Les Plus Beaux Textes sur
l’Au-Delà
Le Purgatoire Mgr Cristiani
Existence et nature du Purgatoire
Les oblations pour les défunts nous les faisons au jour
anniversaire de la mort
L'un des premiers effets de la résurrection et du jugement
dernier sera de mettre fin au purgatoire on a pu remarquer que le jugement
général ne doit comporter que deux alternatives : le royaume de Dieu pour
l'éternité ou le feu de l'enfer sans rémission il n'y aura pas pour parler le
langage sarcastique des protestants du XVIe siècle de "troisième
lieu" et pourtant la tradition catholique a cru au purgatoire nous en
donnerons les preuves elles sont nombreuses et décisives elles s'appuient sur
un fait indubitable et constant : la prière pour les morts a quoi bon prier en
effet si le sort des défunts est fixé de façon irrévocable dès le jugement
particulier de chaque âme ? la raison profonde qui devait pousser les premiers
chrétiens à la foi au purgatoire c'était le sentiment intense de la pureté
nécessaire pour entrer au ciel sans doute on admettait que le baptême remet
toute peine et toute faute à la foi en vertu des mérites de Jésus-Christ mais
toute faute grave commise après le baptême présente le caractère de
l'ingratitude envers le Sauveur l'horreur de cette ingratitude se traduisit
dans la primitive Eglise par l'institution de la pénitence publique cette pénitence
devait se prolonger pour les péchés particulièrement graves jusqu'à la mort
mais si le pénitent quittait cette vie peu de temps après avoir entamé sa
pénitence on lui donnait bien l'absolution comme nous l'avons appris de saint
Cyprien ci-dessus mais on se sentait pressé de prier pour lui car il n'avait
pas eu le temps de payer sa dette et l'on ne pouvait avoir de doute sur la
nécessité d'une purification ultérieure Le purgatoire apparaissait ainsi comme
une annexe de la terre qui est le lieu normal de la pénitence voyons maintenant
les sources bibliques de la foi au purgatoire La prière pour les morts dans
l'Ancien Testament Judas (Maccabée) ayant son armée la conduisit à la ville
d'Odollam et le septième jour de la semaine étant arrivé ils se purifièrent
selon la coutume et célébrèrent le sabbat en ce lieu le jour suivant Judas vint
avec les siens selon qu'il était nécessaire relever les corps de ceux qui
avaient été tués pour les inhumer avec leurs proches dans les tombeaux de leurs
pères ils trouvèrent sous les tuniques de chacun des morts des objets consacrés
provenant des idoles de Jamnia que la loi interdit aux Juifs il fut donc
évident pour tous que cela avait été la cause de leur mort tous bénirent donc
le Seigneur juste Juge qui rend manifestes les choses cachées puis ils se
mirent en prières demandant que le péché commis fût entièrement pardonné et le
vaillant Judas exhorta le peuple à se garder pur de péché ayant sous les yeux
les conséquences du péché de ceux qui étaient tombés puis ayant fait une
collecte qui atteignit deux mille drachmes il l'envoya à Jérusalem pour être
employée à un sacrifice expiatoire belle et noble action dans la pensée de la
résurrection ! Car s'il n'avait pas cru que les soldats tués dussent
ressusciter c'eût été chose inutile et vaine de prier pour les morts il
considérait en outre qu'une très belle récompense est réservée à ceux qui
s'endorment dans la piété et c'est là une pensée sainte et pieuse voilà
pourquoi il fit ce sacrifice expiatopire pour les morts afin qu'ils fussent
délivrés de leurs péchés (II Macch. , XII, 38-46) Si ce texte est isolé dans
l'Ancien Testament cela ne prouve pas le moins du monde que la croyance qu'il
indique et qu'il canonise fut une exception en Israel de fait le Talmud fournit
la preuve de la foi des Juifs à l'éfficacité des prières pour les défunts dans
les écrits du Nouveau Testament on ne trouve pas de confirmation formelle de
cette croyane mais seulement des allusions assez concluantes.
Notre Seigneur parlant du péché contre le Saint-Esprit dit
en effet qu'il " ne sera remis ni en ce monde ni dans l'autre" (Matth.
, XII, 32) Et cela laisse entendre que pour des fautes moins graves il y a une
rémission en ce monde et dans l'autre mais voici un passage plus explicite :
Saint Paul sur le feu qui purifie. « Selon la grâce de Dieu qui m'a été
donnée, j'ai connue un sage architecte posé le fondement et un autre bâtit
dessus seulement que chacun prenne garde comment il bâtit dessus car personne
ne peut poser un autre fondement que celui qui est déjà posé savoir
Jésus-Christ si l'on bâtit sur ce fondement avec de l'or de l'argent des
pierres précieuses du bois du foin du chaume l'ouvrage de chacun sera manifesté
car le jour du Seigneur le fera connaître parce qu'il va se révéler dans le feu
et le feu même éprouvera ce qu'est l'oeuvre de chacun si l'ouvrage que l'on a
bâti dessus subsiste on recevra une récompense si l'ouvrage de quelqu'un est
consumé il perdra sa récompense lui pourtant sera sauvé mais comme à travers du
feu. » (I Cor. , III, 10-15)
Nous admettons sans difficulté que ce texte n'est pas pour
nous d'une clarté sans nuage cependant il en ressort avec évidence ces trois
choses : 1° Paul parle des prédicateurs qui construisent sur le fondement de la
foi en Jésus-Christ Parmi ces prédicateurs il fait une distinction : donc 2°
Tout en gardant la foi on peut bâtir sur le fondement de cette foi avec des
matériaux divers c'est-à-dire avec des intentions personnelles plus ou moins
pures 3° Le feu du Seigneur fera le départ entre ce qui résiste et ce qui ne
mérite que d'être consumé il y aura donc des prédicateurs qui recevront la
récompense des fidèles serviteurs du Christ et il en est d'autres moins
parfaits et moins fidèles qui ne seront sauvés " qu'à travers le feu"
Et c'est justement cela que suggère notre dogme du purgatoire il y a aussi dans
la première Epître aux Corinthiens une indication bien curieuse mais qui
malheureusement demeure très obscure pour nous voulant réfuter ceux qui ne
croient pas à la résurrection des morts saint Paul emploie l'argument que voici
: Baptême pour les morts Autrement (c'est-à-dire si les morts ne réssuscitent
pas) que feraient ceux qui se font baptiser pour les morts ? Si les morts ne
ressuscitent pas pourquoi se font-ils baptiser pour eux ? (I Cor. , XV, 29). Les
exégètes sont restés en arrêt devant ce passage sans pouvoir en donner une
explication sûre ce baptême " pour les morts " ne pouvait être notre
baptême à nous qui ne peut être conféré qu'aux vivants et s'il s'agit d'adultes
à des sujets consentants le mot baptême peut du reste se traduire par ablution
quoi qu'il en soit d'un usage qui a disparu si promptement dans l'Eglise qu'il
n'en est resté aucune trace il est évident qu'il y avait là une sorte de rite
d'intervention en faveur des morts on croyait donc que les suffrages des
vivants peuvent avoir pour les morts de bons effets et c'est cela même qui est
impliqué dans la doctrine du purgatoire l'Eglise est en droit d'employer ses
ressources spirituelles en faveur des défunts c'est donc que leur sort n'est
pas fixé à jamais au moins pour certain d'entre eux mais ces déductions
prennent une force singulière si on les commente au moyen des données de la
tradition chrétienne c'est ce que nous allons essayer de faire Sainte Perpétue
et son frère Dinocrate Parmi les documents les plus vénérables et les plus
authentiques de l'antiquité chrétienne on compte la Passion de sainte Perpétue
et sainte Félicité cette Passion fut en grande partie rédigée par Perpétue
elle-même dans sa prison c'est un témoignage autobiographique saisissant et
presque unique pour l'époque il se situe autour de l'an 202 en Afrique : Après
peu de jours (de son interrogatoire) pendant que nous étions tous en prière (dans
la prison) tout à coup -je parlai malgré moi et nommai Dinocrate je fus
stupéfaite de n'avoir pas encore pensé à lui et affligée en me rappelant son
malheur et je reconnus que j'étais maintenant digne d'intercéder pour lui je
commençai donc à faire pour lui beaucoup de prières et à pousser des
gémissements vers le Seigneur pendant la nuit j'eus une vision : je voyais
Dinocrate sortant d'un lieu ténébreux où se tenaient beaucoup d'autres
personnes : son visage était triste pâle défiguré par la plaie qu'il avait
lorsqu'il mourut Dinocrate avait été mon frère selon la chair mort à sept ans
d'un cancer à la face et d'une manière qui avait fait horreur à tous entre lui
et moi je voyais un grand intervalle que ni l'un ni l'autre nous ne pouvions
franchir dans ce lieu où se trouvait Dinocrate il y avait une piscine pleine d'eau
dont la margelle était trop haute pour la taille d'un enfant Dinocrate se
dressait comme pour y boire et je m'affligeais en voyant cette piscine pleine
d'eau et cette margelle trop haute pour qu'il y pût atteindre je m'éveillai et
je compris que mon frère souffrait les martyrs furent alors changés de prison
et enfermés probablement sous l'amphithéâtre où on allait les exhiber ils
furent maltraités et mis aux fers Perpétue continuait à prier pour son jeune
frère et elle eut la joie de le revoir en une vision nouvelle la lumière avait
succédé aux ténèbres Dinocrate lui apparut avec un visage souriant et joyeux il
était bien vêtu la plaie de son visage avait disparu ou était cicatrisée la
margelle du puits s'était abaissé et il pouvait y puiser librement il buvait
également à un vase posé près de lui et dont l'eau ne diminuait pas Perpétue le
vit enfin désaltéré et jouant comme font les enfants elle s'éveilla alors tout
heureuse que l'on mette de côté tout ce qui dans ces visions est symbole
imaginatif il reste bien des éléments précieux pour nous en tout ce récit : en
premier lieu Perpétue nous est un témoin de l'usage de son temps de prier pour
les défunts en second lieu elle est convaincue que ses prières sont utiles à
son jeune frère elle le voit dans un lieu qui n'est ni le ciel ni l'enfer en ce
lieu il souffre au début il est triste et semble attendre de l'aide il est
incapable de s'aider lui-même mais par les suffrages de sa soeur il se trouve
consolé aidé rendu à la santé et conduit au bonheur comme le fait remarquer
justement Paul Allard l'historien des persécutions si extraordinaire que
paraisse cette vsion elle est en complet accord avec les pratiques et
l'enseignement de la primitive Eglise On y croyait à l'efficacité de la prière
pour les morts " Puisse Dieu rafraîchir ton esprit. " Spiritum tuum
Deus refrigeret :ces mots ou leur équivalent se lisent sur un grand nombre de
marbres funéraires des trois premiers siècles l'Eglise mettait sur les lèvres
de ses prêtres de semblables demandes l'antique liturgie gallicane contient au
Commun d'un Martyr cette oraison : " Seigneur par l'intercession de vos
saints martyrs accordez à nos biens -aimés qui dorment dans le Christ le
rafraîchissement (refrigerium) dans la région des vivants " et dans la
messe des saints Corneille et Cyprien il est dit : " Que leur intercession
nous appuie près de vous Seigneur afin que vous accordiez le rafraichissement
éternel (refrigeria aeterna) à nos bien-aimés qui dorment dans le Christ. "
Mone a découvert une messe qui remonte certainement à l'époque des persécutions
car on y lit ces mots : " Seigneur accordez-nous de vous adorer aux jours
de la tranquillité et de ne pas vous renier aux jours de l'épreuve !" Or
cette messe contient la collecte suivante : " Que les âmes des fidèles qui
jouissent de la paix nous secourent que celles qui ont encore besoin d'être consolées
soient absoutes grâce aux prières de l'Eglise. " L'âme du jeune frère de
Perpétue " avait encore besoin d'être consolée " elle expiait dit
saint Augustin des péchés commis après le baptême peut-être quelque acte
d'idolâtrie auquel le père encore païen avait entraîné son enfant grâce aux
prières de sa soeur il obtient le refrigerium c'est-à-dire le paradis la
participation au céleste banquet que demandent tant d'invocations gravées sur
les marbres des catacombes et que sollicitent les solennelles prières
liturgiques on croit assez généralement que la passion de sainte Perpétue fut
achevée par la plume du Tertulien s'il en est ainsi on ne saurait douter qu'il
ait approuvé ce qui était dit par la sainte de son frère et du soulagement que
ses prières lui avaient procuré ce qui est sûr d'autre part c'est que
Tertullien atteste la pratique de l'Eglise de son temps au sujet des prières
pour les morts[1].
De ces pratiques et d'autres semblables si tu cherches une
loi formelle dans les Ecritures tu n'en trouveras pas c'est la tradition qui
les garantit la coutume qui les confirme la foi qui les observe. Dans le Traité
de la Monogamie en 217 Pour son âme (de son mari) elle (l'épouse) prie et elle
réclame pour lui le rafraîssement et sa société au temps de la première
résurrection et elle offre des oblations aux jours anniversaires de sa
dormition Avec saint Cyprien nous ne sortons pas de l'Afrique du IVe siècle il
rappelle dans une de ses lettres la loi établie par un concile épiscopal pour
interdire aux clercs d'être exécuteurs testamentaires et il expose la sanction
de cette loi en ces termes : Témoignage de saint Cyprien (vers 235) Si l'un
d'eux y contrevient qu'on ne fasse pas d'oblation pour lui qu'on ne célèbre pas
le sacrifice pour son repos il ne mérite pas en effet d'être nommé à l'autel
dans la prière des prêtres celui qui a voulu éloigner de l'autel les prêtres et
les ministres de l'autel Un tel texte prouve que l'usage de prier au sacrifice
de la messe pour les défunts était absolument général il en reste la trace
évidente dans notre liturgie actuelle au Memento des morts Dans ses Institutions
divines datées de 305 à 310 Lactance après avoir parlé de l'enfer et des damnés
parle en ces termes des justes : Témoignage de Lactance Lorsque Dieu examinera
les justes il le fera aussi au moyen du feu Ceux chez qui les péchés aurons
prévalu par leur poids ou leur nombre seront enveloppés par le feu et purifiés
ceux au contraire qu'une justice parfaite ou la maturité de la vertu aura mis à
point ne sentiront pas cette flamme ils ont en effet en eux quelque chose de la
part de Dieu qui repousse et rejette ce feu Que l'usage d'offrir le saint
Sacrifice pour les défunts ait été absolument général au IVe siècle nous en
avons bien des preuves Si nous avons cité jusqu'ici surtout des Africains voici
un Syrien et de grande marque saint Ephrem docteur de l'Eglise (306-373). Nous
citons un passage de son propre Testament : Testament de saint Ephrem Au
trentième jour après ma mort frères faites mémoire de moi les morts en effet
sont aidés par l'offrande que font pour eux les vivants si les hommes de
Mattathias qui étaient chargés des mystères comme vous l'avez lu expièrent par
des oblations les crimes de ceux qui étaient tombés à la guerre et dont les
moeurs avaient été impies combien plus les prêtres du Fils expient-ils les
fautes des défunts par les saintes offrandes et les prières de leurs lèvres
pour les défunts Si maintenant nous ouvrons les Catéchèses de saint Cyrille de
Jérusalem qui sont un tableau si précieux des pratiques et des croyances du IVe
siècle en son milieu (348) nous y trouvons des textes dont la clarté sur la foi
au purgatoire ne laisse rien à désirer : Saint Cyrille de Jérusalem sur la
prière en faveur des morts Ensuite (au Canon de la messe) nous faisons mémoire
de ceux qui sont morts d'abord des patriarches des prophètes des apôtres des
martyrs afin que Dieu par leurs prières et leurs intercessions reçoive notre
prière à nous ensuite pour nos saints morts nos pères et évêques et en général
pour tous ceux qui ont quitté cette vie d'entre nous car nous croyons que c'est
un secours souverain pour toutes les âmes pour lesquelles la prière est offerte
au moment où la sainte Victime est gisante sainte redoutable sur l'autel ! Je
veux vous démontrer cela par un exemple : je sais en effet que beaucoup disent
: à quoi sert pour l'âme défunte soit sans péché soit dans le péché qu'il soit
fait mention d'elle à la prière ? Mais si un roi a relégué en exil des sujets
qui l'ont offensé et si ensuite leurs parents tressant une couronne viennent
l'offrir au roi pour ceux qu'il a frappés est-ce qu'il ne leur accordera pas la
remise de la peine ? il en est de même pour nos défunts même s'ils sont
pécheurs en offrant à Dieu des prières pour eux ce n'est pas une couronne que
nous offrons mais le Christ immolé pour nos péchés que nous offrons en
cherchant par là à concilier la clémence de Dieu aussi bien pour eux que pour
nous Avec saint Basile et son frère saint Grégoire de Nysse qui sont de peu
postérieurs à saint Cyrille de Jérusalem nous trouverions sans peine les mêmes
doctrines le second emploie l'expression de " feu purifiant " pour
parler du feu qui atteindra les âmes qui n'ont pas su assez dominer leurs
passions dans la chair Saint Epiphane dans son grand ouvrage contre les
Hérésies : le Panarium qui est de 374 à 377 parle en ces termes : Témoignage de
saint Epiphane Pour ce qui est de la lecture des noms des défunts que peut-il y
avoir de plus utile ? Quoi de plus opportun et de plus digne d'admiration que
les assistants (au sacrifice de la messe) se persuadent bien que les morts
vivent auprès du Seigneur Et aussi il faut que ce très religieux sentiment soit
proclamé selon lequel ils espèrent que nous prions pour nos frères comme pour
des gens qui sont loin les prières que nous faisons leur sont utiles à eux bien
qu'elles ne puissent effacer tous les péchés mais il arrive que bon gré mal gré
en ce monde nous glissons souvent sans oublier cependant ce qui serait plus
parfait nous faisons mention devant Dieu des justes et des pêcheurs Des
pêcheurs en ce sens que nous implorons pour eux la miséricorde divine et des justes
des -pères et patriarches des prophètes apôtres évangélistes martyrs et
confesseurs et des évêques et des anachorètes et de toute l'assemblée des
saints afin de mettre Notre Seigneur Jésus-Christ tout à fait à part de l'ordre
des humains dans notre culte afin de lui rendre celui qui lui est dû lorsque
nous le situons dans notre esprit : sachant bien qu'il ne doit jamais être mis
au rang des mortels même de ceux qui se sont distingués par une justice
exemplaire Avec saint Augustin nous revenons en Occident et de nouveau en
Afrique Ses écrits sont presque innombrables et c'est très souvent que l'on y
trouve la mention du purgatoire ou de cette prière pour les morts qui en
suggère l'existence il prêche par exemple un jour sur le psaume XXXVII et il y
trouve ce verset : " Seigneur ne me condamnez pas dans votre indignation
et ne me corrigez pas dans votre colère ! (Ps. XXXVII, 2). Sur quoi il fait les
réflexions suivantes : Le purgatoire selon saint Augustin Purifiez-moi en cette
vie et rendez-moi tel que je n'aie pas besoin de ce feu purificateur (igne
emendatorio) qui a été fait pour ceux qui doivent être "sauvés comme par
le feu " (I Cor. , III, 15) Il est écrit en effet : " Il sera sauvé
lui mais comme par le feu ! " Et parce qu'il est dit : " Il sera sauvé
" il en est qui méprisent ce feu ! Mais en vérité bien qu'il soit sauvé
par le feu il ne faut pas ignorer que ce feu est plus redoutable que tout ce
que l'homme peut souffrir en cette vie Une autre fois dans un sermon Augustin
nous fait bien remarquer ce que nous avons pu noter déjà dans les textes déjà
présentés qu'il est des morts que l'on prie et d'autres pour qui l'on prie et
il ne faut certes pas confondre les uns avec les autres On prie les Martyrs :
on ne prie pas pour eux la discipline ecclésiastique contient cette règle bien
connue des fidèles lorsque les martyrs sont récités à l'au -tel de Dieu que
l'on ne doit pas prier pour eux on prie par contre pour les autres défunts qui
sont commémorés ce serait en effet une injure de prier pour un martyr alors que
c'est nous qui devons être recommandés par ses prières à lui Pourquoi nous
prions pour les morts Toujours de saint Augustin : Il n'est pas douteux que les
morts soient soulagés par les prières de la sainte Eglise et par le sacrifice
du salut et les aumônes qui sont faites au profit de leurs esprits en sorte que
Dieu agisse plus miséricordieusement envers eux que leurs péchés ne l'ont
mérité c'est là en effet une tradition venue des Pères et que toute l'Eglise
observe savoir que pour ceux qui sont morts dans la communion du corps et du
sang du Christ l'on prie au lieu où dans le sacrifice même il est fait mémoire
d'eux et que l'on rappelle que c'est pour eux que le sacrifice est offert du
moment en effet que l'on opère des oeuvres de miséricorde pour leur profit
spirituel qui pourrait douter que nos suffrages servent à ceux pour qui des
prières qui ne sont point vaines sont offertes à Dieu ? Il est donc
indiscutable que cela est utile aux défunts mais à ceux-là seulement qui avant
leur mort ont vécu de telle façon que ces choses puissent leur servir après la
mort Il semble bien évident que les novateurs du XVIe siècle n'auraient pas
lancé tant de plaisanteries sur " le troisième lieu " s'ils avaient
bien lu leur saint Augustin et pesé comme il convenait les raisons qu'il donne
d'une telle distinction il suffit en effet de connaître un peu l'humanité pour
savoir qu'elle comporte des héros et des saints au sommet de l'échelle des
misérables et des scélérats au bas mais que le milieu est occupé par une immense
quantité d'être humains qui ne sont ni tout à fait bons ni tout à fait mauvais
sans vouloir discuter ici la psychologie religieuse propagée par un Luther ou
un Calvin qui confondent tous les hommes dans une même corruption par suite du
péché d'Adam il ne saurait être douteux que la doctrine traditionnelle de
l'Eglise est beaucoup plus proche de la réalité observable que les divisions
absolues du luthéranisme et du calvinisme. Dans son livre si célèbre de la Cité
de Dieu Augustin a indiqué ces distinctions de degrés entre les hommes et entre
les peines qui les frappent car les peines répondent aux fautes : Distinction
des peines Pour les peines temporelles les uns ne les subissent qu'en cette vie
d'autres qu'après la mort d'autres et maintenant et après mais les uns et les
autres avant ce jugement très sévère du dernier jour tous en effet ne tombent
pas dans les peines éternelles qui doivent suivre ce jugement de ceux qui subissent
des peines temporelles.
Pour certains défunts la prière soit de l'Eglise soit de
quelques chrétiens pieux est exaucée mais seulement pour ceux qui étant
régénérés dans le Christ n'ont pas ici-bas vécu si mal qu'ils ne soient pas
jugés reconnus n'avoir pas besoin de ce secours Les prières pour les morts ne
peuvent donc être utiles qu'aux âmes du purgatoire ni les saints au ciel ni les
damnés aux enfers n'en reçoivent le bénéfice nous invoquons les saints mais
nous prions pour nos défunts Saint Augustin ayant dressé dans sa cité de Dieu
le tableau saisissant des deux cités ennemies : celle qui obéit à Dieu et celle
qui s'est livrée au démon n'ignore pas qu'après le jugement dernier il n'y aura
plus que ces deux alternatives : éternellement vivre en Dieu ou éternellement
souffrir en enfer avec Satan mais avant le jugement voici comment il conçoit la
situation des âmes qui ne sont pas damnées : L'état des âmes jusqu'au jugement
dernier Le temps qui s'écoule entre la mort de l'homme et la résurrection
finale retient les âmes en des retraites cachées selon les mérites de chacune :
soit dans le repos soit dans la souffrance (aerumna)selon ce qu'elle a gagné
pendant qu'elle vivait dans la chair et on ne peut pas nier que les âmes des
défunts soient soulagées (relevari) par la piété des vivants qui sont leurs
proches soit que l'on offre pour eux le sacrifice du médiateur soit que l'on
fasse des aumônes dans l'Eglise mais tout cela ne sert qu'à ceux qui au cours
de leur vie ont mérité qu'un tel secours leur soit profitable il y a en effet
un certain mode d'existence qui n'est ni tellement bon que ce secours soit
superflu après la mort ni tellement mauvais que cela ne puisse servir de rien
il en est au contraire qui ont si bien vécu qu'ils n'aient pas besoin de ces
suffrages et d'autres qui ont si mal vécu qu'après leur mort on ne puisse les
secourir On peut donc dire que saint Augustin a répété à satiété sa distinction
des " trois lieux " et des " trois sortes de personnes " il
attachait semble-t-il à cette question une si grande importance qu'il publiait
en 421 un opuscule qui a précisément pour titre : Du soin que l'on doit avoir
pour les morts on pourrait dire que c'est le plus ancien traité du purgatoire
que nous possédions l'histoire de ce livre vaut la peine d'être résumée ici
parce que cela donnera une idée du souci que les chrétiens avaient alors de
prier pour les défunts Saint Paulin de Nole bien qu'il fût lui-même fort
instruit aimait dans sa belle humilité à recourir aux lumières de son collègue
dans l'épiscopat l'évêque d'Hippone souvent il lui envoyait des messagers
porteurs de longues lettres et de questions doctrinales diverses dans une de
ces lettres saint Paulin parlait à Augustin de la dévotion très répandue alors
dans l'Eglise de se faire ensevelir près des tombeaux des martyrs célèbres dans
les sanctuaires chrétiens ce sera une dévotion toute semblable qui placera les
champs des morts appelés dans la belle langue de la foi nouvelle des cimetières
c'est-à-dire des dortoirs à l'ombre des clochers de paroisses Paulin demandait
donc à Augustin comment on pouvait accorder cette dévotion avec la doctrine de
saint Paul suivant lequel chacun recevra la récompense pour ce qu'il aura fait
dans le corps Augustin pressé de multiples soucis mit assez longtemps à
répondre mais un prêtre nommé Candidien ne cessait de lui rappeler ce problème
qui semble avoir suscité alors une curiosité générale l'évêque d'Hippone finit
donc par s'exécuter dans les principes que nous avons déjà contrés chez lui :
1° Sans doute saint Paul a dit que chacun recevra selon ce qu'il aura fait dans
son corps mais l'Eglise a toujours cru et enseigné que les prières sont utiles
pour les morts 2° Cette doctrine et cette pratique de l'Eglise ont une valeur
démonstrative par elles-mêmes en dehors de toute référence scripturaire mais il
y a un texte fameux à ce sujet celui du second livre des Macchabées 3° Quant au
fait d'être enseveli auprès des martyrs cela ne peut être d'aucune utilité en
soi parce que seules les prières des vivants peuvent servir aux défunts
toutefois le fait d'être enterré près des saints est un gage certain que l'on
recevra des prières à l'occasion de celles qui sont faites aux tombeaux des
saints 4° Enfin le saint Docteur cite dans son ouvrage de nombreux cas
d'apparition de morts et de saints à des personnes vivantes apparitions qui
confirment la foi de l'Eglise 5° Naturellement il n'oublie pas de réaffirmer
son grand principe selon lequel les prières pour les morts ne sont utiles qu'à
ceux qui ont vécu de telle façon durant leur existence terrestre qu'elles leur
servent après leur mort de ce petit traité nous retiendrons ici le passage
suivant très important sur l'autorité doctrinale de l'Eglise en dehors de toute
référence biblique Autorité souveraine de l'Eglise Aux livres des Macchabées (II
Macch. XII, 43) nous lisons qu'un sacrifice fut offert pour les morts mais même
si nulle part dans les antiques Ecritures on ne lisait rien sur ce sujet ce
n'est pas une petite autorité que celle de l'Eglise en tant qu'elle éclate dans
cette coutume selon laquelle dans les prières du prêtre offertes au Seigneur
Dieu à son autel il y a une place pour la recommandation des morts mais la
tradition catholique si ferme et si unanime en ce qui concerne le purgatoire et
les secours que nous pouvons apporter aux âmes qui y achèvent leur purification
est-elle aussi claire au sujet du genre de fautes qui retiennent les défunts en
ce lieu de souffrance ? Quelques textes vont permettent de répondre à cette
importante question en premier lieu saint Augustin est très affirmatif au sujet
de ces petites fautes qu'il appelle " quotidiennes " et que nous
appelons " les péchés véniels " Il croit et il dit que ces fautes-là
inévitables en notre état actuel de fragilité sont aussi effacées "
quotidiennement " par les prières et bonnes oeuvres qui ne peuvent manquer
dans une vie chrétienne et en particulier par la récitation du Notre Père Expiation
des fautes vénielles L'oraison quotidienne que Jésus lui-même nous a enseignée
ce qui la fait appeler " dominicale " efface (delet) assurément les
péchés quotidiens puisque chaque jour il est dit : " Pardonnez-nous nos
péchés . " Le purgatoire est donc bien comme nous l'avons indiqué une
annexe de la terre en ce que sont les péchés graves remis par l'absolution au
tribunal de la pénitence mais non suffisamment expiés ici-bas par la pénitence
qui doivent y être expiés sans préjudice toutefois des péchés véniels qui au
moment de la mort n'auraient pas été effacés par le jeu normal de la vie
chrétienne voici sur tout cela un texte important de saint Césaire d'Arles dont
on sait le souci de conformité à la tradition et surtout à celle que le grand
nom d'Augustin avait consacrée : Les péchés expiés en purgatoire Bien que
l'Apôtre ait rappelé plusieurs péchés graves (capitalia) nous pour ne
désespérer personne nous dirons en bref quels ils sont : le sacrilège
l'homicide l'adultère le faux témoignage le vol la rapine l'orgueil l'envie l'avarice
et si on la garde longtemps la colère et si elle est habituelle (assidua)
l'ivresse doivent aussi être comptées dans le nombre quiconque se reconnaît
assujetti à l'un ou l'autre de ces péchés à moins de s'être amendé et s'il en a
eu le temps d'avoir fait pénitence durant un long temps et répandu de larges
aumônes et de s'être abstenu de ces mêmes péchés ne pourra pas être purifié par
ce feu transitoire dont parle l'Apôtre mais sera tourmenté par la flamme
éternelle sans remède possible pour ce qui est en revanche des péchés moindres
bien qu'ils soient connus de tous et qu'il soit long de les énumérer tous il
faut bien que nous en nommions au moins quelques-uns : toutes les fois que l'on
prend en nourriture ou en boisson plus qu'il est nécessaire on doit savoir que
l'on commet l'un de ces péchés moindres de même toutes les fois que l'on parle
ou se tait plus qu'il ne faut ou ne convient par de tels péchés nous ne croyons
pas que l'âme soit tuée mais ils la rendront difforme comme par des pustules et
une sorte de gale horrible en sorte qu'elle ne peut dans un tel état parvenir
aux embrassements du céleste époux ou qu'elle n'y arriverait qu'avec une grande
confusion si donc nous ne savons pas bénir le Seigneur dans nos épreuves ni
racheter nos péchés par de bonnes oeuvres nous serons retenus au feu du
purgatoire aussi longtemps qu'il sera nécessaire pour que de tels péchés comme
du bois du foin et de la paille y soient consumés Il ressort de ce texte que
l'objet principal des peines du purgatoire est l'achèvement de cette longue
pénitence que l'on aurait dû faire en cette vie pour les péchés très graves et
en second lieu seulement l'expiation des péchés moindres que les bonnes oeuvres
n'ont pas suffisamment compensés sur la terre et pour terminer ce premier
chapitre du purgatoire nous citerons d'abord un passage des Dialogues de saint
Grégoire le Grand en date de 593-594 sur le même sujet : Les péchés expiés en
purgatoire Tel on est au sortir de la vie tel on est présenté au jugement mais
en ce qui concerne certains péchés légers il faut admettre avant le jugement (dernier)
un feu purifiant (ignis purgatorius) car la vérité a dit que si l'on prononce
un blasphème contre le Saint-Esprit " il ne sera remis ni dans ce monde ni
dans l'autre " (Matth. , XII, 32). Par cette sentence il est donné à
entendre que certains péchés sont remis en ce monde et d'autres dans le monde à
venir ce qui est nié d'un péché est en effet concédé des autres mais on doit
croire qu'il ne s'agit dans ces derniers que des péchés moindres ou tout petits
(de parvis et minimis) Puis nous donnerons ce texte de saint Isidore de Séville
(+ 636) L'usage universel de l'Eglise Offrir le sacrifice pour le repos des
défunts prier pour eux est une conduite observée dans le monde entier c'est
pourquoi nous croyons que c'est une tradition apostolique l'Eglise catholique
en effet la garde partout et si elle ne croyait pas que les péchés sont remis aux
fidèles défunts elle ne ferait pas d'aumônes pour les âmes ni n'offrirait pour
eux de sacrifice à Dieu (De eccl. offic. , 1. I, c. XVIII, n. 11). Le
purgatoire chez les Théologiens prédicateurs et écrivains catholiques.
Après les nombreux textes que nous avons cités et qu'il eût
été facile de multiplier encore nous ne serons pas surpris de rencontrer chez
les théologiens de nouvelles précisions sur les peines du purgatoire précisions
fondées sur des déductions légitimes à partir des affirmations convergentes et
des pratiques de la grande tradition catholique le grand mystique du XIIe
siècle Richard de saint-Victor ne craint pas de parler " des joies du
purgatoire " Richard de Saint-Victor disciple et successeur de Hugues de
Saint-Victor fut prieur du monastère célèbre des Augustins de Saint-Victor de
Paris où il mourut vers 1173 dans son ouvrage sur les Degrés de la Charité il
dit ceci : Les joies du Purgatoire L'âme en purgatoire est arrivée à la
perfection de la charité le Seigneur fait sentir sa présence de telle sorte
qu'il ne montre cependant point son visage il répand au dedans sa douceur mais
il ne manifeste point sa beauté il y répand sa suavité mais il n'y montre point
sa clarté on y sent donc sa douceur mais on n'y voit point ses charmes il est encore
environné de nuages et d'obscurités son trône est encore sous une colonne de
nuée a la vérité ce que l'on sent est extrêmement doux et plein de caresses
mais ce que l'on voit est tout dans les ténèbres car le Seigneur n'apparaît pas
encore dans la lumière le feu chauffe plutôt qu'il n'éclaire il enflamme bien
la volonté mais n'illumine pas l'entendement l'âme donc en cet état peut bien
sentir son Bien-Aimé mais il ne lui est pas permis de l'apercevoir si elle le
voit c'est comme dans la nuit comme derrière un nuage enfin l'âme voit bien
comme dans un miroir en une énigme mais non pas face à face : de là vient
qu'elle s'écrie : " Faîtes luire sur votre serviteur la lumière de votre
visage. " Le maître par excellence de la théologie car il ne saurait être
question de citer ici tous les auteurs est Thomas d'Aquin cette partie de sa
théologie est ajoutée à sa Somme dans le Supplément mais elle est formée de
textes tirés de ses autres oeuvres ou émanant sûrement de lui : Qui peut prier
pour les âmes du Purgatoire ? Les saints qui sont dans la patrie prient pour
ceux qui sont en purgatoire au même titre et de la même manière qu'ils prient
pour nous si donc leur prière est efficace pour nous elle le sera aussi pour
ceux qui sont en purgatoire et les délivrera de leur peine : ce qui n'est pas ;
car dans ce cas les suffrages de l'Eglise pour les défunts seraient superflus
les suffrages de l'Eglise pour les défunts sont des satisfactions que les
vivants font à la place des morts : c'est pourquoi ils délivrent les morts de
la peine que ceux-ci n'ont pas encore payée mais les saints qui sont dans la
patrie ne se trouvent pas en état de satisfaire c'est pourquoi on ne peut pas
assimiler leurs prières aux suffrages de l'Eglise Ou se trouve le purgatoire ? On
ne trouve dans l'Ecriture aucune précision sur l'emplacement du purgatoire et
on n'a aucune raison certaine de le fixer ici plutôt que là cependant à se
référer aux paroles des saints et aux révélations particulières il est probable
qu'il y a deux endroits pour le purgatoire le premier est fixé par la loi
commune c'est un lieu inférieur contigu à l'enfer de sorte que ce serait le
même feu qui tourmenterait les damnés en enfer et purifierait les justes en
purgatoire mais comme les damnés sont inférieurs aux justes il faut placer
l'enfer au-dessous du purgatoire il y a un second lieu du purgatoire qui est
exceptionnel c'est pourquoi l'on raconte que certains défunts sont châtiés en
divers endroits soit pour l'instruction des vivants soit pour le soulagement
des morts par le fait que leurs souffrances se trouvant révélées aux vivants
peuvent être adoucies par les suffrages de l'Eglise cependant quelques auteurs
enseignent que selon la loi commune le lieu du purgatoire est celui où l'homme pèche
ce qui ne paraît pas probable parce que le même individu peut être puni en même
temps pour les péchés commis en divers lieux par ailleurs certains veulent que
selon la loi commune le lieu de leur punition soit au-dessus de nous parce que
disent-ils leur état les place entre Dieu et nous raison sans valeur parce que
la cause de leur châtiment qui est le péché les fait non nos supérieurs mais
nos inférieurs Quelles sont les peines du purgatoire ? Au purgatoire la peine
est de deux sortes l'une la peine du dam à savoir que ces âmes sont privées
pour un temps de la vision de Dieu l'autre celle du sens à savoir que les âmes
sont éprouvées par un feu corporel et quant à ces deux peines ensemble la plus
petite du purgatoire dépasse la plus grande de cette vie Ce dernier sentiment
que nous avons rencontré chez saint Augustin est commun chez les docteurs sans
nous arrêter davantage à ceux du Moyen-Age nous passerons aux temps modernes
voici l'enseignement de saint François de Sales d'après son ami P. Camus
l'auteur de l'esprit de saint François de Sales : Les peines du purgatoire Il
est vrai que les tourments en sont si grands que les plus extrêmes douleurs de
cette vie n'y peuvent être comparées mais aussi les satisfactions intérieures
sont telles qu'il n'y a point de prospérité ni de contentement sur la terre qui
les puisse égaler les âmes y sont dans une continuelle union à Dieu elles y
sont parfaitement soumises à sa volonté elles s'y purifient volontairement et
amoureusement elles veulent y être en la façon qui plaît à Dieu et pour autant
de temps qu'il lui plaira elles sont impeccables et ne peuvent avoir le moindre
mouvement d'impatience ni commettre la moindre imperfection elles aiment Dieu plus
qu'elles-mêmes et que toute chose d'un amour parfait pur et désintéressé elles
sont consolées par les anges elles sont assurées de leur salut leur amertume
très amère est dans une paix très profonde si c'est une espèce d'enfer quant à
la douleur c'est un paradis quant à la douceur que répand dans leur coeur
charité plus forte que la mort Heureux état plus désirable que redoutable
puisque ces flammes sont des flammes d'amour et de charité Comme on le voit le
saint Docteur combinait les données de Richard de Saint-Victor avec celles de
saint Thomas d’Aquin Même note dans son " Traité de l'amour de Dieu "
Les âmes qui sont en purgatoire y sont sans doute pour leurs péchés qu'elles
ont détestés et détestent souverainement mais quant à l'abjection et peine qui
leur en reste d'être arrêtées en ce lieu-là et privées pour un temps de la
jouissance de l'amour bienheureux du paradis elles la souffrent amoureusement
et prononcent dévotement le cantique de la justice divine : " Vous êtes
juste Seigneur et vos jugements sont droits" (Ps. CXVIII, 137) Mais saint
François de Sales tout en insistant sur le côté consolant des peines en
purgatoire n'avait garde d'oublier d'appuyer aussi sur le devoir de charité qui
nous incombe de prier pour les âmes qui y sont détenues : Devoir de charité
envers les âmes du purgatoire N'est-ce pas visiter en quelque façon les malades
que d'obtenir par nos prières le soulagements des pauvres âmes qui sont dans le
purgatoire ? N'est-ce pas donner à boire à ceux qui ont si grande soif de la
vision de Dieu et qui sont parmi ces dures flammes que de leur donner part à la
rosée de nos oraisons ? N'est-ce pas nourrir les affamés que d'aider à leur
délivrance par les moyens que la foi nous suggère ? N'est-ce pas vraiment
racheter des prisonniers ? N'est-ce pas vêtir les nus que de leur procurer un
vêtement de lumière et de lumière de gloire ? N'est-ce pas une insigne
hospitalité que de procurer leur entrée dans la céleste Jérusalem et les rendre
concitoyens des saints et amis de Dieu dans l'éternelle Sion ? En sens inverse
il ne faut pas oublier que les âmes du purgatoire peuvent intercéder pour nous
comme le font les saints dans le ciel citons à ce sujet un trait emprunté à
César Baronius le célèbre auteur des Annales ecclésiastiques fin du XVIe siècle
(+ 1607) Il raconte qu'une personne très pieuse se trouvait à son lit de mort
horriblement tentée par les démons tout à coup elle vit le ciel s'ouvrir des
milliers de défenseurs venaient à son secours et lui assuraient la victoire
toute émue de cette protection miraculeuse elle demanda à ses défenseurs qui
ils étaient : " Nous sommes répondirent-ils les âmes que vos suffrages ont
délivrées du purgatoire nous venons de la part de Dieu vous récompenser et vous
conduire directement au paradis. " Si nous rouvrons Pascal qui nous a
fourni de si hautes pensées sur la mort nous avons peine à comprendre parmi ses
Pensées la phrase suivante qui est en complet désaccord avec ce que nous avons
recueilli chez saint François de Sales Incertitude du salut ? La peine du
purgatoire la plus grande est l'incertitude du salut Deus absconditus. Par
contre le même Pascal dit d'excellentes choses du purgatoire à propos de la
mort de son père parlant de la consolation de savoir que son père est mort dans
la foi du Seigneur il ajoute : Comment venir en aide aux âmes du purgatoire Considérons
donc la grandeur de nos biens dans la grandeur de nos maux et que l'excès de
notre douleur soit la mesure de celui de notre joie il n'y a rien qui puisse la
modérer sinon la crainte qu'il (son père) ne languisse pour quelque temps dans
les peines qui sont destinées à purger le reste des péchés de cette vie et
c'est pour fléchir la colère de Dieu sur lui que nous devons soigneusement nous
employer la prière et les sacrifices sont un souverain remèdes à ses peines
mais j'ai appris d'un saint homme ( probablement M. Singlin, de Port-Royal)
dans notre affliction qu'une des plus solides et plus utiles charités envers
les morts est de faire les choses qu'ils nous ordonneraient s'ils étaient
encore au monde et de pratiquer les saints avis qu'ils nous ont donnés et de
nous mettre en l'état auquel ils nous souhaitent à présent par cette pratique
nous les faisons revivre en nous en quelque sorte puisque ce sont leurs
conseils qui sont encore vivants et agissants en nous et comme les hérésiarques
sont punis en l'autre vie des péchés auxquels ils ont engagé leurs sectateurs
dans lequel leur venin vit encore ainsi les morts sont récompensés outre leur
propre mérite pour ceux auxquels ils ont donné suite par leurs conseils et
leurs exemples faisons-le donc revivre devant Dieu en nous de tout notre
pouvoir et consolons-nous en l'union de nos coeurs dans laquelle il me semble
qu'il vit encore et que notre réunion nous rend en quelque sorte sa présence
comme Jésus-Christ se rend présent en l'assemblée de ses fidèles.
Bossuet consulté sur le purgatoire nous offrira cet
avantage de résumer pour nous les décisions du Concile de Trente en 1563 sur
cet article et de les justifier contre les attaques des protestants et de Paolo
Sarpi ce dernier accuse en effet le concile d'avoir donné à ses décisions une
allure trop vague et trop générale voici la réponse de Bossuet dans son Histoire
des Variations (livre XV, chap. CLIX). Le Concile de Trente et le purgatoire Sur
la controverse du purgatoire le Concile de Trente a cru fermement comme une
vérité révélée de Dieu que les âmes justes pouvaient sortir de ce monde sans
être entièrement purifiées Grotius prouve clairement que cette vérité était
reconnue par les protestants ...sur ce fondement commun de la Réforme que dans
tout le cours de cette vie l'âme n'est jamais tout à fait pure d'où il suit
qu'elle sort du corp encore souillée mais le Saint -Esprit a prononcé que
" rien d'impur n'entrera dans la cité sainte" (Apoc. , XXI, 27) et le
ministre Spanheim démontre très bien que l'âme ne peut être présentée à Dieu
" qu'elle ne soit sans tache et sans ride toute pure et
irréprochable" conformément à la doctrine de saint Paul ce qu'il avoue qu'elle
n'a point durant cette vie la question reste après cela si cette purification
de l'âme se fait dans cette vie au dernier moment ou après la mort et Spanheim
laisse la chose indécise " Le fond dit-il est certain mais la manière et
les circonstances ne le sont pas. " Mais sans presser davantage cet auteur
par les principes de la secte l'Eglise catholique passe plus avant car la
tradition de tous les siècles lui ayant appris à demander pour les morts le
soulagement de leur âme la rémission de leurs péchés et leur rafraîchissement
elle a tenu pour certain que la parfaite purification des âmes se faisait après
la mort et se faisait par de secrètes peines qui n'étaient point expliquées de
la même sorte par les saints docteurs mais dont ils disaient seulement qu'elles
pouvaient être adoucies ou relâchées tout à fait par les oblations et les
prières conformément aux liturgies de toutes les Eglises sans vouloir ici
examiner si ce sentiment est bon ou mauvais il n'y a plus d'équité ni de bonne
foi si l'on refuse du moins de nous accorder que dans cette présupposition le
concile a dû former son décret avec une expression générale et définir comme il
a fait : premièrement qu'il y a un purgatoire après cette vie : et secondement
que les prières des vivants peuvent soulager les âmes des fidèles trépassés
sans entrer dans le particulier ni de leur peine ni de la manière dont elles
sont purifiées parce que la tradition ne l'expliquait pas mais en faisant voir
seulement qu'elles ne sont purifiées que par Jésus-Christ puisqu'elles ne le
sont que par les prières et oblations en son nom Pour bien comprendre cette
page de Bossuet il faut se rappeler que les Pères grecs avaient coutume de
présenter les peines du purgatoire sous la forme d'une détention en une prison
obscure sans parler du feu bien que cette expression on l'a vu se trouve dans
saint Grégoire de Nysse tandis que les Pères latins ont toujours insistés sur
l'action du feu du purgatoire mais c'est un point que le Concile de Trente
s'est très justement refusé à trancher il n'y a donc que deux points à retenir
comme appartenant au dogme catholique au sujet du purgatoire : 1° il y a un
purgatoire 2° nous pouvons secourir les âmes qui s'y trouvent par nos prières
suffrages et sacrifices D'autre part une preuve que Bossuet ne partageait pas
le sentiment de Pascal sur l'éclat d'incertitude des âmes du purgatoire au
sujet de leur salut se trouve dans une phrase d'une de ses lettres en date du
26 octobre 1694 à Mme Cornuau : Certitude des âmes du purgatoire sur leur salut
Je puis presque vous assurer que je vous verrai le jour des Morts s'il plaît à
Dieu je vous mets cependant ma fille avec ces âmes pour qui l'Eglise travaille
en ce saint jour et je vous unis à elles pour participer à leurs purifications inouïes
et inexplicables. O Dieu quel artifice de la main de Dieu de savoir faire des
douleurs extrêmes dans un fond où est sa paix et la certitude de le posséder
Qui sera le sage qui entendra cette merveille ? Pour moi je n'en ai qu'un léger
soupçon Si Bossuet avoue ne pas bien pénétrer le mystère du purgatoire il a
cependant essayé dans un de ses sermons d'expliquer l'action du feu purifiant :
c'est que ce feu est joint à la pénitence tandis que le feu de l'enfer est uni
à l'impénitence : L'esprit de pénitence au purgatoire Le caractère propre de
l'enfer ce n'est pas seulement la peine mais la peine sans la pénitence car je
remarque deux sortes de feux dans les Ecritures divines : " il y a un feu
qui purge et un feu qui consume et qui dévore..." Ce dernier est appelé
dans l'Evangile " un feu qui ne s'éteint pas " pour le distinguer de
ce feu qui s'allume pour nous épurer et qui ne manque jamais de s'éteindre
quand il a fait cet office la peine accompagnée de la pénitence c'est un feu
qui nous purifie la peine sans la pénitence c'est un feu qui nous dévore et
nous consume et tel est proprement le feu de l'enfer c'est pourquoi nous
concluons selon ces principes que les flammes du purgatoire purifient les âmes
parce qu'où la peine est jointe à la pénitence les flammes sont purgatives ou
purifiantes et au contraire que le feu de l'enfer ne fait que dévorer les âmes
parce qu'au lieu de la composition de la pénitence il ne produit que de la
fureur et du désespoir Joseph de Maistre Si Bossuet cherchait à démontrer aux
protestants qu'ils devaient admettre le purgatoire selon leurs principes c'est
tout autre chose que leur reproche non sans ironie Joseph de Maistre : Un des
grands motifs de la brouillerie du XVIe siècle fut précisément le purgatoire les
insurgés ne voulaient rien rabattre de l'enfer pur et simple cependant
lorsqu'ils sont devenus philosophes ils se sont mis à nier l'éternité des
peines laissant néanmoins subsister un enfer à temps uniquement pour la bonne
police et de peur de faire monter au ciel tout d'un trait Néron et Messaline à
côté de saint Louis et sainte Thérèse mais un enfer temporaire n'est autre
chose que le purgatoire en sorte qu'après s'être brouillés avec nous parce
qu'ils ne voulaient pas de purgatoire ils se brouillent de nouveau car ils ne
veulent que le purgatoire c'est cela qui est extravagant Le curé d'Ars Avec le
saint curé d'Ars ce n'est pas un savant au sens ordinaire du mot que nous
allons rencontrer mais ce prêtre qu'on eut de la peine à ordonner pour défaut
de science devint par la puissance de son amour et par les inspirations que cet
amour lui valut de la part de Dieu l'un des maîtres de la sainteté catholique
la page que voici empruntée à son plus récent biographe M. l'abbé Trochu ne
relève pas des sources d'information humaines : Une dame avait perdu son mari
homme irréligieux qui avait fini sa vie par le suicide inconsolable sur son
sort qu'elle croyait être la damnation éternelle elle fut amenée par hasard à
Ars et chercha à recontrer le saint Curé pour l'interroger sur le malheureux
défunt elle réussit à l'approcher et avant même qu'elle eût pu lui dire un mot
le saint lui murmura à l'oreille : il est sauvé...Oui il est sauvé insista-t-il
la pauvre femme fit un geste de la tête qui voulait dire : Oh ! ce n'est pas
possible alors d'un ton affirmatif encore " Je vous dis qu'il est sauvé
qu'il est en purgatoire et qu'il faut prier pour lui...Entre le parapet du pont
et l'eau il a eu le temps de faire un acte de repentir c'est la très Sainte Vierge
qui a obtenu sa grâce rappelez-vous le mois de Marie élevé dans votre chambre
votre époux irréligieux ne s'y est point opposé il s'est même parfois uni à
votre prière...Cela lui a mérité un suprême pardon. " A un saint qui
possède de telles intuitions on peut aussi demander une leçon de très simple catéchisme
sur le purgatoire c'est ce que nous ferons avec l'abbé Tocanier son premier
compagnon de ministère et le narrateur de sa vie et de ses vertus : Catéchisme
du Curé d'Ars sur le purgatoire Comment pourrai-je faire le tableau déchirant
des maux qu'endurent ces pauvres âmes puisque les saints Pères nous disent que
les maux qu'elles endurent dans ces lieux semblent égaler les souffrances que
Jésus -Christ a endurées pendant sa douloureuse Passion ? Le feu du purgatoire
est le même que celui de l'enfer la différence qu'il y a c'est qu'il n'est pas
éternel ce feu est si violent qu'une heure semblent à ceux qui l'endurent des
milliers de siècles si l'on pouvait comprendre la grandeur de leurs supplices
nuit et jour nous crierions miséricorde pour elles il faudrait que le bon Dieu
dans sa miséricorde permit qu'une de celles qui brûlent dans les flammes parût
ici à ma place tout environnée des feux qui la dévorent et qu'elle vous fit
elle-même le récit des maux qu'elle endure il faudrait qu'elle fit retentir
cette église de ses cris et de ses sanglots peut-être enfin cela
attendrirait-il vos coeurs ! " Oh! nous souffrons crient-elles! Oh! nos
frères délivrez-nous de ces tourments: vous le pouvez! Brûler dans un feu
allumé par la justice d'un Dieu Souffrir des douleurs incompréhensibles Etre
dévoré par le regret sachant que nous pouvions si bien les éviter " Nous
lisons dans l'Histoire ecclésiastique qu'un saint resta six jours en purgatoire
avant d'entrer dans le ciel il apparut ensuite à l'un de ses amis en lui disant
qu'il avait enduré des souffrances si grandes qu'elles surpassaient toutes
celles qu'ont endurées et qu'endureront jusqu'à la fin des siècles tous les
martyrs réunis ensemble Oh mon Dieu que votre justice est redoutable pour le
pécheur cependant qui peut entendre sans frémir le récit de ce qu'on enduré les
martyrs chacun en particulier ? Les uns ont été plongés dans des chaudières
d'eau bouillante d'autres sciés avec des scies de bois celui-ci étendu sur un
chevalet déchiré avec des crochets de fer qui lui arrachaient les entrailles
d'autres foulés aux pieds celui-là étendu sur des brasiers ardents auquel il ne
restait que ses os tout noircis et brûlés enfin d'autres ont été mis sur des
tables garnies de lames tranchantes et qui perçaient de part en part ces
innocentes victimes! peut-on bien penser à tout cela sans se sentir pénétré de
douleur jusqu'au fon de l'âme ? Or une âme en purgatoire souffre encore plus
que tous les martyrs ensemble Qui pourra donc y tenir ? Mon Dieu mon Dieu ayez
pitié de ces pauvres âmes mais ce n'est pas là tout leur supplice elles
souffrent plus encore de la privation de la vue de Dieu l'amour qu'elles ont
pour lui est si grand la pensée qu'elles sont privées de le voir par leur faute
leur cause une douleur si violente que jamais il ne sera donné à un mortel d'en
concevoir la moindre idée au milieu de ces flammes qui les brûlent elles voient
les trônes de gloire qui leur sont préparés et qui les attendent une voix
semble leur crier :" Ah! que vous êtes privés de grands biens! Si vous
aviez eu le bonheur de redoubler vos pénitences et vos larmes vous seriez
aujourd'hui assises sur ces beaux trônes tout rayonnants de gloire! Oh! que
vous avez été aveugles de retarder un tel bonheur par votre faute!" Ah mes
amis nous crient ces âmes s'il vous reste encore quelque amitié pour nous ayez
pitié de nous arrachez nous de ces flammes vous le pouvez Beau ciel quand le verrons-nous
? Oh si vous sentiez la douleur d'être séparés de Dieu Cruelle séparation Hélas
quand de tels supplices ne dureraient qu'un jour qu'une heure qu'une demi-heure
cela paraîtrait infiniment plus long à ces pauvres âmes que des millions de
siècles dans les supplices les plus rigoureux pourquoi cela ? Le voici quand
Dieu punit quelqu'un en ce monde ce n'est que sous le règne de sa bonté et de
sa miséricorde car si Dieu envoie une infirmité une perte de biens ou d'autres
misères tout cela ne nous est donné que pour faire éviter les peines du
purgatoire ou pour nous faire sortir du péché dans l'autre monde au contraire
Dieu n'est conduit que par sa justice et sa vengeance nous avons péché et nous
avons passé le temps de sa miséricorde il faut que sa justice soit accomplie et
sa vengeance satisfaite " Oh ! qu'il est terrible de tomber entre les
mains d'un Dieu vengeur !" Les âmes du purgatoire prient pour nous Au sein
de leurs souffrances si elles ne peuvent rien pour elles-mêmes ces âmes peuvent
beaucoup pour nous cela est si vrai qu'il n'y a presque personne qui ait
invoqué les âmes du purgatoire sans avoir obtenu la grâce demandée cela n'est
pas difficile à comprendre si les saints qui sont au ciel et n'ont pas besoin
de nous s'intéressent à notre salut combien plus encore les âmes du purgatoire
qui reçoivent nos bienfaits spirituels à proportion de notre sainteté ne
refusez pas cette grâce disent-elles ô mon Dieu à ces chrétiens qui donnent
tous leurs soins à nous tirer des flammes oui toutes les fois que nous aurons quelque
grâce à demander adressons-nous avec confiance à ces saintes âmes et nous
sommes sûrs de l'obtenir quel bonheur pour nous d'avoir dans la dévotion aux
âmes du purgatoire un moyen excellent pour nous assurer le ciel voulons-nous
demander à Dieu la douleur de nos péchés ? Adressons-nous à ces âmes qui depuis
tant d'années pleurent dans les flammes ceux qu'elles ont commis voulons-nous
demander au bon Dieu le don de persévérance Invoquons-les : elles en sentent
tout le prix car il n'y a que ceux qui persévèrent qui verront Dieu dans nos
maladies dans nos chagrins tournons nos prières vers les âmes du purgatoire :
elles obtiendrons leur effet Une comparaison originale du Curé d'Ars Dans ses
catéchismes il revenait fréquemment sur la dévotion aux âmes du purgatoire il
eut un jour la belle comparaison suivante : C'est comme les hirondelles qui
sont enfermées dans une chambre elles cherchent partout une issue pour
s'envoler au dehors elles donnent de la tête contre les vitres contre le
plafond elles tombent de lassitude puis quand elles se sont un peu reposées
elles se relèvent recommencent à voler et veulent toujours échapper ! pauvres
petites hirondelles ! pauvres âmes du purgatoire ! Qui leur donnera la liberté
après laquelle elles aspirent ? Nous si leur captivité nous touche ! S'ils est
permis d'ajouter quelque chose à ces tableaux si colorés et si saisissants du
purgatoire brossés par un saint on dira peut-être qu'il doit y avoir en ce lieu
d'expiation comme en enfer des cercles différents les uns des autres et que la
justice divine y frappe diversement les fautes des uns et des autres il est
clair en effet que les péchés très graves qui n'ont peut-être été remis qu'à la
dernière minute à de grands coupables doivent mériter des châtiments tout
autres que les fautes vénielles des saints qui ne peuvent échapper entièrement
aux suites de l'humaine fragilité nous allons maintenant demander à Newman dans
la suite de ce Songe de Gérontius auquel nous avons beaucoup emprunté déjà de
nous introduire poétiquement jusqu'au sein du purgatoire.
L'Ange Gloire à son Nom ! L'esprit inquiet a échappé à mon
étreinte. Et avec l'énergie immodéré de l'amour, Il fuit jusqu'aux pieds aimés
de l'Emmanuel ! Mais avant d'y arriver la sainteté pénétrante Qui de ses
effluves comme une gloire revêt et enveloppe le Crucifié a saisi et brûlé et
grésillé l'âme : et elle gît à présent passive et inerte devant le Trône
redoutable ! O heureuse ô souffrant âme ! Car elle est sauve Consumée et
pourtant vivifiée par le regard de Dieu ! L'âme Emmenez-moi : et dans les
dernières profondeurs laissez-moi demeurer ! et là dans l'espoir passer les
longues veillées nocturnes décrétées pour moi ! Là immobile et heureuse dans ma
peine seule mais non abattue là je chanterai mon triste et perpétuel refrain
jusqu'au matin ! Là je chanterai et apaiserai mon coeur brisé qui ne peut plus
cesser de battre et soupirer et languir jusqu'à la possession de l'unique Paix
Là je chanterai mon Seigneur absent et mon Amour : Emmenez-moi pour que plutôt
je puisse me lever et remonter ! et le voir dans la vérité du Jour éternel ! L'Ange
Ouvrez maintenant les portes de la prison d'or qui rend une douce musique à
chaque tour accompli sur ses gonds si souples et vous Grandes Puissances Anges
du purgatoire recevez de moi Mon dépôt une âme précieuse jusqu'au jour où
délivrée de tout lien et souillure je la réclamerai pour les cercles de Lumière
! Prière des âmes du purgatoire
1. Seigneur vous été notre refuge en toute génération
2. Avant que les collines fussent nées et avant le monde :
d'âge en âge vous êtes Dieu
3. Ne nous rejetez pas Seigneur car vous avez dit : Revenez
vous les fils d'Adam
4. Mille ans devant vos yeux sont comme hier et comme une
veille nocturne qui vient et passe !
5. L'herbe pousse au matin et le soir elle se dessèche et
meurt
6. Ainsi nous défaillons en votre colère et votre courroux
nous a troublées !
7. Vous avez étalé nos péchés à votre vue et tout le cycle
de nos jours dans la lumière de votre face
8. Revenez Seigneur ! Jusques à quand ! Soyez
miséricordieux pour vos serviteurs
9. En votre matin nous serons remplis de votre miséricorde
nous nous réjouirons et seront en joie tous nos jours !
10. Nous serons heureux selon les jours de notre
humiliation et selon les années durant lesquelles nous avons vu le meilleur
11. Regardez Seigneur vos servantes et votre ouvrage et
dirigez vos enfants
12. Et que la bonté du Seigneur notre Dieu soit sur nous et
l'ouvrage de nos mains établissez-le vous-même ! Gloire au Père et au Fils et
au Saint-Esprit comme il était dès le commencement et maintenant et toujours en
un monde sans fin Ainsi soit-il ! L'Ange Doucement gentiment âme chèrement
rachetée en mes bras très aimants je t'étreins à présent et au-dessus des eaux
pénales qui roulent ici je te balance et t'incline et te tiens ! Et avec soin
je te plonge dans le lac et toi sans un sanglot ni une résistance tu prends ta
course rapide dans le courant enfonçant de plus en plus profond dans l'obscur
espace les anges à qui en est confiée la tâche volontaire te prendront
guideront et berceront durant ton séjour Et les messes sur la terre et les
prières du ciel t'aideront devant le trône du Très-Haut ! Adieu mais non pour
toujours ! frère aimé ! sois brave et patient sur ton lit de douleur la nuit
d'épreuve passera vite pour toi ici et je viendrai t'éveiller demain ! Avec le
P. Faber nous ne quittons pas l'Angleterre et c'est à peine si nous quittons
Newman car c'est l'exemple du célèbre écrivain converti en 1845 qui le fit
entrer lui-même dans l'Eglise catholique où il devint prêtre en 1847 entra à
l'Oratoire et mourut à Londres en 1863 ce qui le touche lui c'est la belle
assurance de l'Eglise en ce qui concerne l'au-delà ! Assurance de l'Eglise La
dévotion aux âmes du purgatoire exerce notre foi dans les effets du sacrifice
de la messe et des sacrements qui sont des choses que nous ne voyons pas mais
dont nous parlons tous les jours ainsi que de leurs effets par rapport aux
morts effets que nous regardons comme des faits accomplis et indubitables elle
élève si haut notre foi dans la communion des saints qu'un hérétique sourirait
si on lui disait qu'il doit croire à une doctrine en apparence si extravagante
elle traite les indulgences comme les affaires les plus ordinaires de la vie
elle connaît le trésor invisible d'où sont tirées ces indulgences les clés
également invisibles qui ouvrent ce trésor la puissance illimité qui les met à
sa dispositions et les rend sûrement efficaces elle sait que Dieu les agrée
sans qu'il l'ait révélé et elle est convaincue de toutes ces choses comme on
est convaincu de l'existence des arbres ou des moissons qu'on a sous les yeux
la doctrine si difficile de la satisfaction n'offre aucune difficulté à la foi
de cette dévotion au contraire elle s'y trouve à l'aise elle fait ses
dispositions à son gré transporte ses satisfactions çà et là dirige l'une d'un
côté l'autre de l'autre comptant que Dieu les agréera toutes une maîtresse de
maison n'ordonne pas les détails de son ménage avec plus de tranquillité que
notre dévotion n'en met à disposer ces choses secrètes qui offrent à chaque
instant les questions les plus ardues les plus difficiles à saisir pour
l'intelligence et celles auxquelles elle a le plus de peine à se soumettre elle
fait preuve d'une foi égale dans diverses dévotions catholiques qui viennent
toutes se grouper autour de la dévotion aux âmes du purgatoire comme autour
d'un centre commun Le purgatoire selon le P. Faber La violence la confusion les
gémissements la terreur remplissent ce lieu qui ne se distingue de l'enfer que
par la durée tel est le sentiment du P. Faber Voici une description de lui :
Pas de péché dans cette région rien que des vertus héroïques et une magnifique tranquillité
parmi les âmes qui s'y trouvent certaines sont là depuis bien longtemps les
hommes les ont oubliées par ingratitude ou par frivolité ou aussi parce qu'ils
les ont crues meilleures qu'elles n'étaient les unes viennent seulement
d'arriver et ont encore à subir toute leur peine les autres sont prêtes à
partir toutes savent qu'elles seront sauvées toutes savent à quel moment leur
châtiment finira prenons une de ces âmes : cet homme était pauvre il eut
beaucoup de difficultés à conserver sa foi non sans tomber dans le péché mais
il avait la foi les sacrements : il allait à l'église Dieu l'a envoyé en
purgatoire l'heure de la délivrance est sur le point de sonner cela dépend de
nos prières Oh ! comme il soupire après le moment où il verra Dieu la lumière
augmente Silence ! Quelqu'un vient ! sa beauté rayonne comme une vision divine sa
présence semble répandre une lumière et un doux parfum et descend jusqu'au bord
du feu et embrasse cette âme qui est dans l'attente et la soulève elle devient
belle sous cet embrassement et quitte le purgatoire à travers le silence saint
Michel et l'âme montent à une vitesse croissante O heureuse âme heureuse au
delà de toute expression et maintenant heureuse à jamais...Notre tour viendra à
nous aussi notre entrée au ciel notre merveilleux couronnement notre premier
regard jeté sur le Dieu à jamais béni le commencement de notre éternité
bienheureuse ! Avec Mgr Gay 1815-1892 nous rencontrons un théologien des plus
éminents et des plus sûrs son ouvrage principal : de la vie et des vertus
chrétiennes est devenu rapidement classique il va nous parler de ce qu'on nomme
l'acte héroïque qui consiste dans l'abandon général au profit des âmes du
purgatoire de tous les suffrages de toutes les indulgences que l'on peut gagner
ici-bas cet acte appelé héroïque parce qu'il consiste à se dépouiller soi-même
pour les âmes souffrantes du purgatoire cela inspire à Mgr Gay les réflexions
suivantes : Gravité de l'acte héroïque Les indulgences que gagnent ceux qui ont
fait l'acte héroïque ne constituent pas pour eux un avantage personnel puisque
toutes ces richesses vont aux âmes du purgatoire l'avantage personnel vient
d'ailleurs il est basé sur le mérite de l'acte héroïque lui-même nous l'avons
dit : l'acte héroïque ne nous dépouille en faveur des habitants du purgatoire
que du fruit satisfactoire de nos oeuvres il laisse intact à notre compte le
trésor des mérites proprement dits le désintéressement est ce qui nous vaut un
accroissement de grâce ici-bas et de gloire au ciel il est d'autant plus grand
que l'acte que l'on fait est plus parfait en lui-même Or l'acte héroïque se classe
au premier rang des actes parfaits inspiré qu'il est par la charité la reine
des vertus et non par une charité quelconque mais par une charité héroïque qui
nous pousse à oublier nos propres intérêts pour procurer le bonheur de nos
frères et augmenter par là la gloire de Dieu nous admirons saint Martin donnant
à un pauvre grelottant de froid la moitié de son manteau mais celui qui fait
l'acte héroïque est bien plus admirable et son aumône a un prix
incomparablement plus élevé Saint Martin garda pour lui la moitié de son
manteau ceux qui font l'acte héroïque se dépouille absolument de tout ce qui
peut les préserver non pas des rigueurs de l'hiver terrestre mais des flammes
expiatoires du purgatoire mais de l'incendie allumé par l'amour sevré de la
présence du Bien-Aimé : tourments incomparablement plus douloureux que ceux
qu'on peut éprouver ici-bas et voyez la nature de leur aumône : c'est Dieu
lui-même qu'ils donnent aux âmes prisonnières en leur ouvrant le paradis bien
plus : " C'est au ciel tout entier qu'ils font une charité insigne. "
Ils versent une immense joie en cet abîme de joie ils font poindre un nouveau
soleil en ce monde de lumière : ils ajoutent une mélodie vivante à ce concert
de vie. Dante a un mot sublime. Il montre une âme entrant en paradis : aussitôt
les élus s'écrient : " Voilà qui accroîtra nos amours. " Qui tire une
âme du purgatoire fait pousser ce cri aux bienheureux. Il réjouit les neuf
choeurs des anges; il paye Marie de ses larmes ; il fait fleurir la croix et
rayonner le Calvaire. Il glorifie le Précieux Sang et met un degré de plus au
trône de l'Agneau céleste. Il ordonne à l'humanité sainte du Sauveur un
surcroît de voix pour louer le Père ; enfin, et c'est tout dire, il complète à
Dieu son Jésus. Il n'y a pas de plus grand bienfait.
Si l'on se dépouille ainsi, qu'on prenne la peine de
réfléchir et de consulter. Qu'on se rende compte de ce que l'on donne et
partant de ce qu'on abandonne, et du redoutable surcroît de peine qui peut en
être la conséquence forcée. Il n'est pas rare de voir des âmes agir en ceci
avec un empressement qui dénote sans doute en elles un grand zèle, mais qui
laisse aussi quelque doute sur la clarté et l'étendue de leur intelligence des
choses divines. Rien ne ressemble moins à un jeu que cet acte de renonciation,
et l'Eglise n'agit point étourdiment en acceptant qu'on le nomme héroïque. Qu'on
ne le fasse donc jamais par entraînement ni par manie d'imitation ; puis,
suivant librement en ceci ses attraits vérifiés, qu'on respecte toujours
inviolablement ceux des autres. Rien n'est moins selon Dieu que cet esprit
enthousiaste, exclusif et indiscret, qui prétend imposer à tout le monde les
préférences de sa piété et les formes de sa dévotion. Je sais des âmes ainsi
affectées que pleines d'admiration pour ces sortes de générosité, elles ont
définitivement plus de goût à laisser aux mains de Jésus leurs satisfactions et
leurs mérites, et leur vie, et tout leur être, sans vouloir convenir d'avance
avec lui de l'emploi qu'il en devra faire. L'amour de Dieu chez les âmes du
purgatoire : Quand on aime on obéit ; l'amour, c'est l'union des volontés. Quel
charme souverain s'élève pour elles de cet acquiescement à la volonté divine !
Au purgatoire tout cède. A ce que la justice dit, à ce qu'elle veut, à ce
qu'elle fait, la paix répond toujours et répond toute seule. Justice et paix
sont inséparablement unies et comme dans les bras l'une de l'autre. L'Amen que
les bienheureux disent à Dieu, qui les glorifie, ces âmes le disent à Dieu, qui
les épure : elles sont dans les mains de Dieu; elles s'y tiennent, elles s'y
attachent. Leur religion envers la sainteté divine est tout à fait sans mesure,
et c'est ce qui se conçoit de plus fondamental en leur état. Elles sont liés et
se lient incessamment elles-mêmes, avec des liens d'amour et de feu, sur
l'autel de cette sainteté et s'y immolent en son honneur avec d'ineffables
délices. Leur état, leur vie, tout leur être fait un écho doux, plein et
perpétuel à ce cantique qui ne s'interrompt jamais dans le ciel : " Saint,
Saint, Saint est le Seigneur, le Dieu des armées. " Ce qu'est la basse
dans une symphonie, cette mélodie si grave et si constante de leur hymne vivant
l'est dans le concert universel que la création sanctifiée donne à Dieu. Oh!
qu'elles souffrent noblement et sont pures d'égoïsme ! elles ont une joie sans
nom de voir que Dieu est une lumière si sainte que l'ombre même empêche d'être
consommé en lui. Cette évidence les réjouit beaucoup plus que leur supplice ne
les afflige. Elles ne voudraient pour rien que ce supplice fût moins intense et
moins long qu'il ne doit l'être. Si elles demandent à être délivrées, et
parfois avec tant d'instances, c'est bien plus par amour pour Dieu que pour
échapper à la peine. A partir de 1873 et jusqu'à 1890, le prédicateur de
Notre-Dame à Paris, durant le Carême, fut le dominicain Monsabré. Il exposa le
dogme catholique en son entier, en dix-huit volumes de prédications, toujours
solidement appuyées sur saint Thomas d'Aquin. Il est mort en 1907. Voici un
passage de son exposé du purgatoire : Etat de L'âme au purgatoire L'âme au
purgatoire ne rencontre que ses peines et Dieu ne lui demande plus que de
souffrir pour se purifier. Mais quelles souffrances endure-t-elle ? Ici les
esprits, même les plus orthodoxes, se sont ouvert une large carrière. Pour
certains théologiens (saint Thomas), le supplice du purgatoire " ne
diffère de celui des réprouvés que par la résignation et la consolante
confiance de ceux qui souffrent". Ici (Soto) l'on enseigne que l'attente
du bonheur éternel ne peut pas dépasser un certain nombre d'années; là (Bède et
Denis le Chartreux), qu'elle peut se prolonger jusqu'à la fin des temps; ici
(saint Bonaventure), qu'il y a dans le purgatoire des peines moindres que les
plus grandes peines de la terre; là (saint Augustin) que les plus grandes
peines de cette vie n'égalent pas la plus petite peine de l'autre monde. Que
faut-il croire ? Rien que ce que l'Eglise enseigne : c'est sa doctrine qui fixe
notre foi. Or l'Eglise affirme que l'homme pécheur doit subir une peine
temporelle dans cette vie ou dans l'autre pour obtenir la pleine rémission de
ses péchés et entrer dans le royaume des cieux; que le purgatoire existe et que
les âmes qui y sont détenues sont aidées par les suffrages des fidèles et
surtout par le précieux sacrifice de l'autel. Comme on le voit, le célèbre
prédicateur se tient sur la réserve. Il refuse de se laisser entraîner aux
descriptions plus ou moins imagées que nous trouvons chez d'autres orateurs et
que nous trouverons, au chapitre suivant, chez les mystiques. Il y a donc bien
à faire le départ entre le dogme proprement dit et les " pieuses
croyances", qui peuvent varier selon les auteurs, c'est-à-dire en somme
selon les imaginations, intuitions ou inspirations personnelles. Ainsi que nous
l'avons noté toutefois, il faut toujours se souvenir de la précision
infaillible de la divine justice, toujours accompagnée de sa miséricorde. La
justice exige que les peines du purgatoire soient dosées selon le degré de
gravité des fautes à purifier. Il peut arriver qu'un homme ayant vécu dans le
crime fasse, au dernier moment, de tels actes de foi et d'amour qu'il expie en
un instant toutes ses fautes, comme ce fut le cas du bon larron, à qui Notre
Seigneur put dire : " Aujourd'hui même tu seras avec moi en paradis
!" Il peut se faire, au contraire, que l'on ait évité l'enfer de justesse
et qu'une longue expiation s'impose avant d'entrer au ciel. Et entre le plus
haut degré de culpabilité et le moindre, s'étend une gamme de degrés qu'on peut
à peine imaginer. Dans un ouvrage qui a pour titre : Le purgatoire et les
moyens de l'éviter, un théologien tout récent, le R. P. Martin Jugie, s'est
posé quelques questions auxquelles il essaie de donner des réponses, qui ne
sont pas sans intérêt. En premier lieu : Le nombre des âmes détenues en
purgatoire. Le recensement du purgatoire est une opération qui dépasse
totalement nos moyens. Dieu seul et les saints, à qui sans doute il le révèle,
savent quelle est à tout moment de notre durée la population exacte de l'Eglise
souffrante. Mais on ne peut parler de cette population sans se hasarder à
fournir des chiffres. On peut tout d'abord faire remarquer que cette population
est continuellement flottante. Comme dans un immense port, comme dans une gare
gigantesque, comme dans un aéroport aux vastes dimensions, il y a sans
interruptions, un grand nombre d'arrivées et un grand nombre de départs :
arrivées de la terre, départs pour le ciel. A notre époque où la population du
globe arrive à deux milliards d'hommes environ, il en meurt en moyenne six mille
par heure, soit cent quarante mille en un jour. Combien sur ce nombre vont en
purgatoire ? Question pour nous absolument insoluble, surtout quand on songe
que sur ces six mille âmes humaines qui à chaque heure paraissent au tribunal
du souverain juge, on ne compte qu'une minorité d'âmes baptisées; et, parmi
cette minorité, la moitié à peine ont appartenu à l'Eglise catholique. Autant
que nous pouvons le conjecturer d'après ce que nous révèle l'expérience, même
parmi la minorité catholique, bien petit doit être le contingent qui gagne
directement le ciel. Et qui nous dira le nombre des recrues de l'enfer ? Quant
à la phalange joyeuse des âmes délivrées qui à chaque instant voient s'ouvrir
devant elles la porte du paradis, impossible aussi de l'évaluer, car nous
ignorons tout ce qu'il faudrait savoir pour tenter un chiffre approximatif. A
propos de la population actuelle du purgatoire, on s'est demandé s'il pouvait
s'y trouver encore des représentants de l'humanité qui a précédé l'incarnation
du Verbe et le sacrifice de la Croix. A cette question curieuse mais non pas
oiseuse, l'Eglise grecque semble répondre par l'affirmative. En effet, depuis
le IXe siècle au moins, elle a établi une commémoration générale des défunts,
la veille de la Pentecôte, où l'on prie pour tous les hommes qui sont morts
pieusement depuis Adam. Il pourrait donc y avoir encore en purgatoire des âmes
qui arrivèrent bien avant que le Sauveur parût. Cela ne doit pas trop nous
surprendre, s'il est vrai que devant Dieu et sa justice " un jour est
comme mille ans, et mille ans sont comme un jour " (II Pierre, III), et si
méritent quelque créance telles révélations faites à de saintes âmes, d'après
lesquelles certains défunts sont condamnés à rester en purgatoire jusqu'au
jugement dernier. Saint Thomas aussi favorise l'affirmative. Dans sa Somme
théologique (III Pars, q. 3, a. 8), il n'admet point que lors de sa descente
aux enfers après sa mort sur la croix, Notre Seigneur ait vidé le purgatoire
accordant motu proprio une indulgence plénière à toutes les âmes qui s'y
trouvaient. Il soutient au contraire que cette visite du Sauveur aux séjour
d'outre-tombe ne changea rien au cours normal de la justice divine pour ce qui
regarde le purgatoire. Ne furent délivrées alors que les âmes qui étaient arrivées
au terme de leur expiation et avaient mérité pendant leur vie que leur
délivrance coïncidât avec la venue du Rédempteur. En second lieu : y a t-il une
hiérarchie, au purgatoire ? Y a-t-il une hiérarchie en purgatoire ? Nous
répondons : les âmes du purgatoire vivent en société, mais il ne semble pas
qu'il y ait parmi elles de hiérarchie proprement dite. La raison en est d'abord
que ce groupement est provisoire et non permanent. C'est une voie de garage sur
la ligne qui conduit au ciel, un retard plus au moins long imposé aux voyageurs
en route vers la cité permanente, le vestibule de la maison paternelle. Or une
hiérarchie suppose un état de chose stable. De plus et c'est l'argument le plus
solide c'est une même raison qui réunit en purgatoire tous ceux qui s'y
trouvent, à savoir le péché et les suites du péché. Un pareil motif place
toutes les âmes du purgatoire sur le même niveau et ne peut servir de base pour
établir entre elles une hiérarchie. Et tant qu'elles sont dans cette prison on
ne découvre entre elles aucune raison de déclarer les unes supérieurs aux
autres. Elles ont toutes le même motif de s'humilier : toutes ont été
pécheresse et font leur mea culpa. Il faut donc concevoir le purgatoire comme
une république de soeurs en détresse, rivalisant entre elles d'humilité, aucune
ne se préférant aux autres, aucune ne s'élevant au-dessus des autres, mais
toutes animées de la plus tendre, de la plus compatissante charité mutuelle,
pratiquant à la perfection les recommandations de l'Apôtre: "Soyez pleins
d'affection les uns pour les autres, vous prévenant d'honneur les uns les
autres...N'aspirez pas à ce qui est élevé, mais laissez-vous attiré par ce qui
est humble " (Rom. , XII, 10-11, 16). " Que chacun, en toute
humilité, regarde les autres comme au-dessus de soi, chacun ayant égard non à
ses propres intérêts, mais à ceux des autres" (Phil. , II, 3-4). Les âmes
du purgatoire ne sont donc pas des isolées, non seulement parce qu'elles ont
des relations avec les fidèles de l'Eglise de la terre et avec les élus du
ciel, mais aussi parce qu'elles vivent en société, se connaissent entre elles,
s'aiment, s'entre aident comme des soeurs. Enfin, quelle est l'importance de la
dévotion aux âmes du purgatoire ? Une discussion mémorable. On raconte dans les
Annales de l'Ordre de Saint-Dominique la curieuse discussion qu'eurent entre
eux deux frères du même couvent, le premier, Fra Benedetto, offrait toutes ses
prières et tous ses sacrifices pour le soulagement des âmes du purgatoire,
tandis que l'autre, Fra Bertrando, réservait aux pauvres pécheurs toutes ses
richesses spirituelles. Il s'agissait de savoir lequel des deux faisait oeuvre
plus salutaire et plus agréable à Dieu. Fra Bertrando commença par écrire
l'état pitoyable des âmes pécheresses privées de la grâce de Dieu, esclaves de
Satan, exposées à tous les instants à se perdre pour l'éternité. Quoi de plus
pressant que de leur venir en aide ? Et il rappelait, l'Evangile en main, la
bonté miséricordieuse du Coeur de Jésus pour la brebis égarée, sa tendresse pour
l'enfant prodigue, la joie des anges à l'annonce d'un nouveau converti. Quant
aux âmes du purgatoire, disait-il, elles sont sûres de leur salut. Qu'elles
souffrent un peu plus, un peu moins, ce n'est pas une si grave affaire. Il faut
aller au plus pressé. A quoi Fra Benedetto répondit que les pêcheurs n'étaient
pas tant à plaindre, attendu qu'ils sont retenus par les chaînes qu'ils se
forgent eux-mêmes et qu'ils n'ont qu'à dire un mot, à crier vers le ciel un
miserere pour obtenir leur pardon et rentrer en grâce avec Dieu. De deux
mendiants, dont l'un fort et bien portant refuse de gagner sa vie, et l'autre
est malade, perclus de tous ses membres et incapable de tout mouvement, lequel
est le plus digne de pitié ? Par ailleurs, si Jésus aime tant les pécheurs, il
aime bien davantage les saintes âmes du purgatoire qui lui sont unies par la
charité la plus pure, la plus désintéressé, et désirent avec une ardeur
inexprimable, qui est leur grand tourment, de voir la face du Bien-Aimé. Il
paraît que Fra Bertrando ne fut pas convaincu. Quoique Dominicain, il n'était
pas de l'avis de saint Thomas d'Aquin, qui a écrit : "La prière pour les
trépassés est plus agréable aux yeux de Dieu que la prière pour les vivants. Les
morts ont en effet un plus grand besoin de secours par ce seul fait qu'ils ne
peuvent s'aider eux-mêmes, comme le font les vivants. " Les deux jouteurs
se couchèrent donc chacun sur leur position. Mais la légende ajoute que, durant
son sommeil, Fra Bertrando eut une céleste vision qui lui découvrit que Fra
Benedetto avait raison. Il se rallia désormais à la pratique de son confrère. Sans
doute le mesager céleste dut lui révéler les secrets de la Communion des Saints
et lui montrer comment, en faisant du bien aux âmes du purgatoire, il pouvait
atteindre en même temps les pauvres pécheurs avec un pouvoir d'intercession décuplé
et comment lui-même ferait, par ce divin commerce, centuple pour le ciel. Pour
terminer ce chapitre, nous emprunterons à un théologien tout à fait
contemporain, Mgr Chollet, archevêque de Cambrai, la page suivante :
Rappelons-nous les émotions qui étreignent notre âme aux jours des grands
naufrages et les joies qui la dilatent quand nous apprenons que les passagers
sont tous sauvés. Imaginons-nous surtout le bonheur qui inonde tout l'être du
naufragé quand, après un dernier effort et une brasse suprême, il a enfin
touché la rive. Depuis des heures il était sur le pauvre navire dont l'épave
s'était engagée entre les brisants. La mer en furie s'agitait dans de
perpétuelles tentatives pour saisir la proie et pour l'engloutir ! Les vagues,
pressées comme une charge monstre de la cavalerie de la mort, accouraient
colossales, se brisaient sur les flans du vaisseau, balayaient le pont,
hurlaient le chant du désastre, et des craquements lugubres retentissaient du
haut des mâts au fond de la cale. A cette attaque brutale, tumultueuse de la
mer s'en joignait une autre plus sourde, plus traîtresse et plus dangereuse à
la fois: des fissures s'élargissaient dans les parois du navire ; des voies
d'eau se déclaraient ; la mer envahissait, remplissait les étages inférieurs,
appesantissait sa victime, et le moment approchait où ce qui n'aurait pas été
brisé par l'ouragan et par les vagues serait noyé par cette inondation et
sombrerait pour toujours. Et les passagers épouvantés, l'équipage héroïque
tentaient des efforts surhumains pour gagner la terre, que quelques centaines
de mètres séparaient à peine. Les barques de sauvetage coulaient ou se
brisaient les amarres lancées n'arrivaient pas. Enfin un va-et-vient avait pu
être établi et, porté par une ceinture de sauvetage, soutenu par la corde, le
malheureux passager, tiraillé par les flots, abandonné par ses forces
défaillantes, avait accompli lentement, douloureusement, mais enfin avec
succès, le voyage du navire à la terre. Qu'on juge de sa joie quand il arrive,
quand il tombe dans les bras des courageux sauveteurs de la rive, sur la
poitrine peut-être de parents, d'amis accourus à la nouvelle du danger ; quand,
se retournant, il voit toujours là le vaisseau en perdition, la mer en fureur,
et qu'il se dit que c'est bien vrai qu'il a échappé à la mort ; que les flots
ont beau se cabrer : ils ne peuvent plus rien contre lui. Sauvé ! Qui dira
jamais ce qu'il y a de félicité dans ce mot ? Hé bien ! c'est le mot, c'est le
refrain du purgatoire. Sauvé ! On y est sauvé ! On était un passager de ce
monde ; on en a parcouru l'océan ; on y a rencontré des tempêtes. On y a été
assailli par les vagues, par les entreprises des mauvais conseils, des exemples
pervers, des sollicitations impures ou impies. La maladie ouvrait dans les
flancs de l'être humain des brèches par où la vie s'en allait et la mort
accomplissait son oeuvre lente et sûre. Arriverait-on au port ; serait-on sauvé
ou périrait-on misérablement dans le gouffre infernal : c'était la question
posée si pleine d'angoisse jadis, heureusement résolue aujourd'hui. Comme le
naufragé qui, de la rive, voit plus nettement encore la grandeur et l'imminence
du péril auquel il a échappé, l'âme du purgatoire saisit plus vivement
l'horreur du danger et la fragilité du fil qui l'a empêchée d'y tomber. Ce qui
causait ce danger est toujours là : la vie avec ses agitations et ses
incertitudes, l'enfer avec ses rages ; mais on est sur la rive hors de la vie
terrestre, hors d'attente de l'enfer. Sauvé ! on est sauvé ! Quel bonheur,
quelle émotion poignante et douce à la fois. Les mystiques se sont senti en
général très attirés par le mystère si touchant des âmes du purgatoire. Ce sont
des âmes qui aiment Dieu et que Dieu aime, car il les a rachetées de son Sang
infiniment précieux et il désire les recevoir en paradis. Ce sont des âmes qui
ne peuvent rien pour s'aider elles-mêmes, mais que l'Eglise nous apprend avec
force, autorité et certitude que nous pouvons aider par nos prières, nos
suffrages de toute nature, et spécialement par l'oblation du sacrifice
eucharistique. Il était inévitable que les hautes âmes, attentives aux oeuvres
de l’amour, soit de l'amour envers Dieu, soit de l'amour envers le prochain
dans la détresse et le besoin, se portent avec prédilection vers les âmes du
purgatoire, et qu'elles reçoivent, à cette occasion, des indications ou
inspirations privées que nous avons profit à recueillir, sans être tenus
pourtant à y ajouter foi autrement que dans la mesure où nous les trouvons
conformes aux enseignements de l'Eglise et aux vraisemblances découlant de ces
enseignements mêmes. Ce que nous en dirons ici est donc placé sous le sceau
d'une certaine réserve : nous y chercherons de quoi alimenter notre piété, de
quoi animer notre charité pour les âmes souffrantes du purgatoire, de quoi nous
exciter à tout faire pour éviter un trop long séjour dans ce lieu de
purification. Il a été question plus haut, avec Mgr Gay, de l'acte héroïque. Si
nous en croyons un biographe de sainte Gertrude, qui vivait au XIIIe siècle en
Saxe, et qui mourut en l'an 1302, cette grande mystique aurait eu déjà l'inspiration
de faire un tel acte, sans avoir d'exemple antérieur pour la guider. L'acte héroïque
chez Sainte Gertrude. Sainte Gertrude, poussée par son amour pour les âmes
souffrantes du purgatoire, leur abandonna toute la partie satisfactoire de ses
bonnes oeuvres. Elle ne parait pas avoir songé à renoncer aux suffrages qu'on
pourrait offrir pour elle après sa mort. Il est vraisemblable que si elle y
avait pensé, elle n'aurait pas hésité à pousser le sacrifice jusque là, car
cette âme, toute embrasée du divin amour, se portait naturellement vers tout ce
qu'elle savait être agréable à Jésus, et l'héroïsme n'était pas fait pour
l'effrayer. Elle avait bien conscience cependant que la renonciation qu'elle
avait faite au profit des âmes n'était pas un jeu et qu'elle s'exposait aux
exigences de la divine justice pour ses propres fautes. On raconte qu'un jour
pour une Soeur défunte, elle voulut renouveler au profit de cette âme la totale
donation de ses satisfactions déjà consentie depuis longtemps. Soudain envahie
et comme accablée par le sentiment de ses propres besoins, elle se tourna vers
Jésus et lui dit : " Je compte, Seigneur, que votre infinie miséricorde
regardera plus souvent votre servante entièrement dépouillée de ses mérites et
devenue pareille à une mendiante. Que pourrais-je faire, répondit le Seigneur,
pour celle que la charité priva de ses trésors, sinon l'envelopper de ma
tendresse ainsi que d'un manteau, et travailler plus diligemment avec elle,
afin de regagner ce que l'amour la pressa de donner ? En vain vous
travailleriez avec moi, Seigneur bien-aimé, objecta-t-elle. Toujours il me
faudra vous arriver nue et les mains vides, puisque j'ai cédé non seulement ce
que j'ai acquis, mais ce que je puis acquérir. " Le Sauveur repartit :
" Une mère qui verrait ses enfants chaudement vêtus se contenterait de les
asseoir près d'elle tandis qu'elle presserait entre ses bras un bébé
grelottant, et pour le réchauffer, le couvrirait de ses propres habits. Possèdes-tu
moins que d'autres, si je te place maintenant tout proche de l'océan des grâces
? Envierais-tu ceux qui reposent sur la berge d'un ruisselet ?" Consolée
par les divines paroles la sainte comprit sans peine leur sens caché : les
personnes immobiles auprès du mince filet d'eau désignaient les âmes dont la
prévoyance jalouse conserve, en vue de l'avenir, le bénéfice des bonnes oeuvres.
Notre Seigneur, lui, désireux de récompenser le charitable renoncement de son
épouse, épuiserait, afin de l'enrichir, l'abîme de ses richesses. Comment la
charité profite aux âmes du purgatoire. Gertrude priait pour un Frère défunt
qui avait toujours été très dévoué à la congrégation ; le Seigneur lui dit :
"J'ai déjà, à cause des prières de la congrégation, récompensé son
dévouement en trois choses : sa bienveillance naturelle lui donnait déjà une
grande joie intime de pouvoir rendre service à quelqu'un ; or, toutes ces joies
qu'il éprouvait, après chaque service nouveau, sont aujourd'hui réunies
ensemble et il les ressent toutes à la fois dans son âme. Il possède encore la
joie de tous les coeurs qu'il a réjouis de ses bienfaits : ceux des pauvres par
une aumône, ceux des enfants par des présents, ceux des malades par un fruit ou
quelque autre soulagement. Enfin il a de plus la joie de savoir que toutes ces
actions m'étaient agréables et, s'il faut encore quelque chose pour que son
soulagement soit parfait, cela ne lui manquera pas longtemps. Il y a dans ce passage
un trait de psychologie de l'au-delà que nous ne devons pas négliger, car il
est d'une extrême importance : c'est celui où l'on nous apprend qu'au
purgatoire l'âme ressent les joies de ses bonnes actions toutes ensemble. Ici-bas,
en effet, nos actions sont échelonnées sur toute la ligne du temps de notre
existence. La mémoire peut bien en rappeler le souvenir, mais ce rappel ne se
fait que selon des lois strictement limitées, pour éclairer, fortifier, par
l'expérience du passé, l'acte présent, il est rare que l'on puisse revivre le
souvenir pour lui-même, sans aucune référence au présent. Même lorsque cela se
produit, on ne revit qu'un souvenir à la fois, et cette reviviscence est
généralement faible et imparfaite. A la mort, au contraire, l'âme reprend son
mode d'être intégral à elle. Le cerveau n'est plus là pour limiter étroitement
en elle la possession totale d'elle-même, de tout son passé comme de son
présent. En un mot, nos richesses d'âme, au lieu d'être dispersées sur le
parcours des années, sont réunies ensemble ; elles forment un seul trésor, qui
est acquit, notre bien, l'ensemble de nos mérites et de nos droits au bonheur
divin. Il va sans dire, du reste, que la même loi se vérifie chez les damnés et
que tous leurs forfaits font bloc pour les tourmenter, les accabler, les
désespérer. Nous passons du successif au simultané. Au lieu que certains
esprits déliés, tels que saint Augustin, ont pu entreprendre de démontrer que
la vie présente est sans consistance parce que le présent nous échappe sans
cesse, que le passé n'est plus et que l'avenir n'est pas encore, en sorte que
nous n'avons jamais rien entre les mains, pour ainsi dire, puisque tout nous
fuit à mesure que nous cherchons à l'étreindre ; au lieu de cela, disons-nous,
au purgatoire, comme au ciel et en enfer, il n'y a plus de passé, plus
d'avenir, mais seulement un présent où notre tout, en bien comme en mal, est
entre nos mains. Le purgatoire, toutefois, en raison de son caractère passager,
offre encore une ombre de ce successif que nous avons connu il faisait dire par
l'Ange à l'Ame, que, sur la terre, nous mesurons le temps par le cours des
astres, mais qu'une fois hors de cette vie, cette sorte de temps n'existe plus
pour les âmes, mais seulement une chronologie tout interne, provenant de la
succession des actes personnels, mais n'ajoutant rien au total des richesses ou
des dettes de l'esprit désincarné. Il y avait donc, dans les révélations faites
à sainte Gertrude, une idée extrêmement profonde, ce qui est bien fait pour
nous donner confiance en ses pieuses intuitions. Nous continuerons donc de
l'interroger, au sujet du purgatoire : Sentiment d'indignité temporaire chez
les âmes du purgatoire. Sainte Gertrude eut un jour une révélation. Elle vit en
esprit l'âme d'une religieuse qui avait passé sa vie dans l'exercice des plus
hautes vertus. Elle se tenait en présence de Notre Seigneur, revêtue des
ornements de la charité ; mais elle n'osait lever les yeux pour le regarder. Elle
les tenait baissés, comme si elle eût été honteuse de se trouver en sa
présence, et témoignait par ses gestes le désir qu'elle ressentait de
s'éloigner de lui. Gertrude, étonnée d'une telle conduite, osa s'adresser à
Jésus pour en savoir la cause : " Dieu de bonté, dit-elle, pourquoi ne
recevez-vous pas cette âme dans le sein de votre infinie charité ? Que
signifient ces étranges mouvements de défiance que je remarque en elle ?"
Alors Notre Seigneur étendit son bras droit vers l'âme de la religieuse pour
l'attirer à lui ; mais elle, avec un sentiment de profonde humilité et de
grande modestie, se retira de lui. La sainte, en proie à un étonnement toujours
croissant, lui demanda pourquoi elle fuyait les caresses d'un époux si digne
d'être aimé ; et la religieuse lui répondit : "Parce que je ne suis pas
entièrement purifiée des taches que mes péchés ont laissés après eux ; et même
si mon Dieu me permettait d'entrer librement dans le ciel dans l'état où je
suis, je ne l'accepterais pas ; car si brillante que je ne puisse paraître à
vos yeux, je sais que je ne suis pas encore une épouse digne du Seigneur. "
Sortes de fautes punies au purgatoire. Sainte Gertrude priait pour Frère
Hermann, convers, récemment décédé. Cette âme lui ayant été montrée :"Pour
quelle faute, lui demanda-t-elle, souffrez-vous davantage ? -Pour ma volonté
propre : même lorsque je faisais du bien, j'aimais mieux en faire à ma tête que
de suivre l'avis des autres. J'en souffre maintenant une si grande peine que,
si l'on réunissait toutes les peines qui accablent le coeur de tous les hommes,
elles n'arriveraient à rien de pareil à ce que je souffre. " Comme
Gertrude récitait pour lui l'Oraison dominicale, quand elle prononça ces
paroles : " Pardonnez-nous nos péchés comme nous pardonnons", cette
âme prit un air plein d'anxiété et lui dit : "Lorsque j'étais dans le
monde, j'ai beaucoup péché pour n'avoir pas facilement pardonné à ceux qui
avaient agi contre moi ; pendant longtemps, je gardais mon sérieux avec eux et,
pour expiation, je souffre, lorsque j'entends ces paroles, une honte
intolérable et pleine d'anxiété. " Comme on offrait pour cette âme le
saint Sacrifice, elle parut en être merveilleusement réjouie et glorifiée. Ce
que voyant Gertrude, elle demanda au Seigneur : " Cette âme a-t-elle
acquitté maintenant tout ce qu'elle devait souffrir ?" Le Seigneur
répondit : " Elle en a plus acquitté que toi ou quelqu'un des hommes ne
pourrait le penser, cependant elle n'est pas tellement purifiée qu'elle puisse
être admise à jouir de ma présence. Mais sa consolation et son soulagement vont
toujours croissant à mesure que l'on prie pour elle. Cependant vos prières ne
peuvent la secourir aussi dans le monde cette faute de se montrer dure et
inexorable et de ne pas fléchir sa volonté au gré de la volonté des autres, ne
voulant pas accorder ce qu'elle n'avait pas dans sa volonté. " On a vu que
les prières de l'Eglise sont bienfaisantes pour les défunts. C'est un point sur
lequel la tradition s'est prononcée avec le plus de force et d'unanimité. Mais
saint Augustin a bien précisé que les prières sont utiles à ceux qui ont vécu
ici-bas de telle sorte qu'elles puissent leur servir. On pourrait être tenté de
croire que par là il n'exclut que les damnés. Sainte Gertrude va nous dire
cependant que, même au purgatoire, certaines âmes peuvent être, pour un temps,
privées du bénéfice des suffrages de l'Eglise. Précisons de nouveau que
l'Eglise, en canonisant un saint ou une sainte, ne consacre pas pour autant ses
" révélations privées". Ces révélations n'en gardent pas moins,
parfois, un vif intérêts pour tous. Privation au purgatoire du bienfait des
suffrages de l'Eglise. Sainte Gertrude apprit du Seigneur que quand une âme
meurt après avoir commis certaines fautes nombreuses et très graves, elle ne
peut pas être aidée par les suffrages communs de l'Eglise : il faut qu'après un
certain temps de purgatoire elle dépose ce fardeau de péché qui faisait
obstacle à ces suffrages de l'Eglise, que les âmes souffrantes reçoivent, à
chaque instant, comme une rosée salutaire ou un baume plein de suavité ou comme
le plus rafraîchissant breuvage. La sainte obtenu du Seigneur qu'une âme qu'on
lui recommandait et qui était dans cette condition fût délivrée de ce terrible
obstacle. Elle lui demanda par quels travaux et quelles prières on peut obtenir
cette grâce pour les âmes si malheureuses. Le Seigneur répondit : "Tu ne
peux faire aucun travail ni aucune prière qui puisse apporter à une âme un si
puissant secours, parce que cela ne peut s'obtenir tout à coup que par une
affection d'amour semblable à celle que tu viens d'éprouver tout à l'heure. Or,
c'est là une faveur qu'on ne peut avoir, à moins que je ne la donne. De même un
tel secours ne peut être accordé à une âme après la mort, à moins que par une
grâce spéciale elle ne l'ait mérité en cette vie. Mais sache qu'une telle peine
peut être soulagée à la longue par les prières ou les travaux accomplis avec fidélité
par les amis de cette âme. Ce temps est donc plus ou moins long, selon que ses
amis y mettent pour elle plus de dévotion et plus d'amour, et aussi selon
qu'elle l'a mérité durant sa vie. " Il est intéressant de noter, avec le R.
P. Saudreau, que sainte Véronique Giuliani (1660-1727), cette grande mystique
qu'on a pu surnommer " l'époque du Crucifié" Sposa del Crocifisso ,
parle également des âmes qu'elle appelle les oubliées -anime scordate-auxquelles
le Seigneur, pour un temps, n'applique pas les prières que chaque jour l'Eglise
fait indistinctement pour tous les trépassés, ni celles que font pour elles
parents et amis. Pourquoi nous devons prier les âmes du purgatoire. Afin
d'exciter le zèle de Gertrude en faveur des âmes du purgatoire, le Seigneur lui
dit : "Suppose un roi plus grands amis, qu'il remettrait volontiers en
liberté si la justice ne l'en empêchait ; poussé par le désir de leur
délivrance, et, voyant que d'eux-mêmes ils ne peuvent y contribuer, ce roi
accepterait avec joie que quelqu'un payât, en or ou en argent, ou d'une autre
manière, ce qui serait nécessaire à l'acquittement de leur dette. De même,
j'accepte tout ce qui m'est offert pour la délivrance des âmes que j'ai rachetées
de mon sang précieux ; j'ai alors une occasion de les délivrer de leurs peines
et de les conduire aux joies qui leur sont préparées de toute éternité. "
Gertrude : " Combien vous est agréable la peine que se donnent ceux qui
s'acquittent du Psautier en usage dans notre congrégation ? " Il répondit
: " Elle m'est aussi agréable que si, de leur argent, ils me rachetaient
moi-même de la captivité : chaque fois qu'une âme est délivrée par leurs
prières. Et très certainement je leur rendrai cela en temps opportun, dans la
mesure que comporte la toute-puissante de ma libérale bonté. "
Il me semble que nous entendions ici un écho de la parole
du Christ dans l'Evangile : " J'étais en prison et vous m'avez visité
!" Même sujet Dans la nuit de Pâques, Gertrude demandait au Seigneur de
délivrer du Purgatoire les âmes de ceux qui l'avaient aimé ici-bas d'un amour
très fidèle, et, pour l'obtenir, elle faisait cette offrande au Seigneur :
" Je vous offre, en union de votre très innocente Passion, tout ce que mon
coeur et mon corps ont souffert dans les continuelles infirmités. " Alors
le Seigneur lui fit voir la multitude d'âmes qui venaient d'être délivrées de
leurs peines et lui dit : " Je les donne toutes en dot à ton amour et l'on
verra éternellement dans le ciel qu'elles ont été délivrées par tes prières, et
ce sera pour toi un éternel honneur en face de tous mes saints. "
Contemporaine de sainte Gertrude, sainte Marguerite de Cortone (1247-1297) eut
une vie bien différente d'elle. Après des années de désordres, elle se
convertit et devint l'une des plus éminentes pénitentes de l'histoire
chrétienne. Favorisée, elle aussi, de visions extraordinaires, elle nous
fournit, sur le purgatoire, les indications que voici : Longueur et variété des
peines au purgatoire Notre Seigneur apprit à Marguerite de Cortone que son père
et sa mère étaient sortis du lieu d'expiation : " Réjouis-toi, ma fille, à
l'occasion de la délivrance de ta mère : elle est restée dix ans dans le
purgatoire, maintenant elle est dans la gloire du paradis..." " Je
t'annonce que ton père, pour lequel tu m'as prié avec tant d'instance, est
sorti du purgatoire. N'aie pas d'inquiétude par rapport à sa vie passée que tu
connais, car les peines du purgatoire sont de différentes sortes et il a
souffert lui, les plus afflictives, parce que je voulais le délivrer plus tôt
en le purifiant plus terriblement. " " Quant aux trois défunts pour
lesquels tu m'as prié avec instance, je te dirai qu'ils ne sont pas damnés,
contrairement à l'opinion de ceux qui les jugent ; cependant, ils endurent des
supplices si affreux que s'ils n'étaient pas visités par mes anges ils se
croiraient damnés, tant ils se trouvent rapprochés de ceux qui le sont. C'est
pourquoi leurs héritiers devraient célébrer un grand anniversaire en contribuant
largement à la construction du nouvel oratoire du bienheureux François, afin
que les larmes qu'on y viendra répandre adoucissent les peines qu'ils ont
encourues par l'injustice de leur commerce. Pour ce péché, ma justice exigerait
qu'ils les subissent jusqu'à la fin du monde ; cependant en faveur de tes
prières, ils n'y resteront que vingt ans. Ce temps achevé, ma mère les
délivrera et les introduira dans la gloire éternelle. " Ne laissons pas
perdre l'indication qui termine ce passage : il nous apprend que la Sainte
Vierge a une prédilection pour les âmes du purgatoire. Et comme nous savons,
d'autre part, que toutes les grâces passent par celle qui fut la Mère de
Jésus-Christ, source de toute grâce, en sorte qu'elle est notre Médiatrice
universelle, sous les ordres de son divin Fils, nous aimerons à recueillir dans
la dévotion du XIVe siècle ce chant à la Vierge, parvenu jusqu'à nous : Prière
pour les âmes du purgatoire (Languentibus) A ceux qui languissent au
purgatoire, Qui sont purifiés dans une flamme excessive Et tourmentés par un
redoutable supplice, Que votre compassion vienne en aide, O Marie ! Vous êtes
la source ouverte pour effacer les fautes, Vous secourez tout le monde et ne
repoussez personne, Etendez votre main sur les infortunés Qui languissent en
des peines sans trêve, O Marie ! Vers vous, ô Mère, soupirent les défunts
Désireux d'être arrachés aux tourments, Et d'être en votre douce présence, Et
de jouir des joies éternelles, O Marie ! Loi des justes, règle des croyants,
Vrai salut de ceux qui espèrent en vous, Pour les défunts employez-vous A prier
votre Fils sans relâche, O Marie ! O Bénie, par vos mérites, Nous vous en
prions, relevez les morts, Et leur remettant leurs dettes Soyez leur voie vers
le repos, O Marie ! Clé de David qui ouvrez le ciel, De votre bonheur, secourez
les malheureux Qui sont tourmentés amèrement : Tirez-les de leur prison, O
Marie ! Et quand se fera le débat serré, Au redoutable jugement de Dieu, Alors
aussi implorez votre Fils, Pour que nous ayons part avec les saints, O Marie !
Puisque nous sommes au XIVe siècle, nous interrogerons sainte Brigitte de Suède
au sujet du purgatoire. Dans son ouvrage sur Les divines paroles, le P. P. Saudreau
cite d'elle les deux traits suivants : Le purgatoire de désir Sainte Brigitte
priait un vieillard, prêtre ermite d'une grande vertu, dont le corps déjà à
l'église attendait la sépulture. La Sainte Vierge lui apparut et lui dit :
" Sache, ma fille, que l'âme de cet ermite, mon ami, serait entrée dans le
ciel aussitôt après son décès si en mourant elle eût un parfait désir de voir
et de posséder Dieu. C'est ce qui fait qu'il est maintenant détenu en ce
purgatoire de désir, où il n'a d'autre peine que le désir de parvenir à Dieu,
mais avant que son corps soit dans le tombeau, son âme sera dans la gloire. "
L'ange et le démon auprès de l'âme en purgatoire Sainte Brigitte vit un roi qui
était dans le purgatoire ; à sa gauche se tenait un démon et à sa droite un
ange. La voix du Juge se fit entendre, qui disait : " Toi, ô démon, tu ne
peux voir cette âme à cause de son éclat, et toi, ô ange, tu ne peux la toucher
à cause de son impureté. Le jugement veut que toi, démon, tu la purifies, et
que toi, ange, tu la consoles, jusqu'à ce qu'elle soit arrivée à la gloire
éternelle. Et toi, âme, il t'est permis de regarder l'ange et de prendre
consolation de lui. Tu participeras au Sang de Jésus-Christ, aux prières de sa
Mère et de l'Eglise. " Et la sainte vit le démon torturer horriblement
cette âme et lui reprocher ses péchés, mais l'âme élevait les yeux vers l'ange,
ne disant rien, mais marquant par son attitude qu'elle était consolée par lui
et que bientôt elle serait délivrée de ses peines. Sainte Brigitte eut une
continuatrice en sainte Catherine de Sienne (1347-1380). Dans un de ses Dialogues
(IV, 14), nous trouvons le passage suivant : Ma sagesse est partout, et si tu
regardes en purgatoire tu la retrouveras encore, toujours ineffable et douce à
l'égard de ces pauvres âmes qui, par ignorance, n'ont pas su tirer profit du
temps et qui, séparés du corps, ne sont plus en état de pouvoir mériter. Aussi
est-ce par vous que j'ai pourvu à leur situation, vous à qui le temps est
encore donné tant que vous êtes dans cette vie mortelle et qui pouvez
l'employer pour elles. Et voici ce qui lui arriva, selon Joannès Joergensen, à
la mort de son père : Catherine offre de souffrir pour son père Lorsque la
sainte perdit son père, nous dit son biographe, Catherine, agenouillée auprès
de la couche funèbre, supplia le Seigneur de permettre que l'âme de son père,
un chrétien exemplaire, échappant aux tourments du purgatoire allât droit au
ciel : " Et s'il n'en peut être autrement, ô mon Dieu, s'écrie-t-elle,
envoie-moi les souffrances que devrait endurer mon père ; je les supporterai
pour lui !" Giacomo mourut ainsi, encouragé par le regard et le sourire de
sa fille bien-aimée, et, à l'instant même où il rendit l'esprit, Catherine
ressentit au côté une douleur à la fois pénible et douce qui ne lui laissa
jamais de répit. Alors elle comprit que sa prière avait été exaucée, et tandis
que tous les autres sanglotaient, une joie immense l'envahit ; elle-même déposa
dans le cercueil le corps de son père, et, penchée sur son pâle et maigre
visage à la barbe dure, elle murmura : " Que ne suis-je où tu es maintenant
! ". Sainte Catherine affirme, elle aussi, comme sainte Brigitte, que les
démons sont chargés de faire souffrir les âmes du purgatoire comme les damnés
de l'enfer : voici ce qu'elle dit à ce sujet : Moi, vérité éternelle, j'ai
constitué les démons mes instruments, pour exercer mes serviteurs dans la
vertu, en même temps que mes justiciers à l'égard de ceux qui, par leur faute,
vont à l'éternelle damnation, et vis-à-vis de ceux aussi qui passent par les
peines du purgatoire. C'est par eux que je manifeste ma justice envers les
damnés et envers les âmes du purgatoire. Ce feu du purgatoire, au surplus, peut
provenir de l'âme elle-même. " Je ferai sortir du milieu de toi le feu qui
dévorera tes entrailles. Je ne l'enverrai pas de loin contre toi, il prendra
dans ta conscience et ses flammes s'élanceront du milieu de toi et ce seront
tes péchés qui le produiront. " Née en 1447, Catherine de Gênes, de la
noble famille des Fieschi, était originaire de la ville dont elle porte le nom.
Mariée mais peu heureuse en mariage, elle se tourna tout entière vers Dieu,
obtint la conversion de son mari et le prépara à la mort. Elle fut une très
haute mystique, et mourut le 15 septembre 1510. Elle a laissé des écrits où il
est malaisé de distinguer sa part et celle de son directeur et biographe, Dom
Catttaneo Marabotto, et d'Hector Vernazza. Ces deux personnages publièrent en
1551, donc quarante ans après sa mort, le livre de l'admirable vie et de la
sainte doctrine de la bienheureuse Catherine de Gênes. A la suite de sa vie, on
y voyait le célèbre Traité du purgatoire. C'était une des idées essentielles de
la sainte que l'amour purificateur, luttent en nous contre la chair, dans
l'effort vers la sainteté, produit des tourments analogues à ceux que souffrent
les âmes du purgatoire. Il est probable que c'est par cette voie, et pour
illustrer la lutte ici-bas de l'esprit et de la chair, qu'elle fut amenée à
composer ou à dicter son Traité du purgatoire, dont l'attribution toutefois
reste difficile dans le détail. Ce Traité, cependant, constamment attribué à la
sainte, a exercé une durable et profonde influence. Nous en donnerons ici
quelques extraits : Etat des âmes au purgatoire Les âmes qui sont en purgatoire
ne peuvent vouloir ni désirer autre chose que d'y demeurer paisiblement parce
qu'elles savent qu'elles y sont par ordre très équitable de la justice de Dieu.
Il est impossible, dans cet état, de faire aucun retour sur elles-mêmes, comme
de dire : " J'ai fait tel ou tel péché pour lequel je souffre maintenant
ici : je voudrais ne l'avoir pas commis parce que je jouirais à présent des
délices du paradis. " Elles ne peuvent non plus dire : " Celui-ci
sortira d'ici avant moi, ou : j'en sortirai plus tôt que lui. " Elles sont
tellement abîmées en Dieu qu'elles ne peuvent ni en bien ni en mal former la
moindre pensée d'elles-mêmes ou des autres qui puissent ajouter à leur tourment.
Elles ne s'occupent qu'à considérer avec quelle bonté Dieu se conduit envers
les hommes pour les attirer à lui. Elles ne peuvent ni vouloir ni désirer autre
chose que l'accomplissement de la volonté de Dieu, qui est lui-même cette pure
charité de laquelle elles ne peuvent s'éloigner (chap. I). Les peines du
purgatoire Les âmes endurent dans ces lieux des tourments si grands et si
terribles qu'il n'y a ni langue pour les exprimer ni entendement pour en concevoir
la moindre étincelle. Il faut que Dieu, par une faveur particulière, les fasse
comprendre à une âme, comme il a plu à son extrême bonté de le faire à la
mienne. J'avoue aussi que cette vue qu'il a plu à Dieu de m'en donner ne m'est
jamais sortie de l'esprit. J'en ai toujours conservé la mémoire présente à mes
yeux, et si je puis bien en dire ici quelque chose, cependant personne ne
comprendra parfaitement, que celui à qui Dieu daignera faire la même grâce
qu'il m'a faite (chap. II). Privation de la vue de Dieu L'âme est tellement
embrasée du désir qu'elle a de posséder Dieu et d'être transformée en lui, que
c'est en cela que consiste son principal tourment en purgatoire. Elle ne
considère pas toutes ces pensées ni toutes ces flammes qui l'environnent : ce
qui la tourmente et qui la brûle davantage, c'est cette ardeur violente qu'elle
a de jouir de Dieu sans pouvoir le satisfaire. Il est incroyable qu'elle est la
conformité de Dieu avec l'âme. Elle est telle que lorsque Dieu voit cette âme
retourner à la pureté dans laquelle il l'a créée, il lui lance les rayons de
son amour, de façon que cette âme est tellement transformée en Dieu qu'elle se
voit n'être qu'une même chose avec lui. Et il continue toujours de l'attirer et
de l'embraser du feu de son amour, jusqu'à ce qu'il l'ait rétablit dans sa
première pureté. L'âme, de son côté, se sentant si intimement attiré par son
Dieu, est toute pénétrée d'amour et se fond dans l'ardeur de ce feu divin. Et
comme elle ne peut suivre cet attrait de Dieu, dont le moindre retard lui est
si pénible, et que son instinct naturel et l'ardent désir qu'elle a d'aller à
lui se trouvent empêchés, elle sent alors une peine qui est proprement la peine
du purgatoire (chap. II). On ne reprochera pas, certes, à une si belle et si
haute doctrine de ramper à terre. C'est au contraire dans les plus hautes
sphères et les plus profondes expériences de la vie spirituelle que Catherine
puise sa doctrine du purgatoire. C'est aussi, sous l'angle spirituel,
assurément, qu'il faut comprendre ce passage redoutable : Purgatoire et Enfer Quelle
grande chose que ce purgatoire ! Pour moi, je l'avoue, je ne puis rien dire ni
rien concevoir qui en approche. J'entrevois seulement que les peines qu'on y
endure sont aussi sensibles que les peines de l'enfer (chap. VIII). Mais la
sainte insiste plus volontiers encore sur les "joies du purgatoire". Suivons-la
: Les joies du purgatoire Je ne crois pas qu'après la félicité des saints du
paradis il puisse exister une joie comparable à celle des âmes du purgatoire. Une
incessante communication de Dieu rend de jour en jour leur joie plus vive, et
cette communication devient de plus en plus intime, à mesure qu'elle consume
dans ces âmes l'obstacle qu'elle y trouve. Cet obstacle n'est pas autre chose
que la rouille ou les restes du feu. Comme le feu du purgatoire va sans cesse
le consumant, l'âme s'ouvre de plus en plus à la communication de Dieu. J'explique
ma pensée par une comparaison : exposez au soleil un cristal couvert d'un épais
voile, il ne peut recevoir les rayons ; la faute n'en est point au soleil qui
ne cesse de briller, mais au voile qui intercepte ses rayons. Que cette
couverture vienne peu à peu à se consumer, le cristal successivement découvert
recevra de plus en plus les rayons du soleil, et, quand l'obstacle aura
entièrement disparu, le cristal sera tout entier pénétré par le soleil. Ainsi
en est-il des âmes du purgatoire. La rouille du péché est le voile qui
intercepte pour elles les rayons du vrai soleil, qui est Dieu. Le feu va
consumant de jour en jour cette rouille, et, à mesure qu'elle est consumé, les
âmes réfléchissent de plus en plus la lumière de leur vivant soleil. Leur joie
augmente à mesure que la rouille diminue et qu'elles sont plus exposées aux divins
rayons. Ainsi l'un va toujours en augmentant et l'autre en diminuant, jusqu'à
ce que le temps de l'épreuve soit accompli. Qu'on ne croie pas cependant que la
peine diminue : ce qui diminue c'est uniquement le temps de sa durée. Mais dans
l'intime de leur volonté, ces âmes ne pourraient jamais se résoudre à dire que
ces peines sont des peines, tant elles sont heureuses de la disposition de Dieu
à laquelle leur volonté est unie par le lien de la pure charité (chap. II). Ce
sujet des "joies du purgatoire" tient tant au coeur de la sainte
qu'elle y revient à plusieurs reprises. Citons encore cette page du chapitre X
de son Traité du purgatoire : Tu vois encore que ce Dieu d'amour, ce Dieu
infiniment aimant, lance à l'âme certains rayons, certains éclairs embrasés qui
sont si pénétrants qu"ils anéantiraient non seulement le corps, mais l'âme
même, si c'était possible (ici-bas). Ces rayons et ces éclairs, dardés par
l'amour infini de Dieu, produisent deux effets : ils purifient et ils
anéantissent. Voyez l'or, plus il reste au creuset, plus il se purifie ; et on
peut le purifier de telle sorte que tout ce qu'il a d'impur et d'étranger se
trouve anéanti. L'amour de Dieu fait dans l'âme ce que fait le feu dans les
choses matérielles : plus elle reste dans ce divin brasier, plus elle se
purifie. Ce brasier, la purifiant toujours davantage, finit par anéantir en
elle tout ce qu'elle a d'imperfections et de taches et la laisse en Dieu
entièrement purifiée. Lorsque l'or a passé par le feu et qu'il a acquis le
dernier degré de pureté qu'on puisse lui donner, il ne se consume plus et ne
diminue plus jamais, quelque grand que puisse être le feu où on l'affine, parce
qu'il ne se trouve alors aucun mélange de corps impurs et étrangers sur
lesquels le feu puisse agir. Ainsi en est-il de l'âme qui se purifie dans le
feu de l'amour divin. Dieu l'y retient jusqu'à ce que ce feu ait consumé en
elle toute imperfection et lui ait communiqué le degré de perfection qu'il lui
destine de toute éternité. Et quand Dieu, de degré en degré, a enfin élevé
jusqu'à lui cette âme purifiée, elle demeure désormais impassible, parce qu'il
n'y a plus rien en elle que le feu puisse consumer ; et supposé que dans cet
état de pureté parfaite elle fût encore retenue dans le feu, ce feu, loin de
lui être pénible, serait un feu de divin Amour et comme la vie éternelle sans
ombre de souffrances. Il est aisé de saisir, dans un tel morceau, l'idée, et si
on peut dire, la méthode très simple, mais très naturelle et très juste de la
sainte : elle part d'une conception fondamentale : Dieu est Amour. Puis, elle
s'appuie sur l'expérience de cet amour, en tant qu'il agit ici-bas dans les
âmes qu'il veut attirer à lui et embraser de ses divins rayons. La purification
de l'âme doit en effet, normalement, se faire en cette vie. Il n'y a aucune
raison que les choses se passent autrement au purgatoire, qui n'est qu'une annexe
de la terre, où les âmes suppléent à ce qu'elles ont omis de faire ici-bas où
achèvent ce qu'elles y ont seulement commencé. Mais les deux termes en présence
sont les mêmes au purgatoire et sur la terre : Dieu et l'âme. Le but recherché
est le même : l'identification de l'âme à la splendeur du Christ qui l'a
rachetée et qui est le Chef du Corps mystique, dont elle est membre. Sainte
Catherine de Gênes en conclut logiquement que les procédés sont les mêmes et
que la purification de l'âme en purgatoire est tout ensemble une oeuvre de
souffrance intense et de joie indicible ! C'est ce raisonnement sous-jacent qui
donne à la sainte tant d'assurance dans sa description des purifications du
purgatoire. Citons encore d'elle, des pensées détachées allant au même but :
Toujours les joies du purgatoire Les âmes du purgatoire ont une entière
soumission à la volonté de Dieu : elles sont établies dans une telle conformité
à sa justice et à ses ordres que, n'ayant ni choix, ni vue, ni volonté propre,
elles ne choisissent, ne voient et ne veulent que ce qui plaît à Dieu. C'est
pourquoi ces âmes reçoivent avec autant de joie les effets de sa justice que
ceux de sa miséricorde (chap. XIII). Enfin, la sainte déclare nettement qu'elle
puise dans ses propres expériences tout ce qu'elle sait du purgatoire : Voie
purifiante sur cette terre et au purgatoire Ce moyen dont Dieu se sert pour
purifier les âmes qui sont dans le purgatoire est le même que j'éprouve en moi
depuis deux ans, et je le sens tous les jours et le vois clairement de plus en
plus. Mon âme est dans mon corps, comme da ns un purgatoire semblable à celui
que Dieu a ordonné pour les âmes...Le seul retard de la vue et de la possession
de Dieu paraît si pénible aux saintes âmes qu'il se forme en elles, par cela
même, comme un feu qui les dévore. Et nous terminerons ces citations du Traité
de sainte Catherine de Gênes par le passage que voici, tiré du chapitre VI : Pour
comprendre en quelque façon avec quelle ardeur les âmes qui sont dans le
purgatoire désirent de voir Dieu, imaginons qu'il n'y ait dans le monde qu'un
seul pain, et que ce pain ait la vertu d'apaiser par sa seule vue la faim de
toutes les créatures. Si un homme en bonne santé, dévoré par la faim, savait
qu'il n'y a que ce pain qui le puisse rassasier et s'il s'en voyait néanmoins
privé, n'est-il pas vrai que sa faim augmenterait toujours, et lui deviendrait
même d'autant plus intolérable qu'il approcherait de ce pain de plus près sans
pouvoir y toucher ?...Les âmes du purgatoire ont cette faim ardente de se
rassasier de ce pain céleste qui est Dieu même et notre doux Sauveur. De
Catherine de Gênes, passer à sainte Thérèse d'Avila, ce n'est, en quelque sorte,
pas changer d'atmosphère. Dans sa Vie, Thérèse (1515-1582) nous apprend qu'il y
a bien peu d'âmes qui aillent directement au ciel en quittant cette terre :
Petit nombre d'âmes allant tout droit au ciel Sainte Thérèse parle de trois
religieux qui entrèrent au ciel tout de suite après leur mort sans passer par
le purgatoire...Du second, un Carme, elle raconte qu'assistant à la messe,
plongée dans un profond recueillement, elle vit ce Père rendre l'esprit et
monter au ciel sans entrer au purgatoire. J'ai appris depuis, écrit-elle, qu'il
était mort à l'heure même où j'avais eu cette vision. Je fus fort étonnée de ce
qu'il n'avait pas passé par le purgatoire ; mais il me fut dit, qu'ayant été
très fidèle observateur de sa Règle, il avait joui de la grâce accordée à
l'Ordre par des bulles particulières touchant les peines du purgatoire. J'ignore
à quelle fin cela me fut dit. Ce fut sans doute pour me faire comprendre que ce
n'est pas l'habit qui fait le religieux, mais que pour jouir des biens d'un
état aussi parfait, il faut en accomplir fidèlement tous les devoirs...Parmi
tant d'âmes dont le sort m'a été révélée, ajoute la sainte, je n'en ai vu que
trois aller au ciel sans passer par le purgatoire...Et voici le récit détaillé
fait par la sainte du sauvetage d'une âme par le saint Sacrifice de la messe :
Don Bernardin de Mendoza, frère de l'évêque d'Avila, poussé par son amour pour
la Sainte Vierge, offrit à sainte Thérèse une de ses maisons pour la fondation
d'un couvent de Carmélites aux environs de Valladolid. L'offre fut acceptée. Or
il arriva que deux mois après Don Bernardin fut pris d'un malaise subit qui lui
enleva l'usage de la parole. Il ne put se confesser que par signes. Quelques
jours après il expirait dans une localité fort éloignée de l'endroit où se
trouvait alors sainte Thérèse. Le divin Maître, ajoute la sainte, me dit
:" Ma fille, son salut a été en grand danger, mais j'ai eu compassion de
lui, et lui ai fait miséricorde en considérant le service qu'il a rendu à ma
Mère en donnant cette maison pour y établir un monastère de son Ordre. Néanmoins
il ne sortira du purgatoire qu'à la première messe qui sera dite dans ce
nouveau couvent. " A partir de ce jour, poursuit la sainte, les grandes
souffrances de cette âme furent sans cesse présentes à mon esprit ; aussi
malgré tout mon désir de la fondation de Tolède, j'y renonçai pour lors, et
sans perdre un moment je travaillais de tout pouvoir à celle de Valladolid. L'exécution
de mon dessein ne put être aussi prompte que je le souhaitais ; je fus contrainte
de m'arrêter durant quelques jours au monastère de Saint-Joseph d'Avila, dont
j'étais prieure, et ensuite à Saint-Joseph de Medina del Campo, qui se trouvait
sur mon chemin. Dans ce dernier monastère, Notre Seigneur me dit un jour dans
l'oraison :"Hâte-toi, car cette âme souffre beaucoup. " Dès ce jour,
rien ne put me retenir. Quoique dépourvue de bien des choses nécessaires, je me
mis en route et j'arrivai à Valladolid le jour de la fête de saint Laurent. Lorsque
je vis la maison où nous devions habiter, j'éprouvai un sensible déplaisir : si
le jardin était beau et agréable, la maison, située sur le bord de la rivière,
était malsaine et il était impossible de la rendre habitable pour des
religieuses à moins d'y faire de très grandes dépenses. Arrivant fatiguée du
voyage, il fallut aller entendre la messe dans un monastère de notre Ordre
situé à l'entrée de la ville ; c'était si loin que la longueur du chemin
redoubla ma peine. Néanmoins, je n'en témoignai rien à mes compagnes, de peur
de les décourager. Au milieu de ma faiblesse, ce que Notre Seigneur m'avait dit
me soutenait, et ma confiance en lui me faisait espérer qu'il remédierait à
tout. A mon retour, j'envoyai secrètement chercher des ouvriers et, à l'aide de
quelques cloisons que je leur fis élever, j'improvisai des cellules où nous
pouvions être recueillies. Un des deux religieux qui voulait embrasser la
réforme et Julien d'Avila étaient avec nous. Le premier s'informait de notre
manière de vivre ;le second s'occupait d'obtenir par écrit, du prélat, la
permission de fonder ; car à mon arrivée il ne nous avait donné que de bonnes
espérances. Cela ne put se faire de sitôt, et le dimanche étant venu avant que
l'autorisation nous fût accordée, on nous permit seulement de faire dire la
messe dans le lieu destiné à devenir l'église du monastère. Le saint Sacrifice
y fut offert. J'étais en ce moment fort éloignée de songer que la prédiction de
Notre Seigneur touchant ce gentilhomme dût s'accomplir alors ; j'étais au
contraire persuadée que par ces paroles : " à la première messe ", le
divin Maître désignait celle où l'on mettrait le Très Saint-Sacrement dans
notre église. Au moment de la communion, le prêtre s'avança vers nous, tenant
le saint ciboire en main. J'approchai, et à l'instant même où il me donnait la
sainte hostie, ce gentilhomme m'apparut avec un visage tout resplendissant,
l'allégresse peinte sur ses traits et les mains jointes, il me remercia de ce
que j'avais fait le tirer du purgatoire ; et je le vis ensuite monter au ciel. Je
l'avouerai : la première fois que j'entendis de la bouche du divin Maître qu'il
était en voie de salut, j'étais loin d'une si consolante pensée ; je
ressentais, au contraire, une peine très vive ; il me semblait qu'après la vie
qu'il avait menée, il eût fallu un autre genre de mort. Si ses vertus et ses
bonnes oeuvres me rassuraient, je ne laissais pas de craindre, parce qu'il
était engagé dans les choses du monde. Voici néanmoins un fait qui est bien en
sa faveur : il avait dit à mes compagnes qu'il songeait très sérieusement à la
mort. Oh ! qu'un service, quel qu'il soit, rendu à la très Sainte Vierge est
une grande chose ! Qui dira combien Notre Seigneur l'agrée, et combien sa
miséricorde est grande ! Qu'il soit béni et loué de ce qu'il imprime à la bassesse,
au faible mérite de nos bonnes oeuvres, un tel caractère de grandeur, et de ce
qu'il leur réserve pour salaire une vie et une gloire éternelle ! Nous avons
déjà eu l'occasion de nommer sainte Véronique Giuliani. Elle se nommait, dans
le siècle, Orsola Giuliani, et elle était née, le 27 décembre 1660, à
Mercatello, au diocèse d'Urbino. Elle entra chez les Capucines en 1678, et se révéla
bientôt une âme hautement mystique, reçut les stigmates de la Passion en 1697,
et endura les souffrances du Christ d'une façon extraordinaire. On lui donna,
pour cette raison, avons-nous dit, le nom d’"épouse du Crucifié ". Elle
devait mourir, Abbesse des Capucines, à Città di Castello, le 9 juillet 1727. Sur
les injonctions de son directeur, Crivelli, elle avait écrit sa Vie. Voici le
récit de la mort de son père : Prières de Véronique pour son père Avant de
quitter Plaisance, la jeune Orsola, prenant tout son courage, avait dit à son
père : "Maintenant que vous avez le temps, pensez à ce que doit faire un
chrétien, faites une bonne confession. " Pendant que je lui disais cela,
écrit Véronique, il changea de visage et me demanda : " Pourquoi me
dites-vous cela ?" Je répondis : " je me sens inspirée de vous le
dire. " Je savais qu'il y avait longtemps qu'il ne s'était pas confessé. Je
sus qu'il se confessa peu après. Le pauvre Francesco Giuliani retomba ensuite
dans ses faiblesse. "Il me semblait qu'on me disait mystérieusement que
mon père était mort. Je cherchais à me distraire de ces pensées et à me
résigner à la volonté de Dieu. Peu après je vis mon père en songe. Il était
très malade et dans son agonie se recommandait à mes prières. Je m'éveillai,
mais je demeurai sous le coup d'une appréhension telle que j'eus comme la
certitude que tout cela n'était pas un songe. La nuit suivante, je revis encore
mon père : il était mourant, je le vis expirer. Je m'éveillai sous une
poignante impression de douleur et je pleurai beaucoup. Mon coeur était gros de
larmes, j'étais persuadée que je venais d'assister à la mort de mon père. J'avais
reçu cependant, très peu de temps avant, une lettre où il me disait qu'il se portait
bien. Mais après cette dernière nuit, je n'écoutais plus celles qui venaient
pour me persuader que je me trompais et qu'il ne fallait pas croire aux rêves. Je
cherchai à me distraire, mais je ne doutai pas de cette mort. Enfin, la
nouvelle arriva. Il était vraiment mort à l'heure où je l'avais vu expirer. Mon
chagrin fut extrême parce que je craignais pour son âme. Aussi je priai avec
ardeur pour lui. Je vis alors une vision : un endroit horrible et plein
d'épouvante et je compris que l'âme de mon père s'y trouvait. Jamais je ne
pourrais exprimer ma douleur : je craignais que ce ne fût l'enfer ! Je demeurai
longtemps dans cette peine cruelle. Je ne me souviens pas de lui avoir appliqué
des suffrages. Je ne pouvais me mettre à rien, je ne voulais pas davantage dire
la vision que j'avais eue, craignant que ce ne fût une vision diabolique. Mais
cette même vision revint et je vis cette âme torturée d'une façon affreuse. Dans
sa détresse, elle me criait : " C'est à toi d'obtenir cette grâce. "
Je la vis souvent dans cet état et elle me disait qu'elle souffrait encore et
qu'elle savait bien qu'elle était dans un lieu de salut. Je fis beaucoup de
pénitences et de prières pour cette âme et je crus un jour entendre le Seigneur
me dire : " Sois tranquille : pour telle fête, je délivrerai l'âme de ton
père des tourments où elle se trouve. Si tu veux qu'il en soit ainsi, il faut
que tu souffres beaucoup. " J'étais prête à tout souffrir pour obtenir
cette grâce. Mes souffrances furent très grandes. Après la fête de sainte
Claire, je crus voir l'âme de mon père, mais non dans le même lieu d'horreur. C'était
encore le purgatoire, cependant. J'ai longtemps supplié le Seigneur de me
donner la délivrance de cette âme. Bien des semaines après, j'eus cette
révélation que je devais avoir beaucoup de regrets de n'avoir pas osé parler à
mon père avec la liberté qu'il eût fallu. Je connaissais bien le lamentable
état de sa conscience, et si je lui en avais dit quelque chose il se serait
amendé. Je fis donc tous les jours mes oraisons pour cette âme et je la vis
souffrir beaucoup. Je suppliai Dieu de toutes les forces de mon coeur de
vouloir bien la délivrer de ses tourments. Je vis cette âme pendant la nuit de Noël.
Un ange vint la prendre par la main et je vis mon père tel qu'il était pendant
sa vie, mais revêtu de blanc. Il me salua et me remercia de ma charité. Aussitôt,
il devint éclatant de lumière. Je ne le vis plus sous une forme humaine, il
disparut avec l'ange. Le matin, après la communion, je revis encore cette âme
toute belle et resplendissante. Elle me dit qu'elle n'avait pas été la seule
délivrée du purgatoire, beaucoup d'autres avaient été délivrées aussi. Je les
vis toutes, en grand nombre. La plume est incapable de décrire le bonheur que
je ressentais. Je pense que Dieu m'a accordé cette grâce d'abord par les
prières de la Sainte Vierge Marie, puis par celles de mes Soeurs. Pour racheter
les âmes, Véronique souffrait, au purgatoire même, pour l'âme qu'elle voulait
délivrer : Il me semble, dit-elle en décrivant la peine qu'elle avait à
souffrir, il me semble que mon âme était dans un abandon complet, extérieur et
intérieur, comme si Dieu m'avait dépouillée de tout et que plus jamais, en
cette vie ni en l'autre, je ne participerais à aucun bien, que plus jamais je
ne pourrais me recommander à la Sainte Vierge ni aux saints. C'est une douleur
indescriptible et qui dura le temps que j'eus à passer dans ce lieu affreux. Il
me semblait que ce temps ne finirait jamais et que toujours j'expierais. Nul ne
venait à mon aide. J'étais seule et abandonnée. Une heure de ces souffrances,
c'est une éternité. La douleur physique s'ajoutait à la douleur morale. Il me
semblait qu'on me triturait les os, qu'on me travaillait les chairs, qu'on me
jetait dans une fournaise, puis dans une glacière. Je tremblais de douleur. En
même temps, on me rouait de coups avec toutes sortes d'instruments. Dans ces
tourments, j'eus quelques communications avec Dieu : il me fit comprendre que
les peines que je subissais étaient celles du purgatoire et qu'il me les
faisait endurer pour libérer les âmes. Contemporaine ou légèrement plus âgée
que Véronique, sainte Marguerite-Marie Alacoque (1647-1690) fit des expériences
analogues, mais moins dramatiques. Entrée au ciel de diverses personnes, vues
par sainte Marguerite-Marie Le 2 mai (1863), la bienheureuse annonçait à la
Mère de Saumaize l'entrée au ciel de deux religieuses de la Visitation :
"Vive Jésus ! ma bonne Mère, mon âme se sent pénétrée d'une si grande joie
que j'ai peine à la contenir en moi-même. Permettez-moi que je la communique à
votre coeur pour soulager le mien qui ne sort guère de celui ce Notre Seigneur
Jésus-Christ. Ce matin, dimanche du bon Pasteur, deux de mes bonnes amies
souffrantes, à mon réveil, me sont venues dire adieu, que c'était le jour que
le souverain Pasteur les recevait dans son Bercail éternel, avec plus d'un
million d'autres, en la compagnie desquelles elles sont allées avec chants
d'allégresse inexplicables. L'une est la bonne Mère de Monthaux, l'autre, ma soeur
Jeanne-Catherine, qui me répétait sans cesse ces paroles : "L'amour
triomphe, l'amour jouit, l'amour en Dieu se réjouit :" L’autre disait :
" Bienheureux les morts qui meurent au Seigneur et les religieuses qui
vivent et meurent dans l'exacte observance de leurs règles. " Elles
veulent que je vous dise de leur part : " Que la mort peut bien séparer
les amis mais non les désunir :", ceci est la bonne Mère et l'autre :
" Vous serez aussi bonne fille dans le ciel que vous avez été bonne mère
sur la terre. " Si vous saviez combien mon âme est transportée de joie,
car en leur parlant je les voyais peu à peu se noyer et s'abîmer dans la
gloire, comme une personne qui se noie dans un vaste océan. La soeur Marguerite-Marie,
dans cette même année 1683, eut aussi une révélation de la gloire de la Mère
Anne-Séraphine Boulier, cette sainte religieuse, supérieur du monastère de
Dijon, avait rassuré la Mère de Saumaize, lors de la profession de notre
bienheureuse. Elle mourut le 7 septembre. Le 4 novembre, la soeur
Marguerite-Marie la voyait déjà jouissant de son souverain bien, "qui la
rend toute-puissante à nous donner des marques d'une vraie amitié". Plus
tard, elle la vit "bien haute dans la gloire et dans les rangs de ces
séraphins destinés à rendre un continuel hommage au Sacré-Coeur de Jésus, pour
réparer les amertumes que ce saint Coeur a souffertes et souffre encore au Très
Saint-Sacrement, par l'ingratitude et la froideur des nôtres ". Le plus
souvent, en même temps qu'elle était instruites des douleurs endurées par
certaines âmes du purgatoire, elle y participait d'une manière merveilleuse et
terrible. Un jour, elle priait devant le Saint-Sacrement ; soudain, devant elle
se présente une personne tout en feu ; les flammes brûlent si ardentes qu'il
lui semble qu'elle en est toute pénétrée. A cette vue, sous ces tortures
dévorantes, ses larmes jaillissent, abondantes, l'âme qui lui apparaît est
celle d'un religieux bénédictin de la Congrégation de Cluny. Prieur de Paray,
il l'avait confessée une fois et lui avait ordonné de faire la sainte communion.
Il lui demande aujourd'hui de lui appliquer pendant trois mois les mérites de
toutes ses prières et de toutes ses souffrances. Il lui découvre alors les
causes de son rude purgatoire ; trop d'attache à sa réputation lui a fait
préférer son propre intérêt à la gloire de Dieu ; il manqua de charité envers
ses frères ; dans ses entretiens spirituels et dans ses rapports avec les
créatures, il avait trop d'attache naturelle, et cela déplaisait beaucoup à
Dieu. Pendant trois mois, il se tint près de sa victime volontaire, ne la
quittant point, et, du côté où il se trouve, elle brûle comme tout en feu. La
douleur très vive la fait pleurer continuellement. La supérieure, qui sait
tout, qui a tout approuvé, touchée de compassion, lui ordonne des pénitences et
des disciplines. Au bout de trois mois, le bénédictin lui apparaît, tout
éclatant de gloire ; il monte au ciel ; après l'avoir remerciée, il l'assure
qu'à son tour il la protégera. Dans tous ces morceaux, nous trouvons le même
esprit, la même coloration, le même climat. Tout cela ne s'impose aucunement à
notre foi, en tant que telle, mais tout cela est en pleine conformité à notre
foi. Il y a un purgatoire. Il est en fait pour ce que nous appellerions
"les âmes moyennes", c'est-à-dire pour l'immense majorité des âmes. On
ne peut l'éviter qu'en faisant pleine pénitence ici-bas pour toutes ses fautes.
Le nombre de ceux qui échappent au purgatoire semble être très petit. C'est le
fait des très grands saints seulement. Mais, ce qui est consolant, c'est que
l'Eglise "souffrante", ainsi que nous l'appelons, nous reste
étroitement unie par la pensée et la charité. Nous pouvons beaucoup pour ces
âmes et elles peuvent beaucoup pour nous. Nous citerons en dernier lieu, dans
le même sens, un trait de la vie de la prodigieuse petite Gemma Galgani, vierge
de Lucques, en Italie, 1878-1903. Substitution Gemma connut par voie
surnaturelle qu'une religieuse passioniste du monastère de Corneto, belle âme
très chère à Dieu, venait de tomber mortellement malade. Elle me demanda si le
fait était exact, et, sur ma réponse affirmative, supplia Jésus de faire payer
ici-bas à sa servante ses dettes de la justice divine pour qu'à sa mort le ciel
lui fût promptement ouvert. Le Seigneur l'exauça, du moins en partie, car la
fervente religieuse ne mourut qu'après plusieurs mois de cruelles souffrances. Elle
apparut alors à la jeune fille sous les traits les plus douloureux, implorant
son secours dans les peines terribles qu'elle endurait en purgatoire à cause de
certains défauts. Il n'en fallait pas davantage pour émouvoir toutes les fibres
de son coeur. Afin de procurer à la pauvre Soeur de nombreux suffrages, Gemma
se hâta d'annoncer son décès à sa famille adoptive, la désignant par son nom de
religion pourtant inconnu à Lucques : Marie-Thérèse de l'Enfant-Jésus ; et
elle-même, à partir de ce moment, ne connut plus de repos. Sans trêve, elle
priait, pleurait, luttait amoureusement avec son Seigneur : "Jésus, sauvez-la
", l'entendait-on s'écrier. "Jésus, envoyez vite Thérèse en paradis. C'est
une âme qui vous est bien chère ; faites-moi beaucoup souffrir pour elle, je la
veux sauvée. " Victime volontaire, la généreuse enfant souffrit
cruellement seize jours consécutifs, au bout desquels la justice divine, étant
satisfaite, sonna l'heure de la délivrance. Elle m'écrivit alors : "Vers
une heure et demie de la nuit, la Madone est venue, m'a-t-il semblé, m'annoncer
que le moment était proche. Quelques instants après, j'ai cru voir s'avancer
vers moi Marie-Thérèse, vêtue en religieuse passioniste, accompagnée de son
ange et de Jésus. Ah ! que son état était différent de celui du jour où je
l'avais vue pour la première fois ! S'approchant de moi, toute souriante, elle
m'a dit : "Je suis vraiment heureuse, et je vais jouir de mon Jésus pour
toujours. " Après de nouveaux remerciements, elle m'a fait de la main, à
plusieurs reprises, un geste d'adieu, et, avec Jésus et son ange, elle a pris
aussitôt son essor vers les cieux. C'était environ deux heures et demie de la
nuit. Cédons la parole maintenant à une bouche beaucoup moins mystique,
Marceline Desbordes-Valmore (1785-1859) qui, dans un poème intitulé Les
sanglots, met en scène une âme qui aperçoit l'enfer, puis se rend en
purgatoire, dont elle espère être délivrée par Marie, sa mère : Les sanglots Ah
! l'enfer est ici ; l'autre me fait moins peur ; Pourtant le purgatoire
inquiète mon coeur. On m'en a trop parlé pour que ce nom funeste Sur un si
faible coeur ne serpente et ne reste ! Et pourtant le flot des jours me défait
fleur à fleur, je vois le purgatoire au fond de ma pâleur. S'ils ont dit vrai,
c'est là qu'il faut aller s'éteindre, O Dieu de toute vie, avant de vous
atteindre ! C'est là qu'il faut descendre et sans lune et sans jour, Sous le
poids de la crainte et la croix de l'amour, Pour entendre gémir les âmes
condamnées, Sans pouvoir dire : "Allez, vous êtes pardonnées !" Sans
pouvoir les tarir, ô douleur des douleurs ! Sentir filtrer les sanglots et les
pleurs : Se heurter dans la nuit des cages cellulaires Que nulle aube ne teint
de ses prunelles claires ; Ne savoir où crier au Sauveur méconnu : "Hélas
! mon doux Sauveur, n'étiez-vous pas venu ?" Ah ! j'ai peur d'avoir peur,
d'avoir froid, je me cache Comme un oiseau tombé qui tremble qu'on l'attache. Je
rouvre tristement mes bras au souvenir...Mais c'est le purgatoire et je le sens
venir ! C'est là que je sens après la mort menée, Comme une esclave en faute au
bout de sa journée. Cachant sous ses deux mains son front pâle et flétri, Et
marchant sur son coeur par la terre meurtri ! Ciel ! où m'en irai-je Sans pieds
pour courir ? Ciel ! où frapperai-je Sans clef pour ouvrir ?
Sous l'arrêt éternel repoussant ma prière, Jamais plus le
soleil n'atteindra ma paupière, Pour l'essuyer du monde et des tableaux affreux
Qui font baisser partout mes regards douloureux. Plus de soleil ! Pourquoi ?
Cette lumière aimée Aux méchants de la terre est partout allumée. Sur une
pauvre coupable à l'échafaud conduit, Comme un doux : "Viens à moi !"
l'ordre s'épanche et luit. Plus de feu nulle part ! plus d'oiseau dans l'espace
! Plus d'Ave Maria dans la brise qui passe ! Au bord des lacs taris plus un
roseau mouvant, Plus d'air pour soutenir un atome vivant ! Ces fruits que tout
ingrat sent fondre sous sa lèvre Ne feront plus couler leur fraîcheur dans ma
fièvre ; Et de mon coeur absent qui viendra m'oppresser J'amasserai les pleurs
sans pouvoir les verser. Ciel ! où m'en irai-je Sans pieds pour courir ? Ciel !
où frapperai-je Sans clef pour ouvrir ? Plus de ces souvenirs qui m'emplissent
de larmes, Si vivants que toujours je vivrais de leurs charmes; Plus de famille
au soir assise sur le seuil Pour bénir son sommeil chantant devant l'aïeul ;
Plus de timbre adoré dont la grâce invincible Eût forcé le néant à devenir
sensible ! Plus de livres divins comme effeuillés des cieux, Concerts que tous
mes sens écoutaient par mes yeux. Ainsi, n'oser mourir quand on n'ose plus
vivre, Ni chercher dans la mort un ami qui délivre ! O parents ! pourquoi donc
vos fleurs sur nos berceaux, Si le ciel a maudit l'arbre et les arbrisseaux ?
Ciel ! où m'en irai-je Sans pieds pour courir ? Ciel ! où frapperai-je Sans
clef pour ouvrir ? Sans la croix qui s'incline à l'âme prosternée, Punie après
la mort du malheur d'être née ! Mais quoi, dans cette mort qui se sent expirer,
Si quelque cri lointain me disait d'espérer ! Si dans ce ciel éteint quelque
étoile pâlie Envoyait sa lueur mélancolie ! Si des yeux inquiets s'allumaient
pour me voir ! Sous ces arceaux tendus d'ombre et de désespoir. Ah ! ce serait
ma mère intrépide et bénie, Descendant réclamer sa fille assez punie ! Oui, ce
sera ma mère, ayant attendri Dieu, Qui viendra me sauver de cet horrible lieu
Et relever au vent de la jeune espérance Son dernier fruit tombé, mordu par la
souffrance. Je sentirai ses bras si doux, si beaux, si forts, M'étreindre et
m'enlever dans ses puissants efforts. Je sentirai couler dans mes naissantes
ailes L'air pur qui fait monter les libres hirondelles, Et ma mère, en fuyant
pour ne plus revenir, M'emportera vivante à travers l'avenir ! Mais avant de
quitter les mortelles campagnes, Nous irons appeler des âmes pour compagnes ;
Au fond du champ funèbre où j'ai mis tant de fleurs, Nous abattre aux parfums
qui sont nés de mes pleurs ; Et nous aurons des voix, des transports et des
flammes, Pour crier : "Venez-vous !" à ces dolentes âmes. Venez-vous
vers l'été qui fait tout refleurir, Où nous allons aimer sans pleurer, sans
mourir ! "Venez ! venez voir Dieu ! Nous sommes ses colombes ; Jetez là
vos linceuls, les cieux n'ont plus de tombes ; "Le sépulcre est rompu par
l'éternel amour : Ma mère nous enfante à l'éternel Séjour. " Si nous osons
comparer ce morceau d'imagination parfois discutable avec les pages des grandes
mystiques, dont nous avons recueilli les voix, à qui donner la palme ? Quelle
sûreté, quelle élévation, quelle beauté, et même quelle poésie, chez celles-ci,
qui les placent bien au-dessus de celle-là ! Au terme de ces citations sur le
purgatoire, nous n'oublierons pas cette recommandation de la Vierge aux trois
enfants de Fatima, en 1917 : Après chaque dizaine de chapelet, vous direz
maintenant : "Mon Jésus, pardonnez-moi mes offenses, gardez-moi du feu de
l'enfer et consolez les âmes du purgatoire, principalement les plus délaissez. "