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ARISTOTE
Nouvelle traduction pour Internet par sœur Pascale Nau
Sur la base de la version grecque, la traduction Vrin et la
traduction anglaise de E.
M. Edghill.
Edition https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique
Les œuvres complètes de saint Thomas d’Aquin
On
appelle « homonymes » les choses dont le nom seul est commun,
tandis que la notion désignée par ce nom est diverse. Par exemple, animal est aussi bien un homme réel
qu’un homme en peinture ; ces deux choses n’ont De fait de commun que
le nom, alors que la notion désignée par le nom est différente. Car si on veut
rendre compte en quoi chacune d’elles réalise l’essence d’animal, c’est une
définition propre à l’une et à l’autre qu’on devra donner.
D’autre part, on appelle « synonyme » ce qui a à la
fois communauté
de nom et identité de notion. Par exemple, l’animal est à la fois l’homme et le bœuf ; De fait,
non seulement l’homme et le boeuf sont appelés du nom commun d’animal, mais
leur définition est la même, car si on veut rendre compte de ce qu’est la
définition de chacun d’eux, en quoi chacun d’eux réalise l’essence d’animal,
c’est la même définition qu’on devra donner.
Enfin, on appelle « paronymes » les choses qui,
différant d’une autre par le « cas », reçoivent leur appellation
d’après son nom : ainsi de grammaire vient grammairien, et de courage,
homme courageux.
Les expressions, les unes se disent selon une liaison ;
et les autres, sans liaison. Les unes sont selon une liaison : par exemple,
l’homme court, l’homme est vainqueur ; les autres
sont sans liaison : par exemple, homme,
bœuf, court, est vainqueur.
Parmi les êtres, les uns sont affirmés d’un sujet, tout en
n’étant dans aucun sujet : par exemple, homme est affirmé d’un sujet, savoir d’un certain homme, mais il
n’est dans aucun sujet. D’autres sont dans un sujet, mais ne sont affirmés
d’aucun sujet (par dans un sujet), j’entends
ce qui, ne se trouvant pas dans un sujet comme sa partie, ne peut être séparé
de ce en quoi il est) : par exemple, une certaine science grammaticale
existe dans un sujet, savoir dans l’âme, mais elle n’est affirmée d’aucun sujet ; et une
certaine blancheur existe dans un sujet, savoir dans le corps (car toute
couleur est dans un corps), et pourtant elle n’est affirmée d’aucun sujet.
D’autres êtres ` sont à la fois affirmés d’un sujet et dans un sujet : par
exemple, la Science est dans un sujet, savoir dans l’âme, et elle est aussi
affirmée d’un sujet, la grammaire. D’autres êtres enfin ne sont ni dans un sujet, ni affirmés d’un sujet,
par exemple cet homme, ce cheval, car aucun être de cette nature n’est
dans un sujet, ni affirmé d’un sujet.
Et, absolument parlant, les individus et ce qui est
numériquement un ne sont jamais affirmés d’un sujet ; pour
certains a toutefois
rien n’empêche qu’ils ne soient dans un sujet, car une certaine science
grammaticale est dans un sujet [mais n’est affirmée d’aucun sujet].
Quand une chose est attribuée à une autre comme à son sujet,
tout ce qui est affirmé du prédicat devra être aussi affirmé du sujet :
par exemple, homme est attribué à l’homme individuel, et, d’autre part, animal est attribué à homme ; donc à
l’homme individuel on devra aussi attribuer animal,
car l’homme individuel est à la fois homme et animal.
Si les genres sont différents et non subordonnés les uns aux
autres, leurs différences seront elles-mêmes autres spécifiquement. Soit animal
et science; pédestre et bipède, ailé et aquatique sont des différences d’animal.
Or aucune de ces différences n’est une différence pour science, car une
science ne se différencie pas d’une science par le fait d’être bipède.
Par contre, dans les genres subordonnés les uns aux autres,
rien n’empêche que leurs différences soient les mêmes, car les genres plus
élevés sont prédicats des genres moins élevés, de sorte que toutes les
différences du prédicat seront aussi des différences du sujet.
Les expressions sans aucune liaison signifient la substance,
la quantité, la qualité, la relation, le lieu, le temps, la position, la possession,
l’action, la passion.
Est substance, pour le dire en un mot, par exemple, « homme »
ou « cheval » ; quantité, par exemple, « long de deux
coudées » ou « long de trois coudées » ; qualité : blanc, grammairien ; relation : double, [2a] moitié, plus
grand ; lieu : dans le Lycée, au Forum ; temps :
hier, l’an dernier ; position :
il est couché, il est assis ;.possession : il est chaussé, il est armé ; action : il coupe, il brûle ; passion : il est coupé, il est brûlé.
Aucun de ces termes en lui-même et par lui-même n’affirme, ni
ne nie rien ; c’est
seulement par la liaison de ces termes entre eux que se produit l’affirmation
ou la négation. De fait, toute affirmation et toute négation est, semble-t-il
bien, vraie ou fausse, tandis que pour des expressions sans aucune liaison il
n’y a ni vrai ni faux : par exemple, homme,
blanc, court, est vainqueur.
La substance, au sens le plus fondamental, premier
et principal du terme, c’est ce qui n’est ni affirmé d’un sujet, ni dans un
sujet : par exemple, l’homme individuel ou le cheval individuel. Mais on
appelle substances secondes les
espèces dans lesquelles les substances prises au sens premier sont contenues,
et aux espèces il faut ajouter les genres de ces espèces : par exemple,
l’homme individuel rentre dans une espèce, qui est l’homme, et le genre de
cette espèce est l’animal. On désigne donc du nom de secondes ces dernières substances, savoir l’homme et l’animal.
Il est clair, d’après ce que nous avons dit, que le prédicat
doit être affirmé du sujet aussi bien pour le nom que pour la définition. Par
exemple, homme est affirmé d’un sujet,
savoir de l’homme individuel : d’une part, le nom d’homme lui est attribué
puisqu’on attribue le nom d’homme à l’individu ; d’autre part, la
définition de l’homme sera aussi attribuée à l’homme individuel, car l’homme
individuel est à la fois homme et animal. Il en résulte donc bien que nom et
notion seront également attribués au sujet.
Quant aux êtres qui sont dans un sujet, la plupart du temps ni
leur nom, ni leur définition ne sont attribués au sujet. Dans certains cas
cependant, rien n’empêche que le nom ne soit parfois attribué au sujet, mais
pour la définition, c’est impossible : par exemple, le blanc inhérent à un
sujet, savoir le corps, est attribué à ce sujet (car un corps est dit blanc),
mais la définition du blanc ne pourra jamais être attribuée au corps.
Tout le reste ou bien est affirmé des substances premières
prises comme sujets, ou bien est dans ces sujets eux-mêmes. Cela résulte
manifestement des exemples particuliers qui se présentent à nous. Voici par
exemple le terme animal, qui est attribué à l’homme ; animal sera
par suite attribué à l’homme individuel, car s’il ne l’était à aucun des hommes
individuels, il ne le serait pas non plus à l’homme [2b] en général. Autre exemple : la couleur est dans le corps ; elle est
par suite aussi dans le corps individuel, car si elle n’était inhérente à aucun
des corps individuels, elle ne le serait pas non plus au corps en général. Il
en résulte que tout le reste ou bien est affirmé des substances premières
prises comme sujets, ou bien est inhérent à ces sujets eux-mêmes. Faute donc
par ces substances premières d’exister, aucune autre chose ne pourrait exister.
Parmi les substances secondes, l’espèce est plus substance que
le genre, car elle est plus proche de la substance première. De fait, si on
veut rendre compte de la nature de la substance première, on en donnera une
connaissance plus précise et plus appropriée en l’expliquant par l’espèce
plutôt que par le genre : c’est ainsi que pour rendre compte de l’homme
individuel, on en donnerait une connaissance plus précise en disant que c’est
un homme plutôt qu’en disant que c’est un animal, car le premier caractère est
plus propre à l’homme individuel, tandis que le second est plus général. De
même, pour faire comprendre la nature de tel arbre, on fournira une explication
plus instructive en disant que c’est un arbre. plutôt qu’en disant que c’est
une plante. De plus, les substances premières, par le fait qu’elles sont le
substrat de tout le reste et que tout le reste en est affirmé ou se trouve en
elles, sont pour cela appelées substances par excellence. Et la façon dont les
substances premières se comportent à l’égard de tout le reste est aussi celle
dont l’espèce se comporte à l’égard du genre. L’espèce est, en effet, un
substrat pour le genre, puisque si les genres sont affirmés des espèces, les
espèces ne sont pas, en revanche, affirmées des genres. Il en résulte que, pour ces raisons également, l’espèce est plus
substance que le genre.
Quant aux espèces elles-mêmes qui ne sont pas genres, l’une
n’est en rien plus substance que l’autre, car on ne rend pas compte d’une façon
plus appropriée en disant de l’homme individuel qu’il est homme qu’en disant du
cheval individuel qu’il est cheval. C’est également le cas des substances
premières, dont l’une n’est pas plus substance que l’autre, car l’homme
individuel n’est en rien plus substance que lé boeuf individuel.
[3a] C’est donc avec raison qu’à la suite des
substances premières, seuls de tout le reste les espèces et les genres sont
appelés substances secondes, car de tous les prédicats ils sont les seuls à
exprimer la substance première. Si, de fait, on veut rendre compte de la nature
de l’homme individuel et qu’on le fasse par l’espèce ou par le genre, on
donnera là une explication appropriée, qu’on rendrait plus précise encore en
disant que c’est un homme plutôt qu’en disant que c’est un animal. Par contre,
assigner à l’homme toute autre détermination serait rendre l’explication impropre :
si on dit, par exemple, qu’il est blanc ou qu’il court, ou n’importe quoi de
cette sorte. Il en résulte que c’est avec raison que, seules de tout le reste,
ces notions-là sont appelées des substances. Autre argument : les
substances premières, par le fait qu’elles sont le substrat de tout le reste,
sont appelées, au sens le plus propre du mot, des substances. Or la relation
des substances premières à tout ce qui n’est pas elles est aussi celle des
espèces et des genres à l’égard de tout le reste, car c’est des espèces et des
genres que tout le reste est affirmé. Dire, en effte,
que l’homme individuel est grammairien, c’est dire, par voie de conséquence,
que l’homme et l’animal sont aussi grammairien. Et il en est de même dans tous
les autres cas.
Le caractère commun à toute substance, c’est de
n’être pas dans un sujet. La substance première, elle, n’est pas, en effet,
dans un sujet et elle n’est pas non plus attribut d’un sujet.
Quant aux substances secondes, il est clair, notamment pour
les raisons suivantes, qu’elles ne sont pas dans un sujet. D’abord, en effet,
l’homme est sans doute attribut d’un sujet, savoir de l’homme individuel, mais
il n’est pas dans un sujet, car l’homme n’est pas une partie de l’homme
individuel. Même remarque pour l’animal, qui est bien attribut d’un sujet,
savoir de l’homme individuel, mais qui, lui non plus, n’est pas une partie de
l’homme individuel. En outre, en ce qui concerne les choses qui sont dans un
sujet, rien n’empêche d’attribuer, dans certains cas, leur nom au sujet
lui-même, alors qu’il est impossible de lui attribuer leur définition. Or, pour
les substances secondes, ce qu’on peut attribuer au sujet c’est aussi bien leur
définition que leur nom : la définition de l’homme est attribuée à l’homme
individuel, et celle de l’animal l’est aussi. Il en résulte que la substance ne
peut pas être au nombre des choses qui sont dans un sujet.
Mais ce caractère n’est pas particulier à la substance, car la
différence, elle aussi, fait partie des choses qui ne sont pas dans un sujet. De
fait, le pédestre et le bipède sont affirmés d’un sujet, savoir de l’homme,
mais ne sont pas dans un sujet, car le bipède et le pédestre ne sont pas des
parties de l’homme. En outre, la définition de la différence est affirmée de ce
dont la différence est elle-même affirmée : par exemple, si le pédestre
est affirmé de l’homme, la définition du pédestre sera aussi affirmée de
l’homme, puisque l’homme est pédestre.
Ne soyons donc pas troublés du fait que les parties des
substances sont dans le tout comme dans un sujet, avec la crainte de nous
trouver alors dans la nécessité d’admettre que ces parties ne sont pas des
substances. Quand nous avons dit que les choses sont dans un sujet, nous
n’avons pas entendu par là que c’est à la façon dont les parties sont contenues
dans le tout.
Le caractère des substances secondes aussi bien que des
différences, c’est d’être dans tous les cas attribuées dans, un sens
synonyme, car toutes leurs prédications ont pour sujets soit des individus,
soit des espèces. Il est vrai que de la substance première ne découle aucune
catégorie, puisqu’elle n’est elle-même affirmée d’aucun sujet. Mais, parmi les
substances secondes, l’espèce est affirmée de l’individu, et le genre, à la
fois de l’espèce et de l’individu. Il en [3b] est de même
pour les différences, lesquelles sont affirmées, elles aussi, des espèces et
des individus. De plus, la définition des espèces et celle des genres
s’appliquent aux substances premières, et celle du genre à l’espèce, car tout
ce qui est dit du prédicat sera dit aussi du sujet. De la même
façon, la définition des différences, s’applique aux espèces et aux individus.
Mais sont synonymes, avons-nous dit, les choses dont le nom est commun et la
notion identique. Il en résulte que dans tous les cas où, soit les substances,
soit les différences sont prédicats, l’attribution se fait dans un sens
synonyme.
Toute substance semble bien signifier un être déterminé. En ce
qui concerne les substances premières, il est incontestablement vrai qu’elles
signifient un être déterminé, car la chose exprimée est un individu et une
unité numérique. Pour les substances secondes, aussi, on pourrait croire, en
raison de la forme même de leur appellation, qu’elles signifient un être
déterminé, quand nous disons, par exemple, homme
ou animal. Et pourtant ce n’est pas exact : de telles expressions
signifient plutôt une qualification, car le sujet n’est pas un comme dans le
cas de la substance première ; en réalité, homme est attribué à une multiplicité, et animal également.
Cependant ce n’est pas d’une façon absolue que l’espèce et le
genre signifient la qualité, comme le ferait, par exemple, le blanc (car le
blanc ne signifie rien d’autre que la qualité), mais ils déterminent la qualité
par rapport à la substance : ce qu’ils signifient, c’est une substance de
telle qualité. La détermination a d’ailleurs une plus grande extension dans le
cas du genre que dans le cas de l’espèce, car le terme animal embrasse un plus grand nombre d’êtres que le terme homme.
Un autre caractère des substances, c’est qu’elles n’ont aucun
contraire. De fait, si l’on considère la substance première, quel pourrait être
son contraire, par exemple, pour l’homme individuel ou pour l’animal
individuel ? Il n’y a, de fait, aucun contraire il n’y a de
contraire non plus ni pour l’homme, ni pour l’animal.
Ce caractère n’est d’ailleurs pas spécial à la substance, mais
il appartient aussi à beaucoup d’autres catégories, par exemple à la quantité. De
fait, au long-de-deux-coudées ou au long-de-trois coudées, il n’y a rien de contraire, pas plus qu’au
nombre dix, ni à aucun autre terme de cette nature, à moins qu’on ne prétende
que le beaucoup est le contraire du peu, ou le grand, du petit. Mais, en fait,
quand il s’agit de quantités déterminées, il n’y a jamais de contraire pour
aucune d’entre elles.
En outre, il semble bien que la substance ne soit pas
susceptible de plus et de moins. J’entends par là, non pas qu’une substance ne
puisse être plus ou moins substance qu’une autre substance (car nous avons déjà
établi la réalité de ce fait) mais que toute substance ne peut pas être dite
plus ou moins ce qu’elle est en elle-même ; par exemple, cette substance-ci, cet
homme-ci, ne sera pas plus ou moins homme que lui-même’ ou que quelque autre
homme. De fait, un homme n’est pas plus homme qu’un autre, à la façon dont le
blanc est dit plus ou moins [4a] blanc qu’un
autre blanc, et le beau plus ou moins beau qu’un autre beau. Une seule et même
chose peut bien être dite plus ou moins qu’elle-même de telle qualité : le
corps, par exemple, s’il est blanc, peut être dit plus blanc maintenant
qu’auparavant, ou, s’il est chaud, plus ou moins chaud ; mais la
substance, elle, n’est dite ni plus ni moins ce qu’elle est: l’homme n’est pas
dit plus homme maintenant qu’auparavant, pas plus d’ailleurs qu’aucune des
autres choses qui sont des substances. Ainsi donc, la substance n’est pas
susceptible de plus et de moins.
Mais ce qui, plus que tout, est le caractère propre de la
substance, c’est, semble-t-il bien, que tout en restant identique et
numériquement une, elle est apte à recevoir les contraires. C’est ainsi que,
parmi toutes les autres choses qui ne sont pas des substances, on serait dans
l’incapacité de présenter une chose d’une nature telle que, tout en étant
numériquement une, elle fût un réceptacle des contraires : par exemple, la couleur, qui est une et
identique numériquement, ne peut pas être blanche et noire, pas plus qu’une
action, identique et une numériquement, ne peut être bonne et mauvaise. Et il
en est de même de toutes les autres choses qui ne sont pas des substances. Mais
la substance, elle, tout en demeurant une et identique numériquement, n’en est
pas moins apte à recevoir les contraires : par exemple, l’homme individuel,
tout en étant un et le même, est tantôt blanc et tantôt noir, tantôt chaud et
tantôt froid, tantôt bon et tantôt méchant.
Nulle part ailleurs ne se manifeste rien de semblable, à moins
qu on ne soulève une objection en prétendant que le jugement et l’opinion sont
aptes à recevoir aussi les contraires. C’est qu’De
fait la même expression peut sembler à la fois vraie et fausse : si, par,
exemple le jugement tel homme est assis est
vrai, l’homme une fois debout, en même jugement sera faux. Il en serait de même
pour l’opinion : si on a l’opinion vraie que tel homme est assis, quand
l’homme sera debout on aura une opinion fausse en conservant la même opinion
sur sa personne.
Mais, même si on admet cette objection, du moins y a-t-il une
différence dans la façon de recevoir les contraires. D’une part, de
fait, en ce qui concerne les substances, c’est en changeant elles-mêmes
qu’elles sont aptes à recevoir les contraires : ce qui était froid est
devenu chaud par un change ment (c’est, effectivement, une altération), ce qui
était blanc est devenu noir, et mauvais, bon. Il en est de même pour toutes les
autres substances : c’est en éprouvant un changement que chacune d’elles
est apte à recevoir les contraires. Par contre, en ce qui concerne le jugement
et l’opinion, en eux-mêmes ils demeurent absolument et de toute façon
inchangés : c’est par un changement dans l’objet que le contraire survient
en eux. En,effet, le jugement tel homme
est assis demeure identique, et c’est suivant le changement de
l’objet qu’il est tantôt vrai et tantôt faux. [4b] Même
remarque au sujet de l’opinion. Ainsi, par la façon tout au moins dont les
choses se passent, le caractère particulier de la substance serait son aptitude
à recevoir les contraires par un changement qui lui est propre. Admettre donc
que, par exception, le jugement et l’opinion peuvent aussi recevoir les
contraires, c’est porter atteinte à la vérité : si, de fait, le jugement
et l’opinion peuvent être dits aptes à recevoir les contraires, ce n’est pas
qu’ils éprouvent eux-mêmes un changement, c’est par le fait que cette modification
est survenue dans un objet étranger. C’est, en effet, la réalité, ou la non-réalité de la chose qui rend le jugement vrai ou faux,
et non pas l’aptitude du jugement lui-même à recevoir les contraires. En un mot,
il n’y a rien qui puisse apporter un changement au jugement ou à l’opinion ; ils ne
peuvent donc être des réceptacles de contraires, puisque aucune modification ne
peut survenir en eux. Mais la substance, elle, comme c’est en elle-même qu’elle
admet les contraires, elle peut être dite recevoir les contraires, puisqu’elle
éprouve également la maladie et la santé, la blancheur et la noirceur. Et par
le fait qu’elle éprouve ainsi elle-même chacune des qualités de cette sorte, on
peut, dire qu’elle reçoit les contraires. C’est donc le caractère propre de la
substance que d’être, tout en demeurant identique et une numériquement, un
réceptacle de contraires par un changement dont elle est le sujet.
Nous en avons assez dit sur la substance.
La quantité est soit discrète, soit continue. En outre, la quantité
est constituée soit de parties ayant entre elles une position l’une à l’égard
de l’autre, soit de parties n’ayant pas de position l’une à l’égard de l’autre.
Exemples de quantité discrète : le nombre et le discours ; de quantité
continue : la ligne, la surface, le solide, et, en outre, le temps et le
lieu.
En ce qui concerne les parties du nombre, il n’y a
aucune limite commune où les dites parties soient en contact. C’est ainsi que
cinq étant une partie de dix, en aucune limite commune cinq et cinq ne se
touchent ; au
contraire, ces deux cinq sont séparés. De même, trois et sept ne se rencontrent
en aucune limite commune. Et, d’une manière générale, on ne pourrait, dans un
nombre, concevoir une limite commune entre ses parties, lesquelles sont en
réalité toujours séparées. Le nombre est donc bien une quantité discrète.
De même aussi, le discours est une quantité discrète. Que le
discours soit, effectivement, une quantité, c’est l’évidence, puisqu’on le
mesure en syllabes brèves ou longues. Je veux parler ici du discours même qui
est émis par la voix. Il est, en outre, une quantité discrète, car il n’y a
aucune limite où ses parties soient en contact ; il n’y a pas de limite commune où les
syllabes se rencontrent, mais chacune d’elles est distincte en elle-même et par
soi.
Quant
à la ligne, c’est une quantité continue, car il [5a] est possible de concevoir une limite commune où ses
parties se touchent : c’est le point ; et, pour la surface, c’est la
ligne, car les parties de la surface se touchent aussi en une limite commune.
Il en est de même pour le solide : on peut concevoir une limite commune,
ligne ou surface, où les parties du corps sont en contact.
Le temps et le lieu relèvent aussi de cette sorte de quantité.
Le temps présent, en effet, tient à la fois au passé et au futur. A son tour,
le lieu est une quantité continue, car les parties d’un corps occupent un
certain lieu, et ces parties, étant en contact en une limite commune, il
s’ensuit que les parties du lieu, qui sont occupées par chaque partie du corps,
sont elles-mêmes en contact à la même limite commune que les parties du corps.
Ainsi, le lieu est-il, lui aussi, continu, puisque, en une limite commune, ses
parties sont en contact.
En
outre, il y a des quantités qui sont constituées de parties ayant entre elles
une position réciproque, et d’autres quantités constituées de parties n’ayant
pas de position réciproque. C’est ainsi que les parties de la ligne ont une
position réciproque : chacune d’elles est située quelque part, on pourrait
distinguer et établir la position de chacune dans la surface et dire à quelle
partie du reste elle est contiguë. Pareillement encore, les parties de la
surface occupent une position, car on pourrait également établir la position de
chacune d’elles et dire quelles parties sont contiguës entre elles. Pour les
parties du solide, il en est de même, et aussi pour celles du lieu.
En
ce qui concerne le nombre, au contraire, il ne serait pas possible de montrer
que ses parties occupent une certaine position réciproque, ni qu’elles sont
situées quelque part; ni d’établir quelles parties sont contiguës entre elles.
Pas davantage pour le temps, car aucune des parties du temps n’est permanente,
et comment ce qui n’est pas permanent pourrait-il avoir une position ? En
fait, il est préférable de dire que les parties du temps ont un certain ordre,
en vertu duquel l’une est antérieure et l’autre postérieure, remarque qui
s’applique d’ailleurs au nombre : on compte un avant deux et deux avant
trois, et de cette façon on peut dire que le nombre a une sorte d’ordre, bien
qu’on ne puisse nullement lui accorder une position. Pour le discours, il en
est de même : aucune de ses parties ne subsiste, mais, telle partie une
fois prononcée, il n’est plus possible de la ressaisir ; il en résulte que
les parties du discours ne peuvent avoir de position, puisque rien n’en
subsiste. Il y a ainsi des quantités qui sont constituées de parties ayant une
position, et d’autres, de parties n’ayant pas de position.
Seules
sont appelées quantités au sens propre les choses dont nous venons de
parler ; tout le reste l’est seulement par accident. C’est, effectivement,
en considération de ces quantités proprement dites que nous [5b] appelons les autres des
quantités : ainsi on dit que le blanc est grand par le fait que la surface
blanche est grande, et l’action, longue, ou le mouvement. long, par le fait que
le temps où ils se passent est long, car ce n’est pas par leur essence même que
chacune de ces déterminations est dite quantité. Si, par exemple, on veut
rendre compte de la longueur d’une
action, on la définira par le temps, en répondant que l’action s’est
passée en une année, ou quelque chose de semblable ; et pour rendre compte
de la grandeur du blanc, on la définira par la surface, car c’est dans la
mesure où la surface est grande que le blanc peut être dit grand. Ainsi donc,
les seules quantités au sens propre et par essence sont celles dont nous avons
parlé ; par contre, aucune autre chose n’est quantité par soi, et, si elle
est quantité, ce ne peut être que par accident.
De
plus, la quantité n’admet aucun contraire. En ce qui concerne les
quantités déterminées, il est manifeste qu’elles n’ont pas de contraire :
tel est le cas du long-de-trois-coudées ou du long-de-deux coudées, ou de la
surface, ou de quelque autre quantité de cette sorte, pour qui, en effet, il
n’existe pas de contraire.
Prétendra-t-on
que le beaucoup est le contraire du peu, ou le grand, du petit ? Mais
aucune de ces notions n’est une quantité ; elles rentrent plutôt dans les
relatifs, car rien, considéré en soi et par soi, n’estt dit grand ou petit,
mais seulement par le fait d’être rapporté à une autre chose. Par exemple, on
dit qu’une montagne est petite, et un grain de mil grand, du fait que le grain
de mil est plus grand que d’autres choses de même genre, et la montagne plus
petite aussi que d’autres choses de même genre. Nous sommes ainsi en présence
d’une relation à une autre chose, puisque s’il était question du petit ou du
grand par soi, on ne pourrait jamais dire qu’une montagne est petite, ni un
grain de mil, grand. Autre exemple : nous disons que, dans un village, il
y a beaucoup d’habitants et qu’à Athènes il y en a peu, bien que la population
d’Athènes soit en fait beaucoup plus nombreuse. Nous disons encore qu’une maison
contient beaucoup de monde et un théâtre peu, et pourtant dans ce dernier lieu,
il y en a bien davantage. De même, le long-de-deux-coudées, le
long-de-trois-coudées et toute grandeur de cette sorte expriment une quantité,
tandis que le grand ou le petit n’exprime pas une quantité, mais plutôt une
relation, puisque c’est par rapport à une autre chose que l’on considère le
grand et le petit. Il est ainsi manifeste que ces derniers termes sont aussi
des relatifs. De plus a, que nous reconnaissions ou non ces termes pour des
quantités, ils n’ont de toute façon aucun contraire, car ce qu’on ne peut saisir en soi
et par soi, mais
qu’on peut, seulement rapporter à une autre chose, comment pourrait-on lui
donner un contraire ? En outre, si l’on veut que le grand et le petit
soient des contraires, il en résultera que le même sujet peut recevoir en même
temps les contraires, et aussi que les choses sont à elles-mêmes leurs propres
contraires. Il arrive, effectivement, parfois que la même chose est en même
temps grande et petite, puisque petite relativement à tel objet une même chose
est grande relativement à tel autre ; par suite, il pourra se faire que la même
chose soit en même temps grande et petite, et, par voie de conséquence, qu’elle
reçoive simultanément les contraires. Or, rien, de l’avis général, [6a] n’admet simultanément les contraires, ainsi que nous l’avons
vu pour la substance : si la substance est apte à recevoir les contraires,
du moins n’est-ce pas simultanément qu’on est malade et bien portant. De même
rien n’est à la fois blanc et noir, et rien de ce qui existe par ailleurs
n’admet non plus la coexistence des contraires. De plus, il arrivera que les
choses seront à elles-mêmes leurs propres contraires. De fait, si le grand est
le contraire du petit, et si la même chose est en même temps grande et petite,
une même chose sera contraire à elle-même. Or il est impossible qu’une même
chose soit contraire à elle-même. Donc le grand n’est pas le contraire du petit,
ni le beaucoup, du peu. Il en résulte que, même si on prétend que ces termes ne
sont pas des relatifs mais des quantités, ils ne posséderont pour autant aucun
contraire.
Mais c’est surtout dans le cas du lieu que la
contrariété offre l’apparence d’appartenir à la quantité. On définit, en effet,
le haut comme le contraire du bas, appelant bas la région centrale parce que la
distance maxima est celle du centre aux extrémités de l’Univers. Il semble même
que c’est de ces contraires qu’on tire la définition de tous les autres
contraires, puisque les termes qui, dans le même genre, sont éloignés l’un de
l’autre par la plus grande distancé, sont définis comme des contraires.
Il ne semble pas que la quantité soit susceptible de plus et
de moins. Tel est le cas du long-de-deux
coudées : une chose longue de deux coudées n’est pas plus longue qu’une
autre de deux coudées Il n’en est pas autrement en ce qui concerne le nombre:
par exemple, trois n’est pas plus trois que cinq n’est cinq, ni trois plus
trois qu’un autre trois ; on ne dit pas qu’un temps est plus temps qu’un
autre temps. Et de toutes les quantités que nous avons énumérées, il n’y en a
absolument aucune à laquelle le plus et le moins puissent être attribués. J’en
conclus que la quantité n’est pas susceptible de plus et de moins.
Mais
ce qui, plus que tout, est le caractère propre de la quantité, c’est qu’on peut
lui attribuer l’égal et l’inégal. De chacune des quantités dont nous avons
parlé, on dit De fait qu’elle est égale ou inégale : on dit d’un solide,
par exemple, qu’il est égal ou inégal à un autre, du nombre qu’il est égal et
inégal, du temps qu’il est égal et inégal. Il en est de même pour toutes les
autres quantités que nous avons mentionnées et dont chacune peut se voir
attribuer l’égal et l’inégal. En revanche, toutes les autres déterminations qui
ne sont, pas des quantités ne peuvent d’aucune façon, semble-t-il bien, être
affirmées égales et inégales : la disposition, par exemple, ne peut absolument pas
être qualifiée d’égale ou d’inégale, mais plutôt de semblable et de
dissemblable ; le blanc
lie peut d’aucune façon non plus être dit égal et inégal, niais semblable et
dissemblable Ce qui est par-dessus tout le caractère le plus propre de la
quantité, c’est donc bien qu’on peut lui attribuer l’égal et l’inégal.
On appelle relatives ces
choses dont tout l’être consiste en ce qu’elles sont dites dépendre d’autres
choses, ou se rapporter de quelque autre façon à autre chose par exemple,
le plus grand est ce dont tout l’être
consiste à être dit d’une autre chose, car c’est de quelque chose qu’il est dit plus grand ; et le
double est ce dont tout l’être est d’être dit d’une autre chose, car c’est de
quelque chose qu’il est dit le [6b] double ; et il en
est de même pour toutes les autres relations de ce genre. −Sont aussi des
relatifs des termes tels que état, disposition, sensation, science, position.
Pour tous ces termes, leur être consiste en ce qu’ils sont dits dépendre
d’autre chose et rien d’autre : ainsi l’état est dit état de quelque chose,
la science, science de quelque chose, la position, position de quelque chose,
et ainsi de suite. Sont donc des relatifs les termes dont l’essence est d’être
dits dépendre d’autres choses ou se rapporter de quelque autre façon à une
autre chose. Ainsi, une montagne est dite grande par rapport à autre chose, car
c’est par relation à une chose que la montagne est appelée grande; le semblable
est dit semblable à quelque chose, et les autres termes de même nature sont
dits également par relation à quelque chose.
J’ajoute que le coucher, la station droite ou assise sont des
positions déterminées, et la position elle-même est un relatif ; par contre,
être couché, être debout, être assis ne sont pas en eux-mêmes des positions,
mais ne font que tirer leur nom, comme paronymes, des positions que nous venons
d’énumérer.
Les relatifs peuvent avoir des contraires : par exemple,
la vertu est le contraire du vice, tous deux étant des relatifs, et la science
est contraire à l’ignorance.
Cependant tous les relatifs n’ont pas de contraires : au
double n’est opposé aucun contraire, ni au triple, ni à aucun terme de ce
genre.
Il semble bien encore que les relatifs admettent le plus et le
moins. De fait, le semblable et le dissemblable se disent selon le plus et le
moins, l’égal et l’inégal se disent aussi selon le plus et le moins, et ce sont
là des relatifs, car le semblable est dit semblable à quelque chose, et le
dissemblable, dissemblable de quelque chose.
Pourtant, là encore, tous les relatifs ne sont pas
susceptibles de plus et de moins : on ne dit pas du double qu’il est plus
ou moins double, et pas davantage d’aucun terme de cette sorte.
De plus, tous les relatifs ont leurs corrélatifs : par
exemple, l’esclave est dit esclave du maître, et le maître, maître de l’esclave ; le double,
double de la moitié, et là moitié, moitié du double ; ce qui est
plus grand, plus grand que son plus petit, et ce qui est plus petit, plus petit
que son plus grand. Il en est de même de tous les autres relatifs. Mais il y
aura parfois une différence de « cas » dans l’énonciation :
ainsi nous appelons connaissance la connaissance du connaissable, et
connaissable, le connaissable à la connaissance ; sensation la sensation du sensible, et
sensible, le sensible à la sensation.
Cependant il y a des cas où la corrélation semblera ne pas se
produire : c’est quand on, n’a pas rendu de façon appropriée le terme
auquel, le relatif est rapporté et qu’on s’est trompé en l’exprimant. Par
exemple, si on a donné l’aile comme relative à l’oiseau, il n’y a pas
corrélation d’oiseau à aile. Ce n’est pas, en effet, de façon appropriée que la
première relation, celle de [7a] l’aile à
l’oiseau, a été établie, puisque l’aile n’est pas dite relative à l’oiseau en
tant qu’oiseau, mais en tant qu’ailé, car il y a bien d’autres êtres ailés qui
ne sont pas des oiseaux. Il en résulte que lorsque la relation est rendue de
façon adéquate, il y a aussi corrélation : l’aile est aile d’un ailé, et
i’ailé est ailé pour l’aile. Parfois aussi, sans doute, est-il nécessaire de
créer un nom
spécial, quand il n’en a été établi aucun pour désigner de façon appropriée le
terme d’une relation : poser, par exemple, le gouvernail comme relatif au
navire, ce n’est pas rendre la relation exactement, car le gouvernail n’est pas
dit du navire en tant que navire, vu qu’il existe des navires qui n’ont pas de
gouvernail ; aussi n’y
a-t-il pas corrélation, car on ne dit pas que le navire est navire du
gouvernail. Mais sans doute la façon de rendre la relation serait-elle plus
juste si on s’exprimait à peu près ainsi : « le gouvernail est
gouvernail du pourvu-de-gouvernail », qu quelque
autre chose d’approchant, puisqu’on manque de nom spécial. Et il y a
corrélation si la relation est rendue de façon appropriée, car le « pourvu-de-gouvernail » est pourvu de gouvernail par le
gouvernail. Il en est de même dans les autres cas : par exemple, la tète
sera posée d’une façon plus appropriée comme corrélative du « pourvu-de-tête » que si elle est posée comme
corrélative de l’animal, car ce n’est pas en tant qu’animal que l’animal a une
tète, puisque beaucoup d’animaux n’en ont pas. La façon la plus facile sans
doute de comprendre ce à quoi une chose est relative, dans les cas où l’on
manque de nom, c’est de tirer les noms des premiers termes et de les appliquer
aux choses avec lesquelles les premiers termes sont en corrélation, de même que,
dans les exemples qui précèdent, ailé vient d’aile, et « pourvu-de-gouvernail » de gouvernail.
Ainsi donc, tous les relatifs ont un corrélatif, à la
condition toutefois qu’ils soient adéquatement rendus, puisque s’ils sont établis
par rapport à un terme pris indéterminément et non par rapport au corrélatif
lui-même, il n’y a pas corrélation. Je veux dire que, même pour les corrélatifs
sur lesquels tout le monde est d’accord et auxquels on donne des noms, il
n’existe pas de corrélation si l’un des termes est désigné par un nom qui
n’exprime qu’accidentellement le corrélatif, et non par le nom même du
corrélatif. Par exemple, l’esclave, s’il est posé comme esclave non pas du
maître, mais de l’homme ou du bipède, ou de n’importe quoi de ce genre, n’est
pas un corrélatif, car la relation n’est pas rendue adéquatement.
En outre, si la corrélation est rendue de façon appropriée, on
aura beau écarter tous ceux des autres caractères qui sont accidentels pour ne
laisser que celui avec lequel la corrélation adéquate avait été établie, cette
corrélation n’en existera pas moins toujours. Par exemple, si l’esclave a pour
corrélatif le maître, on aura beau écarter tous les autres caractères qui sont
accidentels au maître (tels que bipède, apte à recevoir la science, ou homme),
pour ne laisser que le caractère essentiel de maître, toujours l’esclave sera
exprimé par rapport à ce dernier, car l’esclave est dit esclave du maître.
Par contre, si la corrélation [7b] n’est pas
rendue de façon adéquate, on aura beau écarter tous les autres caractères pour
ne garder que celui avec lequel la corrélation avait été établie, la
corrélation établie ne se fera pas. Désignons, de fait, comme corrélatif de
l’esclave, l’homme, et de l’ailé, l’oiseau, et séparons de l’homme le caractère
essentiel de maître. La corrélation entre maître et esclave ne continuera pas
d’exister, car sans maître il n’y a plus d’esclave. Même raisonnement, si on
sépare de l’oiseau son caractère essentiel d’ailé : l’ailé ne sera pas plus
longtemps un relatif, car s’il n’y a pas d’ailé, l’aile non plus n’aura pas de
corrélatif. J’en conclus qu’il faut désigner adéquatement les corrélatifs. S’il
existe un nom, cette désignation devient facile, mais s’il n’en existe pas, il
est nécessaire sans doute d’en créer un. Mais quand la dénomination des termes
est ainsi faite adéquatement, il est clair que tous les relatifs sont
corrélatifs.
Il semble bien qu’entre les relatifs il y ait. simultanéité
naturelle. Cela est vrai dans la plupart des cas : il y a simultanéité du
double et de la moitié, et si la moitié existe, le double existe, de même que
si le maître existe, l’esclave existe, et que si l’esclave existe, le maître
existe. Même remarque pour tous les autres cas.
De plus, ces relatifs s’anéantissent réciproquement : s’il n’y a pas de
double, il n’y a pas de moitié, et s’il n’y a pas de moitié, il n’y a pas de
double. Il en est de même pour tous les autres relatifs de ce genre.
Cependant il n’est pas vrai, semble-t-il bien, que dans tous
les cas, les relatifs soient naturellement simultanés.
De fait, l’objet de la science peut sembler exister
antérieurement à la science, car le plus souvent c’est d’objets préalablement
existants que nous acquérons la science : il serait difficile, si non
impossible, de trouver une science qui fût contemporaine de son objet. En
outre. l’anéantissement de l’objet entraîne l’anéantissement de la science
correspondante, tandis que l’anéantissement de la science n’entraîne pas
l’anéantissement de mon objet. De fait, l’objet de la science n’existant. pas,
il n’y a pas de science (car il n’y aura plus rien à connaître), mais si c’est
la science qui n’existe pas, rien n’empêche que son objet. n’existe. C’est ce
qui se passe pour la quadrature du cercle: en admettant du moins qu’elle existe
comme objet de science, nous n’en avons pas encore la science, quoiqu’en
elle-même elle soit objet de savoir. De même l’animal une fois anéanti, il n’y
aurait, pas de science, mais il pourrait exister cependant un grand nombre
d’objets de science.
Il en est de même pour ce qui regarde la sensation ; le
sensible, en effet, est, de toute apparence, antérieur à la sensation : si
le sensible disparaît, la sensation disparaît, tandis que si c’est la sensation,
le sensible ne disparaît pas, car la sensation s’exerce sur un corps et dans un
corps. D’autre part, le sensible une fois détruit, le corps est détruit aussi
(car le corps fait partie des sensibles), et si le corps n’existe pas, la
sensation aussi disparaît. Aussi la destruction du sensible entraîne-t-elle
celle de la sensation. Par contre, la destruction de la sensation n’entraîne
pas celle du sensible : l’animal anéanti, la sensation est anéantie,
tandis que le sensible subsistera ; ce sera par exemple le corps, la chaleur, le
doux, l’amer, et. toutes les autres choses qui sont sensible. Autre
preuve : la sensation est engendrée en même temps que le sujet sentant,
car la sensation naît avec l’animal ; mais le sensible existe certes avant
l’animal ou la sensation, car le feu et l’eau, et autres éléments de cette
nature, à partir des quels l’animal est lui-même constitué, existent aussi
avant qu’il n’y ait absolument ni animal, ni sensation. Par suite, on peut
penser que le sensible est antérieur à la sensation.
La question se pose de savoir s’il est vrai qu’aucune
substance ne peut faire partie des relatifs, comme cela semble bien être le cas,
ou si on peut y ranger certaines substances secondes.
Pour les substances premières, il est bien vrai qu’elles ne
sont pas dès relatifs, car ni les substances entières, ni leurs parties ne
peuvent être relatives : on ne dit pas d’un homme qu’il est un homme de
quelque chose, ni d’un bœuf, un bœuf de quelque chose. Il en est de même pour
les parties : une main n’est pas dite une main de quelqu’un, mais la main
de quelqu’un, et une tête n’est pas dite une tète de quelqu’un, mais la tête de
quelqu’un.
Même solution pour les substances secondes, du moins pour la
plupart : l’homme n’est pas dit homme de quelque chose, ni le boeuf, bœuf
de quelque chose ; pas
davantage le bois n’est dit bois de quelque chose, il est dit seulement
propriété de quelqu’un. Dans les cas de ce genre, il est clair que la substance
ne rentre pas dans les relatifs.
C’est seulement pour certaines substances seconde que la
question peut se poser : par exemple, la tête est dite tête de ce dont
elle est une partie, et la main est dite main de ce dont elle est une partie,
et il en est ainsi pour toute partie de même nature ; il en
résulte que ces termes semblent bien être des relatifs.
Si donc la définition qui a été donnée des relatifs était
suffisante, il serait très difficile, sinon impossible, de prouver qu’aucune
substance ne peut être un relatif. Mais si la définition n’est pas suffisante
et qu’on doive appeler relatifs seulement les termes dont l’être ne consiste en
rien d’autre que d’être affecté d’une certaine relation, peut-être pourrait-on
apporter quelque remède à cette incertitude. La première définition convient
sans doute à tous les relatifs, mais le fait pour une chose d’être rapportée à
quelque autre chose ne la rend cependant pas essentiellement relative.
De tout ceci, il résulte évidemment que, quand on connaît un
relatif d’une façon déterminée, on con naîtra aussi d’une façon déterminée ce à
quoi il est relatif. Cela est aussi évident en soi : car si on sait que
telle chose particulière est un relatif, étant donné que l’être des relatifs
n’est rien d’autre que d’être en [8b] relation, on connaît aussi ce à quoi elle est relative. Mais si on ne
connaît absolument pas ce avec quoi elle est en relation, on ne saura pas non
plus si elle est ou non en relation. Des exemples particuliers éclaireront
cette assertion : ainsi, si on sait, d’une façon déterminée, que telle
chose est double, on sait aussi immédiatement d’une façon déterminée ce de quoi
elle est double, car s’il n’y avait rien de déterminé dont on ne sût que cette
chose est le double, on ne saurait absolument pas non plus qu’elle est double.
De même si l’on sait que telle chose est plus belle, on doit nécessairement
aussi savoir, immédiatement et d’une façon déterminée, la chose en comparaison
de quoi elle est plus belle.
Par contre, on ne con naîtra pas d’une manière indéterminée
qu’elle est plus belle qu’une chose qui est moins belle ; ce serait
là une opinion incertaine et non une connaissance : De fait, on ne
pourrait connaître dès lors d’une manière précise que la dite chose est plus
belle qu’une chose qui est moins belle, car il pourrait arriver qu’il n’y eût
rien de moins beau qu’elle-même. Il est donc évidemment nécessaire que, si on
connaît d’une façon définie un relatif, on connaisse aussi d’une façon définie
ce à quoi il est relatif.
Quant à la tête, à la main et à toute partie de même nature,
toutes choses qui sont des substances, on peut connaître quelle est leur
essence d’une façon déterminée. Mais il ne s’ensuit pas nécessairement qu’on
connaisse pour autant leur corrélatif, car ce à quoi cette tête ou cette main
se rapporte, c’est là une chose dont on ne peut avoir une connaissance définie.
Nous n’aurions donc pas affaire ici à des relatifs. Et si ce ne sont pas des
relatifs, il sera vrai de dire qu’aucune substance ne rentre dans les relatifs.
Sans doute est-il difficile, en de telles matières, de rien
assurer de positif, sans y avoir porté son attention à plusieurs reprises. Il
n’est cependant pas inutile d’avoir soulevé des questions sur chacun de ces
points.
J’appelle qualité ce
en vertu de quoi on est dit être tel.
Mais la qualité est au nombre de ces termes qui se prennent en
plusieurs sens.
Une première espèce de qualité peut être appelée état et disposition. Mais l’état diffère de la disposition en ce qu’il a
beaucoup plus de durée et de stabilité : sont des états les sciences et
les vertus, car la science semble bien être au nombre des choses qui demeurent
stables et sont difficiles à mouvoir, même si l’on n’en possède qu’un faible
acquis, à moins qu’un grand changement ne se produise en nous à la suite d’une
maladie ou de quelque autre cause de ce genre. De même aussi la vertu (par
exemple, la justice, la tempérance, et toute qualité de cette sorte) ne semble
pas pouvoir aisément être mue ni changée.
Par contre, on appelle dispositions les qualités qui peuvent
facilement être mues et rapidement changées, telles que la chaleur et le
refroidissement, la maladie et la santé, et ainsi de suite. De fait, l’homme se
trouve dans une certaine disposition à leur égard, mais il en change vite, de
chaud devenant froid, et de bien portant, malade; et ainsi du reste, à [9a] moins que quelqu’une de ces dispositions n’arrive elle-même,
avec le temps, à devenir naturelle, et ne soit invétérée ou difficile à
mouvoir : on pourrait peut-être dès lors l’appeler état.
Il est évident qu’on tend à désigner sous le nom d’états ces
qualités qui sont plus durables et plus difficiles à mouvoir, car de ceux qui
possèdent une science peu stable et qui peuvent, au contraire, facilement la
laisser fuir, on ne dit pas qu’ils ont l’état de savoir bien qu’ils se trouvent
dans une certaine disposition, plus ou moins bonne, à l’égard de la science.
L’état diffère donc de la disposition en ce que cette dernière est aisée à
mouvoir, tandis que le premier est plus durable et plus difficile à mouvoir.
Les états sont en même temps des dispositions, mais les
dispositions ne sont pas nécessairement des états : posséder, en effet,
des états, c’est se trouver aussi dans une certaine disposition à leur égard,
tandis qu’avoir des dispositions ce n’est pas posséder par cela même, dans tous
les cas, un état correspondant.
Un autre genre de qualité, c’est celui d’après lequel nous
parlons de bons lutteurs ou de bons coureurs, de bien portants ou de malades,
en un mot de tout ce qui est dit selon une aptitude ou une inaptitude
naturelle : car ce n’est pas en vertu d’une certaine disposition de
l’individu que chacune de ces déterminations est affirmée, mais par le fait
qu’on possède une aptitude ou une inaptitude naturelle à accomplir quelque
chose facilement ou à ne pâtir en rien. Par exemple, les bons lutteurs ou les
bons coureurs sont ainsi appelés, non pas parce qu’ils se trouvent dans une certaine disposition, mais parce qu’ils possèdent une aptitude naturelle
à accomplir facilement certains exercices ; les bien portants sont ainsi appelés parce
qu’ils possèdent une aptitude naturelle à supporter avec aisance tout ce qui
peut leur arriver, et les malades au contraire parce qu’ils possèdent une
inaptitude naturelle à ne pas supporter aisément tout ce qui peut leur arriver.
Il en est de même pour le dur et le mou : le dur est ainsi appelé parce
qu’il possède une aptitude naturelle à ne pas être facilement divisé, et le mou
parce qu’il possède l’inaptitude corrélative.
Un
troisième genre de qualité est formé des qualités affectives et des affections.
Telles sont, par exemple, la douceur, l’amertume, l’âcreté, avec toutes les
déterminations de même ordre, en y ajoutant la chaleur, la froidure, la blancheur et la
noirceur.
Que
ce soient là des qualités, c’est clair, car les êtres qui les possèdent sont
dits de telle qualité en raison de leur présence en eux : ainsi le miel,
par le fait qu’il a reçu en lui la douceur est appelé doux, et le corps est
blanc par le fait qu’il a reçu la blancheur. Il en est de même dans les autres
cas.
Qualités
affectives ne veut pas dire que les choses qui reçoivent ces
déterminations soient elles-mêmes affectées d’une certaine façon : ce
n’est pas parce que [9b] le miel subit quelque modification
qu’il est appelé doux, pas plus que les autres cas de ce genre ; de même, si
la chaleur et la froidure sont appelées des qualités affectives, ce n’est pas
parce que les choses mêmes qui les reçoivent souffrent quelque affection. En réalité, c’est parce que chacune des
qualités dont nous venons de parler est apte à produire une modification dans
les sensations, qu’on appelle ces qualités des qualités affectives. La douceur,
effectivement, produit une modification du goût, et, la chaleur, du toucher ; il en est
de même pour les autres qualités.
Cependant la blancheur, la noirceur et autres couleurs, ce
n’est pas de la même manière que précédemment qu’elles sont appelées des
qualités affectives : c’est par le fait qu’elles sont elles-mêmes le
résultat d’une modification. Souvent des changements de couleur
surviennent en raison d’une affection. Le fait est évident : la honte fait
devenir rouge, la crainte, pale, et ainsi de suite. C’est pourquoi si on est
naturellement sujet à une affection de ce genre, due à certaines particularités
de tempérament, il est vraisemblable qu’on possède aussi la couleur
correspondante ; car la
nième disposition des éléments corporels qui s’était momentanément produite
dans le cas d’un accès de honte, peut être le résultat de la constitution
naturelle du sujet, de façon à engendrer naturellement la couleur
correspondante. Aussi tous les états de ce genre qui prennent leur source dans
des affections stables et permanentes sont-ils appelés qualités affectives. Ou
bien, en effet, c’est parce qu’elles prennent leur origine dans le tempérament
naturel du sujet que la pâleur ou la noirceur sont appelées des qualités (car
c’est elles qui nous donnent nôtre qualification) ; ou bien alors c’est parce que ces couleurs,
c’est-à-dire la pâleur et la noirceur, sont survenues à la suite d’une longue
maladie ou l:a d’une chaleur torride, et ne sont pas faciles à effacer, si même
elles ne persistent pas toute la vie : dans ce cas aussi on les appelle
des qualités, car, là encore, nous recevons d elles notre qualification.
Quant aux déterminations provenant de causes aisées à détruire
et vite écartées, on les appelle des affections et non pas des qualités, car on
n’est pas qualifiée d’après elles. De fait, on ne dit pas de l’homme qui rougit
de honte qu’il a le teint rouge,.ni de celui qui pâlit de peur qu’il a le teint
pâle : on dit plutôt qu’ils éprouvent quelque affection. Ce sont donc là
des affections et non des qualités.
Le raisonnement est le même pour les qualités affectives se
rapportant à l’âme. Toutes les déterminations qui, à l’instant même de la
naissance, ont pour origine certaines affections stables, sont appelées des
qualités : tel est le cas de la démence, de la colère et autres états de
ce genre, car on est qualifié [10a] d’après
elles de colérique et de fou. Il en est de même pour ces égarements de l’esprit,
qui ne sont pas naturels mais proviennent de certaines autres particularités de
constitution difficiles à écarter ou même absolument immuables : ce sont
encore là des qualités, car on est qualifié d’après elles.
Quant aux déterminations provenant de causes qui se dissipent
rapidement, on les appelle des affections. Voici, par exemple, quelqu’un qui, à
la suite d’une contrariété, a un accès de colère : on n’appelle pas
colérique un homme, qui dans une pareille émotion, se met en colère ; on dit
plutôt qu’il éprouve quelque affection. Aussi de telles déterminations
sont-elles appelées des affections et non des qualités.
Une quatrième sorte de qualité comprend la figure, ou la forme,
qui appartient à tout être, et, en outre, la droiture et la courbure, ainsi que
toute autre propriété semblable. C’est, de fait, d’après toutes ces
déterminations qu’un être est qualifié : parce qu’elle est triangulaire ou
quadrangulaire, une chose est dite avoir telle qualité, ou c’est
encore parce qu’elle est droite ou courbe ; et c’est la figure qui donne à toute chose
sa qualification.
Le rare et le dense, le rugueux et le poli signifient en
apparence une chose de telle qualité ; cependant il semble bien que de pareilles
déterminations soient étrangères aux divisions de la qualité, car c’est plutôt une certaine
position des parties que chacune parait exprimer. De fait, une chose est dense
par l’étroite union de ses parties entre elles, et rare par leur éloignement
réciproque ; elle est
polie par l’égalité de niveau, en quel que sorte, des parties, et rugueuse
quand certaines d’entre elles sont en relief et d’autres eh creux.
Sans doute pourrait-on encore découvrir d’autres modes de la
qualité ; du moins
les modes qu’où vient de citer sont les principaux et les plus fréquents.
Sont donc des qualités les déterminations que nous avons
énoncées ; quant aux choses qualifiées, ce sont celles qui sont dénommées
d’après ces qualités, ou qui en dépendent de quelque autre façon.
Ainsi dans la plupart des cas, et même presque toujours, le
nom de la chose qualifiée est dérivé de la qualité : par exemple,
blancheur a donné son nom à blanc, grammaire à grammairien, et justice à juste.
Et ainsi de suite. Dans certains cas cependant, comme on n’a pas donné de nom
aux qualités, il n’est pas possible de désigner les choses qualifiées par des
noms dérivés de ces qualités : par exemple, le nom donné au coureur ou au
lutteur, ainsi appelé en raison d’une aptitude naturelle, ne dérive d’aucune
qualité, puisqu’il [10b] n’existe pas de nom pour les
aptitudes suivant lesquelles ces hommes reçoivent une qualification, alors
qu’il en existe pour les sciences dont la pratique les fait nommer lutteurs ou
aptes à la palestre. Une telle science est une disposition : elle est
appelée du nom de « science du pugilat » ou de « science de la
lutte » ; et ceux qui sont dans cette disposition requise tirent leur
nom de ces sciences mêmes.
Parfois
aussi, même quand il existe un nom spécial pour la qualité la chose qualifiée
d’après elle porte un nom qui n’en dérive pas : ainsi l’honnête homme est
tel en raison de la vertu, car c’est par la possession de la vertu qu’il est
dit honnête, alors que son nom ne dérive pas de vertu. Ce cas, du reste, n’est
pas fréquent.
Ainsi
donc, sont dites posséder telle qualité les choses qui ont ‘un nom dérivé des
qualités que nous avons indiquées, ou qui, de quelque autre façon, en
dépendent.
La contrariété appartient aussi à la qualité : par
exemple, la justice est le contraire de l’injustice, la noirceur, de la
blancheur, et ainsi de suite. Et il en est de même pour les choses qui sont
qualifiées d’après ces déterminations : l’injuste est le contraire du
juste, et le blanc, du noir. Tel n’est cependant pas toujours le cas : le
rouge, le jaune et les couleurs de cette sorte n’ont pas de contraires, bien
que ce soient des qualités.
En outre, si l’un des deux contraires est une qualité,’,
l’autre sera aussi une qualité. Cela est évident dès qu’on applique à nos
exemples les autres catégories : ainsi, si la justice est le contraire de
l’injustice et si la justice est une qualité, l’injustice sera aussi une
qualité ; aucune
autre catégorie, en effet, ne conviendra à l’injustice, ni la quantité, ni la
relation, ni le lieu, ni, d’une façon générale; rien d’autre que la qualité. Il
en est de même pour tous les autres contraires tombant sous la qualité.
Les qualités admettent aussi le plus et le moins.
En effet, une chose blanche est dite plus ou moins blanche
qu’une autre, et une chose juste plus ou moins juste qu’une autre. En outre, la
qualité en elle-même prend de l’accroissement : ce qui est blanc peut
devenir plus blanc.
Cette propriété n’appartient cependant pas à toutes les
qualités, mais seulement à la plupart. Soutenir que la justice admet le plus et
le moins ne va pas, de fait, sans difficulté : certains le contestent et
prétendent qu’on ne peut absolument pas dire que la justice est susceptible de
plus et de moins, pas plus qu’on ne le peut pour la santé. Tout ce qu’on peut
dire, c’est qu’une personne possède moins de santé qu’une autre ou moins de
justice qu’une autre, et il en est de même pour la grammaire et [11a] autres dispositions. Quoi qu’il en soit, il est tout au moins
incontestable que les choses qui sont dénommées d’après ces qualités sont
susceptibles de plus et de moins, puisqu’on dit d’un homme qu’il est meilleur
grammairien qu’un autre, mieux portant, plus juste, et ainsi de suite.
Par contre, triangle et tétragone ne paraissent pas admettre
le plus et le moins, pas plus qu’aucune autre figure. En effet, les choses auxquelles
s’applique la notion de triangle ou de cercle sont toutes, de la même façon,
triangles ou cercles ; et quant aux choses auxquelles elle ne s’applique pas, on ne
pourra pas dire que l’une soit plus que l’autre triangle ou cercle : le
carré n’est pas plus un cercle que le rectangle, car ni à l’un, ni à l’autre la
notion de cercle n’est applicable. D’une façon générale, si la notion du terme
proposé ne s’applique pas aux deux objets, on ne pourra pas dire due l’un est
plus que l’autre. Toutes les qualités n’admettent donc pas le plus et le moins.
Tandis qu’aucun des caractères que nous venons de mentionner
n’est propre à la qualité, par contre semblable
ou dissemblable se dit uniquement des qualités. Une chose n’est semblable à
une autre pour rien d’autre que ce par quoi elle est qualifiée. Il en résulte que
le propre de la qualité sera de se voir attribuer le semblable et le
dissemblable.
Nous ne devons pas craindre qu’on nous objecte ici que, tout
en nous étant proposé un exposé de la qualité, nous avons fait entrer dans
notre énumération beaucoup de relatifs : n’avons-nous pas dit que les
états et les dispositions sont an nombre des relatifs ? −
Pratiquement, dans tous les cas de cette sorte, les genres sont, de fait, des
termes relatifs, tandis qu’aucune des espèces particulières ne l’est. Ainsi, la
science, comme genre, est, en son essence même, ce qui est relatif à une autre
chose (car on dit qu’il y a science de quelque
chose). Par contre, aucune des sciences particulières n’est, dans son essence,
relative à une autre chose : par exemple, on ne dit pas que la grammaire
est grammaire de quelque chose, ni la musique, musique de quelque chose. Mais
si elles sont relatives c’est seulement par leur genre qu’elles le sont :
la grammaire est dite science de quelque chose, non grammaire de quelque chose,
et la musique est dite science de quelque chose et non musique de quelque
chose. Les sciences particulières ne font donc pas partie des relatifs. Et si
nous recevons telle qualification, c’est seulement d’après des sciences
particulières, puisque c’est elles que nous possédons : nous sommes dits
savants par la possession de l’une de ces sciences particulières. Il en résulte
que ces sciences particulières en vertu des quelles nous sommes parfois
qualifiés, sont elles-mêmes des qualités, tout en n’étant pas des relatifs.
J’ajoute que s’il arrive à la même chose d’être un relatif et une qualité, il
n’y a rien d’absurde à la mettre au nombre des deux genres à la fois.
[11b] L’action et la passion admettent
aussi la contrariété, et elles sont susceptibles de plus et de moins. Echauffer
est le contraire de refroidir ; être échauffé, d’être refroidi ; se réjouir,
d’avoir du chagrin, ce qui est bien admettre la contrariété. De même pour le
plus et le moins : on peut chauffer plus ou moins, ou être échauffé plus
ou moins. L’action et la passion sont donc aussi susceptibles de plus et de
moins.
Voilà ce que nous avions à dire de ces catégories.
Nous avons parlé, en outre, de la position dans notre chapitre
des Relatifs, où nous avons établi que ces termes dérivent leur nom des
positions correspondantes.
Quant aux catégories restantes, le temps, le lieu et la
possession, en raison de leur nature bien connue nous n’avons rien de plus à en
dire que ce qui a été exposé au début, savoir que la possession signifie des
états tels que être chaussé, être armé ; le lieu, c’est, par exemple, au Lycée, et ainsi de suite, comme nous
l’avons indiqué plus haut.
Pour les catégories proposées à notre étude, ce que nous avons
dit doit suffire. Passons aux opposés, et distinguons les acceptions
habituelles de l’opposition.
L’opposition d’un terme à un autre se dit de quatre
façons : il y a l’opposition des relatifs, celle des contraires, celle de
la privation à la possession et celle de l’affirmation à la négation.
L’opposition, dans chacun de ces cas, peut s’exprimer
schématiquement de la façon suivante : celle des relatifs, comme le double
à la moitié ; celle des
contraires, comme le mal au bien ; celle de la privation à la possession, comme la cécité à la vue ; celle de
l’affirmation à la négation, comme il est
assis, il n’est pas assis.
Les termes qui sont opposés comme des relatifs sont ceux dont
tout l’être consiste à être dit de leur opposé ou qui s’y rapporte de quelque
autre façon.
Par exemple, le double est ce qui, dans son essence même, est
dit double d’une autre chose, car c’est de
quelque chose qu’il est dit double. La connaissance et le connaissable sont
aussi opposés comme des relatifs : la connaissance est dite, dans son
essence même, connaissance du connaissable, et le connaissable, à son tour, est
lui-même, dans son essence, dit de son opposé, savoir la connaissance, car le
connaissable est dit connaissable pour quelque chose, c’est-à-dire pour la
connaissance. Les termes qui sont opposés comme des relatifs sont donc ceux
dont tout l’être consiste à être dit d’autres choses, ou qui sont, d’une façon
quelconque, en relation réciproque.
Quant aux termes qui sont opposés comme des contraires, ils
n’ont pas leur essence dans le rapport qu’ils soutiennent l’un avec l’autre,
mais ils sont dits seulement contraires les uns aux autres. De fait, on ne dit
pas que le bien est le bien du mal, mais le contraire du mal ; on ne dit
pas non plus que le blanc est le blanc du noir, mais le contraire du noir.
Aussi ces deux types d’opposition diffèrent-ils entre eux. Toutes les fois que
les contraires sont tels que les sujets dans lesquels ils sont naturellement
présents, ou dont [12a] ils sont affirmés, doivent
nécessairement contenir l’un ou l’autre, il n’y a pas d’intermédiaire entre eux ; mais s’il
s’agit de contraires qui ne sont pas nécessairement contenus l’un ou l’autre
dans le sujet, il y a, dans tous les cas, quelque intermédiaire. Par exemple,
la maladie et la santé se trouvent naturellement dans le corps de l’animal, et,
de toute nécessité, l’une ou l’autre appartient au corps de l’animal, soit la
maladie, soit la santé ; de même l’impair et le pair sont affirmés du nombre, et
nécessairement l’un ou l’autre appartient au nombre, soit l’impair, soit le
pair. Or il n’existe entre ces termes aucun intermédiaire, ni entre la maladie
et la santé, ni entre l’impair et le pair.
Mais pour les contraires dont l’un ou l’autre n’appartient pas
nécessairement au sujet, il existe entre eux un intermédiaire. Ainsi le noir et
le blanc se trouvent naturellement dans un corps, mais il n’y a aucune
nécessité que l’un ou l’autre appartienne au corps, car tout corps n’est pas
forcément blanc ou noir ; de même encore, le vil et l’honnête sont
affirmés et de l’homme et de beaucoup d’autres sujets, mais il n’est pas
nécessaire que l’un ou l’autre appartienne aux êtres dont ils sont affirmés,
car toute chose n’est pas nécessairement vile ou honnête. Aussi existe-t-il
entre ces termes un moyen : par exemple, entre le blanc et le noir, il y a
le gris et le jaunâtre et toutes les autres couleurs, et entre le vil et.
l’honnête, il y a ce qui n’est ni vil, ni honnête.
Dans certains cas, des noms sont portés par ces termes
intermédiaires ; par exemple,
entre le blanc et le noir se trouvent le gris, le jaunâtre et toutes les autres
couleurs. Dans d’autres cas, au contraire, il n’est pas facile de rendre par un
nom le moyen terme, mais c’est par la négation de chaque extrême que le moyen
est défini : par exemple, ce qui n’est ni bon, ni mauvais, ni juste ni
injuste.
Privation et possession tournent autour du même
sujet : par exemple, la vue et la cécité se disent de l’œil. Et, en règle
générale, le sujet dans lequel la possession se trouve naturellement est aussi
celui dont l’un ou l’autre des opposés se trouve affirmé. Nous disons que la
privation est attribuée à tout sujet apte à recevoir la possession, quand cette
possession n’est d’aucune façon présente dans la partie du sujet à qui elle
appartient naturellement, et au temps où elle doit naturellement s’y trouver.
Nous n’appelons pas un être, édenté, par cela seul qu’il n’a pas de dents, ni
aveugle, par cela seul qu’il n’a pas la vue, mais bien parce qu’il n’a ni dents,
ni vue au temps où il doit naturellement les posséder : car il existe des
êtres qui, à la naissance, ne possèdent ni la vue, ni les dents, et on ne les
appelle pas pour autant des édentés ou des aveugles.
Etre privé d’un état ou
le posséder n’est pas la même chose
que la privation ou la possession. La possession, par exemple, c’est la vue, et
la privation, la cécité ; mais avoir
la vue n’est pas la vue, ni être aveugle,
la cécité. La cécité est une certaine privation, tandis qu’être aveugle c’est être privé, ce n’est pas la privation.
De plus, si la cécité était identique a être aveugle, les deux termes pourraient être affirmés du même sujet ; or si on
dit que l’homme est aveugle, on ne dit jamais que l’homme est cécité.
Il semble [12b] bien que être privé d’un état et posséder un état
sont opposés de la même façon que le sont entre elles privation et possession,
car le mode d’opposition est le même. De fait, de même que la cécité est
opposée à la vue, ainsi également être aveugle
est opposé à avoir la vue.
Ce qui tombe sous la négation et l’affirmation n’est pas
soi-même affirmation et négation, puisque l’affirmation est une proposition
affirmative, et la négation une proposition
négative, tandis que les termes qui tombent sous l’affirmation et la
négation ne sont pas des propositions. On dit cependant qu’ils sont
opposés entre eux comme l’affirmation et là négation, car, dans ce cas aussi,
le mode d’opposition est le même.
De fait, de même que l’affirmation est opposée à la négation,
comme par exemple, dans les propositions il
est assis à il n’est pas assis, ainsi
également sont opposées les choses qui tombent sous l’une et sous l’autre
proposition, par exemple : tel homme
est assis à tel homme n’est pas
assis.
Il est évident que la privation et la possession ne sont pas
opposées de la même façon que les relatifs : tout leur être ne consiste
pas à être affirmé de l’opposé : la vue n’est pas dite vue de la cécité,
et la relation n’a pas lieu non plus d’une autre façon. De même la cécité ne
peut davantage être dite cécité de la vue : c’est plutôt privation de la
vue que cécité de la vue.
En outre, tons les termes relatifs sont corrélatifs, de telle
sorte que la cécité., en supposant même qu’elle fût au nombre des relatifs,
serait corrélative de ce avec quoi elle est en relation. Or il n’y a pas ici de
corrélation, attendu qu’on ne dit pas que la vue est vue de la cécité.
Mais ce n’est pas non plus comme les contraires que sont
opposés les termes qui tombent sous la privation et la possession, et en voici
la preuve.
D’une part, pour les contraires entre lesquels il n’existe
aucun moyen, il faut nécessairement que, dans le sujet où ils résident ou dont
ils sont affirmés, l’un d’eux soit toujours présent, car, avons-nous dit, il
n’existe aucun terme moyen entre les contraires dont l’un ou l’autre doit
appartenir nécessairement au sujet qui les reçoit : tel est le cas de la
maladie et de la santé, de l’impair et du pair.
D’autre part, pour lès contraires qui admettent un moyen, il
n’est nullement nécessaire que l’un d’eux appartienne au sujet ; il n’est
pas nécessaire, en effet, que tout sujet qui les reçoit soit par exemple
forcément blanc ou noir, chaud ou froid, puisque rien n’empêche qu’entre ces
contraires on n’insère un moyen. En outre, avons-nous dit, comportent un
intermédiaire les contraires dont l’un ou l’autre n’appartient pas
nécessairement au sujet qui les reçoit, à moins cependant que l’un d’eux
n’appartienne naturellement au sujet, comme, pour le feu, être chaud, et, pour
la neige, être blanche : dans ce cas, il est alors nécessaire qu’un seul
des deux contraires appartienne déterminément au sujet, et non pas l’un ou
l’autre indéterminément, car il n’est pas possible pour le feu d’être froid, ni
pour la neige d’être noire. A tout sujet destiné à les recevoir, l’un ou
l’autre des contraires n’appartient donc pas nécessairement, à moins que nous
ayons [13a], affaire uniquement à des sujets auxquels un seul peut
naturellement appartenir, et qui, dans ce cas, ne pourront recevoir qu’un seul
contraire déterminé, et non pas l’un ou l’autre indifféremment.
Or, quand il s’agit de la privation et de la possession, rien
de tout ce que nous venons de dire n’est vrai. De fait, le sujet pris comme
réceptacle n’admet pas nécessairement toujours l’un des deux opposés : ce
qui n’est pas encore naturellement apte à posséder la vue n’est dit ni aveugle,
ni voyant. Il en résulte que ces déterminations ne font pas partie du groupe
des contraires entre lesquels il n’existe aucun moyen terme.
Mais elles ne sont pas non plus au nombre des contraires qui
admettent un moyen terme, puisque l’une d’elles doit, à un moment donné,
nécessairement appartenir au sujet pris comme réceptacle. De fait, dès lors
qu’un être est naturellement apte à posséder la vue, alors il sera dit soit
aveugle, soit voyant, non pas une seule de ces qualités déterminée, mais l’une
ou l’autre indéterminément, car il n’y a pas nécessité ou que l’être soit
aveugle, ou qu’il soit voyant ; ce qui est nécessaire, c’est l’un ou l’autre
de ces états indifféremment. Or pour les contraires qui ont un moyen, nous
avons dit qu’il n’est jamais nécessaire que l’un ou l’autre appartienne à un
sujet quelconque, mais seulement que, dans certains sujets, un seul des deux
contraires bien défini devait leur appartenir.
Il en résulte évidemment qu’aucune des deux façons dont les
contraires sont opposés ne s’applique dans le cas de termes opposés suivant la
possession et la privation.
En outre, pour les contraires, il peut se.faire
que, le réceptacle restant le même, un changement de l’un à l’autre se produise,
à moins qu’un seul d’entre eux n’appartienne par nature au sujet, par exemple,
pour le feu, être chaud. Il est possible, en effet, que le bien portant tombe
malade, que le blanc devienne noir, et le froid, chaud, et il est même possible
que l’honnête devienne vicieux, et le vicieux, honnête. De fait, l’homme
vicieux, s’il se conduit d’une meilleure façon dans sa vie et dans ses discours,
pourra,si légèrement que ce soit, progresser dans le bien. Et s’il s’amende une
seule fois, même faiblement, il est clair qu’il pourra changer complètement, ou
tout au moins marquer une très grande amélioration ; car on
penche de plus en plus facilement vers la vertu, si petit qu’ait été le progrès
initial. C’est pourquoi il marquera vraisemblablement un progrès encore plus
important, et, ce progrès croissant constamment, l’homme finira par s’établir
complètement dans l’état contraire, à moins d’en être empêché par le manque de
temps.
Par contre, pour la possession et la privation, il est
impossible qu’un changement réciproque se produise : de la possession à la
privation, il peut bien y avoir passage, mais de la privation à la possession,
c’est impossible, car celui qui est devenu aveugle ne recouvre pas la vue,
celui qui est chauve rie redevient pas chevelu, et l’édenté ne voit pas
repousser ses dents.
Passons à ce qui est opposé comme l’affirmation et [13b] la négation : il est manifeste que l’opposition ne s’effectue
selon aucun des modes dont nous avons parlé, car C’est dans le présent cas
seulement qu’il faut de toute nécessité que toujours un opposé soit vrai et
l’autre faux. De fait, ni pour les contraires, ni pour les relatifs, ni pour la
possession et la privation, il n’est nécessaire que toujours l’un des opposés
soit vrai, et l’autre faux. Par exemple, la santé et la maladie sont des
contraires : or ni l’une ni l’autre n’est vraie ou fausse. De même encore,
le double et la moitié sont opposés comme relatifs, et ni l’un ni l’autre n’est
vrai ou faux. Même remarque pour ce qui tombe sous la privation et la
possession, comme la vue et la cécité. En un mot, aucune des expressions qui se
disent, sans aucune liaison n’est vraie ou fausse, et tous les opposés dont
nous avons parlé s’expriment sans liaison.
Il semblerait cependant qu’un tel caractère se rencontrât
principalement dans les contraires qui s’expriment dans une liaison. Socrate se porte bien est, en effet, le contraire de Socrate est malade. Mais même dans ces expressions, il n’est pas
toujours nécessaire que l’une d’elles soit vraie et l’autre fausse. Sans doute,
si Socrate existe, l’une sera vraie et l’autre fausse, mais s il n’existe pas,
toutes les deux seront fausses, car ni Socrate
est, malade, ni Socrate se porte bien ne sont vraies, si Socrate
lui-même n’existe pas du tout.
En ce qui concerne la privation et la possession, si le sujet
n’existe pas du tout, ni l’une, ni l’autre n’est vraie ; et même si
le sujet existe, il n’arrive pas toujours que l’une soit vraie et l’autre
fausse. De fait, Socrate possède la vue
est opposé à Socrate est aveugle, comme
la possession et la privation ; si Socrate existe, il n’est pas nécessaire
que l’une de ces expressions soit vraie, et l’autre fausse (car lorsque Socrate
n’est pas encore naturellement capable de voir, les deux propositions sont
fausses) ; et si
Socrate n’existe pas du tout, les deux expressions sont également fausses,
savoir qu’il possède la vue et qu’il est aveugle.
Il en est tout autrement pour l’affirmation et la
négation : que le sujet existe ou n’existe pas, de toute façon l’une sera
fausse et l’autre vraie. En effet, soit Socrate
est malade et Socrate n’est pas
malade ; si Socrate
lui-même existe, il est clair que l’une de ces deux propositions est vraie et
l’autre fausse ; et s’il
n’existe pas, il en est de même, car, s’il n’existe pas, dire qu’il est malade
est faux, et dire qu’il n’est pas malade est vrai.
Ainsi, les choses qui sont opposées comme l’affirmation et la
négation ont seules la propriété d’être toujours, l’une vraie et l’autre
fausse.
Le contraire du bien est nécessairement le mal : cela est
évident en vertu de l’induction fondée sur des cas particuliers. Par exemple,
le contraire de la santé est la maladie, du courage, la lâcheté, et ainsi [14a] de suite. Mais le contraire d’un mal
est tantôt un bien et tantôt un mal : le besoin, qui est un mal, a pour
contraire l’excès, qui est un mal, et la mesure, qui est un bien, est également
contraire à l’un et à l’autre. Pourtant, c’est seulement dans un petit nombre
de cas qu’on peut constater pareille chose ; la plupart du temps, le mal a toujours le
bien pour contraire.
En outre, dans les contraires, l’existence de l’un n’entraîne pas
nécessairement l’existence de l’autre : si tout le monde est bien portant,
la santé existera, et la maladie n’existera pas ; de même, si tous les êtres sont blancs, la
blancheur existera, à l’exclusion de la noirceur. De plus, si Socrate est bien portant est contraire à
Socrate est malade, comme il n’est
pas possible que deux états contraires appartiennent ensemble au même sujet, il
sera impossible que, l’un de ces contraires existant, l’autre existe
également : si c’est le fait que Socrate est bien portant qui existe, le
fait que Socrate est malade n’existera pas.
Il est évident que les contraires doivent exister
naturellement dans un sujet qui est le même par l’espèce ou par le genre. De
fait, la maladie et la santé se trouvent naturellement dans le corps de
l’animal, la blancheur et la noirceur dans un corps, sans autre distinction, la
justice et l’injustice dans l’âme humaine.
Il est nécessaire aussi que les couples de contraires soient,
dans tous les cas, ou bien dans le même genre, ou bien dans des genres
contraires, ou bien enfin soient eux-mêmes des genres. Le blanc et le noir, en
effet, sont dans le même genre (la couleur, qui est leur genre),
la justice et l’injustice dans des genres contraires (car le genre de la
première, c’est la vertu, et le genre de la seconde, le vice) ; quant au
bien et au mal, ils ne sont pas dans un genre, mais ils sont eux-mêmes genres
de certaines choses.
Une chose est dite antérieure
de quatre façons.
En un sens premier et fondamental, c’est selon le temps
d’après lequel une chose est dite plus vieille et plus ancienne qu’une
autre : c’est parce qu’il s’est écoulé plus de temps qu’on. appelle la
chose plus vieille et plus ancienne.
En second lieu, est antérieur ce qui n’admet pas de réciprocation en ce qui concerne la consécution
d’existence’ : par exemple, le nombre un est antérieur au nombre deux, car
si deux est donné, il s’ensuit immédiatement qu’un existe, tandis que si c’est
un qui est donné, il ne s’ensuit pas nécessairement que deux existe. Ainsi
l’existence du nombre un n’en traîne pas, par réciprocation,
celle de l’autre nombre. Il semble donc bien qu’est antérieur ce dont la
consécution d’existence n’admet pas de réciprocation.
En troisième lieu, l’antérieur se dit par rapport à un certain
ordre, comme dans les sciences et les discours. De fait, dans les sciences
démonstratives, il y a l’antérieur et le postérieur selon l’ordre : les
éléments sont antérieurs selon l’ordre, aux propositions géométriques, et, dans
la grammaire, les lettres sont [14b] antérieures
aux syllabes. Et de même, dans les discours, le préambule est antérieur selon
l’ordre, à l’exposition.
Outre les sens dont nous venons de parler, il y en a un autre : ce qui est meilleur
et plus estimable semble bien être antérieur par nature. Dans le langage
courant, on dit des hommes qu’on estime le plus et qu’on aime le mieux qu’ils
sont avant les autres. C’est là sans
doute le plus détourné de tous les sens d’antérieur.
Tels sont donc, à peu près, les différents modes d’antérieur.
Il semblerait cependant qu’en dehors des sens d’antérieur que
nous venons d’énumérer, il y en eût un autre. Dans les choses, de fait, qui
admettent la réciprocation en ce qui concerne la
consécution d’existence, la cause, à un titre quelconque, de l’existence d’une
autre chose semblerait devoir être antérieure par nature. Or il est évident
qu’il existe des exemples de ce genre : l’homme réel se réciproque selon
la consécution d’existence avec la proposition qui est vraie à son sujet. Si, en
effet, l’homme existe, la proposition par laquelle nous disons que l’homme
existe est vraie aussi ; et réciproquement, si la proposition par laquelle nous disons
que l’homme existe est vraie, l’homme existe aussi. Cependant la proposition
vraie n’est en aucune façon cause de l’existence de la chose ; c’est au
contraire la chose qui semble être, en quelque sorte, la cause de la vérité de
la proposition, car c’est de l’existence de la chose ou de sa non-existence que
dépend la vérité ou la fausseté de la proposition.
C’est donc bien de cinq façons qu’une chose est dite
antérieure à une autre.
Simultané se dit, au
sens simple et le plus fondamental du terme, des choses dont la génération a
lieu en même temps, aucune d’elles n’étant antérieure ni postérieure à l’autre.
Elles sont dites simultanées dans le temps.
Sont simultanées par nature les choses qui se réciproquent en
ce qui concerne la consécution d’existence, sans que l’une soit d’aucune façon
la cause de l’existence de l’autre. Tel est le cas du double et de la
moitié : ces termes se réciproquent (car si le double existe, la moitié existe,
et si la moitié existe, le double existe), bien qu’aucun des deux ne soit la
cause de l’existence de l’autre.
Les espèces qui, provenant de la division du même genre, sont
opposées l’une à l’autre sont aussi appelées simultanées par nature. Par « opposés
l’un à l’autre dans la division », j’entends les termes qui sont opposés
selon la même division ; par exemple, l’ailé est simultané au pédestre et à
l’aquatique. Ces termes sont opposés dans la division, quand ils proviennent du
même genre, car l’animal est divisé en des espèces comme l’ailé, le pédestre et
l’aquatique ; aucune
d’elles n’est antérieure, ni postérieure, mais de tels termes semblent bien
être simultanés par nature. Chacune de ces espèces, le pédestre, l’ailé et
l’aquatique peut être à son tour divisée en espèces : il y aura donc aussi
simultanéité naturelle pour ces dernières espèces qui proviennent du même genre,
selon la même division.
Par contre, les genres sont toujours antérieurs aux espèces,
car il n’y a pas réciprocité au point de vue de la consécution
d’existence : par exemple, si l’aquatique existe l’animal existe, mais si
l’animal existe l’aquatique n’existe pas nécessairement.
On appelle donc simultanés par nature les termes qui se
réciproquent en ce qui concerne la consécution d’existence, sans que l’un soit,
en aucune façon, la cause de l’existence de l’autre ; ensuite,
les espèces qui s’opposent l’une à l’autre dans la division à partir du même
genre. Enfin sont simultanés, au sens simple, les êtres dont la génération a
lieu en même temps.
Il y a six espèces de mouvement : la génération, la
corruption, l’accroissement, le décroissement, l’altération et le changement
local.
Tous les mouvements autres que l’altération sont manifestement
différents l’un de l’autre : la génération n’est pas la corruption, pas
plus que l’accroissement ou le changement local n’est le décroissement, et
ainsi de suite.
Par contre, en ce qui concerne l’altération, la question se
pose de savoir si l’altération de ce qui est altéré ne se ferait pas nécessairement
selon l’un des autres mouvements. En fait, ce n’est pas exact : presque
toutes nos affections, ou du moins la plus grande partie, produisent en nous
une altération qui n’a rien de commun avec les autres mouvements, car ce qui
est mû selon l’affection n’est pas nécessairement augmenté ou diminué, et il en
est de même pour les autres sortes de mouvement. Ainsi l’altération serait
distincte des autres mouvements, car s’il y avait identité, il faudrait que
l’altéré fût immédiatement augmenté ou diminué, ou suivi de quelque autre
espèce de mouvement ; or, en fait, ce n’est pas nécessaire.
Même remarque pour ce qui est augmenté ou mû selon quelque
autre mouvement : il faudrait qu’il fût altéré. Or il existe des choses
qui s’accroissent sans altération ; par exemple, le carré, auquel on applique le
gnomon, s’accroît sans en être altéré, et il en est de même pour toutes les
autres figures de cette sorte.
Les mouvements seraient donc bien distincts les uns des
autres. [15b] D’une manière générale, le repos est
contraire au mouvement. Mais chaque espèce de mouvement a son contraire
particulier : la génération a pour contraire la corruption,
l’accroissement le décroissement, et le changement local le repos local. Dans
ce dernier cas, le changement qui semble le plus opposé, c’est le changement
vers un lieu contraire : ainsi le mouvement vers le bas a pour contraire
le mouvement vers le haut, et le mouvement vers le haut le mouvement vers le
bas.
Quant au mouvement qui, de tous ceux dont nous avons rendu
compte, reste à examiner, il n’est pas facile d’établir quel peut être son
contraire. Il semble bien n’avoir aucun contraire, à moins d’opposer, ici
encore, comme contraire, soit le repos qualitatif, soit le changement vers la
qualité contraire, de la même façon que le changement local a pour contraire
soit le repos local, soit le changement vers un lieu contraire. En effet, l’altération
est aussi un changement selon la qualité, de sorte que ce qui est opposé au
mouvement qualitatif, c’est soit le repos qualitatif, soit le changement vers
une qualité contraire, comme, par exemple, devenir blanc est contraire à
devenir noir. Il y a altération, en effet, quand se produit un changement vers
des qualités contraires.
Le terme avoir se
prend en plusieurs acceptions.
Il est pris au sens d’état et de disposition a ou de quelque
autre qualité : nous disons, en effet, posséder une science ou une vertu.
Ou encore comme quantité : par exemple la grandeur de
taille qu’on se trouve avoir, car on
est dit avoir une grandeur de trois
coudées ou de quatre coudées.
Ou comme ce qui entoure le corps, tel qu’un manteau ou une
tunique.
Ou comme ce qui est dans une partie du corps : l’anneau
de la main.
Ou même comme une partie du corps : la main, le pied.
Ou comme dans un vase : ainsi le médimne contient le blé,
ou le flacon le vin, car on dit que le flacon a le vin, et le médimne, le blé.
Tout cela est dit avoir au sens de « comme dans un vase ».
C’est encore comme la possession : nous disons posséder une maison ou un champ.
Nous disons aussi d’un homme qu’il a une femme, ou de la femme
qu’elle a un mari : mais le sens présentement énoncé du terme avoir semble
bien être le sens le plus détourné, car nous ne signifions rien d’autre, en
disant avoir une femme, qu’habiter
avec elle.
Peut-être pourrait-on encore mettre en évidence d’autres sens
du terme avoir ; en tout cas,
les sens habituels ont été à peu près tous énumérés.