TRAITÉ DE LA JEUNESSE ET DE LA VIEILLESSE
DE LA VIE ET DE LA MORT
ARISTOTE
Traduction de Jules Barthélemy-Saint-Hilaire Paris : Ladrange, 1866
Nouvelle édition numérique https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique 2008
Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin
Plan
du traité par Jules Barthélemy-Saint-Hilaire
CHAPITRE I : Complément des
théories du Traité de l'âme
CHAPITRE II : L'animal se
compose de trois parties principales
CHAPITRE IV : Continuation
du même sujet
CHAPITRE V : Le feu peut
cesser de deux laçons différentes
CHAPITRE VI : Causes de la
conservation de la chaleur naturelle dans les végétaux
Nous
voulons parler maintenant de la jeunesse et de la vieillesse, de la vie et de
la mort; et pour bien expliquer ces phénomènes, peut- être sera-t-il nécessaire
d'exposer les causes de la respiration, sans laquelle la vie est impossible dans
la plupart des animaux. Nous avons traité ailleurs les questions qui concernent
l'âme, et nous n'y reviendrons pas ici. Mais pour l'animal, ce qui le fait
essentiellement ce qu'il est, c'est la sensibilité, qui réside dans un principe
commun, et qui, de plus, a des organes spéciaux. Ce principe général de la
sensibilité est placé au milieu de l'animal, entre sa partie haute et sa partie
basse. Dans l'homme, le seul être qui ait le privilège d'une stature droite, le
haut est tourné dans le sens même de l'univers entier; les animaux ont une
position intermédiaire; les plantes ont la partie haute placée en bas; car
leurs racines font l'office de la bouche.
On
peut donc distinguer dans l'animal trois parties principales : l'une, par où il
prend sa nourriture; l'autre, par où il la rejette; et la troisième,
intermédiaire entre ces deux-là. Cette dernière est celle qu'on appelle la
poitrine dans les grands animaux. Le principe de l'âme nutritive paraît être
placé aussi dans le centre; car il y a des animaux auxquels on peut enlever la partie
supérieure et la partie inférieure, et qui vivent encore : par exemple, les
insectes. Ces animaux, tout divisés qu'ils sont, continuent à vivre, parce que
la partie nutritive continue à remplir ses fonctions. Il y a des phénomènes tout
à fait analogues et plus complets encore dans les végétaux. Seulement, les
plantes divisées peuvent conserver pleinement leur nature, tandis que chez les
animaux, la vie, tout en subsistant, est mutilée, et ne peut durer longtemps, parce
qu'il leur manque toujours alors quelque organe indispensable. Ce sont, du
reste, les animaux inférieurs qu'on peut diviser ainsi; on dirait qu'ils sont
plusieurs animaux sondés ensemble. Dans les animaux supérieurs, au contraire, comme
l'organisation a plus d'unité, cette division n'est pas possible sans entraîner
la mort de l'animal. Ajoutons que quelques parties, quand elles sont séparées
des antres, semblent conserver un reste de sensibilité. D'autres fois, l'animal
se meut encore après que des viscères essentiels lui ont été retranchés. Ainsi,
les tortues continuent de marcher après qu'on leur a ôté le cœur.
On
peut trouver bien d'autres preuves manifestes de ces faits dans les plantes et
dans les animaux. C'est toujours du centre que part le développement dans les
plantes, soit pour la tige qui s'élève, soit pour la racine qui se plonge en
terre. Chez les animaux qui ont du sang, c'est le cœur qui se développe
d'abord, comme on peut s'en convaincre par l'observation. Pour lés animaux qui
n'ont pas de sang, c'est la partie correspondante au cœur. Dans le traité des Parties
des Animaux, on a établi que le cœur est le principe des veines. Le cœur est la
pièce principale de l'être; et, par suite, le principe de l'âme sensible et
nutritive est aussi dans le cœur. C'est le cœur qui est le centre de toute la
sensibilité dans l'animal ; en lui réside la vie. Il est vrai que quelques
philosophes ont placé la sensibilité dans le cerveau. Nous ne discuterons pas
ici cette opinion, qui peut être controversée; mais nous poserons en fait que
pour nous c'est le cœur qui est le centre, et de l'âme qui sent, et de l'âme
qui fait croître l'animal, et de l'âme qui le nourrit.
D'autre
part, comme c'est une vérité incontestable que la nature fait toujours tout
pour le mieux, il faut penser que c'est aussi au centre de l'être que se trouve
le principe qui élabore définitivement la nourriture, ainsi qu'y est le principe
qui la reçoit. Le cœur sera donc non- seulement le siège souverain de la
sensibilité ; mais il sera de plus le siège de la chaleur naturelle, sans
laquelle l'animal ne peut vivre, parce que sans elle il ne pourrait élaborer et
digérer la nourriture. Les autres organes peuvent se refroidir sans que la vie
cesse; mais celui-là une fois refroidi, la vie ne saurait continuer, et la mort
est instantanée ; car la mort n'est que la destruction de la chaleur naturelle.
Mais
le feu peut s'éteindre en général de deux façons : ou il s'éteint de lui-même,
ou il est étouffé par quelque cause extérieure. Dans le premier cas, l'animal
meurt de vieillesse; dans le second, il meurt de mort violente. Si le feu est
livré à lui seul, et que la nourriture ne vienne pas le tempérer, il se consume
lui- même ; la chaleur s'est accumulée en telle quantité que l'animal ne peut
plus ni respirer, ni se refroidir. Il faut donc évidemment, pour que cette
chaleur indispensable à la vie se conserve, qu'il y ait un certain
refroidissement régulier qui la tempère et par là l'entretienne. L'exemple des
charbons qu'on étouffe fera bien comprendre ce phénomène ; lorsque les charbons
sont dans l'étouffoir, si on laisse le couvercle sans le lever, les charbons
s'éteignent très-vite; si, au contraire, on le lève quelquefois et qu'on le
remette tour à tour, les charbons demeurent très-longtemps allumés. C'est
également ainsi qu'en couvrant le feu on le conserve, pourvu que la cendre ne
soit pas trop épaisse, et qu'il puisse, en quelque sorte, respirer grâce à
l'air extérieur. Ce sont là, du reste, des questions que nous avons traitées
dans les Problèmes. Les plantes
elles-mêmes trouvent dans la nourriture et dans le milieu qui les environne, les
moyens de conserver la chaleur naturelle qui leur est nécessaire et la
nourriture les refroidit comme elle refroidit aussi les animaux. Si, par suite
de la rigueur de la saison, le milieu où se trouve le végétal est très-froid,
le végétal se dessèche. L'excès de la chaleur produit un effet tout pareil.
C'est pour préserver les plantes de ce danger, que dans l'été on met à leur
pied des pierres qui conservent l'humidité, et que l'on creuse des fosses pleines
d'eau où les racines peuvent venir se rafraîchir. Quant aux animaux, soit
aquatiques, soit terrestres, c'est de l'eau ou de l'air qu'ils tirent le
rafraîchissement nécessaire à leur vie. Mais ce phénomène est trop important
pour qu'il ne faille pas entrer ici dans quelques développements.
Considérations générales sur l'animalité et la vie. Organisation du corps des animaux : le devant et le derrière : le haut et le bas : organisation exceptionnelle de l'homme. Rapports et différences des animaux et des plantes : les racines font l'office de la bouche.
§ 1. Nous parlerons donc maintenant de la jeunesse et de la vieillesse, de la vie et de la mort; et peut-être nous sera-t-il nécessaire en même temps d'exposer les causes de la respiration, parce que c'est elle qui, dans certaines espèces d'animaux, fait qu'ils vivent ou ne vivent pas.
§ 2. Nous avons approfondi la question de l'âme dans d'autres ouvrages; et nous avons fait voir que s'il est impossible que son essence soit le corps, elle n'en est pas moins évidemment dans une certaine partie du corps, et qu'elle doit être dans un de ces corps qui ont de la force dans les éléments dont ils se composent. Quant aux diverses parties ou facultés de l'âme, de quelque nom qu'il faille les appeler, c'est une question dont nous ne nous occuperons pas ici.
§ 3. Dans tous les êtres qu'on nomme animaux, et dont on peut dire qu'ils vivent, du moment qu'ils réunissent ces deux conditions, à savoir : vivre et être animal, il faut nécessairement que ce soit une seule et même partie qui fasse vivre l'être et qui le fasse appeler animal. En effet, l'animal, en tant qu'animal, ne peut pas ne pas vivre; mais un être, par cela seul qu'il vit, n'est pas nécessairement un animal. Ainsi, les plantes vivent bien, mais elles n'ont pas la sensibilité; et c'est cette faculté de sentir qui sépare ce qui est animal de ce qui ne l'est pas. Numériquement, il faut donc que ce soit une seule et même partie; mais par sa façon d'être, elle peut être plusieurs et différentes parties, parce qu'en effet on ne doit pas confondre être animal et vivre.
§ 4. Puis donc qu'outre les sens spéciaux il y a un sens commun, où il faut nécessairement que toutes les sensations en acte viennent converger, cette partie est le milieu de ce qu'on nomme dans l'animal le devant et le derrière. On appelle le devant, la partie où est la sensation pour nous, et le derrière est la partie opposée à celle-là.
§ 5. De plus, le corps de tous les êtres qui vivent se divisant en partie haute et partie basse, puis- qu'en effet tous les animaux ainsi que les plantes mêmes ont un haut et un bas, il est clair que les êtres doivent avoir le principe qui les nourrit au centre de ces parties diverses. La partie par laquelle entre la nourriture nous l'appelons le haut, en regardant à l'individu seul, et non à tout le reste de l'univers qui l'entoure ; et le bas, c'est la partie par où l'animal rejette d'abord le résidu.
§ 6. La disposition de ces
parties est toute contraire dans les plantes et dans les animaux. Parmi les
animaux, c'est surtout à l'homme qu'appartient, à cause de sa position droite,
le privilège d'avoir sa partie haute dans le même sens que le haut du monde
entier. Les autres animaux ont une position intermédiaire; mais les plantes qui
sont immobiles et qui tirent du sol leur nourriture, doivent toujours
nécessairement avoir cette partie placée en bas. Ainsi, les racines répondent précisément
à ce qu'on appelle la bouche dans les animaux; les plantes reçoivent leur
nourriture du sol les animaux la prennent directement eux-mêmes.
La plus importante est la partie centrale, intermédiaire entre les deux autres. — Divisibilité des végétaux et des insectes : les animaux 1«s plus élevés ne peuvent être divisés comme eux.
§ 1. On peut distinguer trois parties principales dans lesquelles se divisent tous les animaux qui sont complets : l'une par où l'animal reçoit sa nourriture, l'autre par où il en rejette le résidu, et la troisième, qui est intermédiaire entre ces deux là. Cette dernière partie se nomme la poitrine dans les plus grands animaux; et dans les autres, elle est remplacée par quelque partie correspondante. Ces parties sont plus séparées dans certaines espèces que dans certaines autres.
§ 2. Tous les animaux qui marchent ont aussi, pour remplir cette fonction, des appareils spéciaux qui leur servent à porter tout le poids du corps, à savoir des cuisses et des pieds, ou des organes qui ont la même destination.
§ 3. Mais le principe de l'âme nutritive paraît se trouver au centre de ces trois parties; et c'est ce dont on peut se convaincre et par l'observation sensible, et aussi par la raison. II y a, en effet, beaucoup d'animaux qui, même après qu'on leur a enlevé deux de ces parties, celle qu'on appelle la tête, et celle qui reçoit la nourriture, vivent cependant encore avec la partie où est placé le centre. C'est là un fait qu'on peut vérifier sans peine dans les insectes, tels que les guêpes et les abeilles ; et de plus, il y a beaucoup d'animaux qui, sans être des insectes, peuvent vivre néanmoins même après qu'on les a divisés, pourvu qu'ils aient conservé la partie nutritive.
§ 4. En acte cette partie est une, mais en puissance elle est multiple.
§ 5. Il en est de même aussi pour les végétaux. Les végétaux, quand on les a coupés, vivent encore séparément; et il peut sortir plusieurs arbres d'un seul individu, principe de tous les autres.
§ 6. On dira ailleurs d'où vient que certaines plantes ne peuvent revivre quand on les sépare du tronc, tandis qu'il en est d'autres qu'on peut faire repousser de bouture.
§ 7. Mais, du reste, en ceci les plantes sont tout à fait comme la race des insectes. Pour elles aussi, il faut nécessairement que l'âme nutritive dans les êtres qui la possèdent soit actuellement une; mais en puissance elle peut être multiple. Cette observation s'applique également au principe sensible; car les animaux que l'on a divisés ainsi semblent encore jouir de la sensibilité.
§ 8. Mais, quant à conserver complètement leur nature, les plantes le peuvent très-bien. Au contraire, les insectes et les autres animaux ne le peuvent point, parce qu'ils n'ont plus les instruments indispensables à leur conservation, et qu'ils manquent, soit de l'organe qui doit prendre la nourriture, soit de l'organe qui doit la recevoir. D'autres animaux manquent alors d'autres organes encore, en même temps qu'ils manquent de ces deux là.
§ 9. C'est que les animaux qu'on peut ainsi diviser doivent être considérés à peu près comme plusieurs animaux soudés ensemble. Les animaux les mieux organisés ne sont pas susceptibles de cette division, parce que leur nature est une au plus haut degré possible. Toutefois, il y a certaines parties qui, même séparées, montrent des restes de sensibilité, parce qu'elles éprouvent encore une sorte d'affection analogue à celles que l'âme pourrait percevoir. Ainsi, les viscères sont séparés que l'animal fait encore un mouvement, comme les tortues qui se meuvent même après qu'on leur a enlevé le cœur.
Preuves
tirées des plantes, qu'elles poussent d'ailleurs de semence, ou de greffe, ou
de bouture : preuves tirées des animaux ; rôle souverain du cœur, principe de
la sensibilité et de la nutrition.
§ 1. Du reste, il est encore d'autres preuves manifestes de ces faits dans les plantes et dans les animaux.
§ 2. Pour les plantes, il suffit d'observer leur développement, soit qu'elles viennent de semence, de greffe ou de bouture. Quand elles viennent de semence, c'est toujours du centre que part le développement; car toutes les graines ayant deux valves, le milieu se trouve précisément au point où toutes les deux se soudent, et il appartient à chacune de ces deux parties. C'est de là que sortent la tige et la racine quand la plante pousse; et le principe de toutes deux est le centre d'où elles sortent l'une et l'autre.
§ 3. C'est là ce qu'on peut très-bien observer aussi pour les troncs, soit dans les greffes, soit dans les boutures. Le tronc est le principe du rameau, et en est en même temps le centre. Aussi, l'on doit ou enlever ce tronc, ou y insérer le sujet, pour que le rameau ou les racines puissent en pousser, comme si le principe, soit du rejeton, soit de la racine, venait du centre.
§ 4. Dans les animaux qui ont du sang, c'est le cœur qui se développe d'abord ; c'est là ce qui est certain d'après les faits que nous avons observés, autant que nous l'avons pu voir sur les animaux au moment même où ils se développaient. Il faut nécessairement que dans les animaux qui n'ont pas de sang, ce soit la partie correspondante au cœur qui se forme aussi la première. Nous avons dit antérieurement, dans le Traité des Parties des animaux, que le cœur est le principe des veines, et que le sang est, dans les animaux qui en ont, la nourriture définitive dont se forment les parties qui les composent.
§ 5. Il est donc évident que l'office de la bouche, en ce qui concerne la nourriture, se borne à une seule opération, et que celui des intestins est différent. Le cœur est la pièce principale, et c'est lui qui vient ajouter la fin à tout le reste. Une conséquence nécessaire de ceci dans les animaux qui ont du sang, c'est que le principe de l'âme sensible et nutritive soit aussi dans le cœur, parce que les fonctions des autres parties relativement à la nourriture n'ont lieu qu'en vue de l'œuvre accomplie par le cœur, et qu'on doit toujours placer la souveraineté dans la partie en vue de laquelle travaillent toutes les autres, et non pas dans les parties qui fonctionnent pour celle-là, comme le médecin n'agit qu'en vue de la santé.
§ 6. C'est donc bien dans le cœur qu'est le principe souverain de toutes les sensations, chez les animaux qui ont du sang; car c'est là que doit être placé nécessairement l'organe commun de tous les autres organes des sens. Or, il y a deux sens que nous voyons évidemment aboutir au cœur : ce sont le goût et le toucher; il faut donc aussi que les autres s'y rendent comme ceux-là. C'est en lui, en effet, que les autres organes des sens peuvent aussi communiquer leur mouvement ; or, ces deux sens ne se rendent point du tout dans la partie supérieure du corps.
§ 7. Mais, si indépendamment de tout cela, la vie pour tous les êtres réside dans le cœur, il est clair qu'il faut aussi que le cœur soit le principe de la sensibilité. En effet, c'est en tant que l'être est animal que nous disons qu'il vit; et c'est en tant que le corps est sensible que nous disons qu'il est le corps d'un animal.
§ 8. Mais pourquoi certains sens se rendent-ils évidemment au cœur, et d'autres sont-ils dans la tête, ce qui a donné à penser à quelques philosophes que c'est par le cerveau que les animaux sentent ? C'est là une question que nous avons déjà éclaircie spécialement dans un traité différent.
§ 9. Il est donc certain, d'après ce que nous avons dit en nous appuyant sur les faits, que c'est dans le cœur, dans le centre des trois parties du corps, que se trouve le principe de l'âme qui sent, le principe de l'âme qui fait croître, et le principe de l'âme qui nourrit.
Le cœur est le foyer de la chaleur naturelle, sans laquelle la vie et la digestion ne seraient pas possibles. La mort n'est que l'extinction de cette chaleur.
§ 1. D'après cet axiome, donné par l'observation, qu'en toutes choses la nature tâche toujours de faire le mieux possible, il faut penser que c'est à la condition de se trouver dans le milieu de la substance de l'être, que chacun de ces deux principes accomplit le plus parfaitement sa fonction, à savoir : le principe qui élabore définitivement la nourriture, et celui qui la reçoit. C'est, en effet à cette condition, que le milieu sera en rapport avec l'un et avec l'autre ; et le siège central de cette union est le siège du principe souverain.
§ 2. Il est évident, de plus, que l'être qui se sert d'une chose, diffère de la chose dont il se sert; et de même qu'il diffère en puissance, de même aussi il peut différer par la manière dont il se sert de cette chose, comme différent la flûte et ce qui la met en jeu, c'est-à-dire la main.
§ 3. Si donc l'animal se distingue de tout le reste par cela seul qu'il possède le principe de la sensibilité, il faut nécessairement que ce principe réside dans le cœur, chez les animaux qui ont du sang, et que chez ceux qui n'en ont point, il réside dans la partie qui remplace le cœur.
§ 4. Or, toutes les parties de l'animal et tout son corps jouissent d'une certaine chaleur naturelle qui leur est innée. Voilà pourquoi, tant qu'ils vivent, ils paraissent chauds, et qu'une fois morts et privés de la vie, ils deviennent tout le contraire. On voit que dès lors le principe de cette chaleur doit nécessairement se trouver dans le cœur pour les animaux qui ont du sang, et dans la partie correspondante pour ceux qui n'en ont point, parce que tous, sans exception, élaborent et digèrent leur nourriture, grâce à cette chaleur naturelle, et que c'est surtout l'organe principal, le cœur ou l'organe correspondant, qui agit dans cette fonction. Aussi la vie demeure quand ce sont les autres parties seulement qui se refroidissent ; mais l'animal meurt sur-le-champ, du moment que le froid atteint celle-là, parce que c'est de là que dépend, pour tous les animaux, le principe de la chaleur et de l'âme, qui est en quelque sorte brûlante dans ces parties.
§ 5. Ainsi donc, pour les animaux
qui n'ont pas de sang, c'est dans la partie qui remplace le cœur, et pour ceux
qui en ont, c'est dans le cœur, que sont à la fois nécessairement et la vie et
le foyer qui entretient la chaleur indispensable à la vie ; et ce qu'on appelle
la mort n'est que la destruction de cette chaleur.
Ou il s'éteint de lui-même, ou quelque action extérieure l'étouffe. — Exemples des charbons qu'on étouffe et du feu qui couve sous la cendre.
§ 1. Mais on peut observer que le feu est exposé à deux causes de destruction : ou il s'éteint ou il est étouffé. On dit qu'il s'éteint quand il se détruit de lui-même, et il est étouffé quand il cesse par l'action d'éléments contraires. Dans le premier cas, c'est la vieillesse; dans l'autre, c'est une destruction violente.
§ 2. Il se peut que ces deux destructions du feu viennent d'une seule et même cause. Ainsi, la nourriture venant à manquer, et la chaleur ne pouvant plus prendre l'aliment nécessaire, il y a destruction du feu; c'est alors le contraire qui, arrêtant la digestion, empêche que l'être ne se nourrisse. Parfois aussi le feu s'éteint de lui-même, quand la chaleur s'accumule en trop grande quantité, et que l'animal ne peut plus ni respirer, ni se refroidir. La chaleur accumulée ainsi absorbe bientôt toute la nourriture, et elle l'absorbe si rapidement que l'évaporation n'a pas le temps de se faire.
§ 3. Voilà pourquoi non-seulement un feu plus faible s'éteint de lui-même devant un feu plus fort, mais aussi pourquoi la flamme d'une lampe qui vit et subsiste par elle-même, si elle est placée dans une flamme plus grande s'y trouve consumée, comme tout autre combustible. La cause en est que la plus grande flamme a le temps de consumer la nourriture qui est dans la flamme [la plus petite] avant qu'il en arrive d'autre. Mais le feu continue toujours à se produire et à s'écouler comme un fleuve; et si l'on ne voit pas ce mouvement, c'est à cause de sa rapidité.
§ 4. Il est donc évident que s'il faut que la chaleur se conserve parce qu'elle est indispensable à la vie, il faut aussi qu'il y ait un certain refroidissement de la chaleur qui est dans le principe.
§ 5. On peut en voir un exemple bien simple dans les charbons qu'on étouffe. Si on les enferme sans interruption dans cette machine à couvercle qu'on appelle un étouffoir, ils s'éteignent sur-le-champ. Mais si on lève plusieurs fois le couvercle et qu'on le remette tour à tour, ils demeurent très- longtemps allumés. Ainsi, couvrir le feu le conserve, parce qu'alors la cendre n'est pas assez épaisse pour l'empêcher de respirer, et qu'il résiste assez, grâce à l'air extérieur, pour ne pas s'éteindre par la quantité de chaleur qu'il renferme en lui-même.
§ 6. On a, du reste, expliqué, dans les Problèmes, la cause spéciale qui fait que le contraire arrive au feu qu'on couvre et à celui qu'on étouffe. L'un, en effet, s'éteint; l'autre, au contraire, subsiste plus longtemps.
Les animaux tirent de l'air et de l'eau le refroidissement périodique dont ils ont besoin. Nécessité d'étudier cette importante fonction avec plus de développements.
§ 1. Comme tout animal a une âme et qu'il ne peut vivre sans chaleur naturelle, ainsi que nous venons de le dire, les plantes trouvent dans leur nourriture et dans le milieu qui les entoure, tous les moyens suffisants pour conserver cette chaleur naturelle. La nourriture des végétaux leur donne du refroidissement. en s'introduisant en eux, comme elle en donne aux hommes dans le premier moment qu'on l'ingère, tandis que les jeûnes échauffent et provoquent la soif. En effet, quand l'air n'est pas mis en mouvement il s'échauffe toujours; mais, du moment que la nourriture entre, le mouvement que l'air reçoit refroidit l'animal jusqu'à ce que la nourriture ait reçu la digestion convenable.
§ 2. Mais si le milieu qui entoure le végétal est très-froid par suite de la saison qui amène des gelées violentes, le végétal se dessèche ; ou bien, s'il y a de grandes chaleurs dans l'été, et que l'humidité que la plante tire du sol ne soit pas suffisante pour la refroidir, sa chaleur [naturelle] alors s'éteint et se perd. On dit, dans ce dernier cas, que les arbres sont frappés de marasme et ont un coup de soleil. Voilà pourquoi on met alors au pied des plantes des pierres d'une certaine espèce, ou des fossés pleins d'eau, pour que les racines puissent s'y rafraîchir.
§ 3. Quant aux animaux, comme les uns sont aquatiques et que les autres vivent dans l'air, c'est de ces deux éléments qu'ils tirent le refroidissement qui leur est nécessaire, les uns le prenant à l'eau, et les autres, à l'air. Mais pour expliquer de quelle manière et à quelles conditions s'accomplit ce phénomène, il faut entrer dans quelques développements.