il
fût ressuscité. Comment auraient-ils espéré en convaincre l'univers? Si on
avait pu déterminer des soldats, malgré des miracles, à attester le contraire,
comment sans miracle auraient-ils eu la confiance de prêcher, et pu croire, eux
qui n'avaient pas une obole, qu'ils persuaderaient le monde entier de la
résurrection?
S'ils agissaient par ambition de la gloire,'ils se seraient attribué leur
doctrine bien plutôt qu'à un mort. Mais on ne l'aurait point acceptée, dit-on.
Et de qui l'eût-on plutôt acceptée ou d'un homme qui avait été pris et
crucifié, ou d'eux qui avaient échappé aux mains des Juifs? Et pourquoi, de
grâce, s'ils devaient prêcher, ne pas quitter aussitôt la Judée, et se rendre
dans les villes étrangères, au lieu de rester dans le pays? Et comment
auraient-ils fait des disciples, s'ils n'eussent opéré des miracles? Or, s'ils
faisaient des miracles (et ils en faisaient), ce ne pouvait,être
que par la puissance de Dieu; et s'ils eussent triomphé sans en faire, t'eût
été bien plus étonnant encore. Ne connaissaient-ils pas, dites-moi, le peuple
juif, ses mauvaises dispositions, son esprit de jalousie?
Ils avaient lapidé Moïse après le passage de la mer à pied sec, après cette
victoire, après ce trophée remporté contre les Egyptiens, leurs oppresseurs,
par les mains de ce grand homme sans effusion d'une goutte de sang; après avoir
mangé la manne; après avoir vu des torrents d'eau couler du rocher; après les
mille prodiges de l'Egypte, de la mer Rouge et du désert, ils avaient jeté
Jérémie dans la citerne et mis à mort beaucoup de prophètes.
Ecoutez ce que dit Elie, quand il est forcé de s'éloigner du pays, après la
terrible famine et la pluie miraculeuse, et,la flamme
qu'il a fait descendre du ciel, et le merveilleux holocauste: « Seigneur, ils
ont tué vos prophètes, ils ont détruit vos autels; je suis demeuré seul, et ils
en veulent encore à ma vie ». (III Rois, XIX, 10.) Et pourtant ceux-là ne
touchaient point à la loi. Comment donc, dites-le moi, aurait-on écouté les
apôtres? Car ils étaient les plus misérables des hommes, et ils prêchaient les
nouveautés qui avaient valu la croix à leur maître.
Du reste, ce n'était pas une grande preuve d'habileté chez eux que de
répéter ce que le Christ avait dit. On avait pu croire que le Christ agissait
par amour de la gloire; on n'en aurait que plus haï ses disciples qui
reprenaient la guerre au profit d'un autre. Mais, objectera-t-on, la loi
romaine les favorisait. Ils y trouvaient, au contraire, un nouvel obstacle: car
les Juifs avaient dit: « Quiconque se fait roi, n'est pas l'ami de César ».
(Jean, XIX, 12.) Ainsi cela seul eût suffi à les entraver, d'être les disciples
d'un homme qui était censé avoir voulu se faire roi et de soutenir son parti.
Où donc auraient-ils puisé le courage de se jeter dans de tels dangers? Que
pouvaient-ils dire de lui qui fût propre à leur attirer la confiance? Qu'il
avait été crucifié? qu'il était né d'une pauvre mère
juive, mariée à un charpentier juif? qu'il appartenait
à une nation haïe du monde entier? Mais tout cela était plus propre à irriter
qu'à persuader et qu'à attirer des auditeurs, surtout dans la bouche d'un
fabricant de tentes et d'un pêcheur. Et les disciples -n'avaient-ils pas songé
à tout cela? Les natures timides (et telles étaient les leurs) savent
s'exagérer les choses. D'où auraient-ils pu espérer le succès? Ils en auraient
désespéré au contraire, quand tant de raisons les détournaient de l'entreprise,
si le Christ n'était pas ressuscité.
6. Les moins intelligents ne comprennent-ils pas que si les apôtres n'avaient
reçu une grâce abondante et n'avaient eu des preuves certaines de la
résurrection, non seulement ils n'eussent pas formé et entrepris un tel
dessein, mais qu'ils n'en auraient pas même eu la pensée? Et si, malgré tant
d'obstacles, je ne dis pas à la réussite, mais à l'idée même de l'entreprise,
ils l'ont cependant formée et réalisée au-delà, de toute espérance, n'est-il
pas évident pour tout le monde que ce n'est point là l'effet de la puissance
humaine, mais de la grâce divine?
Méditons donc ces sujets, non seulement avec nous-mêmes, mais aussi avec
les autres; ce sera le moyen d'arriver plus facilement à ce qui doit suivre. Et
ne dites pas que vous n'êtes qu'un artisan, et que ces études vous sont
étrangères. Paul était fabricant de tentes, et pourtant (il nous le dit
lui-même) il fut rempli d'une grâce abondante, et ne parlait que par son
inspiration. Avant de l'avoir reçue, il était aux pieds de Gamaliel, et il ne
la reçut que parce qu'il s'en était montré digne; puis après, il reprit son
métier. Que personne ne rougisse donc d'être ouvrier; mais que ceux-là
rougissent qui vivent dans l'inutilité et la paresse, qui ont besoin de
beaucoup de soins et de nombreux serviteurs. Car il y a une sorte de
philosophie à ne gagner sa nourriture que par son travail; l'âme en devient
plus pure, le caractère plus ferme. L'homme oisif parle bien plus au hasard,
agit souvent sans but, passe des journées entières à ne rien faire, engourdi
par la paresse; chez l'ouvrier, au contraire, il y a peu d'actions, de paroles
ou de pensées inutiles: car une vie laborieuse tend tous les ressorts de l'âme.
Ne méprisons donc point ceux qui gagnent leur vie par leur travail;
félicitons-les plutôt. Quel mérite avez-vous, dites-moi, à passer votre vie à
ne rien faire et à dépenser inutilement l'héritage que vous avez reçu de votre
père? Ne savez-vous pas que nous ne rendrons pas tous le même compte? que ceux qui auront joui d'une plus grande abondance seront
jugés plus sévèrement, tandis qu'on traitera avec plus d'indulgence ceux qui
auront supporté les travaux, la pauvreté ou d'autres incommodités de ce genre?
La parabole de Lazare et du mauvais riche est là pour le prouver. Vous serez
justement accusé, vous qui n'employez vos loisirs à la pratique d'aucun devoir;
mais le pauvre qui consacrait au devoir le temps que le travail lui laissait
libre, recevra une riche couronne.
M'objecterez-vous que vous êtes soldat et que cet état ne vous laisse pas
de loisir? Mais cette excuse n'est pas raisonnable. Corneille était centurion,
et cela ne l'empêchait point de remplir exactement ses devoirs. Quand il s'agit
de fréquenter les danses et les comédies, de passer toute votre vie au théâtre,
vous n'objectez plus l'état militaire ni la crainte des magistrats; mais quand
nous vous appelons à l'église, mille obstacles se lèvent. Et que direz-vous en
ce jour terrible où vous verrez les torrents de flamme, les chaînes qui ne se
brisent plus, où vous entendrez les grincements de dents? Qui est-ce qui
prendra votre défense, quand vous verrez l'ouvrier qui aura bien vécu, nager au
sein de la gloire; tandis que vous, jadis si mollement vêtu et respirant
l'odeur des parfums, vous subirez des supplices sans fin? A quoi vous serviront vos richesses et votre opulence? En quoi la
pauvreté nuira-t-elle à l'artisan? Afin donc d'éviter ces malheurs. Méditons
ces paroles en tremblant, et employons tous nos loisirs aux oeuvres
nécessaires. Ainsi, après avoir obtenu de Dieu le pardon de nos fautes passées,
et au moyen de nos bonnes couvres à venir, nous pourrons obtenir le royaume des
cieux, par la grâce et la bonté de Notre Seigneur Jésus-Christ, avec lequel,
gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint Esprit, maintenant et toujours,
dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
ANALYSE.
1. Que saint Paul n'a point usé de l'éloquence humaine dans sa prédication.
2 et 3. Réponse à cette objection: Mais si la prédication doit l'emporter
sans le secours de la sagesse humaine, pourquoi ne voit-on plus maintenant de
miracles. — Au lieu des miracles, il y a maintenant des prophéties qui
s'accomplissent. — On remarquera combien cet argument de saint Chrysostome
s'est encore fortifié depuis lui jusqu'à sons, car les. prophéties
dont il parle s'accomplissent encore.
4. Que c'est la corruption des moeurs des chrétiens qui empêche les
infidèles de se convertir.
1. Rien de plus ardent au combat que l'âme de Paul; non pas que l'âme de
Paul (car ce n'est pas lui qui a inventé ceci), mais que la grâce sans égale
qui opère en lui et triomphe de tout. Ce qu'il a dit plus haut suffirait à
abattre l'orgueil de ceux qui se glorifiaient de leur sagesse; une partie même
aurait suffi. Mais pour faire ressortir l'éclat de la victoire, il entreprend,
de nouvelles luttes, en foulant aux pieds les adversaires qu'il a terrassés.
Examinez, en effet: il a rappelé la prophétie qui dit: « Je détruirai la
sagesse des sages»; il a montré la sagesse de Dieu qui à abattu, au moyen d'une
folie apparente, la philosophie profane; il a fait voir que la folie en Dieu
est plus sage que les hommes; il a démontré que Dieu n'a pas seulement enseigné
par des ignorants, mais encore appelé des ignorants; maintenant il prouve que
le sujet même et le mode de la prédication étaient propres à causer du trouble,
et n'en ont cependant point causé. Non-seulement,
dit-il, les disciples étaient ignorants; mais, moi qui prêche, je le suis
aussi. Delà ces paroles: « Pour moi, mes frères » (il leur donne de nouveau le
nom de frères, pour adoucir la rudesse de son langage), «je ne suis point venu
avec le langage élevé de l'éloquence pour vous annoncer le témoignage de Dieu».
Eh! dis-nous, Paul, que serait-il arrivé si tu avais
voulu venir avec le langage élevé de l'éloquence? L'aurais-tu pu? Non: quand je
l’aurais voulu, je ne l'aurais pas pu; mais le Christ l'aurait pu, s'il l'avait
voulu. Et il ne l'a pas voulu, pour rendre la victoire plus éclatante. C'est
pour cela qu'indiquant plus haut que le Christ avait agi en cela et avait voulu
que la parole fût prêchée par des ignorants, il disait: « Le Christ ne m'a pas
envoyé pour baptiser, mais pour évangéliser, non toutefois par la sagesse de la
parole ». Or, que ce soit là la volonté du Christ et non celle de Paul, c'est
beaucoup plus grand, c'est infiniment -plus grand. Par conséquent, dit-il, ce
n'est pas pour faire parade d'éloquence, ni armé de discours profanes, que je
viens annoncer le témoignage de Dieu. Il ne dit pas: la prédication; mais: « Le
témoignage de Dieu »: ce qui était encore bien propre à inspirer de
l'éloignement; car c'était la mort qu'il prêchait partout. Aussi ajoute-t-il: «
Je n'ai point fait profession de savoir autre chose parmi vous que
Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié ». Et il disait cela parce qu'il n'y
avait absolument rien en lui de la sagesse du monde, comme il l'exprimait plus
haut: « Je ne suis pas venu avec le langage élevé de l'éloquence ».
Il est cependant évident qu'il aurait pu l'avoir: car si ses vêtements
ressuscitaient les morts, si l'ombre de son corps chassait les maladies, à bien
plus forte raison son âme aurait-elle pu recevoir le don de l'éloquence mais
l'un s'obtient par l'étude; l'autre est au-dessus de toute industrie humaine.
Or celui qui savait le plus; pouvait encore mieux savoir le moins. Mais le
Christ ne le permit pas, car c'était inutile. Il a donc raison de dire: « Je
n'ai pas fait profession de savoir quelque chose »; car je veux ce que veut le
Christ. Il me semble que, pour réprimer leur orgueil, il leur parle avec plus
d'humilité qu'aux autres. Ces mots: « Je n'ai pas fait profession de rien
savoir », sont dits par opposition à la sagesse profane. Je ne suis pas venu
pour enchaîner des raisonnements ou des sophismes; je n'ai qu'une chose à vous
dire, à savoir que Jésus-Christ a été crucifié. Ceux-là vous disent mille
choses, vous font de nombreux et longs discours, construisent des raisonnements
et des syllogismes, combinent des sophismes sans fin; pour moi je suis venu
simplement vous dire que le Christ a été crucifié, et je les ai tous dépassés: preuve
incontestable de la puissance de Celui que je prêche. «Et tant que j'ai été
parmi vous, j'y ai été dans un état infirmité, de crainte et de tremblement ».
Autre point. capital. Non-seulement
ceux qui croient sont des ignorants, non seulement celui qui parle est ignorant
lui-même, non seulement le genre de prédication est dépourvu de toute science, non
seulement le sujet de la prédication est propre à jeter le trouble: car c'est
la croix et la mort qu'on annonce; mais a ces obstacles d'autres s'ajoutaient
encore les périls, les embûches, la crainte de tous les jours, l'expulsion.
Souvent il appelle la persécution infirmité, comme en cet autre endroit « Vous
ne m'avez point méprisé à cause de l'infirmité que j'ai éprouvée dans ma chair
». (Gal. IV, 13, l4.) Et encore: « S'il faut se glorifier, je me glorifiera de
mon infirmité ». (II Cor. XI, 30.) De quelle infirmité? « Celui qui était
gouverneur de la province pour le roi Arétus faisait
faire garde dans la ville de Damas pour m'arrêter prisonnier ». (Id.) Et encore:
« C'est pourquoi je me complais dans mes infirmités ». Et pour en désigner
quelques-unes, il ajoute: « Dans les outrages, dans les nécessités, dans les
détresses ». Et c'est là ce qu'il entend ici; car après avoir dit: « J'ai été
dans un état d'infirmité », il ne s'arrête pas là; mais pour faire voir que par
infirmité, il entend les périls, il ajoute: « J'ai été parmi vous dans un état
de crainte et de grand tremblement ».
Que dites-vous? Quoi! Paul craignait les dangers? Oui, il les craignait et
il tremblait fort: car tout Paul qu'il était, il était homme. Et ce n'était
point sa faute, mais l'infirmité de la nature; bien plus, c'est là l'éloge de
sa bonne volonté, d'avoir craint la mort et les coups, et de n'avoir rien fait
d indigne à cause de cette crainte: en sorte que prétendre qu'il n'a pas craint
les coups, ce n'est point l'honorer, mais lui ravir une grande partie de
l'honneur qui lui est dû. Car s'il n'avait pas craint, quelle gloire, quelle
philosophie aurait-il eu à supporter les périls? Quant à moi, c'est en cela que
je l'admire: que craignant, et non seulement craignant, mais tremblant en
présence des dangers, il ait néanmoins parcouru sa carrière en recueillant des
couronnes; et que, sans reculer devant aucun danger, il ait purifié le monde et
semé la parole sur terre et sur mer. « Et je n'ai point employé, en vous
parlant et en vous prêchant, les discours persuasifs de la sagesse humaine »;
c'est-à-dire, je n'avais point la sagesse profane. Si donc la prédication
n'avait rien de sophistique, si ceux qui étaient appelés étaient des ignorants,
si celui qui prêchait l'était lui-même, si la persécution était là, s'il y
avait crainte et tremblement; dites-le moi, comment ont-ils vaincu? Parla
puissance de Dieu. Aussi, après avoir dit: « Je n'ai point employé, en vous
parlant et en vous prêchant, les discours persuasifs de la sagesse humaine »,
ajoute-t-il: « Mais les effets sensibles de l'Esprit et de la vertu ».
2. Voyez-vous comment ce qui paraît folie en Dieu est plus sage que les
hommes? Comment la faiblesse l'emporte sur la force? Les ignorants qui. prêchaient ces choses, étaient jetés dans les chaînes et
proscrits, et ils triomphaient de ceux qui les repoussaient. Comment cela?
N'était-ce point parce qu'ils inspiraient la foi par l'Esprit? Et ceci même en
est une démonstration évidente. Qui donc, je vous prie, en voyant les morts
ressuscités et les démons chassés, ne se serait pas rendu? Mais comme il y a
des vertus trompeuses, celles des enchanteurs par exemple, l'apôtre veut en détruire
jusqu'au soupçon. Il ne dit donc pas simplement « de la vertu », mais d'abord «
de l'Esprit », et ensuite « de la vertu »; indiquant par là que ce qui se
passait était l'oeuvre de l'Esprit. Ainsi, pour n'être point faite à l'aide de
la sagesse profane, la prédication gagnait beaucoup de prix, au lieu d'en
perdre; cela prouve donc qu'elle est divine et qu'elle prend ses racines dans
le ciel. C'est pourquoi l'apôtre ajoute: « Afin que votre foi ne soit point
appuyée surla sagesse des hommes, mais sur la puissance
de Dieu ». Voyez-vous clairement comme il démontre par tout moyen que
l'ignorance est très utile et la sagesse très nuisible? L'une prêchait la croix
de Jésus-Christ, l'autre la puissance de Dieu; mais celle-ci faisait qu'on ne
trouvait rien de ce qu'il fallait et qu'on se glorifiait en soi-même; celle-là,
au contraire, déterminait à accepter la vérité et à se glorifier en Dieu. En
second lieu, la sagesse eût persuadé à un grand nombre que la vérité était
humaine, tandis que l'autre démontrait clairement qu'elle est divine et
descendue du ciel. En effet, lorsque la démonstration se fait par l'art des
discours, souvent les pires l'emportent sur les meilleurs, parce qu'ils sont
plus habiles dans l'art de parler, et le mensonge l'emporte sur la vérité. Ici
il n'en est pas de même: car l'Esprit n'entre pas dans l'âme impure, et quand
il entre quelque part, il ne saurait jamais avoir le dessous, quelle que soit
l'habileté du langage. Car la démonstration par les couvres et par les signes
est beaucoup plus évidente que celle qui se fait par la parole.
Mais, dira peut-être quelqu'un de nos adversaires, si la prédication doit
l'emporter sans le secours de l'éloquence, de peur que la croix ne soit rendue
inutile, pourquoi les signes ont-ils cessé maintenant? Pourquoi? Parlez-vous
ici comme un incrédule qui n'admet point ce qui s'est passé du temps des
apôtres, ou cherchez-vous réellement à apprendre la vérité? Dans le premier
cas, je m'en tiendrai à cette seule réponse: S'il n'y a pas eu de signes alors,
comment, chassés, persécutés, tremblants, enchaînés, devenus les ennemis
communs du' genre humain, exposés aux mauvais traitements de la part de tous,
n'ayant d'ailleurs rien d'attrayant par eux-mêmes, ni éloquence, ni éclat, ni
richesse, ni ville, ni peuple, ni origine, ni science, ni gloire, ni rien de
semblable, mais le contraire de tout cela, l'ignorance, l'obscurité, la
pauvreté, la haine, l'inimitié, et tenant tête à des peuples entiers, et
annonçant de telles doctrines; comment, dis-je, persuadaient-ils? Car leurs
préceptes étaient très pénibles, leurs enseignements pleins de périls; et ceux
qui les écoutaient, ceux qu'il fallait convaincre, avaient été élevés dans la
mollesse, dans l'ivrognerie, dans toutes sortes de vices. Comment ont-ils
convaincu, dites-moi? Quels titres avaient-ils à la confiance? Si, comme je
vous l'ai déjà dit, ils ont convaincu sans les signes, c'est évidemment un bien
plus grand prodige.
Donc, de ce
qu'il n'y a plus de signes maintenant, ne concluez pas qu'il n'y en eut point
alors. Alors ils étaient utiles, aujourd'hui ils ne le seraient plus. De ce
qu'on persuade aujourd'hui seulement par la parole, il ne suit pas
nécessairement que la prédication se fasse par la sagesse humaine. Çar ceux qui semèrent la parole dans le commencement
étaient des gens simples et sans instruction, mais ils ne disaient rien
d'eux-mêmes et communiquaient au monde ce qu'ils avaient reçu de Dieu; et nous
aussi aujourd'hui nous ne donnons rien de nous-mêmes, mais nous prêchons à tous
ce que nous avons reçu des apôtres. Et ce n'est point non plus par le
raisonnement que nous persuadons; mais, par les divines Ecritures et par les
signes d'alors, nous faisons accepter ce que nous disons. Et les apôtres ne
convainquaient pas seulement par des signes, mais aussi par la parole; et leur
parole était fortifiée par les signes et par les témoignages de l'Ancien
Testament, et non par l'habileté du langage. Mais pourquoi, direz-vous, les
signes étaient-ils alors utiles et ne le sont-ils plus aujourd'hui? Supposons
(jusqu'ici je discute avec le gentil, et voilà pourquoi je parle comme d'une
hypothèse de ce qui arrivera certainement: que l'infidèle veuille bien admettre
cette hypothèse pour le cours de la discussion); supposons, dis-je, que le
Christ viendra: quand il sera venu et tous ses anges avec lui, quand Dieu aura
prouvé son existence et son empire universel, le gentil lui-même ne croira-t-il
pas? Evidemment il croira, et il adorera, et il confessera que Dieu existe,
fût-il d'ailleurs le plus obstiné des hommes.
3. En effet, qui donc en voyant les cieux ouverts, le Christ descendant sur
les nues environné de toutes les puissances célestes, et les torrents de
flamme, et tous les hommes réunis et tremblants; qui, dis-je, n'adorera pas et
ne reconnaîtra pas qu'il y a un Dieu? Mais, dites-moi, cette adoration et cette
connaissance seront-elles comptées au gentil comme un acte de foi? Pas le moins
du monde. Pourquoi? Parce que ce n'est point là de la foi: c'est l'effet de la
nécessité, de l'évidence; la volonté n'y est pour rien; la grandeur du
spectacle a forcé l'assentiment de l'esprit. Donc, plus les faits sont
éclatants et s'imposent nécessairement à l'esprit, plus la foi est diminuée.
Voilà pourquoi il n'y a plus de signes. Et, pour preuves, écoutez ce que Jésus
dit à Thomas: « Heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru ». Donc, plus
le signe est évident, plus le prix de la foi diminue; et c'est ce qui
arriverait maintenant, s'il y avait encore des signes. Paul nous apprend qu'un
jour nous ne connaîtrons plus Dieu par la foi, quand il nous dit: « Car
maintenant nous marchons « par la foi, et non encore par une claire vue». (II
Cor. V, 7.) Comme donc alors l'évidence éclatante empêchera que votre foi ne
vous soit imputée, ainsi en serait-il maintenant s'il y avait des signes comme
autrefois. C'est quand nous admettons ce qu'il est absolument impossible de
trouver par le raisonnement, que la foi existe. Voilà pourquoi Dieu nous menace
de l'enfer, mais l'enfer n'est pas visible; s'il l'était, il arriverait ce que
nous disions tout à l'heure.
Du reste, si vous voulez des signes, vous en verrez, bien que d'un autre
genre: de nombreuses prédictions et sur une foule de sujets, la conversion du
monde entier, les barbares devenus philosophes, les moeurs sauvages adoucies,
la religion propagée. — Quelles prédictions, direz-vous? Toutes ont été faites
après coup. — Mais quand, dites-moi? Où? Par qui? Combien y a-t-il d'années?
Cinquante, ou cent? Donc, auparavant, il n'y avait absolument rien d'écrit.
Comment donc le monde a-t-il retenu ces dogmes et tant d'autres choses
auxquelles la mémoire ne suffit pas? Comment a-t-on su que Pierre a été attaché
à la croix? D'où est venue l'idée de prédire par exemple que l'Évangile serait
prêché par toute la terre, que la loi juive cesserait, et ne se rétablirait
jamais? Et comment ceux qui livraient leur vie pour la prédication,
auraient-ils souffert qu'elle fût dénaturée? Comment, les signes ayant cessé,
aurait-on ajouté foi aux écrivains? Comment, si ces écrivains n'eussent pas été
dignes de foi, leurs écrits auraient-ils pénétré chez les barbares, dans les
Indes, jusqu'aux extrémités de l'Océan? D'autre part, quels étaient ces
écrivains? Quand et où écrivaient-ils? Pourquoi écrivaient-ils? Était-ce pour
se procurer de la gloire? Mais alors pourquoi publier leurs livres sous
d'autres noms? Pour recommander leur enseignement, dira-t-on. Un enseignement
vrai, ou un enseignement faux? Dans le premier cas, il était peu probable qu'on
vînt à eux; dans le second, ils n'avaient pas besoin de mentir, comme vous le
dites. Du reste, ces prophéties sont telles, que jusqu'à présent il n'a pas été
possible de les démentir.
Il y a bien des années que Jérusalem est détruite. Il y a d'autres
prophéties qui s'étendent depuis ce temps-là jusqu'à l'avènement du Christ,
discutez-les comme il vous plaira; celle-ci, par exemple: « Je suis toujours
avec vous jusqu'à la consommation des siècles ». (Matth.
XXVII, 20.) Et cette autre: « Sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les
portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle ». (Matth.
XVI, 18.) Et encore: « Cet Evangile sera prêché dans toutes les nations » (Matth. XXIV, 14); et: « Partout où cet Evangile sera prêché
on dira ce qu'a fait cette femme ». (Matth. XXVI,
13.) Et beaucoup d'autres encore. Comment cette prophétie s'est-elle réalisée,
si c'était une invention? Comment les portes de l'enfer n'ont-elles pas prévalu
contre l'Église? Comment le Christ est-il toujours avec nous? Car s'il n'y
était pas, l'Église n'aurait pas triomphé. Comment l'Évangile s'est-il propagé
par tolite la terre? Nos propres adversaires, Celse, et après lui Porphyre,
suffisent à prouver l'ancienneté de nos livres: assurément ils n'ont pas
combattu des écrits qui leur fussent postérieurs. D'autre part, le monde entier
qui les a reçus unanimement, en porte aussi témoignage. Sans la grâce de l'Esprit
Saint, jamais un tel accord n'aurait eu lieu d'une extrémité du monde à
l'autre; les auteurs eussent été vite convaincus d'imposture, et des inventions
et des mensonges n'auraient pas obtenu de tels succès. Ne voyez-vous pas
accourir la terre entière? l'erreur éteinte? la philosophie des moines surpassant l'éclat du soleil? les choeurs des vierges? la
religion répandue chez les barbares? tous les hommes
assujettis au même joug? Et tout cela n'a pas été seulement prédit par nous,
mais dès les anciens temps, par les prophètes. Et vous ne détruirez pas
davantage ces antiques prophéties; car les livres qui les contiennent sont aux
mains de nos ennemis, aux mains mêmes des Grecs, qui ont eu soin de les faire
traduire dans leur langue. Ces prophètes ont beaucoup prédit sur ces matières,
en annonçant que c'était un Dieu qui devait venir.
4. Pourquoi donc tous ne croient-ils pas aujourd'hui? Parce que les choses
se sont détériorées, et par notre faute: car c'est de nous qu'il s'agit
maintenant. Alors on ne croyait pas seulement à cause des signes; mais
l'exemple des fidèles en attirait beaucoup. « Que votre lumière », a dit
Jésus-Christ, « brille aux yeux des hommes, afin qu'ils voient vos bonnes
oeuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux ». (Matth.
V, 16.) Alors « ils n'avaient qu'un coeur et qu'une âme, et nul ne considérait
ce qu'il possédait comme lui appartenant en propre; mais tout était commun
entre eux et on distribuait à chacun selon ses besoins » (Act.
IV, 32); et ils menaient une vie angélique. S'il en était encore ainsi, nous
convertirions le monde entier sans signes. En attendant, que ceux qui veulent
être sauvés, fassent attention aux Ecritures; ils y trouveront toutes ces
belles choses et de bien plus grandes encore. Car les maîtres eux-mêmes
surpassaient de beaucoup les disciples, en vivant dans la faim, dans la soif et
dans la nudité. Nous voulons vivre au milieu des délices, de l'oisiveté et de
la licence; il n'en était pas ainsi d'eux, qui criaient: « Jusqu'à cette heure
nous souffrons la faim et la soif, la nudité et les mauvais traitements, et
nous n'avons point de demeure fixe ». (I Cor. IV, 11.) L'un courait de
Jérusalem en Illyrie; celui-ci chez les Indiens, celui-là chez les Maures;
d'autres dans d'autres parties de l'univers; nous, nous n'osons pas sortir de
notre patrie, nous recherchons les délices, les demeures splendides,
l'abondance de toutes choses. Qui de nous a enduré la faim pour la parole de
Dieu? qui a vécu dans la solitude? qui
a entrepris de longs voyages? quel maître, vivant du
travail de ses mains, est venu en aide aux autres? qui
a souffert une mort de tous les jours? Aussi ceux qui vivent au milieu de nous,
en deviennent plus lâches. En effet, si l'on voyait des soldats et des
généraux, luttant avec la faim, la soif, la mort et tous les maux; supportant
le froid?, les périls et tout autre inconvénient avec le courage des lions,
combattre néanmoins et remporter la victoire; puis ces mêmes soldats, changeant
de conduite, devenir plus mous, s'attacher aux richesses; s'adonner au
commerce, fréquenter les cabarets et être battus par les ennemis, il serait de
la dernière folie d'en demander la raison.
Appliquons ce raisonnement à nous et à nos ancêtres, car nous sommes parvenus
à la plus extrême faiblesse, et en quelque sorte cloués
à la vie présente. Et s'il se trouve quelqu'un parmi nous qui ait conservé des
restes de l'ancienne sagesse, il quitte les villes, les places publiques, la
société des hommes, se dispense du soin de régler les autres et s'en va dans
les montagnes; et si on lui demande pourquoi il se retire ainsi, il en donne
une raison qui n'est pas excusable. C'est, dit-il, pour ne pas périr que je
m'en vais, c'est de peur de devenir moins vertueux. Eh! ne
vaudrait-il pas bien mieux être moins vertueux et sauver les autres, que de
demeurer sur les hauteurs et de laisser périr ses frères? Si les uns négligent
la vertu, et que ceux qui la pratiquent fuient loin du champ de bataille,
comment vaincrons-nous les ennemis? A supposer qu'il y eût encore des signes
aujourd'hui, qui s'en laisserait convaincre? Quel étranger s'attacherait à nous
au milieu de ce débordement de malice? Car, une vie irréprochable est aux yeux
de la foule le plus puissant des arguments. Des signes mêmes seraient suspects
de la part d'hommes impudents et pervers; mais une vie pure fermera la bouche
au démon même. Je parle ici aux supérieurs comme aux inférieurs, et surtout à
moi-même, afin que nous présentions le modèle d'une vie admirable, et qu'après
nous être mis nous-mêmes en règle, nous méprisions toutes les choses présentes.
Méprisons les richesses, mais non l'enfer; négligeons la gloire, mais non le
salut; supportons ici-bas la peine et le travail, pour ne pas encourir les
supplices de l'autre vie. Combattons ainsi les gentils, réduisons-les ainsi en
captivité, mais à une captivité bien préférable à la liberté. Voilà ce que nous
vous répétons souvent, continuellement, mais qui ne se pratique guère. Du reste,
qu'on le pratique ou non, c'est un devoir de vous le rappeler sans cesse. Car
s'il est des hommes qui vous trompent par de belles paroles, il est bien plus
juste que ceux qui sont chargés de conduire à la vérité, ne se lassent point de
répéter des choses utiles. Si des imposteurs emploient tant de moyens,
dépensent de l’argent, prodiguent les paroles, s'exposent aux dangers, font
parade de leur pouvoir; à plus forte raison nous, qui sommes chargés de vous
arracher à la séduction, devons-nous supporter les périls, la mort, tout au
monde, pour. nous sauver nous-mêmes et sauver les
autres, pour nous rendre invulnérables aux traits de l'ennemi et acquérir ainsi
les biens promis, par la grâce et la bonté de Notre Seigneur Jésus-Christ, etc.
ANALYSE.
1. Que la sagesse des philosophes n'est qu'une folie. — Que les mystères
ont besoin de foi. — Par la foi nous croyons autre chose que ce que nous voyons..
2 Voici que je vous dis un mystère: Tous nous ne dormirons pas, mais tous
nous serons changés.
3. Que plusieurs livres de la sainte Ecriture se sont perdus. — Que la
sagesse humaine n'est qu'une servante.
4. Que certains mystères n'ont été connus des anges qu'après la révélation
qui en a été faite aux hommes. — Ce que signifie cette parole: comparant les
choses spirituelles. — Que l'homme animal ne perçoit pas ce qui est de
l'Esprit.
5. Unanimes dans l'enseignement de l'erreur, par exemple dans la négation
de la création ex nihilo, les philosophes se sont
partagés dans l'enseignement de la vérité, par exemple, ils sont bien loin
d'avoir été d'accord sur la question de l'immortalité de l’âme.
6. Pour nous; nous avons la pensée de Jésus-Christ.
7. Combien étaient nombreux et difficiles les obstacles qui s'opposaient à
la prédication de l’Evangile.
8. Qu'il fallait la vertu de Dieu pour triompher de tant de difficultés.
9. Les miracles que faisait Jésus-Christ prouvaient alors la vérité de ses
prédictions, et aujourd'hui l'accomplissement des prédictions prouve la vérité
des miracles. — Résumé.
1. Ceux qui ont la vue malade semblent mieux s'accommoder des ténèbres que
de la lumière; aussi cherchent-ils de préférence les appartements où il n'y a
qu'un demi-jour. C'est, ce qui arrive aussi en fait de sagesse spirituelle. La
sagesse de Dieu passe pour une folie aux yeux des profanés; et ils regardent la
leur propre, qui est une véritable folie, comme la vraie sagesse. C'est
absolument comme si un homme habile et pilote expérimenté, promettait de
traverser une mer immense sans navire, et sans voiles, et essayait de prouver
par des raisonnements que la chose est possible; tandis qu'un autre, absolument
ignorant, se confierait à un vaisseau, à un pilote et à des matelots, et
opérerait ainsi son passage en sécurité. La prétendue ignorance de celui-ci
serait plus sage que la sagesse du premier. C'est quelque chose de beau que
l'art du pilote! mais quand il promet trop, il devient
une sorte de folie, aussi bien que tout art qui ne sait pas se tenir dans ses
limites.
Ainsi la sagesse profane eût été une sagesse, si elle se fût guidée par
l'Esprit; mais comme elle ne s'est fiée qu'à elle-même, et n'a pas cru avoir
besoin de ce secours, elle est devenue folie tout en passant pour sagesse.
C'est pourquoi, après l'avoir confondue par les faits mêmes, l'apôtre l'appelle
une folie; et après avoir appelé, d'après eux, folie la sagesse de Dieu, il
démontre qu'elle est la sagesse (après les preuves il était plus facile de
faire rougir les contradicteurs); et il dit: « Cependant nous prêchons la sagesse
parmi les parfaits ». Si, en effet, moi qui passe pour un insensé, pour un
homme prêchant des folies.j'ai triomphé des sages, ce
n'est pas au moyen de la folie, mais bien par une sagesse plus sage et d'autant
supérieure à l'autre qu'elle la fait passer pour folie. Aussi, après avoir
d'abord appelé cette sagesse folie, pour se conformer à leur langage, avoir
démontré son triomphe par les faits, et prouvé qu'eux-mêmes étaient atteints
d'une folie extrême, il en vient enfin à lui donner son véritable nom, en
disant: « Nous prêchons la sagesse parmi les parfaits ». Or il appelle sagesse
la prédication et le mode de salut par la croix; et il appelle parfaits ceux
qui ont cru. En effet, ceux-la sont parfaits qui, voyant l'extrême faiblesse
des choses humaines, et pleins de mépris pour elles, sont convaincus qu'elles
leur sont inutiles, dès l'instant qu'ils sont devenus croyants.
« Non la sagesse de ce siècle ». A quoi sert, en effet, la sagesse humaine
qui s'arrête à ce monde et ne va pas plus loin, et qui, même ici en ce monde,
est inutile à ceux qui la possèdent? Et par princes du siècle il n'entend pas
ici, comme quelques-uns le pensent, certains démons; mais bien ceux qui
occupent les dignités et les magistratures; ceux qui y attachent un grand prix,
les philosophes, les rhéteurs, les écrivains: car ils dominaient alors et
exerçaient souvent un grand empire sur la foule. Et il les appelle princes de
ce siècle, parce que leur pouvoir ne s'étend pas au-delà du siècle présent;
c'est pourquoi il ajoute: « Qui périssent »; réfutant ainsi cette sagesse, et
par elle-même et par ceux qui en usent. Car après avoir montré qu'elle est
menteuse, qu'elle est insensée, qu'elle ne peut rien découvrir, qu'elle est
faible, il démontre encore qu'elle est d'une courte durée. «Mais nous prêchons
la sagesse de Dieu dans le mystère ». Quel mystère? Le Christ a dit: « Ce qui
vous est dit à l'oreille, prêchez-le sur les toits». (Matth.
X, 27.) Comment donc l'apôtre appelle-t-il cette sagesse mystère? Parce que ni
ange, ni archange, ni aucune autre puissance créée ne la connaissait avent
qu'elle vînt au monde. Aussi dit-il: « Afin que les principautés et les
puissances qui sont dans les cieux connussent par l'Eglise la sagesse
multiforme de Dieu ». (Eph. III, 10.) Par honneur
pour nous, Dieu a voulu qu'elles apprissent ces mystères avec nous. Car
nous-mêmes nous donnons à nos amis, comme une grande preuve d'affection, de
leur révéler nos secrets avant tout autre.
Ecoutez bien cela, vous tous qui vous pavanez de la prédication, qui jetez à
tout venant les -perles et l'enseignement, et livrez les choses saintes aux
chiens, aux pourceaux et aux raisonnements superflus. Car le mystère n'a pas
besoin de preuves; on l'annonce simplement tel qu'il,est;
et si vous y ajoutez quelque chose de vous-même, ce n'est plus un mystère
entièrement divin. Du reste, on l'appelle mystère parce que 'nous ne croyons
pas ce que nous voyons, mais autre chose que ce que nous voyons. Telle est, en
effet, la nature de nos mystères. A ce point de vue, autres sont mes dispositions,
autres celles de l'infidèle. J'apprends que le Christ a été crucifié; aussitôt
j'admire sa bonté pour l'homme; l'infidèle l'apprend et y voit une preuve de
faiblesse. J'apprends qu'il est devenu esclave, et j'admire la Providence;
l'infidèle l'apprend aussi et y voit un signe de déshonneur. J'apprends qu'il
est mort, et j'admire cette puissance qui n'est point dominée parla mort, niais
qui en triomphe; l'infidèle l'apprend comme moi et y soupçonne de
l'impuissance. En entendant parler de la résurrection, il la qualifie de table;
et moi acceptant les preuves de fait, j'adore la divine providence. Quand on
lui parle du baptême, il n'y voit que de l'eau; et moi je n'y vois pas
seulement ce qui frappe mes yeux, mais la purification de l'âme par l'Esprit.
L'infidèle croit que mon corps seul a été lavé; mais moi je crois que mon âme
aussi est devenue pure et sainte, et je pense au sépulcre, à la résurrection, à
la sanctification, à la justice, à la rédemption, à l'adoption, à l'héritage,
au royaume des cieux, au, don du Saint Esprit. Ce n'est point par les yeux du
corps que je juge, mais par. ceux de l'âme. J'entends
parler du corps du Christ; mais dans un tout autre sens que l'infidèle.
2. Et comme les enfants qui voient des livres ne connaissent point la
valeur des lettres, ne savent même pas ce qu'ils voient (ce qui peut aussi
s'appliquer à l'homme qui ne connaît pas les lettres); tandis que celui qui
sait lire trouvera dans les lettres une grande signification, des vies
entières, des histoires; et comme l'ignorant, tenant une lettre, n'y voit que
du papier et de l'encre, tandis que l'homme instruit entend la voix de celui
qui lui écrit, converse avec lui quoique absent, et lui répond par lettre tout
ce qu'il lui plaît; ainsi en est-il par rapport au mystère; les infidèles tout
en entendant paraissent ne pas entendre; tandis que les fidèles, instruits par
l'Esprit, en saisissent le sens caché. C'est ce, que Paul exprime quand il dit:
« Que si notre Evangile est aussi voilé, c'est pour ceux qui périssent qu'il
est voilé ». (II Cor. IV, 3.) Ailleurs il fait voir ce que la prédication
renferme de paradoxal; c'est le nom que l'Écriture donne ordinairement à ce qui
arrive contre toute espérance, ou dépasse l'esprit humain. Aussi est-il écrit
quelque part: « Mon mystère est à moi et aux miens ». (Isaïe XXIV, 7.) Et Paul
dit à son tour: « Voici que je vais vous dire un mystère: tous nous ne nous
endormirons pas, mais nous serons tous changés (1) ».
Bien qu'on prêche cela partout, c'est encore un mystère. En effet, pendant
qu'on nous ordonne de prêcher sur les toits ce que l'on nous a dit à l'oreille,
on nous défend de donner les choses saintes aux chiens et de jeter les perles
devant les pourceaux. Les uns sont charnels et ne comprennent pas; les autres
ont un voile sur le coeur et ne voient pas. Or il y a là un très grand mystère
qui est prêché partout, et n'est compris que de ceux qui ont le coeur droit; et
ce n'est pas la sagesse humaine, mais l'Esprit Saint qui nous le révèle, autant
que nous en sommes capables. On ne se tromperait donc pas en appelant ce second
mystère, secret; car nous-mêmes, les fidèles, nous n'en avons pas une entière
perception ni une parfaite connaissance. Aussi Paul dit-il: « C'est
imparfaitement que nous connaissons, et imparfaitement que nous prophétisons.
Nous voyons maintenant à travers un miroir en énigme; mais alors nous verrons
face à face ». (I Cor. XIII, 9-12.) Et encore: « Nous prêchons la sagesse de
Dieu dans le mystère; sagesse qui a été cachée, que Dieu a prédestinée avant les
siècles pour notre gloire ». —
1 La Vulgate
porte: nous ressusciterons tous, mais nous ne serons pas tous changés. Ces deux
textes subsistent tous deux, ils ne s’excluent point, loin de là, ils disent la
même chose, et la contradiction n'est qu'apparente.
« Qui a été
cachée », c'est-à-dire qu'aucune des puissances célestes n'a apprise avant
nous; ou encore, que beaucoup ignorent, même aujourd'hui. Car c'est ce que
signifient ces mots
a Que Dieu a
prédestinée pour notre gloire », bien qu'ailleurs il dise: « pour sa gloire ».
(Eph. 1, 12.) Mais Dieu regarde notre salut comme sa
propre gloire, comme il l'appelle encore des richesses, quoiqu'il soit lui-même
la richesse des bons et n'ait besoin de personne pour être riche. « Qu'il a
prédestinée »; indiquant par là la conduite de la Providence à notre égard. Car
ceux-là sont surtout censés nous honorer et nous aimer, qui sont depuis
longtemps disposés à nous faire du bien, comme font les pères avec leurs
enfants; par exemple, s'ils ne leur transfèrent que plus tard leur fortune, ils
en ont cependant eu la volonté depuis longtemps et dès le commencement.
C'est ce que Paul s'efforce de prouver, à savoir que Dieu nous a aimés
depuis longtemps, avant même que nous fussions nés.
Car s'il ne nous eût pas aimés, il ne nous aurait point prédestiné la richesse.
N'objectez donc pas l'inimitié qui est survenue depuis; l'amitié l'avait
précédée. En effet, ces mots: « Avant les siècles », signifient l'éternité,
puisqu'il est dit ailleurs: « Celui qui est avant les siècles ». Ainsi le Fils
même est déclaré éternel. Car on dit de lui: « Par qui il a fait même les
siècles ». (Héb. I, 2.) Ce qui veut dire qu'il était
avant les siècles, puisque l'ouvrier existe avant on ouvrage. « Qu'aucun prince
de ce siècle n'a connu; car s'ils l'avaient connu, jamais ils n'auraient
crucifié le Seigneur de la gloire ». — On ne pouvait donc les accuser,
puisqu'ils avaient crucifié le Christ sans le connaître. — Mais s'ils ne l'ont
pas connu, comment le Christ a-t-il pu dire: « Vous me connaissez et vous savez
d'où je suis? » (Jean, VII, 28.) Car l'Écriture dit de Pilate qu'il ne le
connaissait pas; et il est probable qu'il en était de même d'Hérode: On
pourrait les appeler des princes du siècle. Et celui qui prétendrait que ce
passage s'applique aux Juifs et aux prêtres, ne se tromperait pas, puisque le
Christ leur dit: « Vous ne connaissez ni moi, ni mon père ». (Jean, VIII, 19.)
Comment donc a-t-il dit plus haut: et Vous me connaissez, et vous savez « d'où
je suis? » Mais nous avons déjà expliqué ces deux modes de langage à propos des
évangiles; pour ne pas nous répéter, nous y renvoyons nos auditeurs.
3. Quoi! dira-t-on, le péché qu'ils ont commis par
le crucifiement leur est-il pardonné? Le Christ lui-même a dit: «
Pardonnez-leur ». Oui, il leur a été pardonné, s'ils se sont repentis. Paul,
qui a frappé Etienne par des milliers de mains, qui a persécuté l'Eglise, est
cependant devenu un chef de l'Eglise. De même le péché a été remis à ceux
d'entre eux qui ont voulu faire pénitence. C'est ce que Paul criait, en disant:
« Ont-ils trébuchés de telle sorte qu'ils soient tombés? « Point du tout ».
(Rom. XI, 11.) Et encore: « Est-ce que Dieu a rejeté son peuple, le peuple
qu'il a connu dans sa prescience? Nullement ». (Rom. I.) Et pour prouver que la
voie du repentir ne leur a point été fermée, il cite son propre exemple: « Car,
moi aussi, je suis
israélite ». Mais ces mots: « Ils ne l'ont pas connue », me semblent ne devoir
point s'entendre du Christ même, mais des suites de l'événement; comme qui
dirait: Ils n'ont pas su ce que signifiaient cette mort et cette croix. Et -au
fait, le Christ ne dit pas alors: Ils ne me connaissent, pas, mais; « Ils ne
savent ce qu'ils font » (Luc, XXIII, 34); c'est-à-dire, ils ne connaissent pas
l'oeuvre de la Providence, ni le mystère. En effet, ils ne savaient pas,de quel éclat la croix devait briller, ni que le salut du
monde s'opérait, ni que Dieu se réconciliait avec les hommes, ni que leur ville
serait détruite et eux-mêmes réduits aux dernières extrémités. Or Paul appelle
sagesse, le Christ, la croix et la prédication. C'est à propos qu'il donna au
Christ le nom de Seigneur de la gloire. Car pendant que la croix semble
ignominieuse, il démontre qu'elle est une grande, gloire. Mais il fallait une
grande sagesse; non seulement pour connaître Dieu, mais pour comprendre ici le
but de la Providence; et la sagesse profane était un obstacle à l'un comme à
l'autre. « Mais, comme il est écrit, l'oeil n'a point vu, l'oreille n'a point
entendu, le cœur de l'homme n'a point compris ce que Dieu a préparé à ceux qui
l'aiment ».
Mais où cela est-il écrit (1)? On emploie cette manière de parler: « Cela
est écrit même quand les choses ne sont pas exprimées en
1 Dans Isaïe,
chap. LXIV.
paroles, mais
seulement par les faits, comme il arrive dans les histoires; ou quand on a le
sens, sinon les termes exprès, comme en ce cas-ci. Car ces mots: « Ceux à qui
on ne l'avait point annoncé, verront; et ceux qui ne l'ont point entendu,
comprendront » (Rom. XV, 21), signifient la même chose que: « L'oeil n'a point
vu et l'oreille n'a point entendu ». Ou voilà ce que veut dire l'apôtre, ou les
livres qui contenaient ce texte ont probablement disparu. Car beaucoup de
livres ont péri, un petit nombre ont été sauvés, déjà même du temps de la
première captivité. On le voit clairement dans les Paralipomènes;
car l'apôtre dit: « Depuis Samuel et les prophètes qui ont suivi, tous en ont
parlé ». (Act. III, 24.) Cela n'est pas absolument
exact; et cependant il est vraisemblable que Paul, instruit de la loi et
inspiré par l'Esprit, connaissait tout avec exactitude. Mais que parlé-je de la
captivité? Déjà avant cette époque, les Juifs étant tombés dans une extrême
impiété, beaucoup de livres avaient disparu, ainsi qu'on le voit clairement par
la fin du quatrième livre des Rois car on eut peine à trouver un, exemplaire du
Deutéronome, enfoui dans du fumier. D'ailleurs il y a souvent des prophéties
doubles, facilement aperçues, des plus sages, et qui donnent l'intelligence de
bien des choses cachées.
Quoi donc! l'oeil n'a pas vu ce que Dieu a
préparé? Non. Quel mortel a jamais pénétré les desseins de la Providence pour
l'avenir? Et l'oreille n'a pas entendu? Et le coeur n'a pas compris? Comment
cela se peut-il? Si les prophètes ont parlé, direz-vous, comment l'oreille
n'a-t-elle pas entendu? Comment le coeur n'a-t-il pas compris? Eh bien! il n'a pas compris: car l'apôtre ne parle pas seule. ruent des prophètes, mais de l'humanité en général. Quoi! les prophètes n'ont pas entendu? Ils ont entendu, mais avec
l'oreille du prophète et non avec celle de l'homme:C'est comme prophètes, et
non comme hommes, qu'ils ont entendu. Aussi est-il dit: « Il m'a ajouté une
oreille pour entendre » (Isaïe L, 4); ce que le prophète entend d'une addition
faite par l'Esprit. D'où il résulte clairement qu'avant d'entendre, son cœur
d'homme n'avait pas compris. Car, après le don de l'Esprit, ce n'est pas un
cœur d'homme, mais un coeur spirituel qu'ont les prophètes, comme l'exprime
l'apôtre lui-même: « Nous avons l'esprit du Christ ». (I Cor. II, 16.) Ce qui
signifie avant d'avoir reçu l'Esprit et appris les secrets, ni nous ni aucun
des prophètes n'avions compris ces choses. Cela eût-il été possible, puisque
les anges mêmes ne les connaissaient pas? Et que dire, ajoute-t-il, des princes
de ce siècle, quand ni homme, ni puissances célestes n'en avaient connaissance?
Or quelles sont ces choses? Que, par la prétendue folie de la prédication, les
nations seront attirées, que Dieu se réconciliera avec.les
hommes, et que d'immenses bienfaits en résulteront pour nous. Comment
l'avons-nous su? « Mais Dieu nous l'a révélé par son Esprit »; non par la
sagesse extérieure; car, dédaignée comme une espèce de servante, elle n'a point
eu permission d'entrer et de pénétrer les secrets du Seigneur.
4. Voyez-vous quelle distance il y a entre ces deux sagesses? L'une d'elles
nous a appris ce que les anges mêmes ne savaient,pas.
Celle du dehors a fait tout le contraire: non seulement elle n'a point enseigné,
mais elle a empêché, elle a formé obstacle; et après même que les faits étaient
accomplis, elle les a obscurcis, elle a rendu vaine la croix. L'honneur qui
nous est fait ne consiste donc pas à avoir appris, ni même à avoir appris avec
les anges, mais à avoir appris par son Esprit. Et pour faire voir la grandeur
du don, il ajoute: Si l'Esprit, qui connaît les secrets de Dieu, ne nous les
eût révélés, nous ne les aurions pas connus: tant Dieu mettait de soin à rester
dans le mystère! C'est pourquoi nous avions besoin d'un Maître qui sût tout cela parfaitement. « Car l'Esprit pénètre toutes
choses, même les profondeurs de Dieu. En effet, qui des hommes sait ce qui est
de l'homme, sinon l'esprit de l'homme qui est en lui? Ainsi ce qui est en Dieu,
personne ne le connaît que l'Esprit de Dieu. Pour nous, nous n'avons point reçu
l'esprit de ce monde, mais l'Esprit qui est de Dieu, afin que nous connaissions
les dons qui nous ont été faits par Dieu ». — « Pénétrer » ne signifie
évidemment pas l'ignorance, mais une connaissance exacte. C'est le terme que
l'apôtre emploie encore, quand il dit en parlant de Dieu « Celui qui scrute les
coeurs sait la pensée de l'esprit ». (Rom. VIII, 27.)
Ensuite, après
avoir parlé avec précision de la connaissance de l'Esprit, nous avoir montré
qu'elle est identique avec celle de Dieu même, comme celle de l'homme l'est
avec lui-même, et que c'est de là que nous avons appris, et nécessairement
appris tout ce que nous savons, il ajoute: « Et que nous annonçons, non avec
les doctes paroles de la sagesse humaine, mais selon la doctrine de l'Esprit,
traitant spirituellement les choses spirituelles ». Voyez-vous jusqu'où il nous
conduit en vertu de l'autorité du Maître? Il y a, entre notre sagesse et la
leur, toute la distance qui sépare.Platon de l'Esprit
Saint. Ils ont pour maîtres les rhéteurs profanes, et nous l'Esprit Saint. Mais
que veulent dire ces mots: « Comparant les choses spirituelles aux choses
spirituelles? » Cela veut dire que quand il s'agit de choses spirituelles et
douteuses, nous en cherchons l'explication dans les choses spirituelles: par
exemple, le Christ est ressuscité parce qu'il est né d'une vierge. Je produis
des témoignages, des figures et des démonstrations; le séjour de Jonas dans le
ventre de la baleine, puis sa délivrance; l'enfantement de femmes jusqu'alors
stériles, Sara, Rébecca et autres; les arbres croissant au milieu du paradis,
sans germe, sans pluie, sans labour. Les événements à venir étaient ainsi
figurés et tracés en énigme par les événements antérieurs, afin qu'on y crût
quand ils arriveraient. Je fais voir encore comment l'homme est né de la terre,
et la femme de l'homme seul, sans mélange de sexes; comment la terre a été
faite de rien, la puissance du Créateur suffisant à tout et partout.
Ainsi je compare le spirituel au spirituel, et n'ai nul besoin de la sagesse
du dehors, ni de raisonnements, ni de preuves. Eux agitent et troublent l'âme
faible; ils ne peuvent rien démontrer de ce qu'ils avancent; tout au contraire,
ils augmentent le trouble et remplissent tout d'obscurité et de doute. Voilà
pourquoi l'apôtre dit: « Comparant les choses spirituelles aux choses
spirituelles ». Voyez-vous comme il démontre que cette sagesse est inutile? Et non
seulement inutile, ruais contraire et nuisible? Car c'est là le sens de ces
mots: « Afin de ne pas rendre vaine la croix du Christ »; et de ceux-ci: « Afin
que notre foi ne soit pas établie sur la sagesse des hommes ». Ici il fait voir
que ceux qui ont confiance en cette sagesse et qui s'en rapportent à elle en
tout, ne peuvent rien apprendre d'utile. « Car », nous dit-il, « l'homme animal
ne perçoit pas ce qui est de l'Esprit de Dieu ».
Il faut donc
d'abord la rejeter. Quoi! direz-vous, la sagesse
profane est-elle réprouvée Elle est pourtant l’oeuvre de Dieu. Comment le
prouvez-vous? Ce n'est pas Dieu, mais vous, qui en êtes L'inventeur; car Dieu
l'appelle recherche stérile et éloquence inutile. Et. si
par ce mot de sagesse on entend la prudence humaine, vous êtes encore en tort:
puisque vous la déshonorez eu en. abusant et en
exigeant d'elle ce qu'elle ne peut donner, contre la volonté et au détriment de
la gloire de Dieu. Et parce que vous vous en glorifiez et faites la guerre à
Dieu, Paul la convainc de faiblesse. La vigueur du corps est une bonne chose;
mais parce due Caïn n'en a point fait l'usage convenable, Dieu l'a brisée. en lui, et l'a condamné à trembler. Le vin est une bonne.chose; mais parce que les Juifs en avaient abusé,
Dieu l'interdit absolument. aux prêtres.
Puis donc que vous avez fait tourner la sagesse au mépris de Dieu, et que
vous avez exigé d'elle plus qu'elle ne pouvait donner,
en vous enlevant toute espérance humaine, Paul vous en montre la faiblesse. Car
celui-là est homme animal qui. livre tout. aux froids raisonnements, et croit n'avoir aucun besoin du
secours d'en-haut; ce qui est certainement une folie.
Et Dieu a donné cette sagesse, pour qu’elle apprenne de lui et reçoive ses
leçons, et non pour qu'elle s'imagine pouvoir se suffire à elle-même. Les yeux
sont beaux et utiles; mais s'ils veulent. voir sans le
secours de la lumière, leur beauté et leur force propre leur sont inutiles et
même nuisibles. De même l'âme, si elle veut voir sans le secours de l'Esprit,
devient un obstacle pour elle-même. Comment donc, dira-t-on, voyait-elle tout
primitivement par elle-même? Par elle-même, jamais; mais par le livre de la
création ouvert devant elle. Mais dès que, abandonnant la voie où Dieu a
ordonné aux hommes de marcher, pour connaître le Créateur à travers la beauté
des choses visibles, ils ont renais au raisonnement le -sceptre de la science,
ils sent devenus faibles; ils se sont noyés dans une mer d'impiété, en
s'attirant des maux sans nombre, et disant que rien n'est sorti du néant, mais
bien d'une matière incréée: doctrine qui a enfanté une multitude d'hérésies;
ils sont tombés d'accord sur les plus grandes absurdités, et partout où ils
semblaient avoir conservé comme une ombre de raison, ils se sont séparés et
contredits de façon à devenir des deux côtés un. objet
de ridicule. En effet, que rien ne puisse sortir du néant, tous à peu près
l'ont affirmé, l'ont écrit, avec le plus grand sérieux. Le diable les- a
poussés à l'absurde; mais dans les questions utiles, là où ils semblaient avoir
obtenu, comme en énigme, quelque résultat de leurs recherches, ils se sont fait
la guerre les uns aux- autres. Sur ces points par exemple: l'âme est-elle
immortelle? La vertu a-t-elle besoin de quelque chose d'extérieur? Sommes-nous,
nécessairement et fatalement bons ou mauvais?
5. Voyez-vous la malice du démon? Partout où il s'est aperçu de la
perversité de leurs doctrines, il les a fait tomber d'accord; partout où il a
remarqué qu'elles renfermaient quelque chose de sain, il les a brouillés les
uns avec les autres; en sorte que les absurdités subsistaient, appuyées sur
leur consentement unanime, et que les notions utiles disparaissaient dans le
conflit des opinions. Vous voyez donc. comme
l'intelligence est faible et ne saurait se suffire; -et il est juste qu'il en
soit ainsi. Car si, en prétendant qu'elle n'a besoin de personne, et en
s'éloignant de Dieu, elle n'était devenue ce qu'elle est, dans quel abîme de
folie ne serait-elle lias descendue? En effet, si avec un cors mortel, elle a
pu, sur une promesse menteuse du démon, s'attendre à une bien plus haute
destinée; « Vous serez comme des dieux »; jusqu'où ne serait-elle pas tombée,
si ce. même corps eût,été dès l'abord immortel? Car
même après la chute, elle a osé, par la bouche impure des manichéens, se dire
incréée et d'essence divine; et à la suite de cette maladie, le démon a forgé
des dieux chez les païens.
Voilà, pourquoi, ce me semble, Dieu a rendu la vertu pénible, en forçant
l'âme à se courber et à se tenir dans les règles de la modération. Et pour vous
convaincre de cette vérité, étudions-la chez les Israélites, en comparant les
petites choses aux grandes. Quand leur vie était douce et paisible, ils ne
pouvaient porter le poids de la prospérité et tombaient dans l'impiété. Que fit
Dieu alors? Il leur imposa une multitude de lois, pour mettre un frein à leur
licence. Et pour bien comprendre que ces pratiques légales ne contribuaient
point à la vertu, mais n'avaient d'autre but que de servir de frein et de faire
disparaître l'oisiveté, écoutez ce qu'en dit le prophète: « Je leur ai donné
des préceptes qui ne sont pas bons ».
(Ezé. XX, 25.) Qu:est-ce que cela veut dire: « Qui ne
sont pas bons?» C'est-à-dire; qui ne contribuent guère à la vertu; aussi
ajoute-t-il «Des préceptes qui ne les feront pas vivre. Mais l'homme animal ne
perçoit pas-ce qui est de l'Esprit ». Et à bon droit: car comme personne ne
peut, avec le seul secours de ses yeux, savoir. ce qui
se passe dans le ciel, ainsi l'âme ne peut, par elle-même, connaître ce qui est
de l'Esprit. Et pourquoi parler du ciel? On ne peut même connaître tout ce qui
se passe sur la terre. En effet, en voyant de loin une tour carrée, nous la
croyons ronde; ce qui est une illusion d'optique. Ainsi c'est le comble du
ridicule de vouloir étudier, par les seules forces de l'esprit, les choses qui
sont bien au-dessus de sa portée. Non-seulement il ne
les verra point telles qu'elles sont, mais il les jugera dans un sens tout
opposé; aussi l'apôtre ajoute-t-il. « Car c'est folie, pour lui ».
Et ce n'est point la faute des objets, mais de sa faiblesse, qui ne saurait
atteindre leur grandeur par les yeux de l'âme. L'apôtre en donne la raison en
disant: « Et il ne le peut comprendre, parce que c'est par l'esprit qu'on doit
en juger ». C'est-à-dire: les choses qu'on annonce demandent la foi et ne
peuvent se comprendre par le raisonnement: car leur grandeur dépasse de
beaucoup notre faible intelligence. C'est pourquoi il ajoute: « Mais l'homme
spirituel juge de toutes choses, et n'est jugé par, personne ». En effet, celui
qui voit, voit tout, même ce qui appartient à celui qui ne voit pas; mais aucun
de ceux qui ne voient pas, ne voient ce qui appartient à celui qui voit. De
même nous savons maintenant ce qui nous regarde et ce qui regarde les
infidèles; mais eux lie savent pas ce qui nous
concerne. Ainsi nous connaissons la nature des choses présentes, le prix des
choses à venir, ce que deviendra le monde un jour, ce que les pécheurs
souffriront, ce dont les justes jouiront; nous savons que le présent n'est rien
et nous le démontrons (car juger c'est prouver), et que l'avenir est. immortel et immuable. Le spirituel sait tout cela: ce que
l’homme charnel souffrira, ce que le fidèle possédera au sortir de cette vie;
et l'homme animal n'en sait rien. Et pour rendre plus évident ce qu'il vient de
dire, l'apôtre ajoute: « Car qui a connu la pensée du Seigneur pour pouvoir
l'instruire? Mais nous, nous avons la pensée du Christ ». C'est-à-dire, nous
savons ce qu'il y a dans la pensée dû Christ, ce qu'il
veut et ce qu'il a révélé. Après avoir dit que l'Esprit a révélé, pour qu'on
n'écarte pas le Fils, il ajoute que le Fils nous a aussi fait voix les choses;
ce qui ne veut pas dire que nous savons tout ce que sait le Christ, mais que
tout ce que nous savons ne vient pas de l'homme, ne peut être suspect, et est
spirituel et dans la pensée du Christ.
6. Car la pensée que nous avons sur tout cela, nous la tenons pour la
pensée du Christ; c'est-à-dire, nous regardons comme spirituelle la
connaissance quel nous avons des choses de la foi; en sorte que nous ne pouvons
en toute justice être jugés par personne. En effet, l'homme animal ne peut
connaître les choses de Dieu; ce qui fait dire à Paul: « Qui a connu la pensée
du Seigneur? » Entendant par là que notre pensée sui ces objets est celle même du Christ. Et ces paroles: « Pour l'instruire
», ne sont pas mises là au hasard, mais se rapportent à ce qu'il a dit plus
haut: « Le spirituel n'est jugé par personne ». Car si personne ne peut
connaître la pensée du Seigneur, à plus forte raison l'enseigner et la
corriger. Et c'est le sens de ces mots: « Pour l'instruire ». Voyez-vous comme
il poursuit à outrance la sagesse profane, et montre que l'homme spirituel sait
plus de choses et de plus grandes choses? Car comme les raisons données plus
haut (par exemple: « Afin que nulle chair ne se glorifie », ou: « Il a choisi
ce qui est insensé pour confondre les sages »; ou: « Afin de ne pas rendre
vaine la croix du Christ »); comme ces raisons, dis-je, n'étaient pas très dignes
de foi aux yeux des païens ni très propres à les attirer, et ne paraissaient ni
nécessaires ni utiles: il produit enfin la raison principale, à savoir, que la
meilleure manière de voir est pour nous celle par laquelle nous pouvons
apprendre des secrets sublimes qui sont au-dessus de notre portée: En effet, la
raison était réduite à rien, puisque nous ne pouvons, au moyen de la sagesse
profane, comprendre ce qui est au-dessus de nous. Ne voyez-vous pas qu'il
valait beaucoup mieux apprendre de l'Esprit? C'est le mode d'enseignement le
plus facile et le plus clair. « Mais nous avons la pensée du Christ »;
c'est-à-dire, la pensée spirituelle, divine, qui n'a rien d'humain. Car ce ne
sont pas les pensées de Platon, ni de Pythagore, mais les siennes propres que
le Christ nous a données.
Rougissons donc de honte, chers auditeurs, et présentons le spectacle d'une
vie meilleure; puisque le Christ nous donne lui-même comme un signe dune grande
amitié, de nous avoir révélé ses secrets, quand il dit: « Désormais je ne vous
appellerai plus serviteurs; car vous êtes tous mes amis, puisque je vous ai
annoncé tout ce que j'ai appris de mon Père » (Jean, XV, 15),
c'est-à-dire, je vous l'ai livré en toute confiance. Or, se livrer en confiance
est la seule preuve d'amitié; combien la preuve n'est-elle pas plus forte quand
le Christ nous a confié les mystères non seulement de ses paroles, mais de ses
actions? Rougissons donc là-dessus; et si nous ne tenons pas grand compte de
l'enfer, que ce soit pour nous une chose plus terrible que l'enfer, de nous
montrer injustes et ingrats envers un tel ami, envers un tel bienfaiteur;
agissons en tout, non comme de serviles mercenaires, mais comme des enfants,
comme des hommes libres, par amour pour le Père; cessons d'être attachés au
inonde, afin de faire rougir les gentils. Chaque fois, en effet, que je suis
tenté de discuter avec eux, je recule, de peur que, pendant que nous les
battons par les raisonnements et la vérité de nos dogmes, nous ne soulevions
chez eux un immense éclat de rire par le contraste de notre conduite; vu que
s'ils sont livrés à l'erreur et ne croient rien de ce que nous croyons, ils
s'appliquent du moins à la philosophie, tandis que chez nous c'est tout le
contraire. Cependant j'ajouterai: Peut-être, peut-être en cherchant à les
combattre, nous efforcerons-nous de devenir meilleurs qu'eux, même pendant
cette vie. Je disais naguères que les apôtres n'eussent jamais prêché ce qu'ils
ont prêché, s'ils n'eussent eu le secours de la grâce de Lieu; et que non seulement
ils n'auraient pas réussi, mais qu'ils n'en auraient pas même formé le projet.
Eh bien! discutons encore ce point aujourd'hui et
montrons qu'ils n'auraient pu exécuter, pas même former cette entreprise, s'ils
n'avaient eu le Christ avec eux; non parce que, faibles, ils combattaient les
forts, qu'ils étaient un petit nombre contre un grand nombre, pauvres contre
des riches, ignorants contre des savants; ruais parce que la force des préjugés
était grande.
Vous savez qu'il n'y a rien de puissant chez les hommes comme la tyrannie
d'une ancienne habitude. En sorte que quand même ils n'eussent pas été
seulement douze, et aussi vils et tels qu'ils étaient; quand même ils auraient
eu avec eux un autre monde pareil à celui-ci, une autre multitude égale et même
supérieure à celle qu'ils combattaient: alors même encore l'oeuvre eût été
difficile. Car, d'un côté, on avait pour soi la coutume; de l'autre, on avait contre
soi la nouveauté. Rien, en effet, ne trouble l'âme, même quand il s'agit de
choses utiles, comme l'introduction d'usages nouveaux et étrangers, surtout en
matière de culte et d'honneurs dus à Dieu. Je ferai ressortir la puissance de
cet obstacle, et je dirai d'abord qu'il s'y ajoutait une difficulté spéciale du
côté des Juifs. En effet, avec les païens ils renversaient tout, et les dieux
et les croyances; avec les Juifs il n'en était pas de même: ils se contentaient
d'abroger plusieurs de leurs dogmes, mais ils voulaient que l'on adorât le Dieu
qui leur avait donné des lois; et tout en ordonnant qu'on adorât le
Législateur, ils ajoutaient: N'obéissez point en tout à la loi qu'il vous a
imposée, par exemple, pour l'observation. du sabbat,
pour la circoncision, les sacrifices et autres prescriptions de ce genre.
Ainsi, non seulement le sacrifice devenait un obstacle, mais il y avait encore
aine autre difficulté dans l'abrogation de beaucoup de lois de ce même Dieu
qu'on ordonnait d'adorer. D'autre part, chez les gentils, la tyrannie de
l'habitude était grande.
7. En effet, en attaquant une coutume, je ne dis pas aussi ancienne, mais
seulement de dix ans, je ne dis pas d'une si grande multitude, mais seulement
de quelques hommes,'la conversion eût déjà été difficile. Mais les sophistes,
les orateurs, les pères, les aïeux, les bisaïeux, d'autres générations plus
reculées, avaient été. envahis par l'erreur; cette
erreur s'étendait à la terre, à la mer, aux montagnes, aux forêts, aux races
barbares, à tous les peuples de la gentilité, aux savants; aux ignorants, aux
princes aux sujets, aux femmes, aux hommes au jeunes gens, aux vieillards, aux
maîtres, aux serviteurs, aux laboureurs, aux artisans, à tous les habitants des
villes et des campagnes. Vraisemblablement, ceux qu'on catéchisait, devaient
dire: Qu'est-ce que ceci? Quoi! tous les habitants de
la terre ont donc été trompés: les sophistes, les rhéteurs, les philosophes,
les écrivains, ceux qui vivent maintenant, ceux (341)
qui ont vécu
autrefois, Pythagore, Platon, les généraux, les consuls, les rois, les,
fondateurs et les premiers habitants des villes, les barbares et les Grecs? Et
douze hommes, pêcheurs, fabricants de tentes, publicains, sont plus savants
qu'eux tous? Est-ce supportable? Et pourtant on n'a pas dit cela, on n'y a pas
même songé; mais on a écouté et reconnu que ces prédicateurs étaient réellement
plus sages que tout le monde; ce qui a procuré à ceux-ci un triomphe universel.
Et pour bien comprendre la force de l'habitude,considérez
qu'elle a souvent prévalu sur les commandements de Dieu même. Que dis-je, sur
ses commandements? même sur ses bienfaits. Les Juifs
avaient la manne et regrettaient les oignons; ils jouissaient de la liberté et
redemandaient l'esclavage; sans cesse, par l'effet de l'habitude, ils
réclamaient l'Egypte tant c'est chose tyrannique que l'habitude! Et si vous en
voulez une preuve prise chez les païens, on dit que Platon, quoique convaincu
que ce qu'on disait des dieux était faux, consentait cependant, par impuissance
à combattre la coutume, à célébrer les jours de fêtes et les autres cérémonies
du culte, et cela d'après l'enseignement positif de son maître. Et celui-ci,
soupçonné d'avoir introduit quelque nouveauté sur ce point, fut si loin
d'atteindre son but, qu'il perdit même la vie, bien qu'il se fût pleinement
justifié. Et combien ne voyons-nous pas d'hommes retenus dans l'impiété par la
force du préjugé, et qui n'ont rien de raisonnable à répondre quand on les
accuse d'être païens, si ce n'est qu'ils se couvrent des noms de leurs pères,
de leurs aïeux et de leurs bisaïeux? Aussi quelques païens ont-ils appelé
l'habitude une seconde nature. Et s'il s'agit de dogmes, l’habitude est encore
plus forte, car il n'est rien dont on ne change plus facilement que de culte.
Et à l'habitude se joignait un nouvel obstacle, la honte, la nécessité de
paraître désapprendre dans son extrême vieillesse, sur la parole des hommes les
moins intelligents. Et quoi d'étonnant à ce qu'il en soit ainsi de l'âme, quand
l'habitude a tant d'empire sur le corps lui-même? Or, au temps des apôtres,
outre la nécessité de changer une habitude si invétérée, il y avait un autre
obstacle, plus grand encore, dans les dangers qui s'attachaient à ce
changement. Car il ne s'agissait pas de passer simplement d'une habitude à une
autre, mais d'une habitude pleine de sécurité à une habitude pleine de périls.
En effet, le croyant devait s'attendre à être immédiatement dépouillé de ses
biens, chassé, expatrié, réduit aux dernières extrémités, haï de tous, à être regardé
comme l'ennemi commun des particuliers et du public. Ainsi l'entreprise eût été
difficile quand même les apôtres auraient appelé de la nouveauté aux anciennes
habitudes; mais comme ils appelaient des anciennes habitudes à la nouveauté et
à une nouveauté pleine de périls, jugez vous-même combien l'obstacle était
grand.
Autre
empêchement non moins grand: à la difficulté de.rompre
les habitudes, aux dangers qui s'y rattachaient, ajoutez encore que les
préceptes qu'on imposait étaient bien plus onéreux, et que ceux dont on
détournait, étaient légers et faciles. Car on appelait de la fornication à la
chasteté, de l'ivrognerie à la sobriété, du rire aux larmes et à la
componction, de l'avarice au désintéressement, à la pauvreté, de l'amour de la
vie à la mort, de la sécurité au péril: on exigeait en tout une extrême
vigilance, puisqu'il est écrit: « Qu'il ne sorte de votre bouche ni turpitudes,
ni folles paroles, ni bouffonneries ». (Eph. V, 4.)
Et on tenait ce langage à des hommes qui ne savaient pas autre chose que
s'enivrer, s'adonner aux plaisirs de la table, qui ne comprenaient un jour de
fête que sous la forme de passe-temps honteux, de rire et de comédie. En sorte
que,ces préceptes n'étaient pas seulement onéreux
parce qu'ils étaient le produit de la sagesse, mais encore parce qu'ils
s'adressaient à des hommes nourris dans la licence, dans l'impudeur, dans les
discours insensés, dans les ris et les jeux scéniques. Et qui donc, après avoir
mené une telle vie, n'eût pas été frappé de stupeur, en entendant des paroles
comme celles-ci: « Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas, n'est pas
digne de moi » (Matth. X, 33); et encore: «Je ne suis
pas venu apporter la paix, mais le glaive, et séparer l'homme de son père et la
fille de sa mère ». Qui donc, en entendant dire: « Celui qui ne renonce pas à
sa maison, à sa patrie, à ses richesses, n'est pas digne de moi » (Luc, XIV,
33), qui, dis-je, entendant cela, n'aurait pas hésité, n'aurait pas reculé? Et
cependant on n'a pas hésité, on n'a pas reculé devant ce langage; mais on est
accouru, on s'est élancé vers les difficultés, on a saisi avidement les ordres.
Dans ces mots: « Nous rendrons compte de toute parole inutile (Matth. XII, 36); celui qui regarde une femme pour la
convoiter, a déjà commis l'adultère ». (Id. V, 28.) Celui qui se fâche sans
raison, tombera dans l'enfer: dans ces paroles, dis-je, n'y avait-il pas de
quoi repousser ceux qui vivaient alors? Et cependant tous accouraient, beaucoup
même franchissaient tous les obstacles. Qu'est-ce donc qui les attirait?
N'était-ce pas évidemment la vertu de Celui qu'on prêchait? Si ce n'eût été
cela, si le contraire avait eu lieu, si ceux-là avaient été ceux-ci, et ceux-ci
ceux-là, eût-il été facile de vaincre les répugnances? il
est impossible de le dire. Tout prouve donc que la vertu divine`a agi en cela.
8. Comment; dites-moi, a-t-on pu décider à une vie rude et austère, des
hommes habitués à la mollesse et à la licence? Car telle était la nature des
commandements; voyons si les dogmes étaient attrayants. Mais non: les dogmes
n'étaient pas moins propres:à repousser les infidèles. Que prêchait-on, en
effet? Qu'il fallait adorer un crucifié, et regarder comme Dieu le fils d'une
vierge juive. Et qui aurait cru cela, sans l'action dé la grâce divine? Tous
savaient qu'il avait été crucifié et enseveli; mais, à part les apôtres,
personne ne l'avait vu ressuscité et montant au ciel. Mais, dira-t-on, les
apôtres exaltaient leurs auditeurs par des promesses, et les séduisaient par le
bruit de la parole. Cela même, outre tout ce que nous avons dit, est une preuve
évidente que notre doctrine n'est point une déception. Car il en résultait
toutes sortes de choses difficiles, et il fallait remettre après la
résurrection la jouissance des avantages promis. Je le répète: cela même prouve
que notre prédication est divine. Pourquoi, en effet, aucun des croyants
n'a-t-il dit: Je n'avancerai pas, je ne puis supporter cela; vous me menacez de
choses difficiles pour cette vie, et différez les biens après la résurrection?
Et qui me prouve qu'il y aura une résurrection? Qui est revenu d'entre les
morts? Quel mort a jamais ressuscité? Qui, parmi ceux. qui
ne sont plus, est venu dire ce qui se passe après-le départ? Non: ils n'ont pas
même pensé à dire cela.; mais ils ont donné leur vie
pour le crucifié. En sorte que c'est là la preuve d'une grande vertu: que des
gens qui n'avaient jamais entendu parler de ces choses, en aient été
immédiatement convaincus malgré leur importance, et aient consenti à accepter
les maux ici-bas comme épreuve, en se contentant de l'espoir de la récompense.
Si les apôtres avaient voulu tromper, ils au raient dû faire le contraire;
promettre des biens pour la vie présente, et passer sous silence les maux
présents et à venir. Ainsi agissent ceux qui trompent et qui flattent; ils ne
proposent rien de dur, de pénible ou d'onéreux, tout au contraire; et en cela
consiste la tromperie. Mais, dira-t-on, c'est par stupidité que la foule a
ajouté foi à leur parole. Quoi! on n'était pas insensé
tant qu'on vivait dans le paganisme, et on l'est devenu en embrassant notre foi?
Pourtant les hommes que les apôtres ont persuadés n'étaient pas d'une autre
nature, ni d'un autre monde. Ils étaient simplement attachés au culte païen, et
ils ont adopté le nôtre malgré les dangers qui s'y attachaient; en sorte que si
le premier leur eût paru plus raisonnable, ils ne l’auraient pas quitté,
surtout après y avoir si longtemps vécu, et quand ils ne pouvaient l'abandonner
impunément. Mais dès qu'ils furent convaincus, par la nature même des choses,
qu'il ne contenait que des croyances ridicules et des erreurs, ils renoncèrent
à leurs habitudes malgré les menacés de mort, et passèrent. au
culte nouveau, parce que celui-ci était conforme aux lois naturelles, tandis
que, l'autre. y était opposé, Mais, dira-t-on, ceux qui crurent étaient des
domestiques, des femmes, des nourrices, des sages-femmes, des eunuques. Chacun
sait que ce ne furent pas là les seuls éléments de l'Eglise; mais quand cela
serait, la prédication n'en paraîtrait que plus admirable, puisque de simples
pêcheurs (l'espèce d'hommes la plus ignorante) auraient pu faire accepter
sur-le-champ des dogmes que Platon ou les philosophes de son temps n'avaient
pas même pu imaginer. En effet, s'ils n'avaient convaincu que des sages, le fait
serait moins étonnant; mais en élevant des domestiques, des nourrices et des
eunuques à untel degré de philosophie qu'ils en ont fait les émules des anges,
ils ont donné la plus grande preuve de l’inspiration divine. S'ils n'avaient
commandé que des choses faciles, il serait peut-être raisonnable de rabaisser
leur prédication en faisant valoir le rang infime de leurs partisans; mais si,
au contraire, ils enseignaient des chopes grandes, élevées, presque au-dessus
de la nature humaine, et qui exigeaient une haute intelligence, en nous
montrant des insensés dans leurs disciples, vous ne faites que mieux ressortir
la sagesse des prédications et la grâce divine qui les remplissait. Mais,
ajoute-t-on, ils persuadaient à, l'aide de promesses exagérées. N'admirez-vous
pas, dites-moi, qu'ils aient pu décider leurs disciples à ne recevoir des prix
et des récompenses qu'après la mort? Pour moi, j'en suis frappé d'étonnement.
C'était le résultat de la folie, dites-vous. Quelle folie y a-t-il, s'il vous
plaît, à dire que l'âme est immortelle; qu'après cette vie nous subirons un
jugement impartial; que nous rendrons compte de nos paroles, de nos actions, de
nos pensées à un Dieu qui pénètre les secrets; que nous verrons les méchants
punis, et les bons couronnés? Ce n'est point là de la folie, mais une très haute
philosophie.
9. N'y a-t-il pas, je le demande, une grande sagesse à mépriser le présent,. à estimer la vertu, à rie point
chercher de récompense ici-bas, mais à placer plus loin ses espérances; à tenir
son âme tellement ferme, tellement fidèle, que les maux de la vie n'ébranlent
pas sa confiance dans l'avenir? Mais voulez-vous connaître la force des
promesses et des prédictions, et la vérité de ce qui a précédé et de ce qui a
suivi? Voyez cette chaîne d'or dont les divers anneaux se rattachent les uns
aux autres dès le principe. Il leur a dit un mot de lui, des églises, de
l'avenir; et en disant cela, il faisait des miracles.
Ainsi l'accomplissement des prédictions prouve la vérité des miracles
rapportés et des promesses -à venir. Polir rendre ce point plus clair, je le
démontrerai par les faits. D'un seul mot le Christ a ressuscité Lazare et l'a
fait voir vivant; mais il a dit aussi: « Les portes de l'enfer ne prévaudront
point contre l’Eglise » (Matth. XVI, 18); et aussi: «
Quiconque quittera son père et sa mère, recevra le centuple en ce monde, et la
vie éternelle». (Idem, XIX, 29.) Ainsi, d'une part un miracle, la résurrection
de Lazare; de l'autre deux prédictions, dont l'une se
réalise dans le temps, et l'autre dans l'éternité. Voyez maintenant comme ces
deux choses s'appuient mutuellement. Celui qui ne croirait pas à la
résurrection de Lazare, sera obligé d'y ajouter foi, à raison de la prédiction
faite sur l'Eglise puisque cette prédiction faite depuis tant d'années s'est
accomplie, vu que les portes de l’enfer n'ont pas prévalu contre l'Eglise.
Evidemment donc celui qui a fait la prédiction, a opéré le prodige; et celui
qui a opéré le prodige et réalisé ce qu'il avait prédit, ne trompe pas quand,
parlant de l'avenir et dédaignant le présent, il dit: « Recevra le centuple et
possédera la vie éternelle ». Car il a donné ses paroles et ses actions passées
comme un gage certain des événements à venir.
Recueillant donc dans les Evangiles toutes ces choses et d'autres semblables,
parlons-leur et fermons-leur la bouche. Si quelqu'un nous dit: Pourquoi
l'erreur n'a-t-elle pas été complètement détruite? Répondez: C'est vous qui en
êtes cause, vous qui vous révoltez contre votre propre salut: car Dieu avait
tout disposé pour qu'il ne restât pas de vestige d'impiété. Résumons en peu de
mots ce que nous avons dit. Quelle est la nature des choses? Est-ce que les
forts triomphent des faibles, ou les faibles des forts? Que la victoire
appartienne à. ceux qui demandent des choses faciles, ou à ceux qui en exigent
de difficiles? A ceux qui attirent au milieu des périls, ou à ceux qui offrent
la sécurité? A ceux qui prêchent des nouveautés, ou à ceux qui fortifient les
habitudes? A ceux qui entraînent dans des sentiers rudes, ou dans des sentiers
unis? A ceux qui vous détournent des usages paternels, ou à ceux qui ne vous
imposent aucune loi étrangère? A ceux qui vous promettent des biens après le
départ de cette vie, ou à ceux qui vous offrent des jouissances pour la vie
présente? Enfin est-ce le petit nombre qui l'emporte sur la multitude, ou la
multitude sur le petit nombre? Mais, direz-vous, vous promettez aussi pour le
temps présent. Que promettons-nous? La rémission des péchés et le baptême de la
régénération. Et en vérité, les avantages du baptême sont surtout dans
l'avenir. Paul s'écrie: « Vous êtes morts et votre vie est cachée avec le
Christ en Dieu. «Quand le Christ, qui est votre vie, apparaîtra, alors vous
apparaîtrez aussi avec lui dans la gloire ». (Col. III, 3, 4.) Mais quand même
le baptême aurait des avantages ici-bas (et il en a réellement), c'est encore
une chose merveilleuse que les apôtres aient convaincu des hommes souillés de
crimes innombrables, tels qu'on n'en avait jamais commis, qu'ils en seraient
entièrement purifiés et n'en rendraient aucun compte. Aussi faut-il grandement
s'étonner qu'ils aient pu persuader à des barbares d'accepter une telle foi, de
placer leurs espérances dans l'avenir, de déposer le fardeau de leurs anciens
péchés pour embrasser ensuite avec joie les difficultés de la vertu, de ne
point désirer les choses sensibles, de s'élever au-dessus du monde matériel et
de recevoir les dons spirituels; en sorte que le Perse, le Sarmate, le Maure,
l'Indien, connaissent la purification de l'âme, la puissance et l'ineffable
bonté de Dieu, la philosophie de la foi, la descente du Saint Esprit, la
résurrection des corps, et le dogme de l'immortalité. Car des pêcheurs initiant
aux mystères, dans le baptême, ces peuples barbares et bien d'autres encore,
leur ont appris cette philosophie. Fidèles donc à ces principes, tenons-leur ce
langage et donnons-leur par notre propre vie une preuve de fait, afin que d'une
part nous soyons sauvés et que, de l'autre, nous les attirions à la gloire de
Dieu: car la gloire lui appartient dans les siècles. Ainsi soit-il.
ANALYSE.
1. Que l'on peut encore n'être qu'un homme charnel tout en faisant des
miracles.
2. Qu'une vie vicieuse empêche de voir la vérité.
3. Dans l'oeuvre du salut les hommes ne sont rien, Dieu est tout.
4. Nécessité de l'union immédiate avec Jésus-Christ. — Danger du désespoir
qui est le propre de l'impie.
5. Eviter avec soin les petites fautes, parce qu'elles conduisent aux
grandes. — Combien la pénitence est rare.
1. Après avoir détruit la sagesse profane et abattu tout son orgueil, il
passe à un autre sujet. Sans doute on lui aurait dit: Si nous prêchions la
doctrine de Platon, de Pythagore ou de quelque autre philosophe, vous auriez
raison de nous parler si longuement: mais comme nous annonçons celle de
l'Esprit, pourquoi ces attaques acharnées contre la sagesse du dehors? Ecoutez
comme il répond à ce reproche: « Aussi, mes frères, je n'ai pu moi-même vous
parler comme à des hommes spirituels ». C'est-à-dire: quand vous seriez
parfaits, même dans les choses spirituelles, il ne faudrait pas ainsi vous
enorgueillir: car ce que vous annoncez n'est pas à vous, ni de votre invention;
vous ne le savez même pas comme il faut; vous êtes des disciples et les
derniers de tous. Si donc vous vous enflez de la sagesse profane, il est
démontré qu'elle n'est rien, qu'elle nous est même contraire dans les choses
spirituelles; si vous vous enorgueillissez des choses spirituelles, vous n'en
avez que la moindre partie et vous êtes au dernier rang. Aussi leur dit-il: «
Je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels ». Il ne dit pas: Je
ne vous ai pas parlé de peur de paraître agir par jalousie; mais il détruit. de deux façons leur manière de penser: d'abord en leur
prouvant qu'ils ne connaissent pas la perfection; en second lieu, en leur
montrant que c'est par leur faute; et troisièmement, en leur faisant voir
qu'ils n'en sont pas encore capables. Qu'ils ne l'aient d'abord pas pu, c'était
peut-être dans la nature des choses; quoique il ne leur laisse pas même ce
moyen de défense. Car il ne leur dit pas qu'ils n'ont pas reçu ces
enseignements sublimes parce qu'ils ne le pouvaient pas, mais parce qu'ils
étaient charnels. Du reste, s'il s'agissait du commencement, il n'y aurait pas
eu matière à grand reproche; maïs après un si long espace de temps,.n'être pas encore arrivé à un état plus parfait, c'était
l'indice d'une extrême lâcheté.
Il fait aussi ce même reproche aux Hébreux, mais non avec autant de force;
car il attribue chez eux le mal à la tribulation, et chez les autres au désir
du mal; deux choses fort différentes. Evidemment, il veut blâmer les
Corinthiens, tandis qu'il ne cherche qu'à exciter les Hébreux en parlant selon
la vérité. Aussi dit-il aux premiers: « A présent même vous n'en êtes pas
capables »; et aux seconds: « Laissant l'enseignement élémentaire sur le
Christ, passons à ce qui est plus parfait »; et encore: « Nous nous promettons de vous des choses meilleures et plus
étroitement liées à votre salut, quoique nous vous parlions ainsi ». (Hébr. VI,1, 9.) Et comment appelle-t-il charnels ceux qui avaient
reçu un si grand Esprit, et qu'il avait d'abord comblés d'éloges? Parce qu'ils
étaient charnels aussi, ceux à qui le Seigneur disait: « Retirez-vous de moi!
Je ne vous connais pas, vous qui opérez l’iniquité » (Matth.
VII, 23); et pourtant ils chassaient les démons, ressuscitaient les morts et
démontraient les prophéties.
Ainsi on peut faire des miracles et être charnel. Ainsi Dieu a fait de Balaam son instrument, a révélé l'avenir à Pharaon et à
Nabuchodonosor; Caïphe a prophétisé, sans savoir ce qu'il disait; quelques-uns
ont même chassé les démons au nom du Christ, bien qu'ils ne fussent pas avec
lui; parce que ces prodiges se font pour les autres, et non pour. leurs auteurs. Souvent même ils se sont opérés par des
instruments indignes. Et pourquoi s'étonner qu'ils s'opèrent pour les autres
par des instruments indignes, quand ils se font aussi pour les autres par le
moyen des saints? « Tout est à vous », dit l'apôtre, « soit Paul, soit Apollon,
soit Céphas, soit la vie, soit la mort ». (I Cor.
III, 22.) Et encore: « C'est lui qui a fait les uns apôtres, les autres
prophètes, les autres pasteurs et docteurs pour la perfection des saints, pour
l'oeuvre du ministère ». (Eph. IV, 11, 12.) Autrement
tous seraient perdus sans ressource. Car il arrive que les chefs sont mauvais
et pervers, tandis que les sujets sont bons et sages; que les laïques vivent dans la piété, tandis que les prêtres vivent
dans la corruption; et il n'y aurait eu ni baptême, ni corps du Christ, ni
oblation par les mains de ceux-ci, si la grâce eût toujours dû les trouver,
dignes. Mais maintenant encore Dieu agit par le moyen des indignes, et la grâce
du baptême ne souffre point de la conduite du prêtre: autrement celui qui la
reçoit, ne l'aurait pas tout entière. Bien que cela soit rare, cela arrive
pourtant.
Je dis ces choses de peur que quelqu'un de ceux qui sont ici, s'informant
trop curieusement de la vie d'un prêtre, ne se scandalise à l'occasion des
mystères. Car l'homme n'y met rien; tout est l'effet de la vertu de Dieu, et
c'est lui qui vous initie. « Aussi, mes frères, je n'ai pas pu moi-même vous
parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels. Je vous
ai nourris de lait; mais non de viandes solides, car vous n'en étiez pas
capables ». Pour ne pas paraître avoir parlé par ambition, quand il disait: «
L'homme spirituel juge de toutes choses », et: « Il n'est jugé par personne »,
et encore: « Nous avons la pensée du Christ», comme aussi pour abattre leur
orgueil, voyez ce qu'il dit: « Je ne me suis pas tu parce que je n'avais plus
rien à vous dire, mais parce que vous êtes charnels. A présent même vous ne le
pouvez pas encore ».
2. Pourquoi n'a-t-il pas dit:Vous ne voulez pas, mais: « Vous ne pouvez pas?
» C'est qu'il a mis l'un pour l'autre. En effet, on ne peut pas parce qu'on ne
veut pas: c'est ce qui les accuse et excuse leur maître. Car si par nature ils
n'eussent pas pu, peut-être auraient-ils été excusables; mais ils agissent
volontairement, ils sont donc inexcusables. Il indique ensuite de quelle
manière ils sont charnels: « Car, puisqu'il y a parmi vous jalousie et esprit
de contention, n'êtes-vous pas charnels, et ne marchez-vous pas selon l'homme?»
Bien qu'il eût pu leur parler de fornication et de libertinage, c'est cependant
cet autre péché qu'il met en avant, celui qu'il a jusqu'alors cherché à
corriger. Que si la jalousie rend charnel, nous n'avons tous qu'à pousser des
cris, à revêtir le sac et à nous rouler dans la cendre. Car, si je juge des
autres par moi-même; qui est exempt de ce vice? Si la jalousie rend charnel et
ne permet pas d'être spirituel, quand même on prophétiserait où qu'on ferait
d'autres miracles: que penser de nous qui ne sommes point honorés de telles
grâces, alors que nous sommes convaincus d'avoir ce défaut et de plus grands
encore? Nous apprenons par là combien le Christ avait raison de dire: que celui
qui fait le mal ne vient pas à la lumière (Jean, III, 20); qu'une vie impure
est un obstacle à la connaissance des vérités élevées, et obscurcit la vue de
l'âme. De même qu'il n'est pas possible que celui qui est dans l'erreur et mène
une conduite régulière, reste dans cette erreur; ainsi celui qui vit dans le
mal ne« peut pas facilement s'élever à la hauteur de nos dogmes, et celui qui
est à la recherché de la vérité doit être exempt de tout vice. En effet, celui
qui est délivré de ses vices, le sera aussi de l'erreur et parviendra à la
vérité. Ne vous imaginez pas qu'il suffise pour cela de n'être pas avare ou
fornicateur; il faut que tout se réunisse dans celui qui cherche la vérité.
Aussi Pierre dit: «En vérité, je vois que Dieu n'a point fait acception de
personne, mais qu'en toute nation celui qui le craint et pratique la justice
lui est agréable » (Act. X, 34, 35), Cest-à-dire, que Dieu l'appelle et l'attire à la vérité. Ne
voyez-vous pas Paul, le plus ardent des ennemis, le plus violent des persécuteurs?
Et pourtant comme il menait une vie irréprochable et qu'il n'agissait point par
un motif humain, il a trouvé grâce et il a surpassé tous les autres.
Mais, dira-t-on, pourquoi tel et tel païen qui est bon, bienfaisant, plein
d'humanité, reste-t-il dans l'erreur? Je réponds: C'est qu'il a quelque autre
vice, la passion de la vaine gloire, la lâcheté, ou qu'il ne s'inquiète point
de son salut, mais se figure que toute sa destinée est1ivrée au hasard. Paul
appelle irréprochable en tout, celui qui opère la justice; « qui est conforme à
la justice selon la loi » (Phil. III, 6); et encore: « Je rends grâce à Dieu
qu'à l'exemple de mes ancêtres, je le sers avec une conscience pure.». (II Tim. I, 3) Mais comment, direz-vous, ceux qui étaient
impurs ont-ils été jugés dignes de la prédication? Parce qu'ils ont voulu,
parce qu'ils ont désiré. Dieu attire ceux qui sont dans l'erreur quand ils sont
exempts de passions; il ne repousse point ceux qui viennent d'eux-mêmes; et
beaucoup ont reçu de leurs ancêtres des traditions de piété. « Puisqu'il y a
parmi vous jalousie et esprit de contention ». Il commence enfin à attaquer les
inférieurs. Plus haut il a abattu les chefs en disant que la sagesse du langage
n'a aucun prix; maintenant il gourmande les inférieurs en disant: « Puisque
l'un dit Moi je suis à Paul; et l'autre: Moi je suis à Apollon, n'êtes-vous pas
charnels? » Il leur fait voir que par là, non seulement ils n'ont fait
aucun profit, n'ont retiré aucun avantage, mais qu'ils ont au contraire retardé
leurs progrès.
Et c'est là la source de la jalousie; or, la jalousie les a rendus
charnels; et en devenant charnels, ils n'ont pu entendre de plus hautes
vérités. « Qu'est donc Paul? — Qu'est donc Apollon? » Après les preuves et les
démonstrations,ses reproches deviennent plus clairs et
plus formels; il. se nomme lui-même, pour prévenir
toute aigreur et les empêcher de se fâcher de ses paroles. Car si Paul n'est
rien et ne se fâche pas, beaucoup moins doivent-ils s'irriter. Il les console
de. deux manières d'abord en se mettant lui-même en
scène, ensuite en ne les dépouillant point absolument comme s'ils n'eussent
contribué en rien; il leur donne peu, mais enfin il leur donne quelque chose;
car après avoir dit: « Qu'est donc Paul? Qu'est donc Apollon? » il ajoute: « Des ministres par qui vous avez reçu la foi».
En soi, c'est quelque chose de grand, et qui mérite une grande récompense; mais
par rapport à l'archétype, à la racine de tout bien, ce n'est rien.. Car le véritable bienfaiteur est celui qui accorde le
bienfait, et non le ministre par qui il arrive. Il ne dit pas; « Des
évangélistes », mais: « Des ministres», ce qui dit davantage. Car ils ne nous
ont pas seulement évangélisés, mais servis; l'un consiste en paroles et l'autre
en action. Or, si le Christ n'est simplement que le ministre du bien, et non sa
racine et sa source, en qualité de Fils, voyez jusqu'où cela nous conduit.
3. Comment donc, direz-vous, Paul le nomme-t-il ministre de la
circoncision? (Rom. XV, 8.) Il parle là, de dispensation selon la chair (1), et
non dans le sens que nous venons d'exposer; par ministre, il entend celui qui a
complété le bienfait, et non celui qui l'a accordé de son fonds. Il ne dit pas:
« Qui vous amènent à la foi, mais: « Par qui vous avez reçu la foi »; leur
accordant par là davantage, et faisant voir que les prédicateurs sont des
ministres. Mais s'ils n'ont été que des ministres, comment s'attribuent-ils
l'autorité? Considérez qu'il ne les accuse point d'avoir usurpé l'autorité,
mais de l'avoir cédée; car la cause de la faute était dans le peuple; si les
uns se fussent tenus à l'écart, les autres se seraient désistés. Il prend donc,
deux sages mesures pénètre là où il fallait détruire le mal, et il agit sans
animosité, sans exciter davantage leur jalousie. « Selon le don que le Seigneur
a départi à chacun ». Car ce faible avantage ne vient pas d'eux; mais c'est un
don de Dieu. De peur qu'ils ne disent: Quoi! nous
n'aimerons pas ceux qui nous servent? vous les
aimerez, répond-il, mais il faut savoir jusqu'à quel point: car ils n'ont rien
d'eux-mêmes, tout leur vient de Dieu. « Moi, j'ai planté, Apollon a arrosé,
mais Dieu a donné la croissance ». C'est-à-dire: J'ai le premier semé la
parole; de peur que la semence ne fût desséchée par les tentations, Apollon y a
mis du sien, mais le tout a été l'oeuvre de Dieu.
1 Ou du mystère de l’Incarnation.
« C'est pourquoi ni celui qui plante n'est quelque chose, ni celui qui
arrose; mais « celui qui donne la croissance, Dieu ». Voyez comme il les
console, de peur qu'ils ne s'aigrissent, en entendant dire: Qui est celui-ci? qui est celui-la? Car il ne leur était pas moins pénible
d'entendre dire: Ni celui qui plante, ni celui qui arrose n'est quelque chose,
que d'entendre dire: Qui est celui-ci? qui est
celui-là? Mais comment les console-t-il? En ce qu'il attire le mépris sur sa
propre personne, quand il dit: « En effet, qu'est-ce que Paul? qu'est-ce qu'Apollon? » et aussi en
ce qu'il rapporte tout au don de Dieu. Car après avoir dit qu'un tel a planté,
et que celui qui plante n'est rien, il ajoute: « Mais celui qui donné la
croissance, Dieu ». Il ne s'arrête même pas là; il appliqué encore un autre
remède en disant: « Or, celui qui planté et celui qui arrose sont une seule
chose ». Son but est d'empêcher que l'un se glorifié vis-à-vis de l'autre. Il
dit qu'ils sont une même chose, en ce sens qu'ils ne peuvent rien sans Dieu qui
donne la croissance: Après avoir dit cela; il ne permet pas même que ceux qui
ont beaucoup travaillé se pavanent devant ceux qui ont moins travaillé, ni
qu'ils aient de la jalousie les uns envers les autres. Et comme cette
conviction que ceux qui avaient beaucoup travaillé ire faisaient qu'une seule
chose avec ceux qui avaient moins travaillé, pouvait amener le relâchement,
voyez quel correctif il y met, en disant: « Mais chacun recevra sa propre
récompense selon son travail ». Comme s'il disait: Ne craignez point parce que
j’ai dit qu'ils sont une seule chose: cela est vrai, si on les compare à
l'œuvre de Dieu; cela ne l'est plus, si on les juge d'après leurs travaux mais chacun
d'eux recevra son propre salaire. Il prend même encore un largage plus doux,
dès l'instant qu'il a atteint son but; il est généreux là où il est permis de
l'être: « Car nous sommes les coopérateurs de Dieu; vous êtes le champ que Dieu
cultive, l'édifice que Dieu bâtit ».
Voyez-vous quelle oeuvre considérable il leur attribue, après avoir d'abord
établi que tout appartient à Dieu? Comme il recommande toujours d'obéir aux
chefs, il ne les rabaisse pas trop. « Vous êtes le champ que Dieu
cultive ». Ayant d'abord dit: « J'ai planté », il persiste dans sa
métaphore. Or, si vous êtes le champ de Dieu, il est juste que vous portiez son
nom, et non celui des laboureurs. En effet, un champ porte le nom de son
propriétaire et non de celui qui le laboure. « Vous êtes l'édifice que Dieu
bâtit ». La maison appartient au propriétaire, et non à l'ouvrier. Que si vous
êtes un édifice, il ne faut pas vous diviser, mais vous faire un rempart de la
concorde. « Selon la grâce que Dieu m'a donnée, j'ai, comme un sage architecte,
posé le fondement ». Ici il s'appelle sage, non par vaine gloire, mais pour
leur donner un modèle et leur montrer qu'il est d'un sage de ne poser qu'un
seul fondement. Du reste, voyez sa modestie. S'il se dit sage, il ne permet pas
qu'on le lui attribue; il ne se donne ce nom qu'après s'être rapporté à Dieu
tout entier: « Selon là grâce que Dieu m'a donnée, j'ai, comme un sage
architecte, posé le fondement ». Il fait voir en même temps que tout appartient
à Dieu, et que la grâce consiste surtout en ce qu'il n'y a pas de division,
mais que tout reposé sur un seul fondement. « Un autre
a bâti dessus; que chacun donc regarde comment il y bâtira encore » Ici il me
semble les engager à combattre pour régler leur conduite, puisqu'il les a unis
en un seul corps. « Car personne ne peut poser d'autre fondement que celui qui
a été posé, lequel est le Christ Jésus ». On ne peut poser le fondement qu'il
n'y ait un architecte; une fois le fondement posé, l'architecte disparaît.
4. Voyez comme il emploie des notions vulgaires pour démontrer son sujet.
Voici ce qu'il veut dire: J'ai annoncé le Christ, je vous ai donné 1e fondement:
voyez comment vous bâtissez dessus, si c'est pour la vaine gloire, pour attirer
des disciples à des hommes. Ne faisons donc aucune attention aux hérésies car
personne ne peut poser d'autre fondement que celui qui a été posé. Bâtissons
donc sur lui, attachons-nous-y comme à un fondement, comme le sarment à la
vigne, et qu'il n'y ait point d'intermédiaire entre le Christ et nous car, s'il
s'en trouve un, notre ruine est immédiate. Le sarment tire de la sève parce
qu'il tient au tronc; un bâtiment reste debout parce que ses parties sont unies;
si elles viennent à se disjoindre, il tombe, faute d'appui. Ne tenons pas
seulement au Christ, mais collons-nous à lui, en quelque sorte; si une fois
nous nous en, séparons, nous sommes perdus. Il est écrit: « En vérité, ceux qui
s'éloignent de vous, périront ». (Ps..LXXII.)
Collons-nous donc au Christ, mais par les oeuvres: il nous dit lui-même: «
Celui qui garde mes commandements, demeure en moi». (Jean, XIV, 21.) Il emploie
une foule de comparaisons peur nous prouver la nécessité de l'union. Voyez: il
est la tête, et nous les membres; or, peut-il y avoir un espace vide entre la
tête et le reste du corps? Il est le fondement, et nous l'édifice; il est la
vigne et nous les sarments; il est l'époux, et nous l'épouse; il est le berger,
et nous les brebis; il est la route, et nous les voyageurs; nous sommes le
temple, il en est l'habitant; il est le premier-né, nous sommes les frères; il
est l'héritier, nous sommes les cohéritiers; il est la vie, et c'est nous qui
vivons; il est la résurrection, et c'est nous qui ressuscitons; il est la
lumière, et c'est nous qui sommes éclairés.
Tout cela nous représente l'unité et n'admet aucun intermédiaire, aucun
vide, si petit qu'il soit. Car celui qui est quelque peu séparé, le sera
bientôt beaucoup. Si peu que le corps soit divisé par le glaive, il périt; si
peu que l'édifice se crevasse, il tombe en ruine: si peu que le sarment soit
séparé de la racine, il devient inutile. Ainsi, ce peu n'est pas peu, mais presque
tout. Donc, quand nous avons un peu péché, ou été un peu lâches, ne négligeons
pas ce peu; autrement il deviendra beaucoup. Ainsi, un manteau qui commence à
se déchirer et qu'on néglige de réparer, se déchire en entier; ainsi un toit
dont quelques tuiles sont tombées sans qu'on se donne la peine de les remettre,
détruit toute, la maison. Songeons à tout cela et ne négligeons jamais les
petites fautes, pour ne pas tomber dans les grandes; mais si nous les avons
négligées et que nous soyons tombés au fond de l'abîme, ne désespérons
cependant pas encore, de peur que notre tête ne s'appesantisse. Car, à moins
d'une extrême vigilance, il sera bien difficile de remonter de là, non seulement
à cause de la longueur de l'espace, mais à raison de la situation même. En
effet, le péché est un abîme profond, où l'on est entraîné et brisé dans la
chute. Comme ceux qui tombent dans un puits ont de la peine à en sortir et ont
besoin que d'autres les retirent, ainsi en est-il de ceux qui s'enfoncent dans
l'abîme du péché.
Jetons-leur donc des cordes et retirons-les; non seulement il en faut pour
les autres, mais aussi pour nous-mêmes, afin de nous lier et de remonter, non seulement
de tout ce. que nous sommes descendus, mais de
beaucoup plus si nous voulons. Dieu nous aide; lui «qui ne veut pas 1a mort du
pécheur, mais qu'il se convertisse ». (Ezéch. XXIII,
3.) Que personne donc ne désespère, que personne ne se laisse atteindre par lé
vice des impies: car, « quand l'impie est descendu au fond de l'abîme, il
méprise ». (Prov. XVIII, 3.) Ainsi ce n'est pas la multitude des péchés; mais
le sentiment de l'impiété, qui produit le désespoir. Eussiez-vous commis tous
les crimes possibles, dites-vous à vous-mêmes: Dieu est bon et il désire notre
salut. « Car quand vos péchés seraient rouges comme l'écarlate», nous dit-il,
« je les rendrai blancs comme la neige » (Is. I,
13); je les changerai en un état contraire. Donc ne désespérons pas; car tomber
n'est pas aussi grave que de persévérer dans sa chute; être blessé est moins
terrible que de ne pas vouloir laisser guérir sa blessure. Et « qui se vantera
d'avoir le coeur pur? Qui osera se dire exempt de péchés? » (Prov. XX, 9.) Je
dis cela, non pour favoriser votre négligence, mais pour vous empêcher de
tomber dans le désespoir.
5. Voulez-vous savoir combien notre maître, est bon? Un publicain chargé
d'iniquités, monte au temple, et pour avoir dit ces simples mots: « Ayez pitié
de moi! » (Luc, XVIII, 13), il en sort justifié. Et Dieu nous dit, par la
bouche du prophète: « Je l'ai un peu contristé à cause de son péché, et voyant
qu'il s'en allait affligé et triste, j'ai corrigé ses voies ». (Isaïe LVII, 17,
18.) Quelle charité égale celle-là? Parce qu'il était triste, nous dit-il, j'ai
remis son péché. Pour nous, nous n'agissons pas ainsi; et c'est par là que nous
provoquons surtout la colère de' Dieu. Celui que la moindre chose rend propice,
a raison de s'irriter quand il ne rencontre pas cette disposition, et de tirer
de nous la plus dure vengeance: car c'est le signe d'un extrême mépris. Mais
qui s'attriste du péché? qui en gémit? Qui s'en frappe
la poitrine? qui s'en inquiète? Personne, ce me
semble. On pleure très longtemps la mort d'un serviteur, une perte d'argent; et
quand tous les jours nous donnons la mort à notre âme, nous n'en avons pas le
moindre souci. Comment vous rendrez-vous Dieu propice, si vous ne savez pas
même que vous avez péché? Mais, dites-vous; j'en conviens, j'ai péché. Oui, c'est
un aveu de votre bouche; mais faites-le aussi de coeur, et après l'avoir fait,
gémissez, afin d'avoir toujours bon courage. En effet, si nous nous affligions
de nos péchés, si nous gémissions de nos fautes, nous n'éprouverions aucune
autre douleur, car celle-là écarterait toutes les autres. En sorte que nous
retirerions encore de la confession ce nouvel avantage de n'être jamais
absorbés par les calamités de la vie présente, ni enflés par le succès et la
prospérité: et par là nous nous rendrions Dieu plus propice, au lieu de
l'irriter par notre conduite, comme nous le faisons maintenant.
Dites-moi: si vous aviez un serviteur qui eût éprouvé beaucoup de mauvais
traitements de la part de ses compagnons et n'en tînt aucun compte, uniquement
occupé à ne pas irriter son maître, cela ne suffirait-il pas à apaiser votre
colère? Mais si, au contraire, sans s'inquiéter de ses torts à votre égard, il
ne s'occupait que de ceux qu'il a eus envers ses compagnons, ne le
puniriez-vous pas avec plus de sévérité? C'est ainsi que Dieu se conduit quand
nous nous soucions peu de son courroux, nous
l'augmentons; quand nous nous en inquiétons, nous l'adoucissons. Nous
l'apaisons même entièrement: car il veut que nous nous punissions nous-mêmes de
nos péchés, et, dans ce cas, il renonce à nous en punir lui-même. C'est dans
cette vue qu'il nous menace, afin que la crainte nous empêche de le mépriser.
Quand la menace suffit à nous détourner du mal, il ne permet pas qu'elle
s'accomplisse. Voyez ce qu'il dit à Jérémie: « Ne voyez-vous pas ce qu'ils
font? « Leurs pères allument le feu; leurs fils apportent du bois; leurs femmes
pétrissent la farine ». (Jérém. VII, 17, 18.) Il est
fort à craindre qu'on n'en dise autant de nous. Personne ne cherche les
intérêts de Jésus-Christ; chacun cherche les siens propres. (Phil. II, 21.)
Leurs fils courent au libertinage; leurs pères à l'avarice et à la rapine;
leurs femmes aux caprices du siècle; elles excitent leurs époux, bien loin de
les retenir. Tenez-vous sur la place publique; interrogez les allants et les
venants, vous n'en verrez pas un montrer de l'empressement pour des choses
spirituelles, mais tous s'agitent pour des intérêts matériels.
Quand deviendrons-nous sages? Combien de temps resterons-nous dans notre
sommeil léthargique? Ne sommes-nous pas rassasiés de maux? A défaut de paroles,
l'expérience nous apprend assez que tout est vanité et affliction ici-bas. Des
hommes qui n'avaient que la sagesse du dehors et ne savaient rien de l'avenir,
ont pu se convaincre du peu de valeur des choses présentes et par cela seul
s'en détacher. Quel pardon pouvez-vous espérer, vous qui rampez à terre, qui
n'avez pas la force de mépriser des biens futiles et passagers, et de les
abandonner pour un bonheur immense et éternel; vous qui êtes instruit et éclairé
là-dessus par Dieu lui-même et avez reçu de lui de si grandes promesses? Ceux
qui, en dehors de ces promesses, ont su s'abstenir des biens de ce monde, notas
prouvent assez par leurs exemples qu'il n'y pas là de quoi enchaîner nos
affections. En effet, quelles richesses espéraient-ils, en embrassant la
pauvreté? Aucune. Ils savaient seulement que la pauvreté est préférable aux
richesses. Quelle vie espéraient-ils en renonçant aux plaisirs, en menant une
existence austère? Aucune. Mais pénétrant la nature des choses, ils sentaient
que cela rendait l'âme plus sage et le corps plus sain. Animés donc des mêmes
pensées; et portant toujours en nous l'espérance des biens futurs,
détachons-nous du présent, afin d'obtenir ces biens à venir par la grâce et la
bonté de Notre Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent, au Pères et au Saint
Esprit, la gloire, l’empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les
siècles des siècles. Ainsi soit-il..
ANALYSE.
1. Le supplice qui attend les pécheurs, c'est le feu éternel.
2. Que les préceptes de Dieu sont faciles à pratiquer; qu'il est plus
pénible de faire le mal que de s'en abstenir.
3. Si quelqu'un, possédant la vraie foi, mène une vie coupable, il ne sera
point sauvé du supplice par sa foi, puisque ses rouvres seront livrées au feu.
4. Exhortation pour inspirer l'horreur du péché. — Contre les avares. —
Qu'ils sont pires que les bêtes et que les démons.
1. La question. qui nous est ici proposée n'est pas d'une mince importance;
elle touche, aux intérêts les plus graves, à ce qui préoccupe tous les hommes,
à savoir si le feu de l'enfer doit avoir une fin. Le Christ a déclaré que non,
en disant: « Leur feu ne s'éteindra point; leur ver ne mourra point ». (Marc,
IX, 45.) Je sais que vous écoutez cela avec indifférence: qu'en faire? Dieu
nous ordonne de faire souvent retentir cette vérité quand-il nous dit: « Fais
entendre à ce peuple ». Nous avons été ordonnés pour le ministère de la parole;
et je dois, bien malgré moi; être importun à mes auditeurs. Du reste, si vous
le voulez; nous ne serons pas importuns; car il est écrit: « Si tu fais le
bien, ne crains pas». (Rom. XIII, 3.) Il dépend donc de vous de nous écouter, non
seulement sans peine, mais avec plaisir. Le Christ lui-même a déclaré que ce
feu n'aura point de fin; Paul, à son tour, affirme que le supplice sera
immortel, et que les pécheurs subiront des tourments affreux et éternels. (II Thess. I, 9.) Il dit encore: «Ne vous abusez point: ni les
fornicateurs, ni les adultères, ni les efféminés ne posséderont le royaume de
Dieu ». (I Cor. VI, 9, 10.) Il disait aussi aux Hébreux: « Recherchez la paix
avec tous et la sainteté, sans laquelle nul ne verra Dieu ». (Héb. XII, 14.) Et à ceux qui disaient; « Nous avons fait
beaucoup de miracles », le Christ a répondu: « Retirez-vous de moi, vous qui
opérez l'iniquité; je ne vous ai pas connus ». (Matth.
VII, 22, 23.) Et les vierges ont été exclues, elles ne sont point entrées; et
de ceux qui ne l'auront point nourri, il dit: « Et ceux-ci s'en iront au
supplice éternel ». (Id. XXV, 46.)
Ne me dites pas: Si le supplice n'a pas de fin, où est l'iniquité? Quand
Dieu fait quelque chose, soumettez-vous à son autorité, et ne soumettez point
sa parole aux raisonnements humains. Et d'ailleurs comment ne serait-il pas
juste que celui qui a d'abord été comblé de bienfaits, qui a ensuite commis des
fautes dignes de punition et n'a été corrigé il par les mentes ni par les
bienfaits, que celui-là, dis-je, subisse le châtiment? Si vous voulez consulter
la justice et l'équité, c'était tout d'abord que nous devions être perdus; et
ce n'était pas seulement la justice, mais la charité envers nous qui le
demandait. Celui qui injurie quelqu'un qui ne lui a point fait de mal, est puni
selon toute justice, mais quand on injurie un bienfaiteur qui a accordé mille
faveurs sans en avoir reçu aucune, à qui seul on doit l'existence, qui est Dieu;
qui a donné la vie, qui a comblé de bienfaits, qui veut mener au ciel, et que non
seulement on l'injurie, mais qu'on répète chaque jour l'outrage par ses oeuvres,
quel pardon méritera-t-on? Ne voyez-vous pas comme Adam, a été puni pour un
seul péché?.Oui, direz-vous; mais Dieu lui avait donné
le paradis, et lui avait montré une extrême bienveillance. Or ce n'est pas la
même chose de pécher quand on vit dans la sécurité et l'abondance, ou de pécher
quand on est au milieu des afflictions. Eh! c'est précisément là qu'est le mal:
vous ne péchez pas au paradis, mais au sein des mille misères de cette vie, et
ces misères ne vous rendent pas plus sages; n'est comme si un homme enchaîné se
montrait méchant. Mais Dieu vous a promis bien plus que le paradis terrestre;
S'il n'a pas encore réalisé sa promesse, c'est pour ne pas vous amollir au
milieu des combats, et s'il vous l'a faite, c'est pour ne pas vous décourager
au sein des épreuves. Pour un seul péché, Adam a attiré sur lui toute mort: et
nous, nous péchons mille fois tous les jours. Mais si, pour une seule faute,
Adam s'est attiré tant de maux et a introduit la mort dans le monde, quel sera
notre châtiment, à nous, qui attendant le ciel au lieu du paradis terrestre,
vivons constamment dans le péché?
Ce langage est pénible et affligeant pour l'auditeur; j'en juge par ce que
j'éprouve moi-même; mais mon coeur est troublé et palpitant; et plus ce que
l'on dit de l'enfer m'est démontré, plus je tremble et recule de frayeur:Mais
il faut en parler, de peur que nous n'y tombions. Ce n'est pas le paradis, ni
des arbres, ni des plantes qu'on, vous a promis; mais le ciel et tous ses
biens. Si donc celui qui a moins reçu, a été condamné sans rémission, à plus
forte raison nous, qui avons commis bien plus de péchés et sommes appelés à de
plus, grands biens, serons-nous punis sans remède. Songez depuis combien de
temps notre race est sujette à la mort à cause d'un seul péché. Cinq mille ans
et plus se sont passés, et la mort, fruit d'un seul péché, n'est pas encore
détruite. Et nous ne pouvons pas dire qu'Adam avait entendu les prophètes,
qu'il avait vu d'autres hommes punis pour leurs péchés, en sorte qu'il eût pu
en concevoir de la terreur et devenir sage par leur exemple; il était le
premier homme, il était seul, et pourtant il fut puni. Or vous n'avez aucune de
ces excuses à présenter, vous qui, après tant d'exemples, êtes devenu pire,
vous qui avez reçu un Esprit si grand et qui pourtant avez commis, non un ou
deux péchés, mais des péchés sans nombre. Et parce qu'il ne faut qu'un instant
pour commettre le péché, n'allez pas vous imaginer que la punition sera
passagère. Ne voyez-vous, pas des hommes qui souvent ne sont coupables que d'un
seul vol ou d'un seul adultère commis en un instant, passer toute leur vie dans
les prisons ou dans les mines, et lutter perpétuellement avec la faire ou mille
genres de mort? Et personne ne les en tire, personne ne dit que la faute
n'ayant duré qu'un instant, la punition ne, doit pas durer davantage.
2. Mais, dira-t-on, ce sont les hommes qui se conduisent ainsi, et Dieu est
bon. D'abord ce n'est point par cruauté, mais par charité, que les hommes
agissent ainsi; et Dieu se venge aussi, précisément parce qu’il est bon; sa
vengeance même est la preuve de sa miséricorde. Quand donc vous dites que Dieu
est bon, vous me fournissez un argument plus puissant en faveur de la punition,
puisque nous offensons un être si parfait. Aussi Paul nous dit-il: « Il est
terrible de tomber entre les mains du Dieu vivant ». (Héb.
X, 31.) Supportez, je vous en prie, us paroles brûlantes; peut-être, oui
peut-être, y trouverez-vous quelque consolation. Quel mortel peut punir comme
Dieu qui a perdu par un déluge toute la race humaine déjà si nombreuse, et qui;
peu après, a fait descendre une pluie de feu et opéré une destruction complète?
Quelle punition humaine égalera jamais celles-là? Ne
voyez-vous pas que c'est- là, en un sens, un supplice immortel? Quatre mille
ans se sont écoulés, et la punition des habitants de Sodome subsiste encore
dans son intégrité. Ainsi le suppliée se trouve proportionné à la bonté de
Dieu. S'il eût commandé des choses difficiles, impossibles, peut-être
pourrait-on objecter la difficulté de ces lois; mais quand il ne commande que
des choses très faciles, que pouvons-nous dire, nous qui n'en tenons pas même
compte?
Vous ne pouvez pas jeûner, ni garder la virginité? Vous le pourriez si vous
le vouliez, et ceux qui le peuvent sont une accusation contre nous, Mais Dieu
n'a point usé envers nous d'une si grande sévérité, il n'a pas exigé ces
choses, il n'en a point fait une loi; il les a laissées au libre arbitré, à la
bonne volonté de chacun; mais tout au moins vous pouvez être chaste dans le
mariage, vous pouvez ne pas vous livrer à l'ivrognerie. Vous ne pouvez pas vous
dépouiller de toutes vos richesses? Vous le pourriez certainement, comme le
prouvent ceux qui le font; mais Dieu ne vous en a point fait un commandement:
il vous a seulement ordonné de vous abstenir du vol et de soulager les pauvres.
Que si quelqu'un dit qu'il ne peut se contenter de sa femme, il se trompe
lui-même et se fait illusion, comme le prouvent ceux qui pratiquent, la
continence en dehors du mariage. Quoi donc! je vous
prie, vous ne pouvez vous dispenser d'injurier et, de maudire? Mais le pénible,
c'est de faire ces choses, ce n'est pas de s'en abstenir. Quelle sera notre
excuse, à nous qui n'observons pas des commandements si faciles et si légers?
Nous n'en aurons aucune. De tout cela il résulte évidemment que le châtiment
n'aura pas de fin. Et comme quelques-uns pensent que le texte de l'apôtre dit
le contraire, reproduisons-le et étudions-le. Après avoir dit: « Si l'ouvrage
de celui qui a bâti sur le fondement, demeure, celui-ci recevra sa récompense;
si l'oeuvre de quelqu'un brûle, il en souffrira la perte » il ajoute: «
Cependant il sera sauvé, mais comme par le feu ». Que répondre à cela?
précieuses, le foin et la paille. — Par le fondement il
entend évidemment le Christ, puisqu'il dit: « Car personne ne peut poser
d'autre fondement que celui qui a été posé, lequel est le Christ Jésus ».
L'édifice, ce sont, d'a 'près moi, nos actions. Quelques-uns pensent que cela
se rapporte aux maîtres, aux disciples et aux perverses hérésies; mais le sujet
ne s'accommode pas de cette interprétation. Dans ce cas, en effet, comment
l'oeuvre serait-elle détruite, et l'ouvrier sauvé, même parle feu? Car c'est
surtout l'auteur qui devrait périr, et ici ce serait celui qui aurait été
construit qui subirait le principal châtiment. En effet, si le maître est
l'auteur du mal, il doit être le plus puni; comment donc serait-il sauvé?
D'autre part, s'il. n'est pas coupable, et que ses
disciples se soient pervertis par leur propre malice, il n'est pas juste que
celui qui a construit selon les règles, soit puni et subisse un dommage.
Comment donc Paul dit-il: « Il en souffrira la perte? » Evidemment cela
s'applique aux actions: Comme l'apôtre doit bientôt s'attaquer au fornicateur,
il pose ici longtemps d'avance la base de son argumentation. Car son usage est,
quand il se dispose à traiter une question, d'en donner les prémisses et les
preuves dans un autre sujet, avant d'arriver à son but. En effet, quand il
voulait les blâmer de ce qu'ils ne s'attendaient pas les unis les autres dans
les festins, il leur a d'abord parlé des mystères: Pressé donc d'en venir au
fornicateur, il parle d'abord du fondement de l'édifice, et ajoute: «. Ne
savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite
en vous? Si donc quelqu’un profane le temple de Dieu, Dieu le perdra ». Déjà,
en disant cela, il ébranle par la crainte l'esprit du fornicateur. « Que si on
élève sur ce fondement un édifice d’or, d'argent, de pierres précieuses, de
bois, de foin, de paille ». Après avoir reçu la foi, il faut bâtir; c'est
pourquoi il dit ailleurs: « Edifiez-vous les uns les autres par ces paroles ».
(I Thess, V, 11.) En effet, le maître et le disciple
concourent à la formation de l'édifice; ce qui fait dire à Paul: « Que chacun
donc regarde comment il bâtira dessus ».
3. Or, s'il s'agissait ici de la foi, le langage ne serait pas juste. Car
tous doivent être égaux dans la foi, puisque elle est une; mais dans la vertu
tous ne peuvent pas l'être. La foi n'est pis ici plus petite, là plus grande;
elle est la même chez tous les vrais croyants; dans la conduite, au contraire,
les uns sont plus diligents, les autres plus lâches; les uns plus exacts, les
autres moins; les uns font de plus grands progrès, les autres de plus petits; les
uns commettent des fautes plus graves, les autres de plus légères. Voilà
pourquoi Paul parle d'or, d'argent, de pierres précieuses, de bois, de foin, de
paille. « L'ouvrage de chacun sera manifesté ». Il s'agit ici d'actions. « Si
l'ouvrage de celui qui a bâti sur le fondement, demeure, celui-ci recevra sa
récompense; si l'œuvre de quelqu'un brûle, il en souffrira la perte ». S'il
était question de disciples et de maîtres, ceux-ci ne devraient pas être punis
parce que les autres n'auraient pas écouté. Aussi dit-il: « Chacun recevra son
propre salaire selon son travail »; non pas selon le résultat, mais selon le
travail. Et si les auditeurs ne prêtaient aucune attention? Il est donc clair
qu'il s'agit ici des oeuvres. Voici ce qu'il veut dire: Si quelqu'un, possédant
la vraie foi, mène une vie coupable, il ne sera point sauvé du supplice par sa
foi, puisque ses oeuvres seront livrées au feu. Ce mot: «Brûle», signifie: Qui
ne résistera pas au feu. Mais si un homme qui a des armes d'or doit traverser
un fleuve de feu, il n'en sortira que plus éclatant; s'il lest revêtu que de
foin, non seulement il n'opérera pas son trajet, mais il périra. Ainsi en
est-il des oeuvres. Paul ne parle pas de personnages réels et vraiment brûlés;
mais il veut simplement inspirer de la terreur et montrer qu'il n’y a pas de
sécurité pour celui qui vit dans le péché. Aussi dit-il: « En souffrira la
perte ». Voilà le premier supplice. « Cependant il sera sauvé, mais comme par
le feu (1) ». Voilà le second. Et le sens est: Il ne périra pas comme s'es
oeuvres, il ne sera pas anéanti; mais il subsistera dans le feu.
Il appelle cela
« être sauvé », direz-vous; cela est vrai, mais non dans la signification
ordinaire du mot, puisqu'il ajoute: « Comme par le feu ». Nous aussi nous avons
l'habitude de dire: Il est sauvé du feu, en parlant des objets qui n'ont pas
été immédiatement brûlés et réduits en cendre. Mais à ce mot de feu n'allez pas
vous imaginer que ceux qui y brûlent sont anéantis. Ne vous étonnez pas non
plus de ce que l'apôtre appelle ce châtiment être sauvé, car c'est son habitude
d'user d'expressions adoucies dans les sujets pénibles, et vice versa. Par
exemple le mot de servitude présente une idée désagréable; mais Paul s'en sert
dans un bon serfs, quand il dit: « Réduisant en servitude toute intelligence
sous l'obéissance du Christ ». (II Cor. X, 5.) Et en retour il se sert d'un
terme honorable pour un sujet odieux, en disant: « Le péché a régné » (Rom. V,
2l), bien que le mot régner s'applique mieux à un objet plus digne. De même ici
le mot: « Sera sauvé » ne signifie pas autre chose que l'intensité ét la durée du supplice, comme s'il disait: Il sera
tourmenté à jamais.
1 Le feu du purgatoire, interprétation plus naturelle
donnée par les autres Pères, et admise par le concile de Florence (dernière
session).
Il continue et dit: « Ne savez-vous pas que à vous êtes le temple de Dieu?
» Après avoir d'abord parlé de ceux qui déchirent l'Eglise, il s'adresse
maintenant à l'incestueux, non ouvertement, mais vaguement, en faisant allusion
à sa coupable conduite et faisant ressortir sa faute par le don qu'il a reçu.
Il fait également rougir les autres, en rappelant ce qu'ils ont reçu. C'est ce
qu'il ne manque jamais de faire, en tirant ses motifs, ou de l'avenir, ou du
passé, ou du mal ou du bien; de l'avenir, en disant: « Le jour du Seigneur
mettra en lumière ce qui sera révélé par le feu »; du passé: « Ne savez-vous
pas que vous êtes le temple de Dieu, et que l'Esprit de Dieu habite en vous? Si
quelqu'un pro« fane le temple de Dieu, Dieu le perdra ». Voyez-vous la force de
ces paroles? Cependant tant que la personne est inconnue, le langage est moins
pénible à supporter, parce que la crainte du blâme est partagée entre tous. «
Dieu le perdra », c'est-à-dire, le fera périr. Ce n'est point une malédiction,
mais une prédiction. « Car le temple de Dieu est saint ». Or le fornicateur est
souillé. Après avoir dit, pour éviter une allusion personnelle: « Car le temple
de Dieu est saint », il ajoute: « Et vous êtes ce temple. Que personne ne s'abuse
». Ceci s’adresse encore au coupable, qui se croyait quelque chose et se
glorifiait de sa sagesse. Mais pour ne pas paraître l'attaquer hors ale propos
et trop longtemps, après l'avoir jeté clans l'angoisse et dans l'épouvante, il
revient à l'accusation générale, en disant: « Si quelqu'un d'entre vous paraît
sage selon ce siècle, qu'il devienne fou pour être sage ». Du reste, il use
ensuite d'une grande liberté de langage, vu qu'il les a assez vivement
attaqués. Quelqu'un fût-il riche, fût-il noble, il est le plus vil de tous,
s'il est esclave du péché. Il en est du pécheur comme d'un roi qui serait
prisonnier des barbares et se trouverait par là le plus misérable des hommes.
Car le péché est un véritable barbare qui n'épargne point l'âme assujettie à son
joug et exerce sa tyrannie envers ses victimes.
4. En effet, rien n'est aussi déraisonnable, aussi insensé, aussi fou,
aussi violent que le péché; partout où il entre, il renverse, il confond, il
perd tout; il est hideux à voir, odieux et lourd à porter. Si un peintre le
représentait, il ne serait, je crois, pas loin de la vérité, en lui donnant les
traits d'une femme, ayant la forme d'une bête sauvage, barbare, respirant le
feu, laide, noire, telle que les poètes païens nous dépeignent Scylla. Car il
saisit nos pensées par des mains sans nombre, attaque à l'improviste et déchire
tout, comme les chiens qui mordent à la dérobée. Mais à quoi bon le peindre
lui-même, quand nous pouvons faire paraître ses victimes? Laquelle
décrions-nous d'abord? L'avare? Qu'y a-t-il de plus impudent que ce regard?
Qu'y a-t-il de plus déshonnête et de plus cynique? Un chien n'est pas aussi
insolent que ce ravisseur du bien d'autrui. Quoi de plus abominable que ses
mains? Quoi de plus avide que, cette bouche qui avale tout sans se rassasier?
Ne prenez pas ses traits, ses yeux pour ceux d'un homme; ce n'est pas là un
regard humain. Pour lui, les hommes ne sont pas des hommes, le ciel n'est pas
le ciel; il n'a pas un signe de respect pour le Maître: l'argent est tout pour
lui. Les yeux de l'homme ont l'habitude de se fixer sur ceux que la pauvreté
afflige, et d'exprimer des sentiments de pitié; ceux du voleur voient les
pauvres et prennent une expression sauvage. Les yeux de l'homme ne considèrent
pas le bien d'autrui comme le leur propre, mais leur bien propre comme celui
d'autrui; ils ne convoitent pas ce qui est donné aux autres, mais se
dépouillent plutôt en leur faveur de ce qu'ils ont eux-mêmes; ceux de l'avare,
au contraire, ne sont point satisfaits qu'ils n'aient enlevé le bien de tout le
monde; car ils n'ont pas le regard de l'homme, mais celui de la bête fauve.
Les yeux de l'homme ne peuvent supporter de voir un pauvre nu, car le corps
humain est lé leur, bien qu'il appartienne à d'autres personnes; mais ceux des
avares ne sont jamais rassasiés, jamais assouvis,
s'ils n'ont tout dépouillé et tout caché dans leur domicile. En sorte qu'on
peut dire de leurs mains qu'elles n'appartiennent pas seulement à des bêtes
fauves, mais aux bêtes fauves les plus féroces et les plus cruelles. En effet;
les ours et les loups laissent leur proie quand- ils sont rassasiés; mais eux
ne se rassasient jamais. Cependant Dieu nous a donné des mains pour secourir
notre prochain, et non pour lui tendre des embûches. Il vaudrait mieux les
couper et en être privé, que d'en faire un pareil usage. Vous souffririez de
voir un loup déchirer une brebis; et vous ne pensez pas commettre un grand
crime en en faisant autant à votre frère? Comment seriez-vous encore un homme?
Ne voyez-vous pas que nous appelons humaine, toute action qui respire la
compassion et la bonté? et que nous appelons inhumain,
tout homme qui commet un acte de dureté et de cruauté? La pitié est donc pour
nous le cachet de la nature humaine, le défaut de pitié celui de l'animal
sauvage. Aussi disons-nous: Est-ce un homme, ou un animal, ou un chien? Les
hommes, en effet, soulagent la pauvreté, au lieu de l'aggraver. La bouche des
avares est une gueule de bêtes sauvages; elle est même plus féroce: car elle
prononce des paroles dont le venin, plus terrible que la dent des animaux,
donne la mort. En poussant le tableau jusqu'au bout, on verrait clairement
comment l'inhumanité rend les hommes qu'elle domine, semblables aux bêtes
sauvages. A examiner même le fond de leur pensée, on les nommera moins des
bêtes que des démons. Car ils sont pleins de cruauté et de haine pour leurs
semblables; on ne trouvera chez eux ni désir du ciel, ni crainte de l'enfer, ni
respect pour les hommes, ni pitié, ni sympathie; mais impudence, audace, mépris
de l'avenir; les paroles de Dieu relatives au châtiment leur semblent une
fable, et ses menaces les font rire. Telle est la pensée de l'avare.
Mais puisqu'au dedans ce sont des démons, au dehors des bêtes sauvages, et
pires que des bêtes sauvages, dites-moi: où les placerons-nous? Or, qu'ils
soient pires que des bêtes féroces, cela est évident: car celles-ci sont
féroces par nature; tandis qu'eux, naturellement portés à la douceur, ont forcé
les lois dé la nature pour se transformer en bêtes fauves. Les démons ont pour
auxiliaires les hommes qui se tendent à eux-mêmes des piéges; et les démons
verraient échouer tous leurs piéges, si les hommes ne secondaient leurs
desseins. Les avares s'irritent même contre ceux qui veulent les aider à
repousser les insultes des démons. De plus, te démon combat contre l'homme,
mais non contre les autres démons; l'avare vexe en tout sens ses parents, ses
proches, et ne respecte point les lois de la nature. Je sais que mes paroles en
blessent un grand nombre d'entre vous; pour moi, je ne les hais pas, mais j'ai
pitié de ceux qui sont dans ces dispositions, et je verse sur eux des larmes;
voulussent-ils m'accabler de coups, je le supporterais volontiers, pourvu
qu'ils se corrigeassent de leur inhumanité. Je ne suis pas le seul à retrancher
de tels hommes de l'espèce humaine; le prophète le fait avec moi, quand il dit:
« L'homme étant en honneur, n'a pas compris, mais il s'est ravalé au
niveau des animaux sans raison ». (Ps. XXXVIII.)
Soyons donc enfin des hommes, levons les yeux vers le ciel, et recevons de là
ce qui nous renouvellera selon l'image de Dieu (Col. III, 10), et
recouvrons-nous nous-mêmes, afin d'obtenir les biens futurs, par la grâce et la
bonté de Notre Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent, au Père, en union
avec le Saint Esprit, la gloire, la force, l'honneur, maintenant et toujours,
et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
ANALYSE.
1. L'Apôtre reprend t'attaque Contre la sagesse profane.
2. Paul, après avoir foulé aux pieds la sagesse humaine, s'adresse aux
Corinthiens qui divisaient l'Eglise en se disant disciples et sectateurs de tel
et tel maître et docteur.
3 et 4. Que (homme doit tout à Dieu; et qu'il lui doit rendre tout. — Qu'il
faut être prêt à quitter la vie de bon coeur quand il y a quelque engagement de
le faire. — Avis aux dignitaires ecclésiastiques, qu'ils ne sont que des
dispensateurs. — Sentiments que doivent avoir les pères et, mères à qui Dieu
reprend les enfants qu'il leur avait donnés. — Du bon usage des biens. — Que la
société civile est prospère, ainsi que le corps humain, lorsque chaque membre
donne de ce qu'il a aux autres.
1. Comme je l'ai déjà dit: Ayant été amené à accuser le fornicateur avant
le moment favorable, après l'avoir attaqué en peu de mots par des allusions
voilées et avoir troublé sa conscience, il recommence le combat contre la
sagesse du dehors et s'en prend à ceux qui s'en glorifient et déchirent
l'Eglise, afin qu'ayant épuisé ce sujet et traité dans tous ses détails ce
point capital, il porte ensuite tolite la vivacité de son langage sur le
coupable contre lequel il n'a encore fait qu'escarmoucher jusque-là. Car c'est
à celui-ci surtout que s'adressent ces paroles: « Que personne ne s'abuse ». Il
le frappe d'épouvante tout en usant de douceur; il l'a encore principalement en
vue quand il parle de « paille », et quand il dit: « Ne savez-vous pas que
vous êtes le temple de Dieu et que l'Esprit de « Dieu habite en vous? » En
effet, les deux motifs qui. nous retirent
ordinairement du péché sont le souvenir du supplice qui lui est réservé, et la
considération de notre propre dignité. En parlant de foin et de paille, il a
jeté la terreur; en rappelant notre dignité et notre noblesse, il a fait
rougir; par le premier de ces motifs, il corrige les plus insensibles, par le
second il excite les plus sages à devenir meilleurs. « Que personne ne s'abuse.
Si quelqu'un d'entre vous paraît sage selon ce siècle, qu'il devienne fou ». Il
veut que l'on meure au monde; et cette mort n'est point
nuisible, mais utile, puisqu'elle est le principe de la vie. De même, il veut
qu'on devienne fou selon ce siècle, afin de se procurer la vraie sagesse. Or,
devenir fou selon le monde, c'est mépriser la sagesse du dehors, et se
convaincre qu'elle ne sert à rien pour acquérir la foi. Comme donc la pauvreté
selon Dieu est la source de la richesse, l'humilité de l'élévation, le mépris
de la gloire le principe même de la gloire; ainsi, devenir fou c'est se
procurer la plus haute sagesse. En effet, tout chez nous reposé sur les
contraires.
Et pourquoi l'apôtre ne dit-il pas: Qu'il dépouille la sagesse, mais: «
Qu'il devienne fou? » Afin de déshonorer au dernier point l'enseignement
profane. Car dire. Déposez vôtre sagesse, et dire. Devenez fou, ce n'est point
la même chose, quant à l'énergie de l'expression. D’ autre part, il nous
apprend à ne point rougir de notre simplicité; car il se moque absolument des
choses profanes. C'est pourquoi il ne recule pas devant les mots, parce qu'il
compte sur la force des choses. De même donc que la croix, qui semble un objet
méprisable, est devenue pour nous la source de biens sans nombre, le sujet et
la racine d'une gloire ineffable; ainsi, une folie apparente devient pour nous
le principe de la sagesse. Et comme celui quia mal appris ne saura jamais rien
de clair et de sain, à moins qu'il ne se dépouille de tout et ne présente une
intelligence pure et nette au maître qui veut y imprimer quelque chose; ainsi,
en fait de sagesse extérieure, vous ne saurez rien de bon, rien d'exact, à
moins que vous n'enleviez tout, que vous ne balayiez tout, et rie vous présentiez
comme un homme complètement ignorant pour recevoir la foi. Ainsi, ceux qui
voient de travers s'égareront beaucoup plus que les aveugles mêmes, s'ils
veulent s'en rapporter à leur vue défectueuse, au lieu de se livrer à un guide,
les yeux fermés.
Et comment, direz-vous, peut-on dépouiller cette sagesse? En n'usant pas de
ses enseignements. Après avoir insisté si vivement pour qu'on l'abandonne,
l'apôtre en donne la raison: « La sagesse de ce monde est folie devant Dieu ».
Non seulement elle ne sert à rien, mais elle est un obstacle. Il faut donc s'en
détacher, puisqu'elle nuit. Voyez-vous comme son triomphe est complet,
puisqu'il démontre qu'elle est non seulement inutile, mais nuisible? Et il ne
se contente pas de ses propres arguments, mais il invoque des témoignages, en
disant: « Car il est écrit: qui enlace les sages dans leurs propres ruses ». —
« Dans leurs ruses », c'est-à-dire, les prend par leurs. propres
armes. En effet, comme ils s'étaient servis de cette philosophie- pour se
passer de Dieu, il s'en est servi pour leur prouver, qu'ils avaient besoin de
Dieu. Comment? de quelle manière? En -ce que devenus
insensés par elle, ils ont été justement pris dans ses filets; s'imaginant
qu'ils n'avaient pas besoin de Dieu, ils ont été réduits à une telle pauvreté,
qu'ils ont paru inférieurs à des pêcheurs, à des illettrés, et qu'ils ont fini
par en avoir besoin. Voilà ce qui fait dire à Paul qu'il les a pris dans leurs
propres ruses. Ces paroles: « Je perdrai la sagesse » (I Cor. I, 19),
signifient que cette sagesse ne mène à rien d'utile; et celles-ci: « Qui enlace
les sages dans leurs propres ruses », ont pour but de montrer la puissance de
Dieu.
2. Il indique ensuite comment cela s'est fait, en invoquant un autre
témoignage: « Le Seigneur sait que les pensées des sages sont vaines ». Mais
quand la sagesse infinie a prononcé sur eux cet arrêt et les a montrés tels,
quelle autre preuve de leur extrême folie demanderez-vous encore? Les jugements
des hommes sont souvent erronés; mais les arrêts de Dieu sont irréprochables et
impartiaux. Après cette victoire brillante qu'il a remportée sur la sagesse
profane avec le secours de la sagesse de Dieu, l'apôtre prend un langage
violent à l'égard de ceux qui se soumettaient à ces chefs illégitimes, et leur
dit: « Que personne donc ne se glorifie dans les hommes; car tout est à vous ».
Il revient à son premier sujet, en leur faisant voir qu'ils ne doivent point
s'enorgueillir même dès choses spirituelles, puisqu'ils n'ont rien d'eux-mêmes.
Si donc la sagesse du dehors est nuisible, et s'ils n'ont point d'eux-mêmes les
avantages spirituels, de quoi peuvent-ils se glorifier? A propos de la sagesse
du dehors, il dit: « Que personne ne s'abuse», parce qu'on se glorifiait d'une
chose nuisible; mais, à propos des dons spirituels, il dit: « Que personne ne
se glorifie », parce que ces dons étaient avantageux. Puis son langage
s'adoucit: «Car tout est à vous, soit Paul, soit Apollon, soit Céphas, soit monde, soit vie, soit mort, soit choses
présentes, soit choses futures, tout est à vous; et vous êtes au Christ, et le
Christ est à Dieu ».
Après les avoir vivement blessés, il leur rend du courage. Plus haut il
avait dit: « Nous sommes les coopérateurs de Dieu.», et les avait longuement
consolés; ici il leur dit: « Tout est à vous », afin de détruire l'orgueil des
maîtres, en montrant que non seulement ils ne donnent rien à leurs disciples,
mais qu'ils leur doivent au contraire de la reconnaissance, puisque c'est pour
eux qu'ils ont été faits docteurs et qu'ils ont reçu la grâce. Et parce qu'ils
pouvaient se glorifier, il prévient le mal, en disant: « A chacun suivant le
don de Dieu », et encore: « Dieu a donné la croissance », afin que les maîtres
ne s'enflent pas, comme s'ils donnaient quelque chose de grand; ni les
disciples, parce qu'on leur a dit: « Tout est à vous ». Car bien que tout
soit pour vous, tout cependant a été fait par Dieu. Remarquez comme il persiste
jusqu'à la fin à prononcer son nom et celui de Pierre. Que veulent dire ces
mots: « Sois mort? » Cela veut dire: quand même-ils mourraient, ils mourraient
pour vous, c'est pour votre; salut qu'ils s'exposent aux dangers. Voyez-vous
maintenant comment il rabat l'orgueil des disciples et relève les maîtres? Il
leur parle comme à des enfants nobles qui ont des précepteurs, et doivent un
jour hériter de tout. On peut aussi interpréter en ce, sens qu'Adam est mort
pour nous, afin de nous rendre sages, et le Christ afin de nous sauver.
« Mais vous au Christ, et le Christ à Dieu ». Ce n'est pas de la même
manière que nous sommes au Christ, que le Christ est à Dieu,.et
que le monde est à nous. Nous sommes. au Christ, comme
son ouvrage.; le Christ est à Dieu comme son Fils légitime, non comme son
ouvrage; et, dans le. même sens, le monde n'est pas à
nous. En sorte que si l’expression est une, la signification est différente. En
effet, le monde est à nous, en ce sens qu'il a été fait peur nous; mais le
Christ est à Dieu, en tant qu'il l'a pour auteur et pour Père; et nous sommes
au Christ parce qu'il nous a créés. Que si ces maîtres sont à vous, pourquoi
agissez-vous en sens contraire, en adoptant leur nom, et non celui du Christ et
de Dieu?
« Que les hommes nous regardent, comme ministres du Christ et dispensateurs
des mystères de Dieu ». (Ch. IV, 1.) Après avoir abattu leur présomption, voyez
comme il les console, en disant: « Comme ministres du Christ ». Ne rejetez
donc. pas le nom du maître, pour prendre celui des
ministres et des serviteurs. « Les dispensateurs », ajoute-t-il, pour montrer
qu'on ne doit point donner les mystères à tout le monde, mais à ceux à qui ils
sont nécessaires, et à ceux à qui ils doivent être dispensés. « Or, ce qu'on
demande dans les dispensateurs, c'est que chacun soit trouvé fidèle » (Ch. IV,
2), c'est-à-dire, qu'il ne s'attribue point les droits du Seigneur, qu'il ne
dispose pas en maître, mais en simple dispensateur. Car le devoir du
dispensateur est de bien administrer les biens qui lui sont confiés, et de ne
pas s'approprier ce qui appartient au maître, mais au contraire d'attribuer à
son maître ce qu'il a lui-même en propre.
Que chacun, réfléchissant à cela, ne se réserve donc point, ne s'attribue
point ce qu'il peut avoir, soit l'éloquence, soit la richesse, avantages. que le maître lui a confiés, et qui ne sont point à lui;
mais qu'il. les rapporte à Dieu, l'auteur de tout don.
Voulez-vous voir des dispensateurs fidèles? Ecoutez ce que dit Pierre: «
Pourquoi nous regardez-vous comme si c'était par notre propre vertu » ou par
notre piété « que nous avons fait marcher cet homme? » Le même disait à Corneille
(1): « Et nous aussi nous sommes des hommes sujets aux mêmes passions » (Act. XIV, 15); et au Christ: « Voici que nous avons tout
quitté pour vous suivre ». (Matth. XIX; 27.) Et Paul,
après avoir dit: « J'ai travaillé plus qu'eux tous », ajoute: « Non pas moi
cependant, mais la grâce de Dieu avec moi ». (I Cor. XV, 10.) Et ailleurs,
s'adressant aux mêmes Corinthiens, il leur disait: « Qu'avez-vous que vous
n'ayez reçu? » Vous n'avez rien à vous, ni l'argent, ni l'éloquence, ni la vie
même: car elle est à Dieu.
3. Au besoin, sachez la perdre. Mais si vous aimez la vie et refusez de la
dépouiller quand on vous la demande, vous n'êtes plus un dispensateur fidèle.
Comment serait-il permis de résister à l'appel, de Dieu? Et c'est en cela que
je reconnais et admire la bonté de Dieu; en ce que pouvant prendre malgré vous
ce que vous possédez, il ne veut cependant que des dons volontaires, afin que
vous méritiez une récompense.
1 Les paroles de cette citation n'ont pas été dites pu
l'apôtre Pierre au centurion Corneille, mais par saint Paul aux habitants de Lystre. Il y a donc ici un lapsus memoriae
ou bien une lacune dans le texte.
Il pourrait, par
exemple, vous enlever la vie malgré vous; il demande que vous la lui donniez,
pour que vous puissiez dire avec Paul: « Je meurs tous les jours ». (I
Cor. XV, 31.) Il pourrait, malgré vous, vous dépouiller de la gloire et vous
humilier; il vous en demande le sacrifice volontaire, pour que vous obteniez la
récompense. Il pourrait vous appauvrir malgré vous; il désire vous voir pauvre
volontaire, afin de vous tresser une couronne. Comprenez-vous la bonté de Dieu?
Voyez-vous notre lâcheté?
Etes-vous
parvenu à une plus grande dignité, honoré d'une haute charge dans l'Eglise? Né
vous enorgueillissez pas; ce n'est point vous qui avez acquis cette gloire,
c'est Dieu qui vous en a revêtu. Usez-en comme d'une chose étrangère; n'en
abusez pas, ne l'employez pas à des objets peu convenables, ne vous en enflez
pas, ne vous l'appropriez pas; regardez-vous toujours comme un homme pauvre et
obscur. Si l'on vous avait confié la gardé de la pourpre royale, vous ne
devriez pas la revêtir et la souiller, mais la conserver soigneusement pour
celui qui vous l'aurait remise. Vous avez reçu le don de la parole? Ne vous en
glorifiez pas, ne vous en vantez pas; car cette faveur n'est point à vous. Ne
vous montrez point ingrat en' tout ce qui appartient au maître; mais faites en
part à vos frères, n'en soyez pas fier comme d’un bien propre, et ne le ménagez
pas dans la distribution. Si vous avez des enfants, ils sont à Dieu; dans cette
conviction, vous le remercierez tant que vous les posséderez; quand ils vous
seront enlevés, vous ne vous affligerez pas. Tel était job quand il disait: «
Dieu me les avait donnés, Dieu me les a enlevés ». (Job, I, 21.) Car nous
tenons du Christ tout ce que nous avons; l'existence même, la vie, la
respiration, la lumière, l'air, la terre; et s'il nous soustrait une seule de
ces choses, c'en est fait de nous, nous périssons; car nous sommes des
étrangers et des voyageurs. Le « tien » et le « mien » sont de simples
expressions qui n'ont pas d'objet. Si vous dites que cette maison est à vous,
vous prononcez un mot vide de sens. En effet, l'air, la terre, la matière,
appartiennent au Créateur, aussi bien que vous qui l'avez construite, et que
tout ce qui existe. Que si vous en avez l'usufruit, il est bien précaire, non seulement, à cause de la mort, mais à raison de
l'instabilité des choses.
Gravons ces vérités en nous, et devenons sages; par là nous ferons double
profit: nous serons reconnaissants dans la jouissance et dans la privation, et
nous ne serons pas esclaves de biens passagers qui ne sont point à nous. En
vous enlevant la richesse, l'honneur, la gloire, votre corps, votre vie même,
Dieu a repris son bien; en vous enlevant votre fils, ce n'est point votre fils,
mais son serviteur qu'il reprend. Ce n'était point vous qui l'aviez formé, mais
lui; vous n'aviez. été qu'un moyen, qu'un instrument;
Dieu a tout fait. Soyons donc reconnaissants d'avoir été jugés dignes d'être
ministres de l'oeuvre. Quoi! vous auriez voulu le
conserver toujours? Mais c’est le fait d'un homme ingrat et qui ne comprend pas
que le bien qu'il possède est à un autre et non à lui. Ceux qui sont toujours
prêts à la séparation, sentent qu'ils ne sont point
propriétaires; mais ceux qui s'affligent, usurpent tes droits du roi. Si nous
ne nous appartenons pas même, comment les autres nous appartiendraient-ils?
Nous sommes doublement à Dieu: et par la création et par la foi. C'est ce qui
fait dire à David: « Ma substance est en vous » (Ps. XXXVIII); et à Paul: «
C'est en lui que nous vivons, que nous nous mouvons; et que nous sommes » (Act. XVIII,28); et encore, à
propos de la foi: « Vous n'êtes plus à vous-mêmes; et vous avez été achetés à
un grand prix ». (I Cor. VI, 19, 20.) Car tout est à Dieu.
Quand donc il nous appelle, quand il veut reprendre, ne raisonnons pas à la
façon des serviteurs ingrats, n'usurpons pas les droits du maître. Votre vie
n'est pas à vous: comment vos biens y seraient-ils? Pourquoi donc abusez-vous
de ce qui ne vous appartient pas? Ne savez-vous pas que cet abus vous sera un
jour reproché? Donc, puisqu'ils ne sont pas à nous, mais au maître, nous
devions en faire des largesses à nos frères. C'est pour ne l'avoir pas fait que
le mauvais riche fut accusé; il en sera ainsi de ceux qui n'auront pas nourri
te Seigneur. Ne dites donc pas: Je ne dépense que le mien, je jouis de mes
biens propres; non, ils ne sont pas à vous, mais aux autres; et je dis aux
autres, parce que vous le voulez: parce que Dieu veut que ce qu'il vous a donné
pour vos frères soit à vous. Or, le bien d'autrui devient le vôtre, si vous
l'employez au service du prochain; mais si vous le dépensez pour vous avec
profusion, de propre qu'il vous était, il vous devient étranger. Oui; si vous
en usez avec inhumanité; si vous dites: Il est juste que je me serve de ce que
j'ai; je dis que votre bien vous devient étranger. Car il est commun entre vous
et votre frère, comme le soleil, l'air, la terre et tout le reste. Et comme
dans le corps humain, le service est commun au corps entier et à chaque membre,
et quand il se concentre sur un seul membre, il n'y atteint pas même son effet:
ainsi en est-il de l'argent.
4. Rendons cela plus sensible par un exemple. Si la nourriture corporelle
destinée à tous les membres se dirige vers un seul, elle lui devient étrangère,
puisqu'elle ne peut être digérée, ni le nourrir; si, au contraire, elle se
répartit entre tous les membres, elle lui devient propre comme à tous les
autres. De même, si vous jouissez seul de vos richesses, vous les perdrez: car
vous n'en recevrez pas la récompense; mais si vous les partagez avec les
autres, alors elles seront vraiment à vous, et vous en retirerez du profit! Ne
voyez-vous pas que les mains présentent la nourriture, que la bouche la
triture, que l'estomac la reçoit? L'estomac dit-il: Comme je l'ai reçue, je
dois la retenir toute? Ne le dites donc pas non plus de vos richesses; c'est à
celui qui les a reçues de les partager. De même que c'est un vice dans l'estomac
de retenir toute la nourriture et de ne pas la distribuer, car par là il
détruit le corps entier; ainsi c'est un vice chez les riches de retenir ce
qu'ils possèdent:car par là ils font leur malheur et celui des autres. L'oeil
aussi reçoit toute la lumière; mais il ne la retient pas pour lui seul, et
éclaire le corps entier. Tant qu'il est oeil, il n'est pas dans sa nature de la
retenir. Les narines respirent aussi les bonnes odeurs; mais elles ne les
conservent pas; elles les transmettent au cerveau, les communiquent à l'estomac
et réjouissent par elles l'homme tout entier. Les pieds seuls marchent; mais
ils ne se transportent pas seuls; car ils mettent en mouvement le corps entier.
De même ne gardez point pour vous seul ce qui vous a été confié; autrement
vous nuiriez, à tous, à vous surtout. Cette observation ne s'applique pas
seulement aux membres. Un ouvrier en fer, par exemple, en refusant de
travailler pour les autres, se ruine lui-même et rend les autres arts
impossibles. Semblablement, si un cordonnier, un laboureur, un boulanger, tout
homme exerçant un métier nécessaire, refuse d'en faire jouir les autres, il les
perd et se perd lui-même. Et que parlé-je des riches? Les pauvres eux-mêmes,
s'ils imitaient la méchanceté des riches et. des avares, vous uniraient
considérablement, vous appauvriraient, vous détruiraient même bientôt, s'ils
refusaient de se prêter quand vous avez besoin d'eux: comme si, par exemple, un
laboureur refusait le travail de ses mains, un pilote la faculté de commercer,
sur mer, un soldat son habileté dans les combats. N'y eût-il pas d'autre raison,
rougissez et imitez leur bienveillance. Vous ne faites part de vos richesses à
personne? Alors ne recevez rien de personne, et tout sera renversé de fond en
comble. Car donner et recevoir est partout la source de beaucoup d'avantages,
en agriculture, dans l’instruction, dans les arts. Quiconque garde son art pour
lui seul, se perd et met le monde sens dessus dessous. En enfouissant la
semence chez toi, le laboureur causera une affreuse disette; ainsi le riche en
enfouissant son argent, se nuit plus qu'aux pauvres, puisqu'il appelle sur sa
tête la flamme terrible de l'enfer.
De même que les martres communiquent leurs connaissances à tous leurs
élèves, quel qu'en soit le nombre; ainsi faites-vous beaucoup d'obligés par vos
bienfaits. Que tous disent: Il a délivré celui-ci de ta pauvreté, celui-là du
péril; un tel eût péri, si, avec la grâce de Dieu, vous ne l’aviez sauvé par
votre patronage; vous avez arraché celui-ci à la maladie, cet autre à la
calomnie; l'un était étranger, vous l’avez accueilli; l’autre était nu, vous
l’avez revêtu. De telles paroles valent mieux qu'une immense richesse et que de
nombreux trésors; elles attirent plutôt l'attention du public que des vêtements
d'or, des chevaux et des esclaves. Par ceci on paraît ennuyeux, à charge, on
est haï, comme l’ennemi de tous; par cela, on est proclamé le père et le
bienfaiteur universel, et, ce qui est bien au-dessus de tout le reste, on est
accompagné dans toutes ses actions par la bienveillance de Dieu. Que l'un dise
donc: Il a marié et doté ma fille; l'autre: Il a fait prendre placé à mon fils
parmi les hommes; celui-ci: Il m'a tiré du malheur; celui-là: Il m'a sauvé du
péril. Ces paroles sont préférables à des couronnes d'or; ce sont des milliers
de hérauts qui proclament dans la ville les fruits de votre charité; voix bien
plus agréables, bien plus douces que celles des hérauts qui précèdent les
magistrats, elles vous appellent sauveur, bienfaiteur, protecteur (les noms de
Dieu même), et non avare, orgueilleux, insatiable, mesquin. Je vous en prie,
n'ambitionnez pas de telles dénominations, mais celles qui leur sont
contraires. Et si ces éloges, proférés sur la terre, rendent déjà si illustre
et si glorieux, pensez de quel éclat, de quelle gloire vous jouirez quand ils
auront été écrits dans le ciel, et que Dieu les proclamera au jour à venir.
Puissions-nous obtenir tous ce bonheur, par la grâce et la bonté de Notre Seigneur
Jésus-Christ, en qui appartiennent, au Père, en union avec le Saint Esprit, la
gloire, la force, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les. siècles des siècles. Ainsi soit-il.
ANALYSE.
1. Saint Paul se tient également éloigné de l'orgueil et de la bassesse.
2. Il se peut que notre conscience ae nous
reproche rien, et que cependant nous ne soyons pas pour cela, justifiés.
3. Combien les hommes se trompent dans leurs jugements, et qu'ils sont
téméraires. — Que l'homme ne se connaît pas, et ne peut se juger lui-même.
4-6. Contre les avares et les impudiques. — Compassion pour les pauvres
honteux. — Contre ceux qui insultent aux pauvres. — Sage ménagement pour guérir
un avare.
1. Parmi bien d'autres maux, je ne sais comment s'est introduite dans la
nature humaine la maladie d'une vaine et inopportune curiosité; maladie que le
Christ a condamnée, en disant: « Ne jugez point, afin que vous ne soyez point
jugés » (Matth. VII, 1); maladie qui n'emporte pas
même le plaisir qui peut s'attacher aux autres péchés, mais n'attire que peine
et châtiment. En effet, quoique accablés nous-mêmes de maux sans nombre,
quoique portant des poutres dans nos yeux, nous examinons avec sévérité les
fautes de notre prochain, n'eussent-elles que la grosseur d'un fétu; comme cela
arrivait à Corinthe. En effet, les Corinthiens livraient à la risée,
expulsaient même des hommes pieux, amis de Dieu, à cause de leur ignorance, et
ils entouraient de leur estime des hommes chargés de vices, à cause de leur
éloquence. Ensuite assumant le rôle de juges, ils prononçaient inconsidérément
leurs arrêts: Un tel a de la valeur; celui-ci est préférable à celui-là; l'un
vaut moins que l'autre; un tel est au-dessus d'un tel; ils jugeaient les
autres, sans songer à pleurer sur leurs propres misères, et soulevaient ainsi
de dangereux débats. Voyez-vous avec quelle prudence Paul les corrige de cette
maladie? Après avoir dit: « Ce qu'on demande dans les dispensateurs. C'est que
chacun soit trouvé fidèle », et avoir paru leur donner un motif d'examiner et
de juger la conduite de chacun (ce qui devenait une occasion de trouble); afin
de les garantir de ce vice, il les détourne d'un sujet si irritant, en disant:
« Pour moi, je me mets fort peu en peine d'être jugé par vous », se remettant
ainsi lui-même en scène.
Mais qu'est-ce
que cela veut dire: « Je me mets fort peu en peine d'être jugé par vous ou par
un tribunal humain? » Cela signifie Je me juge indigne d'être jugé par vous;
que dis-je, par vous? et même par tout autre. Mais que
personne n'accuse Paul d'orgueil, s'il déclare que personne n'est digne de
prononcer un jugement sur lui. D'abord il rie parle pas? ici dans son intérêt,
mais pour protéger ceux que les Corinthiens importunaient; ensuite ce n'est pas
seulement aux Corinthiens, mais à lui-même, qu'il refuse le droit de juger, eh
affirmant que ce droit dépasse ses forcés: en effet, il ajoute: « Bien plus, je
ne me juge pas moi-même ». Là-dessus, il faut rechercher le motif qui le! fait parler ainsi: car souvent il prend un langage
magnifique, non par orgueil ou par présomption, mais dans des vues excellentes.
Ici son but n'est pas de s'élever, mais d'abaisser les autres, et de relever la
dignité des saints. Et, pour preuve de sa profonde humilité, écoutez ce qu'il
dit, en produisant le témoignage même de ses ennemis: « Mais, quand il est
présent, il paraît chétif de corps et vulgaire de langage » (II Cor. X, 10); et
encore: «Et enfin, après tous les autres, il s'est fait voir aussi à moi comme
à l'avorton ». (I Cor. XV, 8.) Mais cet homme si humble, voyez comme il sait,
dans l'occasion, relever ses disciples, non en leur inspirant l'orgueil, mais
le sentiment de la vérité, alors qu'il leur dit: « Or si le monde doit être
jugé par vous, êtes-vous indignes de juger des moindres choses? » (I Cor. VI,
2.) Comme il convient que le chrétien se tienne à une grande distance de la
forfanterie, ainsi doit-il être étranger à la flatterie et à tout sentiment
ignoble.
Si quelqu'un dit: Je regarde l'argent comme rien; pour moi le présent est
une ombre, un songe, un jouet d'enfant; ne l'accusons pas pour cela de vanterie;
car il faudrait adresser ce reproche à Salomon qui, traitant ce même sujet,
s'écrie: « Vanité des vanités! Tout est vanité! » Mais à Dieu ne plaise que
nous donnions à cette sagesse le nom de vanterie! Mépriser ces choses n'est
donc point folie, mais grandeur d'âme, bien que nous voyions les rois et les
princes les revendiquer pour eux. Mais le pauvre vraiment sage, les dédaigne
souvent; et nous ne l'appelons pas orgueilleux pour autant, mais magnanime;
comme nous n'appelons pas humble et modeste celui qui les recherche avec
ardeur, mais faible; pusillanime et servile. Si un fils dédaignant ce qui
appartient à son père, se prenait d'admiration pour la condition des esclaves,
nous ne le louerions pas comme un homme humble, mais nous le blâmerions comme
un être bas et ignoble, et nous l'admirerions dans le cas contraire. En effet,
se croire meilleur que ses frères, c'est arrogance; mais porter sur les choses
un jugement vrai, ce n'est plus arrogance, mais sagesse.
2. Ce n'est donc point pour se vanter, mais pour humilier les autres,
abattre leur enflure et les porter à la modestie, que Paul dit: « Pour moi je
me mets fort peu en peine d'être jugé par vous ou par un tribunal humain ».
Voyez-vous comme il les guérit? Quiconque l'aura entendu
dire qu'il n'a souci de personne et qu'il n'accepte point de juge ne pourra
plus se plaindre d'être seul mis de côté. S'il eût dit seulement: « Par vous »,
et rien de plus, cela aurait pu les blesser comme signe de mépris. Mais en ajoutant:
« Ou par un tribunal humain », il applique le remède à la plaie, en leur
faisant voir qu'ils ne sont pas seuls l'objet de son dédain. Il guérit encore
la blessure, en disant: «Bien plus, je ne me juge pas moi-même ». Vous voyez
donc qu'il ne parle point par arrogance, puisqu'il ne se croit pas lui-même
capable d'un jugement exact. Et comme son langage paraissait cependant dicté
par un extrême orgueil, il y met un correctif, en disant: « Mais je ne suis pas
pour cela justifié ». Quoi donc! Il ne faut pas le juger soi-même, ni ses
fautes? Cela est nécessaire, au contraire; et grandement nécessaire, quand nous
avons péché: Mais ce n'est pas là ce qu'entend Paul; il dit: « A la vérité ma
conscience ne me reproche rien ». Quel péché pouvait-il juger, puisqu’il n'en
avait point à se reprocher? Et cependant il ne se dit pas justifié.
Que dirons-nous donc; nous qui avons l'âme couverte de mille plaies, qui avons
la conscience, de toute sorte de mal, et d'aucun bien? Et comment, n'ayant
conscience d'aucun mal, n'est-il pas justifié? Parce qu'il lui arrivait de
commettre des fautes, qu'il ne connaissait point comme telles. Jugez par là de
la sévérité du futur jugement. S'il déclare donc se mettre peu en peine d'être
jugé par eux, ce n'est pas parce qu'il se croit irréprochable, mais pour fermer
la bouche à ceux qui le jugeaient au hasard. Ailleurs, en effet, il a permis à
d'autres de juger de fautes même secrètes, parce que la circonstance
l'exigeait.
« Toi donc », dit-il, « pourquoi juges-tu ton frère? Ou
pourquoi méprises-tu ton frère? » Tu n'es point chargé, ô homme, de juger les
autres, mais de t'examiner toi-même. Pourquoi usurpes-tu le rôle du Maître,
C'est à lui, et non à toi, à juger. Aussi ajoute-t-il: « C'est pourquoi ne
jugez pas avant le temps, jusqu'à ce que vienne le Seigneur, qui éclairera ce
qui est caché dans les ténèbres, et manifestera les pensées secrètes des coeurs;
et alors chacun recevra de Dieu sa louange ». Quoi donc! les
maîtres ne doivent-ils pas faire cela? Oui, ils le doivent, pour les péchés
connus et avoués, et dans le moment opportun, quand les coupables éprouvent la
douleur et' le remords; et non par vaine gloire et par présomption, comme on le
faisait alors. Ici Paul ne parle pas des fautes publiques et avouées, mais de
la préférence accordée à l'un sur l'autre, et de la comparaison que l'on
établit entre leur conduite. Car Celui-là seul peut en juger exactement, qui
jugera un jour nos fautes cachées, assignera à chacun le degré de supplice ou
d'honneur qu'il aura mérité: ce que nous ne faisons, nous, que sur les
apparences. Si je ne vois pas clairement en quoi j'ai péché, dit-il, comment
serais-je capable de porter une sentence sur les autres? Moi qui ne connais pas
exactement, comment pourrais-je juger autrui? Or si Paul agissait ainsi, à
combien plus forte raison le devons-nous nous-mêmes. Il ne disait point cela
pour se faire croire irrépréhensible, mais pour leur montrer que quand même il
s'en trouverait un parmi eux qui n'eût point péché, il ne serait cependant pas
autorisé à juger les autres; et que si lui, à qui sa conscience ne reproche
rien, n'est pourtant point justifié, ils le sont beaucoup moins encore, eux qui
se sentent coupables de mille péchés.
Après avoir ainsi fermé la bouche à ceux qui hasardent de tels jugements,
il lui tarde de faire éclater son indignation contre les incestueux; comme, à
l'approche de l'orage, apparaissent d'abord certains nuages noirs; ensuite,
quand le tonnerre fait entendre son fracas, et que le ciel entier ne forme plus
qu'une nuée, alors la pluie se précipite à torrents sur la terre;
ainsi en est-il
dans ce moment. En effet, pouvant tout d'abord décharger son courroux sur le
coupable, il ne le fait pas; mais il réprime d'abord son orgueil par des
paroles effrayantes. C'est qu'il y avait là double mal: la fornication, et
quelque chose de pire que la fornication: le défaut de repentir d'un si grand
péché. Car ce n'est pas tant sur le pécheur que sur le pécheur impénitent que
l'apôtre pleure: « Je pleurerai », dit-il; « non seulement beaucoup de ceux qui
ont d'abord péché, mais encore de ceux qui n'ont pas fait pénitence des
impudicités et des impuretés qu'ils ont commises ». (II Cor. XII, 21.) Car il
ne faut pas pleurer celui qui fait pénitence après soit péché, mais plutôt le
féliciter, puisqu'il est passé dans l'assemblée des justes. « Confessez d'abord
vos iniquités », dit le prophète, « afin d'en être lavé ». (Is.
XLIII, 26.) Mais si, après sa faute, il ne sait pas rougir, il est digne de
compassion, moins pour être tombé que pour persévérer dans sa chute.
3. Que si c'est un grand mal de ne passe repentir quand on est coupable,
quel châtiment méritera-t-on pour s'enorgueillir des fautes commises? En effet,
si l'homme qui se glorifie du bien qu'il a fait est impur, comment excuser
celui qui se vante de ses péchés? Et comme c'était là l'état du fornicateur, et
qu'il devait au péché même son impudence et son obstination, l'apôtre a
nécessairement dû d'abord abattre son orgueil. Ce n'est point son crime qu'il
dénonce le premier, de peur qu'il ne dépouille toute pudeur, en se voyant
accusé avant les autres; ce n'est point non plus celui qu'il accuse le dernier,
pour ne pas lui laisser croire que c'est une chose de peu d'importance à ne
traiter qu'en passant; mais après l'avoir d'abord effrayé par la liberté de
langage dont il use envers les autres, et avoir ébranlé, troublé son orgueil
par le reproche adressé à tous, il va enfin droit à lui. Car ces paroles: « Ma
conscience ne me reproche rien »; et ces autres: « Celui qui me juge, c'est le
Seigneur, qui éclairera ce qui est caché dans les ténèbres, et manifestera les
pensées secrètes des coeurs »; ces paroles, dis-je, ne le ménagent guère, ni
lui ni ceux qui lui applaudissaient et méprisaient les saints. A quoi sert,
dit-il, à quelques-uns de paraître extérieurement vertueux et dignes
d'admiration? Le juge ne juge pas seulement les apparences, mais traduit les
secrets au grand jour. Pour deux, et même pour trois raisons, nous ne pouvons
juger exactement des choses: d'abord parce que quand même nous n'avons
conscience d'aucun péché, nous avons cependant besoin de Dieu pour nous faire
voir nos fautes avec exactitude; ensuite parce que la plupart des choses qui se
passent, nous échappent et nous restent cachées; en troisième lieu, parce que
souvent les actions des autres nous paraissent bonnes, et ne procèdent pas
d'une intention droite.
Pourquoi dites-vous donc qu'un tel ou un tel n'a point fait de mal, ou que
celui-ci vaut mieux que celui-là? Il n'est pas permis
de parler ainsi, pas même de celui qui n'a rien à se reprocher; Celui qui
connaît les choses secrètes, peut seul porter des jugements exacts. Donc: Ma
conscience ne me reproche rien, mais je ne suis pas justifié pour cela;
c'est-à-dire, je rie suis pas dispensé de rendre compte, ni à l'abri de toute
accusation. Il ne dit pas: Je ne suis point rangé parmi les justes; mais Je ne
suis pas exempt de péché. Car il dit ailleurs: « Mais celui qui est mort est
justifié du péché » (Rom. VI, 7); c'est-à-dire, en est délivré. Or nous
faisons bien des choses qui sont bonnes, mais ne partent pas d'une intention
droite. Et nous louons, bien des gens, non dans le but de leur procurer de la
gloire, mais pour en blesser d'autres à leur occasion. En soi, cela est bien,
puisqu'on loge celui qui a bien fait: mais l'intention de celui qui loue est
gâtée; elle est une inspiration de Satan, Souvent, en effet, on ne se propose
pas de féliciter un de ses frères, mais d'en frapper un autre dans sa personne.
En revanche, quelqu'un a commis une grosse faute; un autre qui a envie de le
supplanter, prétend qu'il n'a rien fait, le console d'avoir péché, l'excuse par
le penchant commun,le la nature; mais souvent en cela il se propose moins
d'être indulgent, que de rendre le coupable plus relâché. Ou encore on reprend
souvent, non pour convaincre et avertir, mais pour rendre la faute publique et
notoire. Les hommes ne pénètrent pas les intentions; mais Celui qui scrute le
fond des coeurs les connaît parfaitement, et un jour il les mettra en lumière.
C'est ce qui fait dire à Paul: « Qui éclairera ce qui est caché dans les
ténèbres, et manifestera les pensées secrètes des cœurs ».
Si donc on n'est pas innocent pour n'avoir rien à se reprocher; et si, même
eu faisant le bien, ou s'expose au châtiment, quand l'intention n'est pas
droite: songez avec quelle facilité les hommes se trompent dans leurs
jugements. Car l'homme ne saurait tout atteindre; cela n'est possible qu'à
l'oeil qui ne, dort pas; si nous pouvons tromper les hommes, nous ne le
tromperons jamais. Ne dites donc pas: Les ténèbres m'environnent et sont pour
moi un rempart; qui me voit? Celui qui a formé chaque coeur en particulier,
sait tout, et les ténèbres n'ont pour lui rien d'obscur. Cependant le pécheur a
raison de dire. Les ténèbres m'environnent et sont pour moi un rempart; car
s'il ne faisait pas nuit dans son âme, il n'eût pas ainsi secoué la crainte de
Dieu pour agir en liberté. Si le conducteur n'avait pas d'abord été aveuglé, le
péché ne serait pas entré si facilement. Ne dites donc pas: Qui me voit? Car il
y a quelqu'un qui pénètre le coeur et l'esprit, les jointures et la moelle des
os; mais vous, vous ne vous voyez pas, vous ne pouvez fendre la nue; environné
d'un mur de tops côtés, vous ne pouvez regarder le ciel.
4. Quel péché voulez-vous que nous examinions d'abord? Vous vous convaincrez que c'est ainsi qu'il se commet. Quand les
voleurs de nuit veulent enlever quelque chose de précieux, ils éteignent
d'abord la lanterne, et se mettent ensuite à l'oeuvre; ainsi chez les pécheurs
procède la raison égarée:La raison est, en effet, chez nous une lampe toujours
allumée. Mais si l'esprit de fornication, dans une irruption violente, a éteint
cette flamme, aussitôt il met l'âme dans les ténèbres, l'attaque et dévaste
tout en elle. Car comme les nuages et le brouillard enveloppent les yeux du
corps; ainsi, quand la passion impure s'est emparée de. l'âme, elle lui ôte la
faculté de prévoir, ne lui permet pas de rien voir au-delà de l'objet présent,
ni le précipice, ni l'enfer, ni tant de choses effrayantes; mais tyrannisée par
ces tentations, l'âme est aisément subjuguée par le péché; il y a comme un mur
sans fenêtres élevé devant elle qui ne lui laisse point parvenir le rayon de la
justifie, parce que les raisonnements absurdes de la passion l'assiégent de
tous, côtés; elle n'a plus qu'un objet devant les yeux, dans l'esprit, dans la
pensée, la femme publique. Et comme des aveugles, debout, en plein air et à
midi, ne reçoivent point la lumière du soleil, puisque leurs yeux sont fumés;
ainsi les malheureux, en proie à cette maladie; ferment leurs oreilles aux
nombreux; et salutaires enseignements qui retentissent autour d'eux. Ceux-là le
savent qui en ont fait l'expérience. Et à Dieu ne plaise qu'aucun ne vous l'ait
faite! Et ce que nous disons ici ne s'applique pas seulement à ce genre de péché, mais à toute affection désordonnée. — Transportons,
si vous le voulez, la question de la femme publique à l'argent, et nous
retrouverons encore d'épaisses ténèbres. — Là, comme l'amour se concentre sur
une seule personne et sur un seul lieu, la passion est moins violente; mais
ici, comme l'argent se. fait voir de toutes parts,
dans les hôtels de monnaie, dans les hôtelleries, dans les boutiques
d'orfèvres, dans les maisons des riches, le souffle de la passion est violent.
Quand l'homme atteint de cette maladie voit des domestiques écarter la foule
sur les places publiques, des chevaux aux harnais dorés, des hommes
magnifiquement vêtus, il se trouve enveloppé de profondes ténèbres. Mais à quoi
bon parler de palais et d'hôtels de monnaie? Pour moi, je suis convaincu qu'à
voir seulement la richesse en peinture ou en image, ces hommes sont déchirés,
saisis de fureur et de rage; en sorte que la nuit les; assiége partout. S'ils
jettent les yeux sur la statue d'un roi, ils n'admirent pas la beauté des pierres
précieuses, ni l'or, ni le manteau de pourpre, mais ils sèchent d’envie. Et
gomme ce malheureux amant, en présence du portrait de sa maîtresse, reste cloué
à cet objet inanimé; ainsi l'homme dont nous parlons, devant le tableau inanimé
de la richesse,. éprouve un
tourment semblable, plus grand même, parce que sa maladie est plus tyrannique;
et il est réduit ou à rester chez lui, ou, s'il paraît en public, à rentrer
percé de mille coups, à raison de la multitude des objets qui ont blessé ses
yeux.
Et comme l'impudique ne voit rien autre chose que la femme objet de sa
passion, ainsi l'ami des richesses perd de vue les pauvres et toute autre
chose, même ce qui pourrait le soulager: mais son regard, sans cesse fixé sur
les riches, puisé dans ce spectacle un grand feu qui s'introduit dans son âme.
Car c'est un Véritable feu qui l'envahit et le consume; et quand même il ne
serait pas arénacé de l'enfer et de supplice, son état présent lui serait un
supplice, à savoir ces tortures continuelles et cette maladie sans fin. Cela
seul devrait guérir d'un tel mal; mais il n'y a rien de pire que la folie qui
s'attache à des objets qui font souffrir sans apporter aucun profit. C'est
pourquoi je vous exhorte à couper ce mal dès le début. Comme la fièvre qui
commence ne procure pas d'abord une soif bien brûlante, mais quand elle a
grandi et allumé le feu, elle en cause une qui ne peut plus s'éteindre, en
sorte que la boisson la plus abondante ne saurait l'étancher, et ne fait
qu'attiser la fournaise; ainsi arrive-t-il dans cette passion: si nous ne
l'arrêtons pas dès le principe, si nous ne lui fermons pas la porte de notre
âme, une fois entrée, elle nous donnera une maladie qui ne pourra plus se
guérir. Car le bien et le mal se fortifient en nous par la durée.
5. Il en est de même en toutes choses. Ainsi une jeune plante s'arrache
facilement; mais quand elle a jeté des racines par l'effet du temps, on ne
l'extirpe qu'avec de puissants leviers. Un édifice récent se renverse sans
peine; mais quand il est affermi, il demande des efforts à ceux qui essaient de
le détruire. Une bête sauvage qui a longtemps habité un lieu, en est
difficilement expulsée. Je supplie donc ceux qui ne connaissent pas encore
cette maladie, de s'en garantir; il est plus aisé d'éviter la chute que de s'en
relever. Quant à ceux qui en sont atteints, s'ils veulent prendre la raison
pour médecin, je leur promets de grandes chances de salut par la grâce de Dieu.
En songeant à ceux qui sont tombés dans de mal et s'en sont guéris, ils
concevront l'espoir d'en être délivrés eux-mêmes. Qui donc a souffert de dette
passion et s'en est facilement débarrassé? Zachée. Qui fut
jamais plus avide d'argent que ce publicain? Mais il devint sage subitement, et
éteignit l'incendie. Il en fut de même de Matthieu: car lui aussi était
publicain, et continuellement occupé à la rapine. Mais lui aussi se dépouilla
immédiatement du mal, éteignit sa soif et s'adonna au commerce spirituel. En
vous rappelant ces exemples et d'autres semblables, ne perdez pas courage. Si
vous le voulez, nous vous prescrirons une règle détaillée, suivant l'usage des
médecins.
Avant tout il
faut d'abord ne pas perdre courage ni désespérer de son salut; ensuite ne pas
seulement songer à ceux qui se sont guéris du mal, mais encore aux souffrances
de ceux qui y ont persévéré. Comme nous avons parlé de Zachée et de Matthieu,
il faut aussi se souvenir de Judas, de Giezi, d'Achar, d'Achab, d'Avanie et de Saphire.
Par les premiers, nous apprendrons à ne pas désespérer; par les seconds à
secouer notre paresse, à ne pas négliger les avertissements qu'on nous donne;
nous nous habituerons à nous dire à nous-mêmes ce que les Juifs disaient à
saint Pierre: « Que faut-il faire pour être sauvés? » (Act. II, 37.) Puis nous écouterons. Et que faut-il donc
faire? Comprendre le néant des choses, savoir que- la richesse est un esclave
fugitif et ingrat, qui plonge ses possesseurs dans une multitude de maux; et
répéter sans cesse des vérités de ce genre. Et comme les médecins consolent les
malades qui demandent de l'eau froide en leur permettant de leur en donner,
puis prétextent l'éloignement de la source, l'absence de vase., l'inopportunité
de la circonstance, et d'autres raisons de cette nature (car s'ils refusaient
positivement, ils les mettraient en fureur); ainsi devons-nous faire avec ceux
qui ont la soif des richesses; quand ils disent qu'ils veulent être riches,
gardons-nous de condamner d'abord les richesses comme un mal; mais entrons dans
leur pensée, et affirmons que nous aussi nous voulons acquérir des richesses,
mais en temps opportun, et des richesses véritables, celles qui procurent une
jouissance immortelle, celles qu'on amasse pour soi, et non pour d'autres, et
souvent pour des ennemis; parlons suivant les principes de la sagesse, et
disons: Nous ne vous défendons pas d'être riches, mais mauvais riches; car il
est permis de s'enrichir, mais sans avarice, sans rapine, sans violence, sans
se faire une mauvaise réputation chez tous.
Après les avoir adoucis par ces raisons, ne parlons pas encore de l'enfer:
un malade ne saurait d'abord supporter ce langage. Raisonnons donc sur le
présent, et disons: Pourquoi voulez-vous vous enrichir par l'avarice, entasser
de l'or et de l'argent pour d'autres, et vous attirer des malédictions et des
accusations sans nombre; tandis que le pauvre est tourmenté par la privation du
nécessaire, gémit, excite contre vous mille accusateurs, parcourt le soir les
places publiques, arrête tout le monde aux coins des rues, inquiet de la
manière dont il passera la nuit? Comment, en effet, goûterait-il le sommeil,
pendant que son estomac le déchire, qu'il ne peut fermer les yeux, que la faim
l'assiége, et qu'il est souvent exposé au froid et à la pluie? Et vous, vous
revenez du bain, lavé et couvert de moelleux vêtements, plein de satisfaction
et de bonne humeur; vous allez en hâte prendre place à un splendide festin qui
vous attend; tandis que lui, poursuivi par le froid, par la faim, erre sur la
place publique, baissant la tête, tendant la main, n'osant pas même demander le
morceau de pain dont, il a besoin à un homme repu et livré au repos, et se
retire souvent accablé d'injures. Quand donc vous rentrez chez vous, quand vous
reposez sur votre lit, quand votre demeure est splendidement éclairée; quand un
magnifique repas vous attend, souvenez-vous alors de ce pauvre, de cet
infortuné errant, comme un chien, dans les rues, dans les ténèbres, dans la
boue, et s'en allant souvent, non pour rentrer chez lui, pour rejoindre sa
femme, pour se mettre au lit, mais pour s'étendre sur un peu de paille, comme nous
le voyons faire aux chiens furieux qui aboient toute la nuit. Et vous, si-vous
voyez une seule goutte de pluie passer à travers votre toit, vous renversez
tout dans la maison, vous appelez vos serviteurs, vous mettez tout en
mouvement; tandis que ce malheureux en haillons, couché sur de la paille et
dans la boue, supporte toute la rigueur du froid.
6. Quelle bête sauvage y était insensible? Quel homme serait assez dur,
assez inhumain pour n'en être pas touché? Et pourtant il y en a qui sont parvenus à ce degré de barbarie, de dire que ces
pauvres méritent leur sort. Il faudrait plaindre, pleurer, soulager ces
infortunés, et on les accuse avec inhumanité. Je demanderais volontiers:
Pourquoi méritent-ils leur sort? Est-ce parce qu'ils veulent manger et ne pas
mourir de faim? Non, répond-on, mais parce qu'ils sont paresseux. Et vous, ne
vivez-vous pas dans l'oisiveté et dans les délices? Bien plus, ne faites-vous
pas pire que d'être oisif, en vous livrant à la rapine, à la violence, à
l'avarice? Il vaudrait mieux que vous fussiez oisif sur ce point; car la
paresse est moins coupable que l'avarice. Et maintenant vous insultez aux
malheurs d'autrui, non seulement par votre oisiveté et par des opérations pires
que l'oisiveté, mais en accusant ceux qui sont-en proie à la misère.
Racontons-leur ensuite les malheurs d'autrui, parlons des orphelins en bas
âge, des prisonniers, des victimes des tribunaux, de ceux qui craignent pour
leur vie, des femmes condamnées subitement au veuvage, des changements soudains
qui frappent les riches, et adoucissons-les par la crainte de ces maux. Car,
par le tableau de malheurs étrangers, nous leur ferons comprendre qu'ils y sont
exposés eux-mêmes. En effet, quand ils apprendront que le fils d'un tel qui fut
avare et voleur, que la femme d'un tel qui s'est rendu coupable de nombreuses
injustices, après la mort de son époux a souffert beaucoup de mauvais
traitements; que ceux qui avaient été lésés se sont rués sur la femme et les
enfants du défunt; qu'une guerre générale a été déclarée à sa maison: le plus
insensible d'entre eux, s'attendant à subir un sort pareil, et le redoutant
pour les siens, deviendra plus sage. Le monde est rempli d'exemples de cette
nature, et ce genre de correction ne nous fera pas défaut. Seulement quand nous
disons cela, que ce ne soit pas par manière d'exhortation ou de conseil, de
peur d'être importuns, mais en façon de récit; passons d'un autre sujet à
celui-là; ramenons continuellement ces exemples sous leurs yeux, en sorte
qu'ils ne cessent de dire: Comment la maison d'un tel, si brillante, si
magnifique, est-elle tombée? Comment s'est-elle trouvée si délaissée, que tout
ce qu'elle contenait soit passé en d'autres mains? Combien de jugements,
combien de négociations ont eu lieu au sujet de cette fortune! Combien de
serviteurs de ce propriétaire mendient aujourd'hui, ou sont morts en prison? Et
disons tout cela comme par un sentiment de compassion pour celui qui est mort,
et de mépris pour les biens de ce monde, afin de toucher un coeur inhumain et
par la crainte et par la pitié.
Puis quand nous les verrons devenus sérieux à ces récits, alors
parlons-leur de l'enfer, non pour paraître vouloir les effrayer, mais pour
déplorer le sort des autres, et disons: A quoi bon parler du présent? Notre
destinée n'est pas limitée à ce terme; mais un châtiment plus terrible attend
des hommes comme ceux-là: à savoir, un fleuve de feu, un ver empoisonné, des
ténèbres immenses, des supplices sans fin. Si nous les gagnons par ces récits,
nous les corrigerons en nous corrigeant nous-mêmes, nous les guérirons
promptement de leur maladie, et, en ce jour-là, nous recevrons des éloges de la
bouche de Dieu même, selon ce que dit Paul: « Et alors chacun recevra de Dieu
sa louange ». Car la louange qui vient des hommes, a peu de solidité et souvent
ne procède pas d'up coeur bien disposé; mais celle qui vient de Dieu est
permanente et brille d'un vif éclat. Quand celui qui sait chaque chose avant
qu'elle existe et qui juge sans passion, décerne un éloge, c'est une preuve
incontestable de vertu. Convaincu de ces vérités, faisons en sorte de mériter
les louanges de Dieu et d'obtenir les biens infinis. Puissions-nous tous y
parvenir, par la grâce et la bonté de Notre Seigneur Jésus-Christ, en qui
appartiennent, au Père, en union avec le Saint Esprit, la gloire, la force,
l'honneur,.maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles: Ainsi
soit-il.
ANALYSE.
1. Ici saint Paul déclare aux docteurs de Corinthe qu'il a fait leur procès
sous les noms de Paul et d'Apollon; et s'adressant tantôt aux maîtres et tantôt
aux disciples, il cherche à leur inspirer aux uns et aux autres des sentiments
d'humilité,
2. Saint Paul emploie l'ironie pour faire rentrer les Corinthiens en
eux-mêmes.
3. Prudence de saint Paul; son habileté à manier les esprits.
4-7. Contre la passion d'être estimé dans le monde. — Vanité dei louanges
des hommes. — Mal que fait la fréquentation des théâtres, des hippodromes et
des combats de bêtes. — Que les noces se célèbrent à Antioche d'une manière
toute païenne et très condamnable. — Description de ces noces. — Superstitions
diverses, telles que les ligatures, les sistres, etc. — Usage des pleureuses de
pompes funèbres.
1. Tant qu'il a dû employer un langage sévère, il n'a pas levé le rideau;
mais il parlait comme s'il eût été lui-même un des accusés, afin que la dignité
des personnes mises en jeu,. faisant
contre-poids aux accusations, empêchât tout mouvement
de colère. Mais quand il a fallu se relâcher de sa rigueur, alors déchirant le
voile et déposant le masque, il met en scène, en prononçant les noms de Paul et
d'apollon, les personnages jusqu'alors tenus dans l'ombre. Voilà pourquoi. il
dit: « Au reste, mes frères, j'ai personnifié ces choses en moi et en Apollon
», Et comme quand un enfant malade donne des coups de pied et refuse la nourriture
qu'on lui présente de la part des médecins, ceux qui le soignent font venir son
père ou. son précepteur, et les prient d'offrir eux-mêmes l'aliment reçu de la
main des médecins, afin que l'enfant, contenu par la crainte, le prenne et se
tienne en repos; ainsi Paul, se proposant d'intenter des accusations qui
regardaient d'autres personnes, dont les unes ont été trop abaissées, les
autres trop honorées, ne met d'abord point ces personnes en scène, mais parle
en son nom et en celui d'Apollon, afin de faire accepter le remède qu'il veut
appliquer, à la faveur du respect que ces deux noms inspirent; puis le remède
une fois accepté, il découvre enfin son but. Or, tout cela n'était point
hypocrisie, mais condescendance et ménagement. S'il eût dit ouvertement: Vous
jugez des saints, des hommes dignes d'admiration, il les eût irrités et
repoussés; mais en disant: « Pour moi, je me mets fort peu en peine d'être jugé
par vous »; et encore: « Qu'est-ce que Paul? Qu'est-ce qu'Apollon? » Il fait
accepter sa parole.
C'est pourquoi il dit: « J'ai personnifié ces choses en moi et en Apollon à
cause de vous, afin que vous appreniez par notre exemple à ne pas avoir des
sentiments contraires à ce qui est écrit », faisant voir par là que s'i leur
avait parlé directement, ils n'auraient point appris ce qu'il fallait
apprendre, ils ne se seraient point corrigés, mais blessés de son langage. Et
maintenant, par respect polir Paul, ils acceptent le reproche sans difficulté.
Mais que signifient ces mots: « Contraires à ce qui est écrit? » Il est écrit:
« Pourquoi voyez-vous la paille qui est dans l'oeil de votre frère, et ne
voyez-vous point la poutre qui est dans le vôtre? Ne jugez pas, afin que vous
ne soyez point jugés». (Matth. VII, 3, 1.) Car si
nous sommes liés de manière à ne former qu'un corps, nous ne devons point nous
élever les uns contre les autres. « Quiconque s'humiliera sera exalté » (Matth. XXIII, 12), dit Jésus-Christ. Et encore: «Que celui
qui veut devenir le plus grand de tous, soit le serviteur de tous ». (Marc, X,
43.) Voilà ce qui est écrit: « Afin que nul par attachement pour quelqu'un ne
s'élève contre un autre ». Laissant de nouveau les maîtres de côté, il se
tourne contre les disciples; car c'étaient eux qui exaltaient les maîtres.
D'ailleurs les chefs n'eussent pas facilement accueilli ce langage, parce
qu'ils ambitionnaient la gloire du dehors, aveuglés qu'ils étaient par cette
maladie; mais les disciples étrangers à cette gloire, et se contentant de la
procurer aux autres, étaient mieux disposés que leurs chefs à recevoir la
réprimande et à se guérir. C'est donc encore de l'enflure de se glorifier pour
un autre, même en dehors de ses propres intérêts. Car comme celui qui est fier
des richesses des autres, cède à un sentiment d'orgueil; ainsi. en est-il- de celui qui se pavane de la gloire d'autrui. Et
c'est ce que Paul appelle avec raison enflure.
Quand donc un membre s'élève, c'est qu'il y a inflammation et maladie; car
il resterait au niveau des autres, s'il n'était enflé. Ainsi dans le corps de
l'Eglise, celui qui s'enflamme et s'enfle, est malade; il dépasse la mesure
commune. C'est en cela que consiste l'enflure. Il en arrive ainsi dans le
corps, quand quelque humeur étrangère et maligne s'y introduit, et non la
nourriture ordinaire. De même, l'orgueil naît quand des pensées étrangères nous
envahissent. Et voyez avec quelle justesse il dit: « Ne vous enflez pas! » En
effet, l'homme enflé a comme une tumeur d'esprit, remplie d'une humeur
corrompue. Il dit cela non pour empêcher la guérison, mais une guérison qui
pourrait tourner à mal. Vous voulez guérir un tel? Je le veux bien; mais que ce
ne soit pas au détriment d'un autre. Car ce n'est pas pour nous exciter les uns
contre les autres qu'on tous a donné des maîtres, mais pour nous unir
mutuellement. On donne un général à une armée, pour qu'il réunisse en un seul
corps des membrés divisés; s'il y apportait la division, il serait moins un
général qu'un ennemi. « Car qui vous distingue? et
qu'avez-vous que vous n'ayez reçu? » Laissant de côté les disciples, il s'adresse
aux docteurs. Voici ce qu'il veut dire: Comment savez-vous que vous êtes dignes
d'éloges? Le jugement a-t-il eu lieu? A-t-on fait l'examen? Y a-t-il eu
épreuve, enquête sévère? Vous ne sauriez le dire. Et quand même les hommes
donneraient leur suffrage, leur jugement n'est pas droit, Mais supposons que
vous êtes dignes de louange, que vous avez réellement la grâce, que le jugement
des hommes est sain; eh bien! ce n'est pas encore le
cas de vous enorgueillir. Car vous n'avez rien de vous-mêmes, mais vous avez
tout reçu de Dieu. Pourquoi faites-vous semblant d'avoir ce que vous n'avez
pas? Que si vous l'avez, les autres l'ont avec vous. Vous n'avez donc qu'après
avoir reçu, non pas seulement ceci ou cela, mais tout ce que vous avez.
2. En effet; vos bonnes actions ne sont pas à vous, mais viennent de la
grâce de Dieu. Si vous parlez de la foi, elle est le fruit de la vocation; si
vous parlez de la rémission des péchés, des dons de la grâce, de l'enseignement
de la parole, des vertus;. tout
vous est venu de la même source. Qu'avez-vous donc, dites-moi, que vous n'ayez
pas reçu et que vous ayez acquis par vous-mêmes? Volas ne pouvez répondre. Quoi
l vous l'avez reçu, et vous vous en enorgueillissez? Il fallait au contraire
vous en humilier; puisque le don n'est pas à vous, mais à celui qui vous l'a
fait. Si vous avez reçu, c'est donc de lui; si vous avez reçu de lui, ce que
vous avez reçu n'est donc pas à vous; si ce que vous avez reçu n'est pas à
vous, pourquoi vous en glorifiez-vous; comme si c'était à vous? Aussi l'apôtre
ajoute-t-il: « Que si vous l'avez reçu, pourquoi vous en glorifiez-vous, comme
si vous ne l'aviez pas reçu? » Après avoir prouvé son sujet en passant, il fait
voir qu'il leur manque bien des choses; et il ajoute: Certainement quand même
vous auriez tout reçu, vous ne devriez point vous en glorifier, car rien ne
serait à vous; mais il vous manque encore bien des choses. Il l'avait déjà
insinué dès le commencement en disant: « Je n'ai vous parler comme à des hommes
spirituels »; et encore: « Je n'ai pas jugé que je fusse parmi vous autre chose
que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié ».
Mais ici il le fait en les couvrant de honte: « Déjà vous êtes rassasiés,
déjà vous êtes riches», c'est-à-dire, vous n'avez plus besoin de rien, vous
êtes parfaits, vous êtes parvenus au faite, vous croyez n'avoir plus besoin de
personne, ni d'apôtres, ni de maîtres. « Déjà vous êtes rassasiés ». C’est à
propos qu'il emploie ce mot: « Déjà », montrant par cet adverbe de temps
combien leur opinion est peu admissible et déraisonnable. Il leur dit donc
ironiquement: Vous êtes arrivés si vite à la perfection, et pourtant l'espace
de temps ne le permettait pas. La perfection est l'oeuvre de l'avenir; être
rassasié de peu indique une âme faible; se croire riche de peu, est le propre
d’une âme dégoûtée et misérable; car la piété est insatiable; c'est unie
puérilité de croire tout posséder dès l'abord et de s'enorgueillir comme si
l'on était arrivé au terme, quand on n’est encore qu'au début. Mais ce qui suit
est encore plus propre à les couvrir de confusion. Après avoir dit: « Déjà vous
êtes rassasiés », il ajoute: «Déjà vous êtes riches; vous régnez sans nous, et
plaise à Dieu que vous régiriez en effet, afin que nous régnions avec vous ».
Ces paroles sont pleines de gravité: aussi ne les emploie-t-il qu'en dernier
lieu et après une vive réprimande. C'est ainsi qu'une exhortation se fait
respecter et accepter, quand après des accusations, on s'exprime de manière à
faire rougir. Par là on contient même l'insolence de l'âme, et on la frappe
plus sûrement que par des accusations manifestes, et on modère la douleur et
l'audace qui doivent résulter de l'accusation. Car c'est là le merveilleux des
paroles propres à donner la confusion, qu'elles produisent deux effets contraires:
en faisant, une incision plus profonde, qu'une récrimination ouverte, et en
rendant plus patient celui qui la reçoit.
« Vous régnez sans nous ». Grande emphase, et à l'adresse des docteurs
et à l'adresse des disciples. Il fait voir ici leur peu de conscience et leur
extrême folie. Car voici ce qu'il veut dire: Dans les travaux tout est commun
entre nous et vous, mais dans les récompenses et les couronnes vous êtes les
premiers; mais je dis cela sans douleur. Aussi ajoute-t-il: « Et plaise à Dieu
que vous régniez en effet! » Puis, pour ne pas avoir l'air de faire unie
ironie, il continue: « Afin que nous régnions avec vous ». Ce qui veut
dire: Car alors, nous aussi, nous aurions obtenir ces biens. Voyez-vous comme
il montre tout à la fois sa gravité, sa sollicitude et sa sagesse? Voyez comme
il corrige leur orgueil par ce qui suit: « Car il me semble que Dieu nous
traite, nous les apôtres, comme les derniers des hommes, comme des condamnés à
mort ». Il y a une grande signification et beaucoup de gravité dans ce mot: «
Nous ». Et ce n'est point assez pour lui: il y ajoute le nom de la dignité, les
blessant ici vivement: « Nous les apôtres »; nous qui endurons tant de
maux, qui semons la prédication religieuse, qui vous amenions à cette grande
philosophie. Et ces derniers des apôtres il les montre comme destinés à la
mort, c'est-à-dire condamnés. Car après avoir dit: « Afin que nous régnions
avec vous », il adoucit un peu le ton, et pour ne pas les décourager, il
reprend son sujet avec plus de gravité, et dit: « Car il me semble que Dieu
nous traite, nous les apôtres, comme les derniers des hommes, comme des
condamnés à mort ». Ce qui signifie: A ce que je. vois et d'après ce que vous
dites, nous sommes les plus abjects de tous, nous sommes condamnés, nous qui
sommes toujours exposés à souffrir; mais vous, vous vous figurez déjà le
royaume, les honneurs et les récompenses. Et voulant tousser encore davantage
les choses à l'absurde, et en faire ressortir l'invraisemblance en usant
d'hyperbole, il ne se contente pas de dire: Nous sommes certainement les
derniers; mais: Dieu nous a faits les derniers et non seulement: Les derniers;
mais « Comme des condamnés à mort »; afin que l'homme le moins sensé comprît
l’absurdité de sa parole, et y vît l'expression de sa douleur et son intention
de les couvrir de honte.
3. Et voyez la prudence de Paul. Par les mêmes paroles qu'il dit pour se
glorifier lui-même dans l'occasion, et se montrer grand et honorable, il les
couvre maintenant de confusion en s'appelant condamné: tant c'est une grande
chose de savoir tout faire à propos! Il appelle ici « destinés à la mort » des
condamnés, des hommes dignes, de mille morts. « Puisque nous sommes donnés en
spectacle au monde, aux anges et aux hommes ». Qu'est-ce que cela signifie: «
Nous sommes donnés en spectacle au monde? » Ce n'est pas dans un coin obscur,
veut-il dire, ni dans quelque petite partie de la terre que nous éprouvons
celai mais en tout lieu et chez tous. Que veut dire: « Et aux anges? » Ceci:
Quand il s'agit d'oeuvres sans importance, on peut attirer l'attention des
hommes, mais non celle des anges; or nos combats sont tels qu'ils méritent
d'avoir pour spectateurs les anges eux-mêmes. Voyez: il se relève par là même
où il se rabaissait, et comme il fait ressortir leur bassesse du sujet même de
leur orgueil. Car comme il, semblait plus déshonorant d'être fou que de
paraître sage, d'être faible que d'être fort, d'être obscur que glorieux et
illustre, il leur laisse cependant ce dernier rôle pour prendre le premier;
mais en leur montrant que celui-ci est le meilleur, puisqu'il attire non seulement
l'attention des hommes, mais celle de l'assemblée des anges. Car nous n'avons
point à lutter contre les hommes, mats contre les puissances spirituelles. (Eph. VI, 12.) Aussi le spectacle est-il imposant.
«Nous sommes, nous, insensés pour le Christ; mais vous, vous êtes sages
dans le Christ ». II veut encore les faire rougir, en leur montrant qu'il est
impossible de réunir les contraires et de rapprocher des choses si éloignées.
Comment, en effet, serait-il possible que vous fussiez sages; et nous insensés,
en ce qui regarde le Christ? Puisque, en effet, les uns étaient battus de
verges, méprisés, injuriés, regardés comme rien, tandis que les autres étaient
honorés, passaient pour sages et prudents aux yeux de la foule, l'apôtre
demande: Comment ceux qui prêchent comme ils font, peuvent-ils être soupçonnés
en sens contraire de leur prédication.? « Nous sommes faibles et vous êtes
forts », c'est-à-dire, nous sommes chassés, persécutés; et vous, vous vivez
dans l'abondance et êtes servis à souhait. Mais ceci ne s'accommode point au
genre de notre prédication.
« Nous sommes méprisés, mais vous êtes glorieux ». Ici il s'adresse aux
nobles, qui se pavanaient de la pompe extérieure. « Jusqu'à cet heure nous
souffrons et la faim et la soif, la nudité, les mauvais traitements. Nous
n'avons pas de demeure stable, et nous nous fatiguons, en travaillant de nos
mains». C'est-à-dire, je ne vous raconte pas des faits anciens, mais des choses
dont le temps présent est témoins. Car nous n'avons aucun souci des choses
humaines ni de l'éclat du dehors; nos yeux ne sont fixés que sur Dieu; ce que
nous devons faire en tout temps. Nous n'avons pas seulement les anges pour
spectateurs, mais le juge même du combat. Nous n'avons pas besoin d'autres
éloges. Ce serait injurier Dieu que de ne pas se contenter de son approbation
et de rechercher celle de nos semblables. Ceux qui combattent sur un petit
théâtre, peuvent en chercher un plus grand, parce que le premier ne suffit pas
au déploiement de leurs forces; mais ceux qui combattent sous les veux de Dieu
et recherchent ensuite le suffrage des hommes, abandonnant ainsi le plus pour
avoir le moins, s'attirent de grands châtiments. Car c'est là ce qui a tout
bouleversé, ce qui a troublé le monde entier: dans toutes nos actions nous
avons les yeux fixés sur les hommes; dans le bien nous dédaignons l'approbation
de Dieu pour capter la renommée et la gloire humaine et dans le mal nous
n'avons aucun souci de Dieu et ne redoutons que les hommes.
Mais-les hommes, eux aussi, comparaîtront avec nous devant le tribunal, de
Dieu, et ne nous serviront de rien; et c'est le Dieu que nous méprisons qui
portera la sentence contre nous. Nous savons cela, et néanmoins nous ne nous
occupons que des hommes: voilà notre première faute. Personne ne voudrait
commettre la fornication sons le regard de l'homme; quelle que soif l'ardeur de
la passion, elle cède au respect qu'inspire la présence d'un de nos semblables
mais sous l'oeil de Dieu, non seulement on commet l'adultère et la fornication,
mais beaucoup ont osé et osent des crimes bien plus graves. Cela seul ne
Suffit-il pas à attirer mille fois la foudre? Et que parlé-je d'adultère et de
fornication? Nous rougirions de commettre des fautes bien moindres en présence
des hommes: nous n'en rougissons pas en présence de Dieu. Voilà l'origine, de
tous les maux: c'est que dans ce qui est réellement mal, nous ne craignons pas
Dieu; mais seulement les hommes. Voilà pourquoi nous fuyons les vrais biens,
ceux que le vulgaire n'estime point tels, parce que nous n'examinons pas la
nature des choses et que nous n'avons en vue que l'opinion humaine.
4. Il en est de même pour le mal. Par l'effet de cette même habitude, nous
poursuivons des biens qui n'en sont pas réellement, mais qui paraissent tels à
la multitude; en sorte que nous nous perdons de deux manières. Comme ceci peut
paraître obscur à beaucoup d'entre vous, il est nécessaire de l’expliquer plus
clairement. Quand il s'agit de commettre la fornication (nous reprenons ici
notre sujet), nous craignons plus les hommes que Dieu. Et comme nous nous
plaçons sous leur dépendance, que nous les constituons nos maîtres, nous
évitons bien des choses qui leur semblent mauvaises et qui ne le sont pas.
Ainsi beaucoup regardent la pauvreté comme honteuse (371); nous fuyons la
pauvreté, non parce qu'elle nous paraît réellement déshonorante, mais parce quo
nos maîtres la jugent telle et que nous les craignons. Ainsi encore beaucoup
regardent comme une chose ignominieuse et détestable d'être déshonoré, d'être
méprisé, de n'exercer aucune charge, de n'avoir pas de puissance. Nous évitons
donc cela, non par conviction, mais par égard pour l'opinion de nos maîtres.
Dans le sens opposé, nous subissons le même inconvénient: on regarde comme un
bien la richesse, le faste, les honneurs, l'éclat; nous les poursuivons, non
parce que ces choses nous paraissent bonnes par nature, mais pour obéir à
l'opinion de nos maîtres.
Or notre maître s'est le peuple; et la foule est un maître cruel et un dur
tyran. Car elle n'a pas besoin de commander pour que nous lui obéissions; il
nous suffit de savoir ce qu'elle veut, et nous cédons sans ordre: tant nous
avons de déférence pour elle. Chaque jour Dieu avertit et menace, et n'est
point écouté; et une multitude confuse, la lie du peuple, n'a pas besoin de
commander; c'est assez qu'elle manifeste sa volonté, on lui obéit immédiatement
en tout. Et comment, direz-vous, échapper à ces maîtres? En élevant plus haut
ses pensées; en considérant la nature des choses; en dédaignant les suffrages
du vulgaire; en se réglant avant tout de manière à éviter ce qui est réellement
mal, non par peur des hommes, mais par crainte de l'oeil qui ne dort jamais; en
ne cherchant dans le bien que les récompenses qui viennent de Dieu. Et il
arrivera que dans les autres choses nous ne rechercherons pas davantage la
faveur populaire. Car l'homme qui se contente des suffrages de Dieu et n'estime
pas même la foule digne de le juger quand il fait le
bien, ne tiendra pas plus compte de celle-ci, quand il s'agira d'éviter le mal.
Comment cela peut-il se faire? direz-vous.
Considérez ce que c'est que l'homme, ce que c'est que Dieu, à qui vous
aurez recours si vous abandonnez Dieu, et vous serez bientôt parfaitement en
règle. L'homme est sujet aux. mêmes fautes, au même
jugement, au même châtiment que vous; il est devenu semblable à la vanité; son
jugement n'est pas droit, il a besoin d'être dirigé d’en-haut;
terre et cendre, l'homme, quand il loue, loue souvent au hasard, ou par faveur,
ou par haine; et s'il calomnie ou accuse, c'est encore par le même principe. Il
n'en est pas ainsi de Dieu: son suffrage est impartial, son Jugement pur. C'est
pourquoi il faut toujours recourir à lui; non seulement pour. cette raison, mais encore parce qu'il vous a créé, parce
qu'il vous ménage plus que qui que ce soit et qu'il vous aime plus que
vous-même. Pourquoi dons, délaissant up si glorieux suffrage, recourons-nous à
l'homme qui n'est rien, qui fait tout sans raison et au hasard? il vous appelle méchant, scélérat, quand vous ne l'êtes pas?
Plaignez-le plutôt et pleurez sur lui, parce qu'il est perverti et que son âme
est aveuglée; parce que les apôtres ont subi ces calomnies et ont ri de ceux
qui les avaient forgées. Il vous appelle vertueux et homme de bien? Si. vous êtes tel, ne vous enflez pas de cette bonne opinion; si
vous ne l'êtes pas, méprisez-la encore davantage et regardez-la comme une
moquerie. Voulez-vous savoir jusqu'à quel point les jugements de la multitude
sont faux, inutiles, ridicules, tantôt dictés par la fureur et la folie; tantôt
puérils comme ceux de l'enfant au berceau?
Ecoutez ce qu'ils ont été jadis: Je ne parle pas seulement ici des
jugements de la multitude, mais d'hommes estimés comme très sages, d'anciens
législateurs. Qui passa jamais dans l'opinion du
vulgaire pour plus sage que celui qui fut jugé capable de donner des lois aux
cités et aux peuples? Et pourtant aux yeux de ces sages la fornication n'était
point un mal, ne méritait aucun châtiment. Aucune de ces législations païennes
ne la punissait, ne, livrait le coupable à un tribunal; et aujourd'hui encore,
si une action est intentée pour ce crime, elle devient pour la foule un objet
de risée et le juge l'écarte. Le jeu de hasard, est également innocent chez
eux, et personne. n'a jamais été puni pour s'y être
livré. L'excès dans le boire et dans le manger, non seulement.
n'est point un- crime, mais passe pour un haut fait
aux yeux d'un grand nombre; dans les repas militaires, il y a émulation sur ce
point; ceux qui ont le plus besoin d'un esprit sain, d'un corps robuste, sont
précisément ceux qui s'adonnent le plus à la passion de l'ivrognerie, brisant
ainsi leurs forces physiques, obscurcissant leur intelligence. Or aucun
législateur n'a décerné de peines contre ce désordre.
5. Qu'y a-t-il de. pire que cette folie? Sont-ce
les suffrages de tels hommes que vous ambitionnez, sans scruter votre propre
conscience? Quand même toits vous admireraient, ne devriez-vous pas encore
rougir, vous voiler la face de honte, en recueillant leurs applaudissements,
puisque leurs Jugements partent d'une source si impure? De plus, le blasphème
n'est point une chose horrible pour un législateur; aucun blasphémateur n'est
traduit devant un tribunal ni puni. Mais celui qui vole un habit ou coupe une,
bourse, est torturé et souvent condamné à mort; tandis que l'homme qui outrage
Dieu est innocent aux yeux. de ces législateurs. Si un
homme marié déshonore sa servante, ni lés lois profanes, ni l'opinion publique
n'y attachent la moindre in portance.
Voulez-vous d'autres preuves de leur folie? Ils ne punissent point ces
crimes, mais ils font des lors pour d'autres sujets. Quels sujets? Ils
établissent des théâtres; ils y introduisent des choeurs de prostituées, de
jeunes débauchés, l'opprobre de la nature; ils y convoquent un peuple entier, y
attirent toute une ville comme à une récréation, et y couronnent ces grands
souverains dont les trophées et les victoires sont le constant objet de leurs
louanges. Quoi de plus froid que de pareils honneurs? Quoi de plus désagréable
que de tels plaisirs? Et c'est là que vous chercherez des approbateurs de votre
conduite? Vous voulez, dites-moi, partager des éloges avec des danseurs, des
débauchés, des mima et des femmes publiques? Et ce ne serait pas là le comble
de la folie? Volontiers je demanderais à ces gens-là: N'est-ce pas une
indignité de renverser les lois de la nature, de se livrera des commerces
monstrueux? Certainement, répondront-ils paraissant ainsi condamner ce genre de
crime. Pourquoi alors mettez-vous en scène ces impudents libertins; et, ce qui
est pire encore, les comblez-vous de mille précieux. présents?
Ailleurs vous les puniriez comme des coupables, et ici vous les traitez comme
des bienfaiteurs de la ville, et les entretenez aux dépens du trésor public.
Oui, dites-vous, mais ils sont déshonorés. Pourquoi donc les formez-vous?
Pourquoi les employez-vous pour honorer les rois? Pourquoi épuisez-vous les
villes? Pourquoi tant dépenser pour eux? S'ils sont déshonorés, il faudrait les
chasser comme tels: Pourquoi les avez-vous rendus infâmes? Est-ce pour les
estimer ou pour les mépriser? Pour les mépriser, évidemment. Vous les rendez
donc infâmes pour les mépriser, et vous accourez pour les voir, et vous les
admirez, et vous les louez, et vous les applaudissez comme s'ils étaient
honorables.
Et que dire des séductions offertes dans les hippodromes et les combats
d'animaux? On est stupéfait en songeant qu'on apprend là, au peuple, à être
barbare, cruel, inhumain; qu'on l'habitue à voir des hommes mis en pièces. Je
sang couler, les bêtes sauvages exercer toute; leur cruauté. Et les sages
législateurs ont introduit, dès le commencement ers épidémies, et des villes
entières admirent et applaudissent. Mais laissons cela de côté, si vous le
voulez, puisque l'absurdité en est évidente et avouée de tous, bien que les
législateurs l'aient jugé autrement, et passons à des lois honorables, où-vous
verrez que l'opinion du vulgaire a encore apporté la corruption.
Le mariage, est regardé comme une chose honorable chez. nous
et cirez les gentils, et il l'est en effet; mais il se passe dans sa
célébration les choses ridicules que vous allez entendre. Car la coutume a si bien trompé, égaré les esprits, que beaucoup n'en
comprennent pas l'absurdité et ont besoin qu'on la leur découvre. On a donc
introduit pour cette occasion des danses, des cymbales; des flûtes, des chants
obscènes, des excès de table, des débauches, tous les désordres que Satan peut
inspirer. Et je sais qu'en attaquant ces abus je paraîtrai ridicule; et que la
foule m'accusera de stupidité pour avoir essayé de détruire les anciennes
coutumes: tant est grand, comme je l'ai dit, entraînement de l'habitude; mais
je ne cesserai pas pour autant. Si la masse repousse ma parole, peut-être, oui,
peut-être quelques-uns l'accueilleront-ils, et aimeront-ils mieux être
ridicules avec nous que de prendre part aux railleries contre nous: railleries
vraiment déplorables et dignes des plus grands châtiments. N'est-ce pas une
chose absolument condamnable qu'une jeune fille, restée vierge jusque là;
élevée dès le bas âge dans le sentiment de la pudeur, soit tout à coup forcée
de le déposer, reçoive dès le moment de son mariage, des leçons d'impudicité,
et soit produite en public par des libertins, des fornicateurs et des débauchés?
quels germes de vice ne seront pas, dès ce moment,
déposés dans l'âme de la jeune mariée? L'impudence, l'audace, l'immodestie,
l'amour de la vaine gloire; car elle désirera voir tous les jours ressembler à
celui-ci. Voilà ce qui engendre chez les femmes le goût du luxe et de la
dépense, l'indécence, et mille autres vices. Ne m'objectez pas la coutume. Si
c'est un mal, il ne faut pas le faire une seule fois; si c'est un bien, il ne
faut jamais le discontinuer. Dites-moi: la fornication est-elle un crime? Si
elle est un crime; la permettrons-nous une seule fois? Certainement non. Quand
on ne la commettrait qu'une fois, elle serait toujours un crime. Donc, si c'est
un mal de procurer à une jeune femme de tels plaisirs, on ne doit pas même le
faire une fois; si ce n'est pas un mal, qu'on le fasse toujours.
6. Mais quoi! direz-vous, blâmez-vous le mariage?
A Dieu ne plaise que je le blâme je ne suis pas assez fou pour cela. Ce que je
blâme, c'est ce qui vient à sa suite, les parfums, le fard, et les autres
superfluités de ce genre. Dès ce jour, la jeune mariée s'attirera de nombreux
amants, avant même de cohabiter avec son époux. Mais beaucoup admireront sa
beauté. Qu'arrivera-t-il alors? Quand même elle serait chaste, elle aura peiné
à échapper aux mauvais soupçons; si au contraire elle se néglige, elle tombera
vite dans le piège, initiée dès ce moment aux pensées de libertinage.
Nonobstant ces suites fatales, quand le fait n'a pas lieu, des hommes qui ne
sont guère au-dessus des animaux, prennent cela pour un affront, et proclament
que c'est une indignité, qu'une femme ne soit pas produite en ce jour et
exposée aux regards de nombreux spectateurs.
Et c'est ce fait lui-même qu'il fallait envisager comme injurieux; ridicule
et comique. Et je sais que c'est nous que beaucoup traiteront d'insensé et de
ridicule; mais je consentirai à être tourné en dérision, s'il en résulte
quelque profit. Je serais seulement ridicule si, en vous exhortant à mépriser
l'opinion populaire, j'étais moi-même atteint de cette maladie. Voyez
maintenant ce qui suit: non seulement pendant le jour, mais pendant la nuit, ce
sont des hommes ivres, a moitié endormis, enflammés par la volupté, qui se
disposent à contempler la beauté du visage de la jeune femme. Et ce n'est pas à
la maison, mais à travers les rues qu'ils la présentent en spectacle,
l'accompagnant jusqu'à une heure très avancée; avec des flambeaux, afin que. chacun puisse la voir ce qui ne tend qu'à lui faire
dépouiller pour l'avenir un reste de pudeur. Et on ne s'en tient pas là: on la
conduit au milieu de paroles obscènes, usage qui est passé en loi dans la
foule. Et des milliers d'esclaves fugitifs, de vauriens, d'hommes perdus,
profèrent librement tout ce que le caprice Mur inspire, et contre elle et
contre l'époux qui doit habiter avec elle; en tout cela il n'y a rien
d'honnête, mais tout y sent l'obscénité. La mariée qui voit et entend tout
cela, ne reçoit-elle pas une belle leçon de chasteté? Et il y a une émulation
diabolique entre les acteurs; c'est à qui l'emportera sur les autres en paroles
injurieuses et impudiques, propres à faire rougir les spectateurs; et en fin de
compte, la victoire appartient à celui qui a vomi le plus de turpitudes et
d'impudicités.
Je sais que je suis ennuyeux, odieux et importun pour vouloir retrancher ce
plaisir de la vie. Aussi je m'attriste en voyant que des choses aussi
désagréables puissent passer pour un plaisir. Comment, en effet, ne serait-il
pas désagréable d'êtres accablé d'injures et d'affronts, d'être insulté par la
foule en compagnie d'une jeune femme? Quoi! si
quelqu'un injurie votre épouse sur la place publique, vous mettez tout en
mouvement, vous croyez ne pouvoir plus jouir de la vie.; et quand vous vous
conduisez honteusement avec elle sous les yeux de toute une ville, vous vous en
réjouissez, ions en êtes fier? Quelle folie! Affaire d'habitude, direz-vous. Eh!
voilà justement ce qui. doit
faire verser des larmes, que le démon ait fait passer cela en habitude. Comme
le mariage est une chose honorable, destinée à là propagation de notre espèce,
et une source de,grands biens, ce méchant esprit en
ressent un vif chagrin, et sachant qu'il est un remède contre la fornication,
il prend d'autres moyens pour introduire toute espèce d'impudicités. Beaucoup
de jeunes filles ont été déshonorées dans ces assemblées. Si cela n'arrive pas
toujours, le démon se contente, en attendant, que des paroles et des chants
obscènes aient déshonoré l'épouse à travers les rues
et les places publiques. Et comme tout se passe le soir, de peur que la nuit ne
voile ces turpitudes, on allume. de nombreux flambeaux
qui les mettent, dans tout. leur jour. Car pourquoi
cette foule? pourquoi l'ivresse? pourquoi
des instruments de musique? N'est-ce pas évidemment pour que ceux qui sont chez
eux ensevelis dans le sommeil soient avertis, s'éveillent au son des
instruments, et se mettent à la fenêtre pour voir passer la comédie?
Et que dire des chants mêmes, qui ne respirent que la licence, ne célèbrent
que des amours illicites, des unions illégitimes, des familles détruites, mille
scènes tragiques, et où l'on n'entend que les mots d'amant et d'amante, de
bien-aimé et de bien-aimée? Et le pire encore, c'est qu'il y a là. des jeunes, filles qui, dépouillant toute pudeur, à
l'honneur, ou plutôt à la honte de la mariée, sacrifient leur salut, se
conduisent avec indécence parmi des jeunes gens, et, par, un satanique accord,
prennent part aux chants impurs et aux paroles coupables. Me demanderez-vous
encore d'où viennent les adultères? les fornications? les profanations du mariage? Mais, direz-vous, ce rie sont
pas, les vierges bien nées et pudiques qui se conduisent ainsi. Eh! puisque vous savez cela avant moi; pourquoi riez-vous de
moi? Si ces coutumes sont bonnes, permettez que celles-ci les pratiquent. Quoi
donc? parce que les autres sont pauvres, ne sont-elles
pas aussi des vierges? ne sont-elles pas obligées
d'être chastes? Est-ce qu'une jeune fille qui danse sur le théâtre, au milieu
de jeunes libertins, il vous semble pas plus dégradée
qu'une femme publique? Si vous ajoutez qu'il n'y a que des servantes qui le
fassent, je ne vous fais pas grâce peur autant: car à pelles-là encore il ne
fallait pas permettre de le faire.
7. Et là est la source de tous les maux: On ne tient plus compte des
serviteurs. On a donné un assez grand signe de mépris quand on a dit: C'est un
domestique, ce sont des servantes. Et pourtant on entend dire chaque jour:
«Dans le Christ, il n'y a plus d'esclave, ni d'homme libre». (Gal. III, 28.)
Vous ne méprisez ni un cheval, ni un âne, vous mettez tout én
oeuvre pour qu'ils ne soient pas vicieux; et, vous dédaignez des serviteurs qui
ont une âme comme vous? Que dis-je, des serviteurs? Vous négligez même vos fils
et vos filles. Qu'arrive-t-il ensuite? Qu'il faut gémir quand ils sont tous
perdus; et souvent, pour combe de malheur, après qu'ils ont dépensé des. sommes considérables au milieu de la foule et du tumulte.
Ensuite si un enfant naît du mariage, nous revoyons encore la même folie, et une four d'usages ridicules. En effet, quand il faut lui
donner un nom, on ne le cherche pas parmi ceux des saints, comme le faisaient
nos ancêtres; mais on allume des lampes auxquelles on donne des noms, et celle
qui dure le plus laisse le sien au nouveau-né; c'est une probabilité qu'il
vivra longtemps. Et s'il arrive (cas assez fréquent), qu'il meure de mort
prématurée, le diable a une belle occasion de rire de s'être joué des parents
comme d'enfants niais.
Et que dire des bandelettes et oies clochettes attachées à la main, et du
cordon rouge, et de cent autres folies de ce genre, quand on devrait uniquement
placer l'enfant sous la sauvegarde de la croix? Mais cette croix qui a converti
le monde entier, qui a fait au démon une si cruelle blessure et a ruiné tout
son pouvoir, elle est aujourd'hui un objet de mépris; c'est à une trame, à une
chaîne, à des amulettes que l'on confie le salut d'un enfant. Dirai-je quelque
chose de plus ridicule encore? Que personne ne m'accuse d'importunité, si je
vais jusque-là. Car celui qui veut retrancher de la pourriture, ne craint pas de
salir ses mains: Quelle est donc cette chose ridicule? Une chose qui n'a l'air
de rien (et c'est de quoi je gémis), mais qui est le principe d'un vraie
démence, d'une extrême folie. Des femmes, des nourrices, des servantes, mettent
de la boue dans de l'eau de bain, y trempent le doigt et en marquent le front
de l'enfant; et si vous le demandez: Pourquoi cette eau; sale, pourquoi cette
boue? On vous répond: C'est pour détourner les mauvais regards, la jalousie, et
l'envie. Vraiment! quelle vertu a l'eau sale! quelle puissance a la boue! Elle renversé tout l'empire de
Satan. Et vous ne rougissez pas? Vous ne devinez pas enfin les ruses du diable?
Vous ne voyez pas comment il amène peu à peu et dès le premier âge, dans ses
filets? Mais si la boue a tant de vertu, pourquoi ne vous en frottez-vous pas
le front, vous homme mûr, et qui avez plus d'envieux qu'un enfant? Pourquoi ne
vous en frottez vous pas tout le corps? Si une simple onction sur le front
produit de si grands effets, pourquoi ne pas l'étendre au corps entier? Tout
cela est une farce, une comédie satanique, qui ne prête pas seulement, à rire,
mais précipite en enfer ceux qu'elle séduit.
Rien d'étonnant que de telles choses se passent chez les gentils; mais
qu'elles aient lieu chez les adorateurs de la croix, chez ceux qui participent
aux plus hauts mystères secrets, qui possèdent une si haute philosophie: voilà
ce qu'on ne saurait assez déplorer. Dieu vous a honoré de. l'huile
spirituelle, et vous salissez votre fils avec de la boue? Dieu vous a honoré,
et vous vous déshonorez? C'est de la croix, cette invincible protectrice, qu'il
faut se signer le front, et vous la rejetez pour tomber dans un égarement
diabolique? Et s'il en est parmi vous à qui ces choses paraissent de peu
d'importance, qu'ils sachent qu'elles sont l'origine de grands maux, et que
Paul n’a point cru devoir les négliger comme insignifiantes. Qu'y a-t-il en
effet de moins important pour l'homme que de se couvrir la tête? Et voyez
pourtant quel intérêt l'apôtre y attache, avec quelle énergie il le défend,
lapant jusqu'à dire, entre autres choses, qu'en se couvrant l'homme déshonore
sa tête. Mais si un homme déshonore sa tête en la couvrant, comment celui qui
frotte de boue un enfant, ne le rend-il pas abominable? Comment, je vous le
demande, le remettra-t-il aux mains du prêtre? Comment oserez-vous prier le
prêtre de marquer du sceau, un front que vous avez enduit de boue? Ne faites
pas cela, mes frères, ne le faites pas; mais dès le bas âge; munissez vos
enfants des armes spirituelles; apprenez-leur à se signer le front avec la
main; et avant qu'ils le puissent, imprimez-leur vous-mêmes le signe de la
croix.
Que dire des autres observances sataniques que, pour leur propre malheur,
les sages-femmes emploient dans les douleurs de l'enfantement? Et de celles qui
accompagnent la mort et la sépulture: ces gémissements, ces lamentations
insensées, ces extravagances sur les tombeaux, ce soin des monuments funèbres,
ces troupes inutiles et ridicules de pleureuses, ces jours de remarque, ces
entrées, ces sorties? Et voilà la gloire que vous recherchez? Et comment ne
serait-ce pas le comble de la folie d'ambitionner les suffrages d'hommes aussi
pervertis, aussi désordonnés dans leur conduite, au lieu de recourir à Celui
dont l'oeil ne dort pas, et de ne s'attacher qu'à son approbation dans nos
actes. et dans nos paroles? Les louanges de ceux-là ne
sauraient nous servir; mais Celui-ci, si nos actions lui sont agréables, nous
rendra glorieux ici-bas et nous communiquera, au jour à venir, ses mystérieux
trésors. Puissions-nous tous tels obtenir par la grâce et la bonté de Notre Seigneur
Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint Esprit, la
gloire, l’empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des
siècles. Ainsi soit-il.
ANALYSE.
1. Saint Paul fait voir aux Corinthiens combien leur présomption est
déplacée.
2. Saint Paul achève de toucher les Corinthiens en leur montrant une
charité d'apôtre, et une tendresse de père.
3.-5. Que nous pouvons imiter le Christ. — Applaudissement de l'auditoire.
— Portrait de saint Paul et de sa vertu.— Qu'il n’est
pas besoin qu'il y ait des persécutions pour être vraiment chrétien. — De la
guerre continuelle que nous avons à soutenir contre le démon. — Les richesses
ne sont pas un mal lorsqu'on en fait un bon usage.
1. Après avoir
parlé avec la plus grande gravité (ce qui blessait plus que toutes les
accusations possibles), il reprend la parole avec la dignité qui lui convient.
Il a dit plus haut: « Vous régnez sans nous » et: « Dieu nous a traités, nous
les apôtres, comme les derniers des hommes, comme des condamnés à « mort »; il
fait voir ensuite comment ils étaient destinés à la mort, en disant: « Nous
sommes insensés, faibles, méprisés; nous souffrons la faim et la soif, nous
sommes nus, déchirés à coups de poing, nous n'avons pas de demeure stable, et
nous nous fatiguons; travaillant de nos mains»: Autant de signes qui
indiquaient des docteurs et de véritables apôtres. Les Corinthiens au contraire
se glorifiaient de choses tout opposées de la sagesse, de la gloire, de la
richesse, des honneurs. Voulant donc guérit leur enflure, et leur montrer qu'il
faut s'humilier de tout cela, bien loin de s'enorgueillir, il les raille
d'abord en disant: « Vous régnez sans nous ». C'est-à-dire: Moi j'affirme
que ce n'est pas le moment de jouir de l'honneur et de la gloire, comme vous le
faites, mais d'être injuriés et persécutés: comme nous le sommes. S'il n'en est
pas ainsi, et que nous soyons à l'heure des récompenses, comme je le vois (il
parle ironiquement), vous, les disciples, vous régnez déjà; et nous les maîtres?
et les apôtres qui devrions les premiers être
récompensés, non seulement nous sommes les derniers d'entre vous, mais nous
sommes comme destinés à la mort, c'est-à-dire condamnés, Nous vivons
continuellement dans l’ignominie, dans les périls, en proie à la faim, injuriés
et chassés comme des fous, et souffrant des maux intolérables. Son but est de
leur faire comprendre qu'ils doivent envier le sort des apôtres, c'est-à-dire,
les périls et les injures, et non les honneurs et la gloire car c'est ainsi que
l'exige la prédication. Il ne dit cependant point cela directement, pour ne pas
leur paraître importun,; mais il exprime ce reproche
d'une manière convenable. Si en effet il eût voulu aller droit au but, il
aurait dit: Vous vous égarez, vous vous trompez, vous
êtes à une grande distance de l'enseignement apostolique; il faut qu'un apôtre,
qu'un ministre du Christ, passe pour insensé, qu'il vive comme nous dans la tribulation
et le mépris; et vous faites précisément le contraire.
Mais ce langage les eût irrités davantage, parce qu'ils y auraient vu
l'éloge des apôtres et leur audace s'en fût accrue, à raison des reproches de
lâcheté, de vaine gloire et d'amour du plaisir. Aussi n'est-ce pas là son
procédé; mais celui qu'il emploie frappe davantage, en blessant moins. C'est
pour cela qu'il fait usage de l'ironie, en disant: « Vous, vous êtes forts et
honorés ». En parlant sans ironie, il aurait dit: Il ne peut se faire que
l'un passe pour fou, l'autre pour sage; l'un pour fort, l'autre pour faible, la
prédication ne comportant pas les deux. S'il en était autrement, ce que vous
dites aurait quelque raison; mais à cette heure il n'est pas permis de passer
pour sage, d'être honoré, de vivre sans périls. Sinon, il faut que Dieu vous
ait préférés à nous, vous les disciples à nous les maîtres qui souffrons en
mille manières. Si personne n'ose le dire, il ne vous reste qu'à marcher sur
nos pas. Et n'allez pas croire, ajoute-t-il, que je ne parle ici que du passé:
« Jusqu'à cette heure nous souffrons la faim et la soif, et nous sommes nus ».
Voyez-vous que telle doit être la vie du chrétien, non pas un jour ou deux,
mais toujours? L'athlète qui a été couronné: dans un combat, ne l'est plus dans
le second s'il vient à succomber. « Et nous souffrons la faim », en face de
ceux qui vivent dans les, délices; « et nous sommes déchirés à coups de poing
», en face da ceux qui sont, bouffis d'orgueil; « nous n'avons pas de demeure
stable », en face de ceux qui tombent; « et nous sommes nus », en face de ceux
qui sont riches; « et nous nous fatiguons », en face des faux apôtres qui ne
supportent ni le travail ni le danger, et cependant recueillent le profit. Il
n'en est pas ainsi de nous, dit-il; mais au milieu des dangers du dehors nous
nous livrons à un travail continuel. Et ce qui est plus encore: personne ne
peut dire que nous en soyons affligés ni que nous accusions ceux qui nous
persécutent: nous leur rendons au contraire le bien pour le mal. Et c'est en
cela que consiste la grandeur, et non à souffrir injustement (ce qui est commun
à tous les hommes), mais à supporter le mal, sans peine. et
sans aigreur.
2. Et non seulement nous ne nous affligeons pas, mais nous nous
réjouissons. Et la preuve c'est que nous rendons le bien pour le mal: Pour vous
convaincre que c'était là la conduite des apôtres; écoutez ce qui suit: « On
nous maudit, et nous bénissons; on nous, persécute, et nous le supportons; on
nous blasphème, et nous prions; nous sommes devenus jusqu'à présent comme les
ordures du monde »; c'est-à-dire insensés pour le Christ. Car celui qui souffre
injustement, sans se venger et sans se plaindre, passe aux yeux de ceux du
dehors pour un insensé, pour un homme déshonoré et faible. Mais pour ne pas
être trop dur en imputant ces souffrances à la ville de Corinthe, que dit-il? «
Nous sommes devenus les ordures », non de votre ville, mais « du monde »; et
encore: « Les balayures rejetées de tous », non pas seulement de vous, mais de
tous. Et comme quand il parle de la bonté providentielle du Christ, il laisse
de côté la terre, le ciel, toute la création, pour ne mentionner que la croix;
ainsi voulant attirer à lui les Corinthiens, il passe ses miracles sous silence
pour ne parler que de ce qu'il a souffert pour eux. Ainsi d'ordinaire quand
nous avons éprouvé des injures ou du mépris de la part de quelqu'un, nous ne
rappelons pas autre chose que ce que nous avons souffert pour lui. « Les
balayures rejetées de tous, jusqu'à cette heure ». Il frappé un coup violent à
la fin. « De tous », non seulement de nos persécuteurs, mais encore de ceux
pour qui nous souffrons persécution: ce qui veut dire: Je leur en suis très reconnaissant.
C'est un signe de vive indignation; non qu'il se plaigne, mais il veut les
frapper. Car il les caresse, malgré les mille sujets de plaintes qu'il pourrait
produire. C'est pour cela que le Christ nous ordonne de supporter patiemment
les injures, afin de rester sages nous-mêmes et de mieux confondre nos ennemis:
ce qu'on obtient plutôt parle silence qu'en rendant injure pour injure.
Ensuite voyant
que le coup serait insupportable, il apporte le remède, en disant: «Je n'écris
point ceci pour vous donner de la confusion, mais je vous avertis comme mes
fils bien-aimés ». Je ne parle pas ici pour vous couvrir de honte. Il dit
n'avoir pas fait ce qu'il a réellement fait en paroles; ou plutôt il dit qu’il
l'a fait, mais sans mauvaise intention et sans haine. Car c'est là le meilleur
remède: s'excuser d'avoir prononcé une parole, par l'intention que l'on a eue
en la prononçant. Il ne lui était pas permis de ne pas parler, parce qu'ils ne
se seraient pas corrigés; mais laisser la plaie sans remède, c'eût été chose
pénible: aussi s'excuse-t-il sérieusement. Par là non seulement la blessure ne
disparaît pas, mais elle pénètre plus. avant, quand on
console de la douleur qu'elle Cause. Celui qui la reçoit est plus disposé à se
corriger, quand il s'aperçoit quelle lui est infligée par charité et non par
haine. Ici le langage est très grave et propre à donner de la confusion. En
effet; il ne parle pas comme docteur, comme apôtre, comme un maître ayant des
disciples (ce qui eût senti l'autorité), mais il dit: « Je vous avertis comme
mes fils bien-aimés »; non seulement comme des fils, mais comme des fils très chers.
C'est leur dire: pardonnez-moi; s'il y a ici quelque chose de pénible, c'est
l'amour qui me l'a dicté. Il ne dit pas: Je vous blâme, mais « Je vous avertis
». Or, qui ne supporterait un père affligé et donnant de sages conseils? Aussi
lie s'exprime-t-il de la sorte qu'après avoir frappé le coup.
Quoi donc! direz-vous, les autres maîtres nous
ménagent-ils? Je ne dis pas cela; mais ils ne vous traitent pas de cette façon.
L'apôtre ne parle pas ici obscurément; mais il désigne les fonctions, les noms:
il parle de maître et de père. « Car eussiez-vous dix mille maîtres a dans
le Christ, vous n'avez cependant pas plusieurs pères ». Ici ce n'est plus sa
dignité, mais son immense charité qu'il fait voir; il ne les blesse plus en
ajoutant: « Dans le Christ»; mais il les console, en appelant maîtres, et non
flatteurs, ceux qui supportaient les soucis et les peines, et il leur témoigne
sa sollicitude. Aussi ne dit-il pas: Vous n'avez pas plusieurs maîtres mais: «
Plusieurs pères ». Il ne voulait donc pas leur rappeler sa dignité, ni les
biens sans nombre qu'ils avaient reçu de lui; mais tout en accordant que leurs
maîtres avaient pris beaucoup de peine leur occasion (ce qui est le propre d'un
maître), il ne se réserve que l'excès de l'amour. Or ceci est le propre d'un
père. Il ne dit pas seulement: Personne ne nous aime ainsi (ce qu'il avait
droit de dire); mais il en produit la preuve ne fait. Quel fait? « C'est moi
qui, par l'Evangile, vous ai engendrés dans le Christ Jésus ». Dans le Christ
Jésus: ce n'est donc pas à moi que je l’attribue. De nouveau il frappe sur ceux
qui s'attribuaient la gloire de l'enseignement. « Car », leur dit-il, « vous
êtes le sceau de mon apostolat » (I Cor. IX, 2); et encore: « Je vous ai
plantés », et ici: « Je vous ai engendrés ». Il ne dit pas: J'ai annoncé
la parole; mais: « J'ai engendré », en employant les expressions de la nature.
Il n'a qu'un soin leur montrer l'amour qu'il leur a porté. Ceux-là vous ont
attirés d'après mes instructions; mais si vous êtes fidèles, c'est à moi que
vous le devez. Et de peur que cette expression « Comme mes fils », ne vous
semble une flatterie, il en vient au fait même. « Je vous en conjure donc:
Soyez mes imitateurs, comme je le suis du Christ ». O ciel! Quelle confiance de
maître! Quel modèle accompli, puisqu'il le propose à l'imitation des autres! Du
reste il ne parle pas ainsi par orgueil, mais pour montrer que la vertu est
facile.
3. Ne me dites
pas: Je ne peux pas vous imiter; vous êtes un maître et un homme distingué. Car
il y a moins de distance de vous à moi que de moi au Christ; et pourtant
j'imite le Christ. Quand il écrit aux Ephésiens, il ne se propose pas lui-même
pour modèle, mais il les mène d'abord droit ail but, en disant: « Soyez les
imitateurs de Dieu » (Eph. V, 1); ici, comme il parle
à des faibles, il s'interpose lui-même. D'autre part il leur fait voir qu'il. est possible d'imiter le Christ. En effet, Celui qui imite
parfaitement le sceau, reproduit le modèle. Voyons donc comment il a imité le
Christ. Cette imitation ne demande ni temps ni art, mais seulement de la bonne
volonté. Si nous entrons dans l'atelier d'un peintre, nous ne pouvons imiter un
tableau quand même nous le regarderions des milliers de fois; mais le peintre
l'imitera rien qu'à en entendre parler. Voulez-vous que nous vous mettions le
tableau sous les yeux et vous tracions la vie de Paul? Qu'il paraisse donc, ce
tableau, beaucoup plus éclatant que les images des rois. Car ce qui est sous
mes regards n'est pas un assemblage de pièces de bois ni des toiles étalées,
mais l’oeuvre de Dieu: une âme et un corps. L'âme est l'ouvrage de Dieu, et non
des hommes, et les corps également. Vous avez applaudi? Ce n'est pas encore le
moment; ce sera dans la suite qu'il faudra applaudir en imiter. Jusqu'ici, ce dont
il s'agit est commun à tous les hommes. Une âme, en effet, en tant qu'âme, ne
diffère pas d'une autre; «la volonté seule fait la différence. De même que le
corps, en tant que corps, ne diffère pas d'un autre, en sorte que celui de Paul
ressemble à celui de tout le monde, et que les épreuves seules l'ont rendu plus
glorieux: ainsi en est-il de l'âme.
1. Allusion à l'état de saint Paul avant sa conversion.
Mettons donc sous vos yeux un tableau, l'âme de Paul. Le tableau était
d'abord chargé de poussière et de toile d'araignées (1); car il n'y a rien de
pire que le blasphème. Mais quand vint Celui qui change tout, il vit que ce
n'était, point là l'effet de la lâcheté ni de la mollesse, mais de l'ignorance
et du défaut des couleurs de la piété, qu'il y avait du zèle mais pas de
couleurs (car Paul n'avait pas le zèle selon la science): alors il lui donne la
couleur de la vérité, c'est-à-dire la grâce, et en fait immédiatement, un
tableau royal. Ayant en effet reçu la couleur et appris ce qu'il ignorait, il n'a
pas besoin du temps; sur-le-champ il devient un artiste parfait. D'abord il
montre une tête royale, en prêchant le Christ; ensuite le corps entier, par une
règle de vie sévère. Les peintres s'enferment, et travaillent en repos et avec
une grande assiduité, sans ouvrir à personne; ainsi Paul plaçant son tableau au
milieu du monde, ne s'inquiète pas des contradicteurs, ni du tumulte, ni du
trouble qui règne autour de lui, et travaille sans obstacle au royal portrait.
Aussi disait-il: Nous sommes donnés en spectacle au monde, au moment où il
peignait, son tableau au milieu de la terre et de la mer, en présence du ciel
et du globe entier, du monde sensible et spirituel.
Voulez-vous voir le reste, à partir de la tête? ou
voulez-vous remonter de bas en haut? Voyez cette statue d'or, bien plus
précieuse que l'or, telle qu'elle existe sans doute dans le ciel, non enchaînée
par le poids d'un plomb vil, non fixée en un seul lieu; mais courant de
Jérusalem jusqu'en Illyrie, puis partant pour l'Espagne, et portée comme sur
des ailes à travers le monde entier. Quoi de plus beau que ces pieds qui ont
parcouru toutes les contrées, éclairées par le soleil? Le prophète avait prédit
cette beauté, quand il disait: « Qu'ils sont beaux les pieds de ceux qui
annoncent la paix! » (Isaïe LII, 7.) Voyez-vous comme ces pieds sont beaux?
Voulez-vous aussi voir sa poitrine? Venez, je vous la montrerai, et vous vous
convaincrez qu'elle est beaucoup plus belle que ces pieds
déjà si beaux, et plus belle encore que celle de l'ancien Législateur.
Moïse, Il est vrai, porta les tables de pierre; mais celui-ci possédait le
Christ en lui-même, et portait l'image du roi et du propitiatoire; il était
donc plus honorable que les chérubins. La voix qui sortait du propitiatoire
n'était point comparable à celle-ci; elle ne parlait guère que des choses
sensibles; celle de Paul exprime des chose plus élevées que les cieux; l'une ne
s'adressait qu'aux Juifs, l'autre s'adresse au monde entier; la première
sortait d'objets inanimés, la seconde d'une âme douée de vertu.
4. Le propitiatoire était plus splendide que le ciel; ce n'étaient point
des astres divers ni des rayons du soleil qui faisaient son éclat, mais il
possédait le soleil lui-même qui de là envoyait ses rayons. Quelquefois des
nues en passant attristent notre ciel; cette poitrine n'a point subi de tels
orages; ou plutôt elle en a souvent subi, mais son éclat n'en, a point été
obscurci;.au milieu des épreuves et des périls elle
gardait sa splendeur. Aussi, chargé de fers, s'écriait-il: « La parole de Dieu
n'est pas enchaînée ». (II Tim. II, 9.) Ainsi, par sa
langue, il envoyait toujours des rayons; jamais la crainte, jamais le danger
n'ont assombri sa poitrine. Peut-être cette poitrine semble-t-elle laisser les
pieds loin derrière elle; mais ces pieds sont beaux en tant que pieds, et,
comme poitrine, cette poitrine est belle. Voulez-vous.voir
la beauté de son estomac? Ecoutez ce qu'il dit de lui-même: « Si ce que je
mange scandalise mon frère, je ne mangerai jamais de chair ». (I.Cor. V, 13.) Il est bon de ne pas manger de chair, de ne
pas. boire de vin ou quoi que ce. soit
qui puisse offenser scandaliser ou affaiblir votre frère. « Les aliments sont
pour l'estomac, et l'estomac pour les aliments ». (Id. VI, 13.) Quoi de plus
beau que cet estomac ainsi exercé au calme, à toute espèce de tempérance, à
souffrir l'abstinence, la faim et la soif? Comme un cheval bien dressé et
portant une bride d'or, ainsi cet estomac allait en mesure après avoir dompté
les besoins de la nature: car le Christ. marchait en lui.
Il est évident que par cette tempérance tous les autres vices étaient détruits.
Maintenant voulez-vous voir ses mains, tes mains d'aujourd'hui? Ou voulez-vous d'abord voir celles d'autrefois? Naguères
entrant dans les maisons, il traînait hommes et femmes, non avec des mains
d'homme, mais avec celles de quelque bête fauve. Mais dès qu'il eut reçu les
couleurs de la vérité et la science spirituelle, ses mains ne furent plus
celles d'un homme,.elles furent toutes spirituelles,
enchaînées tous les jours; frappées elles-mêmes mille fois, elles ne frappèrent
plus personne. Une vipère les respecta un jour, car ce n’étaient plus des mains
d'homme, aussi, n'osa-t-elle les toucher. Voulez-vous aussi connaître ce dos,
si semblable aux autres membres? Ecoutez ce qu'il en dit: « Cinq fois j'ai reçu
des Juifs quarante coups de fouet, moins un; j'ai été trois fois battu de
verges, j'ai été lapidé une fois, trois fois j'ai fait naufrage; j'ai été un
jour et une nuit dans les profondeurs de la mer ». (II Cor. XI, 24, 25.)
Mais pour ne pas nous jeter dans un abîme saris fond et être ballottés en
tout sens, en prenant chacun de ses membres en particulier, quittons son, corps
et contemplons une autre beauté, à savoir, celle de ses vêtements que les
démons mêmes respectaient au point de s'enfuir, et qui guérissaient les
maladies. Partout où Paul apparaissait, tout cédait, tout disparaissait, comme
en présence du conquérant de la terre. Et comme ceux qui ont reçu beaucoup de
blessures dans le combat, frémissent au seul aspect des armes de leur
vainqueur; ainsi les démons prenaient la fuite, à la seule vue de sa ceinture.
Et maintenant où sent les riches, ceux qui
s'enorgueillissent de leur fortune? Où sont ceux qui étalent leurs dignités et
leurs somptueux vêtements? En les comparant à ceux-là, ils verront que tout ce
qu'ils possèdent est de l'argile et de la boue. Et que parlé-je de vêtements et
de richesses? On me donnerait l'empire du monde entier, que je croirais l'ongle
de Paul plus fort que ma puissance; sa pauvreté au-dessus de tout plaisir, ses
humiliations au-dessus de toute gloire, sa nudité au-dessus, de toute richesse,
les soufflets imprimés à sa tête sacrée au-dessus de toute licence, les pierres
qu'il a reçues au-dessus de tout diadème. Ambitionnons cette couronne, ô mes
bien-aimés, et bien qu'il n'y ait pas de persécution, cependant préparons-nous.
Car ce ne sont pas seulement les persécutions qui ont rendu cet homme glorieux;
il disait lui-même: « Je châtie mon corps » (I Cor. IX, 27); ce qui peut se
faire sans persécution. Et il nous exhortait à n'avoir.aucun
souci de la chair, quant à ses convoitises; il disait encore: « Ayant la
nourriture et le vêtement, contentons-nous-en ». (I Tim.
VI, 8)
Or, pour cela, il n'y a pas besoin de persécutions. Il engageait aussi les
riches à la modération, en disant: « Ceux qui veulent devenir riches tombent
dans la tentation ». (Ib. 9.) Si nous voulons ainsi
nous exercer et entrer en lutte, nous serons couronnés, et bien qu'il n'y ait
pas de persécutions, nous recevrons une riche récompense; mais si nous
engraissons notre corps et menons une vie de pourceau, même au sein de la paix
nous commettrons bien des fautes, et nous nous attirerons du déshonneur. Ne
voyez-vous pas contre qui nous avons à combattre? Contre des puissances incorporelles.
Comment donc, nous qui sommes. chair, en
triompherons-nous? S'il faut manger sobrement quand on combat contre des
hommes, à plus forte raison pour lutter contre les démons. Mais si nous sommes
enchaînés par l'embonpoint et la richesse, comment vaincrons-nous nos ennemis?
Car c'est un lien que la richesse: un lien bien lourd pour ceux qui ne savent
pas en user; un tyran cruel et inhumain qui n'a d'autre but que de perdre ses
esclaves. Mais, si nous le voulons, nous détrônerons ce barbare tyran; nous en
ferons notre serviteur; au lieu de notre maître. Et comment cela? En
distribuant nos richesses à tout le monde. Tant que l'opulence nous trouve
seuls à seuls, comme un brigand dans un lieu isolé, elle nous fait tous tes
maux possibles; mais quand nous l'aurons produite en public, elle ne nous
dominera plus, parce qu'elle sera enchaînée de tous côtés.
5. Je ne prétends point dire par là que la richesse soit un péché; mais le
péché est de ne la pas distribuer aux pauvres et d'en faire mauvais usage. Dieu
n'a rien créé de mauvais; tout ce qu'il a fait est bon; les richesses. sont donc aussi un bien, à condition qu'elles ne domineront
point ceux qui les possèdent, et qu'elles feront disparaître la pauvreté du
prochain. La lumière qui ne dissipe pas les ténèbres, mais les augmente, n'est
pas bonne; je n'appellerai pas non plus bonnes les richesses qui augmentent la
pauvreté au lieu de la détruire. Le riche ne cherche pas- à recevoir, mais à
donner; s'il demande, il n'est plus riche, mais pauvre. Les richesses ne sont
donc point un mal; mais le mal c'est cette étroitesse d'esprit qui transforme
la richesse en pauvreté. Ces sortes de riches sont plus malheureux que ceux qui
mendient dans les rues, que les aveugles et les estropiés; ces hommes
somptueusement vêtus de soie sont au-dessous du pauvre couvert de mauvais
baillons; ces mortels qui s'avancent fièrement sur. la
plage publique sont plus à plaindre que les mendiants qui hantent les
carrefours, entrent dans les cours, et crient, et demandent l'aumône d'en bas.
Car ceux-ci louent Dieu et profèrent des paroles propres à exciter la pitié et
pleines de sagesse; aussi-en avons-nous compassion et leur tendons-nous la main
sans jamais les accuser. Mais les mauvais riches tiennent le langage de la
cruauté, de l'inhumanité, de la rapine et d'une convoitise satanique; aussi
sont-ils odieux et ridicules aux yeux de tout le monde. Dites-moi un peu:
lequel paraît honteux chez tous les hommes de demander aux riches, ou d8
demander aux pauvres? Aux pauvres,.évidemment. Eh bien!
c'est ce que font les riches; car ils n'oseraient
s'adresser à de plus riches qu'eux. Or ceux qui mendient, demandent aux riches:
le mendiant demande au riche et non au mendiant; mais le riche violente le
pauvre.
Autre question: lequel est le plus honnête, de recevoir de personnes gui
donnent volontiers et de bonne grâce, ou d'arracher par force et avec
importunité? Evidemment il est plus convenable de. ne
point forcer les répugnances. Et pourtant les riches les forcent. Car tandis
que les pauvres reçoivent de gens qui leur donnent de bon coeur et librement,
tout ce que les riches reçoivent leur est donné à contre-coeur
et par contrainte: ce qui est l'indice d'une plus grande pauvreté. Si personne
ne voulait s'asseoir à une table, où il ne serait pas vu de bon oeil par celui
qui l'aurait. invité, comment serait-il convenable
d'extorquer de l'argent par force? N'écartons-nous pas, ne fuyons-nous pas les
chiens qui aboient, parce qu'ils nous fatiguent par leur importunité? Ainsi
font les riches. Mais, dira-t-on, il vaut mieux que la crainte accompagne le
don. Et moi je dis qu'il n'y a rien dé plus honteux: c'est le comble du
ridicule de tout mettre en mouvement pour obtenir quelque chose. Souvent, par
peur, nous avons jeté au chien ce que nous tenions à la main. Lequel,
dites-moi, est le plus. honteux de mendier en haillons
ou en habits de soie? Quel pardon mérite le riche qui flatte de vieux pauvres
pour en obtenir ce qu'ils possèdent, bien qu'ils aient des enfants? Si vous
voulez encore; examinons les paroles que prononcent les riches et les pauvres
quand ils mendient. Que dit le pauvre? Que celui qui donne l'aumône ne doit pas
donner avec parcimonie, parce que ce qu'il donne vient de Dieu, et que Dieu est
bon et lui en rendra davantage: langage plein de sagesse et qui renferme une
exhortation et un conseil. Il vous prie, en effet, de lever les yeux vers le
Seigneur, et il vous ôte la crainte de la pauvreté pour l'avenir: on peut voir
un grand enseignement dans les paroles des mendiants.
Que disent les riches, au contraire? Ils parlent comme des pourceaux, des
chiens, des loups et des autres bêtes sauvages. Les uns parlent de tables, de
mets, d'assaisonnements, devins de toute espèce, de parfums, de vêtements, de
tout ce qui concerne les folies du luxe; les autres parlent d'usures et de
prêts; et, fabricant des billets où les dettes sont portées à un chiffre
monstrueux, et qui sont supposés dater des pères et des grands-pères, ils
prennent à l'un sa maison, à l'autre son champ, à cet autre son esclave et tout
ce qu'il possède. Et que dire de ces testaments écrits avec du sang plutôt
qu'avec de l'encre? Au moyen de terreurs paniques ou de quelques légères
promesses, ils déterminent de petits propriétaires à les choisir pour
héritiers, au détriment de proches souvent accablés par la pauvreté. Cette
fureur, cette cruauté, ne dépassent-elles pas celles des bêtes féroces? Je vous
en prie donc, fuyons de telles richesses, source de honte et de meurtre;
acquérons les richesses spirituelles, cherchons les trésors qui sont dans le
ciel. Ceux qui les possèdent sont certainement riches; ils vivent dans
l'abondance, ils jouissent des biens de la terre et de ceux du ciel. En effet,
celui qui veut être pauvre selon Dieu, voit toutes les portes s'ouvrir devant
lui. Chacun donne à celui qui, par amour pour Dieu, ne possède rien; mais celui
qui veut acquérir même peu de chose au prix de l'injustice, se ferme toutes les
portes. Afin donc d'obtenir les richesses de ce monde et celles de l'autre,
choisissons la richesse solide et immortelle. Puissions-nous y parvenir tous
par la grâce et la bonté de Notre Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent,
au Père en union avec le Saint Esprit, la gloire, la force, l'honneur,
maintenant et toujours; et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
ANALYSE.
1. Pourquoi saint Paul fait porter sa mettre par son disciple Timothée.
2. Que les œuvres valent mieux que les paroles.
3. Comment s'acquiert le royaume des cieux. — Ce n'est pas vouloir le bien
que de le vouloir faiblement et sans rien faire. — Pourquoi Dieu a donné à
l'homme le libre arbitre.
4. Que la vertu est plus aisée que le vice. — Qu'un pauvre qui ne désire rien
est préférable à un riche cupide.
5. Insatiabilité des avares; maux qu'elle cause.
1. Considérez ici, je vous prie, une âme généreuse, plus ardente, plus vive
que le feu. Il aurait voulu être, chez les Corinthiens, si malades et Si
divisés. Car. il savait combien sa présence était
utile à ses disciples, combien son absence leur était nuisible. Il indique le
premier point dans sa lettre aux Philippiens, quand il leur dit: «Non-seulement en ma présence, mais bien plus encore en mon
absence, comme en ce moment, opérez votre salut avec crainte et
tremblement. » (Phil. II, 12); et le second quand il dit encore dans cette
lettre-ci: « Quelques-uns s'enflent en eux-mêmes, comme si je ne devais plus
«venir vous voir; mais je viendrai (18, 19) ». Il avait donc hâte, il avait le
désir de venir; mais comme cela n'était pas possible pour le moment, il les
corrige par la promesse de son arrivée, et aussi par l'envoi de son disciple. «
C'est pourquoi », leur dit-il, « je vous ai envoyé Timothée ». — « C'est
pourquoi » qu'est-ce à dire? Parce que j'ai soin de Mous comme de mes enfants,, parce que c'est moi qui vous ai engendrés. Et la lettre
est accompagnée de la recommandation de la personne: « Qui est mon fils
bien-aimé et fidèle dans le Seigneur ». Il dit cela, et pour montrer l'amour
qu'il lui porte et pour les préparer à le recevoir honorablement. Il ne dit pas
simplement « fidèle », mais « fidèle dans le Seigneur », c'est-à-dire, dans
tout ce qui est selon Dieu. Or, si c'est une gloire d'être fidèle dans les
choses temporelles, à plus forte raison de l'être dans les choses spirituelles.
Et si Timothée est le fils bien-aimé de Paul; songez à ce que doit être l'amour
de Paul pour les Corinthiens, en faveur de qui il s'en sépare! Mais s'il est
fidèle, il règlera tout d'une manière irréprochable. « Qui vous rappellera ».
Il ne dit pas:Il vous enseignera, de peur qu'ils ne trouvassent mauvais de
recevoir ses leçons. Aussi dit-il à la fin: « Car il travaille comme moi à
l'oeuvre de Dieu » (XVI, 10), de peur que quelqu'un ne le méprise. Car il
n'y avait pas de jalousie chez les apôtres.ils
n'avaient qu'une chose en vue, l'édification de l'Eglise; et si l'ouvrier était
de moindre valeur, ils le soutenaient et l'aidaient avec le plus grand
dévouement. C'est pour. cela qu'il ne se contenté pas
de dire; « Il vous rappellera »; mais voulant couper court à leur jalousie (car
Timothée était jeune); il ajoute: « Mes voies »; non pas les, siennes,
mais les miennes, c'est-à-dire, les. règlements, les
périls, les coutumes, les lois, les prescriptions, les canons des apôtres et
tout le reste. Comme il a dit plus haut: « Nous sommes nus, souffletés; nous
n'avons pas de demeure stable », il ajoute: « Il vous rappellera tout cela
ainsi que « les lois du Christ », afin de détruire les hérésies.
Puis reprenant son sujet, il continue: « Mes voies en Jésus-Christ »;
rapportant tout au maître, suivant son usage, et voulant rendre digne de foi ce
qui doit suivre, car il ajoute: « Selon ce que j'enseigne partout, dans toutes
les églises.». Je ne vous ai rien dit de nouveau: toutes les autres églises
m'en rendent témoignage. Il affirme que ses voies sont en Jésus-Christ, pour
montrer qu'elles n'ont rien d'humain et qu'avec le secours d'en-haut. il fait tout en règle.
Après avoir dit cela et les avoir guéris, sur le point d'accuser l'incestueux,
il reprend le langage de la colère, non qu'il soit réellement fâché, mais dans
le but de les corriger; et laissant de côté le coupable, il s'adresse aux
autres, comme s'il jugeait celui-là indigne qu'on lui parlât:procédé dont nous
usons nous-mêmes à l'égard de serviteurs qui nous ont grandement offensés.
Après avoir dit: « Je vous envoie Timothée », pour prévenir la négligence où
ils pourraient tomber, voyez ce qu'il ajoute: « Quelques-uns s'enflent en
eux-mêmes, comme si je ne devais plus venir vous voir ». Par là, il les
attaque, eux et quelques autres, en ébranlant leur orgueil. Car c'est le propre
de ceux qui ambitionnent le pouvoir; d'être arrogants en l'absence du maître.
Quand il s'adresse à la multitude, voyez comme il cherche à inspirer la honte;
mais quand il s'adresse aulx auteurs du mal, son langage est bien plus violent.
A ceux-là il dit: « La balayure rejetée de tous», puis, dans le but de les
adoucir: « Ce n'est point pour vous donner de la confusion que j'écris ceci ».
A ceux-ci il, dit: « Quelques-uns s'enflent en eux-mêmes, comme si je ne
devais plus venir vous voir », montrant que l'arrogance est le fait d’une âme
puérile; en effet, les enfants se relâchent en l'absence du maître. C'est ce
qui est indiqué ici, et aussi, que la présence de ce même maître suffit à faire
tout rentrer dans l'ordre.
` 2. Car comme la présence du lion
terrifie les animaux, ainsi celle de Paul épouvante les fléaux de l'Eglise.
Voilà pourquoi il ajouté: « Mais je viendrai vers vous bientôt, si le Seigneur
le veut ».S'en tenir à ces paroles n'eût paru qu'une menace; mais promettre
lui-même et exiger d'eux la démonstration par les oeuvres, voilà qui est d'une
grande âme. Aussi, ajoute-t-il: « Et je connaîtrai non quel est le langage de
ceux qui sont pleins d'eux-mêmes, mais quelle est leur vertu ». Car leur
arrogance avait pris sa source, non dans leurs succès propres, mais dans
l'absence du maître: ce qui était un signe de mépris. C'est pourquoi après
avoir dit: « Je vous ai envoyé, Timothée », il n'ajoute pas tout d'abord: « Je
viendrai »; mais il commence par les accuser de s'enfler en eux-mêmes, puis il
dit: « Je viendrai ». Si cette parole avait précédé l'accusation, il eût
eu l'air de s'excuser comme s'il n'eût pas été abandonné; ce n'eût pas été une
menace, et on n'y aurait pas ajouté foi; mais comme elle suit l'accusation;
elle le rend digne de foi et terrible. Et voyez sa fermeté et son assurance! Il
ne dit pas seulement: « Je viendrai »; mais: « Si le Seigneur le veut »,
et il ne détermine pas le temps. Car comme pouvait réprouver du retard, il veut
que l'incertitude les tienne en suspens et en crainte. Mais de peur qu'ils ne
tombent dans d'abattement, il ajoute: « Bientôt ».
« Et je connaîtrai non quel est le langage de ceux qui sont pleins
d'eux-mêmes, mais quelle est leur vertu ». Il ne dit pas je connaîtrai la
sagesse ni les signes; que dit-il donc? « Non quel est le langage »,
abaissant l'un, et relevant l'autre. Et en attendant, il s'adresse à ceux qui
prenaient le parti de l'incestueux. Si, en effet, il se fût adressé à celui-ci,
il n'aurait pas dit « vertu », mais oeuvres lesquelles étaient perverses chez
lui. Et pourquoi ne vous inquiétez-vous pas de l'éloquence? Ce n’est pas que
j'en sois dépourvu, mais, pour nous, tout consiste dans la vertu. Comme dans
les combats, le succès n'est pas pour ceux qui parlent beaucoup, mais pour ceux
qui agissent; de même ici la victoire n'est point le résultat des paroles, mais
des couvres. C'est leur dire: vous êtes fier de votre éloquence; s'il
s'agissait maintenant d'un combat de rhéteurs; vous auriez raison d'être
content de vous; mais si c'est une lutte d'apôtres prêchant la vérité et la
confirmant par des miracles, pourquoi vous enfler d'une chose superflue qui
n'est rien; qui ne peut servir à rien dans l'état présent? Qu'est-ce, en effet,
qu’une vaine parade de mots pour ressusciter un dort, chasser les démons, ou
opérer fout autre prodige? Or, c'est. là ce qu'il faut
maintenant, c'est par là que notre oeuvre s'accomplit. Aussi ajoute-t-il: «
Car. ce n'est pas dans les paroles que consiste le
royaume de Dieu, mais dans la vertu ». C'est-à-dire: Ce n'est pas par les
paroles que nous avons vaincu, mais par les signes; et
parce que notre enseignement est divin, parce que nous annonçons le royaume des
cieux, et que nous donnons pour preuve principale les miracles que nous faisons
par la vertu de l'Esprit. Si donc ceux qui s'enflent maintenant veulent être grands,
qu'ils fassent voir cette vertu; quand je serai arrivé, qu'ils ne m'offrent pas
une vaine pompe de langage: cet art est pour nous sans valeur.
« Que voulez-vous? que je vienne à vous avec une
verge, ou avec charité et mansuétude?» Ces paroles sont tout
à la fois effrayantes et pleines, de douceur. Dire: « Je connaîtrai »; c'était
se contenir; mais dire: « Que voulez-vous?que je
vienne à vous avec une verge? » c’est monter sur sa chaire de docteur, parler
delà et prendre toute l'autorité. Qu'est-ce que cela veut dire: « Avec une
verge? » C'est-à-dire: avec la punition, avec le châtiment; c'est-à-dire: je
tuerai, je frapperai de cécité; ce que Pierre a déjà fait à Saphire,
et lui-même à Elymas le magicien. Maintenant il ne
parle plus comme se mettant à leur niveau, mais d'un ton d'autorité. Dans sa
seconde lettre, il parle de la même manière quand il dit: « Est-ce que vous
voulez éprouver celui qui parle en moi, le Christ? » (II Cor. XIII, 3.) « Que
je vienne avec une verge ou avec charité ». Quoi! cette
verge ne serait-elle pas celle de la charité? Certainement si; mais il parle de
la sorte parce que la charité ne se résout qu'avec peine à punir. Quand il
s'agit de châtiment il ne dit plus: En esprit de douceur, mais: « avec une
verge ». Et pourtant tout se faisait dans l'Esprit, qui est tout à la fois un
Esprit de douceur et un Esprit de sévérité; mais il ne l'appelle pas ainsi et
préfère lui donner un nom plus doux. C'est pour cela que Dieu, bien qu'il
punisse, est appelé souvent miséricordieux, patient, riche en pitié et en
miséricordes; et c'est à peine si, une fois sur deux, rarement au moins, on dit
qu'il punit, et encore ne ledit-on que dans l'occasion et par nécessité. Et
voyez la sagesse de Paul. Il a l'autorité, et pourtant il leur laisse le choix,
disant: « Que voulez-vous? » La chose est en votre pouvoir. Et en réalité il
dépend de nous de tomber en enfer ou d'obtenir le royaume du ciel; ainsi Dieu
l'a voulu. « Voilà l'eau et le feu; étendez à votre choix la main vers l'un ou
l'autre ». (Eccli. XV, 16.) Et encore: « Si vous le
voulez, et si vous m'écoutez, vous mangerez les biens de la terre ». (Isaïe I,
19.)
3. Quelqu'un dira peut-être: Je le veux. Au fait, personne n'est assez
insensé pour ne pas vouloir; mais vouloir ne suffit pas. — Vouloir suffit, si vous
voulez comme il faut, si vous faites ce qu'il faut faire quand on veut; mais
votre volonté n'est pas forte. Etudions cela dans d'autres sujets, si vous le
voulez. Dites-moi: pour épouser une femme; est-ce assez de le vouloir? Non
certainement: il faut chercher des entremetteuses, intéresser ses amis à
l'affaire, se procurer de l'argent. Il ne suffit pas à un marchand de vouloir
et de rester chez lui; mais il faut louer un navire, se fournir de pilotes et
de rameurs, emprunter de l'argent, et s'informer soigneusement des lieux et du
prix des marchandises. Comment donc ne serait-il pas absurde de se donner tant
de peine pour les choses de la terre et de se contenter de la volonté pour
acheter le royaume du ciel? bien plus, de ne pas même montrer une véritable
bonne volonté? Car celui qui veut comme-il faut, fait tout ce qui peul le
conduire à son but. En effet, quand la faim vous force à manger, vous
n'attendez pas que les aliments viennent d'eux-mêmes à vous, mais-vous faites
tout pour vous les procurer; quand vous avez soit ou froid, ou que vous
éprouvez tout autre besoin, vous êtes également actif et empressé à soigner
votre corps. Faites-en autant pour le royaume des cieux, et vous l'obtiendrez
sûrement. Dieu vous a donné le libre arbitre précisément pour que vous ne
l'accusiez pas de vous avoir contraint. Et vous vous fâchez de ce qui fait
votre honneur! J'en ai, en effet,.entendu beaucoup
dire: Pourquoi m'a-t-il rendu maître de ma propre volonté? Quoi! devait-il vous
amener au ciel pendant que vous dormez ou que vous sommeillez, que vous vous
adonnez à tous les vices, Une vous vivez dans la volupté ou dans les plaisirs
de la table? Mais vous ne vous seriez pas abstenu dq
mal. Car si vous ne vous en abstenez pas nous le coup de ses menaces; ne
seriez-vous pas devenu plus liche et beaucoup plus vicieux,.s'il
vous avait proposé le ciel pour récompense? Et vous ne pouvez pas dire: Il m'a.
fait voir, des biens et né m'a pas aidé à les acquérir,
car il vous promet de grands secours: Mais, dites-vous, la vertu est
désagréable et pénible, tandis qu'un grand plaisir se mêle au vice; l'un est
large et spacieux, et l'autre étroite et resserrée. Eh dites-moi: en fut-il
ainsi dès le commencement? C'est malgré vous que vous parlez ainsi de la vertu;
tant la vérité a de force!
S'il y avait deux chemins dont l'un conduisît à une fournaise, et l'autre à
un jardin, et que le premier fût large et le second étroit, lequel
choisiriez-vous? Vous aurez beau disputer et contredire, même jusqu'à
l'impudence, vous ne détruirez pas des vérités acceptées de tous. Je
m'efforcerai de vous prouver, par des exemples sensibles, qu'il faut choisir la
voie qui est rude au commencement et ne l'est plus à la fin. Si vous le voulez,
commençons par les arts; ils sont très pénibles d'abord et deviennent ensuite
lucratifs. Mais, dites-vous, personne ne s'y applique sans y être forcé; si le
jeune homme était maître de lui-même, il aimerait mieux vivre tout d'abord dans
les délices, au risque de beaucoup souffrir à la fin, que de commencer par
vivre misérablement pour recueillir plus tard les fruits de ses travaux. Donc
c'est là une pensée d'enfant, d'orphelin, l'inspiration d'une paresse puérile;
la conduite opposée est celle de la prudence et du courage. Donc si nous ne
sommes pas enfants par le caractère, nous n'imiterons pis, l'enfant privé de. ses parents eu de sa raison, mais celui qui a son père. Donc
il faut dépouiller cet esprit puéril, ne pas accuser les choses, et donner à la
conscience un guide qui ne lui permette pas de se livrer à la bonne chère, mais
l'oblige à courir et à combattre. Comment ne serait-il pas absurde que des
enfants dépensassent leurs peines et leurs sueurs à des métiers dont les débuts
sont laborieux et les profits ne viennent qu'à la fin, et que nous tinssions
une toute autre conduite dans les affaires spirituelles?
Et encore, dans lés questions matérielles, n'est-on pas toujours sûr
d'arriver à un bon résultat. Car une mort prématurée, la pauvreté, la calomnie,
les vicissitudes des événements, et beaucoup d'autres causes semblables,
peuvent nous priver des fruits de nos longs travaux. Et quand on atteint le
but, on n'en retire pas grand avantage, puisque tout disparaît avec la vie
présente. Mais ici nous ne courons pas pour des objets stériles et passagers,
nous n'avons rien à craindre pour le résultat; nous espérons, après le départ
de cette. vie, des biens plus grands et plus solides.
Quel pardon, quelle excuse y a-t-il donc peur ceux qui ne, veulent pas
travailler à acquérir la vertu? On demande encore: Pourquoi la voie est-elle
étroite? On ne laisse pas entrer un débauché, un ivrogne, un libertin dans les
palais des princes de la terre; et vous voudriez qu'on
entrât dans le ciel avec la licence, la volupté, 1'.ivrogrierie, l'avarice et
tous les autres vices! Cela est-il acceptable?
4. Ce n'est pas cela que je veux dire, reprend-on; mais pourquoi le chemin
de la vertu n'est-il pas large? Si nous le voulons, il est très facile. Lequel
est le plus facile, dites-moi, Je percer les murailles, pour voler le bien d'autrui
et être Ensuite jeté en prison; ou de se contenter de ce que l'on a et de vivre
sans crainte? Et je n'ai pas tout dit. Lequel est le plus facile, dites-moi
encore, de voler tout le monde, de jouir un moment d'une partie de ses vols,
puis d’être torturé et flagellé éternellement; ou de vivre quelque temps dans
une honnête pauvreté, pour jouir ensuite d'un bonheur sans fin? Ne parlons pas
encore de profit, mais de facilité.
Lequel est le plus doux d'avoir eu un songe agréable et d'être réellement
puni, ou d'avoir eu un songe pénible et de jouir du bonheur? N'est-ce pas
évidemment ce dernier cas? Comment donc appelez-vous la vertu âpre et
difficile? Elle l'est en effet, eu égard à notre indolence. Mais le Christ nous
dit qu'elle est facile et douce. Ecoutez-le: « Mon joug est doux et mon fardeau
léger ». (Matth. XI, 30.) Et st vous ne sentez
pas qu'il est léger, c'est que vous n'avez pas l'âme forte. Car comme tout ce
qui est lourd lui devient léger quand elle est forte, ainsi tout ce qui est
léger lui devient lourd quand elle ne l'est pas. Qu'y avait-il de plus agréable
que la manne, de plus facile à. préparer? Pourtant les Juifs se dégoûtaient de
cette délicieuse nourriture. Quoi de plus cruel que la faim et due toutes les
souffrances endurées par Paul? Et i1 tressaillait de joie, et il se
réjouissait, et il disait «Maintenant je me réjouis dans mes
souffrances ». (Col. I, 24.) A quoi cela tient-il? A la différence des
âmes. Si votre âme est ce qu'elle doit être, vous verrez la facilité de la
vertu. Quoi, direz-vous, la vertu devient facile parla disposition de l'âme?
Pas uniquement pour cela, mais aussi par sa nature. — En effet, si elle était
toujours difficile et le vice toujours facile, ceux qui sont tombés auraient
raison de dire que le vice est. plus facile que la vertu; mais si l'une est
difficile et l'autre facile au commencement, et qu'à la fin ce soit tout le
contraire, et que cette fin, heureuse ou malheureuse, doive durer
éternellement, lequel, dites-moi, est le plus facile à choisir? Pourquoi donc
un grand nombre d'hommes ne choisissent-ils pas le plus facile? Parce que les
uns ne croient pas, et que tes autres, tout en croyant, ont le jugement
perverti, et préfèrent une jouissance éphémère à un bonheur éternel. — Donc
c'est plus facile. — Cela n'est pas plus facile, mais c'est l'effet de la
faiblesse de l'âme. Comme les fiévreux aiment à boire de l'eau froide, non
parce qu'une jouissance d'un moment est préférable à une longue souffrance,
mais parce qu'ils ne peuvent contenir un désir déraisonnable; ainsi en est-il
ici, tellement que si on les conduisait au supplice au milieu du plaisir, ils
n'y voudraient point consentir. Voyez-vous combien le vice est plus facile? Si
vous le voulez, examinons encore ici la nature des choses. Quoi de plus doux, dites-moi,
quoi de plus facile? Mais ne jugeons point d'après là passion de la multitude;
car ce ne sont pas les malades, mais ceux qui se portent bien qu'on doit
consulter. Quand vous me montreriez des milliers de fiévreux, recherchant ce
qui est contraire à leur santé, au risque de souffrir ensuite; je n'accepterais
pas leur manière de voir. Lequel est le plus facile, dites-moi, d'ambitionner
de grandes richesses, ou d'être au-dessus de cette ambition? C'est ce dernier
point, ce me semble; et si vous n'êtes pas de mon avis, allons. au fond des choses. Supposons un homme qui désire beaucoup
et un homme qui ne désire rien: lequel. de ces deux
états vaut le mieux, lequel est le plus honorable
5. Mais laissons cela de côté: il est incontestable que le- dernier est
plus honorable que l'autre; mais ce n'est point là la question; il s'agit de
savoir lequel des deux vit le plus facilement, le plus agréablement. Or l'avare
ne jouit pas même de ce qu'il a; il ne voudrait pas dépenser ce qu'il aime; il
couperait lui-même sa chair et en jetterait su loin les morceaux plutôt que de
jeter son or; tandis que celui qui méprise les richesses a au moins cet
avantage qu'il jouit en toute liberté et sécurité de ce qu'il possède, et
s'estime plus que ses biens Maintenant, lequel est le plus agréable, de jouir
tranquillement de ce qu'on a, ou d'être esclave de la richesse jusqu'à n'oser
toucher à ce que l'on possède? C'est à peu près, ce me semble, comme si deux
hommes avaient chacun une femme qu'ils aimassent beaucoup, et que l'un eût la
faculté de jouir de la sienne, tandis que ce pouvoir serait refusé à l'autre.
Je dirai encore autre chose pour faire voir combien la vertu procure de joie et
le vice de tristesse. Jamais l'avare ne modérera sa passion, ni par la
considération qu'il ne peut pas s'emparer du bien de tout le monde, ni parce
qu'il regarde comme rien tout ce qu'il possède; au contraire, celui qui méprise
l'argent, regarde tout comme superflu, et n'est point tourmenté par des désirs
insatiables. Car il n'est pas de supplice pareil à celui d'un désir inassouvi;
ce qui est l'indice d'un sens étrangement perverti.
Voyez en effet: Celui qui désire de l'argent et en possède déjà beaucoup,
est aussi tourmenté que s'il n'avait rien. Or, quai de plus compliqué qu'une
telle maladie? Non-seulement elle est grave par
elle-même, mais encore parce que, tout en possédant, on ne semble rien
posséder, et qu'on est tourmenté comme si l'on n'avait réellement rien;
possédât-on les biens de tout le monde, on n'en serait que plus malheureux; si
l'on a cent talents, on s'afflige de n'en pas avoir mille; si on en a mille, on
souffre de n'en avoir pas dix mille; si on en a dix mille, on est tourmenté de
n'en avoir pas dix fois plus; en sorte qu'un surcroît de fortune devient un
surcroît de pauvreté, et que plus on a, plus on désire avoir. Donc, plus. on possède, plus on est pauvre: car celui qui désire le
plus, est celui à qui il manque davantage. Avec cent talents, il n'est pas très
pauvre, car il n'en désire que mille; quand il en a mille, il devient plus
pauvre; car il ne, se contente pas de mille, comme auparavant, mais il prétend
qu'il lui en faut dix mille. Que si vous prétendez que ce soit un plaisir de
désirer sans obtenir, il me semble que vous ignorez absolument la nature du
plaisir. Prouvons, dans un autre ordre de choses, que c'est là, non une
jouissance, mais un supplice.
Pourquoi, quand nous avons soif, goûtons-nous du plaisir à boire? N'est-ce
pas parce qu'en buvant, nous nous délivrons d'un grand tourment, qui est le
désir de boire? Evidemment. Or, si ce désir devait toujours durer, notre sort
ne serait pas meilleur que celui du riche qui n'eut pas pitié de Lazare, notre
tourment ne serait pas moindre: car sa punition était de désirer ardemment une
goutte d'eau sang pouvoir l'obtenir. C'est là, ce me semble, le perpétuel
supplice des avares: ils ressemblent à ce riche qui demandait une goutte d'eau
et ne l'obtenait pas; leur âme est même encore plus tourmentée que la sienne.
Aussi a-t-on eu raison de les comparer aux hydropiques. Car comme ceux-ci, en
portant beaucoup d'eau dans leur corps, n'en sont que plus brûlés parla soif;
ainsi ceux-là, quoique chargés d'une grande quantité d'argent, tan désirent
encore davantage. Et la raison en est que les uns ne portent pas leur eau dans
les endroits convenables, ni les autres leur désir d'une manière raisonnable.
Fuyons donc cette étrange; cette stérile maladie; fuyons la racine des maux;
fuyons l'enfer de ce monde: car la passion de l'avare est un enfer. Pénétrez
dans l'âme de celui qui méprise l'argent, et dans celle de celui qui ne le
méprise pas; et vous verrez que le premier, semblable aux fous furieux, ne veut
rien voir, rien entendre; et que le second ressemble à un port à l'abri des
flots, et qu'il est aimé de tout le monde matant que l'autre en est haï, En
effet, si on lui prend, il ne s'attriste. pas; si on
lui. donne, il ne s'enfle pas; il règne en lui une
certaine indépendance pleine de sécurité; il n'est pas obligé, comme l'avare,
de flatter tout le monde et de faire l'hypocrite. Si donc l'avare est pauvre,
lâche; dissimulé, rempli de terreur, livré aux châtiments et aux tortures,
tandis que celui qui méprise l'argent jouit de tous les biens opposés; n'est-il
pas évident que la vertu est:plus douce que le vice? Nous pourrions prouver encore
par les autres défauts que le mal ne procure jamais la joie, si déjà nous
n'avions longtemps parlé. Eclaircis sur ce point, choisissons donc la vertu,
afin d’être heureux ici-bas et d'obtenir les biens futurs, par la grâce. et la bonté de Notre Seigneur Jésus-Christ, en qui
appartiennent au Père, en union avec le Saint Esprit, la gloire, l'empire,
l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi
soit-il:
ANALYSE.
1. Saint Paul en vient enfin à l'incestueux, et il ne l'attaque pas seul,
mais avec lui toute l'Eglise de Corinthe que souillait la présence d'un tel
coupable.
2. Il faut châtier le coupable, le châtier dans son corps pour sauver son
âme.
3. Pour les chrétiens, tous les jours sont jours de fête.
4. Prudence de saint Paul. — Que l'avarice est un vieux levain, et comment.
— Des héritiers d'un bien mal acquis.
1. Quand il s'agissait de leurs divisions, il n'employait pas dès le début
des termes aussi violents; trais il leur parlait d'abord doucement, et
finissait par les accuser en disant: « Car j'ai été averti, mes frères,
par ceux de la maison de Chloé, qu'il y a des contestations parmi vous ». (I
Cor. I, 11.) Ici, il ne procède pas de la, même manière; mais il frappe tout
d'abord; et fuit, autant que possible, peser sur tous l'accusation. En effet,
il ne dit. pas Pourquoi un tel a-t-il commis une
fornication? Mais: « Il n'est bruit que d'une fornication commise parmi vous »;
il ne veut pas que, se croyant à l'abri du reproche, ils agissent avec
négligence; mais que, le coup tombant sur la communauté et l'accusation sur
l'Eglise, leur sollicitude s'éveille. Il veut leur dire: On ne dira pas, un tel
a commis une fornication, mais tel péché s'est commis dans l'Eglise rie
Corinthe. Il ne dit pas: On commet la fornication, mais: « Il n'est bruit.. telle qu'il n'en existe pas chez les gentils mêmes. C'est
toujours par comparaison aux gentils qu'il fait rougir les fidèles. Ainsi il
écrivait aux Thessaloniciens: «Que chacun de vous
sache posséder son corps saintement, et non dans la passion de la convoitises
comme les autres nations » {I Thess. IV, 4, 5); et
aux Colossiens et aux Ephésiens: « Ne marchez plus
comme les autres nations ». (Eph. IV, 17.) Mais si
ces fautes sont. impardonnables chez les gentils, à
quel rang, dites-moi, placerons-nous les fidèles qui les dépassent? Citez les
gentils, non seulement on ne commet; pas ce crime, mais il n'a même pas de nom.
Voyez-vous jusqu'où il porte l'accusation? Car inventer
un genre de luxure que les infidèles, non seulement ne commettent pas, mais ne
connaissent même pas, c'est porter le péché à son comble.
« Parmi vous », ces mots sont emphatiques; c'est-à-dire, parmi vous, les
fidèles, qui participez à de si grands mystères, à qui on a communiqué les
secrets divins, qui êtes appelés au ciel. Voyez-vous
quelle indignation ce langage respire? Comme il est irrité contre eux tous?
S'il n'eût pas été enflammé de courroux, il ne se serait pas ainsi adressé à
tous; il eût dit: J'ai appris qu'un tel a commis le péché de fornication,
punissez-le. Mais ce n'est pas ainsi qu'il parte: il s'adresse à tout le monde.
Si on lui eût écrit pour le prévenir, il aurait pu employer ce langage. Or, non
seulement on ne lui a pas écrit, mais on cherche à tenir la faute dans l'ombre,
voilà pourquoi il emploie des tertres plus violents. « Jusque-là que quelqu'un
a la femme de son père ». Pourquoi ne dit-il pas. A commis la fornication
avec une femme? Il repousse ce terme trop honteux; par pudeur il le passe sous
silence, comme déjà contenu dans ce qu'il vient de dire. Et par là même il
fortifie l'accusation en montrant qu'on commet chez eux un crime que Paul ne
peut prendre sur lui de nommer ouvertement. C'est pourquoi il adopte encore
plus bas la même formule: «Celui qui a commis cette action »; puis il rougit de
nouveau et se refuse encore à employer le terme propre: ce que nous avons
coutume de faire dans les matières par trop honteuses.
Il ne dit point non plus: Sa belle-mère, mais « la femme de son père », afin de
frapper plus fort. En effet, quand les mots suffisent pour l'accusation, il les
emploie et n'y ajoute rien. Ne m'objectez pas, leur dit-il, qu'il n'y a qu'un. fornicateur; car le crime est commun à tous. Aussi
ajoute-t-il: « Et vous êtes gonflés d'orgueil ». Il ne dit pas: A cause de ce
péché (ce qui eût été absurde), mais à cause de l'enseignement de cet homme. Il
ne s'exprime pas ainsi, il laisse de côté ce moyen, pour frapper plus fort.
Et voyez la prudence de Paul. Après avoir d'abord détruit la sagesse du
dehors et fait voir qu'elle n'est rien, même quand le péché- ne s'y ajoute pas,
il parle enfin du péché. Si, à propos du fornicateur, qui était peut-être un
sage, il eût dit que le don spirituel avait beaucoup de valeur, il n'eût pas
fait grand'chose; mais abattre la sagesse humaine,
abstraction faite du péché, et démontrer qu'elle n'est rien, c'est la réduire
au moindre prix possible. C'est donc après avilir d'abord établi la comparaison,
qu'il mentionne le péché. Et, il ne daigne pas même parler au coupable, (en
quoi il fait ressortir son extrême infamie); mais il dit à tous z Vous devriez
pleurer, gémir, vous couvrir la face de honte, et vous faites tout le
contraire. Aussi ajoute-t-il: « Et vous êtes gonflés d'orgueil! Et vous n'êtes
pas plutôt dans les pleurs! » Qu'est-il donc arrivé, objecte-t-on, pour
que nous soyons dans les pleurs? Parce que l'accusation retombe sur toute
l’Eglise. Et que gagnerons-nous à pleurer? « De faire disparaître un tel
coupable du milieu de vous ». Il ne prononce pas son nom, ni ici, ni ailleurs;
comme nous avons coutume de faire quand il s'agit de choses monstrueuses. Il ne
dit pas; Et vous ne l'avez,vas plutôt chassé; mais;
comme c'est de deuil et d'instantes prières qu'il est besoin, ainsi que dans
les cas de maladie et de peste, il dit: «Pour le faire disparaître »; et dans
ce but il faut employer la prière et tout mettre en oeuvre pour le retrancher.
Il ne leur reproche pas de ne pas l'avoir prévenu, lui, niais de n'avoir pas
pleuré pour faire disparaître le coupable; indiquant par là qu'ils auraient dû
le faire même en l'absence de leur maître, à cause de l'évidence du crime. «
Pour moi, absent de corps, il est vrai, mais présent d'esprit ».
2. Voyez soir indignation: il ne veut pas même qu'on attende son arrivée
pour lier le coupable; mais voulant expulser le venin avant qu'il ait envahi. tout le corps, il se hâte de le contenir, en disant. «J'ai
déjà jugé comme si j'étais présent ». Or, il disait cela, non seulement pour
les presser de rendre l'arrêt et les détourner de toute autre résolution, mais
encore pour les effrayer en leur montrant qu'il savait ce qui devait se passer,
et le jugement qui devait se rendre. C'est ce qui s'appelle être présent
d'esprit; comme Elysée l'était à Giézi, à qui il
disait: « Est-ce que mon esprit n'était pas avec toi? » (IV Rois, V, 26.)
Oh! qu'elle est grande, la vertu de la grâce,
puisqu'elle fait de tous les membres un seul corps, et révèle ce qui se passe
au loin! « J'ai déjà jugé comme si j'étais présent ». Il ne leur permet pas de
penser autrement: J'ai porté la sentence comme si j'étais là;pas
de retards, point de délais: tout autre parti est impossible. Ensuite, pour ne
pas trop paraître agir d'autorité, et pouf que son langage ne respire pas
l'arrogance, voyez comme il les associe eux-mêmes au jugement qu'il porte!
Après avoir dit: « J'ai jugé », il continue: « Que celui qui a commis un tel
attentat, vous et mon esprit étant réunis au nom « de Notre Seigneur Jésus-Christ,
soit, par la présence de Notre Seigneur Jésus-Christ, livré à Satan ». Et
pourquoi: « Au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ? » C'est-à-dire, selon Dieu;
sans être retenu par aucune considération humaine. Quelques-uns lisent: « Celui
qui a ainsi agi au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ », et plaçant là un point
ou une virgule, ils continuent ainsi te texte « Vous et mon esprit étant
réunis, de livrer cet homme à Satan». Et voici, selon eux, le sens de ce
passage: « Livrez à Satan l'homme qui a fait cela au nom de Jésus-Christ;
c'est-à-dire, livrez à Satan. celui qui a outragé le
nom du Christ, celui qui, devenu fidèle, et empruntant son surnom au Christ, a
osé commettre un tel crime. Mais la première leçon me paraît plus vraie.
Et quelle est-elle? « Vous étant réunis au nom du Christ », c'est-à-dire:
le nom de celui qui est votre point de ralliement, vous réunissant. « Et mon
esprit ». De nouveau. il se place au milieu d'eux,
afin que, jugeant comme s'il était présent, ils retranchent le coupable, et que
personne n'ose le croire digue de pardon, dans la conviction, que Paul saura ce
qui s'est passé. Ensuite; pour augmenter la terreur, il dit: « Par la puissance
de Notre Seigneur Jésus-Christ». Ce qui signifie: ou que le Christ vous donnera
la grâce, afin que vous puissiez livrer le coupable au démon, ou que le Christ
portera la sentence avec vous contre lui. Il ne dit pas: Le donner, mais n le
livrer » à Satan, pour lui ouvrir la porte du repentir et le livrer au. démon comme à soir maître. « Un tel », encore une fois, il
ne veut absolument pas prononcer son nom. « Pour la mort de sa chair ».
Comme il arriva au bienheureux Job, mais non pour la même raison. Là ç'était
pour mériter de plus glorieuses couronnes; ici, c'est en expiation des péchés,
pour frapper le coupable de quelque ulcère pernicieux ou d’une autre maladie.
Ailleurs il dit: Dans ces souffrances « nous sommes jugés par le Seigneur »;
mais ici, pour blesser plus vivement, il le livre à Satan. Et c'était
certainement l'avis de Dieu que le coupable fût châtié dans ça chair; et la
chair est châtiée parce que ses convoitises sont les fruits de la débauche et
des voluptés sensuelles.
« Afin que son esprit soit sauvé au jour du Seigneur Jésus». C'est-à-dire,
son âme: non que l'âme soit seule sauvée, mais parce qu'il est reconnu que
quand elle l'est, le corps l'est certainement aussi avec elle. Il est devenu
mortel à cause d'elle; si donc elle agit conformément à la justice; il jouira,
lui aussi, d'une grande gloire. Quelques-uns prétendent que par esprit on
entend ici une grâce, qui s'éteint en nous quand nous péchons. Et pour que cela
n'arrive pas, qu'il soit puni, dit l'apôtre, afin que, devenu meilleur, il
s'attire la grâce et puisse là montrer saine et entière au dernier jour. Ainsi
Paul ne tranche pas au hasard, ne punit pas inconsidérément, mais fait plutôt
l'office de tuteur et de médecin. Car le profit de la peine est plus grand que
la peine; celle-ci est passagère, celui-là dure toujours. Et il ne dit pas
simplement: « Afin que son esprit soit sauvé », mais « en ce jour-là». Et c'est
justement et à propos qu'il leur rappelle ce jour, afin qu'ils appliquent plus
promptement le remède, et que le coupable l’accepte mieux, convaincu que ce
n'est point là le langage de la colère, mais celui d'un père indulgent et
prévoyant. Aussi dit-il: « Pour la mort de sa chair»; faisant ici une loi au
démon et circonscrivant son pouvoir; comme Dieu avait dit autrefois à
l'occasion de Job: « Du reste ne touche point à son âme ».
3. Après avoir ainsi réglé la sentence, brièvement et sans retard, il
reprend ses reproches, et s'adresse aux Corinthiens: « C'est bien à tort que
vous vous glorifiez ». Il leur fait entendre que jusqu'à ce moment ce sont eux
qui ont empêché le coupable de se repentir, en se glorifiant de lui. Ensuite il
fait voir qu'il p'agit pas seulement par ménagement pour ce pécheur, mais aussi
pour eux, et il ajoute: « Ne savez-vous pas qu'un peu de levain corrompt toute
la pâte? » C'est-à-dire: bien que la faute lui soit propre, cependant, si vous
la négligez, elle peut gâter toute l'Eglise. Car quand le premier coupable
n'est pas puni, d'autres suivent bientôt son exemple. Il parle ainsi pour leur
faire vair qu'ils ont à lutter et à courir des dangers, non pas seulement pour
un seul homme, mais pour l'Eglise entière; c'est pourquoi il se sert de la
comparaison du levain. De même, leur dit-il, que le levain, hie n que d'un
mince volume, s'assimile toute la pâte; ainsi ce pécheur perdra tout-le reste,
si son péché restes impuni. « Purifiez-vous du vieux levain », c'est-à-dire de
ce criminel. Du reste il ne parle pas seulement de celui-là, mais il fait
allusion à d'autres. En effet, ce n'est pas la seule fornication, mais tout
vice qui est du vieux levain. Il ne dit pas: Purifiez-vous, mais: « Purifiez-.vous complétement »,
purifiez-vous. avec soin, en sorte qu'il né reste
rien,-pas même l'ombre d'un tel mal. En disant donc: « Purifiez-vous », il
indique que le mal subsiste encore chez eux; mais quand il. ajoute:
« Afin que vous soyez d’une pâte nouvelle, comme vous êtes des azymes», il
donne à entendre que le vice ne domine pas chez beaucoup d'entre eux. Et
1. Il ne dit pas
seulement: katharate, mais ekkatharate.
s'il dit: « Comme
vous êtes des azymes », ce n'est pas qu'ils soient tous purs, mais il veut dire:
Comme il convient que vous soyez. « Car notre agneau pascal, le Christ, a été
immolé. C'est pourquoi mangeons la pâque, non avec un vieux levain, ni avec un
levain de malice et de méchanceté, mais avec des azymes de sincérité et de
vérité ». C'est ainsi que le Christ a appelé la doctrine, levain. Et Paul
continue la métaphore; en leur rappelant l'histoire ancienne, la pâque, tes
azymes, les bienfaits anciens et nouveaux, les punitions et les châtiments.
C'est donc un temps de fête que le temps de cette vie. Quand il dit: «
Faisons festin »; ce n'est pas parce que c'était alors la pâque ou la
Pentecôte; mais il veut faire entendre que la vie est pour les chrétiens une
fête continuelle, à cause de l'abondance des biens qu'ils reçoivent. Et quel bien
en effet vous fait défaut? Le Fils de Dieu s'est fait homme pour vous; il vous
a délivrés de la mort et appelés au royaume du ciel. Vous donc qui avez reçu et
recevez de tels bienfaits, comment ne seriez-vous pas toujours en fête? Que
personne donc ne s'attriste parce qu'il est pauvre ou malade, ou qu'on lui tend
des embûches: car notre vie est une fête perpétuelle. « Réjouissez-vous dans le
Seigneur, réjouissez-vous, je vous le dis encore une fois, réjouissez-vous ».
(Phil. IV, 4.) Or, dais les jours de fête, personne ne met de sales habits;
n'en mettons donc point: car ce sont des noces, des noces spirituelles. Il est
écrit: « Le royaume des cieux est semblable à un roi qui voulut faire les noces
de son fils ». (Matth. XXII, 2.) Or, quand un roi
fait des noces et les noces de son fils, peut-il y avoir une plus grande fête?
Que personne donc n'y paraisse en haillons. Nous ne parlons pas ici de
vêtements, mais d'actions impures. Si en effet un des convives de la noce,
trouvé salement vêtu quand les autres l'étaient magnifiquement, fut expulsé
avec ignominie; songez quelle sévérité,quelle pureté
il faut pour prendre part à cet autre festin nuptial. Et ce n'est pas seulement
pour cela que l'apôtre leur parle des azymes; mais, indiquant le rapport de
l'Ancien Testament avec le Nouveau, il fait voir qu'après les azymes, il n'est
plus permis de retourner en Egypte, sous peine de sabir le même châtiment que
ceux qui voulurent y retourner; vu que ce n'étaient là que des figures, quoi
qu'en dise le Juif impudent. E'ri effet, interrogez-le là-dessus, il ne vous
dira rien qui vaille; ou s'il répond quelque chose, ce ne sera pas dans le même
sens que nous, puisqu'il ne connaît pas la vérité. Il vous dira, par exemple,
que Dieu a changé les dispositions des Egyptiens au point qu'ils ont.chassé eux-mêmes ceux qu'ils retenaient naguère, de
force et à qui ils n'avaient pas même permis de faire fermenter là pâte. Mais
si quelqu'un m'interroge, je ne lui parlerai pas de l'Egypte, ni de Pharaon,
mais de l'affranchissement de l'esclavage des démons et des ténèbres du diable;
je ne parlerai pas de Moïse, mais du Fils de Dieu; ni de la mer Rouge, mais du
baptême si fécond en bons résultats, et qui est la mort du vieil homme. De
plus, si vous demandez au Juif pourquoi il fait absolument disparaître le
levain, il gardera le silence, il ne vous en dira pas la raison. C'est que,
parmi ces prescriptions, les unes étaient des figures de l'avenir et
contenaient la raison de ce qui se fait aujourd'hui; les autres avaient pour
but d'éloigner les Juifs du mal et de les empêcher de; rester dans les ombres.
Que signifient, de grâce, ces mots « Mâle, sans tache et âge d'un an? » Et
ceux-ci: « On ne lui brisera pas les os? » Pourquoi appeler les voisins?
Pourquoi manger « debout », et le soir? Pourquoi le bang sur les maisons,
comme sauvegarde? A ces questions le Juif ne répondra qu'en parlant de
l'Egypte, toujours de l'Egypte; et moi j'expliquerai ce que signifie ce sang,
pourquoi la circonstance du soir, pourquoi tous devaient manger ensemble et debout.
4. En premier lieu, disons pourquoi le levain devait entièrement. disparaître. Quel est le sens de l'énigme? Le fidèle doit
être exempt de tout vice. Comme celui chez qui en avait trouvé du vieux levain
était condamné à mort, ainsi en est-il de nous, si nous sommes trouvés entachés
de mal. Il ne peut se faire qu'une punition si grande dans le temps des
figures, ne le soit encore beaucoup plus dans le nôtre.
En effet, si les Juifs sont si soigneux à faire disparaître le levain,
jusqu'à faire des recherches dans les trous de souris; combien ne devons-nous
pas l'être davantage pour sonder notre âme et la purifier de toute pensée
impure. Mais cet usage, pratiqué hier par les Juifs, n'existe plus: car partout
où il y a un Juif, on trouve du levain. Au milieu des villes, il est vrai, on
fabrique des azymes; mais c'est un jeta d'enfant plutôt qu'une loi. Partout où
la vérité pénètre, les figures disparaissent. Aussi c'est au moyen de cette
comparaison que Paul repousse surtout le fornicateur. Non-seulement,
dit-il, sa présence ne sert plus à rien, mais elle devient nuisible, en gâtant
le corps entier. On ne sait en effet d'où émane la mauvaise odeur quand le
nombre pourri est invisible, et on l'attribue au corps entier. Aussi les
presse-t-il vivement de faire disparaître te levain: « Afin », dit-il; « que
vous soyez une pâte nouvelle, comme vous êtes des azymes: Car notre agneau
pascal, le Christ, a été immolé pour nous ». Il ne dit pas: Est mort; mais: « A
été immolé », pour mieux rendre sa pensée. Ne cherchez clone plus des azymes de
ce genre, car vous n'avez plus le même agneau; ne cherchez plus de ce levain,
car vos azymes ne sont pas les mêmes. Il est vrai qu'avec le levain matériel,
l'azyme peut fermenter; et que ce qui.est fermenté ne
peut plus devenir azyme mais ici c'est le contraire. Cependant il n'exprime pas
cette pensée.
Et voyez sa prudence: dans sa première épître, il ne donne point art
fornicateur espérance de retour; il veut que sa vie entière soit consacrée à la
pénitence; il aurait craint de le rendre plus lâche en lui faisant cette
promesse. En effet, il ne dit pas: Livrez-le à Satan, afin qu'après avoir fait
pénitence, il rentre dans l'Eglise; mais: « Afin qu'il soit sauvé au dernier
jour ». Il le renvoie à ce temps, pour exciter sa sollicitude; et, à
l’imitation de son maître, il ne lui révèle pas ce qu'il lui accordera après sa
pénitence. De même que Dieu avait dit: « Encore trois jours et Ninive sera
détruite ».(Jon. III, 4),
sans ajouter: Et elle sera sauvée, si elle fait pénitence; ainsi Paul ne dit
pas: S'il fait une digne pénitence, nous lui donnerons des preuves d'amour;
mais il attend qu'il ait accompli son. oeuvre pour le
faire rentrer en grâce. En s'expliquant ainsi dès le commencement, il l’eût
affranchi de la crainte; non seulement donc il ne le fait pas, mais par la
comparaison du levain, il lui ôte jusqu'à l'espoir de retour, et le réserve
pour le dernier jour, en disant: « Purifiez-vous du vieux levain »; et encore:
« Ne célébrons point la pâque avec du vieux levain ». Quand après la pénitence,
il mit le plus grand empressement à lè faire rentrer
dans l'Eglise. Pourquoi dit-il le « vieux » levain? Ou pour désigner notre vie
ancienne; ou parce que la vétusté est voisine de la mort, et fétide et
honteuse, comme l'est le péché; car ce n'est pas sans raison, mais en vue de
son sujet, qu'il rejette la vétusté et loue la nouveauté. Car il est dit
ailleurs: « Un ami nouveau est du vin nouveau;il
vieillira et vous le boirez avec plaisir » (Eccli.
IX, 15); l'écrivain approuvant ainsi l'ancienneté plutôt que la nouveauté dans
l'amitié. Et ailleurs: « L'ancien des jours était assis », ce qui présente
l'ancienneté comme le titre le plus glorieux. En d'autres endroits l'Ecriture
en fait un titre de blâme. Comme en effet les diverses choses sont composées de
nombreux éléments, les mêmes termes sont employés dans le bon ou le mauvais
sens, et non avec la même signification. Voici encore un texte où l'ancienneté
est blâmée: « Ils ont vieilli et ont trébuché dans leurs voies » (Ps. XVII); et
cet autre: « J'ai vieilli au milieu de tous mes ennemis » (Ps. VI); ou encore:
« Homme vieilli dans le mal ». (Dan. XIII, 52.) Le levain lui-même, quoique
pris ici dans une mauvaise acception, est souvent employé pour désigner le
royaume des cieux; mais dans ces deux cas, le mot se rapporte à des objets
différents.
5. Ce qu'on dit ici du levain, me paraît surtout un reproche à l'adresse
des prêtres, qui tolèrent beaucoup de vieux levain à l'intérieur, n'ayant pas
soin de rejeter au dehors, c'est-à-dire, hors de l'Eglise, les avares, les
voleurs, tout ce qui exclut du royaume des cieux. En effet, l'avarice est un
vieux levain; partout où elle tombe, en quelque. maison
qu'elle entre, elle la rend impure. Si faible que soit le profit injuste, il
fait fermenter toute votre fortune. Aussi, souvent un peu de bien mal acquis
suffit à renverser une grande fortune honorablement amassée. Car rien de
putride comme l'avarice; vous aurez beau fermer votre coffre-fort de clé, de
porte et de verrou, si vous y avez renfermé l'avarice, le plus redoutable des
voleurs, qui peut tout vous enlever. Pourtant, dira-t-on, il y a bien des
avares qui n'éprouvent pas cela. Ils l'éprouveront, bien que ce ne soit pas sur
l'heure; s'ils y échappent même maintenant, ce n'est qu'une raison de, plus pour
vous de craindre; car ils sont réservés pour un plus grand châtiment. Ou
encore, leurs héritiers le subiront peut-être à leur place. Est-ce juste,
direz-vous? Très juste, certainement. Celui qui hérite d'un bien injustement
acquis, s'il n'est pas voleur, retient au moins le bien d'autrui; il en est
parfaitement convaincu, et par conséquent il est juste qu'il en porte la peine. .
Si, en effet, vous aviez accepté le fruit d'un vol et que le propriétaire
vînt le réclamer, seriez-vous justifié en disant que ce n'est pas vous qui avez
volé? Nullement. Car enfin que répondriez-vous à l'accusation? Qu'un autre a
commis le vol? Mais c'est vous qui détenez l'objet volé. Un tel a pris? mais c'est vous qui jouissez. Les lois des infidèles le
savent bien elles qui ordonnent de. réclamer, les
objets volés, non à ceux qui les ont arrachés de force ou soustraits
furtivement, mais à ceux en possession de qui on les trouve tous. Si donc vous
connaissez les victimes de l'injustice, restituez-leur et imitez Zachée qui rendit
avec usure; si vous ne les connaissez pas, je vous ouvre une autre voie, pour
ne pas vous laisser sans remède: distribuez le tout aux pauvres et vous
écarterez. le péril. S'il en est qui aient transmis de
tels héritages à leurs enfants et à leurs petits-enfants, ils ont subi d'autres
châtiments. Mais à quoi bon parler de ce qui se passe ici-bas? Il n'en sera
plus question au jour où les uns et les autres apparaîtront dépouillés, et les
volés et les voleurs; dépouillés de leur argent, mais non pourtant de la même
manière: car ceux-ci seront remplis des vices nés de la richesse.
Que ferons-nous donc en ce jour quand paraîtra devant ce terrible tribunal
celui qui, victime de l’injustice, a perdu tous ses biens, et que vous serez
là, sans avocat pour vous défendre? Que répondrez-vous au juge? Ici vous pouvez
corrompre le jugement des hommes; là, la. corruption
est impossible; et, encore l'est-elle même ici, puisque ce juge est déjà
présent. Car Dieu voit ce qui se passe, il est près de ceux qui 'souffrent l'injustice,
même quand ils ne l'invoquent pas. Oui, quand même celui dont les droits sont
violés ne mériterait pas d'être vengé, il a pourtant un vengeur. dans Dieu à qui l'injustice déplaît. Mais, dira-t-on,
pourquoi ce méchant prospère-t-il? Cela ne durera pas toujours. Ecoutez ce que
dit le prophète: « Que ceux qui font le mal n'excitent point votre envie, car
bientôt ils se dessécheront comme l'herbe ». (Ps. XXXVI.)
Où va, dites-moi, le voleur après cette vie? Où sont ses brillantes espérances?
Qu'est devenue sa réputation honorable? Tout ne s'est-il pas évanoui? Tout ce
qui composait son existence n'a-t-il pas passé comme un songe, comme une ombre?
N'attendez pas autre chose de tous ses pareils, ni de leurs héritiers. Mais il
n'en est pas de même des saints; vous ne pouvez en dire autant d'eux; que ce
qu'ils possèdent est une ombre, un songe, une fable. Prenons, si vous le
voulez, pour exemple celui même qui nous dit tout cela, ce fabricant de tentes,
ce Cilicien, dont le père même ne nous est pas connu d'une manière certaine.
Mais, dires-vous, comment lui ressembler? Le voulez-vous sérieusement? désirez-vous. vraiment être comme
lui? Oui, répondez-vous. Eh bien! entrez dans la voie
où il est entré, lui et ceux qui étaient avec lui. Et quelle voie?.Écoutez-le: « Dans la faim, la soif et la nudité ». (II
Cor. XI, 27).Et Pierre: « Je n'ai ni or ni argent ». (Act.
III, 6.) Ainsi ils n'avaient rien, et cependant ils possédaient tout.
6. Quoi de plus honorable que cette parole? Quoi de plus heureux et de plus
riche? D'autres plaçaient leur gloire dans des objets bien différents: J'ai
tant et tant de talents d'or, d'immenses pièces de terre, des maisons, des
esclaves. Paul, au contraire, se vante de n'avoir rien; il ne cache pas sa
pauvreté, comme font les insensés, il n'en rougit pas; il s'un glorifie. Où. sont. maintenant les riches, qui
comptent leurs intérêts et les intérêts des intérêts, s'emparent des biens de
tout le monde et ne sont jamais rassasiés? Avez-vous entendu la voix de Pierre
qui vous apprend que la pauvreté est la mère. de la
richesse? Sans rien avoir, elle est plus opulente que ceux qui ceignent le
diadème. Cette voix est celle d'un homme qui n'a rien, et elle ressuscite-les
morts, redresse les boiteux, chasse les démons et accorde des bienfaits que
n'ont jamais pu accorder ceux qui revêtent la pourpre et commandent à de
nombreuses et formidables armées; c'est la voix de ceux qui sont déjà montés au
ciel et s'ils trouvent au faîte de la gloire. Ainsi celui qui n'a rien, peut
avoir ce qui est à tout le monde; celui qui ne possède rien, peut posséder ce
qui est à tout le monde. Mais nous, si nous avons ce qui est à tout le monde,
nous sommes privés de tout. Peut-être verra-t-on là une énigme, et pourtant il
n'y en a. pas. Comment, dira-t-on, celui qui n'a rien, a-t-il ce qui est à tout
le monde? N'est-ce pas bien plutôt celui qui a ce qui est à tout le monde? Non:
c'est tout le contraire. Celui qui n'a rien, commande à tout le monde, comme le
faisaient les apôtres; par toute la terre, les maisons leur étaient ouvertes;
ceux qui les recevaient leur en étaient reconnaissants; ils entraient partout
comme chez des parents et des amis. Ils entrèrent chez la marchande de pourpre
et elle les servit à table comme une servante; ils allèrent chez le geôlier et
il leur ouvrit toute sa maison; et ainsi d'une foule d'autres.
Ils avaient donc tout et n'avaient rien. Sans doute ils ne regardaient rien
comme leur bien propre, et c'est pour cela qu'ils avaient tout. Car celui qui
pense que tout est en commun, use du bien d'autrui comme si c'était le sien;
mais celui qui s'isole et s'approprie ce qu'il a, n'en est pas même le maître.
Un exemple rendra cela sensible. Celui qui ne possède absolument rien, ni
maison, ni table, ni vêtement inutile, et qui s'est privé de tout pour Dieu,
celui-là use du bien commun comme du sien propre, et reçoit de chacun tout ce
qu'il veut; et ainsi, sans rien avoir, il a le bien de tous. Celui, au
contraire, qui possède quelque chose n'en est pas le maître; car personne ne
lui donnera rien, et ce qu'il possède est moins à lui qu'aux larrons, aux
flous, aux calomniateurs, aux revers de la fortune, etc. Paul a parcouru le
monde entier, n'ayant rien sur lui, n'allant ni chez des amis, ni chez des.connaissances; bien plus, il était d'abord l'ennemi de
tous; et pourtant partout où il entrait, il jouissait du bien de tous. Et Ananie et Saphire, pour avoir
voulu garder une petite portion de leur fortune, l'ont toute perdue et la vie
aussi. Renoncez donc à ce que vous possédez, pour jouir comme d'un bien propre
de tout ce que possèdent les autres. Mais je ne sais comment j'ai pu porter
l'exagération jusqu'à ce point, en parlant à des hommes qui, hélas! ne sacrifient pas même la plus mince partie de ce qu'ils
ont.
Que ce langage ne s'adresse donc qu'aux.parfaits.
Aux autres nous dirons: Donnez aux pauvres pour augmenter votre fortune: car il
est écrit-: « Celui qui donne au pauvre, prête à Dieu ». (Prov. XIX, 17.) Que
si vous êtes pressés et ne voulez pas attendre le temps de la récompense,
songez à ceux qui prêtent aux hommes; ils 'n'exigent pas immédiatement
l'intérêt, mais ils souhaitent que le capital reste longtemps aux mains de
l'emprunteur, pourvu que le recouvrement soit sûr et le débiteur solide.
Agissez de même: remettez tout à Dieu, pour qu'il vous récompense abondamment.
Ne demandez pas tout pour cette vie autrement, qu'auriez-vous à attendre dans
l'autre? Et Dieu met, précisément en réserve dans l'autre. monde,
parce que cette vie est courte. Mais il donné aussi en ce monde: « Cherchez »,
nous dit-il, « le royaume des cieux, et toutes ces choses vous seront données
par surcroît ». (Matth. VI, 33.) Ayons donc les yeux
fixés de ce côté-là, ne nous pressons pas de recueillir tout le profit, de peur
d'amoindrir la récompense, mais attendons le temps convenable. Les intérêts
alors ne seront pas comme ceux d'ici-bas, mais tels que Dieu sait les donner.
Laissons-les ainsi s'accumuler en grande quantité, puis allons-nous-en d'ici,
afin d'obtenir les biens présents et les biens à venir, par la grâce et la bonté
de Notre Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent, au Père; en union avec le
Saint Esprit, la gloire, la force, l'honneur, maintenant et toujours, et dans
les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
ANALYSE.
1. Saint Paul fait mention d'une autre lettre aux Corinthiens, écrite avant
celle-ci et qui s'est perdue. — Purifiez-vous, leur dit-il, de tous ces vices
au sujet desquels je vous ai donné des avis dans une première lettre. —
Séparez-vous de tous ces hommes corrompus qui sont parmi vous. — Quant à ceux
qui ne sont pas chrétiens, ne les jugez pas.
2. Le retranchement des coupables avait lieu aussi dans l'ancienne Loi,
mais d'une manière plus sévère puisqu'on les lapidait. Saint Paul défend aux
chrétiens de se faire juger par les tribunaux païens.
3. Les derniers d'entre vous. peuvent juger des
affaires de ce monde: ne savez-vous pas que vous êtes appelés à juger les
anges?
4. Contre la médisance.
5 et 6. Que la passion des richesses renverse tout. — Combien il faut qu'un
chrétien évite les procès. — De la patience dans les injures. — Conduite que
doit tenir un chrétien quand on lui fait quelque tort. — Contre ceux qui
oppriment les pauvres.
1. Comme il avait dit: « Et vous n'êtes pas plutôt clans les pleurs, pour
faire disparaître du milieu de vous celui qui a commis cette « action? » et
encore: « Purifez-vous du vieux levain », il était
vraisemblable que les Corinthiens se croiraient obligés de fuir tous les
fornicateurs. En effet, si le coupable communique son mal aux innocents; ce
sont surtout les infidèles qu'il faut éloigner; puisqu'on ne doit pas même
épargner un frère de peur qu'il ne répande la contagion, à plus forte raison ne
doit-on pas ménager les étrangers. Dans celte hypothèse, il aurait donc fallu
rompre avec tous les fornicateurs qui se trouvaient chez les Grecs: chose
impossible; et que les Corinthiens eussent difficilement acceptée. Voilà
pourquoi l'apôtre met un correctif, en disant: « Je vous ai écrit: n'ayez point
de commerce avec les fornicateurs; ce qui ne s'entend pas des fornicateurs de
ce monde »; et donnant, ces mots: « Ce qui ne s'entend pas », comme chose
convenue. De peur qu'ils ne s'imaginent qu'il n'exige point cette séparation
parce qu'ils sont trop imparfaits et pour qu'ils ne s'avisent pas de l'opérer
en qualité de parfaits, il leur fait voir qu'ils ne le pourraient pas avec la
meilleure volonté possible: autrement il faudrait chercher un autre mondé.
Aussi ajoute-t-il: « Autrement vous devriez sortie du monde ».
Voyez-vous comme il est peu exigeât, comme il cherche en tout à rendre
l'exécution de la loi, non seulement possible, mais facile? Comment, leur
dit-il, serait-il possible à un chef de maison, à un père de famille, à un
magistrat, à un artisan, à un soldat, au milieu de tant de grecs, d'éviter les
fornicateurs qui se trouvent partout? Car c'est aux grecs qu'il applique cette
expression: « Les fornicateurs de ce monde. Mais je vous ai écrit de ne point
avoir de commerce avec celui qui, portant le nom de frère, est fornicateur, et
même de ne pas manger avec lui ». Ici il indique d'autres personnes vivant dans
l'iniquité. Mais comment un frère peut-il être idolâtre? Cela arrivait
autrefois chez les samaritains, qui n'avaient embrassé la religion qu'à demi.
D'ailleurs il pose. ici la base de ce qu'il va dire tout
à l'heure sur les idolâtres. « Ou avare ». Il va combattre ce vice; aussi
dit-il: « Pourquoi ne supportez-vous pas plutôt d'être lésés? Pourquoi ne
soutirez-vous pas d'être dépouillés? Mais vous-mêmes vous lésez, vous
dépouillez». — « Ou ivrogne». Plus bas il accuse aussi ce vices quand il dit: «
L'un a faim, et l'autre est ivre» (Ch. XI, 21); et encore « Les aliments
sont pour l'estomac et l'estomac a pour les aliments (Ch. VI, 13). Ou médisant
ou rapace ». Il en a déjà parlé plus haut avec blâme. Ensuite il donne la
raison pour laquelle il n'empêche point d'avoir des rapports avec les étrangers
entachés de ces vices: C'est que non seulement cela n'est pas possible, mais
que ce serait inutile. « En effet, m'appartient-il de juger ceux qui sont
dehors? »
Il appelle chrétiens ceux qui sont dedans, et grecs ceux qui sont dehors.
C'est ainsi qu'il dit ailleurs: « Il faut aussi qu'il ait un. bon témoignage de ceux qui sont, dehors ». Et dans l'épître
aux Thessaloniciens, il répète dans les mêmes termes:
« N'ayez point de commerce avec lui, afin qu'il soit couvert de confusion.
Cependant ne le regardez pas a comme un ennemi, mais reprenez-le comme un frère
». Cette fois il ne donne pas de motif. Pourquoi? Parce que là il voulait
consoler, et ici, non. Là, la faute n'était pas la même, elle était moindre; il
n'accusait que d'oisiveté; ici il s'agit de fornication et d'autres fautes plus
graves. Si on veut passer chez les grecs, il ne défend pas d'y manger, et pour
la même raison. Nous agissons encore de même, faisant tout pour nos fils et nos
frères, et tenant peu de compte des étrangers. Quoi donc? Paul
avait-il aucun souci de ceux du dehors? Il en avait, mais il ne leur
donnait des lois qu'après qu'ils avaient reçu la prédication et s'étaient
soumis à la doctrine du Christ; mais tant qu'ils la méprisaient, il était
inutile de donner des ordres à des hommes qui ne connaissaient pas même le
Christ. « Et ceux qui sont dedans, n'est-ce pas vous qui les jugez? Mais ceux
qui sont dehors, c'est Dieu qui les jugera ». Après avoir dit: «
M'appartient-il de juger ceux qui sont dehors,? » De
peur qu'on ne s'imaginât qu'ils resteraient impunis, il les livre à un autre
tribunal terrible. Son but, en disant cela, est d'effrayer les uns et de
consoler les autres, et de montrer que cette punition temporelle délivre du
châtiment éternel; ce qu'il affirme encore ailleurs, quand il dit: «Nous sommes
jugés et châtiés maintenant, afin de ne pas être condamnés avec ce monde » (Ib. XI, 32); et encore: « Faites disparaître le coupable du
milieu de vous ». (Deut. XVII, 7.)
2. Il rappelle ce qui était dit dans l'Ancien Testament, et en même temps
il leur fait voir qu'ils gagneront beaucoup à se délivrer, pour ainsi dire,
d'un terrible fléau; et encore que ceci n'est point une innovation, puisque
déjà autrefois le législateur avait prescrit de retrancher ces coupables; mais
alors on procédait avec plus de sévérité, aujourd'hui on agit avec plus de
douceur. `On pourrait demander en effet pourquoi il était permis de punir et de
lapider celui qui avait commis la faute, tandis qu'ici on l'invite seulement à
faire pénitence. Pourquoi des procédés si différents? Il y a à cela deux
raisons: la première, c'est que les chrétiens étaient conduits à des combats
plus grands, et qu'ils avaient besoin de plus de patience et de courage; la
seconde et la plus vraie, c'est que l'impunité les corrigeait plus facilement
en les amenant à la pénitence; tandis qu'elle rendait les Juifs plus méchants.
Si en effet après avoir vu le châtiment des premiers coupables, ceux-ci n'en
persévéraient pas moins dans-les mêmes péchés; à combien plus forte raisonne
l'eussent-ils pas fait, si personne n'eût été puni? Aussi, sous la loi
ancienne, l'adultère et l'homicide étaient-ils immédiatement frappés de mort;
mais sous la nouvelle, s'ils se lavent par la pénitence, ils échappent au
châtiment. Toutefois on peut voir des peines plus sévères dans la nouvelle loi
et de plus douces dans l'ancienne; ce,qui prouve qu'un
lien de parenté unit les deux Testaments, et qu'ils sont tous les deux l'oeuvre
d'un seul et même législateur; que dans l'un et l'autre le supplice suit, qu'il
tarde souvent beaucoup, souvent aussi. très peu, mais
que toujours Dieu se contente du repentir. En effet, dans l'Ancien Testament,
David, adultère et homicide, est épargné; et, dans le Nouveau, Ananie, pour avoir soustrait une partie du prix de son
champ, est frappé de mort avec sa femme. Que si ces derniers exemples abondent
dans l'Ancien Testament et sont rares dans le Nouveau, la différence des
personnes explique la différence de conduite.
« Quelqu'un de vous, ayant avec un autre un différend, ose l'appeler
en jugement devant les injustes; et non devant les saints? » Encore une fois il
intente accusation comme sur une chose avouée. Là il dit: « Il n'est bruit que d'une
fornication commise parmi vous »; et ici: «Quelqu'un de vous ose»; manifestant
ainsi dès l'abord son courroux, et faisant voir l'audace et la monstruosité de
la faute. Et pourquoi en vint-il à l'avarice et au devoir de ne point en
appeler au jugement des infidèles? Pour se conformer à son propre usage. Il a
en effet coutume de tout rectifier en passant; comme quand, à propos des repas
communs, il fait une digression sur les mystères. Ici donc, après avoir parlé
des frères coupables d'avarice, dans sa vive sollicitude pour l'amendement des
pécheurs, il. sort de son sujet, corrige une espèce de
péché amené là par voie de conséquence, puis revient à sors premier objet.
Ecoulons donc ce qu'il en dit: « Quelqu'un de vous ayant avec un autre un
différend, ose l'appeler en jugement avant les injustes, et non devant les
saints? » En attendant il s'exprime avec précision, en termes propres, il
détourne, il accuse. Tout d'abord il n'infirme pas le jugement qui se rend
devant les fidèles; il ne te fait entièrement disparaître, qu'après les avoir
d'abord épouvantés de bien des manières. Surtout, leur dit-il, s'il, faut un
jugement,-qu'il n'ait pas lieu devant les injustes; mais il n'en faut
absolument point.
Toutefois ceci ne vient qu'en dernier lieu; en attendant il défend
absolument de se faire juger au dehors. N'est-ce pas une absurdité, dit-il, que
dans un différend avec un ami on prenne un ennemi pour arbitre? Comment
n'êtes-vous pas honteux, comment ne rougissez-vous pas, quand un grec siége
pour juger un chrétien? Et s'il ne faut pas être jugé par les grecs dans des
questions d'intérêts privés, comment leur confier des affaires plus
importantes? Remarquez son expression: il ne dit pas: devant les infidèles,
mais: « Devant les injustes», employant le terme qui peut le mieux servir son
but, afin d'inspirer de l'aversion. Car comme il est question de Jugement, et
que ceux qui sont jugés exigent surtout dans les juges un grand respect pour
l'équité, il part de là pour les éloigner des tribunaux profanes, en leur disant
à peu près: où allez-vous? que faites-vous,. ô homme? Tout le contraire de ce que vous désirez; car vous
recourez à des hommes injustes pour obtenir justice. Et comme il eût été dur de
s'entendre tous d'abord interdire le recours aux tribunaux, il n'en vient pas
là du premier coup; il se contente de changer les juges, et d'amener. dans l'Eglise ceux qui devaient être jugés au dehors.
Ensuite, comme la mesure pouvait n'inspirer que peu de confiance; surtout
alors, parce que les juges, pour la plupart simples particuliers et ignorants,
n'étaient probablement pas en état de bien comprendre et ne possédaient pas,
comme les juges extérieurs, la connaissance des lois et l'art de parler; voyez
comme il relève leur crédit, en les appelant tout d'abord des saints! Mais
comme ce mot n'indiquait que la pureté de leur vie et non les connaissances
nécessaires pour instruire une cause, voyez comme il y supplée; en disant: « Ne
savez-vous pas que les saints jugeront le monde? »
3. Mais vous qui devez un jour les juger, comment souffrez-vous maintenant
d'être jugés par eux? Orles saints ne jugeront pas assis sur un tribunal et en
demandent compte aux coupables, mais ils condamneront. C'est ce qu'il indique
par ces mots: « Or, si le monde doit être jugé eu vous, êtes-vous indignes de
juger des moindres choses? » Il ne dit pas: Par vous, mais « en vous »;.comme quand Jésus-Christ dit: «La reine du Midi se lèvera
et condamnera cette génération » (Matth. XII, 42); et
encore: « Les Ninivites se lèveront et condamneront cette génération ». (Ib. 41.) Quand en effet voyant le même soleil, jouissant
des mêmes avantages, nous serons trouvés croyants et eux incrédules, ils ne
pourront prétexter d'ignorance: car notre propre conduite les condamnera. On
trouvera encore bien d'autres motifs de condamnation. Et pour qu'on ne croie
pas qu'il a d'autres personnes en vue, voyez comme il parle pour tous: « Et si
le monde est jugé parmi vous, êtes-vous indignes de juger. les
moindres choses? ». Voilà, leur dit-il, qui-vous couvre de honte et vous
imprime un immense déshonneur. Vous avez honte, à ce qu'il paraît, d'être jugés
par vos frères, et la honte consiste au contraire à être jugé par ceux du
dehors: car les jugements des premiers ont peu d'importance, et non ceux des
seconds.
« Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges? Combien plus les choses du
siècle? » Quelques-uns voient ici une allusion aux prêtres, Mais loin, loin
cette interprétation! Car il s'agit des démons. S'il eût en intention de parler
des mauvais prêtres, ce serait donc eux déjà qu'il aurait eus en vue plus haut,
quand il disait: « Le monde est jugé par vous »; puisque l'Ecriture donne
souvent le nom de monde aux méchants; ensuite il n'eût point répété la même
chose; et surtout ne l'eût point répétée sous forme de gradation. Mais il parle
de ces anges dont le Christ a dit: « Allez au feu qui a été préparé au diable
et à ses anges » (Matth. XXV, 41), et Paul: « Ses
anges se transforment en ministres de justice ». (II Cor. XI, 45:) En effet si
les puissances incorporelles nous sont trouvées inférieures, à nous qui sommes
revêtus de chair, elles seront plus sévèrement punies. Que si on persiste à
dire qu'il s'agit des prêtres, nous demanderons lesquels? Sans doute ceux qui
ont vécu entièrement à la façon des séculiers. Alors comment expliquer ces
paroles: « Nous jugerons les anges: combien plus les choses du siècle? » où il
distingue les anges des séculiers, et avec raison: puisque l'excellence de leur
nature les place en dehors des besoins de cette vie.
« Si donc vous avez des différends touchant des choses de cette vie,
établissez, pour les juger, ceux qui tiennent le dernier rang dans l'Eglise ».
Par cette hyperbole, il veut nous apprendre qu'en aucun cas nous ne devons nous
confier à ceux du dehors; et il a déjà répondu d'avance à l'objection qu'il
soulève.
Voici, en effet, ce qu'il entend: Quelqu'un dira peut-être qu'il n'y a
personne parmi vous qui soit instruit et capable de juger, que vous êtes tous
des hommes sans valeur. Qu'importe? Quand même vous n'auriez personne de savant,
répond-il, confiez vos affaires aux plus petits. « Je le dis pour votre honte
». Ici il réfute l'objection, comme un prétexte inutile. Aussi ajoute-t-il: «
N'y a-t-il donc parmi vous aucun sage? » Etes-vous si pauvres? Y a-t-il
chez-vous si grande rareté 'd'hommes intelligents? Ce qui suit frappé encore
plus fort; car, après avoir dit,: n'y a-t-il parmi
vous' aucun sage? il ajoute: « Qui puisse être juge
entée ses frères? » Quand le litige est de frère à frère, l'arbitre n'a pas
besoin d'une grandi, intelligence ni d'une grande habileté: l'affection, les
relations de parenté aident singulièrement à la solution de telles difficultés:
« Mais un frère plaide contre son frère, et cela devant des infidèles!»
Voyez-vous comme d'abord, dans un but d'utilité, il accusait les juges d'être
injustes, et maintenant pour exciter la honte, il les appelle infidèles? C'est
quelque chose de bien honteux qu'un prêtre même ne puisse pas rétablir l'accord
entre des frères et qu'il faille recourir à des étrangers. En disant donc: «
Ceux qui tiennent le dernier rang », il a plutôt voulu les piquer que prétendre
élever au rang de juges des hommes sans valeur. Et la preuve qu'on doit confier
cette fonction à des hommes capables, c'est qu'il dit: « N'y a-t-il donc parmi
vous aucun sage?» Mais pour mieux fermer la bouche, il ajoute que, quand il n'y
en aurait pas, il vaudrait mieux s'en remettre aux frères les moins
intelligents qu'à des étrangers. Comment ne serait-il pas absurde que, dans une
discussion domestique, on n'appelle aucun étranger, qu'on rougisse même d'est
rien laisser transpirer dans le public; et que dans l'Eglise, où est le trésor
des mystères secrets; tout soit livré à des étrangers! « Mais un frère plaide
contre son frère, et cela devant des infidèles! » Double accusation: on plaide,
et on plaide devant des infidèles. Si c'est déjà un mal en soi de plaider
contre un frère, comment excuser celui qui le fait devant des étrangers? «
C'est déjà certainement pour vous une faute que vous ayez des procès entre vous
». Voyez-vous comme il a réservé jusqu'ici de parler de ce mal et avec quel à
propos il le guérit! C'est leur dire: Je ne dis pas encore que l'un fait tort
et que l'autre le subit; par le seul fait qu'il y a procès, je les désapprouve
tous deux, et en cela l'un ne vaut pas mieux que l'autre.
4. Quant à la justice ou à l'injustice de l'action judiciaire, on en
traitera ailleurs. Ne dites donc pas: On m'a fait tort; dès que vous plaidez,
je vous condamne. Mais si c'est un crime de ne pouvoir supporter une injure, à
plus forte raison en est-ce un de la commettre. «Pourquoi ne supportez-vous pas
plutôt d'être lésés? Pourquoi ne supportez-vous pas plutôt la fraude? Mais
vous-mêmes vous lésez, vous fraudez, et cela à l'égard de vos frères ». Encore
une fois double accusation, peut-être même triple, quadruple. La première: de
ne pouvoir supporter celui qui vous fait tort; la seconde, de faire tort
vous-même; la troisième, de remettre le jugement à des hommes injustes; la
quatrième, de faire cela à l'égard d'un. frère. Car ce
n'est pas la même chose de commettre un péché contre le premier venu ou contre un membre de sa famille. Car en ce dernier cas,
l'audace est bien plus grande: Là, on n'outrage que la nature des choses; ici,
on manque à la dignité même de la personne. Après les avoir ainsi fait rougir
parles motifs ordinaires et, plus haut déjà, en. leur
mettant les récompenses sous les yeux, il conclut son exhortation par la
menace, et prenant un ton plus violent: « Ne savez-vous pas », leur dit-il, «
que les injustes ne posséderont pas le royaume de Dieu? ne
vous abusez point ni les fornicateurs, ni les idolâtres; ni les adultères, ni
les efféminés, ni les abominables, ni les avares, ni les voleurs, ni les
ivrognes, ni les médisants, ni les ravisseurs ne posséderont le royaume de Dieu
».
Que dites-vous, Paul? à propos des avares, vous
faites. passer devant nous cette longue chine de
prévaricateurs? Oui, répond-il, mais je ne confonds rien et je procède par
ordre. Comme à propos des fornicateurs, il a fait mention de tous les autres;
ainsi fait-il encore à l'occasion des avares, pour accoutumer aux reproches
ceux qui se sentent coupables de telles iniquités. A force d'avoir entendu
parler du châtiment réservé aux autres, on est plus disposé à s'entendre
adresser des reproches, quand il faudra travailler à combattre son défaut
personnel. Et s'il menace, ce n'est point parce qu'il sait qu'ils le méritent,
ni pour leur faire des reproches: ruais rien n'est plus propre à retenir et à
contenir l'auditeur qu'un discours qui ne s'adresse point à lui directement,
n'a pas de but déterminé et remue secrètement sa conscience. « Ne vous abusez
point ». Ceci insinue que certaines personnes disaient alors ce que beaucoup
disent aujourd'hui Dieu est clément et bon, il ne se venge pas des péchés: ne
craignons rien; il ne punira personne de quoi que ce soit. Voilà pourquoi il
dit: « Ne vous abusez pas ». Car c'est une erreur extrême et une illusion
d'espérer le bien et d'obtenir le mal, et de supposer en Dieu ce qu'on
n'oserait pas même penser d'un homme. Aussi le prophète nous dit-il en son
propre nom. « Tu as songé à mal, t'imaginant que je te ressemble: je te
confondrai et je te mettrai tes iniquités sous les yeux ». (Ps. XLIX.) Et Paul dit ici: « Ne vous abusez point: ni les
fornicateurs (il place au premier rang celui qui avait déjà été condamné), ni
les adultères, ni les efféminés, ni, les ivrognes; ni les médisants ne
possèderont le royaume de Dieu ».
Beaucoup ont blâmé ce passage comme trop dur,
parce qu'il met l'ivrogne et le médisant au même niveau que l'adultère, le
libertin et le sodomite. Or ces crimes ne sont pas égaux: comment leur
châtiment peut-il l'être? A cela que répondrons-nous? que
l'ivrognerie et la médisance ne sont pas choses de peu d'importance: puisque le
Christ a jugé digne de l'enfer. celui qui. traite son frère de fou: Souvent la mort en a été la suite,
et l'ivresse a fait commettre de très graves péchés aux Juifs. Ensuite nous
dirons que l'apôtre ne parle pas ici de châtiment, mais d'exclusion du royaume.
L'un et l'autre sont donc également exclus. Mais qu'il y ait une différence
dans le supplice de l'enfer, ce n'est pas ici le lieu de traiter cette
question, car ce n'est point là notre sujet. « C'est ce que quelques-uns de
vous ont été; mais vous avez été lavés, mais de quels maux Dieu vous a
délivrés, quelle bonté il vous a témoignée et prouvée par des faits; il ne
s'est pas contenté de vous délivrer, il a poussé la bienfaisance beaucoup plus
loin, il vous a purifiés. Est-ce tout? non: il vous a
sanctifiés, et non seulement sanctifiés; mais justifiés. Cependant vous
délivrer de vos péchés, c'était déjà un grand don; et il y a ajouté
d'innombrables bienfaits. Et tout cela s'est fait « au nom de Notre Seigneur
Jésus-Christ», non en celui-ci ou en celui-là, mais « dans l'esprit de notre
Dieu ». Instruits de ces vérités, songeons, mes bien-aimés, à la grandeur du
bienfait que nous avons reçu, persévérons dans une vie sage et régulière,
restons exempts de tous les vices que nous avons énumérés,.fuyons les tribunaux
profanes et conservons soigneusement la noblesse que nous tenons de la
libéralité de Dieu. Comprenez quelle honte c'est pour vous d'être jugés par un
grec.
5. Mais, direz-vous, si le fidèle est un juge inique? Pourquoi le
serait-il, je vous le demande? Selon quelles lois juge le grec? selon quelles lois juge le chrétien? N'est-il pas clair que
le premier juge selon les lois des hommes; et le second selon les lois de Dieu?
C'est donc ici qu'on trouvera plutôt la justice, puisque ces lois sont
descendues du ciel. Devant les tribunaux profanes, outre ce que nous avons dit,
il y a bien d'autres motifs de défiance: l'habileté des avocats, la corruption
des juges et beaucoup d'autres choses qui détruisent la justice; mais ici rien
de pareil. Mais, dira-t-on, si l'adversaire est puissant? Et c'est surtout
alors qu'il faut chercher des juges chez nous: car ce puissant l'emportera
nécessairement sur vous devant les tribunaux étrangers. Mais s'il n'y consent
pas, s'il dédaigne nos propres jugements et nous traîne de force devant les
infidèles? Le meilleur alors pour vous est de supporter avec patience.ce que la nécessité vous impose et de récuser le
tribunal, pour obtenir la récompense. Car Jésus-Christ a dit: « À celui qui
veut vous appeler en justice pour vous enlever votre tunique, abandonnez-lui
encore votre manteau » (Matth. V, 40); et encore: «
Accordez-vous au plus tôt avec votre adversaire, pendant que vous êtes en
chemin avec lui ». (Ib. XXI.)
Et pourquoi chercher des témoignages chez nous? Les chefs des tribunaux étrangers
disent trés-souvent qu'il vaut mieux s'arranger que
plaider.
Mais, ô richesses! ou plutôt, ô absurde
attachement aux richesses! tu détruis tout, tu
renverses tout; pour toi, tout le reste n'est que bagatelle et fable aux yeux
de la foule. Que des séculiers assiégent les tribunaux, à cela rien d'étonnant;
mais que beaucoup de ceux qui ont renoncé au monde en fassent autant, voilà qui
n'est pas pardonnable. Si vous voulez savoir combien l'Ecriture condamne chez
vous cet abus, et pour qui les lois sont faites, écoutez ce que dit Paul: « La
loi n'est pas établie pour le juste, mais pour les injustes et les insoumis ».
(I Tim. I, 9.) Or s'il a dit cela de la loi de Moïse,
à plus forte raison des lois païennes. Si donc vous faites tort, vous êtes
évidemment injuste: si vous êtes lésé et que vous le supportiez (ce qui est le
caractère propre du juste), vous n'avez pas besoin des lois étrangères. Mais,
dites-vous, comment puis-je supporter l'injustice? Le Christ vous demande plus
encore. Non-seulement, il veut que celui qui est lésé
le supporte, mais encore qu'il se montre généreux à l'égard de son ennemi et
triomphe de son mauvais vouloir par sa patience et sa libéralité. En effet, il
ne dit pas: Donnez votre tunique à celui qui vous la dispute en justice; mais:
Donnez-lui encore votre manteau. Remportez la victoire sur lui, en supportant
l'injustice, et non en rendant le mal pour le mal: voilà le vrai, le glorieux
triomphe. C'est pourquoi Paul dit à son tour: «C'est déjà certainement pour
vous une faute que vous ayez des procès entre vous; pourquoi ne supportez-vous
pas plutôt d'être lésés? »
Je vous ferai voir que celui qui supporte l'injure est plutôt vainqueur que
celui qui ne la supporte pas. Ce dernier, en effet, est surtout battu quand il
traîne son adversaire au tribunal et qu'il gagne son procès: car il a éprouvé
ce qu'il voulait éviter: son adversaire l’a forcé à souffrir et à intenter une
action. Après cela, qu'importe la victoire? qu'importe
que vous ayez tout l'argent? En attendant vous avez subi ce qui vous déplaisait:
on vous a forcé à faire un procès. Si au contraire vous supportez l'injustice,
même en perdant votre argent vous remportez la victoire, mais non une victoire
selon leur sagesse: car votre adversaire n'a pu vous forcer à faire ce que vous
ne vouliez pas. Et pour preuve de la vérité de ce que j'avance, dites-moi: le
quel fut le vainqueur du jaloux ou de l'homme assis sur son fumier? Lequel fut
vaincu, de Job qui avait tout perdu, ou du démon qui avait tout pris?
Evidemment ce fut le démon, qui avait tout pris. A. qui accordons-nous
l'admiration due -au triomphe, du démon qui frappait, ou de Job qui était
frappé? Evidemment à Job. Cependant il n'avait pu conserver sa fortune, ni
sauver ses enfants. Et que parlé-je de fortune et d'enfants? Il ne peut pas
même garantir son propre corps. Et pourtant il resta le vainqueur, lui qui
avait tout perdu. Il ne put conserver sa fortune,
mais il conserva toute sa piété. — Il ne vint point au secours de ses enfants
mourants. — Qu'importe? leur malheur les a rendus plus
glorieux, et il s'est aidé lui-même dans ses souffrances. S'il n'eût été
maltraité et outragé par le démon, il n'aurait pas remporté cette magnifique
victoire. Si c'était un mal de souffrir l'injustice, Dieu ne nous en eût pas
donné l'ordre: car Dieu ne commande jamais le mal; et ne savez-vous pas qu'il
est le Dieu de la gloire? qu'il n'a pas voulu nous
livrer à la honte, à la dérision et à l’injustice, mais rapprocher les
contraires? Voilà pourquoi il veut que nous supportions l'injustice, et met
tout en oeuvre pour nous détacher des choses du monde, et nous montrer où est
la gloire et le déshonneur, la perte et le profit.
6. Mais, dit-on, il est dur d'être injurié et lésé. Non, ô homme, cela
n'est pas dur. Jusqu'à quand serez-vous avide des biens présents,? Dieu ne vous eût pas commandé cela, si c'était un mal.
Voyez un peu: Celui qui a commis l'injustice s'en va' avec son argent, mais
aussi avec une conscience coupable; celui qui a été lésé est privé de son
argent, mais il a la confiance en Dieu, trésor mille fois plus précieux.
Puisque nous savons cela, soyons sages par volonté et ne nous exposons point au
sort des insensés qu’ils croient n'être pas lésés, quand ils le sont réellement
par un tribunal. Tout au contraire, c'est là un très grand dommage; comme en
général, quand nous ne sommes pas juges de nous-mêmes, mais par force et à la
suite d'une défaite. Car il n'y a pas de profit à supporter la condamnation
d'un tribunal, puisqu'on ne le fait que par force. Mais où est l'honneur de la
victoire? A dédaigner cette démarche, à ne point plaider. Quoi! direz-vous, on m'a tout pris, et vous voulez que je me
taise? On' m'a fait tort, et vous m'exhortez à le supporter patiemment? Comment
le pourrais-je? Vous le pourrez très facilement, si vous levez les yeux vers le
ciel, si vous contemplez sa beauté, vous souvenant que Dieu a promis de vous y
recevoir, dans le cas où vous supporteriez généreusement l'injustice. Faites-le
donc, et en levant les yeux au ciel, songez que vous êtes devenu semblable à
celui qui y est assis sur des chérubins., Car lui
aussi a été accablé, d'injures et il les a supportées; il a été outragé et ne
s'est point vengé; il a été couvert de crachats et ne s'est point défendu; mais
il a fait tout le contraire, en comblant de bienfaits ceux qui l'avaient ainsi
traité, et il nous a ordonné de l'imiter. Songez que vous êtes sorti nu du sein
de votre mère; que vous vous en retournerez nu, vous et celui qui vous a fait
tort, ou plutôt qu'il s'en ira, lui, avec mille blessures engendrant les vers.
Songez que les choses présentes sont passagères, comptez les tombeaux de vos
aïeux, examinez bien ce qui s'est passé, et vous verrez que votre ennemi vous a
rendu plus fort; car il a augmenté sa passion, l'amour de l'argent, et il
affaiblit la vôtre en lui ôtant son aliment de bête fauve.
De plus il vous a débarrassé des soucis, des angoisses, de la jalousie des
sycophantes, de l'agitation, du trouble, des craintes continuelles; et il a
entassé tous les maux sur sa tête; Mais, direz-vous, si je lutte avec la faim?
Alors vous partagez le sort de Paul qui nous dit: « Jusqu'à cette heure nous
souffrons la « faim et la soif, et nous sommes nus». (I Cor, IV, 2.) Il souffrait
pour Dieu, ajoutez-vous. Et vous aussi, car dès que vous ne vous vengez pas,
vous agissez en vue de Dieu. — Mais celui qui m'a fait tort, vit avec les
riches au sein des plaisirs. — Dites plutôt avec le démon; et vous vous êtes
couronné avec Paul. Ne craignez donc pas la faim; « car Dieu ne laissera pas
périr de faim les âmes des justes ». (Prov. X, 3.) Et le psalmiste nous
dit encore: « Jetez vos soucis dans le sein du Seigneur, et lui-même vous
nourrira ». (Ps. LIV.) Car s'il nourrit les oiseaux des champs, comment ne
vous nourrirait-il pas? Ne soyons donc pas, mes bien-aimés, des gens de peu de
foi, des hommes pusillanimes. Comment celui qui nous a. promis le royaume des
cieux et de si grands avantages, ne nous donnerait-il pas les biens présents?
Ne désirons pas le superflu, contentons nous du nécessaire, et nous serons
toujours riches; cherchons le vêtement et la nourriture; et nous la recevrons
et même beaucoup plus. Et si vous êtes encore affligé et baissant la tête, je
voudrais vous faire voir l'âme de votre ennemi après sa victoire, comme elle
est devenue poussière. Car voilà ce que c'est que le péché: pendant qu'on le
commet, il procure un certain plaisir; une fois qu'il est commis, le plaisir
disparaît et le chagrin succède. Voilà. ce que nous
éprouvons quand nous faisons injure à notre prochain: nous finissons par nous condamner
nous-mêmes. Ainsi quand nous prenons le bien d'autrui, nous goûtons de la
satisfaction; mais viennent ensuite les remords de conscience.
Vous voyez un tel posséder la maison des pauvres? Pleurez, non sur la
victime, ruais sur le voleur; le,voleur n'a pas donné
le coup, il l'a reçu. Il a privé l'autre des biens présents; il s'est privé
lui-même des biens éternels. Car si celui qui ne donné pas aux pauvres va en
enfer, que sera-ce de celui qui les dépouille? Et que gagné-je, dites-vous, à
souffrir l’injustice? Beaucoup. Ce n'est pas en punissant votre ennemi que Dieu
vous dédommage: cela n'en vaudrait guère la peine. Que gagnerais-je, en effet,
à ce que mon ennemi fût malheureux comme moi? J'en connais pourtant beaucoup
qui trouvent là une très grande consolation, et se croient assez riches quand
ils voient punir ceux qui leur ont fait tort. Mais ce n'est pas là que Dieu
place votre récompense. Voulez-vous savoir lés biens
qui vous attendent? II vous ouvre le ciel tout entier, il vous fait concitoyen des
saints, il vous introduit dans leur assemblée, il vous absout de vos péchés, il
vous ceint de la couronne de justice. Si en effet ceux qui pardonnent sont
pardonnés, quelle, bénédiction n'est pas réservée à ceux qui non seulement
pardonnent, mais comblent leurs ennemis de bienfaits? Ne vous irritez donc
point de l'injure, mais priez pour celui qui vous l'a faite; vous travaillerez
ainsi à votre profit. On vous a prïs votre argent?
Mais on a pris aussi vos péchés; comme il arriva dans l'affaire de Naaman et de Giézi. Combien
d'argent n'auriez-vous pas donné pour obtenir le pardon dé vos fautes? Eh bien!
cette faveur vous est accordée; si vous supportez
courageusement l'injustice, si vous ne maudissez pas, vous êtes ceint d'une
couronne magnifique. Ce n'est pas moi qui vous parle: vous avez entendu le
Christ dire « Priez pour ceux qui vous font du mal ». Puis songez à la
grandeur de la récompense: « Afin que vous soyez semblables à votre Père qui
est dans le ciel ». (Matth. V, 46.) Vous n'avez
donc rien perdu, mais vous avez gagné; vous n'êtes point lésé, mais couronné;
vous êtes devenu plus sage; vous voilà semblable à Dieu, débarrassé des soucis
qui, s'attachent à l'argent, en possession du royaume des cieux. Par toutes ces
considérations, ô mes bien-aimés, acceptons les injures en philosophes, afin
de, nous délivrer du trouble de la vie présente, de secouer une tristesse
inutile et d'obtenir le bonheur futur par la grâce et la bonté, de Notre Seigneur
Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint Esprit, la
gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des
siècles. Ainsi soit-il.
ANALYSE.
1. Saint Paul conseille la tempérance. — Il annonce la résurrection
générale.
2. Preuve de la résurrection. — Elle est plus facile à Dieu que la création
du monde.
3 et 4. Il ne faut pas vouloir trop pénétrer la sagesse de Dieu. — Ne pas
croire la résurrection est la ruine des vertus.
1 Ici il fait allusion aux gourmands. Devant revenir au fornicateur, et la
fornication étant le fruit de la volupté et des excès de table, il blâme
amèrement ce vice. Il ne parle pas des choses défendues (celles-ci, sont
permises), mais des choses qui semblent indifférentes. Exemple: il est permis,
leur dit-il, de manger et de boire; mais il n'est pas avantageux de le faire
avec excès. Manière étonnante et inouïe, qui cependant lui est habituelle et
qu'il emploie encore, ici: il tourne la chose dans le sens contraire, et montre
que le pouvoir de faire, non seulement n'est pas avantageux, mais est moins un
acte de liberté qu'un signe d'esclavage. D'abord il dissuade par la raison du
désavantage, en disant: « Ne m'est pas avantageux »; et en second lieu, par
celle du contraire, en disant: «Je ne serai l'esclave d'aucune chose ». Ce qui
signifie: Il est en votre pouvoir de manger; conservez donc ce pouvoir; mais
prenez garde d'en devenir esclave. Celui qui en usé dans la mesure du besoin,
en est le maître; celui qui va jusqu'à l'excès n'en est plus le maître, mais
l'esclave; la gourmandise exerce sur lui sa tyrannie. Voyez-vous comme il
démontre que celui qui croit être le maître est réellement assujetti? C'est
l'usage de Paul, je l'ai déjà dit, de tourner les objections en sens contraire,
et c'est ce qu'il fait ici. Examinez un peu, chacun d'eux disait: Il n'est
permis de me livrer au plaisir; lui répond: En le faisant, vous n'exercez pas un
pouvoir, vous subissez une servitude. Car vous n'êtes pas le maître de votre
estomac, quand vous vous livrez à l’intempérance, mais c'est lui qui vous
domine. On en peut dire autant des richesses et d'autres choses encore.
« Les aliments sont pour le ventre ». Par ventre il entend ici non le
ventre proprement dit, mais la gourmandise; comme quand il dit: « Dont le Dieu
est le ventre » (Philip. III, 19); ce n'est pas de l'organe qu'il parle, mais
de la gloutonnerie. Pour preuve, écoutez la suite: « Et le ventre pour les
aliments. Or le « corps n'est point pour la fornication, mais pour le Seigneur
». Or le ventre est aussi le corps. Mais il a fait ici deux rapprochements les
aliments et l'intempérance qu'il appelle le ventre, le Christ et le corps. Que
signifient ces paroles: « Les aliments sont pour le ventre?» Cela veut dire:
Les aliments ont de l'affinité avec l'intempérance, et celle-ci en a avec
l'estomac. Elle ne vaut donc nous amener au Christ, mais elle nous entraîne
vers les aliments. C'est une passion mauvaise, animale, qui nous rend esclaves
et se fait servir. Pourquoi donc, ô homme, vous inquiétez-vous, soupirez-vous
pour des aliments? Car voilà à quoi aboutit ce service, et pas à autre chose.
C'est une maîtresse qu'on sert, c'est un esclave permanent, et cela ne va pas
au delà; il n'y a rien de plus que ce vain ministère. Et les deux sont unis
entre eux et périssent ensemble, le ventre et les aliments, les aliments et le
ventre; c'est un cercle qui ne finit pas, comme si les vers naissaient d'un corps
putréfait et le dévoraient à leur tour, ou comme le
flot qui; se gonfle et disparaît ensuite sans autre résultat. Or ce n'est pas
précisément des aliments et du corps que l'apôtre parle; mais il veut blâmer,
le vice de la gourmandise et l'excès dans la nourriture, comme la suite le
prouve: Car il ajoute: « Mais Dieu détruira l'un et l'autre ». Ce n'est pas de
l'estomac qu'il dit cela, mais de l'intempérance; ni des aliments, mais de la
volupté. Ce n'est point aux besoins du corps qu'il en veut, puisqu'il les
règle, en disant: « Ayant la nourriture et le vêtement, contentons-nous-en » (I
Tim. VI, 8); mais par, là même il désapprouve le
vice, et après avoir donné un conseil, il confie le succès à la prière.
Quelques-uns disent que c'est ici fine prophétie relative ait siècle futur où
l'on né sera plus obligé de manger et de boire. Alors si l'usage modéré doit
avoir un terme, c'est une raison de plus pour ne pas abuser. Ensuite pour qu'on
ne dise pas que c'est le corps même qui est en cause, que dans la partie le
tout est condamné, et encore que le corps est la cause de la fornication,
écoutez la suite: Je n'accuse point la nature du corps, dit-il, mais
l'intempérance de l'âme. C'est pourquoi il ajoute: « Or le corps n'est point
pour la fornication mais pour le Seigneur ». Il n'a point été créé; pour servir
d'instrument à la débauche et à la fornication, pas plus que le ventre pour la
gourmandise; mais pour suivre le Christ, son chef, en sorte que le Seigneur
soit la tête du corps entier. Craignons donc, tremblons donc d'être souillés de
tant de vices, nous qui avons reçu l'insigne honneur d'être les membres d'un
chef assis au ciel; après avoir ainsi suffisamment blâmé les intempérances, il
les détourne encore de ce vice, en disant: « Car Dieu a ressuscité le Seigneur
et nous ressuscitera aussi par sa puissance. »
2. Voyez-vous encore une fois la sagesse de l’apôtre? Toujours, et surtout
en ce cas-ci, il prouve par l'exemple du Christ qu'il faut croire à la
résurrection. En effet, si notre corps est un membre du Christ, et si le Christ
est ressuscité, il faut, que le corps suive la tête: « Par sa puissance ».
Comme ce qu'il vient d'affirmer est incroyable et ne peut se saisir par le
raisonnement, il attribue à la puissance infinie la résurrection du Christ et en
tire une forte démonstration contre les incrédules. Il n'emploie pas cet
argument pour la résurrection du Christ; il ne dit pas: Dieu ressuscitera le
Seigneur; car le fait a déjà eu lieu: que dit-il donc? «Dieu a ressuscité le
Seigneur », et il n'a pas besoin de preuve. Mais il ne parle pas ainsi de notre
résurrection, qui n'a pas encore eu lien: qu'en dit-il? « Et nous ressuscitera
aussi par sa puissance», fermant ainsi la bouche à ses adversaires, puisque la
puissance du Dieu qui ressuscite est déjà démontrée. Et s'il attribue au Père
la résurrection du Fils, que cela ne vous trouble pas. Ce n'est pas parce que
le Christ n'a pas pu se ressusciter lui-même; puisqu'il a dit: « Détruisez ce
temple et je le relèverai en trois jours ». (Jean, II, 19.) Et encore: « J'ai
le pouvoir de donner ma vie et j'ai le pouvoir de la reprendre ». (Id. X, 13.)
Et il dit aussi dans les Actes: « Auxquels il se montra vivant ». (Act. I, 3.) Pourquoi donc Paul parle-t-il ainsi? Parce
qu'il attribue au Père les actions du Fils et au Fils les actions du Père. «
Car tout ce que le Père fait », dit le Christ lui-même, « le Fils le fait
pareillement ». (Jean, V, 19.) Et c'est tout à fait à propos qu'il rappelle ici
la résurrection, pour contenir par cette espérance la tyrannie de la gourmandise,
disant presque en propres termes: Vous avez mangé et bu sans mesure: à quoi
cela aboutira-t-il? A rien qu'à la corruption. Vous avez été uni au Christ;
quel en sera le résultat? Un résultat magnifique, admirable; cette future
résurrection, pleine de gloire et au-dessus de tout ce qu'on en peut dire.
Que personne donc ne refuse de croire à la résurrection; et si quelqu'un
n'y croit pas, qu'il songe combien Dieu a produit de rien, et qu'il eu tire une
preuve en faveur de ce dogme. En effet, ce qui existe est beaucoup plus
merveilleux et contient un grand miracle. Dieu prend de la terre (et la terre
n'existait pas auparavant), il la pétrit et il en fait l'homme. Comment la
terre est-elle devenue un homme? comment a-t-elle été
produite, quand elle n'existait pas? Et comment produit-elle elle-même ces
innombrables espèces d'animaux, de semences, de plantes, sans douleurs
d'enfantement, sans être arrosée par les pluies, sans culture, sacs boeufs, sans charrue, sans rien qui l'aide en ce travail?
C'est pour vous enseigner tout d'abord le dogme de la résurrection, que tant de
variétés de plantes et d'animaux sont sortis d'une terre inanimée et
insensible. C'est en effet quelque chose de plus incompréhensible que la
résurrection.
Rallumer un flambeau éteint, ou produire un feu qui n'existe pas, ce n'est
pas la même chose; ce n'est pas non plus la même chose de rebâtir une maison
détruite ou d'en élever une qui n'existe pas. Dans le premier cas, il y a au
moins des matériaux, s'il n'y a pas autre chose; mais dans le second, on
n'aperçoit aucune substance. C'est pourquoi Dieu a d'abord fait ce qui semble
le plus difficile, pour vous faire admettre ce qui est le plus facile. Et si je
dis plus difficile, ce n'est pas pour Dieu, mais par rapport à nos propres idées;
car rien n'est difficile à Dieu; ruais comme le peintre qui peut tracer une
image, en fera facilement dix mille, ainsi Dieu peut créer des mondes par
milliers, des mondes innombrables; ou plutôt, comme il vous est facile
d'imaginer une ville et des mondes sans nombre, ainsi, et bien plus aisément
encore, Dieu peut les créer. Car enfin cette pensée exige encore de vous un
petit espace de temps; mais il n'en est pas ainsi de Dieu; autant les pierres
sont plus lourdes que les objets les plus légers et que notre propre pensée,
autant notre pensée elle-même est au-dessous de la rapidité avec laquelle Dieu
crée.
Vous admirez son pouvoir sur la terre? Songez aussi comment le ciel qui
n'existait pas a été fait, et des étoiles innombrables, et le soleil et la lune;
car rien de cela n'était. Ensuite, dites-moi comment et sur quoi tout cela, une
fois créé, se maintient? Quel est leur point d'appui, quel est celui de la
terre? Ce qu'il y a au-delà de la terre? Et après cela, quoi encore? Voyez-vous
dans quel abîme se perd l'oeil de votre intelligence, si vous ne recourez
aussitôt à la foi et à la puissance incompréhensible du Créateur? Que si vous
voulez juger d'après les opérations humaines, vous pourrez peu à peu donner des
ailes à votre pensée. Quelles opérations, dites-vous? Ne voyez-vous pas comment
les potiers forment un vase d'une matière brisée et informe? comment
ceux qui coupent les métaux font voir que la terre est de l'or, du fer, de
l'airain? comment les verriers transforment du sable
en un corps solide et transparent? Parlerai-je des corroyeurs, dé ceux qui
teignent les vêtements en pourpre, comme ils métamorphosent l'objet qui prend
la teinture? Parlerai-je de notre génération? comment
un peu de semence, informe, sans figure, entre dans la matrice qui la reçoit?
D'où vient donc la formation animale? Qu'est-ce que le blé? Ne jette-t-on pas
simplement le grain dans la terre? Une fois jeté, n'y
pourrit-il pas? D'où viennent les épis, les barbes, les chaumes et tout le
reste? Un petit pépin de figue tombant en terre ne produit-il pas souvent des
racines, des branches et des fruits? Vous admettez tout cela sans en rechercher
curieusement la cause, et vous ne demandez compte à Dieu que de la
transformation de nos corps? Est-ce pardonnable?
3. C'est aux grecs que nous faisons ces raisonnements et d'autres de ce
genre; quant à ceux qui suivent les Ecritures, ils n'ont pas même besoin qu'on
en parle. Si, en effet, vous voulez soumettre toutes les oeuvres de Dieu à une
enquête, en quoi Dieu est-il au-dessus de l'homme? Et encore y a-t-il peu
d'hommes avec qui nous agissions ainsi. Si donc il est des hommes avec qui nous
nous dispensons de ces recherches curieuses, à bien plus forte raison ne
devons-nous point scruter la sagesse de Dieu ni lui demander de compte: d'abord
parce que celui qui a parlé est digne de foi; ensuite parce que le sujet même
n'admet pas l'action du raisonnement. Car Dieu n'est pas tellement pauvre qu'il
ne puisse faire que des choses accessibles à votre faible intelligence. Si vous
ne comprenez pas même l’oeuvre d'un artisan, beaucoup moins comprendrez-vous
celle de l'Ouvrier par excellence. Ne rejetez donc point le dogme de la
résurrection, autrement vous serez bien loin des espérances à venir. Mais où
est donc la sagesse, ou plutôt l'immense folie de nos contradicteurs? Ils
demandent: Comment un,corps peut-il ressusciter quand
il a été mêlé à la terre, qu'il est devenu terré et que cette terre elle-même a
été déplacée? Cela vous semble impossible, mais non à celui dont l'œil ne dort
pas; car tout est à découvert devant lui. Vous ne voyez pas la distinction qui
subsiste dans la confusion; mais lui voit tout; vous ne savez pas ce qui se
passe dans le cœur de votre prochain, et lui le sait.
Si vous ne croyez pas que Dieu ressuscite, parce que vous ne comprenez pas
comment il ressuscite, vous ne croirez pas non plus qu'il lit dans les coeurs,
car ce sont dès choses cachées. Et encore même dans un corps dissous reste-t-il
une matière visible, tandis que les pensées sont invisibles. Et celui qui voit
parfaitement les choses invisibles, ne verra pas les choses visibles et ne
pourra facilement discerner un corps? Chacun sent qu'il le peut. Ne rejetez
donc point la résurrection: car c'est une suggestion diabolique. Et le démon
n'a pas seulement en vue de détruire la foi à la résurrection, mais encore de
détruire et d'anéantir les oeuvres de la vertu. En effet, l'homme qui ne
s'attend pas à ressusciter et à rendre compte de ces actions, ne se pressera
guère de pratiquer la vertu; et, en retour, celui qui ne pratique pas la vertu,
ne croira pas à la résurrection: car ce sont deux choses qui s'engendrent
mutuellement: le vice par l'incrédulité, et l'incrédulité par le vice. Une
conscience chargée de nombreuses iniquités, inquiète, redoutant la vengeance
future et ne voulant pas se rassurer elle-même par le changement de vie,
cherche le repos dans l'incrédulité. Et quand vous niez la résurrection et le
jugement, ce pécheur dira: Je ne rendrai donc pas compte de mes crimes? Que dit
cependant le Christ? « Vous êtes dans l'erreur, ne connaissant ni les Ecritures
ni la puissance de Dieu ». (Matth. XXII, 29.) Dieu
n'aurait pas tant fait s'il n'avait dû nous ressusciter, mais seulement nous
détruire et nous réduire à néant; il n'eût point étendu cette vaste voûte du
ciel sur nos têtes, ni étalé la terre comme un tapis sous nos pieds, il n'eût
point créé tant de choses pour une si courte vie que la nôtre. Et s'il a l'ait
tout cela pour la vie présente, que ne fera-t-il pas pour la vie future?
Mais si la vie future n'existe pas, nous sommés bien au-dessous des objets
créés pour nous. En effet, le ciel, la terre, la mer, les fleuves, certains
animaux mêmes, durent plus que nous; car la corneille, la race des éléphants et
beaucoup d'autres encore, jouissent plus longtemps de la vie présente. Pour
nous l'existence est courte et pénible, pour eux elle,est
longue et bien plus exempte de chagrin et de soucis. Comment, de grâce, le
Créateur a-t-il plus favorisé le serviteur que le maître? Je vous en conjure,
ne raisonnez pas ainsi: ne soyez pas, ô homme! dénué
d'intelligence, et puisque vous avez un tel Maître, ne méconnaissez pas ses
richesses. Au commencement Dieu a voulu vous faire immortel, et vous ne l'avez
pas voulu. Car c'étaient des indices d'immortalité, ces entretiens familiers
avec Dieu, cette vie paisible, cette exemption de chagrin, de soucis, de
travaux et des autres accidents du temps. Adam n'avait pas besoin de vêtement,
ni de maison, ni de rien de semblable; il était plus rapproché des anges;
prévoyait beaucoup de choses à venir et était rempli d'une grande sagesse Ce
que Dieu faisait en cachette, en formant la femme, il en eut connaissance.
Aussi dit-il: « Maintenant voilà l'os de mes os et la chair de ma chair ».
(Gen. II, 23.) Puis est venu le travail, puis la
sueur, ensuite la honte, la crainte, la timidité à parler; car auparavant il
n'y avait ni chagrin, ni douleur, ni gémissement. Mais il ne demeure pas
longtemps dans cette situation honorable.
4. Que faire donc? direz-vous. Dois-je périr à
cause de lui? Non précisément à cause de lui, car vous n'êtes pas non plus
resté sans péché; et. si vous n'avez pas commis le
même, vous en avez certainement commis un autre. D'ailleurs, vous n'avez rien
perdu au châtiment; vous y avez gagné, agi contraire. Si vous eussiez dû rester
toujours mortel, peut-être auriez-vous raison de dire ce que vous dites; mais
maintenant vous êtes immortel, et si vous le voulez, vous pouvez surpasser le
soleil même en éclat. Si je n'avais pas eu un corps mortel, dites-vous, je
n'aurais pas péché. Eh! de grâce, Adam avait-il un
corps mortel, quand il a péché? Non: car si son corps eût été mortel, la mort
ne lui eût pas été infligée par forme de punition. C'est ce qui prouve qu'un
corps mortel n'est point un obstacle à la vertu, qu'il rend sage, au contraire,
et procure les plus grands avantages. Si, en effet, l'attente seule de
l'immortalité a inspiré un si grand orgueil à Adam, à quel point aurait-il
porté l'arrogance, s'il eût été réellement immortel? Maintenant, depuis la,
chute, vous pouvez expier Nos péchés, puisque votre corps est vil, abject,
sujet à la décomposition: car ces considérations sont propres à rendre sage
mais si vous aviez péché dans un corps immortel, peut-être vos péchés
eussent-ils duré davantage. N'accusez donc point la mortalité d'être la cause
du péché; c'est la mauvaise volonté qui est la racine de tous les maux.
Pourquoi le corps d'Abel ne lui a-t-il porté aucun préjudice? Pourquoi n'a-t-il
servi de rien aux démons de n'avoir pas de corps? Voulez-vous savoir comment un
corps mortel n'est pas nuisible, mais est même utile? Voyez ce que vous gagnez
par lui si vous êtes sobre. Il vous retire du vice, il vous en arrache par les
douleurs, les chagrins, les travaux et autres moyens semblables.
Mais, dites-vous, il m'entraîne à la fornication. Ce n'est pas lui, mais
l'incontinence; tandis que les choses que je vous indiquais tout à l'heure lui
appartiennent en entier. Aussi n'est-il pas donné à l'homme qui entre dans
cette vie de se soustraire à la maladie, àla douleur,
à la tristesse; mais il peut ne pas commettre la fornication. Si les vices
étaient naturels au corps, ils seraient universels: car tout ce qui est naturel
est universel. Or, la fornication ne l'est pas: elle provient de la volonté,
tandis que la souffrance vient de la nature. N'accusez pas votre corps, ne vous
laissez pas ravir par le démon l'honneur que Dieu vous a fait. Si nous le
voulons, le corps sera un frein excellent pour contenir les mouvements de
l'âme, réprimer l'orgueil, empêcher la jactance et nous aider dans des oeuvres très
importantes. Ne me parlez pas de certains fous furieux; nous voyons souvent des
chevaux secouer frein et cocher et se jeter dans les précipices; nous ne nous
en prenons pas au frein pour cela; il a été jeté de côté; ce n'est pas lui qui
est cause du mal, mais le cocher qui n'a rien su retenir. Croyez qu'il en est
de même ici: Si vous voyez un jeune orphelin commettre mille sottises,
n'accusez pas son corps, mais le cocher, c'est-à-dire, la raison qui se laisse
entraîner. Les rênes n'embarrassent pas le cocher, mais lui seul est coupable
s'il ne sait pas les tenir convenablement; aussi est-ce lui qu'elles accusent
quand elles sont enchevêtrées, qu'elles l'entraînent à terre et le forcent à
partager leur propre infortune.
De même en est-il ici: Tant que tu tenais les rênes, dit le frein, je
dirigeais la bouche du cheval; mais parce que tu as tout lâché, je te punis de
ta négligence, je m'embarrasse et je t'entraîne, pour ne plus éprouver le même
sort. Que personne ne s'en prenne donc aux rênes, mais à lui-même et à sa
volonté corrompue. Car chez nous la raison est le cocher; et le corps joue le
rôle des rênes qui établissent le rapport entre les chevaux et le cocher. Si
les rênes sont tenues régulièrement, remplissent bien leur fonction, vous n'éprouverez
rien de fâcheux; si vous les lâchez, tout disparaît, tout est perdu. Soyons
donc sages, et n'accusons pas notre corps, mais notre mauvaise volonté. C'est
là l'oeuvre du démon d'exciter les insensés à accuser leur corps, Dieu, le
prochain, tout plutôt que leur propre perversité, de peur qu'ils ne coupent la
racine de leurs maux, s'ils venaient à la connaître. Mais vous qui connaissez
ses embûches, tournez votre colère contre lui, mettez le cocher sur le siège et
tournez, vos yeux vers Dieu. Partout ailleurs, celui qui propose un combat ne
s'en. mêle pas et attend la fin: mais ici c'est Dieu
même qui règle et établit la lutte.
Rendons-le-nous donc propice, et nous obtiendrons certainement les biens
futurs, par la grâce et la bonté de Notre Seigneur Jésus-Christ, en qui
appartiennent au Père, en union avec le Saint Esprit, la gloire, l'empire, la
force, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles.
Ainsi soit-il.
ANALYSE.
1. Contre la fornication
2. Nos corps comme nos rimes appartiennent au Christ qui les a rachetés au
prix de son sang; nous n'avons donc pas le droit de les livrer de nouveau à
Satan.
3 et 4. Combien ceux qui parent leurs corps ont sujet de craindre. —
Comment nous devons glorifier le nom de Dieu. — Contre l'avarice. — Que la
pauvreté est comme une fournaise. — Qu'il faut joindre l'humilité aux
souffrances.
1. Après avoir passé du fornicateur à l'avare, il revient de l'avare au
fornicateur, non en s'adressant à lui, mais à ceux qui n'ont pas commis ce
péché; et pour les en garantir, il frappe encore sur le coupable. En effet,
bien qu'on s'adresse à d'autres, celui qui a péché est néanmoins atteint, parce
que sa conscience s'éveille et lui fait sentir le remords. La crainte de la:
punition suffirait, il est vrai, à les maintenir dans la continence; mais comme
il ne voulait pas que la crainte fût leur seul mobile cri: cela, il y ajoute
des menaces et des raisonnements. Après avoir donc déterminé le genre de péché,
fixé le châtiment, démontré le tort que le crime du fornicateur causait à tout
le monde, il a quitté ce sujet pour passer à l'avare, et a conclu son discours
en menaçant celui-ci de l'exclusion du royaume des cieux, lui et tous ceux dont
il a fait l'énumération; maintenant il formule un avertissement plus terrible.
En effet, celui qui se contente de punir une faute sans en faire voir la
gravité, n'obtient pas grand résultat par le châtiment; et celui qui se
contente de faire rougir sans épouvanter par la punition, ne touche pas fort
les hommes insensibles. C'est pourquoi Paul fait l'un et l'autre; il fait
rougir en disant: « Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges? » Et il
épouvante en disant: « Ne savez-vous pas que les avares n'entreront « pas dans
le royaume des cieux? » Il emploie le même procédé à l'égard du fornicateur car
après l'avoir d'abord effrayé par ce qu'il vient de dire, après l'avoir
retranché et livré à Satan, après avoir rappelé le dernier jour, il le fait de
nouveau rougir par ces paroles: « Ne savez-vous pas que vos corps sont les
membres du Christ? » Comme s'il s'adressait désormais à des enfants de bonne
naissance: C'est une explication plus claire de ce qu'il a dit plus haut: « Le
corps est pour le Seigneur ».
Ailleurs il en fait autant quand il dit: « Vous êtes le corps du Christ et
les membres d'un membre ». (I Cor. XII, 27.) II emploie souvent cette
comparaison, non pas toujours pour le même sujet, mais tantôt pour montrer
l'amour, tantôt pour augmenter la crainte
ici pour intimider
et effrayer: « Enlèverai-je donc les membres du Christ, pour en faire des membres
de prostituée? A Dieu ne plaise! » Rien de plus effrayant que cette parole. Il
ne dit pas: Enlèverai-je donc les membres du Christ pour les unir à une
prostituée? mais: « En ferai-je les membres d'une
prostituée? » ce qui est plus énergique. Ensuite il fait voir ce qui arrive au
fornicateur, en disant: « Ne savez-vous pas que celui qui s'unit à une
prostituée devient un même corps avec elle? » Et la preuve? « Car»,
dit-il, «. ils seront deux en une seule chair. Mais
celui qui s'attache au Seigneur est un seul esprit avec lui ». Le commerce
charnel ne permet plus en effet d'être deux, mais de deux il ne fait qu'un. Et
voyez comme il emploie ces mots propres et simples, en prenant pour termes de
son accusation une prostituée et le Christ. « Fuyez la fornication». Il ne dit
pas: abstenez-vous de la fornication; mais: « Fuyez », c'est-à-dire,
empressez-vous de vous débarrasser, de ce vice. « Tout. péché
que l’homme commet est hors de son corps; mais celui qui commet la fornication
pèche contre son propre corps ». Ceci est moins fort. Mais comme il s'agit de
la fornication, il la combat à outrance et en fait ressortir la gravité par le
plus et par le moins. Le premier argument s'adressait aux plus pieux, le second
est pour les plus faibles.
C'est le propre de la sagesse de Paul de faire. rougir,
non seulement par les motifs les plus puissants,.mais Encore par dé plus
petits, par la laideur, par l'indécence. Quoi donc? Direz-vous: est-ce que le
meurtrier ne souille pas sa main? et aussi l'avare et
le voleur? Personne n'en doute; mais comme on ne pouvait pas dire qu'il n'y a
rien de pire que le fornicateur, il fait paraître d'une autre façon l'énormité
de ce crime, en disant qu'il fait du corps entier un objet d'exécration. Il est
souillé, en effet, comme s'il était tombé dans une cuve d'immondices, et plongé
dans l'ordure. Et c'est ainsi que nous en jugeons encore aujourd'hui. En effet,
personne de nous, après s'être rendu coupable d'avarice ou de vol, ne songe à
aller au bain: on revient tout simplement chez soi; tandis qu'après avoir
péché. avec une prostituée, on va se baigner comme si
on était devenu tout à fait impur: tant la conscience sent que ce péché la
souille davantage! Sans doute l'avarice et la fornication sont des fautes
graves et précipitent en enfer; mais comme. Paul agit toujours avec prudence:, il emploie tous les moyens en son pouvoir pour faire
ressortir le crime de la fornication. « Ne savez-vous pas que votre corps est
le temple de l'Esprit Saint qui est en vous? »
2. Il ne dit pas simplement de l'Esprit: mais « de l'Esprit qui est en vous
», afin de consoler; et pour s'expliquer. encore, il
ajoute « Que vous avez reçu de Dieu ». Il nomme l'auteur du don, pour relever
son auditeur et en même temps l'effrayer par la grandeur du dépôt et la
libéralité de celui qui l'a fait. « Et qu'ainsi vous n'êtes plus à vous-mêmes
». Il n'a pas seulement pour but de les faire rougir, mais aussi de les forcer
à pratiquer la vertu. Quoi! vous faites ce que vous
voulez, dites-vous; mais vous n'êtes pas votre maître. En parlant ainsi, il ne
prétend pas nous ôter notre libre arbitre; car après avoir dit: « Tout m'est
permis, mais tout ne m'est pas avantageux », il ne nous enlève pas notre
liberté; et en écrivant ici: « Vous n'êtes plus à vous-mêmes », il n'entend
point nuire à notre volonté, mais éloigner du vice et faire voir la providence
du Maître. Aussi ajoute-t-il: « Car vous avez été achetés à haut prix ». Mais
si je ne suis pas à moi, comment m'imposez-vous le devoir d'agir? Comment
dites-vous ensuite: « Glorifiez Dieu dans votre corps et dans votre esprit qui
sont à Dieu? »
Que signifient donc ces paroles: « Vous n'êtes plus à vous-mêmes? » Et que
veut-il prouver par là? Nous mettre en sécurité pour que nous ne péchions plus
et ne nous livrions pas -aux passions désordonnées de notre âme. Nous avons en
effet beaucoup de penchants déréglés qu'il faut réprimer; et nous le pouvons,
autrement il serait inutile de nous y exhorter. Voyez maintenant comme il nous
affermit! Après avoir dit: « Vous n'êtes pas à vous-mêmes », il n'ajoute pas:
Mais vous êtes sous l'empire de la nécessité. Non, il dit: « Vous avez été
achetés à haut prix ». Paul, pourquoi parlez-vous ainsi? On pourrait vous dire
qu'il fallait nous proposer un autre motif, en nous montrant que nous avons un
maître. Mais ce motif nous serait commun avec les gentils, tandis que celui-ci:
« Vous avez été achetés à haut prix », nous est particulier. Ici l'apôtre nous
rappelle la grandeur du bienfait et la manière dont nous avons été sauvés; il
nous fait voir que nous étions en mains étrangères et que nous avons été
achetés, non pas pour rien, mais à haut prix. « Glorifiez et portez donc Dieu
dans votre corps et dans « votre esprit ». Par là il nous exhorte non seulement
à éviter la fornication dans notre corps, mais à n'admettre aucune mauvaise
pensée dans notre esprit et à ne point éloigner la grâce. « Qui sont à Dieu ».
Après avoir dit: « Vôtre », il ajoute: « Qui sont à Dieu », nous rappelant
continuellement que tout appartient au Maître, corps, âme, esprit.
Quelques-uns disent que ce mot « en Esprit» signifie en grâce. En effet, si
la grâce est en nous, Dieu sera glorifié, et elle y sera, si nous avons le
coeur pur. Il affirme que toutes ces choses sont à Dieu, non seulement parce
qu'il les a produites, mais encore parce que,.quand
elles appartenaient à d'autres, il les a recouvrées au prix du sang de son
Fils.
Voyez comme il rattache tout au Christ, comme il nous mène au ciel. Vous
êtes les membres du Christ, nous dit-il, vous êtes le temple de l'Esprit; ne
devenez donc pas membres d'une prostituée, car ce n'est pas votre corps que
vous déshonorez, mais celui du Christ. Par là il nous fait voir la bonté du
Christ, puisque notre corps est le sien, et en même temps il veut nous arracher
à un funeste esclavage. En effet, si votre corps appartient à un autre, vous
n'avez pas le droit de le déshonorer, surtout s'il appartient au Maître, ni de
souiller le temple de l'Esprit. On punirait du dernier supplice celui qui
entrerait dans un domicile étranger et s'y livrerait à la débauche; quel ne
sera donc pas le châtiment de celui qui aura fait du temple du roi une maison
de voleurs? Dans cette pensée, respectez l'habitant, qui n'est autre que le
Paraclet; craignez celui qui est lié, adhérent à vous-même, et qui est le
Christ. Est-ce vous qui vous êtes fait membre du Christ? Songez à cela, à qui
étaient les membres, à qui ils sont aujourd'hui, et restez chaste. C'étaient
auparavant des membres de prostituée, le Christ en a
fait les membres
de son propre corps. Vous n'en êtes donc plus le maître; servez celui qui vous
a affranchi.
Si vous aviez une fille, et que, par un excès de démence vous l'eussiez
livrée à prix d'argent pour en faire une prostituée; puis que le fils du roi,
passant par là, l'arrachât à son esclavage et en fît
son épouse; vous ne seriez plus libre de la reconduire à la maison de débauche,
car vous l'auriez livrée, vous l'auriez vendue une fois. Voilà notre cas: nous
avions vendu notre chair au démon, à un vil corrupteur; ce que voyant, le
Christ l'a sauvée, 1'a délivrée de cette affreuse tyrannie; elle n'est donc
plus à nous, mais à celui qui l'a sauvée. Si vous voulez la traiter comme
l'épouse du roi, rien ne vous en empêche; mais si vous voulez la ramener à son
premier état, vous subirez le supplice réservé à ceux qui commettent de tels
outrages. Vous devez donc plutôt l'orner que la déshonorer. Car vous n'êtes
plus maître d'elle en fait de passions coupables, mais seulement pour
l'exécution des ordres de Dieu. Songez de quel déshonneur Dieu l'a délivrée; il
n'est pas de prostituée aussi dégradée que l'était
alors notre nature. Les brigandages, les homicides, toute espèce de mauvaises
pensées entraient chez elle, et corrompaient l'âme à vil prix, au prix d'un
moment de plaisir. Car c'était là tout ce qu'elle gagnait à son honteux
commerce avec les mauvaises pensées et les mauvaises actions.
3. Sans doute cette conduite était déjà coupable alors; mais quel pardon
espérer, si l'on se souille maintenant, quand le ciel est ouvert, quand le
royaume est promis, après qu'on a participé aux redoutables mystères? Ne
pensez-vous pas que le diable lui-même entretient commerce avec les avares et
avec tous ceux que l'apôtre a énumérés? Et que ces femmes qui se parent pour
séduire ont avec lui des rapports impurs? Qui pourrait dire le contraire? Que
celui qui le nie mette à nu l'âme de ces indécentes créatures, et il verra que
le méchant esprit leur est étroitement uni. Car il est difficile, chers
auditeurs, oui, il est difficile, et peut-être impossible, que quand le corps
est ainsi paré, l'âme le soit aussi; quand on soigne l'un, il faut qu'on
néglige l'autre d'après la nature des choses, le contraire ne peut avoir lieu.
Aussi l'apôtre dit-il: « Celui qui s'unit à une prostituée devient un même
corps avec elle; mais celui qui s'attache au Seigneur est un seul esprit avec
lui ». Il devient tout esprit à la fin, quoique enveloppé d'un corps. Quand il
n'a rien de corporel, d'épais, de terrestre, son corps n'est qu'un simple
vêtement; quand toute l'autorité appartient à l'âme et à l'esprit, Dieu est
alors glorifié. Aussi avons-nous l'ordre de dire dans la prière: « Que votre
nom soit sanctifié »; et le Christ nous dit: « Que votre lumière brille devant
les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et qu'ils glorifient votre
Père qui est dans les cieux ». (Matth. V, 16.) Ainsi
le glorifient les cieux, non en parlant, mais en excitant l'admiration par leur
aspect et en faisant remonter leur gloire au créateur.
Glorifions-le, nous aussi, comme eux et même plus qu'eux; nous le pouvons,
si nous le voulons. Car ni le ciel, ni le jour, ni la nuit ne glorifient Dieu
comme une âme sainte. De même qu'à l'aspect de la beauté du ciel, on s'écrie:
Gloire à vous, ô Dieu! qui avez fait un si bel ouvrage!
Ainsi fait-on, et bien mieux encore, en voyant un homme vertueux. Car tout le
monde ne glorifie pas Dieu dans ses créatures; un grand nombre disent qu'elles
se sont faites d'elles-mêmes; d'autres, par une erreur tout à fait
impardonnable, attribuent aux démons la création du monde et la providence; mais
à propos de la vertu de l'homme, personne n'ose porter jusque-là l'impudence
chacun glorifie D:eu en voyant son serviteur vivre saintement. Et qui ne serait
frappé d'étonnement, quand un homme qui n'a que la nature commune aux mortels,
et qui vit au sein de l'humanité, résiste comme le métal le plus dur aux,
assauts des passions? Quand à travers le feu, le fer, les bêtes féroces, il se
montre plus fort que l'acier et triomphe de tout par le langage de la piété? bénit quand on le maudit? répond
par des paroles bienveillantes aux injures? prie pour
ceux qui lui font tort? fait du bien à ses ennemis et
à ceux qui lui tendent des embûches? Oui, ces choses et d'autres de ce genre
glorifient Dieu plus que les cieux. Car, en voyant le ciel, les grecs ne
rougirent pas; mais à l'aspect d'un homme saint, pratiquant la sagesse dans sa
perfection, ils sont couverts de Confusion et se condamnent eux-mêmes. En
effet, quand un homme qui n'est point d'une autre nature qu'eux l'emporte sur
eux autant, et plus même que le ciel ne l'emporte sur la terre, ils sont bien
forcés de croire que c'est là l'effet de quelque puissance divine. Aussi. le Christ dit-il: « Et qu'ils glorifient votre Père qui est
dans les cieux ».
Voulez-vous savoir d'ailleurs comment Dieu est glorifié par la vie de ses
serviteurs, et comment il l'est par ses prodiges? Un jour Nabuchodonosor jeta
les trois enfants dans la fournaise. Ensuite, voyant que le feu ne les
consumait point, il dit: « Béni soit Dieu qui a envoyé son ange et sauvé ses
enfants de la fournaise, parce qu'ils ont eu confiance en lui et n'ont point
obéi à la parole du roi ». (Dan. III, 95.) Que dites-vous, ô roi? Vous avez été
méprisé, et vous admirez ceux qui ont rejeté vos ordres? Oui: je les admire par
cela même qu'ils m'ont méprisé. Il donne la raison même du prodige. Ainsi Dieu
est glorifié, non seulement par le miracle, mais par la résolution des trois
enfants. Et si on veut y regarder de près, ce dernier point n'est pas
au-dessous de l'autre. Au point de vue du prodige, délivrer ces jeunes gens,de la fournaise n'est pas plus que de les avoir décidés à y
entrer. Comment, en effet, ne pas être frappé d'étonnement en voyant le roi du
monde, environné de tant d'armes et d'armées, de généraux, de satrapes, de
préfets, maître de la terre et de la mer, en le voyant, dis-je, méprisé par des
enfants prisonniers; en volant ces prisonniers vaincre celui qui les a mis aux
fers et triompher de toutes ses troupes? Car le roi et sa cour n'ont pu ce
qu'ils voulaient, eux qui avaient toutes ces ressources, et de plus celle de la
fournaise; mais des enfants dénués de tout, esclaves, étrangers, en petit
nombre (trois! que peut-on de moins?) et enchaînés, ont vaincu une immense
armée. Car déjà la mort était méprisée, parce que le Christ devait venir; et comme,
au lever du soleil, le jour brille avant que ses rayons aient paru, ainsi la
mort reculait déjà à la seule approche du soleil de justice. Quoi de plus
éclatant que ce spectacle? quoi de plus glorieux que
cette victoire? quoi de plus insigne que ces trophées?
4. Et cela se voit encore de nos jours. Il y a encore maintenant un roi de
Babylone avec sa fournaise, et qui y allume un feu bien plus ardent; il est
encore là pour faire adorer sa statue; autour de lui sont encore des satrapes,
des soldats, une musique enchanteresse; et beaucoup adorent cette image, aux
aspects variés, de hauteur colossale. L'avarice est une statue de ce genre, ne
dédaignant pas même le fer, composée d'éléments dissemblables, obligeant à tout
admirer, l'airain, le fer et des matières beaucoup plus viles encore. Mais si
fout cela est, il y a aussi des imitateurs de ces enfants, qui disent: Nous ne
servons pas les dieux, nous n'adorons pas ton image; mais nous supportons la
fournaise de la pauvreté et toutes les autres misères, pour les lois de Dieu.
Ceux qui possèdent beaucoup, l'adorent souvent cette image, comme ces
courtisans du roi, et ils sont dévorés par les flammes; mais ceux qui n'ont
rien, la méprisent, vivent dans la pauvreté et sont plus dans la rosée que ceux
qui nagent au sein de l'abondance: absolument comme ceux qui avaient jeté les
trois enfants dans la fournaise furent consumés, tandis que les enfants
eux-mêmes étaient comme rafraîchis par la pluie et la rosée. Et le tyran
lui-même souffrait plus qu'eux de la flamme: car la colère le brûlait
intérieurement; le feu ne put pas même atteindre
l'extrémité de leurs cheveux; tandis que son âme était dévorée par l'ardeur de
son courroux. Songez un peu à ce que c'était que d'être méprisé devant tant de
témoins par des enfants prisonniers. Il a fait voir, du reste, que s'il avait
pris leur ville, ce n'était pas par sa vertu propre, mais à cause des péchés de
ses habitants.
Si, en effet, il n'a pu vaincre trois enfants enchaînés et. jetés dans une fournaise, comment serait-il venu à bout, par
la loi de la guerre, de tant d'hommes, s'ils eussent tous été tels que ceux-ci?
Il est donc évident que ce sont les péchés du peuple qui ont livré la ville.
Mais voyez comme ces jeunes gens sont étrangers à la vaine gloire! Ils ne
s'élancèrent point dans la fournaise, mais ils pratiquèrent d'avance l'ordre du
Christ qui dit: « Priez afin que vous n'entriez point en tentation ». (Matth. XXVI, 41.) Ils ne se sauvèrent point quand on les y
conduisit; mais ils gardèrent courageusement le milieu; ne s'empressant point
quand on ne les appelait pas, ne montrant ni faiblesse ni lâcheté quand on les
appelait, prêts à tout, intrépides et remplis de confiance. Et pour bien
comprendre leur sagesse, écoutons ce qu'ils disent: « Il y a dans le ciel un
Dieu qui peut nous délivrer ». (Dan. III, 17.) Ils ne s'inquiètent point
d'eux-mêmes; au moment d'être brûlés, ils ne s'occupent que de la gloire de
Dieu. Afin, disent-ils, que vous n'accusiez pas Dieu d'impuissance, quand nous
serons consumés par le feu, nous vous ex primons nettement toute notre
croyance: « Il y a un Dieu dans le ciel », non un Dieu semblable à cette statue
terrestre, inanimée et. muette, mais un Dieu qui peut
nous tirer du milieu de cette fournaise ardente. Ne l'accusez donc pas de
faiblesse, s'il nous y laisse jeter. Il est si puissant qu'il peut nous sauver
de la flamme, même quand nous y serons: «Et s'il ne le fait pas, sachez
néanmoins, ô roi; que nous ne servons pas vos dieux et que nous n'adorerons pas
la statue d'or que vous avez fait dresser ». (Dan. III, 18.) Vous voyez que,
par un dessein providentiel, ils ignorent l'avenir. S'ils l'avaient connu, leur
action serait moins admirable; quoi d'étonnant, en effet, à ce qu'ils eussent
audacieusement affronté le danger s'ils avaient eu un gage certain de leur
salut?
Sans doute Dieu eût été également glorifié, puisqu'il aurait pu les sauver
de la fournaise: mais ils eussent été moins dignes d'admiration, puisque au
fait ils ne se seraient pas précipités, dans le danger. Dieu leur a donc laissé
ignorer l'avenir, pour les glorifier davantage. Et comme ils assuraient au roi
que Dieu ne devait pas être accusé d'impuissance, quand même le feu les
consumerait; ainsi Dieu a tout à la fois montré sa puissance et mieux fait
briller leur courage. Et pourquoi, dites-vous, ce doute de leur part, cette
incertitude de leur délivrance? Parce qu'ils se croyaient trop peu de chose,
trop indignes d'un si grand bienfait. Et la preuve que ce n'est pas ici une
simple conjecture, ce sont les plaintes qu'ils font entendre dans la fournaise,
quand ils disent: « Nous avons péché, nous avons commis l'iniquité; il ne nous
est pas permis d'ouvrir la bouche ». (Dan. III, 29.) Voilà pourquoi ils ont
d'abord dit: « Et s'il ne le fait pas ». Ne soyez pas surpris qu'ils ne disent
pas clairement: Dieu peut nous sauver, et s'il ne nous sauve pas, c'est à cause
de nos péchés; car alors ils auraient eu l'air, aux yeux de barbares, de voiler
l'impuissance de Dieu sous le prétexte de leurs propres péchés. Ne parlant donc
que de soin pouvoir, ils n'ont rien dit de la cause. Ils étaient d'ailleurs
parfaitement habitués à ne point scruter témérairement les jugements de Dieu.
Après avoir prononcé ces paroles; ils sont entrés dans le feu, sans injurier le
roi, sans renverser sa statue.
Tel doit être l'homme courageux, modéré et doux, surtout dans les dangers,
pour ne pas paraître aller à ces combats par colère et par vaine gloire, mais
par courage et avec modération. C'est à celui qui commet l'injustice à
supporter le soupçon de ces coupables motifs; quant à celui qui les subit, qui
souffre violence et combat avec douceur, non seulement on l'admire comme un
homme de coeur, mais on ne le vante pas moins pour sa modération et sa douceur:
ce que firent alors les trois enfants, en montrant tout le courage et toute la
douceur possibles, et n'agissant point en vue d'un prix ou d'une récompense. Et
quand même il ne voudrait pas nous sauver, ajoutent-ils, nous n'adorerons pas
vos dieux; car nous sommes déjà récompensés par cela seul que nous sommes jugés
dignes d'être délivrés de l'impiété et brûlés pour cette fin. Et nous aussi qui
avons déjà notre récompense (et nous l'avons, puisque nous avons été jugés
dignes de connaître le Christ et de devenir ses membres), n'en faisons pas les
membres d'une prostituée. C'est par ce mot terrible qu'il faut finir ce
discours; afin que, sous l'impression de la plus vive frayeur, nous devenions
plus purs que l'or et persévérions dans cet état. C'est ainsi que délivrés de
la fornication nous pourrons voir le Christ. Puissions-nous le voir tous avec
confiance au dernier jour, par la grâce et la bonté de Notre Seigneur
Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint Esprit, la
gloire, la force, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des
siècles. Ainsi soit-il.
ANALYSE.
1. Du devoir conjugal: exhortation indirecte à la virginité plus parfaite
que le mariage.
2 et 3. Ne s'abstenir du mariage que pour vaquer à des devoirs religieux
importants. — Conduite que doivent tenir les veuves. — Que l'adultère est un
motif suffisant pour dissoudre le mariage. — Que les mariages mixtes,
c'est-à-dire, dans lesquels l'un des époux est chrétien et l'autre non, ne
doivent pas être dissous.
4 et 5. Devant le Christ, l'esclave et l'homme libre sont égaux.
6. Avis important aux personnes mariées et aux vierges.
1. Après avoir corrigé trois vices: le schisme dans l'Eglise, la
fornication et l'avarice, il adoucit son langage; et pour reposer son auditoire
de ces sujets pénibles, il donne des avis et des conseils sur le mariage et la
virginité. Dans la seconde épître, il prend la marche contraire; après avoir
commencé par des sujets plus doux, il finit par de plus désagréables.
Ici, après avoir
parlé de la virginité, il en revient encore à frapper, non d'une manière
continue, mais en alternant dans les deux sens, selon que la circonstance et
l'état des choses l'exigeaient. Aussi dit-il: « Quant aux choses dont vous
m'avez écrit ». En effet on lui avait écrit pour savoir s'il fallait s'abstenir
du mariage ou non. Répondant à cette question et avant d'établir la loi du
mariage, il commence par parler de la virginité: « Il est avantageux à l'homme
de ne toucher aucune femme ». C'est-à-dire: Si vous cherchez le bien,
l'excellent, il est meilleur de n'avoir aucun commerce avec une femme; si vous
cherchez la sécurité et un appui à votre faiblesse, usez du mariage. Mais comme
probablement, alors ainsi qu’aujourd'hui, l'un des époux voulait et l'autre ne
voulait pas, voyez comme il parle de l'un et de l'autre. Quelques-uns prétendent
qu'il s'adresse ici aux prêtres; pour moi, d'après ce qui suit, je ne le pense
pas: car il n'eût point donné son avis d'une manière aussi générale. S'il se
fût agi seulement des prêtres, il aurait dit: Il est avantageux au ministre de
la parole de ne toucher aucune femme; mais son expression est générale: « Il
est avantageux à l'homme » et non pas seulement au prêtre; et encore: «
N'êtes-vous point lié à une femme? Ne cherchez point de femme ». Il ne dit pas:
Vous prêtre et docteur, mais il parle d'une manière indéfinie, et ainsi dans
toute la suite du discours.
Et quand il dit: « Mais à cause de la fornication que chaque homme ait sa
femme », par la nature même de cette concession il exhorte à la continence. «
Que le mari rende à la femme ce qu'il lui doit, et pareillement la femme à son
mari ». Or, quel est cet bonheur dû? La femme n'est
pas maîtresse de son propre corps, mais elle est la servante et la maîtresse de
son époux. En vous soustrayant au service convenable, vous offensez Dieu; si
vous voulez vous abstenir de concert avec votre mari, que ce soit pour peu de
temps. Aussi appelle-t-il cela une dette, pour montrer qu'aucun des deux n'est
maître de lui-même, mais que l'un est le serviteur de l'autre. Quand donc une
prostituée vous tente, dites-lui: Mon corps n'est pas à moi, mais à ma femme.
Que la femme en dise autant à ceux qui voudraient attenter à sa chasteté: Mon
corps n'est pas à moi, mais à mon époux. Que si l'homme et la femme ne sont pas
maîtres de leur corps, encore moins le sont-ils de leur fortune. Ecoutez, vous
qui avez des femmes, et vous qui avez des maris. Si l'on ne peut pas avoir son
corps en propre, encore moins peut-on avoir ses biens. Ailleurs, sans doute,
une grande prérogative est accordée au mari, dans le Nouveau et dans l'Ancien
Testaments. Dans celui-ci on lit: « Tu te tourneras vers ton mari; c'est lui
qui te dominera ». (Gen. III, 16.) Et Paul,
établissant une distinction, écrit: « Maris, aimez vos femmes..., mais que la
femme craigne son mari ». (Eph. V, 25, 33.) Mais ici
il ne distingue pas le plus ou le moins: le droit est le même. Pourquoi? Parce
qu'il s'agit de la chasteté. Que partout ailleurs, dit-il, l'homme ait
l'avantage; mais en fait de continence, non. « L'homme n'a pas puissance sur
son « corps, ni la femme non plus ». L'égalité est complète; point de
prérogative.
« Ne vous refusez point l'un à l'autre ce devoir, si ce n'est de concert ».
Qu'est-ce que cela veut dire? Que la femme ne se contienne pas, malgré son
époux; ni l'époux, malgré sa femme. Pourquoi cela? Parce que de grands maux
naissent de cette continence: souvent les adultères, les fornications; les
troubles domestiques en sont les suites. Si en effet il est des hommes qui
commettent la fornication quoiqu'ils aient leurs femmes, à plus forte raison la
commettront-ils si vous les privez de cette consolation. C'est avec raison
qu'il dit: «Ne vous fraudez point », employant. ici le
mot fraude comme plus haut le mot dette, pour mieux constituer le droit. En
effet, se contenir malgré son conjoint, c'est commettre une fraude; mais non
plus, s'il y consent. Vous ne me volez pas, si je consens à ce que vous pm niez un objet qui m'appartient. Mais prendre par force à
quelqu'un qui n'y consent pas, c'est voler: et c'est ce que font beaucoup de
femmes, qui blessent ainsi gravement la justice, deviennent responsables des
désordres de leurs maris et mettent tout sens dessus dessous. Or il faut placer
la bonne harmonie avant tout, parce que c'est en effet un bien préférable à
tous les autres. Entrons, si vous le voulez, dans la nature même des choses.
Supposez un homme et une femme, et la femme se contenant malgré son mari.
Qu'arrivera-t-il, si celui-ci se livre à la fornication, ou tout au moins
s'afflige, se trouble, éprouve l'ardeur de la concupiscence, soulève des
querelles et cause mille ennuis à sa femme, que gagne-t-elle au jeûne et à la
continence, si le lien de la charité est brisé? Rien. Que d'injures, que de
débats, que de guerres s'ensuivront nécessairement!
2. Car quand le mari et la femme sont en désaccord chez eux, la maison
ressemble tout à fait à un vaisseau battu par la tempête, on le pilote et le
timonier ne s'entendent pas. C'est pourquoi l'apôtre
dit: « Ne vous refusez point l'un à l'autre ce devoir, si ce n'est de «concert
pour un temps, afin de vaquer au jeûne et à la prière »; mais il entend une
prière faite avec plus de soin. En effet, s'il défendait la prière à ceux qui
usent du mariage, quand et comment pourrait-on prier sans relâche? Il est donc
possible d'user de sa femme et de prier; mais la continence donne à la prière
une plus grande perfection. Aussi ne dit-il pas simplement: Pour prier, mais: «
Afin que vous vaquiez à la prière », puisque par là on se procure du loisir,
sans contracter de souillure. « Et revenez ensuite comme vous étiez, de peur
que Satan ne vous tente ». Il donne la raison de ce conseil, de peur qu'on ne
le prenne pour une loi. Quelle est cette raison? « De peur que Satan ne vous
tente ». Et pour que vous sachiez que le diable n'est pas seul l'auteur de
l'adultère, il ajoute: « Par votre incontinence. Or, je dis ceci par
condescendance et non par commandement. Car je voudrais que tous les hommes
vécussent comme moi, dans la continence ». C'est son usage habituel de se
proposer lui-même pour exemple, quand il s'agit de choses difficiles et de dire:
« Soyez mes imitateurs. Mais « chacun reçoit de Dieu son on particulier, l'un
d'une manière et l'autre d'une autre ». Comme il les a vivement accusés en
disant «Par votre incontinence », il les console en ajoutant: « Chacun reçoit
de Dieu son don particulier », non pour faire entendre qu'une bonne oeuvre n'a
pas besoin de notre concours, mais pour les consoler, comme je viens de le
dire. Car si c'est un pur don et que l'homme n'y contribue en rien, comment
ajoute-t-il: « Mais je dis à ceux qui ne sont pas mariés et aux veuves,
qu'il leur est avantageux de rester ainsi, comme moi-même; que s'ils ne peuvent
se contenir, qu'ils se marient? »
Voyez-vous la prudence de Paul, comment il démontre que la continence est
l'état le plus avantageux, sans cependant forcer celui qui ne l'embrasse pas,
de peur qu'il n'arrive une chute? « Car il vaut mieux se marier que de
brûler ». Il a fait voir la force tyrannique de la concupiscence. Voici ce
qu'il veut dire: Si vous éprouvez de violents assauts, une vive ardeur,
débarrassez-vous de ces luttes et de ces pénibles efforts, de peur d'être
vaincu. « Pour ceux qui sont mariés, ce n'est pas moi, mais le Seigneur qui
commande ». Sur le point de lire la loi portée en termes positifs par le
Christ; pour défendre de renvoyer sa femme, sauf le cas de fornication, il dit:
« Ce n'est pas moi »; car ce qui a été dit plus haut, quoique non en des termes
exprès, lui semble la même chose. Mais ici ses termes sont formels. Et c'est la
différence entre ces mots: « C'est moi », et: « Ce n'est pas moi ». Et pour que
vous ne croyiez point qu'il parle par inspiration humaine, il ajoute: « Car je
pense que j'ai l'Esprit de Dieu ». Que commande donc le Seigneur aux personnes
mariées? « Que la femme ne se sépare point de son mari. Que si elle en est
séparée, qu'elle demeure sans se marier, ou qu'elle se réconcilie avec son mari;
que le mari de même ne quitte point sa femme ».
Comme à propos de la continence ou pour d'autres prétextes, et pour des
futilités, il s'élevait des divisions, il eût mieux valu, dit l'apôtre, que
cela n'eût pas lieu; mais puisque cela est, que la femme reste avec son mari,
si ce n'est pour user du mariage, au moins pour n'introduire aucun autre homme.
« Mais aux autres je dis moi, et non le Seigneur: si l'un de nos frères a une
femme infidèle et qu'elle consente à demeurer avec lui, qu'il ne se sépare
point d'elle. Et si une femme a un époux infidèle et qu'il consente à demeurer
avec elle, qu'elle ne s'en sépare point ». Comme en parlant de la nécessité de
se séparer des fornicateurs, pour atténuer la difficulté, il a dit: « Ce qui ne
s'entend pas des fornicateurs de ce monde »; ainsi il s'attache ici à rendre la
chose très facile: si une femme a un mari infidèle, qu'elle ne s'en sépare pas;
si un homme a une femme infidèle, qu'il ne la renvoie pas. Que dites-vous,
Paul? si l'époux est infidèle, il doit demeurer avec
sa femme, et non s'il est fornicateur? Cependant, la fornication est un péché
moindre que l'infidélité; mais Dieu a pour vous de grands ménagements. C'est
aussi ce qu'il fait à propos du sacrifice, lorsqu'il dit: « Laissez là le
sacrifice et allez vous réconcilier avec votre frère ». (Matth.
V, 24.) Et encore à propos de celui qui devait dix mille talents; car il ne l'a
point puni, tandis qu'il a condamné au supplice celui qui exigeait cent deniers
de son compagnon. Ensuite, de peur que la femme ne se crût immonde pour avoir
usé du mariage, il dit: « Car le mari infidèle, est sanctifié par la femme
fidèle et la femme infidèle est sanctifiée par le mari ». Pourtant, si celui
qui s'unit à une prostituée devient un même corps avec elle, il est évident que
celle qui s'unit à un idolâtre, devient aussi un même corps avec lui. Oui, elle
devient un même corps, mais elle ne se souille point; la pureté de la femme
l'emporte sur l'impureté du mari, comme la pureté de l’homme fidèle sur
l'impureté de la femme infidèle.
3. Pourquoi donc l'impureté est-elle ici vaincue et l'usage du mariage
est-il permis, tandis que l'homme n'est point blâmable quand il chasse sa femme
adultère? Parce que là il y a espoir que la partie infidèle sera sauvée par le
mariage, et qu'ici le mariage est déjà dissous; qu'ici encore les deux parties
sont viciées, tandis que dans l'autre cas il n'y en a qu'une. Expliquons-nous:
la femme qui commet la fornication est certainement impure. Or, si celui qui
s'unit à une prostituée devient un seul corps avec elle, celui qui s'unit à une
prostituée devient donc impur; par conséquent, toute pureté a disparu. Mais ici
il n'en est pas de même: comment cela? L'idolâtre est impur, mais la femme ne
l'est pas. Si celle-ci communiquait avec lui dans ce qu'il a d'impur,
c'est-à-dire, dans son impiété, elle deviendrait impure comme lui; mais, d'une
part, l'idolâtre est impur, et d'autre part, la femme communique avec lui en
une chose qui n'est pas impure, car le mariage est l'union des corps et il y a
société. Or, il y a lieu d'espérer que la femme, à laquelle il s'unit, le
ramènera: mais pour l'autre cas cela ne serait pas très facile. Comment une femme
qui l'a d'abord déshonoré, qui s'est livrée à un autre, qui a enfreint les lois
du mariage, pourra-t-elle ramener l'époux qu'elle a outragé et qui n'est plus
là que comme un étranger? D'ailleurs, après la fornication l'époux n'est plus
époux; mais ici la femme, quoique idolâtre, ne détruit point la justice dans
son mari. Et elle n'habite pas sans raison avec son mari, mais du consentement
de celui-ci: c'est pourquoi l'apôtre dit: « Et qu'il consente à demeurer avec
elle ».
Quel mal y a-t-il, je vous le demande, si, tout ce qui tient à la religion
restant sain et sauf, et la conversion de la. partie
infidèle offrant quelque espérance, ils continuent à demeurer ensemble dans
l'état du mariage, et n'introduisent- point chez eux de sujets de
querelles inutiles?
Car il ne s'agit pas ici de personnes libres, mais de personnes mariées.
L'apôtre ne dit pas: Si quelqu'un veut prendra un infidèle, mais: « Si
quelqu'un a une femme infidèle »; c'est-à-dire, si quelqu'un déjà marié, reçoit
l'enseignement de la vraie religion, et que l'autre partie tout en restant
infidèle consente néanmoins à rester dans le mariage, qu'il ne s'en sépare
point: «Car le mari infidèle est sanctifié par la femme ». Telle est
l'excellence de votre pureté. Quoi donc! Un gentil est saint? Point du tout.
Paul n'a pas dit: Est saint, mais: « Est sanctifié par sa femme ». Et il parle
ainsi non pour montrer un saint dans un époux infidèle, mais pour mieux
dissiper les craintes de la femme et inspirer à l'époux le désir de la vérité.
Car ce n'est pas dans les corps des époux qu'est l'impureté, mais dans la
volonté et dans les pensées. Puis vient la preuve. Si vous engendrez étant
impure, l'enfant n'est pas de vous seule; il est donc impur ou pur par moitié;
il n'est donc pas impur. Aussi ajoute-t-il: « Autrement vos enfants seraient
impurs, tandis que maintenant ils sont saints », c'est-à-dire, ils ne sont pas
impurs. Il les appelle saints, pour écarter toute crainte et tout soupçon par
l'énergie de ses expressions. « Que si l'infidèle se sépare, qu'il se sépare ».
Ici, il n'y a pas de fornication. Que signifient ces mots: « Si l'infidèle se
sépare? » Par exemple, s'il vous ordonne de sacrifier et de partager son
impiété parce que vous êtes sa femme, ou de vous retirer, il vaut mieux rompre
le mariage que de renoncer à la vraie foi. Voilà pourquoi il ajoute: « Notre
frère ou notre soeur ne sont plus asservis en pareil cas ». Si chaque jour il
faut subir des discussions et des combats là-dessus, le meilleur est de se
séparer. Et c'est ce qu'il insinue quand il dit: « Dieu nous a appelés à la
paix ». D'ailleurs l'infidèle, comme le fornicateur, a donné lieu à la
séparation.
« Car que savez-vous, ô femme, si vous sauverez votre mari? » Ceci se
rapporte à ce qu'il a dit plus haut: « Qu'elle ne se sépare point de lui ».
C'est-à-dire, s'il ne vous cause aucun trouble, restez, car il y a profit:
restez exhortez, conseillez, persuadez: aucun maître n'a autant d'influence
qu'une femme. Il ne lui impose point d'obligation, il n'exige rien d'elle, pour
ne pas rendre le fardeau trop lourd, et il ne veut pas qu'elle désespère; mais
il laisse là question de l'avenir incertaine et comme suspendue, en disant:
«Que savez-vous, ô femme, si vous sauverez votre mari? Et que savez-vous, ô
homme, si vous sauverez votre femme? » Et encore: « Seulement que chacun marche
comme Dieu le lui a départi et selon que Dieu l'a appelé. Un circoncis a-t-il
été appelé? qu'il ne se donne point pour incirconcis.
Un circoncis a-t-il été appelé? qu'il ne se fasse
point, circoncire. La circoncision n'est rien, et l'incirconcision n'est rien,
mais l'observation des commandements de Dieu est tout.
Que chacun persévère dans la vocation où il était quand il a été appelé.
Avez-vous été appelé «étant esclave? Ne vous en inquiétez pas ». Tout cela n'a
point de rapport avec la foi; point de discussions donc, point de troubles; la
foi a tout fait disparaître. « Que chacun persévère dans la vocation où il
était quand il a été appelé ». Vous aviez une femme infidèle quand vous avez
été appelé? Demeurez avec elle; que la foi ne soit point un motif pour la
renvoyer. Vous étiez esclave quand vous avez été appelé? Ne vous en inquiétez
pas, restez esclave. Vous étiez incirconcis quand vous avez été appelé? Restez
incirconcis. Vous étiez circoncis quand vous avez cru? Restez circoncis.
C'est-à-dire: « Que chacun marche comme Dieu le lui a départi ». Rien de tout
cela n'est un obstacle à la religion. Vous avez été appelé étant esclave; un
autre, ayant une femme infidèle; un troisième; étant circoncis.
44. O ciel! Où va-t-il placer l'esclavage? Comme la circoncision ne sert à
rien et que l'incirconcision ne nuit pas, ainsi en est-il de l'esclavage et de
la liberté. Et pour le prouver plus clairement, il ajouté: « Et même si vous
pouvez devenir libre, profitez-en plutôt »; c'est-à-dire, restez plutôt
esclave. Et pourquoi engage-t-il celui qui peut devenir libre à rester esclave?
Pour montrer que l'esclavage est plutôt utile que nuisible. Je sais que
quelques-uns pensent que ces mots: « Profitez-en plutôt» doivent s'entendre de
la liberté; ce qui voudrait dire: Si vous le pouvez, devenez libre. Mais cette
interprétation serait tout à fait contraire au but que Paul se propose. En
effet, il ne conseillerait point à l'esclave de se procurer la liberté, au
moment où il le console et affirme que l'esclavage ne lui est nullement
désavantageux. Car alors on pourrait peut-être dire: mais enfin, si je ne puis
devenir libre, je subis donc une injure et un dommage?
Ce n'est donc point là sa pensée; mais, comme je l'ai expliqué plus haut,
voulant montrer que la liberté ne serait d'aucun profit, il dit: quand vous
pourriez devenir libre, restez plutôt esclave. Et il en donne aussitôt la
raison: « Car celui qui a été appelé au Seigneur quand il était esclave,
devient affranchi du Seigneur; de même celui qui a été appelé étant libre,
devient esclave du Christ». En ce qui regarde le Christ, dit-il, les deux sont
égaux: vous êtes également l'esclave du Christ, le Christ est égaiement votre
maître. Comment donc l'esclave est-il affranchi? Parce que le Christ vous a
délivré non seulement du péché, mais encore de la servitude extérieure, bien
que vous restiez esclave. Car il ne permet pas que l'esclave, ni que l'homme
demeurant dans la servitude, soit esclave: et c'est là la merveille. Mais comment
un esclave est-il libre, tout en restant esclave? Quand il est délivré des
passions et des maladies spirituelles, quand il méprise les richesses, qu'il
est au-dessus de la colère et des autres mouvements de l'âme. «Vous avez été
achetés chèrement; ne vous faites point esclaves des hommes ». Ces paroles ne
s'adressent pas seulement aux serviteurs, mais aussi aux hommes libres. Car
l'esclave peut être libre; et l'homme libre, esclave. Et comment -an esclave
peut-il être libre? Quand il fait tout pour Dieu, quand il agit sans
dissimulation et non pour plaire aux hommes: alors tout en servant les hommes,
il est libre. Et comment, d'autre part, l'homme libre peut-il être esclave? quand il remplit un rôle coupable parmi les hommes, ou par
gourmandise, ou par l'ambition des richesses, ou par l'abus de la puissance. En
ce cas, bien que libre, il est le plus esclave des hommes.
Considérez ces deux faits: Joseph était esclave, mais non esclave des
hommes: c'est pourquoi il était le plus libre des hommes, même au sein de
l'esclavage. Ainsi il ne cède point au désir de la femme de son maître, qui
coulait le plier au gré de sa passion. Elle, au contraire, quoique libre, était
esclave entre tous les esclaves, elle qui flattait son serviteur et le
provoquait au mal; mais elle ne put décider l'homme
libre à faire ce qu'elle voulait. L'esclavage de Joseph n'était donc point un
esclavage, mais la plus haute liberté; car en quoi a-t-il gêné sa vertu?
Ecoutez, esclaves et hommes libres: lequel était l'esclave de celui qui était
sollicité, ou de celle qui sollicitait? de celle qui
suppliait, ou de celui qui méprisait ses supplications? Car Dieu a fixé des
bornes aux esclaves: les lois déterminent le point jusqu'où ils peuvent aller
et qu'ils ne doivent point dépasser. Tant que le maître n'exige rien qui
déplaise à Dieu, il faut l'écouter et lui obéir; mais non, s'il demande rien au
delà; c'est ainsi que l'esclave devient libre. Et si vous allez vous-même au
delà, fussiez-vous libre, vous devenez esclave. C'est à quoi Paul fait allusion,
quand il dit: « Ne vous faites point esclaves des hommes ». S'il en était
autrement, s'il conseillait aux esclaves de quitter leurs maîtres et de
s'efforcer de devenir libres, comment aurait-il donné cet avis: « Que chacun
persévère dans la vocation où il était quand il a été appelé? » Et ailleurs: «
Que tous les serviteurs qui sont sous le joug estiment leurs. maîtres dignes de tout honneur, et que ceux qui ont des
maîtres fidèles ne les méprisent point, parce que ce sont des frères qui
participent au même bienfait ». (I Tim. VI, 1, 2.)
Ecrivant aux Ephésiens et aux Colossiens il donne
encore les mêmes règles et les mêmes lois. D'où il suit clairement qu'il ne
combat point ce genre d'esclavage, mais celui que les hommes libres contractent
par le vice et qui est le plus fâcheux, même quand celui qui le subit est
libre. A quoi en effet a servi aux frères de Joseph d'être libres?
N'étaient-ils pas les plus esclaves des hommes, quand ils mentaient à leur
père, faisaient aux marchands de faux récits ainsi qu'à leur frère? Mais bien
autre était Joseph, homme véritablement libre, véridique partout et en tout,
que rien n'a pu assujettir, ni les fers, ni l'esclavage, ni l'amour de sa
maîtresse, ni l'exil, mais qui est demeuré libre partout. Car c'est là la vraie
liberté, celle qui éclate même dans l'esclavage.
5. Voilà le christianisme: il donne la liberté dans la servitude. Et comme
un corps naturellement invulnérable se montre tel quand il reçoit un trait sans
en souffrir, ainsi celui qui est vraiment libre, le démontre surtout quand ses
maîtres ne peuvent le rendre esclave. Voilà pourquoi Paul engage à rester
esclave. S'il n'était pas possible d'être esclave et vrai chrétien, les gentils
pourraient accuser la religion d'une grande faiblesse; mais s'ils savent que
l'esclavage ne lui est point un obstacle, ils admireront la doctrine. Car si la
mort, la flagellation, les chaînes ne nous font point de mal, beaucoup moins
l'esclavage, le feu, le fer., tous les genres de
tyrannie, les maladies, la pauvreté, les animaux sauvages et mille autres
tourments plus graves encore peuvent-ils nuire aux fidèles; ils n'ont fait que
les rendre plus puissants. Et comment l'esclavage pourrait-il nuire? Ce n'est
pas l'esclavage même qui nuit, cher auditeur, mais celui du péché qui est le
seul véritable. Si vous ne subissez pus celui-là, ayez confiance et
réjouissez-vous; personne ne pourra vous nuire dès que votre âme est libre;
mais si vous êtes esclaves du péché, eussiez-vous toute liberté d'ailleurs, la
liberté ne vous sert à rien. Que sert, en effet, dites-moi, dé n'être pas
esclave d'un homme et de l'être de ses passions? Souvent les hommes usent
encore de ménagement, mais les passions sont insatiables de ruine. Vous êtes
l'esclave d'un homme? Mais votre propre maître est votre serviteur; lui qui
pourvoit à votre nourriture, qui soigne votre santé, qui a le souci de votre
habillement, de vos chaussures et de tant d'autres choses. Vous avez moins peur
de l'offenser que lui de vous laisser manquer du nécessaire.
Mais il est couché, et vous êtes debout. — Qu'importe? On peut faire cette
observation pour vous comme pour' lui. Souvent quand vous êtes couché et livré
à un doux sommeil,il est non seulement debout, mais en
proie à mille désagréments sur la place publique, et veille d'une manière bien
plus pénible que vous. Quoi donc! Joseph a-t-il autant souffert de la part de
sa maîtresse, que celle-ci par l'effet de sa passion? Joseph n'a point fait ce
que voulait cette femme; et elle-même a fait tout ce que voulait la passion, sa
maîtresse; et la passion ne s'est arrêtée qu'après l'avoir couverte de honte.
Quel maître est aussi exigeant? Quel tyran est aussi cruel? Prie ton esclave,
dit la passion, supplie ton prisonnier, flatte l'homme que tu as acheté; s'il
refuse, insiste; si malgré tes sollicitations réitérées il ne cède point,
observe le moment où il sera seul, et use de violence, et rends-toi ridicule.
Quoi de plus déshonorant, quoi de plus, honteux que ce langage? Mais si tu ne
viens pas à bout de ton dessein, recours à la calomnie et trompe ton époux.
Voyez comme ces ordres sont indignes d'une âme libre, honteux,
inhumains, cruels et insensés! Quel maître exige
jamais ce que la passion impure a exigé de cette princesse? Et pourtant elle
n'eut pas le courage de résister à sa voix. Joseph n'a rien subi de pareil: il
a tenu une conduite toute contraire qui l'a comblé de gloire et d'honneur.
Voulez-vous encore voir un autre homme, à qui une cruelle maîtresse adonné des
ordres qu'il n'a pas osé repousser?
Rappelez-vous Caïn et les ordres que lui a donnés la jalousie. Elle lui a
commandé de tuer son frère, de mentir à Dieu, d'affliger son père, d'être
impudent; et il a tout exécuté de point en point. Pourquoi vous étonnez-vous
que cette maîtresse ait tant d'empire sur un seul homme, elle qui a souvent
perdu des peuples entiers? Les femmes madianites ont
pour ainsi dire emmené les Juifs enchaînés et prisonniers en les captivant tous
par l'attrait de leurs charmes. C'était ce genre d'esclavage que Paul
repoussait quand il disait: « Ne vous faites point esclaves des hommes »;
c'est-à-dire N'obéissez point aux hommes quand ils vous donnent des ordres
injustes, pas même à vous. Ensuite élevant son esprit jusqu'à un point sublime,
il dit: « Quant aux vierges, je n'ai point reçu de commandement du Seigneur;
mais je donnerai un conseil comme ayant obtenu de la miséricorde du Seigneur
d'être fidèle ». Procédant avec ordre, il parle ensuite de la virginité. Après
les avoir entretenus et instruits sur la continence, il passe maintenant à ce
qui est plus parfait. « Je n'ai pas de commandement », dit-il; mais je pense
que c'est une bonne chose. Pourquoi? Pour la même raison qu'il a donnée à
propos de la continence. « Etes-vous lié à une femme? Ne cherchez pas à vous
délier ». Ceci ne contredit point ce qu'il a d'abord dit, mais le confirme
parfaitement. En effet, plus haut il disait: « Si ce n'est d'un commun accord »;
ici il dit: « Etes-vous lié à une femme? Ne cherchez pas à vous délier». Il n'y
a point là de contradiction: car quand on agit contre sa volonté, le lien se
brise; quand on agit de concert, le lien subsiste.
6. Ensuite, pour qu'on ne croie pas que c'est là une loi, il ajoute: «
Cependant, si vous prenez une femme, vous ne péchez pas ». Puis il accuse
l'état des choses, la nécessité présente, la brièveté du temps, l'affliction.
Car le mariage entraîne bien des suites qu'il indique comme il l'a déjà fait en
parlant de la continence, quand il disait que la femme n'a pas de puissance sur
son corps, et ici quand il dit: « Etes-vous lié.. Cependant si vous prenez une
femme, vous ne péchez pas ». Ceci ne s'applique point à celle qui a choisi la
virginité, car celle-là pécherait. En effet, si les veuves sont incriminées
pour avoir contracté un second mariage quand elles ont promis de rester veuves,
à plus forte raison blâmera-t-on les vierges. « Toutefois ces personnes auront
les tribulations de la chair ». — Et aussi ses plaisirs, dites-vous. — Mais
voyez comme l'apôtre les restreint par la brièveté du temps, en disant: « Le
temps est court »; c'est-à-dire, nous avons ordre de passer comme des voyageurs
et de sortir ensuite; mais vous vous agitez dans l'intérieur. Quand même le
mariage n'aurait rien de pénible, il faudrait encore hâter sa marche vers
l'avenir; mais quand il entraîne des suites fâcheuses, à quoi bon se charger du
fardeau? Pourquoi s'imposer une telle charge, puisqu'une fois que vous l'avez
prise, il faut en user comme n'en usant pas? En effet, l'apôtre nous dit: « Il
faut que ceux mêmes qui ont des femmes soient comme n'en ayant pas ». Après
avoir ainsi dit un mot de l'avenir, il revient au temps présent. Car il y a des
intérêts spirituels: l'une s'occupe du service de son époux, l'autre du service
de Dieu; ruais il y a aussi les intérêts de la vie présente: « Je voudrais que
vous fussiez exempts de soucis ». Pourtant il laisse cela à leur liberté. Car
celui qui, après avoir montré ce qu'il faut choisir, impose le choix, semble
n'avoir pas confiance en ses propres paroles. C'est pourquoi il use surtout de
condescendance pour les déterminer et les maintenir: « Or je vous parle ainsi
pour votre avantage, non pour vous tendre un piège; mais parce que c'est une
chose bienséante et qui donne la facilité de prier ».
Que les vierges
entendent bien: ce n'est pas à cela que se borne la virginité; celle qui
s'occupe du monde n'est ni vierge, ni honnête. Après avoir dit: « La femme
mariée et la vierge sont partagées », il établit la différence, le point qui
les sépare l'une de l'autre. Pour limite entre la vierge et celle qui ne l'est
plus, il ne donne pas le mariage, ni la continence, mais l'exemption de soucis
et de grands soucis. Car ce n'est pas l'acte du mariage qui est un mal, mais
l'obstacle à la sagesse. « Si donc quelqu'un pense que ce lui soit un
déshonneur que sa fille reste vierge». Ici il semble parler en faveur du
mariage; néanmoins tout se rapporte à la virginité; car il permet même un
second mariage, mais seulement « dans le Seigneur ». Que veut dire: « dans le
Seigneur? » C'est-à-dire, avec chasteté, avec honnêteté; car il en faut partout:
c'est là ce que nous devons chercher; autrement il n'est pas possible de voir
Dieu. Si nous avons passé sous silence ce qu'il y a à dire sur la virginité,
qu'on ne nous accuse pas de négligence. Car nous avons composé un livre entier
sur ce passage; et après y avoir traité ce sujet avec autant de soin qu'il nous
a été possible, nous avons cru inutile d'y revenir aujourd'hui. Nous y
renvoyons donc nos auditeurs, et nous nous contentons de dire ici qu'il faut
garder la continence, puisque l'apôtre nous dit: « Cherchez à tout prix la paix
et la sainteté, sans laquelle personne ne verra le Seigneur ». (Hébr. XII, 14.)
Cherchons-la donc, soit que, nous vivions dans la virginité, soit que nous
vivions dans un premier ou dans un second mariage, afin de mériter de voir Dieu
et d'obtenir le royaume des cieux, par la grâce et la bonté de Notre Seigneur
Jésus-Christ, en qui appartiennent, au Père, en union avec le Saint Esprit, la
gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des
siècles. Ainsi soit-il.
ANALYSE.
1. La science inutile sans la charité.
2. L'homme ne peut connaître Dieu parfaitement.
3. Saint Paul enseigne le néant des idoles et l'unité de Dieu, il ne parle
de la Trinité qu'avec beaucoup de ménagement, à cause de la faiblesse de ceux à
qui il avait affaire, et de peur qu'ils ne s'imaginent qu'il admet plusieurs
dieux.
4. Une action a beau être indifférente par elle-même, si on la commet en la
croyant mauvaise, on pèche. — Notre conscience est la mesure de nos actes.
5. s'abstenir d'une chose en soi indifférente, s'il en doit résulter un
scandale.
6. Contre le faste et la vanité du monde et des riches.
1. Il faut d'abord expliquer le sens de ce passage; cela facilitera
l'intelligence de ce que nous devons dire. Celui qui voit accuser quelqu'un et
ne connaît pas la nature de sa faute, ne comprendra rien à ce que l'on dira.
Que reproche donc ici Paul aux Corinthiens? Un grand crime, source de bien des
maux. Lequel? Un grand nombre d'entre eux sachant que ce n'est pas ce qui entre
dans l'homme qui le souille, mais ce qui en sort; que les idoles, le bois, la
pierre, les démons ne peuvent ni aider, ni nuire, abusaient outre mesure de
cette parfaite connaissance, à leur détriment et à celui des autres. En effet,
ils allaient aux idoles, y prenaient place à table, et causaient par là un
grand mal. Car ceux qui craignaient encore les idoles, qui ne savaient point
encore les mépriser, participaient à ces repas, parce qu'ils voyaient de plus
parfaits qu'eux s'y asseoir, et ils en éprouvaient un très grand dommage (vu
qu'ils ne touchaient pas dans les mêmes dispositions que ceux-ci à ces mets qui
leur étaient présentés, mais qu'ils les regardaient comme offerts aux idoles:ce
qui était le chemin de l'idolâtrie); et ceux mêmes qui étaient plus parfaits
n'en souffraient pas médiocrement, puisqu'ils assistaient à des repas
diaboliques. Tel était le crime. Or le bienheureux, pour porter remède au mal,
né débute point par des termes violents, car c'était plutôt un acte de folie
qu'un acte de malice. C'est pourquoi il n'est pas besoin d'abord de vifs
reproches et d'indignation, mais plutôt d'exhortation. Remarquez donc la
prudence avec laquelle il procède: « Quant à ce qu'on offre en sacrifice aux
idoles, nous savons que nous avons tous la science ». Laissant de côté les
faibles, suivant son constant usage, il s'adresse en premier lieu aux forts.
C'est ce qu'il a déjà fait dans son épître aux Romains: « Mais vous qui jugez
votre frère ». (Rom. XI, 10). Le fort, en effet, est plus capable de porter un
reproche.
Il agit de même ici: il commence par crever leur orgueil en leur faisant
voir que cette parfaite connaissance, qu'ils regardaient comme leur privilège
propre, était chose vulgaire: « Nous savons que tous ont la connaissance ». Si,
les laissant dans leur orgueil, il eût d'abord montré que cette connaissance
était nuisible aux autres, il eût fait plus de mal que de bien. En effet, quand
l'âme ambitieuse se croit parée de quelque chose, cette chose fût-elle nuisible
aux autres, elle s'y attache de toutes ses forces, parce qu'elle est tyrannisée
par la vaine gloire. Voilà pourquoi Paul examine d'abord l'objet en lui-même,
comme il l'a fait plus haut à propos de la sagesse profane qu'il a complètement
détruite. Mais là il avait raison: car cette sagesse est absolument mauvaise et
la détruire était facile; aussi a-t-il prouvé qu'elle était non seulement
inutile, mais opposée à la prédication. Ici il ne pouvait agir de même: car il
est question de science, et de science parfaite. Il n'était donc pas sans
danger de la rejeter, et cependant on ne pouvait autrement réprimer l'orgueil
qu'elle inspirait. Que fait-il alors? D'abord en montrant qu'elle est vulgaire,
il comprime l'enflure de ceux qui s'en glorifiaient. En effet, on
s'enorgueillit d'une chose grande et belle quand on la possède seul; mais quand
on s'aperçoit qu'elle appartient à tout le monde, on n'éprouve plus le même
sentiment. Donc en premier lieu il établit que ce qu'ils croyaient posséder
seuls était un bien commun à tous; puis, cela posé, il ne prétend pas être le
seul qui en jouisse avec eux: il eût encore par là flatté leur orgueil. Car si
on est fier de posséder seul un avantage, on ne l'est pas moins de le partager
avec un ou deux hommes placés au-dessus du vulgaire. Il ne parle donc pas de
lui, mais de tous; il ne dit pas: Et moi aussi j'ai la science, mais: « Nous
savons que tous ont connaissance ».
De cette première manière il abat d'abord leur orgueil, et plus vivement
encore, de la seconde. Laquelle? En montrant que cette connaissance non seulement
n'est pas parfaite, mais est très imparfaite; et non seulement imparfaite, mais
nuisible, si on ne lui adjoint quelque autre chose. En effet, après avoir dit:
« Que tous ont connaissance », il ajoute: « La science enfle, mais la charité «
édifie ». Ainsi la science, sans la charité, porte à l'orgueil. — Mais, direz-vous,
la charité aussi sans la science est inutile. — L'apôtre ne le dit pas; mais
laissant cela comme une chose convenue, il fait voir que la science a très grand
besoin de la charité. En effet, celui qui aime, accomplissant le plus important
des commandements, manquât-il de quelque autre chose, obtiendra bientôt la
science par la charité, comme Corneille et beaucoup d'autres; tandis que' celui
qui a la.science sans la charité, non seulement ne
fera pas de progrès, mais la perdra même souvent, en tombant dans l'orgueil. En
sorte que la science n'engendre pas la charité, mais en sépare plutôt, si l'on
n'y prend garde, en produisant l'enflure et l'orgueil. Car la jactance a
coutume de diviser, et la charité d'unir et de mener à la science. C'est ce que
l'apôtre exprime par ces mots: « Mais si quelqu'un aime Dieu, celui-là est
connu de lui ». Il veut donc dire: Je ne m'oppose pas à ce qu'on ait la science
parfaite, mais je veux qu'elle soit jointe à la charité; autrement elle sera
inutile, et même nuisible.
2. Voyez-vous comme il prélude déjà à ce qu'il va dire de la charité? Comme
tous les maux des Corinthiens provenaient, non de la science. parfaite, mais de ce qu'ils n'avaient pas assez de charité
ni de ménagement les uns pour les autres, ce qui produisait les divisions,
l'orgueil et toutes les fautes qu'il leur a reprochées et celles qu'il leur
reprochera encore: voilà pourquoi il insiste souvent sur la charité, pourvoyant
ainsi à la source de tous les biens. Pourquoi, leur dit-il, la science vous
enfle-t-elle? Elle vous nuira, si vous n'avez pas la charité. Qu'y a-t-il de
pire que la jactance? Mais avec la charité, la science est en sûreté. Si vous
savez quelque chose de plus que votre prochain et que vous l'aimiez, vous ne
vous enorgueillirez pas, mais vous lui communiquerez ce que vous savez. C'est
pourquoi, après avoir dit: « La science enfle », il ajoute: « Mais la charité
édifie ». Il ne dit pas: est modeste, mais il dit quelque chose de plus grand
et de plus utile: car la science n'enflait pas seulement, elle divisait. Voilà
pourquoi il oppose un terme à l'autre. Il donne ensuite un troisième motif pour
les humilier. Lequel? c'est que, même unie à la
charité, la science n'est pas encore parfaite; aussi ajoute-t-il: « Si
quelqu'un se persuade savoir quelque chose, il ne sait encore rien comme il
faut le savoir ». Voilà le coup mortel. Je n'affirme pas seulement, dit-il, que
la science est commune à tout le monde; qu'en haïssant votre prochain et vous
enfant d'orgueil, vous vous faites un très grand tort; mais eussiez-vous seul
la science, fussiez-vous modeste et charitable envers vos frères, vous êtes
encore imparfait, même au point de vue de la science: vous ne savez encore rien
comme il faut le savoir. Que si nous n'avons aucune connaissance complète, comment
quelques-uns ont-ils poussé la folie jusqu’à prétendre connaître Dieu
parfaitement? Eussions-nous la science parfaite de toute autre chose, il nous
est impossible d'avoir celle-là. Car il n'est pas possible de dire la distance
qui sépare Dieu de tout le reste.
Et voyez comme il abat leur orgueil! Il ne dit pas: Vous n'avez pas une
connaissance suffisante du sujet en question, mais: de quoi que ce soit. Il ne
dit pas: vous, mais: qui que ce soit, même Pierre, Paul, ou tout autre. Par là
il les console et les réprime tout à la fois. « Mais si quelqu'un aime Dieu, il
est connu de lui ». Il ne dit pas: le connaît, mais: « Est connu de lui ». Car
nous ne connaissons pas Dieu, mais Dieu nous connaît. Aussi le Christ disait-il:
Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis. (Jean,
XV, 16.) Et Paul, dans un autre endroit: « Mais alors je connaîtrai comme je
suis connu moi-même ». (I Cor. XIII, l2.) Considérez donc comment il rabat leur
orgueil. D'abord il leur fait voir qu'ils ne sont pas seuls à savoir ce qu'ils
savent: « Nous avons tous la science »; ensuite que cette science est chose
nuisible sans la charité: « La science enfle »; puisque, même jointe à la
charité, elle n'est point une chose complète et parfaite: « Si quelqu'un se persuade
savoir quelque chose, il ne sait encore rien comme il faut le savoir »; ensuite
qu'ils ne tiennent point cette science d'eux-mêmes, mais qu'elle est un don de
Dieu: car il ne dit pas: connaît Dieu, mais: « Est connu de Dieu »; enfin, que
c'est là l'effet de la charité qu'ils n'ont pas encore comme il faut: « Mais si
quelqu'un aime Dieu, celui-là est connu de lui». Après avoir par tous ces
moyens guéri leur enflure, il commence à établir la doctrine, en disant: « A
l'égard des viandes qui sont immolées aux idoles, nous savons qu'une idole
n'est rien dans le monde et qu'il n'y a pas d'autre Dieu que le Dieu unique ».
Voyez dans quel embarras il est tombé! Il veut prouver qu'il faut
s'abstenir de ces tables, et que d'ailleurs elles ne sauraient nuire à ceux qui
s'y assoient: deux choses qui ne semblent guère s'accorder entre elles. Car
sachant que ces tables ne pouvaient nuire, les Corinthiens devaient y courir
comme à des choses indifférentes; et les en empêcher, c'était les porter à
croire que c'était parce qu'elles avaient le pouvoir de nuire. Après avoir donc
détruit l'opinion qu'on pouvait avoir des idoles, il donne pour première raison
de s'en éloigner, ce scandale des frères, en disant: « A l'égard des viandes
immolées aux idoles, nous savons qu'une idole n'est rien dans le monde ». Il
fait encore de cette connaissance une chose commune, il ne veut pas qu'ils
l'aient seuls, mais il l'étend à toute la terre. Ce n'est pas seulement chez
vous, dit-il, mais c'est dans le monde entier que cette croyance est admise.
Quelle croyance? « Qu'une idole n'est rien dans le monde, et qu'il n'y a pas
d'autre Dieu que le Dieu unique ». Il n'y a donc pas d'idoles? point de statues? Il y en a, mais elles sont absolument
impuissantes; ce sont des pierres et des démons, et non des dieux. Il s'adresse
maintenant aux uns et aux autres, et à ceux qui sont plus grossiers et à ceux
qui paraissent sages. Car, comme les uns ne voient rien au-delà de la pierre,
et que les autres croient qu'il y réside certaines vertus qu'ils appellent
dieux: l'apôtre dit aux premiers qu'une idole n'est rien dans le monde, et aux
seconds qu'il n'y a pas d'autre Dieu que le Dieu unique.
3. Voyez-vous qu'il n'écrit pas cela simplement pour établir un dogme, mais
aussi pour constater une différence avec les gentils? Et c'est ce qu'il faut
toujours observer chez lui, soit qu'il parle d'une manière absolue, soit qu'il
s'adresse à des adversaires. Et cela ne contribue pas peu a
rendre son enseignement précis et à nous donner l'intelligence de ses paroles.
« Car, quoiqu'il y ait ce qu'on appelle des dieux, soit dans le ciel, soit sur
la terre (or il y a ainsi beaucoup de dieux et beaucoup de seigneurs), pour
nous cependant il n'est qu'un seul Dieu, le Père, de qui viennent toutes
choses, et nous qu'il a faits pour lui; et qu'un seul Seigneur, Jésus-Christ,
par qui toutes choses sont et nous aussi par lui ». Comme il a dit qu'une idole
n'est rien, qu'il n'y a pas d'autre Dieu, et que cependant il existait des
idoles et ce qu'on appelait des dieux; pour ne pas paraître aller contre
l'évidence, il ajoute (si on les appelle dieux tels qu'ils sont, ils ne sont
pas dieux, mais on leur donne ce nom: ils sont dieux de nom et non d'effet), il
ajoute, dis-je: « Soit dans le ciel, soit sur la terre ». Dans le ciel il veut
dire le soleil, la lune, et tout le choeur des astres, car les grecs les
adoraient; sur la terre, il entend les démons et les hommes mis au rang des
dieux. « Mais pour nous il n'est qu'un Dieu, le Père ». Après avoir d'abord
dit, sans nommer le Père: « Il n'y a pas d'autre Dieu que le Dieu unique », et
avoir rejeté tout le reste, il ajoute le mot Père. Ensuite, comme preuve très forte
de divinité, il ajoute « De qui viennent toutes choses ». C'est en effet une
preuve que les autres dieux ne sont pas dieux. Mort aux dieux qui n'ont pas
fait le ciel et la terre! Et ce qui suit n'est pas moins important: « Et nous
qu'il a faits pour lui ».
En disant: « De qui viennent toutes choses», il veut parler de la création,
de l'acte qui a donné l'existence à ce qui n'était pas; mais quand il dit: « Et
nous qu'il a faits pour lui », il tient le langage de la foi et exprime le lien
propre qui nous unit à Dieu: vérité qu'il a déjà énoncée plus haut, en disant:
« Et c'est de lui que vous êtes dans le Christ Jésus ». (I Cor. a, 30.) Car
nous sommes à lui doublement: par la création et par la vocation à la foi, qui
est aussi une création: ce qu'il exprime ailleurs en ces termes: « Pour des
deux former en lui-même un seul homme nouveau (Eph.
II, 15), et un seul Seigneur, « Jésus-Christ, par qui toutes choses sont, et
nous aussi, par lui ». Il faut penser la même chose du Christ. Car c'est par
lui que le genre humain a été tiré du néant, et ramené de l'erreur à la vérité.
En sorte que ces mots: « De lui », ne veulent pas dire dans le Christ puisque
nous avons été faits de lui par le Christ. Il n'a donc pas attribué, comme par
lot, au Fils le nom de Seigneur, au Père celui de Dieu. Car l'Ecriture prend
souvent ces termes l'un pour l'autre, comme quand elle dit: « Le Seigneur a dit
à mon Seigneur », et encore: « C'est pour cela que Dieu, votre Dieu, vous a
oint » (Ps. CIX et XLIV); et ailleurs: « Auxquels appartient selon la chair, le
Christ, qui est Dieu au-dessus de toutes choses ». (Rom. IX, 5.) Souvent vous
verrez ces mots pris l'un pour l'autre. S'ils étaient ici attribués comme lot
propre à chaque nature, le Fils, en tant que Fils, ne serait pas Dieu, Dieu
comme le Père. Après avoir dit: « Nous n'avons qu'un Dieu », il eût été inutile
d'ajouter « le Père », pour indiquer celui qui n'a pas été engendré; il eût
suffi de dire « Dieu », si Paul n'avait pas eu d'autre but. On peut encore
donner une autre raison.
Si vous prétendez que quand on parle d'un seul Dieu, ce mot « Dieu » ne
s'applique pas au Fils, faites attention qu'on peut en dire autant à propos du
Fils. En effet, il est appelé « un seul Seigneur »; cependant nous ne disons
pas que ce mot ne convient qu'à lui seul. En sorte que cette expression « un
seul » a la même valeur pour le Fils que pour le Père; et comme, en disant que
le Fils est le seul Seigneur, l'apôtre n'entend pas empêcher que le Père soit
Seigneur comme le Fils; de même en disant que le Père est le seul Dieu., il
n'entend pas que le Fils n'est pas Dieu comme le Père. Que si quelques-uns
disaient: Pourquoi ne fait-il aucune mention de l'Esprit, nous répondrions
qu'il s'adressait aux idolâtres et qu'il s'agissait de savoir s'il y a
plusieurs dieux et plusieurs seigneurs. Voilà pourquoi il a appelé le Père
Dieu, et le Fils Seigneur. Si donc il n a pas osé appeler le Père Seigneur en
même temps que le Fils, pour ne pas être soupçonné par eux d'admettre deux
seigneurs, ni appeler le Fils Dieu en même temps que le Père, pour ne pas
paraître croire à deux dieux: pourquoi vous étonnez-vous qu'il n'ait pas fait
mention de l'Esprit? En ce moment il avait affaire aux païens, et devait leur
faire voir que nous n'admettons pas la pluralité des dieux. Aussi répète-t-il
sans cesse: « Un seul. Il n'y a pas d'autre dieu que « le seul Dieu »; et
encore: « Nous n'avons qu'un Dieu et qu'un Seigneur ». II est donc clair que
c'est par ménagement pour la faiblesse de ses auditeurs qu'il emploie ces
manières de parler, et pour cela aussi qu'il ne mentionne pas l'Esprit;
autrement il n'eût point dû en parler ailleurs, et le joindre au Père et au
Fils. Car si l'Esprit. est séparé du Père et du Fils,
il fallait encore bien moins le nommer au baptême avec le Père et le Fils; là
où la majesté divine apparaît surtout et où l'on reçoit des dons qu'il
n'appartient qu'à Dieu d'accorder.
4. Je viens de dire la raison pour laquelle le Saint Esprit est ici passé
sous silence; dites-nous, si cela n'est pas, pourquoi, dans le baptême, on le
joint au Père et au Fils? Vous n'avez pas d'autre raison à donner, si ce n'est
qu'il est leur égal en honneur. Mais quand Paul n'a plus le même motif, voyez
comme il joint son nom aux deux autres: « Que la grâce de Notre Seigneur
Jésus-Christ et la charité de Dieu le Père et la communication du Saint Esprit
soit avec vous tous ». (II Cor. XIII, 13.) Et encore: « Il y a des grâces
diverses, mais c'est le même Esprit; il y a diversité de ministères, mais c'est
le même Seigneur;et il y a des opérations diverses,
mais c'est le même Dieu ». (I Cor. XII, 4, 5, 6.) Mais comme il s'adressait aux
gentils et à d'autres plus faibles encore que les gentils, il use de réserve et
passe le mot sous silence; comme font les prophètes à propos du Fils qu'ils ne
nomment nulle part ouvertement, à cause de la faiblesse de ceux qui les
écoutent. « Mais cette science n'est pas en tous ». Quelle science? Celle de
Dieu, ou celle qui regarde les viandes immolées aux idoles? Il fait ici
allusion ou aux gentils qui reconnaissaient plusieurs dieux et seigneurs et ne
connaissaient pas le véritable, ou à d'autres qui, plus faibles que les grecs,
ne savaient pas encore clairement que les idoles ne sont pas à craindre et
qu'une idole n'est rien dans ce monde. Après avoir dit cela, il les console et
les rassure peu à peu. Il n'était pas à propos de toucher à tous les points,
surtout quand il avait à les attaquer encore plus vivement.
« Car même jusqu'à cette heure, quelques-uns, dans la persuasion de la
réalité de l'idole, mangent des viandes comme ayant été offertes à l'idole;
ainsi leur conscience, qui est faible, s'en trouve souillée ». Ils ont, dit-il,
encore peur des idoles. Ne me parlez pas de l'état présent des choses, ne me
dites pas que vous avez reçu de vos ancêtres la vraie religion; mais reportez
votre pensée à ces temps, songez que la, prédication était récemment établie,
que l'impiété dominait encore, que les autels fumaient toujours, que les
sacrifices et les libations se pratiquaient encore, que les gentils étaient en
majorité, qu'ils avaient reçu leur culte impie de leurs ancêtres, qu'ils
descendaient de pères, d'aïeux, de bisaïeux païens, qu'ils avaient beaucoup
souffert de la part des démons, qu'ils n'étaient changés que depuis peu: et
figurez-vous dans quelle situation ils devaient être, comme ils devaient
craindre et redouter les piéges des démons. C'est à eux que l'apôtre fait
allusion, quand il dit: « Mais quelques-uns, dans la persuasion que les viandes
ont été immolées aux idoles ». Il ne les indique pas ouvertement de peur de les
blesser, il ne néglige cependant pas d'en parler, mais d'une manière indéfinie,
en disant: « Car même jusqu'à cette heure, quelques-uns, dans la persuasion que
la viande a été immolée aux idoles; la mangent comme telle ». C'est-à-dire,
dans le même esprit qu'autrefois. « Et leur conscience; qui est faible, s'en
trouve souillée », parce qu'elle n'a pas encore la force de mépriser les idoles
et d'en rire, mais qu'elle reste dans le doute. Ils éprouvent ce qu'éprouverait
quelqu'un qui, en touchant un mort, croirait se souiller à la manière des
Juifs; puis voyant les autres le toucher avec une conscience pure, se
souillerait néanmoins parce qu'il ne serait pas dans les mêmes dispositions. «
Jusqu'à cette heure, quelques-uns dans la persuasion de la réalité de l'idole
». Ce n'est pas sans raison qu'il dit: « Jusqu'à cette heure », mais pour
prouver qu'on n'a rien gagné à ne pas user de condescendance. Car ce n'était
pas ainsi qu'il fallait les amener, mais d'une autre manière, par la persuasion
de la parole et de l'enseignement. « Et leur conscience, qui est faible, s'en
trouve souilée».
Il ne parle nulle part de la nature de la chose, mais toujours et partout
de la conscience de celui qui y prend part. Il craint de blesser et d'affaiblir
le fort, en voulant corriger le faible. C'est pourquoi il ménage autant l'un
que l'autre. Il ne veut pas qu'on croie rien de semblable, mais il s'étend
longuement pour enlever jusqu'au moindre soupçon là-dessus. « Ce ne sont point
les aliments qui nous recommandent à Dieu. Car si nous mangeonsnous
n'aurons rien de plus; et si nous ne mangeons pas, nous n'aurons rien de moins
». Voyez-vous comme il rabat encore leur orgueil? Après avoir dit qu'ils ne
sont pas seuls à avoir la science, mais que tous l'ont; que personne ne sait
rien comme il faut le savoir, puis que la science enfle; ensuite, après les
avoir consolés, en disant que tous n'ont pas la science, qu'il en est qui se
trouvent souillés, par suite de leur faiblesse, de peur qu'on ne dise: que nous
importe si tous n'ont pas la science? pourquoi un tel
ne l'a-t-il pas? pourquoi est-il faible? de peur, dis-je, qu'on ne lui fasse ces objections, il n'en
vient pas immédiatement à prouver qu'il faut s'abstenir pour ne pas scandaliser
le faible; mais, préludant de loin à cette idée, il en traite d'abord une plus
importante. Laquelle? qu'il ne faut pas faire cela,
quand même personne n'en souffrirait, quand même le prochain n'en serait pas
entraîné à sa ruine; car ce serait faire une chose inutile. En effet, celui qui
sait que son action est nuisible à un autre mais profitable pour lui, n'est pas
très disposé à s'en abstenir; mais il n'y a pas de peine, quand il s'aperçoit
qu'il n'a aucun avantage à en retirer. Voilà pourquoi Paul dit tout d'abord: «
Ce ne sont point « les aliments qui nous recommandent à Dieu ». Voyez-vous
comme il réduit à rien ce qui semblait le fruit d'une science parfaite? « Car
si nous mangeons, nous n'aurons rien de plus »; c'est-à-dire, nous n'en serons
pas plus agréables à Dieu, comme si nous avions fait quelque chose de bon et dé
grand. « Et si nous ne mangeons pas, nous n'aurons rien de moins»,
c'est-à-dire, nous n'aurons rien perdu. Il prouve ainsi d'abord que c'est une
chose superflue, que ce n'est rien: car ce qui ne sert à rien quand on le fait,
et ne nuit pas quand on l'omet, est évidemment superflu.
5. Ensuite il va plus loin et montre que la chose est nuisible. Il parle du
tort qui en résulte pour les frères. « Mais prenez garde que cette liberté que
vous avez ne soit une occasion de chute pour ceux de vos frères qui sont
faibles ». Il ne dit pas: La liberté que vous avez est une occasion de chute,
il ne le décide même pas, pour ne pas les rendre plus audacieux. Que dit-il
donc? « Prenez garde », pour les épouvanter et en même temps les faire rougir
et les amener à s'abstenir. Il ne dit point non plus: Votre science, ce qui
semblerait un éloge; ni: votre perfection, mais: « La liberté que vous avez »:
ce qui indique mieux la témérité, l'orgueil et la présomption. Il ne dit point:
A vos frères, mais: « A ceux de vos frères qui sont faibles »; aggravant ainsi
l'accusation, puisqu'ils n'ont point d'égards pour les faibles, même d'entre
leurs frères. Vous ne corrigez pas, vous n'excitez pas au bien, soit! mais pourquoi supplantez-vous, pourquoi faites-vous tomber,
quand vous devriez tendre la main? Vous ne voulez pas aider, du moins ne renversez pas. Si votre frère était méchant, il aurait
besoin de punition; il est faible, il n'a besoin que de remèdes. Et il n'est
pas seulement faible, il est encore votre frère. « Car si quelqu'un vous voit,
vous qui avez la science, assis à table dans un temple d'idoles, sa conscience,
qui est faible, ne le portera-t-elle pas à manger des viandes sacrifiées? »
Après avoir dit: « Prenez garde que cette liberté que vous avez ne soit une
occasion de chute », il fait voir comment cela peut arriver. Partout il parle
de faiblesse pour qu'on ne croie pas que la chose est nuisible par elle-même et
que les démons sont à craindre. Votre frère, dit-il, est sur le point de
renoncer complètement aux idoles; mais, en voyant que vous vous plaisez dans
leurs temples, il prend cela pour une leçon et continue à y aller. Ainsi donc
le piège ne vient pas seulement de sa faiblesse, mais aussi de votre conduite
déplacée; vous le rendez plus faible.
« Ainsi, par vos aliments, périra un faible, votre frère, pour qui le
Christ est mort ». Deux choses, là, rendent votre faute inexcusable: il est
faible et c'est votre frère. L'apôtre en ajoute une troisième, la plus terrible
de toutes. Laquelle? C'est que le. Christ a daigné mourir pour lui, et que vous,
vous n'avez point d'égards pour sa faiblesse. Par là Paul rappelle à celui qui
est parfait ce qu'il était autrefois, et que le Christ est aussi mort pour lui.
Il ne dit pas: Pour qui vous devriez mourir, mais, ce qui est bien plus: « Pour
qui le Christ est mort ». Et, quand votre Maître a consenti à mourir pour lui,
vous n'en tenez aucun compte, au point de ne pas même vous abstenir, à cause de
lui, d'un repas criminel; au point de le laisser périr, après qu'il a été
racheté à ce prix; et cela (ce qu'il y a de pire), pour des aliments? Il ne dit
pas: A cause de votre perfection, ni: à cause de votre science, mais: pour des
aliments. Voilà donc quatre chefs d'accusation, et des plus graves: C'est votre
frère, il est faible, le Christ l'a estimé jusqu'à mourir pour lui, et, après
tout, des aliments sont l'occasion de sa perte. « Or, péchant de la sorte
contre vos frères et blessant leur conscience faible, vous péchez contre le
Christ ». Voyez-vous comme il a amené, insensiblement et peu à peu, ce péché à
sa plus haute expression? Il revient encore sur la faiblesse. Il fait retomber
sur leur tête tout ce qu'ils croyaient être à leur avantage. Il ne dit pas:
Scandalisant, mais: « Blessant », pour faire ressortir leur cruauté par
l'énergie du terme. Car quoi de plus cruel qu'un homme qui frappe un malade? Or
le scandale est la plus grave des blessures: souvent il entraîne la mort.
Et comment pèchent-ils contre le Christ? D'abord parce que le Christ
regarde comme siens les intérêts de ses serviteurs; secondement, parce que ceux
qu'on blesse, appartiennent à son corps et à ses membres; en troisième lieu,
parce qu'ils détruisent, par ambition personnelle, son ouvrage, ce qu'il a
édifié au prix de sa propre mort. « C'est pourquoi, si ce que je mange
scandalise mon frère, je ne mangerai jamais de chair ». Il parle ici comme un
maître excellent qui pratique lui-même ce qu'il enseigne. Il ne dit pas: à
raison ou à tort, mais: de quelque manière que ce soit. Je ne parle pas, leur
dit-il, de la viande immolée aux idoles, qui est interdite pour d'autres
raisons: mais si quelque autre chose, d'ailleurs permise et en mon pouvoir,
devient un sujet de scandale, je m'en abstiendrai, non pas un jour ou deux,
mais pendant toute ma vie: «Je ne mangerai jamais de chair ». Il ne dit pas: de
peur de donner la mort à mon frère, mais simplement pour ne pas le scandaliser.
Car c'est le comble de la démence de mépriser des êtres si chers au Christ,
pour lesquels il a voulu mourir, de les mépriser, dis-je, jusqu'au point de ne
pas vouloir s'abstenir d'aliments à cause d'eux. Et ceci ne s'adresse pas seulement
aux Corinthiens, ruais aussi à nous, qui dédaignons le salut de notre prochain
et tenons ce langage diabolique. Car dire: que m'importe, si un tel se
scandalise et se perd? C'est montrer l'inhumanité et la cruauté de Satan. Alors
le scandale provenait de la faiblesse de quelques-uns; chez nous, il n'en est
pas de même. Car nous commettons des fautes qui scandalisent même les forts. En
effet, quand nous frappons, quand nous volons, quand nous nous livrons à
l'avarice, que nous traitons des hommes libres comme des esclaves, qui n'en est
pas scandalisé? Ne me dites pas que l'un est savetier, l'autre teinturier, un
troisième maréchal; souvenez-vous que ce sont des fidèles et vos frères. Nous
sommes les disciples de pêcheurs, de publicains, de fabricants de tentes: de
celui qui fut nourri dans la maison d'un artisan, et daigna avoir son épouse
pour mère; qui, enveloppé de langes, fut couché dans une crèche; qui n'eut pas
où reposer sa tête, qui marcha jusqu'à se fatiguer, et fut nourri par des
étrangers.
6. Pensez à cela et croyez que le faste humain n'est rien; que le fabricant
de tentes est votre frère, comme celui qui est monté sur un char, a ses
domestiques et se fait faire place dans les rues, et l'est même plus que lui.
Car il semble que celui-là est plus justement appelé frère, qui se rapproche de
vous davantage. Et qui ressemble le plus aux pêcheurs? Est-ce celui qui vit de
son travail quotidien, qui n'a ni domestique ni domicile, mais est de tout côté
accablé par la croix; ou celui qui est environné d'un si grand faste, et agit
contrairement aux lois de Dieu? Ne méprisez donc pas celui qui est le plus
votre frère: car il est le plus rapproché du modèle des apôtres. — Ce n'est pas
volontairement, dites - vous, mais malgré lui; car il
travaille bien à contre-coeur. — Pourquoi dites-vous
cela? N'avez-vous pas entendu l'ordre: « Ne jugez pas, afin que vous ne soyez
pas jugés! » (Matth. VII, 1.) Et pour convaincre
qu'il ne travaille pas malgré lui, approchez et offrez-lui dix mille talents
d'or; vous verrez qu'il les refusera. Si donc, bien qu'il n'ait point reçu les
richesses de ses ancêtres, il les refuse néanmoins quand on les lut offre,, et n'ajoute rien à ce qu'il. possède,
il donne une grande preuve de son mépris pour la fortune. Jean était fils du pauvre
Zébédée; nous ne dirons cependant pas que sa pauvreté
n'était point volontaire. Ainsi, quand vous voyez un homme couper du bois,
manier le marteau, tout couvert de suie, ne le méprisez pas pour cela;
admirez-le plutôt: car Pierre avait repris sa ceinture, ses filets et son
métier de pêcheur, après la résurrection du Seigneur. Et que parlé-je de
Pierre? Paul, après avoir parcouru tant de contrées, opéré tant de miracles, se
tenait dans son atelier de fabricant de tentes et cousait des peaux; et les anges
le vénéraient et les démons le redoutaient; et il n'avait pas honte de dire: «
Ces mains ont pourvu à mes besoins, et aux besoins de ceux qui étaient avec moi
». Que dis-je? il n'avait pas de honte! Il s'en
glorifiait.
Mais, direz-vous, qui est aujourd'hui vertueux
comme Paul? — Personne, je le sais; mais ce n'est pas une raison pour mépriser
les vertus d'aujourd'hui. Un fidèle que vous honorez en vue du Christ, fût-il
au dernier rang, est digne d'être honoré. En effet, si deux hommes, l'un
général et l'autre simple soldat, tous les deux aimés du roi, venaient chez
vous et que vous leur ouvrissiez votre porte, dans lequel des deux
penseriez-vous le plus honorer le prince? Evidemment c'est dans le soldat. Car
le général, en dehors de l'amitié du roi, se recommande par d'autres titres à
vos égards; tandis que le simple soldat n'en a pas d'autre que l'amitié du roi.
Aussi Dieu nous ordonne-t-il d'inviter à nos festins les boiteux, les
estropiés, ceux qui ne peuvent rien donner en- retour, parce que ce sont là des
bienfaits accordés uniquement en vue de Dieu. Mais si vous accordez
l'hospitalité à un grand, à un homme illustre, l'aumône n'est pas aussi pure;
souvent la vaine gloire, l'avantage qui vous en revient, l'éclat qui en
rejaillit sur vous aux yeux de la foule, y entrent pour quelque chose. J'en
pourrais nommer beaucoup qui courtisent les plus illustres des saints, afin
d'obtenir par leur intermédiaire plus de crédit chez les princes, et servir
ainsi leurs propres intérêts et ceux de leurs maisons: ils sollicitent de ces
saints. beaucoup de services; et par là ils perdent le
mérite de leur hospitalité. Mais à quoi bon parler ici des saints? Celui qui
attend de Dieu même ici-bas la récompense de ses travaux et pratique la vertu
en vue d'avantages présents, diminue sa récompense. Celui au contraire qui ne
désire sa couronne que dans l'autre vie, est bien plus digne d'éloges: comme
Lazare, qui y jouit de tous les biens; comme les trois enfants qui, sur le
point d'être jetés dans la fournaise; disaient: « Il y a dans le ciel un Dieu
qui peut nous sauver; que s'il ne le fait pas, sachez, ô roi, que nous
n'honorons pas vos dieux, et que nous n'adorons pas la statue d'or que vous
avez dressée ». (Dan. III, 17.) Comme Abraham qui amena et immola son fils, et
cela sans espoir de récompense, ou plutôt en regardant comme une très grande
récompense d'obéir à Dieu. Imitons-les. En agissant dans ce but, nous recevrons
de grands biens en échange et de plus brillantes couronnes. Puissions-nous les
obtenir tous par la grâce et la bonté de Notre Seigneur Jésus-Christ, en qui
appartiennent au Père, en union avec le Saint Esprit, la grâce, l'empire,
l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi
soit-il.
ANALYSE
1. Paul confirme, par son propre exemple, la doctrine exposée dans le
chapitre précédent, savoir qu'il de ce qui est permis en soi par charité pour
ses frères.
2. Saint Paul a les mêmes droits que les autres apôtres«: s'il n'en use
pas, c'est qu'il le veut bien.
3. Que l'apôtre a le droit de recevoir le pain matériel de ceux qu'il
nourrit du pain spirituel.
4. Si Paul n'a rien voulu recevoir, ç'a été pour ne pas mettre d'obstacle à
l'Evangile.
5. Contre les avares.
6. Qu'on doit faire l'aumône généreusement. — Revenus de l'Eglise
d'Antioche distribués aux pauvres.
7. Les fautes de nos pasteurs ne nous excuseront pas.
1. Il avait dit: « Si ce que je mange scandalise mon frère, je ne mangerai
jamais de chair »; ce qu'il ne faisait pas, mais ce qu'il promettait de
faire, s'il en était besoin; et de peur qu'on ne dît:
— Vous vous vantez mal à propos, vous êtes sage en
paroles et de bouche seulement, ce qui n'est difficile ni à moi ni à personne;
si vous êtes sincère, faites-nous voir en fait ce que vous rejetez pour ne pas
scandaliser un frère; pour éviter, dis-je, cette objection, il est obligé d'en
venir à la preuve et de dire à quelles choses permises il a renoncé, sans
qu'aucune loi l'exigeât. Jusque-là rien de merveilleux peut-être; quoiqu'on
doive admirer qu'il se soit abstenu de choses licites, non seulement pour
éviter le scandale, mais encore avec beaucoup de difficultés et de périls. Que
faut-il dire des viandes immolées aux idoles? demande-t-il. Quoique le Christ
ait établi que ceux qui prêchent l'Evangile doivent vivre de leur ministère, je
ne l'ai cependant pas fait; j'ai préféré mourir de faim, s'il était nécessaire,
subir la mort la plus cruelle, plutôt que de rien recevoir de ceux que
j'instruisais. Non que les fidèles se fussent scandalisés, s'il eût accepté
quelque chose de leur part; mais il fallait les édifier, ce qui était beaucoup
plus important. Et il appelle en témoignage ceux chez qui il a travaillé et
souffert de la faim: nourri chez des étrangers, il a vécu dans la pénurie, pour
ne pas scandaliser, bien que le scandale eût été sans fondement, puisqu'il
n'aurait fait qu'accomplir la loi du Christ; mais il avait pour eux des
ménagements à l'excès. Or, s'il agissait ainsi sans que la loi l'y obligeât,
afin d'éviter le scandale; s'il s'abstenait de choses permises, pour
l'édification des autres: quels châtiments mériteront ceux qui ne s'abstiennent
pas de viandes immolées aux idoles, quand c'est une occasion de ruine pour un
grand nombre, et qu'ils devraient le faire même en dehors de tout scandale,
puisque c'est la table des démons? C'est là le point principal et qu'il traite
en bien des versets. Mais il faut reprendre les choses de plus haut. Comme je
l'ai déjà dit: il ne s'explique point clairement là-dessus, il n'entre point
immédiatement en matière; mais il commence d'une autre façon, et par ces mots:
« Ne suis-je pas apôtre? » Après tout ce qui a été dit, ce n'est pas une
chose indifférente que ce soit Paul qui ait fait cela. De peur qu'on ne dise Il
est permis d'en manger après s'être signé, il n'insiste pas là-dessus d'abord,
mais il dit quand cela serait permis, il ne faudrait pas le faire à cause du
mal que cela cause à vos frères, et ensuite il prouve que cela n'est pas
permis: d'abord par son propre exemple; comme il va dire qu'il n'a rien reçu
d'eux, il ne commence pas par là, mais il parle d'abord de sa dignité: « Ne
suis-je pas apôtre? ne suis-je pas libre? » Pour qu'on
ne dise pas: Si vous n'avez rien reçu, c'est que vous n'aviez pas droit de rien
recevoir, il expose d'abord les raisons pour lesquelles il aurait eu le droit
de recevoir, s'il l'avait voulu.
Ensuite pour ne pas paraître, en disant cela, incriminer Pierre et ceux qui
l'entouraient (car eux recevaient), il prouve d'abord qu'ils avaient droit de
recevoir; puis, pour qu'on ne dise pas que Pierre avait ce droit et que lui ne
l'avait pas, il prévient l'esprit de l'auditeur par ses propres louanges. Et
considérant qu'il était nécessaire de faire son éloge (c'était le moyen de
corriger les Corinthiens) et ne voulant d'ailleurs rien dire de trop, mais
simplement ce qui suffisait à son but, voyez comme il sait ménager ce double point,
en se louant lui-même, non autant qu'il l'aurait pu en conscience, mais dans la
mesure que la circonstance demandait. Il pouvait dire en effet J'avais le droit
de recevoir plus que tous les autres, parce que j'ai travaillé plus qu'eux;
ruais il ne lier t pas ce langage qui serait trop haut; il se contente de poser
les principes qui faisaient la grandeur des apôtres et leur droit à recevoir,
en disant: « Ne suis-je pas apôtre? ne suis-je pas
libre? » C'est-à-dire: Ne suis-je pas maître de moi-même? suis-je
sous la dépendance de quelqu'un qui me fasse violence et m'empêche de recevoir?
- Mais eux ont quelque chose de. plus que vous: ils
ont été avec le Christ. — Mais cet avantage, je l'ai eu aussi. C'est ce qui lui
fait dire: « N'ai-je pas vu Jésus-Christ Notre Seigneur? Après tous les autres,
il s'est fait voir aussi à moi comme à l'avorton ». (I Cor. XV, 8.) Ce n'était
pas là un mince honneur. « Car beaucoup de prophètes et de justes ont désiré
voir ce que vous voyez et ne l'ont pas vu ». (Match. XIII, 17.) « Des jours
viendront où vous désirerez voir un seul de ces jours ». (Luc, XVII, 22.) —
Mais quoi! quand vous seriez apôtre et libre et que
vous auriez vu le Christ, quel droit auriez-vous de recevoir si vous ne pouvez
montrer l'ouvrage d'un apôtre? Voilà pourquoi il ajoute: « N'êtes-vous pas mon
oeuvre dans le Seigneur?» Voilà le grand point sans cela le reste est inutile.
Car Judas était apôtre, était libre et avait vu le Christ: mais comme il ne fit
pas oeuvre d'apôtre, tout cela ne lui servit à rien. Voilà pourquoi Paul ajoute
ces mots, et appelle les Corinthiens eux-mêmes en témoignage. Et comme il
venait d'exprimer une grande chose, voyez quel correctif il y met, en disant: «
Dans le Seigneur »; c'est-à-dire, vous êtes l'oeuvre de Dieu et non la mienne.
« Si pour d'autres je ne suis pas apôtre, je le suis cependant pour vous ».
2. Voyez-vous comme il ne dit rien de trop? Pourtant il pouvait parler du
inonde entier, des nations barbares, de la terre, de la mer; il n'en dit pas un
mot, et prouve sa thèse victorieusement, surabondamment et comme en passant. A
quoi bon, dit-il, produire des arguments superflus, quand ceci suffit pour le
sujet actuel? Je ne cite point des succès obtenus chez d'autres; vous avez été
témoins de ceux dont je parle. En sorte que n'eusse-je eu ailleurs aucun droit
de recevoir, du moins je l'aurais eu chez vous. Et pourtant je n'ai rien reçu
de ceux chez qui j'avais le plus droit de recevoir (car j'ai été votre maître).
« Si pour d'autres je ne suis pas apôtre, je le suis cependant pour vous». De
nouveau il parle en abrégé; car il était l'apôtre du monde entier. Et pourtant,
dit-il, je n'en parle pas, je ne conteste pas, je ne réclame pas: je parle de
ce qui vous concerne. « Vous êtes le sceau de mon apostolat », c'est-à-dire la
preuve. Si quelqu'un veut savoir mon titre à l'apostolat, je vous nomme; chez
vous j'ai donné tous les signes de l'apostolat, sans en omettre aucun c'est ce
qu'il répète dans sa seconde épître « Quoique je ne sois rien, les marques de
mon apostolat ont été empreintes sur vous par une patience à l'épreuve de tout,
par des miracles, des prodiges et des vertus ». (II Cor. XII, 11, 12.)
Qu'avez-vous eu de moins que les autres églises? Aussi dit-il: « Vous êtes le
sceau de mon apostolat ». Car je vous ai fait voir des signes, je vous ai
instruits par la parole, j'ai couru des dangers, j’ai mené une vie
irréprochable. On peut voir tout cela dans ces deux épîtres, où il leur
explique ces choses dans le plus grand détail.
« Ma défense contre ceux qui m'interrogent, la voici ». Qu'est-ce que cela
veut dire: «Ma défense contre ceux qui m'interrogent, la voici? » A ceux qui
veulent savoir comment je suis apôtre, ou à ceux qui m'accusent d'avoir reçu de
l'argent, ou à ceux qui rue demandent pourquoi je n'en reçois pas, ou à ceux
qui veulent prouver que je ne suis point apôtre à tous ceux-là je donne pour
preuve et pour justification l'instruction que vous avez reçue et les choses
que je vais dire. Et quelles sont ces choses? « N'avons-nous pas le pouvoir de
manger et de boire? N'avons-nous pas le pouvoir de mener partout avec nous une
femme soeur? » Et comment est-ce là une apologie? Parce que quand on me voit
m'abstenir de choses permises, il n'est pas juste de me soupçonner d'être un
imposteur ou de travailler pour le lucre. Donc ce que j'ai dit plus haut, et
l'instruction que vous avez reçue, et ce que je viens de dire tout à l'heure,
suffisent à me justifier à vos yeux; voilà mon point d'appui contre ceux qui
m'interrogent; je leur dis cela et ceci encore: « N'avons-nous pas le pouvoir
de manger et de boire? N'avons-nous pas le pouvoir de mener partout avec nous
une femme soeur? » Et quoique j'en aie le pouvoir, je m'en abstiens. Quoi donc!
Ne mangeait-il pas? Ne buvait-il pas? Souvent certes il ne mangeait ni ne
buvait; car il dit: « Nous étions dans la faim et la soif, dans le froid et la
nudité ». (IICor. XI, 27.) Ici pourtant il ne le dit
pas. Mais que dit-il? Ce que nous mangeons et ce que nous buvons, nous ne le
recevons pas de nos disciples, bien que nous en ayons le pouvoir. «
N'avons-nous pas le pouvoir de mener partout avec nous une femme soeur, comme
les autres apôtres et les frères du Seigneur et Céphas?
»
Voyez sa sagesse! il place en dernier lieu le
coryphée, le chef fort entre tous les chefs. II était en effet moins étonnant
de voir faire cela aux autres, qu'au premier de tous, à celui à qui ont été
confiées les clefs du royaume des cieux. Du reste il ne le cite pas seul, mais
tous les autres avec lui, comme pour dire: Cherchez en haut, cherchez en bas,
vous trouverez que tous en donnent l'exemple. Car les frères du Seigneur, une
fois délivrés de leur incrédulité, avaient pris rang parmi les plus illustres,
quoiqu'ils ne fussent point parvenus au rang des apôtres. Aussi les place-t-il
au milieu, entre les deux extrêmes. « Ou moi seul et
Barnabé n'avons-nous pas le pouvoir de le faire? » Voyez son humilité! Voyez
comme son âme est exempte de jalousie! Comme il ne passe point sous silence
celui qu'il savait partager son zèle! Sien effet tout le reste nous est commun,
pourquoi non ceci encore? Comme eux nous sommes apôtres, nous sommes libres,
nous avons vu le Christ, nous avons donné des preuves d'apostolat. Nous avons
donc aussi le pouvoir de vivre dans le repos, et d'être nourris par les
disciples. « Qui jamais fait la guerre à ses frais? » Après avoir donné, par-la
conduite des apôtres, la plus forte preuve qu'il lui est permis d'agir ainsi,
il en vint aux exemples, à l'usage commun, comme il a l'habitude de le faire. «
Qui jamais fait la guerre à ses frais? » Considérez comme les exemples qu'il
choisit sont bien en rapport avec son sujet; comme il cite d'abord une carrière
pleine de périls, la milice, les armes, la guerre. Car voilà ce qu'est
l'apostolat et bien plus que cela encore. En effet, ils n'avaient pas seulement
à combattre contre les hommes, mais contre les démons et le prince des démons.
Son sens est donc: Ce que les rois du monde, bien que cruels et injustes,
n'exigent pas, à savoir, que leurs soldats fassent la guerre, courent les
dangers et néanmoins subsistent à leurs frais: comment le Christ l'exigerait-il?
Et il ne se borne pas à un seul exemple. Car l'esprit le plus simple et le plus
épais est particulièrement satisfait quand il voit la
coutume générale s'accorder avec les lois de Dieu.
3. Il passe donc à une autre comparaison et dit: « Qui plante une vigne et
ne mange pas de son fruit? » Ici il désigne les dangers, les travaux, les
misères de toute sorte, les sollicitudes. Il ajoute un troisième exemple, en
disant: « Qui paît un troupeau et ne mange point du lait du troupeau? » Il
indique le soin extrême que met un maître à instruire ses disciples. Et en
effet les apôtres étaient soldats, laboureurs et pasteurs, non laboureurs de
terre, ni pasteurs d'animaux, ni soldats se battant contre des ennemis
sensibles; mais pasteurs d'âmes raisonnables et soldats luttant contre les
démons. Observons encore quelle mesure il garde en toute chose: se bornant à ce
qui est utile et laissant le superflu. Il ne dit pas en effet: Qui fait la
guerre et ne s'enrichit pas? mais: « Qui jamais fait
la guerre à ses frais? » Il ne dit pas: Qui plante une vigne et n'en recueille
pas de l'or ou n'en mange pas tout le fruit? mais: «
Et ne mange pas de son fruit? » Il ne dit pas: Qui paît un troupeau et n'en
vend pas les agneaux? mais que dit-il? « Et ne mange
point de son lait?» Non pas de ses agneaux, mais de son lait: pour montrer que
le maître doit se contenter d'une légère consolation et du strict nécessaire en
fait de nourriture. Ceci s'adresse à ceux qui veulent tout manger et recueillir
tous les fruits. Telle est la loi posée par le Seigneur, quand il a dit: «
L'ouvrier mérite sa nourriture ». (Matth. X, 10.) Non-seulement il le prouve par des exemples, mais il fait
aussi voir ce que doit être un prêtre. Le prêtre doit avoir le courage du
soldat, l'assiduité du laboureur, la vigilance du berger, et, après cela, se
contenter du nécessaire.
Après avoir montré par l'exemple des apôtres, puis par des comparaisons
tirées de la vie commune, qu'il n'est pas défendu à un maître de recevoir de
ses disciples, il passe à un troisième point et dit: « N'est-ce pas selon
l'homme que je dis ces choses? La loi même ne les dit-elle pas? » Jusqu'ici en
effet il n'a point parlé d'après les Ecritures, et s'est contenté de s'appuyer
sur l'usage commun. Mais ne pensez pas, dit-il, que ce soient là mes seules
raisons, ni que je me règle d'après la coutume des hommes, je puis vous montrer
que c'est là aussi la volonté de Dieu, et je lis ce commandement dans
l'ancienne loi. Voilà pourquoi il procède par interrogation, ce qui a lieu
quand la chose est connue et avouée de tous: « N'est-ce pas selon l'homme que
je dis ces choses? » C'est-à-dire: Est-ce que je m'appuie uniquement sur des
principes humains? « La loi même ne le dit-elle pas? Car il est écrit dans la
loi de Moïse: Tu ne lieras pas la bouche au bœuf qui foule les grains ». Et
pourquoi rappelle-t-il cela, puisqu'il a l'exemple des prêtres? C'est pour
prouver surabondamment sors sujet. Ensuite pour qu'on ne dise pas: Que nous
importe ce qu'on a pu dire des boeufs? Il entre dans le détail en disant: «
Est-ce que Dieu a soin des boeufs? » Eh quoi? Dieu n'aurait pas soin des
boeufs? Certainement et il en a soin, mais non au point de faire une loi pour
eux. Aussi, s'il n'avait eu quelque chose d'important en vue, à savoir, de
porter les Juifs à la bienfaisance et de leur parler de leurs prêtres à
l'occasion des animaux, il n'eût pas pris la peine de faire une loi pour
empêcher de lier la bouche aux boeufs.
Paul fait encore voir par là autre chose, les grands travaux auxquels les
maîtres se livrent et doivent se livrer; puis une autre chose encore. Laquelle?
Que tout ce qui est écrit dans l'Ancien Testament sur les soins à donner aux
animaux, tend surtout à l'instruction des hommes, aussi bien que tout le reste,
par exemple ce qu'on dit des divers vêtements, des vignes, des semences, de la
terre dont il ne faut point changer la semence (1), de la lèpre, et de toute
autre chose. Comme il s'adresse à des esprits encore trop grossiers, il cherche
à les élever peu à peu. Et voyez comme il ne donne plus d'autre preuve, vu que
la chose est évidente et claire par elle-même. Après avoir dit: « Est-ce que
Dieu a soin des boeufs? » Il ajoute: « N'est-ce pas plutôt uniquement pour nous
qu'il dit cela?» Ce n'est pas sans raison qu'il dit: « Uniquement », pour ne
pas laisser chez l'auditeur la moindre place,à la
contradiction. Et continuant sa métaphore il dit: « Car c'est pour nous qu'il a
été écrit: Que celui qui laboure doit labourer dans l'espérance », c'est-à-dire,
que le maître doit recevoir le salaire de ses travaux. « Et celui qui bat le
grain dans l'espérance d'y avoir part ». Et voyez sa prudence! De la semaille il passe à l'aire, pour rappeler encore les
travaux des maîtres, qui sèment aussi et battent le grain. Au labour, qui
n'offre que le travail et point de fruit, il rattache seulement l'espérance;
mais au battage dans l'aire il accorde un profit, en disant: « Et celui qui bat
le grain a l'espérance d'y avoir part ».
4. Puis pour qu'on ne dise pas: Est-ce là le prix de si grands travaux? il ajoute: « Dans l'espérance », à savoir l'espérance du
bien à venir. Car la bouche de ce bœuf qui n'est pas liée ne crie pas autre
chose sinon que les maîtres qui travaillent ont droit à une récompense. « Si
nous avons semé en vous des biens spirituels, est-ce une grande chose que nous
moissonnions de vos biens temporels?» Voilà encore un quatrième argument pour
prouver qu'il faut fournir des aliments. Car après avoir dit: « Qui jamais fait
la guerre à ses frais? » et: « Qui plante une vigne? » et: «Quel berger paît? »
et parlé du bœuf qui foule le grain dans l'aire; il produit une autre raison très
juste pour prouver qu'ils ont droit à recevoir: c'est que non seulement ils ont
travaillé, mais procuré des biens beaucoup plus considérables. Quelle est donc
cette raison? « Si nous avons semé en vous des biens spirituels, est-ce une
grande chose que nous
1 Je suppose que
c'est une allusion au texte de Lévitique, chap. XIX, 19.
moissonnions de vos biens
temporels? » Voyez-vous ce motif plus juste encore et plus raisonnable que les
premiers? Là, dit-il, la semence est matérielle, et le fruit matériel; ici, au
contraire, la semence est spirituelle et la récompense matérielle. Pour que
ceux qui fournissent des aliments à leurs maîtres n'en soient pas trop fiers,
il leur prouve qu'ils reçoivent plus qu'ils ne donnent. Car ce que les
laboureurs recueillent est de la même nature que ce qu'ils sèment; mais nous,
nous semons de la semence spirituelle dans vos âmes et nous recueillons du
matériel: car tel est l'aliment que l'on fournit. Ensuite, pour les faire
encore mieux rougir: « Si d'autres », leur dit-il, « usent de ce pouvoir à
votre égard, pourquoi pas plutôt nous-mêmes?.»
Nouvelle raison encore, empruntée aussi à des exemples, mais d'une nature
différente. Car ici il ne parle plus de Pierre, ni des apôtres, mais de
certains prédicateurs illégitimes, qu'il combattra plus tard et dont il dira: «
Si on vous dévore, si on prend votre bien, si on vous traite avec hauteur, si
on vous déchire le visage » (II Cor. XI, 20); et contre lesquels il escarmouche
déjà. Aussi ne dit-il pas: Si d'autres reçoivent de vous; mais pour montrer
leur orgueil, leur esprit tyrannique, leurs vues intéressées, il dit: « Si
d'autres usent de « ce pouvoir à votre égard », c'est-à-dire, vous dominent,
exercent le pouvoir, vous traitent comme des serviteurs, et ne se contentent
pas de recevoir, mais y mettent une grande ardeur et agissent d'autorité. C'est
pourquoi il ajoute: « Pourquoi pas plutôt nous-mêmes? » Ce qu'il n'aurait pas
dit s'il se fût agi des apôtres. Il est évident qu'il a en vue certains
personnages dangereux et imposteurs. Ainsi donc, indépendamment de la loi de
Moïse, vous avez vous-mêmes prescrit par une loi de fournir des aliments.
Mais après avoir dit: « Pourquoi pas plutôt nous-mêmes? » il ne s'attache
point à en donner ta raison; il se contente de s;en remettre pour la preuve à
leur propre conscience, voulant tout à la fois les effrayer et les faire rougir.davantage. « Cependant nous n'avons point usé de ce
pouvoir », c'est-à-dire, nous n'avons rien reçu. Voyez-vous comment, après
avoir d'abord prouvé par tant de raisons qu'il n'est point contraire à la loi
de recevoir, il dit à la fin: Nous n'avons rien reçu, pour ne pas paraître s'en
être abstenu par nécessité? En effet, il ne dit pas: Je ne reçois rien, parce
que cela est défendis; car cela est permis, comme je l'ai démontré par bien des
preuves: par l'exemple des apôtres; par le cours ordinaire de la vie; par le
fait du soldat, du laboureur, du berger; par la loi de Moïse; par la nature
même des choses, puisque nous avons jeté en vous des semences spirituelles; par
ce que vous avez fait à l'égard des autres. Mais comme il a dit tout cela pour
ne pas avoir l'air de jeter du blâme sur la conduite des apôtres qui
recevaient, et pour les faire rougir et leur montrer qu'il ne s'abstient pas de
la chose parce qu'elle est défendue: de même, pour ne pas paraître n'avoir
donné ces preuves détaillées et ces nombreux exemples pour démontrer qu'il est permis
de recevoir, qu'afin de demander à recevoir lui-même, il apporte aussitôt un
correctif. Plus bas il dit en termes plus clairs: « Je n'écris donc pas ceci
pour qu'on en use ainsi envers moi »; mais ici, il se contente de dire: «
Cependant nous n'avons pas usé de ce pouvoir ».
Et ce qu'il y a de plus important, c'est que personne ne peut dire que nous
n'en avons pas usé parce que nous étions dans l'abondance, puisque nous n'avons
pas même cédé à la nécessité quand elle nous pressait; ce qu'il exprime encore
dans la seconde épître, en ces termes: « J'ai dépouillé les autres églises en
recevant ma subsistance pour vous servir; et quand j'étais près de vous et que
je me trouvais dans le besoin, je n'ai été à charge à personne ». (II Cor.
XI, 8, 9.) Et dans celle-ci: « Nous avons faim, nous avons soif, nous sommes
nus, nous sommes souffletés ». (I Cor. IV, 11.) Et encore cette allusion: «
Mais nous souffrons tout »; car en disant: « Nous souffrons tout », il entend
parler de la faim, d'une grande pénurie et de toutes les autres misères. Et
pourtant, veut-il dire, rien de cela ne nous a fait violer la loi que nous nous
sommes imposée. Pourquoi? « Pour ne pas mettre d'obstacle à l'Evangile du
Christ ». Comme les Corinthiens étaient encore trop faibles Pour ne pas vous
choquer en recevant de vous, leur dit-il, nous avons mieux aimé faire plus
qu'il n'est commandé, que de mettre un obstacle quelconque à l'Evangile,
c'est-à-dire, à votre instruction. Si donc, malgré le pouvoir que nous en
avions, malgré la pressante nécessité où nous étions placés, et l'exemple des
apôtres, nous ne l'avons pas fait. « Pour ne pas mettre d'obstacle » (il ne
parle pas de ruine, mais « d'obstacle », et non pas simplement d'obstacle, mais
« d'un obstacle quelconque », ce qui veut dire pour ne pas apporter le moindre
retard au cours de la parole); si nous avons déployé un tel zèle, à combien
plus forte raison vous qui êtes à une si grande distance des apôtres, qui
n'êtes autorisés par aucune loi, et qui touchez à des choses non seulement défendues,
mais très nuisibles à l'Evangile, à combien plus forte raison devez-vous vous
en abstenir, non seulement à cause de l'obstacle qui en résulte, mais parce que
vous n'y voyez vous-mêmes aucune nécessité? Car dans tout ce discours il
s'adresse à ceux qui scandalisaient leurs frères trop faibles en mangeant des
viandes immolées aux idoles.
5. Ecoutons aussi ce langage, mes bien-aimés; ne méprisons pas ceux qui se
scandalisent, ne mettons point d'obstacle à l'Evangile du Christ, ne manquons
pas notre propre salut. Quand un frère est scandalisé, ne venez pas me dire:
Telle et telle chose dont on se scandalise, n'est pas défendue; elle est
permise. Je vais plus loin, moi: Quand même le Christ en personne vous l'aurait
permise, si vous voyez que quelqu'un en souffre, abstenez-vous-en, n'usez pas
de la permission. C'est ce que Paul a fait en ne recevant rien, quand le Christ
lui permettait de recevoir. Car notre Maître est bon: il a mêlé beaucoup de
douceur à ses commandements, afin que nous.n'agissions
seulement par ordre, mais beaucoup par notre propre volonté. Si telle n'eût pas
été son intention, il aurait pu insister davantage sur ses commandements et
dire: Qu'on punisse celui qui ne jeûne pas, qu'on inflige un châtiment à celui
qui ne garde pas la virginité; que celui qui ne se dépouille pas de tout ce
qu'il possède soit livré au dernier supplice. Il ne l'a point fait, pour vous
laisser la faculté de tendre au plus parfait, si vous en avez le désir. Voilà
pourquoi il disait, en parlant de la virginité: « Que celui qui peut
comprendre, comprenne » (Matth. XIX, 12); et pourquoi
aussi il a commandé au riche certaines choses, en laissant le reste à son libre
arbitre. En effet, il n'a pas dit: Vendez ce que vous avez; mais « Si vous
voulez être parfait, vendez ».(Id. 21.) Mais nous,
bien loin d'aspirer à la perfection et de dépasser les commandements, nous
restons bien au-dessous de ce qui est exigé. Et Paul souffrait la faim pour ne
pas mettre d'obstacle à l'Evangile; et nous n'osons pas même toucher aux objets
que nous avons mis de côté, bien que nous voyons beaucoup d'âmes se perdre. Que
la teigne les ronge, dit-on, mais non le pauvre; qu'ils soient la proie des
vers plutôt que de revêtir celui qui est nu; que le temps détruise tout, mais
que le Christ meure de faim.
Et qui tient ce langage? direz-vous. C'est une
chose bien terrible que l'on parle ainsi, non de bouche, mais par les faits. On
serait moins coupable de le dire que de le faire. Est-ce que ce n'est pas là ce
que l'avarice, ce tyran cruel et inhumain, crie chaque jour à ses victimes?
Donnez à manger aux calomniateurs, aux voleurs, aux amateurs de plaisir, mais
non à ceux qui ont faim et vivent dans l'indigence. N'est-ce pas vous qui
faites les voleurs? N'est-ce pas vous qui alimentez le feu de la jalousie?
N'est-ce pas vous qui êtes cause que l'esclave s'enfuit de chez son maître, que
l'on vous tend des embûches, vous qui offrez vos richesses comme un appât?
Quelle folie est celle-là? Car c'est une vraie folie, une démence manifeste de
remplir des coffres de vêtements et de mépriser un homme créé à l'image et à la
ressemblance de Dieu, nu, grelottant de froid et pouvant à peine se tenir
debout. — Mais, dites-vous, il feint de grelotter et d'être faible. — Ne
craignez-vous pas que ce mot n'attire la foudre sur votre tête? En vérité,
l'indignation m'étouffe: pardonnez-moi. Quoi! vous, adonné à la bonne chère,
chargé d'embonpoint, prolongeant vos repas jusque bien avant dans la nuit,
mollement vêtu, vous pensez que vous ne serez point puni d'avoir ainsi abusé
des dons de Dieu? (Car enfin, le vin n'a pas été donné pour qu'on s'enivre, ni
la nourriture pour qu'on en use avec excès, ni les mets pour qu'on s'en charge
outre mesure.) Et vous demandez des comptes sévères à un pauvre, à un
misérable, à une espèce de cadavre; et vous ne craignez pas le terrible, le
formidable tribunal du Christ? S'il simule, c'est parce que la nécessité et
l'indigence l'y forcent, c'est à cause de votre cruauté, de votre inhumanité,
qui exige ces sortes de feintes et ne se laisse point toucher par la pitié. Car
quel est l'homme assez malheureux, assez infortuné, pour tenir une conduite
aussi inconvenante, si la nécessité ne l'y poussait; pour subir des coups et
tant de mauvais traitements, et cela pour un morceau de pain?
Ainsi cette hypocrisie de sa part proclame partout votre inhumanité. En
effet, c'est peut-être après avoir prié, supplié, déploré sa misère, après
avoir couru tout le jour en gémissant et en pleurant, sans trouver ce qui lui
est nécessaire, qu'il a imaginé ce moyen, qui vous déshonore et vous accuse
plutôt que lui. Réduit à une telle nécessité, il est au moins digne de notre
compassion; et nous qui y poussons le pauvre, nous méritons mille châtiments.
Il n'aurait pas adopté ce parti, si nous étions faciles à émouvoir. Et pourquoi
parler de nudité et de froid? J'ai à dire quelque chose de bien plus terrible:
quelques-uns en sont venus à priver de la vue leurs petits enfants, pour vous
exciter à la pitié. Comme leur dénuement, leur âge, leur infortune nous
laissaient insensibles tant qu'ils jouissaient de la vue, ils ont ajouté cette
nouvelle et plus grande calamité à tant d'autres, pour trouver un remède à leur
faim: pensant qu'il valait mieux être privés de la lumière du soleil, ce bien
commun à tous, que de lutter continuellement avec la faim et de subir la mort
la plus triste. Parce que vous n'avez pas su avoir pitié de leur pauvreté, que
vous vous en êtes amusés, au contraire, ils ont satisfait votre insatiable
avidité, et allument pour eux comme pour vous une flamme plus terrible que
celle de l'enfer. Et pour que vous compreniez bien que la cause en est là, je
vous donnerai une preuve évidente et que personne ne pourra contredire. Il y a
d'autres pauvres légers et superficiels qui ne savent pas supporter la faim et
se résoudront à tout plutôt qu'à la subir. Souvent, après avoir cherché à
exciter votre pitié par leurs paroles et leurs gestes, voyant qu'ils n'y
gagnaient rien, ils ont quitté un rôle de suppliants, et se sont mis à imiter,
à surpasser même les baladins, en mangeant des cuirs de vieux souliers, en
s'enfonçant des clous aigus dans la tête, en se plongeant nus dans l'eau gelée;
d'autres ont poussé plus loin encore l'absurdité, afin d'offrir un spectacle
misérable.
6. Et vous y assistez, riant et admirant, vous glorifiant pour ainsi dire
des maux des autres, d'une conduite déshonorante pour la nature. Que ferait de
plus le cruel démon? Ensuite, pour les encourager à en faire davantage encore,
vous leur donnez plus d'argent. Mais quand un homme prie, invoque Dieu,
s'approche avec calme, vous ne daignez pas lui répondre ni le regarder; vous
lui adressez même des paroles désagréables, s'il vous presse avec importunité:
faut-il que cet homme-là vive? qu'est-il besoin qu'il
respire, qu'il voie le soleil? — Mais pour les autres vous vous montrez gai,
libéral, comme si vous étiez constitué juge de ces ridicules et diaboliques
turpitudes. C'est à ceux qui provoquent de tels combats et qui ne négligent
rien pour faire maltraiter les autres, qu'il faudrait plutôt adresser ces
paroles: Faut-il que ces gens-là vivent? qu'ils
respirent? qu'ils voient le soleil? eux
qui violent les lois de la nature et outragent Dieu? Dieu vous dit: Fais
l'aumône et je te donnerai le royaume des cieux, et vous ne l'écoutez pas. Le
démon vous montre une tête percée de clous, et vous devenez libéral. Une, ruse,
et une ruse pernicieuse du méchant esprit, vous fait agir plutôt que la
promesse divine, source de biens sans nombre. Quand vous devriez, même à prix
d'or, empêcher ces spectacles et éviter d'en être 'témoin, tout souffrir, tout
mettre en oeuvre pour faire cesser ces folies; vous faites tout, vous ne
négligez rien, au contraire, pour qu'elles aient lieu et qu'elles se passent
sous vos yeux. Demanderez-vous encore, dites-moi, pourquoi il y a un enfer?
Demandez plutôt pourquoi il n'y en a qu'un. Car quels châtiments ne méritent
pas ceux qui établissent ces cruels et barbares spectacles, qui rient de choses
qui devraient les faire pleurer et vous aussi, vous surtout qui forcez ces
malheureux à des actions aussi indécentes?
Mais, dites-vous, je ne les force pas. — Comment ne les forcez-vous pas,
quand vous ne daignez pas même prêter l'oreille aux pauvres plus modestes, qui
pleurent et invoquent Dieu, et que vous prodiguez l'argent à ceux-ci et leur
attirez des admirateurs? — Nous les quittons, dites-vous, avec la compassion
dans le coeur. —Et vous exigez tout cela! O homme, exiger tant de peines pour
deux oboles, leur ordonner de se déchirer pour gagner leur nourriture, de se
couper la peau de la tête si cruellement, si misérablement; non, ce n'est pas
là de la pitié. — Paix! dites-vous, ce n'est pas nous
qui perçons de clous ces têtes. — Plût au ciel que ce fût vous! le mal ne serait pas aussi grand. Car celui qui tue
quelqu'un est beaucoup plus coupable que celui qui ordonne qu'on le tue
lui-même; et c'est ce qui arrive ici. En effet, ils souffrent des douleurs plus
vives quand on leur commande d'exécuter eux-mêmes ces ordres cruels, et cela à
Antioche, dans la ville où les chrétiens ont pris leur nom, où se trouvaient
les plus doux des hommes, où l'aumône produisait jadis des fruits si abondants.
Car on n'y donnait pas seulement à ceux qui étaient présents, mais on envoyait
aux absents, à de grandes distances, et cela quand on était menacé de famine. —
Que faut-il donc faire? direz-vous. — Dépouiller cette
cruauté, signifier à tous les pauvres qu'ils ne recevront rien de vous tant
qu'ils se conduiront ainsi; que vous serez généreux
envers eux, au contraire, s'ils se présentent avec modestie. Quand ils sauront
cela, tant misérables soient-ils, je vous réponds qu'ils ne seront pas tentés
de se maltraiter ainsi; mais ils vous sauront gré de les avoir délivrés de la
dérision et de la douleur.
Maintenant vous livreriez vos fils pour des cochers, vous sacrifieriez vos
âmes pour des danseurs, mais pour le Christ souffrant de faim vous ne
sacrifieriez pas la plus minime partie de votre fortune; si peu que vous
donniez d'argent, vous croyez avoir tout donné, sans songer que l'aumône ne
consiste pas simplement à donner, mais à donner avec largesse. Aussi ce ne sont
pas ceux qui donnent, mais ceux qui donnent abondamment que le prophète exalte
et appelle heureux. Il ne dit pas seulement: Il a donné. Que dit-il donc? « Il
a répandu, il a donné aux pauvres ». (Ps. III.) A
quoi vous sert de donner de vos richesses la valeur
d'un verre d'eau puisé dans la mer, de ne pas imiter la générosité de la veuve?
Comment oserez-vous dire: Seigneur, ayez pitié de moi selon votre grande
miséricorde, et suivant l'étendue de votre compassion, effacez mon iniquité
(Ps. L), quand vous n'aurez point eu pitié vous-même selon la grande
miséricorde, que vous n'en aurez peut-être même eu aucune? Car je suis couvert
de honte quand je vois beaucoup de riches montés sur des chevaux à frein d'or,
traînant à leur suite des serviteurs chargés d'or, ayant des lits d'argent et
une quantité d'autres meubles de luxe, et qui se trouvent beaucoup plus pauvres
que les pauvres quand il faut donner à un mendiant.
Et quelle raison en donnent-ils souvent? — Cet homme, disent-ils, a les
ressources communes de l'Eglise. — Eh! que vous
importe? Si je donne, vous n'êtes pas sauvés pour cela; si l'Eglise donne, vos
péchés ne sont pas effacés pour autant. Si vous vous dispensez de donner parce
que l'Eglise doit donner aux pauvres; vous vous dispenserez donc de prier,
parce que les prêtres prient? Vous serez toujours à table, parce que d'autres
jeûnent? Vous ne savez donc pas que Dieu a fait une loi de l'aumône moins en
faveur de celui qui la reçoit qu'en faveur de celui
qui la donne? Le prêtre vous est-il suspect? Ce serait une faute très grave; mais je ne discute pas là-dessus; faites tout par
vous-mêmes, et vous recueillerez une double récompense. Ce que nous disons de
l'aumône, nous ne le disons pas pour nous attirer vos dons, mais pour que vous
les distribuiez vous-mêmes. En m'apportant vos aumônes, vous céderiez peut-être
à un sentiment de vaine gloire, souvent même vous vous retireriez scandalisés
et pleins de mauvais soupçons, mais en faisant tout par vous-mêmes, vous êtes à
l'abri de ces inconvénients et votre récompense sera plus grande.
7. Je ne dis point ceci pour vous obliger à apporter ici votre argent, ni
pour me plaindre du mal qu'on dit des prêtres. S'il faut s'indigner, s'il faut
gémir, c'est sur vous qui dites ce mal. Car les victimes de la calomnie n'en
seront que mieux récompensées, mais les calomniateurs doivent s'attendre au
jugement et à un supplice plus terrible. Ce n'est donc pas par inquiétude et
par intérêt pour les prêtres, mais pour vous, que je parle. Et quoi d'étonnant
à ce que de tels soupçons envahissent certaines âmes dans notre siècle, quand
au temps même de ces saints qui prenaient les anges pour modèles, de ces Hommes
dépouillés de tout, des apôtres, veux-je dire, il y avait déjà des murmures à
l'occasion du service des veuves, parce qu'on négligeait les pauvres; alors que
personne ne possédait rien en propre, mais que tout était en commun? Laissons
donc là ces vains prétextes, et ne pensons pas nous excuser en disant que
l'Eglise possède beaucoup. Quand vous pensez à ces grandes ressources,
rappelez-vous aussi cette foule de pauvres inscrits, cette multitude de
malades, ces innombrables occasions de dépenses; examinez, étudiez, personne ne
vous en empêche, nous sommes tout prêts à vous rendre compte. Mais je veux
aller plus loin. Après que nous vous aurons rendu nos comptes et démontré que
nos dépenses ne sont pas moindres que nos revenus, qu'elles les dépassent même
quelquefois, nous vous adresserions volontiers une question: Au sortir de cette
vie, lorsque nous entendrons le Christ nous dire: « Vous m'avez vu avoir faim
et vous ne m'avez pas donné à manger; vous m'avez vu nu et vous ne m'avez pas
vêtu » (Matth, XXV, 42), que dirons-nous? Comment
nous justifierons-nous? Produirons-nous tel ou tel qui n'aura point obéi aux
ordres, ou quelques prêtres suspects? Est-ce que cela vous regarde? nous dira le Christ. Je vous accuse des fautes que vous avez
commises. Vous avez à vous laver de vos propres péchés, et non à me faire voir
que d'autres les ont commis. C'est à cause de votre parcimonie que l'Eglise est
obligée de conserver ce qu'elle a; et si tout se passait selon les lois
apostoliques, c'est votre bonne volonté qui devrait former ses revenus: ce qui
lui serait un sûr coffre-fort, un trésor inépuisable. Mais comme vous
thésaurisez pour la terre, que vous renfermez tout dans vos coffres, et qu'elle
est forcée de dépenser pour les assemblées de veuves, pour les choeurs de
vierges, pour les besoins étrangers, pour les malheureux voyageurs, pour les
infortunés prisonniers, pour les malades et les estropiés, ou pour toutes les
autres nécessités de ce genre, que faut-il faire? Les repousser tous et fermer
tous les ports? Mais qui viendra au secours de tant de naufragés? Qui répondra
aux pleurs, aux lamentations, aux gémissements qui se font entendre de tous
côtés?
Ne parlons donc pas au hasard. A l'heure qu'il est, comme je l'ai déjà dit,
nous sommes prêts à vous rendre des comptes: et quand cela ne serait pas, quand
vous auriez des maîtres pervers, rapaces, avares, leur conduite coupable ne
serait pas encore une excuse pour vous. Car le bon et très sage Fils unique de
Dieu, qui voit tout et qui sait que dans la longue série des siècles et sur la
vaste étendue du globe, il y a beaucoup de mauvais prêtres, de peur que leur
négligence n'augmente la lâcheté de leurs subordonnés, et afin d'ôter tout
prétexte qui en pourrait naître, a dit: « Les scribes et les pharisiens sont
assis sur la chaire de Moïse; ainsi faites tout ce qu'ils vous disent de faire,
mais n'agissez pas selon leurs oeuvres » (Matth.
XXIII, 2, 3), montrant par là que, quand même vous auriez un mauvais maître,
cela ne vous excuserait point de rie pas faire attention à ce qu'il dit. Car
vous ne serez pas jugés d'après les actions de votre maître, mais d'après sa
doctrine que vous n'avez pas suivie. Si donc vous accomplissez les
commandements, vous pourrez vous présenter en toute assurance; mais si vous
dédaignez la doctrine, il ne vous servirait à rien de montrer une multitude de
prêtres corrompus. Judas était apôtre, et cela n'excusera jamais les voleurs
sacrilèges et les avares. Un accusé ne pourra pas dire: Il y a eu un apôtre
voleur, sacrilège et traître; ce sera au contraire une raison de plus pour nous
faire condamner et livrer au supplice, de n'être pas devenus sages aux dépens
des autres. Car tout cela a été écrit pour nous détourner de les imiter.
Laissons donc de côté un tel et un tel, et occupons-nous de nous; chacun rendra
compte à Dieu pour lui-même. Afin que ce compte présente une vraie
justification, réglons notre vie, tendons aux pauvres une main généreuse, bien convaincus que l'accomplissement des préceptes est notre
seule apologie et qu'il n'y en a point d'autre. Si nous pouvons l'offrir, nous
éviterons les intolérables supplices de l'enfer, et nous obtiendrons les biens
futurs. Puissions-nous y parvenir tous par la grâce et la bonté de Notre Seigneur
Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint Esprit, la
gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des
siècles. Ainsi soit-il.
ANALYSE.
1. Saint Paul cite une loi positive pour mieux prouver encore son droit de
vivre de l'Evangile. 2. Excellence des oeuvres de surérogation: qu'elles
méritent une récompense à part.
3. Je nie suis fait tout h tous.
4 et 5. Qu'il faut éviter l'hypocrisie. De la condescendance qui convient
aux pasteurs. — Aimer ardemment Jésus-Christ. — Il y a plus de peine à faire le
mal que le bien. — Contre les impudiques et les avares.
1. Il met un grand soin à prouver qu'il n'est pas défendu de recevoir. Non
content de tout ce qu'il a déjà dit plus haut, il aborde maintenant la loi,
pour offrir une démonstration plus concluante que la première. Car ce n'est pas
la même chose de tirer une analogie des boeufs, ou de présenter une loi
positive concernant les prêtres. Et voyez encore ici la prudence de Paul, et
avec quelle dignité il traite son sujet! Il ne dit pas: Ceux qui exercent les
fonctions saintes reçoivent des offrandes. Que dit-il donc? «Vivent du
sanctuaire »; afin que ceux qui reçoivent n'en soient point blâmés, et que
ceux qui donnent ne s'en glorifient pas. De là ce qui suit. Car il ne dit pas
ensuite: Ceux qui assistent à l'autel reçoivent de ceux qui livrent la victime,
mais: « Ont part à l'autel ». En effet, les victimes une fois offertes
n'appartenaient plus à ceux qui les avaient offertes, mais au sanctuaire et à
l'autel. Il ne dit pas non plus: Reçoivent les choses consacrées, mais: «
Vivent du sanctuaire », en quoi il donne une nouvelle leçon de modération, et
montre qu'il ne faut pas recueillir d'argent ni s'enrichir. Et s'il dit: « Ont
part à l'autel », il n'entend point parler de distribution à part égale, mais
donner une consolation à qui de droit. Pourtant la condition des apôtres était
bien plus élevée. Dans l'ancienne loi, le sacerdoce était un honneur; ici, ce
sont des périls, des égorgements, des meurtres. Aussi tous les autres exemples
sont-ils bien au-dessous de ces paroles: « Si nous avons semé en vous des biens
spirituels ».
Et par ce mot: « Nous avons semé », il entend les orages, les dangers, les
embûches, les maux sans nombre qu'enduraient les prédicateurs de l'Evangile.
Cependant malgré la supériorité de sa condition, il n'entend point déprimer
l'ancienne loi, ni s'exalter lui-même; mais il s'efface lui-même, et puise, non
dans les périls, mais dans la grandeur du don, la raison de cette prééminence.
Car il ne dit pas: Si nous avons couru des dangers, si on nous a tendu des
embûches; mais: « Si nous avons semé en vous des biens spirituels », et il
relève, autant que possible, la condition des prêtres en disant. « Ceux qui
exercent les fonctions saintes, et ceux qui assistent à l'autel »; voulant
rappeler leur servitude perpétuelle et leur persévérance. Après avoir parlé des
prêtres juifs, des lévites et des pontifes, il indique ensuite les deux rangs,
les inférieurs et les supérieurs, quand il dit, en parlant des uns: « Ceux qui
exercent les fonctions saintes », et des autres: « Ceux qui assistent à l'autel
». Car tous ne remplissaient point le même office; aux uns les services plus
vulgaires, aux autres les fonctions plus relevées. Puis, les enveloppant tous
ensemble, pour qu'on ne dise pas: A quoi bon rappeler l'Ancien Testament? Ne
savez-vous pas que nous avons une loi plus parfaite? Il pose quelque chose de
plus fort que tout le reste, en disant: « Ainsi le Seigneur a prescrit lui-même
à ceux qui annoncent l’Evangile de vivre de l’Evangile ». Il ne dit point:
D'être nourris par les hommes; mais comme pour les prêtres de l'ancienne loi,
il a dit: « Du sanctuaire « et de l'autel »; de même ici il dit: « De «
l’Evangile »; et comme là il s'est servi du mot « manger », il se sert ici du
mot « vivre»; mais non trafiquer et thésauriser. « Car l'ouvrier mérite son
salaire ». (Matth. X, 10.) « Pour moi, je n'ai usé
d'aucun de ces droits». —Eh quoi! dira-t-on, si vous
n'en avez pas usé jusqu'à présent, vous voulez en user à l'avenir, et c'est
pour cela que vous en parlez. — A Dieu ne plaise! Car aussitôt il apporte le
correctif, en disant: « Mais je n'écris pas ceci pour qu'on en use ainsi avec
moi ».
Et voyez avec quelle force il refuse et repousse ce droit! « Car j'aimerais
mieux mourir que de laisser quelqu'un m'enlever cette gloire ». Et ce n'est pas
une fois ou deux qu'il emploie cette expression, mais souvent. Il avait déjà
dit plus haut: « Nous n'avons pas usé de ce pouvoir »; et y revenant encore
plus bas, il dit: « Pour ne pas abuser de mon pouvoir »; et ici: «Je n'ai usé
d'aucun de ces droits ». De quels droits? De ceux indiqués par les exemples
cités: le soldat, le laboureur, le berger, les apôtres, la loi, ce que j'ai
fait chez vous, ce que vous faites chez les autres, les prêtres, les
commandements du Christ; tout cela prouvait mon droit, et rien de cela n'a pu
me déterminer à violer la loi que je me suis imposée de ne rien recevoir. Et ne
me parlez pas du passé; sans doute je pourrais dire que j'en ai beaucoup
souffert, mais ce n'est pas là-dessus seulement que je m'appuie; je m'engage pour
l'avenir, et j'aime mieux mourir de faim que d'être privé de cette couronne. «
J'aimerais mieux mourir de faim que de laisser quelqu'un m'enlever cette
gloire». Il ne dit pas: Que de laisser quelqu'un m'enlever ma loi, mais: « ma
gloire ». Et pour qu'on ne dise pas qu'il fait cela sans plaisir, mais avec
tristesse et chagrin, il l'appelle sa gloire, voulant montrer par là
l'abondance de sa joie et sa grande allégresse. Tant s'en faut qu'il s'en
attriste, qu'au contraire il s'en glorifie, et qu'il aime mieux mourir que de
se priver de cette gloire. Ainsi la vie même lui était moins chère que cette
situation.
2. Aussi l'exalte-t-il encore d'une autre manière, et en fait-il ressortir
la grandeur, non pour en recevoir lui-même de l'éclat (on sait combien ce sentiment
lui est étranger), mais pour manifester sa joie et écarter jusqu'à l'ombre du
soupçon. C'est pour cela, comme je l'ai déjà dit, qu'il l'appelle sa gloire.
Que dit-il donc encore? « Car si j'évangélise, la gloire n'en est pas à moi, ce
m'est une nécessité, et malheur à moi si je n'évangélise pas! Si je le fais de
bon coeur, j'en aurai la récompense, mais si je ne le fais qu'à regret, je
dispense seulement ce qui m'a été confié. Quelle est donc ma récompense? C'est
que, prêchant « l’Evangile, je prêche gratuitement l'Evangile du Christ, pour
ne pas abuser de mon « pouvoir dans l’Evangile ». Que dites-vous, Paul? Ce
n'est pas pour vous une gloire d'évangéliser, ruais seulement d'évangéliser
gratuitement? Est-ce donc quelque chose de plus grand? Non, mais c'est
davantage sous un certain rapport: l'un est prescrit, et l'autre est l'effet de
ma volonté. Or, ce qui se fait au-delà du commandement a par cela même un grand
prix; ce qui se fait par ordre n'en a pas autant. C'est pour cette raison, et
non par la nature des choses que l'un l'emporte sur l'autre. Au fond, qu'est-ce
qui égale la prédication? Par elle on rivalise avec les anges; cependant comme
elle est un commandement et une dette, tandis que dans l'autre cas il y a acte
de la bonne volonté, c'est en ce sens que nous établissons une préférence. Et
c'est comme je viens de dire que Paul interprète, quand il dit: « Si je le fais
de bon coeur, j'en aurai la récompense, mais si je ne le fais qu'à regret, je
dispense seulement ce qui m'a été confié »; prenant ces mots: « de bon coeur »,
et: « à regret » dans le sens de ce qui m'a été confié, ou: ne m'a pas été
confié. De même ces expressions: « Ce m'est une nécessité », ne veulent pas
dire qu'il agisse malgré lui, à Dieu ne plaise! mais
qu'il en est responsable comme d'un devoir à remplir, à la différence de la
liberté de recevoir dont il a parlé. Voilà pourquoi le Christ disait à ses
disciples: « Quand vous aurez tout fait, dites: Nous sommes des serviteurs
inutiles ». (Luc, XVII, 10.) Quelle est donc ma récompense? « C'est que,
évangélisant, je prêche gratuitement l'Evangile ». Quoi donc? Et Pierre,
dites-moi, n'a pas de récompense? Qui en a jamais eu une pareille? Et les
autres apôtres? Comment a-t-il pu dire: « Si je le fais de bon coeur, j'en
aurai la récompense, mais si je ne le fais qu'à regret, je dispense seulement
ce qui m'a été confié? »
Voyez-vous encore ici sa prudence? Il ne dit pas: Si je ne le fais qu'à
regret, je n'aurai pas de récompense; mais: « Je dispense seulement ce qui m'a
été confié »; montrant par là qu'il aura une récompense, mais celle de l'homme
qui a exécuté un ordre, et non celle de celui qui agit de son propre mouvement,
et plus que n'exige la loi. Quelle est donc la récompense? « C'est que,
prêchant l'Evangile, je prêche gratuitement l'Evangile, pour ne pas abuser de
mon pouvoir dans l'Evangile ». Voyez-vous comme il emploie toujours ce mot de
pouvoir, pour prouver ce que j'ai dit bien des fois, que ceux qui reçoivent ne
sont point blâmables? Il a ajouté: « Dans l'Evangile », pour spécifier, et en
même temps empêcher qu'on ne donne trop d'extension au principe. Car c'est
celui qui enseigne, et non celui qui ne fait rien qui doit recevoir. « Aussi,
lorsque j'étais libre à l'égard « de tous, je me suis fait l'esclave de tous,
pour en gagner un plus grand nombre ». Autre avantage! C'est beaucoup sans
doute de ne rien recevoir, mais ce qu'il va dire est encore beaucoup plus.
Qu'est-ce donc? Non-seulement, dit-il, je n'ai rien
reçu, non seulement je n'ai pas usé de ce pouvoir, mais je me suis fait
esclave, et dans tous les genres et dans les sens les plus variés. Et ce n'est
pas seulement en argent, mais ce qui est bien plus, en toutes sortes de choses
que j'ai donné des preuves de cette servitude volontaire; je me suis fait
esclave, alors que je n'étais soumis en rien à personne, et qu'aucune nécessité
ne m'y forçait: car c'est le sens de ces mots: « Lorsque j'étais libre à
l'égard de tous ». Je me suis fait l'esclave, non pas d'un homme, mais de
l'univers entier; c'est pourquoi il ajoute: « Je me suis fait l'esclave de tous
». J'avais sans doute reçu l'ordre de prêcher, d'annoncer ce qui m'était confié;
mais ces négociations, ces sollicitudes sans nombre ont été l'effet de mon
zèle. J'étais seulement obligé de distribuer l'argent déposé en mes mains; mais
pour en obtenir, je mettais tout en oeuvre, et je faisais plus qu'il ne m'était
commandé. Comme il agissait en tout librement, avec allégresse et par amour
pour le Christ, il avait un insatiable désir du salut des hommes.
C'est pour cela qu'il franchissait les barrières par un généreux excès, et
s'élançait à travers tous les obstacles jusqu'au ciel. Après avoir parlé de son
esclavage, il en détaille les modes divers. Quels sont-ils? « Je me suis fait
», dit-il, « comme Juif avec les Juifs, pour gagner les Juifs ». Et comment
cela? Quand il donnait la circoncision, pour détruire la circoncision. C'est
pourquoi il ne dit pas: Juif », mais: « Comme Juif », par prudence. Que
dites-vous? Le héraut du monde entier, qui a touché le ciel même, en qui la
grâce a jeté un tel éclat, daigne s'abaisser jusqu'à ce point? Oui. Mais
s'abaisser ainsi, c'est s'élever. Ne voyez pas seulement ici son abaissement,
mais songez qu'il relève celui qui est à terre et qu'il l'attire à lui. « Avec
ceux qui sont sous la loi comme si j'eusse été sous la loi, quoique je ne fusse
plus assujetti à la loi, pour gagner ceux qui étaient sous la loi ».
3. Ou c'est une explication de ce qu'il a d'abord dit, ou il a quelque
autre chose en vue; appliquant le mot Juifs à ceux qui l'étaient dès le
commencement, et entendant par « ceux qui sont sous la loi », les prosélytes ou
ceux qui étant devenus fidèles, restaient encore attachés à la loi. Car ils
n'étaient plus comme les Juifs, et cependant ils étaient sous la loi. Et
comment Paul était-il sous la toi? Quand il se rasait, quand il sacrifiait. Non
qu'il fît cela pour avoir changé de conviction, car
t'eût été un mal, mais par condescendance de charité. Pour convertir ceux qui
pratiquaient encore sincèrement ces rites, il s'y prête lui-même, non
sincèrement, mais par forme, n'étant pas Juif et n'agissant point de coeur. Et
comment l'aurait-il pu, lui qui s'efforçait de convertir les autres? En s'y
prêtant, il voulait les délivrer de cet abaissement. « Avec ceux qui étaient
sans loi, comme si j'eusse été sans loi ». Ceux-ci n'étaient ni des Juifs, ni
des chrétiens, ni des Grecs, mais des gens en dehors de la loi, comme Corneille
et autres de ce genre. En venant à eux, il feignait en bien des points de leur
ressembler. Quelques-uns pensent qu'il fait ici allusion à la discussion qu'il
avait eue avec les Athéniens, à l'occasion de l'inscription d'un autel, et que
c'est pour cela qu'il dit: « Avec ceux qui étaient sans loi, comme si j'eusse
été sans loi ». Ensuite, pour qu'on ne crût point voir là un changement
d'opinion, il ajoute: « Quoique je ne fusse pas sans la loi de Dieu, mais que
je fusse sous la loi du Christ »; c'est-à-dire, quoique je ne fusse pas sans
loi, mais que je fusse sous une loi, et une loi plus sublime que la loi ancienne;
sous la loi de l'Esprit et de la grâce; c'est pourquoi il ajoute: « Du Christ».
Après les avoir ainsi rassurés sur ses sentiments, il rappelle le fruit de
sa condescendance, en disant: « Afin de gagner ceux qui étaient sans loi ».
Partout il donne la raison de cette condescendance; il ne s'en tient même pas
là, car il dit: « Je me suis rendu faible avec les faibles, pour gagner les
faibles ». Il dit ceci pour eux et en dernier lieu; et c'est la raison même de
tout ce qu'il a dit. Le reste était beaucoup plus important, mais ceci était
plus personnel; c'est pourquoi il le place en dernier lieu. Il en a fait autant
avec les Romains, quand il les blâmait à propos d'aliments, et aussi en
beaucoup d'autres circonstances. Ensuite pour ne pas perdre le temps en trop
longs détails, il dit: « Je me suis fait tout à tous pour en sauver au moins
quelques-uns». Voyez-vous l'hyperbole? « Je me suis fait tout à tous », non
dans l'espoir de les sauver tous, mais pour en sauver au moins un petit nombre.
J'ai déployé un zèle, j'ai subi un ministère qui auraient dû suffire à les
sauver tous, sans espoir cependant de triompher d'eux tous: grande entreprise
d'une âme ardente. En effet, le semeur semait partout et ne sauvait pas toute
sa semence, mais il faisait tout son possible. Après avoir parlé du petit
nombre de ceux qu'il a sauvés, il ajoute ce mot: « Au moins », pour consoler
ceux qui s'affligeraient en pareil cas. Car s'il n'est pas possible de sauver
toute la semence, il n'est pas possible non plus qu'elle périsse toute. Aussi
ajoute-t-il: « Au moins », parce qu'il faut de toute nécessité qu'un si grand
zèle ne soit pas sans résultat. « Ainsi je fais toutes choses pour l'Évangile,
afin d'y avoir part», c'est-à-dire, pour paraître y avoir contribué de moi-même
et prendre part à la couronne réservée aux fidèles. Comme il disait plus haut:
« Vivre de l'Évangile », c'est-à-dire, aux frais de ceux qui croient, ainsi
dit-il ici: « Afin d'y avoir part », c'est-à-dire, afin de partager avec ceux
qui auront cru à l'Évangile. Voyez-vous son humilité? Comment, après avoir
travaillé plus que tous les autres, il se range parmi la foule pour avoir part
à la récompense? Il est clair que sa part sera plus grande. Pourtant il ne se
juge pas digne du premier rang; il se contente de partager la couronne avec les
autres. Et s'il parle ainsi, ce n'est pas qu'il ait agi en vue d'un prix
quelconque, mais afin de les attirer et de les déterminer par ces espérances, à
tout faire pour leurs frères. Voyez-vous sa prudence? Voyez-vous l'étendue de son
zèle, comment il a fait plus que la loi n'exigeait, en ne recevant rien, quand
il lui était permis de recevoir? Voyez-vous son extrême condescendance? Comment
étant sous la loi du Christ, sous la loi suprême, il a été comme sans loi avec
ceux qui étaient sans loi; comme Juif avec les Juifs, paraissant le premier de
tous dans ces deux points et triomphant de tous? Faites-en autant, et ne croyez
pas déchoir de votre haute position quand vous vous résignez à quelque chose de
bas en faveur d'un frère; car ce n'est pas là déchoir, mais condescendre. Celui
qui tombe est à terre, et a peine à se relever; celui qui descend, remontera et
avec beaucoup de profit; comme Paul qui est descendu seul, et est remonté avec
le monde entier, non pas pour avoir agi en hypocrite, car s'il eût été
hypocrite, il n'aurait pas travaillé au bien de ceux qu'il a sauvés.
L'hypocrite cherche la ruine des autres; il se masque pour recevoir et non pour
donner. Il n'en est pas ainsi de Paul mais comme le médecin s'accommode à son
malade, le maître à son élève, le père à son fils, pour faire du bien et non
pour nuire, ainsi fait-il.
4. Pour preuve que son langage n'était point hypocrisie, et rien ne
l'obligeait à parler ou à agir avec dissimulation, mais seulement l'ex,
pression de ses dispositions et de sa confiance, entendez-le dire: « Ni vie, ni
mort, ni anges, ni principautés, ni puissances, ni choses présentes, ni choses
futures, ni hauteur, ni profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous
séparer de l'amour de Dieu, qui est dans le Christ Jésus Notre Seigneur ».
(Rom. VIII, 38, 39.) Voyez-vous cet amour plus brûlant que le feu? Aimons le
Christ ainsi; et c'est facile, si nous le voulons. Car Paul n'était pas tel par
nature. Sa première conduite, si opposée à celle-ci,.a
été rapportée pour nous apprendre que c'est là l'œuvre du libre arbitre, et que
tout est facile à ceux qui veulent. Ne désespérons donc pas. Si vous êtes
médisant, avare ou entaché de tout autre vice, songez que Paul a été
blasphémateur, persécuteur, insolent en paroles, le plus grand des pécheurs, et
que tout à coup il est monté au faîte de la vertu sans que sa conduite
antérieure y fît obstacle. Et encore, personne ne met
autant d'acharnement à se livrer au vice qu'il en mit à persécuter l'Eglise.
Car alors il sacrifiait son âme, et il s'affligeait de n'avoir pas mille mains
pour lapider Etienne. Et encore, il trouva le moyen de se servir de celles des
faux témoins, en gardant' leurs vêtements. Et quand il entrait dans les
maisons, il s'élançait comme une bête fauve, traînant et déchirant hommes et
femmes, remplissant tout de tumulte, de trouble, et de combats. Il était si
terrible que, même après son admirable conversion, les apôtres n'osaient encore
s'attacher à lui. Et néanmoins, après tout cela, il est devenu ce qu'il est
devenu; il n'est pas besoin d'en dire davantage. Où sont donc ceux qui opposent
au libre arbitre de notre volonté la nécessité du destin? Qu'ils écoutent cela
et qu'ils se taisent. Rien n'empêche de devenir bon celui qui le veut, eût-il
été d'abord des plus méchants. Et nous y sommes d'autant plus aptes, que la
vertu est dans notre nature et le vice contre notre nature, de même que la
maladie et la santé.
En effet, Dieu nous a donné des veux, non pour porter des regards impurs,
mais pour admirer ses oeuvres et adorer leur auteur. L'aspect même des objets
nous preuve que telle est la- destination de nos yeux. Nous voyons la beauté du
soleil et du ciel à travers un espace infini; personne ne verrait d'aussi loin
la beauté d'une femme. Voyez-vous que notre oeil est particulièrement destiné
au premier usage? De même, Dieu nous a donné l'ouïe, non pour entendre dés
blasphèmes, mais des enseignements salutaires. Aussi quand elle est frappée
d'un sou désagréable, l'âme et le corps même restent dans la torpeur. Il est
écrit: « La parole de celui qui a jure beaucoup, fait dresser les cheveux sur a
la tête». Si nous entendons quelque chose de dur, d'inhumain, nous frissonnons;
si, au contraire, c'est quelque chose d'harmonieux et d'humain, nous en sommes
joyeux et satisfaits. Quand notre bouche profère des paroles inconvenantes,
elle produit là honte et la rougeur; si elle dit des choses honnêtes, elle les
prononce avec calme et en pleine liberté. Or, personne ne rougit de ce qui est
conforme à la nature, mais seulement de ce qui lui est contraire. Et les mains
à leur tour se cachent quand elles volent, et cherchent une excuse; quand elles
donnent l'aumône, elles sont fières. Si donc nous le voulions, nous aurions de
toutes parts une grande inclination pour la vertu. Si vous me parlez du plaisir
que le vice procure, souvenez-vous que la vertu en procuré un plus grand. Car
avoir une bonne conscience, être admiré de tout le monde, espérer de grands
biens, c'est le plus doux de tous les plaisirs pour quiconque connaît la nature
du plaisir; de même le contraire est la plus grande douleur pour qui connaît la
nature de la douleur, comme par exemple, d'être déshonoré aux yeux de tout le
monde, de devenir son propre accusateur, de trembler et de redouter les maux
présents et à venir.
5. Pour rendre tout cela plus clair, supposons un homme marié qui séduit la
femme de son voisin, et en jouit clandestinement et injustement;
opposons-lui-en un autre qui aime sa propre femme; et pour rendre la victoire
plus grande et plus évidente, supposons que celui-ci qui ne jouit que de sa
femme, aime pourtant la femme adultère, mais contient sa passion et ne fait
rien d'illicite. En réalité, cette affection, même contenue, n'est pas exempte
de péché; mais c'est une pure hypothèse que nous faisons
pour vous faire sentir le plaisir attaché à la vertu. Rapprochons-les ensuite
et interrogeons-les pour savoir lequel mène l'existence la plus douce vous
entendrez l'un se glorifier et triompher de la victoire qu'il a remportée sur
sa passion; et l'autre.. il n'y a pas même besoin
d'attendre de lui aucune réponse: car vous le verrez, à travers ses mille
dénégations, plus malheureux que l'homme aux fers. En effet, il craint tout le
mondé, tout lui est suspect: et sa propre femme, et l'époux de l'adultère, et
l'adultère elle-même, et ses proches, et ses amis, et ses parents, et les murs,
et les ombres et lui-même; et, ce qu'il y a de plus terrible encore, sa
conscience réclame et aboie chaque jour. Et s'il songe au tribunal de Dieu, il
a peine à se tenir debout. Le plaisir est court; mais la douleur qui le suit
est perpétuelle: le soir, la nuit, dans la solitude, dans la ville, partout
l'accusateur le suit, lui montre la pointe du glaive, des tourments
insupportables, et le fait sécher de frayeur. Mais celui, au contraire, qui a
su se contenir, dégagé de tous ces maux, vit en liberté, voit sans crainte sa
femme, ses enfants, ses amis, et peut promener partout un regard assuré. Or, si
un homme qui aime et pourtant contient sa passion, jouit d'un si grand contentement;
est-il un port plus doux, une mer plus calme, que l'âme de celui qui n'éprouve
pas même cette affection et reste dans les limites d'une parfaite chasteté?
Aussi trouverez-vous peu d'adultères et un plus grand nombre de personnes
vivant dans la continence. Or, si le crime procurait plus de plaisir, c'est lui
que la foule choisirait. Ne me parlez pas de la crainte des lois; car ce n'est
pas là ce qui retient, mais l'extrême inconvenance du fait, vine somme de
douleurs excédant celle du plaisir et aussi la voix de la conscience.
Voilà l'adultère. Maintenant, si vous le voulez, faisons paraître l'avare;
mettons à nu un autre amour coupable. Nous le verrons encore partageant les
mêmes craintes et incapable de jouir d'un plaisir pur. En pensant à ses victimes,
à ceux qui en ont pitié, à l'opinion que l'on a de lui, il est comme agité par
la tempête. Et ce n'est pas encore tout: il ne peut pas même jouir de ce qu'il
aime. Si ceci vous semble une énigme, écoutez quelque chose de pire et de plus
embarrassant: non seulement les avares sont privés de la jouissance de ce
qu'ils ont, en ce qu'ils n'osent en user à leur volonté, mais encore en ce
qu'ils n'en, sont jamais rassasiés et qu'ils ont toujours soif. Qu'y a-t-il de
plus pénible? Mais il n'en est pas ainsi de l'homme juste; il est exempt de
terreur, de haine, de crainte, il n'est point tourmenté de cette soif
insatiable; comme l'avare est l'objet de l'exécration universelle, il est béni
par tous; comme l'avare n'a point d'amis, lui n'a point d'ennemis.
Cela posé (et tout le monde en convient) qu'y a-t-il de plus désagréable
que le- vice et de plus doux que la vertu? En dissions-nous mille fois
davantage, nous ne pourrions exprimer la douleur qui s'attache à l'un et le
plaisir qui résulte de l'autre, jusqu'à ce que nous en ayons fait l'épreuve.
Nous trouverons que le vice est plus amer que le fiel, quand nous aurons goûté
le miel de la vertu. Même ici-bas, il est désagréable, pénible, douloureux, et
ceux qui s'y livrent n'en disconviennent pas; mais c'est quand nous l'avons
quitté que nous sentons le mieux l'amertume de ses commandements. Rien
d'étonnant toutefois à ce que la foule coure à lui; puisque les enfants
choisissent souvent ce qu'il y a de moins doux, repoussent ce qu'il y a de plus
agréable; puisque les malades pour une jouissance d'un moment se privent d'une
satisfaction plus durable et plus sûre. C'est là l'effet de la faiblesse et de
la folié des amateurs, et non de la nature des choses. Car l'homme heureux
c'est celui qui pratique la vertu, qui est vraiment riche, vraiment libre. Et
si quelqu'un accorde tout le reste à la vertu: la liberté, la sécurité,
l'exemption des soucis, de toute crainte, de tout soupçon, et lui refuse le
plaisir, celui-là est à mes yeux souverainement ridicule. Qu'est-ce donc que le
plaisir, sinon l'exemption de la crainte, du chagrin, la parfaite indépendance?
Lequel est heureux, s'il vous plaît, de l'homme furieux, agité, tourmenté par
de nombreuses passions, toujours hors de lui-même, ou de celui qui est à l'abri
de tous les orages et se tient calme dans sa sagesse comme dans un port?
N'est-ce pas évidemment celui-ci? Or c'est là le propre de la vertu. En sorte
que le vice n'a que le nom de plaisir et non là chose; avant la jouissance,
c'est une fureur et non un plaisir; et après la jouissance, le plaisir s'éteint
aussitôt. Si donc, ni avant ni après, on n'y rencontre le plaisir, où et quand
s'y trouve-t-il? Pour éclaircir le sujet, donnons un exemple, et faites-y
attention: quelqu'un aime une femme jeune' et belle; tant qu'il ne l'a pas, il
ressemble à un furieux, à un fou; dès qu'il l'a obtenue, sa passion s'éteint.
Or si tout d'abord c'était une fureur, et non un plaisir; si ensuite l'usage du
mariage émousse l'aiguillon, où se trouvera le plaisir? Mais il n'en est pas ainsi
chez nous; dès l'abord nous sommes sans trouble, et notre satisfaction
persévère jusqu'à la fin; elle n'a point de terme. Réfléchissant à cela,
embrassons la vertu si nous aimons le plaisir, afin de jouir des biens présents
et des biens futurs. Puissions-nous tous les obtenir par la grâce et la
miséricorde de Notre Seigneur Jésus-Christ, avec qui soit au Père, en même
temps qu'au Saint Esprit, gloire, puissance; honneur, maintenant et toujours,
et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
ANALYSE.
1. Si saint Paul use de condescendance, s'il se fait tout à tous, il a ses
vues, son but à atteindre, il veut gagner des âmes; mais ceux d'entre les
Corinthiens qui vont s'asseoir à la table des idoles, qu'y peuvent-ils gagner
pour eux et pour les autres?
2. De même qu'il n'a servi de rien aux Juifs d'être comblés des bienfaits
de Dieu, ainsi les dons du Saint Esprit seront-ils inutiles aux Corinthiens
sans la pureté de la conduite et des moeurs.
3. Que l'intempérance mène à l'impudicité.
4. Que les peines futures seront éternelles.
5. Que le repentir est aussi inutile dans l'autre monde que plein
d'efficacité dans celui-ci.
6. Comparaison des avares avec ceux qui cherchent l’or dans les entrailles
de la terre.
1. Après avoir montré que la condescendance est très utile,
qu'elle est le sommet de la perfection, qu'il en a lui-même usé plus que les
autres, parce qu'il a tendu plus que tous à la perfection, et qu'il l'a même
dépassée, en ne recevant rien; après avoir spécifié les occasions favorables
pour l'une et pour l'autre, c'est-à-dire, pour la perfection et la
condescendance, il les pique plus au vif en insinuant que ce qui se fait chez
eux et qu'ils prennent pour de la perfection n'est qu'un travail vain et
superflu. Il ne s'exprime cependant pas aussi clairement, pour ne pas les
pousser à l'insolence; mais il fait ressortir sa pensée des preuves qu'il
apporte. Après avoir dit qu'ils pèchent contre le Christ, qu'ils perdent leurs
frères, que la science parfaite ne leur est d'aucun profit si la charité ne s'y
joint, il revient aux exemples vulgaires, et dit: « Ne savez-vous pas que ceux
qui courent dans la lice courent tous; mais qu'un seul remporte le prix? » Il
ne veut pas dire qu'un seul homme entre tous doive être sauvé, loin de là! mais que nous devons déployer un grand zèle. Car comme dans
la multitude de ceux qui descendent dans la lice, il n'y en a pas beaucoup qui
soient couronnés, mais un seul, et qu'il ne suffit pas d'entrer en lice, ni de
se frotter d'huile et de lutter; de même ici il ne suffit pas de croire et de
combattre d'une façon quelconque, mais si nous ne courons pas de manière à
rester irréprochables jusqu'au bout, et si nous n'atteignons pas le prix, nous
n'aurons rien fait. Si vous vous imaginez, leur dit-il, être parfaits quant à
la science, vous n'avez cependant pas encore tout; et c'est ce qu'il insinue en
disant: « Courez donc de telle sorte que vous le remportiez ». Ils ne l'avaient
donc pas encore remporté. Après avoir dit cela, il indique la manière de le
remporter: « Quiconque combat dans l'arène, s'abstient de toutes choses ».
Qu'est-ce que
cela veut dire: « De toutes « choses? » Il ne s'abstient pas d'une chose, pour
faire excès dans un autre; mais il réprime la gourmandise, l'impudicité,
l'ivrognerie, en un mot toutes les passions: Voilà, dit-il, ce qui s'observe
dans les combats extérieurs. Il n'est pas permis aux combattants de s'enivrer
au moment de la lutte, ni de commettre la fornication, de peur qu'ils
n'épuisent leurs forces, ni de se livrer à aucune
autre occupation; mais s'abstenant absolument de tout, ils s'adonnent
uniquement aux exercices gymnastiques. Or s'il en est ainsi là où un seul
obtient une couronne, à plus forte raison cela doit-il être là oit la
récompense est plus abondante. Car on n'en couronne pas rien qu'un, et les
récompenses sont bien au-dessus des travaux. Aussi les fait-il rougir en disant:
« Eux, pour recevoir une couronne corruptible; nous, une incorruptible. Pour
moi je cours aussi, mais non comme au hasard ». Après les avoir fait rougir par
des exemples pris au dehors, il se met lui-même en scène, ce qui est la
meilleure manière d'instruire. Aussi le fait-il partout. Que signifient ces
mots: « Non au hasard? » c'est-à-dire, en fixant l'œil sur un but, et non,
comme vous, inutilement et sans but. Car à quoi vous sert
d'entrer dans les temples des idoles, et de vous vanter de votre perfection?
Arien. Ce n'est pas ainsi que j'agis; mais tout ce que je fais, je le fais pour
le salut du prochain; si je fais preuve de perfection, c'est pour lui; si je
condescends, c'est pour lui encore; si je vais plus loin que Pierre en ne
recevant rien, c'est pour qu'il ne se scandalise pas; si je condescends plus
que tous les autres, jusqu'à me faire circoncire et à me raser, c'est pour ne
pas lui devenir une pierre d'achoppement. Voilà ce que veut dire: « Non au
hasard ». Mais vous, dites-moi, pourquoi mangez-vous dans les temples d'idoles?
Vous n'en pouvez donner aucun motif raisonnable. Car ce ne sont point les
aliments qui nous recommandent à Dieu: si vous mangez, vous n'avez rien de
plus; si vous ne mangez pas, vous n'avez rien de moins. Vous courez donc sans
but et sans réflexion, et c'est ce que veut dire: « Au hasard. Je combats, mais
non comme frappant l'air».
Ceci fait encore allusion à ces mots au
hasard et en vain, et veut dire: j'ai quelqu'un sur qui frapper, le diable;
mais vous, vous ne le frappez pas, vous épuisez inutilement vos forces. En
attendant il parle comme étant chargé d'eux. Après les avoir précédemment
traités avec une grande rudesse, il se modère de nouveau et réserve le grand
coup pour la fin de son discours. Ici, en effet, il leur reproche d'agir au
hasard et inconsidérément; mais plus bas il leur démontre qu'ils 'jouent leur
propre tête, et que, outre le tort qu'ils font au prochain, ils ne sont pas
innocents dans leur témérité. « Mais je châtie mon corps et le réduis en servitude,
de peur qu'après avoir prêché aux autres, je ne sois moi-même « réprouvé ». Ici
il. leur fait voir qu'ils sont esclaves de la
gourmandise, qu'ils lui lâchent la bride, et que, sous prétexte de perfection,
ils satisfont leur goût pour la table; ce qu'il avait peine à leur insinuer
plus haut, quand il disait: « Les aliments sont pour l'estomac, et « l'estomac
pour les aliments ». Car, comme la bonne chère amène la fornication et que
l'idolâtrie en est le fruit, il a raison d'attaquer souvent cette maladie. En
exposant ce qu'il a souffert pour l'Evangile, il le fait aussi entrer en ligne
de compte. Car, dit-il, comme j'ai dépassé les commandements, ce qui n'était
pas chose facile (« Nous supportons tout», a-t-il dit plus haut); de même il
m'en coûte beaucoup pour vivre dans la tempérance. Quoique la gourmandise soit
un tyran difficile à vaincre, cependant je la bride, je ne me livre point à
elle et je supporte tout pour ne pas me laisser entraîner.
2. Mais ne pensez pas que j'y réussisse sans peine. C'est une course, c'est
un combat multiple, c'est une tyrannie sans cesse renaissante et demandant sa
liberté; mais je ne la subis point; je la comprime, au contraire, et je la
dompte avec beaucoup de peine. Il dit ceci pour que personne ne se décourage de
lutter en faveur de la vertu, à cause des difficultés de la lutte; c'est ce qui
lui fait dire « Je châtie » et: « Je réduis en servitude ». Il ne dit pas: Je
tue, ni: Je punis; car la chair n'est point ennemie; mais: « Je châtie » et «
Je réduis en servitude »: ce qui est le langage d'un maître, et non d'un
ennemi; d'un précepteur, et non d'un homme qui hait; d'un instituteur, et non
d'un adversaire. « De peur qu'après avoir prêché aux autres, je ne sois
moi-même réprouvé ». Or si Paul a craint, après avoir instruit tant de monde;
s'il a craint, après avoir prêché, mené la vie d'un ange, et dominé l'univers;
que dirons-nous? Ne pensez pas, leur dit-il, qu'il vous suffise de croire pour
être sauvés. Car si la prédication, l'instruction, la conversion d'une multitude
d'hommes ne suffisent pas à me sauver, à moins que je ne me montre
irréprochable, beaucoup moins pouvez-vous l'espérer. Puis il passe à d'autres
exemples; comme il a parlé plus haut des apôtres, de l'usage commun, des
prêtres, de lui-même, il parle ici des coin. bats olympiques, puis de sa personne encore, et revient aux
histoires de l'Ancien, Testament. Mais comme son langage doit être plus sévère,
il donne son avis en général, et ne traite pas seulement de son sujet actuel,
mais de toutes les maladies dont souffrent les Corinthiens.
A propos des combats profanes, il a dit: « Ne savez-vous pas? » Mais ici il
dit: « Car je ne veux pas que vous ignoriez, mes frères ». Il leur fait
entendre par là qu'ils ne sont pas très instruits sur ce sujet. Qu'est-ce donc
que vous ne voulez pas nous laisser ignorer? « Que nos pères ont été sous la
nuée, et qu'ils ont traversé la mer; qu'ils ont été baptisés en Moïse dans la
nuée et dans la mer; qu'ils ont tous mangé la même nourriture spirituelle et bu
le même breuvage spirituel (car ils buvaient de la pierre spirituelle qui les
suivait; or cette pierre était le « Christ); cependant la plupart d'entre eux
ne «furent pas agréables à Dieu ». Et pourquoi dit-il cela? Pour prouver que
comme il n'a servi de rien aux Juifs de recevoir un si grand bienfait, ainsi il
leur sera inutile d'avoir reçu le baptême et d'avoir participé aux mystères
spirituels, s'ils ne mènent une vie digne de la grâce. C'est pourquoi il
rappelle les types du baptême et des mystères. Que veut dire: « En Moïse? »
Nous sommes baptisés dans la foi au Christ et à sa résurrection, et comme
devant participer aux mêmes mystères; (nous sommes baptisés pour les morts,
dit-il plus bas [I Cor. XV, 29], c'est-à-dire, pour nos corps); ainsi les Juifs
se fiant à Moïse, c'est-à-dire, le voyant entrer le premier dans les eaux,
osèrent aussi y entrer après lui. Mais voulant rapprocher le type de la vérité,
il ne s'exprime pas ainsi; il emploie le langage de la réalité, même en parlant
de la figure: car le passage de la mer était le symbole du baptême; et ce qui
suivit, le symbole de la Table sainte. En effet, comme vous mangez le corps du
Maître, ainsi les Juifs mangeaient la manne; et comme vous buvez le sang, ainsi
buvaient-ils l'eau de la pierre. Car quoique ces faits fussent sensibles, ils
avaient cependant un sens spirituel, non par l'effet de la nature, mais par la
grâce du don; et ils nourrissaient l'âme en même temps que le corps, en la
conduisant à la joie. Aussi ne parle-t-il point de la nourriture; là, en effet,
il n'y avait pas seulement changement dans la manière de la donner, mais encore
dans la nature: c'était de la manne; quant au breuvage, comme le mode de
production était seul extraordinaire, et avait seul besoin de preuve, c'est
pour cela qu'il dit: « Ils buvaient le même breuvage spirituel », en ajoutant:
« Or cette pierre c'était le Christ ».
Car la nature de la pierre n'était pas de donner de l'eau, autrement l'eau
aurait déjà jailli auparavant; mais il y avait une autre pierre spirituelle qui
faisait tout, c'est-à-dire, le Christ toujours présent au milieu d'eux et
auteur de tous ces prodiges. Aussi dit-il: « Qui le suivait ». Voyez-vous la
sagesse de Paul, comme il montre le Christ agissant des deux côtés et rapproche
ainsi la figure de la réalité? Celui, dit-il, qui faisait ces, dons aux Juifs
est le même qui nous a préparé cette table; celui qui les a conduits à travers
la mer Rouge, est celui qui vous a amenés par le baptême; celui qui leur
fournissait de la manne et de l'eau, vous donne son corps et son sang. Voilà ce
qui concerne ses dons; voyons maintenant la suite, et s'il les a épargnés,
quand ils se sont montrés indignes de ses dons. Vous ne sauriez le dire. Aussi
ajoute-t-il: « Cependant la plupart d'entre eux ne furent pas agréables à
Dieu», bien qu'il leur eût fait un tel honneur. Mais cela ne leur servit à rien
et la plupart d'entre eux périrent. Au fait tous périrent; mais pour ne pas
avoir l'air de prophétiser un désastre universel, il dit: « La plupart ».
Or ils formaient une grande multitude; mais le nombre ne leur servit à rien;
tous ces bienfaits étaient des signes d'amour; mais cela encore leur fut
inutile, parce qu'ils ne rendirent point amour pour amour. Comme beaucoup ne
croient point à ce qu'on dit de l'enfer, il leur prouve par les faits que Dieu
punit les pécheurs, même après les avoir comblés de bienfaits. Si vous ne
croyez point à l'avenir, leur dit-il, au moins vous ne refuserez pas de croire
au passé.
3. Considérez donc que de bienfaits Dieu leur avait accordés: il les avait
délivrés de l'Egypte et de la servitude qu'ils y subissaient, il avait ouvert
la mer, il avait fait tomber la manne du ciel, il avait fait jaillir dès
sources d'une manière étrange et incroyable: il les accompagnait partout,
faisant des prodiges et leur servant de défenseur; et pourtant, quand ils ne
surent pas répondre à tant de bonté, il ne les ménagea pas, mais il les fit
tous périr. « Car ils succombèrent dans le désert », dit-il: exprimant d'un
seul mot leur ruine universelle, les châtiments divins, et la perte pour tous
du prix proposé. Car ce ne fut pas dans la terre de promission que Dieu les
traita ainsi, mais au dehors et bien loin: leur infligeant ainsi un double
châtiment, celui de ne point voir la terre promise et celui d'être sévèrement
punis. Mais, direz-vous, qu'est-ce que cela nous fait? Cela nous regarde; aussi
l'apôtre ajoute-t-il: « Or toutes ces choses ont été « des figures de ce qui
nous regarde». Comme les dons étaient des figures, ainsi les châtiments en
étaient-ils; comme le baptême et la table sainte étaient indiqués d'avance,
ainsi les punitions qui suivirent ont-elles été écrites pour nous, à l'effet de
nous apprendre que ceux qui se rendront indignes du bienfait seront punis, et
pour nous rendre plus sages par de tels exemples. Aussi l'apôtre ajoute-t-il «
Afin que nous ne convoitions pas les choses mauvaises comme eux les
convoitèrent ». Car comme, en ce qui regarde les bienfaits, la figure a précédé
et la réalité a suivi; ainsi en sera-t-il pour les châtiments. Voyez-vous comme
il nous fait voir que non seulement les coupables seront punis, mais qu'ils le
seront plus sévèrement que les Juifs? Car si d'un côté est la figure et de
l'autre la réalité, il faut nécessairement que la punition soit beaucoup plus
grande, comme l'a été le bienfait.
Et voyez sur qui
il frappe d'abord: Sur ceux qui mangent des viandes immolées aux idoles. Après
avoir dit. « Afin que nous ne convoitions pas les choses mauvaises», ce qui
était général, il en vient à l'espèce, en, montrant que tout péché vient d'un
désir coupable., et il dit en premier lieu: « Et que
vous ne deveniez point idolâtres, comme quelques-uns d'eux, selon qu'il est
écrit: Le peuple s'est assis pour manger et boire, et s'est levé pour se
divertir ». Entendez-vous comme il les appelle idolâtres? Ici il se contente
d'affirmer; plus tard il prouvera. Il donne la raison pour laquelle on courait
à ces tables: c'était par gourmandise. C'est pourquoi après avoir dit: « Afin
que nous ne convoitions pas les choses mauvaises », en ajoutant: « Et que
vous ne deveniez point idolâtres », il indique l'origine de ce crime, à savoir
la gourmandise. « Car le peuple s'est assis pour manger et boire »; puis il
donne la fin: « Et s'est levé pour se divertir ». Comme les Juifs, dit-il,
passèrent de la bonne chère à l'idolâtrie, il est à craindre qu'il ne vous en
arrive autant. Voyez-vous comme il fait voir que ces prétendus parfaits sont
plus imparfaits que les Juifs? Et il les blesse en montrant non seulement
qu'ils ne soutiennent pas la faiblesse des faibles, mais encore en faisant voir
que ceux-ci pèchent par ignorance et eux par gourmandise; et il dit que les
forts paieront par leur punition la perte des faibles, et il ne leur permet
point de se décharger de leur responsabilité, mais les déclare coupables de
leur propre perte et de celle des autres. « Ne commettons point la fornication
comme quelques-uns d'entre eux la commirent ».
Pourquoi mentionne-t-il encore la fornication, après en avoir déjà tant
parlé? C'est l'usage de Paul, quand il accuse de beaucoup de péchés, de les
disposer par ordre et de les suivre en détail; puis, à propos des derniers, de
revenir aux premiers; comme Dieu luimême dans
l'Ancien Testament, reprochait le veau d'or aux Juifs à l'occasion de toutes
leurs fautes et en ramenait sans cesse le souvenir. Ainsi Paul fait ici: il
rappelle la fornication, pour montrer qu'elle était aussi l'effet de la bonne
chère et de la gourmandise. C'est pourquoi il ajoute: « Ne commettons pas la
fornication comme quelques-uns d'entre eux la commirent, et il en tomba
vingt-trois mille en un seul jour ». Et pourquoi ne parle-t-il pas de la
punition de l'idolâtrie? On parce qu'elle était claire et connue; ou parce
qu'elle ne fut pas aussi grande alors que du temps de Balaam,
quand les Juifs furent initiés aux mystères de Béelphégor
et que les femmes madianites se montrèrent sur le
champ de bataille pour les provoquer à la débauche, selon le conseil de Balaam. Que ce mauvais conseil provînt de Balaam, Moïse nous l'apprend quand il dit à la fin du livre
des Nombres: « Dans la guerre contre Madian, ils tuèrent Balaam
fils de Béor parmi les blessés. Et Moïse se fâcha et
dit: Pourquoi avez vous pris les femmes vivantes? Ce sont elles qui sont
devenues une pierre d'achoppement pour les enfants d'Israël selon le conseil de
Balaam, de sorte qu'ils firent défection et
méprisèrent la parole du Seigneur à cause de Phégor
». (Nomb. XXXI, 44-16.) «Ne tentons point le Christ
comme quelques-uns d'entre eux le tentèrent, et ils périrent par les serpents
».
4. Par ceci il fait allusion à un autre grief dont il parle encore à la fin,
les accusant de disputer sur les signes, et de murmurer à l'occasion des
épreuves en disant: Quand viendront les biens? Quand viendront les récompenses?
Et c'est pour les en corriger et les effrayer qu'il dit: « Ne murmurez point
comme quelques-uns d'entre eux murmurèrent, et ils périrent par l'exterminateur
». Car on ne nous demande pas seulement de souffrir pour le Christ, mais de
supporter les événements avec courage et avec grande joie. C'est là toute la
couronne; en dehors de cela, ceux qui auront souffert à contre-coeur
seront punis. Voilà pourquoi les apôtres se réjouissaient d'avoir été battus de
verges, et Paul se glorifiait dans les afflictions. « Or toutes ces choses leur
arrivaient en figure; et elles ont été écrites pour nous être un avertissement,
à nous pour qui est venue la fin des temps ».
Il les épouvante encore en parlant de la fin, et les prépare à attendre un
avenir plus terrible que le passé. De tout ce qui a été exposé, dit-il, il est
clair que nous serons punis. Cela est évident même pour ceux qui ne croient pas
à l'enfer; et que la punition sera plus grave, cela résulte de ce que nous
avons reçu plus de bienfaits et de ce que ces châtiments n'étaient que des
figures. Si les dons sont plus grands, nécessairement les punitions le seront
aussi. Voilà pourquoi il appelle les anciennes punitions des figures et dit
qu'elles ont été écrites pour nous; puis il rappelle le souvenir de la fin,
pour éveiller la pensée de la consommation. Car les châtiments alors ne seront
plus comme ceux-là qui avaient une fin et disparaissaient; mais ils seront
éternels. Comme les peines de cette vie passent avec la vie même, ainsi celles
de l'autre monde ne finiront jamais. Quand il parle de « la fin des temps », il
veut simplement dire que, le terrible jugement est proche. « Que celui donc qui
croit être ferme prenne garde de tomber ». Ici il abat encore l'orgueil de ceux
qui s'enflaient de leur science. Si ceux qui avaient reçu de tels bienfaits ont
été ainsi punis, si d'autres l'ont été pour avoir simplement murmuré, d'autres
pour avoir offert des tentations, et parce que le peuple ne craignait plus Dieu,
bien qu'il eût été si favorisé; à bien plus forte raison nous en arrivera-t-il
autant, si nous ne veillons sur nous. Il a donc raison de dire: « Que celui qui
se croit ferme ». Car avoir confiance en soi, ce n'est pas être ferme comme on
doit l'être; avec cela, on tombe vite; les Juifs n'auraient pas subi un tel
sort, s'ils avaient été humbles, et non orgueilleux et pleins de confiance. Il
est donc clair que la source de ces maux sont d'abord la présomption, puis la
négligence et la gourmandise.
Si donc vous êtes ferme, prenez garde de tomber. Car être ferme ici-bas ce
n'est pas l'être solidement, tant que nous ne serons pas débarrassés des orages
de cette vie et que nous n'aurons pas abordé au port: Ne soyez donc pas trop
fier d'être ferme, mais prenez garde à la chute. Si Paul, le plus ferme des
hommes, a craint, à bien plus forte raison devons-nous craindre nous-mêmes.
L'apôtre disait: « Que celui qui croit être ferme prenne garde de tomber »; et
nous, nous ne pouvons pas même dire cela, puisque presque tous sont déjà
tombés, abattus, étendus à terre. Car à qui parlerai-je? Est-ce à celui qui
vole tous les jours? Mais il a fait une lourde chute. Est-ce au fornicateur?
Mais il est couché sur le sol. Est-ce à l'ivrogne? Mais lui aussi est à bas, et
il ne s'en aperçoit pas même. En sorte que ce n'est pas le temps de tenir ce
langage, mais bien plutôt celui que le prophète adressait aux Juifs, quand il
leur disait: « Est-ce que celui qui tombe ne se relève pas? » (Ps. XI.) Car
tous sont à terre, et ne veulent pas se relever. Nos exhortations ne tendent
donc plus à empocher de tomber, mais à donner à ceux qui sont tombés la force
de se relever. Relevons-nous donc, enfin, mes bien-aimés, quoiqu'il soit. bien tard, relevons-nous et tenons-nous debout solidement.
Jusqu'à quand resterons-nous couchés? Jusqu'à quand resterons-nous ivres,
appesantis par la convoitise des biens temporels? C'est bien le cas de dire
maintenant: A qui parlerai-je? Qui prendrai-je pour témoin? Tous sont si bien
devenus sourds à l'enseignement de la vérité! Et ils se sont par là attiré tant de maux! Si on pouvait voir les âmes à nu, on
aurait dans l'Eglise le spectacle que présente un champ de bataille après le
combat: des morts et des blessés.
C'est pourquoi je vous en prie et vous en conjure: tendons-nous la main les
uns aux autres et relevons-nous. Car moi aussi je suis du nombre des blessés et
de ceux qui ont besoin de la main qui applique les remèdes. Cependant ne
désespérez pas pour cela; si les blessures sont graves, elles ne sont pas
incurables. Notre médecin est si puissant! sondons
seulement nos plaies; et fussions-nous tombés au plus profond du vice, il nous
ouvrira bien des voies de salut. D'abord, si vous pardonnez au prochain, vos
péchés vous seront remis. « Si vous remettez aux hommes leurs offenses », nous
dit Jésus-Christ, « votre Père céleste vous remettra aussi les vôtres ». (Matth. VI, 14.) Si vous faites l'aumône, il vous pardonnera
vos 'péchés: « Rachetez », est-il écrit, « vos iniquités au moyen de l'aumône
». (Dan. IV, 24.) Si vous priez avec ferveur, vous serez encore pardonné, comme
nous le voyons par l'exemple de la veuve qui fléchit, à force d'instances, un
juge inhumain. Si vous accusez vos péchés, vous recevrez de la consolation: «
Accusez d'abord vos fautes, afin que vous soyez justifié ». (Isaïe XLIII, 26.)
Si vous en êtes triste, ce sera encore un remède très efficace; car il est
écrit: « J'ai vu qu'il était affligé, qu'il s'en allait triste, et j'ai corrigé
ses voies ». (Isaïe LVII, 17,18.) Si vous supportez l'adversité avec patience,
vous serez quitte de tout. C'est ce qu'Abraham dit au mauvais riche: « Lazare a
reçu les maux et maintenant il est consolé ». (Luc, XVI, 25.) Si vous avez
pitié de la veuve, vous vous laverez de vos péchés; car il est écrit:
« Rendez justice à l'orphelin, faites droit à la veuve et venez discuter
avec moi: quand vos péchés seraient rouges comme l'écarlate, je les rendrai
blancs comme la neige; fussent-ils de la couleur du safran, je les rendrai
blancs comme la laine ». (Isaïe I, 17, 18.) Dieu ne laisse pas même paraître la
cicatrice.
5. Quand nous serions réduits aux dernières extrémités comme celui qui
avait dissipé son patrimoine et qui vivait de glands, pourvu que noua fassions
pénitence, nous serons certainement sauvés; dussions-nous dix mille talents,
pourvu que nous demandions grâce et que nous oubliions les injures, tout nous
sera remis; fussions-nous égarés comme la brebis qui s'est écartée du bercail,
il saura nous ramener, pourvu que nous le voulions, mes bien-aimés: car Dieu
est bon. Aussi s'est-il contenté de voir à ses genoux celui qui lui devait dix
mille talents; de voir le prodigue revenir, et la brebis égarée consentir à
être rapportée. Considérant donc l'étendue de sa bonté, rendons-le-nous propice;
prosternons-nous devant sa face en faisant l'aveu de nos fautes, de peur qu'au
sortir de ce monde, nous trouvant sans excuse, nous ne soyons livrés au dernier
supplice. Si nous montrons de la diligence pendant cette vie, une diligence
quelconque, nous en retirerons un très grand profit; mais si nous nous en
allons sans nous être améliorés, l'amer repentir que nous éprouverons dans l'autre
vie ne nous servira de rien. C'était dans l'arène qu'il fallait combattre, et
non après la lutte finie, se livrer à des lamentations et à des larmes
inutiles, à l'exemple de ce mauvais riche qui pleurait et gémissait, mais en
pure perte, parce qu'il avait négligé de le faire à temps. Et il n'est pas le
seul; il y a encore aujourd'hui beaucoup de riches de ce genre, qui ne veulent
pas mépriser les richesses, mais qui négligent leur âme; ils sont pour moi un
sujet d'étonnement, quand je les vois solliciter continuellement la miséricorde
divine et cependant persévérer dans des dispositions qui les rendent
incurables, et traiter leur âme comme une ennemie.
Ne nous faisons point d'illusion, mes bien-aimés, ne nous faisons point
d'illusion, et ne nous trompons pas nous-mêmes au point de demander à Dieu
d'avoir pitié de nous, pendant que nous préférons à cette pitié l'argent, la
volupté, tout en un mot. Si quelqu'un vous constituait juge, et disait que
celui qu'il accuse, méritant mille fois la mort et pouvant se racheter au moyen
d'un léger sacrifice d'argent, aime cependant mieux mourir que de faire ce
sacrifice, vous ne jugeriez certainement pas l'accusé digne d'indulgence ni de
pardon. Appliquez-vous ce raisonnement: voilà ce que nous faisons réellement,
quand nous négligeons notre salut et ménageons notre argent, Comment
pouvez-vous prier Dieu de vous épargner, quand vous ne vous épargnez pas vous. même, et préférez l'argent à votre âme? Aussi je me sens
frappé d'un extrême étonnement quand je considère combien il y a de prestige
dans l'argent, ou plutôt de déception dans les âmes qui s'y attachent. Il y en
a pourtant, oui, il y en a qui rient de bon cœur de
cette séduction. Qu'y a-t-il donc là de propre à nous fasciner? n'est-ce pas de la matière, une matière inanimée, éphémère?
Sa possession n'est-elle pas incertaine? n'est-elle
pas pleine de craintes et de périls? Une occasion de meurtres et d'embûches?
Une source d'inimitié et de haine? de paresse et de
vices nombreux? N'est-ce pas de la terre et de la cendre? Quelle folie que
celle-là! quelle maladie! Mais, dirat-on,
il ne s'agit pas seulement d'accuser ces malades, mais de les guérir de leur
passion. Et comment les guérir, sinon en leur montrant que cette passion est
ignoble et qu'elle entraîne des maux incalculables?
Mais il n'est pas aisé de convaincre un homme attaché à ces puérilités. —
Il faut donc lui présenter une autre beauté. — Mais étant encore malade, il ne
voit pas la beauté incorporelle. — Offrons-lui-en donc une corporelle et
disons-lui: Voyez les prairies et les fleurs qui les émaillent, plus éclatantes
que l'or, plus gracieuses et plus brillantes que toutes les pierres précieuses;
voyez les ruisseaux limpides, les fleuves sortant de terre sans bruit, comme de
l'huile; montez au ciel et voyez la beauté du soleil, le modeste éclat de la
lune, les fleurs des étoiles. — Qu'est-ce que cela? direz-vous.
Nous n'en usons pas comme de l'argent. — Nous en usons bien plus que de
l'argent, puisque le besoin en est plus grand et la jouissance plus sûre. Car
vous n'avez pas peur qu'on vous les enlève comme l'argent; vous pouvez compter
dessus, et cela- sans souci, sans inquiétude. Que si vous vous affligez d'en
jouir avec d'autres, de ne pas les posséder seul comme l'argent: alors ce n'est
plus l'argent que vous aimez, ce me semble, mais l'avarice seule; vous
n'aimeriez pas même l'argent, si tout le monde en avait. Puisque nous avons
découvert l'objet de votre passion, c'est-à-dire, l'avarice, venez que je vous
montre combien elle vous hait et vous déteste, que de glaives elle aiguise
contre vous, combien de gouffres elle creuse sous vos pieds, combien de pièges
elle vous tend, combien de précipices elle vous ouvre, afin que vous étouffiez
votre affection pour elle. Et d'où saurons-nous tout cela? Des chemins, des
guerres, de la mer, des tribunaux. En effet, elle emplit la mer de sang, elle
rougit souvent le glaive des juges, elle arme elle-même ceux qui tendent jour
et nuit des embûches sur les routes, elle porte à méconnaître les lois de la
nature, elle fait les parricides, elle a introduit tous les maux dans le monde.
6. Aussi Paul l'appelle-t-il la racine de tous les maux. Elle réduit des
amants à une condition qui n'est guère préférable à celle des condamnés aux
mines. En effet, comme ceux-ci travaillent continuellement enfermés dans les
ténèbres, chargés de fers et sans profit pour eux; ainsi les avares,.enfouis
dans les cavernes de l'avarice, sans que personne les y oblige, se créent à
eux-mêmes leur tourment, se chargent volontairement de chaînes que rien ne peut
briser. Encore les condamnés se reposent-ils de leurs travaux, quand vient le
soir; mais les avares creusent leurs misérables mines jour et nuit: ceux-là ont
une mesure de travail déterminée; les avares ne connaissent point de mesure, et
sont d'autant plus malheureux qu'ils creusent davantage. Et si vous me dites
que les tins travaillent par force et les autres volontairement, vous indiquez
par là même ce qu'il y a de terrible dans l'avarice, puisque,ceux
qui en souffrent ne peuvent pas s'en débarrasser, vu qu'ils l'aiment. Comme le
pourceau dans la fange, ils prennent plaisir à se vautrer dans la bourbe
infecte de la cupidité, bien plus malheureux que ces condamnés dont nous
parlions tout à l'heure. Pour vous convaincre que leur condition est pire,
écoutez ce qu'est celle des uns et des autres. On dit donc que le terrain
aurifère renferme dans ses sombres cavernes des coins et des recoins; on donne
au condamné à ces durs travaux une lampe et un hoyau; puis il entre, portant
aussi un vase qui distille l'huile goutte à goutte dans sa lampe, parce que,
comme je l'ai déjà dit, les ténèbres pour lui sont continuelles. Le moment de
prendre sa misérable nourriture vient et on dit qu'il l'ignore; mais le gardien
frappe violemment sur l'antre, et par le bruit et les éclats de sa voix,
avertit les travailleurs que la fin du jour est arrivée. Ne frissonnez-vous pas
en entendant tout cela? Voyons cependant si le sort des avares n'est pas pire
encore.
Leur passion est pour eux un gardien bien plus terrible, d'autant plus
terrible, qu'elle enchaîne leur âme en même temps que leur corps. Leurs
ténèbres sont encore plus affreuses; car elles ne sont pas sensibles, ils les
produisent eux-mêmes et les traînent partout avec eux. Pour eux, la vue de
l'âme est éteinte. Aussi le Christ les proclame-t-il malheureux entre tous, en
disant: « Si donc la lumière qui. est en toi est
ténèbres, les ténèbres elles-mêmes que seront-elles? » (Matth. VI, 23.) Les condamnés ont au moins une lampe qui
brille, les avares en sont privés; aussi tombent-ils chaque jour dans mille
gouffres. Les condamnés respirent au moins quand la nuit descend; ils goûtent
le calme commun à tous les malheureux, le calme de la nuit; mais l'avarice
ferme ce port à ses victimes: tant sont nombreux les soucis qui les accablent
pendant la nuit. Ils se tourmentent alors avec
d'autant plus de liberté que personne ne les gêne. Voilà ce qu'ils souffrent
sur la terre; mais comment peindre ce qu'ils souffriront dans l'autre monde!
Ces fournaises insupportables, ces fleuves de feu, ces grincements de dents,
ces chaînes que rien ne peut briser, ce ver empoisonné, ces ténèbres absolues,
ces maux qui n'auront point de fin? Craignons donc, mes bien-aimés, craignons
la source de tant de supplices, cette passion insatiable, la ruine de notre
salut. Car on ne peut aimer en même temps son âme et l'argent. Comprenons que
l'argent n'est que terre et poussière, qu'il nous quitte au sortir de ce monde,
souvent même avant le départ, qu'il nous nuit pour l'avenir et pour le présent.
Car, même avant l'enfer et ses supplices, il nous enrage dans mille combats, il
allume les séditions et les guerres.
Point de brouillon comme l'avarice; rien de si appauvrissant pour le riche
comme pour le pauvre. Car elle prend racine même dans l'âme des pauvres, et
rend encore plus lourde leur pauvreté. Si un pauvre est avare, ce n'est plus
par la fortune, mais par la faim qu'il est puni. Car il ne peut pas même se
résoudre à jouir librement du peu qu'il a; mais il torture son estomac par la
faim, punit son corps par la nudité et le froid, est plus sale et plus crasseux
que ceux qui sont dans les fers; il pleure et se lamente sans cesse, comme
étant le plus malheureux des hommes, quand même il y en aurait par milliers de
plus pauvres que lui. S'il paraît en public, il n'en sort que chargé de coups;
s'il entre aux bains ou au théâtre, il sera plus maltraité encore, non seulement
de la part des spectateurs, mais de la part des
acteurs, quand il
verra des prostituées toutes brillantes d'or. S'il navigue en mer, en songeant
aux marchands, aux navires chargés, à d'immenses profits, il se croira à peine
vivant; s'il voyage sur terre, en pensant aux campagnes, aux domaines voisins
des villes, aux hôtelleries, aux établissements de bains, aux revenus que tout
cela produit, il ne pourra croire que sa vie soit une véritable vie. Si vous le
renfermez chez lui, en grattant les blessures qu'il a reçues sur la place il
s'affligera encore davantage; il ne verra pas d'autre consolation dans les maux
qui l'obsèdent, que la mort, le départ de ce monde. Tel sera le sort, non seulement
du pauvre, mais aussi du riche affecté de cette maladie, et de celui-ci
d'autant plus que le joug tyrannique lui pèse davantage et que son ivresse est
plus grande. Aussi se croit-il le plus pauvre de tous et l'est-il réellement.
Car la richesse et fa pauvreté ne se mesurent pas sur ce que l'on possède, mais
sur les dispositions de l'âme; et celui-là est le plus pauvre de tous, qui
désire toujours davantage et ne peut jamais éteindre ce coupable désir. Pour
toutes ces raisons, fuyons donc l'avarice, la mère de la pauvreté, la perte de
l'âme, l'amie de l'enfer, l'ennemie du royaume des cieux, ta source de tous les
maux à la fois; et méprisons l'argent, afin de jouir de l'argent lui-même et
avec lui des biens qui nous sont promis. Puissions-nous tous les obtenir, par
la grâce et la bonté de Notre Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu'au Père
et au Saint Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et à jamais, et
dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.