LES PARTIES ET LA VIE DES ANIMAUX
ARISTOTE
Traduction de Jules Barthélemy-Saint-Hilaire
Paris : Ladrange, 1883
Numérisé par Philippe Remacle http://remacle.org/
Nouvelle édition numérique https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique 2009
Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin
(manque le livre 7)
Préface
de Jules Barthélemy-Saint-Hilaire, 1883
LIVRE
I : LE CLASSEMENT DES ANIMAUX
CHAPITRE
I : Variétés infinies des animaux
CHAPITRE
II : Parties communes à tous les animaux
CHAPITRE
IV : Distinction des animaux en vivipares, ovipares et vermipares
CHAPITRE
V : Classement des animaux_
CHAPITRE
VI : Diversité des genres des animaux
CHAPITRE
VII : Principales parties du corps humain
CHAPITRE
VIII : Place du visage
CHAPITRE
IX : Description de l'oreille
CHAPITRE
XI : Parties du corps de l'homme
CHAPITRE
XII : Positions des parties
CHAPITRE
XIII : Parties intérieures du corps humain
CHAPITRE
XIV : Du cœur dans le corps humain
CHAPITRE
I : Parties communes à tous les animaux
CHAPITRE
III : Mamelles et dents
CHAPITRE
IV : Bouches ou gueules des animaux
CHAPITRE
V : Animaux intermédiaires entre l'homme et les quadrupèdes
CHAPITRE
VII : Description du caméléon
CHAPITRE
VIII : Organisation des oiseaux
CHAPITRE
XI : Des parties intérieures dans les grandes races d'animaux
CHAPITRE
XII : Organisation des reins dans les animaux
CHAPITRE
I : Des
parties qui concourent à la génération
CHAPITRE
II : Du
sang et des veines
CHAPITRE
III : Système
personnel d'Aristote sur la distribution des veines dans le corps humain
CHAPITRE
IV : Suite
de la description des veines, dans les parties inférieures du corps
CHAPITRE
V : Organisation
des nerfs
CHAPITRE
VIII : Des
cartilages
CHAPITRE
IX : Des
ongles, des cornes, des becs et des parties analogues à celles-là
CHAPITRE
X : Des
poils, de la peau et de leurs analogues
CHAPITRE
XIII : De
la graisse et du suif
CHAPITRE
XVI : Du
lait et de la liqueur séminale_
CHAPITRE
XVII : De
la liqueur séminale
LIVRE
IV : DIVERS EMBRANCHEMENTS_
CHAPITRE
I : Des animaux qui n'ont pas de sang
CHAPITRE
VI : Des téthyes, ou ascidies
CHAPITRE
VIII : Des sens dans les animaux
CHAPITRE
IX : De la voix des animaux
CHAPITRE
X : Du sommeil et de la veille chez les animaux
CHAPITRE
XI : Du mâle et de la femelle
LIVRE
V : LA GENERATION DES ANIMAUX
CHAPITRE
I : De la génération des animaux
CHAPITRE
II. Des accouplements
CHAPITRE
III. De l'accouplement des quadrupèdes ovipares
CHAPITRE
IV. De l'accouplement des poissons;
CHAPITRE
V. De l'accouplement des mollusques
CHAPITRE
VI. De l'accouplement des crustacés
CHAPITRE
VII. De l'accouplement des insectes
CHAPITRE
VIII. Des saisons et des Ages pour l'accouplement
CHAPITRE
IX. Du frai des poissons
CHAPITRE
X. Du frai des mollusques
CHAPITRE
XI. Accouplement et ponte unique des oiseaux sauvages
CHAPITRE
XII. De l'âge où les accouplements ont lieu
CHAPITRE
XIII. De la génération des testacés
CHAPITRE
XIV. Suite de la génération des testacés
CHAPITRE
XV. De la ponte des langoustes
CHAPITRE
XVI. De la fécondation des mollusques
CHAPITRE
XVII. De la ponte des insectes
CHAPITRE
XIX. Quatre espèces d'abeilles
CHAPITRE
XX. Des frelons et des guêpes
CHAPITRE
XXIII. De l'accouplement des sauterelles
CHAPITRE
XXV. Des poux, des puces et des punaises
CHAPITRE
XXVI. Des animalcules qu'on «trouve dans les lainages
CHAPITRE
XXVII. Retour sur la génération des quadrupèdes ovipares qui ont du sang
LIVRE
VI : LA REPRODUCTION DES ANIMAUX (suite)
CHAPITRE
I : De l'accouplement et de la ponte des oiseaux
CHAPITRE
II : Des œufs des oiseaux_
CHAPITRE
III : Suite de la formation de l'œuf
CHAPITRE
VIII : Des pigeons et de leur incubation
CHAPITRE
X : Des œufs des poissons
CHAPITRE
XI : Des cétacés vivipares et à évent
CHAPITRE
XII : Des poissons ovipares
CHAPITRE
XIII : Des poissons d'eau douce
CHAPITRE
XIV : Des poissons qui naissent spontanément dans la vase et dans le sable
CHAPITRE
XVI : Des époques diverses du frai des poissons
CHAPITRE
XVII : De l'accouplement dans les vivipares terrestres
CHAPITRE
XVIII : De l'action du printemps sur l'accouplement de tous les animaux
CHAPITRE
XIX : Des brebis et des chèvres
CHAPITRE
XX : Des chiens et de leurs espèces diverses
CHAPITRE
XXI : De l'accouplement du taureau
LIVRE
VIII : CERTAINS ACTES DES ANIMAUX
CHAPITRE
I : Des actes et de la vie des animaux
CHAPITRE
II : Division de la plupart des animaux en terrestres et en aquatiques
CHAPITRE
III : Conséquences de la division générale des animaux
CHAPITRE
IV : De la nourriture des poissons
CHAPITRE
V : De la nourriture des oiseaux
CHAPITRE
VI : De la nourriture des serpents
CHAPITRE
VII : Des quadrupèdes vivipares carnivores
CHAPITRE
VIII : De la manière de boire des divers animaux
CHAPITRE
IX : Des bœufs et de leur nourriture
CHAPITRE
X : De la nourriture des chevaux, des mulets et des ânes
CHAPITRE
XI : De la nourriture de l'éléphant
CHAPITRE
XII : De la nourriture des moutons et des chèvres
CHAPITRE
XIII : De la nourriture des insectes
CHAPITRE
XIV : Objets divers des actions des animaux
CHAPITRE
XV : Des migrations des poissons
CHAPITRE
XVI : De la retraite des animaux terrestres analogue à la migration
CHAPITRE
XVII : De la retraite des animaux froids
CHAPITRE
XVIII : De la retraite des oiseaux
CHAPITRE
XIX : De la retraite des vivipares quadrupèdes
CHAPITRE
XX : De l'influence des saisons sur les animaux
CHAPITRE
XXI : Du porc et de ses trois maladies
CHAPITRE
XXII : Des maladies des chiens
CHAPITRE
XXIII : Des maladies des chevaux
CHAPITRE
XXlV : L'âne n'a qu'une seule maladie
CHAPITRE
XXV : Des maladies des éléphants
CHAPITRE
XXVI : Des maladies des insectes
CHAPITRE
XXVII : De l'influence des climats sur les animaux
CHAPITRE
XXVIII : De l'influence des lieux sur le caractère des animaux
CHAPITRE
XXIX : Influence de la gestation sur la chair des animaux
CHAPITRE
I : Des mœurs des animaux_
CHAPITRE
II : Des causes de guerre entre les animaux
CHAPITRE
III : Des guerres des poissons
CHAPITRE
IV : Du caractère du mouton
CHAPITRE
V : De l'habitude des vaches de vivre de compagnie
CHAPITRE
VI : Des mœurs du cerf
CHAPITRE
VII : De l'instinct et des ruses des animaux
CHAPITRE
VIII : De l'industrie des animaux
CHAPITRE
IX : Des oiseaux qui ne font pas de nids
CHAPITRE
X : De quelques autres oiseaux qui nichent à terre tout en volant bien
CHAPITRE
XI : Des grues et de leur intelligence dans leurs migrations
CHAPITRE
XII : Des demeures des oiseaux sauvages
CHAPITRE
XIII : Des oiseaux vivant aux bords des eaux
Opinions de Buffon, de Cuvier et de plusieurs autres savants sur
la zoologie d'Aristote; critique de M. Lewes; analyse sommaire de l'Histoire
des Animaux ; plan d'Aristote ; ses devanciers, Alcméon de Crotone, Empédocle,
Anaxagore, Diogène d'Apollonie, Démocrite, Hippocrate, Xénophon, Platon ; les
successeurs d'Aristote, Pline, Élien; Albert-le-Grand ; Belon et Rondelet,
Wotton d'Oxford, Conrad Gesner, Linné, Buffon, Cuvier; style d'Aristote; sa
méthode comparée à la méthode de la zoologie moderne; ordre à suivre dans la
classification des animaux ; échelle des êtres et Transformisme ; problème de
la vie universelle ; admiration d'Aristote pour la nature ; anatomie pratiquée
par Aristote ; dessins anatomiques ; état actuel de la zoologie ; idée de la
science, privilège de la Grèce ; opinions des historiens de la philosophie sur
l'histoire naturelle d'Aristote. - Conclusion.
Avant d'apprécier
à notre tour la zoologie d'Aristote, il est bon de voir ce qu'en pensent les
juges les plus autorisés et les plus récents. Nous recueillerons d'abord le
témoignage de ces illustres représentants de la science; et, comparant le point
où la zoologie est actuellement parvenue avec son point de départ, nous
mesurerons l'intervalle qu'elle a parcouru depuis vingt-deux siècles. Par là,
nous comprendrons mieux son origine et ses progrès ; l'opinion des plus fameux
zoologistes des temps modernes guidera la nôtre, et leur compétence nous
répondra de leur impartialité.
Linné n'a
point parlé d'Aristote, bien qu'il l'ait nécessairement connu. Mais, à son
défaut, nous interrogerons Buffon et Cuvier, en compagnie de plusieurs
autres savants, qu'on peut citer à côté d'eux, sans qu'ils soient leurs égaux.
Buffon est non
seulement un grand naturaliste ; mais encore il est un des meilleurs écrivains
de notre langue. L'habileté du style, qui est aussi bien placée dans l'histoire
naturelle que partout ailleurs, ne peut jamais nuire; elle assure aux choses
leur véritable caractère et leur importance relative, sans les dénaturer, tout
en les embellissant. Buffon, dans son Discours sur la manière d'étudier
l'histoire naturelle, jette un regard sur le passé, et il est heureux de lui
rendre hommage :
« Les Anciens,
dit-il, qui ont écrit sur l'histoire naturelle étaient de grands hommes,
qui ne s'étaient pas bornés à cette seule étude ; ils avaient l'esprit élevé,
des connaissances variées, approfondies, et des vues générales. S'il nous
paraît, au premier coup d'œil, qu'il leur manque un peu d'exactitude dans de
certains détails, il est aisé de reconnaître, en les lisant avec
réflexion, qu'ils ne pensaient pas que les petites choses méritassent
autant d'attention qu'on leur en a donné dans les derniers temps. Quelques
reproches que les Modernes puissent faire aux Anciens, il me semble
qu'Aristote,
Théophraste
et Pline, qui ont été les premiers naturalistes, sont aussi les plus grands à
certains égards. L'Histoire des Animaux d'Aristote est peut être encore
aujourd'hui ce que nous avons de mieux fait en ce genre, et il serait fort à
désirer qu'il nous eût laissé quelque chose d'aussi complet sur les végétaux et
sur les minéraux. » (Manière d'étudier l'histoire naturelle, tome I, p. 84,
édition de 1830.)
Mais cette
première vue ne suffit pas à Buffon ; et il croit devoir un examen plus étendu
à l'œuvre d'Aristote ; il poursuit donc :
« Alexandre
donna des ordres, et il fit des dépenses très considérables pour rassembler des
animaux et en faire venir de tous les pays ; il mit Aristote en état de les
bien observer. Il paraît, par son ouvrage, qu'il les connaissait peut-être
mieux, et sous des vues plus générales, qu'on ne les connaît aujourd'hui.
Quoique les Modernes aient ajouté leurs découvertes à celles des Anciens, je ne
vois pas que nous avons sur l'histoire naturelle beaucoup d'ouvrages qu'on
puisse mettre au-dessus d'Aristote. Mais comme la prévention qu'on a pour son
siècle pourrait persuader que ce que je viens de dire est avancé témérairement,
je vais faire en peu de mots l'exposition du plan de son ouvrage.
« Aristote
commence par établir des différences et des ressemblances générales entre les
divers genres d'animaux ; au lieu de les diviser par de petits caractères,
comme l'ont fait les Modernes, il expose historiquement tous les faits et
toutes les observations qui portent sur des rapports généraux et sur des
caractères sensibles; il tire ces caractères de la forme, de la couleur, de la
grandeur, et de toutes les qualités extérieures de l'animal entier, et aussi du
nombre et de la position de ses parties, de la grandeur, du mouvement, de la
conformation de ses membres, et des relations qui se trouvent entre ces mêmes
parties comparées. Il donne partout des exemples pour se faire mieux entendre.
Il considère aussi les différences des animaux par leur façon de vivre, leurs
actions et leurs mœurs, leurs habitations, etc. Il parle des parties qui sont
communes et essentielles aux animaux, et de celles qui peuvent manquer, et qui
manquent en effet, à plusieurs espèces.
« Ces
observations générales et préliminaires font un tableau où tout est
intéressant; et ce grand philosophe dit qu'il les a présentées sous cet aspect
pour donner un avant-goût de ce qui doit suivre et faire naître l'attention
qu'exige l'histoire particulière de chaque animal, ou en général de chaque
chose.
« Il commence
par l'homme, plutôt parce qu'il est l'animal le plus connu, que parce qu'il est
le plus parfait. Il l'étudie dans toutes ses parties extérieures et intérieures.
Puis, au lieu de décrire chacun des animaux spécialement, il les fait connaître
tous par les rapports de leur corps avec le corps de l'homme. A l'occasion des
organes de la génération, il rapporte toutes les variétés des animaux
dans la manière de s'accoupler, d'engendrer, de porter, de mettre bas, etc. A
l'occasion du sang, il fait l'histoire des animaux qui en sont privés; et
suivant ainsi ce plan de comparaison, dans lequel l'homme sert de modèle, et ne
donnant que les différences qu'il y a de chaque partie des animaux à chaque
partie de l'homme, il retranche à dessein les descriptions particulières; il
évite par là toute répétition; il accumule les faits. et il n'écrit pas un mot
qui soit inutile.
« Aussi,
a-t-il compris dans un petit volume un nombre presque infini de faits. Je ne
crois pas qu'il soit possible de réduire à de moindres termes tout ce qu'il y
avait à dire sur cette matière, qui paraît si peu susceptible de cette
précision qu'il fallait un génie comme le sien pour y conserver, en même temps,
de l'ordre et de la netteté.
« Cet ouvrage
d'Aristote s'est présenté à mes yeux comme une table des matières, qu'on aurait
extraite, avec le plus grand soin, de plusieurs milliers de volumes, remplis de
descriptions et d'observations de toute sorte. C'est l'abrégé le plus savant
qui ait jamais été fait. Quand même on supposerait qu'Aristote aurait tiré de
tous les livres de son temps ce qu'il a mis dans le sien, le plan de l'ouvrage,
sa distribution, le choix des exemples, la justesse des comparaisons, une
certaine tournure dans les idées, que j'appellerai volontiers le caractère
philosophique, ne laissent pas douter un instant qu'il ne fût lui-même bien
plus riche que ceux dont il aurait emprunté. » (Buffon, ib., ibid. pages
85 et suiv.)
L'éloge est
sans réserve; et l'on pourrait y joindre, en forme de complément, toutes ces
discussions éparses et nombreuses où Buffon consulte Aristote sur des détails,
et où tantôt il l'approuve et tantôt il le réfute, ne s'éloignant de « ce grand
homme » qu'à regret, et non sans quelque crainte de se tromper, quand il doit
se séparer de lui au nom de la vérité.
Les mêmes
sentiments, justifiés par des motifs si solides, sont encore plus forts chez
Cuvier; ou, du moins, ils se traduisent par des expressions plus vives. Dans
une solennité officielle, la distribution des Prix décennaux en 1810, Cuvier,
remettant son rapport à A l'Empereur, y rappelle la munificence d'Alexandre,
jadis vantée par Pline; et il conseille à l'histoire naturelle de faire revivre
les principes d'Aristote, si elle veut atteindre toute sa perfection, et
réaliser complètement la méthode dont il a posé les fondements immuables. Vers
la même époque à peu près, Cuvier donnait, dans la Biographie universelle de
Michaud, un article signé de son nom, où on lit le passage suivant :
« De toutes
les sciences, celle qui doit le plus à Aristote, c'est l'histoire naturelle des
animaux. Non seulement il a connu un grand nombre d'espèces; mais il les a
étudiées et décrites d'après un plan vaste et lumineux, dont peut-être aucun de
ses successeurs n'a approché, rangeant les faits, non point selon les espèces,
mais selon les organes et les fonctions, seul moyen d'établir des résultats
comparatifs. Aussi, peut-on dire qu'il est non seulement le plus ancien auteur
d'anatomie comparée dont nous possédions les écrits, mais encore que c'est un
de ceux qui ont traité avec le plus de génie cette branche de l'histoire
naturelle, et celui qui mérite le mieux d'être pris pour modèle. Les
principales divisions que les naturalistes suivent encore dans le règne animal
sont dues à Aristote, et il en avait déjà indiqué plusieurs auxquelles on est
revenu dans ces derniers temps, après s'en être écarté mal à propos.
« Si l'on
examine le fondement de ces grands travaux, l'on verra qu'ils s'appuient tous
sur la même méthode, laquelle dérive elle-même de la théorie sur l'origine des
idées générales. Partout, Aristote observe les faits avec attention; il les
compare avec finesse, et il cherche à s'élever vers ce qu'ils ont de commun. » Biographie
universelle de Michaud, 2e édition, tome II, p. 222.)
Dans le
Discours qui précède les Recherches sur les ossements fossiles, Cuvier, déjà
dans toute sa gloire, n'hésite pas à dire que « l'histoire de l'éléphant est
plus exacte dans Aristote que dans Buffon » ; et en parlant du chameau, il loue
Aristote d'en avoir parfaitement décrit et caractérisé les deux espèces.
Mais c'est
surtout dans ses Leçons sur l'histoire des sciences naturelles, professées au
Collège de France, à la fin de sa vie, que Cuvier se montre un admirateur
passionné du naturaliste grec. Nous ne pouvons pas reproduire les expressions
propres dont se sert l'incomparable professeur, puisque ses Leçons n'ont pas
été rédigées de sa main; mais si elles n'ont pas conservé les formes de son
style, elles nous donnent du moins sa pensée, et elles gardent la trace fidèle
de l'enthousiasme le plus ardent et le plus réfléchi. A ses yeux, « Aristote
est le géant de la science grecque; avant Aristote, la science n'existait pas;
il l'a créée de toutes pièces. On ne peut lire son Histoire des Animaux sans
être ravi d'étonnement. Sa classification zoologique n'a laissé que bien peu de
choses à faire aux siècles qui sont venus après lui. Son ouvrage est un des
plus grands monuments que le génie de l'homme ait élevés aux sciences
naturelles ».
Ces louanges
réitérées sont décisives. Ainsi que Buffon, Cuvier se plaît à les répéter et à
les fortifier en discutant les opinions d'Aristote toutes les fois qu'il les
rencontre, dans son admirable ouvrage du Règne animal, ou dans son Anatomie
comparée. Buffon et Cuvier, commentant Aristote, se font à eux-mêmes autant
d'honneur qu'à lui; ils se grandissent en l'élevant modestement, et justement,
au-dessus d'eux.
Après Cuvier,
après Buffon, il semble qu'on pourrait s'arrêter; mais à ces autorités
toutes-puissantes, on peut en ajouter d'autres qui ne sont pas sans valeur,
bien qu'elles ne viennent qu'à une assez longue distance de ces deux-là; ce
sont des échos qu'il ne faut pas laisser perdre. Ainsi, Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire,
qui proclame Aristote « le prince des naturalistes de l'Antiquité », déclare
qu'il est une exception unique dans l'histoire de l'esprit humain, parce qu'il
a tout à la fois reculé les limites des sciences, et qu'il en a pénétré les profondeurs
les plus intimes. Par un privilège accordé à lui seul entre tous, il est encore
pour nous, vingt et un siècles après sa mort, un auteur progressif et nouveau.
(Histoire naturelle générale des Règnes organiques, 1851, pages 19 et
suiv.) Ainsi Flourens, rendant compte des travaux immortels de Cuvier, affirme
que « le génie d'Aristote n'avait négligé aucune partie du règne animal, et
que, depuis lui, on n'a guère étudié due les vertébrés En parlant de l'anatomie
comparée, qui a fait surtout la grandeur de Cuvier, Flourens assure que, dans
cette partie de la science, on ne doit compter que trois noms, Aristote, Claude
Perrault et Cuvier, et qu'Aristote a fondé la vraie méthode par la comparaison
des êtres selon les organes et non selon les espèces (Flourens, Éloge de
Cuvier, avec les notes, pp. 9, 22 et 128). Ainsi, Laurillard parle
d'Aristote avec la même chaleur dans son Éloge de Cuvier, dont il était
l'élève. Ainsi, Littré, prenant les choses à un point de vue médical, s'exprime
en ces termes : « La physiologie naquit de la médecine, à peu près vers
l'époque où florissait Hippocrate. Toutefois le premier travail physiologique
qui nous soit parvenu appartient à Aristote, et ce premier travail est un
chef-d'œuvre. Description d'un nombre immense d'animaux, comparaison des
parties entre elles, vues profondes sur les propriétés essentielles à la
matière vivante, tout cela se trouve dans les admirables ouvrages du précepteur
d'Alexandre... Aristote n'a pas eu de successeurs jusqu'au XVIe siècle.
(Littré, la Science au point de vue philosophique, pages 200 et 216.)
La voix des
contemporains s'unit à celle de leurs devanciers; et elle n'est pas moins
favorable. Dans un Rapport de 1867 sur les progrès récents des sciences
zoologiques en France, M. Milne Edwards dit que « la manière large, rigoureuse
et philosophique d'envisager l'histoire du règne animal, date de l'Antiquité,
et qu'Aristote, en créant la zoologie, a placé de prime abord cette science sur
un terrain dont elle n'aurait jamais dû abandonner aucune partie... En lisant
ses écrits, on est étonné du nombre immense de faits qu'il lui a fallu
constater, peser et comparer attentivement, potin pouvoir établir plus d'une
règle que les découvertes de vingt siècles n'ont pas renversée. »
Si nous
sortons de France, nous pouvons demander aux zoologistes les plus instruits
leur opinion sur Aristote, et ils nous répondront comme les nôtres. Un
professeur de zoologie et d'anatomie comparée à l'Université de Vienne, auteur
d'un traité de zoologie qui passe pour le plus conforme à l'état présent de la
science, M. le docteur C. Claus, juge ainsi Aristote :
« L'origine de
la zoologie remonte à une très haute antiquité. Aristote cependant peut être
regardé comme le véritable fondateur de cette science; car c'est lui qui recueillit
les connaissances éparses de ses prédécesseurs, les enrichit des résultats de
ses curieuses recherches, et les coordonna scientifiquement, dans un esprit
philosophique. Contemporain de Démosthène et de Platon (384-322), il fut chargé
par Philippe de Macédoine de l'éducation de son fils, Alexandre. Plus tard, la
reconnaissance de son élève lui procura des moyens uniques pour faire explorer
les contrées soumises par le conquérant, et y rassembler des matériaux
considérables pour l'histoire naturelle des animaux. Les plus remarquables de
ses écrits zoologiques traitent de la Génération des animaux, des Parties des
animaux et de l'Histoire des animaux.
« On ne doit
pas chercher dans Aristote un zoologue exclusivement descriptif, ni dans ses
œuvres, un système suivi jusque dans ses moindres détails. Ce grand penseur ne
pouvait se renfermer dans cette manière étroite de traiter la science. Il
voyait surtout dans l'animal un organisme vivant; il l'étudia dans tous ses
rapports avec le monde extérieur, observa son développement, sa structure, et
les phénomènes physiologiques dont il est le siège, et créa une zoologie
comparée, dans la plus vaste acception du mot, qui, à tous les égards, sert
encore de base première à la science. Se proposant pour but de tracer un
tableau de la vie du règne animal, il ne se contenta pas d'une simple et aride
description des parties et des phénomènes extérieurs; il s'appliqua à observer
comparativement la structure des organes internes et leurs fonctions; il exposa
les mœurs, l'histoire de la reproduction et du développement, et soumit à une
étude approfondie les activités psychiques, les penchants et les instincts,
procédant toujours du particulier au général, et établissant les rapports
réciproques et les liens intimes des phénomènes.
« On peut
aussi considérer l'œuvre de ce grand maître comme une biologie du règne animal,
appuyée sur une masse énorme de faits positifs, inspirée par l'idée grandiose
de reproduire en un vaste tableau harmonique la vie animale, dans ses modifications
infinies, et dominée par cette conception du monde qui suppose une fin
rationnelle aux lois de la nature. A un pareil dessein, devait correspondre une
division des animaux en groupes naturels, qu'il traça avec une perspicacité
admirable, si l'on tient compte du nombre relativement restreint de matériaux
dont on disposait à cette époque. » (M. le docteur Claus, Traité de
zoologie, zoologie descriptive, page 49, trad. de M. Moquin-Tandon, 1878.)
Après M. le
docteur Claus, on peut encore citer deux savants auteurs de l'Histoire de la
zoologie : Spix, qui écrivait en 1811, et M. Victor Carus, professeur
d'anatomie comparée à l'Université de Leipzig. « Malgré des erreurs qu'il est
facile de reconnaître, dit M. Carus, le mérite d'Aristote n'en reste pas moins
très considérable. Le premier, en effet, il a apporté dans l'étude du règne
animal, la méthode et la science. C'était rendre possibles, c'était même
préparer des recherches ultérieures; mais c'était surtout placer la zoologie et
l'anatomie comparée, pour la première fois, parmi les sciences inductives, et
contribuer ainsi à leur développement. » (M. V. Carus, Histoire de la
zoologie, p. 58, trad. française, 1880.)
Il serait
inutile de pousser plus loin, bien qu'il fût aisé d'accumuler une masse
d'autorités unanimes. Mais â côté de l'éloge, on doit entendre aussi la
critique ; et puisque tant de zoologistes, depuis l'Antiquité jusqu'à nos
jours, ont vanté le génie d'Aristote, la vérité exige qu'on voie équitablement
si d'autres zoologistes n'en ont pas porté un jugement tout contraire. De notre
temps, l'attaque la plus vive est celle de M. Lewes, mort il y a trois ou
quatre ans à peine. Médecin, romancier, philosophe, historien, érudit,
physiologiste, M. Lewes est, malgré des titres si variés, un auteur très
sérieux. L'ouvrage qu'il a publié sur Aristote, comme fragment d'une histoire
générale des sciences, témoigne des intentions les meilleures. Au nom de la
plus franche impartialité, l'auteur prétend démontrer que les œuvres
scientifiques d'Aristote ne méritent pas la gloire dont elles sont entourées.
Il ne voudrait pas non plus les déprécier iniquement, et il s'efforce de tenir
la balance égale entre les aveugles enthousiasmes du Moyen-âge, et les
dénigrements systématiques auxquels on s'est livré trop souvent depuis la
Renaissance. Dans cette vue très louable, il étudie sur le texte directement,
et en helléniste fort instruit quinze des ouvrages d'Aristote qui ont surtout
le caractère scientifique : Physique, météorologie, mécanique, etc., etc. Pour
l'objet qui nous occupe, il convient de ne s'arrêter qu'aux trois derniers
ouvrages qu'a étudiés M. Lewes, et qui sont l'Histoire des Animaux, le Traité
des Parties des Animaux, et le Traité de la Génération des Animaux. Il les
analyse minutieusement livre par livre, chapitre par chapitre, alléguant tout
au long les passages sur lesquels il s'appuie.
Pour
l'Histoire des Animaux, voici la conclusion de M. Lewes, qui blâme Cuvier et
tant d'autres de l'avoir admirée, et qui, pour sa part, n'y voit que des
généralisations audacieuses, des faits sans suite et une complète absence de
classification.
« L'analyse
qui précède, dit M. Lewes, mettra le lecteur en mesure de juger jusqu'à quel
point l'opinion de Cuvier est acceptable, et s'il est bien justifié de dire que
« l'Histoire des Animaux est un des plus grands monuments que l'esprit humain
ait élevés à la science de la nature ». Sans doute, c'est un merveilleux
monument si l'on regarde à l'époque où il a paru, et à la multiplicité des
œuvres que l'auteur a produites. Mais ce n'est pas là un motif pour le regarder
comme un grand monument de la science; ce n'est pas plus un monument qu'un four
à briques n'en est un comparativement à l'édifice qu'élève l'architecture. Il y
a dans cet ouvrage une multitude de faits : les uns, exacts; les autres
vulgaires; et beaucoup de faux. Il n'y a aucun lien entre ces faits nombreux ;
il n'y a pas entre eux un seul principe général qui puisse en faire un système
de quelque utilité, et former un travail de science réelle. A sa date, c'était
certainement une chose importante pour un penseur éminent de consacrer tant de
soins à recueillir des faits; mais ce ne pouvait être là que des matériaux
préparés pour la science â venir; et un seul principe bien clair vaut mieux que
des milliers de faits sans liaison; car ce principe contient en lui les germes
de milliers de découvertes.
« Or il n'y a
pas, dans Aristote, un seul principe qui puisse conduire ceux qui l'étudient à
faire de nouvelles découvertes, ou à mieux comprendre les anciennes. On aurait
beau savoir ce livre par cœur, on ne serait pas en état de classer même
provisoirement le moindre nouvel animal et d'expliquer le moindre phénomène
biologique. La meilleure réponse qu'on puisse faire aux admirateurs d'Aristote,
c'est d'invoquer le témoignage de l'histoire, qui nous montre que la science de
la zoologie n'a pas même commencé bien des siècles après lui. Si en effet
Aristote avait posé des bases éternelles, s'il avait placé aux mains des hommes
un nouvel instrument de recherches, la zoologie aurait l'ait les mêmes progrès
que l'astronomie depuis Hipparque jusqu'à Ptolémée.
« Mais encore
une fois, dit M. Lewes, je veux rappeler au lecteur que ces objections ne sont
pas dirigées contre Aristote, et qu'elles ne le sont que contre ses aveugles panégyristes.
« (G. H. Lewes, Aristotle, p. 290,
§ 354, 1864,
8°.)
M. Lewes est
certainement fort décidé à être impartial ; pourtant on doit trouver qu'il est
bien sévère à l'égard de l'Histoire des animaux. Mais comme cet ouvrage
d'Aristote n'est pas le seul que M. Lewes attaque, il vaut mieux différer la
réponse pour la faire plus générale et plus claire. L'Histoire des animaux se
complète par le Traité des Parties et par celui de la Génération ; c'est là le
vaste domaine de la zoologie aristotélique ; et il faut le parcourir tout
entier, ne serait-ce que sommairement, pour voir ce que valent les objections.
M. Lewes est un peu plus indulgent pour le Traité des Parties que pour
l'Histoire des animaux ; et après une analyse aussi minutieuse que la première,
et aussi exacte, voici comment il conclut :
« Pour nous
résumer, nous devons remarquer que ce Traité des Parties des animaux, tout
éloigné qu'il peut être des règles modernes, n'en offre pas moins un grand
intérêt pour l'histoire de la science, non pas seulement par les matériaux
qu'il lui fournit, mais aussi comme un des premiers essais tentés pour fonder
la biologie sur l'anatomie comparée. Bien que, pendant de longs siècles, les
animaux aient été étudiés comme des curiosités plutôt que comme des données
scientifiques, et que jusqu'à ces derniers temps la zootomie ait formé une
branche non reconnue des recherches biologiques, Aristote en a néanmoins
compris, de bonne heure, la vraie position ; et il a recherché les lois de la
vie dans tous les êtres organisés. Il reconnaîtrait les Modernes pour ses
héritiers, et il serait heureux d'apprendre que c'est à la zootomie que nous
devons presque toutes nos importantes découvertes en anatomie et en
physiologie. »
M. Lewes nomme
ensuite. parmi les plus illustres inventeurs, Harvey, Aselli, Pecquet, Rudbeck,
Bartholini, Malpighi, etc., etc.; puis il ajoute ces mots :
« Dans toutes
les découvertes modernes, Aristote aurait retrouvé comme la réalisation de ses
rêves ; et l'on peut dire qu'avoir compris de si bonne heure l'importance de
l'anatomie comparée, est une preuve de plus, parmi tant d'autres, de sa
prodigieuse sagacité en fait de science. Mais une remarque importante pour la
méthode, c'est qu'Aristote, bien que voyant l'étendue et la fécondité de ce
champ d'investigation, et quoique comprenant combien elle s'identifiait avec
l'étude même de la vie dans l'homme, n'a pas personnellement fait la moindre
découverte en physiologie. ni vu le moindre fait anatomique qui ne fût déjà de
toute évidence aux veux du vulgaire. » (Lewes, Aristotle, page 323.)
Reste le
Traité de la Génération des animaux. M. Lewes y applique les mêmes procédés ;
mais son jugement, déjà beaucoup adouci pour le Traité des Parties, s'adoucit
encore bien davantage. L'auteur, qui, tout à l'heure, était si rude aux
admirateurs d'Aristote, passe dans leurs rangs, sans peut-être le vouloir,
entraîné par la vérité même, et probablement aussi par une pratique plus longue
des idées du philosophe grec.
« Le Traité de
la Génération des animaux, dit M. Lewes, est une production vraiment
extraordinaire. Pas un ouvrage ancien et bien peu d'ouvrages modernes ne
l'égalent pour l'étendue des détails et pour la profondeur de sagacité
spéculative. Nous y pouvons trouver quelques-uns des problèmes les plus obscurs
de la biologie étudiés d'une manière magistrale ; et l'on petit s'en étonner à
bon droit, quand on se rappelle quelle était dans ce temps la condition de la
science. Il y a sans doute encore bien des erreurs, bien des lacunes, et trop
peu d'attention à admettre certains faits ; mais pourtant cette œuvre est
fréquemment au niveau, et, quelquefois même, au-dessus des spéculations de nos
embryologistes les plus avancés. »
M. Lewes se
défend, et avec toute raison, d'être disposé à découvrir dans l'Antiquité des
idées supérieures à celles de la science moderne ; mais ici son enthousiasme
l'emporte jusqu'à mettre Aristote au-dessus d'Harvey, le fondateur, dit-il, de
la physiologie moderne, si ce n'est, pour l'anatomie, du moins pour l'esprit
philosophique, qui rapproche bien davantage Aristote de notre époque.
Puis M. Lewes
dit encore, page 375:
« Nous
terminerons notre analyse du Traité de la Génération des animaux en répétant
avec conviction que c'est le chef-d'œuvre scientifique d'Aristote. Si on le
consulte en ne connaissant préalablement que les auteurs modernes, on le
trouvera plus d'une fois bien sec et même passablement faux ; mais si l'on
s'est familiarisé avec les écrivains des seizième, dix-septième et dix-huitième
siècles, ce monument apparaîtra dans sa véritable grandeur; et quoiqu'on soit
au courant des résultats et des théories de l'embryologie la plus récente, on
sera surpris, je l'affirme, et charmé de voir combien de fois Aristote est au
niveau de la spéculation la plus haute. »
Enfin, M.
Lewes conclut en déclarant (pages 376 et suiv.) que, s'il était donné â
Aristote de revenir à la vie, il serait parmi nous, aux côtés de Galilée et de
Bacon. et qu'avec eux il serait l'adversaire des aristotéliciens. On peut n'en
être pas aussi sûr que M. Lewes ; et si Aristote ressuscité consentait à
fréquenter Galilée, il est peu probable qu'il se plût dans la société de Bacon,
son ennemi systématique et son calomniateur acharné. Mais peu importe ; tout ce
qui nous intéresse en ceci, c'est de constater qu'au milieu d'un concert
unanime, c'est à peine si, de notre temps, une voix dissidente s'est élevée ;
et encore a-t-elle été forcée bientôt de se joindre aux autres, après quelque
résistance.
Ce qui a pu
causer l'erreur de M. Lewes et fausser ses vues, c'est qu'il est un des adeptes
de la doctrine de M. Auguste Comte ; il a traduit en anglais les six gros
volumes de la Philosophie positive ; et il en accepte tous les principes. Or,
ces principes n'aident point à bien juger du passé des sciences, ni à
comprendre, comme il convient, la marche qu'elles suivent dans leurs progrès
incessants. Supposer gratuitement que la science est d'abord théologique, puis
qu'elle devient métaphysique, et qu'après ces deux aberrations, elle devient
enfin positive, c'est admettre aussi que la science est toute récente, et
qu'elle date en quelque sorte du XIXe siècle, où le Positivisme l'aurait enfin
tirée de ses égarements. Rien n'est moins vrai que cette hypothèse ; et en face
de monuments tels que ceux d'Aristote et d'Hippocrate, sans même parler
d'Hérodote et de Thucydide, il faut être bien égaré par l'esprit de système
pour y découvrir quoi que ce soit de métaphysique ou de théologique.
Ce qui est
vrai, c'est que la science à ses débuts est chancelante et faible, ainsi que
tout ce qui commence ; elle observe insuffisamment, et les explications qu'elle
essaye sont insuffisantes, parce que les faits sur lesquels elle s'appuie sont
trop peu nombreux et pas assez bien observés. Mais au fond le procédé est
toujours le même. L'esprit humain est nécessairement condamné â ne jamais faire
de théorie qu'après avoir observé. Seulement, l'observation est plus ou moins
bien faite ; l'analyse est portée plus ou moins loin ; voilà tout ; mais
toujours le germe de la science se développe par degrés successifs, comme tout
autre germe. C'est donc méconnaître radicalement l'histoire de l'intelligence
que de supposer qu'elle a changé sur la route, et qu'elle marche aujourd'hui en
d'autres conditions que celles qu'elle a subies dans l'Antiquité grecque et
dans le monde entier. Croire au prétendu état positif de la science, après deux
autres états inférieurs, c'est recommencer sous une autre forme l'erreur
insoutenable de Bacon et du Novum Organum. C'est un excès d'orgueil dont
les Modernes doivent savoir se défendre, au nom même de cette méthode
d'observation qu'on préconise, et qu'on applique si peu quand on émet de
pareils jugements. S'il est un fait certain, c'est qu'Hippocrate et Aristote
ont observé comme nous, parfois moins bien que nous, si l'on veut ; mais c'est
de même que nos successeurs observeront mieux que nous encore, en s'aidant de
ce que nous aurons découvert, comme nous nous aidons, plus ou moins
consciemment, de tout ce qui nous a précédés.
Si M. Lewes
avait fait ces réflexions, il aurait mieux apprécié l'Histoire des Animaux.
Mais n'anticipons point; cette question de la marche de la science et de ses
méthodes en zoologie se retrouvera plus tard, et nous l'approfondirons autant
que nous le pourrons, quand le moment sera venu de la discuter.
Après avoir
écouté la critique et l'éloge, nous pouvons les vérifier l'une et l'autre, en
considérant le monument tel qu'il est et en le jugeant nous-mêmes. Dans cet
examen sommaire, nous ferons des emprunts comme M. Lewes à d'autres ouvrages
qui le complètent et l'éclaircissent, moins renommés, mais non moins beaux : le
Traité des Parties des animaux, le Traité de la Génération, le Traité de l'Âme,
et quelques Opuscules. Dans leur ensemble, ils nous fourniront tous les
éléments essentiels de la zoologie aristotélique. Mais, qu'on le sache, rien ne
peut suppléer la lecture directe de ces livres inestimables; ils valent tous la
peine d'être médités attentivement ; et aussi, ne s'agit-il maintenant pour
nous que d'en parcourir, avec le plus de concision et de clarté possible, les
lignes principales et les théories les plus fécondes.
Écoutons
Aristote.
Dans le corps
de tous les animaux, on distingue des parties qui sont complexes, et d'autres
parties qui ne le sont pas. Les parties complexes se subdivisent en d'autres parties,
dans lesquelles ne se trouve plus la forme de celles d'où on les a tirées. Le
visage ne se divise pas en visages, mais en nez, en bouche, en yeux, en front,
tandis qu'au contraire les parties simples comme le sang, les os, les nerfs,
les cartilages, ne donnent jamais, quelque divisées qu'elles soient, que des
parties toujours similaires, du sang, des os. des os, des nerfs, etc. Les
parties complexes sont parfois des membres, qui se divisent en plusieurs
portions : ainsi le bras, pris dans sa totalité, comprend le haut du bras,
l'avant-bras et la main, qui se subdivise elle-même en plusieurs autres parties
secondaires, telles que les doigts. Les parties complexes ou simples, qui se
retrouvent dans tous les animaux, sont tantôt semblables dans les individus de
la même espèce, ne différant alors que du plus au moins; tantôt elles ne sont
qu'analogues dans des espèces différentes : par exemple, l'arête chez les
poissons joue le même rôle que les os chez les quadrupèdes. Les parties
similaires sont tantôt sèches et solides, tantôt molles et liquides : ici l'os,
la corne, les cheveux, etc.; là le sang. la bile, le lait, la lymphe, etc.
Si tous les
animaux se ressemblent sous ces premiers rapports, on peut observer entre eux
des différences frappantes dans leur genre de vie, dans leurs actes, dans leur
caractère, etc. Les uns vivent sur terre; les autres sont aquatiques ; d'autres
sont amphibies; ceux-ci restent toujours en place, tandis que ceux-là peuvent
se mouvoir; ceux-ci marchent sur le sol, tandis que ceux-là volent dans l'air;
les uns ont des pieds ; les autres en sont dépourvus; les uns vivent en troupe;
les autres sont solitaires; tantôt ils habitent constamment les mêmes lieux;
tantôt ils en changent; tantôt ils sont carnivores, tantôt frugivores; les uns
sont domestiques; les autres sont sauvages; tantôt ils ont une voix ; tantôt
ils sont muets. Leur caractère n'est pas moins varié que leurs habitudes.
Douceur ou férocité, courage ou timidité, intelligence ou stupidité, et une
foule d'autres qualités semblables, se manifestent en eux à des degrés divers.
Mais aucun animal, si ce n'est l'homme, n'est doué de raison ; l'homme est un
être à part.
Il y a dans
tout animal deux parties absolument indispensables : l'une, pour recevoir la
nourriture, qui le fait vivre, sous forme de fluide; l'autre, pour en rejeter
le superflu. Tous les animaux sont sensibles; mais tantôt ils ont tous les
sens; tantôt ils n'en possèdent qu'un seul, qui, alors et sans aucune
exception, est toujours le toucher, répandu dans le corps tout entier et ne
résidant pas comme les autres sens dans un organe spécial. Au toucher, il faut
joindre le sens du goût, qui est indispensable pour l'alimentation. Quant à la
reproduction, les animaux sont, ou vivipares, ou ovipares, ou vermipares. Les
genres les plus étendus et les plus remarquables sont les quadrupèdes, les
oiseaux, les poissons, les cétacés, qui tous ont du sang; puis, viennent les
genres qui n'ont pas de sang, mollusques, crustacés, testacés et insectes.
Telle est la
première esquisse qu'on peut tracer du règne animal, dit Aristote; mais il
faudra revenir en détail sur chacun de ces traits généraux, et étudier les
animaux les uns après les autres, afin de pouvoir se faire une méthode conforme
à la nature, et d'appuyer les théories que l'on tente sur l'observation exacte
des faits. C'est pour cela qu'en histoire naturelle, il faut commencer par
l'homme, attendu que, de tous les animaux, c'est celui qui nous est le plus
accessible et le mieux connu. On décrira donc toutes les parties du corps de
l'homme, depuis la tête jusqu'aux extrémités, ses parties droites et gauches,
antérieures et postérieures, intérieures et extérieures. Afin de faire mieux
comprendre les descriptions, on y joindra des dessins anatomiques, qui
expliqueront aux yeux ce que l'esprit aurait eu d'abord quelque peine à saisir.
On a reproché
à Aristote de n'avoir pas de plan, et d'entasser au hasard des monceaux de
faits, sans les relier par aucun principe commun. Mais son plan, le voilà; et
c'est si bien le cadre où le philosophe a l'intention de se mouvoir que la
zoologie moderne n'en a pas d'autre. Pour étudier les animaux, il faut de toute
nécessité commencer par des généralités sur l'animal. Après ces généralités,
est-ce par l'homme qu'il convient de débuter? Ou bien est-ce par les
organisations inférieures? C'est là une toute autre question, qui viendra en
son lieu ; mais on peut s'assurer, ne serait-ce que d'après ce premier livre de
l'Histoire des Animaux, qu'Aristote a une méthode, et que, dans le vaste champ de
l'histoire naturelle, il s'est prescrit un chemin, qu'il a toujours suivi et
qui ne l'a pas plus égaré que ceux qui, comme Linné, Buffon et Cuvier, ont
marché sur ses traces, guidés eux aussi par la vérité et par leur génie.
Mais
poursuivons.
L'homme étant
pris pour modèle, Aristote étudie les parties extérieures et intérieures de
quelques animaux parmi ceux qui ont du sang; et il les compare avec les parties
analogues du corps humain. S'arrêtant au singe plus longuement qu'à tout autre,
à cause de la ressemblance, il décrit les quatre mains de ce singulier être,
sans, du reste, lui donner précisément le nom de quadrumane. Mais le
philosophe, tout en rapprochant l'homme et le singe, se garde bien de les
identifier; et il n'a pas la fantaisie, trop caressée de nos jours, de vouloir
faire du singe un homme imparfait, ou de l'homme un singe perfectionné.
Puis, passant
des parties non-similaires, dans l'homme et dans l'animal, aux parties
similaires, il traite spécialement du sang et des vaisseaux qui le contiennent
et le portent dans toutes les parties du corps. A ce propos, il discute trois
théories : celle de Syennésis de Chypre, celle de Diogène d'Apollonie, et celle
de Polybe, le gendre d'Hippocrate. A ces théories, qui faisaient partir toutes
les veines, soit du nombril, soit de la colonne vertébrale, soit de la tête, il
en substitue une plus réelle, qui ramène toutes les veines au cœur, dont il
donne une anatomie assez exacte.
Après le sang,
viennent d'autres parties qui sont similaires, ainsi que lui, nerfs, fibres,
cartilages, ongles, poils, membranes, chair, graisse et suif, moelle, lait,
liqueur séminale, le tout observé sur les animaux qui ont du sang. A la suite
de ceux-là, le naturaliste passe aux animaux qui n'ont pas de sang; et il
s'arrête également aux parties internes et externes des mollusques, des
crustacés, des testacés et des insectes. Comme, sur ces animaux, les organes
sont moins distincts et les observations plus délicates, Aristote recommande
d'étudier les phénomènes sur les animaux qui sont les plus gros, afin de mieux
voir les choses, qui deviennent presque insaisissables dans les êtres les plus
petits. C'est ce qu'il fait pour lui-même, par application de cette règle
éminemment pratique, en étudiant les sens dans la série animale tout entière;
et après les sens, le sommeil et la veille, la voix dans toutes ses variétés,
et les sexes, séparés en mâle et femelle.
Comme suite de
cette dernière question, trois livres sont consacrés à exposer les modes de
reproduction qui, dans tous les degrés de la vie animale, sont destinés à
continuer les espèces et à leur assurer, par la génération, une perpétuité qui
les rend presque immortelles. Mais ici le philosophe nous avertit expressément
qu'il croit devoir renverser l'ordre qu'il a précédemment adopté. Au lieu de
commencer par l'homme, c'est par lui qu'il compte finir, après avoir montré
comment tous les autres animaux se reproduisent. Il débute donc par les
testacés, pour passer aux crustacés, aux mollusques, aux insectes; de ceux-ci,
il passe aux poissons, des poissons aux oiseaux, des oiseaux aux quadrupèdes;
et enfin, des quadrupèdes à l'homme, cet animal privilégié entre tous les êtres
de la nature.
Quelle
prodigieuse quantité de faits a rassemblés Aristote sur toutes les espèces
d'animaux qu'il connaît, et sur tous les phénomènes qui se rattachent â la
génération, c'est ce dont on ne saurait se faire une idée qu'en lisant
l'ouvrage même. Modes variés et saisons des accouplements; âges où les
accouplements deviennent possibles; durée de la gestation; frai des poissons;
œufs et nids des oiseaux; parturition des petits: éclosions, jusqu'au dernier
des insectes et des animalcules, rien n'est omis; et si tout n'est pas classé
aussi régulièrement qu'on pourrait le désirer, il n'y a nulle part la moindre
obscurité dans ces descriptions multipliées, où l'abondance le dispute à
l'exactitude. C'est surtout aux oiseaux, et au travail successif qui se fait
dans l'œuf, que le naturaliste grec demande le secret de cette fonction. Il
suit le développement de l'œuf jour par jour, comme peuvent le faire
aujourd'hui nos embryologistes les plus attentifs: s'il n'en sait pas autant
qu'eux, il sent tout aussi bien l'importance de cette analyse, qui petit
révéler des mystères, dont il se préoccupe autant que personne. Il note
scrupuleusement toutes les évolutions que le contenu de l'œuf parcourt,
jusqu'au moment où le poussin, après avoir épuisé le jaune, dont il s'est
nourri, peut enfin briser sa coquille. Pigeon, vautour, hirondelle, aigle,
milan, épervier, corbeau, coucou, paon, voilà les principaux oiseaux qu'il
décrit, de même que, parmi les insectes, il a décrit les abeilles, les guêpes,
les frelons, les araignées, les sauterelles, les cigales, etc. Mêmes études sur
les Sélaciens, auxquels Aristote, le premier, a imposé le nom qu'ils portent
encore; mêmes études sur les cétacés, les dauphins, les baleines, etc., etc.;
sur les poissons de mer et d'eau douce, notamment sur les anguilles, dont on ne
peut pas plus de nos jours découvrir la génération que les Anciens ne l'ont
découverte.
En traitant de
la génération des quadrupèdes terrestres, Aristote signale tout d'abord les
ardeurs irrésistibles que les besoins du sexe et de la reproduction font naître
chez tous les êtres animés. Nous voyons de près ces emportements chez les
animaux domestiques, qui vivent avec nous et nous servent si utilement, porcs,
brebis, chèvres, chiens, taureaux, chevaux, ânes, mulets des deux origines,
chameaux; nous pouvons les voir moins bien, mais tout aussi violents et aussi
enflammés, chez les bêtes sauvages, éléphants, cerfs, ours, lions, hyènes,
renards, loups, chacals, etc. Toutes ces espèces de quadrupèdes sont
successivement décrites, avec des détails plus ou moins longs, suivant leur
importance.
Arrivé à la
génération de l'homme, Aristote semble s'y complaire, par les mêmes raisons qui
lui ont fait prendre l'homme pour modèle et pour type; il lui consacre un livre
tout entier, le septième, ainsi qu'il se l'était promis. Il s'occupe en premier
lien de la puberté, qu'il appelle, avec Alcméon de Crotone, « la floraison de
l'être humain », devenant nubile vers son second septénaire; comme la plante
doit fleurir avait de porter sa graine et son fruit. Du mâle, sur lequel il a
peu de choses à dire après tous les détails anatomiques et physiologiques qu'il
a déjà donnés, il s'arrête, dans tout le reste de ce livre, à la femme; et il
analyse avec le plus grand soin l'évacuation mensuelle, la grossesse, le
développement progressif du fœtus, la durée de la gestation, les naissances
plus ou moins heureuses, à sept, huit ou neuf mois, sans même négliger celles
qui vont â dix mois, quelque rares qu'elles soient. Il indique la position du
fœtus dans le sein maternel, et la façon dont il se présente le plus
ordinairement, quand il en sort; il décrit les phases de l'accouchement, que
peut aider beaucoup l'adresse des sages-femmes. Une fois l'enfant né, l'auteur
traite du lait, qui doit le faire vivre à ses premiers moments, et il explique
les relations étroites qu'a le lait avec les menstrues de la mère. Puis, il
parle de la diversité des sexes, du nombre des enfants, de la fécondité
variable des adultes, des ressemblances des enfants aux parents; et il termine
par quelques renseignements sur les convulsions des enfants, lesquelles
viennent presque toujours d'une nourriture exubérante.
Après tout ce
qui précède, et conformément au plan annoncé dès le début, Aristote n'a plus à
exposer que les actes, les mœurs et le caractère des animaux. C'est ce qu'il
fait dans deux derniers livres, avec une richesse de détails qui étonne encore,
même après tout ce qu'on vient de voir. Il remarque d'abord que les animaux
dans leurs actes ont quelque chose des qualités et de l'intelligence qui sont
l'apanage de l'homme. L'animal se distingue par la sensibilité, dont il est doué
à des degrés divers, et qui le met fort au-dessus de la plante, bien que
quelques animaux se distinguent à peine du végétal, les éponges par exemple.
L'homme lui-même dans son enfance est assez rapproché de l'animal, agissant,
comme lui, par instinct aveugle et sans raison.
La vie des
animaux, diversifiée comme elle l'est, tient beaucoup au milieu dans lequel ils
vivent, à la nourriture qu'ils prennent, solide ou liquide, à la façon même
dont ils prennent cette nourriture. Les mollusques, les testacés, les poissons,
les oiseaux, les serpents ont chacun des modes d'alimentation différents. Les
quadrupèdes vivipares, loup, hyène, ours, lion, ont le leur. Ils ne boivent pas
tous de la même façon, cochons, bœufs, chevaux, ânes, mulets, chameaux,
éléphants, moutons, chèvres. Les insectes diffèrent également entre eux sous
tous ces rapports.
Les animaux
émigrent, surtout les oiseaux et les poissons, quelques espèces du moins, si ce
n'est toutes les espèces. Ils ont besoin de chercher la température qui leur
convient, et sans laquelle ils ne resteraient point en santé. C'est pour la
même cause qu'ils hivernent, se cachant durant la froide saison, reparaissant
lorsque la saison devient plus douce. Il en est qui, comme les reptiles,
changent de peau. Mais quelque soin que prennent les animaux, sous l'impulsion
de l'instinct, ils n'évitent pas certaines maladies qui leur sont spéciales, et
qu'on peut observer assez facilement chez les chiens, les chevaux, les ânes,
les éléphants, ou même chez les insectes. Outre la nourriture et les saisons,
il y a d'autres influences très puissantes qu'exercent les lieux, le sexe, la
gestation, qui modifient aussi la chair des animaux domestiques ou sauvages.
Reste enfin la
dernière question qu'Aristote s'est proposée, celle du caractère et de
l'industrie des animaux. Après quelques mots sur les guerres qu'ils se font
entre eux, pour se disputer les aliments et pour vivre, il dépeint un certain
nombre d'espèces, avec des couleurs que Buffon devait plus tard employer comme
lui. Il admire beaucoup les oiseaux dans la confection de leurs nids, parmi
lesquels il cite notamment le nid de l'hirondelle, celui de l'halcyon et celui
de la huppe. En parlant de l'industrie particulière de quelques animaux plus
habiles encore, il consacre aux abeilles une étude qu'on peut regarder comme le
digne préliminaire des fameux travaux de Réaumur et de François Huber, au
dernier siècle et dans le nôtre. A côté de ces insectes, si curieux mais si
faibles, l'auteur peint le caractère du lion, du bison, de l'éléphant, du
chameau, du dauphin; et la dernière considération à laquelle il se livre est
l'action décisive que la castration exerce sur le caractère de l'animal.
Sur ces
matières diverses, Aristote présente les considérations les plus sagaces et les
plus nombreuses. Avec elles se termine son Histoire des Animaux; et ainsi, est
accompli le cercle immense, et parfaitement défini. des investigations qu'il
s'était proposées dès ses premiers pas.
Cependant
l'Histoire des Animaux, quelle que soit sa valeur, ne renferme pas toute la
zoologie d' Aristote. A côté d'elle, au-dessus d'elfe peut-être, il faut placer
le Traité des Parties des Animaux et le Traité de la Génération. Tout le
premier livre du Traité des Parties est rempli par la question de la méthode en
histoire naturelle ; Aristote la discute aussi bien que pourrait le faire le
zoologiste le plus profond des temps modernes. Il a même cet avantage sur tous
ses imitateurs et ses émules qu'il est le créateur de la logique; et pour des
questions de ce genre, il a une compétence que personne ne peut lui disputer.
Buffon
estimait beaucoup la tournure d'esprit philosophique qui se montre dans
l'Histoire des Animaux. A cet égard, il ne se trompait pas; car la méthode
n'est plus un sujet de zoologie; c'est un sujet qui relève de la philosophie
uniquement.
Aristote
établit deux grands principes de méthode : l'un tout général; l'autre un peu
plus spécial. D'abord, il faut constater les faits avant de risquer des
théories, comme les mathématiciens nous en donnent déjà l'exemple dans la
science astronomique; et en second lieu, il faut, pour exposer convenablement
l'histoire naturelle, se borner aux fonctions générales qui sont communes à
tous les animaux, afin de ne pas se perdre dans des détails interminables, et
d'éviter des répétitions inutiles et fatigantes. Les faits une fois bien
constatés, il nous sera plus facile d'en découvrir la cause et le pourquoi, en
vertu d'un troisième principe, non moins vrai que les deux autres. Ce troisième
principe, c'est que, dans la nature, tout être a une fin en vue de laquelle est
fait l'ensemble de son organisation. La fin d'une chose se confond avec le bien
de cette chose; et comme la nature ne fait jamais rien en vain, on est sûr de
pouvoir le plus souvent bien comprendre ce qu'elle veut, en s'éclairant, dans
chaque cas, de l'idée du mieux, qu'elle réalise sans cesse. Il n'y a pas de
hasard en elle ; il n'y a pas davantage de nécessité ; ou du moins, il n'y a
qu'une nécessité purement hypothétique, c'est-à-dire qu'un certain but étant donné,
il y a des conditions nécessaires pour l'atteindre.
Aussi,
Aristote blâme-t-il les philosophes qui prétendent. témérairement remonter â
l'origine des choses, et qui essayent d'expliquer ce qui a été, au lieu de
s'astreindre à observer ce qui est. L'être parfait et entier existe avant le
germe qui vient de lui ; c'est tout ce que nous pouvons affirmer dans ces
obscurités, qui demeurent impénétrables à tous nos efforts. Au contraire, en
étudiant les réalités actuelles, on est sûr de ne point faire de faux pas,
surtout si l'on cherche à comprendre les êtres dans ce qu'ils sont par
eux-mêmes, comme l'ont fait Démocrite et Socrate, et non pas simplement dans
leur matière, comme le faisait Empédocle. Aristote repousse non moins vivement
la méthode de division, que proposait l'école Platonicienne, et qui consistait
à diviser toujours les genres en deux espèces : l'une, qui avait une qualité
précise; et l'autre, qui était privée de cette même qualité. A cette méthode
factice, qu'il a souvent combattue, parce qu'elle confond tout, en divisant
tout arbitrairement, comme Platon le fait dans la définition du Sophiste et du
Politique, il substitue la méthode naturelle, qui classe les êtres selon leurs
ressemblances et selon leurs fonctions communes, sans d'ailleurs oublier leurs
différences non moins réelles.
Cette
discussion générale sur la méthode en zoologie donne â ce premier livre du
Traité des Parties un caractère tellement spécial et tellement haut qu'on a eu
la pensée d'en faire le préambule de toute l'histoire naturelle, et qu'on
aurait voulu le placer en tête de l'Histoire des Animaux. Ce déplacement n'est
pas nécessaire; et c'est là une de ces audaces inutiles que la philologie ne
doit passe permettre. Aristote lui-même la désavoue, puisque en ouvrant son second
livre du Traité des Parties, il prend la peine d'expliquer comment ce traité se
rattache à l'Histoire des Animaux, et comment il en est la suite. Dans
l'Histoire des Animaux, on a décrit simplement les parties dont les animaux se
composent; le traité nouveau a pour objet propre d'analyser les fonctions de
ces parties, similaires ou non-similaires, et de faire voir clairement, pour
chacune d'elles, comment la nature adapte toujours les moyens qu'elle emploie à
la fin de chacun des êtres qu'elle produit, avec une sagesse et une prévoyance
infinies.
Il est inutile
de suivre le Traité des Parties dans tous ces détails, où, prenant encore la
constitution de l'homme pour point de départ, Aristote en explique d'abord les
fonctions principales, et rapporte ensuite, à ce type primordial et supérieur,
les fonctions pareilles ou analogues qui se rencontrent dans la série entière
des animaux, jusqu'aux insectes, étudiant successivement tous les viscères
intérieurs, après les parties et les organes externes, et éclairant toujours sa
marche à la lumière des principes que la philosophie et la raison lui ont
dictés.
Comme suite et
complément des deux précédents ouvrages, le Traité de la Génération des
Animaux, si vivement admiré par M. Lewes, peut passer en effet pour le
chef-d'œuvre d'Aristote en zoologie. Mais, comme le Traité des Parties, il ne
fait que reproduire les analyses que nous avons déjà vues dans l'Histoire des
Animaux; seulement, il les développe davantage, et il les approfondit. La
fonction de la génération, le plus grand mystère, dit Cuvier, que nous offre
l'économie des corps vivants, est si essentielle que le philosophe croit devoir
y apporter une insistance toute particulière. Il n'est pas un zoologiste, pas
un esprit quelque peu éclairé, qui puisse sur un tel sujet être d'un autre avis
qu'Aristote, ou le blâmer d'en avoir fait une seconde étude, plus étendue
encore et plus précise que la première. Après avoir décrit les organes de la
génération dans les deux sexes, soit pour les animaux qui ont du sang, soit
pour les exsangues, après avoir discuté tout au long l'origine physiologique de
la liqueur séminale et son action sur le germe qui en reçoit la vie, l'auteur,
en commençant le second livre de la Génération, justifie ce retour sur des
choses déjà dites, et il s'exprime en ces ternies :
« Nous avons
établi que la femelle et le mâle sont les principes et les auteurs de la
génération ; nous avons, en outre, expliqué quelle est la fonction de chacun
d'eux, et quelle est leur définition essentielle. Mais d'où vient cette
existence de la femelle et du mâle? Pourquoi a-t-elle lieu? C'est là une
question que la raison doit essayer d'éclaircir en faisant un pas de plus. Elle
doit reconnaître, d'une part, qu'il y a dans ces deux êtres une nécessité et un
premier moteur; et d'autre part, qu'il faut remonter encore plus haut qu'eux,
en s'élevant jusqu'au principe du mieux et jusqu'à l'idée d'une cause finale.
En effet, à considérer l'ensemble des choses, les unes sont éternelles et
divines, tandis que les autres peuvent être ou ne pas être. Le beau et le divin
sont toujours, par leur nature propre, causes du mieux dans les choses qui ne
sont simplement que possibles. Ce qui n'est pas éternel est néanmoins
susceptible d'exister ; et, pour sa part, il est capable d'être, tantôt moins
bien, et tantôt mieux.
« Or, l'âme
vaut mieux que le corps ; l'être animé vaut mieux que l'être inanimé ; être
vaut mieux que n'être pas ; vivre vaut mieux que ne pas vivre. Ce sont là les
causes qui déterminent la génération des êtres vivants. Sans doute, la nature
des êtres de cet ordre ne saurait être éternelle; mais une fois né, l'être
devient éternel dans la mesure où il est possible qu'il le soit. Le nombre n'y
fait rien, puisque l'existence de ces êtres est tout individuelle ; et si le
nombre y faisait quelque chose, ils seraient éternels ; mais au point de vue de
l'espèce, cette éternité est possible ; et c'est ainsi que se perpétuent à
jamais les hommes, les animaux et les plantes. »
Il faut donc
approuver Aristote d'être revenu à plusieurs reprises sur une fonction dont les
conséquences sont si graves, et de lui avoir réservé, dans ses travaux, toute
la place qu'elle tient dans la nature. Aussi, redouble-t-il toutes ses
observations de détail et toutes ses généralités sur la reproduction des
vivipares, sur l'embryon et ses accroissements, sur les hybrides dans les
espèces voisines les unes des autres, sur les œufs des oiseaux et des poissons
; et après avoir parcouru toutes les classes des êtres animés, il consacre les
deux derniers livres, sur cinq, à l'être humain, considéré tour à tour dans son
état normal et dans ses déviations, soit dans la mère, soit dans l'enfant :
durées et maladies de la gestation, môles, altérations du lait, difformités
monstrueuses du produit, membres en surnombre, membres en moins, acuité ou
faiblesse des sens, superfétations et accidents de toute sorte, qui n'affectent
pas seulement l'individu, mais qui peuvent aussi modifier la race et la
dénaturer, diversités de couleurs, de voix, de denture chez les animaux, etc.,
etc.
On le voit;
l'étendue de la zoologie telle qu'Aristote vient de nous la montrer, est déjà
bien considérable ; et les trois ouvrages que nous avons analysés brièvement
nous en apprennent déjà bien long. Mais toutes ces vues sur les animaux, sur
leurs formes, sur leurs fonctions, sur leur caractère et leurs mœurs, ne sont
encore que particulières. Tout cela se rattache à un principe supérieur et
unique, qui est le principe même de la vie, ou comme Aristote l'appelle dans
son traité spécial, l'Âme, qui communique à l'être animé, le plus relevé ou le
plus infime, la sensibilité et la nutrition. L'âme est l'achèvement du corps ;
elle est son Entéléchie, pour emprunter l'expression du philosophe,
c'est-à-dire que, sans l'âme, le corps n'est pas plus un corps qu'une main de
pierre ou de bois n'est une véritable main, pas plus qu'un objet représenté en
peinture n'est l'objet réel. Le corps sans l'âme n'est qu'un cadavre ; car
c'est l'âme qui, dès que l'être est né, lui assure tout au moins, la nutrition,
et le développement de ses facultés, de même que, quand elle l'abandonne,
l'être est détruit et meurt. D'ailleurs, l'union de l'âme et du corps est si
étroite qu'il a sur elle la plus grande influence, malgré la supériorité
évidente de la vie sur la matière. En histoire naturelle, cette distinction de
l'âme et du corps sert à classer tous les êtres que la nature présente à nos
regards. Quelque nombreux qu'ils soient, ils se répartissent nécessairement en
deux classes, qui les comprennent tous sans exception, ainsi qu'on le faisait
dans la dichotomie platonicienne : ici, les êtres doués de vie ; et là, les
êtres privés de vie. A ce point de vue, les plantes et les animaux se
confondent ; car la plante a des organes ; elle se nourrit et vit comme
l'animal, si, du reste, elle n'a pas comme lui la sensibilité et le mouvement.
Le règne organique et le règne inorganisé sont ainsi profondément séparés,
parce que, dans l'un, il y a encore, même aux degrés les plus bas, une sorte
d'âme, tandis que, dans l'autre, l'âme est complètement disparue et absente.
Aristote avait
traité des plantes et des minéraux pour achever, comme il le dit, « la
philosophie de la nature » ; mais le temps nous a envié ces ouvrages, que
Buffon regrettait, et que nous ne regrettons pas moins que lui. A ces pertes
déjà bien cruelles, nous pourrions en joindre d'autres qui le sont également:
trois livres sur la nature, et trente-huit autres livres, où par ordre
alphabétique et sous forme de dictionnaire, le philosophe avait rangé tout ce
qu'il avait appris sur les phénomènes naturels et leurs lois. Il était même
remonté, comme il le rappelle dans sa Météorologie, aux phénomènes célestes,
afin d'embrasser tout ce que l'homme peut savoir, depuis ce qu'il observe dans
les cieux jusqu'aux faits, plus voisins de lui, que la terre lui présente. La
zoologie est une partie considérable du spectacle divin qui s'offre à noire
contemplation ; mais ce n'est qu'une partie de cet ensemble miraculeux.
Parvenu à ces
sommets et voyant de si haut la place que tient la vie dans le monde animal,
nous pouvons nous faire une opinion plus générale et plus juste de la zoologie
d'Aristote. En face d'un monument aussi beau et aussi colossal, la plus forte
impression qu'on éprouve, c'est encore l'étonnement, que sentait si vivement
Cuvier. Trois siècles et demi avant l'ère chrétienne, voilà où en est la
science de la nature, et plus particulièrement, la science des animaux; voilà
tout d'un coup trois sciences, zoologie, physiologie, anatomie, créées avec
leurs principes fondamentaux, leur méthode, leurs classifications élémentaires,
leurs cadres, leurs principaux détails ! Les voilà, créées de telle sorte
qu'elles semblent d'abord sans précédents, et qu'elles demeurent ensuite plus
de vingt siècles sans recevoir le moindre accroissement ! La zoologie
proprement dite, la physiologie et l'anatomie comparées sont restées jusqu'à
nous telles à peu près qu'Aristote les a constituées ; et si, de nos jours,
elles ont fait d'immenses progrès, c'est en restant fidèles à la voie qu'il leur
avait indiquée.
La première
idée qui s'offre à l'esprit pour expliquer ce prodige, à peu près unique dans
l'histoire de la science, c'est celle que semble avoir conçue Buffon : Aristote
a dû avoir des devanciers, auxquels il a fait les plus larges emprunts. Ceci ne
diminuerait pas sa gloire aux yeux de notre grand naturaliste, non plus qu'aux
nôtres. Mais cette explication même n'est pas possible ; il en faudra trouver
une autre ; car on peut affirmer que, dans la philosophie antérieure telle
qu'elle nous est connue, Aristote n'a pas pu rassembler des matériaux pour son
édifice. Avant lui, il n'y a rien, peut-on dire ; de même qu'après lui les
siècles ne produisent rien, en dehors ou à côté de son œuvre.
Jetons un coup
d'œil, pour nous en convaincre, sur ses devanciers et ses contemporains, y
compris son maître Platon ; et voyons ce qu'ils ont pu lui fournir.
Ici, et
puisque l'occasion s'en présente, disons de nouveau combien sont fausses et
iniques les accusations de Bacon, calomniant Aristote, dont il fait l'assassin
de ses frères, les autres philosophes : « Il a étouffé leur gloire, dit Bacon,
de même que les Sultans de Constantinople se débarrassaient jadis des frères
qui portaient ombrage à leur pouvoir. » Aristote est si loin de cette basse
jalousie qu'il a nommé ses prédécesseurs en foule, dans ses ouvrages
zoologiques, aussi bien que dans tous ses autres ouvrages. Il a même tiré de
l'oubli des noms qui sans lui nous seraient restés absolument ignorés. Qui
connaîtrait Syennésis de Chypre, par exemple, et Léophane, sans la citation
faite par Aristote, d'un écrit du premier sur le système des veines, et d'une
théorie du second sur les causes de la différence des sexes? Alcméon de
Crotone, Empédocle, Anaxagore, Parménide, Diogène d'Apollonie, Héraclite, Démocrite,
il les a tous cités, â vingt reprises, toutes les fois que leurs théories lui
ont semblé, soit en opposition, soit en accord avec les siennes.
Aristote
montre même, dans cette recherche d'un passé qui peut l'éclairer, une
sollicitude qui, des philosophes, s'étend jusqu'aux poètes ou aux historiens,
quand ils ont fait des allusions à quelques animaux, ou rapporté des faits qui
les concernent. C'est ainsi qu'il a cité Musée sur le nombre des œufs de
l'aigle ; Homère, sur le chien d'Ulysse, sur l'âge du bœuf, sur l'aigle de
Priam, sur les cornes des béliers, sur le caractère du lion, sur la crinière du
cheval ; Hésiode, sur l'aigle de Ninus ; Simonide et Stésichore, sur l'halcyon
; Eschyle, sur la huppe. Auprès des poètes, il a cité aussi les historiens :
Hérodote sur les Éthiopiens et sur l'accouplement des poissons ; Ctésias sur
les éléphants et les animaux de l'Inde, et même sur le fabuleux Martichore ;
puis, il allègue encore les sophistes, Hérodore et Bryson, sur les vautours et
sur l'hyène ; les fabulistes, comme Ésope, sur les cornes des taureaux. En un
mot, Aristote ne néglige aucun témoignage de quelque valeur ; et il est prêt à
se lier aux autres aussi bien qu'à lui-même. Mais c'est aux philosophes et aux
médecins qu'il s'adresse plus particulièrement, parce que leurs études et les
siennes sont communes.
Pythagore ne
semble pas s'être occupé de zoologie ; mais, dans son école, Alcméon de
Crotone, un peu plus jeune que lui, comme nous l'apprend Aristote dans sa
Métaphysique, passe pour être le premier qui ait osé faire des dissections.
C'était une rare audace dans ces temps reculés ; aujourd'hui même, c'en est
encore une pour bien des gens, et aussi pour des nations entières, où cette
application de la science, quelque nécessaire qu'elle soit, inspire une
insurmontable répugnance. Alcméon était médecin ; et son art le menait tout
naturellement à étudier les animaux après l'homme. Mais il ne semble pas que
ses connaissances zoologiques fussent très profondes. Aristote, qui avait écrit
un traité spécial sur les doctrines d'Alcméon, a dû réfuter quelques-unes de
ses théories, qui sont en effet insoutenables. Ainsi, il prétendait que les
chèvres respirent par les oreilles, et il trouvait que, dans l'œuf des oiseaux,
le blanc jouait le même rôle que le lait dans les mammifères, tandis que c'est
le jaune, et non pas le blanc, qui nourrit le poussin. Nous avons vu un peu
plus haut une charmante comparaison d'Alcméon, rapprochant la puberté dans
l'homme de la fleur dans la plante. Aristote, qui recueille cette expression
avec soin, nomme encore Alcméon, non sans estime, à propos de la théorie des
contraires selon les Pythagoriciens, et sur la question de l'immortalité de
l'âme. Alcméon ne se bornait donc pas à la médecine ; il faisait aussi de la
zoologie, de la psychologie et de la métaphysique. Mais dans la science
particulière des animaux, il ne paraît pas avoir eu des idées systématiques, si
d'ailleurs, il a pu observer quelques détails assez curieusement.
Empédocle
d'Agrigente, deux siècles après Alcméon, a fourni à la zoologie encore moins de
renseignements positifs. Aristote mentionne fréquemment Empédocle, non dans son
Histoire des animaux, mais dans le Traité des Parties, et surtout dans le
Traité de la Génération. Les sujets touchés par Empédocle, avec plus ou moins
d'exactitude, sont assez nombreux : intensité variable de la chaleur dans
l'homme et la femme, développement du fœtus, distinction des sexes, position
différente des embryons mâles et femelles dans le sein de la mère, différence
d'acuité de la vue selon que les yeux sont noirs ou bleus, habitations et
genres de vie des animaux, respiration des animaux, croissance des plantes,
voilà des sujets fort intéressants ; et Empédocle paraîtrait avoir quelque
droit à être compté parmi les naturalistes ; mais il écrit encore en vers, et
la poésie n'a jamais été l'instrument de la science. On peut même trouver
qu'Aristote a montré bien de la condescendance en s'occupant si souvent
d'opinions zoologiques émises sous cette forme, qui ne peut jamais devenir
assez didactique, même quand elle a la prétention de l'être, par le génie de
poètes tels que Lucrèce et Virgile.
Ce qu'il y a
peut-être de plus remarquable dans Empédocle, c'est le pressentiment qu'il
semble avoir eu de cette création primordiale que les fossiles nous ont révélée
récemment. Mais le peu qu'en dit le poète sicilien et le chaos d'êtres, de
formes et d'éléments qu'il imagine à l'origine des choses, sont des données
tellement vagues, et tellement arbitraires, qu'Aristote n'en a pu rien tirer,
et que nous-mêmes, malgré toutes les lumières nouvelles, nous ne pouvons pas
estimer ces données plus qu'il ne les estime. Au fond, Empédocle croit au
hasard dans cette création spontanée des êtres; et il y a peu de doctrines
aussi antipathiques que celle-là aux croyances inébranlables d'Aristote,
vantant sans cesse la divine prévoyance de la nature dans toutes ses œuvres.
Parménide
d'Élée, contemporain d'Empédocle, écrit en vers ainsi que lui, et il est encore
plus insuffisant en ce qui regarde les animaux; il pense à peu près de même sur
quelques détails; mais, en somme, ce n'est pas un zoologiste, et s'il occupe un
rang assez élevé en métaphysique, il n'en a aucun en histoire naturelle.
On serait
fondé à attendre davantage d'Anaxagore. Aristote a fait de lui un magnifique
éloge, qui a retenti à travers les siècles, et qui est arrivé jusqu'à nous. Le
sage de Clazomènes a le premier proclamé l'action de l'Intelligence dans le
monde; et cette grande parole, venue de si loin, est d'autant plus vraie qu'on
l'examine et qu'on l'approfondit de plus en plus. Aristote en a fait un de ses
principes les plus sûrs et les plus clairs.
Mais en
zoologie, Anaxagore est loin d'être ce qu'il est en métaphysique. Quand il
prétend que les corbeaux et les ibis s'accouplent par le bec, et que c'est par
la bouche que la belette fait ses petits, Aristote ne peut s'empêcher de mêler
quelque raillerie à sa réfutation. Il le réfute également sur d'autres points,
peut-être avec moins de raison, quand il croit que, dans l'union des sexes, le
mâle seul fournit la matière, et que la femelle ne fait que prêter le lieu où
se développe le germe. Parfois aussi, Aristote invoque l'anatomie contre
Anaxagore, pour lui prouver que, dans certains animaux, ce n'est pas le foie et
la bile qui produisent les maladies qu'il leur attribue, puisque ces animaux
n'ont pas de foie ni de bile. C'est encore par l'anatomie qu'il lui prouve que
le mâle ne vient pas de la droite dans l'utérus; et la femelle, de la gauche.
Enfin. Anaxagore a sur les fonctions de la main de l'homme une théorie
qu'Aristote rectifie, sans d'ailleurs la désapprouver tout à fait. Mais comme
nous retrouvons cette théorie un peu plus tard, il n'est pas besoin d'y
insister actuellement.
Diogène
d'Apollonie, qui se rattache à
Mais en zoologie,
Anaxagore est loin d'être ce qu'il est en métaphysique. Quand il prétend que
les corbeaux et les ibis s'accouplent par le bec, et que c'est par la bouche
que la belette fait ses petits, Aristote ne peut s'empêcher de mêler quelque
raillerie à sa réfutation. Il le réfute également sur d'autres points,
peut-être avec moins de raison, quand il croit que, dans l'union des sexes, le
mâle seul fournit la matière, et que la femelle ne fait que prêter le lieu où
se développe le germe. Parfois aussi, Aristote invoque l'anatomie contre
Anaxagore, pour lui prouver que, dans certains animaux, ce n'est pas le foie et
la bile qui produisent les maladies qu'il leur attribue, puisque ces animaux
n'ont pas de foie ni de bile. C'est encore par l'anatomie qu'il lui prouve que
le mâle ne vient pas de la droite dans l'utérus; et la femelle, de la gauche.
Enfin. Anaxagore a sur les fonctions de la main de l'homme une théorie
qu'Aristote rectifie, sans d'ailleurs la désapprouver tout à fait. Mais comme
nous retrouvons cette théorie un peu plus tard, il n'est pas besoin d'y
insister actuellement.
Diogène
d'Apollonie, qui se rattache à l'école Ionienne, parait avoir eu sur
l'organisation des animaux des notions un peu plus précises, et l'on petit
conjecturer qu'il avait fait des dissections. C'est Aristote qui, en citant un
passage de Diogène sur le système des veines, nous a révélé ses travaux; sans
ce témoignage, nous les eussions ignorés. D'ailleurs, Aristote combat les
explications de Diogène d'Apollonie; mais cette réfutation même, quelque juste
qu'elle soit, atteste que ses recherches zoologiques n'étaient pas sans mérite.
Il avait étudié aussi la respiration chez les poissons et même chez les
huîtres.
Parmi tous les
prédécesseurs d'Aristote, Démocrite est celui à qui il a pu faire le plus
d'emprunts. De l'aveu de tout le inonde, Démocrite, né à Abdère, petite ville
de Thrace, inconnue avant qu'il ne l'eût illustrée, a été le plus savant des
Grecs avant Aristote. Ses ouvrages très nombreux, puisqu'on en compte au moins
soixante, touchent à tout : morale, physique, astronomie, mathématiques,
psychologie, histoire des animaux et des plantes, médecine, agriculture,
beaux-arts, musique, art militaire, etc. Les connaissances de Démocrite
semblent avoir été aussi variées, si ce n'est aussi profondes, que celles
d'Aristote; et parmi ces œuvres de genre si divers, celles qui nous intéressent
directement sont encore en assez grand nombre : un traité en deux livres sur la
nature de l'homme ou sur la chair; un traité en trois livres sur les causes des
animaux, et quelques traités de médecine, sans parler de ses traités sur les
plantes et sur les pierres. Démocrite avait beaucoup voyagé; il avait visité
l'Égypte, et il y était resté cinq ans au moins. C'était certainement alors le
pays qui, par suite de ses croyances religieuses, s'était le plus occupé et de
l'anatomie de l'homme et de celle des animaux. Démocrite a pu y recueillir les
matériaux les moins communs.
Ce qu'était la
zoologie de Démocrite, il nous serait difficile d'en juger d'après les rares
fragments qui nous en restent. Aristote le cite dans le Traité des Parties des
animaux, et surtout dans celui de la Génération. Le plus ordinairement, c'est
pour le contredire; assez souvent aussi, c'est pour le louer. Parfois, Aristote
a tort dans ses critiques: et par exemple, quand il reproche à Démocrite
d'avoir soutenu que les insectes et les animaux privés de sang ont des
intestins comme les autres, et que, si l'on nie l'existence de ces viscères,
c'est qu'on ne les voit pas à cause de leur petitesse. Mais Aristote a raison
lorsque, discutant contre Démocrite la position du fœtus dans le sein maternel,
il affirme que c'est par le cordon ombilical, et non par d'autres parties, que
le fœtus se nourrit. Il est encore d'un autre avis que Démocrite sur les causes
de la différence des sexes, sur la stérilité relative des mulets, sur l'action
de la liqueur séminale, sur les causes de la chute des dents. Mais il le loue
d'avoir un des premiers tenté de décrire les êtres par leur essence plutôt que
par leur matière, sans d'ailleurs avoir toujours bien compris le but et la fin
que se propose la nature. Aristote faisait assez de cas de Démocrite pour avoir
consacré une étude spéciale à ses opinions; mais ce livre ne nous est pas plus
parvenu que celui qui était relatif aux doctrines d'Alcméon, le Crotoniate.
Pour compléter
ce qu'Aristote nous apprend sur la zoologie de Démocrite, on peut recourir à
Élien, qui semble avoir eu encore ses ouvrages sous les yeux, en compilant le
sien. Cet écrivain n'est pas toujours une autorité, tant s'en faut; mais son
témoignage est acceptable quand il s'agit de simples citations. Voici donc
quelques-unes des opinions de Démocrite sur les animaux, si l'on en croit
Élien. Selon lui, le lion est le seul animal dont les petits naissent les yeux
tout grands ouverts; les poissons de mer se nourrissent non pas de l'eau salée,
mais de cette portion d'eau douce que l'eau salée renferme, opinion qu'Aristote
et Théophraste ont reproduite; les chiennes et les truies n'ont tant de petits
que parce qu'elles ont plusieurs matrices, que le mâle emplit successivement;
les mules sont infécondes, parce que leur matrice est faite autrement que celle
des autres animaux; les mulets ne sont pas un produit naturel; ils ne sont
qu'une invention audacieuse des hommes et un adultère; en Libye, où les ânes
sont de très grande taille, ils ne couvrent jamais que des juments rasées de
tous leurs crins, assertion que Pline répète d'après Démocrite; car si elles
avaient encore cet ornement qui les pare si bien, elles ne recevraient pas de
tels maris, à ce que disent les gens expérimentés de ces contrées; les
avortements sont bien plus fréquents dans les lieux où règne la chaleur que
dans ceux où il fait froid,
parce
que la chaleur relâche et détend tous les viscères du corps. tandis que le
froid les resserre et les raffermit; les dents des animaux tombent parce
qu'elles poussent souvent trop tôt; les bois des cerfs tombent et repoussent
par les variations de température dans le corps de l'animal; les cornes des
bœufs sont, par suite de la castration, moins droites, moins fortes, et plus
longues que celles des taureaux; la tête des bœufs est plus sèche, parce que
les veines y sont beaucoup moins volumineuses; les vaches d'Arabie ont des
cornes très développées, parce qu'au contraire les humeurs qui affluent à leur
tête sont très abondantes.
Telles sont à
peu près toutes les observations de zoologie dont on ait conservé le souvenir,
et qui sont bien celles de Démocrite, puisque Élien cite ses propres paroles. On
ne peut pas supposer que ces observations fussent les seules; et selon toute
apparence, Démocrite avait dû observer bien d'autres faits. Ceux-ci suffisent,
à défaut du reste, pour nous montrer quelles étaient l'étendue et la direction
des recherches de Démocrite, et aussi combien il restait à faire après lui pour
fonder définitivement la science zoologique.
Aristote n'a
pas eu l'occasion de nommer Hippocrate, ou, du moins il ne le nomme que dans sa
« Politique ». (IV, 4, 3, p. 210, 3e édit. de ma traduction.) Il le
reconnaissait pour un grand médecin; mais en histoire naturelle, Hippocrate a
fait très peu de recherches; il n'est presque pas question des animaux dans ses
œuvres, bien que, de son temps, l'art vétérinaire se confondît avec la
médecine. L'école de Cnide, qui avait précédé celle de Cos, ne paraît pas
davantage s'être livrée à la zoologie. Cependant, dans l'intérêt de la santé,
la médecine est forcée de beaucoup observer le corps humain, tout au moins sous
le rapport physiologique. La chirurgie, qui commence en Grèce avec Machaon et
Podalire, fils d'Esculape, au siège de Troie (Iliade, II, vers 732), est
bien forcée aussi de faire de l'anatomie. Les amputations, les blessures
pénétrantes, les luxations, les fractures, les opérations de tous genres,
pratiquées dès cette époque, depuis celle du trépan jusqu'à celle de la pierre,
exigeaient absolument qu'on ne s'arrêtât pas à la surface du corps, et qu'on
essayât de scruter les parties cachées qu'il renferme. Mais il est avéré que
l'école hippocratique a fort peu disséqué des cadavres humains; on ne saurait
croire qu'elle ait disséqué davantage des animaux, dont l'organisation lui
importait beaucoup moins, quoique l'on en tirât bien des remèdes, comme on les
tirait des plantes. Aristote ne pouvait donc trouver dans Hippocrate que très
peu de ressources pour l'histoire naturelle et la physiologie générale.
Il faut en
outre distinguer dans la collection Hippocratique, telle que nous l'avons
aujourd'hui, des traités qui sont postérieurs à Aristote, et qui ont été
fabriqués à Alexandrie, comme la correspondance prétendue de Démocrite et
d'Hippocrate. Mais à côté de ces apocryphes, bien des ouvrages authentiques ont
pu être consultés par Aristote. Selon Littré, qui est la première des autorités
en ces matières, ce seraient quelques-uns des traités suivants : De la
génération, de la nature de l'enfant, des maladies des femmes, des maladies des
jeunes filles, de la stérilité chez la femme, etc. On pourrait en citer
quelques autres encore, si l'attribution n'en était pas incertaine : Le
fragment sur l'Organe du cœur, les traités sur l'incision du fœtus, sur le
fœtus de sept et de huit mois, sur la nature de la femme, sur la nature de
l'homme, sur la superfétation, sur la nature de l'os, etc. Joignez-y une foule
de considérations de détail qu'Aristote a pu lire avec profit, et dont il
devait plus que personne sentir la haute valeur, à la fois en ce qui concerne
l'organisation humaine, et aussi la constitution générale des êtres animés qui
se rapprochent de l'homme, leur type le plus élevé.
Si Aristote
n'a trouvé dans Hippocrate et son école que très peu de zoologie, il a pu en
recevoir une bien féconde leçon en fait de méthode et d'observation. Il est
dans la nature des choses que la médecine, dès ses premiers pas, soit
profondément observatrice et méthodique; il s'agit de la santé et de la
maladie; bien plus, il s'agit de la vie et de la mort, dans tout ce que l'art
essaye pour soulager ou sauver le malade. Quel intérêt peut être supérieur à
celui-là? Et si quelque motif peut jamais aiguiser l'attention de
l'intelligence, en est-il de plus puissant? Si dans des questions aussi
obscures et aussi délicates que toutes celles qui se rapportent à l'hygiène et
à l'existence des hommes, l'observation ne peut pas être, du premier coup,
parfaitement exacte ni complète, elle est du moins aussi sérieuse et aussi
pratique qu'elle le peut. Hippocrate dit solennellement au début de ses
Aphorismes : « La vie est courte, l'art est long, l'occasion fugitive,
l'expérience trompeuse, le jugement difficile. » Ce sont là les devoirs
inévitables de l'art médical; et comme les erreurs peuvent y être homicides,
nulle autre science n'est tenue à autant de précautions pour ne pas se tromper.
La méthode la plus rigoureuse lui est donc imposée. C'est là le grand
enseignement qu'Aristote a pu recevoir de la médecine, comme il le recevait
spontanément de son génie personnel. Sans doute, il n'avait besoin de personne
pour comprendre que l'observation des faits est la première condition de la
science et de la méthode; mais en voyant les applications heureuses qui en
avaient été faites dans la pratique médicale, il devait s'attacher d'autant
plus fermement à des principes qui avaient déjà produit des résultats si
bienfaisants.
Il y a dans
les œuvres de Xénophon deux traités qui annoncent des connaissances très
précises, si ce n'est très étendues, sur les animaux, et spécialement sur le
cheval et sur le chien. Ce sont les deux traités de l'Équitation et de la
Chasse. L'élégante cavalcade du Parthénon nous fait croire que les Athéniens
devaient être d'excellents écuyers, tout à fait dignes du beau présent que
Neptune leur avait offert. Mais l'ouvrage de Xénophon prouve, mieux encore, que
leurs études pratiques sur le noble animal que le dieu leur avait donné,
étaient poussées presque aussi loin que celles des sportsmen de nos jours.
Xénophon signale en premier lieu les moyens qu'il faut prendre pour n'être pas
trompé dans l'achat d'un jeune cheval. Examen des jambes, pieds, sabots,
paturons, canons; examen du poitrail, du cou, de la tête, de la ganache, des
deux barres; examen des yeux, des naseaux, du front, des oreilles; examen des
reins, des côtes, de la croupe, il ne faut rien omettre afin d'éviter toutes
les fraudes et tous les pièges d'adroits maquignons. Si, au lieu d'acheter un
jeune cheval, on achète un cheval tout dressé, il faut s'assurer de son âge, de
sa souplesse, de sa docilité, de sa douceur, de sa constance au travail. A ces
sages avis, Xénophon en joint d'autres sur l'installation d'une bonne écurie,
sur la nourriture, sur le pansage, sur le lavage régulier du corps, les jambes
exceptées, sur les exercices de manège, tant pour les chevaux de guerre que
pour les chevaux de parade.
Toutes ces
recommandations minutieuses et ces renseignements, destinés à former le
cavalier accompli, sont le fruit d'une longue et intelligente pratique, où la
physiologie du cheval a sa part, bien qu'elle ne soit pas le but de l'ouvrage.
Un autre traité qui fait suite à celui-là et qui le complète, « le Commandant de
la cavalerie », est un manuel de tactique militaire, aussi judicieux que le
précédent, mais qui a un objet purement technique.
Au contraire,
le traité de la Chasse a, comme le traité de l'Équitation, une partie
zoologique. Le chien y est étudié avec autant de soin que le cheval, et à un
point de vue non moins exclusif. Il y a deux espèces principales de chiens de
chasse, dont l'une est très supérieure à l'autre; l'auteur indique les
caractères qui les distingue et les formes qu'il faut préférer dans les chiens
dont on doit se servir. Mais il est bien difficile de parler du chien de chasse
sans dire aussi quelque chose des bêtes qu'il poursuit. Xénophon parle donc du
lièvre, qu'on chassait même en hiver; des faons et des cerfs, pour lesquels il
fallait des chiens indiens; des sangliers, contre lesquels on doit choisir les
chiens les plus capables de faire tête à la bête; des lions, des léopards, et
autres bêtes sauvages. Dans les conseils donnés aux chasseurs, on peut
recueillir bien des détails de pure zoologie. sur les habitudes du lièvre, sur
sa fécondité exceptionnelle, sur ses ruses pour échapper au chasseur, sur ses
espèces diverses, sur sa vue mauvaise, sur son agilité, qui l'empêche de jamais
marcher au pas, sur sa conformation si bien calculée pour la course et pour le
saut. D'autres détails non moins curieux sont donnés sur les biches, conduisant
leurs faons en bande au printemps, et les défendant à outrance contre les
chiens; sur la bauge du sanglier, sur sa force redoutable dans la lutte qu'on
engage avec lui, surtout quand le père et la mère se réunissent pour défendre
les jeunes.
Quant aux
lions, léopards, lynx, panthères, ours, et autres animaux féroces. Xénophon est
très bref: mais de ce qu'il dit, on peut conclure que de son temps, il y avait
encore des lions en Grèce, dans les monts Pangées et sur le Pinde, au
nord-ouest de la Macédoine. Aristote atteste plusieurs fois la même chose; et
son assertion, qui pouvait passer pour douteuse, est confirmée par celle de
Xénophon. Mais aujourd'hui, et depuis longtemps, l'Europe ne nourrit plus de
ces carnassiers.
Aristote a
nommé Socrate dans le Traité des Parties; et c'est. à la fois un éloge et une
critique qu'il lui adresse, en compagnie de Démocrite. Il le loue d'avoir
essayé de définir les êtres, non plus d'après leur matière, mais d'après leur
essence et leur idée. Mais, en même temps, il le blâme de s'être détourné de
l'étude de la nature pour se livrer entièrement à la dialectique et à la
science morale. Le reproche, si c'en est un, est fondé ; mais Socrate ne s'en
serait pas inquiété. Dans le Phédon, il explique, quelques instants avant de
mourir, comment, dans sa jeunesse, il s'était passionné pour la physique, et
comment, ensuite, il s'en était dégoûté. Plein d'enthousiasme pour la sublime
pensée d'Anaxagore, il avait espéré, guidé par lui, pouvoir comprendre le monde
et trouver le secret de ses merveilles. Mais quelle n'avait pas été sa
déception. quand il s'était aperçu qu'Anaxagore, après avoir proclamé
l'intervention de l'Intelligence dans l'univers, ne faisait aucun usage de ce
grand principe! Pour lui, il avait déserté une étude si décevante, pour
contempler tout. son aise l'idée du bien, qui éclate et resplendit en toutes
choses, et surtout dans la raison de l'homme, plus clairement encore que dans
la nature. Plus loin, on reviendra sur quelques-unes des opinions
physiologiques de Socrate que nous a conservées Xénophon dans ses Mémoires.
Mais si
Socrate a, pour ces graves motifs, négligé l'étude de la nature, tout en
l'aimant et la comprenant merveilleusement, Platon a essayé de continuer et
d'agrandir les voies ouvertes par Démocrite; et dans le Tintée, où il
entreprend d'expliquer le monde, il s'occupe de la formation de tous les
animaux, dispersés par Dieu dans les airs, dans les eaux et sur la terre. Il
décrit longuement le corps de l'homme, tant admiré par son maître Socrate : la
tête d'abord, le visage. la voix, le cou, la poitrine, le diaphragme, le cœur,
principe des veines, le poumon avec la trachée-artère, le foie, la rate,
l'estomac, la chair, les os, la moelle, les vertèbres, la liqueur séminale, les
nerfs, la peau, le sang, la santé et la maladie. Du corps humain, Platon passe
aux animaux qu'il divise en quelques classes principales : quadrupèdes,
oiseaux, serpents, poissons, etc. A la suite du règne animal, Timée dit aussi
quelques mots sur les plantes; car la création tout entière, qu'il vient
d'esquisser, lui semble une œuvre divine, pleine de raison, de science et de
beauté.
On ne saurait
méconnaître dans le Timée, qui est sans doute la dernière expression de la
sagesse de Platon, des aperçus profonds dignes de lui et de Socrate, des
théories ingénieuses, qui pourtant annoncent plus de perspicacité d'esprit que
de connaissance des faits. Mais toutes ces notions de zoologie et de physiologie
sont viciées dans leur principe, parce qu'elles ne sont pas faites pour
elles-mêmes. Timée ne cherche pas précisément à savoir ce que sont les animaux,
ni comment l'homme est organisé. S'il décrit le corps de l'homme, c'est surtout
pour découvrir, s'il se peut, l'influence dangereuse que le corps exerce sur
l'âme, dont il est le perfide compagnon. S'il décrit les animaux, c'est surtout
pour y retrouver la métempsycose. L'homme, en se dégradant par le vice, se
transforme, et revêt le corps des animaux inférieurs, selon les qualités qu'il
a montrées durant la vie. Ainsi, les hommes timides transmigrent dans des corps
de femmes; les hommes frivoles et légers, dans des corps d'oiseaux; les hommes
violents et cruels, dans des corps d'animaux féroces. On conçoit qu'une
zoologie faite dans cette vue ne peut guère aboutir à la science et à la vérité
et quoique Aristote ait été le disciple de Platon pendant vingt ans, il s'est
bien gardé d'adopter une méthode qui faussait tout par des idées préconçues, et
qui tirait, d'observations superficielles, des conséquences qu'elles ne
contenaient pas.
Aristote n'a
pas parlé du Timée et de cette physiologie dans son Histoire des Animaux, ni
dans les Traités des Parties et de la Génération; mais il l'a réfutée tout au long
dans le Traité de l'Âme (pp. 129 et suiv. de ma traduction). Il semble en avoir
fait assez peu de cas, du moins en ce qui concerne plus particulièrement la
psychologie. C'est que pour Aristote l'âme est plutôt le principe vital que le
principe pensant. C'est tout le contraire pour Platon, que la morale touche
infiniment plus que l'histoire naturelle. De là, une différence essentielle
entre les théories du maître et celles du disciple. Mais Aristote a dû être
frappé, comme nous le sommes même encore aujourd'hui, de la grandeur de la
pensée qui anime tout le Timée. Remonter jusqu'à l'auteur des choses, et
rattacher toutes les créatures à Dieu, « leur artisan et leur père »,
c'est la dernière et la plus sublime conquête de la raison; ce n'est pas une
audace démesurée que l'homme se permet, Pennis non homini datis; c'est
une nécessité de l'esprit, qui tend irrésistiblement à embrasser, autant qu'il
le peut, l'ensemble des choses, et qui ne s'arrête pas avant d'être parvenu au
terme extrême. Aristote aussi est monté à ces hauteurs, si peu fréquentées même
des philosophes; et dans la Métaphysique, il s'est expliqué sur quelques-uns de
ces problèmes, en un langage qui égale presque celui de Platon et de Socrate,
sans d'ailleurs rien emprunter, ni à l'un, ni à l'autre. Mais le Timée, malgré
ses lacunes et ses erreurs en physiologie, a pu lui inspirer le désir de
chercher dans l'univers l'empreinte divine, et de l'y trouver depuis l'homme
jusqu'au plus débile des êtres. De là peut-être, dans Aristote, cet optimisme,
qui ne se dément jamais; et ce culte pour la sagesse infinie de la nature, qui
ne fait rien en vain. Avant Platon, la philosophie grecque avait bien essayé de
remonter à l'origine des choses; mais elle n'avait guère dépassé, dans ces
impénétrables mystères, les légendes de la mythologie et les croyances
vulgaires.
Après avoir
exposé, dans cette revue sommaire, ce qui avait été tenté avant l'Histoire des
Animaux, et sans nier le génie d'un Anaxagore, d'un Démocrite, d'un Platon,
nous pouvons confirmer, pour notre part, ce légitime éloge adressé à Aristote,
qu'avant lui la science de la zoologie n'existe pas, et qu'il en est le
fondateur. Mais alors revient plus insoluble et plus pressante la question
posée au début de cette enquête rétrospective : « Comment l'Histoire des
Animaux, avec les autres ouvrages de zoologie, a-t-elle été possible? Comment
expliquer ce phénomène intellectuel, et, l'on peut dire, ce prodige? » Cette
question s'est présentée dès la plus haute antiquité, bien que peut-être on ne
sentit pas alors, comme nous sentons nous-mêmes, la beauté et la solidité
extraordinaires de ce monument unique. C'est à cette préoccupation que
répondait la tradition recueillie par Pline sur la générosité d'Alexandre,
dépensant des sommes immenses pour procurer à son maître tous les animaux des
contrées conquises par lui. Alexandre aurait été le collaborateur d'Aristote,
en lui facilitant ses investigations d'histoire naturelle. On peut croire sans
peine qu'Alexandre était capable de donner à la science cette protection
éclairée, et l'on a raison de l'attendre de lui, quand on se rappelle que, dans
le sac de Thèbes, prise d'assaut, il épargnait la seule maison de Pindare, et
qu'après la victoire d'Arbelles, il réservait la cassette de Darius à l'Iliade
d'Homère.
Mais en
admettant même que la tradition ne se trompe point, elle ne serait pas encore
satisfaisante; elle ne résout pas la question posée. Sans parler des
difficultés, presque insurmontables, même de nos jours, qu'aurait dû rencontrer
le transport de tant de bêtes vivantes ou mortes, à de telles distances; sans
parler de ces difficultés d'un autre ordre qu'Aristote aurait eues à les
recevoir et à les garder pour ses études, il ne suffisait pas de ces
collections, quelque riches qu'on les suppose, quelque régulières qu'elles
aient pu être, sous la main d'un homme qui, le premier en Grèce, avait imaginé
une bibliothèque. Voir les objets les plus instructifs, ce n'est pas tout; il
faut les comprendre. Quel usage un ignorant ferait-il des richesses accumulées
dans nos Musées, mises à sa disposition? Il pourrait les admirer; mais il lui
serait interdit de s'en servir, quand même elles resteraient sous ses veux plus
longtemps que n'ont pu rester sous les veux d'Aristote les envois présumés
d'Alexandre. Il faut donc laisser la tradition pour ce qu'elle est, et tenter
une explication différente.
Il n'y en a
qu'une de plausible, sans que d'ailleurs celle-là même soit complète : c'est le
génie d'Aristote, qui nous a en quelque sorte accoutumés â ces complètes
inattendues de la science, plus étonnantes encore que les conquêtes de son
belliqueux élève. L'histoire naturelle n'est pas la seule surprise de ce genre.
Peut-on oublier qu'à côté d'elle, Aristote a créé une foule d'autres sciences,
non moins difficiles à définir et à constituer, soit naturelles, soit morales
ou psychologiques? La zoologie ne fait pas exception; et ce qui doit nous
étonner, ce n'est pas qu'Aristote l'ait fondée, mais que son génie ait été si
fécond, et, dans la plupart de ces grands sujets, si original et si neuf. En
logique, il n'avait aucun prédécesseur, comme il le déclare lui-même fort
modestement, pour excuser ses lacunes; et cependant, il a si bien approfondi
toutes les parties de la logique que les siècles n'y ont rien ajouté, et que,
de l'aveu même de Kant, Aristote est le plus accompli des logiciens. Mais le
domaine de la logique est purement rationnel; et il est plus aisé de le
parcourir dans toute son étendue que le domaine de l'histoire naturelle, où
l'esprit, quelque puissant qu'il soit, doit avant tout s'appuyer sur des faits
extérieurs et les observer attentivement, en un nombre presque infini.
Ce qui frappe
le plus nos zoologistes modernes, c'est justement cette multiplicité inouïe de
faits, dès lors observés avec tant d'exactitude et déjà classés dans un ordre
si régulier. L'admiration redouble â mesure qu'on veut s'en rendre compte; et
c'est en quelque sorte un de ces spectacles lumineux où l'on est d'autant plus
ébloui qu'on les regarde plus longtemps.
Peut-être, un
moyen de pénétrer un peu plus avant dans cette énigme, c'est de s'enquérir
auprès d'Aristote et d'apprendre de lui quelles impressions il recevait de la
nature, et quel concours une curiosité passionnée pouvait apporter au génie. Il
semble qu'à cet égard il est très difficile de savoir ce qu'il en a été; et
comme les Anciens sont généralement très sobres de ces détails intimes, dont
les Modernes sont si fort épris, on s'attend à ce qu'une telle recherche soit
parfaitement vaine; l'austérité habituelle d'Aristote n'est pas faite pour nous
encourager. Pourtant, en l'absence de témoignages directs et de confidences, on
peut découvrir, même dans des œuvres si sévères, des indications, qui, pour
n'être pas absolument personnelles, n'en sont pas moins décisives.
Certainement, Aristote ne se met pas en scène de sa personne, comme le ferait
un auteur de notre temps; mais on ne peut pas méconnaître l'émotion profonde de
sa pensée dans les pages suivantes extraites du Traité des Parties.
Il a réfuté la
méthode platonicienne de division, procédant de deux en deux, et il vient de
montrer en quoi la dichotomie peut, malgré ses défauts, avoir encore quelque
utilité ; il veut cependant y substituer un principe nouveau ; et il poursuit
en ces termes :
« Ce principe
nouveau, c'est que les substances formées par la nature sont, les unes incréés
et impérissables de toute éternité, et que les autres sont soumises à naître et
à périr. Pour les premières, quelque admirables et quelque divines qu'elles
soient, nos observations se trouvent être beaucoup moins complètes; car à leur
égard, nos sens nous révèlent excessivement peu de choses, qui puissent nous
les faire connaître, et répondre à notre ardent désir de les comprendre. Au
contraire, pour les substances mortelles, plantes ou animaux, nous avons bien
plus de moyens d'information, parce que nous vivons avec elles, et que, si l'on
veut appliquer à ces observations le travail indispensable qu'elles exigent, on
peut en apprendre fort long sur les réalités de tout genre. D'ailleurs, ces
deux études, bien que différentes, ont chacune leur attrait. Pour les choses
éternelles, dans quelque faible mesure que nous puissions les atteindre et les
toucher, le peu que nous en apprenons nous cause, grâce à la sublimité de ce
savoir, bien plus de plaisir que tout ce qui nous environne, de même que, pour
les personnes que nous aimons, la vue du plus insignifiant et du moindre objet
nous est mille fois plus douce que la vue prolongée des objets les plus variés
et les plus beaux. Mais pour l'étude des substances périssables, comme elle
nous permet tout ensemble de mieux connaître les choses, et d'en connaître un
plus grand nombre, elle passe pour être le comble de la science; et comme,
d'autre part, les choses mortelles sont plus conformes à notre nature et nous
sont plus familières, cette étude devient presque la rivale de la philosophie
des choses divines. Mais ayant déjà traité de ce sujet et ayant exposé ce que
nous en pensons, il ne nous reste plus ici qu'à parler de la nature animée, en
ne négligeant, autant qu'il dépend de nous, aucun détail, quelque infime ou
quelque relevé qu'il soit. C'est que, même dans ceux de ces détails qui peuvent
ne pas flatter nos sens, la nature, qui a si bien organisé les êtres, nous
procure, à les contempler, d'inexprimables jouissances, pour peu qu'on sache
remonter aux causes, et qu'on soit réellement philosophe. Quelle contradiction
et quelle folie ne serait-ce pas de se plaire à regarder les simples copies de
ces êtres en admirant l'art ingénieux qui les a reproduits, en peinture ou en
sculpture, et de ne point se passionner encore plus vivement pour la réalité de
ces êtres, que crée la nature, et dont il nous est donné de pouvoir découvrir
les causes!
« Aussi, ce
serait une vraie puérilité que de reculer devant l'observation des êtres les
plus infimes; car, dans toutes les œuvres de la nature, il y a toujours place
pour l'admiration, et l'on peut toujours leur appliquer le mot qu'on prête à
Héraclite, répondant à des étrangers qui venaient pour le voir et s'entretenir
avec lui. Comme en l'abordant, ils le trouvèrent qui se chauffait au feu de la
cuisine : « Entrez sans crainte, entrez toujours, leur dit le philosophe;
les Dieux sont ici comme partout. » De même dans l'étude des animaux, quels
qu'ils soient, il n'y a jamais non plus à détourner nos regards dédaigneux,
parce que, dans tous sans exception, il y a quelque chose de la puissance de la
nature et de sa beauté. Il n'est pas de hasard dans les œuvres qu'elle nous
présente; toujours ces œuvres ont en vue une certaine fin, et il n'y en a pas
où ce caractère éclate plus éminemment qu'en elles: Or. la fin en vue de
laquelle une chose subsiste ou se produit, est précisément ce qui constitue,
pour cette chose, sa beauté et sa perfection.
« Que si
quelqu'un était porté à mépriser comme au-dessous de lui l'étude des autres
animaux, qu'il sache que ce serait aussi se mépriser soi-même; car ce n'est pas
sans grande difficulté qu'on parvient â connaître l'organisation de l'homme,
sang, chairs, os, veines, et tant d'autres parties de même genre. » (Traité
des Parties des Animaux, livre I, chap. V, p. 98, édit. du docteur de
Frantzius, 1853; édit Langkavel, p. 15, 1868.)
Ailleurs, il
dit encore avec non moins d'émotion et de bonheur d'expression :
« Dans les
animaux qui ont du sang, c'est d'abord la masse supérieure du corps qui est
formée dès la naissance; puis avec le temps, la partie inférieure prend son
entier développement. Pour tout cela, il n'y a d'abord que de simples
linéaments et des contours; puis ensuite, viennent la couleur, la mollesse ou
la dureté des diverses parties. Dans cette esquisse d'abord imparfaite, on
dirait que la nature dessine et qu'elle fait comme les peintres, qui se
contentent premièrement de tracer des lignes, et qui n'appliquent que plus tard
les diverses couleurs à l'objet qu'ils représentent. » (Traité de la
Génération des Animaux, liv. II, 94, p. 184, édit. Aubert et Winner.)
Quel est celui
des naturalistes modernes qui renierait de telles pages? Ou plutôt, qui ne
voudrait les avoir écrites? Elles feraient honneur au plus sage et au plus
instruit. Aristote a eu bien rarement de ces effusions; mais quand il s'y
laisse aller, elles n'en sont que plus précieuses. Il aimait la nature autant
qu'il l'admirait; et dans les études qu'il lui consacrait, le cœur tenait sans
doute autant de place que l'esprit.
II est assez
singulier que les Modernes se soient figuré quelquefois qu'ils étaient les
premiers et les seuls à aimer la nature. Schiller prétend que les Grecs, malgré
toutes leurs qualités, ont été étrangers à ces émotions délicates, et que le
spectacle des choses a captivé leur « intelligence bien plus que leur sentiment
moral ». Humboldt adresse à l'Antiquité la même critique, qui, après lui et
après Schiller, est devenue un lieu commun de littérature courante. Il a été
entendu que l'amour de la nature était un privilège de notre temps, un monopole
récemment découvert à notre usage, sans doute depuis Jean-Jacques et même
depuis Obermann. Littré a déjà réfuté ce paradoxe de notre vanité; et il lui a
suffi de rappeler quelques passages d'Homère de Platon et de Pline, pour en
faire justice. Il pouvait rappeler encore les idylles de Théocrite, les pages
sublimes de Cicéron dans son Traité de la Nature des Dieux, les Géorgiques de
Virgile après Lucrèce, tant de vers charmants d'Horace, et les éloquentes
amplifications de Sénèque. Mais Aristote eût-il été le seul à parler de la
nature ainsi que nous venons de le voir, il semble qu'une telle profession de
foi démontre assez clairement que les Anciens ont senti, aimé et célébré la
nature aussi bien que nous. Seulement, ils ont été moins personnels, moins
littéraires et moins déclamateurs. En général, ils sont occupés exclusivement
du sujet qu'ils traitent; et l'individu se produit fort peu; l'égoïsme de
l'écrivain ne se trahit pas. C'est peut-être là un des plus grands charmes de
l'Antiquité. Chez nous, Rousseau adresse à l'univers ses Confessions, qu'il
croit imiter de saint Augustin; chez les Grecs, un Platon, un Aristote ne nous
apprennent pas un mot d'eux-mêmes; et si, pour les connaître, nous en étions
réduits à ce qu'ils nous en disent, notre ignorance serait entière. Il est vrai
que leurs œuvres nous dédommagent, quoiqu'elles soient muettes sur ceux qui les
composent, à leur plus grande gloire et au grand profit de l'esprit humain.
Ainsi donc,
pour expliquer la composition de l'Histoire des Animaux, Prolem sine patre
creatam, le meilleur argument est encore le génie de l'auteur, fécondé par
une admiration sans bornes pour la nature. La réalité ne change pas; et les
animaux de tout ordre qu'observait Aristote posaient sous ses yeux tels qu'ils
posent encore sous les nôtres. Les phénomènes à peu près innombrables qu'ils
offrent à notre étude ne peuvent pas être aperçus d'un seul coup, ni analysés
en une fois ; mais le regard de l'homme de génie est si pénétrant, si étendu,
si rapide, qu'il peut, dans la courte durée de la vie individuelle, embrasser
une multitude de faits que les siècles précédents n'avaient pas vus, et que les
siècles suivants ne verront pas davantage. Au début de notre XIXe siècle, nous
avons été les témoins émerveillés de ce que Cuvier a pu faire en paléontologie
; c'est toute une science nouvelle, qui, devant nous, est née de ses labeurs,
plus limités, mais aussi féconds en leur genre que ceux d'Aristote. Cuvier
n'avait pas un génie universel comme celui du philosophe grec. Mais ce qu'il a
réalisé, dans cette branche de savoir inconnue jusqu'à lui, nous permet de
mesurer ce qu'Aristote a pu accomplir, sur une échelle beaucoup plus vaste et
avec un succès, s'il est possible, encore plus grand.
Cela est si
vrai que l'œuvre d'Aristote, qui était sans antécédents, n'a été ni continuée,
ni même comprise par les temps qui ont suivi. Il a fallu plus de vingt siècles
pour que l'esprit humain, après une foule d'épreuves et d'hésitations, reprit
la route que le génie avait. prématurément ouverte; et c'est seulement, au
milieu du siècle dernier, qu'on a retrouvé des traces qui semblaient presque
perdues. Si la stérilité des prédécesseurs d'Aristote a pu nous étonner, la
stérilité des successeurs est bien plus surprenante encore. La science une fois
fondée, il paraissait assez simple qu'on la cultivât, dans la voie où elle
avait été mise. Mais le premier pas avait été si gigantesque que personne n'a
pu le prendre, quelque facile que fût l'imitation, après de tels exemples et
avec un tel guide.
Pline est,
sous quelque rapport, un grand écrivain; mais ce n'est pas un naturaliste,
malgré le renom qu'on lui a fait; lui-même n'élève pas cette prétention; et il
se donne pour le fidèle compilateur des œuvres d'Aristote, comme il l'est de
tant d'autres. Il se cache si peu de ce rôle, modeste mais fort utile, surtout
entre ses mains, qu'il énumère avec la plus sincère exactitude, toutes les
sources auxquelles il puise, d'ailleurs avec plus ou moins de discernement. Son
plan embrasse le monde entier, ou le Cosmos, comme nous disons avec les
Pythagoriciens; le plan d'Aristote est moins large, puisqu'il se borne à la
zoologie, réservant pour plus tard l'astronomie, la botanique et les minéraux.
Pline aborde toutes ces sciences, en colorant de son style les idées d'autrui.
Pour la partie de son ouvrage qui est relative aux animaux, il reproduit
presque toujours Aristote, en le traduisant quelquefois mot à mot. Quand il
ajoute aux faits déjà observés des faits nouveaux, sans dire de qui il les
tient, ces faits ne sont ordinairement, ni très exacts, ni même très sérieux.
C'est souvent de la zoologie à la façon d'Élien, c'est-à-dire, des curiosités
plus ou moins vraisemblables sur le caractère et les mœurs des animaux, réels
ou fabuleux. Pline, qui se raille de la crédulité des Grecs, non sans quelque
droit, ne se doute pas qu'il est parfois d'une crédulité bien plus aveugle
encore. Buffon en a donc fait beaucoup trop d'estime; et le jugement que porte
Littré, dans la préface de sa traduction et de son édition, est bien plus
équitable et beaucoup moins flatteur. Pline, en reprenant sa vraie place, n'en
doit pas moins être pour nous un des auteurs les plus importants de l'époque
romaine; mais il ne faut pas le surfaire; il peut se passer de cette injustice.
Son ouvrage est digne de tout notre intérêt; et il serait très regrettable
qu'il nous manquât ; mais ce n'est pas là de la science, ni comme l'entendait
Aristote, ni comme nous l'entendons.
A plus forte
raison, peut-on appliquer cette critique aux deux ouvrages d Élien, dont l'un
n'est pas plus de l'histoire que l'autre n'est de la zoologie. Son traité en
dix-sept livres sur la Nature des animaux est un recueil d'anecdotes, qui se
succèdent sans aucune forme, et qui sont, pour la plupart, d'une
invraisemblance puérile. Élien ne les a pas inventées, et il a bien soin de
nous avertir, dans son Préambule, que bon nombre d'auteurs ont écrit avant lui
sur le même sujet. Il se propose, en les prenant pour guides, de montrer dans
les brutes certaines qualités admirables, qu'elles partagent avec l'homme; et
il se flatte que, sans dépasser les autres, il fera du moins, après eux, une
œuvre de quelque utilité. Avant de se séparer de ses lecteurs, et en leur
adressant ses adieux, il s'applaudit de la façon dont il a accompli son
dessein, et il trouve que le désordre de la composition est un ornement de
plus, par la variété qu'il jette sur les choses. Sa conclusion semble bien dire
que l'animal vaut mieux que l'homme; et il se croit digne d'éloges pour avoir
fait Élien les merveilles de la nature, qui a donné à la plupart des animaux «
beauté, intelligence, industrie, justice, tempérance, courage, affection,
amour, piété même », en un mot, une foule de vertus que l'humanité trop souvent
ne possède pas dans une mesure égale. On aurait tort néanmoins de dédaigner
absolument Élien; et l'on peut encore glaner dans ses récits quelques faits
authentiques, et des citations utiles.
On ne saurait
guère demander davantage à Athénée, qui, à l'occasion du Banquet de ses
Sophistes, s'occupe plus de cuisine que d'histoire naturelle, et qui, en
parlant des oiseaux et des poissons, songe avant tout aux mets exquis que la
gourmandise sait en tirer. Plutarque, dans son dialogue sur l'Adresse des
Animaux, est beaucoup plus sérieux qu'Élien et qu'Athénée; il rapporte des
traits nombreux de l'instinct de l'animal et il est sensé dans toutes ses
observations, sans jamais prétendre à être un naturaliste.
Avec
Plutarque, Élien et Athénée, finit l'Antiquité; et vers leur époque, commence
dans l'Empire romain cette longue agonie qui aboutit enfin à la disparition de
la civilisation antique, au triomphe des Barbares et au Moyen-âge. Ce que
devient la zoologie dans ce long désordre, on peut se le figurer en voyant ce
qu'elle était devenue dans des temps meilleurs, sous Titus et sous les
Antonins.
Les historiens
de la zoologie, Beckmann (1766), Spix (1811) et M. Carus (1880), nous
apprennent en détail quelles traditions informes survivaient alors, et
alimentaient dans les couvents les naïves études de quelques moines. La culture
de l'histoire naturelle recommence, avec tout le reste, par des leçons sur les
livres d'Aristote. Albert-le-Grand en fait un ample commentaire, qui sans doute
y ajoute fort peu, mais qui du moins ressuscite, entretient, et propage les
idées du philosophe. On n'a peut-être pas assez rendu justice à ces labeurs,
qui n'ont rien de brillant, mais qui, au milieu de ces épaisses ténèbres, ont
conservé quelques reflets de lumière. Sous ce rapport, comme sous bien
d'autres, le fameux professeur de Cologne et de la Montagne Sainte-Geneviève
mérite la glorieuse épithète qu'on a jointe à son nom. Il fut possible, grâce à
lui, d'étudier la nature sous un maître tel qu'Aristote. C'était beaucoup; et
la vérité pouvait luire aux yeux de quelques disciples. C'était également
d'après Aristote qu'avait été compilé ce manuel de zoologie qui, sous le titre
de « Physiologus» a traversé tout le Moyen-âge, moins développé et moins
savant que l'enseignement d'Albert, mais plus à la portée du vulgaire. Vincent
de Beauvais, dans son « Miroir du monde », ne peut aussi que reproduire
Aristote, qui lui fournit toute l'histoire naturelle de son encyclopédie. Deux
siècles environ après Albert-le-Grand et Vincent de Beauvais, Théodore Gaza
traduisait l'Histoire des Animaux en un excellent latin, avec la fidélité d'un
Grec connaissant à fond la langue qu'il professait.
Tout cela
n'est encore qu'un bégaiement; on se contente de répéter tant bien que mal ce
qu'a écrit Aristote; on n'y ajoute rien; on ne consulte pas la nature, comme il
l'avait consultée. La science indépendante et originale ne reparaît qu'au
milieu du XVIe siècle; et ce sont deux zoologistes français, Belon et Rondelet,
qui reprennent la méthode aristotélique, dans son énergie pratique et son vrai
caractère. Ils ne copient plus Aristote; ils le continuent. dans la mesure où
ils le peuvent, en observant, ainsi que lui, la réalité, et en interrogeant
directement les faits. Belon voyage pendant plusieurs années en Italie, en
Grèce, en Asie Mineure, en Palestine, en Egypte; et comme il est à la fois
médecin, zoologiste et botaniste, il recueille avec exactitude et sagacité une
foule d'observations, dans quelques-unes des contrées qu'Aristote avait
habitées aussi et parcourues, dix-huit siècles auparavant. C'est surtout à
l'étude des poissons de la Méditerranée qu'il s'attache; il élucide ses
descriptions par des gravures, qui rendent bien la forme des animaux. Belon
écrit soit en latin, soit en français, dans un fort bon style. Protégé par les
plus puissants personnages du clergé, il aurait poussé beaucoup plus loin ses
remarquables recherches, s'il n'était mort jeune, assassiné à l'âge de 47 ans.
Les travaux de
Rondelet, médecin de Montpellier, ressemblent beaucoup à ceux de Belon, dont il
est le contemporain. C'est aussi à l'ichtyologie qu'il se dévoue; et il
entreprend l'histoire entière des Poissons. Il voyage également sur les bords
de la Méditerranée, surtout sur les côtes de l'Italie, de la France et de
l'Espagne. Il écrit en latin ; et il fait traduire son livre en français. Il
l'accompagne de gravures meilleures, où les poissons de mer, de rivières et
d'étangs sont représentés avec une ressemblance que Buffon et Cuvier ont louée
souvent. Rondelet, qui est fort érudit, a donné pour la nomenclature des
poissons connus des Anciens une synonymie, qui peut éclaircir de nombreux
passages d'Aristote.
Conrad Gesner,
ami de Rondelet, et comme lui médecin de Montpellier, quoique Suisse de
naissance, a composé le plus laborieux ouvrage d'histoire naturelle qu'il ait
vu le XVIe siècle, avant celui d'Aldrovande. Il y parcourt toute la zoologie
depuis les quadrupèdes vivipares et ovipares, les oiseaux, les poissons et les
animaux aquatiques, jusqu'aux reptiles; il devait faire un dernier livre sur
les insectes; mais la mort le prévint. Il est plus savant encore que ses deux
contemporains ; il range les animaux par ordre alphabétique, et sur chacun
d'eux il cite, avec prolixité, tout ce que les Anciens nous en ont appris, mais
aussi avec une exactitude irréprochable. Cuvier faisait la plus grande estime
de l'Histoire des Animaux de Conrad Gesner ; et il la considérait comme la
première base de toute la zoologie moderne C'est un superbe éloge de la part
d'un juge tel que Cuvier.
Édouard
Wotton, médecin d'Oxford, publia en même temps que Conrad Gesner, et à peu près
sur les mêmes fondements, un ouvrage moins développé, qui n'eut pas un succès
aussi grand, mais qui représente plus fidèlement encore le plan d'Aristote.
Wotton traite d'abord des parties communes à tous les animaux, comme Aristote
le fait en commençant son histoire naturelle: avec lui encore, il divise les
êtres animés en deux seules classes : ceux qui ont du sang et ceux qui n'en ont
pas. Il passe ensuite à l'homme, aux quadrupèdes vivipares et ovipares; aux
serpents, aux oiseaux; aux animaux aquatiques, cétacés et poissons; et il
termine par les animaux exsangues, mollusques, crustacés et zoophytes. Ce n'est
pas plus neuf, ni plus original que Conrad Gesner ; mais c'est plus régulier et
moins long que lui, et surtout que l'interminable compilation d'Aldrovande.
Dans la
seconde moitié du XVIe siècle, les travaux anatomiques de Vésale et d'Ambroise
Paré facilitent indirectement les progrès de la zoologie, en faisant mieux
connaître les organes du corps humain. Le XVIIe siècle n'apporte pas à
l'histoire naturelle tous les perfectionnements qu'on pouvait espérer de
l'invention du microscope, devenue très vite féconde entre les mains de
Malpighi, de Swammerdam et de Leuwenhoeck, découvrant les animalcules
spermatiques. C'est dans le XVIIe siècle que se fondent chez plusieurs nations
les Académies scientifiques, les musées, les parcs zoologiques, les ménageries,
qui pouvaient être d'un utile secours pour les sciences: mais il ne paraît pas
d'ouvrage qui systématise la zoologie et en fasse avancer l'ensemble. C'est
alors aussi que commencent ces monographies, presque innombrables, qui se
multiplient chaque jour de plus en plus, en recueillant une quantité de détails
dont la science générale s'enrichit. Vers la lin de ce siècle, Claude Perrault,
l'architecte de la Colonnade du Louvre, a sur la « Mécanique des animaux » et
sur bien des questions d'histoire naturelle des vues profondes, qu'il n'eut pas
le temps de développer autant qu'on pouvait l'attendre de son génie.
Il faut
arriver à Linné et à Buffon, vers le milieu du XVIIIe siècle, pour trouver un
progrès considérable dans la science zoologique. Linné, qui a fait beaucoup
plus encore pour les plantes que pour les animaux, est avant tout un
classificateur ; et son « Systema naturae. » embrasse les trois règnes. Le plus
court dans son ouvrage est encore le règne animal; la botanique et la
minéralogie y tiennent le plus de place. C'est surtout une nomenclature qu'établit
le génie du naturaliste suédois; il ne décrit rien, et quelques mots lui
suffisent pour chaque chose, quelle que soit sa piété admiratrice en présence
des œuvres de Dieu, à qui il dédie son livre et qu'il appelle Jéhovah. Il est
passionné pour la nature au moins autant qu'Aristote: ce sentiment, ardent et
sincère, anime tous ses écrits, et en exclut en partie la sécheresse, malgré la
forme qu'il leur a donnée. A peine consacre-t-il une dizaine de lignes à
l'homme, tout en le mettant à la tête de la création; c'est qu'il laisse à
l'homme le soin de se connaître lui-même, selon le divin précepte emprunté par
Socrate à l'oracle de Delphes; il nous recommande de nous étudier sous les
rapports théologique, moral, naturel, physiologique, diététique et pathologique.
C'est à cette condition, selon Linné, qu'on est homme; et qu'on se distingue
absolument de tous les autres êtres.
De l'homme, il
passe au singe, dont il énumère seize espèces, et au Paresseux (Bradypus),
qu'on ne s'attendait guère à voir placer si haut dans la série animale. Tel est
le premier ordre, celui des animaux anthropomorphes. Linné en établit ensuite
cinq autres. parmi les quadrupèdes : bêtes féroces, bêtes sauvages, bêtes du
genre des loirs, bêtes de somme et bétail. Après la classe des quadrupèdes,
vient celle des oiseaux, également divisée en six ordres, des oiseaux de proie
aux passereaux. Puis, viennent les amphibies, divisés en serpents et reptiles.
Les poissons, partagés en cinq ordres, forment la quatrième classe; les
insectes, partagés en sept, forment la cinquième. La dernière classe est celle
des vers (Vermes), où se trouvent réunis des reptiles, des zoophytes, des
testacés et des plantes-pierres (Lithophyta).
Après le règne
animal, Linné classifie également les plantes, selon leurs organes de
fécondation, depuis la monandrie jusqu'à la cryptogamie, en vingt-quatre
classes; et enfin le règne des pierres (lapideum regnum), où il admet trois
classes : les pierres, les minéraux, et les fossiles.
On conçoit
sans peine qu'un système zoologique tel que celui qu'on vient de rappeler, ait
suscité de très graves objections. C'est surtout Buffon qui se chargea de les
formuler, avec une vivacité qui parut quelquefois dépasser les bornes et trahir
la jalousie d'un rival. D'ailleurs, les critiques de Buffon n'en étaient pas
moins justes. Les six classes de Linné ne suffisaient pas pour les animaux; il
en fallait au moins le double. si l'on ne voulait pas s'exposer à des
confusions, ou à des exclusions inexplicables. Les serpents ne sont pas des
amphibies; les crustacés ne sont pas des insectes, pas plus que les coquillages
ne sont des vers. Tous les quadrupèdes ne sont pas mammifères. Il est bien
étrange aussi de mettre, parmi les anthropomorphes, le lézard écailleux à côté
du Paresseux; la chauve-souris, la taupe et le hérisson, parmi les bêtes
féroces; le castor et le rat, parmi les loirs; le cochon et la musaraigne,
parmi les bêtes de somme; enfin le cerf, parmi le bétail, avec le bœuf, le
bélier et le chameau.
Toutes ces
objections sont vraies, comme celles que Buffon élève contre le système
botanique de Linné; mais elles ne diminuent pas la gloire de Linné ; son nom
n'en est pas moins un des plus illustres de la science. En effet, c'était un
progrès immense qu'un système qui s'étendait aux trois règnes de la nature,
avec une nomenclature aussi régulière. Elle est peut-être trop concise; mais
les traits essentiels de la définition sont si bien choisis que le laconisme
n'ôte rien à la clarté. Linné a, en outre, sur la nature entière, et sur chacun
des trois règnes, des principes généraux, qui le guident sûrement dans cette
infinité d'êtres et de phénomènes. Il expose ces principes aussi brièvement que
le reste, et avec la même autorité. Ce sont à peu près ceux d'Aristote; et
Linné se fait de l'histoire naturelle et de sa méthode une idée non moins
haute. Mais il ne connaît pas suffisamment le passé, puisqu'il déclare que
jusqu'à lui « la zoologie n'a guère été qu'un recueil de récits fabuleux,
racontés d'un style diffus, exposés dans des descriptions aussi imparfaites que
les dessins et les figures dont parfois on les accompagne ». Linné n'excepte de
cette condamnation que Francis Willoughy et John Ray, qui, un demi-siècle
auparavant, avaient fait, en collaboration, de très heureux essais dans diverses
branches de l'histoire naturelle. Il semble que cette indulgence de Linné
pouvait remonter jusqu'aux essais d'Aristote; et il est à croire qu'il devait
les estimer, s'il les avait lus, au moins autant que ceux des deux naturalistes
qu'il préfère.
Buffon est
tout l'opposé de Linné. Il se défie des classifications, qu'il repousse, parce
qu'elles sont trop arbitraires et trop incomplètes; il ne cherche pas davantage
la régularité méthodique d'une nomenclature universelle, qu'il croit
impossible. Il se plaît surtout aux descriptions: parfois, il les revêt d'un
style magnifique, quand le sujet comporte cette parure et ce développement;
mais d'ordinaire sa narration est pleine de naturel et d'une constante
simplicité, qu'on méconnaît quand on ne juge Buffon que sur quelques morceaux,
choisis parmi les plus brillants. On le prend pour un littérateur, tandis qu'il
a, sans relâche, consacré sa vie laborieuse à des observations et à des
expériences, dont il expose les résultats avec un infatigable amour de la vérité,
qui est sa qualité dominante. Il fait précéder l'histoire des animaux de celle
du globe, sur lequel ils vivent. Il comptait embrasser aussi les trois règnes;
mais il n'a pu parcourir que quelques parties de ce trop vaste sujet. Sans
adopter une classification proprement dite, il met néanmoins un certain ordre
dans ses descriptions. D'abord, il traite de l'animal en général; et après
avoir étudié le problème de la génération sous toutes ses faces, il démit
l'homme dans l'individu et dans l'espèce ; et après l'homme, les quadrupèdes et
les oiseaux; il n'a pas pu aller jusqu'aux poissons. ni aux insectes.
Si le but de
l'histoire naturelle est de nous faire connaître et aimer la nature et
spécialement les animaux, on doit convenir que la manière de Buffon, qui est
aussi la manière d'Aristote, est très supérieure à celle de Linné. Après
l'observation directe et personnelle des réalités, la description, qui transmet
à autrui ce qu'on a vu soi-même, est, sans comparaison, ce qui peut le mieux
nous instruire et nous intéresser. La nomenclature, quelque bien faite qu'elle
soit, n'est destinée qu'à rappeler le souvenir de ce qu'on sait déjà; la maigre
instruction qu'elle procure serait insuffisante, de tous points, sans la notion
complexe qui a dû la précéder. En ceci, Buffon a parfaitement raison contre
Linné, la classification est sans doute fort utile; mais la description l'est
encore bien davantage; et elle seule est essentielle.
Un peu plus
loin, ou devra revenir sur cette question. Pour le moment, nous achevons cette
histoire rapide de la zoologie par quelques mots sur Cuvier, et sur l'état
actuel de la science.
On s'accorde
généralement à regarder Cuvier comme le premier entre les naturalistes des
temps modernes, et le plus grand depuis Aristote. Par la forme qu'il imprime à
la science, il tient une sorte de milieu entre Buffon et Linné; il écrit
excellemment, sans écrire aussi bien que Buffon; mais, s'il est moins
littéraire, il est plus scientifique et plus concis. Il y a des pages de son
Discours sur les Révolutions du globe, de son Règne animal, et de son Anatomie
comparée, qui peuvent compter parmi les plus belles de notre langue appliquée
aux matières scientifiques; ce sont des modèles qu'on ne surpassera point, et
que bien peu de savants pourront jamais égaler. Il a ouvert, à la zoologie
générale une carrière toute nouvelle, et une mine inépuisable par ses travaux
sur les animaux fossiles, nous révélant, dans les bouleversements alternatifs
de notre globe, deux ou trois créations antérieures à celle dont nous faisons
partie. Dans la zoologie proprement dite, il a été un classificateur plus
profond encore que Linné ; et l'on doit reconnaître, avec M. Claus, que « sa
classification est le plus grand progrès que la science ait fait depuis
l'Antiquité ». Il a divisé le règne animal en types ou plans généraux, d'après
l'anatomie des organes, et d'après d'autres conditions secondaires. C'est là
encore la base la plus solide que la science ait jamais trouvée; et quoique
depuis un demi-siècle on ait voulu la modifier, on ne l'a point renversée.
Répartissant les êtres organisés en deux divisions, les animaux et les
végétaux, comme l'avait fait Aristote, il traite d'abord, ainsi que son
devancier, des éléments corporels de l'animal et des combinaisons principales
de ces éléments, sans oublier les fonctions matérielles et intellectuelles. Les
quatre divisions du règne animal répondent à quatre l'ormes principales : les
vertébrés, les mollusques, les articulés et les rayonnés. Dans la première de
ces formes, qui est celle de l'homme et des animaux qui lui ressemblent le
plus, le cerveau et le tronc principal du système nerveux sont renfermés dans
une enveloppe osseuse, qui se compose du crâne et des vertèbres. Dans la
deuxième forme, il n'y a pas de squelette; la peau à laquelle les muscles sont
attachés, forme une enveloppe molle, ou quelquefois pierreuse; et le système
nerveux se compose de masses éparses, réunies par des filets. Dans la troisième
forme, celle des articulés, insectes et vers, le système nerveux consiste en
deux cordons régnant le long du ventre et renflés d'espace en espace en nœuds
ou ganglions. Enfin, dans la dernière forme, qui contient tous les zoophytes,
il n'y a plus, comme dans les êtres précédents, un axe sur lequel sont disposés
des deux côtés les organes du mouvement et de la sensibilité; ils sont
simplement placés comme des rayons autour d'un centre; l'on n'y aperçoit que
des vestiges de système nerveux, de circulation et d'appareil respiratoire,
presque toujours répandu à la surface du corps entier.
Après ces
généralités, Cuvier distribue les vertébrés en quatre classes, selon leurs
mouvements et la quantité de respiration : mammifères, oiseaux, reptiles et
poissons ; la première étant vivipare, et les trois autres étant ovipares.
Puis, il subdivise ces classes en ordre, neuf pour les mammifères, six pour les
oiseaux, quatre pour les reptiles, et huit pour les poissons. Il établit des
divisions et subdivisions analogues pour les mollusques, les articulés et les
rayonnés. Mais outre ce qu'il a dit des poissons dans son Règne animal, il leur
a consacré un ouvrage spécial, qui est de beaucoup le plus complet de tous sur
cette partie de l'histoire naturelle, de même qu'il a enrichi la science d'une
foule de mémoires, où sa puissante intelligence porte la lumière sur tous les
sujets qu'elle touche. On a souvent rapproché Cuvier d'Aristote ; la
comparaison est parfaitement juste, si on la limite à l'étude des animaux ; et
par la courte analyse qu'un vient de voir, on peut se convaincre qu'à deux
mille ans de distance et plus, ces deux génies s'entendent, et que le second
poursuit et étend l'œuvre du premier, guidé à son tour par l'observation
attentive des choses et par les traditions du passé.
Depuis Cuvier
jusqu'à nos jours, on a essayé une multitude de classifications nouvelles. On
en pourrait énumérer quinze ou seize au moins, si l'on s'en rapporte à la liste
dressée par M. Agassiz, et répétée par M. Claus. Il y a même à augurer que
l'imagination scientifique ne s'arrêtera pas dans cette production incessante
de systèmes, qui ne sont pas tous très heureusement conçus, mais qui exigent
toujours des connaissances étendues et des labeurs très considérables. Cette
ardeur prouve deux choses : d'abord que cette entreprise est une des plus
difficiles de la science ; et en second lieu, que, jusqu'à cette heure, aucun
système n'a été ni assez clair ni assez justifié pour s'imposer souverainement,
et se substituer aux systèmes antérieurs, avec quelque chance de durer plus
qu'eux.
Dans l'état
présent de la zoologie, à la fin du XIXe siècle, la science n'a donc pas encore
adopté de classification définitive. Ce desideratum ne sera peut-être jamais
comblé; nous essayerons de dire pourquoi, en traitant un peu plus loin de la
méthode zoologique, et des conditions auxquelles il est possible de classer
toutes les espèces d'êtres, que la nature recèle dans son sein en nombre
illimité.
Mais avant
d'agiter ces nouvelles questions, arrêtons-nous un instant, et voyons bien où
nous en sommes arrivés. Avant Aristote, la philosophie grecque, malgré sa
merveilleuse activité et sa curiosité très ingénieuse, n'a pu rien fonder de
scientifique en zoologie ; après Aristote, l'esprit humain étant trop débile
pour le suivre, c'est au dernier siècle seulement que la science enfantée par
lui a pu renaître et grandir. De ces deux faits incontestables, nous pouvons
tirer une conséquence importante ; c'est qu'Aristote doit être traité par nous
comme un contemporain, et que ce zoologiste, vieux de deux mille deux cents
ans, est pour nous aussi jeune que s'il était d'hier. C'est le privilège d'un
génie incomparable ; et l'on ne peut que répéter ce que disait Isidore
Geoffroy-Saint-Hilaire en termes heureux : « Aristote est encore un
auteur progressif et nouveau. » Aussi, de même que tout à l'heure nous
interrogions ses successeurs et ses émules, Linné, Buffon, Cuvier, nous pouvons
l'interroger, avec un profit au moins égal, sur son style, sur sa méthode, et
sur les grandes vues que lui dicte la nature.
Le style
d'Aristote est peut-être le meilleur modèle qu'un savant puisse se proposer;
c'est une leçon de goût que la zoologie recevrait de la Grèce, à qui nous en
devons tant d'autres. Simple, clair, grave, toujours sobre, toujours facile et
naturel, il n'a ni la sécheresse, ni la surabondance de quelques autres
écrivains scientifiques.
Buffon
remarquait que, dans Aristote, il n'y a pas un mot inutile. On doit ajouter que
le mot propre ne lui manque jamais; et cette qualité, qu'on peut acquérir par
l'étude ou tenir de la nature, contribue beaucoup â la concision et à la
netteté du style ; l'expression juste n'a pas besoin d'être redoublée ; la
prolixité n'est qu'un signe de faiblesse et une cause d'obscurité. La
synonymie, si difficile à établir, peut être un obstacle à bien comprendre
Aristote ; mais cette difficulté de fait ne vient pas de lui ; elle tient
nécessairement à la différence des langues, des climats et des temps. L'art du
style, pris dans sa généralité, ne consiste pas uniquement dans le choix et
l'arrangement des mots ; il consiste plus encore dans la disposition des
pensées et des matières. Sauf quelques rares passages, dont le désordre remonte
à la destinée bien connue des manuscrits d'Aristote, l'Histoire des Animaux, le
Traité des Parties, et le Traité de la Génération, sont irréprochables. Sans
doute, ce n'est pas tout à fait notre style moderne; mais la sculpture de
Phidias n'est pas non plus notre sculpture ; et cependant, nos artistes s'en
inspirent, sans rien abdiquer de leur indépendance et de leur originalité. Le
style d'Aristote peut nous rendre le même service, puisqu'il a aussi la double
empreinte, et du génie de l'auteur, et du génie de la race. Il n'est pas non
plus de zoologiste qui ait su rendre l'histoire naturelle plus attachante ; et
les pages qui ont été citées plus haut nous livrent le secret à la fois de
celui qui les a écrites, et de l'intérêt qu'il excite dans ses lecteurs, par
l'intérêt qu'il ressent lui-même. C'est parce qu'il aime la nature qu'il la
fait aimer en la décrivant.
La question de
la méthode, comme on l'a déjà dit, n'est pas une question de zoologie; c'est
une question générale, c'est-à-dire philosophique. Mais dans l'histoire
naturelle, où le nombre des espèces d'êtres à observer n'a pas de limites, la
méthode, qui trace la route pour établir entre eux un certain ordre relatif,
est plus importante que dans toute autre science. C'est en outre la méthode,
qui, en zoologie, détermine la classification. Aussi, n'est-il pas un
naturaliste qui n'ait exposé, avec plus ou moins de développement, les
principes d'après lesquels il entendait se diriger. Aristote y est revenu à
plusieurs reprises, et l'on a déjà vu, du moins, en partie, quelle est sa
doctrine systématique. Linné a la sienne, en dépit de son laconisme ; Buffon a
fait de la méthode une étude explicite ; Cuvier non plus ne s'en est pas
abstenu, bien que la pente de son esprit ne le portât guère à ces
considérations, trop éloignées de ses travaux habituels. Tous ont éprouvé ce
besoin, et l'ont satisfait chacun à sa manière.
Selon
Aristote, la règle suprême de la méthode, c'est d'observer les faits, dans
toute leur étendue et dans leur simplicité, tels qu'ils s'offrent à notre
sensation. On ne doit vouloir les expliquer qu'après cette analyse essentielle
et préliminaire. La science est tenue de constater d'abord la réalité; et ce
n'est qu'ensuite qu'elle peut se demander pourquoi et en vue de quelle fin les
choses sont telles qu'elles sont. Vingt fois, Aristote est revenu avec
insistance sur ce principe indispensable ; il l'a perpétuellement opposé aux
théories prématurées et téméraires des philosophes, ses devanciers, qui se sont
presque toujours perdus en se flattant vainement de pouvoir remonter à
l'origine des choses. Au lieu de faire des tentatives inutiles pour savoir ce
qui a été, ils auraient dû s'enquérir de ce qui est actuellement. Aristote ne
s'est pas tenu à ce conseil déjà fort sage, et sur lequel il n'a jamais hésité;
il a de plus, donné l'exemple ; et tous ses ouvrages zoologiques sont des
monuments d observation
il est aisé de
s'en assurer, en les lisant. Quant à nous, si nous tenons à réitérer cette
apologie d'Aristote et de l'Antiquité, c'est que la prévention contraire est
aussi tenace qu'erronée; et qu'il est passé en une sorte d'axiome que les
Modernes seuls ont pratique la méthode d'observation, révélée à l'esprit humain
par Bacon et son école.
Après cette
première règle, qui est universelle, Aristote donne les règles qui sont
spéciales à la zoologie. Par où doit-elle commencer l'étude des animaux ? Quel
est l'animal qu'elle doit d'abord étudier et décrire? Aristote répond :
L'histoire des animaux doit débuter par l'homme. Il allègue de cette préférence
deux raisons péremptoires, sur lesquelles aucune autre ne saurait l'emporter.
De tous les animaux, c'est l'homme qui nous est le mieux connu, puisque nous
sommes hommes nous-mêmes. D'autre part, comme l'organisation humaine se
retrouve en grande partie dans une foule d'animaux, voisins quoique différents,
Geoffroy Saint-Hilaire l'homme c'est connaître ces animaux par analogie;
l'étude qui lui est consacrée s'étend beaucoup plus loin que lui, et elle nous
facilite l'étude de toutes les organisations qui se rapprochent de la sienne.
Cette règle
fondamentale de la science zoologique a été adoptée, depuis Aristote, par tous
les grands naturalistes, Linné, Buffon, Cuvier, imités par une foule d'autres.
Dans ces derniers temps, on a cru devoir renverser cette méthode et commencer
la zoologie par la Cellule. C'est là une conception que la raison ne saurait
approuver, et qui choque tous les principes de la logique. Bien des savants
s'en sont engoués aujourd'hui ; mais cette mode, on peut l'espérer, ne durera
pas plus que les modes ne durent ordinairement, dans les systèmes de la
science, aussi bien que dans les coutumes des nations.
Le côté faible
de la zoologie aristotélique, c'est la classification. L'auteur ne l'a jamais
exposée d'une manière systématique ; et il serait assez hasardeux de chercher à
l'extraire des ouvrages où elle est dispersée. Cependant, Aristote n'a pas
confondu toutes les espèces dans un désordre commun ; entre elles, il a indiqué
positivement des classes, bien que ces classes soient trop peu nombreuses et
trop peu distinctes. Les principales, que nous avons déjà signalées, sont
celles des animaux qui ont du sang et des animaux qui n'en ont pas ; celles des
vivipares, des ovipares et des vermipares ; celles des quadrupèdes, des
oiseaux. des reptiles, des cétacés, des poissons, des insectes ; celle enfin
des mollusques, des crustacés, des testacés et des zoophytes. Ce n'est pas là,
on doit l'avouer, une classification dans le sens rigoureux de ce mot ; mais si
l'on songe aux difficultés que présente la classification, même pour la science
de notre temps, on sera porté à l'indulgence ; et l'on excusera dans Aristote
un défaut que compensent tant d'autres mérites. Un arrangement régulier de tous
les êtres animés était impossible à l'époque où il écrivait, quel que fût son
génie ; il y fallait une multiplicité d'observations de détail que le temps
seul pouvait accumuler ; et aujourd'hui même, les matériaux ne sont pas encore
suffisants. Mais quelque incomplète que soit la classification d'Aristote, elle
doit toujours figurer dans l'histoire de la science, parce qu'elle est la
première en date, et qu'elle renferme les principaux éléments de toutes celles
qui ont suivi. Elle vient immédiatement avant les classifications de Linné et
de Cuvier, comme l'ont très bien vu les historiens de la zoologie.
De tous les
naturalistes, c'est Buffon qui s'est le plus occupé de la méthode ; il a placé,
en tète de ses œuvres, un long « Discours sur la manière d'étudier et de
traiter l'histoire naturelle ». Les principes par lesquels il entend se diriger
dans ses trois études, « la Théorie de la terre, la formation des Planètes, et
la Génération des animaux», sont à peu près identiques aux principes
d'Aristote. Ainsi que le philosophe grec, Buffon recommande avant tout
l'observation des faits ; il faut les recueillir dans le plus grand nombre
possible, les considérer d'abord en eux-mêmes et isolément, puis dans leurs
rapports; bien définir les êtres et les bien décrire ; les grouper selon leurs
affinités réelles et selon leurs différences, sans parti pris et sans idées
préconçues; et enfin, les ordonner, d'après toutes ces conditions, en espèces,
en genres, en classes, de plus en plus compréhensives. D'ailleurs, Buffon ne
croit pas qu'une classification, quelque générale qu'elle soit, puisse
embrasser à jamais tous les êtres ; et prenant pour exemple celle de Linné, en
botanique et en zoologie, il s'efforce d'en démontrer l'insuffisance et les
erreurs. La nature est tellement diverse, elle procède par des nuances
tellement insensibles, que l'homme ne saurait, ni les comprendre, ni même les
observer toutes, malgré l'attention qu'il y apporte. Cependant, Buffon ne désapprouve
pas les labeurs auxquels se sont livrés les savants, et il ne nie pas
entièrement l'utilité des méthodes; elles peuvent servir à faciliter l'étude et
à aider la mémoire ; mais elles ne peuvent avoir la prétention de représenter
toute la nature dans ses formes innombrables ; et comme le tableau qu'on en
essaierait serait toujours fort incomplet, il vaut mieux s'abstenir d'un effort
qui doit échotier.
Aussi, Buffon
se garde de faire une classification systématique; et se rapprochant des
Anciens plus que des Modernes, il se contente de ranger les animaux d'après le
degré d'utilité que nous en tirons, et le degré de facilité que nous avons à
les connaître. C'est conformément à cette règle qu'après l'homme il étudie, en
premier lieu, les animaux domestiques, vivant avec nous et nous servant de tant
de manières; puis, les animaux sauvages, qui nous sont encore assez familiers;
et enfin, les animaux féroces, que nous devons combattre et détruire pour notre
propre salut. Buffon ne veut pas aller au delà; il n'admet pas la prétendue
échelle des êtres, et il voit un grand inconvénient à vouloir soumettre à des
lois arbitraires les lois de la nature, à la diviser dans des points où elle
est indivisible, et à mesurer ses forces sur notre faible imagination. L'ordre
factice que nous imposons aux faits particuliers est relatif à notre propre
nature, plutôt qu'il ne convient à la réalité des choses. Buffon a raison quand
il veut éviter « cette multiplicité de noms et de représentations qui rend la
langue de la science plus difficile que la science elle-même »; mais il a tort
quand il soutient qu'il n'y a dans la nature que des individus, et que les
genres, les ordres, les classes n'ont d'existence que dans notre esprit. En
ceci, Buffon est nominaliste, probablement sans y songer.
Cuvier n'a pas
pour les classifications le dédain de Buffon; mais il est opposé, au moins
autant que lui, à la prétention de classer les êtres de manière à en former une
seule ligne, ou à marquer leur supériorité réciproque. Il regarde toute tentative
de ce genre comme inexécutable; il ne voit dans les divisions et subdivisions
de la science que l'expression graduée de la ressemblance des êtres; et, à son
avis, ce qu'on appelle l'Échelle des êtres n'est qu'une application erronée
d'observations partielles à la totalité de la création. Cette application a nui
extrêmement aux progrès de l'histoire naturelle. Cuvier s'élève aussi
énergiquement contre cet autre abus des nomenclatures, qui varient sans cesse,
et qui menacent de ramener dans l'histoire naturelle le chaos qui y régnait
antérieurement, les naturalistes français et étrangers négligeant le soin de
s'entendre, et chacun d'eux multipliant et changeant, sans la moindre
nécessité, les noms des genres et des espèces, chaque fois qu'ils ont l'occasion
d'en parler.
Sur ces points
essentiels, Cuvier n'a jamais varié ; et les discussions très vives que ces
questions ont fait naître, vers la fin de sa vie, ne l'ont jamais ébranlé.
C'est en conformité de ces vues qu'il a établi ses divisions successives dans
le règne animal tout entier. Comme Aristote, il fait de l'histoire naturelle
une science qui s'appuie avant tout sur l'observation; le calcul et
l'expérience, qui sont les instruments des mathématiques et de la chimie, ne
sont presque point à son usage. « Le calcul, dit-il, commande, en quelque
sorte, à la nature; l'expérience la contraint à se dévoiler; l'observation
l'épie, quand elle est rebelle et cherche à la surprendre. »
Mais si
l'histoire naturelle ne peut faire usage, ni de l'expérience, ni du calcul,
Cuvier lui rappelle qu'elle possède un principe qui lui est particulier, qui
est tout rationnel, et qu'elle applique avec avantage dans beaucoup de cas.
C'est le principe des conditions d'existence, vulgairement nommé : le principe
des Causes finales. Cuvier ne craint pas d'employer ce mot, fort décrié; et au
scandale sans doute de plus d'un naturaliste, il réhabilite ce principe
supérieur, qu'Aristote avait proclamé sous une autre forme, en affirmant que la
nature ne fait jamais rien en vain, axiome que Leibnitz a pris pour base de sa
théodicée et de son optimisme. Comme rien ne peut exister s'il ne réunit les
conditions qui rendent son existence possible, les différentes parties de
chaque être, ajoute Cuvier, doivent être coordonnées de manière à rendre
possible l'être total, non seulement en lui-même, mais dans ses rapports avec
les êtres qui l'entourent; et l'analyse de ces conditions conduit souvent à des
lois générales, tout aussi démontrées que celles qui naissent du calcul et de
l'expérience.
Outre ce
principe des conditions d'existence ou des causes finales, l'histoire naturelle
en possède un second, qui ne lui est guère moins utile, et qui l'aide
puissamment dans ses classifications : c'est le principe de la subordination
des caractères, dérivé de celui des conditions d'existence. Dans l'immense
catalogue de la zoologie, il faut que tous les êtres portent des noms convenus;
il faut qu'on puisse les reconnaître par des caractères distinctifs, tirés de
leur conformation. Les caractères qui exercent sur l'ensemble de l'être
l'action la plus marquée, sont les caractères les plus importants, ou, comme
Cuvier les appelle, « les caractères dominateurs »; les autres sont
subordonnés à ceux-là, et sont de divers degrés. Les caractères importants se montrent
à ce signe qu'ils sont les plus constants, et les derniers qui varient dans
chaque espèce. C'est leur influence et leur constance qui doivent les faire
préférer pour délimiter les grandes divisions de même que, pour distinguer les
subdivisions inférieures, on descend aux caractères subordonnés et variables.
C'est à l'aide
de ces deux principes essentiels que Cuvier espère fonder la méthode naturelle,
qui est l'idéal de la science, bien qu'elle en soit peut-être la pierre
philosophale. Par la méthode naturelle, il entend un arrangement dans lequel
les êtres d'un même genre seraient plus voisins entre eux que de ceux de tous
les autres genres; et cette règle s'appliquent également, après les genres, aux
ordres, aux classes, et ainsi de suite. Ce serait là l'expression exacte et
complète de la nature entière, où chaque être serait déterminé par ses
ressemblances et ses différences avec d'autres êtres; et tous ces rapports
seraient parfaitement rendus dans l'arrangement que Cuvier entrevoit, et qu'il
s'est efforcé de réaliser, mais sans se flatter d'y réussir plus que tant
d'autres. Comme exemple de cette méthode naturelle, et comme premier pas dans
cette voie, il cite la répartition générale des êtres en deux divisions : les
êtres vivants et les êtres bruts; ou, comme on dit à cette heure, les êtres
organiques et les êtres inorganiques. C'est là le plus ample de tous les
principes de classification, parce que la vie est la plus importante de toutes
les propriétés des êtres. Dans tous les temps, les hommes ont reconnu cette
division frappante; la science la recevait de la spontanéité du sens commun,
dès l'époque d'Aristote et de Pline.
Depuis un
demi-siècle que Cuvier est mort, la zoologie n'a pas produit de système qui
rallie tous les suffrages et qui fasse loi. Mais au milieu des innombrables
observations de détail, et des monographies que chaque jour amène, et qui
s'amoncèlent sans fin et sans ordre, une tendance se manifeste ; c'est de
changer le point de départ de la science entière, et au lieu de la faire
commencer par l'homme, avec Aristote, Pline, Linné, Buffon et Cuvier, on la
fait, au contraire, aboutir en dernier lieu à cet être, le plus parfait de
tous. On étudie d'abord les êtres les plus élémentaires, pour monter
graduellement jusqu'à lui. On débute par les Protozoaires pour finir par les
Primates, parmi lesquels on range l'homme, à la tète des singes. Comme
l'organisation des Protozoaires ou Protistes, à l'extrême limite, est ce qu'il
y a de moins complexe dans la vie animale, et que cette organisation consiste
en une matière informe et purement contractile, on a cru y trouver, avec le
degré le plus infime de l'animalité, le premier degré de la classification; et
c'est sur cette base étroite et obscure qu'on a essayé d'asseoir tout
l'édifice.
Ce renversement
radical de la méthode a eu deux conséquences excessivement graves : la
première, de confondre deux règnes, qui semblaient devoir être à jamais
distincts, l'animal et la plante; et la seconde, de donner, de ce grand
problème de la vie, une explication fausse et dangereuse.
Entre les
corps vivants et les corps inanimés, on admet des différences essentielles, qui
se rapportent à leur origine, à leur mode de conservation et à leur structure.
Dans l'état présent des choses, l'être vivant vient toujours d'êtres semblables
à lui; la vie vient toujours de la vie; ou, comme s'exprime Aristote : «
L'homme engendre l'homme. » En second lieu, il y a, dans l'être vivant, un
perpétuel échange de matériaux, empruntés au dehors et expulsés du dedans,
après avoir servi à fa croissance et à la conservation de l'être, jusqu'au
moment où il meurt. Enfin. l'être vivant se distingue de l'être inanimé par la
manière dont ses diverses parties sont unies entre elles, c'est-à-dire par son
organisation. Au contraire, pour ce qui regarde la plante et l'animal, on ne
voit plus de différence des animaux inférieurs aux plantes rudimentaires. Ni la
forme générale, ni les types, ni le mode de reproduction, ni l'échange
moléculaire, ni le mouvement et la sensibilité, ne sont des critériums assez
sûrs pour établir une démarcation bien tranchée entre les deux règnes. Sur
cette pente, la botanique et la zoologie en arrivent à n'être plus qu'une seule
et unique science; la vie, qui réside dans l'objet de l'une et de l'autre,
suffit pour les unifier ; et les anciens règnes de la nature sont réduits de
trois à deux.
On peut douter
que la simplification portée à cet excès soit fort utile à la science; elle
choque le bon sens, en même temps que toutes les opinions qui sont reçues,
depuis que l'homme a pu jeter un regard sur la nature et sur les êtres qui la
composent autour de lui.
On est allé
encore plus avant; et le végétal ayant tout aussi bien quo l'animal des organes
et des tissus, qui, d'élimination en élimination, ont pour substance dernière
une Cellule, c'est la Cellule qui est prise indistinctement pour la première
forme des animaux et des plantes, et pour l'organisme le pus simple dans l'un
et l'autre règne, ou plutôt dans un règne unique, formé des deux. C'est elle
qui renferme la vie à son état embryonnaire et universel. La Cellule a les
facultés de se nourrir et d'excréter; elle croît et se meut; elle se modifie et
se multiplie. On proclame donc que « la Cellule est la forme organisée
particulière à la vie, et que la vie est dans l'activité propre de la Cellule
». La seule distinction que l'on mette entre les Cellules végétales et les
Cellules animales, c'est que le contenu des unes est appelé le Protoplasma; et
le contenu des autres, le Sarcode. Protoplasma, Sarcode, ce ne sont là que des
mots. Au fond, on identifie le végétal et l'animal, dans ce début insondable de
la vie. Bien plus, on déclare ce pleinement justifiée l'hypothèse d'après
laquelle les êtres les plus simples se seraient formés, à une certaine époque,
au sein de la matière inorganique; et l'on conclut hardiment que les éléments
chimiques de la matière sont les mêmes que ceux qui entrent dans la composition
des organismes». Peut-être ne s'aperçoit-on pas que c'est revenir, par cette
voie détournée, à la génération spontanée, qui a été une des erreurs de
l'Antiquité grecque et d'Aristote, et qu'on croyait à jamais condamnée par de
récentes expériences, absolument décisives. Tout ce que les partisans de la
Cellule nous concèdent, c'est que, dans l'ignorance où nous sommes des forces
physiques, qui ont concouru à la formation de ces premiers êtres si simples, on
ne peut affirmer qu'il y ait une conformité fondamentale, quant à l'origine et
au mode d'accroissement, entre le cristal et la Monère. Dans ce langage nouveau
et assez bizarre, on appelle du nom de Monères des corps homogènes qui, sous
les grossissements les plus forts, paraissent dépourvues de toute structure, et
n'en sont pas moins des organismes animés, si l'on en juge d'après leurs
manifestations vitales.
Cette théorie,
tendant à faire naître la vie d'éléments chimiques et physiques, qui cependant
ne contiennent pas la vie, n'est peut-être pas aussi originale qu'on le croit;
elle ne fait que nous reporter à ces temps où la philosophie grecque essayait
ses pas chancelants,
avant
qu'Anaxagore ne vînt faire briller dans ces épaisses ténèbres, le rayon de
l'Intelligence, qu'aucun de ses prédécesseurs n'avait aperçu. Le système de la
Cellule retourne ainsi à deux ou trois mille ans en arrière. Quoiqu'on puisse
le louer de s'appuyer, de nos jours, sur de très profondes investigations, que
l'antique sagesse n'a pas connues, le résultat définitif n'en vaut pas mieux.
Bannir l'intelligence de cet univers, pour lui substituer l'action de la
matière, c'est invoquer encore une fois le Chaos, qu'il faudrait laisser aux
poètes et ne pas imposer à la science. D'ailleurs, ces questions appartiennent
moins à la zoologie qu'à la métaphysique ; car l'origine de la vie touche de
bien près à l'origine des choses. Sans doute, il doit être permis à la
zoologie, comme à toutes les autres sciences, de sortir de son domaine; mais il
est bon qu'elle sache qu'elle en sort, quand elle empiète sur un domaine
voisin, qui est celui de la philosophie première.
On pensera
peut-être qu'il ne convient pas d'attacher tant d'importance à cette question
d'ordre, et qu'il est assez indifférent de commencer par la Cellule, en
finissant par les Primates, ou de commencer par l'homme, en finissant par les
Protozoaires. Mais il y a ici une considération capitale que la raison ne peut
à aucun prix écarter. Si l'on exile l'intelligence de l'origine des choses, si
la vie avec tous ses développements matériels et moraux naît simplement de
l'action des forces chimiques, comment peut-on s'imaginer qu'on retrouvera plus
tard l'intelligence dans l'homme, à qui l'on ne saurait pourtant la refuser?
Comment de la Monère arriver, par une suite non interrompue de transformations,
par l'Évolutionnisme, aux chefs-d'œuvre de l'esprit humain, et aux qualités
morales qui sont la grandeur et l'apanage exclusif de notre espèce? Il est vrai
qu'on a toujours la ressource de confondre l'intelligence avec l'instinct, qui
est encore de l'intelligence à un moindre degré. Mais cet expédient même ne
sert de rien; car l'instinct, tout inférieur qu'il est, ne s'explique pas plus
que l'intelligence à son degré le plus sublime; l'instinct ne sort pas plus
qu'elle de la Monère et de la Cellule; ou, s'il en sort par voie de
transmutations successives, le germe qui recèle de si merveilleux développements,
et les mystères d'une évolution si productive, n'est pas moins surprenant, ni
moins admirable, que l'être supérieur qui en est le terme le plus accompli. La
Cellule, douée de ces inconcevables puissances, est encore plus
incompréhensible que le Créateur, dont on voudrait se passer; et la théorie de
la création a cet avantage éminent que, plaçant l'intelligence à l'origine, on
n'a plus aucune peine à en retrouver les traces dans la nature, et à l'y
constater comme le veut Aristote, et comme la raison le veut avec lui; car
l'effet ne peut avoir ce que la cause n'a pas.
Tout bien
considéré, tenons-nous-en à l'exemple d'Aristote, et suivons-le, ainsi que
l'ont fait les plus grands naturalistes, en l'imitant; avec eux tous, laissons
l'homme au sommet de la vie animale. Nous avons, pour justifier cette
préférence, de bien fortes raisons. D'abord, celle que nous en donne le
philosophe grec : l'homme est de tous les animaux celui qui nous est le mieux
connu. Partir de ce qu'on connaît pour comprendre ce qu'on ne connaît pas, est
une méthode infaillible, lumineuse, tandis que la méthode inverse s'adresse à
la nuit, en abandonnant la lumière; « Obscurum per obscurius. » Nous
serons toujours très loin de savoir sur l'homme tout ce que nous voudrions.
Mais sur l'animal, dans lequel nous ne sommes pas, tandis que nous sommes en
nous, que sait-on? Sans les données intelligibles que nous transportons
toujours de nous à l'animal, et que nous lui prêtons en l'étudiant, que
saurions-nous de lui?
La question de
la prééminence de l'homme n'est pas neuve; elle a été agitée jadis, sous une
forme un peu différente, par la philosophie grecque. Ce n'est pas même Aristote
qui l'a soulevée, non plus que son maître Platon; c'est Anaxagore, et peut-être
d'autres philosophes encore plus anciens. C'est certainement Socrate aussi,
comme nous l'apprend Xénophon, son élève, quand il nous rapporte l'entretien
avec Aristodème, où le sage a fait, de l'organisation de l'homme et de sa
supériorité, un tableau exact et sublime. (Mémoires sur Socrate, livre
I, ch. iv.) Aristote, après Anaxagore, après Socrate, reconnaît l'homme pour le
plus parfait des animaux; et c'est par l'homme qu'il compte expliquer tous les
autres êtres qui sont organisés sur son modèle; mais Aristote apprenait de la
philosophie antérieure que l'homme est le seul être doué de raison; et c'était
là un second et puissant motif pour considérer l'humanité comme le type auquel
il faut ramener tout le reste. Dans le Traité des Parties des Animaux, dont on
a déjà lu plus haut une page bien belle, il s'en trouve une autre qui ne l'est
pas moins, à propos d'une opinion d'Anaxagore, soutenant que l'homme doit à ses
mains la supériorité incontestable dont il jouit. C'est une thèse qu'a
renouvelée Helvétius, dans notre XVIIIe siècle, sans se douter qu'elle fût
aussi vieille. Mais Aristote y avait répondu, avec une finesse et une solidité
qui auraient dû empêcher qu'on ne la reprît jamais.
«
L'homme, a reçu de la nature des bras et des mains, en place des membres
antérieurs et des pieds de devant, qu'elle donne à certains animaux. Entre tous
les êtres, l'homme est le seul qui ait une station droite, parce que sa nature
et son essence sont divines. Le privilège du plus divin des êtres, c'est de
penser et de réfléchir. Mais ce n'eût pas été chose facile que de penser, si la
partie supérieure du corps avait été trop lourde et trop considérable. Le poids
rend le mouvement bien difficile pour l'esprit, et pour l'action générale des
sens. Quand la pesanteur et le matériel viennent à l'emporter, il est
inévitable que le corps s'abaisse vers la terre; et voilà comment la nature a
donné aux quadrupèdes leurs pieds de devant, au lieu de bras et de mains, pour
qu'ils puissent se soutenir. Anaxagore prétend que l'homme est le plus
intelligent des êtres, parce qu'il a des mains; mais la raison nous dit, au
contraire, que l'homme n'a des mains que parce qu'il est si intelligent. Les
mains sont un instrument; et la nature, comme le ferait un homme sage, attribue
toujours les choses à qui peut s'en servir. N'est-il pas convenable de donner
une flûte à qui sait jouer de cet instrument, plutôt que d'imposer, à celui qui
a un instrument de ce genre, d'apprendre à en jouer? La nature a accordé le
plus petit au plus grand et au plus puissant, et non point du tout le plus
grand et le plus précieux au plus petit. Si donc cette disposition des choses
est meilleure, et si la nature vise toujours à réaliser ce qui est le mieux
possible, dans les conditions données, il faut en conclure que ce n'est pas
parce que l'homme a des mains qu'il a une intelligence supérieure; mais que
c'est, au contraire, parce qu'il est éminemment intelligent qu'il a des mains.
C'est en effet le plus intelligent des êtres qui pouvait se bien servir du plus
grand nombre d'instruments. Or, la main n'est pas un instrument unique ; c'est
plusieurs instruments à la fois; elle est, on peut dire, l'instrument qui
remplace tous les instruments. C'est donc à l'être qui était susceptible de
pratiquer le plus grand nombre d'arts et d'industries que la nature a concédé
la main, qui, de tous les instruments, est applicable au plus grand nombre
d'emplois. On a bien tort de croire que l'homme est mal partagé, et qu'il est
au-dessous des animaux, parce que, dit-on, il n'est pas chaussé aussi bien
qu'eux, parce qu'il est nu, et parce qu'il est sans armes pour sa défense. Mais
tous les animaux, autres que l'homme, n'ont jamais qu'une seule et unique
ressource pour se défendre; il ne leur est pas permis d'en changer pour en
prendre une autre; et il faut nécessairement que, de même que toujours l'animal
dort tout chaussé, il fasse aussi le reste dans les mêmes conditions; il ne
peut jamais changer le mode de protection donné à son corps, ni l'arme qu'il
peut avoir, quelle qu'elle soit. Au contraire, l'homme a pour lui une foule de
ressources et de défenses ; il peut toujours en changer à son gré, et avoir à
sa disposition l'arme qu'il veut, et toutes les fois qu'il la veut. » (Traité
des Parties des Animaux, livre IV, ch. X, édit. du docteur de Frantzius, p.
222; édit. de Langkavel, p. 122.)
Ainsi, bien
longtemps avant les beaux vers du poète, célébrant, au temps d'Auguste, le
visage humain, bien avant les nobles inspirations de Cicéron et de Pline sur la
grandeur et l'infirmité de l'homme, la philosophie grecque avait presque tout
dit. Aristote, inspiré par Socrate, ne se trompait pas en mettant l'homme au
frontispice de son histoire naturelle; et la science contemporaine ferait
sagement de nous attribuer sans contestation cette place, qui nous est due à
tant de titres.
Une autre
conséquence non moins fâcheuse de ce bouleversement des méthodes, c'est la
confusion générale de tous les êtres par l'effacement et la destruction des
espèces.
Un zoologiste
français, Lamarck, avait insisté, plus que personne avant lui (1809), sur les
variations que les diverses espèces d'animaux subissent sous l'action continue
des circonstances où ils sont placés. Non moins aventureux dans sa philosophie
zoologique que dans sa chimie, Lamarck avait exagéré la variabilité de l'espèce
jusqu'à cette hypothèse de faire sortir d'une même et seule origine tous les
êtres vivants; les modifications, amenées par la suite indéfinie des temps, se
fixaient et se transmettaient par l'hérédité, sans qu'il y eût de terme
assignable à la transformation et au perfectionnement. Ces vues audacieuses
avaient été évidemment suscitées par les découvertes récentes de la
paléontologie. Aussi, Cuvier fut-il le premier à les combattre; il ne les
discuta pas expressément, parce qu'il ne les croyait pas dignes d'une réfutation
scientifique. Mais ces idées, indiquées plutôt qu'élucidées par l'auteur, ne
devaient pas périr de si tôt; favorisées par le système de Geoffroy
Saint-Hilaire sur l'unité de composition, également repoussé par Cuvier, elles
vécurent assez obscurément dans le monde savant, jusqu'à ce que, reprises et
élargies par M. Darwin, elles y reparurent avec éclat et y excitèrent un
mouvement qui dure encore, et qui n'est pas près de cesser. Entre Lamarck et
Darwin, il y a cette différence très notable que le premier admet résolument la
génération spontanée (Archigonie), et que le second, dont le cœur était fort
religieux, croit à l'action primordiale d'un Créateur, qui a communiqué la vie
à la matière, impuissante à la produire par ses seules forces. Sauf ce dissentiment
fondamental, le Darwinisme, nommé aussi le Transformisme, n'est que la doctrine
de Lamarck, corroborée d'une masse énorme d'observations, qui peuvent nous
intéresser bien plutôt que nous convaincre. Supposer que tous les êtres
organisés, animaux et végétaux, quelque diversifiées que leurs formes nous
paraissent aujourd'hui, viennent d'un premier germe, Sarcode et Protoplasma,
c'est une sorte de rêverie qui nous reporte aux théories puériles d'Empédocle,
victorieusement combattues par Aristote et chantées par Lucrèce, ou à cette
fantaisie non moins étrange de l'Œuf du monde, imaginé par les Brahmanes.
Quelle opinion le zoologiste grec aurait-il eue du Transformisme, on peut se le
figurer d'après ses ouvrages, et aussi d'après la condamnation sévère qu'a prononcée
Cuvier.
Il faut se
dire, d'ailleurs, que le Transformisme est un problème de cosmogonie, et non de
zoologie; la preuve, c'est qu'il s'appuie surtout, comme le remarque Littré,
sur l'embryogénie et sur la paléontologie. Quelque idée qu'on se forme de
l'origine des choses, la zoologie n'a pas à se prononcer sur ces obscurités
impénétrables, qui se perdent dans la nuit des siècles écoulés; elle doit se
borner au spectacle actuel que nous offre la nature, assez varié et assez clair
pour satisfaire notre curiosité et notre science. Sous peine de ruiner la
zoologie de fond en comble, et de ne pouvoir se faire comprendre, le
Transformisme, tout en partant de la Cellule ou du Blastème, n'en doit pas
moins conserver les types, les classes, les sous-classes, les ordres, les
genres, les espèces, etc., comme le fait la zoologie la plus vulgaire.
Seulement, il multiplie les types, puisqu'il en fait huit, au lieu des quatre
de Cuvier; il multiplie les classes, puisqu'il en fait cinq pour les seuls
vertébrés; et les ordres, puisqu'il en fait quatorze, rien que pour les
Mammifères.
Le seul
avantage du Transformisme, si c'en est un, c'est de tenter de refaire l'échelle
des êtres un peu plus régulièrement qu'on n'avait pu l'établir jusqu'ici. Des
Protozoaires aux Protistes et à l'homme, toute l'animalité semble se tenir par
une série sans lacunes, à laquelle on compte sans doute rattacher plus tard et
la botanique et la minéralogie, si, pour le moment, on doit s'en tenir
provisoirement aux êtres animés. La question de l'échelle des êtres n'est pas
plus récente que celle de la prééminence de l'homme; elle aussi remonte tout au
moins jusqu'à Aristote, qui, sans en faire l'objet d'une théorie spéciale, l'a
bien des fois laissé entrevoir. C'est qu'elle se présente infailliblement à la
raison même. quand la raison ne porte que des regards superficiels sur les
êtres animés; entre eux, il y a des affinités, des analogies, des
ressemblances, qui frappent tout d'abord; et après quelques rapides
observations, on est obligé d'introduire un certain ordre entre tous ces êtres,
non pas seulement pour les discerner, mais parce que les uns semblent, de toute
évidence, subordonnés à d'autres, plus parfaits qu'eux. De l'homme, on descend
nécessairement aux quadrupèdes; des quadrupèdes, aux oiseaux; des oiseaux, aux
reptiles, aux poissons, aux insectes. C'est cette première vue de l'esprit
humain, sur les réalités qu'exprime Aristote, quand il dit par exemple :
« La nature
passe des êtres sans vie aux êtres animés par des nuances tellement insensibles
que la continuité nous cache la limite commune des uns et des autres, et qu'on
est embarrassé de savoir auquel des deux extrêmes on doit rapporter
l'intermédiaire. Ainsi, après la classe des êtres animés, vient d'abord celle
des plantes.
« Déjà, si
l'on compare les plantes entre elles, les unes semblent avoir une plus grande
somme de vie que certaines autres ; puis, la classe entière des végétaux doit
paraître presque animée comparativement à d'autres corps; mais en même temps,
quand on la compare à la classe des animaux, elle parait presque sans vie.
D'ailleurs, le passage des plantes aux animaux présente si peu d'intervalle
que, pour certains êtres qui habitent la mer, on hésite et l'on ne sait pas si
ce sont vraiment des animaux ou des plantes. Ainsi, l'éponge produit absolument
l'effet d'un végétal; mais c'est toujours par une différence très légère que
ces êtres, les uns comparés aux autres, semblent avoir de plus en plus la vie
et le mouvement.» (Aristote, Histoire des Animaux, liv. VIII, ch. 1,
§ 4.)
Aristote est
revenu bien souvent à cette observation; et il met une grande persévérance à
prouver que la nature procède toujours par degrés. C'est la pensée que Leibniz,
après tant d'autres, exprimera plus tard dans cette formule, « que la nature ne
fait jamais de sauts ». Le philosophe grec est aussi de cet avis; et il semble
redoubler d'attention quand il étudie ces êtres équivoques qui, placés sur la
frontière de deux règnes, ne sont, à vrai dire, ni des animaux, ni des plantes,
tenant des uns et des autres également. Telles sont les Téthyes, qu'Aristote a
décrites à plusieurs reprises, et qu'il n'a pas confondues avec les polypes à
polypiers, erreur commise par quelques naturalistes modernes. Il a parfaitement
distingué dans cette organisation, qu'il déclare fort singulière, les deux
espèces de trous : les uns, presque fermés, qui servent à l'entrée de l'eau;
les autres, béants, qui sont destinés à la sortie du liquide. C'est ce qu'on
peut appeler la bouche, et l'orifice excrétoire, de ces animaux. Aristote
entre, à cette occasion, dans plus de détails que n'en donne la science de nos
jours sur ces productions bizarres de la nature; et après s'y être arrêté assez
longuement, il ajoute :
« Il n'y a
presque pas de différence entre l'organisation des téthyes et celle des
plantes, bien que les téthyes doivent être considérées comme des animaux, à
plus juste titre que les éponges; car ces dernières offrent absolument les
conditions d'une plante. C'est que la nature passe sans discontinuité des êtres
privés de vie aux animaux vivants, par l'intermédiaire d'êtres qui vivent, et
qui sont animés, sans être cependant de vrais animaux. Ces êtres étant fort
rapprochés entre eux, il semble qu'ils ne présentent qu'une différence
imperceptible. Ainsi, par cette propriété qu'a l'éponge de ne pouvoir vivre
qu'en s'attachant quelque part, et de ne plus vivre dès qu'on la détache, elle
est tout à fait comme les plantes. Les Holothuries et les Poumons-marins, comme
on les appelle, et d'autres animaux de ce genre qu'on trouve dans la mer,
diffèrent aussi bien peu des plantes, et présentent le même phénomène quand on
les arrache. Ces êtres n'ont pas trace d'une sensibilité quelconque, et ils
vivent, comme des végétaux détachés du sol. Parmi les plantes que nourrit la terre,
il en est en effet qui vivent et poussent, tantôt sur d'autres plantes, et
tantôt même après qu'on les a arrachées. C'est le cas de la plante du Parnasse
qu'on appelle la Pierreuse (Epipètre); elle vit très longtemps encore sur les
poteaux où on la suspend. De même les téthyes, et les êtres qui y ressemblent,
se rapprochent beaucoup de la plante, en ce que, d'une part, ils ne peuvent
vivre qu'en s'attachant comme elle, bien que, d'autre part, un puisse y
découvrir une certaine sensibilité, puisqu'elles ont une partie qui est de la
chair. De là, l'embarras qu'on éprouve à les classer. » (Traité des Parties
des Animaux, édit. du Dr. de Frantzius, p. 200, livre IV, ch. v; et édit.
Langkavel, p. 108.)
Voilà bien
l'échelle des êtres, quoique sous une autre forme; mais Aristote, averti par
l'instinct du génie, ne pousse pas cette théorie plus avant que Buffon et
Cuvier, éclairés par une science plus étendue, n'ont voulu la pousser. C'est
l'excès qu'ils désapprouvaient; ce n'est pas l'idée elle-même. Il est incontestable
que la nature a mis des degrés de perfection et d'imperfection entre les êtres
qu'elle crée; mais qu'elle les ait tous rangés dans une série unique, depuis la
Cellule jusqu'à l'homme, depuis l'échelon le plus bas jusqu'au plus élevé, rien
n'est moins démontré; et la science est bien téméraire quand elle essaye
d'imposer à la nature un plan que la nature ne nous montre pas plus nettement.
La chaîne continue qu'on voudrait établir s'interrompt et se brise à chaque
pas; il y manque une foule d'anneaux, que des observations ultérieures ne
retrouveront sans doute jamais, pas plus que la découverte des fossiles ne nous
les a procurés. Les espèces enfouies dans la terre par les révolutions que
notre globe a subies, ne sont pas les ancêtres des espèces actuelles; entre ces
créations diverses, il y a des lacunes infranchissables, ainsi qu'entre les
espèces de la création présente. Les quatre types constitués par Cuvier, et
fondés sur l'anatomie, doivent nous prouver que l'échelle des êtres, exagérée
au sens d'une série complète et sans lacunes, n'est qu'un roman, dont il serait
prudent de se défendre, parce qu'il ne répond pas à la réalité.
C'est dans une
mesure non moins restreinte qu'Aristote a touché la question de l'unité de
composition, après celle de l'échelle des êtres. Cette discussion faisait grand
bruit au début de ce siècle; aujourd'hui, elle s'est beaucoup refroidie ; et
Cuvier l'a emporté sur ses contradicteurs. L'unité de composition n'a plus
guère de partisans, même appliquée au seul ordre des vertébrés; elle on a moins
encore, appliquée à l'ensemble des êtres vivants. Ceci ne veut pas dire qu'elle
soit entièrement fausse; mais un en abuse et l'on dépasse toutes les bornes. Il
est bien clair que les quatre membres de l'homme se reproduisent en partie dans
les quadrupèdes, avec la différence qu'exige une station horizontale, au lieu
d'une station droite; les pattes de devant sont les équivalents de nos bras,
comme les pattes de derrière sont les équivalents de nos jambes. Il est tout
aussi clair que les ailes des oiseaux représentent jusqu'à un certain point les
bras humains et les membres antérieurs des quadrupèdes. On peut encore en dire
autant des nageoires de quelques poissons. Mais ces analogies éloignées
n'autorisent pas à croire que tous les animaux ont été construits et organisés
sur un seul modèle, se répétant pour tous d'une façon plus ou moins
reconnaissable. Ici comme pour l'échelle des êtres, il faut se préserver des
écarts de l'imagination. Aristote ne s'y est pas laissé entraîner, quoiqu'il
ait remarqué, lui aussi, des coïncidences manifestes. Ainsi, en recherchant les
rapports que l'organisation des animaux qui ont du sang, peut présenter avec
celle d'animaux privés de ce fluide, il se borne à dire :
« Si l'on veut
se rendre compte de ces deux organisations, on n'a qu'à imaginer une ligne
droite qui représenterait la structure des quadrupèdes et celle de l'homme.
D'abord, au sommet de cette droite, serait la bouche indiquée par la lettre A;
puis l'œsophage, indiqué par B, le ventre, par C; et l'intestin, dans toute sa
longueur, jusqu'à l'issue des excréments. indiqué par D. Telle est la
disposition des organes dans les animaux qui ont du sang et chez lesquels on
distingue la tête et ce qu'on appelle le tronc. Quant à toutes les autres parties,
c'est en vue de celles-là et aussi en vue du mouvement, que la nature les a
ajoutées, et qu'elle en a fait des membres antérieurs et postérieurs. Dans les
crustacés et dans les insectes, la ligne droite tend à se retrouver également
pour les organes intérieurs; et ils ne diffèrent des animaux qui ont du sang
que par la disposition des organes extérieurs, consacrés à la locomotion. Mais
les mollusques et les testacés turbinés, s'ils se rapprochent entre eux par
leur organisation, en ont une tout opposée à celle des quadrupèdes. La fin
s'infléchit vers le commencement, comme si sur la ligne E, on ramenait la
droite en la pliant de D vers A. Les parties intérieures, étant alors ainsi
disposées, se trouvent enveloppées par cette partie que l'on appelle le
manteau, dans les mollusques, et que dans les polypes exclusivement on appelle
la tête. » (Traité des Parties des Animaux, livre IV, ch. ix, édit. du
docteur de Frantzius,
p. 216;
édit. de Langkavel,
p. 117.)
Cette
explication, que la science actuelle devrait recueillir soigneusement, est fort
ingénieuse et fort. simple. L'organisation animale, dans sa totalité, peut être
représentée comme un tube qui a une entrée et une sortie, la première pour
l'introduction des aliments dont l'être se nourrit; la seconde, pour
l'expulsion du résidu impropre à la nutrition; entre les deux points extrêmes,
s'accomplit une élaboration intérieure, qui entretient la vie pendant tout le
temps qu'elle dure. Ainsi entendue, l'unité de composition est acceptable; mais
l'on s'égare si l'on cherche à retrouver dans toute la série animale, et sans
exception, les mêmes organes, différant seulement du plus au moins, et
demeurant analogues quand ils ne sont pas identiques, malgré toutes les
altérations qu'ils subissent.
Ainsi donc, soit
pour le style, soit pour la méthode et pour l'ordre que la zoologie doit
adopter dans ses descriptions, soit pour l'échelle dés êtres et pour l'unité de
composition, c'est-à-dire dans des questions générales et spéciales, nous
pouvons croire qu'Aristote est de notre temps; il a le premier découvert et
discuté ces problèmes, qui divisent encore les savants de ce siècle; il est de
niveau avec eux, quand il ne les surpasse point jusque dans les détails; et
sans compter la supériorité indiscutable du génie, il a toute l'exactitude que
nous pourrions exiger de nos contemporains. Ne croirait-on pas entendre parler
un d'eux, et un des plus sagaces, quand Aristote nous expose ses vues sur
l'organisation de l'animal, quelquefois déformée par des monstruosités, et sur
les voies régulières que suit la nature, à partir du moment où les êtres
viennent de naître et dans toutes les phases de leur développement et de leur
existence. Sans doute, Aristote est loin de Cuvier, recomposant un fossile tout
entier à l'aide d'un fragment échappé au cataclysme et retrouvé par la
zoologie; mais Aristote n'est-il pas sur le chemin même où Cuvier s'est avancé
d'un pas si ferme, quand il dit :
« La
constitution entière de l'animal peut être assimilée à une cité régie par de
bonnes lois. Une fois que l'ordre est établi dans la cité, il n'est plus besoin
que le monarque assiste spécialement à tout ce qui s'y fait ; mais chaque
citoyen remplit la fonction particulière qui lui a été assignée; et alors telle
chose s'accomplit après telle autre, selon ce qui a été réglé. Dans les animaux
aussi, c'est la nature qui maintient un ordre tout à fait pareil; et cet ordre
subsiste, parce que toutes les parties des êtres ainsi organisés peuvent
chacune accomplir naturellement leur fonction spéciale. » (Traité du
Mouvement dans les animaux, ch. x, p. 274 de ma traduction, Opuscules.)
Dans ce
passage, n'a-t-on pas entendu d'avance Cuvier lui-même lorsque, dans son
Discours sur les Révolutions de la surface du Globe, il s'exprime ainsi :
« Tout être
organisé forme un ensemble, un système unique et clos, dont les parties se
correspondent mutuellement et concourent à la même action définitive par une
action réciproque. Aucune de ces parties ne peut changer sans que les autres ne
changent aussi; et par conséquent, chacune d'elles, prise séparément, indique
et donne toutes les autres. »
C'est le
principe que Cuvier appelle si justement la corrélation des formes dans les
êtres organisés. Il en a tiré un merveilleux parti pour reconstruire de toutes
pièces un animal fossile, rien qua l'aspect d'une de ses mâchoires, d'une de
ses dents, de ses griffes, de ses ongles, de ses fémurs, de ses condyles. Une
telle analyse, guidée par la théorie, conduit Cuvier à cette conclusion
pratique, qui peut nous étonner et qui n'en est pas moins certaine : « La
moindre facette d'os, la moindre apophyse, ont un caractère déterminé, relatif
à la classe, à l'ordre, au genre et à l'espèce auxquelles elles appartiennent,
au point que toutes les fois que l'on a seulement une extrémité d'os bien
conservée, on peut, avec de l'application, et en s'aidant avec un peu d'adresse
de l'analogie et de la comparaison effective, déterminer toutes ces choses
aussi sûrement que si l'on possédait l'animal tout entier. »
Cuvier a fait
bien des fois l'épreuve de cette méthode sur des portions d'animaux connus,
avant d'y mettre entièrement sa confiance pour les fossiles; « mais elle a
toujours eu des succès si infaillibles qu'il n'a plus eu aucun doute sur la
certitude de ses résultats. »
Bien
qu'Aristote ait connu quelque chose des bouleversements du globe, il ne lui a
pas été donné de porter ses investigations aussi profondément, puisque, de son
temps, la paléontologie n'était pas née, et que la terre ne nous avait pas
encore livré les secrets qu'elle renferme dans ses entrailles. Mais il avait le
pressentiment de l'équilibre divin que la nature a mis dans cet te partie de
ses œuvres, comme dans toutes les autres; et il se faisait de l'organisation de
l'animal une idée aussi juste que son successeur du XIXe siècle, si ce n'est
une idée aussi détaillée et aussi vaste.
C'est à peu
près dans la même proportion qu'Aristote a pu sonder le problème de la vie,
prise dans toute sa généralité. D'où vient la vie telle qu'on l'observe dans le
règne entier des êtres vivants? Sous quelles conditions s'y est-elle produite?
Il répond en partie à ces questions dans le Traité de l'Ame, en y étudiant le
principe vital, depuis la plante, où il ne se révèle que par la nutrition,
jusqu'à l'homme, où il éclate, avec sa dernière perfection, par l'entendement
et la raison. On sait qu'Aristote, dans ses ouvrages zoologiques, a fait un pas
de plus, et qu'il surprend, par l'observation de l'embryon et de l'œuf, les
premiers indices de la vie, dans l'être conçu de la veille et palpitant déjà.
Grâce à la géologie et à la connaissance des fossiles, les Modernes ont pu
envisager ce grand mystère sous un aspect plus large encore, et plus
instructif, que les évolutions embryonnaires. Dès qu'on a eu constaté
scientifiquement que notre globe avait passé par plusieurs états avant
d'arriver à son état actuel, et que, dans l'origine, l'action du feu avait
rendu toute existence organique impossible, il a été démontré que la vie
animale n'avait paru sur la terre qu'à un moment donné. Ce moment, que Littré
appelle fort bien « Le moment créateur » ne s'est pas reproduit depuis lors; et
selon toute apparence, il ne se reproduira jamais. La vie, qui ne pouvait
subsister au sein de la combustion universelle, a surgi tout à coup lorsque le
refroidissement est arrivé à un certain point; et à dater de cet instant
unique, elle s'est toujours propagée et se continue sur notre terre par voie de
génération. Entre l'incandescence antérieure et la vie, il y a un hiatus que
les hypothèses les plus hardies n'ont pu combler, depuis les vagues théories
d'Héraclite jusqu'aux théories les plus précises de la géologie moderne. Bien
plus, la vie, une fois créée par une intervention surnaturelle, a pris
différentes formes, correspondant aux conditions nouvelles, où se trouvaient la
surface de notre globe et son atmosphère, par les progrès du refroidissement.
Pour la
première période, la vie ne paraît que dans des végétaux gigantesques; pour une
seconde et une troisième périodes, ce sont des animaux non moins
extraordinaires. Mais une vérité tout aussi prouvée que celles-là, c'est que
les animaux d'une période géologique ne sont pas les ancêtres des animaux de la
période suivante; et que, malgré des analogies nombreuses, les espèces
actuelles, les espèces au milieu desquelles nous vivons et dont nous sommes la
partie la plus notable, ne descendent pas des espèces disparues, comme le
croyait Lyell. A cet égard, le spectacle que le règne animal offre aujourd'hui
aux yeux de l'homme est absolument le même qu'Aristote a contemplé. Le premier,
il en a soulevé le voile: et dans ce domaine restreint, puisqu'il ne comprend
pas la paléontologie, mais qui est toujours bien étendu, et qui ne sera pas de
si tôt épuisé, Aristote doit garder son rang parmi les guides les plus
perspicaces et les plus sûrs à qui nous puissions nous fier à jamais.
Un sentiment
fécond que tous les zoologistes contemporains pourraient lui emprunter, comme
lui-même l'empruntait au maître de Platon, c'est l'admiration raisonnée de la
nature. Aristote a dit, et répété bien des fois, que la nature ne fait rien en
vain. Mais, de nos jours, il s'est trouvé des savants qui, sans nier
directement un principe aussi vrai, se défendent néanmoins de l'adopter. On se
croit bien prudent et bien positif en déclarant que l'esprit humain ne peut
scruter, ni des questions d'origine, ni des questions de fin. On se fait
scrupule de se prononcer sur les unes et sur les autres: et l'on reste dans un
doute, et sur une réserve, qu'on prend pour la véritable sagesse. Aristote n'a
pas cette timidité sceptique. S'il ne nomme pas expressément la Providence, du
moins la Nature, qu'il appelle divine, et telle qu'il la comprend et qu'il
l'aime, est nécessairement providentielle, puisque, selon lui, toutes ses
œuvres ont un but. Nous sommes de l'avis d'Aristote. Les moyens qu'emploie la
nature émerveillent toujours et confondent notre intelligence, quand nous
réussissons à les découvrir. Ajoutez que les premières et naïves impressions
des hommes sont d'accord avec les recherches et les conquêtes postérieures de
l'observation. Au berceau des peuples, dans les livres sacrés où ils déposent
leur foi instinctive, ce sont des hymnes perpétuels, ici dans les Védas, là
dans la Bible, dans les Psaumes de David, ou dans les Sourates du Coran. Pas
une de ces voix inspirées n'hésite, ou ne détonne. Un peu plus tard, quand la
raison moins émue commence à s'interroger et à s'instruire, le sentiment reste
le même. Aristote, dans sa Métaphysique, assigne pour point de départ à la
philosophie et à la science, l'étonnement et l'admiration que nous imposent les
grands phénomènes de la nature et des cieux. Un examen prolongé et de plus en
plus éclairé ne fait que confirmer ces témoignages spontanés ou réfléchis des
temps primitifs; et c'est ainsi que, parmi les modernes, Cuvier, Buffon, Linné,
Leibnitz, Descartes, parlent comme Aristote, et croient avec lui que la nature
se propose toujours une fin, qu'elle sait atteindre.
Mais une
philosophie qui se regarde comme positive par excellence, dédaigne cette
unanimité des simples et des sages; elle proclame, à titre de vérité
incontestable, que la nature n'est pas moins malfaisante que bienfaisante, et
qu'elle crée une foule de choses qui n'ont aucun but. En preuves de ces
assertions surprenantes, on cite l'absorption des virus, qui, en un instant,
détruisent l'organisme animal le plus robuste, et que la nature, indifférente
et homicide, transporte par la circulation, comme elle transporterait les
fluides les plus sains et les plus réparateurs; on cite certains organes que la
nature essaye de produire et qui ne sont jamais d'aucun usage : par exemple,
les incisives de l'intermaxillaire de nos ruminants, qui ne viennent jamais à
éruption; les embryons de baleines, dont les mâchoires ont une denture qui
n'entre jamais en activité; les mamelons de la poitrine du mâle humain, qui ne
donnent point à téter; et dans le coin interne de notre œil, le rudiment
insignifiant d'une troisième paupière, qui est développée chez d'autres
mammifères, chez les oiseaux et chez les reptiles.
Ces quelques
faits, recueillis à grand-peine, peuvent être exacts, mais nous le demandons:
Que signifient ces infimes exceptions et celles qu'on pourrait sans doute y
joindre encore? Que prouvent-elles? La raison, le sens commun, ne nous
crient-ils pas que notre œil est fait pour voir, notre oreille pour entendre,
nos jambes pour marcher, nos nerfs pour sentir, notre esprit pour penser? Les
astres sans nombre dont les cieux resplendissent n'attestent-ils pas un ordre
imitable? Et l'ordre n'atteste-t-il pas une volonté intelligente, qui le
maintient après l'avoir créé? Les mathématiques ne nous disent-elles pas, avec
Laplace, que, si l'on soumet ces phénomènes au calcul des probabilités, il y a
plus de deux cent mille milliards à parier contre un qu'ils ne sont point l'effet
du hasard? Devons-nous cesser de croire, avec l'auteur de la Mécanique céleste,
qu'une cause primitive a dirigé les mouvements planétaires? Et en descendant,
plus près de nous, à notre organisation et à celle des animaux et des plantes,
pouvons-nous y méconnaître l'action de la même providence qui régit les mondes
répandus dans l'espace, et qui a réglé les lois de la vie sur notre globe, et
l'y perpétue, par des organes dont la fonction, le but, la fin sont déterminés
avec une sagesse infinie et indéfectible? Nier tout cela, n'est-ce pas fermer
volontairement les yeux à la lumière; et par un excès de prudence sincère, mais
aveugle, commettre une imprudence inouïe, que le scepticisme n'a jamais
dépassée dans ses paradoxes les plus audacieux ?
Si la nature
n'a pas de but, si elle n'a aucun sens, la vie de l'homme, c'est-à-dire notre
vie, en a bien moins encore. La soi-disant philosophie positive, en détruisant
toute notion de fin dans la nature, la détruit du même coup dans l'être humain.
Notre existence morale et intellectuelle n'a pas plus de signification que
notre existence animale. L'homme n'a pas de destinée: les sociétés qu'il forme
n'en ont pas davantage: l'humanité est anéantie dans les individus aussi bien
que dans les peuples: il ne reste plus en nous que la brute. un peu plus
raffinée que les autres, mais, tout aussi fatalement qu'elles, livrée sans
frein à tous ses appétits et à toutes ses passions les plus furieuses. Aristote
n'est pas coupable d'une telle faute: et en même temps qu'il reconnaît des fins
dans la nature, il donne aussi à la vie de l'homme le plus noble prix. Il en
assigne le but suprême, comme l'avaient fait avant lui, mieux que lui
peut-être, son maître Platon, et Socrate, leur commun inspirateur. C'est que
tout se tient dans ces idées de causes finales; elle, s'enchaînent intimement
les unes aux autres, soit qu'on les admette, soit qu'on les repousse. L'idée de
fin, étant bannie de la nature, se trouve bannie, tout ensemble, et de la
raison de l'homme et de l'univers entier. Ce nouveau chaos, inauguré par des
savants, est mille fois plus sombre et moins concevable que l'autre, qui n'a eu
personne pour témoin, tandis que celui-ci se produit, en présence même du
spectacle divin, qui éblouit nos regards et qui doit éclairer notre raison et
notre science,
à mesure
que nous en comprenons mieux la splendeur et l'harmonie.
Si, sur tous
ces points essentiels, Aristote est comparable aux Modernes les plus avancés,
il est encore quelques autres points où il ne leur cède que de bien peu. Il a
beaucoup disséqué, soit sur le corps humain, soit sur les animaux. Il n'est pas
une page de ses traités zoologiques qui ne le démontre avec une irrésistible
évidence. Ses théories sur le cœur, et tous les viscères, sur le système des
vaisseaux, partant du cœur pour se répartir dans tout l'organisme, sur les
organes de la génération dans toute la série animale, ses études minutieuses
sur chacune des fonctions, ne s'expliquent que par des dissections délicates et
nombreuses. Aristote n'a pas eu la gloire de l'initiative, puisqu'il paraît
bien, comme on l'a vu, que c'est à un disciple de Pythagore, Alcméon, le
médecin de Crotone, qu'on doit l'attribuer; mais l'anatomie n'avait eu que de
très faibles développements pendant ces deux siècles, et l'on en trouve bien
peu de traces dans les travaux de Démocrite, et même dans ceux d'Hippocrate. Au
contraire, Aristote a très largement pratiqué l'anatomie, avant les découvertes
fameuses d'Erasistrate, son petit-fils, et avant celles d'Hérophile. Dans
l'Antiquité, les sacrifices d'animaux, qui faisaient le fonds du culte
religieux, ont pu favoriser les observations, en montant, dans des occasions
fréquentes, une quantité de faits anatomiques, qui devaient frapper même des
yeux moins attentifs que ceux d'un Aristote. Mais il ne s'est pas contenté de
ces faits trop fortuits: et il n'est peut-être pas un seul des animaux dont il
a parlé qu'il n'ait étudié, le scalpel en main, dans ses organes intérieurs,
après l'avoir décrit dans ses formes, dans ses fonctions et dans ses mœurs. Il
ne peut pas être douteux pour nous que c'est lui qui a rendu possibles tous les
progrès que l'anatomie a faits dans l'École alexandrine, et dont Galien est le
promoteur le plus illustre, cinq cents ans après le siècle d'Aristote et
d'Alexandre.
Certainement,
l'anatomie antique est fort loin de la nôtre; et elle manquait d'une foule de
moyens et d'instruments dont nous sommes aujourd'hui abondamment dotés. Mais
c'est un mérite et un service immense que d'avoir commencé méthodiquement des
investigations de ce genre, tout à la fois si indispensables et si
repoussantes, si curieuses et si obscures. Le nombre des espèces d'animaux
qu'Aristote a connus et décrits peut. se monter à cinq cents environ: en
supposant même qu'il n'en ait disséqué que la moitié, c'est un énorme labeur,
soit qu'il l'ait accompli à lui seul, soit qu'il l'ait fait accomplir en
partie, sous sa direction, par des élèves, comme le faisaient Cuvier dans notre
siècle, et Buffon avant Cuvier. Il avait même composé des recueils spéciaux d'anatomie,
qui ne sont pas parvenus jusqu'à nous, mais qu'il mentionne, à tout instant,
dans ceux de ses ouvrages de physiologie comparée que le temps ne nous a pas
ravis.
Les
préparations anatomiques appelaient assez naturellement l'invention de dessins
joints aux descriptions, qu'ils complètent et qu'ils éclaircissent. Cette
invention, dont on fait trop souvent honneur aux Modernes, appartient
exclusivement à Aristote. Par malheur, la tradition n'a pas conservé les
reproductions des dessins originaux: mais quand on se souvient de ce que la
sculpture et l'architecture étaient dans la Grèce, on peut être assuré que les
animaux devaient être représentés, comme tout le reste, avec une rare
perfection, dont nous voyons d'ailleurs de nombreux spécimens, en mosaïque, en
fresque, en peinture, et surtout en modelage. L'art ne cherchait que la beauté:
mais Aristote a dit chercher avant tout l'exactitude, puisque à des
descriptions jugées insuffisantes pour l'esprit, il a voulu suppléer par des
images parlant plus particulièrement aux yeux. C'est ainsi qu'en traitant des
crustacés, il ajoute, pour ne citer que cet exemple, au milieu de tant d'autres
:
« Tous les
crustacés ont une bouche, une ébauche de langue, un estomac, et une issue pour
l'excrément: les seules différences concernent la position et la grandeur de
ces organes. Pour savoir ce que sont chacun d'eux, on peut recourir à
l'Histoire des Animaux et aux Anatomies. C'est en étudiant l'une, et en
regardant les autres, que l'on comprendra les choses beaucoup plus clairement.
» (Traité des Parties des animaux, édit. du Dr. de Frantzius, livre IV,
ch. V, p.196; et édit. Langkavel, p. 106.)
On ne voudrait
pas attacher à cet expédient scientifique plus d'importance qu'il n'en a; mais
on peut voir que, quand la zoologie renaît au XVIe siècle, Belon et Rondelet,
imités dans les siècles suivants, se hâtent de reprendre la tradition
aristotélique, très perfectionnée de nos jours, mais non changée. A cet égard,
nous sommes tributaires d'Aristote, et nous n'avons pas à en rougir, non plus
que pour tant d'autres portions de son héritage.
Au point où la
science en est actuellement, et en attendant des progrès nouveaux, qui ne
manqueront pas plus à nos descendants qu'ils ne nous ont manqué après nos
devanciers, la zoologie dispose de ressources extrêmement puissantes,
qu'Aristote et les siècles qui ont suivi n'ont point eues : le microscope, la
photographie, les collections de tous genres formées partout, les sociétés
scientifiques qu'entretiennent toutes les nations civilisées, les voyages et
les explorations géographiques sur la surface entière du globe, les
explorations du fond des mers plus récentes et non moins fécondes pour le règne
animal, la science des fossiles, qui n'en est qu'à ses premiers pas, malgré
tout ce qu'elle nous a déjà fait connaître, tous les secours que la chimie, la
physique, la physiologie, et les autres sciences accessoires peuvent fournir à
l'histoire naturelle. L'Antiquité n'a possédé aucun de ces instruments
énergiques, dont le défaut donne encore plus de valeur à ce qu'elle a pu faire
sans eux. Qu'on y ajoute aussi cet organe universel de la pensée et de la
science, l'imprimerie, qui peut multiplier sans cesse le nombre des
observateurs, et qui centuple leurs forces en facilitant la diffusion de tous les
travaux et la communication mutuelle de toutes les découvertes; et l'on verra
que si l'histoire de la nature a maintenant quelque péril à éviter, c'est
l'excès de la richesse, excès redoutable même dans les royaumes de la science.
Pour concentrer tant de trésors, pour coordonner en un système les résultats
disséminés de tant d'investigations, l'histoire naturelle aurait besoin d'un
nouvel Aristote; mais Dieu accorde bien rarement au monde des législateurs
scientifiques de cet ordre; et jusqu'à présent, celui-là est le seul que
l'humanité puisse honorer d'une reconnaissance aussi étendue et aussi méritée.
Ceci ne veut
pas dire que les Modernes ne puissent très légitimement être fiers de ce qu'ils
font ; mais on doit se garder d'être immodeste; et afin de rester équitable
envers soi-même, comme envers les autres, le présent a toujours à se rappeler
qu'il doit presque tout au passé, et que l'avenir en saura nécessairement plus
que lui. On oublie trop souvent ce que c'est que la science en elle-même,
quelle est sa notion et son idée, quelle est son origine et quelle est son
histoire. Surtout, un porte peu volontiers ses regards sur les temps qui
viendront après le temps où Ion vit, à la fois parce que l'avenir est toujours
incertain, et parce qu'on est plus flatté de se comparer à ce qu'on surpasse
qu'à des héritiers qui vaudront mieux que nous.
Cette question
générale sur la nature de la science n'est pas déplacée à propos de la zoologie
aristotélique, un des monuments qui témoignent le plus clairement du rôle que
joue l'esprit de l'homme en face de la nature; et quelques considérations
supérieures nous feront concevoir de mieux en mieux ce dont la science est
redevable, non pas seulement à Aristote, mais à la Grèce, dont Aristote n'est
que le représentant le plus attitré.
La question
d'ailleurs n'est pas neuve, puisque Platon l'aborde déjà dans son dialogue du
Théétète; mais il l'a traitée surtout au point de vue psychologique ; et il
s'est demandé si la science doit se confondre avec la sensation ou avec le jugement.
Aristote se tient plus près de la réalité extérieure, quand, au début de sa
Métaphysique, il remonte à l'impression d'étonnement que les premiers hommes
ont éprouvée devant les phénomènes naturels, et qu'il voit, dans cette
irrésistible impression, la source unique et intarissable de la science. C'est
à un besoin de l'entendement que la science doit satisfaire, de même que les
arts doivent satisfaire à nos besoins matériels, les premiers en date et les
plus nécessaires, mais les moins relevés et les moins humains. Cette
explication d'Aristote est profondément vraie; elle l'était de son temps; elle
l'est du nôtre; et elle le restera à jamais. La science n'est, sous toutes ses
faces, que la théorie de la nature, contemplée par l'homme et interprétée par
lui. Aristote ne se trompe pas davantage quand il parle du désintéressement
absolu de la science; elle cherche à savoir pour savoir, sans aucun autre
objet, comme le veut l'insatiable passion de connaître dont l'homme est doué,
privilège qu'aucun être n'est appelé à partager avec lui.
Telle est la
science dans sa pureté, indépendamment de ses applications utiles; tel est son
germe, qui n'a cessé de se développer, depuis qu'il s'est montré parmi les
hommes, à une époque déterminée, sous des conditions précises, et qui ne
s'éteindra qu'avec l'humanité elle-même. Ce premier regard sur l'univers est
nécessairement confus, puisqu'il embrasse tout; et voilà comment, au début, la
philosophie est la seule science, parce que, en effet, c'est l'ensemble des
choses que la curiosité de l'homme essaye de comprendre, et que d'abord il
n'aperçoit que cet ensemble. complexe et mélangé. Peu à peu, l'observation
répétée des choses les distingue en les désagrégeant; avec le secours de
l'analyse, elle les sépare pour les mieux discerner. Mais, comme parmi les
choses, les unes se ressemblent et que les autres diffèrent, l'esprit les
classe spontanément selon leur similitude ou leur dissemblance. La distinction
des trois règnes de la nature doit être à peu près aussi ancienne que l'attention
de l'esprit s'attachant aux objets que renferment ces trois règnes. C'est ainsi
que, pour notre intelligence, des groupes d'êtres se forment, en se rapprochant
entre eux et en s'isolant des autres. La science totale se divise alors en
sciences particulières, qui ne considèrent que certaines espèces et certains
faits, à l'exclusion de toutes les autres espèces et de tous les autres faits.
Ces agglomérations et ces délimitations constituent le domaine de chacune des
sciences, dont le nombre s'accroît à mesure que l'analyse s'étend à des groupes
nouveaux de phénomènes, ou qu'elle s'approfondit dans un même groupe, qui peut
se subdiviser lui-même de plus en plus.
Des procédés
pareils de méthode et d'observation s'appliquent aux faits intimes de l'intelligence
aussi bien qu'aux faits du dehors; et les sciences morales naissent presque
aussitôt que les sciences naturelles, parce que l'esprit, replié sur lui-même,
au lieu d'en sortir pour percevoir l'extérieur, à une histoire plus utile et
non moins curieuse que l'histoire même de la nature. Aristote a fait la Morale
à Nicomaque et le Traité de l'Âme. en même temps que l'histoire des Animaux et
le Traité de la Génération.
Dans quel
ordre se sont succédé les sciences spéciales, issues de l'unité de la science
universelle, qu'Aristote a si bien nommée la « Philosophie première »? C'est ce
qu'il serait lien difficile de savoir; mais tout porte à croire que les
sciences qui se sont d'abord détachées du tronc commun sont les mathématiques
et la morale, si cultivées dans l'école de Pythagore, La médecine les avait
probablement devancées dès longtemps; ce qu'explique de reste son objet même.
L'astronomie, l'histoire, n'ont pas tardé à se produire. Mais quoi qu'il en
soit de l'ordre dans lequel les sciences sont écloses, la constitution
régulière d'une seule d'entre elles suffit à la gloire du philosophe qui la
crée, en la définissant le premier. Aristote, par une heureuse fortune, qui
tient à son génie personnel et à son temps, a organisé à lui seul plusieurs sciences,
ou, pour mieux dire, il a organisé toutes les sciences de son siècle, soit
qu'elles fussent déjà connues quoique imparfaites, soit qu'il les ait
spontanément enfantées. La logique, la météorologie, la politique, la morale,
la rhétorique, la psychologie, la poétique, la métaphysique, la zoologie,
l'anatomie et la physiologie comparées, la botanique par son disciple
Théophraste, la physique, la minéralogie, ont reçu de lui, ou la naissance, ou
des perfectionnements. C'est une encyclopédie, comme on l'a dit souvent: mais
c'est encore mieux. Une encyclopédie suppose toujours des matériaux antérieurs,
qu'on n'a plus qu'à réunir et à classer: et c'est ainsi que Pline a composé la
sienne. Mais Aristote n'emprunte rien qu'à lui-même : et sa fécondité n'a d'égale
que l'exactitude de son savoir. Que ce soit là sa gloire impérissable, et la
justification de l'influence qu'il a exercée sur l'esprit humain, dont il a été
l'instituteur.
Non seulement
chaque science, une fois créée. se développe: mais en outre, des sciences
nouvelles naissent chaque jour par les seuls progrès de l'analyse et de
l'observation. Sans remonter au delà du dernier siècle, nous avons vu surgir
trois ou quatre sciences, des plus importantes, en un intervalle de deux cents
ans au plus, dans la sphère de l'intelligence ou dans celle de la nature : la
géologie, l'économie politique, la chimie, la paléontologie, auxquelles on
pourrait joindre encore la physique y compris l'électricité, l'anatomie
comparée, l'embryogénie, etc., etc. Cette éclosion successive de sciences se
comprend sans peine: et l'on peut prédire à coup sûr qu'elle ne s'arrêtera pas
plus dans l'avenir qu'elle ne s'est arrêtée dans le passé. La science est
placée en face de l'univers, c'est-à-dire en face de l'infini; et comme elle ne
renoncera jamais à l'étudier, elle y trouvera perpétuellement des phénomènes et
des aspects inattendus. qui ne s'épuiseront pas plus que l'infini lui-même.
C'est le champ sans bornes qui s'ouvre à la science; et ce doit être pour elle,
tout à la fois, un encouragement et un motif de sincère humilité. Quand elle
compare le point d'où elle est partie, et le point où elle en est arrivée, elle
peut être fière de ses progrès; mais si elle se considère, comme elle le doit
toujours, dans sa relation avec l'infini, elle ne peut s'empêcher de s'avouer
qu'il est incommensurable; et que tout ce que l'homme sait à cette heure, et
même tout ce que l'homme pourra jamais savoir, s'évanouit et est égal à zéro,
c'est-à-dire n'est qu'un néant, devant l'éternelle infinitude. L'esprit humain
n'a donc qu'à poursuivre encore ses labeurs, sans trop s'enorgueillir, et sans
se décourager non plus; un juste milieu lui est commandé en ceci, comme en
toutes choses. La sagesse d'Aristote sous ce rapport est irréprochable; et dans
ses nombreux ouvrages, on ne saurait découvrir ni vanité, ni défaillance.
D'ailleurs,
les sciences n'avancent pas toujours d'un même pas. Il en est qui meurent après
avoir brillé quelque temps d'un éclat trompeur et peu solide; la divination,
par exemple, l'astrologie, l'alchimie, et plusieurs sciences, qu'on pourrait
citer non moins caduques que celles-là. D'autres, quoique constituées,
s'arrêtent tout à coup; elles ne sont point mortes cependant, et elles
renaissent plus tard; mais leur vie est suspendue et reste latente pendant des
siècles, parce que les circonstances leur sont devenues défavorables, et qu'il
faut de nouvelles conditions pour qu'elles renaissent plus florissantes, sinon
plus belles. La zoologie d'Aristote est un frappant exemple de ces intermittences.
Incomprise presque aussitôt après qu'elle avait apparu, elle est demeurée deux
mille ans stérile, toute féconde qu'elle pouvait être. Ce n'est pas l'invasion
des Barbares qui l'a fait méconnaître. Cinq à six siècles de l'Antiquité
s'étaient écoulés avant que les Barbares ne détruisissent la société du
paganisme; pendant ce temps, l'Histoire des Animaux avait été une lettre morte,
comme elle le resta plus longtemps encore dans les chaos et les ténèbres du
Moyen-âge. D'autres sciences, au contraire, n'ont cessé de s'accroître et de
grandir presque sans interruption, comme l'astronomie, soit dans l'Antiquité,
soit dans ces lugubres époques, ralentissant parfois leur marche, mais ne la
cessant pas. On pourrait rappeler bon nombre de ces vicissitudes; mais elles
sont du ressort de l'histoire des sciences; et nous les lui laissons.
Aujourd'hui,
on est devenu juste à l'égard d'Aristote, après d'aveugles dédains; mais ce ne
serait pas l'être suffisamment envers la Grèce, mère des sciences et des arts,
si nous n'essayions de porter nos regards encore un peu plus loin, afin de lui
rendre tout l'hommage que nous lui devons. Créer la science en observant le
monde et ses merveilles, rien ne paraît plus simple; et rien cependant ne l'est
moins. Les Grecs ne sont pas les seuls à qui il ait été donné de contempler
l'univers; tous les peuples; tous les hommes l'ont pu et le peuvent ainsi
qu'eux; mais il n'y a que les Grecs, qui, de cette contemplation, aient tiré la
science véritable, et qui aient analysé les phénomènes de la nature avec cette
magnanimité que la science exige. Monopole de la race, ou de quelques hommes de
génie, le fait n'en est pas moins certain. Aussi haut que l'histoire remonte,
quelques nations, quelque époque qu'elle considère, il n'y a que la Grèce, dans
les annales de l'humanité, la Grèce seule, qui ait conçu l'idée de la science
et qui l'ait réalisée, trouvant le vrai dans l'étude de la nature, comme elle
trouvait le beau dans les arts et dans les lettres.
Les Chinois,
les Hindous, les Égyptiens sont des peuples fort intelligents; mais ce que nous
savons d'eux, sans en connaître encore beaucoup, nous permet d'affirmer que
jamais ils ne se sont élevés jusqu'à la science. Bien plus, en contact comme
nous le sommes aujourd'hui avec tous les peuples asiatiques, nous pouvons nous
permettre de dire que leur esprit n'a rien de scientifique; et que, même à
l'école de l'Europe, leur incapacité originelle ne se corrigera pas. La
prétendue sagesse de l'Orient est un rêve, aussi bien sa prétendue science: il a
produit de grandes œuvres, qui pourrait le contester? et des choses qui, en
leur genre très limité, ont atteint une réelle perfection. Mais les qualités
viriles que demande la science, sous toutes ses formes, ont manqué à l'esprit
oriental; il n'a ni la justesse, ni la précision, ni la constance. Ce n'est pas
la nature qui a fait défaut à l'homme; car elle est plus riche et plus
puissante dans les climats orientaux que dans les nôtres; mais c'est l'homme
qui a fait défaut à la nature, en ne la comprenant pas. Il l'a regardée, et la
regardera toujours, à peu près comme les enfants la regardent, sans essayer de
s'en rendre compte; et comme il ne s'observait pas lui-même mieux qu'il
n'observait tout le reste, les choses humaines n'ont pas plus d'histoire en Orient
que n'en ont les choses de la nature extérieure.
Au contraire,
dans la Grèce, l'observation et la science se sont montrées, dès leurs premiers
essais, douées d'une telle assurance et d'une telle rectitude que, depuis lors,
l'esprit humain n'a pas eu à sortir de la voie qui lui avait été tracée; il n'a
eu qu'à s'y avancer, quand il l'a pu. C'est avec Thalès, Pythagore, Xénophane,
six cents ans avant l'ère chrétienne, que ce mouvement commence, sur les côtes
de l'Asie-Mineure, dans les colonies grecques, qui, de temps immémorial,
occupaient ces rivages. C'était sur cette terre, heureuse entre toutes,
qu'était déjà née la vraie poésie avec Homère, quatre ou cinq siècles
auparavant? L'étincelle une fois allumée, la lumière se propagea avec rapidité
et vint se concentrer à Athènes, où Aristote la reçut et y ajouta de prodigieux
rasons. La Grèce instruisit Rome, qui, sans cette éducation. aurait été presque
étrangère aux choses de l'esprit, et qui même s'intéressa toujours assez peu
aux choses de la science, uniquement occupée de la politique et de l'empire du
monde, « Regere imperio populos ». De la Grèce et de Rome, les sciences, les
lettres, les arts sont sentis jusqu'à nous, à travers bien des péripéties.
C'est de là uniquement qu'est sorti le fleuve, dont le cours s'élargit sans
cesse, et que nous accroissons tous les jours par des affluents nouveaux. Voilà
ce que notre civilisation moderne doit à la Grèce; et notre gratitude doit être
inépuisable, comme le bienfait. En dehors de la Grèce et des peuples qu'elle a
instruits, il n'y a pas de science, s'il y a encore des arts et des lettres.
Quelques races, dans le genre humain tout entier, ont été favorisées; d'autres
ont été déchues. Par quelle cause? C'est là le secret de la Providence, que les
hommes chercheraient vainement à pénétrer. Aristote, tout grand qu'il est,
n'est encore qu'un des fils de la Grèce, la maîtresse et l'origine commune de
tout ce qu'il y a de vrai et de beau parmi nous.
Enfin, de ce
passé splendide et fécond, ressort un dernier enseignement ; et c'est encore à
la zoologie d' Aristote que nous le demanderons. Entre les Anciens et les
Modernes, il n'y a point de solution de continuité, ni cet abîme intellectuel
qu'on a si souvent voulu creuser, avec plus d'orgueil que de justice. Comme naturaliste,
Aristote est tout au moins au niveau de Buffon et de Cuvier; et notre science
discute à cette heure ses opinions, comme si elles étaient d'hier. Cette
parité, entre l'Antiquité et nous, peut s'étendre bien au-delà de l'histoire
naturelle; et sauf des préventions que rien ne justifie, il est clair que
l'intelligence humaine, en reprenant définitivement sa marche avec la
Renaissance du XVIe siècle, n'a fait que renouer des traditions interrompues:
elle s'est mise alors à l'école de la Grèce, comme la première Renaissance du
XIIIe siècle s'était mise à l'école d'Aristote. Les croyances religieuses
s'étaient améliorées, et les mœurs se sont progressivement adoucies; mais
l'esprit n'est pas autre; et, dans les races que nous formons aujourd'hui, cet
esprit est absolument le même que celui de la Grèce et de Rome. Nous en savons
plus que nos pères; mais nous ne sommes que leurs héritiers. Si nous sommes
plus riches qu'eux, au fond nous ne faisons qu'accroître leurs trésors, qui
sont ceux de l'humanité. et qui sont gardés par tout ce qu'elle compte de plus
éclairé et de meilleur parmi tant de nations. Mais les ancêtres ont toujours
cet avantage, que rien ne peut leur ravir, ni compenser dans les successeurs :
c'est d'avoir devancé les temps et ouvert la carrière, que, sans eux peut-être,
leurs fils n'eussent pas parcourue.
A cette
hauteur, la Grèce est incomparable, et elle le sera à jamais.
Arrivés
presque au terme de cette étude sur la zoologie d'Aristote, nous résumons ce
qu'elle nous a appris. Nous avons vu les jugements portés par les naturalistes
les plus illustres des temps modernes; les louanges unanimes, sauf quelques
critiques peu décisives; l'analyse de l'Histoire des Animaux, nous démontrant
la grandeur et la solidité de ce monument; son originalité, que rien n'avait
préparée, de même que rien de complètement neuf ne l'a suivie; le style
d'Aristote, modèle achevé de précision et de simplicité; sa méthode, qui est la
seule vraie, soit logiquement et d'une manière générale, soit pour la
classification spéciale des êtres dont s'occupe l'histoire naturelle; ses
théories sur la vie et sur l'échelle des êtres, beaucoup plus prudentes que
celles du Transformisme contemporain; son admiration pour la prévoyance de la
nature, qui ne fait rien d'inutile et qui ne fait rien sans but; enfin, sa
pratique incessante de l'anatomie et ses découvertes, expliquées par des
descriptions et par des dessins. Puis, après un rapide coup d'œil sur l'état
présent de la science zoologique, nous avons élargi ces considérations pour
constater que c'est la Grèce, la première, qui, dans les annales de l'esprit
humain, a conçu l'idée de la science, et qui l'a réalisée dans des œuvres
immortelles, que nous pouvons égaler peut-être, mais que nous ne surpasserons
pas, parce que nous n'aurons jamais plus de génie que les Grecs.
Il ne nous
reste, pour achever cette étude, qu'à rappeler les opinions des historiens de
la philosophie, moins compétents que les zoologistes pour les détails de la
science physiologique, mais les seuls compétents pour juger des principes sur
lesquels la science se fonde et. s'appuie. Nous demanderons à Brucker,
Tiedemann, Tennemann, Ritter, Brandis, Biese, pour ne citer que le passé, ce
qu'ils en pensent; et quand ils parleront, nous les écouterons, comme nous avons
écouté Buffon et Cuvier.
Personne n'a
plus de gravité que Brucker, ni de droiture (1767); personne n'a plus d'amour
de la philosophie; mais tout en voulant rester impartial, il est très
passionné. Au fond, il est l'ennemi d'Aristote, comme on l'était encore de son
temps, sur la fin de la réaction contre la Scholastique, vers le milieu du
siècle dernier. Il ressuscite les accusations de Bacon ; quelquefois même, il y
ajoute; il va presque jusqu'à dire qu'Aristote n'a pas le génie qu'on lui
prête; en un mot, il est malveillant; et l'analyse qu'il donne des œuvres du
philosophe est loin d'être complète et exacte. Il n'y fait pas mention de la
zoologie, comme si de tels ouvrages ne méritaient aucune attention, ou comme
s'ils étaient en dehors de l'histoire de la philosophie.
Cette faute de
Brucker a provoqué de fâcheuses imitations. Tiedemann (1791-1797), quoique
beaucoup plus juste envers Aristote, qu'il proclame « le législateur de la
philosophie grecque » ne s'arrête pas non plus à son histoire naturelle. Toutefois
il ne semble pas l'ignorer autant que Brucker; mais probablement, il n'en fait
pas beaucoup plus d'estime; car, se contentant de la nommer, il passe outre,
sans paraître en sentir toute la valeur.
Tennemann
(1801) a donné près d'un volume à la doctrine péripatéticienne; mais quoiqu'il
ne partage pas les préjugés de Brucker, il commet le même oubli, qui, chez lui,
est encore plus choquant. Il consacre un chapitre à la science générale de la
nature; et dans cette science, il omet l'histoire naturelle tout entière.
Ainsi, les
trois principaux historiens de la philosophie au XVIIIe siècle sont muets sur
la zoologie aristotélique. Pour trouver alors une appréciation équitable et
profonde, il faut s'adresser à la noble intelligence de Herder. Dans son enthousiasme,
qui égale celui d'un poète, il a rendu justice à Aristote et à la Grèce, aussi
hautement que nous pouvons le faire aujourd'hui; il a reconnu le premier tout
ce que leur doit à jamais la science dans les directions diverses qu'elle suit
parmi nous. Herder était obligé de se borner à quelques mots sur Aristote, et,
à plus forte raison, sur l'histoire naturelle; mais il l'a jugée mieux que les
historiens spéciaux de la philosophie ; et dans les généralités très concises
auxquelles il était astreint, sa sympathie perspicace l'a mieux servi que les
études les plus savantes n'avaient servi ses contemporains. (Idées sur la
philosophie de l'histoire de l'humanité, tome Il, pp. 485 et suiv., trad.
Edg. Quinet.)
Notre siècle a
été plus attentif et plus juste que le précédent. Henri Ritter, Biese, Brandis,
n'ont pas gardé le silence, ou imité le dédain, de leurs prédécesseurs. De leur
temps, l'érudition avait fait encore de notables progrès: et en examinant de
plus près la philosophie d'Aristote, elle lui avait restitué sa place dans
l'histoire de l'intelligence humaine, et une vie, que le XVIIIe siècle avait
cru lui enlever, en le détrônant, pour lui substituer Bacon. Bitter, Biese,
surtout Brandis, ont pris la peine d'analyser longuement la zoologie d'Aristote,
et de faire voir par quels liens elle se rattache à sa psychologie, et à sa
conception de la nature et de l'univers. Ces analyses sont faites avec le plus
grand soin, et elles s'appuient toujours sur des citations textuelles. Mais on
peut y remarquer un défaut commun : elles ne tiennent pas assez compte de la
portée scientifique des monuments qu'elles veulent faire connaître ; elles ne
montrent pas assez tout ce qu'a d'extraordinaire et de glorieux cette
apparition soudaine d'une science consommée, qui fait encore loi après tant de
siècles. Sans doute, l'histoire de la philosophie ne doit s'arrêter qu'à des
matières qui sont de son domaine propre ; mais la constitution inébranlable
d'une science si importante est philosophique, autant que quelque théorie que
ce soit; et l'on peut croire qu'Aristote n'aurait pas fait en histoire
naturelle tout ce qu'il a fait, s'il n'eût été philosophe. Recueillir une
multitude de faits zoologiques, ou les coordonner en un système régulier, sont
des choses fort différentes; et pour s'en convaincre, il suffit de se rappeler
ce qu'est la compilation d'Élien, ou même celle de Pline. L'esprit
philosophique ne se trouve, ni dans l'un, ni dans l'autre, non plus que dans
tant d'autres zoologistes; au contraire, il éclate de la manière la plus vive
dans Aristote; et c'est là ce qui recommande la zoologie, fondée par ses mains,
à l'histoire de la philosophie, telle qu'elle doit être de nos jours, et telle
que la comprend M. Édouard Zeller, l'auteur accompli de « la Philosophie des
Grecs dans son développement historique ».
Il n'y a guère
de plus grand honneur pour la philosophie, dans ses relations avec les
sciences, que d'avoir créé l'histoire naturelle; elle pourrait en être fière,
et c'est un titre qu'elle ne doit pas trop aisément abandonner. Les exemples
que nous venons de citer prouvent assez que la philosophie a eu parfois ce
désintéressement, ou plutôt cette négligence. Bien des philosophes croient
encore connaître suffisamment Aristote et Théophraste, sans avoir lu, ni la
zoologie de l'un, ni la botanique de l'autre. C'est une erreur et une lacune
grave. La philosophie ne peut jamais élever pour elle-même la moindre
prétention; et il lui importe assez peu, dans sa pérennité, qu'on lui attribue
une juridiction plus ou moins large; mais c'est mal comprendre les choses que
de les mutiler; c'est faire tort gratuitement à un auteur que de l'étudier à
demi. L'histoire de la philosophie doit parler des Caractères de Théophraste à
côté de ses livres sur les Plantes, comme elle doit parler de la Poétique
d'Aristote, et de ses Problèmes, à côté de sa Morale et de sa Métaphysique.
Retrancher quelque trait d'une physionomie, c'est la fausser. Cette
inadvertance, regrettable partout, l'est encore davantage dans l'histoire de la
philosophie. Comme l'objet de la philosophie est de contempler l'ensemble des
choses et d'en scruter les principes, elle est d'autant plus tenue d'être
complète dans les détails qu'elle s'efforcerait vainement de l'être pour le
tout.
Si les
considérations qui viennent d'être présentées sur la zoologie d'Aristote ont
quelque poids; si les faits sur lesquels elles s'appuient sont exacts; si l'on
veut bien, d'autre part, se rappeler toutes les difficultés d'un premier pas,
et l'immortelle beauté d'un édifice que la science moderne admire de plus en
plus, à mesure qu'elle le connaît mieux, on ne nous taxera pas d'exagération
quand nous dirons que, de même qu'Homère est le premier et le plus grand des
poètes, Aristote est aussi le premier et le plus grand des naturalistes, avec cette
différence, cependant, que la poésie, étant exclusivement individuelle, peut
d'un seul coup atteindre, comme elle l'a fait, aux limites de la perfection,
tandis que la science est sans bornes, comme l'est l'infini, incessamment
poursuivi par elle et à jamais inaccessible.
Juillet 1883.
Dans les
parties dont ils sont composés et qui se décomposent elles-mêmes en parties
similaires et non-similaires ; dans l'analogie des parties pour des genres
différents; dans la dimension des parties; dans la nature de leurs parties,
sèches, liquides, ou solides; dans leur genre de vie, selon qu'ils vivent sur
terre ou dans l'eau; dans leur immobilité ou leur locomotion ; dans leur
habitude de vivre en troupe ou solitaires; dans les sons qu'ils produisent,
inarticulés ou articulés; dans leurs chants ou leur mutisme ; dans leur
caractère ; privilège et supériorité de l'homme, doué de la réflexion et de la
réminiscence.
§ 1. [486b] [5] Entre les parties dont les animaux sont formés, il y en a qui ne sont pas complexes; ce sont celles qui peuvent se diviser en parties similaires, comme les chairs, qui se divisent toujours en chairs ; il y en a d'autres, au contraire, qui sont complexes, comme toutes celles qui se divisent en parties non similaires; et telles sont, par exemple, la main, qui ne se divise pas en plusieurs mains; ou le visage, qui ne se divise pas non plus en plusieurs visages.
§ 2. De ces parties non composées, il en est qu'on n'appelle pas seulement des parties, mais qu'on appelle plus proprement des membres ; ce sont en général [10] les parties qui, formant un tout complet, renferment encore en elles d'autres parties distinctes. C'est ce qu'on peut voir pour la tête, pour la jambe, pour la main, pour le bras pris dans son ensemble, pour la poitrine, puisque chacune de ces parties composent un tout, et qu'en outre, elles contiennent en elles d'autres parties encore.
§ 3. Toutes les parties non similaires se composent à leur tour de parties similaires : la main, par exemple, est composée de chair, de nerfs et d'os.
§ 4. II y a [15] des animaux chez qui toutes les parties sont mutuellement semblables ; il en est aussi chez lesquels elles sont fort différentes. Les parties sont spécifiquement les mêmes, comme le nez et l'œil d'un homme sont de même espèce que le nez et l'œil d'un autre homme; comme sa chair est semblable à la chair; et ses os, aux os. On en peut dire autant des chevaux, ou de tels autres animaux que nous trouvons [20] d'espèce identique les uns aux autres; car la ressemblance qui se manifeste de l'animal entier à un autre animal entier, se reproduit également entre chacune de leurs parties, les unes relativement aux autres.
§ 5. Toutefois ces parties, tout en étant pareilles dans tous les animaux d'un même genre, diffèrent néanmoins selon qu'elles sont plus grandes ou moins grandes. Quand je dis genre, j'entends par exemple, l'oiseau et le poisson. Ces deux êtres ont entre eux une différence de genre ; et chacun d'eux, dans leur genre particulier, ont encore d'autres différences, puisqu'il y a plusieurs espèces [25] de poissons et d'oiseaux.
§ 6. Dans ces genres mêmes, ce qui fait ordinairement les différences les plus sensibles entre presque toutes les parties, [5] outre les contrariétés de modifications dans la couleur et dans la forme, c'est que ces modifications affectent davantage certaines parties et qu'elles affectent moins les autres. C'est ainsi que ces différences se marquent par leur nombre plus grand ou plus petit, par les proportions de leur grandeur ou de leur petitesse, et en général par l'excès ou le défaut, c'est-à-dire le plus ou le moins.
§ 7. Il y a des animaux dont la chair est molle, d'autres dont la chair est dure ; [10] ceux-ci ont un long bec (comme les grues); chez ceux-là, le bec est court. Ici, le plumage est abondant; là, il est presque nul. Même dans certains genres, les parties sont différentes selon les espèces : ainsi, les uns ont des ergots, tandis que les autres n'en ont pas; les uns ont des crêtes, qui manquent aux autres. En un mot, ou la plupart des parties qui composent la masse entière [15] de l'animal peuvent être les mêmes ; ou elles peuvent différer par des qualités contraires, et des dimensions plus ou moins fortes. Le plus et le moins dans ces dimensions constitue ce qu'on peut appeler l'excès des unes et le défaut des autres.
§ 8. Dans quelques animaux, ce n'est pas l'identité des parties sous le rapport de l'espèce, ni l'identité selon le plus ou moins de grandeur, qu'il faut remarquer; c'est l'identité par simple analogie. Et, par exemple, l'os est analogue à l'arête, [20] l'ongle à la corne, la main à la pince, la plume à l'écaille, etc. ; car ce qu'est la plume dans l'oiseau, l'écaille l'est dans le poisson. Non seulement les parties dont se composent les animaux diffèrent entre elles, ou se ressemblent, comme on vient de le dire; mais elles se ressemblent encore ou diffèrent par leur position; car beaucoup d'animaux ont bien les mêmes parties, mais ces parties ne sont pas posées de même : par exemple, les mamelles sont placées [25] pour les uns sur la poitrine; pour les autres, elles sont placées entre les cuisses.
§ 9. Les parties similaires sont tantôt molles et liquides; tantôt, sèches et solides. Les parties liquides sont liquides d'une manière absolue, ou du moins tant qu'elles restent dans leur disposition naturelle; et tels sont le sang, la lymphe, la graisse, le suif, la moelle, le sperme, la bile, le lait, dans les animaux qui sécrètent ces matières, la chair et les [5] matières analogues. Dans une autre classe, on peut indiquer aussi les excrétions, telles que le phlegme, et tout ce que rejettent les intestins et la vessie. Les parties sèches et solides, ce sont, par exemple, les nerfs, la peau, les veines, les cheveux, les os, les cartilages, les ongles, les cornes. D'ailleurs, on se sert du même mot qui exprime la partie, quand, par sa forme, le tout doit être appelé aussi de la corne. Les parties molles et liquides, sèches et solides, sont encore tout ce qui correspond aux parties qu'on vient d'énumérer. [10]
§ 10. Les différences des animaux se montrent dans leur genre de vie, dans leurs actions, dans leur caractère, aussi bien que dans leurs parties. Traçons-en d'abord une esquisse générale; et plus tard, nous insisterons plus spécialement sur chaque genre. Les différences qui regardent la manière de vivre, [15] les actes et le caractère, tiennent à ce que les uns vivent dans l'eau ; et les autres, sur la terre.
§ 11. Parmi les animaux aquatiques, il y a deux espèces à distinguer. La première vit dans l'eau et s'y nourrit; elle absorbe le liquide et le rejette ; si elle vient à en manquer, elle ne peut plus vivre. C'est le cas de la plupart des poissons. La seconde espèce se nourrit aussi dans l'eau et y passe sa vie; [20] mais cependant elle ne respire pas l'eau; elle respire l'air et se reproduit hors du liquide.
§ 12. Bon nombre de ces derniers animaux sont pourvus de pieds, comme la loutre, le castor et le crocodile; ou aussi, pourvus d'ailes, comme la mouette et le plongeon. Quelques-uns se nourrissent également dans l'eau et ne peuvent vivre dehors ; [25] et pourtant, ils n'absorbent ni l'air, ni l'eau, comme l'ortie de mer et l'huître. Parmi les animaux aquatiques, les uns vivent dans la mer; les autres, dans les rivières; ceux-ci, dans les lacs; ceux-là, dans les mares, comme la grenouille et le cordyle. Les animaux marins habitent, tantôt la haute mer, tantôt les rivages et les rochers.
§ 13. Quant aux animaux terrestres, il y en a qui reçoivent l'air et le rejettent; c'est ce qu'on appelle aspirer et expirer; on observe ce phénomène dans [30] l'homme, et dans tous les animaux terrestres qui ont des poumons. D'autres au contraire n'absorbent pas l'air; mais ils vivent et trouvent leur nourriture sur le sol, comme la guêpe, l'abeille et les autres insectes. Par Insectes, j'entends tous les animaux qui ont des sections dans leur corps, que ces sections soient sous le ventre seulement, ou qu'elles soient à la fois sous le ventre et aussi sur le dos.
§ 14. Ainsi qu'on vient de le dire, [487b] un grand nombre d'animaux terrestres tirent leur nourriture de l'eau; mais pas un seul animal aquatique, ou absorbant l'eau de mer, ne trouve sur terre ses aliments. Quelques animaux en petit nombre vivent d'abord dans l'eau, et changent ensuite de forme pour vire dehors; telles sont les empis ou mouches de rivière, d'où naissent les taons.
§ 15. Il est des animaux qui restent toujours en place; il en est d'autres qui en changent. Ceux qui restent immobiles sont dans l'eau; mais pas un seul animal terrestre n'est immobile. Dans l'eau, il y en a beaucoup qui continuent à vivre là où ils naissent, comme bien des espèces de coquillages. Même il semble que l'éponge a une sorte de [10] sensibilité; et ce qui le prouverait, c'est qu'elle est plus difficile à détacher, à ce qu'on prétend, quand on ne sait pas dissimuler le mouvement par lequel on la saisit. Il y a même aussi des animaux aquatiques qui sont attachés et qui se détachent, comme certaine espèce de ce qu'on nomme les orties de mer, qui, dans la nuit, se détachent du rocher pour aller chercher leur pâture.
§ 16. Beaucoup qui sont détachés sont néanmoins immobiles, comme les huîtres et [15] ce qu'on appelle les holothuries. Certains animaux aquatiques nagent, comme les poissons, les mollusques, et ceux dont l'écaille est molle, ainsi qu'elle l'est dans les langoustes; certains autres ont la faculté de marcher, comme l'espèce des crabes, qui, tout en étant naturellement aquatiques, n'en marchent pas moins sur terre.
§ 17. Les animaux terrestres peuvent tantôt voler, comme les oiseaux et les abeilles, qui d'ailleurs diffèrent les uns des autres [20] à bien des égards; et tantôt, ils se meuvent sur terre, soit qu'ils marchent, soit qu'ils rampent, soit qu'ils se roulent. Aucun animal n'est simplement volatile, de même que le poisson n'est doué que de la faculté de nager. En effet, les animaux qui ont des ailes membraneuses peuvent aussi marcher; la chauve-souris a des pieds, de même que le phoque a également des pieds, quoique mal conformés. Il y a encore quelques oiseaux qui ont des pieds très mauvais, [25] et que, pour cette raison, on appelle apodes, ou sans pieds. Par contre, ce genre d'oiseaux vole à merveille; et toutes les espèces qui leur ressemblent ont en général des ailes excellentes et des pieds très faibles, comme l'hirondelle et le martinet.
§ 18. Du reste, tous ces oiseaux, ayant les mêmes allures et le même plumage, se rapprochent beaucoup d'aspect entre eux. L'apode se montre en toute saison, tandis que le martinet [30] ne se montre qu'en été, quand il pleut: c'est alors qu'on le voit et qu'on le prend. D'ailleurs, c'est un oiseau qu'on aperçoit rarement. Il y a beaucoup d'animaux qui ont à la fois les deux qualités de pouvoir marcher et de pouvoir nager.
§ 19. Des différences se présentent aussi dans le genre de vie des animaux et dans leurs actes. Ceux-ci vivent en troupe; [488b] ceux-là sont solitaires, soit qu'ils marchent sur terre, soit qu'ils volent ou qu'ils nagent; d'autres ont indifféremment les deux genres de vie. Ceux qui vivent en troupe, tantôt sont organisés en sociétés fixes, tantôt ils sont errants. Les animaux vivant en troupe sont, par exemple, dans les volatiles, le genre des colombes, la grue, le cygne, [5] etc. Ceux qui sont munis d'ongles crochus ne vivent jamais en troupe.
§ 20. Parmi les poissons qui vivent en pleine mer, il y en a un bon nombre qui vivent en troupe, comme les dromades, les thons, les pélamydes, les amies ou bonitons. L'homme vit également des deux façons, ou en troupe, ou solitaire. Les animaux qui forment des sociétés sont ceux qui ont à faire un travail identique et commun; mais tous les animaux vivant en troupes ne forment pas des sociétés dans ce but. Au contraire, l'homme, l'abeille, [10] la guêpe, la fourmi, la grue forment des sociétés de ce genre; et de ces sociétés, les unes ont un chef, tandis que les autres n'en ont pas. Ainsi, la grue et l'espèce des abeilles ont un chef, tandis que les fourmis et tant d'autres n'en ont pas.
§ 21. Les animaux vivant en troupe et les solitaires, tantôt restent dans les mêmes lieux, et tantôt ils en changent. Les uns sont carnivores, [15] les autres frugivores; les uns mangent de tout ; les autres ont une pâture toute spéciale, comme les abeilles et les araignées. Les abeilles font leur nourriture du miel, et de quelques autres matières aussi douces; les araignées vivent des mouches qu'elles chassent.
§ 22. II y a des animaux qui se nourrissent de poissons. Il y en a qui sont chasseurs; [20] d'autres font provision d'aliments; d'autres n'ont pas ce soin. Les uns ont des demeures; d'autres n'en ont pas. Ainsi la taupe, le rat, la fourmi, l'abeille en ont; mais la plupart des insectes et des quadrupèdes s'en passent. Ceux-ci, comme le lézard et le serpent, vivent dans des trous; ceux-là, comme le cheval et le chien sont toujours à la surface de la terre. Les uns [25] se creusent des tanières; les autres ne s'en font pas. Les uns vivent toujours dans les ténèbres, comme la chouette et la chauve-souris; les autres, à la clarté du jour.
§ 23. De plus, tels animaux sont privés; tels autres sont sauvages. Les uns sont toujours privés, comme l'homme et le mulet; d'autres restent toujours sauvages, comme la panthère et le loup; d'autres encore sont susceptibles de s'apprivoiser très vite comme l'éléphant. A un autre point de vue, [30] toutes les espèces qui sont privées peuvent être sauvages aussi, comme les chevaux, les bœufs, les cochons, les moutons, les chèvres et les chiens.
§ 24. II y a des animaux qui émettent des sons; d'autres sont muets. Parmi ceux qui ont une voix, les uns l'articulent; les autres produisent des bruits que les lettres ne peuvent représenter. Ceux-ci sont bavards; ceux-là sont silencieux; ceux-ci ont un chant; ceux-là n'en ont pas; mais une qualité commune à tous, [489a] c'est qu'ils chantent ou jasent bien davantage au temps de l'accouplement. Les uns se plaisent dans les champs, comme le ramier; d'autres, sur les montagnes, comme la huppe; d'autres vivent familièrement avec l'homme, comme le pigeon. Les uns sont lascifs, comme les perdrix et les coqs ; [5] les autres sont plus retenus, comme le corbeau et les espèces analogues, qui ne s'accouplent que de loin à loin. Parmi les animaux marins, les uns vivent en haute mer; les autres, sur les bords; d'autres, dans les rochers. Certains animaux se défendent et attaquent; certains autres se bornent à se garder; les animaux qui attaquent sont ceux qui dressent des pièges et qui se défendent quand ils sont attaqués; ceux qui se gardent [10] sont ceux qui ont en eux-mêmes un instinct qui les avertit du mal qui les menace.
§ 25. Le caractère des animaux n'offre pas moins de différences. Les uns sont doux et ne s'irritent presque jamais ; ils ne résistent pas ; tel est le bœuf. D'autres, au contraire, sont enclins à la fureur, à la résistance ; et l'on ne peut rien leur apprendre; tel est le sanglier. [15] Ceux-ci sont prudents et craintifs, comme le cerf et le lièvre; ceux-là sont vils et traîtres, comme les serpents. D'autres sont nobles, courageux et fiers, comme le lion. D'autres sont franchement féroces et rusés, comme le loup. J'entends par noble, en parlant d'un animal, celui qui sort d'une race bien douée; et j'entends par franc celui qui n'a rien perdu de la nature [20] qui lui est propre.
§ 26. Tel animal est plein d'activité et de malice, comme le renard ; tel autre, comme le chien, est plein de cœur, d'attachement et de fidélité. D'autres sont doux et faciles à apprivoiser, comme l'éléphant; d'autres, comme l'oie, sont timides et de bonne garde. D'autres sont jaloux et vaniteux, comme le paon. Entre tous les animaux, l'homme [25] seul a le privilège de la réflexion. Beaucoup d'animaux autres que lui ont également la faculté de se souvenir et d'apprendre; mais l'homme seul a le don de se ressouvenir à volonté.
§ 27. Nous reviendrons plus tard avec plus de précision encore sur ce qui regarde les diverses espèces d'animaux, et aussi sur le caractère et la façon de vivre de chacune de ces espèces.
L'une pour
prendre la nourriture, l'autre pour en rejeter l'excrétion; La bouche,
l'intestin; rapports de la vessie pour l'excrétion liquide, et de l'intestin
pour l'excrétion sèche; organes génitaux.
§ 1. Tous les animaux ont certaines parties qui leur sont communes : celle par où ils prennent [30] leur nourriture, et celle où ils la reçoivent. Ces parties se ressemblent ou diffèrent entre elles, selon ce qu'on a déjà exposé, par la forme, par la dimension, par l'analogie et par la position. Mais outre ces parties que nous venons d'indiquer, la plupart des animaux ont aussi d'autres parties communes, qui leur servent à rejeter le résidu de la nourriture. [489b] Je dis La plupart, parce que tous n'ont pas cet organe. La partie qui sert à prendre la nourriture s'appelle la bouche: celle qui sert à la recevoir s'appelle l'intestin. Les autres parties ont des dénominations diverses.
§ 2. Le résidu excrété étant de deux natures, les animaux qui ont des organes destinés à recevoir l'excrétion liquide, en ont également pour l'excrétion sèche; [5] mais tous les animaux qui ont cette dernière n'ont pas l'autre excrétion. Ainsi, tous les animaux qui ont une vessie ont tous un intestin; mais ceux qui ont un intestin n'ont pas tous une vessie. Du reste, le nom de vessie s'applique à la partie qui reçoit l'excrétion liquide, et le nom d'Intestin, à la partie qui reçoit l'excrétion sèche.
§ 3. Outre ces parties que possèdent beaucoup d'animaux, il y a la partie par laquelle ils émettent leur semence. [10] Parmi ceux qui ont la faculté de se reproduire, on distingue l'animal qui fait l'émission en lui-même, et celui qui la fait dans un autre. Celui qui la fait en lui-même s'appelle femelle; celui qui la fait dans un autre s'appelle mâle. Dans quelques espèces, il n'y a ni mâle ni femelle; et la forme des organes chargés de cette fonction diffère d'une espèce à l'autre. Certaines espèces ont une matrice; d'autres n'en ont pas.
§ 4. Les parties qu'on vient d'énumérer sont les plus nécessaires; aussi, elles se trouvent les unes dans tous les animaux, et les autres, au moins dans la plupart.
C’est le seul
sens qui soit commun à tous les animaux; tout animal a un fluide indispensable
à son existence; parties où se trouve le sens du toucher et où se trouvent les
facultés actives; animaux qui ont du sang; animaux qui n'en ont pas.
§ 1. Un seul et unique sens est commun à tous les animaux sans exception : c'est le toucher. L'organe dans lequel ce sens réside naturellement, n'a pas reçu de nom spécial, parce que, dans les uns, l'organe est identique, et que, dans les autres, c'est une partie simplement analogue.
§ 2. [20] Pareillement, tout animal sans exception a un fluide dont il ne peut être privé, soit naturellement, soit par violence, sans périr sur-le-champ; et il y a de plus la partie où ce fluide est renfermé. Chez les uns, la partie liquide est le sang, et le vaisseau est la veine; chez d'autres, c'est un fluide et un vaisseau équivalents. Lorsque ces matières sont imparfaites, c'est ce qu'on appelle la fibre et la lymphe.
§ 3. Quant au sens du toucher, il est placé dans une partie similaire, par exemple, dans la chair, ou dans quelque chose [25] qui la remplace. En général, chez les animaux qui ont du sang, le toucher est dans les parties sanguines ; et pour ceux qui n'en ont pas, dans la partie correspondante. Si pour tous les animaux, le toucher réside évidemment dans les parties similaires, les facultés actives résident dans les parties non-similaires; et, par exemple, l'élaboration des aliments a lieu dans la bouche; la fonction du mouvement pour changer de lieu se fait par les pieds, par les ailes, et par les organes qui y correspondent. [30] Il faut ajouter que certains animaux ont du sang, tels que les hommes, les chevaux et tous les animaux, qui, bien que d'une organisation complète, ou n'ont pas de pieds, ou en ont deux, ou en ont quatre. Au contraire, d'autres animaux, tels que l'abeille ou la guêpe, n'ont pas de sang; et parmi les animaux marins, tels sont la seiche et le crabe, et tous ceux qui ont plus de quatre pieds.
Les animaux à
poils sont vivipares; définition de l'œuf et de la larve; variétés dans les
vivipares; variétés dans la nature des œufs; annonce de recherches plus
détaillées; citation du Traité de la Génération des Animaux.
§ 1. Les animaux sont vivipares, ovipares ou vermipares. L'homme, le cheval, [490a] le phoque et tous les animaux qui ont des poils, sont vivipares. Parmi les animaux marins, les cétacés, tels que le dauphin et les sélaciens ainsi appelés, sont vivipares également.
§ 2. De ces animaux marins, les uns ont le tuyau-souffleur et n'ont pas de branchies, comme le dauphin et la baleine. Le dauphin a le tuyau sur le dos, tandis que la [5] baleine l'a sur le front. D'autres ont des branchies apparentes, comme les sélaciens, les chiens de mer et les Batos.
§ 3. Parmi les germes qui sont complets, on appelle œuf ce qui contient deux parties : l'une qui sert d'abord à former l'animal, et l'autre où il trouve sa nourriture, une fois qu'il est produit. C'est un ver, lorsque, d'un animal complet, sort un autre animal également complet, l'embryon s'articulant et [10] se développant lui-même.
§ 4. Parmi les vivipares, il y en a qui font des œufs à l'intérieur d'eux-mêmes, comme les sélaciens; d'autres, comme l'homme et le cheval, font dans leur propre sein de petits animaux.
§ 5. Pour certains animaux, quand le germe qui s'est complètement formé se produit au jour, c'est un être vivant qui en sort; pour d'autres, c'est un œuf; pour d'autres, c'est un ver.
§ 6. Tantôt les œufs ont une enveloppe de coquille, comme ceux [15] des oiseaux, et ils sont de deux couleurs; tantôt leur enveloppe est molle, comme ceux des sélaciens, et ils n'ont qu'une couleur unique.
§ 7. Quant aux vers, les uns se meuvent aussitôt après leur naissance ; les autres sont immobiles.
§ 8. Mais ce sont là des sujets que nous traiterons avec plus de détails, quand nous nous occuperons de la Génération des Animaux.
Animaux
pourvus de pieds; animaux sans pieds; dipodes; tétrapodes; polypodes; les pieds
sont toujours en nombre pair; animaux qui nagent; poissons sans nageoires;
position des nageoires; poissons qui ont à la fois des pieds et des nageoires;
volatiles qui ont des ailes de plume; volatiles à membranes plus ou moins
épaisses; volatiles qui ont du sang ou qui n'en ont pas; volatiles à élytres;
dimensions des animaux dans l'eau ou sur terre, et selon les climats; moyens
généraux de locomotion chez les animaux; nombre de pieds ; mouvement diamétral.
§ 1. Certains animaux ont des pieds; d'autres n'en ont pas [5] ; et parmi ceux qui ont des pieds, il n'y a que l'homme et l'oiseau qui en aient deux. D'autres en ont quatre, comme le lézard et le chien; d'autres en ont davantage, comme la scolopendre et l'abeille. Mais dans tous les animaux, le nombre des pieds est toujours pair.
§
2. Parmi les
animaux qui nagent, tous ceux qui sont privés de pieds ont des nageoires, comme
les poissons. Quelques-uns ont quatre [25] nageoires, dont deux en haut dans
les parties supérieures, et deux en bas dans les parties inférieures, comme la
dorade et le loup de mer. D'autres n'ont que deux nageoires seulement; et ce
sont les poissons allongés et lisses, comme l'anguille et le congre.
§ 3. Il y a des poissons qui sont absolument dépourvus de nageoires, comme la murène; ceux-là se servent de l'eau, comme les serpents se servent de la terre; et ils se meuvent [30] de la même façon dans le liquide.
§ 4. Parmi les sélaciens, il y en a qui n'ont pas de nageoires; et ce sont ceux qui sont larges et pourvus de queue, comme la raie et la pastenague; ceux-là nagent grâce à leur largeur. Mais la grenouille de mer a des nageoires, ainsi qu'en ont tous les poissons dont la largeur ne va pas en s'amincissant.
§ 5. Ceux qui ont des apparences de pieds, comme les mollusques, se servent à la fois de ces pieds et de leurs nageoires; [35] et ils nagent plus rapidement sur le ventre, comme la seiche, le calmar et le polype; mais aucun des deux premiers ne peut marcher, comme le polype.
§ 6. Les crustacés, comme la langouste, nagent avec leur queue; mais ils nagent plus vite dans le sens de la queue, à cause des nageoires qu'elle porte. Le cordyle nage avec les pieds et la queue; et sa queue [5] ressemble à celle du Silure (ou Glanis), autant qu'une petite bête ressemble à une grande.
§ 7. Parmi les volatiles, les uns ont des plumes, comme l'aigle et l'épervier; d'autres ont des membranes, comme l'abeille et le hanneton; d'autres ont des ailes semblables à du cuir, comme le renard-volant et la chauve-souris.
§ 8. Tous les volatiles qui ont du sang ont des ailes de plume; les volatiles à ailes de cuir ont aussi du sang. Tous ceux qui n'ont pas de sang ont, comme les insectes, des ailes de duvet.
§ 9. [10] Les volatiles à ailes de plume et à ailes de cuir, ont deux pieds ou n'ont pas de pieds; et l'on affirme qu'en Éthiopie on trouve des serpents qui sont organisés de même. Les volatiles qui ont des ailes à plume s'appellent des oiseaux ; les deux autres espèces de volatiles n'ont pas reçu un nom spécial et unique, qui les comprendrait toutes les deux.
§ 10. Parmi les volatiles qui n'ont pas de sang, les uns ont un fourreau pour leurs ailes : ce sont les coléoptères, comme les hannetons et les scarabées. Les autres n'ont pas de fourreau ; et ils ont tantôt deux ailes et tantôt quatre.
§ 11. Les quatre ailes appartiennent à ceux qui sont d'une certaine grandeur, et qui ont un dard en arrière; ceux qui ne sont pas grands et qui ont le dard en avant, n'ont que deux ailes.
§ 12. Pas un seul coléoptère n'a de dard. Ceux des insectes [20] dont le dard est en avant n'ont que deux ailes, comme la mouche, le myope, le taon et le cousin.
§ 13. Tous les animaux privés de sang sont plus petits que ceux qui ont du sang, à l'exception de quelques animaux marins, qui, bien que privés de sang, n'en sont pas moins énormes, comme certains mollusques. Les plus grands animaux de ce genre se trouvent dans les pays les plus chauds ; et dans la mer, [25] les animaux sont toujours plus grands que sur terre et dans les eaux douces.
§ 14. Tous les animaux qui peuvent se mouvoir se meuvent par quatre points, ou plus. Les animaux qui ont du sang n'ont que ces quatre points; tel est l'homme, qui a deux mains et deux pieds. L'oiseau a deux ailes et deux pieds aussi.
§ 15. Les quadrupèdes et les poissons ont, les uns quatre pieds; les autres, quatre [30] nageoires. Ceux qui n'ont que deux nageoires, ou qui même n'en ont pas du tout, comme le serpent, n'en ont pas moins les quatre points, puisque les flexions du corps sont au nombre de quatre, ou de deux, avec deux nageoires.
§ 16. Tous les animaux qui, n'ayant pas de sang, ont plus de quatre pieds, qu'ils soient d'ailleurs volatiles ou qu'ils marchent sur terre, se meuvent par plus de quatre points de mouvement, comme l'animal qu'on nomme l'éphémère, qui a tout ensemble quatre pieds et [491a] quatre ailes; car celle bête a non seulement cette particularité d'existence qui lui a valu le nom qu'elle porte; mais de plus, elle a cette autre particularité d'être un volatile avec quatre pieds.
§ 17. Tous les quadrupèdes et les polypèdes se meuvent d'ailleurs d'une manière semblable : leur mouvement est diamétral; et tous [5] les animaux ont, pour leur locomotion, deux pieds qui la commandent tour à tour; il n'y a que le crabe seul qui ait quatre pieds de devant.
Les genres les
plus étendus sont ceux des oiseaux, des poissons et des cétacés; coquillages
durs; coquillages mous; mollusques; insectes; genres privés de sang;
distinctions dans les quadrupèdes, vivipares, ovipares; distinctions plus ou
moins précises des espèces. - Méthode à suivre dans l'histoire des animaux; il
faut commencer par l'étude de l'homme, qui nous est le mieux connu de tous;
étude préalable des parties organiques.
§ 1. Les autres genres d'animaux les plus étendus et leurs divisions principales sont les oiseaux, les poissons et les cétacés. Tous ces animaux ont du sang.
§ 2. Un autre genre [10] est celui des testacés, qu'on appelle huîtres ou coquillages. Puis, le genre des animaux à coquilles molles (crustacés), pour lesquels il n'y a pas de nom unique qui les comprenne tous, tels que les langoustes, les cancres et les écrevisses; puis le genre des mollusques, comme la seiche, le grand et le petit calmar. Un autre genre est celui des insectes.
§ 3. Ces quatre genres sont tous privés de sang; et tous ceux d'entre eux qui ont des pieds [15] en ont un grand nombre. Parmi les insectes, quelques-uns sont volatiles.
§ 4. Les animaux autres que ceux-là ne forment pas de grandes classes ; car il n'y a plus pour eux de genre qui contienne plusieurs espèces. Parfois, l'espèce est simple et n'offre pas de différences spécifiques, comme pour l'homme, par exemple; d'autres fois, le genre renferme bien plusieurs espèces; mais elles n'ont pas reçu de nom particulier.
§ 5. Tous les quadrupèdes, qui ne sont pas [20] pourvus d'ailes, ont du sang; mais les uns sont vivipares; et les autres, ovipares. Les vivipares ne sont pas tous pourvus de poils; mais tous ceux des quadrupèdes qui sont ovipares ont des écailles, qui jouent un rôle semblable aux écailles des poissons.
§ 6. Le genre des serpents est sans pieds, quoique, par sa nature, il ait du sang et vive sur terre; leur peau est écailleuse. Tous les serpents [25] sont ovipares, excepté la vipère, qui est vivipare.
§ 7. D'ailleurs, tous les vivipares n'ont pas de poil; et c'est ainsi qu'il y a des vivipares parmi les poissons; mais les animaux qui sont pourvus de poils sont tous vivipares. Il faut du reste prendre aussi pour une espèce de poils ces poils en forme d'épines que portent les hérissons de terre et les porcs-épics. Ces épines en effet remplissent la fonction [30] de poils, mais non pas de pieds, comme celles des hérissons de mer.
§ 8. Dans le genre des quadrupèdes vivipares, il y a une foule d'espèces; mais elles n'ont pas reçu de nom ; on les désigne chacune pour ainsi dire comme on le fait pour l'homme, et l'on dit : le lion, le cerf, le cheval, le chien, et ainsi de suite. Cependant il y a un surnom [491b] commun pour le genre des animaux à queue de crins, qu'on appelle lophoures, comme le cheval, l'âne, le mulet, le bidet, le bardeau, et même les bêtes appelées hémiones en Syrie. Ces bêtes ont reçu ce nom à cause de leur ressemblance avec le mulet, bien que ce ne soit pas tout à fait la même espèce, puisque les hémiones s'accouplent et sont féconds entre eux.
§ 9. Nous aurons pour cette raison [5] à considérer chacun des animaux à part, pour étudier la nature de chacune de leurs espèces.
§ 10. Du reste, nous n'avons fait jusqu'à présent que tracer une simple esquisse, comme on vient de voir, pour donner un avant-goût des objets que nous traiterons et de la manière dont nous les traiterons. Plus tard, nous examinerons les choses plus en détail, afin de saisir d'abord les différences [10] réelles qui divisent les animaux et les conditions qui sont communes à tous. Ensuite, nous devrons nous efforcer de découvrir les causes de tous ces faits; car c'est ainsi qu'on peut se faire une méthode conforme à la nature, une fois qu'on possède l'histoire de chaque animal en particulier, puisqu'alors on voit aussi évidemment que possible à quoi il faut appliquer sa démonstration et sur quelle base elle s'appuie.
§ 11. Notre premier soin sera d'étudier les [15] parties dont se composent les animaux; car c'est là la plus grande et la première différence entre eux, selon qu'ils ont telles parties ou qu'ils ne les ont pas, selon la position et l'ordre de ces parties, ou selon qu'ils ont les premières différences qui ont été déjà mentionnées par nous : la forme de ces parties, leurs dimensions plus ou moins grandes, l'analogie, et la contrariété de leurs dispositions.
§ 12. Nous nous appliquerons donc tout d'abord à l'étude des parties [20] dont l'homme se compose; car de même qu'on estime la valeur des monnaies en les rapportant à celle qu'on connaît le mieux, de même il faut en faire autant pour toute autre chose. C'est l'homme qui nécessairement nous est le mieux connu de tous les animaux. Il suffit du témoignage de nos sens pour savoir quelles sont ses parties; mais cependant, pour ne rien omettre dans la suite de notre description et pour joindre à raison [25] aux données de l'observation sensible, nous parlerons en premier lieu des parties qui forment les organes de l'homme, et ensuite, des parties similaires.
Tête, cou,
tronc, bras, jambes; le crâne est la partie de la tête qui est chevelue; la
fontanelle, l'occiput, le sommet du crâne; os du crâne; sutures dans la femme
et dans l'homme.
§ 1. Les parties principales entre lesquelles on peut diviser l'ensemble de notre corps entier sont : la tête, le cou, le tronc, les deux bras, les deux jambes; j'entends par le tronc toute la concavité qui s'étend du cou [30] jusqu'aux parties honteuses.
§ 2. Dans les parties de la tête, celle qui est couverte de cheveux s'appelle le crâne. Dans le crâne, la partie antérieure est la fontanelle, qui ne se produit que postérieurement, puisque c'est l'os de notre corps qui se solidifie le dernier. La partie du crâne placée en arrière est l'occiput; et la partie placée entre l'occiput et la fontanelle est le sommet du crâne.
§ 3. Sous la fontanelle, est placé le cerveau; et l'occiput [492a] est vide. Le crâne entier est un os complètement sec, arrondi, et enveloppé d'une peau qui n'a pas de chair. Chez les femmes, il n'y a qu'une suture, qui est circulaire; chez les hommes, il y a trois sutures, qui d'ordinaire se réunissent en une seule; cependant on a déjà vu un crâne d'homme qui n'avait [5] aucune espèce de suture.
§ 4. Le sommet du crâne est le centre et le point de séparation des cheveux. Chez quelques-uns, ce point est double ; et ces sujets ont alors deux sommets de la tête; non pas qu'il y ait deux os, mais il y a seulement deux points de séparation pour les cheveux.
L'homme seul
en a un; le front et ses formes diverses indiquent la portée de l'intelligence;
les sourcils donnent des indications sur le caractère; les yeux et leurs
parties diverses, paupières supérieure et inférieure, les cils, la pupille;
partie noire, partie blanche de l'œil; coins des yeux; tous les animaux ont des
yeux, excepté les crustacés; yeux de la taupe; blanc de l'œil pareil chez tous
les hommes; variétés de couleurs de la partie noire chez l'homme seul;
dimensions des yeux; leur position; indications morales qu'on peut tirer des
yeux.
§ 1. La partie de la tête placée au-dessous du crâne s'appelle le visage, expression qui s'applique à l'homme seul [10] parmi tous les animaux, puisqu'on ne dit pas le visage d'un poisson, ni d'un bœuf. La partie du visage placée sous la fontanelle et au-dessus des yeux est le front. Les hommes qui ont un grand front sont plus lents que les autres; ceux qui ont un front petit sont très vifs; ceux dont le front est large ont des facultés extraordinaires; ceux dont il est rond sont d'une humeur facile.
§ 2. Au-dessous du front sont les deux sourcils. [15] Quand les sourcils sont droits, c'est le signe d'une grande douceur; quand ils se courbent vers le nez, c'est un signe de rudesse. Infléchis vers les tempes, ils indiquent un esprit d'imitation moqueuse et de raillerie ; abaissés, ils indiquent un caractère envieux.
§ 3. Sous les sourcils sont placés les yeux. Naturellement, ils sont deux. Les parties de chaque œil sont les paupières, l'une en haut, l'autre en bas, garnies sur leur bord de poils [20], qui sont les cils. La partie centrale et liquide de l'œil par laquelle on voit est la pupille ; la partie qui l'entoure est noire ; et la partie extérieure à celle-ci est blanche. Une disposition commune aux deux paupières, supérieure et inférieure, ce sont les deux coins, l'un du côté du nez, l'autre du côté des tempes. Quand ces coins sont allongés, c'est le signe d'un caractère mauvais; quand leur chair est dentelée [25] comme les peignes, du côté du nez, cela indique une nature vicieuse.
§ 4. Toutes les espèces d'animaux ont des yeux, à l'exception des crustacés, ou de tel autre genre, aussi imparfait. Tous les vivipares en ont, excepté la taupe. On peut bien dire tout à la fois qu'elle a une sorte d'yeux, ou nier tout à fait qu'elle en ait. D'une manière absolue, elle ne [30] voit pas, et elle n'a pas certainement d'yeux qui soient apparents. Mais en lui enlevant la peau, on reconnaît qu'elle a la place des yeux, et les parties noires de l'œil, dans le lieu et à la position que la nature assigne aux yeux qui saillissent au dehors. On dirait que ceux de la taupe ont été mutilés au moment de la naissance, et que la peau a poussé par dessus.
§ 5. En général, le blanc de [492b] l'œil est pareil chez tous les hommes. Mais la partie qu'on appelle le noir offre de nombreuses différences. Chez les uns, elle est noire en effet; chez d'autres, elle est d'un bleu foncé; chez d'autres, d'un brun sombre; chez quelques-uns, elle est grise comme l'œil des chèvres. Cette dernière couleur est le signe d'un excellent caractère; et c'est aussi la couleur la plus favorable à une vue perçante. [5] Il n'y a que chez l'homme, ou plutôt c'est chez lui surtout, que la couleur des yeux varie tant. Les autres animaux n'ont qu'une seule couleur. Parfois les chevaux ont l'un des deux yeux de couleur bleue.
§ 6. Il y a des yeux qui sont grands ; d'autres sont petits; les meilleurs sont les yeux moyens. Tantôt les yeux sont très saillants; tantôt ils sont renfoncés; tantôt ils sont dans une position moyenne. Ce sont les yeux les plus renfoncés qui, dans tout animal, [10] ont la vue la plus perçante. La position moyenne indique un caractère excellent.
§ 7. Il y a des gens dont les yeux clignotent; d'autres, chez qui ils sont fixes, et d'autres dont les yeux ne sont, entre les deux, ni fixes ni mobiles. Cette disposition moyenne est encore l'indication d'une nature très bonne. Les uns ont des yeux impudents; et chez les autres, les yeux n'ont pas d'expression constante.
Erreur
d'Alcméon; organe de l'ouïe; deux parties de l'oreille, dont l'une est le lobe;
l'oreille ne communique pas avec le cerveau; l'oreille n'est immobile que chez
l'homme; formes diverses de l'organe auditif des les animaux; les oreilles de
l'homme sont sur la même ligne que les yeux; dimensions des oreilles;
description du nez; ses fonctions dans la respiration ; l'éternuement;
organisation intérieure du nez; sens de l'odorat; le nez extraordinaire de
l'éléphant; mâchoires et lèvres; description de la langue, sens des saveurs;
amygdales; gencives; voile du palais.
§ 1. La partie de la tête par laquelle on entend, est l'oreille ; mais on ne respire pas par l'oreille ; et Alcméon n'est pas dans le vrai, quand il prétend que c'est par les oreilles que les chèvres [15] respirent.
§ 2. Des deux parties de l'oreille, l'une n'a pas de nom; l'autre s'appelle le lobe. Dans sa totalité, l'oreille est formée de cartilage et de chair. Le dedans de l'oreille est de sa nature pareil aux colimaçons; et le dernier os où le son pénètre, comme dans la cavité dernière, ressemble à l'oreille.
§ 3. L'oreille n'a pas d'orifice dans le cerveau; mais elle en a un [20] dans le voile du palais; et une veine partant du cerveau se rend à l'une et l'autre oreille. C'est aussi la disposition des yeux; ils communiquent avec l'encéphale; et ils sont tous deux placés sur une petite veine.
§ 4. De tous les animaux qui ont des oreilles, l'homme est le seul chez qui elle soit immobile; car parmi les animaux doués de l'organe de l'ouïe, les uns ont des oreilles; les autres n'en ont pas; et ils n'ont [25] à l'extérieur que le conduit auditif, comme tous les volatiles et les animaux à écailles.
§ 5. Tous les vivipares, excepté le phoque, le dauphin et les diverses espèces de sélaciens, ont des oreilles; car les sélaciens sont aussi des vivipares. Le phoque a des trous à l'extérieur qui lui permettent d'entendre. Le dauphin entend également, mais sans oreilles. [30] Tous les animaux remuent donc leurs oreilles; et l'homme est seul à ne pas les mouvoir.
§ 6. Les oreilles dans l'homme sont placées à la circonférence, sur la même ligne que les yeux; elles ne sont pas au-dessus, ainsi que dans quelques quadrupèdes. II y a des oreilles sans poils; il y en a de velues; d'autres tiennent le milieu. Ce sont ces dernières qui ont l'ouïe la meilleure; mais tout cela n'indique rien pour le caractère. II y a des oreilles grandes, petites, moyennes; quelquefois elles sont très proéminentes, [493a] ou ne le sont pas du tout, ou sont entre les deux.
§ 7. Les oreilles moyennes sont le signe d'un très bon caractère; les grandes oreilles, les oreilles relevées annoncent la loquacité et la sottise. La partie comprise entre l'œil, l'oreille et le sommet de la tête, s'appelle la tempe.
§ 8. [5] La partie du visage qui sert de passage à l'air, c'est le nez; c'est par le nez qu'on aspire et qu'on expire. C'est aussi par le nez que se fait l'éternuement, qui est l'expulsion de l'air accumulé; et c'est le seul parmi les vents de notre corps d'où on a tiré des présages sacrés.
§ 9. Mais il est certain que l'aspiration et l'expiration se font en même temps dans la poitrine, et que, sans [10] la poitrine, il serait impossible d'aspirer ou d'expirer par les narines seules, parce que c'est de la poitrine que l'aspiration et l'expiration viennent par le gosier, et qu'elles n'ont lieu par aucune partie de la tête. On peut vivre d'ailleurs sans faire usage de la respiration du nez.
§ 10. C'est aussi cet organe qui a le sens de l'odorat, et l'odorat n'est que la perception de l'odeur. Le nez peut se mouvoir; et il n'est pas immobile, [15] comme l'est particulièrement l'oreille. Une des parties du nez est un diaphragme, qui est un cartilage ; l'autre partie est un conduit qui est vide; car le nez a deux divisions. Dans l'éléphant, le nez est long et très fort; et il s'en sert comme d'une main. Il attire par cette sorte de main la nourriture [20] liquide ou sèche dont il a besoin; il la saisit et il la porte à sa bouche. Il est le seul des animaux à avoir cette conformation.
§ 11. L'homme a deux mâchoires; la partie de ces mâchoires qui s'avance davantage, c'est le menton ; l'autre qui est plus en arrière, c'est la mâchoire proprement dite. Tous les animaux ne remuent que la mâchoire inférieure, excepté le crocodile de rivière, qui est le seul à mouvoir la mâchoire d'en haut.
§ 12. Après [25] le nez, viennent les deux lèvres, qui sont de la chair d'une grande mobilité. La partie comprise en dedans des mâchoires et des lèvres, c'est la bouche, qui a elle-même deux parties, le palais et le pharynx.
§ 13. La langue a la perception du goût; et cette sensation a lieu surtout au bout de la langue; quand l'objet est posé sur la langue à sa partie plus large, la sensation est moins vive. La langue sent d'ailleurs aussi toutes les qualités des corps que sent le reste de la chair, la dureté, le chaud, [30] le froid ; et elle les sent tout aussi bien que les saveurs.
§ 14. La langue peut être large ou étroite, ou de grandeur moyenne. La langue de grosseur moyenne est préférable, et la prononciation est alors la plus nette possible; elle est encore, ou libre, ou embarrassée comme chez les bègues et les gens qui grasseyent. La chair de la langue est molle et spongieuse. L'épiglotte est une partie de la langue. L'amygdale dans la bouche est [493b] double; les gencives sont multipliées. Ces diverses parties sont charnues. En dedans des gencives, sont les dents, qui sont en os. En arrière de la bouche, il y a une autre partie qui porte le voile du palais et qui a la forme d'un grain de raisin; c'est un pilier couvert de veines. Si cette partie chargée de liquide vient à s'enflammer, c'est ce qu'on appelle le grain, et elle étouffe le malade.
Sa position;
le larynx, l'œsophage; la nuque, derrière du cou ; le tronc et ses diverses
parties antérieures, la poitrine, les mamelles, le mamelon; hommes qui ont du
lait; le ventre, le nombril; l'abdomen au-dessous du nombril, et l'hypocondre
au-dessous; ceinture et rein; parties honteuses de l'homme et de la femme;
leurs différences; conduit urétral chez les deux; rôle des parties communes
dans le corps; le derrière du tronc; le dos; les huit côtes de chaque côté;
récit fabuleux sur des hommes à sept côtés.
§ 1. [5] Le cou est placé entre le visage et le tronc; sa partie supérieure est le larynx, et sa partie postérieure est l'œsophage. La partie du cou, cartilagineuse et antérieure, par où passent la voix et la respiration, s'appelle la trachée-artère. La partie charnue est l'œsophage; elle est située intérieurement, un peu en avant de la colonne dorsale. La partie qui est le derrière du cou s'appelle la nuque. Telles [10] sont les parties du corps jusqu'au tronc.
§ 2. Le tronc lui-même a des parties, dont les unes sont par devant; les autres, par derrière. Parmi les parties antérieures, on distingue la poitrine, qui a deux mamelles; le mamelon est double également; c'est par là que le lait distille chez les femmes. La mamelle est d'une chair molle. Les hommes aussi ont [15] du lait; mais chez l'homme, la chair des mamelles est ferme et dure, tandis que, chez la femme, elle est spongieuse et remplie de pores.
§ 3. Après le tronc, dans les parties de devant, vient le ventre; le centre ou la racine du ventre, c'est le nombril. Au-dessous de cette racine du ventre, vient le flanc qui est double; la partie au-dessous de l'ombilic ou nombril est simple; et c'est ce qu'on appelle l'abdomen, dont [20] l'extrémité est le pubis. La partie au-dessus du nombril est l'hypocondre. La partie commune à l'hypocondre et au flanc est la cavité qui renferme les intestins.
§ 4. La ceinture dans les parties postérieures est ce qu'on appelle le rein, qui tire son nom de ce qu'il semble être en effet une sorte de rainure. Dans les parties qui servent à l'expulsion des excréments, on distingue d'une part la fesse, qui sert à s'asseoir; et de l'autre, la cavité dans laquelle s'articule et roule la cuisse.
§ 5. Une partie spéciale [25] au sexe femelle, c'est-la matrice; et dans le sexe mâle, c'est la verge, le membre honteux, en dehors du tronc et en bas. La verge a deux parties; son extrémité qui est charnue, toujours sans poil, pour ainsi dire lisse et égale, s'appelle le gland. La peau placée autour du gland n'a pas de nom particulier; et quand on la coupe, elle ne peut plus se rejoindre, non plus que la joue et la paupière. La partie commune à cette peau et au gland est ce qu'on appelle le bourrelet.
§ 6. [30] Le reste de la verge est un cartilage, qui peut se gonfler beaucoup, qui sort et qui rentre, autrement que chez les animaux à queue garnie de crins. Au-dessous du membre honteux, se trouvent les deux testicules; et la peau qui les environne est ce qu'on nomme le scrotum. Les testicules ne sont pas précisément de la chair; mais ils ne sont pas non [494a] plus très éloignés d'en être.
§ 7. Du reste, nous reviendrons plus tard sur toutes ces parties, pour dire avec des détails plus précis quelle en est l'organisation.
§ 8. Les parties honteuses de la femme sont tout le contraire de celles des hommes; elles sont creuses sous le pubis ; et elles ne ressortent pas au dehors comme celles des hommes. L'urètre est en dehors [5] de la matrice; il est destiné à servir de conduit au sperme chez le mâle. D'ailleurs, c'est pour les deux sexes, mâle et femelle, le canal par où sort l'excrément liquide.
§ 9. Une partie commune du cou et de la poitrine, c'est la gorge ; une partie commune du côté, du bras et de l'épaule, c'est l'aisselle; de la cuisse et du bas-ventre, c'est l'aine ; de la cuisse et des fesses, en dedans, c'est le périnée; de la cuisse et [10] des fesses, en dehors, c'est le pli de la fesse.
§ 10. On vient de voir quelles sont les parties du tronc par devant. Le derrière de la poitrine est le dos. Les parties du dos sont les deux omoplates, et l'épine dorsale ou rachis. Les reins sont au-dessous du thorax à l'opposé du ventre. De haut en bas, sont rangées huit côtes de chaque côté. [15]Nous n'avons en effet aucun témoignage de quelque valeur sur les prétendus Ligyens qui n'auraient que sept côtes.
Supérieures
inférieures, antérieures postérieures, gauches droites; rapports de ces parties
; les droites sont en général plus fortes; membres supérieurs, les bras; la
main, les doigts; leur flexion; intérieur et dehors de la main; le poignet;
membres inférieurs, la cuisse, la rotule, la jambe; la cheville; le pied, ses
os; dessus et dessous du pied; les ongles; le genou; signes à tirer de la
conformation du pied et de la main.
§ 1. On distingue dans le corps de l'homme le haut et le bas, le devant et le derrière, la droite et la gauche. Les parties de gauche et de droite sont presque pareilles, dans les parties qui les composent, et elles sont toutes [20] les mêmes, si ce n'est que les parties gauches sont plus faibles. Mais les parties de derrière ne ressemblent pas à celles de devant; les parties d'en bas ne ressemblent pas à celles d'en haut. La seule ressemblance des parties placées au-dessous de l'hypogastre avec le visage, c'est qu'elles sont charnues ou maigres, comme il l'est lui-même; les jambes sont dans le même rapport avec les bras. Quand on a les bras courts, les cuisses sont également courtes d'ordinaire; [25] si l'on a de petits pieds, on a aussi de petites mains.
§ 2. En fait de membres, l'homme a deux bras; et chaque bras comprend l'épaule, le haut du bras, le coude ou olécrâne, l'avant-bras et la main.
§ 3. Dans la main, on distingue la paume, et les doigts au nombre de cinq; dans les doigts, on distingue encore la partie qui peut fléchir, l'articulation; et celle qui ne fléchit pas, la phalange. Le gros doigt, le pouce, n'a qu'une articulation; [30] les autres en ont deux. La flexion d'ailleurs se fait toujours en dedans, aussi bien pour le bras que pour les doigts. C'est au coude que se fait la flexion du bras. L'intérieur de la main, la paume, est charnu; et elle est partagée par plusieurs raies. Chez ceux qui doivent vivre longtemps, [494b] une ou deux de ces raies traversent toute la main; chez ceux dont la vie doit être courte, il y a deux raies, qui ne traversent pas la main entière.
§ 4. L'articulation de la main et du bras est le poignet, ou carpe ; le dessus de la main est composé de muscles et n'a pas reçu de nom spécial.
§ 5. Le membre autre que le bras est également double; c'est la jambe. On distingue, dans la jambe, [5] la cuisse, ou fémur, qui a deux têtes; la rotule qui a un siège mobile ; et la jambe proprement dite, qui a deux os. La partie antérieure de la jambe est le devant de la jambe; la partie postérieure est le gras de la jambe, qui est une chair pleine de muscles ou de veines. Tantôt cette partie est très relevée vers le jarret, chez ceux qui ont des fesses volumineuses; chez ceux qui ont au contraire de petites fesses, elle est plutôt abaissée.
§ 6. L'extrémité du devant de la jambe [10] est la cheville, qui est double à chaque jambe.
§ 7. Dans la jambe, c'est le pied qui a le plus grand nombre d'os. La partie postérieure du pied est le talon; la partie antérieure est divisée en cinq doigts. Le dessous du pied, ou poitrine du pied, est charnu; le dessus du pied, dans les parties supérieures, est musculeux, et il n'a pas de nom spécial.
§ 8. Dans chaque doigt du pied, on distingue [15] l'ongle et la jointure; l'ongle n'est jamais qu'à l'extrémité du doigt; et tous les doigts n'ont de flexion qu'en dedans.
§ 9. Quand on a l'intérieur du pied plein et non creux, et qu'on marche en l'appliquant tout entier, c'est un signe qu'on est rusé et capable de tout.
§ 10. Le genou et sa flexion appartiennent à la fois à la cuisse et à la jambe.
En haut, en
bas, devant et derrière, droite et gauche correspondent dans l'homme à ces
positions dans l'univers; privilège de l'homme; position particulière de la
tète dans le corps humain; retour sur les parties diverses qui le composent,
depuis le cou jusqu'aux pieds; correspondance des flexions des bras et des
jambes; sens et organes des sens placés en avant; oreilles et ouïe placées sur
le côté; écartement des yeux; le toucher est le sens le plus développé, puis le
goût; infériorité de l'homme pour les autres sens.
§ 1. Toutes les parties que nous venons d'énumérer sont communes au mâle et à la femelle. [20] La position de toutes ces parties en haut et en bas, en avant et en arrière, à droite et à gauche, est de toute évidence ; et l'observation la plus simple nous fait connaître celles qui sont extérieures. Nous devons néanmoins en parler, par la même raison qui nous a porté à nous occuper de tout ce qui précède, afin que ce qui va suivre soit plus complet; et nous comptons ainsi les parties, [25] afin d'être moins exposé à oublier celles qui ne sont pas disposées chez le reste des animaux de la même façon que chez l'homme.
§ 2. C'est dans l'homme que les parties du haut et du bas se rapprochent plus directement que chez tous les autres animaux des lieux qui, dans la nature, indiquent le haut et le bas. Dans l'homme en effet [30] le haut et le bas sont en rapport étroit avec le haut et le bas de l'univers; chez lui encore, le devant et le derrière, la droite et la gauche sont selon l'ordre naturel. Quant aux autres animaux, ils n'ont pas ces distinctions; ou s'ils les ont, elles sont en eux bien plus confuses.
§ 3. Par exemple, tous les animaux ont la tête en haut relativement à leur corps; mais l'homme est le seul, ainsi qu'on l'a dit, qui, dans sa perfection, [495a] ait cette partie en rapport avec l'axe du monde.
§ 4. Après la tête, vient le cou ; et ensuite, la poitrine et le dos : l'une en avant, et l'autre par derrière. A ces parties, succèdent continûment le ventre, le pubis, les parties honteuses, le siège : puis encore, la cuisse et la jambe, et enfin les pieds. Les [5] jambes ont aussi la flexion en avant, sens où se fait également la marche, et où les pieds sont les plus mobiles et ont leur flexion. Le talon est le derrière du pied; et de chacun des deux côtés, sont placées les chevilles.
§ 5. Sur les côtés du corps, à droite et à gauche, sont les bras, qui ont leur flexion en dedans, de telle sorte que [10] les parties convexes des jambes et des bras se correspondent dans l'homme le plus complètement possible.
§ 6. Les sens et leurs organes, les yeux, le nez, la langue sont chez l'homme placés du même côté, c'est-à-dire en avant. L'ouïe, et son organe, les oreilles, sont placés de côté, mais sur la même ligne circulaire que les yeux. L'écartement des yeux est dans l'homme, comparativement à sa grandeur, moindre que chez tous les autres animaux. Le sens le plus développé chez l'homme, c'est le toucher; et en second lieu, le goût. Pour les autres sens, il est inférieur à bien des animaux.
Description du
cerveau; les méninges; l'homme est l'animal qui a l'encéphale le plus développé
; chez l'homme, l'encéphale est double; le cervelet; volume de la tête;
l'encéphale n'a pas de sang ; l'os de la fontanelle est le plus mince de toute
la tête ; rapports de l'œil avec l'encéphale; parties intérieures du cou; la
trachée-artère; sa place, sa nature, sa communication avec le nez; l'épiglotte;
description du poumon; ramifications de la trachée-artère; description du cœur
; ses rapports avec la trachée-artère; description de l'œsophage, de l'estomac,
des intestins; l'épiploon ; le mésentère.
§ 1. Les parties du corps humain qu'on distingue extérieurement, à première vue, [20] sont disposées comme on vient de le dire ; ce sont elles qui sont le plus ordinairement nommées, et qui sont les plus connues, par suite de l'habitude où l'on est de les voir. Les parties intérieures sont tout le contraire; car ce sont ces parties-là qui, pour l'homme, sont les moins connues. Aussi doit-on, en y rapportant les parties des autres animaux, savoir quelles sont celles dont elles se rapprochent le plus naturellement.
§ 2. Tout d'abord dans la tête [25] se trouve le cerveau, l'encéphale, placé dans la partie antérieure. Du reste, il en est de même dans tous les autres animaux qui sont pourvus de cet organe; et ces animaux-là sont tous ceux qui ont du sang, et aussi les mollusques.
§ 3. Proportionnellement, c'est l'homme qui a le cerveau le plus gros et le plus humide. Deux membranes l'enveloppent : l'une [30] plus solide, du côté de l'os; l'autre, posée sur le cerveau lui-même, est plus faible que la première.
§ 4. Chez tous les animaux, l'encéphale est double; et après le cerveau, vient, à la dernière place, ce qu'on appelle le cervelet, qui a une composition tout autre, soit au toucher, soit à la vue. Le derrière de la tête dans tous les animaux est vide et creux, variant selon la grosseur [495b] de chacun d'eux. Certains animaux ont la tête fort grosse, tandis que la partie inférieure de leur face est petite ; et ce sont tous ceux qui ont la face ronde. D'autres ont la tête petite, et de longues mâchoires; et tous les animaux à queue garnie de crins ont cette conformation.
§ 5. L'encéphale n'a pas de sang [5] chez aucun animal; et dans sa masse, il n'a point de veines. Quand on le touche, il est naturellement froid. Dans presque tous les animaux, il a un petit creux dans son centre ; et la méninge qui l'enveloppe est sillonnée de vaisseaux. La méninge qui enveloppe le cerveau est une membrane dans le genre de la peau. Au-dessus du cerveau, est la fontanelle, [10] qui est l'os le plus mince et le plus faible de toute la tête.
§ 6. De l'œil, trois conduits se rendent à l'encéphale ; le plus grand et le moyen vont jusqu'au cervelet; et le plus petit va dans le cerveau même; le plus petit conduit est le plus rapproché du nez. Les deux plus grands dans l'un et l'autre œil sont parallèles [15], et ne se rencontrent pas. Les conduits moyens se rejoignent, disposition qu'on remarque surtout chez les poissons; car ces conduits moyens sont plus près du cerveau que les grands conduits. Les plus petits conduits s'éloignent le plus complètement l'un de l'autre, et ne se touchent jamais.
§ 7. Au dedans du cou, se trouve l'organe appelé l'œsophage, l'isthme, qui tire son nom [20] de sa longueur et de son étroitesse. Là aussi, se trouve la trachée-artère. Dans tous les animaux qui ont une trachée, cette artère est placée en avant de l'œsophage ; et la trachée-artère existe dans les animaux qui ont aussi des poumons. La trachée-artère est un cartilage, qui, par sa nature, a peu de sang, bien qu'elle soit entourée d'un grand nombre de petites veines. Elle est placée dans [25] la partie supérieure de la bouche, à la communication de la bouche et du nez, de telle sorte que, quand en buvant on y attire une partie du liquide, c'est par cette communication qu'il ressort de la bouche dans les narines.
§ 8. Entre ces ouvertures, la trachée a cet organe qu'on nomme l'épiglotte, destinée à recouvrir l'ouverture de la trachée-artère, qui se rend [30] à la bouche. L'extrémité de la langue se rattache à la trachée, qui, de chaque côté, descend jusqu'entre les deux poumons; et de là, elle se partage dans chacune des deux parties dont le poumon se compose.
§ 9. Dans tous les animaux qui ont un poumon, il tend toujours à être divisé en deux parties. Dans les vivipares, cette division n'est pas toujours pareillement sensible; et c'est chez l'homme qu'elle l'est [496a] le moins. Chez lui, le poumon n'a pas plusieurs lamelles, comme dans quelques vivipares; il n'est pas uni; mais il a des inégalités.
§ 10. Dans les ovipares, tels que les oiseaux; et dans les quadrupèdes ovipares, chacune des deux parties sont très séparées l'une de l'autre, et l'on dirait [5] qu'il y a deux poumons. De la trachée, qui est unique, sortent deux canaux qui se rendent dans chacune des deux parties du poumon. Elle se rattache aussi à la grande veine (cave), et à ce qu'on appelle l'aorte. Quand on souffle dans la trachée-artère, le souffle se répand dans toutes les cavités du poumon. Ces cavités ont des cellules cartilagineuses, qui se réunissent en pointe; [10] et de ces cellules, partent des trous qui traversent toute l'étendue du poumon; et de plus petites cellules succèdent à de plus grandes.
§ 11. Le cœur se rattache aussi à la trachée-artère par des ligaments, graisseux, cartilagineux et fibreux; et là où le cœur se rattache à l'artère, il est creux. Si l'on souffle dans l'artère, on voit le vent passer dans le cœur, où il entre. Chez quelques animaux, [15] le phénomène n'est pas très-sensible; mais sur des animaux plus grands, il devient de toute évidence.
§ 12. Telle est donc la fonction de la trachée-artère; cette fonction consiste uniquement à recevoir l'air et à le rejeter, sans que la trachée-artère puisse recevoir ou renvoyer quoi que ce soit d'autre, ou solide ou liquide; dans ce dernier cas, on souffre jusqu'à ce qu'en toussant on ait rejeté le corps qui y était descendu.
§ 13. L'œsophage est rattaché [20] par en haut à la bouche ; il côtoie la trachée-artère ; et il y est soudé, ainsi qu'à la colonne vertébrale, par des ligaments membraneux. Après avoir traversé le diaphragme, il finit à l'estomac. II est de nature charnue ; et il est tendu dans sa longueur et sa largeur.
§ 14. L'estomac de l'homme ressemble à celui du chien; il n'est pas [25] beaucoup plus grand que l'intestin; et l'on dirait que c'est un intestin un peu plus large. Puis vient l'intestin simple, qui est enroulé, et qui est de largeur ordinaire. L'estomac inférieur ressemble à celui du porc ; il est large; et la partie qui va de l'estomac au siège est épaisse et courte.
§ 15. L'épiploon est suspendu au milieu du ventre. [30] Il est de sa nature une membrane graisseuse chez l'homme, aussi bien que dans tous les autres animaux qui n'ont qu'un seul estomac, et qui ont les deux rangées de dents.
§ 16. Sur les intestins, est le mésentère ; il est membraneux, large et gras. Il part de la grande veine et de l'aorte ; il est sillonné de veines [496b] nombreuses et épaisses, qui s'étendent le long des intestins, et qui, commençant en haut, descendent jusqu'au bas.
§ 17. Telle est donc l'organisation de l'œsophage ou estomac, de la trachée-artère et du ventre.
Ses cavités ;
sa position ; sa pointe toujours dirigée en avant ; méprises dans la
dissection; le cœur est placé à gauche; description des trois cavités;
communication du cœur avec le poumon ; expérience qui prouve cette
communication ; le poumon est de tous les organes celui qui a le plus de sang;
mais ce sang est dans les veines qui le traversent, tandis que le cœur a le
sang en lui-même ; différence du sang selon les cavités ; description du
diaphragme ; le foie, la rate, l'épiploon; le foie n'a pas de fiel ;
singularité des moutons de l'Eubée et de ceux de Naxos ; description des reins,
ou rognons, dans l'homme ; leur organisation; vaisseaux qui se rendent des
reins à la vessie; description de la vessie; organe sexuel chez l'homme;
testicules; la seule différence chez la femme consiste dans la matrice ;
dessins Anatomiques à consulter, annonce de travaux ultérieurs.
§ 1. Le cœur a trois cavités; il est placé plus haut [5] que le poumon, à la bifurcation de la trachée- artère; il a une membrane grasse et épaisse, là où il se rattache à la grande veine et à l'aorte ; il repose sur l'aorte ; et sa pointe est tournée vers la poitrine, comme dans tous les animaux qui ont une poitrine ; [10] car dans tous les animaux, qu'ils aient ou qu'ils n'aient pas cet organe, la pointe du cœur est toujours dirigée en avant; mais on peut souvent s'y tromper, parce qu'elle s'affaisse dans la dissection. La convexité du cœur est en haut; ordinairement la pointe est charnue et épaisse; et il y a des muscles dans ses cavités.
§ 2. Dans tous les autres animaux qui ont une poitrine, la position du cœur [15] est au milieu de cet organe ; chez l'homme, il est plus à gauche, à peu de distance de la ligne qui divise les mamelles, incliné vers la mamelle gauche, dans le haut de la poitrine. Le cœur de l'homme n'est pas grand; dans sa totalité, il n'est pas allongé; il serait plutôt arrondi, si ce n'est que son extrémité se termine en pointe.
§ 3. Comme nous venons de le dire, il a trois [20] cavités; la plus grande est à droite; la plus petite est à gauche; et la cavité de grandeur moyenne est dans le milieu. Toutes ces cavités, y compris les deux plus petites sont en communication avec le poumon; c'est ce que l'insufflation démontre clairement pour une des cavités d'en bas.
§ 4. [25] Par sa plus grande cavité, le cœur se rattache à la grande veine, près de laquelle est aussi le mésentère ; et par sa cavité moyenne, il se rattache à l'aorte.
§ 5. Des canaux vont du cœur au poumon; et ces canaux se ramifient, comme la trachée-artère, accompagnant ceux qui viennent de la trachée, dans toute l'étendue [30] du poumon. Les canaux partant du cœur occupent le dessus; entre la trachée et le cœur, pas un seul de ces vaisseaux n'est commun; mais par la connexion, ils reçoivent l'air, et ils l'envoient jusqu'au cœur. L'un de ces canaux se rend à la cavité droite; et l'autre, à la cavité gauche.
§ 6. Plus loin, nous nous occuperons de la grande veine et de l'aorte, [497a] prises chacune à part; et nous les étudierons aussi toutes les deux à la fois, dans ce qu'elles ont de commun.
§ 7. C'est le poumon qui a le plus de sang de tous les organes, dans les animaux qui ont un poumon, et qui sont vivipares, soit en eux-mêmes, soit au dehors. Dans sa masse entière, le poumon est spongieux; et les vaisseaux de la grande veine accompagnent chaque bronche. Mais ceux qui croient [5] que le poumon est vide de sang ont été trompés, en ne regardant que les poumons enlevés aux animaux d'où le sang s'était échappé en totalité, aussitôt qu'ils avaient été découpés.
§ 8. Entre tous les viscères, le cœur est le seul à avoir du sang ; car le poumon n'en a pas précisément en lui-même; il n'en a que dans les veines qui le traversent. Au contraire le cœur a du sang en lui-même, puisqu'il en a dans chacune de ses cavités. Le sang le plus léger [10] est dans la cavité du milieu.
§ 9. Au-dessous du poumon, est la ceinture du tronc, et ce qu'on appelle les reins, qui tiennent aux côtes, aux hypocondres et à l'épine dorsale. Dans son milieu, le diaphragme est mince et membraneux. II est traversé de part en part de veines, qui, dans le corps de l'homme, [15] sont très fortes en proportion de sa taille.
§ 10. Sous le diaphragme, à droite est le foie ; à gauche, est la rate. La position de ces organes est toujours la même dans tous les animaux qui en sont pourvus, quand ils sont conformés d'une manière naturelle et qu'ils ne présentent pas de monstruosité; car on a déjà vu quelquefois des quadrupèdes où ces organes étaient dans une position absolument inverse. Le foie et la rate se rattachent [20] au bas de l'estomac par l'épiploon.
§ 11. A la voir, la rate de l'homme est étroite et longue comme celle du porc. Ordinairement et dans presque tous les animaux, le foie est sans bile, sans fiel; dans quelques-uns, il y en a, le foie de l'homme étant d'ailleurs arrondi et pareil à celui du bœuf. Cette absence de fiel peut se remarquer [25] sur les victimes, de même que, dans une région aux environs de Chalcis en Eubée, les moutons n'ont pas de fiel. Au contraire, à Naxos, la plupart des quadrupèdes ont une si grande quantité de fiel que les étrangers qui y font des sacrifices en sont tout effrayés, croyant que c'est un présage qui leur est personnel, et ne sachant pas que c'est la nature particulière de ces bêtes.
§ 12. Le foie se rejoint à la grande [30] veine ; mais il ne communique pas avec l'aorte; car la veine qui sort de la grande veine traverse le foie tout entier, au point où sont ce qu'on appelle les portes du foie. La rate ne se rattache absolument qu'à la grande veine ; car une veine partant de celle-là vient dans la rate.
§ 13. Après ces organes viennent les reins, ou rognons, qui sont situés près de la colonne dorsale directement, et qui ressemblent beaucoup, dans leur nature, à ceux du bœuf. Dans tous les animaux qui ont des rognons, le droit est toujours plus élevé [497b] que le gauche; il a moins de graisse, et il est plus sec. Cette conformation est dans tous les autres animaux semblables à ce qu'elle est chez l'homme. Des vaisseaux, partant de la grande [5] veine et de l'aorte, se rendent dans les reins, mais non dans leur cavité; car les reins ont une cavité dans leur centre, plus grande chez les uns, plus petite chez les autres, excepté pourtant chez le phoque, qui a les reins pareils à ceux du bœuf, et les plus compacts de tous.
§ 14. Les vaisseaux qui se rendent dans les reins se perdent dans le corps des reins mêmes; et la preuve qu'ils [10] ne les traversent pas, c'est que les reins n'ont pas de sang, et que le sang ne s'y coagule jamais.
§ 15. Les reins ont, ainsi qu'on vient de le dire, une petite cavité; et de cette partie creuse des reins, deux canaux assez petits se rendent dans la vessie, ainsi que d'autres canaux très forts et parallèles, qui partent de l'aorte. Du milieu de chacun des deux reins, une veine grosse et musculeuse part [15] pour se diriger le long du rachis même, en passant par un espace très étroit. Ensuite, ces deux veines disparaissent dans chacune des hanches et reparaissent de nouveau, s'étendant sur la hanche.
§ 16. Ces divisions des veines descendent dans la vessie ; car la vessie est placée tout à fait la dernière. Elle est suspendue aux canaux qui se dirigent des reins le long [20] de la tige qui se rend à l'urètre. La vessie est presque tout entière enveloppée, dans sa rondeur, de petites membranes légères et fibreuses, qui se rapprochent, on peut dire, de l'organisation du diaphragme du thorax. La vessie dans l'homme est d'une médiocre grandeur.
§ 17. Auprès du col de la vessie, [25] s'attache le membre honteux, qui est nerveux et cartilagineux. L'orifice le plus extérieur s'ouvre dans le membre même. Un peu plus bas, l'un des conduits se rend aux testicules; l'autre, à la vessie. De ce membre, pendent les testicules chez les mâles nous dirons plus loin quelle en est l'organisation, quand nous traiterons des organes communs [30] aux différentes espèces.
§ 18. Dans la femme, tout est naturellement pareil à ce qu'on voit dans l'homme; la seule différence consiste dans la matrice. On peut voir quelle en est la forme apparente d'après le dessin qui est dans les ouvrages d'Anatomie. La position de la matrice est dans les intestins; et la vessie est placée derrière la matrice.
§ 19. Nous aurons encore, dans ce qui va suivre, à parler des matrices des animaux en général ; [35] les matrices ne sont pas les mêmes dans tous, et elles ne sont pas disposées de même. [498a] Mais en ce qui concerne les parties intérieures et extérieures du corps de l'homme, on vient de voir ce qu'elles sont, comment elles sont, et quelle en est l'organisation.
; parties
spéciales et correspondantes; la tête et le cou se retrouvent chez tous les
quadrupèdes vivipares ; conformation spéciale du cou du lion ; les quadrupèdes
vivipares ont des pattes de devant, au lieu de bras et de mains ; conformation
particulière de l'éléphant ; la poitrine et les mamelles chez les animaux ;
disposition générale des flexions dans l'animal ; les flexions chez l'éléphant
et chez les quadrupèdes ovipares ; articulations dans l'homme, disposées en
sens contraires selon les membres supérieurs ou inférieurs; flexions dans
l'oiseau ; singularité des pieds du phoque, en avant et en arrière ; pieds de
l'ours ; locomotion en croix chez les quadrupèdes et les polypodes ; locomotion
particulière du lion et des chameaux de Bactriane et d'Arabie..
1 [498a] Entre les parties dont les animaux sont formés,
les unes leur sont communes à tous, ainsi qu'on vient de le voir un peu plus
haut ; d'autres appartiennent exclusivement à certaines espèces. Elles se
ressemblent, ou elles diffèrent, sous les rapports que nous avons signalés déjà
tant de fois. C'est que les animaux dont le genre est autre, ont presque tous
aussi la plupart de leurs parties spécifiquement différentes. Tantôt la
différence de ces parties ne disparaît que dans une mesure proportionnelle;
tantôt elle porte sur le genre même. Parfois aussi, les parties sont identiques
en genre; mais elles sont tout autres par leur forme. Beaucoup de parties
fonctionnent chez certains animaux, et manquent chez certains autres. 2 C'est
ainsi que les quadrupèdes vivipares ont une tête et un cou, avec toutes les
parties dont la tête se compose; mais chaque partie a des formes différentes
chez chacun d'eux. Le lion, par exemple, n'a qu'un seul os dans le cou, sans
vertèbres. Si on l'ouvre, on peut voir que toutes ses parties intérieures sont
pareilles à celles du chien. 3 Les quadrupèdes vivipares ont, au lieu de bras,
des pattes de devant ; et tous les quadrupèdes qui ont des fentes dans ces
parties, les ont surtout analogues à nos mains; et dans bien des cas, ils s'en
servent comme de mains véritables. Les parties gauches sont dans ces animaux
moins dégagées que chez l'homme. 4 Il faut toutefois excepter l'éléphant, qui a
les doigts de pieds beaucoup moins séparés, et dont les jambes de devant sont
beaucoup plus longues que celles de derrière. Il a d'ailleurs cinq doigts ; et
à ses jambes de derrière, il a de petites chevilles. Sa trompe est faite de
telle sorte, et elle a une telle dimension, qu'il peut s'en servir comme nous
le faisons de nos mains. Il boit et il mange à l'aide de cette trompe, en
portant les aliments à sa bouche ; il peut aussi avec elle élever les objets
jusqu'à son cornac, placé en haut; il s'en sert pour arracher des arbres; et
quand il marche dans l'eau, c'est par elle qu'il respire. Sa trompe se courbe
par le bout; mais elle n'a pas d'articulations, parce qu'elle est
cartilagineuse.
5 De tous les animaux, l'homme est le seul qui puisse se
servir également des deux mains. Tous les animaux ont une partie qui correspond
à la poitrine chez l'homme ; mais cette partie n'est pas semblable, en ce que,
dans l'homme, la poitrine est large, et que chez eux elle est étroite. Aucun
animal non plus n'a de mamelles sur le devant de la poitrine; l'homme seul a
cette conformation. L'éléphant a [498b] bien aussi deux mamelles ; mais il ne
les a pas sur la poitrine ; il les a à côté. 6 Les flexions des membres, soit
de devant, soit de derrière, sont dans les animaux tout à la fois opposées
entre elles et opposées à ce qu'elles sont dans l'homme. Il n'y a que
l'éléphant qui fasse exception ; car lui seul excepté, les quadrupèdes
vivipares fléchissent en avant les membres de devant, et en arrière ceux de
derrière, de manière que les creux arrondis de la flexion soient tournés les
uns vers les autres. Il n'en est pas ainsi chez l'éléphant, comme on l'a
prétendu quelquefois ; il s'assoit, et il plie les jambes ; mais comme le poids
de son corps ne lui permet pas de s'infléchir sur les deux à la fois, il se
courbe, ou sur la gauche, ou sur la droite ; et il dort dans cette posture. Il
fléchit d'ailleurs les jambes de derrière de la même façon que l'homme. 7
Dans les quadrupèdes ovipares, tels que le crocodile, le lézard et dans tous les
autres animaux de cette espèce, les deux jambes, celles de devant aussi bien
que celles de derrière, s'infléchissent en avant, en inclinant légèrement de
côté. Il en est de même chez tous les animaux qui ont plus de quatre pieds;
seulement, les jambes intermédiaires entre les extrêmes ont toujours des
directions moyennes ; et la flexion se fait plutôt un peu de côté. 8
L'homme a les deux articulations des membres faites sur le même plan ; mais
elles sont en sens contraires; il plie les bras en arrière, et la partie
intérieure biaise un peu de côté, tandis que les jambes fléchissent en avant. 9
Il n'y a pas un seul animal qui fléchisse en arrière à la fois les membres de
devant et les membres postérieurs. Dans tous sans exception, la flexion de
l'épaule se fait en sens contraire de celle des coudes et des parties de
devant, de même que la flexion de la cuisse sur la hanche est opposée à celle
du genou; en telle sorte que, si l'homme a une flexion contraire à celle des
autres animaux, ceux qui ont aussi ces membres les fléchissent en sens
contraire de l'homme.
10 Les flexions dans [499a] l'oiseau se rapprochent
de ce qu'elles sont dans les quadrupèdes ; car avec ses deux pieds, l'oiseau
fléchit les pattes en arrière ; et à la place des bras et des jambes, il a des
ailes, dont la flexion se fait en avant.
11 Le phoque est une sorte de quadrupède tronqué. Il a des
pieds qui tiennent directement à l'omoplate, et ces pieds sont tout comme des
mains, de même que les pieds de l'ours ressemblent aussi à des mains. Les pieds
du phoque ont cinq doigts, et chaque doigt a trois flexions et un ongle assez
petit. Les pieds de derrière sont également à cinq doigts ; leurs flexions et
leurs ongles sont pareils à ceux de devant ; mais quant à la forme, ils se
rapprochent beaucoup de la queue des poissons.
12 Les quadrupèdes et les animaux qui ont plus de quatre
pieds se meuvent toujours en diamètre ; et c'est ainsi qu'ils maintiennent leur
équilibre. C'est par les parties droites que la marche commence. Le lion et les
deux espèces de chameau de Bactriane et d'Arabie avancent membre à membre ; par
Avancer membre à membre, j'entends que le membre droit ne va pas au-delà du
gauche, mais le suit toujours.
Queues des
animaux; répartitions des poils chez les animaux qui en ont; leurs crinières ;
le cheval-cerf; particularité qui le distingue ; on le trouve en Arachosie ; le
bœuf-sauvage ; l'éléphant est le moins velu des animaux ; description du
chameau, de Bactriane et d'Arabie, à une ou deux bosses sur le dos ; sa bosse sous
le ventre; sa verge en arrière; flexions et pieds du chameau; pattes des
animaux, et jambes de l'homme; pieds fourchus dans les animaux ; animaux
solipèdes ; cornes des animaux ; description de l'osselet dans les animaux ;
son rôle, sa répartition; réunion du pied fourchu, de la crinière et des cornes
chez quelques animaux; le Bonase de Péonie et de Médique; prétendues cornes des
serpents Égyptiens; bois du cerf; il est le seul animal qui perde ses cornes
chaque année.
1 Toutes les parties qui chez l'homme sont par devant se
trouvent chez les quadrupèdes en bas, et sous le corps; et les parties qui chez
l'homme sont par derrière se trouvent en haut chez les quadrupèdes. Pour la
plupart, ils ont une queue; et le phoque lui-même en a une toute petite, qui
ressemble à celle du cerf. Pour les animaux de l'espèce du singe, nous en
parlerons plus loin en détail. 2 Il n'y a pas, pour ainsi dire, de quadrupèdes
vivipares qui ne soient velus; mais ils ne le sont pas à la manière de l'homme,
qui n'a de poils qu'en petit nombre et très-courts, si ce n'est à la tête, qui
est chez lui plus poilue que chez aucun autre animal. 3 Tous ceux des autres
animaux qui ont des poils ont les parties supérieures du corps plus velues; et
les parties de dessous sont, ou tout à fait nues, ou moins garnies. Chez
l'homme, c'est tout le contraire. 4 L'homme a également des cils aux deux
paupières ; il a des poils aux aisselles et au pubis. Les autres animaux n'ont
pas de poils à ces deux dernières parties, non plus que des cils à la paupière
d'en bas, si ce n'est que, chez quelques-uns, il y a quelques poils très-rares
au-dessous de cette paupière. 5 Les quadrupèdes pourvus de poils ont tantôt le
corps tout entier velu, comme le porc, l'ours, le chien ; tantôt c'est le col
qui l'est davantage dans tout son contour, quand ils ont une crinière, comme le
lion. D'autres sont plus velus seulement sur le haut du col, à partir de la
tête jusqu'en bas des épaules, comme tous ceux qui ont un toupet, par exemple
le cheval et le mulet, et le bonase, parmi les animaux sauvages qui ont des
cornes. 6 L'animal qu'on appelle le cheval-cerf a une crinière sur le haut des
épaules, ainsi que la bête fauve nommée le Pardion. Du reste, la crinière de
l'un et de l'autre est fort légère, depuis la tête jusqu'à la naissance des
épaules; une particularité du cheval-cerf, c'est la barbiche qu'il porte [499b]
à la gorge. Tous deux portent des cornes, et ils ont le pied fendu en deux.
Dans l'espèce du cheval-cerf, la femelle manque de cornes. La grosseur de cet
animal se rapproche beaucoup de celle du cerf. On le trouve dans l'Arachosie,
où se trouvent également des bœufs sauvages. 7 La différence du bœuf sauvage au
bœuf domestique est à peu près celle du sanglier au porc. Le bœuf sauvage est
noir; il parait très-fort ; et son museau est recourbé. Ses cornes sont plus
renversées. Les cornes des chevaux-cerfs ressemblent assez à celles de la
gazelle. 8 L'éléphant est entre tous les quadrupèdes celui qui est le moins
velu. La queue dans les animaux est d'ailleurs velue ou dénudée, selon que le
corps est l'un des deux, du moins chez ceux dont la queue est assez forte ; car
il y en a qui l'ont d'une petitesse excessive.
9 Une conformation qui appartient exclusivement au chameau
entre tous les quadrupèdes, c'est ce qu'on appelle la bosse, qu'il a sur le
dos. Les chameaux de Bactriane diffèrent de ceux d'Arabie, en ce que les
premiers ont deux bosses, tandis que les autres n'en ont qu'une. D'ailleurs,
les chameaux ont en bas une autre bosse toute pareille à celle du haut, et ils
y appuient tout le corps, quand ils fléchissent les genoux. 10 La chamelle a
quatre mamelles, comme la vache. La queue du chameau ressemble à celle de l'âne
; et sa verge est dirigée en arrière. Il n'a qu'un seul genou à chaque jambe;
et il n'a pas plusieurs flexions, comme on le prétend quelquefois; mais on
dirait qu'il en a plusieurs, à cause du développement du ventre. Il a un
osselet pareil à celui du bœuf; mais cet osselet est grêle et petit
comparativement à la grandeur de la bête. 11 Le chameau a le pied fourchu, et
il n'a pas une double rangée de dents. Le pied est fourchu comme il suit; à
partir de derrière, il est peu fendu jusqu'à la seconde flexion des doigts ;
mais en avant, il est fendu en quatre, à son bout, à peu près jusqu'à la
première flexion des doigts. Il y a même entre les fentes une sorte de membrane
pareille à celle des oies. Le dessous du pied est charnu comme dans les ours;
et aussi, quand les chameaux qu'on emploie à la guerre viennent à avoir les
pieds malades, on leur met des chaussures de cuir.
12 Tous les quadrupèdes ont des pattes osseuses, pleines de
muscles et dépourvues de chair. En général, c'est la conformation de tous les
animaux [500a] qui ont des pieds; l'homme seul fait exception. Les quadrupèdes
n'ont pas de fesses ; et c'est aussi ce qu'on peut observer encore plus
nettement chez les oiseaux. Chez l'homme, c'est tout le contraire. Ses fesses,
ses cuisses, ses jambes sont, dans son corps entier, ce qu'il y a de plus
charnu; et ses mollets, par exemple, sont, dans ses jambes, des parties bien en
chair.
13 Les quadrupèdes, qui ont du sang et qui sont vivipares,
ont tantôt les extrémités à plusieurs divisions, comme les mains et les pieds
dans l'homme. Quelques-uns, en effet, ont plusieurs doigts, comme le lion, le
chien, la panthère. D'autres n'ont que deux divisions ; et au lieu d'ongles,
ont des pinces, comme le mouton, la chèvre, le cerf et l'hippopotame. Il en est
d'autres qui n'ont pas de divisions, comme les solipèdes, parmi lesquels on
peut citer le cheval et le mulet. Le porc a les deux conformations; car il y a
aussi dans l'Illyrie, dans la Péonie et ailleurs, des porcs qui sont solipèdes.
Les animaux à deux pinces, ou sabots, ont deux divisions en arrière. Dans les
solipèdes, cette partie est continue.
14 On peut encore remarquer que certains animaux ont des
cornes, et que les autres n'en ont pas. La plupart de ceux qui sont pourvus de
cornes ont naturellement deux pinces, comme le bœuf, le cerf et la chèvre ;
nous n'avons jamais vu de solipède qui eût deux cornes. Il y en a très-peu qui
aient à la fois une seule corne et un seul sabot, comme l'âne-indien. L'oryx
n'a qu'une corne, et il a une double pince. L'âne-indien est le seul parmi les
solipèdes à avoir un osselet. Le porc, comme on vient de le dire, présente les
deux conformations ; et c'est là sans doute ce qui fait que son osselet n'est
pas régulier. 15 Les animaux à pied fourchu ont la plupart un osselet. On n'a
pas encore vu d'animal digité qui eût un osselet de ce genre ; l'homme même
n'en a pas. Le lynx a quelque chose qui donne l'idée d'un demi-osselet; et dans
le lion, l'osselet, du moins tel qu'on le représente, se perd dans une sorte de
labyrinthe.
16 Tous les animaux qui ont un osselet, l'ont dans les
membres de derrière. L'osselet est placé tout droit dans l'articulation, la
partie supérieure en dehors, et la partie inférieure en dedans. Les parties de
Cos sont tournées en dedans, les unes vers les autres; celles qu'on appelle de
Chios, sont tournées en dehors, et les antennes, tournées en haut. Dans tout
animal qui a un osselet, l'osselet est posé de la façon qu'on vient de décrire.
17 II y a des animaux qui ont tout à la fois le pied
fourchu, une crinière, et deux cornes, qui sont recourbées [500b] l'une vers
l'autre. C'est le cas du bonase, qui se trouve en Péonie et en Médique.
18 Tous les animaux qui portent des cornes sont des
quadrupèdes, si ce n'est quelques animaux auxquels on attribue des cornes, par
métaphore et par manière de parler, comme ces serpents des environs de Thèbes
que citent les Égyptiens, et qui n'ont qu'un renflement à peine suffisant pour
qu'on puisse le noter.19 Parmi les animaux qui ont des cornes, le cerf est le
seul qui les a solides et pleines dans toute leur étendue; chez les autres
animaux, les cornes sont creuses jusqu'à une certaine hauteur; et l'extrémité
seule est pleine et solide. Le creux semble plutôt provenir de la peau ; et la
partie solide, qui s'arrange autour du creux, semble provenir de l'os; telles
sont les cornes des bœufs. 20 Le cerf est le seul animal qui perde son bois
chaque année, à partir de deux ans, et qui le reproduise. Les autres animaux
conservent toujours leurs cornes, dont ils ne sont privés que par quelque
violent accident.
Des mamelles
chez les animaux ; leur position ; leur nombre ; des organes de la génération,
dans l'homme, dans l'éléphant ; particularité de la femelle de l'éléphant ;
organes urinaires; composition de la verge ; rapports proportionnels des
parties supérieures et des parties inférieures du corps de l'homme ; il se
traîne à quatre pattes dans son enfance ; croissance des autres animaux ; des
dents ; le nombre en est égal ou inégal dans les deux mâchoires ; singularité
des animaux à cornes; dents saillantes ; dents carnassières ; animal étrange
des Indes décrit par Ctésias, le Martichore; chute des premières dents chez
l'homme et les autres animaux ; couleur diverse des dents selon l'âge ;
canines, incisives, molaires ; dents plus nombreuses chez les mâles ; les
crantères ; pousses extraordinaires ; dents de l'éléphant.
1 II y a encore bien des différences qui séparent le reste
des animaux, soit entre eux, soit de l'homme, en ce qui touche les mamelles et
les organes destinés à la fonction de l'accouplement. Certains animaux ont des
mamelles posées en avant sur la poitrine, ou près de la poitrine. Ils ont alors
deux mamelles et deux mamelons, comme on le voit dans l'homme et dans
l'éléphant, ainsi qu'on l'a dit plus haut. 2 Ce dernier animal a les deux
mamelles presque sous les aisselles; la femelle les a extrêmement petites; et
l'exiguïté de ces mamelles, très-peu proportionnées au volume de son corps,
fait qu'on ne les voit pas du tout quand c'est de côté qu'on les regarde. Les
mâles ont des mamelles, comme les femelles en ont; et chez eux, elles ne sont
pas moins petites. L'ours en a quatre. 3 II y a des animaux qui, ayant deux
mamelles, les ont entre les cuisses, et qui ont deux mamelons ou tétins, comme
la brebis. D'autres animaux ont quatre tétins, comme la vache. D'autres encore
n'ont les mamelles, ni sur la poitrine, ni sur les cuisses, mais sur le ventre,
comme la chienne et la truie, qui ont un grand nombre de mamelles, lesquelles
ne sont pas toutes égales.4 Bien des animaux ont plus de quatre mamelles; mais
la panthère n'en a que quatre, qui sont placées sur le ventre. La lionne n'en a
que deux, posées sur le ventre aussi. La chamelle a deux mamelles et quatre
mamelons, ainsi que les a la vache. Dans les solipèdes, les mâles n'ont pas de
mamelles, si ce n'est quelques individus qui ressemblent à leur mère. C'est ce
qui arrive quelquefois chez les chevaux.
5 Les organes honteux sont, chez les mâles, tantôt
extérieurs, comme dans l'homme, le cheval, et une foule d'autres; tantôt
intérieurs, comme dans [501a] le dauphin. Ceux qui ont ces organes au dehors,
tantôt les ont dirigés en avant, comme les animaux qu'on vient de nommer; et
parmi eux, les uns ont ces organes, le membre et les testicules, dégagés ainsi
qu'ils le sont chez l'homme; les autres ont les testicules et la verge attachés
au ventre. Tantôt ces organes sont plus détachés, tantôt ils le sont moins ;
car ils ne sont pas également détachés dans le sanglier et dans le cheval. 6 La
verge de l'éléphant ressemble à celle du cheval; mais elle est petite, et n'est
pas en proportion avec le volume de son corps. Ses testicules ne sont pas
apparents extérieurement; mais ils sont à l'intérieur près des reins ; et c'est
là ce qui fait que son accouplement est si rapide. La femelle de l'éléphant a
le vagin placé comme le sont les mamelles dans la brebis ; quand elle désire
l'accou-plement, elle relève son vagin en haut et le tourne vers le dehors,
afin que l'accouplement soit plus facile pour le mâle. Dans l'état ordinaire,
ce vagin ne s'ouvre qu'assez peu.
7 Telle est donc la disposition des organes de la
génération chez la plupart des animaux. Il y a des animaux qui urinent par
derrière, comme le lynx, le lion, le chameau et le lièvre, les mâles offrant
d'ailleurs pas mal de variétés entre eux, ainsi qu'on l'a dit. Mais toutes les
femelles urinent en arrière ; et la femelle de l'éléphant, tout en ayant
l'organe sous les cuisses, urine absolument comme les autres. 8 Les organes de
la génération présentent de nombreuses variétés. Tantôt la verge esl
cartilagineuse et charnue, comme chez l'homme. La partie charnue ne se gonfle
pas; mais le cartilage se développe. Parfois l'organe est nerveux comme dans le
chameau et le cerf; parfois il est osseux, comme dans le renard, le loup, le
putois et la belette, qui a aussi un os dans la verge.
9 Outre ces observations, il faut ajouter que l'homme
parvenu à tout son développement a les parties supérieures du corps plus
petites que celles du bas. Nous entendons par le Haut tout ce qui, à partir de
la tête, s'étend jusqu'à cette partie où a lieu la sortie des excrétions ; par
le Bas, nous entendons le reste du corps, à partir de là. Dans les animaux
pourvus de pieds, les membres postérieurs sont le bas relativement à la
dimension générale du corps; dans ceux qui n'ont pas de pieds, le bas c'est la
queue et ce qui y correspond. 10 C'est là du reste la conformation des animaux
arrivés à toute leur croissance ; mais pendant qu'ils grandissent, [501b] c'est
tout différent. Ainsi, l'homme a, dans son enfance, le haut du corps plus grand
que le bas; mais c'est le contraire quand il a atteint toute sa taille. Voilà
comment il est le seul animal qui n'ait pas la même manière de marcher dans son
premier âge et à sa maturité. Dans son enfance, il rampe d'abord en se traînant
à quatre pattes.
11 Dans d'autres animaux, le développement se fait proportionnellement,
comme dans le chien. D'autres, au contraire, ont d'abord les parties supérieures
plus petites, et celles d'en bas plus fortes. Avec la croissance, ce sont
parfois les parties d'en haut qui deviennent plus grandes, comme chez les
animaux qui ont une queue en panache ; mais ensuite aucun ne grandit dans la
partie comprise depuis le sabot jusqu'à la hanche.
12 Les dents n'offrent pas moins de différences dans les
animaux, soit par rapport les uns aux autres, soit avec l'homme. Tous les quadrupèdes,
qui ont du sang et qui sont vivipares, ont des dents. Mais une première
différence, c'est que, si les uns ont le même nombre de dents aux deux
mâchoires, les autres n'en ont pas le même nombre. Ainsi, tous les animaux à
cornes n'ont pas aux deux mâchoires un nombre égal de dents ; car ils n'ont pas
de dents de devant à la mâchoire supérieure. Il y a aussi des animaux sans
cornes qui n'ont pas les mâchoires pareilles ; tel est le chameau. Il y en a
qui ont les dents saillantes, comme le sanglier; d'autres ne les ont pas en
saillie. 13 Certains animaux ont des dents carnassières, comme le lion, la
panthère, le chien; d'autres ont des dents qui n'alternent pas, comme le cheval
et le bœuf. Les animaux à dents carnassières sont ceux dont les dents aiguës
sont alternées.14 Il n'est pas d'animal qui ait tout à la fois des dents
saillantes et des cornes ; et aucun de ceux qui ont des dents carnassières n'a
aucun de ces deux organes, ni cornes, ni dents en saillie. Dans la plupart des
animaux, ce sont les dents de devant qui sont aiguës ; celles du dedans sont
larges. Le phoque a toutes ses dents carnassières, sans doute à cause de sa
ressemblance avec les poissons, qui presque tous ont les dents en scie et
carnassières.
15 Aucune de ces deux espèces n'a une double rangée de
dents. Cependant, à en croire Ctésias, il y en aurait une; car il prétend que,
dans les Indes, il y a un animal sauvage, nommé Martichore, pourvu de trois
rangées de dents aux deux mâchoires. IL est à peu près de la grosseur du lion ;
il est aussi velu, et ses pieds sont semblables. Il a un visage et des oreilles
dans le genre de l'homme; ses yeux sont bleus, et sa couleur est d'un rouge de
cinabre ; sa queue est comme celle du scorpion de terre; elle a un aiguillon,
et il lance, assure-t-on, des pointes comme des flèches. Il a une sorte de voix
qui tient de la flûte et de la trompette. Sa course est rapide au moins autant
que celle des cerfs ; il est féroce, et il dévore les hommes.
16 [502a] L'homme perd ses dents comme les perdent aussi d'autres
animaux, par exemple, le cheval, le mulet, l'âne. L'homme perd ses dents de
devant; mais il n'y a pas un seul animal qui perde ses molaires. Le porc ne
perd jamais aucune de ses dents. Pour les chiens, la question fait doute. Les
uns croient que le chien ne perd jamais une seule de ses premières dents ;
d'autres assurent qu'il ne perd que les canines. Nous avons observé qu'il les
perd absolument comme nous ; seulement, on ne s'en aperçoit pas, parce qu'il ne
les perd point avant que d'autres toutes pareilles ne soient poussées à leur
place. 17 II est bien probable que c'est ce qui se passe aussi dans les bêtes
sauvages ; et l'on dit d'elles également qu'elles ne perdent que leurs canines.
C'est aux dents qu'on peut reconnaître si les chiens sont jeunes ou âgés. Chez
les jeunes, les dents sont blanches et pointues; chez les vieux chiens, elles
sont noires et émoussées. Dans le cheval, c'est tout le contraire de ce qu'on
voit dans le reste des animaux ; en vieillissant tous les animaux ont les dents
plus noires ; le cheval seul les a plus blanches. 18 Les dents qu'on appelle
canines séparent les incisives des molaires, et elles ont une forme qui tient
des unes et des autres ; elles sont larges par le bas, et elles sont pointues
par le haut.
19 Les mâles ont plus de dents que les femelles, aussi bien
chez l'homme que dans les moutons, les chèvres et les porcs. On n'a pas pu
encore faire de ces observations sur les autres animaux. Ceux qui ont un plus
grand nombre de dents sont en général aussi d'une existence plus longue, de
même que ceux qui ont moins de dents et des dents plus écartées vivent moins
longtemps.
20 Les molaires qu'on appelle Crantères ne poussent dans
l'homme que les dernières, d'ordinaire vers vingt ans, pour les hommes et pour
les femmes également. On a déjà vu quelques femmes à qui des molaires ont
poussé à l'âge de quatre-vingts ans; mais cette pousse était très-douloureuse.
On l'a vue aussi chez des hommes ; mais ce phénomène ne se produit que quand,
dans sa jeunesse, on n'a point eu de Crantères.
21 L'éléphant a quatre dents de chaque côté ; elles lui
servent à broyer sa nourriture, qu'il réduit en une sorte de farine. Outre ces
quatre dents, il a encore les deux grandes qu'on connaît. Le mâle a ces deux
dents fortes et relevées ; dans la femelle, elles sont petites, et tournées
[502b] en sens contraire de celles du mâle, puisqu'elles regardent en bas.
C'est dès le moment même de la naissance que l'éléphant a des dents ; mais tout
d'abord, les grandes ne sont pas apparentes. Sa langue est très petite, et
renfoncée de telle sorte qu'on a quelque peine à la voir.
différences
dans la grandeur; très-fendues, petites ou moyennes ; l'hippopotame d'Egypte ;
sa crinière, son pied fendu; son mufle; son osselet; ses dents; sa queue; sa
voix; sa grandeur; son cuir; ses organes intérieurs.
1 La bouche des animaux présente aussi bien des différences
de grandeur. Chez les uns, elle est très-fendue, comme celle du lion, du chien
et de tous les animaux à dents en scie ; d'autres ont la bouche petite, comme
l'homme; d'autres enfin ont une bouche moyenne, comme l'espèce porcine.
2 Le cheval de rivière, l'Hippopotame d'Egypte, a une
crinière comme le cheval; il a le pied fendu, comme le bœuf ; son mufle est
recourbé ; il a aussi un osselet, comme les animaux à pied fendu, et des dents
saillantes, qui paraissent à peine. Il a la queue du porc et la voix du cheval.
Sa grandeur se rapproche de celle de l'âne, et son cuir est tellement épais
qu'on peut en faire des dards. Ses organes intérieurs ressemblent à ceux du
cheval et de l'âne.
Les singes, de
trois espèces ; description du singe ; il est velu en dessus et en dessous ;
ses rapports avec la forme humaine ; sa bestialité; organisation particulière
de ses pieds, qui sont tout ensemble des pieds et des mains ; il marche
beaucoup plus souvent à quatre pattes que tout droit; et pourquoi; organes
génitaux.
1 Certains animaux ont une nature qui tient tout à la fois
de celle de l'homme et de celle des quadrupèdes; ce sont les singes, les cèbes
et les baboins, ou cynocéphales. Le cèbe n'est qu'un singe pourvu d'une queue.
Les baboins ont la même forme que les singes, si ce n'est qu'ils sont plus
grands et plus forts; et que leur face ressemble davantage à celle du chien.
Leur caractère est plus sauvage ; et leurs dents, qui sont plus rapprochées des
dents de chien, sont aussi plus fortes. 2 Les singes sont velus dans les
parties supérieures, parce qu'ils sont des quadrupèdes ; et les parties de
dessous le sont également, parce qu'ils ressemblent à l'homme. Ainsi qu'on l'a
dit un peu plus haut, les choses sont chez l'homme tout le contraire en ceci de
ce qu'elles sont dans les animaux. Seulement, le poil des singes est
très-fourni ; et ils sont très-velus des deux côtés, dessus et dessous. 3 Leur
face a beaucoup d'analogie avec le Visage humain; leur nez, leurs oreilles,
leurs dents, se rapprochent beaucoup de celles de l'homme, tant pour les dents
de devant que pour les molaires. Tandis que le reste des quadrupèdes n'ont pas
de cils aux deux paupières, le singe en a; mais ces cils sont fort rares,
surtout ceux d'en bas, et excessivement courts. Les autres quadrupèdes n'en ont
pas du tout.
4 Le singe a comme l'homme deux mamelons pour de petites
mamelles. Ainsi que l'homme, il a des bras; seulement, ils sont velus;
[503a] il les fléchit, ainsi que les jambes, tout à fait à la façon de
l'homme, c'est-à-dire que les concavités formées par les membres fléchis sont
en sens opposé. 5 De plus, il a des mains, des doigts et des ongles pareils à
ceux de l'homme, si ce n'est que, dans le singe, toutes les parties ont quelque
chose de bien plus bestial. Les pieds du singe sont très particuliers; ce sont
comme de larges mains. 6 Les doigts du pied sont comme ceux des mains; mais le
moyen doigt est très-long. Le dessous du pied ressemble à celui de la main, si
ce n'est que, dans sa largeur, le dessous de leur main vers son extrémité est
une plante de pied. A son bout, cette partie est plus dure, et elle imite assez
mal et très-imparfaitement un talon. 7 Le singe se sert de ses pieds de
deux façons, et comme mains et comme pieds ; et il les fléchit comme des mains.
Il a le bras et la cuisse très-courts par rapport à l'avant-bras et à la jambe.
Il n'a pas de nombril apparent au dehors; mais la partie qui correspond à
l'ombilic a quelque chose de dur. 8 Comme les quadrupèdes, il a les
parties supérieures du corps beaucoup plus grandes que les parties d'en bas,
dans le rapport à peu près de cinq à trois. A celte première cause, il faut
ajouter que ses pieds ressemblent à des mains, et qu'il sont comme un composé
de main et de pied : de pied, parce qu'ils ont l'extrémité d'un talon; de main,
par toutes les autres parties, parce que les doigts ont ce qu'on peut appeler
une pau-me. De tout cela, il résulte que le singe se tient bien plus souvent à
quatre pattes que tout droit. 9 En tant que quadrupède, il n'a point de fesses;
en tant que bipède, il n'a point de queue, si ce n'est une queue très-petite,
qui n'est qu'un semblant de queue. La femelle a le vagin pareil à celui de la
femme, et la verge du mâle se rapproche plus de la verge du chien que de celle
de l'homme. Les singes appelés Cèbes ont une queue, ainsi qu'on l'a dit plus
haut. Quant aux parties intérieures, les singes et tous les animaux du même
genre les ont distribuées comme elles le sont chez l'homme.
10 Voilà donc la disposition des organes extérieurs chez
les vivipares.
Des
quadrupèdes ovipares ; leur organisation générale ; ils ont une queue plus ou
moins longue, plusieurs doigts, et le pied fendu; particularité du crocodile
d'Egypte, qui n'a pas de langue ; les quadrupèdes ovipares n'ont pas d'oreilles
; le crocodile de rivière ; son organisation ; sa vie sur terre et dans l'eau.
1 Les quadrupèdes qui sont ovipares et qui ont du sang, et
l'on sait qu'il n'y a pas d'animal de terre ovipare et ayant du sang, qui ne
soit ou qua-drupède ou privé de pieds, les quadrupèdes ovi-pares, dis-je, ont
une tête, un cou, un dos, le dessus du corps et le dessous, enfin des membres
de devant et de derrière, et une partie répondant à la poitrine, absolument
comme les quadrupèdes vivipares. En général, ils ont une queue plus grande;
d'autres l'ont plus petite. Tous les animaux de cet ordre ont plusieurs doigts,
et le pied fendu. 2 Tous aussi ont les organes des sens et une langue, [503b] à
l'exception du crocodile d'Egypte. Le crocodile est organisé comme certains
poissons; car en général les poissons ont une langue qui ressemble à une arête,
et qui n'est pas détachée. Quelques-uns ont cette place tout à fait lisse et
sans aucune articulation apparente, à moins qu'on n'ouvre fortement la bouche
de la bête.
3 Aucun animal de ce genre n'a d'oreilles; ils n'ont tous
que le conduit auditif. Ils n'ont ni mamelles, ni organe génital, ni testicules
extérieurs ei visibles : ils les ont intérieurement. De plus, ils ont tous des
dents carnassières et des écailles, sans avoir jamais de poils. 4 Les
crocodiles de rivière ont des yeux de cochon, des dents très-grosses, des
défenses, des ongles très-forts, et la peau impénétrable et écaille use. Ils
voient mal dans l'eau : mais hors de l'eau, ils ont une vue des plus perçantes.
Aussi. les crocodiles vivent-ils le plus souvent sur terre pendant le jour;
mais la nuit, ils séjournent dans l'eau, qui est alors plus chaude que le plein
air.
Ses cotes, son
dos, sa queue ordinairement enroulée; ses pattes et leurs divisions
remarquables; ses yeux, d'une organisation toute particulière; ses changements
de couleur, noire et jaune, dans le corps entier ; lenteur de ses mouvements;
sa chair; son sang; membranes spéciales sur son corps; persistance de sa
respiration; pas de rate; sa vie dans des trous.
1 Le caméléon a, dans tout son corps, la forme d'un lézard
; mais les côtes descendent en bas, pour se rejoindre au-dessous du ventre,
comme dans les poissons. Son dos se relève aussi tout à fait comme le leur. Sa
face ressemble beaucoup à celle du singe-cochon. Il a une queue fort longue,
qui finit en pointe, et qui ordinairement est enroulée, comme on le ferait
d'une lanière. 2 II est plus haut que les lézards par sa distance du sol;
et il fléchit ses pattes comme le font les lézards. Chacune de ses pattes est divisée
en deux parties, qui sont posées l'une par rapport à l'autre, comme le pouce,
qui chez nous est opposé au reste de la main ; chacune de ces parties se
subdivise à son tour, sans aller bien loin, en plusieurs doigts. 3 Aux pieds de
devant, la partie tournée vers l'animal a trois divisions ; la partie
extérieure en a deux. Aux pieds de derrière, c'est la partie tournée vers
l'animal qui en a deux, et la partie tournée vers le dehors qui en a trois. Sur
ces doigts, il a de petits ongles pareils à ceux des oiseaux pourvus de serres.
Tout son corps est rugueux, comme celui du crocodile. 4 Le caméléon a les yeux
placés dans un renfoncement, très-grands, ronds et entourés d'une peau pareille
à celle du reste du corps. Au milieu de ces yeux, il y a un petit espace réservé
pour la vision ; et c'est par là que l'animal peut voir, parce qu'il ne
recouvre jamais cette partie de l'œil avec sa peau. Il peut faire rouler [504a]
ses yeux comme en cercle ; et pouvant porter la vue dans tous les sens, c'est
ainsi qu'il voit tout ce qu'il veut voir.
5 Les changements de couleur du caméléon se produisent
quand l'animal se gonfle. Il a parfois la couleur d'un noir assez rapproché du
crocodile; parfois il a la couleur jaune d'un lézard, mêlée à du noir, comme
dans la panthère. Ce changement singulier a lieu sur tout le corps; et les
yeux, aussi bien que la queue, changent comme tout le reste. 6 Ses mouvements
sont lents, comme ceux des tortues. Quand il meurt, il devient jaune; et cette
couleur persiste après sa mort. L'estomac, ou œsophage, et la trachée-artère
sont disposés comme dans les lézards. Il n'a de chair nulle part, si ce n'est
près de la tête et des mâchoires, où il en a quelque peu, ainsi qu'au bout de
l'appendice de sa queue. 7 II n'a de sang que vers le cœur, autour des yeux,
dans la partie supérieure au cœur, et dans les petites veines qui sortent de
ces parties ; et encore, elles n'en ont que très-peu. Son cerveau est placé un
peu plus haut que les yeux, auxquels il tient. Quand on enlève la peau
extérieure des yeux, il y a un petit corps qui y est enveloppé, et qui y brille
comme une sorte d'anneau d'airain bien poli. 8 Sur la presque totalité de son
corps, s'étendent des membranes, nombreuses, fortes, et dépassant de beaucoup
la force de celles qui recouvrent le reste du corps. Il respire encore d'un
souffle vigoureux, longtemps après qu'on l'a coupé dans toutes ses parties ; il
conserve alors un petit mouvement vers le cœur, et il contracte vivement les
parties des flancs, tout en contractant aussi les autres parties du corps. 9 Il
n'a point de rate perceptible. Il hiverne dans des trous comme les lézards.
Rapports et
différences de leurs pattes avec les jambes de l'homme ; conformation de la
hanche chez les oiseaux ; ongles multiples des oiseaux ; nombre et disposition
de leurs doigts ; la bergeronnette ; bec des oiseaux ; leurs yeux, leurs
paupières ; membrane mobile de leur œil ; leurs plumes à tuyau; leur croupion
plus ou moins lourd, selon qu'ils volent haut ou bas ; langue des oiseaux;
absence d'épiglotte; ergots et serres; crêtes de plumes ; crête spéciale du
coq.
1 Les oiseaux ont quelques-unes de leurs parties semblables
à celles des animaux dont on vient de parler. Tous, en effet, ils ont uiïe
tête, un cou, un dos, et des parties supérieures du corps, ainsi qu'une partie
correspondant à la poitrine. Ils ont deux jambes, qui se rapprochent de celles
de l'homme plus que dans aucun genre d'animaux. Seulement, l'oiseau les fléchit
en arrière, comme les quadrupèdes, dont on a plus haut décrit les flexions. 2
Au lieu de mains et de pieds de devant, qu'il n'a pas, l'oiseau a des ailes,
organisation qui lui est propre entre tous les animaux. Sa hanche pareille
[504b] à une cuisse est longue, et elle s'avance jusque sous le milieu du
ventre. Aussi, quand on la sépare, on dirait que c'est une cuisse, et que la
véritable cuisse, placée entre la hanche et la patte, semble être quelque autre
membre du corps. Parmi tous les oiseaux, ce sont ceux qui ont des serres dont
les cuisses sont les plus grandes ; et la poitrine de ces oiseaux est plus
forte que celle de tous les autres. 3 Tous les oiseaux ont plusieurs ongles, et
l'on peut même dire que tous en quelque façon ont plusieurs divisions aux
pattes. Chez la plupart, les doigts sont séparés. Ceux qui nagent ont des pieds
palmés ; et leurs doigts, articulés et séparés nettement. Tous ceux d'entre eux
qui volent haut sont pourvus de quatre doigts, dont en général trois sont en
avant, et un est en arrière, à la place du talon. C'est un petit nombre
d'oiseaux qui ont deux doigts en avant et deux en arrière, comme celui qu'on
appelle Torcol. 4 Cet oiseau est un peu plus grand que le pinson ; son plumage
est de plusieurs couleurs. Si ses doigts sont particuliers, sa langue ne l'est
pas moins; elle ressemble à celle des serpents; il peut l'allonger hors du bec
de quatre doigts; et il la fait rentrer ensuite dans le bec. Autre singularité
: il tourne son cou en arrière, sans que le reste de son corps bouge en quoi
que ce soit, comme le font les serpents. Il a de très-grands ongles, qui
ressemblent à ceux des geais ; sa voix est aigre et sifflante.
5 Les oiseaux ont bien une bouche ; mais chez eux, elle est
toute particulière. Ils n'ont, en effet, ni lèvres, ni dents ; ils ont un bec.
Ils n'ont pas non plus d'oreilles, ni de nez; mais ils ont les conduits de ces
deux sens, de l'odorat dans le bée, et de l'ouïe dans la tête. 6 Comme tous les
autres animaux, ils ont deux yeux, mais dépourvus de cils. Les oiseaux qui sont
lourdement construits ferment l'œil par la paupière d'en bas ; mais tous
peuvent aussi couvrir l'œil, en faisant avancer une peau, à partir de la
caroncule. Les oiseaux de nuit, dans le genre de la chouette, ferment aussi
l'œil par la paupière d'en haut. C'est là également ce que font les animaux à
peau rugueuse, comme les sauriens, et les animaux qui sont de ce même genre.
Tous ferment l'œil par la paupière d'en bas ; mais ils ne clignent pas tous à
la manière des oiseaux. 7 Les oiseaux n'ont ni écailles, ni poils ; ils ont des
plumes, et toutes leurs plumes ont un tuyau. Us n'ont pas précisément de queue,
mais un croupion, qui est petit dans les oiseaux qui ont de hautes pattes et
des pieds palmés, et qui est grand chez ceux qui sont organisés d'une façon
contraire. Ces derniers, quand ils volent, ont les pattes repliées sous le
ventre; ceux qui ont le croupion petit volent avec les pattes allongées.
8 Tous les oiseaux ont une langue ; mais cette langue varie
beaucoup. Les uns [505a] l'ont très longue; les autres, très-courte. Après l'homme,
ce sont quelques oiseaux en petit nombre qui prononcent le mieux le son des
lettres; et parmi eux encore, ce sont surtout ceux dont la langue est large.
Aucun animal ovipare n'a d'épiglotte recouvrant la trachée-artère ; mais ils
contractent et ils dilatent le canal de telle façon qu'aucun corps de quelque
poids ne puisse descendre dans le poumon. 9 Certaines espèces d'oiseaux ont
aussi un ergot ; mais il n'en est pas une seule qui ait à la fois des ergots et
des serres. Les oiseaux pourvus de serres sont les oiseaux à grand vol; les
oiseaux à ergots sont ceux dont le vol est pesant. Certains oiseaux ont une
crête, qui est formée par les plumes, qui se redressent. Le coq est le seul qui
ait une crête toute spéciale ; car cette crête n'est ni tout à fait de la
chair, ni très-éloignée d'en être.
; leurs
rapports et leurs différences avec les autres animaux ; leur queue ; ils n'ont
pas de cou ; le dauphin et ses mamelles ; particularité des branchies spéciale
aux poissons ; leurs nageoires en nombre plus ou moins grand ; branchies
couvertes ou découvertes ; différences de leur position ; nombre des branchies
variable, mais toujours égal des deux côtés dé l'animal ; exemples divers ; les
poissons n'ont, ni poils, ni plumes ; leurs écailles; quelques poissons sont
lisses; tous les poissons ont les dents en scie et pointues; quelques-uns ont
plusieurs rangées de dents ; langue des poissons, organisée d'une manière
étrange ; leur bouche ; yeux des poissons ; tous les poissons ont du sang ;
poissons ovipares; poissons vivipares.
1 Parmi les animaux qui vivent dans l'eau, les poissons
forment un genre à part, qui est nettement déterminé et qui comprend de
nombreuses espèces. Les poissons ont une tête; ils ont un dessus du corps et un
dessous; c'est dans ce dernier lieu que sont placés l'estomac et les intestins.
Par derrière, ils ont une queue, qui est le prolongement du corps et qui n'en
est pas séparée. Cette queue d'ailleurs n'est pas pareille dans tous les
poissons.
2 Le poisson n'a jamais de cou ; il n'a pas de membre
proprement dit. Il n'a pas de testicules, ni en dedans, ni en dehors, non plus
que de mamelles. Ce dernier organe d'ailleurs manque absolument dans tout
animal qui n'est pas vivipare ; et même parmi les vivipares, tous n'ont pas de
mamelles ; mais ceux-là seuls en ont qui produisent en eux-mêmes un petit,
lequel est immédiatement vivant en eux, et qui ne produisent pas d'abord un
œuf. 3 Ainsi le dauphin, qui est vivipare, a deux mamelles, non pas
placées en haut, mais situées près des articulations. Ses mamelons ne sont pas
apparents, comme dans les quadrupèdes; mais ce sont des espèces d'orifices, un
de chaque côté sur les flancs ; c'est de ces orifices que sort le lait, tété
par les petits, qui suivent leur mère. Le fait a été constaté par quelques
personnes qui l'ont parfaitement vu.
4 Si les poissons, ainsi qu'on vient de le dire, n'ont ni
mamelles, ni organe génital apparent, ils ont la particularité des branchies,
par où ils rejettent l'eau qu'ils ont prise dans leur bouche, et aussi la
particularité des nageoires. La plupart des poissons ont quatre nageoires ;
ceux qui sont très-allongés, comme l'anguille, n'en ont que deux près des
branchies. C'est encore l'organisation des mulets de l'étang de Siphées, et
également du poisson qu'on appelle le Taenia. 5 Quelques poissons allongés, comme
la murène, n'ont pas de nageoires, non plus que de branchies, articulées comme
dans les autres poissons. Parmi ceux qui sont pourvus de branchies, les uns ont
des branchies [505b] recouvertes d'opercules; mais les sélaciens n'en ont
jamais. Ceux qui ont des opercules ont les branchies placées sur le côté. Entre
les sélaciens, ceux qui sont larges ont les branchies en bas, dans le dessous
du corps, comme la torpille et le Batos ; les sélaciens qui sont très longs
portent les branchies sur le côté, comme tous ceux qui sont du genre des chiens
de mer. La grenouille marine les a sur le côté ; mais les branchies sont
recouvertes non d'un opercule de genre épineux, comme dans les poissons qui ne
sont pas des sélaciens, mais par un opercule analogue à la peau.
6 Dans les poissons qui ont des branchies, les uns les ont
simples ; chez les autres, elles sont doubles. La dernière, qui touche le
corps, est toujours simple. Les uns ont peu de branchies; les autres en ont
beaucoup; mais tous en ont un nombre égal de chaque côté. Le poisson qui en a
le nombre moindre en a toujours une de chaque côté ; et celle-là est double,
comme dans le sanglier d'eau. 7 D'autres poissons ont deux ouïes de chaque côté,
l'une simple et l'autre double, comme le congre et le scare. D'autres en ont
jusqu'à quatre de chaque côté, qui sont simples, comme l'ellops ou esturgeon,
le synagris, la murène et l'anguille. D'autres en ont quatre sur deux rangs, si
ce n'est la dernière, comme la grive d'eau, la perche, le glanis et la carpe.
Tout le genre des chiens de mer a des ouïes doubles, cinq de chaque côté.
L'espadon en a huit, qui sont doubles.
8 Voilà ce qu'on peut dire pour le nombre des branchies
dans les poissons.
9 La différence des branchies n'est pas la seule que les
poissons présentent relativement aux autres animaux. Ainsi, ils n'ont pas de
poils comme les vivipares terrestres ; ils n'ont pas d'écailles dans le genre
de quelques quadrupèdes ovipares; ils ne sont pas non plus couverts de plumes
comme les oiseaux. Mais pour la plupart, ils sont couverts de lames
écailleuses; quelques-uns ont une peau rugueuse; enfin, c'est le plus petit
nombre qui ont la peau lisse. Parmi les sélaciens, les uns sont rugueux;
d'autres sont lisses, tels que les congres, les anguilles et les thons. 10 Tous
les poissons, sauf le scare, ont les dents en scie. Tous aussi ont des dents
pointues. Quelques-uns même en ont plusieurs rangs; ils en ont jusque sur la
langue. Leur langue est dure et dans le genre des arêtes ; elle est tellement
attachée qu'on pourrait croire quelquefois qu'ils n'en ont pas. La bouche est
très-fendue dans quelques-uns, comme elle l'est dans certains vivipares
quadrupèdes. 11 Pour les divers sens, ils n'ont rien d'apparent, ni l'organe
lui-même, ni les conduits, pas plus pour Fouie que pour l'odorat. Mais tous ils
ont des yeux, sans paupières, quoique ces yeux ne soient pas durs. 12 [506a] Le
genre entier des poissons a du sang; les uns sont ovipares; les autres,
vivipares. Tous les poissons à écailles sont ovipares; mais tous les sélaciens,
à l'exception de la grenouille de mer, sont vivipares.
Serpents de
terre, serpents d'eau, dans les eaux douces ou dans la mer, jamais dans les
eaux profondes ; les serpents n'ont pas de pieds non plus que les poissons;
scolopendres de mer et de terre; petit poisson saxatile, l'Échénéïs, ou Rémora;
usages superstitieux qu'on en fait. — Résumé.
1 La dernière espèce des animaux qui ont du sang est celle
des serpents; ils sont de terre et d'eau. La plupart vivent sur terre; c'est le
plus petit nombre qui vivent dans l'eau et dans les eaux potables. Il y a aussi
des serpents de mer, qui ressemblent aux serpents de terre, pour toutes les
autres parties, si ce n'est la tête, qu'ils ont plutôt pareille à celle du
congre. Il y a de nombreuses espèces de serpents marins; et leurs couleurs sont
très-variées; mais on ne les trouve pas dans les eaux profondes. Les serpents
sont dépourvus de pieds, ainsi que les poissons.
2 Il y a aussi des scolopendres de mer, dont la forme et à
peu près celle des scolopendres terrestres; seulement, elles sont un peu plus
petites. Elles se trouvent dans les rochers. Leur couleur est plus rouge que
celle des scolopendres de terre ; elles ont en outre plus de pattes, et ces
pattes sont plus grêles. Non plus que les serpents de mer, elles ne se trouvent
pas dans les eaux profondes.
3 Un petit poisson qui vit dans les rochers a reçu de
quelques personnes le nom de Échénéïs, ou Rémora; on s'en sert parfois pour des
conjurations, dans les procès, ou pour des philtres. Il n'est pas mangeable. On
a prétendu parfois que ce poisson a des pieds; mais il n'en a pas; il semble
seulement en avoir, parce que ses nageoires ressemblent à des pieds.
4 On a donc traité jusqu'à présent des parties extérieures
des animaux qui ont du sang, du nombre de ces parties et de leur nature ; et
l'on a exposé les différences que les animaux présentent entre eux à cet égard.
Selon qu'ils
ont du sang, ou qu'ils n'en ont pas; tous les vivipares quadrupèdes ont un
œsophage et une trachée-artère ; les quadrupèdes ovipares et les oiseaux les
ont aussi avec des différences de formes; tous les animaux qui ont du sang ont
un cœur ; chez quelques-uns, il y a un os dans le cœur ; tous les animaux qui
ont du sang n'ont pas tous de poumon ; la rate très-petite dans quelques
animaux ; exemples divers ; la vésicule du fiel manque chez beaucoup d'animaux;
les biches Achaïnes ont une matière analogue au fiel sous la queue ; vers
vivants dans la tête des cerfs ; leur place, leur nombre, leur grosseur ; le
cerf n'a pas de fiel ; amertume de ses intestins ; foie et fiel de l'éléphant ;
vésicule du fiel dans les poissons ; sa position variable, suivant qu'elle est
plus ou moins près du foie, qu'elle y est jointe ou qu'elle en est détachée ;
variétés selon les espèces et dans une même espèce.
1 Nous exposerons ce que sont les parties intérieures, en
commençant par les animaux qui ont du sang; car ce qui distingue les grandes
espèces d'animaux de toutes les autres, c'est que les uns ont du sang, et que
les autres n'en ont pas. Les espèces qui en ont sont l'homme, les vivipares
parmi les quadrupèdes, et aussi les quadrupèdes ovipares, l'oiseau, le poisson,
les cétacés, et tels autres animaux qui n'ont pas de nom commun, attendu qu'ils
ne forment pas un genre, mais seulement une espèce, qui ne s'applique qu'aux
individus, tels que le serpent et le crocodile.
2 Ceci posé, il faut dire que tous les quadrupèdes
vivipares ont un œsophage et une trachée-artère, qui sont placés chez eux comme
ils le sont dans l'homme. La même disposition se voit dans les quadrupèdes
ovipares et dans les oiseaux ; [506b] la seule différence consiste dans les formes
de ces parties. 3 Tous les animaux qui, en recevant l'air, aspirent et
expirent, ont un poumon, une trachée-artère et un œsophage. L'œsophage et la
trachée ont la même position dans ces animaux; mais ces organes ne sont pas les
mêmes dans tous. Ceux qui ont un poumon ne l'ont pas tous pareil, ni dans une
position semblable. 4 Tout animal qui a du sang a aussi un cœur, et un
diaphragme, qu'on appelle Phrénique. On ne distingue pas le cœur aussi bien
dans les petits animaux, parce qu'il est mince et petit. Dans les bœufs,
l'organisation du cœur a quelque chose de particulier; certaines races, si ce
n'est toutes, ont un os dans le cœur; et le cœur des chevaux offre parfois
cette singularité,
5 Parmi les animaux qui ont du sang, tous n'ont pas de
poumon ; et c'est ainsi que le poisson n'en a pas, non plus que tous les autres
animaux qui ont aussi des branchies. Tous ceux qui ont du sang ont un foie, de
même qu'en général ces animaux ont une rate. Mais dans la plupart de ceux qui
ne sont pas vivipares et qui sont ovipares, la rate est si petite qu'on ne peut
presque pas l'apercevoir, non plus que dans la plupart des oiseaux, tels que le
pigeon, le milan, l'épervier et la chouette. L'aegocéphale n'en a pas même du
tout. 6 II en est de même dans les quadrupèdes ovipares, qui ont tous une rate
excessivement petite, comme la tortue, l'Émys ou tortue d'eau douce, le
crapaud, le lézard, le crocodile et la grenouille. 7 Certains animaux ont du
fiel dans une poche jointe au foie ; d'autres n'en ont pas. Parmi les vivipares
en même temps quadrupèdes, le cerf n'en a pas, non plus que le daim, ni le
cheval, le mulet, l'âne, le phoque et quelques espèces de porcs. Les biches qui
ont reçu le nom d'Achaïnes ont, dit-on, du fiel sous la queue. Pourtant la
matière dont on entend parler a bien, si l'on veut, la couleur du fiel; mais
elle n'est pas aussi liquide; et sa portion extérieure ressemble assez à la
rate. 8 Tous les cerfs ont dans la tête des vers vivants. Ces vers se
produisent dans la cavité qui est au-dessous de la langue en bas, et encore
près de la vertèbre, où se rattache la tête. Leur grosseur est celle des plus
forts asticots ; ils sont pressés les uns contre les autres, et se tiennent
entre eux, au nombre à peu près d'une vingtaine. 9 Ainsi qu'on vient de
le dire, les cerfs n'ont pas de fiel; mais leurs intestins ont une telle
amertume que même les chiens n'en veulent pas manger, si ce n'est [507a] quand
le cerf est très-gras.
10 Le foie de l'éléphant n'a pas non plus de fiel; mais si
on le coupe, dans l'endroit précis où est attaché le fiel dans les animaux qui
en ont, il en découle un liquide qui ressemble au fiel, et qui est plus ou
moins abondant. 11 Parmi les animaux qui avalent l'eau de la mer et qui ont un
poumon, le dauphin n'a pas de fiel ; mais les oiseaux et les poissons en ont
tous, ainsi que les quadrupèdes ovipares; seulement ils en ont, comme on peut
croire, en plus ou moins grande quantité. Quelques poissons ont cette vésicule
dans le foie, comme les squales ou chiens de mer, le glanis, la rhina, la raie
lisse, la torpille, et parmi les poissons allongés, l'anguille, l'aiguille et
la zygène. Le callionyme, ou ouranoscope, a aussi cette vésicule jointe au foie
; et chez lui, elle est plus forte-que chez aucun autre poisson,
proportionnellement à sa grandeur. 12 Certains poissons l'ont jointe à leurs
intestins, où elle est suspendue par des canaux excessivement ténus, partant du
foie. Le bonilon (amia) l'a étendue le long de l'intestin et de pareille
longueur; quelquefois même, elle se redouble. Chez tous les autres poissons, la
vésicule du fiel est tout près de l'intestin, un peu plus près, dans les uns,
un peu plus loin dans les autres, comme la grenouille, l'ellops, la synagris,
la murène et l'espadon.
13 Souvent la même espèce a les deux conformations, comme
il arrive dans les congres, dont quelques-uns ont la vésicule du fiel attachée
au foie, ou suspendue au bas et au-dessous du foie. Cette variété se produit
aussi dans les oiseaux ; ceux-ci ont la vésicule près de l'estomac ; ceux-là,
près des intestins, comme le pigeon, le corbeau, la caille, l'hirondelle, le
moineau. Dans d'autres, comme l'œgocéphale, elle est en même temps près du foie
et près de l'estomac. Dans d'autres encore, elle est en même temps près du foie
et des intestins, comme dans l'épervier et le milan.
La vessie ;
position générale du cœur; description du foie; la rate; déplacements
monstrueux du foie et de la rate ; de l'estomac dans les animaux ; description
des quatre estomacs des ruminants ; le. réseau, le hérisson, la caillette;
animaux qui n'ont qu'un seul estomac ; diversités des estomacs uniques ; deux
types d'estomacs; conformation générale des intestins; l'éléphant; les
quadrupèdes ovipares ; organisation des serpents fort rapprochée de celle du
lézard; leur langue bifurquée; leurs intestins; organisation de l'estomac et
des intestins chez les poissons; appendices aux intestins, dans les poissons et
les oiseaux ; le jabot chez les oiseaux ; description du jabot ; le jabot est
remplacé par l'œsophage dans quelques espèces; exemples divers; en ce cas, la
conformation de l'œsophage est très-spéciale ; conduit intestinal et appendices
intestinaux dans les oiseaux ; appendices chez les oiseaux les plus petits.
1 Tous les quadrupèdes vivipares ont des reins et une
vessie. Quant aux ovipares, il n'en est pas un qui ait ces organes, oiseau ou
poisson. La tortue de mer est la seule, parmi les quadrupèdes ovipares, à les
avoir dans la proportion des autres parties de son corps. Les reins de la
tortue de mer ressemblent à ceux du bœuf; et le rein du bœuf est comme un rein
unique, composé de plusieurs petits reins. Le bonase a aussi tous les organes
intérieurs pareils à ceux du bœuf.
2 Dans tous les animaux chez qui ces organes existent, la
position en est toute pareille. Ils ont tous également le cœur placé à peu près
au milieu, si ce n'est l'homme, [507b] qui a le cœur plus à gauche, ainsi qu'on
l'a dit plus haut. 3 Chez tous aussi, la pointe du cœur est dirigée vers le
devant, excepté chez les poissons, où elle ne se montre pas ainsi ; car pour
eux elle n'a pas sa pointe tournée vers la poitrine, mais vers la tête et la
bouche. Le sommet du cœur des poissons est attaché au point où se réunissent
les unes aux autres les branchies de droite et de gauche. Il y a en outre
d'autres canaux qui se rendent du cœur à chacune des branchies, plus grands
pour les plus grands poissons, plus petits pour les plus petits ; mais sur le
sommet du cœur, il y a un canal très épais et tout blanc dans les grands
poissons. 4 Il est peu de poissons qui aient un œsophage, comme le congre et
l'anguille, qui l'ont d'ailleurs peu développé.
5 Le foie, dans les animaux qui ont un foie sans aucune
division, est adroite complètement ; chez ceux où cet organe est partagé dès
son commencement, c'est sa plus grosse partie qui est à droite. Dans quelques
animaux, en effet, chaque partie est suspendue séparément, sans que le
commencement se rejoigne. Tels sont, parmi les poissons, les squales ou les
chiens de mer ; telle est aussi une espèce de lièvres, qu'on trouve en d'autres
endroits, et notamment dans les marécages de Bolbé, dans le pays qu'on appelle
la Sycine. On pourrait croire qu'ils ont deux foies, parce que les canaux des
deux parties ne se rejoignent qu'assez loin, comme pour le poumon dans les
oiseaux.
6 Pour tous les animaux, la rate, dans ses conditions
naturelles, est toujours à gauche. Les reins sont placés de la même manière
dans tous les animaux qui en ont. Cependant quelques quadrupèdes, qu'on a
ouverts, avaient la rate à droite, d'après l'observation qu'on en a faite ; et
le foie était à gauche. Mais on ne peut trouver là-dedans que des
monstruosités. 7 La trachée-artère dans tous les animaux se dirige vers le
poumon ; plus loin, nous dirons comment. L'œsophage va dans l'estomac au
travers du diaphragme, dans tous les animaux pourvus d'un œsophage. La plus
grande partie des poissons, ainsi qu'on l'a vu, n'en ont pas; et leur estomac
se rattache immédiatement à leur bouche. Aussi, quand les gros poissons en poursuivent
de plus petits, il arrive souvent que l'estomac leur tombe dans la bouche.
8 Tous les animaux dont on a parlé jusqu'à présent ont un
estomac, qui est posé de même dans tous; il est placé immédiatement au-dessous
du diaphragme. Vient ensuite l'intestin, qui se ter-mine par la partie d'où
sortie résidu des aliments, et qu'on appelle l'anus. 9 Seulement les estomacs
ne sont pas tous semblables. D'abord, tous les quadrupèdes vivipares qui,
[508a] dépourvus de dents à l'une des deux mâchoires, portent des cornes, ont
quatre organes (canaux) de ce genre, et ce sont aussi les animaux dont on dit
qu'ils ruminent. Leur œsophage, qui part de la bouche, où il commence, descend
en bas, à la proximité du poumon, et ensuite descend du diaphragme dans le
grand estomac. 10 Dans l'intérieur, cet estomac est d'une surface inégale et
ridée. A cet estomac est suspendu, tout près du débouché de l'œsophage, ce
qu'on appelle le réseau, à cause de son apparence. À regarder les parties
extérieures du réseau, il ressemble à l'estomac; mais le dedans fait l'effet de
mailles entremêlées. Le réseau est beaucoup plus petit que l'estomac A la suite
de ce second estomac, vient le hérisson, qui à l'intérieur est inégal et comme
feuilleté ; il est à peu près de la grandeur du réseau. Après cet estomac,
vient celui qu'on appelle la caillette, plus grand que le hérisson et d'une
forme plus allongée. Dans son intérieur, il a des feuillets nombreux, grands et
lisses. A partir de là, ce n'est plus que l'intestin ordinaire.
11 Ainsi donc, les animaux à cornes qui n'ont pas de dents
aux deux mâchoires, ont l'estomac comme on vient de le décrire. D'ailleurs, ils
diffèrent entre eux sous le rapport des formes et des dimensions de ces
organes, et selon que l'œsophage s'introduit dans l'estomac par le milieu ou
par le côté.
12 Les animaux qui ont le même nombre de dents aux deux
mâchoires, n'ont qu'un estomac, comme l'homme, le porc, le chien, l'ours, le
lion, le loup et le lynx (Thôs), dont tous les organes intérieurs sont ceux du
loup. Chez tous, l'estomac est unique, et l'intestin vient après lui.
Seulement, les uns ont un estomac plus grand, le porc et l'ours par exemple ;
et celui du porc présente quelques feuillets lisses et unis. D'autres animaux
ont l'estomac plus petit et pas beaucoup plus large que l'intestin, comme dans
le chien, le lion et l'homme. 13 Dans les autres animaux, les formes des
estomacs se rapprochent ou s'éloignent de ceux qu'on vient de dire, tantôt
pareils à celui du porc, tantôt pareils à celui du chien, que les animaux soient
d'ailleurs plus grands ou plus petits. La différence entre eux ne tient qu'à la
dimension, la forme, l'épaisseur, la ténuité de l'estomac, et à la manière dont
l'œsophage y est inséré et posé.
14 La conformation des intestins est aussi différente chez
tous les animaux dont il vient d'être question, chez ceux qui n'ont pas les
dents égales dans les deux mâchoires, comme chez ceux qui les ont; et ces
différences se marquent par les dimensions, les épaisseurs et les
circonvolutions. Les intestins sont toujours plus grands chez les animaux qui
n'ont pas égalité de dents pour les deux mâchoires; car ces animaux eux-mêmes
sont tous les plus grands ; les petits animaux sont rares dans ces espèces ; et
pas une seule de celles qui ont des cornes n'est absolument petite. 15 Il en
est quelques-uns qui ont des appendices aux intestins. Il n'y a que ceux qui
ont aux deux mâchoires des dents en nombre égal qui aient l'intestin tout
droit. Dans l'éléphant, l'intestin a des renflements, qui pourraient faire
croire à quatre estomacs. Les aliments y arrivent; mais il n'y a pas de cavité
particulière. Ses viscères se rapprochent de ceux du porc ; [508b] mais son
foie est quatre fois plus gros que celui du bœuf; et sa rate est plus petite,
proportion gardée, qu'elle ne devrait l'être. 16 La conformation de l'estomac
et des intestins est la même chez les quadrupèdes ovipares, tels que la tortue
de terre et la tortue de mer, le lézard, les deux crocodiles, et en général
chez tous les animaux de ce genre. Ils n'ont qu'un simple et unique estomac,
semblable pour les uns h celui du porc, semblable pour les autres à celui du
chien.
17 Le genre serpent ressemble aux lézards, dans l'espèce
des animaux qui ont des pieds et qui sont ovipares, et ils auraient à peu près
la même configuration, si l'on donnait aux lézards plus de longueur de corps,
et qu'on leur retranchât les pieds. Le serpent a aussi des écailles; et le
dessus et le dessous du corps sont comme dans les lézards. Les serpents n'ont
pas de testicules ; mais comme le poisson, ils ont deux conduits qui se
réunissent en un seul. La matrice de la femelle est longue et a deux parties.
18 Les autres organes internes du serpent sont les mêmes que ceux du lézard, si
ce n'est que tous les viscères sont étroits et longs, parce que le corps
lui-même est étroit et long, à tel point qu'on les confond à cause de la
ressemblance des formes. 19 Dans le serpent, la trachée-artère est fort longue;
et l'œsophage l'est encore plus. La trachée commence tout près de la bouche, de
telle manière que la langue semble être sous la trachée. Ce qui fait que la
trachée semble plus haute que la langue, c'est que la langue se replie sur
elle-même, et qu'elle ne reste pas en place comme chez les autres animaux. Leur
langue est mince, longue et noire, et elle peut sortir beaucoup en avant. Une
particularité de la langue des serpents et des lézards, c'est d'être bifurquée
à la pointe ; elle l'est beaucoup plus chez les serpents. Les pointes de leur
langue sont aussi fines que des cheveux, disposition qu'on retrouve dans le
phoque, qui a aussi une langue fendue. 20 Le serpent a un estomac qui ressemble
à un intestin plus large, et qui est pareil à celui du chien. A la suite, vient
l'intestin, qui est long, mince et unique jusqu'au bout. 21 Près du pharynx,
est placé le cœur, long et dans le genre d'un rein. Aussi pourrait-on croire
quelquefois que la pointe n'en est pas tournée vers la poitrine. Ensuite, vient
le poumon, qui est simple, sillonné d'un conduit fibreux, très-long, et
très-séparé du cœur. Le foie est long et simple; la rate est petite et ronde
comme dans le lézard. Le fiel est placé comme [509a] dans les poissons; les
serpents d'eau l'ont sur le foie; les autres l'ont d'ordinaire le long des
intestins.
22 Tous les serpents ont les dents carnassières. Leurs
côtes sont aussi nombreuses que les jours du mois, puisqu'ils en ont trente.
Quelques personnes assurent que les serpents présentent le même phénomène que
les petits de l'hirondelle, c'est-à-dire, que, si l'on crève les yeux aux
ser-pents, leurs yeux repoussent. Leur queue, ainsi que celle des lézards,
repousse aussi quand on la leur a coupée.
23 Chez les poissons, l'organisation des intestins et de
l'estomac est la même que chez les serpents. Eux aussi n'ont qu'un estomac
unique et simple, qui ne diffère que par la forme. Il y en a quelques-uns qui
l'ont d'une forme tout à fait différente, comme celui qu'on appelle le Scare,
et qui paraît être le seul de tous les poissons qui rumine. L'intestin est
simple dans toute sa longueur, et il a un repli qui se réduit ensuite à une
complète unité. 24 Une particularité qui se retrouve dans les poissons et la
plupart des oiseaux, ce sont des excroissances aux intestins. Chez les oiseaux,
ces appendices sont en bas et peu nombreux; chez les poissons, ils sont en haut
près de l'estomac, où parfois ils sont très-multipliés, comme dans le goujon,
le chien de mer, la perche, le scorpios, le citharus, le sur-mulet et le spare.
Le muge en a plusieurs sur un des côtés de l'estomac; et de l'autre côté, il
n'en a qu'un seul. Quelques poissons en ont, mais en très-petit nombre, comme
l'hépatus et le glaucus; la dorade, également. Les poissons de même espèce
diffèrent parfois de l'un à l'autre; et dans l'espèce Dorade, l'une en a
davantage, l'autre en a moins. 25 Quelques genres de poissons n'ont pas du tout
de ces appendices, comme la plupart des sélaciens. D'autres poissons ont
très-peu de ces appendices, tandis que d'autres en ont beaucoup. Mais, dans
tous les poissons sans exception, ces appendices sont auprès de l'estomac.
26 Les oiseaux ont entre eux, et avec les autres espèces
d'animaux, de grandes différences dans leurs organes intérieurs. Il en est qui
ont un jabot avant l'estomac, comme le coq, le ramier, le pigeon, la perdrix.
Le jabot est une grande poche de peau, où la nourriture est d'abord reçue, et
où elle ne se digère pas. Dans la partie qui tient h l'œsophage même, le jabot
est plus étroit; ensuite, il devient plus large ; el là où il descend près de
l'estomac, il se rétrécit de nouveau. 27 Presque tous les oiseaux ont l'estomac
charnu et compact ; à l'intérieur, la peau est forte, et peut se détacher de la
partie charnue; mais d'autres oiseaux n'ont pas de jabot; et à la place, ils
ont un œsophage vaste et large, soit dans tout son trajet, soit dans la partie qui
avoisine l'estomac, comme [509b] le geai, le corbeau, la corneille. Dans la
caille, la largeur de l'œsophage est en bas; l'œgocéphale et la chouette l'ont
un peu plus large, en bas aussi. Le canard, l'oie, le goéland, la catarrhacte
et l'outarde ont ce développement et cette largeur de l'œsophage dans Joute son
étendue, de même que beaucoup d'autres oiseaux. 28 Quelques oiseaux ont une
portion de l'estomac lui-même qui ressemble à un jabot, comme la crécerelle.
D'autres n'ont, ni d'oesophage, ni de jabot un peu large ; mais c'est leur
estomac qui se prolonge ; tels sont les petits oiseaux, comme l'hirondelle et
le moineau. Il en est d'autres encore qui n'ont, ni le jabot large, ni
l'œsophage large; mais chez eux, ces organes sont très-longs, par exemple dans
les oiseaux à long cou, comme le flamant. Presque tous ces oiseaux ont aussi
les excréments plus liquides que les autres. 29 Comparativement aux autres
oiseaux, la caille a ceci de particulier qu'elle a un jabot, et qu'elle a en
même temps, avant l'estomac, l'œsophage vaste et large; proportion gardée, son
jabot est très-éloigné de l'œsophage, qui précède l'estomac
30 La plupart des oiseaux ont l'intestin étroit et simple,
quand on le développe. Ainsi qu'on l'a dit déjà, les oiseaux ont des
appendices, eu petit nombre, et non point en haut, comme les poissons, mais en
bas vers l'extrémité de l'intestin. Ils eu ont si ce n'est tous, au moins pour
la plupart, comme le coq, la perdrix, le canard, le hibou, corbeau de nuit, le
localos, l'ascalaphe, l'oie, le cygne, l'outarde, la chouette. Quelques petits
oiseaux ont de ces appendices, qui sont alors chez eux très-petits, comme dans
le moineau.
; chez les
femelles ces parties sont toujours intérieures; différences plus nombreuses
dans les mâles ; des testicules en général et de leur position ; les poissons
n'ont jamais de testicules; les serpents n'en ont pas non plus ; organisation
spéciale des serpents et des poissons; testicules des ovipares; leur verge ;
exemple de l'oie, du pigeon, de la perdrix, au moment de l'accouplement;
testicules des vivipares, munis de pieds ; description détaillée de leur
organisation; dessin Anatomique à consulter; destruction des testicules par
compression ou par ablation ; des matrices en général ; description de la
matrice chez les grands animaux ; le vagin, l'utérus, la matrice et son orifice
; matrice des vivipares bipèdes ou quadrupèdes; matrices des oiseaux, des
poissons ; matrice des quadrupèdes ovipares ; matrice des animaux sans pieds ;
matrice des sélaciens; figures Anatomiques à consulter ; matrice du serpent; la
vipère est seule vivipare; différences des ovipares et des vivipares ; matrices
des animaux à cornes qui n'ont pas les deux rangées de dents ; positions
diverses des embryons dans la matrice. — Résumé.
1 [509b] On vient de dire quelles sont les autres parties
intérieures des animaux, quel est le nombre de ces parties, quelle est leur
nature, et quelles sont les différences qu'elles présentent entre elles ; il ne
reste plus qu'à parler des parties qui concourent à la génération. 2 Dans
toutes les femelles, ces organes sont à l'intérieur; mais dans les mâles, ces
parties offrent des différences plus nombreuses. Ainsi, dans les animaux qui
ont du sang, certaines espèces n'ont pas du tout de testicules ; d'autres
espèces en ont ; mais ils sont intérieurs. Parmi ceux qui en ont à l'intérieur,
les uns les ont dans le bassin, près du lieu où sont les reins ; les autres les
ont dans le ventre. 3 D'autres espèces ont les testicules en dehors ; et tantôt
la verge est suspendue sous le [510a] ventre et adhérente ; tantôt elle est
libre, comme le sont les testicules. L'attache de la verge au ventre diffère
selon que les animaux urinent en avant, ou qu'ils urinent en arrière. 4 Pas une
seule espèce de poissons n'a de testicules, non plus qu'en général les animaux
qui ont des branchies, non plus encore que tout le genre serpent. Il en est de
même aussi de tous les animaux sans pieds, qui ne sont pas vivipares
intérieurement. Les oiseaux ont bien des testicules ; mais leurs testicules
sont intérieurs, près des lombes. Les quadrupèdes ovipares ont les testicules
disposés de même ; par exemple, le lézard, la tortue, le crocodile, et parmi
les vivipares, le hérisson. 5 Les animaux qui ont des testicules intérieurs les
ont près du ventre, comme le dauphin parmi les animaux sans pieds, ou
l'éléphant parmi les quadrupèdes vivipares. Dans les autres animaux, les
testicules sont extérieurement apparents. Nous venons de dire les différences
qu'offre la suspension, relativement au ventre et aux parties voisines. Dans
quelques animaux, par exemple, ils sont continus à la partie postérieure du
ventre et n'en sont pas détachés ; c'est ce qu'on observe dans les porcs; chez
d'autres, au contraire, ils sont détachés, comme dans l'homme.
6 Ainsi qu'on vient de le voir, ni les poissons, ni les
serpents n'ont de testicules ; mais ils ont deux conduits qui pendent
au-dessous du diaphragme, de chaque côté du rachis, et qui se réunissent en un
seul un peu au-dessus du point de sortie des excréments. Par « Un peu au-dessus
», nous entendons désigner la région de l'arête ou épine. Ces conduits se
remplissent de liqueur séminale dans la saison de l'accouplement ; et quand on
les presse, il en sort de la semence de couleur blanche. 7 Quant aux
différences que ces conduits présentent les uns par rapport aux autres, c'est
par l'anatomie qu'il faut les étudier; et un peu plus loin, il en sera question
d'une manière plus détaillée, quand nous traiterons des conditions spéciales h
chacun des poissons.
8 Tous les ovipares, soit bipèdes, soit quadrupèdes,
possèdent des testicules dans le bassin, au-dessous du diaphragme, tantôt de
couleur plus blanche, tantôt de couleur plus jaunâtre, et enveloppés de petites
veines, excessivement ténues. De chacun des testicules, part un conduit ; et
les deux se réunissent en un seul, comme chez les poissons, au-dessus du point
de sortie de l'excrétion. C'est là précisément la verge, qu'on ne distingue pas
dans les petits animaux, mais qui se voit bien mieux chez de plus grands, comme
l'oie et les autres animaux de cette grosseur, quand l'accouplement va se
faire. 9 Dans ces animaux comme dans les poissons, ces conduits prennent dans
les lombes au-dessous du ventre et des intestins, entre la grande veine, d'où
partent les deux conduits pour se rendre à chacun des testicules. Comme pour
les poissons encore, [510b] la liqueur séminale se montre dans ces conduits,
qu'elle remplit au temps de l'accouplement, et alors les conduits sont fort
apparents; la saison de l'accouplement une fois passée, les canaux deviennent
parfois imperceptibles. 10 Les testicules dans les oiseaux sont encore de même
: avant l'époque de l'accouplement, les testicules sont très-petits ou même
tout à fait invisibles ; mais quand l'animal s'accouple, ils sont énormes.
Cette transformation est surtout remarquable dans les pigeons et dans les
perdrix, à tel point que quelques personnes croient que ces animaux n'ont pas
de testicules en hiver.
11 Quand les testicules sont placés en avant, certains
animaux les ont à l'intérieur, dans le ventre, comme les a le dauphin ;
d'autres les ont extérieurs et très-apparents h l'extrémité du ventre. Dans ces
animaux, les testicules sont pour tout le reste organisés de la même manière ;
mais il y a toutefois cette différence que, quand les testicules sont
intérieurs, ils sont purement et simplement des testicules séparés; tandis que
les testicules qui sont extérieurs, sont enveloppés dans ce qu'on appelle une
Bourse.
12 Voici, dans tous les animaux qui ont des pieds et qui
sont vivipares, l'organisation des testicules eux-mêmes. De l'aorte, partent
des conduits veineux qui vont jusqu'à la tête de chacun des testicules. Il y en
a deux autres qui partent des reins; et ceux-là sont pleins de sang, tandis que
ceux qui partent de l'aorte n'en ont pas. De la tête du testicule lui-même, un
conduit, à la fois plus épais et plus nerveux, entre dans le testicule et se
replie dans chacun des deux, en se dirigeant vers leur tête. A partir de la
tête, les deux canaux se réunissent en un seul, pour aller en avant jusqu'à la
verge. 13 Les conduits qui se replient ainsi, et qui reposent sur les
testicules, sont entourés d'une même membrane ; et quand on ne divise pas cette
membrane, on pourrait croire qu'il n'y a qu'un seul conduit. Le conduit qui
repose sur le testicule contient une liqueur, qui est sanguinolente, moins cependant
que celle des canaux supérieurs sortant de l'aorte. Dans ceux qui retournent
vers le canal qui est dans la verge, la liqueur est de couleur blanche.
14 De la vessie, part un autre conduit, qui va rejoindre, à
la partie supérieure, le canal de la verge ; et ce qu'on appelle la verge est
en quelque sorte l'enveloppe de ce canal. 15 Qu'on étudie d'ailleurs tous ces
détails sur le dessin ci-joint. Le point d'origine d'où partent les conduits
est A. Les têtes des testicules et les canaux qui y descendent, sont KK. Les
canaux qui, partant des testicules, descendent sur le testicule même, sont 00.
Ceux qui rebroussent et qui renferment la liqueur blanche, sont BB. La verge
est D; la vessie est E; et les testicules sont PP.
15 Quand on coupe ou qu'on enlève [511a] les testicules
mêmes, les conduits se contractent en se retirant en haut. Quand les animaux
sont jeunes, on peut détruire les testicules en les comprimant ; plus lard, il
faut les couper pour les détruire. On a vu un taureau qui venait d'être coupé, saillir
une vache sur-le-champ, et la féconder.
Voilà quelle est l'organisation des testicules dans les
animaux.
17 Dans les animaux qui ont des matrices, elles ne sont pas
disposées toujours de la même manière; elles ne sont pas pareilles dans tous ;
et elles diffèrent beaucoup entre elles, dans les vivipares, et aussi dans les
ovipares. Chez tous les animaux qui ont les matrices près des articulations,
les matrices ont deux bords, dont l'un est dans la partie droite, et dont
l'autre est dans la partie gauche. Mais le point de départ est unique, ainsi
que l'ouverture, qui est comme un conduit très-charnu et cartilagineux, chez la
plupart des animaux et chez les plus grands. De ces parties, les unes
s'appellent Matrice et Utérus, d'où vient le nom de frères utérins ; et les
autres s'appellent la tige et l'orifice de la matrice. 18 Dans les vivipares,
bipèdes ou quadrupèdes, la matrice est toujours en bas du diaphragme, par
exemple chez l'homme, le chien, le cochon, le cheval, le bœuf. Tous les animaux
qui ont des cornes ont une organisation pareille à celle-là. Le plus souvent,
les matrices ont, à l'extrémité de ce qu'on appelle leurs petites cornes, une
spirale qui s'enroule. Dans les animaux qui pondent des œufs au dehors, les
matrices ne sont pas toutes disposées de même. Ainsi, dans les oiseaux, elles
sont près du diaphragme ; dans les poissons, elles sont placées au-dessous,
comme celles des vivipares à deux pieds ou à quatre pieds ; si ce n'est que,
dans les poissons, elles sont ténues, membraneuses, et larges. Aussi, dans les
poissons très-petits, les deux rebords des matrices ne semblent être qu'un seul
œuf chacun; et chez les poissons dont on dit que leur œuf est comme du sable,
on croirait qu'ils ont deux œufs seulement. Mais ce n'est pas un seul œuf; c'est
une multitude d'œufs, puisqu'on peut les diviser en un très-grand nombre d'œufs
séparés.
19 La matrice des oiseaux a, en bas, sa tige charnue et
ferme ; mais la partie qui touche au diaphragme est membraneuse, et si mince
qu'il semble que les œufs sont hors de la matrice. Cette membrane est plus
apparente dans les grands oiseaux ; et, en soufflant par la tige de la matrice,
cette membrane s'élève et se gonfle. Dans les petits oiseaux, tous ces détails
sont moins visibles. 20 Les quadrupèdes ovipares ont la matrice disposée de
cette même façon, comme on peut le remarquer sur la tortue, le lézard, la
grenouille, et les animaux [511b] de même genre. La tige qui est en bas est
unique et plus charnue ; la fente et les œufs sont en haut, près du diaphragme.
21 Dans tous les animaux qui n'ont pas de pieds, et qui extérieurement mettent
bas des petits vivants, tout en produisant d'abord un œuf dans leur intérieur,
la matrice est divisée aussi en deux parties; par exemple, les galéïdes (chiens
de mer) et tous les animaux qu'on appelle sélaciens. On sait qu'on donne ce nom
de Sélacien à tout animal qui, dépourvu de pieds, a des branchies et est
vivipare ; chez ces animaux, la matrice est composée de deux parties également,
et remonte jusqu'au diaphragme, comme celle des oiseaux. Commençant en bas au
milieu des deux parties, elle se dirige vers le diaphragme ; les œufs s'y
produisent également, et d'abord en haut, à l'origine du diaphragme ; puis les
petits, s'avançant dans une portion plus large, sortent tout vivants des œufs. 22
Du reste, les différences qui distinguent ces animaux entre eux et qui les
distinguent de tous les autres poissons, se comprendront bien mieux en les
étudiant sur les figures tracées d'après l'anatomie.
23 Le genre des serpents offre de grandes différences, soit
des serpents par rapport aux animaux dont on vient de parler, soit des serpents
les uns par rapport aux autres. Toutes les espèces de serpents sont ovipares, à
l'exception de la vipère, qui seule est vivipare, après avoir d'abord produit
un œuf dans son intérieur. C'est là ce qui fait que sa matrice se rapproche
beaucoup de celle des sélaciens. La matrice des serpents, allongée comme l'est
leur corps, va, à commencer d'en bas, jusqu'au diaphragme par un seul conduit,
qui se divise en continuant des deux côtés de l'épine, comme si chaque conduit
était unique. Les œufs sont disposés par rangs réguliers dans la matrice ; et
la bête les pond non pas un à un, mais les œufs sortent ensemble tout d'un
coup.
24 Tous les vivipares qui produisent leurs petits vivants,
soit dans leur intérieur, soit au dehors, ont la matrice en haut du ventre;
tous les ovipares, au contraire, l'ont en bas, près des lombes. Tous les
vivipares qui produisent leurs petits au dehors, mais qui intérieurement
produisent d'abord des œufs, sont organisés des deux façons, de telle sorte
qu'une partie de la matrice se trouve en bas vers les lombes et contient les
œufs, tandis que l'autre partie est au haut des intestins, vers le point d'où sortent
les excréments. 25 Voici encore une autre différence que les matrices offrent
entre elles. Les animaux à cornes et qui n'ont pas de dents aux deux mâchoires,
ont des cotylédons dans la matrice, tant que la bête porte son embryon; et
parmi les animaux qui ont deux rangées de dents, on peut citer le lièvre, le
rat et la chauve-souris. Chez tous les autres animaux à deux rangées de dents,
qui sont vivipares et qui ont des pieds, la matrice est toute unie; les
embryons sont alors suspendus à la matrice même, et ils ne sont pas attachés au
cotylédon.
26 Telle est donc dans tous les animaux la disposition des
parties [512a] non-similaires, tant au dehors qu'à l'intérieur.
Ce sont les
parties similaires le plus communément répandues; lymphe, fibres, chair, os,
cartilages, peau, membranes, nerfs, cheveux, ongles, graisse, suif, excrétions;
les observations antérieures ont été mal faites parce qu'on a surtout étudié
les veines sur les animaux morts, ou sur des hommes maigres, où les veines
étaient transparentes ; système de Syennésis de Chypre; il fait partir toutes
les veines du nombril; système de Diogène d'Apollonie; il distingue deux
grosses veines, dont toutes les autres ne sont que des ramifications; il les fait
partir du ventre des deux côtés du rachis, pour se rendre au cœur, et de là,
par la poitrine et les aisselles, aux bras jusqu'aux mains, et aux cuisses
jusqu'aux pieds ; rameaux secondaires; système de Polybe; il distingue quatre
paires de veines, qui partent toutes de la tête pour se rendre aux diverses
extrémités du corps.
1 De toutes les parties similaires, celle qui est le
plus communément répandue chez tous les animaux qui ont du sang, c'est le sang,
et cette partie des organes qui sont naturellement destinés à contenir le sang.
Cette partie spéciale se nomme la veine. Après la veine et le sang, ce qui a le
plus d'analogie avec eux, ce sont la lymphe et les fibres, et cette partie qui
plus que toute autre est le corps des animaux, la chair ou ce qui y correspond
dans chaque animal. Puis les os, ou ce qui est analogue aux os, les arêtes et
les cartilages. Puis encore, la peau, les membranes, les nerfs, les cheveux,
les ongles, ou les parties correspondantes. A tout cela, il faut ajouter la
graisse, le suif, et les excrétions, qui sont la fiente, le phlegme, et la
bile, jaune ou noire.
2 Comme c'est le sang surtout et les veines qui, par leur
nature, semblent ici le principe de tout le reste, c'est le premier sujet qu'il
faut étudier, d'autant plus que quelques-uns de ceux qui l'ont traité
antérieurement n'en parlent pas bien. 3 La cause de leurs erreurs tient à ce
que les faits sont difficiles à observer. Dans les animaux morts, on ne voit
plus la nature des veines principales, parce qu'elles s'affaissent plus encore
que toutes les autres, dès que le sang en est sorti ; et il en sort toujours en
totalité, comme d'un vase qui se vide. Aucun organe n'a par lui-même de sang,
si ce n'est le cœur, qui encore en a peu ; et la masse entière du sang est dans
les veines. Sur les animaux vivants, il est impossible d'observer
l'organisation des veines, puisque naturellement elles sont à l'intérieur. Il
résulte de tout cela qu'en observant sur les animaux morts et disséqués, tantôt
on n'a pas pu observer les principales origines des veines, et tantôt que ceux
qui ont fait leurs observations sur des hommes très-maigres, n'ont pu constater
l'origine et l'organisation des veines que d'après des apparences tout
extérieures.
4 Syennésis, médecin de Chypre, les explique d'abord de
cette façon. « Les grosses veines, dit-il, sont organisées ainsi. Elles partent
de l'œil près du sourcil ; et le long du dos, elles se rendent aux poumons sous
les mamelles. Celle de droite passe à gauche; et celle de gauche passe à
droite. La veine de gauche se rend par le foie, au rein et au testicule ; celle
de droite se rend à la rate, au rein et au testicule, pour, de là, amie ver à
la verge. »
5 Diogène d'Àpollonie s'exprime ainsi : « Voici, dit-il,
l'organisation des veines dans le corps humain. Il y en a deux, qui sont les
plus grosses de toutes. Elles se dirigent par le ventre, le long de l'épine du
dos, l'une à droite, l'autre à gauche dans chaque jambe, du côté où elle
est elle-même. En haut, elles se dirigent dans la tête près des clavicules, en
traversant la gorge. C'est en partant de ces deux grandes veines que les autres
se ramifient dans [512b] tout le corps ; les veines de la droite partant de la
grosse veine à droite, les veines de la gauche partant de la grosse veine à
gauche. Les deux grosses veines se rendent au cœur, en longeant l'épine
dorsale.
« 6 D'autres, placées un peu plus haut, passent par la
poitrine sous l'aisselle, pour se rendre chacune à celle des mains qui est de
son côté. L'une s'appelle la splénique, et l'autre l'hépatique. Les extrémités
de chacune se divisent, l'une allant au grand doigt, et l'autre au poignet. De
ces deux-là, partent de petites veines qui se ramifient indéfiniment dans la
main et les doigts,
« 7 D'autres rameaux plus ténus partent des premières
veines, et se rendent de la veine droite dans, le foie, de la veine
gauche dans la rate et dans les reins. Celles qui vont aux jambes, se divisent
vers l'attache de ces membres, et se ramifient dans toute la cuisse. La plus
grosse de ces veines passe derrière la cuisse, où sa grosseur est la plus
apparente ; celle qui passe en dedans de la cuisse a un volume un peu moins
grand. Ensuite, ces veines vont par le genou dans la jambe et dans le pied,
comme celles qui se ramifient dans les mains; elles descendent dans le tarse
(ou cou-de-pied) ; et, de là, elles se répartissent entre les doigts (ou
orteils). 8 Des grandes veines, il se ramifie également beaucoup de petites
veines sur le ventre et les côtes. Celles qui se rendent dans la tête par la
gorge paraissent fort grandes dans le cou. De chacune d'elles, à l'endroit où
elles se terminent, il se ramifie un grand nombre de veines allant à la tête :
les unes de droite à gauche ; les autres, de gauche à droite ; l'une et l'autre
aboutissent à l'oreille. 9 Dans chaque côté ce du cou, il y a une autre veine
qui longe la grande, mais qui est un peu plus petite qu'elle. La plupart des
veines qui descendent de la tête viennent s'y réunir, et elles rentrent
intérieurement par la gorge. De chacune d'elles, partent des veines qui passent
sous l'omoplate, et se rendent ce dans les mains. Près de la veine splénique et
de la veine hépatique, il y en a d'autres qui sont un peu plus petites, et
qu'on ouvre quand on veut guérir des douleurs sous-cutanées ; mais c'est la
splénique et l'hépatique que l'on ouvre quand les douleurs sont dans le ventre.
10 [513a] « D'autres veines encore, partant de celles-là,
se rendent sous les mamelles. D'autres qui, de chacune d'elles, descendent dans
les testicules, en passant par la moelle épinière, sont ténues. D'autres
encore, placées sous la peau et au travers de la chair, se rendent aux reins,
et aboutissent aux testicules chez les hommes, et à la matrice chez les femmes.
Les premières qui partent du ventre sont d'abord plus larges; elles se
rétrécissent ensuite, jusqu'à ce qu'elles chance gent de droite à gauche, et de
gauche à droite : ce on leur donne le nom de veines spermatiques.
11 « Le sang le plus épais est absorbé dans les chairs; le
reste, qui se rend dans ces différents organes, est léger, chaud et écumeux. »
12 Voilà ce que disent Syennésis et Diogène ; voici
maintenant ce que dit Polybe :
13 « II y a, dit-il, quatre paires de veines. Une ce
première paire, qui vient du derrière de la tête, descend par le cou, et
extérieurement le long de chacun des côtés de l'épine dorsale, pour aller des
hanches dans les jambes. De là, par le bas de la jambe, elles arrivent aux
malléoles externes et dans les pieds. C'est pour cela que dans les douleurs du
dos et des hanches, on se fait saigner aux jarrets et aux malléoles externes.
« 14 D'autres veines partant de la tête près des oreilles
et traversant le cou, sont appelées jugulaires. Celles-là se dirigent le long
du rachis et en dedans, près des lombes, aux testicules et aux cuisses. Après
avoir traversé la partie interne des jarrets et des jambes, elles arrivent aux
malléoles internes, et dans les pieds. C'est là encore ce qui fait que, pour
les douleurs des lombes et des testicules, on se fait saigner aux jarrets et
aux malléoles internes.15 La troisième paire ce de veines, partant des tempes,
se dirige par le ce cou, au-dessous des omoplates, dans le poumon. Celles
de droite passent à gauche, sous la mamelle, pour se rendre dans la rate et le
rein; celles de gauche passent à droite, se rendant du poumon, sous la mamelle
au foie et à l'autre rein. Toutes les deux aboutissent également à
l'anus. 16 Enfin, les quatrièmes partent du devant de la tête et des yeux,
au-dessous du cou et des clavicules. De là, elles se dirigent, par le haut des
bras, jusqu'à leurs flexions; et passant par les coudes, elles arrivent aux
poignets et aux phalanges. Elles remontent ensuite de la partie inférieure des
bras aux cuisses ; elles arrivent à la partie supérieure des côtes, jusqu'à ce
qu'elles se rendent, l'une [513b] à la rate, l'autre au foie; et après avoir
passé sur le ventre, elles se terminent toutes les deux au membre honteux. »
; causes des
erreurs antérieurement commises ; deux grosses veines dans le tronc; la
trachée-artère et l'aorte ; toutes les veines partent du cœur; la pointe du
cœur; ses trois cavités; leurs dimensions; différences de la grande veine et de
l'aorte ; rapports de la trachée-artère et du poumon ; ses ramifications ;
citation d'Homère ; distribution des veines dans les bras, à la tête et dans
les méninges ; le cerveau n'a pas de sang; ramifications de l'aorte, analogues
à celles de la trachée.
1 Telles sont à peu près toutes les idées que d'autres ont
émises. Parmi les philosophes qui étudient la nature, il en est qui n'ont pas
porté des observations aussi détaillées sur les veines ; mais tous sont
d'accord pour les faire partir de la tête et du cerveau. En cela, ils ne sont
pas dans le vrai. Ainsi qu'il a été dit plus haut, il est difficile de bien
observer les veines; et c'est seulement sur les animaux qu'on étouffe, après un
long amaigrissement, qu'on peut les étudier comme il convient, quand on
s'intéresse réellement à ces études. 2 Voici quelle est précisément la nature
des veines. Dans le tronc, se trouvent deux veines, près du rachis et en
dedans. La plus grosse des deux est en avant; la plus petite est par derrière
elle. La plus grosse est davantage à droite ; la plus petite est à gauche. On
l'appelle parfois l'aorte, parce qu'on peut voir sa partie nerveuse même sur
les animaux morts. Ces veines commencent en partant du cœur.
3 Ce qui le prouve, c'est qu'en passant au travers d'autres
viscères, elles y gardent toute leur intégrité, et y restent partout des
veines. Le cœur semble, en quelque sorte, en être une partie, surtout de la
veine qui est en avant et qui est la plus grosse, puisque au-dessus et
au-dessous on trouve ces veines, et qu'au milieu c'est le cœur. 4 Le cœur, dans
tous les animaux, a des cavités internes; mais dans les animaux très-petits,
c'est à peine si l'on peut y distinguer la plus considérable. Chez les animaux
de moyenne grandeur, on voit déjà la seconde; et sur les plus grands, on
distingue aisément les trois.
5 La pointe du cœur étant dirigée en avant, ainsi qu'on l'a
dit un peu plus haut, la cavité la plus grande est à droite et tout à fait en
haut du cœur; la plus petite est à gauche; la cavité de grandeur moyenne est
entre les deux. D'ailleurs, les deux réunies sont beaucoup plus petites que la
grande .6 Toutes les trois s'ouvrent dans le poumon; mais la petitesse des
conduits empêche qu'on ne le voie, si ce n'est pour une seule. [514a] La
grande veine part donc de la cavité la plus grande, qui est en haut et à droite
; ensuite elle redevient veine dans la cavité du milieu, comme si la cavité
n'était qu'une portion de la veine, où le sang forme une sorte d'étang. L'aorte
part de la cavité moyenne ; mais ce n'est pas de la même manière ; elle
communique avec le cœur par un conduit beaucoup plus étroit. La veine traverse
le cœur, et se rend dans l'aorte, à partir du cœur. De plus, la grande veine
est membraneuse et pareille à la peau ; l'aorte est moins large ; mais elle est
excessivement nerveuse. En s'étendant assez loin vers la tête et vers les
parties inférieures, elle se rétrécit, et elle devient tout à fait un nerf. 7 À
partir du sommet du cœur, une portion de la grande veine se dirige vers le
poumon, et au point de rencontre de l'aorte; c'est une veine qui ne se divise
pas et qui est très grosse. Mais de cette veine, il sort deux rameaux, dont
l'un se rend au poumon, et l'autre au rachis et à la dernière vertèbre du cou.
La veine, qui se rend au poumon, lequel est lui-même divisé en deux portions,
se partage d'abord en deux. Ensuite, elle se rend à chacune des bronches et à
chaque orifice, plus grande pour les plus grands, plus petite pour les plus
petits; de telle sorte qu'il ne se trouve pas, dans ces organes, une seule
portion où il n'y ait un orifice et une veinule. 8 On ne peut plus voir les
plus petites de toutes, tant elles deviennent ténues ; mais le poumon, dans
toute son étendue, paraît rempli de sang.
9 Tout en haut et partant de la grande veine, se trouvent
les canaux des bronches, qui viennent de la trachée-artère. La veine qui se
ramifie à la célèbre du col et au rachis, revient de nouveau à la colonne
dorsale; et c'est d'elle qu'Homère a dit, dans ses vers :
L'artère, qui des reins monte au col, est percée.
De cette veine, partent des veinules à chaque côte et à
chaque vertèbre; et elle se divise en deux, à la vertèbre qui est au-dessus des
reins.
10 Voilà donc comment se distribuent toutes ces
ramifications partant de la grande veine.
11 Mais au-dessus de ces rameaux de la veine qui part du
cœur, la veine entière se divise pour se rendre à deux régions. Les unes se
portent sur le côté et aux clavicules, pour se rendre ensuite par les aisselles
dans les bras chez l'homme, dans les membres antérieurs chez les [514b]
quadrupèdes, dans les ailes chez les oiseaux, et dans les nageoires inférieures
chez les poissons. Ces veines, au point où elles se divisent tout d'abord, et
où elles commencent, se nomment les jugulaires. Là où elles se divisent pour
aller de la grande veine au cou, elles suivent l'artère du poumon. Il arrive
parfois que, quand elles sont comprimées du dehors, on voit des hommes tomber
dans l'insensibilité, sans être d'ailleurs asphyxiés, et fermer les yeux 12 En
suivant cette direction, et en enveloppant la trachée-artère, ces veines se rendent
aux oreilles, là où les mâchoires se réunissent à la tête. À partir de ce
point, elles se divisent en quatre autres veines, dont l'une, en se repliant,
descend par le cou et l'épaule, et vient se réunir à la première ramification
de la grande veine, vers le pli du bras. L'autre partie va se terminer aux
mains et aux doigts. Une autre ramification, partant aussi de la région des
oreilles, se rend au cerveau, et se partage en une foule de veinules
très-petites sur ce qu'on appelle la méninge, qui enveloppe l'encéphale. 13 Le
cerveau lui-même, chez tous les animaux, n'a point de sang ; pas une veine
petite ou grande ne s'y rend. Les autres veines, qui se ramifient de la veine
jugulaire, entourent circulairement la tête, ou bien vont se terminer aux organes
des sens et aux dents, par des rameaux excessivement déliés. 14 C'est de la
même manière que se ramifient les divisions de l'autre veine plus petite,
appelée l'aorte ; elles accompagnent celles de la grande veine. La seule
différence, c'est que ces canaux et ces veines sont en beaucoup plus petit
nombre que les ramifications de la grande veine.
Ramifications
de la grande veine dans le foie, la rate, le mésentère, les intestins ;
ramifications de la grande veine et de l'aorte dans les reins, à la vessie et à
la verge; ramifications de l'aorte dans la matrice ; ramifications des deux
veines par les aines aux jambes, aux pieds et aux orteils ; cette description
générale s'applique à tous les animaux, pour les veines principales; variétés
des autres; précautions à prendre pour bien observer l'organisation des veines,
sur les animaux où elle est le plus apparente.
1 On voit donc comment se distribuent les veines au-dessus
du cœur. La partie de la grande veine qui est au-dessous traverse directement
le diaphragme. Elle se rattache à l'aorte et au rachis par des canaux
membraneux et souples. Il en part une veine qui traverse le foie, courte, mais
large ; et celle-là donne naissance à un grand nombre de veines très-déliées,
qui se rendent dans le foie, où elles se perdent. De la veine qui traverse le
foie, sortent deux rameaux, dont l'un aboutit au diaphragme et à ce qu'on
appelle l'hypogastre, et dont l'autre, revenant par l'aisselle [515a]
dans le bras droit, rejoint les autres veines qui se trouvent au pli du bras.
C'est ce qui fait que les médecins, en ouvrant cette veine, peuvent soulager
certaines douleurs de foie. 2 De la partie gauche de la grande veine, une veine
courte, mais épaisse, se rend à la raie, où se perdent les veinules qui en
sortent. Une autre portion de la grande veine, à gauche, se ramifie de la même
façon, et se rend en montant dans le bras gauche. Seulement, la première est
bien celle qui traverse le foie, tandis que celle-là est différente de celle
qui se rend dans la rate. 3 D'autres veines encore, partant de la grande veine,
se ramifient: l'une à l'épiploon ; l'autre, à ce qu'on appelle le Pancréas. De
celte dernière, partent des veines nombreuses, qui traversent le mésentère.
Toutes ces veines se terminent à une grosse veine, qui se répartit dans tout
l'intestin et dans tout le ventre, jusqu'à l'œsophage. Dans ces mêmes parties,
beaucoup d'autres veines se ramifient de celles-là.
4 Jusqu'aux reins, l'aorte et la grande veine restent,
l'une et l'autre, à n'avoir qu'une branche ; mais là elles se soudent davantage
au rachis; et l'une et l'autre se divisent en deux, sous forme de Lambda. La
grosse veine est un peu plus en arrière que l'aorte. L'aorte se soude de plus
près au rachis, aux approches du cœur ; et l'attache s'y fait par des veinules
nerveuses et petites. En sortant du cœur, l'aorte est très-creuse ; mais, dans
son trajet, elle devient de plus en plus étroite, et se rapproche d'autant plus
d'être un nerf. 5 De l'aorte, comme de la grande veine, partent des veines qui
vont au mésentère; mais elles ont beaucoup moins de volume; elles sont étroites
et fibreuses ; et elles se terminent en légers filets, creux et fibreux. Il n'y
a pas de veine qui , de l'aorte, aille au foie ou à la rate. 6 Les rameaux de
l'une et l'autre veine, aorte et grande-veine, se rendent à chacune des hanches
; et toutes deux, elles s'insèrent à l'os. Il y a aussi des veines qui, de
l'aorte et de la grande veine, se rendent dans les reins; seulement, elles
n'entrent pas dans leur profondeur, et elles disparaissent dans le corps même
des reins. 7 II y a également deux autres canaux qui, partant de l'aorte, se
dirigent à la vessie ; ils sont forts et continus. D'autres aussi viennent du
fond des reins, et sont sans communication avec la grande veine. Du milieu de
chacun des reins, part une veine large et nerveuse, qui longe le rachis
lui-même, [515b] entre les nerfs. Ensuite, elles disparaissent, l'une et
l'autre, dans chaque hanche; et un peu plus loin, elles reparaissent, en se
réunifiant sur la hanche. Leurs extrémités s'étendent à la vessie, et à la
verge dans les mâles, et à la matrice dans les femelles.
8 II n'y a pas de veines qui, de la grande veine, se
rendent à la matrice ; mais il y en a beaucoup et de très-grosses qui viennent
de l'aorte. De l'aorte et de la grande veine, quand elles se sont réunifiées,
il en sort beaucoup d'autres, dont les unes vont aux aines, d'abord grandes et
larges, et vont aboutir par les jambes aux pieds et aux orteils. D'autres à
l'inverse, passant alternativement par les aines et les cuisses, vont, l'une de
gauche à droite, et l'autre de droite à gauche; et elles se rejoignent aux
autres veines dans la région du jarret.
9 On doit voir clairement par ces descriptions comment se
distribuent les veines, et quel est leur point de départ. Dans tous les animaux
qui ont du sang, c'est là l'origine des veines et l'organisation des
principales; mais quant aux autres veines, la distribution n'en est pas la même
dans tous les animaux, attendu que leurs parties ne sont pas non plus les
mêmes, et que tous les animaux ne les ont pas toutes. On ne peut pas toujours
les observer aussi distinctement; mais on les observe surtout dans les animaux
qui ont le plus de sang et qui sont les plus grands. Sur les petits et sur ceux
qui n'ont pas beaucoup de sang, soit naturellement, soit par suite de la masse
de leur graisse, il n'est pas aussi facile de se rendre compte des choses.
Alors, les veines y sont tantôt submergées et confondues. comme les vaisseaux
sont parfois perdus dans la vase qui les comble ; et tantôt au lieu de veines,
ce sont des fibres en petit nombre, et qui ne sont que des fibres. Néanmoins la
grande veine est, dans tous les animaux, la plus visible, même dans les animaux
les plus petits.
Ils partent
aussi du cœur; différences des nerfs et des veines sur les personnes maigres ;
ordre des nerfs selon leur force, jarret, tendon, extenseur, omoplate, etc. ;
nerfs autour des os ; nature des nerfs, déchirables en long; liquide des nerfs
; action du feu; pas d'engourdissement là où il n'y a pas de nerfs; tous les
animaux qui ont du sang ont des nerfs; nerfs des poissons.
1 Les nerfs dans les animaux sont disposés de la manière suivante.
Comme les veines, les nerfs partent aussi du cœur, qui a des nerfs et qui les
contient dans sa plus grande cavité. Ce qu'on appelle l'aorte n'est qu'une
veine nerveuse, dont les extrémités sont absolument de la nature des nerfs. On
peut voir en effet que ces extrémités ne sont plus creuses, et qu'elles ont la
même possibilité de se tendre qu'ont les nerfs, aux points où elles aboutissent
aux flexions des os. 2 Néanmoins, les nerfs ne sont pas comme les veines,
continus sans interruption, à partir de leur première et unique origine. Les
veines ressemblent aux esquisses des peintres; et elles prennent si bien toute
la forme du corps [516a] que sur les personnes très-maigres, on croirait que la
masse totale du corps n'est remplie que de veines ; car sur les gens maigres,
les veines tiennent la même place que les chairs dans les gens gras.
3 Les nerfs sont répartis dans les membres, ou
articulations, et dans les jointures des os, où se font les flexions; et si, de
leur nature, ils étaient continus, la continuité de tout se verrait aisément
sur les personnes maigres. Les places principales des nerfs sont d'abord celle
de qui dépend l'action du saut; on la nomme le jarret; et ensuite, un autre
nerf double, le tendon. Puis, viennent, sous le rapport de la force, les nerfs
qu'on appelle l'extenseur et le nerf de l'épaule. Puis enfin, il y a des nerfs
auxquels on n'a pas donné de nom et qui servent à l'articulation des os ; car
tous les os qui, en se rejoignant, s'articulent les uns sur les autres, sont
reliés par des nerfs. 4 Autour de chaque os, il y a toujours une quantité de
nerfs, si ce n'est pour la tête, où il n'y en a aucun, et où ce sont les
sutures des os eux-mêmes qui la maintiennent. Le nerf peut, par sa nature, se
diviser en long, mais non dans sa largeur ; et il peut s'allonger beaucoup.
Autour des nerfs, il y a un liquide muqueux, de couleur blanche, gluant, qui
les nourrit et qui paraît les produire. La veine peut être brûlée sans se
détruire; mais le nerf soumis au feu est détruit tout entier; et si on le
coupe, il ne reprend jamais. 5 L'engourdissement n'affecte pas les parties du
corps où il n'y a pas de nerfs. Celles où il y a le plus de nerfs sont les
pieds, les mains, les côtes et les omoplates, le cou et les bras. 6 Tous les
animaux qui ont du sang ont aussi des nerfs; mais dans les animaux sans
articulations, et qui n'ont ni pieds, ni mains, les nerfs sont ténus et
imperceptibles. Dans les poissons, les nerfs les plus apparents sont ceux des
nageoires.
Liquide
qu'elles contiennent ; leur nature ; fibres particulières du sang; leur
présence est indispensable pour qu'il se coagule ; exceptions pour quelques
animaux ; le cerf, le lièvre, le bubale, et le mouton.
1 Les fibres sont placées au milieu entre les nerfs et les
veines. Quelques-unes renferment un liquide, celui de la lymphe, et elles vont
des nerfs aux veines, et des veines aux nerfs. 2 Il est encore une autre espèce
de fibres qui se forment dans le sang; mais ce n'est pas dans le sang de tout
animal indistinctement. Quand on enlève ces fibres au sang, il ne se coagule
plus; il se coagule, si on les y laisse. Il y en a dans le sang de presque tous
les animaux; mais il n'y en a pas dans le sang du cerf, du chevreuil, du bubale
et de quelques autres. Aussi, le sang de ces animaux ne se coagule-t-il pas
comme celui [516b] des autres. 3 Le sang du cerf se coagule à peu près comme
celui du lièvre. D'ailleurs, le sang de ces deux espèces ne donne pas une
coagulation solide comme celles des autres, mais une coagulation flasque et
humide, comme celle du lait où Ton n'aurait pas mis de présure. 4 Le sang du
bubale se coagule davantage et à peu près autant, ou légèrement moins que celui
des moutons.
5 Voilà ce qu'il y avait à dire sur les veinés, les nerfs
et les fibres.
Ils ne sont
jamais isolés ; ils se rattachent tous à l'épine dorsale ; description du
rachis ; les vertèbres ; le crâne ; ses sutures dans l'homme ; suture
circulaire dans la femme ; les mâchoires, les dents; dureté des dents; les
omoplates; os des bras, os des mains; os des extrémités inférieures, ou
côlènes; chevilles; os des pieds; ressemblances des os chez les vivipares; os à
moelle; os sans moelle ; le lion; dureté de ses os; analogies chez les
sélaciens et les poissons ; arêtes des poissons; les os du serpent; variétés
dans la consistance de l'épine dorsale selon la grandeur des animaux, et selon
les organes ; différences correspondantes.
1 Tous les os dans les animaux n'ont qu'un point de départ;
et ils se relient les uns aux autres, tout comme les veines. Il n'y a point
d'os qui soit isolé et séparé. Le point de départ est le rachis, dans tous les
animaux qui ont des os. 2 Le rachis se compose de vertèbres, et il va de la
tète aux hanches et au siège. Toutes les vertèbres sont pecées. L'os qui est en
haut, celui de la tête, touche aux dernières vertèbres; et il s'appelle le
crâne. La partie de cet os, dentelée en forme de scie, est la suture. 3 Le
crâne n'est pas identique dans tous les animaux; chez les uns, il est composé
d'un os unique, comme dans le chien ; chez les autres, il est de plusieurs
pièces, comme dans l'homme. Et encore la femme n'a-t-elle qu'une suture
circulaire, tandis que l'homme en a trois, qui se réunissent au sommet et
forment un triangle. On a même vu une fois une tête d'homme sans suture. La
tête ne se compose pas de quatre os, mais de six; et les deux qui sont vers les
oreilles sont petits, comparativement aux autres. 4 Les os qui forment les
mâchoires viennent de la tête. Dans tous les animaux, c'est la mâchoire d'en
bas qui est mobile ; le crocodile de rivière est le seul animal qui meuve sa
mâchoire d'en haut. Dans les mâchoires, sont placées lés dents, espèce d'os
qui, en un sens, n'est pas percée, et qui est percée en un autre sens. C'est,
parmi les os, le seul qu'on ne puisse pas tailler.
5 C'est de l'épine dorsale que viennent, l'os qui supporte
la tête, les clavicules et les côtes. La poitrine s'appuie sur les côtes ;
quelques côtes se rejoignent à elle: d'autres ne s'y rejoignent pas; car il
n'est pas un seul animal qui ait un os autour de la région du ventre. Puis
viennent les os qui sont dans les épaules, d*abord ceux qu'on appelle
omoplates, puis les os des bras, qui y tiennent, et les os de la main tenant à
ces derniers. Cette disposition des os est la même dans tous les animaux qui
ont des membres de devant. 6 En bas de l'épine, là où elle finit, vient, après
la hanche, la cavité cotyloïde ; puis, les os des extrémités inférieures, tant
ceux des cuisses que ceux des jambes, qu'on appelle [517a] les Côlènes.
Les chevilles en sont une partie ; et dans les chevilles, on comprend ce qu'on
appelle les ergots, chez les animaux qui ont une cheville. Viennent, à la
suite, les os des pieds.
7 Les vivipares qui ont du sang et qui marchent ne
diffèrent presque pas entre eux sous le rapport des os; et les différences
principales dans les os qui se correspondent, portent sur leur dureté, leur
mollesse ou leur grosseur. 8 Certains os ont de la moelle ; d'autres n'en ont
pas, dans un seul et même animal. Il y a même des animaux qui semblent n'avoir
point du tout de moelle dans les os : le lion par exemple, qui n'a en effet de
la moelle qu'en très-petite quantité, et très-déliée, dans quelques os à peine,
n'en ayant guère que dans les cuisses et dans les pattes de devant. D'ailleurs,
le lion est l'animal qui a les os les plus solides ; et ils sont tellement durs
que, quand on les choque les uns contre les autres, on en fait sortir du feu,
comme si c'étaient des cailloux. 9 Le dauphin a également des os; mais il
n'a pas d'épine. Chez tous les autres animaux qui ont du sang, tantôt les os ne
sont que très-peu différents, comme ceux des oiseaux ; dans les autres, il y a
des parties correspondantes et identiques par analogie, par exemple dans les poissons,
où les vivipares ont une épine cartilagineuse, comme ceux que nous appelons les
sélaciens, et où les ovipares ont une arête, qui reproduit le rachis des
quadrupèdes. 10 Une organisation propre aux poissons, c'est qu'ils sont, dans
quelques espèces, de petites arêtes isolées et minces, qui traversent la chair.
Le serpent est à peu près comme les poissons, et son rachis est une sorte
d'arête. Dans les quadrupèdes ovipares, les plus grands ont une épine dorsale
plus semblable à l'os; les plus petits l'ont plus semblable à l'arête.
D'ailleurs, tous les animaux qui ont du sang ont un rachis de la nature de
l'os, ou de la nature de l'arête. 11 Quant aux autres espèces d'os, tantôt les
animaux les ont; tantôt ils ne les ont pas; et selon qu'ils ont les parties où
ces os doivent se trouver, ils ont aussi les os propres à ces parties
spéciales. Ainsi, les animaux qui n'ont ni jambes ni bras, n'ont pas les os
Côlènes, pas plus que les animaux qui ont bien ces parties, mais qui ne les ont
pas semblables. Dans tous ces animaux, il y a des différences de plus et de
moins, et aussi de proportions.
12 Telle est donc dans les animaux la disposition des os et
leur organisation naturelle.
Leurs
ressemblances et leurs différences avec les os; les cartilages ne sont pas
percés; et ils n'ont pas de moelle; cartilages des vivipares et des sélaciens.
1 Le cartilage est de la même nature que les os ; il n'y a
entre eux qu'une différence de plus ou de moins; et de même que l'os, le
cartilage, une fois coupé, ne repousse plus. 2 Dans les animaux qui vivent sur
terre et qui sont vivipares, les cartilages de ceux qui ont du sang ne sont
jamais percés; et il ne s'y forme pas de moelle, comme il s'en forme dans les
os. Mais dans les sélaciens, où l'épine est cartilagineuse, [517b] ceux qui
sont larges ont un cartilage correspondant aux os du rachis, et contenant un
liquide qui a quelque chose de la moelle. 3 Les vivipares qui marchent ont des
cartilages aux oreilles, au nez et à certaines extrémités de leurs os.
Leur nature;
elles peuvent se plier et se fendre; l'os se brise ; couleur de ces parties,
pareille à celle de la peau ; les dents sont de la couleur des os; les noirs
Éthiopiens ont les dents blanches et les os blancs; cornes généralement creuses
à la base, solides à la pointe ; exception du cerf, perdant ses bois chaque
année, s'il n'est pas châtré ; cornes mobiles des bœufs de Phrygie; des ongles
et des doigts ; l'homme, l'éléphant, le lion, l'aigle.
1 II y a, dans les animaux, d'autres espèces de parties qui
ne sont pas de la même nature que les os, et qui ne s'en éloignent guère,
cependant; ce sont les ongles, les soles, les griffes, les cornes, et encore le
bec, tel qu'on le voit chez les oiseaux, dans ceux des animaux qui présentent
ces parties diverses. Toutes ces parties nouvelles peuvent se plier et se
fendre, tandis que l'os au contraire ne peut jamais, ni se plier, ni se fendre;
il ne peut que se rompre. 2 La couleur des cornes et des ongles, du sabot et de
la sole, suit la couleur de la peau et des poils. Ainsi, les animaux qui ont
ces parties, et dont la peau est noire, ont aussi les cornes, les sabots et les
soles également noires; les blancs les ont blanches ; elles sont de couleur
intermédiaire chez les animaux qui sont entre deux. Il en est de même des
ongles. 3 Les dents sont naturellement de la couleur des os. Aussi, les hommes
de couleur noire, comme les Éthiopiens et les peuples de même race, ont les
dents blanches comme leurs os, tandis que les ongles sont noirs, comme tout le
reste de leur peau.
4 Le plus souvent, les cornes sont creuses à partir du
point d'excroissance d'où vient l'os sorti de la tête ; à l'extrémité, elles
sont pleines et solides; et elles sont simples. Il n'y a que le cerf dont les
cornes soient pleines dans toute leur longueur, et divisées en plusieurs
rameaux. Les autres animaux qui ont des cornes ne les perdent pas ; le cerf
seul les perd tous les ans, à moins qu'il n'ait été coupé. On parlera plus tard
de la castration dans les animaux. 5 Les cornes tiennent plutôt à la peau qu'à
l'os; et c'est ainsi qu'on voit en Phrygie, et dans d'autres contrées, des
bœufs qui font mouvoir leurs cornes, comme leurs oreilles. 6 Tous les animaux
qui ont des doigts ont des ongles, et tous ceux qui ont des pieds ont aussi des
doigts. Il n'y a d'exception que pour l'éléphant, qui a des doigts non séparés
et à peine articulés, sans aucune trace d'ongles. Mais, parmi les animaux qui
sont pourvus d'ongles, les uns les ont tout droits, [518b] ainsi que l'homme
les a; les autres les ont recourbés, comme le lion entre les quadrupèdes, et
l'aigle entre les volatiles.
Epaisseur ou
légèreté des poils; rudesse et douceur selon les parties du corps, et selon les
climats; la peau de l'homme est la plus fine de toutes ; parties du corps où
elle ne repousse pas une fois coupée ; couleur des poils ; elle varie avec
l'âge ; cheveux blancs dans l'homme; poils qu'il apporte en naissant; poils qui
viennent plus tard; la calvitie ; les eunuques; femmes qui ont quelque barbe ;
prêtresses de Carie ; longueur des poils ; les cils ; les sourcils ; humeur
visqueuse des poils ; rapports des varices et des poils ; croissance des poils
; changements de la couleur des poils dans les oiseaux; la grue; influence des
saisons et des climats; influences des eaux; les rivières de la Thrace; le
Scamandre ; Homère cité ; les plumes arrachées ne repoussent pas ; ailes et
aiguillon de l'abeille.
1 Voici maintenant ce qu'il en est des poils et de leurs
analogues, et de la peau. Tous les animaux qui ont des pieds et qui sont
vivipares ont des poils ; tous ceux qui ont des pieds, mais qui sont ovipares,
sont pourvus de lamelles écailleuses; les poissons qui ont des œufs grenus ont
seuls, des écailles. Parmi les poissons à corps allongé, le congre, et la
murène n'ont pas d'œufs de cette espèce ; et l'anguille n'en a point du tout. 2
L'épaisseur ou la légèreté des poils, ainsi que leur longueur, dépendent de la
place où ils croissent, dans les différentes parties de l'animal, et aussi de
la nature de la peau. Là où la peau est plus épaisse, le poil est plus rude et
plus fort, dans presque tous les cas. Le poil est plus abondant et plus long
dans les places qui sont plus enfoncées et plus humides, pourvu toutefois que
cette place soit destinée à avoir des poils. Il en est de même pour les animaux
à écailles ou à lamelles écailleuses. 3 Les animaux qui ont un poil
naturellement doux, le prennent plus rude s'ils sont bien nourris; chez ceux
qui l'ont naturellement rude, il devient alors plus doux et plus rare. Le poil
diffère encore selon les contrées plus chaudes ou plus froides; c'est ainsi que
les cheveux de l'homme sont durs dans les climats chauds, et doux, au
contraire, dans les climats froids. Les poils tout droits sont doux; les poils
frisés et crépus sont rudes et durs.
4 La nature des poils permet de les fendre ; et ils
diffèrent les uns des autres, en ce qu'ils sont plus ou moins divisibles. Il en
est qui, prenant peu à peu plus de dureté, en arrivent à n'être plus des poils,
mais des piquants, comme les poils des hérissons de terre. La même
transformation a lieu pour les ongles; car il y a des animaux dont les ongles
sont aussi durs que des os.
5 L'homme a la peau plus mince qu'aucun autre animal, en
proportion de sa grosseur. Dans la peau de tout animal quelconque, il y a
toujours une humeur visqueuse, moins abondante chez les uns, plus chez les
autres, comme chez les bœufs, par exemple, où elle sert à faire de la colle ;
dans certains pays, on fait aussi de la colle avec cette viscosité des
poissons.
6 La peau est par elle-même insensible quand on la coupe ;
et surtout la peau de la tête, parce que là il n'y a pas du tout de chair entre
la peau et l'os. Du reste, là où [518b] il n y a que de la peau, elle ne
reprend point quand une fois elle a été coupée, comme à la partie mince de la
joue, au prépuce et à la paupière. 7 Chez tous les animaux, la peau est
continue, et elle ne s'interrompt que là où les ouvertures naturelles se
dégorgent, et aussi à la bouche et aux ongles. Tous les animaux qui ont du sang
ont de la peau ; mais tous n'ont pas de poil, et ils se distinguent, ainsi
qu'on l'a déjà expliqué plus haut.
8 La couleur du poil varie quand l'animal devient vieux;
dans l'homme, les poils blanchissent avec l'âge. Ce changement se passe aussi
dans les autres animaux; mais il n'y est pas très-sensible, excepté dans le
cheval. Le poil commence à blanchir par le bout ; le plus souvent, les cheveux
gris deviennent blancs tout à coup en entier; ce qui prouve bien que le
grisonnement des cheveux ne tient pas à une dessiccation, comme on le prétend
quelquefois; car rien ne se dessèche d'un seul coup. Dans celte efflorescence
qu'on appelle la lèpre blanche, tous les poils deviennent gris. Dans quelques
maladies, les cheveux grisonnent; et, après être tombés, ils repoussent noirs
après la guérison. 9 Les cheveux deviennent plus vite gris quand on les couvre
que quand on les laisse à l'air. Dans l'homme, ce sont les tempes qui
grisonnent les premières; le devant de la tête devient gris avant le derrière ;
et les parties sexuelles grisonnent en dernier lieu.
10 II y â des poils que l'homme apporte en naissant ;
d'autres ne poussent qu'avec l'âge, et l'homme est le seul parmi les animaux
chez qui se manifeste cette différence. Les poils qu'il apporte en naissant
sont des cheveux, des cils, et des sourcils. Les poils qui ne paraissent que
postérieurement sont d'abord ceux des parties sexuelles ; puis, ceux de
l'aisselle, et enfin, ceux du menton. Ainsi, le nombre des parties où poussent
les poils qui paraissent dès la naissance et ceux qui viennent plus tard, est
égal. 11 Ce sont les poils de la tête qui, avec l'âge, disparaissent et tombent
le plus abondamment, et les premiers. Ce ne sont d'ailleurs que les cheveux de
devant; car on ne devient jamais chauve par derrière la tête. Le dépouillement
du sommet s'appelle Calvitie; le dépouillement des sourcils s'appelle, en grec,
Anaphalantiasis; mais aucun de ces changements ne se produit jamais avant qu'on
n'ait eu des rapports sexuels. L'enfant ne devient jamais chauve, non plus que
la femme, ni l'eunuque. Si l'eunuque a été opéré avant la puberté, les poils
qui doivent venir après elle ne poussent plus chez lui ; s'il a été opéré plus
lard, ce sont ces poils-là qui, chez lui, sont les seuls à tomber, excepté ceux
des parties sexuelles.
12 La femme n'a pas de poils au menton ; ce n'est
qu'exceptionnellement que quelques-unes en ont un peu, quand leurs mois
viennent à cesser. Les prêtresses de Carie eu ont aussi; et, en elles, on
regarde que c'est [519a] un présage de l'avenir.
Les autres poils viennent également aux femmes mais en
quantité moindre. Il y a des hommes et des femmes qui, par constitution, sont
privés des poils qui poussent avec l'âge; mais ces individus sont impuissants,
lorsqu'en même temps ils n'en ont pas aux parties sexuelles.
13 Les poils autres que ceux-là poussent
proportionnellement plus ou moins longs ; ce sont surtout ceux de la tête qui
poussent le plus; puis, ceux de la barbe ; les plus fins poussent davantage.
Chez quelques sujets, les sourcils deviennent si épais dans la vieillesse qu'il
faut les couper. La cause en est que les sourcils sont placés à la jointure des
os, et que les os, en s'écartant dans la vieillesse, laissent passer plus
d'humidité. Les cils des paupières ne croissent pas; mais ils tombent quand on
commence à user des plaisirs sexuels ; et ils tombent d'autant plus qu'on en
use davantage. Ils ne grisonnent que le plus tard de tous. Les poils qu'on
arrache peuvent repousser jusqu'à l'âge mûr; ensuite, ils ne repoussent plus.
14 Tous les poils ont à leur racine une humeur gluante ; et
au moment où l'on vient de les arracher, ils peuvent enlever les petits objets
qu'ils touchent. 15 Les animaux dont le poil est de couleur variée, ont une
variété égale sur leur peau, et aussi sur la peau de la langue. Quant à la
barbe, il y a des hommes qui l'ont épaisse à la lèvre et au menton; d'autres
ont ces parties assez lisses; et alors, ce sont les mâchoires ou les joues qui,
chez eux, sont velues. Ceux dont le menton est imberbe deviennent chauves moins
aisément. 16 Dans certaines maladies, les poils poussent davantage; par
exemple, dans les consomptions et aussi dans la vieillesse, et même sur les
cadavres; mais ils perdent de leur souplesse et deviennent plus durs. On
remarque les mêmes changements dans les ongles. Les poils de naissance tombent
plus vite chez les individus qui abusent des plaisirs sexuels; les poils qui ne
viennent qu'avec l'âge poussent plus vite sous la même influence. Les gens
sujets aux varices sont moins exposés à la calvitie; et si, étant déjà chauves,
ils contractent des varices, on voit parfois leurs cheveux repousser.
17 Le poil ne pousse pas par le bout qu'on a coupé ; mais
il grossit en poussant du bas de sa racine. Les écailles des poissons
durcissent et épaississent ; et elles deviennent d'autant plus dures que
l'animal maigrit et vieillit. Chez les quadrupèdes, les poils des uns, la laine
des autres, deviennent plus longs, mais moins abondants; les sabots des uns,
les soles des autres, s'allongent, avec l'âge, comme aussi les becs des
oiseaux. Les pinces s'accroissent également, de même que les ongles.
18 Ces changements amenés [519b] par l'âge n'ont pas lieu
dans les animaux qui ont des ailes, comme les oiseaux. Il faut toutefois
excepter la grue, qui, étant naturellement de couleur cendrée, prend avec le
temps des plumes plus noires. Mais les influences que produisent les saisons
sont très-marquées ; et par exemple, quand le froid redouble, on voit
quelquefois les oiseaux dont le plumage est d'une couleur uniforme, passer d'un
noir plus ou moins foncé au blanc, comme le corbeau, le moineau, les
hirondelles. Mais l'on n'a jamais vu les races de couleur blanche passer au
noir. Beaucoup d'oiseaux changent si bien de couleur, avec les saisons, qu'on
ne les reconnaît plus, si l'on n'est point fait à ces changements. 19 Chez
d'autres animaux, la couleur du poil varie avec la couleur des eaux qu'ils
boivent; ici ils deviennent blancs, et là ils deviennent noirs. Cette influence
s'étend jusque sur les portées. Dans bien des lieux, on trouve des eaux qui
font que les moutons, qui s'accouplent après en avoir bu, ont des agneaux
noirs. On cite, par exemple, le fleuve appelé le Froid, dans la Chalcidique de
Thrace, dans l'Assyritis, qui produit cet effet. Dans l'Antandrie, il y a deux
rivières dont l'une fait produire des moutons blancs; et l'autre, des moutons
noirs. Il paraît aussi que les eaux du Scamandre, à ce que l'on dit, rendent
les moutons roux; et voilà pourquoi, dit-on encore, Homère l'appelle le Xanthe
(le Roux), au lieu de Scamandre.
20 Aucun autre animal quelconque n'a de poils à
l'intérieur; et les poils des extrémités sont placés en dessus, et jamais en
dessous. Le lièvre seul a des poils en dedans des joues, et sous les pattes. Le
rat de mer, le cétacé, n'a pas de dents dans la bouche ; mais ce sont des soies
pareilles à celles du porc.
21 Comme ou l'a vu, les poils, quand on les a coupés,
croissent par en bas, mais non par le haut. Les plumes, une fois coupées, ne
poussent, ni par en haut, ni par en bas ; mais elles tombent. L'aile de
l'abeille, quand elle lui a été arrachée, ne repousse pas, non plus que celles
des animaux où l'aile est sans divisions. L'aiguillon ne repousse pas
davantage, quand l'abeille vient à le perdre ; et dans ce cas, elle meurt.
Il y en a dans
tous les animaux, où elles sont plus, ou moins fortes ; membranes de
l'encéphale ; membrane du cœur ; la membrane une fois coupée ne reprend pas ;
membranes des os; la membrane de l'épiploon est dans tous les animaux qui ont
du sang; place de l'épiploon; la vessie est une sorte- de membrane ; tous les
vivipares en ont une ; la tortue, parmi les ovipares, en a une aussi; maladie
de la pierre. — Résumé partiel.
1 Dans tous les animaux qui ont du sang, il y a aussi des
membranes. La membrane ressemble à une peau serrée et mince; mais c'est une
autre nature. La membrane ne peut, ni se déchirer, ni se distendre. Pour chaque
os, pour chaque viscère, il y a une membrane, dans les animaux les plus grands
et dans les plus petits; mais dans les plus petits animaux, les membranes [520a]
ne se voient pas aisément, parce qu'elles sont très-minces et très-peu
étendues. 2 Les membranes les plus considérables sont d'abord les deux
membranes qui enveloppent le cerveau ; et des deux, celle qui est près de l'os
est plus forte et plus épaisse que celle qui enveloppe l'encéphale. La plus
considérable ensuite est celle du cœur. Une membrane, réduite à elle seule, ne
repousse pas, une fois qu'elle a été coupée ; et les os dépouillés de leurs
membranes se carient. 3 L'épiploon est également une membrane ; on trouve
l'épiploon chez tous les animaux qui ont du sang; seulement, chez les uns, il
est graisseux ; chez les autres, il est sans graisse. Dans les vivipares qui
ont les deux rangées de dents, haut et bas, il commence et il est suspendu au
milieu de l'estomac, là où l'estomac présente une sorte de suture. Dans les
animaux qui n'ont point les deux rangées de dents, il part également du grand
estomac, auquel il est attaché de la même façon.
4 La vessie est bien encore une sorte de membrane; mais
c'est une membrane d'une autre nature, puisqu'elle peut se distendre. Tous les animaux
n'ont pas de vessie ; mais tous les vivipares en ont une. Dans les ovipares, la
tortue est la seule à en avoir. Une fois coupée, la vessie ne se cicatrise
point, si ce n'est à l'origine même de l'uretère. C'est quelque chose
d'excessivement rare ; mais on en a vu déjà quelques cas. Après la mort, le
liquide n'y passe plus. Pendant la vie, il s'y dépose des concrétions sèches,
qui forment des pierres ; c'est une maladie ; et il arrive parfois que ces
dépôts dans la vessie prennent toute l'apparence de vrais coquillages.
5 On le voit donc : la veine, le nerf, la peau, les fibres,
les membranes, et aussi les poils, les ongles, les soles, les sabots, les
cornes, les dents, les becs, les cartilages et les os, ainsi que tous les
organes analogues, sont comme on vient de le dire.
Sa place entre la peau et les os; elle est divisible en tous sens; la maigreur; la graisse; influence de l'alimentation; relation de la chair et des veines; couleur du sang plus rouge ou plus noir.
1 La chair, et ce qui a une nature approchant de la chair,
dans les animaux qui ont du sang, est placée, chez tous, entre la peau et l'os,
ou les parties qui correspondent aux os ; car ce que l'arête est à l'os, la
matière charnue l'est aux chairs proprement dites, dans les animaux qui ont des
os et des arêtes. 2 La chair est divisible en tout sens, et non pas seulement
dans sa longueur, comme le sont les nerfs et les veines. La chair disparaît
quand l'animal maigrit, et elle fond en veines et en fibres. Mais si l'animal a
une nourriture plus abondante, la graisse se substitue aux chairs. 3 Les
animaux très-charnus ont [520b] les veines plus petites, et le sang plus rouge
; leurs viscères et leur ventre sont peu développés. Dans les animaux qui ont
de grosses veines, le sang est plus noir; les intestins sont gros; le ventre,
également ; et les chairs sont moins volumineuses. Les animaux qui ont le
ventre petit deviennent charnus et gras.
Leurs rapports
et leurs différences; place de la graisse entre la peau et la chair ; graisse
de l'épiploon; graisse du foie; graisse du ventre; graisse des reins; maladies
des reins provenant de l'excès de graisse et de nourriture; pâturages de
Sicile; suif dans les yeux; les animaux gras, mâles ou femelles, sont moins
féconds; les animaux engraissent et s'alourdissent en vieillissant.
1 La graisse et le suif diffèrent l'un de l'autre, en ce
que le suif est tout à fait cassant et qu'il se coagule par le froid, tandis
que la graisse est fluide et ne se coagule pas. Les bouillons faits avec des
animaux gras ne se coagulent point, par exemple, avec le cheval et le porc; au
contraire, les bouillons faits avec la chair des animaux à suif se coagulent,
comme ceux du mouton et de la chèvre. 2 Les places aussi où se produisent le
suif et la graisse sont différentes. La graisse se produit entre la peau et la
chair; le suif ne se produit qu'à l'extrémité des chairs. L'épiploon devient
gras dans les animaux à graisse; il se charge de suif dans les animaux à suif.
Les animaux qui ont les deux rangées de dents ont de la graisse; ceux qui n'ont
pas ces deux rangées ont du suif. 3 Parmi les viscères, le foie devient gras
chez quelques animaux; par exemple, celui des sélaciens, entre les poissons;
aussi, on en tire de l'huile en le faisant fondre. Du reste, les sélaciens
sont, de tous les poissons, ceux qui sont le moins gras, en graisse isolée,
soit dans la chair, soit dans le ventre. Le suif des poissons est graisseux, et
il ne se coagule pas. 4 Les animaux ont la graisse, tantôt répandue dans la
chair, tantôt séparée. Ceux qui n'ont point la graisse à part, sont moins gras
sur le ventre et l'épiploon, comme l'anguille, parce qu'ils ont peu de suif à
l'épiploon. Dans la plupart, c'est la région du ventre qui engraisse, surtout
chez les animaux qui font peu de mouvement. 5 Dans les animaux gras, la
cervelle est gluante, comme celle du porc; dans les animaux à suif, elle est
sèche. Les viscères des animaux s'engraissent plus particulièrement dans la
région des reins ; mais le rein droit est toujours le moins chargé de graisse ;
et même quand les reins en sont surchargés, il reste toujours, vers le milieu,
une place qui n'en a pas. 6 Les animaux à suif sont surtout sujets à des
maladies des reins, qui atteignent plus spécialement les moutons, qui meurent
quand les reins sont absolument couverts de graisse. Ces maladies des reins
tiennent à un excès de nourriture, [521a] comme dans les pâturages de Sicile
près de Léontium. Aussi ne lâche-t-on les troupeaux que très tard à la fin du
jour, pour qu'ils prennent moins de nourriture.
7 Chez tous les animaux, il y a de la graisse dans la
partie voisine de la prunelle des yeux; car tous ceux dont les yeux ont cet
organe et qui n'ont pas les yeux durs, ont cette partie garnie de suif. 8 Les
animaux, tant mâles que femelles, sont moins féconds quand ils sont gras. Avec
les années, tous ils engraissent plus que dans les premiers temps de la vie, où
ils sont jeunes, surtout quand, ayant pris tout leur développement en hauteur et
en largeur, ils ne font plus que croître en épaisseur.
; il est
renfermé dans les veines ; le sang n'est pas sensible, non plus que la cervelle
et la moelle ; il est répandu dans tout le corps; saveur et couleur du sang; sa
coagulation ; quantité du sang selon les espèces d'animaux; rapports du sang et
de la graisse ; le sang de l'homme est le plus pur et le plus léger de tous; le
sang est répandu dans tout le corps ; il apparaît d'abord dans le cœur; la
lymphe du sang; le sang pendant le sommeil; altération du sang; hémorroïdes,
saignements de nez, varices; formation du pus et des abcès; le sang selon les
sexes; menstrues des femelles; le sang selon les âges ; dans la première
enfance, dans la force de l'âge, chez les vieillards ; la lymphe.
1 Voici ce qu'il en est du sang. Dans tous les animaux qui
ont du sang, c'est l'élément le plus nécessaire et le plus commun. Il ne leur
vient pas tardivement et après coup, et il leur reste tant qu'ils ne sont pas
profondément altérés. Tout le sang est renfermé dans des vaisseaux qu'on
appelle les veines ; et il ne s'en trouve absolument nulle part ailleurs, si ce
n'est dans le cœur tout seul. 2 Chez aucun animal, le sang n'est sensible
quand on le touche, non plus que ne le sont les excrétions des intestins ; non
plus que l'encéphale, et la moelle, qui ne marquent pas davantage de
sensibilité quand on les touche, tandis que partout où l'on coupe la chair, le
sang se montre, si l'animal est vivant, à moins que la chair ne soit viciée. 3
Le sang, quand il est sain, a naturellement une saveur douceâtre, et la couleur
en est rouge. S'il est corrompu par nature ou par maladie, il est plus noir.
Dans son meilleur état, il n'est, ni trop épais, ni trop fluide et léger, s'il
n'est pas altéré, soit naturellement, soit par maladie.
4 Tant que l'être est vivant, le sang est chaud et liquide;
et dans tous les animaux, il se coagule quand il est sorti du corps. Il n'y a
d'exception que pour le cerf et le daim, et pour d'autres animaux de cette
espèce. Mais pour tous les autres animaux, le sang se coagule tant qu'on n'en a
pas ôté les fibres. C'est le sang du taureau qui se coagule le plus
rapidement. 5 Dans les animaux qui ont du sang, les vivipares, qu'ils
soient d'ailleurs vivipares en eux-mêmes ou au dehors, ont plus de sang que
ceux qui, ayant aussi du sang, sont ovipares. Quand les animaux sont en bon
état, soit par leur constitution naturelle, soit par un bon régime, ils n'ont,
ni trop de sang comme ceux qui boivent avec excès, ni trop peu, comme ceux qui sont
trop gras. Mais si les animaux gras ont peu de sang, ils l'ont pur; et plus ils
engraissent, moins ils ont de sang; car il n'y a pas de sang dans les parties
qui sont grasses. La [521b] graisse ne se gâte point; mais le sang et les
parties où il se trouve, se putréfient le plus vite, surtout celles de ces
parties qui avoisinent les os.
6 C'est l'homme qui a le sang le plus léger et le plus pur;
dans les vivipares, c'est le taureau et l'âne qui l'ont le plus épais et le
plus noir. Le sang est aussi plus épais et plus noir dans les parties basses
que dans les parties hautes. 7 Le sang bat dans les veines de tous les animaux,
et au même instant dans toutes les parties du corps. Il est le seul liquide qui
soit répandu dans l'animal tout entier, et qui y soit toujours tant que
l'animal reste vivant. Il se produit d'abord dans le cœur, avant même que le
reste du corps ne soit complètement formé. Quand le sang se réduit et qu'il
sort plus qu'il ne faut, on tombe en défaillance ; et si l'on en perd en trop
grande quantité, on en meurt. 8 Quand le sang est trop liquide, c'est une
maladie; car alors il se tourne en lymphe, et il devient séreux, au point que
l'on a vu déjà de gens avoir une sueur sanguinolente. Parfois, dans ce cas, ou
le sang qui est sorti ne se coagule pas du tout, ou il ne se coagule qu'en
partie et en l'isolant.
9 Pendant le sommeil, le sang afflue moins aux parties
extérieures du corps, de telle sorte que, si on les pique, le sang n'en sort
pas aussi complètement que d'habitude. Le sang vient de la lymphe par la
coction ; et la graisse vient du sang. Quand le sang est malade, il se forme un
flux sanguin, une hémorroïde, soit par le nez, soit au fondement, soit dans les
varices. Le sang, quand il est corrompu dans le corps, y forme du pus ; et le
pus forme un abcès. 10 Le sang des femelles présente des différences avec celui
des mâles. Il est plus épais et plus noir, à santé égale et à âge pareil. Dans
les femelles, il y a moins de sang à la surface du corps; mais à l'intérieur il
y en a davantage. De tous les animaux femelles, c'est la femme qui a le plus de
sang. Ce que dans les femmes on appelle leurs mois, est plus abondant que dans
aucune espèce d animal; et quand ce sang est dans un état morbide, on lui donne
le nom de perte. 11 Les femmes sont moins sujettes que les hommes aux autres
désordres du sang; il est rare qu'elles aient des varices, des hémorroïdes, ou
des saignements de nez ; et lorsqu'elles ont de ces affrétions, les mois
viennent moins bien.
12 Selon les âges, le sang est différent en quantité et en
qualité. Dans les sujets très-jeunes, il est lymphatique et en quantité plus
forte ; dans les vieux, il devient épais, noir, et peu abondant. Chez les
sujets qui sont dans la force de l'âge, il est entre les deux. Le sang [522a]
des vieillards se coagule vite, même quand on le prend à la surface du corps.
Chez les sujets jeunes, ce phénomène ne se produit pas. La lymphe est un sang
qui n'a pas de coction, soit qu'il ne l'ait pas encore reçue, soit qu'il se
soit tourné en sérosité.
Elle n'existe
que dans certaines espèces ; elle est renfermée dans les os, comme le sang dans
les veines; la moelle varie selon les âges ; tous les os n'ont pas de moelle,
même les os creux; os du lion et du cochon sans moelle, ou presque sans moelle.
1 Quant à la moelle, c'est un de ces liquides qui se trouve
dans quelques-unes des espèces d'animaux qui ont du sang. D'ailleurs, tous les
liquides qui se trouvent naturellement dans le corps sont renfermés dans des
vaisseaux, comme le sang qui l'est dans les veines; et la moelle, dans les os.
Les autres liquides sont renfermés dans des membranes, des pellicules et des
intestins. 2 Chez les individus jeunes, la moelle est tout à fait de la nature
du sang. Dans la vieillesse, la moelle devient de la graisse chez les animaux
gras ; et du suif, chez les animaux à suif. 3 II n'y a pas de moelle dans tous
les os, quels qu'ils soient; il n'y en a que dans les os qui sont creux ; et
même dans quelques-uns de ceux-là, il n'y en a pas toujours. Ainsi, les os du
lion, ou n'ont pas du tout de moelle, ou n'en ont que très-peu. Aussi a-t-on
prétendu quelquefois, ainsi qu'on l'a dit antérieurement, que les lions n'ont
pas du tout de moelle. Les os du cochon en ont également très-peu, et l'on en
voit même qui n'en ont pas la moindre parcelle.
Rôle des
mamelles ; composition du lait ; ses deux parties ; le sérum et le caséum ;
lait qu se caille dans certains animaux ; lait qui ne se caille pas dans
d'autres ; en général, le lait ne vient qu'après la conception et les mâles
n'en ont pas; exemples contraires ; bouc de Lemnos; graisse et huile du lait ;
abondance du lait selon les espèces et l'alimentation ; laits plus ou moins
propres à la fabrication du fromage ; manières diverses de faire cailler le
lait ; suc de figuier; présure; origine de la présure; relations du lait et de
la grosseur des animaux; bétail énorme de l'Épire; actions diverses des
fourrages sur le lait et sur les mamelles ; lait des femmes brunes et des
femmes blondes.
1 Les fluides dont on vient de parler sont presque toujours
de naissance dans les animaux ; mais le lait et la liqueur séminale ne viennent
que postérieurement. De ces fluides, celui qui est sécrété séparément dans tous
les animaux où il apparaît, c'est le lait ; mais la liqueur séminale n'existe
pas dans tous, et quelques-uns ont ce qu'on nomme la laite, comme les poissons.
2 Tous les animaux qui sécrètent du lait l'ont dans les mamelles. Les mamelles
appartiennent à tous les vivipares, soit qu'ils produisent leurs petits en
eux-mêmes, soit qu'ils les produisent au dehors, et aussi à tous les vivipares
qui ont des poils, comme l'homme et le cheval, ou parmi les cétacés, au dauphin,
au phoque et à la baleine ; car ces derniers animaux ont aussi des mamelles et
du lait. Quant à ceux qui ne sont vivipares qu'au dehors, ou qui sont ovipares,
ils n'ont ni mamelles, ni lait; tels sont le poisson et l'oiseau. 3 Toutes les
espèces de lait contiennent deux parties, l'une aqueuse qu'on appelle le sérum,
ou petit-lait; l'autre plus solide et qui a du corps, qu'on appelle le caséum,
le fromage. Les laits plus épais ont aussi plus de caséum. Dans les animaux qui
n'ont pas les deux rangées de dents, le lait se coagule, et l'on fait du
fromage avec le lait des animaux domestiques ; mais dans ceux qui ont les deux
rangées régulières, le lait ne se coagule pas, non plus que la graisse ; il est
limpide et doux. Le plus léger de tous est celui du chameau; puis au second
rang, celui du cheval; et au troisième, le lait de l'âne. Celui du bœuf est
plus épais. Ce n'est pas le froid qui coagule le lait ; il le ferait plutôt
tourner au sérum ; [522b] mais c'est le feu qui le coagule et l'épaissit. 4 En
général, le lait ne vient pas dans l'animal avant qu'il n'ait conçu ; mais le
lait se produit après la conception. Le premier n'est pas de bon usage. Plus
tard et même avant que les femmes aient conçu, elles peuvent avoir un peu de
lait en prenant certains aliments ; et l'on a vu quelques femmes, quoique
vieilles, avoir du lait quand un enfant les tétait, et en produire assez pour
que l'enfant pût s'en nourrir. 5 Les habitants des environs du mont Oeta
prennent leurs chèvres quand elles n'ont pas encore subi l'approche du mâle, et
ils leur frottent violemment les mamelles avec des orties. Comme cette
opération les fait souffrir, leur premier lait est mêlé de sang ; puis le
second est un peu purulent; mais le dernier est enfin tout aussi bon que celui
des chèvres qui ont été couvertes. 6 Ordinairement, dans toutes les espèces,
aussi bien que dans l'homme, les mâles n'ont pas de lait ; il y a pourtant
quelques exceptions. A Lemnos, un bouc donnait, par les deux mamelles que le
mâle, dans cette espèce, a près de la verge, une assez grande quantité de lait
pour qu'on eu fil des fromages ; et ce bouc ayant couvert une femelle, le même
phénomène se produisit dans le petit qu'il avait eu. 7 Mais ces faits rares
sont regardés comme des présages ; et quelqu'un de Lemnos ayant consulté le
Dieu, il répondit que cette singularité annonçait un grand accroissement de
prospérité. Il y a aussi quelques hommes qui, après la puberté, donnent un peu
de lait, si l'on presse leurs mamelles, et qui même en donnent en quantité
quand un enfant les tette.
8 II y a, dans le lait, une certaine graisse qui devient
pareille à de l'huile, quand il se caille.
En Sicile et dans les pays où le lait de brebis est trop
gras, on le mêle au lait de chèvre. Le lait qui se caille le plus vite n'est
pas seulement celui qui contient le plus de caséum, mais celui qui en contient
de plus sec. 9 Ces animaux ont plus de lait qu'il n'en faut pour nourrir les
petits; et alors, ce lait est bon pour la fabrication du fromage et on peut le
conserver. Le meilleur pour cet usage est le lait de brebis et de chèvre; et
ensuite, le lait de vache. Les fromages de Phrygie sont un mélange de lait de
jument et de lait d'ânesse. Il y a plus d'éléments de fromage dans le lait de
vache que dans celui de chèvre ; car les bergers assurent que, de la quantité
égale d'une amphore, on ne peut tirer que dix-neuf fromages du prix dune obole
chacun avec du lait de chèvre, tandis qu'on en tire jusqu'à trente avec du lait
de vache. 10 Tantôt les animaux n'ont de lait que ce qu'il en faut pour les
petits ; mais ils n'en ont pas au-delà, ni qu'on puisse employer à faire du
fromage. Ce sont en général les animaux qui ont plus de deux [523a] mamelles ;
aucun d'eux n'a beaucoup de lait ; et leur lait ne peut pas donner de fromage.
11 Le suc de figuier et la présure font cailler le lait. Le
suc du figuier est recueilli sur de la laine quand il sort de l'arbre; on lave
ensuite cette laine dans une petite quantité de lait ; et ce lait mélangé à
l'autre le fait prendre. La présure est déjà une sorte de lait, et on la trouve
dans l'estomac des petits qui tètent encore. La présure est donc un lait qui
contient du fromage en lui-même ; et ce lait a été cuit par la chaleur propre
de l'animal. 12 Tous les ruminants ont de la présure ; et parmi les animaux à
deux rangées de dents, le lièvre en a aussi. Plus on garde la présure,
meilleure elle est. C'est surtout la vieille présure qui est bonne contre les
flux de ventre ; et aussi, la présure du lièvre; mais la meilleure des présures
est celle qu'on tire du faon.
13 Les animaux qui produisent du lait en donnent plus ou
moins, selon leur grosseur, et aussi selon les variétés de leurs aliments. Il y
a dans le Phase de petites vaches qui donnent du lait en abondance; les grandes
vaches de l'Épire donnent chacune une amphore et demie de lait, quand on trait
les deux mamelles. Pour les traire, il faut se tenir debout, ou un peu penché ;
car si l'on restait assis, on ne pourrait pas atteindre jusqu'au pis. Du reste,
tous les quadrupèdes en Épire, l'âne excepté, sont très-grands ; les bœufs et
les chiens y sont énormes. 14 Ces grands animaux ont besoin d'une nourriture
plus abondante ; mais le pays leur offre de gras et nombreux pâturages, et des
localités favorables, selon chaque saison. D'ailleurs ce sont les bœufs et les
moulons dits Pyrrhiques, du nom même du roi Pyrrhus, qui sont les plus gros de
tous. 15 II y a des fourrages qui arrêtent le lait, par exemple, l'herbe
médique, surtout chez les ruminants. D'autres fourrages au contraire, comme le
cytise et les vesces, font beaucoup de lait; seulement, le cytise, quand il est
en fleur, n'est pas bon, parce qu'il est brûlant ; elles vesces ne sont pas
meilleures pour les femelles qui sont pleines, parce qu'alors elles mettent bas
plus difficilement. Généralement, les quadrupèdes qui peuvent manger beaucoup
sont plus productifs au propriétaire, et ils donnent une grande quantité de
lait, si la nourriture qu'ils prennent est très-abondante. Certains fourrages
flatueux, joints aux autres, poussent au lait; et c'est ainsi qu'on donne des
quantités de févrolles à la brebis, à la chèvre, à la vache, et même à la
petite chèvre [523b] au-dessous d'un an. Cette alimentation fait descendre et
allonger la mamelle.
16 Un signe qui annonce que l'animal aura plus de lait que
d'ordinaire, c'est lorsque la mamelle tend à baisser beaucoup, avant que la
bête ne mette bas. Les animaux qui ont du lait en donnent d'autant plus
longtemps qu'ils restent sans porter, et qu'ils ont tout ce qu'il leur faut. Ce
sont les brebis qui, parmi les quadrupèdes, en ont le plus longtemps; on peut
les traire pendant huit mois de l'année. D'une manière générale, ce sont les
ruminants qui ont le plus de lait, et de lait bon pour faire le fromage. 17 Les
vaches de Torone cessent d'avoir du lait quelques jours avant de mettre bas; et
tout le reste du temps, elles en ont. Chez les femmes, le lait un peu bleuâtre
vaut mieux pour les nourrissons que le lait tout à fait blanc ; le lait des
brunes est plus sain que celui des blondes. Le lait qui a le plus de caséum est
le plus nourrissant; mais celui qui en contient le moins est plus salutaire aux
enfants.
Chez l'homme
et chez les animaux qui ont des poils ; couleur blanche du sperme ; erreur
d'Hérodote ; action du froid sur le sperme; action de la chaleur; sperme altéré
sortant de la matrice ; expérience pour constater si le sperme est prolifique,
ou s'il a perdu cette qualité ; erreur de Ctésias sur le sperme des éléphants.
1 Tous les animaux qui ont du sang éjaculent de la liqueur
séminale; on dira ailleurs en quoi et comment elle contribue à la génération. 2
C'est l'homme qui en produit le plus, proportionnellement à la grandeur de son
corps. Le sperme est visqueux dans les animaux qui ont des poils ; dans les autres,
il n'a pas de viscosité. Pour tous, il est de couleur blanche ; et Hérodote se
trompe quand il prétend que le sperme des Éthiopiens est de couleur noire. 3 Le
sperme, à l'état sain, est blanc et épais au moment où il sort ; mais une fois
émis, il devient clair et noir. Les grands froids ne le font pas geler; mais
alors, il devient tout à fait fluide comme de l'eau, par sa couleur et son
épaisseur; la chaleur le coagule et le fait épaissir. S'il reste quelque temps
dans la matrice, il en sort plus épais; et quelquefois même, il en sort tout
sec et congloméré. Le sperme prolifique descend au fond de l'eau où on le met ;
celui qui ne l'est pas se mêle au liquide.
4 Ctésias n'a écrit que des erreurs sur le sperme des
éléphants.
Les mollusques ; les crustacés ; les testacés ; les insectes ; description générale de ces quatre genres ; description particulière des mollusques ; leur organisation ; leurs pieds et leur tête ; suçoirs à l'extrémité de leurs pieds ; leur mode d'accouplement ; leur tuyau mobile ; différence des polypes et des mollusques ; longueur des tentacules dans les grands et les petits calmars ; la poche et la bouche des mollusques ; organisation de la poche ; l'œsophage ; l'estomac ; la Mytis, ou réservoir de l'encre ; un seul organe dans les mollusques