Réfutations des sophistes
ARISTOTE
Traduction de Jules Barthélemy-Saint-Hilaire
Paris : Ladrange, 1866
Numérisé par Philippe Remacle http://remacle.org/
Nouvelle édition numérique
https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique 2008
ESPÈCES DIVERSES DES PARALOGISMES
CHAPITRE
I : Etat général de ce traité
CHAPITRE
II : Espèces diverses des argumentations au nombre de quatre
CHAPITRE
III : Buts divers qu'on peut se proposer dans l'argumentation éristique
CHAPITRE
V : Des paralogismes en dehors du mot : sept espèces
CHAPITRE
VII : Des causes de l'erreur : elles sont identiques à celles des
paralogismes
CHAPITRE
XI : Différences des divers arts qui concernent le raisonnement
Différence du
syllogisme et de la réfutation sophistique. - Définition du sophiste et de la
sophistique.
§ 1. Mais parlons des
réfutations sophistiques, c'est-à-dire des réfutations qui paraissent en être
de véritables, mais qui n'en sont pas réellement et ne sont que des
paralogismes. Nous commencerons naturellement par les principes.
§ 2. Il est évident que,
parmi les syllogismes, les uns en sont de véritables, et que les autres le
paraissent sans en être. Comme pour tant d'autres choses, cette confusion se
produit ici par une certaine ressemblance que peuvent présenter aussi les
discours. Ainsi, parmi le hommes, les uns ont bien réellement la santé, les
autre n'en ont que l'apparence, se gonflant eux-mêmes et se parant, comme on
gonfle et comme on pare les victimes offertes par les tribus. Les uns sont
beaux par leur propre beauté, les autres ne font que le paraître parce qu'ils
se sont bien ornés eux-mêmes. On pourrait appliquer cette observation même aux
choses inanimées ainsi, celles-ci sont véritablement de l'argent, celles-là de
l'or, d'autres ne le sont pas réellement et le paraissent à nos sens qu'elles
trompent : par exemple, le plomb et la litharge paraissent de l'argent, et les
choses dorées paraissent de l'or. De même pour le syllogisme et la réfutation :
l'une est réellement syllogisme, l'autre ne l'est pas, mais elle paraît l'être
à des yeux inexpérimentés; car les gens sans expérience ne voient les choses que
comme s'ils les regardaient à une grande distance.
§ 3. Le syllogisme est un
raisonnement où, certaines données étant posées, on tire de ces données quelque
conclusion, qui en sort nécessairement, et qui est différente de ces données.
§ 4. La réfutation, au
contraire, est un syllogisme avec contradiction de la conclusion.
§ 5. Les sophistes ne le
font pas réellement, mais ils paraissent le faire à plus d'un titre : et le
lieu le plus naturel et le plus commun de tous ceux par lesquels on produit
cette apparence est celui qui ne tient qu'aux mots. En effet, comme on ne peut
discuter en apportant les choses mêmes, et qu'il faut se servir des mots comme
représentation, au lieu des choses qu'ils remplacent, nous croyons que ce qui
arrive aux mots arrive également aux choses, comme on conclut des cailloux au
compte que l'on veut faire. Or ici, la ressemblance n'est pas tout à fait
complète; car les mots sont limités ainsi que le nombre des définitions, mais
les choses sont innombrables. Il est donc nécessaire qu'une même définition et
qu'un seul nom signifient plusieurs choses. De même donc que ceux qui ne savent
pas bien se servir des cailloux sont dupés par ceux qui le savent, de même,
pour les discours: ceux qui ne connaissent pas la puissance des mots font de
faux raisonnements, soit en discutant eux-mêmes, soit en écoutant les autres.
Cette cause donc, et celles qui seront dites plus tard, font qu'il y a le
syllogisme apparent et la réfutation qui paraît en être une, mais qui,
cependant, n'est pas véritablement une réfutation.
§ 6. Comme il y a certaines
gens qui s'occupent plus de paraître sages que de l'être réellement sans le
paraître; car la sophistique n'est pas autre chose qu'une sagesse apparente et
qui n'est point réelle, et le sophiste ne cherche qu'à tirer un lucre d'une
sagesse apparente qui n'a rien de vrai, il est clair que ces gens-là cherchent
plutôt à sembler faire œuvre de sagesse qu'à le faire réellement sans le
paraître. Du reste, et pour comparer les choses une à une, c'est l'œuvre en chaque
chose de celui qui sait, d'abord de ne pas se tromper lui-même dans ce qu'il
sait, et ensuite de pouvoir démasquer celui qui trompe; et ces deux mérites
consistent, l'un à pouvoir donner la raison des choses, et l'autre à
l'apprécier quand un autre la donne. Il y a donc nécessité que ceux qui veulent
jouer le rôle de sophistes cherchent des discours du genre que nous venons de
dire; car c'est là ce qu'il leur faut, puisque c'est ce talent qui les fera
paraître sages, et c'est précisément là ce qu'ils désirent et se proposent.
§ 7. Qu'il y ait un tel
genre de discours, et que ceux que nous appelons sophistes recherchent ce
talent, c'est ce qui est évident.
§ 1. Combien il y a d'espèces d'argumentations
sophistiques, quel est le nombre de celles par lesquelles on peut former ce
talent, et combien il y a de parties dans cette étude, c'est ce que nous allons
dire, en y ajoutant tout ce qui peut en outre compléter cet art.
§ 2. Il y a quatre genres de raisonnements possibles dans
la discussion : l'instructif, le dialectique, l'exercitif et le contentieux.
L'instructif part des principes propres de chaque science, et non pas des
opinions particulières de celui qui répond; car il faut que le disciple croie à
ce qu'on lui dit. Le dialectique est celui qui conclut syllogistiquement la
contradiction, en partant de principes probables. L'exercitif part de principes
posés par celui qui répond, et que doit nécessairement connaître celui qui se
donne pour posséder la science : quelle est ici la méthode à suivre, c'est ce
qu'on a dit ailleurs. Enfin le raisonnement contentieux procède de principes
qui paraissent probables et qui ne le sont pas: il est syllogistique ou paraît
l'être.
§ 3. On a déjà parlé dans les Analytiques du genre
instructif et démonstratif, et ailleurs, du dialectique et de I'exercitif : il
faut parler ici des arguments de contention et de dispute.
§ 1. II faut se rendre compte, d'abord, de ce que se
proposent ceux qui aiment ainsi à lutter de paroles dans des discussions.
§ 2. II y a cinq choses qu'ils peuvent avoir en vue : la
réfutation, l'erreur, le paradoxe, le solécisme, et, en cinquième lieu, de
faire bavarder celui qui discute avec eux : j'entends par bavarder, lui faire
répéter vainement plusieurs fois la même chose. D'ailleurs, ils peuvent poursuivre
ce qui n'est pas, mais paraît être pour chacune de ces choses.
§ 3. De ces cinq objets, celui qu'ils préfèrent, c'est de
paraître réfuter leur antagoniste ; en second lieu, c'est de montrer qu'ils
fait quelque erreur; troisièmement, de le pousser au paradoxe; quatrièmement,
de le forcer à commettre un solécisme, c'est-à-dire de contraindre par leur
raisonnement celui qui répond, à parler comme un véritable barbare; enfin, en
cinquième lieu, de lui faire redire plusieurs fois les mêmes choses.
§ 1. Il y a deux manières de réfuter : l'une s'adresse au
mot, l'autre est en dehors du mot.
§ 2. Les causes qui font illusion relativement aux mots,
sont au nombre de six : c'est l'homonymie, l'amphibologie, la combinaison, la
division, la prosodie et la forme même du mot. On peut démontrer par la méthode
d'induction et par le syllogisme, ou telle autre méthode, que l'on peut
exprimer une chose qui n'est pas la même, d'autant de façons qu'on vient de
dire, par les mêmes mots et les mêmes paroles.
§ 3. Pour l'homonymie, il y a des raisonnements du genre de
celui-ci : Ceux qui savent, apprennent; car les grammairiens apprennent les
choses qu'ils font réciter de mémoire. C'est qu'apprendre est un homonyme, et
signifie également faire comprendre en se servant de la science et acquérir la
science. On prouve encore que les maux sont des biens; car ce qui doit être est
un bien, et les maux doivent être. C'est que, devoir être a un double sens, et
signifie, d'une part, le nécessaire, ce qui se présente souvent même pour les
maux; car il y a tel mal qui est nécessaire; et, d'autre part, nous disons que
les biens sont aussi ce qui doit être. Autre homonymie : on prouve que le même
individu est assis et debout, qu'il est malade et bien portant; car celui qui
s'est levé, est debout, et celui qui s'est guéri est bien portant. Or, c'était
un individu assis qui se levait, un malade qui se guérissait; car cette
expression, que le malade fait ou souffre une chose quelconque, n'a pas une
signification unique, mais tantôt elle veut dire que, telle personne est assise
ou malade maintenant, et tantôt il s'agit d'une personne qui l'était
auparavant. Oui, sans doute, le malade se portait bien même en étant malade,
mais il ne se porte pas bien étant malade; c'est le malade qui se porte bien,
mais ce n'est pas le malade qui l'est maintenant, c'est celui qui l'était
auparavant.
§ 4. Quant à l'amphibologie, en voici un exemple: Vous
voulez ma prise des ennemis: Quelqu'un qui connait connaît-il cela? Car on peut
entendre par cette expression, et désigner ainsi comme connaissant, et celui
qui connaît, et la chose qui est connue? Est-ce que ce que celui-ci voit, voit
cela? Il voit la colonne, de sorte que c'est la colonne qui voit. Et encore, ce
que tu dis être est-ce que tu le dis être? Et tu dis que c'est une pierre, tu
dis donc que tu es une pierre? Enfin, est-ce que celui qui se tait parle? Car
cette expression, celui qui qui se tait parle, a deux sens; d'abord, que celui
qui parle se tait, et que ce sont les choses mêmes qui se taisent.
§ 5. II y a trois espèces dans l'homonymie et dans
l'amphibologie; l'une, quand l'expression ou le mot a proprement plusieurs
sens, comme aigle, chien; l'autre qui procède de l'usage où nous sommes
d'employer ces mots; la troisième, enfin, quand le mot en combinaison a
plusieurs sens, mais qu'il n'en a qu'un absolument quand il est isolé. Par
exemple, savoir les lettres; car chacun de ces mots pris à part ne signifient
qu'une seule chose: savoir, et les lettres ; mais tous deux réunis ont
plusieurs sens; d'abord, que ce sont les lettres elles-mêmes qui ont la
science, ou que c'est un autre qui a la science des lettres.
L'homonymie et l'amphibologie ont donc ces diverses
espèces.
§ 6. Voici celles de la combinaison : par exemple, que
celui qui est assis peut marcher, et que celui qui n'écrit pas peut écrire; car
le sens n'est pas le même, si l'on prétend ainsi, en séparant les idées, ou en
les réunissant, qu'il est possible que l'individu assis, marche, et que celui
qui n'écrit pas, écrive. Et de même, si l'on réunit ces deux idées que celui
qui n'écrit pas écrit; car cela signifie alors que celui qui n'écrit pas écrit;
et si l'on ne réunit pas les idées, cela veut dire qu'il a la faculté d'écrire
même lorsqu'il n'écrit pas. Et il apprend maintenant la grammaire, puisqu'il
apprenait ce qu'il sait. Et de même encore que celui qui ne peut porter qu'une
seule chose peut cependant en porter plusieurs.
§ 7. Pour la division, c'est, par exemple, que cinq sont
deux et trois, et qu'ainsi ils sont pairs et impairs: et que le plus grand est
égal; car il est d'abord autant, et, en outre, il a du plus. En effet, la même
expression combinée ou divisée ne signifie plus la même chose. Ainsi : Je t'ai
fait libre d'esclave, et le divin Achille laissa cinquante hommes de cent.
§ 8. Dans la prosodie, il n'est pas facile de se tromper
quand on ne fait que discuter en paroles sans écrire, mais c'est bien plutôt
dans les choses écrites et dans les poésies. Par exemple, il y a des gens qui
défendent Homère contre ceux qui lui font un crime d'avoir dit: II n'est pas
atteint par sa pluie. On défend cette expression par une règle de prosodie, en
disant que le mot en discussion doit être marqué d'un accent aigu: et dans le
songe d'Agamemnon, que ce n'est pas Jupiter lui-même qui dit : Nous lui accordons
d'obtenir sa prière, mais qu'il ordonne au songe de la lui accorder. Voilà donc
des observations relatives à la prosodie.
§ 9. Quant aux arguments tirés de la forme du mot, ils ont
lieu quand ce qui n'est pas la même chose est exprimé de la même façon : par
exemple, le masculin pris au féminin, ou le féminin au masculin : ou bien
lorsque le neutre est pris pour l'un ou pour l'autre: ou bien la qualité pour
la quantité; ou à l'inverse, la quantité pour la qualité, ou l'action pour la
souffrance, ou l'action pour la disposition. Et ainsi du reste, contre les
divisions faites précédemment; car il est possible d'exprimer par le mot ,
comme étant de la catégorie de l'action, ce qui n'est pas de la catégorie de
l'action : ainsi, se bien porter, est, pour la simple forme du mot, tout à fait
la même chose que couper et construire; et, cependant, l'un exprime que l'on a
certaine qualité, certaine disposition, et l'autre, que l'on fait certaine
chose. Et de même pour tout le reste.
§ 10. Les arguments tirés des mots sont donc de ces
différentes espèces.
§ 1. II y a sept espèces de paralogismes en dehors du mot;
l'une tirée de l'accident, l'autre de ce que le terme qui devrait être pris
absolument ne l'est pas absolument, mais est pris avec une restriction de lieu,
ou de telle autre relation : la troisième est relative à l'ignorance de la
réfutation, la quatrième à la conséquence, la cinquième à la pétition de
principe; la sixième vient de ce qu'on a donné pour cause, ce qui ne l'est pas;
la septième enfin, c'est de réunir plusieurs questions en une seule.
§ 2. Les paralogismes relatifs à l'accident ont lieu, quand
on croit qu'une chose quelconque est aussi bien à l'accident qu'à la chose
même. En effet, de ce que plusieurs choses peuvent être comme accidents à une
même chose, il n'est pas nécessaire que tous ces accidents soient à tous les
attributs de la chose et au sujet qui a ces attributs; car de cette façon
toutes choses seront identiques, ainsi que le prétendent les sophistes. Par
exemple, si Coriscus est autre chose que homme, il sera autre que lui-même; car
il est homme: ou s'il est autre que Socrate, et que Socrate soit homme, les
sophistes soutiennent qu'on accorde par là qu'il est autre chose que homme,
attendu que l'être relativement auquel on a dit qu'il était autre, a pour
accident d'être homme.
§ 3. Les paralogismes qui tiennent à ce qu'une chose qui
devrait être dite absolument est prise avec restriction, et non proprement, ont
lieu, quand on prend ce qui est dit au particulier comme absolu ; ainsi, par
exemple, au lieu de dire que le non être est concevable on dit que le non être
est; car ce n'est pas du tout chose identique d'être telle chose ou d'être
absolument. Ou encore si l'on dit que l'être n'est pas réellement, parce qu'il
n'est pas l'une des choses qui sont, et par exemple qu'il n'est pas homme : car
ce n'est pas une expression identique de n'être pas quelque chose, et de n'être
pas absolument. L'erreur vient de la ressemblance de l'expression, et il semble
qu'il n'y a pas grande différence entre être telle chose et être, et entre ne
pas tire telle chose et ne pas être. On confond de même et la restriction et le
sens absolu; par exemple, si l'Indien étant tout à fait noir il est cependant
blanc par les dents, il est tout à la fois blanc et non blanc; ou bien s'il est
les deux, en quelque façon à la fois, il faut donc que les contraires
coexistent en lui. Tout le monde peut aisément voir dans certains cas des
paralogismes de ce genre; par exemple, si supposant que l'Ethiopien est noir,
on demande s'il est blanc par les dents. Si donc il est blanc de cette façon,
on pourra croire avoir prouvé par syllogisme qu'il est noir et non noir tout à
la fois, quand on aura terminé son interrogation. Mais cette erreur reste
souvent cachée: et c'est dans tous les cas où lorsqu'on dit la chose avec une
restriction, le sens absolu semblerait devoir suivre, et dans tous ceux où il
n'est pas facile de voir lequel des deux sens on doit prendre au propre. Et
cela se présente toutes les fois que les opposés sont également au sujet. Il
paraît, en effet, ou que les deux en même temps, ou que ni l'un ni l'autre, ne
doivent être attribués absolument : par exemple, si une moitié est blanche et
l'autre moitié noire, on demande si la chose est blanche ou noire?
§ 4. D'autres paralogismes ont lieu parce qu'on n'a pas
défini ce que c'est que le syllogisme ou la réfutation, et ils tiennent à
l'oubli de la définition, la réfutation est la contradiction d'une seule et
même chose, non pas d'un mot, mais d'une chose réelle : et si c'est un mot, non
pas d'un mot synonyme, mais du même mot, restant le même nécessairement d'après
les données initiales, sans compter le principe, et restant le même
relativement au même rapport pour la même chose de la même manière et dans le
même temps. Et de même quand on se trompe sur quelque point. Parfois en
laissant de côté une partie des conditions qu'on vient d'indiquer, on paraît
réfuter : et l'on dit, par exemple, qu'une même chose est double et n'est pas
double; car deux sont le double de un, mais ne sont pas le double de trois. Et
si la même chose est le double, et n'est pas le double d'une même chose, c'est
que ce n'est pas sous le même rapport ; car elle est le double en longueur et
ne l'est pas en largeur. Ou bien, si elle est le double de la même chose sous
le même rapport et la même façon, ce ne sera pas en même temps. Aussi n'est-ce
une réfutation qu'en apparence. Du reste, on pourrait ramener ce paralogisme à
ceux qui sont relatifs aux mots.
§ 5. Ceux qui ont lieu par pétition de principe se font de
la même manière, et d'autant de façons, qu'on peut faire pétition de principe;
ils semblent réfuter, parce qu'on ne peut voir nettement le même et l'autre.
§ 6. La réfutation relative à la conséquence a lieu parce
qu'on suppose que la consécution est réciproque. Ainsi, lorsque telle chose
étant, telle autre est de toute nécessité, on pense en outre que cette dernière
étant, l'autre sera nécessairement aussi. C'est de là que se forment encore
même des erreurs de sensation dans la pensée : car souvent on a pris de la bile
pour du miel, parce que la couleur jaunâtre est un conséquent du miel. Et comme
il arrive quand il pleut que la terre devient glissante, si elle est glissante
on suppose qu'il a plu : mais il n'y a rien là de nécessaire.
§ 7. Dans la rhétorique, les démonstrations tirées d'un
signe viennent aussi des conséquents. Si l'on veut prouver que tel homme est
débauché, on prend la conséquence, laquelle est qu'il se pare beaucoup , et
qu'on le voit errer la nuit. Or ces circonstances se présentent pour bien des
gens, mais l'attribut ne leur appartient pas.
§ 8. Et de même dans les discussions par syllogismes : par
exemple, le mot de Mélissus qui soutient que l'univers est infini parce qu'il
suppose que l'univers est incréé; car rien ne se fait de rien, mais ce qui est
a été dès le commencement. Si donc l'univers n'a pas été créé, l'univers n'a
pas de commencement, il est donc infini. Mais il n'y a pas de nécessité à cela;
car, de ce que tout ce qui a été créé a un commencement, il ne s'ensuit pas que
si quelque chose a un commencement il ait été créé, pas plus que si celui qui a
la fièvre a chaud, il n'y a pas nécessité que celui qui a chaud ait la fièvre.
§ 9. Ceux qui tiennent à ce qu'on prend pour cause ce qui
ne l'est pas ont lieu, lorsqu'on prend ce qui n'est pas cause comme si la
réfutation en venait. C'est ce qui se présente dans les syllogismes par
réduction à l'absurde; car dans ces syllogismes, il faut nécessairement
détruire quelqu'une des données initiales. Si donc on a compté dans les
propositions nécessaires, avant la conclusion, la proposition absurde, la
réfutation semblera tenir à cette proposition même. Et par exemple, quand on
soutient que l'âme et la vie ne sont pas la même chose. En effet, si la
génération est contraire à la destruction, telle génération sera contraire à
telle destruction, mais la mort est une sorte de destruction, et elle est
contraire à la vie : ainsi la vie est génération, et vivre c'est être engendré.
Or, ceci est absurde; donc l'âme et la vie ne sont pas identiques. Ici l'on n'a
pas fait certainement de syllogisme ; car la conséquence absurde se produit
sans même avancer que l'âme et la vie sont la même chose; mais il suffit de
soutenir que la vie est contraire à la mort, qui est une destruction, et que la
génération est contraire à la destruction. Ces raisonnements ne sont pas tout à
fait incapables de conclure, mais ils ne concluent pas pour l'objet en question
: et ce vice échappe souvent à ceux-là même qui posent les questions.
§ 10. Tels sont donc les paralogismes relatifs à la
conséquence et à ce qui n'est pas cause.
§ 11. Ceux qui consistent à ne faire de deux questions
qu'une seule, ont lieu quand on ne sait pas qu'il y a plusieurs choses, et
qu'on donne une seule réponse, comme s'il n'y avait, en effet, qu'une chose en
question. Parfois, il est facile de voir qu'il y a plusieurs choses, et qu'il
ne faut pas donner de réponse unique. Par exemple, la terre est-elle mer ou
ciel? Parfois cela est moins facile, et l'on répond comme s'il n'y avait qu'une
seule chose, et alors on se trouve réfuté; ou bien l'on accorde le sujet en
discussion en ne répondant pas à ce qu'on demande, et alors on paraît être
réfuté. Par exemple, on demande si un tel et un tel est homme? et on conclut
que si l'on frappe tel et tel, on frappera un homme et non pas des hommes. Ou
encore Si l'on demande, de choses dont les unes sont bonnes et dont les autres
ne le sont pas, toutes ensemble sont-elles bonnes ou ne le sont-elles pas ?
Quoi qu'on dise, on risque de prêter à une réfutation, ou de paraître faire du
moins une erreur apparente; car il y a une égale erreur à dire que, parmi des
choses qui ne sont pas bonnes, telle chose est bonne, et que, parmi des choses
qui sont bonnes, telle chose ne l'est pas. Parfois aussi, en ajoutant certaines
données, c'est une véritable réfutation qu'on se prépare. Ainsi, par exemple,
si on suppose que une ou plusieurs choses sont également dites blanches, et
nues, et aveugles: car si un être est aveugle, qui n'a pas la vue quand il est
fait naturellement pour l'avoir, les choses qui n'ont pas la vue, quand elles
sont faites par la nature pour l'avoir, seront aussi aveugles. Si donc, l'une a
la vue et que l'autre ne l'ait pas, les deux ensemble seront ou aveugles ou
voyantes, ce qui est impossible.
- Résumé.
§ 1. C'est donc ainsi qu'il
faut diviser les syllogismes apparents et les réfutations apparentes : ou l'on
peut encore les ramener à l'ignorance de la réfutation, et partir de ce
principe. En effet, on peut très bien rapporter toutes les nuances indiquées à
la définition de la réfutation.
§ 2. D'abord, on le peut, si
ces paralogismes ne sont pas concluants; car il faut que la conclusion sorte
des données, de telle sorte qu'on la tire nécessairement, et que ce ne soit pas
une simple apparence.
§ 3. Ensuite, on le peut
même en ne s'attachant qu'aux parties de la définition. Ainsi, des paralogismes
relatifs au mot, les uns viennent d'un double sens: par exemple, l'homonymie,
l'amphibologie et la similitude de forme. On admet habituellement que tous ces
paralogismes signifient quelque chose d'analogue. Quant à la combinaison, la
division et la prosodie, elles forment des paralogismes parce que le sens n'est
pas le même, ou que le mot est différent. Or, il faudrait que le mot fût
identique, comme il faudrait que la chose le fût, pour qu'il y eût syllogisme
ou réfutation. Par exemple, s'il s'agit de vêtement, il faut conclure non pas
manteau, mais vêtement; car manteau peut être très vrai, mais on ne l'a pas mis
dans le syllogisme. Il faut donc encore se faire accorder, par une nouvelle
interrogation, que ce mot signifie la même chose que l'autre, si
l'interlocuteur demande pourquoi on l'emploie.
§ 4. Les paralogismes
relatifs à l'accident sont de toute évidence, quand on définit le syllogisme.
Ainsi, il faut que la définition de la réfutation soit la même, si ce n'est
qu'on y ajoute la contradiction ; car la réfutation n'est que le syllogisme de
la contradiction. Si donc il n'y a pas de syllogisme de l'accident, il n'y a
pas non plus de réfutation. En effet, si telles choses étant, il y a nécessité
que telle autre chose soit, il ne s'ensuit pas que telle chose étant blanche il
y ait nécessité que, par syllogisme, telle autre chose soit blanche. Il n'y a
pu plus nécessité que le triangle ayant ses angles égaux à deux droits, et
ayant pour accident d'être une figure, soit comme primitif, soit comme
principe, la figure primitif ou principe, ait cette propriété du triangle. La
démonstration de cette propriété se fait du triangle. non pas en tant qu'il est
figure ou primitif, mais en tans que triangle. Et de même pour tous les autres
cas. Ainsi donc, si la réfutation est une sorte de syllogisme, il n'y aura pas
de réfutation venant de l'accident. Mais pour, tant c'est sur ce point-là que
les artistes et les habiles, en général, sont réfutés par les ignorants; car
ils font des syllogismes de l'accident contre ceux qui savent; mais ceux qui ne
peuvent diviser la question, ou accordent ce qu'on leur demande, ou, sans
l'avoir accordé, paraissent pourtant l'avoir concédé.
§ 5. Les réfutations par
expression restrictive et absolue, ont lieu parce que la négation et
l'affirmation ne s'appliquent pas à la même chose; car de ce qui est blanc en
partie, la négation est ce qui n'est pas blanc en partie; de ce qui est blanc
absolument, la négation est ce qui n'est pas blanc absolument. Si donc,
lorsqu'on accorde que la chose est blanche en partie, l'adversaire suppose
qu'elle l'est absolument, il ne fait pas une réfutation véritable; mais s'il
paraît en faire une, c'est seulement parce qu'on ignore ce que c'est que la
réfutation.
§ 6. Les plus évidents de
tous les paralogismes sont ceux dont on a parlé d'abord, et qui sont relatifs à
la définition de la réfutation. Voici pourquoi on les a nommés ainsi : c'est
que cette apparence de réfutation se produit par l'absence même de la
définition. Mais, en divisant les paralogismes, ainsi que nous l'avons fait, on
peut dire qu'un vice commun à tous, c'est le défaut de définition.
§ 7. Ceux qui viennent de
pétition de principe, et de ce qu'on prend pour cause ce qui ne l'est pas,
ceux-là sont évidents par la définition même de la réfutation; car il faut que
la conclusion ait lieu parce que telles propositions sont vraies, ce qui ne
peut se faire avec des termes qui ne sont pas causes, et de plus en tenant
compte du principe, ce que ne font pas les paralogisme par pétition de
principe.
§ 8. Ceux qui ont lieu par
consécution ne sont qu'une partie de ceux qui sont relatifs à l'accident; car
le conséquent n'est qu'un accident. Mais il diffère de l'accident en ce que
l'accident ne s'applique qu'à une seule chose par exemple, le blond et le miel
sont la même chose, ainsi que le blanc et le cygne; mais le conséquent est
toujours dans plusieurs choses. En effet, pour les choses qui sont identiques à
une seule et même chose, nous admettons qu'elles sont identiques entre elles,
et voilà comment a lieu la réfutation par consécution. Mais ce n'est pas
absolument vrai, et par exemple, ceci est faux si une chose n'est blanche que
par accident. Ainsi la neige le cygne sont identiques sous le rapport de la
blancheur. Ou encore, c'est comme dans la définition de Mélissus qui suppose
que naître et avoir un commencement c'est la même chose. Ou bien, c'est
supposer qu'il y a identité entre devenir égal et prendre la même grandeur. En
effet Mélissus pense que ce qui est né a un commencement et que ce qui a un
commencement doit être né, comme si le créé et le fini étaient tous deux
identiques, en ce qu'ils ont tous deux un commencement. Et de même pour les
choses qui deviennent égales, si l'on suppose que les choses qui prennent une
seule et même grandeur deviennent égales, et que les choses devenues égales
reçoivent aussi une même grandeur. Ainsi Mélissus prend ici le conséquent pour
le sujet même. Puis donc que la réfutation de l'accident vient de l'ignorance
de la réfutation, il est évident qu'il en est de même du paralogisme par
consécution. On peut encore examiner ceci d'une autre manière.
§ 9. Les réfutations qui se
font parce qu'on réunit plusieurs questions en une seule, ont lieu parce qu'on
ne démembre pas, et qu'on ne divise pas la définition de la proposition. La
proposition est une seule chose dite pour une seule chose; car la même
définition ne va qu'à une seule chose et absolument à cette seule chose: par
exemple, la définition de l'homme ne va qu'à l'homme seul : et de même pour les
autres cas. Si donc une proposition une et seule est celle qui ne prononce
qu'une chose d'une seule chose, une interrogation de ce genre sera absolument
aussi une proposition. Or, les syllogisme se composant de propositions, et la
réfutation étant un syllogisme, la réfutation aussi se composera de
propositions. Si donc la proposition n'énonce qu'une chose d'une seule chose,
il est évident que le syllogisme rentre aussi dans l'ignorance de la
réfutation. En effet, c'est alors une proposition qui paraît être proposition
sans l'être réellement. Si donc l'on donne la réponse comme pour une seule
demande, il y aura réfutation; si on ne l'a pas donnée, mais qu'on paraisse
l'avoir donnée, ce ne sera qu'une réfutation apparente.
§ 10. En résumé donc, toutes
ces nuances reviennent à l'ignorance de la réfutation, les unes relatives au
mot parce qu'il y a contradiction apparente, ce qui était le propre de la
réfutation, les autres parce qu'elles se rapportent à la définition du
syllogisme.
§ 1. L'erreur provient, dans les paralogismes relatifs à
l'homonymie et à la définition, de ce qu'on ne peut distinguer les sens divers
dans lesquels la chose est prise. C'est qu'il y a certaines choses qu'il n'est
pas aisé de diviser, comme l'un, l'être, l'identique.
§ 2. Et pour les paralogismes relatifs à la combinaison et
à la division, c'est parce qu'on croit qu'il n'y a pas de différence entre
l'expression combinée et l'expression divisée, comme dans la plupart des cas.
§ 3. Et de même pour ceux qui se rapportent à la prosodie;
car l'intonation affaiblie ou tendue ne paraît point signifier une chose
différente dans aucun cas, ou du moins elle ne paraît pas le signifier dans
beaucoup de cas.
§ 4. Pour ceux qui sont relatifs à la forme du mot, c'est
par la ressemblance qu'ils se produisent. En effet, il est difficile de bien
déterminer quels sont les mots qui se disent de la même manière et ceux qui se
disent autrement. Mais celui qui peut faire cette distinction est bien près de
voir la vérité, et surtout il sait l'accorder. C'est qu'en effet nous supposons
que tout attribut d'une chose est quelque chose, et que nous l'identifions avec
elle : et c'est ainsi que l'individuel et l'être nous paraissent être nécessairement
la conséquence de l'un et de la substance.
§ 5. Ainsi donc, parmi les réfutations relatives au mot, il
faut placer cette espèce d'abord, parce que l'erreur a bien plus souvent lieu ,
quand on discute avec les autres que quand on discute avec soi-même; car
l'examen avec un autre se fait par des discours, tandis que l'examen à part soi
se fait au moins autant par la chose même. II arrive, du reste, que l'on se
trompe dans cet examen personnel, même quand on fait porter son étude sur le
raisonnement. L'erreur vient encore ici de la ressemblance; et la ressemblance
tient au mot.
§ 6. Quant aux paralogismes de l'accident, ils ont lieu
parce qu'on ne peut distinguer le même et l'autre, l'unité et la pluralité, et
que les accidents ne sont pas toujours identiques, et pour les attributs
qualifiés et pour la chose même.
§ 7. Et de même pour ceux qui sont relatifs à la
consécution; car le conséquent est une partie de l'accident. Dans la plupart
des cas, il paraît, et l'on croit, que si ceci n'est pas séparé de cela, l'une
des choses ne peut pas être séparée de l'autre.
§ 8. Pour ceux qui sont relatifs au défaut de définition,
et pour ceux qui ne tiennent qu'à une expression restrictive ou absolue,
l'erreur est presque insaisissable; car nous accordons la proposition
universelle, comme si telle qualité, telle restriction, telle expression
absolue, telle indication de manière ou de temps, n'ajoutaient rien à la
proposition initiale.
§ 9. Et de même pour ceux qui font pétition de principe, ou
prennent pour cause ce qui n'est pas cause, et tous ceux qui confondent
plusieurs questions en une seule. Dans tous, en effet, l'erreur a lieu, parce
qu'elle vient peu à peu; car nous ne définissons exactement, ni la proposition
ni le syllogisme, par le motif que nous avons dit antérieurement.
§ 1 . Puisque nous savons tous les cas où se produisent les
syllogismes apparents, nous savons aussi ceux où se produisent les syllogismes
sophistiques et les réfutations sophistiques. J'appelle syllogisme sophistique
et réfutation sophistique, non seulement le syllogisme ou la réfutation qui
semblent l'être sans l'être réellement, mais, encore, celui qui l'étant
vraiment, paraît faussement spécial à la chose en question. Tels sont ceux qui
ne réfutent pas relativement à la chose même et qui ne démontrent pas qu'on
l'ignore; ce qui est le but même de l'art exercitif. Mais cet art est une
partie de la dialectique. Elle peut, elle aussi, conclure le faux par
l'ignorance de celui qui donne la réponse. Quant aux réfutations sophistiques,
même quand elles concluent la contradiction, elles ne montrent pas évidemment
l'ignorance de l'adversaire; car tout ce qu'elles prétendent, c'est
d'embarrasser par ces raisonnements celui qui sait.
§ 3. Il est clair que nous les avons aussi par la même
méthode; car toutes les fois qu'il paraît aux auditeurs que la conclusion
résulte des questions posées, toutes les fois aussi cela duit paraître
également, même à celui qui répond, de sorte que les syllogismes seront faux
par ces questions mêmes, soit toutes, soit quelques-unes. En effet, ce qu'on
pense avoir accordé sans avoir été interrogé, on l'accorderait également si
l'on était interrogé; si ce n'est que dans certains cas, il arrive qu'en
demandant ce qui manque pour la conclusion, on dévoile en même temps l'erreur,
comme dans les paralogismes relatifs aux mots et au solécisme. Si donc les
paralogismes de la contradiction ne tiennent qu'à la réfutation apparente, il
est évident qu'il y aura également syllogisme du faux dans tous les cas où il y
aura réfutation apparente.
§ 4. Mais la réfutation apparente se produit par l'omission
des parties de la véritable; car, chaque partie venant à manquer, la réfutation
n'est plus qu'apparente : comme celle qui tient à ce que la conclusion ne sort
pas des données initiales, celle qui procède par réduction à l'absurde, ou
celle qui des deux questions n'en fait qu'une seule et pèche contre la
proposition: et celle qui vient de ce que l'argument, au lieu de porter sur la
même chose, ne porte que sur l'accident, et la réfutation qui n'est qu'une
partie de celle-là, et s'adresse au conséquent. Puis il y a encore la
réfutation qui consiste à montrer que l'argument vaut non pour la chose, mais
pour les mots seuls. Puis il y aurait aussi la réfutation qui résulte de ce
que, au lieu de l'universel, on a pris la contradiction, et pour le même objet
et sous le même rapport, et de la même façon particulièrement, ou pour chacune
de ces nuances. Reste, enfin, la réfutation relative à la pétition de principe,
quand ou tient compte de ce qui a été posé dans le principe. Ainsi donc, nous
savons tous les cas où se produisent les paralogismes, car ils ne peuvent se
produire de plus de manières; tous ils ont lieu dans les cas qui ont été
indiqués.
§ 5. La réfutation sophistique n'est point absolument une
réfutation, c'est une réfutation seulement pour tel interlocuteur. Il en est de
même du syllogisme sophistique. En effet, si la réfutation par homonymie ne
pose pas que le mot n'a qu'un seul sens, si la réfutation par ressemblance des
mots ne pose pas qu'elle ne s'attache qu'à tel mot seulement, et si toutes les
autres ne font pas des réserves pareilles, elles ne sont plus des syllogismes,
ni absolument parlant, ni même relativement à l'interlocuteur. Si elles font
ces réserves, ce sont des syllogismes bons pour l'interlocuteur: mais,
absolument parlant, elles n'en sont pas; car elles prennent, non pas une
expression qui n'ait qu'un sens, mais une expression qui parait seulement
n'avoir qu'un sens, et qui ne peut être ainsi comprise que de l'interlocuteur.
§ 1. Pour savoir de combien de manières la réfutation vraie
peut avoir lieu, il ne faudrait pas moins que posséder la connaissance totale
de toutes choses. Mais il n'y a pas d'art qui puisse jamais enseigner rien de
pareil. En effet, les sciences sont peut-être infinies en nombre, de sorte
qu'il est évident que les démonstrations le sont également. Mais il y a des
réfutations aussi qui sont vraies; car tout ce qu'on peut démontrer, on peut
aussi le réfuter en posant la contradiction du vrai : par exemple, si l'on a
supposé que le diamètre est commensurable, on réfutera en démontrant qu'il est
incommensurable. Pour connaître toutes les réfutations, il faudrait donc tout
savoir; car les unes seront relatives aux principes de géométrie et aux conclusions
qu'on en tire, les autres aux principes de médecine, et les autres aux
principes des autres sciences.
§ 2. D'un autre côté, les réfutations fausses ne seront pas
moins infinies: en effet, dans chaque art il y a le faux syllogisme; en
géométrie, le géométrique; en médecine, le médical. Quand je dis dans chaque
art, j'entends toujours que le syllogisme s'adresse aux principes de cet art.
§ 3. Il est donc clair qu'il ne faut pas vouloir rassembler
les lieux de toutes les réfutations sans exception, mais qu'il faut se borner à
celles de la dialectique; car ces lieux-là s'étendent à tout art, à tout
exercice de l'esprit.
§ 4. Quant à la réfutation spéciale dans chaque science,
c'est au savant de la connaître, de distinguer, quand elle n'est pas réelle,
qu'elle est simplement apparente: et, quand elle est vraie, pourquoi elle
l'est. Quant à celle qui se tire de principes communs, et qui n'appartient
spécialement à aucun art, c'est au dialecticien seul de l'étudier.
§ 5. En effet, si nous savions d'où se tirent les
syllogismes probables sur un sujet quelconque, nous saurions aussi d'où se
tirent les réfutations; car la réfutation n'est que le syllogisme de la
contradiction, de sorte que, soit un, soit deux syllogismes de contradiction
forment une réfutation: et nous savons déjà tous les lieux d'où viennent les
réfutations de ce genre.
§ 6. Une fois arrivée à ce point, nous aurions aussi des
solutions; car les objections à ces réfutations sont des solutions.
§ 7. Nous savons tous les cas où ont lieu celles aussi qui
ne sont qu'apparentes; apparentes, non pas même pour tout le monde, mais pour
telles personnes particulièrement. Mais ou pourrait trouver, si l'on y
regardait de près, qu'il y a une infinité de faces où elles sembleraient
apparentes au vulgaire.
§ 8. En résumé, on voit donc clairement qu'il appartient au
dialecticien de pouvoir connaître tous les cas, où se produit par des principes
communs, ou la réfutation réelle, ou la réfutation simplement apparente, ou la
réfutation dialectique, ou la réfutation qui parait dialectique, ou enfin la
réfutation qui n'a pour objet que d'essayer les forces de l'adversaire.
§ 1. Il n'y a pas cette différence entre les raisonnements
que l'on prétend parfois y trouver, raisonnements de mots et raisonnements de
pensée. Il est absurde de croire que les raisonnements de mots soient autres
que les raisonnements de pensée, et que les uns et les autres ne soient pas les
mêmes.
§ 9. Qu'est-ce, en effet, que raisonner contre la pensée,
si ce n'est se servir du mot qu'a accordé l'interlocuteur, dans un sens où il
n'a pas cru être interrogé? Mais cela même aussi se rapporte au mot. Rester
dans la pensée, c'est comprendre la chose dans le sens où l'interlocuteur l'a
donnée. Mais si, lorsque le mot a plusieurs sens, on s'imagine qu'il n'en a
qu'un seul, aussi bien celui qui interroge que celui qui est interrogé: par
exemple, l'autre, l'un, ont plusieurs sens; mais si Zénon qui interroge et son
interlocuteur ont supposé dans l'interrogation qu'il n'y avait qu'un sens
unique, et que l'on trouve à cette conclusion que tout est un ; si, dis-je
quelqu'un agit ainsi, il aura discuté non pas seulement la fin mais aussi la
pensée pour l'objet en question. Que, si l'on supposait au contraire que le mot
a plusieurs sens, il est clair que ce n'est pas à la pensée que l'argument
s'adresse.
§ 3. En effet, c'est dans les raisonnements qui ont
plusieurs sens qu'il faut d'abord chercher cette distinction du mot et de la
pensée.
§ 4. Puis ensuite, il faut voir à qui ils s'adressent; car
ce n'est pas tant dans l'expression que consiste le raisonnement relatif à la
pensée; que dans la disposition particulière où se trouve l'interlocuteur,
relativement aux principes accordés.
§ 5. Il se peut de plus que tous ces raisonnements de
pensée s'adressent aussi au mot, puisqu'ici ne s'adresser qu'au mot, c'est ne
point s'adresser à la pensée. En effet, s'ils ne s'y rapportaient pas tous, il
y en aurait alors quelques uns qui seraient tout autres et qui ne seraient ni
de mot ni de pensée. Mais on prétend que tous les raisonnements sont ainsi, et
on les divise tous en raisonnements de mot et raisonnements de pensée, n'en
voulant pas reconnaître d'autres. Pourtant, parmi tous les syllogismes qui
tiennent aux sens divers des mots, il y en a quelques uns qui ne sont pas
relatifs au mot. En effet, c'est à tort qu'on prétend appeler tous les
paralogismes d'expression paralogismes de mots. Mais il y a sûrement certains
paralogismes qui ont lieu, non pas parce que celui qui répond est à l'égard de
la question disposé de telle façon, mais parce que l'argumentation elle-même
renferme une question qui peut présenter plusieurs significations.
§ 6. Il est aussi tout à fait absurde de discuter sur la
réfutation sans avoir préalablement discuté sur le syllogisme; car la
réfutation n'est qu'un syllogisme, de sorte qu'il faut avoir discuté sur le
syllogisme avant de passer à la fausse réfutation. En effet, cette réfutation
n'est que le syllogisme apparent de la contradiction. Ainsi, la cause de
l'erreur est ou dans le syllogisme ou dans la contradiction ; car il faut
ajouter aussi la contradiction, et tantôt elle est dans les deux, si c'est une
réfutation apparente. Ainsi, clans le cas de ce paralogisme que celui qui se
tait parle, l'erreur est dans la contradiction et non dans le syllogisme. Dans
cet autre que l'on peut donner ce que l'on n'a point, l'erreur est dans les
deux. Dans cet autre enfin, que la poésie d'Homère est une figure parce qu'elle
est un cycle, l'erreur est dans le syllogisme. Mais là où l'erreur n'est ni de
l'un ni de l'autre côté, le syllogisme est vrai.
§ 7. Mais pour revenir au point d'où la discussion est
partie, y a-t-il dans les mathématiques des raisonnements qui s'adressent ou ne
s'adressent pas à la pensée? Et s'il paraît à quelqu'un que triangle a plusieurs
sens, et si on l'a concédé, sans que ce soit d'ailleurs pour cette figure de
laquelle on conclut qu'il a ses angles égaux à deux droits, le raisonnement
ainsi obtenu répond-il, ou non, à la pensée de l'interlocuteur?
§ 8. Si le mot a plusieurs sens, et qu'on ne le sache pas,
ou qu'on n'y pense pas, comment le raisonnement peut-il ne pas répondre à la
pensée? Ou bien comment faut-il poser l'interrogation, si ce n'est de demander
de nouveau, après avoir obtenu la division, s'il est possible que celui qui se
tait parle, ou si ce n'est pas possible; ou bien si c'est en partie impossible
et en partie possible? Si l'interlocuteur ne fait aucune concession et que l'on
continue de discuter, doit-on dire pour cela qu'on n'a point argumenté contre
sa pensée? Et cependant le raisonnement, dans ce cas, parait un simple
raisonnement de mots. Il n'y a donc pas un genre particulier de raisonnements
relativement à la pensée.
§ 9. Il y eu a quelques uns qui ne sont relatifs qu'aux
mots; mais l'on ne saurait mettre dans cette classe, je ne dis pas seulement
toutes les réfutations, mais encore toutes les réfutations apparentes; car il y
a aussi des réfutations apparentes qui ne sont pas relatives à l'expression:
par exemple, celles qui sont relatives à l'accident, et bien d'autres.
§ 10. Mais si l'on prétend diviser ainsi : Quand je dis que
celui qui se tait parle..., la chose est en partie de cette façon, est en
partie d'une autre. La première observation à faire tout d'abord c'est qu'il
est absurde de penser ainsi ; car quelquefois la chose mise en questions ne
paraît pas avoir plusieurs façons d'être, et il est impossible de diviser ce
qu'on ne pense pas comme multiple. De plus, que sera-ce qu'expliciter la chose,
si ce n'est faire connaître évidemment ce qu'elle est à l'interlocuteur qui n'a
point recherché, qui ne sait si elle peut être autrement, et qui ne le suppose
même pas? Et qui empêche même de faire cela pour les choses qui ne sont pas
doubles? Les unités sont-elles donc, égales aux dyades dans le nombre quatre?
Or, les dyades sont, celles-ci de cette façon, celles-là d'une autre. Y a-t-il
ou n'y a-t-il pas une notion unique des contraires? Mais parmi les contraires
les uns sont connus, les autres inconnus. Ainsi donc, on paraît ignorer quand
on pense cela, qu'enseigner est tout autre chose que discuter, et qu'il faut
que celui qui enseigne n'interroge pas, mais éclaircisse lui-même les choses,
tandis que l'autre doit interroger.
Rôle de la démonstration ; rôle de la
dialectique ; caractère de la sophistique et du raisonnement contentieux.
§ 1. Ce n'est pas quand on démontre qu'il faut demander à
l'interlocuteur d'affirmer on de nier des propositions; c'est seulement quand
on veut essayer les forces de l'adversaire. En effet, l'art exercitif est une
sorte de dialectique; et il examine et observe en tout sens, non pas celui qui
sait, mais celui qui ignore et qui feint de savoir.
§ 2. Celui donc qui, dans une chose, ne regarde que les
principes communs, celui-là est dialecticien, et celui qui ne le fait qu'en
apparence est un sophiste.
§ 3. Le syllogisme contentieux et sophistique est celui qui
n'a que l'apparence d'un syllogisme, dans les matières où la dialectique fait
ses essais ordinaires, bien que la conclusion soit vraie; car ce syllogisme
nous laisse dans l'erreur sur la cause véritable de la conclusion. On peut
encore ranger dans cette classe tous les paralogismes qui, sans être conformes
à la méthode vraie de chaque chose, paraissent être établis suivant toutes les
règles de l'art. C'est qu'en effet les descriptions fausses des choses ne sont
pas susceptibles de dispute; car les paralogismes alors se rapportent à des
choses qui sont du domaine de la science. Et il n'y a pas lieu davantage à
discussion éristique, si la description fausse se rapporte à quelque chose de
vrai, comme celle d'Hippocrate et la quadrature par les lunules. Mais un
procédé tout éristique, c'est la méthode par laquelle Bryson carrait le cercle,
si toutefois le cercle peut être carré; mais ce n'est point parce que ce
procédé n'était pas propre à la chose qu'il était sophistique. Ainsi donc, le
syllogisme apparent, dans les choses de ce genre, est un raisonnement
contentieux; et le syllogisme apparent, tout relatif qu'il est à la chose en
question, et tout syllogisme qu'il est, est aussi un raisonnement contentieux.
En effet, il ne fait que paraître s'appliquer à la chose; mais au fond il est
trompeur et injuste. C'est que, de même que l'injustice peut se produire aussi
dans un combat, et qu'il y a telle sorte de lutte qui est tout à fait injuste,
de même, dans la discussion, la contradiction perpétuelle est une injustice
contentieuse dans le combat. D'une part, les lutteurs qui veulent vaincre à
tout prix emploient tons les moyens pour y parvenir; d'autre part, les
disputeurs en font autant.
§ 4. Ceux donc qui , pour le seul plaisir de la victoire,
se montrent ainsi, sont des hommes passionnés de la dispute et de la lutte
contentieuse. Mais ceux qui ne pensent qu'à cette réputation qui mène à la
fortune, sont des sophistes; car la sophistique est, comme nous l'avons dit,
une sorte de spéculation d'argent, établie sur une sagesse apparente; et voilà
pourquoi ils ne recherchent aussi qu'une démonstration apparente. Les gens
passionnés de disputes et les sophistes cultivent les mêmes argumentations;
mais ce n'est pas dans le même but.
Le même discours peut être sophistique et éristique tout à
la fois; mais ce ne sera pas pour la même chose. En tant qu'il recherche une
victoire apparente, il est éristique; en tant qu'il vise à une sagesse
apparente, il est sophistique; car la sophistique n'est qu'une sorte (le
sagesse apparente et non réelle.
§ 5. L'éristique est au dialecticien à peu près ce que le
faux dessinateur est au géomètre; car c'est en partant des mêmes principes que
la dialectique, que l'un fait ses paralogismes- Et c'est bien dans ce rapport
que le faux dessinateur est à l'égard du géomètre; seulement, ce dernier n'est
pas éristique par cela qu'il dessine mal, c'est en partant des principes et des
conclusions acquises à la science. Mais celui qui se range sous la dialectique
sera évidemment éristique en une foule d'autres choses. Prenons, par exemple, la
quadrature : celle qui se fait par les lunules n'est pas éristique; mais celle
de Bryson a ce caractère. C'est que l'une ne peut être rapportée qu'à la
géométrie, parce qu'elle part de principes qui lui sont propres; l'autre ne
s'adresse qu'au vulgaire, qui ne sait pas ce qu'il y a de possible et
d'impossible dans chaque chose, et qui s'accommode fort bien de cette
démonstration. On ne peut pas non plus traiter d'éristique la solution de la
quadrature d'Antiphon. Ou bien, si quelqu'un nie, en s'appuyant sur l'opinion
de Zénon, qu'il soit bon de se promener après dîner, ce raisonnement n'est pas
médical : il est commun. Si donc, l'éristique était absolument au dialecticien
comme le faux dessinateur est au géomètre, il ne serait pas éristique dans tous
ces cas.
§ 6. Mais le dialecticien n'est pas borné à une espèce
déterminée de choses : il ne démontre rien, et il n'est point du tout comme le
philosophe, qui s'occupe de l'universel ; car toutes choses ne sont pas dans un
même genre, et, y fussent-elles, il ne serait pas possible que tous les êtres
fussent sous les mêmes principes.
§ 7. Ainsi donc aucune science, parmi celles qui démontrent
une certaine nature de choses, n'emploie l'interrogation. En effet, il n'est
pas possible ici de donner indifféremment une quelconque des parties; car le
syllogisme ne se forme pas également avec les deux. La dialectique, au
contraire, procède par interrogation; mais si elle démontrait, non pas tout,
mais du moins les éléments premiers et les principes spéciaux, elle n'interrogerait
pas, parce qu'en effet, si on ne lui accorde rien, il n'y a plus aucun moyen
pour elle de discuter contre l'objection qui lui est faite-
§ 8. Tel est aussi l'art exercitif. En effet, l'exercitif
n'est pas comme la géométrie : mais on peut le posséder sans même posséder la
science; car il est possible que même celui qui ne sait pas une chose, essaie
sur cette chose celui qui ne la sait pas. II suffit que l'interlocuteur accorde
des propositions, non pas d'après ce qu'il sait, non pas d'après les principes
propres de la chose, mais d'après ses conséquences naturelles, qu'on peut fort
bien savoir sans que pour cela on connaisse du tout la science, et qu'on ne
peut ignorer sans ignorer aussi la science. Évidemment, donc, l'art exercitif
n'est la science d'aucun objet déterminé, et voilà pourquoi il s'applique à
tout; car toutes les sciences ont à leur usage quelques principes communs.
§ 9. Voilà pourquoi aussi tous, les hommes, même peu
éclairés, se servent en quelque façon de la dialectique et de l'exercitive; car
tous, jusqu'à un certain point, cherchent à juger ceux qui leur parlent. Et ce
sont là des dispositions communes à tous; car les interlocuteurs ne le savent
pas moins, même lorsqu'ils paraissent s'égarer fort loin du sujet. Ainsi, tout
le monde fait des réfutations; mais on fait sans art ce que fait la dialectique
avec beaucoup d'art; et celui qui essaie les forces de son adversaire avec
l'art syllogistique est dialecticien. Comme ces règles sont nombreuses et
s'appliquent à tout, sans être telles cependant qu'elles forment une espèce et
un genre particuliers, mais qu'elles sont comme les négations, tandis que
d'autres ne sont pas du tout ainsi, mais sont spéciales, on peut essayer
d'établir une méthode pour tout cela, et en tirer un art qui, d'ailleurs, ne
sera point du tout pareil aux sciences de démonstration.
§ 10. C'est là ce qui fait que l'éristique n'est pas de
tout point comme le faux dessinateur; car il ne fait pas de paralogismes pour
un genre spécial de principes; mais l'éristique s'occupe de tous les genres
sans distinction.
§ 11. Telles sont donc les diverses sortes de réfutations
sophistiques. Il n'est pas difficile de voir que c'est au dialecticien de les
étudier, et de pouvoir les former; car la méthode des propositions comprend
aussi toute cette étude. Voilà ce qu'on avait à dire sur les réfutations
apparentes.
§ 1. Quant à prouver que l'interlocuteur se trompe, et à le
mener à soutenir l'improbable, et c'était là le second objet de la sophistique,
ce résultat s'obtient surtout en posant ses demandes d'une certaine manière, et
en dirigeant l'interrogation suivant certaine méthode. Ainsi, c'est le
rechercher, que d'interroger sur un sujet quelconque sans avoir rien déterminé
à l'avance. En effet, en parlant au hasard, on se trompe bien davantage; et
l'on parle au hasard quand le sujet n'est pas bien spécifié.
§ 2. Mais demander plusieurs choses confusément, bien qu'on
ait déterminé avec soin le sujet en question, et laisser l'interlocuteur dire
ce que bon lui semble, ce sont des moyens qui donnent quelque facilité de le
conduire à soutenir l'improbable ou le faux; et, soit qu'il réponde à rune des
questions par affirmation ou par négation, de l'amener sur un sujet où l'on
aura des arguments en nombre. Ce sont, du reste, des procédés dont il est
aujourd'hui moins aisé d'abuser qu'il ne l'était auparavant; parce que les
interlocuteurs savent fort bien demander quel rapport tout ceci peut avoir avec
le principe.
§ 3. L'un des moyens d'arriver à obtenir de l'adversaire
quelque assertion fausse ou improbable, c'est de ne soutenir tout d'abord
aucune thèse; mais de prétendre qu'on n'interroge que par simple désir de
savoir; car l'examen donne alors aisément place à l'attaque.
§ 4. Le lieu spécialement sophistique pour montrer que
l'adversaire se trompe, c'est de conduire le raisonnement sur un sujet où l'on
abonde en arguments. On pourra, du reste, user bien ou mal de ce lieu, ainsi
qu'on l'a dit précédemment-
§ 5. D'autre part, pour avancer des paradoxes, il faut voir
de quel genre de philosophes est l'interlocuteur, et ensuite lui demander un
paradoxe que les philosophes de cette opinion soutiennent contre le vulgaire;
car il y a toujours dans chaque école quelque chose de pareil; et le moyen ici,
c'est de formuler les opinions spéciales de chacune d'elles dans des
propositions.
§ 6. La solution la plus convenable à opposer à ces
difficultés, c'est de faire voir que l'improbable ne vient pas du raisonnement
même; car c'est là ce que veut toujours prouver celui qui vous combat.
§ 7. On peut encore en appeler aux intentions et aux
opinions manifestées; car on ne pense pas et on ne dit pas toujours la même
chose : mais l'on soutient souvent les choses les plus honorables, et l'on ne
veut au fond que ce qui paraît utile. Ainsi l'on prétend hautement qu'il vaut
mieux mourir avec gloire que de vivre avec plaisir; qu'il vaut mieux être
pauvre avec honneur qu'être riche avec honte; et cependant, au fond, on veut
tout le contraire. Celui qui ne parle que d'après ses intentions, il faut
l'amener à exprimer ses opinions avec évidence : et celui qui les exprime, il
faut l'amener à produire ses opinions cachées. De ces deux façons, il est
nécessaire qu'on le pousse à des paradoxes; car il dira le contraire, soit dans
ses opinions évidentes, soit dans ses opinions cachées.
§ 8. Le lieu le plus ordinaire pour faire dire des
paradoxes, est celui qui est attribué à Calliclès dans le Gorgias, et que tous
les anciens ont cru pouvoir employer- On le tire de la nature et de la loi; car
on prétend que la nature et la loi sont contraires, et que la justice est belle
selon la loi, mais qu'elle ne l'est pas selon la nature. Il faut donc à celui
qui parle suivant la nature, lui répondre suivant la loi, et ramener à la
nature celui qui parle suivant la loi; car de ces deux façons, ou arrive à des
paradoxes. Ainsi, pour eux, ce qui est selon la nature est le vrai, et c'est ce
qui est selon la loi qui le paraît au vulgaire. On voit donc