TRAITÉ DE LA GÉNÉRATION DES ANIMAUX
ARISTOTE
Traduction de Jules Barthélemy-Saint-Hilaire
Paris : Ladrange, 1866
Numérisé par Philippe Remacle http://remacle.org/
Nouvelle édition numérique
https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique 2008
LIVRE
II : LA GÉNÉRATION
DES ANIMAUX
CHAPITRE
I : Du principe supérieur de la
génération des animaux
CHAPITRE
II : Question générale de la production des animaux
CHAPITRE
Ill : De la nature du sperme
CHAPITRE
IV : De la première apparition de la vie dans l'embryon
CHAPITRE
V : Des différents modes de parturition
CHAPITRE
VI : Action des sécrétions féminines sur la semence du mâle
CHAPITRE
VII : De la question de savoir pourquoi la femelle ne peut pas engendrer à
elle seule
CHAPITRE
VIII : De la succession des organes paraissant les uns après les autres
CHAPITRE
IX : Du cordon ombilical par lequel se nourrissent les embryons des
vivipares
CHAPITRE
X : De la stérilité du mulet
LIVRE
V : DIFFERENCE CHEZ LES ANIMAUX
CHAPITRE
I : Des différences que présentent les organes et les facultés dans une
même espèce
CHAPITRE
II : De l'ouïe et de l'odorat
CHAPITRE
III : De la variété des poils et des parties correspondantes
CHAPITRE
IV : Du pelage des animaux_
CHAPITRE
V : De la variété des couleurs dans le pelage des animaux
CHAPITRE
VI : Des diversités de la voix chez les animaux
L'idée du mieux et la cause finale; de la
séparation des sexes; animaux qui émettent du sperme; animaux qui n'en émettent
pas; fonctions du mâle et de la femelle: les vivipares et les ovipares:
différence de l'œuf et de la larve ; variétés dans les vivipares et les
ovipares; des quadrupèdes et des bipèdes; la différence dans le nombre des
pieds n'est pas un caractère suffisant de classification ; diversité de la
génération selon les degrés de chaleur dans les animaux ; les poissons, les
crustacés, les mollusques; classification des animaux d'après la perfection
plus ou moins grande des jeunes qu'ils produisent: les insectes et leurs larves;
les chrysalides et leurs métamorphoses; résumé partiel.
§
1. [732a] Nous avons établi antérieurement que la
femelle et le mâle sont les principaux agents de la génération, et nous avons
défini l'action de chacun d'eux et étudié leur [20] essence. Pour expliquer
comment il se fait que l'un devient et est femelle, et que l'autre devient et
est mâle, il faut que la raison se dise qu'elle n'a que deux partis à prendre,
soit en recourant à la nécessité d'un premier moteur et d'une matière
déterminée, soit en recourant au principe supérieur du mieux et à la cause
finale.
§
2. C'est
qu'en effet, parmi les choses, les unes sont éternelles et divines, tandis que
les [25] autres peuvent indifféremment être ou n'être pas. Le bien et le divin,
par leur nature même, sont toujours causes du mieux possible dans les choses
contingentes; mais ce qui n'est pas éternel peut, tout à la fois, exister, et
être susceptible de participer, tour à tour, du pire et du meilleur. Or, l'âme
vaut mieux que le corps; l'être animé vaut mieux que l'être inanimé, â cause de
[30] l'âme qu'il possède; être vaut mieux que ne pas être ; vivre vaut mieux
que ne pas vivre. Il n'y a pas d'autres causes que celles-là pour la génération
des animaux.
§
3. Cet ordre
d'êtres n'est pas de nature â être éternel; mais une fois nés, ils deviennent
éternels dans la mesure où ils peuvent le devenir. Numériquement et pris un à
un, c'est impossible, puisque l'essence de tout ce qui est, c'est d'être
individuel ; s'il était dans les conditions voulues, il serait certainement
éternel; mais il peut être éternel en espèce. C'est ainsi que subsistent
perpétuellement [732b] l'espèce humaine, par exemple, l'espèce des
animaux, et l'espèce végétale.
§
4. Le
principe des uns et des autres étant la femelle et le mâle, la femelle et le
mâle sont faits en vue de la génération dans les êtres qui ont les deux sexes.
Mais la cause qui donne le mouvement initial étant, de sa nature, meilleure et
plus divine que la matière, puisque c'est dans cette cause que se trouvent
l'essence de l'être et son espèce [5], il vaut mieux aussi que le meilleur soit
séparé du moins bon. Voilà comment, partout où la séparation est possible, et
dans la proportion où elle est possible, le mâle est séparé de la femelle; car
le principe du mouvement, qui est le mâle dans tous les êtres qui naissent, est
meilleur et plus divin; la femelle n'est que le principe qui représente la
matière.
§
5. Le mâle
se réunit donc et se joint à la femelle [10] pour accomplir l'œuvre de la
génération, qui leur est commune à tous deux C'est en recevant une part du mâle
et de la femelle que les êtres participent à la vie. C'est encore à cette
condition que les plantes ont aussi une part de vie, bien que l'ordre des
animaux se distingue des plantes par la faculté de la sensibilité, dont ils
sont doués.
§
6. Dans la
plupart des animaux qui peuvent se mouvoir, la femelle et le mâle sont séparés,
par les raisons [15] que nous venons d'exposer. Les uns, ainsi que nous l'avons
vu, émettent du sperme dans l'accouplement; d'autres n'en émettent pas. La
cause en est que ces animaux sont plus élevés et plus indépendants par leur
nature même, et qu'ils prennent plus de développement et de grandeur. Or, ce
développement ne saurait avoir lieu sans la chaleur que l'âme produit; car il
faut nécessairement une force plus grande pour mouvoir un être plus grand [20]
; et c'est la chaleur qui détermine le mouvement. Aussi, il considérer les
choses en général, peut-on dire que les animaux qui ont du sang sont plus gros
que ceux qui n'en ont pas, et que les animaux qui marchent et se meuvent sont
plus gros que les animaux immobiles.
§
7. On doit
comprendre maintenant d'où vient qu'il y a un mâle et une femelle. Mais, parmi
les animaux, les uns mènent à fin et produisent au dehors un être semblable à
eux, et ce sont ceux qui mettent au jour des êtres vivants; les autres
produisent un être qui n'a pas encore de membres, et qui n'a pas reçu
définitivement sa forme. De ces derniers animaux, ceux qui ont du sang font des
œufs: ceux qui n'ont pas de sang font des larves. L'œuf et la larve diffèrent
en ce que dans l'œuf, [30] il y a une certaine partie d'où vient l'être qui en
naît, tandis que l'autre partie restante sert à nourrir l'être naissant. Au
contraire, la larve est ce dont sort entièrement fait l'être auquel toute
entière elle donne naissance.
§
8. Quant aux
animaux vivipares qui mettent au jour un être qui est semblable à eux et
complet, les uns sont directement vivipares en eux-mêmes, comme l'homme, le
cheval, le bœuf, et, parmi les animaux marins, le dauphin et les êtres de même
ordre. Les autres sont d'abord ovipares [733a] en eux-mêmes, et ensuite vivipares au
dehors, comme ceux qu'on appelle Sélaciens.
§
9. Entre les
ovipares, les uns font leur œuf complet, comme les oiseaux, par exemple, comme
les quadrupèdes ovipares, et les ovipares dépourvus de pieds, tels que les
lézards et les tortues d'une part, et, d'autre part, le plus grand nombre des
espèces de serpents. Dans tous ces animaux, les [5] œufs une fois sortis ne
prennent plus d'accroissement. Au contraire, d'autres ovipares font des œufs
imparfaits, comme les poissons, les crustacés et ceux qu'on appelle des
mollusques; car les œufs de ceux-là ne se développent qu'après leur sortie.
§
10.
Tous les vivipares et les ovipares ont du sang; et tous les animaux qui ont du
sang sont ou vivipares ou ovipares, quand ils ne sont pas absolument inféconds.
[10] Mais, parmi les exsangues, les insectes font des larves, soit qu'ils
naissent d'un accouplement, soit qu'ils se fécondent eux-mêmes. C'est qu'en
effet, il v a des insectes qui naissent spontanément; mais il y en a aussi qui
sont mâles et femelles; ils produisent un être en s'accouplant; mais l'être
ainsi produit est imparfait. Nous avons exposé la cause de ce phénomène dans
d'autres ouvrages, antérieurs à celui-ci.
§
11.
[15] Il y a de grandes variétés de ce genre selon les espèces. Ainsi, tous les
animaux à deux pieds ne sont pas vivipares, puisque les oiseaux sont ovipares;
mais, tous les animaux à deux pieds ne sont pas non plus ovipares sans
exception, témoin l'homme, qui est vivipare. De même non plus, tous les
quadrupèdes ne sont pas ovipares, puisque le cheval, le bœuf et des milliers
d'autres espèces sont vivipares; mais tous les quadrupèdes ne sont pas vivipares,
puisque les lézards, les crocodiles [20] et une foule d'autres font des œufs.
§
12.
Ce n'est pas d'ailleurs parce que les animaux ont des pieds, ou qu'ils n'ont
pas de pieds, qu'ils diffèrent à cet égard; car il y a des animaux sans pieds,
des apodes, qui sont vivipares, témoins les vipères et les sélaciens; et
d'autres apodes sont ovipares, comme l'ordre des poissons et le reste des
serpents. Parmi les animaux qui sont pourvus de pieds, il s'en trouve un bon
nombre qui sont ovipares et vivipares, comme ceux qu'on vient de nommer, et qui
ont quatre pieds. En outre, il y a des [25] animaux qui sont pourvus de pieds
et qui sont vivipares en eux-mêmes, tels que l'homme, et aussi des animaux
apodes, tels que la baleine et le dauphin, qui sont vivipares de la même façon.
§
13.
II n'est donc pas possible de diviser les classes d'animaux par ces caractères;
et aucun des organes destinés à la marche ne suffiraient à expliquer la cause
de leurs différences. Tout ce qu'on peut dire, c'est que les animaux dont la
nature est plus parfaite et qui représentent un principe plus pur, sont
vivipares, et qu'aucun animal n'est [30] vivipare en lui-même, s'il ne reçoit
l'air et s'il ne respire. Les plus parfaits sont ceux qui, de nature, sont plus
chauds et plus humides, et qui ne sont pas terreux.
§
14.
C'est le poumon qui détermine la chaleur naturelle, dans tous les animaux où
cet organe est plein de sang. En général, les animaux qui ont un poumon sont
plus chauds que ceux qui n'en ont pas; et même parmi ceux qui ont un poumon,
les plus chauds sont ceux dont le poumon n'est, ni spongieux, ni visqueux, ni
peu sanguin, mais, au contraire, plein de sang [733b] et mou.
§
15.
De même que le jeune peut être complet, tandis que l'œuf est incomplet ainsi
que la larve, de même il est dans l'ordre de la Nature que l'être complet
vienne d'un être plus complet que lui. Les animaux qui sont plus chauds parce
qu'ils ont un poumon, et qui sont d'une nature plus sèche, ou bien qui sont
plus froids et plus humides [5], tantôt font un œuf complet quand ils sont
ovipares; et tantôt, après avoir fait un œuf, ils sont vivipares en eux-mêmes.
Ainsi, les oiseaux et les animaux à écailles pourraient produire des êtres
complets à cause de leur chaleur; mais ils sont ovipares à cause de leur
sécheresse.
§
16.
Quant aux sélaciens, comme ils sont moins chauds que les oiseaux et plus
humides qu'eux, ils participent des deux organisations; ils produisent en
eux-mêmes un œuf, et [10] ensuite un être vivant, faisant un œuf, parce qu'ils
sont froids, et un être vivant parce qu'ils sont humides. C'est que l'humide
est plein de vie, et que le sec est de beaucoup ce qu'il y a de plus éloigné de
l'être animé. Or, comme ils n'ont ni ailes, ni carapaces, ni écailles, qui sont
les marques d'une nature plus sèche et plus terreuse, ils font un œuf qui est
mou.
§
17.
Mais le terreux ne flotte pas plus à la surface [15] dans l'œuf qu'il n'y
flotte dans l'animal lui-même; et c'est là ce qui fait que ces animaux
produisent en eux-mêmes un œuf ; car si l'œuf, n'ayant rien qui le protège,
allait au dehors, il y périrait. Mais les animaux plus froids et plus secs
produisent un œuf qui est incomplet, et qui a une pellicule dure, parce que ces
animaux sont terreux. Cet œuf, tout incomplet qu'il est, peut subsister sain et
sauf, parce que son enveloppe est assez ferme pour le protéger.
§
18.
[20] Les poissons qui ont des écailles et les crustacés, qui sont terreux, font
aussi des œufs revêtus d'une peau assez résistante. Les mollusques, dont le
corps est naturellement visqueux, font réussir les œufs qu'ils répandent de la
manière suivante, c'est-à-dire, en versant en abondance sur la ponte une
liqueur visqueuse.
§
19.
Quant aux insectes, ils sont tous larvipares [25] ; et comme ils n'ont pas de
sang, ils font leurs larves au dehors. Cependant, les animaux exsangues ne font
pas tous des larves sans exception. On remarque beaucoup de variétés entre eux
et des uns aux autres, selon qu'ils font des larves, ou selon que l'œuf qu'ils
pondent est incomplet, comme le font aussi les poissons, les animaux à
carapaces, les crustacés et les mollusques. [30] Pour ceux-ci, les œufs sont
produits sous forme de larves, et ils se développent et croissent au dehors; pour
les autres, les larves prennent plus tard la forme d'œufs. Dans ce qui va
suivre, nous expliquerons comment se passent tous ces phénomènes.
§
20.
Il faut bien nous dire que la Nature s'arrange toujours pour que la génération
soit régulière et continue. Les animaux les [734a] plus parfaits et les plus chauds font un jeune
qui est complet quant à la qualité; car aucun animal ne produit un jeune qui
soit complet quant à la quantité, puisque tout ce qui naît prend de la
croissance ; et les animaux supérieurs produisent les jeunes immédiatement en
eux-mêmes.
§
21.
Mais, les animaux de second ordre [5] n'engendrent pas directement en eux-mêmes
des êtres complets; ils ne sont vivipares qu'après avoir fait préalablement un
œuf en eux-mêmes; et au dehors, ils font un petit vivant. II en est qui ne font
pas un animal vivant, mais seulement un œuf; et cet œuf, en lui-même, est
complet. Ceux même d'entre ces animaux dont la nature est plus froide ne font
pas un œuf complet; mais leur œuf se complète et s'achève au dehors, comme on
le voit dans les poissons à écailles [10], dans les crustacés et dans les
mollusques. Quant au cinquième ordre, qui est le plus froid de tous, il ne
produit pas d'œuf directement; mais il subit au dehors les transformations dont
on a parlé. Ainsi, les insectes font d'abord des larves; la larve en se
développant devient une sorte d'œuf; car ce qu'on appelle la chrysalide remplit
la fonction [15] de l'œuf; et de cet œuf, provient ensuite un animal qui, dans
ce troisième changement, prend son développement définitif.
§
22.
En résumé, il y a des animaux qui, comme on l'a dit antérieurement, ne viennent
pas de sperme; mais tous les animaux qui ont du sang viennent de sperme, et ce
sont ceux chez lesquels, à la suite d'un accouplement, le mâle introduit le
sperme dans la femelle [20] ; cette semence ainsi introduite fait que le jeune
se constitue et reçoit la forme qui lui est propre. D'autres animaux reçoivent
la vie dans les parents eux-mêmes; enfin, d'autres animaux viennent dans des
œufs, dans des spermes, ou par des transformations analogues.
Trois
conditions indispensables, la matière, la cause et l'essence; la matière est
dans la femelle; la cause est dans le sperme; son action spéciale; citations
des vers Orphiques ; de la production des différents organes ; comparaison avec
le mouvement des automates, dont l'un fait mouvoir l'autre, et produit une
succession de mouvements indépendants; mouvement à peu près semblable
communiqué par le sperme; il donne le premier mouvement, et les parties
diverses de l'animal se développent à la suite ; comparaison des productions de
la Nature et des productions de l'art; le sperme a une âme, principe de la
nutrition et de la croissance de tous les êtres, des plantes aussi bien que des
animaux ; le cœur est le premier organe qui paraît en eux : et il est le
principe de la croissance ultérieure.
§
1. Une
question plus difficile se présente ici : comment se peut-il que de la semence,
soit des plantes, soit des animaux, il sorte un être quelconque? II y a
nécessité [25] évidente que tout ce qui naît naisse de quelque chose, par
l'action de quelque chose, et soit lui-même quelque chose. De quelque chose, c'est
la matière, que certains animaux portent primitivement en eux-mêmes, après
l'avoir reçue de la femelle. C'est ce que font tous les animaux qui ne viennent
pas de vivipares, mais qui proviennent d'œufs ou de larves. D'autres aussi
tirent leur nourriture de la femelle, pendant un temps fort long, par
l'allaitement, comme le font [30] tous ceux qui sont issus de vivipares, soit
au dehors, soit même en dedans. Ainsi, cette matière est bien ce dont viennent
les animaux.
§
2. En second
lieu, on se demande non plus De quoi viennent les animaux, mais Par quelle
action sont faites les parties qui les composent. Ou bien, c'est quelque chose
d'extérieur qui les fait ; ou bien, il y a dans la semence et dans le sperme
quelque chose qui s'incorpore à eux : et ce quelque chose [734b] est, ou une certaine partie de l'âme, ou
l'âme entière, ou ce qui pourrait acquérir une âme. Mais, la raison ne peut pas
admettre que ce soit quelque chose d'extérieur qui vienne composer chacun des
viscères, ou chacune des autres parties quelconques de l'animal ; car il est
impossible qu'il y ait mouvement s'il n'y a pas de contact, et que, s'il n'y a
pas de moteur, l'être puisse éprouver de lui quoi que ce soit.
§
3. [5] Il
faut donc qu'il y ait primitivement, dans le germe même, quelque chose
d'originaire qui soit, ou une partie de lui, ou quelque partie qui en soit
séparée. Que ce quelque chose soit séparé, et autre que lui, c'est ce que
raisonnablement on ne saurait supposer. L'animal une fois produit, ce quelque
chose disparaît-il ? ou reste-t-il ? Mais, on ne voit rien qui soit en lui sans
être aussi une partie du tout, qu'il s'agisse d'une plante ou d'un animal. II
n'est pas moins impossible que ce qui a fait [10], ou toutes les parties ou
certaines parties de l'animal, puisse périr et disparaître; car alors qui
formerait les parties restantes?
§
4. Si ce
quelque chose forme le cœur, par exemple, et qu'il disparaisse, et que le cœur
à son tour forme quelque autre organe, l'objection est toujours la même, et il
faut que tout périsse ou que tout subsiste et demeure. Or, l'animal subsiste;
il y a donc une partie de lui qui se trouve immédiatement dans le sperme, et
s'il n'y a rien de l'âme [15] qui ne doive être aussi dans une certaine partie
du corps, il faut que, dès l'origine, cette partie soit immédiatement animée
par l'âme. Et alors, comment les autres parties le sont-elles ?
§
5.
De deux choses l'une : ou toutes les parties se forment ensemble et à la fois :
cœur, poumon, foie, œil, et tout le reste; ou bien, elles se forment
successivement, comme il est dit dans les vers attribués à Orphée, où l'on
prétend que l'animal se forme successivement «comme [20] les mailles d'un
filet. » Que toutes les parties du corps ne soient pas formées en une fois,
c'est ce que la moindre observation sensible nous fait voir. Dès le premier
instant, certains organes se montrent, tandis que d'autres n'apparaissent pas
encore. Et qu'on ne dise point que c'est à cause de leur petitesse qu'on ne les
aperçoit point; car le poumon, qui est plus gros que le cœur, ne se montre
qu'après le cœur, dans ces premiers développements de la génération.
§
6. [25]
Puisque tel organe vient auparavant, et que l'autre organe vient après, on
demande si l'un des deux produit l'autre, ou s'il vient simplement à la suite,
ou, pour mieux dire, si l'un ne vient pas après l'autre Voici ce que je veux
dire : ce n'est pas le cœur qui, après avoir été fait lui-même, fait à son tour
le foie, comme le foie ferait encore tel autre viscère ; mais l'un vient
uniquement après l'autre, comme après l'enfant vient l'homme, sans que l'homme
soit fait par l'enfant. La raison [30] de ceci, c'est que, dans tous les
produits de la Nature et de l'art, ce qui est en puissance vient de ce qui est
en réalité et par son fait, de telle sorte qu'il faudrait qu'ici l'idée et la
forme fussent déjà dans l'être actuel, et, par exemple, que la forme du foie
fût d'abord dans le cœur. Autrement, on ne fait qu'une hypothèse dénuée de
sens, et une pure rêverie.
§
7. Mais ce
qui est encore tout aussi faux, c'est de supposer qu'il y a immédiatement dans
le sperme une partie intrinsèque, soit de la plante, soit de l'animal [35],
naissant tout à coup, que cette partie d'ailleurs puisse ou ne puisse pas
former tout le reste, s'il est vrai que tout être vienne ou de semence ou de
liqueur génératrice. Il est clair eu effet que l'embryon serait formé par
l'être qui fait le sperme, si l'embryon était d'abord [735a] dans cet être. Mais il faut que le sperme
soit antérieur à l'être produit; et le sperme n'est l'œuvre que de l'être qui
engendre. II n'est donc pas possible qu'il y ait en lui aucune partie de l'être
engendré. Ainsi, l'état qui en fait un autre n'a pas en lui-même les parties de
l'être qu'il fait.
§
8. Mais il
n'est pas possible davantage que ces parties soient en dehors de lui.
Cependant, il faut nécessairement qu'une de ces deux assertions soit vraie, et
nous devons essayer de résoudre ces difficultés. [5] Dans les deux alternatives
qu'on vient d'indiquer, il n'y a rien d'absolu ; et peut-être ne doit-on pas
affirmer que, d'une certaine manière, à un certain moment, il soit impossible
que quelque être ne puisse provenir d'une cause extérieure à lui. Ceci est en
partie possible et en partie impossible.
§
9. Dire le
Sperme ou dire l'Être d'où vient le sperme, c'est au fond la même chose, en ce
que cet être a en lui-même le mouvement qu'il a communiqué à son sperme. Il est
tout à fait possible que telle ou telle chose mette en mouvement telle autre
chose, [10] et que cette autre en meuve une autre encore, comme on le voit dans
les automates, que l'on montre par curiosité. Les parties qui y sont immobiles
ont une espèce de force motrice; et quand l'une de ces parties a reçu un
premier mouvement du dehors, la partie suivante se met aussitôt en un mouvement
réel.
§
10.
De même donc que, dans les automates, telle partie donne le mouvement sans rien
toucher actuellement, mais parce qu'elle a touché antérieurement ce qu'elle
meut, [15] de même l'être d'où vient le sperme, ou qui a fait le sperme, a bien
touché naguère quelque partie, mais il ne la touche plus actuellement ; ou
plutôt, c'est le mouvement qui est en lui qui a touché, tout comme c'est l'art
de l'architecte qui met la construction de la maison en mouvement.
§
11.
Il est donc certain qu'il existe en ceci quelque chose qui fait et produit
l'être, sans que ce soit en tant qu'être déterminé, ni en tant qu'être
préalablement et absolument accompli. Quant à savoir comment chaque être peut
se produire, [20] il faut tout d'abord poser ce principe supérieur, que tous
les produits de la Nature ou de l'art ont pour cause un être réel et actuel,
produit par un être qui en puissance est tel que lui. Le sperme est donc de
telle nature, et il a une action et un mouvement de telle nature, que, même
après que son mouvement a cessé, chacune des parties de l'être se forme et
devient animée. Il n'y a plus de visage, [25] il n'y a plus de chair, si cette
chair et ce visage n'ont pas d'âme et de vie ; car une fois détruits par la
mort, ce n'est plus qu'une simple homonymie qui peut les désigner encore sous
ce nom, comme on parle de main et de chair, quand il ne s'agit que d'une main
et d'une chair de pierre ou de bois.
§
12.
Les parties similaires de l'animal et ses parties organiques se forment tout
ensemble; et de même que nous ne dirions pas que c'est le feu qui a fait une
hache ou tel autre instrument, de même on ne peut pas dire non plus que le
sperme ait fait le pied [30], la main, la chair, etc., qui ont également leur
fonction particulière. La chaleur et le froid peuvent bien produire, dans les
parties qui sont une fois animées, la dureté, la mollesse, la viscosité, la
rudesse et d'autres qualités de ce genre; mais le froid et la chaleur ne
peuvent pas faire l'essence qui forme, de ceci de la chair, et de cela un os.
Ce qui produit cette essence, c'est le mouvement [35] venu du parent qui existe
en acte, et qui engendre ce qui n'est qu'en puissance.
§
13.
C'est de ce parent que vient le mouvement, et il en est ici tout à fait de même
que pour les produits de l'art. La chaleur [735b] et le froid font bien que le fer s'amollit
ou se durcit; mais ce qui fabrique l'épée, c'est le mouvement des instruments,
lequel mouvement a la raison même de l'art. En effet, l'art est le principe et
l'idée du produit; seulement, l'art agit dans un autre être, tandis que le
mouvement de la nature a lieu dans l'être lui-même, et ce mouvement vient d'une
autre nature qui a déjà l'espèce en acte et en réalité.
§
14.
Du reste, on peut se demander pour le sperme, tout aussi bien que pour les
organes, s'il a ou s'il n'a pas d'âme. L'âme ne se trouve exclusivement que
dans l'être dont elle est l'âme ; et et n'y a de partie véritable que celle qui
participe de l'âme; ou autrement, ce n'est qu'une simple homonymie, comme l'œil
d'un cadavre. Il est donc clair que le sperme a une âme, et qu'il est âme
puissance. D'ailleurs, ce qui est en puissance peut être, [10] relativement à
lui-même, plus ou moins loin de se réaliser, de même qu'un géomètre qui dort
est plus loin de faire de la géométrie que le géomètre éveillé; et celui-ci,
quand il ne fait pas de géométrie, est plus éloigné que celui qui en fait.
§
15.
Aucune partie de l'âme n'est la cause réelle de la génération; et la génération
ne vient que de l'être qui a été auteur du mouvement extérieur. Aucune partie
de l'animal ne s'engendre elle-même ; mais une fois engendrée, elle peut
s'accroître par elle toute seule. II y a [15] donc un premier degré, et tout ne
se fait point à la fois; mais, de toute nécessité, ce qui se produit tout
d'abord, c'est ce qui contient le principe de la croissance future. Que l'être
soit une plante ou qu'il soit un animal, il a toujours la faculté de se
nourrir; et cette faculté est aussi celle qui fait que l'être produit un autre
être semblable à lui, parce que c'est là une fonction inhérente à tout être qui
est naturellement complet, soit animal, soit plante.
§
16.
Il y a donc nécessité qu'il en soit ainsi, parce [20] qu'une fois que l'être
existe, il faut nécessairement qu'il se développe et qu'il croisse. C'est bien
un être synonyme à lui qui l'a produit, comme l'homme engendre l'homme; mais
une fois produit, l'être s'accroît de son propre fond. Il y a donc une cause à
la croissance qu'il doit prendre plus tard. Et quand il y a quelque cause de ce
genre, il faut que ce quelque chose existe avant tout le reste. Si c'est le
cœur qui est produit le premier dans les animaux, et la partie correspondante
au cœur chez les animaux qui n'ont pas de cœur, [25] il s'ensuit que c'est le
cœur qui est le principe dans ceux qui ont un cœur, et que c'est la partie
analogue dans ceux qui ne sont pas pourvus de cet organe.
Singulières
propriétés du sperme ; il est d'abord épais et blanc; le froid le rend liquide,
et la chaleur l'épaissit; le sperme n'est ni de l'eau, ni de la terre; ni un
mélange des deux; nécessité d'une analyse plus exacte; le sperme est un mélange
d'eau et d'air; transformation de l'huile et de la céruse mêlées l'eau et à
l'écume; effets divers de l'agitation donnée au mélange; erreur de Ctésias sur
le sperme des éléphants ; erreur d'Hérodote sur celui des Éthiopiens; le sperme
est toujours blanc comme de l'écume; du nom d'Aphrodite: le sperme ne gèle pas,
parce que l'air non plus ne peut geler.
§
1. Pour
répondre aux questions que nous nous étions posées antérieurement, nous venons
d'expliquer quelle est la cause qui, en tant que principe, produit dans tout
animal le premier mouvement et qui l'organise. Mais, il nous reste encore à
éclaircir [30] bien des questions sur la nature du sperme. Quand le sperme sort
de l'animal, il est épais et blanc; une fois refroidi, il devient liquide comme
l'eau, et il prend la couleur de l'eau. Le fait peut paraître assez singulier;
car l'eau ne s'épaissit pas en s'échauffant; mais, le sperme sort épais de la
chaleur intérieure; et s'il devient liquide, c'est par le refroidissement.
§
2.
Cependant, tous les liquides se congèlent, [35] tandis que le sperme mis à
l'air, par des jours de glace, ne se congèle pas, et devient liquide, comme
s'il ne pouvait s'épaissir que par le contraire du froid. Il est vrai que la
raison ne comprend pas davantage que ce soit la chaleur qui l'épaississe. Tous
les corps [736a] qui sont plutôt terreux se condensent et
s'épaississent quand on les échauffe, comme on le voit par le lait. Le sperme
en se refroidissant devrait donc devenir solide; mais il ne prend pas du tout
de solidité, et il devient tout entier comme de l'eau.
§
3. Voici
donc où est la difficulté : si le sperme est de l'eau, on peut observer que
l'eau ne s'épaissit pas [5] par la chaleur, tandis que le sperme sort épais et
chaud du corps, qui est chaud, ainsi que lui. Si le sperme est terreux, ou s'il
est un mélange d'eau et de terre, il ne devrait pas devenir tout entier
liquide, ni devenir tout à fait de l'eau.
§
4. Du reste,
nous n'avons peut-être pas bien analysé tous les phénomènes qui se présentent
ici. En effet, ce n'est pas seulement le liquide composé d'eau et de terre qui
se congèle et s'épaissit ; c'est encore le composé [10] d'eau et d'air, comme
on le voit par l'écume qui s'épaissit et qui devient blanche; et plus les
bulles en sont petites et indistinctes, plus sa masse devient blanche et
épaisse. L'huile présente le même phénomène; mélangée d'air, elle s'épaissit.
Ainsi, en blanchissant, [15] le corps de l'huile devient plus épais, parce que
la partie aqueuse qui est dedans se sépare par l'action de la chaleur, et se
change en air. Le blanc de plomb mêlé à de l'eau et à de l'huile change un
petit volume en un volume plus considérable; de liquide, il devient solide; et,
de noir, il devient blanc. Cela tient uniquement au mélange de l'air, qui
augmente [20] le volume et y développe la blancheur, comme dans l'écume, et
dans la neige, qui n'est guère non plus que de l'écume.
§
5. C'est
également ainsi que l'eau mêlée à l'huile devient épaisse et blanche;
l'agitation à laquelle on la soumet y renferme de l'air; et l'huile elle-même
contient déjà de l'air en grande quantité; car le corps qui est gras n'est, ni
de la terre, ni de l'eau; [25] il est de l'air. C'est pour cela que l'huile
surnage à la surface de l'eau. L'air qui y est contenu, comme dans un vase, la
porte en haut, la retient à la surface, et cause sa légèreté: L'huile
s'épaissit par le froid et dans les temps tic gelée; mais elle ne se congèle
pas ; et si elle ne gèle pas, c'est à cause de la chaleur, parce que l'air est
[30] chaud et qu'il ne gèle pas; mais c'est parce que l'air se contracte et
s'épaissit par le froid que l'huile devient également plus épaisse.
§
6. C'est
donc par les mêmes raisons que le sperme sort de l'intérieur du corps épais et
blanc, contenant, à cause de la chaleur du dedans, beaucoup d'air chaud [35] et
qu'une fois sorti il devient liquide et noir, quand il a perdu sa chaleur et
que l'air s'est refroidi. Alors, il ne lui reste que l'eau; et une petite
quantité de matière terreuse, qui se retrouve dans le phlegme aussi bien que
dans le sperme desséché. A ce point de vue, le sperme [736b] est un mélange qui tient du souffle
intérieur et de l'eau tout à la fois; car le souffle n'est que de l'air chaud,
et si le sperme est liquide par sa nature, c'est qu'il vient de l'eau.
§
7. Ctésias
de Cnide, s'est évidemment trompé dans ce qu'il dit du sperme des éléphants. Il
prétend que ce sperme durcit tellement, en se desséchant, qu'il [5] devient
solide autant que de l'ambre. Cela n'est pas exact. Ce qui est vrai, c'est que
le sperme doit nécessairement être plus terreux dans tel animal que dans tel
autre, et qu'il l'est surtout clans les animaux ou, à cause de la masse du
corps, il y a beaucoup d'élément terreux.
§
8. Mais le
sperme est épais et blanc, parce qu'il est mélangé de souffle. Chez tous les
animaux sans exception, il est blanc; [10] et Hérodote est dans l'erreur quand
il dit que le sperme des Éthiopiens est noir, comme s'il fallait absolument que
tout ce qui vient d'hommes à peau noire fût noir comme eux. Cependant, Hérodote
voyait bien que les dents des Éthiopiens sont blanches.
§
9. Ce qui
fait que le sperme est blanc, c'est qu'il est de l'écume, et que l'écume est
blanche. [15] L'écume qui est la plus blanche est celle qui se compose de
particules extrêmement petites, et tellement petites que chaque bulle, prise à
part, est imperceptible. C'est précisément là ce qui se produit pour l'eau et
l'huile, qu'on mélange et qu'on agite, comme on vient de le dire. D'ailleurs,
il ne semble pas que les Anciens aient ignoré complètement que le sperme est,
de sa nature, une sorte d'écume; car c'est de cette propriété du sperme [20]
qu'ils ont tiré le nom de la Déesse, qui est la souveraine de l'union des sexes
(Aphrodite.)
§
10.
Ainsi, se trouve résolue la question que nous avions posée un peu plus haut;
nous sommes remontés à la cause; et nous devons voir maintenant que, si le
sperme ne gèle pas, c'est que l'air ne peut pas geler.
Il ne peut pas
être privé du principe vital, et il doit avoir les deux principes de la
nutrition et de la sensibilité, qui constituent l'animal; citation du Traité de l’Âme; extrême difficulté de
savoir â quel moment l'intelligence se montre: les spermes et les embryons ont
l'âme en puissance, sans l'avoir en fait: l'entendement vient du dehors et est
un principe divin: action de la chaleur animale, partie de la vie universelle:
c'est le sperme qui communique le mouvement et l'âme à l'embryon. -
Interpolation.
§
1. En
admettant que, pour les espèces d'animaux où a lieu une émission de sperme [25]
dans la femelle, ce qui est émis ainsi n'est point une partie quelconque du
jeune qui est conçu, il faut, comme suite de tout ce qui précède, rechercher et
dire ce que devient la partie matérielle et corporelle du sperme, puisqu'il
exerce une action par la force déposée en lui. Il nous faut résoudre, avec
précision, la question de savoir si le produit constitué dans la femelle reçoit
quelque chose, ou ne reçoit rien, de ce qui entre en elle. Quant à l'âme, qui
distingue l'animal et lui vaut [30] cette appellation, car il n'y a réellement
d'animal que par la partie sensible de l'âme, il faut savoir si elle réside, ou
ne réside pas, dans le sperme et dans l'embryon, et d'où elle vient.
§
2.
Il est impossible en effet de considérer l'embryon comme étant sans âme, et
absolument privé de toute espèce de vie; car les spermes et les embryons des
animaux vivent tout aussi bien que les graines des plantes, et, [35] jusqu'à un
certain point même, ils sont capables de fécondité. Il est donc évident qu'ils
ont l'âme nutritive, et que bientôt aussi ils ont l'âme sensible, qui fait
l'animal. Que l'âme nutritive soit de toute nécessité celle qu'on doit supposer
la première, c'est ce qu'on peut voir clairement [737a] d'après ce que nous avons, ailleurs, dit de
l'âme.
§
3. Ce n'est
pas d'un seul coup que l'être devient animal et homme, animal et cheval ; et
ceci s'étend à toutes les espèces également. Ce qui vient en dernier lieu,
c'est le complément qui achève l'être ; et ce qui est propre à l'animal est la
fin même de la génération de chacun des animaux. [5] D'où vient l'intelligence,
à quel moment, de quelle manière, vient-elle dans les êtres qui participent à
cette sorte d'âme, c'est là une question des plus difficiles; et il faut
l'aborder résolument pour essayer de la résoudre, autant que nous le pourrons,
et autant qu'elle peut être résolue.
§
4.
Évidemment, il faut supposer que les spermes et les embryons qui ne sont pas
encore séparés, possèdent l'âme nutritive en puissance, [10] mais qu'ils ne
l'ont pas en fait, avant que, comme les germes qui sont une fois séparés, ils
ne prennent leur nourriture, et ne fassent acte de cette espèce dame. Aux
premiers moments, tous ces êtres ne semblent avoir que la vie de la plante. Il
est du reste bien entendu que, après cette première âme, nous aurons à parler
de l'âme sensible et de l'âme douée d'entendement; car il faut nécessairement
[15] que les êtres aient toutes ces sortes d'âme en puissance, avant de les
avoir en réalité.
§
5. Ce qui
n'est pas moins nécessaire, ce sont les alternatives suivantes : ou toutes ces
âmes qui n'existaient point auparavant se produisent dans l'être; ou elles y
étaient toutes antérieurement; ou bien, quelques-unes y étaient et quelques
autres n'y étaient pas ; ou bien elles sont dans la matière sans y être
apportées par le sperme du mâle; ou elles se trouvent dans la matière, en y
venant du sperme. Si elles sont dans le mâle, ou elles viennent toutes du dehors,
[20] ou aucune n'en vient; ou bien enfin, les unes viennent de l'extérieur, et
les autres n'en viennent pas.
§
6. Que
toutes ces âmes viennent extérieurement dans l'être et y préexistent, c'est là
une chose impossible, et voici ce qui le prouve évidemment. Pour tous les
principes dont l'action est corporelle, il est clair qu'ils ne peuvent exister
sans le corps; et par exemple, il est bien impossible de marcher sans pieds. Il
est donc très certain que les principes dont nous parlons ne peuvent [25] venir
du dehors. Puisqu'ils sont inséparables, ils ne peuvent venir par eux seuls et
isolément, ni entrer dans le corps; car le sperme est une sécrétion de la nourriture
qui a été modifiée de façon à devenir du sperme.
§
7. Il ne
reste donc plus qu'une hypothèse, c'est que l'entendement seul vient du dehors,
et que seul il est divin; car son action n'a rien de commun avec l'action du
corps. Toute [30] âme paraît donc tirer sa force d'un autre corps, et d'un
corps plus divin que ce qu'on appelle les éléments. Mais, comme les âmes
diffèrent les unes des autres par leur dignité plus ou moins haute, la nature
des éléments ne diffère pas moins. Dans le sperme de tous Les animaux, il y a
ce qui rend les spermes féconds et ce qu'on appelle [35] la chaleur. Ce n'est
pas tout à fait du feu, ni une force de ce genre; mais c'est le souffle, ou
l'esprit, qui est renfermé dans le sperme et dans sa partie écumeuse. La nature
qui est dans le souffle, ou l'esprit, est analogue à l'élément des astres.
§
8. Aussi, ce
feu ne produit-il jamais un animal quelconque; et aucun être ne se forme dans
les matières brûlées, que ces matières soient liquides ou qu'elles soient
sèches. Mais, c'est la chaleur du soleil et la chaleur que possèdent les
animaux, non pas seulement par le sperme, mais aussi par toute autre sécrétion
qui aurait la même [5] nature que lui., qui est également en elles le principe
de la vie.
§
9. Ceci doit
nous prouver que la chaleur qui est dans les animaux n'est pas du feu, et que
ce n'est pas davantage du feu qu'elle tire son principe. Le corps de la semence
génératrice, dans lequel se constitue le principe de l'âme, est en partie
séparé du corps dans les êtres où est renfermée quelque [10] parcelle divine;
et c'est bien une parcelle divine que ce qu'on nomme l'entendement ; mais, en
partie, il n'en est pas séparé. Le corps spécial de la semence se dissout et se
convertit en souffle et en esprit, parce qu'il est de nature liquide et
aqueuse. Aussi, ne faut-il pas rechercher si le sperme sort toujours au dehors,
ni s'il n'est aucune partie de la forme qui se constitue, pas plus que la
présure n'est une partie du lait qu'elle fait cailler; elle [15] modifie le
lait, sans être en quoi que ce soit une partie des masses qu'elle forme.
§
10.
Nous venons donc d'expliquer comment, en un sens, les spermes et les embryons contiennent
l'âme, et comment, en un autre sens, ils ne la contiennent pas. Ils l'ont en
puissance ; mais ils ne l'ont pas eu acte et en fait. Le sperme étant une
excrétion, et donnant un mouvement semblable à celui qui fait croître le corps,
[20] où se répartit la nourriture à son dernier degré de perfection, il se
condense dans la matrice, et il communique à l'excrétion de la femelle le
mouvement dont il est lui-même animé. Car cette excrétion a aussi tous les
organes en puissance, sans les avoir en fait; et elle possède en puissance
toutes les parties qui distinguent [25] la femelle du mâle.
§
11.
De même que, de parents contrefaits, naissent parfois des enfants contrefaits,
et parfois aussi des enfants non contrefaits, de même, de la femelle, il sort
tantôt une femelle, et tantôt au contraire il en sort un mâle. Car la femelle
peut être considérée comme un mâle qui à certains égards est mutilé et
imparfait ; les menstrues sont du sperme, mais du sperme qui n'est pas pur,
puisqu'il lui manque encore une seule chose, à savoir le principe de l'âme.
[30] Chez tous les animaux
qui font des œufs clairs, l'œuf qui se forme contient bien les deux parties;
mais il n'a pas le principe de l'âme; et c'est là ce qui fait qu'il n'a pas la
vie; car c'est le sperme du mâle qui doit l'apporter ; et quand l'excrétion de
la femelle reçoit ce principe spécial, il se forme un embryon.
§
12.
Dans les matières liquides mais corporelles, il se produit, quand on les
échauffe, un bourrelet sec, comme dans les mets qui se refroidissent. C'est le
visqueux qui maintient tous les corps ; mais le visqueux se trouve absorbé
quand les corps deviennent plus vieux et plus grands, par la nature du nerf qui
maintient les parties des animaux, nerf chez les uns, ou matière analogue au
nerf chez les autres. La peau, [5] la veine, la membrane et tous les corps de ce
genre sont de la même forme; car entre eux, ils ne diffèrent que du plus au
moins, par l'excès dans celui-ci, ou par le défaut dans celui-là.
Etude spéciale
sur les animaux supérieurs; du rapprochement des sexes dans l'espèce humaine;
erreur sur l'action de la respiration; disposition de la matrice chez les
femmes; époques périodiques de la menstruation; abondance des menstrues; la
femme fournit la matière; et l'homme donne le mouvement et la vie; des
hybrides; mélange de la liqueur spermatique et du fluide mensuel; du plaisir
provoqué dans l'homme et dans la femme ; conceptions sans la sensation du
plaisir ordinaire; action particulière de la matrice retenant le sperme déposé
par l'homme; erreur de ceux qui supposent que la femme émet aussi une liqueur
spermatique; cette émission est impossible; car, si elle était extérieure, elle
aurait pour résultat d'empêcher la génération, contre le vœu de la nature.
§
1. Les
animaux à qui la Nature a donné une organisation moins complète, mettent au
jour un embryon qui est complet dès qu'il naît, mais qui, sous le rapport de
l'animalité, n'est pas encore un animal complet ; [10] nous avons expliqué plus
haut comment cela peut se faire. Le jeune embryon est complet en ce sens qu'il
est déjà mâle ou femelle, dans toutes les espèces où cette différence existe.
Car il y a des espèces qui ne produisent ni femelle ni mâle ; et ce sont les
espèces qui ne naissent elles-mêmes, ni de femelle et de mâle, ni d'animaux
accouplés. Nous aurons aussi plus tard à parler de la [15] génération de ces
animaux.
§
2. Les
animaux complets qui sont vivipares dans leur propre sein, gardent et
nourrissent, dans leur intérieur, l'animal de même nature qui doit naître
d'eux, jusqu'au moment où ils le produisent au dehors et le mettent au jour.
Mais les animaux qui produisent aussi à l'extérieur un être vivant, après avoir
d'abord conçu un œuf dans leur sein, pondent un œuf complet. Chez quelques-uns,
l'œuf se détache, [20] comme on le voit pour l'œuf des ovipares, et le jeune
sort de l'œuf, qui était dans la femelle ; chez d'autres, au contraire, lorsque
la nourriture fournie par l'œuf a été absorbée tout entière, l'animal est
achevé par la matrice; et alors, l'œuf ne se détache pas de la matrice même.
C'est l'organisation que présentent les sélaciens, dont nous aurons bientôt à
parler [25] d'une manière toute spéciale.
§
3. Pour le
moment, nous allons premièrement étudier les premiers des animaux. Or ce sont
les animaux complets qui tiennent le premier rang; ces animaux sont vivipares ;
et parmi les vivipares, c'est l'homme qui est le premier de tous. Dans tous les
vivipares, la sécrétion du sperme se fait comme celle de tout autre excrément.
Toute excrétion se porte dans le lieu qui lui est propre, sans que la
respiration [30] ait besoin de l'y pousser par aucun effort violent, ou sans
qu'aucune autre cause analogue ait à exercer une action indispensable.
§
4. Car on a
prétendu que les testicules attirent le sperme à eux en manière de ventouse, et
qu'on l'y pousse par la respiration, comme s'il se pouvait que, sans ce violent
effort, cette sécrétion particulière, et l'excrément de la nourriture liquide
ou solide, se dirigeât ailleurs, parce que, dit-on, c'est en accumulant sa
respiration qu'on [35] expulse ces excréments divers. Cette condition est
commune tous les cas où il faut déterminer quelque mouvement, parce que c'est
en effet en retenant sa respiration [738b] qu'on se donne de la force. Même sans qu'il
y ait besoin de cet effort, les excrétions sortent pendant qu'on dort, quand
les lieux qui les reçoivent sont relâchés et pleins de leur sécrétion
particulière. Cette théorie n'est pas plus raisonnable que si l'on allait
croire que, dans les plantes, les semences [5] sont poussées, par un souffle
quelconque, vers les lieux où d'ordinaire elles portent leur fruit.
§
5. La cause
de ce phénomène, c'est tout simplement, ainsi qu'on l'a dit, que, dans tous les
animaux, il y a des organes faits pour recevoir les excrétions et les matières
inutiles à la nutrition, soit sèches, soit liquides, comme, pour le sang, il y
a ce qu'on appelle les veines.
Dans les femelles, la région
des matrices est disposée de telle [10] façon que les deux veines, la grande
veine et l'aorte, se divisant, des veines nombreuses et fines viennent aboutir
aux matrices. Ces veines étant surabondamment remplies par la nourriture, et
leur nature, à cause de sa froideur même, n'étant pas capable de coction, la
sécrétion se rend par des veines très fines dans les matrices; et comme les
matrices ne peuvent, [15] étroites ainsi qu'elles le sont, recevoir cette
surabondance excessive, il s'y produit comme un écoulement sanguin, ou une
hémorroïde.
§
6. Il n'y a
pas, pour les femmes, d'époque absolument régulière ; mais on conçoit bien que
l'évacuation ait lieu ordinairement vers la fin des mois. En effet, les corps
des animaux deviennent plus froids quand l'air ambiant se refroidit aussi. Or,
les fins de mois sont froides, à cause de la disparition de la lune ; et c'est
là ce qui fait que les fins de mois sont généralement plus agitées et plus
refroidies que leurs milieux. C'est à cette période que l'excrétion qui s'est
changée en sang, tend à produire les évacuations mensuelles; et la coction a
beau n'être pas [25] complète, il sort toujours du sang, mais en petite quantité.
§
7.
Même à l'époque où les femmes sont encore tout enfants, il sort quelques
vestiges blancs très faibles. Lorsque ces deux genres d'excrétions sont dans
une mesure modérée, les corps s'en trouvent bien, parce qu'il y a, dans ce cas,
évacuation purgative des excrétions qui pourraient causer des maladies. [30] Au
contraire, si les évacuations n'ont pas lieu, ou si elles sont trop abondantes,
le corps souffre, soit qu'elles déterminent des maladies, soit qu'elles
épuisent simplement le corps en l'affaiblissant. Quand elles sont
continuellement blanches ou trop abondantes, elles empêchent la croissance des
filles.
§
8. D'après
les causes qu'on vient d'indiquer, on doit voir pourquoi cette évacuation est
nécessaire chez les femmes. Comme la coction naturelle ne [35] peut se faire,
il faut qu'il se forme un excrément, non pas seulement de la nourriture qui n'a
pas été employée, mais il faut aussi que cette excrétion se produise dans les
veines, dont les plus étroites se trouvent surabondamment remplies. C'est en
vue [739a] du mieux et de la fin à atteindre que la
Nature emploie, en faveur de la génération, la matière accumulée en ce lieu,
pour qu'il en sorte un autre être pareil, ainsi que cela doit se faire ; car
cet être nouveau est déjà en puissance ce qu'est le corps qui a cette
sécrétion.
§
9.
Ainsi, toutes [5] les femelles doivent nécessairement avoir cette excrétion,
qui est plus abondante chez les animaux pourvus de sang, et qui l'est dans
l'espèce humaine plus que dans toute autre. Il y a également nécessité, pour
les autres espèces, qu'il se forme une certaine accumulation de sang dans la
région de la matrice. Mais nous avons dit, antérieurement, pour quoi cette
sécrétion est plus abondante chez les animaux qui ont beaucoup de sang, et
pourquoi elle l'est plus particulièrement chez l'homme.
§
10.
Cette excrétion a lieu dans toutes [10] les femelles sans exception; mais elle
n'a pas lieu chez tous les mâles; car il y en a qui n'émettent pas de semence.
Mais de même que ceux qui en émettent engendrent, par le mouvement du sperme,
le produit qui se forme de la matière fournie par la femelle, de même ces
autres animaux, grâce au mouvement qui est en eux, dans la partie où s'élabore
le sperme, accomplissent la même fonction et constituent [15] également un être
nouveau.
§
11.
Ce lieu, dans tous les animaux de ce genre, est placé sous le diaphragme, quand
ils en ont un ; car le cœur, ou l'organe correspondant, est le principe de leur
nature et de leur vie; la partie inférieure n'en est qu'une annexe, et elle est
destinée à faciliter son action. Ce qui fait que tous les mâles n'ont pas cette
excrétion génératrice, tandis que toutes les femelles doivent l'avoir, c'est
que l'animal est un corps vivant. [20] Toujours la femelle donne la matière, et
le mâle fournit le principe créateur. Selon nous, c'est là réellement l'action
de l'un et de l'autre ; et c'est précisément ce qui fait que l'un est femelle,
et que l'autre est mâle. Il y a donc nécessité que la femelle fournisse le
corps et la masse ; mais ce n'est pas nécessaire pour le mâle.
Dans les êtres qui sont
produits, il n'est pas nécessaire [25] non plus que se trouvent déjà les
organes, ni le principe qui les fait.
§
12.
Ainsi, le corps vient de la femelle, et l'âme vient du mâle. L'âme est
l'essence d'un corps ; et voilà comment, lorsque, dans des genres qui ne sont
pas les mêmes, la femelle et le mâle viennent à s'accoupler, parce que les
époques du rut et de la gestation se rapprochent et que les dimensions
corporelles [30] ne sont pas par trop différentes, le produit qui résulte de
l'accouplement ressemble d'abord aux deux parents, comme on le voit sur les
hybrides du renard et du chien, de la perdrix et de la poule; mais au bout de
quelque temps, et avec les générations qui se succèdent, les produits
reprennent la forme de la femelle. C'est ainsi que les semences de plantes
étrangères se modifient [35] selon le sol où on les met ; car c'est le sol qui
fournit la matière et le corps aux semences qu'on y dépose.
§
13.
Voilà encore pourquoi, dans les femelles, l'organe qui est destiné à recevoir
l'embryon n'est pas un simple canal, et pourquoi les matrices sont susceptibles
de s'agrandir. [539b] Les mâles qui émettent du sperme ont des
canaux ; et ces canaux n'ont pas de sang. Ainsi, les deux sécrétions se
produisent chacune clans les lieux qui leur sont propres; et c'est là également
qu'elles se forment. Mais auparavant, il n'y a rien de cela, à moins que ce n'y
soit introduit par une grande violence et contre nature.
§
14.
Tout ceci doit faire voir comment [5] les excrétions génératrices se forment
dans les animaux. Quand le sperme est sorti du mâle, dans les espèces qui
émettent de la liqueur spermatique, c'est le plus pur de l'excrétion mensuelle
qu'il y constitue ; car, dans les menstrues, la plus grande partie est inutile
et est liquide, comme dans le mâle la plus grande partie de la semence est très
liquide, à la prendre dans une seule [10] émission ; le plus souvent, la
première émission est inféconde plus que la suivante. Elle a moins de chaleur
vitale, parce qu'elle a moins de coction, tandis que la semence parfaitement
cuite a de l'épaisseur et beaucoup plus de corps.
§
15.
Les femmes, ou dans les autres espèces d'animaux, les femelles qui n'ont pas
d'émission extérieure, parce que, chez elles, il n'y a pas dans cette sorte
[15] de sécrétion une assez grande quantité d'excrément inutile, ne produisent
de ce liquide que ce qui en reste chez les animaux qui ont une émission
extérieure. Ce résidu est organisé par la force qui est dans le sperme élaboré
par le mâle, ou bien par la partie analogue de la matrice qui est introduite
dans le mâle, ainsi qu'au l'observe [20] chez quelques insectes.
§
16.
Nous avons dit, plus haut, que la liqueur provoquée par le plaisir dans les
femmes ne contribue en rien à la conception. On pourrait tirer un argument qui
semblerait décisif de ce fait que les femmes sont soumises aussi bien que les
hommes à des rêves lubriques. Mais ce n'est pas là du tout une preuve ; car cet
accident arrive à des jeunes gens [25] qui sont près d'avoir du sperme, mais
qui n'en émettent pas encore, ou à des mâles qui n'en émettent que d'infécond.
C'est que, sans l'émission du sperme du mâle dans la copulation, la conception
est impossible, de même qu'elle l'est sans l'excrétion des règles, soit
qu'elles se manifestent au dehors, soit que, restant en dedans, elles y aient
une abondance suffisante.
§
17.
Il se peut d'ailleurs fort bien que la conception ait lieu sans que le plaisir
ordinaire que ce rapprochement cause aux femmes, ait été ressenti ; il suffit
que le lieu se soit trouvé en orgasme et que les matrices se soient abaissées
assez près. Mais d'ordinaire la conception se produit même en ce cas, par cela
seul que l'ouverture de la matrice ne s'est pas fermée, au moment où survient
l'émission qui cause habituellement le plaisir au hommes et aux femmes. Dans
cette disposition [35] des organes, la voie est plus facile à la liqueur sortie
du mâle.
§
18.
D'ailleurs, l'émission de la femme ne se fait pas à l'intérieur, comme quelques
naturalistes le supposent, parce que l'ouverture des matrices est trop étroite
; mais elle se fait en avant, là où la femme émet la sérosité [740a] qui se remarque chez quelques-unes, et où le
mâle émet aussi la liqueur séminale. Parfois, les choses demeurent dans cette
condition ; mais, parfois aussi, la matrice attire le sperme à elle au dedans,
quand elle est convenablement disposée, et qu'elle est échauffée par
l'évacuation mensuelle. Ce qui le prouve, [5] c'est que les compresses
mouillées qu'on place dans la matrice, sont sèches quand on les retire.
§
19.
Dans tous les animaux qui ont la matrice sous le diaphragme, comme les oiseaux
et les poissons vivipares, il est impossible que le sperme n'y soit pas attiré
et qu'il y aille par l'émission. Mais le lieu attire la semence par la chaleur
qui lui est propre. [10] L'éruption des menstrues et leur accumulation enflamme
la chaleur de l'organe, de même que des vases sans bouchon, si on les emplit
d'eau chaude, tirent l'eau à eux, quand on en renverse l'ouverture.
§
20.
C'est ainsi que le sperme est absorbé ; mais l'absorption ne se fait pas du
tout, comme quelques naturalistes le prétendent, dans les organes [15] qui
concourent au rapprochement des sexes. Les choses se passent aussi tout
autrement que ne le croient ceux qui assurent que les femmes émettent du sperme
comme l'homme; car si les matrices faisaient quelque émission au dehors, elles
la devraient reprendre au dedans, pour la mêler à la liqueur séminale du mâle ;
mais ce serait là une opération bien inutile, et la Nature ne fait jamais [20]
rien en vain.
Elle agit à
peu près comme la présure sur le lait ; des membranes et des chorions qui se
forment autour de l'embryon ; analogie du développement du fœtus et de la
graine des végétaux; le cœur est l'organe qui apparaît le premier; erreur de Démocrite
; action du sang; citation de l'Histoire des Animaux et des Descriptions
Anatomiques ; des veines qui partent du cœur pour se rendre à la matrice; rôle
du cordon ombilical; Démocrite se trompe sur la nutrition du fœtus ;
impossibilité de sa théorie; les membres du fœtus ne viennent pas des membres
de la mère; la femme fournit la matière, et l'homme fournit le principe du
mouvement ; action spéciale de l'âme nutritive; procédés de l'art comparés à
ceux de la Nature.
§
1. Quand la
sécrétion de la femme contenue dans la matrice a pris quelque consistance, sous
l'action de la semence du mâle, cette semence y produit quelque chose qui
ressemble beaucoup à l'action de la présure sur le lait. La présure est un lait
contenant de la chaleur vitale, qui réunit en une seule masse toute la matière
identique pour la solidifier. C'est là précisément l'action [25] de la semence
génératrice sur la nature des menstrues ; car la fonction naturelle du lait et
des menstrues est toute pareille.
§
2. La partie
corporelle se coagulant, la partie liquide se sépare ; puis, les portions terreuses
se desséchant, il se forme des membranes tout autour, par une action
nécessaire, et aussi en vue d'un certain but à atteindre. Les extrémités
doivent se dessécher, soit que les autres parties s'échauffent, soit qu'elles
se refroidissent; car il ne faut pas [30] que l'embryon soit dans le liquide;
mais il doit en être séparé. Ces extrémités s'appellent les unes des membranes;
les autres, des chorions ; mais entre les unes et les autres, il n'y a
différence que du plus au moins. On les retrouve également, soit dans les
ovipares, soit dans les vivipares.
§
3. Quand
l'embryon a pris de la consistance, il se conduit à peu près comme les graines
qu'on a semées en terre ; car le principe premier du végétal [35] se trouve
aussi dans les semences elles-mêmes. Mais lorsque le principe, après n'avoir
été qu'en puissance d'abord, vient ensuite à se diviser, il en sort à la fois
la tige et la racine; et l'on sait que c'est par la racine que le végétal prend
la nourriture [740b] qui est nécessaire à son développement. De
même, tous les organes sont en puissance dans l'embryon à certains. égards ;
mais c'est surtout le principe qui est près de se manifester.
§
4. Voilà
comment, en fait, c'est tout d'abord le cœur qui se distingue dans l'animal; et
c'est ce dont on peut s'assurer, non pas seulement par l'observation sensible,
[5] qui constate que les choses se passent bien ainsi, mais encore par la
réflexion. En effet, quand l'embryon s'est détaché des deux parents, il doit
avoir une existence à part et par lui-même, comme doit se suffire un enfant mis
par son père hors de la maison. Il faut par conséquent qu'il possède, dès lors,
le principe d'où sort plus tard, pour les êtres vivants, l'organisation
régulière de leur corps ; car, si ce principe devait lui venir du dehors, pour
entrer dans l'embryon à une époque postérieure, [10] non seulement on aurait à
se demander à quel moment ce principe pourrait survenir; mais on peut affirmer
qu'il y a nécessité qu'il existe préalablement, dès que chacune des parties de
l'embryon vient à se diviser, puisque c'est de ce principe que tous les organes
doivent recevoir et leur croissance et leur mouvement.
§
5. Aussi, n'est-on
plus dans le vrai quand on dit, avec Démocrite, que ce sont les parties
extérieures des animaux qui se divisent les premières, et que ce sont ensuite
les parties [15] internes. Cela est bon à dire quand il s'agit d'animaux de
bois ou de pierre; mais ces animaux-là n'ont pas le moindre besoin d'un
principe, tandis que tous les animaux vivants en ont un, et qu'ils l'ont à
l'intérieur. Aussi, dans tous les animaux qui ont du sang, c'est le cœur qui
apparaît et se distingue le premier, parce que c'est lui qui est le principe
des parties similaires, aussi bien que des parties non similaires.
§
6. Il
est tout simple, en effet, de supposer que c'est le cœur qui est le principe
[20] de l'animal et de son organisme entier, dès que l'animal a besoin de se
nourrir. Du moment qu'il existe, il se développe ; or, la nourriture dernière
de l'animal est le sang, ou tel autre fluide analogue à celui-là. Le vase qui
contient ces fluides, ce sont les veines ; et c'est pour cette raison que le
cœur en est le principe. On peut voir tout cela dans l'Histoire des Animaux et
dans les Descriptions Anatomiques.
§
7.
L'embryon étant déjà en puissance un animal, mais un animal incomplet, il doit
nécessairement [25] tirer sa nourriture d'un autre être. Il se sert donc de la
matrice et de la femelle qui possède cet organe, comme la plante se sert de la
terre, pour se nourrir, jusqu'à ce qu'il soit devenu un animal assez achevé
pour être capable de marcher. C'est là pourquoi la Nature a tracé les deux
premières veines qui partent du cœur; et de celles-ci, de petites veines qui se
rendent à la matrice. C'est ce [30] qu'on appelle l'ombilic, qui est tantôt une
seule veine chez certains animaux, et tantôt plusieurs veines chez d'autres.
Autour des veines, il y a une enveloppe de peau qu'on appelle l'ombilic, pour
maintenir et protéger ces veines, qui autrement seraient trop faibles.
§
8. Les
veines se rendent à la matrice, comme des racines, d'où l'embryon tire [35] la
nourriture dont il a besoin ; car c'est pour se nourrir que le petit animal
séjourne dans les matrices, et non pas du tout, comme le croit Démocrite, pour
que les membres du fœtus s'y moulent sur les membres de la mère. On peut voir
bien clairement ce qu'il en est [741a] dans les ovipares ; les petits prennent leur
développement et les divisions de leurs membres dans l'œuf, bien qu'ils soient
séparés de la mère.
§
9. Mais si
le sang est la nourriture de l'animal, et que le cœur soit le premier organe où
se montre le sang, et si la nourriture doit venir du dehors, on peut se
demander, puisque c'est le sang qui nourrit, d'où vient [5] la première
nourriture qui est entrée dans l'embryon ? Ou bien, peut-être est-il faux que
toute espèce de nourriture vienne toujours de l'extérieur, et peut-être
vient-elle immédiatement dans l'embryon, et que, de même que dans les graines des
végétaux, il y a aussi quelque chose d'approchant qui d'abord se montre sous
une apparence laiteuse, de même, dans la matière des animaux, c'est le résidu
de l'organisme qui devient la nourriture du fœtus ? Ainsi, l'accroissement de
l'embryon se fait par le cordon ombilical de la même manière [10] qu'il se fait
dans les plantes par les racines, et comme il se fait pour les animaux
eux-mêmes, quand ils sont séparés de leur auteur, par la nourriture qu'ils ont
en eux.
§
10.
Nous nous occuperons de tous ces détails lorsque le moment en sera venu dans
nos études. Pour l'instant, il suffira de dire que la division des membres ne
se produit pas de la manière que supposent quelques naturalistes, qui croient
que le semblable va nécessairement au semblable; car, sans parler de bien
d'autres [15] difficultés que cette théorie peut présenter, il faudrait, dans
cette hypothèse, que chacune des parties similaires se formât séparément : les
os se formeraient à part et à eux seuls ; les nerfs aussi, et les chairs
également, si l'on admettait cette cause du phénomène. Mais, c'est parce que
l'excrétion de la femelle est en puissance ce que l'animal est dans sa nature
[20] complète, et que tous les organes s'y trouvent virtuellement sans qu'aucun
y soit en fait, que chacun de ces organes se produit. Dès que l'agent et le
patient sont en contact, dans le rapport où l'un est agent et où l'autre est
patient, et j'entends par là qu'ils se touchent de la manière, dans le lieu et
dans le moment où ils doivent se toucher, tout aussitôt l'un est actif et
l'autre est passif.
§
11.
On voit donc que la femelle [25] fournit la matière, et que le mâle fournit le
principe du mouvement. De même que les produits de l'art sont exécutés par les
instruments dont l'artiste se sert, ou plutôt et pour mieux dire, par le
mouvement des instruments, ce mouvement n'étant que l'acte de l'art, et l'art
n'étant que la forme des choses produites dans une autre chose, de même ici se
manifeste la force de l'âme nutritive. [30] De même encore que c'est elle qui
produit plus tard, par la nourriture, l'accroissement des animaux et des
plantes, en se servant comme instruments de la chaleur et du froid, par
lesquels elle développe son mouvement et devient l'une et l'autre dans une
proportion déterminée, de même c'est elle qui constitue également, dès le
début, l'être que crée la Nature.
§
12.
L'âme nutritive est la matière même qui fait croître l'animal et qui [35] le
détermine tout d'abord, de telle sorte que la force qui le produit se confond
avec le générateur primordial. Si c'est bien là ce qu'est l'âme nutritive,
c'est elle aussi qui engendre l'être. Elle est précisément la [741b] nature de chacun des êtres, qui se retrouve
essentiellement inhérente à toutes les plantes et à tous les animaux, tandis
que les autres parties de l'âme se trouvent dans tels animaux, et ne se
trouvent pas dans tels autres.
C'est que
l'animal se distingue par la sensibilité, et que c'est le mâle qui apporte
l'âme sensible ; des œufs clairs des oiseaux; ils n'ont que l'âme nutritive,
qui ne suffit pas sans l'âme sensitive; le mâle serait alors inutile, et la
Nature ne fait jamais rien en vain; comparaison avec les automates et leurs
mouvements successifs ; erreur de quelques naturalistes; le cœur agit le
premier, et cesse d'agir le dernier.
§
1. Dans les
végétaux, la femelle n'est pas séparée du mâle ; mais dans les animaux où [5]
les deux sexes sont isolés, le mâle a besoin de la femelle, sans qui il ne peut
rien. Ici l'on peut se poser une question : Si la femelle a la même âme que le
mâle, et si la matière du fœtus est bien l'excrétion de la femelle, comment se
fait-il que la femelle ait encore besoin du mâle? Et pourquoi la femelle
n'est-elle pas en état d'engendrer a elle seule, en tirant tout d'elle-même?
§
2. La cause
en est que c'est par la faculté de la sensibilité que l'animal diffère de la
plante et s'en distingue. [10] Or, il est impossible que le visage, la main, la
chair ou toute autre partie du corps existent sans que l'âme sensible ne soit
dans toutes ces parties, ou en acte ou en puissance, sans qu'elle y soit ou
jusqu'à une certaine mesure, ou d'une manière absolue. Autrement, le corps ne
serait qu'un cadavre ou une partie de cadavre. Si donc le mâle est le créateur
de l'âme sensitive, dans les espèces où la femelle et le mâle sont séparés, il
est bien impossible que [15] la femelle à elle seule produise un être animé;
car nous avons vu que c'était là la fonction propre du mâle.
§
3.
Cependant, la question qu'on se pose ici n'est pas sans quelque raison, et on
peut l'appuyer sur le fait de la production des œufs clairs que pondent les
oiseaux; ce fait prouve que jusqu'à un certain point la femelle peut engendrer
à elle seule. Il est vrai qu'on doit se demander aussi comment on peut aller
jusqu'à dire que ces œufs-là sont vivants. Ainsi, [20] l'on ne peut pas croire
que ces sortes d'œufs soient tout ce que sont les œufs féconds, puisqu'alors il
en sortirait également en fait un être animé ; mais ces œufs ne sont pas
davantage des choses inertes comme le bois ou la pierre.
§
4.
Il faut donc supposer qu'il y a pour ces œufs une espèce d'altération qui les
détruit, et qu'en quelque manière ils avaient antérieurement la vie en partage.
Ils ont donc évidemment une âme quelconque en puissance. Mais quelle est cette
espèce d'âme ? Certainement, ce ne peut être que le plus bas degré de l'âme, en
d'autres termes, l'âme [25] nutritive, qui se trouve indifféremment dans tous
les animaux et dans toutes les plantes. Pourquoi ne suffit-elle pas à faire
tous les organes et l'animal complet? C'est que l'animal et les organes doivent
avoir l'âme sensitive.
§
5. Les
parties des animaux ne sont pas comme celles de la plante; et voilà pourquoi
elles ont besoin de la coopération du mâle, qui est séparé dans les animaux de
cette espèce. C'est précisément ce qui arrive pour les œufs clairs; ils [30]
peuvent devenir féconds, si, à un certain moment, le mâle couvre la femelle. Du
reste, nous essaierons ultérieurement d'expliquer la cause de ces phénomènes.
S'il existe une espèce d'animaux qui soit femelle, sans qu'il y ait de mâle
séparé, des animaux de ce genre peuvent sans copulation produire d'eux seuls un
être animé.
§
6. Jusqu'à
présent du moins, on n'a pu en avoir la certitude par des observations dignes
de foi; mais on peut hésiter en ce qui concerne les poissons. Parmi ceux qu'on
appelle des rougets, on n'a pas pu encore reconnaître de mâle; ils sont tous
des femelles pleines de frai. Mais, les observations sur ces poissons ne sont
pas encore tout à fait concluantes; on n'y connaît pas plus de femelles et de
mâles que dans le genre de poissons [742a] qui composent les anguilles, et une espèce
de muges qui vivent dans les rivières marécageuses.
§
7.
Dans les espèces où la femelle et le mâle sont séparés, il est impossible que
la femelle à elle seule puisse produire un jeune complètement formé; car alors
le mâle serait inutile, tandis que jamais la Nature ne fait rien [5] en vain.
Aussi, dans ces espèces, est-ce toujours le mâle qui achève et complète la
génération. Il y apporte l'âme sensitive, soit directement par lui-même, soit
par l'intermédiaire de la semence. Les organes de l'embryon sont en puissance
dans la matière, lorsqu'y survient le principe du mouvement, ainsi que, dans
les automates bien faits, les mouvements se produisent à la suite les uns des
autres.
§
8. Quand
quelques naturalistes [10] prétendent que le semblable se porte vers le
semblable, il faut entendre cette théorie en ce sens, non pas que les parties
se meuvent en changeant de place, mais que, restant en place et modifiées par
la mollesse, par la dureté, par les couleurs, ou telles autres différences
analogues des parties similaires, les organes deviennent en fait ce qu'ils
n'étaient antérieurement qu'en puissance. [15] Tout d'abord, c'est le principe
de tout le reste qui se constitue ; et ce principe, ainsi que nous l'avons
souvent répété, c'est le cœur dans les animaux qui ont du sang ; et c'est, dans
les autres, l'organe correspondant.
§
9. C'est ce
qu'on peut voir par l'observation sensible, non seulement au début de
l'existence, mais en outre au moment de la mort. Le cœur est le dernier organe
qui garde la vie, et qui cesse le dernier de vivre. Or, toujours ce qui naît en
dernier lieu [20] est le premier à disparaître ; et le premier en date est ce
qui disparaît le dernier, comme si la Nature faisait une course double et
revenait à son point de départ. La génération en effet va de ce qui n'est pas à
ce qui est; et la destruction va en sens contraire, de ce qui est à ce qui
n'est pas.
Erreur de
quelques naturalistes sur l'influence de la respiration de la mère ; cécité des
jeunes au moment de la naissance; des sens divers du mot Antérieur; trois
conditions indispensables à l'être : le moteur, le but et le moyen; explication
insuffisante de Démocrite, qui n'admet que la nécessité et l'éternité des
choses; démonstration possible de certaines vérités éternelles; le cœur est le
premier viscère qui entre en action; effet de la chaleur interne et du froid
sur la formation successive des organes ; la chaleur constitue le cœur, et le
froid constitue le cerveau; c'est surtout la tête qui se développe après le
cœur; grosseur excessive des yeux dans le fœtus ; constitution de l'œil ; la
vue est le seul sens qui ait un organe isolé; formation de la fontanelle chez
les enfants; grosseur démesurée de leur tête; sagesse de la Nature ;
développement général des os; de la croissance des ongles et des cheveux, qui poussent
encore sur le cadavre après la mort ; des dents, particulièrement chez l'homme;
ce sont des os, mais se distinguant des autres par leur croissance constante:
usure des dents avec l'âge : l'homme naît sans dents; indication d'études
ultérieures.
§
1. [25] Une
fois que le principe est formé, ainsi qu'on vient de le dire, ce sont les
viscères intérieurs qui se développent tout d'abord, avant les organes externes.
Les organes volumineux
paraissent avant les plus petits, bien que quelques-uns n'existassent même pas
auparavant. Les parties supérieures, c'est-à-dire celles qui sont au-dessus de
la ceinture, se divisent les premières en membres reconnaissables ; et elles
grossissent. Le bas reste plus petit et moins distinct.
§
2. Cet
aspect successif se présente [30] chez tous les animaux dans lesquels on
distingue un haut et un bas. Il faut cependant en excepter les insectes; dans
ceux d'entre eux qui font des larves, la croissance se fait par le haut; le
haut chez eux est plus petit dès le début. Le haut et le bas ne sauraient se
distinguer dans les seules espèces des mollusques qui se déplacent. D'ailleurs,
cette même observation peut s'appliquer aux [35] plantes, dans lesquelles la
masse d'en haut se développe avant celle du bas; car les graines poussent des
racines avant de pousser des tiges.
§
3.
Il est bien possible que les parties diverses des animaux se déterminent par le
souffle qui les anime; mais ce n'est pas certainement par celui de la mère, qui
les produit, ni par celui de l'animal lui-même, comme le prétendent [742b] quelques naturalistes. C'est ce dont il est
facile de se convaincre en observant les oiseaux, les poissons et les insectes;
car parmi ces êtres, les uns, séparés de la mère, sortent d'un œuf dans lequel
ils reçoivent l'articulation de leurs membres; d'autres ne respirent pas du
tout; et ils paraissent à l'état de larves ou à [5] l'état d'œuf; d'autres
enfin qui respirent, et qui prennent et forment leurs organes dans la matrice,
ne respirent pas cependant avant que le poumon n'ait reçu son complet
développement. Le poumon lui-même s'organise ainsi que les parties antérieures,
avant que l'animal ne puisse respirer.
§
4. Tous les
quadrupèdes fissipèdes, tels que le lion, le loup, le renard, le lynx, font
tous des petits aveugles ; et chez ces animaux, [10] la paupière des jeunes ne
s'ouvre que plus tard. Ceci prouve évidemment que, dans ce cas aussi bien que
pour tous les autres, de même que la qualité et la quantité ne sont d'abord
qu'en puissance et ne deviennent en acte que postérieurement, de même et par
suite des mêmes causes qui déterminent la qualité, il se forme deux êtres au
lieu d'un. Il faut nécessairement qu'il y ait là un souffle de vie, [15]
puisqu'il y a tout à la fois liquidité et chaleur; et ce souffle vital doit
être celui de l'être qui agit, et aussi de l'être qui souffre. Quelques-uns des
naturalistes anciens ont tâché de nous dire quelle partie vient avant l'autre,
sans avoir suffisamment observé les faits tels qu'ils se passent. Pour les
organes aussi bien que pour tout le reste, il est bien vrai que l'un se forme
naturellement avant l'autre et lui est antérieur.
§
6. Mais,
Antérieur [20] est un mot qui a plusieurs sens; et il faut bien distinguer
entre la cause finale prise en général, et la cause finale de telle chose en
particulier. L'une est antérieure à l'autre, parce qu'elle naît plus tôt; mais
l'autre est antérieure par son essence. La cause finale particulière présente
elle-même deux sens distincts: ici l'origine du mouvement, et là le moyen
qu'emploie la cause finale pour atteindre un but spécial.
§
7. J'entends
par là, d'une part, l'être qui engendre ; et d'autre part, l'organisation de
l'être engendré. [25] De ces choses, l'une doit nécessairement être antérieure
à l'autre ; et l'antérieure est celle qui fait l'action, comme, par exemple, le
maître qui enseigne est antérieur à l'élève qu'il instruit; comme la flûte ne vient
qu'après celui qui apprend à en jouer; car des flûtes seraient bien inutiles
pour qui ne saurait pas jouer de cet instrument.
§
8. Il
y a donc ici trois choses à considérer : d'abord le but, c'est-à-dire ce qui,
selon nous, est le pourquoi en vue duquel se fait tout le reste ; en second
lieu, parmi ces pourquoi et ces buts, vient [30] le principe moteur et
générateur; car ce qui fait et engendre n'est ce qu'il est que relativement à
l'être fait et engendré par lui; en dernier lieu, la troisième chose à
considérer est le moyen dont la fin se sert et qui est à son usage. De toute
nécessité, il faut donc qu'il y ait d'abord une partie où se trouve le principe
du mouvement ; et ce principe devient directement une portion du but, la
portion unique et capitale entre toutes.
[35] Vient en second lieu,
l'être total et le but poursuivi ; et en troisième et dernier lieu, les organes
dont ils ont besoin pour pouvoir accomplir certaines fonctions particulières.
§
9. Par
conséquent, s'il y a quelque organe qui doive être nécessairement dans les [743a] animaux, et qui renferme, la fois, le
principe et la fin de ce qui fait toute leur nature c'est cet organe qui doit
nécessairement naître avant tout autre, en tant que moteur premier, et aussi en
tant que partie de la fin de l'être et de tout son ensemble. Ainsi donc, dans
les parties organiques qui sont faites naturellement pour engendrer, ce sont
celles-là qui doivent toujours [5] être antérieures aux autres, puisque, en
tant que principe, elles ont un autre être pour but; et que celles qui ne sont
pas dans cette condition, ne doivent venir qu'après celles qui ont un autre
être pour objet.
§
10.
Du reste, il n'est pas facile de distinguer quels sont les organes qui sont
antérieurs, quels sont ceux qui ont un autre être pour but, et quel est leur
but véritable. Ce qui redouble l'embarras, c'est que les parties qui donnent le
mouvement sont, sous le rapport de leur production, antérieures à la fin
poursuivie; et les parties motrices [10] sont bien difficiles à distinguer des
parties organiques.
§
11.
C'est cependant par cette méthode qu'il faut rechercher comment tel organe
vient après tel autre. Tantôt la fin est postérieure; tantôt elle est
antérieure; et voilà pourquoi l'organe qui renferme le principe vient le
premier, et pourquoi la masse supérieure du corps ne vient qu'à la suite de
celle-là.
Voilà aussi comment c'est la
région de la tête et celle des yeux qui se montrent les plus grandes [15] dans
les fœtus, et comment les parties au-dessous du nombril, telles que les jambes,
se montrent d'abord si petites.
Cette disposition tient à ce
que le bas est fait pour le haut, et qu'il n'est, ni une partie de la fin à
atteindre, ni capable de la produire.
§
12.
C'est donc se tromper et mal expliquer la nécessité du moyen employé que de se
borner à dire que les choses sont toujours ce qu'elles sont, et à trouver là
toute [20] l'origine des choses, comme le fait Démocrite d'Abdère, quand il
avance qu'il n'y a pas de commencement pour l'éternel ni pour l'infini, que le
moyen employé est le seul principe et que l'éternel est infini ; de telle sorte
que, selon lui, demander sur ces questions quel est le moyen employé pour
atteindre le but, c'est rechercher encore le commencement de l'infini.
§
13.
Si l'on adoptait cette façon de raisonner, qui dispense ces naturalistes
d'étudier le moyen par lequel se font les choses, il n'y aurait plus [25] de
démonstration possible de choses éternelles. Cependant, il y a bien des choses
éternelles qu'on démontre, soit qu'elles se produisent éternellement, soit
qu'elles existent de toute éternité. Ainsi, une des vérités éternelles, c'est
que le triangle a ses angles égaux à deux droits, c'est que le diamètre est
incommensurable au côté; cependant, on trouve la cause et la démonstration de
ces vérités géométriques. Sans doute, on a bien raison de croire qu'il ne faut
pas chercher [30] un principe à tout sans exception; mais on aurait tort de ne
pas chercher le principe de ce qui est toujours ou se produit toujours, si ce
n'est quand il s'agit des principes mêmes des choses éternelles. C'est par une
tout autre voie qu'on connaît alors le principe, et il n'y a pas pour lui de
démonstration possible. Dans les choses immuables, le principe, c'est ce
qu'elles sont; mais dans les choses qui naissent et se produisent, il y a
plusieurs principes, qui sont fort divers, et qui ne sont pas les mêmes [35]
pour toutes.
§
14.
Un de ces principes, c'est celui d'où part le mouvement; et c'est pourquoi,
chez tous les animaux qui ont du sang, c'est le cœur qui se montre le
premier, ainsi que nous l'avons dit en commençant. Dans les animaux qui n'ont
pas de sang, c'est l'organe correspondant au cœur qui se montre [743b]avant les autres. Du cœur, partent des veines
qui font l'effet de ces dessins que les peintres esquissent sur les murs. Les
parties se disposent autour de ces veines comme si elles-mêmes en sortaient.
Les parties similaires sont produites par le froid et la chaleur; [5] car il y a
des choses qui se constituent et se coagulent par le froid ; d'autres, par la
chaleur. Sur la différence de ces actions du froid et du chaud, on peut voir ce
que nous en avons dit dans d'autres ouvrages, où nous avons expliqué quelles
sont les matières solubles par le liquide ou le feu, et quelles sont les
matières qui ne sont pas solubles dans l'eau, et que le feu ne fond pas.
§
16.
La nourriture circule donc dans les veines et dans les vaisseaux de chaque
organe, comme l'eau [10] peut circuler dans des tuyaux de poteries sèches. Les
chairs et les parties qui leur correspondent se constituent sous l'action du
froid, et c'est pour cela que le feu les dissout. Quant aux matières en
circulation qui sont trop terreuses et qui ont peu d'humidité et de chaleur,
elles se refroidissent; et, l'humidité s'évaporant avec la chaleur, elles
deviennent dures et de nature terreuse, comme les ongles, [15] les cornes, les
soles et les becs. Ces matières s'amollissent par le feu; mais aucune ne se
fond. Quelques-unes sont solubles dans l'eau, comme les coquilles des œufs.
§
17.
Sous l'influence de la chaleur intérieure, les nerfs et les os se forment,
parce que le liquide se dessèche. Les os ne sont pas solubles par le feu, et
ils y résistent à peu près comme l'argile; car la chaleur développée au moment
de la génération les a fait cuire comme [20] dans un fourneau. D'ailleurs, la
chaleur ne fait pas la chair ou l'os indifféremment, ni dans un lieu
quelconque, ni à un moment quelconque; mais elle fait ce qui doit être fait
selon le vœu de la Nature, là, où, et quand la Nature l'exige. Ce qui n'est
qu'en puissance ne peut passer à l'être lorsque le moteur n'a pas l'acte
indispensable, pas plus que l'agent qui a l'actualité voulue ne peut amener à
l'être la première chose venue. [25] C'est comme l'ouvrier qui ne peut faire un
vase qu'avec du bois, et comme le vase qui, sans l'ouvrier, ne peut sortir du
bois dont il doit être formé.
§
18.
La chaleur qui est contenue dans l'excrétion spermatique, y est animée d'un
mouvement et d'une force, qui, sous le rapport de la quantité et de la qualité,
sont en proportion de chacun des organes. Selon que cette force est ou [30]
insuffisante ou surabondante, elle compose moins bien l'être qui doit naître,
ou même elle le mutile, à peu près comme les matières extérieures qu'on fait
cuire pour en tirer nos aliments, ou pour tel autre usage. C'est nous qui pour
ces matières mesurons la chaleur, en proportion du mouvement que nous voulons
lui faire produire ; mais pour les animaux, c'est la nature du générateur qui
la leur donne; [35] et pour les animaux qui naissent spontanément, c'est le
mouvement et la chaleur de la saison qui les font surgir. Quant au froid, il
n'est que la privation de la chaleur.
§
19.
La Nature emploie ces deux agents, qui ont nécessairement la force de produire,
[744a] l'un tel effet, et l'autre tel effet
différent; mais pourtant, dans les choses qui se produisent en vue d'une
certaine fin, l'un de ces agents refroidit, tandis que l'autre échauffe. C'est
ainsi que chacune des parties de l'animal s'organise ; et que la chair devient
molle en partie, parce que les cieux agents lui donnent nécessairement cette
propriété, et, en partie, parce qu'elle est faite en vue d'une certaine fin.
C'est encore ainsi que le [5] muscle devient sec et contractile, et que l'os
devient dur et fragile. La chair, en se desséchant, forme la peau, comme, sur
les mets de nos tables, se forme ce qu'on appelle leur croûte.
§
20.
Non seulement la peau se forme ainsi, parce qu'elle est la plus extérieure et
superficielle, mais aussi parce que le visqueux qui n'a pu se vaporiser reste à
la surface. Dans les autres [10] animaux, le visqueux est desséché ; et voilà
comment les derniers des animaux privés de sang sont des testacés et des
crustacés; mais dans ceux qui ont du sang, le visqueux se rapproche davantage
de la graisse. Chez ceux qui n'ont pas une nature trop terreuse, la partie
graisseuse s'accumule sous le revêtement de la peau, comme si la peau venait de
cette [15] viscosité ; car il y a toujours une certaine viscosité dans le
graisseux.
§
21.
Nous pouvons le répéter : tous ces phénomènes ont lieu, tantôt par une
nécessité inévitable, tantôt sans nécessité, et uniquement en vue d'une
certaine fin. C'est d'abord la masse supérieure qui se détermine en se
produisant ; et c'est après un intervalle de temps que la partie inférieure se
développe [20], dans les animaux qui ont du sang. Mais tous les organes ne
s'esquissent d'abord que par de simples contours; puis ensuite, ils prennent
leurs couleurs, leur mollesse ou leur dureté, comme si la Nature les dessinait
d'abord grossièrement, ainsi que font les peintres, qui tracent préalablement
une esquisse et des lignes, et qui lie mettent qu'après ces préparations les
couleurs de l'animal [25] qu'ils veulent représenter.
§
22.
Comme le principe de la sensibilité et de l'animal entier réside dans le cœur,
c'est le cœur qui se forme en premier lieu. En vue de la chaleur que développe
le cœur, auquel aboutissent les veines d'en haut, le froid constitue le
cerveau, qui fait contrepoids à la chaleur dont le cœur est environné. Aussi,
ce sont les parties avoisinant la tête [30] qui se développent immédiatement
après le cœur; et leur grosseur dépasse celle des autres parties, parce que le
cerveau est volumineux et humide.
§
23.
Le phénomène que présentent les yeux des animaux est difficile à
expliquer. Au début, ils semblent énormes, aussi bien dans les animaux qui
marchent que dans ceux qui nagent, ou dans ceux qui volent.
Et cependant, les yeux [35]
sont la partie qui se montre la dernière. Puis, après quelque intervalle, ils
s'affaissent. La cause de cette disposition, c'est que le sens de la vue, tout
comme les autres sens, se fait par des canaux. Mais, les sens du toucher et [744b] du goût sont immédiatement, ou le corps même
de l'animal, ou une partie de son corps; l'odorat et l'ouïe sont des canaux en
rapport avec l'air du dehors, pleins du souffle naturel, et aboutissant aux
petites veines qui, [5] du cœur, montent au cerveau.
§
24.
Au contraire, l'œil est le seul sens à avoir un corps qui lui soit propre. Ce
corps est humide et froid, et il n'est pas préalablement dans le lieu qu'il
doit occuper, comme les autres parties, qui sont d'abord en simple puissance,
et qui ensuite passent à l'acte. Mais, de l'humidité qui est dans le cerveau,
se détache la partie la plus pure, pour filtrer par les canaux qui s'étendent
[10] des yeux à la méninge qui entoure le cerveau. La preuve, c'est que la tête
n'a aucune partie autre que le cerveau qui soit humide et froide ; et que l'œil
est également froid et humide. C'est donc une nécessité que cette région soit
d'abord fort grosse, et qu'ensuite elle diminue et s'affaisse.
§
25.
[15] Le même changement se passe pour le cerveau, qui est d'abord humide et
volumineux, et qui, à mesure qu'il respire et qu'il mûrit, prend plus de corps
et s'affaisse, ainsi que s'affaisse également la grosseur des yeux. Au début,
la tête, grâce au cerveau, paraît énorme; et les yeux paraissent non moins
gros, [20] à cause de l'humidité qu'ils renferment. A la fin, ils prennent leur
dimension définitive, au moment où le cerveau lui-même est à peine complètement
formé; car ce n'est qu'assez tard qu'il cesse d'être froid et humide, dans tous
les animaux en général qui ont un cerveau, mais surtout dans l'homme.
§
26.
C'est aussi pour cela que la fontanelle est le dernier des os [25] à se
solidifier; car chez les enfants, au moment où ils viennent au jour, cet os est
encore mou ; et si cette disposition est surtout marquée dans l'homme, c'est
que l'homme a le cerveau plus humide et plus gros que tout autre animal, parce
que c'est lui aussi qui a la chaleur la plus pure dans le cœur. [30] Son
intelligence atteste cet heureux équilibre, puisque l'homme est le plus
intelligent de tous les êtres.
§
27.
On peut remarquer même que les enfants ne sont pas maîtres de leur tête jusqu'à
un certain âge, à cause du poids du cerveau et de ce qui l'entoure. Il en est
du reste ainsi de toutes les autres parties du corps que l'enfant doit mouvoir.
En effet, ce n'est qu'assez tard et en dernier lieu que le principe du
mouvement régit et domine les parties supérieures du corps, et toutes les
parties qui, comme les membres, [35] ne sont pas en rapport direct avec ce
principe. C'est là précisément ce qui arrive pour la paupière. La Nature ne
faisant jamais rien d'inutile et jamais rien en vain, il est clair que ce n'est
pas davantage en vain qu'elle fait que telle chose est postérieure, et que
telle autre chose est antérieure; car alors ce qu'elle aurait produit serait
vain et inutile. Par conséquent, il faut tout à la fois et nécessairement [475a] que les paupières se séparent, et qu'elles
puissent se mouvoir.
§
28.
C'est donc tardivement que les yeux des animaux sont tout à fait organisés, à
cause de la coction énorme qui se fait dans le cerveau ; et s'ils sont les
derniers à se former, c'est qu'il faut une force bien puissante pour mettre en
mouvement des organes qui sont éloignés du [5] principe et qui sont froids. Ce
qui prouve que c'est bien là la nature des paupières, c'est que si nous
ressentons quelque lourdeur à la tête, soit par le besoin du sommeil, soit par
l'ivresse ou telle autre cause analogue, nous ne pouvons soulever nos
paupières, bien qu'elles ne pèsent pas cependant beaucoup par elles-mêmes.
§
29.
Nous venons de dire pour les yeux comment [10] et par quel procédé ils se
forment, et pourquoi ils sont les derniers de nos organes à se constituer.
Toutes les autres parties du corps se développent par la nourriture. Mais
celles qui sont les plus importantes, et celles qui participent du principe
dominateur, viennent de la nourriture la plus élaborée et la plus pure, de la
nourriture première; les autres, qui sont nécessaires et qui sont faites pour
les plus relevées, [15] viennent d'une nourriture moins bonne, composée des
résidus et des excrétions.
§
30.
La Nature, comme un sage économe, a l'habitude de ne perdre rien de ce qu'elle
peut utiliser, de quelque façon que ce soit. Dans l'administration des ménages,
la nourriture la meilleure est réservée aux personnes libres ; la moins bonne
et les restes sont donnés [20] aux serviteurs; et l'on donne ce qu'il y a de
plus mauvais aux animaux qu'on nourrit dans la maison. De même donc que
l'intelligence du maître fait, du dehors, tous ces arrangements pour que les
choses prospèrent, de même, à l'intérieur des êtres que la Nature produit, elle
compose, avec la matière la plus pure, les chairs et le corps de tous les
autres sens, et, avec les déchets, elle compose les os, les [25] nerfs, les
poils, les ongles, les cornes et toutes les parties de même ordre.
§
31.
De là vient que ces parties secondaires ne prennent leur consistance qu'en
dernier lieu, quand déjà, dans le corps, il s'est formé naturellement du
superflu. Lors de la constitution première de ces parties, la nature des os vient
de la sécrétion spermatique; et quand les animaux sont arrivés à toute leur
croissance, [30] les os prennent leur développement de la nourriture ordinaire,
d'où viennent les parties maîtresses du corps, bien qu'ils n'en soient encore
que les résidus et les excrétions superflues.
§
32.
Dans tout être, il faut distinguer deux degrés de nutrition, un premier et un
second; l'un servant à nourrir, et l'autre à accroître. Ce qui nourrit est ce
qui procure l'existence à l'être entier [35] et à ses parties diverses; ce qui
procure la croissance est ce qui donne le développement en grandeur. Mais c'est
là un sujet que nous approfondirons plus tard. Les nerfs se constituent de la
même manière que les os, et des mêmes matériaux, à savoir de l'excrétion
spermatique et de l'excrétion nutritive. [745b] Les ongles, les poils, les soles, les
cornes, les becs et les ergots des oiseaux, et les autres parties semblables,
viennent de la nourriture accumulée et de celle qui sert à la croissance, que
d'ailleurs cette nourriture soit tirée de la femelle, ou qu'elle vienne du
dehors.
§
33.
Si les os ne croissent [5] que jusqu'à un certain point, c'est que tous les
animaux ont une limite à leur grosseur, et que les os en ont également une ;
car, si les os croissaient sans cesse, tous les animaux qui ont des os ou des
parties correspondant aux os, croîtraient durant leur existence tout entière.
Mais ce sont les os qui posent une limite à la croissance des animaux. Plus
tard, nous expliquerons comment il se fait que les os ne peuvent pas [10] se
développer toujours.
§
34.
Quant aux ongles, et à toutes les parties analogues, ils croissent tant qu'ils
existent. C'est dans les maladies, dans la vieillesse et dans la destruction
successive qu'elle amène, qu'ils croissent davantage, parce qu'il reste une
plus grande quantité d'excrétion superflue, et qu'il en est moins dépensé pour
les parties maîtresses de l'organisation. Aussi, quand cette superfluité vient
à manquer par suite de l'âge, [15] les poils manquent également. Pour les os,
c'est tout le contraire ; ils dépérissent en même temps que le corps et ses
organes, tandis que les cheveux poussent encore même sur le cadavre, sans
toutefois s'y renouveler.
§
35.
Les dents offrent matière à plus d'une question ; leur nature est la même que
celle des os; et [20] c'est des os qu'elles proviennent, tandis que les ongles,
les poils, tes cornes et autres parties de ce genre viennent de la peau, et
changent de couleur en même temps qu'elle, tantôt blanches, tantôt noires, ou
avant des couleurs diverses, suivant que la peau est elle-même colorée
différemment. Pour les dents, il n'y a rien de pareil; elles viennent des os,
dans toutes les espèces qui ont à la fois des dents et des os ; [25] mais
seules de tous les os, elles ne cessent de croître durant la vie entière.
§
36.
C'est ce qu'on peut voir aisément sur les dents qui tendent à se toucher
mutuellement. Ce qui fait que les dents poussent sans cesse, c'est l'objet même
de leur fonction et le but qu'elles doivent atteindre. Elles seraient bien vite
usées si elles ne recevaient pas un certain accroissement; et l'on voit sur les
personnes qui vieillissent eu mangeant beaucoup, et qui n'ont pas les dents
très grandes, [30] qu'elles s'usent absolument, parce qu'elles perdent plus
qu'elles ne gagnent par leur croissance.
§
37.
La Nature a très bien combiné les choses dans ces circonstances. Elle fait
coïncider l'usure des dents avec la vieillesse et la fin de l'existence. Si la
vie était de dix mille ans ou seulement même de mille ans, les premières dents
devraient devenir énormes et repousser plusieurs fois; car elles auraient beau
croître continuellement, elles n'en deviendraient pas moins, par l'usure,
incapables de remplir leur office. Voilà donc pourquoi les dents croissent
toujours.
§
38.
Mais on peut remarquer, en outre, que les dents ne sont pas de la même nature
que les autres os. Les os, dès leur première constitution, se montrent tous
sans exception, [5] et aucun ne vient plus tard que les autres. Mais les dents
ne poussent qu'assez tard après la naissance ; aussi peuvent-elles repousser
après être tombées; elles s'appuient sur les os, qu'elles touchent; mais elles
ne poussent pas avec eux néanmoins. Elles proviennent de la nourriture qui sert
à la formation des os ; aussi, ont-elles la même nature, et apparaissent-elles,
quand les os ont déjà le nombre qu'ils doivent avoir.
§
39.
Tous les autres [10] animaux naissent avec des dents ou avec des parties qui y
correspondent, toutes les fois qu'il ne se passe rien de contraire aux lois de
la Nature, parce que les animaux naissent beaucoup plus achevés que l'homme,
dès leur origine. Loin de là, dans l'ordre habituel de la Nature, l'homme naît
sans avoir de dents. Nous verrons plus tard comment il se fait que certaines
dents poussent et tombent, et comment d'autres [15] ne tombent jamais. Mais
comme ces parties viennent d'excrétion, l'homme est de tous les animaux celui
qui a le moins de poils, relativement à son corps, et dont les ongles sont les
plus petits en proportion de sa grosseur. C'est que c'est lui qui a le moins
d'excrétion terreuse ; mais l'excrétion est le résidu qui n'est pas cuit ; et
l'excrétion terreuse, [20] dans les corps, est la moins cuite de toutes.
Fonctions des
cotylédons, du chorion et des membranes; disparition des cotylédons ; détails à
vérifier sur les Dessins Anatomiques et dans l'Histoire des Animaux; erreur de
quelques naturalistes sur la nutrition du fœtus ; accouplements hybrides entre
les espèces voisines; conditions particulières qui, en Libye, favorisent ces
accouplements ; stérilité des hybrides ; toute leur race est inféconde ;
stérilité relative de quelques individus dans l'espèce humaine; signes de
stérilité chez les hommes et chez les femmes ; expériences sur le sperme des
hommes ; observations sur le teint et l'haleine des femmes : action des
plaisirs de l'amour sur la vue et sur le cerveau.
§
1. Nous
venons de dire comment se forment chacun des organes, et quelle est la cause de
leur développement. Les embryons des vivipares reçoivent la croissance qu'ils
prennent par l'intermédiaire du cordon ombilical, ainsi que nous l'avons
expliqué. Comme tous les animaux ont en eux-mêmes la force [25] nutritive de
l'âme, ils projettent l'ombilic dans la matrice, en guise de racine. Le cordon
ombilical se compose de veines renfermées dans une enveloppe ; ces veines sont
plus nombreuses dans les plus gros animaux, tels que le bœuf et autres animaux
de ce genre. Il y en a deux dans les animaux de grosseur moyenne; il n'y en a
qu'une seule dans les derniers et les plus petits.
§
2. C'est par
l'ombilic que les animaux reçoivent le sang qui les nourrit ; car les matrices
sont le terme où aboutissent beaucoup [30] de veines. Les animaux qui n'ont pas
une double rangée de dents, et, parmi les animaux qui ont la double rangée,
ceux dont la matrice n'a pas seulement une grande veine qui s'y rende, mais en
a plusieurs au lieu d'une, tous ceux-là ont dans la matrice ce qu'on appelle
des cotylédons, auxquels se rend le cordon ombilical et auxquels il s'attache.
§
3. Les
veines qui traversent l'ombilic s'étendent en tous sens et se répartissent dans
toute la matrice ; et c'est au point où elles finissent [35] que se trouvent
les cotylédons, dont la partie convexe touche la matrice, et la partie concave,
l'embryon. Entre la matrice et l'embryon, sont placés le chorion et les
membranes. [746b] Quand l'embryon a pris sa croissance et
qu'il s'achève, les cotylédons deviennent plus petits, et ils disparaissent
complètement quand l'être est tout à fait formé. C'est en eux que la Nature a
préparé, pour les embryons, la nourriture sanguine de la matrice, comme elle en
prépare dans les mamelles ; et la nourriture s'y accumulant [5] petit à petit,
et y arrivant de plusieurs côtés, le corps du cotylédon prend une sorte de
floraison et d'inflammation.
§
4. Tant que
l'embryon reste assez petit, et qu'il n'a pas besoin de grande nourriture, les
cotylédons sont beaucoup plus gros ; mais quand l'embryon a pris sa croissance,
ils s'affaissent. La plupart des petits animaux et de ceux qui ont la double
rangée de dents n'ont pas de cotylédons [10] dans la matrice ; chez eux, le
cordon aboutit à une seule veine, qui est fort grosse, et qui, elle-même,
aboutit à la matrice. Bien que, parmi ces animaux, les uns ne fassent qu'un
petit, et que d'autres en fassent plusieurs, les embryons plus nombreux se développent
de la même manière que se développe un seul embryon. Il faut étudier tous ces
détails dans [15] les figures représentant les Dissections et dans les
descriptions de l'Histoire des Animaux.
§
5. Les
animaux proviennent de l'ombilic ; et l'ombilic provient de la veine, l'un à la
suite de l'autre, comme si la veine s'écoulait par un canal. Autour de chaque
embryon, il y a des membranes et un chorion. On se trompe quand on prétend que
les enfants se nourrissent [20] dans la matrice, en y tétant un petit morceau
de chair. Il faudrait que le même phénomène se répétât dans les autres animaux;
mais on ne l'y voit pas dans l'état actuel des choses, ce dont on peut aisément
se convaincre par l'anatomie.
Pour tous les embryons, soit
que les animaux nagent, soit qu'ils volent, soit qu'ils marchent, il y a
également de légères membranes, qui les entourent pour les séparer et de la
matrice [25] et des liquides qui s'y forment. Dans les espèces où il ne se
passe rien de pareil, ni dans ces liquides, ni dans ces membranes, il n'est pas
possible non plus à l'embryon de se nourrir par aucun de ces moyens. Pour tous
les ovipares, il est de toute évidence qu'ils prennent leur développement
indépendamment de la matrice, puisqu'ils sont dehors.
§
6.
L'accouplement est naturel entre les animaux de même espèce ; [30] il peut même
avoir lieu entre des animaux dont la nature est très voisine, sans que leur
espèce soit néanmoins tout à fait identique. Mais alors, il faut qu'ils soient
à peu près de même grosseur, et que les temps de gestation soient à peu près
égaux. Ces accouplements sont rares chez les autres animaux; mais ils ont lieu
assez souvent entre les chiens, les renards et les loups. Les chiens Indiens
[35] viennent de l'accouplement d'une bête fauve, qui ressemble au chien, et
d'un chien.
§
7. On peut
voir que ce fait se répète aussi chez [747a] les oiseaux lascifs, comme les perdrix
et les poules ; et parmi les oiseaux à serres recourbées, les éperviers
d'espèces diverses s'accouplent les uns avec les autres. Il en est encore de
même pour quelques autres oiseaux. Pour les [5] poissons de mer, on n'a encore
observé rien de bien précis. Ce qui semble le moins improbable, c'est que les
poissons appelés Rhinobates viennent d'une raie et d''une lime.
§
8. Le
proverbe qui dit que, dans la Libye, il surgit toujours quelque monstre
nouveau, vient de ce qu'en Libye, des animaux qui ne sont pas de la même espèce
ont néanmoins l'occasion de s'accoupler. Comme [10] l'eau est excessivement
rare en ce pays, les animaux se rencontrent aux lieux très peu nombreux qui ont
des nappes d'eau, et ils s'accouplent alors, quoiqu'ils ne soient pas de genre
identique.
§
9. Les
animaux issus de ces mélanges semblent aussi s'accoupler les uns avec les
autres ; et en s'unissant, ils semblent pouvoir à leur tour produire des
femelles et des mâles. Mais les mulets, [15] seuls parmi les animaux nés de
cette manière, sont inféconds; ils ne peuvent produire, ni entre eux, ni en
s'accouplant avec d'autres. Du reste, la question vaut la peine qu'on la
généralise, et l'on peut se demander d'où vient la stérilité, soit dans le
mâle, soit dans la femelle; car, il y a des femmes et des hommes stériles, et
il y a aussi des individus inféconds dans toutes les autres espèces, chevaux,
moutons, etc. Mais il n'y a que les mulets où l'espèce tout entière [20] soit
stérile.
§10. Les causes de la stérilité
sont plus nombreuses dans les autres animaux. Ainsi, la stérilité peut être de
naissance ; et quand les organes destinés au rapprochement sont mal conformés,
les femmes et les hommes sont stériles, les unes n'ayant pas de poils au pubis,
les autres n'ayant pas de barbe, et restant toute leur vie des eunuques.
Tantôt, chez les uns, [25] c'est dans le cours de la vie que cette même
infirmité survient par excès d'embonpoint, les femmes devenant trop grasses, et
les hommes ayant un corps trop bien portant, où se perd l'excrétion spermatique.
Alors, les femmes n'ont plus de mois, et les hommes n'ont plus de semence.
Tantôt aussi, l'infirmité survient par suite de maladie; les hommes émettent
une semence aqueuse et froide [30] ; les femmes n'ont plus que des évacuations
viciées et pleines d'excrétions morbides.
§
11.
Bien des hommes et bien des femmes sont frappés d'impuissance, par suite de
difformités dans les organes et les parties nécessaires au rapprochement. Si
quelques-unes de ces affections sont curables, d'autres sont incurables; le
plus souvent, la stérilité persiste [35] quand elle tient à la constitution
première de l'individu. Les femmes [747b] prennent un air masculin, et les hommes un
air de femme; les unes n'ont plus leurs mois, et les autres n'ont qu'un sperme
léger et froid.
§
12.
On a donc raison d'essayer des expériences faites avec de l'eau pour s'assurer
que le sperme des hommes est infécond. Celui qui est léger et [5] froid se
dissout très vite, en se répandant à la surface : celui qui est fécond tombe au
fond. Ce qui est complètement cuit est chaud; et le sperme qui a toute la
coction nécessaire est compact et épais. Pour les femmes on s'assure de leur
état par des observations extérieures ; par exemple, si la mauvaise odeur monte
de bas en haut jusqu'à leur haleine, au dehors; on s'en assure aussi en
observant les couleurs qui cernent leurs yeux, [10] et la couleur de leur
salive dans leur bouche.
§13. Quand les bonnes
conditions ne se présentent pas, il est clair que les vaisseaux par lesquels
doit filtrer l'excrétion sont obstrués et bouchés. La région des yeux est celle
qui, dans la tête, subit le plus vivement l'influence du sperme. Ce qui le prouve
bien, c'est que cette [15] région est la seule qui change et se modifie par la
copulation; et quand on abuse des plaisirs vénériens, les yeux le révèlent
sur-le-champ. C'est que la nature de la semence ressemble beaucoup à celle du
cerveau. La matière de la semence est aqueuse, et sa chaleur lui vient
d'ailleurs. Les évacuations mensuelles partent [20] du diaphragme; et c'est de
là que vient le principe de la vie, de telle sorte que les émotions partant des
organes sexuels remontent jusqu'au thorax, et que les odeurs qui en émanent se
font sentir jusque dans l'haleine.
Elle atteint
tous les individus de l'espèce sans exception ; erreurs de Démocrite et
d'Empédocle ; réfutation de leurs théories; citation des Problèmes; exemple
d'une mule qui a conçu; essai d'une explication logique de la stérilité du
mulet; l'observation des faits réels est encore préférable aux raisonnements les
plus spécieux ; de l'organisation comparée des juments et des ânesses; on
fustige ces dernières après l'accouplement; tempérament de l'âne et du cheval;
température de leur sperme ; la mule, n'ayant pas de menstrues, ne peut nourrir
le fœtus ; le Ginnos; les nains.
§
1.
Ainsi que nous le disions un peu plus haut, la stérilité dans les hommes et
dans les autres espèces d'animaux n'est qu'individuelle; mais pour les mulets,
c'est la race [25] tout entière qui est stérile. Quelle est la la cause de ce
fait, c'est un point sur lequel Empédocle et Démocrite se sont trompés, le
premier, en s'expliquant trop peu clairement; l'autre ne se trompe pas moins,
tout en se prononçant avec plus de netteté.
Tous deux traitent d'une
égale manière, et sans faire de distinction, l'accouplement de tous les animaux
qui s'unissent sans être congénères.
§
2.
Ainsi, Démocrite assure [30] que les canaux prolifiques des mulets sont
détruits dans les matrices mêmes des mères, parce que le principe de ces
animaux vient de parents qui ne sont pas de genres identiques. Mais ce
phénomène se présente aussi chez d'autres animaux, qui cependant n'en sont pas
moins féconds. Si c'était là vraiment la cause de la stérilité, il faudrait que
tous les autres animaux qui s'accouplent dans les mêmes conditions
irrégulières, fussent également stériles.
§
3.
Quant à Empédocle, [35] il attribue la stérilité des mulets à ce que le mélange
formé des deux spermes devient épais, bien que, [448b] de part et d'autre, la semence soit fluide
et molle. Les vides de l'un se combinent avec les parties solides de l'autre;
et de ces deux éléments, qui sont mous, il se forme un mélange qui est dur,
ainsi que le cuivre se durcit quand on le mélange avec l'étain. Mais, Empédocle
se trompe sur le cuivre et l'étain, en assignant une telle cause à la dureté de
leur mélange; [5] nous l'avons expliquée dans nos Problèmes. Il se trompe
encore en ne tirant pas de faits bien connus les principes sur lesquels il veut
s'appuyer.
§
4.
Comment les creux et les solides pourraient-ils, en se combinant les uns avec
les autres, former un mélange, de vin et d'eau par exemple? Ceci dépasse [10]
notre intelligence; car il est bien impossible à l'observation sensible
d'apercevoir les prétendus creux de l'eau et du vin.
§
5.
D'autre part, comme de chevaux vient un cheval, et d'ânes vient un âne ; et
comme d'un cheval et d'un âne vient un mulet, qui est un demi-âne, l'un ou
l'autre des parents pouvant être indifféremment mâle ou femelle, comment se
fait-il que le sperme venant de tous les deux, soit si épais que le produit en
soit infécond, tandis que, du cheval femelle et mâle, ou de l'âne femelle et
mâle aussi, il ne sorte pas de produit stérile? Cependant le sperme du cheval
mâle et celui du cheval femelle sont mous et fluides.
§
6.
Le cheval femelle et mâle s'accouple à l'âne mâle et femelle; et, à ce que dit
Empédocle, le produit auquel ces deux accouplements donnent naissance est
infécond, parce que, de l'un et de l'autre, il se forme une certaine unité,
grâce à ce que les deux spermes sont mous. Il faudrait que [20] la même
stérilité se représentât dans le produit du cheval avec sa femelle. Si ce
n'était qu'un seul des deux qui s'accouplât, on pourrait croire que l'un des
deux est cause que la semence de l'âne ne peut rien engendrer de pareil ; mais
dans le fait, quelle que soit la semence à laquelle l'autre se mêle, c'est
toujours comme si c'était celle du congénère.
§
7.
De plus, la démonstration d'Empédocle s'applique indistinctement aux deux
sexes, à la femelle et au mâle; [25] mais le mâle seul peut engendrer, à ce
qu'on dit, jusqu'à sept ans, tandis que la femelle reste toujours stérile,
parce qu'elle ne peut amener son fruit à terme. Pourtant, on cite une mule qui
avait une fois pu concevoir un fœtus.
§
8.
Il y aurait peut-être ici une explication, toute logique, qui vaudrait mieux
que celles que nous venons de rappeler. Je dis de cette explication qu'elle est
logique, parce que plus elle est générale, plus elle s'éloigne des principes
[30] spéciaux de la question.
La voici : si d'êtres de
même espèce, mâle et femelle, il sort naturellement un mâle ou une femelle
ressemblant spécifiquement aux parents qui l'ont engendré; si, par exemple,
d'un chien mâle et d'un chien femelle il sort un chien mâle ou femelle, la
conséquence, c'est que, d'espèces différentes, il doit sortir aussi un produit
différent en espèce. Par exemple, le chien étant d'une autre espèce que le
lion, du chien mâle et du lion femelle, il doit sortir un produit autre, comme
il en sort un autre [35] encore de l'accouplement du lion mâle et du chien
femelle.
§
9.
Par conséquent, [748b] s'il se produit un mulet mâle ou femelle,
l'espèce restant identique pour les deux, et que le mulet ne vienne que du
cheval et de l'âne, qui ne sont pas de même espèce que le mulet, il s'ensuit
que le mulet ne peut rien produire ; car il est impossible que le genre soit
autre, puisque un mâle et une femelle [5] qui sont de même espèce, ne
produisent qu'un être de la même espèce qu'eux. Or, le mulet provient du cheval
et de l'âne, qui sont autres spécifiquement ; et il est positif que d'êtres qui
sont autres en espèce, il provient toujours un être qui est autre aussi, comme
ils le sont eux-mêmes.
§
10.
J'avoue que ce raisonnement est trop général, et qu'il est assez vide. Les
arguments tirés de principes qui ne sont pas spéciaux à la question qu'on
traite, sont vides et sans force ; ils semblent la résoudre, tout en ne
s'appliquant pas réellement aux choses. En effet, les arguments [10] tirés des
principes géométriques sont géométriques, et il en est de même de tous les
autres. Mais ce qui est vide et creux ne fait que paraître quelque chose,
tandis qu'au fond, ce n'est rien.
Il est faux, ainsi que nous
l'avons déjà dit, que, de parents qui ne sont pas de même espèce, il naisse
souvent des êtres féconds.
§
11.
Ce n'est pas là une méthode à suivre, ni dans les autres études, ni dans celles
dont la Nature est l'objet. Mais en observant [15] les faits que présentent
l'espèce des chevaux et l'espèce des ânes, on se rendra bien mieux compte de la
cause de la stérilité du mulet. D'abord, on voit que l'une et l'autre de ces
espèces, parmi tous les animaux de même ordre, ne font jamais qu'un seul petit.
Les femelles ne sont pas toujours disposées à recevoir les mâles ; et c'est
pour cela qu'on ne les laisse saillir par les chevaux qu'à de longs intervalles,
parce qu'elles ne peuvent [20] pas porter continuellement.
§
12.
La jument n'est pas sujette à des menstrues régulières; et de tous les
quadrupèdes, c'est elle qui a la plus faible émission. L'ânesse ne garde pas la
semence qu'elle a reçue, et elle la rejette avec son urine; et voilà pourquoi
des gens placés derrière elle lui donnent des coups de fouet, en la
poursuivant. De plus, l'âne est un animal froid ; aussi ne vient-il pas dans
les climats où l'hiver est trop rude, parce que naturellement il souffre
beaucoup d'une température froide. Ainsi, il ne vit pas [25] dans la Scythie,
ni dans les contrées voisines, ni chez les Celtes, au nord de l'Ibérie, pays qui
n'est pas moins exposé aux frimas.
§13. C'est ce qui fait qu'on
permet la saillie aux ânes, non pas à l'équinoxe comme aux chevaux, mais au
solstice d'été, afin que les ânons puissent venir au monde dans la saison
chaude. D'ailleurs, l'ânesse met bas dans la même saison [30] que celle où elle
a été couverte, puisque le cheval et l'âne portent un an.
§
14.
L'âne étant par sa nature un animal froid, comme on vient de le dire, il faut
nécessairement que sa semence soit froide égale ment. Ce qui le prouve,
c'est que, si un cheval monte une femelle déjà couverte par un âne, il n'annule
pas la saillie de l'âne, tandis que si, au contraire, l'âne vient à saillir
après le cheval, [35] il annule la saillie du cheval, parce que sa semence est
très froide. [749a] Quand les deux s'accouplent, la saillie
réussit, parce que la chaleur de l'un la sauve, la sécrétion du cheval étant
plus chaude que celle de l'âne. La matière et la semence de l'âne sont froides
; mais celles du cheval sont plus chaudes. Quand la chaleur se mêle au froid,
[5] ou que le froid se mêle au chaud, alors l'être qui est conçu des deux
parents peut vivre; et les deux ainsi accouplés peuvent être féconds l'un par
l'autre ; mais le produit qui en sort ne l'est plus, et il est stérile, sans
pouvoir aboutir à rien de complet.
§
15.
L'un et l'autre, le cheval et l'âne, ont une constitution naturelle qui les
prédispose à être inféconds. Ainsi, l'âne, outre les conditions qu'on vient de
rappeler, ne peut plus engendrer jamais s'il n'engendre pas [10] après la chute
des premières dents. Il s'en faut donc de bien peu que le corps des ânes ne
soit stérile. De même aussi pour le cheval. Il est disposé également à être
stérile, et la saillie risque d'autant plus d'avorter que le résultat qui en
doit sortir est plus froid. C'est précisément ce qui arrive quand la semence du
cheval se mêle à celle de l'âne.
§
16.
L'âne est donc [15] bien près d'être infécond dans son accouplement régulier;
et par suite, lorsque cet accouplement n'est plus naturel, comme l'accouplement
normal peut à grand-peine pour les deux produire un seul petit, à plus forte
raison, le produit, venant des deux contre le vœu de la Nature, sera-t-il
infécond, et ne lui manquera-t-il rien pour l'être, ou plutôt le sera-t-il de
toute nécessité.
§
17.
Ce qui fait que le corps [20] des mulets a de fortes dimensions, c'est que
l'excrétion qui devrait tourner aux menstrues tourne chez eux à la croissance.
Comme la gestation est d'une année pour les deux espèces également, il faut non
seulement que la mule conçoive, mais encore quelle nourrisse le fœtus. Or,
c'est impossible s'il n'y a pas de flux mensuel; et les mules n'en ont pas; la
partie qui n'y est pas employée [25] s'en va avec l'excrétion qui vient de la
vessie. C'est là ce qui fait que les mulets ne flairent pas les parties
sexuelles des femelles, comme les autres solipèdes, mais ils flairent
l'excrétion elle-même. Ainsi, le résidu tout entier tourne au développement du
corps et à sa grosseur.
§
18.
Par suite, la mule pourrait bien concevoir, ce que d'ailleurs on a déjà [30]
observé; mais il est absolument impossible qu'elle nourrisse le fœtus et qu'elle
mette bas. Quant au mâle, il pourrait sans doute engendrer, parce que le mâle
est naturellement plus chaud que la femelle, et aussi, parce que le mâle
n'apporte dans l'accouplement rien de matériel. Le produit qui sort du mulet
s'appelle un Ginnos; c'est un mulet contrefait; car ce sont des Ginnos qui
viennent [35] du cheval et de l'âne, quand le fœtus a souffert de quelque
maladie dans la matrice. Le Ginnos est quelque chose, en effet, comme les
arrière-porcs dans la race des porcs ; car, dans cette race, on appelle
arrière-porcs le produit qui est mutilé [749b] dans la matrice de l'animal. C'est
d'ailleurs un accident qui peut atteindre un fœtus quelconque. La même
difformité produit les nains ou pygmées, qui ont été également estropiés dans
certaines parties de leur corps et dans leur grandeur, pendant la durée de la
gestation ; et eux, aussi, sont des espèces d'arrière-porcs et de Ginnos.
Principe
général de ces différences; erreur des anciens naturalistes; du sommeil des
enfants, soit dans le sein de la mère, soit après la naissance; citations des
Descriptions anatomiques; rêves des enfants; somnambules; des yeux bleus chez
les enfants; de la diversité des couleurs de l'oeil ; fausse théorie
d'Empédocle, citations du Traité de la Sensation et du Traité de l’Âme; des yeux noirs et des yeux bleus ; vue plus ou
moins bonne dans le jour ou dans la nuit; quantité plus ou moins grande de liquide
dans l'oeil ; maladies des yeux, glaucome, nyctalopie ; épiderme de la cornée ;
changements que l'âge amène dans la vue ; singularité d'un des yeux qui est
seul à être bleu; de la longueur et de l'acuité de la vue; de la vue courte;
c'est la position de l'œil qui fait ces différences; théorie générale de la
vision expliquée par le mouvement. Résumé partiel.
§
1.
Il nous faut étudier maintenant les différences que les parties diverses des
animaux présentent entre elles. Par les différences des parties, j'entends, par
exemple, que les yeux peuvent être bleus ou noirs, que la voix peut être aiguë
ou grave, comme j'entends aussi que les couleurs du corps, [20] des poils ou
des plumes, peuvent être différentes.
§
2.
Il y a de ces diversités qui appartiennent à des espèces tout entières;
d'autres sont réparties au hasard ; et c'est là surtout ce qui a lieu dans
l'espèce humaine. Parfois, les diversités qui tiennent aux changements que
l'âge amène affectent également tous les animaux sans exception ; d'autres sont
tout le contraire, comme celles qui affectent la voix [25] et la couleur des
poils. Ainsi, il y a des animaux que la vieillesse ne blanchit pas sensiblement
; mais l'homme est de tous les animaux celui qui blanchit le plus.
Il y a aussi de ces
différences qui se marquent immédiatement après la naissance; d'autres ne se
manifestent qu'avec l'âge et la vieillesse.
§
3.
On ne peut certes pas admettre que la cause de toutes ces diversités, si
nombreuses et si frappantes, [30] soit la même. Quand ces différences ne sont
pas communes à tous les animaux d'une certaine nature, ou qu'elles ne sont pas
particulières à chaque espèce d'animal, c'est qu'alors ce n'est pas en vue de
quelque fin qu'elles existent telles qu'elles sont, ou qu'elles se produisent.
L'oeil a une fin très précise ; mais qu'il soit bleu, ce n'est pas en vue d'une
fin quelconque, à moins que cette affection ne s'étende à toute une espèce.
§
4.
Quelques-unes de ces diversités ne se rapportent pas à la définition et à
l'essence de l'animal [35] ; mais, pour les causes d'où elles dépendent
nécessairement, il faut les voir dans la matière et dans [779] le principe moteur. Ainsi que nous l'avons
dit en commençant ces études, dans toutes les œuvres régulières et bien
définies de la Nature, ce n'est pas parce qu'un être a acquis telle qualité, que
cette qualité est la sienne; mais c'est bien plutôt parce qu'il est
primitivement de telle espèce qu'il acquiert ensuite les qualités [5] que nous
lui voyons. Le développement de l'être est la suite de son essence et est fait
pour cette essence; mais l'essence n'est pas la suite du développement.
§
5.
Les anciens Naturalistes ont pensé tout le contraire. Leur erreur est venue de
ce qu'ils n'ont pas vu que les causes sont très multiples ; et qu'ils ne se
sont arrêtés qu'aux deux seules causes de la matière et du mouvement. Celles-là
même, ils ne les ont comprises que confusément; et les deux causes [10] de la
définition essentielle et de la fin ont complètement échappé à leur attention.
Chaque chose a sa fin propre; c'est par cette cause et par les autres que se
développe tout ce qui est renfermé dans la définition de chaque être, tout ce
qui existe en vue d'une certaine fin, ou l'être auquel cette fin s'applique. Pour
tout ce qui se produit en dehors de cet ordre, il faut en chercher uniquement
la cause dans le mouvement et dans le [15] développement, aussi bien que dans
l'organisation même des êtres qui contractent la différence en question. Ainsi,
l'animal aura nécessairement un oeil si l'on suppose qu'il est d'une espèce qui
a des yeux ; un animal a nécessairement des yeux faits de telle ou telle façon
; mais cette nécessité n'est pas la même que celle en vertu de laquelle
l'animal doit naturellement faire ou souffrir telles ou telles choses.
§
6.
Ces points une fois fixés, [20] voyons les conséquences qui en sortent.
D'abord, dans toutes les espèces, quand les jeunes viennent de naître, et
spécialement les petits qui sont incomplets, ils sont le plus souvent endormis.
Même dans le sein de la mère, ils continuent encore à dormir après avoir reçu
la sensibilité. On peut se demander si, au moment même de la naissance, les animaux
sont éveillés avant [25] de dormir; car comme ils sont évidemment plus éveillés
à mesure qu'ils grandissent, on est amené à supposer qu'au début de leur
naissance ils étaient dans un état contraire, c'est-à-dire, dans le sommeil.
§
7. A
ce premier motif, on peut en ajouter un autre, c'est que, pour arriver du
non-être à l'être, il faut passer par l'état intermédiaire. Or, il semble que
le sommeil est par sa nature un intermédiaire de ce genre; il est sur les
confins de la vie [30] et de la mort ; et d'un homme endormi, il est également
difficile de dire qu'il n'est pas ou qu'il est. La veille semble être plus
particulièrement la vie, à cause de la sensibilité qu'elle nous rend. Si c'est
une nécessité que l'animal ait essentiellement la faculté de sentir, et s'il
n'est vraiment animal que du moment même où il commence premièrement à sentir,
il faut penser que l'état initial du jeune, s'il n'est pas tout à fait [35] le
sommeil, est quelque chose qui y ressemble beaucoup; et c'est aussi l'état de
toutes les plantes.
[779a]
§
8. A
ces premiers moments, on peut dire des animaux qu'ils ont la vie du végétal.
Pourtant, il est bien impossible que les plantes puissent sommeiller; car il
n'y a pas de sommeil sans réveil, et l'état dans lequel la plante se trouve est
sans réveil, bien qu'il soit rapproché du sommeil. Les jeunes animaux doivent
dormir presque tout [5] le temps, parce que la croissance et le poids se
trouvent dans les parties supérieures du corps. Nous avons expliqué dans d'autres
ouvrages que c'est bien là la cause qui les fait dormir.
§
9.
Quoi qu'il en soit, les foetus semblent être éveillés même dans le sein de la
mère. On peut s'en convaincre par l'Anatomie, et en voyant ce qui se passe pour
les petits des ovipares. Ils se mettent à dormir aussitôt après la naissance,
et ils s'affaissent [10] de nouveau. C'est pour cela aussi que, même après
avoir vu le jour, ils dorment presque tout le temps. Une fois éveillés tout à
fait, les enfants ne rient pas encore ; c'est seulement dans leur sommeil
qu'ils pleurent et qu'ils rient. Cela tient à ce que les animaux ont des
sensations même quand ils dorment ; et ce ne sont pas uniquement ce qu'on
appelle des rêves, comme sont les gens qui se lèvent [15] tout en dormant et
qui font beaucoup de choses, sans rêver le moins du monde.
§
10.
En effet, il y a des gens qui, quoique endormis, se lèvent et marchent, les
yeux tout grands ouverts, comme s'ils étaient éveillés. Ils sentent fort bien
ce qui se passe autour d'eux; pourtant, ils ne sont pas éveillés, et ils ne
sont pas davantage en état de rêve. Les enfants semblent en quelque sorte
ignorer [20] qu'ils veillent, par l'habitude qu'ils ont prise de sentir et de
vivre en dormant. Mais avec le progrès du temps, et grâce à leur croissance,
qui passe à la partie inférieure du corps, ils s'éveillent de plus en plus, et
ils restent pendant plus en plus de temps dans cet état de veille. Mais, tout
d'abord, ils demeurent plus endormis que tous les autres animaux, parce qu'ils
naissent [25] les plus imparfaits des animaux parfaits, et que leur croissance
se fait, à ce moment, par le haut du corps.
§
11.
Dans tous les enfants, les yeux sont plus bleus aussitôt après la naissance ;
puis, ils changent ensuite, pour prendre la couleur qui leur est naturellement
propre. Si ces changements ne sont pas aussi apparents chez les autres animaux,
cela tient à ce que, [30] chez eux, les yeux sont le plus ordinairement d'une
seule couleur. Ainsi, les bœufs ont des yeux noirs ; les moutons ont toujours
les yeux verdâtres, de la nuance de l'eau; d'autres espèces ont, tout entières,
des yeux bruns ou bleus; d'autres les ont de la couleur des yeux du bouc; et
c'est ainsi que toute l'espèce des chèvres les a de cette façon.
§
12.
Au contraire, chez les hommes, la couleur des yeux [35] varie infiniment; ils
sont bleus, azurés, noirs [780] ; d'autres sont jaunes, comme ceux du bouc.
De même que, dans une espèce, les animaux ne diffèrent pas les uns des autres,
de même les deux yeux ne différent pas entre eux. Naturellement, ils n'ont
qu'une seule et unique couleur. Mais le cheval, seul entre les autres animaux,
a le plus souvent les yeux de différente couleur ; car on voit assez souvent
des chevaux dont les yeux ont des couleurs diverses, l'un des deux étant bleu.
§
13.
[5] On ne remarque rien de pareil chez les autres animaux; mais il y a quelques
hommes qui n'ont qu'un oeil bleu. En cherchant à s'expliquer pourquoi chez les
autres animaux, jeunes ou vieux, les yeux ne changent pas sensiblement, et
pourquoi ce changement a lieu chez les enfants, on peut en trouver une raison
suffisante dans ce fait que, chez les uns, l'organe de l'oeil n'a qu'une seule
couleur, tandis que chez les autres il en a [10] plusieurs. Que les yeux des
enfants soient plus bleus et qu'ils n'aient pas d'autre couleur que celle-là,
cela tient à ce que les organes de ces petits êtres sont faibles; et la couleur
bleue est une sorte de faiblesse dans la nuance.
§
14.
Mais il nous faut rechercher, d'une manière générale, la cause qui amène cette
différence dans la couleur des yeux, et qui fait que les uns sont bleus, les
autres azurés, d'autres jaunes comme ceux du bouc, et que d'autres enfin [15]
sont noirs. On ne saurait admettre avec Empédocle que les yeux bleus sont ignés
et que les yeux noirs ont plus d'eau que de feu, et que c'est là ce qui fait
que les yeux bleus voient moins bien le jour, faute d'eau, et que les yeux
noirs voient moins bien la nuit, faute de feu. C'est là une opinion qui n'est
pas du tout exacte, parce que, chez tous les animaux, la vue n'est pas du feu,
[20] mais de l'eau.
§
15.
Du reste il est possible de trouver encore une autre cause à ce changement de
couleurs. Mais si, comme on l'a dit antérieurement dans le Traité des
Sensations, et, même avant ce traité, dans celui de l'Âme, cet organe est de
l'eau; et si l'on a bien expliqué pourquoi il est de l'eau, et non de l'air ou
du feu, [25] on doit admettre que c'est là aussi la cause des variétés que nous
venons de signaler.
§
16.
Certains yeux ont plus d'eau qu'il n'en faut pour leur mouvement régulier;
d'autres en ont moins ; d'autres en ont la juste proportion. Les yeux qui ont
beaucoup d'eau sont noirs, parce que les choses accumulées sont peu diaphanes;
mais les yeux qui ont peu d'eau sont [30] bleus. C'est un phénomène qu'on peut
voir se répéter pour la mer. Quand elle est transparente, elle paraît bleue ;
quand elle l'est moins, elle semble de l'eau ordinaire; et quand sa profondeur
est insondable, elle est noire ou d'un bleu excessivement foncé. De même, les
yeux qui ont des couleurs intermédiaires diffèrent entre eux du plus au moins.
§
17.
C'est encore cette même cause qui doit faire que les yeux bleus n'ont pas une
vue perçante pendant le jour, ni les yeux noirs pendant la nuit. [780a] Les yeux bleus, qui ont peu de liquide, sont
plus agités par l'effet de la lumière et des objets qu'elle fait apercevoir, en
tant qu'il y a en eux du liquide et du diaphane. Or, le mouvement de cet
organe, c'est la vision, en tant que diaphane, mais non pas en tant que
liquide. Mais les yeux noirs reçoivent moins de mouvement, [5] à cause de la
quantité d'eau qu'ils contiennent. La lumière de la nuit est d'ailleurs très
faible ; et, en même temps, l'eau de l'oeil a beaucoup de peine à se mouvoir
pendant la nuit. Elle doit donc ne pas rester tout à fait sans mouvement, ni se
mouvoir plus qu'il ne faut, pour demeurer diaphane, parce qu'un mouvement plus
fort en arrête un plus faible.
§
18.
C'est là ce qui fait que, passant d'une couleur [10] très vive à une moins
forte, on cesse de voir, de même que quand on passe de l'éclat du soleil aux
ténèbres. Le mouvement violent qui est dans l'oeil empêche celui du dehors ;
et, en général, ni une vue forte ni une vue faible ne peuvent regarder les
objets trop lumineux, parce que la partie liquide de l'oeil est affectée par un
mouvement plus vif qu'il ne faut.
§
19.
Les maladies de ces deux espèces [15] de vue prouvent bien la vérité de ce que
nous disons ici. Le glaucome attaque surtout les yeux bleus, et la nyctalopie
attaque plus particulièrement les yeux noirs. Le glaucome est une sécheresse
des yeux plus que toute autre chose ; et c'est surtout aux vieillards qu'il
survient; car aux approches de la vieillesse, [20] cette partie du corps se
dessèche comme toutes les autres. La nyctalopie, au contraire, est une
surabondance du liquide ; et ce sont plutôt les jeunes gens qui en sont
affectés, parce que le cerveau est chez eux plus liquide.
§
20.
La vue la meilleure est celle qui tient le milieu entre le trop d'eau et le trop
peu. Comme l'eau y est en petite quantité, elle n'est pas de force à troubler
et à empêcher le mouvement des couleurs ; et elle ne gêne pas davantage le
mouvement par [25] son abondance. Mais ce ne sont pas uniquement les causes
qu'on vient de dire qui font que l'on voit bien ou qu'on voit mal; c'est aussi
la nature de la peau qui enveloppe ce qu'on appelle la pupille. Cette peau doit
être transparente ; et elle est transparente à la condition d'être mince,
blanche et bien unie.
§
21.
Elle doit être mince, pour que le mouvement venu du dehors pénètre sans peine
au dedans ; elle doit être unie [30], pour qu'elle ne produise pas d'ombre en
se plissant ; et ce qui fait que les vieillards ne voient pas bien, c'est que
la peau de l'oeil, comme le reste de la peau, vient à se rider et s'épaissit
avec les années. Enfin, elle doit être blanche, parce que le noir n'est pas
diaphane; car le noir est précisément ce qui ne laisse point passer la lumière;
et [35] c'est là ce qui fait que les lanternes ne peuvent pas éclairer si on
les recouvre d'une enveloppe noire.
§
22.
Ainsi, dans la vieillesse et dans les maladies, [781] toutes ces causes réunies font qu'on ne voit
plus bien; et si les enfants ont au début les yeux bleus, c'est qu'il y a peu
d'eau dans leurs yeux. Ce sont surtout les hommes [5] et les chevaux qui ont un
des yeux bleu, et c'est par la même cause qui fait que les hommes blanchissent.
Parmi les autres animaux, il n'y a guère que le cheval dont les poils
blanchissent sensiblement dans la vieillesse.
§
23.
La blancheur des cheveux et la couleur bleue des yeux sont un signe de
faiblesse, et de coction imparfaite dans l'humidité du cerveau ; car une
légèreté trop grande et une trop grande épaisseur produisent le même effet, par
l'insuffisance ou l'excès d'humidité. Lors [10] donc que la Nature ne peut pas
répartir également l'humidité en la cuisant dans les deux yeux, ou quand elle
ne la cuit pas du tout, ou bien encore qu'elle la cuit dans l'un et qu'elle ne
la cuit pas dans l'autre, l'un des deux yeux devient bleu.
§
24.
D'ailleurs, si certains animaux ont la vue perçante et si les autres ne l'ont
pas, on peut expliquer cette différence de deux manières. L'acuité d'un sens se
comprend de deux façons; et la différence [15] que nous remarquons pour le sens
de la vue se répète aussi pour l'ouïe et pour l'odorat. Ainsi, avoir une vue
perçante, c'est, ou voir les choses de fort loin, ou bien encore c'est pouvoir
distinguer les moindres détails des objets qu'on regarde. Mais ces deux
facultés ne se rencontrent pas toujours ensemble. Par exemple, une personne qui
abrite ses yeux avec la main, ou qui, regardant par un tube, ne voit ni mieux
ni moins bien les nuances [20] diverses des couleurs, verra cependant de plus
loin, comme ceux qui, pour observer les astres, descendent quelquefois dans des
trous et dans des puits.
§
25.
Par conséquent, si un animal a des yeux très proéminents, et que l'eau qui est
dans la pupille ne soit pas très pure, ni en rapport avec le mouvement venu du
dehors, ou bien [25] si la peau de la surface n'est pas mince, cet animal ne
distinguera pas très nettement les nuances des couleurs. Mais il verra de loin,
tout comme s'il était près, mieux que ceux qui ont l'eau des yeux très pure et
bien recouverte, mais qui n'ont pas cet abri faisant ombre devant les yeux.
§
26.
C'est dans l'oeil même que réside la cause qui fait que la vue n'est pas assez
perçante [30] pour distinguer les différences. De même que, sur un vêtement
parfaitement propre, les taches les plus légères paraissent aisément, de même
dans une vue très pure les moindres mouvements sont visibles, et causent la
perception. C'est la position seule des yeux qui fait qu'on voit de loin, et
que le mouvement, venu des objets placés au loin et visibles, arrive jusqu'à
l'oeil. Ceux qui ont les yeux saillants ne voient pas bien de loin; ceux, au
contraire, qui ont les yeux [781a] renfoncés et intérieurs voient de très loin,
parce que le mouvement ne s'égare pas dans la largeur, et qu'il suit la ligne
droite ; car, s'il n'y a rien au devant des veux, il faut nécessairement que le
mouvement de la lumière se disperse; il est moindre en tombant sur les objets
qu'on voit; et alors on voit moins bien les objets éloignés.
§
27.
Il n'y a, d'ailleurs, aucune différence à dire que l'on voit, comme quelques
naturalistes le soutiennent, parce que la vision vient de l'oeil, ou à dire que
l'on voit par le mouvement venu des choses vues. [5] De part et d'autre, c'est
reconnaître nécessairement que la vue vient toujours d'un mouvement. On verrait
le mieux possible les objets éloignés si, de l'oeil à l'objet vu, il y avait
comme une sorte de tuyau continu ; car alors le mouvement [10] parti des choses
visibles ne pourrait pas se disperser ni se perdre ; et comme il ne se perdrait
pas, plus les choses seraient loin, et plus on les regarderait de loin, mieux
on les verrait nécessairement.
§
28.
Telles sont les causes qui peuvent amener des différences dans la vision.
Finesse et
portée de ces deux sens; citation du Traité des Sensations ; influences
diverses qui peuvent agir sur le sens de l'ouïe ; l'état des organes ; l'état
de l'air ambiant; analogie de l'action de l'ouïe et de l'odorat avec l'action
de la vue; conformation des narines des chiens de Laconie; la longueur et les
replis des oreilles contribuent à l'audition ; supériorité et infériorité de
l'homme eu égard aux perceptions des sens; acuité de ses perceptions quand les
objets ne sont pas éloignés ; organisation remarquable de l'appareil auditif
chez le phoque ; disposition particulière de ses oreilles. — Résumé partiel.
[778a. 16]
§
1.
On peut répéter pour l'ouïe et pour [15] l'odorat à peu près ce qu'on vient de
dire de la vue. Une chose est de bien sentir et de bien entendre les objets de
ces deux sens et de les percevoir aussi exactement que possible ; mais c'est
autre chose encore d'entendre de loin et de sentir les odeurs à distance. C'est
l'organe lui-même qui fait que, comme pour la vue, on juge bien les
différences, si cet organe [20] est sain, et que la méninge qui l'entoure soit
saine ainsi que lui.
§
2.
On a vu dans le Traité des Sensations que les conduits de tous les organes des
sens se rendent au cœur, ou à la partie qui lui correspond, quand le cœur vient
à manquer. Le conduit de l'ouïe, qui est l'organe qui sent l'air, se termine là
où le souffle naturel produit le pouls chez quelques animaux, [25] et, chez
d'autres, l'expiration et l'aspiration. C'est par cet organe aussi que la
connaissance des paroles qui ont été prononcées nous permet de reproduire ce
qu'on a entendu. Sortant il est entré de mouvement par l'organe de l'ouïe,
autant le mouvement est reproduit au moyen de la voix, comme si c'était une
seule et même impression de telle sorte qu'on peut redire [30] ce qu'on vient
d'entendre. Quand on bâille ou qu'on pousse son souffle, on entend moins bien
que quand on aspire, parce que le principe du sens de l'ouïe se trouve sur la
partie respiratoire ; le principe est agité et mis en mouvement, en même temps
que l'organe met le souffle en mouvement de son côté, parce que l'organe qui
meut est mû à son tour. Dans les saisons et dans les jours humides, [35] la
même affection se produit. On dirait que les oreilles sont remplies de vent, [782] parce qu'elles sont alors proches du principe
du lieu du souffle.
§
4.
Ainsi, l'exactitude avec laquelle on juge les différences des sons et des
odeurs tient à ce que l'organe est sain et pur, de même que la membrane qui en
revêt la surface. Car tous les mouvements qui affectent ces deux sens ne sont
pas moins manifestes [5] que ceux de la vue. Sentir ou ne pas sentir de loin se
retrouvent ici comme dans l'acte de la vision. Les animaux qui, en avant des
organes, ont des espèces de canaux qui s'étendent loin dans ces parties,
peuvent sentir de très loin. [10] Aussi, les chiens de Laconie, qui ont de
longs nez, ont un odorat des plus fins. L'organe étant placé en haut, les
mouvements qui viennent de loin ne se dispersent pas; mais ils arrivent tout
droit, comme la lumière arrive à l'oeil quand on se fait une ombre avec la
main.
§
5.
De même ceux des animaux qui ont de longues oreilles, pourvues d'un large
rebord, comme en ont quelques quadrupèdes, entendent de loin, [15] et aussi,
quand ils ont à l'intérieur une longue spirale ; car ce genre d'oreilles
prennent le mouvement à grande distance et le transmettent jusqu'à l'organe.
L'homme, proportionnellement à sa grandeur, est peut-être de tous les animaux
le moins bien organisé pour percevoir avec précision les sensations des objets
éloignés ; mais c'est celui qui, entre tous, sent le mieux les différences des
choses. [20] Ce qui lui donne cette supériorité, c'est que son organe est pur
et qu'il est le moins terreux et le moins matériel ; car de tous les animaux,
c'est l'homme qui a naturellement la peau la plus fine, relativement à son
volume.
§
6.
La Nature n'a pas moins bien fait les choses en ce qui regarde le phoque.
Quadrupède et vivipare, cet animal n'a pas d'oreilles, et il n'a que des
conduits auditifs. C'est qu'il passe sa vie [25] dans l'eau. Or, la partie
protubérante des oreilles est mise en avant des conduits pour recueillir le
mouvement de l'air; qui vient de loin . Une organisation de ce genre n'aurait
aucune utilité pour le phoque ; mais, au contraire, elle le gênerait, si les
oreilles recevaient en elles une grande quantité de liquide. Voilà ce que nous
voulions dire ici de la vue, de l'ouïe et de l'odorat.
Blancheur des
cheveux et calvitie chez l'homme; citation du Traité des Parties des Animaux ;
rapports de la peau à la nature diverse des poils ; dimensions des poils plus
longs ou plus courts ; causes de cette différence; poils doux ou rudes, droits
ou frisés; causes de la frisure sous l'action de la chaleur ou du froid; effets
des années sur la rudesse des poils; de la calvitie chez l'homme; analogies
qu'on peut remarquer dans la chute des feuilles des végétaux ; annonce d'autres
ouvrages ; effets des climats et des saisons ; l'homme a aussi les siennes ;
influence des plaisirs sexuels sur la calvitie ; parties de la tête où se
produit surtout la calvitie ; les enfants et les femmes ne sont jamais chauves
; feuilles persistantes, feuilles caduques des végétaux ; l'eunuque n'est
jamais chauve; de la répartition des poils sur le corps; il n'y a pas de
périodicité pour l'homme comme pour les végétaux. Résumé partiel.
§
1.
[30] La chevelure présente chez les hommes des différences selon l'âge, dans
chaque individu; elle en présente aussi de l'homme aux autres espèces d'animaux
qui ont un pelage. Presque tous ceux qui portent en eux-mêmes des petits
vivants sont pourvus de poils. Car, chez les animaux mêmes qui ont des piquants
en guise de poils, on peut regarder encore ces piquants comme [35] une sorte de
poils particuliers, par exemple, les piquants des hérissons de terre et de
quelques autres vivipares.
§
2. [782a] Les différences des poils sont la rudesse ou
la douceur, la longueur ou la dimension courte, la direction droite ou couchée,
l'abondance ou la rareté. Le pelage diffère aussi par les couleurs qu'il peut
avoir, blancheur, noirceur [5] et nuances intermédiaires. Quelques-unes de ces
différences peuvent venir simplement de l'âge, selon que les animaux sont
jeunes ou vieux.
§
3.
C'est surtout dans l'homme que ces différences se marquent davantage. A mesure
que l'homme vieillit, sa chevelure devient plus épaisse. Quelques individus
deviennent chauves sur le devant de la tête. Tant que l'homme est [10] enfant,
il n'est pas sujet à la calvitie; les femmes ne la connaissent pas non plus.
Mais les hommes, en prenant des années, peuvent devenir chauves, de même que,
dans la vieillesse, les cheveux blanchissent. Chez aucun autre animal, pour
ainsi dire, on ne remarque rien de pareil ; et c'est le cheval, qui plus que
tout autre peut prêter à ces observations.
§
4.
Chez les hommes, la calvitie atteint le devant de la tête; [15] et les premiers
cheveux blancs qui se montrent sont ceux des tempes. Mais on ne devient jamais
chauve aux tempes, ni au derrière de la tête. Les animaux qui n'ont pas de
poils précisément, mais qui ont quelque chose d'analogue, comme les oiseaux,
qui ont des plumes, et les poissons qui ont des écailles, subissent également quelques
changements de ce genre, qui ne laissent pas que de les atteindre [20] à peu
près de même.
§
5.
Nous avons expliqué antérieurement le but que la Nature s'est proposé en
donnant des poils aux animaux ; et c'est en traitant des Parties des Animaux
que nous avons présenté ces explications. L'objet de la présente étude sera de
faire voir clans quelles conditions, et par suite de quelles nécessités, se
produisent toutes les différences dont il s'agit ici.
§
6.
C'est surtout la peau qui fait que les poils [25] sont durs, ou qu'ils sont
doux. La peau en effet est épaisse chez les uns, ou mince chez les autres ;
elle est lâche chez ceux-ci, et serrée, chez ceux-là. Une autre cause qui agit
simultanément, c'est la différence d'humidité. Tantôt la peau est grasse;
tantôt elle est comme aqueuse. En général, la peau a naturellement quelque
chose de terreux. Comme elle est à la surface, [30] dès que l'humidité
s'évapore, elle devient solide et terreuse.
§
7.
Les poils, ou les parties correspondantes, ne viennent pas de la chair
précisément, mais de la peau, quand l'humidité qui est dans l'animal se
vaporise et s'exhale. Aussi, les poils épais viennent d'une peau épaisse ; les
poils légers, d'une peau légère. Si le tissu de la peau est plus lâche, [35] et
plus épais, les poils s'épaississent par suite de l'abondance du terreux
et [783] de la largeur des canaux. Si le tissu est
plus serré, les poils s'amincissent par l'étroitesse même des vaisseaux.
§
8.
Si l'humeur est aqueuse, comme elle se dessèche très vite, les poils ne
prennent pas de longueur; si l'humeur est graisseuse, c'est tout le contraire ;
car la graisse ne se dessèche pas aisément. [5] En général, ce sont les
animaux dont la peau est la plus épaisse qui ont le poil le plus fourni; mais
cependant, ce ne sont pas toujours les animaux à peau épaisse qui ont le plus
de poil, par suite des causes qu'on vient d'énumérer; par exemple, les porcs
présentent cette différence relativement aux bœufs et à l'éléphant, et
relativement à plusieurs autres espèces. C'est à peu près la même cause qui
fait que chez l'homme les poils de la tête sont [10] les plus épais ; car,
cette partie de la peau est la plus épaisse, et elle a d'ordinaire le plus
d'humidité, en même temps qu'elle est plus poreuse.
§
9.
Ce qui fait que les poils sont longs ou qu'ils sont courts, c'est quand
l'humidité qui se vaporise ne se dessèche pas trop aisément. Si l'humidité est
en [15] grande abondance, elle ne se dessèche pas très vite, non plus que la
graisse; et voilà d'où vient que chez l'homme, ce sont les poils sortant de la
tête qui sont les plus longs. L'encéphale, qui est humide et froid, fournit une
grande quantité de liquide.
§
10.
Les poils sont droits ou inclinés, selon l'évaporation qu'ils contiennent. Si
elle est [20] de nature fumeuse, comme elle est chaude et sèche, elle fait
friser le poil.
§
11.
Le poil s'infléchit, parce qu'il reçoit deux impulsions diverses; le terreux se
dirige en bas; l'igné se dirige en haut; et comme le poil est flexible, il
tourne à cause de sa faiblesse; et c'est la ce qui cause la frisure. Voilà une
première explication qu'on peut donner de ce fait. Mais il se peut aussi que la
frisure vienne [25] de ce qu'il y a peu d'humidité et beaucoup de terreux, et
de ce que les poils se tordent desséchés par l'air ambiant. Un objet droit se
plie, en effet, en perdant son humidité et se racornit, comme on le voit sur un
cheveu qu'on brûle au feu. La frisure ne serait alors qu'une contraction amenée
par le défaut de liquide, et par la chaleur qui se trouve dans l'air
environnant. La preuve, [30] c'est que les poils frisés sont plus rudes que les
poils lisses, parce que le sec est toujours dur.
§
12.
Tous les animaux qui ont beaucoup d'humidité, ont aussi des poils lisses. La
liqueur qui est dans ces poils sort en s'écoulant, mais non pas goutte à
goutte. C'est ce qui fait que les Scythes du Pont et les Thraces ont les
cheveux plats ; car ils sont humides de tempérament, et l'air où ils vivent
l'est comme eux. Les Éthiopiens et les hommes des climats chauds ont les
cheveux crépus; [783a] car leur cerveau est sec, et l'air qui les
entoure l'est également.
§
13.
Il y a des pachydermes qui ont des poils très fins, par la raison qu'on vient
de dire un peu plus haut. Plus leurs vaisseaux sont fins, plus aussi leurs
poils doivent l'être nécessairement. De là vient que [5] toute l'espèce ovine a
des poils très fins; car la laine n'est pas autre chose qu'une grande abondance
de poils. Il y a d'autres animaux qui ont le poil doux, quoique moins fin, et,
par exemple, le lièvre, comparé au mouton. Chez ces animaux, le poil est tout à
fait à la surface de la peau ; aussi n'a-t-il pas de longueur, [10] et il se
rapproche beaucoup de la filasse, qui est le déchet du lin; car cette filasse
non plus n'a pas de longueur; mais elle est douce et ne se laisse pas plier.
§
14.
Dans les climats froids, les moutons sont tout le contraire des hommes. Ainsi,
les Scythes ont les cheveux doux, tandis que les moutons sauromates ont la
toison très rude. C'est encore cette même cause [15] qui agit chez tous les
animaux sauvages. Le froid durcit les choses, tout en les desséchant par
l'action de la gelée. La chaleur s'exhalant au dehors fait évaporer l'humide ;
et les poils, ainsi que la peau, deviennent terreux et durs. Chez les animaux
sauvages, c'est leur vie en plein air qui produit cet effet; et parfois, c'est
aussi le climat où ils sont, qui a cette qualité.
§
15.
On peut citer en preuve [20] ce qu'on remarque dans les oursins de mer, qu'on
emploie comme remède contre les maux de gorge. Comme ils vivent dans la mer,
qui est froide à cause de sa profondeur, puisqu'ils sont parfois à soixante
brasses, et même encore plus bas, ils ont des piquants énormes bien qu'ils
soient eux-mêmes très petits, et ces piquants sont très durs. La grandeur des
piquants [25] vient de ce que c'est là que se tourne tout le développement du
corps. Ces animaux ayant peu de chaleur, et la nourriture ne subissant pas de
coction, ils ont beaucoup de sécrétion et de résidu; or, les piquants, les
poils et les autres matières de ce genre ne proviennent que de résidu. Les
piquants sont durcis et pétrifiés par le froid et la gelée.
§
16.
C'est de la même manière que, [30] dans tous les lieux exposés au nord, les
plantes de tout genre sont beaucoup plus dures, plus terreuses et plus
pierreuses que les plantes exposées au midi; et celles qui sont exposées au
vent, plus que celles des bas fonds. C'est qu'elles ont alors plus froid, et
que leur humidité se vaporise. Ainsi, la chaleur et le froid durcissent également
les choses, parce que l'humide se vaporise sous l'action de l'une et de
l'autre, [35] avec cette seule différence que la chaleur agit directement par
elle-même, tandis que le froid agit indirectement. L'humide sort en même temps
que la chaleur, parce qu'il n'y a pas d'humide sans chaleur; mais quant au
froid, [784] non seulement il durcit, mais il condense,
tandis que la chaleur dilate.
§
17.
C'est précisément encore la même cause qui fait qu'avec les progrès de l'âge
les poils deviennent plus rudes chez les animaux qui ont des poils, comme le
deviennent aussi chez les oiseaux et les animaux qui ont des écailles, les
plumes et [5] les écailles. A mesure que l'animal vieillit, la peau devient
plus dure et plus épaisse; il se dessèche ; et le mot même de Vieillesse, en
grec, se rapproche de celui de Terre desséchée; et si l'animal se dessèche
ainsi, c'est que la chaleur lui manque, et que l'humidité lui manque avec elle.
§
18.
De tous les animaux, c'est évidemment l'homme qui est le plus sujet à la
calvitie; mais néanmoins cette affection [10] a quelque chose de général.
Ainsi, parmi les plantes, les unes conservent toujours leurs feuilles ; les
autres les perdent ; et ceux des oiseaux qui hibernent perdent également leurs
plumes. Chez les hommes qui deviennent chauves, la calvitie peut passer pour
une affection pareille. Ce n'est que petit à petit que les feuilles des
végétaux viennent à tomber, et que les [15] plumes et les cheveux tombent aux
animaux qui en ont. Quand cette affection est considérable, on dit que l'homme
devient chauve, que la plante perd ses feuilles, que l'oiseau perd ses plumes,
toutes expressions qui reviennent au même.
§
19.
C'est toujours le défaut d'humidité chaude qui est cause du phénomène; et de
toutes les choses humides, c'est la graisse qui est la plus chaude; et de tous
les végétaux, ce sont les plantes grasses [20] qui ont le plus souvent des
feuilles persistantes. Mais nous nous réservons d'expliquer cela dans d'autres
ouvrages; car il y a aussi d'autres causes qui concourent a produire ce
phénomène. Pour les végétaux, ce changement a lieu en hiver, dont l'action est
encore plus puissante que l'âge de la plante, de même qu'il a lieu, dans cette
saison aussi, sur les animaux qui hibernent, parce que les animaux ont moins
d'humidité [25] que l'homme et moins de chaleur naturelle.
§
20.
Les hommes ont un hiver et un été dans les phases diverses de l'âge. On ne
devient jamais chauve qu'après avoir joui des plaisirs sexuels; et on le
devient d'autant plus qu'on les goûte davantage. C'est que le cerveau est
naturellement le plus froid de tous les organes ; l'acte vénérien refroidit, en
causant une déperdition de la chaleur pure et [30] naturelle. C'est le cerveau
qui est, comme on doit croire, le premier à s'en ressentir. Tout ce qui est
faible et mal disposé cède à la moindre cause et à la plus légère pression. Par
conséquent, si l'on songe que le cerveau lui-même a peu de chaleur, que la peau
de son enveloppe en a moins encore nécessairement, et que [35] les cheveux qui
en sont le plus éloignés ont encore moins de chaleur que la peau, on comprendra
sans peine que les libertins doivent devenir chauves avec l'âge.
§
21.
C'est aussi cette même cause qui fait que l'homme ne devient chauve que sur [784a] le devant de la tête, et qu'il est le seul
animal à devenir chauve. Il le devient sur le devant de la tête, parce que
c'est là qu'est le cerveau; et s'il est le seul à présenter le phénomène de la
calvitie, c'est parce que c'est l'homme qui a l'encéphale le plus considérable
et le plus humide. Les femmes ne deviennent jamais chauves, [5] parce que leur
nature se rapproche de celle des enfants. Les unes et les autres n'ont pas de
sécrétion spermatique propre à la génération.
§
22.
L'eunuque non plus ne devient pas chauve, parce qu'il est presque changé en
femme. Les eunuques ne poussent pas les poils qui ne sont pas de naissance; ou
ils les perdent, si par hasard ils les ont poussés, si ce n'est les poils du
pubis. De même, les femmes [10] n'ont pas non plus ces poils postérieurs, ou
elles n'ont les autres qu'au pubis. La mutilation qui fait des eunuques est le
changement d'un homme en femme.
§
23.
Si les animaux qui hibernent reprennent leur poil, ou si les végétaux qui ont
perdu leurs feuilles les poussent de nouveau, et si les cheveux des chauves ne
repoussent jamais, c'est que, pour les uns, les saisons sont en quelque sorte
davantage les phases que [15] leur corps subit, et que, la saison venant à
changer, un changement se produit aussi dans la production ou la chute des
plumes, et des poils, et dans celle des feuilles pour les plantes. Au
contraire, chez l'homme, on peut bien aussi, selon les âges, distinguer
l'hiver, et l'été, le printemps et l'automne; mais comme les âges divers ne
reviennent pas, [20] les affections qui en sont la suite ne changent pas
périodiquement, bien qu'au fond la cause soit la même.
§
24.
Voilà à peu près tout ce qu'on peut dire sur ces premiers changements du
pelage.
C'est leur
peau qui décide de leur couleur; la blancheur des cheveux dans l'homme peut
venir de vieillesse ou de maladie; la lèpre blanche; citation du Traité de la
Croissance et de la Nutrition; de la décomposition et de la putréfaction des
choses; action de la chaleur et de l'eau; la moisissure ; moqueries des poètes
contre les cheveux blancs; les cheveux blanchis par la maladie peuvent
redevenir noirs; cosmétiques pour les cheveux; les cheveux des tempes
blanchissent les premiers; explications à ce sujet; minceur des os du crâne
chez le cheval ; citation d'Homère, les cheveux roux et les cheveux noirs; les
cheveux que l'on couvre blanchissent plus vite; les cheveux blanchissent
d'abord par le bout; la peau n'a chez l'homme aucune influence sur la couleur
des cheveux.
§
1.
Quant aux couleurs du pelage et à ce qui les détermine chez les animaux autres
que l'homme, et quant à ce qui fait que les pelages sont d'une seule couleur,
ou qu'ils en ont plusieurs, la cause tient à la nature de la peau de l'animal.
[25] Dans les hommes, ce n'est pas la peau qui produit le changement de
couleur, si ce n'est dans le cas où les cheveux blanchissent, non point par la
vieillesse, mais à la suite de quelque maladie; et c'est ainsi que, dans la
maladie qu'on appelle la lèpre blanche, les cheveux deviennent blancs. Mais
quand les cheveux blanchissent par le progrès de l'âge, il n'en résulte pas que
la peau devienne blanche aussi. C'est que les cheveux viennent et poussent de
la peau ; et, quand la peau [30] est malade et qu'elle blanchit par cette
cause, le cheveu devient malade ainsi qu'elle; en ce cas, la blancheur est une
maladie du cheveu.
§
2.
Mais la blancheur de la chevelure, quand elle vient de l'âge, n'est qu'un
affaiblissement et un défaut de chaleur. Tout âge est soumis à l'influence du
corps, qui incline dans un sens ou dans l'autre; et dans la vieillesse, c'est
au refroidissement qu'il incline, parce que la vieillesse est froide et sèche.
Il faut croire que la chaleur propre à chaque organe y digère et y cuit la
nourriture, qui se répartit [35] à chaque partie du corps; mais quand la
chaleur ne peut plus agir, [785] cette partie dépérit, et il survient une
infirmité ou une maladie. Mais nous nous proposons de discuter plus tard la
cause de ces affections dans le Traité de la Croissance et de la Nutrition, et
nous donnerons alors plus de détails.
§
3.
Chez les individus où la nature des cheveux a peu de chaleur, et où l'afflux
humide est [5] plus considérable qu'il ne faut, la chaleur propre de l'organe
ne suffit plus à la coction ; et alors, la chevelure est viciée par la chaleur
du lieu qui l'enveloppe. Toute corruption, toute putréfaction vient de la
chaleur, mais non de la chaleur naturelle, ainsi que nous l'avons dit dans
d'autres ouvrages. La putréfaction ne peut s'appliquer qu'à l'eau, à la terre
et à des matières corporelles de ce genre, et aussi à la vapeur [10] terreuse,
comme ce qu'on appelle la moisissure ; car la moisissure n'est qu'une putréfaction
de la vapeur terreuse. On doit donc penser que la nourriture qui est sans
coction dans les cheveux, s'y pourrit ; et alors vient ce qu'on nomme le
grisonnement des cheveux.
§
4.
La lèpre blanche et la moisissure sont, pour ainsi dire, les seules
putréfactions qui soient blanches; et cela vient de ce qu'elles contiennent
beaucoup d'air. [15] Toute vapeur terreuse produit l'effet d'un air épais. La
moisissure est comme l'opposé du givre. Quand une vapeur qui s'élève vient à se
congeler, c'est du givre qui se produit; mais si elle se pourrit, c'est de la
moisissure. Le givre et la moisissure sont à la surface des corps l'un et
l'autre ; car la vapeur n'est jamais que superficielle.
§
5.
Aussi, les poètes font-ils, dans leurs comédies, une métaphore assez juste,
[20] lorsque, se moquant des cheveux blancs, ils disent que c'est la moisissure
et le givre de la vieillesse. L'un en genre, l'autre en espèce sont identiques;
le givre l'est en genre, puisque tous cieux sont des vapeurs; la moisissure
l'est en espèce, puisque tous deux sont des putréfactions. Ce qui le prouve bien,
c'est qu'il arrive assez souvent que des maladies font blanchir les cheveux, et
que, plus tard, les cheveux redeviennent [25] noirs, avec le rétablissement de
la santé.
§
6.
Cela tient à ce que, dans la maladie, le corps tout entier manque de la chaleur
naturelle, et que, par suite également, toutes les parties du corps, y compris
les plus petites, souffrent de ce malaise général. Une masse énorme de
sécrétion se produit dans le corps entier et dans chaque partie ; et le défaut
de coction dans les chairs [30] produit la blancheur des cheveux. Une fois
guéris et ayant repris leurs forces, les malades changent encore une fois. On
dirait que, de vieux, ils redeviennent jeunes ; et les affections dont ils sont
atteints changent en même temps qu'eux.
§
7.
On a donc raison de dire que la maladie est une vieillesse accidentelle, et que
la vieillesse est une maladie naturelle, puisqu'il y a des maladies qui
produisent les mêmes effets que la vieillesse. [35] Ce sont les tempes qui
blanchissent les premières. Les parties postérieures [785a] de la tête manquent d'humidité, parce qu'il
n'y a pas d'encéphale en elles, et qu'au contraire la fontaine en a beaucoup,
et que ce qui est abondant se putréfie malaisément. Les cheveux qui sont aux
tempes ont assez peu d'humide pour qu'ils puissent en faire la coction, et ils
n'en ont pas en assez forte quantité pour qu'ils ne se pourrissent pas. Ce lieu
[5] de la tête tenant le milieu entre les deux, est aussi en dehors de ces deux
affections.
§
8.
Telle est la cause qui détermine la blancheur des cheveux chez l'homme. Pour
les autres animaux, ce qui empêche que l'âge ne rende ce changement aussi
sensible, c'est précisément la même cause que celle de la calvitie, d'après nos
explications. Les animaux ont peu de cerveau, [10] et leur cerveau est moins
humide, de telle sorte que la chaleur n'est pas impuissante à opérer la
coction. De tous les animaux que nous connaissons, c'est le cheval chez qui,
relativement à sa grosseur, le phénomène se remarque le plus, parce qu'il a
l'os le plus mince pour recouvrir son cerveau. La preuve, c'est qu'un coup
léger dans cette partie du corps peut lui devenir mortel. [15] Aussi Homère
a-t-il pu dire dans ses vers :
« Au sommet de la tête
est frappé l'animal,
« Auprès des premiers
crins, où le coup est fatal. »
Comme l'humidité s'écoule
aisément dans cette partie où l'os est très mince, du moment que, par suite de
l'âge la chaleur diminue, les poils de cette partie deviennent blancs, chez le
cheval.
§
9.
Les cheveux roux blanchissent plus vite que les cheveux [20] noirs. La couleur
rousse est en quelque sorte une maladie du cheveu, et tout ce qui est faible
vieillit aussi plus vite. On dit que les grues deviennent plus noires cri
vieillissant. Chez elles, ce changement pourrait bien tenir à ce que la nature
de leur plume est plus blanche, et qu'à mesure qu'elles vieillissent,
l'humidité est trop considérable dans leurs plumes pour qu'elle puisse aisément
s'y pourrir.
§
10.
[25] Ce qui doit bien montrer que la blancheur des cheveux vient d'une sorte de
pourriture, et que ce n'est pas, comme on l'a dit, une dessiccation, c'est que
les cheveux quand ils sont recouverts de chapeaux ou d'enveloppes quelconques,
blanchissent plus vite ; car l'air empêche la décomposition ; or toute
couverture empêche l'action de l'air, tandis qu'au contraire un [30] mélange
d'eau et d'huile préserve et fortifie la chevelure, qui en est enduite. L'eau
refroidit; mais l'huile qui entre dans le mélange empêche qu'il se dessèche
trop rapidement, tandis que l'eau se dessécherait très vite. Que ce ne soit pas
là une dessiccation et que le cheveu ne blanchisse pas ainsi que l'herbe
devient sèche, ce qui le prouve bien, c'est que parfois les cheveux poussent
blancs tout à coup, tandis que rien de ce lui est desséché [35] ne peut
pousser.
§
11.
Le plus souvent, c'est par le bout que les cheveux blanchissent, parce qu'il y
a moins de chaleur dans les extrémités, qui sont d'ailleurs très ténues. [786] Dans tout le reste des animaux, quand les
poils blanchissent, c'est par l'effet de la nature et non par la maladie. Cela
tient à ce que, dans le reste des animaux, c'est la peau qui détermine les
couleurs. Quand le poil est blanc, la peau est blanche; elle est noire aux
animaux noirs. Dans ceux qui sont de diverses [5] couleurs et de couleurs
mélangées, la peau est en partie blanche, et en partie noire. Mais chez
l'homme, la peau ne détermine en rien la couleur ; car on voit des hommes qui
sont blancs de peau avoir des cheveux parfaitement noirs.
§
12.
Cela tient à ce que l'homme est, de tous les animaux, celui qui a la peau la
plus mince relativement à sa grosseur ; et c'est là ce qui fait qu'elle n'a
aucune influence sérieuse sur le changement des cheveux. [10] Mais la peau
elle-même, parce qu'elle est faible, change aussi de couleur; le soleil et le
vent la brunissent. Du reste, les cheveux ne changent pas en même temps
qu'elle. Dans les animaux autres que l'homme, la peau fait l'effet d'une terre,
à cause de son épaisseur. Leurs poils changent selon leur peau ; mais leur peau
[15] ne change pas sous l'action du vent et du soleil.
Unité de
couleur; multiplicité de couleurs; sens divers où ceci peut s'entendre;
variabilité des couleurs selon les espèces et les individus; fréquence ou
rareté de ces changements; influence des eaux chaudes ou froides sur la couleur
des animaux; de la couleur blanche sous le ventre de certains animaux;
explication de ce fait; variété de couleur dans la langue des animaux;
variation de couleur selon les saisons, et selon l'alimentation. — Résumé
partiel.
§
1.
Certains animaux n'ont
qu'une seule couleur; et j'entends par là que l'espèce entière de ces animaux n'a
qu'une couleur, la même pour tous, par exemple les lions, qui sont tous de couleur
fauve ; et cette observation s'étend également bien à une foule d'espèces
d'oiseaux et de poissons, ainsi qu'à d'autres espèces encore. Il y a aussi des
animaux qui peuvent avoir une seule couleur, mais chez qui cette couleur est
[20] entière. J'entends par là que leur corps tout entier a la même couleur;
par exemple, le bœuf, qui peut être tout blanc ou tout noir.
§
2.
Enfin, il y a des animaux qui ont des couleurs diverses ; et ce peut être
encore de deux manières. D'abord, ce peut être en genre, comme le léopard, le
paon et quelques poissons de l'espèce de ceux qu'on appelle vies thrattes; et
en second lieu, le genre entier peut n'être pas de diverses couleurs, mais les
individus ont cette diversité qu'ils acquièrent, [25] comme les bœufs, les
chèvres, et les pigeons parmi les oiseaux, dont bien d'autres espèces offrent
les mêmes variétés.
§
3.
Les animaux à couleurs entières changent beaucoup plus que ceux qui n'en ont
qu'une; et alors ils changent du tout au tout, c'est-à-dire que, de blancs, ils
deviennent noirs, que de noirs ils deviennent blancs, et qu'ils se mélangent
des deux à la fois, [30] parce que leur espèce ne doit pas naturellement avoir
une seule et unique couleur. L'espèce alors peut aisément aller à l'un et à
l'autre sans trop de peine, de telle sorte que les couleurs passent de l'une à
l'autre nuance, et se diversifient de plus en plus.
§
4.
C'est tout le contraire pour les espèces qui n'ont qu'une seule couleur ; elles
ne la changent qu'en cas de maladie ; et encore, est-ce bien rare. On a déjà pu
voir [35] une perdrix, un corbeau, un moineau, un un ours de couleur blanche.
Ces accidents se produisent quand il y a eu quelque difformité dans la
génération. [786a] Tout ce qui est petit est aisément détruit
ou modifié; et le jeune qui vient de naître est dans ce cas ; car tout ce qui
naît a de bien faibles commencements.
§
5.
Les animaux qui changent le plus de couleur sont ceux qui, ayant naturellement
une couleur entière qui se trouve dans toute l'espèce, deviennent néanmoins de
plusieurs couleurs à cause des eaux qu'ils boivent. L'eau, quand elle est
chaude, fait devenir le poil blanc ; [5] quand elle est froide, elle le rend
noir ; et cette remarque s'applique même aux végétaux. Cela vient de ce que
l'eau chaude contient plus d'air que d'eau, et que l'air, transparent comme il l'est,
produit la blancheur, comme il produit l'écume.
§
6.
Mais de même que la peau qui devient blanche par maladie, diffère de la peau
qui est blanche par nature, de même aussi la blancheur des cheveux, ou par [10]
maladie ou par l'âge, n'est pas la même que la blancheur naturelle, parce que
la cause est également tout autre. Pour les uns, c'est la chaleur naturelle qui
les fait blancs ; pour les autres, c'est une chaleur étrangère; c'est toujours
l'air qui y est renfermé, sous forme de vapeur, qui les rend blancs.
§
7.
Cette observation explique pourquoi les animaux qui n'ont pas une couleur
unique, sont toujours plus blancs [15] sous le ventre; cela tient à ce qu'en
cet endroit ils sont plus chauds qu'ailleurs. C'est là encore ce qui fait qu'en
général toutes les bêtes blanches sont plus agréables à manger, parce que la coction
donne de la douceur à la chair, et que c'est la chaleur qui fait la coction.
Par l'effet de la même cause, dans les animaux à une seule couleur, les uns
sont noirs, et les autres sont blancs. Toujours, c'est la chaleur et le froid
qui font la nature de la peau et [20] des poils; car chacune des parties du
corps a sa chaleur propre.
§
8.
La langue ne diffère pas moins, des animaux de couleur simple aux animaux de
couleurs variées; et parmi ceux dont la couleur est simple, il y a encore une
différence entre les blancs et les noirs. La cause de ces variétés est celle
que nous avons indiquée déjà plus haut : la peau est variée chez les animaux à
couleurs variables. Ceux dont les poils sont blancs ont la peau blanche ; ]25]
ceux dont les poils sont noirs ont la peau noire. La langue doit être
considérée comme une des parties extérieures du corps, si ce n'est qu'elle est
placée dans la bouche ; mais elle est dans le cas de la main ou du pied ; et
comme la peau des animaux à poils variés n'est pas d'une seule couleur, c'est
là aussi ce qui modifie la peau qui recouvre la langue.
§
9.
Il y a des oiseaux, [30] et même quelques espèces de quadrupèdes sauvages, qui
changent de couleur selon les saisons ; et le même changement que l'âge produit
chez les hommes a lieu selon la saison chez ces animaux. Seulement, les
modifications qu'amènent les années sont bien plus profondes. Les animaux qui
sont omnivores ont en général des couleurs beaucoup plus variables ; et par
exemple, les abeilles [787] sont d'une seule couleur bien plutôt que les
frelons et les guêpes. On le comprend bien ; car, si c'est la nourriture qui
cause le changement, il est tout simple que des aliments variés fassent aussi
beaucoup varier les mouvements et les sécrétions de la nutrition, d'où viennent
les poils, les plumes et la peau.
§
10.
Voilà ce qu'il y avait à dire sur les couleurs de la peau et des poils.
Causes de ces
diversités; influence de l'âge et du sexe sur le timbre de la voix; les mâles
ont eu général la voix plus grave que les femelles ; exception de la vache;
citations du Traité de la Sensation et du Traité
de l’Âme; conditions matérielles de la gravité et de l'acuité de la voix;
nature du moteur et du mobile; il faut distinguer la gravité et l'acuité de la
voix de sa force et de sa faiblesse; erreur de quelques naturalistes; influence
de l'âge sur la voix des animaux; jeunes, ils l'ont plus grave; organisation du
gosier; influence de la castration sur la voix; action particulière des
testicules, comparés aux pierres que les tisserands suspendent à leurs fils;
influence de la chaleur et du froid sur l'organe de la voix; flexibilité,
rudesse, douceur de la voix; exemple de la flûte; citation nouvelle du Traité
de la Sensation et du Traité de l’Âme.
§
1.
Pour ce qui concerne la voix des animaux, on peut observer que les uns ont la
voix grave, d'autres la voix aiguë, et d'autres encore une voix harmonieuse, à
égale distance de l'un et l'autre excès. Il y en a qui ont une voix puissante ;
[10] d'autres, une voix très faible ; et il y a dans toutes ces voix de grandes
différences de douceur ou de rudesse, de souplesse ou de roideur. Voyons
quelles peuvent être les causes de tant de diversités.
§
2.
D'abord, on doit croire que le timbre aigu ou grave de la voix tient à la même
cause qui fait que la voix change selon que les animaux sont jeunes ou vieux.
[15] Tous les animaux, quand ils sont plus jeunes, ont une voix plus aiguë,
excepté les veaux qui ont au contraire la voix plus grave. On peut remarquer la
même différence entre les mâles et les femelles. Dans toutes les espèces, la
voix de la femelle est plus aiguë que celle du mâle. C'est surtout chez l'homme
que cette distinction est sensible. [20] La Nature l'a marquée plus
particulièrement clans l'espèce humaine, parce que l'homme est le seul animal
qui ait le langage, et que la partie matérielle du langage, c'est la voix. Les
bœufs présentent un phénomène tout contraire; pour cette espèce, c'est la voix
des femelles qui est plus grave que celle des taureaux.
§
3.
Pourquoi les animaux ont-ils une voix ? Qu'est-ce que la voix, ou plus
généralement le bruit? C'est ce que nous avons étudié, soit [25] dans le Traité
de la Sensation, soit dans le Traité de l’Âme.
Mais comme le grave tient à la lenteur du mouvement, et l'aigu à sa rapidité,
c'est une question de savoir si c'est le moteur, ou le mobile, qui est cause
que le mouvement est lent ou rapide. On a bien dit qu'un grand objet se meut
lentement et qu'un petit objet se meut vite, et l'on a vu là [30] la cause qui
fait la voix grave ou la voix aiguë des animaux. Cette explication est exacte
jusqu'à un certain point ; mais elle ne l'est pas toutefois absolument.
§
4.
D'une manière générale, on a bien raison de croire que la gravité du son dépend
d'une certaine longueur du mobile; et si cela est vrai, il n'est pas plus
facile à un petit objet d'avoir un son grave qu'à un grand objet d'avoir un son
aigu. [35] Le son grave de la voix semble être d'une nature plus relevée ; et [787a] dans les chants, la basse semble supérieure
aux voix moyennes. La supériorité consiste en une suprématie, et la gravité du
son est une suprématie d'un certain genre.
§
5.
Cependant, le grave et l'aigu dans la voix sont autre chose que la force ou la
faiblesse de la voix. Il y a des voix fortes qui sont toujours aiguës, et des
voix très faibles [5] qui n'en sont pas moins graves. Il en est de même pour
les timbres moyens. Pour toutes ces nuances, et, par là, je veux parler d'une
voix forte et d'une voix faible, à quelle cause serait-il possible de les
rapporter, si ce n'est à la grosseur ou à la petitesse du mobile? Si donc
l'aigu et le grave sont bien en effet ce que les montre la définition qu'on
vient de rappeler, il en résulte que les mêmes animaux pourront avoir une voix
grave et une forte voix, et que les autres pourront avoir tout à fois une voix
aiguë et [10] une voix faible.
§
6.
Cette théorie nous paraît erronée. Le fait s'explique si l'on se rappelle que
le grand et le petit, le peu et le beaucoup, peuvent être pris en un double
sens, ou absolument, ou comparativement l'un à l'autre. La force de la voix
consiste en ce que le mobile est absolument considérable ; et la faiblesse
consiste en ce que le mobile est peu considérable en soi ; mais la gravité ou
l'acuité de la voix consiste uniquement [15] dans cette différence de
l'un par rapport à l'autre.
§
7.
Si la force du mobile l'emporte sur la force du moteur, le mouvement doit
nécessairement être lent; si c'est le moteur qui l'emporte, le mouvement doit
être rapide. Le moteur, quand il l'emporte, peut par sa force supérieure, s'il
meut un grand poids, faire quelquefois que le mouvement soit lent; et
précisément parce qu'il l'emporte, il peut quelquefois aussi le rendre très
rapide. [20] Par la même raison, les moteurs faibles, ayant à mouvoir un poids
au-dessus de leur force, ne peuvent produire qu'un mouvement lent, tandis que
les moteurs qui n'ont qu'un petit poids à mouvoir, font un mouvement rapide.
§
8.
Ce sont là les causes de ces oppositions qui font que les animaux jeunes n'ont
pas tous une voix aiguë, ni tous une voix grave, ni que tous en vieillissant,
[25] soit mâles, soit femelles, ne l'ont pas davantage. C'est là en outre ce
qui fait que, dans la maladie, on a la voix aiguë, comme on l'a également quand
on se porte bien. C'est ce qui fait aussi qu'en vieillissant on prend de plus
en plus une voix aiguë, parce que cet âge est tout l'opposé de celui de la
jeunesse. Si d'ordinaire les individus jeunes et les femmes ont une voix plus
aiguë, c'est à cause de leur faiblesse, qui ne leur permet de mettre en
mouvement qu'une [30] petite quantité d'air. Une petite masse d'air se remue
vite ; et la vitesse est précisément ce qui fait que la voix est aiguë.
§
9.
Les veaux et les vaches, les uns à cause de leur âge, les autres par leur sexe
femelle, n'ont pas beaucoup de force dans l'organe qui leur sert au mouvement;
et remuant beaucoup d'air, ils ont une voix [788] grave. Car le grave est précisément ce qui a
un mouvement lent; et l'air, quand il est en grande quantité, est mû lentement.
Les vaches et les veaux en meuvent beaucoup; les autres en meuvent peu, parce
que le vaisseau par lequel l'air entre tout d'abord, a chez les uns une très
grande ouverture, et qu'ils doivent nécessairement [5] mouvoir beaucoup d'air,
tandis que chez les autres il est plus mesuré. Avec l'âge, cet organe, qui,
dans les uns et les autres, met l'air en mouvement, se fortifie de plus en plus
; et ils changent du tout au tout ; ceux qui avaient une voix aiguë la prennent
plus grave qu'ils ne l'ont jamais eue ; et ceux qui l'avaient grave, la
prennent de plus en plus aiguë. Les taureaux ont une voix plus aiguë que les
veaux [10] et les vaches.
§
10.
Comme, chez tous les animaux, la force est dans les muscles, ce sont ceux qui
sont à la fleur de l'âge qui sont les plus forts ; les jeunes ont des membres
et des muscles très faibles. Chez les jeunes, la tension des nerfs n'est pas
encore suffisamment venue ; chez les vieux, elle se relâche ; et de là vient
que les uns et les autres sont également hors d'état de produire le mouvement,
à cause de leur faiblesse. [15] Les taureaux sont excessivement musculeux,
ainsi que leur cœur; et, chez eux, cette partie qui leur sert à mouvoir l'air
est tendue comme une corde à boyau. Ce qui prouve bien que telle est la nature
du cœur des bœufs, c'est que parfois on y trouve un os; et les os ont bien une
tendance à être de la même nature que les muscles.
§
11.
Tous les animaux, [20] quand on les châtre, changent et ils inclinent à la
nature féminine ; comme la force nerveuse qui est dans le principe vient à se
détendre, ils prennent une voix pareille à celle des femelles. Ce relâchement
se produit alors comme il se produit dans la corde qu'on a d'abord tendue, et à
laquelle on ôte le poids mis pour la tendre. On sait que c'est là ce que font
les tisserands ; ils tendent la chaîne qu'ils travaillent en y accrochant des pierres
qu'on appelle des laies. C'est de la même manière [25] que les testicules sont
naturellement suspendus, relativement aux canaux spermatiques; et ces vaisseaux
dépendent de la veine qui va, du cœur, à l'organe même qui met la voix en
mouvement.
§
12.
Aussi, quand les canaux spermatiques viennent à changer, vers l'âge [30] où ils
commencent à pouvoir sécréter le sperme, cet organe change en même temps. Avec
le changement de cet organe, survient celui de la voix. Il est plus sensible
chez les mâles ; mais il a lieu également chez les femelles, quoiqu'il y soit
moins distinct. La voix devient alors ce que quelques naturalistes [788a] appellent une voix de bouc, quand elle
devient rauque et inégale. A la suite de ce changement, les progrès de l'âge
développent et constituent la voix grave ou la voix aiguë. Quand les testicules
sont enlevés, la tension des canaux se relâche, à peu près comme la corde et la
chaîne se détendent quand on en retire [5] le poids. De même, cet organe étant
détendu, le principe qui met la voix en mouvement se trouve relâché, dans la
même proportion.
§
13.
C'est là également ce qui fait que les animaux coupés se rapprochent du sexe
femelle par le son de leur voix, ainsi que par tout le reste de leur conformation.
Le principe qui donne au corps sa vigoureuse tension se détend et se relâche ;
mais ce n'est pas du tout, [10] comme le supposent certains naturalistes, que
les testicules soient eux-mêmes la connexion de plusieurs principes réunis. Les
moindres déplacements peuvent causer de très grands effets ; non pas
précisément qu'ils les causent [15] par eux seuls, mais ils les causent quand
le principe de la chose vient à changer avec eux. Des principes qui en grandeur
matérielle sont peu de chose, peuvent avoir une puissance énorme ; car on doit
entendre par principe ce qui peut avoir beaucoup de conséquences, sans avoir
rien qui lui soit antérieur et supérieur. Il faut ajouter que la chaleur,
ou le froid, du milieu contribue aussi à faire naturellement que tels animaux
aient la voix grave et que tels autres aient la voix aiguë.
§
14.
L'air chaud, qui est épais, fait que la voix est grave; l'air froid, [20] qui
est plus léger, produit tout le contraire. On peut bien voir cette influence
sur les flûtes. Les artistes qui ont une respiration plus chaude et qui
l'emploient à la façon des gens qui gémissent, rendent un son plus grave. Ce
qui fait que [25] la voix est rude, ou qu'elle est douce, et qu'elle a telle
autre irrégularité, c'est que la partie du corps et l'organe par lequel passe
la voix est dur ou lisse, ou, en d'autres termes plus généraux, qu'il est égal
ou inégal.
§
15.
On peut bien le voir quand il y a quelque humidité dans la trachée artère, ou
qu'il se produit quelque rudesse dans la voix par suite de maladie ; la voix
devient alors inégale. La flexibilité de la voix dépend de ce que l'organe est
moelleux ou dur. Un organe moelleux peut se diviser et [30] prendre mille
intonations; un organe dur ne le peut pas. Un organe moelleux et flexible peut
tout â la fois émettre le son doucement ou avec force, et produire ainsi l'aigu
et le grave. Il laisse aisément ne passer ale l'air que ce qu'il veut, parce
qu'il devient lui-même grand ou petit à volonté; mais la dureté de l'organe
mâle empêche que rien ne passe.
§
16.
Voilà ce que nous avions à dire [789] pour suppléer à ce qui n'a pas été dit
antérieurement dans le Traité de la Sensation et dans le Traité de l’Âme.
Les fonctions
multiples qu'elles ont à remplir; les incisives poussent plus tôt que les
molaires ; erreur de Démocrite; ce n'est pas le lait, comme il le croit, qui
fait tomber les dents; cause de l'erreur de Démocrite, qui n'a pas assez
observé les faits, avant d'émettre une théorie générale; sagesse prévoyante de
la Nature; cause de la chute des dents; les molaires ne poussent que très tard,
et, parfois, dans l'extrême vieillesse; Démocrite n'a vu que la nécessité des
choses; il a omis la fin où elles tendent; habileté merveilleuse de la Nature
dans l'emploi de ses procédés. Résumé.
§
1.
Nous avons antérieurement expliqué, en parlant des dents, qu'elles ne sont pas
faites pour une seule et unique fonction, et nous avons dit que les
animaux ne les ont pas tous pour le même usage ; mais que chez les uns, elles
servent à [5] l'alimentation, que chez d'autres, elles servent à leur défense,
et, chez d'autres encore, au langage que forme la voix. Que les dents de devant
poussent les premières et que les molaires poussent en dernier lieu ; que les
molaires ne tombent pas, tandis que les autres tombent et repoussent, ce sont
là des questions qui nous semblent appartenir à des études sur la génération.
§
2.
Démocrite [10] a traité aussi de ce sujet ; mais il ne l'a pas très bien
exposé. Sans avoir examiné d'assez près l'ensemble des faits, il indique, d'une
manière toute générale, la cause de la chute des dents. A l'entendre, les dents
des animaux ne tombent que parce qu'elles poussent trop tôt. D'après lui, c'est
seulement quand ils sont adultes que la pousse des dents serait naturelle ; et
c'est parce que les animaux tètent que les dents leur poussent avant le temps.
On peut répondre à Démocrite [15] que le porc, qui tète, ne perd pas cependant
ses dents. Tous les animaux à dents aiguës tètent et ne perdent pas davantage leurs
dents ; quelques-uns, comme le lion, perdent tout au plus leurs canines. Ainsi,
Démocrite s'est trompé en se prononçant en général, sans avoir observé
suffisamment tous les faits particuliers.
§
3.
Cette observation des faits est néanmoins indispensable ; [20] et, quand on
parle d'une manière générale, il faut nécessairement que la théorie puisse
s'appliquer â tous les cas. Comme nous admettrons, en nous fondant sur ce que
nous pouvons voir, que la Nature n'est jamais en faute, et que jamais elle ne
fait rien en vain, dans tout ce qui est possible pour chaque espèce d'êtres, il
y a une nécessité évidente, puisque les animaux doivent prendre de la
nourriture après avoir sucé le lait, qu'ils aient des organes pour élaborer
leurs aliments.
§
4.
Si donc les dents [25] ne poussaient qu'au moment de la puberté, comme le veut
Démocrite, la Nature aurait négligé quelque chose de ce qu'elle pouvait faire ;
et alors, cette œuvre prétendue de la Nature serait absolument contre nature.
Tout ce qui est violent est contre nature; et, selon Démocrite, les dents
poussent de force et violemment. Ceci suffit pour montrer que sa théorie n'est
pas exacte ; et l'on pourrait y opposer encore bien d'autres objections.
§
5.
Les incisives [30] poussent avant les molaires, pour deux raisons : d'abord,
parce que leur fonction est antérieure, puisque diviser précède broyer, et que,
si les molaires servent à broyer, les incisives sont chargées de diviser les
aliments. En second lieu, ce qui est plus petit, tout en naissant en même temps
que quelque chose de plus grand, doit naturellement pousser plus vite. [789a] Or, les incisives sont plus petites que les
molaires ; et l'os de la mâchoire en leur endroit est large, tandis qu'il est
étroit près de la bouche. Il y a donc nécessité que, d'un organe plus grand,
s'écoule aussi plus de nourriture, et qu'il s'en écoule moins d'un organe plus
petit.
§
6.
Téter n'a ici aucune influence directe ; [5] mais il est vrai que la chaleur du
lait doit faire pousser les dents plus vite; la preuve, c'est que les enfants
qui tètent un lait plus chaud poussent leurs dents plus rapidement que les
autres, parce que la chaleur hâte toujours la croissance. Quelques-unes des
dents doivent tomber uniquement en vue du mieux, attendu que la pointe
s'émousse ; et pour que la fonction puisse continuer à s'accomplir, il faut que
d'autres dents [10] les remplacent. Les molaires, qui sont plates, ne peuvent
pas s'émousser; mais, avec le temps, elles s'usent, et elles deviennent toutes
lisses.
§
7.
Les incisives doivent nécessairement tomber, parce que, si les racines des
molaires sont placées à la partie la plus large de la mâchoire et dans un os
très fort, les racines des dents de devant sont dans un os mince; ce qui explique
leur faiblesse et leur mobilité. Les incisives repoussent, parce que [15] l'os
pousse encore quand elles tombent, et qu'il est encore temps que les dents
puissent repousser. Ce qui le prouve, c'est que les molaires sont aussi très
longues à sortir; les dernières ne paraissent guère qu'à l'âge de vingt ans; et
les plus retardées de toutes ne poussent, parfois, que dans la vieillesse
extrême, parce que la nourriture est longue à s'accumuler dans un os très
large.
§
8.
Au contraire, la partie antérieure de l'os, qui est mince, arrive bien vite [790] à son développement complet ; et il n'y a pas
de résidu dans cet os, parce que la nourriture est employée tout entière à la
croissance qui lui est propre.
§
9.
Démocrite oublie et néglige la cause finale pour rapporter à une simple
nécessité tous les procédés de la Nature. Ces procédés sont nécessaires sans
doute; mais ils n'en ont pas moins [5] un but; et, en toutes choses, ils
cherchent sans cesse à réaliser le meilleur. Rien n'empêche, nous le voulons
bien, que les dents ne poussent et ne tombent par suite d'une nécessité ; mais
ce n'est point par les motifs indiqués; et c'est toujours en vue d'une fin qui
doit être réalisée effectivement. Les causes alléguées par Démocrite ne sont
causes que comme des moteurs, comme des instruments et comme matière.
§
10.
Ainsi, il y a certainement une foule de cas où la Nature prend pour instrument
de ses œuvres l'air et le souffle vital; et de même que, dans les arts, [10] il
y a des instruments qui servent à plusieurs fins, par exemple, dans l'art du
forgeron, le marteau et l'enclume, de même aussi l'air peut servir à bien des
usages dans les êtres que forme la Nature. Rapporter toutes les couses à une
pure nécessité, cela reviendrait ii peu près au même que de croire que, dans le
traitement de l'hydropisie, le liquide sort au profit du bistouri, [15] et non
au profit de la santé, en vue de laquelle le bistouri a dû faire une incision.
§
11.
On doit donc voir, par ce qui précède, pourquoi il y a des dents qui tombent et
qui repoussent, pourquoi d'autres dents ne repoussent ni ne tombent, et, d'une
manière générale, pourquoi les dents sont ce qu'elles sont. Enfin, nous avons
également étudié toutes les autres fonctions des organes qui ne sont pas faits
en vue d'une fin, mais qui résultent [20] d'une simple nécessité et de l'action
d'une cause qui les met en mouvement.
FIN DU TRAITE